Pourquoi je suis Catholique Ch. A. Boulanger
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Catéchisme, apologétique, doctrine catholique....
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Pourquoi Je suis Catholique Par
le Père Auguste BOULENGER Manuel d’Apologétique : Introduction à la doctrine catholique, éd. Emmanuel Vitte, Paris Lyon, 1937, 8e éd., 490 p. [ IMPRIMATUR : C. GUILLEMANT, Vic. gen. , Atrebati, die 30 Aprilis 1920.] LETTRE D’APPROBATION CHER MONSIEUR L'AUMONIER, Succès oblige. Votre premier ouvrage : La Doctrine catholique, vous a conduit et presque contraint à lui donner un complément : Le Manuel d'Apologétique. Ne vous en prenez qu'à vos qualités de méthode, de précision, de probité scientifique. Ce sont elles qui vous ont conquis tant de lecteurs et de disciples, et qui les ont autorisés à attendre de vous ce nouvel effort. Un manuel d'apologétique, en effet, n'est pas chose facile. L'objet en est complexe, ardu et, du moins en sa partie négative ou défensive, en voie de perpétuelle transformation. La tâche exige une intelligence toujours en éveil, et autant de souplesse que de fermeté dans l'esprit. Et puis, l'Apologétique n'est-elle point, par son but, un art aussi bien qu'une science? Si elle prétend convaincre et toucher, ne lui faudra-t-il pas compter avec les circonstances de temps, de pays, de personnes? Le choix des arguments, leur importance respective, la manière de les faire valoir : c'est en cela que précisément consistera le talent de l'apologiste, son mérite et son succès. Votre « Manuel», Monsieur l'Aumônier, trahit de vastes lectures et un long travail de mise en œuvre. Vous avez eu raison de donner, pour point de départ à la recherche de la vraie Religion et de la véritable Église, dés notions rationnelles sur la certitude, sur la nature de l'homme, sur les rapports qui existent entre l'âme humaine et son Créateur. Rien n'est plus opportun à l'heure actuelle. Le plus difficile aujourd'hui, c'est d'amener les indifférents à reconnaître la nécessité d'une religion. Dès qu'ils sont arrivés là, leur choix est vite fait. La religion chrétienne et catholique défie toute comparaison.
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Toutefois, là encore, vous aviez à combattre de redoutables adversaires. Formés aux disciplines scientifiques, habitués à passer au crible tous les textes et tous les raisonnements, les savants modernes sont aussi habiles à l'attaque qu'à la riposte. Vous avez exploré, avec beaucoup de sagacité et de conscience, ce qu'on peut appeler leurs positions de combat. Je ne crois pas que vous ayez éludé aucune des questions agitées naguère dans les divers domaines où se rencontrent la foi et le rationalisme : exégèse, histoire des religions, évolution des dogmes, histoire de l'Église primitive. Malgré des imperfections inévitables en une matière qui touche à des problèmes si délicats, vous avez réalisé une œuvre de valeur. Vous excellez à mettre les idées dans un ordre lumineux et serré. Vous êtes plus touché par la solidité des arguments que par la renommée de leurs auteurs. Vous savez puiser les informations aux bonnes sources, sans abdiquer la légitime indépendance de votre jugement. Je souhaite donc à votre livre, cher Monsieur l'Aumônier, le même succès qu'à ses devanciers. Je suis heureux de vous encourager à poursuivre les travaux que vous avez entrepris, depuis quelques années, pour la diffusion de la science qui est la plus nécessaire, je pourrais dire, la plus passionnante de toutes : celle de la Religion. Je bénis, cher Monsieur l'Aumônier, votre vaillante initiative, et je vous renouvelle l'assurance de mes sentiments paternellement dévoués en Notre-Seigneur. Eugène LOUIS, évêque d’Arras Arras, le 23 mai 1920, en la fête de la Pentecôte
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TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION. — Notions générales Première Partie : Les Préambules rationnels de la Foi. SECTION I : DIEU CHAP. PRELIMINAIRE. — Le problème de la certitude CHAP. I. — De l'existence de Dieu CHAP. II. — De la nature de Dieu CHAP. III. — Action de Dieu. Création et Providence SECTION II : L'HOMME CHAP. I. — Nature de l'homme CHAP. II. — Origine et Destinée de l'homme. — Unité de l'espèce humaine. — Antiquité de l'homme SECTION III : RAPPORTS ENTRE DIEU ET L'HOMME CHAP. I. — Religion et Révélation CHAP. II. — Les Critères de la Révélation. Le Miracle et la Prophétie Seconde Partie : Recherche de la vraie Religion. SECTION I : LES FAUSSES RELIGIONS CHAPITRE UNIQUE. — Les principales Religions non chrétiennes SECTION II : LA VRAIE RELIGION. LE CHRISTIANISME CHAP. I. — Les Documents de la Révélation CHAP. II. — L'Affirmation de Jésus CHAP. III. — Réalisation en Jésus des prophéties messianiques CHAP. IV. — Jésus a confirmé son affirmation par ses prophéties, par ses miracles, par sa résurrection CHAP. V. — La Doctrine de Jésus. Sa rapide diffusion. Sa merveilleuse conservation. Le Martyre
Troisième Partie : La vraie Église. SECTION I : RECHERCHE DE LA VRAIE ÉGLISE CHAP. I. — Institution d'une Église CHAP. II. — La vraie Église. Ses notes. Seule l'Église romaine les a. SECTION II : CONSTITUTION DE L'ÉGLISE CHAP. I. — Hiérarchie et pouvoirs de l'Église
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CHAP. II. — Les Droits de l'Église. Relations de l'Église et de l'État SECTION III : APOLOGIE DE L'ÉGLISE CHAP. I. — L'Église et l'Histoire CHAP. II. — La Foi devant la raison et la science
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PREMIERE PARTIE : Introduction et préambules rationnels de la Foi INTRODUCTION NOTIONS GÉNÉRALES 1. Définition. Étymologiquement, le mot apologétique (grec apologêtikos, apologia) veut dire justification, défense. Conformément à l’étymologie, l'apologétique est la justification et la défense de la foi catholique. 2. Objet. Comme on peut le voir par la définition, l'apologétique a un double objet. Elle est : a) la justification de la foi catholique. Considérant la religion dans son fondement, c'est·à-dire dans le fait de la révélation chrétienne, dont l'Église catholique se dit la seule dépositaire fidèle, elle expose les motifs de crédibilité qui en démontrent l'existence. Le problème qu'elle doit résoudre est donc celui-ci: Étant donné qu'un certain nombre de religions se partagent l'humanité, il s'agit de trouver la vraie. Or l'apologiste catholique prétend que sa foi est la seule vraie, qu'elle est objectivement vraie: il doit donc en faire la preuve. Ce premier travail constitue l'apologétique démonstrative ou constructive,. - b) la défense de la foi catholique. Non seulement l'apologétique présente les titres de la Religion catholique à notre adhésion, mais elle fait front à ses adversaires et répond aux attaques qu'elle rencontre, chemin faisant. Et comme les attaques varient avec les époques, il s'ensuit qu'elle aussi doit évoluer et se renouveler sans cesse: laissant de côté les objections anciennes et démodées, elle doit se porter sur le terrain de combat choisi par les adversaires de l'heure présente. Envisagée sous ce second aspect, l'apologétique a un caractère négatif et porte le nom d'apologétique défensive. 3. - Corollaire. - APOLOGÉTIQUE ET APOLOGIE. - L'on a coutume de distinguer l'apologétique de l'apologie. « Apologétique signifie proprement: science de l'apologie, de même que dogmatique signifie science des dogmes. L'apologétique est la défense savante du christianisme par l'exposé des raisons qui l'appuient ... Une apologie est une défense opposée à une attaque1.» L'objet de l'apologétique est donc plus général. L'apologie, au contraire, se meut dans une sphère restreinte: elle se borne à défendre un point de la doctrine catholique, qu'il s'agisse du dogme, de la morale ou de la discipline2. Elle prouve, par exemple, que le mystère de la Trinité n'est pas absurde, qu'il est injuste d'accuser la morale chrétienne d'être une morale intéressée, que le célibat, loin d'être une institution blâmable, offre de précieux avantages ; elle réhabilite, s'il le faut, la mémoire d'un saint. L'apologie remonte au premier âge du christianisme; l'apologétique, étant une science, n'est venue que plus tard, et elle est toujours en voie de formation, ou du moins, de perfectionnement. BUT ET IMPORTANCE DE L'APOLOGETIQUE. 4. - But. - L'objet de l'apologétique (N° 2) fait ressortir clairement le but qu'elle poursuit. 1
F. HETTINGER, Théologie fondamentale, tome I. L'apologie a donc sa place dans l'exposé de la Doctrine catholique. Nous renvoyons aux trois fascicules de notre ouvrage. 2
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A. EN TANT QUE DÉMONSTRATIVE, elle vise le croyant, d'une part, et d'autre part, l'indifférent et l'athée: - a) le croyant, pour le soutenir dans ses convictions en lui permettant d'établir le bien-fondé de sa foi, en éclairant son intelligence et en affermissant sa volonté; - b) l'indifférent et l'athée, le premier pour le convaincre que la question religieuse s'impose, et que l'indifférence, en matière aussi grave, est déraisonnable, le second pour le tirer de son incrédulité. Elle veut les amener tous les deux à réfléchir, à étudier et à se convertir3. B. - EN TANT QUE DÉFENSIVE, l'apologétique ne vise que les anti-croyants et elle a pour but de réfuter leurs préjugés et leurs objections. Nous disons anti-croyants, et non incroyants, car tandis que souvent les incroyants se contentent de ne pas croire, les anti-croyants ont leur religion à eux, qu'ils dressent contre la religion catholique: religion de la science, de l'humanité, de la démocratie, de la solidarité, etc. 5. - Importance. - L'importance de l'apologétique se déduit des deux raisons suivantes: - a) Elle est à la base de la foi. Rappelons-nous, en effet, que la foi implique un triple concours: le concours de l'intelligence, de la volonté et de la grâce. Or, le rôle de l'apologétique est de conduire au seuil de la foi, de la rendre possible en démontrant qu'elle est raisonnable4. Sans doute, à consulter les faits, la question ne se pose pas tout d'abord pour nous. Elle est résolue, avant même que notre esprit s'attache à la discuter; car, quelle que soit la religion à laquelle nous appartenons, nous la recevons tous de notre milieu et de notre éducation: elle nous vient de nos parents et de nos maîtres. Beaucoup s'en contentent toujours d'ailleurs et l'acceptent ainsi, toute faite, d'autorité, sans discussion et sans contrôle. Mais il peut arriver un moment oille doute envahisse notre esprit et où il soit nécessaire d'armer notre foi contre. les attaques de nos ennemis. Saint Pierre ne recommandait-il pas déjà aux premiers chrétiens de se tenir prêts à répondre quand on leur demanderait compte de leur croyance (1 Pierre, III, 15). Autant et plus que jamais, tout catholique doit être en état de se raisonner sa foi et d'en rendre raison aux autres5. - b) L'apologétique est la condition nécessaire de la théologie. En effet, l'exposition de la Doctrine catholique suppose la foi déjà admise et 3
Qu'elle s'adresse aux croyants ou aux incroyants, l'apologétique a toujours pou but de produire dans les âmes la certitude touchant l'existence de la révélation chrétienne. Or plusieurs écoles philosophiques contestent à l'esprit humain le pouvoir d'atteindre la vérité. Il conviendra donc de résoudre avant tout, le problème de la certitude (voir chapitre préliminaire). 4 Les preuves que l'apologiste nous fournit du fait de la révélation doivent nous amener à former deux jugements: le premier, c'est que la révélation se manifeste à nous avec une évidence objective, qu'elle est croyable (credibile est), jugement de crédibilité; le second, c'est que, si elle est croyable, il y a obligation de croire (credendum est), jugement de crédentité. Alors que le premier jugement est d'ordre spéculatif et ne s'adresse qu'à l'intelligence, le second va plus loin, il atteint la volonté: c'est un jugement pratique. 5 Toutefois, il est bon de remarquer que, si l'examen est permis. le doute ne l'est pas. Le Concile du Vatican déclare, en effet, que. ceux qui ont reçu la foi sous le magistère de l'Eglise ne peuvent jamais avoir une raison valable de Changer leur foi ou d'en douter Const. Dei Filius, Can. III , et Can. VI). A ceux qui prétendent qu'il faut d'abord faire table rase de sa foi pour arriver à la vérité, LEIBNIZ répond: « Quand il s'agit de rendre compte des choses, le doute n'y fait rien ... Que, pour surmonter le doute, on examine, soit. Mais que, pour examiner il faille commencer par douter, c'est ce que je nie. » Et M. BLONDEL, après avoir cité ces mots de Leibniz, ajoute à son tour: « Qu'on cesse de se méprendre sur le véritable sens de l'esprit critique: avoir l'esprit bon et l'appliquer bien, ce n'est, à aucun moment de la recherche, cesser de voir; loin de là, c'est voir, au contraire, qu'il y a toujours plus à voir, et mieux à prouver, et davantage à vivre. C'est chercher la lumière avec la lumière, Et pourquoi faudrait-il, parce qu'on aspire à voir plus clair, commencer par éteindre toute clarté ? »
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ne concerne que les croyants. Il suit de là que, si toutes deux ont des points de contact et s'occupent également de la révélation, elles diffèrent quant au point de départ et quant à la marche. Ainsi l'apologiste, sans autre instrument que la raison, part des créatures pour s'élever au créateur, à un Dieu révélateur et aboutit au fait de l'Église enseignante, au lieu que la théologie suit un ordre inverse: partant du point d'arrivée de l'apologétique, à savoir, du magistère infaillible de l'Église, elle expose les enseignements de la foi. DIVISION DE L'APOLOGETIQUE. 6. - La religion catholique ayant pour fondement le lien, les rapports qui existent entre Dieu et l'homme, ou plutôt l'âme humaine, il s'ensuit que l'apologétique doit traiter de Dieu, de l'homme et de leurs rapports. Or la solution des problèmes qui concernent ce triple objet est du domaine de la philosophie et de l'histoire. D'où deux grandes divisions: la partie philosophique et la partie historique. 7. – 1° Partie philosophique. - Les principales questions, qui sont du ressort de la philosophie, sont les suivantes. - A. SUR DIEU. Cette première section traite de l'existence de Dieu, de sa nature et de son action (Création et Providence). - B. SUR L'HOMME. La seconde section doit démontrer l'existence de l'âme humaine, d'une âme qui a pour propriétés d'être spirituelle, libre et immortelle. - C. SUR LEURS RAPPORTS. La troisième section forme comme la conclusion des deux premières. En partant de la nature de Dieu et de l'homme, elle a pour but d'établir les rapports qui s'ensuivent nécessairement et ceux dont il est possible de présumer l'existence. Les trois sections de la première Partie forment ce qu'on appelle les préambules rationnels de la foi. 8. - 2° Partie historique. - Avec la seconde partie, nous abordons la question de fait. Or tout fait relève de l'histoire. C'est donc par les documents historiques que l'apologiste doit prouver l'existence des révélations primitive et mosaïque, puis de la révélation chrétienne faite par Jésus-Christ et dont l'Eglise catholique garde le dépôt. La partie historique se subdivise donc en deux sections: la démonstration chrétienne et la démonstration catholique. A. DÉMONSTRATION CHRÉTIENNE. - Dans cette 'première section, il s'agit de prouver l'origine divine de la religion chrétienne par des signes ou critères qui emportent notre assentiment. Ces signes sont de deux sortes. Il y a : - a) les critères externes ou extrinsèques, c'est-à-dire tous les faits, miracles et prophéties, qui, ne pouvant avoir d'autre auteur que Dieu, ont été fournis par lui en vue de la révélation pour déterminer et confirmer notre foi, et - b) les critères internes ou intrinsèques c'està-dire ceux qui sont inhérents à la doctrine révélée (voir N° 156): B. DÉMONSTRATION CATHOLIQUE. - Après avoir, prouvé l'origine divine de la religion chrétienne, l'apologiste doit montrer que l'Eglise catholique seule possède les marques de la vraie Église fondée par Jésus-Christ. 9. - AUTRE FORME DE DÉMONSTRATION. - Ces deux sections de la partie historique peuvent être fondues en une seule, et l'on peut faire immédiatement la démonstration catholique sans passer par l'intermédiaire de la démonstration chrétienne. L'apologiste qui adopte cette méthode à un degré va droit à l'Église catholique qu'il montre « illustrée de tels caractères, que tout le monde peut aisément la voir et la reconnaître pour la gardienne et la maîtresse unique du dépôt de la révélation », possédant elle seule « le trésor immense et merveilleux des faits divins qui
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portent jusqu'à l'évidence la crédibilité de la foi chrétienne », et étant elle-même un fait divin, « un grand et perpétuel motif de crédibilité, par son admirable propagation, sa sainteté éminente, son inépuisable fécondité en toute sorte de biens, son unité catholique et son invincible stabilité6. » La crédibilité du magistère divin de l'Église une fois admise il ne reste plus qu'à écouter ses enseignements. Telles sont les grandes lignes de l'apologétique démonstrative. Elle marche, du reste, de pair avec l'apologétique défensive qui lui déblaie le terrain en réfutant les objections que lui opposent ses adversaires, soit dans la partie philosophique, soit dans la partie historique. LES METHODES DE L’APOLOGETIQUE 10. - 1° Définition. - On entend par méthode apologétique l'ensemble des procédés que les apologistes emploient pour démontrer la vérité de la religion chrétienne. 11 – 2° Espèces. - Comme la méthode de l'apologétique doit ,varier nécessairement avec la nature du sujet qu'elle traite, il y a lieu de distinguer: - a) la méthode philosophique ou rationnelle dans la partie philosophique où il s'agit de démontrer par la raison l'existence et la nature de Dieu et de l'âme humaine, et d'établir leurs rapports; - b) la méthode historique dans la seconde partie où il faut prouver par l'histoire le fait de la révélation. La méthode historique, à son tour, prend différents noms, selon la manière de procéder de l'apologiste. 1. SELON LE POINT DE DEPART qu'il adopte, nous avons la méthode descendante et la méthode ascendante. - 1) Dans la méthode descendante, l'apologiste suit la marche que nous avons tracée au N° 8 : il va de la cause à l'effet, de Dieu à son œuvre. Remontant aux origines du monde, il apporte successivement les preuves de la triple Révélation divine, primitive, mosaïque et chrétienne. - 2) Dans la méthode ascendante, il suit l'ordre inverse dont nous avons parlé au N° 9 : il va de l'effet à la cause, de l'œuvre à l'auteur. Partant du fait actuel de l'Église, il établit ses titres à notre croyance; après quoi, il ne reste plus qu'à écouter son témoignage sur la révélation elle-même. 2. SELON LA NATURE DES ARGUMENTS et l'importance que l'apologiste leur attribue dans la démonstration, nous avons: la méthode extrinsèque ou externe, et la méthode intrinsèque ou interne. - 1) La méthode extrinsèque est ainsi appelée parce que son point de départ est extrinsèque, c'est-à-dire pris en dehors de l'homme, et parce qu'elle fait un usage presque exclusif des critères extrinsèques ou externes (voir N° 156). - 2) La méthode intrinsèque, au contraire, part de l'homme pour s'élever jusqu'à Dieu, et attache plus d'importance aux critères intrinsèques (voir N° 156). Considérant l'homme au point de vue individuel et au point de vue social, elle montre combien la religion surnaturelle répond aux appels et aux besoins de son âme. 12. Nota. LA MÉTHODE D'IMMANENCE. A la méthode intrinsèque se rattache la méthode de l'immanence. Les partisans de la méthode d'immanence prennent leur point de départ dans la pensée et l'action de l'homme. L'homme, disent-ils, sent en lui un besoin inassouvissable de béatitude; il a faim et soif d'idéal, d'infini, de divin. A certaines heures de mélancolie et de tristesse, il éprouve, selon le mot de saint AUGUSTIN, une inquiétude qui ne lui laisse aucun repos. Ces états d'âme, qui sont l'œuvre de la grâce, doivent disposer l'homme de bonne volonté à accepter la 6
Const. de Fide, ch. III.
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révélation chrétienne qui seule peut combler le vide de son cœur. Ainsi les aspirations internes et immanentes (du lat. in manere, immanens, qui réside dans), c'est-à-dire, d'après l'étymologie du mot, qui sont au fond de notre être, démontrent que notre nature a besoin d'un surcroît, et qu'elle postule7, pour ainsi dire, le surnaturel, le transcendant, le divin que nous offre la révélation chrétienne .. 13. - Valeur des différentes méthodes. -1. Nous n'avons pas à apprécier ici les deux méthodes, descendante et ascendante. Qu'il nous suffise de remarquer que la démonstration à un degré, méthode ascendante, a l'avantage d'être moins longue, mais aussi l'inconvénient d'être moins complète. - 2. Que faut-il penser des méthodes extrinsèque, intrinsèque et d'immanence ? Il est bien évident que leur efficacité, et par conséquent leur valeur, varie avec les époques et l'état des esprits auxquels elles s'adressent8. Aucune n'est d'ailleurs sans dangers si elle ne reste dans de justes limites. - 1) La méthode extrinsèque, poussée trop loin, tombe dans l'intellectualisme. En exagérant la part de l'esprit et la force de la raison, elle paraît détruire la liberté de la foi et risque de manquer son but. Car elle aura beau démontrer comme un théorème qu'il y a une révélation divine et que l'Église catholique en garde le dépôt, nous ne consentirons à y adhérer que si elle correspond à nos aspirations. - 2) De même, la méthode intrinsèque, si elle rabaisse trop la raison et accorde trop de place à la volonté et au sentiment dans la genèse de l'acte de foi, aboutit au subjectivisme et au fidéisme, et manque également son but. Il ne suffit pas, en effet, dé montrer la conformité de la révélation chrétienne avec les aspirations du cœur humain; si l'on passe sous silence les preuves historiques qui attestent son origine divine, les adversaires pourront toujours objecter que la religion catholique n'a pas plus de valeur que les autres religions. - 3) Ce que nous venons de dire de la méthode interne s'applique à la méthode d'immanence. Celle-ci peut être une excellente préparation d'âme, mais elle ne saurait être irréprochable que dans la mesure où elle n'est pas exclusive. 14.-.Apologétique intégrale. - L'apologétique intégrale doit donc réunir les trois méthodes, extrinsèque, intrinsèque et d'immanence. - a) Pour aboutir plus sûrement à l'acte de foi, il est bon de faire d'abord la préparation d'âme, soit par la méthode intrinsèque, soit par la méthode d'immanence. « C'est seulement dans le vide du cœur, dit M. BLONDEL, c'est dans les âmes de silence et de bonne volonté qu'une révélation se fait utilement écouter du dehors. Le sens des paroles et l'éclat des signes ne seraient rien sans doute, s'il n'y avait intérieurement le dessein d'accepter la clarté divine.» - b) Ce travail préliminaire une fois achevé, la méthode intrinsèque et la méthode d'immanence doivent rejoindre la méthode extrinsèque et commencer avec elle l'enquête historique pour faire la preuve du fait de la révélation. HISTORIQUE DE L’APOLOGETIQUE Que les méthodes de l'apologétique aient varié avec les temps, qu'elles aient dû s'adapter aux idées et aux besoins des milieux, cela va de soi. Il est permis cependant, 7
Postuler = demander, entraîner comme conséquence, avoir besoin de. C'est surtout au point de vue de la méthode que l'apologétique peut être regardée comme un art. Ayant pour objectif de convaincre les esprits et de toucher les cœurs, Il est assez naturel qu'elle prenne les moyens les plus adaptéS aux conditions de temps et de personnes. Immuable dans son fond, l'apologétique est donc très variable dans sa forme: la manière de présenter les motifs de crédibilité, le choix des arguments, l'importance qu'il convient de donner à chacun, tout cela est laissé à l'habileté de l'apologiste.
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parmi les tendances diverses, de distinguer trois courants principaux, et par conséquent, trois sortes d'apologétiques : l'apologétique traditionnelle, l'apologétique moderne et l'apologétique moderniste. 15. - Apologétique traditionnelle. - L'apologétique traditionnelle est celle qui a toujours été et qui est encore en usage dans l'Église, et qui forme ainsi comme une tradition ininterrompue. Elle se caractérise par l'importance qu'elle. donne aux critères externes. Elle s'adresse surtout à l'intelligence, mais il ne faut pas croire toutefois qu'elle se désintéresse des dispositions morales. Il suffit de jeter un rapide coup d'œil sur les principaux apologistes, pour se convair1cre qu'elle a su faire une heureuse alliance des méthodes extrinsèque et intrinsèque. - 1. A commencer par Notre-Seigneur lui-même, n'est-il pas évident qu'il attache le plus grand prix à la préparation morale? (Paraboles de la semence, Marc, IV, 1, 20 ; des invités aux noces, Mat., XXII, Luc, XIV). Il ne consent généralement à donner des signes de sa mission divine qu'à ceux qui ont la foi, la confiance et l'humilité. - 2. Les Apôtres ne procèdent pas autrement que leur Maître. - 3. Plus tard, au temps des persécutions, l'apologétique est avant tout, défensive. Les chrétiens sont accusés de complot contre la sûreté de l' Etat, d'athéisme et d'immoralité. Pour les défendre de ces calomnies, les apologistes instituent un parallèle entre le paganisme et le christianisme, ils font ressortir la transcendance de celui-ci (critères internes), puis ils invoquent les miracles d'ordre moral: la conversion du monde, la sainteté de vie des chrétiens, leur constance héroïque au milieu des supplices, leur nombre croissant (saint JUSTIN, TERTULLIEN). - 4. Saint THOMAS D'AQUIN, le grand apologiste du moyen âge, après avoir exposé les préambules de la foi et réfuté les objections des adversaires (Somme contre les Gentils), montre, dans sa Somme théologique, l'harmonie et l'accord des vérités chrétiennes, avec les aspirations de notre âme (critères intrinsèques). - 5. Au L'on comprendra mieux le modernisme quand on aura étudié le chapitre suivant et en particulier le système intuitionniste de M. BERGSON. Au XVIIe siècle, BOSSUET fait, il est vrai, un usage exclusif des critères externes9, mais PASCAL, en revanche, s'attache surtout aux critères internes, au point qu'il a pu être regardé comme l'initiateur de la méthode d'immanence dont il a été question plus haut (N ° 12.) Débutant par les critères internes d'ordre subjectif, il considère la nature humaine dans sa grandeur et sa misère. Il veut ainsi amener l'homme à reconnaître que la religion lui est nécessaire comme explication et comme remède à son indigence; elle seule nous fait comprendre, en effet, notre misère en nous en découvrant la cause dans le péché originel, et elle nous indique le remède dans la Rédemption du Christ. Pascal fait donc la préparation du cœur avant de prouver la vérité du christianisme par les critères externes. 16. - 2° Apologétique moderne. - La caractéristique de l'apologétique moderne c'est la prépondérance accordée aux critères internes. Sous prétexte que les preuves historiques et les critères externes: miracles et prophéties, ont peu de force pour convaincre les esprits imbus des idées philosophiques et scientifiques modernes, les apologistes s'attachent surtout à la préparation morale. Ils exposent les merveilles du christianisme, la parfaite harmonie du culte catholique avec le sens esthétique 9
BOSSUET, dans la 2e Partie du Discours sur l'histoire universelle, prouve historiquement la divinité du christianisme par l'intervention de Dieu dans son origine, ses progrès, sa diffusion et sa stabilité: démonstration par la Providence.
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(CHATEAUBRIAND), sa valeur et sa vertu intrinsèque (OLLÉ-LAPRUNE, Yves LE QUERDEC), sa transcendance (Abbé DE BROGLIE), ses beautés intimes, ses admirables effets, par exemple, en apportant la consolation à ceux qui souffrent (méthode intime de Mgr BOUGAUD). Ou bien ils voient dans la religion et l'autorité de l'Eglise le fondement de l'ordre moral et social (LACORDAIRE, BALFOUR, BRUNETIÈRE), etc. Nous avons déjà dit que cette méthode, excellente en soi, serait incomplète, si elle supprimait totalement les critères externes: miracles et prophéties (N° 13). 17. - 3° Apologétique moderniste. - L'apologétique moderniste, dont les représentants les plus connus sont: en France, LOISY (L'Évangile et l'Église, Autour d'un petit livre), LE ROY (Dogme et Critique) ; en Angleterre, TYRREL (De Charybde à Scylla), en Italie, FOGAZZARO (Le Saint), a été condamnée par le Décret Lamentabili (3 juillet 1907) et l'Encyclique Pascendi (8 sept. 1907). En voici les traits principaux: A. DANS LA PARTIE PHILOSOPHIQUE. - Deux points caractérisent la philosophie moderniste: - a) Dans son côté négatif elle est agnostique. Nourri des philosophies modernes: subjectivisme de Kant, positivisme d'A. Comte, intuitionnisme de M. Bergson, le modernisme professe que la raison pure est impuissante à franchir le cercle de l'expérience et dés phénomènes et, de ce fait, inapte à démontrer l'existence de Dieu, même par le moyen des créatures. - b) Dans son côté positif, la philosophie moderniste est constituée par la doctrine de l'immanence vitale ou religieuse (immanentisme). D'après cette théorie, rien ne se manifeste à l'homme qui ne soit préalablement contenu en lui. « Dieu n'est pas un phénomène qu'on puisse observer hors de soi, ou une vérité démontrable par un raisonnement logique. Qui ne le sent pas en son cœur ne le trouvera jamais au dehors. L'objet de la connaissance religieuse ne se révèle que dans le sujet par le phénomène religieux lui-même10. » Ainsi la raison ne démontre pas Dieu, mais l'intuition11, le découvre12 au fond de l'âme, ou plutôt, comme ils disent, dans les profondeurs de la subconscience où nous le trouvons vivant et agissant. B. DANS LA PARTIE HISTORIQUE. - L'historien moderniste est, quoiqu'il s'en défende, tributaire de ses principes philosophiques. Agnostique, il prétend que l'histoire n'a pour objet que les phénomènes. Dieu, étant au-dessus des phénomènes, ne peut donc être l'objet de l'histoire, mais affaire de foi: d'où la grande distinction entre le Christ de l'histoire et le Christ de la foi, le premier, réel, le second, transfiguré et défiguré par la foi. Deux autres principes, l'immanence vitale et la loi de l'évolution expliquent le reste: l'origine de la religion, née du sentiment religieux du Christ et des premiers chrétiens, sa transformation successive que l'on constate dans le développement du dogme. Les Livres Saints, en général, et les Évangiles, en particulier, n'ont du reste aucune valeur historique. En résumé, l'apologiste moderniste rejette toutes les preuves traditionnelles. Dans la partie philosophique, partant de la théorie kantiste, que la raison pure ne démontre pas 10
SABATIER, Esquisse d'une philosophie de la religion, d'après la psychologie et l'histoire. L'intuition (latin, intueri, contempler, voir) est la connaissance directe des objets, sans Intermédiaire et sans raisonnement . 12 L'on comprendra mieux le modernisme quand on aura étudié le chapitre suivant et en particulier le système intuitionniste de M. BERGSON. 11
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Dieu, il substitue les preuves de sentiment aux preuves rationnelles. Dans la partie historique, n'admettant pas que Dieu puisse être un personnage de l'histoire, il supprime les critères extrinsèques: miracles et prophéties qui sont les grands signes de la révélation divine. Au reste, il estime superflu de demander à l'histoire ce que le témoignage de la conscience lui révèle. Pourquoi chercher Dieu en dehors de nous lorsqu'il est en nous et qu'on le sent en son cœur ? La tâche de l'apologiste se borne donc à descendre dans les profondeurs de notre âme et à y provoquer l'expérience religieuse. Le sentiment religieux, c'est-à-dire la conscience individuelle qui nous fait constater que le christianisme vit en nous et satisfait les profondes exigences de notre nature: telle est l'unique raison de croire, la seule révélation et la source de toute religion. Ce bref aperçu suffit à nous montrer que le modernisme détruit toute idée de vraie religion et va à l'encontre de l'apologétique catholique. PLAN DE L'OUVRAGE 18. - Nous suivrons, dans notre démonstration de. la foi catholique, l'ordre que nous avons indiqué plus haut (Nos 6, 7 et 8). Cet ouvrage comprendra. donc trois parties: 1ere Partie. - Les Préambules rationnels de la foi. 2me Partie. - La vraie Religion. 3me Partie. - La vraie Église. Nous ferons précéder chaque partie d'un tableau synoptique qui en marquera les points principaux. BIBLIOGRAPHIE. - MAISONNEUVE, Art. Apologétique, Dict. de théologie VacantMangenot (Letouzey). - X. M. LE BACHE,LET, Art. Apologétique, Dict. de La foi catholique d'Alès (Beauchesne). - A. DE POULPIQUET, L'objet intégral de l’Apologétique (Bloud). - X. M. LE BACHELET, De l'Apologétique traditionnelle et de l'apologétique moderne (Lethielleux). - BAINVEL, De vera Religione et Apologetica (Beauchesne). - GARDEIL, La crédibilité et l'apologétique (Gabalda). BAINVEL, La Foi et l'acte de Foi (Lethielleux). - WILMERS, De religione revelata libri quinque. _ MARTIN, L'apologétique traditionnelle. - VALENSIN, Art. Immanence, Dict. d'Alès. - Dans la Revue pratique d'apologétique: BAINVEL, Un essai de systématisation apologétique, 1er mai et 1er juin 1908; LEBRETON, Art. Le Moderniste, PETITOT, L'Apologétique moderniste, 1er sept. 1911 ; PACAUD, L'œuvre apologétique de M. BRUGERE, 1er fév.1906; GUIBERT, L'apologétique vivante, 15 janv.1906; CARTIER, Brunetière apologiste, 15 mars 1907 ; X. DE MAU, Une méthode apologétique, 15 fév. 1906; LIGEARD, Le fait catholique, Une question de méthode, 15 mars 1906. - Mgr MIGNOT, Lettre sur l'apologétique contemporaine (Albi). - Dans la Revue « Les Annales de la philosophie chrétienne» : M. BLONDEL, Lettre sur les exigences de la pensée contemporaine en matière d'apologétique janv.juill. 1896 ; articles de LABERTHONNIÈRE 1898, 1900, 1901. - M. BLONDEL, L. OLLE-LAPRUNE, L'Achèvement et l'Avenir de son œuvre. - H. PINARD, L'Apologétique, ses problèmes, sa définition (Beauchesne). Revue du Clergé français; Revue thomiste. - Encyclique Pascendi. APERÇU GENERAL DE LA PREMIERE PARTIE 19. - Comme on peut le voir par le tableau synoptique qui précède, l'apologiste, dans la première Partie, se propose de démontrer que l'homme est obligé, à tout le moins, de professer la religion naturelle. Il suit de là que son étude doit porter sur deux objets: Dieu et l'homme, car la religion naturelle a pour fondement le lien qui rattache
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l'homme, en tant que créature, à Dieu, en tant que créateur. A. L'APOLOGÉTIQUE DÉMONSTRATIVE doit donc fixer sur ces deux objets les points principaux que présuppose toute religion. A l'aide de la raison, qui est son unique instrument, et dont par conséquent il convient de montrer d'abord la valeur, l'apologiste doit prouver l'existence de Dieu, d'un Dieu personnel qui a créé le monde et qui le gouverne, qui se distingue de son œuvre, mais ne s'en désintéresse pas. Puis il doit démontrer l'existence de l'âme, d'une âme qui différencie l'homme de l'animal, d'une âme qui ne se confond pas avec la matière, qui est un esprit libre et immortel,. libre, sans quoi elle n'aurait aucun devoir envers son créateur; immortel, autrement l'homme se désintéresserait de sa destinée,. Quand l'apologiste a établi l'existence et la nature de Dieu, d'un côté, de l'âme humaine, de l'autre, il lui est facile de déterminer les obligations qui découlent pour l'homme de ce fait qu'il est la créature de Dieu: obligations qui constituent la religion naturelle. Telle est la première conclusion à laquelle l'apologiste doit aboutir dans la première Partie. Ce premier résultat obtenu, il fait un pas en avant. Restant toujours sur le terrain philosophique, il se demande si la religion naturelle, basée ,sur la raison, suffit « pour que les vérités, même naturelles, prises dans leur ensemble, puissent, dans la condition présente du genre humain, être connues de tous facilement, et sans mélange d’erreurs, s'il y a lieu de présumer que Dieu ait voulu instruire l'humanité par une révélation, si cette révélation est possible, et même nécessaire dans le cas où Dieu aurait voulu manifester à l'homme des vérités qui dépassent sa raison et l'élever à une fin supérieure aux exigences de sa nature, et dans cette hypothèse, quels sont les signes qui peuvent en attester l'existence. B. L'APOLOGÉTIQUE DÉFENSIVE a pour principaux adversaires dans cette première Partie, les positivistes ou agnostiques, et les matérialistes sur les questions de Dieu et de l'âme; et les rationalistes sur la question de la révélation. LE PROBLEME DE LA CERTITUDE. 20. Au seuil de l'apologétique, un grave problème se pose. L'esprit de l'homme peut-il connaître la réalité des choses et arriver à la certitude objective Et puisque la raison doit être l'instrument principal de l'apologiste, que vaut cet instrument pour la recherche de la vérité ? Pouvons· nous avoir confiance en lui et peut-il nous mener à la certitude ? Telle est la première question qui s’impose à l’apologiste et à laquelle nous nous proposons de répondre brièvement. Nous disons brièvement, car il ne saurait rentrer dans notre plan d'établir ex professo la valeur de notre raison et l'objectivité de notre connaissance. Outre que le sujet est trop complexe et dépasse les limites d'un simple Manuel, il appartient au domaine de la philosophie; et s'il y a de nos lecteurs qui désirent étudier la question dans toute son ampleur, nous ne saurions mieux faire que de les renvoyer aux Traités de philosophie que nous signalons à la Bibliographie. Notre unique but est donc de donner une idée du problème et des systèmes qui le solutionnent en sens divers, et par là, de faire prendre contact déjà avec les adversaires que nous allons bientôt rencontrer sur notre route. Ce chapitre comprendra quatre articles: 1° Notion, espèces et critérium de la certitude. 2° Les fausses solutions du problème de la certitude. 3° La vraie solution. 4° Ce qu'il faut entendre par certitude religieuse. ART. I. LA CERTITUDE. NOTION. ESPECES. CRITERIUM. 21. - 1° Notion. - On entend par certitude l'état de l'esprit qui a l'in· time persuasion de
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se trouver d'accord avec la vérité. Etre certain, c'est par conséquent porter un jugement qui exclut le doute et toute crainte d'erreur. 2° Espèces. - La certitude n'admet pas de degrés: elle est ou elle n'est pas. Car, pour peu qu'il y ait dans l'esprit crainte d'erreur, la certitude s'évanouit et fait place à l'opinion ou au doute. Cependant l'on peut distinguer divers ordres de certitude selon les aspects sous lesquels on la considère. A. SELON LA NATURE DES VÉRITÉS qu'elle atteint, nous avons : - a) la certitude métaphysique fondée sur la relation nécessaire des termes du jugement. Ainsi quand je dis que « le tout est plus grand que la partie », l'attribut convient tellement au sujet que le contraire ne peut se concevoir. En émettant un semblable jugement, non seulement mon esprit n'admet pas la possibilité du doute, mais il affirme que la contradictoire est absurde et ne peut être pensée; - b) la certitude physique fondée sur la constance des lois de l'univers. Seule l'expérience peut me donner cette sorte de certitude. Ainsi quand je dis que « les corps tendent à tom· ber vers le centre de la terre, mon esprit juge que la proposition contraire est fausse parce que, en contradiction avec tous les faits constatés, mais non pas absurde, car les lois qui sont ainsi pourraient tout aussi bien être autrement; - c) la certitude morale, fondée sur le témoignage des hommes; quand celui-ci présente toutes les garanties de vérité. Les vérités historiques et, par conséquent, les vérités religieuses sont objet de la certitude morale. B. SELON LE MODE DE CONNAISSANCE, la certitude est : a) immédiate ou directe ou intuitive quand la vérité apparaît à notre esprit sans l'intermédiaire d'une autre vérité; ex. : le tout est plus grand que la partie; - b) médiate ou indirecte ou discursive quand nous la connaissons indirectement et à l'aide d'un raisonnement; ex.: la somme des angles d'un triangle est égale à deux droits. C. SOUS LE RAPPORT DE L'ÉVIDENCE, la certitude est: a) intrinsèque, si l'évidence est perçue dans l'objet lui-même, directement ou indirectement; - b) extrinsèque, si elle découle de l'autorité de celui qui l'affirme. Dans le premier cas, il y a science proprement dite; dans le second, il y a croyance ou foi morale, comme il arrive pour les vérités historiques. 22. - 3° Critérium. - On entend par critérium en général la marque ou le signe par où l'on distingue une chose d'une autre. Le critérium de la certitude c'est donc le signe auquel on peut reconnaître qu'une chose est vraie et qu'on peut en être certain. D'où il suit que le problème de la certitude consiste à dire à quel signe l'on peut reconnaître que c'est la vérité que l'on a atteinte. Divers critères ont été proposés: la révélation divine (HUET, DE BONALD), le consentement universel (LAMENNAIS), le sens commun (REID, HAMILTON), le sentiment (JACOBI). Tous ces critères doivent être rejetés parce qu'ils sont insuffisants et procèdent d'une défiance injustifiée. Vis-à-vis de la raison humaine prise en général, ou vis·à·vis de la raison individuelle. Le critérium qui est la marque infaillible de toute vérité et le motif de toute certitude, c'est l'évidence. Mais qu'est-ce que l'évidence ? Le mot évident, conformément à l'étymologie, indique que la vérité apporte avec elle une clarté qui la fait briller à nos yeux. L'évidence exerce donc sur notre esprit une sorte de contrainte; elle le met dans l'impossibilité de ne pas voir. Je suis certain parce que je vois que la chose est ainsi et qu'elle ne peut .pas être autrement; et je vois que la chose est ainsi soit par une intuition directe, soit par une démonstration, soit par un témoignage incontestable qui
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ne permettent pas à mon esprit de croire le contraire. ART. II. - LES FAUSSES SOLUTIONS DU PROBLEME DE LA CERTITUDE. La possibilité de connaître la vérité et de se reposer dans la certitude est contestée par plusieurs écoles philosophiques. Nous n'envisagerons ici la question qu'au seul point de vue du rôle qui revient à la raison dans la découverte de la vérité. Or les sceptiques, les criticistes, les positivistes et les intuitionnistes ou rabaissent la valeur de ln raison. Nous allons passer très rapidement en revue ces différents systèmes. 23. – 1° Le Scepticisme. - Les sceptiques prétendent que l'homme est incapable de discerner le vrai du faux, et partant, qu'il doit suspendre son jugement. Pour prouver leur thèse, ils invoquent quatre motifs: l'ignorance, l'erreur, la contradiction et le diallèle. - a) L'ignorance, L'ignorance humaine est manifeste sur une foule de sujets; de plus, comme les choses s'enchaînent, l'ignorance sur un point, fait qu'une chose ne peut être connue à fond et telle qu'elle est; nous ne savons « le tout de rien », comme dit PASCAL. - b) L'erreur. L'homme se trompe souvent, et, qui est pis, quand il se trompe, il croit être dans le vrai. Comment savoir alors quand il est dans le vrai ? - c) La contradiction. Les hommes ne sont pas d'accord entre eux. La vérité change: - 1. avec les pays. « Plaisante justice, qu'une montagne ou une rivière bornent ! Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » dit encore PASCAL - 2. avec les siècles, Telles actions, licites aujourd'hui, étaient défendues autrefois, ou réciproquement ; 3. avec les individus. Ce que l'un juge bien, l'autre le trouve mal. Bien plus, le même individu n'est pas stable dans sa manière de voir et de juger. d) Le diallèle13. Cet argument, le plus spécieux du scepticisme, peut ,se formuler ainsi : Il n'y a pas d'autre moyen de prouver la puissance de la raison que par la raison elle-même. Or c'est là, de toute évidence, un cercle vicieux. Donc pour ce motif, comme pour ceux qui précèdent, le scepticisme a le droit de soutenir que le doute est le seul état légitime de l'esprit. 24. – 2° Le criticisme ou relativisme kantien. D'après KANT, tous nos jugements se conforment aux lois de notre esprit. Notre connaissance ne se règle pas sur les objets; elle ne vient pas du dehors par l'intermédiaire de l'expérience. Nous ne pouvons connaître les choses telles qu'elles sont en elles-mêmes. Les objets ne sont que ce que notre esprit les fait être: ils se moulent, pour ainsi dire, sur les formes de notre entendement et ils seraient autres à nos yeux si notre esprit était constitué autrement. Ainsi, notre connaissance est toute relative, elle n'a de valeur que relativement à nous, puisque ce sont nos facultés qui imposent leurs formes subjectives aux objets qui viennent à leur connaissance: d'où les noms de relativisme et de subjectivisme donnés encore parfois à la doctrine de Kant. Mais, si nous n'atteignons que nos idées14, il importe que nous fassions la critique de nos facultés de connaître (de la Raison pure, de la Raison pratique et du jugement), en déterminant la part de l'influence subjective 13
Le mot diallèle (grec dia lêllon l'un par l'autre) est synonyme de cercle vicieux.
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Toute doctrine qui pose en principe que nous ne pouvons atteindre l'objet tel qu'il est en lui-même, mais seulement tel qu'il est dans notre esprit, porte le nom générique d'idéalisme. Parmi les multiples variétés d'idéalisme. nous n'avons signalé ici que les deux principales: l'idéalisme critique, ou criticisme de KANT, et l'idéalisme métaphysique de BERGSON, la forme la plus moderne d'idéalisme que nous désignons plus loin sous le titre d'intuitionnisme.
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dans l'objet connu: d'où le nom de criticisme par lequel on désigne généralement la théorie kantienne. D'autre part, l'esprit est poussé par son organisation à concevoir trois idées transcendantales: l'âme, le monde et Dieu. Ces trois idées paraissent avoir trois êtres, objets ou, noumènes15 correspondants. Mais ces idées correspondent-elles à des existences réelles ? Par delà les phénomènes y a-t-il réellement des noumènes? L'esprit humain ne saurait le dire, La raison est impuissante à résoudre le problème; elle ne peut avoir aucune connaissance de l'être en soi, c'est-à-dire de l'âme, du monde et de Dieu. Il est vrai que, par un procédé ingénieux, Kant distingue entre la raison théorique et la raison pratique16, et rétablit par la seconde ce que la première avait supprimé. La raison théorique ignore les choses en soi, mais la raison pratique, découvrant l'existence de l'obligation au fond de la conscience, en déduit l'existence des choses en soi, c'est-à-dire de la loi morale qui postule la liberté, la responsabilité, l'immortalité de l'âme et l'existence de Dieu nécessaire pour expliquer l'existence de la loi morale et la possibilité de la sanction. 25. – 3° Le positivisme. - Le positivisme (A. COMTE, LITTRÉ, en France; HAMILTON, H. SPENCER, STUART-MILL, en Angleterre) professe que l'esprit humain peut atteindre les vérités de l'ordre expérimental ou vérités positives, mais qu'il est incapable de résoudre tout ce qui ne peut pas être vérifié expérimentalement. Nous pouvons donc connaître les phénomènes, le relatif, mais non pas la substance, ni l'absolu17 . Ainsi l'esprit humain peut constater des faits, en tirer des lois: c'est là le connaissable et l'objet de la science. Au delà des faits et de leurs lois s'étend le domaine inaccessible des choses en soi et des causes: c'est l'inconnaissable. D'où le nom d'agnosticisme par lequel on désigne quelquefois le positivisme. 26. - 4° L'intuitionnisme. - L'intuitionnisme, - nom sous lequel nous désignons ici les théories de M. BERGSON sur la connaissance,-procède du relativisme de Kant et de l'évolutionnisme de H. Spencer. Pour M. BEGSON, nous avons deux manières de connaître : par l'intelligence et par l'intuition. - a) Par l'intelligence, Comme Kant, il admet que la raison pour arriver à la connaissance objective des choses, mais à cette impuissance il assigne des causes différentes Tandis que, dans la théorie kantienne, la connaissance est toujours subjective, du fait que nous imposons aux objets les formes immuables de notre esprit, M. BERGSON prétend qu'une première cause d'erreur vient, au contraire, de l’activité de l'esprit, qui, loin d'avoir des formes invariables, travaille sur les objets avec lesquels il est en contact, les modifie en se les assimilant, tout comme notre organisme transforme la nourriture qui lui est confiée. Une seconde cause d’erreur, c'est que les objets eux-mêmes sont soumis à un perpétuel changement et qu'on ne peut les saisir qu'à un moment de leur existence mobile. Une troisième cause d'erreur vient de ce que les changements s'opèrent par d'insensibles liaisons: il y a évolution des choses plutôt que transformation. Or, la raison étant obligée de procéder par concepts stables, il 15
Le noumène (du grec noumenon connu par le « nous » la raison pure) désigne l'essence des choses, ce qui est, par opposition à ce qui apparaît. D'après KANT, le noumène peut être objet de fol, non de science. 16 La raison pratique n'est pas autre chose que la conscience morale, c'est-à-dire la faculté de juger du bien et du mal par le moyen de la loi morale. 17 Les mots « absolu », « chose en soi » « noumène » tels qu'ils sont employés dans cette leçon, sont des termes synonymes et s'opposent aux mots « relatif », « apparence », « phénomène ».
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s'ensuit qu'elle ne peut, ni exprimer le mouvement des, choses, ni marquer ce qu'il y a de continu dans leur évolution ; elle doit isoler les états successifs des objets, substituer le discontinu et le morcelage de la réflexion au continu et à l'unité de leur devenir. b) Par l’intuition. Mais et c’est ici que M. Bergson entend dépasser Kant, si la raison n arrive pas à une connaissance objective des choses, il y a. un autre moyen .pour atteindre la réalité. Ce moyen, c'est l'intuition qui perçoit le réel vivant 'et mobile par une vue immédiate et directe de l'objet. Seule la connaIssance intuitive est donc objective Ainsi le système bergsonien pense échapper à la Critique kantienne en ajoutant un nouvel élément de connaissance. Il suit de là que si la connaissance de Dieu par la raison est sans valeur, rien ne nous empêche de l'atteindre par l'intuition, par la conscience et par le cœur. Voilà pourquoi les modernistes, adeptes de la philosophie bergsonienne ont substitué l'apologétique rationnelle une apologétique de l’intuition ou de l’immanence (voir N° 17). ART. III. - LA VRAIE SOLUTION DU PROBLEME. LE DOGMATISME. VALEUR ET LIMITES DE LA RAISON. 27. – 1° Le Dogmatisme. - On appelle dogmatisme (grec dogmatizô, j'affirme) le système philosophique qui soutient que l'esprit humain peut atteindre à la certitude et que la certitude correspond. a la réalIté .des choses, c'est-à-dire qu'il y a accord entre nos représentations et les objets de notre connaissance. Le dogmatisme invoque en sa faveur les raisons suivantes: - a) la fausseté des systèmes opposés; - b) l'intuition immédiate de la vérité objective des principes premiers; et - c) les exigences du sens commun. A. FAUSSETÉ DES SYSTÈMES OPPOSÉS. - a) Aux septiques le dogmatisme répond que l'ignorance et l'erreur sur certains points ne prouvent pas que la certitude ne peut exister sur d'autres. De ce que nous ne savons le tout de rien, il ne s'ensuit pas que nous ne sachions rien. Le fait que nous découvrons parfois nos erreurs n'est-il pas, au contraire, une preuve que notre esprit n'est pas frappé d'impuissance totale ? La contradiction ne prouve pas davantage en faveur du scepticisme, car elle est loin d'être universelle; elle ne s'étend pas à tous les domaines et ne porte pas sur toutes les propositions. Quant à l'argument du diallèle, il vaut tout aussi bien contre ceux qui l'invoquent. Qu'on veuille démontrer, par la raison, la légitimité ou l'illégitimité de la raison, le cercle vicieux est le même. - b) Aux empiristes et aux positivistes le dogmatisme fait observer que la distinction établie par eux entre le phénomène et le noumène ne saurait être absolue et qu'elle ne peut s'appliquer aux faits de conscience. Nous atteignons en effet dans la même intuition notre être et la représentation que nous en avons. C'est une autre erreur de prétendre que notre science s'arrête aux phénomènes, qu'il n'y a de certain que ce qui peut être vérifié expérimentalement et qu'on ne peut conclure de ce qui paraît à ce qui est. Il est incontestable au contraire que la raison peut, à l'aide des données fournies par les sens et la conscience, déduire les principes de causalité et de substance. Des effets elle peut remonter aux causes, et des causes secondes, relatives, à la cause première et absolue. c) Le dogmatisme admet, avec M. BERGSON, qu'il y a bien deux modes de connaissance, mais il estime que la raison est un procédé aussi légitime que l'intuition. La différence entre les deux n'est du reste pas aussi grande qu'on pourrait le croire. La connaissance rationnelle suppose, en effet, une intuition à son point de départ et à son point d'arrivée. Prenons, par
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exemple, la démonstration d'un théorème de géométrie. La raison doit s'appuyer d'abord sur les axiomes dont l'esprit perçoit directement la vérité, c'est-à-dire sur une intuition; et, par une suite de déductions, elle aboutit à une autre intuition, en mettant en lumière une autre vérité, qui, jusque-là, était cachée et dont l'évidence apparaît à la fin de la démonstration. Il n'est pas exact non plus de dire que l'activité de l'esprit transforme la nature des objets. Par l'abstraction l'esprit dégage ce qui est au fond des choses, car si les êtres sont soumis à une évolution dont la marche est continue, s'ils sont dans un perpétuel devenir, ils ne deviennent Pas tout entiers. Quelque chose reste en eux qui ne change pas, et c'est ce que nous appelons la substance: à travers les multiples changements de mon existence, j'ai conscience d'être le même homme. Dans la mesure où elle atteint la substance, la raison peut donc arriver à une connaissance objective, tout aussi bien que l'intuition. B. L'INTUITION IMMEDIATE DE LA VÉRITÉ OBJECTIVE DES PRINCIPES PREMIERS. - Il y a un certain nombre de principes premiers que nous découvrons par une intuition immédiate et dont la vérité nous apparaît avec une telle évidence qu'elle s'impose à notre esprit: tels sont, par exemple, le principe d'identité et le principe de raison suffisante. Qui oserait prétendre que A n'est pas A ou qu'une chose peut commencer d'exister sans raison suffisante ? Nous avons l’intime conviction que ces axiomes ne sont pas seulement des représentations de notre esprit mais des lois de l'être. C. LE SENS COMMUN. - Il est bien certain que le sens commun est en faveur du dogmatisme. Tous les hommes croient, - et même les philosophes qui font profession de ne pas y croire, - que leur pensée a plus qu'une valeur subjective et qu'elle est conforme à la réalité des choses. « Quel est le savant qui ne se mettrait à rire si on lui soutenait sérieusement que les propositions de physique ou de chimie qu'il a découvertes après tant de pénibles tâtonnements, ne correspondent à rien, que l'oxygène ou le carbone, par exemple, ne sont en en dehors de sa pensée et que les éclipses de la lune ou de. Vé,nus ne, sont que de pures, « représentations » de sa conscience ? Or il n est guère admissible que l’instinct naturel et universel du genre humain le fasse ainsi se tromper sur une chose de cette importance. »18 28. – 2° Valeur et limites de la raison. De ce qui précède il résulte: - a) que l'esprit humain peut, en un certain nombre de matières, arriver soit par l'intuition soit par le, raisonnement, à, une certitude objective. Nous serions les êtres les plus déshérités de la création, Si, avec un esprit fait pour connaître, nous nous trompions toujours, ou même si nous n'étions jamais sûrs de ne pas nous tromper; - b) que la Science ne se borne pas à la connaissance des phénomènes et qu'elle peut, dans une certaine mesure, atteindre l'être en soi; - c) Nous disons: dans une certaine mesure, car, même quand nous arrivons à la certitude, notre connaissance n'est jamais absolue et adéquate; elle ne peut pénétrer l'essence intime des choses. La raison a des limites infranchissables, et plus l'objet à atteindre dépasse l'esprit, plus la connaissance est imparfaite. Ainsi elle peut démontrer l'existence de Dieu et savoir quelque chose de sa nature· mais plus loin elle veut avancer, plus incomplète est sa science, plus la connaissance s'enveloppe de mystère. Conclusion. - Ce que nous affirmons des choses est donc vrai, bien que ce ne soit pas l'exacte et adéquate reproduction de la chose même. Etant hommes, il serait insensé de 18
FONSEGRIVE, Eléments de philosophie, tome II.
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désirer l'impossible et de vouloir posséder une science surhumaine. Retenons par conséquent le conseil de LACTANCE qui nous apprend que « la sagesse consiste à ne pas croire qu'on sait tout, ce qui n'appartient qu'à Dieu, ni qu'on ne sait rien, ce qui est le propre de la brute. » ART. IV. - LA CERTITUDE RELIGIEUSE. ROLE DE LA RAISON ET DE LA VOLONTE. 29. - Certitude religieuse. - De quel ordre est la Certitude qu'engendre l'apologétique ? Assurément la certitude religieuse est une certitude d'ordre moral. - a) Il est vrai que, dans la partie philosophique, les vérités sont métaphysiques de leur nature; mais les questions qu'on y aborde: existence de Dieu et de l'auteur leur nature, les rapports de Dieu avec le monde, sont si complexes et en· dehors de toute expérimentation directe; que la solution de ces problèmes ne peut s'imposer à nous avec une évidence mathématique et qu'elle requiert par conséquent des dispositions morales. - b) Dans la partie historique, les preuves du fait de la révélation reposent sur la valeur du témoignage: le motif de notre certitude est donc tiré des signes qui nous attestent l'existence et la crédibilité du témoignage. Mais, d'un côté comme de l'autre, dans la partie philosophique comme dans la partie historique, la raison et la volonté doivent jouer, chacune, leur rôle. Rôle de la raison. - C'est la raison qui doit reconnaître le vrai. Or le critérium de la vérité c'est, comme nous l'avons dit précédemment (N° 28), l'évidence, et non le sentiment. On ne croit pas qu'une chose est vraie parce qu'on veut qu'elle le soit, mais on y· croit parce qu'on voit qu'elle est vraie. Le sentiment et la volonté ne peuvent suppléer la raison, car, pour aimer et vouloir une chose, il faut d'abord la connaître. Nous n'arrivons donc à la certitude religieuse que parce que la Révélation se présente à nous avec des caractères d'évidence manifeste et des motifs de crédibilité qui emportent notre assentiment. Rôle de la volonté. Toutefois, la raison serait ici insuffisante si la volonté se tenait à l'écart. Une double besogne lui est assignée. - a) Avant le jugement, il faut qu'elle prépare l'esprit à voir la lumière. C'est elle qui choisit l'objet à étudier; c'est elle qui y porte l'attention, et l'y fixe De plus, pour que l'intelligence soit mieux à même de juger, elle doit refouler de l'âme les préjugés et les passions. - b) Au moment de prononcer le jugement, l'intervention de la volonté n'est pas moins nécessaire pour déterminer l'intelligence à adhérer au vrai, car cette adhésion ne va pas sans sacrifices; les vérités morales, telles que l'existence de Dieu, d'un souverain juge, de l'immortalité de l'âme, de la loi morale et de la vie future, imposent des devoirs qui coûtent à notre nature et que d'instinct nous serions souvent tentés de repousser. Sans exagérer le rôle de la volonté, il est donc permis de dire que la vérité religieuse ne peut en tirer dans l'esprit par la simple vertu d'un syllogisme. Faut-il ajouter, avec BRUNETIÈRE, qu' « on ne croit pas pour des raisons d'ordre intellectuel. » Mal interprétées, ces paroles prêteraient le flanc à la critique; mais, dans l'esprit de leur auteur, elles signifiaient sans doute que la foi ne naît pas de la force des arguments si, préalablement, on ne prend pas soin de préparer l'âme par l'humilité, la mortification des passions et surtout par la prière. Les grandes conversions, les transformations morales opérées par le christianisme à travers les siècles, ont été l'œuvre de la volonté et de la grâce, autant et plus, que le fruit du raisonnement. Concluons donc qu'il faut savoir faire à la raison et à la volonté la part qui leur revient. Selon le mot de PLATON, il faut « aller au vrai de toute son âme ». Raison, volonté et
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cœur doivent s'unir pour la conquête de la vérité .. Biographie. - Les Traités de philosophie; en particulier ceux de FONSEGRIVE, du P. LAHR et de G. SORTAIS. - Saint THOMAS, Somme théologique, De la vérité. KLEUTGEN, La philosophie scolastique (Gaume). - GÉNY, Art. Certitude, Dict. d'Alès. - CHOLLET, Art. Certitude, Dict. Vacant-Mangenot. - OLLÉ-LAPRUNE, La certitude morale (Belin). - FARGES, La crise de la certitude (Berche et Tralin). MICHELET, Dieu et l'agnosticisme contemporain (Gabalda). - DE PASCAL, Le christianisme, 1re partie, La Vérité de la religion (Lethielleux). - NEWMAN, Grammaire de l'assentiment (Bloud). - PACAUD, Art. La certitude religieuse d'après la philosophie d'Ollé-Laprune, Rev. pr. d'Apol., 1 mai 1907. - L. Ruy, Le Procès de l'Intelligence Chap. Le rôle de l'intelligence dans la connaissance de Dieu (Bloud). Abbé JULIEN WERQUIN, L'Évidence et la Science; Connaître, 1933. CHAPITRE I. - De l'Existence de Dieu. DÉVELOPPEMENT Division du Chapitre. 30. - La question de l'existence de Dieu comporte une triple étude: 1° Une question préliminaire: est-il possible de démontrer l'existence de Dieu' ? - 2° Seconde étude: exposé des preuves qui établissent l'existence de Dieu.- 3° Enfin une question subsidiaire: si la raison démontre Dieu d'une façon péremptoire, comment expliquer qu'il y ait des athées ? Quelles sont les causes de l'athéisme et quelles en sont les conséquences ? D'où trois articles: Art. I - L'existence de Dieu est-elle démontrable ? Cette première question de la démonstrabilité de l'existence de Dieu se subdivise à son tour en deux autres: 1° Est-il possible de démontrer l'existence de Dieu ? 2° Par quelles voies peut-on faire cette démonstration ? § 1. - EST-IL POSSIBLE DE DÉMONTRER L'EXISTENCE DE DIEU ? ERREURS DU MATÉRIALISME ET DE L'AGNOSTICISME. 31. – Devant le problème de l'existence de Dieu, trois attitudes sont possibles: on peut répondre par l'affirmation, par la négation, ou par une fin de non-recevoir. Au premier groupe appartiennent les théistes ou croyants, au second, les matérialistes ou athées, au troisième, les agnostiques ou indifférents. 1° Théisme (du grec théos, Dieu). - Les théistes affirment qu'il est possible de démontrer l'existence de Dieu. Dans l'article suivant, nous exposerons les preuves sur lesquelles ils appuient leur croyance. 2° Matérialisme. - L'athée, de quelque nom qu'il s'appelle, - matérialiste, naturaliste, ou moniste19, - prétend qu'on ne peut démontrer l'existence de Dieu, parce que Dieu
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n'existe pas. Il estime qu'il n'est pas nécessaire de recourir à un créateur pour expliquer le monde, et que Dieu est une hypothèse inutile. La matière est la seule réalité qui soit: éternelle et douée d’énergie, elle suffit, seule, à résoudre les énigmes de l'univers. Le arguments du matérialisme seront du reste exposés dans l'article 2 sous le titre d'objections. 3° Agnosticisme. - D'une manière générale, le positiviste ou agnostique20 déclare que l'existence de Dieu est du domaine de l'inconnaissable. La raison théorique ne peut en effet dépasser les phénomènes; l'être en soi, les substances et les causes, ce qui est au fond intime des apparences, tout cela lui échappe. « Le problème de la cause dernière de l'existence, écrivait HUXLEY, en 1874, me paraît définitivement hors de l’étreinte de mes pauvres facultés.» Pour LITTRÉ (1801-1881), l'infini est « comme un océan qui vient battre notre rive », et, pour l'explorer, « nous n'avons ni barque ni voile ». ( Auguste Comte et la philosophie positive). D'où conclusion toute naturelle : puisque la recherche des causes en général et, a fortiori, de la cause dernière, est vouée à l'insuccès, ne perdons pas notre temps à l'entreprendre. Et c'est bien le conseil que LITTRÉ nous donne encore: « Pourquoi vous obstinez-vous à vous enquérir d'où vous venez et où vous allez, s'il y a un créateur intelligent, libre et bon ! Vous ne saurez jamais un mot de tout cela. Laissez donc là ces chimères... La perfection de l'homme et de l'ordre social est de n'en tenir aucun compte... Ces problèmes sont une maladie; le moyen d'en guérir est de n'y pas penser21.» Ainsi, là où le matérialiste prend position contre Dieu, l'agnostique observe une sage réserve: il « ne nie rien, n'affirme rien, car nier ou affirmer ce serait déclarer que l'on a une connaissance quelconque de l'origine des êtres et de leur fin» (LITTRÉ). Il consent même à admettre la distinction entre le phénomène et la substance, entre le relatif et l'absolu, pourvu, qu'on lui concède que l'absolu est inaccessible. Ignorance et désintéressement de la question, telle pourrait donc être la formule agnostique. Il est vrai que cette neutralité n'est souvent qu'apparente, car il est évident que de l'attitude d'abstention à la négation il n'y a qu'un pas, et la plupart des agnostiques le franchissent. Après avoir dit: « Au delà des données de l'expérience nous ne savons rien », ils ajoutent: « Au delà des objets de notre expérience il n'existe rien.»
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Les trois dénominations: matérialiste, naturaliste, moniste, désignent, sous des aspects différents, le même fond de doctrine. Tous trois prétendent expliquer le monde par l'existence d'un seul élément, mais tandis que le matérialiste met en avant la seule matière, le naturaliste parle de la nature, ce qui est déjà un terme plus vague, et le moniste fait appel au mouvement cosmique. - Le moniste dont nous parlons ici est évidemment le moniste matérialiste. 20
Agnostique (du grec « a » privatif et « gnosis » connaissance). - D'après l'étymologie, le mot agnostique est opposé à gnostique.. l'agnostique déclare ignorer là où le gnostique prétend savoir. Le mot a été jeté dans la circulation par le philosophe anglais HUXLEY vers 1869. , La plupart de mes contemporains, dit-il un jour, pour faire profession de libre-pensée, pensaient avoir atteint une certaine gnose et prétendaient avoir résolu le problème de l'existence; j'étais parfaitement sûr de ne rien savoir sur ce sujet, et bien convaincu que le problème est insoluble : et comme j'avais Hume et Kant de mon côté, je ne croyais pas présomptueux de m'en tenir à mon opinion. . 21
Revue des Deux- Mondes. 1er juin 1865
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Toutefois, tous les agnostiques ne vont pas aussi loin. Certains, comme KANT, LOCKE, HAMILTON, MANSEL, H. SPENCER, distinguant entre existence et nature de Dieu, proclament que l'être en soi existe mais que nous ne pouvons rien savoir de ce qu'il est. Si, dans ce système, Dieu devient, selon le mot de H. SPENCER, une « Réalité inconnue», il reste cependant une réalité et un objet de croyance. § 2. PAR QUELLES VOIES DÉMONTRER L'EXISTENCE DE DIEU ERREURS. 32. – 1° Par quelles voies démontrer l'existence de Dieu ? – Les preuves de l'existence de Dieu nous sont fournies par l'âme tout entière: par la raison, par le sentiment et la conscience. Cependant, il est bon de noter aussitôt que si la raison n'est pas l'unique instrument, elle en est certainement l'essentiel. L'on peut aller à Dieu par d'autres voies, mais à condition de ne pas rejeter celle-là, ni même de la rabaisser, comme si elle était désormais une voie défectueuse et cadrant mal avec la pensée moderne. Le concile du Vatican a déclaré, en effet, que « la sainte Église notre Mère, tient et enseigne que, par la lumière naturelle de la raison humaine, Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être connue avec certitude, au moyen des êtres créés, car depuis la création du monde, ses invisibles perfections sont vues par l'intelligence des hommes au moyen des êtres qu'il a faits» (Rom., 1,20). - A son tour, l'Encyclique Pascendi a rappelé la décision du concile du Vatican. - Et plus récemment, le serment antimoderniste, prescrit par le Motu proprio du 1er sept. 1910, a confirmé et complété le texte du concile: « Et d'abord, je professe, y est-il dit, que Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être connu, et par conséquent aussi, démontré avec certitude par la lumière naturelle de la raison au moyen des choses qui ont été faites, c'est-à-dire par les ouvrages visibles de la création, comme la cause par ses effets. » Il convient de remarquer les deux additions très importantes, faites par le serment antimoderniste, au texte du concile du Vatican. Ce dernier affirmait bien que Dieu peut être connu, mais comme on pouvait épiloguer sur les voies qui mènent à la connaissance, le serment antimoderniste a précisé ce qu'il fallait entendre par là : Dieu peut être connu et par conséquent aussi démontré,. donc connaissable et démontrable. Démontrable, comment ? Par les lumières naturelles de la raison, qui, prenant son point de départ dans les êtres créés et s'appuyant sur le principe de causalité, remonte des effets à la cause22. 33. - 2° Erreurs. - Par ces différentes décisions l'Église entendait condamner: - a) les 22
Les additions faites parle serment antimoderniste au dogme défini parle Concile du Vatican, s'imposent-elles à notre croyance à titre de vérité de foi ou à titre de vérité certaine en connexion avec un dogme ? Dans le premier cas, le refus d'y adhérer constituerait une hérésie, et, dans le second, on serait suspect seulement d'hérésie parce qu'on ne peut rejeter une vérité en connexion avec un dogme sans paraître rejeter le dogme lui-même. La première hypothèse, qui les regarde comme vérité de foi, est assez vraisemblable, vu que ces additions font partie d'une profession de foi et qu'elles sont précédées du mot « profiteor » je professe, qui désigne, dans le langage de l'Eglise, un acte de foi.
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ontologistes, comme MALEBRANCHE, et les intuitionnistes, comme BERGSON, qui soutiennent que Dieu n'est pas démontrable par la raison. Il est vrai que dans leurs systèmes cette démonstration n'est pas nécessaire parce que nous avons, soit l'idée innée, soit l'intuition directe de Dieu; - b) les fidéistes et les traditionalistes (J. DE MAISTRE, DE BONALD, LAMENNAIS) qui, affirmant ou exagérant l'impuissance de la raison, prétendent que l'existence de Dieu ne peut être démontrée par le raisonnement et qu'elle n'est venue à notre connaissance que par la loi ou par suite d'une révélation primitive transmise d'âge en âge par la voie de la tradition : erreur condamnée par le Concile du Vatican, sess. III ch. II, can. 123. - c) les criticistes qui, avec KANT, distinguant entre la raison théorique et la raison pratique, nient la valeur de la première et regardent la croyance en Dieu comme un postulat de la loi morale (voir N° 24) ; - d) les modernistes qui ne retiennent que l'expérience individuelle comme l'unique preuve de l'existence de Dieu, jugeant que les autres sont sans valeur, ou tout au moins incompatibles avec la philosophie contemporaine. A leur point de vue, Dieu n'est pas démontrable par la raison, mais le cœur le découvre: l'expérience religieuse tient lieu de tout; elle résout le problème de la connaissance de Dieu, l'origine de la révélation et de la religion (voir N° 17). Il convient de remarquer que l'Église a condamné la théorie moderniste de l'immanence, non parce qu'elle use de cette preuve de sentiment, mais parce qu'elle réduit toutes nos raisons de croire à la seule présence de Dieu dans l'âme. L’Eglise admet en effet que, chez les âmes de bonne volonté, Dieu peut faire sentir sa présence et son action, qu'il peut devenir, d'une certaine manière, immanent, mais elle ne pense pas que l'immanence de Dieu soit toujours perçue directement par la conscience et le sentiment. Ce sont là des états mystiques plutôt rares, des faveurs qui ne constituent pas pour nous un droit, et qui, par conséquent, ne peuvent être considérées comme le seul moyen d'arriver à la connaissance de Dieu. Art. II. - Exposé des preuves de l'existence de Dieu. CLASSIFICATION DES PREUVES DE L'EXISTENCE DE DIEU. 34. - Il y a bien des manières d'exposer les preuves de l'existence de Dieu. 1° Les uns ne font pas de classification et se contentent de présenter un certain nombre de preuves. Ainsi, Saint THOMAS distingue cinq preuves qu'il donne à la suite. Partant des choses que l'on peut observer dans le monde, il aboutit à cinq attributs qui impliquent l'existence de Dieu. Il est certain, et les sens le constatent, que dans ce monde il y a des choses qui sont mues, des êtres qui sont causés par d'autres, des choses qui peuvent être et ne pas être, qui sont plus ou moins parfaites, des êtres dépourvus d'intelligence qui agissent d'une manière conforme à leur fin. Or tout être mû ne s'explique que par l'immobile (argument du premier moteur), tout être causé par
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OLLE-LAPRUNE a dit très justement à propos du fidéisme: « L’Eglise condamne tout fidéisme. Elle qui, sans la foi, ne serait pas, elle commence par rejeter comme contraire à la pure essence de la foi, une doctrine qui réduirait tout à la foi. L'ordre de la foi n'est assuré que si l'ordre de la raison est maintenu. » (Ce qu'on va chercher à Rome).
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une cause première (argument des causes efficientes ou de la cause première), l'être contingent par l'être nécessaire (argument de la contingence), les êtres imparfaits par l'Etre parfait (argument par les degrés des êtres), les choses ordonnées par un ordonnateur (argument tiré de l'ordre du monde). Donc il est nécessaire de remonter à un premier moteur, une cause première, etc., que nous appelons Dieu. 2° Les autres classent les preuves en groupes distincts. - a) KANT distingue les arguments théoriques et les arguments moraux, les premiers tendant à donner une démonstration rationnelle et les seconds n'étant que de simples raisons de croire. Il subdivise en outre les arguments théoriques en arguments a priori et a posteriori24 selon que l'on prend comme point de départ une idée que nous trouvons dans notre esprit ou un fait, soit indéterminé, soit déterminé. - b) La classification la plus courante consiste à diviser les preuves selon la nature du fait qui leur sert de point de départ. On obtient alors trois classes de preuves: les preuves physiques, les preuves métaphysiques et les preuves morales, selon que le point de départ est un fait physique, ou une idée rationnelle, ou un fait moral. Malheureusement, cette classification prête à équivoque, car les subdivisions des trois classes rie sont pas nettement délimitées; par exemple, l'argument de la contingence, appelé physique par les uns, est regardé comme métaphysique par les autres.25 c) Nous prendrons comme guides les paroles du Concile du Vatican et du serment antimoderniste : nous partirons des choses que nous pouvons observer dans le monde, et nous aurons ainsi une double classe d'arguments. En effet, si je considère les ouvrages visibles de l'univers; .mon étude ne peut avoir que deux objets; ce qui est en dehors de moi et ce qui est en moi. Or cette double connaissance, du monde extérieur et du monde intérieur, doit nous conduire à la connaissance de Dieu. D'où deux sortes de preuves: les preuves cosmologiques fournies par l'étude du cosmos et les preuves psychologiques et morales fournies par l'étude de l'âme humaine. A ces deux classes de preuves il y aura lieu d'ajouter comme confirmation le fait de la croyance universelle des peuples.
§ 1. - LE MONDE EXTÉRIEUR. PREUVES COSMOLOGIQUES. 35. - Si nous observons le monde extérieur, tel qu'il est, du moins dans la mesure où nous pouvons le connaître, nous y constatons trois choses: - a) son existence d'abord; b) le mouvement dont il est animé, et - c) l'ordre qui y règne. Or ces trois faits supposent qu'il y a quelqu'un, en dehors du monde, qui est. la cause de son existence, la source de son activité et le principe de l'ordre que nous y découvrons. Ce quelqu'un 24
L'expression a priori veut dire antérieur à l'expérience et signifie par conséquent que l'on raisonne indépendamment de l'expérience, en s'appuyant seulement sur les principes de la raison. L'expression a posteriori a le sens contraire et signifie que l'on s'appuie sur l'expérience, que l'on remonte des effets aux causes.
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L'on pourrait objecter également à cette classification que toutes les preuves rationnelles sont, en somme, métaphysiques, puisqu'elles s'appuient toutes sur le principe de causalité.
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nous le nommons Dieu. D'où trois preuves tirées: - 1. de l'existence du monde; - 2. du mouvement du monde; et - 3. de l'ordre du monde. 1ère Preuve tirée de l'existence du monde. Argument dit de la cause première ou de la contingence. 36. - Argument - Cet argument peut être présenté de diverses façons. On peut dire très simplement : l'existence d'un monde contingent ne s'explique pas sans un être nécessaire que nous appelons Dieu. BOSSUET l'a formulé ainsi: « Qu'il y ait un moment où rien ne soit, éternellement rien ne sera.» Ce qui revient à dire: L'existence d'un monde, qui n'est ni éternel ni nécessaire, ne s'explique que par l'existence d'un être éternel et nécessaire, appelé Dieu. Nous développerons l'argument dans le syllogisme26 suivant: Les causes secondes supposent une cause première et les êtres contingents supposent un être nécessaire. Or il n'y a dans le monde que des causes secondes et des êtres contingents. Donc le monde suppose une cause première et un être nécessaire: cet être c'est Dieu27. A. PREUVE DE LA MAJEURE. - Les causes secondes supposent une cause première et les êtres contingents supposent un être nécessaire. Il faut entendre par cause seconde une cause qui est à la fois cause et effet, qui doit sa propre existence à une autre cause (ex: le père), et être contingent celui qui n'a pas en soi la raison de son existence et qui pourrait ne pas être, Au contraire, la cause première est celle qui ne doit son existence à aucune autre, et l'être nécessaire est celui qui porte en soi la raison de son existence et qui ne peut pas ne pas être. Comme on le voit, toute cause seconde est contingente puisqu'elle n'a pas en soi la raison de son existence, et réciproquement, tout être contingent est cause seconde puisqu'il tient son existence d'un autre. La différence entre les deux dénominations c'est que, d'un côté, nous considérons le monde dans le fait de son existence, c'est-à-dire en tant que cause seconde, et de l'autre, nous l'envisageons dans sa nature, c'est-à-dire en tant que contingent. Que les causes secondes supposent une cause première, cela découle, à la fois du 26
Le syllogisme est un raisonnement composé de trois propositions telles, que, les deux premières (les prémisses) étant admises, la troisième (la conclusion) s'ensuit nécessairement. La première proposition des prémisses s'appelle la majeure, la seconde, la mineure. Pour plus de clarté, nous distinguerons la majeure et la ,mineure, que nous prouverons séparément. 27
L'argument est quelquefois formulé sous la forme suivante: Tout ce qui a commencé d'exister n'existe pas par soi et suppose un créateur. Or le monde a commencé d'exister. Donc le monde a dû recevoir l'existence de Dieu. Ainsi présenté, l'argument parait défectueux, car les adversaires ne manqueront pas de reprendre aussitôt la mineure et de dire: « Mais le monde n'a pas commencé. L'argument ne s'appuie pas sur le commencement du monde mais sur sa contingence, au point de vue de son existence et de sa nature. Que le monde ait commencé ou non, qu'Il soit éternel ou créé dans le temps, Il n'en reste pas moins contingent, c'est-à-dire insuffisant, et appelle un être nécessaire. Les philosophes, comme PLATON et ARISTOTE, qui croyaient à l 'éternité du monde, n'en admettaient pas moins l'existence de Dieu, et il n'est pas démontré par la raison Dieu n’aurait pas pu créer le monde ab aeterno.
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principe de causalité et du principe de raison suffisante, car l'on ne peut pas alléguer que les causes secondes s'expliquent les unes par es autres. Qu'on remonte, en effet, la série des causes secondes, qu'on aille du fils au père, du père à l'aïeul, et ainsi de suite, aussi loin qu'on le voudra; qu'on suppose même une série infinie28, si la chose le peut, on ne fera que reculer la difficulté, et il faudra bien recourir à une cause première, car il va de soi que, si chaque cause subordonnée est insuffisante par elle-même à produire son existence, ce n'est pas le nombre de semblables Muses qui en changera la nature. Prenez dix, vingt, cent, une multitude infinie d'ignorants, vous n'aurez pas obtenu un homme savant. Incomplètes et insuffisantes par nature, les causes secondes requièrent donc une cause première, distincte d'elles, et qui leur ait donné l'existence, Le raisonnement est le même, si l'on considère les êtres, non plus comme causes secondes mais comme êtres contingents, n'ayant pas en eux-mêmes la raison de leur existence, ils demandent un être nécessaire qui soit leur raison d'être. B. PREUVE DE LA MINEURE. - Or le monde est composé de causes secondes et d'êtres contingents. Pour le démontrer, considérons dans le monde la matière brute et les êtres vivants. a) Matière brute. - Si nous examinons la matière qui s'offre à nos regards, nous en concevons très bien la non-existence, Nous ne pensons pas que les minéraux, que les cailloux du chemin que nous foulons aux pieds, devaient nécessairement exister et existent par eux-mêmes. b) Etres vivants. - Mais où la chose apparaît, non pas plus certaine, mais plus facilement démontrable, c'est quand il s'agit des êtres vivants. A commencer par nousmêmes, n'est-il pas évident que nous avons le sentiment de notre contingence29. L'être que nous avons, nous le tenons de nos parents; à aucun moment, nous ne sommes les maîtres de notre vie; nous aurions pu ne pas naître et nous devrons mourir, Et ce qui est vrai de nous, ne l'est pas moins des autres hommes, et, a fortiori, des êtres inférieurs, des animaux et des végétaux. Nous pouvons du reste aller plus loin. Non seulement nous pensons que les êtres vivants que nous voyons, ne tiennent pas d'eux-mêmes leur propre vie, qu’ils auraient pu ne pas exister et n'existeront pas toujours, mais la science positive établit que la vie a commencé sur la terre, qu'il fut un temps où il n'y avait dans le monde aucun être vivant, où la vie n'était même pas possible. C'est la géologie qui nous l'apprend. Elle a étudié, en effet, le globe terrestre et lui a demandé les secrets de son passé. Dans les 28
D'après ARISTOTE, saint THOMAS, LEIBNIZ, KANT, une multitude infinie de causes secondes, de moteurs seconds, n'est pas contradictoire ; la raison ne peut démontrer par exemple que la série des générations animales ou des transformations de l’énergie a du avoir un commencement, au lieu d'exister ab aeterno. Ce qui répugne, c'est qu’une série de causes secondes ou de moteurs mus existent sans qu’i1 y ait une cause première, un premier moteur immobile qui soit la raison de leur existence.' 29
En réalité, cette analyse du moi et de sa contingence, pourrait être reportée au second groupe de preuves qui part de l'observation du monde intérieur. Si on voulait en faire une preuve spéciale, il suffirait de dire: la contingence et les imperfections de notre être supposent une cause première nécessaire et parfaite.
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couches supérieures, dans les terrains quaternaires, elle a rencontré la trace des races humaines; au-dessous, dans les couches tertiaires, elle n'a vu que des traces de plantes et d'animaux supérieurs; puis, plus profondément, dans les terrains secondaires, elle a découvert les restes des mollusques qui peuplaient les mers et des grands reptiles qui régnaient sur les continents humides; plus bas encore, dans les étages primaires, la vie revêtait les formes les plus simples. Enfin plus loin encore, dans les roches cristallines primitives, aucun vestige de vivants; non point que le temps en ait fait disparaître les traces, mais parce qu'alors aucun être n'existait et que l'écorce terrestre, étant à l'état de fusion ignée, à 3000°, offrait des conditions incompatibles avec la vie. Considéré au point de vue de la matière brute et des êtres vivants qu'il renferme, le monde ne porte donc pas en soi l'explication de son existence; n'ayant pu se faire seul, il suppose l'intervention d'un être souverain qui lui a communiqué l'être et la vie (V. la valeur de cette preuve plus loin). 37. - Objections. 1° CONTRE LA MAJEURE.- A. Le principe de causalité sur lequel s'appuie l'argument de la, cause première et de la contingence, est rejeté par KANT et les positivistes, « Nous ne nous occupons pas des causes, dit A. COMTE, nous étudions seulement les relations de succession et de similitude dans les phénomènes.» D'après HUME, la causalité n'est pas dans les choses, elle n'est que dans notre esprit. Le feu fait bouillir l'eau, et l'eau transformée en vapeur met en branle la locomotive. Allez-vous conclure que le premier phénomène est cause du second ? C'est une déduction qui n'a pas de caractère scientifique. Tout ce qu'il vous est permis d'affirmer c'est que le premier est l'antécédent invariable et la condition nécessaire du second. - De toute façon, la science ne connaît que les phénomènes, et jamais elle ne peut passer du phénomène au noumène, c'est-à-dire à Dieu. Réfutation. - Les positivistes entendent n'étudier que les phénomènes et leurs relations de succession et de similitude. Mais qu’est-ce que cet antécédent invariable et cette condition nécessaire, sinon ce à quoi nous donnons le nom de cause - Quand ils prétendent en outre que la science ne dépasse pas les phénomènes, nous sommes d'accord avec eux. Ce n'est pas la science expérimentale qui doit nous mener à Dieu. Dieu ne s'aperçoit ni au bout d'un télescope ni au fond d'une éprouvette. Aussi n'est-ce pas à la science positive de rechercher Dieu, mais à la métaphysique. Or celle-ci n'outrepasse pas ses droits en s'appuyant sur le principe de causalité, qui s'impose à la raison comme évident, bien que l'expérience ne parvienne pas toujours à en faire la vérification. Personne ne met en doute, sauf les positivistes, du moins en théorie, que tout ce qui n'a pas en soi sa raison d'être, a une cause, et que la cause n'est pas seulement suivie de son effet, mais qu'elle le produit. 38. -B. La causalité, dit-on encore, implique le passage de l'inactivité à l'activité, donc changement. En effet, concevoir Dieu comme créateur d'un monde qui n'est pas éternel, c'est dire qu'il a posé dans le temps un acte qui n'est pas éternel, c'est admettre qu'en devenant cause, Dieu a changé et que, par conséquent, il n'est ni immuable ni nécessaire. Réfutation. - C'est une erreur de concevoir la cause première comme les causes
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secondes que nous observons par l'expérience. Tandis que celles-ci sont soumises à la loi du temps, celle-là est en dehors. C'est de toute éternité que Dieu est cause première et qu'il conçoit et décrète la création du monde. Que cet effet se produise dans le temps, cela n'est pas évidemment sans mystère, mais ne modifie en rien la nature de Dieu , qui reste immuable et nécessaire. 39. - CONTRE LA MINEURE. - A. Si le monde a commencé, objectent. les matérialistes, sans nul doute il faut admettre un créateur. Mais le monde n'a pas commencé, il est éternel. Rien ne nous empêche de remonter indéfiniment la série des causes secondes. L'impossibilité que nous croyons y voir n'est pas dans les choses, mais dans notre esprit, qui est incapable de concevoir l'infini. Réfutation - A supposer que nous puissions remonter indéfiniment dans le passé l'échelle des causes secondes30, il faudra toujours dire qui leur a donné l'être, et, si chaque cause seconde a besoin d'une autre cause pour exister, la chose ne sera pas moins vraie de la série infinie, comme nous l'avons déjà dit dans la preuve de la majeure. 40. - B. Forme moderne de l'objection matérialiste. - La nouvelle école matérialiste31 (Karl VOGT, BUCHNER, MOLESCHOTT, HAECKEL...), qui remonte au milieu du XIXe siècle, a tenté de donner une explication scientifique de l'origine du monde, dans le but de supprimer Dieu. Pour cela, elle s'est appuyée sur la philosophie de l'immanence, qui suppose que le monde contient le principe de son activité. D'après ce système, le monde, autrement dit, l'universelle substance, a deux attributs qui lui sont essentiels: la matière et la force. La matière est donc la seule réalité apparente; et comme elle est éternelle et douée d'énergie, elle suffit à tout expliquer. a) Mais comment prouver que le monde est éternel - Par trois faits soi-disant vérifiés par la science : à savoir l'indestructibilité de la matière, la conservation de l'énergie et la nécessité des lois de la nature: 1. Indestructibilité de la matière. C'est un principe admis, disent-ils, depuis les expériences de Lavoisier, que la masse des corps n'est pas altérée au milieu des transformations qu'ils peuvent subir: rien ne se crée, rien ne se 30
Les philosophes distinguent en effet la série infinie du nombre infini. Si le nombre infini est une impossibilité mathématique, parce qu'il n'y a pas de nombre tel qu'on ne puisse en former un plus grand, il n'en va pas de même de la série qui est un ensemble de choses distinctes et successives de quelque manière. D'après ARISTOTE et saint THOMAS, il n'y a pas de répugnance à admettre une régression sans fin dans la série des phénomènes qui se seraient succédé dans le passé, ni même à concevoir une multitude actuellement infinie et innombrable. C'est pour cela que saint THOMAS pensait que la révélation seule nous apprend que le monde n'est pas créé de toute éternité.
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De cette école, HAECKEL a été un des plus récents et des plus ardents champions. Son livre, Les énigmes de l'univers, paru en 1900 et répandu à profusion, en Allemagne, puis en France en 1905, a pour but d'exposer le pur monisme et de résoudre les problèmes de l'univers: « Nous nous tenions fermement, y est-il dit, au monisme pur... qui ne reconnaît dans l'univers qu'un' substance unique, à la fois Dieu et Nature; la matière et l'esprit ou énergie sont les deux attributs fondamentaux, les deux propriétés essentielles de l'Etre cosmique divin qui embrasse tout, de l'universelle substance. »
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perd32. - 2. Conservation de l'énergie. De même que la matière est indestructible, ainsi la quantité d'énergie que possède l'univers, reste constante. - 3. Nécessité des lois de la nature: la matière obéit à des lois qui sont invariables. Si la matière et l'énergie se conservent toujours et qu'elles obéissent à des lois immuables, nous pouvons conclure, disent les matérialistes, que le monde n'aura pas de fin, et s'il ne doit pas avoir de fin, il n'a pas eu de commencement : il est éternel. b) La matière, une fois supposée éternelle, les matérialistes font appel à la théorie de l'évolution pour expliquer la formation du monde et des êtres vivants. Les atomes éternels forment à l'origine une immense nébuleuse qui, peu à peu, et sous l'action des forces inhérentes à la matière, donne naissance aux astres semés dans l'espace infini. Et si nous voulons considérer spécialement le monde qui est le nôtre, nous le voyons passer par une série de changements nécessaires. La terre, comme tous les astres, se façonne elle-même, allant de la période gazeuse à la période solide, se recouvrant avec le temps d'une écorce qui bientôt devient habitable. c) Quand les conditions requises pour la vie sont remplies, on voit éclore les premiers êtres vivants par génération spontanée, par une sorte d'évolution créatrice33 (BERGSON), et sans qu'il soit nécessaire de recourir à l'intervention d'un Dieu créateur. Contenus en germe dans la matière éternelle, les êtres particuliers sont donc comme les cellules de cet immense organisme qu'on appelle le monde: s'ils nous apparaissent contingents, c'est parce que nous avons le tort de les « abstraire de tout continu» (LEROY) et que nous ne les regardons pas dans leur collectivité. En résumé, éternité de la matière, formation du monde par l'évolution, apparition des premiers êtres vivants par génération spontanée et leur transformation en espèces: telles sont les trois grandes formules avec lesquelles les matérialistes prétendent expliquer tout sans recourir à un Créateur. Réfutation. - a) Éternité de la matière. Remarquons d'abord que les deux premiers principes invoqués par les matérialistes pour prouver l'éternité de la matière, à savoir: son indestructibilité et la conservation de l'énergie, ne sont que des hypothèses, autorisées sans doute par l'expérimentation scientifique, mais rien de plus. Les principes ne sont ni évidents par eux-mêmes ni susceptibles d'une démonstration purement expérimentale, Mais à supposer qu'ils fussent absolument certains, que prouveraient-ils ? Tout simplement que la nature de la matière est d'être indestructible et douée d'une somme d'énergie inaltérable, mais non pas pour cela, qu'elle est éternelle. Que la matière ait été créée par Dieu indestructible, cela ne nous permet pas de conclure qu'elle existe de toute éternité. - Quant au troisième principe, la nécessité des lois, il est aisé de voir qu'il ne prouve rien en faveur de l'éternité; car les lois expriment uniquement la manière d'être constante de la matière, sans rien dire de son 32
Ainsi un même corps peut passer par différents états physiques sans varier en quantité: tel est le cas de l'eau, qui peut être tour à tour solide (glace), liquide ou gazeuse (vapeur). 33
Tout en faisant allusion ici au système, bergsonien qui suppose un grand courant vital rayonnant d'un centre, s'insinuant dans la matière pour l'organiser et créer ainsi les végétaux et les animaux, notre pensée n'est pas évidemment de ranger M. BERGSON parmi les matérialistes.
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origine. Mais accordons que la matière soit éternelle. Dira-t-on aussi qu'elle est nécessaire ? Il faudrait prouver alors qu'elle a en soi sa raison d'être, qu'elle ne peut pas ne pas être, ni être autrement qu'elle n'est. Mais qu'est-ce qu'un être nécessaire qui est sujet du devenir, qui se transforme indéfiniment, qui suit une incessante évolution créatrice ? Qu'est-ce qu'un être nécessaire qui est borné par deux termes, la naissance et la mort ? – Sans doute, les matérialistes répondent que ce n'est pas ainsi qu'ils l'entendent., et que, dans leur conception, le monde n'est un être nécessaire, qu'autant qu'on l'envisage dans son ensemble, et non dans les parties qui le composent. Mais il ne faut qu'un peu de bon sens pour voir que, si toutes les parties sont contingentes, l'ensemble ne peut pas être nécessaire34. Ainsi, qu'on le suppose éternel ou non, qu'on le considère soit dans son ensemble, soit dans ses parties, le monde est contingent. Il suppose donc un être nécessaire qui l'ait appelé à l'existence. b) Formation du monde - Après avoir posé en principe que la matière ne requiert pas de créateur parce qu'elle est éternelle, les matérialistes se mettent en mesure d'expliquer la formation du monde en dehors de Dieu. Adoptant l'hypothèse cosmogonique de LAPLACE, d'ailleurs généralement admise, quoique avec des modifications, ils supposent que l'univers était, à l'origine, une poussière d'atomes, et qu'un jour, sous l'influence d'un fluide quelconque, appelé indifféremment force, énergie ou électron, la matière s'est mise à évoluer et a formé successivement les mondes que nous voyons. Mais de deux: choses l'une: ou bien la matière et l’énergie sont toutes deux éternelles, ou elles ne le sont pas, - 1. Si elles sont éternelles, elles ont dû évoluer de toute éternité. Or cette supposition contredit l'hypothèse de LAPLACE qui admet un commencement et une fin au mouvement de la matière et à l'évolution. Il est clair par ailleurs, que si l'évolution doit avoir une fin, ce serait chose déjà faite, du moment qu'on suppose qu'elle a lieu de toute éternité. - 2. Il faut donc admettre la seconde alternative qui pose en principe que la matière et l'énergie ont eu un commencement, ou tout au moins l'une des deux35. Mais si l'énergie, par exemple, n'est pas éternelle, 34
Les philosophes modernes de l'école bergsonienne essaient de tourner la même difficulté en disant que l'ensemble, le Grand Tout n'est pas précisément une somme de tontes les parties, mais une source d’où elles jaillissent, la substance d'où émanent tous les êtres par voie d'évolution. M. BERGSON parle « d'un centre d'où tous les mondes jailliraient comme les fusées d'un immense bouquet ». L'évolution créatrice, p. 270. - Mais quand on a expliqué la formation des mondes par l'évolution de la matière, il reste toujours à dire d’où vient la matière elle-même. 35
Certains apologistes, pour démontrer que l'évolution de la matière, a commencé un jour, s'appuient sur la loi de la dégradation de l'énergie, Notons d'abord que les physiciens distinguent deux sortes d'énergies. Selon qu'elle est plus ou moins apte à produire du travail, l'énergie est dite de qualité supérieure (exemple: le mouvement) ou de qualité inférieure (exemple: la chaleur). Or si c'est une loi que l'énergie se conserve, que la somme d'énergie qui est dans le monde, reste constante, c'en est une autre qu'elle baisse en qualité, qu'elle se dégrade. En d'autres termes, « l'énergie de qualité supérieure ne se dépense jamais sans qu'il en tombe une partie à l'état d'énergie de qualité inférieure ou de chaleur. La balle élastique qui rebondit ne retrouve jamais tout à fait la hauteur d'où elle est partie: au contact du sol, une partie de la vitesse s'est transformée en chaleur... D'un autre côté, cette énergie de qualité inférieure ne remonte jamais intégralement à l'état d'énergie supérieure... D'où il résulte qu'à
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qui l'a donnée à la matière ? Ne la possédant pas de toute éternité, elle n'a pu se l'attribuer par la suite: on ne se donne pas ce qu'on n'a pas. Elle l'a donc reçue de quelqu'un, en dehors d'elle et au-dessus d'elle, et ainsi, de toute nécessité, il faut arriver à Dieu. c) Génération spontanée et Transformisme. - Pour expliquer l'origine des êtres vivants, les matérialistes invoquent deux hypothèses: la génération spontanée et le transformisme. - 1. Malheureusement, la première hypothèse (génération spontanée) est antiscientifique et se heurte aux conclusions de la science positive. Comme nous le dirons plus loin (N° 86), aucun savant n'a pu apporter la preuve du passage, réel ou possible, de la matière inorganique à la vie: le plus ne sort pas du moins. Les expériences de PASTEUR ont démontré, au contraire, que le vivant ne sort que d'un vivant: omne vivum ex vivo. - 2. L'hypothèse transformiste, qui explique la formation des espèces par voie d'évolution, n’est qu'une hypothèse assez vraisemblable (N° 89), mais quand bien même elle serait une certitude36, elle n'a de valeur pour la théorie matérialiste qu'autant qu'elle serait une suite de la génération spontanée. Si en effet il faut recourir à un Créateur pour le premier être vivant, on pense bien que les matérialistes n'ont plus que faire de l'hypothèse transformiste. Comme on le voit, la théorie matérialiste, loin de pouvoir s'appuyer sur la science expérimentale, est en opposition avec elle. Son explication du monde sans Dieu n'est pas plus conforme à la science qu'à la raison. Elle doit donc être rejetée. 2eme Preuve tirée du mouvement constaté dans le monde. 41. - Argument. - Sous sa forme la plus simple, cet argument peut-être ainsi présenté: le mouvement que nous constatons dans le monde ne s'explique pas sans Dieu. Nous développerons cette preuve dans le syllogisme suivant: Tout ce qui est en mouvement, tous les moteurs seconds supposent un moteur premier immobile. Or nous constatons du mouvement dans le monde. Donc le mouvement du monde suppose un premier tout moment l'énergie se dégrade. En un mot, l'univers tend, en vertu des lois qui le régissent, vers une fin qui n'est pas le néant, mais le repos... Or ce qui doit ainsi finir ne peut être conçu comme infini. Si l'énergie utilisable était infinie en quantité, elle ne pourrait pas s'épuiser, sa dépense ne pourrait pas aboutir à une limite. Puisque nous voyons avec certitude qu'il y aura un terme, la quantité d'énergie utilisable est donc finie. Si elle se débitait et s'épuisait depuis une durée infinie, à supposer que ces deux mots ne soient pas contradictoires, l'épuisement serait achevé depuis longtemps: puisqu'elle ne l'est pas, c'est qu'elle ne remonte pas à l'infini. » GUIBERT, Le conflit des croyances religieuses et des Sciences de la nature. Ainsi, de cette loi de la dégradation de l'énergie, les apologistes en question concluent : 1. - qu'il y a eu des commencements dans le monde, que l'énergie utilisable a commencé puisqu'elle n'est pas infinie, et - 2, que, dès lors, le mouvement du monde n'a pu venir de la matière, vu qu'elle n'était pas douée d'énergie utilisable. Ce second point appartient à la preuve suivante (argument du premier moteur). 36
De toute façon, la théorie de l'évolution ne saurait s'appliquer à l'homme, du moins à son âme. Nous verrons plus loin (N° 106 et suiv.) que l'homme n'est pas un animal perfectionné et que, si son corps ne diffère pas essentiellement de celui des animaux supérieurs, son âme est d'une autre nature et possède des facultés intellectuelles et morales qui la séparent entièrement de la brute.
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moteur37. PREUVE DE LA MAJEURE. - Les moteurs seconds supposent un moteur premier immobile. Les moteurs seconds sont des moteurs qui n'ont pas en soi la raison d'être de leur mouvement et qui ont dû le recevoir d'une impulsion étrangère. Il est clair que, pour les moteurs seconds comme pour les causes secondes, il nous faut toujours aboutir à un moteur premier. Qu'on suppose autant de moteurs qu'on veut et même une série infinie; du moment que chacun reçoit le mouvement dont il est animé, nécessairement il faut supposer un premier moteur qui soit immobile. Si, en effet, on n'admet pas un premier moteur qui donne sans recevoir, le mouvement n'aura jamais lieu car il n'aura jamais de cause. La majeure s'appuie donc, comme l'argument de la contingence, sur le principe de causalité. PREUVE DE LA MINEURE. - Qu'il y ait du mouvement dans le monde, la chose est incontestable. Et si nous voulons seulement nous borner au mouvement local de la matière, nous constatons que toutes les planètes tournent à la fois sur elles-mêmes et autour du soleil. Le soleil exécute lui aussi un mouvement de rotation autour de son axe, et se dirige avec l'ensemble de son système planétaire vers un point fixe du ciel appelé l'apex. La terre elle-même que nous habitons et qui nous parait immobile est animée de ce double mouvement de rotation autour de son axe et de translation autour du soleil. Bien plus, tout ce qui est à sa surface est doué de mouvement: les eaux descendent des montagnes et courent, lentes ou rapides, formant les rivières et les fleuves, qui s'en vont vers la mer: la mer a ses flux et reflux, ses vagues et ses courants... (V. la valeur de cette preuve plus loin). 42. - Objections 1° CONTRE LA MAJEURE - Un premier moteur immobile c'est, dit-on, une contradiction dans les termes. Tout moteur, en effet, doit passer de la puissance à l'acte... il ne peut donc rester immobile. De plus, s'il a commencé à mouvoir, il n'est plus immuable. Cette objection est la quatrième antinomie de Kant. Réfutation. - Définissons d'abord les termes. On entend par puissance la possibilité de recevoir ou d'acquérir une qualité, et acte38, la possession même de cette qualité. Par exemple, l'eau froide est en puissance par rapport à la chaleur; elle peut devenir chaude mais elle ne l'est pas. Quand elle est chaude, on dit qu'elle est en acte. Mais pour passer du froid au chaud, il faut l'action du feu qui possède la chaleur et qui est luimême en acte. - Cette distinction établie, il est facile de voir que la contradiction qu'on a cru trouver dans le fait d'un moteur immobile, n'existe pas en réalité et provient d'une fausse conception du premier moteur immobile. Il ne faut pas confondre immobilité avec inactivité. Quand nous disons que Dieu, moteur premier, est immobile, cela ne 37
L'argument du premier moteur se rattache à l'argument de la cause première: il s'appuie sur le même Principe et suit la même marche. Aussi certains auteurs l'exposent-ils en même temps. 38
Le mot acte s'opposant au mot puissance, il s'ensuit que dire de Dieu qu'il est acte pur revient à dire qu'il n'y a rien en lui qui soit à l'état de puissance ou de devenir, qu'il est une réalité pleine et complète, ou si l'on veut, qu'il possède toutes les qualités.
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signifie pas qu'il est inactif, mais au contraire qu'il ne passe pas de la puissance à l'acte, qu'étant acte pur par définition, il est activité même. Il ressemble à un foyer de chaleur qui chauffe par le fait même qu'il est foyer. Et si ce foyer est éternel, il chauffe éternellement. La difficulté est évidemment de comprendre comment les effets n'en sont pas éternels et se produisent dans le temps. Nous avons déjà répondu à cette objection à propos de la cause première (N° 38). 43. – 2° CONTRE LA MINEURE. - Nous ne songeons pas, disent nos adversaires, à nier le mouvement qui est dans le monde, mais nous pouvons l'expliquer sans Dieu. Deux hypothèses peuvent rendre compte du mouvement de la matière: l'hypothèse mécaniste et l'hypothèse dynamiste A. Hypothèse mécaniste. Cette hypothèse met en avant la loi d'inertie. D'après ce principe, admis par la science, les corps sont indifférents au repos ou au mouvement: ils sont donc incapables de modifier l'état dans lequel ils se trouvent, sans l'intervention d'une cause étrangère. Mais si un corps persiste dans l'état où il est, repos ou mouvement, il suffit pour expliquer le mouvement du monde, de supposer qu'il est éternel. Réfutation - Remarquons d'abord que le principe d'inertie, invoqué par l'hypothèse mécaniste, en tant qu'il affirme qu'un mouvement continue indéfiniment si aucune cause n'y met obstacle, ne peut être vérifié par l'expérience. « On n'a jamais pu l'expérimenter, déclare H. POINCARÉ, sur des corps soustraits à l'action de toute force et ce n'est qu'une hypothèse suggérée par quelques faits particuliers (projectiles) et étendue sans crainte aux cas les plus généraux (en astronomie, par exemple), parce que nous savons que, dans ces cas généraux, l'expérience ne peut plus ni la confirmer ni la contredire. » Mais admettons le principe d'inertie. Si les corps sont indifférents au repos! comme au mouvement, pour expliquer qu'ils sont en mouvement plutôt qu'en repos, il faut une cause autre que les corps, il faut supposer une cause étrangère qui les ait fait sortir de cet état d'indifférence. Il ne suffit pas de dire que le mouvement est éternel, il faut dire qui l'a imprimé. Du reste, nous avons vu précédemment que, selon l'hypothèse de Laplace, le mouvement a commencé un jour et qu'il est antiscientifique de le supposer éternel (voir la note sur la loi de la dégradation de l'énergie (N° 40). B. Hypothèse dynamiste. - Cette hypothèse explique le mouvement du monde d'une autre manière. Il est vrai, disent les dynamistes, que les corps sont inertes, mais ils ont aussi une autre propriété, celle de s'attirer mutuellement selon une loi qu'on appelle l'attraction universelle. Or si les corps ont le pouvoir de s'attirer, plus n'est besoin d'un moteur pour les mettre en branle: la formation des mondes, le mouvement qui les anime, n'ont pas d'autre principe que les forces mêmes de la matière. Réfutation. - Si nous admettons que les corps sont en mouvement en vertu de la loi d'attraction universelle, c'est-à-dire parce qu'ils sont doués d'une force qui les pousse les uns vers les autres, comment se fait-il que les atomes ne se sont pas rencontrés en
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une masse unique ? Pour rendre compte de la formation des mondes, les dynamistes sont donc obligés d'admettre deux forces en présence. La force attractive ou centripète est, selon eux, contrebalancée par une autre force, la force tangentielle ou centrifuge, qui produit des mouvements giratoires et donne naissance à ces astres innombrables qui remplissent l'espace. Mais comment expliquer que la matière soit animée de deux mouvements, celui d'attraction et celui de rotation, dont les effets se contrarient et s'opposent ? Il y aurait alors dans la matière deux forces contraires. En outre, l'hypothèse dynamiste supposant que la matière est éternelle. il s'ensuit que les atomes doivent s'attirer de toute éternité et que l'évolution des mondes n'aurait pas eu de commencement; et ainsi, encore une fois, nous nous trouvons en contradiction avec le système de Laplace. Il faut donc toujours, qu'on le veuille ou non, recourir à la chiquenaude initiale, au premier moteur. 3eme Preuve tirée de l'Ordre du monde. Argument dit des Causes finales. 44. - Argument. - L'ordre du monde ne s'explique pas sans Dieu. Sous la forme poétique, c'est le même argument que nous retrouvons dans ces deux vers souvent cités de Voltaire: «L'univers m'embarrasse, et je ne puis songer Que cette horloge marche et n'ait point d'horloger.» Nous exposerons l'argument dans le syllogisme suivant: Tout ordre requiert une intelligence ordonnatrice. Or il y a de l'ordre dans le monde. Donc l'ordre du monde suppose une intelligence ordonnatrice. Cette preuve très populaire, présentée déjà par SOCRATE (Mémorables), par CICÉRON (De natura deorum), par SÉNÈQUE (de Beneficiis), exposée avec beaucoup d'ampleur par FÉNELON (Traité de l'existence de Dieu), et pour laquelle KANT lui-même professait de l'admiration, est connue sous le nom de preuve téléologique (de telos, fin) ou des causes finales. Ce qu'il faut entendre par causes finales. - Pour comprendre cette expression causes finales, il faut dire auparavant ce que l'on entend par fin et par moyen. La fin d'une chose est le but, ce à quoi cette chose est destinée: une horloge a pour fin d'indiquer l'heure, l'œil a pour fin de voir. Le moyen est ce par quoi l'on atteint une fin. Il va de soi qu'à chaque fin correspondent des moyens différents. D'où il suit que la fin poursuivie inspire le travail de l'ouvrier, elle est la cause qui le détermine dans le choix des moyens. La finalité ou cause finale, c'est-à-dire cette recherche des moyens pour atteindre la fin, cette appropriation des moyens à la fin, qui constitue l'ordre, suppose donc une intelligence qui ait conscience, à la fois, du but à atteindre et de l'aptitude des moyens. Quand il s'agit du monde, l'on peut distinguer deux sortes de finalités: la finalité interne et la finalité externe. Si l'on prend chaque individu en particulier, nous voyons qu'il a des organes parfaitement disposés pour la fin qu'il poursuit : le poisson a des nageoires pour nager, l'oiseau a des ailes pour voler, etc.: c'est la finalité interne. La finalité externe, c'est la fin qui est assignée à chaque être dans l'ensemble de la
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création: le minéral a pour fin de nourrir la plante, la plante est utilisée par l'animal, lequel est utilisé pour l'homme. La finalité externe étant plutôt difficile à déterminer, nous ne parlerons, dans l'argument, que de la finalité interne. 1° PREUVE DE LA MAJEURE. - Tout ordre suppose une intelligence ordonnatrice. Le principe invoqué par la majeure est, comme on le voit, le même que pour les deux arguments précédents : il s'agit toujours du principe de causalité. L'ordre, avons-nous dit, consiste dans l'adaptation des moyens à une fin. Il est donc un effet et suppose une cause, un ouvrier intelligent qui ait choisi les moyens capables d'arriver à la fin qu'il avait en vue. 2° PREUVE DE LA MINEURE. - Or il y a de l'ordre dans le monde. Considéré dans son ensemble, le monde nous apparaît comme un vaste système parfaitement ordonné, où tout est à sa place, selon un plan aussi bien conçu que réalisé. Les savants, chacun dans sa sphère, pourraient, d'ailleurs, nous dépeindre les merveilles qui éclatent dans tous les détails de ce plan. Si, guidé par l'astronome, vous scrutez l'immense profondeur des cieux, vous restez muet devant le spectacle grandiose qui s'offre à votre regard. Mais votre étonnement grandit, quand vous apprenez que ces astres innombrables qui sont à d'énormes distances de notre planète, et de dimensions bien plus grandes, se déplacent à des vitesses vertigineuses suivant un cours déterminé et avec une telle régularité qu'on peut prédire quand l'astre se lèvera et se couchera à l'horizon, quand il en rencontrera un autre... Et maintenant du monde céleste, descendez sur la terre que vous habitez, vous ne trouverez pas moins d'ordre et d'harmonie. Le physicien vous dira les lois auxquelles les corps obéissent d'une manière inflexible (lois de la chute des corps, de la chaleur, de la propagation de la lumière). Le botaniste vous fera admirer la fleur des champs: la symétrie des parties qui la composent, sa forme élégante, la richesse et la variété de ses couleurs, tout vous dira qu'elle est l'œuvre d'un artiste consommé. A son tour, le physiologiste peut vous décrire tout ce qu'il y a de beauté dans les organes du corps humain, et spécialement, dans ces deux organes si délicats que sont l'œil et l'oreille. Et si vous voulez même descendre l'échelle des êtres, vous y trouverez encore les choses les plus étonnantes. Vous aurez à admirer l'instinct de l'abeille qui façonne si ingénieusement sa ruche, de l'araignée qui tisse sa toile d'une manière si parfaite, de l'oiseau qui bâtit impeccablement son nid; vous verrez comment tous adaptent les moyens à la fin qu'ils veulent atteindre. « Le monde actuel, pouvons-nous conclure avec KANT, nous offre un si vaste théâtre de variété, d'ordre, de finalité et de beauté que toute langue est impuissante à traduire son impression devant tant et de si grandes merveilles.» (V. la valeur de cette preuve p. 59). 45. - Objections. 1° CONTRE LA MAJEURE. - C'est surtout contre la majeure que les athées ont dirigé leurs attaques. Ils ont reconnu généralement l'ordre qui règne dans le monde; mais ils ont essayé de l'expliquer autrement. Tout ordre suppose un ordonnateur, ont-ils dit, soit; mais cet ordonnateur ce n'est pas Dieu, c'est le hasard, ou plutôt, selon la formule nouvelle, c'est l'évolution.
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A. Le Hasard. - C'est le hasard, disait-on dans l'antiquité. Selon DÉMOCRITE, ÉPICURE et LUCRÈCE, le monde actuel est une des innombrables combinaisons par lesquelles l'univers est passé. Obéissant à des forces aveugles, inconscientes et fatales, les atomes dispersés dans l'espace infini et animés d'un mouvement oblique qui les poussait les uns vers les autres, se sont rencontrés et se sont accrochés mutuellement. Ces rencontres fortuites ont donné naissance à des agglomérations instables qui ont plus ou moins duré, mais un jour une combinaison plus harmonique et plus heureuse s'est produite et s'est perpétuée, précisément parce que, en raison de son ordre et de son harmonie, elle était née plus viable que les autres. L'ordre aurait donc été, non l'effet d'une cause intelligente, mais le résultat du hasard. Réfutation. - L'explication de l'ordre du monde par l'hypothèse du hasard n'est, en somme, que l'absence de toute explication. Quand on ne sait pas comment une chose s'est faite, l'on peut bien alléguer que c'est le hasard qui en est l'auteur, mais personne ne s'y trompe et ne met en doute votre ignorance39. Et puis le hasard a justement pour caractéristique l'inconstance et l'irrégularité, c'est-à-dire juste le contraire de l'ordre « On ne tire pas le même numéro vingt fois de suite, dit LEGOUVÉ (Fleurs d'hier). On ne fait pas tomber un dé sur le même numéro vingt fois de suite. Or la nature tire le même numéro et amène le même dé depuis des milliers de siècles.» Si nous ne comprenons pas qu'une horloge soit l'effet du hasard, comment pourrions-nous supposer que le monde qui est une machine autrement compliquée, n'ait pas d'autre cause ? Le hasard peut bien expliquer un ordre partiel, un heureux coup de chance mais non un ordre qui s'étend à des cas innombrables. Prétendre que le hasard produit l'ordre universel, c'est donc dire qu'il y a des effets sans cause, que l'ordre peut sortir du désordre; c'est supposer l'absurde. B. L'évolution. - Au hasard on a substitué de nos jours un mot qui sonne mieux : l'évolution. L'ordre du monde, dit-on maintenant, n'est pas l'œuvre de Dieu, mais le travail de l'évolution. Ce que nous appelons finalité n'est qu'une illusion de notre esprit. Les ailes n'ont pas été données à l'oiseau pour voler, mais l'oiseau vole parce qu'il a des ailes; l'homme n'a pas des yeux pour voir, mais il voit parce qu'il a des yeux. D'autre part, la formation des organes s'explique par un long travail d'évolution. « Considérons l'exemple sur lequel ont toujours insisté les avocats de la finalité: la structure d'un œil tel que l'œil humain... Tout paraît merveilleux, en effet, si l'on considère un œil tel que le nôtre, où des milliers d'éléments sont coordonnés à l'unité de fonction. Mais il faudrait prendre la fonction à son origine, chez l'infusoire, alors qu'elle se réduit à la simple impressionnabilité (presque purement chimique) d'une tache de pigment à la lumière. Cette fonction, qui n'était qu'un fait accidentel au début, a pu, soit directement par un mécanisme inconnu, soit indirectement, par le seul effet des avantages qu'elle procurait à l'être vivant et de la prise qu'elle offrait ainsi à la sélection naturelle, amener une complication légère de l'organe, laquelle aura entraîné 39
« Le hasard, dit BOSSUET, est un nom dont nous couvrons notre ignorance. Ce qui est hasard à l'égard de nos conseils incertains est un dessein concerté dans un conseil plus haut, c'est-à-dire dans ce conseil éternel qui renferme toutes les causes et tous les effets dans un même ordre » (Discours sur l’ Histoire universelle ; chap. VIII).
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avec elle un perfectionnement de la fonction. Ainsi, par une série indéfinie d'actions et de réactions entre la fonction et l'organe, et sans faire intervenir une cause extramécanique, on expliquerait la formation progressive d'un œil aussi bien combiné que le nôtre40. » Il serait le résultat d'une série d'adaptations à des circonstances accidentelles, et non la réalisation d'un plan. - Ainsi l'ordre du monde se serait formé peu à peu par suite d'une évolution lente et par un concours de lois qui régissent la matière et les forces qui lui sont inhérentes. Mais de finalité, point, si l'on entend par là l'œuvre d'une intelligence qui aurait dirigé selon un plan l'organisation de la nature: il ne peut s'agir dans la thèse évolutionniste que d'une finalité inconsciente. Réfutation. - La finalité est une illusion de notre esprit, nous disent les évolutionnistes, ou en tout cas, elle n'est pas l'œuvre d'une cause intelligente, elle est le résultat des forces inconscientes propres à la nature, qui adaptent les organe_ aux besoins suivant la loi de l'évolution. Ainsi, il ne faut pas dire que l'oiseau a des ailes pour voler, il faut dire: l'oiseau vole parce qu'il a des ailes. - Mais que les ailes aient été faites pour voler, ou que l'oiseau vole parce qu'il a des ailes, il n'en reste pas moins qu'il y a une merveilleuse adaptation entre l'organe et sa fonction, et la conclusion est toujours la même: c’est que l'adaptation des moyens à la fin suppose un plan, et que le plan, selon lequel le monde a été conçu, suppose un ouvrier très habile. Mais, nous réplique-t-on alors, cet ouvrier très habile qui a fait l'aile de l'oiseau et l'œil de l'homme, c'est l'évolution: c'est le milieu qui a créé l'organe. - C'est là une affirmation toute gratuite et que les évolutionnistes sont bien incapables de démontrer expérimentalement. Nous ne voyons pas bien, en effet, comment l'air a pu créer l'aile de l'oiseau, comment la lumière a pu produire par son action l'organe qui lui est approprié, ce merveilleux appareil qui faisait dire à Newton: « Celui qui a fait l'œil a-t-il pu ne pas connaître les lois de l'optique ? » Admettons néanmoins que l'évolution soit la grande loi qui gouverne le monde. Nous pourrons toujours demander qui l'a faite, cette loi. Elle suppose d'abord l'existence de la matière et nous avons vu que la matière n'a pas en soi la raison de son existence. De toute façon, l'évolution peut être un procédé de formation comme un autre, elle peut être une loi, mais non une cause. Si par conséquent la théorie évolutionniste accepte de laisser Dieu à la base, pour créer les atomes, pour leur donner l'énergie et tracer le plan suivant lequel la matière doit faire son développement dans la suite du temps, nous n'avons pas à combattre cette hypothèse. Dieu reste alors à sa place et n'est pas diminué parce qu'il n'interviendrait pas il chaque instant dans l'organisation incessante de l'univers. Si c'est cela ce qu'on appelle l'évolution créatrice, elle ne rabaisse pas la grandeur de Dieu. « Il y a plus de gloire encore, dit saint THOMAS, à créer des causes que des effets. » Que l'ordre du monde soit le résultat, non d'un acte immédiat de Dieu, mais le produit de causes secondes et de lois qu'il a établies de toute éternité, nous aimons autant cette hypothèse qu'une autre41.
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H. BERGSON, L'évolution créatrice.
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Nous exposerons plus loin d'une manière plus complète la théorie évolutionniste (Voir N° 89 et
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46. - 2° CONTRE LA MINEURE. - Il n'est pas vrai, disent les pessimistes, que l'ordre règne dans le monde. Les preuves du désordre sont, au contraire, nombreuses. Le monde est plein de monstruosités, d'êtres mal faits ou inutiles; les catastrophes y sont fréquentes. Il y a donc du désordre, donc pas d'ordonnateur. Réfutation. - Nous répondrons à cette objection quand il sera question de la Providence. Nous ferons seulement remarquer ici qu'il ne s'agit pas de savoir s'il y a du mal dans le monde, s'il y a des tares et du désordre, à titre exceptionnel, mais seulement s'il y a un plan, si l'harmonie existe dans la nature, d'une manière générale, et si alors il y a lieu d'en rechercher la cause. L'objection porte donc sur des exceptions, sur des cas isolés qui ne diminuent pas la beauté de l'ensemble. Semblables aux dissonances d'une symphonie qui aboutissent aux accords les plus harmonieux, les désordres du monde. n'en font que mieux ressortir l'ordre général. Si l'athée veut invoquer les désordres partiels du monde, il est donc tenu, d'autre part, à convenir aussi de l'ordre qui y règne, et s'il objecte qu'il y a une déchirure dans la trame, il lui faut bien avouer qu'il y a une trame. § II - PREUVES TIRÉES DE L'AME HUMAINE. 47. - Après avoir observé le monde extérieur, nous devons interroger l'âme humaine. L'étude de ce monde intime qui fait le fond de notre être, nous conduira également à Dieu. Nous trouvons, en effet, dans notre intelligence l'idée de parfait, dans notre cœur les aspirations d'infini et dans notre conscience, l'existence de la loi morale. Or, l'idée de parfait, le besoin d'infini et le fait de l'obligation morale impliquent l'existence de l'être parfait et infini et du souverain législateur. D'où trois preuves tirées: 1° de l'idée de parfait; 2° des aspirations de l'âme et 3° de l'existence du devoir. Ces trois preuves sont toutes trois des preuves psychologiques, dans ce sens qu'elles sont tirées de l'analyse de notre âme. Toutefois, la première, qu'on appelle ontologique, est considérée comme une preuve métaphysique. La troisième est connue sous le titre de preuve morale, de sorte que la seconde seule garde le nom de preuve psychologique. 1ère Preuve tirée de l'idée de parfait. Preuve ontologique. 48. - Exposé. - Si nous interrogeons notre pensée, elle nous dit que tout ce que nous voyons est incomplet, borné, dépendant, en un mot, imparfait. Or pour reconnaître que les choses sont imparfaites, il faut que nous ayons l'idée du parfait, car nous ne pouvons juger de l'imparfait qu'autant que nous le comparons avec le parfait. Donc l'être parfait existe, car s'il n'existait pas, il ne serait plus parfait. Cet argument a été exposé différemment par saint ANSELME, DESCARTES et BOSSUET. suiv.).
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49. - Argument de saint Anselme. - Après avoir cité les mots de l'Écriture: « Dixit insipiens in corde suo : non est Deus »42, saint ANSELME se propose de convaincre l'impie que c'est une folie de nier Dieu. L’homme, dit-il, a l'idée d'un être tel qu'il n'en peut concevoir de plus grand. Donc cet être parfait existe en réalité. Si en effet il n'existait que dans l'intelligence, je pourrais le concevoir plus grand, en lui attribuant l'existence réelle: ce qui ne peut se faire sans contradiction, vu que je le conçois comme le plus grand. Donc Dieu existe dans l'intelligence et dans la réalité. (V. la critique de la preuve ontologique p. 61). 50. - Argument de Descartes. - Je trouve en moi l'idée d'un être parfait. Or cette idée ne peut me venir du néant, incapable de rien donner, ni de moi, puisque je trouve partout dans mon être des bornes et des imperfections. Donc cette idée doit me venir d'un être infini et parfait qui l'a mise en moi comme « la marque de l'ouvrier sur son ouvrage ». 51. - Argument de Bossuet. - « L'impie demande: Pourquoi Dieu est-il ? Je lui réponds: Pourquoi Dieu ne serait-il pas ? Est-ce à cause qu'il est parfait, et la perfection est-elle un obstacle à l'être? Erreur insensée ! au contraire, la perfection est la raison de l'être. Pourquoi l'être à qui rien ne manque ne serait-il pas, plutôt que l'être à qui quelque chose manque ? » (1ère Elévation sur les mystères.) 2ème Preuve tirée des aspirations de l'âme humaine. Preuve psychologique. 52. - Argument. - C'est un principe admis par la philosophie et par la science qu'un désir de la nature ne saurait être vain. Or l'homme appelle Dieu de tous ses désirs. Donc Dieu doit exister. PREUVE DE LA MAJEURE. - Un désir de la nature ne saurait être vain: en d'autres termes, il faut que les tendances naturelles d'un être soient satisfaites. Les philosophes les plus célèbres: PLATON, ARISTOTE, CICÉRON l'ont proclamé. Les sciences sont unanimes à le reconnaître. Que la nature ne fait jamais rien en vain et que les instincts sont toujours en rapport avec des objets réels, il serait facile d'en apporter de nombreuses preuves: les ailes de l'oiseau attestent l'existence de l'air; la nageoire du poisson, l'existence de l'eau; l'œil prouve la lumière, et la faim suppose une nourriture. Si, par conséquent, il y a chez l'homme un désir irrésistible d'idéal et de bonheur, c'est qu'il doit exister un Dieu capable de l'assouvir un jour. PREUVE DE LA MINEURE. - Les désirs de l'homme appellent Dieu43. 42
«L'insensé a dit dans son cœur: Il n'y a point de Dieu.. (Ps., LII, 1). Cette preuve peut être présentée avec un autre point de départ. Au lieu du désir on peut envisager l'action humaine. Notre action n'est jamais telle que nous la voudrions. Il y a toujours disproportion entre l'objet et la pensée, entre l'acte et la volonté. Notre action aspire sans cesse au mieux. « Au bout de la science et de la curiosité de l'esprit, dit M. BLONDEL, au bout de la passion sincère et meurtrie, au bout de la souffrance et du dégoût, le même besoin renaît », le besoin du transcendant, de Dieu: ainsi Dieu est Immanent au centre de notre action. 43
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« Borné dans sa nature, infini dans ses vœux L'homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux» (LAMARTINE) disait le poète. L'homme, en effet, tend à l'infini par toutes les puissances de son âme. Il a une intelligence qui veut arriver au vrai, une volonté qui, malgré sa faiblesse et ses écarts, aspire au bien; il a surtout un cœur qui a une soif insatiable de bonheur. Or, non seulement la terre ne nous donne pas ce que nous voulons, mais elle nous apporte souvent ce que nous ne voulons pas. Notre intelligence se sent enveloppée de toutes parts par l'inconnu, notre volonté est poussée vers le mal et notre cœur est souvent torturé par le chagrin. Alors même que la vie nous est douce et que la fortune paraît nous sourire, nous ne trouvons nulle part le bonheur rêvé: ni la richesse, ni la gloire, ni la science, ni l'amour n'épuisent les immenses désirs de notre cœur. Et plus nos désirs sont grands, mieux ils nous font sentir notre misère. Mais comment expliquer que notre intelligence, notre volonté et notre cœur, qui sont pourtant des puissances finies et bornées, nous poussent ainsi :ers le Vrai, le Bien et le Beau, vers le « souverainement désirable », comme dit ARISTOTE, s'il n'y avait rien pour répondre à notre appel ? Le besoin d'infini, d'une vie indéfectible et heureuse, suppose donc l'existence d'un objet infini et d'une source de bonheur qui puisse combler l'insuffisance de notre âme. Cet infini, c'est Dieu.44 (V. N° 60). 3ème Preuve tirée de la loi morale. 53. - Argument. - La conscience nous témoigne qu'il existe une loi morale qui nous commande le bien et défend le mal, et que cette loi morale doit être appuyée par une sanction. Or la loi morale et la sanction supposent un législateur et un juge qui ne peuvent être autres que Dieu. Donc Dieu existe. 1° La loi morale. - A. L'existence de la loi morale est hors de conteste. Il y a une règle absolue, universelle, antérieure et supérieure à toute législation humaine, qui s'impose à notre volonté, qui nous prescrit certains actes et nous en défend certains autres. Peu importe du reste que les hommes se trompent parfois sur les conceptions du bien et du mal, le principe reste intact: ce qui est estimé bien par la conscience, est commandé; ce qui est jugé mal est défendu. B. Or l'existence de cette loi morale suppose un législateur. Et ce législateur, il faut le chercher en dehors de nous et de nos semblables a ) En dehors de nous. On ne peut être à la fois maître et sujet. Et si nous étions les législateurs, rien ne nous empêcherait d'abroger une loi faite par nous: la conscience nous dit, au contraire, que si nous avons
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Il ne faut pas confondre cette preuve psychologique par les aspirations de l'âme avec ce que les modernistes appellent l'expérience individuelle. Pour les immanentistes, l'expérience individuelle nous découvre Dieu, nous le fait atteindre directement dans les profondeurs de la conscience, tandis que la preuve psychologique, tout en prenant comme point de départ nos états d'âme, ne conclut l'existence de Dieu que par le rais8onnemt, et non par suite d'une intuition directe.
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la liberté physique de violer la loi morale, nous n'avons pas le pouvoir de la supprimer. b) En dehors de nos semblables. La loi morale s'impose à, tous les hommes, elle ne représente donc pas la supériorité d'un homme sur ses semblables. Mais si le législateur est hors de nous et hors de nos semblables, il faut le chercher plus haut. Dieu seul peut commander; seul il est la raison d'être du devoir, de l'impératif catégorique45. (V. la Critique de la preuve morale n° 60). 54. - Objection. - On a voulu expliquer l'existence de la loi morale en dehors de Dieu. Des nombreux systèmes qui l'ont tenté, nous ne mentionnerons que les deux principaux: la morale évolutionniste et la morale rationnelle. A. - Morale évolutionniste. - Les positivistes et les matérialistes expliquent ainsi la formation de la morale. A l'origine, les hommes suivaient leurs appétits et leurs instincts : était bien ce qui plaisait, mal ce qui répugnait: c'était la morale du plaisir. Cependant, peu à peu l'expérience leur enseigna que des actions, même agréables aux sens, avaient de fâcheuses conséquences, tandis que d'autres, pénibles à la nature, avaient de bons résultats: ce fut la morale de l'intérêt. Plus tard, une sorte d'instinct les détermina à la sympathie et à la bienveillance réciproques: ce fut la morale de la sympathie et de la solidarité. Ainsi, tour à tour, le plaisir, l'intérêt individuel, l'intérêt général, la sympathie et l'altruisme furent les principes qui servirent à classer les actions en bonnes ou mauvaises. Dans les différents cas, les parents et les chefs de la société intervinrent pour commander les unes et défendre les autres. La morale, en tant qu'elle établit le caractère absolu du bien et du mal, est donc, dans l'hypothèse matérialiste, un fruit de l'évolution et ne suppose pas Dieu comme législateur. Réfutation de la morale évolutionniste. - De l'exposé de la morale évolutionniste, il ressort qu'elle n'est pas, à vrai dire, une morale, mais une prétendue histoire de la morale dont les différentes phases auraient été la morale du plaisir, la morale de l'intérêt et la morale de la sympathie. Or tous ces principes d'action sont impuissants à fonder la morale. Ni le plaisir ni l'intérêt individuel ne peuvent être des règles obligatoires de conduite: rien ne m'oblige à rechercher mon plaisir ni même mon intérêt; l'intérêt d'autrui et la sympathie sont assurément des motifs plus nobles; mais s'ils commandent seuls et indépendamment d'un législateur suprême, ils se heurteront à l'égoïsme individuel et seront incapables de créer l'obligation. B. - Morale rationnelle. - La raison, disent les partisans de cette morale, suffit à fonder la morale. L'homme est son propre maître et il a la raison pour lui dicter ses devoirs envers lui-même (morale individuelle), envers la famille, la patrie et l'humanité (morale sociale). Le devoir, la loi morale, c'est donc l'obligation que la raison impose, et le bien c'est le respect de cette loi. Réfutation. - La morale rationnelle serait irréprochable si elle laissait Dieu à la base. Si la raison est seule à dicter l'obligation, la volonté est libre de l'accepter ou de la 45
La loi morale est appelée par KANT' impératif catégorique. C'est un impératif, c'est-à-dire qu'elle commande sans contraindre; catégorique, parce que ses ordres sont absolus, sans condition.
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refuser. - Mais, dit-on, c'est l'ordre de la nature. Nous demanderons alors qui est l'auteur de la nature, qui a créé l'ordre. Et si l'on nous répond que c'est Dieu, nous sommes d'accord, et nous concluons que c'est en celui qui a créé l'ordre et la nature, c'est en Dieu que, en définitive, il faut chercher la source de l'obligation. Nous pouvons donc conclure qu'aucune morale n'a de base et ne se soutient qu'autant qu'elle fait appel à Dieu. 55. - 2° La sanction. - Avant nos actes, la conscience nous fait connaître l'existence d'une loi morale qui commande les actions bonnes et défend les mauvaises. Après nos actes, la conscience intervient à nouveau pour poser la double question de responsabilité et de sanction. Et quand elle a porté un jugement sur la valeur intrinsèque de l'acte, elle proclame que le bien a droit à la récompense et que le mal mérite le châtiment. Or Dieu seul peut appliquer à nos actes une sanction équitable et proportionnée à leur valeur. 56. - Objection. - Mais, dit-on, la sanction n'est pas nécessaire pour fonder la morale; et si elle l'est, l'on peut trouver des sanctions sans recourir à Dieu. - a) La sanction, disent les partisans de la morale rationnelle, n' est pas nécessaire pour fonder la morale. Il faut faire le bien pour le bien, et non pour l'amour de la récompense. Moins il y a de calcul intéressé dans l'accomplissement du bien, plus notre action gagne en grandeur et en mérite.- b) Mais, la sanction fût-elle nécessaire, ne peut-on pas trouver de nombreuses sanctions, sociales et même naturelles, en dehors de Dieu ? Il y a, par exemple: - 1. l'opinion publique, - 2. les répressions sociales, - 3. la justice immanente des choses, et - 4. par-dessus tout, le témoignage d'une bonne conscience. Réfutation. - a) Toute sanction, dit-on, est inutile, parce que la vertu doit être désintéressée.- Que le bien doive être fait pour de bien d'abord, et non pour l'amour de la récompense, nous ne le contesterons pas, puisque c'est la un des principes essentiels de la morale chrétienne. Ne pas prendre la récompense pour motif d'action, c'est assurément très bien; mais la mépriser est une marque d'orgueil, ce n'est plus la vertu; la rejeter c'est aller contre l'ordre des choses et la justice. Car s'il n'y a pas de sanctions, s'il n'y a pas de récompense pour la vertu, il n'y a pas non plus de châtiment pour le crime; le bien et le mal sont dès lors mis sur le même pied: ce qui est contraire à toute idée de morale. La sanction est donc nécessaire, non pour fonder la morale, mais pour la couronner. b) D'autres qui admettent la nécessité de la. sanction pour couronner la morale, allèguent comme sanctions suffisantes: - 1. l'opinion publique. Or tout le monde sait que l'opinion publique, loin de pouvoir servir de sanction, est parfois injuste dans ses jugements; la popularité n'est pas nécessairement un brevet d'honnêteté et de vertu, et les faveurs officielles ne vont pas toujours au mérite; - 2. les répressions sociales. Combien de crimes restent impunis et combien de malfaiteurs courent les rues, malgré la bonne volonté des gendarmes! - 3. la justice immanente des choses. Le mal et le vice portent souvent en soi le germe de souffrances qui en doivent être, tôt ou tard, la punition. Quelque juste et fréquente que soit cette sanction, on ne peut la considérer
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comme une loi inflexible; 4. le témoignage de la conscience. Il faut bien admettre que voilà enfin une sanction, à première vue, acceptable. La conscience, toutefois, en tant que justicière, n'est pas à l'abri de tout reproche. Il y a des âmes vertueuses qui connaissent le trouble et le scrupule, et il y a des criminels qui ignorent le remords et vivent dans la plus douce quiétude. Mais si, d'une part, la sanction doit être le complément de la loi morale et si, d'autre part, rien ne nous garantit la justice des sanctions terrestres, n'avons-nous pas tout lieu de croire qu'il y a ailleurs un Rémunérateur équitable qui, après avoir établi la loi morale, appréciera les actes à, leur vraie valeur et leur appliquera les sanctions qu'ils méritent ? § III. - PREUVE TIRÉE DU CONSENTEMENT UNIVERSEL 57. - Argument. - Le témoignage de l'histoire nous atteste que, dans tous les temps et dans tous les pays, les hommes ont cru à l'existence de Dieu. Or ce que tous les hommes tiennent instinctivement pour vrai, dit ARISTOTE, est une vérité de nature. Donc Dieu existe. PREUVE DE LA MAJEURE. - Toujours et partout les hommes ont cru à une divinité. Il est à peine besoin d'établir ce fait d'histoire « Un peuple sans Dieu, sans prières, sans serments; sans rites religieux, sans sacrifices, dit PLUTARQUE, nul n'en vit jamais» « Aucune nation, dit CICERON n'est si grossière et si sauvage, qu'elle ne croie à l'existence des dieux, encore qu'elle se trompe sur leur nature» (De natura deorum). Aucune époque n'a poussé plus loin que la nôtre l'étude des religions. Or l'inventaire des documents fournis par l'histoire et la préhistoire n'a pu signaler le moindre cas d'un peuple sans croyances religieuses. Telle est la constatation faite par des érudits comme Max MULLER et de QUATREFAGES: « Obligé par mon enseignement même, dit ce dernier, de passer en revue toutes les races humaines, j'ai cherché l'athéisme chez les plus inférieures, comme chez les plus élevées. Je ne l'ai rencontré nulle part si ce n'est à l'état individuel ou à celui d'écoles plus ou moins restreintes, comme on l'a vu en Europe au siècle dernier, comme on le voit encore aujourd'hui. L'athéisme n'est nulle part qu'à l'état erratique.» Ainsi l'histoire des religions nous conduit à cette conclusion qu'aucun peuple, considéré dans sa masse, n'a jamais été athée, et que l'athéisme a toujours été le fait de quelques individus ou de quelques écoles. Il importe peu de savoir si leurs conceptions de la divinité furent plus ou moins justes, et elles furent d'ailleurs moins grossières qu'on ne pourrait le croire au premier abord. Quelque impression bizarre que puissent nous donner certaines mythologies, elles contenaient sans doute une part importante de vérité46. 46
MAX MULLER va même jusqu'à prétendre que l'unité divine n'était pas inconnue des peuples apparemment polythéistes. « Les races païennes primitives, dit-il, ne furent pas polythéistes, à proprement parler, Ce n'est pas à dire qu'elles adorassent un Dieu unique, mais on peut dire qu'en un certain sens elles adoraient un Dieu un, c'est-à-dire que leurs hommages s'adressaient en somme à la divinité, bien que celle-ci leur apparût sous diverses formes personnelles lesquelles recueillaient tour à
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De quelque nom que s'appelât la divinité, que ce fût le Zeus des Grecs, le Jupiter des Romains, le Mardouk des Babyloniens, le Baal des Phéniciens, le Brahmâ des Indiens ou encore le Grand Esprit des savanes du Nouveau-Monde, c'est toujours au fond le même Dieu que tous les peuples adorèrent sous des noms divers47. PREUVE DE LA MINEURE. - Or ce que tous les hommes tiennent instinctivement comme vrai « est une vérité de nature», « Ce qui est affirmé par tous d'un commun accord, dit saint THOMAS, ne saurait être entièrement faux. Une fausse opinion, en effet, est une infirmité de l'esprit, elle est donc accidentelle à sa nature. Or ce qui est accidentel à la nature ne peut se retrouver partout et toujours» (Contra gentes, l. II, c. XXXIV). 58. – 1ère Objection. - Le suffrage universel est une mauvaise marque de vérité. Dire: tous les hommes croient en Dieu, donc Dieu existe, c'est tirer une conclusion que ne renferment pas les prémisses. Il y a eu des erreurs universelles ; telle fut, par exemple, la croyance à l'immobilité de la terre. Réfutation. - Le consentement des foules n'est pas une preuve infaillible de vérité, il faut bien en convenir. Toutefois, il constitue déjà une présomption sérieuse. «Avant de croire que tout le monde se trompe, dit le P. MONSABRÉ, on est tenté de croire que tout le monde a raison. 1) La croyance collective acquiert surtout une très haute valeur lorsqu'elle s'appuie sûr des raisons sérieuses. - Il y a eu cependant, dit-on, des erreurs universelles. Ce n'est pas contestable, mais il faut ajouter aussi que ces erreurs avaient une cause et qu'elles ont fini par être découvertes et redressées. Ainsi la croyance à l'immobilité de la terre, qui s'explique par l'illusion des sens, ceux-ci ayant pris l'apparence pour la réalité, a cessé avec le progrès des sciences. 59. – 2eme Objection. - Précisément, la croyance universelle à la divinité s'explique par une des causes d'erreur: - a) soit par l'ignorance et la peur. - b) soit par les préjugés de l’éducation . - c) soit par l'influence des législateurs et des prêtres. Réfutation. - a) l’ignorance et la peur ne sauraient rendre compte de la croyance universelle en Dieu. Lorsque l'homme primitif entendit le vent mugir, la foudre gronder, lorsqu'il vit l'éclair sillonner la nue, il demeura, dit-on, épouvanté, et ne sachant quelle était la cause de ces phénomènes, il trouva tout simple de les attribuer à des agents surnaturels. Il crut alors qu'il y avait un dieu derrière le nuage pour le mouvoir, un autre pour lancer la foudre, un autre encore dans l'immensité des mers pour pousser les flots sur le tour, par une contradiction que voilait le symbole, des hommages quasi-exclusifs et souverains ». 47
On a multiplié les recherches pour découvrir un peuple athée. On a cru un certain temps en avoir trouvé un en Océanie dans les îles sauvages d'Adaman habitées par une peuplade nègre si primitive qu'elle ne sait ni cultiver la terre ni élever le bétail. Après un examen plus approfondi, l'on a été obligé d'avouer que ces hommes incultes admettaient un Dieu unique, créateur et rémunérateur. De même, il a fallu reconnaître que les Négritos de la presqu’île Malacca et des Philippines, les pygmées d'Afrique, les Hottentots, les Boschimans pratiquaient une religion. (Cf. Mgr LE ROY, La Religion des Primitifs).
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rivage... C'est donc à la fois l'ignorance et la peur qui ont enfanté les dieux, selon le mot du poète latin STACE: «Primus in orbe deos fecit timor ». Mais la science a expliqué ces phénomènes, elle a montré qu'ils étaient le résultat des forces de la nature, elle a donc supprimé du même coup les dieux comme des agents inutiles et inexistants. - Il est vrai que la science a trouvé la cause immédiate des phénomènes, et pour ne citer qu'un exemple, il ne faut plus dire: Jupiter lance la foudre, mais la foudre a pour cause l'électricité. Tout cela est juste, mais l'on n'a découvert encore que les causes immédiates et les causes secondes, cela ne supprime en rien la cause des causes. Pour l'homme primitif comme pour le scientifique, le point de départ est le même: ce sont les effets et les phénomènes qu'il faut expliquer. Et si le primitif avait tort de s'arrêter trop vite dans la recherche des causes, au moins sa conclusion était juste, tandis que le scientifique, en ayant raison de remonter plus haut, tire, en fin de compte, une conclusion qui est fausse. Si d'ailleurs le progrès des sciences avait pu résoudre, en dehors de Dieu, l'énigme de l'univers, la divinité n'aurait plus d'adeptes parmi les hommes de science. Or si nous devions nommer tous les hommes illustres qui ont cru en Dieu, la liste en serait longue. Citons seulement, parmi les mathématiciens et astronomes célèbres: COPERNIC, GALILÉE, KEPLER, NEWTON, CAUCHY, HERSCHELL, LE VERRIER, LAPLACE, FAYE...; parmi les physiciens : AMPÈRE, VOLTA, MAYER, LIEBIG, BIOT, DALTON, BRANLY... ; parmi les naturalistes: CUVIER, AGASSIZ, LATREII,LE, MILNE-EDWARDS, G. SAINTHILAIRE, WURTZ, CHEVREUL, PASTEUR, DE LAPPARENT, LAMARCK le père du transformisme, et DARWIN eux-mêmes rendent hommage au Créateur. Citons enfin le créateur de la cristallographie HAUY,DE QUATREFAGES, VAN BENEDEN, une des gloires de la Belgique. F. BACON disait: « Peu de science éloigne de Dieu, beaucoup de science y ramène.» N'est-ce pas la conclusion qu'on est en droit de tirer devant tant de noms illustres 7 La croyance en Dieu n'est donc pas issue de la peur ni de l'ignorance. b) Le consentement universel ne vient pas davantage des préjugés de l’éducation. Sans contredit, l'éducation joue un rôle considérable sur les idées et les croyances, mais il faut bien remarquer que les préjugés varient de pays à pays, de génération à génération, qu'ils ne résistent pas à l'instruction et au progrès, et qu'il n'y a pas d'exemple qu'un préjugé qui va contre les passions, n'ait été vite supprimé. c) Enfin l'influence des législateurs et des prêtres ne saurait être invoqué pour expliquer la croyance des peuples. - 1. Les législateurs ont pu se servir de la croyance en Dieu pour mieux gouverner leurs peuples, mais ils n'ont pas pu la créer. L'on ne cite pas, du reste, le nom de l'inventeur; et l'on pense bien qu'on devrait le connaître s'il existait, en raison des difficultés qu'il aurait rencontrés pour imposer un dogme contraire aux inclinations et aux mauvais instincts du cœur humain. - 2. La supercherie des prêtres est une explication encore plus mauvaise, car les prêtres n'existant que par la religion, ils ne peuvent être antérieurs à elle, et ils n'ont leur raison d'être qu'autant qu'il y a déjà un culte. Considérer les prêtres comme les inventeurs de la Divinité et les fondateurs des religions, c'est donc commettre, d'après S. REINACH lui-même (Orpheus) « un anachronisme ridicule ».48
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CONCLUSION. - La croyance universelle ne s'explique donc par aucune cause d'erreur. Si elle provenait d'une cause d'erreur: crainte, éducation, influence des législateurs et des prêtres, elle n'aurait pas manqué de disparaître avec la cause qui l'aurait fait naître. Or elle s'est maintenue partout, en dépit des obstacles qu'elle a rencontrés. Il faut dès lors admettre qu'elle a une autre origine, et qu'elle découle soit du sentiment religieux déposé par Dieu au fond de notre âme, soit de la force du raisonnement qui nous permet de déduire son existence. Dans les deux hypothèses, la conclusion est identique. Si Dieu s'est manifesté lui-même dans une révélation primitive transmise d'âge en âge, et si, moyennant certaines dispositions, les hommes le sentent vivant et agissant dans leur âme, rien de mieux. Si l'idée de Dieu est le fruit du raisonnement, la croyance universelle s'explique non moins bien, vu que la raison est un patrimoine du genre humain49. (V. la valeur de cette preuve, n° 60). Conclusion générale des preuves de l'existence de Dieu. 60. - Si nous jetons un coup d'œil rétrospectif sur les preuves de l'existence de Dieu, il n'est pas sans intérêt de rechercher quelle est la valeur et la portée de chaque preuve, considérée isolément. Nous l'établirons brièvement en reprenant chaque groupe de preuves. 1° Valeur des preuves cosmologiques. - Des trois preuves qui nous sont fournies par l'observation du monde extérieur, les deux premières, - argument de la contingence et du premier moteur, - nous permettent de conclure qu'il y a un Etre nécessaire, et, par le fait, éternel, puisqu'un Etre nécessaire ne peut pas ne pas être ; distinct du monde, puisque le monde est sujet du devenir, puisqu'il se transforme et que l'Etre nécessaire, la cause première et le premier moteur ne peuvent être sujets au changement. La troisième preuve par l'ordre du monde a moins de portée. Malgré l'ordre et la beauté qui y règnent, le monde a ses imperfections; il n'implique 48
Cette erreur fut surtout le fait des impies du XVIIIe siècle et en particulier de VOLTAIRE.
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Preuve par la révélation. - Aux preuves rationnelles de l’existence de Dieu convient-il d'ajouter une autre preuve complémentaire tirée du témoignage de l’histoire, qu'on pourrait formuler de la manière suivante? Si nous étudions les Livres Saints, non pas comme livres inspirés, mais simplement comme livres humains, présentant tous les caractères d'authenticité et de véracité que la critique est en droit d'exiger de tout livre historique, nous constatons que Dieu s'est révélé à Adam, à Noé, à Abraham, à Isaac, à Jacob, à Moïse, au peuple israélite dans le désert, aux prophètes, et plus récemment par Jésus-Christ, qu'il s'est manifesté souvent et qu'il se manifeste encore de nos jours (ex: à Lourdes) par le miracle et la prophétie. Donc nous devons croire à l'existence de Dieu tout aussi bien que nous croyons à l'existence d'Alexandre le Grand, de César et de Napoléon, puisqu'elle nous est attestée par des documents aussi dignes de foi. Exposée ici, cette preuve n'a aucune valeur pour ceux qui nient l'autorité des Livres Saints qui ne sera démontrée que par la suite. La preuve ne s'adresse donc qu'aux croyants, et dès lors il nous semble qu'il vaut mieux la réserver pour la partie dogmatique, où l'existence de Dieu est présentée comme une vérité rationnelle et une vérité de foi, s'appuyant à la fois sur le raisonnement et sur la Révélation voir notre Doctrine catholique N° 28).
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pas dès lors un art infini, il requiert seulement un ou plusieurs architectes assez habiles pour réaliser l'unité de plan50. Et puis, l'organisateur du monde n'en est pas nécessairement le créateur. L'ordre du monde suppose donc une intelligence supérieure, mais non un Etre infini, unique et créateur. La preuve des causes finales ne doit pas, par conséquent, être isolée des deux premières preuves. Il n'en est pas moins vrai que celui qui admettrait déjà un Architecte du monde, sortirait au moins de son athéisme, et il aurait peu de peine à passer de l'Architecte au Dieu créateur. 2° Valeur des preuves tirées de l'âme humaine. - A. La preuve ontologique51 tirée de l'idée d'être parfait contient un sophisme, et partant, ne peut être retenue comme une preuve valable. On ne peut dire d'un être qu'il possède telles ou telles qualités que s'il existe. L'existence n'est donc pas un attribut. Mais, à supposer qu'elle en soit un, d'après les règles du syllogisme, l'attribut doit être de même nature que le sujet. Or quand j'affirme que l'idée d'être parfait implique l'existence de tel être, il s'agit de l'être parfait conçu par mon intelligence; l'attribut que je lui donne, à savoir, l'existence, appartient donc à l'être idéal conçu par moi, non à un être réel. La proposition rigoureusement vraie, en tant que hypothétique, reste une proposition hypothétique, et les lois du raisonnement nous demandent de transformer l'hypothèse en réalité, de passer de l'existence idéale à l'existence réelle. B. La preuve par les aspirations de l'âme n'a pas une valeur absolue. Il n'est pas possible, en effet, de démontrer rigoureusement qu'un bonheur fini ne pourrait satisfaire les désirs de l'homme, et pas davantage, que le désir, même naturel, implique nécessairement l'existence de l'objet désiré. C. La preuve par la loi morale et la sanction avait, aux yeux de Kant, une très grande force; elle lui arrachait cet aveu significatif: « Deux choses me remplissent l'âme d'un respect et d'une admiration sans cesse renaissants: le ciel étoilé au-dessus de nos têtes, la loi morale au-dedans de nous-mêmes. » Toutefois, il est bon de remarquer que, dans l'exposé de cette preuve, nous ne suivons pas la même voie que le philosophe allemand. D'après Kant, l'existence de la loi morale suppose Dieu non comme législateur, mais comme rémunérateur. L'accomplissement du devoir nous confère, en effet, un droit au bonheur. Or, si nous sommes libres de bien agir et de nous rendre dignes du bonheur, il ne dépend pas de nous que le bonheur vienne toujours récompenser nos bonnes actions. En conséquence, pour que la loi morale ne soit pas une chimère, il faut qu'il y ait une volonté souverainement juste et puissante qui réalise l'harmonie du bonheur et de la vertu, il faut qu'il y ait un Dieu: ainsi l'existence de Dieu devient un simple postulat de
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Cette preuve aboutit donc tout aussi bien au polythéisme qu'au monothéisme.
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Il ne faut pas confondre la preuve ontologique, qui prend pour point de départ la notion de Dieu, avec l'ontologisme, signale plus haut parmi les erreurs, et d'après lequel nous aurions une vue immédiate de Dieu.
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la loi morale. Au contraire, dans l'argument tel que nous.1'avons exposé (p. 51), l'existence de la loi morale suppose Dieu comme législateur, de même que le monde contingent l'exige comme être nécessaire: dans les deux cas, nous nous appuyons sur le principe de causalité et nous remontons d'un effet à sa cause. Cependant, même ainsi présentée, la preuve tirée de la loi morale peut être attaquée dans sa majeure. En effet, la connaissance claire et distincte d'une loi morale, de caractère universel et obligatoire, présuppose la connaissance de l'existence de Dieu, c'est-à-dire d'un législateur suprême qui, seul, a le pouvoir de lier la conscience; de lui intimer une obligation absolue, (impératif catégorique). Mais si la connaissance de la loi morale exige au préalable la connaissance de l'existence de Dieu, c'est que la notion de Dieu est antérieure à la loi morale et, par conséquent, n'en découle pas; L'argument est donc vicieux de ce fait qu'il contient dans ses prémisses ce qui ne doit venir que dans la conclusion52. 3° Valeur de la preuve par le consentement universel - La croyance universelle est un confirmation de l'ensemble des preuves. L'unanimité de la croyance ne l'explique, en effet, que par la valeur intrinsèque des raisons qui l'ont produite: d'où il suit que le consentement universel, sans être à proprement parler un nouvel argument ni un critérium de certitude53, constitue pourtant une démonstration indirecte de l'existence de Dieu. Ainsi, l'ensemble des preuves qui se complètent l'une par l'autre et nous présentent Dieu sous un aspect différent, forme un bloc intangible. Chacun reste libre d'ailleurs de choisir l'argument qui convient le mieux à sa mentalité, à sa tournure d'esprit, et le plus apte à étayer ses convictions,. Art. III - De l'Athéisme. Y a-t-il des athées ? Causes et conséquences de l'athéisme. 61. - Après l'exposé des preuves de l'existence de Dieu, une question subsidiaire, avons-nous dit, se pose à nos investigations. Si Dieu est nécessaire pour expliquer le monde, comment se fait-il qu'il y ait des athées ? Mais est-il vrai tout d'abord qu'il y ait des athées ? Et s'il y en a, quelles sont les causes et les conséquences de l'athéisme. 52
D'après l'Ami du Clergé (10 mai 1923), au lieu de la loi morale, il serait préférable de prendre pour point de départ l'ordre essentiel qui régit les êtres raisonnables: on aurait alors la quatrième preuve de saint THOMAS « par les degrés de perfection» envisagée sous l'aspect spécial du vrai et du bien. On remarque dans la nature quelque chose de plus ou moins bon, de plus ou moins vrai, de plus ou moins noble. Or, le plus ou le moins de perfection ne peut se dire des objets que par comparaison avec l'être le plus parfait. Il y a donc quelque chose qui est le bon, le vrai, le noble, et par conséquent l'être par excellence... qui est cause de ce qu'il y a d'être, de bonté et de perfection dans tous les êtres, et c'est cette cause que nous appelons Dieu. » Somme th. l, 1,q. 2, art 3 (Voir sur ce sujet le Traité de philosophie par les Professeurs de l'Université de Louvain).
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Il n'est pas dans notre pensée de faire du consentement universelle critérium de la certitude (N° 22). Ce serait aller contre l’Eglise qui enseigne le contraire et contre 1’Ecrlture Sainte qui nous apprend que tous les peuples de l'antiquité, les Juifs excepté, ignoraient le seul vrai Dieu et méconnaissaient sa 1oi (Rom.I,21-23).
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1° Y a-t-il des athées ? - L'athée (du grec a privatif et theos, dieu) est celui qui ne croit pas à l'existence de Dieu. De cette définition il ressort qu'il ne faut pas ranger parmi les athées: - a) les indifférents qui laissent de côté la question des origines du monde et de l'âme, et vivent sans se préoccuper de leur destinée. Bien que cette manière d'être aboutisse pratiquement à l'athéisme, les indifférents ne sont pas des athées proprement dits. - b) Les agnostiques qui proclament que Dieu est du domaine de l'inconnaissable, ne sont pas non plus des athées. Aussi longtemps qu'ils s'en tiennent à cette affirmation, leur état d'esprit équivaut à un scepticisme religieux. - c) Encore moins faut-il compter parmi les athées ceux qui, ignorant le tout, ou à peu près, de la question religieuse, font profession extérieure d'athéisme, soit parce qu'ils jugent que cette attitude convient à des esprits forts qui ne veulent pas suivre le vulgaire troupeau, soit parce qu'ils ont intérêt à aller du côté où souffle le vent des faveurs officielles. Il convient donc de ne considérer comme athées, que les scientifiques et les philosophes qui, après mûr examen des raisons pour et contre l'existence de Dieu, se prononcent pour ces dernières. De ces athées, qui seuls méritent de retenir notre attention, l'on peut bien dire que le nombre est fort restreint. Il suffirait, pour le prouver, de nous en référer au témoignage d'un des leurs. « A notre époque, écrit M. LE DANTEC (L'athéisme), quoi qu'on dise, il existe une infime minorité d'athées. » Mais il faut ajouter, pour être juste, qu'en revanche le nombre des agnostiques qui veulent que la question soit insoluble, a augmenté dans une sérieuse proportion. 62. - 2° Causes de l'athéisme, - L'on explique généralement l'athéisme par des raisons intellectuelles, des raisons morales et des raisons sociales. A. RAISONS INTELLECTUELLES. - a) L'incrédulité des scientifiques: physiciens, chimistes, biologistes, médecins, etc., doit être attribuée souvent à leurs préjugés et à l'application d'une fausse méthode. Il est clair, en effet, que s'ils prétendent employer ici la méthode expérimentale, qui n'admet que ce qui peut être vérifié par l'expérience, que ce qui tombe sous les sens, ils ne pourront pas dépasser les phénomènes et atteindre les substances54. Notons, en outre, que certaines formules, dont ils abusent dans l'intérêt de leurs négations, ne sont pas vraies, au moins dans le sens où ils s'en servent. Quand, par exemple, ils allèguent que la matière est nécessaire et non contingente, ils invoquent, pour le démontrer, la nécessité de l'énergie et des lois (N° 40). Or il apparaît tout de suite que le mot nécessaire renferme ici une équivoque. La nécessité d'une chose est en effet absolue ou relative. Elle est absolue si sa nonexistence implique contradiction, relative lorsque la chose en question, dans l'hypothèse de son existence, doit avoir telle ou telle essence, telle ou telle qualité: ainsi un oiseau doit avoir des ailes, autrement il ne serait plus un oiseau. De ce que l'énergie et les lois sont nécessaires, au sens relatif, les matérialistes ont donc le tort de conclure que la matière elle-même est l'Etre nécessaire au sens absolu. 54
Les philosophes matérialistes rentrent donc dans cette catégorie.
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b) L'athéisme des philosophes contemporains dérive du criticisme de Kant et du positivisme d'A. Comte. Nous avons vu, dans le chapitre préliminaire, que, d'après les criticistes et les positivistes, la raison ne peut arriver à une certitude objective ni atteindre les substances derrière les phénomènes. En rabaissant ainsi la raison, on ruine du même coup toutes les preuves traditionnelles de l'existence de Dieu. L'on peut donc dire que, chez la plupart des philosophes contemporains, la crise de la foi est, en fait, une crise de la raison: les négateurs de Dieu sont, à notre époque, les négateurs de la raison. Mais celle-ci, comme il arrive toujours pour les arrêts injustes, sera un jour réhabilitée et reprendra ses droits. B. RAISONS MORALES.- Nous citerons parmi les raisons morales: - a) le manque de bonne volonté. Si l'on étudiait les preuves de l'existence de Dieu avec plus de simplicité, et moins d'esprit critique, on serait sans doute moins rebelle à la force des arguments. Il ne faut pas non plus demander aux preuves plus qu'elles ne peuvent donner: leur force démonstrative, bien que réelle et absolue, n'entraîne pas une évidence mathématique; - b) les passions. Il est bien évident que la foi se dresse devant les passions comme un obstacle. Or, quand une chose gêne, on trouve toujours de bonnes raisons pour la supprimer. « Il y a toujours dans un cœur égaré par les passions, dit Mgr FRAYSSINOUS, des raisons secrètes de trouver faux ce qui est vrai... On se persuade aisément ce qu'on aime et, quand le cœur se livre au plaisir qui séduit, l'esprit s'abandonne volontiers à l'erreur qui justifie »55. Et Paul BOURGET, dans une analyse très pénétrante de l'incrédulité, écrit les lignes suivantes: «l’homme, en se détachant de la foi, se détache surtout d'une chaîne insupportable à ses plaisirs... je n'étonnerai aucun de ceux qui ont traversé les études de nos lycées en affirmant que la précoce impiété des libres penseurs en tunique a pour point de départ quelque faiblesse de la chair accompagnée d'une horreur de l'aveu au confessionnal. Le raisonnement - quel raisonnement ! - arrive ensuite et fournit des preuves (!!!) à l'appui d'une thèse de négation acceptée d'abord pour les besoins de la pratique »56; - c) Les mauvais livres et les mauvais journaux. Sous cette dénomination nous n'entendons pas les livres et les journaux qui sont immoraux, mais ceux qui, sous des formes parfois dissimulées, s'attaquent à tout ce qui est à la base de la moralité, et veulent faire croire, au nom du soi-disant Progrès et d'une prétendue Science, que Dieu, l'âme, la liberté ne sont plus que des mots qui recouvrent des chimères. C. RAISONS SOCIALES. - Signalons seulement: - a) l'éducation. Il n'est pas exagéré de dire que les écoles neutres ont été pour l'athéisme un terrain de culture exceptionnel. Prise en masse, notre société va donc à l'athéisme parce qu'elle le veut; b) le respect humain. Beaucoup ont peur de paraître religieux parce que la religion n'est plus en faveur et qu'ils pourraient être tournés en dérision. 63. - 3° Conséquences de l'athéisme. - L'athéisme, en supprimant Dieu, enlève toute 55
FRAYSSINOUS, Défense du christianisme. L'incrédulité des jeunes gens.
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P. BOURGET, Essai de psychologie contemporaine.
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base à la morale. De là les plus graves conséquences pour l'individu et pour la société. A. POUR L'INDIVIDU. - a) L'athéisme le livre sans frein à ses passions. Si l'homme ne reconnaît pas un maître suprême qui ait le pouvoir de lui commander le bien et de le châtier s'il fait mal, pourquoi ne se laisserait-il pas aller au gré de ses désirs, et ne courrait-il pas après le bonheur terrestre, ou du moins ce qu'il croit tel, par quelque voie qu'il pense l'obtenir ? - b) Mais, par réciproque, l'athéisme enlève à l'homme toute consolation parmi les épreuves de la vie. Celui qui ne croit pas en Dieu doit abandonner tout espoir de réconfort, lorsque la vie lui devient amère et que la terre lui refuse les joies qu'il lui demande. B. POUR LA SOCIÉTÉ. - Les conséquences de l'athéisme sont plus ruineuses encore pour la société. En supprimant les idées de justice et de responsabilité, il conduit au despotisme et à l'anarchie, la force remplace le droit. Si les gouvernants ne sentent pas au-dessus d'eux un maître qui leur demandera compte de leur gestion, ils sont libres de gouverner la société suivant leurs caprices: « Je ne voudrais pas, disait VOLTAIRE, avoir affaire à un prince athée qui trouverait son intérêt à me faire piler dans un mortier: je serais bien sûr d'être pilé. » D'autre part, il y a dans toute société de grandes distances entre chaque membre au point de vue du rang, des honneurs, des dignités, de la situation et des richesses. S'il n'y a pas de Dieu pour récompenser un jour ceux qui, moins bien partagés, acceptent leur destinée avec courage et font leur devoir, pourquoi ne pas se révolter contre une société mal faite et lui réclamer sa part de bonheur et de jouissances ? BIBLIOGRAPHIE. - Dictionnaire de la foi cath. : CHOSSAT, Art. Agnosticisme.. GARRIGOU-LAGRANGE, Art. Dieu.. GRIVET, Art. Évolution créatrice.. DARIO, Art. Matérialisme. MOISANT, Art. Athéisme. - CHOSSAT, Art. Dieu. Dict. de théol. SERTILLANGES, Les Sources de la croyance en Dieu. - MICHELET, Dieu et l'Agnosticisme contemporain. - FARGES, Nouvelle Apologétique.. L'idée de Dieu d'après la Raison et la Science (Berche et Tralin). - GUIBERT, Les Origines (Letouzey) ; Le Conflit des croyances religieuses et des sciences de la nature (Beauchesne). - DUILBIÉ DE SAINT-PROJET et SANDERENS, Apologie scientifique de la foi chrétienne (Poussielgue). - Mgr GOURAUD, Notions élémentaires d'apologétique (Belin). - PRUNEL, Les Fondements de la doctrine catholique (Beauchesne). - Mgr D'HULST, 1re Conf. car. 1892 (Poussielgue). - POU LIN et LOUTIL, Dieu (Bonne-Presse). - Mgr Le Roy, La Religion des Primitifs. - C. PIAT, De la croyance en Dieu (Alcan). - VILLARD, Dieu devant la science et la raison (Oudin). - DE LAPPARENT, Science et Apologétique (Bloud), Traité de géologie. - P. JANET, Les causes finales ; Le matérialisme contemporain (Baillère). Saint THOMAS, Contra gentes, Somme théologique. - KLEUTGEN, Philosophie scolastique. - Traités de philosophie de G. SORTAIS, du P. LAHR, de FONSEGRIVE, de l'abbé DOMECQ, etc. - DE MARGERIE. Théodicée. - Abbé DE BROGLIE, Le Positivisme et la Science expérimentale (Victor Palmé). - L'Ami du Clergé, 10 mai 1923.
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Chapitre II : LA NATURE DE DIEU DÉVELOPPEMENT Division du Chapitre. 64. — La nature de Dieu, — comme l'existence, — comporte une triple étude : — 1° Une question préliminaire : La raison qui démontre l'existence de Dieu peut-elle aussi connaître sa nature ? — 2° Si oui, quelle est-elle t Quels sont ses attributs.— 3° La connaissance que nous avons de sa nature, nous permet-elle d'affirmer, contre les panthéistes, que Dieu est une personne distincte du monde ? D'où trois articles. Art. I. Pouvons-nous connaître la nature de Dieu ? Cette première question peut se subdiviser en deux autres : 1° Est-il possible de connaître la nature de Dieu? 2° Par quelles voies peut-on arriver à cette connaissance ? § 1. L'ERREUR AGNOSTIQUE. — DIEU N'EST PAS INCONNAISSABLE. 65. — Dieu est, mais pouvons-nous savoir ce qu'il est? Pouvons-nous avoir de sa nature une connaissance, sinon parfaite, au moins initiale et confuse? 1° L'erreur agnostique — A cette question les agnostiques dogmatiques57) répondent par la négative. Les philosophes, comme KANT et H. SPENCER, déclarent qu'il ne convient pas de laisser à la base de la vie religieuse des vérités métaphysiques que la raison pure ne peut pas prouver. Les protestants libéraux, comme RITSCHL, SABATIER ; les modernistes, comme LE ROY et TIEREL; les pragmatistes, comme W. JAMES, supposant l'existence de Dieu démontrée par le sentiment et 1,'expérience religieuse, prétendent qu'il est impossible, et dès lors inutile, de se faire une représentation quelconque de l'essence divine, et ils reprochent aux théologiens leur intellectualisme, c'est-à-dire leurs affirmations catégoriques et définies sur la nature intrinsèque de Dieu. A quoi bon, disent les pragmatistes, se représenter Dieu ? Une religion n'a de valeur que par ses résultats et le degré de piété qu'elle produit, et non par ses formules dogmatiques58 — Sans doute, c'est la piété qui importe, mais est-il vrai, comme l'affirment les pragmatistes, que la pratique religieuse soit indépendante des idées de
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Nous appelons agnostiques dogmatiques ceux qui bornent leur agnosticisme à la nature de Dieu, par opposition aux agnostiques purs qui prétendent que l'existence même de Dieu est du domaine de l'inconnaissable. 58
« L'aséité de Dieu, sa nécessité, son immatérialité, sa simplicité, son individualité, son indétermination logique, son infinité, sa personnalité métaphysique, son rapport avec le mal qu'il permet sans le créer ; sa suffisance, son amour de lui-même et son absolue félicité : franchement, qu'importent tous ces attributs pour la vie de l'homme? dit W. JAMES. S'ils ne peuvent rien changer à notre conduite, qu'importe à la pensée religieuse qu'ils soient vrais ou faux ? » (L'expérience religieuse.)
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l'esprit ? Si l'on conçoit Dieu comme l'âme de la nature, ou comme un idéal abstrait, selon la doctrine panthéiste, peut-on encore le prier et lui rendre un culte? Il est bien évident que non. Pour commencer la vie religieuse, il est nécessaire que nous ayons d'abord de Dieu une connaissance rationnelle, et la prière ne sortira du cœur qu'autant que nous connaissons Dieu comme un Etre personnel, distinct du monde, bon et miséricordieux. 66. — 2° Dieu incompréhensible, mais non inconnaissable. — Quand on parle de la nature de Dieu, il importe, si l'on veut éviter tout malentendu, de faire la distinction entre la connaissance et la compréhension de la nature divine. Dieu est incompréhensible mais non inconnaissable : — a) Incompréhensible. Sous quelque aspect que nous le considérions, Dieu c'est l'Etre infini. Or il est bien évident qu'une intelligence finie comme celle de l'homme est incapable de comprendre l'infini ; Dieu dépasse notre conception et notre langage : il est ineffable, comme disent les théologiens. — b) Mais non inconnaissable. Là où les agnostiques disent : nous ne pouvons absolument rien savoir, les apologistes catholiques répondent : nous savons assurément peu de choses, mais nous savons quelque chose. En nous révélant son existence, la raison nous a appris que Dieu est la Cause première, l'Etre nécessaire, éternel, le Premier Moteur, l'Organisateur du monde en même temps que l'Etre parfait, le Souverain Bien et le Législateur Suprême. Savoir tout cela, c'est avoir déjà une connaissance, qui permet de pousser plus loin notre recherche59 Naturellement, la connaissance à laquelle nous parvenons, n'est pas une connaissance adéquate et entière de l'objet. Faut-il s'en étonner ? S'il est vrai que nous ne « savons le tout de rien » combien plus Dieu reste enveloppé d'obscurité ! Alors que la science ne peut nous expliquer les nombreux mystères de la nature, et qu'elle ne sait nous dire, par exemple, ce qu'est l'électricité, la lumière, la gravitation, la germination, etc., pourquoi voudrait-on nous enfermer dans ce dilemme inacceptable : Ou vous connaissez entièrement la nature de Dieu, ou vous n'en savez absolument rien ? § 2. — PAR QUELLES VOIES PEUT-ON CONNAITRE LA NATURE DE DIEU ? 67. — En partant des êtres créés, nous avons vu qu« la raison prouvait l'existence d'une Cause première, d'un Etre nécessaire et d'un premier Moteur. Si nous nous bornons à cette seule preuve indiquée par le Concile du Vatican, nous arrivons à déduire la nature de Dieu par une double méthode : a priori et a posteriori. 1° A PR1ORI, c'est-à-dire en déduisant ce qui est contenu dans les notions de Cause première, d'Etre nécessaire et de premier Moteur, nous pouvons tirer cette triple conclusion : — a) Dieu est l’Être parfait. En effet, un être imparfait est un être limité et contingent, puisqu'il pourrait changer pour devenir meilleur et acquérir la perfection qui lui fait défaut. Or, s'il pouvait recevoir cette qualité d'un autre, il ne serait plus la 59
Nous ne parlons ici que de la connaissance de Dieu par la raison. Cette connaissance a été augmentée par la Révélation qui, en nous découvrant les mystères de la Trinité et de l'Incarnation, nous a fait pénétrer plus avant dans les secrets de la vie divine.
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Cause première de tout, ni l'Être nécessaire, vu qu'il pourrait être autrement qu'il n'est. La Cause première, l'Être nécessaire est donc en même temps l'Être parfait. — b) Dieu est infini. La notion d'infini découle de celle d'Être parfait. Dire que Dieu n'est pas infini, c'est dire qu'il n'a pas la plénitude absolue de l'être, et, par conséquent, qu'il n'est pas parfait, qu'on pourrait concevoir un être plus grand, à savoir, celui qui aurait cette plénitude de l'être. — c) Dieu est unique. L'unicité de Dieu se déduit de la notion d'infini. La raison ne peut admettre l'existence de deux êtres infinis. Car, ou bien ils sont indépendants l'un de l'autre, ou l'un dépend de l'autre. Dans le premier cas, la puissance de l'un étant limitée par la puissance de l'autre, aucun n'est infini. Dans le second cas, celui qui dépend de l'autre ne saurait être infini. Le dualisme, qui admet l'existence de deux dieux, le polythéisme qui en admet plusieurs, sont donc des erreurs : la raison nous dit qu'il ne peut y avoir qu'un seul Dieu. 2° A POSTERIORI, c'est-à-dire en prenant pour point de départ les êtres créés, nous déduisons les perfections divines. Si nous examinons l'œuvre de Dieu, et en particulier l'homme, nous y trouvons des qualités mêlées à des imperfections. Or, étant donné que Dieu est l'Etre parfait, comme nous venons de l'établir a priori, il s'ensuit que nous devons retrancher de sa nature toutes les imperfections des êtres créés et lui attribuer toutes leurs qualités60. D'où deux procédés : — a) la voie de négation ou d'élimination qui supprime on Dieu tous les défauts des créatures, et — b) la voie d'éminence qui lui attribue, en les élevant à l'infini, toutes les perfections des êtres créés. La méthode a posteriori n'est pas de l'anthropomorphisme61. Nous nous servons des qualités des créatures pour nous représenter Dieu, mais nous ne concevons pas la nature de Dieu sur notre modèle, nous ne le faisons pas à notre ressemblance. Nous attribuons à Dieu les qualités des créatures par analogie62 seulement, et nous pensons bien que l'intelligence divine par exemple n'est pas seulement supérieure à l'intelligence humaine, mais d'un autre ordre. Art. II — La Nature de Dieu. Les Attributs de Dieu. Notion. Espèces. 68. — 1° Notion. — L''attribut en général, c'est toute qualité essentielle à un être. Les attributs de Dieu ce sont donc ses perfections, c'est-à-dire ce qui constitue son essence. En réalité, attributs et essence désignent une seule et même chose. Il n'y a pas 60
Ainsi nous attribuons à Dieu toutes les perfections de? créatures parce que nous avons d'abord établi a priori que Dieu est l’Etre parlait. Nous ne nous appuyons donc pas sur le principe de causalité selon lequel tout ce qu'il y a dans les effets se retrouve dans la cause. Cette dernière méthode parait en effet défectueuse, car de ce que toutes les perfections des effets se retrouveraient dans la cause, même à un degré supérieur, il ne s'ensuit pas que la cause première soit infinie et parfaite, vu que les effets sont finis et Imparfaits et n'exigent cas dès lors une cause parfaite.
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l'anthropomorphisme (gr. « anthrôpos », homme, et « morphê », forme) désigne en philosophie cette tendance de notre esprit qui nous porte à prêter à la Divinité les sentiments, les passions, les pensées et les actes des hommes. 62
Analogie (grec. «ana » : par ; « logos » : rapport). Comme l'étymologie l'indique, l'analogie résulte d'une comparaison, et conclut a une ressemblance entre deux choses, mais à une ressemblance qui n'implique pas identité et laisse subsister des différences.
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plusieurs perfections divines, il n'y a que l'essence divine qui est parfaite et indécomposable. La distinction que nous établissons n'est donc qu'une distinction de raison, nécessitée parla faiblesse de notre intelligence. 69. — 2° Espèces — Par le double procédé indiqué plus haut, nous obtenons deux sortes d'attributs : — a) les attributs négatifs ou métaphysiques, par la voie de négation, et — b) les attributs positifs ou moraux par la voie d'éminence. § 1. — LES ATTRIBUTS NEGATIFS OU METAPHYSIQUES. 70. — Les attributs négatifs s'obtiennent, avons-nous dit, en retranchant de la nature divine, toutes les imperfections des êtres créés. Or ceux-ci sont contingents, composés de parties, sujets au changement, limités par le temps et l'espace. Les attributs négatifs de Dieu seront donc ; l'aséité, la simplicité, l’immutabilité, l'éternité et l'immensité. 1° Aséité. — Sous ce vocable emprunté à la langue scolastique (aseitas), on désigne la propriété qui appartient à Dieu seul d'exister par soi (ens a se) et non par un autre, d'avoir la plénitude de l'être, contrairement aux créatures qui tiennent leur existence de Dieu et sont des êtres imparfaits et contingents. 2° Simplicité. — Dieu n'est pas composé de parties. S'il était composé de parties, celles-ci seraient finies ou infinies. Si elles étaient finies, Dieu ne serait plus l'infini, car l'addition du fini avec le fini ne donne pas l'infini. Dire, d'autre part, que les parties sont infinies est une chose contradictoire : nous venons de voir plus haut que la notion d'infini implique l'unité. Mais si Dieu est simple c'est qu'il est esprit, vu que le propre de la matière est d'être composée de parties et divisible. 3° Immutabilité. — Dieu est immuable. On ne change que pour acquérir les perfections qu'on n'a pas ou pour perdre celles que l'on a. Dans Ie8 deux hypothèses, Dieu ne serait plus ni l'Etre nécessaire ni l'Etre parfait puisqu'il ne serait pas toujours le même et qu'il passerait d'un état moins parfait à un plus parfait, ou réciproquement. 4° Éternité — Etre nécessaire, ne pouvant pas ne pas être, Dieu est donc éternel. Toutefois, n'expliquons pas cette perfection en disant que Dieu n'a ni commencement ni fin. Cette manière de parler serait impropre, car elle ne s'applique qu'au temps. Et précisément l'éternité est opposée au temps. Quand nous disons que Dieu est éternel, nous entendons par là, si difficile que la chose soit à concevoir, que Dieu est en dehors du temps, en dehors du commencement et de la fin. Et pourquoi Dieu est-il en dehors du temps? C'est que le temps est divisible, qu'il implique le changement, la succession, le devenir, c'est qu'il est fait d'un passé qui n'est plus, d'un avenir qui n'est pas encore, et d'un présent qui fuit entre le passé et le futur ; en un mot, qu'il est imparfait. Il répugne donc à la perfection et à l'immutabilité de Dieu : d'où il suit qu'il faut concevoir l'éternité divine comme un éternel présent où il n'est question ni de passé ni de futur.
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5° Immensité. — Ce que nous venons de dire de l'éternité, s'applique à l'immensité de Dieu. De même que l'éternité est en dehors du temps,. l'immensité est en dehors de l'espace. Dieu est donc partout, non pas à la manière des corps qui sont limités par leur propre étendue, mais comme un esprit qui pénètre tout, même les corps matériels, sans cependant se confondre avec eux (exemple : l'âme humaine). S'il est vrai que Dieu est en tout et partout, il n'est pas moins juste d'ajouter que tout est en lui et par lui, selon la parole de saint Paul aux Athéniens : « C'est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l'être. » (Actes, XVIII 28.) § 2. — LES ATTRIBUTS POSITIFS OU MORAUX DE DIEU. 71. — Les attributs positifs s'induisent en prenant comme point de départ les facultés de l'homme et en les élevant à un degré infini. Or les facultés de l'homme sont l'intelligence, la volonté et la sensibilité. Les attributs de Dieu seront donc : l'intelligence, la volonté et l'amour. 1° Intelligence. — L'intelligence de l'homme est bornée dans son mode de connaissance et dans son objet. D'une manière générale, elle n'arrive à connaître que lentement, péniblement et par le raisonnement. De plus, elle est sujette à l'erreur, au doute, à l'oubli, et son savoir est toujours limité. L'intelligence divine, au contraire, est parfaite : — a) dans son mode de connaissance. Elle voit tout, d'une seule intuition, et sans recourir au raisonnement ; — b) dans son objet. La science divine embrasse tout : Dieu se connaît lui-même et il connaît ses œuvres d'une manière parfaite. Le passé et l'avenir n'existent pas devant lui : ils sont un éternel présent. 72. — Objection. Prescience divine et liberté humaine. — Si Dieu connaît l'avenir, que devient la liberté de l'homme, puisqu'il est entendu que tout ce que Dieu prévoit arrive nécessairement? Réfutation. — La conciliation de la prescience divine et de la liberté humaine est une difficulté plus apparente que réelle. -— a) II importe, avant tout, de s'entendre sur les mots : — 1. Et d'abord, le mot prescience ou prévision est un terme impropre, appliqué à Dieu. Nous avons vu, en effet, au N° 70, au sujet de l'éternité, qu'il n'y a en Dieu ni passé, ni futur, mais seul, un éternel présent. Par conséquent, Dieu ne prévoit pas, il voit. — 2. Dire, d'autre part, que ce que Dieu a prévu arrive nécessairement n'est pas une expression plus juste. Sans doute, la science de Dieu est infaillible ; et ce que Dieu voit de toute éternité, arrivera certainement dans le temps. Mais ne nous y trompons pas. La chose arrivera : — 1 ) d'une manière nécessaire, s'il s'agit des êtres privés de raison et qui obéissent aux lois physiques de leur nature ou aux impulsions de leur instinct ;. — 2) d'une manière libre, s'il s'agit des êtres raisonnables. b) Mais, à supposer que le terme « prescience» soit juste et puisse être retenu, à propos de la science divine, n'est-il pas évident que le fait de prévoir un événement n'est nullement la cause de cet événement? Je prévois qu'un aveugle, qui marche dans la direction d'un précipice, va tomber dans l'abîme et se tuer. Dira-t-on que ma prévision
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a été cause de sa chute et de sa mort? Donc la prescience de Dieu, tout éternelle et infaillible qu'elle est, n'est pas la cause de nos actions, elle n'en est que la conséquence. c) I1 est vrai que notre imagination se représente mal ces choses, mais, quand on ne peut pénétrer tous les secrets d'un mystère, il faut écouter le conseil de BOSSUET, qui nous dit de tenir fermement les deux bouts de la chaîne, — science de Dieu et liberté de l'homme, — bien que nous ne voyions pas les anneaux intermédiaires par ou ils se relient. 73. — 2° La volonté de Dieu. — La volonté de l'homme est limitée dans son mode d'opération et dans son objet. Elle n'arrive souvent à ses ' fins qu'au prix de laborieux efforts et elle ne fait pas tout ce qu'elle veut, En Dieu, la volonté est toute-puissante : elle ne connaît ni l'effort ni la limite. Dieu peut tout Ce qu'il veut, mais il ne peut vouloir que ce qui est conforme aux lumières de son intelligence, c'est-à-dire le bien. Quant au mal, s'il s'agit du mal physique, Dieu peut le vouloir, comme moyen d'obtenir un bien supérieur (V. N° 101) ; s'il s'agit du mal moral, il ne peut jamais le vouloir, il ne peut que le tolérer pour laisser à l'homme le libre choix de ses actes, et conséquemment, le mérite ou le démérite. 74. — Objection. — Mais, dira-t-on, Dieu n'est pas libre, s'il ne peut choisir entre le bien et le mal. Réponse. — Ne confondons pas la liberté divine avec la liberté humaine. L'homme peut hésiter entre le bien et le mal et se déterminer pour le mal. C'est là une imperfection de la liberté humaine, car la vraie liberté consiste dans le choix entre deux biens : telle est la liberté divine. Or, comme Dieu est l'Etre infiniment parfait, le souverain Bien, il se veut et s'aime lui-même nécessairement. La liberté divine ne concerne donc que ses actes extérieurs, ceux qui sont relatifs aux créatures : Dieu a créé le monde librement, il a créé celui qui existe, comme il en aurait pu créer un autre. 75. — 3° L'amour de Dieu. — L'amour c'est le mouvement de la sensibilité vers le bien. Or, l'homme se trompe souvent sur ce qui en doit être l'objet, et alors qu'il ne se trompe pas, le bien qu'il atteint n'est jamais complet, soit qu'il s'y mêle la crainte de le perdre, où la déception de ne pas le trouver aussi grand qu'il l'avait rêvé. Il faut donc supprimer en Dieu ces imperfections et ces souffrances qui accompagnent même la possession du bonheur. Dieu aime les choses en proportion de leur valeur : il s'aime donc infiniment et il aime le bien qu'il trouve dans ses couvres dans la mesure où il reflète ses propres perfections. Et comme l'amour engendre la bonté, Dieu répand ses bienfaits parmi ses créatures « bonum diffusivum sui ». C'est en le considérant sous cet aspect que saint Jean a dit de Dieu qu'il était la charité. « Deus caritas est » ( I Jean, IV, 8). Parmi les attributs moraux de Dieu, on cite parfois la sainteté, la justice et la miséricorde. Infiniment pariait, Dieu est évidemment saint, juste et miséricordieux dans une mesure infinie ; mais, en réalité, ce sont là des perfections de sa volonté plutôt que des attributs distincts. Art. III. — La Personnalité de Dieu.
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§ 1. — DIEU EST UNE PERSONNALITE DISTINCTE DU MONDE. 76. — Les attributs que nous venons d'étudier forment ce qu'on appelle la personnalité divine. Or, dire que Dieu est un être personnel c'est affirmer qu'il est une substance individuelle, distincte des créatures. Dieu est : — a) une substance, c'est-à-dire un être qui demeure, et non un mode ou un phénomène qui passe : il n'est pas un perpétuel devenir ; — b) une substance individuelle ; en d'autres termes, Dieu est capable d'agir par lui-même, et ses actes lui sont imputables, comme les effets le sont à leur cause ; — c) une substance distincte des créatures ; sinon, le monde et Dieu ne seraient plus qu'un seul et même être, comme le prétendent les panthéistes, dont nous allons parler dans le paragraphe suivant. La personnalité de Dieu découle de sa perfection infinie. Si Dieu, en effet, n'était pas un être personnel63 et distinct du monde, il ne serait pas indépendant. Or s'il n'était pas indépendant, il ne serait plus l'Être parfait. §2. — LE PANTHEISME. REFUTATION. 77. — 1° Exposé du Panthéisme. — Pour les panthéistes, Dieu n'est pas une personnalité transcendante et distincte II ne fait qu'un avec le monde : il lui est immanent64. Et voici la raison principale qu'ils invoquent pour appuyer leur thèse. Dieu, disent-ils, est l'infini. Or rien ne peut exister en dehors de l'infini. Donc le monde doit en faire partie intégrante : Dieu est tout et tout est Dieu. D'où l'origine de leur nom (du grec « pan » tout, et « theos» Dieu). 78. — FORMES DU PANTHÉISME. — Nous venons de voir le principe général du panthéisme. Tout en gardant ce fonds commun, la doctrine panthéiste a revêtu de nombreuses formes, dont les deux principales sont : le panthéisme naturaliste ou matérialiste, et le panthéisme idéaliste ou évolutionniste. — a) D'après le panthéisme naturaliste, Dieu et le monde sont deux substances incomplètes qui s'unissent comme le corps et l'âme pour former le même individu. Dans ce système, Dieu est l'âme du monde, une force inhérente à la nature, le principe de la vie. Cette doctrine se confond d'ailleurs avec le matérialisme dont nous avons parlé dans le chapitre précédent (N° 40), elle ne s'en distingue guère que par le nom de Dieu qu'elle retient, c'est, si l'on veut, un athéisme déguisé, ou, selon le mot du P. GRATRY « c'est l'athéisme, plus un mensonge». — b) Le panthéisme idéaliste de SPINOZA (1632-1677) et de HEGEL (1754-1831) est devenu très à la mode par les idées de progrès et d'évolution qui ont été introduites dans le système. Il a été popularisé en France par RENAN, TAINE et 63
Nous employons ici l'expression courante « être personnel » en tant qu'elle s'oppose au système panthéiste gui confond Dieu avec le monde. Évidemment, nous ne voulons pas entendre par là qu'il n'y aurait en Dieu qu'une seule personne. A la rigueur, l'expression « être personnel » serait avantageusement remplacée par cette autre expression « substance distincte ». 64
Ainsi le mot immanent s'oppose à transcendant. Dire de Dieu qu'il est transcendant, c'est affirmer son existence hors du monde; dire qu'il est immanent c'est l'identifier avec le monde.
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VACHEROT. Dans le panthéisme évolutionniste, Dieu s'appelle la « catégorie de l'idéal ». Ce qui revient à dire qu'il n'a de réel que le nom ; c'est un idéal qui évolue, qui se réalise un peu chaque jour, qui est en marche vers un progrès indéfini ; on ne peut donc pas dire que Dieu est, mais il se fait, il se crée de jour en jour. Le monde est ainsi l'évolution nécessaire de la substance divine. 79. — 2° Réfutation. — La doctrine panthéiste qui confond Dieu avec le monde est contredite par les principes de la raison (argument métaphysique), par le témoignage de la conscience (argument psychologique), et elle est inadmissible à cause des conséquences désastreuses qui en résultent pour la morale et la société {argument moral). a) ARGUMENT MÉTAPHYSIQUE. — Le panthéisme va contre le principe de contradiction qui dit qu'il est impossible qu'une même chose soit et ne soit pas, en même temps, et sous le même rapport : la même ligne ne peut pas être à la fois droite et oblique. Or le panthéisme, en faisant de Dieu et du monde la même substance, suppose que le nécessaire et le contingent, l'infini et le fini, l'esprit et la matière, le moi et le non-moi, le vrai et le faux, le blanc et le noir ne sont qu'une seule et même chose. Il proclame donc l'identité des contraires : ce qui est absurde. b) ARGUMENT PSYCHOLOGIQUE. — Le panthéisme contredit le témoignage de la conscience. Nous avons tous le sentiment d'être des êtres individuels, des personnes distinctes les unes des autres, et non des manières d'être, des modes de la même substance : le moi ne se confond pas avec le non-moi Au surplus, nous n'avons pas l'impression d'être des parcelles de la divinité : nos imperfections, nos misères et nos maladies nous rappellent trop bien à la réalité des choses. c) ARGUMENT MORAL. — Le panthéisme a des conséquences désastreuses pour la morale et la société. Si nous sommes des parcelles do la substance divine, de l'Etre nécessaire et parfait, il n'y a plus place ni pour la liberté, ni pour la responsabilité ; la morale s'écroule et la société est impuissante à la fonder. En effet, si tout est Dieu, tout est bien ; tout ce qui arrive est l'évolution de la substance divine. Dès lors il n'y a plus ni vertu ni vice, ni droit ni violence, ni mérite ni démérite : tout se vaut, tout est respectable et sacré, comme le reconnaissait VACHEROT lui-même : « Diviniser tout, disait-il, c'est tout justifier, tout consacrer. Quelle affreuse nécessité ! Quelle amère dérision65 ! » 80. — Objection- — Le monde, disent les panthéistes, doit faire partie intégrante de l'infini, sinon l'infini aurait des limites, ce qui est contradictoire. Réponse. — a) Notons d'abord que le panthéisme ne supprime, en aucune façon, la difficulté, car si les êtres particuliers et finis font partie de la divinité, s'ils sont des modes de la substance divine, Dieu n'est plus l'Etre infini, vu que les êtres finis sont imparfaits et contingents et dès lors ne peuvent, aussi nombreux qu'ils soient, former l'infini. — b) Mais, par ailleurs, l'objection panthéiste repose sur une conception fausse de l'infini. Il ne faut pas confondre infini avec totalité. L'infini n'est pas une collection 65
VACHEROT, Le nouveau Spiritualisme.
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infinie d'êtres, c'est la plénitude de l'être, ce n'est pas une somme, un total, mais une perfection infinie, une substance transcendante. Peu importent les perfections qui se trouvent dans les êtres, elles ne diminuent en rien la perfection de l'Etre infini, de même que la science d'un maître n'est ni augmentée ni amoindrie, au fur et à mesure que ses élèves y participent : après, comme avant, il n'y a pas plus de science, mais seulement plus de savants. La création, par conséquent, que les panthéistes considèrent comme impossible parce qu'elle aurait limité l'infini, n'a rien ajouté à la perfection de Dieu. Il y a eu, en plus, des êtres seconds, limités, imparfaits, bref, des êtres finis ; l'Etre infini est resté le même. La coexistence de l'infini et du fini n'est donc pas contradictoire, parce que les deux ne sont pas du même ordre. BIBLIOGRAPHIE. — Les mêmes auteurs qu'au chapitre précédent. CHAPITRE III. — Action de Dieu. DÉVELOPPEMENT Division du Chapitre. 81 — Après avoir établi l'existence et la nature de Dieu, nous devons rechercher quelle est son action, ou, si l'on préfère, quels sont ses rapports avec le monde. Dieu est la Cause première de tout, nous l'avons vu en démontrant son existence. Nous devons poursuivre plus loin et faire sur ce sujet une double enquête. Nous nous demanderons : 1° Comment Dieu, qui est le seul Etre nécessaire, a produit le monde, s'il l'a créé, ou s'il l'a tiré de sa substance, et 2° comment il le gouverne. D'où deux articles. Art. I. — De la Création. Cet article se subdivisera en trois paragraphes : 1° Origine du monde. 2° Origine de la vie. 3° Origine des espèces. §1. ORIGINE DU MONDE. 82. — 1° Erreurs sur ce point- — On ne peut expliquer l'origine du monde que de trois manières : — a) Ou bien l'on peut dire que la matière est éternelle, nécessaire, indépendante comme Dieu qui n'en serait alors que l'organisateur : c'est la réponse du dualisme. — b) Ou bien le monde est une émanation de la substance divine, Dieu l'aurait tiré de sa propre substance : c'est la réponse du panthéisme. Une forme de panthéisme, plus à la mode de nos jours, le panthéisme évolutionniste (N° 78), dit plutôt que Dieu, c'est le monde qui évolue. — c) Ou bien le monde a été produit de rien par la toute-puissance de Dieu, il a été créé : c'est la réponse des théistes. Seule, la dernière réponse est acceptable. Les deux premières constituent des erreurs. — a) Le dualisme, qui fait de la matière un être nécessaire et indépendant, suppose par le fait qu'il y a deux dieux. Or nous avons vu (N° 70) que, Dieu étant l'être infini, il ne saurait exister, à côté de lui, un autre être indépendant, puisque ce dernier limiterait sa
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puissance66 (1). — b) Le panthéisme a été également réfuté dans la leçon précédente (N° 79). La théorie de l'émanation est, du reste, une hypothèse contradictoire. Comment expliquer qu'une substance, qui tirerait son origine de l'infini, n'aurait plus les attributs de la substance d'où elle émane ? Comment la substance nécessaire et infinie deviendrait-elle contingente et finie ? II faudrait donc supposer qu'une partie de la substance divine perdrait ses propriétés en se détachant de la substance commune : ce qui est contradictoire dans un être immuable et simple. 83. — 2° La Création. — A. DÉFINITION. — créer c'est tirer du néant. La création du. monde, c'est donc Dieu qui tire le monde du néant, et non de sa substance, ni d'aucune matière préexistante. B. POSSIBILITÉ. — Mais la création est-elle possible? On objecte que du néant il ne sort rien. « Ex nihilo nihil fit». Et cela est juste si l'on entend par là que le néant ne peut être une cause, que, n'existant pas, il ne peut rien produire ; cola est encore vrai si l'on suppose un néant absolu et que Dieu n'existe pas ; mais cola est faux si l'on prétend que là où il n'y avait rien, il n'est pas possible que quelque chose soit67. Il n'y a dans ce fait ni contradiction ni impossibilité. D'ailleurs le concept de création peut trouver des analogies parmi les causes secondes. Si aucune substance créée n'a le pouvoir de créer d'autres substances, elle peut cependant donner naissance à des accidents nouveaux ou produire de nouvelles substances. C'est ainsi que notre esprit produit nos pensées ; notre volonté, nos volitions. Par la synthèse et l'analyse le chimiste produit de nouvelles substances (ex : l'eau avec l'oxygène et l'hydrogène). Il ne faut donc pas refuser à Dieu, dont la puissance est infinie, ce que l'homme peut faire dans une certaine mesure. C. NÉCESSITÉ. — La création est non seulement possible, mais elle est nécessaire. Nous avons vu en effet que les systèmes, dualiste et panthéiste, étaient inadmissibles. La création est donc la seule explication valable de l'origine du monde68. Mais si le fait de la création peut être affirmé avec certitude, le problème se complique quand il s'agit d'en déterminer le mode. Comment le monde a-t-il été formé ? Nous renvoyons, pour les réponses que la Foi et la Science font à cette question, à notre Doctrine catholique (Nos 55-57). 66
Mentionnons aussi le dualisme manichéen, d'après lequel il y aurait deux principes : un principe bon, source de tout bien, qui est l'esprit, et un principe mauvais source de tout mal, qui est la nature. Le bien et le mal que nous constatons dans le monde s'expliqueraient par une lutte éternelle entre ces deux principes. 67
Il est facile après cela de saisir le sens exact de l'expression « tirer du néant ». Le néant et l'objet créé n'ont pas ici les rapports de cause à effet ; pas davantage, ils ne sont les deux termes d'une évolution. La relation qui existe entre les deux est une relation purement mentale. Tirei du néant marque donc le passage du non-être à l'être, sans qu'il y ait entre le premier et le second d'autre relation que celle de deux moments différents. 68
Nous pourrions faire remarquer ici que la science ne peut rien opposer au dogme de la création. La création, en effet, est en dehors du champ d'observation de la science, et elle ne présente rien de contraire aux faits constatés par la science.
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§ 2. — ORIGINE DE LA VIE. 84. — Les êtres vivants n'ont pas toujours existé sur la terre: tous les savants sont unanimes à le reconnaître. L’hypothèse de Laplace qui explique la formation du monde, suppose que la terre a passé par une période d'incandescence incompatible avec la vie. Mais si la vie n'a pas toujours existé, comment a-t-elle commencé ? I1 n'y a sur ce point que deux hypothèses possibles : il y a eu création ou génération spontanée69. 85. — 1° Création. — Selon cette hypothèse, les premiers êtres vivants ont été créés par Dieu. Toutefois, cette création a pu se faire de deux façons. — a) Ou bien Dieu, par un acte de sa toute-puissance, a fait apparaître les premiers êtres vivants lorsque les conditions nécessaires à la vie furent réalisées sur la terre : il y aurait eu, dans ce cas, création directe. — b) Ou bien Dieu a déposé, à l'origine, au sein de la matière, soit des germes, soit des forces capables de produire les premiers organismes, au moment propice à leur éclosion : dans ce second cas, il y aurait eu création indirecte. La supposition de germes, créés par Dieu en même temps que la matière, est du reste peu vraisemblable, car il serait difficile d'expliquer, dans cette hypothèse, comment ces germes auraient pu résister aux températures extrêmement élevées que la terre a connues dans sa période d'incandescence 86. — 2° Génération spontanée. — On appelle génération spontanée ou hétérogénie (du grec, heteros, autre et genos, race) la naissance d'un être vivant, sans germes préexistants, et par le simple jeu des activités physico-chimiques de la matière. Autrement dit, le premier être vivant serait sorti de la matière ; le minéral aurait produit le végétal, le corps brut aurait donné naissance à un être doué de vie. Que, penser de cette hypothèse? Que vaut-elle au point de vue scientifique? Et quelle importance aurait-elle au point de vue philosophique, si elle était vérifiée ? A. — AU POINT DE VUE SCIENTIFIQUE, l'hypothèse de la génération spontanée est loin d'être nouvelle. Elle remonte, au contraire, à la plus haute antiquité. ARISTOTE croyait que le monde était plein d'âmes et de vies, qu'il portait en lui les semences des êtres. On connaît le passage des Géorgiques (liv. IV) où VIRGILE décrit la naissance d'un essaim d'abeilles qui sort des flancs d'un taureau mort. D'après LUCRECE (De rerum natura, liv. V, v. 794-795), « l'on voit sortir de terre des animaux qui sont produits par la pluie et par les chaudes vapeurs du soleil ». OVIDE (Métamorphoses, I, 416-438) fait sortir les animaux du dépôt limoneux laissé par le déluge. VAN HELMONT, au XVIe siècle, enseignait encore le moyen de produire spontanément des souris ; d'autres auteurs donnaient des recettes pour les grenouilles et les anguilles. L'hypothèse de l'hétérogénie resta en vogue jusqu'au XVIIIe siècle, mais il convient 69
II n'y a pas lieu, en effet, d'envisager une troisième hypothèse comme celle du panspermisme interastral, d'après laquelle la terre aurait été ensemencée par des germes tombés des espaces interplanétaires, au moment où elle commença à se refroidir. Une semblable réponse ne ferait que reculer la difficulté, car il faudrait toujours dire comment ces germes se trouvaient dans les autres astres et quelle en était l'origine.
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d'ajouter de suite qu'elle n'était pas exploitée, du moins d'une manière générale, dans un sens athée ; et la preuve en est que des Pères de l'Église comme saint AUGUSTIN, et plus tard, des scolastiques comme ALBERT LE GRAND et saint THOMAS, pensaient que tous les êtres vivants avaient été créés, en puissance et dans leurs germes, au premier instant de la Création, et que la matière avait reçu de Dieu le pouvoir de s'organiser sous l'action de forces terrestres ou d'influences astrales. Entendue dans ce sens, la génération spontanée était donc une création indirecte. C'est seulement vers le milieu du XIXe siècle, que l'hypothèse de la génération spontanée prit un autre aspect. Elle fut considérée désormais par l'école matérialiste ou moniste (VOGT, BUCHNER, HAECKEL) comme le seul moyen de se passer de Dieu. Si l'on pose, en effet, comme principe, que la matière est éternelle, qu'elle est douée de force et capable de produire la vie, et que les premiers être vivants purent se développer et s'organiser peu à peu en espèces, si, selon la formule d'HAECKEL, « depuis la chute d'une pierre jusqu'à la pensée de l'homme tout se réduit dans l'univers à du mouvement dans les atomes », il sera permis de dire, avec KARL VOGT, que « Dieu est une borne qui recule à mesure que la science avance ». Le premier problème que les adversaires de Dieu avaient donc à résoudre, c'était de prouver que la vie peut sortir de la matière. A maintes reprises, les hétérogénistes crurent qu'ils tenaient la solution. Mais les expériences de Pasteur ( 1859-1865) renversèrent leurs espérances. Un savant de marque, POUCHET, avait prétendu qu'il n'y a pas de germes dans l'air et qu'il avait obtenu la génération spontanée d'infusoires dans une matière putrescible. PASTEUR démontra au contraire par une triple expérience : — 1. que l'air contient en suspens des corpuscules organisés semblables à des germes ; — 2. que, si l'on prend soin d'éliminer ces germes, on n'obtient jamais de production d'infusoires ; — 3. qu'on peut obtenir ou supprimer les productions d'infusoires selon qu'on introduit ou qu'on supprime les germes obtenus par la première méthode. Devant les conclusions de PASTEUR, les partisans de la génération spontanée ne s'avouèrent pas cependant vaincus. Changeant de tactique, ils objectèrent que les êtres unicellulaires, que nous révèle le microscope, ne représentent pas la première ébauche de la vie, qu'ils sont déjà l'aboutissement d'une longue période d'évolution et de perfectionnement, que la vie est apparue à l'origine sous la forme d'organismes beaucoup plus rudimentaires que les microbes, et que les premiers êtres vivants étaient intermédiaires entre ces derniers et les molécules chimiques. En 1868, on crut avoir découvert la fameuse monère70 primitive. On, avait retiré du fond de la mer une
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La monère est, dans la théorie moniste, le plus simple organisme que nous puissions connaître, une parcelle de protoplasme sans noyau. — La cellule, elle, se compose du noyau, au centre, et autour du noyau, du protoplasme, formé d'un ensemble de filaments plongeant dans un liquide assez dense ; c'est déjà un organisme plus compliqué, puisqu'il contient un noyau. — Au-dessus des organismes unicellulaires (composés d'une seule cellule) tels que les microbes, il y a les organismes pluricellulaires, composés d'un nombre incalculable de cellules. Et dans un organisme pluricellulaire, il y a différentes sortes de cellules. Le groupement des cellules semblables entre elles forme le tissu : tissu nerveux, tissu musculaire, etc.
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matière gélatineuse semblable à un informe protoplasme71. HAECKEL pensa que l'on se trouvait en présence d'un type élémentaire d'être vivant sorti de la matière inerte. HUXLEY le baptisa alors du nom de Bathybius (c'est-à-dire qui vit dans les profondeurs). Cependant le bonheur du camp matérialiste fut éphémère, car la critique scientifique ne tarda pas à montrer que le Bathybius n'était pas un vrai protoplasme doué de vie, mais « un amas de mucosités que les éponges et certains zoophytes laissent échapper quand leurs tissus sont froissés par le contact des engins de pêche» (MILNE-EDWARDS). AU surplus, en admettant que le Bathybius eût été une monère douée de toutes les propriétés vitales, il aurait encore fallu prouver qu'il était le résultat de la génération spontanée. Mais, se dirent alors les matérialistes, si la nature nous refuse des exemples, de génération spontanée, pourquoi n'essaierions-nous pas de produire chimiquement des organismes élémentaires tels que la monère ? La science a établi que la matière de l'être vivant ne lui est pas spéciale, que tout être vivant se compose en grande partie d'hydrogène, d'oxygène, d'azote, de carbone et, en petite proportion, de phosphore, de fer, de soufre, etc. Par ailleurs, BERTHELOT est arrivé â reconstruire artificiellement les sucres, les éthers, les alcools, reliant ainsi la chimie organique à la chimie minérale. Mais si la matière vivante est réductible à la matière inorganique, pourquoi ne pourrait-on pas, par de simples procédés de laboratoire, créer des matières que l'on considérait autrefois comme l'œuvre de la force vitale ? Les forces physico-chimiques ne sont-elles pas suffisantes à rendre compte de la vie végétative t Des tentatives furent faites dans ce sens. Il y eut surtout, dans ces derniers temps, deux expériences qui firent grand bruit et qui aboutirent d'ailleurs à un piteux échec. Nous les rappellerons brièvement. a) Les radiobes de Burke. — En 1905, un jeune physicien anglais, J. BURKE, crut qu'il avait réussi à produire, par le radium, des organismes tout à fait primitifs qu'il appela radiobes, c'est-à-dire vivants par la toute-puissante vertu du radium. Voici comment il fit ses expériences. Il prit trois ballons dans lesquels il introduisit un bouillon de culture, c'est-à-dire un mélange de substances organiques destinées à servir au développement des microbes. Après avoir soigneusement stérilisé ce bouillon de culture, il introduisit du bromure de radium dans le premier ballon, du chlorure de radium dans le second et rien dans le troisième qui devait être le ballon témoin. Après quelques jours, Burke constata que les deux premiers ballons dans lesquels il avait mis un composé de radium, présentaient à la surface de leur bouillon un recouvrement qui avait toutes les apparences d'une culture de microbes, tandis que rien n'apparaissait dans le ballon témoin. Ces fruits du radium, ou radiobes, étaient, aux yeux de Burke, les microorganismes, tels qu'ils durent apparaître à l'origine. Mais, quelque temps après, Burke fut obligé de reconnaître qu'il s'était trompé, qu'il avait pris pour des vivants des apparences de vivants et que ses radiobes n'étaient que des bulles gazeuses formées par la décomposition de l'eau de la gélatine sous l'influence du radium. b) Vers la fin de 1906, un professeur à l'École de médecine de Nantes, M. STEPHANE LEDUC, communiqua à l'Académie des Sciences la découverte qu'il venait de faire de « 71
Le protoplasme (de deux mots grec prôtos, premier, et plassein, former) désigne, selon l'étymologie du mot, l'organisme primitif, la première forme d'être vivant.
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cellules artificielles réalisant la plupart des fonctions de la vie ». L'expérience consistait à semer des granules de sulfate de cuivre sur une gélatine formée de ferrocyanure de potassium, de sucre, de sel et d'eau. Bientôt les granules se gonflaient comme des graines et se développaient comme des plantes. M. Leduc concluait qu'il avait ainsi réalisé la vie sans germes. Conclusion encore prématurée, car on lui démontra bientôt que ce qui s'était produit sous ses yeux, ce n'était nullement la génération spontanée d'un être vivant, et qu'on se trouvait en présence d'un cas du phénomène connu en physique sous le nom d'osmose. Quand deux liquides sont séparés par une membrane ou une cloison poreuse, l'un d'eux peut se transporter vers l'autre et l'augmenter indéfiniment, ce qui donne à ce dernier l'apparence de grossir et de croître comme la pousse d'une végétation. M. Leduc n'avait donc produit qu'une contrefaçon de la vie, « un calembour de la vie » comme l'appelèrent d'Arsonval et Bonnier, membres de l'Institut. La science expérimentale en est toujours là. Les expériences de Pasteur restent intactes : l'être vivant vient d'un autre être vivant. Si les laboratoires ont été impuissants à créer la vie, c'est qu'entre la matière inorganique et la matière vivante, il y a apparemment une barrière infranchissable. Le principe vital dépasse les forces de la matière ; en d'autres termes, la vie ne peut être le produit de la matière. Jusqu'à preuve du contraire, nous avons donc le droit dé conclure que la vie a dû être créée en dehors des forces de la nature. B. AU POINT DE VUE PHILOSOPHIQUE, que devons-nous penser de la génération spontanée ? Dans l'état actuel de la science, toutes les expériences ont démontré qu'elle n'existe pas. Avons-nous le droit d'en conclure qu'elle n'a jamais existé et qu'elle n'est pas possible , ? Ces deux conclusions seraient téméraires. Car, si nous prétendons qu'eue n'a jamais existé parce qu'autrement elle existerait encore, vu que les lois de la nature sont immuables et que la matière n'a pas dû perdre sa puissance, on pourra nous répondre que les conditions voulues font défaut pour le moment et qu'il n'en a pas été ainsi par le passé. Et si nous estimons qu'elle n'est pas possible parce que nos adversaires sont incapables d'en faire la preuve, on pourra nous répondre que la création est également impossible, puisque nous ne sommes pas non plus en état d'en apporter des exemples72. Les apologistes catholiques n'ont donc pas à prendre parti dans le débat. Ils affirment seulement que, si la vie a commencé par génération spontanée, c'est que Dieu avait doué la matière de forces capables de produire la vie. Directement ou indirectement, il faut toujours recourir à la création. Ainsi nous pouvons conclure, avec le matérialiste VIECHOW, que la création spontanée « ce ne sont pas les théologiens qui la repoussent, ce sont les savants ».
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A vrai dire ni l'une ni l'autre des deux thèses, ni celle qui affirme ni celle gui nie la possibilité de jamais produire chimiquement un organisme élémentaire, ne peut Invoquer l'autorité de l'expérience. Elles sont toutes deux invérifiables, la première parce que la science n'a pas encore avancé d'un pas vers la synthèse chimique d'une substance vivante, la seconde parce qu'il n'existe aucun moyen concevable de prouver expérimentalement l'impossibilité d'un fait. » (H. BERGSON, L'évolution créatrice.)
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§ 3. — ORIGINE DES ESPECES. FIXISME OU ÉVOLUTIONNISME. 87. — Quelle que soit l'origine de la vie, elle nous apparaît actuellement sous beaucoup de formes qui vont des plus simples aux plus compliquées. Si nous considérons les deux grands règnes, végétal et animal, dans lesquels on classe tous les êtres vivants, nous constatons que, depuis l'algue unicellulaire jusqu'au chêne, et depuis l'infusoire jusqu'au mammifère, il y a de multiples variétés, de nombreuses espèces, dont les ressemblances et les divergences sont en proportion de la distance qui les sépare. D'où viennent ces espèces? Ont-elles été créées par Dieu, par autant d'actes créateurs qu'il y a d'espèces ? Ont-elles, au contraire, une origine commune et sortentelles d'un même tronc, d'un même protoplasme qui aurait évolué peu à peu? Telles sont les deux hypothèses que comporte l'origine des espèces. Elles s'appellent : 1° le fixisme, et 2° l’évolutionnisme. 88. — 1° Fixisme. — Dans l'hypothèse fixiste, les espèces ont été créées par Dieu, telles que nous les voyons. Ou tout au moins, elles proviennent de germes créés directement par Dieu, en aussi grand nombre qu'il y a d'espèces différentes, et qui auraient éclos lorsqu'ils auraient été dans les conditions voulues. Quelle que soit, du reste, la manière dont elles ont été créées, les espèces ont pour caractéristique d'être fixes, de ne pouvoir subir aucune modification essentielle, et partant, d'être inaptes à produire de nouvelles espèces par voie d'évolution. Cette hypothèse que, pour cette raison, on appelle fixisme, a eu pour partisans la plupart des anciens apologistes, et des naturalistes de première valeur : CUVIER, DE QUATREFAGES, FLOUKENS, AGASSIZ, FAIVRE, HÉBERT, BLANOCHIARD, DE NADAILLAC, etc. Nous verrons plus loin les arguments qu'elle oppose à l'évolutionnisme. 89. — 2° Évolutionnisme. — Considéré à un point de vue général, l'évolutionnisme est un vaste système qui explique l'origine des choses par l’évolution. Suivant cette théorie, tout ici-bas évolue : matière, vie, pensée. L'évolution de la matière a fait passer celle-ci de l'état de masse confuse, chaotique, à l'état de monde organisé et habitable (théorie de Lapidée). L'évolution de la vie a donné naissance aux espèces, et l'évolution de la pensée explique tous les progrès que les hommes ont faits dans le domaine des lettres, des sciences et des arts73. 90. — Transformisme. — Appliqué aux espèces, l'évolutionnisme porte le nom de transformisme: Comme le mot l'indique, le transformisme enseigne que les espèces sont issues les unes des autres par une série de transformations successives, qu'elles ont une descendance commune et sont ainsi comme les rameaux d'un grand arbre. 73
L’évolution, n'est du reste pas une idée nouvelle ; nous la trouvons déjà chez les philosophes grecs (École d’Ionie, Stoïciens, Alexandrins), chez certains Pères de l'Eglise (saint GREGOIRE DE NYSSE, saint HILAIRE, saint AMBROISE, saint AUGUSTIN), chez les scolastiques (ALBERT LE GRAND, saint THOMAS). Chez les modernes, BACON, PASCAL, LEIBNIZ sont plus ou moins évolutionnistes ; TURGOT et CONDORCET défendent l'idée de progrès, voisine de celle d'évolution. H. SPENCER a fait de l'évolutionnisme une vaste synthèse où l'évolution est regardée comme la loi générale qui régit le monde.
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Mai» comment ces transformations se sont-elles opérées? Le problème est résolu différemment par les deux systèmes qui s'appellent le lamarckisme et le darwinisme.74. 91. — A. LE LAMARCKISME. — D'après LAMARCK (1744-1829) qui peut être regardé comme le père du transformisme, trois facteurs expliquent le passage d'une espèce à l'autre : le milieu, l'hérédité et le temps. Le milieu, et il faut entendre par là le climat, la lumière, la température, la nourriture, etc., est le facteur principal. Le milieu force l'organisme à s'adapter aux conditions qui lui sont faites, il crée donc de nouveaux besoins, et les besoins créent les organes, lesquels se transmettent par l'hérédité. Toutefois, les transformations ne se faisant que lentement et progressivement, le temps est un facteur indispensable. 92. — B. LE DARWINISME. — D'après DARWIN (1809-1882), un autre facteur plus important explique le fait des transformations. Ce facteur c'est la sélection naturelle. Puisque l'homme peut bien améliorer les espèces, végétales ou animales, par la sélection artificielle, pourquoi la nature, se dit DARWIN, ne serait-elle pas capable d'en faire autant ? Partant de cette idée, le naturaliste anglais avait à rechercher la raison d'être de la sélection naturelle. Il crut la trouver dans le fait de la concurrence vitale. La nature produisant dans les mêmes milieux plus d'individus qu'elle n'en peut nourrir, il s'établit entre eux une lutte pour la vie (struggle for life), dans laquelle les plus faibles succombent. Seuls les plus forts survivent et transmettent leurs qualités à leurs descendants.75 Ainsi, Darwin ajoute à l'influence du milieu et à l'hérédité la sélection naturelle76, c'est-à-dire la survivance du plus fort dans la lutte pour la vie. 93. — Arguments des transformistes. — Que les espèces ne sont pas fixes et n'ont pas été créées telles qu'elles sont, qu'elles ont une descendance commune, qu'elles proviennent, sinon du même ancêtre, tout au moins d'un nombre d'ascendants très restreint, les évolutionnistes prétendent pouvoir en faire la preuve scientifique par la double étude du passé et du présent. A. L'HISTOIRE DU PASSÉ est, à vrai dire, l'argument le plus décisif en faveur de leur thèse, vu que l'un des facteurs essentiels de l'évolution des espèces, c'est le temps. D'après les transformistes, les paléontologistes, en étudiant les fossiles77 retrouvés dans 74
Il ne faut pas confondre, en effet, le transformisme qui est la théorie générale affirmant la transformation des espèces, avec les systèmes particuliers : le lamarckisme ou système de LAMARCK, le darwinisme ou système de DARWIN, qui prétendent expliquer comment l'évolution a eu lieu, et indiquer les causes qui ont déterminé les transformations. 75
D'après le darwinisme, les survivants transmettent à leurs descendants leurs caractères acquis ; d’après le néo-darwinisme (WEISSMANN) ils transmettent seulement leurs caractères innés. 76
La sélection (seligere, choisir) naturelle, c'est donc la nature qui, pour améliorer les espèces, semble imiter les éleveurs qui choisissent pour la reproduction les animaux les mieux constitués. 77
Les fossiles (latin fossilis, extrait de la terre) sont les restes, maintenant pétrifiés, des plantes et des animaux que l'on retrouve dans les couches géologiques Ces débris sont donc comme les témoins des différentes phases de la terre et nous permettent de reconstruire les étapes de son passé
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les couches de la terre, ont constaté : 1) qu'il y a une grande différence entre les espèces actuelles et les espèces anciennes, que ces dernières ont subi, dans le cours des temps, de nombreuses modifications, attestant par là qu'elles ne sont pas fixes et n'ont pas été créées telles qu'elles sont actuellement ; 2) que les espèces ont apparu les unes après les autres, que leur nombre augmente au fur et à mesure qu'on remonte les terrains. Cette apparition successive des espèces, leur nombre toujours croissant, indiquent bien qu'elles descendent les unes des autres ; autrement il faudrait supposer que Dieu retouche sans cesse son œuvre, changeant les espèces anciennes, leur ajoutant des traits insignifiants pour en faire des espèces nouvelles. B. POUR LE PRÉSENT, les évolutionnistes font appel surtout aux données de deux sciences : l’anatomie et la biologie. — a) En anatomie, disent-ils, nous voyons qu'il y a similitude entre les organes et les os des différentes espèces : ainsi, la patte d'un lion, celle d'une tortue, la nageoire d'une baleine, l'aile d'une chauve-souris et le bras d'un homme comportent les mêmes os semblablement disposés et ne différant que par leurs dimensions relatives ; or, une telle similitude n'est-elle pas la preuve évidente d'une descendance commune? — b) De son côté, la biologie peut, de nos jours encore, nous montrer des êtres en voie d'évolution, de vraies créations d'espèces par la culture Les évolutionnistes allèguent encore que deux faits sont inexplicables dans l'hypothèse fixiste : — 1. la présence, chez un grand nombre d'animaux, d'organes rudimentaires si peu développés qu'ils sont impropres à tout usage : tels sont, par exemple, les dents fœtales de la baleine, les ailes de l'autruche qui ne lui servent pas à voler, les lobes des poumons chez les serpents, etc. Dans la théorie fixiste, il faut dire que Dieu a fait œuvre inutile en créant des tronçons d'organes. Les évolutionnistes y. voient, au contraire, une preuve de la descendance commune : ces organes atrophiés par suite du manque d'usage, rappellent l'ancêtre commun et sont comme sa signature ; — 2. L'histoire du développement individuel que nous révèle l'embryologie. D'après HAECKEL et l'école transformiste, ['ontogenèse (développement de l'individu) serait la reproduction à grands traits de la phylogénèse (développement de l'espèce) ; en d'autres termes, chaque individu répéterait brièvement, au cours de sa formation, les phases par lesquelles a dû passer son espèce. Les transformistes objectent aux fixistes que le passage d'un être par des formes inférieures à son espèce, est incompréhensible dans leur hypothèse, tandis que pouf eux, la chose paraît toute simple, l'évolution individuelle étant comme la reproduction abrégée de l'évolution de l'espèce 94. Arguments des fixistes. —Les fixistes pensent, au contraire, que la théorie des évolutionnistes n'a aucune base scientifique, ni dans le passé, ni dans le présent, et que les transformations invoquées par eux n'ont jamais été assez grandes pour former des espèces nouvelles, qu'elles n'ont abouti qu'à constituer des races parmi les espèces. A. L'Histoire DU PASSÉ, loin d'appuyer la thèse transformiste, l'infirme. Non seulement les paléontologistes ont été, jusqu'ici, incapables de retrouver les formes de transition, et pour la bonne raison que ces formes n'existent pas, mais ils ont dû reconnaître que souvent, dans les terrains géologiques, de nouvelles espèces apparaissent brusquement et sans formes transitoires. Le savant DEPERET a montré en systématique (science qui traite de la classification des êtres) que les séries des mammifères fossiles se présentaient comme des rameaux parallèles, absolument
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séparés les uns des autres, sans lien qui puisse les rattacher à leur base, ce qui ne permet pas de leur attribuer un ancêtre commun. D'autre part, les paléontologistes n'ont pas tardé à s'apercevoir que l'évolution réelle qu'ils ont pu établir d'après les pièces qu'ils avaient recueillies, ne s'était pas effectuée suivant la théorie transformiste, c'est-à-dire du simple au compliqué. La fameuse sélection naturelle, invoquée par DARWIN, est contredite par les faits : plus d'une fois, les animaux les plus faibles ont survécu, tandis que les plus forts ont disparu (ex. : les reptiles géants des couches secondaires). B. POUR LE PRÉSENT, ni l’anatomie, ni la biologie, n'apportent d'arguments sérieux en faveur du transformisme. — a) En anatomie, la conclusion tirée de la ressemblance entre les organes des différentes espèces, dérive d'une vue superficielle des choses. D'après l'éminent professeur d'histologie de Montpellier, M. VIALLETON, qui en a fait la démonstration dans un récent ouvrage très remarqué (Membres et ceintures des vertébrés tétrapodes, critique morphologique du transformisme), si l'on examine attentivement chaque os, on voit qu'il revêt dans chaque cas une structure particulière, qu'il a sa nature propre, adaptée à ses conditions d'existence et qu'en fait, les organismes, une fois formés, sont comme des systèmes clos ne comportant pas de modification profonde, ce qui est une preuve manifeste que les passages d'une espèce à l’autre sont impossibles. — b) En biologie, les fixistes croient trouver leur meilleur argument dans le fait de l'infécondité qui existe entre les espèces; même les plus voisines. Est-il compréhensible que les espèces qui, d'après les transformistes, doivent être douées de la plus grande plasticité ou aptitude à évoluer, soient ainsi frappées de stérilité quand on les rapproche, ou n'aient qu'une fécondité extrêmement limitée? L'on est donc en droit de conclure, disent les fixistes, que les espèces sont permanentes, qu'elles constituent des essences différentes qui répugnent à se mélanger entre elles, puisque les efforts qu'on tente pour les transformer ne sont pas couronnés de succès. La permanence des formes organiques à travers de longues périodes est d'ailleurs attestée par l'histoire. C'est ainsi qu'on peut constater que des espèces décrites par ARISTOTE n'ont pas varié depuis plus de vingt siècles et .qu'un grand nombre d'espèces actuelles sont absolument semblables à celles qu'on retrouve dans les terrains tertiaires78. 1. Les organes rudimentaires ne prouvent pas plus en faveur de la thèse transformiste que contre. « L'apparence morphologique, dit le professeur RABAUD (Rev. générale des Sciences, 1923) ne suffit pas pour nous permettre de dire si des parties que nous tenons pour rudimentaires, n'ont d'autre raison d'être qu'un état ancestral ». — 2. L'argument tiré du développement individuel n'a pas plus de valeur. « En réalité, écrit le professeur BRACHET de Bruxelles (Rev. gén. des Sc. 1915), pourtant transformiste convaincu, l'ontogenèse n'est jamais une récapitulation de la phylogenèse. » Et ailleurs
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En se plaçant sur un autre terrain, et en ne considérant que le point de vue philosophique, les fixistes peuvent encore objecter aux évolutionnistes que dans le moins il n'y a pas le plus, en d'autres termes, qu'on ne donne pas ce qu'on n'a pas, que par conséquent l'évolution peut développer les qualités, mais non en créer de nouvelles et que dès lors une espèce n'a pas par elle-même de quoi produire une espèce supérieure
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: « On a fait de l'embryologie historique un très mauvais usage... Il est bien démontré qu'elle est incapable d'atteindre le but que ses fondateurs lui avaient assigné ». 95. Conclusion. — 1. A notre époque, dans tous les pays, en France, en Belgique, en Italie, en Allemagne, aux Etats-Unis, etc., on s'accorde à proclamer que le transformisme passe par une crise grave et que sa prétention de vouloir expliquer la formation des espèces par l'évolution lente et graduelle d'un seul ou d'un nombre très restreint de types, ne repose sur aucun fondement solide. 2. Remarquons, par ailleurs, que seuls sont condamnés par l'Eglise les évolutionnistes matérialistes, c'est-à-dire ceux qui se servent de l'évolution comme d'une machine de guerre contre la religion, ceux qui, pour supprimer Dieu, se font fort de tout expliquer par cette triple formule : éternité de la matière (V. N° 40), génération spontanée sans intervention surnaturelle (N° 86), formation des espèces par les lois de l'évolution. Il n'en est pas de même des évolutionnistes spiritualistes. Ces derniers observent, en effet, à juste titre, que le fixisme n'est nullement un dogme de la religion catholique, et qu'on peut être à la fois évolutionniste et créationniste. Pourvu qu'on suppose Dieu à l'origine du monde, à l'origine de la vie et à l'origine de l'âme humaine, la formation des espèces par suite d'un développement dont le Créateur aurait posé lés lois, n'est pas moins glorieuse pour Dieu. Elle l'est même plus, puisque l'évolution est une merveille d'ordre et d'harmonie, tandis que l'hypothèse de créations successives semble rabaisser le Créateur, en le montrant sous les traits d'un artiste maladroit, qui retouche son œuvre à mesure qu'il en aperçoit les défauts79. Au surplus, nous avons vu que l'évolutionnisme en général (N° 89), que le transformisme en particulier et même la génération spontanée (N° 86) avaient déjà des partisans parmi les Pères de l'Église et les théologiens scolastiques. Art. II. — De la Providence. § 1. — LA PROVIDENCE. NOTION. EXISTENCE. MODE. 96. — 1° Notion. — La Providence (lat. providere, prévoir et pourvoir) c'est l'action par laquelle Dieu conserve et gouverne le monde qu'il a créé, dirigeant tous les êtres à la fin qu'il s'est proposée dans sa sagesse. 97.— 2° Existence.—A. Adversaires.—La Providence a été niée: — a) par Aristote qui n'admet pas que l'Etre parfait puisse sans déchoir s'occuper des êtres imparfaits ; — b) par les fatalistes (latin, fatum, destin), qui regardent le monde comme soumis à un Destin inexorable qui aurait réglé irrévocablement la suite des événements sans laisser de place à la liberté (voir N° 114) ; — c) par les déistes et les rationalistes80 qui 79
Pour expliquer la disparition de certaines espèces et l'apparition postérieure d'autres espèces, les fixistes sont en effet obligés de dire que les espèces disparues par suite de bouleversement dans l'écorce terrestre, ou de toute autre cause, ont été ensuite remplacées par de nouvelles créations, à moins toutefois qu'ils n'admettent qu'il y ait eu a l'origine des germes de toutes les espèces. 80
On appelle déiste celui qui admet l'existence de Dieu et de la religion naturelle mais ne reconnaît ni révélation ni Providence. — Le rationaliste rejette également la révélation et prétend n'admettre que les vérités démontrées par la raison
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soutiennent que le monde, une fois créé, se conserve de lui-même par ses propres lois et indépendamment de Dieu ; — d) par les pessimistes, qui prétendent que tout est mal dans le monde. B. PREUVES. — a) A priori. — L'existence de la Providence découle de la nature des êtres créés et des attributs de Dieu ; — 1. de la nature des êtres créés. A quelque moment qu'on les considère, les créatures sont contingentes : n'ayant jamais en soi leur raison d'être, elles restent dépendantes de leur Créateur. Il faut donc que celui qui les a créées, veuille bien les maintenir dans l'existence ; — 2. des attributs de Dieu, et en particulier de sa sagesse qui, après avoir créé le monde, doit le conserver dans l'ordre, de sa puissance qui peut exécuter tous les plans que sa sagesse a conçus, et de sa bonté qui serait on défaut s'il se désintéressait de ses créatures. b) A posteriori. — L'existence de la Providence nous est révélée par l'ordre qui règne dans le monde. — 1. Ordre physique. L'ordre et l'harmonie que nous constatons partout, nous prouvent que la cause intelligente qui a créé et organisé le monde, continue de le conserver et de le diriger. — 2. Ordre moral. Non seulement Dieu gouverne le monde physique, mais il règle la volonté de l'homme en lui faisant connaître la loi morale par la voix de la conscience. — 3. Ordre social. L'histoire de l'humanité nous atteste l'action providentielle. Malgré les passions et les égoïsmes qui font et défont les empires, les sociétés n'en suivent pas moins une loi de progrès dans tous les domaines : progrès matériel et économique, progrès scientifique, progrès moral. Or ce fait s'expliquerait difficilement s'il n' y avait pas intervention d'une intelligence supérieure qui coordonne les efforts, tire le bien du mal et poursuit la réalisation de son plan. c) Consentement universel. — Dans tous les temps, les peuples ont cru à la Providence. Les prières et les sacrifices, en usage dans tous les pays en sont une preuve évidente : ces appels à la divinité, ces actes de dépendance et de soumission pour obtenir les faveurs et écarter les maux, n'auraient pas, de sens sans la foi à un être souverain qui peut intervenir dans la marche des événements. 98. — 3° Mode. — La Providence existe ; mais comment gouverne-t-elle le monde ? Quel est l’objet et le mode du gouvernement divin ? a) SON OBJET. — Celui-ci comprend l'ensemble des êtres et chaque être en particulier. Il y a donc une Providence générale qui veille à l'harmonie de l'univers et une providence spéciale qui s'occupe de chaque être en particulier, depuis le plus grand jusqu'au plus petit. Que l'homme soit parmi les créatures, l'objet d'une sollicitude plus vigilante, parce qu'il est un être moral et appelé à une plus haute destinée, c'est ce qu'il serait aisé de démontrer par l'histoire et ce qui apparaîtra quand nous étudierons la révélation chrétienne. (Voir BOSSUET, Discours sur l’Histoire universelle.) b) SON MODE. — Quant à la manière dont gouverne la Providence, nous pouvons dire que son action s'exerce de double façon : par l'établissement de lois générales et par des interventions particulières. — 1. Par des lois générales : lois physiques selon lesquelles les mêmes causes secondes amènent les mêmes effets avec cette régularité
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inflexible qui fait l'ordre du monde ; lois morales qui s'adressent aux êtres doués dé liberté pour leur prescrire le bien et leur défendre le mal. — 2. Par des interventions particulières. Si les lois générales sont le mode ordinaire du gouvernement divin, il va de soi que Celui qui a fait les lois, peut y déroger et y déroge quand il le juge bon. Ainsi la grâce, le miracle et la prophétie sont autant d'interventions qui dépassent les forces et l'ordre de la nature. Elles ne sont pas pour cela un bouleversement dans le plan providentiel : qu'il s'agisse des exceptions ou des lois, il n'y a rien qui ne soit prévu de toute éternité. Seulement, les dérogations aux lois sont pour Dieu une manière plus éclatante de nous révéler son action et de nous faire entendre sa parole. § 2. — OBJECTIONS CONTRE LA PROVIDENCE. 99. — On fait contre la Providence trois sortes d'objections. La première est tirée de la nature de Dieu ; la seconde, de la difficulté de concilier le gouvernement divin avec la liberté de l'homme ; la troisième, de l'existence du mal dans le monde. 1re Objection tirée delà nature divine. — D'après ARISTOTE, Dieu ne peut s'occuper des créatures, parce qu'elles sont imparfaites. Le gouvernement du monde détournerait Dieu de la contemplation de son être et de ses infinies perfections. Il ne serait plus alors souverainement heureux : ce qui est inadmissible. Réponse. -— Dieu n'a pas à se détourner de la contemplation de son être pour voir tous les êtres créés : c'est à travers son essence qu'il connaît toutes choses. Du reste, le fait de connaître une chose imparfaite et d'en prendre soin, ne constitue nullement une imperfection 100. — 2me Objection. La Providence et la liberté humaine- — Si Dieu concourt à nos actes, comment concevoir que notre liberté reste intacte1? Réponse. — Cette objection revient à celle qui a déjà été faite contre la science divine (N° 72). Le concours divin ne modifie pas la nature des êtres. « Dieu meut les créatures, dit saint THOMAS, selon le mode de leur nature, si bien que l'acte de l'agent nécessité est nécessaire, et que celui de l'agent libre est libre.» La coopération divine accompagne donc et affermit la volonté mais ne la violente pas. 101. — 3me Objection. Existence du mal. — Voici la grande objection contre la Providence. S'il existe du mal dans le monde, il est incompatible avec les attributs de Dieu : il s'élève contre sa toute-puissance s'il n'a pu l'empêcher, et contre sa bonté s'il ne l'a pas voulu. Or, dit-on, le mal existé dans le monde, et il se présente sous une triple forme : le mal métaphysique, le mal physique et le mal moral. 1° MAL MÉTAPHYSIQUE. — On entend par mal métaphysique l'imperfection des êtres. Le monde, dit-on, n'a pas la perfection qu'il devrait avoir. Le monde, disent les pessimistes, est essentiellement mauvais, et si l'on fait le bilan des biens et des maux, la vie est pire que le néant.
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Réponse. — II paraît certain, en effet, que le monde n'a pas toute la perfection qu'il pourrait avoir81. Mais, fût-il plus parfait, il aurait toujours des limites, car qui dit créature, dit être contingent et limité. Dès lors, reprocher à Dieu d'avoir créé un monde imparfait c'est tout simplement lui reprocher d'avoir créé. Toute la question est donc de savoir si le monde, malgré ses imperfections, est bon ou mauvais, s'il vaut mieux être que ne pas être. Or il ne fait pas de doute que l'être vaut mieux que le non-être, que la vie présente est bonne et qu'il dépend de nous, créatures libres, qu'elle suive une ascension continue vers le mieux et qu'elle se rapproche de plus en plus de la perfection. La vie vaut donc ce que nous la faisons et, si elle devient mauvaise, qui avons-nous le droit d'accuser, sinon nous-mêmes et notre action. 2° MAL PHYSIQUE. — Tandis que le mal métaphysique est purement négatif, qu'il est le défaut d'être ou de perfection, le mal physique a un caractère positif : il est la privation d'un bien qui devait appartenir à la nature. Comment concilier alors le mal physique avec la puissance et la bonté de Dieu ? Pourquoi tant de désordres dans la nature ? Pourquoi les tremblements de terre, les inondations, les incendies? Pourquoi les catastrophes ? Pourquoi les fléaux, la peste, la famine, la guerre? En un mot, pourquoi la douleur? Comment justifier Dieu d'avoir refusé à la nature et à certains êtres la perfection à laquelle il semble qu'ils avaient droit î Réponse. — A. LES DÉSORDRES DE LA NATURE. — A vrai dire, les désordres de la nature, c'est-à-dire l'existence de choses ou d'êtres qui paraissent nuisibles, comme les tremblements de terre, les inondations, les fléaux, les animaux malfaisants, rentrent dans le mal métaphysique : ils sont l'inévitable conséquence des imperfections du monde. Considéré à ce point de vue, le pourquoi du mal nous échappe, pour la bonne raison que notre science est trop courte, et que, pour juger une œuvre, il nous faudrait la connaître dans son ensemble et dans ses détails. B. LA DOULEUR. — Au surplus, si le mal qui est dans la nature nous révolte, c'est que nous en souffrons. Tout se ramène donc à cette unique question : pourquoi la douleur ? Incontestablement, la douleur est un mal, mais si elle se doit tourner en bien, si elle est, non une fin, mais un moyen, la bonté de Dieu n'est plus en défaut. Pour justifier la Providence, il suffit donc d'établir que le bien peut sortir du mal, et partant, que le but pour suivi par Dieu est bon. Il convient d'abord de ne pas rendre Dieu responsable des maux qui sont le fait de l'homme. Que d'accidents viennent de sa témérité ou de son incurie82 ! Que de
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II y a sur la question de la valeur du monde trois opinions : — a) l'optimisme absolu (MALEBRANCHE, LETBNIZ) qui prétend que le monde considéré dans son ensemble, est le meilleur possible ; — b) le pessimisme (LEOPARDI, SCHOPENHAUER, HARTMANN, BAHNSEN) qui affirme que le monde est essentiellement mauvais. La religion bouddhiste professe aussi le pessimisme, et enseigne à ses adeptes qu'ils doivent détruire en eux le désir de vivre et tendre au nirvana, c'est-à-dire à l'anéantissement de l'être individuel. — c) Une troisième opinion, l'optimisme relatif (saint ANSELME, saint THOMAS, BOSSUET, FENELON) est celle crue nous exposons. 82
Devant certains cataclysmes, comme ceux de la Martinique et de Messine dont le souvenir est encore récent, on est tenté de maudire l'apparente sauvagerie des forces de la nature. Mais «le plus
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maladies ont leur cause dans l'inconduite des individus83 ! Que de familles, que de sociétés sont malheureuses par leur faute ! Quant aux cas où la douleur ne saurait être imputée à l'homme, elle est toujours une conséquence de sa nature et la condition d'un plus grand bien. — a) Elle est la conséquence de sa nature. Doué de sensibilité, l'homme doit accepter les peines aussi bien que les joies qui découlent des facultés de son âme. — b) La douleur est surtout la condition d'un plus grand bien, soit dans l'ordre physique, soit dans l'ordre moral. —, 1. Dans l'ordre physique, elle est la source du progrès en stimulant l'activité et en poussant à la recherche des remèdes qui peuvent guérir le mal. — 2. Dans l'ordre moral, elle est l'école des plus belles vertus et un excellent moyen d'expiation.84 École des plus belles vertus. La douleur est un merveilleux instrument de perfectionnement moral : elle développe dans l'homme les plus hautes vertus : la patience, la maîtrise de soi, l'héroïsme. Rien ne trempe les âmes comme la douleur ; rien ne leur donne cette grandeur morale, cette énergie surhumaine, cette délicatesse, « ce je ne sais quoi d'achevé», selon le mot de Bossuet, qui distingue les âmes qui ont connu la souffrance de celles qui ne l'ont pas connue ou mal supportée. Le poète avait raison quand il disait : « L'homme est un apprenti, la douleur est son maître Et nul ne se connaît tant qu'il n'a pas souffert » (A. DE MUSSET). 2) Enfin la douleur est un excellent moyen d'expiation. Elle est le creuset où l'homme pécheur purifie son âme Elle devient alors « la bonne souffrance» qui arrache l'homme aux choses de la terre et tourne son regard vers le ciel. « Les épreuves n'ont-elles pas pour effet de faire rentrer l'homme en lui-même, de l'attacher à la réalité éternelle, au mépris des plaisirs? Que- d'âmes, qui se perdaient parce que tout leur souriait ici-bas, ont été ramenées à Dieu par les déceptions, les mécomptes, les chagrins ! Qui n'a entendu la sagesse antique nous dire que la vertu languit, si elle n'éprouve pas de contradictions, qu'elle s'épure dans l'adversité comme l'or s'épure dans la fournaise ? qu'on la reconnaît à sa force au milieu des épreuves, que l » plus beau spectacle est celui du juste aux prises avec l'infortune, et se montrant supérieur à elle? .. Si Dieu, lorsqu'il nous châtie, agit comme un père, qui retient ses enfants sous une discipline sévère, afin de les rendre vertueux, comme un médecin qui donne un breuvage amer pour rétablir la santé ou la fortifier, loin de se plaindre et de
souvent, ces désastres n'atteignent que les régions où il a fallu à l'homme quelque témérité pour espérer d'y fonder une installation durable. Il a cru pouvoir braver un fléau dont les manifestations étaient espacées, et la plupart du temps cette hardiesse a été récompensée par de notables profits (fertilité du sol). Comment se plaindre, le jour où la nature reprend pour un moment des droits qu'elle n'avait jamais abdiqués? » (DE LAPPARENT, La Providence créatrice.) 83
« Soyons, dit Mgr FRAYSSINOUS, plus modérés dans nos désirs... plus sobres, plus tempérants, plus éloignés des voluptés et des vices qui énervent a la fois l'âme et le corps, et nous verrons disparaître le plus grand nombre des maux dont nous souffrons. » (La Providence dans l'ordre moral.) 84
Ainsi comprise, la douleur peut se tourner en joie, comme l'atteste l'exemple des saints. Au plus fort des tourmentes, les grands chrétiens savent garder l’âme sereine et même se réjouir, parce que, alors, ils ressemblent mieux à l’objet de leur amour : Jésus crucifié et expérimentent en eux ces paroles de l’Imitation : « Lors donc que tu seras parvenu à ce point que la tribulation endurée pour l'amour du Christ te paraîtra douce et savoureuse, tu auras trouvé le paradis sur terre. » (Liv. II, Chap. XII, De la voie royale....)
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maudire à l'occasion des épreuves du juste, n'y a-t-il pas lieu, au contraire, de remercier et de bénir85? » 3° LE MAL MORAL — Sous ce titre nous comprendrons : — a) toutes les infractions à la loi du devoir, et — b) secondairement toutes les injustices morales qui sont dans le monde. Comment admettre que Dieu, qui est la sainteté même, permette le péché ? Et comment expliquer qu'un Etre souverainement juste ait réparti les biens de ce monde d'une manière si inégale ? Pourquoi, trop souvent, la fortune sourit-elle aux méchants tandis que les justes connaissent les insuccès et les revers ? Pourquoi ce mal social ? Réponse- — «) II en est du mal moral comme du mal physique. Se demander pourquoi Dieu permet le péché alors qu'il aurait pu l'empêcher, c'est rechercher de quel autre bien il est la condition. Or il est facile d'apercevoir que le péché est une conséquence de la liberté. Pour supprimer le péché, il fallait donc supprimer la liberté. Mais alors il n'y avait plus de place pour le bien moral, plus de mérite ni de vertu. Qui oserait prétendre qu'un monde sans liberté ni moralité eût été meilleur qu'un monde avec la vertu et le péché? b) L'inégale répartition des biens est un fait incontestable. La plainte ne doit pas cependant être exagérée : il s'en faut de beaucoup que la vertu soit toujours malheureuse et le vice toujours prospère. D'autre part, il est un bien qui n'abandonne pas le juste, même au sein de la misère, et qui n'appartient qu'à lui : c'est la pais, de l'âme que seul peut donner le témoignage d'une bonne conscience. Mais surtout il né faut pas perdre de vue que les biens de la terre peuvent, être nuisibles, qu'ils sont toujours éphémères et que la vie présente n'est pas un terme, qu'il y a une autre vie où se feront les compensations nécessaires. Peu importent donc des privations passagères si elles sont le gage d'une récompense plus élevée. La vie est un combat dont la palme est aux cieux. Ainsi l'existence du ma] moral comme du mal physique, loin d'être un argument contre la Providence, démontre la nécessité d'un Dieu infiniment juste pour rétablir un jour l'équilibre que nous ne trouvons pas ici-bas, d'un Dieu sage qui se sert de la souffrance passagère comme d'un moyen pour nous conduire à une gloire éternelle86. BIBLIOGRAPHIE. — Sur la Création. — PINARD, Art. Création, Dict. de la foi cath. — Mgr FARGES, La Vie et l'Évolution des Espèces (Berche et Tralin). — GUIBERT, Les Origines (Letouzey) ; Les Croyances religieuses et les Sciences de la Nature (Beauchesne). — DUILHE DE SAINT-PROJET et SANDERENS, Apologie scientifique du christianisme (Poussielgue). — DE LAPPARENT, Science et Apologétique (Bloud). FANTOM, Les Radiobes de M. Burke (Rev. prat. d'Apol. 15 fév. 1906). — WINTREBERT, Rev. prat. d'Apol., 15 janv. 1907. — COLIN, Les théories récentes de l'évolution. Rev. prat. d'Apol., 19 mai 1910. — L'Ami du Clergé année
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BERSEAUX, La science sacrée, tome I.
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La doctrine de l'Église dégage mieux encore la Providence de reproches qui lui sont laits (voir notre Doctrine catholique, fasc. I, N° 37).
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1925, N° 20. — La Presse médicale, 3 mai 1924. — LE DANTEC, La crise du transformisme. Sur la Providence. — MOISANT. Pour discuter le problème du mal. Rev. prat. d'Apol., 15 avril 1910. Traités de philosophie du P. LAHR, de G. SORTAIS, etc. — PRUNEL., Les Fondements de la Doctrine catholique. — De LAPPARENT, La Providence créatrice (Bloud). SECTION II : L'HOMME CHAPITRE I. — Nature de l'Homme. DÉVELOPPEMENT Nature de l'homme. L'erreur matérialiste. Division du Chapitre 102. — La religion consiste, avons-nous dit (N° 6), dans l'ensemble des rapports qui existent entre Dieu et l'homme. L'homme est donc le second objet qui s'impose à notre étude. Or, dans cette étude de l'homme, la première question qui intéressé l'apologiste, c'est celle de sa nature, car seule la nature d'un être permet d'en déduire l'origine et la destinée, et conséquemment, les relations qui en découlent entre lui et son créateur. A cette question capitale, deux réponses peuvent être faites : celle du matérialisme et celle du spiritualisme. 1° Le matérialisme. — La doctrine du matérialisme sur l'homme est une suite de sa doctrine sur Dieu, sur l'origine de la vie et des espèces, que nous avons exposée dans le chapitre précédent. Partant de ce principe, qu'il n'y a rien, en dehors de ce qui peut être expérimentalement vérifié, les matérialistes n'admettent qu'une seule substance : la matière éternelle qui a produit un jour la vie par génération spontanée, puis, grâce à des transformations successives, tous les êtres vivants, y compris l'homme. Voici, du reste, les quelques points fondamentaux qui résument la théorie matérialiste sur l'homme : — a) L'homme est formé d'une seule substance : le corps. L'âme est une hypothèse inventée pour rendre compte de certains phénomènes que la matière paraît, à première vue, incapable d'expliquer. — b) Entre l'homme et l'animal il n'y a pas de différence essentielle. L'homme est un animal perfectionné qui doit sa supériorité au développement de son cerveau. — c) La pensée est un produit de la matière cérébrale, et le libre arbitre est une pure illusion. A quelles conséquences graves aboutit le matérialisme, il est facile de le conclure de ces trois points de sa doctrine. Si l'homme est composé d'une seule substance, le corps, s'il n'y a qu'une différence de degré, et non de nature, entre l'homme et la brute, si la pensée n'est qu'un produit du cerveau ; en un mot, si l'homme n'a pas une âme spirituelle et libre, plus de religion, puisque les deux termes, Dieu et l'âme, sont supprimés ; plus de morale, plus de devoir, puisque, à supposer qu'il y ait lieu de faire une distinction entre certains actes, les uns bons, les autres mauvais, l'homme serait privé du libre arbitre et soumis au déterminisme de la matière.
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103. — 2° Le spiritualisme. — Contre une doctrine aussi pernicieuse, nous allons démontrer, avec le spiritualisme chrétien, que l'homme est formé d'une double substance : le corps et l'âme ; que, entre lui et l'animal, il y a une différente essentielle qui fait que les deux êtres sont irréductibles et que l'un n'a pu sortir de l'autre par voie d'évolution ; que l'homme seul a une âme spirituelle et libre. En même temps nous exposerons et réfuterons les objections matérialistes. Ce chapitre comprendra donc trois articles : — 1. Existence ; — 2. Nature ; et — 3. Liberté de l'âme. . Art. I. — Existence de l'âme humaine. Objection. 104. — 1° Existence de l'âme humaine- — L'existence de l'âme, c'est-à-dire d'une substance qui se distingue du corps, qui est le principe de la connaissance et de la pensée, nous est attestée à la fois par Y expérience, par la conscience et par l'intuition. A. Expérience. — L'observation nous montre qu'il y a en nous deux sortes de phénomènes : les phénomènes physiologiques, comme la nutrition, la digestion, la circulation du sang ; et les phénomènes psychologiques, comme la pensée, le jugement, le souvenir, etc. Or le plus simple raisonnement nous dit que des phénomènes de nature différente ne peuvent provenir du même principe : tel effet, telle cause. Nous devons donc admettre dans l'homme deux principes, qui expliquent, l'un, les faits physiologiques, et l'autre, les faits psychologiques. B. CONSCIENCE. — La conscience perçoit dans notre être un principe qui, à travers les vicissitudes de l'existence, reste toujours le même. Quelque lointain que soit mon passé, j'en garde le souvenir ; je me rappelle ce que j'étais dans ma prime enfance, quels étaient mes goûts, mes inclinations, mes idées. Aussi me faut-il admettre qu'il y a eu, dans la marche de ma vie, autre chose qu'une suite plus ou moins longue de faits sans lien qui les rattache, car, de toute évidence, un phénomène ne porte pas en soi la mémoire de ceux qui l'ont précédé. Bien plus, je me sens responsable des fautes que j'ai commises, il y a de nombreuses années ; cela ne se comprendrait pas si la cause qui a posé ces actes avait changé depuis. I] faut donc conclure qu'il y a en nous un principe qui reste toujours identique, qui fait que je suis le même être, la même personne, aux différentes étapes de ma vie; en un mot, un principe permanent, qui constitue mon identité personnelle. Or ce principe ne peut être le corps, car il est scientifiquement démontré qu'il est soumis au tourbillon vital, qu'il évolue et se transforme sans cesse, à tel point qu'en quelques mois, selon certains physiologistes (FLOURENS), en un mois seulement, d'après d'autres (MOLESCHOTT), le renouvellement est total, et qu'il y a un changement complet de toutes les molécules qui le composent. Donc la substance identique que nous révèle la conscience, ne doit pas être confondue avec le corps : ce principe c'est l'âme. C. INTUITION. — En dehors des raisonnements qui précèdent et qui démontrent l'existence d'une substance immuable, l'intuition découvre au fond de notre être un principe qui produit notre pensée et notre action et qui ne peut être le corps. C'est ce principe distinct du corps que nous appelons l’âme.
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Conclusion. — L'homme est donc composé de deux substances distinctes, différant totalement de nature : l'une, étendue, composée, changeante, autrement dit, matérielle : c'est le corps ; l'autre, inétendue, simple, identique, en d'autres termes, immatérielle : c'est l'âme.87 105. — 2° Objection. — Personne, disent les matérialistes, n'a jamais vu l'âme. Or la science expérimentale nous interdit de croire à ce qui ne peut être vérifié. « Un homme raisonnable, dit BROUSSAIS, ne peut admettre l'existence d'une chose qui n'est démontrée par aucun sens. » II faut donc considérer l'existence de l'âme comme une hypothèse sans fondement. Réponse. — Assurément, l'âme ne tombe pas sous les sons. Mais est-il vrai que les sens, c'est-à-dire la perception extérieure, soient le seul moyen de connaître? Nous pensons, au contraire, que la conscience est un procédé tout aussi légitime, et nous venons d'établir qu'elle perçoit directement le moi, ses actes et ses modifications en même temps que sa permanence. Au reste, alléguer que l'âme n'existe pas, parce qu'on ne la voit pas, est un argument qu'on peut tout aussi bien retourner contre ceux qui vous l'opposent. Car si la pensée était un produit de la matière, une fonction du cerveau, comment se fait-il qu'ils n'en peuvent faire la preuve expérimentale ? Nous pouvons donc conclure que l'âme ne se voit pas, non parce qu'elle n'existe pas, mais parce qu'elle est spirituelle (voir N° 108). Art. II. — Nature de l'âme humaine. § 1. L'ÂME HUMAINE ET L'ÂME DES BÊTES. 106. — L'homme a une âme, c'est-à-dire un principe qui est la cause des phénomènes psychologiques qu'on ne peut expliquer par les simples forces physico-chimiques. — Mais, dira-t-on, dans ce sens, les animaux aussi ont une âme. — La question qui se pose est donc de savoir s'il y a entre les deux des différences essentielles, telles qu'on ne puisse concevoir la transition de l'une à l'autre. Or deux facultés caractérisent l'âme humaine et la séparent totalement de l'âme des bêtes : ces deux facultés sont la raison et la liberté. A. LA RAISON. — Sous le titre de raison, il ne faut pas entendre ici l'intelligence en général, c'est-à-dire la simple faculté de connaître. Car, à ce point d^ vue, il y a des
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Comment deux substances de nature aussi opposée peuvent-elles s'unir, former un tout harmonieux, et exercer l'une sur l'autre une influence réciproque : c'est là un des problèmes les plus ardus que puisse aborder l'esprit humain. Aussi les solutions proposées n'ont-elles qu'une valeur relative. Au surplus, cette question intéresse plus le philosophe que l'apologiste. Nous renvoyons donc pour ce point aux .traités de Philosophie. Signalons seulement la théorie de l'animisme, professée par ARISTOTE, puis par saint THOMAS et les scolastiques, d'après laquelle le corps et l'âme sont deux substances incomplètes, formant par leur union étroite un tout substantiel, appelé le composé humain, l'âme vivifiant le corps, devenant la forme qui anime ce corps et le différencie des autres. — Toutefois, bien qu'incomplète si on la considère dans l'ensemble de ses facultés dont quelques-unes (sensibilité, perception extérieure...) nécessitent le concours des organes, l'âme n'en reste pas moins, dans ses facultés supérieures, une substance complète, capable de vivre de sa vie propre.
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traits communs entre l'intelligence de l'homme et celle de l'animal. Tous deux ont des connaissances sensibles qui embrassent des objets particuliers et déterminés ; ils ont la mémoire des choses sensibles, la faculté de se rappeler et d'associer les sensations, les impressions extérieures ; l'on admet même que les animaux ont la faculté imaginative. — La raison, dont il est ici question, c'est la faculté de penser et de raisonner qui appartient en propre à l'homme et qui met un abîme entre lui et l'animal. Par sa raison, l'homme a le pouvoir d'abstraire88, de dégager du particulier des idées générales : il aura, par exemple, la notion du triangle en général, sans envisager tel triangle pris en particulier ; il atteint les réalités immatérielles, comme le vrai, le bien, le beau, l'être, la substance, etc. De cette faculté de penser, de raisonner et d'abstraire découlent des conséquences d'une extrême importance et qui dressent une barrière entre l'homme et l'animal. Tels sont : — 1. le langage. Sans doute, les animaux ont un langage naturel composé de signes extérieurs par lesquels ils manifestent les impressions de leur âme, mais ce qu'ils n'ont pu et ne pourront jamais créer, c'est le langage artificiel, conventionnel, qui sert à traduire la pensée ; et si leur impuissance est définitive, ce n'est pas que l'organe de la parole leur manque, — le singe a tous les organes requis, la luette y comprise, les perroquets répètent les mots qu'on leur apprend sans les comprendre, — c'est que la pensée leur fait défaut et que justement le langage conventionnel a pour but d'exprimer la pensée. — 2. Le jugement et le raisonnement. L'homme a le pouvoir de comparer les idées entre elles, d'étudier leurs rapports et de prononcer des jugements ; puis il peut rapprocher ces jugements, et ,par le raisonnement, en tirer des conclusions nouvelles. L'animal, lui, n'ayant pas la faculté de penser, est incapable, par le fait, de juger et de raisonner. — 3. Le progrès. Grâce au raisonnement et au langage, c'est-àdire au pouvoir de se communiquer leurs pensées, les hommes développent sans cesse leurs connaissances, si bien que l'humanité suit une marche continue dans la voie du progrès et de la civilisation. L'animal a, pour le servir, d'admirables instincts, mais il n'invente ni ne progresse. L'art merveilleux avec lequel l'abeille construit sa ruche ne s'est pas modifié depuis le premier jour où il y a eu des abeilles : c'est toujours la même perfection, mais, pour ainsi dire, la perfection d'une machine, qui, de la première minute où elle marche, accomplit parfaitement sa tâche, mais ne peut en accomplir une autre. h'instinct est donc pour l'animal une précieuse faculté qui supplée la raison ; toutefois, il faut convenir qu'entre l'instinct et la raison il n'y a rien de commun : l'un ne peut pas conduire à l'autre. — 4. La moralité. Grâce à sa raison, l'homme perçoit les notions de bien et de mal, et sa conscience lui dit que les actions bonnes lui sont commandées tandis que les mauvaises lui sont défendues. L'animal ne fait point de semblable distinction ; s'il évite le mal, c'est par crainte du châtiment dont il garde le souvenir. — 5. La religiosité. Si l'homme est un être religieux, c'est que sa raison lui démontre l'existence d'un Créateur, tandis que l'animal, privé du pouvoir de penser et de raisonner, ne peut s'élever jusqu'à Dieu. «Seule, dit BOSSUET, la nature humaine connaît Dieu, et voilà, par ce seul mot, les animaux au-dessous d'elle jusqu'à l'infini .»89 88
Le mot abstraire désigne cette opération de l'esprit qui consiste à considérer une qualité en dehors de l'objet qui la possède : par exemple, la blancheur d'un mur en l'isolant du mur qui la possède. Le mot abstrait est opposé au mot concret.
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107. — B. LA LIBERTÉ. — La seconde faculté par laquelle l'homme se distingue de l'animal, c'est la liberté. La liberté est du reste une conséquence de la raison. Pour choisir entre deux alternatives, il faut connaître par la raison lès motifs qui inclinent plutôt d'un côté que de l'autre. L'animal ne peut se laisser guider que par ses sensations, ses appétits et son instinct. Chaque impression reçue par ses organes des sens, en se transmettant au cerveau, provoque une action réflexe, c'est-à-dire une réaction en rapport avec l'impression reçue. Si les sensations aboutissent aussi chez l'homme à des vibrations cérébrales, au moins il a le pouvoir d'en modifier les effets, de diriger les forces mises on jeu et de les transformer. Nous prouverons d'ailleurs plus loin que l'homme a ce pouvoir (N° 111). Il est donc permis de conclure que, grâce à ces deux facultés, raison et liberté, l'homme est séparé de l'animal par une distance infranchissable, que l'évolution ne peut expliquer le passage de l'âme animale à l'âme humaine, et que seule l'action divine a pu créer l'âme humaine90 § 2. — SPIRITUALITE DE L'AME HUMAINE. OBJECTION MATERIALISTE. 108. — La raison et la liberté sont lés deux facultés par lesquelles l'âme humaine se différencie de l'âme des bêtes. Nous devons faire un pas plus loin, et nous demander de quelle nature est ce principe qui produit la pensée : il nous faut donc démontrer, avec le spiritualisme chrétien, que l'âme humaine est une substance spirituelle, et non pas matérielle, comme le prétendent les matérialistes. 1° Spiritualité de l'âme humaine. — A. CONCEPT. — Une substance spirituelle ou immatérielle est une substance indépendante de la matière dans son être et ses opérations. Une substance matérielle, au contraire, est celle qui, pour être et agir, dépend intrinsèquement de la matière : v. g. les âmes végétatives et animales qui n'ont d'être et d'action que par la matière et les organes auxquels elles sont liées. — L'on voit tout de suite combien grave est cette question de la spiritualité de l'âme. Car, si l'âme de l'homme n'était pas spirituelle, si elle dépendait du corps pour agir, elle ne pourrait pas lui survivre. B. PREUVES. — De la définition qui précède il suit que, pour prouver la spiritualité de l'âme humaine, il faut établir qu'elle possède une existence et une action propres, au moins dans sa vie intellective. a) Preuve tirée de la nature des opérations de l'âme. — C'est un principe admis en philosophie que l'opération suit l'être, en d'autres termes, que la nature des effets 89
On pourrait signaler encore le rire comme étant une des caractéristiques les plus curieuses qui distinguent l'homme de l'animal. Le comique ou le ridicule des choses qui provoquent le rire, supposent la raison pour les percevoir. 90
Cette impossibilité du passage de l'animal à l'homme peut être invoquée comme preuve de l'existence de Dieu. Si, en effet, l'âme de l'homme ne peut sortir par évolution de l'âme animale, de toute nécessité, il faut recourir à quelqu'un qui la crée directement.
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indique la nature des causes. L'on peut donc juger de l'essence d'un être par ses opérations ou encore par les objets de ses opérations. Or, nous concevons certains objets qui n'ont rien de commun avec la matière : telles sont les idées de vrai, de bien, de beau, d'idéal, de devoir, de vertu ; telles sont aussi toutes les idées abstraites. Il faut donc conclure que ces idées ont pour principe un agent de la même nature, c'est-à-dire un agent immatériel. Or, comme le corps est matériel, il faut admettre, en dehors de lui, un principe spirituel. b) Preuve tirée de la nature de la volonté. — La liberté que nous avons de choisir entre deux objets, entre le bien et le mal, la faculté que nous avons d'agir ou de ne pas agir, prouve également que nous avons un principe d'action qui n'est pas la matière. Car la matière est inerte, indifférente au repos ou au mouvement et, de ce fait, incapable de modifier l'état où elle se trouve. Par conséquent, si l'âme est libre, si elle peut se mouvoir à son gré, c'est qu'elle n'est pas, comme le corps, soumise aux lois de la matière. c) La spiritualité de l'âme apparaît encore dans ce fait, que l'intelligence, loin de s'affaiblir avec l'âge, se développe souvent et profite de l'expérience acquise. Tandis que les sens faiblissent avec le temps, que la vue, l’ouïe, le goût baissent avec leurs organes, il y a des vieillards qui gardent leur intelligence plus vigoureuse et plus lucide que jamais. Ce phénomène serait inexplicable dans l'hypothèse où l'âme, même dans ses facultés supérieures, serait dépendante du corps. 109. — 2° Objection matérialiste. — Le cerveau et la pensée. — A. Le grand argument des matérialistes contre l'existence de l'âme, ou du moins contre une âme spirituelle et distincte de la matière, est tirée des RAPPORTS DU CERVEAU ET DE LA PENSÉE. — Le cerveau, disent les matérialistes, est la cause unique qui produit la pensée. « Le cerveau, dit K. VOGT, sécrète la pensée comme le foie sécrète la bile et les reins sécrètent l'urine. » Et BUCHNER, dans une formule plus habile et moins manifestement fausse, déclare « qu'il y a le même rapport entre la pensée et le cerveau qu'entre la bile et le foie, l'urine et les reins. » Et la preuve que le cerveau est la cause de la pensée, les matérialistes croient la trouver dans la corrélation étroite entre l'un et l'autre : dans ce fait que, plus le cerveau est développé ,plus l'intelligence est grande, et dans cet autre fait, que les accidents, — lésions, altérations morbides, — qui affectent le cerveau, ont leur contrecoup sur la pensée. B. Veut-on savoir maintenant le PROCESSUS de la pensée? — Pour montrer comment le cerveau produit la pensée, les matérialistes font appel à la loi physique de la transformation des forces. « La pensée, dit MOLES-CHOTT, est un mouvement de la matière. » Elle est une forme de mouvement propre à la substance des centres nerveux, et il est permis de dire que le cerveau pense comme le muscle se contracte : des deux côtés, les faits s'expliquent par une transformation des forces. Ainsi, la vibration nerveuse devient sensation, émotion, pensée ; et inversement, la pensée se transforme en émotion, détermination volontaire, vibration nerveuse, puis mouvement musculaire et mécanique. Réfutation. — A. LES RAPPORTS ÉTROITS ENTRE LE CERVEAU ET LA PENSÉE ne sont pas contestables. Mais l'unique question est de savoir si le cerveau est cause ou condition.— a) S'il est cause, il doit toujours y avoir équation entre le cerveau et
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l’intelligence, car c'est un principe général que la même cause, dans les mêmes conditions, produit toujours les mêmes effets. Il faudrait donc nous dire comment on peut établir cette corrélation. La valeur de l'intelligence dépend-elle du poids ou du volume du cerveau, ou du nombre et de la finesse de ses circonvolutions, ou encore de la qualité de la substance qui le compose, de sa richesse en phosphore 1 Les matérialistes seraient bien embarrassés de le dire. Si en effet ils invoquent le poids, on leur objecte aussitôt que, à côté de cerveaux comme ceux de Cuvier dont le poids était de 1830 grammes, de lord Byron, 1795 grammes, on peut leur en citer d'autres comme celui de Gambetta, qui ne pesait que 1160 grammes. Allèguent-ils le volume? La cérébrologie, ou science des fonctions du cerveau, leur démontrera alors que le cubage des crânes oscille dans toutes les races dans d'étroites limites, entre 1477 et 1588 ce; et pourtant il faut bien admettre qu'il y a des races qui sont supérieures par le degré d'intelligence. Les rapprochements entre la pensée et le nombre, la finesse, la richesse en phosphore des circonvolutions n'ont guère plus de fondement. La corrélation entre le cerveau et la pensée est donc loin d'être une loi rigoureuse, et voilà, du même coup, la thèse matérialiste qui part d'un faux supposé. Bien plus, la cérébrologie est parvenue à établir la parfaite ressemblance morphologique des cerveaux humain et simien. Comment se fait-il alors que, si les cerveaux sont identiques, l'homme seul pense et raisonne ? En outre, deux autres faits s'élèvent contre la doctrine matérialiste : la folie et les localisations cérébrales. — 1. La folie. Il a été reconnu que la folie peut exister sans lésion cérébrale. Comment expliquer qu'un instrument, qui est l'unique cause de la pensée, fonctionne mal alors qu'il est intact? — 2. Les localisations cérébrales. Il fut un temps où les matérialistes fondaient grand espoir sur la théorie des localisations cérébrales : ils avaient déterminé la place des centres sensitifs et moteurs, de la mémoire, etc., ils croyaient même pouvoir loger la pensée dans les lobes frontaux. Or, leur théorie, déjà insuffisamment démontrée par l'expérimentation, a été complètement mise en échec par les constatations que les médecins ont faites au cours de la guerre 1914-1918. On a pu observer, en effet, de nombreux cas de lésions du cerveau, — perte considérable de substance cérébrale, ablation des prétendus centres sensitifs et moteurs, réduction en bouillie des lobes frontaux, — sans que les blessés s'en soient ressentis gravement et sans qu'ils aient cessé de jouir de leurs facultés, de sentir, de marcher, de penser et de parler, comme par le passé. Il faut donc conclure, à l'inverse de la théorie des localisations, qu'il n'y a dans le cerveau aucune région qui soit le siège et l'organe de la pensée. b) En second lieu, si le cerveau est la cause de la pensée, il doit y avoir une similitude de nature entre la cause et l'effet. Si par conséquent la cause est matérielle, l'effet doit l'être aussi. La parole de K. VOGT retourne donc contre la thèse matérialiste. Il est bien vrai que le foie sécrète la bile, mais précisément l'effet est matériel comme sa cause. Pour que la comparaison fût vraie, il faudrait dès lors que le cerveau qui est matériel, composé et multiple, produisît un effet du même ordre. Or l'intelligence est une,et simple, elle a des idées qui n'ont rien de commun avec la matière. Elle ne peut donc procéder d'une cause matérielle ; elle suppose une activité immatérielle, qui est l'âme.
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c) Enfin, comment concilier l'identité personnelle du moi, dont nous avons parlé plus haut (N° 104) avec les changements continuels du corps, et particulièrement, du cerveau ? Comment l'identique pourrait-il résulter du changement 1 Et comment les molécules nouvelles qui se sont substituées aux anciennes dans le cerveau, peuventelles garder le souvenir d'événements ou d'impressions qui ont affecté les molécules dont elles ont pris la place ? d) II faut donc conclure, avec le spiritualisme, que le cerveau n'est pas la cause de la pensée ; il n'en est que la condition. Il n'est pas l'organe de l'intelligence ; il est tout simplement un instrument à son service, semblable à la harpe qui ne peut rendre de sons que sous les doigts du harpiste. L'âme seule est la cause de la pensée ; absolument parlant, elle n'a pas besoin d'organe, mais dans l'état actuel des choses, étant donné que nous ne pensons pas sans images et que les images sont transmises au cerveau par les organes des sens, le cerveau est un instrument nécessaire à l'exercice de la pensée. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner que les accidents, les lésions qui surviennent dans les centres nerveux, paralysent les fonctions qu'ils ont à remplir. D'une harpe brisée le harpiste ne sait plus tirer de sons ; il n'en reste pas moins harpiste, après comme avant. B. QUANT AU PROCESSUS DE LA PENSÉE, rien n'empêche qu'il soit le même dans les deux hypothèses. Que le cerveau soit cause, ou simplement condition, la manière dont il fonctionne ne varie pas. Par le fait que l'âme se sert, du cerveau comme instrument, la production de la pensée doit être accompagnée de phénomènes matériels qui relèvent de la physique. Rien donc d'étonnant qu'il entre en vibration, qu'il dégage de la chaleur et donne naissance à de nouvelles substances chimiques. L'erreur des matérialistes est de s'arrêter là et de conclure que la pensée n'est que mouvement, parce qu'elle est liée au mouvement. De ce qui précède, nous pouvons conclure que le cerveau seul n'explique pas la pensée, que par conséquent, il n'en est pas la cause. Il n'en est que la condition nécessaire, au moins dans l'état présent de la nature humaine. Art. III. — Liberté de l'âme. § 1. LE LIBRE ARBITRE. NOTION. EXISTENCE. 110. — 1° Notion. — Étymologiquement, être libre (latin liber) c'est être affranchi de tout lien. Et comme il y a des liens physiques et matériels (chaînes), et des liens moraux (lois), il y a aussi deux sortes de libertés : la liberté physique et la liberté morale. Il est clair que nous ne jouissons pas de ces deux libertés, toujours et d'une façon complète. Ainsi le prisonnier qui est enchaîné, n'a pas la liberté physique ; aucun de nous n'a une liberté morale absolue, car la loi morale la restreint dans la mesure ou elle nous impose ses commandements. Nous n'avons donc de liberté sur ce point qu'en tout ce qui n'est pas défendu par notre conscience. La liberté dont il est ici question, ou plutôt le libre arbitre, c'est le pouvoir que la volonté a de choisir entre deux alternatives, d'agir ou de ne pas agir, de se déterminer pour une chose ou pour une autre sans qu'elle y soit contrainte par une force extérieure ou intérieure. Tandis que la matière obéit nécessairement aux lois qui la régissent et que les animaux suivent irrésistiblement les impulsions de leur instinct, l'homme est
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maître de ses décisions et peut prendre le parti qu'il lui plaît. C'est donc la liberté qui fait de l'homme seul un être moral, responsable, capable de mérite et de démérite. L'on peut juger par là combien il importe de prouver l'existence du libre arbitre. 111. — 2° Existence. — A. PREUVE DIRECTE. Témoignage de la conscience. — « Nous sommes tellement assurés de notre liberté morale, dit DESCARTES, qu'il n'y a rien que nous connaissions plus clairement.» Avant d'agir, nous délibérons ; au moment d'agir, nous fixons notre choix. Or, délibérer et choisir sont deux actes qui témoignent que nous sommes libres. Encore que théoriquement certains nient la liberté, pratiquement personne n'en doute. Et nous nous croyons d'autant plus libre et responsables que nous avons mieux réfléchi, pesé d'avance le pour et le contre, et que nous n'avons pas suivi notre premier mouvement. B. PREUVE INDIRECTE. — a) Preuves morales. — 1. L'existence de la loi morale implique la liberté. Nous admettons tous qu'il y a des règles de conduite qui s'imposent à notre volonté, que certains actes nous sont défendus tandis que d'autres nous sont commandés. Or cet état de choses serait absurde si nous n'avions pas la liberté d'accomplir les devoirs qui nous sont prescrits. — 2. l'éducation postule également la liberté. Quel est en effet le but de l'éducateur ? C'est de diriger la volonté de celui qu'il éduque, de la pousser à certains actes, et de la détourner de certains autres. Chose qui serait tout à fait irréalisable s'il n'y avait pas possibilité d'opter entre deux alternatives. b) Preuves sociales. — 1. Maintes institutions sociales supposent la liberté : tels sont, par exemple, les contrats, les engagements, les promesses, qui n'auraient pas de valeur si ceux qui les font n'étaient pas libres de les tenir. —- 2. Les défenses édictées par les lois civiles ne se comprendraient pas davantage si les individus n'avaient pas la possibilité d'agir de plusieurs manières dans une circonstance donnée. — 3. Les pénalités, qui sanctionnent les lois, n'auraient pas de fondement moral en dehors du libre arbitre. Il y aurait cruauté et tyrannie à châtier des actes que la nécessité aurait imposés. A cela les adversaires de la liberté objectent que, dans toute hypothèse, les punitions sont utiles parce qu'elles sont pour la société le seul moyen de garantir l'ordre et d'assurer la protection réciproque des citoyens. La remarque est juste, mais si le châtiment des ooupables ne laisse pas d'être utile, même si les hommes ne sont pas libres, il n'en est pas moins vrai qu'il perd alors tout caractère de moralité. Les faits parlent, du reste, contre cette manière de voir ; car les juges, avant de prononcer leur sentence, recherchent toujours s'il y a des raisons, — ignorance, faiblesse d'esprit, manque de préméditation, — qui diminuent la responsabilité et constituent autant de circonstances atténuantes : ce qui serait superflu si la peine n'avait d'autre but que de corriger et de guérir. C. PREUVE TIRÉE DU CONSENTEMENT UNIVERSEL. — « Non seulement, dit J. SIMON (Le devoir), tous les hommes, depuis que le monde est monde, croient à la liberté ; mais cette croyance est naturelle et invincible... Le sauvage croit à sa liberté, comme le citoyen d'une société civilisée, l'enfant comme le vieillard... Celui qui, à force de méditer, s'est créé un système où la liberté ne trouve pas de place, parle, sent et vit comme s'il croyait à la liberté. Il ne doute pas, il s'efforce de douter, et c'est tout le résultat de sa science. Trouvez un fataliste qui n'ait ni orgueil ni remords... Ou il faut
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dire que l'homme est libre, ou il faut dire qu'il a été créé pour croire invariablement à l'erreur. » § 2. — LE DETERMINISME. 112. — 1° Définition. — Par déterminisme il faut entendre tout système qui nie le libre arbitre, et qui prétend que la volonté de l'homme est toujours déterminée à tel parti plutôt qu'à tel autre par des influences nécessitantes. 113. — 2° Formes. — Selon la nature des influences, le déterminisme revêt différentes formes. Il s'appelle : — a) déterminisme théologique ou fatalisme, lorsqu'on suppose la volonté subissant l'influence divine d'une manière nécessaire ; — b) déterminisme scientifique si on considère l'homme comme soumis aux lois nécessaires de la matière ; — c) déterminisme soit physiologique, soit — d) psychologique, si l'on regarde l'homme comme entraîné nécessairement par les conditions de sa nature. 114. — A. Déterminisme théologique. — Cette première forme de déterminisme se subdivise en plusieurs espèces. Il y a : — 1. le fatalisme que nous trouvons à la base de certaines religions, qui fut comme le dogme fondamental de la religion grecque, et qui l'est encore aujourd'hui chez les Musulmans. Dans ce système, les hommes sont menés par une force aveugle, inexorable, appelée le Destin (lat. fatum, d'où le nom de fataliste) dont ils ne peuvent prévoir ni changer les effets. On n'échappe pas à sa destinée, tout ce qui doit arriver arrivera. « C'était écrit», disent les disciples de Mahomet ; d'où il suit que tout effort devient inutile, et que le parti le plus sage c'est de s'abandonner à son sort ; — 2. le fatalisme panthéistique. Toute doctrine panthéiste doit nécessairement aboutir au fatalisme. Il est clair, en effet, que si Dieu est l'unique substance, si tout est Dieu, il n'y a plus de place pour le libre arbitre, car Dieu est l'être nécessaire et il ne peut y avoir en lui rien de contingent ; — 3. le fatalisme théologique ou prédestinatianisme. La destinée de tous les hommes, des méchants comme des bons, est fixée d'avance par le choix»de la volonté divine qu'aucun moyen ne saurait changer. D'autre part, l'homme est incapable de faire le bien sans la grâce, et la grâce est un don purement gratuit. Nous ne sommes donc pas libres de faire notre destinée comme nous voudrions ; nous devons l'accepter, comme Dieu l'a décrété. Réfutation. — 1. Il apparaît tout de suite que le fatalisme mahométan ,en détachant les effets des causes, en proclamant que les effets arrivent nécessairement, même en dehors des causes qui les produisent, et qu'il n'y a pas d'intérêt à fuir le danger, s'il est écrit qu'on doit en être victime, est un système absurde et tout à fait irrationnel. — 2. Le fatalisme panthéistique n'est pas plus soutenable. Il ne faut pas observer longtemps le monde pour y découvrir partout des choses qui commencent, qui se transforment et évoluent sans cesse : c'est donc que le monde est contingent, puisque tout changement est incompatible avec l'idée d'être nécessaire. — 3. Les difficultés soulevées par les prédestinatiens (LUTHER, CALVIN), ont déjà été réfutées à propos de la prescience divine (N° 72). Il est vrai que nos actes sont prévus et prédéterminés par Dieu, mais ils le sont avec leur nature, c'est-à-dire que nos actes libres sont prévus et déterminés
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comme libres ; il est vrai encore que l'homme ne peut rien sans la grâce et que la grâce est un don purement gratuit, mais Dieu ne refuse sa grâce à personne et il appartient à la volonté de l'homme d'accepter ou de rejeter ce secours que Dieu met à sa disposition. 115. — B. Déterminisme scientifique. — Le déterminisme scientifique est le déterminisme à la mode. Il invoque deux principes de la science (fui, d'après lui, ne peuvent être contestés : le déterminisme universel et le principe de la conservation de l'énergie. — 1. Déterminisme universel. Tout dans le monde obéit au déterminisme, c'est-à-dire à une loi d'après laquelle tous les phénomènes seraient reliés entre eux par des rapports nécessaires, tous les événements, tous nos actes dérivant d'autres faits, comme des effets sortent de leurs causes. Le déterminisme est d'ailleurs une condition de la science : celle-ci, en effet, dans l'hypothèse du libre arbitre, ne pourrait plus établir ses lois. 2. Conservation de l'énergie. D'après ce principe, la quantité d'énergie qui est dans le monde, reste constante; elle se transforme, mais elle n'augmente ni ne diminue. Il s'ensuit que nos déterminations, qui nous semblent libres, ne sont, en réalité, qu'un nouvel état des forces qui sont en nous et qui se transforment selon une loi nécessaire et absolue. — Le déterminisme scientifique fait partie de la doctrine matérialiste qui, ne voyant dans le monde qu'une soûle substance, la matière, prétend que tous les phénomènes sont régis par les lois de la mécanique. Réfutation.— 1. Dire que lé déterminisme, que nous constatons dans le monde, est une règle universelle, c'est affirmer une chose qu'on aurait bien de la peine à démontrer. De ce que le déterminisme des lois paraît régir tous les phénomènes d'ordre physique, est-on en droit de conclure qu'il s'applique également au monde de l'esprit? Il est d'autant moins permis de le faire que les deux ordres de faits n'ont rien de commun entre eux et que ce qui est vrai pour l'un, peut ne pas l'être pour l'autre. — D'autre part, est-il vrai que le libre arbitre s'oppose à la science, c'est-à-dire à la détermination des lois ? En aucune manière. La loi dit que les mêmes causes produisent les mêmes effets dans les mômes circonstances. Or, que ma volonté modifie les circonstances, qu'elle fasse par exemple, dévier un mouvement de sa direction normale, il est clair que, en dépit de mon intervention, la loi reste la même, bien que dans la circonstance elle n'ait pas son application et que la cause ne soit pas suivie de son effet. La science n'a donc rien à craindre du libre arbitre et peut continuer d'établir les lois qui régissent le monde matériel. — 2. Ce qui vient d'être dit du déterminisme des lois, vaut pour le principe de la conservation de l'énergie. Les déterministes ne peuvent pas démontrer que ce principe, qui s'applique aux forces de la nature, est également valable pour la volonté. Du reste, à supposer que nos déterminations soient des transformations des forces qui sont en nous, notre volonté n'en est pas moins libre de diriger ces forces dans un sens ou dans l'autre, et cela suffit à constituer la liberté. 116. — C. Déterminisme physiologique. — D'après le physiologique, nos actes que nous croyons libres, sont, en réalité, la résultante de causes physiques telles que le
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milieu, le climat, le tempérament, et tout ce qui fait le caractère de chaque individu. La chose est si vraie que, si nous connaissions le caractère d'un homme et les circonstances dans lesquelles il se trouve, nous pourrions toujours prévoir le parti qu'il prendra. Réfutation. — Sans doute, le tempérament, le caractère, les circonstances de temps et de lieu sont des facteurs très importants qui ont une grande influence sur nos déterminations, mais ils ne rendent pas compte de tous nos actes. La preuve en est qu'il nous arrive assez souvent d'agir différemment dans des circonstances identiques. La pré visibilité ne saurait jamais être que relative, car le caractère change et c'est justement à la volonté qu'il appartient de le modifier. Dans l'hypothèse du déterminisme physiologique, la vertu se confondrait avec un heureux tempérament. N'est-il pas vrai, au contraire, et d'expérience quotidienne, que l'éducation redresse le caractère et que, selon le mot de BOSSUET, une âme généreuse est maîtresse du corps qu'elle anime? 117. — D. Déterminisme psychologique. — Le déterminisme psychologique prétend que nos décisions sont toujours déterminées par le motif le plus fort, non pas évidemment par le motif qui a la plus grande valeur morale, par le devoir, par le plus grand bien en soi, mais par le motif qui exerce le plus d'attrait sur nous, sur notre intelligence et surtout sur notre sensibilité. C'est ainsi que l'égoïste se laisse guider par son intérêt, l'avare par l'amour de son trésor, l'ambitieux par ses rêves de gloire. Réfutation. — II n'est pas vrai que nos déterminations soient toujours prises par le motif qui exerce sur nous l'attrait le plus puissant. Bien souvent, au contraire, l'homme résiste à ses tendances, préfère le sacrifice au plaisir: l'égoïste n'agit pas toujours en égoïste, l'avare en avare... Naturellement, le motif qui entraîne notre volonté est le plus fort, mais il s'agit de savoir si c'est le plus fort qui a été choisi ou s'il est le plus fort parce que la volonté l'a choisi. Conclusion. — Aucun des systèmes que nous venons d'exposer rapidement, n'infirme les preuves de l'existence du libre arbitre. Nous pouvons donc conclure que Dieu a doté l'âme humaine de la noble prérogative de pouvoir choisir entre le bien et le mal et d'être la maîtresse de sa destinée. Mais, écrit Paul JANET (La Morale), « l'homme n'est vraiment libre que lorsqu'il s'est affranchi non seulement du joug des choses extérieures, mais encore du joug de ses passions. Tout le monde reconnaît que celui qui obéit à ses désirs d'une manière aveugle n'est pas maître de lui-même, qu'il est l'esclave de son corps, de ses sens, de ses désirs et de ses craintes... Dans ce sens n'est pas comprise la puissance de faire le bien ou le mal et de choisir entre l'un, et l'autre. Au contraire, faire le mal, c'est cesser d'être libre, et faire le bien, c'est l'être en effet. » BIBLIOGRAPHIE. — Voir chap. suivant. Chapitre II. — Origine et Destinée de l'homme. — Unité de l'Espèce humaine. — Antiquité de l'homme.
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DÉVELOPPEMENT Division du Chapitre. 118. — Après avoir établi la nature de l'homme» l'apologiste doit en rechercher l’origine et la destinée : deux questions, la seconde surtout, qui sont d'un intérêt capital pour la morale et la religion. Il y a lieu également de se demander si tous les hommes appartiennent à la même famille et sortent d'un tronc unique, et à quelle date il faut reporter l'apparition du premier homme. D'où quatre articles : 1° Origine ; 2° Destinée de l'homme ; 3° Unité de l'espèce humaine ; 4° Antiquité de l'homme. Art. I. — Origine de l'homme. 119. — État de la question. — En étudiant sa nature, nous avons vu que l'homme est composé d'une double substance : l'une, spirituelle, qui s'appelle l'âme ; l'autre, matérielle, qui s'appelle le corps. Il en résulte que la question de l'origine de l'homme se subdivise en deux points : 1° l’origine de l’âme ; 2° l’origine du corps. Évidemment, pour le matérialiste, le problème ne se présente pas sous le même aspect. N'admettant dans l'homme qu'une substance, faisant de l'homme un animal perfectionné, il n'a pas à se poser la question de l'origine de l'âme, puisque, pour lui, l'âme n'existe pas, tout au moins comme principe distinct : il lui suffit de rechercher l'origine du corps. Pour prouver sa thèse, il doit donc nous présenter les êtres de transition, intermédiaires entre l'animal et l'homme, et nous démontrer, documents en main, que le corps de l'animal a évolué, qu'il s'est transformé peu à peu pour aboutir à la forme humaine. Il l'a tenté en effet ; nous verrons plus loin si ses efforts ont été couronnés de succès. 120. — 1° Origine de l'âme. — L'âme, avons-nous dit, est un principe spirituel, distinct du corps, n'en dépendant que d'une manière toute relative et accidentelle, et pouvant subsister sans lui. Or l'origine d'une substance doit répondre à sa nature. Étant simple et immatérielle, elle ne peut être produite par le corps, qui est une substance composée et matérielle, car il n'y aurait pas proportion entre la cause et l'effet. L'âme ne peut pas sortir davantage de l'âme des parents, car celle-ci, du fait qu'elle est également simple et spirituelle, ne saurait se diviser : ce qui est simple ne se fractionne pas. Reste donc que l'âme soit directement l'œuvre de Dieu et vienne à l'existence par création. Il n'en va pas ainsi de l'âme de l'animal. Celle-ci en effet dépend totalement du corps et par conséquent, doit être produite comme lui, c'est-à-dire par voie de génération. 121. — 2° Origine du corps. — A propos de l'origine du corps, la question qui se pose est la suivante. Le corps du premier homme, considéré indépendamment de son âme, a-t-il été créé directement par Dieu, ou est-il le fruit de l’évolution, auquel cas le corps de l'animal se serait élevé, par étapes successives, à la forme humaine? Remarquons, avant d'aller plus loin, que cette question n'est 'pas définie par l'Église, et que, de ce fait, une certaine latitude est laissée aux apologistes catholiques. Sans doute, il est dit au chapitre n dp la Genèse que « Dieu forma l'homme du limon de la terre et
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lui souffla dans ses narines un souffle de vie » et qu'il forma la femme d'une des côtes d'Adam (v. 7, 21, 22). Il est vrai encore que la plupart des Pères de l'Église ont interprété ces paroles dans le sens obvie d'une création directe de Dieu, et que, conformément à cette opinion traditionnelle, l'Eglise réprouve comme téméraire la théorie des évolutionnistes catholiques, selon laquelle Dieu se serait borné à prendre le corps de l'animal le plus perfectionné et à lui infuser une âme humaine. Mais il y a une autre doctrine évolutionniste plus mitigée, qui ne semble pas inconciliable avec l'opinion traditionnelle de l'Eglise et avec les idées de saint AUGUSTIN (Traité sur la Genèse, l. VII, c. XXIV) et de saint THOMAS (II-Ia q. 91, 2, ad 4) : c'est celle qui professe que Dieu, pour créer l'homme, se serait servi d'un corps déjà organisé auquel il aurait fait un certain nombre de retouches et ajouté quelques perfections avant d'y introduire l'âme. Le limon dont parle la Genèse aurait donc été, dans cette hypothèse, un organisme préparé peu à peu par un long travail d'évolution, et mis au point par une nouvelle intervention directe de Dieu91. Cette remarque faite, voyons, en nous plaçant sur le seul terrain scientifique-, ce que valent les arguments de la thèse matérialiste. 122.— Théorie matérialiste.—A. Ses arguments. — Pour prouver que l'homme sort de l'animal par voie d'évolution, qu'il n'est pas un être à part, qu'il est tout simplement un animal perfectionné, les matérialistes invoquent un triple argument : — a) l'évolution disent-ils, est la loi générale qui gouverne le monde. Le système de LAPLACE la suppose comme une hypothèse nécessaire pour expliquer la formation du monde physique. L'évolution est également admise, du moins d'une manière générale, pour rendre compte des espèces végétales et animales. Mais, s'il en est ainsi pourquoi l'homme seul ferait-il exception et échapperait-il à la loi générale ? b) Les ressemblances qu'il y a entre l'homme et l'animal indiquent leur parenté et leur origine commune. En examinant l'homme, au point de vue de son organisation corporelle (anatomie) et au point de vue de ses fonctions vitales (physiologie), les naturalistes le rangent parmi les mammifères, dans l'ordre supérieur des Primates. Même au-dessus des autres animaux par la perfection de ses organes et de leurs fonctions, il reste cependant par tous ses caractères généraux l'un d'entre eux. « Dans cotte hiérarchie des êtres, dit M. Charles RICHET, l'homme est au premier rang, mais il n'est pas hors rang. Mêmes organes, mêmes appareils, mêmes fonctions, même naissance, même vie, même mort. » II serait donc assez étrange, concluent les matérialistes, que Dieu aurait fait de l'homme l'objet d'une création à part, pour le former sur le même plan et le même modèle que les animaux. c) Les matérialistes veulent en outre prouver la descendance animale de l'homme par l'histoire, ou plutôt, la préhistoire92. Si l'homme a pour ancêtre un animal quelconque,
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Cette opinion est celle de RUSSEL WALLACE, d'ailleurs transformiste convaincu, qui, après Darwin, fut le défenseur le plus ardent de la théorie de la sélection naturelle.
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On appelle préhistoire l'histoire des temps sur lesquels il n'existe aucun document écrit. Cette histoire doit donc être faite par d'autres moyens ; par la découverte, par exemple, des ossements de l'homme (fossiles), d'objets (outils, armes, parures), d'habitations qui ont été à son usage A ses yeux, le corps de l'homme doit à la fois à la sélection naturelle et à l'intervention divine les facultés qui le
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le singe ou le kangourou, la paléontologie doit retrouver, parmi les fossiles, les êtres de transition qui, conformément à la loi de l'évolution, auraient marqué le passage entre le point de départ et le point d'arrivée. Ces formes transitoires existent-elles? A plusieurs reprises, les matérialistes l'ont pensé. Voici, du reste, en suivant, l'ordre de leur découverte, les principaux fossiles dans lesquels ils ont cru retrouver le précurseur de l'homme : — 1. le crâne de Neandertal, en Prusse Rhénane (1856), le crâne de Gibraltar (1866), les deux squelettes de Spy, en Belgique (1886) ; les fameux ossements (fragments de crâne, fémur et quelques dents) retrouvés dans l'île de Java par le docteur DUBOIS et baptisés par lui du nom de Pithécanthrope de Java (1895) ; dix à douze crânes et squelettes humains, de l'abri de Krapina, en Croatie (1899) ; -2. plus récemment, la mâchoire de Mauer, près de Heidelberg, et celle de Piltdown, en Angleterre (1907) ; les squelettes de la chapelle-aux- Saints, en Corrèze, de Moustier, en Dordogne (1908) ; les deux squelettes de la Ferrassie, en Dordogne, l'un d'homme, l'autre de femme (1909) ; le crâne de la Rhodésie, dans l'Afrique du Sud (1921). Tous ces fossiles sont des représentants des deux plus anciennes races connues : la race chelléenne et la race moustérienne dont les types les plus caractéristiques sont, pour la première, le Pithécanthrope de Java et le crâne de la Rhodésie, et pour la seconde, le crâne de Neandertal et l'homme de la Chapelle-aux-Saints. Or, les fossiles paraissent, aux yeux des transformistes, présenter les caractères réclamés par leur théorie : le crâne fuyant, prolongé en avant par des arcades sourcilières très saillantes, extrême petitesse de l'angle facial (V. note 4, p. 117), grand développement de la face qui se termine en museau, nez large et profondément enfoncé, réduction ou même inexistence du menton, bref, tout un ensemble qui rapproche de la forme pithécoïde (singe) ; d'autre part, des bras, des jambes, des mains, des doigts qui tiennent de l'homme par leurs dimensions. Tel est, disent les transformistes, l'être intermédiaire ; en tout cas, si ce n'est pas lui, rien ne nous empêche de conjecturer qu'il peut avoir existé à l'époque tertiaire et que les paléontologistes l'y retrouveront un jour. D'ailleurs, ajoutent-ils, il n'est même pas besoin de recourir au passé pour découvrir les échelons intermédiaires entre l'homme et l'animal. D'une part, le sauvage actuel est un témoin vivant de ce type primitif: il lui ressemble par sa structure physique et il n'est guère supérieur à l'animal, ni par son intelligence ni par sa moralité. D'autre part, l'enfant, dans sa lente évolution, reproduit toutes les phases de transition qu'a dû traverser l'intelligence humaine avant de sortir complètement de l'animalité. 123. — B. Ce que valent les arguments matérialistes. — Reprenons les arguments matérialistes et voyons ce qu'ils valent. — a) l'évolution, disent les matérialistes, est partout ou elle n'est nulle part. Or il est difficile de contester qu'elle existe, au moins dans le monde physique. Donc elle s'étend à tous les êtres, sans qu'il y ait lieu de faire d'exception pour l'homme. C'est là un argument que les fixistes n'ont pas de peine à rétorquer. « Si l'évolution, disent-ils, est la loi qui régit la vie dans la plus large acception du mot, la vie végétale comme la vie animale, elle ne peut être qu'une1 loi générale embrassant fous les êtres qui ont habité ou qui habitent le globe, s'étendant à tous les temps et à toutes les régions. Or, dans les temps actuels comme dans les temps caractérisent : il y aurait eu intervention de Dieu pour donner la forme humaine à un organisme déjà préparé par l'évolution.
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préhistoriques, aussi haut que nous puissions remonter, nous ne voyons aucune trace de l'évolution, aucune espèce, aucun genre, aucun ordre en voie de formation, et nous pouvons dire que les espèces quaternaires, qui ont encore des représentants parmi nous, n'ont pas éprouvé de modification organique qui autorise l'idée d'une transformation du type spécifique.»93 En d'autres termes, si l'évolution est une loi générale qui s'applique à tous les temps et à tous les êtres, les transformistes devraient être en mesure de nous fournir des exemples actuels d'animaux en train d'évoluer, de singes, — si les singes sont nos ancêtres, — en voie de devenir hommes. On ne peut donc pas dire que l'évolution est la loi générale qui gouverne le monde94, et pas davantage, que la théorie du transformisme soit établie scientifiquement (V. N° 94 et 95). b) Les ressemblances entre l'homme et l'animal, dont les matérialistes font grand état, sont singulièrement contrebalancées par les divergences sur lesquelles ils insistent moins. Si l'on compare le corps de l'homme, avec celui du singe, par exemple, il y a des différences essentielles : l'attitude verticale propre à l'homme95, l'existence de deux mains seulement, l'angle facial96, qui, dans la race humaine, flotte entre 70 et 90°, tandis qu'il n'atteint chez le singe qu'un maximum de 50° — sans parler des facultés de l'âme, raison et liberté, qui mettent un abîme entre les deux. Par ailleurs, comment expliquer, dans l'hypothèse de la descendance animale de l'homme, que l'animal soit supérieur à l'homme par ses organes des sens (ex : odorat du chien), quand la sélection naturelle aurait dû développer chez l'homme les qualités qui existaient déjà chez l'animal? Pourquoi l'homme a-t-il été jeté nu sur la terre nue, nudus in nuda humo, comme dit PLINE L'ANCIEN? Si les poils étaient pour l'animal un précieux avantage pour le garantir du froid, n'auraient-ils pas pu rendre le même service à l'homme? Ainsi, tandis que l'animal porte en soi des armes de défense qui lui permettent de lutter contre ses adversaires, l'homme en est réduit à les chercher dans les forces de la nature. Donc, même à ne considérer que le corps, la 'parenté directe entre l'homme et l'animal n'existe pas. c) Quant aux formes de transition, invoquées par les évolutionnistes matérialistes, il est permis de dire que la paléontologie n'a pas encore fait jusqu'ici de découvertes bien concluantes. HUXLEY, dont le témoignage ne saurait être suspect, n'a-t-il pas dit, à 93
DE NADAILLAC, L'homme et le singe.
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A supposer que l'évolution fût une loi définitivement établie, elle ne supprimerait pas Dieu. Nous avons prouvé ailleurs (N° 45) qu'il n'en faudrait pas moins recourir à un Etre tout-puissant pour créer la matière et régler son développement selon la loi de révolution. 95
« L'homme, dit DE LAPPARENT, est le seul mammifère dont la station soit absolument verticale, et dont le visage soit fait pour regarder en face, en respirant à pleins poumons, le Ciel où sa destinée l'appelle. » La Providence créatrice. — Le poète latin avait dit déjà : Os homini sublime dédit, coelumque tueri Jussit... 96
L'angle facial est l'angle formé par la rencontre de deux lignes hypothétiques; l'une, verticale, allant des incisives supérieures au point le plus saillant du front ; l'autre, horizontale, allant du conduit auditif aux mêmes dents.
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propos des ossements trouvés à Neandertal, qu'ils « ne peuvent être considérés comme ceux d'un intermédiaire entre l'homme et le singe ?» Les autres documents paléontologiques qui nous restent, ont souvent d'ailleurs une valeur douteuse : ainsi il est bien difficile de dire si les ossements qu'on a attribués au pithécanthrope de Java, ont réellement appartenu au même individu. « Au surplus, les squelettes, nous dit M. BONNIER (L'enchaînement des organismes), ainsi que plusieurs crânes humains des dépôts quaternaires les plus anciens, indiquent des races humaines évidemment supérieures aux plus dégradées de celles qui sont actuellement vivantes. » Cela nous amène à envisager le cas du sauvage qui, dans l'hypothèse matérialiste, serait aujourd'hui encore, un représentant de la forme intermédiaire entre l'animal et l'homme. Les évolutionnistes prétendent qu'il y a moins de distance entre l'animal et le sauvage? qu'entre-le sauvage et l'homme civilisé. C'est là une assertion dont l'absurdité est manifeste, car il est incontestable qu'entre le sauvage et le civilisé il n'y a aucune différence de nature, et que seul le développement diffère. Le sauvage, tout sauvage qu'il est, reste homme dans toute la force du terme, c'est-à-dire doué d'une âme raisonnable qui le rend apte au progrès, alors que l'animal, même dressé, ne devient jamais capable de penser, de raisonner, d'inventer, etc. Sans doute, l'intelligence des sauvages est inférieure parce qu'elle n'est pas cultivée, mais elle ne représente pas un moyen terme entre l'intelligence du civilisé et l'instinct de l'animal. Nous pouvons en dire autant de l'enfant. L'évolution, par laquelle il passe, avant de devenir homme, ne répète nullement les phases qu'aurait traversées l'humanité ; il ne faut pas considérer l'enfant comme s'il était simple animal d'abord, et s'élevait peu à peu à la forme humaine. L'enfant obéit seulement aux lois du développement qui régissent la nature de l'homme. Conclusion. — De ce qui précède il ressort que, dans l'état actuel de la science, les matérialistes ne peuvent apporter aucune preuve de la descendance animale de l'homme. — 1. Au point de vue de l'âme, il y a une démarcation radicale entre l'homme et la brute ; le passage de l'un à l'autre n'a pu se faire, car l'évolution développe bien ce qui existe déjà, mais ne crée pas ce qui n'est pas en germe. — 2. Au point de vue du corps, l'hypothèse évolutionniste n'est aucunement vérifiée. Tous les squelettes humains que renferment nos musées appartiennent à la même humanité que la nôtre ; l'homme a fait son apparition sur la terre avec tous les caractères qui le distinguent aujourd'hui et le séparent de l'animal. Que si les recherches scientifiques démontrent un jour le contraire, l'Église sera la première à adopter une solution qu'elle n'a jamais combattue officiellement97.
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Le livre de M. BOULE, professeur au Muséum national d'Histoire naturelle, paru au début de 1921, et qui a pour titre : « Les hommes fossiles », ne saurait modifier notre conclusion. Après avoir rappelé les principales découvertes de fossiles faites jusqu'à nos. jours, ce savant paléontologiste prétend que de la reconstitution anatomique des nommes préhistoriques qu'il est permis de faire d'après les squelettes qu'on a retrouvés, il ressort que l'homme primitif diffère moins des singes anthropoïdes que ceux-ci des singes inférieurs. S'appuyant alors sur ce principe que « te ressemblance prouve la parenté », M. BOULE conclut que le corps de l'homme provient par filiation soit d'un singe, soit d'un ancêtre commun au singe et à l'homme. Cette déduction n'est qu'une hypothèse que nous sommes en droit de ne pas admettre, tant qu'elle n'est pas vérifiée. (V. N« 94 et 95). De toute façon, elle ne concerne que le corps ; l'abîme entre l'âme de l'homme et l'âme des bêtes reste Infranchissable
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Art. II. — Destinée de l'homme. Immortalité de l'âme 124. — 1° Importance de la question. — La question de la destinée de l'homme n'offre pas moins d'intérêt pour l'apologiste que celle de son origine, car, plus encore que belle-ci, elle est grosse de conséquences. « Toutes nos actions et nos pensées, dit PASCAL, doivent prendre des routes si différentes, selon qu'il y aura des biens éternels à espérer ou non, qu'il est impossible de faire une démarche avec sens et jugement, qu'en la réglant par la vue de ce point, qui doit être notre dernier objet... Notre premier intérêt et notre premier devoir est de nous éclaircir sur ce sujet, d'où dépend toute notre conduite... Je trouve bon qu'on n'approfondisse pas l'opinion de Copernic, mais ceci ! Il importe à toute la vie de savoir si l'âme est mortelle ou immortelle. » (Pensées, art. IX et art. XXIV, 17). 125. — 2° Définition de l'immortalité. — Que faut-il entendre d'abord par l’immortalité ? Évidemment il faut écarter : — 1. la conception des positivistes pour qui « l'immortalité réside tout entière dans les suites que peuvent avoir nos actes pour l'avenir et le bonheur de l'espèce » (H. SPENCER), OU encore dans le long souvenir que nous laisserons dans la postérité ; — 2. la conception panthéiste qui considère l'âme comme une parcelle de la divinité, appelée à rentrer un jour dans le Grand Tout dont elle a été momentanément détachée, et à se confondre avec lui en perdant sa propre personnalité. L'immortalité, comme les spiritualistes chrétiens l'entendent, c'est la survivance de l'âme qui, à sa séparation d'avec le corps, continue de vivre de sa vie propre, gardant ses facultés supérieures, son identité, le souvenir de son passé et le sentiment de sa responsabilité. D'une immortalité ainsi comprise, nous allons voir quelles sont les preuves. 126. — 3° Preuves de l'immortalité de l'âme. — Trois arguments nous démontrent l'immortalité de l'âme : un argument métaphysique, un argument psychologique et un argument moral. A. ARGUMENT MÉTAPHYSIQUE. — L'immortalité de l'âme découle de sa nature, c'est-à-dire de la double propriété qu'elle a d'être une substance simple et spirituelle — 1. Etant simple, —non composée de parties, — elle ne peut pas périr par décomposition, à la manière des corps matériels, dont la mort consiste précisément dans la dissolution des éléments qui les composent. — 2. Etant spirituelle, — ne dépendant pas essentiellement du corps, — elle ne saurait être entraînée dans la destruction de celui-ci, vu qu'elle a tout ce qu'il lui faut pour pouvoir lui survivre. Il est vrai que l'âme humaine, comme toutes les créatures, est contingente : de même qu'elle aurait pu ne pas exister, de même elle pourrait être annihilée. Mais la raison démontre qu'urne telle annihilation répugne aux attributs de Dieu, en particulier à sa bonté et à sa justice, comme nous allons le voir dans les deux arguments qui suivent98.
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Malgré sa force, cette preuve ne doit pas être isolée des deux autres. Car, d'une part, l'anéantissement, qui est la base de l'argument, n'est nullement inconcevable : Dieu peut rendre au néant ce qu'il lui a pris ; d'autre part, l'immortalité de la substance n'est pas nécessairement
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B. ARGUMENT PSYCHOLOGIQUE. — II doit y avoir équation entre les penchants naturels d'un être ci les moyens de les satisfaire, autrement, cet être serait mal fait, et la «sagesse et la bonté de Dieu seraient en défaut. Or les aspirations de l'homme réclament l'immortalité de son âme. Son cœur en effet est plein d'un immense désir de bonheur et soupire après une vie où il puisse connaître le vrai, contempler le beau et aimer le bien. Il est évident, par ailleurs, qu'il ne rencontre ici-bas que vérités incomplètes, imperfections et joies éphémères. Il faut donc une autre vie où l'âme étanche sa soif de bonheur, et une vie sauf fin, car on ne peut jouir pleinement d'un bien qu'autant qu'il n'y a pas crainte de le perdre un jour. Il faut que Dieu qui a mis dans notre âme le besoin d'infini, en même temps que le sentiment de ne l'atteindre jamais dans cette vie, nous réserve un avenir où il y ait proportion entre nos désirs et les moyens de les réaliser ; sinon, l'homme, qui est l'être le plus parfait de la terre, serait aussi le plus malheureux : au lieu que l'animal trouve les jouissances que réclame son instinct, lui seul serait condamné par sa nature à poursuivre une fin à laquelle il lui serait impossible de parvenir. C. ARGUMENT MORAL. — L'immortalité de l'âme est une condition de la morale. Il est conforme, en effet, à la justice de Dieu que chacun reçoive selon ses œuvres, que le bien soit récompensé, et le vice puni. Or il est assez évident que dans la vie présente cet ordre n'est pas toujours observé ; il n'est pas rare que la force prime le droit et que le vice l'emporte sur la vertu. C'est là assurément une situation injuste et anormale que Dieu ne peut tolérer que passagèrement. Il faut donc admettre que Dieu ne dit pas son dernier mot ici-bas, qu'il attend une autre vie où il fera les compensations nécessaires et où chacun recevra selon son mérite. Pour cela, l'âme humaine doit être immortelle et garder sa vie individuelle, consciente de son passé, de ses fautes comme de ses vertus. D. CONSENTEMENT UNIVERSEL. — Aux preuves qui précèdent, la croyance de tous les peuples peut être ajoutée comme un confirmatur. Nous trouvons des traces de la croyance à l'immortalité de l'âme dans tous les temps et dans tous les pays. Que le séjour des bons s'appelle Ciel ou Elysée ; le séjour des méchants, Enfer ou Tartare, c'est toujours de la même foi à une survie des âmes qu'il est question. Les cérémonies funèbres, le culte des morts, les prières en leur faveur, n'auraient guère de sens en dehors de la croyance à l'immortalité de l'âme. Ajoutons enfin que cette croyance n'est pas un fruit de la civilisation, car elle se retrouve aussi bien chez les peuples sauvages : « Quelle que soit la dégradation de certaines peuplades sauvages, dit LIVINGSTONE, il est deux choses qu'on n'a pas besoin de leur enseigner, c'est l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme. » Art. III. — Unité de l'espèce humaine.
l'immortalité de la personne. Il importe donc de compléter cette preuve par les deux autres preuves : psychologique et morale.
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127. — État de la question. — Tous les hommes qui composent l'humanité ont-ils une descendance commune et appartiennent-ils à la même espèce99? Voilà bien une question qu'il importe de résoudre, car le monogénisme, c'est-à-dire la provenance de tous les hommes d'un couple unique, est impliqué dans les dogmes du péché originel et de la rédemption, qui sont à la base de la religion chrétienne. Il s'agit donc de savoir si la science est en opposition ou s'accorde avec la foi qui, s'appuyant sur l'Écriture, affirme que le genre humain tout entier est issu d'un seul homme, Adam, et d'une seule femme, Eve. Le monogénisme a été nié, au XVIIe siècle, par un gentilhomme protestant, DELA PEYRERE, qui, se figurant que les hommes dont la Genèse rapporte la création au VIe jour (Gen., i, 26 et suiv.), n'étaient pas les mêmes qu'Adam et Eve dont il n'est parlé qu'au chapitre n, crut qu'il y avait eu deux créations, et partant, deux espèces : la première, les Préadamites d'où seraient venus les Gentils, la seconde, les Adamites d'où seraient issus les Juifs. Cette opinion qui s'appuie uniquement sur une fausse interprétation de la Bible, et qui fut rétractée par son auteur, lorsqu'il passa au catholicisme, fut reprise par les philosophes du XVIIe siècle, au nom de la science et de la raison. Mais depuis que DE QUATREFAGES a accumulé, dans son ouvrage l’Espèce humaine, les faits et les preuves qui démontrent lé monogénisme, la question est résolue dans ce sens. Nous allons, du reste, passer rapidement en revue les arguments des polygénistes, et nous verrons comment les monogénistes y répondent. 128. — 1° Arguments des polygénistes. — Si l'on compare les différents groupes humains et que l'on considère les principaux caractères morphologiques qui les distinguent, tels que la couleur de la peau, la nature des cheveux, la conformation du crâne et de la face, l'angle facial, l'on peut partager l'humanité en trois types fondamentaux : le type blanc ou caucasien, le type jaune ou mongolique, le type nègre ou éthiopique. — a) La race blanche se caractérise par la couleur blanche de la peau, par les cheveux soyeux, lisses ou bouclés», par un crâne bien développé, un front large et élevé, par des arcades sourcilières peu saillantes, par l'ouverture des yeux horizontale, le nez droit, le menton non fuyant et par un angle facial voisin de 90°. Cette race que nous trouvons en Europe, au nord de l'Afrique et de l'Amérique et dans une partie du sud-ouest de l'Asie, comprend 42 % de la population totale du globe. — b) La race jaune se distingue par la couleur jaune, les cheveux raides, le crâne brachycéphale c'est-à-dire court d'avant en arrière, la face large, les pommettes saillantes, les yeux obliques et étroits, le nez plus large que chez le blanc, mais non aplati, comme chez le nègre, un angle facial un peu plus petit que chez le blanc. La race jaune qui occupe presque toute l'Asie, sauf le sud-ouest, représente 44 % de l'humanité. — c) La race nègre se caractérise par la couleur, qui va du brun foncé jusqu'au noir le plus pur, les cheveux laineux, le crâne dolichocéphale c'est-à-dire allongé d'avant en arrière, le front étroit et fuyant, les arcades sourcilières saillantes, les yeux grands et noirs, le nez court et aplati, lés mâchoires prognathes (du grec pro, en avant et gnathos, mâchoires) c'est-à-dire projetées en avant et terminées par des lèvres épaisses,
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L'espèce est définie par DE QUATREFAGES « l'ensemble des individus plus ou moins semblables entre eux qui peuvent être regardés comme descendus d'une paire primitive unique par une succession ininterrompue et naturelle de familles. »
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ce qui rend le menton fuyant, par un angle facial qui descend quelquefois à 70°. La race nègre qui peuple l'Afrique, sauf le Nord, les îles africaines méridionales, Madagascar, quelques îlots asiatiques, l'Australie et la Mélanésie, et qui se trouve disséminée en Amérique, compte 12 % de l'espèce humaine. — L'on pourrait ajouter à ces trois types principaux les races mixtes, comprenant des groupes aux caractères mélangés, tels que les Peaux-rouges qui sont dispersés dans toute l'Amérique et forment 1 ou 2 % de l'humanité. Ainsi, les polygénistes, insistant sur les différences qui caractérisent les trois types que nous venons de passer en revue, concluent que l'humanité n'a pas une descendance commune et se rattache à plusieurs ancêtres. 129. — 2° Preuves du monogénisme. — Les partisans du monogénisme prouvent l'unité de l'espèce humaine par un double argument. — a) Ils montrent d'abord que les différences invoquées par les polygénistes ne sont pas telles qu'elles constituent des espèces différentes, mais seulement des races distinctes : c'est la preuve indirecte ou négative. — b) Puis ils établissent que les ressemblances entre les races appellent l'unité de l'espèce : c'est la preuve directe et positive. A. PREUVE INDIRECTE. — Aucun des traits qui différencient les trois types cidessus mentionnés, ne peut être considéré comme constituant une divergence essentielle entre eux, d'autant plus qu'il y a des différences plus grandes entre certaines races d'animaux dont on ne conteste pas l'unité d'espèce. Les polygénistes invoquent : — 1. la couleur. Or tout le monde sait que la coloration de la peau résulte de l'influence du milieu et du régime, et qu'elle dépend de la couche de pigment qui se trouve entre le derme et l'épiderme, couche qui s'épaissit et brunit au soleil ; — 2. la nature des cheveux. Quelle que soit leur couleur ou leur forme, leur nature est la môme dans toutes les races ; les cheveux restent toujours des cheveux. Les variations sont plus grandes chez certains animaux, par exemple, chez les moutons qui perdent leur toison en Afrique pour se couvrir d'un poil court et lisse ; — 3. les différences anatomiques, en ce qui concerne surtout là conformation du crâne et de la tête. Or il y a pou de différence entre les races sous le rapport de la capacité crânienne : le poids moyen du cerveau des hommes blancs dépasse un peu 1400 grammes tandis qu'il atteint à peine 1250 grammes chez les nègres ; encore faut-il ajouter que bien des cerveaux de blancs dont l'intelligence est incontestée, comme celui de Gambetta, s'abaisse au-dessous de celui des nègres. Combien moins grandes sont ces différences si on les compare à celles qui existent dans certaines races animales telles que le bouledogue, le lévrier et le barbet! La différence dans la conformation de la tête, — crâne brachycéphale (court et large) chez les blancs; dolichocéphale (allongé d'avant en arrière) chez les nègres, l'allongement de la face qui distingue les orthognathes des prognathes,— n'a pas davantage une valeur absolue, car il est facile de constater qu'il existe des dolichocéphales et des prognathes dans toutes les races. L'on pourrait encore alléguer la différence dans la taille : il y a des Patagons qui mesurent environ deux mètres tandis que des Bochimans ont à peine un mètre ; mais combien cet écart est moins grand que parmi certaines races d'animaux! le chien épagneul n'a que les 2/10 de la taille du Saint-Bernard. — 4. h'angle facial varie à peine de 20° parmi les races humaines tandis qu'il descend brusquement à 40° chez les singes.
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Les polygénistes objectent encore la diversité des langues dont certaines paraissent n'avoir aucune racine commune. S'il en était ainsi, -— et plusieurs philologues distingués comme Max Muller le contestent, — l'on pourrait seulement en conclure que la langue primitive unique aurait disparu sans laisser partout de traces. B. PREUVE DIRECTE. — Les différences entre les races ne dressent pas entre elles une barrière infranchissable. Il y a plus. Leur communauté d'origine ressort de leurs ressemblances : — 1. Ressemblances anatomiques. « Plus on étudie, dit DE QUATREFAGES, et plus on s'assure que chaque os du squelette, depuis le plus volumineux jusqu'au plus petit, porte avec lui dans sa forme et dans ses proportions, un certificat d'origine impossible à méconnaître ». — 2. 'Ressemblances physiologiques. Tant au point de vue de la vie de l'individu que de la conservation de l'espèce, les races sont identiques et diffèrent notablement des animaux. De plus, l'interfécondité des races est le signe le plus évident de l'unité de l'espèce100.— 3. Ressemblances psychologiques. Si nous considérons les races, du point de vue intellectuel et moral, il y a sans contredit de notoires différences dans leur degré de culture et de moralité, mais elles sont loin d'être irréductibles et les distances peuvent être comblées, plus ou moins vite, par l'éducation : aussi bien ne peut-on pas observer de pareils écarts entre individus de même race et de même pays? N'y a-t-il pas, à Paris même, des individus à demi-sauvages à côté de gens de la plus haute culture? Quoi qu'il en soit du degré de civilisation propre à certains individus et à certaines races, il est bien certain que tous les hommes sont doués d'intelligence, capables, par le fait, de penser, de raisonner, de progresser et d'inventer. Mais, dira-t-on encore, si les hommes actuels paraissent descendre du même couple, peut-on affirmer la môme chose des hommes qui ont appartenu aux temps préhistoriques? « Quand on visite les collections préhistoriques, répond à cela le marquis DE NAPAILLAC, il est impossible de se défendre d'un véritable étonnement en voyant partout les mêmes formes, les mêmes procédés de travail, et cela chez des populations sans communication entre elles, séparées par des océans ou par des déserts arides. » Conclusion. — De ce qui précède nous pouvons tirer une double conclusion : — a) Si l'on se place sur le seul terrain scientifique, l'on constate que tous les hommes sont morphologiquement et physiologiquement semblables : leur descendance commune est donc vraisemblable. « En a-t-il été réellement ainsi? ajoute DE QUATREFARGES. N'y a-t-il eu, en effet, au début, pour chaque espèce animale, qu'une seule et unique paire? Ou bien plusieurs paires entièrement semblables morphologiquement et physiologiquement, ont-elles apparu simultanément et successivement? Ce sont là des questions de fait que la science ne peut ni ne doit aborder, car ni l'expérience ni l'observation ne lui apportent la moindre donnée pour les résoudre. Mais ce que la science peut affirmer, c'est que les choses sont comme si chaque espèce (et par conséquent l'espèce humaine) avait eu pour point de départ une
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II faut noter en effet que le caractère essentiel qui distingue la race de l'espèce, c'est que les croisements entre individus de races différentes sont indéfiniment féconds, tandis qu'entre individus d'espèces différentes, même les plus rapprochées, ils sont frappés de stérilité immédiate ou du moins à brève échéance.
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paire primitive unique. »101 — b) La science ne fait donc pas opposition à la doctrine de l'Église qui enseigne que tous les hommes descendent d'un seul couple, qu'ils sont tous frères par l’origine et la nature. Art. IV. — De l'Antiquité de l'homme. 130. — La foi nous enseigne, — et la science n'y contredit pas, — que l'humanité tout entière descend d'un couple unique. Une dernière question intéresse l'apologiste : c'est celle de savoir quand ce couple primitif fit son apparition sur la terre. Quel est sur ce point l'enseignement de l'Église? Est-il en opposition avec les données de la science? 1° Antiquité de l'homme d'après la Foi. — Pour fixer l'âge de l'humanité, l'Église ne peut trouver d'autres renseignements que ceux de la Bible qui raconte la création du premier homme. Malheureusement, « la Bible, dit François LENORMANT, ne donne aucun chiffre positif au sujet de la naissance du genre humain. Elle n'a pas, en réalité, de chronologie pour les époques initiales de l'existence de l'homme, ni pour celle qui s'étend de la création au déluge, ni pour celle qui va du déluge à la vocation d'Abraham. Les dates que les commentateurs ont prétendu en tirer sont purement arbitraires et n'ont aucune autorité dogmatique ; elles rentrent dans le domaine de l'hypothèse historique. La chronologie de la Bible, dont on ne connaît pas le vrai texte, ne se présente à nous que profondément corrompue... On est forcément amené à refuser tout caractère historique aux chiffres de durée énoncés dans la Genèse, à l'occasion des patriarches antédiluviens... les nombres sont aujourd'hui tellement incertains que l'étude vraiment scientifique on est presque impossible. Les trois recensions du texte canonique : hébreu ou de la Vulgate, des Septante, Samaritain, offrent entre elles des divergences énormes ; et saint Augustin n'hésitait pas à reconnaître, comme le fait aujourd'hui la critique, les traces de remaniements artificiels et systématiques.»102 Ainsi, notons ces deux points importants : — a) La Bible ne fournit aucun chiffre sur la date d'apparition du premier homme ; — b) on ne connaît pas le texte original de la Bible, et les dates données pour la vie des patriarches antédiluviens varient avec les différentes versions : il y a donc eu de la part des copistes altération des chiffres. Pour ce double motif les calculs des exégètes qui ont voulu établir l'âge de l'humanité, présentent de grands écarts, si bien que la création du premier homme remonterait, selon les uns, à 3.500 ans environ avant Jésus-Christ, à 7.000 ans, selon les autres. Mais en admettant même que le texte original de la Bible fût connu, il resterait à démontrer que l'autour inspiré entendait nous donner une chronologie authentique et une histoire complète du peuple hébreu. Il apparaît, au contraire, que son but essentiel était d'inculquer aux Juifs des vérités morales et religieuses. Qu'il existe des lacunes dans les arbres généalogiques des premiers patriarches, la chose paraît vraisemblable, évidente même, si l'on prend soin de remarquer que les écrivains sacrés comme tous les Orientaux, se laissèrent guider généralement dans leurs chronologies par une raison 101
DE QUATREFAGES, L'Espèce humaine
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FRANÇOIS LENORMANT, Manuel de l'histoire ancienne de l'Orient; les Originel de l'histoire.
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mnémotechnique. Il ne faut pas oublier en effet que les Livres sacrés étaient destinés à être appris par cœur. Alors pour faciliter le travail de la mémoire, leurs autours n'hésitaient pas, dans les listes généalogiques, à supprimer des intermédiaires et à grouper les noms dans des nombres plus commodes à retenir. C'est pour cette raison sans doute que les patriarches d'avant et d'après le déluge, sont partagés en deux groupes de dix. L'on peut trouver, d'ailleurs, des exemples analogues, dans des livres où les omissions sont faciles à contrôler : telle, par exemple, la généalogie de Jésus par saint Matthieu, où trois noms d'ancêtres les plus connus, Ochozias, Joas et Amazias, sont passés sous silence, sans doute parce que l'Évangéliste voulait diviser sa liste en trois groupes symétriques de quelques noms chacun. Il faut donc conclure que la Bible ne fixe aucune date pour l'apparition du premier homme. Mais, objectent les adversaires mal intentionnés ou mal informés, comme Gabriel DE MORTILLET, est-ce que BOSSUET lui-même dans son Discours sur l'Histoire universelle n'a pas fait remonter la création du monde à 4.000 ans avant Jésus-Christ, date que certains catéchismes ont répétée et répètent encore? Sans doute, mais ni Bossuet, ni les catéchismes n'ont jamais émis la prétention de donner cette chronologie comme un enseignement officiel de l'Église. Et la preuve en est bien que ceux qui font profession d'exégèse ne se croient nullement liés par une date quelconque, et que l'un des plus illustres d'entre eux, LE HIE, a pu écrire les paroles suivantes que nous adoptons comme conclusion. « La chronologie biblique flotte indécise ; c'est aux sciences humaines qu'il appartient de trouver la date de la création de notre espèce. » 131. — 2° Antiquité de l'homme d'après la Science. — La question de l'antiquité de l'homme, que l'Église n'a jamais eu la prétention de trancher, est-elle résolue par la Science? Celle-ci est-elle en mesure de déterminer, au moins d'une manière approximative, la date à laquelle il faut reporter les débuts de l'humanité ? Avant de répondre à cette question, demandons-nous de quels éléments d'information la science dispose pour résoudre le problème. Évidemment l'histoire ne saurait lui apporter sur ce point aucun renseignement ; celle-ci, remonte en effet, à peine à 2.000 ans avant JésusChrist. Il y a bien encore les monuments et les traditions populaires que l'on rencontre dans les pays réputés les plus anciens comme la Chine, l'Inde, l'Egypte, la Chaldée. Mais les monuments datent d'une époque où les nations étaient déjà constituées et ne peuvent avoir dès lors qu'une antiquité très restreinte, et quant aux traditions populaires, elles appartiennent plutôt au domaine de la légende qu'à celui de l'histoire ; par exemple, le chiffre de plus de deux millions que certains lettrés chinois assignent à l'existence de leur pays ne repose sur aucun fondement, L''histoire n'est donc d'aucune utilité dans la solution du problème ; tout au plus, peut-elle fixer un minimum au delà duquel la science doit porter son enquête. L'antiquité de l'homme ne saurait dès lors être déterminée que par la préhistoire, si tant est qu'elle puisse l'être. Or la science préhistorique est elle-même très imparfaite pour la bonne raison qu'elle doit faire appel à d'autres sciences telles que la géologie, la paléontologie, l'archéologie, qui sont incapables de marquer des dates précises. Quoi qu'il en soit, il s'agit pour la préhistoire de retrouver les premières traces de l'espèce humaine et de calculer combien d'années ont pu s'écouler depuis. Or, comme on peut le voir aisément, le problème une double difficulté. La première c'est que la
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géologie n'est jamais sûre d'atteindre les traces du premier homme, et la seconde c'est qu'il n'est guère possible d'établir de chronologie. Voici maintenant comment les savants procèdent pour solutionner le problème. Le premier travail est celui de la géologie. Étudiant les différentes phases par lesquelles la terre a passé, depuis la formation de son écorce, les géologues distinguent cinq périodes, de durée plus ou moins longue, désignées, suivant la nature des terrains et leur ordre de superposition, sous les noms de primitive, primaire, secondaire, tertiaire et quaternaire. La vie commence à partir de la période primaire, mais c'est seulement dans les terrains quaternaires que l'on trouve des traces certaines de l'homme ; l'hypothèse de son apparition à l'époque tertiaire n'a pu être démontrée jusqu'ici. Et il faut entendre par traces certaines, non seulement les ossements qui sont un témoignage irrécusable de son existence, mais encore les objets dont on peut garantir qu'ils furent travaillés ou utilisés par lui : tels sont les silex taillés, les os façonnés en poinçons, en aiguilles et en harpons, les colliers et les pendeloques qui lui servaient d'ornements. Tous les préhistoriens s'accordent à dire que les silex de la forme chelléenne103, taillés en amande aplatie, représentent pour le moment les traces les plus anciennes de l'existence de l'homme. En 1867, l'abbé BOURGEOIS, supérieur du petit séminaire de Pontlevoy, découvrira Thenay (Loir-et-Cher),dans des couches marneuses du miocène104, de nombreux éolithes ou silex éclatés qui lui paraissaient indiquer les traces du travail humain. Mais, en 1878, au congrès du Trocadéro, la majorité d'une commission scientifique fut d'avis contraire. Il a été reconnu, depuis, que ces éolithes pouvaient tout aussi bien être le résultat d'agents naturels et que, par exemple, des silex entraînés par un torrent pouvaient, en s'entrechoquant, produire les éclatements que l'abbé BOURGEOIS avait pris pour l'œuvre de l'homme. Il n'y a donc pas de preuve que les débuts de l'humanité doivent être reportés au tertiaire. La chronologie doit, par conséquent, jusqu'à preuve du contraire, s'établir à partir de l'époque quaternaire. Or celle-ci se divise en deux parties : l'époque glaciaire et l'époque moderne. L'époque glaciaire se subdivise elle-même en trois phases principales d'avancement suivies d'une période intermédiaire de recul des glaciers. Les restes de squelettes humains font défaut au commencement de l'ère quaternaire ; par contre, les plus anciens silex travaillés par l'homme, qu'on a retrouvés, sont considérés par les géologues comme de l'époque qui a précédé la seconde invasion glaciaire.
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Au point de vue archéologique, et en considérant la matière, la forme, et le degré de perfection des instruments, des armes, etc., qui furent travaillés par les hommes primitifs, on distingue trois âges : l'âge de la pierre, l'âge du bronze et l'âge du fer. L'âge de la pierre se subdivise en trois périodes : éolithique ou de la pierre éclatée, paléolithique ou de la pierre taillée et néolithique ou de la pierre polie. La période paléolithique se subdivise à son tour en quatre époques connues sous le nom des endroits on les divers types caractéristiques semblent dominer : l'époque chelléenne (Chelles, commune de Seine-et-Marne), l'époque moustérienne (de Moustier, dans la Dordogne), l'époque solutréenne (Solutré, commune de Saône-et-Loire), l'époque magdalénienne (de la Madeleine, Dordogne). 104
La période tertiaire comprend quatre phases : éocène, oligocène, miocène et pliocène. C'est dans une couche du miocène que les silex en question de l'abbé BOURGEOIS furent trouvés.
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Toute tentative de chronologie doit dès lors prendre là son point de départ. Mais comment apprécier l'âge de l'époque quaternaire? On l'a essayé en se basant sur la marche des glaciers. Les uns, comme DE MORTILLET, ont évalué l'âge de l'humanité à plus de deux cent mille ans ; d'autres, à dix mille ans. L'écart des deux chiffres suffit à montrer combien les résultats de la science manquent de précision. Conclusion. — Ainsi, comme on peut le voir, d'une part, la Foi ne peut être en contradiction avec la Science, vu qu'elle ne fixe aucun chiffre ; d'autre part, la Science manque encore de données suffisantes pour résoudre un problème qui doit rester bien son domaine105. BIBLIOGRAPHIE. — L'Ami du Clergé, 1er mars 1923 (N° 9). — Mgr FARGES, Le Cerveau, l'Ame et les Facultés (Berche et Tralin). — P. JANET, Le Matérialisme contemporain. — Mgr DUILHE DE SAINT-PROJET, Apologie scientifique de la Foi. — GUIBERT, Le conflit des croyances religieuses et les sciences de la nature ; Les Origines. — POULIN et LOUTIL, Dieu (Bonne-Presse). — Dans le Dictionnaire ap. de la Foi ; DARIO, Art. Matérialisme ; COCONNIER, Art. Ame Dr SURBLED, Art. Cérébrologie ; P. DE MONNYNCK., Art. Déterminisme ; abbés BREUIL et BOUYSSONIE, Art. L'Homme préhistorique d'après les documents paléontologiques ; GUILBERT, Unité de l'Espèce humaine. — DAUMOIJT, Le problème de l'évolution de l'homme (Se. et Foi). — DE NADAILLAC, L'homme et le singe (Bloud), Le problème de la vie (Masson). — DE QUATREFAGES, L'Espèce humaine (Alcan). — DE LAPPARENT, L'ancienneté de l'homme et les silex taillés (Bloud). — M. BOULE, Les Hommes fossiles, Éléments de Paléontologie humaine. Voir sur ce livre le compte rendu des Études (5-20 mars 1921) et la Chronique de Préhistoire dans la Rev. d'Ap. (1er et l5 avrill921).—VIALLETON, L'Origine des êtres vivants, L'Illusion transformiste, Paris, 1929. SECTION III RAPPORTS ENTRE DIEU ET L'HOMME CHAPITRE I. — Religion et Révélation. DÉVELOPPEMENT Les Rapports entre Dieu et l'homme. Division du Chapitre. 132. — Les Rapports entre Dieu et l'homme. — Entre Dieu, créateur et Providence, et l'homme doté d'une âme raisonnable, libre et immortelle, il importe de savoir quels 105
M. REID MOIR a retrouvé récemment dans un terrain tertiaire d'Ipswich, localité proche de Cambridge (Angleterre), des outils de silex manifestement taillés par l'homme, et dont la présence dans ce terrain semble ne pouvoir s'expliquer par des apports artificiels. Ces outils, qui sont du type moustérien, marquent déjà, par la finesse du travail, un certain degré d'évolution et de culture, supérieur aux produits de l'homme chelléen. Si rien ne vient contredire ces assertions, il s'ensuivrait que l'homme remonterait au moins à l'époque tertiaire. L'avenir nous réserve sans doute d'autres découvertes encore. Quelles qu'elles puissent être, elles ne pourront modifier notre conclusion et ne sauraient s'opposer à la Foi catholique qui déclare : — 1. qu'il 'y a pas de chronologie biblique, et — 2. que l'antiquité de l'homme est un problème qui relève de la Science, et BOB de la Foi
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sont les rapports. Que le lien de dépendance qui rattache la créature à son créateur, impose à l'homme des devoirs envers Dieu, cela va de soi. Ce qui est certain encore, c'est qu'à l'aide de sa raison seule, l'homme peut déterminer, plus ou moins bien sans doute, l'ensemble de ses obligations qui constituent ce qu'on appelle la religion. Mais la raison ne saurait aller plus loin. Ce qu'elle ne peut pas dire a priori c'est si les rapports qui doivent exister en droit, sont ceux qui existent en fait. Car les relations, qui se forment entre deux personnes, ne dépendent pas, toujours et uniquement, de l'ordre naturel des choses, mais encore et surtout, de leur libre volonté. Or, sur ce point, seule, l'histoire peut nous renseigner. C'est donc elle qu'il faut consulter pour apprendre si, en dehors du lien naturel qui unit la créature à son créateur, il a plu à Dieu d'établir d'autres rapports avec l'humanité, s'il n'a pas élevé l'homme à une destinée plus haute que celle à laquelle il avait droit, et conséquemment, s'il ne lui a pas imposé des devoirs nouveaux. Si cette dernière hypothèse est la vraie, comment pouvons-nous en acquérir la certitude1! A supposer que Dieu soit intervenu dans la marche de l'humanité, qu'il soit entré en communication avec elle, nous ne pouvons pas refuser créance à sa parole, mais à une condition toutefois» c'est que son intervention soit entourée de signes qui ne laissent aucun doute dans notre esprit. 133. — Division du chapitre. — La recherche historique de la vraie religion suppose donc trois questions préliminaires. Il nous faut savoir : -— 1° ce qu'est la religion en général; — 2° ce qu'est la Religion révélée ; et — 3°œ quels signes on peut reconnaître la "Révélation. Nous traiterons les deux premières questions dans ce chapitre et la troisième dans le chapitre suivant. Art. I. — De la Religion en général. 134. — Si nous considérons la religion au point de vue général, nous pouvons nous demander : 1° quel concept nous devons nous en faire ; 2° quelle en est la nécessité ; et 3° quelle en est l’origine. § 1.— LA RELIGION EN GENERAL. SES ELEMENTS. DEFINITION. OBJECTION. 135. — Étymologiquement, le mot religion vient : — a) selon les uns CICERON), de « relegere» recueillir, ramasser, considérer avec soin, et s'oppose à negligere, faire peu de cas, négliger ; la religion serait alors l'observation fidèle des rites ; — b) selon les autres (LACTANCE, saint JEROME, saint AUGUSTIN), de religare, relier, la religion ayant pour fondement le lien qui rattache l'homme à Dieu. Si la première étymologie paraît plus probable, la seconde est plus simple et indique mieux la raison d'être de la religion. 136. — 1° Éléments qui constituent la Religion. — II y a deux façons de déterminer les éléments qui constituent la religion considérée en général : par la méthode a priori et par la méthode a posteriori. — a) A PRIORI. Si l'on prend comme point de départ ce que nous savons déjà sur la nature de Dieu et de l'homme, il est possible de déduire les rapports qui naissent de ce fait que le premier est Créateur et Maître, et le second, créature et serviteur. —b) A POSTERIORI. Si, au lieu de considérer la religion d'une
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manière abstraite, nous interrogeons les faits, si, à la lumière de l'histoire, nous étudions ce que l'on appelle le phénomène religieux, tel qu'il nous apparaît dans le passé comme dans le présent, il est assez facile de découvrir ce qui fait le fond de toutes les religions. Par ce double procédé nous aboutissons au même résultat, et nous voyons que la religion comporte un triple élément ; des croyances, des préceptes et un culte : — 1. Des croyances ou dogmes. Il est clair, en effet, qu'aucune religion ne peut subsister sans un certain nombre de croyances, tant sur l'existence même et la nature de la divinité, que sur l'existence et la survivance de l'âme humaine. « Sans doute, dit DE QUATREFAGES, cette religion pourra être rudimentaire, souvent puérile ou bizarre... maie elle « ne perd pas pour cela son caractère essentiel... Toute religion repose sur la croyance à certaines divinités. Les idées que les divers peuples se sont faites de ces êtres qu'ils vénèrent ou qu'ils redoutent ne pouvaient évidemment être les mêmes. Pour le sauvage comme pour le mahométan, le juif ou, le chrétien, l'être auquel il s'adresse est le maître de ses destinées, et il le prie, comme eux, dans l'espoir d'obtenir le bien ou d'écarter le mal. » Ainsi, à la base de la religion, nous trouvons la foi en une divinité supérieure, de laquelle dépend notre destinée et que dès lors il importe de se rendre favorable. — 2. Des préceptes fondés sur la distinction entre le bien et le mal. Toute religion entraîne avec soi des obligations morales dont l'accomplissement ou l'infraction implique récompense ou punition, II est assez évident que si l'on admet une divinité souveraine, l'impiété et l'injustice ne doivent pas avoir le même sort que la piété et la justice. — 3. Un culte, c'est-à-dire des rites, — cérémonies extérieures, prières, sacrifices, — par lesquels l'homme traduit son respect et sa reconnaissance visà-vis de son Maître et Bienfaiteur, fait l'aveu de sa dépendance, implore les faveurs de la divinité et s'efforce de calmer son courroux, dans le cas de faute. Le culte est donc une suite et une conséquence de la croyance à un, ou plusieurs Etres supérieurs : aussi le retrouvons-nous, d'une manière plus ou moins parfaite, au centre de toutes les religions. 137. — 2° Définition. — La religion, dont nous venons de déterminer les éléments constitutifs, peut donc se définir : l'ensemble des croyances, des devoirs et des pratiques par lesquels l'homme confesse la divinité, lui adresse ses hommages et implore son assistance. Nota. — La définition qui précède s'applique à la religion en général, mais, en fait, il y a lieu de distinguer la religion naturelle et la religion surnaturelle. — a) La religion naturelle est l'ensemble des obligations qui découlent pour l'homme du fait de sa création, et qu'il peut discerner à l'aide de sa raison. — b) La religion surnaturelle ou positive est l'ensemble des obligations qui sont imposées à l'homme par suite d'une révélation divine et qui ne découlent pas nécessairement de la nature des choses. 138. — 3° Objection. — II n'est pas vrai, nous objecte-t-on, que toutes les religions comprennent les trois éléments que nous venons de signaler comme formant l'essence de la religion en général. Il est possible de découvrir partout une sorte de culte, si l'on appelle de ce nom les innombrables pratiques de superstition et de magie. Mais il n'en va pas de même des croyances et des préceptes. — a) Pour ce qui concerne d'abord les croyances, il y a des religions qui n'admettent aucune divinité. Telle est par exemple la
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religion des sauvages dont les seuls éléments, sont, d'après M. Salomon REINACH (Orpheus), l'animisme, la magie, les tabous et le totémisme. — b) Quant à la morale, elle n'a, d'après TYLOR, « aucun rapport avec la religion ou n'a tout au plus que des rapports rudimentaires. »106 Et les principaux facteurs du développement de la morale auraient été, selon G. LE BON107, l'utilité, l'opinion, le milieu, les sentiments affectifs, l'hérédité, mais non la religion. Réfutation.. — A. CROYANCES. Ainsi, d'après M. S. REINACH, la religion des sauvages ou Primitifs, désignée souvent sous le nom de Fétichisme108, comprend bien un certain nombre de superstitions et de pratiques, telles que l'animisme, la magie, les tabous et le totémisme, mais non la croyance à une divinité. Définissons d'abord les mots. — 1. L'animisme est la croyance à l'existence d'êtres spirituels, les uns attachés à des corps dont ils sont l'âme, les autres indépendants des corps, mais pouvant entrer en communication avec eux. L'animiste peuple donc le mondé d'âmes et d'esprits avec lesquels il peut entrer en relations109. — 2. La magie, c'est précisément l'art d'entrer en communication avec les esprits qui sont supposés être derrière les corps, de capter leur influence, de se les associer par un pacte pour des œuvres occultes. — 3. Le tabou est une interdiction de caractère sacré. Ce mot « s'applique à tout ce qui a été désigné par l'autorité compétente, — personnes, animaux, plantes, lieux, mots, actions, etc. — comme sacré et interdit, sous peine, en cas d'infraction, de souillure ou de péché, entraînant la mort ou un autre dommage, à moins qu'on n'ait été absous à temps, et qu'on n'ait satisfait par une pénitence appropriée, ordinairement une offrande ou un sacrifice»110. — 4. Le totémisme est difficile à définir. D'après M. S. REINACH, le totémisme est « une sorte de culte rendu aux animaux et aux végétaux considérés comme alliés et apparentés à l'homme » ; le 106
Tylor, la civilisation primitive
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G. LE BON, Les premières civilisations.
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« Le fétiche est un objet vulgaire, sans aucune valeur en lui-même, mais que le Noir garde, vénère, adore, parce qu'il croit qu'il est la demeure d'un esprit... Une pierre, une racine, un vase, une plume, une bûche, un coquillage, une étoffe bigarrée, une dent d'animal, une peau de serpent... tout au monde peut être fétiche pour ces grands enfants. » REVILLE, Les religions des peuples non civilisés. — II y a trois catégories de fétiches : les fétiches familiaux, tirant leur vertu des reliques des ancêtres et destinés à protéger la famille, le village ou la tribu ; les fétiches des bons génies et les fétiches des esprits mauvais ou fétiches vengeurs. Le fétiche se différencie : — a) de l'amulette en ce qu'il tire sa force et son influence de l'esprit qui l'habite, tandis que l'amulette qui est un petit objet que l'on porte sur soi est censée préserver des malheurs et procurer du bonheur par une vertu secrète, mystérieuse et inconsciente ; et — b) du talisman, petit objet marqué de signes cabalistiques que l'on ne porte pas toujours sur soi comme l'amulette, et qui est destiné à exercer une action déterminée sur les choses ou les événements, à en changer le cours ou la nature. (Voir Mgr LE ROY, La Religion des Primitifs). 109
Comme on le voit, l'animisme est chez les sauvages ce que le spiritisme est chez les peuples civilisés.
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Mgr LE ROY, op. cit.
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nom de totem, d'origine indienne (otam = marque ou enseigne) désigne « l'animal, le végétal, ou plus rarement, le minéral ou le corps céleste en qui le clan reconnaît un ancêtre, un protecteur et un signe de ralliement ». Le totémisme » n'a pas créé le tabou, dont la raison d'être part d'un autre principe, mais il a été l'occasion de nombreux tabous : c'est ainsi qu'il est généralement interdit aux membres de la famille qui porte le nom d'un totem ou qui se réclame de lui, de le tuer ou de le manger, — si ce n'est en sacrifice et par manière de communion, — de le toucher ou même de le regarder. »111 « L'animal ou le végétal dont il est convenu qu'on doit s'abstenir est tantôt considéré comme sacré, tantôt comme immonde ; en réalité il n' est ni l'un ni l'autre : il est tabou. La vache est tabou chez les Hindous, le porc est tabou chez les Musulmans et les Juifs, le chien est tabou dans presque toute l'Europe. »112 Est-il vrai que la Religion des Primitifs consiste uniquement dans quelques croyances et pratiques superstitieuses dont nous venons de signaler brièvement les principales ? Sans doute, « il y a, dit Mgr LE ROY, du Fétichisme chez les Noirs, mais il y a autre chose : le Fétichisme n'est pas tout leur culte, et encore moins toute leur Religion... Quand on a longtemps vécu avec nos Primitifs... on arrive bientôt à cette constatation que, derrière ce qu'on appelle leur Naturisme, leur Animisme, leur Fétichisme, surgit partout, réelle et vivante, quoique souvent plus ou moins voilée, la notion d'un Dieu supérieur — supérieur aux hommes, aux mânes, aux esprits et à toutes les forces de la Nature. Les autres croyances, en fait, sont variables comme les cérémonies qui s'y rattachent ; celle-ci est universelle et fondamentale »113. La Religion des Primitifs n'est donc pas, comme on l'a prétendu, un Fétichisme pur et simple. Là, comme ailleurs, il importe de distinguer ce qui constitue les vrais éléments de la Religion, de ceux qui n'en sont que la contrefaçon. B. MORALE. — Quant au second élément de toute religion, la Morale, peut-on dire que la connaissance de Dieu soit sans influence sur la vie du Primitif ?... Nous ne pouvons mieux faire que d'emprunter la réponse à M. S. REINACH lui-même. « L'humanité, écrit-il, croit d'instinct qu'il existe une relation intime entre la morale et la religion, malgré les philosophes qui voudraient constituer la morale comme une simple création de la raison... Une restriction (morale) rentre dans la classe des tabous dont les prohibitions ayant un caractère de moralité permanente, ne sont qu'un cas particulier. Or un trait caractéristique des anciennes législations religieuses... c'est de ne pas distinguer nettement les interdictions morales des autres qui sont de nature superstitieuse ou rituelle. »114 Conclusion. — Pour les préceptes, comme pour les croyances, il faut donc savoir faire la distinction entre les défenses de nature religieuse et celles de nature superstitieuse. Mais il reste incontestable que les Religions, même les plus rudimentaires comme 111
Mgr LE ROY, op. cit.
112
S. REINACH, Orpheus.
113
Mgr Le Roy, Op. cit.
114
S. REINACH, Cultes. Mythes et Religions.
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celle des Primitifs, comportent une croyance à un être supérieur et des obligations qui découlent de cette connaissance. § 2. NÉCESSITÉ DE LA RELIGION. 139. — Le lien de dépendance qui rattache l'homme à Dieu est le fondement de la Religion. Il s'agit maintenant de savoir si l'homme est libre de s'affranchir de ce lien et de rejeter les obligations qu'il lui impose. La religion est-elle pour l'homme un devoir auquel il n'a pas le droit de se dérober? 1° Adversaires. — Cette nécessité est niée : — a) par les athées. Que la religion n'ait pas sa raison d'être pour ceux qui n'admettent pas l'existence de Dieu, comme les athées, ni même pour ceux qui le déclarent inconnaissable, comme les positivistes et les agnostiques, c'est là une conséquence toute naturelle ; — b) par les indifférentistes qui, sans être athées, pensent que Dieu n'a que faire de nos hommages ; — c) par certains déistes, qui ne croient pas à l'utilité de la prière ou qui estiment que Dieu doit être adoré en esprit et en vérité, et non par un culte extérieur et public. 140. — 2° Thèse. — Il y a obligation morale pour tout homme de professer la religion, c'est-à-dire de reconnaître Dieu comme son Seigneur et Maître et de lui rendre un culte. Cette proposition s'appuie sur trois arguments : un argument métaphysique, un argument psychologique et un argument historique. A. ARGUMENT MÉTAPHYSIQUE. — Le fait que Dieu est notre Créateur, notre Providence et notre Législateur, — ce qui a été démontré dans la première section, — impose à l'homme des devoirs auxquels il ne peut se soustraire. En tant que Créateur, Dieu a droit à nos hommages et à nos adorations : il faut que, par des actes de culte, nous reconnaissions, d'une part, son souverain domaine et, de l'autre, notre absolue dépendance. En tant que Providence, Dieu nous conserve la vie, il continue ses bienfaits : il a droit dès lors à notre reconnaissance. En tant que Législateur, et à ne considérer que la Religion naturelle, il nous a donné la raison qui nous permet de distinguer entre le bien et le mal. Nous devons donc obéir à cette loi que la conscience nous fait connaître et, quand il y a lieu, réparer nos fautes par la pénitence. B. ARGUMENT PSYCHOLOGIQUE. — Si nous interrogeons les facultés de notre âme, la religion nous apparaît nécessaire, dans ce sens qu'elle seule peut satisfaire leurs aspirations. — 1. Notre intelligence cherche irrésistiblement le vrai, mais elle ne peut le trouver qu'en Dieu, la Vérité infinie. Or la religion a pour but de l'y conduire et de l'arracher déjà aux angoisses du doute : « Comment vivre en paix, dit JOUFFROY, quand on ne sait ni d'où l'on vient ni où. l'on va, ni ce qu'on a à faire ici-bas ? quand tout est énigme, mystère, sujet de doutes et d'alarmes ? »115 En nous donnant précisément la solution de ces problèmes, la religion fixe et tranquillise notre esprit. — 115
JOUFFROY, Mélanges philosophiques.
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2. Notre volonté tend au bien ; mais pour l'accomplir, elle se sent faible, incertaine, et réclame un secours qu'elle ne trouve pas en dehors de la religion. — 3. Notre cœur enfin a soif de bonheur. Mais il a beau le demander aux richesses, à la gloire, aux plaisirs de ce monde. Celui qu'il rencontre par hasard se flétrit et se décolore aussitôt ; jamais il ne tient ses promesses : il n'est pas ce qu'il paraissait ni surtout ce que l'on voudrait qu'il soit. Semblable à une ombre, à un rêve trompeur, le bonheur vient dans la mesure où il existe ici-bas : illusoire et fugitif. La religion seule peut combler le vide de notre âme en y mettant Dieu. C. ARGUMENT HISTORIQUE. — L'histoire nous témoigne que la religion est un fait universel, à tel point que des anthropologistes ont défini l'homme « un animal religieux». Or ce fait serait incompréhensible, si la croyance au surnaturel116 ne répondait pas à un besoin intime d« l'homme et ne s'imposait pas à lui comme une nécessité. Que la religion soit un fait universel, c'est là un point d'histoire que l'on ne conteste plus à notre époque.— 1. Sans doute, certains paléontologistes, comme Gabriel DE MORTILLET, l'ont nié de l'homme primitif et ont prétendu que la préhistoire ne pouvait apporter aucune preuve que la religion aurait existé à l'âge de la pierre taillée. Les choses seraient telles que nous ne pourrions rien conclure plutôt dans un sens que dans l'autre, vu que des générations aussi éloignées de nous ont pu disparaître sans laisser de traces de leurs manifestations religieuses. Mais il n'en est pas ainsi, et l'on a retrouvé dans plusieurs stations paléolithiques de nombreux objets que les paléontologistes s'accordent à regarder comme des instruments de culte, des talismans ou amulettes. — 2. Nos adversaires ont encore allégué l'exemple des sauvages actuels ; et certains voyageurs, comme LUBBOCK, ont cherché à établir qu'ils n'avaient rencontré parmi eux aucune croyance religieuse. Nous avons vu précédemment (N° 138) ce qu'il fallait penser de cette opinion. Elle s'appuie sur des recherches superficielles, ainsi que le constate le célèbre professeur hollandais TIELE, dans son Manuel de l'histoire des religions : « L'assertion, dit-il, d'après laquelle il y aurait des peuples ou des tribus sans religion, repose, soit sur des observations inexactes, soit sur une confusion d'idées... On a donc le droit d'appeler la religion prise dans son sens le plus large un phénomène propre à l'ensemble de l'humanité. » 3. Il est vrai que des positivistes, tels que A. COMTE, tout en reconnaissant le fait, essaient d'en contester la valeur en faisant entrevoir la disparition des dogmes dans un avenir plus ou moins prochain, en montrant la science succédant à la religion, et l'ère théologique faisant place à la religion de l'Humanité, laquelle doit répondre, d'une façon définitive, à l'irréductible instinct religieux de la nature humaine. C'est là une pure hypothèse qui ne repose sur aucun fondement et qui, en tout cas, sort du domaine des faits. Nous n'avons pas à percer le voile de l'avenir, ni à rechercher ce que l'humanité sera un jour ; il s'agit de ce qu'elle fut et de ce qu'elle est. Sur ce double 116
Le surnaturel, tel que nous l'entendons ici, désigne le monde invisible, distinct du nôtre, où il y a des êtres réels, vivants, personnels et libres avec lesquels toutes les religions enseignent que l'homme peut avoir des rapports. — II ne faut pas confondre cette signification avec le sens strict du mot, et comme l'emploient les théologiens catholiques, pour désigner la révélation proprement dite et la grâce, moyen surnaturel, c'est-à-dire au-dessus des exigences de notre nature, pour arriver à la vision béatifique.
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terrain des faits, — le seul sur lequel puisse se placer tout positiviste conséquent avec lui-même, — nous pouvons dire que les hommes de tous les temps, non seulement ont affirmé l'existence du surnaturel, mais même ont cru à la possibilité d'entrer en relations avec des êtres supérieurs, de se les rendre propices soit par la prière, soit par d'autres moyens. Toutes les religions se sont proposé de mettre l'homme en rapport avec la divinité, et la Religion naturelle, quelque séduisante qu'elle puisse paraître dans les descriptions de Jean-Jacques ROUSSEAU (Profession de foi d'un Vicaire Savoyard), de V. COUSIN et de J. SIMON (La Religion naturelle), a toujours paru insuffisante. Nous avons donc le droit de conclure que la nécessité de la Religion nous est démontrée par la raison, par les aspirations de l'âme humaine et par l'histoire. Remarque. — Nous pourrions nous demander si la nécessité d'une Religion en général implique le devoir d'accomplir certains actes de religion en particulier, et quels actes plus spécialement doivent nous concilier la divinité. Ces différents points rentrent mieux dans l'exposition de la Doctrine catholique, où il est question de la prière, des actes de culte et du sacrifice. Nous y renvoyons117. § 3. — ORIGINE DE LA RELIGION. 141. — Position du problème. — Rechercher l'origine de la Religion, c'est se demander si la Religion vient de l'homme ou de Dieu, si elle est une invention humaine ou si elle est de provenance divine. Or la question peut être envisagée à un double point de vue : au point de vue historique et au point de vue dogmatique. Evidemment l'apologiste n'a le droit de traiter la question que du seul point de vue historique, mais il a en même temps le devoir de montrer qu'il n'y a pas opposition entre les deux points de vue. Deux hypothèses principales ont été proposées pour expliquer l'origine de la religion : la première, soutenue par les rationalistes, suppose que la religion primitive est le produit de l'homme et que la première forme en fut le polythéisme ; la seconde pense, au contraire, que l'espèce humaine fut instruite, d'abord, par Dieu lui-même, et que la religion primitive fut le monothéisme. Nous allons exposer rapidement ces deux opinions. 142. — I. Hypothèse rationaliste. — 1° Préliminaires. Remarquons, avant d'aborder le système rationaliste, que beaucoup d'historiens des religions, à tendances matérialistes et positivistes, attachent le plus vif intérêt à la question qui nous occupe, moins par une curiosité philosophique, assurément très légitime, que par l'arrièrepensée de trouver un terrain où ils puissent battre en brèche le catholicisme. Ils étudient donc les faits religieux comme le physicien et le chimiste étudieront les faits de la nature. Appliquant la méthode positive, ils décrivent, analysent, classent les phénomènes religieux avec une précision rigoureuse ; puis, comme dans toute science positive, ils recherchent les lois qui président à l'éclosion et au développement du sentiment religieux. Passant ainsi en revue les croyances, pratiques, cultes, superstitions et magies des peuples, tant anciens que modernes, ils prétendent aboutir à cette conclusion : que toutes les religions ont une origine naturelle qui ne suppose 117
Voir notre Doctrine catholique N° 171, 327, 381 et SUIV.
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aucune intervention supérieure. L'on voit tout de suite les conséquences d'une telle hypothèse, si elle était démontrée historiquement vraie. Ce ne serait rien moins que la ruine du dogme catholique qui enseigne qu'Adam et Eve furent éclairés au sujet de leurs devoirs par une révélation divine. 2° Exposé du système rationaliste. — L'hypothèse rationaliste s'appuie sur un double argument : philosophique et historique. A. ARGUMENT PHILOSOPHIQUE.— Les rationalistes qui adoptent la thèse de l'évolution, — et c'est la majeure partie, — raisonnent de la manière suivante. L'homme, disent-ils, étant sorti de l'animal par une longue série de lentes transformations, ne fut pas religieux à l'origine, il ne le devint que peu à peu. Sa religion fut d'abord vague et grossière, comme nous Je constatons encore aujourd'hui chez les sauvages qui représentent à nos yeux les mœurs et les croyances des hommes primitifs. Elle se perfectionna, s'idéalisa petit à petit : le primitif fut d'abord animiste, fétichiste, puis idolâtre, puis polythéiste, et enfin monothéiste. Les différentes croyances religieuses marquent donc les étapes qui vont de l'état sauvage à la civilisation. Cependant l'évolution n'est qu'une partie du système rationaliste, car il va de soi que, si elle suffit à expliquer, dans une certaine mesure, le développement des religions, elle ne dit pas comment est né le sentiment religieux. La question de l'origine de la religion n'est donc pas résolue par la doctrine de l'évolution. Si l'homme n'a pas toujours été religieux, ou même s'il l'a toujours été, d'où lui est venu ce besoin du surnaturel? Les rationalistes ont proposé, pour solutionner le problème, de multiples théories dont les trois principales sont : la théorie naturiste, la théorie sociologique et la théorie psychologique. — 1. Théorie naturiste. A mesure qu'il se dégagea de l'animalité, l'homme voulut se rendre compte des phénomènes merveilleux de la nature qui frappaient son imagination. Incapable d'en découvrir la cause réelle, il supposa qu'il y avait derrière eux des agents qui les produisaient à leur gré ; c'est ainsi qu'il peupla le monde d'êtres invisible, d'âmes, de génies, de dieux, etc. L'origine de la religion serait donc à chercher dans l'étonnement devant la grandeur des phénomènes atmosphériques, dans l'ignorance et la crainte physique ou morale, dans les troubles de conscience nés de la peur du châtiment. Cette théorie est adoptée, au moins dans son fond, par les positivistes A. COMTE, LITTRE, H. SPENCER, LUBBECK, et plus récemment, par A. REVILLE. — 2. Théorie sociologique. D'après les partisans de cette théorie (DURKHEIM, MAUSS, LEVY, HUBERT...) la religion serait l'œuvre de la société ; elle aurait été d'abord un ensemble de croyances et d'interdictions (tabous) imposées par la collectivité à ses membres : croyances et interdictions sans lesquelles aucune société ne saurait ni exister ni se développer. Et la preuve que telle est bien l'origine de la religion, disent les sociologistes, c'est que le culte et toutes les manifestations religieuses ont toujours fait partie de la vie sociale. — 3. Théorie psychologique. Bien que-différant dans leurs explications, tous les psychologistes s'accordent sur ce point général que la religion serait issue de la nature de l'homme, que les croyances, la morale, le culte, bref, toute l'organisation religieuse serait le produit du cœur humain. Et le principal argument sur lequel ils s'appuient, est tiré de la permanence et de l'identité du phénomène religieux. Les mêmes effets supposant les mêmes causes, il
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faut, disent-ils, rejeter l'hypothèse d'une simple coïncidence ou du hasard, et admettre comme seule cause possible l'identité de la nature humaine. « II faut donc, dit M. Salomon REINACH (Culte, Mythes et Religions), chercher l'origine des religions dans la psychologie de l'homme, non pas de l'homme civilisé, mais de celui qui s'en éloigne le plus, dans la psychologie des sauvages actuels. » A la théorie psychologique l'on pourrait rattacher la théorie moderniste qui attribue l'origine de la religion à l'action de Dieu ou du divin dans la subconscience. D'après les partisans de ce système, les relations entre Dieu et l'homme s'établiraient d'abord au fond de l'âme, dans cette partie qui constitue le domaine de l'inconscient. La religion naîtrait le jour où ces rapports intimes entre Dieu et l'homme sortiraient de la subconscience et seraient perçus par la conscience qui ferait, alors seulement, l'expérience individuelle de ses relations avec l'invisible ; le subconscient serait, dans cette ' hypothèse, le trait d'union entre les deux mondes : le surnaturel et la nature (voir W. JAMES, L'Expérience religieuse). B. ARGUMENT HISTORIQUE. Quels que soient les services que la philosophie puisse rendre dans la recherche de l'origine de la religion, il est clair que la question est, avant tout, historique. Les rationalistes, d'ailleurs, ne l'ont pas compris autrement, et ils ont demandé à l'histoire des preuves que celle-ci était bien incapable de leur donner. Ils ont donc prétendu que l'animisme (voir Î7° 138) faisait le fond des religions des peuples les plus anciens, des Sumir et des Acead, races primitives de la Chaldée, des Égyptiens et des Chinois, et que c'est de cette forme primitive, de cette simple croyance aux esprits invisibles et aux génies que seraient sorties les formes les plus parfaites et les religions les plus élevées. 143. — II. Hypothèse catholique. — Nous appelons de ce nom l'hypothèse des historiens des religions qui, sans s'appuyer Sur le dogme catholique prétendent que, du seul point de vue historique, il est tout aussi admissible et même plus vraisemblable, d'attribuer l’ origine de la religion à une révélation primitive et de croire que la première forme religieuse fut le monothéisme. L'hypothèse catholique s’appuie sur un double argument : un argument négatif et un argument positif. A. ARGUMENT NÉGATIF. — L'un des meilleurs arguments en faveur de la thèse catholique, c'est précisément la faiblesse et l'insuffisance du système rationaliste. Les historiens catholiques n'ont pas de peine à montrer que les raisons apportées par les rationalistes à l'appui de leur thèse ne sont pas convaincantes. — a) Tout d'abord pour ce qui concerne l'argument philosophique, ils font remarquer que la doctrine de l'évolution, en dépit de la vogue dont elle jouit, est loin d'être une certitude118 et qu'elle ne semble pas applicable à tous les domaines. Or, disent-ils, baser une théorie religieuse sur une hypothèse non vérifiée, n'est pas un procédé scientifique. Quant aux trois systèmes qui se font fort d'expliquer l'origine du phénomène religieux, s'ils
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L'histoire des religions paraît même la contredire. Elle nous atteste, en effet, que les idées religieuses ne se sont pas toujours perfectionnées, qu'il y a eu parfois recul : ainsi, les peuples sémitiques sont souvent allés du plus parfait au moins parfait, du monothéisme au polythéisme, à l'idolâtrie et au fétichisme.
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contiennent des parcelles de vérité, ils n'en sont pas moins incomplets. — 1. La théorie naturiste qui met l'origine de la religion dans l'ignorance ou la peur, ne rend pas compte de la permanence du culte, si, à la rigueur, elle en peut expliquer l'origine ; car l'ignorance et la peur sont des causes passagères qui doivent disparaître avec l'explication des phénomènes merveilleux de la nature. — 2. La théorie sociologique est-elle plus soutenable quand elle donne pour cause au sentiment religieux l'influence de la société ? II est permis d'en douter. Il est vrai que l'un des caractères du phénomène religieux, c'est d'être collectif et ce trait a paru si essentiel à certains apologistes qu'ils en ont parfois exagéré l'importance, comme en témoignent les paroles suivantes : « II n'y a pas, dit BRUNETIERE, de religion individuelle, on ne peut pas plus être seul de sa religion, qu'on ne le pourrait être de sa famille et de sa patrie : patrie, famille, religion, sont des expressions collectives s'il en fut jamais.»119 Mais de ce que la religion est ordinairement sociale, — et cela n'est pas étonnant, puisque le lien qui nous rattache à Dieu est le même pour tous les hommes, — il n'en faut pas conclure que l'homme ne peut être religieux qu'autant qu'il fait partie de la société ; ni davantage, que l'origine de la religion se trouve dans la collectivité. On peut être religieux tout en vivant dans les déserts, témoin les ermites et les anachorètes. Tout au plus peut-on dire que la forme sociale accompagne généralement le phénomène religieux, mais il ost faux de prétendre qu'elle le crée. Donc le sociologisme ne résout pas le problème. — 3. La théorie psychologique et la théorie moderniste n'ont pas tort quand elles font une large place soit au sentiment religieux, soit à l'influence de Dieu sur l'âme humaine, mais elles sont insuffisantes en laissant de côté le rôle de la raison. b) L’argument historique invoqué par les rationalistes n'a pas plus de valeur. L'histoire ne prouve pas que l'animisme soit la plus ancienne forme religieuse. « En effet, dit l'abbé DE BROGLIE, il est une conception religieuse, toute différente de la conception animiste, tout aussi ancienne que celle-ci et qui semble lui être irréductible, et ne pouvoir nullement en sortir. C'est la conception de la divinité q\ie nous trouvons dans les Védas dé l'Inde et dans la religion officielle de l'Egypte et qui paraît aussi être l'antique religion de la Syrie. Ce qui caractérise ces religions c'est une conception de la divinité très élevée, mais vague.» 120 Mais à supposer que l’histoire fût en faveur de la thèse rationaliste, la question de l’origine de la religion ne serait pas encore résolue, car de l’histoire il faudrait remonter à la préhistoire, et celle-ci, nous l'avons déjà vu, ne peut nous donner que des éléments très incomplets de solution (voir N° 140, Argument historique). B. ARGUMENT POSITIF. — Si nous considérons comment se fait l'éclosion du sentiment religieux dans chaque individu, nous constatons que l'enfant reçoit sa religion de ses parents et de son milieu. Sans doute l'homme apporte en naissant des facultés et des dispositions religieuses. Non seulement son cœur a des aspirations qui le poussent vers l'Infini, vers le Divin, mais sa raison, consciente de sa faiblesse et de son insuffisance, s'élève de la contingence du monde à l'idée d'une Cause première, de l'Etre suprême. Assurément ce sentiment de dépendance est une des sources 119
BRUNETIERE, Sur les chemins de la croyance, Ch. III, La religion comme fait sociologique.
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Abbé de Broglie, Problèmes et conclusions de l’histoire des religions.
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principales de la croyance en Dieu. Mais il n'en est pas moins vrai que, dans le cours ordinaire des choses, ces dispositions ne se développent pas spontanément, et que l'initiation religieuse se fait par la tradition. Pourquoi ne pourrait-on pas alors supposer que ce qui se passe tous les jours pour l'individu, a eu lieu à l'origine pour l'espèce humaine ? Pourquoi le premier homme n'aurait-il pas pu être instruit directement par Dieu ? Pour trouver cette hypothèse inadmissible, il faudrait dire, ou que Dieu n'existe pas, ou que, s'il existe, il se désintéresse de son œuvre. L'idée d'une révélation primitive est donc vraisemblable. Elle a de plus l'avantage de rendre compte de ce fond identique que nous retrouvons dans les conceptions religieuses de tous les temps et de tous les pays.121 Conclusion. — Comme on le voit, l'hypothèse catholique est une interprétation des faits aussi simple et aussi logique que l'hypothèse rationaliste. Du seul point de vue historique, rien ne nous empêche donc d'admettre : — 1. que la religion a son origine dans un enseignement primordial donné par le Créateur à sa créature, enseignement qui trouva dans les aspirations religieuses de l'homme un terrain tout préparé ; et — 2. que peu à peu, au contact des passions humaines, cette religion spiritualiste est allée se dégradant, et a pris les formes les plus grossières, sauf chez un peuple (peuple juif), qui est resté monothéiste et a gardé seul le dépôt de la tradition primitive. Art. II. — La Révélation. La religion naturelle est pour l'homme un devoir autant qu'un besoin, voilà ce dont l'article précédent nous a donné la certitude (N° 139). Autre question maintenant : la religion naturelle suffit-elle ? Certainement oui, s'il n'existe entre Dieu et la créature que les rapports qui découlent de la création. Non, au contraire, si Dieu a établi un nouvel ordre de choses, s'il lui a plu, par un don purement gratuit, d'appeler l'homme à une vie supérieure, à une vie surnaturelle entraînant la connaissance d'autres vérités et d'autres devoirs. Mais il est clair, d'autre part, que, si cette hypothèse s'est réalisée, les hommes n'ont pu l'apprendre que par révélation divine. D'où le travail préliminaire, qui s'impose à notre étude, de rechercher : 1° ce qu'il faut entendre par la révélation ; 2° si elle est possible, et 3° si elle est nécessaire.
§ 1. — LA REVELATION. NOTION. ESPECES.
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Une autre hypothèse (Max MULLER), appelée l'hénothéisme, pense que la religion rait le résultat d'un double élément : un élément subjectif et un élément objectif. L’élément subjectif consisterait dans une faculté spéciale à l’homme par laquelle il percevrait l’infini et aurait le sentiment du divin. L'élément objectif serait fourni par l'univers et les grands phénomènes de la nature. De la rencontre de ces deux éléments serait née l'idée de la divinité, d'une divinité une, mais pouvant subsister en plusieurs sujets, par opposition au monothéisme qui croit nue les attributs divins, que la divinité réside dans un sujet unique
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144. — 1° Notion. — Étymologiquement, révéler (lat. revelare} signifie écarter le voile qui recouvre un objet et nous empêche de le voir. a) Dans le sens général du mot, la révélation c'est la manifestation d'une chose cachée ou inconnue. Elle est humaine ou divine, selon que la chose est révélée par l'homme ou par Dieu. — b) Dans le sens spécial et théologique, la révélation c'est la manifestation, faite par Dieu, de vérités ou de devoirs que l'homme ne connaît pas. La révélation est donc toujours un fait surnaturel, vu qu'elle implique l'intervention de Dieu. Mais elle peut l'être de double façon, soit quant à la substance, soit quant au mode : — 1. Quant à la substance, si la vérité révélée (mystères) dépasse les forées dé la raison : c'est alors la révélation proprement dite. — 2. Quant au mode, si la vérité révélée est une vérité naturelle et que la raison peut, à la rigueur, la découvrir (existence de Dieu) : c'est, dans ce cas, la révélation improprement dite. 145. — FAUSSES CONCEPTIONS DE LA RÉVÉLATION. —De quelque nature qu'elle soit, la révélation ne doit pas être entendue : — 1. à la manière des rationalistes ou des protestants libéraux qui, à la suite de KANT, SCHLEIERMACHER, RITSCHL, SABATIER, appliquent le mot révélation à un certain commerce avec l'Être suprême, qui s'établit surtout par la prière; — 2. ni à la manière des modernistes, pour qui la révélation n'est pas la manifestation d'une doctrine ayant pour objet, comme ils disent, « des vérités tombées du Ciel » (LOISY), mais uniquement « la conscience acquise par l'homme de ses rapports avec Dieux. Dans cette théorie, la révélation est toute subjective, et se produit dans la conscience de chaque individu. 146 — 2° Espèces. — A. Selon la MANIÈRE dont elle est faite, la révélation est immédiate ou médiate : — a) immédiate, lorsqu'elle vient directement de Dieu luimême ; — b) médiate, lorsqu'elle est portée à notre connaissance par l'intermédiaire d'un autre homme, comme par exemple, la révélation qui nous a été transmise par les Apôtres. La révélation immédiate se subdivise elle-même en : — 1. révélation interne, si Dieu manifeste la vérité sans l'accompagner de signes visibles et par une simple action directe sur les facultés de l'âme ; et — 2. révélation externe, lorsque la lumière qui se fait dans l'âme est accompagnée de signes sensibles. B. Selon le BUT qu'elle poursuit, la révélation est : — a) privée, lorsqu'elle s'adresse à une ou plusieurs personnes particulières ; — b) publique, si elle s'adresse à une collectivité (ex : révélation mosaïque pour le peuple juif) ou à tout le genre humain (révélation chrétienne). § 2. — POSSIBILITE DE LA REVELATION. 147. — La révélation, entendue dans le sens d'une communication, faite par Dieu, soit de vérités inaccessibles ou non à la raison, soit de préceptes qui obligent la conscience humaine, est-elle possible ? 1° Adversaires. — La possibilité de la révélation est niée : — a) par les athées, matérialistes, panthéistes, etc. Il est évident que pour ceux qui n'admettent pas l'existence ou la personnalité de Dieu, il n'y a pas d'intervention divine possible ; — b)
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par les déistes et les rationalistes qui, pour la plupart, rejettent la révélation en général, et plus spécialement, la révélation médiate et celle des mystères. 148. — 2° Thèse. — La révélation, quels qu'en soient la substance et le mode, n'implique aucune impossibilité. La proposition s'appuie sur une double preuve : indirecte et directe. A. PREUVE INDIRECTE TIRÉE DE LA CROYANCE UNIVERSELLE. — Si l'on jette un coup d'œil sur les religions, du passé comme du présent, on constate que tous les peuples ont cru à l'existence et, par le fait, à la possibilité d'un commerce surnaturel avec Dieu. La religion des Primitifs elle-même comporte des relations avec les Etres supérieurs (N° 138). Tous les cultes n'ont-ils pas leurs Livres saints où sont consignées les vérités révélées1? Nous trouvons le Zend Avesta chez les Perses, le Véda chez les Hindous, le Coran chez les Musulmans, la Bible (Ancien Testament) chez les Juifs, la Bible (Ancien et Nouveau Testament) chez les Chrétiens. B. PREUVE DIRECTE TIRÉE DE LA RAISON. — La raison ne voit rien qui s'oppose à la révélation, ni du côté de Dieu, ni du côté de l'homme, ni du côté de l'objet révélé. — a) Du côté de Dieu, La révélation ne répugne pas aux attributs de Dieu ; elle ne répugne ni à sa majesté, ni à sa sagesse. — 1. Pourquoi Dieu, qui a créé l'homme, ne pourrait-il lui parler pour l'instruire et lui donner une règle de vie ? Il n'y a rien dans cette hypothèse qui soit contraire à sa majesté. — 2. La sagesse divine n'est pas non plus mise en défaut, du fait de la révélation, car celle-ci n'est pas, comme l'a prétendu le rationaliste allemand STRAUSS, une retouche de l'œuvre divine. La révélation, aussi bien que la création, ont été prévues de toute éternité ; bien qu'elles se soient réalisées dans le temps et qu'elles nous apparaissent ainsi comme deux moments de l'action divine, elles n'en sont pas moins éternelles dans la pensée de Dieu. b) Du côté de l'homme, la révélation ne blesse en rien l'autonomie de la raison. Elle respecte son indépendance sur le terrain des recherches scientifiques. Si parfois les vérités qu'elle contient sont au-dessus de la raison, elles ne sont jamais contre : loin de la contredire, la révélation a généralement pour but de la confirmer et de la compléter. c) Du côté de l'objet révélé.— 1. Que Dieu puisse nous révéler des vérités accessibles à la raison, mais que l'intelligence humaine, réduite à ses seules forces, découvrirait difficilement, cela est évident. — 2 Qu'il révèle des préceptes positifs qui ne découlent pas de la nature des choses et qui dépendent de sa libre volonté, cela se comprend encore, car, en tant que créateur. Dieu est notre maître, et en tant que maître, il est législateur. Il a donc le droit de faire des lois soit pour préciser les commandements de la loi naturelle, soit pour réclamer de nous la soumission que toute créature lui doit mais que trop souvent nous perdons de vue. — 3. La difficulté commence lorsqu'il s'agit de mystères, c'est-à-dire de vérités qui dépassent la raison, au point que celle-ci, non seulement ne peut les découvrir, mais ne peut ni les démontrer ni même les comprendre, lorsqu'elle en connaît l'existence. La révélation de semblables vérités estelle chose possible? 149.— POSSIBILITÉ DE LA RÉVÉLATION DES MYSTÈRES. — La révélation des mystères n'implique aucune répugnance, ni de la part de Dieu, ni de la part de l'homme. — 1) De la part de Dieu. Dieu est omniscient. S'il lui plaît de communiquer
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à l'homme des vérités de l'ordre surnaturel122, qui sont inaccessibles à la raison humaine, quels motifs pourraient bien l'en empêcher ? Mais, dira-t-on, le mystère c'est le mystère. Dieu ne peut le révéler sans qu'il cesse d'être un mystère. La révélation d'un mystère qui reste mystère implique donc une contradiction dans les termes. — La contradiction n'est qu'apparente, car, quand nous disons que Dieu révèle un mystère, nous n'entendons pas par là qu'il nous fait pénétrer dans la nature intime de la chose révélée. La révélation nous apprend seulement qu'une chose est ; elle nous fait savoir par exemple que trois personnes distinctes subsistent dans une seule nature divine, mais elle s'arrête là, elle ne nous fait pas comprendre comment la chose est, ni comment elle peut être. Le mystère reste donc incompréhensible. Mais ne confondons pas incompréhensible avec inintelligible. Le mystère serait inintelligible s'il était dépourvu de sens. Or il n'en est pas ainsi. Lorsque nous affirmons que le Christ est présent sous les espèces sacramentelles, nous savons ce que nous disons et nous comprenons qu'il n'y a pas contradiction entre les deux termes de notre jugement ; le mystère commence lorsque nous voulons aller plus loin ot rechercher comment la chose se fait et peut se faire. — 2) De la part de l'homme. L'homme aurait le droit de rejeter le mystère si celui-ci était absurde et répugnait à sa raison. Mais le mystère ne contient aucune absurdité. Les contradictions apparentes que les incrédules y croient rencontrer, proviennent soit d'une explication défectueuse, — ce qui est la faute de théologiens inhabiles, — soit d'une fausse interprétation de la vérité proposée, — ce qui leur est imputable. Loin de répugner à la raison, le mystère peut lui être de grande utilité. Outre qu'il abaisse son orgueil et lui rappelle sa faiblesse et son insuffisance, il n'y a peut-être pas de thème plus propice à la piété affective que la méditation des grands mystères d'amour tels que la Trinité, l'Incarnation, la Rédemption, l'Eucharistie, etc. Conclusion. — Nous pouvons donc conclure que la révélation, considérée au point de vue de sa substance, ne répugne pas, et même, qu'elle convient. La même conclusion s'impose si l'on envisage le mode par lequel elle nous est connue, et en particulier la révélation médiate. Si la révélation immédiate nous paraît un procédé plus commode pour nous, la révélation médiate se recommande pour une double raison : — 1. D'abord elle rentre dans l'ordre choisi par Dieu dans ses œuvres. L'expérience ne nous montre-t-elle pas à chaque instant que Dieu se sert des causes secondes pour réaliser ses desseins ? — 2) De plus, ce mode de révélation est en harmonie avec la nature sociale de l'homme. Au lieu que la révélation immédiate isolerait les hommes sur la question religieuse, la révélation médiate les unit par les liens les plus étroits de la charité et de l'obéissance
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Nous ne parlons que des vérités de l'ordre surnaturel. Non pas que nous prétendons qu'il n'y ait pas de mystères dans l'ordre naturel. Nous pensons au contraire que la science est loin d'avoir résolu toutes les énigmes de la création, et que le savant Berthelot qui proclamait que « Le monde est aujourd'hui sans mystères », était bien vain de le croire et de le dire. Cependant il faut admettre que sur ce terrain l'impuissance de la raison n'est qu'accidentelle, et que, plus la science progresse, plus elle fait reculer le mystère. Il n'en est pas de même des vérités de l'ordre surnaturel : ces dernières ne peuvent être que des mystères, puisqu'elles sont d'un ordre qui dépasse la nature.
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§ 3. — NÉCESSITÉ DE LA RÉVÉLATION. 150. — La révélation est possible ; bien plus, elle convient ; faut-il aller plus loin et dire qu'elle est nécessaire? 1° Ce qu'il faut entendre par nécessité. — D'une manière générale, on dit qu'une chose est nécessaire, quand elle est le seul moyen d'atteindre la fin que l'on poursuit. Or le moyen est : — a) physiquement nécessaire lorsque aucun autre ne peut le suppléer ; — b) moralement nécessaire, lorsque, sans lui, la fin ne saurait être atteinte qu'avec beaucoup de peine ou imparfaitement. 151. — 2° Nécessité de la Révélation. — Quand on se demande si la révélation est nécessaire, il importe avant tout de dédoubler la question et d'envisager les doux hypothèses d'une religion naturelle et d'une religion surnaturelle. La doctrine de l'Église peut se formuler dans les deux propositions suivantes : 1re Proposition. — HYPOTHÈSE DE LA RELIGION NATURELLE. Dans la condition présente de l'humanité, la révélation est moralement nécessaire, pour que tous les hommes puissent arriver à une connaissance, certaine et exempte d'erreurs, de l'ensemble des vérités et des devoirs de la religion naturelle. Nota. — Remarquons, avant de prouver la thèse catholique, qu'il s'agit : — a) d'une nécessité relative et morale ; relative, en tant qu'elle résulte des conditions actuelles123 de l'humanité ; morale, c’est-à-dire provenant d'une difficulté très grande de connaître les vérités de la religion naturelle. — b) II s'agit, en outre, de l'ensemble du genre humain et de l'ensemble des vérités religieuses, et non pas d'un individu prie en particulier ou d'une vérité considérée isolément. L'Église ne prétend donc pas que la raison soit radicalement impuissante. Elle tient un juste milieu entre : — 1. l'opinion des traditionalistes et des fidéistes (HUET, DE BONALD, BAUTAIN), d'après laquelle la raison est tellement faible que, réduite à elle seule, elle ne peut arriver à connaître aucune vérité religieuse ; et — 2. l'opinion des rationalistes (Jean-Jacques ROUSSEAU, COUSIN, JOUFFROY, J. SIMON), qui soutiennent que la révélation est superflue, et que la raison peut arriver par ses propres forces à la connaissance de la religion naturelle. La thèse catholique s'appuie sur un argument historique et sur un argument psychologique. A. ARGUMENT HISTORIQUE. — L'histoire nous montre que tous les peuples, même les plus civilisés, comme les Grecs et les Romains, tombèrent dans les plus graves erreurs sur la religion. Nous voyons par leurs mythologies, que, non seulement ils étaient polythéistes idolâtres, mais qu'ils concevaient leurs dieux à leur image : vicieux et criminels comme eux, afin de trouver un encouragement ou une excuse à leurs pires excès, car il est tout à fait logique que d'une notion fausse de la divinité découlent les conséquences les plus fâcheuses pour la morale. Le culte lui-même ne fut-il pas chez 123
D'après le dogme catholique, l'impuissance de la raison est la conséquence d une déchéance de la nature humaine, causée par le péché originel. Toutefois cette vérité n'étant connus que par la Révélation, l'apologiste ne doit pas en faire usage.
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eux un prétexte à la débauche ? Qui n'a entendu parler, par exemple, des bacchanales, des lupercales et des saturnales, de ces fêtes en l'honneur des dieux où le désordre et la licence se donnaient libre cours ? Mais, dira-t-on, les philosophes illustres de l'antiquité, les Socrate, les Platon, les Aristote, les Cicéron, les Sénèque, les Marc-Aurèle ne pouvaient-ils pas instruire le peuple ? — Sans compter qu'ils avaient pour lui le mépris le plus profond, témoin ce vers du poète latin : « Odi profanum vulgus et arceo » (HORACE, l. III, Ode 1.) ils auraient dû auparavant se mettre eux-mêmes d'accord sur les questions les plus vitales de la religion : sur la nature de Dieu et du monde, sur l'origine et la destinée de l'âme humaine, etc.124 Dira-t-on encore que ce que le passé n'a pu faire, les philosophes modernes l'ont réalisé, et que, s'il se rencontre parmi ces derniers un certain nombre de matérialistes, de positivistes ou d'agnostiques, il y a eu aussi des spiritualistes comme J. SIMON, qui, sans autre secours que la raison, ont pu tracer tous les devoirs de la religion naturelle? Sans doute, mais à supposer que les philosophes en question n'aient subi aucunement l'influence de la révélation chrétienne, — ce qui serait difficile à prouver, car les traces du contraire apparaissent avec évidence dans le livre de J. SIMON (La Religion naturelle), où l'auteur promet par exemple la vision béatifique à ses adeptes, — à supposer donc que la raison soit assez puissante pour établir les grandes lignes de la religion naturelle, cela démontrerait justement les deux points de notre thèse : à savoir que la raison, considérée individuellement, n'est pas radicalement impuissante, mais qu'elle l'est si on l'envisage dans l'ensemble du genre humain. B. ARGUMENT PSYCHOLOGIQUE. — Cette preuve est une conséquence de la précédente. Si l'expérience de tous les âges nous démontre que le genre humain s'est généralement trompé dans la solution de la question religieuse, il faut bien supposer qu'il doit y avoir une cause permanente d'erreur. Or cette cause ne peut être autre que la faiblesse relative de la raison. C'est que les hommes, pris dans leur ensemble, sont incapables, soit par défaut d'intelligence, soit par faute de temps ou d'application, soit par suite des préjugés et des passions, d'atteindre la vérité et de solutionner les problèmes essentiels qui forment,1a base de la religion naturelle125. 124
« Parmi les philosophes anciens, qui n'eurent pas le bienfait de la foi, dit LEON XIII dans son Encyclique Aeterni Patris, ceux mêmes qui passaient pour les plus sages, tombèrent, en bien des points, dans de nombreuses erreurs. Vous n'ignorez pas combien, à travers quelques vérités, ils enseignent de choses fausses et absurdes, combien plus d'incertaines et de douteuses, touchant la nature de la divinité, l'origine première des choses, le gouvernement du monde, la connaissance que Dieu a de l'avenir, la cause et le principe des maux, la un dernière de l'homme et l'éternelle félicité, les vertus et les vices et d'autres points de doctrine, dont la connaissance vraie et certaine est d'une nécessité absolue au genre humain. »
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« Quand un éloquent écrivain du siècle dernier, écrit Emile SAISSET dam ses Essais sur la philosophie et la religion, prétendit écrire le symbole de la religion naturelle sous l'inspiration de sa seule conscience, il l'écrivait, en effet, sous la dictée d'une philosophie préparée par le Christianisme. Ce n'est pas l'homme de la nature qui parle dans la Profession de foi du Vicaire savoyard, c'est un prêtre devenu philosophe. » « Je ne sais pourquoi l'on veut attribuer au progrès de la philosophie la belle morale de nos livres, confesse lui-même Jean-Jacques ROUSSEAU (Lettres de la montagne). Cette morale, tirée de l'Evangile était chrétienne avant d'être philosophique. »
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Conclusion. —De cette insuffisance de la raison humaine, nous pouvons donc déjà présumer l'existence de la révélation, ou tout au moins, d'un secoure spécial. Car nous avons peine à croire que la Providence ait pu nous faire défaut dans des choses aussi nécessaires, et nous ne comprendrions pas que là bonté ot la sagesse de Dieu n'aient pas répondu aux besoins de notre nature. 152. — 2eme Proposition. — DANS L'HYPOTHÈSE D'UNE RELIGION SURNATURELLE, c'est-à-dire dans le cas où Dieu aurait voulu établir avec l'homme d'autres rapports que ceux qui découlent du fait de la création, la révélation se présente alors comme une nécessité absolue. Il est clair en effet que, si Dieu, par un don tout gratuit, a daigné assigner à l'homme une fin surnaturelle126 et lui fournir en même temps les moyens adaptés à cette fin, l'homme ne peut en avoir la connaissance que par une révélation spéciale. Or l'on peut présumer qu'une telle révélation existe, de ce double fait : — 1. que toutes les religions se donnent comme surnaturelles et supposent l'intervention divine, et — 2. que le genre humain est incapable, par ses seules forces et en dehors d'un secours de Dieu, d'acquérir la somme de vérités religieuses nécessaires pour accomplir sa destinée. 153. — Corollaire. — De ce que la révélation est possible, qu'elle est moralement nécessaire dans l'hypothèse de la religion naturelle, et absolument nécessaire dans l'hypothèse d'une religion surnaturelle, devons-nous conclure qu'il y a obligation pour nous de rechercher si elle existe ? Cette obligation a été niée : — a) par les rationalistes qui pensent que la raison suffit à établir la religion naturelle ; — b) par les indifférentistes qui affirment que toutes les religions sont bonnes ; et — c) par les modernistes qui, plaçant la révélation et la religion dans la conscience que nous avons de nos rapports avec Dieu, en font une affaire individuelle : ce qui signifie en d'autres termes que toutes les religions sont vraies, dans la mesure où nous en faisons l'expérience. Malgré les prétentions des rationalistes, des indifférentistes et des modernistes, l’obligation s'impose pour nous de rechercher et d'embrasser la vraie religion. Si Dieu nous offre un don, nous ne sommes pas libres de l'accepter ou de le refuser. Nous l'admettons bien lorsqu'il s'agit de la vie du corps. Pourquoi n'en serait-il pas ainsi pour la vie surnaturelle de l'âme, s'il est établi que Dieu a daigné nous combler de ce nouveau bienfait?
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Fin surnaturelle. — Pour bien comprendre cette expression, il faut se rappeler que tous les êtres créés par Dieu poursuivent une fin appropriée à leur nature. Or l'homme, en tant que créature raisonnable, doit arriver, par sa raison, a la connaissance de l'Etre infini, et par sa volonté, à l'amour de Dieu proportionné à cette connaissance : c'est là sa fin naturelle et l'ordre naturel des choses. Mais si Dieu a assigné à l'homme, comme fin dernière, le bonheur de le contempler un Jour face à face, tel qu'il est, dans la plénitude de sa splendeur (I. Cor., XIII, 12), de l'aimer et de le posséder, la fin est au-dessus des exigences de la nature humaine, elle est surnaturelle, et constitue un nouvel ordre de choses : l'ordre surnaturel.
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Il ne faut pas prétexter davantage que toutes les religions sont bonnes et que Dieu est indifférent à la manière dont on l'honore. Cela ne peut pas être, car il est inadmissible que Dieu mette sur le même pied le vrai et le faux, le juste et l'injuste. Il importe donc de rechercher quelle est la vraie religion, mais l'enquête ne se peut mener à bien que si l'on dépose auparavant tout préjugé, toute idée préconçue, et si l'on va à la lumière de toute son âme. BIBLIOGRAPHIE. — Voir à la fin du chapitre suivant.
CHAPITRE II. — Les Critères de la Révélation. Le Miracle et la Prophétie. DÉVELOPPEMENT Division du Chapitre. 154. — Nous avons vu dans le chapitre précédent que la révélation est moralement nécessaire pour constituer la religion naturelle, et absolument nécessaire dans l'hypothèse d'une religion surnaturelle. Mais si la révélation existe, comment pouvonsnous le savoir ? Par l'histoire sans doute. Il nous faut cependant des signes auxquels nous puissions la reconnaître. Il va de soi, en effet, qu'avant de croire à la parole de Dieu, il faut être sûr que Dieu a réellement parlé127. L'assentiment de foi n'est raisonnable que s'il s'appuie sur des motifs moralement certains, disons plus, sur des motifs d'autant plus certains et plus forts que la vérité révélée est plus obscure, et ne porte pas en soi une évidence intrinsèque (mystères). Nous allons traiter de ces signes ou critères en général, et en particulier, du miracle et de la prophétie. Ce chapitre comprendra donc trois articles : 1° Des critères en général ; 2° Du miracle ; 3° De la prophétie. ART. I. — DES CRITERES EN GENERAL. 155. — 1° Définition. —Les critères (grec « critêrion » qui sert à juger) sont les signes qui permettent de discerner la vraie révélation de celles qui sont fausses. 156. — 2° Espèces. — Les critères sont intrinsèques ou extrinsèques. A. CRITÈRES INTRINSÈQUES. — Les critères intrinsèques ou internes sont ceux qui sont inhérents à la doctrine révélée elle-même. Ils sont de deux sortes : négatifs ou positifs. — 1. Les critères négatifs ont un double aspect : — 1) Ou bien ils sont des signes qui dénotent la fausseté d'une doctrine ; ils sont alors éliminatoires. Par exemple, si une doctrine soi-
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Cette expression « Dieu a parlé aux hommes » ne doit pas nécessairement être entendue au sens obvie, sauf lorsqu'il s'agit de l'enseignement oral du Christ. Il est clair que Dieu a de multiples moyens d'instruire les hommes : représentations imaginatives ou intellectuelles, impressions visuelles ou auditives, et qu'il sait proportionner la forme de son message à l'aptitude de son destinataire. Ce qui importe donc, c'est que sa révélation soit entourée de signes qui ne laissent pas de doute sur la réalité du fait.
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disant révélée va contre la raison, — nous ne disons pas, si elle dépasse la raison, ce qui est le cas du mystère, — mais si elle va contre, si elle est contradictoire, nous pouvons conclure aussitôt qu'elle ne vient pas de Dieu : tel est le cas de toute religion qui enseigne l'existence de plusieurs dieux, qui nie la liberté humaine et l'immortalité de l'âme. Les critères négatifs nous serviront, au début de la seconde partie, à exclure les diverses religions autres que le judaïsme et le christianisme, de leur prétention à être la vraie religion. — 2) Ou bien ils sont des signes qui indiquent qu'une révélation peut être vraie sans prouver cependant qu'elle le soit. Ainsi, qu'une religion soit exempte d'erreur, cela est déjà une marque qu'elle peut être d'origine divine, mais non une preuve qu'elle le soit effectivement. 2. Les critères positifs sont des signes qui démontrent, dans une certaine mesure, que la révélation qui les possède, est divine. Qu'on suppose, par exemple, une religion qui, non seulement soit en conformité avec la raison et les aspirations du cœur humain, mais qui produise, dans l'ordre moral, des effets qui paraissent dépasser la puissance de toute autre doctrine philosophique ou religieuse : il y a tout lieu de croire qu'elle est d'origine divine128. Les critères internes positifs apparaissent donc dans toute leur valeur lorsque, à l'aide de l'analyse et de la comparaison, l'on peut faire ressortir la transcendance d'une religion sur toutes les autres (méthode de l’abbé de Broglie). B. CRITÈRES EXTRINSÈQUES. — Les critères extrinsèques ou externes sont des faits surnaturels, distincts de la révélation elle-même, mais fournis par Dieu en vue de la révélation, pour en attester l'origine divine. Ces critères peuvent être également de caractère négatif ou positif, — 1. De caractère négatif : par exemple, si l'intermédiaire qui proposé une révélation, est malhonnête et indigne, on peut conclure à la fausseté de son affirmation. — 2. De caractère positif. Ces critères sont : — 1) les vertus surhumaines, la sainteté du messager qui communique, de la part de Dieu, la doctrine révélée : — 2) les miracles et les prophéties (voir articles suivants). ART. II. — LE MIRACLE. Nous diviserons la question en quatre points. Nous étudierons : 1° la nature, 2° la possibilité, 3° la constatation et 4° la valeur probante du miracle. § 1. — NATURE DU MIRACLE. 157. — 1° Définition. — Étymologiquement, le miracle (lat. miraculum, mirari, être surpris), désigne tout ce qui est merveilleux et excite la surprise. Or un phénomène est de caractère merveilleux quand il se présente comme un effet inattendu, inexplicable par une cause ordinaire. A. DANS UN SENS LARGE, le miracle est un phénomène dont la cause est un agent surhumain, un phénomène insolite qui semble l'effet d'êtres intelligents autres que 128
Les critères internes pourraient s'appeler aussi critères probables par opposition aux critères externes (miracles et prophéties) qui sont des critères certains.
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l'homme. Si l'agent surhumain n'est pas Dieu, mais simplement une créature supérieure à l'homme, ange ou démon, c'est le miracle improprement dit. Ces sortes de miracles s'appellent plutôt prodiges ou prestiges. B. AU SENS STRICT, le miracle est un fait sensible et extraordinaire produit par Dieu, autrement dit, un effet qui ne peut avoir pour cause aucune nature créée. Seuls ces faits, ou effets, constituent le miracle proprement dit. 158. — 2° Conditions du miracle proprement dit. — De la définition qui précède, il ressort que trois conditions sont requises pour constituer un miracle proprement dit. — a) II faut que le fait soit sensible. Le miracle ayant pour but de fournir une preuve irrécusable de l'intervention divine, il s'ensuit que le phénomène doit être perçu par les sens, faute de quoi il ne saurait être un signe. Par conséquent, toute œuvre surnaturelle, toute opération divine qui ne tombe pas sous les sens, comme la justification de l'homme par la grâce, n'est pas un miracle. — b) II faut que le fait soit extraordinaire. Tout phénomène insolite et rare, dont on ne découvre pas la cause, n'est pas nécessairement un miracle ; il faut qu'il soit en dehors des lois générales, tant naturelles que surnaturelles, qu'il soit inexplicable par une cause créée129, en un mot, qu'il soit extraordinaire. Il suit de là que la création, par exemple, n'est pas un miracle, car, précédant, au moins logiquement, l'existence des lois, elle ne peut être en dehors. De même, la présence de Jésus-Christ sous les espèces eucharistiques, produite par les paroles de la consécration, n'est pas davantage un miracle, car non seulement elle n'est pas un fait sensible, mais elle rentre dans l'ordre surnaturel établi par Notre-Seigneur ; si un jour cette présence se manifestait aux sens, elle serait un miracle, parce que, fait sensible et extraordinaire. 159. — LES DEUX MANIÈRES DE CONCEVOIR LE FAIT EXTRAORDINAIRE. — Nous avons dit que le fait doit être extraordinaire, c'est-à-dire en dehors des lois établies. Mais il est bon de remarquer ici, qu'on peut concevoir le fait miraculeux de deux façons : — 1. Ou bien l'on peut dire que le miracle est une dérogation aux lois, qu'il est contre les lois. — 2. Ou bien on peut le concevoir, — et c'est ainsi que nous venons de l'expliquer, — comme « une chose qui arrive en dehors de l'ordre » (saint THOMAS), comme un fait qui est à côté ou au-dessus de la loi, mais qui ne la viole pas, et encore moins la détruit. Ainsi conçu, le miracle apparaît comme l'action d'une force surnaturelle qui s'oppose à l'application d'une loi. Prenons un exemple. Supposons qu'un caillou détaché d'une montagne roule dans le ravin qui borde la route, et que l'apercevant, j'arrête sa chute en lui opposant la résistance de ma main, dira-t-on que j'ai violé la loi de la pesanteur ? Évidemment non, je l'ai seulement empêchée d'avoir son application. Supposons maintenant qu'au lieu d'un caillou, un énorme bloc de granit qu'aucune force naturelle ne pourrait retenir, se précipite du sommet de la montagne, et s'arrête soudain, soutenu par une force surnaturelle ; c'est le même cas que le précédent : il n'y aura eu ni violation ni même suspension momentanée d'une loi 129
C'est pour cette raison que les prodiges opérés par les démons, par conséquent par une cause créée, ne sont que des miracles improprement dits. Ils sont surnaturels par rapport à nous, mais naturels par rapport à eux.
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de la nature, il y aura eu seulement non application. L'ordre des choses établi est resté ce qu'il était, mais l'intervention de Dieu qui a superposé à la nature une force qui la dépasse, qui a agi non contre l'ordre des choses, mais en dehors de cet ordre, constitue ce qu'on appelle un miracle. c) Pour qu'il y ait miracle proprement dit, il faut en troisième lieu que le fait soit produit par Dieu. Mais comment le reconnaître? La chose est difficile s'il s'agit d'un ange ou d'une autre créature prise par Dieu comme intermédiaire; peu importe du reste, puisque, dans ce cas, le thaumaturge n'est que l'instrument de la volonté divine. Quant aux œuvres accomplies par le démon, on les distingue de celles qui ont Dieu pour auteur par certains signes que nous signalerons plus loin (N° 166). 160. — CONCEPTION FAUSSE DU MIRACLE. — Les modernistes regardent le miracle comme une disposition subjective du croyant, non comme une réalité objective ni comme un fait divin. Selon les uns, le miracle présuppose la foi, pour être constaté et cru tel. Selon les autres (LE ROY, Dogme et Critique), c'est la foi qui cause le miracle : agissant à la façon « d'une force de la nature », elle produit comme une secousse physiologique, et, sous son influence, l'esprit triomphe de la matière. 161. — 3° Espèces. — On peut distinguer trois sortes de miracles. Le miracle est : — a) d'ordre physique, quand il est en dehors des lois ordinaires de la nature physique : ex. multiplication des pains, guérison d'un lépreux, résurrection d'un mort ; — b) d'ordre intellectuel, quand l'intelligence découvre des choses qui sont au-dessus de ses moyens : ex. prophétie, connaissance des secrets ; — c) d'ordre moral, lorsque les faits sont inexplicables par les règles ordinaires qui gouvernent les actes humains : ex. propagation de l'Évangile en dépit de» obstacles, la constance de» martyrs. § 2. — POSSIBILITE DU MIRACLE. 162. — 1° Adversaires. — A. Parmi les adversaires du miracle il faut signaler : — a) les athées et les panthéistes. Il va de soi que ceux qui ne croient pas à l'existence de Dieu ou qui ne le conçoivent pas comme un être personnel, ne peuvent admettre la possibilité d'une intervention divine ; — b) les déistes du XVIIIe et du XIXe siècles qui prétendent que le miracle répugne à la sagesse et à l'immutabilité de Dieu. B. A notre époque, l'idée du miracle est rejetée surtout par deux systèmes philosophiques, qui se placent, pour le faire, à deux points de vue tout à fait différents et même opposés l'un à l'autre. — a) D'un côté, les rationalistes et les déterministes disent : L'univers obéit à des lois inflexibles. S'il n'en était pas ainsi, toute science serait impossible, car la science consiste dans la détermination des lois qui régissent les corps : ce qu'elle ne pourrait faire si les mêmes causes ne produisaient pas toujours les mêmes effets. Or la science existe. Donc le miracle n'existe pas, puisqu'il est une exception à la loi et s'oppose au déterminisme. — b) A l'opposite, les théoriciens de la contingence et de la continuité, comme Ed. LE ROY, disent : Loin d'être soumis au déterminisme, l'univers est une réalité, qui évolue, qui change sans cesse, et ne se répète jamais exactement. Donc impossibilité d'établir des lois immuables : il ne peut y avoir que des lois qui se modifient sans cesse avec la marche des choses. En outre, en vertu du principe de continuité, tout se tient dans le monde ; un phénomène ne doit
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donc pas être isolé de l'ensemble des phénomènes auxquels il se rattache et qui l'expliquent. Mais, si dans le monde tout est imprévu et continu, s'il n'y a pas de lois absolues, comment pourrait-il y avoir miracle ? Il n'y a d'exception que là où il y a une règle130. 2° Thèse. — Rien ne s'oppose à la possibilité du miracle, ni du côté des lois de la nature, ni du côté de Dieu. 163. — A. DU COTÉ DES LOIS DE LA NATURE. — Plaçons-nous successivement dans les deux conceptions du miracle (N° 159). — a) Considérons-le d'abord comme une dérogation à la loi, comme un fait qui n'est pas seulement en dehors ou au-dessus du cours ordinaire des choses, mais qui va contre. Le miracle, ainsi conçu, est-il impossible ? Oui, disent les déterministes, parce que les lois sont nécessaires. Mais précisément il faudrait prouver que les lois sont nécessaires. — 1. Or si l'on envisage la question du point de vue philosophique, du moment que l'on admet Dieu, on ne voit pas bien comment celui qui a fait le monde, qui l'a assujetti à des lois, n'aurait plus aucun pouvoir sur son œuvre et ne pourrait rien modifier à l'ordre qu'il a établi? — 2. Du point de vue scientifique, la nécessité des lois ost loin d'être un fait acquis et la preuve en ost bien que les théoriciens de la contingence soutiennent, au contraire, que, le monde évoluant, il ne peut être gouverné par des lois immuables. Sans prétendre avec ces derniers que les lois scientifiques ne sont que des constructions arbitraires, ne reposant sur aucun fondement objectif, nous voulons bien concéder aux déterministes que les lois sont nécessaires s'ils entendent par nécessité la manière constante dont les causes produisent leurs effets. Mais, tout nécessaires qu'elles sont, par rapport au monde, les lois de la nature n'en restent pas moins contingentes par rapport à Dieu ; en d'autres termes, celui qui a fait les lois reste au-dessus et peut y déroger s'il lui semble bon. b) Si nous considérons maintenant le miracle comme une œuvre extraordinaire, à côté ou au-dessus de la loi, mais non pas contre, toute objection tombe, car le miracle n'est pas alors, comme nous l'avons dit plus haut (N° 159), la violation d'une loi, mais sa non-application. Or il est évident qu'au point de vue de leur application, les lois sont contingentes, et n'ont qu'une nécessité conditionnelle. La loi porte seulement que, dans telles conditions, telle cause produira tel effet. Que la volonté de l'homme vienne à changer les conditions, la cause ne produira plus son effet : le caillou qui se détache de la montagne doit tomber par terre, oui, mais à une condition, c'est qu'aucun obstacle ne s'oppose à sa chute. Les exemples abondent, du reste, des cas où l'homme empêche l'application des lois : il dresse des digues qui arrêtent ou détournent les fleuves de leur 130
Il est clair, en effet, que si l'on conçoit toute réalité sur le modèle des êtres libres et spirituels dont on ne peut prévoir les actes, il n'est plus possible d'établir de lois et, par conséquent, de constater le miracle. Poussé jusqu'à ces limites, ce système est surtout le fait de M. Ed. LE Roy. Les théoriciens de ce qu'on a appelé la philosophie nouvelle, MM. BOTTTKOUX, BERGSON, DUHEM, Henri POINCARE, W. JAMES, ne sont pas allés si loin. Ils ont affirmé seulement qu'il y a de la contingence dans le monde, que tout n'y est pas soumis à une nécessité absolue, et que ce qui est considéré par les scientistes ou déterministes comme des lois universelles et certaines de toute réalité, n'est en somme qu'un ensemble de règles approximatives qui gouvernent la matière, qu'il convient, par conséquent, de faire une place au psychique, c'est-à-dire à l'élément spirituel, auquel il faut reconnaître la possibilité d'intervention.
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cours, il assainit les marais, sa vie se passe à mettre en œuvre les forces dont il dispose pour lutter contre les éléments. Oserions-nous dès lors refuser à Dieu le pouvoir de faire, dans une mesure supérieure, ce que l'homme accomplit dans la sphère de ses forces? Ne semble-t-il pas évident que, de même qu'il pouvait établir un autre ordre de choses, de même il peut agir en dehors de l'ordre établi, vu qu'il lui reste supérieur! 164. — B. DU COTÉ DE DIEU. — Le miracle ne répugne ni à l'immutabilité ni à la sagesse de Dieu. — a) II ne répugne pas à son immutabilité. Le miracle ne doit pas être regardé comme une mutation de la volonté divine, car il a été prévu de toute éternité. « Autre chose, dit saint THOMAS, est changer sa volonté, et autre chose vouloir le changement du cours ordinaire des événements. » — b) Le miracle ne répugne pas davantage à sa sagesse. Car il ne faut pas croire, comme l'ont écrit VOLTAIRE et A. FRANCE, que le but poursuivi parDieu est de faire des retouches à son œuvre. S'il en était ainsi, l'on pourrait dire avec M. SEAILLES que le miracle «est un procédé enfantin indigne d'une haute intelligence, à laquelle il ne saurait convenir de troubler les lois qu'elle a établies. »131 Mais les choses ne sont pas telles. Si Dieu opère des prodiges, c'est pour des motifs dignes de lui : — 1. Pour la manifestation de sa puissance. Non pas que la puissance de Dieu n'éclate pas partout dans le spectacle de l'univers, mais l'homme ost ainsi fait que les merveilles qu'il a constamment sous les yeux ne le frappent plus, «assueta vilescunt ». « Gouverner le monde entier, c'est assurément, dit saint AUGUSTIN132, un plus grand miracle que de rassasier cinq mille hommes avec cinq pains ; le premier, pourtant, personne ne l'admire, tandis que les hommes admirent le second, non parce qu'il est plus grand, mais parce qu'il est plus rare » ; — 2. pour la manifestation de sa bonté. Dieu pourrait-il mieux montrer sa miséricorde et sa bonté qu'en accordant, par exemple, la guérison à un malade, à cause de sa foi et de ses prières ? — 3. et surtout pour la confirmation de sa doctrine. N'est-il pas évident, comme nous l'avons déjà dit, que si la révélation est moralement nécessaire, le miracle s'impose, du même coup, comme le meilleur moyen de nous en faire connaître l'existence ? § 3. — CONSTATATION DU MIRACLE. Le miracle est possible. Mais s'il existe, comment le constater? En d'autres termes, comment discerner le caractère miraculeux d'un fait t 165. — 1° Adversaires. — La possibilité de constater le miracle est niée par certains rationalistes et surtout parles positivistes (LITTRE, RENAN, CHARCOT, SEAILLES). « Nous ne croyons pas, dit M. SEAULES, qu'on ait jamais constaté dans la suite des faits l'intervention d'une puissance surnaturelle.»133 Dans le même courant d'idées, RENAN avait déjà écrit, à la suite de Littré : « Ce n'est pas au nom de telle ou telle philosophie, o'est au nom d'une constante expérience que nous bannissons le miracle de l'histoire. 131
G. SEAILLES, Les affirmations de la conscience moderne
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Saint AUGUSTIN, Tracat. XXIV in Joannem.
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G. SEAILLES, Les affirmations de la conscience moderne
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Nous ne disons pas : « Le miracle ost impossible » ; nous disons : « II n'y a pas eu jusqu'ici de miracle constaté. »134 C'est toujours, comme on voit, la même formule positiviste : on ne nie pas, on déclare ne pas connaître. Nous verrons plus loin quelles raisons on invoque. 166. — 2° Thèse. — La constatation du miracle est possible. Deux cas sont à envisager : — a) le cas du fait actuel rapporté par un témoin oculaire, et — b) le cas du fait passé rapporté par l'histoire. A. Cas du fait actuel. — Que faut-il pour qu'un témoin oculaire qui rapporte un fait de caractère miraculeux soit digne de foi? Deux choses : qu'il soit bien informé et sincère, autrement dit, qu'il ait la compétence voulue pour être à même de constater le miracle, et la probité, pour raconter les faits tels qu'il les a vus et ne pas en dénaturer le caractère. a) LA COMPÉTENCE. —Étant donné que le miracle est un fait sensible, extraordinaire, produit par Dieu, il s'ensuit que le témoin doit constater l'existence de ces trois conditions : la réalité du fait sensible, son caractère merveilleux et la causalité divine. Or ces trois conditions n'impliquent pas une compétence spéciale135, comme nous allons le voir. 1. Pour l'existence du fait sensible, la question ne fait pas de doute. Bien que le miracle soit en dehors des lois de la nature, il reste un fait comme tous les autres faits : tombant sous les sens, il est donc observable. Tout le monde peut constater la guérison d'un aveugle-né : il suffit de savoir que l'individu en question était aveugle de naissance et qu'il a recouvré la vue ; de même, pour la résurrection d'un mort, il suffit de constater deux moments différents : l'état de vie qui succède à l'état de mort. — 2. Peut-on connaître également si le fait est de caractère surnaturel ? Certainement oui. Et la chose est même facile dans un bon nombre de cas. Il suffit de constater qu'il n'y a pas de proportion entre les moyens employés et les effets produits, si bien que les effets ne sont attribuables qu'à une cause surnaturelle. Il est évident, par exemple, — et personne ne pourrait le contester, — qu'un homme qui est mort depuis quatre jours, ne revient pas à la vie, sur l'injonction d'un autre homme, ce dernier fût-il le médecin le plus réputé du monde ; un peu de poussière humectée de salive n'est pas un moyen suffisant à rendre la vue. Si par conséquent de semblables faits sont constatés, ils dépassent sans nul doute les forces de la nature. Il n'y a donc lieu de requérir l'attestation de spécialistes, que pour les cas pathologiques dont le diagnostic exige des connaissances spéciales. — 3. Constater la causalité divine- constitue une difficulté plus grande. La chose n'est pourtant pas impossible, car il y a des signes qui
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RENAN, Vie de Jésus, Introd.
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Bien que nous parlions des trois conditions requises pour constater un miracle à propos du témoin, il est clair que le rôle de ce dernier peut et souvent doit se borner à la constatation du fait sensible (voir N° 167).
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distinguent les œuvres de Dieu de celles des démons. Ces signes sont: — 1) la nature et l'éclat de l'œuvre. Les démons n'ont pas une puissance illimitée : ils ne peuvent pas, par exemple, ressusciter un mort, car ressusciter c'est, en réalité, créer, et le pouvoir de créer n'appartient qu'à Dieu ; — 2) les caractères moraux de l'œuvre. Toute œuvre divine étant nécessairement morale et bonne, il faut donc considérer les circonstances dans lesquelles s'accomplit le miracle. Circonstance de personne. Le thaumaturge ne peut être l'intermédiaire choisi par Dieu que s'il est vertueux et de bonnes mœurs. Circonstance de mode. Si les moyens employés pour l'accomplissement du miracle ne sont ni honnêtes ni décents, ils décèlent une origine qui n'est certainement pas divine. Le but de l'œuvre. L'action de Dieu ne peut poursuivre d'autre but que la bienfaisance ou l'enseignement d'une doctrine. Si les miracles sont faits en confirmation d'une doctrine révélée, c'est la valeur de celle-ci qui nous permet de juger de la valeur de ceux-là. Si la doctrine est certainement fausse et contraire à Dieu, Dieu ne saurait la confirmer par de vrais miracles. « Les miracles, dit PASCAL, discernent la doctrine et la doctrine discerne les miracles.»136 b) LA PROBITÉ. — A la compétence le témoin doit joindre la probité pour que son témoignage soit recevable. Mais comment savoir qu'un témoin est sincère ? Nous n'avons d'autre moyen d'en juger qu'en recherchant son état d'âme, ses tendances naturelles et ses dispositions, et en nous demandant si son témoignage a pu être inspiré parla passion ou par l'intérêt. Il est clair encore que, plus le témoin est crédule, impressionnable, exalté, amoureux de l'extraordinaire, moins de créance nous devons lui accorder. Au contraire, s'il est défavorable au merveilleux, s'il a des préjugés contre lui, s'il est sceptique, à plus forte raison, s'il est athée, plus son témoignage aura de force. Ajoutons enfin que la valeur d'un témoignage s'accroît avec le nombre de témoins compétents et probes. 167. — Objection. — 1. Les rationalistes et les positivistes objectent que le miracle est scientifiquement indémontrable, car, disent-ils, la seconde condition requise pour la constatation du miracle, ne pourrait être remplie que si l'on connaissait préalablement toutes les forces de ta nature. « Puisqu'un miracle, écrit Jean-Jacques ROUSSEAU, est une exception aux lois de la nature, pour en juger, il faut connaître ces lois, et pour en juger sûrement, il faut les connaître toutes.»137 — 2. RENAN et CHARCOT sont moins exigeants : ils se contenteraient, si Dieu voulait bien accomplir ses miracles « devant une commission composée de physiologistes, de physiciens, de chimistes, de personnes exercées à la critique historique.»138 Réponse. — 1. Le miracle, assure-t-on, n'est pas scientifiquement démontrable. Entendons-nous. Si l'on veut dire par là que la science est incapable de prouver le 136
En dépit de sa forme, le mot de PASCAL ne contient pas de cercle vicieux. Car il n'est pas question de prouver la doctrine par les miracles seuls et les miracles par la doctrine seule. C'est la raison qui démontre d'abord la valeur d'une doctrine, qui déclare si elle est bonne ou mauvaise, et c'est encore la raison qui juge si les miracles portent les signes dont nous venons de parler et qui permettent de les attribuer à Dieu. Ce travail préliminaire une fois fait, il est clair que la doctrine confirme les miracles, et réciproquement, que les miracles confirment la doctrine.
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Jean-Jacques ROUSSEAU, Lettres écrites de la montagne.
138
RENAN, Vie de Jésus, Introd., p. 51 (4e Ed.).
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caractère miraculeux d'un fait, nous n'avons garde de le contester. On ne le lui demande pas, du reste. Car n'oublions pas que la constatation du miracle se passe sur le triple domaine de l'histoire, de la science et de la philosophie. L'histoire doit démontrer l'existence du fait, en montrant que les témoins sont dignes de foi. La science doit déclarer ensuite si le fait est conforme ou non aux lois de la nature, et son rôle se borne là. C'est alors à la philosophie et à elle seule, qu'il revient de dire si le fait est explicable par une autre cause que Dieu. Or, pour cela, il n'est nullement nécessaire de connaître toutes les forces de la nature. Il suffit, comme nous l'avons dit plus haut (N° 166), que l'on soit certain qu'il n'y a pas proportion entre la cause et l'effet. 2. Quant à la prétention émise par RENAN et CHARCOT, que Dieu ait à opérer ses prodiges « devant une commission de savants », c'est une amusante plaisanterie. Prennent-ils donc les miracles pour des tours de force destinés à amuser le public ou à provoquer les recherches des savants ? Les miracles ne sont pas cela. Ils viennent à leur heure ; et quand Dieu juge à propos de manifester sa puissance ou de faire entendre sa parole, il choisit les témoins qu'il lui plaît, les humbles et les ignorants tout aussi bien que les superbes et les savants. Le témoignage des non-professionnels a la même valeur que celui des professionnels, puisqu'il ne s;'agit, dans la plupart des cas, que d'avoir les organes des sens en bon état, de constater les faits tels qu'ils sont et de les rapporter tels qu'ils se sont passés. Au surplus, si les commissions scientifiques tiennent à être témoins de miracles, au lieu de sommer Dieu de comparaître devant elles et d'accomplir ses merveilles en leur présence, pourquoi ne vont-elles pas là où ces merveilles ont lieu, à Lourdes, par exemple ? 168. — Instance139. Le fait de Lourdes — Mais précisément, répliquent les adversaires du miracle, le fait de Lourdes, comme tous les autres faits du même genre, peut s'expliquer sans recourir à une intervention surnaturelle. Les nombreux prodiges qui s'y opèrent et que nous ne contestons pas, sont dus soit à la vertu curative de Veau de la grotte, soit à la suggestion, soit à toute autre force inconnue de la nature. Réponse. — Examinons successivement ces trois solutions proposées. — 1. On allègue tout d'abord la vertu curative de l'eau de la grotte. Pour les besoins de la cause, on lui attribue, soit des propriétés chimiques spéciales, soit une puissance radio-active, ou bien l'on invoque les effets thérapeutiques des bains froids que les malades prennent dans la piscine. — Or il a été reconnu, par l'analyse de cette eau, qu'elle ne diffère en rien de celle de la fontaine publique qui se trouve dans la ville et qu'elle « ne renferme aucune substance active, capable de lui donner des propriétés thérapeutiques marquées.»140 Quant à l'hydrothérapie et à la radioactivité de l'eau, —à supposer que l'eau de la grotte eût ces propriétés,— jamais elles n'ont produit des cures aussi merveilleuses que celles qui
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Ce n'est pas ici une objection nouvelle. Mais, tandis que l'objection précédente (N° 167) se tient à un point de vue général et abstrait, l'instance concrétise en quelque sorte le cas. En prenant un exemple dans le fait de Lourdes, qui est toujours d'actualité, elle a l'avantage de mettre mieux à jour la tactique des incrédules. 140
Rapport du Dr. FILHOI, de la Faculté des Sciences de Toulouse.
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sont constatées à Lourdes. Mais il y a plus ; dans cette première hypothèse qu'on nous propose comme une solution vraisemblable, comment se fait-il que des guérisons se soient produites en dehors de tout usage de cette eau? Et pour ne citer qu'un cas, celui du Belge Pierre de Rudder141, comment expliquer que les fragments de ses os brisés se soudèrent brusquement à Oostacher, près de Gand, dans une chapelle de Notre-Dame de Lourdes, bien loin des piscines de la Grotte pyrénéenne? 2. La suggestion semble, à notre époque, une solution plus heureuse. D'après les suggestionneurs « toute cellule cérébrale actionnée par une idée, actionne les fibres nerveuses qui doivent réaliser cette idée »142; en d'autres termes, il suffirait d'être persuadé que l'on va guérir, que l'on est guéri, pour l'être en effet. — Est-il donc vrai que la suggestion produise des résultats si merveilleux1? Disons d'abord que les médecins ont coutume de distinguer deux ordres de maladies : les maladies organiques où il y a lésion de l'organe, et les maladies fonctionnelles ou nerveuses où l'organe est intact et sans lésion, mais fonctionne mal. Or tout le monde admet aujourd'hui que la suggestion ne guérit que les maladies fonctionnelles et jamais les maladies organiques, qu'elle n'a que des résultats éphémères et que, pour obtenir ces résultats, encore faut-il qu'elle s'exerce fréquemment et pendant un certain temps. Au contraire, les guérisons de Lourdes portent tout aussi bien sur les maladies organiques que sur les maladies nerveuses143 ; elles sont radicales et durables et se font instantanément. Donc la suggestion ne solutionne pas le problème de Lourdes. 3. -Obligés d'abandonner ces deux premières hypothèses, les incrédules n'ont plus d'autre ressource que d'en appeler aux forées inconnues de la nature dont il a été parlé dans l'objection précédente. Nous sommes loin, disent-ils, de connaître toutes les forces de la nature. La science, depuis un siècle, a multiplié ses découvertes : vapeur, électricité, téléphone, radiographie, télégraphie sans fil, etc. Ne sommes-nous pas en droit alors de supposer que les miracles sont dus à des forces ignorées, et non à l'intervention divine1? — II est certain que nous ne connaissons pas toutes les lois des corps, mais il importe peu, car, que nous connaissions les lois ou non, les corps n'en gardent pas moins leurs propriétés et produisent quand même leurs effets. Ainsi, les
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Voir la liste détaillée des guérisons obtenues à Lourdes, depuis 1858 jusque 1904, dans G. BERTIN, Histoire critique des événements de Lourdes. 142
BERNHEIM, Hypnotisme, suggestion psychothérapie.
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D'après l'abbé BERTIN, Le Fait de Lourdes (Dict. ap. de la Foi cat.) le Bureau médical écarte de plus en plus les maladies nerveuses, les guérisons de ces maladies pouvant être attribuées à une cause naturelle. Il est donc faux de croire et de dire que les affections nerveuses forment la grande clientèle de Lourdes ; elles ne fournissent pas même la quinzième partie des guérisons. Jusqu'en 1913, on en compte 285, tandis qu' « on trouve 694 cas pour les maladies de l'appareil digestif et de ses annexes, 106 pour les maladies de l'appareil circulatoire, dont 61 pour celles du cœur, 182 pour les maladies de l'appareil respiratoire (bronchites, pleurésies), 69 pour les maladies de 1 appareil urinaire, 143 pour celles de la moelle, 530 pour celles du cerveau, 155 pour les affections des os, 206 pour celles des articulations, 42 pour celles de la peau, 119 pour les tumeurs, 546 pour les maladies générales et les maladies diverses, dont 170 pour les rhumatismes, 22 pour les cancers, et 54 pour les plaies. Signalons aussi spécialement 55 aveugles, qui ont eu le bonheur de voir, et 24 muets qui ont recouvré la faculté de parler, tandis que 32 sourds recouvraient celle d'entendre ».
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corps n'ont pas attendu que Newton découvrît sa fameuse loi, pour s'attirer en raison directe de leurs masses et en raison inverse du carré des distances. Si par conséquent, les guérisons de Lourdes sont le fait d'une force inconnue, elles doivent se produire toujours de la même façon, les conditions étant les mêmes. Or c'est justement le contraire qui arrive. La force mystérieuse agit dans les circonstances les plus diverses et les plus dissemblables, aussi bien en plein soleil sur le passage du Saint-Sacrement que dans l'eau, au milieu des piscines, le soir comme dans le jour, et, ce qui paraît plus étrange encore, sur certaines personnes seulement, et non sur d'autres, d'ailleurs aussi croyantes et aussi vertueuses et qui ont peut-être prié plus que les premières. Par ailleurs, bien qu'on ne connaisse pas toutes les forces physiques et psychiques144 du monde, l'on sait bien que, pour ce qui concerne la guérison des maladies organiques, qui suppose la restauration du tissu malade soit par la rénovation des cellules anciennes, soit par la création de nouvelles, il n'y a pas de forces naturelles qui soient capables de se passer du concours du temps pour accomplir cette œuvre de régénération. Les trois explications données par nos adversaires au fait de Lourdes ne peuvent donc pas être sérieusement soutenues ; et décidément, si l'on tient, malgré tout, à écarter l'hypothèse du surnaturel, de l'intervention divine, il faudra trouver mieux145. 169. — B. Cas du fait ancien rapporté par l'histoire. — S'il s'agit d'un fait de date ancienne, avant de procéder à la critique du témoignage, il faut commencer par la critique du document qui le contient. Donc deux points à établir. a) CRITIQUE DU DOCUMENT. — Pour juger de la valeur d'un document écrit, — car c'est celui-ci qui nous intéresse surtout, — il faut d'abord s'assurer si nous le possédons dans son intégrité ; il faut ensuite en rechercher l'auteur, la date de composition146, les sources ; enfin, dernier travail, il faut l'interpréter en essayant de pénétrer la pensée intime de l'auteur, le but qu'il poursuit, les raisons qui ont pu déterminer sa manière de voir. Toutes ces questions, nous aurons à nous les poser lorsque nous étudierons les Livres Sacrés qui contiennent le dépôt de la Révélation.
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Forces physiques (gr. phusis, nature) et psychiques (gr. psuchê, âme) = forces matérielles et spirituelles. 145
L'on voit par là que les guérisons si nombreuses, si étonnantes dont la grotte de Lourdes est le théâtre permanent, peuvent être un argument très précieux au service de l'Apologétique. Celle-ci a le droit d'y puiser différentes preuves : — a) la preuve de l'existence du miracle, et — b) la preuve de la vérité de la Religion catholique puisque ces miracles sont accomplis en faveur de sa doctrine pour appuyer son autorité. Et si l’on considère les circonstances de l’apparition de la Sainte Vierge à Bernadette, sa réponse à l’interrogation de l’enfant : « Je suis l’Immaculée Conception », il est permis de croire que Dieu voulut, à quelques années de la promulgation du dogme, ratifier la décision doctrinale du pape Pie IX. 146
L'on comprend combien il importe de connaître la date de composition et l'auteur ; c'est par là, en effet que nous apprenons si l'historien a pu être témoin oculaire ou non. Lorsque l'historien n'a pas été témoin oculaire, la valeur de son témoignage dépend des sources où il a puisé.
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b) CRITIQUE DU TÉMOIGNAGE. — Lorsque l'étude du document nous a révélé le nom de l'auteur et la date de composition, il n'y a plus, pour la critique du témoignage,'qu'à appliquer les mêmes règles que nous avons signalées précédemment à propos du témoin d'un fait actuel, c'est-à-dire établir sa compétence et sa probité. 170. — Objections. — Nos adversaires rejettent le miracle rapporté par l'histoire pour différents motifs. — a) Les uns, comme MM. SEIGNOBOS et LANGLOIS, et les positivistes, en général, écartent le miracle historique parce qu'il est en contradiction avec les lois scientifiques147. — Réponse. — Que cette assertion soit fausse, cela ressort des preuves qui démontrent la possibilité du miracle (voir N°8163 et 164). b) D'autres (STUART MILL, HUME) sont d'avis qu'il faut toujours, dans l'interprétation des faits, chercher les explications les plus simples et les plus vraisemblables, ou, en d'autres termes, celles qui ne recourent pas à l'intervention du surnaturel. — Réponse. — Cette opinion n'est pas plus admissible que la précédente. Dans un tel système, en effet, il faudrait retrancher de l'histoire tous les faits qui sont rares, singuliers, anormaux, tout ce qui n'a pas encore été vu. L'application d'une pareille théorie conduirait fatalement aux résultats les plus regrettables : c'est ainsi qu'il est arrivé d'ailleurs que des faits exclus jadis de l'histoire (aérolithes, stigmates) parce que, apparemment invraisemblables, ont dû par la suite être reconnus authentiques. c) D'autres encore disent, avec Jean-Jacques ROUSSEAU, que « le miracle qui n'est connu que par le témoignage humain ne saurait garantir avec certitude une révélation ». — Réponse. C'est là rejeter l'histoire, qui n'a d'autre fondement que l’autorité du témoignage. S'il n'y avait de sûr que ce que l'on peut expérimenter soi-même, non seulement il n'y aurait plus de certitude historique, mais la somme de nos connaissances serait bien restreinte puisque la plupart des choses que nous savons, nous les tenons du témoignage d'autrui. d) A la suite de Jean-Jacques ROUSSEAU, RENAN148 et LOISY font remarquer que jadis l'humanité voyait le miracle partout. Mais, avec les progrès de la critique, le merveilleux a perdu du terrain, et il est, selon eux, appelé à disparaître. Des causes naturelles ont déjà expliqué beaucoup de phénomènes regardés autrefois comme des miracles et rien n'empêche de croire qu'un jour on pourra expliquer de la même manière tout ce qui est resté jusqu'ici inconnu. — Réponse. Cette objection est à peu près identique à celle que nous avons déjà exposée (N°167). Ce qui la différencie, c'est qu'au lieu de se placer uniquement sur le terrain scientifique, elle invoque les erreurs historiques. Il est vrai qu'autrefois, beaucoup de forces de la nature étant inconnues, bien des phénomènes passèrent pour merveilleux, qui ne l'étaient pas. A ce point de vue, il est juste de dire que la science, en découvrant certaines lois ignorées, a fait reculer le domaine du merveilleux. Mais il est bon cependant de ne pas exagérer. Les anciens n'ignoraient pas toutes les lois de la nature ; tout aussi bien que nous, ils 147
« Une vérité scientifique ne s'établit pas par témoignage. Pour affirmer une proposition, H faut des raisons spéciales de la croire vraie. » SEIGNOBOS et LANGLOIS Introduction à la Méthode historique.
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« Aucun des miracles dont les vieilles histoires sont remplies, dit RENAN, ne s'est passé dans des conditions scientifiques. Une observation qui n'a pas été une seule fois démentie nous apprend qu'il n'arrive de miracles que dans les temps et les pays où l'on y croit, devant des personnes disposées à y croire. »
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pouvaient dire, par exemple, que la résurrection d'un mort est un fait qui est en dehors et au-dessus du cours normal des choses. e) Dans le même ordre d'idées, RENAN dit que les miracles rapportés par TITE-LIVE et PAUSANIAS sont controversés. Donc, conclut-il, il en est de même des miracles évangéliques. — Réponse. De ce qu'il y a eu dans tous les temps, et, dans le passé plus que de nos jours, des historiens dont les récits étaient fantaisistes, on n'a pas le droit de conclure que tous doivent être mis sur le même pied. On ne passe pas ainsi du particulier au général : à Tite-Live et à Pausanias l'on peut opposer du reste des historiens consciencieux, comme Thucydide et Tacite. § 4. — VALEUR PROBANTE DU MIRACLE. 171. — Thèse. — Les miracles, opérés en faveur d'une doctrine, sont une marque certaine de son origine divine. Cette proposition s'appuie sur la raison et le consentement universel. A. PREUVE DE RAISON. — Le miracle proprement dit apparaît comme une œuvre qui ne peut avoir d'autre auteur que Dieu (N° 158). Sans doute, considéré en soi, il signifie uniquement qu'il y a eu intervention divine. Mais s'il est associé à un autre fait, si le thaumaturge l'opère en confirmation de la doctrine qu'il enseigne, il est évident que cette doctrine doit venir de Dieu, ou tout au moins, avoir son approbation. Sinon, il faudrait dire que Dieu ratifie le mensonge et l'imposture, qu'il est « un témoin de fausseté » (S. THOMAS), ce qui répugne à ses attributs. B. PREUVE TIRÉE DU CONSENTEMENT UNIVERSEL. — Chez tous les peuples nous retrouvons cette croyance que les miracles sont une preuve incontestable de l'intervention divine. Aussi toutes les fausses religions attribuent-elles à leurs fondateurs la puissance de faire des miracles. Précisément, objecte-t-on, la croyance universelle témoigne contre la valeur des miracles allégués par le christianisme, puisque chaque religion' prétend avoir les siens. — Cette objection porte à faux. Car il ne s'agit pas pour le moment d'instituer une comparaison entre la valeur respective des miracles allégués par les différentes religions. Nous invoquons la preuve du consentement universel dans le seul but de montrer que tous les peuples ont cru à l'existence de miracles opérés par Dieu en faveur d'une doctrine. Quant à ce qui est de savoir si les prodiges de telle ou telle religion sont des miracles proprement dits ou non, des œuvres de Dieu ou du démon, c'est une question "qui appartient à la critique historique et dont nous nous occuperons lorsque nous serons à la recherche de la vraie religion. Art. III. — LA PROPHETIE. La question de la prophétie ne comporte pas de long développement. La prophétie est, en effet, un miracle d'ordre intellectuel (N°161). Ce qui a été dit du miracle en général, convient par conséquent à la prophétie. Nous ne ferons ici qu'indiquer rapidement ce
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qu'elle a de particulier en suivant le même ordre que pour le miracle. Donc 1° nature ; 2° possibilité ; 3° constatation, et 4° valeur probante de la prophétie. § 1. — NATURE DE LA PROPHETIE. 172. — 1° Définition. — Étymologiquement le mot prophétie (gr. prophètes ; pro, avant, phêmi, je dis) signifie prédiction. A. AU SENS LARGE, et conformément à l'étymologie, la prophétie, c'est la prédiction d'un événement futur. Dans ce sens, la prédiction d'une éclipse est une prophétie.168 B. AU SENS STRICT du mot, et comme on l'entend généralement, la prophétie peut être définie, d'après saint THOMAS, « la prévision certaine et l'annonce de choses futures gui ne peuvent être connues par les causes naturelles. 173. — 2° Conditions de la prophétie. — De la définition qui précède il ressort que deux conditions sont requises pour qu'il y ait prophétie au sens strict du mot. — a) II faut que la prévision soit certaine, et non de caractère ambigu, comme c'était souvent le cas pour les oracles païens, dont CICERON disait qu'ils « étaient si adroitement composés que tout ce qui arrivait paraissait toujours prédit, et si obscurs que les mêmes vers pouvaient en d'autres circonstances, s'appliquer à d'autres choses.»149 — b) II faut que la prévision ne puisse être fournie au moyen des causes naturelles. Que l'astronome annonce une éclipse, le marin une tempête, et le médecin, la mort de son malade, ce ne sont pas là des prophéties proprement dites, car la prédiction de ces événements futurs peut se déduire facilement de la connaissance des lois de la nature. Il n'y a de véritable prophétie que si l'événement à venir ne peut être connu par ses causes naturelles parce que celles-ci n'existent pas encore et dépendent de la volonté humaine. § 2 — POSSIBILITE DE LA PROPHETIE. 174. — La possibilité de la prophétie est démontrée par une double preuve : indirecte et directe. A. Preuve indirecte tirée de la croyance universelle. — L'histoire nous atteste que tous les peuples ont eu leurs devins à qui ils demandaient les secrets de l'avenir. Que les oracles rendus par eux aient été de vraies prophéties ou non, ce n'est pas ici la question, il s'agit seulement de montrer la croyance de tous les peuples comme une présomption en faveur de la possibilité de la prophétie. B. Preuve directe tirée de la raison.— Pour que la prophétie soit possible, deux conditions sont requises. Il faut : —a) que Dieu connaisse!'avenir, et — b) qu'il puisse nous le révéler. Or ces deux conditions sont certainement réalisables. Car, d'une part, Dieu est omniscient. Aucun des secrets de l'avenir ne lui échappe. Il connaît tous les 149
CICÉRON, De divin., l. II.
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événements futurs, non seulement ceux qu'on appelle les futurs nécessaires, c'est-àdire ceux qu'on peut prévoir par la connaissance de leurs causes, mais même les futurs libres, c'est-à-dire ceux qui dépendent de la libre détermination de la volonté. La chose ne doit pas étonner du reste, puisque, comme nous l'avons déjà vu, le mot prescience appliqué à Dieu, est un terme impropre. Dieu ne prévoit pas, il voit. Pour lui tous les événements qui, selon notre manière de parler, seront un jour, sont déjà. — D'autre part, Dieu peut nous révéler l'avenir, cela ressort des preuves qui démontrent la possibilité de la révélation en général. S'il est établi en effet que Dieu peut faire connaître à l'homme des vérités que celui-ci ignore, l'on ne voit pas ce qui l'empêcherait de lui révéler l'avenir. § 3. — CONSTATATION DE LA PROPHETIE. 175. — Constater une prophétie revient à vérifier les deux points suivants : 1° la réalité de la prophétie, et 2° son accomplissement. 1° Réalité de la prophétie. — Ce premier point n'est pas difficile à établir : il suffit de se rendre compte que les deux conditions nécessaires pour constituer une prophétie sont remplies. C'est là un travail qui appartient à la critique historique : celle-ci doit contrôler les documents où se. trouvent consignées les paroles qui annoncent les événements de l'avenir, juger si la prévision a été faite en termes clairs et précis, et si le fait prédit ne pouvait être connu par la science des lois naturelles. 2° Accomplissement de la prophétie. — Ce second point ne présente pas de difficulté plus grande. Il suffit en effet de rapprocher l'événement en question des paroles qui l'annoncent et de constater si le fait correspond bien et dans tous ses détails à la prédiction qui l'a précédé. Qu'on n'objecte pas, avec Jean-Jacques ROUSSEAU, que la constatation de la prophétie exigerait que le même homme fût témoin de la prophétie et de l'événement. — I1 semble bien plutôt que plus la prédiction est éloignée de l'accomplissement, plus elle acquiert de valeur, car s'il est. déjà difficile d'annoncer quelques jours à l'avance un événement qui dépend de la liberté humaine, la difficulté ne fera que croître avec l'intervalle qui sépare la prophétie de sa réalisation. Qu'on n'allègue pas davantage les prédictions des somnambules. Tout le monde sait qu'elles sont d'une valeur très relative, et que, semblables aux oracles antiques, elles ne brillent pas généralement par leur clarté. § 4. — VALEUR PROBANTE DE LA PROPHETIE. 176. — La prophétie est un miracle proprement dit, vu que Dieu seul connaît les événements qui dépendent des déterminations libres de l'homme. D'où il suit que tout ce qui a été dit de la valeur démonstrative du miracle s'applique aussi bien à la prophétie. Conclusion. — Ainsi, de ce qui a été dit des critères en général, et en particulier, du miracle et de la prophétie, il ressort que la vraie doit être celle qui réunit on soi l'ensemble de ces signes: d'abord les critères internes : excellence, transcendance de la
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doctrine ; puis les critères externes qui sont, à vrai dire, le principal argument150, comme le Concile du Vatican l'a parfaitement-indiqué dans la décision dogmatique suivante : « Pour que la soumission de notre foi fût on accord avec la raison, Dieu a voulu joindre aux secours intérieurs de l'Esprit Saint des preuves extérieures de sa révélation, à savoir des faits divins, et surtout les miracles et les prophéties, lesquels, en montrant abondamment la toute-puissance et la science infinie de Dieu, sont des signes très certains de la révélation divine et sont approprias à l'intelligence de tous. » BIBLIOGRAPHIE. — Saint THOMAS, Contra Gentiles. — TANQUEREY, Théologie fondamentale (Desclée). — BAINVEL, De vera Religione et Apologetica ; Nature et Surnaturel (Beauchesne). — VALVEKENS, Foi et Raison (de Meester, Bruxelles). — DE PASCAL, Le Christianisme, La Vérité de la Religion. (Lethielleux). — MICHELET, Dieu et l’Agnosticisme contemporain. — Mgr LE ROY, La Religion des Primitifs (Beauchesne). — DE BROGLIE, Critique et Religion (Lecoffre) ; Problèmes et conclusions de l'histoire des Religions (Putois-Cretté).— GONDAL, La Religion, Le Surnaturel (Roger et Chernovitz). — HUBY, Christus (Beauchesne). —- BRICOUT, L'Histoire des Religions et la Foi chrétienne (Bloud). — BRUNETIERE, Sur les Chemins de la croyance (Perrin) ; Emile BOUTROUX, Science et religion (Flammarion), LIGEARD, Vers le catholicisme (Vitte), ALFARIC, Valeur apologétique de l’Histoire des religions, Rev. Prat. d’Apol., 15 juill. 1907. Sur le miracle. — Dans le Dict. de la Foi cat. : J. DE TONQUEDEC, Art. Miracle ; G. BERTIN, Lourdes (Le fait de). — LEROY, La Constatation du miracle et l'Objection positiviste ; La Constatation du miracle (Bloud). — DE BONNIOT, Le Miracle et ses contrefaçons (Rétaux). — MONSABRE, Introduction au Dogme (tome III). — MERIC, Le Merveilleux et la Science. — Dr LAVRAND, La suggestion et les guérisons de Lourdes (Bloud). — VOURCH, Quelques cas de guérisons de Lourdes et la Foi qui guérit (Lethielleux). — COSTE, Le Miracle (Sc. et Rel.). — GONDAL, Le Miracle. — DE LA BARRE, Faits surnaturels (Bloud). — J. DE TONQUEDEC, Introduction à l'étude du Merveilleux et du Miracle (Beauchesne). — G. SORTAIS, La Providence et le Miracle (Beauchesne) — B. RABIER, Leçons de philosophie. — BOUTROUX, De la contingence des lois de la nature.
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Nous avons vu (N° 12) que, selon l'importance que l'on attache à chaque série de critères, la méthode d'apologétique employée dans la démonstration de la vraie religion est dite intrinsèque ou extrinsèque. Il serait bon de relire ici cette question capitale qui a été traitée dans l'introduction (N" 10 et suiv.).
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DEUXIEME PARTIE : Recherche de la vraie religion Aperçu général de la seconde Partie. 177. — Deux points ont été établis dans la première Partie de l'Apologétique. Le premier, c'est que l'homme, en tant que créature douée d'une âme raisonnable et libre, est obligé, à tout le moins, de professer la religion naturelle. Le second c'est que, selon toute vraisemblance. Dieu, Créateur et Providence, est intervenu dans la marche de l'humanité -pour guider l'homme dans sa recherche de la vérité religieuse, et peut-être même, pour l'élever à une dignité plus grande et à une destinée plus haute. Il s'agit maintenant, dans cette seconde Partie, de soumettre à l'examen cette dernière hypothèse. Pour cela, il nous faut interroger l'histoire et lui demander si, en fait, elle nous apporte le témoignage d'une Révélation divine. Or, comment instituer cette enquête religieuse? La chose serait simple, s'il n'existait par le monde qu'une seule religion : il suffirait alors de vérifier ses titres à notre créance. Mais il n'en est pas ainsi, et les religions sont nombreuses, soit dans le passé, soit dans le présent, qui ont revendiqué ou revendiquent une origine divine. Deux voies sont dès lors ouvertes à l'apologiste chrétien qui prétend que sa religion est, à l'heure actuelle, la seule Religion révélée, — 1. Ou bien, laissant de côté toutes les autres religions, il peut aller droit au christianisme et lui faire l'application des critères dont nous avons parlé précédemment (N° 156). Et si, de cet examen, il résulte que la religion chrétienne est, sans doute aucun, une religion révélée, toute enquête ultérieure devient superflue. Car, comme d'une part, il est manifeste que, en beaucoup de points de son dogme et de sa morale, elle est en opposition avec les autres religions, et comme d'autre part, il n'est pas moins évident que Dieu n'a pu révéler des vérités successives et contradictoires, la vérité de l'une implique la fausseté des autres. L'étude de ces dernières ne pourrait, dans ce cas, se faire qu'à titre de contre-épreuve. 2. Une seconde méthode consiste à suivre l'ordre inverse. L’apologiste chrétien se tourne d'abord vers les religions, autres que la sienne, et dont il veut démontrer la fausseté. A vrai dire, cette première enquête pourrait paraître un chemin bien long s'il s'agissait d'exposer en détail toutes les formes de religion qui ont existé et existent encore sur la terre ; mais une telle nécessité ne s'impose pas, car il va de soi que, si l'on peut prouver que les religions qui se recommandent le plus à notre attention, soit par le nombre de leurs adeptes soit par la valeur de leur doctrine, doivent être rejetées comme fausses, plus n'est besoin de s'occuper des autres religions dont l'infériorité est incontestable. Ce premier travail terminé, et, comme on dit, le terrain une fois déblayé, il n'y a plus qu'à aborder la seule religion qui n'ait pas été éliminée, c'est-à-dire, dans l'espèce, la religion chrétienne. Cependant il n'est pas permis de dire, comme tout à l'heure dans la première méthode, que la fausseté de toutes les religions, passées en revue, implique la vérité de la religion chrétienne : celle-ci pourrait être fausse comme les autres. Pour être en droit de tirer une telle conclusion, il faudrait démontrer auparavant qu'il y a certitude de l'existence d'une religion révélée. Que la chose puisse être présumée, cela
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ne fait pas de doute. Mais un fait d'histoire s'établit par l'histoire, et non par le raisonnement. C'est, dès lors, par l'histoire qu'il faudra prouver l'existence et la vérité de la Religion chrétienne. C'est cette seconde méthode que nous suivrons ici. Cette partie comprendra donc deux sections. A. LA PREMIÈRE SECTION, beaucoup moins étendue, sera un exposé très rapide et très succinct des principales religions non chrétiennes, où il apparaîtra, par la seule application des critères négatifs, qu'elles ne portent pas les marques d'une origine divine. B LA SECONDE SECTION sera la démonstration proprement dite du christianisme. En nous appuyant sur le témoignage des Évangiles, dont nous aurons préalablement à établir la valeur historique, il nous faudra vérifier les titres du fondateur et contrôler la qualité de sa doctrine. Si de cette étude il ressort que Jésus est « Envoyé de Dieu », il ne restera qu'à conclure que le christianisme dont la diffusion s'est faite à travers le monde d'une façon si extraordinaire, est une religion d'origine divine, qu'il est la vraie religion. SECTION I CHAPITRE UNIQUE. — Les fausses Religions. DÉVELOPPEMENT L'enquête religieuse. 178. — Il convient, avant de commencer notre enquête religieuse, de déterminer les conditions dans lesquelles elle doit se faire et sur quelles religions elle doit porter. 1° Conditions. — Nous avons vu (N° 156) qu'il y a deux sortes de critères auxquels on peut reconnaître la valeur objective d'une religion. — a) Les uns sont tirés de la doctrine (critères intrinsèques). Ainsi toute religion qui a sur Dieu et sur l'homme des conceptions opposées aux conclusions que la raison soûle nous a permis d'établir dans la première Partie, ne peut être la vraie religion. — b) Les autres sont tirés du fondateur ( critères extrinsèques). L'on pense bien qu'il ne suffit pas a un homme de se présenter comme chargé d'une mission divine, il faut qu'il la prouve et qu'il garantisse son enseignement par des signes authentiques qui soient comme le sceau de Dieu. Pour savoir ce que vaut une religion, nous la soumettrons donc à une double éprouve. Nous nous tournerons d'abord vers le fondateur et nous lui demanderons ses litres. Puis nous étudierons sa doctrine et nous verrons ce qu'elle vaut. 2° Religions sur lesquelles portera notre enquête. — Notre enquête portera d'abord sur les religions auxquelles nous ne reconnaissons pas les marques d'origine divine. Nous parlerons ; — 1° du paganisme ; — 2° des religions de la Chine ; -— 3° de la religion de la Perse ; — 4° du Mithriacisme ; — 5° des religions de l’ Inde ; — 6° de L’Islamisme ; et — 7° du Judaïsme actuel. Art. I. — Le Paganisme.
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179. — Sous ce titre il faut entendre les diverses religions qui ont professé ou professent encore le polythéisme. Aussi loin que remonte l'histoire, nous constatons que le paganisme fut la religion de tons les peuples de l'antiquité, exception faite des Juifs : les Chaldéens, les Égyptiens, les Assyriens, les Babyloniens, les Grecs et les Romains, tous furent polythéistes. De nos jours, le paganisme est encore la religion des peuplades fétichistes dû l'Asie et de l'Afrique. 1° Fondateur. — Non seulement il est superflu de rechercher les fondateurs du paganisme, mais il n'est même pas possible de savoir comment les mythologies ont pu se former. — a) D'après EVHEMERE, philosophe grec du ive siècle avant Jésus-Christ, les mythes auraient été des récits légendaires, et les dieux, des héros divinisés. — b) Selon PLOTIN et PORPHYRE (IIIe siècle de notre ère), les mythes païens seraient des symboles cachant des dogmes philosophiques et des notions morales : ainsi l'aventure d'Ulysse et des Sirènes serait une allégorie destinée à mettre en garde contre les séductions du mal. — c) l’école traditionaliste a voulu voir dans les mythes des déformations de la tradition primitive qui n'aurait été conservée intacte que chez les Juifs : ainsi s'expliqueraient sans difficulté bien des parallélismes que l'on peut remarquer entre les croyances païennes et les récits de la Bible : par exemple, la boîte de Pandore d'où sortirent tous les maux correspondrait à la chute d'Eve. — d) D'après une école plus récente (Max MULLER, en Angleterre, Michel BREAL en France), les mythes auraient leur origine dans le langage. Les dieux ayant été considérés à l'origine comme les agents mystérieux des phénomènes de la nature, leurs noms ne seraient autres que les épithètes qui désignent ces phénomènes. 180. — 2° Doctrine. — La doctrine du paganisme se trouve consignée dans les mythologies dont nous trouvons des descriptions chez des poètes comme HOMERE OU des historiens comme HESIODE. Or, les mythologies sont un ensemble de fables plus ou moins ridicules, de mythes bizarres sur la vie des dieux et leurs rapports avec les hommes. Pour souligner l'infériorité des doctrines païennes, il n'est pas nécessaire d'entrer dans les détails : nous n'avons qu'à montrer la multiplicité de leurs dieux et les imperfections de leur nature où se mêlent la grandeur et la faiblesse, la vertu et le vice. N'ayant pas de valeur au point de vue doctrinal, comment le paganisme en aurait-il eu au point de vue moral? Comment les dieux, qui avaient les mêmes passions et les mêmes défauts que l'homme auraient-ils prêché la vertu à celui-ci ? L'homme échappe d'autant plus facilement aux devoirs de la morale qu'il trouve des excuses dans ses croyances. , 181. — 3° Critique. — Religion imparfaite et n'ayant aucune trace d'origine divine, faut-il conclure que le paganisme était une religion absolument mauvaise et inutile ? Gardons-nous de le croire. Malgré ses inconcevables lacunes, le paganisme avait au moins l'énorme avantage d'entretenir chez l'homme le sentiment religieux, de lui faire lever les yeux vers le ciel, de le faire penser à sa destinée future. Le païen qui vivait en rapport constant avec des puissances cachées, qui craignait de leur déplaire, qui sollicitait leur appui et s'humiliait devant elles, pouvait trouver là des moyens efficaces de lutter contre les mauvaises tendances de sa nature.
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Tout compte fait, par conséquent, et « si l'on veut comparer le polythéisme antique à un état de l'humanité où il n'y aurait aucune religion, à l'état où voudraient nous amener les matérialistes modernes, peut-être la conclusion sera-t-elle que le paganisme est préférable et que mieux vaut une croyance quelconque, même superstitieuse, à un monde invisible, qu'un état où l'homme serait entièrement renfermé dans le monde terrestre... « Quel était maintenant l'état des âmes sincères et droites qui cherchaient la vérité dans ces longs siècles d'erreur ?... Nous pouvons nous en tenir à ce que la foi nous enseigne au sujet de la bonté de Dieu, de sa justice et de sa miséricorde, et à ce que saint Paul nous dit au sujet des païens, qui, n'ayant pas de loi écrite, seront jugés d'après la loi naturelle gravée dans leur conscience. « Quoi qu'il en soit de ce problème, il est de toute évidence que le polythéisme antique ne saurait entrer en comparaison, en tant que solution des problèmes de la destinée humaine, avec le christianisme, ni même avec les religions fondées sur l'idée d'une révélation positive. »151 Art. II. — Les Religions de la Chine. 182. — La Chine compte trois religions officielles : deux indigents, le Taoïsme et le Confucianisme, la troisième importée de l'Inde, le Bouddhisme dont nous parlerons plus loin. (Nos 194 et suiv.) I. Le Taoïsme. 1° Fondateur. — La religion connue sous le nom de Taoïsme, est attribuée à LAO-TSEU, philosophe contemporain et rival de Confucius. On. sait peu de chose de sa vie. Certains pensent même que la religion fondée sous son nom ne serait nullement son œuvre, et qu'elle serait seulement une collection de vieilles superstitions de la Chine repoussées par Confucius, et que, dans le but de faire opposition au Confucianisme, on aurait recueillies et groupées sous le nom d'un sage, Lao-tseu, afin de leur donner plus d'autorité. 183. — 2° Doctrine. — Le Taoïsme est un amalgame de superstitions grossières, de sorcellerie et de magie, avec les doctrines philosophiques de LAO-TSEU dénaturées par ses disciples. C'est du reste une religion polythéiste et, pour cette raison, il est inutile que nous insistions davantage. 184. — II. Le Confucianisme- — 1° Fondateur. — Confucius naquit en 551 avant notre ère dans le royaume de Lou, d'une ancienne famille du nom de Khoung. Il se distingua de bonne heure par la vivacité de son intelligence et par la droiture de son caractère, si bien que le roi de Lou n'hésita pas à lui confier, malgré sa jeunesse, des fonctions importantes dans son gouvernement. Il les abandonna du reste bientôt pour suivre sa vocation. Il se mit alors à l'étude des Kings ou Livres sacrés de la Chine, et voulut se consacrer à la direction des peuples. Dans ce dessein il parcourut les principautés féodales qui composaient l'Empire chinois, puis, fatigué de cette vie errante, il revint à Lou où il ouvrit une école et professa jusqu'à la fin de sa vie. Parmi 151
L'abbé DE BROGLIE, Problèmes et conclusions de l'histoire des religions
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ses nombreux élèves, il en distingua soixante-douze, pris parmi les meilleurs, qu'il appela ses disciples. Telle fut l'origine des Lettrés, qui, depuis cette époque, ont joué un si grand rôle en Chine, en formant une sorte de caste fermée à qui allaient toutes les faveurs du pouvoir. Cet état de choses a duré jusqu'au commencement de notre siècle. « Maintenant, sous la République chinoise, tout est changé. La caste des Lettrés est défunte. La doctrine de Confucius a cessé d'être classique. Les auteurs de la Chine nouvelle n'ont pas encore attenté aux temples désertés du Sage. Mais ils ont éliminé ses œuvres de l'enseignement primaire comme surannées, et les ont reléguées, à titre de philosophie antique, dans les accessoires de l'enseignement secondaire... Ainsi disparaît, sans secousse, sans bruit, une chose qui paraissait un roc inébranlable et qui n'était qu'un bois vermoulu.»152 185. — 2° Doctrine. — Le confucianisme est plutôt une philosophie morale qu'une religion. Les dieux, c'est-à-dire le Ciel (Châng-Tï), la Terre et les Esprits supérieurs sont considérés, non comme des personnes réelles mais comme des abstractions. Aussi le seul culte qui soit en grand honneur est celui des ancêtres ; c'est par là que le confucianisme est une religion bien nationale ; il semble du reste que, aux yeux de Confucius et de ses adeptes, le Chang-Ti ou Seigneur du Ciel, et les autres dieux ne soient que les esprits des premiers ancêtres de la nation. Biais, chose étrange, tout en affirmant la survivance des esprits, Confucius ne parle pas de la vie future et ne tranche pas la question de l'immortalité de l'âme. La morale de Confucius ne manque pas d'élévation et se distingue par un réel amour de l'humanité ; toutefois, elle ne dépasse pas les limites d'une morale humaine. Elle proclame bien qu'il ne faut pas faire aux autres ce qu'on ne veut pas que les autres vous fassent à vous-même, mais elle ne va pas au delà de cette simple règle de justice. 186. — 3° Critique — Si la doctrine de Confucius ne contient pas d'erreurs très graves, c'est une religion « incomplète, insuffisante pour le besoin des âmes ; un ensemble de conseils sages et sensés, mais sans rien qui inspire l'enthousiasme. On comprend qu'elle n'ait pas suffi au peuple chinois et qu'il ait préféré l'idolâtrie et là magie du Taoïsme et du Bouddhisme ... Nous pouvons donc considérer cette doctrine comme une assez belle œuvre humaine, un code religieux et moral à peu près pur, péchant par défaut plutôt que par excès. Mais nous n'avons pas besoin d'ajouter, tant cela est évident, qu'il n'y a eu ni dans la vie du fondateur, ni dans sa doctrine, aucun signe d'une révélation divine. Confucius n'a jamais prétendu au titre de prophète et n'a réclamé pour sa doctrine d'autre preuve que celles de la raison et de la tradition immémoriale. »153 Art. III. — La Religion de la Perse. Le Zoroastrisme ou Mazdéisme. 187. —L'ancienne religion de la Perse, autrement dit, de l'Iran, s'appelle Zoroastrisme, du nom de son fondateur, ou Mazdéisme du nom du dieu Ahura- Mazdâ que Zoroastre
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LEON WIEGER, Religions et doctrines de la Chine (Christus).
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L'abbé DE BROGLIE, op. cit.
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met au-dessus de tous les autres dieux, même au-dessus de Mithra, le dieu de la lumière. 1° Fondateur. — On ne sait si le prophète à qui l'on attribue la fondation de la religion des mages154, appartient à l'histoire ou à la légende. Selon l'une ou l'autre, ZOEOASTEI; vécut au vie siècle avant Jésus-Christ. Révolté des abus de l'idolâtrie et du culte des Dêvas ou mauvais génies, il se retira dans une grotte solitaire et se livra, sept années durant, à la méditation. Là, il eut des révélations d'Ahura-Mazdâ, le seigneur tout-puissant, qui confirma sa mission, en faisant de nombreux prodiges en sa laveur. 188. — 2° Doctrine. — Le Zend-Avesta est le livre sacré du Zoroastrisme. La date de composition en est incertaine. Il renferme du reste des morceaux d'âge différent, et dont certains paraissent être de composition relativement récente. En métaphysique, le zoroastrisme admet la doctrine du dualisme. Il est vrai que le Dieu suprême, Ormazd, est créateur, Dieu du ciel. Mais à Ormazd est opposé un principe mauvais, appelé Ahriman, qui lui dispute l'empire. Les deux principes du bien et du mal sont éternels sinon égaux. Entourés, chacun d'une armée, ils doivent lutter pendant 9.000 ans ; Ormazd sera alors vainqueur et précipitera Ahriman et les Dévas, ses acolytes, dans l'enfer. La morale du mazdéisme est pure et élevée. Elle impose le respect de la femme et de l'enfant, elle recommande les bonnes pensées, les bonnes paroles et les bonnes actions. Malheureusement, le culte n'est pas à la hauteur de la morale, car il est entaché de pratiques de superstition et de magie. 189. — 3° Critique- — « Nous n'avons pas besoin de discuter le caractère purement humain de cette religion. Elle est sans doute, par certains côtés, supérieure au paganisme, elle combat l'idolâtrie ; elle enseigne un spiritualisme élevé. Mais le principe du dualisme est une erreur funeste... Le dualisme ébranle la morale du zoroastrisme et la rend irrationnelle... La révélation faite à Zoroastre est dénuée de preuves sérieuses. On ne comprendrait pas que Dieu eût fait une révélation à un homme et n'eût pas donné, pour preuves de la vérité de sa parole, des témoignages plus certains que les récits légendaires des livres sacrés d'un petit peuple. »155 190. — REMARQUE. — On a constaté entre la religion des Perses et celle des Juifs un certain nombre de ressemblances qui semblent indiquer que l'une des deux a influencé l'autre. Ainsi toutes deux attendent le royaume de Dieu et admettent la résurrection des morts. Naturellement, les rationalistes prétendent que les Juifs sont les emprunteurs. Sans doute, ces derniers, ayant été sous la domination des Perses,
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Les mages étaient les prêtres du zoroastrisme. Ils passaient pour astrologues et magiciens. L'Évangile de saint Matthieu (II, 1, 7) rapporte, qu'à la naissance de Jésus, des mages, guidés par une étoile, se rendirent à Bethléem et adorèrent « le roi des Juifs » 155
L'abbé DE BROGLIE, op. cit.
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auraient pu adopter une partie des croyances de leurs vainqueurs. Cependant cette hypothèse n'est guère vraisemblable, car les convictions des Juifs étaient trop fortes, elles remontaient trop loin dans le passé pour subir aussi facilement les influences étrangères. Et pour ce qui concerne l'idée du royaume de Dieu, il ne fait aucun doute, dit le P. LAGRANGE, que « le règne attendu qui est celui de Dieu et celui du bien, dont les justes procurent l'avènement et qui aura son Messie, c'est le royaume de Dieu, des prophètes et ensuite de l'Évangile. Or s'il est une idée dont il soit possible de suivre le développement chez le peuple juif, c'est celle du royaume de Dieu et de son Messie... Cette première conception eschatologique est pour nous certainement d'origine juive.» De même, à propos de la résurrection des morts, « il est difficile de faire remonter très haut la croyance des Perses... Dans Israël, elle fait partie, d'après les Pharisiens contemporains de Jésus, de la foi nationale et elle s'appuie sur des textes qu'on ne peut pas, en tout cas, faire descendre aussi bas que 150 avant Jésus-Christ. D'une façon générale, on constate que les Perses ont été bien plus entraînés par les Sémites qu'ils n'ont eux-mêmes agi sur leurs sujets conquis. »156 Art. IV. — Le Mithriacisme. 191. — Le Mithriacisme est une religion dérivée du Mazdéisme. Il y avait peu de temps qu'il avait pénétré à Rome et en Occident, lorsque les apôtres du christianisme vinrent pour y prêcher la foi du Christ. Nous ne nous attarderions pas à parler de cette religion d'importance secondaire, si nos adversaires, profitant, ici encore, des nombreuses analogies ~qui existent entre le Mithriacisme et le Christianisme, n'accusaient ce dernier de plagiat. Voici du reste les principales ressemblances qu'ils se plaisent à relever. Mithra est un jeune dieu qui a vécu parmi les hommes. Il naquit, lui aussi, dans une grotte ou une étable. Quand il fut devenu grand, il terrassa les animaux malfaisants, et en particulier, un taureau, puis il remonta au ciel, d'où il continue à veiller sur ceux qui se font initier à ses mystères et le prient. La morale mithriaque impose aux initiés le respect de la vérité, la fidélité au serment, la fraternité, le culte de la pureté physique et morale. C'est sur l'accomplissement de ces préceptes que Mithra juge l'âme après la mort : si elle est trouvée juste, il l'emmène au ciel avec Ormazd : si elle est coupable, elle est livrée au feu et consumée avec Ahriman. Le culte de Mithra offre avec le culte chrétien des analogies non moins perceptibles. L'initiation mithriaque comprenait sept degrés qu’on a comparés à nos sept sacrements : elle comportait, entre autres choses, des ablutions symboliques, l'impression d'un signe sur le front, l'oblation de pain et d'eau, des onctions de miel... On rapproche également certains détails des deux liturgies, mithriaque et chrétienne. Par exemple, la fête de la Nativité du Christ aurait été fixée le 25 décembre, jour où l'on célébrait déjà la naissance de Mithra. Telles sont entre les deux religions les ressemblances les plus frappantes. Les historiens rationalistes des religions en concluent que le mithriacisme est un ancêtre du christianisme. Ne serait-ce pas le contraire qu'il faudrait dire ? Les points de contact que nous venons de signaler entre les deux religions ne sont-ils pas de date postérieure dans la tradition romaine sur 156
LAGRANGE, Iran (Religion de l'), Dictionnaire d'Alès.
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Mithra? Les premiers apologistes chrétiens, saint JUSTIN et TERTULLIEN le pensaient et dénonçaient déjà le plagiat mithriaque des rites chrétiens. S'ils avaient eu tort, s'il en était autrement, comment expliquer que l’empereur JULIEN qui aurait été trop heureux de prendre le christianisme et ses apologistes en défaut, n'ait pas accusé ces derniers d'avoir emprunté leur doctrine à la religion de Mithra ? L'hypothèse d'une influence mithriaque sur les dogmes et sur le culte chrétiens n'a donc pas de fondement historique. Art. V. Religions de l'Inde. 192. — Les religions principales qui se sont succédé dans l'Inde sont : le Védisme, le Brahmanisme, le Bouddhisme et l'Hindouisme ou Néo-brahmanisme. I. Le Védisme. — Le Védisme est, parmi les diverses religions des Hindous, la première qui ait laissé des traces dans l'histoire. La religion védique est contenue dans les livres sacrés appelés Védas, et particulièrement dans le plus ancien d'outre eux, le Rig-Véda. C'est une religion naturaliste où les phénomènes et les forces de la nature sont divinisés, et par là, le Védisme peut être rapproché du Paganisme dont nous avons parlé précédemment, ce qui nous dispense d'insister pour en démontrer la fausseté. 193. — II. Le Brahmanisme. — 1° Fondateur. — Aucun document ne nous permet de fixer, d'une manière certaine, l'origine du brahmanisme encore moins par conséquent, de dire le nom du fondateur. 2° Doctrine. — Celle-ci se trouve bien dans les Védas, mais l'interprétation des Livres sacrés est laissée entièrement aux brahmanes, c'est-à-dire aux prêtres de Brahmâ. Or les Védas contiennent comme deux religions superposées : l'une qui faisait le fond de la vieille religion védique et qui est un polythéisme naturaliste ; l'autre qui est un panthéisme idéaliste joint à l'idée de la métempsycose, et c'est le brahmanisme proprement dit. Le dieu Brahmâ est l'être unique : de lui procède le monde par émanation. Tous les êtres sortent donc de lui et y retournent pour en sortir de nouveau, et ainsi un certain nombre de fois, jusqu'à ce que l'âme, purifiée de toute souillure, puisse s'absorber définitivement en Brahmâ et entrer pour toujours dans le Nirvana. La morale du brahmanisme dérive de cette doctrine de la métempsycose. Étant donné que, à la mort, l'âme passe dans un autre corps, dans le corps d'un animal ou d'un monstre, suivant qu'elle a été jugée plus ou moins coupable, il faut considérer la vie comme le mal suprême. I1 importe donc de mettre un terme à ces morts et à ces renaissances continuelles. Or, pour arriver à ce résultat, il faut pratiquer le renoncement, anéantir la concupiscence, bref, éteindre on soi la soif de l'existence, cause de tout le mal. Et voilà comment la doctrine brahmaniste a conduit à la pratique de l'ascétisme, à ces mortifications exagérées des fakirs qui habitent les forêts, ne se nourrissant que d'herbes et de fruits sauvages, restant de longs mois dans la même posture ou s'exposant aux ardeurs du soleil des tropiques des journées entières. 3° Critique. — Nous avons vu que les Védas contiennent un mélange de polythéisme et de panthéisme. Il n'est donc pas possible de leur reconnaître une origine divine. Bien
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que la partie morale contienne de sages préceptes sur la lutte contre les passions, et d'excellentes prescriptions sur la chasteté, la véracité, la fidélité aux promesses, elle est muette sur les devoirs de la bienfaisance et de la charité. 194. — III. Le Bouddhisme. — Le brahmanisme ancien, avec sa inorale austère et son culte froid, sans temples et sans idoles, ne pouvait être une religion populaire. Il n'est donc pas étonnant que l'Inde accueillit avec faveur la religion du Bouddha. 1° Fondateur. — La vie du Bouddha fut écrite longtemps après sa mort : ses biographes furent donc à leur aise pour y introduire autant de légendes que bon leur sembla. C'est seulement après l'ère chrétienne, — qu'on remarque bien oe point, — que l'on mit en œuvre les documents qu'on possédait en y ajoutant de nombreuses interpolations. Le Bouddha naquit au VIe ou au Ve siècle avant l'ère chrétienne. Ilappartenait à la famille des ÇAKYAS et s'appelait SIDDARTHA. Le titre de Çakya-Muni sous lequel il est connu, veut dire moine de la famille des Çakyas. De nombreuses légendes entourent son berceau et sa jeunesse : il serait trop long de les raconter. Un certain temps après s'être marié, il quitta sa femme et sa famille pour devenir moine et travailler à son salut. Pendant plusieurs années, Use livra à des austérités effrayantes. Un jour qu'il méditait sous un figuier, il sentit qu'il était Bouddha (racine budh, comprendre) c'est-àdire sage, éclairé, celui qui a compris. Il-avait trouvé le secret pour ne plus renaître. De ce bonheur il voulut faire profiter l'humanité en lui prêchant sa doctrine. Mais auparavant il décida de passer quatre semaines dans la solitude. C'est durant cette retraite que Mâra, l'Esprit tentateur, lui proposa de le faire entrer immédiatement dans le Nirvana pour lui épargner les peines et les déceptions de la vie. Le Bouddha rejeta l'offre, jugeant qu'il se devait au salut de ses frères et à la propagation de la vérité. Le parallélisme qui existe entre la retraite et la tentation du Bouddha, d'une part, et celles de Notre-Seigneur, au désert, d'autre part, n'échappera à personne. Mais il est superflu de défendre les traditions chrétiennes contre l'accusation de plagiât, vu que les Évangiles sont antérieurs à la rédaction définitive des documents bouddhistes. (V. n° 278). Plus de quarante ans, le Bouddha prêcha sa doctrine de la délivrance. De toutes parts on venait le consulter. Lui-même allait de pays en pays, vivant d’aumônes et instruisant les peuples. Il avait quatre-vingts ans lorsqu'il mourut à la suite dune indigestion. Ses biographes racontent qu'une musique céleste se fit alors entendre et que Brahmâ en personne vint chercher Je Bouddha pour l'introduire dans le Nirvana. Ainsi, visiblement, la légende se mêle à l'histoire dans des proportions telles que celleci disparaît et que des savants ont pu se demander si le Bouddha avait réellement existé. 195. — 2° Doctrine. — Les points principaux qui caractérisent la doctrine bouddhiste sont : — a) l'athéisme, ou, si l'on préfère, l'agnosticisme. S'il y a une Cause première, un Etre suprême, le Bouddha ne le recherche pas, estimant qu'une telle question est insoluble et oiseuse ; — b) la croyance à la métempsycose-: doctrine qui lui est commune avec le brahmanisme. A sa mort l'homme est transporté au tribunal de Yama
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qui le juge et le remet entre les mains de ses bourreaux. Quand la peine est expiée, car l'enfer n'est pas éternel, l'âme est rejetée dans le monde pour recommencer une nouvelle existence ; elle reprend dans l'échelle des êtres la place qu'elle a pu mériter par sa vie antérieure. Seuls ceux qui sont proclamés Bouddhas sont affranchis de la renaissance et entrent dans la béatitude parfaite du Nirvana ; — c) le pessimisme. Dans la doctrine du Bouddha, l'existence est un mal, et le bonheur suprême consiste précisément à en être délivré et à parvenir au Nirvana. Mais qu'est-ce que le bonheur du Nirvana ? Il serait bien difficile de le dire. Le Nirvana n'est pas le néant, mais c'est la non-existence individuelle, c'est la délivrance de la transmigration, et par conséquent, de la douleur, c'est une sorte de béatitude passive et négative d'où l'amour et la vie sont absents. La morale bouddhiste ressemble bien à celle du brahmanisme. Partant de ce principe que l'existence est un mal, elle professe, elle aussi, qu'il n'y a d'autre remède que la pratique du renoncement. Or la pratique du renoncement comporte une série d'exercices assez semblables à ceux qui sont en usage dans nos Ordres religieux. Ainsi la méditation, la confession des fautes, la direction de conscience, la chasteté157, la pauvreté sont des règles strictes pour les Bhikchous, ou moines bouddhistes. C'est, comme on le voit, tout le côté négatif de la perfection chrétienne, c'est le renoncement absolu qui doit aboutir à la mort et au Nirvana ; ce n'est pas, comme dans la mystique chrétienne, le détachement des biens de ce monde pour aller plus sûrement à Dieu et pour trouver en Lui un jour la vie pleine et l'amour parfait. Le culte bouddhiste était à l'origine réduit à son strict minimum. Et à quoi ce culte eût-il bien pu se rapporter, puisque la doctrine bouddhiste était athée et que dès lors il était inutile de prier un dieu dont on ignorait l'existence? Mais, à la mort de Çakya-Muni, il s'établit un culte de vénération en son honneur. Pour conserver ses reliques, on construisit d'abord des monuments très simples, puis des temples magnifiques, généralement au centre d'un monastère. Par la suite, on rendit un culte, non seulement au grand Bouddha ÇakyaMuni, mais à tous les autres Bouddhas, semblables à lui, c'est-à-dire qui étaient entrés dans le Nirvana On y joignit le culte des images et des statues ; et ce fut ainsi un véritable polythéisme, en même temps qu'une- idolâtrie mêlée de magie. 196. — NOTA. — Le bouddhisme se propagea surtout en Chine, dans l'Indochine, au Cambodge, au Siam, en Birmanie, au Japon et au Tibet. Sa diffusion si étendue s'explique par l'insuffisance du culte brahmanique sans idoles et sans temples, par l'apostolat de ses moines et aussi par la protection du pouvoir civil : protection qui était accordée d'autant plus facilement que, les moines bouddhistes étaient des auxiliaires précieux pour développer l'influence des rois en dehors de leur pays. De plus, si la morale recommandait avant tout la pratique du renoncement, elle ne défendait aux laïques ni la polygamie ni le divorce. 197— 3° Critique. — Nous n'avons pas à insister pour prouver que la religion bouddhiste n'est pas d'origine divine, car Çakya-Muni n'a jamais voulu se faire passer 157
Il est bon de remarquer que le moine bouddhiste n'est pas lié par des vœux et qu’il se contente d'accepter la chasteté comme une règle. De même, sa vie se passe à mendier et a méditer sur le néant de l'existence : il ne s'adonne pas au travail manuel.
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ni pour Dieu ni pour envoyé de Dieu ; il n'a jamais prétendu qu'au titre de sage. Si nous considérons maintenant sa doctrine, il faut bien reconnaître que, au point de vue moral, elle a une valeur incontestable. En prêchant le renoncement, le détachement des biens de là terre, la chasteté et l'esprit d'apostolat, en inspirant aux hommes une grande crainte des châtiments futurs, elle a pu atteindre de sérieux résultats. Mais malheureusement sa doctrine métaphysique n'est pas à la hauteur de la morale. Elle encourt d'abord le grave reproche l’athéisme, quoique, en pratique, ses partisans soient polythéistes et idolâtres. En outre, les doctrines de la transmigration et du Nirvana ont également pour conséquence fâcheuse de placer l'idéal de la vie monastique dans la contemplation pure et la mendicité sans travail. Autant la vie monastique, animée par le sentiment chrétien, réglée de manière à donner sa part au travail, a été en Occident une force civilisatrice, autant les couvents bouddhistes sont devenus des causes de torpeur et de léthargie chez les peuples où cette institution a fleuri. C'est une religion sans action sociale... Çakya-Muni a prescrit le célibat aux religieux, mais il ne s'est pas occupé des laïques... Aussi les hommes impartiaux, même dans le camp rationaliste, renoncent à comparer le bouddhisme au christianisme et professent hautement que le christianisme est supérieur... Nous ne trouvons donc pas dans le bouddhisme, plus qu'ailleurs, cette parole divine que nous cherchons. »158 198. — IV. L'Hindouisme ou Néo-brahmanisme. 1° Fondateur. — Le bouddhisme, tel que nous venons de l'exposer, ne vécut dans l'Inde que les quelques siècles. Vers le IIIe siècle avant Jésus-Christ, d'autres sectes naquirent, auxquelles on donna le nom générique d'hindouisme ou néo-brahmanisme. La nouvelle religion était le produit de plusieurs écoles, et aucun nom ne s'attache à sa fondation : elle est d'ailleurs une sorte de fusion entre le brahmanisme et les vieux cultes idolâtriques de l'Inde. Les deux principales sectes sont le Vishnouisme et le Civaïsme, noms qui lui viennent de ce qu'elles regardent soit Vishnou, soit Civa comme Dieu suprême. Le Vishnouisme seul nous intéresse à cause des ressemblances que sa doctrine offre avec le christianisme. 199. — 2° Doctrine. — Ce qui caractérise le Vishnouisme, ou du moins, ce qui lui donne à nos yeux le plus vif intérêt, c'est la présence dans sa doctrine des deux dogmes de la Trinité et de V Incarnation,— a) La Trinité hindoue ou Trimurti se compose de Brahmâ, le dieu créateur, de Vishnou, le dieu conservateur, et de Civa, le dieu destructeur. — b) Les incarnations ou avatars de Vishnou tiennent une place capitale dans l'hindouisme. Vishnou s'incarne un certain nombre de foie : il prend successivement les formes de poisson, de tortue, de sanglier, de lion, et il apparaît surtout dans la personne de deux héros fameux Bâma et Krishna. Ce dernier est particulièrement célèbre : il a une naissance miraculeuse, il est adoré par des bergers, persécuté par le roi Kamsa qui le redoute comme un compétiteur et ordonne le massacre des enfants. Il y a là, on le devine, matière à rapprochement entre le bouddhisme et le christianisme, et les adversaires de celui-ci ne se sont pas fait faute de l'accuser de plagiat. Mais accuser n'est pas prouver et il faudrait avant tout montrer que les légendes du Vishnouisme existaient avant leur rédaction définitive qui n'eut 158
L'abbé DE BROGLIE, op. cit.
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lieu que vers le XIIe ou le XIIIe siècle de notre ère — ce qui jusqu'ici n'a pas été fait. (V. N°s 194 et 278.) 200. — 3° Critique. — Pas plus dans l'hindouisme que dans le bouddhisme nous ne trouvons des traces de l'action divine. Le culte néobrahmanique se signale, au contraire, par des rites grossiers et cruels ; il va d'un extrême à l'autre, d'un ascétisme exagéré à la débauche ; il est un mélange d'exaltation religieuse et de corruption morale. Pour en donner une idée il n'y a qu'à rappeler que le gouvernement anglais qui a pourtant pour principe de respecter les croyances des peuples qui sont sous son autorité, s'est vu forcé de défendre un grand nombre de cérémonies religieuses et de coutumes barbares, on particulier, les sacrifices humains offerts encore récemment à la déesse Kali, le suicide des veuves sur la tombe de leurs maris, les immolations volontaires des fanatiques qui se faisaient écraser sous le char du dieu Vishnou. Art. VI. — L'Islamisme. 201. — Avant la fondation du Mahométisme, les Arabes, sémites comme les Hébreux, se disant descendants d'Ismaël, fils d’Abraham et d'Agar,, étaient divisés en tribus indépendantes, les unes nomades, et les autres sédentaires. Un lien rapprochait ces tribus : c'était la Kaaba, leur sanctuaire commun, qui s'élevait dans une gorge de l'Hedjaz, à environ 90 kilomètres de la mer Rouge. Là, ils adoraient le Dieu d'Abraham, mais ce culte n'excluait pas celui des idoles particulières à chaque tribu. Les Arabes y venaient chaque année en pèlerinage. Notons encore, pour mieux faire connaître les influences qui purent s'exercer sur l'esprit de Mahomet, que la Mecque qui fut construite vers le VIe siècle après JésusChrist, était peuplée en partie de Juifs et de chrétiens. 1° Fondateur. — MAHOMET (Mohammed, en arabe) naquit à la Mecque en 570 après Jésus-Christ. Pauvre, et orphelin de bonne heure, il fut. mis au commerce par son oncle Abu-Talib. C'est justement dans un voyage commercial qu'il fit pour le compte d'une riche veuve, KHADIDJA, qu'il épousa par la suite, qu'il eut, dit-on, l'occasion de rencontre! un moine chrétien avec qui il put s'entretenir. Il eut aussi des relations avec Zeïd, un judéo-chrétien, qui voulait restaurer la religion d'Abraham. Faut-il chercher là l'origine de sa vocation ? On peut en douter ; mais ce qui est certain, c'est que vers l'âge de 40 ans il commença à se préoccuper des questions religieuses et se livra dans la solitude à de longues méditations. Un jour qu'il était en contemplation au mont Hira, il eut deux visions au cours desquelles l'Archange Gabriel lui apparut et lui ordonna de prêcher qu'il n'y avait d'autre Dieu qu'Allah, et que Mahomet était son prophète. Conformément à cet ordre, Mahomet prêcha d'abord à la Mecque, mais il fut accueilli par les railleries des Koreischites, ses parents, et il eut à subir les objections des Juifs. Il dut même, à la suite d'une persécution plus violente, quitter la ville. Il partit alors avec quelques fidèles à Médine, ville rivale, de la Mecque : c'est de cette fuite, appelée Y-hégire, que date l'ère musulmane (16 juillet 622). Reçu en prophète à Médine, il s'y installa ; et, à partir de cette date, il prêcha la guerre sainte. Il dit à ses partisans : « Faites la guerre à ceux qui ne croient pas en Dieu, ni en son prophète. Faites-leur la guerre jusqu'à ce qu'ils paient le tribut et qu'ils soient humiliés. » Alors, de son vivant,
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et après sa mort, les Arabes entreprirent la guerre sainte. C'est ainsi, par les armes, qu'ils imposèrent la religion nouvelle chez les peuples de l'Asie (Syrie, Egypte, Perse) et de l'Afrique (Tripoli, Tunisie, Algérie, Maroc). Au début du VIII6 siècle, ils attaquèrent l'Europe ; ils pénétrèrent en Espagne, où la victoire de Xérès leur livra le pays ; ils entrèrent en Gaule par la vallée du Rhône jusqu'à Lyon, puis ils conquirent la vallée de la Garonne et ils s'avançaient déjà dans la vallée de la Loire lorsque les Francs commandés par Charles Martel vinrent les arrêter et les battre à Poitiers (732). Cette victoire brisa l'élan musulman sur le front d'Occident, comme, quinze ans plus tôt, l'empereur LÉON III et les Byzantins l'avaient brisé sur le front d'Orient. 202. — 2° Doctrine. —Le Coran est le livre sacré de l'Islam, il contient les révélations de l'archange Gabriel au prophète. Mais le livre n'a pas été écrit par le prophète luimême ; il est le recueil de? fragments de discours que ses disciples avaient retenus ou recueillis sur des tablettes. Le Coran est pour le mahométan Je livre par excellence, celui qui remplace tous les autres : il renferme la loi civile aussi bien que la loi religieuse, le Code du juge et l'Évangile du prêtre. En voici les points principaux. — a) Sur la question de Dieu, Mahomet enseigne l’unité divine. Il rejette la Trinité et l'Incarnation, et considère les chrétiens qui adorent Jésus-Christ comme des polythéistes. Parmi les attributs de Dieu il insiste surtout sur sa puissance, laquelle se manifeste bien plus par l’ordre et la beauté du monde que par les miracles ; il parle aussi du « Dieu clément et miséricordieux ». Mahomet admet les anciens prophètes dont les principaux sont Abraham, Moïse, Jean-Baptiste et Jésus. Mahomet, lui, est le dernier et le plus parfait ; il est le «Paraclet promis par Jésus à ses Apôtres » (Jean, XV, 26). b) Sur la question de l’homme. D'après le Coran, il semble bien que la destinée humaine, ici-bas et là-haut, dépende absolument de la volonté arbitraire et souveraine de Dieu. Ilest vrai que les docteurs musulmans n'admettent pas que leur religion soit fataliste ; elle en a au moins toutes les apparences, et si en théorie elle ne l'est pas, elle y aboutit certainement en pratique. L'or sait que les populations musulmanes se plient sans peine aux coups du sort, au Destin, comme on disait danS l'antiquité. Le mot islam signifie du reste résignation, abandon à la volonté de Dieu. La mort est suivie du jugement particulier : l'âme est destinée alors au Paradis ou à l'Enfer, mais, jusqu'à la résurrection, elle reste dans la tombe, heureuse -ou malheureuse suivant la sentence prononcée. c) La morale et le culte de la religion de Mahomet prescrivent cinq devoirs principaux : — 1. la foi : « I1 n'y a de Dieu qu'Allah, et Mahomet est son prophète », telle est la brève profession de foi imposée à celui qui veut appartenir à l'Islam ; — 2. la prière. Le mahométan doit prier cinq fois par jour : à l'aurore, à midi, dans l'après-midi, au coucher du soleil et après la tombée de la nuit. Il peut prier, soit en particulier, soit à la mosquée ; pour les mosquées, l'heure de la prière est annoncée par le muezzin du haut des minarets. La prière est précédée des ablutions : le musulman se lave les mains et les bras jusqu'au coude, les pieds jusqu'aux chevilles ; il se déchausse avant d'entrer dans la mosquée. Les attitudes sont prescrites ; en même temps qu'il récite les formules de prières, tirées pour la plupart du Coran, le musulman fait des génuflexions, des prosternations, il élève les mains de chaque côté de la tête, les abaisse le long du corps ou sur les genoux. Il prie sur des tapis spéciaux, et tourné vers la Mecque, comme le
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chrétien vers Jérusalem ; — 3. Aumône. Celle-ci affecte une double forme : l'une obligatoire et à un taux fixé d'après la fortune individuelle, l'autre non officielle, en argent ou en nature, et pratiquée surtout à la fin du mois de jeûne ; —4. le jeûne. Le Coran impose un mois entier de jeûne : le mois de Ramadan. Deux heures avant le lever du jour, les fidèles sont avertis d'avoir à préparer leur repas du matin ; puis, à partir de ce moment jusqu'au coucher du soleil, le musulman ne peut ni manger, ni boire, ni fumer, ni même avaler exprès sa salive ; — 5. un pèlerinage à la Mecque que tout musulman qui en a les moyens, doit accomplir au moins une fois dans sa vie. 203. — 3° Critique. — On s'est demandé si Mahomet qui se donnait pour un prophète inspiré, était réellement convaincu de sa mission. Le ton enthousiaste de ses prédications, la conviction profonde qu'il sut inspirer à ses compatriotes, pourtant si fiers, sa ténacité devant l'indifférence, et même l'hostilité des siens, tout cela peut nous autoriser à croire qu'il fut sincère au début de sa mission, mais il n'en reste pas moins vrai que, dans la seconde phase de sa carrière, il n'a plus rien du messager divin. Non seulement il ne recule devant aucun moyen pour propager ses idées, mais il prétexte même de fausses révélations pour excuser son immoralité et ses brigandages. « Si l'on voulait, dit l’abbé DE BROGLIE, attribuer à l'islamisme une origine divine, on pourrait poser ce dilemme : ou le christianisme directement opposé à l'islamisme est divin de son côté, ou c'est une œuvre humaine. S'il est divin, il y aurait donc deux religions divines opposées, l'une prêchant la chasteté, la patience, la douceur de ses martyrs, l'autre permettant les mœurs dissolues, la propagation de la vérité par le sabre. Si, d'autre part, on considérait l'islamisme comme divin et le christianisme comme uns œuvre humaine, ce serait alors l'homme qui prêcherait la chasteté, l'indissolubilité du mariage, la patience, le mépris des richesses, et ce serait Dieu qui, par son prophète, autoriserait les hommes à se livrer à leurs passions sensuelles et à leur cupidité. » Nous pouvons donc conclure que l'islamisme « présente le plus singulier mélange d'erreur et de vérité que l'on puisse imaginer. Son dogme fondamental, l'unité de Dieu, est une grande et salutaire vérité. Il en est de même du principe dé l'exclusion de l'idolâtrie, qui en est la conséquence... La sanction de la morale se trouve également dans l'idée de la vie future, du jugement, du ciel et de l'enfer.»159 Les prières précédées d'ablutions qui ont lieu cinq fois par jour, le jeûne rigoureux du Ramadan, sont des pratiques excellentes. On peut supposer que les musulmans qui « croient que Dieu existe et qu'il récompense ceux qui l'approchent», selon la parole de saint Paul (Héb., XI, 6), qui sont de bonne foi dans leur religion et suivent leur conscience, y trouvent les éléments nécessaires pour leur salut. Art. VII. — Le Judaïsme actuel. 204. — Nous ne nous arrêterons pas longtemps sur le judaïsme actuel. La preuve qu'il n'est pas la vraie religion découle, en effet, de la démonstration' que nous ferons plus loin de la divinité du christianisme. Nous verrons plus loin (N° 213) que la religion mosaïque était une religion préparatoire, et qu'un des dogmes principaux de sa doctrine c'était l'idée messianique, c'est-à-dire L'attente d'un Envoyé divin qui transformerait la religion particulariste et nationale des Juifs en une religion 159
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universelle. Or, si nous apportons la preuve que cette espérance s'est réalisée dans le Christ, le judaïsme actuel est dans l'erreur lorsqu'il prétend, soit que le Messie n'est pas venu et qu'il viendra un jour comme un roi temporel à qui toutes les nations seront soumises, soit qu'il est venu, mais qu'il est resté inconnu à cause des péchés de son peuple. 205. — Conclusion générale — 1° De l'examen rapide que nous venons de faire des principales religions de l'humanité, il ressort qu'aucune ne porte les signes d’une origine surhumaine. — a) D'une part, leurs fondateurs ne sont pas, et généralement, ne prétendent pas être, des envoyés de Dieu; il arrive même parfois que leur existence, comme celle de Zoroastre, est problématique, ou que les récits qu'on fait de leur vie, comme c'est le cas pour Çakya-Muni, s'ont plutôt du domaine de la légende que de celui de l'histoire. — b) D'autre part, leur doctrine est mêlée d'imperfections, et les miracles qu'on leur attribue sont des faits, dont la réalité n'est pas suffisamment établie, ou qui sont explicables par une^ cause naturelle : tels sont, par exemple, les oracles de Delphes et de Memphis, ie8 faits miraculeux mis sur le compte de l'empereur Vespasien, et les faits de magie qui se produisent encore fréquemment de nos jours dans l'Extrême-Orient. 2° De ce que les religions que nous venons de passer en revue sont fausses, nous n'avons garde de conclure que le christianisme est vrai. Ce serait évidemment tirer une conséquence que ne renferment pas les prémisses. Mais n'est-ce pas un semblable illogisme que commettent les historiens rationalistes des religions, lorsqu'ils prétendent que, les religions ci-dessus mentionnées étant fausses, le christianisme l'est aussi. Il est vrai qu'ils cachent le vice de leur raisonnement sous une forme plus habile. Ou bien, en effet, ils accordent que la religion chrétienne est une religion supérieure, que sa doctrine est la plus belle, et son fondateur, l'homme idéal; en un mot, ils veulent bien concéder qu'elle est transcendante160, mais pour mieux lui dénier toute origine divine. Ou bien ils exaltent les fausses religions et rabaissent la religion chrétienne pour pouvoir plus facilement conclure que toutes se valent, qu'il y a équivalence de doctrines et de fondateurs, et dès lors, que toutes les religions sont fausses. La seule réponse à de telles attaques c'est la démonstration de l'origine divine du christianisme, comme nous nous proposons de le faire dans la section suivante, en justifiant les titres du fondateur et en faisant ressortir la qualité de la doctrine. 3° Quand nous disons que la religion chrétienne est la seule vraie, et que toutes les autres formes religieuses sont fausses, cela ne veut pas dire qu'il y ait opposition totale entre l'une et les autres, ni que tout soit à condamner dans les fausses religions. Elles sont, au contraire, vraies et bonnes dans tous les points où elles sont d'accord avec la vraie religion. BIBLIOGRAPHIE- - DE BROGLIE, Problèmes et conclusions de l'histoire des religions (Tricon) ; Religion et critique (Lecoffre). — DUFOURCQ, Histoire comparée
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Il n'y a pas lieu d'établir ici la transcendance de la religion chrétienne. Celle-ci sera suffisamment démontrée lorsque nous aurons apporté les preuves de la divinité du christianisme. Évidemment la transcendance est une condition nécessaire de la vraie religion, et la faire apparaître peut servir d'échelon préparatoire à la démonstration de la divinité, mais c'est une voie qu'il n'est pas nécessaire de prendre pour arriver au but que nous poursuivons.
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des religions païennes et de la religion juive (Bloud). — POULIN ET LOUTIL, La Religion (Bonne Presse). — Du Dictionnaire d'Alès : CONDAMIN, art. Babylone et la Bible ; J. HUBY, art. Religion des Grecs ; MALLON, art. Egypte ; LAGRANGE, Religion de l'Iran ; D'ALES, La Religion de Mithra ; ROUSSEL, Religions de l'Inde ; CARRA DE VAUX, L'Islamisme et ses sectes ; POWER, art. Mahomet ; TOUZARD, Le peuple juif dans l'Ancien Testament. — BRICOUT, Où en est l'histoire des religions (Letouzey). — HUBY, Christus (Beauchesne). SECTION II LA DIVINITÉ DU CHRISTIANISME CHAPITRE I. — Les Documents de la Révélation. Valeur historique du Pentateuque et des Évangiles. DÉVELOPPEMENT Division du Chapitre. 206. — Deux méthodes s'offrent à l'apologiste chrétien pour démontrer l'origine divine du christianisme. — 1° Ou bien, procédant comme il vient d'être fait à propos des fausses religions, il va directement au fondateur et lui demande ses titres. Si celui-ci peut lui apporter le témoignage de nombreux miracles, dûment constatés et consignés dans des documents authentiques, dont la valeur et l'autorité ne sauraient être contestées, il "n'y a pas de doute : il est un envoyé divin, et nous n'avons plus qu'à écouter sa parole et accepter sa doctrine. — 2° Si cette première méthode paraît très logique, elle n'en a pas moins le défaut de ne pas être totalement conforme à l'histoire. Car il ne faut pas oublier que Jésus-Christ, le fondateur du christianisme, ne s'est pas donné comme un simple envoyé de Dieu, mais comme l'Envoyé attendu par les Juifs, comme le Messie promis par Dieu au peuple qu'il s'était choisi et chez lequel il avait gardé le trésor de la vraie religion. La démonstration chrétienne ne doit pas être, par conséquent, une démonstration indépendante : le christianisme se présentant comme la troisième phase de la Révélation divine, et se rattachant plus particulièrement à la Religion mosaïque dont il se dit le couronnement, c'est, en réalité, la démonstration de cette triple Révélation qu'il s'agirait de faire. Pour cela, il est indispensable, avant tout, de vérifier les documents qui rapportent le fait de cette triple Révélation. Il faut donc établir la valeur historique : — a) du Pentateuque qui contient les deux premières Révélations : la Révélation primitive161 et la Révélation mosaïque162 ; et — b) celle des Évangiles où est consignée la Révélation chrétienne.
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La Révélation primitive ou patriarcale est celle que Dieu a faite à nos premiers parents et aux patriarches. Elle a : — 1. pour dogmes principaux : l'unité de Dieu, créateur du ciel et de la terre, ayant fait tout bien dès le principe, dogme qui excluait le polythéisme et le dualisme ; l'existence de l'âme humaine, spirituelle et libre, la chute originelle et la promesse d'un sauveur ; — 2. pour préceptes : l'obligation de rendre un culte à Dieu, de lui offrir des sacrifices et, plus tard, au temps d'Abraham, la Circoncision comme signe de l'alliance entre Dieu et le peuple juif.
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Nous suivrons cette seconde méthode, de préférence à la première qui nous paraît incomplète et dangereuse163, sans cependant nous croire obligé à faire la démonstration complète de l'origine divine des deux premières Révélations : leur vérité est en effet impliquée dans la démonstration chrétienne. Nous nous contenterons d'établir rapidement l'autorité humaine du Pentateuque, et d'indiquer la marche de la démonstration mosaïque (N° 213). Ce chapitre comprendra donc deux articles. 1° Le premier traitera de la valeur historique du Pentateuque. 2° Le second, de la valeur historique des Évangiles. REMARQUE PREMMINAIRE AUX DEUX ARTICLES 207. — Il s'agit de savoir si les documents qui contiennent le fait de la Révélation méritent notre confiance tout aussi bien que les autres documents de l'histoire profane, tels que les Annales de Tacite et les Commentaires de César. Or, pour se rendre compte de la valeur historique d'un document, il faut le soumettre à un triple examen. La première chose à vérifier c'est le document lui-même : le possédons-nous dans sa teneur originelle et -tel qu'il est sorti des mains de son auteur164 ? Le second point c'est de rechercher l'auteur. Le troisième c'est de s'assurer si cet, auteur est digne de foi. Ces trois conditions de la valeur historique d'un livre : intégrité, authenticité, véracité, nous allons voir si les deux documents de la triple Révélation, c'est-à-dire le Pentateuque et les Évangiles, les remplissent ; et, comme nous avons surtout besoin, dans cette seconde Partie, des documents de la Révélation chrétienne, nous insisterons davantage sur la valeur des Évangiles. Art. I — Valeur historique du Pentateuque. 162
La Révélation mosaïque est celle qui fut faite au peuple juif par l'intermédiaire de Moïse et des prophètes : elle avait pour but d'instaurer à nouveau la religion primitive et de préparer l'avènement du Messie et la religion chrétienne. Elle a : — 1. les mêmes dogmes que la religion primitive, mais elle met plus particulièrement en relief le dogme de 1 unité divine (monothéisme) que les autres nations avaient perdu de vue ; —- 2. les préceptes moraux formulés dans le Décalogue, lesquels sont une promulgation de la loi naturelle, s'adressant par conséquent à toute l'humanité, sauf la sanctification du sabbat qui ne concernait que les Juifs. A cette première catégorie de préceptes s'en ajoutait une autre, tout à fait spéciale aux Juifs, et qui réglait les questions de culte (cérémonies, objets sacrés, jours de fêtes, personnes consacrées à Dieu). 163
Nous disons que la première méthode est : — 1. incomplète. En effet, dès lors qu'elle se borne à prouver que Jésus-Christ est un simple envoyé divin, elle supprime l'un des meilleurs arguments en faveur du christianisme, à savoir l'argument tiré des prophéties ; — 2. dangereuse, car cette méthode parait une concession à la thèse rationaliste qui rejette l'authenticité du Pentateuque. Il est vrai que la divinité du christianisme peut être démontrée, indépendamment de toute autre question, et en s'appuyant uniquement sur la crédibilité des Évangiles ; mais en acceptant ou en ayant l'air d'accepter le point de vue rationaliste, comment les apologistes qui ont d'abord suivi cette voie, s'y prendront-ils ensuite pour justifier les dogmes du christianisme parmi lesquels se trouve celui de l'origine divine de la religion mosaïque? 164
L’intégrité est évidemment le premier point à établir, vu que, pour rechercher l'auteur, l'on s'appuie sur la critique Interne du document, laquelle n'a d'autorité qu'autant qu'elle porte sur le document authentique.
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Nous allons démontrer dans trois-paragraphes : 1° l'intégrité ; 2° l'authenticité, et 3° la véracité du Pentateuque. § 1. — LE PENTATEUQUE. SON INTEGRITE. 208. — 1° Le Pentateuque. — Division. — Le Pentateuque (du grec « pente » cinq et « teuchos » livre) est ainsi nommé parce qu'il contient cinq,, livres, à savoir : — a) lav Genèse (gr. « genesis » origine), qui raconte la "création et l'origine des choses ; — b) l’Exode (gr. « excodos» sortie), qui raconte la sortie des Israélites de la terre d'Egypte ; — c) le Lévitique, c'est-à-dire la loi des prêtres ou lévites, ainsi appelé parce qu'il est comme le rituel du culte et des sacrifices ; — d) les Nombres : appellation qui vient de ce que le livre commence par un dénombrement du peuple et des lévites ; — e) le Deutéronome ou seconde loi ; livre qui contient une récapitulation de la loi déjà donnée. Le Pentateuque était désigné par les Juifs sous le nom de Torah, ou la Loi, parce qu'il contient la législation mosaïque. 209. — 2° Intégrité. — Avant de se servir d'un document, il est nécessaire, avonsnous dit, d'en contrôler le contenu, et de s'assurer si le texte qu'on a entre les mains est conforme au manuscrit autographe de l'auteur. La chose serait très simple si l'on possédait l'original, l'autographe même de l'auteur. Mais il n'en va pas ainsi quand il s'agit des ouvrages de l'antiquité. Les originaux en sont perdus depuis longtemps, et nous ne pouvons les connaître qu'à travers les copies plus ou moins fidèles qui en ont été faites. Il y a donc lieu de distinguer deux sortes d'intégrités : — a) l'intégrité absolue, quand le texte original est parvenu dans toute sa teneur primitive, et — b) l'intégrité substantielle, lorsque les modifications qui ont été apportées, ne détruisent pas ce qui fait l'essence de l'ouvrage, ce qui en compose, pour ainsi dire, la vraie substance. L'intégrité du Pentateuque actuel est une intégrité substantielle ; L'on comprend aisément que, dans un si long cours de siècles, quelques modifications se soient produites. La Commission biblique, dans son décret du 27 juin 1906, signale plus spécialement quatre sources de modifications : — 1. des additions postérieures à la mort de Moïse, même faites par un auteur inspiré : il est de la plus grande évidence que le récit de la mort de Moïse, à la fin du Deutéronome, est une addition ; —2. des gloses et des explications insérées dans le texte primitif165 et qui avaient pour but d'expliquer les passages qui ne se comprenaient plus ; — 3. des termes et des expressions tombés en désuétude, et traduits en langage plus moderne; —4. enfin des leçons fautives attribuables à l'incorrection des copistes. Ceux-ci ont pu se tromper, soit
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Tout ce qui est inséré au milieu d'un texte porte le nom à'interpolation. Il y a donc deux sortes d'additions-: la continuation et l'interpolation. La continuation consiste à reprendre le récit où l'auteur l'avait laissé et à le compléter ; ce procédé était fréquemment employé au Moyen Age : beaucoup de chroniques ont été continuées sans qu'il soit possible de savoir où commence et où finit le travail des différents continuateurs, ceux-ci n'ayant pas pris soin de le déterminer. "L'interpolation c'est l'insertion, au milieu d'un texte, de mots ou de phrases qui n'étaient pas dans le manuscrit de l'auteur.
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involontairement en transcrivant un mot pour un autre, soit volontairement en croyant bien faire en corrigeant le texte qu'ils avaient sous les yeux. Ainsi, comme l'admet la Commission biblique, le Pentateuque a subi dans la suite des temps un certain nombre de modifications portant sur des points accessoires et n'atteignant pas le fond de l'ouvrage. Quelles furent ces modifications, c'est à la critique de le déterminer : la Commission biblique lui en reconnaît le droit, mais à une condition, c'est qu'elle justifie ses suppositions et qu'elle laisse le dernier mot à l'Église, celle-ci devant toujours juger, en dernier ressort, et dire si les critiques ont raison ou si leurs conclusions manquent de valeur. § 2. — AUTHENTICITE DU PENTATEUQUE. 210. — 1° Définition. — On dit qu'un livre est authentique, quand il est bien de l'auteur auquel la tradition l'attribue. Ainsi, le Pentateuque est authentique s'il a été vraiment écrit par Moïse. 211. — 2° Authenticité. — A. ADVERSAIRES. L'origine mosaïque du Pentateuque a été révoquée en doute par les critiques rationalistes. Mais, bien qu'ils affirment tous que le Pentateuque n'est pas l'œuvre de Moïse, ils sont incapables de se mettre d'accord sur l'auteur et le mode de composition de l'ouvrage. Parmi les hypothèses qu'ils ont faites, les trois principales sont : l'hypothèse documentaire, l'hypothèse fragmentaire si l'hypothèse complémentaire, — a) Hypothèse documentaire. Le Français Jean ASTRUC (en mort 1766), l'Allemand EICHHORN (mort en 1827) ont vu, le premier dans la Genèse seulement, le second dans tout le Pentateuque, une réunion de documents, dont les deux principaux sont :1e document élohiste et le document jahviste, ainsi dénommés parce que Dieu est appelé dans l'un Elohim, et dans l'autre, Jahweh. Cette opinion est restée en vogue, mais a subi des" modifications ; de nos jours, les rationalistes considèrent généralement le Pentateuque comme la fusion de quatre documents : l’Elohiste, le Jahviste, le Deutéronome et le Code Sacerdotal, rédigés tous à des dates diverses, allant du IXe au VIe siècle, de beaucoup postérieurs, par conséquent aux événements qu'ils rapportent et ne -pouvant être attribués à Moïse. — b) Hypothèse fragmentaire. Cette opinion, professée par l'Ecossais GEDDBS (mort en 1802) et par l'Allemand VATER (mort en 1826), regarde le Pentateuque comme une réunion de nombreux fragments, d'ailleurs assez mal assemblés. — c) Hypothèse complémentaire. Cette hypothèse, dont l'Allemand EWALD (mort en 1875) fut le premier représentant, admet un écrit primitif, composé par des prêtres au XIe ou Xe siècle, l’Elohiste, auquel un auteur plus récent, qui appelait Dieu Jahweh, ajouta de nombreux suppléments166.
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En somme, les adversaires de l'authenticité du Pentateuque ont suivi la tactique des critiques littéraires qui ont attribué la composition de l'Iliade et de l'Odyssée à plusieurs auteurs, qui ont considéré ces deux poèmes épiques comme un assemblage de petits poèmes indépendants, ou comme formés d'un noyau primitif grossi par des additions et remaniements successifs.
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B. PREUVES. — L'origine mosaïque du Pentateuque repose sur quatre preuves traditionnelles, rappelées par la Commission biblique le 27 juin 1906 : — a) sur. le témoignage de nombreux passages de l’Ancien Testament. D'abord le Pentateuque se présente à nous comme ayant été écrit par Moïse (Exode, XVII, 14 ; XXIV, 4 ; Deut., XXIX, XXX). Tous les livres postérieurs au Pentateuque confirment l'origine mosaïque : le livre de Josué en fait mention ; les Psaumes et les Prophètes sont tout imprégnés de la loi de Moïse. Supprimer Moïse et la Législation mosaïque contenus dans le Pentateuque, c'est rendre inintelligible toute l'Histoire sainte ; — &) sur la tradition juive, qui attribue le Pentateuque à Moïse : ainsi les écrivains JOSEPHE et PHILON ne laissent aucun doute à cet égard ; — c) sur le témoignage du Nouveau Testament. Notre-Seigneur et les auteurs du Nouveau Testament parlent très souvent de Moïse : ils sont unanimes à le regarder comme l'auteur du Pentateuque (Mat., VIII, 4 ; XIX, 7, 8 ; Marc, VII, 10; XII, 26; Luc, XVI, 29, 31 ; XXIV, 44; Act., XXI, 21 ; XXVI, 22 ; ROM., X, 5) ; — d) sur les critères internes qui se tirent du livre lui-même. A vrai dire, cette quatrième preuve de l'origine mosaïque du Pentateuque est utilisée, en sens contraire, par les rationalistes dont nous avons signalé plus haut les principales hypothèses. C'est, en effet, sur la critique interne du livre qu'ils s'appuient pour prétendre que le Pentateuque est un ensemble d'écrits, — documents, fragments ou suppléments, — d'époques diverses et ne saurait être attribué à Moïse. Pour démontrer leur thèse, ils allèguent : — 1. les diversités de langue, de style, d'idées qui trahissent une époque et des auteurs différents ; — 2. l'emploi de deux noms, Elohim et Jahweh, pour désigner Dieu, — 3. les doublets, c'est-à-dire les faits racontés deux fois : il y a, par exemple, un double récit de la création, du déluge, de l'enlèvement de Sara, de l'expulsion d'Agar ; Joseph est vendu à des Ismaélites et à des Madianites : la chose leur paraît inexplicable dans l'hypothèse de l'unité de composition et d'auteur ; -— 4. les passages relatant des faits ou des institutions manifestement postérieurs à Moise, par exemple, les endroits où il est question de la terre au-delà du Jourdain que Moïse n'habita jamais, de la mort de Moïse, et de lois concernant le royaume (Deut, XVII, 19). A ces difficultés soulevées par les rationalistes, nous répondrons, en nous inspirant des conclusions de la Commission Biblique : — 1. que de nombreux mots égyptiens témoignent que l'auteur a vécu en Egypte, ce qui est le cas de Moïse, que les diversités de langue et de style s'expliquent non seulement par la diversité des sujets, mais par ce fait que Moïse a pu se servir de secrétaires qui, sous sa direction et d'après son plan ont rédigé, chacun, des œuvres complètes par elles-mêmes et souvent parallèles, qu'il a pu utiliser, lui-même ou par ses collaborateurs, des sources, antérieures ou contemporaines, écrites ou orales, sources qui ont été insérées, mot à mot, ou quant aux idées, tantôt abrégées, tantôt développées comme certains épisodes de l'histoire d'Abraham, de Jacob et de Joseph. Ajoutons, d'autre part, que rien, dans le décret de la C. B. du 27 juin 1906 ne nous oblige à supposer que ces œuvres de Moïse et de ses scribes auraient été fusionnées en un seul tout de leur vivant. Il nous suffit de croire que ces documents remontent à Moïse, qu'ils en dépendent, qu'ils lui sont imputables et n'ont subi aucune altération substantielle. — 2. L'emploi des deux mots, Elohim et Jahweh pour nommer Dieu, n'implique nullement qu'il y ait eu deux sources ou deux auteurs différents : les deux mots, en effet, n'ont pas le même sens ; le premier désigne
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Dieu en tant que Créateur et Providence, le second désigne le Dieu d'Israël, le Dieu qui a contracté une alliance solennelle avec son peuple d'élection. — 4. Pour ce qui concerne les passages d'origine certainement postérieure à Moïse, la chose s'explique par des modifications qui ont pu se produire au cours des siècles sans détruire, pour cela l'intégrité substantielle (V. N° 209). Des quatre preuves qui précèdent il résulte que l'authenticité mosaïque du Pentateuque reste incontestable. § 3. — VERACITE DU PENTATEUQUE. 212. — De ce que le Pentateuque est substantiellement intègre et qu'il est l'œuvre de Moïse, pouvons-nous conclure qu'il est digne de foi ? Ou mieux, le témoignage de Moïse que nous trouvons dans le Pentateuque, réunit-il les conditions de la véracité ? Un témoignage est véridique, il mérite d'être cru, lorsque le témoin n'a pas pu se tromper et n'a pas voulu tromper167. Or en est-il ainsi pour ce qui concerne le témoignage de Moïse? Que Moïse n'ait pas pu se tromper, cela paraît bien évident, car il racontait les faits dont lui-même avait été le principal acteur. Pas davantage il n'a voulu tromper ; quel intérêt aurait-il eu à le faire ? Mais, même s'il en avait conçu le dessein, la chose lui aurait été impossible, car il écrivait pour son peuple qui, lui aussi, avait été témoin et acteur des événements que Moïse racontait. 213. — Remarque. — La valeur historique du Pentateuque une fois admise, il faudrait démontrer ici l'origine divine de la Révélation primitive, et surtout de la Révélation mosaïque, à laquelle la Révélation chrétienne se rattache si étroitement. Nous indiquerons seulement la marche à suivre pouf la Révélation mosaïque. Deux points sont à discuter, comme nous l'avons fait pour les fausses religions : les titres du fondateur et la valeur de la doctrine. A. LE FONDATEUR. — La mission divine du fondateur, ressort de ce fait que, par son intermédiaire, Dieu a opéré de nombreux prodiges, dans le détail desquels nous ne pouvons entrer. Rappelons seulement les Dix plaies d'Egypte, le passage de la Mer Rouge, la manne qui nourrit les Israélites durant quarante jours dans le désert, l'apparition de Dieu sur le Sinaï, etc. B. LA DOCTRINE. — Pour faire apparaître la transcendance de la religion juive, il suffirait d'en signaler les deux traits essentiels : le monothéisme et l'idée messianique : — a) Et d'abord le monothéisme, c'est-à-dire la croyance à un Dieu unique et créateur et l'adoration exclusive de ce Dieu. Or ce monothéisme est un fait unique dans l'histoire des religions : à lui seul, il suffit à classer la religion juive hors de pair. Aucune cause naturelle ne peut en donner une explication suffisante : ni la race, ni le climat, ni la langue, ni les circonstances ne sont des causes acceptables ; le peuple juif, en effet, n'était-il pas entouré de peuples de même race, sémites comme lui, de même langue, Assyriens, Arabes, Araméens qui tous étaient polythéistes ? Mieux que cela : 167
Nous insisterons davantage sur la question de la véracité dans l'article sur les Évangiles (Nos 233 et suiv.).
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les Juifs eux-mêmes n'étaient-ils pas enclins à l'idolâtrie, ne s'y sont-ils pas laissé entraîner maintes fois au point que les rationalistes ont pu prétendre que la nation juive a commencé comme toutes les autres, par le polythéisme ? Le monothéisme hébreu n'est donc explicable que par l'intervention surnaturelle de Dieu. Si le peuple juif ne reconnaît d'autre Dieu que Jahvé, s'il bannit du camp ou de la ville toute idole qui rappellerait le souvenir d'un dieu étranger, c'est parce qu'il a reçu l'enseignement de Moïse qui l'a instruit au nom de Dieu, enseignement que les prophètes devront plus tard lui rappeler tant de fois pour le retenir dans la voie tracée par Dieu et le garder de l'idolâtrie. — b) Le second caractère de la religion juive c'est l'espérance messianique. Si, d'une part, Moïse et les prophètes ont proclamé que le monothéisme était le dogme essentiel de leur religion, ils ont, d'autre part, annoncé que leur religion n'était pas définitive et qu'à sa forme imparfaite et restreinte succéderait une autre forme religieuse destinée à devenir la religion universelle. Et de cette future religion ils ont prédit qu'un Envoyé de Dieu, un Messie, serait l'apôtre et le fondateur. L'espérance messianique c'est donc l'attente du royaume de Dieu qui s'étendra à tout l'univers et l'attente d'un Roi, d'un Oint, — Christ ou Messie, — qui conquerra le monde au vrai Dieu. La question qui maintenant va se poser, c'est par conséquent de savoir si cette espérance est réalisée, si elle est désormais un fait accompli. Les apologistes chrétiens qui répondent affirmativement, ont donc pour tâche de montrer que Jésus-Christ, le fondateur du christianisme, est bien le Messie attendu, fit qu'il l'est parce qu'il réalise en sa personne tous les caractères annoncés par les Prophètes : de la tribu de Juda et de la race de David, et parce qu'il a prouvé son origine divine par ses œuvres. C'est le travail que nous ferons quand nous aurons vérifié tes documents de la Révélation chrétienne. Art. II — Valeur historique des Évangiles. 214. — Les quatre Évangiles168 selon169 saint Matthieu, saint Marc, saint Luc et saint Jean, sont les principaux170 documents qui contiennent le fait de la Révélation 168
Le mot Évangile (du grec « euaggelion » bonne nouvelle) a un double sens. Il désigne : — 1. soit la nouvelle par excellence, celle du salut apporté au monde par Jésus-Christ ; — 2. soit les livres euxmêmes qui contiennent cette bonne nouvelle. Il n'y a donc qu'un Évangile, celui de Jésus-Christ, et quatre livres qui le rapportent. 169
A première vue, cette expression selon pourrait signifier que nos Évangiles actuels sont des écrits se couvrant simplement de l'autorité de saint Matthieu... Mais toute l'antiquité a vu dans cette formule l'indication des auteurs, comme nous le montrerons dans le paragraphe 2.
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Nous disons que les Évangiles sont les principaux documents de la Révélation chrétienne. Ils ne sont pas, en effet, notre seul moyen d'information sur la vie et l'œuvre du Christ. Outre les Évangiles, il y a encore : — a) parmi les sources chrétiennes canoniques, les Actes des Apôtres et tous les autres écrits du Nouveau Testament, entre lesquels les Epîtres de saint Paul occupent une place de tout premier ordre ; — b) parmi les sources chrétiennes non canoniques, les Évangiles apocryphes. Le mot « Apocryphes» (du grec apocruphos, caché) sert à qualifier soit des œuvres qu'il faut tenir secrètes, soit des œuvres dont on ne connaît pas ou dont on suspecte l'origine. Il est employé ici dans le second sens et désigne un certain nombre d'écrits, composés entre le n» et le v» siècle, qui prétendent raconter l'histoire évangélique, mais qui n'ont pas été reconnus par l'Église comme inspirés et ne figurent pas
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chrétienne. Il y a donc lieu, comme pour le Pentateuque, d'en rechercher la valeur historique. Dans trois paragraphes nous établirons : 1° leur intégrité ; 2° leur authenticité ; et 3° leur véracité. § 1. — INTEGRITE DES ÉVANGILES. 215. — Les textes actuels des Évangiles sont-ils tels qu'ils sont sortis des mains de leurs auteurs? Telle est la première question qui se pose. Que la solution en soit difficile, on le devine aisément, si l'on remarque, d'un côté, que les originaux, écrits sans doute sur du papyrus, matière friable et de peu de durée, ont disparu depuis longtemps, et de l'autre, que les critiques ont relevé plus de 150.000 variantes dans les nombreuses copies qui en ont été faites. Variantes qui n'ont du reste rien d'étonnant, car il était impossible que le texte primitif passât entre tant de mains sans être altéré, au moins dans ses détails. Parfois les copistes ont oublié des mots, passé une ligne, écrit un mot pour un autre ; parfois aussi les variantes n'étaient pas accidentelles, et il est arrivé que les copistes ont, de propos délibéré, substitué à un passage obscur des expressions qu'ils jugeaient meilleures ou même remplacé des idées par d'autres plus conformes à leurs opinions personnelles et à leurs préoccupations doctrinales. Le premier travail de la critique historique a donc été de reconstituer, aussi fidèlement que possible, les textes originaux, au moyen des manuscrits171 qui ont été retrouvés, des versions anciennes172 et des citations des Pères173. La chose n'allait pas sans dans le canon ou liste officielle des Livres Sacrés. Les Évangiles apocryphes dont les principaux sont : l'Évangile de saint Pierre, l'Évangile de Thomas, l'Évangile des Hébreux... n'ont guère de valeur documentaire ; les détails qu'ils contiennent, par exemple, sur l'enfance de Jésus, sur ses dernières heures sur la Croix, sont des détails romanesques où la puérilité se mêle à l'indécence ; — c) parmi les sources non chrétiennes : — 1. les écrits juifs, tels que les Antiquités judaïques de l'historien JOSEPHE où il est fait allusion à la mission de Jésus, les ouvrages de PHILON qui nous montrent les pensées qui fermentaient au temps de Jésus dans les âmes préoccupées de la question religieuse ; — 2. les écrits des historiens latins, entre autres, de PLINE LE JEUNE qui, alors qu'il était gouverneur de Bithynie, écrivit à Trajan pour lui demander quels supplices il convenait d'infliger aux chrétiens (Epître 97) ; de SUETONE (Vies de Claude et de Néron), et surtout de TACITE qui mentionne que Jésus lut crucifié sous Tibère, Ponce Pilate étant gouverneur de Judée (.Annales, livre XV). Remarquons enfin que, même en l'absence de tout document écrit, nous aurions toujours, pour connaître les traits de Jésus, le témoignage de la tradition, ce grand fait historique de l'existence d'une communauté chrétienne dont la naissance et le développement ne s'expliquent pas en dehors de la vie et de l'œuvre du Christ. 171
Les manuscrits grecs et latins déjà retrouvés sont plus de 12.000. Voici les principaux : le Vaticanus, du IVe siècle, à la bibliothèque du Vatican ; le Sinaïticus,. du IVe siècle, découvert au "couvent du Mont Sinaï par TISCHENDORF et actuellement à Saint-Pétersbourg ; l'Alexandrinus du Ve siècle qui se trouve au Musée britannique de Londres; le Codex Ephraemus rescriptus du Ve siècle à la Bibliothèque nationale de Paris ; le Codex Bezae du VIe siècle, à l'Université de Cambridge. 172
Les Évangiles ayant été écrits en grec, sauf l'Évangile primitif de saint Matthieu qui était en hébreu, on appelle versions les traductions qui en ont été faites dans une autre langue. La plus célèbre des anciennes versions s'appelle la Vulgate, traduction latine, faite par saint JEROME à la fin du IVe siècle. Il y a aussi des versions syriaque, égyptienne, éthiopienne, arménienne. 173
Les Pères de l'Église citent souvent les Écritures. Mais leurs citations ne sont pas toujours littérales, auquel cas elles ne peuvent servir qu'à la reconstitution du sens et non de la lettre.
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difficultés, vu le grand nombre de variantes. Toutefois, comme la plupart de ces dernières sont sans importance et que les corrections tendancieuses sont plutôt rares174 et assez facilement reconnaissables, il n'y a pas à douter que le texte critique actuel soit identique dans sa substance, au texte original. 216. — Voici, du reste, pour chaque Évangile, les endroits dont l'authenticité est mise en doute. — a) Saint Matthieu. La question d'authenticité du premier Évangile est plus complexe que celle des autres: la raison en est que cet Évangile a été très vraisemblablement écrit d'abord dans l'idiome araméen, la langue courante des Juifs de Palestine, puis traduit en grec. Quel rapport exact y a-t-il entre le texte grec que nous possédons et le texte primitif araméen? A cette question la Commission biblique a répondu, dans son décret de juin 1911, que l'Évangile grec est en substance identique à l'Évangile écrit par l'Apôtre dans la langue de son pays. — b) Saint Marc. Seule l'authenticité de la finale (XVI, 9-20) a été rejetée par un certain nombre de critiques sous le prétexte qu'elle manque dans beaucoup de manuscrits anciens et qu'elle n'est pas conforme au style de saint Marc. La Commission biblique (26 juin 1912) a déclaré qu'il fallait tenir Marc pour l'auteur des douze derniers versets. — c) Saint Luc. Il n'y a discussion que sur quelques points de détail, spécialement sur les versets 43 et 44 du chapitre XXII La Commission biblique a décrété (26 juin 1912) qu'il n'est pas permis de douter de la canonicité des. récits de saint Luc sur l'Enfance du Christ, sur l'Apparition de l'Ange qui réconforta Jésus et la sueur de sang. — d) Saint Jean. Les difficultés à propos du IVe Évangile se bornent à trois passages : 'au récit relatif à l'ange de la piscine probatique (V, 3, 4), à l'épisode de la femme adultère (VII, 53 ; VIII, 11) et enfin à l'appendice (XXI). Mais n'insistons pas. Ces différents passages que nous venons de mentionner, — les seuls dont l'authenticité soit sérieusement contestée, — sont de peu d'intérêt pour l'apologétique et ne doivent guère être utilisés dans les arguments qui serviront à la démonstration de la divinité du christianisme. Qu'ils aient été interpolés ou non, c'est donc ici une question secondaire. § 2. — AUTHENTICITE DES ÉVANGILES. 217. — Les Évangiles une fois reconstitués dans leur texte primitif, il faut rechercher de qui ils viennent, quels en sont les auteurs et quelle en est la date de composition. Un document n'a en effet de valeur, que dans la mesure où l'auteur a pu connaître les faits qu'il rapporte et a voulu les rapporter fidèlement. Les Évangiles ont-ils été écrits par saint Matthieu, saint Marc, saint Luc et saint Jean, comme l'apologiste chrétien le prétend, conformément à la doctrine de l'Église? Ce n'est pas par les écrits eux-mêmes que nous pouvons l'apprendre, car, outre que les anciens et spécialement les Orientaux, ne mettaient pas leur nom-en tête de leurs ouvrages, nous avons dit plus haut qu'il y a beau temps que les originaux ont disparu. L'authenticité des Évangiles ne peut donc 174
Que les corrections tendancieuses soient rares, cela s'explique par une double raison. La première c'est que les chrétiens veillaient sur leurs Écritures avec un soin jaloux, les apprenant par cœur, les lisant dans toutes leurs assemblées, bref, les entourant d'un respect et d'un culte presque à l'égal de l'Eucharistie, considérant l'altération de leurs Livres Sacrés comme une profanation grave. La seconde c'est que les adversaires des chrétiens : juifs, hérétiques, infidèles, étalent, eux aussi, attentifs à la destinée des Écritures, épiant toutes les occasions d'en découvrir les points faibles ou de surprendre les chrétiens en flagrant délit de falsification
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être établie que par deux sortes d'arguments : — a) des arguments extrinsèques, tirés du témoignage de l'histoire, et — b) des arguments intrinsèques tirés de la critique interne, c'est-à-dire de l'examen du livre lui-même, de son style, de sa méthode, de ses idées, des idées surtout, car il va de soi que les idées d'une époque ne peuvent être fidèlement rendues que par un contemporain. C'est en nous appuyant sur ces deux arguments que nous allons démontrer l'authenticité de chaque Évangile. 1° Authenticité de l'Évangile de saint Matthieu. — A. ARGUMENT EXTRINSÈQUE. — A la fin du IIe siècle, la tradition commune dans toutes les Églises chrétiennes admet que l'apôtre saint Matthieu est l'auteur de notre premier Évangile : ainsi en témoignent CLEMENT D'ALEXANDRIE, TERTULLIEN, saint IRENEE. Ce dernier disait vers 185 : « Ainsi, Matthieu publia par écrit l'Évangile chez les Hébreux, dans leur langue, tandis que Pierre et Paul évangélisaient Rome et fondaient l'Église.» Déjà, au milieu du ne siècle, PAPIAS, évêque d'Hiérapolis en Phrygie, et qui fut l'ami de Polycarpe, disciple de saint Jean, parlait de l'Évangile hébreu composé par saint Matthieu : « Matthieu, disait-il, écrivit les Logia en langue hébraïque, et chacun les a traduits comme il a pu. » Et les critiques les plus en vue pensent que le terme de logia ne doit pas être restreint aux discours du Seigneur, mais qu'il peut s'appliquer à des récits et désigner par conséquent notre Évangile actuel. Comme on le voit par les témoignages qui précèdent, les écrivains ecclésiastiques des premiers siècles attribuent unanimement la composition du premier Évangile à l'apôtre saint Matthieu. La chose ne peut s'expliquer que par la vérité du fait, car s'il s'était agi de mettre un ouvrage anonyme sous l'autorité d'un nom célèbre, on aurait choisi un nom plus en relief, celui de Pierre, par exemple, et non pas celui de saint Matthieu, tard venu dans l'apostolat et qui n'avait joué dans le collège apostolique qu'un rôle accessoire. B. ARGUMENT INTRINSÈQUE. — Le témoignage de la tradition est confirmé par la critique interne du livre. Celle-ci établit, en effet, que l'auteur était à la fois, juif palestinien, publicain, et qu'il écrivait pour les Juifs convertis : trois caractères qui conviennent parfaitement à l'apôtre saint Matthieu. a) L'auteur du premier Évangile était juif palestinien. Les hébraïsmes abondent dans son œuvre. On sent qu'il est au courant de toutes les coutumes juives ; il connaît la loi de Moïse et les prophètes mieux qu'aucun autre. En outre, il décrit la Palestine avec une stricte fidélité ; il sait la topographie des lieux : Capharnaüm est désigné comme une ville maritime sise sur les confins de Zabulon et de Nephtali, il parle des lis qui couvrent les champs, des rudes tempêtes qui s'élèvent sur le lac de Génésareth, etc. L'auteur était donc palestinien ou tenait ses renseignements d'un palestinien. — b) L'auteur était publicain, du moins si l'on s'en rapporte à la compétence spéciale qu'il témoigne en matière d'impôts. Seul des évangélistes, il note que l'apôtre saint Matthieu était publicain à Capharnaüm et, dans son énumération des Apôtres, il nomme Thomas avant lui, tandis que saint Marc et saint Luc font le contraire. Il est à supposer dès lors que par humilité il a laissé la première place à son compagnon. — c) L'auteur écrivait pour des Juifs convertis : la preuve en est qu'il emploie de nombreuses locutions d'origine araméenne, telles que rabbi, raca, mammona, gehenna, corbona, sans éprouver le besoin de les expliquer. Mais ce qui indique encore mieux qu'il s'adresse à
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des Juifs, c'est le dessein de son ouvrage. Partout il apparaît qu'il veut prouver que Jésus était le Messie. Pour cela il place en tête de son Évangile l'arbre généalogique qui montre dans le Sauveur un descendant de David et d'Abraham ; puis, à chaque instant il rappelle que Jésus accomplit les prophéties anciennes. Un tel but et une telle méthode n'auraient pas de raison d'être avec d'autres lecteurs que des Juifs. Nous pouvons donc conclure que l'authenticité du premier Évangile repose sur un ensemble de preuves, d'ordre externe et interne de la plus grande valeur. Date et lieu de composition. — La majorité des critiques catholiques placent la composition du premier Évangile entre 36 et 70, et croient que saint Matthieu l'a écrit en Palestine, peut-être à Jérusalem. De toute façon, il n'est pas possible de reculer la date après 70, comme l'ont fait les rationaliste» en général, encore moins de la rejeter jusqu'à 130, selon le système de l'école de Tubingue. (BAUR.) 218. — 2° Authenticité de l'Evangile de saint Marc. — A. ARGUMENT EXTRINSÈQUE. — L'on possède, à partir du ne siècle, de nombreux témoignages qui attribuent le second Évangile à saint Marc, disciple de saint Pierre à Rome : les principaux sont ceux de TERTULLIEN, de CLEMENT D'ALEXANDRIE, de saint IRENEE, du Canon de Muratori175, de saint JUSTIN, de PAPIAS. Ce dernier rapporte, vers 150, que « Marc, l'interprète de Pierre, écrivit avec exactitude, non pas cependant dans leur ordre chronologique, tout ce dont il se souvenait, des choses dites ou faites par Jésus. Car il n'avait pas vu le Seigneur et ne l'avait pas accompagné, mais il avait accompagné Pierre qui donnait ses enseignements selon les besoins de ceux qui l'écoutaient... De la sorte, Marc ne fit aucune faute en écrivant quelques faits comme il se les rappelait. Sa seule préoccupation était de ne rien omettre de ce qu'il avait entendu et de ne rien altérer. » Le témoignage de la tradition représente une valeur de premier ordre, car il est incontestable que, le second Évangile contenant les souvenirs de saint Pierre, on n'aurait pas manqué de le lui attribuer si par ailleurs on avait eu des doutes sur le véritable auteur. B. ARGUMENT INTRINSÈQUE. — De l'étude du livre lui-même il résulte que l'auteur était juif, disciple de saint Pierre et qu'il a écrit pour des Romains : — a) Il était juif, comme le témoignent les nombreux hébraïsmes qu'on y rencontre et les citations syro-chaldaïques ou araméennes telles que « Ephpheta» (ouvre-toi) VII, 34 ; « Eloï, Eloï, lamma sabachtani» (Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné?), XV, 34. La manière dont il décrit les usages, les mœurs, et la géographie de la Palestine, indiquent même qu'il était juif palestinien, et qu'il s'était trouvé à Jérusalem lors de la mort de Jésus, car le jeune homme, dont il est parlé dans la scène de l'arrestation à Gethsémani, qui suivait Jésus « n'ayant sur le corps qu'un drap », semble bien ne pas être autre que lui-même. — b) Il était disciple de saint Pierre. Cela
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Le Canon de Muratori, ainsi appelé du nom du savant italien qui l'a découvert et publié en 1740, est un document dans lequel sont énumérées les Écritures du N.T. telles qu'on les lisait dans l'Église romaine entre 170 et 200. Les quatre Évangiles y sont mentionnés comme faisant partie du recueil biblique.
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ressort de la place prépondérante que saint Pierre occupe dans cet Évangile : tous les faits et gestes du premier des apôtres y sont rapportés avec la plus grande précision. L'auteur s'étend même avec plus de complaisance sur les défauts, les faiblesses et les fautes du chef de l'Église que sur ce qu'il y a de glorieux dans sa vie : ce qui ne s'explique que si l'auteur reproduit la prédication de saint Pierre. — c) Le second Évangile a été écrit pour des Romains. Les multiples détails qu'il fournit à ses lecteurs sur la langue, les mœurs, les coutumes juives, le soin qu'il prend de traduire les termes araméens qu'il cite, les expressions et tournures latines qui abondent dans sa langue grecque, en sont une preuve très nette. Or tous les caractères que nous venons d'indiquer conviennent bien à Marc, disciple de saint Pierre, et dont la mère, nommée Marie, possédait à Jérusalem une maison où Pierre s'abrita lorsqu'il sortit de la prison d'Hérode Actes, XII, 12). Date et lieu de composition. — D'après les critiques catholiques, le second Évangile a été écrit au plus tard de 67 à 70, et fort probablement à Rome, vu que l'ouvrage était destiné aux Romains. 219. — 3° Authenticité de l'Évangile de saint Luc. — A. ARGUMENT EXTRINSÈQUE. — Dès la fin du IIe siècle, la tradition commune attribue le troisième Évangile à saint Luc, disciple et compagnon de saint Paul, « le médecin bien aimé», comme l'apôtre des Gentils l'appelle dans son Épître aux Colossiens (IV, 14). Parmi les principaux témoignages, il faut citer ceux de CLEMENT d'Alexandrie, de saint IRENEE, de TERTULLIEN, du Canon de Muratori. Or, saint Luc était dans la communauté chrétienne un personnage trop obscur pour qu'on mît sous son nom une œuvre qui représentait en partie la prédication de saint Paul. B. ARGUMENT INTRINSÈQUE, -r L'analyse interne du livre confirme le témoignage de la tradition. Elle montre, en effet, que l'auteur était médecin, grec d'origine et esprit cultivé, et disciple de Paul. — a) IL était médecin, comme le prouve la précision avec laquelle il décrit les maladies ; — b) grec d'origine et esprit cultivé : un style plus pur et plus élégant que celui des deux premiers Évangiles, une plus grande richesse de vocabulaire, un art plus grand dans la composition, sont un indice certain que le grec était la langue maternelle de l'auteur ; — c) disciple de saint Paul. Il y a, en effet, entre le troisième Évangile et les écrits de saint Paul, des affinités remarquables, tant au point de vue du fond que de la forme. Le récit de la Cène dans le troisième Évangile (XXII, 17, 20) est presque identique à celui de la première Épître aux Corinthiens (XI, 23, 25). Le troisième Évangile, plus que les autres, met en relief les thèses favorites de saint Paul : la nécessité de la foi, la gratuité de la justification et le caractère universel du christianisme. Et quant à ce qui concerne la forme, on a pu relever 175 mots particuliers aux deux écrivains. Date et lieu de composition. — L'opinion de la plupart des catholiques et même des protestants, c'est que le troisième Évangile a été composé avant l'an 70, soit à Borne, soit en Asie-Mineure, soit à Corinthe ou à Césarée. 220.— 4° Authenticité de l'Évangile de saint Jean. — L'authenticité du quatrième Évangile est niée par un certain nombre de critiques protestants et rationalistes
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(BAUR, STRAUSS, J. REVILLE, LOISY). Beaucoup de critiques libéraux, parmi lesquels RENAN, HARNACK, JULICHER, lui reconnaissent une authenticité partielle : le quatrième Évangile contiendrait un fond traditionnel, plus ou moins important, qui aurait l'apôtre saint Jean pour auteur. L'authenticité de l'Évangile de saint Jean, admise par tous les critiques catholiques, repose sur les mêmes arguments que celle des trois premiers Évangiles A. ARGUMENT EXTRINSÈQUE. — A la fin du IIe siècle, nombreux sont déjà les témoignages qui attribuent le quatrième Évangile à l'apôtre saint Jean. Outre ceux de TERTULLIEN, du Canon de Muratori, de THEOPHILE D'ANTIOCHE, voici deux témoignages importants : — 1. celui de saint Irénée, évêque de Lyon, disciple de saint Polycarpe, qui lui-même avait été disciple de saint Jean. Il écrit vers 185 : « Jean, disciple du Seigneur, qui a reposé sur sa poitrine, a écrit lui-même aussi son Évangile, tandis qu'il vivait a Éphèse, en Asie»; —2. celui de Clément d'Alexandrie qui écrit, quelques années après saint Irénée, que « d'après la tradition des Anciens, Jean, le dernier des Évangélistes, a écrit l'Évangile spirituel, sous l'inspiration du Saint-Esprit et à la prière de ses familiers. » — 3. La tradition chrétienne est elle-même corroborée par les témoignages de la tradition hétérodoxe. CELSE, les judaïsants, les gnostiques BASILIDE et VALENTIN sont formels en faveur de l'origine johannique du quatrième Évangile. Ainsi le quatrième Évangile était déjà répandu dans tout l'univers chrétien, au milieu du ne siècle, ce qui suppose qu'il remonte au Ier siècle, et des témoins orthodoxes et hétérodoxes autorisés l'attribuent à l'apôtre saint Jean. Il est invraisemblable qu'ils se soient trompés sur le véritable auteur et qu'ils aient confondu Jean l'apôtre avec Jean l'Ancien, dont parle Papias ; il est du reste assez probable que les deux noms désignent la même personne. B. ARGUMENT INTRINSÈQUE. — De l'examen intrinsèque du livre il résulte que l'auteur du quatrième Évangile était juif d'origine, apôtre, plus que cela, qu'il était « l'apôtre que Jésus aimait ». — a) IL était juif d'origine. Les nombreux hébraïsmes que l'on rencontre dans sa langue grecque, les termes araméens qu'il cite et qu'il interprète très correctement à ses lecteurs, les usages juifs qu'il décrit fidèlement, les détails topographiques qu'il donne sur la Palestine et sur Jérusalem, tout cela prouve bien que nous avons affaire à un auteur familiarisé avec les idées juives, avec la langue et les traditions religieuses des Juifs. — b) L'auteur était un apôtre. Les récits des faits sont si vivants, si précis et si intimes qu'ils supposent un témoin oculaire qui rapporte ce qu'il a vu. — c) L'auteur était « l'apôtre que Jésus aimait». Si nous en croyons le dernier chapitre dont l'authenticité ne paraît pas douteuse, le quatrième Évangile a pour auteur « le disciple que Jésus aimait » (XXI, 20, 24). Or des trois apôtres : Pierre, Jacques le Majeur et Jean, qui étaient dans une familiarité plus grande avec NotreSeigneur, les deux premiers doivent être éliminés, car ils étaient morts bien avant la composition du livre. Il faut remarquer en outre que l'Apôtre Jean et les membres de sa famille ne sont jamais nommés explicitement dans le quatrième Évangile, tandis que les autres apôtres le sont fréquemment. Ce silence est tout naturel dans l'hypothèse où l'auteur du livre tairait son nom par discrétion.
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Date et lieu de composition. — Le quatrième Évangile a été composé à Éphèse, vers la fin du Ier siècle, entre 80 et 100, du moins d'après l'opinion des critiques catholiques176. § 3. — VÉRACITÉ DES ÉVANGILES 221. — Les Évangiles nous sont parvenus dans leur intégrité substantielle, et ils ont bien pour auteurs deux apôtres : saint Matthieu et saint Jean, et deux disciples d'apôtres : saint Marc et saint Luc. Troisième question à résoudre : quelle est la valeur historique de ces documents ? Deux conditions sont requises pour qu'un historien soit digne de foi, Il faut 1° qu'il soit bien informé et 2° qu'il soit sincère (V. Nos 166 et 169). Connaître les événements tels qu'ils se sont déroulés, savoir la vérité et vouloir la dire, tout est là. Nous allons donc rechercher si les Évangélistes ont rempli ces deux conditions, en nous posant la question séparément, pour les Synoptiques, c'est-à-dire les trois premiers Évangiles, et pour le quatrième. 222. — I. Valeur historique des Synoptiques. — Le mot « Synoptiques » attaché aux trois premiers Évangiles vient de ce que, si l'on dispose les textes de ces trois Évangiles sur trois colonnes, en prenant soin de faire correspondre les parties communes, l'on obtient une synapse (gr. « sunopsis» vue simultanée), c'est-à-dire une vue d'ensemble du contenu évangélique, concordante en de nombreux points. Pour déterminer la valeur historique des Synoptiques, nous allons donc répondre à cette double question : 1° Les trois premiers Évangélistes étaient-ils bien informés? 2° Étaient-ils sincères? 223. — 1° Les trois premiers Évangélistes étaient bien informés. — Pour établir ce premier point, un travail préliminaire s'impose : il faut étudier les documents euxmêmes pour savoir comment ils ont été composés. Sont-ils des récits de témoins oculaires et auriculaires qui se bornent à rapporter exactement ce qu'ils ont vu et entendu? Ou bien ont-ils été écrits par des historiens qui ont puisé à des, sources et utilisé d'autres documents? Autrement dit, sont-ils œuvres de première main ou œuvres de seconde main? Et s'ils sont œuvres de seconde main, quelle est la valeur de leurs sources? Ceux de qui ils tiennent leurs renseignements sont-ils dignes de foi? Cette question, nous sommes d'autant plus amenés à la poser, que les trois premiers Évangiles présentent entre eux des ressemblances frappantes, tandis qu'ils diffèrent entièrement du quatrième. Comment expliquer leurs rapports? Problème délicat qui n'a reçu jusqu'ici d'autre solution que celle d'hypothèses plus ou moins acceptables. Nous allons dire un mot et du problème et des solutions qui ont été proposées pour le résoudre. 224. — A. LE PROBLÈME SYNOPTIQUE. — Si l'on compare les trois premiers Évangiles entre eux, on n'est pas longtemps à discerner de nombreux passages identiques, à côté d'autres absolument divergents. — a) Ressemblances. 1. Tout 176
Les critiques rationalistes reculent la date de composition du 4e Evangile beaucoup plus loin rentre 160-170 (BAUR), vers 125 (RENAN), entre 80-110 (HARNACK),entre 100-125 (LOISY).
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d'abord même plan général. Alors que le quatrième Évangile ne reproduit que le ministère de Jésus en Judée avant la dernière semaine, les trois premiers adoptent une division quadripartite et encadrent les événements de la vie publique de NotreSeigneur dans ces quatre points : le baptême de Jésus, le ministère en Galilée, le voyage à Jérusalem et la dernière semaine dans la Ville Sainte (passion, mort et résurrection). — 2. Récits des mêmes faits. Les trois premiers Évangiles rapportent souvent les mêmes miracles et, qui plus est, dans le même style et les mêmes expressions ; mêmes discours aussi, surtout dans saint Matthieu et dans saint Luc, introduits par les mêmes procédés et se dénouant par les mêmes conclusions. — b) Divergences. A côté de ces ressemblances, des divergences curieuses. C'est ainsi qu'on trouve dans saint Matthieu et saint Luc des récits de l'enfance de Jésus, différant de l'un à l'autre, tandis qu'ils font complètement défaut dans saint Marc. En outre, la partie narrative est plus développée dans saint Marc, les discours moins abondants. Des parties sont spéciales à chacun des Évangélistes. 225. — B. SOLUTIONS PROPOSÉES. — Les trois principales solutions proposées pour résoudre le problème synoptique sont les hypothèses de la dépendance mutuelle, de la tradition orale et des documents — 1. Hypothèse de la dépendance mutuelle. D'après les partisans de ce système, les Évangiles se seraient utilisés réciproquement, ou plus exactement, ceux de date postérieure, auraient utilisé l'œuvre de leurs devanciers. Mais qui écrivit le premier ? Ici, désaccord entre les critiques ; l'hypothèse la plus généralement suivie, suppose que Marc, qui est le plus bref, est antérieur à saint Luc et à saint Matthieu (version grecque), et leur a servi de source. — 2. Hypothèse de la tradition orale. D'après ce système (MEIGNAN, CORNELY, FILLION, FOUARD, LE CAMUS, LEVESQUE...) les Evangiles n'auraient pas d'autre source ou du moins, auraient pour source principale, la tradition orale ; ils seraient la reproduction de la catéchèse ou prédication primitive. Les Apôtres et les missionnaires de la nouvelle religion, voulant donner un enseignement unique, auraient été amenés à faire un choix dans les actes et les paroles du Seigneur : voilà comment nous retrouvons le même fond dans les trois Evangiles. Bien plus, les Apôtres, hommes simples et sans culture, ne se préoccupaient pas de varier la forme sous laquelle ils présentaient ce fond identique : à force d'être répété, ce qui faisait la matière de la catéchèse, finit donc par prendre une forme unique, et pour ainsi dire, stéréotypée. Cependant la tradition orale étant appelée, sinon à se perdre, du moins à s'altérer- peu à peu avec la disparition des témoins de la vie du Christ, les chrétiens voulurent la fixer dans des écrits autorisés : d'où l'origine des Synoptiques. Ainsi les ressemblances s'expliqueraient par un fond unique qui était l'objet principal de la catéchèse primitive. Les divergences ne s'expliqueraient pas moins bien par ce fait que la catéchèse devait être adaptée aux milieux différents auxquels s'adressaient les premiers prédicateurs de la foi. Il est clair que le point de vue juif n'était pas le même que le point de vue grec ou romain. Devant les Juifs il s'agissait de montrer que Jésus était le vrai Messie, annoncé par les prophètes, et qu'il avait fondé le royaume attendu. A Rome ou dans les villes grecques, l'argument prophétique étant sans portée, les Apôtres présentaient Jésus comme un envoyé divin à qui Dieu avait donné tous ses pouvoirs. — 3. Hypothèse des documents. D'après cette hypothèse, les rapports des Synoptiques seraient dus à l'emploi de documents écrits;les uns (EICHHORN...) supposent un seul document
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primitif plus ou moins retouché ; d'autres (SCHLEIERMACHER, RENAN, SCHMIEDEL, LOISY) admettent à la base des synoptiques plusieurs documents araméens et grecs que les auteurs sacrés auraient utilisés et adaptés à leur but ; d'autres enfin (WEISS, WENDT, STAPFER, A. REVILLE...) distinguent dans les Évangiles deux sources principales : un Proto-Marc en grec ou recueil des principaux faits et discours du Seigneur et un Proto-Matthieu en hébreu ou recueil de discoure. Une hypothèse plus récente (BATIFFOL, ERMONI, LAGRANGE, GIGOT, CAMERLYNCK) suppose, au lieu d'un Proto-Marc, le Marc actuel lequel aurait été utilisé par les deux autres Synoptiques qui se seraient servis en même temps des Logia ou discours du Proto-Matthieu et d'autres sources particulières, comme le témoigne saint Luc (I, 1). Que valent ces trois hypothèses? — L'hypothèse 1 de la dépendance commune n'explique pas les divergences qui existent entre les trois documents Saint Marc, en effet, n'a pu servir de source que pour les faits. D'autre part, si l'on suppose que saint Luc a utilisé saint Matthieu, comment se fait-il que leurs récits de l'enfance de Jésus ne concordent pas, et que des discours et des paraboles de saint Matthieu manquent chez Luc, alors que tous deux attachent tant de prix à l'enseignement de Jésus? — L'hypothèse 2 de la tradition orale rend bien compte de la ressemblance générale au point de vue du fond : il est assez vraisemblable que la catéchèse primitive ait eu le même objet : mêmes faits, mêmes miracles, 'mêmes discours. Mais ce que cette hypothèse n'explique pas, c'est 1) que les mêmes faits soient groupés dans le même ordre et par des liaisons artificielles identiques, et 2) que les auteurs sacrés s'accordent dans des détails secondaires, tandis qu'ils diffèrent dans des parties plus importantes telles que la formule de l'oraison dominicale et le récit de l'institution de l'Eucharistie. Incontestablement, ces particularités supposent une dépendance à l'égard de documents écrits. — L'hypothèse 3 d'un document primitif unique est inadmissible, car on ne comprend pas dans ce cas pourquoi saint Marc aurait éliminé les discours. L'hypothèse de plusieurs documents rend bien compte des divergences, mais non de l'accord des écrivains sacrés, soit dans leur plan général, soit dans le choix des matériaux, soit dans l'ordre où ils les ont disposés. Aussi l'hypothèse des deux sources a-t-elle été rejetée par la Corn. Biblique le 26 juin 1912. Conclusions. — 1. Aucune des trois hypothèses : dépendance mutuelle, tradition orale, documents, n'est donc satisfaisante. On ne peut dès lors résoudre le problème synoptique par l'une de ces trois hypothèses, à l'exclusion des autres. L'explication la plus vraisemblable consiste sans doute à les combiner toutes les trois et à prendre ce qu'il y a de bien dans chacune. Tout d'abord il convient de faire une part très large à l'influence de la tradition orale. Puis il est à supposer que chaque Évangéliste a utilisé ses souvenirs personnels et ses sources particulières. Enfin rien n'empêche de croire, pour expliquer le plan général, que les Synoptiques se soient servis d'un ou de deux documents primitifs : l'un contenant une sélection des actes du Seigneur, l'autre étant un choix de ses discours. 2. Quoi qu'il en soit du mode de composition des Synoptiques, il ressort de ce qui vient d'être dit, - et telle est l'unique question qui nous intéresse ici, — que nous pouvons considérer le témoignage des trois premiers Évangiles comme venant d'historiens bien informés, car, ou bien les Synoptiques racontent ce dont eux-mêmes ont été les
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témoins, ou ils rapportent ce que beaucoup d'autres avaient vu et entendu, ce qui faisait l'objet de la prédication courante, ce que les premiers missionnaires de la religion chrétienne annonçaient partout, sans que leurs adversaires aient pu les convaincre d'erreur. Dans l'un comme dans l'autre cas, nous sommes en présence de témoins qui connaissaient exactement les choses qu'ils rapportaient. 226. — 2° Les trois premiers Évangélistes étaient sincères. — Non seulement les Synoptiques étaient bien informés, mais ils étaient sincères. Leur sincérité ressort avec évidence : — a) de la critique interne des Évangiles. Les récits que nous y trouvons donnent l'impression que nous avons affaire à des gens qui rapportent les faits tels qu'ils se sont passés, et qui disent les choses telles qu'elles sont : c'est ainsi qu'ils font d'eux-mêmes un portrait peu flatteur ; ils n'hésitent pas à confesser leur basse extraction, à dévoiler leur intelligence étroite et bornée, leurs faiblesses, leur lâcheté au cours de la Passion de leur Maître, leur découragement après sa mort, leur incrédulité ; — b) du manque d'intérêt qu'ils avaient à mentir. Les hommes ne mentent pas, généralement, si le mensonge ne doit pas leur profiter. Mais ils songent encore bien moins à mentir s'ils risquent de payer leur imposture de leur vie. Il est vrai qu'on peut mourir par fanatisme et pour défendre une idée fausse. Encore faut-il cependant qu'on la croie vraie, car à moins d'être fou, on ne ment pas pour soutenir ce qu'on croit être une erreur, ce qui ne vous est d'aucune utilité, ce qui vous coûte et vous demande des sacrifices, et s'il n'est pas absolument juste de conclure, avec PASCAL, qu'il faut croire « les histoires dont les témoins se font égorger »177, tout au moins pouvons-nous dire qu'il n'y a pas lieu de douter de la sincérité de semblables témoins. Mais à quoi bon insister sur la sincérité des Évangélistes ? A notre époque, elle n'est plus mise en doute par les critiques sérieux. Sans doute « il fut un temps, dit M. HARNACK, OU l'on se croyait obligé de regarder la littérature chrétienne primitive, y compris le Nouveau Testament, comme un tissu de mensonges et de fraudes. Ce temps est passé. » Oui, le temps où les adversaires du christianisme accusaient les Evangélistes d'imposture et de fraude, est bien passé, mais les attaques n'ont fait que changer de terrain, comme nous allons le voir. 227. — Objection. — Théorie de l'idéalisation. — Les rationalistes modernes admettent donc la sincérité des Evangélistes. Mais ils prétendent qu'il y a lieu de distinguer dans les récits évangéliques deux éléments : l’élément naturel et l'élément surnaturel. Partant de ce principe a priori, que le miracle n'existe pas et n'est même pas possible, ils ne reconnaissent de valeur historique qu'à l'élément naturel. Comment expliquer alors la présence de l'élément surnaturel dans les Évangiles? Un ancien système, — école naturaliste de Paulus, — prétendait que les miracles étaient des faits ordinaires, qui avaient pris un caractère de merveilleux en passant par l'imagination des Orientaux, et que la critique pouvait ramener à de justes proportions et expliquer suivant les lois de la nature. Un autre système, le seul dont nous ayons à tenir compte à l'heure actuelle, entend éliminer l'élément surnaturel en l'attribuant à un long travail 177
D'après l'édition Havet, page 387, le texte de PASCAL est le suivant : « Je ne crois que les histoires dont les témoins se feraient égorger. » Ce qui revient à dire que jamais on ne s'est fait martyriser pour des miracles qu'on dit avoir vus, mais en réalité on n'a pas vus et qu'on n'est pas fou au point de subir le martyre pour soutenir un mensonge
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d'idéalisation progressive accompli autour de la vie et de la personne du Christ. Les Évangiles ne seraient pas des livres purement historiques, mais « avant tout, des livres d'édification » où le critique doit démêler « ce qui est souvenir primitif de ce qui est appréciation de foi et développement de la croyance chrétienne. »178 Les récits des cures merveilleuses opérées par le Christ ne seraient nullement « des procès-verbaux authentiques de ce qui advint en telle ou telle occasion. Ils ont été transposés, corrigés, amplifiés selon le goût des Evangélistes, l'intérêt de l'édification, les besoins de l'apologétique. »179 En d'autres termes, les miracles seraient des mythes ou légendes, qui se seraient greffées sur l'histoire réelle du Sauveur. Et combien de temps ces légendes ont-elles mis à se former? A peine un siècle, d'après l'école mythique de Strauss. Beaucoup moins, d'après une école nouvelle (BRANDT, SCHMIEDEL, LOISY), qui estime que le travail d'idéalisation a pu se faire en moins d'un demi-siècle180. Réfutation. — 1. Le point de départ du système de l'idéalisation, à savoir la négation du surnaturel, est un préjugé rationaliste dont il n'est pas possible d'établir le bienfondé. — 2. Le système lui-même, appliqué . aux Synoptiques, est en contradiction avec les faits. Tout d'abord il ne s'accorde pas avec la date de composition des Évangiles. La rédaction de ceux-ci a suivi de très près les événements. Or l'idéalisation, la légende requiert, pour se former, un long espace de temps : c'est du reste ce qui déterminait le rationaliste allemand STRAUSS à rejeter la composition des Évangiles vers 150. Lorsque la critique impartiale dut reconnaître que les Synoptiques avaient été composés avant la fin du 1er siècle, il fallut bien apporter quelques modifications à la théorie de l'idéalisation. On prétendit alors que le travail d'idéalisation peut se faire beaucoup plus rapidement, puis on mit sur le compte de la foi ce qui autrefois était attribué à la légende, et l'on eut la fameuse distinction entre le Christ de la foi et le Christ de l'histoire. Mais comment la foi aurait-elle pu se mettre en contradiction si flagrante avec les faits de l'histoire, lorsque ceux-ci étaient encore si récents que tout le monde pouvait en contrôler l'exactitude ? — 3. Il serait facile par ailleurs de démontrer que les Evangélistes s'attachent, avant tout, à faire un récit fidèle de la carrière de leur Maître. Ce n'est qu'incidemment qu'ils décrivent la foi chrétienne de leur temps ; à ce point de vue, il est incontestable qu' ils sont en retard sur saint Paul dont les Épîtres étaient pourtant antérieures. Saint Paul, en effet, n'affirme-t-il pas déjà clairement la divinité du Christ et la valeur satisfactoire de sa mort, alors que ces deux dogmes ne sont qu'insinués dans les Synoptiques, à ce point même que les rationalistes ont pu prétendre qu'ils ne l'étaient pas du tout? La théorie de l'idéalisation manque donc de base, et la conclusion qui s'impose de l'examen des Synoptiques, c'est que leurs récits sont indépendants de la foi nouvelle de
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LOISY, Les Évangiles synoptiques.
179
Ibid.
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D'après M. LOISY, la rédaction définitive de l'évangile selon saint Marc peut être fixée approximativement à l'an 75, celle du premier Évangile et du troisième aux environs de l'an 100
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l'Eglise, qu'ils n'ont pas subi l'influence des idées ambiantes, en un mot, qu'ils sont purement historiques. 228. — II. Valeur historique du IVe Évangile. — A. ADVERSAIRES. La plupart des critiques rationalistes ont dénié au quatrième Évangile toute valeur historique, ou ne lui ont accordé qu'une historicité relative. — a) Les uns (STRAUSS) ont prétendu que l'auteur du quatrième Évangile avait peint un Christ historique d'après l'idéal qu'il s'en était forgé. — b) D'autres, comme RENAN et certains critiques indépendants de notre époque (HARNACK), reconnaissent dans cet ouvrage un fond de tradition historique, mais considèrent les discours comme des fictions. — c) D'autres enfin, comme J. REVILLE, LOISY181, GUIGNEBERT, regardent le quatrième Évangile, — tant dans sa partie narrative que dans ses discours, — comme une composition artificielle destinée à exposer, sous le voile de l'allégorie, les idées propres de l'auteur. B. PREUVES DE L'HISTORICITÉ. — Le quatrième Évangile n'est nullement une composition artificielle : il est facile, en effet, de montrer le caractère historique des faits et des discours qui y sont contenus. — a) Caractère historique des faits. Que les faits miraculeux rapportée par le quatrième Évangile ne soient pas de simples allégories, mais des faits bien réels, cela ressort : — 1. du but de l'ouvrage. L'auteur déclare lui-même, à la fin de son œuvre (XX, 31), qu'il veut amener ses lecteurs à croire « que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, pour qu'en croyant ils aient la vie en son nom ». A moins de le prendre pour un imposteur, — ce que ne font pas les rationalistes, — il faut admettre qu'il a entendu démontrer sa thèse en s'appuyant, non sur des récits allégoriques, mais sur des faits empruntés à l'histoire de Jésus. Que de cette histoire il détache un petit nombre de faits, qu'il choisisse les plus typiques, ceux qui vont le mieux à son but182, qu'il omette les gestes et les paroles du Seigneur qui ne lui importent pas, et plus particulièrement ce qui a déjà été raconté par les Synoptiques, cela n'est que trop naturel. Mais ce qui ne reste pas moins certain, c'est qu'il est un témoin qui raconte « ce qu'il a vu de ses yeux, ce qu'il a entendu de ses oreilles, ce que ses mains ont touché du Verbe de vie» (I Jean, I, 1, 3) ; — 2. de l'examen interne du livre. On ne saurait prétendre tout d'abord que l'Évangile johannique n'est pas historique parce qu'il n'a pas le même fond que les Synoptiques, car ni les Synoptiques ni Jean n'ont la prétention d'être complets, et si saint Jean a voulu compléter ses devanciers, comme nous l'avons insinué plus haut, les divergences de fond s'expliquent très bien. Du reste, tout n'est pas divergences ; les Synoptiques et le quatrième Évangile ont des points communs. Qu'on veuille bien les comparer, et l'on
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D'après M. LOISY (Autour d'un petit livré), le quatrième Évangile n'est pas l'écho direct de la prédication du Christ. C'est un livre de théologie mystique où l'on entend la voix de la conscience chrétienne, non le Christ de l'histoire. 182
Il est incontestable que l'auteur du quatrième Évangile s'attache moins à exposer les faits qu'à les interpréter et que son récit de la vie du Sauveur1 n'est pas essentiellement historique comme ceux des trois premiers Évangélistes, qu'il est plutôt doctrinal et théologique. Mais un fait historique ne cesse pas d'être historique parce que l'auteur s'applique plus à le commenter, à en déduire des conclusions dogmatiques, qu'à le raconter.
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constatera que, parmi des variantes de peu d'importance, les faits sont rapportés de part et d'autre avec la même exactitude : tels sont, par exemple, les récits de la multiplication des pains, de la marche de Jésus sur les flots, de son entrée triomphale a Jérusalem et de sa Passion. Or si, sur ces différents points, l'on concède aux Synoptiques une valeur historique, de quel droit la refuserait-on au quatrième Évangile ? — Quant aux récits qui sont propres à ce dernier, l'on peut remarquer encore que les événements y sont rapportés avec une foule de détails qui seraient bien superflus dans l'hypothèse de récits symboliques. Le quatrième Évangile note les circonstances de personne, de temps et de lieu avec plus de soin que saint Luc lui-même : il signale, par exemple, que Nicodème est venu à Jésus la nuit (III, 2), que la rencontre de Jésus avec la Samaritaine eut lieu à la sixième heure (IV, 7) ; il dit que la piscine probatique se trouve à Jérusalem, près de là porte des Brebis (V, 2). Il décrit non moins minutieusement les usages et les traditions des Juifs, leurs fêtes, les divisions intestines entre Juifs et Samaritains, entre Pharisiens et Sadducéens ; l'état politique de la Palestine ; les détails topographiques touchant la Galilée, le lac de Génésareth, Jérusalem. Tout cela indique bien un historien exact qui raconte les faits tels qu'ils se sont passés, et non un mystique qui invente des histoires adaptées à la thèse qu'il a en vue. b) Caractère historique des discours. — Si les faits rapportés dans le quatrième Évangile sont historiques, l'on ne voit pas la raison pour laquelle les discours ne le seraient pas. L'on fait remarquer, il est vrai, que, plus encore que les faits, ils diffèrent, soit au point de vue du fond, soit au point de vue de la forme, de ceux que nous trouvons chez les Synoptiques. Mais, encore qu'il ne faudrait pas exagérer l'étendue de ces divergences, celles-ci s'expliquent très bien par le caractère et le but différents que poursuivent les écrivains sacrés. Tandis que les sujets traites dans les Synoptiques sont très variés et portent surtout sur des préceptes de morale : humilité, charité, aumône, mépris des richesses et des honneurs, le quatrième Évangile insiste sur la doctrine christologique, sur le caractère suréminent et la mission du Christ. 'Voulant prouver plus particulièrement la divinité du Sauveur, sans doute parce qu'elle était alors attaquée par le gnostique CERINTHE, il relève dans l'enseignement de Jésus, et qui pouvait servir son but. En cela, il ne contredit pas les Synoptiques, il les complète. Les critiques rationalistes objectent encore que l'auteur du quatrième Évangile a emprunté sa doctrine du Logos, ou Verbe de Dieu incarné, à l'école grecque d'Alexandrie et au Juif PHILON. Il serait difficile de dire quelle fut la genèse des idées de saint Jean mais ce qui est certain c'est que l'identification du Christ avec le Verbe de Dieu p'a pu germer dans l'esprit de l'apôtre saint Jean, pas plus que chez les chrétiens de l'époque, — car il est reconnu que la doctrine était chose reçue au dernier quart du Ier siècle en Asie-Mineure et dans la plupart des Églises, — sans que la croyance eût été déterminée par la réalité historique. CONCLUSION. — IL est donc permis de conclure que l'Évangile selon saint Jean a une valeur historique, comme les Synoptiques. « Sans doute l’Apôtre a pu imprimer son cachet propre dans la manière de raconter les miracles du Sauveur, dans le choix qu'il a fait de scènes évangéliques. Il est même incontestable que ses comptes rendus de discours ne prétendent pas reproduire la pleine réalité, étant donné l'éloignement où
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l'auteur était des faits. »183 Cependant « ses narrations ont beau avoir leur cachet propre, elles n'en correspondent pas moins aux faits. Ses discours peuvent porter la marque de son esprit, ils n'en reproduisent pas moins la pensée authentique du Sauveur. »184 Nous avons donc le droit, dans! la démonstration de la divinité du christianisme, de nous appuyer sur le quatrième-Évangile comme sur les Synoptiques. BIBLIOGRAPHIE. — MANGENOT, L'authenticité mosaïque du Pentateuque ; Les Évangiles synoptiques — MECHINEAU, L'origine mosaïque du Pentateuque (Bloud). — VIGOUROUX, Manuel biblique, t. I (Roger et Chernoviz). — LESETRE, L'authenticité du Pentateuque (Rev. pr. d'Ap. 15 mai, 15 juin 1910). — Dom HOEPFL, art. Pentateuque et Hexateuque (Dict. d'Alès). BRASSAC, Manuel biblique (à l'index), t. III. — LEPIN, Jésus, Messie et Fils de Dieu; L'origine du quatrième Évangile; La valeur historique du quatrième Évangile; Évangiles canoniques, Évangiles apocryphes (Dict. d'Alès) ; Les théories de Loisy (Beauohesne).—MECHINEAU, L'origine du Nouveau Testament (Bloud). — JACQUIER, Histoire des livres du Nouveau Testament (Gabalda). — ROSE, Les évangiles, traduction et commentaires (Bloud). —FOUARD, Vie de Jésus-Christ (Lecoffre). — BATIFFOL, Six leçons sur l’Évangile (Bloud). — CALMES, Comment se sont formés les Évangiles (Lethielleux). — LEVESQUE, Nos quatre Evangiles. Leur composition et leur position respective (Beauchesne). — FILLION, Introduction générale aux Évangiles (Lethielleux). — CAMERLYNCK, De quatro Evangelii auctore (Bruges). — DURAND, A propos des décrets de 1912 sur les Évangiles (Rev. pr. d'Ap., 1er fév. 1914). — TANQUEREY, Théologie dogmatique fondamentale (Desclée). — LANGLOIS et SEIGNOBOS, Introduction aux. Études historiques (Hachette). CHAPITRE II La divinité du Christianisme. Le Fondateur. L'Affirmation de Jésus. DÉVELOPPEMENT Division du Chapitre. 229. — Pour connaître l’origine, et par conséquent, la valeur d'une religion, il faut, avant tout, se tourner du côté du fondateur, et lui demander qui il est.^ Personne, mieux que lui, n'est à même de le savoir et de le dire. S'il est un Envoyé de Dieu, c'est à lui de nous le faire connaître et de nous en apporter la preuve. Or, l'apologiste chrétien veut démontrer : — 1° que Jésus est l’ Envoyé de Dieu, l'Oint ou Messie, annoncé par la voix des prophètes ; — 2° que ce Messie n'est pas un Envoyé ordinaire, qu'il est le Fils unique de Dieu, Dieu lui-môme. Il est clair que, s'il arrive à faire cette démonstration, il aura le droit de conclure que la Révélation chrétienne est d'origine divine.
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LEPIN, Évangiles canoniques (Dict. d'Alès).
184
Ibid.
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Nous avons donc à rechercher tout d'abord185 si Jésus s'est bien donné pour le Messie attendu des Juifs et pour un Messie d'une nature tout à fait transcendante, pour le Fils de Dieu, ayant la même essence que Dieu le Père. À cette double question quelle a été la réponse de Jésus et quelle foi devons-nous y ajouter ? D'où trois articles: — 1° L'affirmation de Jésus sur sa messianité. 2° L'affirmation de Jésus sur sa filiation divine. 3° La valeur de ce double témoignage. 230. — Nota — A vrai dire, la première question, seule, importe à l'apologiste, IL lui suffit, en effet, de montrer que Jésus a déclaré et prouvé qu'il était un Envoyé de Dieu, qu'il était le Messie attendu et qu'il a fondé une Église infaillible, chargée d'enseigner, jusqu'à la fin des siècles, ce qui doit être cru et pratiqué. Ce résultat une fois acquis, il ne reste plus qu'à écouter cette Église et à accepter les dogmes qu'elle propose à notre foi, parmi lesquels se détache au premier rang la divinité du Christ. La seconde question sort donc du domaine de l'apologétique ; tout au moins de l'apologétique constructive (V. N° 2). Car s'il s'agit de l'apologétique défensive c’est une autre affaire. Les rationalistes modernes prétendent, comme nous le verrons plus loin, non seulement que Jésus n'est pas Dieu, mais qu'il n'a jamais revendiqué ce titre, qu'il n'a jamais eu conscience d'être Dieu, et que dès lors le dogme n'a aucune base historique : c'est à ce point de vue, c'est-à-dire sur le terrain de l'apologétique défensive, ou si l'on préfère, sur le terrain de l'apologie des dogmes, que nous aurons à traiter la question dans l'article II186. Art. I. — L'affirmation de Jésus sur sa messianité. 231. — Jésus s'est-il donné pour le Messie prédit par les Prophètes? Que croyait-il être et qu'a-t-il dit qu'il était1! Le seul moyen de nous éclairer sur ce point, c'est de consulter les Évangiles et d'y recueillir son témoignage. Avant de le faire, remarquons que les Évangiles ne sont pas considérés ici comme des écrits divinement inspirés, mais comme de simples documents humains dont nous avons établi précédemment la valeur historique. 1° Adversaires. — Certains protestants libéraux et les rationalistes n'admettent pas l'affirmation de Jésus sur sa messianité. — a) Leur tactique consistait autrefois 185
Nous estimons en effet superflu de poser la question préalable de l'existence de Jésus Quelques érudits, plus originaux que sages, n'ont voulu voir dans l'existence même de Jésus qu'un mythe. Une telle opinion ne mérite pas d'être discutée. S'il fallait voir dans l'histoire de Jésus une collection de légendes groupées autour d'un nom, comment pourrait-on expliquer un mouvement religieux aussi considérable que celui du christianisme, un effet aussi grandiose, sans cause qui l'ait produit? L'époque où Jésus a vécu, appartient du reste à l'histoire et nous est comme par tout un ensemble de monuments dont on ne peut contester l'authenticité. 186
Il importe donc de bien distinguer les deux questions : la messianité et la divinité de Jésus. Comme le but de l'apologiste est de démontrer la divinité du christianisme, il suffit de prouver que le fondateur est accrédité par Dieu dans sa mission, qu'il est un légat divin. A ce point de vue, la démonstration chrétienne ne diffère pas de la démonstration de la divinité du judaïsme. De même que le judaïsme est d'origine divine sans que son fondateur, Moïse, soit Dieu, de même le christianisme est divin, du moment qu'il est reconnu que Jésus était Bien le Messie promis et envoyé de Dieu.
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(STRAUSS, BAUR) à considérer les Évangiles comme un recueil de mythes ou légendes formées après coup par les Apôtres ; les déclarations de Jésus sur sa messianité seraient donc pure invention de la part des écrivains sacrés. — b) Les rationalistes et modernistes contemporains (WELLHAUSEN, WREDE, WEISS, LOISY) prétendent, ou que Jésus n'a jamais eu conscience d'être le Messie, ou en tout cas, qu'il n'a pensé l'être qu'à la fin de sa vie, ou encore qu'il pensait que son rôle de Messie « était essentiellement eschatologique », c'est-à-dire ne devant se réaliser qu'à la fin du monde dans le royaume céleste. 232. — 2° Thèse. — Du début à la fin de sa vie publique, Jésus a manifesté, soit implicitement, soit explicitement, sa qualité de Messie. Il ne faut pas lire longtemps les Évangiles pour remarquer qu'il y a eu dans les déclarations de Jésus comme une marche ascendante, et que son affirmation comporte des degrés. Mais, qu'elle se soit traduite, soit d'une manière implicite, en raison des circonstances de temps et de personnes, soit d'une manière explicite, il n'en est pas moins certain qu'elle n'a jamais varié dans sa substance et que Jésus a toujours eu conscience de sa messianité. Nous distinguerons donc entre ses affirmations implicites et ses affirmations explicites, en insistant davantage sur les premières parce qu'il est plus facile d'en contester le sens et la portée. A. AFFIRMATIONS IMPLICITES. — Au début de sa vie publique, Jésus ne manifeste sa qualité de Messie que d'une manière implicite et avec une extrême réserve. Si nous voulons avoir le secret de sa conduite, de ses réticences, de ce que, à première vue, on pourrait prendre pour les hésitations d'une conscience imparfaitement éclairée, il est nécessaire que nous envisagions un instant la situation politique et religieuse de la Judée contemporaine de Jésus. A l'heure où commença la carrière publique du Sauveur, la nation juive était tombée sous le joug romain ; le sceptre était sorti de Juda et, plus que jamais, l’espérance messianique travaillait les âmes. Deux grands partis rivaux les Saducéens et les Pharisiens, se disputaient l'influence. Les premiers, amis du pouvoir, occupaient les hautes charges du sacerdoce mosaïque, et ils avaient surtout l'insigne privilège de choisir dans leurs rangs celui qui devait exercer les fonctions de grand-prêtre. Les seconds, moins favorisés, étaient un parti religieux avant tout, et se distinguaient par leur zèle outré pour l'observation de la Loi et par leur répugnance à entrer en contact avec les païens : d'où leur nom de Pharisiens (du grec pharisaioi, séparés). Parmi eux, un petit groupe de fanatiques, appelés Zélotes, parce qu'ils étaient plus étroits et plus formalistes que les autres, interprétaient la Loi avec un rigorisme insupportable. C'est de ces derniers que Notre-Seigneur eut surtout à subir les contradictions et dont il se plut du reste à dénoncer l'hypocrisie et l'orgueil. L'on devine aisément que dans des sectes où les intérêts étaient si opposés, l'espérance messianique ne se présentait pas sous le même aspect. S'accommodant assez bien-de leur situation, les Sadducéens n'attachaient qu'un prix très minime à la venue du nouveau royaume, et si, par orgueil national, ils souhaitaient l'indépendance de leur pays, la sujétion leur rapportait assez de bénéfices pour ne pas courir au devant d'un bouleversement qui pouvait ne pas tourner à leur profit. Les Pharisiens, au contraire,
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supportant mal un régime qui humiliait leur orgueil et les laissait sans privilèges, appelaient de tous leurs vœux l'avènement du Royaume attendu qui ferait de Jéhovah, leur Dieu, le Maître de l'univers, qui mettrait surtout la nation juive à sa place, c'est-àdire au premier plan, et qui ferait succéder aux humiliations et aux injustices du jour les triomphes et les réparations du lendemain. Telles étaient les aspirations de la plupart des Juifs, mais lorsqu'il s'agissait de déterminer le caractère du futur royaume, les esprits se divisaient. Les uns, insistant sur le côté moral et religieux, considéraient l'avènement messianique comme le triomphe des justes, comme le grand jour où chacun recevrait selon son mérite. Les autres, — c'était la masse, et les Apôtres partageaient cette mentalité, — faisaient des rêves de grandeur et de prospérité matérielle, et voyaient déjà dans le Messie un grand conquérant, un guerrier fameux qui apparaîtrait soudain sur les nuées du ciel et ferait son entrée triomphale à Jérusalem. Jamais il n'était question d'un Messie souffrant, libérateur des âmes, et non des corps, rachetant les fautes des hommes et réconciliant l'humanité coupable avec Dieu. Que, dans de telles conditions, Jésus ne se soit pas révélé brusquement le Messie, et le Messie, tel, qu'il devait être, il n'est que trop naturel. Il ne pouvait le faire sans éveiller les appréhensions des Sadducéens, et sans provoquer les enthousiasmes des Pharisiens et déchaîner des manifestations et des troubles qui auraient entravé son œuvre, s'il ne rentrait pas dans les desseins de Dieu de briser les oppositions à coup de miracles. Le premier travail qui s'imposait, était donc de préparer les esprits à la réalité et de faire pressentir la vérité avant de la dévoiler sans ambages. Les choses étant telles, comme du reste l'indiquent les récits évangéliques, nous n'avons plus à nous étonner que Jésus, au début de sa carrière, ne manifeste pas ouvertement sa qualité de Messie, qu'il l'insinue seulement par des déclarations indirectes, par ses œuvres et par toute son attitude. — a) Par des déclarations indirectes. C'est ainsi que, sans prononcer le nom de Messie, il dit qu'il est « venu », qu'il a été « envoyé», pour prêcher l'Évangile du royaume (Marc, I, 38), pour appeler les pécheurs (Marc, II, 17), pour prêcher l'Évangile aux pauvres (Luc, IV, 18). Puis il commence déjà son enseignement, mais craignant de faire briller tout d'un coup une lumière trop vive, il enveloppe sa pensée sous les dehors énigmatiques de la parabole, dans le but d'intriguer les esprits, de les pousser à la recherche de la vérité, se réservant d'ailleurs d'aller plus loin avec les disciples qu'il s'est attachés, et de les instruire, en dehors de la foule. — b) Par ses œuvres. Jésus multiplie ses miracles ; mais, pour ne pas précipiter les événements, il impose la consigne rigoureuse de n'en point parler. Cependant il n'hésite pas à répondre aux envoyés de saint Jean-Baptiste qui lui demandent s'il est « celui qui doit venir », que les œuvres qu'il opère doivent être pour eux un signe évident que l'œuvre messianique annoncée par Isaïe (XXXV, 5, b) se réalise (Luc, VII, 18, 23). — c) Par son attitude. Jésus s'arroge des pouvoirs que n'ont jamais revendiqués les plus illustres prophètes. Il se met au-dessus de la Loi. Il supprime le divorce toléré dans certains cas par Moïse. Il déclare que « le Fils de l'homme»,— c'est ainsi qu'il se désignait, — était « maître du Sabbat » (Marc, il, 28), etc. 233. — B. DÉCLARATIONS EXPLICITES. — IL faut arriver à la dernière année du ministère de Jésus pour trouver une affirmation explicite de sa messianité. Voici, du
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reste, les trois grandes circonstances où Jésus se révèle publiquement ce qu'il est. — a) Confession de Pierre. A Césarée de Philippe, le Maître, se trouvant au milieu de ses disciples, leur pose enfin sans détour l'importante question : « Qui dit-on que je suis? » Jusque-là, il avait laissé sa personnalité au second plan, il avait eu pour unique préoccupation de prêcher le royaume de Dieu ; mais il est temps que ses intimes sachent qui il est. Il les interroge donc successivement, et quand saint Pierre confesse qu'il est le Christ, il ne manque pas de l'approuver (Mat., XVI, 13-17). — b) Entrée triomphale à Jérusalem. La confession de saint Pierre n'avait pas dépassé le petit cercle des Apôtres, et même avec ceux-ci, Jésus n'avait pas sitôt avoué qu'il était le Christ qu'il leur défendait sévèrement de le publier (Mat., XVI, 20). La manifestation de sa messianité était réservée pour un autre jour et un autre théâtre. C'est, peu de jours avant sa mort, à Jérusalem, la capitale de la Judée, que Jésus revendiqua son titre de Messie, à la face d'une foule de pèlerins venus pour la fête de Pâques, de tout un poupin qui l'acclama comme « celui qui vient an nom du Seigneur» (Mat., XXI, 1-9). — c) Le procès devant le Sanhédrin. Enfin la grande affirmation de Jésus eut lieu devant le Sanhédrin. Le grand-prêtre lui pose la question suprême qui doit décider de son sort. Le Sauveur le sait, mais, maintenant que sa mission est terminée, il dédaigne les réticences et les réponses évasives : il proclame hautement qu'il est « le Christ » ( Mat., XXVI, 63, 64). Donc, soit d'une manière implicite, soit d'une manière explicite, Jésus a bien affirmé qu'il était le Messie attendu, et les prétentions des rationalistes qui le nient, ne reposent sur aucun fondement. On ne peut plus soutenir sérieusement que les Évangiles sont une collection de légendes, maintenant qu'il est admis par les meilleurs critiques, qu'ils datent du 1er siècle. Il est bien évident par ailleurs que la vie de Jésus et la propagation du christianisme ne sauraient s'expliquer par des légendes (Voir N° 229) . Quant à la seconde thèse rationaliste qui affirme que Jésus n'a pas eu conscience d'être, de son vivant, le Messie, et qu'il a considéré son rôle comme eschatologique et ne concernant que le royaume des cieux à venir, il faut, pour arriver à une telle conclusion, qu'elle laisse de côté ou interprète à sa façon et d'une manière fantaisiste, les déclarations que nous avons rapportées plus haut. Il est vrai que certaines paroles de Jésus visent le futur royaume, le royaume des élus dont le Christ doit être le chef suprême : il est vrai que le titre de Messie lui conviendra, d'une manière spéciale, à la fin des temps, et quand le royaume messianique aura reçu son achèvement définitif. Sans doute aussi, sa Résurrection et son Ascension le manifesteront déjà comme un Messie glorieux. Mais quel que soit le moment de la carrière messianique qu'on envisage, qu'on la prenne à ses origines, au moment où Jésus prépare le royaume messianique, ou à la fin des temps qui sera le couronnement de son œuvre, Jésus ne s'en présente pas moins dans les Évangiles, non pas seulement comme celui qui doit être le Messie, mais comme celui qui l'est déjà, comme le Messie en personne et en fonction. Art. II. — L'affirmation de Jésus sur sa filiation divine. 234. — Nous savons que Jésus s'est donné pour le Messie. Mais de quelle nature ce Messie prétendait-il être? Simple créature, quoique dépassant le commun des mortels
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par sa mission, ou être divin ; homme ou Dieu187. La réponse à cette nouvelle question ne peut se trouver ailleurs que dans le témoignage de Jésus. 1° Adversaires. — a) D'après les Protestants libéraux (SABATIER, HARNACK, JULICHER, BOUSSET, WEIXHAUSEN) Jésus dépasse la commune mesure de l'humanité, il est une personnalité transcendante, il y a même, si l'on veut, quelque chose de divin en lui, mais il n'est pas Dieu, il est seulement le médiateur entre Dieu et les hommes, il est l'homme qui a eu l'union la plus étroite avec Dieu, l'homme, comme dit A. SABATIER, « dans lequel s'est révélé le plus complètement le cœur paternel de Dieu »188. — b) Les rationalistes admettent encore moins la divinité de Jésus. « Que jamais Jésus n'ait songé à se faire passer pour une incarnation de Dieu lui-même, dit RENAN, c'est ce dont on ne saurait douter. Une telle idée était profondément étrangère à l'esprit juif ; il n'y en a nulle trace dans les trois premiers Évangiles ; on ne la trouve indiquée que dans certaines parties de l'Évangile de Jean, lesquelles ne peuvent être acceptées comme un écho de la pensée de Jésus. »189 Comment expliquer alors le fait chrétien? Tout simplement par un malentendu de la première génération chrétienne qui a mal interprété le témoignage de Jésus et le titre qu'il se donnait de « Fils de Dieu». Jésus du reste ne serait arrivé à s'attribuer ce titre qu'après être passé par une série d'états d'âme, et comme par un travail progressif de sa pensée qui se serait adaptée aux circonstances. « L'admiration de ses disciples, dit encore RENAN, le débordait et l'entraînait. Il est évident que le titre de rabbi, dont il s'était d'abord contenté, ne lui suffisait plus ; le titre même de prophète ou d'envoyé de Dieu ne répondait plus à sa pensée. La position qu'il s'attribuait était celle d'un être surhumain, et il voulait qu'on le regardât comme ayant avec Dieu un rapport plus élevé que celui des autres hommes. »190 Ainsi, d'après, les rationalistes, Jésus a été divinisé par ses disciples qui l'ont entraîné et poussé à prendre un titre qu'au début de sa carrière il eût jugé blasphématoire de s'arroger. — c) Les modernistes, avec leur distinction subtile entre « le Christ de la foi et le Christ de l'histoire », aboutissent, en fait, aux mêmes conclusions. Ils enseignent en effet que, pour la foi, Jésus est bien le Fils éternel de Dieu, consubstantiel à son Père et incarné dans le temps, pour racheter l'humanité et enseigner la vraie religion ; mais ils s'empressent d'ajouter que le Christ de la foi n'est pas celui de l'histoire. Il est vrai que Jésus se donne le titre de « Fils de Dieu », mais, dit M. LOISY, « en tant que le titre de Fils de Dieu appartient exclusivement au Sauveur, il équivaut à celui de Messie, et il se fonde sur la qualité de Messie ; il appartient à Jésus... comme à l'unique agent du royaume céleste.»191 « La divinité de 187
Sans doute si l'on envisage la question du point de vue dogmatique, et que l'on considère le Messie comme le Rédempteur du monde, une réparation adéquate des pêches de l'humanité exigeait l'Incarnation d'une personne divine, mais Dieu pouvait accepter une expiation proportionnée aux capacités de l'homme, auquel cas le Messie pouvait être une simple créature.
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SABATIER, Esquisse d'une Philosophie de la religion d'après la psychologie et l’histoire.
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RENAN, Vie de Jésus.
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Ibid.
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Jésus est un dogme qui a grandi dans la conscience chrétienne, mais qui n'avait pas été expressément formulé dans l'Évangile ; il existait seulement en germe dans la notion du Messie Fils de Dieu. » Et suivant M. LOISY toujours, le passage de l'idée de JésusMessie à celle de Jésus vrai Dieu, serait l'œuvre de saint Paul, de saint Jean et des conciles de Nicée, d'Éphèse et de Chalcédoine. Ainsi, dans la théorie moderniste comme dans la théorie rationaliste, ce sont les disciples du Christ, c'est l'Église qui a regardé Jésus comme Dieu, sans qu'il se fût jamais déclaré tel, et sans qu'il eût jamais élevé la prétention d'être autre chose que le Messie. 235. — 2° Thèse. — Jésus s'est donné four le Fils de Dieu, dans le sens strict du mot, soit explicitement par ses paroles, soit implicitement par sa manière d'agir. Remarques préliminaires. — 1. Il importe, avant tout, de bien comprendre le sens du problème que nous avons à résoudre. Nos adversaires prétendent que Jésus n'est pas Dieu, qu'il n'a jamais énoncé l'idée sacrilège qu'il fût Dieu, et que le titre de Fils de Dieu qu'il se donne, est l'équivalent de celui de Messie. La question qui se pose donc est de savoir si Jésus s'est vraiment déclaré Fils de Dieu dans un sens qui ne se confond pas avec le titre de Messie. En d'autres termes, le dogme catholique qui enseigne que Notre -Seigneur est le Fils de Dieu, le Verbe incarné, a-t-il sa racine et son fondement dans l’affirmation de Jésus ; découle-t-il de ce que Jésus a dit de sa personne et de sa nature, ou bien n'est-il que l'expression de ce que Jésus était, depuis le commencement, pour la conscience chrétienne? 2. Les limites de la question étant ainsi tracées, il apparaît avec évidence que notre proposition ne peut être démontrée que par l'affirmation personnelle de Jésus. Invoquer le témoignage des Apôtres ou de l'Église, comme le font certains apologistes, c'est prêter des armes à l'adversaire, — rationalistes et modernistes, — dont la tactique consiste précisément à dire que Jésus n'a jamais voulu se faire passer pour Dieu, qu'il n'a été Dieu que vis-à-vis de la conscience chrétienne, autrement dit, qu'il n'a été Dieu que parce que ses disciples et les premiers chrétiens se sont figuré qu'il l'était, sans que lui-même l'eût dit. Encore une fois, la seule preuve de la divinité de Jésus, c'est son affirmation personnelle. 3. Comme les adversaires refusent, en général, toute valeur historique, à l'Évangile de saint Jean, nous distinguerons les témoignages tirés de saint Jean de ceux qui se trouvent dans les Synoptiques, et nous appuierons plus particulièrement sur ces derniers. 4. Évidemment nous ne prétendons pas que le dogme de la divinité du Christ se retrouve dans l'enseignement de Jésus, formulé dans les termes mêmes par lesquels l'Église l'a défini. Ce que nous soutenons seulement, c'est que le dogme est en germe et quant à la substance, dans les Évangiles, que nous pouvons en reconnaître les linéaments, non seulement dans l'Évangile de saint Jean dont le but était de mettre en lumière la divinité de Jésus-Christ, mais même chez les Synoptiques. 230. — A. TÉMOIGNAGES TIRÉS DE SAINT JEAN. — Laissant de côté les passages, tels que le Prologue, où l'Évangéliste expose ses idées personnelles sur la nature du Messie, nous citerons rapidement les textes principaux qui contiennent un enseignement de Jésus sur sa personne et sur ses rapports avec Dieu le Père. — a) 191
LOISY, Autour d'un petit livre.
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Dans sa rencontre avec Nicodème, Jésus déclare que « Dieu a aimé le monde au point de donner son Fils unique » (Jean, III, 16). — b) Au chapitre v (16, 18) il est rapporté que Jésus, ayant guéri un paralytique le jour du sabbat, fut poursuivi par les Juifs, et que « ceux-ci cherchaient à le faire mourir, parce que, non seulement il profanait le sabbat, mais il appelait Dieu son propre père, se faisant l'égal de Dieu». — c) Discutant un jour avec les Pharisiens, il pose en principe que les hommes ne peuvent avoir la connaissance du Père que par l'intermédiaire du Fils : « Vous ne connaissez ni moi, ni mon Père, leur dit-il ; si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père» (Jean, VIII, 19). Si le Père et le Fils sont seuls à se connaître réciproquement, c'est qu'ils sont de même nature et de même dignité. — d) Jésus va plus loin : il ne craint pas de s'identifier avec son Père : aux Juifs qui lui posaient cette question : « Si tu es le Christ, dis-nous-le ouvertement, Jésus répondit : « Je vous l'ai dit et vous ne me croyez pas ; les œuvres que je fais au nom de mon Père témoignent pour moi... Moi et le Père nous sommes un. » Et les Juifs comprirent si bien quel titre Jésus revendiquait par là, qu'ils prirent des pierres pour le lapider (Jean, X, 23-31). — e) Ces deux idées, — que la connaissance du Père ne s'acquiert que par le Fils, et que le Fils se confond avec le Père, — reviennent dans la bouche de Jésus, lors de son dernier entretien avec ses Apôtres. Saint Thomas lui demandait d'indiquer le chemin qui conduit au séjour où est le Père. Jésus lui dit : « Je suis la voie, la vérité et la vie; personne ne va au Père, si ce n'est par moi. Si vous m'aviez connu, vous connaîtriez aussi le Père. » Et comme Philippe interrompt Jésus pour le prier de leur montrer le Père, Jésus répond : « Depuis si longtemps je suis avec vous, et tu ne m'as pas connu, Philippe! Celui qui m'a vu, a vu le Père, comment dis-tu : montre-nous le Père? Tu ne crois pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi? » (Jean, XIV, 5,10). Les déclarations de Jésus sur sa nature, sur son union substantielle avec le Père sont donc bien claires dans le quatrième Évangile, mais il n'est pas besoin d'insister, puisque aussi bien nos adversaires ne discutent pas le sens de ces textes et ne rejettent que l'autorité historique du livre. 237. — B. TÉMOIGNAGES TIRÉS DES SYNOPTIQUES. — L'affirmation de Jésus sur sa qualité divine ne se présente pas dans les Synoptiques avec le même caractère de netteté que dans l'Évangile de saint Jean ; mais il est possible cependant d'en retrouver l'équivalent dans les paroles et dans les actes du Sauveur. a) Dans ses paroles. — 1. Il est incontestable que le titre de « Fils de Dieu » est un de ceux que Jésus se donne parfois ou qu'il accepte de la part de ses interlocuteurs et de ses adversaires. Nous avons vu précédemment que Pierre le proclame le « Christ, le Fils du Dieu vivant « ( Mat., XVI, 16), et que devant le Sanhédrin, lorsque le grandprêtre l'adjure de dire s'il est « le Christ, le Fils de Dieu», il répond affirmativement. La question revient dès lors à savoir quel sens cette appellation a dans la bouche de Jésus. Sans nul doute, le titre de Fils de Dieu est une expression courante dans la Sainte Écriture. C'est de ce nom que Dieu lui-même désigne le peuple d'Israël : « Ainsi parle Jéhovah : Israël est mon fils, mon premier né» (Exode, IV, 22). « Le juste est fils de Dieu» est-il dit dans la Sagesse (II, 18). L'on peut même aller plus loin et prétendre que, à un certain point de vue et sous le rapport de la création, tout homme est fils de Dieu. Que Jésus ne se soit pas donné ce titre dans un sens aussi large, c'est ce qu'il est superflu de démontrer. Mais faut-il admettre, avec les rationalistes et les modernistes,
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que le titre de Fils de Dieu ne dépasse pas celui de Messie? Il De semble pas, car, même en laissant de côté la confession de Pierre et son affirmation solennelle devant le Sanhédrin où il marque nettement que sa filiation divine lui confère les mêmes droits que son Père, entre autres, celui d'être un jour le grand juge de l'humanité192, il y a d autres manières de dire de Notre-Seigneur qui indiquent bien que ses relations avec le Père sont d'un ordre unique. Ainsi, qu'il parle de Dieu avec ses disciples, il dit : « mon Père », « votre Père », jamais il ne dit « notre Père ». Le Notre Père qu'il enseigne à ses disciples ne fait même pas exception, car la prière est censée sortir de la bouche de ses disciples et non de la sienne ; ainsi il dit encore à propos du jugement dernier : « Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite : Venez, vous qui êtes bénis de mon Père ; prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès la fondation du monde... (Mat., XXV, 34); et à l'institution de l'Eucharistie, il fait ses adieux à ses disciples par ces mots : « Je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, jusqu'au jour où je le boirai avec vous dans le royaume de mon Père » ( Mat., XXVI, 29). Ce soin que met Jésus, d'ailleurs si humble, à ne pas se confondre avec ses disciples, à se séparer d'eux sur la question des rapports avec Dieu, n'est-il pas une preuve suffisante que sa filiation est transcendante et d'un ordre unique? — 2. Dans les Évangiles de saint Matthieu et de saint Luc, Jésus déclare, comme nous l'avons déjà vu dans saint Jean, que la connaissance du Père ne se fait que par l'intermédiaire du Fils : « Personne ne connaît le Fils, si ce n'est le Père ; personne non plus ne connaît le Père, si ce n'est le Fils» (Mat., XI, 27). — 3. Le témoignage le plus suggestif de Jésus sur sa filiation divine est assurément la parabole des vignerons homicides. La voici, telle que la rapporte saint Matthieu (XXI, 33, 39) : « Un père de famille planta une vigne, il l'entoura d'une haie, y creusa un pressoir, y bâtit une tour de garde et il la loua à des vignerons et quitta le pays. Lorsque le temps de la récolte fut venu, il envoya ses serviteurs aux vignerons, pour recevoir le produit de sa vigne. Mais les vignerons, s'étant saisis de ses serviteurs, battirent l'un, tuèrent l'autre, et lapidèrent un troisième. Il envoya encore d'autres serviteurs, plus nombreux que les premiers ; et ils leur firent de même. Finalement il leur envoya son fils, en disant : Ils respecteront mon fils. Mais, quand les vignerons virent le fils, ils dirent entre eux : Voici l'héritier ; venez, tuonsle, et emparons-nous de son héritage. Et, l'ayant pris, ils le jetèrent hors de la vigne, et le tuèrent... » Le sens de cette parabole est transparent. Elle contient en raccourci l'histoire des relations d'Israël avec son Dieu. Les serviteurs qui viennent percevoir le fruit de la vigne, ce sont les prophètes que Jéhovah envoie à son peuple élu et que celui-ci reçoit mal. Le Fils unique que le Père envoie en dernier lieu, l'héritier qui subit le même sort, c'est évidemment Jésus. — 4. Nous avons encore comme dernier témoignage, — celui-là, il est vrai, après sa résurrection, — la formule solennelle du Baptême où le Fils apparaît entre les noms du Père et du Saint-Esprit, associé à eux dans une Trinité mystérieuse. 192
C'est, du reste, l'opinion des rabbins les plus célèbres, que Jésus fut condamné à mort parce qu'il se proclamait Dieu. Jésus comparait devant le Sanhédrin, écrit M. WEIL (Le Judaïsme, ses dogmes, sa mission, t. III) pour répondre à l'accusation de lèse-majesté divine. » Incontestablement, écrit à son tour M. COHEN (Les Déicides), Jésus, par la proclamation de sa divinité, non seulement heurtait violemment les croyances séculaires du peuple juif, inquiétait toutes les consciences et détruisait toutes les vérités reçues, mais portait une atteinte spécialement grave à cette loi qu'il avait déclaré, d'abord si solennellement, n'être pas venu modifier. »
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b) Dans ses actes. — Plus encore que ses paroles, la manière d'agir de Jésus rend témoignage de sa divinité. — 1. Jésus s'attribue les perfections, divines : impeccabilité, .éternité, ubiquité... — 2. Il revendique les droits divins : il demande de ses disciples la fo,i, l'obéissance et l'amour, même jusqu'au sacrifice de la vie : « Quiconque m'aura confessé devant les hommes, je le confesserai devant mon Père qui est dans les cieux. Qui aime son père et sa mère plus que moi, n'est pas digne de moi» (Mat., X, 32, 37). Il accepte des hommages qui ne sont rendus qu'à la divinité, il souffre qu'on se prosterne devant lui et qu'on l'adore : c'est dans cette humble attitude que le lépreux au pied du mont des Béatitudes (Mat., VIII, 2), que le possédé de Gérasa (Marc, V, 6) implorent leur guérison ; Jaïre, un chef de la Synagogue, se prosterne également devant Jésus pour le prier de rendre la vie à sa fille qui vient de mourir (Mat, IX, 18). Nous voyons, au contraire, les Apôtres agir tout différemment dans les mêmes circonstances. Lorsque saint Pierre se rend auprès de Corneille, celuici « tombant à ses pieds se prosterne. Mais Pierre le releva en disant : « Lève--toi, moi aussi je suis un homme» (Actes, X, 25, 26). De même, Paul et Barnabé, après avoir guéri un boiteux, se dérobent aux honneurs qu'on veut leur rendre (Actes, XIV, 10-17). L'attitude de Notre-Seigneur est donc- d'autant plus significative qu'elle contraste avec celle de ses Apôtres. — 3. Il s'arroge les pouvoirs divins. Nous avons vu déjà qu'il se met au-dessus de la Loi, qu'il traite sur le pied d'égalité avec le divin Législateur du Sinaï. Il interprète et modifie, comme il l'entend, les préceptes du Décalogue, et il le fait avec une autorité souveraine : « Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens... Et moi je vous dis..., répète-t-il plusieurs fois (Mat., V, 22, 28, 32, 34, 39, 44). Nous avons vu encore qu'il remet les péchés : privilège exclusivement réservé à Dieu, et pour montrer qu'il n'usurpe pas un pouvoir qui ne lui appartient pas, il opère aussitôt un miracle. Il annonce qu'il sera un jour le juge suprême de l'humanité, qu'il enverra à ses Apôtres l'Esprit Saint. Il accomplit surtout de nombreux prodiges, si bien qu'on croit qu'une vertu divine sort de lui : il commande en maître à la nature, il chasse Ios démons, il guérit les malades, ressuscite les morts, et le tout sans faire appel à une puissance étrangère. Il agit en son propre nom, et qui plus est, il confère à ses disciples la puissance qu'il détient sans limites. Conclusion. — Qu'il s'agisse donc de ses déclarations ou de ses actes, Jésus se présente uni à Dieu d'une manière si étroite ; il revendique une telle participation aux pouvoirs et aux privilèges de Dieu que ses prétentions seraient vraiment incompréhensibles, s'il était étranger à la nature divine. Pour parler ainsi, pour agir ainsi, il fallait qu'il eût pleine conscience que Dieu était en lui, non pas seulement par sa puissance et sa vertu, mais par sa nature et son essence ; en un mot, il fallait qu'il fût Dieu. Nous pouvons conclure par conséquent, même à n'écouter que le. témoignage des Synoptiques, que la Divinité de Jésus-Christ repose sur une base solide, et qu'il n'y a pas solution de continuité entre le fait historique et son interprétation, entre l'affirmation de Jésus et le dogme défini par l'Église Art. III. — Valeur du double témoignage de Jésus. 238. — Dans les deux articles qui précèdent, nous avons recueilli le témoignage de Jésus sur sa personne. Nous avons vu qu'il s'était affirmé Messie, Fils de Dieu. Cela ne
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suffit pas, car il est évident qu'un témoignage ne vaut que ce que vaut le témoin. Or trois hypothèses sont possibles. Ou bien le témoin manque de sincérité et veut nous tromper. Ou bien il se méprend et s'illusionne sur son propre cas. Ou bien il sait la vérité et veut la dire. Donc, ou imposteur, ou illusionné, ou véridique, telles sont les trois alternatives entre lesquelles il faut choisir. Nous prouverons qu'il faut écarter les deux premières et retenir la troisième. 1° Jésus n'était pas un imposteur. — Jésus a-t-il trompé? Lorsqu'il affirmait qu'il était le Messie, File de Dieu, Jésus avait-il conscience de ne pas être ce qu'il disait être? Mentait-il? Les critiques contemporains sont trop pénétrés de la grandeur morale du Christ pour s'arrêter à une hypothèse aussi injurieuse. Tous reconnaissent que la loyauté et l'humilité de Jésus le mettent au-dessus de tout soupçon. — a) Sa loyauté. S'il est, en effet, une qualité à laquelle Jésus attache le plus grand prix, c'est bien la franchise, au point qu'on a pu le trouver dur pour ceux qui ne l'ont pas, pour ceux dont l'extérieur est en désaccord avec l'intérieur, dont les paroles ne traduisent pas les sentiments de l'âme, disons le mot, pour les hypocrites. Personne n'a flagellé ce vice plus que lui, et n'a dénoncé avec tant de véhémence la souillure du dedans qui se cache sous la propreté du dehors : « Malheur à vous ! dit-il aux scribes et aux pharisiens hypocrites, parce que vous ressemblez à des sépulcres blanchis qui paraissent beaux au dehors et qui, au dedans, sont pleins d'ossements de mort et de toute espèce d'impuretés. Vous de même, au dehors, vous paraissez justes aux hommes mais au dedans, vous êtes pleins d'hypocrisie et d'iniquité. » (Mat., XXIII, 27, 28). Et Jésus professe un amour tel de la droiture, il veut l'inculquer si profondément dans l'âme de ses disciples qu'il leur défend le serment, devenu désormais inutile, en raison de la confiance réciproque que chacun doit avoir dans la parole de son semblable. « Moi je vous dis de ne point jurer du tout... Que votre parole soit oui, oui, non, non» (Mat., V, 34, 37). — b) Son humilité. Supposer que Jésus voulut se faire passer pour le Messie et le Fils de Dieu, alors qu'il aurait eu conscience de ne pas l'être, c'est l'accuser d'un orgueil extravagant, dont il doit être facile de retrouver d'autres traces dans les Évangiles. Or qu'on lise ceux-ci avec attention, et l'on sera frappé, au contraire, de l'insistance que Jésus met à prêcher l'humilité par le discours et par l'exemple. Il n'est pas moins dur pour l'orgueil que pour l'hypocrisie,: il cingle de ses traits acérés qui recherchent partout les premières places, qui se laissent guider dans leurs actes par l'ostentation et le désir de paraître. Les Scribes et les Pharisiens, dit-il à ses disciples, « font toutes leurs actions pour être vus des hommes... Ils aiment la première place dans les festins, les premiers sièges dans les synagogues, les salutations dans les places publiques, et à s'entendre appeler par les hommes Rabbi. » (Mat., XXIII, 6-7). « Gardez-vous, dit-il ailleurs à ceux qui veulent être ses disciples, de faire vos bonnes œuvres devant les hommes, pour être vus d'eux... Quand vous faites l'aumône, ne sonnez pas de la trompette devant vous, comme font les hypocrites dans les synagogues et dans les rues, afin d'être honorés des hommes.» (Mat., VI, 1, 2). Une autre fois il présente le modèle du publicain contrit et humilié devant Dieu (Luc, XVIII, 9, 14). Lui-même déclare qu'il est venu pour servir et non pour être servi. I1 se dérobe à l'enthousiasme des foules qui veulent le proclamer roi. Or une telle conduite est incompatible avec l'excès d'orgueil qui l'aurait poussé à se dire le Messie, le Fils de Dieu, le futur Juge de l'humanité.
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Nous ne faisons appel ici qu'à deux vertus du Christ qui s'opposent plus directement à l'hypocrisie et à l'orgueil présupposés nécessairement par l'hypothèse qui veut faire passer Jésus pour un imposteur. Nous pourrions invoquer toutes ses autres vertus, sa personne morale tout entière, sa sainteté193 incomparable qui ne connaît pas la moindre défaillance, mais à quoi bon insister, puisque aussi bien on ne prend plus au sérieux les railleries de VOLTAIRE et des Encyclopédistes qui regardaient Jésus comme un fourbe et les Apôtres, comme des faussaires qui auraient inventé les miracles de l'Évangile dans le but de faire adorer leur Maître. 239. — 2° Jésus n'est pas un illusionné. — Jésus n'a pas voulu tromper mais il a pu se tromper. Il a pu se faire illusion sur sa personne et tromper sans le vouloir. C'est à cette seconde hypothèse que se rallient, de nos jours, les adversaires de la divinité du Christ. Partant de ce principe a priori que le surnaturel n'existe pas et qu'il n'y a pas d'Envoyé divin, les rationalistes modernes concluent que Jésus a été victime de l'illusion et qu'il est une sorte d'halluciné. Nous avons eu l'occasion déjà (N° 234) de signaler comment le plus habile d'entre eux décrit les états d'âme par lesquels le Sauveur serait soi-disant passé pour arriver à la conscience de sa messianité. Au point de départ, il suppose « la conviction profonde» que Jésus avait « de son union intime avec Dieu », union telle qu'il « se croyait avec Dieu dans les relations d'un fils avec son père, bien plus, qu'il se croyait, à un degré unique et incomparablement au-dessus des autres hommes, le Fils de Dieu. » « Dieu est en lui, il se sent avec Dieu, et il tire de son cœur ce qu'il dit de son Père... Il se croit en rapport direct avec Dieu, il se croit Fils de Dieu. » Et alors convaincu qu'il était le « Fils de Dieu, Jésus se sentit aussitôt la mission de faire participer tous les hommes à sa filiation divine, en leur apprenant à connaître Dieu comme leur Père et à recourir à lui comme des fils. »194 A partir de ce jour, où il « se proposa de créer un état nouveau de l'humanité», où son « idée fondamentale» fut « l'établissement du royaume de Dieu», Jésus accepte le rôle de Messie. Et comme tout aussitôt il se heurta à l'opposition violente des pharisiens, il comprit qu'avant d'être le Messie triomphant et d'être appelé à la fonction glorieuse de Juge suprême de l'humanité, il devait passer par la souffrance et la mort. Assurément cette psychologie de l'âme de Jésus ne manque pas de savoir-faire, mais les conceptions de RENAN sont plus ingénieuses que solides. Nulle part, en effet, dans les Évangiles, on ne découvre les traces d'une pareille évolution dans les idées de
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Nous ferons remarquer avec M. TANQUEREY que la sainteté, même suréminente de Jésus, ne constitue pas une preuve de sa mission divine, si on la considère isolément et indépendamment de son affirmation. Un homme peut être un très grand saint, il peut, avec la grâce de Dieu, atteindre au plus haut degré de perfection, sans être pour cela un envoyé divin. Que la sainteté découle de la mission divine, cela paraît évident : on ne conçoit pas, en effet, un envoyé divin chargé d'établir une religion, et dont la conduite démentirait les vérités qu'il a mission d'enseigner ; mais la réciproque n'est pas vraie. Les vertus transcendantes de Jésus peuvent donc fournir un thème riche en développements à l'apologétique oratoire, alors que la démonstration de la divinité de Jésus est déjà chose faite, mais dans l'apologétique didactique, elles ne peuvent être la matière d'un argument. 194
RENAN, Vie de Jésus.
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Jésus. C'est à partir du premier instant de sa vie publique, qu'il a conscience d'être le Messie, et s'il y a évolution, ce n'est pas dans la pensée de Jésus, mais dans la manière de l'exprimer, ou plutôt, la foi de Jésus en sa mission reste à chaque instant la même ; c qui se développe et progresse, c'est la conviction qui se fait dans l'âme de ses disciples et de ses auditeurs. Mais écoutons, pour répondre à RENAN, un des représentants les plus fameux du protestantisme libéral en France : « Jésus, écrit M. STAPFER, s'est dit Messie. Cela est prouvé, cela est certain. Comment en est-il arrivé là? Y a-t-il eu folie, oui ou non? Telle est, nous semble-t-il, la seule alternative qui se pose désormais entre les croyants et les non-croyants. »195 « Renan a dit : Jésus, enivré par le succès, s'est cru le Messie. Il était sain d'esprit au commencement de son ministère, il ne l'était plus à la fin, et son histoire, telle que la raconte Renan, est, malgré les ménagements qu'il y apporte, l'histoire de la surexcitation croissante d'un homme qui a commencé par le bon sens, la clairvoyance, la santé morale d'un noble et beau génie, et qui a fini par une exaltation maladive voisine de la démence. Le mot folie n'a pas été écrit par Renan, mais la pensée se trouve exprimée à chaque page. Eh bien, les faits s'opposent à cette explication. »196 « Ce qui frappe au contraire» en Jésus, « plus on l'étudié de près, c'est sa possession de lui-même, sa clairvoyance, son absence complète d'illusion . » IL est extrêmement remarquable que la foi de Jésus en lui-même et en son œuvre reste absolument identique à elle-même Cette confiance inébranlable de Jésus en son œuvre, en son Père et en lui-même est certainement surnaturelle... Il y a dans cette assurance qu'aucun événement extérieur ne trouble, une preuve d'une force énorme de la nature divine de Jésus . » (E. STAPFER). Ainsi, de l'aveu de ceux-là mêmes qui rejettent le dogme catholique de la divinité de Jésus-Christ, l'on ne saurait prétendre que Jésus se soit illusionné à ce point sur son propre compte, sans recourir à l'hypothèse de la folie, qu'on prononce le mot, ou qu'on le remplace par d'autres équivalents tels que l'exaltation mystique, l'hallucination ou le déséquilibre Mais alors comment expliquer ce désordre mental avec l'élévation d'esprit, avec l'intelligence profonde et lucide qui se manifestent partout dans les discours et les entretiens de Jésus? Comment ce déséquilibré peut-il être l'auteur d'une doctrine religieuse qui dépasse les plus hautes conceptions des philosophes anciens, et d'une morale qui est devenue l'idéal de l'humanité? Non, vraiment, un fou n'a pas tant de sagesse. Jamais un déséquilibré n'aurait accompli une œuvre aussi grandiose, créé un mouvement d'âmes aussi intense, et exercé une influence aussi considérable sur le monde.
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E. STAPFER, Jésus-Christ avant son ministère.
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La thèse de Renan a été reprise de nos jours par le Dr BINET-SANGLE, qui, dans un ouvrage Interminable « La folie de Jésus » (4 vol. in-8°, 1908-1915), a prétendu démontrer que Jésus était un fou atteint de théomanie, autrement dit, un fou religieux. Cette thèse a été réfutée, tout dernièrement, au double point de vue médical et exégétique, par le Dr VERUT. dans un livre qui a pour titre : « Voilà vos bergers... Jésus devant la science. » (Paris, 1928).
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Conclusion. — Dès lors, la conclusion s'impose, Jésus n'est ni un imposteur ni un dément. Il n'a pas trompé et il ne s'est pas trompé. Son affirmation doit donc être retenue. S'il a dit qu'il était le Messie, Fils de Dieu, c'est qu'il l'était. BIBLIOGRAPHIE. — LEPIN, Jésus, Messie et Fils de Dieu (Letouzey) ; Christologie ; Les théories de M. Loisy (Beauchesne). — BATIFFOL, L'enseignement de Jésus (Bloud). — DE GRANDMAISON, art. Jésus-Christ (Dict. d'Alès). — ROSE, Études sur les Évangiles (Bloud). — FREMONT, Lettres à l'abbé Loisy (Bloud). — Mgr FREPPEL, La divinité de Jésus-Christ (Palmé). — HUGUENY, Critique et catholique (Letouzey). — MANGENOT, Jésus, Messie et Fils de Dieu (Bloud). — F. PRAT, La théologie de saint Paul (Beauchesne). CHAPITRE III. — Réalisation en Jésus des prophéties messianiques. DÉVELOPPEMENT L'argument prophétique. 240.— Préliminaire. — Dans le chapitre précédent, nous avons vu que Jésus s'était donné pour le Messie prédit par les prophètes. Quelque de foi que puisse être la parole d'un homme que recommandent par ailleurs la sainteté de sa vie et la sublimité de sa doctrine, il n'en reste pas moins qu'une telle affirmation demande à être contrôlée. Si Jésus est un Envoyé divin, il doit nous apporter des marques non équivoques de sa mission divine, telles que prophéties et miracles. Mais, avant tout, si Jésus est l'Envoyé divin annoncé par les prophètes, il doit réaliser dans sa personne et dans son œuvre les prophéties faites à son sujet ; il faut qu'il y ait relation étroite entre l'Ancien et le Nouveau Testament, que l'un s'explique par l'autre, que le second confirme le premier. 241. — 1° Adversaires. — L'argument tiré des prophéties a deux sortes d'adversaires. Les uns nient l'existence même des prophéties. Les autres en contestent la réalisation en Jésus. A. A LA PREMIÈRE CATÉGORIE appartiennent les rationalistes et les protestants libéraux qui prétendent que le Messie n'a pas été prédit et que les prophéties alléguées ne sont ni des prophéties, ni des prophéties messianiques. D'après M. J. REVILLE, les passages de l'Ancien Testament « où l'on se plaisait à voir des prédictions surnaturelles »197 ont été mal interprétés par les prédicateurs et les théologiens. Pas plus que les sibylles et les devins, les prophètes n'ont eu le privilège de connaître et d'annoncer les secrets de l'avenir. Ce qui ne les empêche pas, suivant SABATIER, d'avoir été des hommes d'une valeur incomparable ; et si leurs prédictions sont inexistantes ou sans valeur, leur prédication les place bien au-dessus de leurs contemporains, et à ce titre, ils sont des hommes providentiels qui ont eu une idée plus pure et plus haute de Dieu 197
J. REVILLE, Le prophétisme hébreu, esquisse de son histoire et de ses destinées.
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et de la loi morale198. Comme on le voit, les rationalistes et les protestants libéraux veulent bien reconnaître la grandeur morale des prophètes, ils veulent bien les mettre au premier rang parmi leurs contemporains, mais c'est pour mieux refuser tout caractère surnaturel à leur œuvre et à leur parole. Donc, prédicateurs hors de pair, mais non prophètes au sens strict du mot, voilà tout ce que l'on peut dire d'eux. D'où il suit que l'argument prophétique, tel qu'il nous a été transmis par l'apologétique traditionnelle, est dénué de valeur. B. DANS LA SECONDE CATÉGORIE d'adversaires il faut ranger les Juifs qui, tout en reconnaissant l'existence des prophéties messianiques, n'admettent pas qu'elles se soient réalisées en Jésus. Pour prétendre le contraire, il faudrait, selon eux, détourner les prophéties de leur sens naturel et les interpréter en dehors de leur contexte. C'est pourquoi — et c'est encore SABATIER qui nous le dit — « les Juifs, d'après leur exégèse, ont bien pu ne pas voir dans Jésus de Nazareth le Messie qu'ils attendaient, puisqu'ils n'auraient pu croire eu lui qu'en renonçant aux espérances politiques et nationales que leurs livres leur avaient données. Il est permis de dire que les prophéties messianiques, en tant qu'elles ont un sens historique et grammatical, n'ont jamais été accomplies, et qu'elles n'ont paru l'être dans la vie, l'enseignement, la mort de JésusChrist et le merveilleux développement de son œuvre, que suivant un sens que certainement elles n'avaient pas dans l'esprit de ceux qui les avaient prononcées tout d'abord. »199 242. — 2° Argument. — L’argument prophétique peut se formuler dans le syllogisme suivant : IL existe dans l'Ancien Testament une série de prophéties qui prédisent, qui décrivent à l'avance la personne et l'œuvre du Messie. Or ces prophéties se sont réalisées dans la personne et l'œuvre de Jésus. Donc Jésus est le Messie. L’argument comprend donc deux points à établir : — 1. l'existence des prophéties messianiques ; — 2. leur réalisation en Jésus. Si nous parvenons à démontrer ces deux points qui forment la majeure et la mineure du syllogisme, nous aurons répondu, par le fait, aux deux classes d'adversaires que nous avons devant nous. Nous tâcherons de le faire dans les deux articles qui suivent. REMARQUES. — 1. Auparavant, il convient de rappeler, — comme nous avons eu déjà l'occasion de le dire, — que, à la rigueur, la démonstration chrétienne peut se faire en dehors de l'argument prophétique. N'y eût-il eu aucune prophétie, Jésus n'en apparaîtrait pas moins « Envoyé de Dieu », du moment qu'on peut établir qu'il a fait de nombreux et incontestables miracles, qu'il a réuni dans sa personne toutes les qualités qui conviennent à un envoyé céleste et que sa doctrine et sa morale portent bien les marques d'une origine surnaturelle. Moïse, le fondateur de la religion qui porte son nom, n'a été annoncé par aucune prophétie ; et cependant sa mission divine ressort très clairement des multiples prodiges qu'il accomplit et de la transcendance de sa doctrine. 2. Néanmoins, l'argument prophétique a une valeur de premier ordre pour une double raison : — 1) Tout d'abord il est indiscutable que le fait d'avoir été prédit d'une 198
SABATIER, Esquisse d'une philosophie de la religion d'après la psychologie et l'histoire.
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SABATIER, Esquisse d'une philosophie de la religion d'après la psychologie et l'histoire.
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manière claire et formelle, ajoute un nouveau poids aux autres preuves qui attestent que Jésus est un Envoyé de Dieu. — 2) D'autre part, l'argument prophétique remonte aux origines du christianisme. L'on peut même dire que, aux yeux des Juifs, il était l'argument capital. Jésus, le premier, s'appuie très souvent sur cet argument pour prouver sa mission. Il y revient d'autant plus, que les Juifs, — les Apôtres y compris, — s'étaient surtout arrêtés aux prophéties de l'Ancien Testament qui concernaient la gloire du Messie saris prendre garde à celles qui prédisaient ses humiliations et ses souffrances. Il lui fallait donc redresser les fausses conceptions de ses contemporains : travail souvent infructueux et long, si long que nous l'entendons, au matin de sa Résurrection, reprocher aux deux disciples qui allaient à Emmaüs, de ne pas saisir encore le sens des prophéties : « O insensés, leur dit-il, dont le cœur est lent à croire tout ce qu'ont dit les Prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît ces choses et qu'il entrât ainsi dans sa gloire? Et commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliquait, dans toutes les Écritures, ce qui le concernait. » (Luc, XXIV, 25, 27). Art. I- — Existence des prophéties messianiques. Avant de démontrer qu'il y a eu des prophéties et des prophéties messianiques, il convient de donner quelques notions générales sur les prophètes. Cet article comprendra donc deux paragraphes : 1° Notions générales sur les Prophètes. 2° Le fait des prophéties messianiques. § 1. — NOTIONS GENERALES SUR LES PROPHETES200. 243. — 1° Définition. — Étymologiquement, le mot prophète (du grec « prophètes » interprète; celui qui prévoit l'avenir) désigne en grec soit un interprète des dieux, soit celui qui prédit l'avenir. A. Dans le premier sens, ou sens large, le prophète, appelé nabi en hébreu, est donc un interprète. C'est ainsi que Moïse qui alléguait sa difficulté de parole pour se dérober à la charge redoutable que le Soigneur lui imposait, entendit Dieu lui répondre : « Aaron, ton frère, sera ton nabi» (Ex., IV, 16) ; autrement dit : Aaron parlera à ta place. — Dans la Bible, le mot prophète est encore employé pour désigner un homme qui chante les louanges de Dieu : il est dit, par exemple, de Saul, que dans ses accès de mélancolie, il prophétisait (c'est-à-dire chantait) dans sa maison, pendant que David jouait des instruments (I Sam., XVIII, 10). B. Au sens strict, le prophète était un homme à qui Dieu révélait l'avenir, et donnait la mission de le communiquer aux autres. Comme on le voit, dans quelque sens qu'on entende le mot, le prophète était « l'interprète de Dieu, l'intermédiaire entre Dieu et son peuple ; il recevait les ordres du Seigneur et communiquait à la race d'Abraham le plan divin... Sa mission était double, l'une se rapportant au temps présent, l'autre à l'avenir »201.
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Ces notions générales sont indépendantes de la question de savoir s'il y a eu des prophéties messianiques lesquelles se seraient réalisées en Jésus. 201
VIGOUROUX, Manuel biblique, t. II, n. 895.
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244. — 2° Le mode de la révélation prophétique. — Interprète de Dieu, le prophète recevait les communications divines de triple façon : par la parole, par des visions et par des songes : — a) par la parole. Il faut entendre par là, du moins ordinairement, non pas un langage articulé et sensible qui aurait frappé l'oreille du prophète, mais une voix qui résonnait au fond de son âme ; — b) par des visions. Dieu faisait-il passer devant les yeux du prophète des imagos matérielles et physiques, ou les faisait-il percevoir par son imagination, sans qu'elles fussent produites par aucune réalité extérieure, les deux hypothèses sont admissibles, quoique la seconde paraisse plus vraisemblable ; — c) par des songes. Cette sorte de manifestation divine, beaucoup plus rare que les autres, diffère de la seconde, en ce que la vision avait lieu pendant l'état de veille, tandis que le songe ne se produisait que pendant le sommeil. « IL faut remarquer d'ailleurs que, de quelque manière que fût communiquée la révélation céleste, le prophète n'était jamais dans l'état de délire, à plus forte raison, de démence, qui caractérisait les devins du paganisme lorsqu'ils rendaient les oracles des faux dieux. Il savait donc toujours ce qu'il prophétisait »202, alors même qu'il ne saisissait pas entièrement la portée de ses prédictions et la manière dont elles se réalisaient. 245. — 3° Les particularités du langage prophétique. — Les événements de l'avenir se présentent d'ordinaire à l'esprit des prophètes comme des faits présents, déjà réalisés : c'est là ce qui explique les particularités du langage prophétique. D'abord l'emploi très fréquent du prétérit au lieu du futur ; puis, tout au moins d'une manière générale, l'absence de toute chronologie : les faits ne sont pas annoncés nécessairement dans l'ordre de leur réalisation future ; les intervalles qui doivent les séparer ne sont pas indiqués. Le tableau de l'avenir s'offre à eux sans perspective : tout y est mis sur le même plan. Il a fallu généralement l'accomplissement des divins oracles pour que la séparation ait pu être opérée. Toutefois, quoique, d'une manière générale, Dieu ait jugé suffisant d'annoncer la fondation de son royaume sans en fixer la date et le mode de réalisation, il arrive parfois que les prophètes indiquent clairement l'époque des événements qu'ils prédisent. 246 — 4° Les prophètes de l'Ancien Testament. — A prendre comme points de comparaison l'étendue et l'importance de leur œuvre, les prophètes se divisent en deux classes : les grands et les petits prophètes. a) Les premiers, au nombre de quatre, sont : ISAÏE, JEREMIE avec BARUCH pour appendice, ÉZECHIEL et DANIEL. — b) Les seconds, au ombre de douze, sont : OSEE, JOËL, AMOS, ABDIAS, JONAS, MICHEE, NAHUM, HABACUC, SOPHONIE, AGGEE, ZACHARIE, MALACHIE. L'ère prophétique s'ouvrit avec ABDIAS203 au début du IXe siècle avant Jésus-Christ et fut close avec MALACHIE, vers l'an 435 : c'est donc une période de quatre siècles et demi qu'elle embrasse.
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Ibid., n. 898
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Outre les grands et les petits prophètes dont nous venons de citer les noms, il y eut dans l'Ancien Testament une longue suite d'hommes illustres qui méritent le nom de prophètes, entendu dans le sens large du mot, c'est-à-dire qui ont été soit auprès du peuple d'Israël, soit auprès de ses chefs, les représentants et les interprètes des volontés divines. Tels sont MOÏSE, le libérateur et le législateur du peuple hébreu ; SAMUEL qui détourna Israël des cultes de Baal et d'Astaroth ; NATHAN sous le règne de David, et DAVID lui-même ; ÉLIE et ELISEE qui, après le schisme d'Israël, furent chargés par Dieu de restaurer le vrai culte de Jahvé. § 2. — LE FAIT DES PROPHÉTIES MESSIANIQUES. 247. — Est-il vrai, comme l'affirme la majeure de l'argument prophétique, qu'il existe dans l'Ancien Testament une série de prophéties qui prédisent la personne et l'œuvre du Messie? Telle est la première question qui se pose. Il n'est pas besoin d'étudier longuement les livres de l'Ancien Testament, et en particulier, les écrits des prophètes, pour constater qu'il règne dans toute l'histoire juive une grande pensée, une idée-maîtresse, ou comme on Fa dit, une idée-force, laquelle revient partout comme un invariable leitmotiv et tient une si grande place dans la vie et l'âme de la nation : cette idée c'est l’idée messianique. Mais que faut-il entendre par là? L'idée messianique comprend deux choses : — a) Elle est d'abord l'attente d'un royaume qui doit s'établir un jour, — par l'intermédiaire et sous la domination d'Israël, — groupant tous les peuples dans le culte du vrai Dieu, reconnu désormais et adoré partout comme le Maître de l'univers. — b) Elle est, en second lieu, l'attente d'un roi, — « Oint ou Messie » — chargé d'établir ce royaume universel, d'en être le roi terrestre et d'être un jour au ciel le roi des élus, le juge qui récompense les bons et précipite les méchants dans la géhenne. Comme on le voit, les prophéties ont un double objet. Elles concernent soit le royaume futur, soit le Roi qui instaurera et régira le royaume. 248. — 1° Prophéties concernant le royaume. — L'attente messianique concernant le futur royaume peut être envisagée au triple point de vue de son origine, de sa nature et du rôle joué far les prophètes dans la genèse de cette idée. A. ORIGINE DE L'ESPÉRANCE MESSIANIQUE. — Le moindre examen des Livres sacrés indique qu'il ne faut pas en chercher d'autre que les révélations et les promesses divines. Celles-ci remontent aux origines de l'humanité. Adam et Eve avaient à peine commis leur péché de désobéissance que Dieu leur promettait un rédempteur (Gen., III, 14, 15), Maintes fois Dieu renouvela ses promesses de bénédictions : plus spécialement il les adressa à Noé, à Abraham, à Isaac et à Jacob. Voici, du reste, parmi ces promesses prophétiques, les deux plus solennelles et les plus précises : « Toutes les 203
En réalité, il est très difficile de déterminer l'époque à laquelle a vécu Abdias « Les uns, dit VIGOUROUX, le regardent comme le plus ancien des petits prophètes, les autres le font vivre du temps de la captivité... On peut, néanmoins, sans affirmer le fait somme certain, regarder le prophète Abdias comme le plus ancien de tous ceux dont les écrits nous ont été conservés. »
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nations de la terre seront bénies dans votre race, dit le Seigneur à Abraham, parce que vous avez obéi à ma voix. »(Gen., XXII, 18). « Le sceptre ne sortira pas de Juda, dit le prophète Jacob à son quatrième fils Juda, jusqu'à ce que vienne un chef de sa race, jusqu'à ce que vienne l'Envoyé qui rassemblera les peuples. »(Gen., XLIX, 8 et suiv.). Ainsi, des les premières heures de l'humanité, Dieu annonce déjà son plan, non pas certes en formules expresses qui marquent tous les détails de l'œuvre future, mais en paroles suffisamment claires pour faire comprendre au peuple juif qu'il a un grand rôle à jouer dans l'œuvre annoncée, pour découvrir à son regard de brillantes perspectives, des horizons lumineux et pour éveiller dans son âme de grandes espérances. A la lumière de ces promesses, il devient facile d'apercevoir dans les multiples péripéties de l'histoire juive, à la fois l'unité et la continuité du plan divin. Celui qui y regarde de près, constate sans difficulté que, si l'œuvre se prépare et se développe avec une mystérieuse lenteur, avec des moments d'interruption, ou tout au moins, de ralentissement, elle n'en poursuit pas moins la route avec un progrès indéfini. A travers les vicissitudes de fidélité, et de défection du peuple juif, l'on discerne toujours la volonté de Dieu de garder au sein d'une nation élue le monothéisme, appelé à devenir un jour la religion de toute la terre. B. NATURE DE L'ATTENTE MESSIANIQUE. — On ne saurait contester qu'il se mêle dans l'idée messianique deux éléments tout à divers. L'établissement du futur royaume, du règne universel de Dieu, est lié dans la pensée juive au rétablissement de leur royaume terrestre. Cette espérance d'une restauration nationale est tellement ancrée dans tous les cœurs que, au moment de l'Ascension de leur Maître, les Apôtres lui posaient encore cette question ; « Seigneur, est-ce maintenant que vous rétablirez le royaume d'Israël? » (Actes, I, 6). Il y a cependant des oracles où le côté temporel de l'espérance messianique ne tient aucune, ou presque aucune place (Is., II, 2, 5 ; XI, 1, 8 ; XLII, 1, 4 ; L, 4, II ; LII, 13 ; LIII, 12). De nombreuses prophéties décrivent la nature du futur royaume sous les traits d'une union intime entre Dieu et l'âme de chaque fidèle (Osée, II, 19). D'autre part, le fait que les prophéties annoncent que tous les peuples participeront au royaume messianique, indique bien que tout ce qui constitue le particularisme juif dans le domaine religieux et politique, sera un jour abrogé. C. ROLE DES PBOPHÈTES204. Le rôle des prophètes, dans la genèse et le développement de l'espérance messianique, fut certainement dé tout premier plan. — 1. Ils ont d'abord été les défenseurs du monothéisme. A toutes les époques de l'histoire, et avant les prophètes proprement dits, Dieu suscite des hommes qui doivent être les interprètes de ses volontés et de ses desseins. C'est MOÏSE, le législateur d'Israël qui prêche le culte exclusif de Jahvé, Maître souverain, Seigneur juste et bon, miséricordieux à ceux qui l'aiment et gardent sa loi. C'est SAMUEL qui détourne les Hébreux des cultes idolâtriques de Baal et d'Astaroth. Ce sont, après le schisme d'Israël, ÉLIE et ELISEE qui chassent les fausses divinités et rétablissent le vrai culte. — 2. Ils ont annoncé que le monothéisme, qui constituait le dogme principal de la religion 204
Le but que nous poursuivons ici étant uniquement de montrer le rôle des prophètes dans l'origine de l'espérance messianique, nous n'avons pas à rechercher la date précise où leurs livres furent composés. Il suffît qu'ils aient été antérieurs à l'avènement du Christ (V. N° 251).
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juive, s'étendrait à toutes les nations de l’univers. C'est ISAÏE qui prédit que Jérusalem deviendra un jour le centre du vrai culte où « toutes les nations afflueront » (Is., II, 2). C'est JEREMIE qui ne craint pas de déclarer aux Juifs que la religion n'est pas seulement un pacte social entre Jahvé et Israël, mais encore une union intime entre Dieu et l'âme de chaque croyant, union intime qui convient aux étrangers, aux Gentils comme aux Juifs. C'est ÉZECHIEL, le plus grand des prophètes de la captivité, qui soutient la foi et l'espérance des Juifs malheureux et châtiés pour leurs crimes, mais non pas abandonnés de Dieu, et qui leur prédit la résurrection d'Israël. Ce sont les trois prophètes postexiliens : AGGEE, ZAMIER et MALACHIE qui annoncent le futur royaume messianique ; c'est MALACHIE, en particulier, qui entrevoit un ordre de choses nouveau, et un nouveau sacrifice ( Mal. I, 11). Conclusion. — Ainsi, le rôle des prophètes au sujet du royaume à venir fut double. — Leur première mission fut de garder intacte chez le peuple juif la foi en un Dieu unique, et de maintenir l'adoration exclusive de Jahvé. — La seconde mission qui fut réservée, d'une manière plus spéciale, aux prophètes proprement dits, fut d'annoncer, pour un avenir plus ou moins rapproché, un ordre nouveau, une religion spirituelle qui ferait une plus large part au culte intérieur, une religion non plus nationale et restreinte au peuple juif, mais universelle, à laquelle tous les hommes seraient appelés, et qui serait ainsi comme le complément de l'antique religion juive. 249. — 2° Prophéties concernant la personne et l'œuvre du Messie. — Pour établir le royaume en question, Dieu enverra son représentant. Or les prophètes ne se contentent pas d'annoncer cet Envoyé ou Messie205 ; longtemps à l'avance ils en déterminent l'origine, la naissance, les fonctions et le mode dont il accomplira son œuvre. A. SON ORIGINE. — Le Messie sera de la race d'Abraham famille de David (II Sam., VII).
(Gen. XII) et de la
B. SA NAISSANCE. — 1. La date. Le Messie ne viendra pas avant que le sceptre soit sorti de Juda (Gen., XLIX, 10) : voilà déjà une indication très précieuse ; mais la célèbre prophétie de Daniel est autrement précise, puisqu'elle fixe l'époque de la venue du Christ, cinq siècles206 avant l'événement : « Depuis l'ordre donné pour rebâtir 205
Il convient de remarquer que les deux termes Envoyé et Messie qui, dans le langage courant, sont employés indistinctement l'un pour l'autre, ne sont pas en réalité des termes équivalents. Le mot Messie, transcription de l'hébreu Meschiah, et synonyme dU mot grec Christos, signifie : oint, sacré, de sorte que, quand nous disons Messie, nous voulons désigner un personnage oint, sacré par Dieu, et non pas un Envoyé. 206
Les rationalistes prétendent que le livre de Daniel ne serait pas de Daniel ; il aurait été composé beaucoup plus tard. La chose importe peu, puisque aussi bien Ils reconnaissent que le livre est antérieur à l'ère chrétienne, au moins de deux siècles, et que par conséquent il y a eu prophétie. Et comment pourraient-ils ne pas le reconnaître? Sans compter qu'il est rapporté, dans l'Évangile, que Notre-Seigneur cite la prophétie de Daniel lorsqu'il annonce que l'abomination de la désolation doit fondre sur Jérusalem (Mat., XXIV, 15), il est bien certain que les Juifs n'auraient jamais inscrit le livre de Daniel parmi leurs livres sacrés, s'il avait été composé après l'Évangile.
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Jérusalem, dit le prophète DANIEL, jusqu'au Christ chef, il y aura sept semaines et soixante-deux semaines... Et après soixante-deux semaines, le Christ sera mis à mort» (Dan., IX, 25-26). Suivant les paroles du prophète Daniel qui tient son inspiration de l'ange Gabriel, le Messie sera mis à mort dans la semaine qui viendra lorsque sept semaines et soixante-deux semaines, c'est-à-dire soixante-neuf semaines (d'années), seront écoulées après le décret relatif à la reconstruction de Jérusalem : ce qui nous donne le chiffre approximatif de 486 ans. Or en retranchant 33 ans, — âge probable du Christ à sa mort, — de 486, on obtient l'année 453 qui nous conduit en plein règne d'Artaxerxés Longuemain, auteur de l'édit permettant de rebâtir Jérusalem. — 2. Le lieu. Le Messie doit naître à Bethléem, d'après le prophète MICHEE : « Et toi, Bethléem Ephrata, tu es petite entre les mille de Juda ; de toi sortira celui qui dominera sur Israël, et dont l'origine est dès le commencement; dès les jours de l'éternité. » (Michée, V, 2). — 3. Le caractère miraculeux de sa naissance : « Une vierge concevra, est-il dit dans ISAÏE (VII, 14), et elle enfantera un fils, auquel on donnera le nom d'Emmanuel. » C. SES FONCTIONS. — Le Messie exercera la triple fonction de roi, de prêtre et de prophète : — 1. Le Messie sera roi ; comme les autres rois, il sera appelé et sera, d'une manière plus éminente, le Fils de Dieu (Ps., II, 7) ; mais sa royauté sera toute spirituelle (Is., XLIX, 6) et pacifique ; il sera le « Prince de la paix » (Is., IX, 5). — 2. Le Messie sera prêtre. Ainsi le dépeint DAVID dans un de ses psaumes (CX, 1-5). « Le Seigneur a dit à mon Seigneur, asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que je fasse ramper vos ennemis à vos pieds... Le Seigneur l'a juré, il ne se rétractera point : vous êtes prêtre pour toujours selon l'ordre de Melchisédech. » Les anciens docteurs juifs ont reconnu dans ces paroles du Roi-prophète les traits du Messie. — 3. Le Messie sera prophète (Deut., XVIII, 15 ; Is., LXI, 1). D. LE MODE DONT IL ACCOMPLIRA SON ŒUVRE. — Nous le trouvons décrit en entier dans la seconde partie d'Isaïe, dans quelques passages de Zacharie et dans quelques psaumes, en particulier le psaume XXI. Dans ISAÏE, le Messie est représenté comme le serviteur de Dieu qui sauvera son peuple, non pas en écrasant ses ennemis, mais par son humble obéissance, par sa passion et sa mort ignominieuse : le chemin de la croix sera donc le chemin du salut. Avant de remporter la victoire et de consommer son œuvre de rédemption, le Messie subira toutes les humiliations : il sera trahi par l'un des siens (Ps., XL, 10), vendu pour trente pièces d'argent (Zach., XI, 12-13) ; il sera flagellé, rendu semblable à un lépreux, l'opprobre des hommes et le rebut du peuple (Ps., XXI) ; on lui donnera le fiel en nourriture et le vinaigre en breuvage (Ps., LXVIII). Il aura les pieds et les mains percés ; les soldats tireront ses habits au sort (Ps., XXI, 17,19); son cœur sera percé d'une lance (Zach., XII, 10). Mais les humiliations du Christ seront suivies de sa glorieuse résurrection et de son ascension ; son corps ne sera pas livré à la corruption (Ps., XV, 10) ; il ressuscitera le troisième jour (Osée, VI, 3). Puis triomphant il s'élèvera de la montagne des Oliviers (Zach., XIV, 4) et ira s'asseoir à la droite de Dieu (Ps., CIX, 1). Ainsi, la vie de Jésus est déjà écrite, pour ainsi dire, longtemps à l'avance. Les circonstances en sont si bien marquées qu'il sera facile de constater si le Messie attendu en réalise toutes les conditions. ART. II. — REALISATION DES PROPHETIES MESSIANIQUES EN JESUS.
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250. — Or les prophéties messianiques, dit la mineure de l'argument prophétique, se sont réalisées dans la personne et dans l’œuvre de Jésus. 1° La personne de Jésus a réalisé les prophéties messianiques. — Jésus est-il bien l’Envoyé annoncé par les prophètes pour fonder le royaume attendu ? A-t-il réalisé dans sa personne tous les traits marqués par les prophètes au point de vue de l'origine, de la naissance, des fonctions et de la manière dont l'œuvre messianique devait être accomplie. A. SON ORIGINE. — Jésus est de la race d'Abraham ; il appartient à la famille de David, comme le prouvent les tableaux généalogiques de saint Matthieu et dé saint Luc, les exclamations des infirmes qui implorent son assistance : « Ayez pitié de nous, fils de David »( Mat., IX, 27), et les acclamations de la foule le jour des Rameaux : « Hosanna au fils de David» (Mat., XXI, 9, 15). — B. SA NAISSANCE. — Jésus est né : — 1. au temps marqué par les prophètes, alors que la Judée était tombée sous la domination romaine et que le sceptre était par conséquent sorti de Juda ; — 2. au lieu indiqué et de la manière prédite (Luc, I, 34 ; II, 1, 7). — C. SES FONCTIONS. — Jésus a exercé la triple fonction de roi, de prêtre et de prophète : — 1. de roi. Devant Pilate, il a affirmé qu'il était roi, mais que sa royauté n'était pas de ce monde (Jean, XVIII, 37), qu'elle était spirituelle et devait s'établir, non par la force des armes, mais par la persuasion des cœurs (Mat., XVIII, 18) ; — 2. de prêtre. Jésus s'offrit lui-même volontairement en sacrifice sur l'arbre de la croix, et il a voulu que ce sacrifice de son corps et de son sang se renouvelât jusqu'à la fin des siècles ; — 3. de prophète. Jésus a prédit l'avenir, comme nous aurons l'occasion de le dire plus loin (Nos 255 et suiv.). D. MANIÈRE DONT JÉSUS ACCOMPLIT L'ŒUVRE MESSIANIQUE. — L'on connaît trop bien tous les détails de l'histoire de Jésus, pour qu'il soit nécessaire de nous y arrêter : inutile donc de montrer que Jésus, par les humiliations de sa vie, par sa passion ignominieuse, par sa mort infâme sur la croix, a réalisé le programme tracé par les prophètes, en particulier par Isaïe et le Roi-prophète au psaume XXI. 251. — 2° L'œuvre de Jésus a réalisé les prophéties messianiques. — Est-il vrai que Jésus a établi le royaume attendu et qu'il a ainsi réalisé l'espérance messianique? L'histoire est là pour nous attester que Jésus-Christ a vraiment fondé une religion dont les racines plongent dans le judaïsme, une religion qui peut être considérée comme la continuation et le perfectionnement de la religion mosaïque. Sans doute, il n'a pas établi le royaume temporel que les Juifs, avides de jouissances matérielles, avaient entrevu dans leurs rêves de grandeur terrestre, mais il a fondé le vrai royaume, celui où Dieu régnerait et étendrait sa domination spirituelle sur les âmes. Mais est-il vrai, se demandera-t-on peut-être, que celui-là même, le règne du vrai Dieu, se soit implanté de la manière que l'annonçaient les prophètes? Il semble bien qu'il ne soit pas difficile d'en faire la démonstration. — 1. Remarquons d'abord, que la diffusion du culte de Jahvé au milieu du monde, a eu Israël pour intermédiaire, comme il était prédit. Le christianisme n'a-t-il pas été propagé par douze fils d'Israël? Il est vrai que, pour accomplir leur œuvre, ils ont dû rompre avec de nombreuses exigences de l'Ancienne
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Loi. Pour rendre la religion chrétienne accessible à tous les peuples, ils ont dû se débarrasser des observances légales et attacher plus de prix au culte intérieur consistant dans le respect et surtout l'amour de Dieu. Mais précisément les prophètes leur avaient préparé la voie. Il en est, en effet, parmi eux, qui, dans leurs perspectives d'avenir, considèrent déjà comme secondaires les formes liturgiques du. judaïsme et qui renoncent aux objets les plus sacrés du culte israélite : c'est ainsi que JEREMIE prévoit le jour où, non seulement il n'y aura plus d'arche d'alliance, mais où le temple de Jérusalem pourra disparaître comme celui de Silo (Jér., VII, 12, 15). — 2. Il est certain, d'autre part, que le monothéisme a depuis longtemps franchi les limites de la Judée, et il est permis de dire, sans exagération, que, si la religion chrétienne n'est pas devenue la religion de tout l'univers, elle est au moins répandue par tout l’univers et elle s'est implantée parmi les nations les plus civilisées. Avant de conclure, nous avons à nous demander si les oracles qui annonçaient le Messie remplissent les conditions de la prophétie proprement dite (Nos 172 et 173). Étaient-ils la prévision certaine et l'annonce de choses futures qui ne peuvent être connues par les causes naturelles? Il est facile de démontrer que les oracles messianiques avaient les caractères requis pour être de véritables prophéties. — a) Ils étaient d'abord des prédictions certaines, et non conjecturales. La preuve en est que l'attente messianique était générale, comme en témoignent les Évangiles et même les auteurs profanes : juifs et païens. — b) Ils étaient l'annonce de choses futures. Il est certain que les livres prophétiques existaient plusieurs siècles avant l'ère chrétienne, puisqu'ils se trouvent dans la version alexandrine des Septante commencée au IIIe siècle et terminée vers 130 avant Jésus Christ. Même les rationalistes qui contestent l'authenticité de la seconde partie d'Isaïe et reportent la prophétie de Daniel beaucoup plus tard, ne mettent pas en doute l'existence des livres prophétiques avant l'avènement de Jésus, et ils admettent que, du moins dans l'ensemble, ils ont été composés entre le IXe et le Ve siècle avant Notre-Seigneur. Les prophéties n'ont donc pas été forgées après coup. — 3. Ils étaient l'annonce de choses futures qui ne pouvaient être connues par des causes naturelles. Qu'il s'agisse du règne de Dieu lui-même ou du Roi qui devait en être le fondateur, aucune cause naturelle ne pouvait les faire entrevoir cinq siècles à l'avance. Conclusion. — Il est donc permis de conclure : — 1. qu'il y a dans l'Ancien Testament de véritables prophéties messianiques ; et — 2. que Jésus les a réalisées dans sa personne et dans son œuvre, si bien qu'on peut accepter cet adage connu de l'École : Novum Testamentum in Veteri latet. Vetus Testamentum in Novo latet. Il est bien vrai que le Nouveau Testament se trouve déjà en germe dans l'Ancien, et que l'Ancien à son tour ne s'explique que par le Nouveau.207 207
L'on remarquera que nous n'avons fait usage, dans l'argument prophétique, que des textes qui peuvent être entendus au sens littéral, mais il y en a beaucoup d'autres que l'exégèse chrétienne a toujours considérés comme formant des prophéties spirituelles ou figuratives, dominée qu'elle a toujours été « par ce principe que toute l'économie de la Loi était figurative de l'ordre futur, que les personnages, les institutions, les usages d'antan étaient des symboles, des types, des ombres, de ce qui devait se réaliser dans l'avenir... Les apologistes ont donc le droit de voir dans les interventions de Dieu au cours de l'histoire juive, le prélude des interventions futures et dans les grandes âmes de l'Ancien Testament les figures de celles du Nouveau, et en particulier de celle qui devait dominer
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252. — Objections. — 1° Certains rationalistes (KUENEN, DARMESTETER, J. REVILLE, LOISY) font appel à la doctrine de l'évolution pour dépouiller les prophéties de tout caractère surnaturel. Dans leur hypothèse, les prédictions dont nous avons parlé, s'expliqueraient par une évolution de la pensée dont ils marquent les différentes phases, à peu près comme il suit. A la première étape, ils signalent l’apparition soudaine du prophétisme, sortant d'une cause inconsciente, et se manifestant comme Un phénomène nouveau dans l'histoire d'Israël. Hommes transcendants, les prophètes parvinrent, par la supériorité de leur esprit, à la conception du monothéisme le plus pur, c'est-à-dire à la notion d'un Dieu unique, créateur et maître du monde. De là à reporter ces attributs sur leur Dieu à eux, sur Jéhovah, il n'y avait qu'un pas. Concevant donc leur Dieu comme le Dieu unique, créateur et maître du monde, ils passèrent facilement à cette idée que Jéhovah triompherait un jour partout, et qu'il serait adoré, non plus seulement dans le temple de Jérusalem, mais dans tout l'univers. Et puisque c'était leur Dieu qui devait triompher, il ne faut pas s'étonner que, par un développement normal de leur pensée, ils aient prédit que le soin d'établir le règne universel de Jéhovah reviendrait à Israël, et que, plus particulièrement, un descendant de la race de David serait chargé de cette mission. C'est ainsi, en flattant les vœux et les rêves de domination de leurs compatriotes, en leur montrant dans l'avenir le jour où ils seraient délivrés de leurs ennemis et domineraient eux-mêmes les autres nations, qu'ils exercèrent un si grand ascendant sur leurs contemporains. La pensée des prophètes a donc travaillé l'âme des Juifs ; elle y a fait naître cette grande espérance qu'on appelle l’idée messianique. Et comme les idées ont une tendance à se traduire dans les faits, il est arrivé qu'un jour il s'est trouvé un personnage qui s'est cru le Messie, et qui s'est attribué les titres et la mission indiqués par les oracles prophétiques. Réponse. — La thèse rationaliste qui prétend trouver dans l'évolution une explication très simple des prophéties messianiques, est fausse à son point de départ et à son point d'arrivée. 1. AU POINT DE DÉPART, elle suppose que l'origine du monothéisme s'explique par des causes naturelles. Or ceci est en contradiction avec les faits. — 1) Notons tout d'abord que les prophètes sont les premiers à avouer qu'ils n'exposent pas leur propre doctrine, mais ce qu'ils ont appris par révélation. Ainsi AMOS déclare qu'il a été envoyé par le Seigneur « comme prophète vers le peuple d'Israël » (Amos, VII, 15) ; JEREMIE dit que ses paroles sont celles de Dieu ( Jér., I, 2). Du reste, il suffit de les lire pour se convaincre aussitôt qu'ils n'argumentent pas comme des philosophes, mais qu'ils parlent en voyants et décrivent ce que Dieu leur manifeste. — 2) En dehors du propre témoignage des prophètes, le principe de l'évolution, c'est-à-dire la loi du déterminisme qui veut que les mêmes causes placées dans les mêmes conditions produisent les mêmes effets, n'explique pas pourquoi le peuple d'Israël seul a eu des prophètes, tandis que les peuples voisins, de même race, de même origine, de même toutes les autres, et dans les vieux rites mosaïques eux-mêmes l'ombre des augustes réalités dé l'ordre nouveau» (TOUZARD)
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climat comme les Iduméens, n'en ont pas eu, ou n'ont eu que des devins, qui n'avaient pas de plus grande importance que nos somnambules modernes. Le monothéisme des prophètes n'est donc pas explicable par une cause naturelle (V. N° 213).— 3) IL n'est pas plus juste de prétendre que les prophètes prirent un grand ascendant sur leurs contemporains parce qu'ils surent entrer dans leurs idées et flatter leurs rêves. En prêchant le monothéisme, ils allaient au contraire, contre leurs instincts charnels et leurs passions qui les entraînaient si souvent vers l'idolâtrie. En annonçant que le culte du vrai Dieu, de leur Dieu à eux, s'étendrait un jour à toutes les nations de l'univers, ils ne leur étaient pas plus agréables, tant il répugnait à ce peuple si particulariste et si exclusif, de partager ses privilèges avec les Gentils qu'il détestait. 2. LE POINT D'ARRIVÉE de la thèse rationaliste n'est pas plus solide. L'on soutient que l'idée messianique, une fois jetée dans la circulation par les prophètes, y a travaillé à la manière d'une idée-force qui s'est emparée des esprits, les a échauffés et y a produit une telle effervescence que l'idée a fini par se résoudre en fait. Or tout ceci est encore contraire à l'histoire. Le règne des prophètes n'a duré qu'un peu plus de quatre siècles ; leur voix qui annonçait l'établissement du royaume messianique s'est fait entendre du IXe au Ve siècle avant Jésus-Christ ; puis tout d'un coup elle s'est tue et, pendant quatre siècles, elle est restée muette. Il n'y a donc pas eu progrès, développement de l'idée, comme le voudrait la loi de l'évolution. Les rationalistes devraient donc nous expliquer comment le mouvement d'opinion, la marche de l'idée, le prophétisme, en un mot, s'arrête tout d'un coup pendant quatre cents ans, et ne reprend son évolution qu'à l'avènement de Jésus. Et non seulement l’idée ne progresse pas ; au lieu de se développer et de se préciser, elle dévie de la pensée des prophètes. Ceux-ci avaient parlé d'une religion de l'avenir plus spirituelle et plus élevée, d'un culte du cœur où l'amour de Dieu et de la justice tiendraient une plus large place, et pendant quatre siècles, les Juifs se cantonnent dans un ritualisme étroit, dans une foule d'observances mesquines qui faussent les conceptions prophétiques. Les prophètes avaient annoncé le règne universel de Dieu, et les Juifs pratiquent, comme nous l'avons dit plus haut, un exclusivisme jaloux, ne traitant pas avec les autres peuples, les méprisant et en étant méprisés, s'attachant à la partie matérielle des prophéties, au point qu'ils ne surent jamais y renoncer, pas même lorsque l'espérance messianique se présenta devant eux comme un fait accompli. Concluons donc que la théorie de l'évolution ne rend pas compte de l'existence des prophéties messianiques, et que la seule explication qui reste valable c'est la révélation divine. 253. — 2° Mais si tant est, objectent encore les rationalistes, qu'il y a eu des prophéties messianiques, elles ne se sont pas réalisées. Les Juifs n'ont connu ni la félicité temporelle ni le rétablissement du royaume d'Israël que les prophètes leur avaient prédits. Tout au contraire, ils ont vu la destruction de leur temple, la ruine de Jérusalem et leur dispersion à travers le monde. Réponse. — Il convient de distinguer dans les prophéties un double élément : l'élément spirituel et l'élément matériel. — a) Que l'élément spirituel qui tenait la première place se soit réalisé, c'est ce que nous avons déjà démontré (N° 251). — b)
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Quant à l’élément temporel, il apparaît au premier abord que les prophéties ont été mises en défaut ; il n'en est rien cependant. Car : — 1. les promesses de prospérité matérielle et nationale ne formaient qu'un élément secondaire dans l'espérance messianique et n'avaient d'autre but que de servir de cadre à l'élément spirituel. I1 fallait bien que Dieu accommodât ses révélations à la mentalité de ses destinataires. La part excessive que les Juifs firent dans leurs conceptions à l'élément temporel prouve bien qu'ils n'auraient jamais consenti à être les propagateurs du culte de Jahvé, s'ils n'avaient espéré en même temps la restauration de leur royaume temporel. — 2. De plus, il faut remarquer que les promesses de Dieu concernant la félicité terrestre et le rétablissement du royaume d'Israël, ont toujours été conditionnelles. Les prophètes n'ont jamais cessé de lier l'avenir temporel des Juifs à leur fidélité à Jahvé. Il n'y a plus dès lors à s'étonner si les Juifs, persévérant dans leur endurcissement et leur orgueil, s'obstinant à ne pas vouloir reconnaître le Messie, ont été privés du bénéfice des promesses matérielles dont le rôle était accessoire. 254. — 3° Si les prophéties avaient été claires, les Juifs n'auraient pas refusé en si grand nombre de reconnaître le Messie qu'ils attendaient. Réponse- — Remarquons d'abord que, si Jésus n'avait pas été persécuté et rejeté par les siens, s'il n'avait pas été mis à mort par eux, — bref, s'il avait été reconnu par le peuple juif, — il ne serait pas le Messie, puisque les oracles messianiques qui annonçaient ces différents points, ne se seraient pas réalisés. Malgré cela, l'on a toujours le droit de se demander comment les Juifs ont pu se tromper en si grand nombre sur l'interprétation des prophéties, et comment il se fait que les uns se sont convertis au christianisme, tandis que les autres se sont obstinés dans le judaïsme. — « Les Israélites, dit l'abbé DE BROGLIE, qui ont résisté à la lumière de l'Évangile, ceux qui n'ont pas voulu recevoir le Messie, s'étaient attachés d'avance à la conception d'un royaume temporel ; ils s'y étaient tellement attachés qu'ils ne voulaient point s'en déprendre. Ils tinrent à cette conception au point de tout sacrifier, et, dès qu'ils virent que le Sauveur s'écartait de leur pensée, ils le rejetèrent. Les Apôtres, au contraire, et les premiers disciples du Christ, avec cette même conception, avaient l'esprit plus simple, plus soumis et plus docile. Ils avaient reconnu en Jésus-Christ le caractère du Messie ; et saisis d'admiration par sa sainteté, par sa sagesse, par ses œuvres incomparables, certains qu'il était le Fils de Dieu, ils sacrifièrent leur propre pensée à son enseignement. Ils se dirent : « Voilà comment nous comprenions les prophéties, mais peut-être nous nous trompions. Et, avec répugnance, sans doute avec peine, en sacrifiant leur propre jugement, ils acceptèrent dans leur vrai sens les paroles de Notre-Seigneur. Ils avaient résisté d'abord : ils se soumirent et l'événement leur donna raison. »208 208
« N'est-ce pas ce qui se passe encore de nos jours ? continue l'abbé DE BROGLIE (Les prophéties messianiques, seconde conférence). Que de difficultés, que d'objections contre la foi sont venues de ce que, pareils en cela aux Juifs obstinés, nous nous étions fait de la religion une conception qui n'était pas la conception de Dieu I Bien des personnes avaient rêvé une Église dégagée de tout lien terrestre ; lorsqu'elles ont vu qu'afin de pourvoir aux besoins des ministres et du culte on demandait de l'argent, elles ont abandonné une société qui ne répondait pas à leur idéal. D'autres ont imaginé une Église dont la sainteté exclurait de ses adeptes et de ses ministres toute faute, toute imperfection. Là où ils rencontrent le moindre scandale, ils ne reconnaissent plus l'Église et ils s'en vont.
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BIBLIOGRAPHIE. — TOUZARD, art. La religion juive (Dict. d'Alès) ; Sur l'étude des prophètes de l’Ancien Testament (Rev. pr. d'Ap. 1907-1908) ; L'argument prophétique (Bloud). — Abbé DE BROGLIE, Questions bibliques ; Les prophéties messianiques (Bloud). — S. PROTIN, L'argument prophétique (Rev. Augustinienne, 15 octobre 1909). — Mgr PELT, Histoire de l'Ancien Testament (Lecoffre). — Mgr MEIGNAN, Les Prophètes d'Israël et le Messie. — CONDAMIN, Le livre d'Isaïe (Lecoffre). — LAGRANGE, Le Messianisme chez les Juifs (Gabalda). — LE HIR, Les prophètes d'Israël. — Mgr FREPPEL, La divinité de Jésus-Christ (Palmé). — Abbé FREMONT, La divinité de Jésus-Christ et la libre-pensée (Bloud). —HUGUENY, Critique et catholique (Letouzey). — BOSSUET, Discours sur l'Histoire universelle, 2e partie, chap. IV. — LACORDAIRE, 41e conférence. — MONSABRE, Introduction au dogme catholique, 16e et 17e conférences. —A. NICOLAS, Études philosophiques sur le christianisme, t. II (Vaton). — TANQUEREY, Théologie fondamentale. — VALVEKENS, Foi et raison (de Meester). CHAPITRE IV. — Jésus a confirmé son affirmation par ses prophéties, par ses miracles et par sa Résurrection. DÉVELOPPEMENT Division du Chapitre. Pour prouver qu'il disait vrai lorsqu'il affirmait qu'il était le Messie (voir chapitre II), Jésus ne s'est pas borné à réaliser en sa personne et en son œuvre les prophéties de l'Ancien Testament ; il a voulu encore appuyer sa parole par des signes propres à authentiquer sa mission et à en démontrer l'origine divine. Ces signes sont : 1° les prophéties ; 2° les miracles ; et 3° le miracle suprême de sa résurrection. Nous traiterons ces trois points dans les trois articles qui suivent. Art. I. — Jésus a confirmé son affirmation par ses prophéties. Trois choses sont nécessaires pour que les prophéties de Jésus aient la valeur d'un signe confirmatif de son affirmation. Il faut : 1° que les prédictions qu'il a faites se « Pour d'autres, c'est la Providence qui est en cause. Dieu est juste : donc il doit châtier les méchants, il doit récompenser les bons. S'il ne le fait pas immédiatement, Dieu a tort, il n'y a pas de Dieu. « Ou bien : Dieu est bon, donc il ne doit imposer aux hommes qu'une certaine mesure d'épreuves. Si la mesure leur parait dépassée, Dieu n'est pas bon, et, en conséquence, Dieu n'est pas. C'est imiter la conduite des Juifs, c'est se former soi-même une certaine conception de Dieu, de sa Providence, de sa religion et de son Église, s'obstiner dans cette conception, et tout lui sacrifier. Et, s'il arrive que Dieu ne se plie pas à nos désirs, a notre conception, on donne tort a Dieu. Qu'ont fait les Apôtres? Ils ont reconnu, ils ont senti, à un certain jour, que Jésus-Christ était le Messie, et dès qu'ils eurent reconnu cette autorité divine du Messie, ils se remirent entre ses mains. Ils ont accepté tout ce qu'il voulait, même ce qui leur répugnait le plus et qu'ils comprenaient le moins, même l'idée que le roi glorieux d'Israël, le fils de David qui devait régner sur les douze tribus, et sur toutes les nations, serait cloué sur un gibet. » Bien que ce passage soit indépendant de l'argument prophétique, il nous a paru intéressant de le citer à cause de son caractère apologétique d'application quotidienne.
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soient réalisées ; 2° que ces prédictions remplissent les conditions de la vraie prophétie ; et 3° qu'elles aient été faites en confirmation de sa parole, ou si l'on veut, de la vérité de sa mission. § 1. — JÉSUS A FAIT DES PRÉDICTIONS QUI SE SONT RÉALISÉES. 255. — Tous les Évangélistes sont d'accord pour attribuer à Jésus le don de prophétie, la faculté de deviner les secrets des cœurs et de lire dans l'avenir. D'après, leur commun témoignage, Jésus a fait des prophéties relatives : — 1° à lui-même ;. — 2° à ses disciples ; — 3° aux destinées de l'Église et des Juifs ; — 4° à la ruine de Jérusalem et du temple et à la fin du monde. 1° Relativement à lui-même. — Jésus a prédit sa passion, sa mort et sa résurrection. Un jour qu'il allait à Jérusalem avec ses douze Apôtres, « il se mit à leur dire ce qui devait lui arriver : Voici que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l'homme sera livré aux princes des prêtres, et aux scribes, et aux anciens ; ils le condamneront à mort, et ils le livreront aux Gentils ; et ils l'insulteront, et cracheront sur lui, et le flagelleront, et le feront mourir, et il ressuscitera le troisième jour (Marc, X, 32, 34). Il est superflu de prouver, par le témoignage des Évangélistes qui rapportent la Passion, le crucifiement et la Résurrection de Jésus, que ces prédictions se sont réalisées à la lettre. 256. — 2° Relativement à ses disciples. — Jésus a prédit la trahison de Judas, la fuite des Apôtres et le triple reniement de Pierre. Au cours de la célébration de la Cène, Jésus annonce ainsi ce qui doit arriver : « Et pendant qu'ils mangeaient, il dit : En vérité, je vous le dis, l'un de vous trahira ... Vous serez tous scandalisés cette nuit à mon sujet. Car il est écrit : Je frapperai le pasteur, et les brebis du troupeau seront dispersées. Mais après que je serai ressuscité, je vous précéderai en Galilée. Pierre, prenant la parole, lui dit : Quand même tous seraient scandalisés à votre sujet, moi je ne serai jamais scandalisé. Jésus lui dit : En vérité, je te le dis, cette nuit même, avant que le coq chante, tu me renieras trois fois (Mat., XXVI, 21, 31-34). — Jésus annonce aux Apôtres les persécutions qui les attendent, « Mettez-vous en garde contre les hommes : car ils vous livreront aux tribunaux, et ils vous flagelleront dans leurs synagogues, et vous serez traduits à cause de moi, devant les gouverneurs et devant les rois, pour servir de témoignage à eux et aux nations. » (Mat., X, 17, 18). — Jésus prédit à Pierre son futur martyre, et lui annonce « par quelle mort il devait glorifier Dieu. » (Jean, XXI, 18, 19). — Que l'avenir ait réalisé ces prédictions, les événements sont trop connus pour qu'il soit nécessaire d'insister. 257, — 3° Relativement aux destinées de l'Église et des Juifs. — a) DESTINÉE DE L'ÉGLISE. — Jésus annonce : — 1. La descente du Saint-Esprit sur les Apôtres et l'admirable propagation de l'Église. Avant son Ascension, il leur dit : « Vous recevrez la force du Saint-Esprit qui descendra sur vous et vous serez mes témoins à Jérusalem, et dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre. » (Actes, I, 8). Ainsi Jésus prédit que le Royaume de Dieu qui a des débuts si humbles, ira grandissant, tel l'imperceptible grain de sénevé qui peu à peu devient un grand arbre
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(Mat., XIII, 32). — 2. Il promet à son Église l’indéfectibilité. Il dit, en effet, à Pierre : « Je te dis que tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle. » (Mat., XVI, 18). L'histoire en main, il serait facile d'établir que l'Église a eu jusqu'ici les destinées que Jésus lui avait prédites. — b) DESTINÉE DES JUIFS. Jésus prédit le rejet de la synagogue et le châtiment des Juifs. A cause de leur endurcissement dans le mal, les Juifs seront exclus du royaume ; leurs places seront prises par les Gentils : tel est bien le sens des deux paraboles des vignerons rebelles et des noces royales (Mat., XXI, 33 et suiv. ; XXII, 2, 14). Aucun doute encore sur la réalisation de ces prophéties. 258. — 4° Relativement à la ruine de Jérusalem et du temple, et à la fin du monde. — Les trois premiers Évangélistes nous rapportent une double prédiction de Jésus à propos de la ruine de Jérusalem et de la destruction de son temple, et à propos de la fin du monde (Mat, XXIV ; Marc, XIII ; Luc, XXI) ; et quand ses disciples lui demandent « quand ces choses arriveront et quels signes il y aura » de son « avènement », « et de la consommation des siècles » (Mat, XXIV, 3), Jésus répond en indiquant un certain nombre de signes auxquels on pourra reconnaître la proximité de ces événements, — Or si nous ne pouvons rien dire encore sur la réalisation des signes indiqués pour la fin du monde, il est certain que la prophétie sur la destruction de Jérusalem et du temple s'est vérifiée au moment de la prise de Jérusalem par Titus, en l'an 70. § 2 — LES PREDICTIONS DE JESUS SONT DE VRAIES PROPHETIES. OBJECTION. 259. — 1° Les prédictions de Jésus sont de vraies prophéties. — Les prédictions dont nous venons de parler remplissent toutes les conditions de la prophétie. Elles sont, en effet : — a) des prédictions certaines, et non conjecturales. Elles annoncent des événements d'une façon claire, et non ambiguë : ainsi, Jésus prédit, non seulement sa mort prochaine, mais les circonstances qui doivent la précéder ; — b) des prédictions de choses futures. Pour dire le contraire, il faudrait prétendre que les Évangélistes auraient fabriqué les prophéties après coup, qu'ils seraient des imposteurs et que leur témoignage n'est pas digne de foi. Or nous avons établi précédemment qu'ils sont des historiens sincères et que leur témoignage, considéré du seul point de vue humain, est recevable ; — c) des prédictions de choses futures qui ne pouvaient être connues par des causes naturelles: il s'agissait d'événements qui dépendaient de la liberté humaine, de futurs contingents que Dieu seul pouvait connaître. Les rationalistes objectent, il est vrai, que Jésus, connaissant, d'une part, la haine et la jalousie des Pharisiens, et de l'autre, la timidité de ses Apôtres, pouvait parfaitement prévoir qu'il serait mis à mort par ses adversaires et abandonné par les siens. Dans une certaine mesure, l'hypothèse est admissible, mais si, à la rigueur, Jésus pouvait prévoir sa condamnation et la lâcheté de ses disciples, il ne pouvait pas connaître les détails de sa passion et de sa mort. En dehors de là, comment Jésus aurait-il pu conjecturer les admirables destinées de son Église et la ruine de Jérusalem et du temple?
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260. — 2° Objection. — A cette dernière prédiction les rationalistes et les modernistes objectent deux choses. — a) D'un côté, ils prétendent que la prophétie sur la ruine de Jérusalem est l’œuvre des Évangélistes qui, écrivant après l'événement, attribuèrent à Jésus une prédiction qu'il n'avait jamais faite. — b) De l’autre, s'appuyant sur ce passage : « En vérité, je vous le dis, cette génération ne passera point que toutes ces choses n'arrivent» (Mat., XXIV, 34), et soutenant qu'il s'applique à la fin du monde dont il venait d'être question, ils déclarent que Jésus a commis une erreur manifeste, puisqu'il a donné la fin du monde, ainsi que son glorieux avènement ou parousie209, comme des faits imminents et dont la génération à laquelle il s'adressait devait être témoin. Réponse. — Ne dissimulons pas que les passages qui rapportent la double prédiction de Jésus sur la ruine de Jérusalem et sur la fin du monde sont de ceux dont l'exégèse est loin d'être facile. — a) Quant à la première attaque qui porte sur l’ensemble du passage et qui accuse les Evangélistes d'avoir forgé eux-mêmes la prophétie, elle ne résiste pas à l'examen. On ne saurait prétendre que nous sommes on présence de prédictions faites après coup, car il y a dans les récits un tel enchevêtrement de faits, une confusion de choses qui ne se comprendrait pas si la rédaction avait été faite après l'événement. Si les Évangélistes avaient écrit après la ruine de Jérusalem, ils auraient distingué mieux entre la ruine de Jérusalem et la fin du monde, et ils auraient indiqué avec plus de clarté l'événement dont ils donnaient les signes précurseurs. — Par ailleurs, l'historien EUSEBE (Hist. eccl., III, 5, 3) nous apprend que les chrétiens de la Judée se souvinrent de la prédiction de Jésus, lorsqu'ils virent les Romains s'approcher, qu'ils s'enfuirent en grand nombre à Pella, de l'autre côté du Jourdain, et qu'ils échappèrent ainsi aux horreurs de l'invasion. b) Quant à la seconde attaque des rationalistes et des modernistes qui prétendent que Jésus a donné la fin du monde comme imminente, et que par conséquent il a commis une erreur, elle n'a pas plus sa raison d'être. Sans doute il y aurait erreur si les paroles de Jésus « cette génération ne passera pas que ces choses n'arrivent», s'appliquaient à la fin du monde, mais il n'en est pas ainsi. C'est en effet une règle élémentaire d'exégèse que les passages obscurs doivent être interprétés d'après les autres plus intelligibles. Or, dans le même discours, Jésus déclare que le jour du jugement n'est connu de personne, sauf de Dieu (Mat., XXIV, 36) ; il déclare, en outre, qu'avant la fin du monde l'Évangile doit être prêché dans le monde entier, et à toutes les nations (Mat., XXIV, 14). Voilà donc deux passages qui, dans l'hypothèse rationaliste, seraient en contradiction flagrante avec la première prédiction. Est-il admissible que, d'un côté, Jésus affirme que la fin du monde est proche, quand, de l'autre côté, il déclare qu'il n'en connaît pas l'époque et qu'elle n'aura pas lieu avant que l'Évangile soit prêché dans le monde entier c'est-à-dire avant un laps de temps forcément de grande étendue. Il s'ensuit que ces paroles « Cette génération ne passera pas... » doivent s'entendre de la destruction de Jérusalem, et non de la fin du monde et de son glorieux avènement.
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Le mot parousie (du grec « parousia » présence) est synonyme d'avènement (adventus, venue). Tous les deux désignent le glorieux avènement de Jésus-Christ aux derniers jours du monde.
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Concluons avec le P. LEMONNYER que : « ni Jésus n'a annoncé, ni les Synoptiques ne lui font dire que son avènement glorieux et la fin du monde se produiront du vivant de ceux qui l'écoutaient ou même dans un avenir prochain. Peut-être cependant quelquesunes de ses paroles, mal comprises des premiers chrétiens, ont-elles contribué, sous l'action d'idées et de sentiments où Jésus n'était pour rien, à former l'état d'esprit que les écrits apostoliques nous révèlent touchant la parousie... Il reste simplement ceci, que Jésus n'a pas cru nécessaire de mettre au point, par des déclarations précises et tout à fait claires, les préoccupations eschatologiques de ses disciples immédiats... L'on dirait qu'il s'est appliqué à les mettre dans une complète et vive incertitude touchant la date, lointaine ou toute proche, de son retour, multipliant à la fois les appels à la vigilance et à la fidélité. » (Art. Fin du monde. Dict. d'Alès.)210 § 3. — LES PREDICTIONS DE JESUS ONT ETE FAITES POUR CONFIRMER SA PAROLE. 261. — Les prophéties faites par Jésus sont en connexion étroite avec sa mission. C'est pour prouver l'origine divine de celle-ci, et par conséquent, la vérité de son affirmation, que Jésus prophétise. Plusieurs fois il en fait la déclaration formelle à ses Apôtres. Ainsi, après avoir prédit la trahison de Judas, il déclare : « Dès maintenant, je vous le dis, avant que la chose arrive, afin que, lorsqu'elle sera arrivée, vous croyiez à ce que je suis. »(Jean, XIII, 19). de même, après leur avoir annoncé les persécutions qui les attendent, il ajoute : « Je vous ai dit ces choses, afin que. lorsque l'heure en sera venue, vous vous souveniez que je vous les ai dites. » . (Jean, XVI, 4). Comme on le voit, Jésus indique clairement le but qu'il se propose par ses prophéties: il veut que les Apôtres croient plus fermement à sa parole et à son origine divine, lorsqu'ils verront ses prédictions se réaliser. Conclusion.— Il est donc permis de conclure que Jésus a fait des prédictions qui se sont réalisées, que ces prédictions avaient tous les caractères de la vraie prophétie et qu'il les a faites dans le but de prouver sa mission divine. Donc il est un Envoyé divin. Art. II. — Jésus a confirmé son affirmation par ses miracles. 210
Pour l'interprétation des textes de saint PIERRE (I Pet., I, 6 ; II Pet., III, 9, 15) et de saint PAUL (I Thess., IV, 15-17 ; II Thess., I, 6, 7 ; I Cor., VII, 29-31 ; IV, 51, 53 ; Rom., XIII, 11, 12 ; Heb., X, 25, 37) qui semblent annoncer le jour de la Parousie comme prochain, la Commission Biblique, dans sa décision du 18 juin 1915, a énoncé les principes suivants : 1er Principe. — Pour résoudre les difficultés qui se rencontrent dans les épîtres de saint Paul et des autres apôtres où il est question de la Parousie, c'est-à-dire du second avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ, il n'est pas permis à un exégète catholique d'affirmer que les Apôtres, bien que sous l'inspiration du Saint-Esprit ils n'enseignent aucune erreur, émettent néanmoins leurs propres opinions tout humaines ou peut se glisser l'erreur ou l'illusion. 2e Principe. — L'apôtre saint Paul n'a absolument rien dit, dans ses écrits, qui ne concorde parfaitement, en ce qui concerne l'époque de la Parousie, avec cette ignorance dont le Christ a dit qu'elle était commune à tous les hommes. 3e Principe. — Quand saint Paul a écrit : « Nous les vivants qui sommes restés » (I Thess., IV, 15), il n'a voulu, en aucune façon, affirmer une Parousie tellement prochaine qu'il se soit rangé, lui et ses lecteurs, au nombre des fidèles qui seront alors vivants et iront au devant du Christ... (V. L'Ami du Clergé, 6 mai 1920)
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Nous suivrons ici la même marche que dans l'article précédent. Trois choses sont nécessaires pour que les miracles attribués à Jésus-Christ aient la valeur d'un signe divin. Il faut : 1° qu'ils soient historiquement certains ; 2° qu'ils soient de vrais miracles ; 3° qu'ils aient été accomplis en confirmation de sa mission. § 1. — LES MIRACLES ATTRIBUES A JESUS-CHRIST SONT HISTORIQUEMENT CERTAINS. 262. — La certitude des miracles attribués à Jésus ressort de la valeur historique des Évangiles qui les rapportent. Il a été établi précédemment (Nos 223 et suiv.) que les Évangélistes sont dignes de foi et que leur autorité humaine est indiscutable : les écrivains sacrés étaient à la fois bien informés et sincères ; bien informés, puisque deux d'entre eux, saint Matthieu et saint Jean étaient des Apôtres, et partant, des témoins oculaires ; sincères, la chose ne prête plus à discussion à notre époque, aucun critique ne prenant les Évangélistes pour des imposteurs. Qu'on ne prétende pas que les miracles soient des interpolations qu'on aurait introduites après coup dans les récits évangéliques. Il ne faut pas lire longtemps les Évangiles pour être convaincu du contraire. Que les miracles appartiennent à la substance même de l’histoire évangélique, cela résulte : — a) de la place considérable qu'ils tiennent dans les Évangiles. S'il ne s'agissait que de deux ou trois miracles, on pourrait, à la rigueur, admettre qu'ils auraient été ajoutés par la suite, mais comme ils dépassent la quarantaine, l'hypothèse de l'interpolation est absolument invraisemblable ; — b) du rôle qui leur est attribué dans l'histoire évangélique. Retrancher les miracles des Évangiles, c'est rejeter l'histoire du Christ Les miracles sont une partie si essentielle des Évangiles que ceux-ci, sans eux, deviennent incompréhensibles. Ce sont les miracles qui expliquent la foi des Apôtres et de beaucoup de Juifs : ainsi, il est dit, que, après le miracle de Cana, « ses disciples crurent en lui » (Jean, II, 11),que «pendant qu'il était à Jérusalem pour la fête de Pâque, beaucoup crurent en son nom, voyant les miracles qu'il faisait » (Jean, II, 23). Le jour de la Pentecôte, saint Pierre, s'adressant au peuple, rappelle les miracles accomplis par Jésus (Actes, II, 22). Or comment saint Pierre aurait-il osé en appeler aux miracles de Jésus, s'ils avaient pu être mis en doute par ses auditeurs? Au reste, ni les Juifs contemporains du Christ, ou postérieurs, qui ont écrit dans le Talmud211, ni les païens adversaires de la religion chrétienne : Celse, Porphyre, Hiéroclès, Julien et autres, n'ont rejeté la réalité des miracles de Jésus. Ces derniers se sont contentés de les attribuer à la magie et à un commerce avec les démons ; ils ont repris à leur compte l'accusation des Pharisiens, à savoir que, si Jésus chassait les démons, c'était par Belzébuth, prince des démons (Mat., XII, 24). Devant la notoriété publique des miracles et la non-protestation des
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Le mot « Talmud » est le nom sous lequel les Juifs désignent l'ensemble des doctrines et préceptes enseignés par leurs docteurs les plus autorisés. Le Talmud représente donc la tradition, juive, et il est pour nous une excellente source de renseignements pour l'histoire du judaïsme postérieur à JésusChrist.
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Juifs, ils n'ont pas osé dire que c'étaient là des fables inventées par l'imagination fertile des Évangélistes. § 2. — LES MIRACLES OPERES PAR JESUS-CHRIST SONT DE VRAIS MIRACLES, 263. — 1° Les miracles. — Nous laisserons de côté les miracles opérés par Dieu en faveur de Jésus : apparition des Anges aux bergers, apparition d'une étoile aux Mages lors de sa naissance ; témoignage rendu à l'occasion de son baptême et de sa transfiguration, etc. Nous ne parlerons que des miracles que Jésus-Christ a accomplis lui-même pour prouver la divinité de sa mission. Or les miracles qui font partie de la matière évangélique, — plus de quarante, comme il a été dit plus haut, — peuvent être divisés en trois classes. Il y a : — a) les miracles opérés sur les substances spirituelles ; autrement dit, la délivrance des possédés. Jésus a chassé les démons ; les Évangiles nous rapportent sept miracles de ce genre ; — b) les miracles opérés sur les éléments et les êtres privés de raison. Dans cette catégorie, il faut ranger : — 1. le miracle du changement de l'eau en vin aux noces de Cana (Jean, II, 1-11) ; — 2. la tempête du lac apaisée (Mat., VIII, 24, 26) ; — 3. deux pêches miraculeuses (Luc, v, 1, 11 ; Jean, XXI, 3, 11) ; — 4. la multiplication des pains (Mat., XIV, 15, 21 ; Marc, VI, 30, 44 ; Luc., IX, 10, 17 ; Jean, VI, 1, 15) ; — 5. le figuier desséché (Lue, XIII, 6-9) ; — 6. la marche de Jésus sur les flots (Mat., XIV, 25) ; — c) les miracles opérés sur les hommes. Les Évangélistes ne relèvent pas moins de quinze guérisons de maladies corporelles : guérisons de lépreux, de paralytiques, du serviteur du centurion qui a la main desséchée, d'hydropiques, de sourds-muets et d'aveugles. Outre ces guérisons de maladies, Jésus a ressuscité trois morts : le fils de la veuve de Naïm, la fille de Jaïre et Lazare. 264. — 2° Ce sont de vrais miracles- — Après avoir jeté un rapide coup d’œil sur les miracles rapportés dans les Evangiles, il nous faut établir que ces faits sont bien des miracles proprement dits, c'est-à-dire des faits surnaturels et divins. A. CE SONT DES FAITS SURNATURELS. — Rappelons d'abord ce que nous avons dit plus haut, à savoir que les contemporains du Christ et ses premiers adversaires païens n'ont pas contesté l'apparence surnaturelle des miracles. — Sans doute, disent nos modernes rationalistes, mais leur méprise n'a pas d'autre cause que leur ignorance totale des lois de la nature Au dire de ces derniers, les prodiges en question s'expliquent donc par des causes naturelles: — a) soit par l'habileté et l'influence morale du thaumaturge : « La présence d'un homme supérieur traitant le malade avec douceur, et lui donnant par quelques signes sensibles l'assurance de son rétablissement, est souvent un remède décisif. Qui oserait dire que, dans beaucoup de cas et en dehors des lésions tout à fait caractérisées, le contact d'une personne exquise ne vaut pas les ressources de la pharmacie ? Le plaisir de la voir guérit. Elle donne ce qu'elle peut, un sourire, une espérance, et cela n'est pas vain. » Ainsi parle RENAN dans la Vie de Jésus (2e éd., p. 260); — b) soit par la suggestion et l'hypnotisme ; — c) soit par la « foi qui guérit » the faith-healing, comme disent les Anglais. Cette dernière hypothèse est celle à laquelle se rallient de préférence beaucoup de nos adversaires actuels, et en particulier les modernistes (Ed. LE ROY, FOGAZZARO...), du moins pour les faits dont
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ils reconnaissent la réalité. Comprenant bien, en effet, que tous les miracles ne sont pas explicables par la foi, ils n'admettent la réalité historique que des faits qui peuvent s'expliquer par cette hypothèse. Pour prouver le bien-fondé de leur théorie, ils s'appuient surtout sur ce fait qu'avant de guérir les maladies, Jésus requiert la foi : « Si tu peux croire, tout est possible à celui qui croit (Marc, IX, 22), dit Jésus au père d'un jeune épileptique qui lui demande la guérison de son fils. « Ma fille, ta foi t'a guérie » (Marc, V, 34), dit-il à l'hémorroïsse. « Va, ta foi t'a sauvé » (Marc, X, 52), dit-il encore à l'aveugle de Jéricho. Aucune des explications qui précèdent ne suffit à rendre compte de l'ensemble des miracles contenus dans l'Évangile. Nous disons de l'ensemble des miracles, car, ou bien l?on admet la valeur historique des Évangiles, ou bien on la rejette. Si on la rejette, si l'on considère la partie miraculeuse comme mythique ou légendaire, toute discussion devient inutile. Mais si on l'admet, il n'y a aucune raison qui permette de faire un choix entre les miracles et de retenir tel miracle plutôt que tel autre. Ceci posé, nous prétendons que les miracles ne s'expliquent : — a) ni par l'habileté et l'influence morale du thaumaturge. Tout d'abord on ne saurait prendra Jésus pour un adroit metteur en scène : tout ce que nous savons de son caractère s'y oppose. Et puis, quoique habile que soit une personne, quelque influence morale qu'elle ait sur une autre, il va de soi qu'elle ne pour rendre la vue à un aveugle, l'ouïe à un sourd et la parole à un muet ; — b) ni par la suggestion et l'hypnotisme. Nous avons vu déjà (N° 168) que la suggestion a des limites très étroites par rapport aux sujets et aux affections qu'elle peut guérir. Elle est sans efficacité sur les maladies organiques, telles que la lèpre, l'atrophie, la cécité, l'hémorragie habituelle. On ne voit pas bien non plus l'influence que la suggestion pourrait avoir sui les vents déchaînés ni comment elle pourrait calmer soudain une tempête. Ajoutons on outre que le Christ opère ses miracles instantanément ; ce qui n'arrive jamais dans les guérisons dues à l'hypnotisme et à la suggestion qui exigent et le temps et l'emploi des moyens ;, — c) ni par la foi qui guérit. Il est faux de prétendre que Jésus requiert toujours la foi : il l'exige, il est vrai, de ceux qui viennent lui demander la guérison, et ce n'est que trop juste ; mais il ne l'exige pas, dans toutes les circonstances, du malade lui-même ; la preuve en est que plusieurs fois il accomplit ses miracles à distance, comme il arriva pour la Cananéenne. On ne peut donc soutenir que la foi des malades fut toujours la cause de leur guérison. En outre, l'hypothèse de la foi qui guérit ne pour s'appliquer qu'à un nombre très restreint de cas ; elle est sans valeur pour tous les mi-racles opérés sur la nature : elle ne rend compte ni des tempêtes apaisées, ni des pains multipliés, ni des morts ressuscités. Aussi les partisans de cotte théorie se voient-ils contraints, comme nous l'avons dit plus haut, de faire un choix arbitraire dans les matériaux fournis par l'histoire évangélique, et de rejeter, contrairement aux règles de la méthode historique, tous les faits qui sont on opposition avec leurs préjugés philosophiques. B. CE SONT DES FAITS DIVINS. — a) Nous venons de prouver que les miracles attribués à Notre-Seigneur sont au-dessus de la nature ; il n'est pas nécessaire d'insister longuement pour montrer qu'ils ne sauraient être l'œuvre du démon. Car il est. évident que la plupart dépassent la puissance de tout être créé ; toiles sont, par exemple, les trois résurrections que Jésus a opérées, sans parler de la sienne. — b) Si Jésus avait usé de la puissance du démon, il ne l'aurait pas utilisée assurément à chasser les démons ;
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il n'est pas admissible que Satan se mette en opposition lui-même. — c) Mais comment admettre que Jésus-Christ dont la sainteté est au-dessus de tout soupçon, ait pu servir d'agent au démon? D'ailleurs tous ses miracles ont un caractère moral ; ils sont des œuvres de bonté et de miséricorde212, ils ont souvent pour fin dernière la sanctification de l'âme plutôt que la guérison du corps : autant de propriétés que ne pourraient pas avoir les œuvres de Jésus, si elles dérivaient de la puissance diabolique. Conclusion. — De ce qui précède nous avons le droit de conclure que les prodiges attribués à Notre-Seigneur sont de vrais miracles. D'où il suit qu'il faut reconnaître en Jésus l'existence d'une force surhumaine, transcendante, surnaturelle. Ceux qui n'acceptent pas la conclusion sont obligés de rejeter les faits eux-mêmes et de contester la valeur historique des Évangiles : c'est là une nécessité à laquelle ils se trouvent acculés mais dont ils ont à fournir l'explication. § 3. — LES MIRACLES ONT ETE FAITS PAR JESUS POUR CONFIRMER SA MISSION. 265. — A. Jésus ne se contente pas d'affirmer qu'il est le Messie ; il entend le prouver par ses œuvres et particulièrement par ses miracles. — a) Aux envoyés de JeanBaptiste qui lui demandent s'il est le Messie, il renvoie à ses miracles (Mat., XI, 5). — b) Aux Juifs qui lui posent la même question, il répond : « Les œuvres que je fais au nom de mon Père rendent elles-mêmes témoignage de moi» (Jean, X, 25). — c) Avant la résurrection de Lazare, il déclare que le miracle qu'il va accomplir, c'est pour que le peuple qui l'entoure croie à sa mission (Jean, XI, 42). B. Les miracles de Jésus ne furent d'ailleurs pas interprétés autrement par tous ceux qui en ont été les témoins. — a) Par ses disciples. Nous avons dit précédemment qu'ils crurent en lui à partir et à cause du miracle de Cana ; — b) par Nicodème, qui le confesse on ces termes : « Maître, nous savons que vous êtes venu de la part de Dieu comme docteur ; car personne ne peut faire les miracles que vous faites, si Dieu n'est pas avec lui» (Jean, III, 2) ; — c) par l'aveugle-né qui croit en Jésus après sa guéri-son (Jean, IX, 38) ; — d) par les foules en général « qui étaient dans l'admiration et disaient : N'est-ce point là le fils de David? » (Mat., XII, 23). Conclusion. — Les miracles évangéliques sont donc des miracles historiquement certains ; ils sont de vrais miracles et ils ont été faits pour démontrer que Jésus était un Envoyé de Dieu. Si par conséquent cet Envoyé de Dieu nous dit qu'il est le Messie, et plus, qu'il est le Fils de Dieu, dans le sens propre du mot, sa parole est digne de foi, car il est inadmissible que Dieu ait consacré par sa puissance la parole d'un imposteur. Art. III. — Jésus a confirmé son affirmation par sa Résurrection.
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« Ce ne sont point des signes dans le ciel, tels que les Juifs les demandaient... Tous ces miracles tiennent plus de la bonté que de la puissance, et ne surprennent pas tant les spectateurs, qu'ils les touchent dans le fond du cœur.» BOSSUET, Discours sur l'Histoire universelle, chap. XIX, Jésus-Christ et sa doctrine.
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266. — 1° Importance de la question. — Au moment où nous en sommes de la démonstration chrétienne, et après avoir établi la réalité historique des miracles de Jésus, il pourrait sembler que le miracle de la Résurrection ne soit plus désormais nécessaire pour attester sa mission divine et que ce soit chose faite. Il est vrai. Cependant il importe au plus haut point que l'apologiste démontre la Résurrection par les preuves les plus solides et qu'il ne laisse point les attaques des adversaires sans réponses, car, outre qu'elle est bien le miracle des miracles, et qu'elle est un miracle prophétisé par Notre-Seigneur lui-même, — donc miracle et prophétie à la fois, — elle a toujours été comme la base et la clef de voûte de la prédication chrétienne. Les Apôtres ont cru et prêché que le Christ était ressuscité des morts. Saint Pierre a affirmé la résurrection du Christ en termes formels dans ses deux premiers discours (Act., II, 24 ; III, 15). Saint Paul, qui est revenu souvent sur le sujet, n'hésitait pas à dire aux Corinthiens que leur foi était vaine si le Christ n'était pas ressuscité (I Cor., XV, 17). L'on peut juger par là de l'importance de la question. 2° Position de la question. — IL convient d'abord de bien déterminer comment se pose la question du miracle de la Résurrection en face de la critique moderne. Deux choses sont nécessaires pour que la Résurrection de Jésus ait toute sa valeur apologétique et puisse être regardée comme un signe divin IL faut : 1° que le fait soit historiquement certain, et 2° qu'il se soit accompli pour confirmer la mission divine de Jésus. Il n'y a pas lieu en effet de démontrer le caractère miraculeux du fait, que personne ne conteste. D'où deux paragraphes seulement § 1. — LA RESURRECTION EST UN FAIT HISTORIQUEMENT CERTAIN. 267. — 1° Adversaires. — Le miracle de la Résurrection a rencontré à toutes les époques de nombreux adversaires. Seuls, ceux de l'heure présente doivent retenir notre attention. D'une manière générale, l'on pourrait poser en principe que l'opinion des ennemis du christianisme fut toujours commandée par leurs passions et leurs préjugés, Celle de nos rationalistes modernes dérive de leur philosophie qui repousse a priori tout miracle, à supposer même qu'il fût attesté par les témoignages les plus forts et les plus dignes de foi. « Aujourd'hui, dit M. STAPFER, pour l'homme moderne, une résurrection véritable, le retour à la vie organique d'un corps réellement mort est l'impossibilité des impossibilités. »213 Le siège de ces critiques est donc fait d'avance, et la seule question qui se pose pour eux c'est de découvrir le meilleur terrain sur lequel ils puissent donner l'assaut à l'apologétique catholique. Ce terrain, ils ont cru le trouver dans la critique littéraire et historique. L'on ne dit donc plus aujourd'hui : nous ne croyons pas à la Résurrection, parce que le fait est impossible, parce qu'il est en dehors des lois de la nature ; l'on se contente de dire : Tout fait historique doit être prouvé par le témoignage de ceux qui ont pu le connaître. Or « la Résurrection, si on veut la prendre pour une réalité historique, de même ordre que la mort, n'est attestée que par des témoignages discordants... la mort, fait naturel et réel, a eu des témoins et pouvait être racontée ; la Résurrection, matière de foi, n'a jamais été vérifiée... On ne parle que de visions et les récits qu'on en donne sont contradictoires. »214 La 213
STAPFER, La mort et la résurrection de Jésus-Christ.
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Résurrection est « une croyance chrétienne, non un fait de l'histoire évangélique. Et s'il fallait y voir un l'ait d'ordre historique, on serait obligé de reconnaître que ce fait n'est pas garanti par des témoignages suffisamment sûrs, concordants, clairs et précis. »215 Comme il est permis d'en juger par ces deux brèves citations, c'est bien au nom de la critique historique qu'on entend nier le fait de la Résurrection: c'est en s'appuyant sur les témoignages qui le rapportent, en les opposant entre eux, que l'on espère ruiner l'un des points principaux de la croyance chrétienne. C'est ainsi que l'on met le témoignage de saint Paul en parallèle avec le témoignage des Évangélistes, et comme le premier est moins circonstancié et qu'il est de date antérieure, l'on prétend qu'il représente la tradition primitive, laquelle n'aurait cru d'abord qu'à l'immortalité du Christ et ne serait arrivée à la foi à la Résurrection corporelle de Notre-Seigneur que peu à peu et par des étapes successives dont les récits évangéliques portent les traces. Nous allons voir si toutes ces prétentions sont justifiées. 268. — 2° Preuves de la Résurrection. — Les deux principaux témoignages qui nous rapportent le fait de la Résurrection sont, d'après l'ordre chronologique : — a) le témoignage de saint Paul, consigné dans la première Épître aux Corinthiens, dont la date de composition peut être fixée, de l'avis de tous les critiques, entre 52 et 57216 ; et — b) le témoignage des Évangiles, composés entre 67 et la fin du 1er siècle. A. TÉMOIGNAGE DE SAINT PAUL. — Saint Paul, avons-nous dit plus haut, a souvent prêché la Résurrection du Christ. Mais le passage le plus important où il en rende témoignage, se trouve dans son Épître aux Corinthiens (XV, 11-14). Voici d'ailleurs les points principaux de ce passage ; « Je vous rappelle, frères, l'Évangile que je vous ai annoncé... je vous ai enseigné avant tout, comme je l'ai appris moi-même, que le Christ est mort pour nos péchés, conformément aux Écritures ; qu'il a été enseveli et qu'il est ressuscité le troisième jour, conformément aux Écritures ; et qu'il est apparu à Képhas, puis aux Douze. Après cela, il est apparu en une seule fois à plus de cinq cents frères, dont la plupart sont encore vivants, et quelques-uns se sont endormis. Ensuite il est apparu à Jacques, puis à tous les Apôtres. Après eux tous, il m'est apparu aussi à moi, comme à l'avorton... Or, si l'on prêche que le Christ est ressuscité des morts, comment quelques-uns parmi vous disent-ils qu'il n'y a point de résurrection des morts? S'il n'y a point de résurrection des morts, le Christ non plus n'est pas ressuscité. Et si le Christ n'est pas ressuscité, notre prédication est donc vaine, vaine aussi est votre foi. » De l'analyse impartiale de ce texte, il ressort que saint Paul affirme la mort, l'ensevelissement et la résurrection de Jésus : — a) la mort de Jésus « Je vous ai 214
LOISY, Quelques lettres sur. des questions actuelles et sur des événements récents.
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LOISY, Les Évangiles synoptiques.
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Lorsque nous avons établi la valeur historique des écrits du Nouveau Testament, notre étude s'est bornée aux Évangiles et il n'a pas été question des Epîtres de saint Paul dont nous invoquons ici le témoignage. Ce n'est point là une omission. La raison pour laquelle nous ne nous arrêtons pas à prouver l'historicité de la première Epître aux Corinthiens, c'est qu'elle n'est pas contestée par les critiques rationalistes.
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enseigné que le Christ est mort pour nos péchés, conformément aux Écritures. »217 La mort de Jésus, — la mort rédemptrice, Jésus s'immolant volontairement sur la croix pour le rachat de l'humanité coupable, — voilà bien le thème ordinaire de la prédication de saint Paul. Or le fait et la doctrine qui s'y rattache, il déclare les avoir reçus de la tradition apostolique ; -— b) la sépulture de Jésus : « Je vous ai enseigné... qu'il (le Christ) a été enseveli. » Le mot grec « etaphê» dont saint Paul se sert, et que l'on a traduit par: « a été enseveli», désigne généralement, chez les écrivains sacrés du Nouveau Testament, une sépulture honorable : c'est le mot que saint Luc emploie quand il parle de la sépulture du riche dans la parabole de Lazare (Luc, XVI, 22), et c'est encore le mot que nous trouvons dans les Actes des Apôtres (II, 29), à propos de la sépulture de David. Il ne peut donc être question d'un enfouissement, comme M. Loisy en a fait l'hypothèse dans un fragment de lettre reproduit par 1'Univers du 3 juin 1907218, où il ne craint pas de dire que « l'ensevelissement par Joseph d'Arimathie et la découverte du tombeau vide, le surlendemain de la passion, n'offrant aucune garantie d'authenticité, l'on est en droit de conjecturer que, sur le soir de la passion, le corps de Jésus fut détaché de la croix par les soldats et jeté dans quelque fosse commune, où l'on ne pourrait avoir l'idée de l'aller chercher et reconnaître au bout d'un certain temps. » On ne voit pas bien sur quels textes une telle hypothèse petit s'appuyer ; en tout cas ce n'est pas sur le mot etaphê employé par saint Paul et qui désigne à tout le moins une sépulture ordinaire. Conjecturer après cela que Jésus fut jeté dans une fosse commune n'est plus de la critique historique, c'est de la critique fantaisiste ; — c) le fait même de la Résurrection. Ce troisième point est, à vrai dire, celui qui importe le plus à l'Apôtre, le seul qui aille à la thèse qu'il soutient. Toutefois, il convient de le remarquer aussitôt, il ne s'agit pas tant pour saint Paul de prouver la résurrection de Jésus qui n'est pas en cause, que de la rappeler comme une vérité admise et de s'en servir comme de point d'appui pour la démonstration d'un autre dogme mis en discussion. Quel est en effet le but de la première lettre aux Corinthiens1! C'est de prouver aux fidèles de cette Église, précédemment évangélisée par saint Paul, que ceux d'entre eux qui nient la résurrection des morts sont dans l'erreur et l'illogisme, puisqu'ils admettent bien la résurrection de Jésus-Christ. Car, dans la pensée de l'Apôtre, les deux choses s'enchaînent, l'une est impliquée dans l'autre. L'on ne peut nier la résurrection des morts sans nier la Résurrection du Christ; et nier la Résurrection du Christ c'est donner un démenti au témoignage des Apôtres, c'est dire qu'ils ont enseigné une chose fausse, et que dès lors le christianisme est sans valeur. « Si les morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus n'est pas ressuscité. Et si le Christ n'est pas ressuscité, vaine est votre 217
« Conformément aux Écritures ».— Cette expression répétée deux fois par saint Paul, est invoquée à tort par les rationalistes qui s'en servent pour diminuer la valeur du témoignage. Il n'y a pas lieu, en effet, de s'étonner que les Apôtres aient pris soin de rapprocher les faits de la vie de Jésus des prophéties de l'Ancien Testament. Aux yeux des Juifs qui ne juraient que par les Écritures et qui mettaient l'argument prophétique au-dessus de tout, l'accord entre les prédictions des prophètes et les événements de la vie de Jésus avait plus de valeur que le témoignage des Apôtres affirmant qu'ils avaient vu Jésus ressuscité. Mais ce recours aux Écritures n'enlevait rien à la vérité du témoignage, et les Apôtres n'en restaient pas moins des témoins bien informés et sincères, alors que les faits qu'ils rapportaient s'étaient déroulés « conformément aux Ecriture 218
Cette hypothèse M. LOISY l'a renouvelée dans son grand ouvrage Les Evangiles Synoptiques.
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foi.» (1 Cor., XV, 16, 17). Étant donné le but de l'Apôtre, il est assez naturel qu'il n'insiste pas autrement sur les preuves de la Résurrection du Christ. Il lui suffit de faire un choix et de retenir celles qui sont le plus aptes à faire impression sur ses lecteurs. Or des deux arguments employés par les Évangélistes : le tombeau vide et les apparitions, il est indiscutable que le premier a une moindre portée que le second, vu que le tombeau vide peut s'expliquer par d'autres hypothèses que la résurrection. Saint Paul laisse donc de côté ce premier argument, ou tout au moins, n'en parle-t-il que d'une manière indirecte. Nous disons cependant qu'il en parle d'une manière indirecte, car lorsqu'il déclare que « le Christ est mort», « qu'il a été enseveli » « et qu'il est ressuscité », c'est bien celui qui est mort et a été enseveli, qui ressuscite, et comment la chose pourrait-elle se faire si le corps était resté au tombeau? Toutefois, si le tombeau vide est dans la pensée de saint Paul, il faut reconnaître que l'Apôtre ne cherche pas à en tirer un argument et qu'il se contente d'insister sur le fait des apparitions. Pour prouver, ou mieux, pour rappeler aux Corinthiens que Jésus est ressuscité, saint Paul invoque donc six apparitions qu'il divise en trois groupes : — 1. Dans le premier groupe, deux apparitions, l'une à Pierre, l'autre aux Douze ; — 2. dans le second, trois apparitions, la première à cinq cents frères, la seconde à Jacques, la troisième à tous les Apôtres ; — 3. dans le troisième, une seule apparition, celle dont il fut lui-même gratifié. Toutes les apparitions d'ailleurs sont mises sur le même pied, mais il y a tout lieu de présumer que, aux yeux de saint Paul, l'apparition aux cinq cents frères avait une importance particulière, car, au moment où il écrivait, quelque vingt-cinq ans après l'événement, la plupart de ces témoins étaient encore vivants, et c'est une sorte d'appel à leur témoignage commun que l'Apôtre ne craint pas de leur adresser. 269. — Objection. — Les apparitions, objectent les rationalistes, sont mises par saint Paul sur le même pied ; toutes furent du même genre, puisque l'apôtre les décrit de la même manière, et qu'il emploie partout le même mot, le verbe ôphtê qu'on peut traduire par les expressions françaises, « il a été vu» ou « il est apparu». Telle fut l'apparition de Jésus à Saul sur le chemin de Damas ; telles furent donc les autres apparitions. La question revient dès lors à déterminer ce que l'Apôtre a voulu signifier en disant qu'il avait vu le Christ ressuscité. Or saint Paul n'a pas pu entendre par là qu'il avait vu le Christ revenu en vie dans le corps qui avait été déposé dans le tombeau ; il n'a vu qu'une lumière, « un corps de gloire» (Phil., III, 21). Et la lumière même qu'il a vue n'était pas une lumière réelle et objective. « IL a eu la sensation de voir, sans qu'il y ait rien à la portée de son regard. Il était halluciné.»219 Et comment cette hallucination se produisit-elle? C'est que, d'après M. MEYER, saint Paul, homme de génie mais atteint d'une maladie nerveuse, et coutumier de semblables visions, se trouvait corporellement et intellectuellement prédisposé à l'événement du chemin de Damas. Les idées de Jésus Messie, de Jésus principe de vie, de Jésus vivant et immortel s'étaient formées peu à peu à son insu dans sa subconscience. Sur la route de Damas, ces idées firent soudain irruption de sa subconscience à sa conscience, et il vit alors le Christ dans un corps de gloire, un corps spiritualisé ou pneumatique, qui projeta sur lui une lumière aveuglante, mais ce corps n'était pas le cadavre de Jésus revenu à la vie. Toutes les apparitions mentionnées par saint Paul, concluent alors les 219
LADEUZE, La Résurrection du Christ devant la critique contemporaine
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rationalistes, étant de la même nature que la sienne, n'ont été que des visions subjectives. Réfutation. — Nous admettons avec les rationalistes, comme nous l'avons du reste dit précédemment, que les apparitions décrites par saint Paul, sont mises sur le même pied. Mais est-il vrai que l'Apôtre, en rappelant l'apparition dont il fut témoin sur le chemin de Damas, veut parler d'une « vision subjective» Le contexte indique tout le contraire. La pensée intime de l'Apôtre peut on effet se déduire du but qu'il poursuivait dans sa lettre. Voulant combattre l'opinion de certains fidèles de Corinthe qui niaient la résurrection corporelle des morts, saint Paul entend en démontrer l'existence et la nature en s'appuyant sur la Résurrection de Jésus. Son raisonnement eût donc tombé à faux, si, pour prouver que les morts reprendront leurs corps, leurs vrais corps, quoique glorieux et doués de propriétés nouvelles, il eût commencé par dire, que la Résurrection du Christ, qui en était le principe et le modèle, n'avait pas été corporelle. Quand il déclare que le Christ ressuscité lui est apparu, il veut donc dire qu'il l'a vu dans le même corps qui était mort et avait été enseveli, identique à ce qu'il avait été durant sa vie terrestre, sauf la qualité de gloire en plus. Telle est, à ne pas en douter, le fond de la pensée de l'Apôtre. — Cela est juste, répliquent les rationalistes, « les Évangélistes et saint Paul n'entendent point raconter des impressions subjective? ; ils parlent d'une présence objective, extérieure, sensible, non d'une présence idéale, bien moins encore d'une présence imaginaire. Les conditions d'existence de ce corps étaient différentes, mais c'était le même qui avait été mis dans le tombeau, et que l'on croyait n'y être point demeuré »220. Oui, mais c'était là, d'après M. LOISY toujours, pure hallucination ou simple illusion, de la part des Apôtres. 1. Pour ce qui concerne le propre cas de saint Paul, peut-on dire qu'il fut halluciné? Il est vrai que plusieurs fois dans sa vie, il eut des visions, mais il a toujours pris soin de distinguer entre celle-ci et les autres. La vision du chemin de Damas était, à ses yeux, le fondement de sa vocation. C'est parce qu'il avait vu le Christ glorieux, qu'il s'était rencontré avec lui et avait entendu son appel, qu'il revendiquait le titre d'apôtre. Jamais il n'aurait osé se prévaloir de ce titre s'il n'avait eu la conviction d'avoir vu le Christ aussi réellement que les autres Apôtres, et d'avoir ouï sa voix qui l'appelait à l'apostolat. Sans doute, poursuivent nos adversaires, saint Paul fut sincère, mais cela n'empêche pas qu'il fut victime de l'hallucination. Tout en poursuivant les chrétiens, il se fit au fond de son être un travail inconscient ; il eut des doutes sur la vérité de la doctrine de Jésus, sur la légitimité de ses persécutions, bref, il eut des remords. Ces impressions restées d'abord latentes, à l'intérieur de son être, jaillirent subitement de sa subconscience à sa conscience, provoquant les hallucinations de la vue et de l'ouïe, et produisant dans son esprit des convictions nouvelles et causant sa conversion. — Or rien de tout cela n'est historique. Ce prétendu travail préparatoire à la conversion, qui se serait passé dans la conscience subliminale de saint Paul, n'apparaît nulle part. C'est toujours de bonne foi que Paul persécuta les chrétiens, et parce qu'il croyait bien faire en défendant les « traditions» de ses « pères», comme il L'a déclaré lui-même (Gal., I, 220
M. LOISY, Les Évangiles synoptiques.
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14 ; Act., XXVI, 9). Ce qu'il a fait, il l'a fait « par ignorance» (I Tim., I, 13). L'hypothèse du remords n'a aucune base dans les textes. C'est en un instant que Saul se trouva converti et qu'il crut en Celui dont il persécutait les disciples. 2. Mais supposons, si on le veut, que saint Paul fut halluciné. Dira-t-on que les autres témoins, dont parlent saint Paul et les Évangélistes, furent tous hallucinés ? Tout repousse cotte supposition : les conditions de nombre, de temps et de circonstances ne comportent pas une telle hypothèse. — 1. Le nombre. Il n'est pas raisonnable de supposer que tant de témoins d'un caractère si différent aient été victimes d'une illusion de leurs sens. Ce n'est pas une fois que Notre-Seigneur se montre ressuscité, mais de nombreuses fois ; ce n'est pas à une personne, ce n'est pas même à ses soûls Apôtres qu'il apparaît, mais à cinq cents frères à la fois. — 2. Le temps. Les apparitions ont ou lieu après la mort de Jésus, c'est-à-dire à un moment où les disciples étaient désemparés et songeaient à se cacher. Dans un pareil état d'esprit, ils ne pouvaient s'imaginer que le Crucifié leur apparaissait dans la gloire. Les apparitions ont donc dû s'imposer du dehors et dans des conditions d'objectivité telles qu'elles ont entraîné une foi irrésistible à la Résurrection. — 3 Les circonstances. Saint Paul il est vrai, ne mentionne aucune circonstance, mais si nous nous reportons aux récits des Évangélistes, nous voyons que les Apôtres sont d'abord incrédules et croient voir un esprit. Jésus leur fait alors toucher ses plaies (Luc, XXIV, 37, 40 ; Jean, XX, 27) ; il mange devant eux (Luc, XXIV, 43) ; il leur fait remarquer « qu'un esprit n'a ni chair ni os » (Luc, XXIV, 39) ; il permet aux saintes femmes d'embrasser ses pieds (Mat., XXVIII, 9). Dira-t-on encore que les hallucinations, telles qu'on les entend, ont été des hallucinations vraies, des hallucinations objectives, produites directement par Dieu pour obtenir la foi des Apôtres à Jésus vivant et triomphant? Cette hypothèse n'est pas plus historique que les autres ; elle est de plus blasphématoire, vu qu'elle regarde Dieu comme la cause directe de l'erreur. CONCLUSION. — Les attaques des adversaires manquent donc de base sérieuse, et nous avons le droit de conclure que, suivant le témoignage de saint Paul, la Résurrection est un fait historiquement certain, démontré par six apparitions. De ces apparitions saint Paul peut rendre témoignage d'une, puisqu'il a conscience d'en avoir été l'heureux témoin. Quant aux outres, il affirme qu'elles sont venues à sa connaissance par le récit qui lui en a été fait lors de sa première rencontre à Jérusalem avec les Apôtres, an particulier avec saint Pierre et saint Jacques, trois ans après sa conversion (Gal., I, 18), c'est-à-dire environ quatre ans après l'événement lui-même, si l'on suit la chronologie adoptée par M. HARNACK qui reporte la conversion de saint Paul à l'année même de la mort de Jésus. Ainsi, à une époque aussi rapprochée des faits, les Apôtres croyaient déjà à la Résurrection corporelle de leur Maître. Il n'est donc pas possible d'admettre, avec l'école mythique, que la Résurrection est une légende qui s'est formée au milieu du IIe siècle, ni, avec certains critiques contemporains (LOISY), que les Apôtres et les disciples n'ont ni cru ni prêché que le corps de leur Maître était sorti vivant du tombeau au troisième jour après sa mort, et que les chrétiens ne seraient arrivés à cette foi qu'en défigurant les croyances primitives et les impressions des premiers disciples.
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270. — B. TÉMOIGNAGE DES ÉVANGILES. — D'après le témoignage des quatre Évangiles, la foi à la Résurrection de Jésus est née d'une double cause : — a) de la découverte du tombeau vide, et — b) des apparitions du Ressuscité. a) Argument tiré de la découverte du tombeau vide. — Suivant les récits des quatre Évangélistes, les femmes et les disciples qui se rendirent au sépulcre pour embaumer Jésus, trouvèrent le tombeau vide. La pierre qui fermait l'entrée du sépulcre était rejetée sur le côté (Marc, XVI, 4). A l'intérieur du sépulcre, les linges gisaient à terre, les linceuls et le suaire séparément (Jean, XX, 7) ; le corps de Jésus n'était plus là (Luc, XXIV, 3). Un Ange leur annonça la Résurrection. Les gardes effrayés avaient fui et étaient allés annoncer la nouvelle aux princes des prêtres qui leur donnèrent une forte somme d'argent pour publier que les disciples avaient enlevé le corps pondant qu'ils dormaient (Mat, XXVIII, 11, 13). Ainsi le premier argument invoqué par les Évangélistes en faveur de la Résurrection est tiré de ce fait que le lendemain du sabbat, le dimanche matin, le corps de Jésus avait disparu du tombeau où il avait été enseveli l'avant-veille par Joseph d'Arimathie. 271. — Objection. — L'argument tiré de la découverte du tombeau vide a été, de tout temps, l'objet des plus vives attaques de la part des adversaires dix christianisme. — 1. Ou bien ils ont admis la matérialité du fait, et ils se sont ingéniés a en fournir des explications naturelles : — 1) Les Juifs, au 1er siècle, recoururent à l'hypothèse de l’enlèvement. Ils accusèrent les disciples d'avoir dérobé le corps de leur Maître, la nuit, pendant que les gardes dormaient221. — 2) Parmi les critiques modernes. les uns ont complètement abandonné l'hypothèse de l'enlèvement par les disciples de Jésus. C'est ainsi que l'école naturaliste allemande (BRET-SCHNEIDER, PAULUS, HASE) supposa que Jésus n'était pas mort sur la croix et qu'il était seulement tombé en léthargie. La fraîcheur du tombeau, la vertu des baumes et la forte odeur des aromates l'ayant rappelé à la vie, il se débarrassa de ses linceuls et du suaire qui lui couvrait la tête, et il put sortir du sépulcre grâce à un tremblement de terre qui fit rouler la pierre qui on scellait l'entrée. Il apparut alors à ses disciples qui le crurent ressuscité. Les autres, au contraire, ont repris l'hypothèse de l'enlèvement en la modifiant. Comme le découragement dans lequel étaient tombés les Apôtres, écarte d'eux tout soupçon d'imposture, ils ont supposé que l'enlèvement avait été fait soit par les Juifs222 qui voulaient empêcher l'affluence des visiteurs, soit par le propriétaire du jardin qui voulait débarrasser son caveau du cadavre qui en avait pris possession223, soit par Joseph d'Arimathie lui-même qui, n'étant pas un disciple de Jésus, et n'ayant prêté son
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Cette hypothèse ne put résister longtemps à la réplique des apologistes chrétiens Aussi vit-on bientôt les Juifs reporter leur accusation sur le jardinier du lieu où était le tombeau, qui aurait fait disparaître le corps, de peur que les allées et venues des pieux visiteurs ne nuisissent à ses laitues (voir TERTULLIEN, Tr. de Spectaculis). 222
MM. Albert REVILLE et Edouard LE ROY ont supposé que les autorités Juives qui détestaient Jésus et ne supportaient pas qu'il eût une sépulture honorable avaient fait enlever le corps afin qu'il subit le sort que la loi réservait aux cadavres des suppliciés 223
RENAN, Les Apôtres
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caveau que par charité, se serait empressé, le sabbat passé, de faire transporter le corps dans un autre endroit224. 2. Ou bien ils ont nié la matérialité du fait et ont prétendu que le récit de la découverte du tombeau vide est une légende inventée par la seconde ou la troisième génération chrétienne, et ils en veulent voir la preuve dans le silence de saint Paul. Si saint Paul, disent-ils, dont le témoignage est antérieur à celui des Évangiles, ne mentionne pas l'argument du tombeau vide, c'est qu'il ne le connaissait pas et que la légende n'était pas encore formée au moment où il écrivait. Réfutation. — Nous ne nous attarderons pas à répondre longuement à ceux qui, prenant les Apôtres pour des imposteurs, soutiennent qu'ils ont été les auteurs du rapt. Quel intérêt pouvaient-ils avoir à inventer la fable de la Résurrection et à faire adorer comme un Dieu, un séducteur dont ils auraient été les premières victimes? Un tel plan n'était-il pas d'ailleurs irréalisable? Comment auraient-ils enlevé le corps? Par violence, par corruption ou par ruse? Aucune des trois hypothèses n'est sérieuse. La violence n'est pas admissible, de la part de gens qui avaient montré si peu de courage au cours de la Passion. La corruption n'est possible qu'avec de l'argent, et les Apôtres étaient plutôt pauvres. Reste le troisième moyen : enlever le corps par ruse. Il s'agissait alors de surprendre les gardes par un chemin détourné, ou la nuit, alors qu'ils auraient été endormis, de pousser la pierre sans le moindre bruit, puis d'enlever le corps sans éveiller personne, et de le cacher dans une retraite assez sûre pour qu'on ne pût le découvrir : une telle entreprise ne dépasse-t-elle pas les limites de la vraisemblance ? 2. L'hypothèse de la mort apparente de Jésus est tombée aujourd'hui dans le plus complet discrédit. Il faut choisir en effet. Ou l'on accepte les récits des Évangélistes tels qu'ils sont, et alors rien n'autorise à croire que la mort de Jésus ne fut qu'apparente. Si les souffrances de la croix et le coup de lance ne l'avaient pas fait mourir, il aurait sûrement été asphyxié par les cent livres d'aromates et par le séjour au tombeau. Ou bien l'on regarde les récits évangéliques comme des légendes, et alors l'on tombe dans l'objection qui nie la matérialité du fait et à laquelle nous répondrons plus loin. 3. Dire que le rapt a été commis par les Juifs, est une hypothèse plus absurde encore et contredite par les faits. Il faut se souvenir en effet que les Apôtres prêchèrent la Résurrection, non seulement devant le peuple, mais devant les chefs de la nation. Pierre et Jean furent emprisonnés pour cela, et ils comparurent devant le tribunal juif (Actes, IV, 1, 12). Conçoit-on alors le silence des Sanhédrites? « La pièce à conviction était entre leurs mains ; ils pouvaient ébranler d'un seul geste, d'une parole, la foi nouvelle dont les progrès rapides les inquiétaient... Si les Sanhédrintes se sont tus, s'ils n'ont pas opposé ce démenti éclatant, c'est parce qu'ils n'étaient pas en état de le fournir. A Jour insu et sans eux le sépulcre avait été dépouillé de son cadavre. »225 Et
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HOLTZMANN, La Vie de Jésus.
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P. ROSE, Etudes sur les Évangiles. C'est là sans cloute la raison qui a déterminé les rationalistes contemporains à imaginer l'hypothèse de la fosse commune. Ils pensent ainsi échapper à la nécessité
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qui donc l'avait enlevé? « Ce n'est pas un ami. Ce n'est pas un ennemi. Ce n'est pas un étranger. Depuis plus de dix-neuf siècles (Mat., XXVIII, 12-15) on a épuisé toutes les hypothèses pour échapper au miracle ; à aucune on n'a pu donner quelque vraisemblance. Il ne reste qu'une réponse possible. Le Christ est sorti de lui-même de son sépulcre. Il est ressuscité corporellement » 226! 4. Est-on mieux fondé à prétendre que la découverte du tombeau vide est une légende inventée par la seconde ou la troisième génération chrétienne227 ? Comment expliquer alors la foi des Apôtres, la transformation totale, qui s'est faite en eux quelque temps après le grand drame de la croix qui les avait laissés si découragés et si abattus? Si rien n'est venu les remettre de leur déception, si la foi à la Résurrection ne s'est formée que peu à peu, comment se fait-il que, de lâches et timides qu'ils étaient au cours de la Passion, ils soient devenus, après, intrépides, audacieux et qu'ils prêchèrent la Résurrection jusqu'au sacrifice de leur vie? Faut-il croire « ces témoins qui se font égorger » ou les prendre pour des exaltés et des fous? 272. — b) Argument tiré des apparitions. — Tandis que l'argument tiré du tombeau vide n'est qu'une preuve indirecte, vu que le fait peut être expliqué par d'autres hypothèses que la Résurrection, les apparitions constituent une preuve directe. Si l'on compare les deux témoignages de saint Paul et des Évangélistes, l'on peut compter onze apparitions, celle du chemin de Damas à saint Paul non comprise. Deux apparitions mentionnées par saint Paul ne figurent pas chez les Évangélistes, à savoir l'apparition aux cinq cents disciples et l'apparition à Jacques. Le total des apparitions relatées par les Évangélistes s'élève donc à neuf, dont sept eurent lieu à Jérusalem ou aux environs, et deux en Galilée. Dans le premier groupe, — les apparitions hiérosolymitaines, — l'on compte les apparitions : — 1. à Marie-Madeleine (Marc, XVI, 9 ; Jean, XX, 14, 15) ; — 2. aux femmes qui revenaient du sépulcre ( Mat., XXVIII, 9) ; — 3. à Simon Pierre (Luc, XXIV, 34) ; — 4. aux deux disciples qui allaient à Emmaüs (Marc, XVI, 12 ; Luc, XXIV, 13 et suiv.) ; et — 5. aux Apôtres réunis dans le Cénacle, Thomas absent (Marc, XVI, 14 ; Luc, XXIV, 36 et suiv. ; Jean, XX, 19-25). Ces cinq premières apparitions eurent lieu le jour de Pâques. — 6. Huit jours plus tard, à Jérusalem encore, Jésus apparut aux onze Apôtres, Thomas présent et invité par le Seigneur à toucher les plaies de ses mains et de son côté (Jean, XX, 26-29). — 7. En Galilée, il apparut à sept disciples sur le lac de Tibériade (Jean, XXI, 1, 14) ; puis — 8. qui leur incombe d'expliquer pourquoi les Juifs n'ont pas confondu les apôtres en reproduisant le cadavre. 226
LADEUZE, op. cit.
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Les rationalistes supposent deux stades dans la formation de la légende. Au premier stade se placent les hallucinations. Après la grande épreuve delà Croix, l'amour des Apôtres pour leur Maître triomphe de leur découragement. Pierre d'abord, puis les autres Apôtres, suggestionnés par Pierre, ont des visions dans lesquelles ils se figurent voir Jésus ressuscité. Telle est la première étape de la croyance à la résurrection où il n'est question que de Jésus vivant et immortel, étape dont nous trouvons l'écho dans le témoignage de saint Paul. Au second stade, les Apôtres, pour légitimer leur prédication, commencent à matérialiser la croyance à la survivance du Christ. Pour les besoins delà cause, l'on forge de toutes pièces les circonstances de la résurrection : l'ensevelissement, la garde au tombeau, la découverte du tombeau vide, Jésus faisant toucher ses plaies, etc.
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aux onze Apôtres sur une montagne de (ralliée (Mat., XXVIII, 16, 17). — 9. Enfin, une dernière apparition qui précéda l'Ascension et qui eut lieu sur le Mont des Oliviers devant tous les Apôtres assemblés (Luc, XXIV, 50). 273. — Objection. — On objecte contre l'argument tiré des apparitions les divergences que l'on trouve dans les narrations évangéliques. — 1. L'on fait remarquer que les Évangélistes ne s'entendent pas sur le nombre des femmes qui se rendirent au tombeau, ni sur le nombre des Anges qu'elles virent. — 2. Mais l'on invoque surtout la soi-disant opposition entre les auteurs sacrés à propos du théâtre des apparitions. D'après les critiques libéraux et rationalistes, il y aurait dans les récits évangéliques comme deux traditions superposées et d'ailleurs inconciliables : l'une représentée par saint Matthieu et saint Marc, plaçant les apparitions en Galilée, conformément au message que l'ange donne aux saintes femmes pour les Apôtres au matin de la résurrection ; l'autre représentée par saint Luc et saint Jean et mettant le théâtre des apparitions exclusivement en Judée. Réfutation. — 1. Loin d'infirmer leurs récits, les divergences prouvent au contraire l'indépendance des historiens. Les divergences portent d'ailleurs sur des points secondaires, tels que le nombre des femmes et le nombre des anges ; elles laissent intact le fait lui-même de la Résurrection. Il apparaît avec évidence que les variantes de détails n'empêchent nullement l'identité du fond. — 2. L'opposition qu'on signale entre les Évangélistes à propos du théâtre des apparitions, n'est pas aussi évidente qu'on l'affirme, et il est loin d'être démontré qu'il y eut deux traditions distinctes, l'une hiérosolymitaine, l'autre galiléenne, et encore moins, que chaque évangéliste ne connut que l'une des deux traditions. Comment peut-on prétendre, en effet, que saint Matthieu qui, avec saint Marc, représente la tradition galiléenne, ignore la tradition judéenne, alors qu'il rapporte une apparition de Jésus aux saintes femmes, au moment où elles sortaient du sépulcre? (Mat., XXVIII, 8, 9). La finale de saint Marc rapporte également des apparitions hiérosolymitaines, mais n'insistons pas sur ce fait, vu que nos adversaires considèrent cette finale comme apocryphe. De même, l'Évangile de saint Jean, si on le prend en son entier et avec son appendice, raconte des apparitions judéennes et des apparitions galiléennes. Saint Luc ne rapporte que les apparitions judéennes. Donc, en définitive, si l'on excepte saint Luc, les Evangélistes connaissent les deux théâtres des apparitions du Christ, et l'exclusivisme qu'on voudrait trouver dans leurs narrations, n'existe en réalité que dans l'esprit des critiques rationalistes. Trois Évangélistes au moins sur quatre ont recueilli la double tradition : hiérosolymitaine et galiléenne. Remarquons, par ailleurs, que la plupart des divergences s'expliquent très bien par le but différent que les Évangélistes poursuivaient. Ainsi saint MATTHIEU, écrivant pour le milieu juif où le bruit courait que les disciples avaient enlevé le corps du Christ montre l’invraisemblance d’une telle accusation par le récit de la garde mise au tombeau et de l'apposition des scellés sur la pierre du sépulcre. Saint MARC écrivant pour le milieu romain, très attaché aux formes juridiques, rapporte d'abord que la mort de Jésus a été constatée officiellement par une enquête de Pilate auprès du Centurion chargé de l'exécution de la sentence, puis il insiste sur l'incrédulité des disciples qui refusent d'ajouter foi au récit de Marié-Madeleine. — Saint Luc, écrivant pour le
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milieu grec, où le témoignage des femmes n'était pas reçu en justice et où la résurrection des morts était regardée comme une absurdité, ne mentionne que les apparitions aux hommes (aux deux disciples d'Emmaüs, à Pierre, aux Onze et à leurs compagnons) et apporte des détails matériels afin de démontrer que le corps ressuscité du Christ n'était pas un fantôme, mais bien un corps réel, puisqu'il se laissait toucher et qu'on pouvait le voir manger et boire. Ne suivant pas la même marche, les Évangélistes se sont donc approprié ce qui rentrait dans leur plan et convenait le mieux à leurs lecteurs : ce serait dès lors une erreur de conclure qu'ils aient ignoré les faits qu'ils passent sous silence. Conclusion. — Ainsi, de l'examen des documents, il résulte que, dès les premiers jours, les Apôtres, tant par la découverte du tombeau vide que par les apparitions, crurent que leur Maître était ressuscité, qu'ils se le représentèrent survivant, non seulement dans son âme immortelle, mais dans son corps. Ils crurent que son corps n'était pas resté au tombeau, mais qu'il vivait à nouveau et pour toujours, transformé et glorifié228. § 2. — LE MIRACLE DE LA RESURRECTION FUT ACCOMPLI POUR CONFIRMER LA MISSION DIVINE DE JESUS. 274. — La connexion entre la Résurrection de Jésus et sa mission divine est chose si manifeste qu'elle n'a jamais été l'objet de controverse. Entre les adversaires du christianisme et les apologistes chrétiens le débat n'a jamais porté que sur le fait même de la. Résurrection. Il a toujours été admis que, si Jésus était ressuscité, sa mission était divine ; il était le Messie, le Fils de Dieu. Il ne sera donc pas nécessaire d'insister longuement sur ce point. La pensée de Jésus de lier sa mission au miracle de la Résurrection, ressort : — 1. de ce fait qu'il prédit l'événement à plusieurs reprises, comme étant une marque révélatrice du Messie : « Alors (après la confession de Pierre) il commença à leur (aux Apôtres) enseigner qu'il fallait que le Fils de l'homme souffrît beaucoup... qu'il fût mis à mort et qu'il ressuscitât trois jours après. » (Marc, VII, 31). A trois autres reprises, Jésus prédit encore sa mort et sa résurrection (Marc, IX, 8, 9 ; 30 ; X, 32-34) ; — 2. de cet autre fait qu'on doux circonstances Jésus fit appel à sa Résurrection future comme au seul signe qui serait donné pour prouver sa mission. — 1. Dans une première circonstance, un groupe de Pharisiens lui demande un signe de sa mission : « Maître, nous voudrions voir un signe de vous. » Il leur répondit : « Cette race méchante et adultère demande un signe, et il ne lui sera pas donné d'autre signe que celui du prophète Jonas : de même que Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre du poisson, ainsi le Fils de l'homme sera dans le sein de la terre trois jours et trois nuits. » (Mat., XII, 38-40). — 2. Dans une seconde circonstance, alors qu'il venait de chasser les vendeurs du Temple, les Juifs, s'étonnant de le voir agir ainsi, lui demandent un signe qui l'autorise a user d'une telle autorité ; Jésus répond en ces termes : « Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai. » Les Juifs repartirent : « C'est en quarante-six ans que ce temple a 228
V. LEPIN, Christologie
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été bâti, et vous, en trois jours, vous le relèverez ! » Mais lui, il parlait du temple de son corps. Lors donc qu'il fut ressuscité des morts, ses disciples se souvinrent qu'il avait dit cela. » (Jean, II, 18-22). Conclusion. — Ainsi le seul signe que Jésus consente à donner à ses ennemis en faveur de sa mission divine, c'est sa Résurrection. Et comme celle-ci est un fait historiquement certain, nous pouvons conclure que Jésus nous a laissé le témoignage le plus authentique et le plus grand de son origine divine. BIBLIOGRAPHIE. — Sur les prophéties et les miracles. — Les Vies de JésusChrist par l'abbé FOUARD, Mgr LE CAMUS, le P. DIDON. le P. BERTHE.— LEMONNYER, art. Fin du monde (Dict. d'Alès). — LEPIN, Jésus, Messie et Fils de Dieu. — BATIFFOL, Six leçons sur l'Évangile (Blond). — FILLION, Les miracles de Notre-Seigneur Jésus-Christ, — DE BONNIOT, Les miracles de l'Évangile (Étude 1888) — BOURCHANY, PERIER, TIXERONT, Conférences apologétiques (Gabalda). — Mgr FREPPEL, La divinité de Jésus-Christ — COUGET, La divinité de Jésus-Christ.— FRAYSSINOUS, Défense du Christianisme, Des miracles (Le Clère). — LACORDAIRE, 38e conférence. — MONSABRE, 28e , 29e , 36e conférences, Introduction au Dogme. Sur la Résurrection. — MANGENOT, La Résurrection de Jésus (Beauchesne) — LADEUZE, La Résurrection du Christ devait la critique contemporaine (Bloud). — CHAUVIN, Jésus est-il ressuscité? (Bloud). — LEPIN, Christologie (Beauchesne).— LEBRETON, art. Sur la Résurrection, Rev pr. d'Ap., mai 1907. — LESETRE, Jésus ressuscité, Rev. du Clergé français, 1907. L'Ami du Clergé, Année 1923, Nos 36, 44, 49. — BOURDALOUE, Sermon sur la Résurrection... CHAPITRE V. — La Doctrine chrétienne, Sa rapide diffusion. Le Martyre. DÉVELOPPEMENT Division du Chapitre. 275. — Maintenant que nous avons vérifié les titres du fondateur du christianisme et que nous avons démontré que Jésus est le Messie annoncé par les prophètes, il semble superflu de mettre en lumière la qualité de la doctrine. Il y a tout lieu, en effet, de préjuger qu'elle est transcendante, puisqu'elle est l'œuvre d'un Envoyé divin. Comme nous aurons l'occasion, dans le second article, de parler de l’excellence de la doctrine chrétienne (V. N° 285), nous laisserons de côté la question pour le moment. De toute façon, il n'est pas possible, dans un Manuel d'Apologétique, de donner à cette preuve de la divinité du christianisme (critère intrinsèque) les développements qu'elle comporte. Ce travail nous entraînerait trop loin, et nous prenons la liberté de renvoyer à notre « Doctrine catholique ». Nous plaçant sur le seul terrain de l'apologétique défensive, nous nous bornerons ici à répondre à une objection que les rationalistes tirent de l'histoire comparée des religions. Lorsque nous avons parlé des fausses religions, à dessein nous avons mis en
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relief les ressemblances qui existent entre elles et le christianisme. Nous tenons à y revenir, afin d'écarter définitivement l'objection rationaliste qui voudrait représenter la doctrine chrétienne comme une doctrine d'emprunt et sans individualité propre. Après cela, nous envisagerons les circonstances historiques du christianisme, ses destinées dans l'espace et dans le temps, autrement dit, sa rapide diffusion parmi le monde, et sa merveilleuse vitalité à travers les siècles, en dépit des obstacles nombreux qu'il a rencontrés, en particulier, des violentes persécutions qui ont essayé de l'étouffer à ses origines. Ce dernier point nous amènera à la question du martyre. Ce chapitre comprendra donc trois articles : 1° Dans le premier, nous établirons le caractère original de la doctrine du Christ. 2° Dans le second, nous parlerons de sa merveilleuse propagation. 3° Enfin nous traiterons du martyre. Art. I. — La doctrine chrétienne n'est pas une synthèse de doctrines étrangères. 276. — 1° Objection rationaliste. — Nous avons vu précédemment (N° 142) que les rationalistes, s'appuyant sur la doctrine de l'évolution, assignent au sentiment religieux une origine tout humaine, où il n'y a place ni pour le surnaturel ni pour la révélation. Partant de ce principe qu'ils érigent en dogme, ils étudient les religions comme des institutions humaines, ils en relèvent avec soin les points de ressemblance, et n'hésitent pas à tirer les conclusions suivantes : à savoir que toutes les religions sont de la même essence, qu'elles se sont influencées réciproquement, que le judaïsme et le christianisme ne sont pas des religions plus originales que les autres, et qu'en particulier, le christianisme est une religion d'emprunt, qu'il a puisé son dogme, sa morale et son culte soit au judaïsme, soit aux doctrines philosophiques de la Grèce et de Rome, soit surtout aux religions de plus vieille date, telles que le zoroastrisme, le bouddhisme et le mithriacisme, bref, qu'il est une synthèse de doctrines étrangères. 277. — Réfutation. — Ainsi, les historiens rationalistes des religions, après avoir noté les points de contact qu'il y a entre le christianisme et les autres religions, se croient en droit de conclure que le christianisme est coupable de plagiat, et que, de ce fait, il ne saurait revendiquer une origine divine, puisqu'il aurait emprunté sa doctrine à des religions que lui-même déclare d'origine humaine. Il convient, pour répondre à ces allégations, de distinguer deux choses : la question de fait, et la question de l'interprétation du fait, ou si l'on veut, la matérialité du fait, et les conclusions qu'on en tire. A. LA QUESTION DE FAIT. — Dans le but de prouver que le christianisme n'a pas d'individualité propre, qu'il n'est pas une religion originale, les rationalistes relèvent donc les ressemblances qui existent entre sa doctrine et les autres doctrines antérieures, soit philosophiques, — soit religieuses. Voici les principales analogies qu'ils signalent sur le triple terrain du dogme, de la morale et du culte. a) Dogme. — D'après les rationalistes, qu'il s'agisse des vérités naturelles ou des vérités surnaturelles, il n'y a rien dans le christianisme qui ne se trouve déjà ailleurs. — 1. Ainsi, les philosophes de l'antiquité grecque et latine, tels que Socrate, Platon, Aristote, Cicéron, Sénèque, etc., ont enseigné, plus ou moins clairement, l'existence
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d'un Dieu unique, d'une Providence qui gouverne le monde, d'une âme spirituelle et libre destinée à une survie où elle recevra soit la récompense de ses bonnes actions, soit le châtiment de ses fautes. D'une façon plus précise encore, ces vérités sont enseignées par les livres sacrés des Juifs. — 2. Passons maintenant aux dogmes qui paraissent former le fond original de la religion chrétienne, c'est-à-dire aux trois grands mystères de la Trinité, de l'Incarnation et de la Rédemption, celle-ci avec son corollaire obligé, le sacrifice. Eh bien, disent les rationalistes, non seulement ces dogmes ne sont pas nouveaux et appartiennent tous, plus ou moins, aux religions de l'Inde, mais même les circonstances historiques, ce que l'on pourrait appeler les alentours des dogmes, sont comme une réédition de ce qui se lit dans les Livres sacrés de religions d'origine plus ancienne. Nous avons signalé ces différents points au chapitre des fausses religions (V. Nos 191 et suiv.) Nous les rappelons ici brièvement. Dans le mithriacisme, le jeune dieu Mithra naît dans une grotte comme Jésus. Mais c'est surtout avec lès religions de l'Inde que la parenté du christianisme est étroite. Krishna, dieu incarné de. l'hindouisme, est adoré, à sa naissance, par des bergers et quelque temps après, il doit, comme Jésus, fuir en exil. Le Bouddha, à son tour, nous rappelle maints traits de la vie de Jésus. Avant d'entreprendre sa prédication et de commencer son rôle de libérateur, il passe quatre semaines dans la solitude où il subit les assauts du démon tentateur, Mâra. Les livres sacres de la Perse racontent également une tentation de Zoroastre. Ajoutons enfin que la résurrection de Jésus elle-même n'est pas un fait unique dans l'histoire des religions : elle a comme parallèles la mort et la résurrection de trois jeunes dieux, Osiris, Adonis et Atys. b) Morale. — La morale chrétienne ne présenterait pas, d'après les rationalistes, de caractère plus original. Elle serait, en grande partie, une adaptation de la morale stoïcienne et de la morale de Zoroastre. Bien plus, le christianisme ne serait même pas neuf sur le terrain de l’ascétisme. Les conseils évangéliques, — le célibat volontaire, la pauvreté volontaire et la vie commune, — auraient été mis en pratique avant l'Évangile : nous avons vu en effet que le bouddhisme a ou ses moines longtemps avant le christianisme (V. N° 195). c) Culte. — 1. L'on prétend retrouver les sept sacrements dans le mithriacisme. Le bouddhisme et le brahmanisme ont également la confession des fautes. La communion qui fait partie intégrante du sacrifice eucharistique a pour pendant dans les cultes païens l'usage de participer aux victimes immolées à la divinité. — 2. Le culte des saints et des images correspond, dit-on, au culte des dieux et des idoles. — 3. Le christianisme a emprunté au paganisme tous ses rites et toutes ses cérémonies ; il adore et implore la divinité de la môme façon, par les mêmes signes extérieurs, par les mêmes gestes, voire par les mêmes formules. Les ex-voto qui recouvrent les murs des églises célèbres, et qui sont des marques de faveurs obtenues, ont leurs analogues dans le paganisme : les monuments d'actions de grâces abondaient près du temple d'Esculape à Épidaure et près du temple de Jupiter à Dodone. Donc, concluent les rationalistes, sur ce point comme sur les autres, la religion chrétienne n'a rien innové ; elle est une copie évidente des autres cultes. 278. — B L'INTERPRÉTATION DU FAIT. — Des ressemblances qui existent entre le christianisme et les autres religions, les rationalistes s'empressent de tirer la conclusion que le premier est l'emprunteur. Mais c'est précisément ce qu'il s'agirait de démontrer,
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car il va de soi que le plagiat ne se présume pas, il faut en faire la preuve. Or c'est chose facile de noter les ressemblances ; ce qui est plus difficile c'est d'établir la filiation. En reprenant les trois divisions : dogme, morale et culte, nous allons voir que cette filiation n'existe pas ou qu'elle s'explique par des raisons valables. a) Dogme. — 1. Que les vérités naturelles, telles que l'unité et l'immortalité de l'âme aient été enseignées par des philosophes antérieurs au christianisme, cela se conçoit, puisque la raison peut, par ses seules forces, découvrir ces vérités. L'on pourrait cependant remarquer qu'elles ont été rarement connues sans mélange d'erreur. Ainsi PLATON, tout en reconnaissant une Divinité suprême, est dualiste. ARISTOTE rejette la Providence, SENEQUE paraît plutôt panthéiste, et presque tous ont représenté la Divinité comme soumise à l'aveugle Destin. Mais on objecte aussi que le monothéisme, l'immortalité de l'âme, la croyance à une vie future, étaient déjà les éléments essentiels de la religion juive. Assurément, et ce serait un contresens de vouloir en tirer parti contre le catholicisme, puisque celui-ci est le premier, non seulement à admettre sa parenté, mais à affirmer cotte filiation comme un de ses dogmes. Les ressemblances d'ailleurs s'arrêtent là. Et si nous voulions relever les divergences entre les deux religions, établir le contraste entre le rigorisme, l'orgueil et la justice austère des Pharisiens, d'une part, et d'autre part, la bonté, l'humilité la charité inépuisable de Jésus, nous forcerions nos adversaires à confesser que la religion chrétienne, tout en étant une évolution de la religion juive, a accompli un tel progrès qu'elle peut être considérée comme une religion tout à fait neuve et originale. 2. Le point important de l'objection rationaliste concerne évidemment les trois dogmes de la Trinité, de l’Incarnation et de la Rédemption, c'est-à-dire ce qui paraît être le fond propre de la religion chrétienne. Remarquons tout d'abord que ces trois dogmes ont leur fondement dans les Livres sacrés du Nouveau Testament et en particulier dans les Évangiles. Pour démontrer que 1P christianisme a emprunté des dogmes, il faudrait donc faire la preuve que les documents de la révélation chrétienne n'ont pas de caractère original, qu'ils portent des traces d'importation étrangère. Or si l'on rapproche nos Livres sacrés de ceux de l'Inde et de la Perse, on constate aisément, par la critique interne, que les premiers n'ont pas été influencés par les seconds. Par ailleurs, les ressemblances signalées sont-elles si complètes que l'on puisse dire que les dogmes du christianisme sont empruntés? « Ne consistent-elles pas fort souvent en de simples analogies très éloignées, de telle sorte qu'il y ait entre les éléments correspondants du christianisme et des autres cultes autant de différence que de ressemblance?... Nous voyons dans plusieurs religions l'idée d'une trinité divine, mais entre les triades païennes, vagues et changeantes, composées généralement d'un père, d'une mère et d'un fils, et la conception de la Trinité chrétienne, il y a un abîme. Sur un grand nombre de points il est possible de constater, à côté des ressemblances, des différences aussi grandes. »229 L'on pourrait s'étonner encore que l’idée d'un libérateur se retrouve en dehors du christianisme, que Çakya-Muni, par exemple, se soit donné, avant Jésus, pour le .sauveur de l'humanité. Mais il convient de se rappeler que l'attente messianique avait dépassé les bornes du territoire juif. Cette idée, dont les prophètes avaient été les 229
L'abbé DE BROGLIE, Problèmes et Conclusions de l'histoire des religions.
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ardents propagateurs, avait pénétré partout. Elle faisait écho du reste aux sentiments du cœur humain. A la vue de ses misères et de ses fautes, devant la crainte des châtiments futurs, l'homme ne conçoit-il pas, comme d'instinct, le désir et l'espoir de la délivrance? « Or qu'arrive-t-il, dit l'abbé DE BROGLIE, lorsque les hommes animés de ces sentiments se trouvent privés du bienfait de la révélation véritable et de la religion divine? Il arrive naturellement qu'ils cherchent ce qui leur manque, qu'ils le créent, qu'ils l'imaginent selon leurs lumières et leurs forces Sentant le besoin d'une révélation, ces hommes écouteront le premier prophète venu, sans vérifier ses titres ; sentant le besoin d'un libérateur ils écouteront celui qui dira qu'il peut, qu'il veut les sauver. Sentant le besoin d'émotions religieuses, ils organiseront des cérémonies, des chants capables de les leur inspirer. Croyant au surnaturel, ils s'adresseront à des êtres invisibles pour obtenir d'eux la santé et la richesse... Ainsi se développeront les fausses religions où il y aura toujours une part d'imposture, et où le bien sera mêlé au mal.»230 Quant aux circonstances historiques des dogmes. c'est-à-dire à tout ce qui porte sur la vie et les actes des fondateurs, les rapprochements signalés plus haut sont loin d'être défavorables au christianisme. Sans parler du mithriacisme qui s'est propagé dans l'Empire romain à la même époque que le christianisme et que les apologistes chrétiens ont pu accuser de plagiat sans recevoir de démenti (V. N° 191), l'on ne saurait regarder la vie du Bouddha comme un modèle sur lequel les Évangélistes auraient calqué la vie du Christ. Au contraire, la biographie de Çakya-Muni est relativement moderne dans la littérature de l'Inde, la rédaction définitive n'en ayant pas été faite avant le XIIe siècle de notre ère. Pour démontrer que le christianisme est tributaire du bouddhisme, il faudrait donc prouver que les livres actuels qui contiennent la vie du Bouddha sont identiques aux originaux ; et c'est ce qui n'a pas été fait. Il n'y a pas lieu davantage de nous arrêter au parallélisme qu'on a voulu établir entre la résurrection de Jésus dont nous avons apporté précédemment les preuves indiscutables, et la mort et la résurrection des dieux mythologiques, Osiris, Adonis et Atys, lesquelles ne sont autre chose que des symboles, destinés à figurer la succession des saisons, la mort apparente de la nature en hiver et sa résurrection au printemps. b) Morale. — La morale chrétienne n'a aucunement la prétention d'être en tous points une morale nouvelle. Les préceptes fondés sur la nature des choses et imposés par la raison ne sont pas sa propriété exclusive. Il ne faut donc pas s'étonne des rapports qu'elle peut avoir avec d'autres morales, comme celle des stoïciens et celle de Zoroastre. Au surplus, la morale chrétienne les dépasse, tant dans l'ensemble de ses préceptes et de ses conseils que dans les motifs qui l'inspirent. Ainsi les stoïciens, tout en recommandant la pratique du bien comme la condition unique du bonheur, ne poursuivent que leur propre félicité ; ils ne connaissent pas la pitié à l'égard du prochain. D'autre part, en nous imposant comme premier devoir de supprimer le sentiment et de n'écouter que la raison, ils vont à l'encontre de la nature humaine et nous proposent une morale impraticable. Combien la morale du Christ, basée sur l'amour de Dieu et du prochain, compatissante à la faiblesse et indulgente aux défaillances, toujours guérissables par le repentir, est plus humaine et meilleure, on ne saurait le mettre en doute. 230
Ibid.
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Mais on dit encore qu'il y a eu dans l'Inde des moines qui ont pratiqué les conseils évangéliques avant et tout aussi bien que les ascètes chrétiens. Nous voulons bien l'admettre, mais tout au plus peut-on en conclure que la nature humaine a été la même dans tous les temps et sous tous les cieux, qu'il y a toujours eu des âmes d'élite qui ont aspiré à un idéal de perfection, et que leurs instincts religieux leur ont découvert les mêmes moyens d'y parvenir. c) Culte. 1. Nous n'avons pas à répondre à l'objection qu'on tire des ressemblances qu'il peut y avoir entre les sept sacrements chrétiens et les sept degrés de l'initiation mithriaque, puisque le mithriacisme n'est pas antérieur au christianisme, et que, s'étant répandu à Rome, il a pu entrer facilement en contact avec la religion de Jésus et lui emprunter ses rites. — 2. Quant au culte des saints et des images que l'on rapproche du culte des dieux et des idoles, les deux s'expliquent par la tendance de la nature humaine « à multiplier les objets de culte et à choisir des objets visibles de vénération religieuse : cette tendance, abandonnée à elle-même, a produit dans l'antiquité païenne le polythéisme et l'idolâtrie. Dans l'histoire du christianisme, ces mêmes aspirations, gouvernées et dirigées pari Esprit-Saint et par l'Église, ont trouvé leur satisfaction dans un culte de vénération envers les saints, distinct du culte d'adoration qui est réservé à Dieu seul, et dans l'usage légitime d'images qui ne sont nullement des idoles »231. S’il est arrivé parfois que la distinction entre le culte de Dieu et celui des saints n'a pas été suffisamment établie et que le culte d'un saint a remplacé purement et simplement le culte d'un dieu local sans qu'il y eût de différence dans la manière de vénérer l'un et d'adorer l'autre, ce sont là des abus qui sont imputables à l'ignorance des nouveaux convertis, et non à la religion elle-même. — 3. On allègue enfin l'identité des cérémonies du culte chrétien et du culte païen pour accuser le premier de plagiat. A supposer que la liturgie chrétienne ait emprunté tous ses rites secondaires soit au culte juif, soit au culte païen, c'est-à-dire en somme, au milieu dans lequel elle pénétrait, et qu'elle les ait adaptés à ses besoins, il n'y aurait pas là de quoi l'accuser de plagiat. Les cérémonies, en tant que formes extérieures par lesquelles l'homme se propose d'adresser ses hommages à la divinité, sont du domaine public. Pourquoi voudrait-on refuser à la vraie religion le droit de faire usage, par exemple, des encensements, des processions, des chants, des vêtements sacerdotaux, sous prétexte que d'autres cultes les auraient employés avant elle ? La nature humaine étant la même partout, comme nous le disions plus haut, comment trouver étrange qu'elle traduise ses sentiments d'une manière identique ? « L'homme qui se sent coupable et malheureux se tourne naturellement vers son Créateur, vers une puissance invisible capable de le délivrer. A quelque race qu'il appartienne, il risque fort d'imploré! la miséricorde divine dans les mêmes sentiments et presque dans les mêmes termes. L'attitude de la prière, les manifestations extérieures du respect et de l'humilité sont à peu près les mêmes partout : on lève les bras au ciel, on se prosterne ; plus est grand le désir d'obtenir une grâce, plus on insiste en répétant la même formule dans une sorte de litanie... Il est assez naturel de porter solennellement en procession les images de ceux qu'on veut présenter à la vénération publique. La purification, réelle ou symbolique, au moyen d'ablutions, la transmission d'un pouvoir ou d'une influence par l'imposition des mains et bien d'autres pratiques religieuses sont autant de choses très conformes aux dispositions de la nature humaine. Il est puéril de s'étonner des similitudes en pareille matière et de les 231
L'abbé DE BROGLIE, op. cit., p. 283
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noter avec empressement comme une découverte ; ou de se laisser prendre à quelques traits extérieurs de ressemblance entre certaines images, et de vite conclure à une imitation. »232 CONCLUSION. — Tout ceci nous amène à la double conclusion suivante : — l. que les points de ressemblance entre le christianisme et les autres religions antérieures ne sont pas aussi caractéristiques que le voudraient les historiens rationalistes des religions, que les divergences qui se mêlent aux ressemblances sont souvent plus importantes ; et — 2. que les conclusions adoptées par les rationalistes dépassent les prémisses, et que par conséquent, le christianisme ne peut être accusé de plagiat sur aucun point, sauf, si l'on veut, sur les questions telles que les vérités naturelles et les accessoires du culte, qui font partie du domaine commun de l'humanité. Art. II. — La rapide diffusion du Christianisme. 279. — État de la question. — La rapide diffusion du christianisme a toujours été considérée par les apologistes comme un solide argument en faveur de son origine divine. Cependant, la question n'a pas toujours été vue par eux sous le même angle. Dans le rapide essor du christianisme tous ont reconnu la main de la Providence, mais comme celle-ci a deux modes d'action, et qu'elle mène le monde, soit par le moyen des causes secondes, soit en dehors et au-dessus d'elles, l'on comprend qu'il y ait eu divergence de vue sur l'interprétation des faits. Les apologistes qui adoptent la première hypothèse, font une part très large aux circonstances favorables à la propagation du christianisme. De l'admirable enchaînement des causes secondes qui ont permis à la religion nouvelle de faire une pénétration si rapide, ils remontent à la Cause suprême « qui prépare les effets dans les causes les plus éloignées »233, de la même façon que de l'ordre du monde l'on peut conclure à un sage ordonnateur. Une telle hypothèse, bien que supposant l'action continue de Dieu, est exclusive du miracle. Elle est du reste parfaitement soutenable, mais elle a, à notre époque, le grave inconvénient de prêter des armes à nos adversaires, qui, partant de là, exagèrent, d'un côté, les circonstances favorables à la rapide diffusion du christianisme, 3t de l'autre, affaiblissent les obstacles qui s'opposaient à ses progrès, pour pouvoir aboutir à cette conclusion que la propagation du christianisme s'explique très bien par des causes naturelles et en dehors de Dieu.
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CONDAMIN, Art. Babylone et la Bible (Dict. d'Alès).
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BOSSUET, Discours sur l'Histoire universelle, 3e Part., ch. VIII. L'importance que Bossuet attache à l'action des causes secondes n'est nullement une diminution de l'action divine, car c'est Dieu qui prépare la suite et la succession des choses par le travail des causes secondes et qui en dispose l'enchaînement pour la réalisation de son plan éternel, et de ce que Bossuet appelle sa politique céleste (Sera, sur la Providence). Rien n'est donc laissé au hasard. « Ce qui est hasard à l'égard de nos conseils incertains est un dessein concerté dans un conseil plus haut, c'est-à-dire dans ce conseil éternel qui renferme toutes les causes et tous les effets dans un même ordre. De cette sorte tout concourt à la même fin ; et c'est faute d'entendre le tout, que nous trouvons du hasard ou de l'irrégularité dans les rencontres particulières. »
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La seconde hypothèse, qui est celle que nous exposerons, tout en laissant aux causes humaines la part qui leur revient, les regarde comme impuissantes à produire de tels effets et suppose par conséquent qu'il a dû s'y ajouter un élément divin ; en d'autres termes, elle prétend qu'il y a eu disproportion entre les moyens employés et les résultats obtenus, donc, miracle d'ordre moral. Mais que faut-il entendre par miracle d'ordre moral ? Pour bien saisir le sens de cette expression, il faut se rappeler que tous les êtres créés obéissent à des lois propres à leur nature : les êtres sans raison à des lois nécessaires, les êtres raisonnables à des lois morales où la liberté joue son rôle. Ainsi, des leçons que l'histoire tire de la marche des événements, il résulte que l'on peut considérer comme une loi morale qu'une masse d'hommes ne changent pas d'opinion ni de mœurs, lorsque leurs passions, leurs intérêts et surtout leur vie sont en jeu. Si le changement se produit, il faut donc l'attribuer à une intervention spéciale de Dieu, et non aux causes secondes, et de ce fait, recourir à l'hypothèse du miracle moral. D'où il suit que le miracle moral, c'est tout fait qui, ne s'expliquant pas par les lois ordinaires de l'histoire, suppose, comme condition nécessaire, l'intervention spéciale de Dieu. Pour démontrer le bien-fondé de cette hypothèse, nous avons dès lors à établir: 1° le fait même de la rapide diffusion du christianisme, et 2° le caractère surnaturel de ce fait. § 1. — LE FAIT DE LA RAPIDE DIFFUSION DU CHRISTIANISME. 280 — La diffusion du christianisme peut être envisagée au point de vue du développement numérique et géographique, et au point de vue de l'expansion sociale. 1° Développement numérique et géographique. — Le christianisme se donnant comme une religion universelle, il importe de distinguer entre le nombre des nouveaux convertis et l'importance du territoire conquis. A. LE NOMBRE. — Notre enquête sur l'expansion numérique du christianisme s'arrêtera au début du IVe siècle. A cette époque, en effet, les conquêtes de la nouvelle religion sont, non pas certes définitives, mais elles ont pris une importance telle, qu'elles ont forcé le pouvoir impérial, représenté par Constantin, à la tolérance d'abord par l'édit de Milan (313), puis à la bienveillance, et enfin au patronage officiel. Il devient dès lors difficile de faire le départ, dans le développement du christianisme qui s'intensifie chaque jour, entre ce qui peut être attribué aux causes secondes, c'est-à-dire aux auxiliaires humains, et ce qui semble impliquer une intervention spéciale de Dieu. En d'autres termes, le miracle moral n'est discernable que dans les trois premiers siècles où le christianisme, laissé à ses seules ressources, rencontre devant lui des obstacles humainement insurmontables. a) Au 1er siècle — Nous avons, pour nous renseigner sur la marche de l'Évangile, le témoignage des auteurs sacrés et celui des auteurs profanes. — 1. Témoignage des auteurs sacrés. C'est aussitôt après la descente du Saint-Esprit, le jour de la Pentecôte, que se place le berceau du christianisme. Les Actes des Apôtres rapportent que les deux premiers discours de Pierre font cinq mille convertis (Act, II, 41 ; IV, 4). Ailleurs,
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ils parlent « de milliers de Juifs convertis » (Act., XXI, 20). Dans l'Apocalypse (I, 11) il est fait mention de sept Églises. Les progrès de la nouvelle doctrine sont si rapides que la finale de saint Marc constate que, selon l'ordre donné par Jésus, d'annoncer dans le monde entier l'Évangile du royaume (Mat., XXIV, 14), « les disciples partirent et prêchèrent en tous lieux» (Marc, XVI, 20). Saint Paul, à son tour, entre 53 et 57, c'està-dire vingt ans environ après l'Ascension de Notre-Seigneur, ne craint pas d'écrire aux Romains que « leur foi est annoncée dans le monde entier» (Rom., I, 8). — 2. Témoignage des auteurs profanes. TACITE et SUETONE parlent de nombreux chrétiens qui périrent par la persécution de Néron, en l'an 64. 2) Au IIe siècle, — 1. Nous avons, tout au début du IIe siècle, vers 112, l'important témoignage de Pline le jeune. Api es avoir parcouru, en vertu de ses fonctions de légat impérial, les vastes provinces de Bithynie et du Pont, il écrit une lettre-rapport à Trajan, dans laquelle il lui exprime sa surprise d'avoir rencontré « de nombreux chrétiens de tout âge, de tout sexe et même de tout rang, et d'avoir constaté que les temples des dieux étaient presque abandonnés, les sacrifices depuis longtemps interrompus, les victimes destinées aux dieux ne trouvant plus que de rares acheteurs ». — 2. Témoignage des Pères. Saint JUSTIN, philosophe célèbre de l'école de Platon, converti au christianisme, déclare dans son Dialogue avec Tryphon, qu'« il n'y a pas une seule race d'hommes, soit barbares, soit grecs, ou de quelque nom qu'ils s'appellent, Scythes qui vivent sur les chars ou nomades qui habitent sous la tente, chez qui ne soit invoqué le nom de Jésus-Christ ». Saint IRENEE, vers 170, voulant prouver l'unité de l'Église, la montre répandue par tout l'univers : « Les langues sont diverses dans le monde, écrit-il, mais la tradition de la foi est partout la même. Ni les Églises qui s'élèvent en Germanie n'ont une autre foi ou une autre tradition, ni celles qui sont en Ibérie ou chez les Celtes, ni celles qui sont vers le Levant, ni celles qui sont en Egypte, ou en Libye, ni celles qui sont vers le centre du monde (c'est-à-dire vers la Palestine)». A la fin du IIe siècle, vers 197, TERTULLIEN écrit dans son Apologétique, c. XXXVII, n° 124 : Nous ne sommes que d'hier et nous remplissons tout votre empire, vos cités, vos maisons, vos places fortes, vos municipes, les assemblées, les camps mêmes, les tribus, les décuries, le palais, le sénat, le forum, nous ne vous laissons que vos temples. » Et Tertullien ajoute même, plus loin : « Il est évident que si les chrétiens voulaient se révolter, ils seraient plus redoutables que les Maures, les Parthes ou les Marcomans ; ou si seulement ils venaient à se retirer de l'Empire, les païens seraient effrayés de leur solitude ; il y aurait un silence et une sorte de stupeur comme si le monde était mort. » Que, dans les paroles de Pline le Jeune, aussi bien que dans celles de saint Justin, de saint Irénée et de Tertullien, il y ait une part à faire à l'exagération et à l'emphase oratoire, la chose ne semble pas contestable, mais l'amplification n'équivaut pas à la falsification de la vérité. La preuve o'est que plus tard, vers 212, le même Tertullien, écrivant au proconsul d'Afrique Scapula pour protester contre une reprise de persécution, parle de « l'immense multitude » des chrétiens formant déjà « presque la majeure partie de chaque cité », paroles qui ne s'expliqueraient pas, et qui, en de telles circonstances, seraient bien maladroites si elles allaient ouvertement contre la réalité des choses. c) Au IIIe siècle. Un des plus précieux témoignages du me siècle est celui d'Oui GENE qui, après avoir écrit, dans sa IXe homélie sur la Genèse, qu'il n'y avait « presque aucun
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lieu qui n'eût reçu la semence de la parole divine», avouait, avec une loyauté digne d'un historien moderne, que «la fin du monde était encore loin, puisque l'Évangile n'avait pas encore été prêché partout». Un autre témoignage de la même époque doit être rappelé, quoique moins précis et moins mesuré que le précédent ; c'est celui de saint CYPRIEN qui compare l'Église de son temps au soleil dont les rayons éclairent tout le monde, à un arbre dont les rameaux couvrent toute la terré, à un fleuve qui répand ses eaux de tous côtés. Nous arrivons ainsi au début du IVe siècle où nous entendons, d'un côté, le païen PORPHYRE qui se plaint de trouver des chrétiens partout, et de l'autre, l'historien EUSEBE, évêque de Césarée, qui proclame que le Christ est adoré dans le monde entier. D'ailleurs les nombreux conciles, — on en compte plus de cinquante avant le concile œcuménique de Nicée en 325, — qui se sont tenus de toutes parts, à Rome, en Afrique, dans les Gaules, en Espagne, en Grèce, dans la Palestine, etc., sont une preuve évidente que le christianisme était déjà en pleine floraison ayant la conversion de l'empereur Constantin. 281.— B. LE TERRITOIRE CONQU1S. —Les documents qui contiennent l'histoire du christianisme aux trois premiers siècles, nous le montrent répandu partout dans le vaste Empire romain, qui comprenait presque l'Europe tout entière et une grande fraction de l'Afrique et de l'Asie. Si l'on classe les provinces par rapport au nombre de leurs chrétiens, M. HARNACK pense qu'on peut les partager dans les quatre groupes suivants : — a) Le premier groupe, où le christianisme comptait presque la moitié des habitants et formait la religion dominante, comprend l’Asie Mineure actuelle, la partie sud de la Thrace, l'île de Chypre, l'Arménie, la ville et le territoire d'Edesse. — b) Le deuxième groupe se compose des provinces où le christianisme a gagné une partie notable de la population et peut rivaliser avec les autres religions : ce sont Antioche et la Célé-Syrie, l'Egypte et la Thébaïde, surtout Alexandrie, Rome avec des parties de l'Italie centrale et méridionale, l'Afrique proconsulaire et la Numidie, l'Espagne, les principales parties de la Grèce et la côte méridionale de la Gaule. — c) Le troisième groupe formé des provinces où le christianisme était peu répandu, comprend la Palestine, la Phénicie, l'Arabie, quelques districts de la Mésopotamie, l'intérieur de la Péninsule grecque avec les provinces danubiennes, le nord et l'est de l'Italie, la Mauritanie et la Tripolitaine. — d) Le quatrième groupe, composé des provinces où le christianisme est tout à fait clairsemé et pour ainsi dire inexistant, embrasse les villes de l'ancienne Philistin, les côtes nord et nord-ouest de la mer Noire, l'ouest de la haute Italie, le contre et le nord de la Gaule, la Belgique, la Germanie et la Rhétie, peut-être aussi la Bretagne et la Norique. 282. — 2° Diffusion sociale. — Après avoir établi l'expansion numérique et géographique du christianisme, il importe de savoir quelle était la qualité ou la valeur sociale de ses adeptes, car il va de soi que si le nom-Tire est une force, la qualité en est une autre. En principe, le christianisme, étant une religion universelle, s'adresse à toutes les classes de la société. — 1. Or il est indéniable que la diffusion de la religion chrétienne s'est faite, à l'origine, surtout parmi ce qu'on peut appeler la classe des petites gens. Saint Paul écrit en effet aux Corinthiens qu'il n'y a parmi eux « ni beaucoup de sages selon la chair, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de nobles» (I
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Cor., I, 26). Il s'en glorifie d'ailleurs, puisqu'il ajoute que « Dieu a choisi ce qui était faible pour confondre les forts », c'est-à-dire l'orgueil et la fausse science du monde. Malgré cela, ce serait une erreur de croire que le premier noyau chrétien ne se composait que de gens de basse condition. — 2. Il y eut, au contraire, et dès la première heure, quelques personnages de marque : à Chypre, le proconsul SERGIUS PAULUS (Act., XIII, 7, 12) ; à Athènes DENIS L'AREOPAGITE (Act., XVII, 34), convertis tous ceux par saint Paul ; à Thessalonique plusieurs ferûmes de haut rang (Act., XVII, 4, 12). À Rome, on peut citer POMFONIA GRAECINA dont Tacite raconte qu'elle fut accusée de superstition étrangère (Ann., XIII, 32), AGILIUS GLABRION, sénateur et personnage consulaire, que Domitien fit mettre à mort. En Bithynie, il y avait, suivant la lettre de Pline dont il a été question précédemment, des chrétiens appartenant à tous les rangs de la société. La un du IIe siècle marque surtout un accroissement notable du christianisme dans les rangs de l'aristocratie romaine ; les épitaphes que l'on a retrouvées dans un des plus anciens hypogées de Rome, et qui portent les noms des CAECILII, des ATTICI, des ANNII, des POMPONII, des AURELII, illustres familles de l'époque, en font foi. — 3. A côté des représentants de la richesse, nous trouvons ceux de la science. Dès les temps apostoliques, les Actes signalent « un Juif nommé APOLLOS, originaire d'Alexandrie, homme éloquent et versé dans les Écritures » (Act., XVIII, 24). Plus tard, les apologistes étaient tous des hommes de grande culture ; il suffit de nommer TERTULLIEN, juriste distingué, et ORIGENE, esprit d'une rare puissance. — 4. A la cour, la doctrine chrétienne eut aussi ses partisans. Saint Paul parle des chrétiens « de la maison de César» (Phil., IV, 22), de ceux « de la maison d'Aristobule et de Narcisse» (Rom., XVI, 10, 11). A la fin du Ier siècle, FLAVIUS CLEMENS, le cousin de l'empereur Domitien, est chrétien ainsi que ses enfants qui sont les héritiers» présomptifs du trône. Le nombre des chrétiens augmente surtout dans l'entourage des empereurs plus libéraux, Constance Chlore et Licinius. — 5. Dans l'armée, le recrutement était difficile, la douceur évangélique paraissant sans doute incompatible avec la profession des armes. Cependant, sous Marc Aurèle, la douzième légion (fulminata) comptait un grand nombre de chrétiens ; c'est de ses rangs que sortirent plus tard les quarante martyrs de Sébaste. Au IV siècle, la christianisation de l'armée était suffisamment accomplie pour que Constantin pût arborer la croix sur ses étendards. — 6. Après avoir parlé des chrétiens en général et sans distinction de sexe, il est juste d'accorder une mention spéciale aux femmes, en raison du rôle important qu'elles jouèrent dans la primitive Église. De nombreux noms de femmes sont rapportés par les Actes des Apôtres, entre autres celui d'une personnalité importante, PRISCILLE, femme d'Aquila (Act., XVIII, 2 et 26). Les salutations qui terminent les Épîtres de saint Paul comprennent généralement des noms de femmes : l'Epître aux Romains spécialement en contient huit contre dix-huit noms d'hommes. Saint Paul se préoccupe des mariages mixtes (I Cor., vu, 12) et de la tenue des femmes dans les assemblées (I Cor., XI, 5), et l'on sait que, de bonne heure, il fut institué un corps de vierges chrétiennes et de diaconesses. Conclusion. — De ce bref aperçu, il est permis de conclure que le christianisme a fait une pénétration rapide presque dans le monde entier, et que, s'il a trouvé plus d'adeptes dans la classe ordinaire, il n'a jamais été la religion d'une caste ni d'un parti. Il a été, dès les premiers jours, une religion universelle et une véritable puissance morale.
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§ 2, — LE CARACTERE SURNATUREL DU FAIT. 283. — Le fait de la rapide diffusion du christianisme à travers le monde s'explique-til par des causes naturelles, tant extrinsèques qu'intrinsèques, c'est-à-dire tirées soit du milieu où le christianisme pénétrait, soit de la doctrine elle-même? Ou bien suppose-til une intervention spéciale de Dieu et faut-il conclure qu'il y a eu miracle d'ordre moral? Pour résoudre le problème, il suffit de savoir s'il y a, oui ou non, juste proportion entre les moyens employés et les résultats obtenus. Comme on le devine bien, tous les rationalistes répondent par l'affirmative, quoiqu'ils se divisent sur le caractère et sur le nombre des causes qu’ont produit la rapidité du développement chrétien. Les apologistes catholiques soutiennent la thèse contraire. Avant d'exposer les arguments que font valoir ces derniers, il convient, en toute justice, que nous passions en revue les circonstances favorables invoquées par nos adversaires. 284. — 1° Thèse rationaliste. Explication naturelle des faits. — D'après M. HARNACK234, le succès de la nouvelle religion était normal, tant il y avait adaptation et harmonie entre le milieu et la doctrine. A. LE MILIEU. — Le christianisme s'est propagé dans deux sortes de milieux : le milieu juif et le milieu païen. a) Le milieu juif. — Sous ce nom il faut entendre non seulement les Juifs qui habitaient la Palestine, ou Juifs palestiniens, dont la langue était le dialecte araméen, mais les Juifs helléniques, c'est-à-dire tous ceux qui, à partir de l'exil de Babylone, avaient essaimé dans le monde gréco-romain et qui ne parlaient que le grec. Ces derniers, au début de l'ère chrétienne, formaient une population importante dans les centres principaux de l'Empire romain ; on trouvait des communautés juives ou juiveries à Antioche, à Damas, à Smyrne, à Éphèse, à Thessalonique, à Athènes, à Corinthe, à Alexandrie, à Rome. L'ensemble des communautés constituait ce qu'on a appelé la Diaspora, d'un mot grec qui veut dire dispersion. Chaque juiverie avait sa synagogue ; elle y menait sa vie religieuse comme dans la mère-patrie, restant inviolablement attachée à ses institutions, à son culte et à ses espérances Toutefois, bien que gardant leur individualité de race et évitant tout contact avec les païens sur le terrain religieux, les Juifs avaient, par l'élévation de leur doctrine monothéiste, exercé une assez forte influence autour d'eux. Ils avaient même détaché des cultes païens bon nombre d'âmes droites qui, désabusées des erreurs idolâtriques, avaient reconnu le vrai Dieu et s'étaient affiliées au Judaïsme par la circoncision et l'observance des prescriptions mosaïques235. 234
Nous exposons la thèse de M. HARNACK, parce qu'elle est une des plus récentes et des plus documentées.
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Les païens qui s'affiliaient au judaïsme s'appelaient les prosélytes (grec « proselytos = lat. « advena» celui qui vient du dehors). Comme les Juifs, ils attendaient le Messie et devaient participer aux promesses messianiques.
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Il est donc incontestable, concluent les rationalistes, que la Diaspora favorisa les débuts du christianisme en lui fournissant les cléments des premières chrétientés. — Contentons-nous de remarquer ici que les apologistes chrétiens reconnaissent le fait de cette première circonstance favorable à l'éclosion du christianisme, mais toute la question revient à savoir si la chose doit être regardée comme l'effet du hasard ou comme une heureuse disposition de la Providence. b) Le milieu païen. — Le monde païen, de beaucoup plus considérable que le monde juif, constituait l'ensemble de l'Empire romain. Nous allons voir quels avantages il offrait à la pénétration chrétienne, tant au point de vue politique et général, qu'au point de vue religieux. 1. Au point de vue politique, on peut regarder comme circonstances favorables : — 1) l'unité politique de l'Empire romain embrassant la presque totalité du monde civilisé : ainsi le terrain semblait préparé pour une Eglise catholique ; — 2) la paix universelle indispensable à la propagation religieuse ; — 3) L’usage général de la langue grecque. L'hellénisme, regardé comme la plus haute forme de civilisation, avait créé l'unité de langue et d'idées ; — 4) la facilité des communications qu'assuraient les multiples voies romaines et la navigation méditerranéenne. 2. Au point de vue religieux, le paganisme se trouvait en pleine décadence. Personne ne croyait plus à son absurde et grossière mythologie, et le seul culte qui eût gardé quelque faveur était celui de Borne et de l'empereur, c'est-à-dire le culte de la force. Cependant, toute préoccupation religieuse n'avait pas disparu. Depuis les conquêtes de l'Asie et de l'Egypte, les religions orientales avaient au contraire provoqué un réveil des âmes, et les cultes de Cybèle, Isis, Adonis, Astarté, Mithra avaient « empêché », dit Mgr DUCHESNE, « le sentiment religieux de mourir» et lui avaient « permis d'attendre la renaissance évangélique »236. Tous ces cultes, du reste, vivaient côte à côte, en bonne harmonie, et il était admis qu'on pouvait les pratiquer tous à la fois, si bien qu'il s'était produit entre toutes ces croyances diverses une sorte de fusion qu'on désigne généralement sous le nom de syncrétisme237 gréco-romain. Au contact de ces religions étrangères, le monde païen avait fait plus que de garder sa foi en la divinité ; ses idées sur Dieu, sur le monde et sur l'âme, s'étaient épurées. Les esprits étaient donc prêts, disent les rationalistes, à accepter une religion plus spirituelle.
Les prosélytes proprement dits, ou, comme on les a appelés plus tard, les prosélytes de la justice étaient beaucoup moins nombreux que ceux qui, abandonnant leurs pratiques idolâtriques, adhéraient au culte du vrai Dieu, sans toutefois se soumettre à la circoncision et aux observances de la Loi mosaïque. Ceux-ci sont appelés dans le Nouveau Testament les t craignant Dieu » (Act., X, 2). On les désigna au moyen âge sous le nom de prosélytes de la porte, c'est-à-dire ceux qui n'avaient pas le droit de franchir l'enceinte du temple, dont l'accès était réservé aux juifs et aux prosélytes proprement dits. 236
Mgr DUCHESNE, Histoire ancienne de l'Église.
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Syncrétisme. — Etymologiquement le mot syncrétisme (du grec « sun » avec et keran, mélanger) signifie la réunion de systèmes différents et même incompatibles. Le syncrétisme diffère donc de l'éclectisme (grec eklegein, choisir) en ce qu'il est un assemblage plus ou moins arbitraire d'opinions diverses, tandis que l'éclectisme est un système qui consiste à choisir parmi les doctrines différentes ce que chacune a de vrai.
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285. — B. LA DOCTRINE CHRÉTIENNE. — Tel était le milieu où la semence chrétienne allait être jetée Voyons si celle-ci avait toutes les qualités voulues pour y germer, croître et se développer. D'après les rationalistes, la doctrine chrétienne était tout ce qu'il y a de plus adapté au milieu qui devait la recevoir — a) Si on la considère dans son dogme, elle était à la fois simple et complexe, claire et mystérieuse, pouvant se résumer en quelques brèves formules on s'épanouir en riches aperçus, présentant une telle variété d'aspects qu'elle était apte à satisfaire les besoins religieux de toutes les âmes. Au lion des froides divinités païennes, elle montrait un Dieu unique, créateur et maître tout-puissant, un Dieu qui n'était lié à aucune race ni à aucun peuple, Dieu et Père en même temps Fère dont la bonté était allée jusqu'à donner son Fils unique, lequel après voir passé sur la terre en taisant le bien, s'était offert en sacrifice pour le rachat des péchés de l'humanité. — b) Si on le considère dans sa morale, le christianisme, en professant que tous les hommes sont frères dans le Christ, apportait l’Évangile de l’amour. Il proclamait la grande loi inouïe jusque-là, de la fraternité universelle qui n'exclut personne pas même les ennemis ; loi d'où découlent tous les devoirs sociaux : la charité, la solidarité, le dévouement la miséricorde et le pardon des injures. — c) Si nous la considérons dans son culte, la doctrine chrétienne n'est pas moins salutaire. Le Christ ne s'est pas contenté de prêcher l’Évangile du salut et de la guérison, il l'a réalisé. Il a guéri les malades, i1 a consolé les affligés et relevé les pécheurs. Il a été vraiment le Sauveur et il le reste toujours par les Sacrements qu'il a institués : c'est ainsi que le Baptême est un bain salutaire qui donne une vie nouvelle et engage les âmes dans la voie de l'immortalité bienheureuse. Or, pour atteindre une si radieuse perspective, les âmes comprirent aisément qu'elles devaient être pures et saintes, et par conséquent, qu'elles devaient pratiquer la continence, et renoncer au monde, aux plaisirs, aux richesses. Appliquant ces principes à la lettre, les chrétientés primitives ne souffrirent dans leur sein aucun membre impur ; luttant contre tous les désordres sociaux, elles défendirent le luxe, les théâtres et les spectacles. — d) Si l'on considère la religion chrétienne, non plus dans sa substance, mais dans son mode d'enseignement, elle est tout ensemble la religion de l'autorité et de la raison. D'une part, elle s'impose par la foi, par une foi absolue qui ne souffre pas la discussion. Or ce dogmatisme intransigeant devait lui gagner bien des âmes, trop heureuses d'être délivrées de leur doute, et de rencontrer une doctrine qui leur apportait la lumière complète sur Dieu, sur le monde et sur leur destinée. D'autre part, la raison n'était pas sacrifiée ; il lui revenait de montrer l'harmonie des mystères et leur conformité avec la nature humaine. Ainsi, concluent les rationalistes, l'on peut voir avec quelle richesse et quelle complexité la doctrine chrétienne apparut dès l'abord au monde païen. Renfermant en soi tout ce qui peut être demandé à une religion, elle a capté toutes les forces et toutes les idées pour les mettre à son service. Ces conclusions, nous nous garderons d'autant plus de les contredire que nous sommes les premiers à proclamer l'excellence de la doctrine chrétienne et à regarder la transcendance de l'enseignement du Christ comme une présomption en faveur de son origine divine. 286. — 2° Réfutation de la thèse rationaliste. Explication vraie. —
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Les circonstances favorables à la propagation du christianisme ne sauraient être mises en doute, encore que les rationalistes en exagèrent l'importance et en tirent des conclusions fausses. Car toute là question, avons-nous dit revient à savoir si les circonstances favorables ci-dessus mentionnées ne sont pas l'œuvre de la Providence, si elles n'ont pas été préparées par elle comme autant de moyens propres à ouvrir les voies à la nouvelle religion. Ce que nous voudrions démontrer maintenant, c'est que toutes les causes signalées comme éléments de succès n'auraient pas suffi à produire de tels effets, contrebalancées qu'elles étaient par la grandeur des obstacles et la petitesse des moyens employés. 287. — A. OBSTACLES.— La diffusion du christianisme rencontrai-deux sortes d'obstacles : les uns inhérents à la doctrine elle-même (obstacles intrinsèques) ; les autres venant du dehors (obstacles extrinsèques). a) Obstacles intrinsèques. — Tout excellente qu'elle fût, la doctrine chrétienne ne s'adaptait pas plus à l'esprit des Juifs qu'à celui des païens — 1. Les mystères, qui composaient son dogme, étaient une rude humiliation pour la raison humaine. Plus spécialement, le mystère de la Rédemption devait choquer les esprits : il était « scandale pour les Juifs » (1 Cor., I, 23) qui attendaient un Messie glorieux et conquérant, et il était « folie pour les Gentils » qui regardaient la croix comme un objet infâme, comme une ignominie réservée à de vils esclaves. — 2. Les exigences de la morale n'étaient pas un moindre obstacle. Habitués qu'ils étaient à adorer des dieux pleins d'indulgence pour leurs vices, les païens devaient, en embrassant la religion chrétienne, renoncer aux plaisirs, aux théâtres, aux jeux, même à leurs relations de société, puisque les réunions étaient mêlées presque toujours de superstitions idolâtriques. En outre, la vie chrétienne demandait des vertus, — douceur, humilité, pitié, chasteté, — qui semblaient dépasser les forces humaines. Se convertir au christianisme, c'était donc pour tout païen rompre avec son passé, c'était sortir de son milieu, se priver de multiples jouissances, alors que les autres cultes syncrétistes n'avaient aucune exigence et n'imposaient aucun sacrifice. b) Obstacles extrinsèques. — La nouvelle religion eut à lutter contre deux sortes d'ennemis, contre la calomnie et contre la persécution. — l.- La calomnie, Les adversaires du christianisme, mal intentionnés, allaient répétant les pires calomnies sur les croyances et les mœurs des chrétiens. Ils les accusèrent par exemple, d'adorer un dieu à tête d'âne, de se livrer, dans leurs réunions nocturnes, à des orgies sans nom. Interprétant faussement le sacrifice eucharistique, ils prétendirent que les chrétiens égorgeaient un enfant et se nourrissaient de sa chair, si bien que Tertullien fut obligé de rappeler que les chrétiens n'étaient ni des ogres ni des monstres inhumains. On les fit passer pour des athées et on les accusa d'être, par leurs impiétés et leurs sortilèges, la cause de tous les maux. — 2. La persécution. Pendant deux siècles et demi, de Néron à Constantin, les chrétiens furent en butte aux plus atroces persécutions (au nombre de dix), et ce n'est rien exagérer que de dire avec TERTULLIEN que tout païen converti était « un candidat au martyre». M. HARNACK le reconnaît d'ailleurs : « Ce serait, écrit-il, une illusion de se représenter la situation des chrétiens comme tout à fait supportable : l'épée de Damoclès restait suspendue sur la tête de chaque chrétien, et
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celui-ci restait toujours en face de la terrible tentation d'apostasier : car l'apostasie le rendait libre... Aussi n'a-t-on pas le droit de méconnaître le courage qu'il y avait à se faire chrétien et à vivre en chrétien ; il faut surtout glorifier la fidélité de ces martyrs qui n'avaient qu'un mot à dire ou un geste à faire pour être délivrés du châtiment et qui préférèrent la mort à cette délivrance. Dans cette interdiction légale il y avait, à n'en pas douter, un fort obstacle pour la propagande chrétienne. »238 Il est vrai que M Harnack se reprend un peu plus loin et déclare, sans se laisser arrêter par une évidente contradiction, que « l'histoire nous apprend, qu'une religion opprimée s'accroît et grandit sans cesse et qu'ainsi la persécution est un bon moyen de propagande ». Il faudrait pourtant choisir : une mémo chose ne saurait être à la fois obstacle et circonstance favorable. Loin d'être un bon moyen de propagande, la persécution est assurément le plus rude obstacle qu'une doctrine puisse rencontrer sur son chemin. L'histoire en témoigne, contrairement à ce que prétend M. HARNACK: « I1 y a des persécutions qui ont réussi, dit G. BOISSIER, et le sang a quelquefois étouffé des doctrines qui avaient toutes sortes de raisons de vivre et de se propager... Ne disons donc pas d'un ton si assuré que la force est toujours impuissante quand elle s'en prend à une opinion religieuse ou philosophique. »239 Les albigeois, les vaudois, les hussites ont succombé sous les coups de la répression. Le protestantisme a disparu, là où il a rencontré l'opposition des pouvoirs publics. Le catholicisme lui-même, quand il était déchu de sa première ferveur, a été balayé par la persécution, comme il est arrivé au e XVI siècle sous le règne d'Elisabeth. « Mais une fois au moins, dit encore BOISSIEK, en parlant du christianisme naissant, la force a été vaincue ; une croyance a résisté à l'effort du plus vaste empire qu'on ait vu ; de pauvres gens ont défendu leur foi et l'ont sauvée en mourant pour elle. »240 288. — B. MOYENS EMPLOYÉS. — Autant les obstacles étaient grands, autant les moyens employés étaient faibles. Nous venons de voir précédemment que la religion chrétienne n'avait à son service, comme moyens de propagande, ni les séductions de sa morale, ni la protection du pouvoir civil. Au lieu d'allécher les peuples par les séductions de la volupté et de subjuguer les esprits par la force des armes, comme le fit Mahomet, elle déclara la guerre aux passions et aux vices, et pendant trois siècles elle fut impitoyablement traquée par ses adversaires. Aussi pouvons-nous dire avec PASCAL que « si Mahomet a pris la voie de réussir humainement, Jésus-Christ a pris celle de périr humainement. Et au lieu de conclure que, puisque Mahomet a réussi, Jésus-Christ a bien pu réussir, il faut dire que, puisque Mahomet a réussi, Jésus-Christ devait périr. »241 N'ayant pour elle ni les attraits séducteurs de sa morale, ni la force des armes, la nouvelle religion avait-elle au moins à sa disposition l’éloquence de ses prédicateurs ? Douze hommes, appartenant à une race mal vue, douze Juifs, sans crédit, sans argent et 238
HARNACK, Die Mission und Ausbreitung des Christentums.
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BOISSIERE, La fin du paganisme.
240
Ibid.
241
PASCAL, art. XIX, n. 10, éd. Havet
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sans puissance, presque tous illettrée, parlant mal la langue grecque, comme leurs écrits le prouvent ; même saint Paul, saint Jean et saint Luc qui sont des esprits de plus grande envergure, sont, sur ce point, inférieurs aux philosophes-grecs ou latins de l'époque. Voilà les seuls instruments que le Christ a choisis pour faire la conquête du monde. Da reste, les apôtres de la nouvelle religion ne se targuent pas de gagner les esprits par la logique et la force des arguments, et saint Paul ne se fait pas scrupule de dire que « Dieu a choisi ce qui était insensé aux yeux du monde pour confondre les sages, la bassesse et l'opprobre du monde, ce qui n'est rien, pour réduire au néant ce qui est, afin que nulle chair ne se glorifie devant Dieu. » (I Cor., I, 27, 29). Ils ne s'appuient que sur une chose, sur l'autorité divine, sur les miracles du Christ et en particulier sur sa résurrection. Conclusion. — La rapide diffusion du christianisme, pénétrant dans des milieux si différents et s'adaptant à toutes les intelligences, les plus raffinées comme les plus frustes, en dépit d'obstacles apparemment insurmontables, peut donc être considérée comme « l'un des faits de l'histoire qui se dérobent le plus aux explications ordinaires »242. Aussi pouvons-nous poser à nos adversaires le fameux dilemme de saint AUGUS243 TIN : Ou bien des miracles évidents ont été opérés pour la conversion du monde, et alors le christianisme est divin et approuvé de Dieu, ou bien il n'y a pas eu de miracle et alors la conversion du monde sans miracle est le plus grand des miracles, parce que contraire aux lois de l'ordre moral. 289. — Remarque. — La merveilleuse conservation du christianisme. Les apologistes ont coutume de compléter l'argument tiré du fait de la rapide diffusion du christianisme par celui tiré du fait de son étonnante vitalité à travers les siècles. Nous nous contenterons de le signaler, car c'est toute l'histoire de l’Église qu'il y aurait lieu de faire pour présenter l'argument dans toute sa force, h'intervention divine n'apparaît pas moins évidente dans le fait de la conservation de la religion chrétienne que dans son admirable propagation. Si, par suite des obstacles qui se dressaient devant elle, il était humainement impossible à la doctrine du Christ de conquérir le monde, il lui était peut-être plus difficile encore de continuer à vivre et de résister à l'éprouve du temps. C'est qu'on effet le temps est un impitoyable démolisseur. L'attrait du nouveau, l'expérience qui montre la faiblesse des doctrines, le danger de corruption qui les menace sans cesse, l'opposition qu'elles rencontrent de toutes parts, voilà autant de causes qui font que leur succès est toujours éphémère. Or toutes ces cause» de mort, le christianisme les a trouvées sur son chemin. Dans la longue suite des siècles, il eut à lutter contre les assauts répétés des sectes hérétiques et contre la domination du pouvoir civil. A peine était-il sorti de l'ère des persécutions, qu'il fut menacé d'asservissement en passant sous la protection des empereurs et que sa victoire faillit tourner en défaite. Puis il assista à la ruine de l'Empire romain auquel son sort semblait lié. Plus tard, au Moyen Age, il connut l'ingérence despotique des pouvoirs civils, la grave querelle des investitures, le schisme d'Occident, le relâchement de l'esprit 242
P. ALLARD, Dix leçons sur le martyre. L'expansion du christianisme,
243
SAINT AUGUSTIN, La Cité de Dieu, Liv. XXII, chap. V.
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chrétien jusque chez les pasteurs de l'Église, les excès de l'humanisme, la crise protestante, la crise plus grave de l'esprit moderne avec ses conséquences sociales et politiques... Ainsi, tandis que dans le monde tout disparaît avec le temps, tandis que les empires s'écroulent les uns après les autres, que les écoles philosophiques ne gardent la faveur du public que peu de temps, en un mot, tandis que toutes les institutions humaines, quelles qu'elles soient, naissent et meurent tour à tour, seul le Christianisme demeure, gardant toute sa vitalité et ne donnant aucun signe de déclin : Stat crux, dum volvitur orbis. Aussi le concile du Vatican a-t-il, avec raison, présenté le fait de l'Église comme « un grand et perpétuel motif de crédibilité. » Art. III. — Le Martyre. 290. — État de la question. — La diffusion du christianisme a rencontré, avons-nous dit (N° 287), comme principal obstacle, les violentes persécutions que les empereurs romains ont déchaînées contre lui durant les trois premiers siècles. Le martyre fait donc, en réalité, partie intégrante de l'article qui précède. Mais les apologistes ont coutume de détacher cette question pour en faire un argument spécial on faveur de la divinité du christianisme. Dans ce but, ils considèrent le martyre chrétien sous un double jour : à un point de vue psychologique et à un point de vue historique. — 1. Au point de vue psychologique, ils prennent comme point de départ le fait de cette phalange innombrable de chrétiens qui bravent les pires tourments et la mort, avec un héroïsme et un courage qui ne se démentent pas un instant, et ils concluent que pareil fait dépasse les forces humaines et ne s'explique pas sans l'intervention divine. — 2. Au point de vue historique, les martyrs, du moins les premiers, ceux qui ont été les contemporains du Christ, ont rendu témoignage des miracles de Jésus, et plus spécialement de sa Résurrection : miracles qui servent de fondement à la doctrine chrétienne et prouvent la divinité du christianisme. En ne reculant pas devant le sacrifice de leur vie, pour affirmer ce qu'ils avaient vu, ils ont donné à leur témoignage une valeur sans égale, et l'on peut dire avec PASCAL qu'il y a tout lieu de croire « les histoires dont les témoins se font égorger ». (Voir supra). Nous ne considérerons la question que du seul point de vue psychologique. Le second point de vue, outre qu'il nous paraît très discutable (V. N° 297),se rattache à une autre question ; il appartient entièrement à la preuve historique des miracles du Christ, qu'il s'agisse de ses miracles en général, ou du miracle de la Résurrection (V. N° 271). Au point de vue psychologique, nous aurons à établir deux points : — 1° le fait du grand nombre des martyrs et 2° le caractère surnaturel du fait. § 1. — LE FAIT DU MARTYRE CHRETIEN. 291. — Nous allons voir : 1° ce qu'il faut entendre par martyrs ; 2° quel fut le nombre de chrétiens martyrisés ; et 3° s'ils furent martyrisés parce que chrétiens 1° Définition. — Étymologiquement, martyr (du grec martus, marturos) veut dire témoin. Ce mot a donc été choisi pour désigner les Apôtres et les premiers disciples
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qui, ayant vu les miracles et la Résurrection du Christ, versèrent leur sang pour en rendre témoignage. Le mot a été employé depuis dans un sens plus large. Il désigne tous les chrétiens qui ont souffert la mort plutôt que de renier leur foi. Peu importe donc que les chrétiens aient sacrifié leur vie pour attester un fait dont ils avaient été les témoins, ou pour confesser leur foi à une doctrine ; les uns comme les autres sont des martyrs du christianisme. 292. — 2° Le nombre. — « Aucune donnée statistique, dit M. P. ALLARD ne permet de retrouver, même approximativement, le nombre des martyrs ; on ne saurait douter qu'il n'ait été très grand. »244 Ainsi, d'après le célèbre historien des persécutions, il n'est pas possible, faute de documents, d'évaluer par un chiffre quelconque, même approximatif, le nombre des victimes des persécutions. La raison en est que les listes dressées par les Églises et composant leurs Martyrologes, sont loin d'être complètes et ne mentionnent que les noms des martyrs dont l'anniversaire était célébré. Ce qui n'est pas douteux, c'est que le nombre en fut très grand. Cette opinion repose sur le témoignage des auteurs profanes et des auteurs chrétiens : — a) Témoignage des auteurs profanes- — 1. TACITE dit que, sous Néron, il périt une immense multitude de chrétiens, « multitudo ingens »245. — 2. DION CASSIUS rapporte que « Domitien mit à mort, avec beaucoup d'autres, son cousin Flavius Clemens, alors consul, et la femme de celui-ci, FLAVIA DOMITILLA, sa parente »246. — b) Témoignage des écrivains chrétiens. LACTANCE écrit dans son ouvrage De la mort des persécuteurs (ch. XV) : « Toute la terre était cruellement tourmentée, et, à l'exception des Gaules, l'Orient et l'Occident étaient ravagés, dévorés par trois monstres. » L'historien EUSEBE écrit à son tour dans son Histoire ecclésiastique (liv. VII, ch. IX) : « II est impossible de dire quelle multitude de martyrs la persécution fit en tout lieu. En Phrygie, une ville chrétienne fut livrée aux flammes avec tous ses habitants, sans en excepter les femmes et les enfants. ». La tradition sur le grand nombre des martyrs fut d'ailleurs acceptée sans conteste jusqu'à la fin du XVIIe siècle. Elle fut mise en doute en 1684 par le protestant DODWELL qui, tout en réduisant le nombre des victimes des persécutions, admet cependant qu'il fut assez considérable pour être une preuve en faveur du christianisme. Après le critique anglais, la même thèse fut soutenue, au XVIIIe siècle, par VOLTAIRE naturellement, et tout récemment par certains rationalistes: HOCHARD (Études au sujet de la persécution de Néron), HAVET (Le Christianisme et ses origines), AUBE (Histoire des persécutions de l’Église jusqu'à la fin des Antonins), M. HARNACK (op. cit.). Mais la thèse du grand nombre des martyrs a été suffisamment prouvée par d'autres historiens tels que TILLEMONT dans ses Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique des six premiers siècles, par RUINART, dans ses Acta sincera Martyrum, par LE BLANC dans son Supplément aux « Acta sincera» de Dom RUINART, par P. ALLARD, dans son Histoire des persécutions du Ier au IVe siècle, par G. BOISSIEK dans
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P. ALLARD, Histoire des persécutions du 1er au 4e siècle ; t. I, Introd.
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TACITE, Annales, Liv. XV, chap. XLIV.
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DION CASSIUS, Liv. XVII, chap. IV.
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La fin du Paganisme, et même par RENAN dans son Histoire des Origines du Christianisme. Au demeurant, alors même qu'il faudrait diminuer le nombre des martyrs, le chiffre en resterait toujours imposant, et il ne faut pas oublier que l'atmosphère de crainte et de péril dans laquelle vivaient tous ceux qui faisaient profession d'être chrétiens, équivalait pour ainsi dire à la mort. , Dans le passage que nous avons cité (N° 287), M. HARNACK n'hésite pas à le reconnaître, et il confesse sans détour que là situation des chrétiens était intolérable. Et si nous n'arrêtions pas notre enquête aux trois premiers siècles, nous pourrions ajouter qu'à travers sa longue histoire- l'Église a toujours eu des martyrs, et que le témoignage du sang ne lui a jamais fait défaut. Qu'on consulte les Annales de la Propagation de la Foi des cinquante dernières années, et l'on pourra lire le récit du martyre de nombreux chrétiens, missionnaires et laïques, qui sont tombés pour la foi du Christ, au Japon, en Chine, en Cochinchine, au Tonkin, en Mongolie, dans l'Ouganda, etc. 293. — 3° Ils ont été martyrisés parce que chrétiens. — Il n'est pas besoin d'insister longuement pour démontrer que les chrétiens ont été martyrisés pour le seul crime d'être chrétiens. Il est vrai que le premier édit de persécution porté par NERON paraît avoir ou pour prétexte l'incendie de Rome, mensongèrement imputé aux chrétiens. Mais, outre que ce cas est exceptionnel dans l'histoire des persécutions, l'accusation portée par l'empereur n'a jamais été prise au sérieux, comme en témoignent les historiens de l'époque, TACITE et SUETONE. Toutes les persécutions ont pour point de départ la promulgation d'un édit ou rescrit qui défend de se convertir à la nouvelle religion. Aussi l'interrogatoire des juges est-il très simple. On pose une première question pour savoir si l'accusé fait profession de christianisme, et, dans l'affirmative, s'il veut renier sa foi et sacrifier aux dieux du paganisme, s'il veut être renégat ou martyr. § 2. — LE CARACTERE SURNATUREL DU FAIT. 294. — Le caractère surnaturel du fait découle des circonstances du martyre, de la grandeur des supplices, d'une part, et du courage héroïque des chrétiens, d'autre part. 1° La grandeur des supplices. — Comment dépeindre les affreuses tortures morales et physiques qui guettaient les nouveaux convertis. — a) Les tortures morales. Lorsque la persécution sévissait, la vie des chrétiens était dans un danger continuel ; « l'épée de Damoclès, comme dit M. HARNACK, restait suspendue sur leur tête. » Surtout s'ils appartenaient aux classes riches, leur situation était intolérable. Non seulement ils ne pouvaient briguer les honneurs et les dignités de l'Empire, mais ils étaient dans la nécessité de les refuser, si on les leur offrait, parce que toute charge impliquait l'obligation de sacrifier aux dieux païens247. Il est même arrivé parfois que dans l'armée
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Il ne faut pas oublier en effet que la législation romaine ne connaissait pas la liberté des cultes. Dans la pratique, il est vrai, la tolérance était grande, autant par indifférence du pouvoir que par crainte de se rendre hostiles les dieux dont on aurait persécuté les adeptes. Jusqu'en 64, c'est-à-dire aussi longtemps qu'on le confondit avec le judaïsme, le christianisme profita de cette tolérance, mais à partir
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les officiers furent dégradés et chassés des rangs Une autre peine plus grave que la précédente consistait dans la confiscation des biens, c'est-à-dire, en fait, dans la misère pour toute la famille, et la déchéance, puisque la perte de la fortune entraînait comme conséquence de rejeter les gens de haute condition dans la classe des plébéiens. A côté de ces tortures qui concernaient surtout les hommes de condition élevée, il y avait un ignoble supplice que l'on infligeait parfois à la femme chrétienne. Nous ne le mentionnerons qu'en passant, tant il répugne de penser que, dans une société soi-disant civilisée, il ait pu se trouver des persécuteurs assez bas pour imposer à des jeunes filles la honte de la prostitution. b) Tortures physiques. Les tortures physiques n'étaient pas moindres que les tortures morales. Depuis l'arrestation jusqu'à l'exécution, il arrivait fréquemment que les malheureux accusés devaient passer par les plus rudes épreuves. Jetés dans d'affreuses geôles où ils étaient chargés de lourdes chaînes, ayant parfois les jambes emboîtées dans des blocs de bois munis de trous (neivus) et tenues dans un écart douloureux, comme il arriva à Paul et à Silas, lors de leur séjour à Philippes (Act., XVI, 24), ils avaient presque toujours à y endurer tous les tourments de la faim et de la soif et ils attendaient parfois plus de deux ans le moment où ils devaient comparaître devant le juge. Et quand l'interrogatoire était venu, pour obtenir d'eux le désaveu de leur foi, on leur faisait subir différentes tortures : la flagellation, la tension de leur corps sur le chevalet, la lacération de leurs membres avec des ongles de fer, l'application du fer rouge ou des torches enflammées. Enfin la peine était prononcée : c'était, soit le bannissement, soit la déportation, soit les travaux forcés dans les carrières de pierre, de marbre, dans les mines d'or, d'argent, de plomb, de cuivre, soit la peine de mort. La peine de mort comportait à son tour des degrés dans les supplices suivant la gravité des cas et la condition des personnes. La peine la plus cruelle et la plus ignominieuse était le supplice de la croix puis venaient la peine du feu, la mort sur un bûcher, l'exposition aux bêtes, le supplice le plus dramatique, celui qui servait de jeu et de réjouissance publique à la société païenne . il y avait enfin la décapitation, la peine la plus douce appliquée aux condamnés de haut rang248. 295. — 2° Le courage des martyrs devant les supplices — A voir la somme de souffrances qui étaient réservées aux nouveaux convertis, il semble bien que le christianisme n'ait pu recruter d'adeptes que parmi les hommes dans la force de l'âge, et encore parmi les âmes douées d'une trempe exceptionnelle. Or, il n'en est rien : la de cette date, on lui appliqua toutes les rigueurs des lois, parce qu'il était regardé par les païens comme une religion athée (N° 287). 248
« En principe, dit M. P. ALLARD, la décapitation est le privilège des gens de condition honnête, la croix le supplice des esclaves et des personnes viles, le feu et les bêtes celui des non-citoyens; mais en ce qui concerne les chrétiens, ces distinctions s'effacèrent vite ; dès la fin du n" siècle, le choix de leur supplice dépendit moins de la condition des personnes que de l'arbitraire du magistrat. Citons, parmi le» martyrs décapités : au Ier siècle, saint Paul, citoyen romain ; au ns siècle, Justin et ses disciples ; au m» siècle, le pape Sixte II et plusieurs de ses diacres, saint Cyprien... Dans la dernière persécution, il est aussi question de noyades : chrétiens « innombrables » de Nicomédie portés liés sur des barques et précipités en pleine mer, martyrs Jetés dans les fleuves, quelquefois cousus dans un sac comme des parricides, quelquefois « avec une pierre au cou». Art. Martyre (Dict. d'Alès).
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religion du Christ compte des martyrs de tout âge, de tout sexe, et de toute condition Il y a donc tout lieu de croire qu'il y avait là quelque chose d'extraordinaire et qu'un secours d'en haut soutenait les martyrs dans leurs épreuves Il est clair qu'une telle opinion ne saurait s'établir par des preuves rigoureuses, mais au moins elle s'appuie sur le témoignage des victimes elles-mêmes et sur celui des païens qui assistaient au spectacle de leurs souffrances.— l. Que les chrétiens aient été convaincus de recevoir un secours surhumain, cela ressort de leur témoignage. Citons, entre autres, celui de la martyre FELICITE. Ses historiens racontent que, étant encore en prison et ayant été prise un jour des douleurs de l'enfantement, elle ne put retenir ses cris. Un des assistants lui dit alors : « Si tu ne peux supporter en ce moment la souffrance, que feras-tu donc en face des bêtes féroces ? » Elle répondit : « C'est moi, en ce moment, qui souffre mes douleurs : mais alors un autre sera en moi, qui souffrira pour moi, parce que je souffrirai pour lui. » — 2. Le fait n'était pas jugé moins étrange par les païens qui ne comprenaient pas comment des femmes, des enfants, des vieillards pussent supporter de telles douleurs, alors qu'un mot, un simple geste auraient suffi à les sauver. Leur étonnement était pour beaucoup d'ailleurs le principe de leur conversion. « Bien des hommes, dit TERTULLIEN, frappés de notre courageuse constance, ont recherché les causes d'une patience si admirable ; dès qu'ils ont connu la vérité, ils sont devenus des nôtres et ont marché avec nous.»249 Le « sang des martyrs» devenait ainsi selon la parole du même auteur, « une semence de chrétiens ». 296. — Objections. — 1° La constance des martyrs, objectent les rationalistes, s'explique — a) soit par l’amour de la gloire, — b) soit par la perspective des biens futurs, — c) soit par le fanatisme. Réponse. — C'est en vain que les rationalistes cherchent, en dehors dé l'intervention divine, des causes qui puissent expliquer la constance des martyrs. — a) Invoquer Y amour de la gloire, c'est se mettre en contradiction avec les faits. La plupart des martyrs se distinguent par leur humilité. Un certain nombre furent envoyés au supplice loin de la foule, et partant, sans qu'il y eût possibilité pour eux de faire admirer leur courage. Qu'on ne dise pas non plus que ce qu'ont fait les martyrs, les soldats le font tous les jours sur les champs de bataille. Car le soldat se bat pour le butin ou pour la gloire, et, s'il a conscience d'aller au danger, il garde toujours 1’espoir d'y échapper — b) La perspective des biens futurs a été un motif de courage, c'est indéniable, mais cela ne suffit pas à rendre raison de la constance de si nombreux martyrs, car ne savonsnous pas, par expérience que, malgré l'attente des biens futurs, nous sommes souvent très faibles, non seulement vis-à-vis de la douleur, mais même en face de nos passions — c) Ce serait une autre erreur de prendre le courage des martyrs pour du fanatisme. Le fanatisme est un zèle aveugle et extravagant qui emploie tous les moyens, même les plus mauvais, pour la défense d'une opinion. Le fanatique ne discute pas, il s'obstine dans ses idées et veut les faire triompher à n'importe quel prix. Loin d'être fanatiques, nos martyrs sont calmes et réfléchis. Certes, ils ont une foi invincible, mais ils sont prêts à en discuter le bien-fondé, et s'ils y restent inviolablement attaché, jamais ils ne cherchent à l'implanter chez les autres par des moyens violents. Du reste, le fanatisme 249
TERTULLIEN, Ad Scapulam, 5
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ne s'expliquerait qu'aux origines de la religion et pendant un laps de temps restreint, mais non pendant trois siècles, ou plutôt, dix-neuf siècles. 297. — 2° Mais, répliquent encore les rationalistes, toutes les religions ont leurs martyrs. L'hindou, le musulman, le protestant peuvent donc, tout aussi bien et pour les mêmes motifs que le catholique, se réclamer de leurs martyrs en faveur de la divinité de leur religion250. Réponse. — Si toute mauvaise cause peut avoir des partisans capables de mourir pour elle, si l'on a vu des pétroleurs tomber bravement en criant : Vive la Commune, des nihilistes et des anarchistes se faire tuer pour leurs idées révolutionnaires, à plus forte raison toute religion, même fausse, peut avoir ses martyrs. Sur ce point comme sur bien d'autres, rien n'empêche qu'il y ait ressemblance entre la vraie et les fausses religions. Tout n'est pas erreur dans les religions fausses, et tout n'est pas mauvais on dehors du christianisme. Pourquoi voudrait-on alors que le christianisme ait le monopole de la vertu et du courage? Ces concessions une fois faites, qui oserait prétendre qu'il y ait équivalence entre l'histoire du martyre chrétien et celle des autres religions! Qu'on compare, non pas seulement quelques martyrs entre eux, mais qu'on regarde l'ensemble, et l'on verra que jamais, à nulle époque de l'histoire, aucune religion n'a donné tant d'exemples de constance et de courage devant la souffrance et la mort. Le fait du miracle moral, ce n'est donc pas dans quelques cas isolés que nous le voyons ; c'est dans cette multitude 250
Pour se dérober à cette objection, les apologistes du XVIIIe siècle (BERGIER) ont répondu que la valeur apologétique de l'argument du martyre n'était pas là, et que les martyrs étaient des témoins, non d'une idée, mais d'un fait. A notre époque M. P. ALLARD a repris la même méthode d'argumentation : « Quelles que soient les confusions introduites par l'usage dans la langue courante, écrit-il (Dix leçons sur le Martyre), tout homme qui meurt pour une opinion ne peut être appelé un martyr. Selon l'étymologie du mot, un martyr est un témoin. On n'est pas témoin de ses propres idées. On est témoin d'un fait... Les martyrs (chrétiens) sont témoins non d'une opinion, mais d'un fait, le fait chrétien. Les uns l'ont vu naître sous leurs yeux, ils ont connu son auteur. Ils ont assisté à la vie, à la mort, à la résurrection du Christ. Ce sont ses Apôtres, ses disciples immédiats... Quand ces hommes bravent tous les périls, acceptent toutes les privations et toutes les fatigues pour attester les faits extraordinaires qui se passèrent sous leurs yeux, et enfin meurent en affirmant leur foi, il est difficile de douter d'un témoignage scellé de leur sang. Entre l'attestation qu'ils en donnent par leur sang, et la mort d'hérétiques qui refusent de renoncer à une opinion nouvelle, il n'y a pas de commune mesure. Quand même la sincérité et le courage seraient égaux, la valeur du témoignage est toute différente, ou plutôt les premiers seuls ont le droit au titre de témoins.» — Cette distinction entre les martyrs du christianisme et ceux des autres religions ne nous paraît pas soutenable. En tout cas, si on veut l'établir, en bonne logique il faut refuser le titre de martyrs à tous ceux qui n'ont pas été les contemporains du Christ, et même à ceux qui l'ont été mais n'ont pas été les témoins de ses miracles. C'est, du même coup, retrancher du martyrologe chrétien toute une multitude. D'autre part, il est historiquement certain que les chrétiens ne mouraient pas pour attester un fait, mais pour adhérer à une doctrine. L'interrogatoire des juges ne portait que sur un point, sur une seule question qui était de savoir si l'accusé était chrétien ou non. Au surplus, comme nous l'avons déjà dit, l'argument du témoignage des martyrs appartient à la preuve de la divinité du christianisme par les miracles du Christ, et lorsqu'il s'agit de démontrer la réalité de ces miracles par la valeur des historien» nui ont scellé leur parole de leur sang.
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d'hommes, de femmes, d'enfants, de vieillards qui vont au devant des plus affreuses tortures et que l'on doit même parfois retenir, qui supportent la douleur sans pousser une plainte et sans prononcer une parole de désaveu. Non, jamais aucune religion n'a donné autant de marques de virilité, n'a manifesté un héroïsme aussi pur, aussi universel, aussi persévérant. Et cela nous suffit pour ne pas douter que Dieu était avec la religion chrétienne et ses martyrs. BIBLIOGRAPHIE. — 1er Art. — Abbé DE BROGLIE, Problèmes et conclusions de l'histoire des religions. — HUBY, Christus. — BRICOUT, Où en est l’histoire des religions. — CONDAMIN, art. Babylone et la Bible (Dict. d'Alès). — CHOLLET, La Morale stoïcienne en face de la Morale chrétienne (Lethielleux). — POULIN ET LOUTIL, Les religions diverses (Bonne Presse). 2e et 3e Art. — Mgr DUCHESNE, Histoire ancienne de l'Église (Fontemoing). — Pau' ALLARD. Histoire des persécutions ; Dix leçons sur le Martyre (Lecoffre). — J. RIVIERE, La propagation du christianisme dans les trois premiers siècles (Bloud) : Autour de la question du martyre (Rev. pr. d'Ap., 15 août 1907). — BATIFFOL, Ancienne littérature chrétienne (Gabalda). — BOISSIER, La fin du paganisme (Hachette). — G. SORTAIS, Valeur apologétique du martyre (Bloud).— DE POULPIQUET, L'argument des martyrs (Rev. pr. d'Ap., 15 mars 1909). — Dubois, Rev. du Clergé français, 15 mars, 15 avril 1907. — VALVEKENS, Foi et raison — TANQUEREY, Théologie dogmatique fondamentale. — DIDIOT, Logique surnaturelle objective, th. 43, 44. — FOUARD, Saint Pierre et les premières années du Christianisme. — BOSSUET, Discours sur l’Histoire universelle. — FRAYSSINOUS, Conférences. — LACORDAIRE, 29e-36e Conférences.
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TROISIEME PARTIE : LA VRAIE ÉGLISE Aperçu général de la troisième partie. 298. — Ainsi que l'indique le tableau qui précède, cette troisième Partie de l'Apologétique se partage en trois sections. A. LA PREMIÈRE SECTION comprend deux chapitres groupés sous le titre général de « Recherche de la vraie Église ». La conclusion à laquelle nous avons abouti, dans la seconde Partie, c'est que, entre toutes les religions actuelles qui revendiquent le nom de religion révélée, une seule porte les marques d'origine divine ; cette religion c'est la religion chrétienne. Mais cela ne suffit pas, et il reste à savoir où nous pouvons la trouver. Donc deux questions : Jésus-Christ a-t-il fondé une institution quelconque, une Église dont il nous soit possible de découvrir les traits essentiels dans l'Écriture, et à qui il ait confié le dépôt exclusif de sa doctrine! Dans l'affirmative, — et étant donné que plusieurs sectes prétendent être cette Église fondée par le Christ, — quelles sont les marques auxquelles nous puissions la discerner? Quelle est la vraie Église? B. DEUXIÈME SECTION. — A vrai dire, lorsque l'apologiste a démontré que l'Église romaine est la vraie Église, son œuvre est terminée. Les deux autres sections sont donc en dehors de l'apologétique constructive, Nous les avons ajoutées pour répondre à des questions du plus haut intérêt et d'ailleurs généralement inscrites aux Programmes d'Instruction religieuse. La seconde section, qui porte le titre général de « Constitution de l’Église », comprend deux chapitres : Le premier où l'on étudie» du point de vue théologique, la hiérarchie et les pouvoirs de l'Église ; le second, sur les droits de l'Église et ses relations avec l’État. C. TROISIÈME SECTION. — La troisième section est consacrée à la défense de l'Église, non pas évidemment contre toutes les attaquée qui lui ont été faites, sur le terrain historique, philosophique et scientifique, mais contre les principales, et celles qu'on rencontre le plus couramment dans les livres et sur les lèvres des adversaires mal intentionné» ou mal informés. Cette section aura deux chapitres: 1° L'Église et l'Histoire, et 2° l'Église ou la Foi devant la raison et la Science. DÉVELOPPEMENT Notions préliminaires. Division du Chapitre 299. — I. Notions préliminaires. — Pour qu'aucune confusion ne naisse dans l'esprit, il importe, avant tout, de bien déterminer le sens des deux mots « royaume de Dieu» et «Église », dont l'usage sera fréquent au cours de ce chapitre.
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1° Concept du royaume de Dieu. — L'expression « royaume de Dieu » ne revient pas moins de cinquante fois dans les Évangiles de saint Marc et de saint Luc. Saint Matthieu au contraire ne l'emploie que rarement (XII, 28 ; XXI, 31, 43) ; il lui substitue l'hébraïsme « royaume des cieux». Peu importe du leste : les deux expressions ont même sens. Le royaume de Dieu ou des cieux est bien le point contrai de la prédication de Jésus. L'on se rappelle que les Juifs, instruits par les oracles messianiques, attendaient depuis plusieurs siècles l'avènement d'un vaste Royaume appelé à s'étendre au loin, et d'un Roi que Jahvé enverrait pour le gouverner. L'établissement de ce royaume doit donc être l'œuvre propre du Messie. Mais ce royaume dont Jésus vient annoncer la venue, n'est pas tel que les Juifs se le représentent. Dans son ensemble il est la nouvelle religion, la grande société chrétienne que le Christ va instaurer, qu'il doit inaugurer sur cette terre jusqu'à ce qu'il en devienne le juge et le roi à son dernier avènement. Le royaume de Dieu a donc deux phases. Il est : — a) un royaume terrestre dans lequel pourront se grouper tous les sujets de l'univers, et — b) un royaume céleste, transcendant, qui sera établi dans le ciel, un royaume eschatologique. 300. — 2° Concept de l'Église. — Étymologiquement, le mot Église (du grec « ekklêsia» assemblée), désigne une assemblée de citoyens convoquée par un crieur public. A. DANS LE LANGAGE SCRIPTURAIRE, le mot est employé avec une double signification. — a) Au sens restreint et conforme à l’étymologie, il s'applique soit à l’assemblée des chrétiens qui tiennent leur réunion dans une maison particulière (Rom., XVI, 5 ; Col., IV, 15)251, soit à l’ensemble des fidèles d'une même cité ou d'une même région : telles sont, par exemple, l'Église de Jérusalem (Act., VIII, 1 ; XI, 22 ; XV, 24), l'Église d'Antioche (Act., XIV, 26 ; XV, 3 ; XXIII, 1), les Églises de Judée (Gal., I, 22), les Églises d'Asie (I Cor., XVI, 19), les Églises de Macédoine (II Cor., vin, 1). — b) Dans un sens général, le mot désigne la société universelle des disciples du Christ. Le mot est ainsi employé par saint Matthieu dans le fameux « Tu es Petrus... Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église » ( Mat., XVI, 18). Le même sens est assez fréquent dans les Actes (V, 11 ; VIII 1, 3 IX, 31), dans les Épîtres de saint Paul (I Cor., X, 32 ; XI, 16 ; XIV, 1 ; XV, 9 ; Gal, I, 13 ; Eph., I, 23 ; V, 23 ; Col, I, 18), dans l'Épître de saint Jacques (V, 14). DANS LE LANGAGE DES PÈRES, le mot Église se retrouve avec les deux mêmes sens — a) sens restreint, soit d'assemblée des fidèles : ex. Didachè (IV, 12) soit de groupement local ou régional des fidèles: ex. première Épître de saint Clément pape 251
A L’origine le mot « Eglise » ne désigne donc pas le local où les disciples se réunissent. Il faut bien rappeler d’ailleurs que les premiers chrétiens ne disposent pas d’édifices propres à leurs réunions religieuses et qu’il s’assemblent où ils peuvent, chez l’un ou l'autre, chez celui d'entre eux qui peut mettre à la disposition de ses frères une salle plus spacieuse. Le mot Église désigne donc l'assemblée. Cependant il est bon d'ajouter que saint Paul applique le mot non seulement à l'assemblée, à la réunion en acte, mais encore à la collectivité des membres qui sont les habitués des réunions. Il écrit par exemple dans son Epître aux Romains (XVI, 5) : « Saluez Priscille et Aquila... Saluez aussi l'Église qui est dans leur maison. »
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aux Corinthiens dans la suscription et XLVII, 6; — b) sens général, pour désigner l'ensemble des fidèles appartenant à la religion chrétienne : le mot se trouve ainsi employé dans les écrits du pape saint Clément, de saint Ignace, de saint Irénée, de Tertullien et de saint Cyprien. B. D'APRÈS LA DOCTRINE CATHOLIQUE, le mot Église pris au sens général, s'entend de la société des fidèles qui professent la religion du Christ sous l'autorité du Pape et des Évêques — a) En tant que société, l'Église offre les trois caractères communs à toute société, à savoir une fin, des sujets aptes à atteindre cette fin et une autorité qui a la mission de les y conduire. — b) En tant que société religieuse, les caractères de l'Église sont d'une nature spéciale. La fin qu'elle poursuit est d'ordre surnaturel. Les sujets auxquels elle s'adresse sont considérés, non par rapport à leurs intérêts temporels, mais au seul point de vue du salut de leur âme. De même, l'autorité qui assume la direction est une autorité surnaturelle qui a reçu de Jésus-Christ un triple pouvoir: — 1 un pouvoir doctrinal pour enseigner d'une manière infaillible la doctrine du Christ ; — 2. un pouvoir sacerdotal pour communiquer la vie divine par les sacrements; et — 3. un pouvoir de gouvernement pour obliger tous les fidèles à ce qui est jugé nécessaire ou utile à leur salut. 301, — Nota. — I. Il est facile de voir, par les deux notions qui précèdent, que le concept du royaume est beaucoup plus étendu que celui de l'Église. L'Église est quelque chose du royaume. Elle en est le côté visible et social, mais elle n'est pas tout le royaume, celui-ci ayant deux aspects : l'aspect terrestre et l'aspect céleste ou eschatologique (N° 299). Cependant l'Église, entendue au sens large, se confond avec le royaume de Dieu. Les théologiens distinguent en effet le corps et l’âme de l'Église, c'est-à-dire, d'un côté, la communauté visible et hiérarchique des chrétiens, et, de l'autre, la société invisible, l'âme, à laquelle appartiennent tous ceux qui sont en état de grâce, quelque religion qu'ils professent. Ils comprennent en outre dans la notion d'Église, non seulement les fidèles de la terre (Église militante), mais aussi les élus qui sont au ciel (Église triomphante) et les âmes qui souffrent en Purgatoire (Églises souffrante). — 2. Au point de vue apologétique, et comme il est entendu dans ce chapitre, où nous recherchons si Jésus-Christ a institué une Eglise, ce mot ne s'applique qu'à la société visible et hiérarchique des chrétiens ici-bas, donc à la société considérée sous son aspect extérieur et social (sens général). 302. — II. Division du Chapitre. — Une double question doit faire l'objet de notre étude. 1° Tout d'abord nous avons à rechercher si Jésus a pu songer à fonder une Église : c'est la question préalable. 2° Puis, dans l'affirmative, nous aurons a établir, d'après les documents de l'histoire, quels sont les caractères essentiels de l’Église fondée par le Christ. D'où deux articles. Dans le premier, nous rencontrerons devant nous les rationalistes, les protestants libéraux et les modernistes. Dans le second, nous aurons les mêmes adversaires, et en plus, les Protestants orthodoxes et les Grecs schismatiques. Art. 1. — Question préalable : Que Jésus a pu songer à fonder une Église.
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303. — D'après les protestants libéraux et les modernistes, l'institution d'une Église ne pouvait pas être dans la pensée de Jésus, la prédication du Sauveur n'ayant d'autre but que l'établissement du royaume de Dieu. Le royaume de Dieu, en effet, tel que nos adversaires le conçoivent, est incompatible avec la notion catholique de l'Église. Le royaume de Dieu prêché par Jésus serait: — 1. un royaume purement spirituel, d'après les uns (SABATIER, STAPFER, HARNACK) ; — 2. un royaume uniquement eschatologique, d'après les autres (M. LOISY). NOUS allons examiner ces deux systèmes, et nous montrerons qu'ils sont une interprétation incomplète, et par conséquent fausse, de la pensée et de l'œuvre de Jésus. § 1. — LE SYSTEME D'UN ROYAUME DE DIEU SEULEMENT INTERIEUR. REFUTATION. 304. — 1° Exposé du système. — Si nous en croyons SABATIER et HARNACK, Jésus n'a jamais songé à fonder une Église, en tant que société visible. Il s'est borné à prêcher un royaume de Dieu intérieur et spirituel ; son unique préoccupation a été d'établir le règne de Dieu dans l'âme de chaque croyant, en produisant en lui une rénovation intérieure et on lui inspirant envers Dieu les sentiments d'un fils à l'égard de son Père. Dans sa race, dans son milieu, dans la génération de son temps, Jésus trouvait une religion exclusivement rituelle et formaliste. Sans doute, il un l'a pas interdite d'un seul coup ; mais ce côté extérieur de la religion, il l'a on visage comme secondaire. Ce que l'on peut au contraire regarder comme la grande nouveauté apportée par lui, comme l'élément original et qui lui appartient en propre, ce qui, en d'autres termes, est bien l'essence du christianisme, c'est la place prépondérante accordée désormais au sentiment. Ainsi le royaume de Dieu serait un royaume intime et spirituel, s'adressant aux besoins de l'âme, n'impliquant aucune adhésion à des dogmes, à des institutions positives et à des rites tout extérieurs, laissant donc toute liberté au sens individuel. D'où il suit que l'organisation du christianisme en société hiérarchique serait en dehors du plan tracé par le Sauveur ; l'Église serait une création humaine dont il appartient à l'histoire de découvrir les origines et les causes. 305. — 2° Réfutation. — Que la religion prêchée par le Christ, autrement dit, le royaume de Dieu soit surtout d'essence spirituelle, que la grande innovation du christianisme ait été la rénovation intérieure par la foi, la charité et l'amour du Père, que ces conceptions de Jésus aient créé un abîme entre le pharisaïsme alors régnant et la religion nouvelle, c'est ce dont nous aurions mauvaise grâce à ne pas convenir avec HARNACK. Il ne faudrait pourtant rien exagérer, car, dans une certaine mesure, le royaume spirituel n'était nullement étranger à l'enseignement des prophètes, comme nous l'avons vu en étudiant l'argument prophétique (N° 248). Toutefois il n'en est pas moins vrai, — et c'est ce qu'il fait reconnaître avec HARNACK, — que le royaume spirituel et intérieur est bien l'œuvre de Jésus. Alors que la voix des prophètes avait eu peu d'écho, Jésus seul eut assez d'autorité pour remonter le courant et opposer à la justice tout extérieure et matérielle du culte mosaïque la justice du nouveau royaume où les vertus intérieures telles que l'humilité, la chasteté, la charité, le pardon des injures, occupent la première place.
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Mais, ces justes concessions une fois faites, s'ensuit-il qu'il y ait lieu de conclure, avec HARNACK, que le royaume de Dieu annoncé et établi par le Christ, soit un royaume purement individuel, une société invisible composée des âmes justes, et qu'il n'ait aucun caractère collectif et social ? Est-on même en droit de prétendre que la perfection intérieure doit être considérée comme l’essence du christianisme, parce que seule elle est l'œuvre du Christ? Il semble bien que non, et il y a dans cette manière de voir un sophisme que M. LOISY a relevé dans les termes suivants. « II y aurait, dit-il, peu de logique à prendre pour l'essence totale d'une religion ce qui la différencie d'avec une autre. La foi monothéiste est commune au judaïsme, au christianisme et à l'islamisme. On n'en conclura pas que l'essence de ces trois religions doive être cherchée en dehors de l'idée monothéiste. Ni le juif, ni le chrétien, ni le musulman n'admettent que la foi à un seul Dieu ne soit pas le premier et le principal article de leur symbole. . C'est par leurs différences qu'on établit la destination essentielle de ces religions, mais ce n'est pas uniquement par ces différences qu'elles sont constituées... Jésus n'a pas prétendu détruire la Loi, mais l'accomplir. On doit donc s'attendre à trouver dans le judaïsme et dans le christianisme, des éléments communs, essentiels à l'un et à l'autre... L'importance de ces éléments ne dépend ni de leur antiquité, ni de leur nouveauté, mais de la place qu'ils tiennent dans l'enseignement de Jésus et du cas que Jésus lui-même en a fait. »252 Autrement dit, ce n'est pas parce que le Messie a enseigné que le « royaume de Dieu » devait être surtout spirituel, qu'il faut en conclure qu'il doit être exclusivement spirituel. Du reste, la chose apparaît tout à fait évidente si l'on prend soin de remettre le langage de Jésus dans les conditions de milieu et d'idées dans lesquelles il a été tenu. Si le Sauveur insiste tout particulièrement sur l'idée de perfection intérieure et de rénovation spirituelle, c'est qu'il doit corriger les conceptions fausses des Juifs. Ceux-ci attendent un royaume temporel ; ils se sont attachés dans les prophéties à l'élément secondaire (V. Nos 248 et 253) et ils croient à la restauration du royaume d'Israël. Le Messie veut donc redresser leurs conceptions fausses et leur faire comprendre que le royaume de Dieu qu'il est venu établir, n'est nullement un royaume temporel, qu'il n'est pas le triomphe d'une nation sur les autres, mais un royaume qui s'adresse à tous les peuples et dans lequel aura accès tout homme de bonne volonté qui pratique les vertus morales et intérieures. Que le royaume ne soit pas purement spirituel, qu'il ait au contraire un caractère collectif et social, c'est ce qui ressort surtout de nombreuses paraboles, qui sont, on le sait, une des formes les plus ordinaires sous lesquelles Jésus donne son enseignement. Il est clair, par exemple, que les paraboles où Notre-Seigneur compare le royaume au champ du père de famille sur lequel poussent à la fois le bon grain et l'ivraie (Mat., XIII, 24, 30), au filet du pécheur où se confondent les bons et les mauvais poissons (Mat., XIII, 47), n'auraient aucun sens dans l'hypothèse d'un royaume purement intérieur et spirituel. D'autre part, le terme de royaume de Dieu ne serait-il pas bien impropre s'il fallait l'entendre du règne de Dieu dans l'âme individuelle? Ce n'est plus en effet d'un royaume qu'il s'agirait, mais d'autant de royaumes qu'il y aurait d'âmes. Les partisans de ce système s'appuient, il est vrai, pour prouver leur thèse, sur ce texte de saint Luc (XVI, 20) « Ecce regnum Dei intra vos est » qu'ils traduisent ainsi : « Le 252
LOISY. L'Evangile et l'Église, Introd. p. XVI et suiv.
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royaume de Dieu est en vous. » Mais ce texte comporte un autre sens, et il semble plus juste et plus en rapport avec le contexte de traduire : « Le royaume de Dieu est au milieu de vous. » D'après saint Luc, en effet, ce sont les pharisiens qui interrogent Notre-Seigneur. Comme ils lui demandent quand viendra le royaume de Dieu, il leur répond : « Le royaume de Dieu ne vient pas de manière à frapper les regards. On ne dira point : Il est ici, ou : il est là ; car voyez, le royaume de Dieu est au milieu de vous. » Ainsi remise dans son cadre, la parole de Jésus paraît plutôt contredire le système d'un royaume purement intérieur que de le favoriser. S'adressant à des pharisiens qui étaient incrédules, qui, du fait qu'ils rejetaient l'Évangile, se mettaient en dehors du royaume, n'est-il pas évident que Jésus ne pouvait leur dire que ce royaume était en eux, c'est-à-dire dans leurs âmes? La pensée du Sauveur est donc tout autre. Se heurtant aux idées fausses de ses adversaires, qui s'imaginaient que la venue du royaume et du Messie serait accompagnée de signes éclatants, de prodiges extraordinaires dans le ciel, Jésus apprend aux pharisiens comment le royaume de Dieu doit venir. Il ne viendra pas, leur dit-il alors, comme une chose qu'on peut observer, comme un astre dont on pourrait suivre le cours, car le royaume sera surtout spirituel et se dérobera par conséquent à l'observation. Du reste, ajoute Notre-Seigneur, n'allez pas le chercher où il ne faut pas, car il est déjà venu, il est au milieu de vous. Conclusion. — De la correcte interprétation du texte de saint Luc, ainsi que des raisons qui précèdent, il résulte donc que le royaume de Dieu ne peut être considéré comme un royaume purement spirituel, qu'il est au contraire collectif et social, et qu'on ne peut induire de là que Jésus n'ait jamais songé à fonder une Église visible. § 2. —. LE SYSTEME D'UN ROYAUME DE DIEU PUREMENT ESCHATOLOGIQUE. REFUTATION. 306. — 1° Exposé du système.— Suivant M. LOISY, l'institution d'une Église n'a pu rentrer dans les desseins du Sauveur. Voici à peu près comment l'auteur de l’Évangile et l'Église entend le démontrer. A l'époque où parut Notre-Seigneur, c'était une idée courante parmi les Juifs, que le Messie aurait pour mission d'inaugurer le règne final et définitif de Dieu ou, si l'on aime mieux, le royaume eschatologique. Or, si l'on analyse les textes des Évangiles, du seul point de vue critique et sans les déformer par une interprétation théologique, il semble bien que Jésus partageait l'erreur de ses contemporains. En conséquence, sa prédication a eu un double but : —-1. annoncer la venue prochaine du royaume en même temps que la fin du monde qui devait en être l'accompagnement obligé ; et — 2. y préparer les âmes par le renoncement aux biens de ce monde et par la pratique des vertus morales capables de procurer la justice. Le Christ de l'histoire n'a donc pas pu songer à fonder une Église, c'est-à-dire une institution durable, puisque son œuvre n'était pas appelée à durer et qu'elle devait se terminer à brève échéance par l'avènement du royaume final. On ne saurait donc parler à l'institution divine de l'Église. Ce sont les circonstances et la non-réalisation du royaume eschatologique qui ont déterminé les disciples à corriger le programme de leur Maître, à « réinterpréter » ses paroles « pour accommoder à la condition d'un monde qui durait, ce qui avait été dit à un monde
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censé près de finir »253. D'où il paraît légitime de conclure que Jésus « annonçait le royaume, et c'est l'Église qui est venue. »254 Cependant, d'après la théorie moderniste, si l'Église ne procède pas d'une pensée et d'une volonté expresse de Jésus, l'on peut dire cependant qu'elle se rattache à l'Évangile, en tant qu'elle fait suite à la société que Jésus avait groupée autour de lui en. vue du royaume. Elle est ainsi, en un certain sens, le résultat légitime, quoique inattendu, de la prédication du Christ, et rien n'empêche de voir, entre l'Évangile et l'Église, un rapport étroit, et de dire en toute vérité que l'Église continue l'Évangile»255. En d'autres mots, Jésus avait groupé autour de sa personne un certain nombre de disciples à qui il donna la mission de préparer l'inauguration prochaine du royaume, et comme les événements ont trompé l'attente des apôtres, — le royaume si ardemment désiré et si impatiemment attendu n'étant pas venu, — la petite société a grandi et, en grandissant, elle a donné naissance à l'Église. L'on peut donc définir l'Église : la société des disciples du Christ, qui, ne voyant pas venir le royaume eschatologique, se sont organisés et adaptés aux conditions d'existence de l'heure présente. L'on pourrait se demander ce que M. LOISY fait des textes évangéliques qui rapportent l'institution de l'Église. C'est bien simple. Comme les protestants libéraux, il les déclare sans valeur pour l'historien, et il en donne comme raison que « les textes qui concernent véritablement l'institution de l'Église sont des paroles du Christ glorifié ». Ces textes seraient donc des produits de la pensée chrétienne. Et M. LOISY conclut que « l'institution de l'Église par le Christ ressuscité n'est pas un fait tangible pour l'historien»256. 307. — 2° Réfutation. — N'ayant d'autre objectif que de préparer les âmes à la venue imminente du royaume des cieux et à sa parousie, le Christ ne pouvait songer à organiser une société durable : telle est l'idée maîtresse du système de M.Loisy. Or nous allons prouver que, pour soutenir une thèse aussi absolue, il est nécessaire de se livrer à un découpage de textes que rien n'autorise, et procéder à un choix inadmissible ou à une interprétation fantaisiste des passages de l'Évangile qui s'appliquent à l'Église. Considérons d'abord le point de départ Est-il vrai que les contemporains de Jésus n'aient eu d'autre idée que l'établissement du règne définitif de Dieu? Comme l'a fort bien démontré le P. LAGRANGE257, l'on peut distinguer au contraire dans la littérature de l'époque deux manifestations de la pensée juive : celle que l'on trouve dans les apocalypses et celle des rabbins. Or, pas plus dans l'une que dans l'autre, le règne messianique n'est identifié avec le règne final de Dieu ; ni d'un côté ni de l'autre l'on ne se désintéresse de l'avenir d'Israël en ce monde. Il y a toutefois cette différence entre
253
LOISY, L'Évangile et l'Église, p. 26.
254
Ibid., p. 111
255
LOISY, Autour d'un petit livre
256
Loisy, op. cit., p. 17.
257
LAGRANGE, Le Messianisme chez les Juifs.
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les deux que les auteurs apocalyptiques insistaient beaucoup plus sur le royaume eschatologique tandis que les rabbins, dans leur concept du règne messianique, attachaient une part plus importante au monde présent. Si, par conséquent, Jésus avait adopté les idées des apocalypses et n'avait voulu prêcher qu'un royaume purement eschatologique, il n'aurait pas manqué de corriger les croyances des rabbins Or cela, il ne l'a pas fait. De l'examen impartial des Évangiles il résulte au contraire que le Sauveur présente le royaume comme devant avoir une double phase : une phase terrestre avant la période de consommation finale. Il y a en effet de nombreux caractères par lesquels Jésus décrit le royaume, qui sont totalement inconciliables avec le royaume eschatologique et qui ne s'accordent qu'avec la vie présente. C'est ainsi que Jésus parle du royaume comme déjà inauguré. « Depuis les jours de Jean-Baptiste jusqu'à présent, le royaume des cieux est emporté de force», est-il dit dans sain,t Matthieu (XI, 12). Ainsi encore il réplique aux Pharisiens qui l'accusent de chasser les démons au nom de Belzébuth : « Que si c'est par l'Esprit de Dieu que je chasse les démons, le royaume de Dieu est donc venu à vous » (Mat., XII, 28). Mais c'est surtout dans les paraboles que l'enseignement de Jésus transparaît le plus. Le royaume y est représenté comme une réalité déjà existante et concrète, comme un royaume destiné à grandir et à se développer, — parabole du grain de sénevé (Mat., XIII, 31, 35; Marc, IV, 30, 32), — comme un royaume comportant le mélange des bons et des méchants, — paraboles du bon grain et de l'ivraie (Mat., XVIII, 24, 30), du filet qui ramasse des poissons de toutes sortes, bons et mauvais (Mat., XIII 47, 50), des vierges sages et des vierges folles (Mat., XXIV, 1, 18). Autant de caractères qui ne sont pas applicables au royaume eschatologique et qui ne peuvent convenir qu'à un royaume déjà formé, susceptible de s'étendre et de se perfectionner, préparatoire à une autre forme de royaume qui, elle, sera la forme; définitive, où le bon grain seul sera engrangé, où le tri entre les bons et les mauvais poissons sera chose faite, et d'où les vierges folles seront exclues. Tout cela serait juste, répliquent alors les partisans du système eschatologique, si les textes allégués pour prouver l'annonce d'un royaume terrestre étaient authentiques. Mais, ils ne le sont pas. Ils ont été introduits dans la trame évangélique par la première génération chrétienne qui, ne voyant pas venir le royaume eschatologique attendu, n'a pas craint de travestir 1 enseignement du Sauveur pour mettre sa pensée et ses paroles en harmonie avec les faits. Qu'il y ait dans les Évangiles deux séries de textes : l'une eschatologique, l'autre non eschatologique, et que les textes qui annoncent la fin du monde et la parousie soient incompatibles avec ceux qui parlent d'un royaume terrestre, c'est ce que tout critique de bonne foi doit reconnaître. Mais si les deux séries sont exclusives l'une de l'autre, il faut donc choisir entre les deux et rechercher la tradition primitive, celle qui doit être attribuée à Jésus. Or, ajoute-t-on, il y a tout lieu de croire que la série eschatologique seule représente la pensée authentique de Jésus, car elle n'a pu être inventée au moment où les événements venaient la démentir. La seconde série aurait donc été élaborée ultérieurement pour adapter l'Évangile du salut aux circonstances nouvelles imposées par le développement chrétien. L'objection des modernistes est plus spécieuse que solide. Ils ont raison sans doute, lorsqu'ils affirment qu'il y a dans les Évangiles deux séries de textes, mais sont-ils en droit de conclure que ces deux séries sont exclusives l'une de l'autre? N'y a-t-il pas plutôt un moyen de les concilier? Le nœud du problème est là. Si Jésus a annoncé la
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fin du monde et l'avènement du royaume eschatologique comme des choses imminentes, il y a sans contredit opposition entre les deux séries de textes. Jésus qui se serait mépris si gravement en montrant le royaume eschatologique dans un avenir tout proche, ne pourrait plus être l'auteur de la série non eschatologique. Mais la question est précisément de savoir s'il a présenté la fin du monde et la venue du royaume eschatologique comme des événements prochains. A la question ainsi posée nous pourrions d'abord répondre qu'il y a tout lieu de croire a priori que la conciliation est possible, car comment admettre que les Évangélistes rapportant les paroles de NotreSeigneur, assez longtemps après qu'elles avaient été prononcées, auraient été assez maladroits pour introduire dans leurs récits des textes en contradiction avec ces paroles? De deux choses l'une. Ou bien les Évangélistes sont sincères ou ils ne le sont pas. Dans la première hypothèse, ils auraient reproduit fidèlement les paroles de leur Maître et nous n'aurions qu'une série de textes : la série eschatologique. Dans la seconde hypothèse, ils n'auraient pas manqué de supprimer la série eschatologique, puisque les événements lui donnaient tort, et ils lui auraient substitué purement et simplement la série non eschatologique Mais voyons si les textes de la série eschatologique ne comportent pas d'autre explication que celle donnée par les modernistes Cela nous ramène à la célèbre prophétie sur la fin du monde dont nous avons parlé dans la seconde Partie (N° 260). Nous n'insisterons donc pas sur ce point. Qu'il nous suffise de rappeler que la parole de Notre-Seigneur « Cette génération ne passera pas avant que toutes ces choses ne s'accomplissent» (Mat, XXIV, 34 ; Marc, XIII 30 ; Luc, XXI, 32), invoquée par nos adversaires pour prouver que Jésus croyait à la fin imminente du monde, s'applique plutôt, d'après le contexte, à la ruine de Jérusalem et du peuple juif. Que les Évangélistes ne distinguent pas les deux catastrophes avec assez de netteté, que leurs récits concernant à la fois la fin du monde et la ruine du Temple manquent de précision, c'est ce qui n'est pas douteux. Et cela est si vrai que beaucoup de critiques ont pu croire que, entraînés par les idées courantes de leur milieu, les Apôtres s'étaient trompés sur la pensée de Jésus. Nous avons vu (p. 272) ce qu'il fallait penser de cette opinion. En toute hypothèse, on ne saurait admettre que Jésus lui-même ait commis l'erreur que nos adversaires lui imputent. Tout au contraire, il ne paraît pas douteux, — à s'en tenir aux simples données d'une sage critique littéraire, — que la catastrophe dont Jésus annonce la date prochaine et à laquelle la génération de son temps doit assister, c'est la ruine de Jérusalem et du Temple, tandis que l'époque de la seconde ne serait envisagée que dans une perspective beaucoup plus lointaine, puisque Jésus dit que « personne n'en connaît ni le jour ni l'heure » (Mat., XXIV, 36). Quant aux passages qui déclarent imminente la venue du Fils de l'homme sur les nuées du ciel (Mat., XVI, 28 ; XXVI, 64 ; Marc, IX, 1 ; Luc, IX, 27 ; XXII, 69), il est permis d'entendre par là la prédiction de l'admirable essor que prendra bientôt le règne messianique et dont la génération à laquelle Notre-Seigneur s'adresse sera témoin258. Ainsi interprétés, ces textes se sont vérifiés à la lettre, vu que la diffusion de la religion chrétienne s'est faite avec une merveilleuse rapidité.
258
LAGRANGE, Rev. biblique, 1904, 1906, 1908.
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Conclusion. — De la discussion qui précède il n'est donc pas téméraire de conclure que, pas plus que le système d'un royaume purement intérieur et spirituel, le système d'un royaume exclusivement eschatologique n'est acceptable. Il n'est pas vrai de dire alors que Jésus n'a pu nullement envisager l'établissement d'une Église en tant que société visible. Art. II. — Jésus-Christ a fondé une Église. Ses caractères essentiels. 308. — Position du problème — Il vient d'être démontré ci-dessus que « le royaume de Dieu» prêché par le Christ comporte une première période qui peut s'appeler la phase terrestre et préparatoire du royaume eschatologique. Or ce royaume comprend tous ceux qui acceptent la doctrine enseignée par Jésus. Il est par conséquent une société et c'est à cette société que nous donnons le nom à'Église. La question qui se pose donc à présent, c'est de savoir quelle est la nature de cette société. Se compose-telle de membres égaux : auquel cas l'interprétation de la doctrine du Christ serait laissée à l'arbitraire du jugement individuel? Est-elle au contraire constituée sur le principe de la hiérarchie259, comprenant deux groupes distincts, l'un qui enseigne et gouverne, l'autre qui est enseigné et gouverné! Jésus a-t-il institué lui-même une autorité à laquelle il ait confié la charge d'enseigner authentiquement sa doctrine! Bref, le christianisme est-il « religion de l'esprit » ou « religion d'autorité »? Les Protestants orthodoxes, que nous avons désormais devant nous, soutiennent la première hypothèse. Ils n'admettent pas que Jésus ait créé une autorité vivante. Les vérités à croire, les préceptes à suivre et les moyens de sanctification, tout serait abandonné à l'appréciation subjective de chaque croyant. Entre Dieu et la conscience Jésus n'aurait placé aucun intermédiaire obligatoire. Que si on leur demande alors pourquoi ils se groupent et tiennent des réunions; ils répondent que c'est tout simplement pour prier en commun, pour lire et commenter l'Évangile, pour pratiquer les rites du baptême et de la cène, et pour s'édifier mutuellement dans l'amour de Dieu et la charité fraternelle mais non pour obéir à une autorité constituée. C'est d'ailleurs sur l'histoire que les Protestants entendent appuyer leur point de vue. Nous verrons plus loin comment ils expliquent la création d'une hiérarchie, et partant, les origines du catholicisme (V. N° 312). Contre de telles affirmations il s'agit donc de prouver que Jésus a institué une hiérarchie permanente, — le collège des Douze et leurs successeurs, — à la tête de laquelle il a placé un chef unique, Pierre et ses successeurs : hiérarchie à laquelle il a octroyé une autorité gouvernante, revêtue d'une divine garantie: l’infaillibilité doctrinale. Pour mieux atteindre notre but, nous décomposerons les questions dans les propositions suivantes. Nous prouverons : 1° que Jésus a fondé une hiérarchie en conférant aux Apôtres le triple pouvoir d'enseigner, de régir et de-sanctifier, qu'il a donc constitué une autorité vivante ; — 2° que cette hiérarchie est permanente, le triple pouvoir des Apôtres devant se transmettre à leurs successeurs ; — 3° que, à la tête de la hiérarchie, il a placé un chef unique (primauté de Pierre et de ses 259
Hiérarchie (gr. ieros, sacré, arche, commandement). Étymologiquement le mot hiérarchie désigne un pouvoir sacré, directement institué par Dieu. C'est dans ce sens que ce mot sera employé au cours de cet article où nous voulons prouver que l'Église fondée par Jésus-Christ est une société hiérarchique investie de pouvoirs divins.
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successeurs) ; — 4° qu'il a garanti la conservation intégrale de sa doctrine en octroyant à l'Eglise enseignante le privilège de l'infaillibilité. D'où quatre paragraphes. § 1. — JESUS-CHRIST A FONDE UNE ÉGLISE HIERARCHIQUE. 309. — État de la question. — a) Les Protestants orthodoxes, avons-nous dit (N° 308), n'admettent pas que Jésus ait constitué à la tête de son Église une autorité vivante, mais ils concèdent l'historicité et même l'inspiration des textes évangéliques invoqués par les catholiques en faveur de leur thèse. — b) Au contraire, les rationalistes, les Protestants libéraux et les modernistes rejettent l'authenticité de ces textes. Ils prétendent qu'ils sont dus à un travail postérieur et rédactionnel d'auteurs inconnus et auraient été introduits dans la trame évangélique après les événements, c'est-à-dire au moment où l'institution d'une Église hiérarchique était un fait accompli. La thèse catholique s'appuie donc sur un double argument: — 1. sur un argument tiré des textes évangéliques que nous sommes en droit d'invoquer contre les Protestants orthodoxes, et — 2. sur un argument historique, où nous aurons à réfuter la fausse conception des libéraux et des modernistes sur les origines de l'Église hiérarchique. 310. — 1° Argument tiré des textes évangéliques. — Nota. —Lorsque nous soutenons qu'il est possible de retrouver l'institution d'une Église hiérarchique dans les textes évangéliques, qu'on ne se méprenne pas sur notre pensée. Nous ne voulons pas dire que Jésus a déclaré explicitement qu'il fondait une Église hiérarchique qui serait gouvernée un jour par les Évêques sous le principat du Pape. Des paroles aussi formelles n'ont pas été prononcées. I1 suffit, pour la démonstration de notre thèse, d'établir que nous on retrouvons l'équivalent dans ce double fait qu'il choisit Douze Apôtres et leur délégua des pouvoirs spéciaux à eux, à l'exclusion des autres disciples. A. CHOIX DES « DOUZE ». — Tous les Évangélistes sont d'accord pour témoigner que, parmi ses disciples, Jésus en choisit douze qu'il nomme ses Apôtres (Mat., X, 2, 4 ; Marc, III, 13, 19 ; Luc, VI, 13, 16 ; Jean, I, 35 et suiv.), qu'il instruit d'une façon toute particulière, à qui il dévoile le sens des paraboles qui restent incomprises de la foule (Mat., XIII, 11), qu'il associe déjà à son œuvre en les envoyant prêcher le royaume de Dieu aux fils d'Israël (Mat., X, 5, 42 ; Marc, VI, 7, 13 ; Luc, IX, 1,6). B. P0UV0IRS CONFÉRÉS AU COLLÈGE DES DOUZE. — a) A ce collège des Douze, — à Pierre en particulier (Mat., XVI, 18, 19), à l'ensemble du collège (Mat., XVIII, 18), — Jésus commence par promettre le pouvoir de « lier dans le ciel ce qu'ils auront lié sur la terre », c'est-à-dire une autorité gouvernante qui les fera juges des cas de conscience, qui leur donnera la faculté de prescrire ou de défendre, et partant, de créer des obligations, si bien que celui qui n'écoutera pas l'Église sera regardé « comme un païen et un publicain» (Mat., XVIII, 17). Mais, objectent les Protestants à propos de ce dernier texte, le mot Église est employé au verset 17 dans le sens restreint d'assemblée (N° 300), et dès lors, ce passage ne saurait servir d'argument en faveur de l'existence d'une autorité hiérarchique.— Nous ne contesterons pas que, dans le texte en question, le mot Église prête à deux interprétations. Il faut donc faire intervenir ici la règle de critique qui veut que tout passage obscur soit interprété d'après les autres passages parallèles qui sont plus clairs. Or il ne fait pas de doute que, dans les autres
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textes où il est question des pouvoirs accordés par Notre-Seigneur à son Église, cette concession ne concerne jamais que le collège apostolique. Il y a donc lieu de présumer le même sens pour le passage de saint Matthieu. b) Le pouvoir qu'il avait d'abord promis, Jésus le confère, peu de jours avant son Ascension, au collège des Douze, alors devenu le collège des Onze par la défection de Judas : « Toute puissance m'a été donnée dans le ciel et sur la terre, leur déclare-t-il. Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai commandé : et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde. » (Mat., XVIII, 19,20). Ainsi le Christ accorde à ses Apôtres le triple pouvoir: — 1. d'enseigner : « Allez, enseignez toutes les nations » ; — 2. de sanctifier, par les rites institués à cet effet, en particulier, par le baptême ; — 3. de gouverner, puisque les Apôtres devront apprendre au monde à garder ce que Jésus a commandé. Et qu'on n'objecte pas encore que ce texte n'a aucune valeur sous prétexte que les paroles et les actes du Christ ressuscité ne peuvent être contrôlés par l'historien. Le préjugé rationaliste serait manifeste. Du moment en effet que la Résurrection peut être démontrée comme un fait historique et qu'elle est une réalité dont les Apôtres ont acquis la certitude, il y aurait autant de parti-pris à rejeter les paroles du Christ ressuscité que la résurrection elle-même. Du reste, les paroles du Christ ressuscité sont si bien liées avec les paroles de la promesse, que contester les unes c'est contester les autres, et que nier les unes et les autres c'est rendre inexplicable la conduite des Apôtres qui, après la mort de leur Maître, revendiquèrent le triple pouvoir ci-dessus mentionné. 311. — 2° Argument tiré de l'histoire. — Préliminaires. — 1. Quelle que soit la valeur des textes évangéliques qui nous prouvent que l'Église n'est pas hors de la ligne de l'Évangile, il va de soi que la question de l'institution divine d'une Église hiérarchique est, avant tout, historique. Si l'histoire en effet nous apportait la preuve que la création de l'Église serait postérieure à l'âge apostolique, et aurait été le résultat de circonstances accidentelles, l'on aurait beau invoquer les textes de l'Évangile : nos adversaires seraient certes en droit de les considérer comme des interpolations. 2. Les documents qui servent à l'étude du christianisme naissant sont les Actes des Apôtres260, les Épîtres de saint Paul261, et pour la période sub-apostolique (c'est-à-dire 260
Les Actes des Apôtres. — D'après une tradition universelle et constante, saint Luc est l'auteur des Actes des Apôtres. La tradition repose : — a) sur un argument extrinsèque (témoignage de saint IRENEE, du canon de Muratori, de TERTULLIEN, de CLEMENT D'ALEXANDRIE), et — b) sur un argument tiré de la critique interne. Il résulte en effet de l'analyse de l'ouvrage que l'auteur était médecin et compagnon de saint Paul et que les Actes offrent les mêmes particularités de langue et de composition que le troisième Évangile : tous traits qui s'appliquent à saint Luc. Comme le livre s'arrête à la première captivité de saint Paul à Rome, il y a tout lieu de croire qu'il a été composé à la lin de la première captivité et certainement avant la mort de saint Paul (67). Les Actes sont donc pour l'historien des origines de l'Eglise un document des plus précieux. L'auteur y rapporte les faits soit en témoin oculaire, soit d'après le récit de témoins oculaires : Paul, Barnabé, Philippe, Marc. La précision et les détails circonstanciés avec lesquels ils sont narrés, repoussent toute hypothèse de légende ou d'amplification tendancieuse. Quant aux discours qui y sont contenus, ils ont été puisés sans doute à des sources écrites : et que semblent indiquer les nombreux archaïsmes qu'on y rencontre. La sincérité de saint Luc n'est, du reste, pas suspectée, et les critiques rationalistes ne
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pour les trois générations qui suivent les Apôtres) les écrits des Pères et des écrivains ecclésiastiques. 3. Il est parlé de « charismes » à maintes pages des Actes des Apôtres. Que faut-il entendre par là? Les charismes (grec « charis » et « charisma » grâce, faveur, don) sont des dons surnaturels octroyés par le Saint-Esprit en vue de la propagation du christianisme et pour le bien général de l'Église naissante. Ce sont des manifestations de l'Esprit Saint, parfois même étranges et désordonnées, telles que le don des langues ou glossolalie qui consistait à louer Dieu en langue étrangère et en des accents d'enthousiasme, exalté (Lire à ce sujet : I Cor., XIV). Les charismes auxquels on attachait le plus de prix étaient le don des miracles et le don des prophéties ; mais quelle qu'en fût la nature, ils étaient toujours des signes divins qui avaient pour but de confirmer la première prédication de l'Évangile. — 4. Nous allons exposer, en nous plaçant sur le seul terrain de l'histoire, les deux thèses, rationaliste et catholique, sur les origines de l’Église. La première que nous mettons sous l'étiquette générale de rationaliste, est, en réalité, le point de vue, non seulement des rationalistes, mais de tous les historiens protestants, orthodoxes ou libéraux, et des modernistes. Le meilleur exposé français en a été fait par A. SABATIER (Les Religions d'autorité et la Religion de l'esprit, pp. 47-83, 4e éd.) En voici un résumé, aussi objectif que possible. 312. — A. THÈSE RATIONALISTE. — Les origines de l'Église. — 1. La création d'une Église hiérarchique ne saurait être l'œuvre de Jésus. « Non seulement il n'a pas voulu cette Église, mais il ne pouvait même la prévoir, pour la bonne raison qu'il croyait venir aux derniers jours du monde et que tout ce développement historique du christianisme restait en dehors de son horizon de Messie.» — 2. Comme les Apôtres « attendaient de jour en jour le retour triomphant de leur Maître sur les nuées du ciel», ils vivaient « dans l'exaltation et la fièvre», se regardant i comme des étrangers et des voyageurs qui passent sans songer à aucun établissement durable ».— 3. Les premières communautés formées par les disciples du Christ n'eurent donc rien d'une société hiérarchique. « Les dons individuels (charismes) départis car l'Esprit aux divers membres de la communauté répondaient à tous les besoins. C'était l'Esprit agissant dans chaque fidèle qui déterminait ainsi les vocations et attribuait aux uns et aux autres, suivant la faculté ou le zèle de chacun, des min stères et des offices qui paraissaient devoir être provisoires.» — 4. Les premières communautés chrétiennes composées à l'origine • de membres égaux entre eux et distingués par la seule variété rejettent que ce qui contredit leur thèse, c'est-à-dire les miracles et certains discours à cause de leur portée doctrinale. On devine l'importance des Actes des Apôtres par ce double fait qu'ils contiennent un exposé complet de la première prédication des Apôtres et nous font connaître l'organisation de la primitive Église. 261
Les Epîtres de saint Paul, tant par leur ancienneté que par leur valeur documentaire, sont aussi pour l'apologiste des sources de premier ordre. D'après la date de composition, les Epîtres de saint Paul peuvent être classées en quatre groupes — a) 1er groupe : Ire et IIe Ep. aux Thessaloniciens (51);— b) 2e groupe: Les grandes Epîtres I et II aux Corinthiens, aux Galates, aux Romains (56, 57) ; — c) 3e groupe : Les Epîtres de la captivité aux Philippiens, aux Éphésiens, aux Colossiens, billet à Philémon (61 -62) ; — d) 4e groupe : Les Pastorales I et II à Timothée, à Tite (62). — L'authenticité des trois premiers groupes n'est guère contestée par les critique» rationalistes.
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des dons de l'Esprit» deviennent avec le temps « des corps organisés, de véritables églises qui se développent et prennent d'abord des physionomies différentes, suivant la diversité des milieux géographiques et sociaux. L'assemblée des chrétiens se modèle, en Palestine et au delà du Jourdain, sur la synagogue juive... En Occident, elle semble plutôt reproduire la forme des collèges ou associations païennes, si nombreuses à cette époque dans les villes grecques. Cependant « les associations chrétiennes dispersées dans l'empire entretiennent entre elles des relations fréquentes… Il est donc naturel qu’elles aient eu dès le principe, la conscience très vive de leur unité spirituelle et qu’au dessus des Eglise particulières et locales ait apparu, précisément dans les lettres de l’apôtres aux païens, l’idée de l’Eglise de Dieu, ou du Christ une et universelle... L’unité idéale de l'Eglise tendra à devenir une réalité visible, par l'unité de gouvernement, de cul le et de discipline». — 5. Pour créer cette unité, deux conditions nécessaires manquent encore. Il faut d'abord que la chrétienté apostolique trouve Un centre fixe autour duquel les églises particulières puissent se grouper. Ensuite il faut qu'elles arrivent à tiret d'elles-mêmes une règle dogmatique et un principe d'autorité qui leur permette de vaincre toutes les hérésies et toutes les résistances». Or ces deux conditions se réalisèrent de la façon suivante. Après la destruction de Jérusalem en l'an 70, « la chrétienté gréco-romaine cherchait un centre nouveau autour duquel elle se pût grouper, elle ne devait pas hésiter bien longtemps. Les grandes Églises d'Antioche, d'Éphèse, d'Alexandrie se faisaient équilibre et n'avaient d'autorité que sur les communautés de leur région. Seule une ville s'élevait au-dessus de toutes les autres et avait une importance universelle. Rome restait toujours la ville éternelle et sacrée... La capitale de l'empire était marquée à l'avance pour devenir la capitale de la chrétienté. » Voilà pour la première condition : le centre fixe, principe de l'unité hiérarchique, est trouvé. — 6. Les sectes nombreuses, entre autres, les grandes hérésies du gnosticisme, d'une part, et du montanisme, d'autre part, qui éclatent la première vers l'an 130 et la seconde, vers l'an 160, vont fournir l'occasion de remplir la seconde condition. L'on chercha et l'on découvrit « le moyen d'opposer à toutes les objections un déclinatoire, une sorte de question préalable qui faisait mieux que de réfuter l'hérésie, qui l'exécutait avant même qu'elle eût ouvert la bouche. Ce moyen, ce fut une confession de foi apostolique, un symbole populaire et universel, qui, devenant loi de l'Église, excluait de son sein, sans disputes, tous ceux qui se refusaient à le redire. Ce fut « la règle de foi », le Symbole dit des Apôtres qui vit le jour sous sa première forme, dans 1 Église de Rome, entre les années 150 et 160.» A partir de là seulement, le catholicisme avec son gouvernement épiscopal et sa règle de foi extérieure est fondé. En résumé, le christianisme aurait été d'abord « religion de l'esprit» n'ayant d'autre règle de foi que les charismes, c'est-à-dire les inspirations individuelles de l'Esprit Saint. Il n'aurait possédé, au début de son existence, ni hiérarchie, ni unité sociale et visible. Il n'aurait été indépendant ni des synagogues juives ni des associations païennes. Il ne serait devenu une religion d'autorité, il n'aurait eu sa hiérarchie que cent vingt ou cent cinquante ans après Jésus-Christ, à la fin du n° siècle, au temps "de saint Irénée et du pape saint Victor. Entre la mort de Jé3us et la constitution catholique de l'Église, l'histoire découvrirait donc une période intermédiaire où aucune organisation n'existait : période qu'on pourrait dénommer l'âge précatholique du christianisme. Il résulte de là que l'Église catholique ne saurait être d'institution divine.
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Sa naissance, son développement et les péripéties de son histoire, tout s'expliquerait par un concours de circonstances humaines. « Ce n'est qu'après que l'Église fut constituée en oracle infaillible... que l'on songea à justifier en théorie ce qui avait triomphé dans les faits. Le dogme ne consacre jamais que ce qui est déjà, depuis un siècle ou deux, passé en pratique.»262 313. — B. THÈSE CATHOLIQUE. — Nota. — Avant toute discussion de la thèse rationaliste, il convient de remarquer, pour qu'il n'y ait pas de malentendu, que les historiens catholiques ne prétendent nullement que l'on retrouve, à l'origine du christianisme, une Église tout organisée comme elle le sera par la suite. Requérir une pareille chose, ce serait vouloir que la semence jetée en terre devienne aussitôt un épi de blé avant de passer par les différentes phases de la germination. Les rationalistes concèdent qu'au début du me siècle, et même à la fin du second, l'Église possède une hiérarchie avec un centre d'unité et un symbole de foi. Notre enquête peut donc s'arrêter là. Il nous suffit dès lors de montrer que l'épi dont les historiens rationalistes constatent l'éclosion à la fin du second siècle, est le développement normal d'une semence confiée à la terre à l'origine du christianisme. Et, pour parler sans figures, nous prouverons qu'il n'y a pas eu d'âge précatholique, que les organes essentiels du christianisme postérieur, étaient précontenus dans le christianisme primitif, dès l'âge apostolique. Auparavant, nous allons reprendre, point par point, les divers articles du système rationaliste. 314. — a) Réfutation de la thèse rationaliste. — 1. Au point de départ, nos adversaires posent en principe que Jésus n'a pas pu songer à fonder une église, parce que la pensée de toute fondation durable était en dehors de son horizon messianique. C'est là un préjugé que nous avons réfuté précédemment (N° 307). Nous n'y reviendrons pas. 2. Est-il vrai, comme on l'affirme bien légèrement, que les Apôtres trompés par la prédication de Jésus et attendant la venue prochaine du royaume eschatologique, ne purent songer, pas plus que leur Maître, à une institution durable? S'il en était ainsi, si les Apôtres et les premiers chrétiens avaient été vraiment convaincus que le Christ leur avait annoncé l'imminence du royaume final, si tel était le dogme essentiel de leur foi, comment expliquer que cette première communauté ne se soit pas dissoute, dès que les faits lui démontrèrent que Jésus avait enseigné une erreur ? La chose paraît si évidente que des historiens libéraux, tels que Harnack, reconnaissent que l'Évangile était plus que cela, qu'il était quelque chose de nouveau, à savoir « la création d'une religion universelle fondée sur celle de l'Ancien Testament ». 3. Dire que les charismes ont fourni les premiers éléments d'organisation, est une hypothèse aussi dénuée de fondement. N'est-il pas évident, — et le fait n'est-il pas d'expérience quotidienne? — que l'inspiration individuelle n'aboutit jamais qu'à l'anarchie? RENAN lui-même n'hésite pas à l'avouer. « La libre prophétie, écrit-il dans Marc Aurèle, les charismes, la glossolalie, l'inspiration individuelle, c'était plus qu'il n'en fallait pour tout ramener aux proportions d'une chapelle éphémère, comme on en voit tant en Amérique et en Angleterre. »
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SABATIER, Les religions d'autorité et ta religion de l'esprit.
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4. Il n'est pas plus juste de prétendre que les premières communautés chrétiennes n'eurent aucune autonomie et qu'elles n'étaient guère distinctes des synagogues ou des associations païennes. Sans doute, sur certains points secondaires, des concessions furent faites d'un côté comme de l'autre : c'est ainsi que les communautés composées exclusivement de Juifs convertis, « les judaïsants » furent autorisés à garder la pratique de la circoncision, tandis que les païens étaient admis au baptême sans passer par le judaïsme. Il fallait bien ménager les transitions. Mais ce qui n'en est pas moins vrai, c'est que le christianisme apparaît dès les premiers jours, comme une religion distincte, en dehors de la hiérarchie mosaïque, puisque les Apôtres se reconnaissent une mission religieuse, universelle, qu'ils ne tiennent pas des chefs du judaïsme. L'idée de l'Église une et universelle n'est donc pas une idée spéciale à saint Paul, encore qu'elle occupe une grande place dans son enseignement. Elle vient de ce fait que les Apôtres sont tous disciples du même Maître et prêchent la même foi, et si les différentes Églises du monde entier arrivent à ne former qu'une seule Église, c'est qu'elles procèdent toutes, par filiation, d'une même communauté primitive, de l'Église-mère de Jérusalem. 5. Il est faux de dire que la ruine de Jérusalem a déplacé le centre de gravité de la chrétienté, car déjà au temps des missions de saint Paul, bien avant par conséquent l'année 70, les communautés de la gentilité avaient répudié le judéo-christianisme263 et n'avaient plus d'attache à la capitale de la Judée. Que Rome soit devenue alors la capitale de la chrétienté parce qu'elle était la capitale de l'Empire gréco-romain, c'est tout à fait vraisemblable. « Cette coopération de Rome, dit Mgr BATIFFOL, au rôle de la Cathedra Pétri, nous aurions mauvaise grâce à la contester ; nous faisons nos réserves sur les termes politiques dont on se sert pour la décrire, comme aussi sur la tendance à transformer en cause génératrice ce qui n'est qu'une circonstance. »264 6. Quant à l'influence attribuée au Symbole des Apôtres pour créer l'unité de foi de l'Église et pour réagir contre les hérésies naissantes, rien n'est plus contestable. Il n'est pas probable en effet que le texte romain qui était la profession de foi baptismale commune à Rome et aux églises de Gaule et d'Afrique, au temps de saint Irénée et même avant, fût imposé aux églises de la chrétienté grecque. Il y a tout lieu de croire même que celles-ci n'ont possédé aucun formulaire commun de leur foi avant le concile de Nicée (325). L'on ne peut donc soutenir que ce fut le symbole romain qui fut cause d'unité. Les rationalistes supposent que le Symbole des Apôtres aurait été rédigé à l'occasion des hérésies naissantes, en particulier du gnosticisme et du montanisme. Or il n'y a dans cette formule de foi aucune préoccupation antignostique, et les articles s'en retrouvent équivalemment dans des écrits antérieurs à l'hérésie gnostique, par exemple chez les apologistes comme saint Justin (vers 150), Aristide (vers 140) et saint Ignace 263
Le judéo-christianisme est la doctrine professée dans les premiers temps du christianisme par la secte dite des « judaïsants » et qui prétendait que la loi mosaïque (et en particulier la circoncision) n'était pas abrogée, qu'on ne pouvait pas par conséquent entrer dans l'Eglise de Jésus-Christ sans passer par le judaïsme. Cette doctrine qui n'avait été appliquée ni par saint Pierre ni par saint Paul, fut définitivement condamnée par le Concile de Jérusalem (vers 50), où sur la proposition de saint Pierre et de saint Jacques, il fut décidé que le rite de la circoncision ne devait pas être imposé aux païens qui se convertissaient au christianisme. A dater de là, le judéo-christianisme devint une hérésie.
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P. BATIFFOL, L'Eglise naissante et le catholicisme.
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(vers 110) ; on peut même dire que, tout au moins dans leur substance, ils font partie déjà de la littérature chrétienne de l'âge apostolique. A plus forte raison, le Symbole romain est-il indépendant du montanisme qui est une hérésie plus tardive et qui ne pénétra guère dans le monde chrétien d'Occident avant 180 : date à laquelle la formule du Symbole était déjà rédigée, de l'avis de nos adversaires. 315. — b) Preuves de la thèse catholique. — D'après les historiens catholiques, la hiérarchie de l'Église remonte à l'origine du christianisme. Comme nous en avons fait déjà la remarque (N° 313) il n'est pas douteux que l'Église ait connu le progrès dans les formes extérieures de son organisation, mais ce que nous affirmons, et ce qui est d'ailleurs le seul point en litige, c'est que l'évolution s'est faite normalement. Les protestants et les modernistes admettent que, du temps de saint IRE-NEE, du pape saint Victor et de la controverse pascale, l'Église possède une autorité enseignante et gouvernante, qu'elle est hiérarchique. Il nous sera facile de montrer qu'elle l'était bien avant, qu'elle le fut toujours et qu'il n'y a pas eu d'âge précatholique. Sans doute les documents sur lesquels s'appuie la thèse catholique, ne sont pas nombreux, mais ils sont d'un caractère décisif. Voici les principaux, énumérés dans l'ordre régressif. — 1. Témoignage de saint Irénée. A la rigueur, le témoignage de saint Irénée ne devrait pas être invoqué, puisque les rationalistes conviennent que, à cette date, l'Église hiérarchique était née. Si nous nous en servons, c'est qu'il est du plus haut intérêt et qu'il nous fait remonter beaucoup plus loin. Argumentant contre les hérétiques, saint IRENEE présente le caractère hiérarchique de l'Église comme un fait notoire et incontesté, comme une fondation du Christ et des Apôtres. Or comment aurait-il pu revendiquer pour l'Église chrétienne une origine apostolique, si ses adversaires avaient été en état de lui apporter les preuves que la hiérarchie était de fondation récente ? 2. Témoignage de saint Polycarpe. De saint Irénée passons à la génération précédente. Nous trouvons le témoignage de saint POLYCARPE qui, au milieu du second siècle, représente les pasteurs comme les chefs de la hiérarchie et les gardiens de la foi265. 3. Témoignages de saint Ignace d'Antioche (mort vers 110) et de saint Clément de Rome (mort 100). Avec ces deux témoignages nous arrivons au début du ne siècle et à la fin du Ier. Dans son Épître aux Romains, saint IGNACE parle de l'Église de Rome comme du centre de la chrétienté : « Vous (Église de Borne), écrit-il, vous avez enseigné les autres. Et moi je veux que demeurent fermes les choses que vous prescrivez par votre enseignement » (Rom., IV, 1). Vers l'an 96, CLEMENT DE ROME, disciple immédiat de saint Pierre et de saint Paul, écrit une lettre aux Corinthiens où il donne de l'Église une notion équivalente à celle de saint Irénée, présentant la hiérarchie comme la gardienne de la Tradition, et l'Église de Rome comme la présidente universelle de toutes les Églises locales.
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Parmi les témoignages du second siècle nous pourrions encore citer ceux: — 1. d'HEGESIPPE qui montre les Eglises gouvernées par les Evêques successeurs des Apôtres ; — 2. de DENYS DE CORINTHE qui, dans sa lettre à l'Église romaine, écrit que Corinthe garde fidèlement les admonitions qu'elle a reçues autrefois du pape Clément ; — 3. d'ABERCIUS Dans cette inscription célèbre de la fin du IIe siècle, Abercius, peut-être évêque d'Hiéropolis raconte que dans ses voyages à travers les Églises chrétiennes, il a trouvé partout même foi, même Écriture, même Eucharistie.
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4. Ainsi, de génération en génération, nous parvenons à l'âge apostolique. Nous avons ici, pour nous renseigner, les Actes des Apôtres. Les témoignages en sont clairs et précis : ils nous montrent avec évidence l'existence d'une société avec sa hiérarchie visible, sa règle de foi et son culte : — 1) sa hiérarchie visible. Dès la première heure du christianisme, les Apôtres jouent le double rôle de chefs et de prédicateurs. Ils choisissent Mathias pour remplacer Judas (Act, I, 12, 26).Le jour de la Pentecôte, saint Pierre commence ses prédications et fait de nombreux convertis (Act., II, 37). Les Apôtres instituent bientôt des diacres à qui ils délèguent une partie de leurs pouvoirs (Act., VI, 1,6); — 2) sa règle de foi. Incontestablement, parmi les premiers chrétiens, il y en eut qui furent favorisés des dons de l'Esprit Saint ou charismes, mais n'exagérons rien, et ne croyons pas pour autant que les premières communautés n'étaient que des groupes mystiques de Juifs pieux qui auraient reçu tous leurs dogmes des inspirations de l'Esprit Saint. Les charismes étaient des motifs de crédibilité qui poussaient les âmes à la foi ou entretenaient en elles la ferveur religieuse. Mais, loin d'être une règle de foi, ils restaient subordonnés au magistère des Apôtres et à la foi reçue. La preuve évidente en est que saint Paul en réglemente l'usage dans les assemblées (I Cor., XIV, 26) et n'hésite pas à déclarer qu'aucune autorité ne saurait prévaloir contre l'Évangile qu'il a enseigné (I Cor., XV, 1). Le christianisme primitif a donc sa règle de foi, et celle-ci lui vient des Apôtres. Sans doute elle n'est pas compliquée et tient en quelques points. Le thème général des prédications apostoliques, c'est que Jésus a réalisé l'espérance messianique, qu'il est le Seigneur à qui sont dus les honneurs divins et en qui seul est le salut (Act., IV, 12). C'est là une doctrine élémentaire, quoique susceptible de riches développements, que les apôtres imposent à tous les membres de la communauté chrétienne. Rien n'est laissé à l'inspiration individuelle. Que s'il surgit au sein de la jeune Église des sujets de controverse, le cas est déféré aux Apôtres comme à une autorité incontestée, à laquelle seule il appartient de trancher le point en litige ; — 3) son culte. La lecture des Actes des Apôtres nous témoigne abondamment que la société chrétienne possède et pratique des rites spécifiquement distincts de ceux du judaïsme: le baptême, l'imposition des mains pour conférer le Saint-Esprit, et la fraction du pain. Conclusion. — De cette longue discussion, il résulte bien que l'Église chrétienne est, au début de son existence, une société hiérarchisée, entendue au sens de la doctrine catholique (N° 300). Ce que les rationalistes appellent l'âge précatholique est un mythe. Mais si les Apôtres, aussitôt après l'Ascension de leur Maître, parlent et agissent en chefs, c'est qu'ils s'en croient le droit et les pouvoirs. Et s'ils se croient en possession de tels pouvoirs, c'est, selon toute vraisemblance, qu'ils les ont reçus de Jésus-Christ. Par conséquent, les textes de l’Évangile concordent avec les faits de l'histoire, et l'on ne voit plus, dès lors, de quel droit nos adversaires peuvent prétendre qu'ils ont été interpolés. C'est donc à juste titre que nous avons appuyé notre thèse sur un double argument, sur l'Évangile et sur l'histoire. §. 2. — JESUS-CHRIST A FONDE UNE HIERARCHIE PERMANENTE. LA SUCCESSION APOSTOLIQUE.
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316. — État de la question. — Nous avons établi, dans le paragraphe précédent, que Jésus-Christ a fondé une Église hiérarchique du fait qu'il a institué une autorité enseignante et gouvernante dans la personne des Apôtres. Il s'agit maintenant de savoir si la juridiction conférée aux Apôtres était transmissible, et, dans le cas affirmatif, à qui la succession devait échoir. Ici encore deux thèses sont en présence : la thèse rationaliste et la thèse catholique. — a) D'après la première, la hiérarchie n'étant pas d'institution divine, la question de la transmission de la juridiction apostolique ne se pose pas. C'est seulement le besoin qui aurait créé l'organe ; l’épiscopat serait une institution purement humaine. Nous verrons plus loin à quelles circonstances les rationalistes en attribuent l'origine. — b) D'après la thèse catholique, les évêques, pris en corps, sont, de droit divin, les successeurs des Apôtres. Ils ont recueilli les pouvoirs du collège apostolique et jouissent de ses privilèges. La thèse catholique s'appuie sur un double argument : — 1. sur un argument tiré des textes évangéliques et — 2. sur un argument historique où nous aurons à réfuter la thèse rationaliste sur les origines de l'épiscopat. 1° Argument tiré des textes évangéliques. — Les textes de l'Évangile doivent nous servir à traiter la question de droit, qui est de savoir si l'autorité apostolique était transmissible. Or la chose paraît découler, d'une manière évidente, des textes déjà invoqués, et en particulier, des paroles par lesquelles .Notre-Seigneur met les Apôtres à la tête de son Église. Ne leur dit-il pas en effet : « Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai commande : et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde »? (Mat., XXVIII, 20). Jésus donne à ses Apôtres la mission de prêcher l'Évangile à toute créature, de baptiser et de régir son Église jusqu'à la fin du monde. Voilà une tâche qui ne saurait être remplie par ceux à qui elle est confiée. Il suit donc de là que les pouvoirs conférés aux Apôtres n'ont pu être limités ni dans l'espace ni dans le temps, et que, par conséquent, dans la pensée du Christ, ils devaient se transmettre aux successeurs des Apôtres. 2° Argument tiré de l'histoire. — Comme on peut le remarquer, nous avons insisté peu sur l'argument scripturaire, sur la question de droit. C'est que, on se le rappelle, nos adversaires s'accordent à récuser tous les textes qui rapportent les paroles du Christ ressuscité. Ils ne considèrent donc que la question de fait. Dans leur théorie « c'est à l'histoire et à l'histoire seule, en dehors de tout préjugé dogmatique, qu'il convient de demander les origines de l'épiscopat »266. Nous allons résumer, en quelques points, comment ils expliquent ces origines. 317. — A THÈSE RATIONALISTE.-— Les origines de l’épiscopat. — 1. D'après la thèse rationaliste, les membres des premières communautés chrétiennes étaient tous égaux (V. N° 312). Tous ils formaient un « peuple élu », un peuple de prêtres et de prophètes. — 2. L'on peut cependant distinguer dans la société chrétienne primitive « deux grandes classes d'ouvriers occupés à l'œuvre de Dieu ; d'une part, les hommes de la parole : les apôtres, les prophètes, les docteurs ; de l'autre, les anciens, les surveillants ou épiscopes, lès diacres ». Les premiers étaient au service de l'Église 266
SABATIER, op. cit.
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générale et ne relevaient que de l’Esprit qui les inspirait. Les seconds étaient, au contraire, les employés élus de chaque communauté particulière. 3. « Non seulement on ne trouve au début aucune institution formelle de l'épiscopat ni d'une hiérarchie quelconque, mais les noms d'episcopi et de presbyteri sont équivalents et désignent les mêmes personnes.» « L'histoire authentique ne mentionne aucun exemple d’évêque constitué par un apôtre, et auquel un apôtre aurait transmis, par cette institution, soit la totalité, soit une partie de ses pouvoirs.»267 Les pouvoirs d’enseigner et de gouverner étaient réservés à ceux qui étaient favorisés de charismes. C'est seulement petit à petit que les épiscopes ou presbytres, préposés d'abord à l'administration temporelle des Églises, se seraient emparés des pouvoirs d'enseigner et de gouverner, primitivement réservés aux Apôtres et à tous ceux qui jouissaient de charismes. D'après la thèse rationaliste, il ne faut donc pas parler de pouvoirs conférés par Jésus-Christ. Le christianisme est une démocratie où l'ensemble des chrétiens détient le pouvoir et le délègue à ses élus268. L'autorité passe d'abord du peuple des fidèles au conseil des Anciens, aux seniores ou presbytres, puis de ceux-ci elle passe au plus influent d'entre eux qui devient l'Évêque unique, L'épiscopat serait par conséquent, selon le mot de RENAN et de HARNACK, une institution humaine née de la médiocrité de la masse et de l'ambition de quelques-uns : c'est la médiocrité qui aurait fondé l'autorité269. 318 — B. TRÈSE CATHOLIQUE. — a) Le point de départ de la thèse rationaliste qui suppose que les membres des premières communautés étaient égaux a été réfuté précédemment (N° 315).
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Ibid.
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Pour prouver que l'autorité dérive de l'ensemble des fidèles et ne peut être exercée que du consentement du peuple chrétien (système appelé multitudinisme ou presbytérianisme professé par certaines sectes protestantes),les historiens rationalistes allèguent qu'autrefois les évêques ont été souvent élus par le peuple.— C'est évidemment là confondre deux choses : l'élection, d'une part, et d'autre part, la collation de la juridiction et la consécration. — 1. Pour ce qui concerne l'élection, il est vrai que les fidèles ont parfois concouru au choix du candidat. — 2. Mais l'élection ne conférait pas le pouvoir à l'élu. Lorsque le choix des fidèles avait été ratifié par les évêques de la province, les élus ne recevaient la juridiction et la consécration que du métropolitain et, par la suite, du Souverain Pontife. Le peuple ne participait ni à l'une ni à l'autre 269
La thèse moderniste est sensiblement la même. M. LOISY écrit en effet dans Autour d'un petit livre : « Les anciens (presbytres, d'où le nom de prêtres), qui exerçaient dans les assemblées chrétiennes les fonctions de surveillants (épiscopes, d'où le nom d'évêques), ont été institués de même par les Apôtres, pour satisfaire à la nécessité d'une organisation dans les communautés, non précisément pour perpétuer la mission et les pouvoirs apostoliques. Le ministère coexistait à celui de l'apostolat et le remplaça en fait, autant que besoin était. La distinction entre le prêtre et l'évêque s'accentua plus tard. » Ce qui revient à dire que l'épiscopat n'est pas d'origine divine et que les évêques n'ont reçu des apôtres ni mission ni pouvoirs.
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b) La distinction établie entre les deux classes d'ouvriers270 qui travaillent à l'œuvre chrétienne, entre ce qu'on a appelé la hiérarchie itinérante et la hiérarchie stable, n'est pas contestable. Mais c'est à tort que les rationalistes y cherchent une preuve contre l'origine divine de l’épiscopat, comme nous allons le voir dans la discussion du troisième article de leur thèse. c) Avec le troisième point où l'on tente d'expliquer les origines de l'épiscopat par une série de crises et de transformations, nous arrivons au cœur de la question. On prétend qu'il n'y avait, au début, aucune institution de l'épiscopat et on en donne comme preuves : — 1. que les deux termes episcopi et presbyteri sont équivalents, et — 2. que l'histoire ne mentionne aucun exemple d'évêque monarchique constitué par un apôtre et auquel il ait transmis la totalité ou une partie de ses pouvoirs. Réponse. — 1. Que les mots episcopi et presbyteri aient été d'abord synonymes, la chose paraît bien évidente. Ainsi, —pour ne donner qu'un exemple, — saint Paul écrit dans sa Lettre à Tite : « Je t'ai laissé en Crète, afin que tu achèves de tout organiser, et que, selon les instructions que je t'ai données, tu établisses des presbytres dans chaque ville. Que le sujet soit d'une réputation intacte... Car il faut que l’évêque soit irréprochable, en qualité d'administrateur de la maison de Dieu» (Tit., I, 5, 7). Il est apparent que dans ce passage, les deux mots presbytre et évêque sont employés indistinctement l'un pour l'autre. 2. Il est vrai encore que. au premier abord, nous ne retrouvons pas les traces de l’évêque monarchique, tel qu'il existera par la suite. Les presbytres ou épiscopes, que les Apôtres mettent à la tête des communautés fondées par eux, forment un conseil, le presbyterium, chargé de gouverner l'église locale (Act., XV, 2, 4 ; XVI, 4 ; XXI, 1.8). Ces presbytres avaient-ils les pouvoirs que l'évêque monarchique aura plus tard ou 270
Cette distinction entre les deux classes d'ouvriers est déjà établie par saint PAUL dans l'Epître aux Ephésiens. Dans la première classe saint Paul mentionne les apôtres, .les prophètes, les évangélistes, et dans la seconde les pasteurs et les didascales (Eph., IV, 11). A. Les apôtres, les prophètes et les évangélistes, c'est-à-dire les ouvriers de la première catégorie, étaient des missionnaires : ils formaient la hiérarchie itinérante. a) Le terme d'apôtre comporte un sens large et un sens strict. — 1. Au sens large, d'ailleurs conforme à l'étymologie du mot (gr. « aposlolos » envoyé, messager), l'apôtre est un messager quelconque (II Cor., VIII, 23 ; Phil., II, 25). Étaient apôtres tous ceux qui servaient d'intermédiaires, qui, par exemple, étaient chargés par une église de porter une lettre ou quelque communication à une autre église. — 2. Au sens strict, le mot apôtre désigne les envoyés du Christ. Toutefois, même dans ce sens, il ne s'applique pas exclusivement aux Douze, car on ne saurait exclure de l'apostolat Paul et Barnabé. Les deux expressions « les Apôtres» et « les Douze» ou collège des Douze (N° 310), ne sont donc pas identiques. Mais qu'est-ce qui constitue 1'aposfolcrf proprement dit? C'est à la fois le fait d'avoir vu le Christ vivant ou ressuscité et d'avoir reçu de lui sa mission. Ce sont les deux raisons que saint Paul invoque pour revendiquer le titre d'apôtre du Christ. b) Les prophètes étaient ceux qui, sans avoir été envoyés directement par le Christ, parlaient au nom de Dieu, en vertu d'une inspiration spéciale. Doués du don de prophétie, et de la faculté de lire au fond des cœurs, ils avaient pour rôle « d'édifier, d'exhorter » et de convertir les infidèles (I Cor., XIV, 3, 2425). c) Les évangélistes. Ce mot qui ne se trouve que trois fois dans le Nouveau Testament (Act., XXI, 8 ; Eph., IV, 1-1 ; II Tim., IV, 5) désigne celui qui est chargé d'annoncer l'Évangile. B. Dans la seconde catégorie saint Paul place : — a) les pasteurs, c'est-à-dire les chefs préposés aux églises locales : évêques ou prêtres ; — b) les didascales ou docteurs, sortes de catéchistes attachés à quelque localité et chargés d'instruire les fidèles.
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étaient-ils de simples prêtres ? Les documents de l'histoire ne permettent pas de solutionner le problème271. Il importe peu du reste, car la question n'est pas là. Qu'avonsnous à rechercher en effet ? Uniquement si les Apôtres ont, oui ou non, délégué de leur vivant les pouvoirs qu'ils détenaient de Jésus-Christ, de façon à s'assurer des successeurs lorsqu'ils viendraient à mourir. Tel est bien, il nous semble, le seul point qui nous intéresse et sur lequel nous devons faire la lumière. On nous dit que les pouvoirs étaient attachés aux charismes, et que, pour cette raison, ils n'étaient pas transmissibles, les charismes étant incommunicables. Sans nul doute, les charismes étaient des dons de circonstance, des dons personnels, venant directement de l'Esprit, donc incommunicables. Mais il ne faut pas confondre pouvoirs apostoliques et charismes. Si ceux-ci ont accompagné ceux-là, ils n'en ont pas été le principe. Les charismes étaient des signes divins qui appuyaient l'autorité, mais ils ne la constituaient pas. Les Apôtres avaient donc reçu de Jésus-Christ des pouvoirs indépendants des charismes, donc transmissibles. Consultons maintenant les faits et voyons s'ils les ont transmis. — 1. Interrogeons tout d'abord les Épîtres de saint Paul. Elles nous apprendront que, tout en se réservant l'autorité suprême dans les Églises qu'il fondait (I Cor, V, 3 ; VII, 10, 12 ; XIV, 27, 40 ; II Cor., XIII, 1, 6), saint Paul confie parfois ses pouvoirs à des délégués. Ainsi il commissionne Timothée pour instituer le clergé à Éphèse ; il lui donne les pouvoirs d'imposer les mains et d'appliquer la discipline (I Tim., V, 22). De même, il écrit à Tite ces mots que nous avons cités plus haut : « Je t'ai laissé en Crète, afin que tu achèves de tout organiser... » (Tit., I, 5). Timothée et Tite reçoivent donc la mission d'organiser- les églises et les pouvoirs d'imposer les mains, c'est-à-dire les pouvoirs épiscopaux. — 2. La première lettre de Clément de Rome à l'Église de Corinthe nous apporte encore un exemple très précieux de la transmission des pouvoirs apostoliques. La lettre de CLEMENT était destinée à rappeler à l'ordre la communauté de Corinthe qui avait destitué des prêtres de leurs fonctions. Dans ce but, il leur déclare que, de même que Jésus-Christ a été envoyé par Dieu, les Apôtres par Jésus-Christ, de même des prêtres et des diacres furent établis par les Apôtres : on leur doit, de ce fait, la soumission et l'obéissance. , Après quoi il conclut que « ceux qui furent établis par les Apôtres, ou après, par d'autres hommes illustres, avec l'approbation de toute l'Église... ne peuvent être démis de leurs fonctions sans injustice. » On ne saurait proclamer plus clairement le principe et le fait de la transmission des pouvoirs apostoliques. Qu'est-ce que ces hommes illustres qui ont établi des prêtres et des diacres, sinon les délégués ou les successeurs des Apôtres? Ces successeurs ne portent pas encore le nom d'évêques : ce sont des hommes illustres, faisant partie, comme les Apôtres, du clergé itinérant et jouant le rôle d'évêques. Qu'importe que le titre fasse défaut, du moment que la fonction existe1? 3. Considérons maintenant l'Église du IIe siècle. Nous venons de découvrir, dès l'âge apostolique, le germe de l'épiscopat. Tout au début du IIe siècle, nous allons en constater l'éclosion. L'existence de l'épiscopat monarchique nous est attestée par de
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D'après saint JEAN CHRYSOSTOME et saint THOMAS, les deux titres presbyteri et episcopi avaient une signification générale et étaient employés indifféremment pour désigner les évêques et les prêtres. D'après saint JEROME et le P. PETAU, ils ne désignaient que les simples prêtres. Il y a même un passage célèbre de saint Jérôme sur lequel s'appuient les rationalistes et les protestants pour nier la suprématie des évêques sur les prêtres dans la primitive Église (Voir SABATIER, op. cit., p. 144).
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nombreux témoignages : — 1) Témoignage de saint Jean. Au début de son Apocalypse, saint JEAN écrit qu'il va rapporter ses révélations sur les « sept Églises qui sont en Asie : à Éphèse, à Smyrne, à Pergame, à Thyatire, à Sardes, à Philadelphie et à Laodicée » (Apoc., I, 1-11). En conséquence, sept lettres sont destinées à l'ange de chacune de ces églises. Qui est cet ange? On s'accorde à dire qu'il ne peut s'agir de l'ange gardien de ces églises, puisque les lettres contiennent des blâmes à côté des éloges, des exhortations et des menaces : ce qui ne saurait s'appliquer à des esprits célestes. Selon toute vraisemblance, ces anges sont donc les chefs spirituels des églises, anges du Seigneur, dans le sens étymologique du mot (aggelos = messager, envoyé), qui jouissaient des pouvoirs de l'évêque, sans en porter encore le nom. — 2) Témoignage de saint Ignace d'Antioche. Au témoignage de saint Ignace qui date des dix premières années du second siècle, il y avait un évêque non seulement à Éphèse, à Magnésie, à Tralles, à Philadelphie, à Smyrne, mais dans beaucoup d'autres églises. La hiérarchie est du reste déjà en possession tranquille. L'histoire ne nous apporte pas les traces de crises et de révolutions par lesquelles aurait passé l'épiscopat avant de conquérir les pouvoirs qui lui sont reconnus. « En dehors de l'évêque, des prêtres et des diacres il n'y a pas d'église », écrit saint IGNACE à l'église de Tralles (III, 1).— 3)Témoignage tiré des listes épiscopales dressées, l'une par HEGESIPPE dans ses Mémoires, l'autre par saint IRENEE dans son Traité contre les hérésies. Sous le pontificat d'Anicet (155-166), HEGESIPPE voulant connaître l'enseignement des diverses Églises et en vérifier l'uniformité, entreprit un voyage à travers la chrétienté. Il s'arrêta dans un certain nombre de villes, en particulier à Corinthe et à Rome. A Rome, il établit la liste successorale des Évêques jusqu'à Anicet... Malheureusement cette liste a été perdue et nous n'en connaissons des extraits, que par l'historien EUSEBE. AU contraire, la seconde liste, dressée par saint IRENEE, est intacte, et on peut la dater des environs de 180. L'Évêque de Lyon se propose de combattre les hérésies, et particulièrement, le gnosticisme. Pour cela il s'appuie sur la tradition et pose en principe que la règle de foi doit être cherchée dans l'enseignement des Apôtres inaltérablement conservé par l'Église. A cette fin, il déclare qu'il peut « énumérer ceux que les Apôtres instituèrent évêques, et établir la succession des évêques jusqu'à nous ». Et comme « il serait trop long de donner le catalogue de toutes les églises », il ne veut « considérer que la plus grande et la plus ancienne, l'église connue de tous, fondée et organisée à Eome par les deux très glorieux apôtres Pierre et Paul ». Il dresse alors la liste épiscopale de Rome jusqu'à Eleuthère : les bienheureux apôtres (Pierre et Paul), Lin, Anenclet, Clément, Évariste, Alexandre, Sixte, Télesphore, Hygin, Pie, Anicet, Soter, Eleuthère. On objecte contre l'historicité de ces listes épiscopales, que les noms des évêques varient de catalogue à catalogue, et que la liste de saint IRENEE diffère de la liste du catalogue « Libérien» dressé, en 354, par PHILOCALUS, sous le pape Libère. — II est vrai qu'il y a entre les deux listes quelque divergence : ainsi le catalogue « Libérien » fait suivre Lin immédiatement de Clément et dédouble Anenclet en Clet et Anaclet. De telles variantes sont assez minimes pour qu'on n'y attache pas une trop grande importance, et il y a par ailleurs tout lieu de croire qu'elles sont le fait des copistes. Conclusion. — Nous pouvons donc tirer de ce qui précède les conclusions suivantes: — 1. Des textes de l'Évangile et des documents de la primitive Église il résulte que les
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pouvoirs apostoliques étaient transmissibles et ont été transmis. — 2. Les Apôtres ont communiqué leurs pouvoirs à des délégués en élevant certains disciples à la plénitude de l'Ordre et en leur donnant la mission, soit de diriger les Eglises qu'ils avaient euxmêmes fondées, soit d'en fonder et d'en organiser de nouvelles. 3. il est dès lors faux de prétendre que l'épiscopat soit né de la médiocrité des uns et de l'ambition des autres. Ce n'est pas la « médiocrité qui a fondé l'autorité», c'est l'Évangile. Les Évêques ont été institués pour recueillir la mission et les pouvoirs dont Jésus-Christ avait investi ses Apôtres. Pris en corps, les Évêques sont par conséquent les successeurs du collège apostolique. § 3. JESUS-CHRIST A FONDE UNE ÉGLISE MONARCHIQUE. PRIMAUTE DE PIERRE ET DE SES SUCCESSEURS. 319. Nous avons démontré, dans les deux paragraphes précédents, que l'Église fondée par Jésus-Christ n'est pas une démocratie qui comporte l'égalité des membres, qu'elle est une société hiérarchique où il y a des chefs qui détiennent leurs pouvoirs, non du peuple chrétien, mais de droit divin. Une autre question se pose encore. l’autorité souveraine qui appartient à l'Église enseignante réside-t-elle dans le corps des Evêques ou dans un seul de ses membres? L'Église est-elle une oligarchie ou une monarchie 272 ? A la tête de son Eglise Jésus-Christ a-t-il constitué un chef suprême? La négative est soutenue par les Protestants et les Grecs schismatiques. Cependant ces derniers et un certain nombre d'Anglicans concèdent que Pierre reçut une primauté d'honneur et non une primauté de juridiction273. Les catholiques prétendent le contraire. Ils affirment que Jésus-Christ a conféré la primauté de juridiction à saint Pierre, et dans sa personne, à ses successeurs. Les deux points de la thèse catholique que nous devons établir séparément, s'appuient sur un argument tiré des textes évangéliques et sur un argument historique. 320 — I. Premier Point. — La Primauté de Pierre. - Jésus-Christ a fondé une Église monarchique en conférant à saint Pierre une primauté de juridiction sur toute l'Église. 1° Argument tiré des textes évangéliques. — La primauté de Pierre découle des paroles de la promesse et des paroles de la collation.
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Monarchie (gr. monos seul, arche, commandement). Conformément a l'étymologie, la monarchie est une société qui est soumise à l'autorité d'un chef suprême. L'oligarchie (gr. oligos peu nombreux; arche, commandement) est la société où l'autorité est entre les mains d’un petit nombre.
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Primauté de juridiction et primauté d'honneur. - II existe entre la primauté de juridiction et une primauté d'honneur cette différence essentielle que la prendre implique une autorité effective tandis que la seconde n’accorde que des droits honorifiques. Ceux qui possèdent la première ont le droit de gouverner comme de vrais sujets ceux qui relèvent de leur juridiction ; la primauté d’honneur ne constitue qu’un droit de préséance.
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A. PAROLES DE LA PROMESSE. — Les paroles par lesquelles Notre-Soigneur promit la primauté de juridiction à saint Pierre, furent prononcées à Césarée de Philippe. Jésus avait interrogé ses disciples pour savoir quelle opinion l'on se faisait de sa personne. Et Pierre, en son propre nom, et d'une inspiration spontanée, avait confessé que « Jésus était le Christ, le Fils du Dieu vivant ». C'est alors que le Sauveur lui adressa ces paroles fameuses : « Tu es heureux, Simon, fils d« Jonas, car ce n'est pas la chair et le sang qui te l'ont révélé, mais mon Père qui est dans les cieux. Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l'Enfer ne prévaudront point contre elle. Et je te donnerai les clefs du royaume des cieux, et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux » (Mat., XVI, 17,19). De ce texte trois choses doivent être relevées, qui vont à la démonstration de la thèse catholique : — a) Tout d'abord il convient de remarquer que Jésus change le nom de Simon en celui de Pierre. Or le changement de nom est, d'après l'usage biblique, le signe d'un bienfait. Ainsi, Abram fut appelé Abraham, lorsque Dieu voulut contracter alliance avec lui et le désigner comme le père des croyants (Gen., XVII, 4, 5). — b) Dans le cas présent, le nouveau nom, donné à Simon, symbolise la mission dont Jésus veut le revêtir. Simon s'appellera désormais Pierre, parce qu'il doit être la pierre274, la roche sur laquelle Jésus veut fonder son Église275. Ce qu'est le rocher par rapport à l'édifice, Pierre le sera par rapport à la société chrétienne, à l'Eglise du Christ : fondement ferme qui assurera la stabilité à toute la construction, roc inébranlable qui défiera les siècles et sur lequel viendront se briser « les portes de l'enfer» autrement dit, les assauts du démon. — c) Enfin les dés du royaume des deux sont remises entre les mains de Pierre- Nous ne nous arrêterons pas aux pouvoirs de lier et de délier ; ils ne sont pas en effet, la propriété exclusive de Pierre ; il les partage avec les autres apôtres. Mais la remise des clés est un privilège insigne et spécial, elle confère un pouvoir absolu. Le royaume des cieux est comparé à une maison. Or, — cela va de soi, — seul, celui qui a les clés et ceux à qui ce dernier veut bien ouvrir, ont accès à la maison. Voilà donc Pierre constitué le seul intendant de la maison chrétienne, l'unique introducteur au royaume de Dieu. Inutile d'insister plus : la promesse du Christ est trop claire pour qu'il reste un doute sur sa signification. Seul Pierre change de nom, seul il est appelé le fondement de la future Église, seul il en recevra les clés : si les mots ont un sens, c'est bien la primauté de Pierre qu'ils signifient. Les adversaires objectent, suivant leur tactique habituelle, que le passage en question est inauthentique et qu'il a été interpolé au moment où l'Église avait déjà vécu tin certain temps et avait accompli son évolution vers la forme catholique. Ils en voient la
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Le jeu de mots qui a toute sa force dans la langue araméenne où le nom « Kêphâ » que Jésus donne a Pierre, est du masculin et signifie roche, pierre, disparaît en grec et en latin, Pierre se disant Petros ou Petrus et roche se disant petra. 275
Ce passage a prêté a d'autres interprétations. Il y a des protestants qui ont prétendu que Jésus, en disant : « sur cette pierre je bâtirai mon Église», voulait se désigner lui-même parce que seul 11.est la pierre angulaire de 1 Église. Plusieurs Pères (ORIGENE, saint JEAN CHRYSOSTOME, saint AMBROISE et saint HILAIRE) ont cru que le rocher désignait la foi de l'Apôtre, et ils en ont déduit que tous ceux qui ont une fol semblable, sont, eux aussi, des rochers. C'est, d'un coté comme de l'autre, une exégèse qui fait violence au contexte
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preuve dans ce fait que saint Matthieu est le seul à rapporter les paroles de NotreSeigneur. Réponse. — L'argument tiré du silence de Marc et de Luc est purement négatif. Il n'aurait de valeur que si l'on pouvait prouver que le passage devait être rapporté par eux et était commandé par le sujet qu'ils traitaient. Or une telle démonstration ne peut être faite, et le silence des deux synoptiques doit être attribué à des motifs littéraires qui ne comportaient pas l'introduction du texte. 321. — B. PAROLES DE LA COLLATION. — Le pouvoir suprême que Jésus avait commencé par promettre à Pierre, deux passages de l'Évangile nous attestent qu'il le lui a effectivement conféré. — a) Mission donnée à Pierre de confirmer ses frères. Quelque temps avant sa Passion, Jésus annonce aux Apôtres leur prochaine défaillance, mais en même temps qu'il prédit celle de Pierre, il lui déclare qu'il a spécialement prié pour lui : « Simon, Simon, voici que Satan vous a réclamés, pour vous cribler comme le froment. Moi, j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas, et toi, quand tu seras revenu, affermis tes frères » (Luc, XXII, 31-32). Ainsi, lorsque les Apôtres, d'abord vaincus par la tentation, se seront relevés de leur chute, purifiés par l'épreuve qui aura retranché de leur âme les faiblesses du passé, tel le crible qui sépare la paille du froment, Jésus donne à Pierre la mission de confirmer ses frères. Une telle mission implique évidemment la primauté de juridiction. — b) Pierre reçoit la charge du troupeau chrétien. La scène se passe après la Résurrection. Voici comment saint Jean la rapporte (Jean, XXI, 15, 17). Par trois fois Jésus demande à Pierre s'il l'aime ; par trois fois, Pierre proteste de son amour et de son inviolable attachement. Alors le Sauveur, se sentant à la veille de quitter ses disciples par son Ascension, remet à Pierre la garde de son troupeau. Il lui confie le soin de la chrétienté tout entière, à la fois des agneaux et des brebis. « Pais mes agneaux », lui dit-il deux fois, puis une troisième fois : « Pais mes brebis». Or, d'après l'usage courant des langues orientales, le mot paître veut dire gouverner. Paître les agneaux et les brebis c'est donc gouverner avec une autorité souveraine l'Église du Christ ; c'est en être le chef suprême ; c'est avoir la primauté. 322. — 2° Argument historique. — A ne considérer la question que du seul point de vue historique, nous retrouvons, en face l'une de l'autre, les deux thèses, rationaliste et catholique. A. THESE RATIONALISTE. — D'après les rationalistes, le texte : Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église « n'a pris le sens et la portée dogmatique que les théologiens de la papauté lui ont donnée, qu'au IIIe siècle, lorsque les Évêques de Rome en eurent précisément besoin pour soutenir leurs prétentions naissantes »276. La primauté de saint Pierre, prétendent-ils, n'a nullement été reconnue par les autres apôtres, et en particulier par saint Paul, car ce dernier, non seulement ne recense pas toujours Pierre le premier (I Cor., I, 12 ; III, 22) ; Gal., II, 9), mais il ne craint même pas de « lui résister en face » (Gal., II, 11). 276
SABATIER, op. cit., p. 209.
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323. — B. THÈSE CATHOLIQUE. — Les Actes des Apôtres fournissent à l'historien catholique de nombreux témoignages qui attestent que Pierre a exercé sa primauté dès les premiers jours de l'Église naissante. — 1. Après l'Ascension, c'est Pierre qui propose le remplacement de Judas pour compléter le collège des Douze (Act., I, 15, 22). — 2. Le premier, il prêche l'Évangile aux Juifs le jour de la Pentecôte (Act., II, 14 ; III, 6). — 3. Le premier, éclairé par l'ordre de Dieu, il reçoit les Gentils dans l'Église (Act., X, 1). — 4. Il visite les Églises (Act., IX, 32). — 5. Au Concile de Jérusalem, il clôt la longue discussion qui s'est engagée, en disant que la circoncision ne doit pas être imposée aux païens convertis, et personne ne fait opposition à son avis (Act., XV, 7, 12). Et si Jacques parle après lui, ce n'est pas pour discuter son opinion, mais uniquement, parce que, préposé à l'Église de Jérusalem, il juge qu'il y a lieu d'imposer aux Gentils quelques prescriptions de la loi juive dont l'infraction pourrait scandaliser les chrétiens d'origine juive qui forment la masse de son Église277. On nous objecte, il est vrai, que saint Paul n'a pas reconnu la primauté de Pierre. — Comment se fait-il alors que, trois ans après sa conversion, il soit venu à Jérusalem pour le visiter (Gal., I, 18, 19). Pourquoi est-il allé à Pierre, plutôt qu'aux autres, plutôt qu'à Jacques qui présidait à l'Église de Jérusalem? N'est-ce pas une preuve évidente qu'il le regardait comme le chef des Apôtres? — S'il en était ainsi, réplique-t-on, pourquoi ne le nomme-t-il pas toujours le premier? — La chose est bien simple, c'est que saint Paul ne recense jamais ex professo le collège apostolique, et ne fait que citer quelques noms en passant. Parfois aussi, comme au passage (I Cor., I, 12), il lui arrive de suivre une gradation ascendante, puisque, après Pierre, il nomme le Christ. Mais, dit-on, et c'est là un terrain d'attaque cher aux rationalistes, oubliez-vous le conflit d'Antioche où Paul ne craignit pas de résister en face à Pierre? — Pour que nos adversaires ne nous accusent pas de diminuer l'importance du conflit, nous allons le rapporter d'après les propres paroles de saint Paul. « Quand Képhas vint à Antioche, écrit-il aux Galates (n, 11-14), je m'opposai à lui en face, parce qu'il était visiblement en faute. En effet, avant l'arrivée de certaines personnes d'auprès de Jacques, il mangeait avec les Gentils. Mais quand elles furent arrivées, il se retira et se tint à l'écart, par crainte de ceux de la circoncision. Et les autres Juifs s'associèrent à son hypocrisie, en sorte que Barnabé aussi fut entraîné par leur duplicité. Mais quand je vis qu'ils ne marchaient pas droit selon la vérité de l'Évangile, je dis à Képhas en présence de tous : Si toi qui es Juif, tu vis à la manière des Gentils et non pas à celle des Juifs, comment peux-tu contraindre les Gentils à vivre en Juifs? » Comme on peut le constater, le conflit est né de la fameuse question, soulevée par les judaïsants, de savoir si la loi mosaïque avait gardé son caractère obligatoire et s'il était exigé de passer par la circoncision pour entrer dans l'Église chrétienne. Or, — qu'on
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JACQUES demande que les Gentils aient à s'abstenir de quatre pratiques : « des souillures des idoles » (c'est-à-dire des viandes offertes aux idoles), « de l'impureté » que les païens ne regardaient pas comme un désordre grave, « des viandes étouffées et du sang» dont l'usage était interdit aux Juifs (Act., XVII, 20). A ses yeux, outre que ces prescriptions éviteront le scandale des faibles, elles seront de nature à aplanir les difficultés de rapports entre les chrétiens de différente origine.
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remarque bien ce point, — les deux Apôtres ont toujours été d'accord pour répondre que non : il n'y a donc pas eu conflit entre eux sur le terrain dogmatique. Et voici où le litige va surgir. Il arriva que saint Pierre, pour ne pas provoquer les récriminations des judaïsants, s'abstint de manger avec les Gentils qui s'étaient convertis sans passer par le judaïsme. Certainement une telle manière de faire pouvait être interprétée en sens divers. — 1. Ou bien l'on pouvait y voir une simple mesure de prudence que justifiait le but poursuivi. S'adressant à des milieux différents, l'un, apôtre des circoncis, l'autre, des incirconcis, faut-il s'étonner que saint Pierre et saint Paul aient eu à adopter, dans les questions de discipline, des attitudes différentes? N'est-il pas raconté par ailleurs dans les Actes des Apôtres, que saint Paul, placé à l'occasion dans une circonstance identique, n'a pas agi autrement, et qu'en dépit de ses convictions, il a circoncis Timothée, à cause des Juifs qui étaient dans ces contrées (de Lystres et d'Iconium : Act., XVI, 3). — 2. Ou bien l'on pouvait prendre la conduite de saint Pierre pour de l'hypocrisie et de la lâcheté : et c'est ainsi que la chose fut jugée par saint Paul. Il sembla à ce dernier que, pour éviter les conséquences regrettables de l'attitude de Pierre, il était de son devoir de le reprendre. Nous nous trouvons donc dans un cas de correction fraternelle faite par un inférieur, et dans laquelle ce dernier, selon toute apparence, manqua de mesure et de déférence, emporté sans doute par un zèle excessif. Mais que si saint Paul attachait une telle importance à la conduite de saint Pierre, objecterons-nous à notre tour aux rationalistes, n'est-ce pas, de toute évidence, que son influence sur les églises était plus grande et moins incontestée? L'argument des rationalistes retourne donc contre eux, et le conflit d'Antioche, loin de prouver contre la primauté de Pierre, nous en apporte un nouveau témoignage. 324.— II. Deuxième point. — La primauté des successeurs de saint Pierre. — La primauté conférée par Jésus à saint Pierre était-elle un don personnel, une sorte de charisme ? Ou était-elle un pouvoir transmissible et devant échoir à ses successeurs? Et dans ce dernier cas, quels devaient être les successeurs de Pierre? Nous répondrons à ces questions en montrant dans les deux thèses suivantes : 1° que la primauté de Pierre tait un pouvoir permanent, et 2° que les successeurs de Pierre sont les Évêques de Borne. Thèse I. La primauté de Pierre était transmissible. — Cette proposition s'appuie sur un argument tiré des textes de l'Évangile et sur un argument historique. 1° Argument tiré des textes évangéliques. — Du texte de saint Matthieu (XVI, 17, 19) invoqué précédemment pour pouvoir la primauté (N° 320), il résulte que Pierre a été choisi pour être le fondement de toute l'Église et qu'il a reçu les clés du royaume des cieux. Or le fondement doit durer aussi longtemps que l'édifice lui-même. Et comme Jésus a promis d'être avec son Église jusqu'à la fin du monde (Mat., XXVIII, 20), il faut en déduire que la primauté, principe et fondement de l'édifice, doit durer autant que celui-ci, et que Pierre doit transmettre son autorité à ses successeurs. L'autorité
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suprême sera d'ailleurs d'autant plus requise que l'Église se développera et étendra ses rameaux plus loin : plus une armée est nombreuse, plus elle a besoin d'un chef suprême qui la commande. 2° Argument historique. — Si la primauté de Pierre a été recueillie par ses successeurs, l'histoire doit en témoigner. Mais comme cette question se confond avec celle de savoir quels furent les successeurs, nous renvoyons à la seconde proposition. 325. — Thèse II. Les successeurs de Pierre dans la primauté sont les Évêques de Rome278. — Pour prouver cette thèse, il faut établir deux choses : 1° que Pierre est venu à Rome et peut être considéré comme le premier Évêque de l'Église de Rome ; et 2° que la primauté des Évêques de Rome, ses successeurs, a toujours été reconnue dans tonte l’Église. La question est donc tout historique. 1° La venue et la mort de saint Pierre à Rome. — État de la question. — 1. Il s'agit de rechercher si Pierre est venu dans la capitale du monde romain et s'il y a fondé une communauté chrétienne. Point n'est besoin de démontrer qu'il y est resté un laps de temps plus ou moins long, ni d'une façon continue279. Il ne faut pas en effet se représenter l'Église primitive sous la forme de l'Église actuelle. Les Apôtres étaient des missionnaires qui se souvenaient de la parole de leur Maître : « Allez, enseignez toutes les nations. » En face d'un champ aussi vaste ouvert à leur activité, il serait bien étrange de les trouver attachés à une résidence fixe. Ils étaient donc, ici ou là, partout où ils pouvaient jeter, avec espoir de moisson, la semence de l'Évangile. 2. Le fait de la venue et de la mort de saint Pierre à Rome était nié autrefois par les critiques rationalistes et protestants, qui voyaient dans cette contestation un excellent argument contre la primauté de l'Évêque de Rome. Mais la faiblesse de leurs arguments était telle que RENAN n'hésita pas à reconnaître, dans un appendice à son volume L'Antéchrist (1873), comme une chose « très admissible que saint Pierre fût 278
Le nom de pape (gr. pappas, père), qui est réservé de nos jours à l’évêque de Rome, était donné autrefois aux autres évêques, et était, dans la bouche de ceux qui l'employaient, un terme de déférence. Une inscription qui date du pape Marcellin (mort en 304) nous fournit la première attestation de l'application au mot à l'Évêque de Rome. 279
Certains catholiques, comme BARONIUS, ont prétendu que saint Pierre avait été Evêque de Rome pendant 25 ans, à partir de l'an 42. C'est là un chiffre qui paraît bien exagéré, cependant la thèse en question s'appuie sur plusieurs témoignages de valeur : — 1. sur le catalogue, dit libérien, qui comprend la chronologie des papes, telle qu'elle était alors reçue dans l'Église romaine ; — 2. sur le témoignage de Lactance et — 3. sur celui de l’historien Eusèbe. De ce triple témoignage, il ressert tout d'abord -que l'on peut considérer comme une tradition généralement admise au IVe siècle, — puisque les trois témoignages sont de cette époque, — que saint Pierre était venu à Rome et y avait gouverné l'Eglise pendant 25 ans. Et comme il y eu tout lieu de croire que le catalogue libérien dérive du catalogue d'Hippolyte dont nous avons parlé plus haut, et que l'historien Eusèbe a utilisé des Catalogues antérieurs, et entre autres, la liste dressée par saint IRENEE, il s'ensuit que les témoignages précédente représentent une tradition qui remonte bien plus loin que leur époque. Remarquons en outre que ceux qui soutiennent la thèse des 25 ans d'épiscopat de Pierre à Rome ne prétendent pas que l’apôtre soi toujours resté à Rome. Le contraire est trop certain. En effet, les Actes des Apôtres nous le montrent à Jérusalem, en 44, pour les fêtes de Pâques, et en 50, où il préside le concile. Le gouvernement d'une Église ne requiert jamais la présence continuelle du chef ; à plus forte raison aux temps de la primitive Église.
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venu à Rome » et même à regarder « comme probable le séjour de Pierre à Rome ». Les critiques actuels vont plus loin et ne font plus de difficultés pour soutenir le point de vue catholique. Citons quelques lignes du plus illustre d'entre eux : « Le martyre de Pierre à Rome, écrit M, HARNACK –(Chronologie) a été combattu jadis en vertu de préjugés protestants tendancieux... Mais que ce fût une erreur, cela est évident aujourd'hui pour tout chercheur qui ne s'aveugle pas. » « Aujourd'hui, dit encore le même critique dans un Discours prononcé en 1907 devant l'Université de Berlin, nous savons que cette venue (de Pierre à Rome) est un fait bien attesté, et que les commencements de la primauté romaine dans l'Église remontent jusqu'au IIe siècle. » La thèse catholique, qui affirme que saint Pierre est venu à Rome, qu'il y a fondé l'Église romaine et qu'il y reçut le martyre, n'étant plus sérieusement contestée, il nous suffira dépasser rapidement en revue les principaux témoignages sur lesquels elle s'appuie. Les voici, en suivant l'ordre régressif, et siècle par siècle, — a) Au début du IIIe siècle, nous avons les témoignages du prêtre romain Caius et de Tertullien. — 1. CAIUS, écrivant contre Proclus, disait : « Je puis vous montrer les monuments des apôtres. Que vous veniez au Vatican ou sur la voie d'Ostie, vous aurez sous les yeux les monuments des fondateurs de notre Église. » Ce passage, qui date des environs de l'an 200, prouve qu'à cette époque on était persuadé que les tombeaux du Vatican et de la voie d'Ostie gardaient les reliques de saint Pierre fit de saint Paul, fondateurs de l'Eglise romaine et martyrs sous Néron. — 2. TERTULLIEN, à la même époque, discutant contre les gnostiques, rappelle le martyre que, sous Néron, saint Pierre et saint Paul subirent à Rome, le premier sur la croix, le second par le glaive du bourreau. b) A la fin du IIe siècle. — 1. Saint IRENEE écrivait en Gaule : « Ce sont les apôtres Pierre et Paul qui ont évangélisé l'Église romaine... et c'est pour cela qu'entre toutes elle est la plus antique, la plus connue, tenant des apôtres sa tradition : c'est pour cela que chaque Église doit se tourner vers elle et reconnaître sa supériorité. » — 2. DENYS DE CORINTHE, écrivant aux Romains, en 170, leur disait : « Venus tous deux à Corinthe, les deux apôtres Pierre et Paul nous ont élevés dans la doctrine évangélique ; partis -ensuite ensemble pour l'Italie, ils nous ont transmis les mêmes enseignements, puis ont subi en même temps le martyre. » c) Parmi les Pères apostoliques280 nous avons les témoignages de saint Ignace et du pape saint Clément. — 1. Saint IGNACE D'ANTIOCHE venait d'être condamné aux bêtes et avait été envoyé à Rome pour y subir le dernier supplice. Ayant appris que la communauté romaine avait entrepris des démarches pour le sauver, il lui écrivit de n'en rien faire, l'adjurant en ces termes : « Ce n'est pas comme Pierre et Paul que je vous commande ; eux, ils étaient apôtres et moi je ne suis plus qu'un condamné. » « Ces paroles, dit Mgr DUCHESNE, ne sont pas l'équivalent littéral de la proposition : saint Pierre est venu à Rome. Mais supposé qu'il y soit venu, saint Ignace n'aurait pas parlé
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On nomme Pères apostoliques les écrivains (ou écrits dont plusieurs sont anonymes) de la fin du Ier ou de la première moitié du IIe siècle, et qui sont censés avoir connu les Apôtres et tenir d'eux leur enseignement. Les principaux écrivains sont saint CLEMENT, troisième successeur de saint Pierre, saint IGNACE, évêque d'Antioche, célèbre par ses Epîtres, saint POLYCARPE, évêque de Smyrne. Les principaux écrits sont la Doctrine des Doute Apôtres ou Didaché, le Pasteur d'Hermas et le Symbole des Apôtres.
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autrement ; supposé qu'il n'y soit pas venu, la phrase manque de sens. »281 — 2. Saint CLEMENT. Ecrivant aux Corinthiens entre 95 et 98, il met en relief les souffrances des deux apôtres Pierre et Paul « qui restent chez nous le plus beau des exemples». Ainsi saint Clément qui est romain, qui envoie sa lettre en qualité d'évêque de Rome, insiste sur cette circonstance, que les actes d'héroïsme qu'il décrit se sont passés sous ses yeux, que le martyre de saint Pierre et de saint Paul a été d'un grand exemple « chez nous», c'est-à-dire à Rome. d) Au temps des Apôtres, nous avons le témoignage de saint Pierre lui-même, qui date de Babylone la première Épître adressée aux fidèles d'Asie (I Pierre, V, 13). Or « Babylone, dit RENAN, désigne évidemment Rome. C'est ainsi qu'on appelait dans les chrétientés primitives la capitale de l'Empire ». 326. — A la thèse catholique les Protestants objectent que saint Luc dans les Actes des Apôtres, saint PAUL dans son Épître aux Romains, FLAVIUS JOSEPHE qui rapporte la persécution de Néron, ne font pas mention de Pierre. Réponse. — Nous avons déjà observé que l'argument tiré du silence n'a de valeur que si le point passé sous silence rentrait dans le sujet traité par l'historien et aurait dû être mentionné par lui. Or — 1. pour ce qui concerne saint Luc, l'objection est sans fondement pour la bonne raison que les Actes des Apôtres ne décrivent que les débuts de l'Église chrétienne dans les douze premiers chapitres et qu'à partir du chapitre XIII, il n'est plus question que des Actes de saint Paul. Que les Actes soient par ailleurs loin d'être complets, c'est ce qui est bien évident ; ainsi, ils ne parlent pas non plus du conflit d'Antioche. — 2. Il n'y a pas lieu de s'étonner davantage que saint PAUL ne mentionne pas saint Pierre dans son Épître aux Romains : ses autres Épîtres nous montrent qu'il n'avait pas l'habitude de saluer les évêques de la ville. Lorsqu'il écrit aux Éphésiens, il ne parle pas non plus de Timothée, leur, évêque. — 3. JOSEPHE déclare qu'il a voulu passer sous silence la plupart des crimes de Néron ; s'il omet la crucifixion de Pierre, il ne parle pas davantage de l'incendie de Rome et du meurtre de Sénèque. Conclusion. Le fait de la venue et du martyre de saint Pierre à Rome n'est donc contredit par aucune objection sérieuse. Il est au contraire démontré par de nombreux témoignages qui, de génération en génération, nous conduisent à l'âge apostolique. Nous pourrions ajouter encore que le fait est confirmé par les monuments qui attestent la présence à Rome du Prince des Apôtres, tels que les deux chaires de saint Pierre, dont l'une est conservée au baptistère du Vatican, les peintures et les inscriptions des Catacombes, datant du IIe siècle, et où son nom est mentionné. Mais il n'est pas nécessaire d'insister, puisque aussi bien la thèse catholique n'est pas contredite par les critiques sérieux. 327. — 2° Les Évêques de Rome ont toujours eu la primauté. — Puisque saint Pierre peut être considéré comme le premier Évêque de Rome, sa primauté devait se transmettre aux héritiers de son siège : c'est la question de droit. Mais il nous faut 281
Mgr DUCHESNE, Histoire ancienne de l'Église, t. 1
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examiner la question de fait et demander à l'histoire s'il en a été ainsi. Le point est de la plus haute importance, car si les documents de l'histoire nous démontraient que primitivement la primauté des évêques de Rome n’était pas reconnue, la question de droit serait fortement en péril. Il ne faut donc pas trop s'étonner que les rationalistes, protestants et modernistes, aient pris à tâche de prouver, par l'histoire, que la primauté des Évêques de Rome n'est pas d'origine primitive. A. THÈSE RATIONALISTE. — La thèse des rationalistes tient en quelques mots. Suivant leur théorie, il n'y aurait eu, à l'origine, aucune distinction entre les évêques : ils auraient tous joui d'une autorité égale. Pou à peu ils se seraient arrogé une puissance plus ou moins grande et relative à l'importance de la ville où était leur siège. Il arriva donc tout naturellement que les évêques de Rome, qui habitaient la capitale de l'Empire, furent considérés comme les chefs de l'Église universelle. A cette raison majeure s'ajoute un heureux ensemble de circonstances, telles que l'ambition des évêques romains, leur prudence dans le jugement des causes soumises à leur arbitrage et les services qu'ils rendirent lorsque l'Empire s'écroula. La primauté de l'Évêque de Rome ne serait née qu'à la fin du u' siècle, lorsque le pape Victor, pour terminer la controverse qui s'était élevée à propos du jour où l'on devait célébrer la fête pascale, « lança en 194, un édit impérieux qui retranchait de la communion catholique et déclarait hérétiques toutes les Églises d'Asie ou d'ailleurs qui ne suivraient pas, dans cette question de la Pâque, la coutume romaine »282. 328. — B. THÈSE CATHOLIQUE. — Les historiens catholiques prétendent au contraire que la primauté de l'Évêque de Rome a toujours été reconnue dans l'Église universelle. Au commencement du IVe siècle, la primauté de la Chaire romaine est un fait incontesté. A cette époque il est manifeste que les évêques de Rome parlent et agissent en pleine conscience de leur primauté. Le pape SYLVESTRE envoie ses légats pour présider le concile de Nicée (325). JULES I déclare que c'est à Rome que doivent être jugées les causes des évêques. Le pape LIBERE, à qui l'empereur Constance demande de condamner Athanase, — ce qui prouve qu'il lui en reconnaît le droit, — se refuse à le faire. De même, les Pères sont unanimes à admettre la primauté de l’Évêque de Rome. Saint OPTAT DE MILET, argumentant contre les Donatistes qui prétendaient que l'Église se composait des seuls justes et que la sainteté était la marque essentielle de l'Église, répond que l'unité est une note non moins essentielle et qu'il est absolument indispensable de rester en communion avec la Chaire de Pierre. Saint AMBROISE regarde également l'Église romaine comme le centre et la tète de tout l'univers catholique. A leur tour, les évêques orientaux saint ATHANASE, saint GREGOIRE DE NAZIANZE, saint CHRYSOSTOME parlent de l’Évêque de Rome comme du chef de l'Église universelle. La primauté de l'Évêque de Rome étant universellement reconnue au IVe siècle, notre enquête pourra se borner aux siècles qui précèdent. Or, dans les trois premiers siècles, l'existence de la primauté romaine nous est attestée par les écrits des Pères, par les conciles et par la coutume d'en appeler à l'Évêque de Rome pour terminer les différends. 282
SABATIER, op. cit., p. 193
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a) Examinons d'abord les témoignages des Pères de l'Église. — 1. Au IIIe siècle, ORIGENE écrit au pape Fabien pour lui rendre compte de sa foi. TERTULLIEN, avant d'être montaniste, admet la primauté de Pierre. Devenu montaniste, il la tourne en dérision, ce qui est une autre preuve qu'il en reconnaît l'existence. — 2. A la fin du IIe siècle, saint IRENEE pose comme critère des traditions apostoliques, la conformité de doctrine avec l'Église romaine qui doit servir de règle de foi à cause de la primauté qu'elle a héritée de saint Pierre. Saint POLYCARPE DE SMYRNE, disciple de saint Jean, ABERCIUS vont à Rome pour visiter l'Évêque et le consulter sur les choses de la foi et de la discipline. Les hérétiques eux-mêmes, MARCION et les montanistes veulent faire approuver leur doctrine par le siège apostolique. Au début du IIe siècle, saint IGNACE, écrivant aux Romains, déclare que leur église préside à toutes les autres. - 3. Et nous voici parvenus au Ier siècle. En 96, l'Évêque de Rome, CLEMENT, comme nous l'avons déjà vu, écrit aux Corinthiens pour rappeler à l'ordre la communauté, qui a déposé injustement des presbytres. Il leur déclare que ceux qui ne lui obéiront pas, se rendront coupables de faute grave. La conduite de Clément de Rome a d'autant plus d'intérêt qu'au moment où il écrivait, l'apôtre saint Jean vivait encore et aurait dû intervenir si l'Évêque de Rome avait été sur le même pied que les autres évêques. b) La primauté des évêques de Rome a été reconnue par les conciles283. — 1, Ainsi, au concile d'Éphèse (431), saint CYRILLE D'ALEXANDRIE, qui occupait le premier rang parmi les patriarches d'Orient, demanda à l'Évêque de Rome une sentence et une définition contre l'hérésie nestorienne. — 2. Les Pères du concile de Chalcédoine (451); presque tous orientaux, adressèrent une lettre au pape saint LEON pour demander confirmation de leurs décrets. Le pape répondit par une lettre célèbre où il condamnait les erreurs d'Eutychès ; en même temps il envoya des légats pour présider le concile en son nom, et le concile se termina par cette formule : « Ainsi le concile a parlé par la bouche de Léon. » — 3. Successivement, les conciles de Constantinople, le troisième tenu en 680, le huitième en 869, le concile de Florence, en 1439, composé de Pères grecs et latins, proclamèrent la primauté du successeur de saint Pierre et dirent que Jésus-Christ lui a donné, dans la personne de saint Pierre, « plein pouvoir de paître, de diriger et de gouverner l'Église entière ». c) La primauté des Evêques de Rome est en outre attestée par ce fait qu'ils interviennent dans les différentes Églises pour terminer les différends. Ainsi, sans rappeler à nouveau que, à la fin du Ier siècle déjà, CLEMENT DE ROME écrivit à l'Église de Corinthe pour la remettre dans le droit chemin, nous verrons plus tard les Évêques orientaux eux-mêmes, entre autres saint Athanase et saint Jean Chrysostome, en appeler à l'Évêque de Rome pour la défense de leurs droits. 329. — Les Protestants objectent : — 1. que ceux à qui on donne le nom d'évêques n'étaient en réalité que les présidents du presbyterium ; — 2. qu'en toute hypothèse, leur autorité n'a pas été universellement reconnue, puisque saint Cyprien et les évêques 283
Le premier concile œcuménique n'ayant eu lieu qu'au IVe siècle (325 à Nicée), il est clair que nous ne pouvons pas apporter de témoignages antérieurs.
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d'Afrique ont résisté au décret du pape saint Etienne qui défendait la réitération du baptême conféré par les hérétiques. Réponse. — 1. Pour prouver que les Évêques n'étaient que de simples présidents du presbyterium, on allègue ce fait que la Prima Clementis, les lettres de saint Ignace aux Romains et le Pasteur d'Hermas ne parlent pas d'un évêque monarchique de Rome. — Or le silence d'un écrivain sur un fait, avons-nous déjà dit, ne prouve pas nécessairement contre l'existence de ce fait. Ainsi, en 170, Denys de Corinthe envoie une réponse à l'église de Rome, et non à son évêque Soter, et pourtant M. HARNACK lui-même qui fait l'objection, admet que Soter était certainement évêque monarchique. Il importe donc peu que la première lettre de Clément aux Corinthiens ne porte pas son nom et ait été envoyée au nom de l'Église de Rome ; il ne fait pas de doute que son auteur est un personnage unique et n'est autre que le pape Clément. — Quant à la lettre d’Ignace aux Romains (107) et au Pasteur d'Hermas, s'ils ne mentionnent pas l'Évêque de Rome, il n'y a pas à en conclure que celui-ci n'existait pas, car ils ne parlent pas davantage des presbytres et des diacres de Rome dont personne ne songe pourtant à contester l'existence. 2. Il est vrai que saint CYPRIEN, estimant que la réitération du Baptême était surtout disciplinaire a résisté au décret du Pape Etienne. Mais la résistance d’un homme, même très saint et de bonne foi, ne détruit en rien le fait de cette autorité. N’a-t-on pas vu aussi, de temps en temps, de grands évêques comme Bossuet, adhérer à des propositions condamnées, tout en reconnaissant la primauté du Souverain Pontife ? Conclusion. — La primauté des Évêques de Rome découle donc de ce premier fait que saint Pierre a fixé sa chaire à Borne, et de ce second, qu'elle a toujours été reconnue dans l'Église universelle. L'on ne peut dire dès lors que l'autorité suprême des papes soit née de l'ambition des Évêques de Rome et de l'abdication des autres Évêques. Si en effet les évêques avaient été d'abord égaux de droit divin, comme le prétendent les adversaires, il y aurait eu, à un moment de l'histoire, un changement total dans là foi et la pratique de toute l'Église. Or cela n'aurait pu se produire sans soulever des dissensions et des réclamations sans fin, de la part des autres Évêques, qui auraient été lésés dans leurs droits, et dont les privilèges auraient été d'autant diminués. Comme l'histoire ne porte aucune trace d'une semblable agitation, et qu'elle ne relève des discussions que sur des points secondaires, tels que la célébration de la fête de Pâques et la question des rebaptisants, il faut en conclure que le principe de la primauté de l'Évêque de Rome n'a jamais été contesté, et que l'Église universelle lui a toujours reconnu, non pas seulement une primauté d'honneur, mais une vraie primauté de juridiction. § 4 — JESUS-CHRIST A CONFERE A SON ÉGLISE LE PRIVILEGE DE L’INFAILLIBILITE. 330. — Nous avons vu que Jésus-Christ a fondé une Église hiérarchique du fait qu'il a conféré au collège des Apôtres, et des Évêques leurs successeurs, le triple pouvoir d'enseigner, de sanctifier et de régir. Dans ce paragraphe nous démontrerons qu'au pouvoir d'enseigner Jésus a attaché le privilège de l'infaillibilité. Nous parlerons : 1°
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du concept de l'infaillibilité ; 2° des preuves de son existence ; et 3° de ceux à qui appartient le privilège. I. Concept de l'infaillibilité. — Que faut-il entendre par infaillibilité? L’infaillibilité concédée par Jésus-Christ à son Église est la préservation de toute erreur doctrinale, garantie par l'assistance spéciale de l'Esprit Saint. Ce n'est pas simplement l'inerrance de fait, c'est l’inerrance de droit, c'est l'impossibilité de l'erreur, de sorte que toute doctrine proposée par ce magistère infaillible doit être crue comme véritable, parce que proposée comme telle. L'infaillibilité ne doit donc pas être confondue : — 1. avec l'inspiration, qui consiste dans une impulsion divine poussant les écrivains sacrés à écrire tout ce que et rien que ce que Dieu veut ; — 2. ni avec la révélation qui implique la manifestation d'une vérité, auparavant ignorée. Le privilège de l'infaillibilité ne fait pas découvrir à l'Église des vérités nouvelles ; elle lui garantit seulement que, grâce à l'assistance divine, elle ne pourra, sur les questions de foi et de morale, ni errer ni par conséquent induire en erreur. Fausse conception de l'infaillibilité. — II faut rejeter comme faux le concept moderniste de l'infaillibilité, lequel découle d'ailleurs de leur concept, également faux, de la révélation. Comme dans leur système, la révélation se fait dans l'âme de chaque individu, qu'elle est « la conscience acquise par l'homme, de ses rapports avec Dieu » (N° 145), l'Église enseignante n'aurait pas d'autre tâche que d'interpréter la pensée collective des fidèles et « de sanctionner les opinions communes de l'Église enseignée ». Cette façon étrange de concevoir l'infaillibilité a été condamnée par le Décret Lamentabili. 331. — II. Existence de l'infaillibilité. — 1° Adversaires. — L'existence de l'infaillibilité de l'Église est niée : — a) par les rationalistes et les Protestants libéraux. Cela va de soi, puisqu'ils n'admettent même pas que Jésus-Christ ait pu songer à fonder une Église ; — b) par les Protestants orthodoxes qui, mettant tous les membres de l'Église sur le même pied, prétendent que la doctrine chrétienne est laissée à l'interprétation du jugement individuel (théorie dit libre examen). 2° Preuves. — L'infaillibilité de l'Église repose sur deux arguments : — a) sur un argument a priori, tiré de la raison et — b) sur un argument a posteriori, tiré de l'histoire. 332. — A. ARGUMENT TIRÉ DE LA RAISON. — Nota. — Avant d'exposer ce premier argument, il convient pour qu'on ne se méprenne pas sur notre but, de spécifier quelle place il tient dans notre démonstration. Nous disons, — et nous expliquerons tout à l'heure pourquoi, — que si Jésus-Christ a tenu que sa doctrine soit conservée dans toute son intégrité, il a dû en confier la garde à une autorité vivante et infaillible, et non pas la déposer comme une lettre morte dans un livre, même inspiré. A cela les Protestants nous objectent que nous appuyons notre thèse sur un argument a priori, que toutes nos preuves se réduisent à dire que cela est, parce que cela doit être. Or, ajoutent-ils, « dans les questions de fait, la preuve de fait est, sinon la seule légitime, du moins la seule décisive... Si de la convenance, de l'utilité, de la nécessité présumée
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d'une dispensation divine on pouvait conclure à sa réalité, où cela mènerait-il ? »284 Que de la convenance d'une chose on ne puisse pas toujours conclure à sa réalité, c'est indiscutable. On pourrait nous demander, en effet, par exemple, pourquoi les hommes ont été abandonnés par Dieu à l'erreur pendant de longs siècles, pourquoi la Rédemption s'est faite si tardivement, pourquoi elle n'a pas été assez éclatante pour forcer tous les hommes à l'accepter. Donc la question est historique et c'est sur ce terrain que nous entendons bien la placer. Mais auparavant nous avons le droit de nous demander si, entre la théorie protestante qui admet comme règle de foi285 unique l'Écriture infaillible, et le dogme catholique qui prétend que le Christ a constitué un magistère vivant et infaillible pour nous faire connaître les vérités contenues dans le double dépôt de l'Écriture et de la Tradition, nous avons le droit, disons-nous, de nous demander s'il n'y a pas présomption en faveur du dogme catholique. Nous nous proposons donc de prouver, — sans prétendre pour cela que cet argument a priori puisse nous dispenser de l'argument historique, — que la règle de foi des Protestants est insuffisante pour la conservation et la connaissance de la doctrine chrétienne, tandis que la règle de foi de l'Église catholique remplit les conditions voulues a) La règle de foi proposée dans la théorie protestante est insuffisante. Aucune autorité vivante, nous disent les protestants, n'était nécessaire et n'a été instituée pour nous faire connaître les vérités enseignées par le Christ. Il n'y a qu'une seule règle de foi : c'est l'Écriture infaillible. Chacun a donc le devoir et le droit de lire l'Écriture, de la comprendre selon les lumières de sa conscience, d'en tirer les dogmes et les préceptes qui lui conviennent. Qu'une telle règle de foi soit tout à fait insuffisante, c'est ce que nous n'aurons pas de peine à montrer. — 1. Tout d'abord comment savoir quels sont les livres inspirés, si aucune autorité n'a été constituée pour nous en garantir l'inspiration286, ou même s'il n'y a personne pour nous dire que le texte que nous avons sous les yeux n'a pas été altéré par la faute des copistes287. — 2. Mais, supposé qu'en dehors de là il y ait un critère qui nous permette de les reconnaître et qu'on puisse par exemple poser en principe, que sont inspirés tous ceux qui. ont été regardés comme tels par NotreSeigneur à propos de l'Ancien Testament, et par les Apôtres à propos du Nouveau, il s'agira toujours de les interpréter, d'en connaître le vrai sens et de comprendre la Parole de Dieu, comme elle doit être comprise. Comment résoudre les difficultés? Par l'examen privé et en appliquant les règles de critique et d'exégèse, répondent les luthériens et les calvinistes. A l'aide de l'histoire et de la tradition, disent par ailleurs les anglicans. Par l'inspiration privée, par l'illumination de l'Esprit- Saint qui éclaire la conscience de chaque individu, disent à leur tour les anabaptistes, les quakers, les
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JALAGUIER, De l'Église
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Il faut entendre par règle de foi le moyen pratique de connaître la doctrine de Jésus-Christ.
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Saint AUGUSTIN disait déjà qu'il ne croirait pas aux Evangiles s'il ne croyait d'abord à l’Eglise.
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« A quoi bon, en effet, dit SABATIER, postuler l'inspiration divine d'un texte antique et son infaillibilité jusqu'à l'iota, si, dès à présent, ce texte écrit en langues mortes depuis longtemps, n'est accessible qu'à quelques savants philologues, et si le peuple chrétien doit se contenter de versions vulgaires, qui ne sont, elles, ni infaillibles ni parfaites ».
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méthodistes et les sectes mystiques. La variété des réponses suffirait déjà à juger la théorie protestante. Quel que soit d'ailleurs le procédé dé solution qu'on adopte, ce qui est bien évident c'est que nous aurons autant d'interprétations que d'individus « quot capita tot sensus ». N'accepter d'autre guide que la raison individuelle ou l'inspiration de l'Esprit-Saint, c'est ouvrir la voie à l'anarchie intellectuelle où à l'illuminisme. — 3. Tout au moins ceux qui auront pu ainsi étudier la Bible posséderont dans une certaine mesure une sorte de vérité subjective. Mais que feront ceux qui n'ont ni l'instruction ni les loisirs requis pour lire l'Ecriture et la comprendre î Que devaient faire autrefois, au moment où l'imprimerie n'était pas inventée et que les manuscrits étaient rares et de grand prix, ceux qui n'avaient pas les moyens de se procurer la Bible? Mais il y a plus. Il fut un temps, à l'origine du christianisme, où le Nouveau Testament n'existait pas. Le Christ n'avait laissé aucun écrit. Il avait dit à ses Apôtres : « Allez, enseignez les nations. » Il ne leur avait pas commandé d'écrire sa doctrine ; aussi les Apôtres n'ontils jamais prétendu exposer ex professo l'enseignement du Christ. Le plus souvent leurs écrits furent des lettres de circonstance destinées à rappeler quelques points de leur catéchèse. Avant l'apparition de ces écrits, que les protestants veuillent bien nous dire où se trouvait la règle de foi. 333. — b) Au contraire, la règle de foi catholique est un moyen sûr de nous faire connaître la doctrine intégrale du Christ. Il est facile de voir qu'elle n'a aucun des inconvénients du système protestant. Sans doute, le catholicisme reconnaît l'infaillibilité de l'Écriture Sainte ; mais, à côté de cette première source de la révélation, il en admet une seconde, non moins importante et antérieure à l'Écriture, qui s'appelle la Tradition. Et surtout, — et c'est ce qui met un abîme entre la théorie protestante et la théorie catholique, — celle-ci soutient que Jésus-Christ a constitué une autorité vivante, un magistère infaillible qui, avec l'assistance de l*Esprit-Saint, a reçu pour mission de déterminer quels sont les livres inspirés, de les interpréter authentiquement, de puiser à cette source comme à celle de la tradition la vraie doctrine de Jésus pour l'exposer ensuite à l'ensemble des fidèles : savants et ignorants. Qu'il y ait entre les deux systèmes, considérés au seul point de vue de la raison, une présomption en faveur du catholicisme, c'est ce que reconnaissent même certains Protestants. « Le système catholique, dit SABATIER, a mis l'infaillibilité divine dans une institution sociale, admirablement organisée, avec son chef suprême, le pape ; le système protestant à mis l'infaillibilité dans un livre. Or, a quelque point de vue que l'on «examine les deux systèmes, l'avantage est sans contredit du côté du catholicisme. »288 Nous ne voulions pas démontrer autre chose par l'argument a priori ; notre but est donc atteint. 334. — B. ARGUMENT TIRÉ DE L'HISTOIRE. — Nous arrivons maintenant sur le terrain positif de l'histoire. Ce que Jésus-Christ devait faire, l'a-t-il fait? A-t-il créé une autorité vivante et infaillible chargée de garder et d'enseigner sa doctrine ? Le premier point a été établi précédemment : nous avons vu que Notre-Seigneur a institué une 288
SABATIER, op. cit., p. 306.
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Église hiérarchique, qu'il a constitué des chefs à qui il a conféré le pouvoir d'enseigner. Seul le second point reste donc à examiner : nous avons à prouver que le pouvoir d'enseigner, tel qu'il a été donné par le Christ, comporte le privilège de l’infaillibilité. Cette seconde proposition s'appuie sur les textes de l'Écriture, sur la conduite des Apôtres et sur la croyance de l'antiquité chrétienté : — a) Sur les textes de l'Écriture. Ces textes, nous les avons déjà passés en revue. A Pierre spécialement il a été promis que « les portes de l'Enfer ne prévaudront pas contre l'Église » (Mat., XVI, 18) ; à tous les Apôtre » Jésus a également promis par deux fois de leur envoyer l'Esprit de vérité (Jean, XIV, 16 ; XV, 26) et d'être lui-même avec eux jusqu'à la fin du monde (Mat., XXVIII, 20). De telles promesses, si elles ont un sens, signifient bien que l'Église est indéfectible, que les Apôtres et leurs successeurs ne pourront errer lorsqu'ils enseigneront la doctrine chrétienne, car il est évident que l'assistance du Christ ne saurait être vaine et que là où est l'Esprit de vérité, il n'y a pas possibilité d'erreur ; — b) sur la conduite des Apôtres. De l'enseignement des Apôtres il ressort qu'ils ont eu conscience d'être assistés de l'Esprit divin. Le décret du concile de Jérusalem débute par ces mots : « II a semblé bon à l'Esprit Saint et à nous» (Act., XV, 28). Les Apôtres donnent leur prédication « non comme parole des hommes, mais, ainsi qu'elle l'est véritablement, comme une parole de Dieu» (I Thess., II, 13), à laquelle il faut accorder un plein assentiment (II Cor., X, 5) et dont il convient de garder précieusement le dépôt (I Tim., VI, 20). Bien plus, ils confirment la vérité de leur doctrine par de nombreux miracles (Act., II, 43 ; III, 1, 8 ; V, 15 ; IX, 34) : preuve évidente qu'ils étaient des interprètes infaillibles de l'enseignement du Christ, sinon Dieu n'aurait pas mis à leur usage sa puissance divine ; — c) sur la croyance de l'antiquité chrétienne. De l'aveu de nos adversaires, la croyance à l'existence d'un magistère vivant et infaillible prévalait déjà au IIe siècle. Il suffit donc d'apporter les témoignages antérieurs : — 1. Dans la première moitié du IIIe siècle, ORIGENE répond aux hérétiques qui allèguent les Écritures, qu'il faut s'en rapporter à la tradition ecclésiastique et croire ce qui a été transmis par la succession de l'Église de Dieu. TERTULLIEN dans son traité « De la prescription» oppose aux hérétiques l'argument de prescription289 et affirme que la règle de foi est la doctrine que l'Église a reçue des Apôtres. — 2. A la fin du second siècle, saint IRENEE, dans sa lettre à Florin et dans son Traité contre les hérésies, présente la Tradition apostolique comme la saine doctrine, comme une tradition qui n'est pas purement humaine : d'où il suit qu'il n'y a pas lieu de discuter avec les 289
Il ne faut pas se méprendre sur le sens du mot prescription tel que TERTULLIEN l'emploie. Dans le droit actuel, en matière de propriété, l'on invoque la longue possession comme un titre coupant court à toute revendication : c'est la prescription longi temporis. Or Tertullien ne se fonde pas précisément sur une possession de longue durée pour éconduire les hérétiques et les débouter de leurs prétentions. Il montre que son droit de propriété découle d'un legs en bonne et due forme, qu'il est l'héritier légitime des Apôtres. C'est donc, en réalité, l'argument de Tradition que TERTULLIEN emploie en mode de question préalable lui permettant de rejeter toute discussion avec ceux qui ne possèdent pas cette tradition, qui formulent des assertions nouvelles qu'ils tâchent de justifier soit par l'Écriture, soit par la raison : c'est la prescription de nouveauté. L'argument de prescription revient donc à dire ceci : Nous n'avons pas à discuter avec vous, hérétiques ; car toute doctrine nouvelle, du fait même qu'elle est nouvelle et non conforme à la règle de foi transmise par les apôtres, est condamnée d'avance et préalablement à tout examen.
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hérétiques290 et qu'ils sont condamnes du fait qu'ils sont en désaccord avec cette tradition. Vers 160, HEGESIPPE donne comme critère de la foi orthodoxe l'accord avec la doctrine transmise des Apôtres par les Évêques, ce qui l'amène, nous l'avons vu, à dresser la liste des Evêques. Dans la première moitié du IIe siècle, POLYCARPE et PAPIAS présentent la doctrine des Apôtres comme la seule vraie, comme une règle de foi sûre. Au début du ne siècle, nous avons le témoignage de saint IGNACE qui dit que l'Église est infaillible et qu'il faut y adhérer si l'on veut être sauvé. Conclusion. — II résulte donc de la double preuve tirée de la raison et de l'histoire que le pouvoir doctrinal conféré par Jésus-Christ à l'Église enseignante comporte le privilège de l'infaillibilité, c'est-à-dire que l'Église ne peut errer quand elle expose la doctrine du Christ. 335. — III. Le sujet de l'infaillibilité. — Jésus-Christ a doté son Église du privilège de l'infaillibilité. Mais à qui ce privilège a-t-il été concédé? Tout naturellement à ceux qui ont reçu le pouvoir d'enseigner, c'est-à-dire à l'ensemble des Apôtres, et à Pierre spécialement, pouvoir et privilège qu'ils ont transmis à leurs successeurs. 1° Infaillibilité du collège apostolique et du corps épiscopal. — A. L’'infaillibilité du collège apostolique ressort : — a) de la mission confiée à tous les apôtres d' « enseigner toutes les nations» (Mat., XXVIII, 20) ; — b) de la promesse d'être avec eux « jusqu'à la consommation des siècles» ( Mat., XXVIII, 20) ; et de leur « envoyer le Consolateur, l'Esprit Saint qui doit leur enseigner toute vérité » (Jean, XIV, 26). De telles paroles indiquent bien que le privilège de l'infaillibilité est accordé à l'ensemble du corps enseignant. B. Du collège apostolique le privilège de l'infaillibilité est passé au corps des Évêques. La mission d'enseigner n'ayant été limitée ni dans le temps ni dans l'espace, il s'ensuit qu'elle doit échoir aux successeurs des Apôtres avec le privilège qui lui était attaché. Cependant il y a une distinction à établir entre les Apôtres et les Évêques. Les Apôtres avaient comme champ d'action tout l'univers, la parole de Notre-Seigneur : « Allez, enseignez toutes les nations » ayant été adressée à eux tous. Ils étaient donc missionnaires universels de la foi : partout ils pouvaient prêcher l'Évangile en docteurs infaillibles. Les Évêques, au contraire ne peuvent être considérés comme les successeurs dés Apôtres que pris dans leur ensemble ; chaque Évêque n'est pas le successeur de chaque Apôtre. Ils ne sont les chefs que d'une région déterminée, dont l'étendue et les limites sont fixées par le Pape. Ils n'ont donc pas hérité individuellement de l'infaillibilité personnelle des Apôtres. Seul le corps des Evêques jouit de l'infaillibilité. 336. — 2° Infaillibilité de Pierre et de ses successeurs. — Le privilège de l'infaillibilité a été conféré par Notre-Seigneur d'une manière spéciale à Pierre et à ses successeurs. La thèse s'appuie sur un double argument : Un argument tiré des textes évangéliques et un argument historique. 290
C'est le même argument que reprendra plus tard TERTULLIEN en lui donnant une forme plus savante et plus juridique : argument de la prescription dont il a été parlé plus haut
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A. ARGUMENT TIRÉ DES TEXTES ÉVANGÉLIQUES. — L'infaillibilité de Pierre et de ses successeurs découle des textes mêmes qui démontrent la primauté. — a) Tout d'abord le Tu es Petrus « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église ». Il est incontestable qu'un édifice n'a de stabilité que par son fondement. Si Pierre, qui doit soutenir l'édifice chrétien, pouvait enseigner l'erreur, l'Église serait bâtie sur un fondement ruineux, et l'on ne pourrait plus dire que « les portes de l'Enfer ne prévaudront pas contre elle» — b) Puis le Confirma fratres. Jésus assure Pierre qu'il a spécialement prié pour lui « pour que sa foi ne défaille pas » (Luc, XXII, 32). Il va de soi qu'une telle prière, faite surtout dans des circonstances aussi solennelles et aussi graves (V. N° 321), ne saurait être vaine. — c) Enfin le « Pasce oves ». A Pierre est confiée la garde de tout le troupeau. Or on ne peut supposer que le Christ donne le soin de son troupeau à un mauvais pasteur qui l'égaré dans des pâturages aux herbes empoisonnées. Il n'est pas besoin d'insister pour prouver que l'infaillibilité de Pierre est passée à ses successeurs. Ce que Pierre devait être pour l'Église naissante, ses successeurs devront encore l'être dans la longue série des siècles, car, à tout moment de son histoire, l'Église ne pourra remporter la victoire sur les entreprises de Satan que si le fondement sur lequel elle repose garde la même fermeté. 337. — B. ARGUMENT HISTORIQUE. — Pour prouver par l'histoire que les papes ont toujours joui du privilège de l'infaillibilité, il suffit de montrer que ce fut toujours la croyance de l'Église et qu'en fait les papes n'ont jamais erré sur les questions de foi et de morale. — a) Croyance de l'Eglise. Évidemment la croyance de l'Église ne s'est pas traduite de la même façon dans tous les siècles. Il y a eu, si l'on veut, quelque développement dans l'exposé du dogme et même dans l'usage de l'infaillibilité pontificale. Le dogme n'en remonte pas moins à l'origine, et nous le trouvons en germe dans la Tradition la plus lointaine. La chose nous est attestée par le sentiment des Pères et des conciles, et par les-faits : — 1. Sentiment des Pères. Ainsi au IIe siècle, saint IRENEE déclare que toutes les Églises doivent être d'accord avec celle de Rome qui seule possède la vérité intégrale. Saint CYPRIEN dit que les Romains sont « assurés dans leur foi par la prédication de l'Apôtre et inaccessibles à la perfidie de l'erreur». Pour mettre fin aux controverses qui déchiraient l'Orient, saint JEROME écrit au pape DAMASE dans les termes suivants : « J'ai cru à ce propos devoir consulter la chaire de Pierre et la foi apostolique. Chez vous seul le legs de nos pères demeure à l'abri de la corruption. » Saint AUGUSTIN dit à propos du pélagianisme : « Les décrets de deux conciles relatifs à la cause ont été soumis au siège apostolique ; sa réponse nous est parvenue, la cause est jugée. » Le témoignage de saint PIERRE CHRYSOLOGUE n'est pas moins explicite : « Nous vous exhortons, vénérables frères, à recevoir avec docilité les écrits du bienheureux Pape de la cité romaine, car saint Pierre, toujours présent sur son siège, offre la vraie foi à ceux qui la cherchent. — 2. Sentiment des Conciles, Tout ce que nous avons dit précédemment à propos de la primauté de l'Evêque de Rome s'applique tout aussi bien à la reconnaissance de son infaillibilité (V. N° 328). — 3. Les faits. Au IIe siècle, le pape VICTOR excommunié Théodote qui niait la divinité du Christ, par une sentence qui fut regardée comme définitive. ZEPHIRIN condamne les Montanistes, CALIXTE, les Sabelliens et, à partir de ces condamnations, ils furent regardés comme hérétiques. En 417, le pape INNOCENT I condamne le pélagianisme, et
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l'Église accepte son décret comme définitif, comme nous l'avons vu plus haut par le texte de saint Augustin. En 430, le pape CELESTIN condamne la doctrine de Nestorius, et les Pères du concile d'Éphèse se rallient à son avis. Les Pères du concile de Chalcédoine (451) acceptent solennellement la célèbre épître dogmatique du pape Léon I à Flavien, qui condamne l'hérésie d'Eutychès, aux cris unanimes de : « Pierre a parlé par la bouche de Léon. » De même, les Pères du IIIe concile de Constantinople (680) acclament le décret du pape AGATHON condamnant le monothélisme en s'écriant : « Pierre a parlé par la bouche d'Agathon. » Comme on le voit, dès les premiers siècles déjà, l'Église romaine passe pour le centre de la foi et une norme sûre d'orthodoxie Plus l'on avancera, plus la croyance se traduira en termes explicites jusqu'à ce que la vérité soit proclamée dogme par le concile du Vatican. b) Les papes n'ont jamais erré sur les questions de foi et de morale. Ceci est le point important de l'argument historique, car si nos adversaires pouvaient nous prouver que certains papes ont enseigné et défini l'erreur, l'infaillibilité de droit serait plus que compromise. Or les historiens rationalistes et protestants prétendent précisément qu'ils sont en mesure de nous donner ces preuves de faillibilité. Les principaux cas qu'ils invoquent sont ceux du pape LIBERE qui serait tombé dans l'arianisme, d'Honorius qui aurait enseigné le monothélisme, de PAUL V et URBAIN VIII qui condamnèrent Galilée. Comme la question de Galilée sera traitée plus loin, nous ne retiendrons ici que les deux premiers cas. 338.—Objections.—1° LE CAS DU PAPE LIBÈRE (352-366).—Les historiens rationalistes accusent le pape LIBERE d'avoir signé une proposition de foi arienne ou semi-arienne pour obtenir de l'empereur CONSTANCE le droit de rentrer à Rome. Réponse. —A. Exposé des faits. — Rappelons brièvement les faits. En 355, l'empereur Constance, favorable à l'arianisme, avait enjoint au pape LIBERE de souscrire à la condamnation d'ATHANASE, évêque d'Alexandrie, le grand champion de la foi orthodoxe. S'étant refusé à le faire, le pape fut envoyé en exil à Bérée en Thrace, et l'archidiacre Félix fut préposé à l'Eglise de Rome. Après un exil d'environ trois ans, Libère fut rendu à son siège (358). B. Solution de la difficulté. — La question qui se pose est donc de savoir pour quelles raisons l'empereur lui accorda cette faveur. Deux opinions ont été émises sur ce point. Les uns, à la suite de RUFIN, SOCRATE, THEODORET, CASSIODORE, prétendent que l'empereur Constance mit 0n à l'exil du pape par crainte des soulèvements du peuple romain et du clergé, en raison de la grande popularité dont jouissait le pontife. D'autres, au contraire, et c'est à cette dernière opinion que nous avons à répondre, pensent que le pape n'obtint la cessation de son exil qu'au prix de condescendances coupables et de concessions sur le terrain de la foi. Les partisans de cette seconde opinion s'appuient, pour démontrer leur point de vue, sur deux sortes de témoignages : — 1. d'abord les dépositions des contemporains : saint ATHANASE, saint HILAIRE de Poitiers, saint JEROME ; — 2. puis les aveux de LIBERE lui-même. Il nous est parvenu, parmi les fragments de l’Opus historicum de saint Hilaire, neuf lettres du pape Libère, dont quatre, datant de son exil, ont un
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caractère plutôt compromettant. Dans ces dernières lettres, le pape intrigue pour obtenir sa grâce, déclarant qu'il condamne Athanase et professe la foi catholique formulée à Sirmium, et il prie ses correspondants orientaux, entre autres Fortunatien d'Aquilée, d'intercéder auprès de l'empereur pour abréger son exil. A ces deux sortes de témoignages invoqués par nos adversaires, certains apologistes ont répondu en contestant 1 authenticité des dépositions des contemporains, et en rejetant les lettres de l'exil du pape Libère comme apocryphes. Mais comme il n'est pas possible de prouver que les témoignages en question, tant ceux des contemporains que ceux du Libère lui-même, sont inauthentiques, nous devons accepter la discussion dans l'hypothèse de leur authenticité. Toute la question reviendra donc à savoir quelle fut la faute du pape et quelle formule il a souscrite. Car, à l'époque où Libère fut délivré de son exil, il y avait déjà trois formules dites de Sirmium. De ces trois formules la seconde seule, qui déclare que le mot consubstantiel doit être rejeté comme « étranger à l'Écriture et inintelligible», est considérée comme hérétique. Or l'on admet que ce n'est pas cette formule que le pape a signée et que vraisemblablement c'est la troisième. Hais qu'il s agisse de la première ou de la troisième, les théologiens s'accordent à dire qu'elles ne sont pas absolument hérétiques et qu'elles ont surtout le tort de favoriser le semi-arianisme en retranchant le mot consubstantiel de la profession de foi du concile de Nicée. Conclusion. — Donc, en nous plaçant dans l'hypothèse la plus défavorable, nous pouvons conclure : — 1. que le pape LIBERE n'a commis qu un acte de faiblesse en condamnant, dans une heure critique, le grand ATHANASE : faiblesse dont Athanase est le premier à l'excuser : « Libère, dit en effet ce grand Docteur, vaincu par les souffrances d'un exil de trois ans et par la menace du supplice, a souscrit enfin à ce qu'on lui demandait ; mais c'est la violence qui a tout fait. » — 2. Par ailleurs, le pape Libère n'a rien défini ; s'il y a eu erreur, tout au plus peut-on dire qu'elle est imputable au docteur privé, non au docteur universel et parlant ex-cathedra. Et même s'il avait parlé ex-cathedra, — ce qui n'est pas, — il ne jouissait pas de la liberté nécessaire à l'exercice de l'infaillibilité. Donc, en toute hypothèse, l'infaillibilité est hors de cause. 339. — 2° LE CAS DU PAPE HONORIUS (625-638). — D'après les adversaires de l'infaillibilité pontificale, le pape HONORIUS aurait enseigné le monothélisme dans deux lettres écrites à SERGIUS, patriarche de Constantinople, et pour cette raison, il aurait été condamné comme hérétique par le VIe Concile œcuménique et par le pape LEON II. Réponse. — A. Exposé des faits. — Quelques mots d'abord sur les faits. En 451 le concile de Chalcédoine avait défini contre Eutychès qu'il y avait en Jésus-Christ deux natures complètes et distinctes : la nature humaine et la nature divine. Si dans le Christ il y avait deux natures complètes, il y avait aussi deux volontés : le concile ne l'avait pas dit, mais la chose allait de soi, car une nature intelligente ne peut être complète sans la volonté. Tel ne fut pas l'avis de certains théologiens orientaux qui enseignèrent qu'en Jésus-Christ il n'y avait que la volonté divine, la volonté humaine se trouvant pour ainsi dire absorbée par la volonté divine. Une telle doctrine apparaissait évidemment fausse, mais ses partisans voyaient là un moyen de conciliation entre les
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Eutychiens ou monophysites, c'est-à-dire les partisans d'une seule nature, et les catholiques. Les premiers admettraient les deux natures en Jésus-Christ et les seconds concéderaient l’unité de volonté. Cette tactique fut adoptée par Sergius qui écrivit dans ce sens au pape Honorius. Dans une lettre pleine d'équivoques et où la question était présentée sous un faux jour, il lui disait qu'il avait ramené beaucoup de monophysites à la vraie foi et lui demandait qu'il voulût bien interdire de parler d'une ou"deux énergies, d'une ou deux volontés. Honorius se laissa prendre et répondit, d'une part, à SERGIUS, deux lettres dans lesquelles il le félicitait de son succès auprès des monophysites, de l'autre, à saint SOPHRONE, patriarche de Jérusalem et défenseur de l'orthodoxie, une lettre dans laquelle il lui recommandait d'éviter les mots nouveaux de « une ou deux opérations», opération dans le langage de l'époque étant synonyme de volonté. Malgré ces lettres dictées par un esprit de pacification, les querelles reprirent de plus belle jusqu'au VIe concile oecuménique, le troisième de Constantinople (580681), qui porta I'anathème contre les monothélites, et entre autres, contre le pape Honorius B. Solution de la difficulté. — La difficulté à résoudre est donc la suivante. HONORIUS, dans ses deux lettres à Sergius, a-t-il enseigné l'erreur ? Et a-t-il été, pour ce fait, condamné comme hérétique par le VIe concile oecuménique? Deux solutions ont été proposées par les apologistes. Les uns ont prétendu que les deux lettres à Sergius Seraient apocryphes : ce qui supprime toute discussion. Les autres admettent l’authenticité, et c'est évidemment dans cette hypothèse que nous devons nous placer pour répondre à nos adversaires. Il s'agit dès lors de savoir si le contenu des deux lettres est hérétique. L'on ne saurait contester qu'Honorius met le plus grand soin à tourner la difficulté et qu'il évite de se prononcer sur les deux volontés. Cependant, — qu'on remarque bien ce point, — il commence par rappeler les décisions, du concile de Chalcédoine et affirme hautement qu'il y a en Jésus-Christ deux natures distinctes, opérantes. Puis, approuvant la tactique de conciliation suivie par Sergius, il recommande de s’en tenir là et de ne plus parler de une ou deux opérations. Il ajoute bien, il est vrai, qu'il y n’y avait pas e, Jésus Christ de volonté divine ; il entend seulement exclure les deux volontés auxquelles très insidieusement Sergius avait fait allusion ; les deux volontés qui se combattent en nous, volonté de l'esprit et volonté de la chair. La pensée d'Honorius n'est donc pas qu'il n'y a pas en Jésus. Christ une volonté divine et une volonté humaine, mais que sa volonté humaine n'est pas, comme la nôtre, entraînée par deux courants qui se contrarient. Mais, dit-on, HONORIUS a été condamné par le VIe concile œcuménique et par le pape LEON II. — Remarquons d'abord que toutes les paroles contenues dans les Actes des Conciles ne sont pas infaillibles et que les décisions d'un concile ne jouissent du privilège de l'infaillibilité qu'autant qu'elles sont confirmées par le pape. Or précisément les Actes du VIe Concile contenant un anathème contre Honorius en même temps que contre les principaux monothélites tels que Sergius, n'ont pas reçu la confirmation pontificale. Le pape Léon II s'est contenté de blâmer la conduite d'Honorius, mais il n'a pas lancé contre lui I'anathème qu'il a prononcé contre les autres et ne lui a pas infligé la note d'hérétique. Conclusion, — NOUS pouvons donc conclure : — 1. qu'Honoris n'a ni enseigné ni défini le monothélisme. Tout au plus peut-on lui reprocher d'avoir manqué de clair,
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voyance et d'avoir favorisé l'hérésie en a'abstenant de définir, en recommandant le silènes alors qu'il fallait parler, fournissant ainsi aux monothélites le prétexté de soutenir leur doctrine ? — 2, A supposer même qu'il y eût des erreurs dans ses lettres et qu'il ait été condamné pour cette raison par le VIe Concile, l'erreur et la condamnation n'atteindraient que le docteur privé, et non le docteur universel. Donc on ne peut se faire du cas d'Honorius, pas plus que de celui de Libère, un argument Centre l'infaillibilité pontificale. BIBLIOGRAPHIE. — Voir à la fin du Chapitre suivant. CHAPITRE II. — La vraie Église. DÉVELOPPEMENT Le problème des notes de la vraie Église. Division du Chapitre. 340. — Position du problème- — A l'aide des textes de l'Écriture et des documents de l'histoire, nous avons, dans le chapitre précédent, marqué les caractères essentiels de l'Église fondée par le Christ. Il est à peine besoin d'ajouter que, n'ayant prêché qu'un Evangile, Notre Seigneur n'a pu fonder qu'une Église. Maintes de ses paraboles expriment d'ailleurs sa volonté expresse sur ce point. Ainsi, représentant la société des chrétiens sous la figure d'un troupeau, il a voulu qu'il n'y eût « qu'un seul troupeau et qu'un seul pasteur » (Jean, x, 16). Or, à notre époque, nous nous trouvons en présence de plusieurs Églises qui s'appellent chrétiennes, qui reconnaissent le même fondateur et qui prétendent, chacune, être la véritable Église instituée par le Christ. Évidemment ces Églises, ayant des doctrines en partie différentes, ne peuvent venir toutes de lui. Le problème qui se pose est donc de savoir quelle est la vraie. Les caractères essentiels qui doivent distinguer l'Église fondée par Notre-Seigneur, nous permettent-ils de fixer un certain nombre de notes, de signes extérieurs et visibles auxquels on puisse la reconnaître et la discerner aisément de celles qui sont fausses ? A la rigueur, l'on pourrait dire qu'une telle enquête est superflue, et que la démonstration que nous poursuivons ici, est chose faite. Nous avons montré en effet que la société fondée par Jésus est une société hiérarchisée à la tête de laquelle il a mis l'apôtre Pierre. Or comme il a été établi par ailleurs que les Évêques de Rome sont les successeurs de Pierre dans sa primauté, il ne reste plus qu'à conclure que l'Église romaine est la vraie Église, vu que nous retrouvons en elle seule les organes essentiels constitués par Jésus-Christ. Raisonner ainsi ne serait pas assurément tirer une conclusion en dehors des prémisses. Cependant, étant donné que les dissidents regardent les Évêques de Rome comme des usurpateurs, et non comme les héritiers légitimes de la primauté de Pierre, il convient de nous placer sur un autre terrain commun accepté par les Églises dissidentes291, tout au moins par celles qui ont un caractère hiérarchique. En partant des quatre notes données par le concile de Nicée
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On appelle Église dissidente tout groupement qui se dit chrétien, mais qui est séparé de la grande Église soit par le schisme, soit par l'hérésie.
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Constantinople (IVe siècle), bien antérieurement à la séparation des Églises grecque et protestante, l'apologiste catholique a donc pour tâche de démontrer que l'Église romaine possède ces notes, soûle, et à l'exclusion des autres confessions. 341. — Division du chapitre. — Du but que nous nous proposons il ressort que nous aurons à traiter dans ce chapitre les différents points suivants. 1° Nous aurons à déterminer d'abord les notes de la vraie Église. 2° II nous faudra montrer ensuite que le Protestantisme ne les a pas ; 3° que l’ Église grecque ne les a pas davantage ; et 4° que seule l'Église romaine les possède toutes les quatre. 5° Ce qui nous amènera à conclure à la nécessité d'appartenir à l'Église catholique romaine. D'où cinq articles. Art. I. — Les Notes de la vraie Église. Nous diviserons cet article en deux paragraphes. Nous traiterons : 1° des notes de la vraie Église considérées en général et 2° des quatre notes du concile de NicéeConstantinople et de leur valeur respective. § 1. — DES NOTES CONSIDEREES EN GENERAL. 342. — 1° Définition. — II faut entendre par « notes » de l'Église tout signe qui permet de discerner la véritable Église du Christ de celles qui sont fausses. 343. — 2° Espèces. — Les notes peuvent être, soit négatives, soit positives. — a) La note négative est celle dont l'absence démontrerait la fausseté d'une Église, mais dont la présence ne suffit pas à en démontrer la vérité. Les notes négatives peuvent être multipliées à l'infini et elles peuvent appartenir à n'importe quelle Église et n'importe quelle religion. Ainsi, qu'une religion enseigne le monothéisme, qu'elle prescrive le bien et défende le mal, elle peut être, mais elle n'est pas nécessairement pour cela la vraie religion. — b) La note positive est colle dont la présence démontre la vérité de l'Église où elle se trouve : elle est donc une propriété exclusive de la société fondée par Jésus-Christ. 344. — 3° Conditions. — de la définition qui précède il suit que deux conditions sont requises pour qu'une propriété devienne « note « de l'Église. Il faut qu'elle soit une propriété essentielle et visible : — a) essentielle. Il est clair que, si la propriété n'était pas de l'essence de la vraie Église, si elle n'avait pas été indiquée par Jésus-Christ comme devant appartenir à la société qu'il fondait, elle ne saurait être un critère de la vraie Église ; — b) visible. Cola va de soi : un signe n'est signe qu'autant qu'il est extérieur, observable et plus apparent que la chose signifiée. Toute propriété essentielle n'est donc pas, par le fait, une note de l'Église, car bien des propriétés sont essentielles qui ne sont pas discernables. Ainsi il est bien certain, d'après les caractères que nous avons pu assigner à l'Église du Christ (Nos 331 et suiv.), que l'infaillibilité est une de ses propriétés essentielles. Mais c'est là une propriété qui n'est pas visible : pour la reconnaître, il faudrait savoir auparavant que nous avons affaire à la vraie Église. N'étant pas visible, l'infaillibilité ne peut donc être une note de la vraie Église.
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345. — 4° Critères insuffisants. — Il suit de là que certains critères proposés par l'Église protestante ou par l'Église grecque ne sauraient être acceptés, parce que ne répondant pas aux deux conditions de la note. A. Il faut d'abord écarter les deux critères proposés par les protestants orthodoxes, savoir: la prédication exacte de l'Évangile et l'usage correct des sacrements. a) La prédication exacte de l’Évangile. — Qu'en proposant un tel critère, les Protestants se mettent en contradiction avec leur théorie du libre examen, c'est ce qui apparaît tout de suite clairement. Si, d'un côté, les théologiens reconnaissent à tous les chrétiens la liberté d'interpréter l'Écriture suivant leur sens propre, comment peuventils, de l'autre côté, leur imposer une règle commune de foi par la détermination précise des vérités qui se trouvent dans l'Évangile292 ? Mais laissons cette question de droit, puisque aussi bien les Protestants orthodoxes ont cru bon de ne pas retenir, dans la pratique, leur théorie du libre examen. Voulant donc trouver des critères objectifs par lesquels on puisse discerner les Églises conformes des Églises non conformes au royaume de Dieu prêché par Jésus-Christ, ils ont proposé en premier lieu la prédication exacte de l'Évangile. — Mais comment pourrons-nous savoir quelle est la prédication exacte de l'Évangile, s'il n'y a aucune autorité pour nous le dire, et si, dans le cas de conflit, il n'y a personne pour finir la discussion? Et la preuve la plus évidente de l'insuffisance du critère, celle qui nous dispense de toutes les autres, n'est-ce pas le désaccord qui existe parmi eux, même au sujet des points les plus essentiels, des articles fondamentaux de la doctrine chrétienne. Prenons un seul exemple : la divinité de Jésus-Christ. Comment faut-il entendre ce dogme central du christianisme? Certains protestants répondent que Jésus-Christ est Dieu au sens propre du mot, c'est-à-dire qu'il est consubstantiel au Père. D'autres estiment qu'il n'est Dieu que dans un sens large et métaphorique, sa divinité n'étant autre chose qu'une intimité très grande avec Dieu le Père. L'on ne voit pas bien comment, dans de telles conditions, l'on pourrait encore parler des prédications exactes de l'Évangile. b) L'administration correcte des Sacrements.— Ce critère proposé n'est pas une propriété plus visible que la prédication exacte de l'Évangile : la preuve en est que les Protestants sont bien dans l'impossibilité de déterminer, d'après les seuls textes de l'Écriture, comment les deux sacrements qu'ils retiennent : le Baptême et l'Eucharistie, doivent être administrés correctement. Faut-il conférer le Baptême au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, selon l'ordre donné par le Christ ressuscité (Mat., XXVIII, 19), ou simplement au nom du Seigneur Jésus, comme il est dit dans maints passages des Actes ? (II, 38 ; VII, 12,16 ; XIX, 5). A propos de l'Eucharistie, en quoi consiste la Présence réelle ? Y a-t-il présence réelle et physique du corps et du sang de- Jésus292
Ce que nous disons ici des protestants orthodoxes ne s'applique pas aux protestants libéraux. Ceuxci, plus conséquents avec la théorie du libre examen, n'hésitent pas à déclarer que la question des notes ne se pose pas. A leurs yeux, la vraie Eglise est une société invisible, composée des âmes des justes : elle est l’Eglise des promesses connue de Dieu seul. Sans doute, l'éducation et la force de l'habitude peuvent nécessiter la création de communautés extérieures, d'Eglises matériellement visibles, mais là ne saurait être la vraie Eglise. La vraie Eglise, dit M. HARNACK, « n'est pas la communauté particulière dont nous sommes membres, C'est la Societas fidei, qui a des membres partout, même parmi les catholiques grecs ou romains. » L'essence du christianisme, 15e Conf.
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Christ dans le pain et le vin (impanation)293, comme le veulent les Luthériens ? Ou bien la présence n'est-elle que virtuelle, la pain et le vin ayant la vertu de causer l'union entre le vrai corps du Christ qui est au ciel et l'âme du communiant, comme le pensent les calvinistes ? Ou bien encore ne s'agit-il que d'une présence morale, le pain et le vin alimentant notre foi dans le Christ et nous rappelant simplement le souvenir de la Cène, ainsi que le croient les sacramentaires ? Il est donc de toute évidence que ni la prédication du pur Évangile ni l'administration correcte des sacrements ne sont des critères suffisants. Sans nul doute, la vraie Église est celle qui prêche le pur Évangile et administre correctement les sacrements puisque la vraie Église est infaillible 6t ne peut errer sur ces deux points. Mais, quoique propriétés essentielles de la vraie Église, elles n'en sont pas des propriétés visibles, et pour cette raison, elles n'en peuvent être des notes. 346. — B. L'Église grecque propose, comme note de l'Église, la conservation sans variation de la doctrine prêchée par le Christ et les Apôtres. A première vue, ce critère revient au premier critère protestant : la prédication du pur Évangile. Il y a cependant une différence capitale entre les deux. Car tandis que les protestants laissent au sens chrétien et à la science indépendante le soin de déterminer les articles fondamentaux, l'Église grecque limite la conservation de la pure doctrine à l'enseignement des sept. premiers conciles oecuméniques. — Mais, pourrions-nous objecter tout d'abord aux théologiens de l'Église grecque, où se trouvait donc la vraie Église avant la réunion du premier concile œcuménique qui n'eut lieu qu'au IVe siècle ? Ayant le premier concile, l'Église n'avait-elle pas besoin déjà de notes pour se faire discerner? Supposons cependant que le seul critère de la vraie Église soit la conservation sans variation de la doctrine enseignée par les sept premiers conciles? Comment faut-il envisager cette conservation? La non-variation doit-elle être absolue? Dans ce cas, on ne comprend pas bien comment les symboles de foi ont pu être développés et complétés par des conciles postérieurs, comment on ne s'est pas borné au symbole de Nicée, et comment même celui de Nicée n'a pas craint d'ajouter au symbole des Apôtres. Si la nonvariation doit être comprise dans un sens large, nous sommes d'accord ; les théologiens catholiques sont les premiers à admettre que la Parole de Dieu ne doit pas présenter l'immobilité d'une lettre morte, et qu'elle est susceptible des plus riches développements qui n'altèrent en rien la pureté de la doctrine primitive. Mais si 1 on concède la possibilité d'un développement, pourquoi ce développement se serait-il arrêté aux sept premiers conciles, et quelle est l'autorité qui nous dira quand celui-ci est normal? Comme on le voit, la question revient toujours à savoir où se trouve l'autorité légitimement constituée, celle qui a recueilli la succession apostolique. §2. — LES QUATRE NOTES DU CONCILE DE NICEE-CONSTANTINOPLE. LEUR VALEUR RESPECTIVE. 347. — I. Les quatre notes. — Dès le IVe siècle déjà294 le concile de NicéeConstantinople proposait, comme nous l'avons dit, quatre propriétés qui doivent 293
Voir notre Doctrine catholique, N° 361.
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permettre de discerner l'Église du Christ des fausses Églises. Ces quatre propriétés sont : 1° l’unité ; 2° la sainteté ; 3° la catholicité ; 4° l’apostolicité. « Et unam, sanctam, catholicam.et apostolicam Ecclesiam. » Trois de ces notes : l'unité, la catholicité et l'apostolicité ont des rapports étroits outre elles et sont d'ordre juridique. La seconde : la sainteté, est d'ordre moral. Pour cette raison nous la détacherons des trois autres, et nous en parlerons en premier lieu. 348. — 1° La Sainteté. — La sainteté consiste on ce que les principes enseignés par l'Église du Christ doivent conduire à la sainteté certains de ses membres. La sainteté, en tant que note de l'Église, implique donc un double élément : la sainteté des principes et la sainteté des membres. La sainteté remplit les deux conditions requises pour être une note (N° 344). Elle est : — «) une propriété essentielle. Que la sainteté des principes soit une marque essentielle de la vraie Église, il est facile de le prouver par le caractère de l'Évangile de Jésus. Le Sauveur ne se contente pas d'imposer l'observance des préceptes obligatoires en rappelant les devoirs du Décalogue (Mat., XIX, 16, 19), il veut que ses disciples fassent mieux, qu'ils vivifient la lettre par l'esprit, c'est-à-dire par l'intention, que leur justice ne soit pas formaliste comme celle des Pharisiens, mais qu'elle prenne pour motif l'amour de Dieu et du prochain. « Je vous déclare, leur dit-il dans son Discours sur la montagne, que si votre justice n'excelle pas plus que colle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux » (Mat., V, 20). Jésus va plus loin, — et c'est ce qui va caractériser son Église, — au-de3sus des vertus communes, de ce qu'on appelle couramment l'honnêteté et qui est un devoir strict pour tous, il propose la perfection aux âmes d'élite, comme un idéal auquel elles doivent tendre par les actes les plus contraires a la nature, par les sacrifices les plus durs : «Vous donc soyez parfaits, comme voire Père céleste est parfait» (Mat, V, 48). D'où il suit que dans la vraie Église l'on doit trouver des membres qui se distinguent par une sainteté éminente et des vertus héroïques. b) La sainteté est une propriété visible. Cola ne fait aucun doute pour le premier élément : la sainteté des principes est une chose que tout le monde peut observer. Il n'en va pas tout à fait de mémo pour la sainteté des membres. La sainteté étant avant tout une qualité intérieure et visible au seul regard de Pieu, l'on pourrait objecter que ce ne peut être là une propriété visible, une note de la véritable Église. — II est vrai que la sainteté consiste surtout dans un fait intérieur et que l'hypocrisie peut revêtir les mômes apparences que la sainteté. Cependant il est permis de poser en règle générale que l'extérieur est le miroir fidèle de l'intérieur. La sainteté dont on perçoit les manifestations extérieures, surtout quand elle s'accompagne d'humilité, est une propriété apparente aux yeux des hommes. Considérée dans l’ensemble des membres
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Dans les trois premiers siècles, les Pères de l'Eglise ont insisté surtout sur l'unité et l'apostolicité. Saint AUGUSTIN met en plus grand relief la catholicité et la sainteté, attaquées ou mal comprises pas les donatistes. Depuis le Concile de Constantinople, les théologiens ont proposé d'autres notes ; mais soit qu'elles se ramènent facilement aux au XVIe siècle, BANNEZ dit que l'Eglise est une, sainte, catholique, apostolique et visible, et BELLARMIN énumère jusqu'à quinze notes, qui peuvent, à son avis, se ramener aux quatre notes du Symbole de Constantinople.
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de l'Église, elle peut donc être, alors même qu'il y aurait de fâcheuses méprises, une note dont il n'y a pas lieu de récuser la valeur. 349. — 2° L'Unité. — a) L'unité, en tant que note de l'Église, consiste dans la subordination de tous les fidèles à la même hiérarchie et au même magistère enseignant. L'unité a les deux conditions requises pour être une note de la vraie Église. Elle est : — a) une propriété essentielle. Jésus a voulu qu'il n'y eût « qu'un seul troupeau et un seul pasteur » (Jean, X, 16). Il a prié à cet effet « pour que tous soient un» (Jean, XVII, 21). N'ayant prêché qu'un Évangile, il a voulu l'adhésion de tous ses disciples à cette doctrine révélée : d'où unité de la foi. Voulant la fin, il est clair qu'il devait en prendre les moyens. C'est dans ce but qu'il a institué une hiérarchie permanente, pourvue des pouvoirs nécessaires pour assurer l'unité de la société chrétienne ; — b) une propriété visible. La subordination de tous les fidèles à une même juridiction est une chose visible et vérifiable ; il n'est pas plus difficile de constater l'unité hiérarchique dans l'Église que dans toute autre société. — Nos adversaires objectent, il est vrai, que la foi étant une qualité intérieure, n'est pas visible. Sans doute, la foi est intérieure et invisible si on la considère en elle-même : mais, tout intérieure qu’elle est elle peut se manifester par des actes extérieurs, tels que la prédication, les écrits et la récitation de formules de foi. Au surplus, l'unité dont il s'agit ici, est avant tout l’unité de gouvernement. C'est cette derrière qui est le principe de l’unité de foi et de l’unité de culte. Si la première est constatée, les deux autres doivent suivre, comme des conséquences naturelles. 350. — 3° La Catholicité. — Le mot catholique veut dire universel. Conformément à l'étymologie, la catholicité c'est donc la diffusion de l'Église dans tous les pays du monde. Toutefois, les théologiens distinguent, à juste raison, entre : — 1. la catholicité de fait, une catholicité absolue et physique qui comprend la totalité des hommes, et — 2. la catholicité de droit, une catholicité relative et morale, dans ce sens que l'Église du Christ est destinée à tous et qu'elle s'étend à un grand nombre de régions et d'hommes. La catholicité remplit également les deux conditions de la note. Elle est : — a) une propriété essentielle. Alors que la Loi primitive et la Loi mosaïque ne s'adressaient qu'au peuple juif, seul gardien des promesses divines, la Loi nouvelle s'adresse à l'universalité du genre humain : « Allez, dit Jésus à ses Apôtres, enseignez toutes les nations «(Mat., XXVIII, 19). Toute Église par conséquent qui resterait confinée dans son milieu, qui serait l'Eglise d'une province, d'une nation, d'une race, n'aurait pas les caractères de l'Église du Christ, puisque Jésus a prêché sa doctrine pour tous et qu'il a fondé une société universelle. Est-ce à dire que l'Église du Christ devait être universelle dès le premier jour, ou même qu'elle devait l'être un jour, d'une catholicité absolue et physique? Évidemment non. La diffusion de l'Évangile devait suivre une marche progressive, dont Jésus lui-même avait tracé le plan à ses Apôtres : il les avait chargés en effet de lui rendre témoignage à Jérusalem d'abord, puis dans toute la Judée, dans la Samarie et jusqu'aux extrémités de la terre (Act., I, 8). Et même lorsque l'Évangile aura pénétré jusqu'aux extrémités de la terre, il n'en résultera pas encore une catholicité absolue. Car le Sauveur n'a pas entendu violenter les consciences ; il a laissé à tout homme la liberté d'entrer ou de ne pas entrer dans son royaume, et il a
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prédit que-tous n'y entreraient pas, vu qu'il a annoncé à ses disciples qu'ils seraient en butte aux persécutions. — b) La catholicité est une propriété visible. Constater la diffusion de l'Église paraît chose assez simple. Cependant la note de catholicité n'est pas toujours aussi apparente qu'on pourrait le croire, car le nombre des adhérents d'une société peut subir des fluctuations avec les diverses phases de son histoire. Mais la catholicité n'est pas à la merci d'une variation de chiffres. Ce n'est pas parce que l'Église connaîtra à certaines heures de regrettables défections que sa catholicité diminuera d'autant : il suffit qu'elle reste toujours catholique de droit. 351. — 4° L'Apostolicité. — l'apostolicité est la succession continue et légitime du gouvernement de l'Église depuis les Apôtres. Pour qu'il y ait apostolicité il faut donc que des chefs actuels de l'Église l'on puisse remonter aux fondateurs de l'Église, c'està-dire aux Apôtres et à Jésus-Christ ; il faut de plus que cette succession soit légitime, c'est-à-dire que les chefs hiérarchiques se soient succédé conformément aux règles établies, qu'il n'y ait eu par conséquent dans leur accession au gouvernement aucun vice essentiel capable d'invalider leur juridiction. L'apostolicité de gouvernement implique l’apostolicité de la doctrine. Du fait que les chefs de l'Église ont pour principale mission de transmettre aux hommes le dépôt intégral de la Révélation, il s'ensuit que l'apostolicité de la doctrine doit découler de l'apostolicité de gouvernement, comme l'effet de la cause. Mais 1’apostolicite de la doctrine n'est pas une note, parce qu'elle n'est pas une propriété visible, et que, pour savoir si une doctrine est apostolique, il faut rechercher auparavant par qui elle est enseignée. L'apostolicité a les deux conditions de la note. Elle est : — a) une propriété essentielle. Jésus-Christ ayant institué une hiérarchie permanente, son Église ne peut se trouver que là où les chefs sont les successeurs légitimes des Apôtres ; — b) une propriété visible. Il est aussi facile de contrôler le fait de la succession apostolique des Papes et des Évoques que celle des chefs de toute société humaine, par exemple, la succession des rois de France. 352. — II. Valeur respective des quatre notes. — Avant de faire l'application des quatre notes, il convient d'établir leur force probante, leur valeur respective. 1° LA SAINTETÉ est une note positive de la vraie Église. Car il est évident que, seule, l'Église qui a conservé la doctrine du Christ dans toute son intégrité, est capable de produire les fruits les meilleurs et les plus abondants de sainteté. D'autre part, la note de sainteté est facilement discernable : tout homme sincère peut constater la transcendance morale d'une société religieuse et se rendre compte que la sainteté des membres est le résultat de la sainteté des principes. Toutefois, la sainteté est un critère à'ordre moral : entendez par là qu'il requiert des dispositions morales de la part de celui qui en fait l'application. Si en effet on a l'esprit prévenu contre la société religieuse qu'on étudie, il peut arriver qu'on s'arrête avec trop de complaisance aux faiblesses et aux défauts de cette société sans accorder la place voulue aux vertus héroïques dont elle a droit de se glorifier. Pour cette raison, la note de sainteté, quoique suffisante en soi, demande à être complétée par les autres notes,
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2° L'UNITÉ est une note négative. Elle n'a donc qu'une valeur d'exclusion : elle nous permet de dire que toute société qui ne l'a pas ne peut pas être la vraie Église. Mais elle ne nous conduit pas plus loin, car rien n'empêche de concevoir une société où tous les membres soient subordonnés aux mêmes chefs et acceptent les mêmes croyances sans être pour cela la véritable Église. 3° LA CATHOLIGITÉ est également une note négative et nous permet seulement d'exclure toute société qui n'est pas relativement et moralement universelle, par conséquent, toute Église provinciale ou nationale. Mais notre conclusion ne saurait aller au delà, et il peut se faire qu'une société soit la plus répandue, qu'elle compte le plus d'adhérents sans qu'elle soit nécessairement la véritable Église. Cependant le concept de catholicité est plus étendu que celui d'unité. Une société peut être une et ne pas dépasser les limites d'an pays, tandis que la catholicité qui suppose une certaine universalité, implique en même temps l'unité. Que serait en effet la catholicité, si l'Eglise qui embrasse plusieurs contrées n'était pas la même à tous les endroits? Une Église peut donc être une sans être catholique, mais elle ne peut être catholique sans être une. 4° L’APOSTOLICITÉ est une note positive. Du moment qu'une Église peut démontrer que sa hiérarchie descend des Apôtres par une succession continue et légitime, il y a toute certitude qu'elle est la véritable Église. Mais le point délicat de cette note est de prouver que la succession a toujours été légitime, que la juridiction épiscopale n'a pas été annulée par le schisme et l'hérésie, c'est-à-dire par la rupture avec l'œuvre authentique de Jésus-Christ. Or la rupture ne deviendra évidente que si cette Église ne possède plus les trois notes précédentes. L'apostolicité doit donc être contrôlée par les autres notes, et en particulier, par l'unité et la catholicité. Conclusion. — 1. Toute Église, dans laquelle il y a absence des quatre notes ou seulement d'une des quatre notes, ne peut être la vraie Église. 2. L'Église qui possède les quatre notes est nécessairement la vraie Église. Car la sainteté et l'apostolicité, étant des notes positives, sont des critères qui suffisent à prouver l'authenticité d'une Église. Cependant il est bon de ne pas les isoler, nous venons de dire pourquoi. Art. II. — Application des notes an Protestantisme. 353. — Nous diviserons cet article en deux paragraphes. Dans le premier, nous donnerons quelques notions préliminaires sur le protestantisme. Dans le second, nous montrerons qu'il n'a pas les quatre notes de la vraie Église. § 1. — NOTIONS PRELIMINAIRES SUR LE PROTESTANTISME. I. Définition. — Sous le terme général de protestantisme, il faut comprendre l'ensemble des doctrines et des Églises issues de la Réforme du XVIe siècle. Le mot Réforme sert également à désigner le protestantisme. La raison en est que ses principaux chefs : LUTHER et CALVIN se donnèrent comme des envoyés de Dieu ayant
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pour mission de réformer l'Église du Christ, de restaurer la religion de l'esprit et de substituer aux ténèbres de l'erreur et à la corruption des mœurs la lumière de la vérité et la pureté de la morale : « Post tenebras lux ». 354. — II. Origine. — Si l'on considère le protestantisme, d'un point de vue général, et sans s'arrêter aux circonstances particulières qui déchaînèrent le mouvement dans les différents pays de l'Europe, l'on peut dire qu'il a son origine dans trois ordres de causes : intellectuelles'! religieuses et politiques. — a) Causes intellectuelles. Il y a un lien très étroit qui rattache la Réforme, mouvement religieux, à la Renaissance, mouvement intellectuel. De la dernière moitié du XVe siècle aux vingt premières années du XVIe, époque où éclata le luthéranisme, la Renaissance battait son plein. Or l'humanisme ne se signalait pas seulement par le culte de l'antiquité païenne, mais aussi par une réaction contre la philosophie scolastique, par des tendances rationalistes et une critique indépendante qui s'étendait à tous les domaines et contre les attaques de laquelle la Bible même ne fut pas toujours à l'abri. b) Causes religieuses. A l'indépendance de l'esprit correspondait une grande liberté dans les mœurs. Depuis plusieurs siècles déjà, de déplorables abus s'étaient glissés un peu partout : il y avait eu abaissement du niveau moral dans l'Église, qui ne remplissait plus qu'imparfaitement sa mission divine. En Allemagne plus spécialement, le haut clergé, mal recruté parmi les grands seigneurs, possesseur d'une grande partie du sol, ne rêvait que domination et se servait de l'Église plutôt que de la servir. La mal n'était pas moindre dans les monastères ; et la papauté elle-même, devenue une puissance italienne préoccupée de ses intérêts matériels, oubliait trop souvent les affaires de l'Église dont elle avait la charge. Assurément, une réforme, non pas dans la constitution de l'Église ni dans son dogme, mais dans ses mœurs et dans sa discipline, était indispensable et souhaitée de tous. Elle s'accomplit du reste plus tard au temps du concile de Trente, trop tard, hélas ! puisque auparavant Luther avait déchaîné au soin de l'Église une vraie révolution qui n'avait plus Le simple caractère d'une réforme nécessaire, mais qui était le bouleversement du dogme et la rupture de l'unité. c) Causes politiques. Quelque importantes que fussent les causes intellectuelles et religieuses, la Réforme protestante fut déterminée par l'ambition des chefs d'État qui virent, dans ce détachement de leurs Églises nationales de l'autorité de Rome, la meilleure façon d'accroître leur puissance et de devenir à la fois les chefs spirituels et temporels de leurs sujets. 355. — III. Les Églises protestantes. — Le protestantisme comprend trois Églises principales : l'Église luthérienne, l'Église calviniste et 1' Église anglicane. Chaque Église se subdivise à son tour on un certain nombre de sectes. 1° Le Luthéranisme. — A. ORIGINE. — de l'Allemagne plus que d'aucun autre pays, il est vrai de dire que le protestantisme eut pour principe les trois causes que nous avons signalées plus haut. Au début du XVIe siècle, le terrain était tout prêt pour l'éclosion d'un mouvement réformateur : il suffisait d'un homme et d'une occasion pour allumer l’incendie. Cet homme ce fut LUTHER, et l'occasion, la question des indulgences.
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Martin LUTHER naquit en 1483 et mourut en 1546 à Eisleben en Saxe En 1505, il entra au couvent des Augustins d'Erfurt et fut ensuite professeur de théologie à Wittenberg. En 1517, le pape Léon X ayant chargé les Dominicains de prêcher de nouvelles indulgences dans le but de recueillir des aumônes destinées à l'achèvement de SaintPierre de Rome, Luther, froissé que cette mission avait été confiée à un autre ordre que le sien, commença par attaquer les abus, puis bientôt le principe même des indulgences, ainsi que leur efficacité295. Excommunié en 1520, il brûla Ta bulle pontificale sur la place publique de Wittenberg, traita le pape d'antéchrist et en appela à un Concile général. Cité devant la diète de Worms (1521), il s'y rendit refusa de se soumettre à la sentence qui le condamnait et fut mis au ban de l'Empire. Protégé par Frédéric de Saxe, il vécut un certain temps caché au château de la Wartbourg où il travailla à la traduction de la Bible en langue vulgaire. Puis, de 1522 à 1526, il parcourut l'Allemagne, prêchant sa doctrine. Entre temps, en 1525, il avait épousé Catherine Bora. En quelques années, la Réforme fit de grands progrès, grâce à la protection des princes qui profitèrent du mouvement pour rejeter l'autorité de Rome et s'emparer des biens des monastères. 356. — B. DOCTRINE. — a) La théorie luthérienne de l'inefficacité des indulgences, fait partie de tout un système dont le point central était la justification par la foi. Aux bonnes œuvres LUTHER oppose la foi : « Sois pécheur, pèche hardiment, mais crois plus hardiment encore. » Telle est, en une brève formule, l'idée maîtresse du réformateur, d'où sortiront les autres points de sa doctrine comme des conséquences rigoureuses. De même que la justice primitive faisait partie de la nature du premier homme et lui était essentielle, de même par la faute d'Adam « le péché devient une seconde nature : tout en l'homme est péché ; l'homme n'est plus que péché »296. Rien ne peut changer cet état de choses : l'homme pécheur n'a plus la liberté nécessaire pour accomplir le bien ; ses bonnes œuvres sont donc inutiles. La justification par les mérites de Jésus-Christ est le seul remède. Mais comment le pécheur obtiendra-t-il que Dieu lui accorde cette grande grâce de lui imputer les mérites de son Fils? Uniquement par la foi, en croyant de toutes ses forces que la chose est ainsi. Sans doute son âme restera, comme auparavant, souillée par le péché, mais elle sera recouverte, comme d'un voile, de la justice du Rédempteur297. — b) La foi seule suffisant à la justification, les sacrements et le culte deviennent choses superflues. Les sacrements, que Luther réduit à trois : le baptême, l'eucharistie et la pénitence, ne produisent donc pas la grâce et ne sont pas requis pour le salut. Le culte des saints doit être supprimé ; les saints doivent être imités, non invoqués. — c) Pas de purgatoire. — d) La seule règle de foi et la seule autorité c'est l'Écriture interprétée par la raison individuelle. -— e) Tout 295
LUTHER avait été devancé dans sa théorie sur l'inefficacité des bonnes œuvres par ZWINGLI, réformateur suisse, né à Wildhaus (canton de Glaris) en 1484 qui fut d'abord curé de Glaris, en 1506, puis d'Einsiedeln, en 1516. Lorsqu'il était arrivé dans ce dernier endroit, il avait fait disparaître les reliques de l'abbaye de Notre-Dame des Ermites et déclaré, aux pèlerins que les pratiques religieuses étaient inutiles. 296
Voir Mgr JULIEN, Bossuet et les Protestants, chap. IV. La justification p. 158.
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La doctrine catholique ne me pas le rôle de la fol dans la Justification. Hais elle enseigne que d'autres dispositions sont requises. Voir notre Doctrine catholique N° 321
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chrétien pouvant obtenir la justification par la foi sans la pratique des œuvres et sans le recours aux sacrements, recevant par ailleurs les lumières de l'Esprit Saint pour l'interprétation des Écritures, il s'ensuit que l'Église est une société invisible, se composant des seuls justes, où il n'y a pas de corps enseignant, pas de caractère sacerdotal, pas d'ordination et où tous les fidèles sont prêtres. Telle était la conséquence rigoureuse que Luther avait tirée d'abord de sa doctrine. Mais comme elle eut pour effet de susciter une foule de docteurs qui, au nom de l'Esprit Saint, avancèrent les opinions les plus contradictoires, Luther se vit forcé d'organiser des Églises visibles, avec l'appui et sous la dépendance de l'État. Conséquemment, il décréta que le ministère de la prédication et l'administration des sacrements seraient exercés par des élus du peuple auxquels les anciens auraient imposé les mains. 357. — C. ÉTAT ACTUEL. — Le luthéranisme se propagea rapidement dans l'Allemagne du Nord, le Danemark, la Suède et la Norvège. Il s'est étendu ensuite à l'Angleterre, avec l'anglicanisme, et à la Hollande ; il a pénétré de nos jours en Amérique et même, grâce aux missions protestantes, dans les pays païens. Cependant il ne présente pas partout la même organisation. En Allemagne, l'Église luthérienne n'a pas d'évêques, elle reconnaît l'autorité des princes séculiers et des consistoires dont les princes sont les principaux membres Dans les pays Scandinaves, l'on a conservé la hiérarchie épiscopale qui est soumise à l'autorité civile. Aux États-Unis d'Amérique, les pasteurs sont élus par le suffrage des fidèles ; dans les choses de la foi et de la discipline ils obéissent aux synodes. 358. — 2° Le Calvinisme. — A. ORIGINE.— CALVIN, né à Noyon en Picardie en 1509, fit ses études de droit à Bourges où il se lia d'amitié avec l'helléniste allemand Wolmar, qui l'instruisit dans la doctrine de LUTHER. Après avoir prêché à Paris (1532), il jugea prudent de quitter la France et se retira à Strasbourg, puis à Bâle où il acheva( 1536) son fameux ouvrage de l’Institution chrétienne, dans lequel il exposa ses idées. Appelé à Genève pour y enseigner la théologie, proscrit quelque temps, puis rappelé, il entreprit à la fois la réforme des mœurs et celle du dogme et du culte. En même temps, il poursuivait avec une cruelle intransigeance ceux qui allaient à rencontre de sa doctrine. Les plus fameuses victimes de son intolérance furent Jacques Gruet et surtout Michel Servet brûlé en 1553 359. — B. DOCTRINE. — CALVIN reproduit à peu près la doctrine de Luther. Voici, esquissés très rapidement, les points essentiels qui différencient les deux théologies. — a) Sur la question de la justification, Calvin qui enseigne, comme Luther, la justification par la foi sans les œuvres, ajoute à la doctrine luthérienne deux choses : l'inamissibilité de la grâce et la prédestination absolue : — 1. Inamissibilité de la grâce. Calvin, plus logique peut-être en cela que Luther, qui n'avait pas osé soutenir que la grâce de la justification, une fois reçue, ne pût se perdre, professe que la grâce est inamissible. Pourquoi Dieu retirerait-il à l'homme la grâce de la justification qu'il lui a plu un jour de lui octroyer? Si l'homme ne peut rien faire pour mériter de l'obtenir, pas davantage il ne saurait rien faire pour mériter de la perdre, vu qu'il est privé de libre arbitre, partant, irresponsable. « Qui est justifié, dit Calvin, et qui reçoit une fois le Saint-Esprit, est justifié et reçoit le Saint-Esprit pour toujours. » — 2. Du principe de l'inamissibilité de la grâce découle la doctrine de la prédestination absolue. Dans son conseil éternel, Dieu a prédestiné les uns au salut, les
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autres à la damnation. Le prédestiné à la gloire est désigné, élu de toute éternité. Il est justifié sans considération de ses mérites, sans égard aux œuvres qu'il peut accomplir, et tel est précisément l'endroit où la thèse calviniste est en contradiction totale avec la doctrine catholique298. — b) Sur la valeur des sacrements, que CALVIN réduit à deux : le baptême et l'eucharistie, sur le culte, sur la règle de foi, la doctrine calviniste est presque identique à la doctrine luthérienne. — c) Quelques divergences sur la constitution de l'Église visible. Celle-ci, qu'il ne faut pas confondre avec l'Église invisible, c'est-à-dire l'ensemble des prédestinés, est une démocratie où les prêtres, tous égaux, sont délégués par le peuple. Mais, — et c'est là un point important où le calvinisme s'éloigne du luthéranisme, — l'autorité ecclésiastique est indépendante de l'État : elle réside dans un consistoire, composé de six ecclésiastiques et de douze laïques299, lesquels représentent les anciens et les diacres de la primitive Église. Ce système s'appelle le presbytérianisme. 360. — C. ÉTAT ACTUEL. — Le calvinisme se propagea on Suisse, en France, en Allemagne même, dans les Pays-Bas et en Écosse, où il donna naissance à la secte des puritains, qui mit un moment en péril l'anglicanisme. Il subsiste encore aujourd'hui dans ces mêmes pays et a même gagné les États-Unis, où cependant il ne compte qu'un nombre restreint de fidèles. 361. — 3° L'Anglicanisme. — A. ORIGINE. — La Réforme protestante éclata en Angleterre, peu de temps après l'introduction du luthéranisme en Allemagne. Les historiens lui voient déjà un précurseur; au XIVe siècle, dans la personne de l'hérésiarque WICLEF, dont la tentative -avait échoué, mais dont les idées avaient laissé dans les esprits un ferment d'indépendance, favorable au schisme du XVIe siècle. Celuici eut pour auteur le roi HENRI VIII. Après avoir été un défenseur de l'Église catholique, il s'en détacha pour se venger de ce qu'il n'avait pu obtenir du pape Clément VII une sentence annulant son mariage avec Catherine d'Aragon. En 1534, il fit signer par l'assemblée du clergé et les deux Universités une formule qui déclarait que « l'Évêque de Rome n'avait pas en Angleterre plus d'autorité et de juridiction que tout autre Évêque étranger », et il fit admettre cette proposition que « le roi est, après le Christ, le seul chef de l'Église». Séparée ainsi du centre de l'unité, l'Église d'Angleterre conservait la même doctrine que par le passé. Schismatique d'abord, elle ne devint 298
La doctrine catholique admet aussi que certains hommes sont prédestinés à la gloire du ciel tandis que d'autres ne le sont pas. « Ceux sur qui son regard s est arrêté d'avance, dit saint PAUL, il les a prédestinés à être conformes à l'image de son Fils pour que celui-ci soit un premier-né parmi beaucoup de frères. Or, ceux qu'il a prédestinés, il les a aussi appelés, et ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés. Or, ceux qu 'il a justifiés, il les a aussi glorifiés. » (Rom, VIII, 29-30). Le décret de la prédestination à la gloire est-il absolu et antérieur à la prévision des mérites, comme le soutiennent les thomistes, ou est-il conditionnel, comme le pensent les molinistes? Le dogme catholique ne tranche pas la question, mais ce qu'il affirme, —et ce en quoi il diffère du calvinisme, — c'est que l'homme possède le libre arbitre, et que le prédestiné fait son salut, non pas seulement parce que Dieu le veut et lui donné sa grâce, mais parce qu'il le veut lui-même, qu'il travaille avec Dieu à son salut, parce qu'il correspond à la grâce et qu'à la roi il ajoute les bonnes œuvres. 299
Il convient de remarquer que, depuis Calvin, le consistoire ne comprend plus que des ecclésiastiques et dépend de l'autorité civils.
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hérétique que sous EDOUARD VI, le successeur de Henri VIII. A l'instigation de CRANMER, l'on rédigea une profession de foi en 42 articles, extraits presque entièrement des Confessions des réformés d'Allemagne (1553). Ces 42 articles furent remaniés sous le règne d'Elisabeth et réduits à 39 en .1563. 362. — B. DOCTRINE. — Les 39 articles de la confession de foi approuvée par le Synode de Londres, et le Livre de la prière publique (common Prayer-book) contiennent tout l'anglicanisme. Nous nous contenterons d'indiquer les-points principaux de la doctrine enseignée dans les 39 articles. 1. Les cinq premiers articles exposent les dogmes catholiques de la sainte Trinité, de l’Incarnation et de la résurrection. 2. Le sixième admet comme unique règle l’Ecriture sainte. — 3. Les articles 9-18 exposent la doctrine de la justification par la foi seule, reproduite assez fidèlement de la doctrine de Luther. Contrairement au Calvinisme, il est enseigné qu'après la justification on peut pécher et se relever. — 4. Les articles 19-22 traitent de l'Église. L'Église visible est la société des fidèles où l'on prêche la pure parole de Dieu et l'on administre correctement les sacrements. Quoiqu'elle ait le pouvoir de décréter des rites et des cérémonies, de décider dans les controverses en matière de foi, elle ne peut rien établir contre l'Écriture. Aucune Église n'est infaillible : pas plus que les autres, celle de Rome, dont la doctrine (art. 22) sur le purgatoire, les indulgences, le culte des images et des reliques, l'invocation des saints, doit être rejetée. — 5. Les neuf articles suivants (23-31) exposent la doctrine anglicane sur le culte et les sacrements. On ne peut exercer le ministère dans l'Église sans avoir été choisi par l'autorité compétente. La langue vulgaire doit être employée dans la prière publique et l'administration des sacrements. Deux sacrements : le baptême et la Cène, ont été institués par Jésus-Christ et sont des signes efficaces de la grâce ; les cinq autres ne sont pas de vrais sacrements. Le baptême est un signe de régénération qui introduit dans l'Église, confirme la foi et augmente la grâce. Le baptême der enfants doit être conservé. La cène du Seigneur, dit l'article XXVIII, n'est pas seulement un signe de l'amour mutuel des chrétiens entre eux, mai elles est plutôt un sacrement de notre rédemption par la mort du Christ. De sorte que, pour ceux qui y prennent part, correctement, dignement et avec foi, le pain que nous rompons est une communion au corps du Christ ; de même la coupe de bénédiction est une communion au sang du Christ. La transsubstantiation ne peut être prouvée par les Saintes Lettres ; au contraire, elle répugne aux termes de l'Écriture, détruit la nature du sacrement, et a été la cause de beaucoup de superstitions. Le corps du Christ est donné, reçu et mangé dans la cène, seulement dune manière céleste et spirituelle. Le moyen, par lequel le corps du Christ est reçu et mangé, est la foi. Le sacrement de l'eucharistie n'a pas été institué par le Christ pour être conservé, transporté, élevé et adoré.» La communion sous les deux espèces est nécessaire. Le sacrifice de la croix a accompli la rédemption une fois pour toutes ; par conséquent « les sacrifices des messes» sont des fables blasphématoires et des impostures pernicieuses. — 6. Les articles suivants (32-34) déclarent que le mariage des évêques, des prêtres et des diacres est permis ; que les excommuniés doivent être évités. — 7. Le 38e article condamne les doctrines communistes de certains anabaptistes300, et le dernier dit que le serment est permis pour de justes causes.
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363. — C. ÉTAT ACTUEL. — La profession de foi en 39 articles a été spécialement rédigée pour faire l'union dans l'Église anglicane. Mais bien que tous les candidats aux ordres aient toujours été obligés et le soient encore de la signer avant de recevoir le diaconat, l'union n'a jamais pu être réalisée, pas plus dans le passé que dans le présent. Du temps d'Elisabeth, la nation était déjà divisée en conformistes qui suivaient littéralement les rites du Prayer-book, et en non-conformistes ou dissidents qui refusaient d'admettre les ornements et cérémonies qui sont en usage dans l'Église catholique et que le Prayer-book prescrivait : imbus des doctrines calvinistes, ils y voyaient une affirmation de la présence réelle et du sacrifice de la messe et ne voulaient pas participer à ce qui leur semblait une idolâtrie. De nos jours, l'Église anglicane se divise encore en trois partis: la Haute Église, la Basse Église et l'Église Large. — a) La Haute Église (High Church) se considère comme un des trois rameaux de l'Église catholique dont les deux autres seraient l'Église romaine et l'Église grecque. Le parti le plus avancé de la Haute Église s'appelle soit puseyisme parce que PUSEY un des plus actifs propagandistes du mouvement d'Oxford301, soit ritualisme parce que le mouvement, en s'accentuant vers 1850, tendit à rétablir les principaux rites de l’Église romaine, entre autres, la messe et ses cérémonies, le culte des saints et même la confession auriculaire. Bref, les ritualistes acceptent presque tous les dogmes catholiques, sauf l'infaillibilité du pape et l'Immaculée Conception. — b) La Basse Église (Low Church), qui se nomme aussi évangélique, a des tendances calvinistes. Elle considère d'ailleurs la constitution de l'Église anglicane comme d'origine humaine et ne lui attribue qu'une valeur toute relative. — c) L'Église Large (Broad Church) ne requiert comme dogme essentiel que la foi au Christ. Ses partisans portent aussi les noms de latitudinaires et d'universalistes : — 1. latitudinaires parce qu'ils professent une morale large, et même relâchée, qui est en opposition avec le fanatisme des puritains ; — 2. universalistes parce qu'ils nient l'éternité des peines et pensent que tous les hommes seront un jour sauvés. A l'Église Large se rattachent les Sociniens et les Unitaires qui rejettent le dogme de la Trinité et considèrent la raison comme le seul guide dans l'interprétation des Écritures302. 300
L'anabaptisme est une secte qui fut fondée en 1521 par Thomas MUNZER. Les anabaptistes sont ainsi nommés, parce qu'ils soutiennent qu'on ne doit pas baptiser les enfants ou, en tout cas, les rebaptiser lorsqu'ils ont l'âge de raison. 301
Le mouvement d'Oxford, qui débuta en 1833 par un sermon de KEBLE, ne se fit pas sans de violentes protestations de l'Église officielle. En 1843, en effet, PUSEY fut suspendu de ses fonctions. C'est alors que plusieurs de ses amis, dont NEWMAN et WARD, se firent catholiques. Plus tard, en 1858, la conférence épiscopale de Lambeth interdit la pratique de la confession privée. En 1899, dans une autre conférence dite seconde de Lambelh, les archevêques de Cantorbéry et de York interdirent toute cérémonie non prescrite dans le Prayer-book. Le ritualisme survécut a cette condamnation, mais forcément ses progrès furent ralentis. 302
En dehors de ces Églises, nous, pourrions encore mentionner plusieurs sectes indépendantes : — a) les Congrégationalistes qui rejettent l'autorité des Evêques et des Synodes, et prétendent que chaque Église locale est autonome et ne relève que d'elle-même. Cette secte peu nombreuse existe surtout aux États-Unis ; — b) les Baptistes qui veulent que le Baptême des enfants soit invalide et que les adultes ne puissent recevoir le baptême que par immersion : secte qui existe en Angleterre et aux États-Unis;
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364. — Remarque. — Quelle que soit la diversité des sectes et des doctrines, dont nous avons constaté l'existence au sein de l'Église réformée, l'on peut classer les protestants en deux groupes : les protestants conservateurs et les protestants libéraux. — a) Les protestants conservateurs ou orthodoxes sont ceux qui se rapprochent le plus de l'orthodoxie catholique : ils gardent la plupart des dogmes révélés, mais ils rejettent la constitution de l'Église telle que nous l'avons décrite dans le chapitre précédent. — b) Les protestants libéraux ne diffèrent guère des rationalistes. Disciples de KANT, qui proclame l'autonomie de la raison, ils répudient tout élément surnaturel et tout dogme révélé. Cependant, certains, à la suite de SCHLEIERMACHER (mort en 1834) et de RITSCHL (mort en 1889), se sont efforcés de combler les lacunes de la raison par une sorte de sens religieux et de disposition morale qui nous permettent d'atteindre l'Infini et de reconnaître ce qui est inspiré dans l'Écriture Sainte. Nous avons eu du reste l'occasion de parler de leurs conceptions, lorsque nous avons étudié les caractères essentiels de l'Église. §2. — LE PROTESTANTISME N'A PAS LES NOTES DE LA VRAIE ÉGLISE. 365. — L'étude qui précède, quoique succincte, nous permettra de faire rapidement au protestantisme l'application des notes de la véritable Église, et de montrer qu'il ne les possède pas. 1° Le protestantisme n'a pas la sainteté. — a) Le protestantisme n'est pas saint dans ses principes. Les doctrines fondamentales du luthéranisme et du calvinisme : la justification par la foi, ï'inutilité des bonnes œuvres, la négation du libre arbitre, la prédestination absolue, sont le renversement des principes de la morale. Si en effet la foi soûle suffit à justifier, si les bonnes œuvres ne sont pas requises et d'ailleurs ne peuvent l'être, vu que l'homme est privé de libre arbitre, si les prédestinés peuvent commettre tous les crimes, pourvu qu'ils aient la foi, si la justification est inamissible, il n'y a plus de distinction à faire entre la vertu et le vice. L'homme est irresponsable, c'est Dieu qui « fait on nous le mal et le bien, comme l'écrit LUTHER dans son livre : « Du serf arbitre », et de même qu'il nous sauve sans mérite de notre part, il nous damne aussi sans qu'il y ait de notre faute ». En conséquence de ces principes, Luther et Calvin ont rejeté, comme inutiles et contraires à la nature, la pénitence, l'abnégation, les conseils évangéliques, supprimant ainsi les plus puissants moyens de sanctification et tarissant la source des vertus supérieures et héroïques. b) Le protestantisme n'est pas saint dans ses membres.— 1. Remarquons d'abord que le protestantisme ne saurait invoquer la sainteté de ses fondateurs. Ni Luther, ni — c) les Méthodistes ou Wesleyene (du nom de leur chef WESLEY) qui adhèrent aux enseignements de l'Église anglicane, sauf à la doctrine de la justification, et qui ont fondé leurs associations pour provoquer un réveil de la fol, et convertir les cœurs par de touchantes prédications. Cette secte compte environ 20 millions de fidèles répandus un peu partout en Angleterre et dans ses colonies, ainsi qu'aux États-Unis ; — d) l'Armée du Salut qui possède une organisation toute militaire et qui, plus encore que les Méthodistes, essaie de toucher l'âme et d'exciter l'enthousiasme par des prédications sentimentales et affectives.
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Calvin, ni Henri VIII ne furent certes des modèles de vertu ; oserait-on même dire qu'ils aient pratiqué les vertus communes? A vrai dire, un protestant aurait mauvaise grâce à reprocher à Luther son orgueil et sa sensualité, à Calvin son esprit vindicatif et cruel, à Henri VIII ses adultères et ses débauches. N'agissaient-ils pas conformément à leur doctrine ? « Pèche fortement, mais crois plus fortement.» Du moment qu'un homme est sincère dans ses idées et qu'il met sa conduite en rapport avec ses idées, de quoi peut-on l'accuser? De rien apparemment, sauf toutefois d'avoir des principes mauvais et destructeurs de la morale. — 2. Le protestantisme qui n'est pas saint dans ses fondateurs, l'est-il dans ses autres membres ? C'est assurément une chose bien délicate que de faire le parallèle entre la somme de vertus qui se trouvent dans deux sociétés, sinon rivales, du moins divergentes. Nous concéderons donc volontiers qu'il y a chez les protestants un niveau moral assez élevé, qu'on trouve chez eux des vertus supérieures, parfois des vertus héroïques. L'on voit même, de nos jours, certaines sectes protestantes qui prêchent la pratique des œuvres surérogatoires et reprennent la vie religieuse303. Mais si les choses sont ainsi, — et l'on nous rendra cette justice que nous n'hésitons pas à le reconnaître, — c'est par un manque de logique ; c'est précisément parce que les protestants n'appliquent pas les principes de leurs fondateurs. Et cela nous suffit pour condamner le système et l'Église qui le professe. 366. — 2° Le protestantisme n'a pas l'unité. — Nous avons défini l'unité : « la subordination de tous les fidèles à la même hiérarchie et au même magistère enseignant » (N° 349). Comment le protestantisme pourrait-il avoir cette note? Il n'est qu'un assemblage de sectes disparates, que l'on pour cependant, sous un certain point de vue, classer en deux groupes : les Églises non épiscopaliennes et les Églises épiscopaliennes. — a) Pour ce qui concerne les Églises non épiscopaliennes, elles sont nécessairement dépourvues de cette subordination de tous les fidèles à une même hiérarchie, car la hiérarchie n'existe pas : ministres et fidèles sont sur le pied d'égalité. Il n'y a plus dès lors possibilité d'assurer l'unité soit dans le culte et la discipline, soit, à plus forte raison, dans la foi. — b) Quant aux Églises épiscopaliennes, qui reconnaissent une autorité constituée, elles peuvent dans la pratique obtenir une unité apparente, mais cette unité ne saurait être que superficielle, parce que contraire à la théorie du libre examen, qui est toujours restée l'un des principes essentiels de la doctrine protestante. Nous n'avons pas besoin d'ajouter, que, s'il n'y a pas d'unité de gouvernement, encore moins peut-il y avoir unité de foi. Les chefs ne s'accordent même pas entre eux. Calvin reprend sans doute la doctrine de Luther, mais il en modifie des points essentiels (N° 359). Les anglicans s'approprient les doctrines de Luther et de Calvin, mais ils conservent l'épiscopat que les deux chefs de l'hérésie protestante avaient rejeté. Et malgré cette conservation de l’épiscopat, et avec lui, d'une hiérarchie capable de produire l'unité, que de variations, de luttes et de divergences au sein de l'anglicanisme ! Alors que la Haute Église se rapproche du catholicisme, au point de donner parfois
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Ainsi l'on signale en Allemagne des congrégations de diaconesses, et en Angleterre, quelques monastères constitués du reste sur le modèle du catholicisme romain
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l'illusion qu'elle se confond avec lui sur le terrain de la doctrine et du culte304, l'Église Large va à l'extrême opposé et tombe dans le rationalisme et l'incrédulité. 367. — 3° Le protestantisme n'a pas la catholicité. — La catholicité implique l'unité, avons-nous dit (N° 352). Là où l'unité n'est pas, la catholicité ne saurait être. a) Les églises non épiscopaliennes comportent autant de sectes que l'on veut, puisqu'il n'y a aucun lien pour les rattacher. — b) Les églises épiscopaliennes ont un domaine moins restreint, mais, du fait même qu'elles reconnaissent le chef de l'État comme autorité suprême, elles ne peuvent dépasser les limites d'un pays. C'est ainsi que nous avons les églises luthériennes de Suède, de Norvège, de Danemark, et l'Église anglicane, circonscrite aux régions de domination ou d'influence britannique. Nous pouvons donc conclure que le protestantisme n'a : — 1. ni la catholicité de fait, qui comprend la totalité des hommes; — 2. ni la catholicité de droit. Non seulement aucune des fractions du protestantisme, mais même l'ensemble des sectes réunies ne compte un nombre d'adhérents égal à celui des fidèles de l'Église romaine. Et si l'hypothèse contraire était vraie, le protestantisme ne pourrait pas encore revendiquer la catholicité relative, attendu qu'il n'y a pas diffusion de la même société visible. 368. — 4° Le protestantisme n'a pas l'apostolicité. — a) En droit, et à ne considérer que les principes du protestantisme, la question de l'apostolicité ne se pose pas, car les théologiens protestants sont unanimes à déclarer que l’Eglise est invisible que JésusChrist n’a constitué aucune hiérarchie perpétuelle et que l’autorité qui peut exister dans l’Eglise visible est d'origine humaine. — b) En fait, les églises non épiscopaliennes, n'ayant pas d'évêques, ne peuvent songer à établir une succession apostolique et à montrer que leurs pasteurs sont d'origine apostolique. Mais le cas n'est plus le même pour les églises épiscopaliennes. Celles-ci possèdent une suite ininterrompue d'évêques ; le problème qui se pose est donc de savoir si la succession est légitime. Pour qu'une succession soit légitime, il faut que le titulaire qui prend la place d'un autre titulaire, accède au pouvoir au nom du même principe. Or les évoques de la Réforme ne sont pas arrivés au pouvoir au nom du même principe que les évêques antérieurs. Ceux-ci appuyaient leur autorité sur le titre qu'ils revendiquaient de successeurs des apôtres et en vertu des pouvoirs conférés par Jésus-Christ à son Église ; ceux-là n'exercent l'épiscopat qu'à titre de délégués du Roi et du Parlement. Il y a donc solution de continuité entre la hiérarchie antérieure et la hiérarchie postérieure à la Réforme. La succession apostolique a été close pour l'Église protestante au XVIe siècle ; sans doute il y a eu succession, mais succession irrégulière. Il n'y a pas eu succession apostolique. 304
Beaucoup de ritualistes qui comprennent qu'un centre est nécessaire pour assurer l'unité, n'hésitent pas à se tourner vers Rome comme le centre indiqué, témoin ces paroles de lord HALIFAX, président d'une association ritualiste1: « Autrefois, dit-il dans un discours prononcé à Bristol le 14 février 1895,il n'y avait qu'une seule Eglise, et de cette Église et de cette unité Rome était le symbole et le centre... La beauté du spectacle que présenterait l'Eglise d'Occident réunie une fois de plus, la disparition du schisme et la paix régnant de nouveau entre tous ses membres, doivent faire désirer à tous le jour où l'Église d'Angleterre, notre propre Église, que nous aimons tous, sera unie de nouveau par les liens d'une communion visible avec le Saint-Siège et toutes les Églises de l'Occident.
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Art. III. — Application des notes à l'Église grecque. Nous diviserons cet article, comme le précédent, en deux paragraphes. Dans le premier, nous donnerons quelques notions préliminaires sur l'Église grecque. Dans le second, nous montrerons qu'elle n'a pas les notes de la vraie Église. § 1. — NOTIONS PRELIMINAIRES SUR L'ÉGLISE GRECQUE. 369. — 1. Définition. — Sous le nom d'Église grecque nous comprenons toutes les Églises qui, à la suite du schisme commencé par PHOTIUS au IXe siècle et consommé par MICHEL CERULAIRE au XIe, se sont séparées définitivement de Rome. Ces Églises, que les catholiques désignent sous le nom « d'Église grecque schismatique », et qui s'intitulent elles-mêmes « Église orthodoxe», portent encore les noms d'Église orientale, Église gréco-russe ou gréco-slave, Églises autocéphales ou indépendantes. Nées du schisme de Photius, elles seraient dénommées plus justement Églises photiennes. 370. — II. Le schisme grec. — A. SES CAUSES. — L'on attribue généralement l’origine du schisme grec à des causes multiples. Parmi les principales, les unes sont d'ordre général, les autres d'ordre particulier. a) CAUSE GENERALE. — Les historiens voient dans l'antagonisme de race entre les Orientaux et les Occidentaux une des causes les plus importantes qui ont préparé le schisme grec. La sujétion à un même pouvoir civil et à une même autorité religieuse, en donnant à ces deux peuples de fréquentes occasions de contact, n'avait fait qu'aviver leur antipathie réciproque, au lieu de l'atténuer. b) CAUSES PARTICULIERES.—Parmi les causes particulières nous ne signalerons ici que les doux principales, à savoir : l'ingérence du pouvoir civil dans les affaires religieuses et l'ambition des Évêques de Constantinople. 1. Ingérence du pouvoir civil. — Quelque étrange que la chose puisse paraître, il faut aller chercher le germe du schisme grec dans la conversion même de Constantin. C'est qu'en effet le passage d'une religion à une autre, surtout quand il est déterminé par le sentiment et, a fortiori, par l'intérêt politique, n'entraîne pas avec soi l'évolution des idées ; et c'est ainsi que les empereurs païens, tout en adhérant à la nouvelle doctrine, gardaient au fond d'eux-mêmes, et presque inconsciemment, les préjugés, les habitudes et les mœurs de leur passé. Or c'était précisément une idée païenne que les pouvoirs, civil et spirituel, devaient résider dans la même main ou, tout au moins, que le pouvoir spirituel était entièrement subordonné au pouvoir civil. Partant de ce principe, les empereurs se firent à la fois les protecteurs et les maîtres du christianisme. N'osant pas aller jusqu'à vouloir jouer le rôle de pape, Constantin prit le titre d' « évêque du dehors », s'attribua des fonctions qui auraient dû être réservées à l'autorité religieuse, comme celles de convoquer, de présider et de confirmer les conciles, de poursuivre les hérétiques et de surveiller les élections épiscopales. L'on comprend dès lors l'influence que purent avoir les empereurs soit pour l'union, soit pour le schisme.
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2. Ambition des Évêques de Constantinople. — Lorsque l'empereur CONSTANTIN, après sa victoire sur LICINIUS (323), transporta son siège de Rome à Byzance qui, depuis lors, s'appela Constantinople, l'ambition des évêques de la nouvelle résidence impériale ne connut plus de bornes. Déjà, en 381, le canon 3 du concile de Constantinople décrétait que « l'évêque de Constantinople devait avoir la prééminence d'honneur après l'Évêque de Rome, parce que Constantinople était la nouvelle Rome». Plus tard (451), le 28e canon du concile de Chalcédoine affirmait à nouveau le même principe en proclamant que « c'est avec raison que les Pères avaient accordé la prééminence au siège de l'ancienne Rome, parce que cette ville était la ville impériale ». Les Papes ne manquèrent pas de protester, non pas absolument contre la prétention des Évêques de Constantinople à une certaine prééminence, mais contre le principe invoqué, car, comme le faisait remarquer le pape saint LEON, ce n'est pas l'importance d'une ville qui fait le rang élevé d'une Église, mais seulement son origine apostolique, c'est-à-dire sa fondation par les Apôtres. Du reste, si le principe avait été strictement appliqué, Rome ne pouvait plus prétendre au premier rang, du jour où, par suite de l'invasion des barbares, elle avait perdu son sénat et ses empereurs. Mais en dépit de la résistance des Papes, le 28e canon du concile de Chalcédoine fut sanctionné par l'autorité civile, et même, par le concile in Trullo en 692305. Conformément an principe posé, les Évêques de Constantinople prirent d'abord le titre de patriarche, puis s'arrogèrent le pouvoir sur tous les Évêques d'Orient; à la fin du VIe siècle, JEAN IV LE JEUNEUR prit même le titre de patriarche œcuménique. Constamment soutenus par les empereurs, les patriarches se conduisirent en vrais papes de l'Orient et bientôt se posèrent en rivaux de l'Évêque de Rome. 371. B. SES AUTEURS. — Préparé, par plusieurs siècles de discordes, le schisme eut pour auteurs deux patriarches célèbres : Photius et Michel Cérulaire. a) PHOTIUS. — Appelé à remplacer le patriarche IGNACE que le régent Bardas avait relégué dans l'île de Térébinthe, Photius, laïque encore, mais rapidement investi du pouvoir d'ordre et sacré par un évêque interdit, Grégoire Asbesta, prenait possession d'un siège qui n'était pas vacant et dont le prédécesseur n'entendait pas se laisser déposséder par la force. Bien que sa promotion fût, de ce fait, frappée de nullité, Photius s'efforça de la faire confirmer par le pape. N'ayant pu obtenir ce qu'il demandait, avec une souplesse extrême, il tourna la difficulté. Au lieu de heurter de front l'autorité pontificale et d'attaquer en face la primauté romaine, alors trop bien établie pour être sérieusement contestée, il mit la question sur un autre terrain, et il prétendit que les Papes étaient hérétiques parce qu'ils avaient admis l'addition du mot Filioque au symbole de Nicée. b) MICHEL CERULAIRE. — La controverse sur le mot Filioque laissait les esprits trop indifférents pour causer une cassure complète et définitive entre les Orientaux et les Occidentaux. Aussi, après la mort de Photius, la réconciliation fut-elle relativement facile, et l'entente put durer tant bien que mal jusqu'en 1054, époque où Michel 305
Le concile in Trullo est ainsi appelé parce qu'il se tint dans une salle du palais des empereurs à Constantinople, désignée sous le nom de Trullus ou Trullum (mot qui signifie dôme). Ce concile s'appelle aussi quinisexte parce qu'il eut pour but de compléter, sur les questions de discipline, les V et VIe conciles œcuméniques (quinisexte venant de deux mots latins quini, cinq et sextus, sixième)
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Cérulaire consomma le schisme. Homme d'une ambition démesurée et d'une énergie peu commune, il aspira, dès le jour où il monta sur le trône patriarcal (1048), à concentrer dans ses mains tous les pouvoirs, ou mieux, à subordonner à son autorité suprême et le pape et le basileus lui-même. Laissant de côté la question doctrinale du Filioque qui intéressait peu, il porta la discussion sur un terrain plus capable de passionner la masse des fidèles et de la soulever contre le Pape et l'Église latine. Il feignit donc d'ignorer la primauté de l'Évêque de Borne, et il accusa les Latins de judaïser en alléguant qu'ils employaient le pain azyme comme matière de l'Eucharistie et qu'ils jeûnaient le jour du sabbat. Puis, conformant ses actes à ses paroles, il somma les clercs et les moines latins de suivre les coutumes grecques et, sur leur refus, il les anathématisa et fit fermer leurs églises. Alors intervint le pape Léon IX. Avec une très grande habileté, il replaça la question sur son véritable terrain, celui de la primauté de l'Évêque de Rome. Pour arriver à un accord, il envoya des légats avec mission de traiter avec Michel Cérulaire, L'entente n'ayant pu se faire, les légats, avant de partir, déposèrent sur l'autel de Sainte-Sophie une bulle d'excommunication qui atteignait le patriarche et ses adhérents (1054). Malheureusement l'excommunication ne fit que hâter le triomphe de Michel Cérulaire. Celui-ci réunit en effet un Synode de douze métropolitains et de deux archevêques qui, à leur tour, excommunièrent les Occidentaux sous prétexte que ces derniers avaient ajouté le Filioque au Symbole, qu'ils enseignaient que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils et qu'ils se servaient de pain azyme pour la célébration de l'Eucharistie. 372. — III. Doctrine. — Nous allons indiquer les points essentiels qui différencient l'Église grecque de l'Église romaine. A. AU POINT DE VUE DU DOGME, tous les théologiens de l'Église grecque reconnaissent comme règle de foi les définitions des sept premiers conciles œcuméniques, dont le dernier eut lieu à Nicée en 787.— a) L'Église grecque s'accorde donc avec l'Église romaine sur les mystères de la Trinité, de l'Incarnation, de la Rédemption, sur les sept Sacrements sauf certains détails que nous signalerons plus loin, sur le culte de la sainte Vierge, des saints et des images. A propos cependant du mystère de la Trinité, elle enseigne que le Saint-Esprit ne procède que du Père et reproche aux Latins d'avoir ajouté le Filioque au symbole de Nicée, — b) Elle n'admet pas le dogme de l'Immaculée Conception ; elle professe en effet que la sainte Vierge est née avec le péché originel et qu'elle n'en a été délivrée que le jour de l'Annonciation. — c) Elle rejette le dogme du Purgatoire. Ceux qui ont encore des peines à expier passent par l'enfer d'où ils sont tirés par la miséricorde divine, et grâce au sacrifice de la messe, aux prières et aux bonnes œuvres des vivants. — d) Tout en reconnaissant l'existence des sept Sacrements, les schismatiques grecs ont, sur un bon nombre de points, une doctrine opposée à celle des catholiques. C'est ainsi qu'ils enseignent la nécessité de la rebaptisation lorsque le baptême a été conféré par les hétérodoxes. De même, ils renouvellent la Confirmation aux fidèles qui ont apostasie, mais ils ne sont pas d'accord entre eux sur les cas auxquels s'étend l'apostasie. Pour l'Eglise russe, sont apostats ceux qui ont passé du Christianisme soit au judaïsme, soit au mahométisme, soit au paganisme ; pour l'Église du Phanar306, sont encore apostats
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ceux qui ont embrassé le catholicisme. A propos du sacrement de Pénitence, les Grecs prétendent que l'absolution remet, non seulement la peine éternelle, mais même la peine temporelle, de sorte que les pénitences imposées par le confesseur n'ont qu'un caractère médicinal et que les indulgences n'ont plus leur raison d'être et sont même nuisibles, étant causes de relâchement dans la vie chrétienne. L'Extrême-Onction, d'après l'Église grecque proprement dite, doit être conférée, même aux personnes bien portantes, pour les préparer à la communion ; d'après l'Église russe, elle ne doit être administrée qu'à ceux qui sont atteints d'une maladie sérieuse, l'Ordre, n'imprime point de caractère ineffaçable ; aussi la déposition prive-t-elle de tout caractère sacerdotal, et les clercs déposés ne peuvent plus exercer validement aucune des fonctions ecclésiastiques. D'après les théologiens orthodoxes, le consentement mutuel des époux est la matière du sacrement de Mariage, tandis que la bénédiction du prêtre en est la forme ; le prêtre est donc ministre de ce sacrement. Le droit canonique oriental admet aussi de nombreux cas de rupture du lien matrimonial. — e) Sur la question de l'Église. Les théologiens grecs considèrent la véritable Église comme une agglomération d'Églises nationales autonomes reconnaissant Jésus-Christ comme seul chef. Les Évêques, comme les Apôtres du reste, sont égaux en droit. Mais, en fait, et d'institution ecclésiastique, les Évêques sont soumis aux métropolitains et ceux-ci aux patriarches. Il ne faut donc pas parler de primauté : saint Pierre ne reçut de NotreSeigneur qu'une simple préséance d'honneur, laquelle a été transmise d'abord à l'Évêque de Rome, puis à l'Évêque de Constantinople. L'Église enseignante est infaillible, mais le sujet de l'infaillibilité c'est seulement le corps épiscopal pris dans son ensemble. B. AU POINT DE VUE DE LA DISCIPLINE ET DE LA LITURGIE, il y a, entre les deux Églises, grecque et romaine, de nombreuses divergences. Voici les principales : — a) Nous avons déjà dit que l'Église grecque admet le mariage des prêtres ; cependant les Évêques sont toujours choisis parmi les prêtres célibataires. — b) Les Grecs observent des jeûnes rigoureux pendant le carême et avant les principales fêtes. — c) L'Église grecque confère le baptême par immersion et n'admet pas la validité du baptême par infusion ; elle rejette l'usage du pain azyme dans la consécration de l'Eucharistie et la communion des laïques sous une seule espèce ; elle communie les enfants qui n'ont pas encore l'âge de raison. Les schismatiques condamnent la célébration des messes basses et ils enseignent que le changement du pain au corps et du vin au sang de Notre-Seigneur se produit au moment de l’épiclèse ou invocation au Saint-Esprit qui est placée après les paroles de l'institution. Ils suivent en outre en grande partie les rites et cérémonies de l'antique liturgie orientale établie au IVe et au Ve siècle. 373. — IV. État actuel. — Le schisme grec s'est propagé dans la Turquie d'Europe, la Grèce, les îles de l'Archipel, on Russie, dans une partie de la Pologne et de la Hongrie, et en Asie-Mineure.
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L'Église du Phanar, ou phanariote (Phanar, nom d'un quartier de Constantinople) désigne le patriarcat grec.
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Si l'on considère la langue liturgique, l'Église grecque se divise en quatre groupes : — a) le groupe grec pur avec trois centres autonomes : le patriarcat de Constantinople, l'Église du royaume hellénique et l'archevêché de Chypre; — b) le groupe gréco-arabe avec les patriarcats d'Antioche, de Jérusalem et d'Alexandrie, l'archevêché de Sinaï ; — c) le groupe slave avec l'Église russe et ses 75 millions de fidèles, l'Église bulgare, l'Église serbe ayant à sa tête un synode d'évêques présidé par l'archevêque de Belgrade ; — d) le groupe roumain avec huit évêques dont deux, ceux de Bucarest et de Jassy, portent le titre de métropolite, et l'Église roumaine de Transylvanie. En tout environ 120 millions d'orthodoxes. Depuis la rupture provoquée par Michel Cérulaire, de nombreuses tentatives d'union furent faites pour ramener l'Église grecque dans le sein de l'Église catholique. Entre le e e XI et le XV siècle, il n'y en eut pas moins de vingt, qui ne furent couronnées d'ailleurs d'aucun succès. Malgré ces échecs, GREGOIRE XIII, au XVIe siècle, tenta de nouveau l'entreprise : il fonda à Rome le collège grec de Saint-Athanase destiné à former un clergé grec catholique. Au XVIIe siècle, GREGOIRE XV créa la Sacrée Congrégation de la Propagande, pour s'occuper des Églises séparées. Au XIXe siècle, PIE IX,e n 1848 et en 1870, LEON XIII en 1894, firent à l'Église schismatique de chaleureux appels qui ne furent pas entendus. Au XXe siècle, la mission de la S. C. de la Propagande fut attribuée par BENOIT XV à une nouvelle congrégation : la S. C. des Églises Orientales. . « Ce n'est plus avec Rome, mais avec l'Église protestante que, depuis le XVIe siècle, les Grecs ont repris ces éternels essais d'union qui n'aboutissent jamais... Dans la première moitié du XVIIe siècle, le calvinisme faillit s'implanter dans la grande Église par les soins de CYRILLE LUCAR, et au début du XVIIIe siècle, la secte anglicane des Nonjureurs307 tenta vainement un rapprochement avec l'Église phanariote et l'Église russe. Depuis 1867, les relations amicales, avant-coureuses de l'union, ont repris entre Anglicans et Orthodoxes, auxquels sont venus se joindre, et non sans doute pour augmenter l'harmonie, les Vieux-Catholiques308 de Dôllinger, Herzog et Michaud. »309 Les bouleversements actuels de la Russie, la crise très grave du bolchevisme qui ébranle la société jusque dans ses fondements, ne nous permettent guère de faire des pronostics sur l'avenir religieux de ces populeuses contrées. Peut-être la grande épreuve de l'heure présente est-elle la voie par laquelle la Providence se propose de ramener les brebis égarées au bercail de l'orthodoxie !
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Lorsque GEORGES I, électeur de Hanovre, succédant à Anne Stuart, monta sur le trône d'Angleterre (1714), beaucoup de membres du clergé refusèrent de prêter serment à la nouvelle dynastie : d'où leur nom de Non-jureurs. 308
On appelle Vieux-Catholiques les dissidents d'Allemagne et de Suisse qui rejetèrent les décisions du Concile du Vatican (1870) sur l'infaillibilité du pape et formèrent une Église particulière qui prétendit suivre la foi de l'ancienne Église. Leurs adhérents, au nombre de 30.000 environ au début, n'ont fait, depuis, que peu de recrues soit en Allemagne, soit en Autriche. 309
M. JUGIE, art. grecque (Église) Dict. d'Alès. Les deux notes qui précèdent ne font pas partie du texte cité.
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374. REMARQUES. — 1. Outre l'Église grecque dont il a été uniquement question jusqu'ici, les Églises séparées d'Orient comprennent : — 1) l'Église copte (Haute et Moyenne Egypte) dirigée par le patriarche d'Alexandrie et le métropolite d'Abyssinie ; — 2) l'Eglise arménienne gouvernée par des patriarches et des évêques ; — 3) l'Eglise chaldéenne (Mésopotamie); et — 4) l'Église jacobite (Syrie et Mésopotamie). Ces différentes Églises, de minime importance, puisque ensemble elles ne comptent que quelques millions de fidèles, suivent soit l'hérésie de Nestorius qui niait l'unité de personne en Jésus-Christ, soit celle d'Eutychès qui niait la dualité de natures. 2. Bien que les efforts des Papes aient été infructueux sur la masse des Églises séparées, ils ont cependant réussi à faire rentrer dans l'unité catholique quelques groupes qu'on désigne sous le nom d'Uniates310. On appelle donc uniates les communautés de grecs, de monophysites et de nestoriens qui ont reconnu et accepté la suprématie du Pape. Il y a, parmi eux, des grecs-unis, des chaldéens-unis, des coptesunis, etc. Le Saint-Siège leur a permis de garder leurs liturgies nationales et leur discipline qui, entre autres règles, autorise le mariage des prêtres. § 2. — L'ÉGLISE GRECQUE N'A PAS LES NOTES DE LA VRAIE ÉGLISE. 375. — Les apologistes catholiques sont loin d'être d'accord sur l'application des notes à l'Église grecque. — a) Les uns (P. PALMIERI, P. USBAN), estimant que l'Église grecque n'est pas dépourvue totalement des quatre notes, sont d'avis que la démonstration de la vraie Église se fait mieux par des arguments directs qui établissent l'institution divine de la primauté romaine (V. chap. précédent). — b) Les autres pensent, au contraire, que l'Église grecque n'a pas les quatre notes, et que la démonstration de la vraie Église peut toujours se faire par cette voie. C'est la manière de voir de ces derniers que nous allons exposer. 1° L'Église grecque n'a pas la sainteté. — a) L'Église grecque possède sans doute la sainteté des principes puisqu'elle a gardé au moins les points essentiels de la doctrine et des institutions de la primitive Église. — b) Sainte dans ses principes, l'Église grecque l'est-elle aussi dans ses membres? Elle ne l'est certainement pas dans ses fondateurs : Photius et Michel Cérulaire sont assurément plus remarquables par leur ambition que par leur piété et leurs vertus. Quant à la sainteté des autres membres en général, l'on ne saurait dire qu'elle y brille d'un vif éclat. Malgré l'existence des ordres religieux, les œuvres d'apostolat et de charité y sont plutôt rares. Il est vrai que les Églises orientales ont canonisé un certain nombre de leurs fidèles ; mais leurs procès de canonisation n'impliquent pas une enquête rigoureuse sur l'héroïcité des vertus et ne requièrent aucun miracle proprement dit : l'enquête ne porte que sur quelques Bignes extérieurs tels que l'état de conservation du corps. Et alors même qu'il y aurait des miracles authentiques, il faudrait prouver qu'ils ont été faits, non pas uniquement pour récompenser les mérites et la vie sainte d'hommes vertueux, mais pour prouver la vérité de leur doctrine. 310
Le mouvement de conversion au catholicisme s'est accentué après la guerre de Mandchourie lorsque le tsar NICOLAS II fit paraître un ukase de tolérance permettant aux Russes de « passer de la religion orthodoxe à une autre confession chrétienne ».
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376. — 2° L'Église grecque n'a pas l'unité. — L'unité, c'est-à-dire, comme nous l'avons dit plus haut (N° 349), la subordination de tous les fidèles à une autorité suprême et à un magistère enseignant, n'est pas chose possible dans l'Église grecque. Sans doute, les schismatiques professent que l'autorité infaillible appartient au concile œcuménique. Mais c'est là un organe qui demeure atrophié depuis le VIIIe siècle. Déjà, s'il fallait réunir tous les Évêques orientaux appartenant aux différents groupes que nous avons signalés, la chose serait irréalisable. Combien le serait-elle davantage si l'on voulait obtenir l'adhésion des Occidentaux : Église latine et confessions protestantes ! 377. — 3° L'Église grecque n'a pas la catholicité. — Elle n'a : — a) ni la catholicité de fait, la chose est évidente ; — b) ni la catholicité de droit. Chaque groupement de l'Église grecque forme une confession indépendante qui ne dépasse pas les limites d'un pays. Aucun lien n'existe entre les différentes Eglises autocéphales, et l'Église russe qui l'emporte de beaucoup sur les autres par le nombre des fidèles, est une Église nationale, administrée par le Saint-Synode, et qui, Mer encore, était entièrement soumise à l'autorité du czar. L'Église du royaume de Grèce est également détachée du patriarcat de Constantinople, de sorte que l'ambition des Évêques de Constantinople n'a abouti qu'à un émiettement de nombreuses Églises, non seulement séparées de Borne, mais n'ayant plus entre elles le moindre trait d'union. Et quand bien même toutes ces Églises en feraient une seule, elles ne posséderaient pas encore la catholicité relative et morale, puisqu'elles restent confinées en Orient. 378. — 4° L'Église grecque n'a pas l'apostolicité. — Apparemment l'Église grecque possède une succession continue dans son gouvernement. Dans l'Eglise russe, en particulier, les évêques exercent l'épiscopat à titre de successeurs des apôtres. Il s'agit donc de vérifier si leur titre est authentique, et si cette continuité matérielle dont nous constatons l'existence est en même temps une succession légitime. Il faut donc que la note d'apostolicité soit contrôlée par les autres notes, et spécialement, par celles d'unité et de catholicité. Or, comme nous venons de voir qu'elle, n'a pas celles-ci, nous pouvons conclure, par le fait, qu'elle n'a pas davantage celle-là, que son apostolicité, matériellement continue, n'est pas une succession légitime, et que, si elle a toujours le pouvoir d'ordre, elle a perdu désormais le pouvoir de juridiction. Art. IV. — Application des notes à l'Église romaine. 379. — L’'Église romaine, ainsi appelée parce qu'elle reconnaît pour chef suprême l'Évêque de Rome, c'est-à-dire le Pape, possède les quatre notes de la vraie Église. 1° L'Église romaine possède la noté de sainteté. — a) Elle est sainte dans ses principes. Puisque nous faisons l'application comparative des notes de la vraie Église aux diverses confessions chrétiennes, il y aurait lieu de mettre ici en parallèle tous les points de doctrine sur lesquels le protestantisme et le schisme grec sont en divergence avec le catholicisme. Comme ce travail a été fait précédemment, nous n'avons pas à
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nous y arrêter. Nous rappellerons cependant que, à rencontre du protestantisme, l'Église romaine enseigne que la justification requiert, non seulement la foi, mais encore la pratique des bonnes œuvres. Par ailleurs, elle ne se borne pas à exiger de l'ensemble de ses fidèles, l'observation des commandements de Dieu et la pratique des vertus communes, elle porte plus haut son idéal, elle recommande les vertus supérieures et même les vertus héroïques. Dans tous les temps elle a favorisé l'institution de nombreux Ordres religieux, où les âmes d'élite tendent, par la contemplation, par les œuvres de charité et par la pratique des conseils évangéliques, au plus haut degré de l'amour de Dieu, à ce qu'on appelle la Perfection chrétienne311. — b) Elle est sainte dans ses membres. Loin de nous la pensée de prétendre que tout est parfait dans l'Église catholique, que jamais il n'y a eu de défaillances dans son sein et que son histoire n'a que des pages immaculées. Nous avons déjà dit le contraire (N° 354). Il ne nous en coûte donc pas de reconnaître que la sainteté de la doctrine ne fait pas toujours la sainteté des individus. S'il y a eu des époques où le clergé, — prêtres, Évêques et même Papes, — aussi bien que les simples fidèles, n'ont pas eu des mœurs conformes à l'idéal du Christ, que pouvons-nous conclure de là, sinon que les instruments dont Dieu se sort, restent toujours des instruments humains, et que, si l'Église est indéfectible, malgré la faiblesse de ses instruments, c'est qu'elle est divine ? Cependant toute critique qui veut être impartiale, ne doit pas s'arrêter là. On ne juge équitablement une société que si on la considère dans son ensemble et dans tout le cours de son existence. Or tout homme de bonne foi est forcé d'admettre qu'il y a toujours eu dans l'Église, et même aux époques les plus tourmentées de son histoire, une riche floraison de saints. Il suffit, pour s'en convaincre, d'ouvrir son Martyrologe. Là voisinent les noms les plus illustres et les plus divers : ceux de nombreux ascètes qui, renonçant à tous les biens terrestres, se sont consacrés à la vie contemplative ou aux œuvres de bienfaisance, à côté de laïques, — car les vertus héroïques ne sont pas le privilège exclusif d'un genre de vie, — qui ont mené dans le monde une vie sainte et austère, et tous pour mettre en pratique la doctrine enseignée par l'Église, et pour obéir à l'appel du Christ. 380. — 2° L'Église romaine possède l'unité. — L'Église romaine est une ; — a) dans son gouvernement. Bien qu'il y ait de nombreuses Églises locales qui jouissent d'une certaine autonomie, l'unité de ces groupements est assurée par l'obéissance des fidèles aux Évêques et des Évêques au Pape ; — b) dans sa foi. De l'unité de gouvernement découle l'unité de foi. C'est en effet un des principes les mieux observés du catholicisme qu'il y a obligation stricte pour tous les fidèles de se soumettre à l'autorité infaillible qui les enseigne. Conformément à ce principe, l'Église romaine rejette de son sein ceux- qui se séparent de sa foi par l'hérésie ou s'affranchissent de sa discipline par le schisme. Tous ses sujets professent donc la même foi, admettent les mêmes sacrements et participent au même culte. Mais naturellement l'unité de foi et de culte se concilie avec les discussions théologiques sur les points de doctrine non définis312, 311
Voir notre Doctrine catholique, N° 306 et suiv.
312
C'est le cas d'appliquer ici la formule courante de l'Église : In necessariis unitas, in dubiis libertas, in omnibus caritas, unité dans les croyances nécessaires (articles de foi), liberté dans les questions non définies, charité en tout.
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avec les divergences accidentelles des règles disciplinaires ou des rites liturgiques, divergences qui peuvent être commandées par les convenances spéciales des pays, des races et des temps. 381. — 3° L'Église possède la catholicité. — Pas plus que les autres confessions, l'Église romaine n'est catholique de fait. Nous avons vu que cette catholicité n'est pas requise. Tout au moins possède-t-elle une catholicité de droit, puisqu'elle s'adresse à tous, qu'elle envoie ses missionnaires dans toutes les régions, puisqu'elle n'est l'Église d'aucune nationalité ni d'aucune race et qu'elle sait s'adapter aux peuples les plus divers. En dehors de cotte catholicité de droit, l'Église romaine possède l'universalité morale et relative, elle s'étend à la majeure partie du monde, et le nombre de ses fidèles est supérieur à celui des autres sociétés chrétiennes313. 382. — 4° L'Église romaine possède l'apostolicité. — a) L'Église romaine est apostolique dans son gouvernement. Elle possède une continuité successorale moralement ininterrompue : du Pape actuel elle peut remonter à saint Pierre. Il s'agit donc de savoir si la juridiction apostolique a été légitimement transmise. La chose apparaît évidente, puisque l'Église romaine possède les trois autres notes. Les adversaires objectent, il est vrai, qu'il fut un temps où les Papes résidaient à Avignon, qu'il y eut des interrègnes, qu'il y eut surtout le grand schisme d'Occident. — La résidence momentanée des Papes à Avignon n'a nullement interrompu la succession apostolique : il est de toute évidence que la juridiction n'est pas attachée à l'endroit de la résidence, mais dépend uniquement de la légitimité de la succession et du titre. Les Papes pouvaient donc résider à Avignon comme ailleurs et rester les Évêques légitimes de Rome. On allègue d'autre parties interrègnes et le grand schisme d'Occident. Rappelons brièvement les faits. A la mort de GREGOIRE XI, septième Pape d'Avignon (1378),URBAIN VI fut élu à Rome par seize cardinaux, dont onze français. Après l'élection, quinze des cardinaux déclarèrent l'élection nulle sous prétexte qu'elle avait eu lieu sous la pression du peuple romain qui avait réclamé un Pape italien, et ils élurent Robert de Genève qui prit le nom de CLEMENT VII et s'établit à Avignon. La chrétienté se divisa alors en deux parties, l'une obéissant au Pape de Rome, et l'autre, au Pape d'Avignon. Ainsi commença ce qu'on appelle le grand schisme d'Occident qui devait durer trente-neuf ans (1378-1417). — Faut-il conclure de là que l'Église romaine ne possède plus la juridiction d'origine apostolique? Certainement non. Les trois règles suivantes nous donneront du reste la clé de cette difficulté : — 1. Si deux élections se font en même temps ou successivement, l’apostolicité appartient au Pape légitimement choisi. — 2. S'il y avait doute, comme c'était le cas pour le grand schisme d'Occident, l'apostolicité n'existerait pas moins, quand bien même la chose ne serait connue que tardivement.
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D'après les statistiques les plus récentes, le chiffre approximatif des trois grandes Eglises chrétiennes serait le suivant : — 1° Catholiques romains: 270 millions; — 2°Protestants : 170 millions ; — 3° Église grecque: 110 millions, plus 7 millions d'autres sectes, ce qui donne pour les Eglises séparées d'Orient près de 120 millions.
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3. Enfin si deux ou plusieurs élections se faisaient simultanément et d'une manière irrégulière, elles seraient toutes nulles ; le siège pontifical resterait vacant jusqu'à une élection légitime, laquelle continuerait la série apostolique des Papes. b) L'Église romaine est apostolique dans sa doctrine. Les protestants accusent les catholiques d'avoir introduit des dogmes nouveaux dans l'enseignement apostolique. Sans doute, le Credo actuel est plus développé que celui des Apôtres, mais il ne contient pas des différences essentielles. L'Église enseignante n'a jamais défini une vérité de foi qu'elle ne l'ait tirée soit de l'Écriture Sainte, soit de la Tradition il y a donc eu développement du dogme, mais non point changement de la doctrine apostolique. Conclusion. — L'Église romaine ayant les quatre notes indiquées par le concile de Nicée-Constantinople, nous sommes donc en droit de conclure qu'elle est la vraie Église. Art. V. — Nécessité d'appartenir à l'Église catholique romaine. « Hors de l'Église, pas de salut. » 383. — Nous venons de démontrer que l'Église romaine est seule la vraie Église instituée par Jésus-Christ. Devons-nous en conclure qu'il y a nécessité de lui appartenir pour faire son salut? Si oui, comment faut-il entendre cette nécessité et comprendre la formule courante qui la traduit : « Hors de l'Église pas de salut » ? 1° Nécessité d'appartenir à la vraie Église. — La nécessité d'appartenir à la vraie Église s'appuie sur deux arguments : sur un argument scripturaire et sur un argument de raison. A. ARGUMENT SCRIPTURAIRE. — La volonté de Notre-Seigneur sur ce point est formelle. Il a dit en effet à ses Apôtres : « Allez par tout le monde et prêchez l'Évangile à toute créature. Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé ; celui qui ne croira pas, sera condamné» (Marc, XVI, 15-16). De ces paroles il ressort, d'une part, que sa doctrine sera transmise à tout l'univers par l'intermédiaire de ses apôtres et de leurs légitimes successeurs, d'autre part, qu'il y a obligation d'y adhérer, puisque le Christ condamne ceux qui s'y refusent. B. ARGUMENT TIRÉ DE LA RAISON. — La nécessité d'appartenir à la véritable Église découle de la raison. L'on ne peut pas échapper en effet à la conclusion du dilemme suivant. Ou bien l'Église catholique possède la vérité religieuse, elle a seule le dépôt de la doctrine du Christ. Ou bien elle ne l'a pas. Si elle l'a, si elle est la vérité, il est clair qu'elle s'impose comme une nécessité, car toute vérité est, de sa nature, exclusive. Toute la question revient donc à prouver que l'Église catholique est la seule vraie : ce que nous avons fait dans les articles précédents. 384. — 2° Sens de la formule : « Hors de l'Église pas de salut. » — En principe, l'appartenance à l'Église catholique s'impose comme une nécessité. Mais comment faut-il entendre cette nécessité? Et quel sens faut-il donner à l'axiome courant : « Hors de l’Église pas de salut »? Cette question concerne plutôt le théologien que
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l'apologiste : nous nous bornerons donc à dire comment les théologiens l'ont solutionnée. Si l'on jette un rapide coup d'œil sur l'enseignement traditionnel de l'Église sur ce point, il apparaît que la question n'a pas été mise d'abord en pleine lumière et n'a été considérée que d'un point de vue assez restreint. — a) D'une manière générale, jusqu'au xvr8 siècle, les Pères et les Docteurs de l'Église enseignent que l'appartenance à l'Église est d'une nécessité absolue et que tous ceux qui refusent de se soumettre à son autorité doctrinale et disciplinaire, les hérétiques et les schismatiques, perdent tout droit au salut éternel. Mais il semble bien que cette intransigeance est plus apparente que réelle et provient de ce que la question n'est pas présentée sous toutes ses faces. La preuve en est que saint AUGUSTIN (354-430) tout en posant en principe qu'il est nécessaire d'appartenir à l'Église pour faire son salut, ajoute qu'on peut être dans l'erreur, qu'on peut se tromper sur la question de savoir où est la vraie Église, et qu'alors on ne doit pas être rangé parmi les hérétiques. — b) Au XVIe siècle, BELLARMIN et SUAREZ élargissent déjà la question et discutent surtout les conditions requises pour appartenir au corps de l'Église. — c) Au XIXe siècle, les théologiens réalisent un grand progrès dans l'explication du dogme, grâce aux distinctions qu'ils établissent, à juste titre, entre les différents sens des mots appartenance et nécessité. 1. Les uns distinguent l'appartenance réelle (in re) et l'appartenance de désir (in voto). On peut en effet « appartenir à l'Église par le désir, par la volonté, par le cœur, quand, sans en être membre à proprement parler, on souhaite de l'être. Ce souhait peut être explicite, comme c'est le cas des catéchumènes ; il peut être implicite, comme c'est le cas pour ceux qui, sans connaître encore l'Église, désirent faire tout ce que Dieu veut. Tous ces hommes de bonne volonté appartiennent implicitement à l'Église »314. 2. Les autres, distinguant entre l’âme et le corps de l'Église, disent qu'il est de nécessité de moyen d'appartenir à l’âme de l'Église, et de nécessité de précepte d'appartenir à son corps. — 1) Or appartiennent à l'âme de l'Église tous ceux qui, vivant dans une ignorance invincible : infidèles, hérétiques, schismatiques, observent leur religion de bonne foi et s'efforcent de plaire à Dieu selon les lumières de leur conscience. Dieu les jugera sur ce qu'ils auront connu et accompli, non sur ce qu'ils auront ignoré de la. loi. — 2) N'appartiennent ni à l'âme ni au corps de l'Église tous ceux qui sont dans l'erreur volontaire et coupable, ceux qui, sachant que l'Église catholique est la vraie Église, refusent d'y entrer parce qu'ils ne veulent pas accepter les devoirs que la vérité impose. C'est à ceux-là spécialement qui « pèchent contre la lumière », selon la parole de NEWMAN, que s'applique la maxime : « Hors de l'Église pas de salut. » Ajoutons, pour terminer, que ces deux interprétations du dogme catholique sont conformes à l'enseignement donné par Pie IX dans son allocution consistoriale « Singulari quadam» du 9 décembre 1854 et dans son Encyclique « Quanto confidamur » adressée aux Évêques d'Italie le 10 août 1863. « Ceux, est-il dit dans ce second document, qui sont dans l'ignorance invincible relativement à notre sainte religion, et 314
BAINVEL, Hors de l'Église pas de salut.
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qui observent avec soin la loi naturelle et ses préceptes gravés dans tous les cœurs, et qui, prêts à obéir à Dieu, mènent une vie honnête et droite, peuvent, avec le secours de la divine lumière et celui de la grâce, obtenir la vie éternelle, car Dieu... ne souffre jamais, dans sa souveraine bonté et clémence, que quelqu'un qui n'est coupable d'aucune faute volontaire, soit puni de peines éternelles. Mais il est aussi très connu, ce dogme catholique, que personne ne peut se sauver hors de l'Église catholique, et que ceux-là ne peuvent obtenir de salut éternel, qui sciemment se montrent rebelles à l'autorité et aux décisions de l'Église, ainsi que ceux qui sont volontairement séparés de l'unité de l'Église et du Pontife romain, successeur de Pierre, à qui a été confiée par le Sauveur la garde de la vigne. » Conclusion. — Quelle que soit la manière dont on interprète la formule : « Hors de l’Eglise pas de salut », il est permis de tirer les conclusions suivantes : — 1. De l'avis unanime des théologiens, l'appartenance à l'âme de l'Eglise est de nécessité absolue, vu que la grâce sanctifiante est le seul moyen ici-bas de conquérir le ciel. — 2. L'appartenance au corps de l'Eglise est, elle aussi, dans une certaine mesure, de nécessité de moyen. Nous disons dans une certaine mesure, car il convient de distinguer entre ceux qui connaissent la vraie Eglise et ceux qui ne la connaissent pas. Pour les premiers, l'appartenance au corps, — appartenance extérieure, visible, in re, comme disent les théologiens, — est à la fois de nécessité de moyen et de nécessité de précepte. Pour les seconds, qui ne sauraient être liés par un précepte dont ils ignorent l'existence, seule est requise l'appartenance implicite : et par appartenance implicite, il faut entendre l'appartenance par le cœur, par le désir, lequel désir, sans être formulé par des paroles, est inhérent à l'acte de charité et au désir de conformer sa volonté à la volonté divine. BIBLIOGRAPHIE. — Du Dictionnaire d'Alès : Yves DE LA BRIERE, art. Église ; MICHIELS, art. Évêques ; M. JUGIE, art. Grecque (Église) ; (J'ALES, art. Libère (le Pape) ; F. CABROL, art. Honorius (La question d'). — Du Dict. Vacant-Mangenot : DUBLANCHY, art. Église ; BAINVEL, ait. Apostolicité ; A. BAUDRILLART, art. Calvin, Calvinisme ; A. GATARD, art. Anglicanisme ; S. VAILHE, art. Conslantinople (Église). — Mgr BATIFFOL, Études d'histoire et de théologie positive ; L'Église naissante et le catholicisme (Lecoilre). — FOUARD, Les Origines de l'Église; Saint Pierre et les premières années du christianisme ; Saint Paul, ses missions ; Saint Paul, ses dernières années ; Saint Jean et la fin de l’âge apostolique (Lecoilre). — BOURCHANY, PERIER, TIXERONT, Conférences apologétiques données aux Facultés catholiques de Lyon (Lecoffre). — TIXERONT, Histoire des dogmes, La théologie anténicéenne ; Précis de Patrologie (Lecoflre). — ERMONI, Les origines historiques de Vépiscopat monarchique ; Les premiers ouvriers de l'Évangile (Bloud). — SEMERIA, Dogme, hiérarchie et culte dans l'Église primitive (Lethielleux). — BOUDINHON, Primauté, schisme et juridiction (Revue du canoniste contemporain, 1896). — J. DE MAISTRE, DU Pape. — GUIRAUD, La venue de saint Pierre à Rome (Rev. pr. d'Ap., 1 nov. 1905). — PRAT, La théologie de saint Paul (Beauchesne). — HUGUENY, Critique et Catholique (Letou-zey). — Mgr DUCHESNE, Histoire ancienne de l’Église ; Églises séparées (Fontemoing) — A. DE POULPIQUET, La notion de catholicité (Bloud). —
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LODIEL, Nos raisons d'être catholiques (Bloud). — Mgr BAUDRILLART, L'Église catholique, la Renaissance, le Protestantisme (Bloud). — Mgr JULIEN, Bossuet et les Protestants (Beauchesne). — GOYAU, L'Allemagne religieuse, Le Protestantisme (Perrin). — BRICOUT, Les Églises réformées en France (Rev. du Cl. fr. 1908). — RAGEY, L'Anglicanisme, le Ritualisme, le Catholicisme (Bloud). — THUREAUDANGIN, Le catholicisme en Angleterre au XIX° siècle (Bloud). — BOSSUET, Histoire des variations des Églises protestantes, Discours sur l'unité de FÉglise. — GONDAL, L'Église russe (Bloud). — MONSABRE, Exposé du dogme, 51e et 52e conf. — MOURRET, Histoire de l’Eglise (Bloud). — MARION, Histoire de l’Église (Roger et Chernovitz). — BAINVEL, Hors de l’Eglise pas de salut (Beauchesne). — L'Ami du Clergé, année 1923, n° 26.— BILLOT, Tractatus de Ecclesia Christi. — WILMERS, De Christi Ecclesia (Pustet).-— Les Traités d'Apologétique: TANQUEREY, Mgr GOURAUD.MOULARD et VINCENT, VERHELST, etc. SECTION II CONSTITUTION DE L'ÉGLISE CHAP. I. — Hiérarchie et Pouvoirs de l'Église. DÉVELOPPEMENT Division du Chapitre. 385. — Pour découvrir la vraie Église, nous avons, au début de la section précédente, fixé les traits essentiels de la société fondée par Jésus-Christ. Nous connaissons donc déjà, au moins dans ses grandes lignes, la constitution de l'Église romaine, vu que seule elle est la vraie Église. Il y a lieu cependant de revenir sur le sujet, car, si la constitution actuelle de l'Église £ bien son point de départ dans la volonté et l'institution du Christ, il est incontestable également qu'elle a connu un certain développement et qu'elle a dû s'adapter aux besoins du moment. C'est que, tout en étant d'origine divine, l'Église n'en reste pas moins une société composée d'éléments humains, et dès lors, susceptible de progrès et de modifications, en tout ce qui n'affecte pas le fond de sa constitution. Quelle est donc cette constitution, telle qu'elle existe maintenant, c'est ce que nous allons étudier dans les deux chapitres de cette seconde section. Nous rechercherons, dans ce premier chapitre : — 1° quelle est la hiérarchie de l'Église ; — 2° quels sont les pouvoirs dont l'Église en général a été investie ; — 3° quels sont en particulier les pouvoirs du Pape; et — 4° quels sont ceux des Évêques. D'où quatre articles. Dans le chapitre suivant, nous traiterons des droits de l’Église et doses relations avec l'État. Art. 1. — Hiérarchie de l'Église. 386. — Nous avons vu que l'Église a été fondée sur le principe de la hiérarchie (N08 309 et suiv.),- qu'elle est une société inégale comprenant deux groupes distincts . l'Église enseignante et l'Église enseignée. L'Église enseignée composée des laïques n'ayant aucune part à l'autorité ecclésiastique, il ne sera question que de l'Église enseignante.
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1° Définition. — D'après l’étymologie (N° 308), le mot hiérarchie signifie pouvoir sacré. Il est employé ici pour désigner les divers degrés de rang et de pouvoir qui distinguent les ministres de l'Église enseignante. 387. — 2° Espèces. — II y a dans l'Église une double hiérarchie : la hiérarchie d'ordre et la hiérarchie de juridiction. — a) La hiérarchie d'Ordre, fondée sur le pouvoir d'Ordre, a son origine dans l'ordination ou la consécration. Elle a pour objet la sanctification des âmes par l'administration des sacrements, et elle est inamissible. — b) La hiérarchie de juridiction, fondée sur le pouvoir de juridiction, est conférée par l'institution canonique, ou simplement par la nomination et la délégation. Elle a pour objet le gouvernement de l'Église, et elle est amissible. 388. — 3° Membres. — A. LA HIÉRARCHIE D'ORDRE comprend tous ceux qui ont reçu un degré quelconque du pouvoir d'Ordre. — a) De droit divin, elle se compose des évêques, des prêtres et des diacres. — b) De droit ecclésiastique, elle comprend en outre le sous-diaconat et les Ordres mineurs. B. LA HIÉRARCHIE DE JURIDICTION, comprend tous ceux qui, dans une mesure plus ou moins grande, ont reçu une part de juridiction dans l'Église. — a) De droit divin, elle se compose seulement du Pape et des Évêques. — b) Mais, de droit ecclésiastique, elle s'étend à d'autres membres désignés par eux. Il est clair en effet que le Pape qui a l'Église universelle, et les Évêque315 qui ont tout un diocèse, à gouverner, ne pourraient remplir une telle tâche, s'ils ne s'entouraient d'auxiliaires. Les auxiliaires du Pape forment ce qu'on appelle la Curie romaine. La Curie romaine, composée des cardinaux, des prélats et des officiers inférieurs, comprend le Collège des cardinaux ou Sacré-Collège, les Congrégations romaines, les Tribunaux et les Offices. Les Évêques ont pour auxiliaires :— 1) les Vicaires généraux, qui ne font avec lui qu'une personne morale, et le suppléent dans l'administration du diocèse ; — 2) le Chapitre, c'est-à-dire la réunion des chanoines attachés à l'église cathédrale ou métropolitaine, et formant un corps institué canoniquement, dont le rôle se borne aujourd'hui316 à réciter 1’Office au chœur et à nommer, à la mort de l'évêque, le ou les vicaires capitulaires chargés de gouverner le diocèse jusqu'à l'institution d'un nouvel évêque. Les Curés sont aussi des auxiliaires des Évêques, mais, de droit divin, ils n'ont aucune part aux pouvoirs de l'Église. Ils ne peuvent ni décider de la doctrine, ni édicter aucune 315
Dans la hiérarchie de juridiction il y avait autrefois les métropolitains, qui jouissaient d'une juridiction réelle sur les évêques de leur province, et les primais ou patriarches, qui avaient autorité sur les archevêques et évêques. De nos jours, le titre, qui subsiste toujours, n'est plus qu'un titre d'honneur et de préséance. 316
Pendant bien longtemps les chapitres eurent une autre importance. Ils étaient le conseil ordinaire de l'évêque, et, à sa mort, ils étaient chargés d'administrer le diocèse et d'élire un successeur, ce qui n'existe plus que dans de rares pays. (V. N° 410, n.).
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loi concernant la discipline ou le culte. Leur rôle se borne à desservir une paroisse, à l'administration de laquelle ils ont été délégués par leur Évêque. Les Curés ne constituent donc pas un troisième degré de la hiérarchie. Et la chose se comprend aisément si l'on veut bien se rappeler que les paroisses n'existaient pas primitivement. C'est seulement au IIe siècle qu'en remonte l'origine. Jusque-là il n'y avait ou dans chaque ville épiscopale qu'une seule Église. L'Évêque, bien qu'assisté d'un collège de prêtres, en gardait l'administration personnelle, et se réservait mémo, d'une manière habituelle, les pouvoirs de prêcher, de baptiser, de célébrer l'eucharistie, et d'administrer le sacrement de pénitence. Lorsque le christianisme prit une plus grande extension, l'on construisit dans les villes, outre les églises cathédrales, et aussi dans les bourgs et les villages, des églises moins importantes, appelées églises paroissiales. Les Évêques déléguèrent alors pour l'administration de ces paroisses, des prêtres, -qui devinrent ainsi des pasteurs de second ordre, et que l'on appela curés (du latin «cura» soin), parce qu'ils étaient chargés du soin des fidèles appartenant à ces circonscriptions. Art. II — Les Pouvoirs de l'Église. 389. — A cette Église enseignante dont nous venons de montrer la hiérarchie, JésusChrist a conféré (V. N° 310) un triple pouvoir : — a) le pouvoir doctrinal pour enseigner la vraie foi ; — b) le pouvoir d'Ordre pour administrer les sacrements ; et — c) le pouvoir de gouvernement pour obliger les fidèles à tout ce qui peut être nécessaire ou utile à leur salut. Comme la question du pouvoir de ministère se rattache au sacrement de l'Ordre317, nous ne parlerons que du pouvoir doctrinal et du pouvoir de gouvernement. § 1. — LE POUVOIR DOCTRINAL DE L'ÉGLISE. 390. — Nous avons vu déjà que le pouvoir doctrinal conféré par Jésus à son Église comportait le privilège de l’infaillibilité (N° 330), et que ce privilège avait été accordé aux Apôtres et à leurs successeurs (Nos 335 et suiv.). Il s'agit donc maintenant d'en déterminer l'objet et le mode d'exercice. 1° Objet. — L'objet de l'infaillibilité se déduit du but que l'Église poursuit dans son enseignement. Or la fin de l'Église est d'enseigner les vérités qui intéressent le salut. Les sciences profanes sont donc hors du domaine de l'infaillibilité. Celle-ci se limite à la connaissance des choses de la foi et de la morale. Mais tout ce qui touche, soit directement soit indirectement, à ce double terrain, constitue l'objet de l'infaillibilité. A. OBJET DIRECT. — L'objet direct, ce sont toutes les vérités explicitement ou implicitement révélées par Dieu et qui sont contenues dans les deux dépôts de la Révélation : l'Écriture sainte et la Tradition. a) Par vérités explicitement révélées, entendez celles qui y sont énoncées en termes clairs ou équivalents. Par exemple, 317
Voir notre Doctrine catholique (N° 430 et suiv.).
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l'Écriture nous dit en termes clairs qu'il n'y a qu'un Dieu, Créateur du ciel et de la terre, que Jésus-Christ est né de la Vierge Marie, qu'il a souffert, est mort, a été enseveli, est ressuscité le troisième jour. Elle nous dit en termes équivalents que le Christ est Dieu et homme : « Le Verbe s'est fait chair» (Jean, I, 14), que la grâce est nécessaire : « le sarment ne peut porter de fruit s'il n'est uni à la vigne... sans moi dit Jésus, vous ne pouvez rien faire» (Jean, XV, 46), que Pierre est le chef de toute l'Église : « Pais mes agneaux, pais mes brebis » (Jean, XXI, 15, 17). b) Les vérités implicitement révélées sont celles qui se déduisent, par voie de raisonnement, d'autres vérités révélées. Ainsi, du dogme explicitement révélé que Jésus-Christ est à la fois Dieu et homme, découlent les autres dogmes qui affirment l'existence de deux natures et de deux volontés dans le Christ ; ainsi encore, les dogmes de la transsubstantiation, de l'Immaculée Conception, de l'Infaillibilité pontificale ne sont pas exprimés d'une manière explicite dans la Révélation mais ils résultent d'autres vérités clairement révélées. 391. — B. OBJET INDIRECT. — L'objet indirect de l'infaillibilité, ce sont toutes les vérités qui, sans être révélées, sont dans un rapport tel avec les vérités révélées, qu'elles sont indispensables à la conservation intégrale du dépôt de la foi. Il est clair que le privilège de l'infaillibilité implique le pouvoir de proposer, sans crainte d'erreur, toutes les vérités dont dépend la sécurité de la foi. Il faut donc ranger dans l'objet indirect de l'infaillibilité : — a) les conclusions théologiques. On appelle conclusion théologique toute proposition qui forme la conclusion d'un raisonnement dont les deux prémisses dont, l'une, une vérité révélée, l'autre, une vérité connue par la raison. Par exemple, de cette vérité révélée que « Dieu rendra à chacun selon ses œuvres », et de cette vérité de raison que Dieu ne peut récompenser ou punir l'homme que s'il lui a donné la liberté de bien ou de mal faire, l'on peut tirer la conclusion théologique que l'homme est libre ; — b) les faits dogmatiques. Il faut entendre par là tout fait318 qui, sans être révélé, est en connexion si étroite avec le dogme révélé, que le nier ou le révoquer en doute, c'est du même coup ébranler les fondements du dogme lui-même. Dire, par exemple, que tel concile œcuménique est légitime, que tel pape a été régulièrement élu, que Léon XIII, Pie X, Benoît XV sont les légitimes successeurs de saint Pierre, que telle version de la SainteÉcriture (v g. la Vulgate) est substantiellement conforme au texte original, que telle doctrine hérétique est contenue dans tel livre : voilà autant de faits dogmatiques. L'on comprend combien il importe que l'Église soit infaillible dans ses jugements sur de semblables faits, car, si elle ne l'était pas, si l'on pouvait contester la légitimité d'un concile ou d'un pape, de quel droit imposerait-on les dogmes définis par eux? Sur quoi l'Église appuierait-elle ses définitions s'il était permis de mettre en doute l'authenticité des textes qu'elle invoque? Et si elle ne pouvait affirmer avec certitude que telle proposition condamnable se trouve bien dans tel livre, les hérétiques échapperaient toujours aux condamnations portées contre eux par des distinctions subtiles entre la 318
L'on peut distinguer (rois sortes de faits): — a) les faits révélés (v. g. résurrection du Christ, la conversion de saint Paul) sur lesquels l'infaillibilité de l'Eglise ne saurait être contestée ; — b) les faits non révélés, purement historiques (v. g. la défaite de Pompée par César) qui sont hors du domaine de l'Infaillibilité ; et — c) les faits dogmatiques c'est-à-dire ceux dont il est ici question.
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question de droit et la question de fait. C'est ce qui se passa, du reste, au xvir3 siècle, lorsque cinq propositions extraites de Augustinus de JANSENIUS furent condamnées par INNOCENT X. Établissant alors la distinction entre la doctrine des cinq propositions et le fait de savoir si elles étaient contenues dans l'Augustinus, les jansénistes admirent que l'Église était infaillible sur la question de droit, c'est-à-dire sur l'appréciation de la doctrine, mais non sur la question de fait, celui-ci étant, selon eux, en dehors de la révélation et dès lors ne relevant pas du magistère infaillible de l'Église. Assurément, l'Église ne peut jamais juger du sens que Fauteur a pu avoir dans l'esprit, du sens subjectif ; aussi ce qu'elle entend condamner ce n'est pas la pensée de l'auteur, mais seulement ses écrits dans leur sens naturel et obvie ; — c) les lois universelles relatives à la discipline et au culte divin. Bien que ressortissant au pouvoir de gouvernement, les lois générales sur la discipline et le culte présupposent parfois un jugement doctrinal sur la foi ou la morale. Ainsi la discipline actuelle de l'Église, qui défend aux laïques la communion sous l'espèce du vin, implique la croyance que Jésus-Christ est tout entier sous l'espèce du pain319 : d'un côté comme de l'autre, le jugement de l'Église doit donc être exempt d'erreur. Toutefois, l'infaillibilité ne s'étend pas jusqu'aux circonstances accidentelles de la législation ecclésiastique : il peut arriver que telle loi disciplinaire ne soit pas opportune, bien que conforme à la saine doctrine ; il peut arriver surtout que ce qui ost utile aujourd'hui ne le soit plus demain et qu'une loi actuellement en vigueur soit modifiée, abrogée même par la suite. Il importe donc; comme nous en avons déjà fait la remarque (N° 380), de ne pas prendre les changements de discipline et de culte pour des variations du dogme ; — d) les décisions qui approuvent les constitutions des Ordres religieux. L'Église est infaillible dans son jugement lorsqu'elle déclare que les règles d'un Ordre religieux sont conformes à l'Évangile. Mais, d'après SUAREZ, elle n'est pas infaillible sur la question d'utilité ou d'opportunité de cet Ordre, encore qu'il y ait témérité à croire le contraire, lorsque la chose n'est pas manifeste ; — e) l'approbation du bréviaire, ce qui veut dire qu'il ne contient rien contre la foi ou les mœurs, mais non pas qu'il soit à l'abri de toute erreur historique ; — f) la canonisation des saints. On entend par canonisation la sentence solennelle par laquelle le Pape déclare que tel personnage jouit de la gloire du ciel et peut être honoré du culte de dulie. Telle est du moins la canonisation formelle, comme elle est en usage de nos jours, et ainsi appelée parce qu'elle est revêtue des formes juridiques qui lui donnent toutes les garanties de vérité320. Aussi est-ce une opinion commune parmi les 319
De même, l'usage d'administrer le baptême aux enfants suppose le dogme de la transmission du péché originel à tous les descendants d'Adam et l'efficacité du baptême conféré aux enfants qui n'ont pas l'âge de raison. De même encore, la coutume de l’Eglise de prier pour les défunts implique le dogme du Purgatoire et l'utilité des suffrages nous obtenir leur délivrance.
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Canonisation.—La canonisation d'un saint implique une longue et minutieuse procédure, exclusivement réservée au Saint-Siège. Bile ne comprend rien moins que trois procès dits de Vénérabilité, de Béatification et de Sainteté. L'Evêque du diocèse, dont le Serviteur de Dieu est originaire, se borne à faire une première enquête. — le procès d'information, — sur la pureté de sa doctrine par l'examen de ses écrits, sur la renommée de sa sainteté, de ses vertus et de ses miracles ou de son martyre, sur l'absence de tout obstacle qui serait péremptoire. et le non-culte (can. 2038). Après qu'il en a communiqué les résultats à la S. Congrégation des Rites, la cause est introduite, s’il y a lieu. 1. La S. Congrégation commence alors la discussion du procès d’information. Le jugement sur l’héroïcité des vertus u sur le martyre est réservé au Pape : c'est seulement après ce jugement que le Serviteur de Dieu est qualifié de Vénérable. - 2. Pour la Béatifications, deux miracles au moins requis,
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théologiens que l'Église est infaillible dans la canonisation formelle; toutefois la proposition n'est pas de foi. Les théologiens admettent également que les canonisations, telles qu'elles étaient pratiquées jusqu'au XIIe siècle, — et où il suffisait que le témoignage populaire fût ratifié par l'évêque du diocèse pour qu'un personnage fût proclamé saint, — ne ressortissaient pas au magistère infaillible de l'Église. D'ailleurs, c'est un fait que certaines de ces canonisations appelées équipollentes (équivalentes) ont été entachées d'erreur et ont eu pour objet des saints légendaires321. La béatfication, n'étant pas un jugement définitif, n'appartient pas au domaine du magistère infaillible; — g) les censures doctrinales322 dont l'Église frappe certaines propositions. L'Église est infaillible lorsqu'elle applique à une doctrine la note d'hérétique : cette proposition est de foi. Dans les censures suivantes : qu'une doctrine est proche de l'hérésie, erronée, l'Église est également infaillible, d'après l'opinion commune des théologiens. Si elle censure une doctrine comme téméraire, offensive des oreilles pies, improbable, il n'est pas certain que l'Église soit infaillible, mais elle a droit toujours à un religieux assentiment. 392. — 2° Mode d'exercice. — L'Église exerce son magistère infaillible de double manière : extraordinaire ou ordinaire.
outre l'héroïcité des vertus ou le martyre. C'est encore le Pape qui fait promulguer, quand il le juge bon, le décret dit de tuto, permettant de procéder à la Béatification, laquelle a lieu au cours d'une messe, très solennelle où lecture est faite du décret Le Bienheureux peut être désormais l'objet d'un culte public ; ses reliques peuvent être vénérées mais non portées en Procession. Il a droit à un office, concédé à certaines régions ; mais on ne peut pas encore lui dédier une église ni mettre l’auréole à son image — 3. Le dernier procès le procès de canonisation, consiste dans la discussion de deux nouveaux miracles obtenus par l'intercession du Bienheureux depuis sa béatification formelle (can. 2138). S'ils sont admis, le Pape signe un nouveau décret de tuto. Il va enfin trois consistoires, le premier, secret, qui se termine par un vote, le. second, public où un discours est prononcé en faveur de la cause, le troisième semi-public où Fon fait un dernier vote, et où l'on fixe la date de la lecture du décret de canonisation dans la Basilique de Saint-Pierre à Rome (Can. 1999-2141). 321
Dans ce cas, la décision de l'Église qui proclame que tel personnage est saint et digne d'un culte spécial, reste sans application concrète. L'objet formel du culte ne serait pas le damné en tant que tel, mais le personnage fictif dont l'Église honorerait les vertus héroïques supposées. — Qu'il s'agisse par ailleurs de la canonisation formelle ou de la canonisation équipollente, il ne faut pas confondre la canonisation avec les faits historiques, ce qu'on appelle la légende du saint, ni avec l'authenticité de ses restes. Quand elle canonise un personnage, l'Eglise n'entend pas définir la vérité de sa légende ni l'authenticité de ses reliques. 322
On appelle censure doctrinale le jugement porté par l'Église et contenant soit un simple blâme, ou une critique, soit une condamnation totale contre un livre ou une proposition, appréciés au point de vue de la doctrine. Une proposition est dite : — 1. hérétique, lorsqu'elle est directement opposée à la foi catholique ; —.2. proche de l'hérésie, lorsqu'elle est opposée à une doctrine tenue universellement pour vraie, mais non définie; — 3. erronée, lorsqu'elle contredit une vérité révélée, mais non dogmatiquement définie ni universellement reçue, ou bien lorsqu'elle est opposée à une conclusion théologique ; — 4. téméraire, quand la doctrine opposée s'appuie sur de graves arguments d'autorité et de raison ; — 5. offensive des oreilles pies et malsonnante, quand les termes employés vont contre le respect dû aux choses saintes ou que les mots sont impropres et prêtent à de fausses interprétations.
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A. MAGISTÈRE EXTRAORDINAIRE. — L'Église ne fait usage du magistère extraordinaire que dans de rares circonstances : — a) soit par le Pape seul parlant excathedra (V. Nos 398 et 399) ; — b) soit par les Évêques, unis au Pape, et réunis dans des Conciles généraux (V. Nos 414 et suiv.). B. MAGISTÈRE ORDINAIRE ET UNIVERSEL. — On appelle, magistère ordinaire et universel le mode d'enseignement donné par le Pape et les Evêques à tout moment et dans tous les pays (V. Nos 401 et 411). Lorsque Notre-Seigneur a dit à ses apôtres : « Allez, enseignez toutes les nations », il n'a pas limité leurs pouvoirs à un temps et à un endroit donnés. Le Pape et les Évêques doivent donc exercer leurs fonctions de docteurs, non pas seulement à de rares intervalles et dans des circonstances solennelles, mais partout et toujours. § 2. — LE POUVOIR DE GOUVERNEMENT. 393. — Le pouvoir de gouvernement implique un triple pouvoir : — a) le pouvoir législatif, c'est-à-dire le pouvoir, non seulement d'interpréter les lois naturelles, mais même d'imposer les devoirs en vue du bien commun, devoirs qui obligent en conscience les sujets de l'Église ; — b) le pouvoir judiciaire, c'est-à-dire le pouvoir de juger les actions et de porter des sentences ; — c) le pouvoir pénal ou coercitif, c'est-àdire le pouvoir d'appliquer des sanctions proportionnées aux infractions, 1° Existence. — A. ADVERSAIRES. — l’existence du pouvoir de gouvernement a été niée : — a) au XIVe siècle, par les Fraticelles, sectaires fanatiques appartenant à l'ordre des franciscains, qui, prétendant fonder une Eglise spirituelle et invisible, supérieure à l'Église visible, faisaient dépendre le pouvoir de gouvernement de la sainteté personnelle des ministres de l'Église ; — b) au XVIe siècle, par LUTHER et les partisans de la Réforme qui, se fondant sur la théorie de la justification par la foi sans les œuvres, concluaient que l'homme justifié n'était pas tenu à l'observation des commandements de Dieu et de l'Église ; — c) au XVIIe siècle, par les jansénistes et les gallicans qui enseignaient que le pouvoir de J'Église n'allait pas au delà des choses spirituelles, les choses temporelles restant du ressort exclusif du pouvoir séculier. B. PREUVES. — L’existence du pouvoir de gouvernement nous est attestée : — a) par la Sainte Écriture. Elle découle des paroles par lesquelles Notre-Seigneur accorda à ses Apôtres le pouvoir de paître, c'est-à-dire de régir les fidèles, de lier ou de délier, de condamner ceux qui désobéissent à l'Église : « Celui qui vous écoute m'écoute, et celui qui vous méprise me méprise» (Luc, x, 16). « Celui qui n'écoute pas l'Église, qu'il soit considéré comme un païen et un publicain. » ( Mat., XVIII, 17). — b) par la pratique de l'Église. — 1. Les Apôtres ont exercé ce triple pouvoir: — 1) le pouvoir législatif. Au concile de Jérusalem, ils enjoignent aux nouveaux convertis « de s'abstenir des viandes offertes aux idoles, du sang, de la chair étouffée et de l'impureté » (Act., XV, 29). Saint Paul loue les Corinthiens d'obéir à ses prescriptions (I Cor., XI, 2) ; — 2) le pouvoir judiciaire. Saint Paul voue à Satan « Hyménée et Alexandre afin de leur apprendre à ne point blasphémer » (I Tim., I, 20) ; il fait de même pour l'incestueux de Corinthe (I Cor., V, 1, 5) ; — 3) le pouvoir pénal. Saint Paul écrit aux Corinthiens : «
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C'est pourquoi je vous écris ces choses pendant que je suis loin de vous, afin de n'avoir pas, arrivé chez vous, à user de sévérité, selon le pouvoir que le Seigneur m'a donné pour édifier et non pour détruire» (II Cor., XIII, 10). Cette pratique des apôtres suppose manifestement qu'ils avaient reçu de Jésus-Christ le pouvoir de légiférer dans l'Église. — 2. Après les Apôtres, l'Église a, dans tous les temps, exercé le pouvoir de gouvernement. Que ce pouvoir se soit manifesté différemment avec les temps et les circonstances, ce n'est pas douteux ; mais il n'en est pas moins certain que, sous une forme ou sous une autre, l'Église a toujours revendiqué le droit de faire des lois disciplinaires et d'en exiger l'observation. Dans les premiers siècles, le pouvoir de gouvernement apparaît dans les nombreuses coutumes,— concernant l'administration des sacrements, et en particulier du baptême, de la pénitence et de l'eucharistie, — qui sont regardées comme pratiquement obligatoires, dans le rejet et la condamnation de pratiques contraires qui tendent à s'introduire à certains endroits : c'est ainsi que le pape ETIENNE, réprouvant la manière de faire des Églises d'Afrique, défendit de rebaptiser ceux qui avaient reçu le baptême des hérétiques. Puis, avec le temps, et grâce à l'influence que l'Église prit dans la société, la législation ecclésiastique se développa et s'étendit aux questions mixtes telles que le mariage et les biens ecclésiastiques. A partir du moyen âge, l'Église ne se contente plus de faire des lois et d'édicter des pénalités, spirituelles et même temporelles, elle en demande l'exécution à l'autorité séculière. Elle prend du reste si bien conscience de son pouvoir qu'elle n'hésite pas à enseigner, par la bouche de GREGOIRE VII (XIe siècle), qu'en vertu de sa mission divine, elle a le droit de commander, non seulement aux individus, . mais même aux sociétés et à leurs chefs temporels, dans toutes les circonstances et dans la mesure où les intérêts spirituels dont elle a la garde le requièrent. c) Le pouvoir de gouvernement découle en outre des définitions de l'Église. I,'Église a défini, au concile de Trente, le dogme qui affirme son pouvoir législatif. De même les pouvoirs judiciaire et pénal ont été proclamés par le même concile, par plusieurs papes, tels que JEAN XXII, BENOIT XIV, PIE VI. PIE IX a condamné, dans le Syllabus, ceux qui prétendent que « l'Église n'a pas le droit d'employer la force et n'a aucun pouvoir temporel direct ou indirect» (Prop. XXIV). LEON XIII déclare, dans son Encyclique Immortale Dei, que « Jésus-Christ a donné à l'Église, dans la sphère des choses sacrées, le plein pouvoir de faire des lois, de prononcer des jugements et de porter des peines » ; — d) de la nature de l’Église. L'Église est une société parfaite (V. N° 419). En tant que telle, elle est autonome et doit jouir des droits propres à toute société parfaite, donc des trois pouvoirs, législatif, judiciaire et coercitif, qui sont des moyens, sinon nécessaires, au moins très utiles, pour atteindre sa fin. 394. — 2° Objet. — A. Pouvoir législatif, — II est permis de poser en principe général que l'Église, poursuivant une fin surnaturelle, a le pouvoir de légiférer sur tout ce qui touche à cette fin. Il s'ensuit que l'objet de son pouvoir législatif est double : — a) Du côté positif, il comprend le pouvoir de commander tout ce qui est capable d'assurer la fin poursuivie. L'Église peut donc établir des lois disciplinaires sur les sacrements, sur les objets du culte, sur les biens affectés à son usage exclusif. Ce droit, l'Église l'a toujours revendiqué. Déjà, aux premiers siècles, malgré la violence des persécutions qui cherchaient à étouffer sa voix, elle proclame la sainteté et la stabilité du lien conjugal, la liberté des mariages entre esclaves et personnes libres, et bien
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d'autres principes qui étaient en complet désaccord avec la législation de l'époque. Et ainsi fera-t-elle à tous les moments de son histoire, avec ou contre ressentiment de l'autorité civile. — b) Du côté négatif, l'Église a reçu le pouvoir de défendre à ses sujets tout ce qui peut entraver leur fin surnaturelle. Et comme, en définitive, toutes les actions humaines ne doivent jamais être en opposition avec cette fin, le pouvoir gouvernemental de l'Église embrasse, d'une manière directe ou indirecte, tous les actes de la vie individuelle et de la vie sociale. B. Le pouvoir judiciaire et le pouvoir coercitif portent naturellement sur le même objet que le pouvoir législatif. Ils ont pour objet toutes les infractions aux lois ecclésiastiques. 395. — 3° Mode d'exercice. — Comme le mode d'exercice du pouvoir de gouvernement dépend de l'étendue de la juridiction de ceux qui l'exercent, cette question sera traitée plus loin quand nous parlerons des pouvoirs du Pape et des Évêques. Art. III. — Les Pouvoirs du Pape. 396. — Nous avons démontré que Jésus-Christ avait constitué à la tête de son Église un chef suprême, saint Pierre, que l'Évêque de Rome, c'est-à-dire le Pape, était le successeur de saint Pierre dans la primauté (N° 325) et que, de ce fait, il avait la plénitude des pouvoirs conférés par Jésus -Christ à son Église. Il ne nous reste donc plus qu'à déterminer l'objet et le mode d'exercice de ses pouvoirs, doctrinal et de gouvernement. § 1. — LE POUVOIR DOCTRINAL DU PAPE. SON INFAILLIBILITE. 397. — 1° Objet. — Le Pape ayant la plénitude des pouvoirs dans l'Église, il est permis de poser en principe général que l’objet de son pouvoir doctrinal et de son infaillibilité est aussi étendu que celui de l'Église. Tout ce que nous avons dit plus haut (Nos 390 et 391) de l'objet direct et de l'objet indirect du pouvoir doctrinal de l'Église, s'applique donc au pouvoir doctrinal du Pape. 398. — 2° Mode d'exercice. — Le Pape exerce son pouvoir doctrinal de deux manières : — a) d'une manière extraordinaire et solennelle par des définitions excathedra, et — b) d'une manière ordinaire. A. Magistère extraordinaire. Le dogme de l'infaillibilité pontificale. — Nous avons déjà prouvé l'existence de l'infaillibilité pontificale, en nous plaçant au seul point de vue historique. Il convient de revenir sur le sujet, pour bien déterminer la manière dont il faut entendre le domine. a) ADVERSAIRES. — 1. Avant la définition du dogme par le concile du Vatican (1870), l'infaillibilité pontificale avait pour adversaires: — 1) les protestants, pour qui la Sainte Écriture est la seule règle de foi infaillible ; — 2) les gallicans, qui mettaient les conciles généraux au-dessus du pape et qui ne regardaient les définitions
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pontificales comme irréformables que si elles étaient sanctionnées par le consentement de l'Église. Cette erreur, qui avait son origine dans le grand schisme d'Occident, fut soutenue, au XVe siècle, par P. D'AILLY et GERSON, puis, au XVIIe siècle, par RICHER, P. DE MARCA et surtout par BOSSUET, qui condensa la doctrine gallicane dans les quatre articles de la fameuse Déclaration de 1682323. Le gallicanisme, qui était enseigné dans les écoles de théologie françaises et surtout en Sorbonne, fut adopté également en Allemagne, sous le nom de Joséphisme. 2. Après la définition du dogme, l'infaillibilité pontificale a été niée par une fraction minime de catholiques, et, en particulier, par un groupe de catholiques allemands, qui avaient à leur tête DOLLINGER et REINKENS, et qui prirent la dénomination de VieuxCatholiques. Naturellement, les Protestants rejettent tous le dogme, et, la plupart du temps, ne s'en font pas une notion exacte. Les uns confondent l'infaillibilité avec l’omniscience (DRAPER), ou avec l'inspiration (LITTLEDALE) ; d'autres la prennent pour une union hypostatique de l'Esprit Saint avec le Pape (PUSEY). 399. — b) LE DOGME. OBJET ET CONDITIONS DE L'INFAILLIBILITÉ. — Le concile du Vatican a défini ainsi le dogme de l'infaillibilité pontificale : « Le Souverain Pontife, lorsqu'il parle ex-cathedra, c'est-à-dire, lorsque, remplissant la charge de Pasteur et de Docteur de tous les chrétiens, en vertu de sa suprême autorité apostolique, il définit qu'une doctrine sur la foi ou sur les mœurs doit être crue par l'Église universelle, jouit pleinement, par l'assistance divine qui lui a été promise dans la personne du bienheureux Pierre, de cette infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que son Église fût pourvu en définissant la doctrine touchant la foi et les mœurs. Par conséquent de telles définitions sont irréformables d'elles-mêmes, et non en vertu du consentement de l'Église. »324 Comme il résulte de ces paroles, l'infaillibilité pontificale a son objet bien délimité et requiert des conditions précises. Pour jouir de l'infaillibilité, il faut que le Parle excathedra325, ce qui implique quatre conditions. Il faut : —1. qu'il remplisse la charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens. En tant que docteur privé, il n'est donc
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Voici la substance de ces articles : — 1. Les rois et les princes sont indépendants des papes dans l'ordre temporel. — 2. Les Conciles généraux sont supérieurs au pape. — 3. Le pontife romain, dans l'exercice de son autorité, doit se conformer aux canons. — 4. Ses jugements, en matière de foi, ne sont irréformables que s'ils ont été confirmés par le consentement de l'Église.
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Const. Pastor aeternus, chap. IV.
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Ex-Cathedra (lat. : du haut de la chaire). Cette expression employée depuis longtemps pour désigner le magistère infaillible du pape, et consacrée par la définition du Concile du Vatican, vient de ce que la chaire, ou le siège, d'où l’Evêque instruisait primitivement le peuple, symbolise à la fois l'autorité épiscopale et son enseignement lui-même. La Chaire de Pierre, le Siège apostolique et le Saint-Siège sont donc des expressions identiques qui désignent l'autorité doctorale du Pape. Pareille expression se trouve déjà dans la Sainte Écriture. Notre-Seigneur ne dit-il pas ( Mal., XXIII, 2) que « les Scribes et les Pharisiens sont assis dans la chaire de Moïse », pour indiquer qu'ils sont, dans la religion juive, les représentants de Moïse et ont le droit d'enseigner?
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pas infaillible ; dans ses écrits comme dans ses sermons il peut se tromper326. Sans doute, l'infaillibilité lui est personnelle ; elle est bien attachée à sa personne et non au Siège apostolique, et elle ne peut être communiquée ou déléguée à aucun autre, mais elle n'est personnelle que dans la mesure où le Pape remplit la charge de docteur universel ; — 2. qu'il définisse, c'est-à-dire qu'il tranche, d'une manière définitive, une question jusque-là controversée ou non ; — 3. qu'il définisse la doctrine sur la foi ou les mœurs, c'est-à-dire les vérités révélées qu'il faut croire ou pratiquer, et les vérités connexes aux vérités révélées. En dehors de cet objet, par exemple, sur le terrain des sciences humaines, le pape est, comme tout homme, sujet à l'erreur. L'infaillibilité pontificale n'est donc pas un pouvoir arbitraire et ridicule contre lequel il y ait lieu de s'insurger ; — 4. qu'il définisse avec l'intention d'obliger toute l'Église : il va de soi, en effet, qu'une doctrine définie impose à toute l'Église l'obligation d'y adhérer. Mais comment reconnaître que le pape a eu l'intention d'obliger toute l'Église ? Les qualifications d'hérésie et d'anathème sont le signe ordinaire des définitions, mais il convient de remarquer qu'elles n'en sont pas la forme obligatoire ni par conséquent la seule forme. Il suffit que, de la teneur même du document, du langage employé, alors même que le document ne serait pas adressé à l'Église universelle327, il résulte que le Souverain Pontife a entendu proposer à tous les fidèles un enseignement obligatoire concernant une question de la foi ou de la morale. 400. — REMARQUES. — 1) L'infaillibilité du pape a pour principe l’assistance que Notre-Seigneur a promise à saint Pierre et à ses successeurs (V. Nos 330 et suiv.), mais elle ne dispense pas du travail et de l'emploi des moyens humains pour connaître la vérité. Ces moyens sont les conciles et, d'une manière ordinaire, les conseils des cardinaux, des évêques et des théologiens. — 2) De l'infaillibilité du pape, il serait absurde de conclure à l'impeccabilité. Les deux choses sont sans rapport, et il est évident que le privilège de l'infaillibilité n'entraîne pas avec soi celui de la vertu : un pape peut donc être un grand pécheur, tout en gardant son infaillibilité. — 3) Les définitions pontificales sont irréformables par elles-mêmes, et non par le consentement de l'Église : l'infaillibilité pontificale est indépendante de l'acceptation des évêques. — 4) L'infaillibilité du pape, bien qu'elle n'ait été définie qu'en 1870, a toujours été reconnue dans l'Église (V. N° 337). Il faut donc la considérer, non comme une innovation doctrinale, mais comme une affirmation solennelle et explicite d'une vérité contenue dans l'Évangile et la Tradition. 326
Les théologiens vont plus loin et se demandent si le pape, en tant que docteur privé, peut tomber dans l'hérésie et y adhérer sciemment et obstinément. Ils répondent généralement qu'il peut accidentellement, et par ignorance, errer sur la foi, mais, vu la divine Providence, ils ne supposent pas qu'il puisse persévérer dans son erreur et devenir hérétique formel. Que si la chose arrivait, ils sont d'avis qu'un pape, du fait même qu'il serait formellement hérétique, ne serait plus membre de l'Église, et, a fortiori, ne pourrait plus en être le chef. Il serait, dans ce cas, déclaré privé de sa dignité par le corps des évêques, et, d'après PALMIERI, dépouillé par Dieu lui-même de sa juridiction suprême. 327
Nous en avons un exemple dans la conduite d'iNNOCENT I qui envoya un décret aux Églises d'Afrique condamnant l'erreur de Pelage, et définissant la doctrine sur la grâce, non seulement pour l'Eglise à laquelle le décret était adressé, mais pour l'Eglise universelle.
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On objecte que l'autorité du Pape, dans l'hypothèse de son infaillibilité, constitue un pouvoir absolument despotique et supprime toute liberté de penser. — Réponse. Faisons observer d'abord qu'il n'y a pas plus de despotisme dans l'autorité infaillible du Pape que dans celle de l'Écriture. Si les catholiques manquaient de liberté de penser parce qu'ils doivent obéir aux jugements irréformables du Pape, les protestants n'en auraient pas plus puisqu'ils sont liés par les textes de l'Écriture. Les définitions solennelles du Pape ne sont du reste pas autre chose que l'interprétation authentique des sources de la Révélation. Par ailleurs, c'est une notion fausse de la liberté de penser, que de la considérer comme la faculté d'embrasser l'erreur. Or obéir à un décret infaillible, c’est tout simplement adhérer librement à une vérité reconnue comme certaine. 401. — B. Magistère ordinaire. — Le Pape exerce son magistère ordinaire soit directement et par lui-même, soit indirectement par l'intermédiaire des Congrégations romaines. a) DIRECTEMENT. — Le Pape peut proposer des vérités aux fidèles, même sans intention de les définir infailliblement. — 1. Ainsi le Pape fait connaître ses décisions dans ses Constitutions dogmatiques généralement publiées à la suite d'un autre document. — 2. Il expose ses vues : 1) dans ses Encycliques ou lettres circulaires adressées soit à tous les Évêques, soit à ceux d'une nation seulement ; — 2) dans ses Lettres apostoliques.: forme qu'il emploie, par exemple, pour annoncer un jubilé : — 3. dans ses Allocutions consistoriales prononcées devant les cardinaux ; et — 4, dans ses Brefs, lettres qu'il adresse à des particuliers. L'un des plus importants, parmi ces sortes de documents publiés depuis un siècle, a été, sans doute, en 1864, l'Encyclique Quanta cura suivie du Syllabus, ou recueil de quatre-vingts propositions contenant les principales erreurs de notre temps, et que Pie IX condamnait à nouveau. Les enseignements pontificaux, quelle qu'en soit la forme, et alors même que le Pape n'en fait pas l'objet de définitions solennelles, ont toujours droit à notre assentiment intellectuel, tout au moins à titre provisoire. Nous disons à titre provisoire, car, au lieu que les dogmes sont des jugements irréformables qui entraînent avec soi une certitude absolue et définitive, les autres enseignements du Souverain Pontife, si respectables qu'ils soient, n'excluent pas la possibilité d'amendements ultérieurs. 402. — INDIRECTEMENT. — Le Pape exerce son magistère ordinaire indirectement parla Congrégation du Saint-Office dont nous parlerons plus loin (V. N° 406), quand il sera question des Congrégations romaines. Autorité des décrets portés par la Congrégation du Saint-Office. — L'autorité de ces décrets dépend de la manière dont ils sont promulgués. Le Pape peut en effet les approuver de deux façons, soit solennellement in forma speciali, soit d'une manière commune, in forma communi. — 1. Si l'approbation est donnée solennellement, c'est-à-dire quand le Pape promulgue le décret en son nom, et qu'il en devient ainsi l'auteur juridiquement responsable, le décret prend la valeur d'un acte pontifical, et peut être infaillible s'il réunit les conditions voulues (ex : les décrets de PIE V contre BAIUS et d'INNOCENT X contre JANSENIUS). Mais il arrive souvent que le Pape n'entend pas prononcer un jugement définitif, une définition ex-cathedra. Dans ce dernier cas, notre assentiment doit être,
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non absolument ferme comme dans l'acte de foi, mais sincère et intérieur, — 2. Si l'approbation est donnée in forma communi, c'est-à-dire, quand le Pape approuve le décret comme acte de la Congrégation, le décret est et reste un acte de la Congrégation : il n'est donc pas infaillible, puisque l'infaillibilité pontificale est incommunicable ; il a cependant une grande autorité et a droit, sinon à un assentiment absolu, du moine à une prudente adhésion. Celui qui aurait des raisons graves de croire que la décision. est erronée, n'aurait pas le droit de la combattre ni par paroles ni par écrits, mais il pourrait exposer respectueusement ses motifs de doute à la Sacrée Congrégation. § 2. — LE POUVOIR DE GOUVERNEMENT DU PAPE. 403. — 1° Objet. — Le Pape ayant le pouvoir suprême de juridiction, il peut : — a) faire des lois pour toute l'Église, les abroger s'il le juge bon, ou en dispenser ; il peut même dispenser des lois portées par les évoques ; — b) instituer les évêques ou déterminer le mode de les instituer ; il peut même les déposer pour des raisons graves et lorsqu'il y va du bien de l'Église ; ce qui arriva en 1801, lorsque Pie Vil enjoignit à tous les évêques français de démissionner ; — c) convoquer les conciles ; — d) prononcer des sentences définitives. On ne peut donc, sur le terrain de la discipline, pas plus que sur les questions de dogme et de morale, en appeler du Pape à l'Église universelle, au concile œcuménique, ou bion du Pape que l'on prétendrait mal informé à un Pape mieux informé, comme le soutenaient autrefois les gallicans. 2° Mode d'exercice. — Comme le Pape ne peut exercer seul sa juridiction ordinaire et immédiate dans le monde entier, il se sert de légats ou nonces, et des cardinaux résidant à Rome. Nous n'insisterons pas ici sur les fonctions des légats et des nonces328 ; d'un mot, on peut les appeler soit les représentants du Pape, soit ses ambassadeurs auprès d'un gouvernement étranger. Nous nous arrêterons un peu plus longuement sur le Sacre-Collège des cardinaux et sur le rôle qu'ils jouent, particulièrement dans les Consistoires et les Congrégations romaines. 404. — LE SACRÉ-COLLÈGE DES CARDINAUX. — 1. Origine. Pour comprendre la constitution du Sacré-Collège, quelques notions préliminaires sur l’origine des cardinaux sont nécessaires. Primitivement, le mot cardinal (du lat. cardo, gond, point d'appui) désignait soit un évêque, soit un prêtre, soit un diacre, attaché de façon stable à une église ou à un titre 328
Légats et Nonces. — Primitivement, tous les représentants du Pape soit auprès d'une cour étrangère, soit auprès d'un Concile, portaient le nom de légats. Au moyen âge il y avait trois sortes dé légats : — a) les légats-nés qui étaient des archevêques chargés de représenter le pape d'une manière permanente dans un royaume ou dans une province ; — b) les légats envoyés (les missi) qui jouaient auprès des princes le rôle d'ambassadeurs ; — c) les légats a latere, ou, d'après le sens des mots latins, les légats du côté, ceux qui viennent du voisinage du pape, c'est-à-dire qui ont reçu de lui les pouvoirs les plus étendus. Le légat-né n'est plus aujourd'hui qu'un titre honorifique. Les légats envoyés sont remplacés par les nonces (lat. n un (tus, messager) lesquels sont de véritables ambassadeurs du pape et le représentent, en tant que chef spirituel,—et, avant 1870, en tant que chef temporel, — auprès des princes et des gouvernements. La charge de légat a latere existe toujours, mais elle consiste en une mission temporaire.
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ecclésiastique, qui devenait, de ce fait, son point d'appui, le centre de son activité. L'on peut donc reporter l'origine de l'institution cardinalice à la primitive Église et en voir les traces dans le presbytérium composé de prêtres et de diacres qui avaient pour mission d'aider l'évêque dans son ministère. Plus que tout autre, l'Évêque de Rome, en raison de sa lourde tâche, devait éprouver le besoin d'assistance. Aussi le voyons-nous, dès les premiers siècles, entouré d'un corps de diacres chargés du soin des pauvres et d'un corps de prêtres qui devaient remplir leur ministère, dans l'église même du pontife, ou dans d'autres églises paroissiales, qui prirent la dénomination de titres. Le nom de cardinal, d'abord générique et indéterminé, fut par la suite réservé au clergé des églises cathédrales, puis peu à peu il devint un titre exclusif de l’Église romaine qui peut être considérée comme le cardo, le vrai point d'appui de l'unité de l'Eglise. 2. Nombre. — Le nombre des cardinaux a varié avec les époques. A la fin du XVIe siècle, le pape SIXTE-QUINT fixa le nombre des cardinaux-diacres à 14, celui des cardinaux-prêtres à 50, et celui des cardinaux-évêques à 6 : trois classes par conséquent, non pas fondées, comme on pourrait le croire, sur le pouvoir d'ordre, mais sur le titre ecclésiastique assigné à chaque élu au moment de sa promotion. Depuis lors, le Sacré-Collège comprend donc, en droit, 70 membres, à la tête desquels se trouve un doyen ; mais ce nombre est rarement complet. 3. Rôle. — Le rôle des cardinaux consiste dans une double fonction: extraordinaire et ordinaire. — 1) Leur fonction extraordinaire est de se réunir en conclave329 le plus tôt 329
Conclave (lat. cum, avec, clavis, clef). Ce mot désigne : 1. soit le local, rigoureusement fermé à clef, où les cardinaux se réunissent pour procéder à l'élection d'un nouveau pape ; — 2. soit l'assemblée elle-même. Voici les principales règles, établissant le mode d'élection du pape, qui furent formulées par GREGOIRE X, au 2e concile œcuménique de Lyon (1274). 1. Les cardinaux doivent se réunir dans les dix jours, — délai porté par PIE XI (1922) à 15 ou 18 jours, — qui suivent la mort du pape, dans un endroit si bien fermé que nul ne puisse y entrer ni en sortir. — 2. Personne du dehors ne doit communiquer avec eux, ni de vive voix ni par écrit, sous peine d'excommunication ipso facto. — 3. Le conclave doit se tenir dans le palais qu'habitait le pontife défunt, ou, s'il est mort en dehors de la cité où il résidait avec sa cour, dans la ville dont dépend le territoire où le pape est mort. Quant au mode de scrutin, l'élection peut se faire : — 1) soit par scrutin secret et à la majorité des deux tiers des votants. — 2. soit par compromis, si, par suite de graves divergences de vues parmi les cardinaux sur le sujet à élire, ils donnaient mandat à quelques-uns d'entre eux pour le choix à faire. Ainsi fut élu GREGOIRE X à la suite d'une vacance du siège qui ne dura pas moins de trois ans ; — 3. soit par acclamation. Les deux derniers modes n'existent plus qu'en théorie. Après chaque scrutin, les bulletins qui ont été déposés dans un calice, sont immédiatement brûlés. Le droit de veto ou d'exclusive. — Trois grandes nations catholiques : la France, l'Espagne et l'Autriche ont revendiqué longtemps ce qu'on appelle le droit de veto ou d'exclusive. En voici l'origine et le caractère. De tout temps, les souverains ont attaché une très grande importance à l'élection du pape et ont cherché à faire nommer le candidat de leur choix. Mais, vu le nombre des cardinaux, la chose leur était presque impossible. Ne pouvant donc réussir à faire élire qui ils voulaient, ils se sont arrogé le droit d'écarter ceux voulaient pas. Ce prétendu droit d'exclusive n'a jamais eu aucune valeur juridique , en s'y soumettant, les cardinaux ont simplement voulu faire preuve de condescendance a l'égard de souverains de qui ils avaient intérêt à ménager les bonnes dispositions. Comme l'exclusive ne pouvait être prononcée qu'une seule fois par conclave et contre un seul sujet, il ne pouvait jamais y avoir que trois noms d’éliminés : il restait donc assez de choix de cardinaux. Depuis cent ans, l'Autriche usa de son droit d'exclusive à toutes les élections pontificales, mais elle ne put empêcher ni
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possible après la mort du Pape, et de lui élire un successeur. Ce droit leur a été attribué, à l'exclusion du clergé inférieur et du peuple, par un canon du troisième concile œcuménique de Latran (1179). — 2) Leur fonction ordinaire est d'aider le Souverain Pontife dans le gouvernement de l'Église. Ce concours habituel, ils le prêtent dans les consistoires et les congrégations. 405. — A.. CONSISTOIRES. — Les consistoires pontificaux sont les assemblées des cardinaux présents à Rome présidées par le pape. Ces réunions avaient lieu autrefois deux ou trois fois par semaine et traitaient presque toutes les affaires importantes ; elles sont devenues beaucoup plus rares et ne se tiennent plus qu'à des intervalles irréguliers. Les consistoires sont secrets ou publics : — 1. secrets, si les cardinaux seuls y sont admis. Il y est question de la création de nouveaux cardinaux330, de la nomination des évêques et des différents dignitaires de la cour épiscopale, etc. ; — 2. publics, quand d'autres prélats et des représentants des princes séculiers peuvent y assister. Les consistoires publics ont pour objet particulier une canonisation (N° 391, n.), la réception d'un ambassadeur, le retour d'un légat a latere, ou autres affaires d'intérêt général. 406. — B. CONGRÉGATIONS ROMAINES. — Les affaires ecclésiastiques étant trop nombreuses pour être réglées toutes dans des consistoires, il a été établi des congrégations, des tribunaux et des offices particuliers, qui ont reçu la mission de traiter toutes les questions assignées à leur département propre. La constitution Sapienti consilio de PIE X (29 juin 1908) ne maintient que onze congrégations proprement dites, outre les trois tribunaux de la Sacrée Pénitencerie, de la Rote, de la Signature apostolique, et les cinq offices ou secrétaireries. Depuis, le pape BENOIT XV a supprimé la congrégation de l'index et a attribué son ministère à la congrégation du Saint-Office ; d'autre part, il a fondé une nouvelle congrégation, celle des Églises orientales, de sorte que le nombre des congrégations reste fixé à onze. Ces onze Congrégations sont : 1) La Congrégation du Saint-Office ou de l’Inquisition.— Le Saint-Office, la congrégation la plus ancienne et la plus importante par ses attributions, a pour but premier la conservation et la défense de la foi et de la discipline ecclésiastique. Mais l'on comprend aisément que « pour atteindre cette fin, il a fallu lui donner juridiction et compétence sur les délinquants. Son autorité eût été purement illusoire, s'il n'avait eu le pouvoir de réprimer les contempteurs de la foi et des saints canons. » D'où il suit que « secondairement, mais véritablement, le Saint-Office est un tribunal proprement dit, ayant un réel pouvoir judiciaire. Il peut, par voie d'inquisition, conformément à la procédure canonique usitée, juger et condamner les coupables. Bien plus, et ceci est l'élection de Pie IX, ni celle de Léon XIII, la première à cause du retard de celui qui était chargé, la seconde parce qu’elle se fit trop rapidement. L’on sait que Pie X, élu après l’exclusive contre le candidat le plus favorisé, le Cardinal Rampolla, aboli aussitôt ce droit pas sa constitution Commissum nobis (20 janvier 1904) 330
Sur ce point, comme sur les autres, les cardinaux n'ont que voix consultative. C’est au Pape seul qu’il appartient de créer de nouveaux cardinaux ; mais il le fait parfois à la demande de certains Etats Catholiques. C’est ainsi que, en vertu d’une vieille coutume, la France, l’Espagne, l’Autriche et le Portugal ont droit à un cardinal du curie qui représente leurs intérêts auprès du Saint Siège.
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particulier à cette congrégation et la différencie des autres, dans le for contentieux, le Saint-Office jouit d'un véritable pouvoir coercitif ; il peut employer des moyens coactifs »331. Étant donnée l'importance de cette congrégation, le Pape en est toujours le préfet. A ce tribunal rassortissent tous les crimes d'hérésie, de schisme, les graves délits contre les mœurs, tous les cas de sortilège, de magie, de spiritisme. Il a plein pouvoir pour apprécier les doctrines qu'il qualifie sous les titres d'erronée, d'hérétique, de proche de l'hérésie, de téméraire, etc. Il a le droit de juger et de condamner les livres et de les inscrire au catalogue de l'Index332. 2. La Congrégation consistoriale. — Présidée par le Pape, elle a pour mission de préparer ce qui doit être traité en consistoire. Elle s'occupe en outre de tout ce qui se rapporte au gouvernement de tous les diocèses (choix des évêques, création et administration des diocèses), à l'exception de ceux qui sont soumis à la congrégation de la Propagande. 3. La Congrégation de la discipline des Sacrements. — Cette congrégation, fondée par Pie X, a pour but de trancher toutes les questions disciplinaires relatives aux sacrements, sans s'occuper des questions de doctrine qui relèvent du Saint-Office. 4. La Congrégation du Concile. — Primitivement instituée (1564) pour faire exécuter et observer par toute l'Église les décrets du Concile de Trente, cette congrégation, depuis PIE X, a pour objet tout ce qui concerne la discipline générale du clergé séculier et des fidèles. Elle doit veiller à ce que les préceptes de l'Église : sanctification des fêtes, pratique du jeûne, de l'abstinence, etc., soient bien observés. Elle règle tout ce qui regarde les curés, les chanoines, les pieuses associations, les bénéfices ou offices ecclésiastiques. Elle s'occupe de tout ce qui concerne la célébration, la révision des conciles particuliers... les assemblées, réunions ou conférences épiscopales. 5. La Sacrée Congrégation des Religieux. — La compétence de cette congrégation est restreinte aux affaires qui concernent les religieux des deux sexes, à vœux solennels ou simples, aux communautés, aux groupes, qui ont la vie en commun à la façon des Religieux, 6. La Sacrée Congrégation de la Propagande. — Établie pour propager la foi parmi les infidèles, les hérétiques, toutes les sectes dissidentes, cette congrégation a juridiction sur tous les pays de missions, là où la hiérarchie catholique n'est pas encore complètement constituée. « Les religieux travaillant dans les missions relèvent de la Propagande en tant que missionnaires ; mais, comme religieux, soit individuellement, soit en corps, ils dépendent de la Congrégation des Religieux .»333 La Propagande possède à Rome un séminaire, où l'on forme ceux qui se destinent aux missions. 7. La Sacrée Congrégation des Rites s'occupe des rites et cérémonies (messe, offices divins, sacrements) et en général de tout ce qui concerne le culte dans l'Église latine. Elle s'occupe aussi des Reliques ; à elle sont réservées les causes de béatification et de 331
L. CHOUPIN, art. Des congrégations romaines. Dict. d'Alès.
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Autrefois, lorsque le Saint-Office avait rendu sa sentence de condamnation, celle-ci était enregistrée et publiée par la Sacrée Congrégation de l'Index, laquelle avait en outre le droit d'accorder les dispenses qu'elle estimait nécessaires. 333
Voir, pour toute cette question des Congrégations, l'art. Congrégations romaines du. P. CHOUPIN (Dict. d'Alès).
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canonisation. 8. La Congrégation cérémoniale s'occupe des cérémonies pontificales, de la réception des ambassadeurs, des questions de préséance et d'étiquette. 9. La Congrégation des Affairés ecclésiastiques extraordinaires s'occupe des affaires que lui soumet le Souverain Pontife par l'intermédiaire du Cardinal Secrétaire d'État334 et principalement de celles qui regardent les lois civiles, les concordats conclus ou à conclure avec les divers gouvernements. 10. La Sacrée Congrégation des Séminaires et Universités a la haute administration sur toutes les Universités et Facultés catholiques du monde entier. Elle veille à la pureté de la doctrine et travaille à promouvoir les études sacrées. Elle accorde aux Facultés le pouvoir de conférer les grades académiques. 11. La Sacrée Congrégation des Églises orientales. — Érigée en 1917, elle est présidée par le Pape, elle doit s'occuper des Églises d'Orient qui rentraient autrefois dans la Congrégation delà Propagande. (Can. 247-257). 407. — COMMISSION BIBLIQUE. — A côté des onze Congrégations qui précèdent, il faut citer la Commission biblique, instituée par Léon XIII' en 1902 (bref Vigilantiae) dans le but de promouvoir les études bibliques et de les protéger contre l'erreur et la témérité. Organe officiel d'un rang inférieur aux Congrégations, la Commission biblique avait également une autorité moins grande, mais PIE X, par son Motu proprio « Praestantia» du 18 novembre 1907, l'a mise sur le même rang que les congrégations romaines. La Commission biblique « ost formée, comme le déclare le décret pontifical, d'un certain nombre de cardinaux, illustres par leur doctrine et leur prudence ». Ils constituent seuls la Commission biblique proprement dite, et seuls, ils sont juges de toutes les questions d'Écriture Sainte, soumises à leur examen. Mais le Pape leur adjoint des consulteurs qu'il choisit « parmi les savants dans la science théologique des Livres Saints, hommes différents de nationalité et dissemblables par leurs méthodes et leurs opinions en fait d'études exégétiques », afin de « donner dans la Commission, accès aux opinions les plus diverses, pour qu'elles y soient, en toute liberté, proposées, développées et discutées » (Motu proprio). Les consulteurs rédigent, sur les questions soumises à la Commission, des rapports qui sont communiqués aux cardinaux, membres de la Commission, présentent leurs observations motivées, dans des séances spéciales. Mais les questions ne sont tranchées que par les Cardinaux, réunis en séance plénière. Leurs conclusions sont alors soumises au Souverain Pontife « pour être publiées après avoir reçu son approbation » donnée ordinairement dans la forme commune. Au point de vue juridique, les décisions de la Commission biblique ont exactement la même valeur que les décrets doctrinaux des Sacrées Congrégations approuvés par le Pape (Voir N° 402).
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Le Cardinal secrétaire d'État est une sorte de ministre des Affaires étrangères, qui a pour mission de se tenir en rapport constant avec les ambassades et les nonciatures. C'est une des fonctions les plus importantes avec celle du Cardinal-Vicaire qui est chargé de l'administration du diocèse de Rome.
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408. — Les tribunaux romains sont : — 1. la Sacrée Pénitencerie dont la juridiction s'étend exclusivement aux affaires de for interne335, même non sacramentel : absolution des péchés réservés, solution des cas de conscience, dispenses de vœux, d'empêchements occultes de mariage, concession des indulgences ; — 2. la Rote, supprimée en 1870 et rétablie par PIE X, traite les causes contentieuses, civiles ou criminelles. Elle « est ainsi constituée cour d'appel pour toutes les curies ecclésiastiques du monde entier... Toutefois la Rote juge en première instance toutes les affaires que le Souverain Pontife lui confie de son propre mouvement, ou sur la demande d»s parties... Rappelons-nous que tous les fidèles ont le droit absolu de demander à être jugés à Rome ; on peut toujours recouru au Souverain Pontife, qui est le Père commun de tous les chrétiens »336 ; — 3. la Signature apostolique qui est la cour de cassation de la Rote et reçoit les recours en cassation de jugements attaqués pour vices de forme et les demandes en révision. 409. — Les Offices sont : — 1. la Chancellerie apostolique qui a pour office d'expédier, sur l'ordre de la Congrégation consistoriale ou du Pape, les lettres apostoliques, les bulles avec k sceau de plomb (sub plumbo) relatives à la provision des bénéfices et des offices consistoriaux, à l'institution des nouveaux diocèses, chapitres et à d'autres affaires majeures ; — 2. la Daterie apostolique qui expédie les lettres apostoliques pour la collation des bénéfices non consistoriaux réservés au Saint-Siège ; — 3. la Chambre apostolique à qui est attribuée l'administration des biens et droits temporels du Saint-Siège, principalement pendant la vacance du siège ; — 4. la Secrétairerie d'État qui comprend trois sections : la section des Affaires extraordinaires, la section des Affaires ordinaires et la secrétairerie des Brefs ; — 5. les secrétaireries des Brefs aux princes, et des Lettres latines, à qui incombe le soin d'écrire en latin les Actes du Souverain Pontife (can. 260-264). Art. IV. — Les Pouvoirs des Évêques. Les Évêques peuvent être considérés : — a) soit individuellement ; — b) soit en corps et unis avec le Pape. § 1. — POUVOIRS DES ÉVEQUES PRIS INDIVIDUELLEMENT. 410. — Préliminaires. — Quelques remarques préliminaires sont nécessaires pour bien comprendre l'étendue des pouvoirs des Évêques, considérés individuellement. — a) Bien que les Évêques soient appelés, et soient vraiment les successeurs des Apôtres, il ne faut pas oublier qu'ils n'en sont les successeurs que pris en corps. La juridiction 335
Le mot for (lat .forum, tribunal) signifie tribunal, juridiction. Le for interne désigne l ' donc la juridiction, l'autorité de l'Église sur les âmes et sur les choses spirituelles, autre-! ment dit, sur les choses de la conscience. Le for externe est, au contraire, la juridiction de l'Eglise sur les choses temporelles, sur les actes extérieurs.
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CHOUPIN, art. cit.
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de l'ensemble du collège épiscopal est donc égale à celle du collège apostolique, mais la juridiction de chaque évêque n'est pas égale à celle de chaque apôtre : celle-ci était universelle, celle-là au contraire est limitée. — b) Ce premier point établi et hors de discussion, la juridiction épiscopale procède-t-elle immédiatement de Dieu ou du Souverain Pontife? Les deux opinions ont été soutenues337. Ilimporte peu, du reste, car elles aboutissent toutes deux, en fin de compte à la même conclusion. Tous les théologiens, en effet, admettent que le pouvoir épiscopal, même s'il est conféré immédiatement par Dieu, dépend, dans son exercice, du Souverain Pontife, lequel choisit ou approuve le sujet338 et délimite la circonscription et l'étendue de sa juridiction. — c) Cependant, quoique dépendants du Pape, les évêques ne sont pas de simples délégués : ils jouissent d'une juridiction ordinaire et qui leur est propre, 411. — 1° Leur pouvoir doctrinal. — Comme les Evêques ont dans leur diocèse une juridiction ordinaire, ils jouissent, dans les limites des circonscriptions qui leur sont assignées, du même pouvoir que le Pape dans le monde entier, h'objet de leur pouvoir doctrinal est donc, toutes proportions gardées, le même que celui du Pape : il embrasse la Révélation tout entière et ce qui lui est connexe. Cependant, les Évêques ne jouissant pas individuellement du privilège de l'infaillibilité, il convient que, dans les controverses importantes sur les questions de foi, ils en réfèrent au Souverain Pontife. Ils doivent veiller à la propagation et à la défense de la religion : ce qu'ils font généralement par leurs lettres pastorales et leurs mandements. Ils ont le droit et le devoir de prohiber les mauvais livres, les mauvaises publications. Tous les livres qui traitent des questions de fois de morale, de culte et de discipline ecclésiastique doivent 337
Ceux qui adoptent la première opinion prétendent que la juridiction suit le pouvoir d'ordre et, comme le pouvoir d'ordre vient directement de Dieu, il en est de même du pouvoir de juridiction, bien que celui-ci reste en suspens jusqu'à la désignation d'un diocèse Les partisans de la seconde opinion, d'ailleurs généralement admise, pour prouver que la juridiction épiscopale vient immédiatement du Souverain Pontife, allèguent au contraire, et à juste titre, que le pouvoir de juridiction ne peut dériver du pouvoir d'ordre puisqu'il lui est antérieur, les évêques régulièrement nommés et confirmés par le Pape ayant déjà juridiction sur leur diocèse, et pouvant l'exercer, avant leur consécration, et aussitôt qu'ils ont montré leurs Bulles de provision au chapitre (Can. 334). 338
Nous disons que le Pape choisit ou approuve, car les nominations d’évêques varient avec les temps et les pays. A. Dans l’Eglise d’occident, l’on peut distinguer quatre systèmes. Les nominations se font : — 1. soit par le libre choix du pape qui désigne le sujet à son gré : système pratiqué en France, en Italie, en Belgique, au Brésil, au Mexique et dans les vicariats apostoliques ; — 2. soit par présentation des chefs d'Etats, dans les pays qui sont régis 'par un concordat : Autriche-Hongrie, Espagne, Portugal, Pérou, Alsace-Lorraine j — 3. soit sur une proposition de noms, comme cela se passe aux États-Unis, au Canada, en Hollande, en Angleterre, en Irlande, Les curés inamovibles se réunissent sous la présidence du métropolitain et proposent une liste de trois noms, à laquelle les évêques de la province peuvent en ajouter plusieurs : liste qui est alors présentée au Pape, sans qu'il y ait obligation pour lui de choisir l'un des noms mentionnés ; — 4. soit par élection capitulaire. Certains chapitres, comme ceux de Suisse. d'Allemagne, sauf celui de Bavière, des évêchés autrichiens de Salzbourg et Olmutz, ont le privilège d'élire leur évêque ; mais leur nomination doit être confirmée par le Pape. B. Dans l'Église d'Orient, depuis Pie IX, les évêques sont choisis dans une liste de trois noms proposée par les évêques du patriarcat, et les patriarches sont élus par les évêques seuls, sauf à être confirmés par le Pape.
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dès lors être contrôlés par eux et ne peuvent s'imprimer sans leur approbation, ou imprimatur. 412. — 2° Leur pouvoir de gouvernement. — a) Au point de vue législatif, l'Évêque gouverne tous les fidèles de son diocèse au for interne et au for externe. Il peut donc porter des lois, préparées ou non en synode339 diocésain, sur tout ce qui concerne la foi, le culte et la discipline : mais il doit toujours agir en dépendance du Souverain Pontife et de la loi commune de l'Église. — b) Au point de vue judiciaire, l'Evêque juge en première instance. Il exerce ce pouvoir par ce que l'on appelle l’Officialité diocésaine, tribunal présidé par un prêtre, appelé Officiai, qui, sauf des cas exceptionnels, doit être distinct du Vicaire général (Can. 1573 § 1). — c) Ait point de vue coercitif, l'Evêque peut frapper de peines canoniques et de Censures les délinquants, qui gardent toujours le droit d'en appeler au Métropolitain et au Pape. § 2. — POUVOIRS DES ÉVEQUES PRIS EN CORPS. Le collège des Évêques, pris dans son ensemble et en union avec le pape, peut être considéré soit dispersé dans le monde, soit assemblé en concile œcuménique. 413. — 1° Les Évêques dispersés. — II n'est pas nécessaire que les Évêques se réunissent en concile général pour être infaillibles. Même dispersés, ils forment le corps enseignant de l'Église et ne jouissent pas moins de l'infaillibilité. Quand Jésus a promis à ses Apôtres d'être avec eux jusqu'à la fin des siècles, il n'a pas mis la condition qu'eux ou leurs successeurs devaient se réunir à un endroit quelconque pour obtenir son assistance. Du reste, le consentement unanime de l'Église a toujours été reconnu comme une des meilleures preuves de la vérité de la doctrine, et saint VINCENT DE LERINS a pu poser cette règle qu'il faut croire « ce qui a été cru partout, toujours et par tous ». Au surplus, que les choses doivent être ainsi, la raison nous le dit., ce n'est pas seulement dans des circonstances exceptionnelles, mais en tout temps, que l'épiscopat est chargé de renseignement ; donc, à tout moment, il doit avoir le privilège de l'infaillibilité. Aussi, avant le premier concile œcuménique qui n'a eu lieu qu'au début du IVe siècle (en 325 à Nicée) le magistère ordinaire du corps épiscopal avait déjà amené le dogme à un haut degré de développement. L'Église enseignait déjà d'une manière explicite les dogmes de la Trinité et de la divinité de Jésus-Christ, de la Rédemption, de la virginité et de la maternité divine de Marie, les éléments du dogme du péché originel ; elle avait presque fixé sa doctrine sur les principaux sacrements, entre autres, sur le baptême, sur la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie, à la fois sacrement et sacrifice, etc. Les conciles qui se tiendront à partir de cette date, ne feront le plus souvent que préciser les points encore discutés et donner une autorité plus ferme à la croyance déjà établie.
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On appelle Synode diocésain la réunion officielle d'une partie du clergé diocésain qui doit avoir lieu dans chaque diocèse, au moins tous les dix ans, pour traiter des questions qui concerne le clergé et le peuple (can. 356). L’Evêque seul a le droit de convoquer et de présider le te synode ; seul y exerce le pouvoir législatif, les autres membres n’ayant que voix consultative. (can. 357, 362)
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L'on pourrait ajouter que, dans les premiers siècles, bien des hérésies furent condamnées par les décisions dogmatiques d'un nombre restreint d'Évêques, dispersés dans le monde, ou simplement réunis en concile particulier : provincial ou national. 414. — 2. Les Évêques réunis en concile. — Le concile (lat. concilium assemblée) œcuménique (gr. oihoumenikos, universel) est l'assemblée solennelle des évêques de tout l'univers. Deux points nous intéressent ici, à savoir les conditions à l’œcuménicité d'un concile, et leur autorité. A. CONDITIONS D'ŒCUMÉNICITÉ. — Pour qu'un concile soit œcuménique, il faut : — a) que tous les évêques du monde y aient été officiellement convoqués340, mais il n'est pas nécessaire et il est matériellement impossible que tous y assistent. Il n'est même pas requis que le chiffre des présents l'emporte sur celui des absents, il suffit qu'il y en ait un assez grand nombre pour représenter moralement l'Église universelle. Dans le cas de doute sur l’œcuménicité d'un concile, il appartient à l'Église de trancher cette question de fait dogmatique (N° 391) ; — b) que le Pape prête son autorité au concile. D'où il suit : — 1. que tout concile œcuménique doit être convoqué 341 par le pape ou de son consentement ; — 2. présidé par lui ou par ses légats ; — 3. que les décrets du concile soient ratifiés par lui et promulgués par son ordre (Can. 227). Pour cette dernière raison, certains conciles (v. g. le 1er et le 2e de Constantinople) qui n'étaient pas œcuméniques, du fait de leur convocation et de leur célébration, le sont 340
De droit divin et ordinaire, doivent être convoqués tous les évoques ayant une juridiction actuelle, c'est-à-dire ceux qui sont préposés à un diocèse et qui s'appellent ordinaires ou résidentiels. Les évêques titulaires, c'est-à-dire ceux qui sont revêtus de la dignité épiscopale, sans avoir de juridiction sur un diocèse, et les Vicaires apostoliques peuvent être convoqués, mais ne le sont pas de droit. Dans les premiers siècles, à cause de la longueur et de la difficulté des voyages, les métropolitains seuls étaient directement convoqués, avec charge pour eux d'amener un certain nombre de leurs suffragants. De nos jours, par privilège et en raison de la coutume, sont également convoqués, en dehors des évêques ordinaires : — 1. les cardinaux, même s'ils ne sont pas évêques ; — 2. les abbés et autres prélats ayant juridiction quasi-épiscopale avec territoire séparé ; — 3. les abbés généraux de monastères groupés en congrégations et les supérieurs généraux d'Ordres... (Can. 223). A titre consultatif, des théologiens et des canonistes peuvent être admis aux séances, mais sans prendre part au vote. De même, il est arrivé autrefois que les princes catholiques ont été invités à titre honorifique. 341
Nous disons convoqué par le pape ou de son consentement. C'est qu'en effet l'histoire des huit premiers conciles nous les montre comme convoqués par les empereurs. Ceux-ci agissaient-ils en leur propre nom, ou avaient-ils reçu mandat du Souverain Pontife? Leurs lettres de convocation, leurs déclarations aux conciles où ils disent qu'ils ont convoqué le concile par l'inspiration de Dieu, ainsi que les témoignages des contemporains, évêques, conciles, papes eux-mêmes qui leur reconnaissent ce droit, pourraient faire croire au premier abord qu'ils agissaient en dehors des papes. Mais il convient de distinguer entre la convocation matérielle et la convocation formelle. A cause de la difficulté des déplacements, de l'insécurité des routes, des multiples dangers et ennuis d'un si long voyage, les évêques auraient hésité à quitter leur résidence ; en outre, les réunions nombreuses étaient interdites par la législation de l'Empire. Seuls les empereurs avaient entre les mains l'autorité et la puissance voulues pour appeler les évêques, les protéger et les dispenser des lois existantes, bref, pour faire la convocation matérielle. Mais les papes n'en restaient pas moins les auteurs de la convocation formelle, dans ce sens qu'en présidant l'assemblée, soit par eux-mêmes, soit plus souvent par des légats, ils l'érigeaient en un corps juridique ayant qualité pour définir les points de dogme et de morale ou pour porter ries lois disciplinaires.
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devenus par la ratification subséquente du Pape ; par contre, d'autres conciles, dits œcuméniques, ne le sont pas pour tous leurs décrets, l'approbation du pape ayant fait défaut, comme nous avons eu l'occasion de le constater à propos du 28e canon du concile de Chalcédoine que le pape saint Léon ne voulut pas ratifier (V. N° 370). 415. — B. AUTORITÉ DES CONCILES ŒCUMÉNIQUES. — Le concile œcuménique, où se trouvent réunis le pape et les évêques, c'est-à-dire la tête et le corps de l'Église enseignante, est l'autorité la plus haute et la plus solennelle qui puisse exister. Il jouit donc de l'infaillibilité dans les définitions de la doctrine sur la foi et les mœurs. Pour être valables, il n'est pas nécessaire que les décrets conciliaires soient votés à l'unanimité absolue. Ce serait là une condition presque irréalisable. Cette thèse, mise en avant au concile du Vatican par les adversaires de l'infaillibilité pontificale, ne repose sur rien, ni sur l'histoire, ni sur la tradition, ni sur les principes juridiques et rationnels. Il va de soi, en effet, que dans toute assemblée délibérante, dans les conciles par conséquent, les questions doivent être tranchées par la majorité. Il y a lieu cependant de faire une réserve pour les cas où le pape serait avec la minorité, vu que le pape seul a le droit de trancher souverainement les questions. Si la chose se présentait, le décret serait dénommé, avec plus de justesse, décision pontificale, que décision conciliaire. Mais les décrets conciliaires ont-ils, dans toute leur teneur, la même autorité doctrinale? Il convient de distinguer, dans les décisions rendues par plusieurs conciles, notamment par les conciles de Trente et du Vatican, une double partie : une partie positive, représentée par les chapitres consacrés à l'exposition de la véritable doctrine, et une partie négative représentée par les canons où sont condamnées les erreurs contraires. Quelle est la valeur des uns et des autres? Aucun doute n'est possible pour ce qui concerne les canons. Comme ils portent l’anathème342 contre quiconque contredit la vérité définie par les chapitres, de toute évidence ils constituent une définition infaillible et de foi catholique, qu'on ne peut rejeter sans tomber dans l'hérésie. Les chapitres doctrinaux contiennent, eux aussi, un enseignement infaillible, mais à côté de la substance de la définition, il y a des considérants et des arguments sur lesquels s'appuie la définition. Cette dernière partie n'est pas comprise dans l'objet de l'infaillibilité. 416.— Corollaires. — 1. De ce que le concile est la plus haute et la plus solennelle autorité dans l'Eglise, faut-il conclure qu'il soit au-dessus du Pape? La théorie de la supériorité du concile, dont l'origine doit être reportée au moment du grand schisme d'Occident, fut soutenue par PIERRE D'AILLY, par GERSON (XVe siècle) et par les gallicans du XVII» siècle ; elle trouva sa formule dans le deuxième article de la Déclaration de 1682 (V. N° 398, n.) et dans la troisième proposition du Synode de Pistoie. Combattue par la grande majorité des théologiens, repoussée par le Saint-Siège qui rejeta, en particulier, les articles de 1682 et les erreurs du Synode de Pistoie, elle fut définitivement condamnée par le concile du Vatican qui définit l'infaillibilité 342
Anathème (du gr. anathêma, objet consacré, séparé). Ce mot, qui, dans l'Ancien et le Nouveau Testament, a le sens de maudit, est employé par l'Eglise pour désigner l'excommunication, 18 retranchement, la séparation d'avec le corps de l'Eglise.
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pontificale (V. N° 399). De cette définition il ressort : 1) que l'autorité du Pape seul est égale a l'autorité du concile, si l'on entend par là l'assemblée du collège épiscopal, y compris le pape, et — 2) qu'elle est supérieure à l'autorité du corps épiscopal, d'où serait retranché le pape, c'est-à-dire la tête de l'Église. L'on ne peut donc pas appeler du pape à un concile général, puisque les deux autorités sont égales. 417. — 2. UTILITÉ DES CONCILES ŒCUMÉNIQUES. — II y a lieu de se demander à quoi peuvent servir les conciles œcuméniques du moment que l’ensemble des évêques dispersé, et uni avec le pape, ne présentent pas une garantie supérieure d’infaillibilité. Bien qu’ils ne soient pas nécessaires343, les conciles œcuméniques n’en restent pas moins très utiles pour les raisons suivantes : — 1) Tout d'abord, l'avis des évêques peut aider beaucoup à la connaissance de la vérité. Il faut bien se rappeler en effet que l'infaillibilité ne se confond ni avec l'inspiration ni avec la révélation, et que, si elle est l'inerrance de droit, elle ne dispense nullement du travail et de l'étude. — 2) La sentence qui proclame la foi et condamne l'erreur aura d'autant plus de poids, et sera d'autant mieux acceptée des fidèles qu'elle aura été prononcée par l'ensemble du corps enseignant. — 3) Au point de vue disciplinaire, le pape portera des lois d'autant plus opportunes et plus efficaces que, par l'intermédiaire des évêques, il sera mieux au courant des erreurs et des abus qui se trouvent dans l'Église universelle. A ces différents points de vue, les conciles sont d'une utilité indiscutable. Ils ne sont pas absolument nécessaires, comme les Jansénistes le prétendaient, mais il peut arriver qu'ils soient relativement et moralement nécessaires dans les cas où l'unité de l'Église serait mise en péril, par le fait du pape lui-même, qui deviendrait hérétique, en tant que docteur privé, ou pécheur scandaleux (V. N° 399, n. 3) et surtout dans le cas où 1 élection d'un pape serait douteuse, comme la chose s'est présentée lors du grand schisme d'Occident. 418. — 3. SÉRIE CHRONOLOGIQUE DES CONCILES ŒCUMÉNIQUES. L'on compte généralement jusqu'à notre époque dix-neuf conciles344. Les voici dans leur ordre avec quelques indications sur leur objet. Le premier Concile de Nicée, en 325, réuni par Constantin sous le pontificat de saint Sylvestre, il définit contre Arius la consubstantialité du Verbe, c'est-à-dire la divinité de Jésus-Christ, sanctionna solennellement les privilèges des trois sièges patriarcaux de Rome, d'Alexandrie et d'Antioche, et étendit à toute l'Église la coutume de l'Église romaine, quant à la date de la célébration de la fête de Pâques. 2. Le premier Concile de Constantinople, en 381, sous le pape Damase et l'empereur Théodose le Grand, définit contre Macédonius de Constantinople la divinité du SaintEsprit. Ce concile qui n'était œcuménique ni par sa convocation ni par sa célébration, 343
Non seulement les conciles œcuméniques ne sont pas nécessaires, mais il y a eu des époques de l'histoire de l'Eglise où ils ont été très rares. Nous avons déjà dit qu'il n'y en a pas eu Jusqu'en 325. Entre le huitième et le neuvième conciles, il y eut, comme on le verra au numéro suivant, plus de deux siècles et demi, et plus de trois siècles entre le concile de Trente et celui du Vatican
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Bien que les auteurs disent vingt, comptant parmi les conciles œcuméniques le Concile de Constance (1414-1418) qui se tint alors lors du grand schisme d’occident et qui remplit les conditions d’œcuménicité du Concile qu’après l’élection de Martin V par le même concile (1417)
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puisque le pape n'y avait été ni invité ni associé, n'acquit l'autorité et le rang de concile œcuménique que plus tard par la reconnaissance et l'adhésion de l'Église universelle. 3. Le Concile d'Éphèse, en 431, sous le pontificat de Célestin I et le règne de Théodose le Jeune, définit contre Nestorius l'unité de personne dans le Christ et la maternité divine de Marie. 4. Le Concile de Chalcédoine, en 451, sous saint Léon le Grand et l'empereur Marcien, condamna l'eutychianisme et définit la dualité de natures en Jésus-Christ. Le 28e canon de ce concile qui attribuait au patriarche de Constantinople la première place après celui de Rome, n'a jamais été confirmé par le pape. 5. Le deuxième de Constantinople, en 553, condamna, comme entachés de Nestorianisme, ce que l'on appela les Trois-Chapitres, c'est-à-dire Théodose de Mopsueste et ses ouvrages, les écrits de Théordoret de Cyr contre Saint Cyrille et le concile d’Ephèse, la lettre d’Ibas d’Edesse injurieuse pour le concile et saint Cyrille. Célébré sans la participation et malgré opposition du Pape Vigile, il n’est devenu oecuménique que par l'accession subséquente du Pontife. 6. Le troisième de Constantinople, en 680, condamna le monothélisme, ses défenseurs et ses fauteurs, entre autres, le pape Honorius coupable de négligence dans la répression de l'erreur. Convoqué sous Agathon, il ne fut confirmé que par son successeur Léon II qui approuva le décret conciliaire, en l'interprétant, quant à Honorius, dans le sens que nous avons indiqué au N° 339. 7. Le deuxième de Nicée, en 787, sous la régence de l'impératrice Irène et le pontificat d'Hadrien Ier, définit contre les iconoclastes la légitimité du culte des images, en faisant la distinction traditionnelle entre ce culte de vénération et celui d'adoration qui n'est dû qu'à Dieu. 8. Le quatrième de Constantinople, en 869-870, sous Hadrien II, prononça la déposition de l'usurpateur Photius. 9. Le premier Concile de Latran, en 1123, le premier des conciles œcuméniques d'Occident, sous le pape Calixte II, prit des mesures sévères contre la simonie et l'inconduite des clercs et approuva le concordat de Worms intervenu entre Calixte II et l'empereur Henri V, au sujet des investitures. , 10. Le deuxième Concile de Latran, en 1139, sous Innocent II, édicté des mesures disciplinaires concernant le clergé. 11. Le troisième de Latran, en 1179, sous Alexandre III, condamne les Cathares et règle le mode d'élection des papes, en déclarant validement élu le candidat qui aura réuni les deux tiers des voix des cardinaux. 12. Le quatrième de Latran, en 1215, sous Innocent III. L'un des plus importants conciles, il condamne les Albigeois et les Vaudois; il fixe la législation ecclésiastique sur les empêchements de mariage, et impose à tous les fidèles l'obligation de la confession annuelle et de la communion pascale. 13. Le premier Concile de Lyon, en 1245, sous Innocent IV, régla la procédure des jugements ecclésiastiques et prononça la déposition de l'empereur FREDERIC II. 14. Le deuxième de Lyon, convoqué en 1274. par Grégoire X, rétablit l'union avec les Grecs qui, outre la légitimité du Filioque, reconnurent la primauté du pape et la doctrine catholique de l'Église latine enseignant l'existence du Purgatoire.
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15. Le Concile de Vienne, en 1311-1312, sous Clément V, décide la suppression de l'ordre des Templiers, et définit que l'âme raisonnable est la forme substantielle du corps humain. 16. Le Concile de Baie-Ferrare-Florence (1431-1442), convoqué par Eugène IV, eut pour objectifs principaux la réforme de l'Eglise et un nouvel essai de réconciliation des Églises latine et grecque. 17. Le cinquième Concile de Latran, convoqué par Jules II, en 1512, et continué par son successeur Léon X jusqu'en 1517, avait pour but primaire la réforme du clergé et des fidèles. Il publia quelques décrets concernant les nominations aux charges ecclésiastiques, le genre de vie des clercs et des laïques. 18. Le Concile de Trente, convoqué par Paul III et ouvert dans cette ville en 1545, transféré deux ans plus tard à Bologne, suspendu bientôt après, puis réinstallé à Trente par Jules III en 1551, interrompu à nouveau, puis repris et terminé sous Pie IV en 1563 a eu pour but de combattre les erreurs protestantes. Il est le plus célèbre par le nombre et l'importance de ses décrets dogmatiques et disciplinaires. 19. Le Concile du Vatican, convoqué par Pie IX, inauguré le 8 décembre 1869 et suspendu le 20 octobre 1870, n'a pu tenir que quatre sessions. Aucun souverain catholique n'a été autorisé à s'y faire représenter officiellement. Il a condamné, d'une part, dans sa Constitution Dei Filius, les erreurs contemporaines sur la foi et la révélation, et il a défini, d'autre part, dans la constitution Pastor aeternus les dogmes de la primauté et de l'infaillibilité personnelle de Pierre et de ses successeurs345. 419. — Conclusion. — L'Église, société parfaite. — De l'étude que nous venons de faire sur sa constitution intime, il est permis de conclure que l'Église est une société parfaite. . On entend par société parfaite toute société qui ne dépend d'aucune autre, tant dans la fin qu'elle poursuit que dans les moyens qui lui sont nécessaires pour atteindre cette fin. Au contraire, la société imparfaite est colle qui est subordonnée à une autre et qui n'a de pouvoirs que ceux que cette autre veut bien lui concéder. Ainsi, les Sociétés de chemins de fer, de mines, etc., sont des sociétés imparfaites, vu qu'elles sont subordonnés à l'État. Que l'Église soit une société parfaite, cela découle de son origine et de sa nature : — a) de son origine. C'est de la volonté de Jésus-Christ, de la volonté de Dieu, par conséquent, que l'Église est née. Ne dépendant dans son existence d'aucune volonté humaine, il s'ensuit qu'elle ne peut être subordonnée a aucun pouvoir civil : elle est, de par son origine, une société autonome et indépendante ; — b) de sa nature. L'Église est une société d'ordre spirituel, puisque Jésus-Christ lui a donné la mission et les pouvoirs de conduire les hommes à leur fin surnaturelle. Mais, si elle est une société d'ordre spirituel, il est évident qu'elle ne peut recevoir d'aucune société d'ordre temporel les moyens dont elle a besoin pour sa fin surnaturelle ; ses pouvoirs ne peuvent dépendre de l'autorité civile comme s'ils eu étaient une dérivation ou une participation. II ne faut doue pas s'étonner que l'Église ait toujours revendiqué cette prérogative d'être une société parfaite et que maintes fois elle ait affirmé son indépendance du pouvoir civil, comme elle l'a fait, en particulier, en condamnant les 345
Voir, pour toute cette question, FORGET, art. Conciles (Dict. Vacant-Mangenot)
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propositions suivantes du Syllabus : « L'Église n'est pas une vraie et parfaite société pleinement libre et ne jouit pas de droits propres conférés par son^divin fondateur ; c'est au pouvoir civil à définir ses droits et les limites dans lesquelles elle peut les exercer » (Prop., XIX). « Le pouvoir ecclésiastique ne doit pas exercer son autorité sans la permission et l'assentiment du gouvernement. » (Prop., XX). Les Pères du Concile du Vatican (1870) ont condamné de nouveau l'opinion selon laquelle le SaintSiège ne pourrait exercer ses pouvoirs de gouvernement sans le placet du pouvoir civil (Const. I de l’Église du Christ, ch. 3). BIBLIOGRAPHIE. — Du Dict. Vacant-Mangenot : DUBLANCHY, art. Église; ORTOLAN, art. Canonisation ; QUILLIET, art. Censures doctrinales ; ORTOLAN, art. Conclave ; FORGET, art. Congrégations romaines, art. Conciles. — Du Dict. d'Alès : FORGET, art. Curie romaine (Cardinaux) ; CHOUPIN, art. Curie romaine (Congrégations). — TANQUEREY, Théologie dogmatique fondamentale. — PALMIERI, De Romano Pontifice (Rome). — CHOUPIN, Valeur des décisions doctrinales et disciplinaires du Saint-Siège (Beauchesne). — J. DE MAISTRE, DU Pape. — BOUDINHON, Primauté, Schisme et Juridiction, dans la Rey. Le Canoniste contemporain, fév. 1896. — DEMEURAN, L'Église, Constitution, Droit public (Beauchesne). — DOM GREA, De l’Église et de sa divine constitution (Bonne Presse). CHAP. II. — Constitution de l'Église (suite). Les Droits de l'Église. Relation de l'Église et de l'État. DÉVELOPPEMENT Division du Chapitre. Société d'ordre spirituel, l'Église est, de par son origine et sa nature, une société parfaite : telle ost la conclusion à laquelle nous avons abouti dans le chapitre précédent (N° 419). Deux points restent à établir : 1° les droits de l'Église ; et 2° les relations de V Église et de l'État. Ce chapitre comprendra donc deux articles. Art. 1. — Les Droits de l'Église. 420. — Société parfaite, l'Église est indépendante dans son existence et dans l'exercice de ses pouvoirs : de là découlent tous ses droits. Mais comment déterminer ces droits ? Il suffit, pour cela, de nous rappeler que tout pouvoir légitime entraîne comme conséquences des droits correspondants, et d'autre part, que l'Église a reçu de son divin fondateur la triple mission d'enseigner, de sanctifier et de gouverner. L'Église possède donc tous les droits qui sont en corrélation avec sa mission et avec son triple pouvoir doctoral, de ministère et de gouvernement. Le pouvoir de ministère implique le droit d'administrer les sacrements. L'Église ayant reçu de Notre-Seigneur la mission et le pouvoir de sanctifier, l'État doit lui laisser toute liberté d'administrer les sacrements et d'exercer le culte selon les règles de sa liturgie. Comme ce droit ne lui est guère contesté, nous ne nous y arrêterons pas autrement. Nous nous bornerons donc à étudier, dans doux paragraphes, les droits de l'Église qui sont dérivés de ses deux pouvoirs d'enseigner et de gouverner.
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§ 1. — LES DROITS DE L'ÉGLISE DERIVES DE SON POUVOIR DOCTORAL. 421. — II est permis de poser en principe général que, en vertu du pouvoir doctoral qu'elle tient de Notre-Seigneur, l'Église a le droit d'enseigner partout la doctrine chrétienne. Jésus-Christ a dit, en effet, à ses Apôtres : « Allez, enseignez toutes les nations. » Et comme cet ordre embrasse tout l'univers, il s'ensuit que l'Église a le droit de s'établir partout et que son magistère n'est limité ni dans le temps ni dans l'espace. De la charge qui incombe à l'Église d'enseigner la doctrine du Christ découle un double droit et un double devoir : le premier, de caractère positif et direct qui est de donner elle-même l'enseignement religieux, — ce qui pose la question de l'École, — le second, négatif et indirect, qui est de proscrire les doctrines contraires à la sienne, ce qui nous ramène à la question de l'Index. 422. — Le droit d'enseigner. La question de l'École. — Remarquons, tout d'abord, qu'il n'est question ici que des enfants qui, du fait de leur baptême, font partie du corps de l'Église. Or, parmi eux, il convient de distinguer une double classe de sujets : les clercs et les laïques. A. RELATIVEMENT AUX CLERCS, ou plutôt, à ceux qui se préparent à devenir les ministres de l'Évangile, il va de soi que l'Eglise a le droit de les recruter, de leur ouvrir des écoles spéciales (séminaires), où elle puisse entretenir les vocations, leur donner l'instruction et l'éducation appropriées aux fonctions auxquelles ils se destinent. C'est « aux Évêques seuls, dit LEON XIII, dans l'Encyclique Jampridem, que revient le droit et le devoir d'instruire et de former les jeunes gens que Dieu appelle pour en faire ses ministres et les dispensateurs de ses mystères. C'est de ceux à qui il a été dit : enseignez toutes les nations, que les hommes doivent recevoir la doctrine religieuse ; à combien plus forte .raison appartiendra-t-il aux Évêques de donner l'aliment de la saine doctrine, comment et par qui ils jugeront convenable, à ces ministres qui seront le sel de la terre et tiendront la place de Jésus-Christ parmi les hommes... Les chefs de gouvernement souffriraient-ils jamais que les jeunes gens placés dans les institutions militaires pour y apprendre l'art de la guerre, eussent d'autres maîtres que ceux qui excellent en cet art ? Ne choisit-on pas les plus habiles guerriers pour former les autres à la discipline des armes et à l'esprit militaire?... Voilà pourquoi, dans les concordats passés entre les Pontifes romains et les chefs des États, à différentes époques, le Siège apostolique veilla, d'une manière spéciale, au maintien des séminaires et réserva aux Évêques le droit de les régir, à l'exclusion de toute autre puissance. » Chargée de la formation de ses ministres, l'Église a le droit d'obtenir du pouvoir civil qu'il ne les astreigne pas à des obligations incompatibles avec leur vocation, telles que le service militaire. Cette immunité346, qui a été l'objet des attaques les plus
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On entend par immunité le droit en vertu duquel les ecclésiastiques sont exempts de certaines obligations communes. L'immunité est personnelle, ou locale, ou réelle: — 1. personnelle, si elle s'attache à la personne, v. g. l'exemption du service militaire, le privilège du for ecclésiastique (N° 432), le privilège du canon qui, déclarant la personne des clercs inviolable, défend de les frapper sous peine d'excommunication ; — 2. locale, si elle s'attache à un lieu : églises, cimetières, etc. Ainsi, le
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passionnées, se légitime pourtant très bien au double point de vue du droit ecclésiastique et du droit naturel : — a) Au point de vue du droit ecclésiastique, la chose ne fait pas de doute. De nombreux canons de l'Église proclament ce droit et vont même plus loin puisqu'ils interdisent aux ecclésiastiques, sous peine de censure, le port des armes et l'effusion du sang humain ; — b) au point de vue du droit naturel, le bienfondé de l'immunité est tout aussi incontestable. Si l'État a le devoir de lever une armée et d'exiger le service obligatoire, tant pour maintenir le bon ordre à l'intérieur que pour résister aux attaques de l'ennemi, il a un autre devoir non moins impérieux, qui est de pourvoir aux besoins religieux de la nation. Or cela suppose, d'une part, l'existence du clergé, puisque le clergé est indispensable pour enseigner la doctrine et pratiquer le culte, et d'autre part, l'exemption du service militaire pour la. bonne raison que celui-ci présente un gros obstacle au recrutement sacerdotal. A cela l'on objecte, il est vrai, que la caserne est une meilleure école que le séminaire, pour faire l'apprentissage de la vertu, et qu'elle est un excellent moyen d'éprouver et de rejeter les vocations mal affermies. Sans nier ce qu'il peut y avoir de juste dans cette objection, il n'en est pas moins faux de prétendre qu'une vocation n'est solide qu'autant qu'on l'a exposée aux plus dangereuses épreuves. L'on objecte encore, au nom du fameux principe de l’égalité que, si les clercs participent aux avantages de la vie sociale, il convient qu'ils prennent aussi leur part des charges communes. Le raisonnement paraît impeccable, mais il s'agit de savoir précisément si le clergé ne porte point sa part du fardeau commun. L'Église pense, au contraire, que ses prêtres rendent à la société, par leur ministère, des services plus grands que ceux qu'ils rendraient comme soldats. Sans doute, il faut des soldats contre les ennemis du dehors ; il n'en faut pas moins, mais d'une autre sorte, pour résister aux ennemis du dedans: pour lutter contre la propagation des idées fausses et subversives, contre l'impiété et la corruption des mœurs. Et pour se préparer à cette mission, les sacrifices du prêtre qui, à partir du séminaire, abdique sa liberté et renonce aux joies du monde et de la famille, dépassent certainement en grandeur ceux des soldats. Nous pouvons donc conclure que l'exemption du service militaire, longtemps reconnue à l'Église comme un droit, n'était nullement un privilège excessif dont il y ait lieu de s'étonner ou de se scandaliser. 423. — B. RELATIVEMENT AUX LAÏQUES. — A aucun point de vue, l'Église ne peut se désintéresser des écoles, même laïques.— 1. S'il s'agit en effet de l'instruction religieuse, c'est à elle qu'en incombe le soin, et personne ne peut lui en contester le droit. — 2. S'il s'agit de toute autre branche, sur le terrain de la littérature, de l'histoire et des sciences, elle a le droit et le devoir de veiller à ce qu'on n'enseigne rien qui soit en opposition avec sa doctrine, avec son dogme et sa morale. Dans le cas où les écoles sortiraient de leur neutralité légale et deviendraient hostiles, elle devrait élever la voix, rappeler aux parente le devoir qui leur incombe, d'élever ou faire élever chrétiennement leurs enfants, et protester auprès des maîtres qui trahissent leur mission. Allons plus loin. L'Église, comme toute droit d'asile était le privilège en vertu duquel ceux qui jadis se réfugiaient dans une église, ne pouvaient être saisis par le bras séculier sans le consentement de l'autorité ecclésiastique ; — 3. réelle, si elle s'attache aux choses. Par exemple, les biens' ecclésiastiques étaient autrefois exempts des charges et impositions communes
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autre personne qui remplit les conditions voulues, doit jouir de la liberté d'ouvrir ellemême des écoles347: primaires, secondaires et supérieures (universités). A quel titre l'enseignement pourrait-il devenir le monopole de l'État? Est-ce que, de droit naturel, les enfants n'appartiennent pas aux parents d'abord, à la société ensuite? N'est-ce pas à ceux qui ont donné la vie du corps qu'il revient de former l'intelligence et de faire l'éducation de l'esprit? Mais s'il est vrai que l'instruction est une fonction des parents, et si, par ailleurs, ceux-ci ne peuvent que rarement remplir leur charge par eux-mêmes, il s'ensuit qu'ils ont le droit de se faire suppléer par des maîtres de leur choix. Là seulement, commencent les droits et les devoirs de l'État : c'est à lui de surveiller l'enseignement donné par la famille ou ses représentants, et de s'assurer s'il est conforme au bien commun, s'il ne porte aucune atteinte aux vérités religieuses, s'il est en harmonie avec les aspirations des parents, pourvu que ces dernières soient légitimes, s'il ne viole en rien les idées les plus sacrées et ne va pas contre les droits de Dieu et de la patrie. 424. — Le droit de censurer les livres. L'Index. — L'Église ne remplirait qu'imparfaitement son rôle de gardienne de la foi si elle ne pouvait condamner les mauvaises doctrines ; d'où son double droit : — 1° « d'interdire aux fidèles d'éditer des livres non soumis préalablement à sa censure et approuvés par elle, et — 2° de prohiber pour de justes raisons les livres déjà édités » (can. 1384, § 1). Du second droit découle l'origine de l'Index. On appelle Index le catalogue des livres condamnés par le Saint-Office comme nuisibles à la foi ou aux bonnes mœurs, et dont la lecture et la détention sont défendues aux fidèles. L'ORIGINE de l'Index, en tant que catalogue, remonte au XVIe siècle. C'est seulement quand, par l'invention de l'imprimerie, les livres en général et les mauvais livres en particulier, se multiplièrent, que l'Église sentit le besoin de surveiller plus attentivement les productions littéraires. Nous trouvons la première ébauche de l'Index dans un catalogue de livres prohibés, dressé par les ordres de PAUL IV en 1557 d'abord, puis en 1559 ; mais la véritable institution de l'Index date du concile de Trente et de PIE IV, qui promulgua un catalogue avec un ensemble de règles concernant la publication, la lecture et la détention des ouvrages répréhensibles (1564). Ces règles ont été plusieurs fois retouchées par différents papes, et, en dernier lieu, par LEON XIII, qui, dans sa Constitution apostolique Officiorum ac Munerum (fév. 1897), porta des Décrets généraux sur la prohibition et la censure des livres. Le Saint-Siège ne pouvant connaître tous les livres pernicieux qui sont édités dans le monde entier, LEON XIII qui attaquent, à l'occasion, la religion ou les bonnes mœurs ; — 4. les livres des acatholiques qui traitent ex professo de la religion, à moins qu'il ne soit constaté qu'ils ne contiennent rien contre la religion catholique ; — 5. les livres ou brochures qui édicta un certain nombre de règles générales qui condamnent en bloc tous les mauvais livres, règles qui forment le canon 1399 du Code. « Sont prohibés par le droit : — 1. les éditions du texte original... de la Sainte Ecriture, ainsi que les traductions faites ou éditées en n'importe quelle langue par les
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En raison des services qu'elle rend à la société, elle a même le droit de réclamer l'aide morale et pécuniaire de l'État (répartition proportionnelle scolaire) et le retrait des lois interdisant aux Congrégations religieuses d'enseigner.
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acatholiques ; — 2. les livres des écrivains qui soutiennent l'hérésie, le schisme ou cherchent à ébranler en quelque façon les fondements delà religion ; — 3. les livres qui attaquent la religion ou les bonnes mœurs ; — 4. les livres des acatholiques qui traitent ex professo de la religion, à moins à moins qu'il ne soit constaté qu'ils ne contiennent rien contre la religion catholique ; — 5. les livres ou brochures qui racontent des apparitions nouvelles, des révélations, des visions, des prophéties, ou qui cherchent à introduire des dévotions nouvelles, même sous prétexte qu'elles sont privées, s'ils ont été publiés, sans tenir compte des prescriptions canoniques ; — 6. les livres attaquant ou raillant quelque dogme catholique, soutenant des erreurs condamnées par le SaintSiège, blâmant le culte catholique, cherchant à ruiner la discipline ecclésiastique, outrageant à l'occasion la hiérarchie ecclésiastique, l'état clérical ou religieux ; — 7. les livres enseignant ou recommandant une superstition quelle qu'elle soit, les sortilèges, la divination, la magie, l'évocation des esprits et autres choses du même genre ; — 8. les livres proclamant que le duel, le suicide ou le divorce sont licites ; les livres qui, traitant des sectes maçonniques ou autres semblables, prétendent qu'elles sont utiles et inoffensives pour l'Eglise et la société civile ; — 9. les livres traitant ex professo de choses lascives ou obscènes, les racontant, les enseignant ; — 10. les éditions de livres liturgiques approuvés jadis par l'Eglise mais qui, par suite de certains changements intervenus, ne concordent pas avec les éditions authentiques actuellement approuvées par le Saint-Siège ; — 11. les livres publiant des indulgences apocryphes, proscrites, ou révoquées ; — 12. les images, quel que soit leur mode d'impression, de Notre Seigneur Jésus-Christ, de la Bienheureuse Vierge Marie, des anges, des saints ou des autres serviteurs de Dieu qui ne cadrent pas avec le sentiment et les décrets de l'Eglise (Can. 1399). A cette liste de livres condamnés d'une manière générale, il faut ajouter tous les livres désignés nommément au catalogue de l'Index. A ce sujet, il convient de remarquer que les rigueurs de l'Index ont été adoucies. Autrefois, des condamnations globales étaient portées contre toutes les productions d’un auteur dont les tendances étaient reconnues mauvaises. Ces prohibitions faites en haine de l’auteur, ont disparu de la récente édition de l'Index. USAGE. — Ceux-là seuls peuvent lire et garder les livres condamnés, qui en ont reçu régulièrement l'autorisation du Saint-Siège ou de ses représentants. « Les libraires ne peuvent ni vendre, ni prêter, ni garder les livres qui traitent ex professo de choses obscènes ; quant aux autres livres condamnés, ils ne peuvent les vendre qu'avec l'autorisation du Saint-Siège, et seulement à ceux qu'ils croient prudemment avoir le droit légitime de les acheter (can. 1404). « Les Ordinaires, et tous ceux qui ont le soin des âmes doivent opportunément avertir les fidèles du danger et du mal de la lecture des mauvais livres, surtout des livres condamnés. » (Can. 1405, § 2.) « Quiconque lit sciemment, sans l'autorisation du Saint-Siège, des livres d'apostats ou d'hérétiques, soutenant348 une hérésie, ainsi que les livres nommément condamnés, de n'importe quel auteur ; quiconque garde ces livres, les imprime ou s'en fait le
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Les livres qui contiennent des propositions hérétiques, mais sans que l'auteur les soutienne et s'efforce de les faire admettre par le raisonnement, ne tombent donc pas sous le coup de l'excommunication.
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défenseur, encourt ipso facto l'excommunication réservée spécialement au Souverain Pontife. » (Can. 2318.) La VALEUR de l'Index découle de ce qui a été dit précédemment (N° 402) au sujet de l'autorité en général des décisions des congrégations, de celles du moins qui reçoivent l'approbation du pape dans la forme commune. N'étant pas des actes du Souverain Pontife, elles ne sont pas des décisions infaillibles ; mais elles exigent néanmoins de la part des fidèles plus qu'une soumission extérieure, plus que le respect du silence; elles ont droit à un assentiment prudemment et provisoirement terme. 425. —Objection. — Bien des critiques ont été élevées contre l'Index. Au nom des grands principes modernes : liberté de conscience, liberté d'opinions, liberté de parole et d'écrit, l'on attaque la législation de l'Église et le droit qu'elle revendique de défendre l'usagé de certains livres. Réponse. — Le droit de l'Église de proscrire les livres dangereux, repose sur la Sainte Écriture, sur la tradition et sur la raison : — 1) Sainte Écriture. Comme nous l'avons vu(N° 310), l'Église a reçu de Jésus-Christ la mission d'enseigner la doctrine du Christ. De là dé ouïe pour elle le devoir, non seulement de prêcher la vraie doctrine, mais de s'opposer à tout ce qui pourrait entraver la conservation de la vérité intégrale: elle a donc plus que le droit, elle a le devoir de flétrir et de condamner les livres impies ou immoraux. — 2) Tradition. La pratique de l'Église, encore que, sous, sa forme actuelle, elle date seulement du XVIe siècle, remonte aux origines du christianisme. Saint Paul met son disciple Timothée en garde contre les discours profanes et vains qui font des ravages comme la gangrène (II Tim., II, 16, 17), recommandation qui doit s'entendre autant et plus encore des discours écrits. Il est dit, en outre, dans les Actes (XIX, 19) que, à la suite de ses prédications à Éphèse, « beaucoup de ceux qui s'étaient adonnés aux superstitions dangereuses, apportèrent leurs livres et les brûlèrent devant tout le peuple ». Depuis les Apôtres, les Pères de l'Église, les conciles et les papes n'ont jamais cessé de stigmatiser les mauvais livres, ainsi que le rappelle LEON XIII dans sa constitution « Officiorum » : « L'histoire, dit il, atteste le soin et le zèle vigilant des Pontifes romains à empêcher la libre diffusion des ouvrages hérétiques, véritable calamité publique. L'antiquité chrétienne est pleine de ces exemples. Anastase 1er condamna rigoureusement les écrits dangereux d'Origène ; Innocent Ier ceux de Pelage, et Léon le Grand tous ceux des manichéens... De même, dans le cours des siècles, des sentences du Siège Apostolique ont frappé les livres funestes des monothélites, d'Abélard, de Marsile de Padoue, de Wicleff et de Huss. »349 — 3) Raison. I1 est évi-
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Cet argument de la tradition peut fournir la matière de longs développements. L'on pourrait faire remarquer, par exemple : — 1. que la pratique de l'Eglise catholique se retrouve dans d'autres sociétés religieuses. Ainsi, chez les Juifs, la lecture de plusieurs livres de l'Ancien Testament (Genèse, Cantique des Cantiques, etc.) était interdite aux jeunes gens, à cause des périls que certains passages pouvaient faire courir à des imaginations encore trop jeunes pour découvrir le vrai sens du texte ; — 2. que les protestants eux-mêmes ont prohibé les doctrines opposées aux leurs. Ne sait-on pas que les disciples de LUTHER jetaient l'anathème sur les écrits des zwingliens et des calvinistes et que ces derniers usaient de réciproque à l'égard des luthériens? — 3. que la société païenne n'était pas moins sévère sur ce point. N'est-il pas rapporté, dans CICERON (De natura Deorum, liv. I, chap 23) que pour
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dent que la doctrine qui revendique, au nom de la liberté, le droit illimité pour tout individu, de soutenir sur toutes les questions l'opinion qu'il lui plaît, est une doctrine absurde, déraisonnable et anarchique. Ce serait en effet mettre sur le même pied le bien et le mal, le juste et l'injuste, le vrai et le faux, la vertu et le vice. Aucune société ne s'accommoderait de tels principes ; quelque loin que puisse aller son amour de la liberté, il y a cependant des limites qu'elle n'oserait dépasser. Pourquoi s'étonner alors que l'Église, qui est une société parfaite, qui a pour ses sujets la sollicitude d'une mère, prenne le plus grand soin à écarter le poison qui menace l'âme de ses enfants!
§ 2. — LES DROITS DE L'ÉGLISE DERIVES DE SON POUVOIR DE GOUVERNEMENT. 426. — Parmi les principaux droits que l'Église détient de son pouvoir de gouvernement, il convient de citer : 1° Le droit d'organiser sa hiérarchie. — Qu'il s'agisse des ministres eux-mêmes ou des territoires à administrer, il est clair que l'Église a le droit de revendiquer une indépendance complète. Elle est libre de choisir ses ministres, comme elle l'entend, et de leur assigner les contrées à évangéliser. Elle peut, par conséquent, diviser le territoire en circonscriptions plus ou moins grandes, provinces, diocèses, paroisses, et, si elle le juge à propos, modifier les divisions anciennes et en former de nouvelles. Que, dans le cours des siècles, l'Église ait varié dans le mode d'organiser sa hiérarchie, qu'il lui soit arrivé, par exemple, d'accorder au peuple ou aux chefs d'État le privilège d'intervenir et de désigner eux-mêmes le candidat, il n'y a pas lieu de s'en étonner. Ce sont là autant de concessions que l'Église a faites en raison des avantages que par ailleurs elle en retirait. Il est bien certain, en effet, pour ne prendre qu'un exemple, que l'élection des ministres sacrés par le peuple, avait le double avantage de désigner, tout au moins d'une manière générale, le candidat le plus digne (vox populi vox Dei) et, en tout cas, celui qui devait être le mieux agréé. De toute façon, de telles concessions n'ont jamais rien retranché et ne retrancheraient rien, si elles étaient faites à nouveau, au droit imprescriptible que l'Église possède de nommer elle-même ses pasteurs et de leur donner l'institution canonique. 427. — 2° Le droit de fonder des Ordres religieux. — Deux côtés sont à considérer dans la fondation des Ordres religieux : le côté spirituel et le côté temporel. Le premier, qui consiste dans le choix d'un genre de vie le plus propre à l'observation des conseils évangéliques, rentre dans les droits de l'Église. Indubitablement, c'est à elle qu'il revient de régler la forme suivant laquelle il convient de pratiquer les conseils évangéliques. Le côté temporel, puisque aucune association terrestre, de quelque nature qu'elle soit, ne saurait s'en désintéresser, est du ressort du pouvoir civil, mais celui-ci a le devoir de traiter ces questions, d'accord avec l'Église. avoir écrit cette simple phrase « Que les dieux existent c’est ce que je ne peux affirmer ni nier » PROTAGORAS D’ABDERE fut banni du territoire d’Athènes et son livre brûlé sur l’agora ?
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428. — 3° Le droit de posséder350. — Quoique d'ordre spirituel, l'Église n'en reste pas moins une société d'hommes qui ne peuvent vivre ni pratiquer leur religion s'ils ne possèdent des biens temporels. L'Église, en effet, doit pourvoir à l'entretien de ses ministres et de ses temples ; elle doit subvenir aux frais du culte et assister les pauvres. Elle doit donc jouir de la capacité juridique d'acquérir des biens et de les administrer. Pourquoi ne pourrait-elle pas acquérir et posséder réellement les biens matériels qui lui sont nécessaires pour atteindre la fin qu'elle poursuit? Qui oserait prétendre que le fait d'être membre d'une association religieuse, dépouille un homme de ses droits naturels? Et si l'Église a le droit d'acquérir les biens temporels, pourquoi ne jouirait-elle pas du droit de les administrer librement, tout aussi bien que les autres personnes morales : départements, communes, hôpitaux, auxquels on ne conteste pas ce droit ? L'on objecte contre le droit de propriété que, les biens de l'Église étant des biens de mainmorte, ils causent à l'État et à la société un préjudice très grave, car, du fait qu'ils sont rarement aliénés et jamais transmis, ils échappent aux droits de mutation. — L'objection ne vaut pas, attendu que l'État, d'un côté, peut toujours limiter l'étendue du droit d'acquisition, et de l'autre, qu'il sait remplacer les impôts de mutation par d'autres non moins lourds. C'est ainsi qu'en France les propriétés des religieux ont été frappées du « Droit d'accroissement», qui constitue un impôt d'exception dépassant plusieurs fois les impôts qu'ont à payer les sociétés anonymes, industrielles, commerciales, ou financières. LE POUVOIR TEMPOREL DU PAPE. — Au droit de posséder se rattache la question du pouvoir temporel des Papes. Le pouvoir temporel de la Papauté est une des questions sur lesquelles la doctrine de l'Église a été souvent et âprement discutée. Ses adversaires représentent le pouvoir temporel comme une usurpation, et comme le fruit de l'ambition des papes, fis le disent incompatible avec le pouvoir spirituel et en opposition avec les paroles de Jésus-Christ qui a proclamé que son royaume n'était pas de ce monde (Jean, XVIII, 36). Et ils concluent que PIE IX, en censurant dans le Syllabus les adversaires du pouvoir temporel, a commis un véritable abus de pouvoir. Ces attaques sont injustifiées. Assurément, la souveraineté temporelle du Pape n'est pas un dogme. Elle n'est pas d'institution divine, et l'on ne saurait prétendre davantage qu'elle soit d'une nécessité absolue, vu qu'elle n'a pas toujours existé et qu'elle n'existe plus. Mais c'est à tort qu'on l'accuse d'être illégitime et de ne servir à rien, bien plus, d'être nuisible et de faire tort à la puissance spirituelle. — 1. Loin d'être illégitime, le pouvoir temporel des Papes s'appuie sur les titres les plus authentiques. Ce sont les peuples eux-mêmes qui ont investi les Papes de leur souveraineté temporelle. Certains auteurs ont mis l'origine du pouvoir temporel dans une donation de CONSTANTIN, lorsque cet empereur, devenu chrétien, abandonna Rome au Pape et alla fonder Constantinople. Cette opinion n'a 350
Voici, à propos du pouvoir de posséder, les propositions condamnées dans le Syllabus : Prop. XXVI. « L'Église n'a pas le droit naturel et légitime d'acquérir et de posséder. Prop. XXVII. « Les ministres sacrés de l'Église et le Pontife romain doivent être absolument exclus de tout soin et domaine sur les choses temporelles. » Prop. LXXV. « Les fils de l'Église chrétienne et catholique discutent entre eux, sur la compatibilité de la royauté temporelle avec le pouvoir spirituel. »
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plus guère de créance ; ce qui est plus vrai, c'est que, à partir de ce moment, les empereurs furent inférieurs à leur tâche. Au moment où les barbares envahissent l'Italie .et la mettent à sac et à sang, ils ne sont pas là pour défendre leurs peuples. Seule, une majesté se dresse devant le flot barbare, et l'Italie, que les empereurs de Byzance ne peuvent secourir, se tourne d'instinct vers les Papes comme vers ses protecteurs-nés. « Le malheur des temps, dit le protestant GIBBON, augmenta peu à peu le pouvoir temporel des Papes. » Ce sont les peuples qui les ont forcés à régner. Lorsque Pépin le Bref et Charlemagne cédèrent à la Papauté les premiers éléments du Patrimoine de saint Pierre, ils ne firent en somme que sanctionner par un acte solennel la souveraineté que les peuples avaient reconnue depuis longtemps aux Papes351. — 2. Reposant sur les titres les plus légitimes, le pouvoir temporel n'est nullement incompatible avec le pouvoir spirituel. Il lui est, au contraire, de la plus grande utilité, car il en est la meilleure garantie. N'est-il pas évident, en effet, que, si le Pape ne possède pas un territoire où il soit le souverain temporel, s'il est soumis à la juridiction d'une autre puissance, il y a toujours à craindre qu'il ne soit plus libre dans l'administration du monde catholique, que ses décisions soient influencées par une force extérieure et supérieure à lui, et que, de la sorte, les intérêts de l'Église paraissent s'inféoder aux intérêts du peuple dont le Pape est le sujet ? Sans doute, la loi du 13 mai 1871, dite loi des garanties, promulguée par le gouvernement italien, a déclaré le pape sacré et inviolable, lui a reconnu le droit aux honneurs de souverain, et a soustrait les palais qui lui sont réservés à la juridiction italienne (privilège de l’extraterritorialité), mais il est clair que de telles garanties sont bien précaires et aléatoires : concédées aujourd'hui, elles peuvent être retirées demain, au gré des caprices et du sectarisme d'un autre gouvernement. Pour ces raisons, il convient que le Pape soit indépendant et maître chez lui, et que lui soit restituée la souveraineté temporelle qui lui était échue si providentiellement et dont il a été injustement dépouillé352 429. — 4° Le droit de légiférer. — Du pouvoir législatif de l'Église découle le droit de faire des lois, touchant la doctrine, la discipline et le culte, qui s'étendent à l'Église universelle. Or le droit de faire des lois implique à son tour celui de les promulguer, et conséquemment, le droit pour le Pontife romain de communiquer librement avec tous ses sujets. Ce droit, combattu jadis par les légistes et les gallicans en France, par les Joséphistes ou partisans de JOSEPH II, en Allemagne (XVIIIe siècle), qui prétendaient que les lois ecclésiastiques ne pouvaient être promulguées sans l'agrément de l'État, — placet, exequatur, — a toujours été revendiqué par l'Église, et particulièrement par PIE 351
Le patrimoine de saint Pierre, composé d'abord de l'exarchat de Ravenne et de la Pentapole, s'arrondit par la suite de nouveaux territoires, entre autres, d'une partie des domaines de la comtesse Mathilde de Toscane, des Marches et de la Romagne, enfin du Comtat-Venaissin, etc. Mais ce n'est pas ici If lieu de faire l'historique du pouvoir temporel de la Papauté (V. notre Hist. Gin. de l'Église, vol. IV et V). 352
La loi du 13 mai 1871 est maintenant abrogée. La« Question romaine », née en 1870 de l'annexion de Rome au royaume d'Italie, a été résolue, le H fév. 1929, parles «accords de Latran,» traité entre le Saint Siège et l'Italie, qui reconnaît au Saint Siège pleine propriété, pouvoir exclusif et absolu et juridiction souveraine « sur la Cité du Vatican, assurant ainsi au Pape « la liberté et l'indépendance nécessaires au gouvernement pastoral du diocèse de Rome et de l'Eglise catholique dans le monde ».
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IX, qui condamna l'opinion contraire contenue dans les propositions suivantes du Syllabus : « La puissance ecclésiastique ne doit pas exercer son autorité sans la permission et l'assentiment du gouvernement civil» (Prop. XX). « La puissance civile a non seulement le droit qu'on appelle d'exequatur ; mais encore le droit qu'on nomme d'appel comme d'abus353 » (Prop. XLI). 430. — 5° Le Droit de répression. — Puisque le pouvoir de gouvernement implique, non seulement le pouvoir législatif, mais encore les pouvoirs, judiciaire et coercitif, il s'ensuit que l'Église a le droit de juger et de punir les infractions à ses lois, dans le but de faire respecter ses institutions par ceux qui les ont librement acceptées. En vertu de ce droit, naturel et divin, totalement indépendant de toute autorité humaine, l'Église peut frapper les délinquants qui sont soumis à son autorité, de peines soit spirituelles, soit même temporelles (Can. 2214). A. PEINES SPIRITUELLES. — Les principales peines spirituelles sont les censures. « La censure est une peine spirituelle et médicinale, relevant du for extérieur, par laquelle l'Église prive un homme baptisé, pécheur et contumace de certains biens spirituels ou annexés aux spirituels, jusqu'à ce qu'il vienne à résipiscence et soit absous » (can. 2241, § 1). Si l'on considère les biens dont elles privent, il faut distinguer trois sortes de censures : l'excommunication, la suspense et l'interdit. a) l'excommunication est une censure qui retranche celui qui en est frappé de la communion des fidèles (can. 2257, §1). Il y a deux classes d'excommuniés : les excommuniés dénoncés ou à éviter (vitandi) et les excommuniés tolérés, selon qu'ils ont été, ou non, nommément excommuniés. Tout excommunié est privé du droit d'assister aux offices divins, sauf à la prédication (Can. 2259), du droit de recevoir les sacrements (Can. 2260). Il ne peut administrer licitement les sacrements, sauf dans le péril de mort (Can. 2261). Il ne participe plus aux indulgences, suffrages, prières publiques de l'Église (Can. 2262), et ne peut plus être pourvu des bénéfices et des charges ecclésiastiques (Can. 2263). L'excommunié dénoncé est privé de la sépulture ecclésiastique (Can. 2260). 354 Comme toute peine, l'excommunication est dite latae sententiae (sentence portée d'avance) ou ferendae sententiae (sentence à porter) selon qu'elle est encourue par le fait même (ipso facto) qu'on a commis une faute déterminée car les canons, ou qu'elle a seulement son effet après la sentence rendue contre le coupable. — b) La suspense est une censure qui enlève au clerc ou au prêtre l'usage delà totalité ou d'une partie de ses pouvoirs : elle le prive, soit des fonctions de son pouvoir d'ordre (suspense a divinis) soit de son office, c'est-à-dire de ses pouvoirs de juridiction (suspense a jurisdiclione), soit de son bénéfice, c'est-à-dire des revenus attachés à son titre. Si la suspense est totale, elle le prive des trois à la fois. Le prêtre suspens a divinis ne peut plus exercer licitement les fonctions qui relèvent de son pouvoir d'ordre (v. g. dire la messe, administrer les sacrements). Le prêtre suspens a iurisdictione ne peut plus exercer ni validement ni licitement aucun acte de juridiction il n'administre donc plus validement le sacrement de Pénitence qui requiert le pouvoir 353
L'appel comme d'abus est un recours de l'autorité civile contre les soi-disant abus du pouvoir ecclésiastique 354 Pour les délits contre lesquels l'Église porte la peine d'excommunication voir le nouveau Code de Droit canonique (Can. 2314 et suiv.).
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de juridiction pour être valide. Mais le clerc suspens peut, comme tous les fidèles participer à l'usage passif, ou réception, des sacrements. — c) l'interdit « prive de l'usage de certaines choses saintes, comme, par exemple, de quelques sacrements de quelques offices publics, de quelques cérémonies solennelles, de la sépulture ecclésiastique, etc. »355 (voir can. 2268 et suiv.) On distingue : 1. l’interdit personnel qui frappe clercs ou laïcs ; 2. l’interdit local, s’il est prononcé contre un lieu : église, cimetière, ville, paroisse ; 3. l’interdit particulier qui n’atteint qu’un personne ou un lieu ; 4. l’interdit général qui frappe toute une contrée356, le clergé de tout un Etat, tous les membres d'un chapitre, d'une congrégation, etc. Nota. — 1) Comme on peut le voir, la suspense diffère des deux autres censures en ce qu'elle n'atteint que les clercs, et l'interdit diffère à son tour de l'excommunication et de la suspense en ce qu'elle est une peine qui frappe aussi bien les lieux que les personnes. — 2) Une censure n'est légitime qu'autant qu'elle est infligée pour une faute mortelle, extérieure, consommée et si, outre ces conditions il y a contumace, c'est-àdire s'il y a, de la part du coupable, refus obstiné d'obéir à une loi dûment promulguée et connue. — 3) Aucune censure ne frappe ceux qui ignorent 431. — B. PEINES TEMPORELLES. — Les peines spirituelles ne choquent pas les adversaires de l'Église, mais il n'en va pas de même des peines corporelles. L'Église, objectent-ils, est une société spirituelle qui doit gouverner les âmes par des actes libres, par la persuasion et non par la force. Elle n'a donc pas le droit d'infliger des peines corporelles. Il est vrai que l'Église, par rapport à la fin qu'elle poursuit, est une société spirituelle. Mais, toute spirituelle qu'elle est, ce n'en est pas moins une société composée d'hommes, par conséquent, d'éléments visibles comme toutes les autres sociétés. Comme celles-ci, elle a donc le droit de se protéger contre ceux qui mettent son existence en péril. Et si les peines spirituelles ne suffisent pas, pourquoi ne pourraitelle pas, par des moyens corporels, empêcher ses enfants dévoyés et rebelles, de nuire aux autres, les ramener eux-mêmes dans la voie du devoir et, s'il le faut, sacrifier le corps pour sauver l'âme? Ce droit, l'Église l'a toujours revendiqué, et, tout récemment encore, PIE IX ne craignait pas de condamner l'opinion contraire ainsi formulée dans la proposition XXIV du Syllabus : « L'Église n'a pas le droit d'employer la force ; elle n'a aucun pouvoir temporel direct ou indirect. » Mais si l'Église s'est reconnu dans le passé, et se reconnaît encore le droit d'appliquer des peines corporelles, elle est la première à estimer que ce qui a pu convenir à une époque où la société était chrétienne, où les principes de la religion pénétraient si profondément les institutions politiques, ne s'accommoderait plus aux besoins du moment. Il ne faut donc pas s'étonner de ce que 355
ORTOLAN, art. Censures ecclésiastiques, Dict. Vacant-Mangenot
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Ainsi, il est arrivé autrefois que la France a été mise en interdit v g par le Pape GREGOIRE sous le règne de ROBERT LE PIEUX (998) ; par INNOCENT II sous Louis VII (1141) ; par INNOCENT III sous PHILIPPE AUGUSTE (1200) etc. L'interdit local entraînait alors la défense de célébrer les offices, d'administrer les sacrements de l’Eucharistie de l'Ordre et de l'Extrême-Onction et de donner la sépulture ecclésiastique.
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l'Église, au moyen âge, recourut au bras séculier pour punir les crimes, comme ceux d'hérésie, qui semblent être du domaine exclusif des idées pures, mais qui, en fait, troublaient la sécurité de l'État chrétien, et devenaient alors de véritables crimes sociaux et politiques. Il est d'ailleurs contraire aux lois élémentaires de la critique historique de juger les mœurs du passé par celles du présent, les idées anciennes par les idées modernes. 432. — Corollaire. — Le privilège du for ecclésiastique. En dehors des droits que nous venons d'énumérer, l'Eglise a joui autrefois d'un certain nombre d'immunités, entre autres, du privilège, dit du for ecclésiastique. Ce privilège avait pour effet de soustraire la personne des clercs à la juridiction du pouvoir civil, en sorte qu'ils étaient jugés, non par les laïques, mais par les tribunaux ecclésiastiques. Que faut-il penser de cette immunité? Faut-il dire avec certains que c'était là un privilège injuste, et que toute infraction aux lois de l'État, quel qu'en soit l'auteur, doit être réprimée par le pouvoir, duquel elles émanent? On pourrait le croire au premier abord, mais si l'on prend soin de se placer dans l'hypothèse d'une société chrétienne, l'on conviendra aisément qu'il est naturel que les clercs qui sont spécialement soumis au pouvoir de l'Église, soient jugés par les tribunaux ecclésiastiques. Le prêtre ne remplira efficacement sa mission que dans la mesure où il jouira de la considération et du respect. Or toute comparution devant les tribunaux est cause de scandale, et doit enlever, non seulement à l'accusé, mais à tous les prêtres, l'autorité dont ils ont besoin pour prêcher la morale et exercer leur ministère. Aussi, bien que le Saint-Siège ait renoncé à cette immunité dans presque tous les pays catholiques, PIE IX n'en a pas moins proclamé hautement le droit de l'Église par la condamnation de la proposition XXXI du Syllabus : « Le for ecclésiastique pour les procès temporels des clercs, soit au civil soit au criminel, doit absolument être aboli, même sans consulter le Siège Apostolique et sans tenir compte de ses réclamations. »
Art. II. — Relations de l'Église et de l'État. 433. — Bien que société parfaite, l'Église est appelée à vivre dans l'État. Voilà, par le fait, deux sociétés autonomes, indépendantes, placées, sinon en face, du moins à côté l'une de l'autre. Quelles seront donc leurs relations ? II y a deux façons de les déterminer. Ou bien l'on considère l'Église seule, dans sa divine constitution, — avec ses pouvoirs et ses droits, — sans tenir compte des situations diverses dans lesquelles elle peut se trouver» Ou bien on la considère d'une manière concrète et dans les circonstances de fait auxquelles forcément elle doit s'adapter. En d'autres termes, il y a lieu de distinguer entre les principes et leur application, entre la théorie et la pratique, ou, pour employer les termes courants, entre la thèse et l'hypothèse. Toutefois, si l'on prend soin de remarquer que les principes peuvent s'appliquer dans le cas d'un État catholique, la thèse se confond alors avec l'hypothèse. D'où il suit que nous pouvons établir les relations de l'Église et de l'État en restant toujours dans le domaine des réalités. Ainsi ferons-nous dans les deux paragraphes suivants où nous étudierons les
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rapports des deux sociétés : 1° dans le cas d'un État catholique ; et 2° dans le cas d'un État acatholique. § 1. — RELATIONS DE L'ÉGLISE ET DE L'ÉTAT DANS LE CAS D'UN ÉTAT CATHOLIQUE. 434. — Envisagées à un point de vue général, les relations de l'Église et de l'État comportent trois solutions possibles. Il peut y avoir, ou bien domination d'un pouvoir par l'autre, ou bien séparation complète, ou accord mutuel. 1° Erreurs. — Les deux premiers systèmes s'opposent à la doctrine catholique que nous exposerons plus loin. A. La thèse de la DOMINATION D'UN POUVOIR PAR L’AUTRE peut être entendue dans un double sens, selon que l'on enseigne la subordination complète de l'Etat à l'Église ou de l'Église à l'État. — a) La première opinion, qui n'a eu que de rares partisans, parmi les théologiens et les canonistes, ne doit pas retenir notre attention. — b) La seconde opinion, qui veut que l'Église soit subordonnée à l'État, a été professée autrefois par les légistes césariens, et, à l'époque moderne, par les libéraux de la Révolution. Partant d'un principe opposé, — puisque les partisans du césarisme considéraient les empereurs et les rois comme des maîtres absolus, en qui résidait l'autorité suprême, tandis que les libéraux révolutionnaires regardaient le peuple comme le seul souverain et l'unique source du pouvoir, — les uns comme les autres aboutissaient au même résultat, et confisquaient tous les droits au profit1 d'un pouvoir unique, de la personnalité de l'État, quel qu'en fût le nom : empereur, roi, peuple, monarchie ou démocratie. Dans un tel système, la religion peut être sans doute conservée pour les services que l'État espère en retirer, mais il n'y a plus de place pour une Église indépendante et libre. Il ne faut plus parler des droits de l'Eglise ; celle-ci ne saurait en avoir d'autres que ceux qui lui sont octroyés par le bon vouloir du princeÉtat. Au césarisme et au libéralisme absolu se rattachent le gallicanisme et le joséphisme357, qui, tout en reconnaissant que l'Église est indépendante et souveraine dans les choses purement spirituelles, attribuent à l'Etat une autorité prépondérante dans les questions mixtes : v. g. le droit d'empêcher la publication de bulles, encycliques, mandements, etc., sans son consentement préalable. 435. — B. La thèse de la SÉPARATION DE L'ÉGLISE ET DE L'ÉTAT est l'erreur du libéralisme modéré. Partant de ce principe que l'Église et l'État sont deux rées, s'ignorant réciproquement. Le libéralisme modéré, avec des nuances diverses, a été la grande erreur du siècle dernier. Nous le voyons naître, avec LAMENNAIS, quelque peu après la Révolution de
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JOSEPH II, empereur d'Allemagne (1741-1790), entreprit de réformer l'Église catholique en la subordonnant entièrement à l'État. C'est ainsi que, de sa propre autorité, il supprima certains Ordres religieux, plaça les autres sous le contrôle de l’Etat, prétendit au droit de nommer les évêques, exigea d'eux le serment de fidélité, établit le mariage civil et le divorce, etc.
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1830. En face d'une société totalement transformée, et désormais acquise à ce qu'on appelle les libertés modernes, les libéraux catholiques rêvèrent de réconcilier l'Église et la société nouvelle en se plaçant sur le seul terrain de la liberté. N'hésitant pas à faire le sacrifice des droits et immunités de l'Église, ils se contentèrent de réclamer pour elle comme pour tout autre culte, la seule liberté, estimant que la religion doit être propagée par la persuasion, et non par la coaction, et que la vérité n'a pas besoin de protection pour triompher de l'erreur. 436. — 2° La Doctrine catholique — La doctrine catholique comprend deux points : les principes et 1 application des principes. A. Les Principes. — 1. L'Église et l'État sont tous les deux des pouvoirs distincts, indépendants, chacun dans son domaine. « Dieu, dit LÉON XIII dans son Encyclique Imrnortale Dei, a divisé le gouvernement du genre humain entre deux puissances, la puissance ecclésiastique et la puissance civile : celle-là préposée aux choses divines, celle-ci aux choses humaines. Chacune d'elles en son genre est souveraine, chacune est renfermée dans des limites parfaitement déterminées, et tracées en conformité de sa nature et de son but spécial ». Il n'est donc pas vrai de prétendre, avec le césarisme et le libéralisme absolu, que l'État est le pouvoir souverain d'où découlent tous les droits, ceux de l'Église aussi bien que ceux des autres sociétés. Sans doute, l'Église est dans l'État, mais elle y est, comme société parfaite, et non comme une partie qui doit être subordonnée au tout. Chaque puissance est souveraine dans sa sphère, et cette sphère est tracée par la nature et la fin des deux sociétés. A l'Église donc les affaires spirituelles, c'est-à-dire tout ce qui se rapporte au salut des âmes : prédication de l'Évangile, administration des sacrements, célébration du culte divin, jugement sur la moralité des actes humains, etc. A l'État, les affaires temporelles, c'est-à-dire tout ce qui concerne les intérêts matériels de ses sujets et ce qui est requis pour le bien et la protection de la société, comme le pouvoir de déterminer les droits politiques des citoyens, les effets civils des contrats, d'établir des impôts, de lever des armées, de promouvoir les sciences et les arts, de punir les transgresseurs des lois civiles, etc. Les deux puissances étant souveraines, chacune dans leur sphère, il s'ensuit que l'une est subordonnée à l'autre pour tout ce qui n'est pas de son ressort. Donc l'Église est dépendante et subordonnée à l'État dans les questions temporelles ; elle est indépendante et souveraine dans les questions spirituelles, et c'est du reste la condition de son existence. Car si l'Église était assujettie au pouvoir civil sur le terrain religieux, elle serait fractionnée en autant de parties qu'il y aurait d'États ; elle ne serait plus ni une, ni universelle, ni indéfectible : en un mot elle ne serait plus l'Église catholique. 2. Bien qu'ils soient deux pouvoirs distincts et indépendants, l'Église et l'État ne doivent pas vivre séparés mais s'unir dans un mutuel accord. Et de cette union, LEON XIII donne les raisons dans son Encyclique Immortale Dei ; « Leur autorité, dit-il en parlant des deux pouvoirs, s'exerçant sur les mêmes sujets, il peut arriver qu'une seule et même chose, quoique à des titres différents, ressortisse à la juridiction de l'une et l'autre puissance. Il est donc nécessaire qu'il y ait entre les deux puissances un système
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de rapports bien ordonné, non sans analogie avec celui qui dans l'homme constitue l'union de l'âme et du corps. » Ainsi, d'après la doctrine catholique, si l'Église et l'État ont des domaines distincts, ils ont aussi des frontière? communes. Et comment en serait-il autrement, alors que les deux sociétés détiennent leurs pouvoirs de Dieu et s'adressent aux. mêmes sujets? I1 est vrai que leurs fins sont différentes, mais celles-ci ne doivent jamais s'opposer entre elles, plus que cela, la fin temporelle, que poursuit l'État, manquerait son but si, en définitive, il n'était pas tenu compte de la fin éternelle et de la destinée future. Il peut donc arriver que les mêmes objets (v. g. les écoles, le mariage, à la fois contrat civil et religieux), et quoique à des titres différents, ressortissent à la juridiction de l'une et de l'autre puissance», comme dit LEON XIII. Il peut arriver encore que certaines choses, temporelles de leur nature, rentrent dans l'ordre spirituel par leur destination et tombent de ce fait sous la juridiction de l'Église. Tel est le cas des lieux et des objets sacrés : églises, mobilier, servant au culte, biens destinés à l'entretien des ministres, etc. Sur ces différents points qui forment ce qu'on appelle les questions mixtes, on ne saurait contester la juridiction de l'Église. Il est même permis d'aller plus loin et de dire que, à un certain point de vue, l'Église a un pouvoir indirect sur toutes les choses temporelles, non pas en tant qu'elles sont temporelles, mais parce qu'elles doivent toujours être des moyens d'atteindre la fin surnaturelle. C'est en vertu de ce pouvoir que les Papes du moyen âge se sont parfois élevés contre les princes qui abusaient de leur puissance, qu'ils sont allés jusqu'à les déposer comme indignes de la souveraineté et ont délié leurs peuples du serment de fidélité. Il suit de là que, en principe, s'il surgit des conflits, l'État doit céder, puisque son pouvoir est inférieur à celui de l'Église par sa nature et sa fin. En pratique, il convient qu'il y ait union entre les pouvoirs ; il faut que l'Église et l'État, loin de s'ignorer réciproquement, se parlent, fassent des conventions ou concordats358 et que ces derniers soient loyalement observés par tous les deux. 437. — B. Application des principes dans le cas d'un État catholique. — Dans l'hypothèse d'un État catholique, c'est-à-dire, là où les principes peuvent recevoir leur application, quels seront donc les devoirs réciproques de l'Église et de l'État ? L'on peut dire, d'une manière générale, que la concorde qui doit régner entre eux requiert : — 1) du côté négatif : que chaque puissance veille à. ne pas violer les droits de l'autre et à ne pas entraver son action ; — 2) du côté positif, que chacune mette au service de l'autre l'influence dont elle dispose pour le bien des deux sociétés. a) DEVOIRS DE L'ÉGLISE. — L'Église doit prêter à l'État l'appui de son autorité et de ses œuvres. Qui ne voit du reste combien par sa doctrine elle peut travailler au bonheur des peuples puisque, d'une part, elle « fait remonter jusqu'à Dieu même l'origine du
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Le Concordat est un traité passé entre le Pape et le Chef d'une nation en vue de régler les rapports de l'Eglise et de l'Etat dans les questions touchant aux affaires religieuses. Le concordat, étant un contrat bilatéral ,ne peut être rompu que d'un commun accord. — Principaux concordats: celui de Worms (1122) qui termina la querelle des Investitures ; concordat de Bologne (1516) entre LEON X et FRANÇOIS I er ; concordat de 1801 entre PIE VII et NAPOLEON Ier
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pouvoir, qu'elle impose avec une très grande autorité aux princes l'obligation de ne point oublier leurs devoirs, de ne point commander avec injustice ou dureté », et d'autre part, qu'elle « commande aux citoyens à l'égard de la puissance légitime, la soumission comme aux représentants de Dieu, et les unit aux chefs de l'État par les liens, non seulement de l'obéissance, mais du respect et de l'amour, leur interdisant la révolte et toutes les entreprises qui peuvent troubler l'ordre et la tranquillité de l'État »? (Enc. Libertas). Ainsi, de l'influence de l'Église, l'État retirera un double profit. L'autorité des chefs, considérée, non pas uniquement comme l'expression de la volonté du peuple, mais comme venant de Dieu, revêtira un caractère sacré et se conformera mieux aux règles de la justice. Le peuple, à son tour, acceptera l'obéissance comme une soumission à la volonté de Dieu, qui, loin de l'humilier, ne peut que l'ennoblir. b) DEVOIRS DE L'ÉTAT. — 1. Le premier devoir de l'État vis-à-vis de la religion en général, c'est de rendre lui-même un culte social à Dieu. La raison seule démontre à l'évidence la nécessité de ce culte. Dieu n'est-il pas le maître des sociétés comme des individus? Or, dit LEON XIII (Enc. Immortale Dei), « si la nature et la raison imposent à chacun de nous le devoir d'honorer Dieu d'un culte religieux, parce que nous sommes sous sa puissance, et parce que, sortis de lui, nous devons retourner à lui, la même loi oblige la communauté politique ». Le chef de l'État doit donc rendre hommage à Dieu au nom du peuple qu'il représente, en s'associant aux actes de religion qui s'accomplissent au sein de l'Église catholique. Nous disons « de l'Église catholique» car, bien que le culte de Dieu s'impose, antérieurement à toute religion révélée, il va de soi que, si Dieu a dit comment il voulait être adoré et servi, il y a obligation, non seulement pour les individus, mais pour le corps social, de se soumettre à ses ordres. 2. Le second devoir de l'État est de reconnaître tous les droits de l'Église, tels qu'ils découlent de sa constitution divine et que nous les avons décrits dans l'article précédent. L'État doit donc disposer la législation civile de manière à seconder et à développer la religion catholique. Il ne lui appartient pas de connaître lui-même des doctrines. « II laissera, dit Mgr D'HULST, l'Église juger les novateurs et, s'ils s'obstinent dans leur révolte, les punir selon les lois canoniques, et les exclure de son sein. Mais il pourra prêter à l'autorité religieuse le pouvoir coercitif dont il dispose, pour arrêter une contagion dont les progrès seraient nuisibles à la société civile elle-même. »359 438. — 1re Objection. — Contre la thèse catholique, nos adversaires objectent les empiétements de l'Église, et font remarquer que, si l'État admet l'indépendance de l'Église, et lui reconnaît tous les droits qu'elle revendique, elle formera un « État dans l'État» et deviendra un gouvernement théocratique intolérable. Réponse. — Pour craindre les empiétements de l'Église, il faudrait d'abord prouver que l'Église est une puissance susceptible d'être dangereuse à la sécurité de l'État. Or les Pontifes romains et la doctrine catholique ont toujours enseigné aux fidèles l'obéissance aux lois portées par l'État, à moins qu'elles ne fussent en opposition avec les droits de Dieu et de la conscience. Assurément, la coexistence de deux sociétés indépendantes serait une cause de troubles et de désordres, si ces sociétés étaient toutes deux du même ordre, si elles tendaient, soit à une même fin, soit à des fins opposées entre elles. Or il n'en est rien. 359
MGR D’HULST Car. 1895, La morale du Citoyen .5e Conf. L'Église et l'État
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Nous avons vu que l'Église et l'État ont des fins différentes et que ces fins, l'une d'ordre spirituel, l'autre d'ordre temporel, ne sont nullement en opposition, que, au contraire, elles peuvent et doivent s'harmoniser parfaitement. — II n'est du reste pas juste de dire que l'Église est dans l'État. Car, matériellement, elle le déborde : l'Église catholique est dans tous les États, et pour cette raison, avons nous déjà dit, elle ne saurait être dépendante d'aucun pouvoir civil, et, à plus forte raison, être réduite à l'état de rouage politique. D'autre part, accuser l'Église de prétendre à un pouvoir théocratique qui voudrait prédominer, même dans les questions temporelles, c'est se mettre en absolue contradiction avec la doctrine de LEON XIII que nous avons exposée plus haut. 439. — 2e Objection. — Mais, dit-on encore, si l'État impose à ses sujets un culte quelconque, s'il prétend remplir, au nom de tous, des devoirs que tous ne reconnaissent pas, et plus encore, s'il met sa puissance au service de l'Eglise contre les hérétiques et contre ceux qui ne veulent pas de religion, ne sort-il pas de son rôle? N'opprime-t-il pas les consciences et n'est-il pas intolérante Et que deviendront alors nos libertés modernes : liberté de pensée et de parole, liberté de conscience et de culte? Réponse. — a) Observons d'abord que nous nous sommes placés, pour établir la thèse catholique, dans l'hypothèse d'une société unie dans les mêmes croyances. Or il est évident qu'aucune société ne peut subsister si les principes sur lesquels elle s'appuie, ne sont pas respectés. On l'admet bien quand il s'agit, par exemple, des institutions, comme celles de la famille et de la propriété. Pourquoi le rejetterait-on a propos de la religion, si l'on reconnaît, par ailleurs, qu'elle est une des bases de la société! A ceux qui prêcheraient la polygamie, la polyandrie, l'union libre, à ceux qui voudraient renverser la propriété individuelle, l'État ne manquerait pas d'opposer la contrainte. I1 agirait de même avec les internationalistes, qui refuseraient de concourir, par le service militaire, à l'unité de la patrie. Dira-t-on que l'État fait acte de tyrannie lorsqu'il poursuit les révolutionnaires et les anarchistes qui menacent sa sécurité? Tous les gens sensés avouent qu'il ne fait au contraire que jouer son rôle et remplir sa mission. « Eh bien, dit Mgr D'HULST, transportez ces principes dans une société dont tous les membres sont chrétiens, où la croyance religieuse rencontre, sinon l'unanimité absolue, qui n'est pas de ce monde, du moins la même unanimité morale que nous constations tout à l'heure à l'égard des idées qui inspirent et soutiennent nos institutions fondamentales, la propriété, la famille, la patrie. Refuserez-vous à un État de cette sorte le droit de prêter l'appui de son pouvoir?... Théoriquement, je ne vois pas ce qui pourrait le lui interdire. »360 b) Lorsqu'on nous objecte les « libertés modernes », il semble bien qu'on sort de l'hypothèse d'une société presque exclusivement catholique. Voyons cependant ce qu'il faut en penser, du seul point de vue absolu, c'est-à-dire en restant sur le terrain des principes. L'Église condamne-t-elle toutes ces libertés que l'on considère comme le fondement de la société moderne1? Condamne-t-elle, en particulier, la liberté de penser et de parler, la liberté de conscience et de culte ? Avant de répondre à cette question, il 360
MGR D’HULST, conf. cit.
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est bon de s'entendre sur le sens qu'il faut attacher au mot liberté. D'après la doctrine de l'Église, la liberté c'est le pouvoir physique d'agir de toile ou de telle façon, mais ce n'est pas le droit d'agir de n'importe quelle façon. La raison prescrit à l'homme de croire ce qui est vrai et de faire ce qui est bien. La liberté ne peut donc pas être le droit de choisir entre le vrai et le faux, entre le bien et le mal, le juste et l'injuste. « La volonté, dit LEON XIII, par le seul fait qu'elle dépend de la raison, dès qu'elle désire un objet qui s'écarte de la droite raison, tombe dans un vice radical qui n'est que la corruption et l'abus de la liberté. Voilà pourquoi Dieu, la perfection infinie, qui, étant souverainement intelligent et la bonté par essence, est aussi souverainement libre, ne peut pourtant en aucune façon vouloir le mal moral... La faculté de pécher n'est pas une liberté, mais une servitude. » (Enc. Libertas). Les libéraux, qui mettent en avant les libertés modernes, pour combattre ce qu'ils appellent l'intolérance de l'Église, entendent-ils par là que l'homme a le droit de penser, de dire, d'écrire, d'enseigner tout ce qu'il veut, le faux comme le vrai, le mal comme le bien, qu'il a une liberté de conscience illimitée, qu'il « lui est loisible de professer telle religion qui lui plaît ou même de n'en professer aucune », qu'il a le droit de s'affranchir de ses devoirs envers Dieu? Si telle est leur conception de la liberté, il est évident qu'elle est en opposition flagrante avec la doctrine catholique, disons plus, avec la raison. Cette soi-disant liberté, l'Église l'appelle « pure licence», et assurément, elle la condamne. Jamais elle n'admettra que la liberté puisse être le droit d'agir contre la raison et la nature, le droit d'embrasser l'erreur et de choisir le mal. En principe, par conséquent, l'erreur et le mal n'ont aucun droit : ils n'ont droit ni à la tolérance ni même à l'existence. Saint AUGUSTIN a dit, il est vrai, qu'il faut « exterminer les erreurs et aimer les hommes». Et cela est juste, mais comment frapper les erreurs si l'on ne touche pas aux hommes qui les professent? En pratique donc, lorsque ces hommes sont de bonne foi, — et il n'est pas permis sans de graves motifs de supposer le contraire, — il convient de les traiter avec de grands ménagements et beaucoup de charité : ils ont droit à la tolérance. Mais il ne faut pas que cette tolérance puisse tourner au désavantage des autres membres de la société. Car, dans toute société, la liberté individuelle finit où commence le droit d'autrui. Aussi longtemps que la liberté de pensée et de conscience se confine au for intérieur, Dieu reste le juge de nos opinions. Mais si ello se traduit au dehors (discours ou écrits révolutionnaires), elle tombe alors sous l'appréciation du pouvoir social, et rien n'empêche celui-ci, plus que cela, il est de son devoir, de protéger la vérité contre l'erreur, le bien contre le mal, et de frapper ceux qui propagent les mauvaises doctrines, même s'ils sont de bonne foi. Combien son devoir devient plus impérieux s'il a affaire à des hommes de mauvaise foi ! Conclusion. — Nous pouvons donc conclure: — 1. que la liberté de conscience ne saurait être, en aucun cas, le droit de rejeter toute religion, ou même de choisir n'importe quelle religion : elle est au contraire, le droit de professer librement, sans être gêné par personne, la religion que Dieu nous a enseignée : — 2. qu'il n'y a pas dès lors à reprocher à l'Église d'avoir employé jadis la coaction, car elle n'en a jamais fait usage que contre les hérétiques, c'est-à-dire contre ceux qui ressortissaient à sa juridiction, contre les chrétiens de mauvaise foi qui ne remplissaient pas leurs obligations. Quant aux autres, jamais l'Église ne leur a contesté la liberté de penser comme
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ils voulaient. Elle a toujours affirmé qu'on ne doit contraindre personne à faire un acte religieux qui répugne à la conscience, et jamais elle n'a forcé ceux qui, nés et élevés, soit dans une religion païenne, soit dans l'hérésie, ne faisaient pas partie de son corps, à adhérer à sa foi et à son culte. § 2. — RELATIONS DE L'ÉGLISE ET DE L'ÉTAT DANS L'HYPOTHESE D'UN ÉTAT CATHOLIQUE. 440. — Dans le paragraphe précédent, nous avons exposé ce qu'on appelle la thèse et l'application de la thèse dans l'hypothèse d'un État catholique. Immuables en euxmêmes, les principes restent toujours vrais, et ne dépendent ni de la reconnaissance ni de l'approbation du pouvoir civil. Cependant, tout immuables qu'ils sont, ils ne sont pas absolus quant à leur application. Dans la revendication de ses droits, l'Église est bien obligée de tenir compte des contingences et d'accepter la situation de fait qui lui est imposée. Mais, en se pliant aux circonstances, elle n'abandonne rien de ses principes. C'est sur ce point que le libéralisme se met en opposition avec la doctrine catholique. Son erreur consiste précisément à ne pas distinguer entre la thèse et l'hypothèse, à accorder en principe les mêmes droits à l'erreur et à l'hérésie qu'à la vérité et à l'orthodoxie, et à faire rentrer tous les cultes dans le même droit commun. Les principaux cas, où l'Église ne peut pas appliquer ses principes, sont «eux : 1° d'un État hétérodoxe ; 2° d'un État infidèle; et 3° d'un État neutre. 1° Hypothèse d'un État hétérodoxe. — Les États hétérodoxes sont ceux qui, tout en appartenant à la religion chrétienne, sont séparés de l'Église catholique par le schisme ou l'hérésie. En principe, les États chrétiens doivent reconnaître à l'Église catholique tous les droits que Jésus-Christ a accordés à la société religieuse qu'il a fondée. Les États protestants sont d'autant plus tenus de ne pas restreindre les droits des catholiques qu'ils ont pour principe fondamental la théorie du libre examen, et ne sauraient, de ce fait, prétendre que leur interprétation de la Sainte Écriture est vraie, à l'exclusion des autres. L'Église catholique ne doit donc pas être frustrée de ses droits essentiels : droit d'enseigner, droit de pratiquer librement son culte, droit de posséder, etc. 441. — 2° Hypothèse d'un État infidèle. — Nous désignons sous ce titre toutes les religions dont nous avons démontré la fausseté dans la première section de la seconde Partie. En principe, l'Église catholique, s'appuyant sur la raison et sur toutes les preuves qui font éclater la transcendance du christianisme, peut réclamer tous les droits qui, du seul point de vue naturel, doivent être accordés à la vraie religion. En pratique, les missionnaires qui évangélisent les contrées païennes, ne revendiquent guère que la liberté de prêcher la foi du Christ, et trop souvent ils l'achètent au prix de leur sang. 442. — 3° Hypothèse d'un État neutre. — Ce que nous appelons ici « État neutre» pourrait s'appeler tout aussi bien État libéral. Il désigne, de toute façon, l'État qui, acceptant les libertés modernes, ne reconnaît aucun culte officiel. Quelles seront, dans cette hypothèse, les relations de l'Église et de l'État? La réponse ne saurait être
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générale. — 1. S'agit-il d'un État vraiment neutre, où les sectes dissidentes sont nombreuses, il est clair que l'union de l'Église et de l'État est pratiquement impossible. Le régime de la séparation devient alors la situation normale. L'Église, quoique ne reniant rien de ses principes, peut donc, en pratique, accepter la séparation comme le seul « modus vivendi» possible dans telle circonstance donnée. Mais qui dit séparation ne dit pas désunion, encore moins hostilité. Pas davantage la séparation ne doit impliquer l'indifférence. Un État, même neutre, n'a pas plus le droit de se désintéresser de la religion que de la morale. Qu'un État ne prenne pas parti entre les diverses religions, qu'il accepte tous les cultes, soit ; mais il lui reste toujours le devoir de protéger la religion en général, contre les athées qui, en détruisant l'idée de Dieu, tentent de saper la base essentielle de toute religion. Quel que soit son amour des libertés modernes, il ne doit pas tolérer des doctrines qui compromettent la sécurité de l'État et l'ordre public. De même qu'il ne peut permettre de tout faire, il ne peut laisser la liberté de tout dire et de tout enseigner. Si l'État neutre ne peut donc accorder BOB faveurs à telle religion, à l'exclusion des autres, il peut protéger toutes les religions. De l'application de cette doctrine, les États-Unis nous fournissent un illustre exemple. Dans ce pays, si partagé au point de vue des croyances qu'il eût été tout à fait impolitique de protéger un culte plutôt qu'un autre, où la séparation s'imposait comme une nécessité, nous voyons le pouvoir civil favoriser, de multiples façons, toutes les religions, sauf la secte des Mormons (v. notre Histoire de l'Eglise, n° 298), accorder à toutes la plus grande liberté d'action et sauvegarder les intérêts de chacune par l'équité de ses lois et par la justice de ses jugements. 2. S'agit-il d'un État plutôt athée que neutre, l'Église se trouve forcément réduite à ne revendiquer que les garanties du droit commun. L'union des deux pouvoirs devenant impossible, l'Église doit se borner à réclamer pour elle comme pour toute autre religion, liberté pleine et entière dans la profession de sa foi et l'exercice de son culte. Mais, dira-t-on, s'il en est ainsi, pourquoi le pape PIE X a-t-il condamné avec tant de véhémence la loi de Séparation par son Encyclique Vehementer du 11 février 1906? Les raisons en sont très claires et découlent de ce que nous avons dit dans ce chapitre. — 1) C'est, en premier lieu, que, en se plaçant sur le terrain de la thèse, la séparation n'est pas le régime normal, et contredit la doctrine de l'Église. — 2) C'est, en second lieu, que la rupture -d'un concordat ne doit se faire que du consentement réciproque des deux parties contractantes, comme PIE X le déclare : « Le concordat passé entre le Souverain Pontife et le gouvernement français, comme du reste tous les traités du même genre que les États concluent entre eux, était un contrat bilatéral qui obligeait des deux côtés. Le Pontife romain, d'une part, le chef de la nation française, de l'autre* s'engagèrent solennellement, tant pour eux que pour leurs successeurs, à maintenir inviolablement le pacte qu'ils signaient. Il en résultait que le- concordat avait pour règle, la règle de tous les traités internationaux, c'est-à-dire le droit des gens, et qu'il ne pouvait en aucune manière être annulé par le fait d'une seule des deux parties ayant contracté... Or aujourd'hui l'État abroge de sa seule autorité le pacte solennel qu'il avait signé. Il transgresse ainsi la foi jurée. » Sans doute, le temps et les circonstances ont déjà fait reconnaître la justesse de ces observations, et tout nous porte à croire que, dans un avenir assez proche, la France reprendra avec le Saint-Siège, sinon son alliance traditionnelle, du moins un régime de bonne relation et d'entente.
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443. — Remarque. — L'Église et les diverses formes de gouvernement. — Il convient de remarquer que les relations de l'Église et de l'État, — thèse et hypothèse, — ont été établies daris l'article qui précède, abstraction faite de la forme au gouvernement. Or, sur cette dernière question, — la forme de gouvernement, — la doctrine de l'Église peut s'établir dans les trois points suivants : — 1. Tout d'abord elle pose en principe absolu que « tout pouvoir vient de Dieu» (Rom., XIII, 1). Dieu étant le seul et souverain Maître des choses, il s'ensuit qu'aucune autorité ne peut se constituer en dehors de lui. — 2. Si l'Église regarde comme un principe absolu que l'origine du pouvoir doit être reportée à Dieu, elle n'a pas tranché la question de savoir quel doit en être le mode de transmission. Est-il remis directement par Dieu entre les mains du Chef de l'État, comme dans la monarchie héréditaire, avec pouvoir absolu ou limité par une constitution 1 Ou est-il remis directement au peuple et conféré indirectement par un nombre restreint d'électeurs ou par le suffrage universel, soit à un seul homme (monarchie élective), soit à une élite sociale et intellectuelle (régime aristocratique), soit à de nombreux représentants choisis dans toutes les classes (régime démocratique) ? c'est ce que l'Église n'a pas déterminé361. On voit donc par là qu'elle n'impose aucune forme de gouvernement. « Des diverses formes de gouvernement, dit LÉON XIII (Enc. Libertas), pourvu qu'elles soient en elles-mêmes aptes à procurer le bien des citoyens, l'Église n'en rejette aucune ; mais elle veut, et la nature s'accorde avec elle pour l'exiger, que leur institution ne viole le droit de personne et respecte particulièrement les droits de l'Église. » — 3. Ce que l'Église ne saurait admettre, c'est que le peuple aurait la souveraineté, dans ce sens qu'il faudrait chercher en lui l'origine du pouvoir, qu'il en serait le détenteur immédiat, qu'il aurait, par conséquent, le droit de le garder, de le communiquer et de le reprendre à son gré.. S'il en était ainsi, l'insurrection serait vraiment pour lui, comme dit Jean-Jacques ROUSSEAU, « le plus sacré des droits », et toute révolution deviendrait légitime de par la volonté du peuple. BIBLIOGRAPHIE. — Encycliques de GKEGOIRE XVI, Mirari vos, (15août 1832), de PIE IX « Quanta cura » (8 déc. 1864), de LEON XIII « Diuturnum » (20 juin 1881), « Immortale Dei» (1 nov. 1885), « Jampridem » (6 janv. 1886), « Libertas » (20 juin 1888), — Mgr D'HULST, Car 1895, 2e conf. Les Droits de F État, 3e conf. Les Devoirs de l’État, 5e conf. L'Église et l'État ; Le Droit chrétien et le Droit moderne, 1886. — FORGET. art. Index (Dict. d'Alès). — DUBLANCHY, art. Église (Dict. VacantMangenot). — Mgr SAUVE, Questions religieuses et sociales. — DOM GREA, De l’Église et de sa divine constitution (Bonne Presse). — MOULART, L'Église et l’Etat (Louvain). — CANET, La liberté de conscience ; La liberté de penser et la libre-pensée (Bloud). — DE PASCAL, art. Libéralisme (Dict. d'Alès). — VACANDARD, De la tolérance religieuse (Bloud). — MOULARD ET VINCENT, Apologétique chrétienne (Bloud). — TANQUEREY, Théologie dogmatique fondamentale. SECTION III
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L'on voit par là que la théorie du « droit divin », d'après laquelle les monarques entendaient tenir directement de Dieu le pouvoir qu'ils exerçaient et nullement de leur peuple, ne représente pas la doctrine de l'Église.
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APOLOGIE DE L'ÉGLISE CHAPITRE I. — L'Église et l'Histoire. DÉVELOPPEMENT Division du Chapitre. 444. — Divine dans son origine et dans sa constitution, l'Église n'en reste pas moins une société composée d'éléments humains. Il serait donc surprenant que, à travers les diverses périodes de sa longue existence, elle n'ait jamais connu la moindre défaillance. Le gouvernement de l'Église, comme tout autre qui se sert d'instruments humains, a pu commettre et a certainement commis des abus. Que ses adversaires ne perdent pas l'occasion de les lui reprocher, fort bien. Là où leurs critiques sont impartiales, nous ne ferons pas de vains efforts pour en contester le bien-fondé. Mais les fautes rejaillissent sur les hommes et non sur les institutions. Et même quand il s'agit des hommes, encore convient-il de les juger sans passion, en tenant compte du milieu où ils ont vécu, des idées de leur époque, de toutes les circonstances enfin qui peuvent expliquer, et souvent, justifier leur conduite. En nous appuyant sur ces principes, nous allons passer en revue les principales accusations qui sont portées contre l'Église. Et comme une société ne doit pas être jugée d'après les fautes qu'on lui reproche avec plus ou moins de raisons, en face des accusations nous dresserons un rapide inventaire des services que l'Église a rendus. Ce chapitre comprendra donc deux articles : 1° Les principales accusations contre l'Église. 2° Les services rendus par l’ Église. Art. I. — Les principales accusations contre l'Église. Les principales accusations portées contre l'Église sont les suivantes : 1° Les Croisades. 2° La Croisade des Albigeois et Y Inquisition. 3° Les Guerres de religion et la Saint-Barthélemy. 4° Les Dragonnades et la Révocation de l'Édit de Nantes. 5° Le Procès de Galilée. 6° l’ingérence des Papes dans les affaires temporelles. 7° Le Syllabus et la condamnation des libertés modernes. § 1. — LES CROISADES. 445. — Remarque préliminaire. — Toutes les questions que nous allons étudier comporteraient de longs développements, s'il fallait les traiter dans toute leur étendue. Tel n'est pas ici notre rôle. L'apologiste ne fait pas œuvre d'historien, et il lui suffit de se borner aux seuls points qui sont indispensables à l'intelligence du sujet. Chaque paragraphe comprendra donc trois divisions : 1° un exposé succinct des faits ; 2° L’accusation portée par les adversaires ; 3° la réponse, où nous aurons à dégager l'Église des griefs qui ne lui incombent pas. 446. — Exposé des faits. — Les croisades, au nombre de huit, — ainsi dénommées parce que ceux qui y prenaient part, portaient sur leurs habits une petite croix d'étoffe
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rouge, — furent des expéditions entreprises dans le but d'arracher les Lieux Saints à la domination des musulmans. Depuis le IVe siècle, les Lieux Saints étaient le but de nombreux pèlerinages. Attires là par un motif de piété ou de repentir, les chrétiens jouirent d'une assez large tolérance, aussi longtemps que Jérusalem resta sous le joug des Arabes. Mais lorsque les Turcs Seldjoukides s'emparèrent de la ville, en 1078, menaçant l'empire byzantin et la chrétienté tout entière, non seulement les relations économiques entre l'Asie et l'Europe furent troublées, mais les pèlerins furent maltraités par les Turcs fanatiques. C'est alors que le pape URBAIN II, voulant protéger les chrétiens opprimés, tant ceux qui étaient fixés à Jérusalem que ceux qui ne faisaient qu'y passer, conçut l'idée de la croisade. A sa voix et à celle d'un moine picard, PIERRE L'ERMITE, les populations se soulevèrent d'indignation, et l'on décida de partir en masse pour la délivrance de la Terre Sainte. 447. — 2° Accusation. — Nos adversaires prétendent que les Croisades furent l'œuvre de l'ambition des papes et qu'elles aboutirent à de misérables résultats. 448. — 3° Réponse. — Ainsi les ennemis de l'Église attaquent les Croisades à la fois dans leur principe et dans leurs résultats. — A. LE PRINCIPE. On vient de le voir : les Croisades eurent pour but la délivrance des Lieux Saints. Accuser les Papes d'en avoir été les promoteurs, c'est leur reprocher A'avoir fait leur devoir. Que les Papes aient profité de leur autorité incontestée sur les rois et les princes chrétiens pour les déterminer à se croiser, il n'est que trop naturel, mais, en tout cela, nous ne voyons pas les traces d'une ambition de mauvais aloi qui ne recule pas devant l'injustice d'une cause pour satisfaire la soif de domination d'un homme. Au contraire, l'on peut dire que les Papes furent de tous les souverains de leur temps, les plus clairvoyants, car ils eurent l'intuition du danger qui menaçait l'Europe. Il est vrai que les Croisades ne réussirent pas à l'écarter définitivement, puisque, en 1453, c'est-à-dire 400 ans après, Constantinople tombait aux mains des Turcs, mais n'est-ce pas aussi la meilleure preuve que l'idée des Papes était juste ? B. LES RÉSULTATS. — a) On allègue que les croisades furent de mauvaises entreprises parce qu'elles furent malheureuses, et qu'elles aboutirent à un échec total. Mais où a-t-on vu que toute œuvre est mauvaise, qui' ne réussit pas? Au surplus, il ne dépendit pas des Papes qu'elles fussent menées à bonne lin, et ce serait vraiment manquer de bonne foi que de les rendre responsables des fautes qui furent commises, des abus qui furent le fait des aventuriers qui se mêlèrent aux soldats chrétiens, des dissensions, des ambitions personnelles, des mesquines rivalités des princes, bref, de tout un ensemble de choses qui firent échouer les Croisades. — b) Mais si le but premier pour lequel elles furent entreprises, ne fut pas atteint, si Jérusalem, un moment délivrée, retomba plus tard au pouvoir des infidèles, il n'en reste pas moins que les Croisades eurent des résultats incontestables, bien que secondaires et en dehors de l'objectif poursuivi par les Papes. — 1. Tout d'abord, du seul point de vue général et moral, n'est-ce pas un spectacle plein de grandeur que cette foule d'hom,mes qui se lève en masse pour courir à la conquête d'un tombeau et défendre sa foi? — 2. Au point de vue intérieur, les Croisades eurent pour effet de supprimer, au moins
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momentanément, le fléau des guerres privées, en rapprochant les individus, en fusionnant les races, les Français du Nord et ceux du Midi, et en faisant passer dans tous les cœurs un grand courant de fraternité nationale. — 3. Enfin, au point de vue extérieur, les Croisades préservèrent l'Europe de la conquête musulmane. D'autre part, elles furent le point de départ des explorations géographiques qui découvrirent l'Extrême-Orient aux Occidentaux et elles rouvrirent la route du commerce entre l'Europe et l'Asie : l'Orient redevint accessible aux marchands de l'Occident (v. notre Hist Gén. de l'Église, Vol. V, p. 265 et suiv.). § 2. — LA CROISADE DES ALBIGEOIS ET L'INQUISITION. 449. — 1° Exposé des faits. — A. LA CROISADE DES ALBIGEOIS (1209). — A toutes les époques de son histoire, l'Église eut à combattre l'hérésie. Longtemps elle usa de tolérance, et n'employa d'autres armes que la persuasion et les sanctions spirituelles. « Qu'on prenne les hérétiques par les arguments et non par les armes 1 » disait saint BERNARD, abbé de Clairvaux. Cependant, l'apparition d'une nouvelle hérésie, importée d'Orient, qui se propagea rapidement en Europe, et plus particulièrement, en Allemagne, dans le nord de l'Italie et dans le midi de la France, détermina les papes à changer de tactique. Les partisans de cette hérésie, appelés cathares (du grec « katharos » pur) parce qu'ils prétendaient se distinguer par leur ascétisme et une très grande pureté de mœurs, sont plus connus, en France, sous le nom d'Albigeois, vraisemblablement parce que c'est à Albi qu'ils firent leur première apparition, ou qu'ils y furent plus nombreux qu'ailleurs. Gomme autrefois les manichéens, ces hérétiques professaient qu'il y a deux principes créateurs, l'un bon, l'autre mauvais, que l'homme est l'œuvre de ce dernier, que la vie est mauvaise, qu'on a donc le droit de la supprimer par le suicide, et le devoir de ne pas la propager par le mariage. Estimant que les Albigeois faisaient courir un grave danger à l'Église et à la société civile, la papauté entreprit de les réduire par la force. Le concile de Latran, en 1139, puis le concile de Reims, en 1148, prononcèrent des sentences contre eux, et défendirent aux seigneurs de les recevoir sur leurs terres, sous peine d'interdit. Or les princes répondirent avec empressement à l'appel de l'Église ; ils mirent même tant d'ardeur dans la répression de l'hérésie qu'ils en vinrent bientôt à accuser la papauté de faiblesse et à réclamer de nouvelles mesures de rigueur. Alors, en 1179, le IIIe concile de Latran, puis, en 1184, sous l'inspiration du pape Lucius III et de l'empereur FREDERIC BARBEROUSSE, le synode de Vérone portèrent des décrets qui enjoignaient aux évêques de rechercher, par eux-mêmes ou par des commissaires, ceux qui sur leur territoire étaient suspects d'hérésie, de les faire juger par l'officialité diocésaine et d'en faire exécuter la sentence par les magistrats civils. Mais ces mesures ne furent que médiocrement efficaces. Les évêques qui étaient souvent en rapports de parenté ou d'amitié avec les familles des hérétiques, montraient peu de zèle à suivre les prescriptions du synode. Ce fut seulement en 1207, et après l'assassinat du légat du Pape, PIERRE DE CASTELNAU, par les ordres du comte de Toulouse, RAYMOND VI, que le pape INNOCENT III résolut de mettre un terme à leurs violences contre les catholiques. Après avoir excommunié leur protecteur, le comte RAYMOND, le pape convoqua les princes et les peuples à une nouvelle croisade, non plus cette fois contre
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les infidèles, mais contre les hérétiques qui jetaient le trouble dans le pays. Les seigneurs accoururent et se rangèrent sous la bannière de SIMON DE MONTFORT, poussés plus, il est vrai, par les appâts du gain que par les intérêts de l'orthodoxie. La guerre, qui dura vingt ans, et dont les événements principaux furent le siège de Béziers (1209), la bataille de Muret (1213) et le massacre de Marmande (1219), fut marquée par un grand nombre d'atrocités. Mais il convient d'ajouter que le pape INNOCENT III désavoua ceux qui s'en rendirent coupables. 450. — B. L'INQUISITION. — a) Origine. — On donne le nom d'Inquisition aux tribunaux établis dans certains pays pour rechercher et réprimer l'hérésie. La croisade des Albigeois n'avait pas réussi à étouffer l'hérésie. De la nécessité de la combattre par d'autres moyens naquit l'Inquisition. Sans doute, les officialités diocésaines existaient déjà. Après le IIIe concile de Latran et le synode de Vérone, le concile de Narbonne, en 1227, le concile de Toulouse, en 1229, avaient ordonné aux évêques l'institution dans chaque paroisse, d'une commission inquisitoriale chargée de rechercher les hérétiques ; mais, pour les raisons que nous avons signalées, les officialités et les commissions n'atteignaient pas le but poursuivi. C'est alors que le Pape GREGOIRE IX institua, à partir de 1231, des tribunaux chargés spécialement, avec le concours du pouvoir civil, de rechercher et de frapper les hérétiques. Sans supprimer les tribunaux diocésains, le pape confia le rôle d inquisiteurs aux Ordres mendiants, en particulier aux Dominicains et aux Franciscains. b) Procédure. — Lorsqu'un pays était suspecté d'hérésie, l'inquisiteur s'y rendait, assisté de ses auxiliaires. Après l'enquête préliminaire commençait la procédure. Trois traits lui donnaient une physionomie particulière : tout d'abord le secret rigoureux de l'information judiciaire qui laissait ignorer à l'accusé les témoins qui l'avaient dénoncé ; puis la défense de se faire assister par un avocat, enfin l'usage de la torture, si le prévenu ne' faisait pas spontanément 1 aveu de son hérésie. Les sentences n'étaient pas toujours rendues sur-le-champ. Il arrivait, comme cela se passa assez fréquemment au Portugal, en Italie, et surtout en Espagne, qu'elles étaient prononcées au milieu du peuple assemblé et en grand apparat : c'est ce qu'on appelait l'autodafé. L'autodafé (mot espagnol qui signifie acte de foi),—- ainsi dénommé parce que celui qui était chargé de lire les sentences, s'interrompait de temps en temps pour faire réciter par l'assistance des actes de foi,— était donc la lecture solennelle des sentences portées contre ceux que le tribunal de l'Inquisition avait eu à juger. S'ils étaient déclarés innocents, on les remettait en liberté ; s'ils étaient déclarés coupables, ils étaient mis en demeure d'abjurer aussitôt. Quant aux opiniâtres et aux relaps, c'està-dire ceux qui refusaient de rétracter leurs erreurs ou qui étaient convaincus de récidive, ils étaient frappés de pénalités diverses : pénitences canoniques, amendes, contributions à des œuvres pies, port sur les vêtements de petites croix, croisade pendant un temps déterminé, pèlerinage en Terre Sainte, confiscation des biens ; ou peines afflictives comme la flagellation, l'emprisonnement temporaire ou perpétuel, et, — la peine la plus grave, — la mort par le bûcher. Toutefois cette dernière peine n'était pas prononcée par le tribunal de 1 Inquisition mais par les juges civils, autrement dit, par le bras séculier, auquel les juges ecclésiastiques remettaient en certains cas ceux qui étaient convaincus d'hérésie.
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c) Champ d'action. — L'Inquisition fut établie peu à peu dans une grande partie de la chrétienté. Cependant plus d'un pays catholique lui échappa. Elle ne pénétra en Angleterre qu'à propos de l'affaire des Templiers et uniquement pour cette affaire. En France, elle ne fonctionna guère, du moins d'une façon suivie, que dans les régions méridionales, dans ce qu'on appelait le comté de Toulouse, et plus tard le Languedoc, puis dans l'Aragon. L'édit de Romorantin, en 1560, la supprima et reconnut aux évêques seuls le droit d'informer contre l'hérésie, jusqu'au moment où les Parlements, s'emparant de cette partie de la juridiction épiscopale, s'attribuèrent la connaissance exclusive des procès contre les hérétiques, les magiciens et les sorciers. Les inquisiteurs s'établirent en outre dans les Deux-Siciles, en maintes cités de l'Italie et en Allemagne362. Mais c'est surtout en Espagne que l'Inquisition a laissé les plus profonds et les plus regrettables souvenirs. Instituée dès le XIIIe siècle, suivant les formes canoniques, elle fut modifiée, à la fin du XVe siècle, par FERDINAND V et ISABELLE. SOUS leur impulsion, l'Inquisition devint pour ainsi dire une institution d'État où la politique eut plus de part que la religion. Comme le grand inquisiteur et les fiscaux, c'est-à-dire les procureurs chargés d'instruire le procès, dépendaient de la couronne, le tribunal de l'Inquisition fut entre les mains des rois un merveilleux instrument de terreur, destiné, non seulement à chasser les Juifs et les Maures de la Péninsule, mais encore à produire des sources de revenus les moins avouables. Le premier grand inquisiteur, le dominicain THOMAS DE TORQUEMADA, et même la plupart des inquisiteurs, se sont signalés par une sévérité excessive et ont fait de nombreuses victimes. 451. — 2° Accusation. — Qu'il s'agisse de la croisade des Albigeois elle-même ou de l’Inquisition, nos adversaires attaquent l'Église sur le double terrain du principe et des faits. 452. — 3° Réponse. — A. LE PRINCIPE. — Le principe sur lequel l'Église s'est appuyée pour établir l'Inquisition, n'est rien autre que la question du pouvoir coercitif. L'Église a-t-elle, oui ou non, le pouvoir, et par conséquent, le droit, d'infliger des peines, même corporelles, à ceux de ses enfants qui, loin de lui obéir, la battent en brèche et mettent son existence en péril? Toute la question est là. Or nous avons vu précédemment (Nos 431 et 439) que le droit de l'Église est incontestable, qu'il découle naturellement du pouvoir que Jésus-Christ lui a confié d'enseigner sa doctrine et de veiller à sa conservation intégrale, et que ce droit, l'Église l'a toujours revendiqué, sinon exercé. Il n'est donc plus nécessaire de nous attarder sur ce point. B. LES FAITS. — Autre chose le principe, autre chose l'application du principe. Lorsque nous avons établi la légitimité du principe, rien ne nous force à estimer que l’Inquisition fut, de la part de l'Église, une institution heureuse, tant elle paraît contraire à son tempérament et à son mode ordinaire de gouvernement. L'Église a, du reste, longtemps hésité à entrer dan,s cette voie, et il semble bien que, pour en arriver à ces moyens extrêmes, il a fallu qu'elle se crût en état de légitime défense. Que, placée dans l'alternative, ou de périr, ou de défendre son existence par des procédés violents, elle ait été amenée à prendre ce dernier parti, et qu'alors certains inquisiteurs chargés 362
Voir VACANDAR, L'Inquisition, p. 218, 219.
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d'appliquer sa législation se soient rendus coupables d'abus, d'irrégularités et d'excès, c'est ce dont tout apologiste de bonne foi est bien obligé de convenir avec ses adversaires. Cependant il ne faut rien exagérer, et, qu'il s'agisse des abus ou de l'institution ellemême, il convient de les apprécier avec un esprit impartial. — a) Les abus. Assurément, l'Inquisition a été une institution humaine où les intérêts supérieurs de l'Église ont été parfois sacrifiés aux passions, aux haines et aux intérêts des juges. L'on a fait remarquer363 que la peine de la confiscation, en excitant les convoitises, a pu déterminer des jugements iniques, que des haines personnelles ont pu dicter des dénonciations, peut-être même des condamnations. A cela nous pouvons répondre qu'il en est ainsi devant toutes les juridictions du monde. Les inquisiteurs ont dû exercer leurs fonctions dans des circonstances difficiles, sous la pression des événements et de l'opinion des foules soulevées contre l'hérésie et attendant avec impatience un verdict impitoyable condamnant les coupables. En outre, certains juges avaient passé une partie de leur vie à discuter avec l'hérésie et à la combattre ; d'autres, tels que ROBERT LE BOUGRE, inquisiteur de France, et REYNIER SACCHONI, inquisiteur de Lombardie, avaient été eux-mêmes hérétiques ; une fois convertis, ils avaient poursuivi leurs anciens coreligionnaires avec un zèle de néophytes. Ces considérations expliquent déjà, sinon excusent, beaucoup d'abus. Mais il est bon d'ajouter que beaucoup d'autres juges, remplis de zèle pour la gloire de Dieu et en même temps de pitié pour lés faiblesses humaines, tout en détestant l'hérésie, étaient pleins de mansuétude pour les personnes. Ils ne prononçaient une sentence de condamnation que lorsque la culpabilité n'offrait aucun doute, tant ils craignaient de condamner un innocent. Ils n'avaient pas de plus grande joie que celle de ramener le coupable à l'orthodoxie et de l'arracher au bras séculier ; aussi usaient-ils de préférence de pénitences canoniques et de pénalités temporaires pour ramener le coupable dans la voie du bien. b) L'institution. — En dehors des abus qui ont pu être commis et qui sont imputables aux inquisiteurs, et non à l'Église qui les a désavoués, l’institution elle-même a été l'objet des plus acerbes critiques. Les particularités de sa procédure dont nous avons relevé plus haut les trois traits caractéristiques, les pénalités qu'elle infligeait et, pardessus tout, la mort par le bûcher, ont soulevé les plus violentes diatribes contre l'Église. — Il ne rentre pas dans notre dessein de défendre ce qui ne nous paraît pas défendable. « Rien ne nous oblige, dirons-nous avec Mgr D'HULST, à tout justifier dans l'histoire de cette institution : par exemple, la procédure secrète, l'instruction poursuivie en dehors du prévenu, l'absence de débats contradictoires : ce sont des formes juridiques arriérées qui répondent mal à un sentiment d'équité aujourd'hui universel et qui est lui-même un fruit lentement mûri sur la tige de la civilisation chrétienne364. « Toutefois, si rien ne nous oblige à tout justifier, rien ne nous empêche non plus d'expliquer ce qui est explicable. — l. On reproche d'abord à l'Inquisition de ne pas avoir livré les noms des dénonciateurs et des témoins à charge, et de ne pas les avoir confrontés avec l'accusé. Or « cette coutume, dit M. DE CAUZONS, n'avait pas été imaginée pour entraver la défense des prévenus ; elle était née des circonstances
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LEA, Histoire de l'inquisition au moyen âge.
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Mgr d’Hulst Car. 1895, La morale du Citoyen .5e Conf. L'Église et l'État
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spéciales où l'Inquisition s'était fondée. Les témoins, les dénonciateurs des hérétiques avaient eu à souffrir de leurs dépositions devant les juges ; beaucoup avaient disparu, poignardés ou jetés dans les ravins des montagnes par les parents, les amis, les coreligionnaires des accusés. Ce fut ce danger de représailles sanglantes qui fit imposer la loi dont nous nous occupons. Sans elle, ni dénonciateurs ni témoins n'eussent voulu risquer leur vie et déposer à ce prix devant le tribunal. » La règle de taire les noms des témoins n'était du reste pas absolue, et l'inquisiteur les communiquait quand le danger n'existait pas ou avait disparu ; il les communiquait toujours aux notaires, aux assesseurs, à tous les auxiliaires qui avaient le droit et le devoir de contrôler ses actes. Ajoutons que des peines très graves frappaient les faux témoins. 2. On a reproché en second lieu à la procédure inquisitoriale l'interdiction aux accusés de se faire assister par un avocat. C'était là sans nul doute une atteinte grave au droit sacré de la défense. On le comprit du reste peu à peu, et, sinon en droit, du moins en fait, les avocats purent, par la suite, paraître à côté des accusés. 3. Mais que penser de la torture à laquelle la procédure inquisitoriale faisait appel pour arracher des aveux aux accusés? que penser surtout de la peine de mort par le bûcher ? La réponse est simple. L'Inquisition fui une institution de son temps. Elle se conforma donc aux idées et aux usages de son temps. La torture et la mort par le bûcher, qui révoltent tant notre sensibilité, ce n'est pas l'Église qui les a inventées, elle les a trouvées en usage dans les tribunaux de l'époque. Si l'on juge, et non sans raison, que ces pénalités étaient excessives, il convient de ne pas perdre de vue que le code pénal du moyen âge était en général autrement rigoureux que le nôtre. « Nous a'avons qu'à considérer les atrocités de la législation criminelle au moyen âge, pour voir combien les hommes d'alors manquaient du sentiment de la pitié. Rouer, jeter dans un chaudron d'eau bouillante, brûler vif, enterrer vif, écorcher vif, écarteler, tels étaient les procédés ordinaires par lesquels le criminaliste de ce temps-là s'efforçait d'empêcher le retour des crimes, en effrayant par d'épouvantables exemples, des populations assez dures à émouvoir. »365 A la décharge de l'Inquisition, il faut dire qu'elle n'employa la torture que dans des cas tout à fait exceptionnels, et que la peine du bûcher fut, elle aussi, relativement rare. Et si par ailleurs l'on compare le nombre des victimes faites par l'Allemagne luthérienne, et en Angleterre, par la seule reine Elisabeth, il apparaît que l'Inquisition catholique a été bien moins cruelle que l'intolérance protestante. Mais, dit-on encore, les tribunaux de l'Inquisition étaient comme une menace perpétuelle qui supprimait toute liberté de penser. Cette accusation n'est pas justifiée. Lorsqu'elle fut organisée dans la première moitié du XIIIe siècle, l'Inquisition était uniquement dirigée contre l'hérésie albigeoise. Elle s'étendit plus tard, il est vrai, à d'autres hérésies comme celle des Vaudois, mais elle ne visait jamais que les hérétiques. « Dès lors les païens et les musulmans échappaient à sa juridiction ; et si, plus tard, en Espagne, par exemple, elle prononça contre eux des sentences, ce fut par une contradiction avec ses principes, que lui imposa la politique des princes, plutôt que le souci de l'orthodoxie. Les Juifs ont bénéficié d'une plus large tolérance encore. M. 365
LEA, op. cit., pp. 234-235, cité par VACANBARD, 1’Inquisition, pp. 271, 272.454
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SALOMON REINACH l'a parfaitement démontré dans une conférence faite à la Société des Études juives, le 1er mars 1900, et publiée dans la Revue des Études juives de cette même année... Il est cependant deux cas où l'Inquisition a eu à s'occuper du judaïsme. En 1239. Grégoire IX lui ordonna de saisir partout les exemplaires du Talmud et de les brûler... «Tandis qu'on brûlait les chrétiens hérétiques, on se mit à brûler avec non moins de zèle les livres juifs. En 248, il y eut deux exécutions de ce genre à Paris... En 1267, Clément IV prescrit à l'archevêque de Tarragone de se faire livrer tous les Talmuds... En 1319, à Toulouse, Bernard Gui en réunit deux charretées, les fait traîner à travers les rues de la ville et brûler solennellement. Ainsi, au témoignage de Salomon Keinach, ce sont les livres, et non les fidèles du judaïsme, qui ont eu à subir les rigueurs de l'inquisition ». Il est un second cas où l'Inquisition eut à s'occuper des Juifs. Elle voulut préserver de leur lente infiltration la pureté du christianisme et, pour cela, elle poursuivit les faux convertie qui n'adoptaient la forme extérieure du christianisme que pour mieux dissimuler leur origine et leur qualité. « L'Église, dit fort bien M. REINACH, ne défendait pas aux Juifs d'être juifs ; mais elle interdisait aux chrétiens de judaïser et aux Juifs de les pousser dans cette voie. » Ce fut l'Inquisition d'Espagne qui. au XVe et au XVIe siècle, organisa les persécutions antisémites : mais ce fut pour des raisons politiques, sous la pression des souverains, plutôt que pour des raisons religieuses et sous l'impulsion du catholicisme.. En un mot, l'Inquisition religieuse du moyen âge a respecté les Juifs quand eux-mêmes respectaient les chrétiens ; l'Inquisition politique de la Renaissance les a poursuivis et durement condamnés. »366 Conclusion. — Nous pouvons donc conclure : — 1. que l'Église a longtemps répugné aux peines temporelles ; — 2. qu'elle a été amenée à des mesures de rigueur extrême par la force des choses et par la nécessité de protéger son existence ; — 3. que les abus qui se sont commis, et dont nos adversaires ont souvent exagéré le nombre, sont imputables aux inquisiteurs et non à la papauté qui a toujours protesté contre une sévérité excessive, et flétri les cruautés qui lui ont été signalées ; — 4. que l'Inquisition, en sauvegardant l'unité religieuse par la répression de l'hérésie, empêcha bien des guerres civiles et de prodigieuses effusions de sang. La preuve en est bien qu'en Espagne où le protestantisme fut ainsi étouffé, les victimes de l'Inquisition furent beaucoup moins nombreuses que celles des guerres de religion, en France et en Allemagne ; — 5. enfin, que l'Inquisition n'a jamais été, entre les mains de l'Église, qu'une arme de cil-constance, à laquelle depuis longtemps elle ne songe plus à recourir. § 3. — LES GUERRES DR RELIGION ET LA SAINT-BARTHELEMY. 453. — 1° Exposé des laits. — Les Guerres de religion sont les luttes civiles entre catholiques et protestants, qui, durant les règnes de FRANÇOIS II, CHARLES IX et HENRI III, ensanglantèrent la France. Au nombre de huit, elles débutèrent en 1562, à la suite du massacre de Vassy et se terminèrent par la promulgation de l'Édit de Nantes (1598) qui garantissait aux protestants le libre exercice de leur culte dans les villes où 366
J. GIRAUD, art. Inquisition (Dict. d'Alès).
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il avait été organisé par les précédents édits, le droit de bâtir des temples, l'accès à toutes les charges publiques, etc. On donne le nom de Saint-Barthélemy au massacre de l'amiral de Coligny et de nombreux gentilshommes protestants venus à Paris pour assister au mariage mixte de Marguerite de Valois avec Henri de Navarre, le futur Henri IV : massacre qui fut ordonné par le roi Charles IX et exécuté dans la nuit du 24 août 1572 (jour de la fête de saint Barthélemy). 454. — 2° Accusation. — A. A propos des guerres de religion, nos adversaires en rejettent toute la responsabilité sur l'Église catholique. — B. A propos de la SaintBarthélemy, ils l'accusent : — 1. d'avoir préparé le massacre : et — 2. de l'avoir approuvé. 455. —3° Réponse.—A. GUERRES DE RELIGION.—a) II est injuste de rendre l'Église catholique responsable des guerres de religion. Celles-ci furent en effet déterminées par des causes politiques plutôt que religieuses. La religion catholique étant considérée à cette époque comme un des fondements essentiels de la société, l'État, en déclarant la guerre aux huguenots, a eu pour but de protéger l'ordre social et l'unité de la nation. Les premiers et les vrais responsables sont donc les protestants eux-mêmes qui se révoltaient contre l'ordre de choses établi. L'on nous objecte, il est vrai, que le massacre de Vassy, qui leur servit de point de départ, fut l'œuvre des Guises, les chefs du parti catholique. La chose est exacte, mais il ne faut pas oublier que, déjà auparavant, et dès 1560, les protestants avaient pillé l'église de Saint Médard à Paris, jeté la terreur en Normandie, dans le Dauphiné et la Provence, que dans différentes villes, Montauban, Castres, Béziers, ils avaient interdit le culte catholique et forcé le peuple à assister au prêche : il ne faut pas oublier non plus que, pour servir leurs desseins, les protestants pactisèrent avec l'étranger, que l'amiral de Coligny et Condé firent appel à Elisabeth d'Angleterre, lui promettant, en échange de son or et de ses troupes, la cession du Havre, de Dieppe et de Rouen. — b) Quant aux atrocités, il n'y a pas lieu davantage de les invoquer contre l'Église catholique, car il y eut, des deux côtés, des actes regrettables. Et, tout compte fait, il semble bien que l'intolérance protestante n'est pas allée moins loin que l'intolérance catholique. Les protestants n'ont-ils pas profané les églises, détruisant les saintes images, déchirant les riches enluminures des manuscrits et des missels, renversant les croix, brisant les châsses et autres objets sacrés de grande valeur artistique? N'ont-ils pas, en un mot, commis des actes de vandalisme inexcusables et accompli des destructions irréparables? 456. — B. La Saint-Barthélemy. — Parmi ces violences, la plus odieuse certainement, — et celle-là au compte du parti catholique, — fut le massacre de la Saint-Barthélemy. Mais est-il vrai que l'Église y ait joué le premier rôle, soit en préparant, soit en approuvant le massacre? a) Préparation du massacre. — Pour démontrer ce premier point, nos adversaires s'appuient sur des lettres du pape S. PIE V à Charles IX et à Catherine de Médicis, dans
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lesquelles il les exhorte à exterminer les protestants français367. Il est indiscutable que dans ces lettres le pape prêche la guerre sainte, et demande qu'on poursuive avec une fermeté impitoyable les hérétiques insurgés ; mais dans sa pensée il s'agissait d'une guerre légitime, faite selon le droit des gens ; ce n'était nullement une exhortation à un massacre tel que la Saint-Barthélemy. La chose devient plus évidente encore, si l'on suppose, comme certains historiens le font, que le mariage du jeune prince calviniste, Henri de Navarre, avec Marguerite de Valois, catholique, servit de prétexte pour attirer les seigneurs huguenots dans un guet-apens et les faire assassiner tous à la fois, car le pape S. PIE V a toujours refusé son consentement à ce mariage : ce qu'il n'aurait pas fait s'il avait été complice de la soi-disant machination. Mais il n'y a pas eu même préméditation, de la part de la Cour de France. Il ressort en effet de nombreux témoignages contemporains que, au printemps de 1572, l'amiral de COLIGNY voulait entraîner le roi CHARLES IX dans une guerre contre l'Espagne, et que CATHERINE DE MEDICIS voulait, au contraire, maintenir la paix avec PHILIPPE II. Comme l'avis de Coligny semble prévaloir auprès du jeune roi, la Reine-Mère conçoit le projet machiavélique de supprimer l'adversaire qui la gêne : le meurtre lui apparaît légitime, parce que commandé par la « raison d'État ». Elle se met alors à combiner avec les Guises, ennemis personnels de Coligny, des projets d'assassinat. Le 18 août, mariage de Henri de Navarre avec Marguerite de Valois. Les gentilshommes protestants y sont venus de partout. Le 22 août, c'est-à-dire quatre jours après la cérémonie, tentative de massacre du seul amiral de Coligny : ce qui prouve bien qu'il n'est pas encore question de massacrer tous les protestants. Grand émoi alors parmi les seigneurs protestants qui projettent de venger Coligny, bien que celui-ci n'ait été blessé que légèrement. Devant une situation aussi critique, et dans la crainte d'être découverte, CATHERINE DE MEDICIS prend un parti désespéré, et, profitant de l'attitude des protestants qui profèrent des menaces de mort contre les catholiques, et en particulier contre les GUISES, elle représente au roi que les huguenots conspirent contre la sûreté de l'État et que c'est une mesure de salut public de les exécuter en masse. Elle arrache ainsi au roi affolé l'ordre de massacre Nous pouvons donc conclure : — 1. que le massacre de la Saint Barthélemy a été un crime politique commis à l'instigation de Catherine de Médicis ; et — 2. que, le massacre n'ayant pas été prémédité, l'on ne saurait, par conséquent, accuser l'Église de l'avoir préparé. b) Approbation du massacre. — Après le massacre de la Saint-Barthélemy, le clergé de Paris célébra, le 28 août, une messe solennelle et fit une procession en action de grâces. A Rome, le pape GREGOIRE XIII, qui avait succédé à S. Pie V, le 13 mai 1572, éprouva une grande joie à la nouvelle de la Saint-Barthélemy. Il l'annonça lui-même au consistoire, fit chanter un Te De,um à l'église Sainte-Marie-Majeure, fit frapper une médaille en souvenir de ce grand événement et ordonna la composition de la fresque 367
Ainsi saint PIE V écrivait à CATHERINE DE MEDICIS, le 28 mai 1569 : « Ce n'est que par l'extermination des hérétiques que le roi pourra rendre à ce noble royaume l'ancien culte de la religion catholique ; si Votre Majesté continue à combattre ouvertement et ardemment les ennemis de la religion catholique, jusqu'à ce qu'ils soient tous massacrés, qu'elle soit assurée que le secours divin ne lui manquera pas. »
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fameuse de Vasari, où sont représentées les principales scènes de la sanglante journée. Tels sont les faits qui ont donné à croire que l'Église catholique, dans la personne de ses chefs, a approuvé le massacre. Mais il s'agit de savoir quelle idée on se faisait, à Paris et à Rome, de l'événement en question. Massacre et lâche assassinat, ou légitime défense? Dans le premier cas, la complicité de l'Église serait certainement engagée. Dans le second, l'attitude de ses représentants devient toute naturelle. Or c'est justement la seconde hypothèse qu'il faut envisager. — 1. Pour ce qui concerne d'abord le clergé de Paris, il est clair que ses renseignements étaient inexacts. Comme tout le monde, il croyait qu'il y avait eu, de la part des huguenots, projet d'attentat contre la sûreté de l'État : il en voyait la preuve évidente dans ce fait que, le 26, CHARLES IX avait, devant le Parlement, revendiqué la responsabilité du drame, tout en expliquant qu'il lui avait été imposé par la connaissance d'un complot contre le gouvernement et la famille royale. Comment s'étonner alors que le clergé parisien ait célébré, d'accord avec le peuple, une cérémonie d'actions de grâces, demandée officiellement par la Cour pour remercier le ciel d'avoir préservé le Roi et châtié les coupables? — 2. Quant à GREGOIRE XIII, il reçut la nouvelle de la Saint-Barthélemy, par un ambassadeur de Charles IX, le sieur DE BEAUVILLIER. Les faits lui furent donc présentés d'après la version officielle de la Cour de France. Avec le message du roi Charles IX, le même Beauvillier apportait une lettre de Louis DE BOURBON, neveu du cardinal. Écrite le surlendemain du massacre, cette lettre expliquait que, dans le but de faire monter un prince protestant sur le trône, l'amiral de Coligny préparait le meurtre du roi et de la famille royale. Aussi inexactement renseigné, il est donc tout naturel que GREGOIRE XIII ait manifesté ses sentiments de joie avec tant de spontanéité, et qu'il en ait fait la démonstration publique. De nos jours encore, les chefs d'État n'échangent-ils pas entre eux des congratulations, lorsque l'un d'eux a échappé à un attentat? Conclusion. — Nous pouvons donc conclure que l'Église n'a ni préparé le massacre de la Saint-Barthélemy, ni ne l'a glorifié en tant que massacre. § 4. — LES DRAGONNADES ET LA REVOCATION DE L'ÉDIT DE NANTES. 457. — 1° Exposé des faits. — L'Edit de Nantes avait été un acte du pouvoir royal, une concession, non un contrat entre deux parties. En laissant à chacun la liberté d'être protestant ou catholique, autrement dit, en accordant la liberté de conscience et la liberté de culte, Henri IV posa le premier le principe de tolérance, et cela, à un moment où tous les souverains d'Europe, protestants et catholiques, n'admettaient pas que leurs sujets eussent une autre religion que la leur.368 Malheureusement les protestants abusèrent des concessions qui leur avaient été faites. Profitant des garanties dont ils jouissaient dans de nombreuses places de sûreté, ils commirent la double faute 368
Qu'on se rappelle, en effet, ce qui se passait en Angleterre, sous les règnes dé HENRI VIII et : toutes les persécutions et violences légales contre les catholiques, les lois interdisant l'élection aux charges de l'État à ceux qui ne pouvaient prouver leur participation à la cène, le papiste déclaré déchu de ses héritages, le protestant qui se convertissait au catholicisme, regardé comme coupable du crime de haute trahison, l'entrée du royaume interdite à tout prêtre catholique sous peine de mort... D'ELISABETH
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de vouloir s'isoler du reste de la nation, pour former un État dans l'État, et surtout d'entretenir des relations suspectes avec l'étranger. Plusieurs fois, ils s'étaient alliés, soit avec les Espagnols, soit avec les Anglais. En 1627, la Rochelle où ils étaient les maîtres, s'était révoltée ; le Languedoc, travaillé par le duc de ROHAN, avait suivi son exemple. Les Réformés furent donc tenus pour des sujets dangereux, et RICHE-LIEU, voulant en finir avec eux, dirigea lui-même le siège de la Rochelle qui se rendit, après une année presque, d'une résistance acharnée (1628). Par l’édit de Grâce ou d’Alais (1629) Richelieu enleva aux protestants toutes leurs villes de sûreté et leurs privilèges politiques, mais leur laissa la liberté du culte. Malgré cette dernière concession, c'était déjà un acheminement vers la révocation de l'Édit de Nantes. Louis XIV voulut aller plus loin que Richelieu. Imitant les autres États protestants, il voulut qu'il n'y eut dans son royaume qu'une seule foi et un seul culte, et forma le projet d'amener tous les réformés à la religion catholique. Tout d'abord il entreprit de les convertir par des prédications et des missions. Bossu ET écrivit une réfutation du Catéchisme général de la Réformation publié par PAUL FERRI à Sedan (1654), et entrant dans la pensée du roi, il travailla à la réconciliation des deux confessions, catholique et protestante, par la discussion et la persuasion, « chrétiennement et de bonne foi », sans violenter la conscience ni des uns ni des autres. Mais aux efforts des controversistes et des missionnaires les Réformés répondirent par de mauvaises dispositions et parfois par des violences. De plus, ils continuèrent leurs relations avec les ennemis de la France, entre autres, avec les Pays-Bas pendant la longue guerre qui commença en 1672. Mécontent alors de leur attitude, le roi Louis XIV adopta à l'égard des protestants des mesures analogues à celles qui étaient en vigueur contre les catholiques dans les États protestants tels que l'Angleterre et la Hollande. Des intendants furent envoyés partout pour seconder l'œuvre des missionnaires et mettre la force au service de la persuasion. Les intendants outrepassèrent les ordres reçus ; -sur le conseil du ministre de la guerre, Louvois, le roi envoya des dragons qui devaient loger chez les protestants qui refusaient de se convertir. Les violences et les excès de toutes sortes que commirent ces « missionnaires bottés» sont restés tristement célèbres sous le nom de dragonnades. Mais il faut dire, à la décharge de Louis XIV, qu'il ignorait les cruautés dont ses soldats se rendaient coupables. On lui faisait seulement connaître le nombre des conversions qui s'opéraient, et ce nombre était tel que bientôt le roi crut qu'il ne restait plus guère de protestants en France, que l'unité religieuse était faite. Alors il révoqua l’Édit de Nantes (16 octobre 1685). Les Réformés se virent donc obligés de choisir entre la conversion hypocrite ou l'exil. 458. — 2° Accusation. — Nos adversaires rendent l'Église responsable de la révocation de l'Édit de Nantes et des fâcheux résultats qui s'ensuivirent. 459. — 3° Réponse. A. LA RÉVOCATION.— La révocation de l'Édit de Nantes peut être considérée à un double point de vue : politique et religieux. — a) Au point de vue 'politique ou juridique, il est bien certain que le roi Louis XIV avait le droit de révoquer l'édit porté par Henri IV. Les protestants eux-mêmes en conviennent. « Ces actes de tolérance, dit GROTIUS, ne sont pas des traités, mais des édits royaux rendus pour le bien général, et révocables quand le même bien général y engagera le Roi». — b) Au point de vue religieux, l'intolérance du Roi et du parti catholique fut
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certainement une erreur fâcheuse. Nous avons dit : l’intolérance du Roi et du parti catholique, car, si Louis XIV fut le grand responsable, il faut bien avouer que son acte était réclamé par l'opinion catholique et qu'il fut accueilli avec des marques non dissimulées de satisfaction. Toutefois, le pape INNOCENT XI ne lui donna pas sa complète approbation. Quant aux violences commises, aux dragonnades, il est clair qu'elles ne sont pas imputables à l'Église, et l'on ne peut même pas dire, comme nous l'avons vu plus haut, que Louis XIV doive en porter la responsabilité. B. LES RÉSULTATS. — Nous n'hésitons pas à reconnaître que la ré-Vocation de l'Édit de Nantes eut des conséquences religieuses et politiques tout à fait déplorables. Les protestants qui se convertirent pour pouvoir rester en France, furent de mauvais catholiques. Ceux qui préférèrent l'exil, portèrent à l'étranger les ressources de leurs talents et de leur activité laborieuse ; il y en eut même qui entrèrent dans les armées ennemies et n'eurent pas honte de combattre leur pays. Mais, autant nous pouvons les admirer d'avoir accepté courageusement les douleurs de l'exil plutôt que de trahir leur foi, autant nous devons les blâmer d'avoir haï leur patrie Conclusion. — II n'y a pas à le dissimuler, la révocation de l'Édit de Nantes fut une faute et un malheur. Cet acte fut surtout un acte politique, mais le parti catholique se fût grandi, si, au lieu d'imiter l'intransigeance dès pays protestants, il eût réclamé pour ses frères dissidents le bénéfice d'une large tolérance. § 5. — LE PROCES DE GALILEE. 460. — 1° Exposé des faits. — Dès 1530, le chanoine COPERNIC formulait déjà l'hypothèse que la terre et toutes les planètes tournent autour du soleil, et non le soleil autour de la terre, comme l'enseignait le système de PTOLEMEE, généralement admis jusque-là. Au début du xvir3 siècle, GAULEE369, ayant présenté le système de Copernic comme une hypothèse certaine, fut, de ce fait, cité deux fois devant la Saint-Office. Ce sont ces deux procès qui forment le point central de ce qu'on appelle 1' « affaire Galilée ». A. PROCÈS DE 1616. — En défendant la théorie de Copernic comme une hypothèse certaine, GALILEE s'était fait de nombreux adversaires, entre autres, tous les savants qui ne juraient que par Aristote. Vers la fin de 1641, François Sizi accuse Galilée de contredire, par son système, les passages de la Bible tels que JOSUE, X, 12 ; ECCLES., I, 5 ; Ps., XVIII, 6 ; CIII, 5 ; ECCL., XLIII, 2, qui paraissent en faveur du système géocentrique. GALILEE pouvait alors se retrancher sur le terrain scientifique et fuir la difficulté en laissant aux théologiens et aux exégètes le soin de la résoudre. Il commit 369
GALILEE, né à Pise en 1564, appartient plutôt par sa vie à Florence. D'abord professeur de physique et de mathématiques à Pise (1589-1592), puis à Padoue (1592-1610). il passa le reste de sa vie dans sa villa d'Arcetri, près de Florence, où, même après sa condamnation en 1633, il fut autorisé à se retirer. En 1636, il était devenu aveugle après avoir mis la dernière main à son Traité du mouvement. GALILEE est regardé comme le vrai fondateur de la méthode expérimentale. Avec le télescope qu'il construisit en 1609, il observa les montagnes de la lune, découvrit les satellites de Jupiter, l'anneau de Saturne, les taches et la rotation du soleil sur son axe, les phases de Vénus : autant de choses qui confirmaient ses présomptions en faveur du système de Copernic
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la faute de suivre son adversaire sur le terrain de l'exégèse. Le 19 février 1616, la question fut donc portée devant la Congrégation du Saint-Office. Onze théologiens consulteurs eurent à examiner les deux propositions suivantes : — 1. Le soleil est le centre du monde et il est immobile ; 2. La terre n'est pas le centre du monde et elle a un mouvement de rotation et de translation. La première proposition fut qualifiée « fausse et absurde philosophiquement, et formellement hérétique parce qu'elle contredit expressément plusieurs textes de la Sainte Écriture suivant leur sens propre et suivant l'interprétation commune des Pères et des Docteurs». La seconde proposition fut censurée « fausse et absurde philosophiquement, et au moins, erronée dans la foi ». Le 25 février, le pape PAUL V donnait au cardinal BELLARMIN l'ordre de faire venir GALILEE et de l'avertir qu'il eût à abandonner ses idées. Galilée vint et se soumit. Le 5 mars, sur l'ordre de Paul V, paraissait un décret de la Congrégation de l'Index condamnant les ouvrages de Copernic et tous les livres qui enseignaient la doctrine de l'immobilité du soleil. Mais dans cette condamnation il n'était pas fait mention des écrits de Galilée. Celui-ci fut même reçu en audience, le 9 mars, par le pape qui lui déclara qu'il connaissait la droiture de ses intentions et qu'il n'avait rien à craindre de ses calomniateurs. B. PROCÈS DE 1633. — Après son procès de 1616, Galilée était allé reprendre à Florence le cours de ses travaux. En 1632, il publia son Dialogue sur les deux plus grands systèmes du monde. Cet ouvrage portait l'imprimatur de l'inquisiteur de Florence et celui de Mgr RICCARDI, Maître du Sacré-Palais, chargé par office de surveiller la publication de tous les livres qui paraissaient à Rome. Or ce dernier avait bien accordé l'imprimatur, mais sous la condition, que l'ouvrage contiendrait une préface et une conclusion indiquant que le système n'était présenté qu'à titre d'hypothèse. La préface et la conclusion"^ y trouvaient en effet, mais, de la manière dont elles étaient rédigées, elles parurent une moquerie. Les théologiens du Saint-Office furent d'avis que Galilée transgressait les ordres donnés en 1616. En conséquence, il fut cité à nouveau devant le Saint-Office. Après avoir différé plusieurs fois son voyage sous prétexte de maladie, il se mit enfin en route et arriva à Rome le 16 février 1633, où il jouit d'un régime de faveurs, puisque, au lieu d'être interné dans une cellule du Saint-Office, il put descendre chez un de ses amis Niccolini ,l'ambassadeur de Toscane. Le procès commença le 12 avril, et la sentence fut rendue le 22 juin. Galilée, debout et tête nue, écouta la lecture de sa condamnation : abjuration, prison et récitation, une fois par semaine, pendant trois ans, des sept Psaumes de la Pénitence. Puis, à genoux, la main sur l'Évangile, il signa un acte d'abjuration dans lequel il se déclarait « justement soupçonné d'hérésie», détestait ses erreurs, promettait de ne plus les soutenir et de réciter les pénitences imposées. C'est à ce moment que, d'après une légende tout à fait invraisemblable, vu les circonstances, Galilée se serait écrié en frappant la terre du pied : « E pur si muove » « Et pourtant elle se meut !» 461. — 2° Accusation. — Nos adversaires portent, à propos du procès de Galilée, une triple accusation contre l'Eglise. — a) Ils prétendent d'abord que, dans cette affaire, L'infaillibilité du pape a été mise en défaut: — b) Puis ils accusent l'Église d'avoir frappé un innocent, et — c) d'avoir entravé les progrès de la science.
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462. — 3° Réponse- — A. Il est faux de prétendre que l'infaillibilité du pape et par conséquent celle de l'Église ,ait été mise en défaut dans l'affaire Galilée. Sans nul doute, lorsque les juges de Galilée, les papes PAUL V et URBAIN VIII y compris, jugeaient le système de Copernic contraire à la lettre de l'Écriture, ils commettaient une erreur objective et matérielle. Lorsque GALILEE affirmait, au contraire, qu'il ne faut pas toujours prendre les paroles de la Sainte Écriture à la lettre, les écrivains sacrés ayant employé, en parlant du soleil, le langage courant, lequel n'a aucune prétention scientifique et se conforme aux apparences, c'est bien lui qui avait raison. D'où il suit que « le tribunal du Saint-Office, comme celui de l'Index, s'est trompé en déclarant, dans les considérants, fausse en philosophie la doctrine de Copernic, qui est vraie, et contraire à l'Écriture cette doctrine, qui ne lui est nullement opposée. Mais peut-on trouver dans ce fait un argument contre la doctrine de l'infaillibilité de l'Église ou du Souverain Pontife? Pour répondre à cette question, il n'y a qu'à déterminer la valeur juridique des décrets de 1616 et de 1633. Le décret de 1616 est un décret de la Sacrée Congrégation de l'Index ; celui de 1633, un décret du Saint-Office. Assurément, ces décrets ont été approuvés par le Pape : mais comme dans l'espèce, il s'agit seulement d'une approbation dans la forme simple, commune (in forma communi), les décrets sont et restent juridiquement les décrets de Congrégations, qui valent par l'autorité immédiate des Congrégations. Or, nous le savons, la question d'infaillibilité ne se pose même pas, quand il s'agit d'un décret d'une Congrégation quelle qu'elle soit, eût-elle comme Préfet le Pape lui-même. »370 Deux conditions leur manquent pour pouvoir être des définitions ex-cathedra, et partant, infaillibles. La première c'est que la censure portée contre la théorie copernicienne ne se trouve que dans les considérants qui ne sont jamais l'objet de l'infaillibilité, et la seconde c'est que les décrets n'ont pas été des actes pontificaux, mais des actes des Congrégations, lesquelles ne jouissent pas du privilège de l'infaillibilité. Au reste, aucun théologien n'a jamais considéré ces décrets comme des articles de foi, et, même après les sentences du Saint-Office, les nombreux adversaires du système copernicien n'ont jamais allégué contre lui qu'il avait été condamné par un jugement infaillible. L'infaillibilité du Pape mise hors de cause, l'on peut s'étonner à bon droit de l'erreur des juges du Saint-Office. Il y a cependant de bonnes raisons qui expliquent, et même justifient, leur conduite On a dit que la condamnation de Galilée était le résultat d'une machination tramée contre lui par des adversaires jaloux, que le pape URBAIN VIII se serait reconnu dans le « Dialogue » sous le personnage un peu ridicule de Simplicio dans la bouche duquel se trouvait un argument que le pape, alors qu'il n'était encore que le cardinal MAFFEO BARBERINI, avait opposé à GALILEE, et que son amour-propre blessé l'aurait poussé à la vengeance. Quoi qu'il puisse y avoir de vrai dans ces allégations, il y eut d'autres raisons plus sérieuses qui déterminèrent les juges de l'Inquisition à prononcer une sentence de condamnation, et ces raisons furent les suivantes. C'était alors une règle courante en exégèse, — et cette règle n'a pas changé, — que les textes de la Sainte Écriture doivent être pris dans leur sens propre quand l'interprétation contraire n'est pas imposée par des motifs tout à fait valables. Or, à 370
CHOUPIN, Valeur des décisions doctrinales et disciplinaires du Saint-Siège
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cette époque, l'on interprétait les passages en question, et en particulier, celui où Josué commande au soleil de s'arrêter, au sens propre et obvie, et par conséquent d'après le système astronomique de Ptolémée. Aussi longtemps que ce dernier système n'était pas démontré faux et que Galilée ne pouvait apporter aucune preuve péremptoire et scientifique de la vérité du système de Copernic, c'était le droit de la congrégation du Saint-Office, et même son devoir, de garder l'interprétation littérale et d'arrêter, par une décision disciplinaire, toute doctrine qui contredirait cette interprétation et voudrait substituer le sens métaphorique au sens littéral. Ajoutons que la Congrégation était d'autant plus portée à s'en tenir à l’interprétation traditionnelle que l'on se trouvait alors en pleine effervescence du protestantisme, et que, en prétendant interpréter les textes de la Sainte Écriture à sa façon, Galilée semblait favoriser la théorie du libre examen. B. Dans quelle mesure peut-on dire que l'Église a frappé un innocent et que Galilée est un martyr de la science ? Qu'il ait eu à souffrir pour la défense de ses idées, que, mis dans l'alternative d'avoir à les sacrifier ou de désobéir à l'Église, il ait enduré dans son intelligence et dans son cœur de cruelles tortures, la chose ne semble pas contestable. Mais dire, que l'Église l'a martyrisé, c'est aller un peu loin. — 1. Tout d'abord, il est faux de prétendre qu'il fut forcé d'abjurer une doctrine qu'il savait être certaine. Il lui semblait bien par les expériences qu'il avait faites que le système de Copernic était une hypothèse plus vraisemblable que celle de Ptolémée, mais de la vérité de cette hypothèse il n'eut jamais la certitude évidente. — 2. Encore moins peut-on dire qu'il fut traité avec rigueur. « On peut défier les plus fanatiques de citer où et quand, pendant ou après son procès, Galilée aurait subi une heure de détention dans une prison proprement dite.»371 Le pape PAUL V admirait GALILEE et lui donna de nombreuses marques de bienveillance. — L'on objecte, il est vrai, qu'URBAiN VIII le fit menacer de la torture. Mais cette menace, qui ne fut d'ailleurs pas exécutée, était un des moyens juridiques d'alors, analogue à l'isolement et au secret dont on se sert aujourd'hui, pour provoquer les aveux des prévenus. Il serait, d'autre part, injuste de dire qu'URBAiN VIII fut dur à son égard puisque, le lendemain de sa condamnation, le 23 juin 1633, GALILEE fut autorisé à quitter les appartements du Saint-Office où il devait être détenu, et à se rendre dans le palais de son ami, le Grand-Duc de Toscane ; d'où il put bientôt repartir pour sa villa d'Arcetri. Et c'est là qu'il mourut, après avoir reçu tous les ans une pension que le Pape lui accordait depuis 16.30. C. La condamnation de Galilée a-t-elle vraiment entravé les progrès de la science ? « Accordons sans peine que les décrets de l'Index ont pu empêcher ou retarder la publication de quelques ouvrages, tel le Monde de DESCARTES ; mais, de bonne foi, peut-on affirmer que le triomphe du système en a été reculé?... L'accord avec l'expérience pouvait seul donner à l'hypothèse de Copernic une confirmation décisive, et les décrets de l'Index n'empêchaient personne de chercher à réaliser cet accord. »372
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GILBERT, Revue des Questions scientifiques, 1877.
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PIERRE DE VREGILLE, art. Galilée (Dict. d'Alès).
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Conclusion. — De ce qui précède il résulte que, si la condamnation de Galilée fut, de la part de la Congrégation du Saint- Office et même des papes PAUL V et URBAIN VIII. une erreur infiniment regrettable, elle n'atteint en rien la doctrine de l'Église sur l'infaillibilité pontificale, pas plus qu'elle ne témoigne d'une hostilité systématique contre la science et le progrès. § 6. — L'INGERENCE DES PAPES DANS LES AFFAIRES TEMPORELLES. 463. — 1° Exposé des faits. — L'histoire nous témoigne que, au moyen âge, les Papes se sont considérés comme les chefs suprêmes des États chrétiens, qu'ils ont revendiqué le droit de citer à leur tribunal souverains et sujets, et qu'ils ont infligé aux princes scandaleux, non seulement des peines spirituelles telles que l'excommunication, mais même des peines temporelles en les déposant et en les privant de leurs droits de commander. Ainsi GREGOIRE VII (le moine Hildebrand), célèbre par sa lutte dans la Querelle des Investitures373, excommunia une première fois l'empereur d'Allemagne, HENRI IV, qui ne voulait pas se laisser dépouiller du droit de 1’investiture, le réduisit à venir, s'humilier devant lui au château de Canossa (1077) et l'excommunia une seconde {ois (1078) parce qu'il ne tenait pas ses promesses. INNOCENT III (1198-1216) obligea PHILIPPE-AUGUSTE à reprendre sa femme Ingelburge ; en Angleterre, il déposa JEAN SANS TERRE, puis le rétablit sur le trône ; en Allemagne, il excommunia OTHON IV et délia ses sujets du serment de fidélité. INNOCENT IV, au concile de Lyon (1245), déposa FREDERIC II, empereur d'Allemagne. BONIFACE VIII (1294-1303) lutta, pendant toute la durée de son pontificat, contre le roi de France, PHILIPPE LE BEL. Comme ce dernier, toujours à court d'argent, voulait imposer le clergé à son gré, sans tenir compte des immunités ecclésiastiques (N° 422 n), le Pape dans sa bulle « Clericis laicos », rappela la doctrine de l'Église et interdit aux clercs de payer le tribut aux puissances laïques. Sur la demande du clergé français lui-même, il accorda ensuite l'autorisation. Mais la lutte recommença bientôt et BONIFACE VIII publia contre PHILIPPE LE BEL une série de bulles, entre autres, la bulle « Ausculta, filin, dans laquelle il se disait « constitué au-dessus des rois et des royaumes!, et la bulle « Unam Sanctam », dans laquelle, après avoir rappelé l'unité de l'Eglise, il déclarait que « ce
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Querelle des investitures. — Quand un seigneur donnait un nef à son vassal, l'investiture, c'est-àdire la mise en possession du bien octroyé se faisait généralement par une cérémonie symbolique, dans laquelle le suzerain remettait au vassal, soit une motte de terre, soit une couronne, soit un sceptre, soit la crosse et l'anneau lorsqu'il s'agissait de hauts dignitaires ecclésiastiques. Comme à chaque siège épiscopal les rois avaient attaché un bénéfice ou fief ecclésiastique, il arrivait que les évêques et les abbés recevaient à la fois, au moment de leur nomination, un fief et une Juridiction religieuse. Il sembla bientôt naturel aux rois et empereurs, puisqu'ils donnaient l'investiture par la crosse et l'anneau, que le pouvoir spirituel découlait de leur autorité, aussi bien que le pouvoir temporel, et que, par conséquent, ils pouvaient supprimer l'élection traditionnelle, et nommer eux-mêmes directement aux évêchés et aux abbayes. D'où il arriva que les évêchés furent donnés aux courtisans, ou vendus à prix d'argent (simonie) et que le clergé ne fut pas digne de ses fonctions. Cet état de choses fut surtout le fait de l'Allemagne. La papauté, pour y porter remède, défendit de recevoir l'investiture d'un laïque. La querelle des investitures, particulièrement grave entre GREGOIRE VII et HENRI IV d'Allemagne, dura plus d'un demi-siècle, jusqu'au concordat de Worms (1122) qui établit à nouveau la distinction entre l'évêque, en tant que pontife, et l'évêque en tant que vassal de l'empire.
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corps unique ne doit pas avoir deux têtes, mais une seule, le Christ et le Vicaire du Christ », que deux glaives sont au pouvoir de l'Église, un spirituel, et un matériel, que « le premier doit être manié par l'Église, le second pour 1 Église i et que, le second devant être soumis au premier, le pouvoir spirituel doit juger le pouvoir temporel si celui-ci s'égare. Enfin Boniface VIII excommunia Philippe le Bel le 13 avril 1303. 464. — 2° Accusation. — Les ennemis de l'Église accusent les papes d'avoir outrepassé leurs droits et d'avoir revendiqué un pouvoir illégitime. 465. — 3° Réponse. — A. L'intervention des papes dans les affaires temporelles des États chrétiens n'était pas illégitime : elle ne constituait nullement, de leur part, un abus de pouvoir. Les papes avaient le droit d'intervenir à un double titre : — a) Tout d'abord en vertu de leur pouvoir indirect sur les choses temporelles dont nous avons précédemment démontré l'existence (N° 436). « Le pouvoir spirituel, dit BELLARMIN, ne s'immisce pas dans les affaires temporelles, à moins que ce3 affaires ne s'opposent à la fin spirituelle ou ne soient nécessaires pour l'obtenir : auxquels cas le pouvoir spirituel peut et doit réprimer le pouvoir temporel et le contraindre par toutes les voies qui paraîtront nécessaires. » Lorsque les Papes précités ont frappé les princes qui abusaient de leurs pouvoirs, non seulement de peines spirituelles comme l'excommunication, mais même de peines temporelles comme la déposition, ils ont donc agi en vertu du pouvoir spirituel attaché à leur charge suprême et du pouvoir indirect sur les choses temporelles qui découle du pouvoir spirituel. — b) En dehors du droit divin dont nous venons de parler, le droit public du temps, reposant sur le libre consentement des peuples et des princes, légitimait l'intervention de la papauté dans les affaires temporelles. Rappelons-nous en effet que, en vertu de ce droit public, il y avait une alliance étroite entre l'Église et l'État, que le Pape était regardé comme le chef naturel de la chrétienté, à qui appartenait le droit de trancher les différends, et que le prince, avant de monter sur le trône, faisait serment de gouverner avec justice, de protéger la Sainte Église romaine, de défendre la foi contre l'hérésie, et de ne pas encourir luimême l'excommunication. Que si alors le prince devenait parjure à son serment, s'il gouvernait contre les droits de l'Église ou contre les justes intérêts de son peuple, la papauté avait le droit et même le devoir de lui remettre devant les yeux les engagements sacrés qu'il avait pris, et en cas de refus, de l'excommunier, au besoin, de le déposer, et de déclarer ses sujets déliés de leur serment d'obéissance à l'égard d'un souverain indigne du pouvoir374. B. Non seulement l'intervention des papes dans les affaires temporelles n'était pas illégitime, mais il faut reconnaître combien elle fut heureuse et bienfaisante, tout à 374
L'on pourrait ajouter que beaucoup de princes avaient fait hommage de leur couronne au siège de saint Pierre, et s'étaient reconnus les vassaux du Pape. Tel était le cas des royaumes de Naples, de Sicile, d'Aragon et de l'Empire ressuscité en Charlemagne par le pape Léon III, appelé le Saint Empire romain. C'est ainsi que les rois de France, de Germanie ou d'Italie devenaient empereurs par le droit pontifical, en vertu du couronnement fait par les mains du Pape, couronnement qui leur conférait, non une souveraineté spéciale, mais une dignité supplémentaire, plutôt morale que matérielle, et leur attribuait le rôle de protecteurs de l'Eglise. En vertu de ces actes, le Pape apparaissait comme une sorte de suzerain auquel le droit féodal reconnaissait le droit de punir la félonie du vassal qui manquait à ses obligations, de lui reprendre son fief et d'en donner l'investiture à un autre.
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l'avantage des faibles et des opprimés. Durant cette rude époque de la féodalité où tout était livré au plus fort, seule l'Église avait assez de puissance pour rappeler aux rois et aux seigneurs qu'au-dessus de la force il y a le droit. La prérogative que les Papes revendiquaient de déposer les rois dont la conduite était scandaleuse, et de délier leurs peuples du serment de fidélité, bien loin d'être une usurpation ,du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel, lui servait au contraire de frein et de contrepoids. Quand le droit était violé et que la justice demeurait impuissante, il était bon qu'il y eût quelqu'un d'assez fort et d'assez indépendant pour prendre en main la cause de la morale et de la religion outragées. Remarque. — On objecte aussi contre l'Église : — 1. qu'il y a eu de mauvais Papes, et l'on cite alors les noms d'Etienne VI, de Jean XII, de Benoît IX et d'Alexandre VI, — 2. que, au moyen âge, il y eut un clergé simoniaque et corrompu. — A cette objection nous avons déjà répondu et nous avons montré qu'elle ne vaut ni contre l’infaillibilité du Pape (N° 400), ni contre la sainteté de l'Église (N° 379). § 7. — LE SYLLABUS ET LA CONDAMNATION DES LIBERTES MODERNES. 466. — 1° Notion et autorité doctrinale du Syllabus. — Le Syllabus (mot lat. qui veut dira index, table) est un recueil de quatre-vingts propositions renfermant les principales erreurs modernes, déjà réprouvées et condamnées dans les allocutions consistoriales, les encycliques et autres lettres apostoliques du pape Pie IX. Le Syllabus, précédé de l'Encyclique Quanta cura, parut, sur l'ordre de Pie IX, le 8 décembre 1864, mais l'idée d'un pareil catalogue contenant les erreurs de l'époque sous la forme qu'elles revêtaient alors, était bien antérieure à cette date et avait été suggérée dès 1849, par l'archevêque de Pérouse, le cardinal Pecci, qui devait succéder à Pie IX sous le nom de LEON XIII. Quelle est l’autorité doctrinale du Syllabus? Faut-il le considérer comme un acte excathedra, comme le veulent certains théologiens de valeur : FRANZELIN, MAZZELLA, HURTER, PESCH, OU bien n'est-il qu'un document de grande autorité auquel tout catholique doit adhérer sans qu'on puisse le taxer d'hérésie, dans le cas contraire? La question n'est pas tranchée, et du fait qu'elle ne l'est pas et que chaque catholique reste libre d'adopter l'une ou l'autre opinion, le Syllabus ne s'impose pas à la croyance comme une définition infaillible. Il est vrai que le pape PIE IX en a pris la responsabilité, mais, dit le P. CHOUPIN, « toute constitution pontificale, même relative à la foi et solennellement promulguée n'est pas une définition ex-cathedra : il faut encore et surtout que le Pape manifeste suffisamment sa volonté de trancher définitivement la question par une sentence absolue »375. Par conséquent, bien que les propositions condamnées doivent être repoussées par tout catholique d'un assentiment ferme, il ne s'ensuit pas que la proposition contradictoire soit de foi. La proposition condamnée n'ayant pas été qualifiée d'hérétique, la proposition contraire ne saurait être de foi. Il importe, en outre, pour mesurer tout le sens d'une proposition condamnée dans le Syllabus, de se reporter au document d'où elle est extraite. 375
CHOUPIN, op. cit
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467. — 2° Accusation. — Nos adversaires accusent l'Église d'avoir, par le Syllabus, déclaré la guerre à la société moderne et de s être montrée l'ennemie irréconciliable du progrès et de la civilisation. 468. — 3° Réponse. — Pour étayer leur accusation, les adversaires de l'Église s'appuient surtout sur les deux dernières propositions du Syllabus qui sont pour ainsi dire le résumé des erreurs modernes : Prop. LXXIX. : « Il est faux que la liberté de professer n'importe quelle religion, de penser et de manifester publiquement toutes les opinions conduisent plus facilement à la corruption des mœurs et des esprits et propage la peste de l'indifférentisme. » Prop. LXXX. « Le Pontife romain peut et doit se réconcilier avec le progrès, , le libéralisme et la civilisation moderne. » Or, il est bien évident, à propos de cette dernière proposition, — et il suffit, pour s'en convaincre, de se reporter à l'allocution Jamdudum d'où la proposition est extraite, — que le pape n'entend nullement condamner les progrès véritables de la science positive et des inventions humaines. La condamnation ne porte que sur le faux progrès et sur la fausse civilisation. De même, le pape PIE IX ne condamne pas toute liberté et tout libéralisme. Personne n'a jamais défendu la vraie liberté plus que l'Église catholique : elle affirme la liberté naturelle contre les matérialistes et les déterministes qui la nient, la liberté individuelle contre les esclavagistes qui la suppriment, la liberté de conscience contre les pouvoirs publics qui l'oppriment. Ne disons donc pas que l'Église est l'ennemie des libertés, anciennes ou modernes : ce qu'elle frappe d'anathème c'est la fausse liberté, c'est le droit à l'erreur et au mal, c'est, d'une manière générale, l'opinion qui soutient que la liberté implique le droit absolu d'embrasser et de soutenir toute doctrine philosophique, religieuse et politique, qui vous plaît. Après avoir rappelé les vieilles erreurs déjà condamnées du panthéisme, du naturalisme, du rationalisme, de l'indifférentisme, après avoir réprouvé les thèses socialistes et communistes de l'origine populaire du pouvoir et du droit absolu des majorités, etc., PIE IX, à l'exemple de GREGOIRE XVI, dans son Encyclique Mirari vos, proclame que les droits de la vérité sont supérieurs à ceux de la liberté, les droits de Dieu supérieurs à ceux de l'homme, les droits de la justice supérieurs à ceux du nombre et de la force, et, avec une grande sagesse, il condamne le libéralisme absolu qui, par son culte extravagant et mal entendu de la liberté, est la source profonde d'un grand nombre d'erreurs contemporaines. Mais, remarquons-le en passant, PIE IX s'est contenté d'exposer la thèse catholique ; et à ce point de vue, on peut l'accuser d'intolérance.. La vérité ne saurait être tolérante, car, par le fait même qu'elle est la vérité, elle exclut ce qui lui est contraire. Reprocher à l'Église son intolérance doctrinale, c'est donc lui reprocher d'être et de se croire la vérité. Toutefois, quelque intolérants qu'ils paraissent, les principes du Syllabus laissent libre espace à toutes les aspirations légitimes de la pensée moderne, et c'est ce que Léon XIII, dans une admirable suite d'encycliques, s'est chargé de démontrer. Art. II. — Les Services rendus par l'Église.
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469. — A côté des griefs que nos adversaires accumulent dans leur sévère réquisitoire contre l'Église, il serait injuste de ne pas mentionner les services que le christianisme a rendus et de méconnaître la part qui lui revient dans la marche de la civilisation. Nous allons donc voir brièvement ce que l'Église a fait pour l'individu, pour la famille et pour la société, comment elle a travaillé au progrès, au bien-être des peuples, à leurs intérêts matériels, intellectuels et moraux. Les bienfaits qu'elle a rendus sur ce terrain méritent d'être d'autant plus appréciés qu'ils sont en dehors de la sphère d'action et de la mission tracées par le Christ. Car, ne l'oublions pas, l'Église a été instituée pour recevoir et transmettre le dépôt de la révélation chrétienne, pour conduire les hommes à leur salut éternel, et non pas pour travailler, tout au moins d'une façon immédiate, à leur bonheur temporel. Et cependant elle n'a cessé de s'en préoccuper et de tendre, par tous les moyens en son pouvoir, à améliorer le sort de l'humanité. « Chose admirable, pouvons-nous dire avec MONTESQUIEU, (L’Esprit des lois), la religion chrétienne qui semble n'avoir d'autre objet que la félicité de l'autre vie, fait encore notre bonheur dans celle-ci. » § 1, — L'ÉGLISE ET L'INDIVIDU. 470. — Si nous considérons l'homme d'une manière générale et du seul point de vue individuel, nous constatons que, presque partout dans l'antiquité, l'humanité est partagée en deux classes : l'homme libre, et l’esclave. Ce qu'était l'esclave et ce qu'a fait l'Église pour lui, telles sont les deux questions qui se posent. 1° Ce qu'était l'esclave. — On entend par esclavage l'état de l'homme asservi à la puissance d'un autre homme. L'esclavage avait pour origines, la guerre, la traite ou la naissance. Le prisonnier vaincu, le malheureux capturé par des pirates ou l'enfant né de parents esclaves tombaient sous la dépendance absolue d'un maître qui les traitait et exploitait à son gré. La condition matérielle de l'esclave variait donc suivant le caractère et les dispositions de ce dernier. De toute façon, l'esclave était toujours un être à part, un homme qui n'avait pas plus de droits que la bête de somme, qui était entièrement la propriété, la « chose » du maître, ravalé par le fait au rang d'un animal ou d'un vil instrument qu'on achète et qu'on vend, dont on se défait quand il ne peut plus servir. On connaît en effet le conseil de CATON au père de famille économe : « Vendez les vieux bœufs... les vieilles voitures, les vieilles ferrailles, le vieil esclave, l'esclave malade. » N'ayant pas de droits sur sa personne, l'esclave ne pouvait en avoir davantage sur sa famille, sur sa femme et ses enfants. Il arriva même souvent que la législation conférait au maître le droit de vie et de mort sur ses esclaves, et l'on sait que les gladiateurs dont les combats eurent tant de vogue chez les Romains, étaient pris non seulement parmi les condamnés à mort, mais aussi parmi les esclaves. Telle était la condition de la plus grande partie de l'humanité, et il convient d'ajouter que cette honteuse institution n'était nullement réprouvée par la religion païenne, qu'elle était tenue pour une institution légitime, même par les philosophes les plus illustres376. Si les écrivains ont blâmé parfois les abus, jamais ils n'ont condamné le principe.
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Voir là dessus l’encyclique In Plurimis de Léon XIII.
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471. — 2° Ce que l'Église a fait pour l'esclave. — Qu'on ne se figure pas tout d'abord que l'Église a renversé d'un seul coup l'état de choses établi. Les révolutions doivent être amenées par une lente évolution des idées, car l'opinion publique ne rompt pas du jour au lendemain avec les idées ambiantes, avec les traditions et les vieilles coutumes. La transformation d'une société nécessite donc une action continue, un travail préparatoire de longue haleine. Or ce travail, l'Église l'entreprit par sa doctrine, par sa législation et par ses actes : — a) par sa doctrine. Dès l'origine du christianisme, l'Église commence sa lutte contre l'esclavage. Le premier et le plus éloquent interprète de sa doctrine est saint PAUL. Avec une habileté et un art consommés, l'Apôtre des Gentils pose les grands principes de l'égalité et de la fraternité, qui sont comme le fondement de la liberté individuelle. Il proclame, à la face des maîtres orgueilleux qui se trouvent dans le vaste Empire gréco-romain, que tous les hommes sont issus de la même origine, rachetés du même sang et appelés à la même béatitude éternelle, par conséquent, égaux et frères. « II n'y a plus écrit-il aux Galates, ni Juif ni Grec, ni esclave, ni homme libre, il n'y a plus ni homme, ni femme ; car vous êtes tous un dans le Christ Jésus. » ( Gal., II, 28). Mais, tout en posant les principes qui doivent peu à peu détruire l'esclavage, saint Paul se garde bien de prendre une attitude agressive contre les maîtres, de prêcher la lutte dos classes et de pousser à une révolution trop rapide qui compromettrait le succès de son œuvre. Il juge beaucoup plus sage pour le moment de rappeler aux uns et aux autres leurs devoirs réciproques : obéissance de la part des esclaves, bonté de la part des maîtres : « Serviteurs, dit-il aux premiers, obéissez à vos maîtres selon la chair avec respect et crainte et dans la simplicité de votre cœur, comme au Christ... Servez-les avec affection, comme servant le Seigneur et non des hommes, assurés que chacun, soit esclave, soit libre, sera récompensé par le Seigneur de ce qu'il aura fait de bien. Et vous maîtres, dit-il aux seconds, agissez de même à leur égard et laissez là les menaces, sachant que leur Seigneur et le vôtre est dans les cieux et qu'il ne fait pas acception des personnes. » (Eph., VI. 5-9). b) Par sa législation. Sous l'influence de l'Église, les empereurs devenus chrétiens, promulguent des lois qui améliorent la condition de l'esclave. Ainsi, pour ne prendre que quelques exemples, CONSTANTIN défend de marquer les condamnés et les esclaves au visage « où réside l'image de la beauté divine » ; il déclare coupables d'homicide les maîtres dont les mauvais traitements auraient causé la mort de leurs esclaves. THEODOSE rend la liberté à tous les enfants vendus par leurs pères ; HONORIUS met fin pour toujours aux combats des gladiateurs ; JUSTINIEN porte une loi qui punit le rapt des femmes esclaves de la même peine que celui des femmes libres. Un des rares empereurs qui n'aient pris aucune mesure en faveur des esclaves est précisément un empereur imbu de tous les préjugés du paganisme, JULIEN L'APOSTAT. Les invasions barbares au Ve siècle sont néfastes à la cause des esclaves et lui font perdre du terrain. Mais l'Église, par les nombreux conciles qu'elle tient, du VIe au IXe siècle, en Gaule, en Bretagne, en Espagne, en Italie, continue de travailler en leur faveur. Le concile d'Orléans de 511 et le concile d'Epône, en 517, proclament le droit d'asile, en vertu duquel l'esclave, même « coupable d'un crime atroce » s'il s'est réfugié dans une église, ne pourra subir un châtiment corporel. Le concile d'Auxerre, à la fin du VIe siècle, le concile de Chalon-sur-Saône, au milieu du VIIe siècle, défendent de faire travailler les esclaves le dimanche. Plusieurs conciles interdisent la traite des
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esclaves, ou, s'ils n'osent pas aller aussi loin, lui apportent des entraves, comme on en trouve un exemple dans le 9e canon du concile de Châlons-sur-Marne qui défend de vendre aucun esclave en dehors du royaume de Clovis». En outre, l'esclave est admis par l'Église- au sacerdoce et à la profession monastique, pourvu qu'il ait obtenu de son maître le consentement préalable, ou l'affranchissement. Enfin, les conciles du vin" siècle reconnaissent formellement la validité des mariages contractés, en connaissance de cause, entre des hommes libres et des esclaves. c) Par ses actes. — 1. Dans l'exercice de son culte, l'Église primitive ne tient aucun compte des distinctions sociales. « Entre le riche et le pauvre, l’esclave et le livre, il n’y a pas de différence », écrit l’apologiste LACTANCE. Telle est, à n’en pas douter, l’un des raisons les plus fortes qui contribueront à l’affranchissement de l’esclave. RENAN lui-même ne fait pas de difficulté à le reconnaître : «Les réunions à l'Eglise, à elle s seules, écrit-il dans son Marc Aurèle, eussent suffi à ruiner cette cruelle institution (de l'esclavage). L'antiquité n'avait conservé l'esclavage qu'en excluant les esclaves ,des cultes patriotiques. S'ils avaient sacrifié avec leurs maîtres, ils se seraient relevés moralement. La fréquentation de l'église était la plus parfaite leçon d'égalité religieuse... Du moment que l'esclave a la même religion que son maître, prie dans le même temple que lui, l'esclavage est bien près de finir. » — 2. L’admission des esclaves au sacerdoce et à la vie monastique que nous avons signalée plus haut est une autre source d'où doit sortir le nivellement de tous les rangs sociaux. Sous la bure ou le voile monastique, on ne discerne plus les maîtres des esclaves : les uns et les autres travaillent et prient en commun, confondus dans une égalité parfaite. — 3. A partir du vie siècle, l'Église, enrichie par les donations pieuses des rois et des seigneurs, emploie ses richesses au rachat de nombreux prisonniers de guerre et d'esclaves, afin de les affranchir, ou tout au moins, de « leur rendre la vie douce et facile a, selon la recommandation des papes et des conciles. Voilà ce que l'Église a fait dans le passé. Son ardeur ne s'est d'ailleurs pas éteinte, et tout lé monde connaît la grande œuvre entreprise par LEON XIII et le cardinal LAVIGERIE, à la fin du siècle dernier, connue sous le nom d'œuvre antiesclavagiste et destinée à combattre en Afrique la traite et l'esclavage des noirs. § 2. — L'ÉGLISE ET LA FAMILLE. 472. — Nécessaire pour conserver la vie tout autant que pour la donner, la famille est de droit naturel, en même temps que d'origine divine. Cependant les conditions de la famille, — et nous entendons par là les relations entre eux des membres qui la composent, — peuvent varier avec les temps et les lieux. Voyons donc ce que fut la famille dans l'antiquité et ce qu'elle est depuis le christianisme. 1° La famille dans l'antiquité. — Dans l'antiquité, l'autorité souveraine du père absorbe celle des autres membres. — a) Presque partout, à Rome spécialement, l'enfant tient son droit à la vie du bon vouloir du père. lies infanticides y sont fréquents, admis par les lois, et approuvés par les philosophes. « Rien n'est plus raisonnable, dit à ce sujet SENEQUE, que d'écarter de la maison les choses inutiles » et QUINTILIEN ose écrire que « tuer un homme est souvent un crime, mais tuer ses propres enfants est souvent une très belle action». Si le père peut tuer ses enfants, à
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plus forte raison peut-il les vendre ou les donner en gage. — b) Quant à la mère, sa situation n'est pas plus enviable. Non seulement elle n'a aucune part à la puissance paternelle, mais là où la polygamie et le divorce sont admis, comme en Orient, elle est une véritable esclave. Même au milieu des civilisations les plus brillantes, comme celles de la Grèce et de Rome, la condition de la femme n'est guère meilleure. Jeune fille, elle est sous la puissance de son père; mariée, elle passe sous la tutelle de son mari qui détient de la législation des pouvoirs presque illimités. 473. — 2° La famille dans la société chrétienne. — a) Grâce au christianisme, l'enfant devient l'objet des plus tendres sollicitudes des parents. Sous l'influence de la doctrine chrétienne, le père comprend que son enfant n'est pas une propriété dont il a le droit d'user ou d'abuser, mais une créature de Dieu, rachetée du sang du Christ et prédestinée au ciel, un être qu'il doit entourer d'une tendresse d'autant plus grande qu'il est ' plus chétif et plus faible. — b) Le christianisme n'a pas moins relevé la dignité morale de la, femme : et cela de double façon, en enseignant, d'une part, la noblesse de la virginité', et le respect dont il convient de l'entourer, et d'autre part, la grandeur du mariage un et indissoluble. Car, qu'on le remarque bien, le christianisme n'a pas rehaussé la virginité, si peu connue et si incomprise des anciens, pour rabaisser d'autant le mariage. L'exaltation de la vierge ne doit pas, dans la pensée du Christ, nuire à la beauté morale de la femme mariée ; la preuve en est bien qu'il a élevé le mariage à la dignité de sacrement, en sorte qu'il n'est plus une cérémonie quelconque, aussi solennelle qu'on la suppose, mais un signe sacré qui donne une grâce spéciale et symbolise l'union du Christ lui-même avec son Église. Les féministes prétendent que la femme n'a pas encore' dans la société la place qui devrait lui revenir et que, au triple point de vue politique, social et économique, sa condition est très inférieure à celle de l'homme, et ils demandent que, étant soumise aux mêmes lois et ayant des charges au moins équivalentes à celles de l'homme, elle jouisse aussi des mêmes droits. Si l'Église n'a pas formulé sur ce sujet de doctrine précise, il est permis de dire qu'elle ne saurait qu'encourager tout effort qui tend à améliorer le sort de la femme. § 3. — L'ÉGLISE ET LA SOCIETE. 474. — Si nous considérons, non plus l'individu, ni la famille, mais un groupe d'individus et de familles, autrement dit, la Société, nous constatons que l'Église lui a rendu les plus grands services à un triple point de vue : matériel, intellectuel et moral. 1° Services rendus dans l'ordre matériel — A tout moment de son histoire, l'Église a travaillé au bien-être du peuple. Le bien-être matériel est en effet la résultante d'un ensemble de choses : travail, épargne, bonnes mœurs, sans lesquelles il n'y a pas de prospérité ni de bonheur possibles. Or tandis que dans l'antiquité toutes ces vertus étaient inconnues, tandis surtout que le travail manuel était regardé comme quelque chose de dégradant pour l'homme libre, la doctrine chrétienne, en enseignant la grande loi du travail, a réhabilité celui-ci aux yeux de l'humanité. Et l'Église ne s'est pas contentée de donner son enseignement, elle a estimé que le meilleur moyen d'en
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assurer le succès était de l'appuyer de ses exemples. Aussi voyons-nous régner une activité intense parmi les premières générations chrétiennes. Plus que les autres, les moines travaillent à la prospérité de l'Europe en défrichant les vieilles forêts, en labourant et cultivant les déserts, et en créant autour de leurs monastères des villages et des villes où fleurissent bientôt le commerce et l'industrie. Et de nos jours, où l'ouvrier a déjà pris et veut prendre une place prépondérante dans la société, l'Église, après avoir relevé sa dignité morale, continue de s'intéresser à son sort. L'Encyclique Rerum novarum (16 mai 1891) de LEON XIII et l'Encyclique Quadragesimo Anno (15 mai 1931) de PIE XI témoignent que l'Église attache le plus haut intérêt à la solution de la question sociale. De toute son âme elle souhaite que les justes revendications des travailleurs soient couronnées de succès. Elle n'a pas de plus vif désir que de voir leurs droits élargis, mais en même temps qu'elle formule des vœux pour le mieux être de l'ouvrier, elle n'hésite pas à lui rappeler que, s'il a des droits, il a aussi des devoirs ; et ce faisant, elle est convaincue qu'elle sert mieux sa cause que les démagogues qui, en le nourrissant de vains espoirs, le conduisent à la ruine et à l'abîme. 475. — 2° Services rendus dans l’ordre intellectuel — A entendre certains adversaires de l'Église, l'instruction ne date guère que de la Révolution française. Jusque-là, et particulièrement au moyen âge, c'est comme une longue époque d'ignorance et d'obscurantisme. L'Église qui s'était faite l'institutrice de la France, ne remplit pas le rôle qui lui avait été confié : l'enseignement qu'elle donne se borne tout au plus aux choses de la foi — Ceux qui parlent ainsi, font preuve ou bien d'une ignorance des faits impardonnable ou d'une insigne mauvaise foi. Sans doute il y a eu des époques où, en raison de certaines circonstances malheureuses, comme par exemple sous les rois fainéants (VIIe siècle) et après l'invasion des Normands, au Xe siècle, l'enseignement fut en décadence. Il n'eu est pas moins vrai que les historiens qui ont fait une enquête impartiale sur l'état de l'instruction en France avant la Révolution, sont obligés de convenir que l'Église a toujours donné l'instruction à ses clercs et aux laïques autant que le comportaient les progrès du temps et les besoins de chacun. Du e e V au XI siècle, l'Église fonde et dirige des écoles épiscopales, presbytérales et monastiques ; au XVIe siècle, elle se met à la tête du mouvement qui pousse les esprits vers l'antiquité grecque et latine. Et depuis lors, jamais elle n'a cessé de promouvoir les travaux intellectuels et de favoriser le développement des lettres, des arts et des sciences. 476. — 3° Services rendus dans l'ordre moral. — Dans l’ordre moral, nous avons vu déjà ce que l'Église a fait pour l'individu et pour la famille. En revendiquant ainsi la liberté pour les individus, elle a, du même coup, transformé les mœurs publiques. Aux chefs d'État elle a appris que « tout pouvoir vient de Dieu» et que dès lors on doit l'exercer avec justice et sagesse. Aux sujets elle a prescrit l'obéissance et le respect visà-vis des gouvernants en s'appuyant sur cette simple parole du Christ : « Rendez à César ce qui appartient à César. » Enfin elle a rendu meilleures les relations de peuple à peuple. En enseignant partout que tous les hommes, sans distinction de race et de nationalité, sont frères, enfants de Dieu et de l'Église, elle leur a fait comprendre que c'était une monstruosité de se traiter en barbares.
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477. — Objection. — Contre les services rendus à la société par l'Église catholique, nos adversaires objectent que les nations protestantes sont plus puissantes et plus prospères que les nations catholiques, que leur niveau moral est plus élevé ; et, de ce fait qu'ils prennent comme point de départ et qu'ils regardent comme historiquement incontestable, ils concluent que la prospérité des uns et la déchéance des autres doivent être attribuées à la différence de religion. Réponse. — II faut distinguer dans l'objection qui précède deux choses : le point de vue historique et le point de vue doctrinal, ou, si l'on veut, la question du fait, et la thèse qu'on veut établir sur le fait. Évidemment, s'il était possible de prouver que les faits historiques ne sont pas tels qu'on le prétend, ou n'ont pas la portée qu'on leur attribue, nous serions en droit de conclure aussitôt que la thèse est fausse. Mais admet tons par hypothèse que les nations protestantes sont vraiment supérieures aux nations catholiques ; s'ensuit-il que la cause de la supériorité des unes et de l'infériorité des autres soit la religion ? A. LA THÈSE. — A la considérer en soi, que penser de la thèse qui fait de la religion le principe du progrès ou de la décadence des nations? — a) Remarquons d'abord que, même s'il en était ainsi, le protestantisme ne serait pas pour cela la craie religion. Car le but premier de la religion n'est pas de travailler à la prospérité matérielle de ses adeptes mais de conduire les âmes à Dieu. Et si nous avons mentionné les services rendus par l'Église à la société dans cet ordre de choses, il ne rentrait pas dans notre pensée de vouloir démontrer que le christianisme, par le fait qu'il est la vraie religion, a eu pour résultat d'attirer la bénédiction de Dieu dans l'ordre temporel. Nous nous sommes bornés à établir que le bien-être matériel des peuples devait découler de la doctrine du Christ qui tend à rendre les hommes plus travailleurs, plus économes et plus vertueux, mais nous nous gardons bien de prétendre qu'il suffit d'introduire la vraie religion dans un pays déshérité au point de vue matériel, pour le transformer, comme par enchantement, en un pays riche et prospère. — b) Venons maintenant au cœur de la question. Sur quoi s'appuie-t-on pour dire que la religion protestante est cause de grandeur, tandis que la religion catholique est cause de décadence ? Sans doute, sur le principe fondamental du protestantisme, sur la théorie du libre examen qui favorise, dit-on, l'esprit d'entreprise, l'élan et l'énergie, alors que les principes du catholicisme qui imposent l'adhésion à des dogmes obscurs et la soumission aveugle à un pouvoir absolu, suppriment toute initiative. Mais qui ne voit que c'est là un raisonnement bien spécieux? La foi à des dogmes qui n'ont rien à faire avec les questions matérielles et l'obéissance à l'Église dans l'ordre spirituel ne gênent en rien l'esprit d'initiative, et il serait ridicule de croire que le commerçant et 1 industriel catholiques ne sont pas tout aussi libres que le commerçant et l'industriel protestants de conduire leurs affaires au mieux de leurs intérêts. — c) Ajoutons enfin que le mot prospérité est un terme bien vague. La vraie civilisation ne se réduit; pas à la seule prospérité matérielle : il nous semble au contraire qu'elle embrasse l'ensemble des intérêts matériels, moraux et religieux. Les peuples qui veulent arriver au plus haut degré de civilisation ne sont donc pas ceux qui n'ont d'autre idéal que le bien-être et la fortune, mais ceux qui ont plus de grandeur d'âme et une vie morale plus noble. Or il est évident que,
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sur ce point, les principes catholiques qui recommandent tant la charité, l'amour des autres, le don de soi, qui font aller de pair la foi et les bonnes œuvres, sont loin d'être inférieurs aux principes protestants. Nous pouvons donc déjà conclure que la thèse ne repose sur aucun argument. B. LES FAITS. — Non seulement la thèse, prise en soi, est fausse, mais les faits euxmêmes la démentent. — a) Car, s'il s'agit du passé, l'on ne saurait contester que dans une longue période de notre histoire, les nations catholiques : la France, l'Autriche et l'Espagne, furent à la tête de la civilisation. Or le moment où elles ont atteint leur apogée correspond précisément avec celui où la vie catholique était le plus intense et où les principes chrétiens étaient le mieux observés. — b) S'il s'agit du présent, il faut bien confesser que les nations catholiques dont nous venons de parler, sont, \ au point de vue économique, dans un état d'infériorité sur les grandes nations protestantes : Angleterre, États-Unis, Allemagne. Or si l'on veut absolument que la religion soit la cause de cette infériorité, nous répondrons que les États catholiques sont tombés en décadence parce qu'ils ont été infidèles à leur religion et qu'ils ont été rongés par la plaie de l'indifférentisme ou même de l'athéisme. Du moins cela était vrai hier de la France, mais aujourd'hui qu'elle a été comme purifiée par une rude épreuve, au cours de laquelle elle a étonné le monde par sa vitalité, par son esprit d initiative, par son abnégation et par le réveil de sa foi, qui peut dire de quoi demain sera fait et si elle ne va pas reprendre sa place à la tête de la civilisation matérielle morale et religieuse ? BIBLIOGRAPHIE. — Art. I. — BREHIER, art. Croisades (Dict. d'Alès) — LUCHAIRE, Innocent III ; La question d’Orient (Paris). — GUILLEUX, art. Albigeois (Dict. d Aies) — DE CAUZONS, Les Albigeois et l'Inquisition ; Les Vaudois et l'Inquisition (Bloud). — Mgr DOUAIS, Les sources de l'histoire de l’Inquisition (Rev. des Questions historiques, 1882) ; L'Inquisition, Ses origines historiques, sa procédure (Plon), VACANDARD, L'Inquisition (Bloud). — GUIRAUD, Questions d'histoire et d. archéologie chrétienne (Gabalda). — Mgr D'HULST, Car. de 1895, 5e Conf. L'Église et l’Etat. — LANGLOIS, L’Inquisition d'après des travaux récents (Bellais) — ROUQUETTE, L'Inquisition protestante... (Bloud). — GUIRAUD, art. Inquisition (Dict. d Alès — VACANDARD, De la tolérance religieuse (Bloud). — DE LA BRIERE art Barthélemy (La Saint-) (Dict. d'Alès). - HELLO, La Saint-Barthélemy (Bloud) — VACANDARD, Etudes de critique et d'histoire religieuse (Lecoffre). — DIDIER La révocation de l'Édit de Nantes (Bloud). — P. DE VREGILLE, art. Galilée (Dict d'Alès) — CHOUPIN, Valeur des décisions doctrinales et disciplinaires du Saint-Siège (Beauchesne) DE L’EPINOIS, LA QUESTION Galilée (Palmé). - JAUGEY, Le procès de Galilée et la Théologie. — SORTAIS, Le procès de Galilée (Bloud). — VACANDARD études de critique... — J. DE LA SERVIERE, art. Boniface VIII (Dict. d'Alès). Art II. — P. ALLARD, Les esclaves chrétiens depuis les premiers temps de l'Église... (Lecoffre) ; art. Esclavage (Dict. d'Alès). - D'AZAMBUJA, Ce que le christianisme a fait pour la femme (Bloud). — H. TAUDIERE, art. Famille (Dict. d'Alès) — L LECLERCQ, Essai d'Apologétique expérimentale (Duvivier, Tourcoing). — Mgr BAUDBILLART, L Eglise catholique, la Renaissance, le Protestantisme Bloud) — DE
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BRIERE, Nations protestantes et nations catholiques (Bloud). — FLAMERION De la prospérité comparée des nations catholiques et des nations protestantes... (Bloud). LA
CHAP. II. — La Foi devant la raison et la science. DÉVELOPPEMENT Division du Chapitre. 478. — Quelque fortes et déterminantes que soient les raisons de croire proposées par l'Apologétique, elles seraient évidemment frappées de nullité, si nos adversaires pouvaient démontrer que l'Église catholique enseigne des dogmes absurdes. Croyant trouver là un terrain d'attaque très propice, les rationalistes s'élèvent contre la foi, au nom de la raison -et de la science : ils prétendent qu'il y a antagonisme entre celles-ci et celle-là, que les deux modes de connaissance sont opposés entre eux, ou tout au moins étrangers l'un à l'autre. Nous allons voir que les choses ne sont pas ainsi, en établissant : 1° les rapports de la foi et de la raison, et 2° les rapports de la foi et de la science. Art. I. — La foi et la raison. 479. — Objection. — D'après les rationalistes, il y aurait incompatibilité entre la foi et la raison Non seulement entre les deux aucun rapport ne saurait s'établir, mais, en requérant l'adhésion à des mystères, c'est-à-dire à des vérités qui dépassent, et même, déconcertent l'intelligence, la foi se met en contradiction absolue avec la raison, si bien qu'on ne peut croire sans abdiquer ta raison. 480. — Réponse. — Nous avons déjà établi ailleurs377 les rapports entre la foi et la raison, et nous avons constaté que la prétendue opposition invoquée par les rationalistes n'existe pas. « Bien que la foi soit au-dessus de la raison, dit le concile du Vatican, il ne saurait pourtant y avoir jamais de véritable désaccord entre la foi et la raison. Car le Dieu qui révèle les mystères et répand la foi en nous étant le même que celui qui a mis la lumière de la raison dans l'esprit de l'homme, il est impossible que Dieu se renie lui-même ni qu'une vérité s'oppose à une autre vérité. »378
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Voir notre Doctrine catholique, N° 282 et 283.
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Const. Dei Filius, chap. IV.
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Ainsi, d'après la doctrine catholique, trois traits caractérisent les rapports entre la foi et la raison. — a) La foi et la raison sont deux principes de connaissance distincts. — b) Loin d'être en désaccord, ils doivent se prêter un mutuel concours. — c) Là où les deux principes se rencontrent, la foi est au-dessus de la raison. A. LA FOI ET LA RAI SON, PRINCIPES DISTINCTS. — La foi et la raison sont deux principes de connaissance distincts, deux voies, deux lumières données par Dieu à l'homme pour atteindre le vrai. D'où il suit que chacune a son domaine respectif. Le domaine de la foi, ce sont toutes les vérités de la révélation, parmi lesquelles les unes, — les mystères, — sont inaccessibles à la raison, tandis que les autres lui sont accessibles et n'ont été révélées par Dieu que pour être connues avec certitude de la masse des hommes qui autrement les aurait ignorées ou mal connues. Le domaine de la raison, ce sont les vérités, — sciences physiques, naturelles, histoire, littérature, etc., — que la raison, seule et par ses propres forces, peut découvrir, où elle n'entre pas en contact avec la révélation, où par conséquent elle est maîtresse absolue et n'a pas à subir le contrôle de l'Église. B. PAS DE DÉSACCORD, MAIS MUTUEL CONCOURS. — S'il est vrai que les deux principes viennent de Dieu comme l'affirme la doctrine catholique, comment pourraient-ils être en désaccord? Comment le vrai pourrait-il s'opposer au vrai! Et non seulement il n'y a pas, il ne peut y avoir de désaccord entre la foi et la raison, mais elles se prêtent un mutuel concours. La raison précède la foi, elle lui prépare le terrain, elle construit les fondements intellectuels sur lesquels elle doit reposer. Puis, quand la foi est en possession de la vérité révélée, c'est encore la raison qui scrute et analyse, pour les rendre intelligibles, autant que faire se peut, les vérités qu'elle croit. A son tour, la foi éclaire la raison : elle l'empêche de s'égarer à travers la multiplicité des systèmes faux et condamnés par l'Église. Elle stimule et élève la raison en lui ouvrant de nouveaux horizons, en proposant à ses investigations le vaste champ des vérités surnaturelles. C. LA FOI EST SUPÉRIEURE A LA RAISON. — Qu'on ne se méprenne pas sur le sens de cette expression. Nous avons dit plus haut que la raison a son domaine propre sur lequel elle est maîtresse absolue. La subordination de la raison à la foi dont nous parlons ici ne concerne donc que le terrain mixte, et le terrain réservé à la foi. Sur le terrain mixte, c'est-à-dire dans les vérités qui, tout en relevant de la raison, appartiennent au domaine de la foi, parce qu'elles ont été révélées par Dieu, — par exemple, l'existence et la nature de Dieu, l'existence et la nature de l'âme, la création du monde, etc., — la raison doit se conformer aux enseignements infaillibles de l'Église, et reconnaître ses erreurs s'il y a lieu. A plus forte raison « dans le domaine supérieur où se trouvent les mystères qui la dépassent, la raison est obligée à une sujétion plus grande. Là, elle n'est réellement qu'un instrument; c'est ce que signifie cet adage que « la philosophie est la servante de la théologie». Il s'agit de la philosophie raisonnant sur les mystères. Et si cette expression, qui choque tant les philosophes modernes, était si souvent employée au moyen âge, c'est parce que c'était cette partie de l'exercice de la raison qui semblait la plus importante et sur laquelle se fixait l'attention. La science
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n'existait encore qu'à l'état d'embryon ; l'étude de la révélation divine paraissait l'étude la plus importante de toutes ; tout se rapportait à la théologie comme centre »379. 48 i. — Mais, objectent les rationalistes, les mystères, pour l'explication desquels vous réclamez le concours de la raison, sont absurdes. Prenez tous les dogmes fondamentaux de votre religion : un Dieu en trois personnes, le péché originel, un Dieu fait homme, la naissance virginale du Christ, la rédemption par la mort d'un Dieu sur une croix... Ne suffit-il pas de les énoncer pour constater qu'ils sont en contradiction avec la raison ? Assurément les mystères sont au-dessus de la raison, mais ils ne sont pas contre. Il est vrai qu'ils paraissent et même qu'ils sont en contradiction avec les lois de la nature, mais cela ne prouve pas qu'ils contredisent notre raison. Cette contradiction n'existe que lorsqu'on déforme les dogmes par des conceptions fausses et des termes impropres. Prenons un seul exemple que nous emprunterons au livre de SULLY PRUDHOMME sur « La vraie religion selon Pascal». Voici comment il expose le mystère de la Sainte Trinité, et la contradiction qu'il y relève. « Dire qu'il y a trois personnes en Dieu, c'est dire qu'il y a en Dieu trois individualités distinctes. D'autre part cependant, la formule du mystère déclare qu'il n'y en a qu'une, celle de Dieu même : le Père est Dieu, le Fils également ; le Saint-Esprit également ; les trois personnes divines ne sont qu'un seul et même être individuel. » — Si les théologiens présentaient le dogme sous cette forme, il est bien certain qu'il y aurait une contradiction dans les ternies. On ne saurait en effet concevoir trois individualités dans le même être individuel. Aussi n'est-ce pas ainsi qu'ils s'expriment. Laissant à SULLY PBUDHOMME les termes ambigus d' « individualités » et « d'être individuel », ils disent que le mystère de la Sainte Trinité consiste dans le fait d'une nature unique subsistant en trois personnes, en d'autres termes, qu'il n'y a en Dieu qu'une seule nature, mais que cette nature est possédée par trois personnes. Que le critique ne comprenne pas, nous n'en sommes pas surpris, mais vraiment la contradiction ne se trouve que dans sa formule. C'est donc celle-ci qu'il faut réviser. Conclusion. — Ce que nous venons de faire pour le mystère de la Trinité, nous pourrions le faire et nous l'avons fait du reste pour les autres dogmes de la Religion catholique380. Nulle part nous n'avons rencontré l'opposition entre la foi et la raison que voudraient y voir nos adversaires, et nous pouvons conclure que, si les dogmes dépassent la raison, ils ne la contredisent pas.
Art. II — La foi et la science. 482. — Objection. — Les rationalistes prétendent qu'entre la foi et la science le conflit est non moins irréductible et plus apparent encore qu'entre la foi et la raison. Et ils en cherchent généralement la preuve dans les récits scientifiques de la Bible qu'ils s'efforcent de mettre en contradiction avec les données de la science. 379
DE BROGLIE, La Croyance religieuse et la Raison.
380
Voir notre Doctrine catholique, N° 70, 84,104, etc.
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483. — Réponse. — Nous distinguerons deux points dans l'objection rationaliste : — a) la thèse qui affirme, d'un point de vue général, 'existence d'un soi-disant conflit entre la foi et la science, et — b) les applications qu'on en fait à la Bible. A. THÈSE. — Les rationalistes pensent qu'entre la foi et la science le conflit est irréductible de ce fait que la science a pour conditions le libre examen et la libre recherche de la vérité, tandis que la foi n'est libre ni dans sa méthode ni dans ses conclusions. « Nous ne pouvons trouver un procédé scientifique, dit GUNKEL, que là où il s'agit de chercher la vérité et où le résultat n'est donné au préalable ni dans le détail ni dans l'ensemble, par quelque autorité que ce soit. » Ainsi, disent les rationalistes, de ce que le libre examen est la condition de toute recherche scientifique, il s'ensuit que le catholique, qui n'a pas le droit de commencer par douter de ses dogmes, sans cesser d'être catholique, ne peut fournir une démonstration scientifique ni de ses raisons de croire ni des choses qu'il croit. Pour répondre à la thèse rationaliste, il importe de distinguer entre le domaine exclusif de la science et le domaine mixte de la science et de la foi. — a) S'agit-il du domaine exclusif de la raison et de la science, s'agit-il des sciences qui n'ont rien de commun avec la foi, il est clair que le savant catholique jouit de la même liberté que le savant protestant ou rationaliste. « Qu'importe pour la liberté d'esprit nécessaire au savant électricien qu'il croie au Coran, à la Bible, ou bien à l'infaillibilité du Pape? — A moins qu'on n'essaie de soutenir que l'électricien qui croit à l'infaillibilité du Pape doit par là même professer qu'il est obligé de croire ce que le Saint-Père lui ordonnera, même en matière d'électricité. A quoi on ne peut répondre qu'en renvoyant le libre penseur au catéchisme, où il verra nettement délimitées les matières sur lesquelles l'infaillibilité peut porter. »381 — b) S'agit-il des questions mixtes où les conclusions de la foi peuvent s'opposer aux conclusions d'une certaine philosophie et d'une certaine science, le savant catholique ne semble pas, au premier abord, pouvoir faire œuvre de science, parce que, lié par sa foi, il reste toujours apologiste, parce que, ses conclusions lui étant commandées par ses croyances, il est obligé d'ordonner les faits et les textes dans le sens de ses idées préconçues. Mais l'antinomie entre la foi et la science, même sur ce domaine mixte, est moins grand qu'on ne le prétend. Pourquoi celui qui croit en Dieu, en la Providence, au miracle, à l'existence d'une âme spirituelle et libre, serait-il moins apte à comprendre les faits biologiques et les réalités historiques que l'athée, le matérialiste et le déterministe? S'il y a préjugé d'un côté, il y en a aussi de l'autre, et, s'il y a préjugé des deux côtés, en quoi celui de l'athée est-il plus conforme à la science, à la libre recherche de la vérité que celui du croyant? Par ailleurs, quel que soit le point de départ du croyant, et même s'il était vrai que sa méthode de démonstration fut moins scientifique, de quel droit pourrait-on rejeter ses conclusions, s'il n'a fait appel qu'à la science pour défendre ou démontrer une vérité qu'il possède par une autre voie, si ses arguments sont tirés de sa raison, et non de sa foi ? Conclusion. — Nous pouvons donc conclure : — 1. qu'il y a tout un domaine où le croyant, tout en restant croyant, est capable de véritable esprit scientifique ; et — 2. un 381
FONSEGRIVE, Catholicisme et Libre Pensée, page 33.
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autre domaine où, en dépit d'une méthode moins libre, il peut arriver à des conclusions qui sont scientifiques, parce qu'elles s'appuient sur la science et nullement sur les données de la foi. 484. — B. APPLICATIONS A LA BIBLE. — Pour prouver qu'il y a antagonisme entre la foi et la science, les rationalistes citent de nombreux passages de la Bible où les données de la révélation semblent .en opposition avec les données de la science. L'on pourra se faire une idée du soi-disant conflit par les trois exemples suivants tirés des descriptions cosmographiques, de la cosmogonie mosaïque et du récit du déluge. a) Descriptions cosmographiques. — Les termes que les écrivains sacrés emploient pour décrire le ciel, la terre1 et les divers éléments du globe, sont parfois en opposition avec les termes employés par les sciences de la nature. Prenons quelques exemples : — 1. La voûte céleste est représentée comme une enveloppe solide, et il est dit dans la Genèse (I, 6-7), que le firmament « sépare les eaux supérieures des eaux inférieures qui sont sur la terre», que « les écluses du ciel s'ouvrirent» (Gen., VII, 11) et laissèrent tomber des pluies torrentielles, alors que la science moderne a démontré qu'il n'y a pas de voûte céleste et que les pluies ne proviennent nullement de réservoirs placés audessus de nos têtes. — 2. Les astres sont décrits comme des points fixes placés « dans l'étendue du ciel pour éclairer la terre et pour présider au jour et à la nuit » (Gen., I, 1718). — 3. La manière dont il est parlé, à certains endroits, du soleil, suppose qu'il tourne autour de la terre (Jos., X, 13 ; Ecclé., XLVIII, 23). L'Ecclésiaste (I, 6) nous le montre qui « se lèVe », « se couche », « se hâte de retourner à sa demeure, d'où il se lève de nouveau ». — 4. La terre est conçue comme une surface convexe, creusée en forme de cuvette, pour contenir les mers dont les eaux sont retenues par des barrières dressées par Dieu à cette fin (Prov., VIII,, 30), alors qu'elles sont simplement retenues par la pesanteur qui les attache à l'écorce terrestre. — 5. Le lièvre que les naturalistes classent parmi les rongeurs, est désigné comme ruminant dans le Deutéronome (XIV, 7). b) Cosmogonie mosaïque. — Les deux premiers chapitres de la Genèse où l'écrivain sacré nous raconte les origines des choses, dépeignent Dieu organisant le monde en six jours, par des actes immédiats, par la toute-puissance de sa parole et sa"ns recourir à 1 action des causes secondes. Au contraire, l’hypothèse de LAPLACE suppose que les mondes se sont formés peu à peu, par une lente et progressive évolution382 Qu'il s'agisse des descriptions cosmographiques ou de la cosmogonie mosaïque, y a-til vraiment opposition entre la Bible et la Science1? Bien certainement, il y aurait conflit entre les deux si la Bible devait être regardée comme un livre de science. Or il n'en est rien. Les auteurs sacrés ne poursuivent pas un but scientifique, mais un but religieux. Les choses de la science étant pour eux un point secondaire, ils parlent des phénomènes de la nature et de la formation du monde, selon les apparences et d'après les données de la science de l'époque où ils écrivent. Dana ces conditions, l'on ne saurait voir un conflit entre leur langage et celui de la science actuelle. c) Le Déluge. — Le récit biblique du déluge (Gen., VI et VII) a été combattu au nom de l'histoire naturelle, de l'ethnographie et de la géologie. Contre la thèse d'un déluge universel, qui aurait inondé toute la terre et englouti tous les hommes et tous les 382
Voir pour plus de détails notre Doctrine catholique, N° 55 et suiv.
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animaux, on objecte : — 1. qu'il n'y a pas sur la terre une masse d'eau assez considérable pour s'élever jusqu'au sommet des plus hautes montagnes dont l'altitude dépasse 8.000 mètres, que Dieu aurait dû donc la créer et la faire disparaître ensuite ; — 2. que Noé ne pouvait faire entrer dans l'arche un couple de tous les animaux existants ; — 8. que, si tous les hommes avaient péri à l'exception de la seule famille de Noé, on ne saurait expliquer la différenciation des races, blanche, noire et jaune qui, d'après les documents de l'histoire, était déjà un fait accompli trois mille ans avant Jésus-Christ ; — 4. que la terre ne porte aucune trace d'une telle inondation. Au contraire, les géologues constatent, par exemple sur les montagnes de l'Auvergne, des monceaux de cendre et de scories qui proviennent de volcans éteints avant l'apparition de l'homme et qui, dans l'hypothèse d'un déluge universel, auraient été certainement emportés par les eaux. Les difficultés que nous venons de signaler n'embarrassent guère l'apologiste, pour cette bonne raison que l’universalité absolue du déluge n'a jamais été enseignée par l'Église comme article de foi, et que dès lors les opinions ont libre cours. L'universalité du cataclysme décrit dans la Genèse peut donc s'entendre : — 1. dans ce sens que les eaux inondèrent seulement la terre habitée ; — 2. ou même dans ce sens plus restreint qu'elles ne firent périr que la race de Seth, et non l'humanité tout entière. Ces deux systèmes, qui supposent que l'universalité du déluge fut relative, tout en s'accordant avec les sciences naturelles, ne sont nullement en contradiction avec le texte de la Genèse. Car l'écrivain sacré n'a pu vouloir parler des contrées, telles que l'Amérique et l'Australie ou autres, dont il y a tout lieu de croire qu'il ignorait l'existence. Du reste, il arrive souvent dans la Sainte Écriture que les expressions « la terre » et même c toute la terre » ne sont pas employées dans un sens absolu. Ainsi il est dit dans l'histoire de Joseph qu' « il y eut famine sur toute la terre » (Gen., XXI, 57). De même, saint Luc nous montre réunis à Jérusalem, le jour de la Pentecôte, « des hommes pieux de toutes les nations qui sont sous le ciel» (Act., II, 5). Rien ne nous empêche donc, ni au point de vue de la foi, ni au point de vue de l'exégèse, de nous rallier à l'opinion d'un déluge restreint, contre la réalité duquel la science ne peut élever d'objection sérieuse. CONCLUSION GÉNÉRALE. —Ainsi, les difficultés soulevées contre l'Église, au nom de la raison et de la science, pas plus que les nombreuses objections que nous avons rencontrées déjà au cours de ce long travail, ne sont de nature à ébranler le bien-fondé de nos dogmes, ni la valeur de nos raisons de croire. Et pourtant, l'on voudra bien nous rendre cette justice que, à aucun moment de notre démonstration, nous n'avons cherché à affaiblir les arguments de nos adversaires. Nous avons mis plutôt un certain scrupule à les présenter dans toute leur force. Si nous avons cru que c'était là une affaire de conscience vis-à-vis d'adversaires dont nous n'avons pas le droit de suspecter la bonne foi et la loyauté, il nous semblait aussi que c'eût été faire injure à la vérité que de la défendre par des moyens inavouables. BIBLIOGRAPHIE. — BAINVEL, art. Foi (Dict. d'Alès) ; La foi et l’acte de foi (Beauchesne). — CATHERINET, Le rôle de la volonté dans l’acte de foi (Langres). — E. JULIEN, Le croyant garde-t-il sa liberté de penser? (Rev. pr. d'Ap. 1907). — ABBE DE BROGLIE, Les relations entre la foi et la raison (Bloud). — VERDIER, La révélation
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devant la raison (Bloud). — PONSARD, La croyance religieuse et les aspirations de la société contemporaine (Beauchesne). — FONSEGRIVE, L'attitude du catholique devant la science (Bloud). — GUIBERT, Les croyances religieuses et les sciences de la nature (Beauchesne). — BRUCKER, art. Déluge (Dict. d'Alès).
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INDEX ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES Le nombre placé après chaque mot indique le numéro ; la lettre n. renvoie à la note du numéro indiqué. A ABUS (appel comme d'), 429 (n). ACCUSATIONS (les principales) contre l'Église, 445 et suiv. ACTE PUR, 42 (n). ACTES (des Apôtres), 311 (n). AGNOSTICISME, 31, 31 (n), 65. ALBIGEOIS (La croisade des), 446 et suiv. AME HUMAINE, existence, 104 ; objection, 105 ; nature : l'âme humaine et l'âme des bêtes, 106, 107 ; spiritualité de l'âme humaine, 108 ; objection matérialiste, 109. AME (de l'Église), 384. ANABAPTISME, 362 (n). ANGLICANISME, origine, 361, doctrine, 362, état actuel, 363. ANIMISME, 138. 142. APOCRYPHES (Évangiles), 214 (n). APOLOGETIQUE, définition, 1 ; objet, 2 ; but, 4 ; importance, 5 ; division, 6 ; méthodes, 10 ; historique, 15. APOLOGIE, 3. APOSTOLICITE, 351. APOTRES, 317, 318 (n). ARMEE (du Salut), 363 (n). ARTICLES (fondamentaux), 345, 346. ATHEISME, 61 ; causes, 62 ; conséquences, 63. ATTRIBUTS (de Dieu), notion, 68 ; espèces, 69 ; négatifs, 69, 70 ; moraux, 71-75. AUTODAFÉ, 450. B BARTHÉLEMY (La Saint-), 453, 456. BEATIFICATION, 391. BLONDEL, 14, 52". BONIFACE VIII, 463. BOUDDHISME, 194-197. BRAHMANISME, 193. BREF PONTIFICAL, 401. BULLE, 410 (n). C CALVINISME, origine, 358 ; doctrine, 359 ; état actuel, 360. CANONISATION, 391 (n).
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CARDINAUX (Le Sacré-Collège des), 404. CATHOLICITE, 350. CAUSE PREMIERE (argument de la), 36; objections, 37 et suiv. CAUSES FINALES, 44; objections, 45, 46. CENSURES (doctrinales), 391 (n). CERTITUDE (le problème de la), 20 et suiv. CERULAIRE (Michel), 371. CERVEAU (Le — et la pensée), 109. CESARISME (erreur du), 434. CHAPITRE, 388. CHARISMES, 311 et suiv. CHINE (religions de la), 182 et suiv. CHRISTIANISME,- preuves de sa divinité, 206 et suiv., sa doctrine, 285 ; rapide diffusion, 279-288 ; merveilleuse conservation, 289. COMMISSION BIBLIQUE, 407. CONCILES, œcuménicité, 414 ; autorité, 415, 416; utilité, 417; leur nombre, 418. CONCLAVE, 404 (n).486 CONCLUSIONS (théologiques), 391. CONCORDAT, 436 (n). CONFUCIANISME, 184-186. CONGREGATIONALISTES, 363 (»). CONGREGATIONS ROMAINES, 402, 406. CONSCIENCE (liberté de), 439. CONSISTOIRES, 405. CONSTITUTIONS DOGMATIQUES, 401. CONSULTEURS, 407. CONTINGENCE (argument de la), 36. COSMOGONIE (mosaïque), 484. CREATION, 81 et suiv. CRITERES (de la Révélation), 155 et suiv. CRITICISME (Kantien), 24, 27, 33. CROISADES (Les), 446 et suiv. CURE, 388. CURIE (cardinal de), 405 [n). D DARWINISME, 92. DEGRADATION (de l'énergie), 40 (n). DELUGE, 484. DETERMINISME, 112 et suiv. DIDASCALES, 318 (n). DIEU (existence de), 30 ; démonstrabilité, 31, 32 ; erreurs, 33 ; preuves, 34 ; preuves cosmologiques, 35 ; psychologiques, 47 et suiv. ; critique, 60. DOCTEURS, 317, 318 (n). DOCTRINE (chrétienne), 276 et suiv., 285. DOGMATIQUES (faits), 391.
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DOGMATISME, 27, 28. DRAGONNADES (Les), 457, 459. DUALISME, 82 ; manichéen, 82 (ra). E ÉCOLES (et l'Église), 423. ÉDIT DE NANTES, 453 ; révocation, 157, 458, 459. ÉGLISE, concept, 300 ; Jésus-Christ a pu songer à fonder une Église, 303 et suiv. ; caractères essentiels de l'Église qu'il a fondée, 308 ; notes de la vraie Église, 342 ; constitution, 385 ; hiérarchie, 386 ; l'Église, société parfaite, 419 ; ses droits, 420 et suiv. ; l'Église et les diverses formes de gouvernement, 443 ; services rendus par l'Église, 469 et suiv. ÉGLISE (Haute, Basse, Large), 363. ÉGLISE GRECQUE, 369 et suiv. ÉGLISES SEPAREES D'ORIENT, 374. ÉLECTION, du Pape, 404 (n) ; des Évêques, 410 (n). ENCYCLIQUES, 401. ÉPISCOPAT (Les origines de 1'), 317, 318. ESCLAVAGE (L'Église et l'), 470, 471. ESPECES (origine des), 87 ; espèce humaine (unité de V), 127 et suiv. ÉTERNITE (de la matière), 40. ÉVANGELISTES, 214, 318 (n). ÉVANGILES, 214 (n) ; intégrité, 215; authenticité, 217 ; véracité, 221. ÉVEQUES, leurs pouvoirs, 410 et suiv. ÉVOLUTION (théorie de 1'), 40 ; évolution créatrice, 45. ÉVOLUTIONNISTE (morale), 54. Ex CATHEDRA, 399 (n). EXCLUSIVE (droit d'), 404 (n). EXPERIENCE (individuelle), 52 (n). Expérience religieuse (W. James), 142. F FAITS DOGMATIQUES, 391. FAMILLE (et l'Église), 472, 473. FETICHISME, 138. FIDEISME, 33. FIXISME, 87, 88, 94. FOI ET RAISON, 479 et suiv. ; — et science, 482 et suiv. FOR, privilège du — ecclésiastique, 432. FOSSILES, 93. G GALILEE (le procès de), 460 et suiv. GALLICANISME (erreur du), 434. GENERATION (spontanée), 40. GNOSTICISME, 312, 314.
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GREGOIRE VII, 463. GUERRES DE RELIGION, 453, 454, 455. H HASARD (objection contre l'ordre du monde), 45. HENOTHEISME, 143 (n). HIERARCHIE, 308 (n) ; de l'Église, 386 et suiv. HINDOUISME, 198 et suiv. HOMME, nature, 102 ; origine, 120; destinée, 124 ; antiquité de l'homme, 130, 131. HONORIUS (le pape), 339. I IDEALISATION (théorie de 1'), 227. IMMANENCE (méthode d'), 12, 13, 14. IMMUNITES ECCLESIASTIQUES, 422 (n). INDE (religions de 1'), 192 et suiv. INDEX, 424; objection, 425. INFAILLIBILITE, 330 ; existence, 331 et suiv. ; sujet, 335 ; objet, 390 et suiv. INGERENCE (des Papes dans les affaires temporelles), 463. INNOCENT III, 463. INQUISITION, 450 et suiv. INTERDIT, 430. INTERPOLATION, 209 (n). INTUITIONNISME, 26, 27, 33. INVESTITURES (querelle des), 463. ISLAMISME, 201 et suiv. J JEAN (authenticité de l'évangile de saint), 220, valeur historique, 228. JESUS-CHRIST (affirmation de) sur sa messianité, 231 et suiv. ; sur sa filiation divine, 234 et suiv. ; Jésus a confirmé son affirmation par ses prophéties, 255, par ses miracles, 262, par sa résurrection, 266 et suiv. JOSEPHISME (erreur du), 434. JUDAÏSME (actuel), 204. JUDEO-CHRISTIANISME, 314 (n). L LAMARCKISME, 91. LEGATS, 403 (n). LIBERALISME (erreur du), 434. LIBERE (le cas du pape), 338. LIBERTE, 110 et suiv. ; les libertés modernes, 439. LOURDES (le fait de), 168. Luc (authenticité de l'évangile de saint), 219.
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LUTHERANISME, 355 et suiv. M MAGIE, 138. MAGISTERE (de l'Église), 392. MAHOMET, 201. MARC (Évangile de saint), 218. MARTYRE, 290 et suiv. MATERIALISME, 31 ; objection du — contre l'existence de Dieu, 39, 40. MATTHIEU (Évangile de saint), 217. MAZDEISME, 187 et suiv. METHODES (en Apologétique), 10 et suiv. METHODISTES, 363 (n). MIRACLE, 15V et suiv. ; miracles de Jésus-Christ, 262 et suiv. MITHRIACISME, 191. MODERNISTE (apologétique), 17, 33. MONDE (origine du), 82. MONOPHYSITES, 339. MONTANISME, 312, 314. MYSTERES, 149. N NATURISTE (théorie), 142,143. NEO-BRAHMANISME, 198 et suiv. NONCES, 403 (n). NON-JUREURS (secte des), 373 (re). NOTES (de la vraie Église), 342 et suiv. ; leur application au Protestantisme, 365 et suiv. ; à l'Église grecque, 375 et suiv. ; à l'Église romaine, 379 et suiv. O OFFICES (OU secrétaireries romaines), OFFICIALITE (diocésaine), 412. ONTOLOGISME, 33. ORTHODOXES (protestants), 364 ; église grecque — 369. OXFORD (mouvement d'), 363 (n). P PAGANISME, 179 et suiv. PANTHEISME, 77 et suiv. PAPE, 325 (n) ; ses pouvoirs, 396 et suiv. ; pouvoir temporel, 428. PAROISSE, 388. PAROUSIE, 260 (n). PEINES, spirituelles, 430; temporelles, 431. PENTATEUQUE, 208 et suiv. PERES (apostoliques), 325 (n). PERSE (religion de la), 187 et suiv. PERSECUTIONS, 287.
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PERSONNALITE (divine), 76. PHOTIUS, 371.488 PIERRE (saint), sa venue et son martyre à Rome, 325. POSITIVISME, 25, 27. PRAYER BOOK, 362. PRESCIENCE (divine et liberté humaine), 72. PRIMAUTE, de saint Pierre et de ses successeurs, 319 et suiv. PRIMITIFS (religion des), 138. PROPHETES, 243 ; grands et petits, 246, 317, 318 (n). PROPHETIE, 172 et suiv. PROPHETIQUE (l'argument), 240 et suiv. PROTESTANTISME , 353 et suiv. PROTESTANTS, conservateurs et libéraux, 364 ; leur prétendue supériorité, 477. PROVIDENCE, 96 et suiv. PSYCHOLOGIQUE (théorie), 142, 143. R RAMADAN (jeûne du), 202. RATIONNELLE (morale), 54. REFORME, 353 et suiv. RELATIONS (de l'Église et de l'État), 433 et suiv. RELIGION, 135 et suiv. RESURRECTION, adversaires, 267 ; preuves, 268 et suiv. RIG-VEDA, 192. RITUALISTES, 363. REVELATION, 144 et suiv. ; primitive, mosaïque, et suiv., 206 (n) ; chrétienne, 214 S SAINTETE (de Jésus), 238 («) ; note de la vraie Église, 348. SANCTION, 55, 56. SCEPTICISME, 23, 27. SCHISME GREC, 370 et suiv. SELECTION NATURELLE, 92. SOCIALE (question), 474. SUBCONSCIENCE, 17, 142., SUSPENSE, 430. SYLLABUS, 419, 466 et suiv. SYMBOLE DES APOTRES, 312, 314. SYNCRETISME (gréco-romain), 284 (n). SYNODE, 412 (n). SYNOPTIQUE (le problème), 224 et suiv. T TABOU, 138. TAOÏSME, 182,183. TOTEMISME, 138.
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TRADITIONALISME, 33. TRADITIONNELLE (apologétique), 15. TRANSCENDANCE (du christianisme), 205. TRANSFORMISME, 40, 90, 93. TRIBUNAUX (romains), 408. TRULLO (concile in), 370 (n). U UNIATES, 374. UNITE (note de la vraie Église), 349. V Védisme, 192. VIE (origine de la), 84. VIEUX CATHOLIQUES, 373 (n). VISHNOUISME, 198, 199, 200. Z ZEND-AVESTA, 188. ZOROASTRISME, 187 et suiv.
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