Mémoire ISCPA

August 22, 2017 | Author: hugosoutra | Category: Journalist, Correspondent, Journalism, Labour, Employment
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La précarisation des journalistes a t-elle une influence sur la qualité de l'information ? Mémoire de recherche d...

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    Auteur : Hugo Soutra (ISCPA Paris, filière journalisme)   Tuteur : Jean-Christophe Féraud (Rédacteur en chef adjoint, Libération)  

 

    2010/2011      

 

 

SOMMAIRE

Introduction.

I)

Etat des lieux de la précarisation du métier de journaliste A) La précarisation du métier de journaliste…

.3

  a. Une précarisation salariale et statutaire…

.4

b. … mais aussi du contexte et des conditions de travail…

.15

c.

.18

… pas si récente que cela.

B) … est une conséquence des maux de la presse.

.20

a.

Un métier populaire, victime de son succès…

.21

b.

…entamé par la crise de la presse…

.23

c.

… et creusé par les évolutions technologiques.

.24

2) L’influence de la précarisation sur la qualité de l’information A) L’information est de moins bonne qualité…

.28

a.

Une information simplifiée à outrance…

.29

b.

…réduite au rang de marchandise.

.31

B) … à cause de la précarisation du métier…

.35

a.

Le journaliste ne peut plus jouer son rôle…

.35

b.

… quand le système médiatique le précarise.

.39

C) … entre autres raisons.

.41

a.

Les médias ont une grande part de responsabilités…

.41

b.

… tout comme les salariés non-précaires.

.44

Conclusion.

 

La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ?

Introduction Certains déploreront d’entrée l’objectif de ce mémoire, à savoir questionner des professionnels des médias pour déterminer l’influence –ou non- que peut avoir la précarité des journalistes sur la qualité de leur travail. Cela ressemble étrangement à un raisonnement par le bas. Qu’ils se rassurent ! Ce mémoire n’a pas vocation d’imposer une réponse formelle sur des notions pour le moins subjectives. Ma démarche consiste simplement à étudier deux phénomènes distincts voire indirects mais tout aussi intéressants l’un que l’autre: la précarité et la qualité du journalisme. Car si l’Etat français définit comme précaire une situation «qui n’offre aucune garantie de durée, qui est incertaine, sans base assurée, révocable et qui ne permet ni d’assumer pleinement sa responsabilité ni de bénéficier de ses droits fondamentaux […] ni de pouvoir se retrouver dans une situation acceptable dans un avenir proche», rien ne permet pour autant d’identifier ce qu’est un journalisme de qualité. Si tant est qu’il y ait une définition qui fasse l’unanimité, quelles seraient les conditions idéales pour traiter l’information de manière la plus complète possible ? Se mesurerait-elle à au temps de l’enquête ou à la longueur de la réflexion ? Plus probablement et sans prendre trop de risques, il est possible d’affirmer que la perception de ces deux phénomènes peut continuellement être influencée par de nombreux facteurs culturels. Aspirant journaliste –probablement futur pigiste- j’ai moi-même multiplié (et continue de le faire) les piges mal payées et autres stages rémunérés un peu plus de 400 euros par mois (dans le meilleur des cas). J’ai intégré la précarité, et à l’aube de l’étudier, tiens à le préciser. Au fur et à mesure de ce mémoire, je me suis toutefois attelé à réfléchir contre moi-même pour prendre le maximum de recul sur la paupérisation d’un métier qui n’a de cesse de m’attirer. Aidé pour cela par des professionnels de la profession, qu’ils soient journalistes pigistes ou titulaires, consultant médias ou sociologues, représentants des syndicats ou de la direction, en activité ou non, etc.

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ISCPA – Juin 2011

Hugo SOUTRA.

La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ?

En école de journalisme, les cours sur l’économie des médias sont généralement succincts si ce n’est survolé. Seul pré-requis dont je disposais, la nécessité d’inclure les questions de temps et de moyens dans ma démarche, questions indissociables d’une réflexion conjointe sur la précarisation et la qualité du journalisme. Par la suite, j’ai voulu balayer le plus large possible: il n’était pas question de jouer au pessimiste réactionnaire préoccupé par la tyrannie de l’instantanéité en récitant ses grands principes ; ni d’enfiler le costume du web-journaliste persuadé de réinventer son métier en s’enthousiasmant des bienfaits de l’interactivité ; et encore moins de d’entamer l’ôde fataliste du «c’était mieux avant»… Non, loin de là. A 21 ans et avec seulement trois années de piges à mon actif, je ne m’estime pas suffisamment pertinent pour me poser en donner de leçons d’une profession en crise. J’aimerais pourtant, j’aimerais être porteur d’une solution qui permette de rendre viable notre travail, tout en maintenant un journalisme de qualité. Simplement, je ne l’ai pas encore trouvée… Je me suis donc contenté de mener une réflexion sur les contraintes et la pratique journalistique. En brossant le plus honnêtement possible un état des lieux de la précarisation du métier, en revenant sur les conséquences de ce phénomène puis en l’explicitant et en analysant quelques une de ses causes potentielles. Dans un contexte de remise en question de l’information et du contenu médiatique, j’ai cherché à faire à faire ressortir des tendances étant susceptible d’avoir porté atteinte à la presse française. Etape nécessaire pour étudier finalement si la précarisation jouait un rôle dans cette baisse de la qualité des médias, et si c’est le cas, à quel niveau. Mêler un regard sociologique à l’expérience journalistique permet simplement d’établir des thèses et des pistes de réflexion. Encore une fois, il n’est pas question d’apporter une réponse. Ce mémoire n’a pas pour objectif d’être une étude exhaustive ou une enquête sociologique… mais seulement une réflexion –une de plus- sur un (beau) métier en mutation !

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La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ?

Partie I Etat des lieux de la précarisation du métier de journaliste

A) La précarisation du métier de journaliste… Le premier signe de la précarisation de la profession est mathématique. Pour la première fois depuis la création de la carte de presse en 1935, les statistiques de la profession font état d’une baisse du nombre de journalistes. Du pigiste au patron de rédaction en passant par le secrétaire de rédaction, les journalistes français -titulaires de la carte de presse- ne seraient plus que 37.007 en 2010. Contre 37.904 en 2009 et 37.811 en 2008… Si les chiffres marquent une diminution globale, il est à noter que le nombre de journalistes pigistes est lui passé de 7.267 en 2009 à 7.449 en 2010, soit une hausse de 2,5%. Le nombre de chômeurs titulaires d’une carte de presse a également augmenté de plus de 7%, passant de 1.416 en 2009 à 1.520 l’année suivante. L’augmentation du nombre de pigistes –journalistes les plus précaires par leur statutest donc indéniable. Mais selon plusieurs chercheurs dont Alain Accardo dans son ouvrage «Journalistes précaires, Journalistes au quotidien», ces chiffres –issus des dernières statistiques de la Commission de la Carte d’Identité des Journalistes Professionnels (CCIJP)- minoriseraient la montée de la précarité dans la profession : l’étude portant seulement sur les seuls journalistes «encartés». Or, certaines entreprises ne soutiennent pas leurs journalistes salariés dans leur démarche de reconnaissance, afin de continuer à les payer en-dessous des minimas

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conventionnels. Tout comme une partie des pigistes pigeant pour la presse magazine complètent leurs revenus par de la communication, ce qui les exclut également de cette catégorie. Pareillement, un nombre croissant de pigistes, surtout parmi les débutants, réalisent des articles sans parvenir à tirer la majorité de leurs ressources du journalisme. Ou encore certains pigistes spécialisés en audiovisuel relèvent du régime des intermittents du spectacle pour bénéficier de meilleures allocations aux Assedics. De fait, tous ces cas sus-cités ne remplissent pas (ou plus) les conditions d’obtention de la carte de presse. Ils ne sont donc pas comptabilisés dans les statistiques de la profession. L’observatoire des métiers de la presse, à partir des données possédées par Mediafor et enrichies par les chiffres de la caisse de retraite et de prévoyance du secteur de la presse (Audiens), dénombrerait lui un chiffre sensiblement plus concret. Ainsi, l’observatoire des métiers de la presse comptabilisait 15.175 pigistes en 2008 soit près du double des chiffres récoltés par la CCIJP. Des chiffres qui font tout aussi polémique. En effet, les chiffres d’Audiens prennent en compte toutes les personnes ayant réalisé au moins une pige dans l’année, qu’elles possèdent ou non le statut de journaliste professionnel. Plusieurs contradicteurs font valoir que cette source surestimerait leur nombre réel… Pour rappel, cet état des lieux n’a pas prétention d’être exhaustif et de traiter tous les aspects de la précarité de la profession. Simplement d’en témoigner le plus précisément possible et de démontrer les récentes tendances.

a. Une précarisation salariale et statutaire… Le salaire moyen des journalistes a diminué, passant de 2.839 euros en 2008 à 2.672 en 2009. Une baisse des salaires qui cache de nombreuses disparités suivant les statuts des journalistes. Car si le salaire médian des titulaires, disposant d’un Contrat à Durée Indéterminée (CDI), est passé de 3.133 euros à 3.225 euros ; le revenu médian des pigistes a lui «bondi» de 1.846 euros en 2008… à seulement 1.855 euros en 2009 ! Des salaires

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variables et jamais acquis l’année suivante: de 2000 à 2009, le salaire brut mensuel moyen des journalistes pigistes est passé de 2201 à 2128 euros, selon des chiffres de la dernière photographie de la profession des journalistes (réalisée par l’Observatoire des métiers de la presse, qui a croisé ses données avec celles de la CCIJP). En 2009, les journalistes en CDD gagnaient eux en moyenne 2.317 euros bruts. Quels enseignements en tirer ? Les salaires des journalistes en CDD et des journalistes pigistes ont diminué progressivement de 2001 à 2006, avant de stagner depuis. Mais lors de chaque étude, il ressort que les journalistes permanents touchent davantage que ceux en CDD, qui gagnent eux-mêmes plus que les journalistes pigistes. Il faut également nuancer et prendre en compte que les rémunérations observées ne sont pas uniquement liées au type de contrat du journaliste mais également à ses caractéristiques, à savoir son âge, son sexe, son diplôme, etc…

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Le journaliste pigiste

Un pigiste est un journaliste professionnel rémunéré à l’article, au reportage, à la photo ou à la journée: tout comme l’intermittent du spectacle dans son secteur, c’est avant tout un élément assurant une marge de flexibilité à l’entreprise de presse.

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L’entreprise fait appel à lui, en cas de besoin. En contrepartie, le pigiste peut cumuler les piges dans autant d’organes de presse qu’il le souhaite, sans être affilié à une seule rédaction en particulier. De ce fait, sa précarisation financière est toute relative puisque sa rémunération est variable selon sa productivité, et qu’elle peut varier du simple au triple selon que l’employeur en question soit un site internet, un titre de presse magazine ou une rédaction audiovisuelle. La moyenne du prix du feuillet (1.500 signes) est d’environ 60 euros dans la presse parisienne, il peut atteindre plus de 100 euros dans la presse magazine et 150 à 200 euros la journée pour une chaîne de télévision. Des tarifs qui n’ont que «très peu évolués depuis de nombreuses années» regrette le Syndicat National des Journalistes : Françoise Laigle, membre du bureau national, affirme: «au début des années 1990, je touchais environ 600 francs (N.D.L.R. soit environ 91€) du feuillet lorsque je travaillais avec des titres du groupe Prisma Presse. Aujourd’hui, ils payent le feuillet 100 euros, sans tenir compte du fait que le coût de la vie a considérablement augmenté…» En fonction de son réseau, un débutant peut très bien gagner 600 euros le premier mois, 1.500 euros six mois plus tard et 3.000 euros une fois qu’il est définitivement installé…Ce qui reste toutefois exceptionnel: en 2009, plus d’un tiers des pigistes gagnaient moins de 1.500 euros selon la photographie de la profession réalisée par l’Observatoire des métiers de la presse. Certains ne parvenant pas à obtenir l’équivalent d’un SMIC… Sur le papier, le journaliste pigiste a pourtant la même situation qu’un salarié: il est présumé journaliste en contrat à durée indéterminée. L’article L7112-1 du Code du travail issu de la loi n° 74-630 du 4 juillet 1974, dite loi Cressard stipule que : «Toute convention par laquelle une entreprise de presse s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail. Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties.» En principe, le journaliste pigiste bénéficie donc des droits correspondants au code du travail, c’est-à-dire qu’il reçoit des bulletins de paie, cotise et à ce titre, a droit aux

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indemnités de sécurité sociale, des Assedic ou de la retraite. Après trois collaborations avec une même entreprise, la convention collective des journalistes leur assure également d’obtenir le principe du 13ème mois, des congés payés, des indemnités de licenciement, de la participation sur le bénéfice, voire éventuellement une prime d’ancienneté et l’intéressement, etc.... Mais dans la réalité, ce modèle qui offre tant de sécurité ne s’applique pas dans tous les cas. Leurs droits ne sont pas toujours respectés: si tant est que la collaboration est encadrée par un contrat écrit, le 13ème mois ou les congés payés sont ainsi inclus dans le prix brut de la pige, la prime d’ancienneté n’est pas toujours prise en compte ou la «repasse» (15 à 50% de la première rémunération) en cas de nouvelle publication du travail produit est oubliée. De plus, certaines entreprises de presse ne versent pas de salaires mais rémunèrent le pigiste en droits d’auteurs ou en honoraires –afin de minimiser les charges patronales mais ce qui l’empêche de recevoir de bulletins de salaire-. Dès lors, l’AGESSA ne gère plus sa couverture sociale et la CCIPJ ne lui octroiera pas sa carte de presse. Ne pas avoir de carte de presse pourrait presque devenir un argument de recrutement : certaines entreprises en jouent et préfèrent ne pas faire appel à des journalistes encartés pour disposer d’une main d’œuvre plus corvéable. Au-delà de l’absence d’augmentation et de la multiplication des supports qui ne paient pas en salaires, les pigistes doivent parvenir à instaurer un rapport de force favorable pour ne pas voir diminuer leurs remboursements de frais –lorsqu’ils ne se financent pas totalement sur leurs deniers personnels-. «Pour les reportages à l’étranger, c’est à nous d’avancer les notes d’hôtel et de restaurants, sans garantie d’être totalement remboursés ensuite. Nous minimisons donc les frais, et ce malgré que nos prétentions salariales soient relativement faibles : nous coûterons toujours moins cher à une entreprise que si elle dépêchait un de ses envoyés spéciaux sur place, c’est clair» témoigne Amélie Cano, du collectif de pigistes Youpress. Pour améliorer sa situation, le pigiste doit donc courir après les piges en flairant l’actualité, aller au devant de l’information. Force de proposition, le journaliste pigiste doit -avant de rédiger son article ou de réaliser son reportage- écrire un synopsis

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destiné à l’employer potentiel. Il doit également relancer les rédactions avec lesquelles il travaille déjà, afin de s’assurer un volume de travail suffisant. Pour Jean Abbiateci, journaliste Challenges, Slate et la Nouvelle République entre autres, «le pigiste doit être plus agile qu’un titulaire : il doit rechercher, produire et vendre son article, et non pas seulement fabriquer l’information». Travailler vite et bien, accepter un statut moins «tranquille» sont quelques unes des conditions pour faire un journaliste pigiste employable. L’entreprise est clairement dans son droit si elle refuse une idée d’article d’un pigiste : il ne sera alors pas rémunéré pour le travail de recherches qu’il a mené au préalable. Par contre, selon l’article L761-9

du Code du travail, l’entreprise doit

payer tout article commandé, même si celui-ci n’est pas publié. Au-delà le fait qu’ils aient intégré le devoir d’être sur le qui-vive en permanence (week-ends et vacances compris) ou d’être amené à retoucher leurs productions à la demande, la majorité des pigistes ne s’émeut pas plus que cela de leurs statuts précaires. La situation serait toute autre si la conjoncture était différente, estime François Laigle du SNJ : «S’il y a avait du boulot, les pigistes partiraient dès le premier excès de l’employeur. Mais aller aux prud’hommes alors

qu’ils sont

précaires et isolés, en temps de crise, c’’est malheureusement kamikaze». Vulnérables, ils ne revendiquent que très peu leurs droits, par peur qu’un prochain sujet ne leur soit pas accordé, de se voir fermer la porte d’une rédaction ou de voir leur réputation salie auprès des directions des groupes de presse. Le journaliste pigiste n’est jamais certain de trouver du travail d’un mois sur l’autre, rien ne lui garantit de collaborations régulières avec une entreprise, à moins qu’il ne devienne «pigiste permanent» pour celle-ci. Ce numéro d’équilibriste afin d’étaler le flux de commandes et les revenus tout au long du mois, peut expliquer que de nombreux pigistes épousent cette situation par défaut. Deux tiers des pigistes subiraient leurs statuts et sont en attente d’un emploi plus stable au sein d’une rédaction. Un véritable sas d’entrée à la profession a même été observé : le jeune journaliste devant se faire d’abord reconnaître en tant que pigiste pendant trois ou quatre ans avant de pouvoir espérer une quelconque titularisation.

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Un emploi salarié: le cauchemar de certains

journalistes

freelance,

qui

choisissent volontairement ce statut de

Youpress : la victoire des pigistes

pigiste. Un statut qui leur permet de travailler pour plusieurs journaux à la fois et ainsi de «rester indépendant». Car le statut de pigiste -lorsqu’il est choisi- présente également quelques avantages: liberté de travailler avec les médias en affinité avec les goûts du journaliste, sur des sujets qui lui plaisent, sans être soumis à des contraintes

d’horaires

ni

de

hiérarchie… C’est le cas de Nadjet Cherigui, qui se sentait auparavant étouffée à l’intérieur de la rédaction où elle était salariée : «Travailler en freelance, c’est avant tout retrouver sa liberté ! Ca a un prix, mais il faut l’accepter et l’assumer.» Disposant déjà d’un solide réseau et de nombreuses connaissances dans le secteur de la presse, une infime minorité parvient à travailler dans une dizaine de rédactions à la fois, voire plus encore. Pour elle, «être pigiste, c’est également un challenge qui nous oblige

à

toujours

réfléchir,

à

se

remettre en question… et donc à avancer». Devenus indispensables à certaines

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rédactions,

«Quand  j’ai  débuté  l’aventure  Youpress,  j’avais quelques piges par‐ci par‐là mai je me  demandais  si  je  n’allais  pas  changer  de  boulot…»  confie  Amélie  Cano  à  ses  camarades  co‐fondateurs,  stupéfaits.  Ce  collectif  de  pigistes  a  été  crée  en  octobre  2007 –un an après leur sortie d’école‐ par six  jeunes  journalistes.  Une  façon  de  lutter  contre la solitude du statut de pigiste, «mais  aussi  un  moyen  de  mettre  nos  forces  en  commun, de partager nos idées de sujets, nos   contacts,  nos  interlocuteurs  des  rédactions…  tout  en  pratiquant  le  journalisme  qui  nous  plaisait!» résument‐ils.  Dans  l’obligation  de  réaliser  quelques  piges  en  communication  à  leurs  débuts,  afin  de  financer  leurs  voyages  à  l’étranger,  ils  ont  désormais  dépassé  ce  stade:  «Youpress  a  acquis  une  vraie  légitimité  auprès  des  rédactions, nous travaillons aussi bien avec Le  Monde,  Libération,  Le  Figaro  ou  le  JDD  qu’avec  Causette,  Témoignage  Chrétien,  Politis,  Ouest‐France,  Slate.fr  ou  encore  TV5  Monde,  Bloomberg  TV,  la  Raï  et  l’Associated  Press…»  Les  désormais  sept  membres  –rédacteurs  (trices),  JRI  ou  photographe‐  sont  devenus  pigistes  permanents  dans  une  rédaction.  «Pour  le  reste,  c’est  de l’éclate.  Nous  faisons  100% de grands reportages que nous arrivons  très  souvent  à  pré‐vendre,  nous  nous  faisons  rembourser  nos  frais  à  chaque  fois,  nous  sommes  plus  que  rentables!»  lâche  Leïla  Minano.  Ou  comment  s’assurer  une  assise  financière,  tout  en  comblant  ses  aspirations  journalistiques ! 

les

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rémunérations de ces «permalances» (contraction entre permanent et freelance) avoisinent plutôt les 4.500 euros bruts qu’un seul et unique SMIC… Des conditions pas si précaires et suffisamment attrayantes pour pousser certains journalistes confirmés à quitter leur emploi salarié… Jean Abbiateci n’en démord pas: si la réalité est dure pour certains, il existe «un mythe de la précarité : la vie de pigiste, ce n’est pas toujours le rush que l’on dépeint. Nous alternons contrats alimentaires afin de subvenir à nos besoins et projets qui nous comblent sur un plan professionnel. C’est la routine, mais il faut savoir l’organiser» plaide t-il. Lui comme d’autre sont donc très satisfaits de leur situation. «Tous les pigistes ne sont pas précaires, et au contraire, certains salariés le sont plus» alerte t’il. Les pigistes ont donc une condition à double tranchant. Si la majorité subit leurs situations, un tiers d’entre eux se félicitent tout de même de leur indépendance, de la gestion de leurs horaires voire même de leurs rémunérations supérieures à celle d’un emploi salarié. -

Le Correspondant Local de Presse (CLP).

Moins connue est par contre la précarité de certains pigistes locaux, abusivement catégorisés sous le statut de correspondant local de presse (CLP). Moins connue car moins intéressante: très peu d’études sociologiques se sont attardées sur la condition globale des journalistes de province, et ce malgré une diffusion de leurs médias bien supérieure à celle des grands quotidiens nationaux… Les correspondants locaux de presse sont ces «agences locales» en contact avec chacun des acteurs de leurs communes, chargés de faire remonter des informations d’hyper-proximité aux rédactions plus que de ne les contextualiser et de les mettre en forme, qui reste à la charge du journaliste titulaire. Pour le directeur général de Cross Media Consulting et ancien cadre de la presse régionale, Erwann Gaucher, «ils permettent de tisser un lien social indispensable à la PQR bien que dans la plupart des cas, aucun journaliste n’aurait envie d’aller faire le travail d’un correspondant !»

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Habituellement, le correspondant a un travail principal et est donc considéré par l’entreprise de presse comme un collaborateur occasionnel non salarié, sans aucun lien de subordination. Mais dans la réalité, une partie des 30.000 CLP seraient des pigistes à part entière à qui l’entreprise demande un vrai travail de journaliste ou de photographe. Un moyen de les sous-payer puisque les rémunérations ne tiennent pas compte des tarifs conventionnels, malgré la place considérable que les correspondants locaux de presse ont pris dans la PQR et la PHR d’aujourd’hui, allant même parfois jusqu’à sauvegarder les ventes de certains titres de presse. -

Le journaliste en Contrat à Durée Déterminée

De plus en plus, il arrive que le journaliste professionnel soit engagé en contrat à durée déterminée (CDD). La conclusion d’un tel contrat n’est possible selon la loi que pour une activité exceptionnelle, dans des cas bien précis: remplacement d’un salarié absent (maladies, congés, etc…) ou passé provisoirement à temps partiel, attente de la prise de fonction d’un nouveau salarié, accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise, etc… Ce qui n’empêche pas «qu’il y ait un réel excès de la part des employeurs aujourd’hui», selon Françoise Laigle, du Syndicat National des Journalistes. Le CDD ne devrait théoriquement pas avoir pour objet –ni pour effet- de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité permanente de l’entreprise de presse, c’est-à-dire la production d’information. C’est pourtant le cas de nombre d’entre eux: Jérémy Joly, diplômé de l’IUT de Tours puis l’an dernier de la licence professionnelle « Journalisme et médias numérique» de l’Université de Metz, enchaîne depuis peu les CDD et les piges : Après avoir fait l’équivalent de deux ans de stages au travers de ses études dont le dernier aux Dernières Nouvelles d’Alsace, où il commence à piger avant d’y obtenir un premier CDD en novembre 2010. De février à mai 2011, il redevient pigiste avant de signer un nouveau CDD, cette fois-ci de cinq mois sur le site internet de La République du Centre. Une situation qu’il voit plus comme un passage obligé de sa carrière, une étape normale par laquelle sont passés ses confrères: «je ne me suis jamais senti précaire en fait, assez privilégié en réalité…» explique t-il.

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La précarisation des journalistes a-t-elle une influence sur la qualité de l’information ?

Ils sont de plus en plus dans sa situation. Au nombre de 628 en 2008, les journalistes en CDD étaient 985 en 2009 selon l’Observatoire des médias. Leurs chiffres résultant du croisement de leurs données avec celles de la CCIPJ -qui comptabilise encore les CDD parmi les pigistes sans fournir de détails- les chiffres 2010 ne sont pas encore disponibles. Une augmentation toutefois conséquente (+57%) et qui s’expliquerait par le fait que de plus en plus d’entreprises de presse préfèrent recourir à l’activité de CDD, plutôt que de commander des piges et se retrouver avec un potentiel CDI (cf. loi Cressard) entre les mains en cas de complication judiciaire. «Les divers contrats sont utilisés comme un moyen pression, pour faire aller le journaliste dans la direction voulue par la direction» analyse Jérémy Joly. Le salarié en CDD est vulnérable : s’il espère être à terme embauché, il ne lui est pas conseillé de réclamer avec insistance la majoration de ses heures de nuit ou la récupération de ces missions du week-end ou des jours fériés. De façon induite, il n’a pas réellement son mot à dire tant qu’il n’est pas encore titularisé. Les employeurs sont donc de plus en plus nombreux à utiliser ce type de contrat. Bien que cela leur coûte légèrement plus cher qu’une pige classique: en 2009, le salaire médian des CDD était de 2.000 euros; un tiers des journalistes sous CDD touchaient entre 1.500 et 2.000 euros et 14,5% moins de 1.500 euros. Dans le même registre en encore plus précaire, il est important de signaler le cas des journalistes en CDD d’usage dits CDU. Des contrats qui selon l’article 122-1-1 du Code du travail, peuvent être conclus afin de «pourvoir des emplois pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir au CDI, en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois». Utilisé notamment dans le secteur audiovisuel, cela permet aux entreprises de presse de ne pas payer la prime de précarité théoriquement dû en fin de contrat à durée déterminée (CDD). «Quelqu'un qui fait un travail régulier et pérenne ne devrait pas pouvoir être embauché en CDU… » précise Françoise Laigle. Une nouvelle fois, la réalité est pourtant bien différente.

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Le stagiaire journaliste

Il convient ici de différencier le stagiaire journaliste du journaliste stagiaire. La titularisation comme journaliste professionnel n’est effective qu’après avoir été journaliste stagiaire pendant deux ans. Ces derniers sont donc des journalistes débutants, mais titulaires. Alors que les stagiaires journalistes sont encore des étudiants, réalisant des immersions plus ou moins longues dans le cadre de leur scolarité. Généralement enthousiastes à la veille de recevoir une première reconnaissance par le monde du travail… et souvent obligés, également. L’étudiant en journalisme doit faire des pieds et des mains pour décrocher plusieurs expériences dans différentes rédactions, avant de faire son entrée effective sur le marché de l’emploi. C’est une condition nécessaire pour postuler à un emploi durable. Ces stages doivent lui permettre de garnir son CV et d’amorcer la machine à relations, de quoi le rendre capable de démarcher d’autres médias par la suite. La formule a fait ses preuves. Si aucune statistique officielle ne répertorie les stagiaires, certaines entreprises de presse poussent la culture du stage à l’extrême : certaines rédactions –notamment sur internet- sont composées de plus d’un tiers de stagiaires. Les principaux médias régionaux ainsi que quelques médias nationaux nouent des conventions de stage avec les écoles reconnues par la profession. Stages à l’année ou remplacements d’été rémunérés, ces premiers contacts professionnels donnent l’occasion à ces apprentis journalistes de découvrir les rouages de la PQR. Une façon, en quelque sorte, «d’aider les bénévoles à acquérir de l’expérience» selon le discours de l’entreprise… C’est aussi pour l’entreprise une main d’œuvre formatée, précaire et relativement compétente. Payée environ trois fois moins que le salaire minimum, l’entreprise n’encourt pas de risques énormes en acceptant un stagiaire au sein de sa rédaction.

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Si la convention de stage stipule que la collaboration est avant tout une période de formation encadrée par un tuteur de l’entreprise avisé et disponible, ces expériences sont dans certains cas synonymes de petits boulots et de tâches rébarbatives (mise à jour de fichiers, documentations, photocopies, etc…) que les journalistes titulaires ne souhaitent pas exécuter. A moins que ce ne soit un travail salarié déguisé alimentant quasi-gratuitement l’industrie de la presse, ce qui est tout autant répréhensible. Des grands quotidiens profitent ainsi de leur renommée pour attirer ces petites mains peu onéreuses. Sarah Belouezzane et Zeliha Chaffin, ont co-écrit l’article «Au Monde, une carte de cantine et un rêve: être publié » paru dans le quotidien du soir daté du 19 juin 2010, alors qu’elles étaient elles-mêmes stagiaires de cette célèbre rédaction du boulevard Blanqui. L’histoire ne dit pas si elles étaient payées. Présentant un tel stage comme «le Saint-Graal de l’étudiant en journalisme», les deux auteures concluent que «sur la centaine de stagiaires accueillis par le journal chaque année, tous ne repartent évidemment pas satisfaits. Néanmoins, il leur reste une jolie ligne sur le CV, de quoi impressionner les futurs employeurs.» Faute de modèle économique viable, les médias internet sont également friands de ces petites mains à la recherche à la recherche d’un nom prestigieux sur leurs CV de débutant. S’ils sont peu avares de leur temps et arrivent à se faire oublier en tant que stagiaire pour faire preuve d’efficacité et de motivation, alors peut-être parviendrontils même à réaliser d’autres tâches que du bâtonnage de dépêches. Peut-être. Aubaine pour l’employeur, encouragé par les écoles et cautionné par les étudiants, le stage est devenu une norme dans les rédactions françaises comme dans les entreprises du monde entier. Mais en ces temps de précarité galopante, les groupes de presse peuvent en profiter: ils sont en position de force et l’étudiant doit être prêt à l’emploi. Aujourd’hui, l’école –aussi prestigieuse soit-elle- n’est plus une garantie d’emploi. Les stages sont donc une alternative aux piges pour se faire remarquer et ambitionner une hypothétique embauche. Lorsqu’ils laissent entrevoir de telles perspectives d’évolution, car ce n’est pas le cas de tous : certains rémunèrent leurs

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pigistes les plus jeunes… au nombre d’heures travaillées, le tout rapporté au prorata du tarif conventionnel du stagiaire (417 euros par mois, soit environ 2,98 euros/heure). D’autres en profitent pour remplacer provisoirement un journaliste démissionnaire ou en congés maladie. Mais certains stages donc, notamment ceux de fin d’études, sont parfois lieues de promesses d’embauche en CDD. Carottes –il faut le reconnaître- exceptionnellement concrétisées dans la foulée sauf cas de force majeur. Non, désormais, à la fin de leurs études, les diplômés d’écoles de journalisme reconnues ou non par la profession, doivent désormais passer de nouveaux concours… internes cette fois-ci. L’AFP, Reuters mais aussi L’Equipe ou Prisma Presse distribuent leurs quelques CDD et contrats de professionnalisation désormais de cette façon.

b. … mais aussi du contexte et des conditions de travail… -

Manque de moyens

Un journaliste aura beau proposer trois fois un reportage à l’étranger avec trois angles différents, il aura aujourd’hui peu de chances de voir sa demande aboutir. Après avoir été une des règles du journalisme, le reportage est devenu une exception. Trop coûteux, pas assez rentable, surtout qu’il est devenu simple de confectionner un bon «produit» à moindre coût : plutôt que d’envoyer un rédacteur et un photographe sur place, le titre de presse n’a plus qu’à acheter les clichés légendés d’une agence de presse, pour ensuite demander à un salarié de narrer une histoire avec, la possibilité de passer deux ou trois coups de téléphone… sur place ! Ou alors lui demander de garder le fil de dépêches ouvert et de scruter le site de partage de photos Flickr en parallèle… Amorcé il y a une quinzaine d’années, les coupes budgétaires des entreprises de presse ont largement diminué les moyens alloués aux reportages. Des notes de frais infernales d’antan, la période est plutôt à la négociation du moindre centime. «Argent ou pas argent, ce qui change est principalement la façon de l’utiliser : les médias ont eu trop d’argent à un moment donné, intégrant une culture de gâchis institutionnalisé. Dans le Libération d’il y a trente ans, le journaliste disposait d’une

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enveloppe d’argent liquide et dormait dans un palace… Aujourd’hui, tout est réglementé mais je trouve cela tout à fait normal» raconte Gilles Bruno, spécialiste du monde de la presse et directeur de la publication de L’Observatoire des Médias. Pour défendre leur budget et se donner les moyens d’une politique rédactionnelle de qualité, les rédacteurs en chef ne font pas toujours le poids face aux gestionnaires. «Nous disposons d’un budget prévisionnel, sur lequel nous devons nous adapter en fonction de nos résultats commerciaux et de diffusion… Mais notre modèle économique ne fonctionne plus: même avec une gestion habile et subtile, il devient difficile d’offrir un journal diversifié et spectaculaire» se lamente Thierry Deransart, Directeur adjoint de la rédaction du Figaro Magazine. Au-delà des reportages qui se font de plus en plus rares, la pagination rédactionnelle diminue dans la plupart des publications au profit des pages de publicité. La longueur des articles commandés se réduit du même coup… Le pigiste à qui l’entreprise de presse fera appel doit alors réaliser des sujets qui demandent toujours autant de temps d’enquête, mais publiés dans un format plus court et donc moins bien rémunéré. Autre preuve s’il en faut de cette diminution des moyens, le déménagement de plusieurs groupes de presse depuis une vingtaine d’année : des titres historiques comme Le Parisien, L’Equipe, Bayard ou La Tribune ont quitté le quartier de la presse (2, 8, 9, 10ème arrondissements de Paris) pour rejoindre la petite couronne de la capitale. Plus récemment, Prisma Presse et Mondadori ont rejoint le mouvement. Objectif : baisser également les coûts fonciers, dans un contexte publicitaire tourmenté de crise de la presse. Entraînant du même coup une dégradation des conditions de travail, puisque de la fatigue supplémentaire lié au trajet domicile-travail voire du stress et de la démotivation pour les salariés les plus fragiles. -

Hausse des objectifs

Comment optimiser les effectifs d’une rédaction sans moyens ? En prônant la polyvalence. A la télévision, fini les reportages en équipe de quatre ! Place au

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binôme rédacteur audiovisuel et JRI, où ce dernier doit assurer la prise de son et la gestion de la lumière, en plus de la caméra. Quitte à devenir prisonnier de la technique et ne plus avoir le temps de soigner ses plans et d’exploiter les situations de tournage qui s’offrent à lui. Dans le meilleur des cas… Sur les chaînes d’information en continu, l’homme-orchestre (ou le journaliste-shiva) se retrouve souvent tout seul pour son reportage. Il lui alors faut tourner plus, toujours plus vite. En presse locale, les dénominations secrétaire de rédaction, fait-diversier, reporter, chef d’agence ont disparu. Le principe de poly-aptitude règne également: le journaliste doit collecter et mettre en forme l’information pour le quotidien papier tout en prenant des sons et réalisant des vidéos pour la version du site internet. Cette réorganisation du travail a d’autres conséquences: l’ex journaliste-rédacteur hérite de deux casquettes supplémentaires, celles de photographe et de secrétaire de rédaction. Il doit désormais fabriquer sa page de A à Z. Un jeune journaliste doit désormais maîtriser les aspects techniques de son métier, et plus seulement la partie «intellectuelle». La multi-compétence est un vrai argument d’embauche puisqu’il permet à l’entreprise de réaliser

des économies

d’échelle, et de ne pas avoir recours à des solutions externes en cas de remplacement à assurer. Ces nouveaux fonctionnements organisationnels sont généralement accompagnés d’une autre mutualisation, celle visant à accroître la productivité en augmentant le rendement des salariés. Outre NextRadioTV d’Alain Weill (RMC, BFM, Groupe 01) et Bolloré Médias (Direct 8, Direct Matin, Direct Soir), Bayard Presse envisage ainsi de créer une plate-forme rédactionnelle. L’objectif: pouvoir disposer de journalistes multi-casquettes capable de produire des articles repris sur les différents supports du groupe. Tous doivent travailler indifféremment pour tel ou tel titre du groupe, version papier, site internet, chaîne de télévision ou station de radio. Pas de quoi effrayer le fondateur de l’Observatoire des Médias, Gilles Bruno : «Le journaliste a une forte tendance à pleurer sur son sort, mais ils sont largement coupables de leur situation ! Il est nécessaire de rappeler qu’il a crée lui-même la précarisation en refusant d’écrire pour le site internet de son média, à moins d’être

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payé le double (N.D.L.R. la repasse donne théoriquement droit au versement de nouveaux droits d’auteurs)… Du coup, le site –sans moyens- ne fait que bâtonner des dépêches et se déprécie automatiquement, ce qui finit par dévaloriser le média dans son ensemble, qui ne se vend dorénavant plus…» -

Manque de temps

Obsédés par le modèle du flux permanent court-termiste séduisant un public de masse attiré par le scoop, certaines entreprises de presse ne donnent plus le temps nécessaire aux journalistes de faire correctement leur travail. Soucieux d’optimiser leurs médias, chaque seconde doit être rentable. Le temps de recherche, de réflexion, de recul, pourtant nécessaire à tout travail journalistique de qualité, est désormais devenu optionnel dans certaines rédactions. Les entreprises de presse profitent également que le journaliste n’ait pas d’horaires fixes -que la culture professionnelle valorise l’investissement personnel- pour s’autoriser quelques excès. En démultipliant les tâches qui incombent au journaliste, celui-ci va forcément dépasser la durée légale du travail s’il a un minimum d’éthique et ambitionne de rendre un travail convenable. Des cas similaires peuvent être observés avec la prolifération des journalistes à temps partiel: un salarié embauché à trois-quarts temps fera souvent 35 heures ou plus malgré qu’il ne soit payé l’équivalent que de 26 ou 27 heures… Pourquoi ? Car s’il souhaite un jour être titularisé à temps plein, il doit prouver sa capacité à faire du bon travail et exécuter toutes les tâches nécessaires. Une chaîne de télévision refusera de commander une enquête à un pigiste si son tournage n’est pas concentré sur une seule journée. Davantage de temps d’enquête et de tournage signifie plus de temps de travail et donc un coût exponentiel: l’entreprise préférera alors traiter le sujet en interne. Il arrive même que ce soit les journalistes eux-mêmes qui se mettent des barrières et désertent le terrain, faute de temps. Ils ne prennent plus le risque de s’absenter de la rédaction pour un sujet dont eux-mêmes doutent…

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La membre du bureau national du SNJ, Françoise Laigle, en convient, «si ce n’est pas une précarisation dans les termes, les conditions de travail du journaliste se dégradent tout de même. Et pour le même résultat : cela apporte de la fatigue et n’améliore en rien sa capacité à faire son travail correctement…»

c. … pas si récente que cela. Pour autant, la précarité n’est pas une notion nouvelle pour les journalistes ! S’il est acquis pour tous les journalistes qu’il ne faut pas faire ce métier pour le salaire et qu’il est compliqué d’être titularisé dès ses débuts, la précarité a toujours existée, plus ou moins forte selon les époques, les statuts, les tendances du chômage, la formation des journalistes, etc… «La précarité est une étape obligée» estime Gilles Bruno, «des journalistes comme Renaud Dély ou David Revault d’Allonnes étaient précaires à leur entrée dans la profession chez Libération. Cela ne les a pas empêchés de devenir Directeur délégué de la rédaction du Nouvel Observateur et Grand Reporter politique chez Europe 1…» «Faux !» lui rétorque Jean-Christophe Féraud, journaliste successivement à La Tribune, aux Echos puis aujourd’hui à Libération. «Dans les années 80, j’ai également galéré pour rentrer dans la profession, par le biais de stages mais au moins ils étaient payés ! Et une fois titularisés, nous y étions bien installés. La notion de CDD n’existait pas ! Il y avait une transmission du savoir, comme une passation de pouvoir entre les générations. Cela n’existe plus, c’était à l’époque où les journaux n’étaient pas encore des entreprises comme les autres… Vingt ans plus tard, on a glissé dans l’élevage de poulets en batterie, précaires, dotés de tâches déqualifiées, sans aucune reconnaissance» fait-il valoir, nostalgique d’une époque bien révolue. Les stages, les piges et les CDD ont toujours rythmé l’entrée d’un jeune journaliste dans le monde de la presse. Seulement, cette période subie d’une à deux années se serait allongée de deux ans au cours des années 2000. L’effet sas d’entrée est devenu structurel: en 2008, un peu plus du tiers des nouveaux titulaires de la carte

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de presse étaient précaires (39,6% étaient pigistes ou en CDD) contre près de la moitié en 2009 (49,4%). Des chiffres attestant d’une précarisation des parcours préprofessionnels, qui démontre également que la précarisation est devenue une norme, s’étendant même à de nombreux secteurs du marché du travail autres que le journalisme. Pour Jean-Christophe Dupuis-Rémond, journaliste audiovisuel et internet pour France 3 Lorraine depuis 2000 et enseignant en web-journalisme depuis 2010 à l’Université de Metz, «la précarisation n’a rien de nouveau mais ne s’est pas arrangée dernièrement.» En 1975, 8,5% des journalistes étaient précaires, 14,7% en 1990 et 18,8% en 2000. S’ils n’étaient plus que 18,1% des journalistes encartés à être en CDD ou pigistes en 2008, leur part s’est de nouveau élevée pour atteindre 19,3% des journalistes en 2009 et 20,1% en 2010. Une aggravation de la situation qui se fait ressentir à tous les niveaux, et plus uniquement sur un plan purement et strictement professionnel. Leur situation précaire a également des conséquences sociales. Nadjet Cherigui, pigiste depuis plus de neuf ans, dit ne ressentir la précarité qu’à un certain niveau: «mais ce qui me parle vraiment, c’est de ne jamais pouvoir me projeter, de ne pas préparer mes vacances des mois à l’avance ni de m’engager pour accompagner la sortie d’école de ma fille.» Pour elle qui réclame ce statut de freelance et s’est organisée en fonction, la règle est la même que pour tous les autres pigistes : être toujours disponible et ne jamais refuser une proposition, «car nous ne savons jamais quand la prochaine pige arrivera…» Au-delà même des effets psychiques que peut générer la précarisation chez certains, le fait de ne pas avoir de salaires réguliers en empêche d’autres d’obtenir un crédit bancaire ou de négocier l’achat d’un logement.

B)

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… est une conséquence des maux de la presse

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Coupes budgétaires, gel des salaires, recours à l’emploi précaire… La période de doute traversée dernièrement par l’ensemble des médias est loin d’être favorable aux journalistes : selon les statistiques de la CCIPJ qui se base sur le nombre de cartes de presse délivrées annuellement, le nombre de pigistes auraient augmenté de 367% entre 1980 et 2010, contre 122% pour le nombre de journalistes. Leur proportion dans les rédactions, en trente ans, serait ainsi passée de 9,6% à 20,1%. Quand l’économie va mal, les employeurs cherchent naturellement à en profiter, quitte à faire patienter une génération surdiplômée, motivée et peu onéreuse à leur porte. Las d’ambitionner un emploi durable, ces derniers s’heurtent depuis des années à une précarité institutionnalisée -à coup de stages et de CDD- qui induit parallèlement productivisme et perte d’autonomie. Mais rarement la dichotomie entre statut théorique et réalité sur le terrain, journalistes salariés et précaires, freelances choisis et pigistes subis, n’aura été aussi forte. Les raisons avancées pour expliquer la précarisation du métier sont nombreuses et clivantes. Si le cœur du métier –à savoir la recherche de la vérité, la culture du doute, l’honnêteté intellectuelle, la vérification de l’information- n’a pas fondamentalement changé, les conditions d’exercice de la profession ont elles, évolué. Des changements structurels, dus aux crises –identitaire, économique, technologiqueque traversent les médias aujourd’hui, remettent à l’ordre du jour les questions d’organisation, de valeur, d’audience et de temps auxquelles il est indispensable de répondre pour assurer les lendemains de la presse.

a.

Un métier populaire, victime de son succès…

Alors que la progression du nombre de journalistes «encartés» était de 60% entre 1980 et 1989, elle n’était plus que de 13,5% de 2000 à 2008. Un temps plus important que le rythme de progression observé au niveau de la population active, le taux de croissance de la profession a progressivement diminué pour ne plus être que de 0,2% entre 2008 et 2009. Suivant cette pente glissante, le nombre de journalistes a logiquement diminué pour la première fois de son histoire entre 2009 et 2010.

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Des données qui traduisent plus un encombrement du métier qu'un réel désintérêt pour une profession… qui ne cesse par ailleurs de vieillir. Pour le SNJ, «la pénurie d’emplois augmente la précarité: le salarié est prêt à plus de concessions et acceptent des salaires plus bas, les pigistes d’être payés au noir ou en droit d’auteur…. Des pratiques qui ont toujours existé mais qui sont facilitées par l’actuel rapport de force actuel entre dirigeant et journaliste» argumente Françoise Laigle. Mais l’absence d’emplois –et de moyens suffisants pour exercer son métier- tout comme le fait d’avoir de moins en moins de lecteurs ne décourage pas plus que cela les aspirants journalistes. Les écoles de journalisme –reconnues ou non- se sont multipliées ces dernières années sans vraiment anticiper les mutations du secteur, mais plutôt en attendant un signe des entreprises de presse. En matière de recrutement de jeunes journalistes, ce retour est pourtant éloquent : seulement 225 des 1.822 journalistes ayant reçu leur première carte de presse en 2010 sont diplômés de l'un des treize cursus reconnus par la profession, soit 12,3%. Un recrutement hors écoles reconnues, justifié par le fait d'éviter le formatage des nouveaux arrivants mais aussi pour avoir la possibilité de recruter une main d’œuvre encore plus précaire et moins exigeante. Au-delà de ces réflexes des entreprises de presse, une génération de précaires (beaucoup de formés, peu d’élus) complètement déconnectés des réalités du secteur a débarqué dans un secteur en crise… par la mauvaise porte. Entre 2005 et 2009, «j’ai vu passer beaucoup de jeunes confrères qui n’avaient qu’une idée en tête: commencer leur carrière en intégrant les rédactions des grands médias nationaux en n’imaginant que comme dernier recours de faire leurs classes dans la presse régionale ou départementale» raconte Erwann Gaucher, consultant qui a accompagné le développement multimédia d’environ 50 titres de presse locale. Toujours plus nombreux à vouloir mettre un pied dans la profession, et toujours plus nombreux à déchanter… Ils avaient beau piger pour différents médias parisiens plutôt que de tenter leur chance dans des médias «moins prestigieux» avec des débouchés moins précaires, le constat était le même partout: le journalisme d’Albert Londres ou de Joseph Kessel n’existait plus. Les reporters, «l’œil et l’oreille, mais

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aussi le nez, la bouche ou la main du lecteur» pour paraphraser Christian Sauvage, se font de plus en plus rares. Et eux, jeunes pigistes, n’étaient pas embauchés pour les remplacer mais bien pour leurs faibles prétentions salariales et leur capacité à écrire un papier tout en sachant l’agrémenter d’un son et l’enrichir d’une vidéo. Au-delà d’une question de talent, la conjoncture ne le permettait plus. «Si le secteur de la presse est bien en crise, il est surtout en mutation. Les journaux cherchent de nouvelles compétences, de nouveaux profils. Il y a des opportunités que me font sincèrement penser que la précarisation n’est pas inévitable, à condition de comprendre voire de la précéder…» laisse entendre Erwann Gaucher. La tendance évolue et les nouveaux postulants semblent mieux comprendre et mieux naviguer dans ce secteur en mutation.

b.

… entamé par la crise de la presse…

La presse cherche des solutions pour réinventer à bas prix le journalisme. Car la crise qui a longtemps touché la presse écrite et seulement la presse écrite s’est aujourd’hui généralisée à l’ensemble des supports d’information. Ni la presse écrite – web ou print- ni la télévision, ni la radio ne recrutent aujourd’hui… Pour le sociologue des médias Eric Maigret, «un jeune journaliste doit d’abord postuler à L’Internaute ou sur des agrégateurs d’information plutôt qu’au Monde, au Figaro, à Libération ou à France Télévisions s’il ambitionne de décrocher un emploi durable.» Pour Thierry Deransart, Directeur adjoint de la rédaction du Figaro Magazine, «la crise de la presse n’a jamais cessé d’exister»: érosion des ventes de journaux, crise publicitaire (voire suppression pour l’audiovisuel public), explosion de la bulle internet, contrecoup des 35 heures… Confrontés à de multiples maux, la liste des potentiels clients des aspirants journalistes ne cesse de se réduire: fermeture de certains titres de presse, réduction de la pagination, concurrence intra-pigistes… Les articles commandés sont moins longs (donc moins payés) avec des délais d’exécution raccourcis pour des sujets nécessitant le même temps d’enquête. Au final, les journalistes pigistes sont amenés à devoir travailler plus pour gagner autant.

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Les subventions de l’Etat n’y changeront rien, le journalisme doit affronter une crise globale sans précédent historique. Loin des simples difficultés passagères qu’elle a pu connaître périodiquement. Le modèle économique (inventé par Emile de Girardin) des groupes de presse s’essouffle : depuis 1850, les médias parvenaient à vendre deux fois leur journal, au lecteur et à l’annonceur. Une logique qui se heurte depuis l’avènement d’internet à la culture du tout-gratuit. «Les médias se sont longtemps développés en tirant une diffusion maximale de leur produit vendu peu cher, et un complément non négligeable des publicitaires. Chose devenue impossible aujourd’hui… Nous devons prendre des mesures d’économies, qui sont certes susceptibles de provoquer une précarisation» argumente t-il.

Même la fusion des médias, passés sous l’emprise de puissants propriétaires et des marchés financiers, n’a pu enrayer ce phénomène. De là à pointer la responsabilité des logiques industrielles qui auraient perverti l’esprit des médias et des «cost killers qui managent les rédactions», il n’y a qu’un pas… franchi par Françoise Laigle, journaliste retraitée depuis quelques mois et membre du bureau national du SNJ: elle dit ne jamais avoir «vu une telle volonté de transformer le métier de façon aussi nocive.» Pour autant, ce raisonnement ne peut pas expliquer à lui seul le regain de difficultés auxquelles font face les entreprises de presse.

Face aux rigidités de son propre système (monopoles de la distribution et de l’imprimerie, qui coûtent plus au lecteur et rapportent moins à l’éditeur) et à la crise économique globale de 2008, les directions des groupes de presse ont dû resserrer leurs coûts. Plus par contrainte que par choix, donc. Patrick de Saint-Exupéry, le directeur de la publication du trimestriel XXI spécialisé dans l’enquête et le grand reportage, ne jette pas la pierre aux groupes de presse: «Personne ne sait comment s’écrira la presse demain. Dans le doute, les directions de journaux de plus en plus fragiles ne vont pas vers un renforcement des équipes… Ce n’est pas une question de volonté mais de priorité ! Ils subissent un enchaînement de facteurs, ils sont donc amenés à traiter d’autres urgences en priorité» détaille t-il.

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Un moyen de combler une partie de leurs blessures à court-terme, avant d’espérer trouver la solution salvatrice réinventant le journalisme. Peut-être en basculant vers de nouvelles formes d’organisation, ou alors grâce à de nouveaux supports.

c.

… et creusé par les évolutions technologiques

Une partie des dirigeants de médias avance l'arrivée du journalisme sur internet pour expliquer l'échec d'un modèle économique, qui a pourtant fait ses preuves pendant plus d'un siècle. «Nous ne sommes pas parvenus à transposer le système du kiosque minitel pour financer l'information sur internet, ce qui aurait permit de faire payer le lecteur suivant le temps passé sur le site de presse» regrette Thierry Deransart, du Figaro Magazine. «Les problèmes économiques de la presse datent de bien avant l’arrivée d’internet» conteste Jean-Christophe Féraud, rédacteur en chef adjoint de Libération. «Depuis l’après-guerre, personne ne s’était réellement posé de questions sur le danger des monopoles, le modèle éditorial, etc… Dans un contexte économique morose, cela a amené la concentration des groupes de presse, puis la pression économique qui va avec, les économies d’échelle, les plans sociaux. Ensuite est venu se greffer la mutation technologique et le tsunami internet ! Là, personne n’a plus rien compris et la grande majorité des journalistes ont refusé d’apprendre. C’était fini: leur peur et leur mépris vis-à-vis du web les ont conduits à accepter que les entreprises élèvent des jeunes smicards sur le web, afin de faire le sale boulot à leur place» se remémore t-il. Si elle a bien contribué à créer une nouvelle temporalité médiatique qui a souvent relégué la presse papier en retard (N.D.L.R. dernièrement avec la mort d’Oussama Ben Laden), cette deuxième révolution technologique n’a pas que du tort. Cet outil aux multiples possibilités -pas encore totalement exploitées- a également accru considérablement l'audience des médias, facilité l'accès des lecteurs à l'information et renouvelé les pratiques dans le traitement de l'information. Internet a fait évoluer le paysage de l’information: aujourd’hui, chacun peut s’improviser journaliste et devenir son propre rédacteur en chef, chacun peut créer

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son blog et poster ses propres vidéos, etc… Et pour se tenir au courant des derniers évènements, il suffit d’ouvrir une page Google ou Yahoo. Autant de changements qui ont modifié les façons des lecteurs de consommer l’information, leurss usages et leurs habitudes. Pour s’y adapter, les journalistes se sont vus imposer des règles spécifiques d’écriture : pour conserver des chances d’être lu un maximum par ces adeptes du zapping, il faut écrire court (est-ce à dire, sans profondeur ?), pour les moteurs (estce à dire, de façon standardisée ?) et pour l’audience (est-ce à dire, uniquement de l’information futile ?). Les libertés –et l’autonomie- du journaliste web (précaire, faut-il le rappeler) ont été encadrées, réduisant sa capacité à se démarquer de ses collègues sous prétexte que le lecteur n’avait plus envie de lire de longs reportages. Une auto-censure qui, conjuguée à un sous-effectif et un manque de moyens, peut expliquer le discrédit jeté sur le secteur par certains confrères de presse écrite et des patrons de presse en général. Dans «Le Journaliste» d’octobre 2010, le créateur du collectif DJIIN (pour le Développement du Journalisme, de l’Information et de l’Innovation Numérique) Sylvain Lapoix insiste sur le fait que les journalistes web devront «d’abord bénéficier de la reconnaissance professionnelle avant d’espérer avoir la reconnaissance salariale ! […] Le support ne fait pas le métier et un journaliste reste un journaliste, sur les ondes, le papier ou internet.» Laurent Léger est sur la même lignée. Pour ce journaliste d’enquête à Charlie Hebdo, l’équation est simple : «Les journalistes de presse écrite et d’internet, ce sont les mêmes ! Ils ont tous besoin de temps et de moyens. Mais si votre direction vous impose d’écrire trois articles par jour, vous n’aurez pas le temps de faire du bon journalisme… Les patrons de presse créent des sites internet sanas leur allouer de moyens suffisants. L’enquête arrivera sur internet. Mais tant qu’ils vivotent, qu’ils n’ont pas les moyens d’exister de manière indépendante et uniquement de leur production journalistique, c’est cause perdue !» Car pour ne rien arranger, le journalisme sur internet n’a toujours pas trouvé de modèle économique viable. Quelques pureplayers dont Rue89 se développent sur des activités annexes (comme la presse professionnelle : formation, séminaires, etc),

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d’autres comme Owni.fr sont financés des sociétés de services (22 Mars) ou encore comptent sur un public suffisamment motivé pour souscrire à un abonnement (Mediapart, Arrêt sur Images) ou financer directement l’information via le crowdsourcing (J’aime l’info).

Mais cela ne nous dit rien de la capacité à équilibrer les comptes des sites de quotidien (Figaro.fr, Monde.fr, Lexpress.fr, etc..) qui ont fait le choix de se spécialiser dans la réécriture de dépêches (mélangé avec du recyclage du print et une partie de production propre) afin de garder la noble matière journalistique pour leurs éditions papier. Seuls quelques sites parviennent aujourd’hui à être rentables et financièrement indépendants. C’est le cas du Huffington Post ou de News24.com qui ont profité de la crise pour innover. Les rédactions du Los Angeles Times, du New York Times, du Guardian ou de la BBC se sont également dotés d’un service de recherche et développement. Le Financial Times a récemment mis au point son propre kiosque numérique afin de ne pas être dépendant des intermédiaires (Google, Apple, etc...) et ainsi ne pas perdre l’accès direct à son lecteur. Contrairement aux sites français qui lanceraient leur version Iphone ou Ipad aujourd’hui, qui seraient soumis au «NewsStand» d’Apple qui ponctionne 39% du prix de l’application, en plus des 19,6% prélevés par l’Etat…

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Comment être rentable après coup ? La stratégie éditoriale –produire massivement à moindre coût- est également en partie responsable. Alors qu’internet se veut lieu d’expérimentation et de liberté d’expression, le web journalisme produit trop souvent une information standardisée à l’heure de l’instantanéité. Il suffit de regarder les derniers articles indexés par Google Actualités pour

s’apercevoir qu’ils émanent

plutôt d’agences de presse que des journalistes affiliés aux sites en question.

En suivant ce raisonnement, une partie de l’offre actuelle pourrait être produite par des algorithmes et des journalistes-robots. Si bien que les fermes de contenu (Demand Media) qui écrivent en fonction d’algorithmes déterminant ce que le lecteur recherche et ce qui génèrera de la publicité, ou les journalistes-robots (Stats Monkey) qui écrivent des articles en moins de trois secondes, ne sont aujourd’hui malheureusement plus de la simple science-fiction.

Nés il y a un peu plus de dix ans, personne ne sait vraiment ce qu’est le web journalisme. Ce qui est valable aujourd’hui ne le sera peut-être plus demain, le journalisme internet décante, évolue pour s’affirmer à court ou moyen-terme dans sa quête d’identité. L’optimisme reste donc de mise. «Les nouveaux médias qui mettent beaucoup plus l’accent sur l’investigation, l’émergence de nouveaux formats éditoriaux, toutes ces raisons me poussent à un certain optimisme. Internet est en train de réinventer le journalisme avec le web-documentaire, le data-journalisme, etc… » plaide Erwann Gaucher, journaliste-consultant qui effectue ponctuellement des formations pour 22 Mars, la société éditrice de l’innovant Owni.fr.

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Partie II : L’influence de la précarisation sur la qualité de l’information

A)

L’information est de moins bonne qualité…

Collecter, puis sourcer et vérifier l’information, avant de la situer dans un contexte et la hiérarchiser pour s’en faire le vecteur et le porter à la connaissance du public: telle pourrait être la définition du journalisme. A quelques variations près, elle ne devrait souffrir d’aucune contestation possible. Ce qui n’est pas le cas de la «qualité du journalisme», une notion beaucoup plus subjective. Interrogés, les définitions de professionnels des médias divergent: Pour le journaliste de France 3 Lorraine Jean-Christophe Dupuis-Rémond, «c’est comme le communisme : un idéal absolu qu’il faudrait atteindre, en répondant aux attentes de son public avec une information vérifiée et obtenue si possible de visu.» Gilles Bruno, directeur de la publication de L’Observatoire des Médias juge plutôt sur le résultat final: «Un journalisme de qualité se distingue avant tout dans le style, s’il a une plume intéressante, s’il possède cette verve de l’écrit, etc…» L’enquêteur Laurent Léger est lui plus catégorique. «Le journalisme, c’est d’abord de l’enquête ! Ce n’est pas en faisant du journalisme mou ou du publi-reportage que la presse parviendra à reconquérir son lectorat… Mais être dans le contre-pouvoir et non dans le compte-rendu, cela demande du courage, du temps et des moyens…» Suivant le principe que la qualité proposée est fonction de la qualité de la source, le sociologue des médias Eric Maigret tient à préciser que «95% des informations qui arrivent aux journalistes ne résultent pas forcément d’un travail d’enquête. Un journalisme de qualité, ce n’est pas empiriquement de l’investigation !» Thierry Deransart, directeur adjoint du Figaro Magazine, acquiesce. «C’est un tout : il n’y a pas de matières plus ou moins nobles que d’autres dans le journalisme. Un

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journaliste fait du travail de qualité à partir du moment où il le fait honnêtement, sans idée préconçues ni en avançant avec des œillères.» «Tout à fait» reprend le diplômé de l’IFP en histoire des médias Jean-Christophe Féraud, «mais ça dépend tout de même du temps, des moyens à disposition du journaliste et de son talent. Ce que je sais, c’est ce qu’est un mauvais journalisme par contre: un journalisme de sondages, réalisé en fonction de l’offre et de la demande. Je provoque volontairement mais le lecteur est con, il faut dépasser ses attentes et le surprendre constamment!» «Et à partir du moment où le journaliste met le pied dehors ! Chose rendue difficile quand vous devez rendre deux à trois papiers par jours» renchérit Jean Abbiateci, membre du collectif de pigistes Objectif Plume. «Il n’y a pas besoin de scoops, le journalisme de qualité nécessite avant tout du temps pour se documenter, comprendre les enjeux et des moyens pour pouvoir aller sur le terrain vérifier les informations» ajoute t-il.

a.

Une information simplifiée à outrance…

Héraut de la liberté d’expression et garant de la démocratie, le rôle du journaliste est de plus en plus remis en question. Tout comme les médias font l’objet de vives contestations. Au-delà de la perte d’une partie du lectorat, un climat de méfiance et de défiance s’est installé sur la profession. «Le public sait que les journalistes ont un meilleur accès aux données, qu’ils sont capables d’identifier les tenants et les aboutissants d’un fait. C’est légitime qu’il veuille lui aussi accéder aux informations les plus pertinentes» perçoit Jean-Christophe Dupuis-Rémond, journaliste de terrain dans une locale de France 3. Le peu de lecteurs restants, excédés par les différents fiascos médiatiques (dernièrement, l’affaire Outreau, ou à une moindre mesure «l’omerta» touchant DSK) est devenu exigeant avec le contenu des journaux payants. Pas encore suffisamment, selon l’enquêteur du Washington Post à l’origine des révélations sur le scandale du Watergate, Bob Woodward, qui confiait dans un récent entretien au Monde Magazine que «les gens ont l’impression d’être bien informés alors qu’ils reçoivent une information dénuée de tout contexte et de signification […] Il y a

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beaucoup de vent et peu d’informations de valeurs. Le système médiatique est obsédé par la vitesse, l’obligation de répondre à une pseudo-impatience du public.» A un tel point selon lui, que les journalistes en sont venus à présupposer les envies des lecteurs, pour en finir par occulter la complexité du réel et les sujets de fonds. Exagération du fait divers et de l’émotion, sensationnalisme, présentation politicienne de toutes problématiques politiques, transformation de toute question économique en discours savant, seraient dorénavant les traditionnelles formes de traitement journalistique. Une concurrence médiatique effrénée qui conduit à l’oubli de la notion de pluralisme, une prise de risques minimum et une information banale ; des unes plus racoleuses que jamais ; la vie privée vendue comme une information… «C’est également en partie la faute de la technologie» veut croire Jean-Christophe Féraud: «Internet a changé la donne, il y a plus de bruit, plus de redondance, une répétition de l’information AFP…» déplore t-il. Son collègue Gérard Davet, enquêteur du Monde abonde en ce sens : «ce ne sont pas les mêmes méthodes de travail : au monde.fr ils ne vont même pas déjeuner avec leurs contacts ! Eux ce qu’ils font c’est du journalisme de flux, ils n’ont jamais le temps et il leur manque des moyens… » S’il ne faut pas en tirer de généralités et reconnaître que des médias comme France Culture, LCP ou Slate parviennent à prendre le contre-pied des exigences de l’immédiateté, les tendances observées n’aident pas à rester optimistes. Non pas que les médias considèrent leurs publics comme des masses ignorantes… Mais gommer la complexité du monde présenterait l’avantage de s’adapter à un public moins disponible, qui réclame des explications rapides pour ne pas louper son programme de divertissement… D’où des réponses simples et peu nuancées que le journaliste doit lui apporter, d’où la prédominance de la vulgarisation et du storytelling, d’où la nécessité de formats courts et synthétiques, d’où la généralisation de «l’écriture web», etc… Une logique de pensée qui effraie l’ancien directeur du Monde Diplomatique et père de Media Watch Global (ainsi que d’ATTAC) Ignacio Ramonet, qui déplore que «le journalisme

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de spéculation, de divertissement et de spectacle triomphent au détriment de l’exigence de qualité.» Les journalistes ont un devoir envers les citoyens, une responsabilité sociale qu’ils assument de moins en moins. Mais est-ce

Les drôles de pratiques de

encore réellement de leur faute ? Le pouvoir

Bernard Arnault :

dont dispose les journalistes n’est pas si énorme, ils ont été dépossédés par les entreprises de presse de leur pouvoir d’informer. Passés

sous

le

contrôle

de

groupes

industriels inféodés à quelques puissants qui continuent à leur acheter de la publicité, le journaliste –précaire ou non- ne doit pas assumer l’entière responsabilité des dérives du métier (connivence, quête du profit, perte de qualité). La dramatisation des faits est mise en scène pour faire monter l’audience. Un

phénomène

que

le

journaliste

ne

contrôle pas, mais qui résulte plutôt d’une volonté préalable des groupes de médias.

b.



réduite

au

rang

de

marchandise L’apathie des médias –trop occupés à se

Propriétaire  de  La  Tribune  vendu  un  euro  symbolique  pour  s’emparer  de  l’autre  quotidien  économique  Les  Echos  en  2007,  la  quatrième  fortune  mondiale,  patron  et  actionnaire  majoritaire du  groupe  LVMH  Bernard  Arnault  est  également  patron  de  presse.   Egalement  administrateur  depuis  bientôt  dix  ans  du  groupe  Lagardère  (Le  Journal  du  Dimanche,  Paris  Match, Elle), il contrôle une partie de  la  presse  française…  via  le  marché  publicitaire. Selon le Canard Enchaîné  du  27  avril  dernier,  le  patron  et  actionnaire  majoritaire  de  LVMH  a  fourni  «près  de  8%  des  recettes  publicitaires  de  la  presse  féminine  et  plus  de  10%  de  celles  du  groupe  Figaro.»  «J’ai  préféré  quitter  ce  journalisme  d’entreprise  et  institutionnel, pour  gagner  800  euros  de moins mais retrouver une grille de  lecture  plus  critique,  plus  journalistique»  témoigne  Jean‐ Christophe  Féraud,  transfuge  des  Echos aujourd’hui à Libération. 

sortir du gouffre financier- est source de nombreuses dérives, de l’information non vérifiée à la course au scoop, en passant par le panurgisme et l’autocensure, sans oublier la logique de remplissage, la négation de toute réflexion et la baisse de l’éthique professionnelle…

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«La dégradation de la qualité de l’information a débuté depuis quinze à vingt ans» estime le sociologue des médias Eric Maigret, qui avance pour preuve qu’il n’y a «jamais eu autant de médias ni de journalistes, mais paradoxalement moins d’images et de points de vues.» La naissance de l’information en continu conjuguée à la mondialisation de l’information, s’est faite parallèlement à la concentration et la fusion des groupes de médias. «L’information est aujourd’hui moutonnière, car centralisée : les acteurs sont de moins en moins nombreux. Seuls quelques agences de presse abreuvent la presse, le web, la radio et la télévision et parviennent à établir les discussions du jour» déplore t-il. L’appauvrissement du contenu médiatique est en grande partie dû à la prédominance du rôle de l’AFP ou Reuters, rôle que les lecteurs (ou téléspectateurs) ignorent bien souvent. «Il y a quinze ans, le journaliste était en position de narration. Aujourd’hui, il fait de la synthèse» résume Patrick de Saint-Exupéry, ancien grand reporter du Figaro, lauréat du Prix Albert Londres en 1991, fondateur et directeur éditorial de la revue XXI. Le journaliste aurait perdu la maîtrise de l’agenda de l’information.

La pression économique ainsi que la marchandisation de l’information ont fait perdre du sens au journalisme, en poussant les médias à se concentrer uniquement sur l’audimat. «Avant, la presse n’était pas un métier comme les autres. Mais les mauvaises pratiques de l’entreprise (rationalisation, précarisation) l’ont gangrené jusqu’à ce qu’elle le devienne à part entière» analyse Jean-Christophe Féraud, ancien chef du service Médias-Tech des Echos et désormais responsable de la rubrique Eco-Terre de Libération. «Le vocable du marketing a contaminé notre profession: nous ne fabriquons plus une œuvre culturelle mais nous vendons un produit ; on ne parle plus de titre mais de marque ; les termes acheter, cibler, marché, rentabiliser, prise de risque ont envahi notre quotidien de journaliste…»

«Les journaux sont des entreprises comme des autres, et elles doivent être en bonne santé pour être de qualité ! Si un journal veut pouvoir faire face aux pressions et ne pas être dépendant des annonceurs, il doit être sain économiquement. Ce qui n’empêche pas de faire correctement notre métier» lui rétorque l’ancien journaliste de Valeurs Actuelles et aujourd’hui Directeur adjoint du Figaro Magazine.

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Une mutation non sans conséquences sur le Le contre-exemple du Monde : économies et enquête.

contenu éditorial: le journalisme est devenu une

Au  Monde,  l’ancien  bras  droit  du  nouveau  propriétaire  Xavier  Niel,  Michael  Boukobza,  a  été  chargé  d’engager  un  plan  d’économies  drastique.  Les  coupes  budgétaires  se  multiplient.  Mais  parallèlement,  Erik  Israelewicz  a  pris  la  tête  de  la  rédaction.  Avec  sa  promesse  de  rebâtir une cellule d’enquête.  

et de rendement envers chaque journaliste

Et  ce  pour  le  plus  grand  plaisir  de  Gérard  Davet,  enquêteur  au  Monde  sous  Plenel  avant  de  devenir  grand  reporter  face  au  faible  soutien  témoigné  par  les  précédentes  directions :  «il  a  dit  qu’il  voulait  remettre l’enquête au cœur du journal,  et  il  a  assumés  ses  dires !  Des  fonds  ont  été  débloqués  pour  les  recrutements  de  Fabrice  Lhomme  et  Emeline Cazi, et c’est tant mieux !» Les  premières  embauches  depuis  six  ans,  comme  un  symbole,  viennent  donc  renforcer  le  service  de  Raphaëlle  Bacqué  et  Gérard  Davet. Un  cinquième  élément  pourrait  même  être recruté avant que l’équipe ne soit  définitivement  au  complet  et  déterminée.    «C’est  très  bien  que  Le  Monde  recrée  une  cellule  d’enquête,  il  faut  maintenant  la  doter  de  moyens  suffisants  pour  qu’elle  puisse  travailler»  lâche  Laurent  Léger.   «J’attends  de  voir  ce  que  ça donner  mais  je  suis  confiant:  Mediapart  a  réinstallé  un  regain  de  l’investigation… »  estime  pour  sa  part  Jean‐Christophe Féraud. 

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industrie mécanisée. L’exigence de productivité

conjuguée au refus de prendre des risques de moins en moins couverts par les assurances ont conduit les médias à rentrer dans une logique commerciale, privilégiant les sujets qui font vendre

au

journalisme

dangereux

(grand

reportage, enquête au long-cours) et donc au journalisme de qualité… Le journaliste d’enquête Laurent Léger a conscience que l’indépendance des journaux n’est plus qu’une illustre utopie. Cela ne l’empêche pas de dénoncer «le manque de volonté des médias. Ils ne font plus d’enquête pour des raisons de relationnel, les patrons de presse fréquentent les soirées mondaines et ont des amis qu’ils ne souhaitent pas froisser… Ils n’ont pas envie –et c’est compréhensible- de se mettre à dos des personnalités politiques ou des chefs d’entreprises avec qui ils dîneront demain soir chez un procureur… » Gérard Davet, son homologue qui a traité l’ensemble de l’affaire Woerth-Bettencourt pour le quotidien du soir Le Monde, en convient. «Ici, nous avons toujours eu les moyens de faire du bon journalisme. Mais pas toujours le désir. Quand Edwy Plenel est parti, une volonté de faire du journalisme d’enquête s’est volatilisée… Nous avions pourtant les moyens, ni aucune

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contrainte de temps ! J’ai continué dans mon coin sans le soutien de ma direction, avant de finir par craquer et faire du grand reportage» Selon lui, Libération comme Le Parisien ou Le Figaro auraient également de quoi financer quelques enquêtes. La question des moyens est primordiale, puisqu’elle nécessite un investissement humain en détachant sur une longue période un journaliste mensualisé, pour un sujet qui plus est pas certain d’aboutir. Les frais sont également importants puisque ce journaliste doit nourrir son réseau de sources s’il veut bénéficier d’informations encore non révélées. Sans compter que le journalisme d’investigation est également à l’origine de diverses pressions, notamment des séries de procès. Qui coûtent également de l’argent. «Bien entendu que la disparition de l’enquête est également du à un manque de moyens, que la crise de la presse n’arrange rien. Mais si les journaux n’appartenaient pas à des industriels vivant des commandes de l’Etat, ils seraient un peu plus dans le contre-pouvoir. Car les patrons de presse ont les moyens, il leur manque simplement de la volonté» conclue Laurent Léger. Inféodés aux pouvoirs politiques et économiques (aides publiques, publicité, annonces légales, etc…) la presse –et pas seulement nationale- ne court plus après sa liberté éditoriale. «C’est clair que XXI ne présente pas le même contenu que les journaux d’aujourd’hui, mais nous sommes sur des schémas complètement différents [N.D.L.R. trimestriel sans publicité, fonctionnant avec de nombreux collaborateurs pigistes ou écrivains- et trois journalistes salariés]. L’idée

de notre revue était

d’éviter de tomber dans les écueils de la presse française en retournant aux fondamentaux du journalisme. Nous ne sommes pas non plus dans une logique de flux, ce qui nous a permit de retrouver le sens du réel» témoigne Patrick de SaintExupéry, qui innove loin d’internet. Un modèle à contre-courant de l’actuelle course à l’audience et à l’immédiateté : le 6 juin 2011, TF1 et France 2 coupaient leurs programmes respectifs (habituellement pour des événements internationaux spéciaux, type 11 septembre 2001) pour retransmettre une audience technique de l’affaire DSK, longue de… quatre minutes ! Rien de concret à annoncer, mais une façon de concurrencer les chaînes d’infos en

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continu qui réalisent leurs meilleures audiences en commentant des heures et des heures une affaire mœurs et politique. Et ainsi de tomber dans les mêmes travers que leurs petites sœurs de la TNT. Une réactivité sur laquelle s’est également construit –et est décrié- le journalisme internet. Pour Eric Maigret, son gros défaut est d’avoir choisi «le modèle du flux permanent comme stratégie. Ce qui compte, c’est le scoop et le court-terme. Il y a alors un gain –la réactivité- et des pertes –moins de réflexion et plus de sensationnalisme-» Le numérique pour réinventer le journalisme, pourquoi pas, à condition de ne pas oublier les règles d’or du métier. Jean-Christophe Féraud, qui se décrit comme «journaliste gonzo attaché au parfum de l’encre imprimée mais se soignant sur Twitter et son blog», témoigne: «certains jeunes confrères –pas mauvais qui plus est- n’ont plus ce réflexe d’aller sur le terrain. Ils estiment pouvoir faire correctement leur métier, derrière l’écran. C’est dangereux, la réalité, ce n’est pas l’écran» Le danger pour le journalisme internet serait de céder totalement la valeur ajoutée du journaliste, contre la rapidité de son outil. Au risque de faire alors exclusivement du journalisme suiviste et de signer l’arrêt de mort du journalisme de compréhension. Malgré même le fait que la probabilité est plus grande pour que l’inédit (et donc l’audience, le clic) vienne d’une enquête ou d’un reportage plutôt que d’une dépêche bâtonnée sous la précipitation.

B)

… à cause de la précarisation du métier…

a. Le journaliste ne peut plus jouer son rôle… -

Influence déontologique :

De par le boom des écoles de journalisme et la concentration des médias, il y a de plus en plus de pigistes et de moins en moins de travail qui leur est destiné. Pourtant

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le pigiste –travailleur indépendant payé en fonction du nombre de sujets réalisés- ne doit pas se laisser envahir par le doute et rester conquérant. S’il n’est pas assez productif et n’a pas suffisamment «produit» ce mois-ci, son compte en banque s’en ressentira forcément. Une situation de dépendance financière qui peut lui faire fermer les yeux plus facilement sur le code de déontologie. De nombreux pigistes en arrivent donc à cumuler leur activité de pigiste avec d’autres petits boulots dits «contrats alimentaires, pour arrondir les fins de mois.» C’est le cas de Nadjet Cherigui, «je rentre tout juste d’un reportage à Bali, mais je suis déjà en train de réaliser quelques piges en communication avant même de faire le tour des rédactions et proposer de nouveaux sujets. Cette activité complémentaire m’assure un revenu régulier et me permet de prendre quelques risques financiers» argumente t-elle. Cette pigiste expérimentée est parvenue à installer un roulement régulier de piges (moins d’une quinzaine par an mais exclusivement des gros sujets, type enquêtes ou grands reportages), complété par des activités dans le milieu de la communication. «J’ai la tête plus sereine, je n’ai pas besoin d’écrire n’importe quoi pour payer les factures. C’est un vrai luxe puisque cela me permet de prendre le temps de fouiller des sujets qui demandent un lourd investissement.» Le syndicat national des journalistes tolère à peine. «Ce n’est pas dérangeant qu’ils aient deux activités parallèles : heureusement qu’un précaire puisse, s’il en a besoin, être journaliste et boucher, ou journaliste et enseignant, voire même journaliste et publicitaire ! Mais communicant, non, ça me gêne !» s’offusque Françoise Laigle, avant de pondérer «après, si c’est pour financer une activité de qualité… » Une vision qui peut paraître rétrograde sur des journalistes professionnels, freelances, qui le font plus dans le sens d’une information de qualité que dans un but pécunier. A 31 ans, Jean Abbiateci est également dans ce cas. «Les pigistes doivent jongler avec des prestations de formation, de communication pour réinvestir financer une information de qualité et indépendante. J’ai trouvé mon équilibre de pigiste comme cela et j’en suis très heureux, je ne me vois pas faire de la copie et remplir des colonnes confortablement installé en rédaction» explique t-il. «Je profite

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pleinement de mon statut, j’ai moins de contraintes et plus de libertés qu’en rédaction : grâce à mes fonds propres, j’ai pu enquêter en Afrique, en Chine et plusieurs fois à Haïti.» Chose qu’un journaliste titulaire fait de moins en moins, surtout à cet âge. «C’est évident qu’en tant que pigiste, on ne vit pas d’amour et d’eau fraîche» estime pour sa part, Jérémy Joly. «Il faut être clair là-dessus et l’assumer, mais à côté, il y a certaines limites à ne pas franchir.» Des barrières éthiques, qui rentrent dans le champ de la notion personnelle. Chaque pigiste respecte plus ou moins à sa façon le code de déontologie. Cela dépend de son éducation, de son mode de pensée, mais aussi et surtout de sa situation…. Quelqu'un qui n’arrivera pas à obtenir l’équivalent du SMIC sera plus facilement tenté par accepter n’importe quel sujet. Quand il n’aura pas lui-même réalisé une présélection: ses sujets doivent rentrer dans des cases et répondre à des critères de marché, régi par l’offre et la demande, pour espérer trouver preneur. Le journaliste précaire en manque d’argent perd de son autonomie et se soumet du fait de la vulnérabilité de son statut aux velléités de son supérieur direct -le rédacteur en chef- lui-même soumis aux exigences économiques de son média (audience, diffusion, etc…) Le contenu de l’information n’est alors plus un choix journalistique mais avant tout économique. Le fait que cela soit «ennuyeux» ou «n’intéresse pas les gens» peut suffire à évacuer une idée de sujet, et à occulter une partie du réel. Ainsi, le pigiste traitera plus facilement des conséquences –la montée du Front National chez les ouvriers- que des réelles causes, forcément plus complexes –la paupérisation des classes moyennes et défavorisées, les délocalisations, etc…- «Il fait alors un travail qui s’éloigne peu à peu du journalisme» analyse Jean-Christophe Féraud, «mais ce n’est pas la priorité : aujourd’hui, il doit d’abord bouffer…» Le sociologue Eric Maigret y voit la dépendance de plus en plus grande aux organisations et à l’économie : «un pigiste se remplace plus facilement qu’un journaliste en CDI, il sera ainsi plus sensible aux pressions de la rédaction.» Au mieux, le pigiste héritera du sujet sensible à l’angle bancal et mal défini, en espérant que sa fragilité favorisera l’autocensure. Au pire, il «gonflera» ses papiers pour mieux les vendre. Pour Jérémy Joly, il est évident que «l’angoisse du lendemain (N.D.L.R.

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savoir si son CDD et renouvelé ou si l’entreprise le rappellera) ne favorise pas la qualité du travail.» Perpétuellement en concurrence, le pigiste a besoin d’un minimum de revenus. Si bien qu’il ne peut pas toujours se permettre d’ignorer les suggestions de sa hiérarchie, sous peine de ne plus se voir proposer de collaborations. Ils sont ainsi obligés de faire les sujets imposés par la rédaction –comme des publireportagesvoire même à renchérir dessus en conférence de rédaction. Une obligation et non un choix, s’ils veulent rester pigistes et assurer leur propre survie dans ce métier. Se défendre passe alors devant le respect de la déontologie, le combat pour une information de qualité sera mené une autre fois, quand leur chèque sera tombé… - Influence sociologique Pour Thierry Deransart, il ne fait aucun doute qu’«un journaliste titularisé a plus de confort pour travailler», ne serait-ce parce qu’il est moins concerné par cette pression financière. Tandis qu’un pigiste subi aura plus de chances de tenir un raisonnement quantitatif, plutôt que qualitatif : «plus je fais de sujets, mieux je gagne ma vie ; plus je fais de faits divers, plus je gagne d’argent» résume Gilles Balbastre, ancien correspondant de France 2 dans le Nord et co-auteur de l’ouvrage «Journalistes précaires, Journalistes au quotidien» avec le sociologue Alain Accardo. Dans ce livre également, une pigiste témoigne de son dilemme : soit «tu acceptes de te couler dans un moule pour que ça fasse plaisir et que ça sorte, ou bien tu dis non, pas comme ça, au risque de ne jamais être publié…» Lorsqu’elle n’avait pas pré-vendu suffisamment de sujets, Leïla Minano de Youpress n’avait guère le choix que de sacrifier la qualité. «A Misrata en Libye, je n’avais même plus d’argent pour me payer un interprète. J’ai dû diminuer le temps consacré à chaque sujet –et donc la qualité- pour multiplier les collaborations et rentabiliser mon voyage. Pareillement à Haïti, j’ai dû faire dix-sept papiers en quinze jours… » confie t-elle. (Note: pour chaque destination, elle y ait retourné ensuite avec les fonds nécessaires, pour traiter des sujets magazines qui lui tenaient à cœur)

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D’autres, plutôt adeptes du journalisme fast-food, n’ont pas tous ces remords à l’aube de multiplier les articles et les collaborations. Au point de travailler avec plus d’une vingtaine de publications différentes par mois et –revers de la médaille- d’être amené à écrire sur le dernier buzz qui sévit sur internet… Un comportement difficilement condamnable puisqu’il s’explique par le désir légitime de s’assurer une assise pécuniaire, mais qui n’est pas de tendance à garantir la qualité de l’information. Quelque soit le support,

plusieurs sociologues ont remarqué l’allongement de

plusieurs années de la durée du sas d’entrée à la profession. Un moyen pour que seuls les meilleurs précaires résistent et puissent ainsi se faire une place dorée dans les rédactions. Seulement, les médiocres savent également durer et ce sont au final, ceux qui supportent le mieux la précarité, qui parviennent à rester.

b. … quand le système le précarise Le journaliste a besoin d’un minimum de temps pour faire correctement son métier, se documenter, fouiller dans les recoins et soigner son style d’écriture. Un temps qui lui est de moins en moins accordé, son rendement étant surveillé. Un temps, peu à peu mangé par la multitude de tâches qui lui sont demandées. Jean-Christophe Féraud regrette que «donner du temps au temps, un des principes du journalisme de qualité, ne se fasse quasiment plus : lorsque Florence Aubenas est partie six mois pour écrire le Quai de Ouistreham, elle a dû prendre un congé sabbatique du Nouvel Observateur… » confie t-il. «Moins de moyens et un statut bâtard –précaire- vont faire que le journaliste révèlera automatiquement moins d’informations. Dans le journalisme d’enquête, il faut alimenter un gros réseau de sources. Mais si on n’a ni l’argent de les inviter, ni de temps à leur consacrer, alors le travail sera automatiquement de moins bonne qualité… » estime Laurent Léger, de Charlie Hebdo. Car au-delà du salaire qui le contraint à empiler les sujets pour vivre correctement, le journaliste est également précaire dans ses conditions de travail: isolé, éloigné des

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sources d’information (abonnements aux agences de presse, accès aux archives, aux centres de documentation, etc.), le pigiste puisera ses idées avant tout dans son environnement proche et n’ira pas penser contre lui-même. Il n’a généralement pas le luxe de se laisser le temps de réfléchir trois jours à un sujet, qui pourrait finalement être refusé. Surtout qu’il doit également écrire son projet (synopsis) avant de chercher à le vendre, voire d’enquêter et de le réaliser, s’il est accepté… Dans une tendance générale à l’accélération, le pigiste ne dispose plus forcément du temps nécessaire pour mener un travail de qualité. Résultat: «A force de vouloir aller de plus en plus vite, on prend le risque de se tromper. Certains soirs quand je travaille à 22h, je vois que je suis plus enclin à faire une erreur» reconnaît Jérémy Joly, jeune journaliste de 24 ans officiant sur internet. Pour lui, «c’est en termes de réduction d’effectif et de budgets que la précarisation est la plus à même de nuire au travail du journaliste ! Elle entraîne des rythmes de travail nuisible à la qualité de l’information» déplore t-il. Le précaire doit faire corps avec le marché, soumettre son travail à la logique commerciale sans sourciller s’il espère percer un jour. Il peut difficilement suivre des dossiers à long-terme et mener une enquête fouillée: payé à la pièce, il sera dans la quasi-obligation de vendre ses informations au jour le jour plutôt que de travailler dix jours sur un même sujet. Quitte à faire des sujets superficiels –car rentables- alors qu’il avait la possibilité de mener une enquête approfondie. La situation n’est guère plus enviable à la télévision. Il y a encore une vingtaine d’années, les pigistes jouissaient encore d’une grande liberté et pouvaient réaliser des sujets d’enquête, de plus ou moins trois minutes. Depuis, tout est calibré à la dizaine de secondes près et un sujet de news –les reportages qui demandent une longue préparation de tournage sont de moins en moins plébiscités par les rédactions- ne doit pas excéder 1 minute 30. Les magazines des chaînes de télévision, auparavant réalisés en interne, ont désormais été externalisés. L’information est sous-traitée à des agences de production télévisuelle comme Capa ou Tony Comiti, qui fournissent aux diffuseurs des émissions clés en main. Là-bas, les journalistes –lorsqu’ils ne sont pas pigistes-

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n’ont guère plus de liberté puisqu’ils doivent se plier aux exigences du diffuseur et réaliser un sujet «vendable et diffusable». Surtout que leur avenir est lié au contrat reliant leur boîte de production et la chaîne de télévision, contrat renouvelé d’une saison à l’autre en fonction de la grille des programmes de la chaîne. Les précaires n’ont pas d’autres choix que d’accepter ces règles s’ils veulent toujours faire partie du système. A force, il arrive même que la pénible illusion d’appartenir au quatrième pouvoir, le prestige de la profession, les aident à encaisser leurs dures conditions d’exercice. Conséquence ? Elle vieillit les jeunes : cette possibilité offerte de côtoyer l’establishment devient un moyen de reconnaissance sociale et de gloire. Et une porte ouverte sur la connivence.

C) … entre autres raisons. Affirmer que la précarisation a une influence sur le rendu du travail des journalistes est un faux-procès, selon Patrick de Saint-Exupéry, le fondateur de XXI. «La précarité a toujours existé. Elle est peut-être plus importante aujourd’hui, mais vous ne pouvez pas lui imputer la baisse de la qualité de nos journaux !»

a.

Les médias ont une part de responsabilité…

L’appauvrissement de l’information résulterait d’un processus global. «Les journaux suppriment des postes et des bureaux de correspondants pour faire appel à des jeunes moins expérimentés, qui ne vont pas sur le terrain, et donc moins coûteux… C’est un fait» reconnaît le Directeur adjoint du Figaro Magazine, Thierry Deransart. «Mais la conséquence de la précarisation n’est pas la cause de la dégradation du journalisme ! Cette baisse de qualité résulte de la mauvaise santé économique de la presse» fait-il valoir. La

presse

est

étranglée

par

un

phénomène

de

cercle

vicieux:

fragile

économiquement, elle précarise les journalistes, leur alloue moins de temps et de moyens, diminue les grands reportages et enquêtes… L’information est alors moins

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qualitative, moins de lecteurs achètent les journaux, la pagination est réduite tout comme le nombre d’annonceurs diminue… Plus que la précarisation des journalistes en elle-même, c’est surtout les contraintes économiques des groupes de presse, l’accentuation de la pression judiciaire (menaces de procès et donc d’indemnités) et la proximité des pouvoirs politicoéconomiques qui serait responsable de la baisse de la qualité de l’information. Mais le journaliste précaire serait soi-disant plus exposé aux pressions. De sa direction, probablement, mais pas des annonceurs directement. «Les pressions se font rarement au niveau des journalistes, les publicitaires vont directement s’en prendre à la direction des titres de presse…» explique Thierry Deransart. Le journaliste précaire rencontrerait plus de difficultés à respecter la déontologie du métier qu’un journaliste titulaire. Au-delà de la question même du talent, la différence se fait surtout au niveau de l’éthique du média. Il arrive à certains titres de presse d’acheter une série de photos à une agence, puis de la «transformer en grand reportage» après avoir confié la tâche à un rédacteur parisien d’enrober ces clichés d’une belle histoire (storytelling)… Dans ce cas, la difficulté pour le pigiste résulte surtout du fait qu’il ne lui ait pas permis de refuser (sous peine de ne plus se faire rappeler), contrairement au salarié. «La baisse de qualité du journalisme n’est, selon moi, pas liée à la précarisation mais plutôt à un problème de staffing et d’organisation» avance Gilles Bruno. Même avis pour Gérard Davet, son confrère du Monde, qui l’applique notamment au journalisme d’enquête : «Toutes les rubriques ne font pas d’investigation. La majorité des journalistes sont spécialisés sur une niche et se contentent de suivre l’actualité, sans faire de vagues. A côté, il existe une cellule d’enquêtes, composés de journalistes généralistes capables de s’impliquer dans des sujets trans-services pour obtenir une valeur ajoutée en termes d’information.» Chose que ne peut pas faire le rubricard, faute de temps notamment et également pour ne pas froisser ses sources. Si la presse française consacre peu de place à l’enquête journalistique et donc notamment à un contenu à forte valeur ajoutée, ce n’est pas de la faute des

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journalistes précaires. D’ailleurs, c’est rarement le pigiste ou le CDD qui hérite de tels sujets mais plutôt les journalistes titulaires maisons. Non, si la qualité de nos journaux s’amenuise, c’est plutôt la faute aux médias – contaminés par la loi des grands groupes (Bouygues, Dassault, Lagardère)- que réellement aux précaires. «La presse obéit à une logique marketing, qui consiste à ne plus être dans l’offre mais de coller à la demande» analyse Jean-Christophe Féraud, qui voit dans ce phénomène la peur de porter la plume dans la plaie : «Les cellules d’investigations du Point ou de L’Express n’existent plus, ou alors elles font du magazine et non de l’enquête. Aujourd’hui, moins les journalistes grattent, mieux c’est… A Libération, il y a encore cette volonté d’enquêter mais il n’y a plus les moyens» se désole t-il. Des phénomènes bien éloignés de la condition statutaire du journaliste –pigiste ou salarié-. Le bruit occasionné par le journalisme sur internet favorise l’accès de la population à l’information, mais pas la qualité de celle-ci. Pour autant, est ce que le fait qu’internet soit le lieu d’une moindre qualité résulte du fait que les journalistes y travaillant soient précaires ? Non, ce n’est pas forcément lié. Le web-journaliste précaire ne fait pas du mauvais journalisme à cause de son CDD ou de son faible salaire. Par contre, il est précaire du fait qu’il n’existe pas de modèle économique viable. Pas assez d’argent pour l’engager en CDI ou de le payer plus de 3.000 euros par mois. Pas assez d’argent pour que sa direction l’autorise à réaliser des enquêtes durant une semaine. Non, elle le prie plutôt d’écrire deux à trois articles par jour. Un rythme et des conditions de travail précaires, qui ne favorisent en rien à la qualité de l’information. Mais une perte de qualité qui n’est pas lié au statut propre du journalisme. Lefigaro.fr avait été la risée d’internet après avoir recopié un communiqué (sic !) de Sony visiblement mal traduit. Celui-ci devait annoncer la sortie de la nouvelle console du fabricant nippon,

la NGP. Mais le journaliste chargé d’éditer la dépêche l’a

nommé la «Potaburuentateinmento», qui n’est autre que la prononciation japonaise de «Portable Entertainment» mais en aucun cas le nom de la nouvelle console. Sur cette malencontreuse erreur, le statut ou le salaire du journaliste importe peu. Mais

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s’il n’avait pas un fil actu à renouveler en continu et des dizaines de dépêches à bâtonner par heure, alors peut-être n’aurait-il pas commis cette erreur. Bob Woodward met en garde ses jeunes confrères: «Certains sites internet et télévisions câblées sont guidées par la vitesse et l’impatience. Moi je suis lent, je prends le temps. Si vous êtes pressés, vous ratez des choses importantes.» Mais ce ne sont pas forcément eux qui sont critiquables. Le web n’est pas un outil magique: les médias ont refusé d’investir dedans et ne devraient pas s’étonner aujourd’hui que ce support peu choyé est source d’un journalisme sans moyens et donc de moindre qualité. Car loin de se décourager, les web-journalistes ont appris à travailler sans le sou. Ils en ont profité pour laisser plus de place à la créativité, à l’inventivité.

b.

…tout comme les salariés non-précaires.

Les précaires subissent la conjoncture qui fait d’ailleurs que les médias embauchent au compte-goutte. Pour autant, leur exclusion du marché salarié n’est pas justifiée par un quelconque manque de talent, loin de là. Dans une presse de plus en plus dépendante et soumise, beaucoup voient le journaliste pigiste –indépendant par nature- comme le meilleur journaliste qui puisse exister. «Le fait de travailler hors système lui donne des marges de libertés que n’a pas le journaliste salarié. Il peut apporter un autre point de vue, se détacher de l’information moutonnière» argumente le sociologue des médias, Eric Maigret. S’il se finance sur ses fonds propres et trouve un acheteur –un éditeur?- le pigiste a cette capacité à éviter la dictature de l’évènement et réaliser un sujet hors de toute considération d’audience et/ou de diffusion. «Le pigiste est porté par un réel engagement journalistique. Malgré plus d’embûches, il produit une information toute aussi pertinente voire de meilleure qualité qu’un titulaire» avance pour sa part Jean Abbiateci, lui-même freelance. «Si j’étais rédacteur en chef, je me laisserai un important volet de pigistes. Ils sont ultramotivés, journalistes jusqu’au bout des ongles ; et pourtant ils sont aujourd’hui sousexploités, ils doivent réaliser des sous-sujets ou des articles conciliants» peste t-il.

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Il n’y a qu’à voir le blog de Jean Quatremer, correspondant de Libération à Bruxelles: «il lui sert d’exutoire à tout ce qu’il ne peut pas publier dans le journal, faute à une logique de flux et de suivi» continue de dénoncer le jeune pigiste. Car le titulaire n’est pas forcément «autant journaliste» que le pigiste: fétichistes de la carte de presse, accrochés à leur statut, de nombreux journalistes titulaires sont grassement payés sans avoir une activité débordante. «Beaucoup de journalistes ne travaillent plus, une fois confortablement installés. D’autres, n’aiment pas la responsabilité qui leur incombe sous motif que cela crée du stress…» raconte le journaliste d’investigation de Charlie Hebdo, Laurent Léger. «Que l’on ne s’étonne pas ensuite s’il n’y a pas d’enquête: cela demande un minimum de travail et de combat.» Dans une interview accordée au trimestriel Médias d’automne 2010, le journaliste et directeur des rédactions de L’Union, L’Est Eclair et l’Aisne Nouvelle, Jacques Tillier évoque un problème de culture… et de volonté : «Cela fait vingt ans que les journaux perdent des milliers de lecteurs. La faute à qui ? Certainement pas à internet, encore moins à la télévision […] A l’époque, l’investigation journalistique, c’était autre chose qu’aujourd’hui […] L’encre est à peine sèche que les PV sont déjà au Figaro lorsque ce sont les politiques qui balancent, ou sur certains sites Internet lorsque ce sont les magistrats qui les donnent…» Pierre Péan, qui est passé des médias à l’édition pour retrouver la liberté d’enquêter, ne voit dans les journalistes d’aujourd’hui que «des gestionnaires de fuite et des porte-paroles… Depuis 1990, les journalistes d’investigation […] sont à la remorque des sources policières, judiciaires mais aussi économiques et politiques, de tous les gens de pouvoir: plus facile, plus rapide et moins couteux. Ces journalistes se sont pliés à la nouvelle économie des journaux, qui privilégie le PV par fax plutôt qu’une enquête longue, coûteuse et risquée. Ils ne mènent pas leur propre enquête et à penser contre eux-mêmes. Dans ce cas, les journalistes ne sont plus des enquêteurs mais des outils: le système médiatique échappe au journaliste qui devient alors un instrument.»

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«Faire du journalisme à valeur ajoutée, ce n’est pas seulement une question de statuts, de moyens ou de carte de presse» explique Patrick de Saint-Exupéry, fondateur et directeur de la rédaction de la revue XXI, «c’est également une affaire d’état d’esprit, de curiosité, de volonté et de capacité» continue t-il. Pour David Bréger, pigiste au sein du collectif Youpress, «la précarité, le fait de dormir dans des campings sans eau ni moyen de communication, de devoir nous démerder perpétuellement, fait que nous sommes moins fermés d’esprit.» «Ce n’est pas parce que vous avez beaucoup de moyens que cela va être du bon journalisme ! Il y a un moment où le reporter doit sortir de son «trois étoiles» pour aller se frotter à la réalité du terrain… Pareillement, ce n’est pas parce que vous avez peu de moyens que cela va être mauvais» argumente l’ancien grand reporter du Figaro et lauréat du Prix Albert Londres en 1991. Et David Bréger de continuer : «Nous dormons souvent chez l’habitant ou en auberge de jeunesse… Là-bas, on s’enrichit des expatriés ou de connaissances locales qui nous donnent des idées de sujets et qui apportent directement à nos sujets» témoigne t-il.

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Conclusion Historiquement menacé par les difficultés économiques touchant le secteur ; soumis à la pression d’industriels-éditeurs imprimant la même logique gestionnaire qu’à l’ensemble de la sphère économique depuis les années 1990, effrayé par la révolution technologique à partir du début des années 2000…: le journalisme, les pratiques des journalistes et l’écosystème médiatique n’ont eu de cesse d’évoluer ces derniers temps. D’une culture du gâchis, les journalistes ont dû s’adapter aux mesures d’austérité. D’une «corporation journalistique» qui avait pour principe la transmission de savoirs intergénérationnels, les entrants dans la profession n’ont vu qu’une individualisation croissante. Suivant la tendance générale du marché de l’emploi, la précarisation s’est institutionnalisée au sein de la profession: après d’importants plans sociaux et une incapacité de recrutements, les droits des pigistes sont devenus des notions relatives aux yeux de leurs employeurs, qui multipliaient en parallèle le recours aux CDD et aux stagiaires. Non sans conséquences, reconnaît le Directeur adjoint de la rédaction du Figaro Magazine Thierry Deransart pour qui «la fragilisation économique des médias ne va évidemment pas dans le sens d’un journalisme de qualité.» La précarisation s’exerce en premier lieu -de façon primitive- sur les journalistes les plus vulnérables : c’est-à-dire, ceux étant déjà précaires (pigistes, CDD). Se souciant dès lors plus de leur compte en banque dans le rouge et de Pôle Emploi que des principes de déontologie, les journalistes précaires se sont vus déposséder de leur autonomie et de leur pouvoir de créer l’évènement. Constamment sous pression, usés d’un productivisme croissant pour nourrir une information-marchandise, réduits au rôle

de simples exécutants par une hiérarchie elle-même soumise aux

contraintes d’audience et de diffusion, certains journalistes pigistes perdent alors la flamme indispensable pour exerce ce métier. «Eux dégradent la qualité de l’information lorsqu’ils se soumettent trop facilement à leur rédacteur en chef, ne défendent pas un angle original et produisent finalement du déjà-vu» lance le journaliste freelance et lauréat 2007 de la fondation Lagardère, Jean Abbiateci.

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Mais la qualité d’un article ou d’un reportage ne dépend que faiblement du statut du journaliste l’ayant réalisé : les salariés –également soumis aux groupes de pressen’ont pas la garantie de produire un journalisme de qualité. Au contraire, les contingences de la production de l’information, la concurrence accrue ou les contraintes d’audience les poussent également à faire du suivisme. Les groupes de presse ont peu à peu imposé leur vision commerciale du journalisme, sans observer de sourcillements de la part des rédactions plus préoccupées par le sort de leurs journalistes. Résultat : une grande partie des journalistes –notamment sur le web- a été relégué le nez collé à son écran plutôt qu’à enquêter sur le terrain, officiellement faute de moyens et de temps à y consacrer. Faute de désir également –tant du média qui souhaiterait créer un gratte papier obéissant à la place de son salarié, que du journaliste lui-même dans certains cas-.

«Il n’y a pas de déterminisme simple ! Le lien entre précarisation et qualité de l’information n’est pas aussi évident que veut le faire croire la vision pour le moins marxiste d’Alain Accardo et de Gilles Balbastre, à savoir plus c’est précaire, moins c’est de qualité…» dénonce le sociologue des médias Eric Maigret. Pour le fondateur de la revue XXI Patrick de Saint-Exupéry, «le rôle du temps est déjà une donnée plus importante (N.D.L.R., que celle de la précarisation). Et il faut avoir les moyens de prendre le temps» laisse t-il entendre.

Au final, les stratégies des modèles économiques des médias –dont la précarisation n’est qu’une conséquence- cumulées aux difficultés actuelles de la presse ne garantissent pas un journalisme de qualité, fait valoir Jean Abbiateci : «le pigiste n’a pas forcément le temps nécessaire pour creuser un sujet car il doit vivre avant toute chose, mais le salarié titulaire –de par les objectifs du média qui l’emploie ou le confort de son statut- n’est guère dans une meilleure situation.»

Un jugement valable aujourd’hui mais qui n’appelle pas forcément à être vrai demain (il en irait de la survie de la presse) : l’univers des médias est en constante mutation. Déjà aujourd’hui, un vent nouveau semble souffler sur quelques rédactions. Se rendant compte que le bruit occasionné par leurs dépêches abruptes ne rapporte pas

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d’argent, que tout ce qui n’est pas unique ne vaut rien dans un système marchand, certains médias commencent à se poser des questions. Autant ils continuent à faire des économies et à réduire le train de vie –parfois déréglé- des rédactions, autant ils envisagent de revenir à un journalisme coûteux mais de qualité. La seule façon de produire une information à forte valeur ajoutée, et donc «monétisable». Reste alors à trouver un public disposé à payer, un moyen de diffusion adapté, etc… Une fois n’est pas coutume, tout reste encore à inventer ! Les médias devraient s’inspirer de la capacité de remise en cause d’un bon journaliste. «La période est favorable à ne pas être suiviste» s’exclame Leïla Minano du collectif Youpress. «Dès que tu fais un article un peu original et qui change du conformisme habituel, tu fais parler de toi» renchérit Jean-Christophe Féraud, ancien des Echos et désormais rédacteur en chef adjoint de Libération. «Les initiatives comme XXI, Causette ou Mediapart doivent pousser les médias à se remettre en cause. Et c’est à nous pigistes de retrouver les fondamentaux du journalisme et d’être disponibles, là où eux ne le sont pas» lance déjà Leïla Minano. Le site Mediapart d’Edwy Plenel -au-delà de l’interprétation douteuse réservé à certaines révélations-

a prouvé qu’il y avait une place pour un journalisme

d’enquête, indépendant et participatif, sur internet. Le sociologue des médias Eric Maigret souhaite également rester optimiste. «Il y a une vraie attente de la part du public, des journalistes eux-mêmes à se libérer. Cela va bouger, j’en suis convaincu» confie t-il. La dégradation des conditions de travail et la réduction du nombre des journalistes n’est pas saine pour la démocratie. Surtout que dans le même temps, la communication étatique et économique ne cesse de gagner du terrain sur l’information : le monde se complexifie de jour en jour. Il y a un besoin de retrouver une part de la réalité occultée, d’aller fouiller dans les coulisses, de faire son métier de journaliste tout simplement : «Il y a encore quelques années, les journalistes ne savaient pas bousculer les gouvernements. Aujourd’hui -avec l’actuel pouvoir qui monte qu’il n’aime pas trop ça- j’ai l’impression que ça suscite des vocations…» veut croire Gérard Davet, du Monde.

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La presse est aujourd’hui dos au mur. Si elle veut retrouver la confiance des lecteurs, elle doit casser avec cette logique de conformisme et de suivisme ; elle doit cultiver sa différence et donner le temps et les moyens nécessaires à ses reporters d’aller sur le terrain ; elle doit sortir de son dogmatisme et oser faire le pari du contenu de l’information.

En maintenant son degré d’exigence, en redécouvrant un récit au long-cours peutêtre moins littéraire et plus informatif, le journalisme de qualité a un boulevard devant lui : après s’être copiés les uns les autres dans leurs économies d’échelle, il serait de bon augure que les groupes de presse s’imitent désormais dans leur goût pour l’innovation et la prise de risque.

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Annexes

REMERCIEMENTS. Je tiens à remercier l’ensemble des intervenants de ce mémoire. Alors qu’ils n’avaient aucune obligation d’y participer, chacun –pigiste, titulaire, responsable, syndicaliste, consultant ou sociologue- a accepté de me donner de son temps, de m’aider à rendre ce mémoire le plus complet et précis possible. Ils ont su m’apporter témoignage de terrain et réflexion théorique, souvenirs historiques et analyses prospectives. Merci tout particulièrement à Jean-Christophe Féraud -le tuteur de ce mémoire- qui a su m’aiguiller et me faire partager, à travers ses doutes et espoirs, son engagement de journaliste. Merci également à Patrick de Saint-Exupéry (et Léna Mauger), Laurent Léger mais aussi Thierry Deransart et Gérard Davet de m’avoir ouvert les portes de XXI, de Charlie Hebdo, du Figaro Magazine et du Monde, malgré leur emplois du temps surchargés. Merci pour finir à l’ensemble de l’équipe de l’ISCPA Paris, dont Mireille Pallarès, Michel Baldi et Aurore Devundara, merci à Paula Capra pour ses cours de sociologie des médias et les conseils qu’elle a pu nous distiller pour ce mémoire.

BIBLIOGRAPHIE :

ACCARDO Alain (avec Georges Abou, Gilles Balbastre, Annick Puerto et Christophe Dabitch, 2007 : Journalistes précaires, journalistes au quotidien. Agone, 893 pages. HALIMI Serge, 2005 : Les nouveaux chiens de garde. Raisons d’agir, 111 pages. RUFFIN François, 2003 : Les petits soldats du journalisme. Les Arènes, 273 pages. CHAMPAGNE Patrick (avec Dominique Marchetti) : Le journalisme et l'économie, in Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 2000. LAPOIX Sylvain : «Presse en ligne, un même souci de l’information» in Le Journaliste (SNJ), octobre 2010. LAIGLE Françoise : «Presse magazine, multimédia ou multidévalorisation» in Le Journaliste (SNJ), octobre 2010. DUVERGER Emmanuelle (avec Robert Ménard) : «Pierre Péan dénonce… le journalisme d’investigation », in Revue Médias n°26, automne 2010. NEBOUT Elise (avec Robert Ménard) : «Quand Mesrine voulait me tuer… Interview de Jacques Tillier», in Revue Médias n°26, automne 2010 COJEAN Annick: « Du Watergate à Wikileaks : leçon de journalisme avec Bob Woodward », in Le Monde Magazine, 2 avril 2011 SANTOLARIA Nicolas: « La Ligue des Pigistes extraordinaires » in Technikart, février 2011. BALBASTRE Gilles, 1998. «Journalistes précaires, information précarisée» in Acrimed, http://www.acrimed.org/article101.html BALBASTRE Gilles, 1998. «La précarité des journalistes les pousse à négliger leur travail d’enquête», in Périphéries, http://www.peripheries.net/article268.html MARQUIS Eric (avec Marie-Agnès COMBESQUE), 1996. «Précarité des journalistes, l’information minée» in Acrimed, http://www.acrimed.org/article97.html

Sources :

De visu: • • • • • • • • •

Jean Abbiateci (dans un café, à Rennes) Gilles Bruno (par deux fois, café puis restaurant à Paris) Thierry Deransart (au siège du Figaro Magazine + par téléphone) Françoise Laigle (au siège du SNJ) Gérard Davet (au siège du Monde) Amélie Cano, Leïla Minano, David Breger, Juliette Robert (chez Youpress) Patrick de Saint-Exupéry (dans les bureaux de XXI) Laurent Léger (dans les bureaux de Charlie Hebdo) Jean-Christophe Féraud (dans un café à Paris + par téléphone)

Par téléphone: • •

Jean-Christophe Dupuis-Rémond (environ 50 minutes) Eric Maigret (environ 25 minutes)

Par mail : • • •

Jérémy Joly (contact Twitter puis questionnaire par mail), Nadjet Cherigui (en reportage à l’étranger, par mail) Erwann Gaucher (contact Twitter puis plusieurs échanges de mails)

Contact non aboutis: •

Laurent Valdiguié (Le JDD, fondateur du collectif d’investigation Victor Noir): Plusieurs échanges téléphoniques et SMS, mais incompatibilité d’emploi du temps.



Erick Neveu (Sociologie du Journalisme, La Découverte, 2001, 2004, 2009): Sollicité de toute part, il se consacre aux étudiants de son master (IEP Rennes).

Contacts restés sans réponses: •

Gilles Balbastre: plusieurs messages téléphoniques



Johan Hufnagel (co-fondateur et Rédacteur en chef de Slate France): par transfert de mail, via V.Glad.



David Servenay (responsable des enquêtes d’Owni.fr) : par mail et message téléphonique.



Sylvain Lapoix (Journaliste à Owni.fr et fondateur DJIIN) : mail et relances.



Guillaume Dasquié (journaliste pigiste pour Capa, Le Monde, France Info, Libération avant de rejoindre Owni.fr) : mail et formulaire de blog.



Loïc Rechi (journaliste pigiste pour Slate, Owni) : via son formulaire de blog



Jean-Marie Charon (sociologue des médias) par Twitter



Philippe Couve (L’Atelier des médias, RFI) : par Linkedin.



Arnaud Aubron (co-fondateur de Rue89, Rédacteur en chef Lesinrocks.com): par Linkedin.



Eric Sherer (consultant médias): par Linkedin.

Non contactés (avec regrets): •

Serge Halimi (Le Monde Diplomatique, Les nouveaux chiens de garde)



Michael Boukobza (chargé d’un audit sur la gestion du «Monde»)



Laurent Mauriac (ex-DG de Rue89, fondateur de J’aime l’info),



Maurice Botbol (La Lettre A, président du SPIIL),



François Bonnet (Directeur éditorial de Mediapart),



Robert Castel (sociologue du travail)

Jean Abbiateci, journaliste indépendant, membre du collectif de pigistes Objectif Plume. Qu’est ce que du journalisme de qualité ? Comment le définir ? Le journalisme de qualité nécessite du temps afin de se documenter, pouvoir aller sur le terrain, comprendre les enjeux, vérifier l’information… Il n’y a pas besoin de scoops, tant que le travail est bien fait. Mais ce n’est plus du journalisme de qualité à partir du moment où le journaliste ne met plus le pied dehors. Et malheureusement, quand vous devez rendre deux ou trois papiers par jour, c’est difficile. Est-ce un choix de ta part d’être pigiste ? Oui, c’est un choix. Tous les pigistes ne sont pas précaires, et au contraire, certains salariés le sont. Il faut différencier la précarité du statut de la précarisation financière. Il faut bien séparer pigiste subi et choisi : Il y a un mythe de la précarité, entretenu par les premiers qui subissent leur situation. Une partie des pigistes indépendants sont très satisfaits de leur statut. Il est loin le temps d’une rédaction mensualisée et des pigistes permanent ? Aujourd’hui, on passe finalement plus de temps à imaginer et vendre un sujet qu’à le réaliser ? La vie de pigiste n’est pas toujours le rush que l’on dépeint. Il s’organise, a un rythme avec des contrats « alimentaire » afin de subvenir à ses besoins et des projets professionnels qui le comblent journalistiquement parlant. C’est la routine. De façon pragmatique, le pigiste est plus agile qu’un journaliste titulaire : il doit rechercher, diffuser, produire, vendre, etc… Pour moi, il y a deux types de journalistes : ceux qui font de la presse chiante confortablement installé en presse spécialisée ; et les pigistes qui doivent jongler avec des prestations de formation, de communication pour financer une information de qualité et indépendante. Au final, ce sont les pigistes qui possèdent le meilleur book ! Pour ma part, je ne me vois pas faire de la copie et remplir des colonnes ! J’ai trouvé mon équilibre de pigiste, et je profite pleinement de mon statut : j’ai moins de contraintes et plus de liberté qu’en rédaction. L’éthique et la déontologie du journaliste rentrent-ils encore en compte quand il s’agit de vivre et de subvenir à ses besoins ? Un travail de qualité demande plus d’efforts à un pigiste qu’à un titulaire : il doit produire mais aussi vendre et diffuser son travail quand le salarié n’a qu’à produire. Porté par un réel engagement journalistique, il produit de l’information toute aussi pertinente voire de meilleure qualité que le titulaire… en plus de temps ! Si j’étais Rédacteur en chef, je me laisserai un important volet de pigistes, qui sont force de proposition, motivé et journaliste jusqu’au bout des ongles ! Pourtant, ils sont la plupart du temps sous-exploités et malgré leur expertise, ils doivent réaliser des sous-sujets, du déjà-vu ou des articles conciliants. Le blog du correspondant de Libération à Bruxelles, Jean Quatremer, lui sert d’exutoire à tout ce qu’il ne peut pas publier en pleine page dans son journal à cause de la logique moutonnière, de flux et de suivi de son média.

Après, il existe de mauvais pigistes qui se soucient peu de la déontologie. C’est évident. Il y a une réalité : le modèle économique –information gratuite financée par la publicitén’encourage pas la qualité de l’information. Un journaliste doit mettre le pied dehors pour enquêter, c’est le minimum… Or le web fait plus dud journalisme de rédaction que du journalisme de questionnement ou d’analyse ! Et en plus, ils précarisent le métier en payant une misère… leurs salariés comme les pigistes ! Voyez-vous un lien entre la précarisation et la dégradation de la qualité de l’information ? Le pigiste -et donc la précarisation au sens large- dégradent l’information en se soumettant au RC, en ne défendant pas un angle original et en produisant finalement du suivisme et du déjà-vu. Mais sinon, ce sont les groupes de médias qui à force de moutonnisme, dégradent la qualité de l’information ! La faute aux contingences de la production de l’information, aux contraintes comme le temps… Les modèles économiques et leurs stratégies ne garantissent pas un journalisme de qualité : le pigiste n’a pas forcément beaucoup de temps pour creuser un sujet car il doit vivre et produire parfois en masse, mais le salarié titulaire non plus de par les objectifs du média dans lequel il travaille. Je suis persuadé que c’est plus la précarisation des médias (temps, moyens) qui dégradent la qualité de l’information que la précarisation des journalistes (pigistes, bas-salaires…) qui n’est qu’une conséquence.

Nadjet Cherigui, journaliste freelance ayant adopté un modèle de journalisme de valeur ajoutée. Avez-vous choisi d’être pigiste, ou subissez-vous votre situation ? Etre pigiste, pour moi c’est un choix ! J’ai été salariée dans des rédactions auparavant, et j’ai fait le choix du travail en free lance en 2002. En ce qui me concerne c’est une question de tempérament, à l’intérieur d’une rédaction je me sentais étouffée. Travailler en free lance c’est d’abord la liberté( une liberté qui a un prix) mais il faut l’accepter car on ne peut tout avoir dans la vie et il faut savoir faire des choix et les assumer. Travailler en free lance c’est aussi un vrai chalenge car il est impossible de s’installer dans le confort d’un emploi salarié… ça nous oblige à toujours être en mouvement , à réfléchir, se remettre en question, et bien sûr… avancer ! Avez-vous vu une dégradation de vos conditions de travail depuis votre installation ? La précarité est un terme qui vous parle ? Non pas vraiment car je ne fais pas du tout partie de cette génération de reporters qui a connu les heures de gloires du métier et qui en parle aujourd’hui avec beaucoup de nostalgie. J’ai fait des études de journalisme et suis entrée dans la profession en sachant d’avance que le milieu était déjà sinistré et qu’il connaissait la crise. En résumé… je ne suis pas tombée de haut ! mais je n’ai pas à me plaindre car contrairement à beaucoup de mes confrères j’arrive à vivre de mon métier. Je ne considère pas mon statut comme précaire, car j’ai commencé ce métier en 1998, j’ai fait des choix et depuis j’arrive à en vivre. C’est vrai que contrairement à un fonctionnaire on ne peut pas se projeter sur 20 ou 30 ans il est évident que le métier va évoluer très vite qu’il faudra s’y adapter ou mourir ! mais on le sait d’avance ! Le côté précaire qui me parle vraiment : c’est de ne pas préparer ses vacances des mois à l’avance ou ne jamais s’engager pour accompagner une sortie d’école (j’ai une fille de 7 ans) car on peut avoir à décommander la veille ou le jour même pour un boulot et pour le boulot je n’hésite jamais car ça fait partie des aléas du travail de pigiste et la règle c’est : ne jamais refuser car on ne sait jamais quand la prochaine pige arrivera ! et en plus les rédactions doivent savoir que vous êtes toujours dispo ! N'avez-vous pas l'impression de passer plus de temps à imaginer et vendre votre sujet, qu'à le réaliser ? Oui mais ça encore ça fait partie du job. Depuis quand avez-vous adaptez votre mode de fonctionner (12aine de sujets longs et fouillés par an), n'avez-vous jamais ressenti le besoin de compléter les fins de mois par des piges alimentaires ou d'autres activités ? Depuis 2004 . avant cela je travaillais pour des supports très différents notamment dans la presse hip hop où les interviews et reportages sur les artistes s’enchaînaient très vite. Je bossais aussi sur des sujets de sociétés pour la presse féminine mais le rythme était forcément différent. Au fur et à mesure mes choix se sont affinés et j’ai arrêté la presse musicale pour me consacrer aux reportages et aux enquêtes… mais là encore c’est parce que j’ai eu la chance de faire les bonnes rencontres et d’avoir les moyens de ces choix. J’ai réussi à installer un roulement régulier de piges avec des supports dans le milieu de la communication ce qui m’assure un fond de roulement financier et ainsi j’ai la tête plus sereine et ne suis pas obligée de faire ou écrire n’importe quoi pour payer les factures. C’est un vrai luxe et cela me permet de fouiller des sujets qui demandent du temps et de l’investissement.

pour la com' je continue je rentre tout juste d'un reportage à Bali et avant même de faire le tour des rédac' suis en train de faire mes quelques papiers ça m'assure un revenu régulier et m'assure un peu d'$ pour me permettre quelques risques! Dans la période actuelle où les groupes de médias institutionnalisent la précarisation chez de nombreux pigistes, ne sont-ils pas trop réticents à financer une équipe d'indépendantes sur un sujet au long-cours ? Oui ça arrive mais j’ai la chance de travailler avec des rédactions qui me connaissent bien et qui sont capables de prendre des risques parfois quand elles croient au sujet. Si ça coince vraiment et que le sujet en vaut vraiment la peine je le fais moi-même et je revends après… ça ne marche pas tout le temps !

Questions à Thierry Deransart, directeur adjoint de la rédaction du Figaro Magazine: Tout d’abord, comment définir un journalisme de qualité ? C’est un tout : il n’y a pas de matières plus ou moins nobles dans le journalisme, je ne fais pas de hiérarchie. Alors je dirais simplement qu’un bon journaliste –de qualité- fait honnêtement son travail, sans idées préconçues ni œillères, etc… La précarisation du métier est-elle inévitable au vue de la crise que traverse la presse actuellement ? La crise de la presse n’a jamais cessé d’exister ! Le modèle économique inventé par Emile de Girardin en 1850 –faible prix de vente pour diffusion maximale- permettait de vendre le journal deux fois, à l’annonceur et au lecteur. C’est là-dessus que les médias ont longtemps vécus et se sont développés. Du moins, ça l’était jusque dans les années 2000… Ce modèle économique ne fonctionne plus depuis l’arrivée du journalisme sur internet. Nous ne sommes pas parvenus à transposer le système du kiosque minitel pour financer internet, faire payer le lecteur suivant le temps passé sur le site de presse… Cela induit pour la presse écrite moins d’annonceurs, et des mesures d’économie à prendre qui amènent précarisation et précarisation… Le journalisme d’enquête, à valeur ajoutée, est-il mort le jour où la presse s’est inventée un devoir de rentabilité économique ? Les journaux sont des entreprises comme des autres, ce qui n’empêche pas de faire correctement notre métier. A condition que l’entreprise soit elle aussi de qualité : il faut une entreprise saine pour pouvoir faire face aux pressions et ne pas être dépendant d’un seul annonceur… Les groupes de presse français sont sous-capitalisés et plus vulnérables. Tout cela aboutit à une précarisation : baisse des salaires à l’embauche, appel à des stagiaires… Mais ce n’est pas un choix des groupes de presse, c’est une contrainte ! La fragilisation économique des médias ne va pas dans le sens d’un journalisme de qualité, mais pour autant, la dégradation de l’enquête est imputable non pas aux modèles économiques mais aux difficultés actuelles rencontrées par les médias. La culture du tout-gratuit qui s’impose dans l’esprit des gens et les rigidités de la presse française (monopole de la distribution, de l’imprimerie) qui coûtent plus cher au lecteur et qui rapportent moins au kiosquier et à l’éditeur. Nous sommes dans une période où les journaux suppriment des postes et de bureaux de correspondants à l’étranger pour recruter des jeunes moins expérimentés, moins cher et qui ne vont pas sur le terrain… ! La conséquence de la précarisation n’est pas la cause de la dégradation du journalisme, cette baisse de qualité est la conséquence de la mauvaise santé économique de la presse… C’est un phénomène de cercle vicieux : plus la presse est fragile économiquement, plus les journaliste sont précaires, moins le titre alloue de temps et de moyens, moins de grands reportages, moins l’information est qualitative, moins de pagination, moins de lecteurs achètent les journaux, moins il y a d’annonceurs… Personne n’a encore trouvé de solutions pour relancer la diffusion et la commercialisation… Les journalistes précaires ont-ils le moyen de faire face aux pressions du monde politique et économique, des annonceurs ou des « suggestions » du RC ou du service marketing ? C’est certain qu’un journaliste titularisé a plus de confort pour travailler, et donc plus

d’indépendance. Mais les pressions se font rarement au niveau-même des journalistes mais plutôt des titres de presse, les annonceur vont directement voir la direction… Cela dépend également des tempéraments des journalistes : il y a des pigistes par choix, freelance, pas forcément précaires et qui ne subissent pas particulièrement de pressions. Il est loin le temps d’une rédaction complètement mensualisée ou d’une rédaction de pigistes permanents : dans quelle logique s’inscrit cette stratégie ? Nous possédons une équipe de pigistes spécialisés pour des sujets de niche, beaucoup plus efficaces que des journalistes généralistes. Ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas de CDI qu’ils gagnent mal leur vie ou qu’ils font du mauvais journalisme ! Qui fixe les objectifs commerciaux du Figaro Magazine ? Le budget alloué à la rédaction et aux grands reporters en particulier est-il stable d’une année à l’autre, indépendamment des résultats de vente ? Nous avons des objectifs commerciaux et de diffusion mais nous avons simplement un budget prévisionnel sur lequel nous nous adaptons en fonction de nos résultats… Mais la période est difficile, notre modèle économique ne fonctionne plus. Même avec une gestion habile et subtile, il devient difficile d’offrir un journal diversifié et spectaculaire… Ce qui me rend pessimiste pour la presse, et notamment les titres généralistes, quotidiens…

Gérard Davet, journaliste de la cellule Enquêtes du quotidien Le Monde.

Le Monde est en pleine restructuration, comment ressentez-vous cette précarisation ? Je ne suis pas certain qu’il y ait de vraie précarisation. Au print, nous avons les moyens de bien travailler et de faire du bon journalisme. Sur le web un peu moins, il est difficile de mener l’enquête. Leur précarité est liée aux statuts des jeunes et est amplifiée par le fait qu’il n’y ait pas de modèles économiques mais elle disparaîtra au fil que les rédactions web et print fusionneront… ! Tout est en train d’émerger ! L’enquête semble revenir à la mode au Monde : dans quelle logique cela s’inscrit-il ? Il y a 7ans, Edwy Plenel est parti, et toute une tradition de journalisme d’enquête s’est volatilisée avec lui… Ici il y avait toujours les moyens. Mais il manquait de la volonté. On a toujours eu les moyens de faire du journalisme, mais pas toujours de volonté… J’ai continué dans mon coin mais sans le soutien de la nouvelle direction, qui préférait le journalisme de validation. Jai alors fait du grand reportage et pris la tête de ce service. Erik Izraelewicz est arrivé à la tête de la rédaction et a dit qu’il voulait remettre l’enquête au cœur du journal. Il a assumé ses dires, il a débloqué des fonds et nous avons recruté Fabrice Lhomme de Mediapart et Emeline Cazi du Parisien… Avec Raphaëlle Bacqué déjà présente au Monde, voire une nouvelle recrue qui nous rejoindra, nous formons une cellule d’enquêtes déterminée. Le journalisme d’enquête coûte t-il si cher que cela ? Le journalisme d’enquête coûte cher. En termes d’investissement humain, par exemple. Au Monde, il nous a fallu embaucher deux personnes en plus de moi, pour revenir aux sources de l’enquête. En termes d’image, ensuite. Si l’on obtient beaucoup d’écho sur les informations sorties, on est aussi visé par des pressions de toutes sortes, dont certaines coutent de l’argent, comme les procès. Il n’y a pas si longtemps, j’ai été envoyé 10 jours à Tahiti pour enquêter sur Gaston Flosse : cela a coûté plusieurs milliers d’euros, il faut une grosse structure capable de supporter un tel investissement… ça a pris du temps… Avez-vous des objectifs de productivité imposée par la direction ? Quand on a une info chaude, on la met sur le net avant de décliner sur le papier. Et quand on sait qu’on peut la garder pour nous, afin de la conserve et de l’enrichir, on lui donne de la Valeur ajoutée, on la crédibilise et on prend le temps… Ici au journal on a les moyens et on va le faire ! Il n’y a pas de contraintes de temps ! Les médias français donnent-ils suffisamment d’importance au journalisme d’investigation ? Non, les groupes de médias n’investissent pas assez dans l’enquête. Peut-être aussi parce que le journalisme indépendant et accrocheur n’est pas une référence en France. Aujourd’hui, tous les journaux importants (Libé, Figaro, Parisien) ont les moyens de faire de l’enquête et ils ont des enquêteurs… il n’y a pas de réelle précarisation du journalisme d’enquête en France mais surtout une inexistence du journalisme d’Enquête en France. Historiquement, on ne savait pas bousculer les gouvernements, etc… mais aujourd’hui ça suscite des vocations surtout avec l’actuel pouvoir qui montre qu’il n’aime pas trop ça… L’enquête peut-elle s’implanter sur durablement sur internet ?

Mis à part quelques rédactions, Internet ne peut pas faire ce type de journalisme ! Ils n’ont pas d’expérience ni le réseau suffisant pour valider toutes ces infos sensibles… Si les journalistes sur internet font leur boulot avec beaucoup de tonus il leur manque l’expérience, la distance, l’expertise… Regardez le joli scoop de Mediapart sur le football français, informations intéressantes mais exploitées dans un sens très polémistes et hors de propos… c’est dommage. Ce sont soit des écrivains enquêteurs comme Péan, soit des enquêteurs de grosses structures qui pourront sortir de telles infos… Le web c’est du flux, ils n’ont pas le temps … Il leur manque également des moyens ! Au monde.fr ils font rarement de terrain, ils ne vont pas déjeuner avec leurs contacts parce que c’est d’autres façons de travail… Mais je crois qu’ils pourront le faire à terme. Leurs modèles deviennent peu à peu rentables, Mediapart possède quatre enquêteurs –deux à l’économie et deux politico-judiciaire- c’est faisable ! Il ne faut pas être pessimiste

Interview d’Erwann Gaucher, journaliste et consultant sur Cross Media Consulting La précarisation du métier est-elle inévitable au vue de la crise que traverse la presse actuellement ? Il faut d'abord se mettre d'accord cette précarisation. Sur les 33 119 journalistes ayant une carte de presse, moins de 5% sont au chômage selon les chiffres officiels de la commission de la carte de presse, et 17% sont pigistes. Il y a donc une part non négligeables de journalistes en statut "précaire", c'est-à-dire non salarié. Une situation qui est sans doute le fait de la crise que traversent les médias actuellement, mais aussi en bonne partie d'une perception erronée des jeunes journalistes de ce métier pendant quelques années. Je pense que la précarisation du métier n’est pas inévitable mais le jeune journaliste devra désormais accepter de ne pas forcément travailler dans un média main stream (les plus durement touchés par la crise) et avoir un profil plus de journaliste-entrepreneur que de salariés dans une conception tayloriste de l’information.

La dégradation de l’’investigation est-elle imputable aux nouvelles logiques économiques des groupes de médias ?

Non, et la meilleure preuve, pour moi, est que la plupart des "nouveaux médias" nés ces dernières années mettent justement beaucoup plus l'accent sur l'investigation, que ce soit en ligne (Rue89, Médiapart, Owni) ou sur le papier (XXI, Usbeck et Rica). L'émergence de nouveaux formats éditoriaux, tels que le webdocu, me poussent aussi à un certain optimisme de ce côté. L'investigation est surtout en danger dans les médias main stream, c'est-à-dire les médias ayant fait entièrement fait reposer leur modèle économique sur la pub. Ils se retrouvent aujourd'hui enfermés dans une équation intenable : pour être rentable, il doivent rentrer un maximum de publicité, et donc attirer une audience maximale pour intéresser le plus d'annonceurs possibles. Or, pour attirer cette audience, ils doivent avoir une offre éditoriale reposant sur la recherche du plus petit dénominateur commun. L'explosion du web, la fragmentation des émetteurs de contenus et leur spécialisation rend cela de plus en plus difficile voir impossible. Nous nous dirigeons donc petit-à-petit vers des médias de niches, plus ou moins importantes. Cela peut avoir pour conséquence de dégager encore moins de moyens pour l'investigation ou, au contraire, en concentrer plus pour faire le plein de cette cible. Et cela nous ramène en partie à la première question : les futurs journalistes devront sans doute avoir ce double profil. A la fois spécialisé sur une niche, mais aussi capable d'être polyvalent et de comprendre l'économie et le fonctionnement global d'un média. Qu’en est-il d’internet : avec ses petits budgets, son modèle économique non rentable, a-t-il oublié ce qu’était l’enquête journalistique ? Au contraire, comme je le disais un peu plus haut, il est sans doute en train de le réinventer avec de nouveaux formats tels que le webdocu, le data journalisme... Il y a par exemple, de ce côté du data journalisme, un énorme potentiel d'enquête journalistique qui ne fait qu'émerger !

Jean-Christophe Féraud, rédacteur en chef adjoint de Libération.

La précarisation du métier est-elle inévitable au vue de la crise que traverse la presse actuellement ? Qu'est ce qu'il fait selon toi que le modèle économique d'Emile de Girardin ne fonctionne plus aujourd'hui ? La précarité n’a pas toujours existé ! Dans les années 80 lorsque j’ai débuté, il était aussi difficile de rentrer dans une rédaction. Ce n’était pas bien payé. Mais au moins, nous y étions bien installés. Les stages étaient payés et la notion de CDD n’existait pas : le recrutement se faisait sous CDI. Il y avait une transmission de savoir, une passation de pouvoir entre les différentes générations. C’était à l’époque où les journaux n’étaient pas encore des entreprises comme des autres, quand les médias considéraient que les journalistes faisaient un métier à part. En l’espace de 20 ans, nous avons glissé dans l’élevage de poulets en batterie, dotés de tâches déqualifiées, sans aucune reconnaissance. Pourtant, les problèmes économiques de la presse datent d’avant l’arrivée d’internet. Depuis l’après-guerre et la mise en place du système de la distribution (NMPP), personne ne s’est réellement posé de questions sur le danger des monopoles, le modèle éditorial, la révolution technologique, etc… Personne ! Les journalistes qui n’ont pas vu arriver le tsunami internet dans les années 2000 ont fait preuve d’arrogance et sont restés accrochés à leur papier. Il y a toujours une peur et un mépris vis-à-vis du web. En tant qu’ancien chef du service médias des Echos, comment expliquerais-tu la récente précarisation des médias ? Il n’y a pas une raison mais plusieurs raisons. La précarisation est née de la conjonction de la crise de la presse avec la pression économique de plus en plus forte. Sans compter la baisse des publicités et l’érosion de nos ventes… Cela a commencé par des plans sociaux et des économies d’échelle. Puis plus personne n’a rien compris à la mutation technologique ! Dès lors, il n’y avait aucune volonté d’apprendre parmi les journalistes. On a préféré élever des jeunes smicards sur le web pour faire le sale boulot ! Je crois profondément que la précarité a été sciemment organisée par les groupes de presse Un précaire aura-t-il plus de difficultés à faire son travail qu’un salarié ? Il n’y a pas de difficultés supplémentaires tant que cela reste du bâtonnage de dépêches… Mais est-cela le métier de journaliste. Cela dépend où place t’on la barre de la qualité, qu’appelle t-on un article, quand décide t-on de partir en reportage ? Le système fait qu’on retrouve les mêmes infos avec une redondance énorme ! Aujourd’hui, dès que tu fais un grand reportage, une polémique ou un beau portrait, tu sors du bruit ambiant ! Il y a une vraie interrogation identitaire à mener parmi les journalistes –plus ou moins jeunes-. Avec la précarisation des conditions de travail (temps et moyens), certains en viennent à faire un reportage d’un bureau, uniquement par téléphone et en surfant sur internet, sans se déplacer sur le terrain ? Qu’en pensez-vous ? L’interview par téléphone s’est toujours fait ! Moi-même il m’arrive d’en réaliser. Par mail, cela se fait moins… Le bureau, et l’outil internet, c’est bien pour se documenter, vérifier, interagir mais ça ne remplacera jamais le réel ! Il faut absolument sortir voir les gens. Certains jeunes confrères n’ont même plus ce réflexe et estiment qu’ils peuvent faire le métier de derrière l’écran. C’est dangereux, le réel ce n’est pas l’écran, l’actuelle dérive geek est dangereuse !

Les définitions varient, quelle est ta définition d'un "journalisme de qualité" ? Les médias d'aujourd'hui proposent-ils la même qualité d'information qu'autrefois ou a telle réellement diminué ? C’est un tout ! Il n’y a pas de hiérarchie entre les domaines, mais ca dépend du temps, des moyens qu’on te donne et une grosse part de talent… Il faut donner le temps au temps, à l’enquête, à l’écriture ; avoir le souci des règles de base du journalisme et du lecteurs, etc… mais c’est très subjectif ! En tout cas une chose est sûre : la qualité, ce n’est pas du journalisme de sondages en fonction de l’offre et de la demande ! Je provoque volontairement mais le lecteur est con. Il faut dépasser ses attentes et créer l’information, pas simplement lui donner ce qu’il attend. Il n’y a eu aucunes transmission intergénérationnelle, le print et le web n’étant plus dans le même bureau. Les nouveaux journalistes ont été formés différemment et sont gouvernés par une logique de flux et de clics alors que les plus vieux n’ont jamais mené de réflexion sur le contenu éditorial. A la télévision, les émissions et les présentateurs qui dérangeaient ont été virés et a émergé une information en continu théâtrale et dramatique, avec de nombreuses mises en scène. Si oui, la dégradation de la qualité de la presse est-elle imputable aux nouvelles logiques économiques des groupes de médias et à son devoir de rentabilité économique ? Les dérives / mauvaises pratiques (rationalisation, harcelement, précarisation) de l’entreprise ont bouffé la presse ! Alors que ce n’était pas un métier comme les autres… ! Aujourd’hui, le vocable du marketing a contaminé notre profession, on ne fournit plus une œuvre culturelle mais on vend un produit : les termes acheter, cibler, client, marché, rentabiliser, prise de risque ont envahi notre quotidien de journaliste… C’est également la faute de la technologie, internet a changé la donne ! C’est moins clair qu’avant. La multiplication des sources d’information, sans jamais savoir qui parle, brouille le lecteur plus que ne l’informe… il y a encore de bons journaux, de bons journalistes… Mais il y a plus de bruit, il y a une redondance et une répétition de l’information avec l’AFP… L’enquête est t’il uniquement question de temps et de moyens ? Va-t-elle subsister dans la presse ? La logique actuelle est marketing : il faut coller à la demande et ne plus être dans l’offre ! Moins on gratte, mieux c’est… Les cellules d’investigation du Point ou de L’Express n’existent plus… A libé, il y a encore la volonté d’enquêter mais il n’y a plus vraiment les moyens… Donner du temps au temps, cela ne se fait plus… Lorsque Florence Aubenas a écrit Le Quai de Ouistreham, elle a du prendre un congé sabbatique du Nouvel Observateur et a été payée par son éditeur… J’ai choisi de gagner moins pour quitter le J d’entreprise et institutionnel pour retrouver une grille de lecture plus critique ! A Libé au moins, on va chercher la merde perpétuellement ! La survie d'un journalisme à valeur ajoutée n'est-elle pas plutôt une question de volonté: Le Monde est en pleine restructuration financière -Monsieur Boboozka coupe dans les budgets- et la rédaction étoffe pourtant son service d’enquêtes (recrutements de Fabrice Lhomme et d'Emeline Cazi)... Pour Le Monde, j’attends de voir… mais cela risque de marcher puisque Mediapart a réinstallé un regain de l’investigation… Tout comme XXI a su relancer le récit au long-cours, bien que cela reste plus marginal… Il y a des initiatives, c’est bien.

Gilles Bruno, blogueur sur L’Observatoire des Medias. Tout d’abord, comment définir un journalisme de qualité ? Un journalisme de qualité se distingue avant tout dans le style, si le journaliste possède cette verve de l’écrit ou non, s’il a une plume intéressante ou non. Car après, le journalisme pratiqué en bureau peut être aussi intéressant que du journalisme de terrain mal pratiqué : une reprise augmentée avec des liens et des vidéos peut être un travail de qualité –sans moyens- mais de qualité ! La précarisation du métier est-elle inévitable au vue de la crise que traverse la presse actuellement ? Le journaliste a une forte tendance à pleurer sur son sort… Certes, il y a des réductions d’équipes et d’effectif mais il n’y a pas de remise en cause du salaire : ce sont les avantages, les RTT et divers abattements qui disparaissent. Ce qui en fait une précarisation toute relative. Aujourd’hui, un grand reporter qui part à l’étranger ne dormira pas dans un palace, c’est clair ! Cela ça change, c’est ce qui se passait avant. Le journalisme d’enquête, à valeur ajoutée, est-il mort le jour où la presse s’est inventée un devoir de rentabilité économique ? La dégradation de l’’investigation estelle imputable aux nouvelles logiques économiques des groupes de médias ? Argent ou pas, le problème est surtout comment utilises-tu cet argent ? Les médias ont eu trop d’argent à un moment donné : il y avait une culture de gâchis institutionnalisé à Libération… notamment lors des enquêtes et des grands reportages à l’étranger, où le journaliste disposait d’une enveloppe d’argent liquide. Aujourd’hui, tout est réglementé, c’est normal. Mais l’enquête va subsister. Il reste peu de lecteurs mais ceux-là font attention aux contenus tout de même. Fort heureusement. Le journalisme qui coûte cher subsistera dans les médias de qualité. Qu’en est-il d’internet ? Avec ses petits budgets, son modèle économique non rentable, a-t-il oublié ce qu’était l’enquête journalistique ? Les journalistes se plaignent mais ils sont largement coupables de leur situation ! Il y a une non-ouverture d’esprit. C’est avant tout la faute du journaliste. Il a crée lui-même la précarisation, en refusant d’écrire pour le site internet de son média. A moins d’être payé le double, une question de « droits d’auteurs » (voir mémoire 1A, droits d’auteur lors de réexploitation de l’article). Le site –sans moyens- reprend donc des dépêches bâtonnées par des stagiaires, il se déprécie automatiquement. Et cela dévalorise le média tout entier, qui ne se vend plus. Ajoutons à cela les régies publicitaires qui n’ont pas su s’adapter au web, cela donne une rédaction avec peu de moyens qui paye ses webjournalistes au lance-pierre. Prenons l’exemple de l’affaire Woerth-Bettencourt : Mediapart, souvent décrié sur le web pour son modèle payant, sort l’affaire par deux journalistes payés 60% pour travailler exclusivement sur les affaires. Les autres sites web reprennent, mais sans nouvelles informations particulières… Seul un site internet a mené l’enquête. Faute de budget ? Faute de temps ? C’est certain que devant le succès de Mediapart ou de Slate, des sites comme Ecrans.fr ou

Lesincocks.com devraient les imiter… Les pureplayers marchent aujourd’hui dans la légitimité de leurs fondateurs, des anciens de la presse écrite, du Monde ou de Libération… Et sur ces sites, il y a un peu d’enquête. C’est fragile, mais viable. Et au monde.fr ou au figaro.fr, il y a des journalistes capables de faire de vrais enquêtes. Mais pas assez de temps ni de moyens… Mais je suis persuadé qu’il y a un avenir pour de vrais enquêtes sur internet ! Je dirais que tout est fonction de la rédaction, des objectifs du média mais aussi de l’organisation, du nombre de journalistes, etc... Les jeunes journalistes deviennent-ils moins acerbes, rigoureux, à force d’avoir intégrer la précarité dans leur formation et leur mode de fonctionnement (écoles privées, stages, piges mal payées…) ? S’il a la flamme du bon journaliste, un rédacteur ne peut pas vivre sans enquêtes. Sinon, il change de boîte. Ceux qui sont aujourd’hui payés grassement le méritent et ont fait à un moment donné de leur carrière du bon journalisme. Et au contraire, le journaliste qui met sa verve au placard ne mérite pas d’être journaliste : si tu es payé des clopinettes, c’est que tu ne fais pas du journalisme de qualité.

Jean-Christophe Dupuis-Rémond, journaliste TV-web à France 3 Lorraine. Selon vous, quels critères définissent un journalisme de qualité ? C’est comme le communisme, idéal absolu qu'il faudrait atteindre.... répondre aux attentes de son public, avec une information sourcée et vérifiée, obtenue si possible de visu.... La qualité que tu proposes est dans la qualité que tu as reçue dans ta source Le journalisme à valeur ajoutée (enquête, reportage) est-il en voie de disparition ? C’est un serpent de mer ! Clairement, certaines rédactions ont eu de grands services d’enquête... mais c'est une vision un peu fantasmée... il y a peu de journalistes spécialisées dans l'enquête aujourd'hui.. aujourd'hui, cela peut etre fait en interne comme Mediapart avec les deux Fabrices, dans d'autres rédacs il y a des dossiers particulièrement suivi.... cela dépend finalement surtout du journaliste à valeur ajoutée, s'il est capable de suivre des enquêtes à long terme.... aujourd'hui il y a a uiis la question temps disponible quotidiennement pour fournir le produit... ce n'est pas en voie de disparition mais la garantie du temps et des moyens n'est plus assurée dans toutes les rédactions... les sites de crowdfunding (jaimelinfo.fr) peuvent être une solution, en dehors des rédactions en revanche... : c'est comme un pigiste il y a dix ans qui partait sans avoir de retours derrière et qui était du coup déficitaire, il ne recommence plus par la suite... Le monde se complexifie, le nombre de journalistes diminue, pourtant l’information paraît de plus en plus accessible à un plus grand nombre de personnes… Sommesnous de meilleurs journalistes ou est-ce le public qui ait moins exigeant avec l’information fournie ? Le public est plus exigeant ! Il a la possibilité d'aller regarder l'info partout, dont des sites pas forcément journalistique mais disponibles sur la toile... la communication est partout, le journaliste doit faire attention et lui faciliter la tâche... le public veut accéder aux choses plus pertinentes... les journalistes sont en situation d'être meilleurs, il y a un meilleur accès aux données... donc capable d'apporter une info plus pertinente... mais un fait n'arrive jamais tout seul, il faut identifier les tenants et aboutissants, contextualiser... Avec ses petits budgets, son modèle économique non rentable, ses rédactions précaires, Internet a-t-il oublié ce qu’était l’enquête journalistique ? Il le permet dans la limite production/temps... valable dans tous les médias, cela dépend de la taille des rédactions et de l'ambition du média, s'il veut ou non faire de l'enquête.... il n'y a pas que dans le web qu'il manque de temps ! C'est le modèle économique général.... si les journalistes n'ont pas le temps de le faire, il n'y aura pas d'enquête ! Mais la qualité d'une rédaction ne se mesure pas qu'à l’enquête mais aussi aux relais de l'information locale ! Peut-on faire un reportage d’un bureau, uniquement par téléphone et en surfant sur internet, sans se déplacer sur le terrain ? C’est une vraie question ! Faire un travail à distance pour décrire une situation, cela existe aussi en presse écrite et en TV... le temps que les journalistes arrivent sur place, etc, l'information était déjà là...! il faut savoir identifier les sources pertinentes pour réaliser rapidement une information pertinente... le classique sur le terrain et celui-ci par téléphone ou webcam peuvent fournir du bon travail si 5 W et bon sourcing, et après avec la patte du

journaliste qui différencie le tout... il y a une partie travail de bureau, qui doit être complète par un travail de terrain, de relationnel... L’éthique et la déontologie du journaliste rentrent-ils encore en compte quand il s’agit de vivre et de subvenir à ses besoins ? La déontologie, c’est notre mètre-étalon ! Il y a des choses qui ne se font pas... c'est tout ! C'est une question d'éthique, mais c'est personnel... L’inventivité, la créativité de journalistes web -salués unanimement- peut-elle remplacer la faculté d’enquêter et de recouper ses informations ? Il y a aussi des crève-faims pigistes qui en ont chié et qui une fois titularisé se la coulent douce... donc c'est l'avantage des pigistes ! Cela dépend plus des personnalités, de savoirêtre, de savoir-vivre... Prison Valley est inventif et créatif et en même temps un formidable travail d'enquête...! dans la limite : pourquoi fait-on cela ? Il faut des garanties de vendre le sujet ensuite, etc... évidemment on trouve cette créativité chez les freelance mais aussi parmi des journalistes webs désireux et motivés... Peut-on espérer à terme une multiplication des sites avec du journalisme à valeur ajoutée –qui demande plus de temps que le batônnage d’une dépêche- sur internet ? Il y a une place c'est évident ! Mais c'est du freelance, faire son produit à l'extérieur et le vendre au site... mais tu peux aussi potentiellement compiler des sujets faits quotidiennement en un webdocumentaire en publiant l'ensemble des données (pareil que Q5 ou Q6), le réaliser en interne sur le long-terme... La presse sur internet ne s’est-elle pas trompée d’objectif en misant sur l’instantanéité (information uniforme, peu de valeur ajoutée donc nécessairement gratuite, pas rentable, peu de moyens alloués aux journalistes, etc…) Lepost.fr ou Mediapart ou Slate ont pris des orientations différentes...! chacun aujourd'hui essaie de trouver le bon modèle économique, il n'existe pas encore... une PME qui fait ne fait pas de RD est condamnée à moyen-terme, elle va donc s'associer avec un organisme de formation/recherche et employer des stagiaires... ce n'est pas valable que dans le journalisme ! Cela dépend des objectifs... le public visé n'est pas le même, la diffusion n'est pas pareille... des gens vont trouver du news très pertinent et pas forcément de l'enquête... il y a une légitimité à faire de l'instantanéité sur internet, et ce n'est pas forcément uniforme (itw en perspective, intégrale, transcrite en audio) ce n'est qu'un choix l'instantanéité... il y a des tas de sites extrêmement riche...

Jérémy Joly, journaliste-pigiste

Ressens-tu la précarité personnellement et à quel niveau ? J'ai eu la chance de ne jamais me sentir vraiment précaire en fait. Je me posais des questions à la fin de ma formation à l'IUT de Tours. Ne me sentant pas vraiment prêt à entrer sur le marché du travail tant au niveau du réseau que des compétences, j'ai donc enchaîné à Metz. Là j'ai pu combler ces deux manques. Depuis ça s'est enchaîné. Quand j'ai choisi d'aller à la Rep', j'avais plusieurs autres pistes sérieuses en vue... Donc je m'estime assez privilégié. Penses-tu être prêt à davantage de concessions que tes aînés (tarifs, droits d’auteurs, déontologie, etc…) pour percer ? La précarité est-elle un passage « obligé » pour réussir dans le journalisme ? J'ai fait une partie de mes piges en auto-entrepreneur. Parce que oui ça aidait quand même à payer les factures. Après les tarifs étaient très bons (supérieurs à ceux de la pige classique même une fois les taxes passées) et les sujets étaient assez intéressants et non nuisibles à ma vision du métier. Après je ne pense pas que je serais prêt à aller plus loin dans cette voie. L’éthique et la déontologie du journaliste rentrent-ils encore en compte quand il s’agit de vivre et de subvenir à ses besoins ? Je pense qu'il y a certaines lignes à ne pas franchir ou alors il faut être clair là dessus et l'assumer. Mais c'est évident qu'on ne vit pas d'amour et d'eau fraiche... La précarité –dans sa globalité- peut-elle jouer sur la qualité du travail du journaliste ? Et du coup peut-elle influer la qualité de l'information, le lecteur final peut-il la ressentir au détour d'un article ? C'est en terme de réduction d'effectif et de budget que la précarité est la plus à même de nuire à la qualité du travail parce qu'elle entraîne des rythmes de travail nuisible à la qualité de l'information. Les lecteurs s'en rendent compte quand on ne produit que peu d'information originale ou que celle-ci est faite sous pression. Les réseaux sociaux sont leur principal outil pour signaler ces erreurs d'ailleurs. On est dans un grand écart assez hallucinant. Moins de personnes et toujours plus de travail donc de potentielles erreurs alors que le public est plus que jamais à même de voir nos erreurs et de nous les faire remarquer....

Françoise Laigle, membre du bureau national du SNJ. La précarisation du métier est-elle inévitable au vue de la crise que traverse la presse actuellement ? Je ne sais pas si elle est évitable ou non, mais elle est attestée. Les niveaux de salaire se dégradent, jusqu’à tomber du au-dessous du SMIC dans les minimums conventionnels : depuis quatre ans, certaines organisations professionnelles d’employeurs décident de ne pas jouer le jeu de la parité. Ils ne négocient pas. Les plus bas salaires se retrouvent en dessous du SMIC avec la hausse de ce salaire minimum… Pour ne pas se faire épingler par les pouvoirs publics, ils entament des réunions mais sans obligation d’aboutir. Donc toujours pas de négociations…(SPM, Prisma, Mondadori) Dans le début des années 1990, j’avais des piges payées 650 francs le feuillet pour Prisma, aujourd’hui payée aujourd’hui 100 euros le feuillet. Mais le coût de la vie augmente… La précarité a toujours existé, ce n’est pas un phénomène nouveau ? On est payé moins par rapport aux années 90 par rapport au coût de la vie… Sans compter les plans sociaux et les plans de départ volontaires… S’il y a moins de travail, la précarité augmente car le salarié est prêt à plus de concessions. Les salariés acceptent déjà des salaires plus bas, les pigistes d’être payés au noir ou e droits d’auteurs, ce qui a toujours existé mais qui est facilité aujourd’hui… ! Il y a une souffrance terrible dans les entreprises. Cela déstabilise les salariés… Au-delà des piges et des CDD, les employeurs commencent à faire signer des CDU ? Le nom CDU n’existe pas : par contre il existe une sorte contrat de travail à durée déterminée où il est d’usage d’utiliser des gens qui ne sont pas en CDI. Mais c’est dans certains cadres bien définis où on ne peut pas utiliser de CDI. Quelqu'un qui fait un travail régulier et pérène ne peut pas être en CDU… Seul peut l’être un salarié qui a une tâche ponctuelle qui n’est pas habituelle à l’entreprise… Il y a un excès des employeurs aujourd’hui Les employeurs cherchent à faire croire qu’une pige est l’équivalent d’un CDD, parce que ça les gêne d’avoir un potentiel CDI avec les charges… Ils ont le droit dans le cadre d’un contrat d’usage, de ne pas payer la prime de précarité…Les employeurs font fi des conventions… Ils essayent de les tourner à leur avantage… ! L’éthique et la déontologie du journaliste rentrent-ils encore en compte quand il s’agit de vivre et de subvenir à ses besoins ? C’est très personnel ! Mais plus on a des conditions de vie difficile, plus c’est difficile d’allier la déontologie… ! ca existe. Mais on voit plus de personnes qui acceptent n’importe quel statut et d’être mal payé que des journalistes qui acceptent de biaiser un article… Les journalistes précaires ont-ils le moyen de faire face aux pressions du monde politique et économique, des annonceurs ou des « suggestions » du RC ou du service marketing ? Si on n’a pas grand-chose à bouffer… Mais si c’est du journalisme qu’on veut faire ! Malheureusement je ne peux pas vous dire que ça n’existe pas. Plus les conditions de travail sont difficile, plus ça peut arriver… ! Tel le publireportage…

L’exemple de NEXT et l’éclatement n’est pas de la précarisation mais n’aide pas à un journalisme de qualité… Les techniques des employeurs qui consistent à vouloir éclater (en termes de titre, pas de supports) pour détacher le journaliste d’un titre particulier pour pouvoir recomposer selon les circonstances, est un grand danger pour la qualité de l’information. Qui contrôle, qui aura réactualisé ? En tant que membre du bureau national du SNJ, avez-vous-confiance lorsque vous voyez des vagues de grèves alimentée par des revendications personnelles sur la précarisation, dans des rédactions comme lequipe.fr ou lepost.fr ? Avant il n’y avait pas de grèves ! Cela montre bien la précarisation… Comme à L’Express, à Prisma ou Mondadori, les grèves qui ont eu lieue récemment concernaient les salaires… La détérioration des salaires était si mal perçue que ça a fini par éclater… ! C’est une période de turbulences assez terribles ! Je n’avais jamais vu cette volonté de transformer le métier d’une façon aussi nocive. Bien sur qu’il y a des ajustements à faire et qu’il faut faire évoluer les groupes de médias, mais pas aussi brutalement… ! La précarité peut-elle influer sur la qualité de l’information ? Même la fatigue ça peut jouer sur la qualité du travail. Pour moi, c’est nocif évidemment ! La pression de demander plus a toujours existé… Mais on ne peut pas savoir… Elle a toujours existé...On produit surement plus dans certains cas, mais cela dépend des niveaux… Il y a moins d’enquêtes… et beaucoup plus de repiquage !

Laurent Léger, journaliste d’enquête pour Charlie Hebdo Comment définir un journalisme de qualité ? Le journalisme, c’est d’abord de l’enquête !! Ce n’est pas en faisant du publi-reportage ou du journalisme mou que les journaux parviendront à reconquérir leur lectorat… Maintenant, être dans le contre-pouvoir et non dans le compte-rendu, cela demande du temps ainsi que de l’argent. Ce sont pour ces raisons que cela n’est pas toujours bien vu des dirigeants de rédactions… Le journalisme à valeur ajoutée est-il en voie de disparition ? L’enquête, il faut bien comprendre que ce n’est pas du feuilletonnage. Il vaut mieux des révélations-clés à des moments-clés, afin d’éviter que le lecteur ne se perde dans un trop plein d’informations en lui assénant de multiples informations indigestibles. Mais c’est de moins en moins le cas aujourd’hui. Il ne faut pas non plus se focaliser sur les mêmes affaires. Globalement, il y a aussi des signes positifs. C’est très bien que Le Monde recrée une cellule enquête, il faut maintenant la doter de moyens suffisants. Il y a une responsabilité des médias, énorme. Mais pour faire de l’enquête, cela nécessite aussi une grosse dose de travail. Il y a beaucoup de journalistes qui ne travaillent pas, une fois installés… Ce n’est pas étonnant ensuite, que l’enquête déserte certaines rédactions… Il y a aussi des journalistes qui n’aiment pas l’enquête : cela arrive, ils n’aiment pas le combat ni la responsabilité qui lui incombent, parce que cela peut créer du stress… Et à Charlie Hebdo ? Je ne peux pas concurrencer le rythme quotidien et la marque Le Monde. Mais cela ne m’intéresse pas. Je ne fais pas la chasse aux procès-verbaux ni un suivi jour après jour de l’affaire… J’ai lancé l’affaire Bettencourt lorsque j’étais à Bakchich lorsque Françoise la fille a porté plainte contre François-Marie Banier. Et puis j’ai abandonné. Notamment face au rythme du quotidien… En tout cas, si vous voulez savoir, je n’ai pas d’objectifs de productivité. Ma direction ne m’impose pas de rythme de publication. Maintenant, j’essaye de publier au moins un article par semaine. Pas toujours des scandales d’Etat, simplement des informations qui lèvent le voile sur certaines pratiques. Dans le petit monde du journalisme d’investigation, il y a une saine émulation. Notre boulot, c’est de révéler des informations, chaque média se concurrence donc on ne peut pas rester inactif pendant un mois ! Ma direction m’a alloué un petit budget, pour le reste, je suis autonome. J’ai le droit à des remboursements de notes de frais, ce qui me permet de voir régulièrement mon réseau. Cela prend des mois voire des années pour obtenir une information auprès d’une source. Il faut donc les voir souvent, cela a un prix également. Et puis il ne faut pas s’enfermer dans une bulle. Je mène des dossiers au long-cours, réalise des enquêtes sur le long-terme mais publie également des articles qui me prennent peu de temps ! Mais je suis un cas à part. Moi j’ai une chance inouïe : je n’ai pas d’annonceurs, donc personne à froisser. Je peux m’attaquer à tout le monde, je jouis d’une grande liberté. Et deuxièmement, je n’ai pas de spécialisation, ni de rubriques. Je travaille aussi bien sur des affaires politiques que des contrats économiques ! Si j’avais eu les documents sur les quotas de la FFF, cela aurait pu être moi qui aurais sorti l’affaire. Ce sont des avantages que d’autres cellules d’enquête n’ont

pas forcément. Certains enquêteurs vont se mettre à dos des journalistes politiques parce qu’ils ont contacté un député pour une de leurs enquêtes, alors même que c’était une source de son collègue. Moi, cela ne peut pas m’arriver. Mes prérogatives sont multiples. La justification de certains médias, lorsqu’on les accuse de ne pas laisser place à de l’enquête est que « cela n’intéresse pas les gens ! ». Qu’en pensez-vous ? Ce sont les traditionnels alibis des patrons de presse ! Ce sont des gens qui doivent avoir du relationnel, ils fréquentent les soirées mondaines. Ils ont des amis partout et ils ne veulent pas les froisser. Ils n’ont pas envie de se mettre à dos des personnalités politiques ou des chefs d’entreprise avec qui ils vont dîner demain chez un procureur… Ils sont eux-mêmes responsables de la désaffection du lectorat : si le lecteur n’avait pas envie d’avoir de révélations, cela ferait longtemps qu’il n’achèterait pas de presse généraliste mais seulement de la presse spécialisée ! Pourquoi certaines rédactions ne font plus d’enquête : coûte t’il trop cher que cela ? C’est clairement un manque de volonté. Pour des raisons de relationnel donc. De moyens aussi, certes. La presse est en crise, et cela n’arrange rien. Cela ira mieux si les journaux n’appartenaient plus à des industriels vivant des commandes de l’Etat. Eux ont les moyens, il leur manque la volonté. Malheureusement, je suis conscient que l’indépendance des journaux est une triste utopie… Est-ce la faute des médias qui n’investissent pas assez dans les sites internet qui ne disposent que peu de moyens, que l’enquête a du mal à percer sur internet ? Aujourd’hui, les patrons de journaux créent des sites internet sans leur donner de moyens de devenir un vrai média. Si votre direction vous impose d’écrire trois articles par jour, vous n’aurez pas le temps de faire de l’enquête et de sortir des scoops ! Les journalistes de presse écrite et d’internet, ce sont les mêmes : ils ont tous les deux besoin de temps et de moyens pour faire du bon journalisme. L’enquête sur internet, j’y crois par principe. Elle arrivera un jour. Mais concrètement, tant qu’ils vivotent, ils ne peuvent mener d’enquêtes. Ils n’ont pas les moyens d’exister de manière indépendante et uniquement sur leur production journalistique ! La précarité peut-elle avoir des conséquences sur le journalisme d’enquête ? Quand les médias n’ont pas de moyens, c’est l’ensemble des journalistes qui en pâtissent. Le journalisme d’enquête est un journalisme d’expérience qui demande du temps, il coûte donc plus cher que retravailler une brève AFP. La précarisation a donc encore plus de conséquence pour la place du journaliste d’enquête. Bien que ce soit lui qui fait réellement le journal… Globalement, moins de moyens et un statut bâtard vont faire que le journaliste révèlera moins d’informations. Ce qui est encore plus valable dans le journalisme d’enquête, où il faut alimenter un gros réseau de sources… Il ne faut pas se contenter de la communication gouvernementale ou entrepreneuriale, à partir de là, il faut multiplier les sources. Mais si on a ni l’argent de les inviter, ni de temps à leur consacrer parce qu’on doit empiler les sujets pour vivre, alors le travail sera de moins bonne qualité. La précarisation des journalistes n’est pas bonne pour la démocratie !

Eric Maigret, sociologue des médias. Qu’est qu’un journalisme de qualité ? Un journalisme de qualité, ce n’est pas empiriquement de l’investigation ! il faut savoir que 95% des informations arrivent aux journalistes et ne résultent pas forcément d’un travail d’enquête. Et la qualité de l’information est-elle évidente sur le web ? Il y a des choses très positives aujourd'hui sur le web… ! Mais au cœur de l’information web, c’est le modèle du flux permanent. Ce qui compte, c’est le scoop et le court-terme. Il y a un gain –la réactivité- et une perte –la réflexion et l’apparition du sensationnalisme- mais des sites comme Mediapart ou Rue89 réinventent le journalisme… La qualité du journalisme est-elle en baisse ? Depuis 15 à 20 ans en fait. La naissance de l’information en continue conjuguée à la mondialisation de l’information, nécessite une concentration des groupes de médias. Il n’y a jamais eu autant de médias ni de journalistes ( !!) mais paradoxalement, il y a moins d’images et moins de points de vues. Car il y a en fait moins d’acteurs. Le vrai problème de la qualité est aujourd’hui la centralisation de l’information par quelques agences desquelles s’écoulent les discussions du jour qui abreuvent web, télévision, radio et presse… L’information d’aujourd’hui est moutonnière. Il y a une attente, de la part du public et de la presse elle-même, d’autres choses. Cela va bouger. La précarisation joue t’elle sur qualité ? Ce n’est pas si simple, ce n’est pas un déterminisme simple. Ce n’est pas aussi marxiste que la vision d’Alain Accardo : « plus c’est précaire, moins c’est de qualité ». La précarisation entraîne une plus grande dépendance aux organisations et à l’économie : un pigiste se remplace plus facilement qu’un journaliste en CDI, donc il sera plus sensible aux pressions de la rédaction (injonctions de son rédacteur en chef, du service publicité, etc..) Elle engendre des dysfonctionnements, c’est certain. Mais à côté, le fait de travailler hors systèmes permet des marges de libertés que ne rencontre pas le journaliste titulaire. Il est plus libre et peut plus facilement se détacher de l’info moutonnière, apporter un autre point de vue

Patrick de Saint-Exupéry Qu’est ce que la revue XXI ? Au départ, la revue XXI était un projet de mensuel de reportages vendu en kiosque. Et quand les fondateurs se sont aperçus qu’il fallait viser 100.000 exemplaires vendus, une dizaine de pages de publicité et une rédaction permanente, ils ont abandonné l’idée. La revue XXI est née, un trimestriel d’enquêtes et de grands reportages vendus en libraires, sans publicité. Ils font appel à des journalistes titulaires d’autres titres, à des journalistes pigistes mais également à des écrivains, des universitaires, etc… Ils sont rémunérés en droits d’auteurs, selon un barème forfaitaires pour les reportages, la BD, le portfolio et les illustrations, avec une enveloppe de remboursement de frais. Rédaction et direction artistique comprise, c’est plus de 30% des recettes de Xxi qui servent à rétribuer l’éditorial La presse française est réputée pour être frivole et suiviste, qu’attendez-vous de Six Mois et de la revue XXI ? Nous sommes sur un schéma complètement différents. XXI est un trimestriel, qui fonctionne sans publicité. Et nous marchons plutôt bien. Nous fonctionnons essentiellement avec des collaborateurs (pigistes ou écrivains) mais sommes parvenus à créer trois postes de journalistes permanents. L’idée de notre revue, c’est de retourner aux fondamentaux du journalisme. C’est cela qui nous permet de tomber dans les écueils de la presse française. Nous ne somme pas dans une logique de flux, c’est cela qui nous a permit de retrouver le sens du réel. XXI, qui publie enquêtes et grands reportages sans perdre d’argent, est une leçon pour une partie des médias français ? C’est clair que XXI, ce n’est pas le même contenu que les journaux d’aujourd’hui ! Mais c’est incomparable. Ce n’est pas forcément leur faute. Les journaux sont de plus en plus fragiles, et personne ne sait vraiment comment s’écrira la presse demain. Dans le doute, les directions de journaux qui ne vont pas dans un renforcement du staffing… Ce n’est pas une question de volonté, mais de priorité ! Ils subissent un enchaînement de facteurs… Un enchaînement de facteurs qui font que les médias traditionnels ne vont pas bien. Ils sont donc amenés à traiter d’autres urgences en priorité. Ils ne peuvent pas se projeter dans le long-terme, ni faire de l’enquête au long-cours. La précarisation a-t-elle un effet sur la qualité de l’information ? Déjà, la précarisation a toujours existé. Elle est peut-être plus importante aujourd’hui, mais vous ne pouvez pas lui imputer la baisse de la qualité de nos journaux ! Après, il y a plein de figurations possible. Faire du journalisme à valeur ajoutée, ce n’est pas qu’une question de statuts et de moyens. C’est également une affaire d’état d’esprit, de curiosité. Tout ne se joue pas sur la carte de presse. C’est une question de capacité et de volonté ! Il faut sortir de son hôtel trois étoile et des palais présidentiels pour aller se frotter à la réalité du terrain… Ce n’est pas parce que vous avez beaucoup d’argent que cela va être du bon journalisme ! Pareillement, ce n’est pas parce que vous avez peu de moyens que cela va être mauvais. Le temps est déjà une donnée plus importante : et là, il faut avoir les moyens de prendre le temps.

Youpress, collectif de pigistes (Amélie Cano, Leïla Minano, David Breger, Juliette Robert) Pourquoi ce besoin de créer Youpress ? L.M. Nous sommes six à avoir créer Youpres, en octobre 2007. C’était un an après notre sortie d’école et une façon de lutter contre la solitude du pigiste. Nous avons décidé de constituer notre réseau ensemble, nous mutualisons tout dans « La Bible », un fichier qui recense l’ensemble de nos interlocuteurs en rédactions et à qui on peut vendre nos projets. Nous avons voulu mettre nos forces en commun, partager nos idées de sujets, nos contacts. Nous étions très libres. A.C. Quand j’ai commencé Youpress, j’étais dans la grosse merde ! J’avais quelques piges et des contrats par ci par là, mais je me demandais si je n’allais pas changer de boulot… » Etait-ce plutôt dans l’idée de se créer un rempart contre la précarité ou une porte d’accès à vos aspirations journalistiques ? A.C. Partager nos problèmes de pigistes en pratiquant le journalisme qui nous plaisait ! Et nous ne regrettons pas ! Nous rentrons complètement dans la case « pigistes choisis », pour nous, Youpress n’est pas un tremplin vers l’emploi ! On s’éclate ici ! Nous avons pris des libertés, il y a plein de choses que je réalise (des grands reportages à l’étranger) que je pourrai absolument pas imaginer de faire dans une rédaction, parce qu’il n’y a pas de moyens ou d’autres journalistes plus expérimentés. On ne dirait peut-être pas ça si notre situation était à plaindre. D.B. Outre le partage de contacts, Youpress a également acquis une légitimité auprès des rédactions. Nous pré-vendons l’essentiel de nos sujets avant de partir, on arrive à se faire rembourser certaines de nos notes de frais. Donc maintenant, oui, nous sommes rentables. Nous arrivons à rembourser nos frais et à prendre un salaire correct. Vous arrive t-il de devoir faire des piges alimentaires pour subvenir à vos besoins, ou bien votre carnet de commandes est-il plein ? L.M. Au début du collectif, nous avons du accepter quelques piges en communication afin de faire un peu de pognon et de nous financer ! Aujourd’hui, nous n’en avons plus besoin ! Tous les membres sont pigistes permanents dans une rédaction ce qui leur assure une activité fixe et un minimum mensuel. Le reste c’est de l’éclate, on se plaît dans Youpress, vu qu’on fait 100% de grand reportage ! C’est un complément financier et qui comble nos aspirations journalistiques. Qu’est ce que le journalisme de qualité, est-il en voie de disparition ? D.B. Certaines rédactions ont des budgets serrés. Mais d’autres journaux n’ont que peu de problèmes : il faut alors savoir s’imposer. Le Figaro Magazine, Paris Match ou la presse féminine paient très bien ! la presse hebdomadaire –contrairement à de nombreux quotidiens- a également de l’argent. (Lire « La ligue des pigistes extraordinaires », ce n’est pas représentatif mais des pigistes à 8.000 euros par mois, cela existe !) Sentez-vous une frilosité croissante des médias à financer et traiter des sujets qui coûtent cher ?

A.C. La presse français est assez frileuse. Ils manquent d’audace et réclament beaucoup d’actualité (Fukushima, Tunisie) ou alors des sujets polémiques (drogues)… Elle est également très suiviste. Ouverte sur les angles et audacieuse seulement si cela colle à un gros évènement d’actualité que tous les médias couvriront : là, ils peuvent se différencier. J.R. Sans tomber dans le sensationnalisme, il y a moyen de faire un sujet décalé et qui n’est pas d’actualité si c’est ciblé suivant la ligne éditoriale d’un magazine en particulier… L.M. La période est favorable à ne pas être suiviste. C’est le cas de XXI, Causette ou encore Six Mois. Cela doit pousser les médias à se remettre en cause ! Et à nous d’être disponible, d’être là où eux ne sont pas ! Pour ce qui est des sujets lourds (enquête, grand reportage), il y a l’expérience du journaliste qui joue … Vu qu’ils ont moins de monde dans les rédactions, il y a un regain pour les pigistes… ! L’enquête, qui demande du temps et des moyens, peut-elle être assurée par des indépendants ? A.C. C’est le contraire, l’enquête est plutôt assurée par les membres de la rédaction. Cela nécessite de l’expérience, du réseau, et d’avoir la confiance de la direction. Ils ne laissent pas cela aux pigistes. Et puis financièrement, ce n’est pas possible de faire du suivi et de l’enquête en étant pigiste. Ce n’est ni rentable pour lui, ni pour la rédaction. Prenons l’exemple de la télévision : un pigiste ne peut pas faire d’enquête en calant son tournage sur deux jours. La direction lui imposera de tout faire la même journée, pour le payer moins cher. Un CDI lui, aura cette possibilité… Les grands reportages, déjà plus. Mais faire du news à l’étranger, ce n’est pas du grand reportage ! La précarité peut-elle avoir une influence sur la qualité de l’information ? L.M. Sans aucun doute ! Ca joue. A Misrata, en Libye, je n’avais pas suffisamment d’argent pour me payer un interprète ! Et pour rentabiliser mon voyage, j’ai dû multiplier les sujets. Indéniablement, cela a diminué le temps consacré à chaque sujet et donc en qualité. Ou à Haïti, j’ai dû faire dix-sept papiers en quinze jours ! Mais je n’étais pas contente de moi… Alors je suis retournée étant donné que j’avais rentabilisé mon voyage, afin de faire des sujets magazine et me faire plaisir, traiter les sujets qui me plaisaient… D.B. Mais la précarité peut aussi aider… Le fait de devoir se démerder fait que nous sommes moins fermés d’esprit. A L’Aquila, nous vivions dans un camping sans eau ni moyens de communication. Ou alors on dort chez l’habitant, en auberge de jeunesse et on s’enrichit de connaissances locales ou expatriés que nous n’aurions pas faites en restant dans notre hôtel, qui nous donnent des idées de sujets… Et qui apportent à nos sujets !        

Photographie de la profession des journalistes Les journalistes détenteurs de la carte de journaliste professionnel en 2009

OBSERVATOIRE DES METIERS DE LA PRESSE

Introduction En 2009, l’Observatoire des Métiers de la Presse publiait pour la première fois des chiffres sur la profession de journaliste, en partenariat avec la CCIJP1. Cette première étude présentait les grandes tendances à l’œuvre dans la profession de 2000 à 2008. Huit points avaient été abordés (cf. rapport 2000-20082). 2009 apporte un éclairage nouveau, qui vient confirmer ou infirmer certaines tendances. Les points abordés dans ce rapport sont les suivants : • • • • • • • •

Stagnation du nombre de journalistes en 2009 Une féminisation qui se poursuit, mais des inégalités H/F qui perdurent Une profession qui continue de vieillir Les pigistes et les CDD en augmentation, et les femmes plus concernées par les contrats précaires De moins en moins de journalistes passés par un cursus reconnu Le maintien de la presse comme premier secteur d’activité Le papier comme principal média d’exercice, mais en diminution progressive Des rémunérations irrégulières

L’étude actuelle est dans la continuité du premier rapport : il tente de mettre en relief les tendances d’évolution des principaux indicateurs et de pointer les indicateurs en rupture. Il s’appuie également, dans la mesure du possible, sur les études produites par différents chercheurs sur les journalistes (leurs parcours professionnels ou leurs modes d’entrée sur le marché du travail), études qui peuvent apporter des éclairages complémentaires.

Commission de la Carte d’Identité des Journalistes Professionnels : www.ccijp.net Site de l’observatoire des métiers de la presse / Etudes et Publications : http://www.metierspresse.org/pdf/1255448008.pdf 1 2

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Stagnation du nombre de journalistes en 2009 En 2009, la CCIJP comptabilisait 37 904 journalistes porteurs de la carte, soit une très faible augmentation par rapport à 2008 (+ 0,2%). Parmi ces cartes accordées, 2 081 cartes l’étaient pour la première fois et 35 823 cartes étaient renouvelées. L’expansion du nombre de journalistes est donc fortement remise en cause aujourd’hui. Rappelons que de 2000 à 2008, le nombre de journalistes a progressé de 13,5%, qu’entre 1990 et 1999, la progression enregistrée était de 19,9% [Devillard] et qu’elle était même de 60% de 1980 à 1990 ! Nombre de cartes accordées en 2009 Total de cartes accordées 37 904 Dont -Premières demandes 2 081 5,5 % - Renouvellements 35 823 94,5 % Les effectifs de la profession de 1975 à 2009

Année 1975 1980 1985 1990 1995 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009

Effectif Evolution (en %)* 13 635 16 619 22 621 26 614 28 000 31 902 33 314 4,4% 34 832 4,6% 35 612 2,2% 36 113 1,4% 36 520 1,1% 36 828 0,8% 37 423 1,6% 37 738 0,8% 37 811 0,2% 37 904 0,2%

(*Evolution d’une année sur l’autre)

Dans le début des années 2000, la progression annuelle de la profession s’établissait aux alentours de 4%. A cette période, le rythme de progression de cette profession était plus important que celui observé au niveau de la population active dans son ensemble. Au cours de la décennie, le taux de croissance a progressivement diminué. Entre 2008 et 2009, l’augmentation du nombre de journalistes n’était plus que de 0,2%.

Info Population active La progression enregistrée dans l’ensemble de la population active était de +0,7% entre 2003 et 2004, +0,7% entre 2004 et 2005, +0,6% entre 2005 et 2006, +0,9% entre 2006 et 2007, +0,7% entre 2007 et 2008 et +1% entre 2008 et 2009 [Source INSEE].

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LA FEMINISATION DU JOURNALISME EN FRANCE

Une féminisation qui se poursuit mais des inégalités H/F qui perdurent

Le livre « le Journalisme au féminin » (sous la direction de Béatrice Damian-Gaillard, Cégolène Frisque et Eugénie Saitta, aux Presses Universitaires de Rennes) nous éclaire sur la féminisation progressive de la profession de journaliste. Malgré une progression importante depuis les années 60, la proportion de femmes journalistes en France reste inférieure à celle des femmes journalistes en Europe (47% en Europe contre 44% en France). La profession de journaliste se féminise progressivement mais aussi différemment. Selon les secteurs de presse, les thématiques et les types de rédaction, les inégalités hommes-femmes se creusent plus ou moins. Ainsi une ségrégation à la fois horizontale et verticale se dessine dans la population étudiée. Verticale, car les postes de directions sont majoritairement masculins. Horizontale, car les types de métiers et de qualifications influent sur la proportion de femmes. Les métiers mobiles sont par exemple davantage masculins, ceux dit « assis » le sont moins. Dans la mesure où les femmes représentent plus de la moitié des nouveaux entrants et où les générations âgées, majoritairement masculines, partent en retraite, on aurait pu s’attendre à une féminisation accélérée de la profession, or celle-ci demeure relativement progressive. Cela peut s’expliquer par la fréquence accrue des sorties de la profession chez les femmes. Il y aurait donc une éviction plus fréquente des femmes au cours de leurs carrières.

Répartition par genre en 2009

En 2009, la CCIJP a accordé la carte à 16 821 femmes (44,4%) et 21 083 hommes (55,6%). En 2008, les femmes représentaient 43,8 %. Depuis 2004, chaque année, plus de la moitié des nouveaux détenteurs de la carte sont des femmes. En 2009, les femmes représentent 55 % des premières demandes. Répartition par genre de 2000 à 2009 (en %)

Il est également intéressant de noter que la féminisation s’accompagne de transformations de la population de journalistes dans son ensemble : Elle est liée à l’élévation du niveau de diplôme, puisque parmi les nouveaux entrants, les femmes sont plus diplômées que les hommes Elle est liée à la diversification des statuts mais aussi à leur précarisation (elles sont plus souvent pigistes et demandeurs d’emploi)

Cependant, des inégalités professionnelles perdurent : les femmes sont davantage représentées parmi les pigistes et les jeunes. Les femmes sont plus nombreuses parmi les moins de 35 ans. Au-delà de cet âge, ce sont les hommes qui constituent la majorité des journalistes professionnels.

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Les femmes sont aussi plus ou moins bien représentées selon les types de contrat. Alors même que, dans l’ensemble de la profession, les femmes sont moins nombreuses que les hommes, elles sont aussi nombreuses, voire plus nombreuses dans des situations professionnelles moins stables. Ainsi, les pigistes et les CDD encartés en 2009 sont majoritairement des femmes (51,5% de femmes chez les pigistes et 56 ,2 % de femmes chez les journalistes en CDD). Les femmes sont surreprésentées parmi les demandeurs d’emploi. Alors qu’elles représentent 44,4% de la population globale des journalistes encartés, elles constituent 60% des demandeurs d’emplois inscrits au CNRJ3. Les hommes sont quant à eux plus nombreux parmi les journalistes permanents (57,7% d’hommes vs 42,3% de femmes). Mais c’est aussi au niveau des fonctions de direction que ces inégalités de genre demeurent. Les rédacteurs en chef sont essentiellement des hommes (68%), tout comme les rédacteurs en chef adjoints (67%) et les chefs de service (63%). A contrario, on retrouve davantage de femmes dans les fonctions de reporter rédacteur (49%) ou de secrétaire de rédaction (64%). La fonction de reporter photographe est également très masculine. 81% d’entre eux sont des hommes. En dehors des reporters rédacteurs où le nombre de femmes a rejoint celle des hommes, l’inégalité de genre dans les fonctions de direction varie peu depuis 2000. Les 6 premières qualifications par genre en 2009 (%)

L’âge et l’expérience professionnelle conditionnent également l’accès à certains postes. Les moins de 35 ans sont proportionnellement plus nombreux au poste de reporter-rédacteur. Les plus de 45 ans sont, quant à eux, plus nombreux que la moyenne dans les fonctions à responsabilité, telles que la rédaction en chef et celles de grand reporter.

CNRJ : Commission nationale de reclassement des journalistes, attachée au Pôle Emploi. Ces chiffres sont arrêtés au 18 mars 2010. Il faut cependant rappeler que le CNRJ comptabilise un nombre de journalistes chômeurs beaucoup plus élevé que la CCIJP : au 18 mars 2010, il y avait 4.722 journalistes inscrits à Pôle Emploi, dont 1.302 journalistes encartés. 3

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Des inégalités de salaires demeurent entre les journalistes hommes et les journalistes femmes. Le salaire moyen des journalistes hommes ayant un statut permanent est de 3 784 euros contre 3 284 euros pour les femmes. La moyenne cache cependant de fortes disparités et les extrêmes sont importants. Le salaire mensuel médian des journalistes hommes est de 3 400 euros, celui des femmes est de 3 024, soit 88,9% du salaire des hommes. En ce qui concerne les piges, là encore, un écart se dessine entre les hommes et les femmes. Les femmes touchent 2 005 euros en moyenne par mois, soit 88,8% des montants versés au titre des piges pour les hommes (2 258 euros). La médiane s’élève à 1 785 euros pour les femmes contre 1 955 euros pour les hommes. Info Population active L’augmentation du nombre de femmes est également visible dans l’ensemble de la population active : la part des femmes s’élevait à 47,6 % en 2009, contre 47,2 % en 2007.

Une profession qui continue de vieillir En 2008 et 2009, la moyenne d’âge du journaliste est stable (42,2 ans). Celle-ci était de 40,5 ans en 2000. En 2009, 39,4% des journalistes ont plus de 45 ans, contre 39,2 % en 2008. Ce vieillissement de la profession masque cependant des disparités liées au sexe et au type de contrat. Répartition des journalistes par genre et âge en 2009 (en%) Les femmes journalistes sont plus jeunes que les hommes. Plus du tiers des femmes journalistes ont moins de 35 ans en 2009 (35,7% des femmes vs 25,4% des hommes). Ces proportions restent identiques à 2008. En 2009, la moyenne d’âge des femmes était de 40,6 ans et celle des hommes de 43,4 ans.

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Répartition des journalistes par type de contrat et âge en 2009 (en %) La part des pigistes et des CDD est plus importante parmi les moins de 35 ans (46% des contrats précaires ont moins de 35 ans). Cette part diminue avec l’âge, bien qu’une légère augmentation de ces types de contrat se dessine après 60 ans.

En 2009, la moyenne d’âge des journalistes pigistes est de 38,2 ans contre 39,5 ans en 2008. La moyenne d’âge des journalistes permanents varie très peu, passant de 42,5 ans en 2008 à 42,6 ans en 2009.

Info Population active Pour information, dans l’ensemble de la population active, la part des 50 ans et plus a augmenté durant la décennie. Elle est passée de 23,7% à 25,3% de 2003 à 2007. Elle atteint 25,6% en 2009. Cependant, la part des jeunes de 15 à 29 ans ne diminue pas. [Source INSEE]

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Les pigistes et les CDD en augmentation, et les femmes plus concernées par les contrats précaires Sur l’ensemble de la période étudiée (2000-2009), la part des pigistes dans la profession est relativement stable. Ils augmentent cependant légèrement en 2009 atteignant 19,3% de l’ensemble de la population, ce qui représente 7311 pigistes. En 2008, ils représentaient 18,1% de la profession (6 837 pigistes). Cette part s’élevait à 18,8% en 2000. Selon certains chercheurs, ces chiffres ne révèlent qu’imparfaitement la montée de la précarité dans la profession. Certaines personnes réalisent des piges mais sans parvenir à en tirer la majorité de leurs ressources et ne sont donc pas comptabilisées. Ainsi, la CCIJP sous-estimerait le nombre réel de pigistes. Remarque méthodologique : D’autres sources, telles que la caisse de retraite du secteur de la presse (AUDIENS,) dénombrent cette catégorie professionnelle. Audiens comptait plus de 15 000 pigistes en 2008 (15 175), soit plus du double de la CCIJP. Au contraire, cette source surestimerait leur nombre, en prenant en compte toutes les personnes ayant réalisé au moins une pige dans l’année sans pour autant avoir un statut de journaliste professionnel.

Répartition des journalistes encartés par type de contrat en 2009 (en %) En 2009, 75,8% des journalistes encartés ont un contrat de type « permanent ». Ils étaient 77,4 % en 2008. Les journalistes pigistes représentent 16,6% en 2009, soit 0,2 points par rapport à 2008. Les journalistes en CDD ont augmenté entre 2008 et 2009, leur part est passé de 3,2% à 2,6% en 2009.

Remarque méthodologique : La CCIJP comptabilise les journalistes en CDD parmi les pigistes. Si l’on exclue les journalistes en CDD, le nombre de pigistes s’élève à 6 311 en 2009 (6 209 en 2008), soit 17% de la profession (16,4% en 2008). Comme cela était dit dans le précédent rapport, les chiffres confirment le maintien d’un sas d’entrée constitué de pigistes. Par contre, la rupture est forte par rapport à 2008 : alors que plus du tiers des nouveaux titulaires de la carte étaient pigistes en 2008 (39,6%), ce chiffre a fortement augmenté en 2009, passant à 49,4 % de contrats dits « précaires ». Parmi ceux-là, il y a davantage de femmes que d’hommes : 51,5 % de femmes parmi les journalistes pigistes et 56,2% de femmes parmi les journalistes en CDD.

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La Formation des journalistes français : Quelles évolutions ? Quels atouts à l’embauche ? Le cas des nouveaux titulaires de la carte 2008 – Etude de Christine Leteinturier Dans une étude sur les nouveaux titulaires de la carte de presse en 2008, Christine Le Teinturier rapporte des informations sur la formation de ces nouveaux titulaires, leurs expériences professionnelles et leur profil. Voici les principaux constats : Ces nouveaux titulaires ont un diplôme plus élevé (72% ont un niveau Bac + 3 et plus) et plus généraliste que la cohorte précédente (1998). 60% de la cohorte 2008 seraient ainsi passés par une formation professionnelle initiale ou continue, contre seulement 43% en 1998. Elle explique cette progression importante par « le développement du marché de la formation, tant du côté des filières universitaires que du côté des écoles non reconnues. » Les jeunes journalistes accumuleraient également de plus en plus d’expériences pré-professionnelles. Alors que les hommes étaient majoritaires en 1998 parmi les nouveaux entrants, en 2008, ce sont les femmes qui sont les plus représentées (53,8% de femmes vs 46,2 % d’hommes). En 2009, cette évolution se poursuit et 55% des premières demandes accordées sont des femmes.

De moins en moins de journalistes passés par un cursus reconnu En 2009, 15,2% des journalistes encartés sont passés par l’un des treize cursus reconnus4 par la profession, soit 0,4 points de plus qu’en 2008. Ils représentaient 12,2% de l’ensemble de la profession en 2000. Par contre, parmi les nouveaux titulaires de la carte, la part des diplômés des écoles a baissé de 2008 à 2009, passant de 324 à 275, soit 13,2% en 2009 contre 15,3% en 2008. Rappelons que chaque année, près de 400 personnes sont diplômées d’une de ces 13 écoles. Part des diplômés et des non diplômés de cursus reconnus parmi les journalistes de 2000 à 2009 (en %)

Profil des journalistes diplômés des écoles reconnues

Même si les femmes sont un peu moins nombreuses que les hommes parmi les journalistes diplômés des écoles (47,1% de femmes et 52,9% d’hommes en 2009), leur part est légèrement plus élevée que dans l’ensemble de la profession (44,4% en 2009). Le nombre de femmes Les diplômés des cursus de journalisme journalistes diplômées augmente chaque année depuis reconnus sont nettement plus représentés en information de proximité 2000 entre 4 et 7% par an. avec une part importante de la PQR. Plus de la moitié des journalistes passés par une école Pour les diplômés des écoles non reconnue et recevant pour la première fois la carte reconnues, on constate une part plus professionnelle en 2009 sont des femmes (54,5%). Ce importante de l’audiovisuel local et pourcentage est en légère baisse par rapport à 2008 régional. (55 ,6%). Les journalistes ayant un diplôme reconnu sont, en moyenne, plus jeunes que l’ensemble des journalistes. En 2009, la moyenne d’âge de ces Depuis la rentrée 2009, l’école de journalisme de Science Po est reconnue par la CPNEJ, la première promotion d’élèves diplômés sortira en 2011. Les statistiques de 2009 portent donc sur les 12 cursus reconnus. Pour en savoir plus : Site de l’observatoire des métiers de la presse / Les formations : http://www.metiers-presse.org/?uid=6 4

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journalistes est de 37,8 ans (37,6 en 2008) alors que pour l’ensemble des journalistes, elle est de 42 ans. Le fait de passer par un cursus reconnu ne garantit pas l’accès à un CDI. La part des pigistes est plus importante parmi les journalistes diplômés (23,2% en 2009) que dans l’ensemble de la profession (19,3% en 2009). Ce chiffre augmente aussi bien chez les journalistes diplômés d’un cursus reconnu que dans l’ensemble de la profession. Cette observation doit être mise en relation avec la moyenne d’âge plus jeune des journalistes diplômés.

Le maintien de la presse comme premier secteur d’activité Répartition des journalistes par secteur d’activité en 2009 (en %)

En 2009, la presse écrite représente toujours le premier secteur d’emploi des journalistes mais son poids dans l’emploi des journalistes a encore baissé. La part de la presse écrite est de 66% pour 2009, elle était de 69,4% en 2008. La presse écrite reste le premier secteur d’activité des journalistes diplômés d’un cursus reconnu, mais cette part baisse légèrement (54% en 2009 vs 56,3% en 2008). A contrario, la part de la télévision, de la radio et de la production audiovisuelle est plus importante chez les journalistes ayant un diplôme reconnu que chez l’ensemble des journalistes.

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Répartition des journalistes dans les cinq principaux secteurs d’activité de 2000 à 2009 (en %)

Ces proportions sont encore plus marquées parmi les nouveaux titulaires de la carte. Ces derniers travaillent de plus en plus en télévision (11,9% en 2000 et 16,2% en 2009), ainsi qu’en radio (8,3% en 2000 et 9,1% en 2009). Les femmes sont proportionnellement plus nombreuses que les hommes en presse écrite (73,3% de femmes vs 69,1% des hommes en 2009) et cet écart se creuse par rapport à 2008 (71,7% vs 67,6%). A l’inverse, elles sont proportionnellement moins nombreuses que les hommes en télévision (10,7% des femmes vs 14,7% des hommes en 2009), en radio (6,9% des femmes vs 7,9% des hommes en 2009) et en production audiovisuelle (2,8% des femmes vs 3,3% des hommes en 2009).

Le papier comme principal média d’exercice, mais en diminution progressive En 2009, 61,6% des journalistes travaillent sur le support papier, soit 3,5 points de moins qu’en 2008. Dans le même temps, les journalistes ont de plus en plus de mal à répondre à la question du support d’exercice (l’augmentation de 3,6 points du nombre de non réponses sur cette question est significative d’une année sur l’autre) et pourrait traduire la diversité des supports sur lesquels les journalistes sont amenés à travailler aujourd’hui. Un journaliste est de moins en moins dédié à un support en particulier. La baisse du support papier depuis le début des années 2000 s’accompagne d’une augmentation progressive de la part de la télévision comme support d’exercice des journalistes (10,5% en 2000 et 12,1% en 2009). La télévision est ainsi le deuxième support d’exercice des journalistes.

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Répartition des journalistes par type de support en 2009 (en %) Le support Internet a également connu une progression, passant de 0,6% en 2000 à 1,6% en 2009, avec un pic à 1,7% en 2001. Ce dernier chiffre rend compte de la « bulle Internet » du début de la décennie, qui a conduit à l’embauche de journalistes et à leur affectation sur ce nouveau support.

Comparativement à l’ensemble de la profession, les nouveaux titulaires de la carte travaillent proportionnellement moins sur les supports classiques, tels que le papier, la télévision et la radio. Ainsi, en 2009, 49,6% des nouveaux titulaires travaillaient sur le papier, contre 61,6% pour l’ensemble des journalistes encartés. La part d’Internet est plus élevée parmi les nouveaux titulaires que parmi l’ensemble des journalistes (3,9% vs 1,7% en 2009). On observe également une baisse significative des supports papier et internet entre 2008 et 2009 et une augmentation du nombre de non réponses chez les nouveaux entrants. Cela pourrait traduire le fait que les nouveaux entrants travaillent davantage sur plusieurs supports à la fois.

Observatoire des métiers de la presse – Février 2011

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Des rémunérations irrégulières Quel que soit le mode de rémunération, piges ou salaires mensualisés, le montant des rémunérations, irrégulier de 2000 à 2006, repart légèrement à la hausse à partir de 2007. Cette tendance sera à confirmer avec les données des prochaines années. Les journalistes en CDI demeurent, cependant, mieux rémunérés que les journalistes travaillant à la pige. Les journalistes en CDD touchent également moins que les journalistes en CDI.

Les journalistes permanents Répartition des journalistes selon le salaire brut mensuel moyen en 2009 (en %) En 2009, 30 % des journalistes encartés permanents payés en salaires gagnent entre 3 000 et 4 000 euros. La proportion des journalistes qui touchent des salaires de plus de 3000 euros augmente légèrement par rapport à 2008. A contrario, la proportion de ceux qui touchent des salaires inférieurs à 3000 euros diminue. Le salaire médian des journalistes en CDI est passé de 3 133 euros en 2008 à 3 225 euros en 2009 et vient confirmer une légère augmentation des salaires des journalistes en CDI. Moyenne des salaires touchés par les journalistes en CDI de 2000 à 2009

En euros constants, les journalistes gagnent en moyenne 3.627 euros bruts par mois. Après une stagnation de 2006 à 2008, cette moyenne repart légèrement à la hausse en 2009.

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Les journalistes pigistes Répartition des journalistes pigistes selon le montant mensuel brut moyen des piges en 2009 (en %)

En 2009, 34,9% des journalistes pigistes gagnaient moins de 1.500 euros. En 2008, ils étaient 37,2%.

Moyenne des piges touchés par les journalistes pigistes de 2000 à 2009

En euros constants, la moyenne des piges a diminué de 2000 à 2009, passant de 2 264 euros à 2.159 euros. Elle avait atteint 2 468 euros en 2001 pour diminuer progressivement jusqu’en 2006. Depuis 2007, elle remonte très légèrement pour atteindre 2 159 euros en 2009. Le revenu médian des journalistes pigistes en 2009 est de 1 855 euros. Il était de 1 817 en 2008.

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Les journalistes en CDD Répartition des journalistes en CDD selon le salaire brut mensuel moyen en 2009 journalistes en Les CDD sont au nombre de 1000 en 2009. Ils étaient 628 en 2008. Ils sont un peu plus d’un tiers à toucher entre 1.500 et 2.000 euros, et 14,5 % à gagner moins de 1500 euros. Les journalistes en CDD gagnent en moyenne Leur 2.317 euros. salaire médian est de 2.000 euros. Moyenne des salaires touchés par les journalistes en CDD de 2000 à 2009

On observe les mêmes évolutions entre 2000 et 2009 chez les journalistes en CDD que chez les pigistes : un pic en 2001 puis une diminution progressive jusqu’en 2006. Depuis 2007, la moyenne en euros constants des salaires des journalistes en CDD stagne autour de 2.300 euros.

Les disparités de rémunérations observées ne sont pas uniquement liées au type de contrat (contrat permanent ou piges) mais également aux caractéristiques individuelles du journaliste, telles que le genre, l’âge, et le fait de détenir ou non un diplôme de journalisme.

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Moyennes et médianes des salaires et des piges en 2009 Journalistes Ensemble

Permanents Moyenne Médiane 3 573 3 225

Pigistes Moyenne Médiane 2 128 1 855

Moyenne 2 317

CDD Médiane 2 000

Femmes

3 284

3 024

2 005

1 785

2 215

2 000

Hommes

3 784

3 400

2 258

1 955

2 448

2 011

Moins de 45 ans

3 027

2 856

2 048

1 845

2 199

1 996

Plus de 45 ans

4 352

3 933

2 298

1 881

3 813

3 116

Diplômés d’un cursus reconnu Diplômés d’un cursus non reconnu

3 843

3 431

2 169

1 961

2 345

2 082

3 526

3 186

2 119

1 829

2 308

2 000

Toute caractéristique confondue, les journalistes permanents gagnent davantage que ceux en CDD qui gagnent eux même plus que les journalistes pigistes. Les différences de rémunérations hommes/femmes se retrouvent dans tous les types de contrats : les hommes sont toujours mieux payés en moyenne que les femmes. De même, le fait d’avoir obtenu un diplôme reconnu augmente le revenu moyen des journalistes. Cette différence est significative chez les journalistes permanents. Elle ne l’est pas chez les journalistes en CDD ou pigistes.

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QUE FAUT-IL RETENIR POUR 2009 ?

Fin 2008, les chiffres laissaient pressentir la fin de la progression du nombre de journalistes. Les chiffres de 2009 confirment une stagnation du nombre de cartes délivrées. La tendance au vieillissement de la population des journalistes se confirme également. La moyenne d’âge des journalistes augmente progressivement. La féminisation de la profession se poursuit. Pour autant, si les femmes journalistes sont de plus en plus nombreuses, elles sont aussi, plus souvent que les hommes, en situation précaire. La précarisation augmente surtout chez les nouveaux détenteurs de la carte, qui ont de plus en plus de mal à obtenir un contrat permanent. Les diplômés des écoles reconnues sont de moins en moins présents parmi les nouveaux entrants, avec un peu plus de 13 % des journalistes encartés pour la première fois. Le secteur de la presse est toujours le premier secteur d’activité, mais son poids baisse progressivement dans l’emploi des journalistes, notamment chez les nouveaux entrants. Il en est de même du papier, qui laisse place à des modes de travail qui combinent de plus en plus plusieurs types de support.

Info métiers La cartographie des métiers de la presse est disponible en ligne (http://cartographie.metierspresse.org/). Elle fournit des informations sur les différents métiers en journalisme, tels que le rédacteur, l’éditeur rédactionnel, le rédacteur en chef, le responsable techniques et organisation etc.

Sources •

Données de la CCIJP de 2001 à 2009



Enquête emploi de l’INSEE



DEVILLARD Valérie, LAFOSSE Marie-Françoise, LETEINTURIER Christine, RIEFFEL Rémy (2001), Les journalistes français à l’aube de l’an 2000. Profils et parcours, Editions PanthéonAssas, 170 pages



NEVEU Erik (2004), Sociologie du journalisme, La Découverte, 123 pages



DDM – CRAP (2001), Devenir journalistes. Sociologie de l’entrée sur le marché du travail, La documentation française, 165 pages



RIEFFEL Rémy (2005), Sociologie des médias, Ellipses, 223 pages



LETEINTURIER Christine (2008), Les nouveaux titulaires de la carte de presse, IFP/CARISM ANR – CCIJP



LETEINTURIER Christine (2010), La formation des journalistes français : Quelles évolutions ? Quels atouts à l’embauche ? Le cas des nouveaux titulaires de la carte 2008 (pp. 110-133) in Cahiers du journalisme – n°21



DAMIEN-GAILLARD Béatrice, FRISQUE Cégolène, SAITTA Eugénie (Dir.) (2010), Le Journalisme au Féminin - Assignations, inventions, stratégies, Presses Universitaires de Rennes, 282 pages

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