Parole Et Silence - Levinas

April 7, 2017 | Author: Carlos Villa Velázquez Aldana | Category: N/A
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EMMANUEL LEVINAS

Parole et Silence et autres conferences inedites au College philosophique Volume public sous la responsabilire de Rodolphe Calin et de Catherine Chalier Etablissement du texte, avertissement par Rodolphe Calin Preface et notes explicatives par Rodolphe Calin et Catherine Chalier

Ouvrage publit avec le concours du Centre National du Livre

BERNARDGRASSET/IMEC

Le.cornite scientifique reuni pour la publication des CEuvres d'Emmanuel Levinas est coordonne par Jean-Luc Marion, de l'Acadernie francaise.

Sommaire Avertissement Preface de Rodolphe Calin et Catherine Chalier........ Notice editoriale Remerciements

Parole et Silence.......................................................... Pouvoirs et Origine ~................... Les N ourritures........................................................... Les Enseignements....................................................... L'Ecrit et l'Oral................................................ .......... Le Vouloir '........................................ .................... La Separation............................................. ................ Au-dela du possible La Metaphore

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63 65 105 151 173 199 231

259 291 319

Appendice I : "........... 349 Appendice II : Liste des conferences d'Emmanuel Levinas au College philosophique 385 ISBN 978-2-246-72731-6

Notes Index des noms Tous droits de traduction, de reproduction et d' adaptation reserves pour tous pays. © Editions Grasset & Fasquelle, IMEC Editeur, 2009.

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Notice sur Parole et Silence L'ensemble des feuillets de la conference est range dans l' enveloppe carronnee d'un colis postal. Sur cette enveloppe, pliee en deux, figurent, ecrits au crayon a papier, le titre, le lieu et les dates de la conference. II s'agir en effet d'une conference prononcee en deux seances les 4 et 5 fevrier 1948, sous le titre Parole et Silence. A. I'inrerieur de l'enveloppe, on trouve egalement le second feuillet du programme du College philosophique de I'annee 1948, mentionnant les deux conferences de Levinas. On decouvre aussi une lettre de P. Champromis, probablement secretaire du College, accornpagnee de cartes d'invitation du College philosophique dont les noms sont laisses en blanc. La conference se presence sous la forme d'un dactylogramme et de son double, qui comportent chacun des annotations manuscrites. Sur le double sont reportees, a quelques exceptions pres, les corrections manuscrites de l'original. Mais il contient egalement d' autres corrections. On peut done Ie considerer comme une version plus avancee de la conference, raison pour laquelle nous l'avons choisi pour notre transcription. Nous indiquons en notes les differences entre les deux versions. Chaque dactylogramme comporte 40 feuillets non pagines au format 21 x 26,8 em. Si les feuillets de l'original sont d'un me me papier, ceux du double sont de provenances diverses et Levinas en a utilise le verso vierge. Certains d'entre eux sont des imprirnes

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dates (nous les indiquons en note) : 1'un est de 1949, quatre sont de 1953, douze de 1955. Le present texte est donc une reectiture de la conference prononcee en 1948.

Parole et Silence Conferences du College philosophique des 4 et 5 fevrier 1948a < f. 1 > Parole et silence

10 Misere et grandeur du langage. 11 existe dans la philosophie et dans la litterature contemporaines, une exaltation du silence. Le secret, le mystere, 1'insondable profondeur d'un monde sans paroles ensorcelant. Bavardage, indiscretion, pretention - la parole rompt ce charme. On oublie volontiers, que, lieu naturel de la paix et de « 1'harmonie des spheres »1{,} le silence est aussi 1'eau stagnante, 1'eau qui dort OU croupissent les haines, les desseins sournois, la resignation et la lachete. On oublie le silence penible et pesant ; celui qui emane de ces « espaces infinis », effrayent" pour Pascal:'. On oublie 1'inhumanite d'un monde silencieux. Cette mefiance a l' egard du langage tient a bien des causes secondes et qui, certes ne sont pas contingentes. L'appel a autrui, contenu dans son essence aHeSre {avoue} la faiblesse de la pensee qui y recourt. 11 existe un romantisme du genie solitaire qui se suffit dans le silence. Une raison qui parle, sort de son splendide isolement, trahit sa superbe suffisance, abdique sa noblesse et sa suffisance {souverainete}, Produit-cs» de 1'histoire, les mots a. Ecrit au crayon a papier, sur Ie feuillet double cartonne a I'interieur duquel se trouvaient les deux dactylogrammes de la conference. b. II faut sans doute lire « effrayant ».

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sont surcharges de tous les sentiments, de toutes les allusions, de routes les associations auxquelles ils furent rneles, mais perdenr souvent, ainsi surcharges {,} l'objet qu'ils sont appeles a designer. Car il est entendu que la fonction du langage consiste a communiquer une pensee en designant - en nommant ses objets. Des lors le langage introduit dans les relations humaines I'equivoque, l'erreur, le vide. C'est lui qui est mis en cause chaque fois que l'on pretend retourner aux choses elles-mernes. Signe de l' objet perdant le contact de son objet, signe de la pensee {se} faisant passer pour la pensee merne, il s'expose a toutes les" critiques. Le langage scientifique lutte contre I'inevitable equivoque du mot vivant, et se retugie dans l'algorithme. L'utilisation de l'argot dans la conversation et la litterature modernes precede de ce besoin de remplacer le mot historiquement compromis - a la fois use et trop encombrant - par un signe neuf, nous placant brutalement devant les choses et en realite bien moins signe que pointe de l'index qui montre. En litterature, l'argot ne vaut pas comme element de couleur locale. Son pouvoir d' expression coi"ncide w;ec la distinction du mot transmis par la {se nourrit du vide laisse par les langues mortes des} civilisation-cs». L'argot temoigne d'une civilisation parfaite.

- totalisant pour permettre d'embrasser - commandait celle du discours. Logos - a la fois verbe et raison, laissait surprendre dans la grammaire ses categories fondamentales ou" lab logique. Si le langage apporte a la pensee une occasion de s'elever a I'universalire - puisque la necessite de communiquer de raison a raison oblige la pensee a revenir a son essence de raison - de cette essence, la pensee {en]" possede deja la virtualite et le secret. L'obedience du mot a la pensee ne disparait pas quand on accorde au mot une tache plus large que l'expression de la pensee purement logique, quand on led prend pour l'expression de l' ensemble de notre vie psychologique et, quand allant plus loin encore, on voit en elle-Ilui} le resume de se:a {1'}histoire ;e {quand on insiste sur} les' variations de sens qu'il a subies, {sur} les" contextes" culturels ou il s'etait trouve et qui resonnent quand il est prononce. Si le mot au lieu de traduire I'intellecr devait traduire l' ensemble de notre etre en rant que realite historique et sociale, le mot ri'en conserve{ -craic ?>} pas moins son role de pur reflet de la pensee. II designe une realite qui se monrre ala pensee, reside dans cette apparition de la realite. Quelque disrincte que soit de la realite purement theoretique [contemplee] < ,> la realire historique et sociale que le langage exprime, elle est [n'en demeure pas moins} realite se revelant dans la lumiere, theme. Gest- Cette' possibilire de presenter comme {reduire a une} thematisation' tout contact avec la realite quelle qu'elle soit {(et}, par consequent toure {notre} vie psychologique{)}, ¥{s'} affirme {dans} la theorie

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2° Le langage au service de la pensee"

Cette suspicion qui pese sur le langage s'explique par le role servile qu'il semble jouer a l' egard de la pensee. II sert - de l' accord commun - a la communication de la pensee, et par consequent, est tenu a rester dans ~{son} obediencel.] de la pensee. La fonction du verbe a toujours ete comprise en relation avec la pensee et avec la lumiere, element de la pensee OU l'objet apparait l.] se livre et OU le signe verbal le designee La puissance organisatrice de la raison

C. II convient, semble-t-il, de ne pas lire cet ajout, d'ailleurs absent de l'original dactylographie (sur les deux versions de la conference, if notice). d. « le » en surcharge de « la »,

a. Le verso comporte, dans sa partie superieure gauche, les annotations manuscrites suivantes, ecrites obliquement : « Revenir sur l'i.dee de : intellection - pouvoir = attitude a l'egard de la lumiere ». b. Les deux alineas qui suivent sont dactylographies sur un morceau de feuillet colle sur le feuillet 2. Ce morceau de feuillet masque une ancienne version de ces deux alineas,

e. Point-virgule manuscrit, qui remplace une virgule que Levinas n'a cependant pas raturee, mais que nous ne reproduisons pas. f. « les » en surcharge de « des ». g. « les » en surcharge de « des ». h. « contextes » en surcharge de « contacts ». i. « Cette » en surcharge de « cette ». j. Le soulignement est manuscrit.

a. b.

« «

ou » en surcharge de « et », la » en surcharge de « sa »,

73 husserlienne des Logische Untersuchungen 00 {qui met} l'acte objectivant es-f {a} la base de tout acre psychologique et la {en fait une] condition universelle de l'expression verbale. C'est encore cette verite qu'affirment {II en est egalement question dans} les Ideen de Husserl, lorsqu'elles accordent un primat a ce qu' elles appellent la conscience thetique et doxique'. Partout la pensee est independante du langage. La pensee acheve toute l' (£uvre necessaire, elle {son eeevre} a malaxe entierernent une pensee qui des lors se prete a l'expression, comme a un signe qui s'accroche a elle du dehors. Toutefois il y aurait a premiere vue une fonction du langage distincte de la communication. Le langage jouerait un role dans la pensee elle-rnerne. Et ce role du langage dans la pensee irait plus" loin. Le nominalisme interprerair le mot comme un instrument de la raison elle-rneme en decouvrant le role du symbolisme dans la pensee, Mais en fait ce symbolisme suppose le schema traditionnel d'un langage designanr des objets penses, A une designation se bornant a un objet unique se substitue.une designation sirnultanee d'une rnulriplicite et ainsi s'epuiserait l'intention de generalite qui semble animer la pensee conceptuelle. Ce symbolisme se reduisant en fin de compte a un rapport d'association devait expliquer l'ecart entre la pensee incapable de viser un objet general et le langage qui semblait s'y referer, Ecart dont la pensee de Huss'erl a denonce le caractere apparent: un objet universel peut etre pense. Des lors le mot se subordonne cornpletement a la pensee, le symbolisme nominaliste devient inutile. Le mot est la fenetre par laquelle la raison se penche au dehors. L'intention de la pensee traverse la transparence au langage. Si le mot fait ecran il est a rejeter, Reduit chez Husserl au rang d'un esperanto ideal, le mot retrouve chez Heidegger certes toute la couleur et toute la densite d'un fait historique'. La predilection a. Dactylographie au verso d'un imprime date de 1955. b. « plus» en surcharge manuscrite de « tres » dans l'original dactylographic (sur les deux versions de cette conference, if notice). c. Dans l'original dactylographic, cette phrase est precedee d'un crochet ecrit a la main qui demande de faire un alinea (sur les deux versions de cette conference, if notice).

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de Heidegger pour l' erymologie de termes grecs tient pour lui a ['antiquite et au genie d'une langue qui fut modelee par la philosophie. N'oublions pas en effet que pour Heidegger la philosophie grecque est un moment indispensable de la revelation meme de I'etre comme pour la religion la revelation du Sinai.appartient en quelque fa~on a 1'essence (ou au rnystere) de Dieu ; que pour lui, les ecrits d'Aristote sur la puissance et 1'acte par exemple sernble-cnt > avoir pour 1'essence de la verite autant de portee quasi sacree que pour un religieux les termes du verset de 1'Ecriture, revelant deja en esprit et en verite, debarrasse de route gangue contingente. La philosophie pour Heidegger est en effet une possibilite aussi fondamentale de l'etre que la religion, et rnerne plus fondamentale puisque route religion se tient deja pour Heidegger au sein d'une philosophie inexprirnee. La philosophie grecque serait pour lui, la revelation de la philosop,hie a ellerneme. Cette revelation est la langue grecque elle-rneme et plus specialement les poernes presocratiques. La langue dont usent les philosophes est a mi-chemin entre la philosophie inexprimee et la philosophie exprirnee. Le langage joue donc chez Heidegger le role de l' expression, mais l' expression est pour lui un moment essentiel de la pensee qui ne se reduit pas a la fonction de transmission et de communication. Certe fonction consiste a prendre attitude a l'egard de sa propre comprehension et peut-etre deja en perdre quelque chose. Cette attitude est certainement pour Heidegger un evenement historique au sens fort du terme. N'ernpeche que le langage n' en reste pas moins lie pour Heidegger au processus de la comprehension (inseparable de la lumiere). Si Heidegger distingue le mot de l'algorithme - qui pour Husserl est l'accomplissement me me du langage - il n'en continue pas moins a chercher dans le mot tout ce qu'il a devine, compris-c;» articule, ce qu'Il recele de connaissance, ce qu'il a mis en lumiere ; avant que l'histoire ulterieure n'ait efface ce que le mot avait de revelateur. a. Dacrylographie au verso d'un imprirne date de 1949.

75 Nous pouvons donc dire que-c ,»" quel que soit le role attribue au langage au-dela de son role de signe, on ne le libere pas de son obedience ala pensee. C'est que la fonction de dire se ramene pour les philosophes au nommer et qu'elle s'y rarnene a cause" de la conception qu'ils se font de la pensee". Cette fonction au service de la pensee, le langage 1'accomplit d'une part comme systeme de signes - designant le deroulement de la pensee ou les objets vises par cette pensee. En surmontant la contingence de la multiplicite humaine, OU s'etait eparpillee la Raison pour en retrouver l' unite < ,> il actualise la raison en chacun. Si 1'histoire consiste en cet eparpillement de la Raison, le langage defait l'histoire. Et si 1'histoire apparait comme realisation de l'Idee, il fait I'histoire. Mais dans cette perspective la tache du langage depasse celle d'un simple signe. II ne peut nommer une pensee qui est seulement en train de se degager de l'histoire ou qui se trouve a son terme. Le signe doit donc au prealable lutter avec les signes provisoires - Avant de designer la penseeet son objet, il faut supprimer les mauvais signes qui font ecran. Autrement dit, le langage n'a pas seulement a designer la pensee mais a faire silence. Telle est la raison d'etre du langage poetique. Aboutir a l'intimite silencieuse de la pensee avec l'etre ou designer par un signe la pensee ou'' l'etre - telle semble etre la fonction du langage. Elle est toujours servile. Certes chez Platon, ce n'est pas le langage qui se definit par la pensee, mais la pensee par le langage : dialogue silencieux de I'ame avec elle-meme'". Cette definition annonce certes' une idee tres remarquable : il faut une opposition de soi a soi comme dans Ie langage, pour a. Virgule ajoutee a la main dans l'original dactylographic (sur les deux versions de cette conference, if notice). b. « ... rarnene a cause ... » est presque entierement efface. Nous le retablissons grace al'original dactylographie (sur les deux versions de cette conference, if notice). c. « de la conception qu'ils se font de la pensee » est ecrit ala main. d. « ou » en surcharge, semble-t-il, de « et ». e. Cerce phrase est precedee d'un crochet ecrit au stylo-plume a encre noire, qui demande de faire un alinea, Un trait ecrit au stylo-bille a encre violette la relie en outre a l'alinea suivant. f. « certes » est barre dans l'original dacrylographie.

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penser< ;>a le face-a-face du langage, essentiellement interrogation et reponse est condition de pensee. Mais on en retient surtout l' unite reelle de l' arne < , > b double en apparence et rneditant simplement en deux temps, pour aboutir a. un accord avec soi, ou rien ne rappelle plus cette dualite, aboutissant par consequent au silence qui, en realite, est deja. realise des le debut de la pensee. 3° Le langage nomme l'etre, car l'etre est theme En realite cette conception du langage repose sur une these plus profonde : avant la parole, les penseurs accedent chacun pour sa part, silencieusement a. l'etre et le parler se place deja. dans cette verite prealable que le langage nomme et actuaiise comme universelle. These qui, radicalement pensee, signifie, d'une part, qu'au fond, dans la pluralite des penseurs, agit une seule Raison, que son fracrionnernent' est purement contingent et que la parole ne sert qu'a reparer cet incident metaphysique. These qui implique d'autre part que la verite est une revelation silencieuse de 1'Etre a. une raison. Cette derniere implication qui peut sembler un truisme a un sens aigu qui domine la philosophie occidentale: 1'Etre est ce qui se revele a. la Raison. Son evenement ontologique reside dans cette revelation. L'essence de l'etre, c'est quil se donne, qu'ilse {laisse} saisir", L'essence de l'Etre, c'est sa phosphorescence. L'etre est idee ou concept, ou encore la Raison est correlative" de l'Etre. Sa position, - sa these - est par la meme sa thernatisation, sa presence de theme. C'esr pourquoi le parler qui communique est un parler qui designe, est un parler qui nomme. C'est ie nom qui se presence comme la partie principale du discoursQue l'etre soit ce dont on parle - c'est-a-dire un theme - que 1'essence de la parole ne reside a. Ce point-virgule, absent dans le double, est ajoute dans l'original dactylographie. b. Cette virgule, absente dans le double, est ajoutee dans l'original dactylographic. c. « fractionnement » en surcharge de « fonctionnement ». d. « saisir » en surcharge de « saisit ». e. « correlative» en surcharge de « correlation».

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pas dans la presence d'autrui, ayant une dignite quelconque, differente de celle que confere une rnaterialisation d'une universelle raison correlative de I'etre, mais dans le fait de nommer - tient a. cette correlation initiale entre exister et se reveler. Mais enoncer I'etre comme phosphorescent (idee) ou comme saisissable (concept) est aussi une indication sur sa structure. Idee, concept, il est coherence et systerne, c'est-a-dire to- talite. Le passage de la visibiliteet de la saisissabilite qu'indiquent ces termes a. la coherence et au systeme qu'ils enoncenr au merne titre, n'est pas dfi. au hasard. La totalite - la possibilite de la totalisation - est la perrneabilite merne a. la pensee. La pensee anterieure a. la rotalite, parcourt cette totalite, puisque ce parcours par la pensee ou raison n'est rien d'aurre que la totalisation rneme de la totalite. Et inversement : la phosphorescence de I'etre n'est rien d'autre que la totalisation de sa totalite par laquelle la totalite devient rotalite, c'est-a-dire cesse d'etre etrangere a. elle-rneme, et comme dit Hegel, pour soi. C'est Hegel precisernent qui nous aura appris que la totalisation de la totalite ou pensee est le parachevernent rneme de la totalite. 4° Notre methode et nos positions L'etude du rapport entre le silence et le langage, du langage comme signe de la pensee et comme asservi a. elle, nous ouvre donc une perspective qui n'est pas purement anthropologique. Et dans la notion de la personne qui parle et dans celle de la pensee ou de la raison que le langage traduit ou revele et dans celle de la relation sociale que la parole instaure ou suppose, il faut distinguer les articulations de 1'exister. On pourrait appeler ontologique la demarche qui ramene les structures de 1'anthropologie a. l'econornie generale deI'etre, c'est-a-dire qui la rnene au-dela de la partie strictement humaine de I'etre. Mais depuis Heidegger, l'ontologie s'est limitee a. une recherche qui tend a. devoiler l'etre comme phosphorescence ou luisance c'est-a-dire, comme se jouant dans la comprehension qu'il determine, merne si dans l'irnpossibilite de la verite il se jouait de cette compte-

,i ;~J

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hension. Plus proche qu'on ne dit souvent, de la totalite hegelienne OU I'achevernent de I'etre s'accornplit par la verite - quand l'etre est en et pour soi - I'etre heideggerien s'interprete en termes de comprehension. L'homme est des lors pouvoir, prise de possession, volonte de puissance et de maitrise, Une ontologie qui designe au pouvoir lui-meme une place dans l' economie generale de l'etre - tel est le but que nous nous proposons. Pour eclaircir la position du langage dans l'economie generale de l'etre, il nous faut rappeler quelques idees que nous avons deja. eu 1'occasion d'exposer et par rapport auxquelles se situent nos analyses", L'etre en general, 1'ceuvre d'etre, se distingue - et en cela nous suivons fidelement Heidegger - de ce qui est, de ce qui accomplit cette ceuvre. Nous distinguons comme lui, le verbe etre- Sein - de l'etre substantif, de l'etant, Seiendes. - Nous suivons peut-etre moins Heidegger en caracterisant cette ceuvre d'etre comme evenement impersonnel et anonyme, comme un i! ~ indeterrnine dans son sujet, non point parce que le sujet en serait inconnu, mais parce que 1'exister par Iui-rnerne est indifferent a. l' existant et que l' apparition de l' existant au sein de l' exister impersonnel, constitue un retournement radical. Ce qui existe affirme sa maitrise sur I'exister qui . devient sien. Cette apparition dans le pur verbe d'exister d'un substantif qui 1'assume, nous 1'avons appele hypostase. L'etant se pose, et par la, l'etre anonyme devient attribut, perd son anonymat en reposant sur le sujet qui lui donne un nom. L'etre comme ambiance, comme pur champ de forces, se trouve assume par un etant. Nous ne suivons pas Heideggerdu tout quand nous affirmons la priorite de I'etant par rapport aI'etre, c'est-a-dire la necessite d'avoir rencontre I'etant pour poser le problerne de l'etre. Toute thernatisation supposant un interlocuteur - toute pensee reposant sur le langage. Mais c'est deja. une conclusion de la presence etude. Cette maitrise du sujet sur son etre semble se situer au terme de l'analyse : son accomplissement concret reside dans a. Dacrylographie au verso d'un imprime date de 1955.

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la representation, articulation premiere de la conscience et fondement de la raison", Le pouvoir fondamental, celui par lequel un sujet s'est affirrne comme maitre avant d'exercer aucun pouvoir - c'est la conscience, c'est le savoir, Par le savoir, le sujet est centre du monde. Par le savoir, le flot anonyme de l'etre devient objet, c'est-a-dire une exteriorite qui, tout en etanr au dehors, est comme si elle venait d'un interieur : 1'element ou pareille situation est possible - est la lumiere. Au monde nocturne de l'il y a - s'oppose le monde de la lumiere, celui de 1'hypostase ou du sujet. La conscience et la raison ne sont donc pas ...... deja. au niveau de 1'analyse qui saisit 1'etre en termes de pouvoirs - un don rnysterieux que le sujet recoit en plus de son existence. Ils constituent au contraire le fait rnerne de 1'hypostase - le retournement de 1'exister anonyme en etant, en un quelque chose, en un substantif Par la conscience le sujet se pose et commence - n'a rien avant soi, tire tout de soi, est maitre. On peut ne pas chercher au-dela de l'hypostase ni en" deca de l'hypostase. La notion du sujet telle qu'elle se trouve preconisee par la philosophie moderne, represente precisernenr la limitation de la recherche philosophique a. l'evenement de I'etre qui commence a. 1'hypostase - a. 1'apparition de I'etant, Leprimat de la connaissance comme fonction de I'etre ne signifie que le souci de la rnaitrise de l' etant. L'etre doit etre decrit comme sujet ou comme assujetti. L'humanisme devient un souci d'assurer dans 1'homme les pouvoirs. La personne est une Iiberte, c'est-a-dire un pouvoir. Non seulement par 1'action dont Ie savoir, pere des techniques accroit demesurernenr les possibilites, mais deja. par 1'intellection elle-merne qui est l' evenementpremier de l' appropriation - qui est comprehension et saisie. C'est par rapport au sujet et a. son pouvoir que routes les relations de l'etre sont comprises rnerne dans lesdoctrines qui affirment l' existence de l'irrationnel. Les relations autres que celles a. Cette phrase est precedee d'un crochet manuscrit qui demande de faire un alinea, b. « en » en surcharge de « au ».

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de la raison sont precisernent comprises comme une negation de la raison, mais c'est par rapport a la raison, en categories de raison-c.> qu'elles sont posees. Chez Heidegger lui-meme, ou Ie cote contemplatif de la vie spirituelle est subordonne au souci, c'est le pouvoir - le pouvoir fini qui caracterise 1'homme et les evenements de I'etre sont concus, comme des comprehensions. Ce problerne de 1'homme est une obsession du pouvoir. Le problerne de 1'homme dans une collectivite, qu'a son tour on cherche a fixer a partir de pouvoirs, {a partir de representations collectives -} consiste a assurer le pouvoir de 1'homme. Assurer le pouvoir de 1'homme au milieu d'une societe qui absorbe 1'homme. La dignite de 1'homme reside dans sa liberte quil s'agit de maintenir contre la pression de puissances qui l'alienent. La philosophie et la vie spirituelle en general, deviennent ainsi une entreprise de divin{is}ation de 1'homme. 1'humanisme moderne est une aspiration a remplacer Dieu, a devenir Dieu. Merrie lorsqu'elle n'enonce qu'un rapport a Dieu. Intellection, elle devient pouvoir sur Dieu, absorption de Dieu ou absorption en Dieu. Le spinozisme est le fond de toute philosophie moderne. Par rapport a1'hypostase et au sujet, dans l'element de la lumiere - le reste de la realite devient un jeu de lumiere, le devoile, le phenornene, 1'objet. La relation collective elle-rneme, la relation avec 1'autre se rarnene a une relation collective, a une representation. Aucune autre relation n'est possible ici, car aucune autre relation n'est possible au sujet : le sujet ne se definit que par le pouvoir. Les representations collectives sont certes pour 1'individu la source d'une exaltation et d'un depassernent de soi mais elles s'integrent a sa psychologie, deviennent son pouvoir er sa liberte. La conception d'apres laquelle le langage ne sert qu'a transmettre la pensee, est une conception naturelle pour une philosophie du sujet, pour une philosophie de la maitrise, puisque toute relation humaine vire inevitablement en une relation de pouvoir. a. Dactvlographie au verso d'une lettre recue datee de 1953.

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5° Langage et societe. L'e ssentiel de la pensee dans certe conception qui remonte a Platon, se passe donc de langage. Le langage sert tout au plus a developper et a expliciter, tout en laissant a la pensee et le benefice de cette explicitation et en fin de compte 1'initiative. Mais signe de la pensee, le langage signifie la pensee a quelquun et, dans ce sens, suppose autrui. Mais cette presence d'autrui a ete toujours abordee du dehors-c ,» le pluralisme de sujets fut toujours pose comme pluralite du nombre. L'universalite de la pensee ne reside pas dans la communication reelle de la pensee d'une raison a une autre, dans l'enseignement, mais dans le fait que chaque individu, participe pour son compte a la rnerne verite. La verite est a l'avance un patrimoine commun et comme anonyme. En fait ce pretendu anonymat de la pensee est son caractere stricternent personnel. La pensee raisonnable est la pensee d'un moi et d'un je - essentiellement pensee non communicable, enferrnee dans le moi. Aussi le langage n'estil pas enseignement, mais un appel a autrui, pour que autrui pense aussi par Iui-rneme. Toute pensee est pensee d'un k, route pensee est personnelle. Une exigence d'apparence contradictoire. Toute pensee doit etre a la fois universelle et personnelle - il faut penser par soi-rnerne - objective et interieure. Aussi cette universalite est-elle interpretee comme vision - I'etre est phosphorescent - a la fois monde commun et monde interieur : 1'objet eclaire est dehors, mais la clarte est pour I'etre une rnaniere de se donner comme si, exterieur c ,» il venait de 1'interieur, C'est precisernenr cette transformation ole I'exterieur en interieur - par la lumiere - et en merne temps cette possibilite interieure qui nous met d'accord avec les autres -qu'est 1'intellection. Que peut des lors etre la collectivite elle-merne ? Soit au cas ou la pensee n'est pas un monde sans porte ni fenetre, une pure et simple negation de 1'individuel, un pantheisme < ,> soit une monadologie. La communion dans la raison, c'est la confusion des personnes dans I'irnpersonnalite de la Raison. II faut comme Spinoza ou

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a

comme.Braunschvicg penser la personne dans sa negation totale pour chercher la communion dans la raison qui est la solitude d'un pantheisme monotheiste. Absorbes dans 1'objet com~un, ~ous y abimons notre particularite et notre unicite. Le social de:le~t su- pra-individuel ou anonyme. Si par contre, les individus qui communient dans la raison sont des pensees separees - en quoi leur pensee commune a-t-elle rapproche leur solitude? Si la pensee personnelle, le monologue, peut etre impersonnelle - c'est que chaque monacle sans porte ni fenetre, touche a I'interieur de soi un objet dans une harmonie pre-etablie. Ou bien la communion se fait dans I'identite de quelque chose qui leur demeure exterieur, La communication et l' expr~s~ion. de deux pensees reste-cnt » de l'ordre de I'echange et la participation en" commun se fait selon la categorie de 1'avoir. Or posseder en commun n'est pas erre en commun. La socialite que c~ communisme suppose, doit venir d'une autre source. C'est le contenu commun qui passe de 1'un a 1'autre, mais pas la personne ellemerne. Les deux partenaires restent isoles avant comme apres l' operation. Comprendre, c'est se poser en pair. Lidee comprise devient le propre de celui qui 1'a comprise, de sorte que la relation entre personnes devient comme si elle n' etait pas. Le__ ~ilenceest en fin de compte l'elernent de la raison: les signes suffisent. S'il existe cependant une relation interpersonnelle, reelle dans la verite, elle n'est pas dans cette communion merne. Elle s'arteste par 1'enseignement. La socialite de 1'intellection qui doit etre autre chose que pantheisrne ou monadologie - n'est donc pas une fusion d'etres individuels dans la raison qui accomplit leur individualite (veritable) ni un isolement dans une harmonie pre-etablie par un Dieu qui les domine et dans lequel au fond les monades font nombre, mais dans une possibilite pour des individus d'etre proches les a. Lire « Brunschvicg »: b. « en » en surcharge de

«

au

».

uns des autres - c'est-a-dire la possibilire pour la raison d'erre

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integree dans un ensemble, constituant une musique. Certes la qualite, le contenu qu'est le son, n' est que cette rupture de la continuite : le rompre, et la perceptibilite du rompu comcide-cnt >. Mais c'est la qualite qui l'emporte dans les bruits du monde sur la sonorite - car il n'y a dans les choses aucune alterite. La fonction d' eclat et de rupture peut cependant l' emporter sur l' esthetique et la qualite. La cloche est un instrument a produire du son dans les fonctions du son. Elle fait crever le monde continu de la lumiere comme un appel de I'au-dela, La sonorite dans son ensemble , decrit la structure d'un monde ou l'autre peut apparaitre. Cette qualite et cette rnusicalite {du son} est precisement surrnonte dans le mot, mais sonorire pure: le son qualite est dans ce sens comme un mot ayant perdu sa signification. Le sens du mot reside non pas dans l'image qui lui est associee, mais dans le fait qu'un objet peut nous venir du dehors - c'est-a-dire peut nous etre enseigne.T,e langage, c'est la possibilire pour un etre d'apparaitre du dehors, pour une raison d'erre toi, de se presenter comme visage, tentation et impossibilite du meurtre. On pense d'habitude que le mot est associe a une idee et que communiquer le mot, c'est susciter l'idee qui lui est associee, que le dialogue est posterieur aux notions, a l'elevation des sensations a l'idee generale. Ce n'est pas la generalite, mais I'alterite de la notion - le fait qu'elle est enseignee, vient d'une raison autre, une notion associee au son est le residu d'une situation qui consiste a apprendre . Apprendre n'est pas communication d'une pensee (ce qui serait revenir a la preexistence des pensees a la parole et par consequent fatalement a une harmonie preetablie), mais relation premiere: se trouver devant une raison autre, exister metaphysiquement. La pensee ne precede donc pas le langage, mais n'est possible que par Ie langage, c'esr-a-dire par l'enseignement et par la reconnaissance d' autrui comme maitre, Le passage que l'on se donne comme un miracle personnel de l'implicite a l'explicite {de l'individuel au general} suppose un maitre et une ecole. La doctrine parlee -l'Ausdriicklich deneen" - suppose ecole et enseignement.

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a se demander pourquoi le langage est aussi

un systerne designe. Quelle est la place de la signification dans la relation avec la transcendance que represente la societe ? 11 0 Le rapport avec 1'Autre et la signification Pour cela, revenons a 1'hypostase dont nous etions partis, pour voir de plus pres l'evenement d'erre qu'elle accomplit. La gloire, c'est 1'existence d'Autrui. La gloire de l'etre passe inapercue en moi et peut paraitre comme faralite. C' est en autrui que sa gloire apparait ; c'est-a-dire que l'etre apparait comme creation. De sorte que le moi ne se connaitra comme justine qu'a partir de Toi. Mais le sujet qui se pose, s'il n'accomplit pas en se posant un acte de pouvoir, sil est comrne I'Autre assis dans I'etre, ne" le sait" pas, car il est rive a soi. La Gloire de la creature ne me vient que de 1'Autre, est entendue. II ne s'agit donc pas pour le sujet de remplacer la naissance dont il n'aurait pas eu volorite, par une naissance assumee. Meme une naissance choisie aurait eu du fait merne qu'elle serait une entree dans l'etre, quelque chose de definitif. Ce n'est pas le fait de s'irnposer a une liberte qui constirue le tragique de l'etre mais si 1'on peut dire, son identite merne, le fait que le moi de l'etre est rive a son soi. Le sujet qui assume l'etre par 1'hypostase est aussi tenu par I'etre. Et dans ce sens, avant route manifestation de la liberte, l'etre est rive a soi. C' est dans la nostalgie d'une autre personnalite - nostalgie dans son expression brute, insensee-c.> puisque si moi je devait" etre 1'autre - il faudrait un element de continuite qui ne peut etre que mon moi - que ce tragique de I'identite peut etre saisi. Singuliere tragedie ! Mais c'est elle que nous decouvrons au fond de 1'ennui. L'ennui n'est pas seulement la nostalgie d'un autre horizon, monotonie d'un monde trop familier, mais 1'ennui avec soi. Non seulement enchainernent a un caractere, a des instincts a. « ne » en surcharge de « le », b. « sait » en surcharge de « suit». c. Lire « devais ».

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- mais aussi a soi-rnerne - qui eveille la nostalgie de I'evasion, mais qu'aucun ciel inconnu, aucune terre nouvelle, n'arrivent a satisfaire, car dans nos voyages, nous nous emportons. Nostalgie insensee certes : car si je m'evade de moi - a moins de rn'annituler" - il faut que dans 1'autre moi - il reste un moi - un element de continuite, Evasion de soi qui ne me permet que la condition d'un avatar. Mais absurdite par rapport a une conception qui ne va pas au-dela des notions, qui decrivent depuis Parrnenide I'etre comme unite. Le malheur de la subjectivite ne tient pas a la finitude de mon etre et de mes pouvoirs, mais precisernent au fait merne que je suis un etre ou un etre un. Malheur qui revele ce par quoi I'etre complet est incomplet. Ce par quoi il est seul. La solitude n'est pas la privation d'une collectivite de semblables - mais le retour fatal de moi a soi. Etre seul, c'est etre son idenrite. Malheur auquel tous les pouvoirs n'offrent qu'une illusion d'evasion. Ce « il n'est pas bon pour 1'homme d'etre seul »12 dont parle la Bible a ses debuts se revele au moment OU 1'homme a passe en revue tous les etres auxquels il a donne des noms, mais OU il n'a pas encore parle, oii il n'a pas d'assistant en face de lui ; malheur qui se resout par l' apparition du feminin parce qu'en lui l'hommereconnait sa propre substance - parce que le rapport avec le feminin est precisernent 1'accomplissement de sa'' nostalgie d'etre 1'autre : Etre 1'autre est insense si on se 1'imagine comme une identification avec lui parce qu'alors on n'est plus soi-merne, on est complerement 1'autre. Eire l'autre, est un evenement dans I'etre de structure irreductible et qui est articule dans la relation sociale - rarnene d'une simple representation d'autrui - ala relation erotique. Originalite d'une relation qui echappe, - qui se transforme en coexistence quand on aborde la relation erorique a partir des relations a. Lire « m' annihiler ». b. « sa » en surcharge de

«

la

»,

---

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sociales telles qu'elles s'offrent dans le monde de la civilisation comme des representations collectives, par consequent en termes de pouvoirs qui ne peuvent pas repondre a la nostalgie de l' evasion de soi qui est le malheur de I'hypostase. Nous comprenons mieux maintenant comment la relation sociale en tant que relation erotique - n'est pas seulement un fait empirique, mais repond a la structure rnernedu sujet et est un moment ineluctable dans l'economie generale de l'etre. Mais le rapport erotique n'est possible Iui-rneme que si l'autre est humain - c'est-a-dire si dans I'alterite totale d'autrui je reconnais mon semblable. Cela ne revient pas a l'idee d'un sujet identique sous la diversite ; mais le maintien de la difference radicale qui est celle du sexe et de I'identite du semblable - c'est precisement la conception de la raison dans sa difference de moi et de toi, contre la raison impersonnelle qui en realite n'est que la raison du je. Mais cette necessite d'un visage humain derriere la difference merne du sexe, nous pouvons la montrer en nous posant la question de la remporalite qu'irnplique la relation erotique. Si la relation erorique n'est pas seulement une societe de coexistence ou de participation a une representation collective commune mais l'evasion de soi et un recommencement, elle doit etre etroitement liee au temps. Le temps de la sexualite ne peut pas ressembler a cette serie d'instants a travers laquelle une substance se maintient et qui, simple avatar, fait dans l'instant nouveau une nouvelle experience; tel est le temps que connait l'intellect - et ou le temps lui-meme n'est que l'objet d'un pouvoir. La substance est precisernent ce qui ne recommence pas. Quel estle sujet, dans le sens erymologique du terme, le support dans rna relation avec l'autre. Je 13 pense que c'est le fils. Je ne vais pas y revenir aujourd'hui • Le fait que le terme commun est posterieur aux termes de la relation - est la seule possibilite ontologique de I'evenernenr de I'evasion. S'il se plac.;ait dans l'abirne infranchissable qui separe le sujet de l'alterite totale du feminin -Ie sujet {em}porterait dans son evasion, le fond dernier de soi-merne. Le moi ne se serait pas evade de soi, mais n'aurait connu qu'un avatar.

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Mais cet avenir OU la relation intersubjective permet au sujet de s'evader - doit aussi conserver une relation avec le present. Le successif de la relation intersubjective, doit etre en quelque rnaniere simultane, Car le sujet ne s'evade pas en se reincarnant dans le fils - Nous n'avons pas presence une theorie de la migration des ames. l'evasion de soi n' est pas un simple recommencement du sujet. Elle est faite de la relation avec le fils. La paternite n'est pas simplement un renouvellement du pere dans le fils et sa confusion avec lui. Elle est aussi une exteriorite du pere par rapport au fils: un exister pluraliste. II y a une multiplicite dans le verbe exister, qui manque aux analyses existentialistes les plus hardies. II faut donc a l' accomplissement de l' ordre intersubjectif qui est le temps - un ordre oii le successif du temps est sirnultane. Cet ordre intermediaire entre la succession du rapport intersubjectif et la simultaneite de l'ordre cosmique de la lumiere est la fable. La parole en tant qu'instauration du recit integre ·la relation intersubjective essentiellement temporelle dans la simultaneite d'un monde, constitue cette interpretation de la societe et du cosmos qui forme une civilisation. Le son, au lieu de manifester la plenitude de l'exister - l'exprime en renvoyant a autre chose qui la subjectivite -csicc-", le son devient signe. Ce n'est pas de moi qu'il est question - mais de moi comme d'un lui. Le sujet se manifeste non pas comme rnystere, dans sa nudite d'etre, mais revetu de son mythe, dans sa decence. C'est moi-rneme, mais deja engage dans des relations qui rn'idenrifient et que le mot comme un signe evoque. Par Ia le mot est essentiellement dialectique. En merne temps qu'il revele, il cherche. La parole comporteun mensonge essentiel. Et cette conscience du mensonge constitue tout le tourment de la parole. Le mensonge reside dans le caractere ineffable d'une relation qui cependant s'accomplit par une fabulation. Mais l'apparition de la fable comme condition de la transcendance a. Dactylographic au verso d'un imprirne date de 1955. b. II faut sans doute lire: « que la subjectivite».

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erotique - indique precisement le primat definitif d'un ordre de 1'intelligence - non pas impersonnel - mais d'un face-a-face de visages. 12° La dialectique de la parole

II y a dans la parole une impossibilite de sincerite qui en constitue 1'unique sincerite. Dans certaines situations des romans de Dostolevsky ou de Gide, les personnages en pleine confession s'interrompant pour declarer quils jouent de la comedic, qu'rls font de la Iitterature - et cet aveu de cabotinage encore - est la seule sincerire qui leur soit donnee. Parler pour le personnage des Notes dJun souterrain'" - est un depouillement progressif et desespere pour se retrouver encore et toujours des deguisements que chaque nouvelle parole ajoute au lieu de les arracher - incapable de decouvrir la nudite recherchee. A chaque instant lab personnage se retrouve conforme a. un my the qu'Il voudrait depasser, II existe aussi des situations opposees a. cette sincerite - ou loin de lutter contre le deguisement du my the la personne se conforme a. son personnage, se drape dans son my the. C'est l'heroisme de 1'habitude, c'est se mirer dans le miroir de 1'histoire, c'est parler comme si on etait deja. son propre portrait suspendu dans une galerie d' ancetres ou dans une revue illustree - c'est toutes ces phrases qui commencent par le « nous autres », La personne se refugie dans son my the au lieu de lac faire. Mais les formes degradees de cette mystification et de cette mauvaise foi n' annulent pas la signification ontologique de l'ceuvre de la parole. La sirnultaneite du successif, les personnes abordees a. travers la fable - instaurent l' ordre rnerne de la civilisation de la personne qui se degage de sa position sexuelle, situee desormais dans un ordre simultane et dans une egalite de personnes. a. Dactylographic au verso d'un imprirne date de 1954. b. Lire « le ». c. 11 faut lire « le ». I,' original dactylographie porte la correction et ajoute le defaire

»;

ala main:

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ou de

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Le monde de la parole ne recouvre donc pas le domaine du quotidien heideggerien. II ne represente pas une chute. Pour 1'accomplissement meme de la relation sociale par l' eros - il faut 1'instauration d'un ordre cosmologique et simultane, Les traits fondamentaux d'une societe polissee" - avec son hypocrisie et ses mensonges - qui rend possible cette aisance de la courtoisie, qui enleve ce qu'il peut y avoir de tourrnente et de crispe et de chaotique dans le rnystere de l'eros, n'esr pas une chute, mais un aboutissement de la parole, necessite par I'intersubjecrivite elle-rneme . L'erreur consisterait a. la prendre pour la forme originelle de la collectivite et a. ranger dans le domaine de 1'empirique et de l' accidentel, la structure de l' eros. Nous avons repondu aussi a. la deuxierne question: le mot est signe mais signe qui ne transmet une pensee que pour cacher I'etre du sujet er son evenement mysterieux de I'intersubjectivite. Signe aussi, qui taille dans l'element du son confere aux notions signifiees, un rapport avec le mystere de I'etre, c'est-a-dire la fonction de symbole, qui brise parconsequent la continuite de 1'univers lumineux. 13 ° La relation sociale Nous voudrions en terminant, insister sur quelques idees qui me semblent particulierernent importantes, dans le developpement que je viens de faire. D'abord sur l'idee de relation sociale, comme ne se reduisant pas a. l' c et qui introduit dans l'idee merne d'etre, un pluralisme contraire absolument a. l' ontologie de Parmenide et de Platon. En aucune facon cela ne revient a. une espece de romantisme de la vie impersonnelle qui, par del a. les individus et en se servant d'individus« ,> realise ses desseins mysterieux. Doctrine defendue souvent, au cours des dernieres 15 annees, par les philosophes a. Lire « policee », b. Dactylographic au verso d'une lettre recue datee de 1955. c. Ecrit ala main dans un espace laisse libre dans le dactylogramme.

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officiels d'outre-Rhin 15 . Rien n'en est plus eloigne en realite. Car la relation sociale dont nous avons affirme lirreducribil ite par rapport aux relations d'intellection - a ete traitee par nous d'un bout a 1'autre, comme un problerne de la personne, car c'est precisement la revolution radicale qui se produit dans I'etre avec I'hypostase, avec la position du sujet qui a ete le point de depart de notre deduction. C' est precisement pour preserver la relation sociale de toute idee de fusion et de participation, que nous avons pose le sujet comme etre qui ne se revele que par sa gloire, et qui demeure chez soi. C'est ensuite la crispation merne du sujet dans le retour de moi sur soi -1'insuffisance en quelque rnaniere de son trop-plein qui nous a conduit vers les idees de l'eros et de la fecondite. Nous avons voulu d'autre part remettre en question la notion de la Geworfenheit, non pas comme vous le pensez pour rejeter l'idee de la creation, mais pour la retrouver, degagee de la malediction qui s'attache a. la Geworfenheit ou a. ses succedanes chez Heidegger et chez Sartre. 1'« avoir deja ete », se refusant a une mernoire susceptible de 1'assumer, se refusant au pouvoir, est en fin de compte la culpabi l ite. Cette confusion entre l' ens creatum et l'enspeccatum est ineluctable rant que ron fait de la phenornenologie, c'esr-a-dire tanr que ron analyse la conscience, c'esta-dire encore, tant qu'on philosophe par rapport aux pouvoirs humains. La conscience est le mode d'existence d'un etre qui peut, et des lors, le rapport avec le commencement est une relation avec ce qu'on ne peut pas. Elle apparai't comme une limite et comme un malheur. Ne sentez-vous pas tout le rnanicheisrne inclus dans la notion heideggerienne de la Geworfenheit ? N'y a-t-il pas avec le commencement une relation autre que celIe de « pouvoir ou de ne pas pouvoir » ? N'y a-t-il pas avec l'avenir une autre relation que celle du « projet » ? Voila des questions qui peur-etre obligent a. sortir de la phenomenologie. La relation avec le commencement au lieu de constituer le malheur de la Geworfenheit, nedoit-il pas apporter la foi dans le Pere, la securite dun monde cree? La faute n'est pas dans 1'origine

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passee - dans ce « profond jadis, jadis jamais assez" », mais dans 1'origine du sujet - de 1'orgueil essentiel du moi - ignorant le passe, tranchantsur lui, de par son evenemenr de present. C'est pourquoi j'ai essaye de retrouver le tragique de l' existence - et la faute - non pas dans la Geworfenheit mais dans la liberte merne du present, dans son absolu, dans cette liberte qui tourne en responsabilire et qui appelle l'avenir, c'est-a-dire le pardon. Avenir bien different du projet tout entier encore lie au present - tout entier concu comme un pouvoir, et que dans mes conferences sur le Temps et I'Autre!", j'ai essaye de saisir a travers la sexualite, la relation avec le Ferninin et avec le Filial , comme une relation avec l' Autre. C' est pourquoi je me trouve oppose au principe angelique et tout-puissant de Sartre ; et a la Geworfenheit heideggerienne. 14° Conclusion La rnaitrise et l' evasion de soi apparaissent donc comme deux poles entre lesquoels oscille le mouvement de l'etre. Par la fable, l' expression de 1'homme qui est ini tialement sa transcendance temporelle elle-rnerne, son etre a deux, ce par quoi il est ouvert sur le temps et se degage du definitif de sa position, se ramene a un pouvoir de 1'homme. En aucune fa~on ce mouvement qui fonde la civilisation ne devrait etre considere comme une degradation ou une chute: le bonheur de 1'homme n'est possible que s'il existe une personne qui a le pouvoir du bonheur-c,» qui 1'assume. La civilisation ou la personne s'affirrne comme une souverainete est la condi"tion d'une transcendance comme accomplissernentd'une promesse. La fable et la pensee annoncent la transcendance peut se faire non plus comme une antici- pation - comme une prise a 1'avance, puisque 1'avenir est refractaire a tout pouvoir. Le rapport du sujet a 1'autre doit donc se referer a une situation ou cette transcendance se fait dans un present. Cette situation ou le sujet se rapporte a 1'autre dans son present - tout en consera. Dactylographic au verso d'un irnprime date de 1955.

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vant son propre rnysrere et OU il anticipe autrui sans pouvoir sur lui - c'est la parole. La parole instaure 1'ordre intersubjectif dans Ie present ou encore permet de s'en rendre compte. Seul1'homme civilise peut se rendre compte de son bonheur, c'est-a-dire 1'accomplit explicitement. Si Ie bonheur en fin de compte est un evenement et non pas une comprehension - si la destinee humaine en fin de compte n'est pas une ontologie - si d'autres relations que des relations de comprehension la rattachent a. I'etre et constituent son etre - si etre ne se reduit pas a. pouvoir - 1'ontologie, la comprehension, Ie pouvoir, sont des conditions de 1'accomplissement de I'etre - dans la me sure OU 1'accomplissement est realisation et suppose un avant et un apres, et un apres donne dans 1'avant. Une simultaneite de 1'avant et de I'apres est donc la condition d'un apres qui conserve la structure de 1'accomplissement et cette simultaneite est la pensee et la conscience tournee fatalement vers le cosmos. Elle est Ie secret de 1'homme en tant qu'etre civilise, en tant que se comprenant a partir de la fable qui par Ie recit historique arrete son histoire, qui englobe son devenir dans un present et « peut » sur l' avenir. C'est a partir d'ici que l' on peut situer to ute pensee theorique, tout savoir, dans l'economie de I'etre. Et en fin de compte comprendre Ie role de la philosophie elle-rnerne qui ne saurait jamais se confondre avec l'etre merne de l'etant, qui se sert de concepts et qui enonce des structures, rneme quand elle emprunte ces concepts a1'histoire ou a. la theologie qui en fin de compte eclaire. Mais qui peut dans la simultaneite d'une cosmologie donner Ie sens a ce qui sera accompli ; qui annonce 1'avenir, mais ne 1'accomplit pas.

Pouvoirs et Origine

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maio D'ores et deja Car" dire que la liberte ne justifie pas la liberre - c'est situer en dehors de l'emprise de la subjectivite sa justification. < feuillet isole>

La limite de la priere individuellel'' ~11~,n 1:1 1,j1f.jt1l 1 Synhedrin ( ?) ». «

Les Enseignements

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Notice sur Les Enseignements Conference prononcee Ie 23 fevrier 1950, qui prend I'irnrnediate suite des Nourritures (cf supra, notice sur Les Nourriturest', Le manuscrit est conserve dans une chemise carronnee sur laquelle figurent Ie titre, la date et Ie lieu de la conference, ecrits au crayon a papier repasse au stylo-plume a encre bleue. II est compose de 38 feuillets manuscrits pagines, de format 20,8 x 26,7 em, extraits d'un bloc-notes, a l'exception des feuillets 12 (20,7 x 29,4 em), 24 (feuillet d'epreuve), et 29,31-35, de format 15,1 x 22,9 em. L'ensemble est manuscrit recto, a l'exception de certains passages pour lesquels Levinas a repris un feuillet et des morceaux de feuillets d'epreuves de son article « Pluralisme et transcendance » (cf f. 24-26 b) . Le texte est eerie avec differents instruments d'ecriture : stylo-plume a encre bleue ou noire, stylo-bille bleu, crayon apapier. Les numeros de page sont ecrits au stylo-bille rouge. Signalons qu'a I'interieur de la chemise dans laquelle se trouve la conference on trouve une page d'agenda sur laquelle est ecrit, d'une main qui n'est pas celIe de Levinas, Ie poerne de Lamartine, « l' enfant» . a. Nous n'avons pas trouve d'elernenr nous permettant de savoir si, comme c'est le cas pour Les Nourritures, la redaction des Enseignements est posterieure a la date a laquelle la conference fut prononcee. b. Cf « Pluralisme et transcendance », in E. W. Berth, H. J. Pos and J. H. A. Hollack (eds.), Proceedings of the Tenth International Congress of Philosophy (Amsterdam, 11-18 aout, 1948), North Holland, Amsterdam, 1949, pp. 381-383. Le texte sera repris, avec quelques modifications sous le titre « La transcendance et la fecondite », dans Totalite et Infini, op. cit., pp. 251-254.

Les Enseignemenrs Conference faite Ie 23 'fevrier 1950 au college philosophique" Les enseignements

]e me suis dernande a. la fin de rna 1re conference! si dans le monde des nourritures et du travail les outils et nos collaborateurs - c' est-a-dire la civilisation ne nous rarnenent pas a. I'histoire er a. la societe dont ces outils sont le produit et le ternoignage et sans lesquelles ils sont a. proprement parler impensables et si par la. merne nous ne quittons pas le monde des nourritures et par consequent le present OU le moi coincide avec soi - ~ c'esr-a-dire OU {ill se comprend a. partir de Iui-merne. Sans aucun doute. Mais seulement en supposant que certaines conditions sont au prealable realisees conditions par lesquelles je vais decrire la situation de l' enseignement. a. Ecrit sur la couverture de la chemise conference.

a I'interieur de laquelle sont

ranges les feuillets de la

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Parole et Silence

FJl.es. {Ces conditions} ne consistent pas - dans le simple fait

de resider au sein d'une societe civilisee et historique. Notre position consiste precisement a distinguer contre route la philosophie contemporaine - la VIe, la conscience comme accomplissement de la vie d'une part et la re£lexion. La vie n'est pas une re£lexion simplement implicite et la retlexion n' est pas un simple prolongement de la vie et de ses pouvoirs. 11 existe certes un moment OU 1'une s'ouvre a 1'autre - et c'est cette situation que nous appellerons enseignement. Par elle-meme en effetla civilisation, 1'histoire, la collectivite ne nous conduisent pas au-deja du monde des nourritures. Rien ne renvoie moins au passe que I' outil. Les choses que nous saisissons - avec lesquelles nous travaillons - sont sans passe, offertes a nous, anonymement. Les installations de notre civilisation at multi-millenaire -les rues, les places, les eglises, les autobus, les usines - sont presents comme la nature. Nous nous servons des telephones, d'automobiles - comme s'il y en avait toujours eu. Le rapport avec le passe qui les a inventes et fabriques se reduit a 1'achat. La communication du moi de la jouissance - du consommateur - avec le passe de 1'invention et de la fabrication _ se reduit a l'acte anonyme de 1'achat. Les objets sont etales dans les magasins comme les fleurs sont repandues dans les champs. Vivre c'est oublier I'histoire-c.> {c'est etre jeune}. Ce n'est pas venir a partir d'une serie infinie - mais rompre avec le passe etre present - etre a partir de soi. - ou si l' on veut encore - erre libre.

Les Enseignements

179

Le passe {reconnu n'existe qu'[en fonction du present - en vue du present 11 doit etre assume dans la repetition : la comprehension de 1'histoire en tant que repetition - est par excellence 1'histoire d'un etre jouissant. {Les figures du passe prennent de grandes dimensions - mats s'enferment dans se statufient, se ferment dans leurs mythes - et entrent dans notre present.} Le passe est en vue du present. Le present est le sommet de 1'histoire : « Combien on doit etre malheureux d'exister autre EDis» comme Comme le passe devait etre arriere ! Comme il manquait de" achevement {maturite} ! Et comme le present est acheve - fini, complet {abouti}. 11 peut y avoir du progres - mais 1'essentiel est lao Cette conscien L'homme des nourritures - est un moderne. Autrui - ne me concerne pas. II est l' etranger, - C'est-a-dire celui qui me concerne uniquement par la manifestation de sa liberte. II me concerne en tant qu'il entre dans mon monde. Dans mon ipseite je suis absolument independant de lui. Dans ma position, {dans mon domicile - chez moi -} je me possede en effet inregralernenr. ]e me tiens sur terre - rna supreme condition. II me suffit comme a Antee de toucher a la terre - de me poser - pour y retrouver toute ma puissance", Autrui m' est etranger, Mais je pense posseder" quelque chose en' commun avec lui - travailler en commun avec lui - ,echanger des produits ou des services avec lui. C'est autour de quelque chose de commun - mais autour d'un troisierne terme - que la socialite se fait. Ou bien je rn'oppose a lui. Dans ce cas il Pour guelque chose egalement. ]e ne lui en veux pas, comme je ne a. b. c.

« « «

de » en surcharge de « d' », posseder » en surcharge de « avoir en » en surcharge de « de ».

»,

180

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l'aime pas. On n'en veut pas a un erranger, Je ne commence a le hair que s'il me gene. Je ne deviens son assassin qu'a le tue que pour quelque chose, jamais sans raison. Hostile - il se trouve sur le merne plan que les forces memes de la nature dans la mesure OU elles excedent mon pouvoir et constituent l'exteriorite du monde comme les forces de la nature deviennent pour moi des personnages rnyrhiques" - des dieux. L'homme est my the pour I'homme' - er le culte qu'on lui rend est un culte d'echange de services. II s'agit d'une collectivite fondee sur le partage {- de la terre. se nouant autour d'un troisierne terme-} Les libertes Partage consistant en un certain equilibre des libertes - dominant 1'une 1'autre, s'associant 1'une a 1'autre, exterminant 1'une 1'autre. Societe des etrangers qui s'opposent dans la guerre ou qui s'entendent dans la nation autour de la me me terre. Et pourquoi les etrangers ne se tueraient-ils pas et pourquoi ne se grouperaient-ils pas? Hospitalite et guerre - cela neb ensemble s'exclue' pas toujours. Ni le prendre, ni le donner n'a pas" encore e dramatique de la relation sociale. Dans le monde des nourritures, 1'organisation des individus en groupe est done parfaitement possible. Precisernent parce que les individus y restent etrangers les uns aux autres. Cet arrangement technique de la societe, n'est pas plus paradoxal que la domination de la nature elle-rneme. La doctrine utilitariste de l' origine - ou de l' essence - de la societe l' a toujours soutenu, et, avec raison, tant quil s'agit du groupement des a. « mythiques » en surcharge de « mystiques». b. « ne » en surcharge de « va », C. Lire « s'exclut ». d. « pas », Iegerernent en dessous de la ligne, est peut-etre un ajout, e. « « le ?> » en surcharge de « 1'Etat. J'invoquerai 1'Etat qui est « personne », tel qu'il apparait quand on « fait la queue» chez le percepteur, oU malgre des annees de formation civique, I'impot est une grace ou un acte d'heroisme. a.

«

ce

»

en surcharge de

«

b. « perdre » en surcharge de « -cxxxx> ».

»,

Les Enseignements

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comme une pluralite de sujets qui existent. Jamais il n'est apparu dans l' exister de ces existants. Exterieur a 1'existence des etres, le pa {pluriel} se donne a un sujet qui compte. II est nombre, deja subordonne a la synthese du « je pense », L'unite seule conserve le privilege ontologique. La quantite inspire a route la rnetaphysique occidentale le rnepris que 1'on voue a une categoric superficielle. Aussi la transcendance elle-rneme ne sera-t-elle jamais profonde. Elle se situe, en fin de compte, en dehors de I'evenement d'etre, elle est simple relation. En articulant l' exister comme temps au lieu de le figer dans la permanence du stable, la philosophie du devenir cherche a se degager de la categoric de 1'un qui compromet la transcendance. Le jaillissement ou la projection de 1'avenir transcendent. Non pas par la connaissance seulement, mais par 1'exister rnerne de I'etre. L'exister se libere de I'unite de 1'existant. b »,

«

et

»,

Les Enseignements

»,

feuillet 3 O.

Parole et Silence

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[Mais} on" s'imagine habituellement que le problerne de la societe est resolu lorsque tous les hommes sont freres, En realite c'est a. ce moment quil" commence reellernent'. En tant qu'etrangers les sujets ne se concernent pas mutuellement. En tant que freres - ils m'irnportent non seulement comme obstacles a. rna liberte, mais comme le fondement me me - ou la justification de rna liberte. Le choix qui m'investit est aussi le choix des autres. Je suis ft la fois tout mais aussi partie. {- Neces site d'une fraternite pour concevoir l'ordre universel}d C' est 1ft Ie farneux problerne de rna contingence. {Le fils n' est jamais fils unique. C'est en cela que reside rna contingence} - non pas du fait que je ne me suis pas choisi - mais due le fait que j'ai ete elu, mais les autres aussi. C'est dans mon etre le plus prive - dans la mesure OU je suis fils et elu - que je suis en rivalite avec mes freres - que je dois resoudre rna place dans cette universalite qu'a la fois je suis et ne suis pas. C'est par la frarernite que je concois un ordre universel. Je ne suis pas unique II existe un univers dont je ne suis qu'une partie, La fecondite du moi ttffi le libere de son enchainernent a. soi mais il y a un autre conflit Comment puis-je etre le tout et la partie? La fraternite contient done une rivalite non pas pour la nourriture et pour la terre une rivalite a. mort. Haine d'assassin - plus terrible que haine de voleur.

a. « on » en surcharge de « On ». b. « quil » en surcharge de « que », C. Dans la marge de gauche: « Dite simple'». d. Dans la marge de gauche: « Ce n'cst pas la ntanifcs e. « du » est probablement un ajout.

»,

Les Enseignements

197

Jalousie totalement desinteressee. Je suis jaloux que 1'autre est aussi moi. Ce n'est pas la liberte de 1'autre qui me defie - mais son existence. Son existence et son privilege sont inscrits dans rna creation meme-c.» C'est comme fils que je suis d'avance pose contre les autres. C' est moi qui defie - suis agressif. Le problerne seffiH. de la collectivite dans toute sa profondeur commence seulement quand on s'est reconnu comme Frere. Se declarer satisfait en reconnaissant que tous les hommes sont des freres - penser qu'il n'y a pas de problerne dans la fraternire c'est 1ft l'origine du [perpetuer le} mal social. Proclamer la magie de l' amour - c'est comme dans le socialisme utopique -se fermer sur la condition reelle - c'est mystifier. Je peux resoudre certes le problerne de la societe par le meurtre. Le meurtre fratricide - voila. la chose nouvelle inconcevable dans le monde des nourritures. Je peux le resoudre en luttant pour mon droit d'ainesse!", Alors les freres se separent oublient leur fraternite pour devenir des etrangers c'est-a-dire pour fonder des nations qui accompliront le meurtre plus tard - qui se feront la guerre ou s'entendront - sans engager leur prive - dans une organisation internationale. Mais on peut aussi chercher a. rester ensemble - c'est-a-d. a. resoudre le problerne de la frarernite-c ,» a. passer sur un plan OU 1'universel et le particulier en moi se concilient.

Parole et Silence

198

Le problerne consiste a creer une societe de freres. Non pas a elever la socialite a la fraternite, mais la fraternite a la societe. Creer une societe a partir de la fraterni te Comment? Peut-erre par 1'enseignement. Le conflit peut etre resolu si je peux me trouver derriere rna condition; si je peux participer a la raison de mon etre, non pas pour assumer ce qui 1'a instaure, mais pour comprendre le monde dans son ensemble, pour etre aussi le pere du monde. C' est en recevant l' enseignement du pere que je peux fonder une societe de freres. C'esr par la justice que j'arrive a 1'amourdes freres, Ce n'est pas par la charite que je rrr'eleve a la justice du pere. Le savoir ne nous rend donc pas maitre du monde - il est justification. {Pas de stoicisrne. Car rapport avec l' enseignement est un rapport avec le Maitre.] Le savoir - n'est pas pour s'assumer - mais pour se justifier. II comcide avec 1'aperception de la collectivite comme tout: II est le passage Iui-rneme du monde limite de la vision eta par consequent du pour-soi du sujet de la liberte - a 1'aperception de 1'universel ou" le rapport entre moi et les autres comme totalite dont je fais partie - tout en etant elu - peut se poser. Je mets sous le signe du « peut-etre » cette solution. II rn'a importe de poser le problerne. On ne peut pas tout dire en deux conferences - ni avoir toutes les solutions quand on est appele a faire desconferences.

a. « et » en surcharge de b. Lire « oii »,

«

a »,

L'Ecrit et l'Oral

Notice sur L'Ecrit et l'Oral Conference prononcee le 6 fevrier 1952. Le manuscrit se trouve dans une chemise cartonnee, sur laquelle Levinas a ecrit le titre, le lieu et la date de la conference. Outre les feuillets de la conference, on trouve un programme du College philosophique, annee universitaire 1956-1957, premier trimestre, annoncant notamment la conference de Levinas intitulee La Pbilosopbie et l'Idee de l'infini, le 11 decernbre 1956. Le manuscrit de la conference se compose de 60 feuillets manuscrits recto pagines de 1 a 59 (le feuillet 19 erant, en effet, pagine par erreur 18 comme le precedent - erreur que nous rectifions dans notre transcription). II s'agit de morceaux de feuillets de provenances diverses et de formats differents (8,5 x 18,7 em pour le plus petit; 15,7 x 21,8 em pour le plus grand), ecrits avec differents instruments d' ecriture : stylo-plume a. encre bleue, stylo-plume a encre noire, stylo-bille a encre bleue, stylo-bille a encre violette. Signalons en particulier que les feuillers 38-39, 41, 43-46,48,50,53-59 sont d'un rneme papier et sont ecrits avec le rnerne stylo-bille a encre violette (avec des corrections ou ajouts au stylo-bille a encre bleue ou au stylo-plume a encre noire). Certains de ces morceaux de feuillets laissent deviner, dans leur partie superieure ou inferieure, un texte plus long qui a ete coupe. II est manifeste que Levinas a extrait ces feuillets d'un ensemble plus vaste, afin de les integrer au present ensemble. II faut faire

202

Parole et Silence

la rnerne remarque au sujet des feuillets 12-24, qui sont d'un rnerne papier, ecrits avec le rnerne stylo-bille a encre bleue, et qui laissent egalement deviner un texte plus long qui a ete tronque. Signalons enfin que le feuillet 40 est un papier administratif dactylographie (provenant de la merne source que le feuillet 38 de la conference Pouvoirs et Origine et le feuillet 4 de Nourritures), que l'on peut dater de 1960. La presence redaction est donc posterieure a la conference.

L'Ecrit et l'Oral College philosophique 6 fevrier 1952 a L'Ecrit et l'Oral L'Ecrit et l'Oral ne sont pas seulement deux facons dont les eleves attestent les connaissances qu'ils ont acquises. Ce sont deux facons pour la verite de se manifester. Dans I'ecrit la verite sepresente au lecteur qui, au 20 e siecle, est irremediablement philologue. L'importance de la philologie tient, a son tour, a l'importance prise par les ecrits dans une societe unie par la litterature. Notre monde merne repose sur des textes et des ecritures. Nous sommes une societe de lecteurs. Mais Platon a fixe par une formule remarquable l'essence - et la faiblesse - de l'ecrit: « discours ne pouvant se porter secours a Iui-merne »1. Elle nous servira de fil conducteur pour decrire la manifestation de la verite ecrite. La verite seb manifeste oralement - contrairement a sa manifestation ecrite - a celui qui peut poser des questions, {elle se manifeste a partir} due maitre a .

206

Parole et Silence

pieces a conviction ;. comme si la parole seule pouvait me livrer comme une liberre ames juges et retablir le contact entre mes juges et moi, comme si, par elle seule, la verite se faisait. Sans la parole, on penetre dans rna vie, mais on ne se met pas en relation avec moi ; sans la parole qui me sollicite et a laquelle je reponds, je n'ai pas d'existence veritable - pleine et exterieure. S'exprimer uniquement par sa vie, par son action, par son oeuvre, c'est done rester absent de I'etre. Si la vie, 1'action et l'ceuvre ont deja un sens, un autre sens encore leur est prete par la parole, par 1'expression libre. On peut aller plus loin. Si les objets ouverts a la perception ont deja un sens pour notre vie et pour notre action, avant qu'une parole ne se profere - il faut admettre deux significations distinctes que l'etre peut revetir, Une signification phenomenale comme celle que 1'on me decouvre en me jugeant sur mes ceuvres, en mon absence - la signification prehistorique ; et la signification reelle - celle que revet le monde des objets quand il s'enserre dans le langage.

Pourquoi penetrer dans rna vie, c'est me comprendre comme un absent? Parce que Ie souci - et le « pour soi » - de mon activite n'expriment pas, mais constituent seulement mon intimite. L'expression - elle - accomplit la relation avec l'Exterieur, alors que 1'intentionalite de l'acte, de la visee theoretique - font partie de mon intirnite. Son mouvement est 1'inverse de la relation avec le dehors. Ce n'est pas par hasard qu'il s'interprete sans difficulte comme justifiant l'idealisme. L'intentionalite qui anime la perception delimite et dessine mon habitation dans le monde. Comme la maison que j'ai construite, mais que j'habite en me fermant d'abord sur I'exterieur, le monde decrit ou construit par I'intentionalite, meuble de mes produits, rn'enferme dans mon horizon.

L'Ecrit et l'Oral

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mle L'intentionalite tisse mon interiorite. Habiter une maison, ce n'est pas s'en servir seulement, c'esty etre chez soi ; se maintenir dans l'etre en se refusant a l'expression - voir sans etre vu, comme Gyges", {Or il faut etre vu pour voir 1'exterieur comme exterieur.} Habiter, est une rnaniere de se tourner vers I'interieur, mouvement oppose a celui de 1'expression. La perception, comme I'activite-c ,» est et demeure economique : elle vient de la maison et y retourne. C'est le mouvement de 1'Odyssee OU 1'aventure courue dans le monde, n'est que 1'accident d'un retour. Habiter, c'est seferrner sur I'exteriorire« , > vivre dans un horizon limite dont I'au-dela est oublie, ne pas se poser devant le fini la question de l'infini, rester dans I'immediat sans rechercher la mediation : respirer, dorrnir-c ,> se nourrir, sans les prolongements que la reflexion y decouvre - cela vaut par soi et pour moi et definit, apres tout, la sensibilite«.» Le monde habite n'a pas d' exteriorite, Cette situation oii je suis decouvert mais oii je ne suis pas exprime oii j'apparais mais suis absent de mon apparition -decrit assez exactement le sens du phenomene : Ie phenomene est un etre EfH± qui apparalt mais demeure absent. Le phenornene n'est pas une apparence - il est la realite, mais c'est une realite qui manque encore de realite, Que peut etre cette realite encore absente de la realite ? Ce qui se reflete en elle ? est cache? Mais c'est lui donner [preter] par rapport {a I'egard] du" phenornene - le rapport {} {que} Eft:le le" phenomene conserve {a} a l'egard de I'apparence", C'est poser la C'est poser lad

a. b.

du » en surcharge de « au ». le » en surcharge de « des». c. « l'apparence » en surcharge de « l'apparent ». d. Ce feuillet recopie probablement le texte qui se trouvait sur la partie inferieure du precedent feuillet, partie qui a ete dechiree par Levinas. Cela peut expliquer la repetition, au debut de ce feuillet, de l'incipit de cette phrase sur lequel se termine le feuillet precedent. «

«

Parole et Silence

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chose en soi comme un phenornene cache. Le devoilement renvoie toujours a. des phenomenes. L'expression n'est-elle pas la presence de la chose en soi qui, precisement, n'est pas sous 1'apparition {de cette chose} ? - C'est la these que nous allons soutenir.

1'Ecrit est le seul produit humain qui ne m'exprirne pas comme I'habitation, {« prehistoriquernent »] c ,» mais qui repose sur la parole, animee par 1'intention d'exprimer, I,' acte libre d' ecrire, acte aboutissant a. une ceuvre est aussi librement voulu comme expression. Certes en tant qu'oeuvre - en tant que produit -1'ecrit exprime son auteur au sens etudie plus haut, en qualite degeste ou de chose {et malgre 1'auteur} : j'ecris dans mon epoque et tout ce que j'ecris n'est que Iitterature ; le romancier, le poete et le rheteur - sont simplement des peintres, des musiciens et des enchanteurs. Mais cette tradition involontaire de I'oeuvre a. l'egard de son auteur est transcendee - ou peut etre transcendee par €& l' art de la parole quand il est vraiment un art {et -cune » parole authentique}. Aussi le produit de I'ecriture -1'Ecrit - perce-t-il vraiment 1'enceinte de 1'habitation. II s'inscrit dans le projet qui vise I'exteriorite comme exteriorite et qui est leprojet meme de la parole. Car parler, c'est penser vraiment le monde cornme" exterieur et non pas comme simple ambiance. Seulement, cornme tout produit, l'ecrit devient, dans une certaine mesure, ma condition, une chose qui me soutient. Comme la parole gelee de Rabelais, il frappe a. la figure les hommes memes de la bouche desquels elle la parole s'envola", Mai~ I'ecrit n'est pas purement et simplement un produit qui, comme une maison ou une chaise ou un lit me supportent en s'integranr a. rna mernoire {deviennent rna propriete}. L'ecrit aborde 1'homme a.

«

comme

»

en surcharge de

«

si-crnple»

»,

L'Ecrit et l'Oral

209

toujours de face {il vient de I'exterieur qu'il ne quitte jamais} : l'ecrir ou j'ai parle me parle [s'adresse a. moil. II ne compte pas seulement par mon passe oii il fut compose. II me vient du dehors et, en quelque rnaniere, rn'englobe et m'engage. En dechiffrant un ecrit je me retrouve a. nouveau dans la situation du dialogue. Que ce dialogue soit decevant - que I'ecrit me parle sans repondre {qu'il ne sache pas porter secours a. lui-rneme] - c'est la. une particularite qui doit nous inciter a. subor- La verite comme devoilement est calquee sur la vision-c ,» se retrouve dans l'attitude philologique. L'introduction de l'histoire comme condition de la verite, ne met pas fin a la pensee comme vision, mais la promeut En remontant des signes vers le signifie, nous revenons a la vision du signifie. Or toute vision est relative. Elle se refere a l'horizon oules phenomenes apparaissent les uns, par rapport aux autres, mais n'ernanent pas d'une substance Certes on peut chercher pour reconstituer la substance a parcourir cette relativite jusqu'au bout. Et on appelle dialectique cette methode Mais ce mouvement comme oriente ne suppose-t-il pas au prealable que les moments aient un minimum de fixite ? C'est pourquoi certes le monde du devenir doit etre erige en Idees eternelles. Mais les a.

«

La » en surcharge de «El cle >

».

216

L'Ecrit et l'Oral

Parole et Silence

217

idees - visibles a leur tour, Platon s'en apercoit - participent encore les unes aux autres. Le « Pamlinide » le dit expressement':'. II y a la l'affirmation de I'horizon OU {les idees-c,» comme} les phenomenes-c.> apparaissent les unes par rapport aux autres, mais n'ernanent pas de leur substance. Elle se tait, II n'y a, la encore, pour arreter ce mouvement qu'a le parcourir jusqu'au bout. Mais le mouvement comme oriente, ne suppose-t-il pas qu'au prealable il soit fixe dans ses moments, c'est-a-dire que les phenomenes en avenir' soienr tout de rneme eriges en Idees. Et c'est la pour nous l'ceuvre de l' expression. Comprendre une pensee, c'est avant tout l' accueillir a partir de sa substance. Pour Ie dire en termes platoniciens: {L'expression est ce par quoi une idee est accueillie dans sa substance. Elle est la condition de la dialectique}«.» Pour le dire en termes platoniciens : il faut avant tout la participation au meme, un arret dans le mouvement dialectique, la delimitation exacte du moment autrement que par la mise en mouvement de toute la dialectique dont il est le moment. Et certes fixer le Merne, c'est deja fixer I'Autre. Mais c'esc que sur le plan ou les idees sont conternplees ce point substantiel est toujours derriere, toujours recouvert par les essences. II y a necessite de s'arreter, de partir ~ de quelque chose qui n'est pas, a son tour, apparition-c ,» c'est-a-dire de quelque chose qui ne se definit pas par sa situation, par sa reference a ce qu'il n'est pas pas" et sur le fond de quoi il ressort. II faut que derriere cette pensee qui se situe dans un pays - c'est-a-dire dans un horizon - quelque chose apparaisse en soi. II ne peut y avoir d' apparition sans quelque chose qui apparaisse - ce n'est pas la seulement un truisme [uee pensee verbale un jeugrammatical avec le mot apparaitre} ou la supposition illicite duprincipe de causalite - mais la condition rnerne de l'apparition dans quelque chose qui n'est pas une apparition!'. Mais cela ne veut pas dire dans quelque chose de cache. Cela veut dire que toute situation xl'apparition renvoie a une

presence en soi - ou la difference rnerne de cache et de revele n' a plus de signification. Cette presence de la pensee elle-rneme, en de~ors de to ute relativite - c'est sa presence dans la parole du rnartre car lorsque le maitre parle, la pensee a un visage. ~ertes entendre .une parole, c'est pouvoir poser une question. Mais cette constatanon purernenr empirique suppose une facon pour l~ parole de se manifester - et c'est cerre facon que nous appelons visage. Poser une question ne Suppose pas seulernenr qu'on connait autrui ou qu'on connair sa presence, c'esr aussi l'invoquer. Le maitre qui parle n'apparait pas au nominatif, mais au vocatif En lui appliquant un concept, en l'appelant ceci ou cela, deja j'en appelle a lui. Dans la question n'importe pas seulement ce qu'on demande - cela est vrai uniquernenr de la pensee philologique" OU l'on est seul a questionner et a repondre. Ce qui compte dans la question, c'esr le fait qu'on la pose a quelqu'un. Ce n'est pas la merne chose d'au~re pa~ qu'interroger une experience ou ce qui est interroge est aUSSl ce qUl est en question. Interroger une experience, c'est s'interroger sur elle. Dans ma question au maitre, j' en appelle au maitre. La question est possible parce que la presence merne du maitre en ~ace de moi,. ne peut se traduire en termes de connaissance. Parce que Je ne connalS pas le maitre, mais suis en commerce avec lui. II est impossible de reduire a une connaissance ce rapport de commerce. Dira-t-on par exemple qu'il consiste a connaitre autrui et en rneme temps a connairre qu'il {nous} connair ? Mais connaitre qu'il nous connait est deja precisernenr quelque chose de plus qu'une connaissance. La connaissance est connaissance d'un donne, d'une chose qui se renie et s'abandonne au regard, alors que oonnairre qu'on" ~ nous connait suppose une situation nouvelle - regarder un reg~rd. ~'est regarder ce qui ne s'abandonne pas, ne se livre pas, mars qur vous vise - c'est precisernenr regarder un visage. Le visage

a. Il faut peut-etre lire « devenir », b. Il s'agit de la repetition, sans doute due a une inattention, du dernier mot du feuillet precedent. Rappelons que Ie feuillet 38 ainsi que les feuillets 39, 41, 43-46, 48, 50, 53-59 (if supra, notice) proviennent d'un autre manuscrit.

b. Ce qui precede est ecrir au style-plume a encre noire. Le reste du feuillet, a l'exception des aJ.out~ et surc~arges (au s~ylo-bille a encre bleue et au stylo-plume a encre noire), est ecrir au srylobille a encre violette. Levinas recopie probablement une partie du texte qui se trouvait sur la partie superieure de ce feuillet, qui a ete dechiree.

a. .

«

philologique

»

en surcharge de

«

philosophique

»,

Parole et Silenee

218

n'est pas l'assemblage d'un nez, d'une bouche, d'yeux, etc. II es.t tout cela, certes", mais'' prend la signification du visage par la dimen, sion nouvelle qu'il ouvre dans la perception d'un etre {au-dela de la perception}. Par le visage l'etre n'est pas seulement enferrne dans une forme pour" rayonne{r} dans l'univers. II est ouvert, s'installe en profondeur et dans cette ouverture se presence en quelque maniere personnellement _d {cequi ne veut pas dire precisement qu'il apparait. Etre present sans apparaitre, c'est precisement avoir un visage ou parler.} Le parler visage est un mode irreductible selon lequel l'etre peut se presenter dans son identite, La substance que recouvrent toujours les attributs, n' apparait pas quand on ecarte les attributs par abstraction. La substance sans attributs, c'est la parole. Le visage, c'est la possibilite pour une substance d'etre sans attributs. Des lors" nous pouvons exprimer notre these : c'est la substance qui parle qui confere l'etre a 1'objet dont elle parle. Le visage, c'est ce rend possible l'existant comme existant - comme identite - en dehors de l'horizon. Il ne s'y rerere qu'a Iui-merne comme un absolu. Le caractere absolu d'autrui exclut la relativite inscrite dans la connaissance OU l'objet connu sort de son absolu par le fait d'etre connu. Autrui - notons-le en passant - dans l'absolu de l'invocation est ainsi l'etre inviolable du rapport moral. A jamais etranger a toute emprise de la connaissance et de l'action, toujours en soi, a qui ron ne peut que parler. Rien ne peut se superposer a cette relation d'invocation ou l'en soi d'autrui est aborde. Toute autre relation ne saurait toucher qu'aux attributs. Dans la folie rneme, j'en' appelle encore a autrui - dans la mesure ou je suis encore devant Ie visage autrui, comme s'il yavait une substance de raison derriere l'attribut de la folie. Cette substance derriere l'attribut - est precisement Ie l'epiphanie dug visage. a. « certes » en surcharge de « mais », b. « mais » en surcharge de « pr cend » ». c. « pour » en surcharge de « et », d. « - » en surcharge de « . », e. « lors » en surcharge de « nous ». f. « j'en » en surcharge de « C'est" cette union de la pensee et du verbe - cette presence de la pensee dans un maitre, Elt*f nous {l'}appelons visage". C'esr'' le visage qui est le mode d'existence de la verite et non pas .le devoilement ernprunte a la vision. [Lidee dans la raison n'est plus rapportee. Commencement absolu elle parle absolument - On ne la manie pas, on ne la depasse pas, on I'ecoute. L'enseignement n'est ni reminiscence, ni a. Ce passage rature sera repris, et modihe, a la fin du feuillet suivant. Autrement dit, dans une precedence version de la conference, le feuillet 53 suivait directement le feuillet 51, com me le montre encore le fait que Levinas a ecrit sur le feuillet 53 le nurnero « 52 » en surcharge du nurnero « 51 » (rappelons que le feuillet 19 est pagine atort « 18 », ce qui donne done, dans notre transcription, « 53 » au lieu de « 52 »). b. Faut-illire, comme plus haut, « depasse » ? c. « fais » en surcharge de « suis ». d. « accroche » en surcharge de « fi ». e. La majuscule de ce mot est incertaine. f. Il faut retablir le « que», ou alors ne pas lire le premier mot de cette phrase. g. Un trait vertical au stylo-bille a encre bleue dans la marge de gauche (le reste du feuillet, excepte les ajouts, ratures et surcharges, ecrits au stylo-plume aencre noire ou au stylo-bille aencre bleue, est ecrit au stylo-bille a encre violette), souligne, semble-t-il, la phrase suivante. h.

«

C'est

»

en surcharge de

«

Le vi-csage > ».

perception - mais rapport avec le visage, par-dela le jeu de 1'enfoui" et du devoile.} , L~ notion de devoilement est en effet ernpruntee ala vision. Le devollement est en effet {se rerere a} I'etre en general dans 1'ouverture de qui I'etant apparait, L'idee du devoilement continue une tradition platonicienne ou la place du maitre se placeb {se trouve} ent~e !es ?ommes e: ~e, qui est superieur au maitre. En placant l~ revela~l~n de l~.v~nte c.omme verite non pas dans une pure et simple VISIon de 1 Idee rnais dans la parole enseignante du maitre, ne retrouvons-nous pas l'idee de .vouC. produit dans les termes rapproches < Mais le transfert de sens peut s'enferrner dans l'etymologie du mot et devenir a tel point insensible que le terme meraphoriquement employe semble avoir perdu tout caractere rnetaphorique. Ici la metaphore ad opere jusqu'au bout son charme et a" installe, une fois pour toutes, la pensee a un certain niveau. C'est le propre de notre langage le plus banal {usuel ;} comme {c'est aussi le propre du langage} le plus abstrait. « Se porter bien, elever des enfants, faire des economies », {mais aussi} tout comme transcendance, substance, accident et metaphore {dans une rnetaphysique purement verbale} Ce sont des metaphores. Tous les mots de notre langue sont l'effet des innombrables mutations metaphoriques de l'histoire et laissent cependant l'impression de termes pris dans un sens litteral. [Meis La metaphore est-elle absolument oubliee ? On peut se Ie demanderEt--s.f. si elle ne coincide pas avec le sens lui-rneme, et si aucun dit" n'est entendu s'il n'est pas emphatique}.

a. Lire « ou », ou alors comprendre : « plus loin, la OU elle pourra entendre... », b. Ajout distinct du precedent. Celui-ci, ecrit au stylo-bille a encre bleue, figure dans l'interligne ; celui-Ia, ecrit au stylo-plume a encre bleue, est a la suite du texte principal (ecrit au stylo-bille a encre noire). c. « 2° », ecrit au stylo-plume aencre noire (1'ajout suivant est au stylo-bille aencre bleue, le texte principal est au stylo-bille aencre noire), est un ajout posterieur (cf.plus loin, le feuillet 3 : le nurnero « 3 », ecrit au style-plume a encre noire, est en surcharge de « 2 », ecrit au stylo-bille a encre noire). d. Cf note precedence.

a. « soient » en surcharge de « soit ». b. « Un » en surcharge de « Le ». c. Mots illisibles en raison de la dechirure du feuillet acet endroit. d. « a » en surcharge de « a ». e. « a » en surcharge de « a », f. Levinas avait sans doute pense ecrire « terre a terre ». Cf Carnets de captioite, suivi de Ecrits sur fa captiuite et Notes pbilosopbiques diverses, op. cit., p. 236. g. « dit » en surcharge de « dire ».

Parole et Silence

328

Ma-is- bla {Sa} puissance metaphorique se reveille quand leur interpretation erymologique commence ou quand un auteur sait utiliser un terme a la fois dans sa signification" etymologique et derivee. C'est done ce deplacement de sens qui La Iitterature est des lors indispensable a la signification - elle consiste a reveiller {rallumer} les metaphores qui sommeille dans Ie erem sommeille eteinte-cs> au fond d'un langage devenu systerne de signaux. ~u Mais la rnetaphore ne dort pas seulement au sein de tous nos mots dont elle a marque revolution semantique, Lad rnetaphore pett ¥e peut fixer fe son propre mouvement en le posant dans l' absolu. La sublimation ou le superlatif ou la transgression des limites, la transgression, le transfert, la negation trU liett -Ie transport de l2h la rnetaphore au lieu de jouer entre deux sens - est posee au-dela de toute condition {limite}. Cetre Telles des" expressions comme au-dela, plus loin que tout ... Peut-etre le terme neant est-il l' effet fr-.Hfl:e de la' purification rnetaphorique d'un contenu. Certains termes philosophiques comme transcendance, comme au-dessus de I'etre, peut-erre Dieu - ceg sont des rnetaphores par excellence. Ici 1'usage de la rnetaphore pretend au sein de la pensee conduire au-dela des limites de la pensee. ~=---- 4° Le probleme philosophique de la rnetaphore revient a la possibilite qu'aurait le langage - ffHl:i.sh d'exprirner ou d'entendre au-dela de la mesure de la pensee. Le problerne de l'emphasei. C

a. « La » en surcharge de « leur ». b. « signification» en surcharge de « , sans doute le debut d'un mot. Levinas pensait peut-etre alors au mot « derive» qui termine la phrase. c. « ce » en surcharge de « le ». d. « La » en surcharge de «Je », e. « des» en surcharge de « les », ou 1'inverse. f. « de la » en surcharge de « d'une ». g. « Ce » en surcharge de « so-cut ?> », h. La rature de ce mot deborde vers la gauche et couvre, semble-t-il, un tiret. i. « Le problerne de 1'emphase » est ecrit au stylo-bille aencre bleue, et a sans doute ete ajoute posterieurement a la redaction de cette page, ecrite au stylo-plume a encre noire.

La Metaphore

329

Ce qui suppose certes 1° qu'il existe une mesure exacte de et une limite de la pensee (let} cela" q-:t:H peut etre rnontre d'une fa~on tres precise)-c,» 2° qu'il existe un sens simple ou Iitteral que le sens figure de la metaphore permet precisernent de depasser, Si enfin le sens simple ou litteral ne peut etre depasse que par la rnetaphore, le langage OU se produit la metaphore ne serait pas un simple appendice ni un simple instrument de la pensee, mais une intentionalite originale ou la pensee sort d'elle-merne dans un sens eminent, plus radicalement que dans l'inrention rnerne de la noese au noerne. {Comme s'il pouvait y avoir une intentionalite menant au-dela de toute intentionalite.] Ma-is- lIb faudra {seulement} voir dans quel sens le langage est-il le lieu de la rnetaphore ;c et" en {particulier} si la rnetaphore absolue - celIe qui permet de dire au-dela ou {qui perrnet de dire} transcendance, se situe dans le langage de lameme maniereque la metaphore de toute signification verbale - fut-elle celle d'un langage que" l'on se tient, sous forme de monologue, a soi-merne. f La meraphore est-elle de la pensee ?g a. Levinas avait d'abord ecrit « ce », b. « II » en surcharge de « il ». C. Levinas a transforrne un point en un point-virgule. d. « et » en surcharge de « Et », e. « que» en surcharge de la lettre « m ». II est hasardeux de conjecturer ce que Levinas avait I'intention d'ecrire. f. Le verso, egalemenc manuscrit, contient une version anterieure du feuillet 7, barree d'une croix: « 4 Le problerne philosophique de la metaphore revient, a mon sens, a la possibilite qu'aurait le langage - et d'une facon plus generale {a la possibilite qu'aurait] l'activite culturelle d'exprirner ou d'entendre - au-dela de la mesure de la pensee. Ce qui suppose certes {l e}qu'i] existe une mesure exacte et une limite {qui tient ptecisCtnent connne} de la pensee {(cequi peut avoh une signification ttts ptecise)}{(ce qui peut etre montre d'une facon tres precisej}c ,» {2e } quil existe un sens simple ou litteral que le sens figure de la rnetaphore permet {precisernent} de depasserl.] ee qui {enfin-qne {Si, enfin} Ie sens {simple ou litteralj] ne peut etre depasse que par la metaphore ; {cet ?>} qne-par consequent {Ie langage ou la rnetaphore se produit -ooo-} dans (l'hwnanite de l'honnne se definit pat la cOlnpr€hension des significations {consiste a < xxxx > } lia spititualite hwnaine qui se tient panni les significations il faut placer a cGte de la pensee sans langage, ni eerit, ni Olal dont parle Flaton dans la 7 e lettte, une pensee qui est plus que pensee et qui serait attestte. pat la InetaphOlt. {n'est pas un simple annexe appendice ni un simple instrument de la pensee, mais une intentionalite originale oii la pensee sort absolwnent d' elle-merne dans un sens eminent, plus radicalement que dans que dans 1'intention qui mene de la noese au noerne}. » Le chiffre « 2e » est en surcharge du chiffre « 4 », amoins que ce ne soit 1'inverse. L'emplacement de certains ajouts est incertain. g. Cette phrase est entouree d'un trait.

Parole et Silence

330

5° Deja a regard du mouvement metaphorique qui deplace le sens d'un mot, nous sommes invites a une attitude de reserve a laquelle La" critique kantienne n'y" est certes pas etrangere.'Dejac Socrate n'epargnait pas" son ironie a la rhetorique dont les eclats ne tiennent peur-etre qu'a la magie des metaphores, Mais c'est Kant qui nous a mis en garde contre les espoirs de la colombe qui s'attend a voler plus aisernent dans le vide que dans les airs", II est vrai qu'il y fallait plusieurs centaines de pages de sa dialectique transcendantale - plus qu'une cervelle d'oiseau ne pouvait contenir. Mais depuis lors nous savons qu'il ne suffit pas d'avoir conscience de penser pour veritablement penser. La demystification, en tout cas, est a l'ordre du jour. e II s'agit de tordre le cou a l' eloquence", de degonfler les boursouflures de signes separes des chases, de dejouer les prestiges des mots pour aller aux choses elles-mernes ; mais il s'agit aussi de denoncer la rnetaphore dans la legende dont s'est vetue l'histoire, {il s'agit de la denoncer} dans les diversions ou se cachent les complexes de notre psychologie, tie {il s'agit de la denoncer dans} la culture qui dissirnule' les dures lois du deterrninisme economique ; il s'agit de denoncer l'illusion transcendantale de la raison elle-meme. a. b.

«

La

«

n'y » en surcharge de « n'e-cst»

»

en surcharge de

«

la

», »,

Deja. » est peut-etre un ajout posterieur, d. « pas» en surcharge d'un mot ou des deux premieres lettres d'un mot illisible. e. Le verso, egalement manuscrit, contient le texte suivant, dont le premier alinea semble etre une version anterieure du § 2 et le second une version anterieure du debut du § 5. Cette page est barree d'une cancellation en croix: « La metaphore indique selon sa signification etymologique - un transfert de sens et, en merne temps, (sans que cela [soit] marque dans son etymologie) une elevation de sens, le passage d'un sens elementaire et rerre-a-terre vers un temps sens plus raffine et plus noble: une sublimation. » 3 ° A l'egard de ce mouvement dans la signification - nous sommes invites a.une attitude de reserve, a.laquelle la critique kantienne n'est [cerres] petIt'=etre pas etrangere. Beta: {Mats} Socrate, eerres, [n'epargnait certes pas son ironie} twas a appris Wit a enscignClllent de l'itonie a l'cgard ~ /-dn?> pOCkS {a. » f. « . » en surcharge de « , »; «

La Metaphore

335

liee non seulement a la pensee {au langage} ecrit", mais rnerne au langage oral :b lffi±s les noms donnes aux dieux revelent ~ dans l' etymologie leur signification rnetaphorique!" ~-\ la function du nom, La rnaniere dont la metaphore se produit dans le langage (er dont I'evolution semantique porte ternoignage) ne consiste pas a rapprocher des termes organiquement lies dans un systeme de parente metaphorique telle qu'elle se reflete dans l' evolution semantique, n'est pas davantage le transfert d'un sens identique a travers c une multiplicite comme si une racine [un sens leur erair} cornmun" :e {de I'idee de} porter ne traversait tous les mots quip se refere-cnt» a elle' : rapport, support, importation, comporter, porter un costume, etc. . Les diverses significations. s'affirment dans une parente mais qui n' est pas oii une signification surgit dans I'autre par une veritable participation, comme" si chaque signification pelait en quelque facon en laissant se detacher d' elle d' autres significations {semblables a elle} (}fti {Elles} ne la reproduisent pas comme des enfants et comme . si [Et} ces nouvelles pelures, toutes fines qu'elles etaient, pelent" encore, laissant tomber de nouvelles significations et que ces feuilles mortes de la signification recouvraient toutes les avenues du monde. {Biffures de Michel Leiris}!'.

c. II faut probablement lire

a. b.

ecrit » en surcharge de « ecrite ». » a, semble-t-il, remplace « . ». C. Le verso, egalement manuscrit, contient un texte correspondant aune version anterieure de la conference. Le texte est barre d'une croix: « Notre expose n'aura donc pas pour theme l'analyse ni la classification des meraphores comme figure de style et ni la dassincation ni l'appreciation de leur dans des regions multiples a se manifester 8 0b Sic la rnetaphore ne comporte pas de sens {absolument} simple - si tout sens est- {n'est} simple {que} relativement - on peu-f {est porte a} chercher afuret: considerer comme sens simple du reel eelui qui decrit l'insertion de l' action technique Stlf crdans le reel. Tout le reste serait litterature ou rnetaphore. Le sens s-:i-m:ple reel du mot, comme Ie sens vrai du reel, serait la signification qu'il prend pour l' action. Dans la langue ce be sens simple du mot be mot soustrai II s'agirait par-te des lors par tous les moyens de soustraire le mot a la metaphore en creant la terminologie scientifique ou algorithmique. Dans I'interpretation du reel, il s'agirait" tout autant de remonter vers I'aspect" ffite par lequel elle le reel s'offre a l'action ou exerce une action: en psychologie {on ramenera le reel a} ce a partir de quoi on guerit - les complexes psychanalytiques fondamentaux sont le reel dont il faut denoncer les £ -cdacrylogramme» metaphores ou la sublimation, dans la culture est reel ce a partir de quoi on peut la maitriser ou l~ modifier - la structure sociologique ou economique ou polirique - tout le reste etant superstructure ou metaphore. Cela aura ete le grand merite de Bergson et de la phenornenologie que de denoncer le caracrere en apparence evident de cette identification entre realite et Wirklichkeit, en montrant le caractere rnetaphorique de la designation technique de l'univers. Aucun :Qe

a. « tel » en surcharge de « telle ». b. Numero de paragraphe ajoute posrerieurernent (il est ecrit au stylo-plume aencre bleue le reste du texte, excepte la plupart des ajouts, est au stylo-plume a encre noire). ' c. « Si » en surcharge de « Ou ». d. « s'agirait » en surcharge de « s'agit », e. « l'aspect » en surcharge de « le », f. Feuillet dactylographic recto avec surcharges manuscrites.

La Mitaphore

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privilege ne saurait etre accorde a l'interpretation. tec~nique e~ aucun privilege ne peut etre accorde au langage sClentlfique qUl ressort [ni-rnerne sur le fond de rnetaphores. Ainsi" done, loin d'apparaitre comme un phenomene exceptionnel du langage, comme une figure de style entre autres - la metaphore - deplacement de tout sens vers un autre, coincide avec le phenomene merne du langage ou de la signification. Le langage ne serait pas un ensemble de noms designant des essences des choses, des acres et des relations ni rnerne des noeuds de relations materialises dans un symbole - ce qui n'aurait pas change cependant la fonction de « designation » de noms attachee au mot. Le langage est un systeme nouveau par rapport a celui gu'on aurait voulu voir dans la structure intentionnelle de la pensee - OU chaque pensee est pensee de quelque chose. Le langage, c'est le fait que ce gui est pense, ce noyau vise signifie, c'est-a-dire est deja depasse dans sa fixite, est en tant gue guelgue chose d'autre - est par consequent rnetaphore. Le fait que route signification signifie dans un contexte, ou comme le dit Heidegger dans un monde, n'est pas le resultat d'~ne accumulation, d'un amoncellement d'objets particuliers mais b la structure propre de leur devoilement • ( 9° Toutefois, le raractere universellement metaphorique du langage et de la signification atteste, ipso facto, la depreciation de la transcendance inscrite dans la rnetaphore. L'au-dela rneme qui s'annonce en elle ne represente pas, pour le langage, le passage a ['alterite entierement autre, car ce serait une abstraction, une sortie hors du contexte{,} que 1'universalite de la metaphore constate precisernent. L'universalisation de la metaphore est une condamnation de la transcendance. Des lors, la metaphore ne peut pas devenir une parole avec un Dieu. Cette metaphote ne rehabilite que l' art - une transcendance de jeu, non pas une transcendance reelle''. La transcendance qu'ouvre 1'art et d'une fac;on a. « Ainsi » en surcharge de « Autrui ». b. Levinas a mis cet alinea entre crochets droits manuscrits. c. Feuillet dactylographie recto avec interventions manuscrites. d. Un trait vertical dans la marge de gauche souligne les deux phrases suivantes.

338

Parole et Silence

generale la culture - demeure rnetaphorique au sens ou I'on dir « ce n' est qu'une metaphore -c » >. Car cette rnetaphore n' empeche pas le retour a I'existence technique." - La vie artistique ne detruir pas l'enracinement de I'existence dans I'ici-bas de l'economie et de la technique{.} Elle b pretend {en} epuiser sa signification. Elle finit par la perception du salaire, par les soucis de la vie quotidienne, comprise dans son sens Iitteral, Elle demeure par consequent une transcendance de pur jeu - quels que soient le prix et l' ornement que ce jeu ajoute a la vie simple, a la vie au sens litteral et sur laquelle nous comprenons aussitot . Ce caractere purement joue de la transcendance s'accorde avec la denonciation des metaphores comme au-dela ou comme Dieu. la signification serait signifiante' precisernent par le fait de se presenter arravers un symbole et en debordant le symbole (qui est precisernent symbole par cette vertu de se laisser deborder).

a. « assument » en surcharge de « assurent ». b. « sans » en surcharge de « sous », C. « signifiante » en surcharge de « signifiable

»,

Appendice I :

359

L'intention signifiante ne serait pas" des lors moins qu'une intuition qui vise 1'intelligible d'une facon directe. La signification serait plus qu'une realite purement donnee. C'est precisernent ce qu'il y aurait dans la signification de signifie au dela du donne qui constituerait l'intelligibilite de la signification. La notion merne d'un immediat donne est une fausse notion, rien n'est , intarissable-, ,> precede" . a. « Les » en surcharge de « les ». b. « ernpecher » en surcharge de « empechenr C. « Ia » en surcharge de « La ». d. Ajoute a. la main.

».

Appendice I :

369

Or, le langage qui use de signe est en meme temps depasse ment de tout signee C'est une fa~on de signifier telle que celui qui signifie est present lui-memo dans cette manifestation pour deverrouiller a tout instant les signes quil delivre, et pour briser son systerne propre et son style propre. II est essentiellement rupture de rythme, il est essentiellement prose. La prose est une facon de signifier oii celui qui delivre le signe ne s'absente pas de ce" signe etderange son rythme incanratoire, {le} rompt et {le} hache sa gracieuse continuite. La prose est critique, cette fameuse critique qui, rneme de I'ceuvre artistique peut dire autre chose que la repetition de cette ceuvre. Le langage est ainsi le seul systerne de signes qui ne renvoie pas seulement au signifie qu'il exprime, mais brise ce systeme pour manifester le signifiant qui delivreIes signes. Le langage dit en clair-; ,» {il dechiffre, il n'est pas a dechiffrer}, Le signifiant qui delivre les signes et ne se retire pas de cette delivrance {II} est la forme sous laquelle se produit la manifestation de l'erre qui n'est pas aussitot cache par sa propre apparition {qui se manifeste Ka8' aut0 9}. {Lelangage est une revelation par excellence]", La manifestation du Ka8' auto - ou l'etre nous concerne sans se derober et sans se trahir-: , > consiste pour lui, non point a etre devoile, non point a se decouvrir au regard qui le prendrait pour theme d'interpretation et qui aurait une position absolue dominant l'objet. La manifestation du Ka8' auto consiste pour l'etre a se dire a nous, independamrnent de toute position que nous a. « ce » en surcharge de « son ». b. Ce qui precede se trouve sur un morceau de feuillet agrafe au present feuillet. Le texte masque un autre texte, barre, dont voici la transcription: « de Elle est par excellence la presence de l'exteriorire. Le discours n'est pas simplement une modification de I'intuition (ou a. « la » en surcharge de b. « Ie » en surcharge de

La », « Le »,

«

Appendice I :

371

de la pensee){,} mais une relation originelle avec I'etre exterieur, II n'est pas un regrettable defaut d'un etre prive d'intuition intellectuelle - comme si I'intuition c ,» qui est une pensee solitaire{,} etait Ie modele de route droiture dans la relation. II est la production de sens. Le sensne se produit pas comme une essence ideale - il est dit et enseigne par la presence] ;} et 1'enseignement ne se reduit pas a 1'intuition sensible ou intellectuelle{,} qui est la pensee du Meme. Donner un sens a sa presence est un evenemenr irreductible a l' evidence. II n'entre pas dans une intuition-c. > {Il"] {Elle} est{,} a la fois{,} une presence plus directe que la manifestation visible et une presence lointaine - celle de 1'autre. Presence dominant celui qui 1'accueille, venant des hauteurs, imprevule] et{,} par consequentl.} enseignant sa nouveaute merne. Elle est la franche presence d'un etant qui peut mentir, c'est-a-dire dispose du theme qu'il offre{,} sans pouvoir y dissimuler sa franchise d'interlocuteur, luttant toujours a visage decouvert. A travers le masque percent les yeux, 1'indissimulable langage des yeux. L'ceil ne luit pas, il parle. L' alternative de la verite et du mensonge, de la sincerite et de la dissimulation{,} est le privilege de celui qui se tient dans la relation d'absolue franchise, dans l'absolue franchise qui ne peut se cachero -cCe qui suit est barre par une croix> L'action n'exprirne pas. Elle a un sens{,} mais nous rnene vers 1'agent en son absence. Aborder quelqu'un a partir de ses oeuvres, c'est entrer dans son interiorite, comme par effraction; 1'autre est surpris dans son intimite, ou il s'expose certes, mais ne s'exprirne pas (l)b{,} comme les personnages de 1'histoire. Les oeuvres signifient leur auteur, mais indirectement, a la troisierne personne. On peut{,} certes{,} concevoir le langage comme un acte, comme un geste du comportement mais alors on omet 1'essentiel du langage : la coincidence du revelateur et du revele dans le visage, qui s'accornplit en se situant en hauteur par rapport a. « II » en surcharge d'un point « . ». b. lei, un appel de note, dont voici Ie texre : « Cf plus loin p. 286 et ss. s'agit d'un feuillet extrait du manuscrit de Totaliteet Infini.

».

Rappelons qu'il

Parole et Silence

372

a nous - en enseignant. Et inversement, gestes, acres produits peuvent devenir comme les mots, revelation; c'est-a-dire, comme nous allons le voir - enseignement, alors que la reconstitution du personnage a partir de son comportement est I'oeuvre de notre science deja acquise. L'experience absolue, avons-nous dit, n'est pas devoilement. Devoiler {a partir d'un horizon subjectif}, c'est deja rater le nournene Seul1'interlocuteur est le terme d'une experience pure ou autrui entre en relation, tout en demeurant Ku8' uirr6 : ou il s'exprime ee {sans que} nous fr. ayons" pas- a le devoiler a partir d'un « point de vue », dans une lumiere ernpruntee. 1'« objectivite » que cherche la connaissance pleinement connaissance, s'accomplit au-dela de I'objectivite de 1'objet. Ce qui se La signification dansante-c.> [operance, peignante} du corps est a distinguer de la signification parlante du visage. Celle-ci n'est en aucune facon une modification de celle-la. Le visage n' est pas un signe qu' Autrui m'adresse mais sa presence ffi original {dans une totale nudite}. Le visage tranche sur 1'expressivite du corps. En lui s'ouvre une dimension nouvelle anterieure a la culture. Tout signe que je delivre par l'expression corporelle est deja une reponse a cette signification prealable du visage. La signification serait 1'apparition d'un etre qui perce a tout moment 1'essence plastique de sa propre apparition{,} qui perce son image. Mais si 1'image devait etre {est elle} percee par une autre image, il faudra un processus a l'infini . L'etre qui perce sa propre apparition plastique indique par la me me un autre plan que celui des images, une realite qui ne loge pas tout entiere dans son apparition. Et c'est pourquoi cette source de signes n'est pas [un-ce> donnee} une donnee mais s'appelle signification. L'apparition, tranchant sur toute delivrance de signes est l' epiphanie du visage essentiellement respectable. La caracteristique de cette epiphanie

a.

«

ayons

»

en surcharge de

«

avons

»,

Appendice I :

373

n'est pas simplement negative. Elle consiste dans la souverainete « interrompu» La transcendance d'}Lutrui est son sa condition d' {1'etre qui perse sa propre apparence est absolument nu. II est etranger a toute forme - il est comme dit le psalmis-cte» } etranger Elftfls {sur cette rerre'"}«.> Ie monde qu'il habite ; Ie ¥:isage la nudite du visage est une condition {depouillement] de depouille, sans aucun artifice {ornement} culturel condition de S L nud·itee / d letre 'A . perce son image . pro1/· etaire.on a qUi ~ se prolonge dans la nudite du corps qui a froid et qui a honte de sa nudite {quasiment sans forme Ce depouillem' qui rejette jusqu'a la protection de la forme se tenant dans l' amorphe absolument qui n'est pas en puissance mais plus actuelle que tout acte-c,» est -ctrouve ?> dans sa nudite}, L'existence Ku8' uirr6 est dans le monde une misere. Ce regard qui La nudite du visage est denuement {et deja supplication dans la droiture qui me vise} Mais a la fois ce regard qui supplie exige - et ~ prive de tout tl a a droit a tout. Reconnaitre autrui, c'est reconnaitre une faim. Mats Reconnaitre Autrui c'est donner. Mais c'est donner au maitre, au seigneur, a celui que 1'on aborde comme « vous », dans une dimension de hauteur {er qui me parle de haut}. {Dans le visage I'humilite s'unit ala hauteurj c.» Et par la nous arrivons peu S'annonce la dimension erhique de la signification. -cCequi suit est barre par une croix> ge'' peut menacer presuppose la transcendance de 1'expression. Le visage -cxx» menace {de lutte} comme d'une eventualite, sans que cette menace epuise I'epiphanie de 1'infini, sans qu'elle en formule le premier mot. La guerre suppose la paix, la presence prealable et nonallergique d'Autrui, elle interrompt un discours, mais ne marque pas le premier evenement de la rencontre.

a. Rature incertaine. b. Fin d'un mot qui se trouvait sur un feuillet qui n'a pas ete conserve.

374

Parole et Silence

L'impossibilite de tuer n'a pas une signification simplement negative et formelle ; la relation avec 1'infini ou I'idee de I'infini en nous {Ie Desirj l.}, la conditionne positivement. L'infini ne se presente pas d'une fa~on impersonnelle et anonyme, mais comme visage. II se presente dans la resistance ethique qui paralyse mes pouvoirs et se leve dure et absolue du fond des yeux sans defense. {Il"se presence dans sa nudite et sa misere comme une faim dont la comprehension {{de cette nudite et de cette faim} instaure la proximite elle-rnerne de I'Aurrc}c.» {Mais c'est ainsi que} L'epiphanie de 1'infini est expression et instaure Ie discours. l' essence originelle de 1'expression et du discours ne reside pas dans 1'information qu'ils fourniraient sur un monde interieur et cache. Dans 1'expression un etre se presente lui-meme. Presentation distincte de la manifestation oii I'etre se devoile comme deja absent de sa propre manifestation - plastiquement. Dans le visage I'erre qui se manifeste assiste a sa propre manifestation et par consequent en appelle a moi et ames reponses. {Cette assistance n'est pas le neutre d'une image mais [precisernent} une sollicitation ~ ffi d'une misere e~ qui me concerne de sa rnisere et de sa Hauteur}. Parler {a moil c'est surmonter a tout moment, ce qu'il y a de necessairement plastique dans la manifestation. {Le plastique, c'est ce qui ne me demande rien. Se manifester comme visage}c ,» c'est'' par consequent s'imposer par-dela la forme, manifestee et purement phenomenale, se presenter d'une facon incomparable {irreductible] a la manifestation, comme la droiture meme du face a face, sans
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