Mémoire . La Politique Suisse de La Obsolescence Programmee Face a La Legislation Europeenne
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Analyse de la politique suisse de l'Obsolescence Programée face à la Legislation de l'UE...
Description
Université de Lausanne Faculté de Droit et Sciences Criminelles
Maîtrise universitaire en droit international et comparé Automne 2015
La politique suisse concernant l'obsolescence programmée face à la réglementation de l'Union européenne Mémoire de Rodrigo Jesús Ruíz Céspedes Rédigé sous la direction de Monsieur le Professeur Michael Hahn Madame Amira Rharrouchi
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TABLE DE MATIÈRES BIBLIOGRAPHIE
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TABLE DES ABREVIATIONS
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INTRODUCTION
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A. L’obsolescence programmée : une définition juridique problématique
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I. Le débat sur l’existence de l’obsolescence programmée
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II. La programmation de la durée de vie des produits
12
III. Les modalités d’obsolescence programmée
13
IV. Approche générale du droit suisse et du droit européen
14
a. Droit suisse
14
b. Droit européen
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V. Les types d'appareils normalement concernés par l'obsolescence programmée
16
B. Perspective du Droit de la consommation
18
I. L'atteinte au consentement du consommateur: le défaut d’information
18
II. L’affichage d’information environnementale concernant la performance écologique des produits
19
III. Instructions sur les formes de remplacement des pièces d’usure
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IV. La Garantie établie dans la Directive 1999/44/CE
20
C. L'obsolescence programmée considérée en tant que type pénal
22
I. Le délit prévu par la loi française sur la transition énergétique
22
D. Enjeux environnementaux de l'obsolescence programmée
23
I. Influence sur la quantité de déchets générés
24
E. L’influence du droit européen sur le droit suisse en relation à l’obsolescence programmée
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I. Cadre légal au niveau fédéral et cantonal
25
II. Non-obligation pour la reprise des réglementations européennes : Reconnaissance mutuelle ou reprise autonome de part de la Suisse?
25
F. Conclusions
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BIBLIOGRAPHIE Ouvrages
Raes, D. (2014), L'obsolescence programmée à l'épreuve de l'obligation d'information du vendeur, de la notion de conformité et de la garantie des vices cachées, in Liber Amicorum, François Glansdorff et Pierre Legros, Bruylant, Bruxelles.
Latouche, S. (2012). Bon pour la casse: les déraisons de l'obsolescence programmée. Éditions Les Liens qui libèrent.
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Lavallée, S., et Bartenstein K., (2004) La régulation et l’harmonisation internationale des programmes d’écolabels sur les produits et les services, CIRANO, Montréal.
Fabre, M., Winkler, W. et Bourg, D. (2010). L'obsolescence programmée, symbole de la société du gaspillage : le cas des produits électriques et électroniques. CNIID - Les Amis de la Terre, URL : http://www.cniid.org/IMG/pdf/201009_rapport_OP_AdT_Cniid.pdf
Rideau, J. (2010) Droit Institutionnel de l’Union Européenne, 6e édition, Lextenso éditions, L.G.D.J, Paris.
4
Monographies
Tollemer, L. (2012) L’Obsolescence programmée, Mémoire du master, Centre du droit de la consommation et du marché, Université de Montepellier.
Fuchs, J. (2012), L’obsolescence programmée et ses impacts économiques, environnementaux et sociaux, Travail de Bachelor, Haute École de Gestion de Genève (HEG-GE).
Desjardins, M. (2007) Les possibilités et les limites de l'analyse du cycle de vie pour un droit de l'environnement plus cohérent et efficace, Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en droit pour l'obtention du grade de maître en droit (LL.M.), Québec.
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Fuchs, J., (2012) L’obsolescence programmée et ses impacts économiques, environnementaux et sociaux, Haute École de Gestion de Genève (HEG-GE), Travail de Bachelor.
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Articles
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Vidalenc, E. et Meunier, L. (2014) Obsolescence des produits : l’impact écologique, Futuribles, France.
Cros, C., (2012) L'affichage environnemental des produits : une information destinée à la fois aux consommateurs et aux producteurs, Annales des Mines - Responsabilité et environnement (N° 66).
Beigbeder, C., (2013), Fiction et réalité de l’obsolescence programmée, in Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence, Le cercle des économistes, p. 257.
Législation européenne
Règlement (CE) n° 244/2009 de la Commission du 18 mars 2009 mettant en oeuvre la Directive 2005/32/CE du Parlament européen et du Conseil en ce qui concerne les exigences relatives à l'écoconception des lampes à usage domestique non dirigées, J.O.U.E. L 76, 24 Mars 2009.
Directive 2005/32/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 juillet 2005, établissant un cadre pour la fixation d'exigences en matière d'écoconception applicables aux produits consommateurs d'énergie et modifiant la directive 92/42/CEE du Conseil et les directives
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96/57/CE et 2000/55/CE du Parlement européen et du Conseil.
Directive n° 2006/66/CE du 06/09/06 relative aux piles et accumulateurs ainsi qu’aux déchets de piles et d’accumulateurs et abrogeant la directive 91/157/CEE.
Directive n° 2009/125/CE du 21/10/2009 établissant un cadre pour la fixation d’exigences en matière d’écoconception applicables aux produits liés à l’énergie.
Annexe I à la Directive n° 2009/125/CE, « Méthode de fixation des exigences d’écoconception génériques », Partie 2. Exigences concernant la fourniture d’informations ».
Directive n° 2008/98/CE du 21/11/2008 relative aux déchets et abrogeant certaines directives.
Législation suisse
RS 814.600 Ordonnance sur le traitement des déchets (OTD) du 10 décembre 1990.
RS 814.620 Ordonnance sur la restitution, la reprise et l'élimination des appareils électriques et électroniques (OREA) du 14 janvier 1998.
Postulat 12.3777 - Optimiser la durée de vie et d'utilisation des produits, déposé au Conseil National le 25 septembre 2012 par Adèle Thorens Goumaz, porte-parole du Groupe des Verts. URL :
Postulat 12.3447 - Lutter contre l'obsolescence programmée, déposé au Conseil National le 7 juin 2012 par Adèle Thorens Goumaz, porte-parole du Groupe des Verts. Disponible sur le site web : 7
Optimisation de la durée de vie et d’utilisation des produits – Rapport du Conseil fédéral en réponse au postulat 12.377 « Optimiser la durée de vie et d’utilisation des produits » déposé par le Groupe des Verts le 25 septembre 2012. Publications officielles de l’UE
Commission Européenne (2014) Communication au Parlement Européen, au Comité économique et social européen, Vers une économie circulaire: programme zéro déchet pour l'Europe, Bruxelles.
Brunier, H. (2015) Point d’actualité sur les initiatives européennes concernant la durabilité des produits, in: Rapport du groupe de travail du Conseil national de la consommation relatif à la durabilité des produits, Paris, 2015.
Libaert, M. et Haber, J. (2013) Avis du CESE sur le thème "Pour une consommation plus durable: la durée de vie des produits de l'industrie et l'information du consommateur au service d'une confiance retrouvée", Comité économique et sociale européen.
Mudgal, S. et al. (2012) Étude sur la durée de vie des équipements électriques et électroniques - Rapport final, Bio Intelligence Service, ADEME.
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TABLE DES ABREVIATIONS
al. – Alinéa Art. – Article éd. – Édition n° – Numéro p. – Page CESE – Comité économique et social européen MRA – Mutual Recognition Agreement PE – Parlement européen UE – Union européenne CF – Conseil fédéral suisse OTD – Ordonnance sur le traitement des déchets OREA – Ordonnance sur la restitution, la reprise et l'élimination des appareils électriques et électroniques
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INTRODUCTION Le phénomène de l'obsolescence programmée en tant que pratique présent dans la réalité socioéconomique n'est pas facile à déterminer. Comme nous verrons plus bas, on compte avec un grand nombre d’auteurs qui argumentent pour et contre l’existence de cette pratique de la part des agents économiques. Même en tenant compte de cette difficulté, le choix de notre sujet est dû aux importants dégâts sociaux, économiques et environnementaux attribués souvent à l’obsolescence programmée de la part de ses détracteurs. Si l’existence de ses dégâts semble pertinent, l’éventuelle causalité attribuée à l’obsolescence reste non-prouvée. La rare littérature juridique disponible sur le sujet nous pousse en un premier moment, à mentionner une notion technique qui parle d’un raccourcissement volontaire de la durée de vie des produits. Cette notion sera examinée en profondeur dans la première partie de ce texte. Dans une deuxième partie, nous analyserons la règlementation pertinent au niveau suisse, français et de l’Union européenne. Le droit de la consommation et le droit de l’environnement seront l’objet principal de notre recherche. Des références au droit de la concurrence et au droit du commerce international feront également l’objet des quelques considérations, utiles à notre avis pour une meilleure vue d’ensemble des enjeux en question. En guise de conclusion, nous donnerons notre avis sur l’influence du droit européen sur le droit suisse.
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A. L’obsolescence programmée : une définition juridique problématique I. Le débat sur l’existence de l’obsolescence programmée Une des auteures consultées dans la présente mémoire1 considère très importante la contribution théorique fait par Bernard London dans le chapitre « Ending the Depression through Planned Obsolescence » du livre « The new prosperity », parce qu’il a popularisé le terme en proposant la stratégie de ne pas attendre que les appareils soient « hors service », mais plutôt d'arrêter son utilisation en avance et d’en racheter de nouveau afin de favoriser la croissance économique, et de surmonter les crises. Par contre, comme le souligne un autre auteur2, ce type de stratégies peuvent entraîner de graves dommages écologiques quand « la production, la création et la consommation de nouveaux produits épuisent les principales ressources naturelles de la planète et (...) les produits obsolètes ne sont que très peu récupérés et recyclés ». Ces dernières années, quelques secteurs de la communauté scientifique ainsi que des associations de protection du consommateur ont soulevé de nouveau la question d’un éventuel raccourcissement du cycle de vie des appareils électriques/électroniques. Nous définissons ici l’expression cycle de vie d’un produit, comme la période « de sa naissance à sa fin de vie, soit de l'extraction des ressources naturelles jusqu'à sa mise en décharge3 ». Dans ce contexte, l’expression : obsolescence programmée est réapparue en tant que concept fortement controversé. Une autre auteure consultée fait référence à l’obsolescence programmée en tant que la stratégie par laquelle « des opérateurs économiques mettent sur le marché des biens à la durée de vie volontairement réduite dès leur conception afin que les consommateurs soient incités à procéder à leur remplacement. »4.
Tollemer, L. (2012) L’Obsolescence programmée, Mémoire du master, Centre du droit de la consommation et du marché, Université de Montepellier, p. 5. 2 Fuchs, J. (2012), L’obsolescence programmée et ses impacts économiques, environnementaux et sociaux, Travail de Bachelor, Haute École de Gestion de Genève (HEG-GE), p. 11. 3 Desjardins, M. (2007) Les possibilités et les limites de l'analyse du cycle de vie pour un droit de l'environnement plus cohérent et efficace, Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en droit pour l'obtention du grade de maître en droit (LL.M.), Québec, p. 8. 4 Eber, C. (2012) Le traitement juridique de l’Obsolescence programmée, Mémoire du master, Centre de droit de la consommation et du marché, Université de Montepellier I, p. 6. URL : https://cdcmmontpellier.files.wordpress.com/2015/01/le-traitement-juridique-de-lobsolescenceprogrammc3a9e-c-eber.pdf. 1
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Des nombreuses études soutiennent cet éventuel raccourcissement délibéré de l’utilisation des quelques types d'appareils ainsi que leur remplacement précoce5. Nonobstant, l’obsolescence programmée comme une stratégie commerciale n’est pas pour le moment acceptée à l’unanimité, vu la multitude d’autres raisons qui peuvent amener à un remplacement précoce d’un produit donné. II. La programmation de la durée de vie des produits Comme souligné par Shidarta Mudgal, « il n’existe pas à ce jour de définition harmonisée de la notion de la durée de vie, (...) cette notion est comprise et interprétée différemment selon les catégories d’acteurs et l’angle choisi : production de l’équipement, phase d’utilisation (incluant notamment le réemploi) et/ou traitement des déchets »6. De sa part, et même s’il ne définit pas le concept de la durée de vie des appareils, une étude commandée au « Öko-Institut »7 par l'Agence Fédérale Allemande pour l'Environnement, analyse statistiquement l’impact du cycle de vie sur l'environnement et la consommation des ressources.8 À la lumière des résultats préliminaires de cette étude (encore en élaboration), il semble que les « produits blancs » (gros électroménager : réfrigérateurs, lave-linges, sécheurs) sont majoritairement remplacés à cause d'un défaut technique considéré prématuré9. A l'inverse d’autres appareils, remplacés même s’ils sont encore en fonctionnement. Dans le premier cas, on peut admettre la possibilité d'une obsolescence programmé à proprement parler, tandis que dans le deuxième cas, il s’agirait plutôt d’une obsolescence dit esthétique ou psychologique10. Finalement, même le fait que le remplacement prématuré de l'appareil soit causé par un problème technique, ceci n’est pas suffisant pour entrer dans la définition d’obsolescence programmée susmentionnée : il faut encore une deuxième condition, la présence d’une
À titre d’exemple : Latouche, S. (2012). Bon pour la casse: les déraisons de l'obsolescence programmée. Éditions Les Liens qui libèrent ; Fabre, M., Winkler, W. et Bourg, D. (2010). L'obsolescence programmée, symbole de la société du gaspillage : le cas des produits électriques et électroniques. CNIID - Les Amis de la Terre, URL : http://www.cniid.org/IMG/pdf/201009_rapport_OP_AdT_Cniid.pdf. 6 Mudgal, S. et al. (2012) Étude sur la durée de vie des équipements électriques et électroniques - Rapport final, Bio Intelligence Service, ADEME, p.5. 7 Prakash, S. et al. (2015) Influence of the service life of products in terms of their environmental impact: Establishing an information base and developing strategies against "obsolescence" (Interim report), Oeko-Institut e.V. – Institute for Applied Ecology, Freibourg, p. 5 (traduction propre de l’anglais) . 8 À l’heure actuelle il est disponible seulement le rapport préliminaire de cet étude. 9 Voir le commentaire du rapport dans le site web < http://www.euractiv.fr/sections/developpementdurable/des-chercheurs-sinterrogent-sur-lobsolescence-programmee-312739>. 10 Prakash, S. et al. (2015) Op. cit., p. 14-15. 5
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programmation de la durée de vie. Le Conseil fédéral suisse11 le citant comme «l'épineux problème de la "programmation" effective de l'obsolescence de tels ou tels produits par tels ou tels concepteurs ou producteurs »12, il s’agit d’un sujet bien difficile à prouver. Lydie Tollemer le conçoit comme « l’élément majeur et constitutif, qui définit en lui-même le concept d’obsolescence programmée »13 et « cela signifie que, s’il est impossible de fixer la durée de vie d’un produit et de programmer sa mort, l’obsolescence programmée n’existe pas. Il s’agit tout simplement d’une obsolescence naturelle propre à certains produits »14. III. Les modalités d'obsolescence programmée L'obsolescence programmée a été conceptualisée de diverses manières dès ses débuts. Par exemple, le concept d'obsolescence fonctionnelle15, dit aussi obsolescence par incompatibilité16 consistant à produire constamment des versions postérieures plus perfectionnées d'un même produit pour faire en sorte que celui ne répond plus aux nouveaux usages attendus pour des raisons économiques et techniques. Parmi ces modalités, deux formes d’obsolescence sont les plus théorisées. 1. L’obsolescence technique17 dite aussi technologique18, implique un comportement concret du producteur, lors de la confection de l'appareil afin d’engendrer des défauts irréparables, encourageant le consommateur à acheter des nouveaux modèles d’une qualité censée supérieure. Dans le même sens, un rapport du Conseil fédéral suisse19 considère qu’une obsolescence absolue, est liée au période complète de vie effective d’un appareil d'un point de vue technique. 2. L’obsolescence psychologique20, dite aussi obsolescence esthétique21, axée sur les désirs de la psyché des consommateurs, les poussant à se débarrasser de leurs appareils encore vivants Postulat 12.3777 - Optimiser la durée de vie et d'utilisation des produits, déposé au Conseil National le 25 septembre 2012 par Adèle Thorens Goumaz, porte-parole du Groupe des Verts. Disponible sur le site web : . 12 Postulat 12.3777 Op. cit. 13 Tollemer, L., (2012), Op. cit., p. 29. 14 Idem. 15 Mudgal, S. et al. (2012) Op. cit., p. 15. 16 Eber, C., (2012), Op. cit., p. 6. 17 Idem. 18 Tollemer, L., (2012), Op. cit., p. 67. 19 Optimisation de la durée vie et d’utilisation des produits - Rapport du Conseil fédéral en réponse au postulat 12.3777 « Optimiser la durée de vie et d’utilisation des produits » déposé par le Groupe des Verts le 25 septembre 2012, p. 3. 20 Tollemer, L., (2012), L'Obsolescence Programmée, Op. cit., p. 23. 21 Beigbeder, C., (2013), Fiction et réalité de l’obsolescence programmée, in Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence, Le cercle des économistes, p. 257. 11
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à travers des stratégies de marques et modes. Pour le rapport du CF susmentionné, il s'agit d’une obsolescence relative, motivée par la décision du consommateur d’abandonner le produit. IV. Approche générale du droit suisse et du droit européen Il est nécessaire d'exposer ici un aperçu des cadres légaux applicables, présents au niveau suisse et européen22. Nous trouvons de nombreuses normes juridiques concernant sujets touchant indirectement l’obsolescence programmée, tels que le traitement des déchets, les pratiques commerciales et les garanties contractuelles. Comme le soulignent Thierry Libaert et Michael Haber, dans ce domaine il est normal de sentir « l’impression d’avoir à affronter une véritable jungle législative23 ». a. Droit suisse Il n'existe pas à ce jour de législation spécifique en matière d'obsolescence programmée en Suisse. Néanmoins, quelques acteurs politiques ont déjà abordé le sujet à plusieurs reprises. En juin 2012 le groupe des Verts suisses a présenté au CF un postulat24 en lui demandant de juger l’adéquation « de mesures permettant de lutter contre l'obsolescence programmée, dans la perspective de promouvoir une économie utilisant les ressources de manière plus efficiente ». Le CF a reconnu dans sa réponse que « l'obsolescence programmée va effectivement à l'encontre d'une économie efficiente et préservant les ressources ». Cependant, le Conseil fédéral a rejeté le postulat, en privilégient « une approche plus large, comprenant également une réflexion sur l'optimisation de la durée de vie et d'utilisation des produits »25. En réponse, le groupe des Verts a présenté au CF un nouveau postulat en demandant « un rapport évaluant l'efficacité, la pertinence et les potentiels des mesures existantes et envisageables pour optimiser la durée de vie et d'utilisation des produits »26, postulat qui a abouti à la rédaction d’un nouveau rapport27, qui étudie plus profondément des mesures tel que « l'affichage de la durée de vie des produits, fixation de durées de garanties minimales, soutiens Pour une description des rares références juridiques à l'échelon international (notamment dans quelques textes de l'Unesco et de l'OCDE) voir Tollemer, L. (2012) L’Obsolescence programmée, Op. cit., p. 73-75. 23 Libaert, M. et Haber, J. (2013) Avis du CESE sur le thème "Pour une consommation plus durable: la durée de vie des produits de l'industrie et l'information du consommateur au service d'une confiance retrouvée", Comité économique et sociale européen, p. 4. 24 Postulat 12.3447 - Lutter contre l'obsolescence programmée, déposé au Conseil National le 7 juin 2012 par Adèle Thorens Goumaz, porte-parole du Groupe des Verts. Disponible sur le site web : . 25 Idem. 26 Idem. 27 Optimisation de la durée vie et d’utilisation des produits Op. cit. 22
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à l'écoconception28, ainsi qu'aux activités de réparation et de maintenance, par exemple dans la formation et la recherche »29. Nous développerons ces mesures plus loin. b. Droit européen La Commission européenne a rédigé en 2014, une communication concernant l’économie circulaire30 afin d’accroître la longévité des produits et développer davantage la réparation et l’entretien des appareils. Au niveau européen, il n'existe pas de législation spécifique en matière d'obsolescence programmée. Néanmoins quelques actes normatifs pris par les institutions de l'UE (notamment des Directives) le règlementent indirectement et pour quelques cas spécifiques que nous expliquerons ci-dessous31. Premièrement, l'article 11 de la directive relative aux piles et accumulateurs32 oblige les producteurs des appareils électriques/électroniques de rendre toujours amovibles leurs piles incorporés, accompagnés d'instructions indiquant la façon d’être désinstallées. Pour sa part, l'article 2, 23) de la directive 2009/125/CE33 définit l'écoconception comme « l’intégration des caractéristiques environnementales dans la conception du produit en vue d’améliorer la performance environnementale du produit consommateur d’énergie tout au long de son cycle de vie »34. Cette directive définie les pièces détachées35 comme une partie des produits qui sont mises sur le marché séparément, et « dont la performance environnementale peuvent être évalués de manière indépendante »36. La directive définie les composants et sous-ensembles37, comme des pièces prévues pour être intégrées dans des produits « dont la performance environnementale
Commission Européenne (2014) Communication au Parlement Européen, au Comité économique et social européen, Vers une économie circulaire: programme zéro déchet pour l'Europe, Bruxelles, p. 2. La page 2 de cette communication explique l'économie circulaire comme la branche économique qu’encourage la création de la “valeur ajoutée dans les produits aussi longtemps que possible et éliminent les déchets”. 29 Optimisation de la durée de vie et d’utilisation des produits, Op. cit., p. 3. 30 Commission Européenne (2014) Op. cit., p. 5. 31 Tollemer, L. (2012) L’Obsolescence programmée, p. 73. 32 Directive n° 2006/66/CE du 06/09/06 relative aux piles et accumulateurs ainsi qu’aux déchets de piles et d’accumulateurs et abrogeant la directive 91/157/CEE. L’article 11 dispose l'obligation d'accompagner les appareils “d'instructions indiquant comment enlever ceux-ci sans risque”. 33 Directive n° 2009/125/CE du 21/10/2009 établissant un cadre pour la fixation d’exigences en matière d’écoconception applicables aux produits liés à l’énergie. 34 Idem. 35 Art 2, 1) Directive n° 2009/125/CE, p. 15. 36 Idem. 37 Art 2, 2) Directive n° 2009/125/CE, p. 15. 28
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peut être évaluée de manière indépendante ». Nous considérons que cela implique une noninterdiction des pièces intégrées dans des produits, comme par exemple, les batteries soudées de quelques modèles de téléphones cellulaires et des ordinateurs-tablettes. Finalement, la directive prévoit des renseignements concernant des performances environnementales qui doivent être affichés sur l'appareil pour que le consommateur puisse comparer cet aspect des produits avant l’achat38. Une autre directive touchant le sujet est la directive sur les déchets 39 laquelle, d'après Tollemer établit une chaîne de gestion des déchets, dont le réemploi est la première priorité et l’élimination ne doit être utilisée qu’en dernier recours. Le Comité économique et social européen, dans son "Pour une consommation plus durable: la durée de vie des produits de l'industrie et l'information du consommateur au service d'une confiance retrouvée", a proposé des solutions possibles « d’ordre technique, commercial, normatif, éducatif et informationnel (...) dans le cadre stratégique d’un meilleur équilibre juste et loyal dans la chaîne production-distribution-consommation40 ». L'Avis coïncide avec le Rapport du CF suisse mentionné au point VI.a., en relation à son approche « nuancée » qui ne veut pas « accroître uniformément la durée de vie de tous les produits, mais de raisonner en termes d’usage du produit », car il considère que « l’optimisation n’implique pas inéluctablement un allongement de la durée de vie41 ». V. Les types d'appareils normalement concernés par l'obsolescence programmée. Dans le présent mémoire, nous nous centrons sur les appareils dont le raccourcissement matériel de la durée de vie semble plus évident. Il existe des règles, qui s’appliquent à tout type de déchets, provenant de diverses classes d'appareils. Dans la législation européenne, nous pouvons mentionner l'exemple de la « Directive relative aux Déchets » orientée à réduire la quantité de déchets à éliminer, basée sur le principe de la responsabilité élargie du producteur42. Plus spécifiquement, la Directive 2012/19/UE (DEEE II) 43reprend l'objectif de réduction des Annexe I à la Directive n° 2009/125/CE, « Méthode de fixation des exigences d’écoconception génériques », Partie 2. Exigences concernant la fourniture d’informations », p. 24-25. 39 Directive n° 2008/98/CE du 21/11/2008 relative aux déchets et abrogeant certaines directives. 40 Libaert, M. et Haber. J. Op. cit. p. 2. 41 Libaert, M. et Haber. J. Op. cit., p. 6. 42 L'article 8 de la Directive 2008/98/CE définie cette responsabilité élargie, comme le devoir que les fabricants/commerçants d'appareils peuvent avoir, concernant la réception des appareils hors d'usage. Voir Raes, D. (2014), L'obsolescence programmée à l'épreuve de l'obligation d'information du vendeur, de la notion de conformité et de la garantie des vices cachées, in Liber Amicorum, François Glansdorff et Pierre Legros, Bruylant, Bruxelles, p, 260. 43 Directive 2012/19/UE du 4 juillet 2012 relative aux déchets d'équipements électriques et électroniques 38
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déchets d'équipes électriques/électroniques et attribue le financement de son traitement aux fabricants. Par contre, d'autres règles européennes d'application générale à toute sorte d'appareils, ne paraissent pas si claires en relation à l'obsolescence programmée. Selon David Rae, « la Commission européenne indique (...) que l’absence d'information par un « commerçant » au consommateur du fait que le produit qu'il vend a été conçu dans le but d'avoir une durée de vie limitée, pourrait constituer une pratique commerciale déloyale au sens de la Directive européenne 2005/29/CE44 ». Néanmoins, le même auteur reconnait que « l'obsolescence programmée n'est ni expressément visée ni même identifiée comme constituant une pratique commerciale déloyale interdite »45 par la Directive 2005/29/CE, et cela « ne facilite pas le recours effectif par le consommateur à la protection légale dans la mesure où, sans même parler de la difficulté consistant pour lui à assumer la charge de la preuve46 ». Mais il existe des normes juridiques européennes plus spécifiques. Par exemple, pour les lampes à usage domestique, le règlement n°244/200947 met en œuvre, la Directive48 concernant l'écoconception des produits gourmands en énergie. Nous partageons l'opinion de David Raes, en relation au fait que ce règlement « est aussi le seul texte législatif qui, à ce jour, prescrit une durée de vie minimale pour certaines catégories d'ampoules qu'il vise. (...) Il s'agit d'une parfait illustration de lutte contre l'obsolescence programmée49 ». En droit suisse il existe l’ordonnance sur le traitement des déchets (OTD)50 qui règle l’élimination des déchets en général, mais également l'ordonnance sur la restitution, la reprise et l'élimination des appareils électriques et électroniques (OREA)51.
(refonte) (DEEE II) abrogeant la Directive 2002/96/CE. 44 Raes, D. (2014), Op. cit., p, 266. 45 Raes, D. (2014), Op. cit., p, 267. 46 Idem. 47 Règlement (CE) n° 244/2009 de la Commission du 18 mars 2009 mettant en œuvre la Directive 2005/32/CE du Parlament européen et du Conseil en ce qui concerne les exigences relatives à l'écoconception des lampes à usage domestique non dirigées, J.O.U.E. L 76, 24 Mars 2009, p. 3. 48 Directive 2005/32/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 juillet 2005, établissant un cadre pour la fixation d'exigences en matière d'écoconception applicables aux produits consommateurs d'énergie et modifiant la directive 92/42/CEE du Conseil et les directives 96/57/CE et 2000/55/CE du Parlement européen et du Conseil. 49 Raes, D. (2014), Op. cit., p, 263. 50 RS 814.600 Ordonnance sur le traitement des déchets (OTD) du 10 décembre 1990. 51 RS 814.620 Ordonnance sur la restitution, la reprise et l'élimination des appareils électriques et électroniques (OREA) du 14 janvier 1998.
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B. Perspective du droit de la consommation Une large majorité des auteurs52 sur lesquels nous basons le présent document, analyse la question de l’obsolescence programmée à partir d'une perspective du droit de la consommation, les relations « producteur-consommateur » des appareils susceptibles de souffrir d'une obsolescence programmée. I. L'atteinte au consentement du consommateur: le défaut d’information Malgré l’existence de certaines normes juridiques établissant une obligation d'information53, Vidalenc et Meunier considèrent que les renseignements concernant la qualité des produits ne sont pas équitablement partagés entre le producteur/commerçant et le consommateur, dont ce dernier se voit souvent forcé à « l’estimer sur la base d’éléments d’information tels que le prix, la marque, l’aspect, etc. »54. Dans le même sens, Eber estime que le producteur-commerçant devrait être soumis à une « obligation d’information »55 suffisante sur le produit, évitant ainsi que le consentement du consommateur soit viciée. Néanmoins, le même auteur nous informe que l'obligation d’information est une exception à la règle selon laquelle même les contractants non-professionnels doivent s'informer eux-mêmes. Cette exception s'applique davantage aux cas d'une éventuelle obsolescence programmée, en considérant que l'accès à l'information s'avère presque impossible ou très difficile56. L'inégalité des compétences respectives oblige le profane de faire confiance à un tel point qu'il ne devrait pas être obligé de vérifier l'information fournie par le commerçant professionnel.
Voir par exemple Vidalenc, E. et Meunier, L. (2014) Obsolescence des produits : l’impact écologique, Futuribles, France. 53 « Sur le plan de l'information des consommateurs, l'article 5.1 a) de la Directive 2011/83/UE1 impose au professionnel de fournir au consommateur, avant la conclusion du contrat, les informations relatives notamment « aux principales caractéristiques du bien ou du service ». Voir Raes, D. (2014), Op. cit., p, 267. 54 Vidalenc, E. et Meunier, L. (2014) Op. cit., p. 10. 55 Le problème semble être que chaque section de la chaîne de conception-production d'un appareil, travaille de forme indépendante sur un sous-produit dont la durée de vie normalement « relève du secret industriel ». « Ainsi, le distributeur est susceptible de ne pas connaître ces informations non plus au même titre que le vendeur. Voir Eber, Op. cit., p. 59. 56 Impossibilité ou grande difficulté qui peut s'originer dans des obstacles objectifs ou subjectifs Voir Eber, Op. cit., p. 64 et ss. 52
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II. L’affichage d’information environnementale concernant la performance écologique des produits Certains auteurs, comme Christine Cros, considèrent que présenter des informations environnementales sur les appareils peut entraîner une utilité de positionnement sur le marché, aussi importante que l'affichage d'autres caractéristiques des produites, comme par exemple la marque ou le prix.57 D’autre part, une étude française relative à la durabilité des produits révèle une éventuelle demande de 92% des consommateurs européens concernant l’information sur la durée de vie des produits58. Dans le même ordre d'idée, des labels indiquant la performance écologique des ressources naturelles utilisées dans un produit peuvent « conférer un avantage concurrentiel indéniable à l’entreprise qui cherche à rejoindre une clientèle intéressée par les impacts environnementaux qu’elle consomme »59. Comme le souligne Hortense Brunier60, la Commission européenne a encouragé le développement des standards concernant l'écoconception auprès du Comité européen de normalisation électrotechnique, avec l’objectif de promouvoir l'efficacité des ressources utilisées dans les composants clés ou dans les produits eux-mêmes61; Le Comité économique et social européen (CESE) favorise les certifications volontaires passibles de faire l’objet d’une normalisation européenne : telle que l'affichage de la durée de vie estimée des produits ou la présence d'information sur les pannes les plus fréquentes, ainsi qu'assurer la disponibilité des pièces détachées les plus concernées par celles-ci. L’objectif serait d'encourager les consommateurs à acheter « des produits plus chers au moment de l’achat mais plus amortissables dans le temps62 ». D'autres auteurs, à l'instar de Cécile Eber estiment qu'obliger les professionnels de faire l'affichage d'information d’ordre environnemental serait beaucoup plus effectif qu'interdire
Cros, C., (2012) L'affichage environnemental des produits : une information destinée à la fois aux consommateurs et aux producteurs, Annales des Mines - Responsabilité et environnement (N° 66), p. 30. 58 Rapport du groupe de travail du Conseil national de la consommation relatif à la durabilité des produits, 2015, p. 14. 59 Lavallée, S., et Bartenstein K., (2004) La régulation et l’harmonisation internationale des programmes d’écolabels sur les produits et les services, CIRANO, Montréal, page préliminaire. 60 Brunier, H. (2015) Point d’actualité sur les initiatives européennes concernant la durabilité des produits, in: Rapport du groupe de travail du Conseil national de la consommation relatif à la durabilité des produits, Paris, p. 15. 61 Idem, p. 6. 62 Libaert, M. et Haber, J. (2013), Op. cit., p. 12. 57
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catégoriquement l’obsolescence programmée, parce que ce type d’obligations « auraient plus de chances d’aboutir au but final qu’une simple interdiction de l’obsolescence programmée »63. Eber considère que l'affichage environnemental permet aux consommateurs, par exemple, de juger la robustesse d'un produit, d'une façon bien plus précise que la marque et d’autres indications affichées actuellement. III. Instructions sur les formes de remplacement des pièces d’usure Comme souligné par Cécile Eber, le fait de concevoir des appareils avec des parts inamovibles et/ou indémontables peut être une stratégie efficace pour empêcher la réparation du produit. Cette idée rejoint l’exemple des pièces d'usure intégrées au reste de l'appareil64 mentionné plus haut, lors de notre approche générale du Droit européen65. Comme Lydie Tollemer l'explique bien, cette Directive relative aux piles/accumulateurs et ses déchets « fixe des taux de collecte minimum des piles et des batteries à atteindre en 2012 (25%) et en 2016 (45%) »66. Selon elle, la Directive est « une réelle avancée dans la lutte contre l’obsolescence programmée » qui donne aux consommateurs la possibilité de racheter seulement la batterie et non l’ordinateur complet en cas de panne67. IV. La Garantie établie dans la Directive 1999/44/CE La Directive 1999/44/CE68 accorde une garantie d’un minimum de deux ans pour tout produit vendu, « s'il ne correspond pas aux conditions énoncées dans la déclaration de garantie ou dans la publicité y afférent »69. La définition de la garantie aux termes de cet article, implique que le producteur-commerçant doit « rembourser le prix payé, ou de remplacer, de réparer ou de s'occuper d'une façon quelconque du bien » sans frais supplémentaires. Selon Cécile Eber, le but de cette Directive consiste à « remédier aux disparités des droits nationaux en matière de garantie des biens de consommation dans un contexte actuel reposant sur la diversité des ventes
Eber, C., (2012), Op. cit., p. 122. Tollemer, L. (2012) Op. Cit., p. 47. 65 Directive n° 2006/66/CE du 06/09/06 relative aux piles et accumulateurs ainsi qu’aux déchets de piles et d’accumulateurs et abrogeant la directive 91/157/CEE (JOUE n° L 266 du 26 septembre 2006). 66 Tollemer, L. (2012) Op. Cit., p. 48. 67 Idem., p. 76-77. 68 Directive 1999/44/CE sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation, JO L 171 du 7.7.1999. 69 Article premier 2. e) de la Directive 1999/44/CE cité. 63 64
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communautaires »70. Malgré cela, elle considère que « son régime apparaît comme imparfait au regard de la situation de la victime de l’obsolescence »71. Quelques études proposent d’allonger la durée de cette garantie72, par exemple jusqu’à 10 ans, avec l’objectif d’inciter l’écoconception chez les fabricants et la réparation chez les consommateurs. Toutefois, comme le souligne un des Rapports susmentionnés73, il y a un «équilibre économique complexe pour les fabricants et les distributeurs » qui lie la garantie et la durée de vie des appareils. Ledit équilibre économique dépend de l’augmentation des coûts que le consommateur peut se voir obligé à payer dans une garantie plus large. Selon ce rapport, « les bénéfices d’un allongement de la durée de garantie sont à étudier au cas par cas en fonction des attentes des consommateurs ». L’article 2 de la Directive susmentionnée74 se réfère à la conformité du contrat établi dans ses points 2c) et 2d), que si un produit « est propre aux usages auxquels servent habituellement les biens du même type présumé conforme au contrat », et « s'il présente la qualité et les prestations habituelles d'un bien de même type auxquelles le consommateur peut raisonnablement s'attendre, eu égard à la nature du bien ».
Eber, C., (2012), Op.Cit., p. 46. Idem. 72 Lecomte C. (2012), Obsolescence des produits high-tech: Comment les marques limitent la durée de vie de nos biens. Amis de la Terre, p. 24. 73 Rapport du groupe de travail du Conseil national de la consommation relatif à la durabilité des produits, Op. cit., p. 15. 74 Directive 1999/44/CE. 70 71
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C. L'obsolescence programmée considérée en tant que type pénal I. Le délit prévu par la loi française sur la transition énergétique Le 18 août 2015, fut promulgué en France la « Loi relative à la transition énergétique »75, laquelle crée pour la première fois, un délit de l'obsolescence programmée des produits. Cette loi modifie aussi l’article L. 541-1 du code français de l’environnement, en relation au deuxième objectif de La politique nationale de prévention et de gestion des déchets : Lutter contre l’obsolescence programmée des produits manufacturés grâce à l’information des consommateurs. L’article explique que cette politique fera l’objet d’expérimentation, notamment sur l’affichage de la durée de vie des produits, toujours pour renforcer l’information des consommateurs. Comme le souligne bien Arnaud Gossement76, ces expérimentations doivent mener à l’élaboration de "normes partagées par les acteurs économiques" en tenant « compte des temps de transition technique et économique des entreprises de production », avec l’objectif de « rassurer les entreprises qui ont pu s’inquiéter que cette notion ne puisse être utilisée à l’encontre des producteurs et fabricants77 ». L'article 99 de cette loi caractérise l’obsolescence programmée comme : « l'ensemble des techniques » à travers lesquelles un « metteur sur le marché » peut écourter « délibérément la durée de vie d'un produit pour en augmenter le taux de remplacement78 ». Toujours selon Gossement79, le consommateur dénonciateur se verra obligé à 1) déterminer la durée théorique normale de l'appareil ; 2) prouver l'évidence d’un raccourcissement de la durée de vie effective ; 3) l'existence d'une technique de raccourcissement mise en œuvre, et finalement 4) une volonté consciente de raccourcir le cycle de vie du produit.
LOI n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, JORF N° 0189 du 18 août 2015. 76 Gossement, A. (2015) Le projet de loi sur la transition énergétique pour la croissance verte : la lutte contre l’obsolescence programmée, in Lettre d'information – Gossement Avocats, p. 8. Disponible sur le site web: 77 Idem. 78 Cette définition est introduite par l'Art. L. 213-4-1 “Obsolescence programmée”. 79 Gossement, A. (2015), Op. cit., p. 9. 75
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Or, cette intention résolue de raccourcissement peut être très difficile à démontrer comme un délit. Néanmoins, Gossement souligne « la vocation pédagogique du texte, avant d'être judiciaire: c'est un signal envoyé au marché80 ». D. Enjeux environnementaux de l'obsolescence programmée Entre les impacts environnementaux fréquemment attribués à l'obsolescence programmée, nous pouvons constater une double critique avancée par une partie de la littérature retenue pour ce travail : « D’un côté, la production, la création et la consommation de nouveaux produits épuisent les principales ressources naturelles de la planète, et de l’autre, les produits obsolètes ne sont que très peu récupérés et recyclés81 ». En faisant un bilan général sur l'environnement, Thierry Libaert et Jean-Pierre Haber, mettent en évidence la grande accélération de la consommation annuelle de matières premières (approximativement 50 % de plus qu'il y a 30 ans). Une autre question soulevée par son analyse, se penche sur la comparaison quantitative entre la consommation de ressources naturelles d'un Européen moyen, et d’un Africain, par exemple. Ils citent également les pronostics alarmants d’épuisement des réserves de métaux utilisés en tant que matières premières (entre 30 et 60 ans). Par ailleurs, ces auteurs mentionnent aussi le rythme préoccupant de croissance annuelle des millions de tonnes de déchets électriques et électroniques (DEEE) entre 2012 et 2020. De plus, ils nomment aussi les importantes conséquences de la contamination produite à un moment de son traitement, au niveau tant national qu’international82. Face à cette situation nous considérons que les normes juridiques se montrent comme une arme importante. Pour sa part, Loraine Donnedieu de Vabres-Tranié83 soulignent aussi l'importance des normes juridiques pour faire face à ces défis écologiques, comme la directive européenne concernant les batteries, par exemple ; où la figure juridique de la consigne « qui encourageait le consommateur à rapporter le matériel dont il ne voulait plus »84.
Idem. Fuchs, J., (2012) L’obsolescence programmée et ses impacts économiques, environnementaux et sociaux, Haute École de Gestion de Genève (HEG-GE), Travail de Bachelor, p. 11. 82 Les auteurs expliquent les exemples de l’exportation illégale de déchets envoyés en Chine ou Ghana, en contravention à la Convention de Bâle. Voir : Libaert, M. et Haber. J. Op. cit., p. 7. 83 Vabres-Tranié, L. (2013) Obsolescence programmée : le point de vue d’une avocate, in Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence, Le cercle des économistes, p. 261. 84 Vabres-Tranié, L. (2013) Op.cit., p. 262. 80 81
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Mais les normes juridiques connaissent des limitations importantes. En effet, selon MarieClaude Desjardins « l'environnement continue de se détériorer et ce, en dépit des normes adoptées aux plans international, national et régional »85, souvent à cause d’une réglementation excessivement réduite à un certain stade de la vie d'un produit. Desjardins considère qu’avec la stratégie juridique visée pour le système international de droit de l’environnement contemporain, l'évaluation des impacts produits en amont ou en aval de l'étape visée par la réglementation sera toujours négligée. Desjardins donne finalement des exemples d’impacts environnementaux globaux (comme le réchauffement de la planète, la diminution de l'ozone stratosphérique et la consommation de ressources non renouvelables), des impacts régionaux (comme l'eutrophisation et l'acidification) et finalement, les impacts locaux (comme la toxicité pour l'être humain, et la surexploitation des terres)86. I. Influence sur la quantité de déchets générés Des études de nature statistique montrent que la production primaire de ressources, y compris les métaux rares, augmente pour permettre la production de nouvel équipement, notamment dans le cas des smartphones, ordinateurs portables et appareils photo numériques87. Dans le même sens, Lydie Tollemer considère que les DEEE sont les biens plus difficiles à recycler, et la situation est encore aggravée par la croissance de sa consommation. De plus, ces appareils produisent beaucoup des déchets intermédiaires. Le seul déchet perçu pour le consommateur (le produit final) ne représente qu’une partie de la chaine de déchets générés88. Pour lutter contre ce scénario négatif, Tollemer souligne l’importance du réemploi et du recyclage en priorité avant l’incinération, en accord avec la directive européenne sur le recyclage des déchets d’équipements électriques ou électroniques (DEEE) (2008/98/CE)89.
Desjardins, M., (2007) Op. cit., p. 1. Idem., p. 24. 87 Prakash, S. et al. Op. cit., p. 5. 88 Tollemer donne un exemple : pour fabriquer un ordinateur portable de 2,8kg et dont le consommateur a connaissance, le producteur de ce bien a émis déjà 434kg de déchets en amont. 89 Tollemer, L. (2012), Op. cit., p. 38. 85 86
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E. L’influence du droit européen sur le droit suisse en relation à l’obsolescence programmée I. Cadre légal au niveau fédéral et cantonal Comme nous l’avons expliqué au début du texte, il n’existe pas de normes juridiques suisses qui règlent directement l’obsolescence programmée, mais seulement des propositions de lois. En septembre 2012 le parti politique suisse « Les Verts » avaient déposé un postulat au CF suisse, afin de lutter contre l'obsolescence programmée à travers des mesures pour rendre les produits réparables et plus durables. Le Conseil fédéral a répondu90 à l’occasion en mentionnant un ensemble de politiques et actions réalisables parmi lesquelles il y a lieu de mentionner « la garantie d’une durée minimale d’utilisation », « la standardisation et normalisation (écoconception) » et « l’intégration de l’écoconception dans les cursus de formation des spécialistes »91. En l'absence d’une législation suisse concernant le sujet, il nous revient maintenant d'examiner la portée de l'application que la législation européenne pertinente peut avoir sur le territoire suisse. Il faut pour cela mentionner quelques concepts essentiels du droit des relations SuisseUnion européenne. II. Non-obligation pour la reprise des réglementations européennes : Reconnaissance mutuelle ou reprise autonome de part de la Suisse? Les liens bilatéraux entre la Suisse et l’UE (20 accords conclus et plusieurs en cours de négociation) cherchent à « créer les meilleures conditions-cadres possibles pour ses relations »92. Déjà en 1972 un accord de libre-échange entre les deux régions avait été signé, grâce auquel « les produits industriels originaires des Etats parties peuvent être échangés en franchise de douane »93. En janvier 1993, les relations entre ces régions ont trouvé une base bilatérale avec l’ouverture de négociations et conclusions des paquets : les accords bilatéraux I et II. Les accords étaient
Réponse au Postulat 12.3447 - Op. cit. Idem. 92 Les Accords bilatéraux Suisse – Union européenne (2015), p. 6, également disponible sur www.dfae.admin.ch/europe. 93 Idem. 90 91
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négociés, signées et mis en vigueur au même temps (principe du parallélisme), parce que « ces dossiers n’étaient dans l’intérêt des Parties que pris dans leur ensemble.94 Le droit de l’Union européenne influence le droit suisse d’une façon subtile mais importante. La façon la plus directement observable de cette influence se réalise par le biais des accords bilatéraux déjà signés ou en négociation. Dans le paquet « Accords bilatéraux I » il figure un accord particulièrement intéressante à relever pour notre sujet : l’accord sur la suppression des obstacles techniques au commerce (aussi nommé MRA – «Mutual Recognition Agreement»). Avec un champ d’application assez large (20 secteurs de produits), cet accord harmonise et simplifie énormément les règles techniques liées aux produits: normes de qualité, emballage, étiquetage, procédés de fabrication, transport, stockage; et la homologation, laquelle « ne doit être effectuée qu’auprès d’un seul organisme de certification, en Suisse ou dans l’UE95 ». Cet accord est davantage applicable à notre sujet parce que ses domaines d’application incluent « la plupart des produits industriels. Il profite en particulier à des secteurs comme les machinesoutils, l’électronique »96 ; comme les appareils électriques en général et les appareils de télécommunications » en particulier. Au cas où, « les exigences en matière de protection de la santé, des consommateurs ou de l’environnement peuvent justifier certaines dérogations97 ». L’autre paquet d’accords étende « la coopération entre la Suisse et l’UE à d’autres domaines importants dépassant le seul cadre économique »98 tels que l’environnement: « la Suisse devient membre de l’Agence européenne pour l’environnement (AEE)99 ».
Les Accords bilatéraux Suisse – Union européenne (2015), Op. cit., p. 7. Idem. 96 Les Accords bilatéraux Suisse – Union européenne (2015), Op. cit., p. 30. 97 Idem. 98 Les Accords bilatéraux Suisse – Union européenne (2015), Op. cit., p. 8. 99 Idem. 94 95
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F. Conclusions En partant de la définition historique avancée par Bernard London dans son texte « Ending the Depression through Planned Obsolescence », nous avons vu les éventuelles conséquences économiques positives d’un raccourcissement volontaire de la durée de vie des appareils. Aussi depuis ces débuts en tant que sujet de recherche, le concept de l’obsolescence programmée a connu une quantité importante de critiques, concernant des très probables dégâts sociaux et environnementaux. Ensuite, nous avons passé en revue les différentes théories concernant l’existence de l’obsolescence programmée. Les théories contraires à son existence considèrent que les entreprises ne génèrent aucun avantage commercial de cette pratique, laquelle génère une mauvaise réputation aux marques concernées. A ce moment-là se manifeste l’importance de déterminer l’existence d’une programmation de la durée de vie des appareils. Dans ce sens, le terme programmation met en évidence la nécessité d’une planification volontaire de la désuétude de la part des fabricants. Nonobstant, même ces théories, qui s'y opposent, accordent la possibilité d’augmenter les ventes à travers de cette stratégie, dans certaines situations de marché particuliers, comme le monopole ou l’oligopole. Par la suite, nous avons mentionné les deux types d’obsolescence pertinents d’analyser pour notre mémoire. L’obsolescence technique/technologique des appareils, dont le raccourcissement du cycle de vie serait obtenu grâce à la conception du matériel et le design industriels. Et l’obsolescence esthétique/psychologique, laquelle serait procurée via la mode, la publicité et la rénovation accélérée des versions nouvelles des mêmes produits. Nous avons mentionné la portée de la durée de vie, en tant que le concept qui permet analyser tout le cycle de vie de l’appareil, depuis sa fabrication jusqu’à sa mise en décharge, en passant par son utilisation active. L’approche holistique de cet analyse de la durée de vie nous a permis de différencier 2 catégories d´appareils : 1) ceux dont l’impact écologique important se passe durant sa fabrication et/ou sa mise en décharge ; et 2) ceux dont l’impact majeure se passe pendant son utilisation, sa vie active. Nous avons également mentionné la législation sur notre sujet au niveau suisse et au niveau européen. Au niveau suisse, il n'existe pas de législation spécifique, mais des postulats, propositions de lois. Aussi, des rapports explicatifs du Conseil fédéral rejetant toute régulation spécifique de l’obsolescence programmée, en privilégient une approche plus large, celle de l'optimisation de la durée de vie et d'utilisation des produits. 27
Ensuite nous avons observé qu’au niveau européen il n'existe pas non plus de législation spécifique en notre matière. Mais nous avons recensé d’autres actes législatifs pertinents. L’obligation des producteurs des appareils électroniques de prioriser le remploi en face de l’élimination, établie par la Directive 2008/98/CE sur les déchets. L’obligation de rendre amovibles leurs piles incorporées ; établie par la Directive 2006/66/CE relative aux piles et accumulateurs. Par contre, nous avons analysé la Directive 2009/125/CE sur l'écoconception, et nous considérons que cela implique une non-interdiction des pièces intégrées dans les produits, comme par exemple, les batteries soudées des téléphones cellulaires. Après, nous avons expliqué la législation européenne et suisse qui régule directement les appareils concernés par l’obsolescence programmée. Quelques règles qui s’appliquent à tout type de déchets, provenant de diverses classes d'appareils, comme la « Directive relative aux Déchets » orientée à diminuer la quantité de déchets à éliminer, basée sur le principe de la responsabilité élargie du producteur. En droit suisse nous avons mentionné l’ordonnance sur le traitement des déchets (OTD), et l'ordonnance sur la restitution, la reprise et l'élimination des appareils électriques et électroniques (OREA). Postérieurement, nous avons analysé les relations « producteur-consommateur » des appareils susceptibles de souffrir d'une obsolescence programmée, à partir d'une perspective du droit de la consommation, en relation au défaut d’information. Nous avons expliqué pourquoi ledit défaut d’information peut impliquer une attente à son consentement éclairé. Nous avons aussi expliqué les bénéfices de l’affichage de la performance écologique des produits. Ensuite nous avons expliqué le concept d'un allongement de la durée de garantie des appareils présent dans la Directive 1999/44/CE. Tout de suite, nous avons expliqué le délit d’obsolescence programmée prévu par la loi française sur la transition énergétique, en la définissant comme l'ensemble des techniques à travers lesquelles un metteur sur le marché peut écourter délibérément la durée de vie d'un produit pour en augmenter le taux de remplacement. De même, nous avons vu comment une intention résolue de raccourcissement peut être très difficile à prouver. Après nous passons en revue les impacts environnementaux majeures fréquemment attribués à l'obsolescence programmée, la consommation de ressources naturelles pendant sa production ; et le pourcentage limité de ressources récupérées.
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En l'absence d’une législation suisse concernant le sujet, nous analysons l’influence du droit européen sur le droit suisse en relation à l’obsolescence programmée. Pour cela nous avons mentionnée quelques concepts essentiels du droit des relations Suisse-Union européenne. Nous nous sommes référés au concept de la reconnaissance mutuelle des conditions techniques du commerce entre la Suisse et l’Union européenne. Nous avons aussi expliqué le mécanisme de la reprise autonome de part de la Suisse, illustré par l’inclusion du Principe « Cassis de Dijon » dans la Loi contre les Entraves Commerciales. Nous avons conclu aussi que l’influence du droit de l’Union européenne la plus évidente s’avère dans l’accord sur la suppression des obstacles techniques au commerce. Applicable à notre sujet parce que ses domaines d’application incluent des produits industriels, en particulier l’électronique, les appareils électriques en général et les appareils de télécommunications » en particulier. L’obsolescence programmée concerne ces objets. Or, toute régulation sur ces objets doit être conçue pour ne produire pas d’une entrave technique au commerce.
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