Suzanne Pairault Infirmière 06 Le Secret de l'Ambulance 1973

June 30, 2016 | Author: joseatanagildonavara | Category: N/A
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JEUNES FILLES EN BLANC * N° 06 LE SECRET DE L’AMBULANCE par Suzanne PAIRAULT * MINUIT...un accident de voiture. L'ambulance, alertée, file sur la route, conduite par Armelle, une jeune infirmière. L'endroit est mystérieux et désert. La présence du blessé est inexplicable. Qui est-il ? Armelle voudrait d'autant plus le savoir qu'elle éprouve de la sympathie pour lui. Bientôt la jeune fille est mise en présence de deux personnages louches, Roger et Jo. Ils interdisent à l'infirmière de faire transporter le blessé à l'hôpital et de prévenir la gendarmerie. Dominant sa peur et son trouble, Armelle va tout mettre en œuvre pour soigner le jeune homme et le faire échapper à la surveillance de ces deux cerbères. Et, c'est pour elle le début d'une étrange aventure.

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Suzanne Pairault Ordre de sortie

Jeunes Filles en blanc Série Armelle, Camille, Catherine Cécile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence, Francine, Geneviève, Gisèle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthèses, le nom de l'infirmière.)

1. Catherine infirmière 1968 (Catherine) 2. La revanche de Marianne 1969 (Marianne) 3. Infirmière à bord 1970 (Juliette) 4. Mission vers l’inconnu 1971 ( Gisèle) 5. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle) 6. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle) 7. Sylvie et l’homme de l’ombre 1973 (Sylvie) 8. Le lit no 13 1974 (Geneviève) 9. Dora garde un secret 1974 (Dora) 10. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline) 11. Le poids d'un secret 1976 (Luce) 12. Salle des urgences 1976 13. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne) 14. L'infirmière mène l'enquête 1978 (Dominique) 15. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille) 16. La promesse de Francine 1979 (Francine) 17. Le fantôme de Ligeac 1980 (Cécile) 18. Florence fait un diagnostic 1981 19. Florence et l'étrange épidémie 1981 20. Florence et l'infirmière sans passé 1982 21. Florence s'en va et revient 1983 22. Florence et les frères ennemis 1984 23. La Grande Épreuve de Florence 1985

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Suzanne Pairault Ordre de sortie

Jeunes Filles en blanc Série Armelle, Camille, Catherine Cécile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence, Francine, Geneviève, Gisèle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie. (entre parenthèses, le nom de l'infirmière.)

1. Catherine infirmière 1968 (Catherine) 2. La revanche de Marianne 1969 (Marianne) 3. Infirmière à bord 1970 (Juliette) 4. Mission vers l’inconnu 1971 ( Gisèle) 5. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle) 6. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle) 7. Sylvie et l’homme de l’ombre 1973 (Sylvie) 8. Le lit no 13 1974 (Geneviève) 9. Dora garde un secret 1974 (Dora) 10. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline) 11. Le poids d'un secret 1976 (Luce) 12. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne) 13. L'infirmière mène l'enquête 1978 (Dominique) 14. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille) 15. La promesse de Francine 1979 (Francine) 16. Le fantôme de Ligeac 1980 (Cécile)

Série Florence 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.

Salle des urgences 1976 Florence fait un diagnostic 1981 Florence et l'étrange épidémie 1981 Florence et l'infirmière sans passé 1982 Florence s'en va et revient 1983 Florence et les frères ennemis 1984 La Grande Épreuve de Florence 1985

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Suzanne Pairault Ordre alphabétique

Jeunes Filles en blanc Série Armelle, Camille, Catherine Cécile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence, Francine, Geneviève, Gisèle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie. (entre parenthèses, le nom de l'infirmière.)

1. Catherine infirmière 1968 (Catherine) 2. Dora garde un secret 1974 (Dora) 3. Florence et les frères ennemis 1984 (Florence) 4. Florence et l'étrange épidémie 1981 (Florence) 5. Florence et l'infirmière sans passé 1982 (Florence) 6. Florence fait un diagnostic 1981 (Florence) 7. Florence s'en va et revient 1983 (Florence) 8. Infirmière à bord 1970 (Juliette) 9. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille) 10. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne) 11. La Grande Épreuve de Florence 1985 (Florence) 12. La promesse de Francine 1979 (Francine) 13. La revanche de Marianne 1969 (Marianne) 14. Le fantôme de Ligeac 1980 (Cécile) 15. Le lit no 13 1974 (Geneviève) 16. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline) 17. Le poids d'un secret 1976 (Luce) 18. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle) 19. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle) 20. L'infirmière mène l'enquête 1978 (Dominique) 21. Mission vers l’inconnu 1971 ( Gisèle) 22. Salle des urgences 1976 (Florence) 23. Sylvie et l’homme de l’ombre 1973 (Sylvie)

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SUZANNE PAIRAULT

LE SECRET DE L’AMBULANCE ILLUSTRATIONS DE PHILIPPE DAURE

HACHETTE

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I « EH BIEN, on peut dire que la journée a été dure!» Le chauffeur de l'hôpital leva les yeux vers celle qui lui parlait : une toute jeune fille à la silhouette mince, aux yeux noirs, vêtue du strict uniforme de ville des infirmières. Elle avait ôté son calot; ses cheveux bouclés, épars sur ses épaules, accentuaient encore son air de jeunesse. A la façon dont Basin répondit, n'importe qui eût deviné qu'une solide amitié unissait les deux

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membres de l'équipe : la jeune ambulancière et son conducteur. « Oui, mademoiselle Armelle, on n'a guère flâné, hein? Trois transports d'opérés, deux urgences... » Le visage de la jeune fille s'assombrit. « Dont encore une victime de la polamide! ajouta-telle. Cette fois, la malheureuse a bien failli y rester. Si je n'avais pas eu le matériel de réanimation dans la voiture... — C'est curieux, murmura le chauffeur. Elle est pourtant interdite, cette polamide! — Oui, la polamide n'est pas autorisée en France. Elle soulage immédiatement la douleur, c'est vrai — malheureusement, dans certains cas, elle peut être mortelle. Il suffit que la personne qui en prend n'ait pas le cœur ou les reins en bon état... — La presse en a assez parlé; tout le monde devrait savoir que c'est dangereux! — Je pense que, lorsqu'on souffre trop, on est prêt à courir n'importe quel risque. C'était le cas de la jeune femme que nous sommes allés chercher cet aprèsmidi : elle avait, paraît-il, des névralgies faciales intolérables. — Mais si le produit n'est pas vendu en pharmacie, comment les malades se le procurent-ils? — C'est très difficile de le savoir. La polamide n'est pas encore interdite dans certains pays étrangers; elle passe donc sans doute en

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fraude à la frontière. Ceux qui l'utilisent l'obtiennent en général par des amis et ne veulent pas révéler d'où elle vient, ce qui pourtant faciliterait l'arrestation des contrebandiers. » Armelle s'était assise en face du chauffeur, dans le petit bureau contigu au garage de l'ambulance. On apercevait dans l'ombre la masse blanche de la grosse voiture, barrée de sa grande croix rouge. « Ursule en a son compte, elle aussi! » fit Armelle en souriant. « Ursule » était le nom affectueux que le chauffeur et la jeune infirmière donnaient à leur véhicule. « Je viens de m'occuper d'elle, dit Basin. J'ai fait le plein, remis de l'huile, vérifié la pression des pneus. Pour ce soir c'est fini, mais nous pourrons repartir demain matin dès l'aube si c'est nécessaire. — Pas moi! dit la jeune fille. Vous oubliez que demain est mon jour de congé. » Basin fit une petite moue. « Ainsi demain je ne vous, vois pas... C'est Mlle Paille qui vous remplace, je pense? — Oui; vous vous entendez bien avec elle, n'est-ce pas? — Pas comme avec vous, mademoiselle! Ursule, vous et moi, nous formons une équipe comme il n'y en a pas beaucoup! » Il jeta un coup d'œil à la pendule.

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« Onze heures el demie! soupira-t-il. Il me semble que l'horloge ne tourne pas! Mon gamin a la fièvre; le médecin devait venir dans l'après-midi; j'ai hâte de savoir ce qu'il a trouvé... » Il semblait vraiment inquiet. Armelle songea que la longue journée, avec ce souci surajouté, avait dû être encore plus pénible pour lui que pour elle. « Ecoutez, dit-elle gentiment, je vois que vous êtes préoccupé; vous pourriez partir un peu avant l'heure. Ce serait bien extraordinaire que nous ayons un appel d'ici minuit! Dès que l'heure sonnera, je passerai le téléphone au veilleur de nuit et j'irai nie coucher à mon tour. » Basin commença par protester. Mais il finit par se laisser convaincre. « C'est vrai, reconnut-il, à cette heure-ci nous ne risquons pas grand-chose. Vous êtes sûre que ça ne vous ennuie pas de rester seule un moment? » Elle se mit à rire. « Je ne vois pas pour quel motif des malfaiteurs auraient l'idée de pénétrer ici! Vous avez raison, dit le chauffeur. Eh bien, à jeudi, puisque demain vous n'êtes pas des nôtres. Vous irez voir vos parents à Paris? - Non, ils n'y sont pas en ce moment. J'irai sans doute me promener : vous savez combien j'aime la marche. » Basin sortit. Restée seule, Armelle s'installa

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dans un fauteuil, prit sur une tablette le livre de poche qu'elle gardait pour les rares moments d'inaction et se mit à lire. Au bout d'un moment, elle leva les yeux vers la pendule. « Encore seize minutes! » se dit-elle. Elle venait à peine de reprendre sa lecture quand le téléphone sonna. Elle tendit la main et souleva l'écouteur. Une voix masculine, qui lui parut un peu enrouée, appela : « L'hôpital de Grandlieu? — Oui, monsieur. — C'est pour... un accident de voiture. Vous pourriez envoyer un médecin? -— Vous êtes la police? demanda Armelle. — Non, je... je vous appelle, voilà tout. — Témoin, alors? Il faut avertir immédiatement la gendarmerie. Où l'accident a-t-il eu lieu? — Au Mesnil. — Quel Mesnil? Sur la route de Mantes? — Oui, c'est ça. » Le nom du Mesnil avait frappé Armelle. Elle connaissait le village pour s'y être rendue plusieurs fois, chez des amis. Elle avait même déjeuné à l'auberge du lieu. « L'endroit exact? interrogea-t-elle. — C'est... c'est au château... » Le témoin hésitait : on avait l'impression qu'une autre personne, placée à côté de lui, lui soufflait ses réponses.

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« Bon. dit Armelle, je vois. Il y a des blessés graves? Un seul. C'est son épaule. - Il a sa connaissance? Il respire normalement ? - Ça, oui. - Il souffre beaucoup? - Non... C'est parce que... Il faut que je vous dise...» Armelle l'interrompit. « Ne le déplacez pas, surtout. Nous arrivons. Mais prévenez au plus tôt la gendarmerie! » Elle raccrocha, soucieuse. Quelle malchance que ce soir, justement, Basin fût parti avant l'heure! Que devait-elle faire? Alerter Simon, le veilleur, qui prenait les communications après 14

minuit et en cas de nécessité éveillait le second chauffeur? Mais ce serait faire savoir à ce dernier, toujours un peu jaloux de Basin, que son camarade avait quitté avant l'heure. Armelle aurait beau dire qu'elle le lui avait conseillé, elle risquait d'attirer un blâme à son équipier. Elle fit rapidement le point de la situation. Un seul blessé — pas très grave, à ce que disait le témoin. Les gendarmes de Mantes, alertés par celui-ci, arriveraient probablement avant elle; ils l'aideraient à placer l'accidenté dans l'ambulance. En somme, elle n'avait besoin de personne. Ce n'était pas la première fois qu'elle conduisait Ursule! Et la route du Mesnil, elle la connaissait bien. Après un instant de réflexion, elle se contenta de noter sa sortie dans le cahier des appels, sans préciser que le chauffeur n'était pas avec elle. Après quoi, elle remit son calot d'infirmière et alla actionner la manivelle qui relevait le rideau de fer du garage. Elle se dirigea vers l'ambulance, vérifia l'appareillage médical, sauta sur le siège. « En route, ma vieille Ursule! » Quelques secondes plus tard, elle tournait l'angle du bâtiment et filait dans la nuit. Les rues étaient presque désertes; elle n'avait pas besoin d'utiliser la sirène pour se faire ouvrir un passage. Elle quitta bientôt la banlieue surpeuplée où se trouvait l'hôpital et

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déboucha en pleine campagne. L'air frais, chargé d'une odeur de foin coupé, était délicieux à respirer. Elle ne regrettait pas d'avoir agi ainsi, pour protéger Basin. En moins d'un quart d'heure, elle serait au Mesnil; avant la demie de minuit, le blessé n'appartiendrai plus qu'aux médecins. Personne ne remarquerait l'absence du chauffeur. Elle reconnut le village, le vieux café, clos pour le moment, avec ses caisses de fusains alignées le long de la route. Plus loin, sur la gauche, elle aperçut l'église au clocher carré, qu'on distinguait vaguement dans l'obscurité. « Au château »... avait dit l'inconnu. Le château, elle se le rappelait bien : une longue façade qu'on ne voyait pas de la route, mais qui lui était relié par une allée tournante bordée de grands hêtres, au bout de laquelle s'ouvrait la grille. On disait à l'auberge que les propriétaires n'y venaient pas souvent, qu'ils avaient l'intention de vendre... Des étrangers, elle ne se rappelait plus de quel pays. Armelle avait ralenti et explorait la route avec ses phares. Tout à coup elle aperçut, sur la droite, une voiture grise a demi renversée dans le fossé, l'avant écrasé contre un arbre. C'était le véhicule accidenté, sans aucun doute. Mais pourquoi n'y avait-il personne? Celui qui l'avait alertée avait sûrement téléphoné aussi

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aux gendarmes, comme elle le lui avait recommandé. Ceux-ci étaient-ils arrivés les premiers et s'étaient-ils chargés eux-mêmes d'emmener le blessé? « Ce serait surprenant, pensa-t-elle : quand ils savent qu'on a demandé une ambulance, ils se contentent de faire leur constat et attendent le transport.» Elle mit pied à terre devant la voiture et s'approcha pour l'examiner. Le choc avait dû être rude : il avait aplati le capot et faussé les portières. L'intérieur était vide : ni occupants, ni bagages d'aucune sorte. Où donc les voyageurs avaient-ils disparu? Armelle regarda l'endroit où elle se trouvait. L'allée qui conduisait au château s'ouvrait à quelques mètres de là. Si les propriétaires ou des gardiens étaient présents, ils avaient pu donner asile au blessé en attendant l'ambulance. On a beau répéter aux gens qu'il ne faut jamais déplacer la victime d'un accident, il s'en trouve toujours qui croient bien faire en le transportant dans un lieu plus confortable. Elle remonta sur son siège, remit son moteur en marche, démarra. A ce moment, elle vit avec surprise une silhouette s'approcher de la voiture grise et balayer le sol, tout autour, à l'aide d'une lampe électrique. Un instant, la jeune infirmière se demanda si ce n'était pas quelque rôdeur qui venait fouiller

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la voiture abandonnée, avec l'espoir d'y découvrir un objet oublié. Puis, presque aussitôt elle se dit qu'il s'agissait sans doute d'un gendarme en train d'inspecter le lieu de l'accident. Au tournant de l'allée, elle fit halte. Entre les deux rangées de hêtres, le chemin disparaissait sous les mauvaises herbes. Des deux côtés, les ronces avaient envahi le passage, ne laissant guère entre elles que la largeur d'un sentier. « Le château semble à l'abandon, se dit Armelle. Il doit y avoir bien longtemps que personne n'est passé par ici... » Cependant, en regardant plus attentivement, elle remarqua que sur la droite les ronces étaient écrasées. Un peu plus loin on distinguait des traces de roues. Une voiture avait tourné ici tout récemment; les herbes n'avaient même pas eu le temps de se redresser. Intriguée, Armelle engagea résolument l'ambulance dans l'allée. Celle-ci était si mal tracée que la jeune tille devait avancer lentement, de crainte de s'enliser dans une invisible ornière. Mais bientôt elle s'enhardit : le terrain était plus ferme qu'il n'en avait l'air. Soudain elle aperçut devant elle la grande grille ouverte à deux battants. « On vient d'entrer, se dit Armelle. Le blessé est peut-être au château? En tout cas, ceux qui sont passés par ici ont dû être témoins de l'accident...

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Peut-être même est-ce d'ici qu'on m'a téléphoné; je n'ai pas vu de cabine sur la route et dans le village tout est endormi. Oui, c'est probablement ainsi que les choses se sont passées. De toute façon, il m'est facile de m'en assurer. » Elle avança. « Allons, Ursule, à la découverte! » Elle franchit la grille; du sable crissa sous les roues. Les traces de la voiture qui l'avait précédée étaient maintenant parfaitement visibles. Elles ne se dirigeaient pas vers la porte principale du château, mais contournaient celui-ci sur la droite.

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Armelle suivit les traces et parvint jusqu'à une cour entourée de bâtiments bas. Une voiture noire stationnait devant le petit perron qui flanquait l'entrée secondaire de la vieille demeure. La jeune infirmière arrêta son ambulance derrière le véhicule et descendit. La voiture noire, elle aussi, était vide. A l'intérieur du château, Armelle distingua un léger bruit. « II y a quelqu'un? » appela-t-elle à voix haute. Pas de réponse. Le blessé se trouvait-il là? De toute façon, le conducteur de la voiture noire avait peut-être été témoin de l'accident; il pourrait dire à Armelle si les gendarmes étaient venus, si on avait encore besoin de l'ambulance. Quoi qu'il en fût, la jeune fille ne pouvait pas repartir sans avoir recueilli la moindre information sur l'événement. Déjà courageuse par nature, encore aguerrie par le contact quotidien avec la souffrance, elle n'était pas fille à céder a la peur. Elle prit dans sa voiture une grosse lampe de poche, se dirigea vers le perron et monta les marches. La porte était entrouverte; Armelle la poussa et se trouva dans un vestibule désert, dont le dallage noir et blanc était couvert d'une épaisse couche de poussière. On voyait encore sur les murs nus la trace de deux grandes glaces et de divers objets, probablement des trophées de chasse.

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Le bruit qu'Armelle avait entendu venait de la gauche. Elle se dirigea vers la porte fermée. « Il y a quelqu'un? » répéta-t-elle. Toujours aucune réponse. Elle fit un pas en avant. « C'est l'ambulance, expliqua-t-elle. Pour l'accident... » Cette fois, elle vit la poignée de la porte s'abaisser lentement : malgré son courage, elle sentit un frisson glisser le long de son échine. On a beau ne pas croire aux fantômes, tout cela était vraiment impressionnant, même pour une ambulancière habituée aux émotions fortes. Armelle dirigea le rayon de sa lampe vers la porte qui s'entrebâillait. Un visage masculin apparut dans l'ouverture. L'apparition était peu engageante : sur un corps de géant, une face lunaire de Pierrot de cirque; les yeux ronds et pâles, clignotant à la lumière trop vive, n'exprimaient qu'une sorte d'hébétude. « C'est toi, Roger? » demanda l'individu. Puis, s'apercevant de sa méprise, il balbutia quelques mots et se tut. Armelle s'avança vers lui. « C'est vous qui m'avez téléphoné? » demanda-telle. L'homme recula d'un pas. Il n'avait pas l'air méchant, mais absolument s tupi de. « Téléphoné? répéta-t-il. Oui, oui, Roger m'a

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dit... C'est Roger qui a trouvé le numéro... le numéro de l'hôpital... — Pour un accident, n'est-ce pas? Il y a un blessé?» Le géant fit signe que oui, puis s'écarta et désigna un corps étendu sur le sol dans la pièce voisine. « C'est lui, dit-il. Roger m'a dit de rester avec lui. Roger est allé voir là-bas, dans la voiture... - Et comment avez-vous transporté le blesse jusqu'ici? » Sans répondre, le géant exhiba ses bras musclés — des bras d'athlète de foire. Il sourit : on voyait qu'il était fier de sa force. Armelle fronça les sourcils : encore un exemple de ces transports intempestifs qui peuvent être si dangereux... Mais le mal était fait; elle n'y pouvait plus rien. Elle tendit sa lampe à l'inconnu. « Tenez ceci, je vous prie », dit-elle. Il obéit; elle s'agenouilla près du blessé. Celui qui l'avait appelée — probablement ce colosse hébété — l'avait prévenue que la blessure était à l'épaule. Elle toucha l'endroit avec douceur; le blessé gémit plus fort, toujours sans ouvrir les yeux. Elle l'examina de plus près. Il était jeune — vingtcinq ans, peut-être; un visage maigre, très hâlé, sur lequel la sueur collait des cheveux noirs. Le front était moite, les lèvres serrées. Instinctivement, la jeune infirmière faisait les

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gestes habituels. Eclairée tant bien que mal par la lampe de poche que tenait le géant, elle prit le pouls du blessé, qu'elle trouva petit, mais régulier. Le jeune homme ne semblait ni la voir, ni avoir conscience de ce qui l'entourait. Armelle se releva vivement. « II n'y a qu'une chose à faire, déclara-t-elle : transporter immédiatement cet homme à l'hôpital. Vous êtes seul ici avec lui? - Oui. Roger est parti. Roger m'a dit... - Nous parlerons de cela plus tard, interrompitelle. Vous allez venir avec moi chercher ce qu'il faut; je ferai une piqûre au blessé, puis à nous deux nous le transporterons dans l'ambulance. » Elle était redevenue elle-même : l'impression de malaise du début avait disparu. Elle se retrouvait dans son élément. Elle allait emmener le blessé, le remettre au service des urgences. On examinerait son épaule; on verrait s'il y avait lieu d'opérer ou non. Pour elle, ambulancière, sa tâche serait terminée.

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II du colosse qui portait la lampe électrique, Armelle descendit les marches du perron et se dirigea vers l'arrière de l'ambulance. Là, elle ouvrit la porte et tira à elle le brancard qui servait à transporter les malades. « Prenez ceci, dit-elle à son compagnon, qui, toujours muet, exécutait ses ordres comme un automate. Donnez-moi la lampe : il faut que je cherche ma trousse. Non, ne refermez pas la porte; nous allons revenir immédiatement. » PRÉCÉDÉE

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Elle rentra dans le salon et s'agenouilla de nouveau près du blessé. « II faut, dit-elle, que je fasse une piqûre avant le transport. Tenez la lampe de façon à bien m'éclairer. Là, merci, c'est parfait. » Elle prit des ciseaux dans sa trousse et fendit la manche de la veste, souillée de sang. La main du jeune homme était longue et ferme - une de ces mains dont la force n'exclut pas l'habileté. Armelle désinfecta la peau et enfonça son aiguille. Le blessé eut un léger soubresaut, entrouvrit les yeux, puis les referma. « Maintenant, dit l'infirmière, aidez-moi. Il faut poser le brancard tout près de lui, ensuite nous le ferons pivoter tout doucement sur le côté qui n'est pas blessé. Vous avez compris? - Oui, oui », fit le colosse. Il était moins incapable qu'elle ne l'avait cru d'abord; dès qu'il avait compris, il mettait même une certaine adresse à exécuter les mouvements qu'elle lui indiquait. A eux deux, ils firent facilement glisser le blessé sur le brancard. « Prenez les pieds, dit Armelle, je me charge de la tête. Marchez devant, et surtout faites bien attention en descendant les marches du perron. » La lampe électrique, qu'elle avait accrochée a un bouton de sa veste, les éclairait suffisamment

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pour descendre. Ils se dirigèrent vers l'ambulance. Armelle posa l'avant du brancard sur le plancher de la voiture et sauta légèrement à l'intérieur. « A présent, dit-elle, poussez doucement... Oui... comme cela... c'est bien.. Montez dans la voiture; nous allons soulever le brancard pour le mettre à sa place. » L'homme obéit. Une fois le blessé installé, Armelle l'examina une seconde fois. Tout semblait normal, sauf cette perte de conscience qui se prolongeait, pensaitelle, un peu trop. La tête, pourtant, ne semblait pas avoir porté... Les médecins verraient cela à l'arrivée; pour elle, il ne restait plus qu'à prendre la route. Elle sauta à terre; son compagnon t'imita. Il restait planté devant elle; ses yeux semblaient refléter une soumission béate. Elle s'apprêtait à refermer la porte de l'ambulance, mais se ravisa. « Il vaut mieux que vous montiez près de lui, ditelle. S'il revient à lui, il est préférable qu'il ne se trouve pas seul. » L'homme ne bougea pas : il ne semblait pas avoir compris. Puis tout à coup, il commença à donner des signes d'inquiétude, se tournant de tous côtés comme s'il cherchait quelque chose ou quelqu'un. « Allons, montez! » répéta Armelle. Il secoua la tête et recula de quelques pas.

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Son visage exprimait le désespoir et l'impuissance. « Vous ne voulez pas venir? » II fit « non, non » de nouveau et recula vers le perron. Elle le suivit, dans l'espoir de le décider. Elle voulait lui faire comprendre qu'on avait besoin de lui, qu'il ne devait pas abandonner son camarade. Il la regardait d'un air hébété, puis tout à coup son visage s'éclaira. « Roger... », murmura-t-il. Armelle entendit du bruit dans l'allée et se retourna vivement. Un autre individu qui portait une lampe électrique se dirigeait vers eux. Le géant manifesta un soulagement visible. « C'est lui! dit-il à la jeune fille. Il va vous dire, lui... » Armelle éclaira le nouveau venu en face. Celui-ci était de petite taille, le buste moulé dans un chandail collant. Son visage régulier, couronné de cheveux très blonds et frisés, était vif et alerte. Armelle pensa que lui, du moins, serait capable de s'expliquer. « Tu l'as trouvé, Roger? » lui demanda l'autre. Le nouveau venu fit un geste de dépit. « Absolument rien. J'ai fouillé partout dans l'auto, parce que je pensais que ça y était, comme au départ. J'ai même regardé tout autour, dans le cas où il l'aurait jeté par la portière, après l'accident... Rien! J'aurais dû le

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fouiller tout de suite, peut-être l'a-t-il pris sur lui... » II s'avança vers Armelle, qui ne comprenait rien à cette conversation mystérieuse. « Vous êtes médecin? questionna-t-il. - Infirmière seulement. Mais j'ai fait le nécessaire, ne vous inquiétez pas. - Il est gravement touché? - Je ne crois pas. Il va recevoir les soins qu'il lui faut. Je pense d'ailleurs que vous voudrez nous accompagner? - Vous accompagner où? fit le nouveau venu en fronçant les sourcils. Mais... à l'hôpital, naturellement. Le blessé est déjà installé dans l'ambulance; votre camarade m'a aidé à l'y transporter. » L'homme poussa un juron; son visage, défiguré par la colère, prit une expression si cruelle qu'Armelle en eut peur. Il se tourna vers son camarade. « Dis donc, Jo, tu n'es pas tombé sur la tête? fit-il brutalement. Je sais bien que tu n'es pas malin, mais tout de même il y a des limites! Le laisser filer avant que... » II s'interrompit et s'adressa à Armelle. « Je ne comprends pas, mademoiselle. J'avais demandé un médecin. Dans des cas comme celui-ci, monsieur, nous faisons le transport et l'examen a lieu à l'hôpital. » Celui qu'on appelait Roger haussa les épaules, puis se retourna vers l'autre.

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« Mais toi, Jo, espèce d'idiot, pourquoi l'as-tu mis dans l'ambulance? » Le géant semblait éperdu. Il désigna Armelle de la main. « Elle m'a dit... balbutia-t-il. - Elle t'a dit! Et qui t'a dit de lui obéir, à elle? Es-tu à mes ordres, ou aux siens? Tu t'apprêtais à partir aussi, je suppose? » L'autre eut un geste suppliant. « Non, non, pas partir, Roger, je t'assure... Je ne voulais pas... demande-lui... J'attendais que tu me dises... J'ai seulement aidé à le transporter.

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El pourquoi? Elle ne pouvait pas... elle n'avait pas la force... Tandis que moi... » Il exhiba ses biceps puissants. Le frisé ricana. « Oui, oui, on la connaît, ta force! Eh bien, tu vas t'en servir encore, pauvre crétin! Tu vas ramener le gars où tu l'as pris — et plus vite que ça! » Cette fois, Armelle intervint. « Je suis désolée, monsieur, mais j'ai pris ce blessé en charge. A partir de maintenant, c'est moi qui m'occupe de lui. » Roger se retourna vers elle. « Vous croyez ça? Eh bien, c'est ce que nous allons voir! Ecartez-vous : Jo et moi, nous porterons le brancard. Et n'essayez pas de nous brûler la politesse ou sinon... » Un instant, elle songea à s'enfuir pour donner l'alerte, mais la menace de la dernière phrase l'arrêta. D'ailleurs, pouvait-elle abandonner son blessé? Roger sauta à son tour dans l'ambulance, saisit une extrémité du brancard et fit signe à son camarade de l'imiter. Jo lui obéissait aussi docilement qu'il avait obéi à Armelle. « Je vous préviens, monsieur, dit celle-ci, que vous prenez là une responsabilité grave. Je ne connais pas la nature des blessures qu'a cet homme : sa vie est peutêtre en danger... Ne me racontez pas d'histoires! Vous

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m'avez dit vous-même que sa blessure n'était pas grave. Je ne suis qu'infirmière; je ne peux pas faire un diagnostic. Mais je vous dis que le blessé est en état de choc et que des soins qualifiés sont indispensables... — Ça va! interrompit Roger. Eclairez-nous plutôt pour monter les marches; si nous laissions tomber le brancard, ça n'arrangerait rien, n'est-ce pas? » La rage au cœur, elle éclaira les deux porteurs. Le frisé avait raison : une chute n'arrangerait rien, au contraire. Mais qu'attendait-il du blessé? Que cherchaitil? Ils entrèrent dans le salon et déposèrent le brancard au milieu du parquet. « Je voudrais pourtant bien savoir ce que tout cela signifie, dit Armelle d'une voix tremblante. Vous avez appelé une ambulance; vous aviez donc l'intention de faire soigner le blessé? — J'avais demandé un médecin; il m'aurait dit de quoi il s'agissait et j'aurais agi en conséquence. Je n'ai qu'une infirmière; je vais essayer de m'en contenter. — Et les gendarmes? avez-vous prévenu les gendarmes? Vous pouviez le faire, puisque vous m'avez téléphoné! » Roger fronça les sourcils. « Permettez-moi de vous dire, mademoiselle, que cela ne vous regarde pas. Vous n'avez

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rien à voir avec la gendarmerie. Vous êtes infirmière; faites votre métier; on ne vous demande rien de plus. » Armelle s'efforçait de reprendre son calme. Se fâcher ne servirait à rien. Elle était au pouvoir de ces hommes. Même le dénommé Jo, qui s'était montré si docile envers elle, ne la défendrait pas; il suffirai que l'autre lui donnât un ordre pour qu'il obéît sans hésiter. « Alors, demanda-t-elle, qu'attendez-vous de moi? - Pour commencer, vous allez m'aider à déshabiller cet homme. Si je le faisais seul, je risquerais de l'abîmer davantage. » Elle protesta. « Le déshabiller! mais c'est impossible! Nous serions obligés de le déplacer. Si, comme c'est probable, il a une ou même plusieurs fractures... - Ne vous occupez pas de cela. J'ai besoin de ses vêtements. » Elle comprit qu'elle ne l'ébranlerait pas. « Vous tenez à ce que les vêtements soient intacts? demandat-elle. - Absolument pas. —- Alors je vais les couper. * Elle prit des ciseaux dans la trouve qu'instinctivement elle avait gardée à la main, coupa la veste que le sang avait collée à la chemise et la tendit au frisé. Celui-ci la saisit avidement et commença à la

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fouiller. Jo s'était rapproché et regardait l'opération, une vague lueur d'intérêt dans ses yeux. Au bout d'un moment, Roger jeta la veste à terre. « Rien que ses papiers! absolument rien! Pendant ce temps, Armelle avait coupé le pantalon, que Roger prit à son tour pour en fouiller les poches; il ôta lui-même les chaussures du blessé et enfonça la main à l'intérieur. « Ça n'y est pas, sûr! fit Jo. D'abord il y en avait trop pour tenir dans un soulier! Tu es sûr d'avoir bien cherché dans la voiture? — Tais-toi donc, imbécile! » interrompit l'autre avec colère.

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Armel le. ramassa les vêlements pour couvrir le blessé. La nuit d'avril était tiède, mais un commotionné risque toujours de prendre froid. « Vous êtes satisfait, monsieur? interrogea-t-elle non sans ironie. Avez-vous encore des ordres à me donner? — Oui, répondit Roger sans hésiter. Continuez à veiller sur cet homme jusqu'à ce que j'aie pris les dispositions nécessaires. Je suppose que vous avez dans votre ambulance tout ce qu'il faut pour donner des soins. Vous n'avez qu'à prendre ce dont vous avez besoin. — Je ne peux pas réduire une fracture. — Une fracture peut attendre; je vous promets que ce ne sera pas long. Je ferai ce que je pourrai pour vous rendre le séjour dans ce château aussi agréable que possible. Ce n'est pas ma faute, avouez-le, si les propriétaires ont enlevé le mobilier... » Armel le, presque malgré elle, jeta un regard vers la fenêtre. Roger se mit à rire. « Vous espérez peut-être vous enfuir par là? Inutile, elle est grillagée, comme vous voyez, et d'ailleurs beaucoup trop haute. Vous avez peut-être remarqué qu'il y a un fossé autour du bâtiment; vous risqueriez de vous casser un membre, vous aussi. Et d'ailleurs une infirmière abandonne-t-elle jamais son malade? - Mais enfin, s'exclama-t-elle, vous ne pouvez pas me retenir toute la nuit! J'ai d'ailleurs

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« Mais enfin, vous ne pouvez pas me retenir toute la nuit ici! »

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signalé à l'hôpital que je venais au Mesnil. Mon service se terminait à minuit, et l'on va s'inquiéter si on ne me revoit pas... et surtout si l'ambulance n'est pas au garage en cas de nouvel appel... - Nous tâcherons de trouver un moyen pour rassurer ces bonnes gens », dit Roger avec ironie. Puis, il haussa les épaules, et fit un signe à son camarade. «Accompagne mademoiselle, Jo, elle va aller prendre ce qu'il lui faut dans sa voiture. Mais revenez vite, n'est-ce pas? » Le colosse qui semblait très fier dès qu'on lui confiait une mission, saisit Armelle par le bras et l'entraîna hors de la pièce. Sur le perron, il prit soin d'éclairer les marches pour qu'elle ne trébuchât pas dans l'obscurité. Elle eut un instant d'espoir. « Vous êtes très gentil, lui dit-elle. Vous ne pourriez pas m'expliquer au moins pourquoi ce blessé doit rester ici? » Il prit un air d'importance, comme un enfant investi d'une responsabilité de grande personne. « C'est Roger qui veut, répondit-il. Roger sait. - Mais quand pourrai-je repartir? Me laissera-t-on au moins l'emmener? - Quand on aura trouvé... - Trouvé quoi? » insista Armelle. Ils arrivaient près de l'ambulance. Jo ouvrit la porte sans répondre.

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« Vous pouvez prendre tout ce que vous voudrez, déclara-t-il avec un grand geste. Mais vite! Roger ne veut pas attendre! » Elle prit plusieurs ampoules de sérum, des sédatifs, des antibiotiques. Elle chargea même son compagnon d'une bouteille d'oxygène; elle ne pensait pas en avoir besoin - - mais sait-on jamais? Quand ils rentrèrent dans le salon, le blessé était toujours immobile. Roger, accroupi dans un coin de la pièce, cisaillait le fil du téléphone. « Là! fit-il en se relevant. Vous voici bien tranquille, personne ne viendra vous déranger. Vous avez tout ce qu'il vous faut? — Je vous ferai remarquer que ma lampe électrique ne durera pas toute la nuit. Il n'est pas très facile de donner des soins dans l'obscurité complète. — J'y ai pensé, répondit-il. J'ai trouvé le compteur et rétabli le courant. Dans cette pièce, on a enlevé les ampoules, mais il en reste une dans le vestibule. Va voir, Jo, et rapporte-moi ce que tu trouveras. » Un moment plus tard, Jo exhibait triomphalement une ampoule électrique. Roger la vissa à une applique du mur. Une faible lueur se répandit dans l'immense pièce. « Pas merveilleux! fit-il avec une moue. Mais il faudra vous en contenter, ma belle. A la guerre comme à la guerre, n'est-ce pas? »

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Elle ne répondit pas. Elle commençait à avoir peur — moins encore de ces hommes étranges que de la perspective qui s'ouvrait devant elle : rester seule avec le blessé, dont l'état pouvait empirer, sans aucune possibilité de demander une aide. « Combien de temps devrons-nous attendre ici? questionna-t-elle. — Pas longtemps. Je dois vous quitter, j'ai à faire, mais dès demain matin je serai de retour. — Et alors je pourrai partir? — Alors je vous le dirai. » II jeta un dernier regard autour du salon, esquissa un geste de dépit. « C'est curieux, tout de même... Enfin... Tu viens, Jo? » Avant de sortir, le géant fit un signe d'adieu à Armelle. Les deux hommes passèrent dans le vestibule, puis sur le perron. La jeune fille entendit une clef tourner dans la serrure. « Cette fois, pensa-t-elle, me voici prisonnière pour de bon! » Elle retourna près du blessé. Sa présence la réconfortait et l'effrayait à la fois. Tant qu'il était là, elle avait un devoir à remplir; elle n'était pas tout à fait seule. Mais serait-elle capable d'agir efficacement si la situation se compliquait? s'il avait une hémorragie? si la plaie commençait à s'infecter? si... Elle entendit au-dehors un bruit de voiture.

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Les deux inconnus s'éloignaient. Le cœur d'Armelle se serra; à partir de cet instant, elle ne pouvait plus compter que sur elle-même. La fatigue d'une longue journée de travail augmentait la nervosité de la jeune fille. Le salon vide, éclairé par la lueur insuffisante de l'ampoule, semblait une salle de bal préparée pour une danse de fantômes. On s'attendait à voir la porte s'ouvrir et des figures immatérielles entrer lentement, une à une, sans frôler le sol de leurs pas. « II faut que je me ressaisisse, pensa Armelle. Je n'ai pas le droit de me laisser emporter par mon imagination. Je suis infirmière, j'ai un malade à soigner, je ne dois pas chercher plus loin... » Elle éclaira le visage du jeune homme immobile. Les traits étaient crispés par la souffrance; les yeux restaient fermés. Cela n'était pas naturel : s'il était inconscient, il n'aurait pas dû souffrir. Et s'il ne l'était pas» pourquoi continuait-il à fermer les yeux? Elle regarda sa montre : il était deux heures du matin.

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III sur le parquet, le dos appuyé au mur, Armelle attendait le lever du jour. Combien d'heures encore avant l'aube? Depuis ses débuts à l'école d'infirmières, la jeune fille avait fait de nombreuses gardes de nuit : elle connaissait la somnolence qui vous guette une fois passé le cap de minuit, lorsque les heures semblent s'étirer devant vous comme un horizon insondable. Elle avait appris à vaincre ce moment de lassitude auquel personne -- pas même les plus expérimentées ne pouvait échapper. ASSISE

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Mais c'était autre chose de veiller dans une chambre de garde, avec de temps en temps une ronde dans le service pour vous maintenir en alerte - ou bien ici, dans cette demi-obscurité plus effrayante que des ténèbres... Le visage pâle du blessé, dans la lueur incertaine, prenait des teintes presque cadavériques. Parfois, presque malgré elle, Armelle sautait sur ses pieds et courait s'agenouiller près de lui pour s'assurer que son cœur battait encore. Depuis un moment, elle avait l'impression que les traits du jeune homme s'étaient détendus : il avait réussi à s'endormir. En même temps que l'injection antitétanique indispensable après un accident, elle lui avait donné un sédatif afin de faciliter le transport qu'elle croyait alors devoir faire. Il dormait... tant mieux. Malgré sa fatigue, elle eût été incapable d'en faire autant; tout son corps restait tendu, attentif au moindre incident. Que s'était-il passé? qui étaient tous ces gens? pourquoi cet accident, somme toute banal, s'entourait-il de tant de mystère? La voiture grise avait sans doute heurté un des gros hêtres qui masquaient l'entrée de l'allée du château. Mais qui se trouvait à l'intérieur? Le blessé y était-il seul? Quel rôle jouaient vis-à-vis de lui le frisé et le colosse? Roger et Jo étaient-ils des amis? des agresseurs? des complices?

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Le mot de « complice » la fit frissonner. Elle regarda une fois de plus le jeune homme étendu sur la civière. Au repos, son visage était si innocent, si jeune! Peut-on avoir cette expression lorsqu'on est un malfaiteur? Parmi les malades d'Armelle, il y en avait eu de tous les genres : de braves gens, d'autres qui l'étaient moins. Elle avait l'impression que ceux-ci étaient toujours trahis par leur sommeil... Taudis qu'elle songeait ainsi, elle entendit au-dehors un bruit de voiture. On entrait dans la cour, c'était certain. Mais qui? un secours inattendu? un passant attiré par la faible lueur de l'ampoule? Impossible : les fenêtres du salon ne donnaient pas du côté de la route... Alors? des rôdeurs? ou simplement Roger qui revenait plus tôt qu'il ne l'avait dit, escorté de son étrange acolyte? Malgré l'horreur que lui inspiraient les deux hommes, elle éprouvait presque un soulagement à la pensée de voir finir cette solitude qui l'étreignait comme un étau. Elle guetta, l'oreille tendue. Personne ne semblait se diriger vers le perron. Elle distinguait un bruit de moteur - - peut-être plusieurs. Les hommes revenaient-ils avec toute une bande? Elle s'approcha de la fenêtre et essaya de regarder au-dehors. Comme la lumière de l'ampoule nue se reflétait dans la vitre, elle alla l'éteindre — mais même ainsi elle ne distinguait

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que des ombres mouvantes, sans contours précis. La voiture - - ou les voitures - - qui se trouvaient là n'avaient pas allumé leurs phares. A l'ombre des bâtiments qui encerclaient la cour, la nuit était lourde comme un drap noir. En se retournant vers le salon, Armelle frémit : la grande pièce, maintenant plongée dans les ténèbres, lui semblait plus lugubre encore. Si au moins elle avait eu sa lampe de poche! mais elle l'avait laissée à terre, près du blessé. Elle essaya de se diriger au hasard vers la paroi où se trouvait l'applique; elle lit quelques pas, les mains en avant, et ne rencontra que du vide. « J'aurais dû suivre le mur en partant de la fenêtre, se dit-elle; j'aurais bien fini par arriver à l'endroit où se trouve le commutateur. » Mais même le contour de la fenêtre ne se distinguait pas dans l'obscurité. Armelle ne savait plus où elle se trouvait; elle devait avancer comme une aveugle, les bras tendus, tremblant à la pensée qu'elle risquait de buter sur le brancard placé au milieu de la pièce. A ce moment, le blessé poussa un gémissement et murmura d'une voix faible quelques mots qu'Armelle ne comprit pas. « Il revient à lui! » se dit-elle. C'était un moment dangereux : un malade qui reprend ses sens cherche généralement à bouger; parfois même il se débat : c'est l'instant où peut se déclarer une hémorragie.

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« Ne bougez pas, dit-elle très doucement. Tout va bien, n'ayez pas peur. — Où êtes-vous? demanda la voix dans les ténèbres. — Ici, tout près; je serai à côté de vous dans un instant. Il faut seulement que je trouve la lumière. » D'après la direction de la voix, elle savait maintenant où se trouvait le centre du salon. Elle tourna le dos à cette direction et avança d'un pas plus ferme. Au bout d'un moment, ses mains tendues rencontrèrent un mur; elle le suivit et ne tarda pas à trouver le commutateur. Elle donna la lumière et courut vers le brancard. Les yeux ouverts maintenant, le blessé la regardait avec attention. « Qui êtes-vous? interrogea-t-il. - Une infirmière, répondit-elle. Je suis ici pour vous soigner. Vous souffrez? — Un peu... C'est là, en haut... » Il voulut tâter son épaule de la main et retint un cri de douleur. « Ne bougez pas, répéta Armelle. Essayez de ne pas faire le moindre mouvement. Soyez tranquille : bientôt on arrangera tout cela. » Il jeta un regard autour de lui. « Mais où suis-je? questionna-t-il. Qu'est-ce que cette pièce? J'ai eu un accident, je le sais... — Oui, un accident de voiture. Vous étiez avec deux autres; ce sont eux qui ont appelé l'ambulance.

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- Deux autres... murmura-t-il. Oui, je me souviens... Où sont-ils? - Je ne sais pas; ils sont partis. Et vous-même, que faites-vous ici? Où est cette ambulance? pourquoi... » Une onde de douleur lui coupa la parole. « Chut! ne dites rien », murmura la jeune tille en se penchant sur lui. Il lui sourit. Tout son visage maigre et brun parut transfiguré par ce sourire. Une expression de franchise et d'énergie émanait des dents très blanches et du bleu clair, profond, des yeux. « Merci », murmura-t-il du bout des lèvres. Il se tut. Mais il ne dormait plus. De temps à autre il jetait un regard du côté de la porte. Armelle vit qu'il était inquiet. « Ecoutez, dit-elle, je vais essayer de. vous comprendre. Je vous poserai des questions; vous ferez « oui » ou « non », simplement, sans parler. Vous pensez à vos amis, n'est-ce pas? » II fit signe que non. « Ce n'est pas à eux que vous pensez? » interrogeat-elle, surprise. Les paupières s'abaissèrent rapidement plusieurs fois. « Si... si... murmura-t-il. - Je vois : vous voulez dire que ce ne sont pas des amis. C'est bien cela? Des ennemis, alors? »

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Le soupir de soulagement que poussa le jeune homme montra à Armelle qu'elle avait deviné juste. Sans bien savoir pourquoi, elle éprouva une satisfaction à apprendre que ce garçon sympathique n'était pas l'ami des deux individus qui lui faisaient horreur. Elle n'en était pourtant guère mieux renseignée. Si ces hommes lui voulaient du mal, pourquoi avaient-ils cherché à le faire soigner au lieu de l'abandonner sur la route? Elle réfléchit un moment. Le blessé referma les yeux, puis tout à coup demanda à mi-voix : « Quelle heure est-il?

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- Quatre heures du matin. - Alors il fera bientôt jour...! » Les yeux clairs exprimaient l'inquiétude. Armelle se rapprocha de lui. « Que craignez-vous? que voudriez-vous? Dites-lemoi; je suis prête à vous aider si c'est possible. » Le regard qu'ils échangèrent en disait plus long que beaucoup de paroles. « Puis-je vraiment avoir confiance en vous? » demandait l'inconnu. Et elle : « Vous le pouvez, je vous le jure! » Ce fut elle qui prit la parole la première. « Ecoutez-moi, monsieur... » Elle ne savait même pas son nom. Il désigna du menton la veste qu'elle avait étendue sur lui. « Mes papiers... murmura-t-il. — Vous voulez que je regarde vos papiers? » Elle tira de la poche intérieure plusieurs feuilles : quelques lettres, des billets de banque, une note d'hôtel provenant d'un village nommé Los, dans la HauteGaronne, enfin une carte d'identité au nom de Daniel Couvreur, étudiant. « Daniel Couvreur, c'est vous? » Il fit signe que oui. Il semblait heureux d'avoir prouvé à la jeune fille qu'il ne se cachait pas, qu'il était un homme comme les autres, avec un nom, une adresse, une occupation normale. « Si je vous comprends bien, dit Armelle,

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vous avez peur de ces... ces individus? Je les trouve moi-même peu rassurants. Mais cela me semble difficile. Il faudrait que je parvienne à sortir d'ici, que j'aille jusqu'au prochain téléphone et que j'alerte la gendarmerie du Mesnil... » Elle ne s'attendait pas à la réaction qu'allaient provoquer ses paroles. Au mépris de toute prudence, le blessé se souleva sur son brancard. « Non, non! dit-il. Cela, il ne faut pas, je ne veux pas... Je ne peux pas vous expliquer, mais pas la gendarmerie! pas la police! » Un instant Armelle se demanda s'il délirait. Dans son geste irréfléchi, il avait déplacé son épaule blessée. La douleur provoquée par le mouvement lui donnait une expression dont la jeune fille eut presque peur. « Calmez-vous, je vous en prie! Je disais cela pour vous tranquilliser. Si au contraire... » II balbutia : « Vous ne pouvez pas comprendre... Mais promettez-moi de ne pas appeler... - Pourtant, si vous n'avez rien à vous reprocher? » Il ne l'écoutait même pas. « Promettez-moi! promettez-moi! répétait-il. — Je vous le promets », dit-elle presque sans réfléchir. Elle ne cherchait même plus à comprendre;

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son instinct d'infirmière reprenant le dessus, elle ne pensait plus qu'à le calmer. Elle dégagea sa main, qu'il avait saisie, et la tendit vers la trousse qu'elle avait posée à terre près du brancard. Puis, sans le quitter des yeux, elle passa de l'alcool sur ses doigts, prit une aiguille stérile dans un tube, brisa l'extrémité d'une ampoule. « Ne craignez rien, tout ira bien. Nous reparlerons de tout cela plus lard. Pour le moment, vous allez dormir. - Mais vous n'appellerez pas... bégaya-t-il. - Je vous l'ai promis. » Ce qu'il lut dans les yeux de la jeune tille dut le rassurer, car il cessa de s'agiter et tendit lui-même le bras à la piqûre. Quelques instants plus tard, terrassé par une forte dose de sédatif, il sombrait à nouveau dans le sommeil. Armelle le regardait : ainsi soulagé de la douleur, ses mains abandonnées au creux du brancard, la tête légèrement rejetée en arrière, il retrouvait l'expression de l'innocence. La jeune infirmière rangea sa trousse lentement, s'efforçant en vain de percer ce nouveau mystère. Que pouvait signifier cette peur de- la police — sinon...? En somme, elle ne savait rien de ce garçon. Il se disait ennemi des deux autres, mais elle ignorait s'ils n'étaient pas tous trois des malfaiteurs. Avait-elle eu tort de. lui faire cette promesse?

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s'était-elle laissé entraîner par la sympathie instinctive que lui avait inspirée le blessé inconnu? Il est des cas où une promesse de silence équivaut à une complicité involontaire... A cette pensée, Armelle eut l'impression que la nuit, autour d'elle, devenait plus sombre encore. La fatigue commençait à la gagner. Pour ne pas s'endormir elle se força d'abord à rester debout, mais ses jambes épuisées se dérobaient sous elle. Alors elle s'appuya contre le mur et essaya de se réciter des poèmes appris autrefois, au lycée : c'était un moyen qui lui avait souvent rendu service au cours des nuits de garde. Il y en avait un, Eviradnus, de Victor Hugo, qui racontait l'histoire d'un vieux chevalier veillant auprès d'une jeune femme endormie. Cette nuit, le chevalier, c'était elle, et elle n'avait pas d'autre arme que son courage. Les heures coulèrent, lentes comme des siècles. Tout à coup Armelle, qui se laissait aller à somnoler malgré ses efforts, s'éveilla en sursaut. Les fenêtres du grand salon découpaient dans la nuit des rectangles plus pâles. « Enfin! » pensa-t-elle. Elle se leva et éteignit l'électricité. La lumière de l'aube était déjà presque aussi forte que la maigre lueur dispensée par l'ampoule de l'applique.

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Elle regarda le blessé, qui n'avait pas bougé. Puis elle se dirigea vers la fenêtre. Elle avait l'impression que la vue d'Ursule lui ferait du bien. A ce moment, elle constata que l'ambulance avait disparu.

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IV STUPÉFAITE,

Armelle regardait la grande cour entièrement vide. Ursule envolée! prise sans aucun doute par les deux hommes qui l'avaient enfermée, elle, dans le château! Mais quel intérêt pouvaient-ils avoir à prendre l'ambulance? Ils avaient eux-mêmes un moyen de transport : cette voiture noire qu'elle avait vue devant le perron en arrivant. Craignaient-ils qu'Armelle ne parvînt à sortir de sa prison et ne prît la fuite?

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La jeune fille s'éloigna de la fenêtre. La disparition d'Ursule augmentait encore son désarroi. La vieille voiture toute proche, c'était encore une présence amie. Maintenant... Profitant des premiers rayons du jour, elle sortit du salon et passa dans le vestibule. La porte de la cour, elle le savait, était fermée à clef. A l'autre extrémité, les deux vantaux massifs de l'entrée principale qui donnait évidemment sur le devant du château, étaient assujettis par une lourde serrure. En face du salon s'ouvrait la salle à manger; Armelle jeta un coup d'œil dans la pièce également vide; une petite porte latérale, qui devait communiquer avec les cuisines, avait été condamnée par des planches clouées en travers. Les propriétaires, en quittant les lieux, avaient pris leurs précautions contre les rôdeurs. Avaient-ils laissé la porte de la cour ouverte pour permettre la visite d'acheteurs éventuels? Armelle revint vers celle-ci; en regardant par le trou de la serrure elle constata que la clef y était restée. « Si j'avais un outil quelconque, se dit-elle, je pourrais peut-être faire tomber cette clef au-dehors. Mais ensuite, comment la reprendre? Elle est beaucoup trop grosse pour passer sous la porte... » D'ailleurs, en admettant qu'Armelle pût

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sortir, oserait-elle laisser le blessé seul assez longtemps pour aller au village chercher du secours? Découragée, épuisée de fatigue, elle rentra dans le salon et s'assit de nouveau sur le parquet, le dos appuyé au mur. Les événements de la nuit se pressaient dans sa tête comme des visions de cauchemar. Elle replia les jambes, les entoura de ses deux bras et posa le front sur ses genoux. Quand elle rouvrit les yeux, elle s'aperçut avec surprise qu'il faisait grand jour. Le soleil, entrant à flots par les fenêtres, ranimait la couleur des murs et la dorure pâlie des plinthes. « Mon Dieu! pensa Armelle, j'ai dormi! » Sa première pensée fut pour son blessé. Elle s'approcha de lui; il n'était plus pâle comme la veille, mais au contraire très rouge. Elle lui tâta le front, qu'elle trouva brûlant. Le pouls dépassait 90. « La fièvre monte ! » se dit-elle, angoissée. A travers la chemise collée par le sang, impossible de vérifier l'état de la plaie. Armelle n'osa pas détacher le tissu, de peur de déplacer les os brisés. Mais une chose était certaine : il fallait emmener cet homme à l'hôpital le plus tôt possible. La prudence la plus élémentaire commandai l de se hâter. Dans ces conditions, elle ne pouvait que souhaiter le retour du frisé et de son camarade.

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Peut-être, devant le danger imminent, Roger consentirait-il à la laisser emmener Daniel Couvreur à l'hôpital? En attendant, elle décida de refaire au malade une injection d'antibiotique. Au moment où elle enfonçait l'aiguille dans la chair du blessé, celui-ci ouvrit les yeux. « Où suis-je? demanda-t-il d'abord. Ah! oui, je me souviens... mon accident... l'infirmière... — Souffrez-vous? » demanda-t-elle. Il fit signe que non. « Mais j'ai l'impression que tout mon côté droit est paralysé; je ne sens plus rien. J'ai seulement soif — oh! tellement soif! — Vous avez la fièvre. Je ne peux pas vous donner à boire : il n'y a pas d'eau dans la maison. Il faut attendre encore un peu. — Attendre quoi? Pourquoi ne partons-nous pas tout de suite? — Les autres nous ont enfermés; ils doivent revenir ce matin. — Les autres! » Il passa la main sur son front : on eût dit que la conscience des événements lui revenait peu à peu. Son visage prit soudain une expression de détermination et d'énergie. « Ils nous ont enfermés, dites-vous? — Oui; ils ont donne un tour de clef et laisse la clef dans la serrure. — Savez-vous si cette porte a un autre moyen

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de fermeture? un loquet intérieur? une barre de sûreté? __ Je n'ai pas pensé à regarder; à quoi cela nous servirait-il? — Allez voir », dit Couvreur. Elle obéit et retourna dans le vestibule. La porte possédait en effet une fermeture de sécurité, composée d'une barre verticale que commandait une espagnolette. Armelle revint le dire au blessé. Les yeux du jeune homme brillèrent. « Fermez cette barre, dit-il, et assurez-vous qu'il n'existe pas d'autre issue. Il ne faut pas que cet homme entre ici! » Elle comprit qu'il parlait de Roger -,- c'était celui-là qu'il redoutait, évidemment : l'autre ne comptait même pas, malgré sa force. « Mais... », commença Armelle. Il l'interrompit. « Faites vite! insista-t-il. Il peut revenir d'un moment à l'autre. Dépêchez-vous, avant qu'il ne soit trop tard! » Le ton la convainquit du danger. Elle alla assujettir la barre de sécurité et vint annoncer au jeune homme que c'était bien fait. Il poussa un soupir de soulagement. « Je vous ai obéi, dit-elte alors. Mais avez-vous pensé que sans l'aide de cet homme — quel qu'il soit — je ne pourrai pas vous emmener d'ici? D'autant plus qu'il a pris mon ambulance...

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- Votre ambulance! » L'expression d'angoisse avait reparu d'un coup. Armelle eut l'impression que le corps tout entier du blessé se crispait. « L'ambulance... répéta-t-il. Mais quand cela? comment? Vous en êtes sûre? - Je vois bien qu'elle n'est plus là. - Il l'a peut-être simplement garée plus loin.» Armelle secoua la tête. « Je ne crois pas. Pendant la nuit, j'ai entendu un bruit de moteur. Je n'ai pas pensé qu'on emmenait l'ambulance, je l'avoue : je ne voyais pas en quoi elle pouvait les intéresser. — Je ne le vois pas non plus... », murmura-t-il. Elle ne comprenait pas pourquoi il semblait ainsi bouleversé. « Ne vous tourmentez pas, dit-elle. Si nous arrivons à sortir d'ici, l'hôpital nous enverra une autre voiture. » II ne l'écoutait pas : il réfléchissait. Avec effort, il parvint à tourner la tête. « Je vois un appareil téléphonique, dit-il. Etes-vous sûre que la ligne ne fonctionne pas? — Ils l'ont coupée! répondit-elle. Ils s'en sont servi pour m'appeler, et après... — Croyez-vous qu'en appelant très fort vous pourriez vous faire entendre du voisinage? - Il faudrait qu'un piéton passe sur la

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roule. Cela peut demander des heures. Et pour votre épaule, le temps presse. - Je suis en danger? interrogea-t-il, mais sans la moindre anxiété dans la voix. — On est toujours en danger avec une fracture ouverte. Si l'infection se développe... — Je veux dire : est-ce imminent? Ne craignez pas de me dire la vérité, je n'en ai pas peur. J'aime mieux mourir ici que de tomber entre ses mains... Mais avant de disparaître, j'aurais besoin de vous confier des choses importantes. Si à votre avis je cours un risque immédiat, je préfère être prévenu. » Elle protesta. « Non, non, je vous assure! Si nous pouvions partir dès maintenant, je répondrais de votre guérison. — Si nous pouvions partir... », répéta-t-il. Il était songeur, mais il ne tremblait pas. « II est brave, pensa-t-elle, il n'a pas peur de la mort. Pourtant il a peur de ce Roger — et il craint la police, comme s'il était lui-même un malfaiteur... » Mais cela, pour le moment, n'avait pas d'importance. Elle ne devait penser qu'à une chose : emmener le blessé à l'hôpital pour le sauver. Elle était responsable de son salut : si Roger représentait un danger, puisque Couvreur était hors d'état de se défendre, c'était à elle d'écarter Roger. Des minutes s'écoulèrent dans le silence. Puis soudain ils entendirent sur le sable un crissement de

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roues. Jetant un coup d'œil par la fenêtre, Armelle vit la voiture noire tourner l'angle du bâtiment et s'arrêter à l'autre extrémité de la cour. Le frisé s'y trouvait seul; il sauta à terre et se dirigea vers le château. Armelle revint près de Couvreur. « C'est lui, chuchota-t-elle. Il est seul. » Le blessé eut une moue dédaigneuse. « L'autre n'existe pas! déclara-t-il. Vous êtes sûre que la porte est bien fermée? — Absolument sûre. » Un instant plus tard, ils entendirent la clef tourner en grinçant dans la serrure. On poussa

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le battant, qui résista. On tenta alors une poussée plus forte, mais l'épaisse porte de chêne, renforcée par la barre verticale, n'était pas de celles qu'une épaule d'homme peut ébranler. Armelle, sur la pointe des pieds, se rapprocha du vestibule. L'homme frappait maintenant la porte à deux poings. « Ouvrez! ordonna-t-il d'une voix furieuse. Ouvrez, je vous dis! » Elle ne répondit pas. « Je sais que vous m'entendez! reprit-il. Vous ne comprenez donc pas que je vous tiens, stupide que vous êtes! Si je pars, que vous arrivera-t-il? On vous retrouvera un jour morts de faim entre ces quatre murs!» Armelle ne fit pas un geste. Roger frappa encore un moment, puis, en grommelant, redescendit les marches du perron. La jeune fille vint retrouver Daniel Couvreur, qui, essayant de se soulever sur son coude valide, prêtait l'oreille avec anxiété. « II est parti! » lui dit-elle. Elle retourna vers la fenêtre, espérant voir la voiture noire s'éloigner. Mais le frisé remonta dans le véhicule et s'installa sur le siège, face au perron. Elle pouvait lire distinctement le numéro matricule, blanc sur fond noir : 2326 IIC, 75. Des chiffres qu'elle était sûre de ne jamais oublier! Il se carra sur le siège, tira de sa poche

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un paquet de cigarettes et en alluma une. « II va monter la garde! » se dit Armelle avec effroi. Elle osait à peine annoncer la nouvelle à Couvreur. Mais celui-ci ne sembla pas s'en émouvoir. Elle constata avec angoisse que sa température devait monter; sous l'effet de la fièvre il était agité, presque joyeux. « Ecoule/, dit-il, j'ai une idée. Vous avez vu Roger couper le téléphone? - Je l'ai vu. - Où cela? - Ici même, près de la porte. - Eh bien, dans ces grandes demeures il y a souvent plusieurs postes. La ligne existe toujours, puisqu'elle a servi à vous appeler. Roger a coupé le fil du salon, mais il en existe peut-être un second. - C'est vrai. Où pourrait-il se trouver, à votre avis ? - Il faut chercher dans toutes les pièces l'une après l'autre. » Elle passa dans le vestibule : une boîte carrée, placée au-dessus de la porte, devait contenir les fusibles. Un fil se dirigeait vers le salon, un autre vers la salle a manger. Armelle y courut. La salle était aussi vide que le salon; nulle part on n'y voyait d'appareil. Tout à coup elle remarqua, des deux côtés de la cheminée, deux petits placards ornés de moulures. Elle en ouvrit un, où restaient des débris de verrerie. Au fond du second, elle aperçut un appareil téléphonique. 61

Le cœur battant, elle souleva l'écouteur, et le porta à son oreille. Aussitôt elle entendit la tonalité. « II marche! » Elle hésita : fallait-il raccrocher et aller annoncer la bonne nouvelle au blessé? Non, mieux valait agir le plus tôt possible. Si Daniel Couvreur ne bougeait pas, il ne risquait rien. Elle composa le numéro de l'hôpital. « Le centre hospitalier de Grandlieu? Pouvez-vous me passer le poste 29? » C'était celui du garage de son ambulance. Un instant plus tard, elle entendit la voix de Basin. « Ici le service des transports. Je vous écoute. - Monsieur Basin! c'est moi! moi, Armelle ! » A sa grande surprise, il ne parut pas étonne le moins du monde. « Mademoiselle Armelle! Tiens, tiens! Vous avez quelque chose à me demander? - Oh, oui! Ecoutez-moi bien : il faut que vous veniez à mon secours... Je vous expliquerai plus tard, pour l'ambulance... - Comment, pour l'ambulance? - Oui, vous devez être très ennuyé, n'est-ce pas? Mais je vous raconterai... Vous me raconterez quoi? je ne vous comprends pas, mademoiselle, qu'est-ce qui Pourquoi serais-je ennuyé? Mais enfin, vous êtes au garage?

se passe?

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- Oui, naturellement. J'attends Mlle Paule. Il n'y a pas encore eu d'appel ce matin. Voyons... je ne suis pas folle! Vous avez bien vu qu'Ursule avait disparu? » Le chauffeur se mit à rire. « Disparu? Ursule? Vous n'y pense/ pas! elle est bien trop grosse pour disparaître comme ça! Pas vrai, ma vieille Ursule? Vous ne voulez pas dire que l'ambulance est toujours là? - Bien sûr, qu'elle est là! Où voulez-vous donc qu'elle soit? Ursule n'a pas l'habitude d'aller se promener toute seule sur les routes! Mais vous auriez dû la rentrer au garage. - Ne plaisantez pas! Elle était là quand vous êtes arrivé? Naturellement. Mais devant le garage. J'ai vu dans le cahier que vous aviez noté un appel, hier soir. Cela a dû vous mettre en retard pour rentrer chez vous. » Armelle comprit que les hommes avaient jugé prudent de ramener l'ambulance à l'hôpital, pour qu'on ne songeât pas à la rechercher. Mais elle, Armelle, restait prisonnière avec son blessé, sous la garde impitoyable de cet individu qui l'épouvantait.

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« Ecoutez-moi, dit-elle, c'est très grave, je suis en danger! — En danger? répéta Basin avec étonnement. — Oui, je suis enfermée dans un château, au Mesnil, sur la route de Mantes. — Le Mesnil? Je connais très bien; j'ai emmené plusieurs fois des malades tout près de là, à l'hôpital de Varenne. Mais, comment est-ce que vous...? — Je vous expliquerai plus tard : le temps presse. Vous pouvez me sauver, moi et un blessé qui est ici avec moi. » Le chauffeur avait repris sa gravité. « Vous savez bien, mademoiselle, que vous

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pouvez toujours compter sur moi. Dites-moi ce que je dois faire. - Eh bien, d'abord, ne parlez de cela à personne. Dites que je vous ai appelé au Mesnil par téléphone, mais ne donnez pas de détails. - Entendu. El ensuite? Vous Connaissez la route du Mesnil? Vous irez au village, vous le dépasserez el vous continuerez jusqu'au château. - Un château dans un pair, sur la droite? - C'est cela. Vous entrerez : la grille est ouverte. Vous contournerez le bâtiment par la droite et vous vous arrêterez dans la cour, le plus près possible du perron. Il y a une voiture noire arrêtée au fond de la cour, avec un homme dedans. Méfiez-vous de lui : s'il voulait vous empêcher d'entrer... - M'empêcher, moi? je voudrais voir ça! s'exclama Basin qui était taillé en force. - Je ne crois pas d'ailleurs qu'il oserait vous barrer le passage. Vous monterez le perron; la porte est fermée à clef, mais la clef est sur la serrure. Vous m'appellerez; j'ôterai la barre de sûreté et je, vous ferai entrer. A ce moment-là, je vous expliquerai le reste. - C'est entendu, mademoiselle. Je vais brancher mon téléphone sur le bureau. Alors, je dis que c'est vous qui m'avez appelé? - Oui, pour un blessé de la route. Mais venez le plus tôt possible, je vous en prie. »

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Elle le raccrocha. Un plan commençait à s'ébaucher dans sa tête. Elle n'avait plus peur, mais comme tout cela était compliqué! C'aurait été tellement plus simple si elle avait pu téléphoner à la gendarmerie de Mantes et raconter ce qui s'était passé! Elle se demanda si, en faisant cette promesse au blessé, elle ne s'était pas rendue elle-même complice d'elle ne savait quoi. Elle rentra dans le salon et constata avec inquiétude que le jeune homme avait le visage très rouge, les yeux embués. Cette fièvre, c'était l'infection qui gagnait, malgré les antibiotiques. Pourvu que Basin ne tardât pas trop! Avec la tournure que prenaient les choses, le salut du blessé était une question d'heures, peut-être moins.

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V contre la fenêtre, Armelle attendait l'arrivée de Basin. Elle n'osait pas se montrer par peur de Roger : il lui semblait qu'un seul regard de cet homme raviverai! ses terreurs de la nuit. Mais elle se tenait le plus près possible de la croisée, tendant une oreille avide au moindre bruit extérieur. L'ambulance, eu temps ordinaire, était toujours prête à prendre la route. Si ces misérables ne l'avaient pas mise hors d'état de marcher, BLOTTIE

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Basin, à peine le téléphone raccroché, avait dû démarrer aussitôt. La distance n'était pas considérable — huit à neuf kilomètres. Sans doute, à cette heure, fallait-il compter avec les embouteillages. Mais on laisse toujours passer une ambulance dont la sirène demande la priorité. Enfin la jeune fille entendit dans l'allée le bruit d'un moteur. Elle glissa un regard au-dehors : le frisé n'avait pas bougé de sa place. Assis derrière son volant, il regardait du côté de l'allée. La grosse voiture blanche apparut à l'angle du château; elle se dirigea vers le perron et s'arrêta. Basin mit pied à terre et monta les marches. Roger, pensa Armelle, devait regretter d'avoir laissé la clef dans la serrure... De l'endroit où il se trouvait, la masse de l'ambulance lui cachait le bas des marches, mais il pouvait voir la porte et le haut du perron. Armelle courut dans le vestibule et tourna l'espagnolette de la barre de sûreté. (Jii instant plus tard, le battant s'ouvrait, donnant passage à Basin. « Prenez la clef, lui dit la jeune infirmière. Il ne faut pas qu'on puisse nous enfermer de nouveau. » Elle referma la porte derrière lui et serra affectueusement les mains du chauffeur. Depuis qu'il était là, elle se sentait déjà sauvée. Basin

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était grand et robuste; Roger n'avait pas osé s'attaquer à ce gaillard. En quelques mots, Armelle lui expliqua la situation. Puis tous deux passèrent dans le salon. Daniel Couvreur ne bougeait pas : il avait sombré dans une sorte de torpeur. Son front était toujours brûlant, son pouls rapide, mais il ne semblait pas souffrir. « C'est lui qui n'a pas voulu que vous appeliez la police? demanda simplement le chauffeur. Mais il faudra signaler l'accident! - Oui, plus tard, quand le blessé sera mis à l'abri. Vous avez vu cet homme qui guette dehors? — Celui qui est dans la voiture noire? Oui, je l'ai vu. Il n'a pas bougé. — Il ne faut pas qu'il sache où nous allons. Alors, j'ai pensé... Vous ne connaissez pas, dans la région, un hôpital qui aurait plusieurs entrées? » Basin réfléchit un instant. « Voyons... par ici... Mais oui, il y a le centre hospitalier de Varenne. On entre généralement par la grande grille, mais on peut ressortir par-derrière. — Alors voici ce que j'ai imagine; vous me donnerez votre avis. Nous allons faire semblant de placer le blessé dans l'ambulance; vous partirez avec elle; j'espère que la voiture noire vous suivra... Vous arriverez à Varenne, vous y

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entrerez. Pendant que cet individu montera la garde devant la grille, vous passerez par l'autre sortie et vous reviendrez nous chercher. Mais vous êtes sûre qu'il me suivra? Je ne voudrais pas vous laisser encore seule. __ II vous suivra sûrement s'il croit que vous emmenez le blessé. » Basin hocha la tête d'un air soucieux. « Ça m'ennuie quand même, déclara-t-il. Et s'il avait l'idée de venir s'assurer que celui-ci est bien parti? — Il n'en aura pas le temps, s'il veut vous suivre. Je crois qu'il cherchera avant tout à savoir où nous emmenons le blessé. Si vous arrivez à lui faire croire que vous l'avez laissé à Varenne, tout ira bien. — Pour ça, liez-vous à moi, je m'arrangerai. Mais il faut d'abord faire semblant d'emmener quelqu'un. Si encore nous avions de quoi imiter la forme d'un corps - un traversin, des oreillers, je ne sais quoi... Ah! il y a les coussins de l'ambulance; je vais aller les chercher. Attendez-moi un moment; ne bougez pas d'ici. » Il retourna jusqu'à la voiture; quand il revint, il traînait une couverture et deux oreillers. « Vous vous demandez pourquoi je les porte comme ça, mademoiselle Armelle. J'ai remarqué que de l'endroit où il se trouve, votre guetteur pouvait voir ma tête, mais pas mes jambes. Il n'a donc pas vu les oreillers; il ne pourra

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pas soupçonner que nous allons nous en servir pour confectionner un faux blessé. » Ils replacèrent doucement Daniel Couvreur à même le parquet et disposèrent sur le brancard les oreillers mis bout à bout; dissimulés par les couvertures, ils pouvaient passer de loin pour une silhouette humaine. Armelle arrangea la veste de Couvreur de manière à dissimuler l'absence de visage. A la distance où se trouvait la voiture noire, le simulacre devait faire son effet. La jeune tille et le chauffeur soulevèrent alors le brancard et le transportèrent, en feignant de prendre mille précautions, jusqu'à la couchette de l'ambulance. « II faut que cet homme vous croie partie aussi, dit Basin à Armelle. Montez; je vais refermer la porte derrière vous, comme je le ferais si vous escortiez un malade. Vous vous glisserez par l'intérieur jusqu'au siège avant, vous mettrez pied à terre et remonterez les marches en vous baissant pour ne pas être aperçue de votre espion. De mon côté, je remonterai, moi aussi, et je fermerai ostensiblement la porte. On ne peut pas la laisser ouverte, et si vous la repoussiez de l'intérieur, l'homme comprendrait qu'il y a encore quelqu'un au château. » Armelle obéit. Dès qu'elle eut regagné le vestibule, elle se précipita dans le salon et jeta un coup d'œil par la fenêtre. Le chauffeur remontait sur son siège;

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l'ambulance s'ébranla lentement. Armelle, à sa grande joie, constata que la voiture noire se mettait en marche à son tour. Les deux véhicules, l'un suivant l'autre, disparurent à l'angle du mur. Elle retourna alors vers le blessé. Il ne bougeait toujours pas; son état semblait critique. Pourvu que l'infection, sournoisement, ne gagnât pas du terrain! Elle s'interdit de s'arrêter à cette pensée : elle avait fait le nécessaire; il ne restait plus qu'à al tendre et à espérer. Encore une demi-heure, peut-être, et ce garçon serait à l'hôpital, entre les mains de ceux qui pouvaient le sauver. Quand elle entendit de nouveau le moteur de l'ambulance, elle éprouva un soulagement indicible. Elle courut ouvrir à Basin; un large sourire éclairait le visage du chauffeur. « Tout s'est bien passé? demanda-t-elle. — Parfaitement. Ah! on peut dire que je l'ai semé, votre gars! Je vais vous raconter ce que j'ai fait à Varenne; je suis entré par la grande grille, puis je suis passé derrière l'hôpital. Là, l'homme à la voiture noire ne me voyait plus; il s'était arrêté à la grille. On ne l'aurait pas laissé entrer sans lui demander ce qu'il venait faire. Ensuite j'ai ramené Ursule devant l'hôpital, sous les yeux de notre homme; je me suis éloigné un moment et je suis revenu portant

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ostensiblement le brancard vide. L'homme, qui guettait toujours, m'a vu passer sous son nez; j'avais relevé les rideaux pour qu'il constate qu'il n'y avait personne dans la voiture. Il a dû penser que je vous avais laissée à l'hôpital de Varenne avec le blessé. — Vous êtes merveilleux, dit Armelle. Et cette fois il ne vous a pas suivi? - Bien sûr que non! En m'éloignant je l'ai vu dans mon rétroviseur descendre de voiture et se diriger vers le bureau de réception. Il voulait sans doute demander les heures de visite! — Et vos allées et venues n'ont étonné personne? — Pensez-vous! Là-bas, on me connaît... Une 73

des infirmières m'a demandé si j'amenais quelqu’un; j'ai répondu que j'avais simplement une commission à faire. Et voilà! » Avant de partir, Basin téléphona à la gendarmerie la plus proche. Il déclara qu'il avait été alerté par des témoins, mais que ceux-ci s'étaient ensuite éclipsés. L'état du blessé l'obligeait à le mener immédiatement à l'hôpital. Après quoi, ils rechargèrent le jeune homme sur le brancard, descendirent les marches du perron et hissèrent le blessé dans l'ambulance. Armelie s'assit près de lui, mais releva le rideau de plastique qui la séparait du chauffeur. « Vous ne devez pas trop comprendre pourquoi j'ai agi ainsi, lui dit-elle. Je vous raconterai tout, dans le détail. Mais je vous demanderai de ne rien dire à personne, pour le moment du moins. D'ailleurs, moimême, je ne sais pas tout... - Je ne suis pas bavard, mademoiselle, reprit tranquillement Basin. Pas curieux non plus, vous le savez bien. Si on me questionne, je dirai que je suis allé vous chercher au Mesnil avec un blessé que vous m'aviez signalé, et que je ne sais rien d'autre. Mais c'est plutôt à vous qu'on posera des questions. » La jeune fille porta les deux mains à ses joues brûlantes. « Je sais... Et je n'aime pas dire des mensonges. Pourtant, si je rapporte la stricte vérité,

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personne ne me croira. La nuit dernière, aussitôt après votre départ, on a appelé l'ambulance. J'ai pris la route seule... — Pour ne pas m'exposer à un blâme! interrompit le chauffeur. — Je connaissais bien la route. J'ai trouvé une voiture accidentée devant le château... - La voiture grise? Oui, je l'ai aperçue. Le blessé était encore dedans? — Non : il était là où vous l'avez vu, par terre, sans connaissance. Naturellement je voulais l'emmener aussitôt. L'homme à la voiture noire, qui était là avec un autre, m'en a empêchée et m'a enfermée dans la maison... — C'est invraisemblable! Et vous ne savez pourquoi? - Non, je sais seulement que cet homme veut du mal au blessé. Vous avez vu comment il nous guettait devant la porte? C'est pourquoi j'ai imaginé de l'emmener clandestinement à l'hôpital. Vous trouvez que j'ai eu tort? — Ma foi,-non; vous lui avez peut-être rendu un grand service, à ce garçon. Quand il pourra parler, il racontera lui-même son histoire. Et si l'autre lui cherche noise, on pourra s'adresser à la police. Vous n'avez pas pensé à l'appeler, vous? - Je n'ai trouvé le second téléphone que ce matin; j'ai voulu aller au plus pressé, qui était d'emmener le malade. »

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Elle hésitait à dire que Daniel Couvreur l'avait suppliée de ne pas alerter les gendarmes. Basin, peutêtre, ne comprendrait pas — pas plus qu'elle ne comprenait encore elle-même la raison de cette étrange attitude. « Voyez-vous, dit-elle, jusqu'à ce que le blessé puisse s'expliquer, j'aimerais mieux qu'on n'ébruite pas cette histoire. Il n'y tient pas. » Le chauffeur réfléchit. « Je n'ai pas de conseil à vous donner, mademoiselle. Mais pourquoi ne diriez-vous pas tout simplement, puisque c'est votre jour de sortie, que vous avez trouvé la voiture accidentée en vous promenant sur la route? On sait que vous aimez vous promener, ça paraîtra tout naturel. — Je ne peux pas dire que l'accident a eu lieu aujourd'hui alors que la blessure est plus ancienne. — Vous n'avez besoin de rien dire du tout. Vous avez trouvé la voiture ce matin; ça ne signifie pas qu'elle n'était pas la depuis hier soir. Je vous assure que si on me racontait ça, à moi, je n'irais pas chercher midi à quatorze heures. Croyez-moi, dans la vie, moins on parle, mieux cela vaut pour tout le monde. » Armelle réfléchit un instant. La solution que lui suggérait Basin avait l'avantage de donner un répit au blessé. Quand il reprendrait sa

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lucidité, il parlerait lui-même. Elle saurait alors si elle avait bien fait de le protéger. Ils arrivaient à l'hôpital. On emmena aussitôt le blessé dans un service de chirurgie. Armelle alla remplir les formalités au bureau. Les papiers de Daniel Couvreur étaient en règle; son hospitalisation ne posait aucun problème. On devait attendre qu'il revînt à lui pour savoir s'il avait de la famille à prévenir. Armelle monta ensuite dans le service où on avait conduit le jeune homme. L'infirmière de garde, Marcelle, qu'Armelle connaissait bien, lui dit qu'on était en train de radiographier l'épaule du blessé. « Est-ce qu'il a repris connaissance? demanda la jeune fille. - A moitié. Je crois qu'il délire. Mais il est bien, ce garçon. Tu as de la chance : ce n'est pas à moi que ça arriverai! de trouver un beau jeune homme sur la route!» Armelle eut un léger sourire. Elle se demandait ce que Marcelle, qui était peureuse, aurait pensé de la nuit au château! « Est-ce que le docteur Leblanc l'a vu? » demandat-elle. Le docteur Leblanc était l'interne de service. « II était en train de l'examiner quand le patron est arrivé. Ils l'ont regardé tous les deux. Nous avons fait du sérum à cause du choc. Le

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patron pense qu'il s'en tirera. Le cardiogramme est bon; on a envoyé du sang au labo. Reste à voir l'état de l'épaule. — La fracture m'a paru multiple. Mais naturellement je n'y ai pas touché. — L'ennui, c'est qu'il n'a pas été soigné tout de suite. Il a dû passer plusieurs heures sans connaissance dans cette voiture. C'est curieux que personne ne l'ait vue. Elle était donc bien loin de la route? — Sur te côté, dans les arbres. — Il a eu de la chance que tu passes par là; il y serait peut-être encore! » Armelle ne répondit pas. Voulant autant que

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possible éviter les questions précises, elle quitta Marcelle et redescendit. Elle passait devant le bureau quand la secrétaire l'interpella. « Mademoiselle Armelle! La gendarmerie vient de téléphoner pour avoir quelques renseignements complémentaires sur l'accident. J'ai donné l'identité du blessé... Si l'on demandait d'autres détails, ou si quelqu'un venait... - Basin es! au courant, répondit Armelle. Il pourra répondre à ma place. Je ne suis pas de service, d'ailleurs... » Armelle remonta dans sa chambre et s'allongea sur son lit. Elle espérait se reposer un peu, mais c'était impossible : elle ne pouvait penser qu'à son aventure. Le mensonge qu'elle, avait dû faire pour dissimuler les événements de la nuit - l'heure où elle avait découvert l'accident -lui pesait sur la conscience. Avait-elle sauvé un innocent en danger ou prêle la main sans le savoir à quelque combinaison louche? Seul Daniel Couvreur pourrait lui répondre quand il serait capable de parler. Elle songea tout à coup que lorsqu'il reviendrait à lui, il pouvait démentir sa version de l'affaire. Il ignorait qu'elle avait prétendu l'avoir trouvé ce malin; si on l'interrogeait, il risquait d'affirmer le contraire. Cela, il fallait l'éviter à tout prix. Quand elle redescendit dans le service, on ramenait le blessé de la radiographie. Marcelle

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dirigeait les brancardiers vers une chambre située au fond du couloir. « Le patron dit qu'il a besoin de beaucoup de calme, expliqua-t-elle à Armelle. La chambre 14 a une double porte, avec un tambour, de sorte qu'on n'entend pas les bruits du couloir. — Comment est la fracture? interrogea Armelle. — Assez mauvaise; il y a de nombreuses esquilles. La réduction sera difficile. Le patron voudrait attendre pour la faire qu'il sorte de cet état comateux. » Elle alla installer le malade dans la chambre, puis ressortit. « Tu veux rester un moment avec lui? demanda-telle à Armelle. S'il te reconnaît, ça lui fera plaisir de te voir. Ne le fais pas parler, surtout, c'est défendu. Mais rassure-le s'il s'inquiète. » Armelle s'assit près du blessé. On avait nettoyé sa plaie, recouvert l'épaule d'un pansement provisoire. Depuis la veille, sa barbe avait poussé, d'un brun foncé comme ses cheveux. Peut-être à cause de cela, il paraissait plus maigre encore. Elle éprouva un grand mouvement de pitié. « Si je pouvais le soigner, moi! » pensa-t-elle. Elle cherchait le moyen d'y parvenir quand Couvreur ouvrit les yeux. Il aperçut la jeune fille et esquissa un faible sourire. « Restez bien tranquille, recommanda-t-elle.

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Ne vous inquiétez pas, on ne vous demandera rien. J'ai dit que je vous avais trouvé ce matin sur la route, que votre voiture avait heurté un arbre pendant la nuit. » II murmura « Merci » et lui serra la main. La regardait-il comme une alliée? comme une complice? En tout cas il avait compris qu'elle ne le trahirait pas. Dans la soirée, lorsqu'elle redescendit pour prendre des nouvelles, Armelle demanda à Marcelle s'il serait possible qu'elle la remplaçât auprès du blessé, les jours suivants. « Mais l'ambulance? objecta Marcelle. - Paule pourrait peut-être s'en charger pendant quelques jours. Je vais demander à Mlle Audouard. » Mlle Audouard, la surveillante générale de l'hôpital, aimait beaucoup Arme-Ile. Mise au courant de l'accident, elle trouva très romanesque la découverte du blessé par la jeune infirmière. « Et maintenant, vous voudriez le soigner? Je comprends : vous avez l'impression qu'il vous appartient un peu, n'est-ce pas? Je vais arranger cela; Paule, comme vous savez, est toujours heureuse de prendre le service de l'ambulance. - C'est vraiment possible, mademoiselle? - Mais oui, c'est entendu : demain matin vous monterez en chirurgie. Et maintenant,

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allez dormir : vous semblez tomber de fatigue! » Avant de monter, Armelle voulut aller demander à Basin si tout s'était bien passé. En apprenant que le lendemain il ne la verrait pas, le chauffeur fit la moue. « Allons, tant pis! Mais vous viendrez me dire bonjour de temps en temps, n'est-ce pas? Quand votre blessé vous en laissera le temps! » ajouta-t-il non sans malice. Pour toutes les infirmières, le nouveau venu était « le blessé d'Armelle ». L'histoire de sa découverte sur la route courait d'une salle à l'autre. Tout le monde trouvait naturel qu'elle s'intéressât particulièrement à lui. Mais personne ne se doutait de l'angoisse avec laquelle elle attendait l'explication qui soulagerait enfin sa conscience.

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VI « C’'EST DÉCIDÉ, Armelle, nous opérons cet aprèsmidi à quatre heures. » Leblanc, l'interne, avait bien remarqué, lui aussi, que la jeune infirmière s'intéressait au blessé. Aussi, à peine la décision prise par le patron, venait-il l'en avertir avant même de lui donner ses ordres pour la journée, comme il le faisait chaque matin après la visite. Il avait failli retarder l'intervention : le patron voulait être sûr que le malade était en état de la supporter. On avait fait deux transfusions,

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puis des examens de laboratoire. Daniel Couvreur avait repris ses forces. Mais l'intervention serait longue et délicate. « La fracture est multiple, expliqua Leblanc à Armelle. Dans l'intervalle, des déplacements se sont produits. Et le patron tient à fignoler le travail : on veut vous le rendre au complet, votre protégé! » La jeune infirmière, elle, n'en pouvait plus. Daniel Couvreur reprenait ses forces, mais il restait obstinément silencieux. Comme on lui administrait de nombreux sédatifs, on pensait que son silence était dû à l'effet des drogues. Armelle venait le voir aussi souvent que son temps libre le lui permettait. Lorsqu'elle lui demandait comment il se sentait, il se contentait de sourire. Quand elle circulait dans la chambre, il ne la quittait pas des yeux, mais ne semblait pas éprouver le désir de lui parler davantage. Armelle, de son côté, n'osait pas lui poser de questions. On n'interroge pas un malade. Mais elle ne pouvait s'empêcher de penser constamment à la nuit du Mesnil. Dès que son esprit n'était pas absorbé par une tâche immédiate, elle revivait les détails de l'extraordinaire aventure, butant sans cesse contre ce mystère qu'il était seul à pouvoir éclaircir. Pourquoi ne parlait-il pas? Au château, il avait semblé lui faire confiance; elle avait

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prouvé qu'elle le méritait. Comment ne comprenaitil pas qu'elle avait besoin d'être sûre — sûre au moins d'avoir sauvé un innocent? Quand elle lui annonça que l'opération aurait lieu dans l'après-midi, il parut satisfait. « Est-ce qu'après je pourrai me servir de mon bras? » demanda-t-il. Elle lui sourit. « Le patron a très bon espoir. L'intervention ne sera pas facile, mais c'est un as! Vous ne pouviez pas vous trouver en meilleures mains. - Et ensuite? je pourrai repartir vite? » Cette question la froissa un peu : il avait donc tellement hâte de quitter l'hôpital? « Ce ne sera pas long, je vous le promets », répondit-elle en s'efforçant de paraître indifférente. Mais elle le quitta un peu déçue : cette fois encore, il n'avait rien dit. Leblanc lui donna ses instructions préopératoires, qu'elle nota avec soin. « Est-ce qu'il aura besoin d'une garde de nuit après l'intervention? - Je ne pense pas. Le service est relativement calme; l'infirmière de garde suffira. C'est Marcelle, je crois? - Oui, elle prend ma relève à huit heures. » Elle acheva son travail du matin, puis descendit au réfectoire tandis que la seconde infirmière de l'étage

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prenait eu charge les deux services. Le déjeuner fini, elle avait encore un quart d'heure devant elle avant de reprendre son poste. Tandis que les autres bavardaient, elle décida d'aller passer un moment avec Basin. Le garage de l'ambulance donnait dans une petite rue, sur le flanc du bâtiment principal. Au lieu de s'y rendre par le passage qui traversait le sous-sol, elle fit le tour par l'extérieur afin de prendre un peu l'air. « Vous venez voir Ursule, mademoiselle? Elle s'ennuie de vous, vous savez. — Ursule et vous, naturellement! Vous allez bien tous les deux? Comme vous voyez. » Armelle tapota amicalement le capot de la voiture. Paule, que ces enfantillages agaçaient, haussa les épaules. « Vous venez, Basin? Il est temps de partir. — Vous allez loin? interrogea Armelle. — A la maison de convalescence d'Ailly; c'est un joli parcours. Vous ne regrettez pas de ne plus sortir avec nous, mademoiselle Armelle? » La jeune fille avoua que si : c'était le genre de travail qu'elle préférait. « Bon, vous reviendrez quand votre blessé sera guéri. Comment va-t-il? Il ne m'a jamais vu, mais donnez-lui le bonjour de ma part tout de même! » L'ambulance sortit du garage et tourna

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l'angle de l'hôpital pour aller se ranger dans la grande cour. Armelle la suivit de loin; au moment où elle débouchait de la petite rue, elle aperçut une voiture noire qui faisait lentement le tour de la place. Elle frissonna. « Je suis trop bête! se reprocha-t-elle. Si je dois avoir peur toutes les fois que je verrai une voiture noire, je n'ai pas fini de trembler! » La glace relevée, reflétant les rayons du soleil, empêchait de distinguer le conducteur. Mais quand la voiture fut passée, Armelle, presque malgré elle, regarda le numéro. Cette fois elle sursauta. 2326 HC 75! La voiture était déjà loin. Armelle restait comme pétrifiée au bord du trottoir, suivant des yeux la forme noire qui disparaissait dans une rue de traverse. L'ambulance ressortit de la cour et passa devant elle. Basin lui fit de la main un signe amical, auquel elle répondit machinalement. La voiture noire du château! Et dedans, sans doute, le frisé — ce Roger que Daniel Couvreur, elle ne savait pourquoi, redoutait si fort... Elle essaya de se rassurer en se disant que la voiture noire passait peut-être là par hasard. Mais elle n'y croyait pas. La vérité était sans doute plus simple : trompé par le stratagème de Basin, Roger avait cherché Couvreur au centre hospitalier de Varenne; ne l'y trouvant

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pas, il avait aussitôt songé que le blessé pouvait être à l'hôpital d'où venait l'ambulance — celui de Grandlieu. Armelle monta reprendre son travail. Mais son esprit était ailleurs. A l'extrémité du service de chirurgie, une fenêtre donnait sur la place. Chaque fois que la jeune fille avait un moment de répit, au lieu de rester dans la chambre de garde, elle courait à cette fenêtre et scrutait des yeux les alentours. Tout d'abord, elle ne remarqua rien. Mais au bout d'une heure environ, elle vit reparaître une voiture noire semblable à la première. De l'endroit où elle se trouvait, elle ne distinguait

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pas le numéro. La voiture s'arrêta de l'autre côté de la place : un individu qu'elle ne connaissait pas en descendit et se dirigea vers l'hôpital. Quelques minutes plus tard, il ressortit et regagna la voiture, qui s'éloigna. « II faut que je sache ce qu'il est venu faire! » se dit la jeune fille. Impossible de descendre pour le moment : elle devait préparer Daniel Couvreur pour l'intervention. Elle avait une injection à lui faire dès maintenant, une autre dans une demi-heure. Leblanc était déjà là : avant d'assister le patron pour la fracture, il devait faire seul une appendicectomie. En se rendant à la salle d'opération, il passa devant la chambre de garde où Armelle rangeait ses instruments. « II va bien, notre épaule? Il est calme? Très calme. J'ai fait la première injection, j'attends l'arrivée du patron pour faire l'autre. - Parfait. » Une demi-heure plus tard, elle entrait dans la chambre du blessé. Il la regarda s'approcher avec la seringue. « Alors, c'est pour maintenant? » Elle fit signe que oui. « Quand on vous ramènera, tout à l'heure, tous vos os seront à leur place. — Merveilleux! Et maintenant, que demandezvous? Mon bras ou ma jambe? — La jambe, cette fois. Là, c'est fini!

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- Je n'ai rien senti, déclara-t-il tandis qu'elle rabattait les couvertures. - Je l'espère bien! Sans cela, je serais une mauvaise infirmière! Merci... », murmura-t-il très bas. Elle affecta de plaisanter. « Mais je ne fais que mon métier! - Je veux dire : merci... pour tout... » Un instant elle crut qu'il allait parler : il eût suffi de si peu pour qu'elle eût l'esprit tranquille ! Mais déjà l'injection faisait son effet; les yeux du jeune homme se fermaient, sa main se détendait sur le drap. La porte s'ouvrit : un brancardier, poussant un chariot, entra dans la chambre. « II dort déjà, je vois! Aidez-moi à le faire glisser, mademoiselle Armelle. » Elle obéit, puis regarda le chariot s'éloigner. Son cœur battait plus vite qu'elle ne l'aurait voulu : mieux que personne, elle connaissait la valeur des chirurgiens de Grandlieu; cependant une intervention importante, surtout après un choc, représente toujours un danger... Elle dut accomplir ses tâches de chaque jour, prendre les températures, rectifier un pansement, distribuer les médicaments. Puis elle revint préparer la chambre de l'opéré : les alèzes bien tirées, les bouillottes à la température voulue. Ces gestes, qu'elle avait faits cent

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fois, lui semblaient aujourd'hui plus importants que de coutume. Quand la chambre fut prête, elle songea à accomplir l'autre tâche qu'elle s'était assignée. Elle descendit vivement à la conciergerie; le portier, qui la connaissait bien, lui sourit. « Vous voulez quelque chose, mademoiselle? - Oh! un simple renseignement... J'ai dans mon service un blessé qui s'appelle Daniel Couvreur; il est en ce moment sur la table d'opération. Je voudrais savoir si personne n'est venu le demander. — Je comprends, il attend sans doute une visite de sa famille... Laissez-moi voir... attendez. Oui, il est venu tout à l'heure un monsieur qui m'a demandé si nous avions ce nom-là à l'hôpital. Je lui ai dit de s'adresser au bureau des entrées; là, on a dû lui dire que son monsieur Couvreur était bien ici. — Il n'a pas demandé à le voir? — Je n'en sais rien; je peux seulement vous affirmer qu'il n'est pas monté. On lui a probablement dit que ce n'était pas l'heure des visites. Vous pourrez demander à Mlle Berthe demain matin; elle vient de partir; c'est elle qui lui a répondu. — Je vous remercie », dit Armelle. Ainsi les ennemis de Daniel Couvreur continuaient à le poursuivre! Ils savaient maintenant où il se trouvait. Que l'un d'eux demandât à le voir, comment pourraitelle s'y opposer?

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« En tout cas, se promit-elle, si un visiteur se présente demain, je ne le laisserai pas approcher. Un opéré de la veille est encore trop faible. A en juger par sa réaction au château, la vue de ce Roger pourrait le tuer! Je remettrai la visite à plusieurs jours; d'ici là nous nous serons expliqués... » Elle remonta dans son service. L'intervention lui parut interminable. Enfin elle entendit les roues caoutchoutées du chariot rouler sur le linoléum du couloir. Elle se précipita. Leblanc escortait l'opéré. « Ça s'est bien passé? interrogea-t-elle. Très bien. Le patron a fait un véritable travail d'horloger! Le jour où je serai capable d'opérer comme lui... » Armelle aida à coucher le malade, le couvrit, essuya son visage humide de sueur. 11 semblait si faible qu'en passant la main sur son front, elle avait l'impression de lui communiquer un peu de sa propre force. Un moment plus tard, Mlle Audouard fit sa ronde. Elle appela Armelle dans le couloir. « Vous êtes épuisée, mon petit. Il faut vous coucher de bonne heure. - Je vous assure, mademoiselle... - C'est un ordre! interrompit la surveillante. Marcelle est de garde cette nuit; dès qu'elle arrivera, dînez légèrement — et au lit! »

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A huit heures du soir, quand Marcelle vint prendre sa garde, Daniel Couvreur donnait paisiblement. Avant de se rendre dans la salle à manger, Armelle passa voir si Odette, la seconde infirmière de l'étage, était prèle à descendre avec elle. Mais, voyant de loin qu'on était en train d'amener un nouveau malade, elle s'éloigna sans attendre Odette. Un quart d'heure plus tard, celle-ci arrivait au réfectoire à son tour. « Tu as une urgence, à ce que j'ai vu, lui dit Armelle. - Oui, un jeune homme.

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- C'est l'ambulance qui l'a amené? Non, un ami l'a accompagné en taxi. Il est tombé dans un escalier et dit qu'il souffre beaucoup de la jambe et de la colonne vertébrale. Leblanc l'a examiné et n'a rien trouvé; on le radiographiera demain matin, et le patron le verra. — C'est un drôle d'accident pour un jeune homme, remarqua une des infirmières. En général ce sont les vieilles dames qui dégringolent dans leur escalier! Il avait peut-être abusé un peu du whisky? — Je ne sais pas; il n'a pas l'air d'avoir bu. - Comment est-il? interrogea une autre. — Assez jeune, avec une figure ronde, des cheveux blonds frisés comme une poupée... — Des cheveux blonds frisés! - Ça a l'air de t'étonner, Armelle — pourquoi? - Pour rien; je pensais à quelqu'un que j'ai connu...» Elles sortirent du réfectoire. Malgré les ordres de la surveillante, Armelle ne monta pas immédiatement à l'étage supérieur où logeaient les infirmières. En la voyant s'arrêter nu premier, Marcelle s'étonna : « Tu reviens dans le service? Tu as oublié quelque chose? - Je venais voir comment va mon opéré. Tu as peur que je ne le soigne pas bien? taquina sa camarade. - Marcelle ! tu sais bien que non !

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Tu n'as qu'à jeter un coup d'œil dans la chambre : il dort comme un chérubin! » Mais ce n'était pas Daniel Couvreur que voulait voir Armelle. Elle avait constaté, avant de descendre, qu'on installait le nouvel arrivant dans la chambre 11, l'avant-dernière du couloir. Plus loin, il y avait une autre chambre, puis un petit corridor transversal et enfin, tout au fond, la chambre de Daniel Couvreur. Elle se dirigea vers cette dernière, ouvrit la première porte et resta quelques instants dans le tambour, puis, s'étant assurée que Marcelle avait regagné la chambre de garde, revint sur ses pas et entrouvrit la porte du 11. Elle ne se trompait pas : celui qui reposait dans ce lit, c'était bien Roger, l'homme à la voiture noire. Il avait les yeux fermés, mais la veilleuse éclairait son visage rond, ses cheveux frisés couleur de paille. Que faisait-il ici? Armelle ne croyait ni à sa chute ni à ses prétendues douleurs. L'interne de garde au service des urgences ne lui avait rien trouvé naturellement, puisqu'il n'avait rien! Mais, prudent, il l'avait fait hospitaliser jusqu'à la consultation du lendemain. En réalité, l'homme jouait cette comédie pour se rapprocher de Couvreur et tenter d'arriver jusqu'à lui. La première pensée d'Armelle fut de prévenir Marcelle. Mais que pouvait-elle lui dire?

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Que le malade du 11 était un simulateur? « Comment le sais-tu? » demanderait Marcelle. D'ailleurs, un simulateur, on peut en rire, mais il ne représente pas forcément un danger. Comment avertir Marcelle, à moins de raconter toute l'histoire? Armelle remarqua alors le petit corridor qui, après les chambres 11 et 15, traversait le bâtiment dans toute sa largeur. A chaque extrémité il y avait une. fenêtre, celle de gauche donnant sur la ruelle où se trouvait le garage de l'ambulance, celle de droite sur la cour de l'hôpital. Avant cette dernière fenêtre se trouvait une grande armoire qui servait de débarras, et derrière laquelle, une personne pouvait facilement se dissimuler. La jeune fille décida de profiter de cette disposition des lieux pour rester dans te service sans être vue de Marcelle. S'il ne se passait rien d'anormal, elle remonterait avant la relève du matin et viendrait prendre son service comme à l'accoutumée. Ce serait dur, mais elle ne voyait pas d'autre moyen de déceler les intentions de Roger. Après avoir jeté une cape sur ses épaules, Armelle se glissa derrière le placard, s'appuya contre le mur et attendit. La surveillante avait vu juste : la jeune fille était très lasse -- mais elle n'avait pas sommeil : tous les sens en éveil, elle épiait de loin la porte de la chambre 11. .

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En avançant la tête, elle voyait Marcelle aller et venir au fond du couloir. Une heure s'écoula, puis deux, puis trois. La pendule qui ornait la façade de l'hôpital sonna lentement douze coups. Dans le couloir, la lumière fut mise en veilleuse. Armel le entendit le pas léger de Marcelle se diriger vers la chambre de garde; sans don le allait-elle prendre son tricot comme elle le faisait généralement pour éviter de s'endormir. Un moment plus tard, Armel le sursauta : elle croyait avoir vu le battant de la porte s'entrouvrir lentement. Etait-ce une illusion? mais non : la porte s'ouvrit, le frisé, tout habillé, se glissa dans le couloir. Sa démarche était absolument normale : il ne boitait même pas. Sa prétendue chu le n'était qu'un prétexte pour se faire hospitaliser : il voulait voir Daniel Couvreur, el le voir sans témoin. L'individu qui était venu s'informer l'après-midi avait dû demander le numéro de la chambre du malade, car le simulateur regardait avec attention les chiffres inscrits sur les portes, hochait la tête el poursuivait son chemin. Armelle avança un peu la tête. Une odeur bien connue la fit sursauter : du chloroforme! Le relent était faible : Roger portait sans doute un flacon dans sa poche pour imbiber au dernier moment un tampon qu'il appliquerait sur le visage de Couvreur.

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Il s'avança vers la chambre 14. Armelle frémit. Mais, chose étrange, après en avoir vérifié le numéro, il ne chercha pas aussitôt à entrer; il enfila le petit corridor vers la gauche et ouvrit la fenêtre sans bruit. Quelques instants plus tard, il revenait vers le 14, une cordelette à la main. La pensée du chloroforme avait terrifié Armelle. Si Roger, surpris par elle, lui collait le tampon sur la bouche, elle ne pourrait plus rien pour s'opposer à ses desseins. Il fallait se protéger —- mais comment? Elle pensa tout à coup aux masques de toile des chirurgiens qu'après usage on jetait parfois dans le placard avant de les reprendre pour les laver et

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les stériliser à nouveau. Elle attendit que le frisé eût ouvert la première porte du 14, sortit de sa cachette, chercha un masque à tâtons et le colla sur son visage. En se retournant, elle aperçut devant elle la fenêtre du corridor toujours ouverte. Une ombre massive se profilait sur la demi-obscurité de la ruelle. Jo! Tout s'éclaira brusquement : le complice avait arrêté la voiture dans la ruelle el grimpé par une échelle jusqu'à la fenêtre que venait de lui ouvrir Roger. Une fois Couvreur endormi, ligoté, le colosse l'emporterait sans effort. Armelle, à elle seule, était incapable de s'opposer aux deux hommes. Donner l'éveil, c'était provoquer chez l'opéré un choc qui pouvait être fatal. Presque sans réfléchir, la jeune fille s'avança vers la fenêtre ouverte. « C'est toi, Roger? » demanda une voix étouffée. Elle comprit que si elle le distinguait, elle, il ne voyait, lui, qu'une silhouette. La grosse armoire masquait la lueur de la veilleuse lointaine, et la cape sombre cachait la blancheur de son uniforme. Elle se pencha et chuchota : « Attention! on vient!... C'est raté pour ce soir ! - Mais toi? - Vite! Il faut filer!... »

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Il commença à descendre pesamment à reculons.

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Elle ne sut trop si le géant la prenait pour Roger. Mais, devant l'accent autoritaire, il obéit et commença à descendre pesamment, à reculons. Sans attendre davantage, Armelle courut vers la chambre 14. Le frisé s'était sans doute arrêté un moment dans le tambour pour s'assurer que Couvreur était endormi. Il venait d'ouvrir la seconde porte et s'avançait à pas feutrés vers le lit. De la main gauche il tenait la cordelette, de la droite il cherchait le chloroforme dans sa poche. Tout à coup il se retourna et aperçut Armelle masquée, debout devant lui. Il eut d'abord un geste d'effroi, puis il se ressaisit, déboucha vivement son flacon et s'avança en brandissant le tampon. A travers le masque, Armelle sentit l'odeur douceâtre du chloroforme, mais trop faible pour en éprouver l'effet. Face à face, les deux ennemis se mesuraient. Tout à coup Armelle eut une inspiration subite. Sa lampe électrique était dans sa poche; elle y porta la main et à travers la toile dirigea l'extrémité de l'objet vers le bandit. « N'avancez pas ou je tire! » chuchota-t-elle. . Il laissa tomber son flacon, qui se brisa sur le sol. Puis il leva les mains et recula; elle le suivit, le menaçant toujours de son arme imaginaire. Une fois sorti de la chambre, il courut à la fenêtre et poussa un juron étouffé. On entendait au loin le bruit d'un moteur qui s'éloignait.

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Roger hésita un instant, puis, enjambant vivement la barre d'appui, se laissa pendre par les bras et sauta dans la ruelle. Armelle allait refermer la croisée derrière lui. Puis elle se ravisa et la laissa ouverte. Elle prit un linge dans le placard, rentra dans la chambre et fit disparaître les débris du flacon. Ensuite elle ouvrit la fenêtre pour faire évaporer l'odeur du chloroforme. Sous l'effet de l'air frais, l'opéré fit un léger mouvement. « Tout va bien, dormez », murmura-t-elle. Il n'avait même pas ouvert les yeux. Mais il prononça un mot du bout des lèvres. Elle se redressa brusquement : elle croyait avoir reconnu son nom : Armelle. Quelques minutes plus tard, elle regagnait le couloir et se dirigeait vers l'escalier à pas de loup. Arrivée à l'étage supérieur, elle entendit en bas le bruit d'un fauteuil qu'on repousse. Marcelle se préparait à faire sa ronde. Elle entra dans une ou deux chambres, puis se dirigea vers le fond du couloir. Là, sentant un courant d'air, elle s'avança vers la fenêtre et constata qu'elle était ouverte. « C'est curieux, pensa-t-elle, je pensais bien l'avoir fermée. Il faut que la crémone soit abîmée. Je le signalerai à la direction. »

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En entrant dans la chambre 14, elle remarqua aussitôt l'odeur de chloroforme. « Est-ce que je rêve? On n'endort plus au chloroforme aujourd'hui. Mais cela vient-il de la chambre? Il me semble que dans le corridor aussi... » Elle s'approcha du placard et l'ouvrit. Le masque et le linge rangés à la hâte par Armelle se trouvaient sur le devant. « C'est cela! songea Marcelle. Les chirurgiens se sont encore amusés à faire je ne sais quelles expériences. Il faut que je demande à Mlle Audouard de mettre le linge sale plus loin. » Le 14 donnait paisiblement. « II ne s'éveillera pas avant le matin », se dit-elle. Elle se rendit alors au 11. Un instant plus tard, elle retint un cri. La chambre 11 était vide.

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VII ‘Eh bien, demanda Leblanc, comment vous sentezvous aujourd'hui? » Daniel Couvreur était assis dans son lit, le buste soulevé par des oreillers. Son visage rasé de frais semblait moins maigre. Seuls l'épaule et le bras plâtré témoignaient de son récent accident. « Je vais très bien, docteur, dit-il. Si je paresse encore au lit, c'est seulement pour reprendre plus vite mes forces. » Leblanc se mit à rire. « Vous ne tenez pas à vous attarder parmi

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nous, il me semble! Justement, j'en parlais ce matin avec le patron. Il ne voit pas d'inconvénient à ce que vous quittiez l'hôpital si vous le désirez. Vous pouvez rentrer chez vous et vous y reposer quelques semaines. Il faudra seulement revenir vous faire enlever votre plâtre; un peu de rééducation et tout ira bien. - C'est vrai? je peux partir? — Je crois qu'on vous regrettera, dit l'interne. Je vais prévenir le bureau que les médecins vous donnent le feu vert; on pourra préparer vos papiers de sortie. » Pour Armelle, les quelques jours qui s'étaient écoulés depuis le passage de Roger à l'hôpital avaient été un véritable supplice. La découverte de l'évasion n'avait pas fait beaucoup de bruit : on était persuadé qu'on avait eu affaire à un fou. Armelle seule savait qu'il n'en était rien. Elle avait attendu avec angoisse que Daniel Couvreur lui donnât la clef du mystère. Le lendemain de l'opération, il était encore trop faible pour s'expliquer. Quand elle était passée le voir, il avait murmuré : « J'ai fait un rêve, cette nuit. Il me semblait que vous étiez à côté de moi. Je me sentais si bien, si bien...» Elle avait rougi, se souvenant de l'avoir entendu prononcer son nom. Les jours suivants, elle n'avait rien dit : elle attendait qu'il parlât le premier. Mais on avait

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l'impression que pour lui la nuit du château n'avait pas existé, qu'il était un opéré comme les autres. Un jour, pourtant, elle décida de lui parler de Roger. Il devait savoir au moins que l'individu rôdait encore dans les parages. A ce propos, il finirait peut-être par s'expliquer. Mais ce jour-là, comme chaque matin, elle lui apporta un journal; elle remarqua que le bas de la page était consacré à un article sur la polamide. En reprenant le journal pour le prêter à un autre malade, elle constata qu'une partie de la feuille était arrachée. « C'est vous qui avez fait cela? demanda-t-elle un peu surprise. Vous vous intéressez particulièrement à la polamide? » II répondit qu'il avait déchiré le journal par inadvertance et proposa d'en faire acheter un autre par l'infirmier. Mais le soir il refit de la fièvre. Elle se félicita alors de n'avoir rien dit. S'il s'émouvait ainsi pour un incident insignifiant, comment réagirait-il devant une explication plus grave? A l'hôpital, tout le monde aimait Daniel. Mais les autres ne savaient pas ce qu'elle savait, elle. Ce silence lui pesait de façon intolérable. Ses camarades remarquaient qu'elle ne mangeait presque plus, que la nuit on voyait de la lumière filtrer sous sa porte. Mlle Audouard, la surveillante, lui en avait fait le reproche :

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« Le premier devoir d'une infirmière est de conserver ses propres forces. Si vous ne vous sentez pas bien, faites-vous examiner par Leblanc : c'est un garçon sérieux. » Le docteur Leblanc lui-même semblait s'inquiéter de son état. « Quand partez-vous en vacances, Armelle? - A la fin du mois, probablement. — Il vous faudrait un vrai changement d'air. Vous allez dans votre famille? — Non : mes parents ne quittent pas Paris cet été et ils trouvent que j'ai besoin de la campagne. — Ils ont raison. Si vous pouvez choisir, je vous conseillerais la montagne. Vous n'êtes pas de ces fanatiques qui tiennent à la Côte d'Azur? » Elle ne tenait à rien : la perspective des vacances ne lui faisait aucun plaisir. Leblanc insista : « Demandez conseil à votre blessé; en voilà un qui a hâte de se remettre ! Vous savez que le patron l'autorise à quitter l'hôpital? - Avec son plâtre? — Oui, il n'a pas besoin de soins pour le moment. Après, il faudra une rééducation. Mais il recouvrera entièrement l'usage de son bras; c'est une chance. » Armelle ne répondit pas. Daniel Couvreur partait! A moins qu'il ne prît l'initiative d'une explication, elle ignorerait toujours si elle avait

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secouru un innocent ou empêché la justice de s'emparer d'un coupable. S'il avait un peu d'amitié pour elle — comme son attitude aurait permis de le supposer — ne comprenait-il pas qu'en quelques mots il pouvait lui rendre la paix? Elle ne fil pas allusion à son départ imminent - lui non plus. Le jour venu, par la fenêtre de l'étage des infirmières, elle le vit, soutenant de la main l'écharpe de son bras plâtré, franchir le seuil de l'hôpital et monter dans un taxi. « C'est fini », pensa-t-elle. Elle se sentait atrocement seule, il lui semblait que les événements récents avaient fait dans sa vie une grande déchirure, que rien ne pourrait réparer. Elle se demanda si elle aurait le courage de descendre au réfectoire. On l'interrogerait sur la santé de « son » blessé; si elle disait qu'il était parti sans un mot d'adieu, que penseraient les autres? Elle se raidit pour entrer dans la salle. A son grand soulagement, elle trouva ses camarades au milieu d'une conversation animée. Le matin même, on avait amené en médecine une nouvelle victime de la polamide : une jeune fille d'une vingtaine d'années. « Le cas est grave? — On ne sait pas encore. Toujours les mêmes

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symptômes : convulsions, troubles de la vue. Nous avons fait un lavage d'estomac, mais c'était déjà tard. - Pourquoi avait-elle pris de la polamide? - Elle est étudiante, elle préparait un examen. Comme elle se sentait souvent fatiguée, une amie lui a passé les comprimés en lui disant qu'elle-même s'en était bien trouvée. - Elle n'a pas donné le nom de cette amie? - Bien sûr que non; elle ne veut pas lui attirer des ennuis. — Si personne ne veut rien dire, remarqua une infirmière, je me demande comment on arrivera jamais à arrêter ce trafic.

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Tu dénoncerais une amie, toi? — Je ne crois pas. Et pourtant, s'il le fallait pour sauver d'autres personnes... - Je suis sûre que tu ne le ferais pas! » Une vive discussion s'engagea. Personne ne pensait plus au blessé d'Armelle. La jeune fille plia sa serviette et remonta dans son service. La chambre de Daniel Couvreur était vide; deux femmes de service étaient en train de refaire le lit. Un moment plus tard, Mlle Audouard passa dans le couloir. Elle regarda Armelle et hocha la tête. « Vous n'êtes pas bien du tout. Je crois que le grand air vous manque. Peut-être feriez-vous mieux de reprendre le service de l'ambulance? » Mlle Audouard avait-elle deviné son désarroi? En tout cas, le remède qu'elle proposait était probablement le meilleur. Revoir Basin et Ursule, pour Armelle c'était un peu retrouver sa famille. « Ce serait possible? - Bien sûr. Votre déplacement a toujours été considéré comme provisoire. J'ai l'impression que Paule, elle, regrette un peu sa salle. Il y a un transport à cinq heures : une vieille dame qu'on va chercher à Mantes. Voulez-vous vous en charger? » Elle s'éloigna; Armelle la suivi! d'un regard reconnaissant. Un moment plus tard, elle révélait son

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uniforme d'extérieur et descendait au garage. La joie du chauffeur lui fit du bien. « Alors nous voici de nouveau tous les trois? Vous me manquiez beaucoup, mademoiselle Armelle. Mlle Paule est bien gentille, mais... Je crois qu'Ursule vous regrettait aussi, ajouta-t-il en souriant. Depuis votre départ, elle a changé de caractère : elle me faisait de ces caprices... » Armelle ne put s'empêcher de sourire aussi. Elle vérifia que tout était prêt et monta sur le siège près de Basin. Il y eut deux transports dans la soirée. Le second cas était une jeune femme qui venait de s'asphyxier avec son radiateur à gaz; le médecin, appelé, avait alerté l'hôpital. Celle-là demanda des soins tout le long du trajet; il fallut donner de l'oxygène et faire une injection pour soutenir le cœur. Quand Armelle arriva au réfectoire, le dîner des infirmières était presque fini. Elle demanda des nouvelles de la jeune tille à la polamide. On lui dit que l'état était encore critique, mais qu'on espérait la sauver. « Et ton blessé? il continue à aller mieux? » D'une voix qui ne tremblait pas, Armelle répondit qu'il était parti le matin même, avec son plâtre. Il reviendrait dans trois semaines le faire enlever. « Ça m'étonnerait que d'ici là tu n'aies pas des nouvelles! » fît Marcelle en riant.

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Armelle ne répondit pas. Les forces hum aines ont des limites. Quelques jours plus tard, à l'heure du déjeuner, elle trouva ses camarades penchées sur le journal que l'une d'elles étalait à bout de bras. La nouvelle qu'elles venaient de découvrir devait être d'importance, à en juger par leurs exclamations. « Enfin, j'espère que celle fois-ci on va mettre la main sur eux ! — Ce ne sérail pas trop loi! — Je voudrais qu'on leur donne au moins vingt ans de prison, moi! — Pas si vite : n'oublie pas qu'on ne les tient pas encore! — Mais puisqu'on en a identifié un, la police saura bien les retrouver... » Armelle, curieuse, s'approcha à son tour. La première page du journal portail un gros litre : DU NOUVEAU SUR LA POLAM1DE Elle s'avança pour lire l'article, qui l'intéressait aussi. Mais avant d'en avoir lu une ligne, elle recula vivement, comme frappée de stupeur. Au milieu de la page il y avait une photo — une mauvaise photo, mal tirée, comme celles que donnent les quotidiens. Suffisante pourtant pour que le doute ne fût pas possible:

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« Le frisé! Roger! » La main d'Armelle tremblait si fort que Marcelle, qui tenait le journal le remarqua. « Qu'as-tu donc, Armelle? Tu ne te sens pas bien? - Je suis fatiguée; j'ai dû aider au brancardage... — Ah! c'est pour ça que ta main tremble-Tiens, lis, c'est formidable! » L'article rapportait que la police, après de nombreuses investigations au sujet de la polamide, avait fini par découvrir que le dangereux médicament était introduit en France par une bande de malfaiteurs. On ignorait encore par quelle voie cette bande faisait entrer la polamide. Mais on pensait avoir identifié un des criminels, un certain Merlet, plus connu sous son prénom de Roger. La photo publiée provenait d'une fiche que possédait la police; l'homme avait déjà été condamné pour vol avec effraction. « Vous ne savez pas? dit tout à coup Marcelle, je trouve qu'il ressemble à notre fou de l'autre nuit! - Celui qui disait être tombé dans un escalier et qui s'est sauvé par la fenêtre? - Oui. Si c'était lui, tout de même? » Les autres se moquèrent d'elle. « Tu n'y penses pas! Le tien était fou — ce Merlet ne l'est pas, crois-moi. D'abord, sur les photos de presse, on ne peut rien voir.

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- C'est vrai : une fois on a photographié ma sœur parce qu'elle avait gagné un prix dans un concours. Eh bien, mes parents, quand ils ont vu le journal, ne l'ont même pas reconnue! » La conversation dévia. Seule, Armelle restait bouleversée. Quand elle se demandait pourquoi Daniel Couvreur redoutai! la police, quand elle craignait qu'il n'eût pas la conscience tout à fait tranquille jamais, au grand jamais, elle n'avait soupçonné une chose pareille! Introduire de la polamide en France, c'était pire que de tuer sous le coup de la colère ou de la jalousie : c'était exposer sciemment, par pur intérêt, des innocents à la mort. Quels pouvaient être les liens entre Daniel Couvreur et ce Roger? Si Armelle ne résolvait pas ce problème, elle sentait qu'il la tourmenterait longtemps.

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VIII LE LENDEMAIN,

Armelle osait à peine descendre au garage. Basin, lui aussi, avait pu lire le journal et reconnaître le frisé. Il l'avait aperçu la nuit du château, guettant dans sa voiture noire. Plus tard, il l'avait revu à la sortie de l'hôpital de Varenne où il avait feint de conduire le blessé. Heureusement la photo du journal, certes, était mauvaise, et Basin n'avait vu Roger que de loin. Armelle se demandait si le chauffeur allait lui parler de l'affaire. Mais il se contenta de la regarder d'un air apitoyé.

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« Vous avez bien mauvaise mine, mademoiselle. Heureusement, voici bientôt les vacances... » Elle pouvait avoir mauvaise mine, n'ayant pas fermé l'œil de la nuit... Basin lui dit qu'ils avaient un malade à transporter : un blessé de la jambe, qu'on emmenait dans une clinique spécialisée de Paris. Pendant le trajet, Armelle resta à côté du jeune homme et lui parla, mais sa pensée était ailleurs. Au retour, comme toujours quand l'ambulance était vide, elle s'assit près de Basin. « II ne fait pas beau, dit celui-ci. La météo, hier soir, annonçait de l'orage. Vous avez lu cela dans les journaux? - Ma foi, non : je n'achète pas le journal. Maintenant qu'on a la radio, pour quoi faire? » Ainsi Basin n'avait pas vu la photo! Cela éviterait bien des questions embarrassantes. Le chauffeur, lancé sur le sujet des émissions de radio, ne s'arrêta plus. Il raconta à Armelle l'histoire d'un hold-up spectaculaire qui venait d'avoir lieu dans la banlieue parisienne. Tout à coup, Armelle l'interrompit. « II arrive, n'est-ce pas, que des complices se disputent entre eux? » Basin ricana : « C'est même ce qui se passe le plus souvent, mademoiselle! Quand on est voleur, on l'est avec tout le monde, même avec ses copains. On fait

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un mauvais coup ensemble, et puis, quand il s'agit de partager, rien ne va plus! Chacun veut avoir plus que les autres. Quelquefois il y en a un qui file avec le magot... » Le cœur d'Armelle se serra. « Vous ne connaissez pas tout ce beau monde, heureusement pour vous, poursuivit Basin. Mais quand on a roulé sa bosse un peu partout, comme moi... Il est vrai qu'on dit couramment : s'entendre comme larrons en foire. Eh bien, ceux qui vous disent ça n'ont jamais rencontré de larrons! Ils s'entendent pour détrousser les braves gens, ça oui, mais entre eux ils sont pires que des tigres. Ce qu'on appelle un règlement de comptes, mademoiselle Armelle, c'est ça : les membres d'une bande jugent que l'un d'eux n'a pas bien agi envers les autres -alors, pan! pan! c'est le revolver qui parle... » Le chauffeur continua : « On se brouille, on s'entre-tue, et puis on se raccommode et tout recommence comme avant. Le seul point sur lequel les malfaiteurs s'entendent toujours entre eux, c'est contre la police ! » La jeune fille aurait voulu ne pas l'écouter. Daniel Couvreur aussi avait peur de la police. Il faisait partie de la bande, sans doute, puis il avait eu maille à partir avec ses complices... Elle avait bien fait de le protéger - - tout homme mérite qu'on le défende s'il est en danger -

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mais en le laissant reprendre sa liberté elle s'était faite complice de son crime. Ils arrivaient à l'hôpital. Basin rentra l'ambulance au garage. « Vous ne m'avez pas félicité, dit-il. Elle est belle aujourd'hui, notre Ursule! Je l'ai lavée, j'ai astiqué tous ses chromes. — Oui, dit Armelle, elle est très belle. » En mettant pied à terre, elle flatta de la main la grosse voiture, comme on le fait pour un cheval. « Tu as de la chance, toi, Ursule, pensait-elle. Tu travailles du matin au soir, mais tu n'es responsable de rien. Si je pouvais, moi... » Pendant le travail, heureusement, on n'avait pas le temps de penser. L'après-midi, il y eut un transport difficile : un vieux monsieur qu'on devait hospitaliser d'urgence. Le malade souffrait; il était agité; au cours du trajet il fallut lui donner de l'oxygène. Sa femme, qui avait tenu à l'accompagner, compliquait encore la situation par ses gémissements et ses larmes. Armelle avait beau lui expliquer que cette crise passerait, que son mari, sitôt arrivé à l'hôpital, recevrait tous les soins nécessaires, la vieille dame s'obstinait à soupirer : « C'est moi qui l'ai tué, c'est ma faute. Je n'aurais pas dû mettre de chou-fleur dans la jardinière... Je savais bien que c'était lourd... » Finalement Armelle devait consacrer plus de

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temps à la calmer qu'à soigner son mari. Elle pensait à part elle que la tâche des infirmières serait plus simple s'il n'y avait pas les familles, I ou jours pleines de bonnes intentions, mais si souvent à contretemps! Après le cardiaque, ce fut une jeune femme qui attendait un bébé et s'était trouvée prise de malaises : maux de tête, vomissements. Son médecin jugeait plus prudent de la mettre en observation. Pendant le trajet, Armelle, comme elle le faisait toujours en pareil cas, demanda à la malade : « Vous ne voyez pas quelle peut être la cause de ces malaises? - Non, je ne comprends pas, j'ai mené ma vie de tous les jours. - Vous n'aviez pris aucun médicament? » Elle venait de penser à la polamide. Nausées, douleurs de tête... L'intoxication commençait souvent de cette façon. Si c'était de cela qu'il s'agissait, peut-être la bande de Roger en était-elle responsable? Elle conduisit la jeune femme au service des urgences et la remit à l'infirmière de garde. Plus tard, pendant le dîner, elle demanda à celle-ci : « La malade que je t'ai amenée tout à l'heure, qu'est-ce que c'était au juste? - Tu t'intéresses à elle? Pas particulièrement, mais j'aime bien savoir. Ça avait un peu l'air de... d'un empoisonnement.

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- Non, pas du tout, c'était une réaction humorale. On va la garder deux jours, puis elle rentrera chez elle jusqu'à la naissance du bébé. - Ah ! bon. » Elle cherchait à se persuader que le honteux trafic avait pris fin, qu'il n'y aurait plus de polamide. Le lendemain matin, quand elle arriva au garage, Basin avait l'air sombre. « Figurez-vous, mademoiselle Armelle, qu'on a essayé d'entrer ici pendant la nuit. En partant, j'avais fermé la porte à clef, comme je le fais toujours — vous avez pu le constater vous-même.

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Eh bien, on a essayé d'entrer par la lucarne - - et, ma foi, on y a presque réussi! Venez voir! » Le mur extérieur, en effet, portait des traces d'effritement. « L'individu, dit Basin, a dû s'accrocher au rebord de la lucarne; il voulait se hisser en faisant un rétablissement. Mais il a sans doute entendu du bruit dans la ruelle et il s'est sauvé. J'ai retrouvé un bout de chiffon dont il a dû se servir pour ne pas laisser d'empreintes, ou peut-être tout simplement pour ne pas s'écorcher les mains sur le rebord. » Armelle retint un cri. Le « bout de chiffon » que lui tendait Basin, elle ne le connaissait que trop bien. C'était un lambeau de foulard bleu avec des impressions blanches. Quand elle avait aidé Roger à déshabiller Daniel Couvreur, au château, elle avait remarqué que le blessé portait ce foulard taché de sang; elle l'avait glissé dans une de ses poches. A l'hôpital, on avait désinfecté ses vêtements et on les lui avait rendus à la sortie. Etait-ce donc Daniel Couvreur qui avait essayé de s'introduire dans le garage? Mais pourquoi? pourquoi ? Sans même s'en rendre compte, elle avait prononcé ce mot à haute voix. Basin, qui cherchait toujours des explications à tout, répondit aussitôt :

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« Je ne pense pas qu'on ait cherché à prendre Ursule. Soit dit sans l'offenser, elle est un peu trop vieille pour tenter les amateurs. Evidemment, le moteur est bon, mais une carrosserie d'ambulance, ça se remarque! — Alors? fit-elle angoissée. — Il peut y avoir une autre raison. Le garage, par le sous-sol, communique directement avec la réserve. Or, vous savez comme moi qu'il y a des malfaiteurs qui font le trafic des drogues dangereuses, la morphine, par exemple. Il y en a toujours dans les hôpitaux. - Mais, ces drogues-là sont sous clef! » Le chauffeur hocha la tête. « Quelqu'un qui aurait séjourné à l'hôpital peut avoir eu le temps de relever l'empreinte d'une serrure. » Armelle regardait toujours le morceau de tissu qu'elle tenait à la main. Daniel Couvreur, avec son bras plâtré, pouvait difficilement tenter d'escalader la lucarne. Mais un complice? Les soupçons de la jeune fille se précisaient. Cette crainte de la police, d'abord, puis ce silence obstiné, ce départ précipité, enfin cette tentative de vol... En ce cas, son devoir n'était-il pas d'avertir les policiers? Ils connaissaient le nom de Roger Merlet, mais celui de Daniel Couvreur pouvait leur ouvrir une nouvelle piste. Dénoncer Daniel Couvreur! A cette seule pensée

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elle éprouvait une sensation de nausée. En somme, elle n'avait pas de preuves contre lui. Le foulard avait pu lui être volé... il pouvait en exister un autre semblable. On n'a pas le droit d'accuser sans être sûr! Elle sursauta : c'était Basin qui lui parlait. « Vous êtes prête, mademoiselle Armelle? Tout ça c'est très joli, mais il faut travailler! » La journée était chargée : sept transports, dont deux difficiles. Assise au chevet d'un malade, Armelle se sentait mieux, mais dès qu'elle se retrouvait seule, le problème surgissait à nouveau devant elle. Le soir, elle arriva enfin à une décision. Elle attendrait quelques jours, en observant les événements. Peut-être la police arrêterait-elle Roger; celui-ci dénoncerait ses complices. Si justice était faite, elle oublierait Daniel Couvreur; elle ferait comme s'il n'avait jamais existé. L'aventure du château et ses suites ne seraient plus qu'un mauvais rêve. Mais s'il est facile de prendre une résolution, il est souvent plus difficile de la tenir. Armelle avait emporté un livre dans sa chambre, mais elle n'arrivait pas à fixer son attention sur ce qu'elle lisait. Elle revoyait toujours le visage de Couvreur, ses yeux clairs et francs. Elle croyait entendre encore, au sortir de l'anesthésie, sa voix faible murmurer « Armelle ». Un malfaiteur, lui! Et pourtant...

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Le lendemain, alors qu'elle rentrait de son premier transport, la téléphoniste l'arrêta. « II y a eu une communication pour vous, mademoiselle Armelle. C'est un monsieur Couvreur; il vous demande de rappeler au numéro que j'ai inscrit sur ce papier. » Quelques jours plus tôt, ce coup de téléphone lui eût apporté une grande joie : son blessé ne l'oubliait pas! Avec ce qu'elle savait maintenant, tout prenait un aspect différent. Elle se demanda si, ayant manqué son incursion nocturne, Couvreur ne cherchait pas à se procurer ce qu'il cherchait par un autre moyen. La prenait-il pour plus naïve encore qu'elle ne l'avait été - ou la croyait-il capable de se laisser entraîner dans une combinaison louche? En tout cas, le moment était venu de tenir sa résolution. Elle prit le papier sans mot dire, le froissa et le jeta dans une corbeille. Elle ne rappela pas; elle n'avait même pas regardé le numéro. Le soir, au moment où elle regagnait sa chambre, le téléphone de l'étage sonna; une de ses camarades alla répondre. « C'est pour toi, Armelle! » Tout en prenant l'appareil, elle se disait : « Ce n'est pas lui... il n'oserait pas... » Pourtant sa main tremblait sur l'écouteur. Quand elle reconnut la voix, elle se raidit. « C'est vous, mademoiselle Armelle? »

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Elle ne répondit pas. Le son de cette voix suffisait à la bouleverser. « Mademoiselle Armelle, je voudrais... » Elle n'entendit pas la fin : elle avait déjà raccroché. A peine l'eut-elle fait qu'elle le regretta : elle aurait dû lui dire franchement ce qu'elle craignait, exiger une explication immédiate. Maintenant il était trop tard. Elle regagna sa chambre. Paule, qu'elle croisa sur le palier, l'arrêta. « Tu ne vas pas bien, Armelle. Heureusement tu pars bientôt en vacances. Où penses-tu aller? — Je ne sais pas encore. — Tu ferais bien de te dépêcher! Tu ne trouveras plus de place nulle part. » Armelle haussa les épaules. Elle se souciait bien des vacances! Elle savait qu'elle devait partir — mais où? Elle n'avait plus envie de rien, ni de campagne, ni de promenades. Elle qui naguère était toujours la première à organiser des sorties! A midi, Marcelle remarqua qu'elle laissait sa côtelette dans son assiette. « Tu n'es pas raisonnable, Armelle! » La jeune fille se leva et quitta la salle. Ses camarades la suivirent d'un œil apitoyé. « Le travail de l'ambulance est peut-être trop dur pour elle, suggéra l'une d'elles. - Si tu trouves que celui des salles est moins

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dur!

Avec l'ambulance, au moins, elle prend

l'air. - En tout cas, pauvre Armelle, elle a besoin de se reposer! » Basin s'inquiétait, lui aussi. La journée était chargée : Armelle ne put aller dîner qu'à neuf heures. A son retour, le chauffeur lui conseilla d'aller s'étendre : s'il y avait une urgence, il la préviendrait. Mais elle tint à veiller avec lui jusqu'au bout. Sans vouloir le dire, elle était heureuse de n'être pas seule. Ils passèrent la soirée ensemble, remuant les souvenirs des mois écoulés. « Vous vous rappelez, mademoiselle Armelle, le soir où nous avons transporté ce grand agité? On ne nous avait pas prévenus; il aurait fallu une ambulance spéciale. - Heureusement, l'infirmier nous a accompagnés. Je ne sais pas comment je m'en serais tirée sans lui; jamais je n'aurais eu la force de maintenir le malade. - Vous savez ce qu'il m'a dit, l'infirmier? Non; quoi donc? - Que de toute sa carrière jamais il n'avait rencontré une fille aussi capable, aussi courageuse que vous! - On dit ça, monsieur Basin. Mais à ma place tout le monde en aurait fait autant. » Ni l'un ni l'autre ne fit allusion à la nuit du château. Jamais Basin n'avait interrogé Armelle

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à ce sujet. Il semblait avoir tout oublié. « Si je pouvais oublier, moi aussi! » pensait-elle. Au fond du garage, Ursule semblait les regarder de ses gros phares glauques, qui reflétaient la lueur de la lampe. Quand Armelle descendit le lendemain, à sa grande surprise elle trouva la double porte grande ouverte. « Sont-ils déjà sortis? » se demanda-t-elle. A ce moment, elle vit Basin s'avancer vers elle, le visage contracté. « Que se passe-t-il? dit-elle. Où est Ursule? » II leva les bras au ciel. « C'est un peu fort, mademoiselle! On a forcé les portes du garage... Ursule n'est plus là! »

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IX « JE suis contente de vous voir partir, Armelle, dit Mlle Audouard. Vous n'auriez pas tenu longtemps. Cette syncope en a été une nouvelle preuve! » Armelle eut un pauvre sourire. « Cela, mademoiselle, c'était le choc. Quand j'ai constaté la disparition de l'ambulance... - Je le comprends très bien, mais une infirmière ne doit pas s'évanouir aussi facilement. Depuis quelque temps, je vois bien que vous n'êtes plus vous-même. Je suis sûre que les

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vacances vous remettront. Vous allez à la montagne, m'avez-vous dit? — Oui, mademoiselle, dans les Pyrénées, près du val d'Aran. — On dit que la région est magnifique. Vous la connaissez déjà? — Non, j'en ai seulement entendu parler. - En tout cas, je veux vous revoir avec une autre mine! Surtout, reposez-vous bien! » Se reposer! il était bien question de cela... « Pourquoi vas-tu là-bas, si tu n'y connais personne? lui avait dit Marcelle. Viens plutôt avec moi près de Grenoble : ma tante a une grande maison, elle sera enchantée de te prendre comme pensionnaire. » Armelle n'avait pas répondu. Basin, lui, était navré de son départ. « Perdre à la fois Ursule et vous, mademoiselle Armelle, c'est trop triste! » Elle ne put s'empêcher de sourire. « Mais moi, vous me reverrez! Tandis qu'Ursule, malheureusement... » Les recherches de la police, en effet, avaient été infructueuses. On n'avait trouvé aucun indice; personne n'avait vu passer l'ambulance; on ignorait dans quelle direction elle était partie. Elle semblait s'être volatilisée. En attendant mieux, on avait loué une autre voilure que conduisait le chauffeur. Mais il déclarait qu'il ne s'y habituerait jamais.

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« Ce n'est pas la nôtre! Vous entendez ce bruit qu'elle fait en seconde! Et puis elle est mal suspendue... Avec Ursule, les malades n'étaient pas plus secoués que dans leur lit... » On essayait en vain de lui prouver qu'Ursule, elle aussi, avait ses défauts. « Voyons, monsieur Basin, ce toit très haut, cela faisait vraiment démodé! - Et après? On ne cherche pas à suivre la mode! Est-ce que je la suis, moi? Ça no m'empêche pas de conduire mieux que bien des poseurs. - Et ce pare-chocs avant, que vous n'étiez jamais arrivé à redresser! - Chacun ses goûts : moi je trouve que ça donnait du piquant à sa physionomie. » II avait toujours le dernier mol. Armelle elle-même, qui regrettait aussi la vieille voilure, ne pouvait s'empêcher d'en rire. « Enfin, soupira-t-il, passez quand même de bonnes vacances, mademoiselle Armelle. Qui sait? Quand vous reviendrez, on l'aura peut-être retrouvée... Vous avez de la famille, là-bas où vous allez? - Non, personne. Vous n'allez pas vous ennuyer? Vous savez bien que je ne m'ennuie jamais. » Ses véritables raison:-; d'aller dans le val d'Aran, elle ne pouvait les dire à personne.

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Après le vol de l'ambulance, alors que Basin alertait le bureau de l'hôpital et la police, elle avait décidé qu'elle devait agir. Elle ne pouvait s'empêcher de penser que la voiture avait été dérobée par la bande de la polamide. Pourquoi? Elle n'en savait trop rien, mais la tentative d'effraction, trois jours auparavant, Fanerait dans cette idée. Cependant, elle ne voulait pas accuser Daniel Couvreur sans avoir la certitude qu'il était coupable. Mais cette certitude, elle était décidée à l'obtenir. Ce fut alors que des détails oubliés de sa nuit au château -- cette terrible nuit à laquelle elle ne pouvait penser sans frissonner — lui étaient revenus à la mémoire. En examinant les papiers de Daniel Couvreur, elle avait trouvé, avec sa carte d'identité, une note d'hôtel provenant du bourg de Los, dans la HauteGaronne. Elle se rappelait même le nom de l'hôtel, qui l'avait frappée : Hôtel du Torrent. Elle regrettait d'avoir oublié la date de la note, qui lui eût apporté une précision supplémentaire. En cherchant sur une carte, elle s'aperçut que le village de Los était tout proche de la frontière espagnole. La route qui joint l'Espagne à la France suit le cours de la Garonne, qui prend sa source en terre étrangère et pénètre chez nous au lieu dit le Pont-duRoi. Pour Armelle, ce fut comme un trait de

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lumière. Le trafic clandestin, auquel elle devait bien penser, maintenant, que Daniel Couvreur était mêlé, se faisait peut-être par là. C'était par le val d'Aran que la polamide entrait en France ! A cette idée soudaine succéda aussitôt un plan. Puisqu'elle devait prendre des vacances, eh bien, elle irait elle-même au val d'Aran et vérifierait ses soupçons sur place. Si elle découvrait un indice quelconque sur la vraie personnalité de Daniel Couvreur ou sur le passage de la bande criminelle, elle mettrait alors, sans risque d'erreur, la police sur la voie. N'ayant pas le temps d'écrire, elle téléphona à l'hôtel du Torrent; une voix d'homme sympathique, avec un fort accent méridional, lui répondit. Bien sûr, on sérail heureux de la recevoir... La saison n'était pas encore commencée et on pouvait facilement lui réserver une chambre. Elle n'avait qu'à descendre du rapide à la station de Saint-Béat, où on viendrait la chercher en voiture. A moins qu'elle ne préférât prendre le car, qui, de la gare, desservait toute la vallée. Elle se décida pour le car. Cela lui donnerait peutêtre l'occasion de lier connaissance avec des habitants du pays. Elle quitta l'hôpital le matin et déjeuna à Paris chez ses parents; le soir, ceux-ci la conduisirent à la gare. Comme Mlle Audouard, ils lui

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Elle s'était dressée, les deux mains appuyées à la vitre

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recommandèrent de bien se reposer. Ils lui avaient retenu une couchette, et le bercement du train ne tarda pas à l'endormir. Quand elle s'éveilla, il faisait jour. On était arrêté dans une gare, elle ne savait laquelle. Sur le quai on vendait du café chaud et des croissants; elle déjeuna de bon appétit. Par la vitre baissée on sentait déjà l'air des montagnes. Elle ne se recoucha pas, mais resta dans le couloir pour regarder le paysage. Les villages de briques, avec leurs toitures de tuiles rouges, avaient un aspect gai et accueillant. Dans les fermes, la vie quotidienne avait déjà commencé : on voyait passer des tracteurs; dans les cours, des femmes jetaient du grain aux poules. Des vallées verdoyantes ouvraient des perspectives tentantes pour les amateurs de promenade. Armelle, encore somnolente, regardait la campagne. Une route longeait la voie ferrée; parfois on dépassait un camion chargé de bidons de lait; parfois, au contraire, une voiture plus rapide l'emportait de vitesse sur le train. Tout à coup, la jeune fille aperçut une ambulance qui, débouchant par un chemin de traverse, rejoignait la grande route et prenait la direction du midi. Elle devait être vide, car elle n'actionnait pas sa sirène, mais les rideaux baissés ne permettaient pas de voir à l'intérieur.

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Armelle pensa à Ursule et son cœur se serra. Où était-elle maintenant, la pauvre vieille amie? A en juger par les maigres résultats obtenus par la police, elle avait dû être aussitôt transformée, repeinte, rendue méconnaissable. On n'avait guère de chances de la revoir. Armelle examina en connaisseur l'ambulance qui roulait le long du train. C'était un modèle déjà ancien, celle-là aussi : comme Ursule, elle avait le toit très haut, alors que les constructeurs modernes avaient plutôt tendance à le surbaisser. Ce n'était pas toujours un avantage pour les malades... Le véhicule gagna du terrain. Armelle, instinctivement, regarda le numéro inscrit à l'arrière. 2438 B 31; le dernier chiffre devait être celui de la Haute-Garonne. Comme elle ressemblait à Ursule! C'était la même marque, à n'en pas douter... Détail plus curieux encore : le côté droit de la croix rouge peinte sur le flanc gauche de la voiture était un peu brouillé, comme chez Ursule : on aurait dit que la peinture avait coulé... « Voyons, ce n'est pas possible, je rêve encore! » se dit Armelle. A ce moment, le train reprit de la vitesse. On atteignit un passage à niveau; deux ou trois véhicules attendaient derrière la barrière que manœuvrait une jeune femme coiffée d'un foulard.

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L'ambulance se trouvait au premier rang. Armelle eut un haut-le-corps. « Cette bosse sur le pare-chocs! Non, je ne me trompe pas... C'est elle! c'est Ursule! » Occupée à regarder la voiture, elle avait à peine eu le temps d'entrevoir le conducteur : un homme jeune, aux cheveux noirs. « Daniel Couvreur! » Elle s'était dressée, les deux mains appuyées à la vitre. Le train passa : la barrière se rouvrit. Les véhicules arrêtés démarrèrent de nouveau. Armelle courut à l'autre bout de son compartiment : la route longeait maintenant le côté gauche de la voie. Mais les voitures avaient perdu du terrain; elle aperçut l'ambulance dans le lointain, parmi des camions et des véhicules agricoles. Le train stoppa à une petite station; depuis qu'on approchait des montagnes, il s'arrêtait plus souvent. L'ambulance passa; Armelle essaya de mieux voir le conducteur, mais la gare entourée de fleurs le dissimula bientôt. Quand le train s'ébranla de nouveau, on ne voyait plus la voiture blanche. « C'est Daniel Couvreur, pensa la jeune fille, je l'ai bien reconnu... Je comprends : il a essayé d'entrer dans le garage par la lucarne; n'ayant pas réussi, il est revenu et a fracturé la serrure. C'était donc l'ambulance qu'il voulait — mais pourquoi? »

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La réponse lui vint aussitôt à l'esprit. Parce qu'une ambulance n'éveille les soupçons de personne! Pas même à une frontière, probablement... Quel moyen idéal pour introduire de la contrebande! Et c'était pour cela, évidemment, qu'on s'était contenté de maquiller le numéro d'Ursule, sans toucher à la carrosserie! Soudain une autre idée frappa Armelle : elle n'avait pas remarqué que le conducteur de la voiture portait un plâtre. En y réfléchissant, elle était même sûre qu'il n'en avait pas. Il s'en était probablement débarrassé pour avoir les mouvements plus libres. Opéré depuis si peu de temps, quelle imprudence! Se rendait-il compte qu'il risquait de perdre définitivement l'usage de son bras?

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« J'aurai beau faire, se dit-elle, je réagirai toujours en infirmière! » Quand on annonça « Saint-Béat! » elle sauta sur le quai, sa valise à la main, et demanda où se trouvait le car pour Los. Ce qu'on appelait pompeusement ainsi était en fait une guimbarde antique, déjà occupée par deux ou trois voyageurs. Une femme âgée, la tête couverte d'un fichu noir, tenait sur ses genoux une corbeille remplie d'œufs. En face, un jeune homme bien vêtu, qui causait avec un camarade resté devant la portière, jeta à la nouvelle venue un regard approbateur. Dès que la voiture s'ébranla, il engagea la conversation. « Vous n'êtes pas du pays, mademoiselle? Non, monsieur. Vous venez de Paris, probablement? - De tout près. - Moi, je suis de Los. » II avait un accent léger, chantant, et se redressait en parlant comme pour augmenter sa taille. « Le coq du village! » pensa Armelle en retenant un sourire. Mais elle le trouvait sympathique. Puisqu'il était prêt à bavarder, tant mieux! peut-être apprendrait-elle un peu de ce qu'elle désirait savoir. « Vous n'auriez pas vu une ambulance? demanda-telle. Une ambulance? Non, pourquoi cela? Vous avez quelqu'un de malade?

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— Oh! non, niais j'en ai vu une sur la route; je me demandais si elle venait par ici. - On n'en voit pas souvent, de nos côtés, dit la vieille femme d'une voix chevrotante. On n'aime pas beaucoup aller à l'hôpital, vous savez. - A Saint-Gaudens, il y en a un excellent, objecta le jeune homme. - L'hôpital, ce n'est jamais excellent. Moi, j'aime mieux mourir dans mon lit. » Blessée dans son amour-propre professionnel, Armelle protesta. « Mais on ne va pas à l'hôpital pour mourir! On y va pour guérir! » La vieille ne semblait pas convaincue; le jeune homme se mit à rire. Armelle, presque malgré elle, regardait des deux côtés de la route comme si elle s'attendait à voir apparaître la grosse voiture blanche conduite par Daniel Couvreur. Mais les chemins qui se détachaient à droite et à gauche semblaient à peine carrossables : des pistes de montagne, caillouteuses et ravinées. Si l'ambulance était passée par ici, elle avait forcément emprunté la route que suivait le car. On arriva à Los : tout le monde mit pied à terre devant l'hôtel du Torrent. C'était plutôt une auberge, d'ailleurs, mais une auberge charmante, à la façade couverte de rosés. L'air sentait les fleurs et le foin frais coupé. Le

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patron, M. Roglès, bedonnant et jovial, s'avança pour prendre la valise de la voyageuse. « Vous avez fait bonne route? s'informa-t-il. J'espère que le pays vous plaira; on a beau temps depuis quelques jours. » Le jeune homme qui avait fait le trajet avec Armelle semblait hésiter à s'éloigner du car. Finalement il s'approcha. « Si vous avez besoin de quoi que ce soit, mademoiselle, je suis à votre disposition. Jacques Mathias, le fils du garagiste; tout le inonde me connaît dans le pays. - Oh! oh! dit l'hôtelier à Armelle, je vois que vous vous êtes déjà fait des amis! » II conduisit la jeune fille à sa chambre. On avait d'abord pensé à l'installer du côté de la Garonne, mais on avait craint que le bruit du torrent ne l'empêchât de dormir. Elle préférait cette disposition : de sa fenêtre, qui donnait sur le devant de l'hôtel, elle pourrait plus facilement surveiller la route. Elle déclara que la chambre lui plaisait beaucoup. « D'ailleurs, dit M. Roglès, de la salle à manger, vous pourrez admirer la Garonne autant que vous voudrez, puisque la pièce a vue de trois côtés! » Armelle fit un brin de toilette et descendit déjeuner. A part elle, il n'y avait comme pensionnaires à l'hôtel du Torrent que deux Toulousains, le mari et la femme, accompagnés de

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leur petite-fille âgée de cinq ans. M. Roglès leur présenta la nouvelle venue. « Ce n'est pas un palace, ici, mais on doit se sentir en famille! » Le déjeuner de Mme Roglès était excellent : pour la première fois depuis longtemps, Armelle mangea de bon appétit. Los aurait vraiment été l'endroit rêvé pour des vacances, si... En pensant à la tâche qu'elle s'était assignée, la jeune infirmière se rembrunit. Un peu plus tard, elle demanda aux deux Toulousains s'ils n'avaient pas vu passer une ambulance. « Une ambulance? répéta la vieille dame. Quand cela? ce matin? — Oui, ce matin. - Non, je n'en ai pas vu et je suis sure qu'il n'en est pas passé. Je suis restée toute la matinée devant l'hôtel à tricoter en surveillant la petite. Mon mari se moque de moi, mais j'ai toujours peur qu'elle ne tombe dans la Garonne! Il y a eu quelques voitures de tourisme, qui se dirigeaient vers le Pont-du-Roi -- des gens qui vont visiter l'Espagne, évidemment. Mais une ambulance! vous pensez que je l'aurais remarquée! - Ces jours derniers, vous n'en avez pas vu non plus? » La vieille dame secoua la tête. « Les ambulances, c'est assez rare, dans la région! J'en ai vu une il y a deux ans, quand une

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voiture est tombée dans le ravin; la police a envoyé chercher les blessés. Tout le monde était aux fenêtres, vous pensez! Mais cette année... » « Ainsi, songea Armelle, si la contrebande de la polamide se fait par ici, jusqu'à présent ce n'est pas à une ambulance qu'on a eu recours... » Le vieux monsieur s'était mis à rire. « Pour tout ce qui passe sur la route, vous pouvez faire confiance à ma femme ! Elle monte la garde du matin au soir avec son tricot; rien ne peut lui échapper, pas même une bicyclette! » Le mot « bicyclette » donna une idée à Armelle. Si elle voulait se déplacer dans la région, elle ferait peutêtre bien de s'en procurer une. Elle posa la question

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à M. Roglès. « Pour rouler sur la grande route, c'est parfait, répondit celui-ci. Mais le pays, dans l'ensemble, n'est pas fait pour le vélo : ça se voit! En tout cas, si ça vous intéresse, vous pouvez vous adresser au jeune Mathias, celui qui était dans le car avec vous. Son père est garagiste, il vous l'a dit - - Jacques travaille avec lui mais il loue aussi des bicyclettes. » Jacques Mathias se mon Ira enchanté de revoir sa compagne de voyage. « Vous voulez faire du vélo? Mais vous allez vous éreinter, avec toutes ces côtes! Si vous avez envie de connaître le pays, je vous conduirai, moi, en voiture! » Elle répondit en souriant qu'elle était une sauvage et aimait à se promener seule. Cela ne voulait pas dire, bien entendu, qu'elle n'accepterait pas de faire partie d'une excursion, plus tard, si Mathias et ses amis en organisaient une. « II y a de belles choses, dans la région, dit le jeune homme. J'avais un camarade — tenez—, un Parisien comme vous, Daniel Couvreur... » Armelle réprima son émotion. « Oui? fit-elle avec une feinte indifférence. - Il est souvent venu ici en vacances. Nous avons fait des balades formidables! Il sait grimper, je vous assure : un vrai montagnard! Je ne sais pas s'il viendra cette année; il est passé à

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Los il y a quelque temps, mais justement je n'étais pas là. Il descend à votre hôtel, au Torrent. Qui sait? il reviendra peut-être? Je suis sûr qu'il vous plairait : c'est un chic type! » Armelle regarda Mathias d'un œil soupçonneux : faisait-il partie, lui aussi, de la bande? Il avait pourtant l'air d'un brave garçon bavard, un peu vaniteux, mais honnête. Elle hésita à lui demander s'il connaissait le frisé, celui qu'on appelait Roger, puis jugea préférable de s'abstenir. On lui trouva une bicyclette et elle fit quelques kilomètres dans la direction de Pont-du-Roi, c'est-à-dire de la frontière. Elle était bien décidée à ne pas s'éloigner de la grande route, moins à cause des mauvais chemins qu'afin de ne pas manquer l'ambulance si celle-ci se dirigeait vers l'Espagne. Le soir, comme on achevait de dîner, deux gendarmes entrèrent dans la salle à manger de l'hôtel. M. Roglès, fidèle à ses principes de cordialité, les présenta aussitôt à la jeune fille. C'étaient le brigadier Gratian et Ricaud, son collègue. « Rien de nouveau, Gratian? demanda l'hôtelier. — Rien », répondit le brigadier en souriant. C'était un homme encore jeune, mince et nerveux, à la démarche souple de montagnard. « Le pays est tranquille, mademoiselle, vous

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pouvez vous promener sans crainte. Il n'y a pas de brigands! — Pas de contrebandiers? interrogea-t-elle. — Pas beaucoup. Oh! les touristes, bien entendu, essaient de passer par-ci par-là un objet qu'ils ont acheté en Espagne. Mais ce n'est pas bien grave — d'ailleurs cela regarde les douaniers plutôt que nous. Il y a des voyageurs qui se croient malins en passant de nuit; mais alors la barrière est fermée, il faut éveiller le poste. Et, bien sûr, les douaniers se vengent d'avoir été dérangés en faisant ouvrir toutes les valises! » Le brigadier voulut absolument offrir à Armelle un verre de vin du pays. Elle accepta pour ne pas le désobliger; elle se disait aussi qu'elle aurait peut-être bientôt besoin des gendarmes. A la pensée de l'ambulance et de Daniel Couvreur, son cœur se serra de nouveau. Mais elle était résolue à accomplir jusqu'au bout la tâche qu'elle s'était assignée : savoir d'abord, puis agir. Elle se coucha assez tôt. Il était peu probable que Couvreur essayât de passer la frontière de nuit, puisque, d'après le brigadier, c'était le meilleur moyen d'attirer l'attention. La protection que lui assurait l'ambulance était tout aussi valable en plein jour. D'autre part Armelle laissait toujours sa fenêtre ouverte. La rue du village était escarpée et tortueuse : un

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changement de vitesse, un coup de frein, il n'en fallait pas davantage pour éveiller une infirmière habituée à répondre au premier appel. Le matin, en revanche, elle se leva de bonne heure. Quand Mme Roglès apparut avec le plateau du petit déjeuner - - un café au lait brûlant, des tartines frais grillées -- elle trouva la jeune fille déjà debout, appuyée au rebord de la fenêtre et regardant la route.

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X J'ESPÈRE que vous avez passé une bonne nuit, dit M. Roglès en voyant descendre sa pensionnaire. - Excellente! répondit Armelle. - On dort toujours bien dans nos montagnes. L'air est meilleur qu'à Paris, hein? Il me semble que je ne pourrais pas fermer l'œil, moi, avec toute cette poussière et tout ce bruit! » Mme Roglès demanda à Armelle si elle allait se promener. Il était tôt; elle avait le temps de faire un bon tour avant le déjeuner. Armelle répondit qu'elle avait des lettres à

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écrire. Sa fenêtre était une place de choix pour guetter le passage de l'ambulance, si celle-ci se dirigeait vers le poste frontière de Pont-du-Roi. Tapie à l'abri du rideau, la jeune fille voyait défiler d'assez nombreuses voitures, les unes se rendant en Espagne, les autres remontant vers le nord. A midi, des touristes s'arrêtèrent pour déjeuner à l'hôtel du Torrent. De sa place, choisie à cet effet, Armelle surveillait le tournant de la route; elle voyait les voitures ralentir à l'entrée du village, puis, selon le cas, s'arrêter ou aborder la côte. « On dirait que vous attendez quelqu'un, mademoiselle! » dit près d'elle une voix sympathique. C'était Gratian, le brigadier de gendarmerie, qui rentrait de sa tournée matinale. Célibataire, il déjeunait souvent au « Torrent ». « Oh! fît-elle, ça m'amuse de regarder passer les gens. - C'est vrai qu'il n'y a pas beaucoup de distractions à Los. A moins d'aimer la montagne pour elle-même... - Je ne la connais pas encore beaucoup, mais je crois que je l'aimerai, moi! » Gratian la regarda avec un intérêt accru. « Ça ne vous effraierait pas de grimper un peu? Mon camarade et moi, nous devons aller jusqu'au col du Bied. La côte est dure, bien sûr,

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niais si vous saviez quelle vue on a de là-haut! » La proposition tentait Armelle : faire une ascension en compagnie de deux vrais montagnards, quelle aubaine! Mais elle secoua la tête. « Plus tard, peut-être... Aujourd'hui je suis encore trop fatiguée. Je me contenterai de faire un tour à bicyclette sur la route. Vous n'avez pas été malade, j'espère? - Oh! non, non! Mais je suis infirmière; c'est un métier dur. Quand les vacances arrivent, on sent qu'on en a vraiment besoin. - Ah! vous êtes infirmière! fit le brigadier. C'est un beau métier, ça aussi. Eh bien, bon appétit, mademoiselle! » Après le déjeuner, un nouveau visage connu apparut dans la salle à manger de l'hôtel. C'était Jacques Mathias, le fils du garagiste. Il était plus élégant encore que la veille; ses cheveux bien lustrés, son complet neuf, augmentaient encore son air d'assurance. A la vue d'Armelle, son visage s'épanouit. « Mademoiselle Armelle, j'espérais un peu vous apercevoir ce matin, mais vous n'êtes pas sortie... - J'ai écrit des lettres dans ma chambre. - J'avais peur que le vélo ne vous ait donné des ennuis. S'il vous arrivait une crevaison, surtout ne prenez pas la peine de réparer vous-même : je suis là! - Merci, il a très bien roulé hier. Aujourd’hui je

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ferai encore une petite promenade, peut-être cette fois dans la direction de Saint-Béat. — Justement je voulais vous proposer... J'ai une course à faire pour mon père de l'autre côté de la frontière, au village de Molinas. Si ça vous amusait de m'accompagner? Et même... Vous savez conduire? - Oh! oui! A l'hôpital je m'occupais de l'ambulance; j'avais un chauffeur, naturellement, mais il m'est arrivé de faire des transports sans lui. » Elle se rappela soudain la dernière occasion où elle l'avait fait. L'appel dans la nuit, le Mesnil, Daniel Couvreur... Instinctivement, elle tourna les yeux vers la route. Mais celle-ci était déserte. « Eh bien, dit Mathias, si ça vous dit de conduire ma Renault... Seulement on ne peut pas rouler bien vite sur cette route, je vous en préviens. » Elle lui fit la même réponse qu'au brigadier : une autre fois, peut-être... Celui-ci, qui s'était rapproché, intervint : « Une promenade en voiture, ça ne peut pas vous fatiguer, mademoiselle. Pour la grimpée, je n'ai pas insisté : je comprends bien qu'il faut déjà être un peu aguerrie. Mais la voiture de M. Mathias est très confortable, je vous assure. Et son fils est un excellent chauffeur! »

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Armelle commençait à se sentir gênée. De quoi avait-elle l'air? D'une vieille dame qui passe ses vacances à regarder bouger les autres, comme la Toulousaine? En temps ordinaire, elle aurait été trop heureuse d'accepter des offres faites d'aussi bon cœur! « Alors, insista Mathias, c'est oui? » Elle crut trouver une bonne raison. « Je n'ai pas de passeport », dit-elle. Le jeune homme éclata de rire. « S'il n'y a que ça pour vous arrêter! D'abord nous n'allons pas loin, puis avec moi vous ne risquez rien, je vous le garantis. Depuis le temps que les carabiniers me connaissent!

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Ici, tout se passe en famille, déclara M. Roglès. - Peut-être même un peu trop! » ajouta le brigadier. Mais lui non plus n'avait pas l'air bien terrible. Armelle refusa la promenade, mais elle en profita pour poser une question au brigadier : « Est-ce qu'il y a d'autres passages que celui-ci dans la région? » Gratian secoua la tête. « Pour les voitures, pas tout près. Plus loin, bien sûr, il y a Venasque, et Sacroux, et le Portillon... - Mais ces routes-là ne passent pas par Los? - Ça, non! D'ici il n'y en a qu'une seule. » C'était ce qu'Armelle voulait savoir. Puisque Couvreur séjournait à Los, c'était forcément par le Pont-du-Roi que se faisait le passage de la drogue. Il suffisait d'attendre que l'ambulance arrivât. L'après-midi, elle alla à bicyclette jusqu'à la frontière, puis retraversa le village et retourna jusqu'au bourg de Saint-Béat. Elle s'attendait d'un instant à l'autre à voir l'ambulance surgir au tournant. Puisque la veille, elle l'avait vue du train se dirigeant vers les Pyrénées, pourquoi n'arrivait-elle pas? Couvreur avait-il des dispositions à prendre avant de passer en Espagne? De toute façon, puisqu'il n'existait qu'une route, elle ne pouvait pas le manquer. Dès

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qu'elle le verrait, elle alerterait le brigadier et tous deux guetteraient son retour. Elle ne voulait pas penser à ce qui se passerait ensuite. Elle aurait empêché l'entrée de la polamide, voilà tout. Mais comme le temps lui semblait long ! En rentrant, le soir, elle se sentait lasse et découragée. Et si rien ne venait? si cette attente épuisante devait se prolonger jusqu'à la fin de son séjour? Le lendemain matin, elle fut éveillée par un bruit insolite. Un groupe de gens allaient et venaient sur la place du village. Mme Roglès, en montant son petit déjeuner, lui en donna l'explication. « Vous ne le saviez pas? Aujourd'hui c'est la fête de Saint-Béat! Vous n'avez donc pas remarqué hier tous les préparatifs qu'ils faisaient? - Je ne suis pas allée jusqu'au bourg; j'ai rebroussé chemin avant d'y arriver. — Vous m'en direz tant! Mais nous en avons parlé ici même; mon mari enrage de ne pas pouvoir fermer l'hôtel pour y aller. C'est qu'il danse encore comme un jeunot, à son âge! Seulement, vous comprenez, il y a beaucoup de gens qui profitent de l'occasion pour explorer un peu le pays; ils s'arrêtent ici pour manger un morceau ou boire un verre. Moi, j'ai plus de plaisir à faire ma caisse le soir qu'à courir au bal! »

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Elle contemplait, les poings sur les hanches, la jeune fille qui buvait son café. « Vous irez, vous, j'espère, à la fête? Vous leur montrerez comment on danse à Paris! » Armelle secoua doucement la tête. « Le fils Mathias aurait eu bien envie de vous inviter, poursuivit Mme Roglès. Il n'a pas osé, parce que vous avez refusé de sortir avec lui hier. Il a cru que vous ne le trouviez pas assez bien; pensez : un campagnard! — Mais il se trompe! s'écria Armelle désolée. Je n'aurais pas demandé mieux, seulement... » Elle ne savait comment finir sa phrase. M. Roglès, en appelant sa femme dans l'escalier, la tira d'embarras. « Voyez, dit l'hôtelière, ça commence! » Un instant plus tard, une fanfare éclatait sur la place. Un groupe de jeunes gens, vêtus de blanc et coiffés d'un béret bleu, se rassemblait pour se mettre en marche. Les enfants criaient, les chiens aboyaient; c'était un vacarme à réveiller les morts. En ce moment, du moins, personne ne pouvait traverser le village. Armelle décida d'en profiter pour faire sa toilette du matin. Il n'y avait pas de salles de bain à l'hôtel du Torrent, mais on venait d'y installer, comme disait le patron, « le confort chaud et froid ». En fait l'eau était tiède toute la journée, avec un léger réchauffement entre sept et neuf heures du

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matin - l'heure à laquelle, d'après M. Roglès, les honnêtes gens sont censés faire leurs ablutions. Tandis que la jeune fille avait le dos tourné, la fanfare continuait à jouer sur la place, encore renforcée par le bruit des pétards que les gamins faisaient partir dans les jambes des orphéonistes. Puis le bruit diminua; les musiciens se mettaient en route. Armelle, qui avait fini sa toilette, se rapprocha de la fenêtre. Ce fui alors qu'elle aperçut, arrêtée devant le garage, une grosse voiture blanche marquée d'une croix rouge, qui prenait de l'essence à la pompe. L'ambulance! Armelle enfila ses souliers et se précipita dans l'escalier. Au rez-de-chaussée, elle croisa M. Roglès, qui s'étonna de la voir déjà prête. « Vous avez finalement décidé d'aller à la fête, mademoiselle Armelle? Vous avez bien raison, allez! Il faut profiter pendant qu'on est jeune. » La fête! il s'agissait bien de cela! Sans même prendre le temps de répondre, elle s'élança vers le garage. Elle venait de se dire que, si elle pouvait parler à Daniel Couvreur avant son passage en Espagne elle pourrait peut-être, même sans avoir recours aux gendarmes, empêcher ce qui se préparait. Mais pendant qu'elle descendait, la voiture

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avait achevé de faire son plein et était repartie. Maintenant elle commençait à gravir la côte. Mathias, le père, replaçait tranquillement le tuyau de la pompe sur son support. Armelle accourait, hors d'haleine. « Monsieur... monsieur... cette ambulance... » Le garagiste leva sur elle un regard surpris. « L'ambulance? Ne vous inquiétez pas, mademoiselle, ce n'est pas pour quelqu'un d'ici. Elle va chercher une jeune dame en Espagne, au village de Molinas. Le conducteur m'a dit son nom, je ne le connaissais pas. C'est sans doute une estivante. Mais l'ambulance, elle, d'où venait-elle? - De l'hôpital de Saint-Gaudens. C'est l'endroit le plus proche pour une opération urgente; on y vient même de bien plus loin que Molinas. D'après ce que le chauffeur m'a dit, ce serait une appendicite. J'ai perdu une petite nièce d'une maladie comme ça : une enfant de huit ans, quel malheur! Figurez-vous que... » II commença à raconter la maladie de sa nièce. Au risque de le vexer -- car il semblait aussi bavard que son fils -- elle l'interrompit : « Mais comment l'ambulance a-t-elle pu passer? la place était noire de monde! - Ah! voilà! il y a un chemin, derrière la ferme Loubès, qui débouche juste ici, derrière le garage. C'est plein de cailloux, mais comme

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ils n'avaient pas encore leur malade, ils pouvaient risquer de se faire un peu secouer... » Armelle l'interrompit de nouveau : « Le conducteur -- comment était-il? - Le conducteur... ma foi, je ne l'ai pas beaucoup regardé. Vous comprenez, j'écoutais la musique... C'était un jeune, avec des cheveux noirs... L'air pas très communicatif... Un accent du nord, comme vous...» Armelle hésita. Le garagiste devait connaître Daniel Couvreur, puisque celui-ci était un camarade de son fils. Se pouvait-il qu'il ne l'eût pas reconnu? Même en supposant que Couvreur eût cherché à se dissimuler, les épaisses lunettes de myope que portait M. Mathias suffisaient-elles à expliquer cette absence de mémoire? « Votre fils est-il ici? interrogea-t-elle brusquement. - Mon fils? » Le garagiste sourit. « On voit que vous ne le connaissez pas! Il s'est levé à cinq heures pour arriver à Saint-Béat avant la musique! Vous auriez voulu qu'il vous y conduise, peutêtre? — Non, non, ce n'est pas pour cela... Vous n'avez pas une voiture disponible? - Ma foi non : je n'ai que ma Renault, et Jacques est parti avec. » Armelle se demanda ce qu'elle devait faire.

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Impossible de chercher à rattraper Daniel Couvreur avant la frontière; quand elle y parviendrait, l'ambulance serait déjà passée. C'était maintenant au retour qu'il fallait l'attendre, quand il reviendrait avec son chargement -cette polamide maudite! Aujourd'hui, du moins, il ne réussirait pas à la faire entrer! Elle retourna chercher sa bicyclette afin de se rendre à Pont-du-Roi. Puis elle réfléchit : une fois làbas, que pourrait-elle faire? Si elle disait ce qu'elle soupçonnait, la croirait-on seulement? Le premier venu a-t-il le droit de faire arrêter une voiture et de demander qu'on la fouille? Pour stopper une ambulance, il fallait autre chose que des présomptions. A moins que l'ordre vint de la police elle-même...

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Le brigadier! En voyant la voiture blanche, elle n'avait d'abord pensé qu'à la suivre. Mais elle savait bien que sans Gratian elle ne pouvait rien. Et elle ignorait môme où se trouvait le poste! Devant l'hôtel, la vieille Toulousaine poursuivait son éternel tricot. Armelle l'appela. « Pourriez-vous me dire, madame, où se trouve la gendarmerie? - La... Oh! mon Dieu! on ne vous a pas volée, j'espère? J'ai remarqué que vous ne fermiez pas votre porte à clef. Jusqu'ici, au « Torrent », il n'y a jamais eu d'histoires... - Ce n'est pas cela : j'ai besoin de voir M. Gratian. - Ah! je ne sais pas si vous le trouverez. Je l'ai vu passer tout à l'heure avec sa voiture. En tout cas, la gendarmerie est là-bas, au premier tournant. » Armelle y courut. Il n'y avait là que le gendarme Ricaud, un tout jeune homme, que l'irruption d'Armelle sembla bouleverser. « Mademoiselle... qu'est-ce qui vous arrive? Asseyez-vous... remettez-vous... - Non, non, c'est très pressé. » Elle se demanda si elle devait lui parler de l'ambulance. Mais il avait l'air d'un novice; elle ne ferait que perdre du temps. Elle interrogea : « Savez-vous où est M. Gratian?

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— Mais oui, il est allé à Saint-Béat donner un coup de main au poste. C'est la fête là-bas, aujourd'hui. — Il n'y a pas moyen de le joindre? » Le gendarme se gratta la tête. « Si, mais seulement pour raison de service. Alors, si ce n'en est pas une... - C'en est une, et très urgente. Appelez-le, je vous en prie! » II tendit lentement la main vers l'appareil posé sur la table. Puis il se décida et forma un numéro. « Le poste de Saint-Béat? Ici, Los. Le brigadier Gratian est-il là? » II posa la main sur l'embouchure de l'appareil et sourit. « On est allé le chercher... Ah! brigadier, ici Ricaud. Il y a une jeune demoiselle... » Armelle lui prit le téléphone des mains. « Brigadier, c'est la jeune fille de l'hôtel du Torrent... L'infirmière, oui... Il se passe quelque chose de très grave. Vous êtes en voiture? Vous pourriez venir tout de suite? — Je viens », répondit Gratian. Des minutes s'écoulèrent. Tout à coup Armelle se tourna vers le jeune gendarme : « Auriez-vous le droit, vous, d'arrêter une voiture - une ambulance - - un moment seulement, jusqu'à l'arrivée du brigadier? » II secoua la tête.

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« Pas une ambulance qui transporte un malade. En ce cas, c'est quelquefois une question de minutes. La vie du malade peut être en jeu. » Armelle commençait à désespérer, quand la voiture noire de la gendarmerie fit son apparition. Gratian sauta à terre et se dirigea vers la jeune fille. « Merci d'être venu, dit-elle. - C'est que vous m'avez fait peur! Vous aviez une voix... Dites-moi, que se passe-t-il? - Brigadier, j'ai des raisons sérieuses de croire qu'on essaie d'introduire en France, par cette frontière, un médicament interdit : la polamide. Vous savez ce que c'est? - Bien sûr! Tous les journaux en ont assez parlé! D'ailleurs on a alerté les postes frontières : dans toutes les voitures qui ne sont pas du pays, on fouille les valises. - Croyez-vous qu'on fouillerait une ambulance? - Ça, je ne crois pas. C'est dans une ambulance que ça se passe? - Justement. Venez vite; nous arriverons peutêtre à Pont-du-Roi avant elle. Si nous la croisons en route, pouvez-vous l'arrêter? - Après ce que vous m'avez dit, naturellement. Croyez-vous que les contrebandiers soient armés? En ce cas, je préférerais que vous ne veniez pas avec moi. »

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Armés? Elle n'y avait pas pensé. De toute façon, elle tenait à être présente. Elle sauta avec Gratian dans la voiture noire. Ils filèrent aussitôt; le brigadier actionnait sa sirène pour faire ranger les autres voitures, d'ailleurs peu nombreuses à cette heure. En chemin Gratian interrogea Armelle. « Vous dites que vous êtes infirmière — mais n'appartenez-vous pas plutôt à la Sûreté? On charge quelquefois une femme de faire une enquête. » Armelle fit signe que non; elle était trop émue pour parler. Au poste frontière, tous deux mirent pied à terre. Le chef du poste s'avança vers le brigadier. « Salut, Gratian! Qu'est-ce qui t'amène? - Dis-moi : tu as dû voir passer une ambulance se dirigeant vers l'Espagne? - En effet. Elle venait de l'hôpital de Saint-Gaudens et elle allait à Molinas chercher une jeune femme qu'on doit opérer de l'appendicite. Elle est revenue il n'y a pas dix minutes. - Revenue! — Oui, juste avant que vous arriviez. Mais vous avez dû la croiser sur la route? » Armelle et Gratian se regardèrent. « II n'y a qu'une explication, dit le brigadier. En entendant ma sirène, l'ambulance s'est engagée dans un chemin de traverse. Ils ne sont pas

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carrossables, mais elle a pu se cacher derrière les arbres. - Et maintenant elle est partie! » s'exclama Armelle avec désespoir. Le brigadier interrogeait son collègue. « Tu n'as rien remarqué de suspect? Il y avait bien une malade à l'intérieur? - Je n'ai même pas regardé; le conducteur était pressé, en pareil cas c'est normal. Je n'aurais pas voulu leur faire perdre une minute. J'avais vérifié à l'aller que ses papiers étaient en règle. » Gratian prit aussitôt l'affaire en main. « Téléphone immédiatement à Saint-Béat : dis qu'on arrête cette ambulance et qu'on m'attende. Attention : l'homme peut être armé. Compris? - Compris. » II fit remonter Armelle en voiture et démarra aussitôt. « Ils ont peut-être déjà traversé Saint-Béat! dit la jeune fille désolée. - Je ne le crois pas. Nous les aurons, n'ayez pas peur. Elle marche bien, ma voiture! » En effet, ils filaient comme une flèche, écartant les autres véhicules à coups de sirène. Ils traversèrent Los sans s'arrêter. Enfin, à l'entrée d'un chemin qui débouchait sur la gauche, le brigadier ralentit. « A mon avis, ils ont dû passer par ici. Ils

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nous ont vus, ils se savent repérés, ils pensent bien que j'ai alerté Saint-Béat et ne se risqueront pas dans le bourg. Oui, regardez : la grosse voiture a brisé des branches au passage. Ce chemin rejoint la route à trois kilomètres d'ici. Mais il est à peine praticable : ils n'iront pas loin, je vous le garantis! » Le terrain, en effet, était exécrable; la voiture bondissait sur les cailloux.- Il était évident que l'ambulance, peu faite pour ce genre de steeple-chase, devait perdre du terrain. Bientôt, en effet, Armelle et le brigadier aperçurent une masse blanche qui tressautait dans la verdure. « Ursule! murmura la jeune fille. - Qu'est-ce que vous dites? Ecoutez, j'ai envie de m'arrêter et de vous laisser ici; je ne voudrais pas vous exposer dans le cas... » Elle lui fit signe de poursuivre. Tout a coup l'ambulance s'immobilisa; une silhouette surgit du siège et bondit dans les buissons. Gratian accéléra, rejoignit la grosse voiture, stoppa et sauta à terre à son tour. « Ne bougez pas! » cria-t-il à Armelle avant de disparaître dans le fourré. La jeune fille ferma les yeux. Si Daniel Couvreur était armé... s'il tirait.. Ou si le brigadier, de son côté... A la pensée qu'elle pouvait être cause de la mort d'un homme, elle sentit un froid de glace l'envahir. Elle descendit de la voiture et se dirigea vers l'ambulance.

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Chère vieille Ursule! Armelle reconnaissait maintenant le loquet de la porte arrière, un peu gauchi. Elle le souleva et jeta un coup d'œil à l'intérieur. Sur les coussins, il y avait une forme humaine allongée. Mais l'œil d'Armelle ne s'y trompait pas : ce que recouvrait le drap, ce n'était pas un malade! Elle lira doucement le tissu et aperçut des boîtes, empilées les unes sur les autres de façon à simuler la forme d'un corps. Le même procédé, en somme, qu'elle avait naguère employé avec Basin pour faire croire que l'ambulance emmenait Daniel Couvreur... Une perruque blonde, les cheveux épars sur un oreiller, complétait la silhouette. De la polamide! Et en quelle quantité! En redescendant de l'ambulance, Armelle entendit des cris dans le fourré. Gratian apparut, tenant par le bras un individu qui protestait avec véhémence. Ce n'était pas Daniel Couvreur, mais... « Roger Merlet! » s'exclama Armelle. A ce nom, l'homme sursauta; il jeta les yeux autour de lui, fil un croc-en-jambe au brigadier, et, parvenant à se dégager, fila dans les broussailles.

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Une silhouette surgit du siège et bondit dans les buissons.

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XI achevait son récit. « Voilà, brigadier, je vous ai dit tout ce que je sais. Je suis heureuse que nous ayons récupéré la polamide. — Oui, répondit Gratian, c'est l'essentiel. Tout de même, je regrette d'avoir laissé échapper mon homme. — C'est ma faute, parce que j'ai crié son nom et qu'il m'a reconnue. — J'aurais dû le tenir plus solidement. Mais ARMELLE

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nous le retrouverons, vous pouvez en être sûre! Toutes les routes du département sont gardées... » II se tut un instant. « Ce qui m'étonne le plus, voyez-vous, c'est que le jeune Couvreur soit dans le coup. Je l'ai connu, quand il sortait avec Jacques Mathias. Il me faisait l'effet d'un garçon très intelligent, honnête... - C'est pourtant lui qui à l'aller a fait passer la frontière à l'ambulance! dit tristement Armelle. - Oui, la description qu'on nous a faite du conducteur de l'ambulance lui ressemble, et elle ne correspond pas à celle de ce Roger... Couvreur doit avoir filé en cours de route et se cache quelque part dans le voisinage. Nous verrons bien ce qu'il dira quand nous le tiendrons. » Armelle soupira : malgré tout ce qu'elle savait maintenant sur lui, malgré son appartenance évidente à la bande, l'idée de voir Daniel entre deux gendarmes lui semblait intolérable. « Vous êtes fatiguée, mademoiselle, dit gentiment le brigadier. Vous avez eu une journée rude. Toutes ces émotions... la poursuite... Et enfin, c'est vous qui avez ramené l'ambulance jusqu'à Los. — Il le fallait bien1 dit-elle en souriant. Nous

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devions mettre la polamide en sûreté pendant que vous cherchiez votre homme. Mais j'ai l'habitude de la conduire, ma vieille Ursule! » La polamide était maintenant sous clef dans le bureau du brigadier. Le garage de la gendarmerie étant trop petit, on avait placé l'ambulance — après l'avoir mise sous scellés -- dans le garage de l'hôtel, et elle attendait qu'on eût averti Paris de son équipée. « Je vais téléphoner à l'hôpital de mon côté, déclara Armelle. Je dirai que je peux me charger de ramener la voiture jusqu'à Paris, quand toutes les formalités auront été accomplies. J'espère que cela ira vite. - Mais vous n'allez pas repartir tout de suite ! protesta le brigadier. Vous disiez que vous étiez ici pour toutes vos vacances! — Je ne sais pas encore... je verrai... » Maintenant qu'elle avait retrouvé Ursule, fait saisir la polamide, qu'elle ne reverrait Daniel Couvreur que les menottes aux mains, rien ne la retenait plus dans les Pyrénées. « Qu'allez-vous faire de la polamide? demanda-telle. Je crois qu'à votre place j'aurais envie de jeter tous ces affreux paquets dans la Garonne ! » Gratian sourit. « On ne dispose pas ainsi du corps d'un délit! La polamide sera envoyée au chef-lieu et examinée en laboratoire. Ensuite on la détruira

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ou on l'utilisera si elle peut servir à des expériences. C'est qu'il y en a une quantité — de quoi empoisonner tout un département! Pour moi, ma tâche ne consiste plus qu'à retrouver les trafiquants. » En sortant du poste où elle avait fait sa déposition, Armelle se heurta au jeune Mathias qui revenait de la fête. « C'est vrai, tout ce qu'on raconte? demanda-t-il. Que vous avez arrêté une bande de filous et récupéré une cargaison de drogue? » Armelle secoua la tête. « On exagère un peu, dit-elle. D'abord, c'est le brigadier qui avait pris le coupable; moi, au contraire, j'ai poussé un cri qui a facilité sa fuite. — Mais c'est vous qui avez alerté Gratian? Ditesmoi : est-ce pour cela que vous étiez venue dans le pays? Je me rappelle qu'en arrivant, dans le car, vous m'aviez déjà parlé d'une ambulance. C'était à celle-là que vous pensiez, n'est-ce pas? Je ne voudrais pas vous poser de questions indiscrètes, mais... est-ce que vous êtes de la police? » Cette fois, Armelle eut un petit rire amer. « Vous aussi! dit-elle. Non, je suis infirmière, et rien que cela. Il se trouve seulement que j'ai eu connaissance de certaines affaires... » Mathias la regardait avec une admiration non dissimulée.

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« Vous êtes formidable! Je voudrais tant faire quelque chose pour vous... être capable de vous rendre service. Vous me le demanderiez, si cela se présentait? — Bien sûr! répondit-elle. Mais pour le moment je vais simplement dîner et me coucher; je tombe de faim et de sommeil. » C'était vrai. Cependant, une fois dans sa chambre, elle ressentit soudain une impression de vide affreux. Hier encore, elle avait un but : retrouver l'ambulance, empêcher les malfaiteurs de réussir. Sans vouloir se l'avouer, jusqu’au dernier instant elle avait aussi espéré que les événements innocenteraient Daniel Couvreur. Mais il s'était joué d'elle. Maintenant c'était fini. Que lui restait-il? Rien. « Je suis injuste, se reprocha-t-elle. Je peux, si je le veux, achever des vacances tranquilles dans ce beau pays. Je ferais un peu de montagne, j'irais me promener en voiture avec ce garçon bavard, mais gentil. Ensuite je ramènerai Ursule à Paris... Comme Basin va être content! » Cependant rien de tout cela ne lui rendait le calme. Elle entendit le dernier client du café prendre congé, puis M. Roglès assujettir les grands volets de bois destinés à protéger les vitres de l'hôtel. Dans l'escalier, Mme Roglès appela : « Tu viens?

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— Voilà, voilà... » Les marches de l'escalier craquèrent sous les quatre-vingt-dix kilos du patron. Malgré les exhortations de la vieille Toulousaine, Armelle laissait toujours sa fenêtre ouverte. Ce soir, ce n'était plus pour guetter le roulement d'une voiture, mais simplement pour jouir de l'air pur et du parfum des champs. Dans la rue on n'entendait plus personne. Seules les lumières de la station-service restèrent allumées jusqu'à minuit. Puis elles s'éteignirent à leur tour; il n'y eut plus dans le silence que la voix cristalline du torrent qui, elle, ne se taisait jamais. Tout à coup, Armelle sursauta. Elle se leva et s'avança doucement vers la fenêtre.

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Une silhouette confuse longeait le mur de l'hôtel. Le garage ! Ursule ! songea-t-elle. Le sang de la jeune fille ne fit qu'un f tour. Aucun doute : c'était Roger qui avait épié le retour de l'ambulance au village et remarqué l'endroit où on l'enfermait! Furieux d'avoir manqué son coup, il ne voulait pas tout perdre et essayait de reprendre au moins la voiture! Un instant, Armelle pensa à éveiller M. Roglès. Mais elle eut peur que le bruit ne mît l'individu en fuite. Elle enfila donc vivement robe et chaussures, chercha dans sa valise la lampe de poche qu'elle emportait toujours en voyage et descendit l'escalier sur la pointe des pieds. Le garage de l'hôtel avait deux portes : une grande, qui donnait sur la place et qui n'était fermée qu'au loquet, une petite qui communiquait avec le reste de la maison. Armelle traversa l'arrière-cuisine. Le chat, qui dormait dans son panier, se leva et vint se frotter à ses jambes, pensant peut-être qu'il était déjà l'heure de son lait matinal. Elle l'écarta doucement et entra dans le garage. La porte extérieure était fermée. Armelle se blottit derrière l'ambulance et attendit. Soudain une bande de clarté verticale se dessina dans l'obscurité; un des battants s'écarta sans bruit, une silhouette se glissa à l'intérieur.

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Mais au lieu d'ouvrir la porte toute grande pour faire sortir la voiture, comme Armelle s'y attendait, le visiteur referma le battant et se dirigea à tâtons vers le fond du garage. La jeune fille braqua sur lui sa lampe de poche et l'inonda brusquement de lumière. Elle étouffa un cri : celui qui venait d'entrer, c'était Daniel Couvreur! Daniel, l'épaule toujours dans son plâtre, le visage tiré, hagard, les yeux clignotants à la lumière trop vive de la lampe électrique. « Armelle!... » murmura-t-il. Ils restaient en face l'un de l'autre sans mot dire, appuyés au flanc de la grosse voiture. Armelle avait laissé retomber son bras : la lampe n'éclairait plus que le sol de terre battue du garage. Elle articula enfin : « Daniel... » Les idées se brouillaient dans sa tête. Elle se disait : « C'est un malfaiteur, un criminel... » Et en même temps elle éprouvait une joie immense — celle qu'on ressent quand on retrouve un ami. Avant qu'aucun d'eux n'eût tenté une explication, Daniel se retourna vivement; on entendait un frôlement à l'extérieur du garage. La grande porte s'entrouvrit de nouveau; une silhouette masculine se profila dans l'entrebâillement. D'un bond, Daniel poussa Armelle derrière

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l'ambulance. Elle se laissa faire sans résister; elle le vit dans la pénombre se diriger vers le nouvel arrivant. Elle reconnut le ricanement de Roger. « Ah! te voici enfin! fit celui-ci. Nous allons donc pouvoir nous expliquer. Tu avoueras qu'il n'est que temps! — Tu venais chercher l'ambulance? interrogea Daniel. — Pour quoi faire? Elle ne peut plus me servir à rien. C'est toi que je cherchais, toi seul. Je t'ai aperçu près de la gare et je t'ai suivi jusqu'ici. - Je n'ai rien à te dire, Roger. - Nous ne sommes pas du même avis. Dis-moi où tu as caché la polamide du dernier voyage! » La voix se faisait menaçante. « J'ai manqué mon coup aujourd'hui, c'est dommage. Avec ce que je rapportais cette fois, j'avais de quoi quitter la bande et me reposer toute ma vie. Sans cette diablesse d'infirmière... Au fait, vous êtes peut-être de mèche, tous les deux? Elle m'a empêché de t'approcher à l'hôpital; elle a failli me faire casser le cou... - A l'hôpital? Qu'est-ce que tu racontes là? - D'ailleurs, reprit le frisé, peu importe. Tout ce que je veux, c'est la polamide. J'ai perdu la grosse cargaison, c'est entendu. Mais l'autre - la boîte? » II iit un pas vers Daniel.

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« Celle que tu as fait passer toi-même, ne l'oublie pas! et que tu as gardée pour en profiter seul! » II saisit Daniel par le revers de son veston. « Je l'ai cherchée partout inutilement. Je suppose bien qu'avant l'accident tu as eu le temps de la cacher - mais où? Tu ne pensais pas que j'allais te laisser la vendre à ton profit? Même si j'avais réussi aujourd'hui, je t'aurais recherché pour me venger. Mais maintenant ta polamide est tout ce qui me reste. Si je ne rapporte rien au patron, je ne sais pas ce qu'il fera de moi. Alors tu vas parler, oui ou non? » II poussa brutalement Daniel, qui trébucha. « Tu devrais le comprendre, ce n'est pas avec ton épaule plâtrée que tu pourras lutter contre moi. Tu ferais mieux de céder avant que je te fasse vraiment mal. J'ai ma corde, et je sais m'en servir! Daniel, renversé sur une des ailes de l'ambulance, haletait. De son bras valide il décocha un coup de poing dans le visage de l'autre, qui lança un juron. Puis tous les deux roulèrent sur la terre battue. Armelle bondit hors de sa cachette et se précipita vers la porte en appelant : « Au secours! au secours! » Comme par miracle, un homme entra aussitôt dans le garage. Elle alluma sa lampe et

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reconnut le jeune Mathias. Elle lui désigna les deux hommes enlacés sur le sol. « Là... là... balbutia-t-elle. Il est blessé... l'autre va le tuer... » Déjà Mathias avait bondi sur les combattants. Il saisit le bras de Roger, qui cherchait à passer une cordelette au cou de Daniel, et le tordit en arrière. Le frisé hurla de douleur; Daniel se dégagea vivement et aida Mathias à le maîtriser. « Donnez-nous de la lumière », demanda Mathias à Armelle. Elle dirigea sa lampe sur eux. Le fils du garagiste poussa un cri : « Daniel Couvreur! Ça, par exemple! » Ses yeux stupéfaits allaient de son camarade à la jeune fille qui souriait maintenant, soulagée. « II faut appeler les gendarmes, dit Daniel. Le brigadier est là? — Il est rentré à la gendarmerie; on n'a qu'à appeler par les fenêtres. — J'y vais », dit aussitôt Armelle. Dès son premier appel, Gratian se montra à la croisée. « Brigadier, venez vite! Il est retrouvé! » Quelques instants plus tard il accourait, boutonnant sa tunique. Armelle l'entraîna. Ils trouvèrent le garage de l'hôtel éclairé; Daniel et Mathias maintenaient le frisé qui cherchait

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en vain à leur échapper. M. et Mme Roglès, attirés par le bruit, étaient descendus, l'un en chemise, l'autre hérissée de bigoudis. « Je n'espérais pas te revoir aussi tôt, mon garçon, dit le brigadier à Roger. Mais je t'aurais eu de toute façon, sois en sûr! » II lui passa les menottes, puis se tourna vers Daniel. « Et celui-là... Mais c'est Daniel Couvreur! Que faites-vous donc ici - et blessé, encore! ajouta-t-il en regardant le plâtre. Vous aviez pourtant vos deux bras, il y a quelques heures, quand vous avez passé la frontière avec l'ambulance? - Je n'ai pas passé la frontière, répondit Daniel. — Mais le conducteur que l'on a vu à l'aller? Ce n'était pourtant pas cet homme! Voici qui expliquera peut-être la méprise, dit Couvreur en désignant une perruque brune qui pendait de la poche de Roger. -Ah! je suis bien content! s'exclama le brigadier. Mais votre blessure? Vous avez vraiment l'air malade... Il faut demander une chambre à M. Roglès. - Auparavant j'ai quelque chose à faire. Pouvez-vous me donner un ciseau? - Il y a une boîte à outils dans le garage, dit l'hôtelier. Prenez ce qu'il vous faut. » Daniel s'approcha de l'ambulance et ouvrit

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la porte arrière, puis, s'aidant de son bras valide, il se hissa à l'intérieur. Les autres, surpris, le regardaient sans comprendre. Il entendirent des coups sourds, puis des craquements et enfin une exclamation de joie. Un moment plus tard, quand le jeune homme reparut, il tenait entre ses mains un petit paquet, qu'il tendit au brigadier. « Qu'est-ce que c'est? interrogea celui-ci. — De la polamide, répondit Daniel. C'est un paquet que ce trafiquant m'avait fait transporter à mon insu... Pour ne pas le leur rendre, je l'avais caché dans l'ambulance... Mademoiselle vous racontera toute l'affaire. Et j'ai fait l'impossible pour reprendre ce paquet et le remettre moi-même à la justice. C'était la seule façon de m'innocenter. - Imbécile! » grommela Roger entre ses dents. Daniel s'appuya au garde-boue de l'ambulance. Le brigadier examina le petit paquet qu'il tenait. « Très bien, dit-il. Je vous demanderai une déposition officielle... Et vous resterez à la disposition de la police... Mais qu'avez-vous? s'écria-t-il. On dirait...» II n'acheva pas sa phrase; le jeune homme venait de s'affaisser contre le Flanc de la voiture. Armelle, qui ne le quittait pas des yeux, s'avança.

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« Quand je pense, dit-elle, qu'il devrait être en train de se reposer chez lui! Faire ce qu'il a fait avec un bras plâtré, c'est vraiment tenter le sort. Il faut le coucher immédiatement; vous avez une chambre prête, madame Roglès? Bien sûr! s'écria l'hôtelière. La sienne, justement : il voulait toujours être du côté de la Garonne; il disait que le bruit le berçait... - Nous allons l'y transporter, dit Armelle. Voulez-vous m'aider, messieurs? » Elle fit allonger le jeune homme et lui baigna le visage à l'eau fraîche. Mme Roglès courut chercher du vinaigre, qu'on lui fit respirer. Au bout d'un moment, la couleur revint à son visage : il ouvrit les yeux. « Excusez-moi, murmura-t-il en essayant de se relever. Je crois que j'ai eu la sottise de me trouver mal... » Armelle le fit se recoucher. « II faut m'obéir, dit-elle. Je ne suis pas de service, je le sais, mais les infirmières, voyez-vous, c'est un peu comme les médecins : elles ne sont jamais vraiment en vacances! - Il n'a besoin de rien? demanda M. Roglès, qui commençait à avoir honte de ses jambes nues. - De rien du tout. Je vais rester près de lui; vous verrez que demain matin il sera déjà mieux. - Vous êtes bien sûre qu'il a besoin d'une

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garde de nuit? » interrogea le brigadier avec malice. Armelle se mit à rire. « Je n'en suis pas sûre du tout. Mais je sais qu'il en aura une! »

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XII entrait à flôts dans la chambre où Daniel Couvreur, après une nuit paisible, venait enfin d'ouvrir les yeux. Mme Roglès apportait le plateau du café au lait, chargé de tartines grillées, de beurre, de confiture. Elle s'empressa d'aller fermer la fenêtre. « Mlle Armelle ouvre toujours la sienne, mais elle donne sur la place. Ici, avec l'humidité de la Garonne, c'est encore plus dangereux! - Je vous en prie, dit Daniel, laissez-moi respirer un peu ! » LE SOLEIL

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Elle haussa les épaules. « Ces Parisiens, vous êtes tous les mêmes! J'espère au moins que vous avez faim? Une faim de loup! » II jeta les yeux autour de lui. « Et... Mlle Armelle, où est-elle? » L'hôtelière sourit. « Elle est allée se reposer - - elle en avait besoin aussi, la pauvre! Elle a bien recommandé que vous ne bougiez pas avant son retour. » Une heure plus tard, Armelle entra dans la chambre. Elle avait encore les yeux bouffis, n'ayant pas dormi son content. Mais elle avait trop hâte de revoir son malade. « J'étais sûre qu'après une nuit de repos vous seriez déjà mieux! dit-elle gaiement. - Vous avez déjeuné? - Bien sûr. Maintenant je suis tout à vous. Ne croyez-vous pas qu'il serait temps de me raconter...?» II soupira. « Oui, je peux, à présent. Mais c'est une longue histoire. Etes-vous prête à l'écouter? - Je suis prête à tout. Je me sens si heureuse, Daniel, depuis... - Depuis? interrogea-t-il. - Depuis que j'ai compris que vous n'aviez pas fait passer la polamide... Quand je vous ai vu remettre le paquet au brigadier, j'ai failli

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fondre en larmes, tant j'avais honte d'avoir douté de vous! — Et moi, je ne voulais rien vous dire avant que cette horrible affaire ait pris tin. J'ignorais que Roger avait tenté de me retrouver à l'hôpital, que vous m'aviez sauvé une seconde fois... Car je suis sûr que, ne pouvant pas me faire parler, il aurait été prêt à tout pour me faire taire. — L'histoire, Daniel! supplia-t-elle. - Jusqu'à l'an dernier, Armelle, j'ai mené la vie normale de tous les étudiants. J'avais passé ma licence de maths à Lyon, où j'habitais avec ma mère veuve. Quand je l'ai perdue, je suis allé préparer ma thèse de doctorat à Paris. J'étais trop triste pour me faire vite des camarades. Mes seuls bons moments ont été mes vacances à Los, que j'ai découvert et où je suis revenu bien des fois. « La seconde année de mon séjour à Paris, j'ai fait la connaissance de Roger, dans un club de tennis. J'étais très seul, et une sorte d'amitié s'est établie entre nous. 11 y avait en lui quelque chose d'un peu mystérieux qui rn ‘amusait et m'intriguait. Roger se disait journaliste, il maniait pas mal d'argent. « Dès notre première rencontre, je lui avais parlé de Los. Le mois dernier, profitant de la fin de mon cours, je décidai d'aller y passer quelques jours. Avant mon départ, Roger

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un dit qu'il avait un service à me demander. J'ai remarqué, me dit-il, que dans les pays frontaliers les gens qui sont connus, comme toi à Los, passent d'un côté à l'autre sans difficulté. Jamais on ne les arrête à la douane. » « - En effet, dis-je. Je t'avoue que j'ai moi-même passé de cette façon la veste de cuir que je porte. » « — Alors, tu pourrais peut-être me rapporter un paquet. C'est un cadeau que je veux faire. Un bijou ancien qui n'a pas grande valeur, mais qui fera plaisir à une femme qui les collectionne. Tu n'as qu'à le fourrer au fond de ton casier à gants... » « J'ai accepté, naturellement. Ce genre de petite contrebande est bien connu et toléré dans le pays. Pendant mon séjour à Los, je me rendis donc à Molinas, de l'autre côté de la frontière, où un propriétaire de café me remit le paquet en question. Cela ne me semblait pas grave et j'étais heureux de rendre ce service à un ami. « Je remontai sur Paris. Roger m'avait donné rendez-vous à Villeneuve, dans un garage dont il connaissait le propriétaire. Le fils du garagiste, presque idiot, mais doué d'une force peu commune, regardait Roger comme un dieu. — C'est Jo! s'exclama Armelle. — C'est vrai, vous le connaissez... Nous sommes

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allés dîner tous les trois dans un bistrot en face du garage. J'avais laissé le paquet dans le coffret à gants. Roger et Jo semblaient enchantés. Tous deux buvaient beaucoup. Soudain Roger s'est penché vers moi. « - - Sais-tu, m'a-t-il dit, que dans ce paquet que tu vas me remettre, il y a presque une fortune? » « Je me suis étonné. Jo a éclaté de rire. « — Ecoute, a repris Roger, il est temps maintenant que je te mette au courant. Je suis sur une magnifique affaire, qui ne fait que commencer. Plusieurs voyages comme celui que tu viens de faire, et nous sommes riches, toi et moi. Car je suis régulier, tu auras ta part, je te le promets. Tu ne devines pas ce qu'il y a dans ce paquet? » « II a chuchoté : « — De la polamide! » « Mon sang n'a fait qu'un tour. Depuis un moment je soupçonnais quelque chose de louche. Mais la polamide! Comme tout le monde j'étais au courant par les journaux; je connaissais le danger de la polamide; je savais que certaines personnes, qui avaient pris l'habitude de cette drogue, ne pouvaient plus s'en passer et l'achetaient, s'il le fallait, à prix d'or. « - - Pourquoi ne me l'as-tu pas dit? » ai-je crié. « Il a ricané.

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« -- Parce que j'avais peur que tu ne marches pas! La première fois, on a des scrupules. Mais maintenant, il est trop tard : tu ne peux plus reculer. Tu es compromis, mon vieux! Si tu disais un mot, je pourrais prouver que c'est toi qui as fait passer la polamide. Sans compter toute celle que tu as véhiculée pour moi dans Paris, sans le savoir... » « J'ai compris que j'étais entre ses mains. Pourtant j'ai réussi à me dominer. Je voulais en savoir davantage. « — II y a longtemps que tu fais ce trafic? » ai-je demandé. « II m'a répondu avec fierté qu'il travaillait pour une bande « formidable ». Cambriolages, hold-up, etc. La polamide, c'était sa nouvelle

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spécialité. Depuis quelques semaines il n'en trouvait plus que difficilement, et le chef commençait à le regarder d'un mauvais œil. « — Mais en voyant ça, il se calmera! Et « maintenant que nous avons un filon, nous « allons recommencer! Ça paye joliment « bien, tu verras! » « Brusquement décidé à me rendre à la police et à livrer la polamide, je me suis levé d'un bond et j'ai couru jusqu'à ma voiture. Roger est retourné au garage pour aller prendre la sienne. Pendant ce temps, j'ai démarré. Au premier tournant, j'ai constaté que j'étais suivi par une voiture noire. « En pleine nuit, nous avons tourné autour de Paris; je ne savais plus où j'étais; je me trouvais sur une route inconnue. C'est alors que Roger, forçant sa vitesse, m'a rattrapé, a voulu me doubler... et que j'ai accroché un platane. « Après l'accident, il a commencé par chercher la polamide dans ma voiture. 11 ne l'y a pas trouvée : tout en conduisant, j'avais ouvert le coffret à gants et glissé le paquet de drogue entre ma chemise et la peau. Roger s'est dit alors que j'avais dû me débarrasser du précieux produit. Mais j'étais vivant et il pouvait me forcer à lui dire où je l'avais jeté. Pour ne pas risquer d'être vu sur les lieux de l'accident, il m'a fait transporter par Jo dans l'allée du château; ensuite, constatant que celui-ci était abandonné, il m'a fait déposer dans une des pièces.

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- Mais comment savez-vous tout cela, puisque vous étiez sans connaissance? » demanda Armelle. Daniel sourit. « Je n'étais pas sans connaissance. Mais j'ai compris que ma seule chance de salut était de le faire croire à Roger. C'est pour cela qu'il a appelé un médecin. Il voulait que celui-ci me ranimât; il l'aurait renvoyé ensuite en lui disant qu'il se chargeait de me ramener chez moi. En attendant le médecin, il est retourné fouiller ma voiture. Ensuite, vous avez constaté sa colère quand il vous a trouvée sur le point de m'emmener à l'hôpital. - Il y a une chose que je ne comprends pas, dit Armelle. Un peu plus tard, il a fouillé vos vêtements sous mes yeux, et n'a pas trouvé la polamide. - C'est que, à ce moment, je ne l'avais déjà plus. Quand Jo et vous m'avez hissé dans l'ambulance, prévoyant le retour imminent de Roger, j'ai compris qu'il fallait à tout prix faire disparaître le paquet que j'avais sur moi. De mon bras valide, j'ai tâté à côté de moi, j'ai senti une lame de plancher disjointe, qui se soulevait facilement, j'ai collé le paquet sous cette lame et j'ai eu tout juste le temps de la rabattre avant que Roger me fasse ramener dans le salon.

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-— Comment avez-vous pu feindre ainsi l'inconscience alors que vous deviez tant souffrir? — Au début, je me suis demandé si j'y parviendrais. Ensuite, vous m'y avez aidé, Armelle : vos piqûres m'ont endormi pour de bon! — Quand je pense, dit la jeune fille, que sans le savoir Roger a eu à deux reprises la polamide entre ses mains... » Tous deux se mirent à rire, puis Armelle, redevenant grave, reprit : « Ce que je voudrais savoir maintenant, Daniel, c'est pourquoi vous ne m'avez rien dit. Je vous avais donné ma confiance, moi. N'avais-je pas un peu droit à la vôtre? — C'est peut-être le plus difficile à expliquer. J'étais tellement touché de la façon dont vous aviez agi, Armelle... je vous admirais tant, que pour rien au monde je ne voulais vous voir mêlée à cette affaire sordide. Je pensais que, si je livrais moi-même la polamide à la police, j'arriverais ainsi à prouver mon innocence et que personne ne se douterait de rien. — Alors, pour reprendre secrètement la polamide, vous avez cherché à pénétrer dans le garage de l'hôpital? — J'ai essayé, oui. Mon épaule plâtrée m'a empêché de me hisser jusqu'à la lucarne. Deux jours plus tard, comme je surveillais l'hôpital, j'ai vu Roger voler l'ambulance. J'ai deviné aussitôt que Roger avait compris le parti

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qu'il pouvait tirer d'une ambulance en utilisant le passage de Los... - Et, même à ce moment-là, vous n'avez pas voulu prévenir la police? Roger avait fait tout ce qu'il fallait pour me compromettre. Je ne voulais pas risquer de passer pour un malfaiteur trahissant ses complices dans l'espoir de se disculper. J'ai eu l'idée de descendre moi-même à Los et de m'adresser à Gratian, le brigadier, qui me connaissait et qui m'aurait fait confiance. Je suis arrivé trop tard : vous aviez agi avant moi. C'est vous, Armelle, qui avez arrêté l'entrée de la polamide! » II fit une pause et sourit. « Maintenant, vous savez tout, Armelle. J'ai peutêtre été naïf en ne soupçonnant pas Roger plus tôt, mais je n'ai pas été malhonnête! - L'excès de confiance est parfois une preuve d'honnêteté, dit gravement la jeune fille. — Alors... vous voulez bien que nous soyons amis? - Il me semble que nous le sommes déjà! dit-elle. Tout va bien : Roger a fait des aveux; il a donné le nom de son chef et des principaux membres de sa bande. De mon côté, j'ai téléphoné à l'hôpital ce matin; on m'a dit d'achever tranquillement mes vacances et de remonter à petites étapes avec Ursule quand le séquestre sera levé.

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Ursule? - Mon ambulance! expliqua-t-elle en souriant. A ce moment-là vous serez bien reposé; je vous ramènerai à l'hôpital pour qu'on vous enlève votre plâtre... Mais qu'est-ce que j'entends? fit-elle en s'interrompant brusquement. Il me semble qu'on sort l'ambulance du garage! Je croyais que tout cela était fini! » Elle courut à la fenêtre du palier qui donnait sur la place. Ursule était devant l'hôtel; Jacques Mathias, armé d'une énorme éponge, commençait à la laver à grande eau. « Elle était trop sale! déclara-t-il. Mon père donnera un coup d'œil à la mécanique. Mais vous ne pouviez pas vous montrer avec elle dans cet état. Que penserait-on des garagistes pyrénéens? - Pauvre Ursule! soupira Armelle; elle en a vu de dures! - Regardez-la, dit Mathias en épongeant avec vigueur : elle paraît déjà plus contente! » Et c'était vrai que l'ambulance, avec son pare-chocs cabossé et ses phares qui reflétaient le soleil, avait l'air de sourire.

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IMPRIMÉ EN FRANCE PAR BRODARD ET TAUPIN 7, bd Romain-Rolland - Montrouge. Usine de La Flèche, le 21-05-1979. 1901-5 - Dépôt légal n° 8623, 2e trimestre 1979. 20 - 01 - 4063 - 04 ISBN : 2 - 01 - 003020 - 6 Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse. Dépôt : janvier 1973.

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Biographie Née en 1897 à Paris, Suzanne Pairault est la fille du peintre Jean Rémond (mort en 1913). Elle obtient une licence de Lettres à la Sorbonne et part étudier la sociologie en Angleterre pendant deux ans. Vers la fin de la Première Guerre mondiale, elle sert un temps comme infirmière de la Croix-Rouge dans un hôpital anglais. Elle effectue de nombreux voyages à l’étranger (Amérique du Sud, Proche-Orient). Mariée en 1929, elle devient veuve en 1934. Durant la Deuxième Guerre mondiale, elle entre dans la résistance et obtient la Croix de guerre 1939-1945. Elle publie d’abord des livres pour adultes et traduit des œuvres anglaises en français. À partir de 1950, elle publie des romans pour la jeunesse tout en continuant son travail de traducteur. Elle est surtout connue pour avoir écrit les séries Jeunes Filles en blanc, des histoires d'infirmières destinées aux adolescentes, et Domino, qui raconte les aventures d'un garçon de douze ans. Les deux séries ont paru aux éditions Hachette respectivement dans la collection Bibliothèque verte et Bibliothèque rose. « Près de deux millions d’exemplaires de la série Jeunes filles en blanc ont été vendus à ce jour dans le monde. » Elle reçoit le Prix de la Joie en 1958 pour Le Rallye de Véronique. Beaucoup de ses œuvres ont été régulièrement rééditées et ont été traduites à l’étranger. Suzanne Pairault décède en juillet 1985.

Bibliographie Liste non exhaustive. La première date est celle de la première édition française.

Romans 1931 : La Traversée du boulevard (sous le nom de Suzanne Rémond). Éd. Plon. 1947 : Le Sang de bou-okba - Éd. Les deux sirènes. 1951 : Le Livre du zoo - Éd. de Varenne. Réédition en 1951 (Larousse). 1954 : Mon ami Rocco - Illustrations de Pierre Leroy. Collection Bibliothèque rose illustrée. 1960 : Vellana, Jeune Gauloise - Illustrations d’Albert Chazelle. Collection IdéalBibliothèque no 196. 1963 : Un ami imprévu - Illustrations d’Albert Chazelle. Collection IdéalBibliothèque no 255.

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1964 : Liselotte et le secret de l'armoire - Illustrations de Jacques Poirier. Collection IdéalBibliothèque. 1965 : La Course au brigand - Illustrations de Bernard Ducourant. Éd. Hachette, Collection Nouvelle Bibliothèque rose no 195. 1965 : Arthur et l'enchanteur Merlin - Éd. Hachette, Collection Idéal-Bibliothèque no 278. Illustrations de J.-P. Ariel. 1972 : Les Deux Ennemis - Éd. OCDL. Couverture de Jean-Jacques Vayssières.

Série Jeunes Filles en blanc Article détaillé : Jeunes Filles en blanc. Cette série de vingt-trois romans est parue en France aux éditions Hachette dans la collection Bibliothèque verte. L'illustrateur en titre est Philippe Daure. 1968 : Catherine infirmière (no 367) 1969 : La Revanche de Marianne (réédition en 1978 et 1983) 1970 : Infirmière à bord (réédition en 1982, 1987) 1971 : Mission vers l´inconnu (réédition en 1984) 1973 : L'Inconnu du Caire 1973 : Le Secret de l'ambulance (réédition en 1983, 1990) 1973 : Sylvie et l'homme de l'ombre 1974 : Le lit n°13 1974 : Dora garde un secret (réédition en 1983 et 1986) 1975 : Le Malade autoritaire (réédition en 1984) 1976 : Le Poids d'un secret (réédition en 1984) 1976 : Salle des urgences (réédition en 1984) 1977 : La Fille d'un grand patron (réédition en 1983, 1988) 1978 : L'Infirmière mène l’enquête (réédition en 1984) 1979 : Intrigues dans la brousse (réédition en 1986) 1979 : La Promesse de Francine (réédition en 1983) 1980 : Le Fantôme de Ligeac (réédition en 1988) 1981 : Florence fait un diagnostic (réédition en 1993) 1981 : Florence et l'étrange épidémie 1982 : Florence et l'infirmière sans passé (réédition en 1988, 1990) 1983 : Florence s'en va et revient (réédition en 1983, 1989, 1992) 1984 : Florence et les frères ennemis 1985 : La Grande Épreuve de Florence (réédition en 1992)

Série Domino Cette série a été éditée (et rééditée) en France aux éditions Hachette dans la collection Nouvelle Bibliothèque rose puis Bibliothèque rose. 1968 : Domino et les quatre éléphants - (no 273). Illustrations de Jacques Poirier. 1968 : Domino et le grand signal - (no 275). Illustrations de Jacques Poirier. 1968 : Domino marque un but - (no 282). Illustrations de Jacques Poirier. 1970 : Domino journaliste - (no 360). Illustrations de Jacques Pecnard. 1971 : La Double Enquête de Domino - Illustrations de Jacques Pecnard. 1972 : Domino au bal des voleurs - Illustrations de Jacques Pecnard. 1974 : Un mustang pour Domino - Illustrations de Jacques Pecnard. 1973 : Domino photographe - Illustrations de Jacques Pecnard. 1975 : Domino sur la piste - Illustrations de François Batet. 1976 : Domino, l’Étoile et les Rubis - Illustrations de François Batet. 1977 : Domino fait coup double - Illustrations de François Batet. 195

1977 : La Grande Croisière de Domino - Illustrations de François Batet. 1978 : Domino et le Japonais - Illustrations de François Batet. 1979 : Domino dans le souterrain - Illustrations de François Batet. 1980 : Domino et son double - Illustrations de Agnès Molnar.

Série Lassie 1956 : Lassie et Joe - Illustrations d’Albert Chazelle. Éd. Hachette, Collection IdéalBibliothèque n°101. 1958 : Lassie et Priscilla - no 160. Illustrations d'Albert Chazelle. Éd. Hachette, Coll. IdéalBibliothèque - Réédition en 1978 (Bibliothèque rose). 1958 : Lassie dans la vallée perdue - Adapté du roman de Doris Schroeder. Illustrations de Françoise Boudignon - Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque - Réédition en 1974 (IdéalBibliothèque). 1967 : Lassie donne l’alarme - Illustrations de Françoise Boudignon. Éd. Hachette, Collection . Idéal-Bibliothèque . Réédition en 1979 (Idéal-Bibliothèque). 1971 : Lassie dans la tourmente - Adapté du roman de I. G. Edmonds. Illustrations de Françoise Boudignon - Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque. 1972 : Lassie et les lingots d'or - Adapté du roman de Steve Frazee. Illustrations de Françoise Boudignon. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque. 1976 : La Récompense de Lassie - Adapté du roman de Dorothea J. Snow. Illustrations d'Annie Beynel - Éd. Hachette, coll. Bibliothèque rose. 1977 : Lassie dans le désert. Illustrations d'Annie Beynel. Éditions Hachette, Coll. Bibliothèque rose. 1978 : Lassie chez les bêtes sauvages - Adapté du roman de Steve Frazee. Illustrations de Françoise Boudignon - Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.

Série Véronique 1954 : La Fortune de Véronique - Illustrations de Jeanne Hives. Éd. Hachette, Coll. IdéalBibliothèque 1955 : Véronique en famille - Illustrations d’Albert Chazelle. Éd. Hachette, Coll. . IdéalBibliothèque 1957 : Le Rallye de Véronique - Illustrations d’Albert Chazelle - Éd. Hachette, Coll. . IdéalBibliothèque no 128. 1961 : Véronique à Paris - Illustrations d’Albert Chazelle. Éd. Hachette, Coll. IdéalBibliothèque no 205. 1967 : Véronique à la barre - Illustrations d'Albert Chazelle. Éd. Hachette, Coll. IdéalBibliothèque no 377.

Série Robin des Bois ] 1953 : Robin des Bois - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette, Coll. IdéalBibliothèque no 43. Réédition en 1957 (coll. Idéal-Bibliothèque). 1958 : La Revanche de Robin des Bois - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 154. Réédition en 1974 (coll. Idéal-Bibliothèque).

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1962 : Robin des Bois et la Flèche verte - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 234. Réédition en 1974 (coll. Idéal-Bibliothèque).

Série Sissi 1962 : Sissi et le fugitif - Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 226. Réédition en 1983, illustrations de Paul Durand. 1965 : Sissi petite reine - no 284. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque. Réédition en 1976 et 1980 (Idéal-Bibliothèque, illustrations de Jacques Fromont (1980)).

En tant que traducteur Liste non exhaustive. La première date est celle de la première édition française.

Série Docteur Dolittle 1967 : L’Extravagant Docteur Dolittle, de Hugh Lofting. Illustrations originales de l'auteur. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque. 1968 : Les Voyages du Docteur Dolittle, de Hugh Lofting. Illustrations originales de l'auteur. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 339. 1968 : Le Docteur Dolittle chez les Peaux-rouges, de Hugh Lofting. Illustrations originales de l'auteur. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.

Série Ji, Ja, Jo Série sur le monde équestre écrite par Pat Smythe et parue en France aux Éditions Hachette dans la collection Bibliothèque verte. 1966 : Ji, Ja, Jo et leurs chevaux - Illustrations de François Batet. 1967 : Le Rallye des trois amis - Illustrations de François Batet. 1968 : La Grande randonnée - no 356 - Illustrations de François Batet. 1969 : Le Grand Prix du Poney Club - Illustrations de François Batet. 1970 : À cheval sur la frontière - Illustrations de François Batet. 1970 : Rendez-vous aux jeux olympiques - Illustrations de François Batet.

Série Les Joyeux Jolivet Série écrite par Jerry West et parue en France aux éditions Hachette dans la collection Nouvelle Bibliothèque rose. 1966 : Les Jolivet à la grande hutte - Illustrations de Maurice Paulin - Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque rose no 218. 1966 : Les Jolivet font du cinéma - Illustrations de Maurice Paulin - Éd. Hachette, Coll. Bibliothèque rose no 226 (réédition en 1976, coll. Bibliothèque rose). 1966 : Les Jolivet au fil de l'eau - Illustrations de Maurice Paulin - Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque rose no 220. 1967 : Les Jolivet font du camping - Illustrations de Maurice Paulin - Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque rose no 242. 1967 : Le Trésor des pirates - no 259 - Illustrations de Maurice Paulin. 1968 : L’Énigme de la petite sirène - no 284 - Illustrations de Maurice Paulin. 1968 : Alerte au Cap Canaveral - no 272 - Illustrations de Maurice Paulin. 1969 : Les Jolivet au cirque - no 320 - Illustrations de Maurice Paulin. 1969 : Le Secret de l'île Capitola - no 304 - Illustrations de Maurice Paulin. 1970 : Les Jolivet et l'or des pionniers - no 340 - Illustrations de Maurice Paulin. 1970 : Les Jolivet montent à cheval - no 347 - Illustrations de Maurice Paulin.

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Série Une enquête des sœurs Parker Série écrite par l'Américaine Caroline Quine, éditée en France aux éditions Hachette dans la collection Bibliothèque verte. Rééditions jusqu'en 1987. 1966 : Le Gros Lot. 1966 : Les Sœurs Parker trouvent une piste. 1967 : L'Orchidée noire. 1968 : La Villa du sommeil. 1969 : Les Disparus de Fort-Cherokee. 1969 : L'Inconnu du carrefour. 1969 : Un portrait dans le sable. 1969 : Le Secret de la chambre close. 1970 : Le Dauphin d'argent. 1971 : La Sorcière du lac perdu. 1972 : L'Affaire du pavillon bleu, 1972 : Les Patineurs de la nuit.

Série Un cochon d'Inde 1965 : Un cochon d'Inde nommé Jean-Jacques, de Paul Gallico. Illustrations de Jeanne Hives. Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque rose (Mini rose). 1966 : Qui a volé mon cochon d'Inde ?, de Paul Gallico. Illustrations de Jeanne Hives. Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque Rose (Mini rose) no 219. 1968 : Le Tour du monde d'un cochon d'Inde, de Paul Gallico. Illustrations de Jeanne Hives. Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque rose (Mini rose) no 268.

Série Une toute petite fille ] 1955 : L'Histoire d'une toute petite fille, de Joyce Lankester Brisley. Illustrations de Simone Baudoin. Réédition en 1959 (Nouvelle Bibliothèque Rose no 29) et 1975 (Bibliothèque Rose, illustré par Pierre Dessons). 1964 : Les Bonnes idées d'une toute petite fille, de Joyce Lankester Brisley. Éd. Hachette, Bibliothèque rose no 166. Réédition en 1979 (Bibliothèque rose, Illustré par Jacques Fromont) et 1989 (Bibliothèque rose, Illustré par Pierre Dessons). 1968 : Les Découvertes d'une toute petite fille, de Joyce Lankester Brisley. Illustrations de Jeanne Hives. Éd. Hachette, Nouvelle Bibliothèque Rose (mini rose) no 298. Réédition en 1975 et 1989 (Bibliothèque Rose, Illustré par Pierre Dessons).

Romans hors séries 1949 : Dragonwyck d’Anya Seton. Éd. Hachette, Coll. Toison d'or. Réédition en 1980 (Éd. Jean-Goujon). 1951 : La Hutte de saule, de Pamela Frankau. Éd. Hachette. 1953 : Le Voyageur matinal, de James Hilton. Éd. Hachette, Coll. Grands Romans Étrangers. 1949 : Le Miracle de la 34e rue, de Valentine Davies. Éd. Hachette - Réédition en 1953 (ed. Hachette, coll. Idéal-Bibliothèque, ill. par Albert Chazelle). 1964 : Anne et le bonheur, de L. M. Montgomery. Illustrations de Jacques Fromont. Éd. Hachette, Coll. Bibliothèque verte. 1967 : Cendrillon, de Walt Disney, d'après le conte de Charles Perrault. Éd. Hachette, collection Bibliothèque rose. Réédition en 1978 (ed. Hachette, Coll. Vermeille). 1970 : Les Aventures de Peter Pan, de James Matthew Barrie. Éd. Hachette, Coll. Bibliothèque rose. Réédition en 1977 (Hachette, Coll. Vermeille).

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1973 : Blanche-Neige et les Sept Nains, de Walt Disney, d’après Grimm. Éd. Hachette, Coll. Vermeille. 1967 : La Fiancée de la forêt, de Robert Nathan - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette. 1965 : Le Chien du shérif, de Zachary Ball - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque n°283. 1939 : Moi, Claude, empereur : autobiographie de Tibère Claude, empereur des Romains Robert Graves, Plon. Réédition en 1978 (Éditions Gallimard) et 2007 (Éditions Gallimard, D.L.).

Prix et Distinctions Croix de guerre 1939-1945. Prix de la Joie en 1958 décerné par l'Allemagne pour Le Rallye de Véronique.

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