Stay Behind en France 1945 1962

July 25, 2017 | Author: Joseph Chary | Category: Central Intelligence Agency, Nato, Government, Politics, Unrest
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c    cc a  c c   cc I : Un gouvernement invisible en Europe occidentale ................................ ........................... 10c A. Un scandale ébranle l¶Europe de l¶Ouest................................ ................................ ...... 10c B. La stratégie de la tension ................................ ................................ .............................. 16c C. L¶utilisation du terrorisme................................ ................................ ............................ 24c II : Les Britanniques et le Gladio ................................ ................................ .......................... 32c A. La Deuxième Guerre mondiale et le Special Operation Executive ................................ 32c B. Le MI6 et les réseaux stay-behind ................................ ................................ ................ 35c III : Les Etats-Unis, la CIA et la guerre froide ................................ ................................ ...... 39c A. L¶Etat de sécurité nationale................................ ................................ .......................... 39c B. Allen Dulles et la naissance de la CIA................................ ................................ .......... 46c IV : L¶OTAN ................................ ................................ ................................ ....................... 52c A. La guerre non orthodoxe de l¶OTAN ................................ ................................ ........... 52c B. Les comités clandestins ................................ ................................ ................................ 54c º c c   cc I : L¶influence américaine sur la IVe République ................................ ................................ .. 59c A. Un Maccarthysme français................................ ................................ ........................... 59c B. Passy et la naissance des services secrets ................................ ................................ ..... 66c C. Le rôle majeur des Ê  français dans les armées secrètes de l¶OTAN............... 70c II : Les réseaux Ê  ................................ ................................ ................................ .. 82c A. Le Plan bleu, un complot fasciste pour renverser la République ? ................................ 82c B. L¶ingérence américaine : organisation anticommuniste et police parallèle .................... 89c a. Les Etats-Unis en guerre contre le syndicalisme européen................................ ......... 89c b. Paix et Liberté ................................ ................................ ................................ .......... 91c c. La police parallèle anticommuniste de Jean Dides................................ ..................... 95c 2

III : De Gaulle et les Ê  ................................ ................................ .......................... 98c A. Le Gladio français ................................ ................................ ................................ ....... 98c a. La Rose des Vents................................ ................................ ................................ ..... 98c b. Le bras armé du SDECE : le 11e Choc ................................ ................................ .... 104 c B. Jacques Foccart et le Service action civique ................................ ............................... 109 c C. Le coup d¶Etat de 1958 ................................ ................................ .............................. 111 c ’

 c c   c c I : La CIA, le Gladio français et l¶OAS ................................ ................................ ............... 119 c A. Le putsch des généraux ................................ ................................ .............................. 119 c B. L¶OAS veut renverser de Gaulle ................................ ................................ ................ 124 c II : L¶après OAS ................................ ................................ ................................ ................. 129 c ^  c    c c G  c   c c

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3



 c Au lendemain de la chute de l¶Axe, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne installèrent en Europe de l¶Ouest des réseaux Ê  qui devaient être activés en cas d¶invasion soviétique. Mis sur pied par les services secrets américains, la Central Intelligence Agency (CIA), et britanniques, le Secret Intelligence Service (SIS ou MI6), ces réseaux étaient coordonnés par des comités clandestins au sein de l¶Organisation du traité de l¶Atlantique Nord (OTAN). Devant agir uniquement en cas d¶invasion de l¶Europe de l¶Ouest par l¶Armée rouge, les réseaux Ê  furent en réalité utilisés par Washington et Londres pour lutter contre les communistes et plus généralement contre les forces politiques de gauche, en utilisant diverses méthodes allant des attentats sous fausse bannière, à l¶assassinat de personnalités politiques, jusqu¶à la torture des opposants politiques. Entre autres, les armées secrètes de l¶OTAN furent à l¶origine de la stratégie de la tension en Italie où elles commirent les attentats de la Piazza Fontana en 1969 et celui de la gare de Bologne en 1980, et furent impliquées dans l¶assassinat d¶Aldo Moro. La stratégie de la tension consistait à perpétrer des attentats par des groupes néofascistes ou par des organisations d¶extrême gauche infiltrées par des agents des réseaux Ê  et des services secrets anglo-saxons, et de les imputer à la gauche pour installer un climat de terreur et de chaos afin de la discréditer aux yeux du public, et forcer les masses à se tourner vers un gouvernement autoritaire, seul capable d¶assurer sa protection. Les armées secrètes participèrent au coup d¶Etat des colonels en Grèce en 1967, ainsi qu¶à trois coups d¶Etat en Turquie en 1960, 1971 et 1980. En Allemagne elles commirent un attentat lors de la fête de la bière en 1980, et elles perpétrèrent en Belgique les tueries du Brabant dans les années 1980. Ce fut Giulio Andreotti, président du Conseil de la République italienne, qui en 1990 confirma l¶existence des armées secrètes de l¶OTAN en Europe de l¶Ouest, en soulignant qu¶elles étaient toujours actives. Chaque armée Ê  avait un nom de code différent : Gladio pour l¶Italie, Rose des Vents pour la France, Contre-guérilla pour la Turquie, Aginter Press pour le Portugal« Ces armées de l¶ombre étaient chapeautées et coordonnées par deux comités clandestins au sein de l¶OTAN, l¶Allied Clandestine Committee (ACC) et le Clandestine Planning Committee (CPC), qui recevaient leurs ordres du quartier général de l¶OTAN, le Supreme Headquarters Allied Powers Europe (SHAPE), lui-même sous la direction du Pentagone.

La dernière réunion de l¶ACC eut lieu le 24 octobre 1990 à

Bruxelles.

4

Excepté l¶Islande, qui ne disposait pas d¶armée, et le Canada, qui n¶était pas sous le coup d¶une invasion soviétique, tous les quatorze autres pays membres de l¶OTAN avaient des armées Ê  ainsi que les quatre pays neutres : Suisse, Suède, Finlande, Autriche. Il fut découvert que les services secrets des pays concernés entretenaient des armées secrètes en relation avec la CIA et le MI6, qui leur fournissaient du matériel militaire dissimulé dans des caches d¶armes, des moyens de communication« Contrairement au Parlement et à la population, les membres de l¶exécutif de chaque Etat étaient tous au courant de ces activités clandestines, mais n¶avaient qu¶un faible, voire aucun, pouvoir sur les armées secrètes et sur l¶ingérence des services secrets anglo-saxons dans leurs affaires intérieures. Les combattants des réseaux Ê  étaient entraînés conjointement par les forces spéciales américaines et britanniques, respectivement les Special Forces ou les Bérets verts, et le Special Air Service. Ces membres recrutés par la CIA et le MI6 étaient pour la majorité des extrémistes de droite, des anciens fascistes et nazis, des criminels de guerre, tous étaient de fervents anticommunistes qui devaient établir une nouvelle résistance si l¶Europe devait être envahie. Les armées secrètes avaient été conçues selon l¶exemple du Special Operation Executive (SOE), le service secret britannique qui opéra derrière les lignes ennemies durant la Seconde Guerre mondiale et mena une guerre secrète contre le Troisième Reich. Les Américains constituèrent en France un service secret parallèle ayant des buts et un financement indépendant sur lequel l¶exécutif n¶avait presque aucun contrôle. Le Gladio français était composé presque exclusivement d¶anciens résistants qui avaient fait leurs armes durant la guerre. Ceux-ci étaient insérés dans une infrastructure importante et complexe où ils furent utilisés par les services secrets le SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage), la Sécurité militaire, probablement le Service action civique, et le bras armé du SDECE le 11e choc à la fois, pour ce dernier, à l¶intérieur et en dehors des frontières. Le véritable danger pour les Etats-Unis et l¶Angleterre n¶était pas une invasion fictive de l¶Occident qui servit de prétexte à l¶installation des armées secrètes, mais l¶éventuel basculement à gauche de l¶Europe de l¶Ouest, notamment en France et en Italie où les partis communistes étaient puissants. En France, le parti communiste français (PCF) était, aux yeux de Washington et de Londres, la plus grande menace. Au sortir de la guerre, le PCF jouissait d¶une bonne opinion au sein de la population et devint le premier parti de France dès 1945. A côté de l¶impérialisme économique du plan Marshall qui avait aussi pour but de réduire l¶influence du PCF en accordant une aide économique massive et des opérations de la CIA pour affaiblir le syndicalisme français, le Gladio français servit de bras armé pour affermir le contrôle des Etats-Unis sur les affaires intérieures françaises. Ce fut l¶un des nombreux outils 5

de Washington pour vassaliser une IVe République déjà très proaméricaine, et qui n¶a longtemps survécu que grâce à la politique interventionniste de Washington. Cependant, les opérations anticommunistes au fil de l¶histoire de la IVe République furent de moins en moins utiles. L¶éviction des communistes du gouvernement par Paul Ramadier en 1947 sous la pression de Washington et l¶échec sur le terrain de la lutte sociale des grèves insurrectionnelles de la même année assénèrent deux chocs, dont le PCF ne se releva jamais. La déstalinisation de Khrouchtchev en 1956 et la prise de pouvoir de De Gaulle deux ans plus tard discréditèrent le PCF aux yeux des masses. Cette évolution se fit aussi sentir au sein du Gladio français. Alors que ses opérations clandestines jusque 1955-1956 étaient destinées à lutter contre le PCF, notamment avec l¶organisation Paix et liberté, le mouvement anticommuniste de Jean-Paul David, ainsi qu¶avec la police parallèle de Jean Dides, les armées secrètes opérèrent sur des terrains qui ne justifiaient en rien une hypothétique invasion soviétique ou des actions destinées à contrecarrer le PCF. Ce changement suivait celui de la CIA qui, à partir du début des années 1960, devint indépendante de la Maison Blanche et poursuivit une politique étrangère, parfois contradictoire, n¶ayant plus rien à voir avec un quelconque objectif national. Avec Jacques Foccart, un membre des réseaux Ê  et l¶éminence grise de De Gaulle, la Rose des Vents, l¶armée Ê  française, fut impliquée dans le coup d¶Etat de 1958 qui amena le général au pouvoir. Puis une partie de l¶armée secrète se retourna contre le pouvoir gaulliste et rejoignit l¶Organisation armée secrète (OAS), qui avec le soutien de la CIA essaya de renverser la Ve République naissante. Au niveau international, la France entre 1945 et 1961 eut sans doute un rôle important dans la mise en place et dans le fonctionnement des armées secrètes en Europe de l¶Ouest, et eut une influence idéologique directe dans la stratégie de la tension qui ensanglanta l¶Italie à partir des années 1960. Toutefois, au vu de leurs agissements dans des événements majeurs de la vie politique française du début de la guerre froide aux premières années de la Ve République, les réseaux Ê  restent très mal connus et tombent dans le plus complet oubli après leurs implications dans la guerre franco-française entre de Gaulle et l¶OAS. Toute étude sur les services secrets et sur les activités clandestines des Etats pose la question des sources. Suite aux nombreuses demandes à la fois de chercheurs, de pays tel l¶Autriche, ou de parlementaires, l¶OTAN, la CIA et le MI6 refusent toujours de déclassifier leurs archives sur l¶affaire qui est communément connue sous le nom de Gladio. De ce fait, j¶ai dû fonder mon travail majoritairement sur des sources secondaires. Cependant, comme tout chercheur se doit de travailler avec des documents relatant au plus près les événements, 6

j¶ai utilisé comme source primaire : la presse ; des témoignages soit oraux dans le cas de documentaires vidéo, soit écrits dans le cas d¶autobiographies ou de mémoires ; les rapports parlementaires belge, suisse, italien et luxembourgeois (ces quatre pays étant les seuls ayant enquêté sur les armées secrètes), ainsi que le débat relatif au Gladio au Parlement européen. A propos de la politique étrangère américaine et ses agissements anticommunistes en France et en Europe, j¶ai utilisé la collection Ô  

  Ê       Ê (FRUS) retraçant la politique étrangère étasunienne depuis 1861. Dans le cas de documents secrets déclassifiés qui étaient introuvables dans les Ô  et sur Internet, j¶ai eu recours à des ouvrages qui les citaient. Comme aucune enquête parlementaire n¶a été effectuée en France sur les réseaux Ê  et que ces réseaux impliquaient des personnages haut placés tels François de Grossouvre ou Jacques Foccart, le manque de sources a été le problème le plus criant auquel j¶ai été confronté.

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c c ACC: Allied Clandestine Committee BCRA : Bureau central de renseignements et d'action BND : Bundesnachrichtendienst Catena : Comité antiterroriste nord-africain CCUO : Comité clandestin de l¶Union occidentale CGT : Confédération générale du travail CIA : Central Intelligence Agency CIC: Counter Intelligence Corps CIG : Central Intelligence Group COI: Coordinator of Information CPC: Clandestine Planning Committee DCI : Démocratie chrétienne italienne DGER : Direction générale des études et recherches DGSE : Direction générale de la sécurité extérieure DST : Direction de la surveillance du territoire

FLN : Front de libération nationale FM: Field Manual FO : Force ouvrière IS : Intelligence Service JCS : Joint Chief of Staff MI6 ou SIS : Secret Intelligence Service MRP : Mouvement républicain populaire NSC: National Security Council OAS : Organisation armée secrète OPC: Office of Policy Coordination OSS : Office of Strategic Services OTAN : Organisation du traité de l¶Atlantique Nord P2 : Propaganda Due P-26 : Projekt 26 PCF : Parti communiste français PCI : Parti communiste italien

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PSI : Parti socialiste italien RPF : Rassemblement du peuple français SACEUR : Supreme Allied Commander in Europe SA : service Action SAC : Service d¶action civique SAS : Special Air Service SDECE : Service de documentation extérieure et de contre-espionnage SDRA : Service de documentation, de recherche et d¶action SFIO : Section française de l'Internationale ouvrière SGR : Service général de renseignement SHAPE : Supreme Headquarters Allied Powers Europe SID: Servizio Informazioni Difesa SIFAR : Servizio Informazioni Forze Armate SISMI : Servizio per le Informazioni e la Sicurezza Militare SOE: Special Operations Executive TMB: Tripartite Meeting Belgium

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cc$% c Après la Seconde Guerre mondiale, la peur de l¶expansionnisme soviétique et l¶infériorité des forces de l¶OTAN par rapport au Kominform conduisirent les nations d¶Europe de l¶Ouest à envisager de nouvelles formes de défense non conventionnelles, créant sur leur territoire un réseau occulte de résistance destiné à œuvrer en cas d¶occupation ennemie, à travers le recueil d¶informations, le sabotage, la propagande et la guérilla. »1 Ainsi Giulio Andreotti,

Le Divin Jules » en référence à son exceptionnelle longévité dans

les arcanes du gouvernement italien, révéla, à une Europe stupéfaite, l¶existence des réseaux Ê  en Europe de l¶Ouest mis en place par la CIA et le MI6 sous le parrainage de l¶OTAN. L¶armée secrète italienne dont le nom de code était

Gladio » (le Glaive), fut la

première branche du réseau découverte ; d¶où le terme générique Gladio, donné par la presse à l¶ensemble des réseaux Ê  européens. Le meurtre de carabiniers (la police nationale italienne) à Peteano près de Venise le 31 mai 1972, s¶avéra central dans le dévoilement de Gladio. Tout commença quand trois carabiniers, en réponse à un coup de téléphone anonyme, allèrent contrôler une Fiat 500 abandonnée. L¶explosion se déclencha quand l¶un des carabiniers ouvrit le capot. Le 2 juin, un appel anonyme revendiqua l¶attentat au nom des Brigades rouges un groupe terroriste italien d¶extrême gauche adepte de la propagande armée, fondé par Renato Curcio et Alberto Franceschini en 1970. En réponse à ce triple meurtre, la police italienne rafla 200 communistes présumés, mais aucune charge ne fut retenue contre eux. Il fallut attendre 12 ans, en 1984, pour que le juge Felice Casson procureur depuis 4 ans, rouvre l¶enquête qui était depuis longtemps tombée dans l¶oubli. Il s¶aperçut que la police n¶avait effectué aucune enquête sur les lieux, et que toute une série d¶irrégularités et de falsifications entourait l¶attentat. Il découvrit également que le rapport qui avait conclu à l¶époque que les explosifs employés étaient ceux traditionnellement utilisés par les Brigades

1

     Ê    Jean-François Brozzu-Gentile,    , Editions Albin Michel, Paris, 1994, appendice. Disponible en ligne : http://www.voltairenet.org/article8387.html . Sauf mention, tous les ouvrages cités ont été édités à Paris.

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rouges était en réalité un faux. Marco Morin, un expert en explosifs de la police italienne, avait délibérément fourni de fausses conclusions.2 Une autre affaire qui s¶était déroulée la même année avait aussi attiré l¶attention du juge Casson. A Trieste au pied des Alpes dinariques, des carabiniers tombèrent le 24 février 1972, sur une cache renfermant des munitions, des armes et des explosifs C4, identiques à ceux utilisés à Peteano. Les forces de l¶ordre pensèrent aux premiers abords à une cache d¶armes appartenant à un réseau criminel, mais des années plus tard, l¶enquête du juge Casson établit qu¶il s¶agissait

de l¶une des caches souterraines parmi des centaines d¶autres aménagées par

l¶armée secrète Ê  sous les ordres de l¶OTAN »3. En d¶autres termes : le Gladio. Malgré des empêchements délibérés pour arrêter son enquête sur les affaires de Peteano et de Trieste, le juge remonta la trace des explosifs jusqu¶à un groupe d¶extrémistes de droite appelé Ordine Nuovo qui avec la participation du SID (Servizio Informazioni Difesa), les services secrets italiens, avait perpétré l¶attentat. Il identifia le militant d¶extrême droite qui avait posé la bombe : Vincenzo Vinciguerra. Arrêté, il avoua rapidement, et pendant son procès en 1984, il témoigna qu¶il ne lui avait pas été difficile de s¶échapper et de se cacher, et il retraça comment les autorités dissimulèrent les traces après le meurtre des trois policiers : Les carabiniers, le ministère de l'Intérieur, les douanes et la brigade financière, les services secrets civils et militaires, tous savaient la vérité cachée derrière ces attaques, que j'étais responsable et tout cela en moins de 20 jours. Ils décidèrent donc, pour des raisons complètement politiques, d'étouffer l'affaire. »4 Condamné à vie et purgeant sa peine à la prison de Parme, il poursuivit sur le rôle joué par les attentats sous faux drapeaux utilisés par le gouvernement pour contrôler sa population en instaurant un climat de terreur :

Il était plus commode de le cacher que de se tourner sur

ceux qui ont tué leurs camarades. Tous les membres des Brigades rouges étaient connus par la police, les carabiniers et les bureaux de renseignement et le fait que personne n¶a rien fait pour les arrêter. Donc voyez-vous, la

guerre révolutionnaire » ne devait pas être considérée

comme étant dirigée contre la démocratie occidentale, mais plutôt comme des moyens de défense adoptés par les démocraties occidentales, et mis en œuvre avec cynisme et sans discrimination. » 5

2

Daniele Ganser, Ê Ê Ê Ê  , Editions Demi-Lune, 2007, p. 25.  . p. 26. 4 Allan Francovich,       Ê, Deuxième des trois documentaires de Francovich consacrés au Gladio, diffusé le 10 juin 1992 sur BBC2. 5   3

11

Après les révélations de Vinciguerra, par ailleurs le seul poseur de bombes d¶extrême droite jamais emprisonné »6, Felice Casson continua ses investigations sur les attentats qui avaient ensanglanté l¶Italie durant les années de plomb, et sur autorisation du président du Conseil des ministres Giulio Andreotti, il eut accès aux archives du SISMI (Servizio per le Informazioni e la Sicurezza Militare), le Service pour les Renseignements et la Sécurité Militaire, dépendant du Ministère de la Défense italien, créé le 30 janvier 1978 après la dissolution du SID. Parmi les documents découverts par Casson, le plus important fut sans aucun doute le document interne du SIFAR (Servizio Informazioni Forze Armate), le service de renseignement italien de 1949 à 1965, relatif au Gladio, daté du 1er juin 1959, et dénommé :  Ô  Ê  Ô        Il détaillait la guerre non-orthodoxe, comme le nomma Andreotti dans son rapport sur le SID parallèle, et les actions anticommunistes que le Gladio devait mener contre un envahisseur du pacte de Varsovie, en soulignant que la stratégie était coordonnée par un comité clandestin au sein de l¶OTAN, le

Clandestine Planning Committee (CPC) »

directement lié au SHAPE (Supreme Headquarters Allied Powers Europe).7 Le document insistait tout particulièrement sur la possibilité d¶une

subversion interne » en Italie, où une

prise du pouvoir par le parti communiste italien (PCI) était considérée comme un grand danger pour l¶OTAN :

Au niveau national, la possibilité d¶une situation d¶urgence (

) a été

et continue d¶être une raison pour des activités spécifiques du SIFAR. » Puis, le document expliquait la mise en place de réseaux Ê  par le SIFAR et la CIA en Italie : Parallèlement à cette décision, le directeur du SIFAR a décidé, avec l¶approbation du ministre de la Défense, de confirmer les accords précédents convenus par les services secrets italiens et les services secrets américains, à l¶égard de la coopération réciproque dans le cadre des opérations S/B (Ê  ), afin de réaliser une opération conjointe ». Il soulignait aussi que les membres du Gladio suivaient des stages de formation au Centre d¶entraînement des saboteurs parachutistes (CAGP), installé près d¶Alghero en Sardaigne, et dépendant du bureau R du SIFAR. Le document concluait qu¶un accord antérieur entre la CIA et le SIFAR, daté du 26 novembre 1956, devait être prêt

constitue le document de base de l¶opération Gladio », et que Gladio

à adopter, avec la préparation en temps opportun, de mesures préventives

pour assurer le prestige de l¶Etat, la capacité d¶action et de gouvernement. »8 6

Arthur Rowse, Gladio: The secret US war to subvert Italian democracy », !     "  , n°49, Eté 1994. 7 Ou Grand quartier général des puissances alliées en Europe. 8  Ô  Ê  Ô       . Disponible en ligne : http://www.voltairenet.org/article8387.html

12

Le juge, qui à la base ne voulait que

jeter un éclairage nouveau sur des années de

mensonges et de secrets »9, se retrouvait en face d¶un dossier qui impliquait la plus grande alliance militaire du monde, ainsi que devant la plus grande puissance mondiale, et ses services secrets qui était, selon certain,

un Etat dans l¶Etat ». Casson contacta le sénateur

Libero Gualteri qui présidait la commission parlementaire chargée d¶enquêter sur les attentats terroristes mise sur pied en 1988, pour tenter d¶apporter des éclaircissements sur les nombreux morts des années 1970 et 1980. Gualteri accepta de joindre les documents trouvés par Casson au travail de la commission, et le 2 août 1990, les sénateurs ordonnèrent au premier ministre Giulo Andreotti,

d¶informer sous 60 jours le Parlement de l¶existence, de

la nature et du but d¶une structure clandestine et parallèle soupçonnée d¶avoir opéré au sein des services secrets militaires afin d¶influencer la vie politique du pays. »10 Andreotti s¶exécuta, et le 3 août devant le Sénat révéla que des armées secrètes Ê  créées par l¶OTAN et mises en place par la CIA et le MI6 furent installées dans toute l¶Europe de l¶Ouest. Devant les sénateurs, il s¶engagea à leur remettre un rapport écrit sous un délai de 60 jours. Parlementaire depuis 1946, Andreotti fut le plus influent des politiciens de la première République italienne. Surnommé

l¶inoxydable » et proche collaborateur de De Gasperi, il

fut ministre de la Défense et président du Conseil durant les années de plomb et lors de l'affaire Moro en 1978, et à nouveau au palais Chigi au moment de l'effondrement de l'URSS et de l'unification allemande. II côtoya aussi bien le personnel politique français de la IVe République que presque tous les gouvernements de la Ve République. Sa carrière politique fut interrompue en 1992, car il fut soupçonné d¶avoir des liens avec la mafia et d¶avoir commandité le meurtre du journaliste Mino Pecorelli en 1979. Après avoir été acquitté en 1999, la cour d¶appel de Pérouse le reconnut coupable en 2002 et le condamna à 24 ans de prison. Il fut de nouveau acquitté. La description d¶Andreotti par Aldo Moro dans ses lettres qui furent écrites durant sa captivité par les Brigades rouges est en tous points éclairante :

D'Andreotti, on peut dire

qu'il a dirigé plus longtemps et plus que tout autre les services secrets (...) Il a une extraordinaire habileté à s'approprier tous les leviers du pouvoir. Il évoluait très facilement dans ses rapports avec ses collègues de la CIA (au-delà du terrain diplomatique), si bien qu'il

9

Ê 18 novembre 1990. Cité par Ganser,  , p. 33.

10

13

put être informé des rapports confidentiels faits par les organismes italiens aux organismes américains. »11 Ces révélations ne pouvaient pas mieux tomber pour étouffer une affaire qui aurait pu causer de graves dommages aux gouvernements européens, et au défenseur du

monde

libre » américain. En effet, le 2 août 1990 Saddam Hussein envahit le Koweït ce qui déclencha la première guerre du Golfe qui vit l¶usage d¶uranium appauvri contre les civils irakiens par la Coalition. Les agences de presse européennes étaient occupées aux préparatifs pour couvrir l¶une des guerres les plus médiatisées de l¶Histoire, et elles fonctionnèrent, pendant la guerre du Golfe, comme des employés sous-payés du ministère américain de la Défense. Au lieu de couvrir l¶affaire Gladio, les principaux journaux européens décidèrent de l¶étouffer. Ce mutisme de la presse fut particulièrement criant en France, où seulement 

#  , $   et    relatèrent le scandale. De plus, pourquoi Andreotti a-t-il révélé un tel scandale, alors qu¶il en avait nié l¶existence en 1974 et 1978 ? Est-ce parce que les sénateurs étaient trop proches de la vérité, qu¶il a préféré limiter les dégâts en dévoilant le Gladio, et ainsi contrôler des révélations gênantes qui auraient pu mettre à mal des officiels haut placés en Italie, en Europe et outre-Atlantique ? Le 24 octobre 1990, Andreotti envoya au sénateur Gualtieri un rapport de 10 pages intitulé      Ê   . Andreotti confirmait officiellement qu¶une armée secrète liée à l¶OTAN, ayant comme nom de code Gladio, existait en Italie et était toujours active. Conçus comme

un réseau occulte de résistance destiné à œuvrer en cas d¶occupation

ennemie », ces réseaux Ê  furent mis en place dans tous les pays de l¶OTAN. En mentionnant le document de 1959 trouvé par Casson dans les archives du SISMI qui faisait référence à un document antérieur de 1956, Andreotti confirma qu¶en novembre 1956, la CIA et le SIFAR avaient signé un accord

relatif à l¶organisation et aux activités du

réseau

clandestin post-occupation », accord communément appelé Ê  par lequel furent confirmées toutes les obligations précédemment intervenues entre l¶Italie et les USA. » Confirmant le travail d¶enquête de Casson, le premier ministre ajouta que les armées secrètes italiennes étaient coordonnées et supervisées par les organes des opérations de guerre clandestine de l¶OTAN : Une fois constitué l¶organisme clandestin de résistance, l¶Italie fut appelée à participer, à la demande française, aux travaux du CPC (Clandestine Planning Committee) opérant dans le cadre du SHAPE (Supreme Headquarters Allied Powers Europe). ( ) Dans le comité étaient déjà représentés les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France, 11 François Vitrani, 1990.

L¶Italie, un Etat de souveraineté limitée » ? »,  #     %  décembre 14

l¶Allemagne et d¶autres pays de l¶OTAN. En 1964, notre service Informations fut invité à rejoindre l¶ACC (Allied Clandestine Committee). La Grande-Bretagne, la France, les EtatsUnis, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg et l¶Allemagne de l¶Ouest appartenaient déjà à ce comité. » Ce SID parallèle ou Super-SID avait déjà été partiellement révélé par une enquête parlementaire menée en 1972 qui découvrit une superstructure qui s¶était développée en parallèle des services secrets italiens. Divulgué pour la première fois par le lieutenant colonel Amos Spiazzi, le SID parallèle était une organisation anticommuniste ultra-secrète composée de militaires et de civils, qui n¶était pas identique aux services secrets italiens mais qui coïncidait en grande partie avec le SID. Les enquêtes judiciaires qui avaient été mises en place dans les années 1970-1980 pour enquêter sur le SID parallèle, avaient toujours été bloquées par le secret d¶Etat. Les gladiateurs (c¶est-à-dire les membres du réseau Gladio) étaient armés par la CIA, qui leur fournissait des armes dissimulées

en temps de paix dans des caches appropriées

enterrées dans les différentes zones d¶opération. » 139 caches d¶armes furent ainsi installées pas les services secrets américains, incluant

des armes portables, munitions, explosifs,

bombes, poignards, couteaux, mortiers de 60 mm et canons de 57 mm, fusils de précision, transmetteurs (émetteurs radio), viseurs et différents accessoires. » Andreotti développait sur la guerre non orthodoxe que devait déclencher les soldats de l¶ombre en cas d¶une invasion soviétique, ces unités et leurs équipements devaient être indépendants des forces armées régulières. Ils étaient entraînés à l¶évasion et l¶infiltration, à la propagande, la guérilla, au sabotage, et devaient pouvoir exfiltrer le gouvernement dans un endroit sûr à l¶extérieur du pays en cas d¶attaque communiste. Les unités de guérilla Ê  assuraient le recrutement et la formation de groupe de résistants locaux, et l¶évacuation de pilotes alliés abattus en territoire occupé ennemi, ainsi que la coopération entre les services alliés, en pratiquant des exercices et des échanges d¶expérience.12 Quelque soit les pays, le contexte théorique de leur éventuelle activation était toujours le même : le pays concerné était envahi par les troupes soviétiques, son gouvernement légitime se réfugiait à l¶étranger (Grande-Bretagne, Irlande ou Amérique du Nord) et les hommes du réseau Ê  devenus immédiatement opérationnels passaient à l¶action en étroite coordination, grâce à des moyens de radio propres, avec leur gouvernement en exil.

12

Brozzu-Gentile,  , appendice.

15

Gc& c #cc c  c Les Italiens pouvaient ainsi comprendre les tentatives de coups d¶Etat, ainsi que la pléthore d¶attentats qui avaient eu lieu sur leur sol. Selon les archives du SIFAR lui-même créé, financé et dirigé par la CIA, le réseau Ê  italien fut créé le 18 octobre 1951 et placé sous le contrôle du général Umberto Broccoli, chef du SIFAR, en liaison avec le général Efisio Maras, chef d¶état-major de l¶armée. L¶intégration du réseau Gladio dans le dispositif de l¶OTAN fut formalisée par l¶accord du 26 novembre 1956 entre la CIA et le SIFAR. Grâce à l¶aide financière de l¶Office of Policy Coordination (OPC) de la CIA, le SIFAR acquit des terrains d¶entraînement au Cap Marargiù à l¶ouest de la Sardaigne. Le Gladio était administré par l¶office R du SIFAR, puis plus tard par l¶office R du SID et la 7e division du SISMI, les services secrets militaires italiens. Le Gladio avait comme devise : Silencio Libertem Servo ( Je sers la liberté dans le silence »). Pour lutter contre le puissant parti communiste italien (PCI) financé par Moscou, l¶OPC, avait érigé la Démocratie chrétienne italienne (DCI) d¶Alcide De Gasperi comme un rempart anticommuniste en lui fournissant dix millions de dollars. Les premières opérations du Gladio commencèrent dès les années 1960. Aux élections de 1963, les communistes et le parti socialiste italien (PSI) s¶allièrent pour former la première majorité de gauche au Parlement italien contre la DCI soutenue par les Etats-Unis. Dominé depuis vingt ans par la DCI, c¶était la première fois que des socialistes entraient au sein du gouvernement, alors dirigé par le Premier ministre Aldo Moro. Au même moment, le Gladio organisa son premier coup dans le cadre d¶une offensive antisyndicale. En mai 1963, des membres de Gladio habillés en policiers et en civils attaquèrent le syndicat des ouvriers du bâtiment à Rome qui manifestaient pour qu¶à côté des socialistes qui avaient reçu des portefeuilles ministériels suite aux élections de 1963, les communistes italiens obtinssent aussi une entrée au gouvernement. Cette attaque des gladiateurs ravagea une grande partie de la ville et blessa 200 manifestants.13 Kennedy qui avait été élu en 1961 et avait permis à l¶Italie de basculer au centre gauche, fut assassiné le 22 novembre 1963 à Dallas probablement par la CIA.14 Quatre mois plus tard,

13

Rowse,    Thèse développée par Flechter Prouty ancien colonel de l¶US Air Force. Selon lui, Kennedy, en émettant les NSAM (National Security Action Memorandum) # 55, 56 et 57 de juin 1961, voulait limiter voire éliminer les activités clandestines de la CIA, briser la CIA en mille morceaux et l¶éparpiller aux quatre vents » selon les dires du président, en plaçant toutes les opérations de la guerre froide sous les ordres de l¶armée. En sus, a vec le NSAM # 263 émis en octobre 1963, il voulait retirer les troupes américaines du Vietnam et mettre fin à l¶intervention militaire. Cf. L. Flechter Prouty, Ô   ! &     ÊÊÊÊ    Ô

14



16

en mars 1964, le SIFAR, l¶Agence, le Gladio et les carabiniers déclenchèrent un coup d¶Etat qui força les socialistes à renoncer à leurs ministères. Ce putsch au nom de code Piano Solo » était dirigé par le colonel Giovanni De Lorenzo.15 Ce même De Lorenzo qui avait été nommé à la tête du SIFAR en 1955 sur la recommandation de l¶ambassadeur des Etats-Unis Claire Boothe Luce. Après avoir quitté le SIFAR en 1962, il fut nommé, la même année, directeur des carabiniers par la CIA. Ce coup d¶Etat visait l¶occupation des agences gouvernementales, des principaux centres de communication, les sièges des partis de gauche ainsi que leurs quotidiens, et les bâtiments de radio et de télévision. En sus, il était prévu de déporter les cadres du PCI en Sardaigne, dans la base utilisée pour l¶entraînement des membres du Gladio. Finalement, le Plan Solo ne fut pas mis à exécution, car un compromis avait été passé entre la DCI et les socialistes, et qu¶un gouvernement de centre gauche présidé par Aldo Moro, avait été constitué le 23 juillet 1964. Une commission parlementaire fut mise sur pied en 1968 pour enquêter sur le coup d¶Etat, mais devant le mystérieux suicide de Renzo Rocca, le lieutenant-colonel du SIFAR qui avait participé au Plan Solo, et le secret d¶Etat, elle ne mena à rien. Suite au scandale, le président de la République décida la dissolution du SIFAR pour le remplacer par le SID sous la direction du général Giovanni Allavena. Le 12 décembre 1969, une bombe explosa au siège de la Banque de l¶Agriculture, à la piazza Fontana à Milan, qui fit 16 morts et 80 blessés. Ce fut le premier épisode de la stratégie de la tension qui allait ensanglanter les années de plomb italiennes. En lien avec la CIA et le SIFAR, cet attentat avait été réalisé par Franco Freda et Giovanni Ventura, deux membres d¶Ordine Nuovo un groupe armé fasciste. La police crut à un acte de l¶extrême gauche et le cheminot anarchiste Giuseppe Pinelli fut incarcéré et

suicidé » dans la nuit du 15 et 16

décembre 1969. Moins d¶un an plus tard, les 7 et 8 décembre 1970, Juan Valerio Borghese16 prépara un coup d¶Etat avec l¶aide d¶Ordine Nuovo, et d¶Avanguardia Nazionale une autre organisation d¶extrême droite fondée par Stefano Delle Chiaie, un néofasciste notoire. Ce second coup

 , Carol Publishing Group, New York, 1992. et James W. Douglass, Ô   Ê' ( 

  )   Ê, Orbis Books, Ossining, 2008. 15 Ancien résistant, il gagna la confiance du président Gronchi et de Moro alors qu¶il était à la tête du SIFAR. Il a accru substantiellement l¶activité d¶espionnage interne du SIFAR : en 1967, on découvrit l¶existence d¶environ 60 000 fascicules où figuraient toutes les grandes personnalités politiques italiennes. 16 Valerio Borghèse, surnommé le prince noir » était l¶un des fascistes célèbres recrutés par les Etats -Unis. A la tête de la Decima MAS (XMAS), un corps d¶élite de 4000 hommes créé en 1941 et placé sous commandement nazi, il avait dirigé une campagne d¶extermination des résistants sous la République de Salo. Capturé par les résistants et sur le point d¶être exécuté en avril 1945, il fut sauvé par l ¶agent de l¶OSS paranoïaque, courbé et toujours vêtu de noir, James Angleton.



17

d¶Etat préparé avec l¶appui de la CIA avait été baptisé Tora Tora », d¶après le nom de code de l¶attaque contre Pearl Harbor. Le plan prévoyait l¶occupation des ministères de l¶Intérieur et de la Défense, de la Rai et des télécommunications, l¶arrestation de parlementaires de l¶opposition, une proclamation télévisée de Borghese et le ralliement des forces armées à l¶appui du

Front national » qui regroupait l¶ensemble des conjurés. Ce plan prévoyait

également dans sa phase finale, l¶intervention des bâtiments de guerre de l¶OTAN et des Etats-Unis en alerte en Méditerranée. Le coup d¶Etat était déjà engagé, des militants d¶Avanguardia Nazionale commandés par Stefano Delle Chiaie distribuaient des armes et munitions aux conjurés, quand Borghese reçut un mystérieux coup de téléphone attribué par la suite au général Vito Miceli, le chef des services secrets militaires, qui lui ordonna de tout arrêter. D¶après Tommaso Buscetta, un mafioso, si le coup d¶Etat avorta et que rien ne fut fait, c¶était en partie parce qu¶

il y avait un grand nombre de bâtiments de guerre soviétiques

en Méditerranée. »17 Mais la stratégie de la tension ne s¶arrêta pas là. D¶autres attentats sanglants furent commis à Peteano en 1972, à Brescia le 28 mai 1974 où une bombe fit 8 morts et 102 blessés parmi les participants à une manifestation antifasciste. Le 4 août 1974, l¶attentat à bord du train Italicus Express fit 12 morts et 48 blessés. L¶assassinat en 1982 de Carlo Alberto Dalla Chiesa le chef de la lutte anti-Mafia. L¶apex fut atteint le 2 août 1980 quand une bombe explosa dans le hall de la gare de Bologne tuant 85 personnes et en blessant 200 autres. Ce fut l¶un des attentats terroristes les plus meurtriers qui frappa le sol européen au XXe siècle. Le bilan des années de plomb fut extrêmement brutal et lourd : de 1969 à 1987 491 civils furent tués et 1181 blessés et mutilés, et on répertoria 4384 actes de violence politique commis entre 1969 et 1975 par l¶extrême droite et l¶extrême gauche. Pourtant, le crime qui choqua le plus l¶opinion publique italienne fut sans conteste le corps criblé de balles d¶Aldo Moro retrouvé dans le coffre d¶une voiture abandonnée dans le centre de Rome en 1978. Le premier Ministre fut enlevé lorsqu¶il était en chemin pour soumettre le compromis historique »,  le renforcement de la stabilité politique italienne prévoyant l¶entrée des communistes au gouvernement à côté de la DCI. Les communistes, comme leurs homologues français, avaient été écartés du pouvoir après la crise de mai 1947. Kidnappé le 18 février 1978 par les Brigades rouges, l¶organisation terroriste d¶extrême gauche fondée en 1970 et dirigée par Morietti, il fut gardé en captivité 55 jours avant d¶être froidement abattu. Les Brigades rouges travaillaient en étroite collaboration avec l¶institut Hypérion, une école

17

Philip Willan,   Ê Ê     Ê   Ê    Constable, Londres, 1991. p. 97.

18

de langues à Paris, qui fut fondé par trois pseudo-révolutionnaires : Corrado Simioni qui avait travaillé pour la CIA à Radio Free Europe, Duccio Berio qui avait transmis au SID des informations sur les groupes gauchistes, et Mario Moretti qui travaillait pour la CIA et le SID et était le cerveau et le meurtrier de l¶ancien Premier ministre Aldo Moro. Selon un rapport de police datant de la fin 1979, l¶école de langue Hypérion

était le plus important bureau de la

CIA en Europe. »18 Les Brigades rouges furent infiltrées pendant des années, à la fois par la CIA et les services secrets italiens. Le but de ces opérations était d¶encourager la violence des milieux d¶extrême gauche pour discréditer la gauche dans son ensemble. Ce point de vue fut accrédité par l¶ancien colonel de l¶armée de terre des États-Unis Oswald Le Winter, qui fut pendant plus d¶une décennie le n°2 de la CIA en Europe et le co-président du Comité clandestin de l¶OTAN. Il confirma que son service avait infiltré des groupes d¶extrême gauche européens tels que les Brigades rouges en Italie ou Action directe en France ; qu¶il avait simultanément recruté des mercenaires anticommunistes à l¶extrême droite ; et enfin, qu¶il avait organisé divers attentats en les faisant exécuter par l¶extrême droite, mais attribuer à l¶extrême gauche, voire revendiquer par elle.19 Selon l¶ex-vice secrétaire de la Démocratie chrétienne Giovanni Galloni, le Mossad, avec la CIA, s¶était aussi infiltré à l¶intérieur des Brigades rouges en vue d¶une

déstabilisation de l¶Italie (

) visant à induire l¶Amérique à voir en Israël l¶unique

point de référence allié en Méditerranée, afin d¶en recevoir, de ce fait, un soutien majeur en termes tant politiques que militaires. »20 En plus de l¶implication du SID, de la CIA et du Mossad, on découvrit que plus de la moitié des 92 balles tirées sur les lieux de l¶enlèvement étaient similaires à celles des stocks de Gladio.21 Les lettres écrites par Moro durant ses 55 jours de captivité et retrouvées dans une cache des Brigades rouges à Milan, accusaient directement les réseaux stay-behind. Il écrivit qu¶il avait peur qu¶une organisation de l¶ombre avec l¶Ouest

d¶autres services secrets de

pourraient être impliqués dans la déstabilisation de notre pays. »22

La loge maçonnique Propaganda Due (P2) qui défraya la chronique fut aussi impliquée dans l¶assassinat de Moro, ainsi que dans l¶attentat du train Italicus Express et dans le massacre à la gare de Bologne. Elle fut fondée en Italie en 1877 pour servir les francs-maçons italiens visitant Rome. Licio Gelli qui était franc-maçon depuis 1963, devint le Grand Maître 18

Willan,   p. 198. Ossama Lofty, L¶OTAN: Du Gladio aux vols secrets de la CIA », Ê &  , 24 avril 2007. 20 Eric Salerno, # ÊÊ Ê   Il Saggiatore, Milan, 2010, p. 197. 21 Allan Francovich,  Ô   Ê Troisième des trois documentaires diffusés le 10 juin 1992 sur BBC2. 22     5 décembre 1990. 19



19

de P2 en 1966 et augmenta le nombre des membres d¶une quarantaine à presque un millier. En 1981, des magistrats milanais en perquisitionnant le domicile de Gelli, découvrirent la liste des membres de la loge qui comportait 962 noms. Cette liste montra que 195 officiers de haut rang de toutes les branches de l¶armée appartenaient à la loge. Elle incluait, entre autres, 70 industriels fortunés et puissants, 52 officiers supérieurs du corps des carabiniers, 50 hauts gradés de l¶armée, 5 ministres, 38 membres du parlement, 14 hauts magistrats, et presque tous les responsables des services secrets. A cela, s¶y ajoutait des civils, des diplomates, des journalistes, des personnes du monde du spectacle. Silvio Berlusconi, actuel président du Conseil, et Victor Miceli, directeur du SID de 1970 à 1974, étaient les membres les plus célèbres.23 La commission parlementaire chargée d¶enquêter sur P2 publia un rapport en 1984 qui comparait la loge à une pyramide avec Gelli à son sommet, mais suggéra qu¶au-dessus de Gelli il y avait une autre pyramide inversée comportant les personnes responsables de toute la stratégie de la tension et qui passaient leurs ordres via Gelli à la pyramide inférieure. Gelli contrôlait les services secrets italiens, et P2 était financé par la CIA via une société suisse, l¶Amitalia Fund. Sa loge avait pour but d¶empêcher une prise de pouvoir par le PCI et de réduire son influence sur la péninsule. Antonio Bellochio un membre de la commission parlementaire Anselmi déclara :

Nous avons abouti à la conclusion définitive que la

souveraineté italienne est limitée par l¶ingérence des services secrets américains et de la francmaçonnerie internationale. Si la majorité des membres de la commission avaient approuvé notre analyse, ils auraient été forcés d¶admettre qu¶ils ne sont en fait que des pantins entre les mains des Américains, et je doute qu¶ils acceptent jamais de se rendre à cette évidence. »24 Selon un ex-agent de la CIA, Dick Brenneke, Gelli, après l¶interdiction de P2 en 1981, aurait reconstitué une autre loge sous le nom de P7. P7 aurait été impliquée dans l¶assassinat du Premier ministre suédois Olaf Palme, en 1986.25 Toujours selon Brenneke, les réseaux Ê  auraient été eux aussi impliqués dans l¶assassinat de Palme. Après la déclaration de l¶ancien agent de la CIA, des officiels de la police suédoise expliquèrent qu¶ils étaient déjà sur la piste de l¶implication de la CIA et de P2 dans la mort de Palme :

Les déclarations de

personnes disant que P2 a été impliqué dans le meurtre ne sont pas nouvelles », déclara Hans Ölvebro le chef de la police suédoise enquêtant sur l¶assassinat. Il rajouta qu¶il déplorait que les enquêteurs suédois avaient pendant des années tenté en vain de trouver des personnes pour 23

Parlement italien. Ê     Ê Ê  * 1981. Disponible en ligne : http://www.namebase.org/cgi-bin/nb04/dE 24 Willan,   p. 55. 25    24 juillet 1990.

20

des interrogatoires concernant l¶implication de la loge P2.26 Toutefois, à ce jour, les preuves manquent toujours pour déterminer l¶implication des Etats-Unis, de l¶OTAN et des armées secrètes dans l¶assassinat de Palme. Sous les cris de

Francesco Cossiga tu es pire que Ceausescu », les masses italiennes

manifestaient pour que la vérité soit faite sur Gladio en automne 1990, dans l¶une des pires crises que dut traverser la République italienne. Andreotti et le président de la République Cossiga, lui-même un gladiateur et se vantant de l¶avoir été, insistaient sur l¶absolue légitimité des armées secrètes et sur l¶honorabilité des gladiateurs. Selon eux, ces 622 gladiateurs civils et militaires étaient choisis en fonction de leur fidélité aux institutions républicaines, et utilisés à des fins strictement défensives, n¶ayant rien à voir avec la politique intérieure. Cependant, Andreotti omit de mentionner que ces 622 gladiateurs entraînés à la base secrète de Cap Marargiù près d¶Alghero en Sardaigne, entraînaient eux-mêmes

entre

12 et 15 partisans, ce qui fait un total de 15 000 hommes. »27 Selon les propos d¶Andreotti, il s¶avéra que tous les présidents du Conseil et des ministres de la Défense en exercice depuis 1956 connaissaient l¶organisation. Le scandale Gladio traversa les Alpes, et gagna l¶Europe. Tour à tour, tous les gouvernements européens admirent leur participation dans la constitution d¶armées appliquant la guerre non orthodoxe. En Belgique le nom de code était SDRA/8, au Danemark Absalon, en Allemagne TD BDJ, en Grèce LOK, au Luxembourg Stay-Behind, aux Pays-Bas Ic &O, en Norvège ROC, au Portugal Aginter press, en Suisse P26, en Autriche OWSGV, en Turquie Contre-guérilla, et en France Rose des Vents. Cependant, les noms de code des armées secrètes de la Finlande, de l¶Espagne, et de la Suède demeurent encore aujourd¶hui inconnus. L¶affaire qui faisait la une de tous les journaux européens n¶eut droit qu¶à un entrefilet dans les journaux français. Le gouvernement de Michel Rocard minimisa l¶affaire en faisant annoncer à un représentant quasi-inconnu que l¶armée secrète était dissoute depuis longtemps. Le général Constantin Melnik, ancien membre du Rand (le think thank du complexe militaroindustriel américain) et l¶un des fondateurs de la Main rouge (le bras armé du SDECE dans sa politique contre le Front de libération nationale), dit au quotidien  #   le 10 novembre 2010 que le Gladio français avait probablement été démantelé sitôt après la mort de Staline en 1953 et ne devait plus exister sous la présidence de De Gaulle. »28 Andreotti démonta radicalement ce mensonge de l¶ancien responsable des services secrets français. Le même 26



Daniele Ganser, Nato¶s Secret Army in Neutral Sweden »,      Ê, Vol.4, No.2/2010, 1 novembre 2010, p. 20-39. 27 Ê 18 novembre 1990. 28  #  , 13 novembre 1990

          

21

jour, il déclara que la France avait participé à la toute dernière réunion de l¶ACC (Allied Clandestine Committee) le 24 octobre 1990 en Belgique. Deux jours plus tard, le ministre de la Défense, Jean-Pierre Chevènement tenta de limiter les dégâts à l¶antenne d¶Europe 1. Il reconnut l¶existence en France, dans les années 1950, d¶une armée Ê  . Il affirma que cette structure, proche des services secrets français et des services de renseignement de l¶Alliance atlantique avait été dissoute président de la République », sans préciser la date.

sur ordre du

Il est exact, expliqua Chevènement,

qu¶une structure a existé, mise en place au début des années 50 pour permettre la liaison entre un gouvernement qui aurait dû se réfugier à l¶étranger dans l¶hypothèse de l¶occupation de son pays. (

) Elle n¶a jamais eu à ma connaissance qu¶un rôle dormant et un rôle de

liaison. » Prié de dire si cette affaire pourrait provoquer des remous politiques en France comme en Italie, Chevènement répondit qu¶il ne pensait pas.29 En effet, les journaux français tout occupés à couvrir les préparatifs de la guerre du Golfe, l¶esclandre en resta là. Quelles que fussent les dénégations des officiels concernant les armées secrètes, le schéma de l¶Italie se retrouvait dans un grand nombre de pays de l¶Europe de l¶Ouest ;  l¶existence d¶une structure clandestine en marge du gouvernement légal qui était orchestrée par des puissances étrangères, avec le développement incontrôlé d¶un super service secret aux finalités propres. Face à l¶ampleur du scandale, le Gladio fut débattu au Parlement européen le 22 novembre 1990. Les douze membres de la Communauté économique européenne (CEE) étaient tous impliqués dans l¶affaire. Le député européen Imbeni résuma le but du débat :

Monsieur le

Président, si nous avons demandé à parler de Gladio, c¶est parce que nous ne voulons pas laisser des pages blanches dans notre Histoire. (

) On nous a dit qu¶il y avait une structure

secrète. C¶est pour cela que nous voulons maintenant savoir toute la vérité. Sur l¶instigation de qui a-t-elle été créée ? Comment a-t-elle opéré ? » La CEE, qui allait un an plus tard signer le Traité de Maastricht, était dans une période cruciale de son évolution.

(I)l existe une

nécessité fondamentale, morale et politique pour la nouvelle Europe que nous sommes en train de construire, déclara l¶eurodéputé Falqui. Cette Europe n¶aura pas d¶avenir tant qu¶elle ne sera pas basée sur la vérité, sur la transparence totale de ses institutions face à des complots obscurs contre la démocratie qui ont secoué l¶Histoire, y compris l¶histoire récente de nombreux Etats européens. Il n¶y aura pas d¶avenir, collègues, tant que l¶on n¶aura pas effacé l¶impression d¶avoir vécu dans un Etat à double visage : l¶un démocratique et visible, l¶autre

29

 #   14 novembre 1990.

22

réactionnaire et clandestin. » Falqui poursuivit en demandant que toute la lumière soit faite sur le Gladio. Son collègue le député Ephremidis, fit une référence voilée au coup d¶Etat de 1967 en Grèce, et ajouta que le Gladio sapait la démocratie et nous sommes en droit d¶imputer toutes les manœuvres déstabilisatrices, provocatrices et terroristes qui ont vu le jour au cours des quatre dernières décennies dans nos pays à ce système Gladio. » Cette organisation mise sur pied par

la CIA et par l¶OTAN, qui étaient soi-disant censés protéger la démocratie alors

qu¶ils la minaient après l¶avoir placée sous leur tutelle. » Le député s¶insurgeait contre l¶ingérence des Américains dans les affaires européennes :

Je tiens à m¶élever

énergiquement contre la volonté apparente des milieux militaires américains, qu¶il s¶agisse du SHAPE, de l¶OTAN ou de la CIA, de se mêler de notre droit démocratique. » L¶eurodéputé Staes reprit les accusations de son confrère en mettant l¶accent sur le caractère antidémocratique du Gladio : Il n¶est pas admissible que des services de renseignement extraeuropéens aient pu créer sans peine des structures antidémocratiques qui ont pu faire régner leur dictature idéologique en disposant d¶un vaste armement et sans être gênés par le moindre contrôle légal ou démocratique. » Les eurodéputés condamnèrent sans ambages les agissements des armées secrètes de l¶OTAN. Le député Dessylas stipula que

l¶on découvre ainsi combien la dépendance

barbare et la soumission des gouvernements, des forces armées, des mécanismes répressifs et des services secrets de toute l¶Europe aux Etats-Unis, à l¶OTAN et à la CIA ont été graves et piteuses. » Néanmoins, certains soulignèrent la nécessité de la mise en place de telles structures :

Il y a en effet lieu de rappeler le contexte historique qui rendait ces structures

nécessaires, c¶est-à-dire l¶époque où la menace planait sur les démocraties occidentales. » Cependant, tous les députés s¶accordaient au démantèlement de ces réseaux clandestins, et qu¶il était

dans l¶intérêt de tous que la lumière soit faite et que les coupables soient

sanctionnés. » L¶eurodéputé Pannella conclut en disant qu¶il souhaitait

vraiment que la

vérité voie le jour dans ce pays (l¶Italie ± NDA). Si toutefois la vérité voit le jour, il n¶y aura pas que Gladio, mais toute une série de choses indécentes et aberrantes, qui éclabousseront l¶ensemble de la partitocratie. »30 Le Parlement européen adopta une résolution sur l¶affaire Gladio condamnant explicitement cette structure qui avait

échappé pendant plus de quarante ans à tout contrôle

démocratique et qu(i) était pilotée par les services secrets des Etats concernés, en relation avec

30

Débats du Parlement européen du 22 novembre 1990.

23

l¶OTAN. » Un préambule en sept points résumait l¶affaire Gladio, qui était suivi par huit mesures destinées à demander le démantèlement des réseaux, empressant chaque pays membre de la CEE de faire une enquête parlementaire, et invitant les ministres de la Défense à fournir toute information en leurs possessions.31 Sur ces huit mesures pas une ne fut appliquée correctement. Seuls la Belgique, le Luxembourg, la Suisse, l¶Italie32 firent une enquête parlementaire. Concernant la huitième résolution, le secrétaire général de l¶OTAN Manfred Wörner et le président des Etats-Unis George Bush restèrent totalement muets et ne s¶expliquèrent jamais sur leurs agissements en Europe de l¶Ouest.

^c&$  cc

cc La fin de la Seconde Guerre mondiale a marqué le véritable début d¶un usage répété de méthodes terroristes par les Etats, afin de déstabiliser leurs propres systèmes démocratiques et de limiter les libertés individuelles de leurs concitoyens. Vincenzo Vinciguerra, le militant d¶extrême droite d¶Ordine Nuovo, qui avait perpétré les attentats de Peteano et de Trieste, résuma l¶idéologie, héritière de la guerre révolutionnaire de Roger Trinquier et mise en application par l¶Organisation armée secrète (OAS) et Aginter Press (l¶armée Ê  portugaise), qui sous-tend la stratégie de la tension :

Vous devez attaquer les civils, le

31

Résolution du Parlement européen du 22 novembre 1990 : 1.c condamne la mise en place de réseaux d¶influence et d¶action clandestins et demande que toute la lumière soit faite sur le caractère, l¶organisation, les finalités et to ut autre aspect de telles structures clandestines et sur les éventuelles déviations, ainsi que sur leur utilisation pour des interventions illégales dans la vie politique interne des pays concernés, le phénomène terroriste en Europe et les éventuelles complicités de services secrets des Etats membres ou des pays tiers ; 2.c proteste vigoureusement contre le fait que certains milieux militaires américains du SHAPE et de l¶OTAN se soient arrogés le droit de pousser à l¶installation en Europe d¶une structure cland estine de renseignement et d¶action ; 3.c demande aux gouvernements des Etats membres de démanteler toutes les structures clandestines militaires et paramilitaires ; 4.c demande à la magistrature des pays dans lesquels on a décelé la présence de structures militaires de ce type de faire toute la lumière sur leur réalité et sur leurs agissements et invite la justice à élucider particulièrement le rôle qu¶elles pourraient avoir joué dans la déstabilisation des structures démocratiques des Etats membres ; 5.c invite tous les Etats membres à entreprendre les démarches nécessaires, en instituant, si nécessaire, des commissions parlementaires d¶enquête, pour dresser l¶inventaire exhaustif des organisations actives dans ces secteurs et, dans le même temps, enquêter tout à la fois sur leurs liens avec leurs services officiels de sécurité respectifs, sur leurs relations avec des groupes d¶action terroristes et/ou sur leur implication dans d¶autres actes illégaux ; 6.c invite le Conseil à fournir des informations exhaustives sur les activités de ces services de renseignement et d¶action secrets ; 7.c charge sa commission politique d¶examiner s¶il convient d¶organiser des auditions propres à clarifier le rôle et la portée de l¶opération Glaive » et d¶éventuelles autres structures similaires ; 8.c charge son Président de transmettre la présente résolution à la Commission, au Conseil, au Secrétaire général de l¶OTAN, ainsi qu¶aux gouvernements des Etats membres et des Etats-Unis. 32 Il y eut trois rapports parlementaires en 1995, 1997 et 2000.



24

peuple, femmes, enfants, des personnes innocentes et inconnues, qui sont loin de toute considération politique. La raison est assez simple. Ils étaient censés forcer ces gens, le public italien, à se tourner vers l¶Etat pour demander une plus grande sécurité. Telle est la logique politique qui se cache derrière tous les massacres et les bombardements qui restent impunis, parce que l¶Etat ne peut pas se condamner ou se déclarer responsable de ce qui s¶est passé. »33 Cette manipulation en sous-main par les services secrets occidentaux et le gouvernement italien de groupes politiques d¶extrême droite et d¶extrême gauche, avait pour but de provoquer un climat de terreur et de chaos favorisant aux yeux de l¶opinion publique des politiques autoritaires.34 En d¶autres termes, la stratégie de la tension se définit comme

une campagne visant à

créer un effondrement de l¶ordre et de la loi, et par ricochet une crise de confiance des citoyens vis-à-vis d¶un gouvernement démocratiquement élu, créant ainsi les conditions d¶une prise de pouvoir par l¶armée. Elle peut également simplement permettre de créer une psychose sécuritaire au sein de la population qui se tournera en conséquence vers les formations politiques les plus autoritaires. »35 Suite aux attentats qui ont ensanglanté l¶Italie dans les années 1970, le gouvernement adopta une série de dispositions policières et législatives néfastes aux libertés individuelles.36 La stratégie de la tension en augmentant le niveau de terreur, de chaos et de troubles sociaux avait pour but de plonger les citoyens italiens dans ce qu¶Ivan Pavlov appelait l¶inhibition transmarginale ». Dans cet état d¶hystérie, un être humain est anormalement suggestible et les influences de l¶environnement peuvent remplacer un modèle de comportement par un autre, sans avoir besoin d¶un endoctrinement persuasif. Dans cet état de peur et d¶excitement, des hommes normaux et sensibles accepteront l¶inacceptable. Quand les pouvoirs en place choisissent d¶exploiter et d¶aggraver cette situation, il s¶engage dans ce que

33

Ê, 7 juin 1992. En RFA, il ne semble pas que l¶Etat ou des services secrets étrangers aient manipulé la Fraction armée rouge (FAR). Les attentats de la FAR s¶intégraient dans les objectifs du terrorisme d¶extrême gauche : déstabiliser les institutions démocratiques du régime capitaliste en s¶attaquant à des cibles symboliques, en ne perpétrant pas des attentats aveugles causant un grand nombre de morts. Toutefois, on peut subodorer une probable infiltration de la FAR par des membres des réseaux Ê  lorsque que celle-ci fusionna avec le groupe terroriste Action directe, infiltrée par la CIA, et s¶allia en 1988 avec les Brigades rouges. De même, la FAR avait des liens avec les Cellules Communistes Combattantes un groupe terroriste d¶extrême gauche belge qui commit 27 attentats entre 1984 et 1985, qui n¶étaient en réalité qu¶une création de l¶extrême droite belge en liens avec le réseau Ê   belge et les forces spéciales américaines. 35

Ê &  , 12 mars 2004. 36 Notamment la loi Reale du 22 mai 1975, donnant à la police des pouvoirs extraordinaires pour lutter contre le terrorisme, et le décret-loi Cossiga de 1979 allongeant la durée de détention préventive pour les affaires liées au terrorisme et autorisant les écoutes téléphoniques.

34

25

la psychologue Martha Stout appelle, la focaliser l¶attention du groupe sur les

guerre limbique »37 :

Si un leader choisit de

autres » terrifiants ± s¶il, ou elle, presse l¶interrupteur 38

de paranoïa installé par le traumatisme ± le niveau de peur du groupe est susceptible de rester à son maximum pendant longtemps, et qu¶il soit compétent ou non, l¶autorité perçue du leader se maintiendra. ( ) Après un traumatisme collectif, des changements sociaux à grande échelle peuvent être inaugurés, intentionnellement ou non, par une poignée d¶alarmistes qui jouent avec la colère et la paranoïa d¶une population vulnérable. »39 A la manière des chiens de Pavlov soumis à un environnement stressant, l¶être humain, soumis à une culture de la terreur, peut être ainsi reprogrammé et réagit de façon conditionnée à un ensemble de stimuli (dans ce cas la peur des communistes, des anarchistes, des terroristes ), permettant aux pouvoirs en place de manipuler psychologiquement sa population dans leur propre intérêt afin de l¶attirer vers un régime autoritaire. Le document le plus important pour comprendre l¶installation de la terreur dans un pays par des attentats sous faux drapeau est sans aucun doute le Field Manual40 (FM) 30-31B, l¶appendice top secret B du FM 30-31. Ce manuel de l¶armée américaine décrivait sur 138 pages diverses actions à mener sur le terrain, tels le sabotage, les assassinats, les attentats à la bombe, la torture, le trucage d¶élections et le terrorisme. Le FM 30-31 et ses appendices FM 30-31A et FM 30-31B avaient été rédigés par les experts en terrorisme de la Defense Intelligence Agency (DIA), le service de renseignement militaire du département de la Défense des Etats-Unis, l¶un des plus importants services secrets étasuniens travaillant en étroite relation avec la CIA. Le FM 30-31B intitulé

Stability Operation Intelligence », daté

du 10 mars 1970, était signé par le général William Westmoreland, le chef de l¶état-major de l¶armée américaine de 1968 à 1972. En 1973, le journal turc GÊ fut le premier à annoncer la publication du manuel. Le journaliste qui était entré en possession du document disparut sans laisser de traces, ce qui empêcha sa publication. Un an plus tard, une copie du FM 30-31B apparut à Bangkok en

37

Le système limbique est la partie du cerveau qui contrôle les émotions comme l¶agressivité, la peur, le plaisir et qui joue aussi un rôle dans la formation de la mémoire. 38 A l¶instar de l¶inhibition transmarginale, les événements traumatiques, dans ce cas les attentats t erroristes, ne sont pas intégrés par le néocortex, le centre intellectuel, mais par l¶amygdale, un centre du système limbique, le siège de la peur et de l¶agression. Plus l¶événement est traumatique, plus l¶amygdale en est affectée, donc plus le souvenir de l¶événement effrayant est pratiquement indélébile. De ce fait, ces souvenirs peuvent être ensuite déclenchés par des images ou des situations similaires. De cette manière, un pétard qui explose peut induire un état de paranoïa chez un vétéran de la guerre. Son interrupteur de paranoïa a ainsi été déclenché. 39 Martha Stout,    Ê)  $ )   )Ê  Ê  ÊÊ      ) )

      Farrar, Straus and Giroux, New York, 2007, p. 92-93, 95. 40 Un Field Manual est un manuel d¶instructions contenant des informations détaillées destinées aux soldats américains.

26

Thaïlande et dans diverses capitales d¶Afrique du Nord. En 1976, le périodique espagnol   publia des extraits du FM 30-31, ainsi que le magazine italien +   en 1978. Quand le mensuel italien !      imprima le manuel, les exemplaires furent immédiatement confisqués. Une copie intégrale du FM 30-31B fut trouvée le 4 juillet 1981 lors de l¶arrestation de la fille de Licio Gelli, le grand maître de la loge P2 qui avait fui l¶Italie suite à la perquisition de sa demeure par des magistrats, à l¶aéroport de Fiumicino. Après la découverte du document, le gouvernement étasunien voulut limiter les dégâts et déclara que c¶était un faux fabriqué par le KGB, qui faisait partie de l¶une de ses campagnes de désinformation. Mais selon Ray Cline, le directeur adjoint du renseignement à la CIA pendant les années 1960, le FM 30-31B était

un document authentique ». Le principal

intéressé, Licio Gelli, ne douta pas de la véracité du document et déclara sans ambages que la CIA lui avait remis le document.41 Ce document de douze pages décrivait comment les Etats-Unis devaient répondre à une insurrection communiste dans un pays allié.

Ce supplément classifié Top Secret FM 30-

31B, en raison spécialement de sa nature sensible, n¶est pas une édition standard dans les séries du FM » spécifiait le document dans son introduction. Le FM 30-31B traitait des mesures à prendre contre des individus ou des groupes du pays hôte ( Host Country ») qui mettaient en danger les intérêts des Etats-Unis :

Le FM 30-31B, d¶autre part, considère les

organismes des pays hôtes comme des cibles pour le renseignement militaire américain. » Les opérations clandestines menées par le Pentagone devaient se faire dans la plus grande discrétion : Les opérations dans ce domaine particulier sont à considérer comme strictement clandestines, puisque la participation reconnut de l'armée américaine dans les affaires des pays hôtes est limitée à la zone de coopération contre l'insurrection ou de menaces d¶insurrections. L¶implication plus profonde des forces armées américaines ne doit être révélée sous aucun prétexte. » Pour comprendre le document, il faut décrire brièvement le FM 30-31. Le FM 30-31 se basait sur le fait que les pays hôtes entretenaient des relations amicales avec les intérêts des Etats-Unis. La plus grande menace à cette amitié était l¶ grandes causes de celle-ci était l¶

instabilité » et l¶une des plus

insurrection ». De ce fait, le manuel décrivait comment les

services secrets militaires en travaillant avec les services secrets des pays alliés, pouvaient contrer ces insurrections et promouvoir la

stabilité »,  continuer à soutenir les intérêts

étasuniens. Le manuel prouvait très clairement que la politique américaine était d¶opérer

41

Ganser,   p. 320.

27

derrière le dos des pays alliés, et que l¶infiltration des services secrets et de l¶armée des pays hôtes était primordiale. Alors que le FM 30-31 énonçait des procédures de coopération avec les organismes des pays hôte pour lutter contre les insurrections locales afin de maintenir des régimes stables, l¶appendice secret B du FM 30-31 expliquait qu¶en parallèle les services secrets américains devaient infiltrer les institutions qu¶ils étaient censés aider. L¶ensemble du manuel adopte une vision binaire du monde qui est typique de la guerre froide. Les termes

communiste » ou subversion communiste » désignent en réalité tous les

groupes ou les individus ne se soumettant pas aux diktats de Washington. Ces termes servent seulement de couverture et de justification aux services secrets américains afin de perpétrer leurs actions clandestines tout autour du globe. Le manuel insistait sur la nécessité pour le Pentagone et la CIA de collaborer avec les services secrets de l¶Europe de l¶Ouest et de disposer de liens privilégiés avec les membres des pays hôtes pour mettre en œuvre des opérations clandestines. Les armées Ê  en Europe de l¶Ouest étaient contrôlées par les services secrets des pays respectifs, en collaboration avec les Américains : Le succès des opérations de stabilisation intérieures entreprises par les services secrets militaires américaines dans le cadre de stratégie de défense intérieure, dépend en grande partie du degré mutuel d¶entente entre le personnel américain et le personnel des agences du pays hôte. » De ce fait, le recrutement d¶agents fiables dans les pays d¶Europe de l¶Ouest était une condition importante pour le bon déroulement des opérations spéciales. Le document insistait sur la nécessité de recruter principalement parmi les officiers militaires, sur la base de leur immunité à l¶idéologie communiste », et parmi la police, ainsi que sur la manière dont ils devaient être préparés pour

mettre la pression sur des groupes, des organismes, ou, en

dernier ressort, sur le gouvernement du pays hôte lui-même », si un aspect quelconque du gouvernement hôte apparaissait

vulnérable. » Le supplément insistait sur le fait que

l¶action officielle n¶est pas pertinente pour les questions abordées dans le présent document. Mais l¶action non officielle impliquant la clandestinité tombe dans le domaine de la responsabilité partagée entre les services secrets militaires américains et d¶autres agences américaines. » L¶attention portée sur les militaires des pays alliés était due au fait que l¶armée jouait un rôle de premier plan lors de périodes de troubles en pouvant plus facilement prendre ou renverser le pouvoir. L¶inféodation des dirigeants des services secrets européens était aussi un autre objectif : Le recrutement à long terme des responsables des services secrets du pays hôte est donc particulièrement important. » Par ailleurs, les services secrets militaires devaient aussi 28

incorporer des civils américains travaillant dans les nations européennes. Ces civils servaient de source directe d¶information et d¶indicateurs de pistes pour le recrutement de citoyens des pays hôtes, officiels ou non, comme agents de renseignement à long terme. » Cependant, le passage le plus intéressant concernait les actes terroristes à commettre au nom des communistes ou des socialistes pour instaurer un climat de terreur et de chaos. Même si les armées Ê  ne sont pas citées dans ce manuel, les opérations envisagées dans le FM 30-31B ressemblent directement aux attentats terroristes qui eurent lieu dans divers pays européens pendant la guerre froide  des attentats sous faux drapeaux dans des lieux publics où des militants de gauche furent accusés de les avoir perpétrés.

Il peut arriver que les

gouvernements des pays hôtes montrent une certaine passivité ou indécision face à la subversion communiste ou inspirée par les communistes et réagissent avec vigueur non appropriée aux estimations des services de renseignement transmises par les agences américaines. » Si les gouvernements alliés restaient passifs devant l¶hypothétique menace communiste,

les services secrets de l¶armée américaine doivent avoir les moyens de lancer

des opérations spéciales qui convaincront les gouvernements des pays hôtes et l¶opinion publique de la réalité du danger de la rébellion et de la nécessité d¶une contre-action. » Ces moyens utilisés par les services secrets étaient l¶infiltration de mouvements d¶extrême droite et d¶extrême gauche pour commettre des attentats et instaurer au sein du pays un climat de terreur et de chaos : A cette fin, les services de renseignement de l¶armée américaine chercheront à pénétrer le milieu des insurgés au moyen d¶agents en missions spéciales avec pour tâche de former des groupes d¶action spéciale parmi les éléments les plus radicaux de la rébellion. » Ces groupes extrémistes manipulés par les services secrets américains devraient être utilisés pour lancer des actions violentes et non-violentes en fonction de la nature du cas. ( ) Dans des cas où l¶infiltration de ces agents parmi les dirigeants de la rébellion n¶a pas été réalisée de manière effective, l¶utilisation d¶organisation d¶extrême gauche peut contribuer à atteindre les objectifs fixés. »42 Premièrement, ce document est crucial pour comprendre les armées Ê  car il prouve que les services secrets américains et le Pentagone ont planifié, avec l¶aide des services secrets occidentaux, une politique de terreur pour empêcher tout changement gouvernemental, principalement en Italie, qui aurait menacé leurs intérêts. Comme le 42

Field Manual 30-31B. Disponible en ligne : http://jim-garrison.livejournal.com/37233.html et http://cryptome.info/fm30-31b/FM30-31B.htm. Des extraits sont disponibles dans :   G %   +% , 

  Ê  -Ê   G %    Ê  Ê   Ê      Rapport fait au nom de la commission d¶enquête par MM. Erdman et Hasquein. Bruxelles, rapport n° 1117-4, 1e octobre 1991 p. 81-82.

29

remarqua Valter Bielli, un membre de la commission parlementaire mise sur pied en 2000 pour enquêter sur la stratégie de la tension,

pendant la guerre froide, l¶Est était sous

domination communiste, mais l¶Ouest lui aussi est d¶une certaine manière devenu une colonie américaine. »43 Deuxièmement, le FM 30-31B met l¶accent sur l¶utilisation par les Etats du terrorisme pour contrôler sa propre population. Les groupes terroristes ont, pour la majorité, tous été infiltrés, créés ou contrôlés par les gouvernements et les services secrets, une très grande majorité des attaques terroristes que nous entendons avoir été organisées, n¶ont jamais eu lieu ou ont été effectuées par des

groupes radicaux » qui ont d¶abord été infiltrés, puis contrôlés et

éventuellement financés et fournis par les agences de renseignement. Les services de renseignement sont, en réalité, les plus grandes organisations terroristes dans le monde. La CIA a fait sauter plus d¶autobus, d¶avions et de marchés que tout autre ou presque. Le Mossad est sûrement le numéro un, suivi, par des dizaines d¶autres, tels le RAW, l¶ISI, le MI6, l¶IRA

», commente Gordon Duff, un ancien militaire et analyste politique.44

Selon le spécialiste des armées secrètes de l¶OTAN, Daniele Ganser, la stratégie de la tension ne s¶est pas arrêtée lors de la chute du mur de Berlin : elle s¶est muée en guerre contre le terrorisme. Les Etats-Unis remplaçant le danger communiste par le danger musulman pour justifier leurs guerres impériales et pour contrôler et manipuler leur population. En effet, la découverte d¶explosifs de type nanothermite dans les décombres des tours 1, 2 et 7 du World Trade Center tend à infirmer la théorie de la conspiration islamiste.45 Alain Chouet, directeur de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) de 2000 à 2002 et spécialiste de l¶Islam et du terrorisme, lors d¶un colloque au Sénat le 29 janvier 2010, corrobora l¶assertion de la fausseté du terrorisme islamiste :

Comme bon nombre de

mes collègues professionnels à travers le monde, j¶estime, sur la base d¶informations sérieuses, d¶informations recoupées, que la Qaïda est morte sur le plan opérationnel dans les trous à rats de Tora Bora en 2002. Les services secrets pakistanais ensuite se sont contentés, de 2003 à 2008, à nous en revendre les restes par appartements, contre quelques générosités et quelques indulgences diverses. Sur les quelque 400 membres actifs de l¶organisation qui existait en 2001 (...), il en reste moins d¶une cinquantaine, essentiellement des seconds couteaux, à l¶exception de Ben Laden lui-même et de Ayman al-Zawahiri, mais qui n¶ont 43

   , 24 juin 2000. Gordon Duff, Terrorism, always suspect a false flag » first », & Ê   29 mars 2010. 45 Cf. Kevin R. Ryan, James R. Gourley, Steven E. Jones, Environmental anomalies at the World Trade Center: evidence for energetic materials »,  +  Ê , 2009, vol. 29, n°1, p. 56-63. et Niels H. Harrit et al, Active Thermitic Material Discovered in Dust from the 9/11 World Trade Center Catastro phe », 

 ! ÊÊ  , 2009, 2, p. 7-31.



44







30

aucune aptitude sur le plan opérationnel. Donc moins d¶une cinquantaine ont pu s¶échapper dans des zones reculées, dans des conditions de vie précaires, et avec des moyens de communication rustiques ou incertains. Ce n¶est pas avec un tel dispositif qu¶on peut animer à l¶échelle planétaire un réseau coordonné de violence politique. D¶ailleurs il apparaît clairement qu¶aucun des terroristes post 11/9, qui ont agi à Londres, Madrid, Casablanca, Djerba, Charm-el-Cheikh, Bali, Bombay, etc., ou ailleurs, n¶a eu de contact avec l¶organisation. Et quant aux revendications plus ou moins décalées qui sont formulées de temps en temps par Ben Laden ou Ayman al-Zawahiri, à supposer d¶ailleurs qu¶on puisse réellement

les

authentifier,46

elles

n¶impliquent

aucune

liaison

opérationnelle,

organisationnelle, fonctionnelle entre ces terroristes et les vestiges de l¶organisation. («) (A) force de l¶invoquer en permanence, un certain nombre de médias réducteurs et quelques soidisant experts de part et d¶autre de l¶Atlantique ont fini non pas par la ressusciter, mais par la transformer en une espèce d¶Amédée de l¶auteur Eugène Ionesco, ce mort dont le cadavre ne cesse de grandir et d¶occulter la réalité, et dont on ne sait pas comment se débarrasser. («) Pour conclure et essayer d¶apporter mon élément de réponse à la question posée à cette table ronde «Où en est Al-Qaïda ? », Al-Qaïda est morte entre 2002 et 2004.»47 Quelques mois plus tard, le chef de la CIA Léon Panetta confirma les propos de Chouet : «Je pense que l¶estimation du nombre de combattants d¶Al-Qaïda (en Afghanistan ± NDA) est en fait relativement faible. Tout au plus, nous envisageons de 50 à 100 combattants, peut-être moins. »48 Quant au gladiateur et ancien président de la République italienne, Francesco Cossiga, il déclara sans ambages au quotidien !    : «On nous fait croire que Ben Laden aurait avoué l¶attaque du 11 septembre 2001 sur les deux tours à New York, alors qu¶en fait les services secrets américains et européens savent parfaitement que cette attaque désastreuse fut planifiée et exécutée par la CIA et le Mossad, dans le but d¶accuser les pays arabes de terrorisme et de pouvoir ainsi attaquer l¶Irak et l¶Afghanistan. »49 Après le 11 septembre, le complexe militaro-industriel américain choisit de déclarer une guerre permanente, la guerre contre la terreur, contre un ennemi fictif qui était à la fois partout

46

Effectivement, les vidéos de Ben Laden sont probablement fausses : cf.     «Bin Laden tape «created by impostor » », 29 novembre 2002. De même, Ben Laden est lui-même sans doute mort d¶une insuffisance rénale aiguë en 2001. Une affirmation reprise par nombre d¶officiels de Benazir Bhutto à l¶ancien agent de la CIA Robert Baer, jusqu¶à la DGSE. Cf. David Ray Griffin, Ê G     . Olive Branch Press, New York, 2009. 47 Colloque au Sénat du 28 au 29 janvier 2010.  #  /     "    % 

      #  .

Intervention d¶Alain Chouet disponible en ligne : http://videos.senat.fr/video/videos/2010/video3893.html 48  $    Ê , 27 juin 2010. 49

Ê &  , 17 décembre 2007.

31

et nulle part, menaçant prétendument l¶existence de l¶Occident en voulant la détruire par tous les moyens. George W. Bush et ses successeurs se lancèrent alors dans, ce qu¶appelle le géopolitologue F. William Engdahl, le Ô  Ê   . Un concept militaire désignant la domination de toutes les terres, de la surface de la mer, du sous-sol, des airs, des spectres électromagnétiques et des systèmes d¶information, par une puissance capable de battre et de gagner des guerres contre n¶importe quel adversaire, y compris en utilisant des frappes nucléaires préemptives. D¶autres moyens de contrôle, telles les Organisations non gouvernementales (ONG), les révolutions colorées pour changer les régimes hostiles à Washington (par exemple pour les pays de l¶ex-bloc soviétique), ainsi qu¶une vaste gamme de techniques de guerre psychologique et économique ont été et sont toujours utilisées par les présidents George W. Bush et Barack Obama.50

cc&cG  'ccc(  c c& cº c(

c  ccc) c%  c"! c Former des noyaux clandestins d¶hommes aptes à développer une résistance en cas d¶invasion de l¶Armée rouge en Europe occidentale, n¶était pas une création - des puissances anglo-saxonnes. Francesco Cossiga dévoila qu¶en 1951 les Français s¶entendirent avec les Britanniques et les Américains pour s¶appuyer sur l¶expérience du Special Operation Executive (SOE), et de l¶Office of Strategic Services (OSS), l¶ancêtre de la CIA, afin de constituer des armées Ê  en Europe.51 L¶idée même des réseaux de résistance en cas d¶invasion avait germé de la tête de Winston Churchill. Le premier ministre anglais créa le SOE, le service secret britannique qui fut pendant cinq ans le principal instrument d¶intervention de la Grande-Bretagne dans les affaires politiques internes de l¶Europe durant la Seconde Guerre mondiale. Dans sa célèbre réponse à Hugh Dalton, le Ministre de l¶économie de guerre, Churchill résuma l¶objectif premier du SOE :

Mettre le feu à

l¶Europe ».52 Le 16 juillet 1940, Dalton fut nommé pour prendre la responsabilité politique de la nouvelle organisation, officiellement créée le 22 juillet. Comme modèle de son organisation, il s¶inspira de l¶IRA (Irish Republican Army) durant la guerre d¶indépendance irlandaise : 50

Cf. F. William Engdahl, Ô  Ê           ) (    Third Millennium Press, Chippenham, 2009. 51 Brozzu-Gentile,  ., p. 129. 52 Michael Richard Daniell Foot, Ê  Ê Ê 

ÊÊ      G %  0   1+2

 Ô 34563455, Tallandier, 2008. p.68.

32

Nous devons organiser en territoire occupé par l¶ennemi des mouvements comparables au Sinn Fein irlandais, aux guérilleros chinois qui se battent en ce moment contre le Japon, aux irréguliers espagnols qui ont joué un rôle notable dans la campagne de Wellington ou ± autant l¶admettre ± aux organisations que les nazis eux-mêmes ont développées de manière si remarquable dans presque tous les pays du monde. Cette internationale démocratique » doit recourir à une grande diversité de méthodes, dont le sabotage industriel et militaire, l¶agitation ouvrière et la grève, la propagande systématique, les attentats terroristes contre les traîtres et contre les responsables allemands, le boycott et l¶émeute. ( ) Ce qu¶il nous faut, c¶est une organisation nouvelle qui coordonnera, animera, contrôlera et aidera les nationaux des pays opprimés, qui doivent eux-mêmes être les acteurs directs de ces opérations. Il nous faut un secret absolu, un enthousiasme fanatique, le goût de travailler avec des gens de différentes nationalités, une totale fiabilité politique ».53 En novembre Dalton nomma Sir Colin McVean Gubbins, qui joua un grand rôle dans la mise en place des réseaux Ê  en Europe, comme chef des opérations et de l¶entraînement. Le SOE se spécialisa alors dans la guerre non orthodoxe derrière les lignes ennemies. Le service secret de Churchill fut premièrement, chargé de susciter et de nourrir l¶esprit de résistance dans les pays occupés par les nazis, et deuxièmement, il devait produire un noyau d¶hommes bien entraînés capables de contribuer

à la manière d¶une cinquième

colonne », à la libération du pays concerné dès que les Britanniques seraient en mesure de l¶envahir. Le SOE frappait l¶ennemi vite et fort, il s¶agissait à la fois de lui donner un sentiment d¶insécurité et de l¶affaiblir stratégiquement. C¶était le taon envoyé par la déesse Héra à sa rivale Io pour la rendre folle ».54 La France occupait tout au long de la guerre une place importante dans le travail du SOE, où elle disputa souvent le premier rang à la Yougoslavie. A côté de la section F, fondée par Humphrey, qui fut la plus active, et comptabilisa la création d¶environ cent réseaux indépendants sur le sol français et arma plusieurs dizaines de milliers de combattants de la résistance, il y avait la section RF chargée de travailler avec le chef du BCRA (Bureau central de renseignements et d'action) André Dewarin Passy, la section DF chargée de la mise en place des filières d¶évasion devant permettre le retour des agents en Angleterre, et les groupes Jedburgh envoyés en France après le Jour J, dont l¶un de leurs membres, Paul Aussaresses, futur chef du service action du SDECE (Service de documentation extérieure et de contreespionnage) connu pour sa pratique de la torture en Algérie, qui installa nombres d¶armées 53 54

  p. 62.  . p. 69

33

secrètes en France après la fin de la guerre. Le plan Jedburgh était né en 1942 dans l¶esprit de Gubbins : il s¶agissait de parachuter derrière les lignes ennemies, au moment du débarquement, de petites équipes chargées de soulever et d¶armer la population civile pour l¶associer à des actions de guérilla.55 L¶influence du SOE sur la résistance française, et notamment sur la France libre et son service secret le BCRA a été cruciale. Fondée par de Gaulle après son appel du 18 juin, l¶organisation de résistance extérieure fondée à Londres, la France libre était secondée par le BCRAM (Bureau central de renseignement et d'action militaire) qui devint le BCRA le 1er septembre 1942, et qui préfigura l¶armée secrète française à laquelle il donna une grande majorité de combattants. Le BCRA dépendit strictement des Britanniques pour sa logistique et ses transmissions (postes de radio, avions, parachutages, récupération par sous-marins...). Si le BCRA recrutait des agents, c¶étaient les Britanniques qui assuraient leur formation et qui leur fournissaient le matériel de guerre et les moyens de transmission et de liaison. Dès 1941, Gubbins avait souligné que de Gaulle ne possédait ni les avions ni les transmissions indispensables pour agir en France :

Je pense donc, avait-il conclu, que si nous payions le

violon dans ce domaine, nous pourrions dans une large mesure choisir la musique. »56 Les sections de l¶IS (Intelligence Service) et du SOE travaillaient en France indépendamment du BCRA. Passy constata que leurs partenaires ne s¶embarrassaient pas de fair-play à leur égard et cherchaient davantage à les placer sous tutelle qu¶à initier avec eux une véritable collaboration.57 Quoi qu¶il en soit, sans le travail du SOE, l¶appareil national de résistance qui se mit en place sous l¶autorité de De Gaulle n¶aurait jamais vu le jour.58 Du premier largage de combattants derrière les lignes ennemies en 1941 en Pologne, jusqu¶à la dissolution officielle du SOE en janvier 1946, Churchill dota les Britanniques d¶un système de renseignement centralisé plus efficace et rentable que celui d¶Hitler, de Staline, ou même de Roosevelt.59 Mais avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, l¶ami d¶hier, Staline, se transformait en la bête noire que devait vaincre l¶ancien empire. Le MI6 commença à recruter ses anciens ennemis, pour contrer la nouvelle menace communiste. Des anciens membres des Waffen SS, ainsi que de nombreux nazis qui avaient trouvé refuge en Suède à l¶approche de la défaite d¶Hitler, furent recrutés par le renseignement britannique. Les services secrets britanniques 55

  p. 79 et 84. Sébastien Albertelli Ê ÊÊ Ê Ê       G!  34563455 Librairie Académique Perrin, 2009, p. 213.c 57   p. 513. 58 Foot,   p. 92. 59 David Stafford, !      Overlook Hardcover, 1998, p. 190. 56

34

embauchèrent le major SS Horst Kopkow, qui avait donné l¶ordre d¶assassiner plus de 100 agents secrets britanniques enfermés dans les camps de concentration. A la fin de l¶année 1944, le MI6 avait contacté et renouvelé ses relations avec des groupes nazis tels Intermarium et la ligue de Prométhée, que le service avait soutenus avant la guerre.60 Des documents déclassifiés par le MI5 le 4 avril 2011, révèlent qu¶Olivier Mordrelle (alias Olier Mordrel), une figure majeure du nationalisme breton du XXe siècle, fut durant toute la Seconde Guerre mondiale un important agent du Scherheitsdienst (SD), le service de renseignement du parti nazi allemand. Capturé et interrogé par le MI5 en avril 1945, il révéla qu¶il avait participé à la réunion de création du

Comité de la liberté », une organisation

nazie secrète chargée de préparer l¶avènement d¶un Quatrième Reich.61 Relâché et exfiltré en Argentine par le MI5, il fut recruté par les Britanniques dans leurs réseaux Ê   Selon toute vraisemblance, il devint alors un espion britannique chargé de surveiller les organisations irlandaises et celtiques.62 Gubbins, chef du MI6 de 1939 à 1952, n¶allait pas se priver d¶un outil aussi efficace que le SOE, et ils étaient nombreux au sein du SOE à penser que la guerre

était devenue un mode

de vie, et ils étaient convaincus que le quartier général à Baker Street allait jouer un rôle important dans le monde d¶après-guerre. »63

Gc&c* +ccc # c , c En 1945, Gubbins autorisa l¶intégration du SOE au sein du MI6. Le service secret de Churchill fut intégré sans qu¶aucune de ses composantes qui en avaient fait l¶un des outils les plus efficaces de la politique militaire britannique, ne soit réformée. Cette fusion fournit une organisation qui pouvait fonctionner que ce soit en temps de paix ou de guerre, vu que la stratégie d¶après-guerre du MI6 insistait sur des activités

contre-révolutionnaires. »64 Ainsi

dès 1945, le futur SOE, le Special Operation Branch (SOB), la section qui s¶occupera des actions clandestines du MI6, avait posé les bases pour ce qui deviendra  en Europe connus sous le nom de Gladio. »

65

les réseaux Ê 

Avec l¶aide de Gordon Instone, officier

60

Stephen Dorril, #7, The Free Press, New York, 2000, p. 17. Cette réunion est à mettre en parallèle au rapport du renseignement militaire étasunien EW -Pa 128 du 7 novembre 1944 (appelé aussi The Red House Report »), détaillant le plan des industriels nazis pour s¶engager dans la reconquête du pouvoir après la défaite de l¶Allemagne, afin de créer un Quatrième Reich en Europe. Document consultable : http://www.cuttingthroughthematrix.com/articles/Intelligence_Report_EW -Pa_128.html 62

Ê &   7 avril 2011. 63   p. 19 64   p. 33 65   p. 32. 61



35

de renseignement de l¶IS 9 pendant 15 ans, qui réorganisa dès 1944 des réseaux en France,66 et Airey Neave l¶éminence grise de Margaret Thatcher, Gubbins réinstalla des noyaux d¶agents dormants dévoués pour manipuler la politique intérieure des pays européens. L¶implication de la Grande-Bretagne dans l¶affaire Gladio, fut confirmée par d¶anciens membres de l¶armée britannique après les révélations d¶Andreotti. Un réseau secret d¶armes a été mis en place en Grande-Bretagne pendant la guerre froide, dans le cadre d¶une organisation anticommuniste d¶Europe de l¶Ouest. Des plans ont été établis plus tard pour donner à l¶organisation une

utilisation secondaire », la lutte contre la prise de contrôle du

gouvernement civil par des groupes militants de gauche », révélèrent d¶anciens militaires au   .

C¶est la première fois que la Grande-Bretagne participe à un plan orchestré par

l¶OTAN, participant à l¶armement de civils » pour contrer les partis communistes occidentaux.67 Dès 1940 en Grande-Bretagne, un réseau de guérilla avec des caches armes était déjà en place après la chute de la France. Ses membres, dont Mad Mike Calvert, furent recrutés dans un bataillon de ski des forces spéciales des Scots Guards, qui fut à l¶origine destiné à lutter contre l¶occupation nazie en Finlande. De même, aux premiers jours de la direction du parti conservateur par Margaret Thatcher, un groupe d¶anciens officiers de renseignement inspiré par le SOE, et emmené par Airey Neave et George Kennedy Young, ancien chef adjoint du MI6, ont tenté de mettre en place des réseaux Ê  en GrandeBretagne. Thatcher, d¶abord enthousiaste, aurait abandonné l¶idée suite à la mission catastrophique du SDECE en Nouvelle-Zélande, qui vit le coulage du Rainbow Warrior en 1975.68 Neuf ans avant l¶intronisation de Thatcher comme Premier ministre, un groupe paramilitaire d¶extrême droite fut fondé en 1970 en Angleterre. La Resistance and Psychological Operations Committee (RPOC), ou Comité de résistance et d¶opérations psychologiques, était un groupe clandestin au sein du gouvernement britannique financé par le Reserve Forces Association (RFA), une organisation mise en place pour représenter les réservistes militaires britanniques. La RPOC fut fondée par des vétérans de la Deuxième Guerre mondiale tels Sir Collin Gubbins fondateur du SOE, et le général Sir Richard Gale un ancien député du Supreme Allied Commander Europe (SACEUR), car ils pensaient que

le

besoin était apparu de nouveau pour une organisation de guerre clandestine comme le SOE, mais cette fois dirigée contre le communisme. » Depuis 1971, en étroite collaboration avec les 66

Roger Faligot et Rémi Kauffer, Ê 8 Ê Ê Ê  Ê     Ê     *  

    /  Ê 9 Ê Robert Laffont, 1994, p. 59. 67     15 novembre 1990. 68    , 5 décembre 1990.

36

SAS, la RPOC mit en place

des noyaux d¶une organisation de résistance souterraine,

pouvant rapidement être étendue en cas d¶une occupation soviétique d¶un territoire de l¶OTAN, y compris la Grande-Bretagne. Des liens étroits ont été noués avec des unités similaires dans plusieurs pays européens, qui recrutent activement des combattants de la résistance anticommunistes », selon Chapman Pincher (un journaliste spécialiste de l¶espionnage - NDA). Ils ont également dit avoir établi un réseau de renseignement, que les chefs de l¶OTAN jugent comme étant de grande valeur. » Cette armée secrète était en lien avec le gouvernement Tory, et avait accès au ministère de la Défense et au Comité interarmées à Salisbury.69 L¶amnésie frappait les officiels anglais, à l¶image du ministre de la Défense britannique qui refusa tout commentaire sur l¶existence de tels réseaux70, et de Tom Knight secrétaire de la Défense, qui maintenait qu¶il n¶avait jamais entendu parler de Gladio :

Je ne suis pas sûr de

quelle patate chaude vous courez après. Ca semble merveilleusement passionnant, mais j¶ai bien peur d¶être dans l¶ignorance totale sur ce sujet. Je suis mieux informé sur le Golfe »71 Mais il apparut que le MI6 avait créé les armées secrètes belge, suisse, et française et avait pris part à des exercices conjoints avec l¶Italie. En Belgique, Guy Coëme le ministre de la Défense, fit référence à un réseau Ê  le SDRA-8, mis en place avec des armes britanniques en 1949, toujours actif, sous la direction des services de renseignement militaires belges. »72 Un ancien officier du renseignement de la CIA, colonel Oswald Le Winter, interrogé par Allan Francovich avoua qu¶il y avait

une division du travail entre le Royaume-Uni et les

USA, les premiers se chargeant des opérations en France, en Belgique, aux Pays-Bas, au Portugal et en Norvège tandis que les Américains s¶occupaient de la Suède, de la Finlande et du reste de l¶Europe. »73 Cette division des tâches ne s¶était pas faite sans heurts entre les deux services secrets. Durant la guerre froide, en plus d¶être engagés dans une guerre contre le communisme, les services secrets alliés luttaient entre eux dans une guerre délicate. Les Britanniques et le MI6 considéraient non pas le Kremlin comme leur plus grand rival, mais les Américains et la CIA. A partir du déclenchement de la guerre de Corée en 1950, l¶objectif principal des Britanniques n¶était pas seulement de contenir l¶URSS, mais de maîtriser le danger d¶une guerre chaude provoquée par les actions clandestines des Etats-Unis : Il est 69

  ) , novembre 1977.    , 14 novembre 1990. 71    , 17 novembre 1990. 72     , 16 novembre 1990 73 Allan Francovich,    

 #Ê Ê, Premier des trois documentaires diffusés le 10 juin 1992 sur BBC2. 70

37

incertain si les Etats-Unis seront capables de contrôler le Frankenstein qu¶ils ont créé », statuait l¶amiral Eric Longley-Cook en parlant de la CIA.74 Inconnue du gouvernement suisse, l¶armée secrète P26 avait été fondée par les services secrets britanniques, qui lui fournissaient des entraînements pour la formation au combat, les communications, et le sabotage. Cette coopération avait été entérinée par la signature d¶un accord entre les deux pays, dont le dernier remontait à 1987. L¶existence de la P-26 fut révélée lors du scandale des fiches qui secoua la Suisse en 1990, lorsqu¶une enquête parlementaire, le rapport Cornu, fut rendue publique. Selon le magistrat Cornu, P26 n¶avait aucune légitimité politique ou morale ». Il décrivit services secrets britanniques comme

la collaboration entre P26 et les

intense » », la Grande-Bretagne offrant

un précieux

savoir-faire ». Les membres de P26 participèrent à des exercices réguliers au Royaume-Uni, et des conseillers britanniques, probablement membres du SAS (Special Air Service) visitaient les camps d¶entraînement secrets suisses. En témoigne la domination du MI6 sur ses alliés européens,

les activités de P26, ses codes, et le nom du chef de groupe, Elfrem

Cattelan, étaient connus seulement des services de renseignement britanniques, alors que le gouvernement suisse était gardé dans l¶ombre ».75 Une grande partie du rapport Cornu est encore aujourd¶hui tenue secrète pour une durée de 30 ans. Dans l¶optique d¶exercices militaires conjoints entre les diverses armées secrètes de l¶OTAN, des documents révélèrent que dans les années 1970 des officiels britanniques et français avaient été impliqués dans la visite d¶une base allemande construite avec de l¶argent américain. De même, des gladiateurs italiens rendirent visites à leurs homologues britanniques dans une base militaire en Angleterre selon le général Gerardo Serraville. En retour les combattants de l¶ombre anglais visitèrent une base italienne en 1974.76 En sus de la CIA et du MI6 et de leurs départements des opérations spéciales, l¶OPC et le SOB, une coopération fut établie entre les forces spéciales américaines et britanniques, les Bérets verts et le SAS. Le SAS fut créé en 1941 par le lieutenant David Stirling, et il se spécialisa pendant la Seconde Guerre mondiale dans des raids menés derrière les lignes ennemies. Avec 80 missions effectuées pendant la guerre, l¶unité fut dissoute en 1945, avant de renaître en 1950. Le    révéla que le SAS avait creusé des caches d¶armes secrètes

74

Richard J. Aldrich,  $  $  G    !  ( Ê    Overlook TP, 2003, p. 327. 75

    20 Septembre 1991. Pour une analyse plus approfondie du Ê  suisse, cf. The British Secret Service in neutral Switzerland », Daniele Ganser,          , Vol.20, n°4, Decembre 2005, pp.553-580. 76     17 novembre 1990.



38

dans la zone britannique de l¶Allemagne.77 En France, il fonda le complot dit du Plan bleu destiné à renverser la IVe République et à instaurer un régime fasciste.78 De l¶autre côté de l¶Atlantique, la CIA joua un rôle primordial dans l¶installation des armées anticommunistes européennes. Sortis considérablement renforcés de la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis allèrent bientôt reprendre le flambeau de l¶ancien empire britannique pour imposer leur hégémonie sur le monde. La guerre froide vit cette guerre invisible que se livrèrent les services secrets, la CIA et le KGB. L¶usage de la bombe atomique rendit obsolètes les confrontations traditionnelles entre deux ou plusieurs armées. De ce fait, la

main invisible » des services secrets pour reprendre

la dénomination de Richard J. Aldrich, ouvrit une nouvelle ère de guerre perpétuelle en période de paix. Sous couvert d¶anticommunisme, la CIA bafoua la souveraineté nationale, non seulement des pays européens, mais majoritairement des pays du Tiers-monde. Les services secrets créèrent un nouveau type de guerre invisible qui devait être répandu sous le sceau de la propagande, des actions clandestines, des budgets noirs, et du secret. Ils l¶appelèrent guerre froide :

Le service secret est fondamental pour la compréhension de la

guerre froide. Aux niveaux les plus élevés, ce fut le renseignement, notamment le renseignement top secret qui soutint, même légitima tant de politiques lancées au nom du conflit. (

) (L)a conviction grandissante que la guerre froide puisse être gagnée via des

opérations spéciales ou des actions clandestines, fut cruciale pour déterminer le caractère de cette lutte. Dès le début des années 1950, les opérations pour influencer le monde par des méthodes secrètes - la main invisible - devenaient omniprésentes et semblaient transformer même les aspects quotidiens de la société en une extension de ce champ de bataille. La guerre froide a été menée, par-dessus tout, par les services de renseignement. »79

cc&c" , -c c^ cc c

c.

c c&$" cc# #c  c Durant l¶été 1940, Roosevelt, envieux de l¶efficacité des services secrets britanniques en matière de guerre secrète, dépêcha l¶avocat William JosephcDonovan, ancien combattant de la Première Guerre mondiale, pour suivre un séminaire au sein des services secrets européens.

    5 Decembre 1990.  p. 82. 79 Aldrich,    p. 5.

ÎÎ 78

39

Son rapport fut un panégyrique des méthodes allemandes guerre psychologique ». Il insista auprès de Roosevelt qu¶

passé maître dans l¶art de la il (faut) absolument que les

Américains puissent, eux aussi, se battre dans ce qu¶ils appellent la orthodoxe » ».

80

guerre non

Son souhait fut exaucé, et en juillet 1941 Roosevelt institua le COI

(Coordinator of Information) pour coordonner les activités américaines en matière de renseignement, dont le commandement fut donné à Donovan, l¶inspirateur de la CIA. En juin 1942, le COI fut remplacé par l¶OSS (Office of Strategic Services), qui ne dépendait plus directement du président américain, mais du nouveau Comité des chefs d¶États-majors interarmées, le Joint Chief of Staff (JCS). Cette subordination à une autorité militaire lui assurait à Washington une légitimité que le COI n¶avait jamais acquise. Doté d¶un appareil impressionnant, disposant d¶un potentiel de 13 000 agents et d¶un budget de plusieurs millions de dollars, l¶OSS se livra avec le concours des ambassades américaines à l¶étranger, à des activités de contre-espionnage en jouant de sa multiplicité pour s¶infiltrer dans les milieux les plus divers. Dès 1943, l¶OSS commença à intervenir en Italie, et l¶idée que le communisme était le véritable danger faisait déjà son chemin. Les premières enquêtes de l¶OSS avaient de manière significative le parti communiste italien pour cible. La section

Research and Analysis »

consacra une trentaine de rapports aux communistes entre décembre 1943 et avril 1945. Le parti fut minutieusement détaillé, grâce à l¶aide des services secrets britanniques et français. L¶objectif fut très rapidement fixé : il s¶agissait d¶empêcher, dans le Sud libéré et principalement à Naples, la reconstitution d¶un parti communiste puissant et d¶un syndicalisme unitaire de gauche.81 Les premiers bénéficiaires de cette chasse aux communistes en Italie furent les anciens cadres du régime mussolinien. Mis à par le fait que le Gladio fut composé en grande partie de fascistes adeptes de la République de Salo et de militants d¶extrême droite, 90% du personnel de l¶appareil d¶Etat du régime fasciste était rentré dans ses fonctions entre 1944 et 1948. Malgré son soutien actif au régime déchu, la classe dirigeante fut réintégrée à tous les échelons des appareils militaire et policier. 82 Les bases pour l¶empêchement de toute tentative d¶émancipation des peuples européens envers l¶hégémonie américaine étaient ainsi posées. Le 10 janvier 1944, la coopération entre les services secrets anglo-saxons franchit un nouveau pas, quand le SOE et l¶OSS fusionnèrent au sein du SFHQ (Special Forces Headquarters), placé sous l¶autorité du

80

Brozzu-Gentile,   . p. 162. Jan de Willems (dir),   EPO, Bruxelles, 1991, p. 70 82   p. 73. 81

40

Supreme Headquarters Allied Expeditionary Force (SHAEF). Faute pour l¶OSS de disposer d¶un personnel abondant et qualifié, le principe de l¶égalité du SOE et de l¶OSS au sein du SFHQ resta purement théorique. A la Libération, les Alliés firent table rase du passé des nazis, et une véritable chasse aux nazis se déclencha à travers tous les services secrets, que ce soit le KGB, le futur SDECE, la CIA, le MI6« La CIA déclencha l¶opération Paperclip à l'insu du président Truman, pour exfiltrer et recruter près de 1 500 scientifiques issus du complexe militaro-industriel allemand, pour lutter contre l'URSS et récupérer les armes secrètes du Troisième Reich.83 Le Vatican mit en place de nombreux réseaux d¶exfiltration permettant aux criminels nazis de fuir la justice alliée, les Ratlines. De l¶autre côté de la Méditerranée, le Mossad recruta des anciens officiers SS, tel Walter Rauff, qui avait massacré des dizaines de milliers de juifs, pour l¶utiliser dans des missions d¶espionnage dans les pays arabes.84 Le témoignage d¶Erhard Dabringhaus, qui collabora avec le Counter Intelligence Corps (CIC) en Allemagne en 1948 et 1949, est en ce point édifiant. Dans le documentaire d¶Allan Francovich consacré à Gladio, il avoua qu¶il avait lui-même participé au recrutement d¶anciens nazis, et expliqua comment d¶anciens nazis avaient aménagé des caches d¶armes Ê  sous l¶autorité des Américains. Il ajouta que l¶assassin de Jean Moulin avait les faveurs américaines : «J¶étais stationné à Augsberg et («) on m¶a confié la direction d¶un réseau d¶informateurs allemands dont faisait partie Klaus Barbie et Klaus Barbie était« j¶ai découvert plus tard qu¶il était recherché pour meurtre par les Français et j¶en ai fait part à mes supérieurs qui m¶ont répondu de me taire : «Il nous est toujours utile pour l¶instant. Dès qu¶il sera inutile, on le livrera aux Français ». Je pensais être promu pour leur avoir parlé de Barbie et ils m¶ont simplement dit de la fermer ».85 Les maîtres du Troisième Reich ne firent que changer de noms et les «SS d¶hier dev(inrent) les fervents démocrates d¶aujourd¶hui en s¶installant aisément aux postes clés de l¶administration de l¶Allemagne libérée ».86 D¶une manière générale, sur quels critères se basaient les réseaux Ê  européens pour recruter leurs membres ? Certes, l¶anticommunisme fait figure de choix comme critère

83

Cf. Giles MacDonogh,   

    Ê        , Basic Books, New York, 2007. L¶ouvrage aborde principalement l¶occupation de l¶Allemagne entre 1945 et 1949 par les troupes américaines qui causa la mort d¶environ trois millions de civils. 84 Cf. Shraga Elam et Dennis Whitehead, «In the service of Jewish state », $  29 mars 2007. Ce recrutement peut se comprendre à cause de la collaboration peu connue entre le sionisme et le nazisme. Les morts juifs de l¶Holocauste auraient pu être diminués sans la collaboration des dirigeants sionistes avec le Troisième Reich : cf. Lenni Brenner, :3   Ê ; Ê      )   Ê Barricade Books, New York, 2010. 85 Francovich,    

 #Ê Ê. 86 Brozzu-Gentile,   . 183.

41

de sélection, mais il se pourrait qu¶un autre type de sélection beaucoup plus efficace basé sur des facteurs psychologiques fût appliqué. C¶est-à-dire, une autosélection dans les armées secrètes de personnes anormalement enclines à la violence. Peu après la guerre, Theodor W. Adorno élabora la notion de personnalité autoritaire,  des tendances enfouies dans la personnalité de certains individus qui en font des fascistes potentiels (dans le sens générique du terme), particulièrement sensibles à la propagande antidémocratique. Dans +  Ê  

Ê   

 , il dresse une liste de ces traits de personnalité décrivant une

personnalité autoritaire : adhésion rigide aux valeurs conventionnelles, agressivité envers des groupes extérieurs, obsession du pouvoir et de la dureté, penchant destructeur et cynisme, soumission à l¶autorité, projectivité (disposition à croire que des événements violents se produisent dans le monde) et préoccupation exagérée pour le sexe.87 Il se pourrait que le recrutement des gladiateurs ne fût pas fait en fonction des idées ou des penchants politiques, mais qu¶il eût été fait en fonction d¶une sélection psychologique ; ce qui expliquerait le nombre élevé au sein des armées clandestines d¶anciens fascistes, d¶anciens nazis ainsi que de criminels de guerre et de membres d¶extrême droite. Ces individus antidémocratiques auraient alors trouvé dans le Gladio une organisation capable de leur assurer un avenir, tout en accomplissant leurs rêves de pouvoir et d¶établissement de régimes autoritaires. En analysant comment des psychopathes88 et autres déviants pathologiques gravitent autour du pouvoir et imposent leurs lois à une société de gens normaux (c¶est-à-dire des personnes non psychopathes), Andrew M. Lobaczewski, psychiatre polonais, émet l¶idée que ces personnes ayant un trouble de la personnalité vont choisir les membres de leur organisation sur la base de leur vision du monde pathologiquement déformée, en d¶autres termes des personnes souffrant de divers troubles pathologiques vont remplacer des gens psychologiquement normaux au sein d¶une organisation. Ce qu¶il appelle une sélection négative : (Les psychopathes) grimpent les échelons de l¶organisation, deviennent influents, et presque involontairement plient tout le groupe à leur propre expérience de la réalité et aux objectifs issus de leur nature déviante. »89 De ce fait, de rigoureuses mesures sélectives de nature psychologique sont appliquées aux nouveaux membres. Pour exclure la possibilité 87

Theodor W. Adorno, +  Ê   Ê      Allia, 2007, p. 59. Le lecteur intéressé par la personnalité autoritaire pourra également se référer à : Bob Altemeyer,       , Harvard University Press, Cambridge, 1996. 88 La psychopathie est génétique, en d¶autres termes un psychopathe naît psychopathe, à différencier de la sociopathie qui est un trouble de la personnalité acquis, c¶est-à-dire que la sociopathie se forme à cause de l¶environnement social. 89 Andrew M. Lobaczewski,        %   +    Ê  %  / Ê Ê   % Ê, Les éditions Pilule Rouge, 2006, p. 198.

42

d¶être fourvoyée par des transfuges, les personnes sont observées et testées pour éliminer celles qui sont caractérisées par une indépendance mentale excessive ou celles faisant preuves de normalité psychologique. Lobaczewski appelle cette infiltration de psychopathes dans une organisation : un processus de ponérisation (du grec   Ê : le mal). Selon les officiels, les armées secrètes furent mises en place pour agir en temps de guerre contre une invasion soviétique. Cette sélection psychologique doublée de ce processus de ponérisation pourraient expliquer les dérives sanglantes qu¶ont connues les armées secrètes en temps de paix, notamment en Italie, avec la constitution en dehors des institutions démocratiques de services secrets parallèles totalement incontrôlables.90 Après la mort du président Roosevelt et le démembrement de l¶OSS en 1946 qui fut remplacé par le CIG (Central Intelligence Group), Harry Truman (1945-1953) modifia profondément la nature de l¶Etat fédéral en créant l¶Etat de sécurité nationale91, qui fit entrer 90

Cette constatation, que le pouvoir attire des personnalités pathologiques, s¶applique à tous les gouvernements, et est le danger le plus périlleux pour les sociétés démocratiques. Par ailleurs, la ponérologie développée par Lobaczewski, c¶est-à-dire l¶étude de la genèse, de l¶influence et des effets de la psychopathie sur une société, est l¶une des nouvelles sciences prometteuses capable de comprendre les systèmes et les idéologies politiques qui ont ensanglanté le XXe siècle, tels le nazisme, le stalinisme, ou le maoïsme. Les historiens ont remarqué que les diverses théories politiques (fascisme, totalitarisme, autoritarisme), ainsi que les tentatives de ra pprocher ces différents systèmes laissent un goût amer d¶insatisfaction. L¶approche ponérologique pourrait combler ce manque de compréhension. 91 Jack Nelson-Pallmeyer dans son ouvrage G ) (    (Orbis Books, Ossining, 1992), identifie sept caractéristiques de l¶Etat de sécurité nationale: mc La première caractéristique d'un État de sécurité nationale, c'est que l'armée est la plus haute autorité. Dans un État de sécurité nationale l'armée ne garantit pas seulement la sécurité de l'Etat contre tou s les ennemis internes et externes, il a assez de puissance pour déterminer l'orientation générale de la société. Dans un État de sécurité nationale les militaires exercent une influence importante sur les affaires politiques, économiques aussi bien que militaires. mc Une seconde caractéristique d'un État de sécurité nationale est que la démocratie politique et les élections démocratiques sont considérées avec suspicion, avec mépris, ou en termes d'opportunité politique. L¶Etat de sécurité nationale entretien souvent une apparence de démocratie. Toutefois, le pouvoir ultime incombe à l¶armée ou dans un établissement plus vaste de la sécurité nationale. mc Une troisième caractéristique d'un État de sécurité nationale est que les secteurs militaires et connexes exercent un important pouvoir politique et économique. Ils le font dans le cadre d'une idéologie qui souligne que la liberté» et le développement» ne sont possibles que lorsque le capital est concentré entre les mains des élites. mc Une quatrième caractéristique d'un État de sécurité nationale est son obsession avec les ennemis. Il y a des ennemis de l'Etat partout dans le monde. Se défendre contre les ennemis extérieurs et /ou internes devient une préoccupation première de l'Etat, un facteur de distorsion dans l'économie, et une source majeure d¶identité nationale et d¶objectifs. mc La cinquième fondation idéologique de l¶Etat de sécurité nationale est que les ennemis de l¶Etat sont rusés et impitoyables. Par conséquent, tous les moyens utilisés pour détruire ou contrôler ces ennemis sont justifiés. mc Une sixième caractéristique d'un État de sécurité nationale est que cela limite le débat public ainsi que la participation populaire par le secret ou l¶intimidation. Une démocratie authentique dépend de la participation de la population. Les Etats de sécurité nationaux limitent une telle participation par un certain nombre de façons : ils sèment la peur et ainsi réduisent l¶étendu e du débat public. ; ils restreignent et faussent l¶information ; et ils définissent des politiques en secret et mettent en œuvre ces politiques via des voies secrètes et des activités clandestines. L¶Etat justifie de telles actions par des plaidoyers de rhétorique d¶objectif élevé » et par des vagues appels à la sécurité nationale. »









43

les Etats-Unis dans une ère de guerre totale, où la distinction entre citoyens et soldats, civils et militaires, guerre et paix, disparut. La menace d¶une guerre totale contre l¶URSS requit un nouveau niveau de vigilance militaire, et un programme permanent de préparation dans lequel toutes les ressources des Etats-Unis, quelles soient civiles ou militaires, étaient mobilisées contre un ennemi implacable et sans pitié.92 En d¶autres termes, les Etats-Unis devinrent un empire. Le premier résultat fut que le budget militaire, comme pour celui de l¶URSS, pendant la guerre froide ressemblait plus à celui de la Seconde Guerre mondiale qu¶à un budget de période de paix. 93 Cet Etat de sécurité nationale marqué par le militarisme mit fin à l¶Etat-providence qui avait été créé par le New Deal de Roosevelt. Les éléments constituant cette idéologie étaient basés sur le     de George Kennan datant du 22 février 1946 affirmant que face à des décideurs soviétiques, Washington avait tout intérêt à pratiquer une politique de fermeté en vue de mettre à jour les contradictions internes et de favoriser ainsi une évolution à long terme du régime adverse, ainsi que le rapport Clifford-Elsey de juillet 1946 analysant le danger expansionniste soviétique. Prémisses de la politique de l¶endiguement, ces documents donnèrent le 12 mars 1947 la doctrine Truman et furent couronnés par la bible de la politique de sécurité nationale, le NSC68 en 1950. La doctrine Truman marqua une étape importante dans l¶histoire américaine, dans le sens où le président utilisa la peur du communisme, à la fois à l¶intérieur et à l¶extérieur des frontières, pour justifier ses guerres impériales. Au fur et à mesure de l¶avancement de la guerre froide, la fausse menace communisme servit de terme générique à un ensemble d¶individus, de nations qui ne se soumettaient pas aux diktats de Washington, justifiant ainsi les guerres économiques, la propagande, le sabotage, les assassinats, les coups d¶Etat, la torture, les guerres étrangères« L¶ennemi fut toujours et est toujours tout mouvement et tout individu entravant l¶expansion de l¶empire américain, quel que fût le nom dont les Etats-Unis affublaient leurs ennemis : communiste, terroriste, islamiste, Etat voyou, trafiquant de drogue« Six mois plus tard, la politique antagoniste soviétique naquit sous le nom de doctrine Jdanov. Les Soviétiques reprirent cette vision du monde binaire et manichéenne. Les capitalistes voulant dominer le monde, les communistes devaient partout les en empêcher. mc

Finalement, l¶Eglise est censée mobiliser ses ressources financières, idéologiques, et théologiques au service de l¶Etat de sécurité nationale.

92

Michael J. Hogan,  ! ÊÊ    $       Ê            345:  34:5, Cambridge University Press, Cambridge, 2000, p. 465. 93   p. 365.

44

Sous prétexte de lutter contre les impérialistes, la terreur stalinienne frappa tous ceux qui s¶opposaient au régime communiste à l¶intérieur de l¶URSS. La guerre froide commença entre les deux blocs. Les événements de la guerre froide du côté américain, furent des interventions aux quatre coins du globe, ce qui reflétait son statut de première puissance planétaire. Du côté soviétique, ce furent des interventions répétées en Europe de l¶Est : des chars d¶assaut à Berlin-Est, à Budapest et à Prague. L¶invasion de l¶Afghanistan étant le seul exemple d¶intervention effectuée en dehors des frontières de l¶URSS. Sur le front intérieur, la guerre froide permit aux Soviétiques d¶asseoir leur classe dominante militaro-bureaucratique au pouvoir, et elle amena les Etats-Unis à forcer leur population à subventionner l¶Etat de sécurité nationale, qui deviendra plus tard le complexe militaro-industriel dénoncé par Eisenhower dans son discours d¶adieu en 1961. Chaque superpuissance contrôlait son principal ennemi,  sa propre population, en agitant la crainte d¶un ennemi redoutable et en la terrifiant avec les crimes commis par l¶autre :

La

guerre froide était une merveilleuse arme à utiliser contre son propre public. Les deux parties ont été en mesure de citer l¶opposition d¶une voix tremblante, comme une raison et une excuse pour de plus en plus d¶ingérences politiques massives dans toutes sortes de domaines allant de la vie économique jusqu¶aux domaines de la circulation et de l¶expression de la part de leurs citoyens. De nouvelles taxes immenses pour la construction militaire sont devenues acceptables, en suggérant les conséquences horribles de ne pas suivre l¶expansion de l¶adversaire. »94 Les deux camps utilisèrent chacun les mêmes méthodes pour s¶assurer de leur domination à la fois sur leur population et à l¶extérieur : la guerre extérieure servit à justifier la guerre intérieure.

La guerre froide, remarque Noam Chomsky, était une sorte

d¶arrangement tacite entre l¶Union soviétique et les Etats-Unis autorisant ces derniers à livrer leurs guerres contre le tiers monde et à contrôler leurs alliés en Europe, tandis que les dirigeants soviétiques maintenaient une poigne de fer sur leur propre empire intérieur et sur ses satellites en Europe de l¶Est ; chaque côté se servant de l¶autre pour justifier la répression et la violence dans ses propres quartiers. »95

94

James J. Martin, Ê Ê &)  Ê +ÊÊÊ   ÊÊ  Ê      , Ralph Myles Pub, Colorado Springs, 1977, p.200. 95 Noam Chomsky, Ê ÊÊ Ê     %     , Nathan, 2000, p. 89-90.

45

Gc cºcc c  cc c^ c Le 26 juillet 1947, le National Security Act fut signé par le président américain. Cet acte fusionna les Department of War et Department of the Navy en une nouvelle administration le National Military Establishment rebaptisé Department of Defense, le but étant d'unifier l'armée, la marine et la toute nouvelle force aérienne en une structure fédérée ; créa un poste de secrétaire de la Défense, d¶une Air Force indépendante et d¶un Conseil national de sécurité (National Security Council ou NSC) chargé de guider la politique étrangère et militaire américaine. La 102e clause prévoyait la création de la CIA, la première agence américaine de renseignement en temps de paix. Ce fut Allen Dulles96, qui allait devenir six ans plus tard directeur de la CIA, qui fit inclure dans le National Security Act de 1947 portant sur la création de l¶organisation, la clause l¶autorisant à exercer toutes autres charges et fonctions du domaine du renseignement qui lui seraient temporairement assignées par le Conseil national de sécurité ». Cette phrase anodine et fort imprécise laissait à la CIA la liberté de s¶engager dans l¶action clandestine, lui permetta(nt) d¶intervenir secrètement dans les affaires intérieures des pays étrangers. »97 Cette formulation très vague garantissait aux opérations clandestines de la CIA une base légale, et permettait d¶éviter de contrevenir ouvertement à un grand nombre de lois. L¶Agence qui avait, selon la presse américaine,

toutes les

potentialités d¶une gestapo américaine »98, entama ses actions secrètes contre une Europe ravagée par la guerre. Le NSC 1/1, la toute première directive du NSC, fut émise à propos de l¶Italie, le 14 novembre 1947, où Washington s¶alarmait qu¶un mouvement de citoyens légitimes emmené par le parti communiste prenne le pouvoir. Le conseil envisageait la victoire du PCI aux élections de printemps 1948 :

La montée des communistes au pouvoir en Italie menacerait

sérieusement les intérêts américains. (

) Un régime communiste en Italie pourrait annuler les

réussites des objectifs américains en Grèce et en Turquie ». Le conseil appela à soutenir le gouvernement italien par l¶envoi d¶argent et de denrées alimentaires, la mise en place d¶avantages commerciaux, mais aussi en combattant

la propagande communiste par un

programme d¶information adéquate, et ce par tous les moyens disponibles, notamment les fonds secrets », et en assistant les

forces armées italiennes sous forme de conseil technique

pour développer leur capacité à s¶occuper de menaces de sécurité intérieure italienne et 96

Victor Marchetti et John D. Marks,  !     

Ê  , Editions Robert Laffont, SaintAmand, 1975, p. 44. Livre qui pourrait être bien meilleur, si seulement il n¶y avait pas 140 passages supprimés par la CIA. 97   p. 33. 98 Franck Daninos, !   Ê    %  1345Î*66Î2 Tallandier, 2007, p. 67.

46

d¶intégrité territoriale. »99 Le 19 décembre 1947, la directive top secrète NSC 4-A du NSC à l¶attention du directeur de la CIA Hillenkoetter, ordonnait l¶Agence d¶utiliser

des actions

psychologiques clandestines » pour contrer une possible victoire du PCI lors des élections italiennes. 100 Ces résultats portèrent leurs fruits, car aux élections du 16 avril 1948 l¶intervention américaine contribua à la défaite de la coalition de gauche entre le puissant PCI et le parti socialiste italien (PSI), à grand renforcement de tracts, d¶émissions et de manifestations anticommunistes, et le versement d¶un million de dollars par la CIA aux partis du centre italiens.101 La coalition de gauche se fit battre ne recueillant que 31% des suffrages face aux démocrates-chrétiens qui en avaient remporté 48%. Comme le souligna William Colby, ancien directeur de la CIA : Ce fut avant tout cette crainte (la prise de pouvoir par les forces de gauche - NDA) qui poussa à la formation de l¶Office of Policy Coordination (OPC), lequel fournit à la CIA les moyens de mener des opérations politiques, de propagande, et paramilitaires souterraines. »102 Ainsi, le NSC vota la directive NSC 10/2 du 18 juin 1948, diffusée à dix exemplaires seulement, autorisant la CIA à effectuer des opérations clandestines tout autour du globe :

Le NSC (

) a estimé que, dans l¶intérêt de la paix mondiale et de la sécurité

nationale américaine, les activités étrangères ouvertes du gouvernement américain devaient être complétées par des opérations clandestines ». Au sein de l¶Agence fut créé l¶OPC ou Bureau de coordination politique, qui à sa création était indépendant de la CIA, chargé de préparer, de planifier et de conduire les

opérations clandestines ». Le NSC précisait la

définition des opérations clandestines qui devaient être comprises

comme recouvrant toutes

les opérations conduites ou décidées par ce gouvernement contre les Etats ou des groupes étrangers hostiles, ou pour soutenir des Etats ou des groupes étrangers amis qui sont planifiées et exécutées de telle manière qu¶aucune responsabilité du gouvernement américain ne puisse être engagée ( ) et que, au cas où elles seraient découvertes, le gouvernement américain puisse dénier toute responsabilité de manière plausible. » Les opérations clandestines prévoyaient le

sabotage, auto-sabotage, destructions, évacuation de personnes ; subversion

contre Etats ennemis, ceci incluant l¶assistance aux mouvements de libération nationale et le

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Ô     Ê       Ê (FRUS), 345
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