Zivie-Coche - Miscellanea Ptolemaica
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Miscellanea Ptolemaica
Christiane Zivie-Coche
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ans les textes dits ptolémaïques, certains signes ont acquis des valeurs rares, ou qui semblent telles à leur lecteur moderne; valeurs dont la lecture a été mise en évidence par quelques occurrences seulement, au gré du déchiffrement de tel ou tel texte. Aussi est-ce une heureuse surprise de pouvoir confirmer ces lectures qui suscitaient parfois encore quelques doutes par de nouveaux exemples. Ils ont également l’intérêt, de par leur étalement dans le temps—des Lagides aux empereurs romains—et leur origine géographique, des sites parfois fort éloignés les uns des autres, de nous montrer que l’évolution de l’écriture s’est accomplie sur une période très longue et à travers une aire géographique qui couvre la quasi totalité de l’Egypte. Les quelques témoignages réunis ici en sont, me semble-t-il, une bonne démonstration.
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™n∞ 1. Cette particularité graphique avait été signalée naguère par C. de Wit, “Some Values of Ptolemaic Signs,” BIFAO 55 (1955), p. 116–17, sur la base d’exemples tirés d’Edfou et servant à écrire ™n∞ dans le nom de la . Pour ôter les doutes qu’aurait plante ™n∞-¡my, valant à lui seul pour pu susciter cette lecture, un recoupement indubitable s’imposait: l’épithète d’Osiris Fn∂-™n∞, écrit , étant un idéogramme, accompagné de ses compléments phonétiques. 1 Dans les textes du temple de Deir Chelouit, quelques exemples datés du règne d’Hadrien dans le naos de l’édifice viennent confirmer cette lecture, née soit comme le propose de Wit de la similitude des signes en hiératique, soit d’une simple confusion entre des hiéroglyphes assez proches par leur forme. Ces occurrences apparaissent essentiellement dans les textes d’une procession de génies économiques: dc 100, 2; 111, 3; 115, 3; 117, 3 et 5. Le mot est toujours écrit à à l’exception de 117,5, où on le rencontre
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1 C. Zivie, Le temple de Deir Chelouit. Les inscriptions (Le Caire, 1982–1986). Les textes seront cités sous la forme dc, suivi du nombre indiquant la scène ou le texte et du numéro de colonne ou de ligne.
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sous la forme redondante dans l’expression ∞t n ™n∞, “bois de vie,” “arbre fruitier.” Dans la scène rituelle 143,5, où le pharaon fait une offrande alimentaire à Amon-Rê, le souverain est qualifié de s∞pr m¡ ntf nb ™n∞, “celui qui crée la vie, car il est le maître de la vie.” La même colonne présente encore une graphie identique dans le groupe †£w n ™n∞ ( ), “le souffle de vie.”
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2. m Dans le volume 1 des Valeurs phonétiques des signes hiéroglyphiques d’époque gréco-romaine, (Montpellier, 1988), p. 271, la peau d’animal est répertoriée avec la valeur phonétique m, faisant référence à une ins2 cription de Médamoud, publiée par E. Drioton. Il s’agit encore d’une procession géographique de nomes, datée du temps de Trajan. En fait, en lisant les textes de cet ensemble, on s’aperçoit que le signe est utilisé très fréquemment avec cette valeur, concurremment et indifféremment, semble-t-il, à , ou . Sa lecture ne fait aucun doute et paraît être intégrée dans le corpus des signes des textes romains de ce temple. Il est difficile d’en vérifier la forme exacte sur les photographies publiées, étant donné leur petite taille et leur qualité insuffisante. Un signe tout à fait similaire se rencontre à de très nombreuses reprises dans les textes d’Hadrien (naos) et d’Antonin (pronaos) du temple de Deir Chelouit, qui n’est pas très éloigné de Médamoud et dont le décor est pratiquement contemporain. Là aussi, il est employé en parallèle avec , ou , sans que l’on puisse expliquer le choix d’un signe plutôt que d’un autre. Je ne citerai que quelques exemples qui seront suffisamment parlants.
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dc 73,14: n ms ßw sßt£≠s, “sans qu’existe un territoire(?) privé de ses mystères,” en parlant d’Isis, avec un parallèle en dc 79,9, où m est écrit . au moyen de
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dc 138,6: Osiris-Bouchis est wrm n
, “image d’Atoum.”
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dc 147,10: paroles de Rê-Horakhty: d¡≠¡ n.k ; flr ¡myw≠f Îs∂s flr pr ¡m≠f, “Je te donne Kenem avec ce qui est en elle, Djesdjes avec ce qui sort d’elle.” Cette même graphie se retrouve à la colonne 8 dans le mot homonyme knm (s∞pr knm, “créer l’obscurité”). Déjà dans les textes du Ier siècle de notre ère, gravés sur le propylône, on employait ce même £mm≠k, “dans ton signe avec la valeur m. Ainsi, dc 4,8 (Vespasien): poing;” dc 38,3: ¢r ∂w k£ ⁄wnw ßm™ r-gs d£t…, “sur la montagne
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2 Rapport
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sur les fouilles de Médamoud (1925). Les inscriptions, FIFAO 3 (1926), no. 166, col. 7, p. 76.
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élevée dans Héliopolis du sud à proximité de la douat de…” Changeant totalement de zone géographique et remontant dans le temps jusqu’à la fin de l’époque ptolémaïque, c’est encore le même signe que nous repérons dans deux inscriptions gravées sur des statues de hauts fonctionnaires de Tanis, ayant exercé leur charge sous le règne de Ptolémée Aulète. L’un n’est autre que Panemerit qui a laissé plusieurs 3 effigies à son nom, portant des textes autobiographiques. Le deuxième qui demeure anonyme, a fait sculpter une statue au vêtement drapé, retrouvée en 1991 au cours de la fouille d’un nouveau temple au centre du tell dans la zone dite de la “colonnade enterrée” et sur laquelle on lit également un fragment d’autobiographie très voisin et même, pour une 4 part, similaire à celle de Panemerit. Dans l’un et l’autre cas, seule la valeur m pour permet de rendre compréhensible deux éléments de phrase. Chez Panemerit, le propriétaire de la statue se vante d’avoir rajeuni ce qui était en ruine dans les diverses parties d’un temple dédié à un dieu dont le nom a disparu: srnp≠¡ wßr nb ≠sn. De même, sur l’autre statue, la première colonne du pilier dorsal débute avec une série d’épithètes laudatives: “le vénérable, excellent, distingué dans sa ville; ßps ¡˚r †n≠tw m n¡wt.f s¡£ k£≠f ¡n ; t£ß≠f… Il n’est possible de comprenM dre la dernière expression que comme “celui dont le nom est connu par les habitants (ceux qui sont dans) de son nome,” valant même ici pour ¡my. Nous passons ainsi d’une valeur peu connue et mal attestée à une série d’exemples qui, bien entendu, n’est nullement exhaustive. Il est à peu près sûr qu’une recherche plus complète en amènerait d’autres, provenant d’origines diverses et d’époques différentes, élargissant encore notre éventail. Il faut souligner également que des valeurs ptolémaïques très particulières se retrouvent aussi bien dans les textes de documents privés en hiéroglyphes, de moins en moins nombreux au fur et à mesure que l’on avance dans le temps, que sur des inscriptions pariétales. Cette communauté d’écriture n’est pas véritablement surprenante puisque le nombre d’individus capables de comprendre ou d’écrire des hiéroglyphes était extrêmement restreint. Il n’existe malheureusement pas encore d’étude systématique sur l’ensemble du considérable corpus de textes ptolémaïques. On pose parfois l’hypothèse
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Statue Caire JE 67094 (D 88 de P. Montet): P. Montet, “Inscriptions de Basse Epoque trouvées à Tanis,” Kêmi 8 (1946), p. 82–105, et plus particulièrement p. 97–98 pour le passage qui nous intéresse, et pl. XIII et XVI. 4
Voir C. Zivie-Coche, “La statue ptolémaïque Sân 91–200. Dans l’entourage de Panemerit,” Bulletin de la Société Française des Fouilles de Tanis 7/2 (1994), p. 101–109 et pl. VIII; “Un compagnon de Panemerit,” sous presse in Cahiers de Tanis 2.
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de particularités d’écoles qui seraient limitées à certaines aires géographiques, mais nous n’avons pas véritablement de preuves pour avancer dans cette voie. L’exemple étudié, ainsi que le suivant iraient plutôt dans le sens inverse. Un dernier point doit être évoqué, bien que je ne sois pas en mesure d’y apporter une réponse satisfaisante. Le signe en question a été classé sans hésitation par les auteurs des Valeurs phonétiques dans les “parties du corps des mammifères” comme peau d’animal (F 27 de la Sign-List de Gardiner). Néanmoins, les variantes paléographiques de Deir Chelouit, dont je ne puis être assurée qu’elles sont significatives étant donné les maladresses assez fréquentes dans la gravure, amènent à faire une autre 5 hypothèse. Il pourrait s’agir d’une feuille de lotus avec sa tige, plus ou 6 moins déformée. Quoi qu’il en soit de l’objet representé, si sa valeur phonétique ne fait pas le moindre doute, il n’est pas possible d’expliquer son acquisition par l’une des nombreuses voies qui permettent de donner une valeur nouvelle à un signe déjà connu. Au demeurant, il convient de le reconnaître, en dépit des efforts renouvelés des ptolémaïsants, nombre de valeurs résistent encore à toute tentative d’explication. Seul un parallèle clair avec un signe d’une lecture “classique” permet un déchiffrement non aléatoire, mais de raison inconnue.
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3. dr Serge Sauneron, en traduisant certains textes d’Esna, avait signalé dans 7 une note de commentaire qu’il fallait attribuer au signe , pièce d’étoffe et tissu plié, la valeur dr, dans deux exemples (Esna 331, 8 et 276, 17) qu’il avait pu éclairer par un parallèle, écrit de manière habituelle: [ ?] N (Esna 260, 6), avec d pour t. Le verbe et variantes graphiques (cf. Wb. III, 473–74) signifie “chasser,” “écarter,” “repousser,” et c’est bien effectivement ce sens qu’il possède dans les exemples présentés par Sauneron. On notera en passant qu’il faut le rajouter dans les Valeurs phonétiques III (1990), p. 642. Il convient de se demander, encore une fois, s’il est propre aux textes d’Esna, datant, pour les deux occurrences mentionnées, de Domitien et Trajan, ou si nous pouvons enrichir notre répertoire et, par conséquence, asseoir plus
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5 Signe qui offre différentes variantes graphiques: voir Valeurs phonétiques II (1988), p. 410. 6 On peut d’ailleurs assez facilement imaginer que les graveurs ont eu des hésitations entre des signes de formes voisines et qu’ils sont passés de l’un à l’autre, ayant oublié ou ignorant l’origine de la valeur phonétique. 7 Les fêtes religieuses d’Esna aux derniers siècles du paganisme, Esna V (Le Caire, 1962), p. 155, n.(i).
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largement cette valeur dans l’espace et le temps. Les textes de Deir Chelouit offrent trois passages qui ne peuvent se comprendre qu’en lisant , dr.
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Á ¢ æ< n1| dr [∞£]yt, “chasser le N =% ¢ dc 76, 6 (Antonin, sur le mur décoré du pronaos): Á ¢ æ ¤ £n! . dc 23, 6 (Othon sur le propylône): mal,” dans la formule d’offrande de la coupe ߣ.
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dr.n≠f kn¢w, comme épithète royale: “il chasse l’obscurité.”
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dc 98, 3 (naos, procession économique datant d’Hadrien): il est dit de la sic déesse Menket: ¢ dr n≠s knm(t), “l’obscurité est . écartée pour elle.” Une même graphie, un sens incontestable; l’époque est romaine; la localisation dans la région thébaine au nord d’Esna élargit un peu l’aire géographique. Par ce que nous pourrions appeler un heureux hasard, mais qui n’est sans doute pas purement fortuit, le signe en question, avec la même lecture, se retrouve sur les deux statues de Tanis déjà citées, celle de 8 9 Panemerit et celle de l’anonyme, propriétaire de Sân 91–200, datées de Ptolémée XII Aulète. Il s’agit dans ce cas de “chasser les étrangers,” dr ∞£styw, un thème attesté plusieurs fois dans les autobiographies 10 tardives. Ainsi, nous remontons jusqu’à la deuxième moitié du premier siècle avant notre ère et nous nous déplaçons à l’autre extrémité de l’Egypte, ce qui donne à penser que la lecture dr pour ce signe était sans doute infiniment mieux représentée qu’elle ne nous apparaît et n’offrait pas de difficulté particulière pour les rares Egyptiens, lecteurs de ces textes. A titre d’hypothèse, je suggèrerai une explication permettant de comprendre comment ce signe en est arrivé à se lire de cette manière. Parmi les graphies signalées par le Wb. V, 473, on note, avec la remarque “fréquent,” écrit au moyen du signe de la corde et de celui du bras armé. Le premier est le déterminatif usuel de , pièce de tissu, Wb. V, 475. On peut facilement imaginer un glissement par confusion de l’un a l’autre, bien qu’il s’agisse seulement de deux homonymes, sans aucune relation sémantique; mais c'est un phénomène banal. Par ailleurs, Gardiner en commentant les emplois des signes dans sa grammaire, fait remarquer qu’à partir de la XIXe dynastie (V 6) pouvait remplacer 11 (S 28) comme déterminatif des termes liés à l’habillement. Dès lors, il
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8 Voir
P. Montet, loc. cit., p. 96 et pl. XIII et XVI. Zivie-Coche, Cahiers de Tanis 2. 10 C. Zivie-Coche, loc. cit. 11 A. Gardiner, Egyptian Grammar, 3ème éd. révisée (Londres, 1966), p. 522. 9 C.
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est possible, me semble-t-il, d’expliquer assez aisément le passage de à (un signe employé pour l’autre, et cela dès le Nouvel Empire) pour écrire le verbe “chasser,” “expulser.” Ces trois exemples dont on ne peut plus considérer l’emploi comme exceptionnel, montrent combien est vaste encore le champ qui s’ouvre aux lecteurs des textes ptolémaïques, ne serait-ce que dans le domaine du déchiffrement et de l’acquisition des valeurs. Il est loisible de supposer qu’au prix de “lectures illimitées,” peu à peu se multipliera le nombre des valeurs connues, se réduira celui des inconnues et des hapax, s’élucideront les raisons d’être de telle ou telle, en fonction des principes de l’écriture égyptienne. A William Kelly Simpson, je dédie cette modeste contribution sur l’écriture, sujet qui l’a si souvent préoccupé, comme témoignage de mon admiration et de l’indéfectible gratitude que je lui conserve pour la générosité dont il a toujours fait preuve à mon endroit.
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