Manuel Histoire Géo Seconde Nathan

November 14, 2021 | Author: Anonymous | Category: N/A
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Réponses aux questions

Chapitre

1

La place des populations de l’Europe dans le peuplement de la Terre � MANUEL, PAGES 12-37

◗ Ouverture de chapitre � MANUEL PAGES 12-13

Doc. 1. L’Europe, un foyer de peuplement majeur jusqu’au xixe siècle… (Le Combat de Carnaval et de Carême, huile sur bois de P. Brueghel, 118 x 164,5 cm, 1559. Vienne, Kunsthistorisches Museum.)

Le Carnaval, incarné par le personnage repu de la gauche du tableau, est la période de débauche profane qui prend place entre l’Épiphanie et le Mardi gras. Le Carême, représenté par le famélique personnage de la droite du tableau, correspond aux quarante-six jours de pénitence religieuse qui séparent le mercredi des cendres de Pâques. L’abondance de nourriture du côté de Carnaval permet de rappeler le rôle primordial de l’agriculture dans le développement de fortes densités de population. Doc. 2 … dont les habitants se sont implantés sur tous les continents. (Les Émigrants, huile sur toile de A. Tommasi, 262 x 433 cm, 1896. Rome, Galerie Nationale d’Art Moderne.)

Angiolo Tommasi (1858-1923) représente ici la foule des migrants attendant l’embarquement. Il connaît d’autant mieux le sujet qu’il a lui-même traversé l’Atlantique dans l’un de ces bateaux à l’occasion d’un voyage en Amérique du Sud en 1899. Dans ce tableau, il met l’accent sur la longue attente, la lassitude, le peu d’entrain et la résignation des émigrants, rappelant que le choix de quitter l’Europe relève le plus souvent de la contrainte plutôt que d’une réelle volonté. La présence de femmes et d’enfants montre qu’une bonne partie de ces migrants, dont la pauvreté est soulignée par leur habillement simple et la taille modeste de leurs bagages, part sans doute définitivement. • 10

◗ Carte L’empreinte européenne sur le monde � MANUEL PAGES 14-15

L’objectif de cette carte, recensant les traces encore perceptibles de nos jours de la présence européenne outre-mer, est de faire prendre conscience aux élèves de la longue tradition d’émigration des Européens. Celle-ci n’est pas forcément évidente pour les élèves puisque l’achèvement précoce de la transition démographique en Europe a tari puis inversé ces flux migratoires. Elle permet par ailleurs d’insister sur l’apport culturel dont ont été porteurs les émigrés européens qui ont peuplé certaines régions du monde et provoqué des métissages encore perceptibles aujourd’hui. • Questions 1 et 2. Trois catégories de régions peuvent être distinguées du point de vue de l’influence qu’y ont exercée ou qu’y exercent encore les Européens. D’abord, celles qui sont restées largement imperméables à l’européanisation pour des raisons démographiques (de grands foyers de peuplement comme la Chine n’ont pas laissé prise à l’implantation massive de migrants européens) ou de civilisation (l’essentiel du monde musulman n’a été qu’effleuré par l’influence européenne). Viennent ensuite les régions qui ont hérité d’éléments culturels européens du fait de la colonisation, mais dont la population demeure très majoritairement d’origine indigène (Afrique, Inde). Enfin, les Amériques et l’Océanie sont les régions les plus influencées par l’Europe, car en plus d’avoir été colonisées, leur population est pour une part importante issue de l’émigration européenne, les groupes autochtones ayant été rapidement décimés par les guerres et les épidémies et marginalisés.

1. L’Europe,

un foyer de peuplement majeur � MANUEL, PAGES 16-17

Doc. 1. La répartition géographique de la population mondiale (en millions)

La comparaison des données du premier graphique avec celles du dernier met en évidence la très forte augmentation de la population européenne et mondiale entre les deux bornes chronologiques du programme. Le graphique intermédiaire permet de constater que cette croissance démographique est longtemps demeurée modeste et qu’elle n’a pris des proportions importantes que tardivement. Le poids démographique prépondérant de l’Asie à toutes les époques est à souligner. • Question. Entre – 400 et 1900, la population européenne a été multipliée par 13 en chiffres absolus (de 32 à 422 millions). Mais cette augmentation doit être relativisée dans la mesure où, en proportion, le poids démographique de l’Europe est demeuré globalement stable, représentant environ 20 % de la population mondiale. Le xixe siècle constitue cependant une exception notable puisque, pour la première fois, l’Europe devient la région la plus peuplée au monde et concentre un peu plus du quart de l’humanité. Doc. 2. Le peuplement de la Terre

La comparaison de ces deux planisphères a pour objectif premier de souligner l’inertie de la localisation des foyers de peuplement sur la longue durée  : là où les hommes sont nombreux dans l’Antiquité, ils le sont encore au xixe siècle et aucun pôle n’émerge qui vienne concurrencer ces foyers de peuplement primitifs. • Question 1. On constate une forte inertie dans la répartition du peuplement  : les principales concentrations humaines sont les mêmes dans l’Antiquité et au xixe  siècle (Europe, Inde et Chine). Cela s’explique par l’effet d’entraînement que provoque la concentration humaine  : plus une région est peuplée, plus elle développe des techniques agricoles efficaces et plus elle est à même de supporter une pression démographique importante. • Question 2. Dans l’Antiquité comme au on remarque que les hommes vivent majoritairement dans l’hémisphère Nord et à xixe siècle,

proximité des littoraux. Cependant, tout l’hémisphère Nord et tous les littoraux ne sont pas très peuplés : on ne peut donc pas expliquer la répartition des hommes sur Terre uniquement par des facteurs géographiques. Doc. 3. La foule dans la ville moderne

Cette photographie illustre la poussée démographique de l’Europe au xixe  siècle, particulièrement sensible dans les villes dont la croissance est accélérée par le développement des réseaux de chemin de fer qui facilitent l’exode rural. Londres est alors la ville la plus peuplée du monde avec plus de 6 millions d’habitants, soit deux fois plus que Paris. Le Royaume-Uni est le premier pays au monde à voir sa population urbaine dépasser sa population rurale, dès 1851, soit près de 70 ans avant la France. Doc. 4. Le « péril jaune »

– Question. Le nombre des Chinois suscite une vive inquiétude en Europe à la fin du xixe et au début du xxe siècle. Alors que l’Europe est divisée en puissances rivales guerroyant entre elles, les Chinois sont à eux seuls plus de 400 millions et une offensive militaire de leur part semble donc imparable. Le bas coût de la main-d’œuvre chinoise est également perçu comme une source de concurrence déloyale qui pourrait à terme menacer la prospérité européenne. Le rapprochement de ce texte avec le document 1 doit conduire à soulever le paradoxe d’une Europe qui se sent menacée alors même qu’elle est pour la première fois de son histoire plus peuplée que la Chine. La peur des « jaunes » connaît pourtant son apogée quelques années après la publication du texte de Novicow, lorsqu’en 1905 les Japonais infligent une cinglante défaite navale et terrestre aux Russes : pour la première fois, l’armée d’un peuple « blanc » est battue par des « jaunes », pour reprendre les termes de l’époque.

2. L’essor de la population européenne � MANUEL, PAGES 18-19

Doc. 1. La transition démographique

Ce double schéma rappelle les grandes phases de la transition démographique et son impact sur la croissance naturelle. La date d’entrée en transition varie bien sûr selon les pays, la France étant le pays le plus précoce puisqu’elle entame sa 11 •

transition dès la première moitié du xviiie siècle et l’achève vers 1900, tandis que l’Italie et l’Allemagne font figure de retardataires, la mortalité n’y commençant à diminuer que dans les années 1880. Dans la première phase de la transition, la baisse de la mortalité s’accompagne d’un rajeunissement de la population, car ce sont les nouveaunés qui bénéficient le plus de cette baisse. Dans la deuxième phase, la baisse de la natalité est d’autant plus lente qu’elle est atténuée par l’augmentation des couples en âge de procréer provoquée par la baisse de la mortalité juvénile en première phase : la fécondité diminue donc plus vite que la natalité. Doc. 2. La Peste Noire, 1348 (Enluminure extraite de la Chronique de Flandre de Gilles le Muisit, 1272-1353. Bruxelles, Bibliothèque royale Albert Ier.)

Cette enluminure médiévale, où l’on dénombre plus d’un cercueil pour deux personnes vivantes, rappelle l’ampleur de la récession démographique provoquée en Europe par la Peste Noire (1347-1353). Venue d’Asie, l’épidémie s’est répandue dans l’ensemble du Bassin méditerranéen par l’intermédiaire des navires marchands. On estime que l’Europe a perdu entre 30 et 50 % de sa population en à peine 5 ans. Doc. 3. L’évolution de la population européenne

xviiie siècle

dans une intention prophylactique.

• Question 2. En interdisant de déposer des ordures dans l’espace public, on procède en effet à l’assainissement de celui-ci. Ce faisant, on diminue le risque de développement et de diffusion des maladies et des épidémies, et donc la mortalité. Doc. 5. Une vaccination en famille (Huile sur toile de Louis Léopold Boilly, 1807. Londres, Wellcome Library.)

• Question 1. On distingue sur le tableau, outre le père qui domine la scène et la mère qui tient le jeune enfant vacciné sur ses genoux, deux nourrices, repérables à leur coiffe, et les enfants. • Question 2. On peut compter au moins 8 enfants. C’est donc une parfaite illustration de la première phase de la transition démographique : la vaccination faisant reculer la mortalité infantile et juvénile, la taille des familles s’accroît considérablement.

3. L’émigration des Européens au xixe siècle

� MANUEL, PAGES 20-21

Doc. 1. La ruée vers l’or (Couverture de l’ouvrage de Scott Marble Heart of the Klondike. La terre promise, 1897.).

– Question. Jusqu’en 1500, la population européenne a connu une croissance modérée (de 20  millions d’habitants en –  400, on arrive à 67  millions en 1500) et chaotique (plusieurs phases de diminution de la population sont en effet observables  : on passe par exemple de 70 millions d’Européens en 1200 à 52 millions en 1400), famines et épidémies étant les principales responsables de cette irrégularité. À partir de 1500, la croissance s’accélère et ne connaît plus d’interruption. La population européenne est multipliée par plus de 4 entre 1500 et 1900, soit une croissance supérieure à celle enregistrée entre – 400 et 1500, au cours de laquelle la population européenne a été multipliée par 3,5.

L’image illustre l’exultation des chercheurs d’or ayant enfin atteint leur but et contribue à diffuser en Europe l’idée qu’il est possible de faire fortune facilement par ce moyen. L’exception est ici présentée comme la norme, et l’on passe sous silence le fait que la majorité des chercheurs d’or ne trouve en fait que la misère (voir doc. 9, p. 24). On trouvera de plus amples informations et d’autres documents sur la ruée vers l’or dans le Klondike sur ce site Internet : http://www.tc.gov.yk.ca/archives/klondike/fr/ prologue.html

Doc. 4. Les progrès de l’hygiène

Cette carte permet de repérer et de hiérarchiser les différentes destinations des migrants européens au xixe siècle. Il en ressort la prédominance des États-Unis qui constituent le principal pôle d’ac-

• Question 1. Ce règlement illustre les politiques d’hygiène publique mises en place dans les grandes villes européennes à la fin du • 12

Doc. 2. L’émigration des Européens sur d’autres continents au xixe siècle

cueil, d’autant plus qu’une partie des migrants se destinant au Canada entre ensuite aux États-Unis par voie terrestre (le prix des traversées vers le Canada est en effet souvent moins cher que vers les États-Unis). Entre  1903 et  1914, les ÉtatsUnis accueillent chaque année plus d’1 million d’immigrants. Suit la Sibérie dont le peuplement par des migrants russes s’inscrit dans une politique de front pionnier encouragée par une loi de 1904, puis l’Argentine et le Brésil où le besoin de main-d’œuvre bon marché, notamment pour la culture du café, est alors d’autant plus fort que l’esclavage y a été récemment aboli. Doc. 3. Les États-Unis, une terre d’asile (Illustration d’un ouvrage russe Au-delà de l’océan, 1909.)

Ce document permet d’évoquer les migrations contraintes d’origine politique  : elles concernent les communards déportés en Algérie ou en Nouvelle-Calédonie, mais surtout les juifs d’Europe centrale et orientale qui fuient l’antisémitisme et son cortège de pogroms en se réfugiant en Europe occidentale, en Amérique du Sud, mais surtout aux États-Unis. Ce sont au total près de 3  millions de juifs qui quittent ainsi la Russie entre 1881 et 1914. Doc. 4. Le malthusianisme

• Question 1. Selon Malthus, il existe un décalage entre la croissance démographique qui est de type exponentiel (ou géométrique  : 1, 2, 4, 8, 16, 32, etc.) et la croissance des ressources alimentaires disponibles qui est de type arithmétique (1, 2, 3, 4, 5, 6, etc.) Ce décalage expliquerait l’apparition des famines, qui sont appelées à se multiplier si rien n’est fait pour inverser cette tendance. • Question 2. Malthus en déduit qu’il est nécessaire de diminuer la population pour la ramener au niveau des ressources alimentaires. Dans ce dessein, il s’oppose à la distribution d’une assistance aux pauvres (la famine est considérée comme un mal nécessaire qui permet d’ajuster l’effectif humain au potentiel agricole du pays) et encourage l’abstinence et les mariages tardifs. Dans Évolution agraire et pression créatrice (1965), l’économiste danoise Esther Boserup a pris le contre-pied des thèses malthusiennes en démontrant que « la nécessité est la mère de l’invention », c’est-à-dire que la pression démogra-

phique est un stimulant nécessaire à l’apparition du progrès technique permettant d’y répondre.

◗ Étude Quitter les îles Britanniques au xixe siècle � MANUEL, PAGES 22-25 Analyse des documents

A. Les raisons du départ � MANUEL, PAGES 22-23

1. L’émigration s’explique avant tout par la misère, qui résulte elle-même des difficultés à faire face aux conséquences de la transition démographique. Faute de trouver une terre ou un emploi dans les îles Britanniques, les plus pauvres sont tentés d’aller chercher de quoi vivre ailleurs. Le surpeuplement des prisons et le souci d’éviter les récidives ont aussi contribué au développement d’une émigration contrainte. 2. L’émigration est d’autant plus massive qu’elle est encouragée à la fois par le gouvernement britannique qui y voit un moyen de réduire la pression démographique tout en renforçant son empire colonial, et par certains pays qui sont en quête de main-d’œuvre et qui déploient des stratégies publicitaires particulièrement efficaces pour attirer les migrants. 3. L’Irlande est la partie des îles Britanniques la plus affectée par l’émigration du fait de sa surpopulation et de la grande famine qu’elle subit entre 1845 et 1850. Les historiens débattent encore pour savoir si la diffusion de la pomme de terre est responsable de la forte croissance démographique de l’Irlande au xixe  siècle dans la mesure où elle aurait facilité les mariages précoces et fait diminuer la mortalité (c’était la thèse de Malthus) ou si elle n’a fait qu’accompagner une croissance qui lui est antérieure et donc pour partie indépendante. 4. Pour les pays qui accueillent les émigrés européens, ceux-ci constituent une précieuse main-d’œuvre leur permettant de s’approprier et de mettre en valeur leur vaste territoire alors largement désert. Lorsque ces pays font partie de l’Empire britannique, les immigrés constituent d’utiles relais qui permettent d’affermir le contrôle sur ces territoires en marginalisant progressivement les premiers habitants. 13 •

5. Les émigrants britanniques se dirigent principalement vers l’Amérique du Nord et l’Océanie. En effet, ces régions font ou ont fait partie de l’Empire britannique et les émigrants peuvent donc s’y intégrer plus facilement, notamment d’un point de vue linguistique. Par ailleurs, ces régions sont encore peu peuplées relativement à leur taille, et ont donc besoin d’un apport démographique qu’elles facilitent. Enfin, les candidats à l’émigration ont tendance à s’appuyer sur ceux qui les ont précédés et donc à suivre les mêmes itinéraires migratoires qu’eux.

10. L’intégration des immigrés britanniques est lente, mais finit par se faire, comme en témoignent l’enrichissement ou la xénophobie de certains d’entre eux. Elle est à la fois ralentie et encouragée par la tendance au regroupement communautaire, qui facilite l’intégration des nouveaux venus tout en freinant leur assimilation dans le pays d’accueil. L’octroi relativement rapide de la citoyenneté américaine et du droit de vote qui va avec permet cependant d’accélérer leur assimilation.

B. Entre intégration et désillusion

En ce qui concerne les causes de l’émigration, il faut souligner qu’elles relèvent tout autant du désir que de la contrainte. La misère régnant dans des îles Britanniques surpeuplées contraste avec l’image fantasmée de terres lointaines où la fortune semble à portée de main, telle qu’elle est diffusée par tous ceux (pays de départ et d’accueil, compagnies maritimes, employeurs) qui ont intérêt à promouvoir l’émigration. S’agissant des modalités de l’émigration, il faut insister sur son caractère très encadré : les pays d’accueil procèdent à un tri des candidats et subventionnent parfois leur voyage. Les anciens immigrés conseillent et aident les membres de leur entourage qui souhaitent les imiter. Enfin, les conséquences de l’émigration sont multiples. Elle permet d’abord de soulager dans les îles Britanniques la pression engendrée par la transition démographique tout en confortant le rayonnement international de celles-ci. D’un autre côté, elle facilite le développement des pays d’accueil. Même si l’émigration suscite des tensions, les nouveaux venus ne s’intègrent pas toujours facilement. Pour beaucoup d’émigrants, ce n’est qu’à la deuxième génération qu’une amélioration sensible des conditions de vie peut être constatée.

� MANUEL, PAGES 24-25

Les immigrés sont accueillis aux États-Unis sans égards particuliers, mais plutôt facilement : quelques minutes suffisent à obtenir l’autorisation de pénétrer sur le sol américain. 7. Ellis Island, qui a succédé comme centre d’accueil new-yorkais pour les immigrants à Castle Garden (voir manuel p.  34) en 1892, présente de multiples avantages, dont le principal est son insularité, qui permet de mieux contrôler les flux d’immigrants et d’éviter que certains d’entre eux, refoulés, ne parviennent tout de même à s’infiltrer clandestinement. Par ailleurs, elle constitue une vitrine de l’Amérique, les migrants pouvant y voir au sud la statue de la Liberté installée quelques années plus tôt en 1886, et au nord, Manhattan. 8. Le rejet des immigrants européens s’explique d’abord par des différences religieuses (les catholiques irlandais puis italiens sont particulièrement mal acceptés aux États-Unis) et nationales (on peut en effet distinguer des vagues dans l’émigration à destination des États-Unis : principalement britannique dans les années 1850, elle devient de plus en plus allemande à la fin du xixe siècle puis provient surtout d’Europe méridionale et orientale au début du xxe siècle). Elle a également des causes économiques et sociales, les immigrés étant soupçonnés de faire baisser les salaires et de faire augmenter la criminalité. 9. La déception de certains immigrés est d’autant plus forte qu’on leur a souvent promis monts et merveilles. Or, ceux-ci se rendent finalement compte, une fois arrivés sur place, qu’il leur faut accepter de travailler dur pour des salaires dérisoires sans grandes perspectives d’ascension sociale. • 14

Bilan de l’étude

◗ Étude Quitter l’Italie au xixe siècle � MANUEL, PAGES 26-29 Analyse des documents

A. Le départ � MANUEL, PAGES 26-27

1. Le chômage, la misère et les maladies qui y sont liées poussent nombre d’Italiens à cher-

cher un emploi ailleurs, au moins de manière temporaire. 2. L’émigration italienne, plutôt mal vue par les pouvoirs publics du jeune royaume (il est question « d’infâmes accapareurs d’émigrants » dans le document 1), est encouragée par les compagnies maritimes qui se chargent de toutes les formalités avant l’embarquement (doc. 2 et 5). 3. Les migrants partent généralement avec très peu de bagages (voir manuel doc. 2 p. 13), parfois seuls pour les hommes, parfois en famille. Ils sont soumis à une visite médicale avant l’embarquement, puis s’engagent dans une traversée de l’Atlantique, dans des conditions de confort très spartiates, qui peut durer environ quatre semaines avec un bateau à voiles, ou un peu plus d’une semaine avec un bateau à vapeur. 4. Les migrants italiens se dirigent d’abord vers la France qui est le seul pays géographiquement proche où, transition démographique précoce oblige, ils peuvent espérer trouver facilement à s’employer. Certains profitent également de la proximité géographique avec les colonies françaises d’Afrique du Nord pour s’y installer. Mais la majorité s’oriente vers l’Amérique, et notamment les États-Unis, le plus souvent bercée des illusions du rêve américain. 5. Les Italiens qui quittent définitivement leur pays pour aller s’installer en Amérique avec femmes et enfants sont pour l’essentiel des paysans sans terre qui ne trouvent plus à s’employer à des conditions acceptables dans leur pays natal. Le texte du document  4 signale également que des ouvriers et même des membres des classes moyennes se laissent tenter par une aventure outre-atlantique. B. Une implantation difficile � MANUEL, PAGES 28-29

6. Les immigrés italiens qui débarquent à New York doivent d’abord, comme tous les autres, passer par Ellis Island pour se soumettre à une visite médicale (voir manuel doc. 7, p.  24). Ils retrouvent ensuite généralement un proche qui les aide à trouver logement et travail. S’ils ne connaissent personne, ils sont pris en charge par des padroni, anciens immigrés qui mettent à profit leur bilinguisme pour servir d’intermédiaires entre les employeurs et les immigrés. Ils se char-

gent de les loger et de leur trouver un travail, non sans prélever au passage une forte commission. Cela explique que les Italiens de New York tendent tous à vivre dans le même quartier. 7. Les anciens immigrés facilitent l’installation des nouveaux en les aidant à trouver logement et emploi ainsi qu’en leur offrant un cadre de vie réconfortant (églises, magasins, presse communautaire, etc.). Les nouveaux arrivants pâtissent cependant de la mauvaise image qu’ont parfois laissée leurs prédécesseurs, ou sont quelquefois victimes de xénophobie (voir manuel doc. 10 p. 25). 8. Comme les autres migrants européens, les Italiens vivent largement en marge de leurs sociétés d’accueil. Confinés dans des hôtels ou dans des quartiers qui leur sont de fait réservés, ils ne parlent, pour la plupart, pas la langue du pays d’accueil et se marient entre eux. Ce n’est le plus souvent qu’à la deuxième génération que des signes tangibles d’intégration voire d’assimilation se font sentir. Des exceptions notables sont cependant à souligner, comme Pascal d’Angelo (doc. 5, p. 27) qui écrit ses mémoires directement en langue anglaise. 9. La propagande xénophobe présente les Italiens comme des fainéants (qui font la sieste sur les trottoirs plutôt que de travailler, gênant au passage la circulation piétonne), vivant entassés dans des appartements insalubres et ayant le crime pour seule occupation. Elle incite par conséquent à s’en débarrasser physiquement. bilan de l’étude

C’est la pauvreté qui pousse les Italiens à émigrer. L’ampleur du mouvement s’explique par le fait que l’émigration est encouragée et facilitée par certains pays en quête de main-d’œuvre et par les compagnies maritimes qui se doivent de remplir leurs bateaux pour rentabiliser leur activité. Les Italiens partent soit seuls, soit en famille, avec très peu de bagages, pour une traversée de l’Atlantique longue et inconfortable. Après les formalités d’usage, ils se retrouvent le plus souvent entre eux, confinés dans des hôtels ou dans des quartiers à forte concentration italienne. L’émigration de millions d’Italiens a soulagé leur pays de départ tout en contribuant au peu15 •

plement et au développement de leurs pays d’accueil. Leur intégration y a cependant été longue et difficile, notamment aux États-Unis où leur religion catholique en faisait une communauté jugée particulièrement dure à assimiler. Certains d’entre eux ont d’ailleurs choisi de revenir en Italie, soit qu’ils n’aient pas réussi à trouver un emploi digne de leurs espérances, soit qu’ils aient accumulé un pécule suffisant pour revenir s’installer dans leur pays natal dans des conditions décentes.

◗ Histoire des Arts Les taudis de New York � MANUEL, PAGES 30-31

Doc. 1. Un tenement vu de l’extérieur (Un tenement dans Roosevelt Street, photographie de Jacob Riis, 1889.)

Cette photographie de Jacob Riis offre, par contraste avec le document 3, une vue extérieure des tenements new-yorkais. On y perçoit bien la pauvreté, la promiscuité et l’isolement de ces quartiers peuplés quasi uniquement d’immigrés. Doc. 2. « Pourquoi je suis devenu photographe »

Cet extrait de l’autobiographie de Jacob Riis, qui est lui-même un immigré européen mais n’a jamais vécu dans un tenement, rappelle les conditions dans lesquelles ce journaliste est devenu photographe. Ce ne sont pas des considérations esthétiques mais pratiques qui l’ont conduit à adopter ce médium. La photographie lui permettait de saisir rapidement et de la manière la plus réaliste possible les scènes dont il était le témoin lors de ses excursions (facilitées par son amitié avec le chef de la police new-yorkaise Théodore Roosevelt) dans les tenements. Doc. 3. Les Taudis de Bayard Street à New York, photographie de Jacob Riis, 1889. (Tirage en gélatine argentique. Collection Jacob A. Riis. Musée de la ville de New York.)

L’entassement des immigrés, tous des hommes, dans une pièce sombre et salle, offre l’image saisissante de la face cachée du rêve américain. Analyse du document

1. Jacob Riis a décidé d’utiliser la photographie pour accréditer les témoignages qu’il donnait jusqu’alors par écrit ou lors de conférences. • 16

Les préoccupations de Riis sont sociales et non esthétiques. Son objectif n’est pas de réaliser de belles photographies mais de témoigner des conditions de vie déplorables des immigrés. Il a un usage militant de la photographie. 2. On distingue nettement six hommes dans la pièce, et peut-être un septième au premier plan. Des malles qui rappellent que l’on est en présence d’immigrés, des sacs, des plats et quelques vêtements sont visibles. Riis veut dénoncer l’insalubrité, la surpopulation et la misère qui règnent dans les tenements. 3. Le désordre qui règne dans la pièce et le fait que les hommes semblent émerger de leur sommeil laissent penser que la photographie a été prise à l’improviste. Cela renforce l’impact de la photographie car on ne peut pas accuser Riis d’avoir mis en scène la photographie pour noircir la réalité et apitoyer son public. 4. Une des personnes photographiées, qui se tient le visage avec son poing droit, ne semble pas surprise de l’irruption du photographe et de ses assistants. Sa tenue n’est pas une tenue de sommeil, à moins qu’elle ne témoigne du froid qui règne dans la pièce. Toutes les personnes regardent l’objectif de l’appareil photo, l’illumination provoquée par le flash renforçant leur caractère hagard. Le fait que les personnes photographiées regardent toutes le photographe crée chez le spectateur un sentiment de responsabilité. Il est pour ainsi dire pris à témoin et ne peut détourner le regard ou prétendre ignorer cette misère dont il est désormais informé. Arts et activités

1. Stieglitz (fils d’immigrés juifs allemands) et Steichen (immigré luxembourgeois) partagent une conception pictorialiste de la photographie, qu’ils considèrent au contraire de Riis comme un médium artistique à part entière, capable de rivaliser avec la peinture. Pour les photographes pictorialistes, l’important n’est pas ce que montre la photographie mais la manière dont elle le montre, qui doit témoigner du talent et de l’originalité du photographe qui prétend au statut d’artiste. En outre, le New York qu’ils photographient n’est pas celui des tenements mais

des gratte-ciel et des illuminations, celui du rêve américain et non de sa face cachée dont Riis s’est fait le porte-parole. 2. Théodore Roosevelt (président des États-Unis de 1901 à 1909) a laissé l’image d’un président progressiste, qui a remis en question l’influence économique des trusts et a soutenu les revendications sociales des ouvriers. Il a encouragé l’intégration des immigrés, en étant notamment le premier Président à nommer un ministre d’origine juive. 3. Comme les romanciers naturalistes français, Jacob Riis prétend retranscrire le plus fidèlement possible les conditions de vie des plus humbles. Émile Zola, fils d’immigré italien, a publié une série de romans sur le monde du travail qui l’ont comme Riis conduit à enquêter sur le terrain et à s’engager en faveur des plus démunis et des victimes de la xénophobie (engagement qui culmine lors de l’affaire Dreyfus). Dans la préface de L’Assommoir (1877), roman qui fait partie de la série des Rougon-Macquart, Zola explique ses intentions en ces termes : « J’ai voulu peindre la déchéance fatale d’une famille ouvrière, dans le milieu empesté de nos faubourgs. Au bout de l’ivrognerie et de la fainéantise, il y a le relâchement des liens de la famille, les ordures de la promiscuité, l’oubli progressif des sentiments honnêtes, puis comme dénouement la honte et la mort […]. C’est une œuvre de vérité, le premier roman sur le peuple, qui ne mente pas et qui ait l’odeur du peuple. Et il ne faut point conclure que le peuple tout entier est mauvais, car mes personnages ne sont pas mauvais, ils ne sont qu’ignorants et gâtés par le milieu de rude besogne et de misère où ils vivent. »

◗ Méthode Lire et comprendre des données statistiques � MANUEL, PAGES 32-33 1. Étudier la construction du tableau

Le contenu du tableau ne correspond pas exactement au titre. La première ligne du tableau ne concerne pas l’immigration, mais renseigne sur la population totale des États-Unis entre  1850 et 1910. Cette donnée supplémentaire permet de mesurer le poids de l’immigration dans le peuplement du pays. Dans la première colonne, l’auteur du

tableau ne distingue que les nationalités dont le nombre dépasse les 600 000 personnes en 1910. Entre  1850 et  1910, les migrations transcontinentales de masse sont en plein essor et les États-Unis deviennent le principal pôle d’accueil de l’immigration à l’échelle du globe. Les données présentées sont en milliers de personnes. Cela signifie par exemple que 0,003 représente en fait 3 000 individus. 2. Analyser les données du tableau

Le nombre d’immigrés aux États-Unis augmente très fortement entre 1850 et 1910 puisque le taux de variation est de 502 %. Entre 1850 et 1880, cette augmentation est plus rapide (197  %) qu’entre 1880 et 1910 (102 %). À cette époque, les États-Unis sont un pays neuf peu densément peuplé  ; ils connaissent un rapide essor économique nécessitant une importante maind’œuvre. Ils se montrent donc très accueillants envers les immigrés. La part des Européens est écrasante même si elle a tendance à diminuer légèrement. Ils représentent plus de 90  % des immigrés en 1850 et encore 87 % en 1910. En 1850, la majorité des migrants sont des Britanniques (60  %), essentiellement des Irlandais (42 %). En 1910, la part des Britanniques a fortement diminué (20  %). Les Irlandais représentent encore la moitié de cette immigration en provenance du RoyaumeUni (10 %). Au xixe  siècle, l’Europe est un des premiers continents à connaître la transition démographique et sa population s’accroît fortement. De nombreux Européens ne parvenant pas trouver du travail dans leur pays, fuyant la famine comme en Irlande, ou des persécutions, décident de partir s’installer de l’autre côté de l’Atlantique. Ainsi, en 1910, les immigrés européens représentent 12 % de la population américaine. Cet afflux très important de jeunes adultes pendant près de 60 ans explique que la plus grande partie de la population des États-Unis soit d’origine européenne. 3. Choisir et construire un graphique

Le graphique le mieux adapté pour représenter : – l’évolution du nombre d’immigrés entre 1850 et 1910 est le diagramme en bâton car les séries sont discontinues ; 17 •

– l’évolution de la part de chaque nationalité dans le nombre d’immigrants européens est le diagramme en barres ; – la part de chaque nationalité dans le nombre d’immigrants européens en 1910 est le diagramme circulaire.

◗ Exercices � MANUEL, PAGES 34-35 1. Faire le point

1. La densité de population est le nombre d’habitants par km2. 2. Un foyer de peuplement est une région très densément peuplée depuis des millénaires. 3. La Chine, l’Inde et l’Europe. 4. Ils regroupent plus de la moitié de la population mondiale. 5. La Chine. 6. L’Europe, grâce à la transition démographique. 7. Le climat tempéré, la présence de littoraux et l’absence d’obstacles physiques majeurs. 2. L’immigration européenne au xixe  siècle, image et réalités (L’Attractivité des salaires américains, caricature de 1855.)

Cette caricature américaine probablement newyorkaise, publiée vers 1855, a pour sujet l’émigration irlandaise. L’Irlande a les traits d’une jeune fille sans doute à cause du nombre important de femmes parmi les émigrants. Castle Garden est un ancien fort militaire new-yorkais qui sert de centre d’immigration entre 1855 et 1892, avec des services médicaux et un centre d’information sur l’emploi. Ellis Island remplace à partir de 1892 Castle Garden. Le gouvernement britannique a, dans un premier temps, favorisé l’émigration irlandaise à cause de la famine qui régnait dans l’île. Mais, en 1855, la situation change. Le lion anglais est triste et John Bull est mécontent. Il cherche à retenir la jeune femme, car avec l’essor économique provoqué par la révolution industrielle, les grands propriétaires se plaignent de la difficulté à trouver des journaliers agricoles et l’industrie demande des travailleurs. 1. D’après ce dessin, les migrants européens partent essentiellement pour des raisons éco• 18

nomiques. Les États-Unis ont besoin de maind’œuvre et offrent de meilleurs salaires. 2. Les Européens ont aussi pu décider de partir pour échapper à la famine comme les Irlandais ou pour échapper à des persécutions comme les juifs de Russie. 3. Le dessin montre le rôle essentiel du développement de la navigation à vapeur qui a favorisé les migrations transcontinentales de masse en les rendant plus sûres, plus rapides et moins coûteuses. 4. Les États-Unis sont le principal pays d’accueil de l’immigration européenne au xixe siècle. C’est alors un pays faiblement peuplé qui connaît un fort dynamisme économique. Les autorités publiques favorisent cette immigration européenne en facilitant les procédures d’installation et en mettant en place des structures pour accueillir les migrants. 5. John Bull symbolise ici les patrons anglais tentant de retenir les candidats à l’émigration. En effet, l’économie britannique en pleine révolution industrielle est privée d’une main-d’œuvre jeune et dynamique. 3. La transition démographique (tice)

2. a.  L’INED, ou Institut national d’études démographiques, est un organisme qui étudie les populations de la France et des pays étrangers. Il a été créé en 1945. C’est un établissement public travaillant pour le gouvernement français. Il emploie environ 200  personnes, chercheurs ou techniciens. b. Ce site présente des informations fiables car elles sont le résultat du travail de spécialistes des études démographiques. 4. a.  La Terre a atteint 1  milliard d’habitants vers 1800. C’est tardif parce que la croissance démographique est longtemps restée faible. b. L’équilibre démographique ancien est le relatif équilibre entre les naissances et les décès. En effet, si la natalité était forte, la mortalité l’était aussi et peu d’enfants survivaient, l’accroissement naturel était donc faible. c.  Les grandes crises de mortalité disparaissent en Europe et en Amérique du Nord à la fin du xviiie siècle à cause de l’essor économique, des progrès de l’hygiène et de la médecine. d.  La transition démographique commence lorsque la mortalité diminue alors que les naissances restent nombreuses. La population s’accroît rapidement car les dé-

cès sont moins nombreux que les naissances. Ensuite, la natalité diminue, mais moins rapidement que la mortalité. La population augmente toujours rapidement. Enfin, les taux de mortalité et de natalité se stabilisent à un faible niveau.

La transition démographique est achevée et la croissance naturelle est faible. e.  Cette animation a été conçue par Gilles Pison, directeur de recherches à l’INED. Il a publié de nombreux ouvrages sur les questions démographiques.

19 •

Partie

5

Révolutions, libertés, nations, à l’aube de l’époque contemporaine � MANUEL, PAGES 218-305

Rappel du programme Thème 5 – Révolutions, libertés, nations, politiques, économiques, sociaux et religieux à l’aube de l’époque contemporaine essentiels. (15-16 heures) Question obligatoire Question obligatoire Libertés et nations en France et en Europe La Révolution française : l’affirmation d’un dans la première moitié du xixe siècle nouvel univers politique Mise en œuvre : Mise en œuvre : Un mouvement libéral et national en Europe

La question traite de la montée des idées de liberté avant la Révolution française, de son déclenchement et des expériences politiques qui l’ont marquée jusqu’au début de l’Empire. On met l’accent sur quelques journées révolutionnaires significatives, le rôle d’acteurs, individuels et collectifs, les bouleversements

dans la première moitié du xixe siècle. 1848 : révolutions politiques, révolutions sociales, en France et en Europe. Les abolitions de la traite et de l’esclavage et leur application.

Réponses aux questions Chapitre

10

La montée des idées de liberté (fin du xviie-xviiie siècles) � MANUEL, PAGES 220-239

◗ Présentation de la question

L’essor des doctrines affirmant la liberté de l’individu est en grande partie un effet de la découverte de nouveaux horizons géographiques et culturels par les Européens à partir du xve siècle (cf. thème 4). Ainsi, la foi des humanistes dans les capacités de l’être humain et les théories de Copernic puis • 132

de Galilée se répandent peu à peu. Avec elles, se diffuse la croyance en un monde intelligible par l’homme et ordonné par le Dieu chrétien. Des penseurs soulignent en effet que cette nature compréhensible par la raison humaine est gouvernée par des lois bien déterminées. L’effort pour les rechercher et les succès de savants comme Newton pour les énoncer favori© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

sent alors la constitution d’une philosophie où triomphe le concept d’un individu qui peut et doit décider par son raisonnement propre et n’a pas à se soumettre à la tradition ou à l’Église. Dès le xviie siècle, notamment chez John Locke, naît alors l’idée que l’homme dispose de droits naturels. Puis, au xviiie siècle, les philosophes des Lumières affirment que la liberté de l’individu est une réalité imprescriptible et éternelle, que l’État doit garantir celle-ci, que tout gouvernement, à l’instar de la nature, se doit d’être rationnel et donc d’obéir à des lois. Le pouvoir du prince est donc de ce fait limité et ne peut être absolu. Cette révolution intellectuelle se produit au moment même où le pouvoir royal affirme son autorité en s’appuyant sur le droit divin. Au xvie siècle, Jean Bodin est un des premiers théoriciens de l’absolutisme dans les Six Livres de la République (1576). À partir du xviie  siècle, on assiste à l’épanouissement de l’absolutisme en France grâce aux efforts du cardinal de Richelieu, principal ministre de Louis  XIII et surtout du roi Louis XIV. Ce dernier pense que le souverain incarne seul le pouvoir et doit donc seul l’exercer car le prince est l’unique personne capable de connaître la raison d’État qui est un « mystère divin ». Cette théorie est alors appuyée par les écrits de Bossuet qui dans sa Politique tirée des propres paroles de l’Écriture sainte (III, 3e proposition) affirme que Dieu a mis « dans les princes quelque chose de divin ». En Angleterre, les premiers souverains de la dynastie Stuart (1603-1689) tentent aussi d’imposer l’absolutisme. Les Stuarts héritent des tendances autoritaires de la dynastie précédente. Pour Jacques Ier, «  c’est le fait de sujets séditieux de discuter de ce qu’un roi peut faire dans la plénitude de son autorité » (1609). Dès 1599, roi d’Écosse, il avait publié The Trew Law of Free Monarchies affirmant la nécessité d’une source unique d’autorité, seul moyen d’éviter la confusion et les désordres. Il demande à son fils Charles de se souvenir que « Dieu a fait (de lui) un petit dieu ». L’absolutisme est soutenu par des penseurs de valeur : Francis Bacon, Cowell qui place le roi au-dessus des lois, Robert Filmer auteur de Patriarcha rédigée en 1640 et Strafford qui invoque la tradition. Partisan de l’autorité monarchique, Thomas Hobbes n’écrit son © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

Léviathan qu’en 1651 : il attribue au monarque tous les pouvoirs pour maintenir la paix, y compris le droit de légiférer et de juger, celui de surveiller les opinions et de guider les consciences. Le penseur britannique affirme ainsi que, sans l’instauration d’un pouvoir absolu, une société n’est pas viable car un pouvoir limité est incapable d’assurer la paix civile. Les hommes doivent garder seulement le droit de défendre leur vie lorsque celle-ci est en péril. Cependant, malgré les tentatives des Stuarts pour imposer l’absolutisme, c’est bien une certaine idée de la liberté de l’individu qui triomphe après les Révolutions anglaises de 1641 et de 1689. En effet, deux textes fondamentaux limitent désormais les pouvoirs du roi, l’Habeas corpus (1679) et le Bill of Rights (1689). Ils permettent à la monarchie anglaise de devenir à la fin du xviiie siècle un régime quasi parlementaire. Le progrès des idées de liberté touche aussi les colonies anglaises d’Amérique. À la fin du xviiie siècle, Philadelphie est un centre important de la diffusion de la philosophie européenne, sous l’impulsion notamment du savant Benjamin Franklin (1706-1790). Les élites américaines lisent particulièrement John Locke, Charles de Montesquieu et débattent de leurs théories. La doctrine de John Locke sur le droit naturel du peuple de déposer ses dirigeants devient très populaire alors que s’affirme l’opposition à la politique de Londres. Le déclenchement puis le succès de la Révolution américaine conduisent les responsables de la rébellion à puiser dans les œuvres de Montesquieu mais aussi dans l’Habeas corpus et le Bill of Rights pour rédiger la Déclaration d’indépendance des États-Unis de 1776 et la constitution du nouvel État. Ces textes qui affirment solennellement les droits à la liberté, à l’égalité et à la recherche du bonheur, qui créent un modèle de régime républicain relativement démocratique ont alors un grand retentissement en France et rendent encore plus insupportables la monarchie absolue et ses privilèges. La montée des idées de liberté est donc le résultat d’interactions diverses sur plusieurs générations et reflète l’influence fondamentale d’une «  République des lettres  » véritablement internationale. Les journaux dont l’essor commence véritablement au xviie siècle et la correspondance permettent des échanges dans toute 133 •

l’Europe et entre celle-ci et l’Amérique du Nord, réalisant une certaine unité culturelle de l’élite. En outre, des passages de l’Encyclopédie et des plus grands auteurs du temps sont lus par les nobles et les bourgeois dans des salons, les cafés, les académies et autres sociétés savantes, les personnes présentes débattant avec passion sur les sujets les plus divers. Ceci ne se fait pas sans remettre en question le contrôle de l’information par l’État ou l’Église. Si une certaine liberté de presse s’impose en Grande-Bretagne et aux États-Unis, soumettre un texte à la censure avant toute publication reste la règle en France, obligeant de nombreux auteurs comme Voltaire à publier à l’étranger sous un pseudonyme.

◗ Bibliographie Sur l’Ancien Régime

G.  Cabourdin, G.  Viard, Lexique historique de la France moderne, Armand Colin, Paris, 1990. O.  Chaline, La France du xviiie siècle (17151789), Belin, coll. « Sup », Paris, 1996. J.  Cornette, Histoire de la France, tome  I  : L’Affirmation de l’État absolu, 1515-1652, tome II : Absolutisme et Lumières, 1652-1783, Hachette, coll. « Carré Histoire », Paris, 1993 et 1994. P. Goubert, D. Roche, Les Français et l’Ancien Régime, tome I : La Société et l’État, tome II : Culture et société, Armand Colin, Paris, 2000 et 2001. P. Goubert, M. Denis, 1789, Les Français ont la parole, Gallimard, coll. « Archives », Paris, 1973. J.-Y.  Grenier, K.  Béguin, A.  Bonzon, Dictionnaire de la France moderne, Hachette, Paris, 2003. Sur les Révolutions anglaises

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Bernard Cottret, La Révolution américaine  : La quête du bonheur 1763-1787, Perrin, Paris, 2004. • 134

André Kaspi, L’Indépendance américaine, 1763-1789, Gallimard, Paris, 1976. Élise Marienstras, Naomi Wulf, Révoltes et révolutions en Amérique, Atlande, Paris, 2005. Marcel Trudel, La Révolution américaine, Boréal, Paris, 1991. Bernard Vincent, La Révolution américaine 1775-1783, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1985, tome II. Gordon S. Wood, La Création de la République américaine, 1776-1787, Paris, Belin, 1991. Approche comparative

Philippe Bourdin, Jean-Luc Chappey, Révoltes et révolutions en Europe et aux Amériques (1773-1802), Paris, CNED-SEDES, 2004. Robert Calvet, Révoltes et révolutions en Europe et aux Amériques, 1773-1802, Paris, Armand Colin, 2005, collection « U Histoire ». Annie Jourdan, La Révolution, une exception française ?, Flammarion, Paris, 2004. Élise Marienstras, L’Amérique et la France  : deux révolutions, Publications de La Sorbonne, Paris, 1990. Sur l’évolution de la pensée politique et la philosophie des Lumières

Keith Baker, Condorcet, Paris, 1988. Pierre-Yves Beaurepaire, L’Europe des Lumières, Paris, PUF, 2004. R.  Cartier, Les Origines culturelles de la Révolution française, Seuil, 1990. Pierre Chaunu, La Civilisation de l’Europe des Lumières, Paris, Flammarion, 1997. J.  Proust, Diderot et l’Encyclopédie, Albin Michel, 1995. D.  Roche, La France des Lumières, Fayard, Paris, 1994. Albert Soboul, Guy Lemarchand, Michèle Fogel, Le Siècle des Lumières, Paris, PUF, 1977-1997. Alexis Tadié, Locke, Les Belles Lettres, Paris, 2000. Michel Vovelle, Le Siècle des Lumières, Paris, 1977-1988. M.  Vovelle, L’Homme des Lumières, Le Seuil, Paris, 1996. Sites internet

Site dédié à la Glorieuse Révolution  : http:// www.thegloriousrevolution.org/(anglais © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

La Révolution américaine (1776-1783) sur le site de l’université Laval (Québec) : http://www. tlfq.ulaval.ca/axl/amnord/usa_6-3histoire.htm 4  juillet 1776, Independence Day  : http:// w w w. h e r o d o t e . n e t / d o s s i e r s / e v e n e m e n t . php?jour=17760704&ID_dossier=48&main=21 dfe02663f48a1605eecafef3522143 Site de la bibliothèque du Congrès des ÉtatsUnis, page de recherche sur la Révolution américaine, A Guide to the American Revolution, 1763-1783, 2006  : en anglais  : http://www.loc. gov/rr/program/bib/revolution/home.html  : en français  : Exposition virtuelle «  Le siècle des Lumières  : un héritage pour demain  », Bibliothèque nationale de France.

◗ Ouverture de chapitre � MANUEL, PAGES 220-221

Doc 1. En Angleterre, le refus de l’absolutisme (Huile sur toile de John Weesop, 1649.)

De nombreuses images tentent de rendre compte de l’exécution du roi anglais. La plus célèbre est sans conteste cette peinture de l’exécution conservée aujourd’hui à la Scotland National Portrait Gallery. L’œuvre intitulée An Eyewitness Representation of the Execution of King Charles I (une représentation de l’exécution du roi Charles Ier par un témoin visuel) est attribuée au peintre John Weesop, parce qu’il se trouvait à Londres au moment des événements. Cependant, il semble que l’artiste se soit inspiré des gravures qui circulaient tant en Angleterre que sur le continent. À première vue, cette peinture montre un préjugé favorable au roi défunt. Le premier plan figure en effet une foule gagnée par une forte émotion. Une femme évanouie apparaît ainsi dans la partie inférieure de l’image. Pour certains critiques d’art, elle rappelle les femmes de Jérusalem qui se lamentent lors de la Passion. À droite, le vieillard qui serre convulsivement ses deux mains incarnerait l’expérience qui s’effraie devant les violences du présent. La plupart des spectateurs ont le regard dirigé vers le roi défunt tandis qu’un enfant le désigne de la main. Ces attitudes souligneraient la compassion habitant la foule. Le parti pris royaliste serait aussi présent dans la façon dont le visage de Charles Ier est © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

présenté presque de face, il ne paraît ni fatigué, ni souffrant, mais il a simplement les yeux fermés, paisiblement. D’autres détails vont à l’encontre de cette interprétation. Le sang jaillit de manière abondante du corps du roi décapité, souillant le sol. Le bourreau brandit la tête coupée comme un trophée et semble s’exclamer comme le veut la tradition après une exécution ordinaire : « Voici la tête d’un traître  !  » Cette représentation est irrévérencieuse à l’égard d’un souverain que les royalistes considèrent comme un personnage sacré. Cette violence de l’image bien qu’atténuée par les signes d’émotion remettrait en cause le parti pris royaliste. L’image se voudrait une lecture historique insistant sur le traumatisme causé par le caractère inédit de l’événement plus qu’un panégyrique monarchiste. Doc 2. En France, le triomphe de la monarchie absolue de droit divin (Apothéose de Louis XIV, huile sur toile de Charles Le Brun, 1677. Budapest, musée des Beaux-Arts.)

Charles Le Brun (1619-1690) est, dès 1662, premier peintre du roi Louis XIV et il devient le responsable de la décoration intérieure du château de Versailles, son style est donc au service de la monarchie absolue. Pour glorifier le roi et rappeler la doctrine du droit divin, le peintre fait intervenir ici la Vierge qui couronne Louis  XIV et deux anges, l’un qui combat à ses côtés, l’autre qui porte la bannière à fleur de lys de la monarchie française. Le Brun utilise ici le thème iconographique de l’apothéose qui vise à représenter la réception d’un personnage parmi les dieux ou à montrer le contact étroit qu’il entretient avec le divin pour légitimer son pouvoir. Ce thème se répand dans l’art européen à partir de la Renaissance, c’est un héritage des rites qui, dans la Rome antique, élevaient l’empereur au rang des dieux. À l’époque moderne, le portrait du roi a en effet un double rôle, il doit à la fois rendre présent le souverain lorsqu’il est absent ou éloigné et d’autre part exposer les qualifications, les justifications et les titres qui légitiment le pouvoir du prince. Certains artistes ont longtemps préféré choisir le mode d’expression plus prestigieux de la référence à l’Antiquité, de l’allégorie ou de la mythologie. Ce courant a donné naissance à la thématique du « roi caché » sous les traits 135 •

de dieux comme Apollon ou de héros comme Hercule. D’autres artistes voulaient représenter le roi sous ses traits « au naturel » et comme acteur de sa propre histoire. Le Brun choisit ici une troisième voie qui se répand à partir de la fin du xviie siècle, il s’agit d’une représentation explicite du roi mais en costume romain pour lui donner la dimension d’un héros ou d’un dieu de l’Antiquité. Ce tableau appartient aussi au type du portrait équestre montrant le roi de guerre victorieux, chevauchant un cheval qui se cabre et foulant les ennemis abattus. Ce type d’œuvre doit témoigner de la gloire incomparable et de la toute-puissance du roi absolu dans un « présent éternisé ». En effet, l’œuvre ne décrit aucun événement historique précis, aucune victoire des armées de Louis XIV et se contente d’allusions. Les anges qui apportent leur assistance au roi en costume romain repoussent ainsi un lion (allégorie de la Hollande) et un aigle (allégorie de l’Allemagne).

1. Un Ancien Régime fondé sur l’absolutisme et les privilèges � MANUEL, PAGES 222-223

Doc. 1. Le petit peuple des villes (La Récureuse, huile sur toile de Chardin, 1738. Glasgow, Hunterian Art Gallery.)

Cette peinture est une des nombreuses œuvres peintes par Jean Siméon Chardin (1699-1779) sur le monde des domestiques. Chardin peint d’abord des natures mortes, il n’aborde la représentation de personnages et les scènes de genre qu’après 1730. Il prend essentiellement pour thème la vie familiale : Le Bénédicité, Le Négligé… ou les gens du menu peuple de Paris : Femme cachetant une lettre, La Récureuse, La Pourvoyeuse… Chardin présente une vision idéalisée du monde des domestiques. Dans le huis clos d’une pièce, les personnages sont beaux, habillés avec soin, actifs et travailleurs. Il se dégage des toiles une grande sérénité. Le xviiie siècle est par-dessus tout celui de l’intimité et d’un certain retour aux valeurs et à la quiétude domestique, ce que célèbre Chardin. Il recueille donc succès et louanges, notamment de la part de Diderot qui admire son perfectionnisme, en particulier dans la manière dont il peint les objets. « C’est • 136

la nature même. Les objets sont hors de la toile et d’une vérité à tromper les yeux », écrit-il en 1763. Doc. 2. Une société divisée en trois ordres ou états

À partir du moment où le roi annonce la réunion des États généraux du royaume, lesquels n’ont pas été convoqués depuis 1614, sont publiées de nombreuses gravures qui rappellent au public la division tripartite de la société héritée du Moyen Âge. Cette division explique en effet le mode d’élection des députés.

• Question. Ces images reprennent souvent la même composition : un homme au centre représente le tiers état. Un outil, ici, une pelle, rappelle que cet ordre réunit ceux qui travaillent. L’attitude du personnage, courbé ou agenouillé sous le poids d’un globe symbolisant la monarchie (comme le montrent la couronne et les fleurs de lys), illustre le fait que le tiers état paie l’essentiel des impôts. Sur les côtés se trouvent debout, mais aidant le tiers état à soutenir la monarchie, les représentants des deux ordres privilégiés : à droite, un noble revêtu d’une armure et portant une épée car la noblesse sert à défendre la monarchie par les armes ; à gauche, un membre du clergé, ordre dédié au service de Dieu. C’est un évêque en habit de cérémonie qu’il porte sur une robe violette, il est coiffé de sa mitre et tient à la main une crosse, symbole de son rôle de pasteur. Cette gravure est aussi porteuse d’une revendication, la ruche à l’arrière-plan symbolise, d’après la légende inscrite en dessous de l’image, l’espoir de voir les trois ordres réunis. Doc. 3. Un roi de droit divin

Sous le règne de Louis XIV, Jacques Bénigne Bossuet (1627-1704), évêque de Meaux, écrivain et prédicateur, est un des principaux théoriciens de l’absolutisme, notamment dans sa Politique tirée des propres paroles de l’Écriture sainte, éditée après sa mort en 1709.

• Question 1. « Tout l’État est en lui ; la volonté de tout le peuple est renfermée dans la sienne », «  toute la puissance des particuliers est réunie en la personne du prince », « la puissance royale agit en même temps dans tout le royaume », « De là, partent les ordres qui font aller de concert les © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

magistrats et les capitaines, les citoyens et les soldats […] par mer et par terre ».

• Question 2. Bossuet établit un parallèle entre les pouvoirs détenus par Dieu sur le monde et ceux du roi en son royaume. À l’image de Dieu, le roi est le seul détenteur de tous les pouvoirs qu’il incarne. C’est l’affirmation du principe du droit divin. Doc. 4. L’opulence de la haute noblesse

(La Famille du duc de Penthièvre, dit La Tasse de chocolat, huile sur toile de Charpentier le Vieux, 1768. Château de Versailles.)

Jean-Baptiste Charpentier le Vieux (1728-1806) a peint de nombreuses toiles représentant cette famille de la haute noblesse. Louis Jean-Marie de Bourbon, duc de Penthièvre (1725-1796), était en effet le descendant d’un fils naturel et légitimé de Louis XIV et de Mme de Montespan. Il est représenté à gauche assis à la même table que son fils et sa belle-fille. Derrière, debout, se tient sa fille et à gauche du tableau son épouse.

• Question. On peut noter le luxe du décor de ce salon et de son mobilier notamment avec le miroir, les boiseries et les larges fauteuils en bois doré. Les vêtements des personnages sont somptueux. Les hommes portent une culotte, des bas de soie et un habit avec des broderies de fil d’or ; les dames sont revêtues de robes avec des motifs floraux raffinés, des rubans et des manches en dentelle. À cette époque, seule les plus riches peuvent se permettre de boire du chocolat qui est une denrée très coûteuse. C’est seulement en 1615 que la France découvre le chocolat à Bayonne à l’occasion du mariage d’Anne d’Autriche, fille du roi d’Espagne Philippe III, avec le roi de France Louis XIII. Louis XIV et son épouse Marie-Thérèse d’Autriche font véritablement entrer le chocolat dans les habitudes de la cour du château de Versailles. Le chocolat est alors consommé chaud sous forme de boisson comme le café.

2. Contre l’absolutisme : de nouveaux modèles politiques � MANUEL, PAGES 224-225

Doc. 1. George Washington (1732-1799) (Huile sur toile de Gilbert Stuart, 1795-1796. New York, Brooklyn Museum of Art.) © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

Gilbert Charles Stuart (1755-1828) est considéré comme un des meilleurs portraitistes américains. Au cours de sa carrière, il a peint les six premiers présidents des États-Unis mais il est surtout connu pour ses représentations du premier d’entre eux, George Washington. Ce portrait a été commandé en 1796 par le sénateur William Bingham de Pennsylvanie, un des hommes les plus riches des États-Unis pour être donné à un noble anglais, ayant défendu au Parlement britannique la cause des insurgents. Le peintre a choisi de représenter George Washington dans la position d’un orateur de l’Antiquité. Il porte une épée de cérémonie et non de combat qui symbolise la démocratie. Les documents et les livres sur la table rappellent le rôle de Washington comme commandant en chef de l’armée des insurgents et comme président de la convention qui a adopté la constitution des États-Unis. Doc. 2. Loi d’Habeas corpus

La loi dite d’Habeas corpus tire son nom de l’expression latine Habeas corpus ad subjiciendum et recipiendum  : «  Que tu aies ton corps pour le produire devant la justice. » Elle a été votée en 1679 par le Parlement anglais qui cherchait à protéger les Anglais des tendances absolutistes du roi Charles II. Cette loi énonce un des droits fondamentaux de l’homme et est donc considérée comme un des textes majeurs dans l’histoire de l’essor des libertés individuelles.

• Question. Les forces de l’ordre doivent présenter tout prisonnier devant un juge et faire connaître « les vraies causes de sa détention », le prisonnier a donc la garantie de n’être emprisonné qu’«  en vertu d’une procédure légale  ». Cette loi met fin à l’arbitraire royal, la décision de maintenir un homme en prison dépend d’un juge. Doc. 3. Élections et corruption en Angleterre

William Hogarth (1697-1764) est un peintre et graveur anglais qui a atteint sa plus grande virtuosité dans des œuvres qui fustigent les mœurs de la société britannique. Cette toile appartient à une série de quatre œuvres intitulée The Humours of an Election. Ces tableaux racontent l’élection d’un membre du Parlement dans le Oxfordshire en 1754. 137 •

Hogarth dénonce ici la corruption endémique qui règne pendant les campagnes électorales. Les électeurs sont peints en train de déclarer leur soutien aux Whigs (orange) ou aux Tories (en bleu). Des agents des deux partis utilisent des tactiques peu scrupuleuses visant à obtenir le vote des électeurs ou à contester le choix du citoyen pour le candidat adverse. Ainsi, un électeur Whig qui a un crochet à la place de sa main amputée est récusé par un partisan des Tories parce qu’il prête serment sur la Bible avec sa prothèse plutôt qu’une main, comme le prescrit la loi. Pendant ce temps, les conservateurs conduisent un handicapé mental vers le lieu du vote et lui soufflent à l’oreille le nom de celui qu’il doit choisir. Un mourant et un aveugle le suivent de près…

• Question. Même si cette œuvre dénonce la corruption qui règne lors des élections, elle rappelle qu’en Grande-Bretagne certains citoyens participent pleinement à la vie politique du pays. Par leur vote, ils peuvent désigner les députés de la Chambre des communes. Doc. 4. Les institutions anglaises à la fin du xviiie siècle

L’organigramme présente les institutions anglaises telles qu’elles fonctionnent dans les années 1780. La répartition des pouvoirs a bien sûr pour origine essentielle le Bill of Rights de 1689 mais les pratiques politiques adoptées par les dirigeants britanniques ont fait progressivement évolué la monarchie anglaise vers un régime parlementaire. • Question. Le Parlement détient l’essentiel du pouvoir législatif, il vote les lois et décide de l’impôt. À partir de 1782, il peut renverser le gouvernement, ce qui oblige le roi à choisir un Premier ministre qui appartient au parti ayant gagné les élections. Le gouvernement est ainsi contrôlé par le Parlement. Doc 5. Les 13 colonies anglaises en Amérique

La colonisation anglaise de l’Amérique du Nord commence véritablement en 1607 par une première installation en Virginie. Progressivement, se constituent, de 1624 à 1732, treize colonies où sont installées 3 millions de personnes d’origine européenne en 1775. Chacune dispose de ses institutions avec des assemblées locales très ja• 138

louses de leur autonomie. À la fin du xviiie siècle, l’augmentation des taxes imposée par le Royaume-Uni et l’interdiction faite de continuer la colonisation vers l’ouest par l’Acte de Québec (1774) entraînent un fort mécontentement parmi la population. La brutalité de la répression anglaise conduit les colons à prendre les armes en 1775, puis à proclamer leur indépendance en 1776. Les troupes britanniques mieux armées disposent de l’avantage numérique mais le génie militaire de George Washington, l’aide de volontaires européens, puis l’appui de la France (officielle à partir de 1778) et de ses alliés permettent aux Américains de remporter plusieurs victoires. C’est grâce à l’aide des troupes du corps expéditionnaire de Rochambeau et à l’intervention de l’escadre navale de l’amiral français de Grasse qu’est finalement obtenue la capitulation des troupes britanniques à Yorktown en 1781.

◗ Étude Les Français et la révolution américaine � MANUEL, PAGES 226-227 analyse des documents

1. La déclaration d’Indépendance et la Constitution des États-Unis s’inspirent de la pensée de John Locke et de celle des philosophes des Lumières comme Montesquieu. On y trouve en effet l’affirmation de droits naturels pour l’homme qualifiés « d’inaliénables » comme la liberté et l’égalité devant la loi. Ces deux textes reprennent aussi le principe de la souveraineté nationale et celui de la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.

2. Les Français vivent dans un régime de monarchie absolue qui ne reconnaît aucun de ces grands principes. Le droit divin s’oppose à la souveraineté nationale et il est inadmissible qu’on puisse se révolter contre la volonté royale. Le roi dispose de tous les pouvoirs, aucune constitution ne vient limiter ses prérogatives, il a le droit d’emprisonner ses sujets sans jugement. Les Français ne disposent pas de véritables libertés, l’existence des privilèges va à l’encontre de l’égalité devant la loi.

3. Certains jeunes nobles s’enthousiasment pour la guerre d’Indépendance et vont jusqu’à se porter volontaires pour combattre aux côtés des insurgents. Cette attitude s’explique à la © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

fois autant par la volonté de se couvrir de gloire en montrant leur courage que par la séduction qu’exercent sur eux les idées nouvelles défendues par les Américains.

4. Les intellectuels français caressent l’espoir qu’une victoire des insurgents permette de faire progresser la diffusion des idées nouvelles. Ils ont conscience que la révolution américaine peut avoir une portée universelle. Ils pensent que l’exemple d’un État qui fonctionne en respectant les droits fondamentaux de l’homme favorisera l’adoption des « doctrines libérales » par les monarchies européennes.

5. Les États-Unis ne sont pas encore une véritable démocratie parce que certaines catégories de leur population ne disposent pas encore des droits politiques ou civiques. Le droit de vote est réservé aux propriétaires blancs de sexe masculin, c’est un suffrage censitaire et non universel. L’esclavage des Noirs est maintenu. Condorcet condamne fermement cette pratique mais reste convaincu que «  cette tache ne souillera plus longtemps […] [les] lois américaines ». Bilan de l’étude

Les élites françaises se montrent très tôt favorables à la révolte des colonies d’Amérique contre la monarchie anglaise. Les principes affirmés dans la déclaration d’Indépendance des ÉtatsUnis de 1776, la Constitution adoptée en 1787 sont pour les philosophes l’application des idées qu’ils défendent depuis longtemps. Une partie de la jeunesse française est séduite par cette révolution au nom de la liberté, elle entend aussi montrer sa valeur en vengeant l’affront subi par la France quelques années auparavant lorsque l’Angleterre a chassé notre pays d’Amérique du Nord. C’est pourquoi 250 volontaires comme le marquis de La Fayette participent au combat dès 1777, alors que le gouvernement du roi Louis  XVI n’a encore pris aucune décision officielle. Cependant, la volonté d’affaiblir le Royaume-Uni et la pression de l’opinion publique éclairée conduisent le roi à signer un traité d’alliance militaire en 1778 et à envoyer un corps expéditionnaire et une flotte en Amérique. Cette aide qui favorise la victoire des insurgents n’est pas sans danger pour la monarchie absolue, l’exemple américain ravive le désir de réformes en France et rend plus insupportable l’absolutisme. © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

◗ Étude Voltaire, un écrivain engagé � MANUEL, PAGES 228-231 analyse des documents

A. Un philosophe en lutte contre l’injustice � MANUEL, PAGES 228-229

1. Pour dénoncer l’injustice, Voltaire utilise tous les genres littéraires. Le document 3 est l’extrait d’un pamphlet contre deux erreurs judiciaires ayant conduit à la condamnation sans preuve de deux protestants. Le verbe est violent, le ton est virulent ; la condamnation des pratiques du système judiciaire français est féroce et sans appel, le texte a pour but de provoquer l’indignation du lecteur et de le forcer à réagir. Les documents 1 et 2 sont extraits de Candide, un conte philosophique publié en 1759. C’est Voltaire, lui-même, qui a inventé ce type de texte mêlant la fantaisie à l’ironie pour condamner les atteintes aux droits de l’homme. 2. Voltaire veut démontrer toute l’absurdité du comportement de ses contemporains et de leurs croyances. Dans le document 1, les personnages sont condamnés à mort pour des crimes mineurs et leur exécution est inutile, puisqu’elle ne produit pas l’effet attendu, à savoir la fin des tremblements de terre. Dans le document 2, l’auteur insiste sur la cruauté déployée par des chrétiens envers les esclaves alors même qu’on cherche à les convertir en leur démontrant que tous les hommes sont frères.

3. D’après Voltaire, Sirven et Calas sont condamnés parce qu’ils sont accusés d’avoir tué leurs enfants afin que ces derniers ne deviennent pas catholiques. Ces condamnations se sont faites sans véritables preuves de culpabilité, le juge est accusé d’avoir agi par fanatisme religieux, pour le simple «  plaisir de pendre toute une famille huguenote  ». Il aurait été aussi motivé par un intérêt financier puisqu’il peut se rétribuer sur « les biens confisqués » des condamnés. 4. Chaque texte comporte une attaque contre la religion chrétienne, c’est un réquisitoire contre le fanatisme religieux et les violences auxquelles il conduit. Voltaire est un fervent partisan de la tolérance.

5. À partir de 1791, le Panthéon devient un monument laïque consacré à la mémoire des grands 139 •

hommes de la nation. L’Assemblée nationale décide, par un décret du 4 avril 1791, d’utiliser cet édifice, qui devait être une église, afin qu’il serve de nécropole aux personnalités exceptionnelles qui ont contribué à la grandeur de la France. Au fronton, est placée l’inscription : « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante  ». C’est à ce titre que les cendres de Voltaire sont transférées à cet endroit, lors d’une cérémonie grandiose à laquelle assiste une foule immense, ce qui témoigne de la popularité du philosophe. Les révolutionnaires ont voulu montrer par ce geste combien son œuvre et son action avaient joué un grand rôle dans la diffusion des idées de liberté. B. Un philosophe au cœur de la « République des lettres » � MANUEL, PAGES 230-231

6. Les idées de Newton se diffusent grâce à l’ouvrage de vulgarisation publié par Voltaire en 1738. Voltaire entretient une importante correspondance. Ces lettres permettent d’échanger des idées mais aussi de faire connaître des livres. Voltaire reçoit beaucoup, des philosophes français viennent le voir à Ferney mais aussi de jeunes Européens de bonne famille qui viennent s’instruire auprès d’un homme admiré de tout le continent. La diffusion des idées nouvelles se fait aussi par l’intermédiaire des journaux littéraires et scientifiques, des salons tenus par les dames de la bonne société, on débat dans les académies, les loges maçonniques et les cafés. 7. Pour éviter les foudres de la censure, les Éléments de la philosophie de Newton ont été imprimés en français à Amsterdam (Hollande) avant d’être vendus en France. Voltaire commande aussi des ouvrages à l’étranger, notamment ceux que lui recommandent ses correspondants, certains auteurs, ici Rousseau, lui envoient leurs œuvres.

8. La phrase de Voltaire fait allusion à ce que les historiens appellent la République des lettres, un réseau international de personnes cultivées échangeant leurs idées. Les documents rendent bien compte de la dimension internationale de ces échanges  : Newton est un intellectuel anglais, Voltaire correspond avec des Russes qui lisent des auteurs français et reçoit le fils d’un responsable des Pays-Bas autrichiens. • 140

9. Voltaire est sans doute l’intellectuel le plus connu et le plus influent de cette République des lettres. Rousseau en envoyant son Discours à Voltaire dit s’« acquitter d’un devoir » et avoir voulu « rendre un hommage que nous vous devons tous comme à notre chef ». Le jeune aristocrate des Pays-Bas autrichiens parle de Voltaire avec beaucoup d’admiration, ses écrits sont qualifiés «  d’immortels  », il est «  l’homme le plus aimable de l’Europe ». Enfin, Voltaire correspond régulièrement avec les puissants de ce monde, ici, l’ambassadeur de Russie et l’impératrice Catherine II.

10. Les documents révèlent les liens étroits qui ont uni les plus importants philosophes des Lumières. Diderot et Condorcet viennent jusqu’à Ferney pour rencontrer Voltaire et débattre avec lui. Rousseau lui soumet un ouvrage qu’il vient de publier. Mais cette relation se détériore car Voltaire n’hésite pas à critiquer vertement les idées du philosophe genevois. Bilan de l’étude

Voltaire a joué un rôle très important dans la France et dans l’Europe des Lumières. C’est un touche-à-tout infatigable  ; il a utilisé tous les genres littéraires, il en a inventé ou renouvelé certains comme les contes philosophiques au ton mordant et sarcastique. Ces publications lui ont permis de diffuser les idées nouvelles, combattre l’absolutisme, dénoncer les injustices et le fanatisme religieux. Son talent de polémiste, son sens de la formule, le retentissement considérable de ses œuvres lui ont permis d’obtenir la réhabilitation de personnes injustement condamnées comme Calas ou Sirven. Voltaire devient alors sans doute l’homme le plus célèbre de son époque. De Saint-Pétersbourg à Paris, on attend ses publications ou ses lettres. Des souverains, des ambassadeurs entretiennent des relations avec lui, les plus grands intellectuels de l’époque ou de simples jeunes gens cultivés se rendent en pèlerinage à Ferney chez cet « aubergiste de l’Europe ». Sa popularité se maintient après sa mort avec une telle force que les constituants décident de lui rendre hommage en le faisant entrer au Panthéon.

© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

3. Les Lumières et l’affirmation des droits de l’homme � MANUEL, PAGES 232-233

Doc. 1. Julie de Lespinasse (1732-1776), une admiratrice des Lumières

Jeanne Julie Éléonore de Lespinasse (17321776) se lie d’amitié avec d’Alembert dès 1747. Dans le salon de sa tante, Marie du Deffand, elle acquiert une grande réputation pour son intelligence et son habileté à diriger les conversations. Puis, en 1764, Julie de Lespinasse ouvre son propre salon rue de Bellechasse, où elle reçoit de nombreux écrivains et philosophes dont son ami d’Alembert, Condillac, Condorcet et Turgot. On a pu dire de son salon qu’il a été le « laboratoire de l’Encyclopédie ». Doc. 2. La critique de l’absolutisme

John Locke (1632-1704) est un philosophe anglais qui fut un des principaux précurseurs des Lumières. Sa théorie de la connaissance est qualifiée d’empiriste car il considère que l’expérience est l’origine de la connaissance. Sa théorie politique est l’une de celles qui fondent le libéralisme car il considère que l’homme doit disposer de droits naturels (droit à la vie, droit à la liberté, droit à la propriété, droit de résister à la tyrannie…). Pour lui, le pouvoir exécutif doit se soumettre au législatif. Charles-Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu (1689-1755), séjourne un an en Angleterre où il observe la monarchie constitutionnelle et quasi parlementaire qui a remplacé la monarchie absolue. De retour en France, il écrit un de ses principaux ouvrages de philosophie politique, De l’esprit des lois (1748), dans lequel il développe sa réflexion sur la répartition des fonctions de l’État entre ses différentes composantes, appelée postérieurement « principe de séparation des pouvoirs ».

• Question 1. L’homme qui veut garder sa liberté ne doit se soumettre « qu’au seul pouvoir législatif », un pouvoir qui doit être « choisi et désigné par le peuple  » et qui, seul, peut faire la loi.

• Question 2. Les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ne peuvent être exercés par la même personne ou institution car cela ouvre la voie à la tyrannie et à la privation de toute liberté. © Nathan. Histoire 1 Le Quintrec, 2010 re

Doc. 3. La critique des inégalités

Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) est un écrivain genevois de langue française, considéré comme l’un des plus illustres philosophes du siècle des Lumières, bien qu’il se soit souvent opposé au rationalisme des Lumières ainsi qu’à certains de ses plus éminents représentants comme Voltaire. Son œuvre a fortement influencé l’esprit révolutionnaire en France. Il est particulièrement célèbre pour ses critiques sur la société de son temps qu’il juge corruptrice, pour ses réflexions sur l’égalité entre les hommes ainsi que sur l’éducation.

• Question. Rousseau s’attaque ici essentiellement aux riches rentiers, en particulier à la noblesse. Il critique les « princes » et les « grands seigneurs » qui vivent dans « l’oisiveté ». Pour lui tout homme qui vit du travail des autres est un voleur ou un « fripon ». Doc. 4. L’intérêt renouvelé pour les sciences

(L’Académie des sciences et des beaux-arts, gravure de Sébastien Leclerc, 1698.)

Sébastien Leclerc (1637-1714) est certainement le graveur le plus représentatif du règne de Louis XIV. Il est resté célèbre pour la netteté et l’exactitude sans égales de son dessin. Il a travaillé aux Gobelins pour le roi avec le peintre Charles Le Brun. Il était le graveur attitré de l’Académie des sciences, dont il a abondamment et rigoureusement illustré les publications. Son œuvre la plus célèbre est d’ailleurs cette gravure intitulée L’Académie des sciences et des beaux-arts (1698). Dans ce dessin dédicacé à Louis XIV, Leclerc ne représente par une académie particulière (malgré le titre), c’est une compilation d’activités qui relèvent de deux institutions, l’Académie de peinture et de sculpture et l’Académie des sciences. C’est pourquoi Leclerc a installé dans cette gravure une foule de personnages, de machines et instruments divers, il s’agit de rendre hommage aux progrès accomplis pendant le règne de Louis XIV. • Question. Le graveur a représenté sur son dessin de très nombreuses disciplines scientifiques, parmi celles-ci on peut facilement identifier l’anatomie, la zoologie, l’astronomie, la géographie, les mathématiques… Doc. 5. Le café Procope (Estampe, vers 1770.)

Le café Procope fondé en 1686 est un des plus 141 •

anciens cafés-restaurants de Paris encore en fonctionnement. Il se situe au 13, rue de l’Ancienne-Comédie, dans le 6e arrondissement. Café d’artistes et d’intellectuels, il est fréquenté au xviiie  siècle par les plus grands intellectuels du temps. Voltaire et Rousseau y ont leurs habitudes. Il aurait aussi été fréquenté par Diderot, d’Alembert et Benjamin Franklin. Son rôle dans la vie culturelle de l’époque est souligné par la légende de cette estampe de 1770  : «  Établissement de la nouvelle philosophie, notre berceau fut un café ».

◗ Étude L’esclavage sous l’Ancien Régime � MANUEL, PAGES 234-235 Analyse des documents

1. Dans les colonies françaises mentionnées dans le document 5, la grande majorité de la population est composée d’esclaves. Ils sont particulièrement nombreux à Saint-Domingue (452  000 personnes), ce qui représente 86  % de la population de l’île. Les « nègres » sont employés comme main-d’œuvre servile sur les plantations, en particulier pour la culture et la récolte de la canne à sucre. Le travail essentiellement manuel semble pénible (les esclaves portent de lourds fardeaux) et se fait sous l’étroit contrôle d’un homme habillé à l’européenne, sans doute leur maître ou un contremaître. 2. La traite des nègres désigne le commerce des esclaves. Des Africains sont capturés, vendus sur des marchés comme de vulgaires marchandises à des négociants européens puis transportés sur des navires négriers d’Afrique en Amérique. On constate sur le document 2 que des Africains participent à ce commerce.

3. Les esclaves subissent sans cesse de mauvais traitements. Ils sont accablés de travail et battus parfois avec des fouets, les familles sont séparées et les trafiquants les attachent avec des fers. Dans la plantation de canne à sucre, l’Européen porte une canne ou un bâton dont il semble menacer les esclaves, ce qui rappelle qu’il peut punir celui qui ne travaille pas avec assez d’efficacité. 4. Les philosophes des Lumières condamnent l’esclavage au nom des droits naturels de l’homme. Pour eux, l’Africain est notre « sem• 142

blable  », tous les hommes quelle que soit leur origine ou leur couleur de peau doivent disposer de leur liberté, ils ne peuvent être l’« objet d’un commerce  ». Les colons européens usurpent «  insolemment les droits souverains  » des personnes qu’ils réduisent en esclavage.

5. Louis de Jaucourt dit que la traite des nègres « viole la religion, la morale, les lois naturelles et tous les droits de la nature humaine  », il condamne « l’inhumanité » des juges et fustige « les voies cruelles et criminelles » par lesquelles les trafiquants s’enrichissent. Diderot parle d’une Amérique « peuplée de colons atroces », pour lui « le droit d’esclavage est celui de commettre toutes sortes de crimes ». Bilan de l’étude

Les colons français d’Amérique ont développé l’esclavage pour des raisons économiques. Afin de mettre en valeur leurs plantations, en particulier dans le domaine de la culture de la canne à sucre, et afin de pouvoir exporter à bon prix les produits tropicaux sur les marchés européens, ils ont fait venir d’Afrique une main-d’œuvre servile à qui ils ont confié les tâches les plus dures. De nombreux négociants français se sont aussi enrichis en pratiquant la « traite des nègres » dans le cadre du commerce triangulaire. L’esclavage a atteint de telles proportions que la majorité des habitants des colonies françaises d’Amérique et de l’océan Indien sont originaires d’Afrique. Cependant, les mauvais traitements subis par les esclaves, la diffusion des idées nouvelles conduisent de nombreux Français à condamner ces pratiques. En effet, les philosophes des Lumières considèrent que, malgré leur couleur de peau, les Africains sont des hommes comme les autres et doivent disposer de leurs droits naturels et donc de leur liberté.

◗ Histoire des Arts La saline royale d’Arc-en-Senans � MANUEL, PAGES 236-237

1. L’architecture du bâtiment des gardes est d’une grande austérité. Il ne dispose que d’une seule ouverture vers l’extérieur de la Saline. C’est la seule entrée du complexe, lequel est entouré d’un mur d’enceinte doublé d’un fossé. Cette porte est précédée d’un portique de six © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

colonnes. La maison du directeur est l’édifice le plus élevé du complexe. Sa décoration est plus soignée, son portique comporte six colonnes à bossage, un fronton dans lequel s’ouvre un oculus. La place et la sévérité de l’architecture du bâtiment des gardes peuvent s’expliquer par son rôle : cet édifice est là pour permettre aux gardes de contrôler toutes les allées et venues, il sert aussi de prison. L’architecture plus complexe, la place centrale et la hauteur de la maison du directeur symbolisent l’autorité dont dispose celui qui dirige les Salines et réside ici. L’oculus rappelle un des rôles essentiels du directeur, la surveillance et le contrôle du bon fonctionnement de l’entreprise.

2. Ledoux a conçu cet ensemble architectural en forme de demi-cercle de 370 mètres de diamètre avec un axe central reliant le bâtiment des gardes à la maison du directeur. Le complexe comprend des installations techniques et des logements. De chaque côté de la maison du directeur se situent les bâtiments pour la production du sel. À proximité, on trouve les logements des ouvriers. Une salle commune sert de cuisine avec quatre fours et une cheminée commune, de part et d’autre un corridor donne accès aux chambres des travailleurs qui disposent de quatre places. D’autres édifices abritent des ateliers (tonnellerie, maréchalerie…), des bureaux pour les agents gérant l’impôt sur le sel ou contrôlant la production et d’autres logements pour les contremaîtres ou les surveillants des travaux. On peut parler d’architecture rationnelle parce que Nicolas Ledoux a réuni à proximité des lieux de production du sel toutes les activités annexes. Les ouvriers, les administrateurs logent sur le lieu même de leur travail. Cette disposition limite les déplacements et permet surtout un étroit contrôle des activités de chacun. L’architecte a même prévu un espace entre les bâtiments pour éviter la propagation du feu. 3. Sur l’Acropole, les Grecs ont construit leurs temples avec des colonnes, des portiques et des frontons. Le principe de symétrie qu’affectionnent les Anciens est strictement respecté par Ledoux pour chacun des édifices : pour le bâtiment des gardes et la maison du directeur (trois colonnes de chaque côté de la porte d’entrée), pour le logement des ouvriers (deux ailes de © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

même longueur partant du corps central). Les bâtiments pour la production sont identiques de part et d’autre de la maison du directeur. Nicolas Ledoux s’est nettement inspiré de l’architecture de l’Antiquité. Cependant, il renouvelle ce style ancien car aucun des bâtiments n’est la copie conforme d’une construction antique (il dote ainsi chaque édifice de grands toits de tuiles pentus). Enfin, il utilise les éléments architecturaux inspirés de l’Antiquité non pas pour des temples mais pour des bâtiments industriels.

◗ Méthode Mettre en relation et confronter des documents � MANUEL, PAGES 238-239

1. Le document 1 est un portrait de Louis XVI, roi de France et de Navarre (1774-1791), puis roi des Français (1791-1792). Il a été peint par Antoine Callet en 1778 et est conservé au château de Versailles. Le document 2 est un extrait de l’article « Autorité politique » écrit par Denis Diderot pour l’Encyclopédie publié en 1766. Denis Diderot (1713-1784) est un philosophe et écrivain français qui a été le maître d’œuvre de l’Encyclopédie et l’un des principaux représentants de l’esprit des Lumières. Le document 3 est un pamphlet publié en 1787 par un auteur inconnu qui soutient les parlementaires en révolte contre le roi. À cette époque, les parlements sont des cours de justice dirigées par la noblesse de robe, ils refusent que le roi touche aux privilèges fiscaux. Ils utilisent le droit de remontrances et s’attaquent à l’absolutisme. 2. Voir le guide d’analyse du document p. 239.

3. L’absolutisme royal s’appuie sur le droit divin. Sacré à Reims, le roi dit tenir son pouvoir de Dieu, ce qui condamne toute opposition à sa volonté souveraine et oblige tous les sujets à l’obéissance et à la déférence la plus totale.

4. À la fin du xviiie siècle de nombreuses voix s’élèvent pour condamner la prétention des rois français à l’absolutisme. Diderot affirme qu’«  aucun homme n’a reçu […] le droit de commander aux autres ». Les partisans des parlementaires combattent aussi fermement l’idée d’un Dieu ayant confié à un homme « un pareil degré de puissance ». 143 •

5. Les deux textes affirment que tout individu naît libre et que la nation, seule, est souveraine. Diderot dit que «  la puissance […] vient du

Chapitre

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consentement des peuples  », le pamphlétaire proclame que c’est à la «  nation  » que Dieu a confié la « plénitude du pouvoir ».

La Révolution française, un nouvel univers politique � MANUEL, PAGES 240-271

◗ Présentation de la question

Le programme vise d’abord à faire comprendre à la classe en quoi la Révolution française conduit à des bouleversements majeurs pendant les années 1789-1804 aussi bien dans le domaine politique, social, économique que culturel. Le chapitre précédent a présenté la société d’Ancien Régime et le régime absolutiste ainsi que l’essor des idées de liberté en Europe occidentale et en Amérique du Nord. Cette présentation préalable permet à l’élève de comprendre comment la crise du système politique et social français qui s’accélère dans les années 17871789 conduit à la rupture révolutionnaire. Il faut cependant éviter une analyse trop téléologique. Rien ne permettait de prévoir l’ampleur des changements ni leur violence. Il faut insister sur la complexité de la crise et montrer que les motivations des contestataires ne sont pas toutes issues d’aspirations généreuses, d’une volonté de voir appliquer enfin les droits naturels de l’homme définis par les Lumières. Ainsi, les parlementaires qui contestent l’absolutisme refusent l’égalité devant l’impôt et défendent avant tout leurs privilèges fiscaux. L’élève doit ensuite analyser comment s’enclenche et se perpétue pendant plus d’une décennie la dynamique révolutionnaire. La logique et la complexité du processus doivent être dégagées par l’analyse des principales journées révolutionnaires en montrant qu’à chaque fois la défense des idées de liberté et d’égalité n’est pas le seul moteur du changement et que le rôle des circonstances (difficultés économiques, défaites militaires…) n’est pas négligeable. Il faut par• 144

ler de la diversité des acteurs de la Révolution, grands personnages, institutions, sociétés et clubs, groupes sociaux. Pendant cette période allant de 1789 à 1804, la France expérimente non seulement plusieurs formes de régime (monarchie constitutionnelle et diverses formes de république) mais aussi le suffrage censitaire et le suffrage universel, les citoyens s’habituent progressivement à l’égalité civique et à participer activement à la vie politique même si la liberté d’expression n’est assurée que pendant une brève période.

Depuis deux siècles, l’écriture de l’histoire de la Révolution a donné lieu à de vifs débats historiographiques. Pour simplifier on peut dire que, dès le xixe siècle, se mettent en place trois lectures de la Révolution française : – une lecture contre-révolutionnaire condamne la Révolution en bloc, jugeant que les événements violents – la Terreur – sont déjà contenus dans les principes de 1789. On reproche à la Révolution d’avoir été sanglante et autoritaire et on rejette l’essentiel de ses principes. En effet, la Révolution de 1789 a renversé l’organisation « naturelle » de la société voulue par Dieu. Cette rupture avec l’ordre naturel serait la cause de tous les « dérapages » et « excès » de la période de la Terreur. Ce courant est lancé par le Britannique Edmund Burke (Reflections on the Revolution in France), repris par Hippolyte Taine (1828-1893) (Les Origines de la France contemporaine, plusieurs tomes de 1875 à 1893), puis par l’historien maurassien Pierre Gaxotte (1895-1982) (La Révolution française, 1928). Dans la deuxième moitié du xxe siècle, le courant contre-révolu© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

5. Les deux textes affirment que tout individu naît libre et que la nation, seule, est souveraine. Diderot dit que «  la puissance […] vient du

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consentement des peuples  », le pamphlétaire proclame que c’est à la «  nation  » que Dieu a confié la « plénitude du pouvoir ».

La Révolution française, un nouvel univers politique � MANUEL, PAGES 240-271

◗ Présentation de la question

Le programme vise d’abord à faire comprendre à la classe en quoi la Révolution française conduit à des bouleversements majeurs pendant les années 1789-1804 aussi bien dans le domaine politique, social, économique que culturel. Le chapitre précédent a présenté la société d’Ancien Régime et le régime absolutiste ainsi que l’essor des idées de liberté en Europe occidentale et en Amérique du Nord. Cette présentation préalable permet à l’élève de comprendre comment la crise du système politique et social français qui s’accélère dans les années 17871789 conduit à la rupture révolutionnaire. Il faut cependant éviter une analyse trop téléologique. Rien ne permettait de prévoir l’ampleur des changements ni leur violence. Il faut insister sur la complexité de la crise et montrer que les motivations des contestataires ne sont pas toutes issues d’aspirations généreuses, d’une volonté de voir appliquer enfin les droits naturels de l’homme définis par les Lumières. Ainsi, les parlementaires qui contestent l’absolutisme refusent l’égalité devant l’impôt et défendent avant tout leurs privilèges fiscaux. L’élève doit ensuite analyser comment s’enclenche et se perpétue pendant plus d’une décennie la dynamique révolutionnaire. La logique et la complexité du processus doivent être dégagées par l’analyse des principales journées révolutionnaires en montrant qu’à chaque fois la défense des idées de liberté et d’égalité n’est pas le seul moteur du changement et que le rôle des circonstances (difficultés économiques, défaites militaires…) n’est pas négligeable. Il faut par• 144

ler de la diversité des acteurs de la Révolution, grands personnages, institutions, sociétés et clubs, groupes sociaux. Pendant cette période allant de 1789 à 1804, la France expérimente non seulement plusieurs formes de régime (monarchie constitutionnelle et diverses formes de république) mais aussi le suffrage censitaire et le suffrage universel, les citoyens s’habituent progressivement à l’égalité civique et à participer activement à la vie politique même si la liberté d’expression n’est assurée que pendant une brève période.

Depuis deux siècles, l’écriture de l’histoire de la Révolution a donné lieu à de vifs débats historiographiques. Pour simplifier on peut dire que, dès le xixe siècle, se mettent en place trois lectures de la Révolution française : – une lecture contre-révolutionnaire condamne la Révolution en bloc, jugeant que les événements violents – la Terreur – sont déjà contenus dans les principes de 1789. On reproche à la Révolution d’avoir été sanglante et autoritaire et on rejette l’essentiel de ses principes. En effet, la Révolution de 1789 a renversé l’organisation « naturelle » de la société voulue par Dieu. Cette rupture avec l’ordre naturel serait la cause de tous les « dérapages » et « excès » de la période de la Terreur. Ce courant est lancé par le Britannique Edmund Burke (Reflections on the Revolution in France), repris par Hippolyte Taine (1828-1893) (Les Origines de la France contemporaine, plusieurs tomes de 1875 à 1893), puis par l’historien maurassien Pierre Gaxotte (1895-1982) (La Révolution française, 1928). Dans la deuxième moitié du xxe siècle, le courant contre-révolu© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

tionnaire compare la Révolution française et la Révolution bolchevique, en dénonçant un glissement parallèle d’une révolution modérée à ses débuts menant à un régime nécessairement totalitaire et sanglant par la suite ; – une lecture « libérale » revendique l’héritage de 1789 mais condamne la Terreur de 17931794, jugeant que les deux périodes peuvent être séparées car on peut distinguer deux révolutions. La première (1789-1791), réalisée par la bourgeoisie, était rendue inévitable par la nécessité d’accorder les institutions politiques avec les réalités sociales du xixe siècle (l’apparition d’une élite riche et cultivée capable de diriger l’État mais globalement écartée du pouvoir). La deuxième révolution est une révolution défensive, rendue inévitable par la résistance des contre-révolutionnaires. Elle est marquée par l’irruption du peuple auquel la bourgeoisie fait appel pour défendre sa révolution. Mais l’intervention du peuple dans l’histoire conduit à des violences inacceptables. Ce courant libéral est représenté par François-Auguste Mignet (1796-1884), Histoire de la Révolution française de 1789 jusqu’en 1814, 1824, Adolphe Thiers, Histoire de la Révolution (10 volumes 1823 à 1827) ou encore Alexis de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, 1856. Au xxie siècle, l’interprétation libérale est revivifiée à partir de la publication en 1965 de La Révolution française de François Furet et Denis Richet. Ces deux auteurs rejettent l’idée que la Révolution soit le fruit de la lutte des classes entre une bourgeoisie libérale et une noblesse conservatrice. Ils soutiennent d’abord que la Terreur n’était pas nécessaire, qu’elle correspond à un « dérapage » dû à l’intrusion des masses populaires. Puis, à partir de 1978 (dans Penser la Révolution française), François Furet modifie son interprétation en estimant désormais que « la Terreur fait partie de l’idéologie révolutionnaire  », qu’elle constitue la « matrice du totalitarisme », que « 1789 ouvre une période de dérive de l’Histoire  ». Patrice Gueniffey, avec notamment La Politique de la Terreur. Essai sur la violence révolutionnaire, 1789-1794, Fayard, 2000, va encore plus loin en développant l’idée que la Terreur est consubstantielle à la Révolution dès 1789 ; – une lecture jacobine (puis jacobino-marxiste) dite « école classique » domine la scène histo© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

riographique de la fin du xixe siècle jusqu’aux années 1960. Pour ce courant, la Révolution est « un bloc » dont on ne peut critiquer ou retrancher d’élément sans remettre en cause l’ensemble. La période 1793-1794 est vue comme un approfondissement populaire et social de la Révolution de 1789. Cette dernière est le point de départ majeur d’une ère de révolutions politiques et sociales. L’école classique soutient la spécificité et la supériorité de la Révolution française en raison de son importance dans le temps (une décennie), dans l’espace (l’extension à l’Europe occidentale) et de sa radicalité. Ce courant est d’abord marqué par la publication des œuvres de Jules Michelet (Histoire de la Révolution française, 1847-1853) et d’Alphonse Aulard. Au xxe siècle, les historiens de la gauche socialiste et communiste reprennent l’interprétation jacobine ou républicaine en mettant en avant les transformations économiques (émergence du capitalisme) et sociales (émancipation de la paysannerie qui accède à la propriété, rôle accru des classes populaires urbaines, etc.). Dans cette tendance s’illustrent Ernest Labrousse, Georges Lefebvre (18741959), Albert Soboul (1914-1982) ou plus récemment Michel Vovelle (né en 1933). Cette école classique a bataillé férocement contre l’école libérale mais aussi contre la thèse des révolutions atlantiques née dans les années 1950.. Cette thèse veut montrer que la Révolution française entre dans le cadre plus général de révolutions ayant touché l’ensemble de l’espace atlantique à la même époque, notamment la Révolution américaine et la Révolution batave. Cette idée a été soutenue par l’historien français Jacques Godechot (La Grande Nation, 1958) et l’historien américain Robert Roswell Palmer (avec l’article pionnier The World Revolution of the West in 1954). Le débat n’est pas épuisé puisqu’au cours des années 1990 le livre d’Annie Jourdan (La Révolution, une exception française ?, 2004) se voulait une réponse au colloque « La République, une exception française », dirigé par Michel Vovelle à l’université Paris-I en 1992. Enfin, à partir du bicentenaire de 1789, de nouvelles approches insistent sur l’histoire des mentalités et des idéologies, l’histoire dite «  culturelle  » (notamment la culture poli145 •

tique révolutionnaire), l’observation du jeu des représentations.

◗ Bibliographie Ouvrages sur la période 1789-1804

Biard M., Bourdin P., Marzagalli S., 1789-1815, Révolution, Consulat, Empire, Belin, 2009. Biard  M., La Révolution française, Tallandier, 2009. S.  Bonin, C.  Langlois (dir.), Atlas de la Révolution française, EHESS, Paris, 1998. M. Bouloiseau, La République jacobine (10 août 1792-9 thermidor an II), Le Seuil, coll. « Points Histoire », 1972. De Baecque  A., Pour ou contre la Révolution française, Bayard, 2002. F.  Furet, Penser la Révolution française, Gallimard, Paris, 1985. F.  Furet, M.  Ozouf (dir.), Dictionnaire critique de la Révolution française, Flammarion, coll. « Champ », Paris, 1992. A.  Gérard, La Révolution française, mythes et interprétations, 1789-1970, Flammarion, coll. « Questions d’histoire », Paris, 1970. J. Godechot, Les Révolutions (1770-1799), PUF, coll. « Nouvelle Clio », Paris, 1970. J.-P. Jessenne, Révolution et Empire, 1783-1815, Hachette, coll. « Carré Histoire », Paris, 1993. A. Jourdan, La Révolution, une exception française ?, Flammarion, Paris, 2003. J.-C.  Martin, La France en Révolution, 17891799, Belin, Paris, 1990. J.-C.  Martin, La Révolution française, Documentation photographique, n° 8054, 2006. J.-R. Suratteau (dir.), Dictionnaire historique de la Révolution française, PUF, Paris, 1989. J.  Tulard et alii, Histoire et dictionnaire de la Révolution française, Laffont, coll. « Bouquins », Paris, 1987. A.  de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, 1856 [nombreuses rééditions]. M. Vovelle, La Révolution française, 1789-1799, Armand Colin, coll. « Cursus », Paris, 1992 M. Vovelle, La Chute de la monarchie, 1787-1792, Le Seuil, coll. « Points Histoire », Paris, 1999. D. Woronoff, La République bourgeoise de thermidor à brumaire (1794-1799), Le Seuil, coll. « Points Histoire », 1972. • 146

Pour l’histoire du Consulat

200 ans de code civil. Des lois qui nous rassemblent, exposition organisée par l’Assemblée nationale et la Cour de cassation, Dalloz, Paris, 2004. J.-P.  Bertaud, Le Consulat et l’Empire, 17991815, Armand Colin, coll. « Cursus », 1989. J.-P. Bertaud, 18 Brumaire, Bonaparte prend le pouvoir, Bruxelles, Complexe, 2000. Naissance du Code civil. Travaux préparatoires du Code civil, extraits choisis et présentés par F. Ewald, Flammarion, 2004. Henri  P., Histoire des préfets, Paris, Nouvelle éditions latines, 1950. Tulard J., « Les préfets napoléoniens » acte du colloque, Histoire des préfets, Paris, 1977. Sites internet

– Le site de l’Institut d’histoire de la Révolution française (IHRF) pour sa documentation et les nombreux liens vers d’autres sites : http://ihrf.univ-paris1.fr – Le site de la Fondation Napoléon pour ses documents sur la période du Consulat : www.napoleonica.fr

◗ Ouverture de chapitre � MANUEL, PAGES 240-241

Doc. 1. L’espoir d’une entente nationale autour d’un roi citoyen… (La Fête de la Fédération, 14 juillet 1790, gravure de Charles Thévenin, Paris, musée Carnavalet.)

Le 14 juillet 1790, à Paris, les Français commémorent le premier anniversaire de la prise de la Bastille. Des fêtes civiques spontanées organisées çà et là dans les départements ont inspiré l’idée d’une grande fête d’union nationale aux députés de l’Assemblée constituante. Ils ont voulu une cérémonie qui manifeste leur réconciliation avec le roi après plus d’un an d’un combat politique acharné pour imposer leurs idées. Cette fête est dite de la Fédération des Français car sont réunis les représentants des 83 départements créés par l’Assemblée nationale constituante. Les « Fédérés » sont présentés ici rangés sous leurs bannières au moment où le roi prête un serment de fidélité aux lois nouvelles : « Moi, roi des Français, je jure d’employer le pouvoir qui m’est délégué par la loi constitutionnelle de © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

l’État à maintenir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par moi et à faire exécuter les lois. » Au premier plan, divers personnages s’enlacent, ce qui renforce le message d’union nationale que veut faire passer le tableau. Doc. 2. … puis dix ans de mésententes, de désordres et de violences… (La Prise du palais des Tuileries, 10 août 1792, huile sur toile de Jacques Bertaux. Château de Versailles.)

Cette peinture représente le combat opposant les sans-culottes parisiens alliés à des soldats de la garde nationale aux gardes suisses en habit rouge assurant la protection du roi et de sa famille qui résident au palais des Tuileries. A l’arrière-plan des soldats de la garde nationale en habit bleu attaquent la porte du palais appuyés par les tirs de deux canons. Le sol est jonché de cadavres sanglants. Le peintre insiste sur le sacrifice des gardes suisses qui refusent de se rendre et sur la violence des sans-culottes, au premier plan une femme et un homme massacrent sans pitié un soldat blessé. Sur le portail de la cour du Carrousel est accroché un bonnet phrygien. Au terme de cet assaut organisé par la commune insurrectionnelle de Paris et les sections parisiennes (600 Suisses meurent sur 950), le roi Louis XVI et sa famille sont internés au donjon du Temple. Doc. 3. .... suivis par un retour à l’ordre avec la fondation d’un empire autoritaire (Le Sacre de Napoléon Ier, huile sur toile de Jacques Louis David, 1806-1807. Paris, musée du Louvre.)

David représente le moment où l’Empereur couronne son épouse Joséphine. Dans cette vaste frise, on reconnaît la famille impériale et les principaux dignitaires du nouveau régime  : Cambacérès et Lebrun, ex-consuls devenus respectivement archichancelier et architrésorier, Talleyrand, Eugène de Beauharnais, les nouveaux maréchaux ainsi que les sœurs de Napoléon, chargées de porter la traîne de l’impératrice. Dans la tribune est présentée la mère de Bonaparte, qui en fait était absente lors de la cérémonie. David s’est aussi représenté dans cette tribune. Cette peinture est donc une impressionnante galerie de portraits et chaque personnage peut être identifié (cf. 2 décembre 1804, le sacre de Napoléon, sous la direction de Thierry Lentz, paru aux éditions Nouveau Monde en 2003). © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

David a conçu ce sacre comme la rencontre entre le monde sacré à gauche du spectateur et le monde laïc à droite, Napoléon devenant le lien qui s’établit entre l’Église avec son pape Pie  VII et l’univers révolutionnaire dont le nouvel empereur est issu. La croix que tient un cardinal au centre marque le point de rencontre entre ces deux mondes. Ce tableau qui rend compte du faste et de la splendeur extraordinaires de ce sacre permet de faire réfléchir les élèves sur la création d’une nouvelle symbolique monarchique.

◗ Étude 1789, le tiers état prend la parole � MANUEL, PAGES 244-245 analyse des documents

1. Les députés du tiers état ont été élus selon un mécanisme très complexe instituant un suffrage indirect à plusieurs degrés. Le choix a été fait par les assemblées de bailliage, elles-mêmes élues par des assemblées locales. En ville, les chefs de famille se sont réunis par quartier ou corporation pour désigner des représentants à l’assemblée de leur cité, laquelle a sélectionné des députés pour le bailliage. À la campagne, les électeurs se sont concertés au sein de la paroisse pour envoyer leurs représentants à l’assemblée du bailliage. C’est un système relativement démocratique puisque tous les chefs de famille âgés de plus de 25 ans payant l’impôt ont pu voter. La rédaction des cahiers de doléances s’est faite en suivant la même voie. Les électeurs lors des réunions de quartier, de corporation ou de paroisse ont composé leur cahier de doléances, puis à chaque étape du vote, on a procédé à une synthèse des demandes et des revendications des différentes assemblées de niveau inférieur.

2. Le cahier de doléance de Gastines s’insurge contre les privilèges réservés aux nobles, il accuse notamment la noblesse « [de vider] le trésor royal », de n’avoir que mépris pour les membres du tiers état, les paysans étant traités comme « de vrais valets  » voire comme des «  esclave[s]  ». Les aristocrates auraient moins de considération pour le journalier qui pour leur cheval. Les paroissiens de Saint Quintin et Cayra s’indignent de la richesse d’un clergé (curé et moines) qui vit dans l’abondance et qui refuse d’utiliser ses 147 •

revenus pour aider les pauvres.

3. Au travers de ces cahiers de doléances apparaît le désir de mettre fin aux privilèges, notamment aux privilèges fiscaux qui font que « le tiers état paie tout et ne jouit de rien ». Pour les paroissiens de Chazay-d’Azergues, la répartition de l’impôt royal doit se faire « également sur les immeubles des nobles et ceux du clergé comme ceux du tiers état ». Ces cahiers veulent aussi la fin de la monarchie absolue, le pouvoir du roi doit être limité par une Constitution et le pouvoir législatif doit être confié aux députés des États généraux. Enfin, on réclame plus de liberté notamment par l’abolition des lettres de cachet permettant au roi d’emprisonner quelqu’un sans jugement.

4. Les députés du tiers état sont essentiellement des bourgeois. Le poids des hommes de lois et des avocats est impressionnant, plus de 51 % des élus sont issus de ce milieu. Les paysans qui forment près de 75 % de la population française ne sont représentés que par 40 exploitants agricoles aisés, ce qui fait 6 % des délégués du tiers état. Bilan de l’étude

La convocation des États généraux a soulevé d’immenses espoirs au sein du tiers état. Les élections qui se sont déroulées librement ont permis à tous les chefs de famille payant leurs impôts et âgés d’au moins 25 ans de participer à la désignation des députés de leur ordre. Chaque sujet du roi a aussi pu faire entendre sa voix en formulant ses revendications et condamnant les abus lors de la rédaction des cahiers de doléances. Le ton de ces derniers, très modéré, reflète une véritable volonté de changement : le tiers état réclame la fin de la société de privilèges et de la monarchie absolue. Cependant, la volonté du tiers état de se faire entendre rencontre de nombreux obstacles. D’abord, la complexité d’un scrutin à plusieurs degrés ne permet pas une juste représentation du corps électoral. Les députés élus sont en effet pour l’essentiel des bourgeois, des avocats et des hommes de loi. La masse des paysans (75 % de la population) est sous-représentée. En outre, la procédure du vote par ordre donne la majorité aux ordres privilégiés dont le sentiment de supériorité est renforcé par le protocole qui régit la cérémonie d’ouverture des États généraux. En • 148

effet, le 5 mai 1789, les députés du tiers état sont humiliés en étant relégués loin du roi au fond de la salle.

1. Les crises et l’échec des réformes (1788-1789) � MANUEL, PAGES 246-247

Doc. 1. Le prix mensuel du blé et du seigle de 1787 à 1790

• Question 1. Entre  1787 et  1789, le prix des céréales augmente fortement. Le setier de seigle passe de 14  livres tournois en janvier  1787 à 26 livres tournois en juin 1789, tandis que celui de blé, au même moment, passe de 22 à 36 livres tournois. Cette hausse des prix s’explique par les mauvaises récoltes de 1788 et le terrible hiver 1788-1789 qui a détruit une partie des cultures.

• Question 2. Les céréales sont pour les Français l’aliment de base, certains ont donc des difficultés à se nourrir correctement. Cette crise de subsistances entraîne d’importantes disettes pendant les mois de soudure. Des effets se font également sentir sur les autres secteurs de l’économie, laquelle subit une baisse de la consommation. Le chômage augmente, les revenus diminuent, ce qui accroît les problèmes alimentaires. Doc. 2. Le budget de l’État en 1788

• Question 1. L’analyse du budget de 1788 révèle une crise profonde  : le déficit public atteint 117 millions de livres tournois, ce qui est énorme.

• Question 2. Le budget est grevé par le service de la dette qui constitue à lui seul 50 % des dépenses (310 millions sur 620). Elle est due aux multiples emprunts contractés depuis 1776 liés à la guerre d’Indépendance américaine et la modernisation de la marine. Seule une augmentation des impôts pourrait permettre d’améliorer les recettes. Pour remplir les caisses de l’État, il faudrait une réforme fiscale qui mettrait fin aux exemptions fiscales des privilégiés. Doc. 3. Insécurité et misère

• Question. Les autorités ont doublé les patrouilles de gardes françaises et de gardes suisses à Paris, notamment la nuit, pour assurer la sécurité de la population. Il s’agit de faire face à une augmentation de la délinquance liée à la © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

misère croissante du peuple, elle-même causée par un important chômage. Sans doute, cherchet-on aussi à prévenir toute révolte de la part des plus démunis. Doc. 4. L’affaire Réveillon, 27 et 28 avril 1789 (Gravure colorée, let.)

xviiie

siècle. Paris, musée Carnava-

Dans les jours qui précèdent l’ouverture des États généraux, fixée au 5 mai 1789, les troubles se multiplient à Paris. Fin avril, Réveillon, patron de la plus grande manufacture parisienne de papiers peints, installée dans l’hôtel Titon, faubourg Saint-Antoine, propose lors de la rédaction des cahiers de doléances de baisser le prix du pain et de diminuer les salaires. Dans les faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marcel où vivent près de 40 000 ouvriers qui souffrent du chômage, de la disette, le petit peuple ne retient des propos de ce patron que ceux qui visent les salaires. Le 27 avril, des ouvriers appellent à la mort de Réveillon. Son effigie est portée jusqu’à la place de Grève où elle est exécutée. Tout au long de la nuit les émeutiers crient dans la ville. Le lendemain, la résidence de Réveillon et sa manufacture sont assiégées puis pillées, les émeutiers lançant objets et meubles dans la rue. Les soldats interviennent et tirent sur la foule. Le bilan est estimé du côté des soldats à 12 tués et 80 blessés ; du côté du peuple, à 200 tués et 300 blessés. Doc. 5. L’opposition des parlements

• Question. Le parlement du Dauphiné s’oppose aux lettres de cachet, c’est-à-dire à la possibilité qu’a le roi de faire emprisonner autant de temps qu’il le désire une personne sans jugement préalable. Les parlementaires dauphinois veulent que le pouvoir du roi soit limité par la loi et ils réclament l’Habeas corpus parce que, pour eux, le citoyen doit « jouir d’une sûreté entière pour sa personne ». Doc. 6. Le roi Louis XVI et son nouveau ministre des Finances, Necker, 25 août 1788 (Le Déficit, caricature de De Vinck, 1788.)

Cette caricature est dirigée contre les ministres Calonne et Loménie de Brienne, anciens responsables des Finances royales. Elle soutient le rappel de Necker au ministère des Finances. Jacques Necker qui a déjà été responsable des Finances royales de 1776 à 1781 a laissé un bon © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

souvenir aux Français, notamment parce qu’il a refusé d’augmenter les impôts et a préféré recourir à l’emprunt pour financer les dépenses de l’État. Cette popularité explique son rappel au gouvernement le 25 août 1788. Il est présenté ici avec le roi Louis XVI devant les caisses vides du trésor royal. Derrière eux, sortant de la pièce, Calonne et Loménie de Brienne (en violet), anciens ministres des Finances qui ont échoué dans leurs projets de réformes fiscales. Ils sont accusés ici d’avoir vidé le trésor royal, c’est pourquoi ils portent sur l’épaule des sacs qu’on peut supposer emplis d’argent.

2. L’avènement de la souveraineté nationale � MANUEL, PAGES 248-249

Doc. 2. La prise de la Bastille, 14 juillet 1789

• Question. Ce témoignage est révélateur des violences qui ont suivi la prise de la Bastille. Le bâtiment a été entièrement mis à sac. Le lieutenant de Flue rapporte que pour M.  de Launay, gouverneur de la forteresse, le trajet vers l’hôtel de ville « ne fut pour lui qu’un long supplice ». Frappé de « coups d’épée et de baïonnette », il finit par être décapité et sa tête est brandie « au bout d’un bâton ». Son exécution s’accompagne de la mort cruelle de quatre autres soldats. Cette fureur des Parisiens s’explique par le fait que les défenseurs de la Bastille, avant de se rendre, ont tiré sur la foule qui assiégeait la forteresse causant de nombreux morts. Le 14 juillet est la première journée révolutionnaire au cours de laquelle le peuple fait couler autant de sang. Doc. 3. Le pillage de l’hôtel de ville de Strasbourg, 21 juillet 1789 (Eau-forte coloriée, xviiie siècle.)

Sous l’Ancien Régime, à Strasbourg, le pouvoir est aux mains d’une élite de nobles et de bourgeois ; ils refusent la fin de leurs privilèges et une réforme des institutions municipales. L’annonce de la prise de la Bastille déclenche un soulèvement populaire. Le 21 juillet, des émeutiers saccagent l’hôtel de ville mais les magistrats municipaux, qui ont réussi à s’échapper, n’acceptent de démissionner que le 11  août. La gravure de J. Hans confirme le récit d’un spectateur, l’économiste anglais Arthur Young alors en séjour à Strasbourg. Pour les détails de cette affaire et 149 •

un commentaire plus détaillé de la gravure, on peut consulter le site des musées de la ville de Strasbourg : http://www.musees-strasbourg.org/ index.php?page=revolution Doc. 4. L’abolition des privilèges, 4 août 1789

• Question. Les droits seigneuriaux dits personnels, les plus décriés parce qu’ils sont le signe «  d’une servitude personnelle  » (ban, corvée, droits de chasse, de garenne et de colombier, justice seigneuriale, etc.), ainsi que les dîmes perçues par l’Église sont supprimés. Le principe de l’égalité devant l’impôt, la possibilité pour tous d’accéder à « tous les emplois et […] dignités » sont proclamés, ce qui met fin à la société de privilèges. Cependant, l’Assemblée nationale montre son attachement au droit de propriété puisque les droits seigneuriaux concernant les biens immobiliers sont déclarés rachetables (cens, redevances, etc.).

Doc. 5. La Grande Peur, été 1789 (Gravure du xviiie siècle.)

• Question. Cette gravure illustre bien les événements qui ont eu lieu dans les campagnes françaises au cours de l’été 1789, dit de la Grande Peur. Les paysans attaquent les demeures des seigneurs, à la recherche des archives et des terriers (registres fonciers permettant aux seigneurs de fixer les droits féodaux) qu’ils incendient. En brûlant ces registres, les paysans pensent mettre définitivement fin au système féodal qui les humilie depuis des siècles, c’est pourquoi ils sont présentés en train de danser joyeusement autour du feu où se consument les papiers prouvant l’existence des droits de leur seigneur.

◗ Étude La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen � MANUEL, PAGES 250-251

1. Droits fondamentaux Liberté Égalité

Souveraineté nationale Propriété Sécurité

Résistance à l’oppression

Bien-être et progrès social

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen 1789

Art. 1, art. 2, art. 4, art. 5, art. 8, Art. 2, art. 18 art. 9, art. 10, art. 11 Art. 1, art. 6, art. 13

Art. 2, art. 29

Art. 2, art. 17

Art. 2

Art. 3, art. 6, art. 14, art. 15 Art. 2, art. 7, art. 8 Art. 2

2. La liberté.

3. La Déclaration de 1793 innove en formulant des droits fondamentaux concernant le domaine du bien-être de l’individu et du progrès social. Cette évolution s’explique par l’arrivée au pouvoir des Montagnards qui sont plus sensibles aux attentes des classes populaires.

4. Les citoyens doivent protéger et défendre leur démocratie, respecter le droit des autres citoyens et les lois qu’ils ont élaborées. Les citoyens doivent déclarer leurs revenus et payer leurs impôts pour financer le service public. • 150

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen 1793

Art. 25, art. 29 Art. 2

Art. 33, art. 35

Art. 1, art. 21, art. 22 5. Les Déclarations des droits de l’homme et du citoyen de 1789 s’inspirent des idées des grands philosophes du xviie et du xviiie siècle (John Locke, Montesquieu, Diderot ou Rousseau). Ces déclarations reprennent aussi des éléments de la loi d’Habeas corpus anglaise et de la déclaration d’Indépendance américaine. 6. C’est la fin de la monarchie absolue de droit divin avec l’affirmation du principe de la souveraineté nationale, c’est aussi l’abolition de la société de privilèges puisque l’égalité de tous devant la loi est proclamée. © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

◗ Histoire des Arts Le Serment du Jeu de paume � MANUEL, PAGES 252-253

1. Jean-Sylvain Bailly, président de l’Assemblée nationale, est présenté en train de lire le texte du serment au nom de toute l’Assemblée, il est le seul personnage à faire face au spectateur et il est placé au centre du tableau, au carrefour de tous les regards et des gestes de l’assistance. Bailly est le cœur de la composition. David a ainsi voulu signifier l’importance du texte lu par Bailly qui concerne non seulement l’Assemblée mais la nation tout entière (donc le spectateur).

2. La grande majorité des députés ont le regard fixé sur Bailly et ils lèvent la main ou les deux bras pour prêter serment et montrer leur accord. Le peintre souligne ainsi l’enthousiasme quasi unanime des représentants du peuple.

3. Les personnages des groupes 2, 3, 4, 5 représentent différentes catégories de la population française : une personne âgée soutenue par deux jeunes, deux membres du clergé catholique enlaçant un pasteur protestant, un aristocrate au côté d’un paysan, etc. David veut symboliser l’union de la nation tout entière dans la même ferveur. Tous les Français, protestants, catholiques, privilégiés ou non, sont ici réunis.

4. Le groupe 4 représente un député qui refuse de prêter serment, protégé par un autre représentant du peuple. David montre que les révolutionnaires respectent un des droits fondamentaux de l’homme, la liberté d’expression.

5. Le vent et la lumière viennent d’en haut à gauche, là où les fenêtres permettent au peuple de participer à ce serment, d’en être le témoin. Il y a des hommes, des femmes et des enfants. David rappelle ici que les députés sont les élus du peuple et qu’ils répondent aux demandes de la nation.

◗ Étude 1789-1792, les Français à la découverte de la vie politique � MANUEL, PAGES 254-255 analyse des documents

1. Les Français peuvent participer à la vie politique parce que désormais, la «  souveraineté © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

réside essentiellement dans la nation  », ils ont des droits politiques et peuvent concourir ainsi à l’élaboration des lois. La liberté de presse facilite cette participation des citoyens à la vie politique du pays puisqu’elle permet à chacun d’être au courant des débats qui ont lieu à l’Assemblée nationale et aux différentes opinions politiques de s’exprimer. 2. Les Français peuvent s’engager en politique en participant aux élections à l’Assemblée nationale, en achetant des journaux politiques, en affichant leurs opinions par le port de symboles révolutionnaires comme la cocarde et en s’inscrivant à un club. Chateaubriand rapporte aussi que de nombreux citoyens assistent aux débats de l’Assemblée nationale tandis que d’autres viennent présenter des pétitions aux députés.

3. Le succès des journaux prouve l’intérêt des Français pour la politique. Chateaubriand évoque aussi les «  tribunes encombrées  » de l’Assemblée nationale avec des spectateurs qui n’hésitent pas à intervenir dans la discussion. La caricature de Chérieux présente un club de femmes à l’assistance nombreuse dans lequel les débats sont particulièrement animés. La présence de journaux aux options fort différentes atteste de la liberté d’expression et de la grande diversité des opinions. La vendeuse présente sur son étal la Gazette de Paris qui s’oppose à la Révolution et des périodiques qui la soutiennent. Chateaubriand souligne la division qui existe à l’Assemblée entre des députés de droite plus conservateurs et des députés de gauche plus progressistes.

4. Robespierre s’insurge contre le suffrage censitaire qui exclut les plus pauvres du droit de vote alors que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen affirme l’égalité de tous devant la loi. Les femmes ne peuvent pas voter alors que l’existence de clubs féminins montre l’intérêt qu’elles portent à la vie politique du pays. L’auteur de la caricature semble d’ailleurs être plutôt partisan de cette exclusion des femmes, il est clair que son dessin cherche à les ridiculiser en les présentant comme des viragos fort peu féminines et incapables de s’entendre sous l’œil de spectateurs masculins qui semblent goguenards. 5. Les documents 3 et 4 révèlent que l’Assemblée travaille sous la surveillance du peuple dont on

151 •

craint les excès. Chateaubriand parle de pétitionnaires qui se présentent armés de piques, ce qui inquiète la droite. L’article du Patriote français veut empêcher le peuple « de se laisser entraîner à une fermentation constante qui perpétuerait le désordre ». Ces inquiétudes s’expliquent par les violences qui ont accompagné certaines journées révolutionnaires comme la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789.

3. La naissance du citoyen (1789-1791)

Bilan de l’étude

• Question 2. Les articles  1 et  2 de la loi Le Chapelier interdisent le rétablissement des corporations. En aucun cas les travailleurs ou les « entrepreneurs  » d’une même profession ne doivent se rassembler, s’organiser en association, « former des règlements sur leurs prétendus intérêts communs », ce qui revient à interdire les syndicats.

À partir de 1789, la liberté d’expression quasi illimitée qui règne en France permet aux Français de découvrir la vie politique. Les événements révolutionnaires suscitent une intense soif de nouvelles que la publication de nombreux journaux politiques tente d’étancher. Les clubs de réunion comme celui de Jacobins organisant des débats, des séances de lecture à haute voix des journaux et des lois se multiplient non seulement à Paris mais dans toute la France. Les Français deviennent enfin des citoyens, le principe de la souveraineté nationale est affirmé par la nouvelle Constitution, ce qui ouvre la possibilité de choisir des représentants élus qui participent à l’élaboration de la loi. Différentes tendances politiques apparaissent à l’Assemblée, laquelle se divise entre une droite conservatrice et une gauche plus progressiste, chacun de ces groupes cherchant à avoir un périodique pour s’exprimer. Le travail de ces élus est étroitement surveillé. Le peuple vient nombreux assister aux séances de l’Assemblée et prend l’habitude d’intervenir dans les discussions en interpellant les députés ou en venant déposer des pétitions. Cette pression populaire n’est pas sans inquiéter l’élite politique qui craint les violences car certaines journées révolutionnaires comme la prise de la Bastille ont révélé les excès auxquels pouvait se livrer une foule furieuse. Ces réticences envers le peuple expliquent l’adoption par les députés du suffrage censitaire, ce qui exclut les plus démunis du vote. La misogynie ambiante a aussi empêché les femmes de devenir des citoyennes à part entière malgré leur désir de participer à la vie politique.

� MANUEL, PAGES 256-257

Doc. 2. La liberté économique

• Question 1. Les constituants, sous l’influence de la bourgeoisie marchande ralliée à la théorie du libéralisme économique qui ne reconnaît que les liens d’individu à individu, veulent permettre la liberté du travail jusqu’alors entravée par l’existence des métiers, des corporations et des monopoles.

• Question 3. L’article 8 interdit « tous attroupements composés d’artisans, ouvriers, compagnons, journaliers, ou excités par eux contre le libre exercice de l’industrie et du travail », autrement dit toute initiative de grève. Doc. 3. La Constitution de 1791

• Question 1. La Constitution de 1791 respecte en partie le principe de séparation des pouvoirs défendu par Montesquieu en confiant le pouvoir exécutif au roi, l’essentiel du pouvoir législatif à l’Assemblée et le pouvoir judiciaire à des tribunaux élus. Elle fait aussi triompher le principe de la souveraineté nationale avec l’élection d’une Assemblée législative qui fait les lois et contrôle leur application.

• Question 2. Cette Constitution ne satisfait pas les démocrates qui réclament, comme Robespierre, le suffrage universel masculin : il existe une distinction entre les citoyens passifs et les citoyens actifs qui limite fortement la souveraineté nationale. Le suffrage censitaire ne permet en effet qu’aux citoyens les plus fortunés de participer à la vie politique. L’Assemblée, censée représenter toute la nation, n’est choisie que par une minorité de Français, seuls les riches bourgeois et les propriétaires terriens peuvent espérer être élus. Doc. 4. La fusillade du Champ-de-Mars, 17 juillet 1791 (Gravure du xviiie siècle.)

Le 16 juillet, des membres du club des Cordeliers organisent une manifestation au Champ-de• 152

© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

Mars pour signer une pétition qui jure de ne plus reconnaître Louis XVI pour roi. Alors que les forces de l’ordre ont reçu de la Constituante la consigne d’empêcher le moindre trouble, le 17  juillet, une foule se rend sur le Champde-Mars. La Fayette, commandant de la garde nationale qui s’est portée au-devant des signataires à la tête de ses troupes, est mal accueilli. La foule jette des pierres sur les soldats, un manifestant tire sur le général sans l’atteindre. Le maire de Paris, Bailly, permet alors aux forces de l’ordre de faire usage de leurs armes. La Fayette ordonne à ses soldats de disperser la foule en tirant à blanc mais les manifestants s’aperçoivent du subterfuge et continuent à s’en prendre à la troupe. Bailly donne alors l’ordre de tirer sur le peuple, ce qui cause une cinquantaine de morts et des centaines de blessés. Doc. 5. Terminer la Révolution

• Question. Barnave exprime l’inquiétude des bourgeois devant la violence des troubles populaires, il veut que «  la Révolution s’arrête  » car il craint que «  si la Révolution fait un pas de plus », elle mette fin à la monarchie constitutionnelle et s’en prenne à la propriété privée, considérée par les constituants comme un droit naturel et fondamental du citoyen.

4. De la monarchie constitutionnelle à la République (1791-1793) � MANUEL, PAGES 258-259

Doc. 2. « Aux armes, citoyens »

Le maire de Strasbourg, le baron de Dietrich, demande au capitaine français Rouget de Lisle en garnison à Strasbourg d’écrire un chant de guerre pour l’armée du Rhin. Il compose ainsi un hymne de guerre dédié au maréchal de Luckner. Ce maréchal commande alors l’armée du Rhin. Ce chant est présenté à Dietrich le 26  avril et retentit ensuite publiquement pour la première fois sur la place située devant l’hôtel de ville de Strasbourg. Rouget de Lisle s’est inspiré d’une affiche de propagande présente sur les murs de la cité. (L’origine de la musique est très discutée car elle n’est pas signée par Rouget de Lisle.) Fin juin 1792, un délégué du Club des amis de la Constitution de Montpellier, venu à Marseille coordonner les départs de volontaires du Midi vers le front, invité d’honneur d’un banquet, en© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

tonne ce chant qu’il a entendu dans sa ville auparavant. Il suscite l’enthousiasme et le chant est distribué aux volontaires marseillais qui le reprennent sans cesse tout au long de leur marche vers Paris en juillet 1792. La Marseillaise, devenue très populaire, est alors déclarée chant national le 14 juillet 1795. Doc. 3. Les sans-culottes

Les sans-culottes sont les protagonistes principaux des grandes journées révolutionnaires. Ils figurent les « patriotes vertueux », issus du milieu de la boutique et des structures modestes de production artisanale. Cependant, leur identité sociale n’est pas homogène et on ne peut parler d’une classe économique en tant que telle. Ils s’affirment en opposition à la figure de l’aristocrate qui ne travaille pas et porte des culottes. C’est pourquoi l’homme sans-culotte porte le pantalon, vêtement du travailleur manuel, et tout dans son habillement symbolise son engagement révolutionnaire (cocarde, bonnet phrygien…). Les sans-culottes ont une exigence de démo­ cratie directe. Ils entendent exercer un contrôle permanent sur les parlementaires et leurs. décisions. Ils vivent dans la hantise des menées contre-révolutionnaires, c’est pourquoi ils sont représentés armés en véritables soldats de la Révolution. Doc. 5. Les idées des sans-culottes

• Question 1. La liberté ne se conçoit pas sans l’égalité sociale. Animés par la «  passion égalitariste  », les sans-culottes refusent toute différence sociale liée à la richesse ou au mérite, c’est pourquoi ils pratiquent le tutoiement, s’appellent citoyen et refusent l’emploi du mot monsieur. Leurs revendications sont aussi très souvent liées au problème de la juste répartition des subsistances, ils s’insurgent contre les pénuries alimentaires et l’augmentation des produits de consommation.

• Question 2. Le dernier texte légitime l’usage de la violence la plus extrême, les sans-culottes sont partisans du régime de Terreur et de l’usage de la peine de mort pour tout acte d’opposition à leurs revendications.

153 •

5. Terreur et recul des libertés (1793-1799) � MANUEL, PAGES 260-261

Doc. 2. Deux conceptions de la République

• Question. La Constitution de l’an I apparaît plus démocratique que celle du Directoire. Le principe de la souveraineté nationale est beaucoup mieux respecté grâce au suffrage universel masculin servant à désigner les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Les institutions du Directoire, elles, reposent sur un suffrage censitaire à plusieurs degrés. Seuls les Français payant un impôt direct peuvent devenir citoyens actifs, seuls les propriétaires terriens peuvent espérer être élus et participer pleinement au gouvernement. Doc. 3. La Loi des Suspects

• Question 1. Les articles  5 et  6 visent particulièrement les nobles qui, pour ne pas être arrêtés, doivent prouver «  leur attachement à la Révolution  ». L’article  2 fait allusion aux Girondins. Mais cette loi peut se retourner contre tous les Français  : il suffit d’être considéré comme un « ennemi de la liberté ».

• Question 2. Cette loi remet en cause les droits de l’homme et du citoyen car elle supprime les libertés (liberté d’expression, etc.), la sûreté et les garanties judiciaires (arrestation de simples suspects, etc.).

gendrés par la Terreur. Pendant cette période, les citoyens se sont tus par peur des visites domiciliaires, des dénonciations abusives et de la guillotine. La chute de Robespierre et de ses partisans, le 9 thermidor an II, délie les langues. Mais la mémoire collective, sensible aux histoires terrifiantes colportées par la rumeur, accroît l’horreur des actes des robespierristes et ne peut pas dissocier la légende de la réalité. Cette réaction génère une série de publications où les responsables de la Terreur sont présentés non seulement en bourreaux, mais aussi en vampires ou en cannibales. Cette gravure a été commanditée par un magistrat de Dunkerque dénommé Poirier, pour se venger de Joseph Le Bon et attiser le sentiment d’horreur suscité par les crimes qu’il aurait ordonnés lors de sa mission dans le Pas-de-Calais. Le Bon devient ainsi avec Robespierre le symbole du régime de Terreur. L’estampe est publiée le 13 mai 1795, une semaine après la nomination d’une commission chargée d’enquêter sur Le Bon. Traduit devant un tribunal de la Somme, il est condamné à mort et exécuté le 16 octobre 1795 à Amiens.

◗ Étude Les grandes journées de la Révolution française

Doc. 4. La Terreur dans le nord de la France (Gravure du Journal de la France, 27 juillet 1794.)

Cette gravure allégorique présente une image particulièrement intéressante des mythes en-

� MANUEL, PAGES 262-263 Analyse des documents

1. Date et nature de l’événement

Le serment du Jeu de paume (20 juin 1789)

• 154

Causes, acteurs et lieux Causes : refus du roi que les États généraux se constituent en Assemblée nationale, fermeture de la salle de réunion des députés. Acteurs : les députés en majorité élus du tiers état soutenus par les Versaillais. Lieu : salle du Jeu de paume à Versailles.

Victimes et degré de violence

Aucune victime.

Conséquences historiques

Fin de la monarchie absolue, rédaction d’une Constitution.

© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

Prise de la Bastille (14 juillet 1789)

« Grande Peur » et nuit du 4 août (été 1789)

Marche des Parisiennes sur Versailles (octobre 1789)

Prise du palais des Tuileries (août 1792)

Chute de Robespierre (juillet 1794)

Causes : chômage, hausse du prix du pain, concentration des troupes menaçant l’Assemblée nationale, renvoi de Necker. Acteurs : ouvriers, . bourgeois, soldats rebelles. Lieu : la prison de la Bastille.

Très violent. Le gouverneur de la Bastille, des officiers et des soldats sont exécutés par la foule.

Causes : des rumeurs évoDe rares victimes, quant des pillages par des des châteaux pillés brigands à la solde d’aristo- et brûlés. crates, l’inquiétude devant . la remise en cause du droit de propriété. Acteurs : les paysans, . les députés. Lieux : les châteaux, . l’Assemblée nationale . à Versailles.

Abolition des privilèges et de certains droits seigneuriaux.

Causes : pénuries alimentaires, rumeurs sur l’hostilité du roi aux réformes. Acteurs : femmes et chômeurs. Lieu : palais royal de Versailles.

Assassinat des gardes du roi.

Le roi et les députés doivent venir résider à Paris, ils sont prisonniers du peuple parisien.

Massacre de la garde du roi, de nombreux morts et blessés.

Chute de la monarchie, le roi est emprisonné.

Cause : accentuation de la Terreur alors que la République n’est plus en danger. Acteurs : les députés modérés. Lieu : hôtel de ville de Paris.

Exécution de Robespierre et de ses partisans.

Fin de la Terreur.

Cause : idée d’une trahison du roi alors que l’ennemi envahit le territoire. Lieu : palais des Tuileries. Acteurs : sans-culottes parisiens et soldats volontaires.

© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

Le roi retire ses troupes, rappel de Necker, reconnaissance de la commune de Paris et de la garde nationale. Révoltes municipales dans toute la France.

155 •

Cause : échec du Directoire. Acteurs : des responsables politiques, le général Bonaparte et ses soldats. Lieu : le conseil des Cinq-Cents.

Coup d’État de Bonaparte (novembre 1799)

2. Les événements qui correspondent le mieux à la définition de ce qu’est « une journée révolutionnaire » sont : le 14 juillet, la Grande Peur, la marche des Parisiennes, la prise du palais des Tuileries. Les autres ne sont pas le résultat d’un soulèvement populaire bref et violent. 3. Le 14 juillet 1789, c’est la première intervention du peuple dans la Révolution, elle a permis de sauver les réformes entreprises par l’Assemblée nationale. La Fête de la Fédération est organisée dès l’année suivante, pour coïncider avec le premier anniversaire de l’événement. En 1880, la troisième République choisit cette date comme fête nationale française pour commémorer la fête de la Fédération, moment d’unité nationale et non l’épisode sanglant de 1789. Cependant, dans la mémoire collective des Français, le 14 juillet est resté le jour de la prise de la Bastille, symbole de la fin de l’absolutisme.

◗ Étude Olympe de Gouges, une femme dans la Révolution � MANUEL, PAGES 264-265 Analyse des documents

1. Dans sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, version féministe de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dans laquelle elle remplace systématiquement le mot « homme » par celui de « femme », Olympe de Gouges défend le droit des citoyennes à participer à la politique. Elle réclame pour les femmes le droit de vote, l’admission à « toutes dignités, places et emplois publics » ainsi que la liberté d’expression. C’est au nom du principe d’égalité inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qu’Olympe de Gouges revendique ces droits.

2. Dans le document 1 apparaît la volonté d’Olympe de combattre pour plus de justice so• 156

Peu de violence, aucune victime.

Instauration du Consulat, prise du pouvoir par Bonaparte.

ciale, notamment par l’instauration d’un impôt proportionnel à la richesse et aux revenus.

3. Au début de la Révolution, Olympe reste favorable à la monarchie, elle pense que celle-ci peut se réformer et que les souverains, Louis XVI et Marie-Antoinette, comprendront la nécessité de mettre fin à la monarchie absolue et aux privilèges. Puis Olympe se rallie à la République.

4. Olympe de Gouges fait de violents reproches au gouvernement de Robespierre, elle condamne sa « dictature », « son ambition folle et sanguinaire ». Elle l’accuse de ne pas respecter les « lois républicaines  » qui garantissent «  la liberté des opinions et de la presse ». Cette condamnation du régime de Terreur conduit Olympe de Gouges devant un tribunal révolutionnaire qui la condamne à mort. Elle est guillotinée le 3 novembre 1793.

5. Le document 5 révèle la profonde misogynie de la plupart des grands acteurs de la Révolution, ici des Montagnards. Marie-Antoinette, parce qu’elle a voulu intervenir dans le gouvernement du pays, est présentée comme une « mauvaise mère » et « une épouse débauchée  ». Olympe de Gouges qui a « oublié les vertus qui conviennent à son sexe » est décrite comme une personne ayant perdu la raison.

Bilan de l’étude

L’attitude d’Olympe de Gouges révèle comment la Révolution française a éveillé les espoirs d’émancipation féminine, notamment celui d’une possible participation des femmes à la vie politique. Portée par cet espoir, Olympe de Gouges, comme d’autres femmes, participe aux grands débats de l’époque en publiant de nombreux pamphlets. Mais, très vite, son activisme politique se heurte à la réticence de responsables politiques profondément misogynes. Ils continuent à considérer que la femme doit être avant tout une mère et une épouse soumise, elle doit rester une mineure sous la tutelle de son père ou de son mari. © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

Olympe de Gouges est ainsi une première fois déçue par la monarchie constitutionnelle. Malgré la publication de sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, les hommes politiques continuent de penser que les grands principes d’égalité et de liberté proclamés en 1789 ne concernent pas les Françaises. La République suscite chez Olympe les mêmes vains espoirs, ce qui ne l’empêche pas de continuer son combat pour l’égalité des sexes mais aussi pour le respect de la liberté. Sa révolte contre la dérive autoritaire du régime la conduit alors à la mort, car si la femme ne dispose d’aucuns droits politiques, elle garde, comme un homme, celui « de monter sur l’échafaud ».

6. Napoléon Bonaparte et l’héritage de la Révolution (1799-1804) � MANUEL, PAGES 266-267

Doc. 1. Napoléon Bonaparte, Premier consul (Vers 1799.)

• Question. Le Premier consul est ici présenté comme celui qui a sauvé la République et mis fin aux guerres sans rien sacrifier de l’acquis révolutionnaire. En effet, pour prouver son attachement aux valeurs de la Révolution, son effigie porte une cocarde et trois plumes teintes de bleu, de blanc et de rouge et son regard est tourné vers un bonnet phrygien, autre symbole révolutionnaire. Doc. 2. Le code civil et la famille

• Question. Le code civil impose une conception très traditionnelle de la famille qui donne tous les pouvoirs au mari et au père. L’enfant est placé sous l’autorité de ses deux parents et leur doit honneur et respect mais le chef de famille reste le père car son épouse est mise dans un état d’infériorité, lequel se manifeste de multiples façons : la femme doit obéissance à son mari (art.  213), qui peut imposer le lieu de résidence (art. 214) et exerce seul l’autorité parentale sur les enfants (art. 373). Elle est considérée comme une mineure sur le plan juridique, puisqu’elle n’a aucune part dans la gestion du patrimoine familial (art. 1421). Elle ne peut pas divorcer aussi facilement que le mari (art. 230). L’adultère de la femme est une cause suffisante de divorce pour l’homme, alors qu’il faut qu’une maîtresse soit installée à la maison pour que l’épouse puisse demander le divorce. © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

Doc. 3. La Constitution de 1799

• Question 1. Le Premier consul dispose de l’essentiel des pouvoirs. Il contrôle étroitement le pouvoir exécutif et son administration car c’est lui qui nomme les principaux responsables (ministres, fonctionnaires, officiers, préfets et maires…). Il désigne aussi les membres de deux assemblées, le Conseil d’État et le Sénat. Enfin, il peut décider de consulter les Français par plébiscite pour faire adopter une loi.

• Question 2. Le suffrage universel existe puisque tous les hommes de plus de 21 ans disposent du droit de vote mais il n’est pas respecté. Ainsi pour les élections, au Tribunat et au Corps législatif c’est le Sénat, une assemblée dont les membres sont nommés par le Premier consul, qui a le dernier mot en sélectionnant les députés parmi une liste de candidats élus. Doc. 4. Le Concordat de 1801

• Question. Le Premier consul se réserve le droit de nommer les évêques et les archevêques. En outre, ces derniers doivent prêter un serment de fidélité à Bonaparte. Enfin, les responsables ecclésiastiques ne peuvent choisir que des curés « agréés par le gouvernement ». Doc. 5. La première remise de la Légion d’honneur, 15 juillet 1804 (Huile sur toile, 1812. Château de Versailles.)

• Question. Cette peinture qui est censée commémorer un événement ayant eu lieu sous le Consulat présente déjà Napoléon Bonaparte comme un monarque. Même s’il porte son costume de Premier consul (cf. doc. 1), il est assis sur un trône somptueux placé sur une estrade et recouvert d’un dais. Le peintre transpose sous le Consulat tout le faste qui se déploie plus tard sous l’Empire (cf. Le Sacre de Napoléon Ier, p. 241). Pour une analyse plus détaillée de cette image, voir le site « Histoire par l’image » à l’adresse suivante : http://www.histoire-image.org/site/oeuvre/analyse.php?i=213&d=1&v=1804&w=1804

157 •

◗ Étude Le préfet, agent majeur de la politique de Bonaparte � MANUEL, PAGES 268-269 Analyse des documents

1. La nomination des préfets est du ressort du Premier consul. 40  % d’entre eux sont des personnes qui ont activement participé à la vie politique du pays depuis les débuts de la Révolution en étant membres d’une ou de plusieurs assemblées révolutionnaires. La totalité est issue d’un milieu aisé (bourgeoisie, voire aristocratie), la plupart sont des hommes d’expérience. Près de la moitié viennent de la haute fonction publique, un quart sont des hommes de loi. Plus rares sont les anciens officiers de l’armée ou les personnes issues des milieux d’affaires. Ces préfets demeurent en poste de nombreuses années, le premier préfet du Lot est resté treize ans dans son département.

2. La première mission d’un préfet est le rétablissement de l’autorité de l’État, il doit faire en sorte que «  les passions haineuses cessent, que les ressentiments s’éteignent  ». Il doit «  rétablir l’ordre après une horrible révolution » et ne laisser « aucun espoir aux factieux ». C’est pourquoi les préfets sont « spécialement chargés de la haute police » et doivent parcourir sans trêve leur département pour surveiller les fonctionnaires et les citoyens. Les préfets doivent aussi veiller à ce que les ordres du gouvernement soient exécutés : levée de la conscription, rentrée des contributions… Ils nomment certains responsables politiques de leur département comme les maires des communes de moins de 5 000 habitants ou les conseils municipaux. 3. Leur domaine d’intervention est très large  : les préfets doivent aussi veiller au dynamisme économique de leur département et développer l’éducation publique et les arts.

4. Le préfet dispose d’un costume officiel somptueux fait pour impressionner le citoyen et rappeler à tous que ce fonctionnaire est le représentant du gouvernement et qu’il dispose d’un pouvoir important : c’est un habit bleu avec des broderies d’argent, un bicorne, une ceinture, une culotte et des bas blancs. L’épée que le préfet porte est particulièrement symbolique de sa fonction de gardien de l’ordre. Ce haut fonctionnaire est souvent décoré de la Légion d’honneur car c’est un ordre • 158

de chevalerie créé par Bonaparte pour récompenser le mérite civil et militaire d’un citoyen qui s’est particulièrement dévoué à sa fonction. Cet honneur est un des moyens pour s’assurer de la fidélité et de l’obéissance des préfets.

5. Le préfet dispose de très peu de liberté d’action. Il ne peut pas choisir ses collaborateurs (le conseil de préfecture est nommé par le gouvernement) ni certains magistrats de son département (sous-préfet et maires de plus de 5 000 habitants). Le ministre de l’Intérieur contrôle étroitement les préfets et leur rappelle leur devoir de réserve par des circulaires très fermes qui affirment qu’« ils n’ont le droit de proclamer ni leur propre volonté, ni leurs opinions ». Enfin, ils ne peuvent arrêter un citoyen qu’en ayant l’autorisation du gouvernement. Bilan de l’étude

Les préfets sont de véritables « empereurs au petit pied » et ils sont le principal relais du pouvoir central dans les départements. Ces fonctionnaires disposent en effet de pouvoirs étendus et leurs domaines d’intervention sont très divers : ils doivent veiller à l’application des décisions du gouvernement, ils ont la charge non seulement de l’ordre public mais aussi de l’activité économique et culturelle de leur département. L’ampleur de cette tâche et l’étendue de ces responsabilités expliquent pourquoi le gouvernement a privilégié la nomination d’hommes d’expérience et a toujours cherché à contrôler étroitement leur travail. Le préfet se doit d’ailleurs de garder une neutralité politique absolue et d’appliquer sans discuter la politique du gouvernement, il ne peut en aucun cas exprimer ses propres opinions. Cette politique a effectivement permis à Bonaparte de pacifier le pays en mettant fin aux désordres, elle a aussi consolidé son pouvoir en s’assurant de l’obéissance des Français. Cependant, elle a entraîné une très forte centralisation administrative qui a profondément marqué la France jusque dans les années 1980.

◗ Méthode Analyser une caricature � MANUEL, PAGES 270-271 1. L’importance des légendes

En 1800, Bonaparte est Premier consul. Le mot «  démocratique  » fait allusion au rétablisse© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

ment du suffrage universel masculin en France. Le Tribunat, le Corps législatif et le Sénat sont trois assemblées créées par la Constitution de 1799 (doc. 3 p. 267). À partir du Directoire, les Jacobins sont un courant politique d’admirateurs de Robespierre qui veulent une république démocratique et des mesures sociales. Une grande partie de ces partisans de la Révolution se sont finalement ralliés à Bonaparte. 2. Une déformation de la réalité

L’auteur compare Bonaparte à un monarque absolu. Le trône somptueux sur une estrade, le sceptre sont des attributs royaux qu’on retrouve dans le portrait de Louis XVI en costume de sacre. Les responsables politiques entourant Bonaparte ont abandonné toute dignité ou tout amour-propre pour se prosterner aux pieds du Premier consul et le flatter de la plus vile manière. L’auteur se moque ici de ces responsables politiques qui ont laissé Bonaparte édicter une Constitution qui lui confie l’essentiel des pouvoirs (cf. doc. 3 p. 267) et prive les Français de leurs libertés politiques.

© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

3. Un sens parfois difficile

L’auteur souligne que Bonaparte se présente en héritier de la Révolution en lui faisant porter un vêtement teinté de bleu, de blanc et de rouge. Ces trois couleurs ont été adoptées dès les débuts de la Révolution par les partisans des changements. La présence de l’armée à l’arrière-plan rappelle que Bonaparte a été porté au pouvoir par un coup d’État militaire (cf. p. 266) et doit son prestige à ses victoires. L’auteur prête à la France la volonté de dominer le monde, c’est le sens de cet aigle qui, au-dessus du trône, tient entre ses serres un globe. En effet, à cette époque, les armées françaises ont conquis de nombreux territoires en Europe (cf. carte p. 242). 4. L’expression d’un parti pris � LEçon, PAGES 266-267

La Grande-Bretagne est devenue dès la fin du xviiie siècle une monarchie quasi parlementaire, les Britanniques sont protégés de toute arrestation arbitraire par la loi d’Habeas corpus et disposent d’une grande liberté d’expression.

159 •

Chapitre

12

Libertés et nations en Europe dans la première moitié du xixe siècle � MANUEL, PAGES 272-303

◗ Présentation de la question

• Ce thème, déjà présent dans le programme précédent, doit désormais être traité à travers trois « supports d’étude » (cf. les « Ressources pour le lycée » publiées sur le site du Ministère : eduscol.education.fr/prog). La problématique reste la même : montrer comment les idées de liberté et de nation se sont diffusées dans l’Europe de la première moitié du xixe siècle. Les élèves doivent comprendre le lien profond qui unit ces deux idées. Les libertés et la nation sont l’héritage de la Révolution française. Cet héritage est mal accepté par les conservateurs qui ont restauré en 1814-1815 les monarchies européennes sur la base de la légitimité dynastique. Cet héritage est revendiqué et défendu par les libéraux. Il faut souligner que le libéralisme est au début du xixe siècle une idéologie de progrès. Même les libéraux les plus modérés (hostiles au suffrage universel) souhaitent un régime représentatif, faisant de la nation le fondement légal du pouvoir. Ils soutiennent donc forcément les nationalités, c’est-à-dire les nations qui veulent exister, constituer un État. Le premier support d’étude consiste à développer un exemple de mouvement libéral et national. On a choisi ici l’Italie, qui est sans doute l’exemple le plus facile à comprendre pour les élèves : – une nation consciente de son existence mais divisée en plusieurs États – le rôle de gendarme joué par l’Autriche – directement (LombardieVénétie) ou indirectement – qui crée une forte identification entre la défense des libertés (contre des régimes conservateurs) et la cause nationale (unifier l’Italie en chassant les Autrichiens) ; – les formes diverses que revêt le mouvement libéral et national, de l’action clandestine et violente (carbonari) au libéralisme modéré de Cavour en passant par Mazzini… – les différents supports de l’identité nationale toujours en construction (littérature, peinture, action politique…). Le deuxième support d’étude invite à un focus sur 1848, en jouant sur deux échelles. À • 160

l’échelle européenne, on analyse le Printemps des peuples, sans se perdre dans le détail des événements. C’est l’occasion de reprendre l’exemple italien, et d’expliquer pourquoi 1848 reste un grand moment du Risorgimento, malgré les défaites du mouvement libéral et national. À l’échelle française, on peut montrer les contradictions de la deuxième République, née dans l’euphorie de la révolution de février et vite incapable de régler la question sociale. La répression de juin révèle les limites du libéralisme et des idéaux consensuels des quarante-huitards. Le troisième support d’étude permet de développer, plus que dans l’ancien programme, le mouvement d’abolition de la traite et de l’esclavage. On a là un exemple concret du combat des libéraux, à l’échelle mondiale, en faveur des droits de l’homme. C’est l’occasion de souligner le rôle pionnier du Royaume-Uni (berceau du libéralisme) et d’analyser les différents acteurs de ce combat (opinion publique, militants abolitionnistes, lobby esclavagiste, États…).

◗ Bibliographie Le mouvement des nationalités, le Printemps des peuples

A.  et J.  Sellier, Atlas des peuples d’Europe centrale, La Découverte, Paris, 1991. A.  et J.  Sellier, Atlas des peuples d’Europe occidentale, La Découverte, Paris, 1995. R.  Girault, Peuples et nations d’Europe au xixe siècle, Hachette (Carré), Paris, 1996. J.-M. Caron, M. Vernus, L’Europe au xixe siècle. Des nations aux nationalismes, 1815-1914, Armand Colin (U), Paris, 1996. N. Bourguignat, B. Pellistrandi, Le xixe siècle en Europe, Armand Colin (U), 2003. A.-M. Thiesse, La Création des identités nationales, Le Seuil, Paris, 1999. P.  Geary, Quand les nations refont l’histoire. L’invention des origines médiévales de l’Europe, trad. fr., Aubier, Paris, 2004. © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

G.  de Bertier de Sauvigny, La Sainte-Alliance, Armand Colin (U2), 1972. Gilles Pécout, Naissance de l’Italie contemporaine, 1770-1922, Armand Colin (U), 2004. Les Révolutions de 1848. L’Europe des images : une République nouvelle, Assemblée nationale, Paris, 1998. 1848 en France

J. Godechot, Les Constitutions de la France depuis 1789, Flammarion, Paris, 1979. M.  Offerlé, Un homme, une voix. Histoire du suffrage universel, Gallimard, coll. « Découvertes », Paris, 1993. 1848. Actes du colloque international du cent cinquantenaire, tenu à l’Assemblée nationale à Paris, les 23 au 23 février 1848, sous la dir. de J.-L. Mayaud, Créaphis, Paris, 2002. M. Agulhon, 1848 ou l’apprentissage de la république, Le Seuil (Points histoire), Paris, 1973. C.  Georgel, 1848, la République et l’art vivant, Fayard/Réunion des Musées nationaux, Paris, 1998. M.  Gribaudi, M.  Riot-Sarcey, 1848, la révolution oubliée, La Découverte, Paris, 2009 [édition illustrée et en grand format, 2008]. La traite et l’esclavage

Comprendre la traite négrière atlantique, CRDP Aquitaine, Bordeaux, 2009. Marcel Dorigny, Bernard Gainot, Fabrice Le Goff, Atlas des esclavages ; traites, sociétés coloniales, abolitions de l’Antiquité à nos jours, Autrement (Atlas-mémoires), Paris, 2006. Olivier Pétré-Grenouilleau, Les Traites négrières. Essai d’histoire globale, Gallimard (Bibilothèque des histoires), Paris, 2004. Olivier Pétré-Grenouilleau, Les Traites négrières, Documentation photographique n° 8032, Documentation française, Paris, 2003.

◗ Ouverture de chapitre � MANUEL, PAGES 272-273

Ces deux images permettent de mettre en place la problématique du chapitre, en en faisant apparaître les principaux thèmes. L’image de gauche met en scène la liberté, notamment par la référence à l’abolition de l’esclavage proclamée en France en 1848 par le nouveau régime républicain. L’image de droite montre le com© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

bat des nationalités, symbolisé ici par le drapeau tricolore de l’unité allemande. Les deux documents permettent aussi de montre que 1848 est un moment d’euphorie pacifique mais aussi de combats violents. Doc. 1. Le triomphe de la liberté (Liberté, Égalité, Fraternité ou l’Esclavage affranchi, huile sur toile de Nicolas Gosse, 39 x 25  cm, 1848. Beauvais, musée départemental de l’Oise.)

Ce tableau fut peint pour le concours de «  composition de la figure symbolique de la République française  » organisé en mars  1848 par le gouvernement provisoire en quête d’une allégorie pour la deuxième République. Sur près de 700 esquisses, le jury n’en retint que 20. Celle de Nicolas Gosse ne fut pas retenue, alors qu’elle était pourtant dans l’air du temps, « l’esprit de 48 ». Le peintre, en effet, a mis en scène les trois thèmes de la devise républicaine (adoptée officiellement par la Constitution de novembre 1848). La Liberté est symbolisée par la femme du centre, coiffée du bonnet phrygien (celui de l’esclave affranchi)  ; elle tient dans une main des chaînes brisées et dans l’autre un rameau d’olivier (qui symbolise la paix, la réconciliation sociale). L’Égalité est incarnée par la femme de droite, qui tient dans sa main un niveau. La Fraternité est représentée par la femme de gauche, esclave noire libérée (on voit les fers brisés à ses pieds), entourée de l’affection des deux autres femmes. Doc. 2. Le peuple au combat (Combats de barricades sur Alexanderplatz à Berlin dans la nuit du 18 au 19  mars 1848, lithographie, 1848. Berlin, Kunstbibliothek.)

Cette lithographie allemande représente une scène de la révolution de mars  1848 à Berlin. Apprenant la nouvelle de la révolution à Vienne, les libéraux prussiens demandent des réformes. Le roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV leur en promet, mais le 18 mars, l’armée, paniquée, tire sur la foule qui était venue acclamer le souverain. Les personnages qui combattent sur la barricade semblent surtout être des étudiants ou bourgeois, reconnaissables à leur chapeau haut de forme. Le « peuple » qui fait la révolution, c’est d’abord la bourgeoisie libérale et intellectuelle. Ici, il faut surtout montrer que la barricade est la forme d’action la plus caractéristique du mouvement libéral et national. Ce mouvement est 161 •

essentiellement urbain (bourgeois, étudiants et professeurs, parfois soutenus par les ouvriers) et les lieux de pouvoir se trouvent dans la ville. Faire la révolution, c’est soulever une ville et s’emparer des lieux stratégiques (l’hôtel de ville, éventuellement le palais du souverain ou le siège de l’Assemblée, l’imprimerie officielle, etc.). La répression est assurée par l’armée, qui n’est pas formée à cette tâche du maintien de l’ordre, ce qui explique le caractère meurtrier de ces combats de rue. L’artiste s’est peut-être inspiré des célèbres tableaux de Goya (1814) dénonçant la répression française à Madrid les 2 et 3 mai 1808 (peloton de tirailleurs, cavaliers chargeant…). L’atmosphère nocturne accentue le caractère dramatique de la scène. La seule tache de couleurs est le drapeau de l’unité allemande, alors que l’on s’apprête à élire un Parlement national qui doit siéger à Francfort et préparer l’unification des États allemands. Le drapeau tricolore (noir, rouge et or) est l’emblème des libéraux partisans de l’unité allemande. Ces trois couleurs étaient celles des chasseurs de Lützow, un régiment combattant contre Napoléon à Leipzig (1813) et dans lequel s’étaient enrôlés des étudiants volontaires. Ils adoptèrent ces couleurs et en firent ensuite le symbole du libéralisme et du patriotisme pangermanique.

1. Les idées nouvelles en Europe (1814-1848) � MANUEL, PAGES 276-277

Doc. 2. La politique de l’Autriche

Ce texte est extrait d’un mémoire rédigé par Metternich pour exposer au tsar les principes d’une saine politique européenne. Le chancelier autrichien se méfie des idées fumeuses d’Alexandre Ier et il lui explique littéralement ce que signifie l’ordre mis en place au congrès de Vienne. Le concert européen se préoccupe alors de Naples, où une révolution a éclaté : les alliés sont réunis en congrès à Troppau (petite ville de Silésie) en octobre 1820, puis à Laybach (Ljubljana, en Slovénie) en janvier 1821. • Question 1. Les «  factieux  » dont parle Metternich sont ceux qui veulent renverser l’ordre établi ou plutôt rétabli en 1815. Metternich désigne par ce terme générique et péjoratif les partisans des idées libérales et na• 162

tionales. Il est persuadé qu’il existe une sorte d’internationale de la subversion, à l’échelle européenne, plus ou moins dirigée par les libéraux français et représentée dans tous les pays par des sociétés secrètes, « cette gangrène de la société ». Metternich songe ici aux loges maçonniques et aux carbonari.

• Question 2. La mission des gouvernants est définie par Metternich par les termes de «  conservation  », «  stabilité  », «  fixité  », qu’il oppose à «  renversement  », «  destruction  », «  changement  ». Pour lui, le gouvernement est naturellement conservateur  : «  Que les gouvernements donc gouvernent, qu’ils maintiennent les bases fondamentales de leurs institutions. » On peut noter que ce conservatisme défini par Metternich se défend d’être hostile à tout progrès (« la stabilité n’est pas l’immobi­lité  ») et se présente comme le gardien de la légalité (il s’agit de conserver un ordre légal, Metternich insiste à plusieurs reprises sur ce point). Mais c’est bien un conservatisme, clairement assumé : les gouvernants doivent rester fermes dans cette mission, ne pas hésiter à réprimer les opposants et se montrer « paternels » (la métaphore paternaliste est fréquente sous la plume de Metternich). Metternich a une vision manichéenne de l’Europe au début des années 1820 : elle est divisée entre les bons et les méchants, ce qui apparaît explicitement dans la dernière phrase. Il n’y a donc aucune place pour un juste milieu : Metternich veut mettre ici en garde le tsar contre les risques d’une attitude trop compréhensive à l’égard des idées libérales ; le chancelier autrichien est très hostile notamment à l’évolution politique de la France (une monarchie qui d’une certaine façon a reconnu les acquis de 1789). D’un côté, donc, la « gangrène » et les « factieux », de l’autre, l’ordre légal défendu par les gouvernements…

Doc. 3. L’Italie et l’Allemagne : des nations sœurs ? (Italia und Germania, huile sur toile de Johann Friedrich Overbeck, 95 x 105  cm, 1828, Munich, Neue Pinakothek.)

Ce tableau montre bien que le mouvement des nationalités n’est pas fondé sur un nationalisme fermé et agressif (tel celui de la fin du xixe siècle). Des hommes comme Mazzini ou Victor Hugo rêvent à une « Sainte-Alliance des peuples », contre la Sainte-Alliance des princes. Le « Printemps des peuples » en 1848 semble un moment concrétiser © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

ce rêve et un fort sentiment de solidarité entre les nations en lutte se développe alors chez les libéraux. Ici, le peintre exalte, sur le mode allégorique, la fraternité entre deux nations au destin assez proche, puisqu’elles existent toutes les deux mais sont divisées en de multiples États. Overbeck est un peintre allemand converti au catholicisme et installé à Rome. Il est le chef de file des «  nazaréens  », un groupe d’artistes romantiques allemands travaillant à Rome et s’inspirant des grands peintres de la Renaissance. La blonde Allemagne est peinte à la manière de Dürer, avec en arrière-plan (à droite) un paysage germanique. La brune Italie est peinte à la manière de Raphaël, avec en arrière-plan un paysage méditerranéen (à gauche). L’amitié entre les deux femmes prend la forme d’une sorte de communion entre le Nord et le Sud. Doc. 4. Les libéraux britanniques contre la Sainte-Alliance

On sait que le gouvernement britannique a refusé de s’associer à la Sainte-Alliance, qualifiée par Castlereagh en 1815 de «  monument de mysticisme sublime et de non-sens ». Ici, le député whig Henry Brougham dénonce devant la Chambre des communes l’intervention annoncée contre les libéraux espagnols. L’opposition libérale affiche son hostilité à la Sainte-Alliance d’une façon encore plus nette que le gouvernement tory.

• Question. Brougham qualifie la Sainte-Alliance de «  bande de despotes unis  » et de «  clique impie  ». Cette dernière expression est l’exact contre-pied de « Sainte-Alliance ». Le député entend ainsi démystifier la politique menée par les puissances conservatrices  : leurs principes sont « extravagant[s] » et surtout « extrêmement dangereux », puisqu’ils sont prêts à tout pour abattre la liberté en Europe. C’est la liberté qui est sacrée et la résistance à la politique liberticide de la Russie, de la Prusse et de l’Autriche est un devoir. Doc. 5. La Grèce, une nation martyre (La Grèce sur les ruines de Missolonghi, huile sur toile d’Eugène Delacroix, 213 x 142  cm, 1826. Bordeaux, musée des Beaux-Arts.)

Le siège de Missolonghi (port situé sur la rive nord du golfe de Patras) est l’un des épisodes les plus connus de la guerre d’indépendance grecque. La prise de la ville par les Turcs en 1826 a ému toute l’Europe. Delacroix représente © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

ici la Grèce comme une jeune femme éplorée face à la brutalité des Turcs  ; au premier plan, la main d’un défenseur de la ville tué dans les combats ; à l’arrière-plan, un soldat noir de l’armée ottomane.

• Question. Il y a bien sûr de nombreux exemples de l’engagement des artistes et des poètes en faveur de la Grèce. La cause grecque est un bon exemple de l’engagement politique des intellectuels romantiques. Ils ont fondé dans toute l’Europe des « comités philhellènes », pour mobiliser l’opinion publique (concerts de soutien, manifestations, publications), accueillir des exilés (familles des combattants grecs), récolter des fonds. Eugène Delacroix (1798-1863) lui-même a déjà dénoncé la répression turque en 1824, dans le tableau intitulé Scènes des massacres de Scio. L’île de Scio (ou Chio) fut soumise en 1822 à un terrible raid de représailles de l’armée ottomane. Ces événements ont aussi inspiré à Victor Hugo (1802-1885) un poème des Orientales (1829) intitulé « L’enfant ». On peut aussi citer le poète romantique anglais Byron, qui mourut de maladie en 1824 à Missolonghi, où il était venu soutenir les combattants grecs.

◗ Étude Le mouvement libéral et national en Italie � MANUEL, PAGES 278-281 Analyse des documents

A. L’objectif : une Italie libre et unie � MANUEL, PAGES 278-279

1. Le texte de Mazzini est construit sur une opposition très efficace entre deux paragraphes. – Le premier paragraphe présente comme évidente l’existence d’une nation italienne, forte de nombreux atouts : la démographie, la conscience de l’unité (territoriale, linguistique, culturelle), la grandeur du passé politique (l’Empire romain), scientifique (l’humanisme) et artistique (la Renaissance), la richesse économique. Cette évidence est marquée par une longue et unique phrase  : «  Nous sommes un peuple de 21 à 22 millions d’habitants, désignés…, fiers… ». – Le deuxième paragraphe interrompt brutalement cette longue phrase par un constat négatif : «  Nous n’avons pas de drapeau…  » La nation italienne existe donc virtuellement, mais pas 163 •

dans la réalité. Tout ce paragraphe insiste sur la division artificielle de l’Italie.

2. Les États existant en Italie sont vus par Mazzini comme un obstacle à l’unité italienne, parce qu’il n’y a aucune «  liaison organisée entre eux  » et qu’ils sont «  régis par des gouvernements despotiques ». À cause de l’absence de libertés et d’éducation, « le pays n’intervient nullement  », l’opinion publique ne peut pas s’exprimer pour demander l’unification. La dernière phrase du texte est facile à commenter à l’aide de la carte. L’État qui «  appartient à l’Autriche  » est le royaume de LombardieVénétie. Les autres «  subissent aveuglément l’influence  » de l’Autriche, à cause des «  liens de famille » qui unissent leurs princes à Vienne (Toscane, Lucques, Parme) et « par le sentiment de leur faiblesse », ce qui vaut pour les souverains qui doivent tout à l’Autriche (Modène, Deux-Siciles ; éventuellement les États du pape). Mazzini semble ranger dans la même catégorie le royaume de Piémont-Sardaigne, ce qui est discutable. Il compte huit États, parce qu’il omet la petite république de Saint-Marin.

3. Ces mêmes États sont vus par les puissances de la Sainte-Alliance comme des États à la fois légitimes et faibles. Les dynasties restaurées dans les différents États italiens en 18141815 sont présentées officiellement comme des «  pouvoir[s] légitime[s]  » qui émanent de la volonté divine («  ceux que Dieu a rendus responsables du pouvoir »). Mais elles ne semblent guère à la hauteur de leur tâche  : «  il est difficile de se former une idée juste de la somme de faiblesses, d’erreurs et d’inactivité à laquelle est livré tout ce qui devrait être le pouvoir en Italie », dit Metternich dans une lettre privée à son ambassadeur à Londres. Toute la politique italienne de l’Autriche est ainsi résumée : la mission de Vienne est bien de soutenir ces États légitimes mais faibles, pour empêcher « toute prétendue réforme opérée par la révolte ou la force ouverte » et pour neutraliser « les factieux ».

4. La comparaison de ces deux visions montre que le Risorgimento est un mouvement libéral. En effet, le principal obstacle à l’unité italienne est bien l’existence de ces États conservateurs soutenus par l’Autriche. Seule la liberté peut • 164

donc permettre d’unifier l’Italie : le combat national et le combat politique ne font qu’un. Le texte de Mazzini le dit clairement : « Il n’existe de liberté ni de presse, ni d’association, ni de parole, ni de pétition collective, ni d’introduction de livres étrangers, ni d’éducation… »

5. L’identité nationale italienne se fonde sur plusieurs éléments qui apparaissent dans la première partie du texte de Mazzini : la langue, l’histoire, la géographie (cf. question 1). Elle se fonde aussi sur le rejet de l’occupation autrichienne. Le tableau de Luigi Asioci et Emilio Busi met en scène le peuple italien (hommes, femmes et enfants) chassant l’armée autrichienne de Gênes. La lutte contre les Autrichiens, les « Allemands », qui ont annexé une partie de l’Italie et qui en régentent le reste, cristallise le sentiment national italien.

6. La peinture joue un rôle important dans le mouvement libéral et national de la première moitié du xixe siècle. Elle est en effet un vecteur essentiel des identités nationales en construction. En mettant en scène certains épisodes historiques, en exaltant certains héros, elle contribue à l’émergence d’une conscience nationale. On le voit bien avec ce tableau italien, qui met en exergue une révolte anti-autrichienne vieille d’une centaine d’années, mais toujours actuelle pour des Italiens qui vivent la même situation. C’est ainsi qu’est « inventée » la figure de Balilla, jeune héros du patriotisme italien. On sait que, plus tard, le mouvement de jeunesse fasciste fut baptisé en référence à ce personnage (Opera Nazionale Balilla). Ce tableau italien a sans doute été influencé par celui de Delacroix, La Liberté guidant le peuple (voir pages 284-285), qui traite un thème proche (une révolte urbaine, le peuple qui prend les armes) et représente un personnage analogue (en l’occurrence le gamin de Paris, qui inspira plus tard à Victor Hugo la figure de Gavroche). B. Quels moyens d’action ? � MANUEL, PAGES 280-281

7. Le mouvement libéral et national diffuse ses idées en Italie et en Europe en utilisant les médias du xixe siècle : le livre et la presse. L’autobiographie de Silvio Pellico Mes prisons est traduite et diffusée dans toute l’Europe. Elle connaît ainsi de multiples rééditions en France, où elle est un best-seller des années 1832-1845 (entre 75 000 et 105 000 exemplaires). Pellico devient un martyr du Risorgimento © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

et un héros romantique ; la forteresse du Spielberg devient le symbole de l’oppression autrichienne et le soldat autrichien l’incarnation de la réaction. On voit à travers cet exemple le caractère international du mouvement national italien : il est soutenu par les libéraux de toute l’Europe. On peut noter à cet égard que l’article souvent cité de Cavour (doc. 8) est en fait la recension d’un ouvrage italien publiée dans une revue française (le français était d’ailleurs la langue maternelle de Cavour). Cela nous amène à souligner le rôle de la presse : la Jeune Italie de Mazzini est à la fois un mouvement politique et un journal et Cavour, pour diffuser ses idées, fonde en 1847 un quotidien, Il Risorgimento. 8. Les carbonari ont choisi l’action clandestine et violente. C’est une organisation secrète, cloisonnée en petits groupes, qui prépare des insurrections armées contre les régimes conservateurs soutenus par les Autrichiens. Le choix de ce mode d’action s’explique bien sûr par le refus des réformes qui caractérise la plupart des régimes italiens et par la répression menée par l’armée autrichienne.

9. D’après cette image, les carbonari recrutent dans deux catégories de la population : la bourgeoisie (hommes portant chapeau haut de forme et redingote) et l’armée (deux soldats en uniforme). Un troisième milieu, plus populaire, est sans doute représenté par l’homme qui prête serment à genoux et les deux personnages du premier plan, de dos, avec la tête nue (artisans en blouse ?). On peut relever le caractère exclusivement masculin de cette société secrète, mais il est normal au xixe siècle (les femmes sont exclues de la sphère publique et, a fortiori, de l’action politique violente). On peut noter la présence de souches et de haches qui rappelle que les rites des carbonari sont empruntés aux forestiers. 10. Mazzini envisage le futur État italien comme une république unitaire. Alors que tous les États italiens (sauf la minuscule république de Saint-Marin) sont des monarchies restaurées en 1815, la république apparaît à Mazzini comme le seul régime possible, comme la conséquence logique de la « série progressive des mutations européennes ». Cette expression fait sans doute référence à l’éveil des nationalités et à la diffusion des idées révolutionnaires françaises en Europe. La devise du mouvement Jeune Italie © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

(«  Liberté, Égalité, Humanité  ») est proche de la devise révolutionnaire française (que Mazzini cite d’ailleurs indirectement : « tous les hommes d’une nation sont appelés […] à être libres, égaux et frères »). Cette république doit par ailleurs être unitaire, notion que Mazzini oppose explicitement à celle de fédéralisme. «  Sans unité, il n’y a pas vraiment de nation » : on sent bien ici le poids de la division de l’Italie en plusieurs États. Mazzini considère le fédéralisme comme une faiblesse et une régression. L’État fédéral serait pour lui nécessairement un État faible, dominé par les puissances voisines  : il prend l’exemple (assez curieux) de la Suisse et songe sans doute à l’influence de l’Autriche sur l’Italie. Le fédéralisme serait aussi une régression, parce qu’il raviverait les « rivalités locales » et ramènerait ainsi l’Italie au « Moyen Âge ». On sait que les rivalités entre cités et principautés ont marqué l’histoire italienne  : les partisans de l’unité italienne ont souvent déploré le « campanilisme », l’esprit de clocher, l’exacerbation des identités locales. Pour établir une république unitaire, Mazzini compte sur deux moyens : « l’éducation et l’insurrection ». La révolution armée, pour renverser les régimes conservateurs soutenus par l’Autriche, reste donc envisagée. Mais, à la différence des carbonari, Mazzini ne prône pas l’action clandestine. Il fonde un mouvement politique, la Jeune Italie, et veut développer l’éducation du peuple. Il cherche au fond à développer un mouvement démocratique, en rupture avec la logique d’avant-garde et de société secrète qui est celle des carbonari.

11. Selon Cavour, les obstacles à l’unité italienne sont « les divisions intestines, les rivalités  », «  les mesquines passions municipales  ». Ce constat le rapproche de Mazzini, qui, on l’a vu, déplore aussi le campanilisme. Mais Cavour s’oppose à Mazzini en affirmant  : «  En Italie, une révolution démocratique n’a pas de chances de succès. » Cavour ne place pas ses espoirs dans le peuple, parce que «  les masses […] sont en général fort attachées aux vieilles institutions du pays ». Ces masses, essentiellement rurales, sont enracinées dans la tradition, dans les divisions entretenues par l’étranger, dans les rivalités entre provinces… Pour Cavour, le changement viendra de « la partie la plus énergique de la po165 •

pulation », des « forces vives du pays », c’est-àdire de la bourgoisie libérale, qu’il définit sans la nommer (« la force réside presque exclusivement dans la classe moyenne et dans une partie de la classe supérieure  »). Cette bourgeoisie libérale ne veut pas d’une révolution sociale et elle ne peut donc adhérer à l’idéologie de Mazzini, que Cavour qualifie de « doctrines subversives ». Le changement se fera par le développement des communications à l’intérieur de l’Italie (Cavour croit beaucoup au rôle unificateur du chemin de fer, comme l’indique le titre de son article) et par l’union de ces forces vives avec les « princes nationaux ». Cette expression désigne les chefs d’État vraiment italiens et capables de prendre la tête du mouvement d’unification. Cavour pense sans le nommer au roi de Piémont-Sardaigne, qui est le seul qui corresponde à cette définition. Pour diffuser ses idées, Cavour fonde en 1847 le journal Il Risorgimento. Le titre de ce quotidien montre bien que l’objectif de Cavour comme celui de Mazzini est la « renaissance », la « résurrection » de l’Italie. On peut noter d’ailleurs que Cavour, comme Mazzini, insiste sur le développement de l’instruction. Bilan de l’étude

Les objectifs du mouvement libéral et national sont le Risorgimento, la renaissance de la nation italienne, son unification politique et son indépendance par rapport à l’Autriche. Les libéraux italiens ne sont pas tous d’accord sur les moyens d’action pour réaliser l’unité italienne. Les carbonari prônent l’action clandestine et violente. Mazzini, à partir de 1831, veut aussi renverser les régimes conservateurs, mais en organisant un mouvement révolutionnaire démocratique. Cavour et les libéraux modérés pensent que l’on peut s’appuyer sur un État italien (le royaume de Piémont-Sardaigne) pour initier le processus d’unification d’une manière progressive et par divers moyens (les chemins de fer, l’éducation).

2. La France de 1814 à 1848 : une monarchie censitaire � MANUEL, PAGES 282-283

Doc. 2. Les droits des Français, 1814

• Question 1. La Charte reconnaît clairement les principaux acquis de la Révolution : • 166

– l’abolition des privilèges et l’égalité civile (art. 1, 2 et 3) ; – les libertés fondamentales : protection contre l’arrestation arbitraire (art. 4), liberté de culte (art. 5), liberté d’expression et de la presse (art. 8) ; – garantie de la propriété (le droit de propriété figure dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) et reconnaissance des biens nationaux (art. 9). • Question 2. Les articles 5 et 6 ne reviennent pas sur le Concordat de 1801  : comme lui, ils garantissent la liberté de culte (pour les protestants et les juifs) tout en reconnaissant la religion catholique comme la religion officielle.

• Question 3. L’article 11 recommande « l’oubli  » pour pacifier la société française, essayer de mettre un terme au cycle des vengeances (notamment la « Terreur blanche » exercée par les royalistes à l’encontre des militants républicains ou bonapartistes). Doc. 3. L’évolution du corps électoral

• Question. Le critère de restriction du corps électoral qui n’est pas mentionné dans ce tableau est bien sûr le sexe : le suffrage reste masculin. Même les républicains qui réclament le suffrage universel conçoivent celui-ci comme masculin, tant l’exclusion des femmes de la sphère publique et politique va de soi à l’époque. Il est important de le rappeler aux élèves, pour souligner l’évolution des mentalités depuis le xixe siècle. Doc. 4. La Charte révisée de 1830

• Question. Les modifications apportées à la Charte par Louis-Philippe vont dans le sens de la démocratie, pour plusieurs raisons : – le suffrage censitaire est élargi ; – le roi n’a plus le pouvoir de suspendre les lois (ce sont les ordonnances de Charles X qui ont provoqué la Révolution de 1830) ; – le pouvoir parlementaire est renforcé : les deux chambres partagent désormais avec le roi l’initiative des lois. On peut ajouter à ces améliorations la suppression de l’hérédité de la pairie – qui avait un caractère archaïque, rappelant les privilèges de l’Ancien Régime. Mais ces institutions ne sont pas pour autant démocratiques. Des progrès importants restent à accomplir : © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

– le droit de vote est toujours réservé à une petite minorité d’hommes (cf. doc. 3) ; – le régime parlementaire n’est pas encore établi clairement (principe de la responsabilité du gouvernement devant le Parlement). Doc. 5. « Nous nous endormons sur un volcan »

la Liberté, comme l’indique clairement le titre du tableau. La liberté est communément représentée comme une femme vêtue du bonnet phrygien (celui que portaient les esclaves affranchis). Le drapé antique de la robe joue dans ce sens.

2. Les principaux personnages appartiennent à des catgéories sociales assez diverses : on voit un ouvrier et un paysan venu travailler dans le bâtiment, un gamin des rues, un bourgeois vêtu du chapeau haut de forme et un polytechnicien (c’est-à-dire un étudiant sans doute d’origine bourgeoise). Le «  peuple  » que peint Delacroix est donc d’abord le peuple souverain, fait du rassemblement de toutes les classes sociales autour du drapeau tricolore. Cela dit, c’est bien le « petit peuple » qui semble le plus présent, le plus actif, au premier plan du tableau.

• Question. Les idées évoquées par Tocqueville comme dangereuses, qui se répandent « au sein [des] classes ouvrières », qui « descendent profondément dans les masses  », sont les idées socialistes. Elles visent à ébranler les bases de la société, remettre en cause une «  division des biens […] injuste  », dénoncer la propriété qui «  repose sur des bases qui ne sont pas des bases équitables » et elles vont amener « les révolutions les plus redoutables  ». On est frappé de lire ce discours où Tocqueville annonce le 27 janvier 1848 une révolution prochaine, qui a éclaté effectivement le 22 février. Son avertissement – «  nous nous endormons à l’heure qu’il est sur un volcan » – apparaît comme prémonitoire. Tocqueville voulait attirer l’attention des dirigeants politiques sur la gravité de la situation sociale. Les esprits étaient alors surtout préoccupés par le débat sur la réforme électorale, c’està-dire le suffrage universel (ou du moins l’élargissement du droit de vote). Et Louis-Philippe, dans le discours du trône du 27 décembre 1847, s’était montré aveugle face au mécontentement des Français (le discours de Tocqueville s’inscrit dans le cadre de l’adresse par laquelle les députés doivent répondre au discours du trône).

3. Les cadavres forment au premier plan du tableau des lignes horizontales, qui contrastent avec la verticalité des personnages principaux. Deux lignes obliques convergent vers la main de la Liberté qui tient le drapeau, au centre et en haut du tableau. Cette construction en pyramide est renforcée par les couleurs du drapeau, surtout le rouge, qui «  claque  » au milieu des fumées blanches et des teintes sombres dominantes. Le peintre parvient ainsi à exprimer la force du mouvement révolutionnaire de 1830. Ce mouvement qui emporte le peuple derrière le drapeau tricolore semble irréversible, il surgit sous les yeux du spectateur, en submergeant la barricade et les cadavres du premier plan.

◗ Histoire des Arts

3. 1848 : une année décisive en France

La Liberté guidant le peuple � MANUEL, PAGES 284-285

1. La femme au centre du tableau semble guider le peuple insurgé. Elle lui montre le chemin, en levant dans sa main droite un drapeau tricolore. Elle porte dans sa main gauche un fusil. Elle est coiffée d’un bonnet phrygien. Elle est vêtue d’une robe de style antique, qui laisse ses seins nus. On remarque la pilosité de son aisselle, qui a choqué de nombreux contemporains. Certains détails montrent donc que le peintre a voulu faire de cette femme un personnage réaliste, une femme du peuple (pilosité, fusil). Mais elle est bien sûr en même temps une allégorie de © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

� MANUEL, PAGES 286-287

Doc. 2. Le suffrage universel (Lithographie de Bosredon, avril 1848. Paris, Bibliothèque nationale de France.)

• Question 1. Le personnage représenté sur cette image est un ouvrier, reconnaissable à sa blouse (l’équivalent de notre « bleu de travail »).

• Question 2. Le message que cette image veut faire passer est simple  : l’urne doit remplacer le fusil dans la vie politique. Le fusil reste utile pour combattre « l’ennemi du dehors », si la patrie est en danger. Mais « pour le dedans », pour combattre « loyalement les adversaires », il faut désormais utiliser le bulletin de vote. Autrement 167 •

dit, le suffrage universel doit remplacer l’insurrection armée, la démocratie rend les barricades inutiles, voire illégitimes. Le 21 mai 1850, Victor Hugo développe le même thème, dans un discours où il tente de s’opposer au projet de loi restreignant le suffrage universel  : «  Dissoudre les animosités, désarmer les haines, faire tomber la cartouche des mains de la misère […] ; en un mot, inspirer aux masses cette patience forte qui fait les grands peuples, voilà l’œuvre du suffrage universel ! C’est la fin de la violence, c’est la fin de la force brutale, c’est la fin de l’émeute […] ; c’est le droit d’insurrection aboli par le droit de suffrage. » Doc. 3. Un Américain à Paris en juin 1848

• Question. Deux visions différentes de l’insurrection apparaissent dans ce reportage. – D’un côté, le journaliste américain restitue la vision officielle des événements, en citant la déclaration du président de l’Assemblée (il s’agit d’Alexandre Marie, organisateur des ateliers nationaux comme ministre du Travail, puis membre de la Commission exécutive qui a remplacé le gouvernement provisoire). Les républicains modérés au pouvoir assimilent les insurgés à des bandits sans foi ni loi (« ils veulent l’anarchie, la destruction, le pillage »). On voit bien ici à quel point ces républicains libéraux sous-estiment les problèmes sociaux : à partir du moment où la République et le suffrage universel existent, ces problèmes doivent se régler et toute révolte est illégitime. – Mais, d’un autre côté, Donald Mitchell, qui ne se contente sans doute pas des sources officielles, comprend que les insurgés «  ont été poussés à l’action par un total désespoir ». Les ateliers nationaux avaient été créés pour employer les chômeurs et leur dissolution annoncée laissent les ouvriers parisiens « devant la perspective d’un complet dénuement  ». C’est donc une insurrection du désespoir, avec pour slogan Du travail ou la mort. Doc. 4. L’État et les travailleurs

• Question 1. Pour convaincre les députés de limiter la journée de travail, Pierre Leroux emploie deux arguments connexes : selon lui, l’État doit protéger la «  santé des travailleurs  » et la « dignité humaine ». Le premier argument est donc d’ordre sanitaire et est formulé d’une manière percutante  : • 168

une journée de travail trop longue revient à un «  crime  », à un «  homicide  ». Pierre Leroux fait ici référence à toute une série d’enquêtes sociales qui avaient été publiées en France depuis une dizaine d’années et qui dénonçaient les conditions de travail des ouvriers (on pense notamment à l’enquête du médecin Villermé sur les travailleurs de l’industrie textile, publiée en 1840 : Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie). On peut noter qu’il cite des statistiques sur l’espérance de vie des enfants selon leur milieu social, ce qui donne à son argumentaire une autorité scientifique. Le second argument est d’ordre moral et politique  : alors que les députés viennent d’abolir l’esclavage dans les colonies françaises, ils laisseraient subsister en France des conditions de travail comparables à l’esclavage. La formulation de ce paradoxe (l’Assemblée « affranchirait les noirs et proclamerait l’esclavage des blancs » ! ») vise à frapper les esprits.

• Question 2. Pierre Leroux combat ici la doctrine libérale, qui inspire une majorité des députés, surtout depuis que l’insurrection de juin 1848 a refroidi les ardeurs sociales de nombreux républicains. Pour les libéraux, l’État n’a pas à intervenir dans les relations entre l’employeur et l’employé, en légiférant sur le travail et en imposant des règles aux patrons. Leroux vise ici particulièrement les républicains modérés, qui ne peuvent rester totalement insensibles à ses arguments humanitaires. Doc. 5. La Constitution du 4 novembre 1848

• Question. Il est difficile de dire quel type de régime instaure cette Constitution. Elle semble plutôt relever du régime présidentiel. En effet, le suffrage universel désigne directement un président et une Assemblée unique, qui ont donc une légitimité équivalente. Le président ne dispose pas du droit de dissolution, qui est un élément constitutif du régime parlementaire. Les ministres sont nommés par le président, mais la question de leur responsabilité n’est pas clairement réglée. «  Le président de la République, les ministres, les agents et dépositaires de l’autorité publique, sont responsables, chacun en ce qui les concerne, de tous les actes du gouvernement et de l’administration » (art. 68). On ne sait pas ici s’il s’agit © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

d’une responsabilité pénale individuelle, ou bien d’une responsabilité politique collective. Dans un régime parlementaire, les ministres sont collectivement responsables devant le Parlement  ; dans un régime présidentiel, chaque ministre est responsable devant le président. La pratique politique de la deuxième République fut d’abord parlementaire (ministres choisis dans la majorité parlementaire), puis le président Louis Napoléon Bonaparte décida en 1849 que les ministres étaient responsables devant lui seul.

◗ Étude Les femmes et la révolution de 1848 en France � MANUEL, PAGES 288-289 Analyse des documents

1. Les principales revendications des féministes sont l’égalité des droits et surtout l’égalité des droits politiques. Eugénie Niboyet demande «  qu’il y ait droit égal pour la femme comme pour l’homme  » et fait référence plus loin au « droit de vote ». Jeanne Deroin se présente aux élections pour affirmer le droit des femmes à l’éligibilité.

2. Pour convaincre les Françaises et les Français, les féministes utilisent des arguments relevant d’une sorte de logique démocratique, et renvoyant les hommes républicains à leurs propres principes, «  sous peine d’inconséquence  », comme dit Eugénie Niboyet. Un républicain conséquent ne peut « associer l’idée de privilège et l’idée de démocratie », il doit donc faire disparaître le privilège masculin, qui consiste à réserver le droit de vote aux hommes. Un républicain conséquent ne peut abandonner « la moitié numérique de l’humanité, frappée jusqu’à ce jour d’interdit », il doit donc accorder aux femmes l’égalité des droits. Un régime qui prétend servir l’humanité ne peut pas maltraiter la moitié de celle-ci, le suffrage universel doit l’être vraiment. Les féministes comparent ici les femmes aux travailleurs exploités, alors même que «  l’esprit de 48  » exalte la figure de l’ouvrier. « Avec la servitude du travail doit cesser la servitude des femmes », dit Eugénie Niboyet. Et Jeanne Deroin compare une assemblée masculine à « une assemblée entièrement composée de privilégiés pour discuter les intérêts des travailleurs  ». Dans d’autres textes, les féministes © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

utilisent un argument du même type, qui fait référence à l’abolition de l’esclavage : comment peuton affranchir les esclaves et pas les femmes ?

3. George Sand prend ses distances avec les féministes parce qu’elle juge leur objectif mal choisi et leur combat prématuré. Pour George Sand, la priorité, c’est d’accorder aux femmes l’égalité civile, préalable à l’égalité politique. L’affranchissement de la femme doit donc commencer par une réforme du code civil, cette « législation qui place […] la femme dans la dépendance cupide de l’homme, et qui fait du mariage une condition d’éternelle minorité  ». Les féministes se trompent donc en privilégiant le politique ; il faut d’abord transformer la société.

4. Cette caricature présente les revendications féministes sur le mode de l’inversion des rôles. La femme prend le rôle de l’homme en prétendant à une fonction politique et l’homme devient une femme en accomplissant les tâches dévolues à la femme (la cuisine, les soins aux enfants). La légende joue sur les notions de représentation nationale, de représentant, synonyme de député. L’image pousse très loin le comique de la confusion des sexes, ce qui permet évidemment de discréditer le féminisme qui apparaît comme une absurdité contre nature. La femme-député est devenue un homme, avec tous les attributs virils  : épée, éperons, cigare, épaules larges (et nez rouge d’alcoolique ?). Laide et quasiment clownesque, elle est une virago, c’est-à-dire étymologiquement une femme qui singe les hommes. Le mari, lui, est déguisé en femme (robe, coiffe) ; d’un air furieux, il fait la cuisine, tandis qu’un bébé suspendu à son bras hurle. Bref, le monde tourne à l’envers et ce message enlève toute légitimité à la revendication de l’égalité des sexes. 5. Dans la société française de cette époque domine une vision de la femme bien précise : elle est dotée d’une «  nature féminine  », différente de la nature masculine et qui détermine un rôle particulier dans la société. La femme est vouée aux tâches ménagères, au foyer, à la maternité, à l’éducation des enfants, tandis que l’homme est actif à l’extérieur, dans la sphère publique et politique. Proudhon exprime cette vision d’une manière très péremptoire  : «  Le ménage et la famille, voilà le sanctuaire de la femme. » Et il invoque la «  logique  » et la «  nature  » 169 •

pour condamner «  l’égalité politique des deux sexes, c’est-à-dire l’assimilation de la femme à l’homme dans ses fonctions publiques ». La caricature, on l’a vu, ridiculise cette assimilation. Quant au tableau de Daumier, il met clairement en avant une figure de femme nourricière  : la République est une mère imposante, qui allaite ses enfants avec ses puissantes mamelles. On peut rappeler aux élèves que Daumier et Proudhon sont des hommes de gauche et qu’il y a un consensus antiféministe dans la classe politique et dans la société de l’époque (y compris chez les femmes, aliénées aux valeurs dominantes). Bilan de l’étude

1848 a été un échec pour les femmes, puisqu’elles n’ont pas réussi à obtenir l’égalité civile, ni l’égalité politique. Malgré l’action des féministes, la République n’a pas appliqué aux femmes ses idéaux démocratiques. Le suffrage universel est masculin, les esclaves et les travailleurs ont obtenu des droits, mais pas les femmes.

4. Le Printemps des peuples � MANUEL, PAGES 290-291

Doc. 3. Le roi de Prusse refuse une « couronne de bric-à-brac »

Le Parlement de Francfort, après de longs débats, se prononça en décembre  1848 pour la solution de la Petite Allemagne, qui excluait l’Autriche. Les discussions portèrent alors sur la Constitution du futur État allemand unifié. Le 28  mars 1849, le Parlement proposa au roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV la couronne de Kaiser der Deutschen (Empereur des Allemands). Mais le roi de Prusse refusa cette couronne, refus méprisant qu’il avait déjà exprimé à l’avance, notamment dans cette lettre à l’ambassadeur de Prusse à Londres.

• Question 1. L’assemblée dont parle le roi est bien sûr le Parlement de Francfort. C’est une « assemblée issue d’un germe révolutionnaire », parce qu’elle a été imposée par les révolutions de 1848, qu’elle a été élue au suffrage universel et qu’elle est dominée par les libéraux.

• Question 2. Il refuse très clairement une monarchie constitutionnelle, où la souveraineté serait exercée par le roi au nom de la nation. Il fait explicitement référence à la monarchie • 170

de Juillet, issue des barricades de 1830 («  la couronne des pavés de Louis-Philippe  ») et qui est l’exemple type d’une monarchie ayant accepté la souveraineté nationale. Le titre que le Parlement de Francfort lui proposait, «  Empereur des Allemands  », rappelle précisément celui de Louis-Philippe, «  roi des Français ». Pour Frédéric-Guillaume IV, le monarque ne tire pas sa légitimité du peuple, mais de Dieu (« la couronne qui porte l’empreinte de Dieu  »). Il semble admettre (fin du texte) une Constitution, pourvu qu’elle soit octroyée par le roi (Frédéric-Guillaume IV concéda effectivement une Constitution à ses sujets prussiens). Doc. 4. Le peuple insurgé (L’Amazone sur la barricade du Petit boulevard, Prague, mai 1848, lithographie de Roschen, 1848. Prague, Narodni Galerie.)

• Question. Sur cette image, comme dans la plupart des images de 1848, le « peuple » est constitué de personnages appartenant à toutes les catégories de la population. La présence d’une femme, qui fait le coup de feu sur la barricade, a donné son titre à la lithographie À sa droite sur l’image, on remarque trois enfants ou très jeunes gens. Le personnage qui tient son chapeau dans sa main droite est un bourgeois, alors que les deux hommes à gauche de l’image semblent de milieu plus modeste. On retrouve partout le blanc et le rouge, les deux couleurs tchèques, qui viennent des armoiries de la Bohême (un lion blanc sur fond rouge)  : drapeau, écharpe de la femme, rubans sur les casquettes…

◗ Étude Le printemps de l’Italie � MANUEL, PAGES 292-293 Analyse des documents

1. L’Autriche joue un rôle central dans les événements italiens de 1848-1849, puisqu’elle est en quelque sort le gendarme de l’Italie depuis le congrès de Vienne. – L’Autriche est directement confrontée à la révolte de la Lombardie-Vénétie, qui fait partie de son territoire. Les habitants de Milan et de Venise chassent les troupes autrichiennes. Les « cinq journées de Milan » constituent l’un des épisodes les plus célèbres du quarantotto, illustré par cette image (doc. 3). © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

– Le roi de Piémont-Sardaigne, Charles-Albert, déclare alors la guerre à l’Autriche, pour aider les Italiens de Lombardie-Vénétie. Cette « première guerre d’indépendance  » est un moyen pour le roi de Piémont-Sardaigne de se poser en héros de l’unité italienne. Mais il subit deux défaites consécutives face à l’armée autrichienne et décide alors d’abdiquer. Les victoires autrichiennes de Custozza et de Novare marquent la fin des espoirs italiens. On notera que CharlesAlbert s’est retrouvé seul face à l’Autriche, les autres États italiens ayant refusé de s’engager à ses côtés. Le refus du pape Pie IX déçut les libéraux italiens, qui avaient placé en lui beaucoup d’espérances (sur l’image de l’insurrection milanaise, on aperçoit un grafitti « Vive Pie IX »). – La défaite du Piémont permet aux Autrichiens de reprendre Milan et Venise et d’aider les États italiens confrontés à des révolutions, comme le grand-duché de Toscane. La seule exception, ce sont les États de l’Église, où le pape fut restauré non par les Autrichiens, mais grâce à une intervention de l’armée française. Le dessin français, dont le titre est fondé sur un jeu de mots (doc. 5), montre bien ce rôle de l’Autriche. Les «  tyrans  » chassés par les patriotes italiens sont à la fois les Autrichiens et les dirigeants italiens conservateurs qui collaborent avec Vienne. Le personnage qui s’enfuit à gauche de l’image est vêtu comme un aristocrate de l’Ancien Régime (culotte et bas, habit, perruque poudrée) et il incarne l’Autriche (habit blanc). Il s’agit peut-être même de Metternich, car il a dans sa poche une bouteille de vin de Johannisberg – un célèbre domaine viticole qui fut donné à Metternich en 1816 en récompense de ses services lors du congrès de Vienne.

2. La Constitution accordée par Charles-Albert est une Constitution libérale plus que démocratique. Elle établit un régime représentatif (le terme apparaît à l’article  2), l’égalité civile (art. 24) et les libertés (liberté individuelle, art. 26 ; liberté de la presse, art. 28 ; liberté de culte, art. 1). Mais le régime n’est pas parlementaire (pas de gouvernement responsable devant le Parlement), les députés sont élus au suffrage censitaire et les sénateurs sont nommés à vie. 3. Les démocrates français veulent faire profiter leurs « frères » italiens de leur expérience : © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

«  Veillez sur votre victoire, ne vous en laissez ravir les fruits par aucune faction rétrograde. Voyez ce qui se passe en France, que cette leçon ne soit pas perdue pour vous. » C’est une allusion à l’évolution de plus en plus conservatrice de la deuxième République, après les événements de juin 1848, l’élection à la présidence de Louis Napoléon Bonaparte en décembre  1848, la dissolution de l’Assemblée soumise à de fortes pressions par le gouvernement (29 janvier 1849)… Les républicains avancés se sentent privés de leur République par la droite qui a reconquis le pouvoir et ils veulent éviter qu’un tel scénario ne se reproduise à Rome. Ils promettent même leur aide « pour chasser les barbares » si les « tyrans » attaquent la République romaine. Ironie de l’histoire, c’est l’inverse qui s’est produit  : le gouvernement français a envoyé un corps expéditionnaire pour chasser de Rome les républicains italiens. 4. Durant ces événements, le sentiment national italien s’exprime de diverses manières. On peut en relever des indices dans les documents. Le drapeau tricolore des libéraux italiens devient l’emblème national, adopté notamment par Charles-Albert. On voit bien la présence de ce drapeau dans le tableau célébrant les « cinq journées  » de Milan (doc. 3). Le sentiment de l’unité italienne apparaît à travers un autre symbole : la botte, figure familière de la péninsule, utilisée par la lithographie française (doc. 5). Le texte des députés français (doc. 4) montre qu’à l’étranger la nation italienne est perçue comme une réalité en formation  : «  Rome affranchie, c’est le signal de l’affranchissement de l’Italie entière », « bientôt de tous ces États émancipés sortira resplendissante l’unité italienne ».

5. Plusieurs courants politiques agissent dans les États italiens en 1848-1849. On peut les ramener en gros à deux courants : un courant libéral modéré et un courant plus avancé, que l’on peut qualifier de républicain, de démocrate ou de révolutionnaire. Le tableau chronologique (doc. 1) les représente par les couleurs bleue et rouge. Le courant libéral s’exprime surtout au début de l’année 1848 et réussit à obtenir une Constitution dans plusieurs États italiens (Royaume des Deux-Siciles, grand-duché de Toscane, royaume de Piémont-Sardaigne, États de l’Église). 171 •

Le courant républicain s’affirme d’abord en Lombardie-Vénétie, notamment à Venise, où la république est proclamée le 22  mars 1848 par Daniele Manin. Puis ce courant se renforce, dans un contexte de radicalisation lié aux défaites de l’armée piémontaise. Des révolutions républicaines ont lieu à Florence et à Rome (avec Mazzini). Bilan de l’étude

Le mouvement libéral et national s’exprime en Italie en 1848 à la fois en exigeant des réformes de la part des gouvernements en place et en luttant contre l’Autriche. Le roi de PiémontSardaigne déclare la guerre à l’Autriche pour aider les Italiens révoltés de Lombardie-Vénétie. Sa défaite marque l’échec de l’unité italienne, malgré les révolutions républicaines à Florence et à Rome. Une seule des Constitutions libérales accordées en 1848 est conservée, celle du royaume de Piémont-Sardaigne, le Statuto Albertino.

5. Vers la fin de la traite et de l’esclavage � MANUEL, PAGES 296-297

Doc. 2. L’abolition universelle de la traite ?

• Question 1. Cette déclaration présente la traite comme un commerce «  répugnant aux principes d’humanité et de morale universelle  », «  odieux  », comme un «  fléau qui a si longtemps désolé l’Afrique, dégradé l’Europe, et affligé l’humanité ». L’abolition de la traite est donc vue comme une nécessité, «  conforme à l’esprit du siècle », souhaitée « par les hommes justes et éclairés de tous les temps » et demandée par l’opinion publique « dans tous les pays civilisés ».

• Question 2. Mais, concrètement, le texte ne prévoit aucune mesure précise et obligatoire. La condamnation de principe est assortie de nombreuses précautions. Le texte explique qu’on ne peut pas « interrompre brusquement le cours » de ce commerce et que les souverains doivent avoir de «  justes ménagements pour les intérêts, les habitudes et les préventions mêmes de leurs sujets  ». C’est évidemment une façon de prendre en compte les intérêts du lobby esclavagiste, celui des planteurs des îles, qui combat • 172

la propagande des abolitionnistes. Finalement, le Congrès s’en remet à chacune des puissances pour prendre des mesures et fixer les échéances : « cette déclaration générale ne saurait préjuger le terme que chaque puissance en particulier pourrait envisager comme le plus convenable pour l’abolition définitive du commerce des nègres ». Doc. 5. La traite clandestine

• Question. Ce témoignage permet d’analyser de façon précise le fonctionnement de la traite clandestine au début des années 1830, en identifiant ses différents acteurs. La demande d’esclaves est américaine  : le négrier français a acheté sa goélette aux États-Unis (les chantiers navals de Baltimore sont spécialisés dans la construction de ces navires rapides) et il compte vendre sa cargaison de 450 Noirs aux planteurs du sud des États-Unis. Le texte dit clairement que les esclaves sont aussi vendus au Brésil et à Cuba. Le navire est rapide, parce qu’il doit pouvoir «  semer  » les croiseurs britanniques qui partouillent « au large de la Sierra Leone », qui est effectivement la base du West Africa Squadron. Les esclaves sont achetés dans le royaume de Dahomey, échangés contre de l’alcool (du rhum produit souvent aux États-Unis), des armes (poudre et fusils anglais) et du textile (cotonnades de Manchester). Les armes à feu sont prisées par les dirigeants africains, moins pour un usage militaire que comme instrument de parade et de prestige. Le port de Ouidah, au Dahomey, est l’un des principaux centres négriers de la « Côte des esclaves ». Sur place, les transactions se font avec un « traitant », intermédiaire entre les négriers occidentaux (qui achètent les esclaves pour les transporter en Amérique) et les négriers africains (qui capturent les esclaves). Il s’agit ici d’un personnage haut en couleur, un métis brésilien (Indien/Portugais) installé au Dahomey. On sait par d’autres sources que les intermédiaires sont très souvent des métis (Afro-Portugais notamment). Le double nom – «  Señor Da Souza  » pour les Blancs et Cha-Cha pour les Noirs – reflète la double culture du traitant : il maîtrise les langues et les usages des Européens comme des Africains. © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

◗ Étude L’abolition de l’esclavage en France � MANUEL, PAGES 298-299 Analyse des documents

1. Les deux tableaux de Biard sont construits de la même façon pour représenter deux scènes différentes : l’interdiction de la traite et l’abolition de l’esclavage. Au centre du tableau, deux esclaves noirs fêtent l’événement dans une sorte de danse de joie : une femme et un homme qui lève vers le ciel les fers brisés symboles de sa libération. Le personnage debout à gauche est un officiel, représentant la France. Dans le tableau de 1846, c’est le capitaine d’un navire de guerre français, un croiseur (visible à l’arrière-plan) qui exerce son droit de visite sur un navire négrier arraisonné dans la mer des Caraïbes (cf. le titre du tableau) ; entouré de marins en armes, il fait libérer les esclaves qui se trouvaient dans la cale. Dans le tableau de 1849, c’est le représentant de la République française dans la colonie, qui procède à la lecture du décret d’abolition de l’esclavage. La scène n’est pas localisée précisément, le décor est antillais. L’officiel français est-il le commissaire de la République  ? On sait que l’abolition fut en fait assez mouvementée : à l’arrivée des représentants du gouvernement provisoire sur place, l’abolition avait été déjà proclamée par le gouverneur de la Martinique, sous la pression d’émeutes, et par celui de la Guadeloupe, pour prévenir de tels désordres. Le personnage du tableau ressemble par ailleurs à Victor Schoelcher, qui fut élu député de la Martinique et de la Guadeloupe (août 1848).

2. Les défenseurs de l’esclavage sont ceux qui en tirent profit : les colons des Antilles possédant des plantations et leurs partenaires commerciaux en métropole (industriels du sucre, négriers pratiquant encore la traite clandestine…). Leurs méthodes sont celles d’un groupe de pression puissant : Schoelcher dénonce un véritable lobby esclavagiste (doc. 2b), qui fait pression sur les représentants de l’État dans les colonies (gouverneurs) et en métropole (ministères, chambres). Il pratique la corruption (les journaux et certains hommes politiques sont payés) et noyaute l’administration. Leurs arguments sont essentiellement économiques  : l’abolition donnerait «  le signal de la © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

ruine des colonies et du commerce maritime de la France ». Les esclavagistes surestiment volontairement l’importance économique des colonies et le rôle de l’esclavage dans ces colonies. Si celui-ci venait à être supprimé, remplacé par le travail libre comme dans les colonies britanniques depuis 1833, les conséquences seraient dramatiques : « abandon de culture, incendie, massacre et pillage ». Avec une mauvaise foi étonnante, les esclavagistes évitent l’argument moral (ramené à « une fausse et séduisante philan­thropie ») et le retournent même en leur faveur, en se présentant comme les victimes d’une politique injuste («  ces législateurs, qui, foulant aux pieds tout principe d’équité et de justice, […] veulent sacrifier leurs frères d’outre-mer ») ! 3. Les grands principes qui conduisent à l’abolition de l’esclavage sont ceux des Lumières, de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, de la République. Ils sont explicitement invoqués dans le préambule du décret du 27 avril 1848, qui cite notamment la devise républicaine « Liberté, Égalité, Fraternité ». « L’esclavage est un attentat contre la dignité humaine », ce qui est concrètement illustré par le récit de Schoelcher assistant à la vente aux enchères d’une «  négresse  » de 16 ans, traitée comme un vulgaire objet.

4. L’abolition de l’esclavage par la République est mise en scène d’une manière qui masque une partie de la réalité. Le tableau de Biard met en avant la générosité de la République et donne une image harmonieuse de la société coloniale, en gommant totalement les tensions et les ressentiments. Au premier abord, le tableau illustre parfaitement la devise républicaine. La liberté est symbolisée par les chaînes brisées de l’esclave au centre du tableau. L’égalité est rétablie entre les hommes, qu’ils soient noirs ou blancs et la fraternité règne dans une ambiance joyeuse, typique de « l’esprit de 48 » (cf. le marin qui tient un bébé dans ses bras, juste à droite du représentant de la France). Mais, à y regarder de plus près, les relations entre les Noirs et les Blancs ne sont pas vraiment caractérisées par l’égalité. Les Blancs, vêtus de leurs habits européens, sont dans une position dominante par rapport aux Noirs, à moitié nus et formant une masse plutôt indistincte. Les Noirs s’agenouillent pour remercier la République et les colons (cf. l’attitude «  maternaliste  » des deux femmes à droite du tableau), comme s’ils 173 •

n’éprouvaient que des sentiments de gratitude après plusieurs siècles d’esclavage ! Bilan de l’étude

L’abolition de l’esclavage s’est imposée en France difficilement. Les abolitionnistes dénoncent une atteinte aux droits de l’homme, mais le lobby esclavagiste des planteurs fait pression sur le gouvernement. La France combat la traite négrière efficacement depuis 1831, mais l’esclavage n’est aboli qu’en 1848 par la deuxième République, à l’initiative de Victor Schœlcher et pour respecter les grands principes républicains.

◗ Méthode Élaborer un plan � MANUEL, PAGES 300-301

1. Définition du sujet : Le Printemps des peuples est un mouvement révolutionnaire qui a touché toute l’Europe, c’est un moment majeur dans l’affirmation des idées libérales et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ce mouvement débute avec la révolution parisienne de février  1848 qui chasse Louis-Philippe du pouvoir et conduit à l’instauration de la deuxième République. La Confédération germanique est une union établie au congrès de Vienne en 1815, elle regroupe trente-neuf États allemands en une confédération d’États souverains. La diète de Francfort, unique organe central de la Confédération, est une assemblée de représentants des États qui ne peut pas imposer une politique commune. Les Allemands ne disposent donc pas d’un État national. En outre, seuls quelques petits États ont accordé à leur peuple une Constitution d’inspiration libérale, le royaume de Prusse et l’Autriche restent des monarchies absolues. D’abord couronnées de succès les révoltes allemandes sont réprimées essentiellement par les Prussiens au cours de l’année 1949. 3. Le plan proposé peut répondre à la problématique suivante : Les révolutions de 1848 font-elles progresser l’influence des idées nationales et libérales en Allemagne ? Le plan proposé est un plan de type chronologique. C’est le type de plan le mieux adapté au sujet car il s’agit d’étudier l’évolution d’une situation politique. Les sous-parties répondent à une logique causale (origines ➞ résultats). • 174

4. Le paragraphe proposé appartient à la troisième sous-partie (c) de la première partie.

◗ Exercices � MANUEL, PAGES 302-303 1. Faire le point

a. • Le coup d’État de Napoléon Bonaparte, 9 novembre 1799. • La prise des Tuileries, 10 août 1792. • L’arrestation de Robespierre, 27 juillet 1794. • La Révolution parisienne de juillet 1830. • La révolution parisienne de février 1848.

b. 1. L’Habeas corpus énonce une liberté fondamentale, celle de ne pas être emprisonné sans jugement. En vertu de cette loi, toute personne arrêtée a le droit de savoir pourquoi elle est arrêtée et de quoi elle est accusée. Ensuite, elle doit être libérée sous caution, puis amenée dans les trois jours qui suivent devant un juge.

2. « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » 3. La déclaration d’Indépendance des États-Unis du 4 juillet 1776.

4. Le code civil regroupe l’ensemble des règles qui déterminent le statut des personnes, celui des biens et celui des relations entre les personnes privées. L’objectif est d’unifier le droit civil français. Il impose une conception très traditionnelle de la famille qui est placée sous l’autorité du père et mari. c. 1. Libéralisme. 2. Régime parlementaire. 3. Régime présidentiel. 2. La société d’Ancien Régime

1. À l’annonce de la réunion des États généraux, la littérature politique foisonne, la liberté de presse étant tacitement reconnue.

2. Une femme du tiers état doit porter une femme de la noblesse et une femme du clergé (cf. manuel, doc. 2 p. 223).

3. L’auteur dénonce les privilèges de la noblesse et du clergé, il veut la fin de la société d’ordres.

4. La noblesse dispose des « faveurs arbitraires de la cour » et « des exemptions d’impôts ».

5. La bourgeoisie est une catégorie sociale essentiellement urbaine (financiers, négociants, © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

etc.) qui domine l’économie du royaume et dont la richesse dépasse souvent celle des nobles. Cependant, cette réussite ne lui donne pas accès à certaines fonctions dans l’armée, le haut clergé et la haute magistrature.

6. Il existe des inégalités sociales au sein de chaque ordre. Le tiers état englobe une grande variété de situations : journalier misérable, riche laboureur et bourgeois. 3. Histoire des Arts. Opéra et politique

1. Un opéra est une œuvre destinée à être chantée sur une scène ; l’opéra est l’une des formes du théâtre musical occidental regroupées sous l’appellation d’art lyrique. Nabucco a été créé à Milan en 1842, Macbeth à Florence en 1847.

2. Les Hébreux captifs sont en exil à Babylone et regrettent leur patrie perdue conquise par le roi Nabuchodonosor. Les Écossais ont été chassés de leur pays et expriment leur douleur de voir leur patrie sous le joug d’un tyran.

© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

3. L’Italie est divisée en de nombreux petits États aux institutions fort peu démocratiques, elle est dominée par l’Autriche. 4. Le mouvement national et libéral italien (cf. p. 278-281). 5. Le Printemps des peuples.

4. Les révolutions de 1848 en Europe (TICE)

4. Doc. 2 p. 273.

5. a. La barricade. b. La scène de nuit favorise les contrastes et les jeux de lumière. «  Le seul élément net de coloration est placé quasiment au centre de l’image : c’est le drapeau tricolore allemand appelant à l’unité territoriale et politique. Le reste est plongé dans une pénombre éclairée par la lune, placide témoin, mais aussi par un bâtiment en flammes et, surtout, la fumée blanche des coups de fusil. » c. Goya. 6. La révolution de 1830 (La Liberté guidant le peuple), l’avènement de la souveraineté nationale (Mirabeau devant Dreux-Brézé…).

175 •

Partie

2

L’invention de la citoyenneté dans le monde antique � MANUEL, PAGES 38-87

Rappel du programme Thème 2 – L’invention de la citoyenneté dans le monde antique (7 à 8 heures)

– La démocratie vue et discutée par les Athéniens.

Question obligatoire

Question obligatoire

Citoyenneté et démocratie à Athènes (ve-ive siècles av. J-C.)

Citoyenneté et empire à Rome (ier-iiie siècles)

Mise en œuvre :

– La participation du citoyen aux institutions et à la vie de la cité : fondement de la démocratie athénienne.

Mise en œuvre :

–– L’extension de la citoyenneté à la Gaule romaine : les Tables claudiennes. – L’extension de la citoyenneté à l’ensemble de l’empire : l’édit de Caracalla.

Réponses aux questions

Chapitre

2

Citoyenneté et démocratie à Athènes (ve-ive siècles av. J.-C.) � MANUEL, PAGES 40-61

◗ Présentation de la question et débats historiographiques

L’historiographie s’est considérablement développée depuis une trentaine d’années. Lieu commun de l’historiographie traditionnelle, l’idée qu’Athènes est le modèle par excellence de la démocratie directe est aujourd’hui largement remise en question. L’historien danois Mogens H. Hansen (voir bibliographie) montre ainsi que l’Assemblée du peuple ne réunit qu’une fraction des citoyens (6  000 en moyenne sur les 30  000 que compte la cité au ive siècle av. J.-C.). Ainsi, le pouvoir du demos réside surtout dans l’élection et © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

le contrôle des magistrats (reddition de comptes) gérant les affaires de la cité. Si l’on ne peut plus présenter Athènes comme une «  démocratie modèle », privilégier le cas athénien reste pertinent en raison de la très riche documentation dont les historiens disposent (sources archéologiques, littéraires, épigraphique). Notre connaissance des ve et ive siècles a large­ ment profité du renouvellement de l’histoire grecque archaïque. Durant cette période, l’émergence des cités-États s’accompagne de multiples expérimentations politiques (tyrannie, oligarchie, démocratie). La démocratie du 23 •

ve siècle

n’est donc pas née ex nihilo. Les crises sociales et politiques du vie siècle (revendications du demos, réformes de Solon et de Clisthène) apparaissent comme un temps de transition et d’expérimentation vers la constitution du régime démocratique. Il convient donc d’insister sur la lente formation de la démocratie fondée sur l’ouverture progressive de la citoyenneté au demos, entre 594 (législation de Solon) et 508507 av. J.-C. (réformes clisthéniennes). La démocratie repose en outre sur un ensemble de pratiques concrètes du pouvoir organisant les relations sociales et culturelles dans la cité selon des modalités nouvelles. La communauté civique se réalise à travers de grandes manifestations culturelles et cultuelles dotées d’une dimension civique et religieuse. Les banquets, les concours sportifs, les discussions publiques, les spectacles théâtraux, les fêtes religieuses engendrent une sociabilité fondée sur le partage de valeurs communes. De même, la participation aux affaires publiques nécessite des aménagements urbains. Ainsi, l’architecture athénienne des ve et ive siècles porte la marque de la démocratisation de la vie politique. En ce sens, les manifestations artistiques et religieuses sont parties prenantes de l’exercice de la citoyenneté et de l’expérience de la démocratie aux ve et ive siècles. L’ouverture du programme au ive siècle rend l’étude du «  cas athénien  » moins artificielle qu’elle ne l’était dans le programme de 2005. Elle permet en effet d’éclairer le pragmatisme politique des citoyens qui ne cessent de redéfinir les institutions pour en pérenniser le fonctionnement durant deux siècles. Les Athéniens, surtout au ive siècle, s’interrogent sur la nature du pouvoir et la meilleure constitution politique, réflexions centrales dans les œuvres de Platon et d’Aristote. Contre le mythe de l’exemplarité du ve siècle athénien et de sa décomposition au ive  siècle, M.  H. Hansen remarque que les critiques et les aménagements du régime démocratique témoignent de la vitalité de l’État de droit jusqu’à la fin du ive siècle. Plus représentative que directe, plus pragmatique qu’exemplaire, la démocratie du ive siècle se révèle donc d’une grande modernité. Démocratie représentative, débats institutionnels et politiques, définition plurielle de la citoyenneté : l’héritage athénien est à l’origine de notre • 24

culture politique contemporaine. La dimension patrimoniale du sujet est évidente. Ainsi, l’idée que la publicité des lois crée les conditions pratiques de l’exercice du pouvoir démocratique constitue une innovation remarquable, inséparable de l’égalité des citoyens devant les lois. Or, cet axiome politique de la démocratie athénienne est encore au cœur des cultures démocratiques du monde contemporain.

◗ Bibliographie Sources littéraires

Aristophane, Théâtre complet, GarnierFlammarion, Paris, 1999. Aristote, Constitution d’Athènes, trad. Michel Sève, Le Livre de Poche, 2006. Id., Le Politique, 5 vol., CUF, Paris, 1960-1989. Euripide, Tragédies, 8 vol., CUF, Paris, 1926-2004. Isocrate, Discours, 4 tomes, CUF, Paris, 19291962, 1967. Lysias, Discours, 2 vol., CUF, Paris 1924-1926, 1967-1989. Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, 5 vol., CUF, Paris, 1953-1981. Xénophon, Helléniques, CUF, Paris, 1936-1948. Pseudo- Xénophon, La Constitution des Athéniens, dans œuvres complètes, vol. 2, Garnier-Flammarion, Paris, 1967. Sources épigraphiques

J.-M.  Bertrand, Inscriptions historiques grecques, Les Belles Lettres, Paris, 1992. Institut F. Courby, Nouveau Choix d’inscriptions grecques, Les Belles Lettres, Paris, 1971. J. Pouilloux, Choix d’inscriptions grecques, Les Belles Lettres, Paris, 1960. H.  Van Effenterre, F.  Ruzé, Nomima. Recueil d’inscriptions politiques et juridiques de l’archaïsme grec, École Française de Rome, 1994-1995. Recueils de sources

P.  Brulé, L’Histoire par les sources. La Grèce d’Homère à Alexandre, Hachette supérieur, Paris, 1997. H. Van Effenterre, L’Histoire en Grèce ancienne, Armand Colin, coll. « U2 », Paris, 1967. © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

P.  Vidal-Naquet, M.  Austin, Économies et sociétés en Grèce ancienne, Armand Colin, coll. « U2 », Paris, 1992. Instruments de travail et dictionnaires

Y. Bonnefoy, dir., Dictionnaire des mythologies, Flammarion, Paris, 1981. M. C. Howatson, dir., Dictionnaire de l’Antiquité. Mythologie, littérature, civilisation, Robert Laffont, coll. « Bouquins », Paris, 1993. Jean Leclant (dir.), Dictionnaire de l’Antiquité, PUF (Quadrige), 2005. Cl. Mossé, Dictionnaire de la civilisation grecque, Complexe, Bruxelles, 1992. A. et F. Queyrel, Lexique d’histoire et de civilisation grecques, Ellipses, Paris, 1996. J.  de Romilly, Précis de la littérature grecque, PUF, Paris, 1980. Maurice Sartre, Anne Sartre-Fauriat & Patrice Brun (dir.), Dictionnaire du monde grec antique, Larousse (In extenso), 2009. Iconographie

J.  Charbonneaux, Grèce classique, Gallimard, coll. « Univers des formes », Paris, 1969. P. Demargne, Naissance de l’art grec, Gallimard, coll. « Univers des formes », Paris, 1970. Dossier de la Documentation photographique  : Athènes au V   siècle (n°  5226)  ; Travail et société dans l’Antiquité (n° 6015) ; Civilisation de la Grèce classique (n° 6092) ; Le Citoyen dans l’Antiquité (n° 8001). F.  Lissarague, L’Autre Guerrier. Archers, peltastes, cavaliers dans l’imagerie attique, École française de Rome, Paris-Rome, 1990. Francois Lissarrague, Vases grecs. Les Athéniens et leurs images, Hazan, 1999. J.-J. Maffre, L’Art grec, PUF, coll. « Que saisje ? », Paris, 1986. M.-C. Villanueva-Puig, Images de la vie quotidienne en Grèce dans l’Antiquité, Hachette, Paris, 1992. e

Ouvrages généraux

Sur l’histoire grecque M.-C. Amouretti, F.  Ruzé, Le Monde grec antique, Hachette-Supérieur, Paris, 1990. M.-F. Baslez, Histoire politique du monde grec, Nathan, Paris, 1994. P. Cabanes, Le Monde hellénistique : de la mort © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

d’Alexandre à la paix d’Apamée, 323-188 av. J.C., Le Seuil, Paris, 1995. P. Carlier, Le ive siècle grec jusqu’à la mort d’Alexandre, Le Seuil, Paris, 1995. F.  Chamoux, La Civilisation grecque, Arthaud, Paris, 1983. E. Lévy, La Grèce au v siècle : de Clisthène à Socrate, Le Seuil, Paris, 1995. Cl. Mossé, A.  Schnapp-Gourbeillon, Précis d’histoire grecque, Hachette, Paris, 1990. Id., La Grèce archaïque d’Homère à Eschyle, Le Seuil, Paris, 1984. O.  Murray, La Grèce à l’époque archaïque, Presses universitaires du Mirail, Toulouse, 1995. E. Will, Le Monde grec et l’Orient, le Ve  siècle, tome I, PUF, Paris, 1993. e

Sur la démocratie en Grèce M. H. Hansen, La Démocratie athénienne à l’époque de Démosthène : structure, principes et idéologie, Les Belles Lettres, Paris, 1993. D. Kagan, Périclès : la naissance de la démocratie, Tallandier, Paris, 2008. Cl. Mossé, La Fin de la démocratie athénienne, Paris, PUF, 1962. Id., Histoire d’une démocratie  : Athènes, Le Seuil, Paris, 1971.

Sur la cité en Grèce P. Brûlé, La Cité grecque à l’époque classique, PUR, Rennes, 1994. M. H. Hansen, Polis et Cité-État, Les Belles Lettres, Paris, 2001. Id., Polis. Une introduction à la cité grecque, Les Belles Lettres, 2008. R. Lonis, La Cité dans le monde grec. Structures, fonctionnement, contradictions, NathanUniversité, Paris, 1994. Cl. Mossé, Le Citoyen dans la Grèce antique, Nathan-Université, coll. « 128 », Paris, 1993. Id., Les Institutions grecques à l’époque classique, Armand Colin, coll. « Cursus », Paris, 1999. O. Murray, S. Price, La Cité grecque d’Homère à Alexandre, Maspero, Paris, 1992. A. Queyrel, Athènes : la cité archaïque et classique du viiie siècle à la fin du v siècle, Picard, Paris, 2003. A. Vatin, Citoyens et non-citoyens dans le monde grec, SEDES, Paris, 1984. e

25 •

Ouvrages et articles spécialisés

Guerre et citoyenneté Sur le thème «  Guerres et sociétés dans les mondes grecs  » (au programme du concours de l’Agrégation et du CAPES), voir la bibliographie réalisée par P. Brun, Historiens et géographes, juillet-août 1999, pp. 299-311. P. Ducrey, Guerre et guerriers dans la Grèce antique, Paris, 1985. Y. Garlan, La Guerre dans l’Antiquité, NathanUniversité, Paris, 1999. Id., Guerre et économie en Grèce ancienne, La Découverte, Paris, 1989. R.  Lonis, Guerre et religion à l’époque classique, Les Belles Lettres, Paris, 1979. Cl. Mossé, Guerres et sociétés dans les mondes grecs, de 490 à 322 av. J.-C., Jacques Marseille Éditions, Paris, 1999. J.-P.  Vernant, dir., Problèmes de la guerre en Grèce ancienne, EHESS-Le Seuil, coll. « Points Histoire », Paris, 1985.

Religion & vie civique L. Bruit-Zaidman, P. Schmitt-Pantel, La Religion grecque, Armand Colin, coll. « Cursus », Paris, 1991. F. de Polignac, La Naissance de la cité grecque. Cultes, espaces et société, VIIIe-VIIe siècles av. J.C., La Découverte, Paris, 1989. Citoyens et non-citoyens P. Brûlé, La Fille d’Athènes, Les Belles Lettres, Paris, 1987. G.  Duby, M.  Perrot, dir., Histoire des femmes. L’Antiquité, tome I, Plon, Paris, 1991. J.-P. Vernant, dir., L’Homme grec, Le Seuil, coll. « Univers historique », Paris, 1993.

Culture politique, théâtre M. I. Finley, Démocratie antique et démocratie moderne, Payot, Paris, 1975. Id., L’Invention de la politique, Flammarion, Paris, 1985. N. Loraux, L’Invention d’Athènes, Payot, Paris, 1993. J. Ober, Political Dissent in Democratic Athens. Intellectual Critics of Popular Rule, Princeton U. Press, Princeton, 1999. Ch. Meier, De la tragédie grecque comme art politique, Les Belles Lettres, Paris, 1991.

• 26

J. de Romilly, La Tragédie grecque, PUF, Paris, 1990. F.  Ruzé, Délibération et pouvoir dans la cité grecque, de Nestor à Socrate, publications de la Sorbonne, Paris, 1997. P.  Schmitt-Pantel, La Cité au banquet, École française de Rome, 1992. J.-P.  Vernant, P.  Vidal-Naquet, Mythe et tragédie, La Découverte, Paris, 1986. J.-P. Vernant, Le Chasseur noir, Maspero, Paris, 1981. Id., Mythe et pensée chez les Grecs, Maspero, Paris, 1985. Id., Mythe et société chez les Grecs, Maspero, Paris, 1974. Id., Les Origines de la pensée grecque, PUF, Paris, 1981. P. Vidal-Nacquet, Le Miroir brisé : tragédie athénienne et politique, Les Belles Lettres, Paris, 2002.

◗ Ouverture de chapitre � MANUEL PAGES 40-41

Doc. 1 Des hommes citoyens et soldats (Amphore attique à figures noires, Paris, musée du Louvre.)

vie

siècle av. J.-C.

Cette amphore archaïque à figures noires montre quatre fantassins lourds ou hoplites encadrés par deux cavaliers. Les quatre soldats sont armés d’un casque, d’un bouclier rond, de jambières (cnémides) et de lances. Ils appartiennent aux classes moyennes capables de financer cet équipement militaire pesant environ 30 kilos. Citoyens et soldats, ils composent le noyau dur de la démocratie athénienne fondée sur l’exclusion des femmes, des étrangers et des esclaves. Tout citoyen doit en effet défendre la cité par les armes. Si les soldats sont tous des citoyens, la citoyenneté est restreinte aux Athéniens de sexe masculin, nés d’un père citoyen et d’une mère fille de citoyens, âgés de 18 ans et ayant accompli leur service militaire. Piliers de la démocratie athénienne, ces hommes, citoyens et soldats, en symbolisent aussi la fermeture. Doc. 2. Des femmes exclues de la citoyenneté (Vase attique à figures rouges, ve siècle av. J.-C. Paris, musée du Louvre.)

Ce vase à figures rouges représente une scène située dans l’appartement des femmes  : le gynécée. Assise au centre, une Athénienne file la laine avec sa domestique, debout sur la droite.

© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

Les pelotes de laine sont visibles dans le placard de gauche. Aux Athéniennes exclues des fonctions politiques et militaires sont donc réservées les activités domestiques  : tenir la maison en bonne ménagère, diriger les esclaves, élever les enfants. Privées de droit politique, les femmes n’en sont pas moins indispensables à la démo-. cratie puisqu’elles engendrent les futurs citoyens.

◗ Cartes Athènes dans le monde grec (ve-ive siècles av. J.-C.) � MANUEL PAGES 42-43

Le dossier cartographique donne à voir le cadre géographique dans lequel s’est développée la démocratie athénienne aux ve et ive siècles. Doc 1. L’empire d’Athènes à son apogée, au ve siècle av. J.-C.

À l’échelle de la Grèce continentale et du monde égéen, la carte  1 met en valeur la puissance d’Athènes après les guerres médiques (490-479 av. J.-C.), à la veille de la guerre du Péloponnèse (431-404 av. J.-C.). Au faîte de sa puissance, Athènes est à la tête d’un empire maritime formé de cités alliées membres de la ligue de. Délos (478-477 av. J.-C.). Elles versent un tribut à la cité-État, se soumettent à son commandement militaire et participent aux Panathénées. Cette vaste alliance se heurte pourtant, entre la fin du ve et le ive siècle, aux puissances régionales concurrentes telles que Sparte et le royaume de Macédoine. Doc. 2. La cité-État des Athéniens

À l’échelle de l’Attique, la carte 2 permet de délimiter le territoire de l’État athénien composé de la ville d’Athènes et de son territoire : l’Attique. Il s’agit d’une entité territoriale d’environ 2 600 km2, une des plus vastes et des plus densément peuplées de la Grèce continentale (environ 160 hab./km2). 80 % des États-cités grecs ont un territoire inférieur à 200 km2. Le territoire de l’État athénien est formé de plaines étroites et de montagnes (le mont Pentélique fournit le marbre, les monts du Laurion les mines d’argent). Il est composé de bourgs et de petites villes comme Marathon, Brauron, Éleusis. À l’extrémité sud de l’Attique, le cap Sounion abrite un sanctuaire dédié à Poséidon. © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

Doc. 3. Athènes, centre du pouvoir politique et religieux

À l’échelle locale, la carte 3 est une reconstitution d’Athènes aux ve et ive siècles, d’après les fouilles archéologiques. Il s’agit d’une ville fortifiée dont l’enceinte (le mur de Thémistocle) a 9 km de long. Érigé en 479 av. J.-C., ce rempart est complété par les Longs-Murs (459-446 av. J.-C.) qui relient la ville au port du Pirée. Le Céramique comprend le quartier des artisans et le Cimetière (hors les murs). L’Agora est aménagée en place publique dès le vie  siècle. D’abord espace marchand, elle devient le centre politique d’Athènes aux ve et ive siècles. On y trouve le Bouleutérion (le siège de la Boulè construit à la fin du ve siècle), l’Héliée (tribunal judiciaire) et le Stratégion (maison des stratèges). La Tholos est un bâtiment circulaire construit vers 470 pour les prytanes, la commission permanente de la Boulè. Sur la colline de la Pnyx, un espace est aménagé dès le vie siècle pour accueillir l’Assemblée du peuple (Ecclésia). La «  colline d’Arès  » abrite le lieu de réunion de l’Aréopage, l’ancien conseil aristocratique, privé d’influence politique au ve siècle. Situé sur l’Acropole, le grand sanctuaire domine la ville. Le Parthénon est un temple monumental construit entre 447 et 442 av. J.-C. en l’honneur de la divinité poliade : Athéna.

1. L’invention de la démocratie � MANUEL, PAGES 44-45

Doc. 1. Un ostrakon (Athènes, musée de l’Agora.)

L’ostrakon illustre les pratiques sociales et la culture matérielle liées à l’exercice concret de la vie démocratique. Ce tesson de poterie est un jeton de vote servant à ostraciser, c’est-à-dire « exiler », tout citoyen jugé dangereux pour la démocratie athénienne. Attestée au ve siècle, la pratique de l’ostracisme tombe en désuétude et cesse de jouer un rôle politique au ive siècle av. J.-C. Doc. 2. Un citoyen devant les panneaux (axones) servant à la publication des lois (Coupe attique, vers 480-470 av. J.-C. New York, Metropolitan Museum of Art.)

• Question. On attribue à Solon la publication de sa législation dans le cadre des réformes de 594 av. J.-C. Il aurait été le premier à introduire l’usage des axones, ces panneaux de bois exposés dans 27 •

l’espace public. Ce fond de coupe pourrait en être la représentation. L’écriture et la publicité des lois constituent une clé de voûte de la vie démocratique, dans la mesure où elles permettent à tous les citoyens de prendre connaissance des lois de la cité. Attention, les inscriptions gravées sur la pierre, très nombreuses à Athènes, ne doivent pas être confondues avec ces panneaux : elles n’avaient pas une fonction concrète d’affichage, mais servaient plutôt à pérenniser et sacraliser les lois. La publication des lois est jusqu’à nos jours le fondement essentiel du pacte démocratique en vertu duquel nul citoyen n’est censé ignorer la loi. Doc. 3. Le redécoupage territorial de l’Attique par Clisthène

Cette carte donne à voir la réorganisation de l’espace civique par les réformes clisthéniennes, en 508-507 av. J.-C. Chacune des dix tribus de citoyens athéniens est répartie en trois trittyes non contiguës (il y a donc en tout trente trittyes). Chaque tribu est formée d’une tribu de la Ville, d’une tribu de la Côte et d’une tribu de l’Intérieur. Chaque trittye est elle-même subdivisée en plusieurs dèmes (il y a en tout 139 dèmes). Grâce à cette distribution des citoyens dans le territoire civique la tribu est « éclatée » en plusieurs régions administratives. Elle n’a plus d’assise territoriale unitaire, contrôlable par un clan aristocratique. Le redécoupage de l’Attique est intrinsèquement lié à l’émergence de la démocratie à la fin du vie siècle av. J.-C. Doc. 4. La politique de Périclès

Dans les Vies parallèles, Plutarque (46-120 ap. J.-C.) dresse les portraits d’hommes illustres, grecs et romains, parmi lesquels figure le stratège athénien Périclès. Dans cet extrait, il évoque les luttes politiques opposant Périclès à son rival Cimon (510-449 av. J.-C.) pour gagner les faveurs du demos.

• Question 1. Selon Plutarque, la vie politique à Athènes au ve siècle fonctionne sur le mode de la compétition entre aristocrates pour séduire le peuple. Chef du parti «  conservateur  » Cimon pratique la charité publique et fait supprimer le bornage des propriétés. Moins fortuné, Périclès se concilie les suffrages du demos en faisant voter l’octroi de revenus aux citoyens les plus pauvres  : le théorikon, pour leur permettre de participer aux grandes fêtes de la cité, le misthos, • 28

pour assurer leur participation au tribunal populaire de l’Héliée. Gagnant le soutien populaire aux dépens de Cimon, Périclès parvient à faire voter la réforme d’Éphialtes (vers 460 av. J.-C.) qui réduit l’influence politique du conseil aristocratique de l’Aréopage. Enfin, après l’assassinat d’Éphialtes, Périclès devient le principal chef du parti démocratique.

• Question 2. Plutarque présente donc l’action de Périclès comme fondée sur l’opportunisme, l’ambition, plus que sur de grands idéaux démo­cratiques.

2. L’exercice de la citoyenneté � MANUEL, PAGES 46-47

Doc. 1. Jetons de vote de l’Héliée (Athènes, musée de l’Agora.)

Comme les ostraka (cf. doc. 1 p. 44), les jetons de vote de l’Héliée témoignent de la culture matérielle liée à l’exercice concret de la démo­cratie. Les jetons sont en bronze et servent au vote du verdict judiciaire. Le juré choisit un jeton à la tige creuse (pour l’acquittement) ou pleine (en cas de condamnation). Pour maintenir le secret du vote, les jurés tiennent le jeton par ses deux extrémités. Puis les jetons sont déposés dans une amphore et comptés pour déterminer le verdict final. Doc. 2. Le fonctionnement de la démocratie athénienne

• Questions 1 et 2. Ce schéma montre que le pouvoir politique, judiciaire, législatif émane du demos. Il forme l’assemblée de l’Ecclésia, chargée de voter les lois, la guerre et la paix, l’exil des citoyens dangereux (ostracisme). Une fraction du demos (6 000 héliastes tirés au sort soit 600 par tribu) compose le tribunal populaire de l’Héliée. Les 500 bouleutes de la Boulè (soit 50 par tribu), également issus du demos, préparent les lois soumises au vote de l’Assemblée du peuple. L’État est en outre dirigé par des magistrats, élus ou tirés au sort parmi les citoyens (archontes, stratèges). Ainsi, le demos gère directement et indirectement (par le biais de ses représentants) les affaires intérieures et extérieures de la cité. Il est important d’expliquer aux élèves que nos catégories modernes (pouvoirs législatif, exécutif, judiciaire) sont inadaptées à l’analyse de la démocratie athénienne. Le tribunal populaire est ainsi un lieu d’exercice de la citoyenneté au même titre que l’Assemblée. © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

Doc. 3. L’inscription des nouveaux citoyens

Ce texte extrait de la Constitution des Athéniens est attribué à Xénophon (vers 430-355 av. J.-C.) depuis l’Antiquité. Rédigé en 420 av. J.-C., il est toutefois trop ancien pour être de sa plume. Son auteur – parfois surnommé « le Vieil Oligarque » – est un Athénien conservateur, qui critique le régime démocratique.

• Question 1. Les quatre conditions pour accéder à la citoyenneté sont : – être né de parents « ayant tous deux droit de cité  », c’est-à-dire d’un père citoyen et d’une mère fille de citoyen ; – avoir plus de 18 ans ; – être de condition libre (non servile) ; – être de naissance légitime (c’est-à-dire né d’un mariage légitimement contracté entre un citoyen athénien et une fille de citoyens athéniens).

• Question 2. Ce document rappelle le rôle du dème comme rouage local de la vie démocratique. L’inscription à l’état civil a lieu en début d’année, au cours de l’assemblée générale des citoyens du dème (démotes). Sont alors élus les démarques et les autres magistrats du dème. Tous les citoyens ont le droit et le devoir de siéger à l’assemblée populaire locale, au cours de laquelle ils votent l’inscription d’un jeune homme sur les registres de l’état civil. La procédure offre des garanties au « candidat » à la citoyenneté, qui peut contester par action en justice la décision des démotes. Mais si les juges lui donnent tort, il risque de perdre la liberté et d’être vendu comme esclave. Doc. 4. Aristote définit la citoyenneté

Question. Selon Aristote, ce qui définit le mieux le citoyen, c’est « la participation à l’exercice des pouvoirs de juge et de magistrat ». Aristote inclut dans ces pouvoirs la participation à l’Assemblée (rétribuée à Athènes par un misthos), considérée par lui comme une «  magistrature illimitée  ». Aristote ne veut donc se contenter de « l’usage courant  », qui définit la citoyenneté d’une manière purement juridique (être né de deux parents citoyens). Il propose une définition «  fonctionnelle  » de la citoyenneté, qui repose sur la «  possibilité de participer au pouvoir délibératif et judiciaire  » et cette citoyenneté « existe surtout dans une démocratie ». Dans les cités non démocratiques, les citoyens au sens juridique sont privés d’une partie des droits © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

politiques. La démocratie tempérée était selon Aristote le moins mauvais des régimes. Doc. 5. Le siège de l’Ecclesia sur la colline de la Pnyx

Pour que fonctionne la démocratie, il faut réunir les conditions matérielles permettant de tenir l’Assemblée du peuple. Athènes est l’une des rares cités à y consacrer un espace spécifique (dans la plupart des cités, l’Assemblée du peuple se réunit sur l’Agora ou bien au théâtre). Aménagé vers 460 av.  J.-C., il peut accueillir 6  000 citoyens et se situe sur la colline de la Pnyx, à 400 mètres au sud-ouest de l’Agora. Sur ce cliché, on distingue la tribune des orateurs, face à l’Assemblée des citoyens qui étaient assis sur des bancs de bois.

◗ Étude Le modèle du citoyen-soldat � MANUEL, PAGES 48-49 analyse des documents

1. Pour restituer la composition de l’armée athénienne et son évolution aux ve et ive siècles, l’historien dispose de trois types de documents : les sources épigraphiques, littéraires et archéologiques (céramique, sculpture).

2. Au ve siècle av. J.-C., l’armée athénienne est composée de citoyens. Les plus riches forment le corps de cavalerie, les classes moyennes le corps des fantassins lourds (hoplites), les plus pauvres intègrent la marine comme rameurs. Malgré les différences sociales, un idéal unit ces différents corps de l’armée  : tous citoyens, les soldats se battent pour défendre la démocratie et le territoire de la cité. Comme le montre le document 1, les futurs citoyens prêtent solennellement serment de ne pas abandonner les armes, de tenir leur rang en tant qu’hoplite, de défendre les lois de la cité, d’obéir aux magistrats et de défendre les institutions démocratiques contre toute tentative de subversion.

3. Le combat hoplitique est un combat collectif, qui se déroule en rangs serrés, chaque rangée devant « tenir » contre la rangée adverse. La force de frappe d’une « phalange » réside dans sa capacité de résistance au choc adverse. Avec son système d’attache interne composée d’une poignée intérieure et d’une courroie enserrant l’avant-bras,

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le bouclier est l’arme clé du combat hoplitique. Grâce à lui, chaque soldat protège la partie gauche de son corps et le côté droit de son voisin de ligne. Ce type de combat nécessite la cohésion totale de chaque rangée, soudée par le sentiment d’égalité et de solidarité entre les citoyens-soldats.

4. Si l’idéal égalitaire et solidaire du combat hoplitique triomphe au ve siècle, ce texte souligne les modifications tactiques et sociales affectant l’armée grecque au ive siècle. Quoique imputés dans ce texte à Philippe de Macédoine, ces changements interviennent alors dans l’armée athénienne. Aux courtes campagnes militaires interrompues par les trêves hivernales, qui permettaient aux citoyens-soldats de rentrer chez eux, succèdent désormais l’éloignement des théâtres d’opérations et l’allongement des campagnes militaires. Il en résulte que les chefs militaires doivent recourir à des soldats professionnels recrutés sur le long terme. Pour s’adapter aux nouvelles techniques de combat (guerre de mouvement), des fantassins légers et mobiles, comme les peltastes thraces, voire des archers et des cavaliers légers se montrent plus efficaces que les fantassins lourdement équipés (hoplites). Ainsi, de plus en plus de mercenaires étrangers intègrent l’armée athénienne du ive siècle. Bilan de l’étude

Le principe de l’armée citoyenne, fer de lance de la démocratie du ve siècle, commence à être dépassé au ive siècle. Des soldats étrangers, véritables professionnels de guerre recrutés moyennant finances pour compléter les effectifs de l’armée athénienne sont nécessaires pour faire face à l’allongement des campagnes militaires. Avec les changements tactiques qui affectent l’organisation militaire, la composition et l’éthique de l’armée changent également. Les soldats étrangers et rémunérés se battent désormais aux côtés des citoyens-soldats. De même, les stratèges s’occupent de moins en moins de politique et leurs fonctions redeviennent purement militaires.

3. Les non-citoyens � MANUEL, PAGES 50-51

Doc. 1. La condition d’esclave

Ce texte est extrait des Grenouilles, une comédie satirique d’Aristophane (445-385 av. J.-C.) • 30

composée en 405 av.  J.-C. Aristophane ironise sur le sort d’un esclave astreint sous la torture à témoigner à la place de son maître condamné pour vol. Selon le droit criminel athénien, le témoignage servile était recevable en justice s’il était obtenu sous la torture. Les juges pensaient en effet que l’esclave torturé, craignant plus la souffrance physique que son maître, ne risquait plus de mentir pour le protéger. Doc. 2. Femme et citoyens athéniens (Coupe à figures rouges, vers 430 av. J.-C. Paris, musée du Louvre.)

Cette reconstitution d’une coupe à figures rouges du ve siècle athénien date du xixe siècle. Les trois âges de la vie y sont représentés : au centre, celui de l’homme mûr vieillissant, à gauche, celui du jeune homme en âge de prendre les armes, à droite, celui de la femme en âge de faire des enfants. Les trois personnages symbolisent la communauté civique athénienne. Vêtu d’un manteau court, armé de lances, le jeune homme est sans doute un éphèbe. La main que lui tend le personnage central, un vieux citoyen, assis et soutenu par une canne, symbolise la transmission des valeurs civiques. Le jeune éphèbe incarne en effet l’idéal guerrier de défense de la cité par les citoyens-soldats.

• Question. Lui faisant face, sur la gauche, une Athénienne est représentée en position de retrait, dans une posture de soumission par rapport au citoyen (sans doute son mari) qui lui tourne le dos. Ses fonctions domestiques et/ou religieuses sont suggérées par le plat qu’elle porte (en offrande ?) et les textiles pliés ou suspendus à ses côtés.

Doc. 3. La répartition des rôles au sein du couple

Célèbre auteur de plaidoyers, l’orateur judiciaire Lysias (458-380 av. J.-C.) compose ici un discours pour la défense d’un mari accusé par Eratosthène d’avoir assassiné l’amant de sa femme. Ce document offre un témoignage vivant sur la vie domestique d’un couple d’Athéniens.

• Question 1. Les relations conjugales sont d’emblée placées sous le signe de la suspicion : l’épouse est sous la surveillance de son mari, au moins jusqu’à la naissance du premier enfant. La maternité confère donc aux Athéniennes un surcroît de légitimité. Selon cet Athénien, l’épouse exemplaire doit se charger des tâches domestiques avec économie et savoir-faire. © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

• Question 2. Comme le montre ce texte, la maison athénienne ne comporte qu’un seul étage  : le rez-de-chaussée est réservé aux hommes, le premier étage aux femmes, signe de la répartition sexuée des rôles dans la société athénienne. Doc. 4. L’échoppe du cordonnier (Vase à figures rouges, ve siècle av. J.-C. Londres, Bristish Museum.)

La céramique athénienne utilise un code iconographique stylisé qui indique le statut socio-économique des personnages représentés. Typiques des coupes noires à figures rouges, les objets suspendus forgent un marqueur d’identité sociale. • Question. Outils, semelles et chaussures en suspension indiquent que le personnage assis torse nu à son établi est un cordonnier, sans doute un métèque.

Doc. 5. Comment traiter les étrangers dans la cité ?

Dans ce texte, Platon décrit l’organisation de la cité idéale. Il évoque ici le statut des étrangers de passage. Selon le philosophe, la cité ne doit pas encourager l’immigration d’étrangers. Question 1. Les étrangers doivent être cantonnés dans des quartiers extra-urbains (bâtiments, marchés, ports) sous la juridiction de magistrats spécialisés. Privés de droit de cité, disposant d’un droit de résidence très restrictif, ils sont accueillis pour des raisons commerciales dans les zones marchandes et portuaires. Question 2. Ce traitement est en opposition avec le statut des métèques à Athènes, qui est plus libéral que celui proposé par Platon.

◗ Étude L’Acropole d’Athènes � MANUEL, PAGES 52-53

Cette double page iconographique gagne à être étudiée avec le plan de la ville, page  43 du manuel. Comme on le voit, l’Acropole est une colline sacrée abritant le grand sanctuaire d’Athènes. Les premiers travaux monumentaux remontent au vie siècle, mais c’est Périclès qui, en lançant un immense chantier entre 449 et 432, confère à la colline sacrée sa physionomie actuelle. Les Propylées (438-432) permettent d’ac© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

céder au sanctuaire dont le bâtiment principal est le Parthénon construit entre 447 et 442 av. J.-C. Le temple est dédié à Athéna et abrite l’immense statue d’Athéna Parthénos (environ 10 mètres de haut), sculptée dans l’or et l’ivoire par Phidias.

◗ Étude Une religion civique : les Panathénées � MANUEL, PAGES 54-55 analyse des documents

1. Les rites religieux sont la procession civique, l’offrande du peplos à la déesse Athéna, le sacrifice sanglant sur l’autel d’Athéna, puis le banquet public (hestiasis) au cours duquel les viandes sont distribuées au Céramique entre les dèmes qui ont pris part au cortège sacré.

2. La frise se trouvait dans le Parthénon puisque le temple est dédié à Athéna, la divinité protectrice de la cité. Construit entre 447 et 438 av. . J.-C. le « Grand Temple » abrite en effet la statue en or et en ivoire d’Athéna Parthénos. À l’extérieur, se trouve le grand autel de la déesse où se déroulent les sacrifices sanglants en l’honneur de la déesse.

3. La cité finance les festivités, comme le montre le document 5. L’État prend en charge les frais de la cérémonie, soit directement, soit indirectement (en désignant les riches préposés aux liturgies). La cité règle également par décret le nombre des bêtes sacrifiées, la nature des dépenses et les modalités de la distribution des viandes au peuple athénien.

4. Par sa diversité, le cortège a une fonction intégrante : la procession (pompè) réunit les Athéniens et les non-Athéniens (alliés d’Athènes), les citoyens et les non-citoyens (femmes, métèques). La fête fédère donc les membres de la communauté athénienne au sens large. 5. Le banquet public (hestiasis) qui clôt les festivités est l’occasion de réitérer la solidarité de la communauté, en renforçant le sentiment d’appartenance des participants. Bilan de l’étude

La procession s’inscrit symboliquement dans l’espace civique et religieux de la ville : elle part des portes d’Athènes, traverse le Céramique, l’Agora, arrive à l’Acropole, via les Propylées, puis longe le Parthénon pour finir devant le grand 31 •

autel d’Athéna où s’effectue le sacrifice des animaux consacrés à la déesse. La procession passe donc par les lieux clés de la vie politique et religieuse de la cité. La fête religieuse (offrandes et sacrifice en l’honneur d’Athéna) est également civique. Il s’agit d’honorer la déesse tutélaire de la cité, de réunir l’ensemble de la communauté civique et de montrer la puissance d’Athènes à ses alliés, présents pour l’occasion. À travers les Panathénées, c’est l’image de l’unité et de la puissance qu’Athènes veut donner d’elle-même.

4. La démocratie athénienne à l’épreuve

� MANUEL, PAGES 56-57

Doc. 2. La vie démocratique sur l’Agora (Reconstitution du monument des héros éponymes. Athènes, musée de l’Agora.)

Question. Situé en face du Bouleutérion, siège de la Boulè sur l’Agora, le monument aux héros éponymes est surmonté des dix statues de bronze représentant les héros « qui donnent leur nom » aux tribus composant le corps civique athénien : I. Erechteis. II. Aigeis. III. Pandonis. IV. Leontis. V.  Acamantis. VI. Oineis. VII. Cecropis. VIII. Hippotontis. IX. Aiantis. X.  Antiochis. Le bâtiment sert à l’affichage des lois lors de la grande révision constitutionnelle qui marque la fin du ve et le début du ive  siècle. Au cœur de l’Agora, ce monument civique incarne donc la rénovation de la vie politique et passe pour l’un des plus importants de la cité : il marque en effet la souveraineté de la loi dans la cité. Doc. 3. Les conseils de Socrate à un jeune ambitieux

Dans les Mémorables (vers 370 av. J.-C.), Xénophon (vers 430-355 av. J.-C.) met en scène son ancien maître, le philosophe Socrate.

Question 1. Dans cet extrait, Socrate dissuade Glaucon de se lancer en politique en lui révélant l’ampleur des connaissances nécessaires. Les questions techniques qu’il lui pose sur le financement du Trésor public, l’approvi­sionne­ ment frumentaire de la cité, l’état de ses forces navales et militaires montrent les sujets que tout candidat aux magistratures se doit de maîtriser. Question 2. Le texte est également un bon révélateur des transformations du personnel • 32

politique dans l’Athènes du ive siècle av.  J.-C. Désormais, les dirigeants de la cité se recrutent parmi les «  professionnels de la politique  », doués de compétences financières, militaires et administratives. Doc. 4. La loi d’Eucratès contre la tyrannie, 337-336 avant J.-C. Cette loi est proposée à l’Ecclesia par Eucratès en 336 av. J.-C.

• Question 1. Elle cherche à empêcher le renver­ sement de la démocratie.

• Question 2. Pour ce faire, il est décrété que les citoyens coupables de menées subversives seront punis de mort. En cas de renversement de la démocratie, il est interdit aux membres de l’Aréopage de siéger et de légiférer, sous peine d’atimie (déshonneur public).

• Question 3. Ces craintes montrent qu’après la défaite de Chéronée (338 av. J.-C.) face à la Macédoine, Athènes redoute les menées antidémocratiques et l’installation d’une tyrannie, comme en 411 et en 404 av. J.-C. Fervent démocrate, Eucratès est condamné à mort en 322 av.  J.-C., avec Démosthène, lorsqu’Athènes tombe définitivement aux mains des Macédoniens.

Doc. 5. Stèle avec la loi d’Eucratès contre la tyrannie (Stèle de marbre, de l’Acropole.)

ive

siècle av. J.-C. Athènes, musée

Le texte législatif d’Eucratès est gravé sur une stèle érigée sur l’Agora. Surmontant le texte gravé, une allégorie représente la démocratie (sous les traits d’une femme) couronnant le demos (siégeant à sa gauche). La publicité du texte, jointe à cette représentation allégorique, vise certainement à frapper l’attention des citoyens et à renforcer la portée politique du décret.

◗ Histoire des Arts Les Perses d’Eschyle � MANUEL, PAGES 58-59 Analyse du document

1. Le théâtre grec est à flanc de colline, pour bénéficier de la déclivité naturelle du relief. Les gradins des spectateurs, d’abord en bois, puis en pierre, sont disposés en hémicycle. Ils surplombent une aire centrale, d’abord en terre battue et © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

circulaire, puis en pierre et semi-circulaire. C’est l’espace réservé au chœur, dont les membres exécutent des danses et des chants structurant la représentation tragique. La scène fait face aux gradins. Elle se compose de bâtiments rectangulaires et surélevés, sur lesquels se meuvent les acteurs, ainsi visibles de loin. L’ensemble monumental peut accueillir jusqu’à 17 000 spectateurs. Par sa capacité d’accueil et les spectacles qu’il propose, le théâtre forme un espace civique fédérateur. Les représentations théâtrales sont en effet ouvertes aux citoyens, aux femmes, aux métèques et même aux esclaves. Il permet donc à l’ensemble de la communauté civique de se retrouver pour apprécier les grandes productions culturelles de la cité. Au milieu du ve siècle, un financement public (la caisse des spectacles) permet en outre aux citoyens les plus pauvres d’assister aux représentations théâtrales.

2. La bataille navale de Salamine, en 480 av.  J.-C. oppose la flotte perse aux navires grecs dirigés par Athènes. Malgré l’écrasante supériorité numérique des Perses, la bataille se solde par la victoire grecque. Meneuse de la résistance des Hellènes, Athènes en retire un prestige considérable. La tragédie d’Eschyle multiplie les effets dramatiques : le départ des trières au combat, en cadence, au chant des Grecs, le premier choc des navires, enfin le fracas des deux flottes dans l’étroite passe de Salamine, le naufrage et le massacre d’une foule innombrable de marins « pris au filet » « comme des thons ». En composant cette pièce huit ans après la victoire de Salamine, Eschyle en mesure sûrement l’immense impact émotionnel. Le récit de la bataille condense toute la gamme des sentiments tragiques : la crainte, face à l’inéluctable choc des flottes ennemies, la pitié face à l’immensité des pertes humaines, enfin la fierté patriotique d’entendre, via le messager du roi de Perse, le récit de la terrible défaite des armées barbares, qui souligne par contraste l’immensité de la victoire grecque. 3. L’attitude héroïque des Grecs est directement mise en valeur par le récit qui souligne leur courage face à l’ennemi. Les louanges sont d’autant plus crédibles qu’elles émanent de l’ennemi, la bataille étant relatée du point de vue des Perses. Dans Les Perses, Eschyle représente l’un des épisodes les plus glorieux de l’histoire © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

d’Athènes, dont il fut lui-même l’un des acteurs. L’émotion dans les gradins des spectateurs athéniens est sûrement à son comble. La pièce exalte les vertus guerrières, le courage, le patriotisme et le civisme de la flotte athénienne. Présentée lors du concours théâtral donné en l’honneur de Dionysos, non loin de son sanctuaire, la pièce témoigne des fonctions politiques et religieuses du théâtre tragique grec.

◗ Méthode Lire et comprendre un texte � MANUEL, PAGES 60-61 1. Identifier le texte

Ce document est un texte littéraire extrait d’une pièce de théâtre. Il est tiré d’une comédie intitulée Les Guêpes, écrite vers 422 avant J.-C. par Artistophane (v. 450-v. 386 av. J.-C.). C’est un auteur dramatique athénien, reconnu comme le fondateur de la comédie et comme l’un des plus grands auteurs comiques de l’histoire de la littérature. Cette pièce est destinée à être jouée dans un théâtre devant le public athénien. Athènes dispose alors du régime politique le plus démocratique de Grèce, il y règne une grande liberté d’expression, ce qui explique qu’Aristophane ait pu se moquer des usages politiques de sa cité. Les représentations théâtrales sont un des moments importants de la vie civique et religieuse de l’État athénien (cf. p. 58-59). 2. Comprendre le texte

Aristophane fait ici allusion à l’Héliée. Cette institution est un tribunal populaire dont les compétences couvrent toutes les affaires publiques et privées, à l’exception des homicides. Environ 6 000 citoyens volontaires âgés de plus de 30 ans (les héliastes) sont tirés au sort dans les 10 tribus de la cité pour former une dizaine de jurys. Il y a en effet 10 cours différentes réparties dans des lieux distincts de la cité-État. Selon l’importance des affaires, les jurys de citoyens peuvent réunir un nombre variable de jurés. Les débats sont exclusivement oraux et interdisent le recours à un professionnel. Il n’y a pas d’avocat, accusateur et accusé devant s’exprimer directement devant la cour, chacun pouvant néanmoins, avec la permission du tribunal, être assisté d’un synégore auquel il cède une partie de son temps de parole. Lors des procès, le temps accordé à 33 •

chaque partie adverse est mesuré par une horloge à eau, la clepsydre. Les jurés ne délibèrent pas, ils votent la condamnation avec des jetons, les psèphoi. Toutes les décisions se prennent à bulletin secret. Leur sentence est sans appel et la peine de mort reste exceptionnelle. Pour les Athéniens, le résultat du tirage au sort est considéré comme étant le choix des dieux. Le recours à cette pratique s’explique aussi par un souci d’égalité, il s’agit de permettre à tous d’être choisis et pas seulement à ceux qui savent convaincre les électeurs. Vers 450, Périclès accorde aux héliastes une indemnité de présence journalière, le misthos heliastikos, dont le montant s’élève à l’origine à deux oboles, puis à l’époque d’Aristophane à trois oboles. Philocléon est un personnage imaginaire.

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Philocléon n’est pas présenté comme un juré intègre, il a choisi de se porter candidat non par amour de la justice ou sens du devoir civique mais pour jouir du pouvoir que lui donne cette fonction et pour l’indemnité qu’il en retire. Aristophane critique aussi le caractère arbitraire des décisions de jurés qui, s’ils n’ont pas été achetés, se prononcent non en fonction de la justice mais de leur caprice. Il fustige l’amour de l’argent des Athéniens. Ce dernier imprègne jusqu’aux relations filiales. Il suggère d’ailleurs que la corruption est courante à Athènes et que nombre de magistrats s’enrichissent dans l’exercice de leur fonction. À travers cette critique, il donne l’impression que la démocratie athénienne connaît une grave crise.

© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

Chapitre

3

Citoyenneté et Empire à Rome (Ier-IIIe siècles ap. J.-C.) � MANUEL, PAGES 62-85

◗ Présentation de la question

Venant après le chapitre consacré à Athènes, celui portant sur l’Empire romain invite à confronter les conceptions très différentes que les Grecs et les Romains ont de la citoyenneté. Alors que les Grecs ne concèdent que très rarement la citoyenneté à des étrangers, les Romains l’ont au contraire très largement diffusée en dehors de Rome, et ce dès avant le début de la période impériale, puisque la romanisation de l’Italie s’est achevée dès la fin du ier  siècle av.  J.-C. Certes, comme dans les cités grecques, un citoyen romain l’est d’abord par sa naissance, mais la citoyenneté romaine est aussi depuis longtemps octroyée à des étrangers, qu’ils résident ou non à Rome. C. Nicolet relève ainsi que c’est l’attitude des Romains à l’égard des affranchis qui tranche le plus avec les usages grecs : une fois affranchi, l’esclave est citoyen de plein droit, même s’il ne s’agit que d’une citoyenneté réduite (excluant notamment le jus honorum). Par ailleurs, ce sont les garanties civiles et judiciaires, bien plus que les droits politiques, qui font l’attrait de la citoyenneté romaine. Sous l’Empire, les assemblées du peuple (comices centuriates et comices tributes), sur lesquelles nous sommes d’ailleurs fort mal renseignés, ne sont plus convoquées que pour enregistrer les décisions prises par l’empereur et les sénateurs (la nomination des magistrats en particulier). Il faut toutefois relativiser le changement intervenu dans ce domaine avec l’avènement du principat d’Auguste, en 27 av. J.-C. : les modalités complexes de vote dans ces assemblées en excluaient de fait les citoyens ordinaires dès l’époque républicaine, à commencer par ceux qui, ne vivant pas à Rome, n’étaient pas en mesure de participer aux comices. De Sylla à César, les grands généraux, conquérants de l’Empire, avaient déjà institué une forme de pouvoir personnel court-circuitant les instances traditionnelles du pouvoir dans la Rome républicaine. Quant au Sénat, il importe de bien montrer aux élèves qu’il s’agit d’une assemblée très diffé© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

rente de la Boulè athénienne et a fortiori d’un parlement moderne, tant par son recrutement, restreint à une élite sociale devenue héréditaire sous l’Empire, que par sa fonction, qui est initialement de conseiller les magistrats et non pas de voter les lois. Comme l’indique la formule qui désigne l’État romain, Senatus populusque Romanus (SPQR), le Sénat n’est pas l’émanation du peuple : il constitue, au même titre que le peuple des citoyens, l’un des fondements de l’État. La conséquence essentielle de l’avènement de l’Empire n’est donc pas d’avoir réduit les droits politiques du peuple, déjà sensiblement limités auparavant, mais d’avoir mis un terme aux affrontements qui ont déchiré l’aristocratie romaine tout au long du ier siècle av. J.-C. Toute l’habileté d’Auguste a été d’instituer un pouvoir d’essence monarchique en préservant la façade des institutions républicaines. Il n’est pas inutile de rappeler que l’opposition entre la République et l’Empire est une commodité de langage des historiens modernes : pour les Romains, l’État gouverné par un empereur restait la respublica et il n’existe aucun équivalent latin au mot « empereur » (le mot imperator est en revanche intraduisible, d’autant que, suivant un usage institué par César, les empereurs romains en ont fait leur prénom). En Grèce, la cité forme ainsi une communauté restreinte de citoyens qui participent à l’exercice du pouvoir et de la justice, même s’il convient de rappeler que la démocratie athénienne ne représente qu’un cas particulier de régime politique et qu’elle a disparu bien avant la conquête romaine de la Grèce, au iie siècle av. J.-C. À Rome, pour reprendre l’expression de R. Hanoune et de J. Scheid, la cité représente avant tout une « communauté de statut », une sorte de « droit de nationalité ». Selon C. Nicolet, la citoyenneté romaine, « c’est donc avant tout, et presque exclusivement, le bénéfice de cette sorte d’habeas corpus avant la lettre qu’est le droit d’appel au peuple  », ce qu’illustre fort bien la mise en accusation de Paul évoquée dans le Nouveau Testament. Le citoyen 35 •

romain bénéficie de la protection des magistrats du peuple romain ; en dernier recours, il peut en appeler à l’empereur lui-même. Le nouveau programme impose d’analyser le processus de diffusion de la citoyenneté romaine à partir de l’étude précise de deux documents  : les Tables de Lyon, qui reproduisent le discours prononcé par l’empereur Claude en 48 ap. J.-C. et l’édit de Caracalla, publié probablement en 212 (la date a été discutée, mais c’est la plus communément admise par les historiens). Sous l’Empire, l’octroi de la citoyenneté romaine relève en effet des empereurs qui, dès l’époque d’Auguste, assument les fonctions autrefois exercées par les censeurs. Ces deux textes interviennent dans des contextes fort différents et n’ont pas la même portée. Claude ne propose que d’ouvrir le recrutement du Sénat à des notables originaires des Trois Gaules, tandis que Caracalla octroie la citoyenneté romaine à l’ensemble des habitants de l’Empire. L’erreur serait ici d’y voir le fruit d’une politique volontariste, suivie de manière continue par les empereurs tout au long de la période du HautEmpire. Or, d’Auguste à Caracalla, l’évolution n’est pas linéaire et les positions exprimées par Claude ne valent pas forcément pour tous les empereurs. Son discours révèle d’ailleurs les vives résistances à l’encontre de l’intégration des notables romanisés, qui, aux yeux de maints sénateurs, sont toujours considérés comme des barbares. On voit bien cependant comment les empereurs ont cherché à prendre appui sur les élites provinciales, afin de compenser la faiblesse numérique du personnel administratif de l’Empire. Au début du iiie siècle, la bureaucratie impériale ne comprenait que 182 administrateurs équestres et 215 administrateurs sénatoriaux, soit 20 fois moins que pour l’empire de Chine, selon les estimations de F.  Jacques et de J. Scheid. L’Empire romain est resté sous-administré et il n’y a rien là de comparable avec les empires coloniaux de l’ère moderne. Jusqu’en 212, l’octroi de la citoyenneté romaine est donc resté un privilège concédé par l’empereur, soit à des individus (on parle alors de promotion viritane), soit à des communautés, promues au rang de colonies romaines ou latines. Les historiens ne s’accordent pas sur les motifs qui ont conduit l’empereur Caracalla à promulguer son fameux édit : en dépit de sa portée universelle, ce dernier n’est connu que par des sources très frag• 36

mentaires. Certains en ont relativisé la portée : la mesure n’aurait répondu qu’à des considérations fiscales et elle n’aurait que faiblement accru le nombre de citoyens dans l’Empire, déjà très largement romanisé. Pour F. Jacques et J. Scheid au contraire, il s’agit bien d’une mesure révolutionnaire, en rupture «  avec une politique qui avait réservé la citoyenneté hors d’Italie à une minorité, et en général à une élite sociale ». La diffusion de la citoyenneté romaine ne constitue toutefois que l’une des formes de la romanisation de l’Empire. Les empereurs ont plus généralement cherché à promouvoir les cadres de la vie civique qui, pour les Romains comme pour les Grecs, constituait le fondement même de la civilisation. Les vestiges architecturaux disséminés tout autour du Bassin méditerranéen offrent encore de nos jours le meilleur témoignage du rayonnement politique et culturel de Rome, qu’aucune cité, pas même Athènes, n’avait pu égaler auparavant.

◗ Bibliographie Manuels généraux

F.  Jacques et J.  Scheid, Rome et l’intégration de l’Empire. 44 av. J.-C.-260 ap.  J.-C., t.  1, Les Structures de l’empire romain, Paris, PUF («  Nouvelle Clio  »), 1990. Le manuel de référence le mieux centré sur le programme. On recommandera tout particulièrement le chapitre VI, «  Les statuts des personnes et des communautés », qui traite des citoyennetés dans l’Empire.) Cl. Lepelley (dir.), Rome et l’intégration de l’Empire. 44 av. J.-C.-260 ap. J.-C., t. 2, Approches régionales du Haut-Empire romain, Paris, PUF (« Nouvelle Clio »), 1998 (pour la Gaule). P. Le Roux, Le Haut-Empire romain en Occident d’Auguste aux Sévères, Paris, Seuil, 1998, «  Points Histoire  », «  Nouvelle Histoire de l’Antiquité ». M.  Sartre, Le Haut-Empire romain. Les provinces de Méditerranée orientale d’Auguste aux Sévères, Paris, Seuil, 1997, « Points Histoire », « Nouvelle Histoire de l’Antiquité ». Autres manuels généraux

Y. Perrin et T.  Bauzou, De la cité à l’Empire, Histoire de Rome, Paris, Ellipses, 1997. P. Le Roux, L’Empire romain, Paris, Seuil, 2010, « Que sais-je ? », n° 1536. © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

J.-P.  Martin et al., Histoire romaine, Paris, A. Colin, coll. U, 2009. R. Hanoune et J. Scheid, Nos ancêtres les Romains, Paris, Gallimard, « Découvertes », 2000. E.  Deniaux, Rome, de la Cité-État à l’Empire. Institutions et vie politique, Paris, Hachette, « Carré histoire », 2001. M. Le Glay, J.-L. Voisin, Y. Le Bohec, Histoire romaine, Paris, PUF, 1991. M. Kaplan (dir.), Le Monde romain, Paris, Bréal, t. 2, collection Grand Amphi, 1995. Bernard Rémy et François Kayser, Initiation à l’épigraphie grecque et latine, Paris, Ellipses, 1995. Études spécialisées

Y. Le Bohec, L’Armée romaine sous le Haut-Empire, Paris, Picard, coll. AntiquitésSynthèses, 1991. C.  Nicolet, Le Métier de citoyen dans la Rome républicaine, Paris, Gallimard, «  Tel  », 1989. L’ouvrage reste une introduction incontournable à l’étude de la citoyenneté romaine, même s’il porte sur une période hors programme. (L’ouvrage de référence pour la période impériale n’a pas été traduit en français  : A.  N. Sherwin-White, The Roman Citizenship, Oxford, 1973.) J.  Scheid, La Religion des Romains, Paris, Armand Colin, collection Cursus, 1998. P.  Veyne, «  Qu’était-ce qu’un empereur romain  ?  » dans L’Empire gréco-romain, Paris, Seuil, 2006. Z. Yavetz, La Plèbe et le Prince. Foule et vie politique au Haut-Empire, Paris, Maspéro, 1984. Sur la ville de Rome

N.  de Chaisemartin, Rome. Paysage urbain et idéologie, Paris, Armand Colin, 2003. Y. Perrin, Rome, ville et capitale. Paysage urbain et histoire (iie av. J.-C.-iie s. ap. J.-C.), Paris, Hachette, « Carré histoire », 2001. Sur la Gaule romaine

C.  Delaplace et J.  France, Histoire des Gaules (vie s. av. J.-C.-vie s. ap. J.-C.), Paris, A. Colin, coll. Cursus, 1995. A. Ferdière, Les Gaules, iie s. av. J.-C.-ve s. ap. J.-C., Paris, Armand Colin, collection U, 2005. D. et Y. Roman, Histoire de la Gaule, vie siècle av. J.-C.-ier siècle ap. J.-C., Paris, Fayard, 1997. © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

◗ Ouverture de chapitre � MANUEL PAGES 62-63

Doc. 1. L’Empire romain : des conquêtes des légions… (Relief du début du du Louvre.)

iie  siècle

ap.  J.-C., Paris, musée

Le Barbare combattant un légionnaire romain est le fragment d’un relief réutilisé pour la décoration de l’arc de Constantin, à Rome (début du ive siècle), qui fut probablement exécuté pour orner un autre monument, construit pour le forum de Trajan : le style et le motif de ce relief présentent en effet de grandes similitudes avec ceux de la colonne Trajane (voir doc. 4, p. 67). Ce relief participerait donc lui aussi de la propagande impériale orchestrée à l’occasion de la conquête de la Dacie par Trajan à partir de 101 ap. J.-C. Il présente un contraste saisissant entre la figure impassible du légionnaire romain, portant un casque à couvre-joues, et le Dace hirsute brandissant son épée  : manière de figurer la victoire d’une armée disciplinée face à des hordes barbares déchaînées. L’artiste use des stéréotypes auxquels s’attache, à Rome, la représentation des barbares : outre l’abondante chevelure du guerrier, on distingue à l’arrière-plan une cabane en rondins et un décor qui évoque la forêt (les branches d’un chêne). Pour les mêmes raisons, la partie la moins civilisée de la Gaule était dite « chevelue », en référence à l’abondance de ses forêts (voir manuel p. 74). La violence de la conquête romaine est ainsi occultée et justifiée comme une défense de la civilisation menacée par la barbarie. Doc. 2. … au rayonnement culturel d’une civilisation

Cette photographie aérienne permet d’identifier deux monuments emblématiques de l’urbanisme romain répandu aux quatre coins de l’Empire, le théâtre (à gauche) et l’amphithéâtre (à droite), dont les vestiges sont encore bien présents dans le paysage actuel de la ville d’Arles. La cité d’Arles (Arelate) a été colonisée par les Phocéens de Marseille dès le vie siècle av. J.-C., avant d’être conquise par Rome, comme l’ensemble de la Gaule transalpine, dès le iie siècle avant notre ère. Dans cette province gauloise qui subit donc très tôt l’influence de Rome, Arles prospère grâce à ses activités portuaires 37 •

(la ville était alors plus proche de la mer et les navires pouvaient rejoindre le Rhône par un canal). Surtout, Arles a pris le parti de César contre les Massaliotes à l’époque des guerres civiles, en 49 av. J.-C. (Marseille s’était rangée dans le camp de Pompée). César l’a récompensée trois ans plus tard, en 46 av. J.-C., en y installant les vétérans de la VIe légion. Son fils adoptif, Octave, devenu l’empereur Auguste, continue de la faire profiter de ses largesses. Colonie romaine, Arles se dote d’une parure monumentale calquée sur l’urbanisme romain : un forum, des arcs de triomphe et un théâtre, ce dernier constituant le seul vestige important de la période augustéenne : construit en 27-25 av. J.-C., il a été très endommagé après avoir servi de carrière pour la construction d’églises. Le portique extérieur de trois étages ainsi que le mur de scène ont pratiquement disparu et seuls les gradins sont encore en bon état. Il pouvait accueillir quelque 12 000 spectateurs. L’amphithéâtre est contemporain du Colisée, puisqu’il a été édifié à l’époque des Flaviens, à la fin du ier siècle de notre ère. Plus de 20 000 spectateurs pouvaient assister à des combats de gladiateurs. Bien que le 3e étage ait disparu, le monument a été suffisamment bien conservé pour demeurer jusqu’à nos jours un lieu de spectacles prestigieux (au Moyen Âge, il a servi de fortifications à deux cents maisons construites dans l’arène). Selon la formule du poète gaulois Ausone, qui écrit au ive siècle ap. J.-C., Arles est ainsi devenue « la petite Rome gauloise  », à l’instar de ces nombreuses cités qui, en adoptant les normes de l’urbanisme romain, devinrent sous l’Empire des foyers actifs de la romanisation.

1. L’empire romain � MANUEL, PAGES 66-67

Doc. 2. Le principat : une restauration républicaine ?

Les Res Gestae sont un texte de propagande dans lequel Auguste se présente, non comme le fondateur d’un nouveau régime, mais au contraire comme le restaurateur de la République et de la paix civile, après sa victoire à Actium contre son dernier opposant, Marc Antoine. • Question. «  Pendant mon sixième consulat…  »  : Le texte fait allusion à la séance du • 38

Sénat durant laquelle, en 28 av.  J.-C., après sa victoire contre Marc Antoine à Actium (29 av. J.-C.), Auguste renonce alors aux pouvoirs exceptionnels qu’il exerçait jusque-là. Il prétend que ces « pouvoirs absolus » lui ont été conférés par un «  consentement universel  », occultant en réalité les circonstances illégales dans lesquelles il est parvenu à s’imposer au pouvoir. Petit-neveu et fils adoptif de César, Octave (qui prend le nom d’Octavien après la reconnaissance officielle de son adoption) a pu ainsi hériter d’une immense fortune et de tout un réseau de fidélité parmi les soldats et les vétérans qui devaient leur ascension à César. Après l’assassinat de César lors des Ides de mars (44 av. J.-C.), c’est en toute illégalité qu’Octave s’est partagé le pouvoir avec Marc Antoine et Lépide : en 43 av. J.-C., les trois hommes forment un triumvirat qui leur confère, pour une durée de cinq ans, les mêmes pouvoirs (imperium) que les consuls (même si le triumvirat fut ensuite confirmé par une loi). De même, en 39 av. J.-C., Octavien et Marc Antoine se répartirent les consulats et les provinces pour quatre ans. C’est encore illégalement qu’en 32  av.  J.-C., Octavien, à la tête d’une armée privée, se fit proroger ses pouvoirs de triumvir en faisant pression sur le Sénat. Dès cette époque toutefois, Octavien a opéré un rapprochement avec ses opposants au Sénat (que symbolise son mariage avec la fille d’un « républicain » notoire, Livie), ce qui lui permet d’éliminer Marc Antoine. Officiellement, la fonction des triumvirs était de restaurer la République fragilisée par les guerres civiles. En déposant ses pouvoirs de triumvir après sa victoire en Égypte, Auguste tient à montrer aux sénateurs qu’il tient ses engagements. «  J’ai fait passer la République de mon pouvoir dans celui du Sénat et du peuple romain » : Octavien renonce à ses pouvoirs exceptionnels, mais pour conserver l’imperium (c’est-à-dire notamment le commandement de l’armée et des provinces les plus importantes), il est nommé consul pour la 6e fois. Il rétablit ainsi l’apparence d’un fonctionnement normal des institutions de la Rome républicaine, avec la désignation de deux consuls exerçant des pouvoirs identiques pour une durée annuelle. En réalité, c’est l’un de ses proches, Agrippa, qu’Auguste fait désigner pour collègue. Le principat résulte ainsi © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

d’un compromis entre Auguste et le Sénat  : le rétablissement des magistratures collégiales conforte les prérogatives de l’aristocratie sénatoriale sans menacer le pouvoir personnel exercé par le princeps. Auguste rappelle ainsi qu’au total il aura été 13 fois consul. L’itération du consulat n’est pas une nouveauté (depuis Marius, elle constitue l’un des fondements institutionnels des pouvoirs conférés aux grands généraux romains)  : elle permet surtout à Auguste de conserver le pouvoir suprême sans avoir à rétablir la dictature (c’est notamment pour avoir été désigné dictateur à vie que César avait été assassiné). Auguste vise ainsi clairement à désarmer l’opposition que son pouvoir personnel pouvait susciter au sein de l’aristocratie sénatoriale. «  J’étais dans la 37e année de ma puissance tribunicienne  »  : le renouvellement annuel de la puissance tribunicienne constitue le second fondement institutionnel des pouvoirs conférés à Auguste. Auguste lui-même fait remonter à 23  av. J.-C. l’exercice de sa première puissance tribunicienne. Elle lui est conférée à titre personnel (Auguste étant patricien, il ne pouvait pas faire partie du collège des tribuns de la plèbe, qui, de toute manière, ne jouent plus qu’un rôle politique secondaire sous l’Empire). Concrètement, Auguste dispose ainsi d’un droit de veto qui lui permet de s’opposer à toute décision prise par un autre magistrat. Par ailleurs, contrairement aux autres tribuns de la plèbe, la puissance tribunicienne d’Auguste s’exerce non seulement à Rome, mais dans tout l’Empire : tout citoyen romain peut donc faire appel à lui, en vertu du jus auxilii, contre la décision d’un magistrat. La puissance tribunicienne fait d’Auguste le protecteur de tous les citoyens romains dans l’Empire. Elle lui est accordée à vie, mais là encore, Auguste a voulu sauver les apparences républicaines en prenant soin de se la faire renouveler chaque année. C’est pourquoi la puissance tribunicienne, exercée par tous les empereurs romains après Auguste, est un moyen précis de datation sous l’Empire, sur les inscriptions ou les monnaies (car l’empereur est investi de la puissance tribunicienne dès la première année de son règne). Ce document montre bien cependant que le pouvoir d’Auguste repose moins sur des fondements © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

institutionnels (l’exercice de telle ou telle magistrature) que sur « l’autorité » qui lui est reconnue : « Dès lors, je l’ai emporté sur tous en autorité… ». L’auctoritas est une notion que ne rend que faiblement le terme français d’autorité. Sous la République, c’est le Sénat qui jouit de cette autorité : elle impose à tous les magistrats d’en suivre les conseils. Sous l’Empire, elle implique que rien ne peut donc être décidé sans l’aval de l’empereur. L’autorité qui lui est ainsi reconnue est formalisée par l’accumulation de titres et d’honneurs qui consacrent sa prééminence et le placent au-dessus du commun des mortels, fussent-ils des magistrats. Au nombre des honneurs décernés à Auguste, on relève ainsi : – le titre d’imperator : il s’agit d’un titre traditionnel accordé par les légionnaires à un général victorieux. Auguste fut ainsi honoré de 21 salutations impériales, même lorsque la victoire avait été acquise en son absence par un autre chef militaire. Cet honneur est désormais réservé à l’empereur ou aux membres de sa famille. Comme César avant lui, Auguste a adopté ce titre comme prénom (Imperator Caesar) ; – les triomphes  : le futur Auguste célébra en 29 av. J.-C. le triple triomphe que lui avait décerné le Sénat (souverain en la matière) pour ses victoires en Illyrie, à Actium (au sud de Corfou) et en Égypte. Le triomphe est à Rome la cérémonie officielle qui permet de fêter un général victorieux. Auguste rappelle ici qu’il refusa par la suite d’en célébrer de nouveaux, afin de ne pas en comptabiliser plus que Romulus et Pompée. Ici encore, c’est un moyen pour Auguste de ménager les susceptibilités du Sénat et de se démarquer de l’exemple de son père adoptif. Sous l’Empire, l’honneur du triomphe est désormais lui aussi réservé à l’empereur. Auguste reçut par ailleurs l’honneur de pouvoir porter la couronne de laurier (portée par le triomphateur), puis le costume triomphal (une toge blanche brodée d’or) dans toutes ses apparitions publiques ; – prince du Sénat : en 28 av. J.-C., Octavien ordonna une vaste épuration du Sénat en révisant la liste des sénateurs (cette opération, la lectio senatus, était auparavant du ressort des censeurs)  : c’est la première mention de l’activité censoriale du futur empereur. Il en profita pour se faire inscrire en tête de l’album sénatorial, de39 •

venant ainsi le princeps, le sénateur de rang le plus élevé, nanti d’une autorité supérieure à celle des autres sénateurs  : d’où le mot de principat donné au nouveau régime par les historiens modernes, bien que ce titre ne conférât aucun pouvoir supplémentaire à son détenteur ; – Auguste : ce surnom fut accordé par le Sénat à Octavien en 27 av.  J.-C., au moment où ce dernier abandonna ses pouvoirs exceptionnels et affecta de restaurer la République. Le surnom d’Auguste a une connotation religieuse, Augustus signifiant littéralement « doté du plein de force sacrée  ». Cet usage n’est pas entièrement nouveau  : Sylla avait pris le surnom de Felix et César était devenu le Divus Julius ; – le grand pontificat : comme le titre d’Auguste, la fonction de grand pontife exercé par l’empereur enveloppe son pouvoir dans une forme de vénération religieuse. Elle confère également à Auguste un droit de regard sur l’ensemble des collèges sacerdotaux. Jules César avait lui aussi déjà exercé ce sacerdoce. «  Je n’ai pas eu plus de pouvoirs qu’aucun de mes collègues » : ainsi, pour Auguste, la légalité républicaine a été respectée et de fait, le passage de la République à l’Empire ne s’est pas traduit par la mise en place de nouvelles institutions. Son pouvoir résulte de l’autorité supérieure qui lui a été reconnue par tous, une autorité sanctionnée par une accumulation de titres et d’honneurs qui le désignent comme le mieux à même de gouverner l’Empire. Pourtant, le principat repose bel et bien sur le pouvoir absolu dévolu à un seul homme, ce que le texte tend à minimiser. Doc. 3. Le principat : une monarchie ?

• Question. Écrivant deux siècles après l’instauration du principat, l’historien Dion Cassius en propose une version qui se démarque nettement de la propagande augustéenne  : Auguste, loin d’avoir restauré la République, a bel et bien fondé un nouveau régime et ce dernier est «  une monarchie pure  ». Les magistratures ont été maintenues, mais vidées de leur substance puisque la réalité du pouvoir est désormais détenue par un seul homme. Pourquoi était-il nécessaire de préserver cette façade républicaine ? Dion rappelle que l’aversion de la monarchie était profondément inscrite dans la culture politique des Romains. Selon la tradition, le dernier • 40

roi étrusque, Tarquin le Superbe, avait été expulsé de Rome en 509 av. J.-C. et c’est alors que les deux premiers consuls avaient été désignés (en réalité, leur existence n’est attestée que depuis au moins 366 av. J.-C.). Pour les Romains, la date de 509 marquait non seulement un changement de régime politique, mais une libération : le passage du regnum (terme plutôt synonyme de tyrannie que de royaume) à la libertas. Dans le De Republica, Cicéron explique que c’est précisément le caractère annuel et collégial des magistratures qui permet de distinguer la monarchie d’une République. «  Chez nous, écrit Cicéron, on appelle rois tous ceux qui prétendent exercer tout seuls sur le peuple un pouvoir perpétuel. » Si les magistrats exercent un pouvoir absolu (l’imperium), un pouvoir qu’on pourrait qualifier de « régalien », c’est collégialement et pour une durée limitée. Or, il importe pour Auguste de ménager le Sénat et c’est pourquoi il affecte de rétablir la collégialité des magistratures. Le pouvoir personnel exercé par Auguste ne peut pas non plus prendre la forme d’une dictature. La dictature était bien pourtant une magistrature républicaine : dans des circonstances dramatiques, le Sénat pouvait charger l’un des consuls de nommer un dictateur, concentrant tous les pouvoirs. Mais cette magistrature avait été pervertie par l’usage qu’en avaient fait Sylla et César auparavant. La dictature renvoyait à l’époque des guerres civiles. Revendiquer la dictature eût été contradictoire avec la politique augustéenne de retour à la paix civile et à la concorde. Peut-on dire pour autant, comme le suggère ici Dion Cassius, que l’Empire romain ne constitue qu’une monarchie déguisée et que le maintien des institutions républicaines n’est qu’une fiction soigneusement entretenue par la propagande augustéenne ? Les historiens modernes en débattent encore… Assurément, personne ne conteste le fait que le pouvoir personnel exercé par l’empereur a bien un caractère monarchique. Les aspects monarchiques du régime impérial étaient d’ailleurs sans doute plus accentués à l’époque de Dion Cassius qu’à celle d’Auguste, dont les contemporains avaient vécu sous la République et en avaient donc conservé le souvenir. Pour autant, le principat n’est pas l’exact équivalent romain des monarchies grecques de l’époque hellénistique et encore moins des royaumes de l’époque mé© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

diévale ou moderne. Paul Veyne le montre bien à propos de la succession impériale : « À Rome, ce n’est pas comme membre d’une famille mise hors de pair qu’un prince lègue la pourpre à son fils, mais comme membre d’un clan, d’une gens, appuyée sur des fidèles tels que la garde impériale ou que les légions… Dans cette conception, l’empereur et magistrat reste un aristocrate, ce n’est pas un père de famille dont le royaume serait le patrimoine héréditaire, et sa famille reste une gens aristocratique.  » Paul Veyne rappelle également qu’à la différence des monarchies d’Ancien Régime, où chacun se place au service du roi, un empereur au contraire reste au service de la République : « Il ne régnait pas pour sa propre gloire, à la façon d’un roi, mais pour la gloire des Romains. » « Le régime impérial, souligne encore Paul Veyne, ne maintenait pas sa façade républicaine par une fiction, mais au terme d’un compromis ; le prince ne pouvait ni ne voulait abolir la République, car il avait besoin d’elle  : sans l’ordre sénatorial, sans les consuls, les magistrats et les promagistrats, l’Empire, dépouillé de sa colonne vertébrale, se serait effondré. » Doc. 4. La glorification de l’Empire : la colonne de Trajane

• Question 1. Ce détail du relief sculpté de la colonne Trajane représente des légionnaires à l’assaut d’une citadelle barbare, dans la position de la «  tortue  »  : leur unité forme ainsi un bloc compact, que les boucliers protègent des projectiles, sur le dessus et sur les flancs. Conformément aux conventions iconographiques, on reconnaît les barbares à leur habillement (des braies), à leur armement rudimentaire (boucliers ronds) et à leur chevelure abondante. Cette illustration témoigne de la supériorité tactique de l’armée romaine, dont les manœuvres supposent une parfaite coordination des troupes, et par conséquent un entraînement intensif des soldats. Engagés sur une très longue durée (une vingtaine d’années), ces derniers sont en effet des militaires professionnels. L’armée romaine excelle également dans le domaine de la poli-. orcétique et des techniques de retranchement (voir les vestiges de la rampe qui permit aux armées de Titus de s’emparer de la forteresse juive de Massada). L’empereur peut également compter sur les ressources en hommes et en argent d’un immense Empire : les effectifs de l’ar© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

mée oscillent entre 300 000 et 400 000 hommes. Les légionnaires sont tous des citoyens romains, mais l’armée comprend aussi un grand nombre de provinciaux, versés dans les unités auxiliaires, dont une petite minorité de membres recevaient la citoyenneté romaine en fin de service. Toutefois, même si l’armée romaine est alors la première armée du monde, elle peut difficilement mener deux campagnes d’envergure simultanément et en deux endroits différents. La conquête de la Dacie, d’ailleurs provisoire, est l’une des rares expéditions engagées par un empereur au-delà des limites de l’Empire fixées à l’époque d’Auguste (voir carte p. 64-65).

• Question 2. La colonne Trajane forme l’un des multiples instruments de glorification du pouvoir impérial. Un monument du même type, la colonne de Marc Aurèle, est lui aussi toujours visible à Rome (Piazza Colonna). Mais c’est surtout par l’érection d’arcs triomphaux que les empereurs célèbrent leur victoire, à Rome comme dans les cités provinciales. L’usage d’ériger des arcs de triomphe en l’honneur des généraux victorieux remonte à la République, mais, comme la cérémonie du triomphe elle-même, ce privilège est dorénavant réservé à l’empereur. Les empereurs font également frapper des monnaies commémoratives et la titulature impériale, gravée sur des pièces ou des inscriptions, comprend des titres qui rappellent leurs victoires (Germanicus, Parthicus, Dacicus, etc. ; voir doc. 5, p. 67). La statuaire les représente en imperator : ainsi pour la célèbre statue d’Auguste, dite de Prima Porta (au musée du Vatican), dont la cuirasse évoque la restitution des aigles de Crassus, naguère vaincu par les Parthes.

2. Le peuple romain � MANUEL, PAGES 68-69

Doc. 1. Du pain et des jeux

• Question. Comme l’indique l’inscription, cette monnaie a été frappée à l’initiative du Sénat (SC) en remerciement de la restauration du Cirque Maxime par l’empereur Trajan. Si l’organisation des courses de chars, très prisées par les Romains, reste du ressort des magistrats, les spectacles constituent pour l’empereur le moyen d’accroître sa popularité auprès de la plèbe de Rome  : soit, comme ici, en construi41 •

sant ou en embellissant les lieux de spectacles, soit en faisant donner de très coûteux combats de gladiateurs. Au ier  siècle ap.  J.-C., les spectacles ordinaires pouvaient représenter une période totale de deux mois par an, sans compter les spectacles extraordinaires donnés par l’empereur. L’oisiveté est le privilège de l’élite sociale : les spectacles forment l’un des modes de redistribution des richesses de l’Empire au profit du peuple de Rome, dont l’empereur consacre ainsi la supériorité sur les autres peuples de l’Empire. Sous l’Empire, c’est aussi à l’occasion des spectacles que le peuple de Rome peut manifester son assentiment ou son mécontentement à l’égard du pouvoir impérial  : si la plèbe est privée de droits politiques effectifs dans les assemblées, elle n’est pas pour autant cette masse complètement passive dénoncée par Juvénal. L’empereur se doit d’en gagner la faveur. Enfin, en restaurant le Cirque Maxime, Trajan cherche aussi à apparaître comme le digne successeur d’Auguste  : c’est ce dernier qui avait installé l’obélisque de Ramsès II sur la spina, afin de célébrer sa victoire contre Marc Antoine et Cléopâtre en Égypte. Doc. 2. Une carrière sénatoriale exemplaire : Agricola

• Question 1. Agricola est issu d’une famille de notables romains de Fréjus, une colonie romaine implantée dans la partie déjà anciennement romanisée de la Gaule, la Gaule transalpine, rebaptisée Gaule narbonnaise sous l’Empire. Son père appartenait déjà à l’aristocratie sénatoriale, qui devient un ordre héréditaire sous l’Empire. L’ordre regroupe les membres les plus fortunés de l’élite romaine, le cens minimum requis pour y appartenir ayant été fixé par Auguste à 1 million de sesterces.

• Question 2. Pour faire carrière, il faut appartenir à l’un des deux ordres qui regroupent l’élite sociale des citoyens romains, l’ordre équestre ou l’ordre sénatorial. Chevaliers et sénateurs gravissent ensuite, en fonction de leur âge et de leur ancienneté, les échelons d’une carrière, le cursus honorum. Le texte permet de repérer les étapes du cursus sénatorial accompli par le beau-père de Tacite : un service militaire en Bretagne (au grade de tribun), la questure (à partir de 24 ans) dans une province tirée au sort (l’Asie en l’occurrence). Il suffisait d’avoir été ancien questeur • 42

pour entrer au Sénat. Agricola est ensuite désigné comme l’un des 10 tribuns de la plèbe (qui, avec leur droit d’intercession, ont perdu la plus grande partie de leurs prérogatives sous le principat). Il accède ensuite à la préture (obtenue à partir de 29 ans), une charge très importante puisqu’elle lui permet de détenir l’imperium : seule une minorité des membres de l’ordre sénatorial engagés dans la carrière parvenaient à ce niveau de responsabilité. Il obtient ensuite un gouvernement de légion qui lui vaut d’être remarqué par Vespasien, qui le nomme gouverneur de la province d’Aquitaine. Il y reste trois ans : dans les provinces impériales comme l’Aquitaine, la durée du mandat des gouverneurs était indéterminée (alors qu’elle était théoriquement d’un an pour les provinces sénatoriales). Agricola accède enfin à l’honneur suprême en étant désigné comme consul (qui sont désormais plus de deux par an, ceci en raison de la multiplication des consuls suffects qui n’exercent leur magistrature qu’une partie de l’année). Le consulat a perdu la primauté qui était la sienne sous la République, mais l’accession d’Agricola à cette magistrature signifie qu’il dispose de la confiance de l’empereur et de puissants relais dans son entourage, puisque les consuls sont recommandés par le prince. Tous les sénateurs n’accomplissaient pas un parcours aussi prestigieux. Le texte de Tacite insiste sur le bénéfice qu’Agricola a pu retirer de son mariage avec l’héritière d’une puissante famille sénatoriale. Faire carrière impose donc de puissantes relations à Rome. Incidemment, on note que l’aristocratie sénatoriale a pu, sous le principat, conserver une bonne partie de son influence dans les plus hautes sphères du pouvoir. Il faut aussi disposer d’une bonne dose de sens politique  : Agricola a eu la prudence de rester en retrait sous le règne de Néron. Mais compte tenu de la réputation détestable qui est celle de Néron auprès des sénateurs, dont le récit de Tacite épouse systématiquement le point de vue, il s’agit aussi pour son biographe de rehausser encore un peu plus l’exemplarité du parcours d’Agricola. Doc. 3. Éloge d’une matrone vertueuse

Cet éloge funèbre (laudatio) dédié à une femme inconnue, baptisée Turia par les modernes, a été retrouvé sur une longue inscription datant de la fin du ier siècle av. J.-C. © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

• Question. Il énumère les qualités attendues d’une épouse modèle dans la bonne société romaine. La matrone doit faire preuve de retenue et s’abstenir de tout luxe superflu : l’ostentation est le fait des parvenus ; des dépenses excessives entameraient la fortune d’une famille dont la position sociale est déterminée par le cens. Elle est appliquée au travail de la laine : non pas que cette activité soit ici essentielle aux revenus du ménage, mais parce qu’elle témoigne de la capacité de l’épouse à gouverner sa maison et à commander aux esclaves. Pieuse, elle sacrifie aux devoirs rituels qui lui incombent, sans sombrer dans l’excès de la superstition. Elle témoigne du plus profond respect envers la famille de son mari, au sein de laquelle son mariage l’a fait entrer. L’épouse conserve toutefois un droit de regard sur l’administration de sa fortune : le mari se réjouit de ce que la bonne entente du ménage ait permis de faire fructifier le patrimoine hérité de sa femme. Surtout, le document témoigne a contrario de la fréquence du divorce au sein des élites romaines. Les grandes familles vivent dans l’obsession d’assurer leur descendance. Ainsi, le devoir de l’épouse est avant tout d’avoir des enfants et d’assurer la pérennité de sa famille d’adoption. L’épouse est ici digne d’éloge car elle a d’ellemême proposer le divorce à son mari, leur couple étant resté stérile ; réciproquement, le fait pour l’époux d’avoir refusé cette séparation constitue pour lui la meilleure preuve de son affection. Doc. 4. La Rome impériale (Maquette du musée de la Ville de Rome.)

• Question. Les empereurs ont constamment cherché à marquer de leur empreinte la ville de Rome ; à commencer par Auguste qui, aux dires de Suétone, se serait vanté de l’avoir laissée en marbre après l’avoir reçue en briques… On peut repérer sur la maquette les réalisations les plus emblématiques de cette architecture impériale : – les forums impériaux : ils n’en restent guère de vestiges aujourd’hui. Ils constituent des espaces publics qui contribuent à la glorification de l’empereur dont ils portent le nom. Ces nouvelles places publiques, qui redoublent la fonction du vieux forum républicain, le Forum Romanum, forment des espaces fermés autour d’un temple. Ils sont flanqués d’édifices utilisés pour des réunions publiques ou des cérémonies officielles. © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

Au centre, un monument évoque les hauts faits du souverain : on peut ainsi distinguer, sur cette maquette, la colonne de Trajan. Au centre de son forum, Auguste s’était fait représenter couronné par une Victoire sur un char triomphal ; – les temples  : dès le principat d’Auguste, de nombreux temples ont été construits ou reconstruits. C’est alors que l’architecture religieuse romaine emprunte largement au modèle des temples grecs. Les temples sont dédiés aux divinités tutélaires de la ville (4 : temple de Vénus et de Rome), ainsi qu’aux empereurs divinisés (8 : temple de Claude, édifié par Agrippine, pourtant probablement responsable de son assassinat) ; – le palais impérial : depuis Auguste, les empereurs résident à Rome sur la colline du Palatin, qui domine le Forum Romanum. Ce qui n’était aux dires de Suétone qu’une modeste maison devient un véritable complexe palatial sous le règne de Domitien, à la fin du ier siècle ap. J.-C. Cette topographie a donné naissance au mot palais, pour désigner une résidence princière ; – les lieux de spectacles  : l’évergétisme impérial s’est manifesté par la construction de nombreux édifices consacrés aux loisirs du peuple de Rome. Le Grand Cirque, dont l’emplacement est toujours visible de nos jours, a été agrandi et embelli à plusieurs reprises  : il est dominé par la résidence de l’empereur, édifiée sur la colline du Palatin. L’amphithéâtre flavien, plus connu sous le nom de Colisée, demeure le vestige le plus imposant de cette architecture impériale  : c’est là qu’étaient organisés les combats de gladiateurs et les naumachies, spectacles grandioses imposant le recours à une machinerie très sophistiquée ; – thermes et aqueducs  : c’est aussi à l’époque impériale que l’usage des bains cesse d’être un privilège réservé à une élite sociale, grâce à la multiplication des thermes et des aqueducs qui permettent de les approvisionner en eau. Les thermes sont aux Romains ce que le gymnase est aux Grecs, un lieu indispensable au «  standard  » d’une vie civilisée. Les thermes comprennent ainsi non seulement des bains publics nécessaires à l’hygiène, mais aussi des installations sportives, des lieux de conférences, des bibliothèques ou des musées. Ils forment ainsi de véritables complexes de loisirs. Comme les spectacles de gladiateurs, la gestion de l’eau 43 •

exige des dépenses considérables que seul l’empereur est en mesure d’engager. Par là même, les équipements hydrauliques sont une autre manière pour l’empereur de redistribuer une partie des richesses de l’Empire au profit du peuple de Rome.

3. La romanisation de l’empire � MANUEL, PAGES 70-71

Doc. 1. La survie des cultes locaux (Linceul peint égyptien, détrempé sur lin, iie siècle ap. J.-C., 181 x 126 cm. Moscou, musée Pouchkine.)

• Question. Le défunt est un citoyen romain, identifiable par sa toge. Le document témoigne de la survivance des vieux rites funéraires égyptiens près de deux siècles après la conquête romaine. Surtout, il montre que l’accession à la citoyenneté romaine n’imposait pas de renoncer à l’observance des cultes locaux. Les Romains n’ont pas cherché à imposer leurs dieux. Comme les Grecs avant eux, leur panthéon s’est même enrichi de l’apport de divinités étrangères. Dépourvue de tout contenu dogmatique, la religion romaine, comme la religion grecque, repose avant tout sur l’observance de rites. Le pluralisme religieux au sein de l’Empire est donc de règle, même si l’observance de certains cultes, comme celui de l’empereur, fait partie des obligations qui incombent aux citoyens, en tant que membres d’une même collectivité. Doc. 2. Un octroi généreux de la citoyenneté

• Question. L’extrait de cet Éloge de Rome, écrit par Aelius Aristide, met bien en évidence la différence de conception des Grecs et des Romains en matière de citoyenneté. Les cités grecques n’accordaient que rarement le droit de cité à des étrangers  : le plus souvent, comme l’attestent les décrets honorifiques, pour honorer un souverain ou un riche évergète de ses bienfaits. Les Romains ont au contraire très largement diffusé la citoyenneté en dehors du territoire de la cité, et même en dehors de l’Italie dont tous les habitants étaient devenus citoyens romains dans le courant du ier  siècle av. J.-C. Comme le montre Aelius Aristide, pour les Romains, la citoyenneté est disjointe du territoire où la cité est implantée : le peuple romain est bien plus large que la population de la cité de Rome. Dès 70-69 av.  J.-C., le dernier cens de l’époque républicaine fait état • 44

de 910 000 citoyens ; ils sont déjà plus de 4 millions en 28 av. J.-C., lors du premier cens effectué par Auguste (pour expliquer cette différence considérable, on suppose que le recensement d’Auguste a inclus les femmes et les enfants) ; en 14 ap. J.-C., un nouveau cens comptabilise près de 5 millions de citoyens. Tacite avance un peu plus tard le chiffre de 6 millions, pour le milieu du ier siècle ap. J.-C. Le discours d’Aristide témoigne de l’adhésion des notables de l’Empire, devenus citoyens romains, à l’œuvre civilisatrice de Rome. Il souligne que, du fait de la diffusion de la citoyenneté romaine, l’opposition traditionnelle entre Grecs et barbares est désormais dépassée  : la ligne de partage sépare désormais les Romains et les non-Romains  : en faisant accéder des peuples autrefois considérés comme barbares à la citoyenneté, Rome a étendu les frontières du monde civilisé. Doc. 3. Un appel à César

• Question. Ce passage de la vie de saint Paul, rapporté par les Actes des Apôtres, offre un exemple célèbre de provocatio ad Caesarem  : tout citoyen romain, où qu’il réside, peut faire appel à la justice de l’empereur à Rome. Paul fait partie de ces notables provinciaux qui disposent de la citoyenneté romaine  : elle leur offre une protection juridique vis-à-vis des autorités locales (juives) et du gouvernement provincial (romain). Paul est en effet accusé d’avoir profané le Temple de Jérusalem en y introduisant un païen. Il est arrêté et doit comparaître une première fois devant le gouverneur romain de Judée, à la demande des autorités juives : parce que Paul est un citoyen romain et parce que les affaires les plus sérieuses étaient portées devant le tribunal du gouverneur de province (dont l’une des fonctions les plus importantes, on le voit bien ici, est de rendre la justice). «  Voulant faire plaisir aux Juifs  »  : dans cette affaire politiquement délicate, le gouverneur entend montrer qu’il respecte l’autonomie des instances locales. Il propose donc à Paul de comparaître à Jérusalem devant le Sanhédrin, le tribunal religieux juif, mais en sa présence, afin que le gouverneur puisse assurer son arbitrage. Le statut de citoyen romain ne dispensait pas un individu des devoirs envers sa communauté d’origine  : aussi le gouverneur hésite-t-il à in© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

tervenir dans un conflit interne à la communauté juive. Mais Paul refuse en sa qualité de citoyen romain et en appelle à César : il demande à être jugé à Rome même, devant le tribunal de l’empereur. Le récit du Nouveau Testament ne permet pas de connaître les suites de l’affaire et les dernières années de la vie de Paul sont très mal connues : relâché puis de nouveau incarcéré, il aurait été décapité, selon la tradition chrétienne, sous le règne de Néron. La diffusion de la citoyenneté rendit toutefois de plus en plus théorique cette possibilité d’en appeler directement à l’empereur, afin d’éviter l’encombrement de son tribunal.

◗ Étude L’édit de Caracalla (212 ap. J.-C.) � MANUEL, PAGES 72-73 Analyse des documents

1. Associé à son frère Géta, Caracalla succède à son père, Septime Sévère, en 211 ap. J.-C. Sans l’édit qui porte son nom, il n’aurait laissé dans l’histoire que la réputation d’un tyran : il aurait ordonné l’assassinat de son frère ; comme Caligula et Commode avant lui, il finit lui-même par être assassiné par le préfet du prétoire, Macrin, en 217 ap. J.-C. Il faut toutefois se garder de prendre toujours au pied de la lettre le portrait des empereurs que nous ont transmis les historiens : comme Suétone et Tacite avant lui, Dion Cassius adopte le point de vue de l’aristocratie sénatoriale. Sont considérés comme des « mauvais empereurs » ceux qui sont accusés de rogner les prérogatives et les privilèges du Sénat. Et ce serait bien le cas de Caracalla, qui, à lire Dion Cassius, n’aurait cessé de s’en prendre aux biens des sénateurs, même si, à l’en croire, ceux-ci n’auraient pas été les seules victimes de sa rapacité. Le règne de Caracalla aurait ainsi correspondu à un fort alourdissement de la pression fiscale, notamment de l’impôt sur les successions et de la taxe sur les affranchissements d’esclaves, qui, par définition, visaient avant tout les plus riches, à Rome comme dans les provinces. Plus généralement, selon certains historiens, Caracalla, comme son père Septime Sévère, aurait cherché à prendre appui sur les plus humbles, les soldats au premier chef, au détriment des notables de l’Empire dont les © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

charges financières auraient été accrues. On manque toutefois d’indices sûrs pour le prouver. Quoi qu’il en soit, l’accroissement de la fiscalité fut sans doute imposé par l’augmentation des dépenses militaires, l’Empire étant de plus en plus menacé sur ses frontières depuis le règne de Marc Aurèle.

2. Le texte de l’édit de Caracalla, pourtant révolutionnaire, ne nous est connu que par des sources très fragmentaires ou très allusives : une simple phrase attribuée au juriste Ulpien insérée dans le Digeste (voir notice du doc. 2), une allusion de l’historien Dion Cassius (doc. 4) et surtout le papyrus Giessen (doc. 3) découvert en 1901. Selon de nombreux spécialistes, il n’est pas certain que ce papyrus reproduise la version originale de l’édit : il pourrait s’agir plus probablement de l’introduction de l’édit, d’un résumé de chancellerie ou d’une copie postérieure. Le texte ne comprend aucun élément de datation : la date de 212 n’est que la plus probable. Enfin, le papyrus est très mutilé et la restitution du texte est très délicate : la traduction que nous proposons n’est que l’une des plus récentes, parmi celles qui ont été proposées depuis la découverte du papyrus. Cette traduction pose du reste de sérieux problèmes d’interprétation, notamment en ce qui concerne le sort des déditices.

3. Les motifs du décret sont également difficiles à analyser, car les sources sont très contradictoires. Dans la version transmise par le papyrus Giessen, l’empereur déclare vouloir manifester sa gratitude envers les dieux et accroître la «  majesté du peuple romain  ». Même s’il entend se démarquer de la propagande impériale, Dion Cassius le confirme : il s’agit « officiellement » d’« honorer » les habitants de l’Empire. En faisant de tous les habitants de l’Empire des citoyens romains, Caracalla les associe au culte des dieux romains, les provinciaux conservant bien entendu leurs propres cultes. Par ailleurs, l’accession de tous les habitants de l’Empire à un privilège jusque-là réservé surtout aux élites provinciales apparaît comme la consécration de trois siècles d’impérialisme : comme l’avait écrit Aelius Aristide au siècle précédent, les habitants de l’Empire ne forment plus désormais qu’un seul peuple, uni dans l’adoration de la déesse Rome, quel que soit le statut de leur communauté d’origine. Il est légitime, affirme Caracalla, que

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les pérégrins ne soient pas seulement astreints aux charges de l’Empire, mais qu’ils soient également associés à ses victoires. Selon F.  Jacques et J.  Scheid, «  les motifs religieux et philosophiques (sous l’influence des idées stoïciennes) ont certainement tenu une place essentielle », car on sait que la mère de l’empereur, Julia Domna, était entourée d’un cercle de juristes et d’intellectuels. La constitution antonine «  donnait un fondement juridique (nécessaire dans la mentalité romaine) à un patriotisme d’Empire et au développement ultérieur de l’idée de Romania ». On ne peut toutefois écarter, dans la décision de l’empereur, des raisons plus personnelles : il pourrait s’agir d’une sorte d’actions de grâces pour remercier les dieux de lui avoir épargné un grand danger. Si l’édit a bien été promulgué en 212, il pourrait être la conséquence de l’élimination du frère de l’empereur, Géta, accusé d’avoir trempé dans un complot. Mais pour Dion Cassius, les motifs de l’empereur seraient avant tout d’ordre fiscal : Caracalla n’aurait cherché qu’à accroître les contributions des pérégrins, tous assujettis désormais à l’impôt sur les héritages, acquitté jusque-là par les seuls citoyens romains et dont Caracalla venait de doubler le montant (remplacement du vingtième par le dixième). L’explication est sujette à caution, car l’empereur avait à sa disposition bien d’autres moyens d’augmenter les impôts que d’accorder la citoyenneté romaine à tous les habitants de l’Empire… Dion Cassius exprime sans doute ici, comme au temps de l’empereur Claude, l’hostilité de l’aristocratie sénatoriale à la banalisation d’un privilège réservé jusque-là aux notables provinciaux.

4. Tous les provinciaux jouissent désormais des droits attachés à la citoyenneté romaine, et en particulier de garanties juridiques qui les protègent, théoriquement, de l’arbitraire des autorités romaines. L’universalité de la citoyenneté romaine efface les différences de statuts remontant à la conquête romaine. C’est tout particulièrement vrai des déditices, peuples vaincus qui avaient été privés de toute autonomie et qui n’avaient pas la possibilité d’accéder à la citoyenneté romaine ou au droit latin. Ont-ils reçu eux aussi la citoyenneté romaine  ? Le papyrus Giessen est trop mutilé pour trancher et les spécialistes sont divisés sur la question. • 46

Toutefois, l’octroi de la citoyenneté romaine ne change rien au statut des communautés pérégrines d’origine : le droit local reste en vigueur, les nouveaux citoyens romains conservent leurs obligations envers leur cité d’origine ; la distinction entre communautés pérégrines et communautés de type romain ou latin demeure.

5. Sous l’Empire, la citoyenneté romaine est conférée à titre individuel ou collectif par l’empereur. La «  table de Banasa  » reproduit deux lettres impériales (de 168-169 et 177 ap. J.-C.), dont nous donnons ici un extrait, qui accordent la citoyenneté romaine à des membres de la tribu des Zegrenses, en Maurétanie tingitane (actuel Maroc). Elle montre que l’octroi de la citoyenneté romaine restait un privilège que l’empereur réservait aux élites provinciales, surtout lorsqu’il s’agit, comme ici, de peuples barbares, qui n’étaient pas organisés en cités : il n’est pas habituel, tient à rappeler la chancellerie impériale, « d’octroyer la citoyenneté romaine à des membres de ces tribus  ». Il faut donc pouvoir faire état de « mérites indiscutables appelant la faveur impériale  »  : ce qui signifie qu’elle est destinée à récompenser la fidélité des élites provinciales et l’appui qu’elles apportent aux autorités romaines. C’est pourquoi les concessions viritanes ne sont souvent accordées, comme ici, qu’à la suite de la recommandation d’un gouverneur. Par ailleurs, les nouveaux citoyens romains restent soumis au droit de leur communauté d’origine  : le texte prend soin de préciser que l’octroi de la citoyenneté romaine à la famille de Julianus (déjà promu antérieurement, comme l’indique son nom) ne supprime pas le droit local. Les empereurs ont le souci d’empêcher les abus que les nouveaux citoyens pourraient commettre à l’encontre des autres membres de leur communauté d’origine. Ce document montre bien que la citoyenneté romaine est longtemps restée un privilège, ce qui, a contrario, illustre bien la portée révolutionnaire de l’édit de Caracalla. Bilan de l’étude

L’édit de Caracalla consacre trois siècles d’intégration des provinces de l’Empire. « Rome n’est plus dans Rome  », Rome est devenue une cité universelle, dont les habitants disposent désormais des mêmes droits. Toutefois, l’universalité © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

de la citoyenneté romaine ne fait pas disparaître les communautés provinciales, qui conservent leur propre droit et leurs propres institutions.

4. La Gaule romaine � MANUEL, PAGES 74-75

Doc. 2. Provinces et voies romaines en Gaule

• Question. Après la conquête de Jules César, la Gaule forme une province romaine unique administrée par un gouverneur. Un nouveau partage intervient en 27 av. J.-C., dans le cadre de la nouvelle répartition des provinces de l’Empire entre Auguste et le Sénat. La Transalpine, où la présence romaine est déjà ancienne, est détachée de la Gaule chevelue et devient la Narbonnaise ; elle est attribuée au Sénat en 22 av. J.-C. Le reste de la Gaule est divisé en trois provinces, Belgique, Lyonnaise et Aquitaine (leurs limites ne correspondent qu’imparfaitement avec les Trois Gaules distinguées par César). Provinces impériales, elles sont administrées par un gouverneur nommé par l’empereur (qui porte le titre de légat d’Auguste propréteur). Auguste confie par ailleurs des commandements exceptionnels à des proches qui, comme Agrippa, ont autorité sur les gouverneurs. Agrippa est à l’origine de la construction du réseau routier dont la finalité est d’abord stratégique : faciliter le déplacement des légions des Alpes vers l’Ouest aquitain et la frontière rhénane. Le réseau routier vise également à faciliter l’administration des provinces (et notamment le déplacement des courriers, le cursus publicus). Rayonnant autour de Lyon, les routes relient entre elles les principales cités gauloises (civitates) sur lesquelles l’administration romaine prend appui. Certaines d’entre elles, promues colonies romaines ou municipes de droit latin, deviennent des foyers actifs de romanisation. Doc. 3. La révolte d’un sénateur gallo-romain, 68 ap. J.-C.

• Question. La révolte de 68 fut l’une des rares que les Romains eurent à connaître en Gaule. Elle est paradoxalement conduite par un homme, C.  Julius Vindex, qui est issu d’un milieu parfaitement intégré au nouvel ordre romain. Ce noble gaulois, d’ascendance royale semble-t-il, appartient à une famille dont le gentilice, Julius, indique qu’elle avait accédé à la citoyenneté © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

romaine dès la conquête de César, sans doute en remerciement de l’appui qu’elle lui avait apporté. Son père avait même pu accéder au Sénat, sans doute sous le règne de « Claude le Gaulois  » (voir étude sur les Tables de Lyon). La révolte de Vindex a probablement pour origine le sentiment qu’avaient les notables gaulois d’être négligés par le nouvel empereur, Néron, bien moins favorablement disposé que Claude à leur égard. Dans les motifs avancés par Vindex, on ne trouve toutefois aucune trace de revendication « nationale », ou de ce qui pourrait relever d’un sentiment national. Au contraire, c’est en « vieux Romain » que Vindex s’insurge contre Néron, accusé de rabaisser le Sénat et de porter atteinte à la dignité impériale, allusion au comportement fantasque d’un empereur qui n’hésitait pas à concourir dans des spectacles musicaux. La révolte de Vindex vise à en revenir au compromis politique forgé par Auguste entre le pouvoir impérial d’une part, le Sénat et les notables provinciaux d’autre part.

◗ Histoire des Arts La Maison carrée de Nîmes � MANUEL, PAGES 76-77 analyse du document

1. La Maison carrée est un temple corinthien, hexastyle pseudo-périptère. Colonie romaine de Narbonnaise, Nîmes se dote d’une parure monumentale inspirée par Rome. L’architecte de la Maison carrée a repris le plan du temple d’Apollon, l’un des nombreux édifices religieux construits ou reconstruits par Auguste. Les élites nîmoises manifestent ainsi leur pleine intégration à l’Empire.

2. La Maison carrée était alors l’édifice le plus imposant de la ville, l’un des seuls construits en pierre à une époque où les maisons des particuliers étaient en bois. Il doit être le reflet de la majesté impériale.

3. Le temple est dédié aux petits-fils d’Auguste, nés de l’union entre sa fille Julia et Agrippa  : Lucius Caesar et Caius Julius Caesar, morts en 2 et 4 ap. J.-C., avaient été adoptés par Auguste en vue de sa succession. La dédidace du temple a pu être reconstituée au xviiie  siècle à partir des trous de scellement laissés par les lettres de bronze, aujourd’hui disparues. 47 •

La Maison carrée est l’un des premiers édifices gaulois qui témoigne de la diffusion du culte impérial. Le culte impérial est destiné à honorer certains empereurs défunts ou certains membres de sa famille. L’empereur vivant ne reçoit jamais de culte : on sacrifie seulement à son Génie ou à son Numen (sa « puissance créatrice »).

◗ Étude Les Tables claudiennes (48 ap. J.-C.) � MANUEL, PAGES 78-79 analyse des documents

1. Claude est lui-même né en Gaule en 10 av. J.-C., alors que son père Drusus commandait les légions en Germanie. Il est ainsi le premier empereur romain né hors d’Italie. Cette origine explique sans doute en partie pourquoi Claude est de tous les empereurs romains celui qui a le plus contribué à la romanisation de la Gaule. En témoignent non seulement, comme ici, l’admission de Gaulois au Sénat, mais aussi le grand nombre de ceux qui, devenus sous son règne citoyens romains, adoptèrent le gentilice de l’empereur, Claudius.

2. Sous le règne de Claude, la Gaule est divisée en quatre provinces  : la Narbonnaise, province sénatoriale, et les Trois Gaules, ou Gaule chevelue, conquises par César après 52 et réorganisées en provinces impériales par Auguste (Lyonnaise, Aquitaine, Belgique). Ces dernières sont dirigées par des gouverneurs nommés par l’empereur, portant le titre de légats d’Auguste propréteurs. La citoyenneté romaine s’est répandue en Gaule par la fondation de communautés romaines ou latines, notamment en Narbonnaise, la partie la plus anciennement romanisée de la Gaule. Les habitants des colonies romaines sont citoyens romains. Dans les municipes de droit latin, les élites locales reçoivent la citoyenneté romaine après l’exercice de magistratures municipales. La citoyenneté romaine a également été accordée à titre individuel aux Gaulois qui ont appuyé la conquête romaine à l’époque de César et qui s’est transmise à leurs descendants (notamment tous ceux portant le gentilice Julius).

3. En 48 ap. J.-C., l’empereur, qui hérite des anciens pouvoirs des censeurs, procède à la révision de la composition du Sénat (adlectio). En • 48

y admettant des Gaulois originaires des Trois Gaules, il souhaite parachever l’intégration des élites de ces trois provinces à l’Empire romain. Selon Tacite, Claude répond à une demande émanant des Gaulois eux-mêmes : il s’agit clairement de récompenser la fidélité des notables « depuis longtemps en possession de traités et du titre de citoyens ». Leur admission au sein de l’ordre sénatorial, réorganisé par Auguste, les place en effet sur le même plan que les plus vieilles familles romaines : elle consacre leur prééminence sociale (il faut disposer d’un cens minimal de 2 millions de sesterces) et leur donne accès aux honneurs, c’est-à-dire aux magistratures, à Rome et dans l’Empire. Leurs enfants pourront éventuellement suivre le même cursus honorum que les rejetons de l’aristocratie romaine. Claude veut ainsi récompenser la fidélité des élites indigènes qui sont les meilleurs agents de la paix romaine dans leur province. Dans son discours, l’empereur place cette mesure dans la continuité de la politique d’intégration de ses prédécesseurs, Auguste et Tibère, qui auraient souhaité eux aussi élargir progressivement le Sénat à la «  fleur des colonies et des municipes ». Il cherche manifestement à minimiser, devant des sénateurs très réticents, la portée d’une décision qui tranche avec les pratiques antérieures plus restrictives. Claude semble avoir été le premier empereur doté d’une vision universaliste de l’Empire, dont la vocation serait d’assimiler un nombre toujours plus grand de citoyens romains issus des provinces, jusqu’au sommet de l’État romain, le Sénat. Cette conception se heurte à la vive opposition des sénateurs, dont Tacite rapporte les préjugés conservateurs. Les sénateurs refusent que les provinces soient mises sur le même plan que l’Italie. L’accès aux magistratures et au Sénat doit être selon eux un privilège qui doit être réservé aux familles issues de l’aristocratie romaine et italienne. Cette défense des intérêts bien compris de la noblesse italienne se double d’une argumentation « patriotique » : il n’est pas question d’admettre au Sénat des Gaulois encore perçus comme les «  ennemis héréditaires  » de Rome. Le terror gallicus, la menace gauloise, renvoie non seulement à la guerre très dure livrée par les légions de César contre les Gaulois jusqu’à la défaite de Vercingétorix à Alésia en © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

52 av. J.-C., mais aussi au souvenir plus lointain du sac de Rome par les troupes de Brennus, situé par la tradition en 390 av. J.-C.

4. Pour justifier sa décision, Claude se fonde sur des précédents historiques  : c’est en intégrant l’élite des peuples vaincus que Rome a su fortifier ses conquêtes et bâtir son Empire. Il cite l’exemple d’un certain Vestinus, originaire de la colonie de Vienne, qui, promu au sein de l’ordre équestre, est devenu l’un de ses fidèles collaborateurs. L’argumentation historique quelque peu laborieuse développée par l’empereur (elle forme toute la première partie des Tables, qui n’a pas été reproduite dans le manuel) est reprise par Tacite : le discours de l’empereur a été recomposé sous une forme plus élaborée, comme le veut le genre historique dans l’Antiquité. Ainsi, l’allusion à la ruine des Lacédémoniens et des Athéniens ne figure pas dans le texte lyonnais, mais elle n’en dénature pas l’esprit  : contrairement à Sparte ou Athènes, la domination de Rome n’est pas seulement fondée sur la force des armes, mais sur l’octroi généreux de la citoyenneté romaine auprès des peuples qu’elle a vaincus et qui sont désormais des alliés fidèles et durables. En effet, les deux versions du discours impérial concordent sur ce point, Claude entend rappeler devant les sénateurs que les Trois Gaules ne représentent plus aucun danger pour Rome. Les Gaulois l’ont prouvé en demeurant fidèles à Rome quand le père de Claude, Drusus, combattait en Germanie. De fait, avant la grande révolte de Julius Vindex contre Néron en 68, les provinces gauloises sont pacifiées, si l’on excepte un soulèvement éphémère, en 21 ap. J.-C., suscité par des mesures fiscales. Toutefois, la pacification de la Gaule ne s’explique pas seulement par la générosité du vainqueur ou par le ralliement spontané des élites gauloises au nouvel ordre romain, mais aussi par la répression impitoyable qui fut celle de César au lendemain de la conquête. Selon Tacite, Claude a dû néanmoins tenir compte de l’opposition du Sénat à ses projets puisque seuls les Eduens obtinrent dans un premier temps le jus honorum. La mesure impériale rapportée par les Tables claudiennes a donc eu une portée limitée. Plus généralement, l’ouverture du Sénat aux élites provinciales demeure restreinte à la fin du ier siècle ap.  J.-C., l’Italie © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

fournissant encore trois quarts de l’effectif des sénateurs. « La politique de nomination marque donc, y compris chez des empereurs favorisant les provinciaux, le souci de conserver à l’Italie une prééminence sans commune mesure avec son poids démographique ou économique, en intégrant régulièrement de nouvelles familles italiennes dans le Sénat » (F. Jacques et J. Scheid).

5. Les Anciens ne gravaient bien entendu que les textes qui méritaient selon eux de passer à la postérité. La gravure du discours de l’empereur fut probablement décidée à l’issue d’une séance du Conseil des Gaules qui réunissait chaque année les notables des trois provinces. Il témoigne en effet de la sollicitude de l’empereur envers les élites gauloises et de la fidélité des notables gaulois envers le pouvoir impérial.

Bilan de l’étude

Un siècle après sa conquête par les légions de César, la Gaule chevelue paraît suffisamment romanisée pour que l’empereur envisage d’ouvrir le Sénat aux membres des élites locales ayant eu accès à la citoyenneté romaine. Les deux versions qui nous ont été transmises du discours de l’empereur révèlent cependant les résistances que l’intégration des notables provinciaux continue de susciter, les préjugés anti-gaulois étant encore bien ancrés au sein de l’aristocratie sénatoriale.

◗ Étude Lyon (Lugdunum), colonie romaine et capitale provinciale � MANUEL, PAGES 80-81 Analyse des documents

1. La colonie romaine de Lyon a été installée au confluent de deux grands fleuves, le Rhône et la Saône. Strabon en signale l’importance stratégique  : c’est là en effet que Munatius Plancus, lieutenant de César nommé gouverneur des Gaules, choisit d’installer une garnison de deux cohortes (1  200 hommes), cette seule présence militaire lui permettant de contrôler l’ensemble du territoire. Cette fonction de carrefour stratégique est renforcée par Agrippa, gendre d’Auguste et légat des Gaules, qui place la cité au centre d’un grand réseau routier. Lyon doit assurer la défense de la Narbonnaise et de la route de l’Italie. 49 •

2. À l’époque de Strabon, qui écrit au début du ier  siècle ap.  J.-C., Lyon est la cité gauloise la plus peuplée après Narbonne, avec une population de l’ordre de 50  000 habitants. Lugdunum, écrit Strabon, «  a une population romaine  ». En effet, Lyon est une colonie romaine, fondée en 43  av. J.-C.. par le gouverneur des Gaules Munatius Plancus (probablement sur instructions de César avant son assassinat)  : colonie avec déduction, c’està-dire installation de vétérans. La cité, prise sur le territoire des Ségusiaves, a des institutions calquées sur le modèle municipal romain et est administrée par les notables gaulois, les décurions, qui élisent chaque année deux magistrats, les duumviri. Les fondations coloniales ont été peu nombreuses au nord de la Narbonnaise  : comme pour Trêves ou Cologne sous le règne de Claude, Lyon doit son statut à son rôle stratégique primordial.

3. Le théâtre et l’odéon de Fourvière sont les seuls vestiges de l’urbanisme romain de l’antique Lugdunum. Lyon fut la première cité gauloise à être dotée d’un théâtre. Il fut construit à l’époque d’Auguste à l’emplacement du vieux forum, là où Munatius Plancus avait tracé le decumanus et installé le praetorium. Le praetorium fut rasé lors de la construction du théâtre. Un nouveau forum fut érigé par la suite  : son emplacement est incertain, de même que celui du cirque, destiné, comme à Rome, aux courses de chars. À proximité du sanctuaire des Trois Gaules, érigé au lieu-dit Condate, au pied de la colline de la Croix-Rousse, le Santon Julius Rufus fit édifier, en 19 ap. J.-C., un amphithéâtre où se réunissaient les députés des soixante peuples de la Gaule chevelue. L’amphithéâtre fut agrandi sous le règne d’Hadrien (les premiers chrétiens, dont Blandine et l’évêque Pothin, y furent suppliciés en 177). On repère également sur le plan reconstitué de Jean-Claude Golvin le temple dédié au culte impérial. Il ne subsiste rien non plus, à Lyon même, des installations hydrauliques d’époque romaine, aqueducs ou thermes. Mais les vestiges des installations qui approvisionnaient la ville en eau sont encore visibles dans la région : c’est notamment le cas des quarante arches de l’aqueduc de Gier, l’un des quatre aqueducs qui acheminaient chaque jour 75 000 m3 d’eau à Lugdunum. • 50

4. Lugdunum est la capitale de la province de Lyonnaise, où résident les gouverneurs romains. Mais la cité fait également office de capitale des Trois Gaules : Strabon évoque le sanctuaire érigé en 12 av. J.-C. en l’honneur de Rome et d’Auguste par les soixante peuples des Trois Gaules. Le sanctuaire comprenait un autel monumental placé entre deux colonnes surmontées d’une victoire ailée (il est représenté sur une monnaie). Les délégués des soixante peuples des Trois Gaules s’y assemblent chaque année. Des représentants de Narbonnaise y sont aussi conviés, à titre d’invités. Lugdunum est également un important lieu d’échanges. Strabon écrit qu’on l’utilise comme entrepôt  : des entrepôts étaient surtout installés à Canabae, dans l’île. du confluent de la Saône et du Rhône. Les Romains établirent également à Lyon un atelier monétaire.

5. Cette belle mosaïque de Lyon suggère l’engouement des Lyonnais pour le spectacle romain des courses de chars. Lugdunum fut doté d’un cirque dont l’emplacement est inconnu. Elle témoigne par ailleurs de la diffusion de modèles artistiques romains, utilisés dans la décoration des riches habitations gallo-romaines. Bilan de l’étude

Carrefour stratégique, grand centre d’activités économiques et capitale provinciale, Lugdunum est le lieu de rassemblement annuel des députés des Trois Gaules. Colonie romaine, la cité est un foyer actif de romanisation.

◗ Méthode Analyser un sujet et formuler une problématique (composition, exposé oral, etc.) � MANUEL, PAGES 82-83 1. L’analyse du sujet

Le terme de romanisation désigne le processus par lequel la culture romaine s’impose progressivement sur tout le territoire de l’empire. Cette romanisation se fait lorsque les peuples indigènes comme les Gaulois adoptent la langue latine, le modèle urbain de la cité, s’intègrent à l’armée ou encore adhèrent aux cultes romains – en particulier les cultes impériaux. L’arc de triomphe d’Orange est une des traces importantes de la romanisation de la Gaule : ce monument est un ou© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

vrage d’art typique de l’architecture de la Rome antique, or, il a été élevé en l’honneur d’un général romain par les habitants d’une colonie fondée en Gaule vers 35 avant J.-C. Le sujet demande d’étudier cette romanisation dans la province de Gaule narbonnaise conquise vers 118 avant J.-C., ainsi que dans les régions de Gaule conquises par Jules César vers 51 avant J.-C. La Gaule narbonnaise est une province sénatoriale administrée par un proconsul ; le reste de la Gaule est sous l’autorité générale d’un légat des Trois Gaules résidant à Lyon. Cette partie de la Gaule est séparée administrativement en Trois provinces – la Gaule belgique, la Gaule aquitaine et la Gaule lyonnaise –, celles-ci subdivisées en 60 (ou 64) cités ou Civitas. Les Civitas reprennent approximativement le territoire des anciennes tribus gauloises. Le règne d’Auguste est un moment important, il marque l’avènement du principat et la réorganisation administrative de l’empire. Le sujet s’arrête au règne de Caracalla, au moment où tous les Gaulois obtiennent la citoyenneté romaine. Le discours de l’empereur Claude est un moment important car celui-ci annonce l’ouverture du Sénat romain aux notables romanisés des provinces de l’ancienne Gaule chevelue (Gaule aquitaine, belgique et lyonnaise). 2. La formulation d’une problématique

La troisième problématique est celle qui convient le mieux au sujet. Elle est la seule à comprendre à la fois la notion clé et à respecter les bornes géographiques du sujet.

◗ Exercices � MANUEL, PAGE 84

quasiment impossible de devenir athénien car la citoyenneté repose sur le droit du sang.

3. La citoyenneté est accordée par l’empereur Trajan aux vétérans de son armée en récompense de leur dévouement au service de l’armée romaine. La mesure s’étend aussi à leur famille (femmes, enfants).

4. Le citoyen athénien dispose d’importants droits politiques (cf. p.  46), le citoyen romain n’en possède que très peu (cf. p. 68).

5. À Athènes, les citoyens ne représentent qu’une faible part de la population car le droit du sang limite l’intégration des étrangers. Dans l’Empire romain, la communauté des citoyens est plus vaste et ne cesse de grandir car les Romains ont une conception plus ouverte de la citoyenneté. Cette attitude des autorités s’explique en partie par le fait que les citoyens romains ont peu de droits politiques alors qu’à Athènes le peuple joue un rôle essentiel dans le gouvernement de la cité.

2. Les panathénées, fête nationale athénienne

1. Athéna car elle est la déesse poliade, celle qui protège la cité. 2. La procession (cf. p. 54).

3. Il est question ici des concours de gymnastique qui suivent la procession, le sacrifice et le banquet collectif.

4. Les Panathénées sont la plus importante fête religieuse de la cité d’Athènes car elle a lieu en l’honneur de la divinité protectrice de la cité, Athéna. Elle réunit l’ensemble de la communauté civique : les citoyens mais aussi les femmes et les métèques. Tous participent à la procession, au sacrifice, au banquet puis aux concours de poésie, de musique et de gymnastique qui ponctuent les festivités.

1. Faire le point : citoyenneté athénienne et citoyen­ neté romaine

1. Les quatre conditions pour être inscrit au nombre des citoyens sont  : être né de parents « ayant tous deux le droit de cité », c’est-à-dire d’un père citoyen et d’une mère fille de citoyen ; avoir plus de 18 ans  ; être de condition libre  ; être de naissance légitime (c’est-à-dire né d’un mariage légitimement contracté).

2. Un métèque est un étranger de condition libre autorisé à résider sur le territoire athénien moyennant le versement d’une taxe. Il lui est © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

◗ Histoire des Arts � MANUEL, PAGE 85

1. La mosaïque est un art décoratif. On utilise des fragments colorés de pierre, d’émail, de verre ou encore de céramique, assemblés à l’aide de mastic ou d’enduit, pour former des motifs ou des figures. La mosaïque était utilisée pendant l’Antiquité pour la décoration intérieure des maisons et des temples. 2. L’artiste a divisé son œuvre en quatre parties correspondant aux quatre saisons. Les carrés 51 •

centraux contiennent une allégorie de chaque saison, autour sont disposées des scènes évoquant les activités agricoles ou religieuses qui ont lieu pendant chacune de ces périodes. Il faut donc partir du centre pour lire ce calendrier.

3. Le document 2 représente un sacrifice au Dieu gaulois Taranis. De chaque côté de la divinité se trouvent des personnages (un homme et une femme) habillés comme des Romains qui déposent des offrandes. Le document 3 présente une scène agricole, le pressage des olives, deux travailleurs fournissent de grands efforts et tentent de faire fonctionner le pressoir (qui se trouve

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dans un bâtiment à fronton et colonnade) pour obtenir de l’huile. Le sacrifice au dieu gaulois Taranis est situé dans la partie de la mosaïque consacrée à l’automne ; le pressage des olives a lieu pendant l’hiver.

4. Ce calendrier révèle l’importance des revenus tirés de la terre pour les propriétaires de cette villa. Il montre aussi la place primordiale qu’occupe le culte des dieux. La romanisation des Gaulois est sensible par les vêtements que portent les personnages et par les éléments architecturaux qui sont représentés. La technique de la mosaïque est aussi typiquement romaine.

© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

Partie

3

Sociétés et cultures de l’Europe médiévale du xie au xiiie siècle � MANUEL, PAGES 88-149

Rappel du programme Thème 3 – Sociétés et cultures de l’Europe médiévale du xie au xiiie siècle (8-9 heures) Question obligatoire La chrétienté médiévale Mise en œuvre :

La question traite de la place fondamentale de la chrétienté dans l’Europe médiévale en prenant appui sur deux études : – d’un élément de patrimoine religieux au choix (église, cathédrale, abbaye, œuvre d’art…), replacé dans son contexte historique ; – d’un exemple au choix pour éclairer les dimensions de la christianisation en Europe (évangélisation, intégration, exclusion, répression…). On traite une question au choix parmi les deux suivantes : Sociétés et cultures rurales Mise en œuvre :

– La vie des communautés paysannes (travail de la terre, sociabilités…). – La féodalité (réalités, imaginaire et symbolique). Sociétés et cultures urbaines Mise en œuvre : – L’essor urbain. – Étude de deux villes en Europe choisies dans deux aires culturelles différentes.

◗ Présentation du thème

Le programme vise à familiariser les élèves avec l’héritage de la civilisation de l’Occident médiéval pour reprendre le titre d’un livre classique de Jacques Le Goff (1964). Aucune période de l’histoire n’a en effet autant contribué à forger le visage de l’Europe. Pourtant, le millénaire médiéval est, pour la plupart des adolescents, une terra quasi incognita, appréhendée à travers un certain nombre d’images archétypales em© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

pruntées, au mieux, aux visites de châteaux et d’édifices religieux, et, au pire, au cinéma, aux fêtes « médiévales » ou aux jeux de rôle. Cette période souffre aussi d’un évident discrédit que révèle l’usage de l’adjectif « moyenâgeux » ou l’affirmation rebattue selon laquelle nous serions aujourd’hui menacés d’un «  nouveau Moyen Âge  », celui-ci étant volontiers associé à la violence déchaînée, à la barbarie, à l’injustice et à l’obscurantisme… Le Moyen Âge suscite en réalité un curieux sentiment pour qui l’étudie,  fait d’un mélange unique d’altérité et de familiarité. Altérité parce que ce monde n’est pas le nôtre : il s’en distingue sur l’essentiel, la conception du temps comme de l’espace, les rapports sociaux comme les modes de pensée. Familiarité parce qu’on retrouve des traces multiples du legs médiéval dans notre quotidien, des paysages urbains à certains cadres institutionnels, comme l’Université. Si on veut dégager à gros traits le legs médiéval, on retiendra les points suivants :

1. C’est la phase de l’histoire du monde où l’Europe est née et s’est dotée des instruments de puissance qu’elle applique, à partir du xve siècle, à la conquête du monde. Jacques Le Goff s’est récemment penché sur les circonstances de cette naissance (L’Europe est-elle née au Moyen Âge ?, 2003). Il a rappelé que le premier à avoir eu une idée claire de l’Europe est le pape Pie II (1458-1464), auteur en 1458 d’un texte nommé Europa. Jusque-là, l’Europe est implicite, en gestation. Mais, au xie  siècle, avec la réforme grégorienne, l’action de Cluny et l’idéologie de la croisade, la notion de chrétienté revêt déjà une dimension territoriale, désignant un espace européen assez clairement défini, s’agrégeant des périphéries à partir d’un noyau central. Les Occidentaux ont ainsi conscience, surtout à partir du xiie siècle, de partager une langue, une foi, un enseignement, une culture savante, des va53 •

leurs et des intérêts communs. Les principales monnaies européennes circulent librement et la notion de douane est étrangère au Moyen Âge. Surtout, de saint Augustin à Isidore de Séville, de Boèce à Bède le Vénérable ou saint Thomas d’Aquin, les grandes figures intellectuelles du Moyen Âge sont lues, admirées, discutées sur tout le continent. Au Sud, la Méditerranée a cessé d’être un « mare nostrum » et est bien devenue une frontière de civilisation, même si les contacts et les échanges ne sont pas négligeables entre les deux rives. À l’Est, les limites sont plus indécises, mais elles correspondent peu ou prou aux régions christianisées par Byzance, excluant donc clairement la Russie.

2. Le Moyen Âge, c’est aussi la phase de conquête définitive des sols, celle de l’établissement du semis villageois et, dans une large mesure aussi, du réseau urbain, du moins jusqu’à la révolution industrielle. Les villes cessent alors d’être prédatrices – comme Rome ou Alexandrie avaient pu l’être au Bas-Empire – et deviennent des centres de production. Elles vivent en symbiose avec « leurs » campagnes et partagent avec elles une dynamique de croissance qui culmine entre les xie et xiiie siècles.

3. L’indifférence à l’égard des réalités pratiques des hommes du Moyen Âge leur a souvent été reprochée. Tout juste acceptait-on de reconnaître que leur foi ardente les avait conduits à être de remarquables bâtisseurs de cathédrales. Si la notion de « révolution industrielle du Moyen Âge » (Jean Gimpel) est un rien provocatrice, il s’agit bien, avec la disparition de l’esclavage, de la première période du machinisme, celui d’abord modeste du moulin à eau et des perfectionnements nécessaires à l’utilisation de la force animale. Par la suite, des instruments de levage en passant par les techniques d’extraction, de l’horloge mécanique au métier à tisser, les progrès sont nombreux même s’il ne faudrait pas tomber dans l’excès inverse et nier les blocages du système technique médiéval. Mais, dans sa vision du monde, le Moyen Âge chrétien, singulièrement au début du second millénaire, considère que Dieu a fait de l’homme le maître d’une nature qu’il doit soumettre (Genèse).

4. C’est aussi la période où s’est brisée en Europe l’unité familiale de la tribu au profit de la famille • 54

nucléaire. Le grand tournant, c’est la christianisation du mariage qui devient au tournant de l’an mil un sacrement, avec le durcissement des interdits portant sur l’inceste, la condamnation du concubinage, l’affirmation de son caractère indissoluble et la valorisation – relative  ! – de l’épouse, dans le cadre d’une parenté indifférenciée. L’histoire de la parenté est d’ailleurs un des domaines les plus neufs d’approche de la société médiévale.

5. Doit-on qualifier le Moyen Âge de féodal ? La question a soulevé joutes et controverses pendant des décennies. Si on entend par là le rapport féodo-vassalique, celui-ci n’a vraiment marqué que le Moyen Âge central des xie-xiie  siècles, se substituant alors à l’État défaillant. Si, par contre, dépassant la simple dimension juridique, on cherche à caractériser la relation sociale entre dominants et dominés dans laquelle les puissants, détenteurs du droit de ban (commandement), exercent simultanément un pouvoir sur les hommes et sur la terre, alors le terme convient bien. Georges Duby avait cru pouvoir distinguer seigneurie banale et seigneurie foncière. On admet aujourd’hui qu’elles sont indissociables. Alain Guerreau a proposé le terme de dominium pour désigner ce système social. La clef du bon fonctionnement de ce système, c’est le lien des hommes au sol et les contraintes qui en découlent. Le seigneur, dominus, perçoit – à des titres et selon des modalités diverses – taxes et redevances, établissant ainsi une ponction sur le surtravail paysan ou artisan, en contrepartie – théorique – d’une protection.

6. Autre notion clef, celle d’ecclesia. Le Moyen Âge est en effet marqué par l’omniprésence du fait religieux. La religion est une notion qui n’existe pas… parce que tout est religion. L’Église englobe tous les aspects de la société, elle pense et organise l’ordre social, du schéma tripartite des ordines aux multiples institutions charitables ou éducatives, elle concentre une part essentielle de la richesse, elle est le moteur de la création artistique. Le christianisme est alors, et pour longtemps, un véritable « processus de civilisation ». Jacques Le Goff a avancé l’idée qu’«  un long Moyen Âge  » s’étendait jusqu’à la fin du xviiie siècle. Il faut en effet attendre ce siècle pour que soit à la fois remise en cause la place centrale © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

de l’Église, avec le libre examen et la proclamation de la liberté de conscience, et pour que les concepts de propriété privée – «  inviolable et sacrée » – et de marché s’imposent, l’économie cessant alors d’être immergée, encastrée dans les institutions sociales ou politiques. Plutôt que de survoler tout le Moyen Âge, le programme concentre l’étude sur les xie-xiiie siècles. L’unité du Moyen Âge central est évidente dans deux domaines : – le « bond en avant » de l’économie est incontestable. La population triple entre 1000 et 1300, atteignant par exemple en France un niveau qu’elle ne dépasse que dans la deuxième moitié du xviiie siècle. L’origine du phénomène reste discutée et la « mutation de l’an mil » est sans doute la querelle la plus violente qui ait divisé dans les dernières années la communauté des médiévistes, mais le résultat est incontestable : la population se regroupe, la trame des villages se met en place avec l’encellulement des hommes ; – l’Occident se fait conquérant. L’expansion succède à la contraction. Non seulement, l’Islam est pratiquement repoussé d’Espagne (1075, prise de Tolède  ; 1212, victoire de Las Navas de Tolosa qui permet la reconquête de Cordoue en 1236 puis celle de Séville en 1248), mais les « Francs » s’installent durablement au cœur de l’Islam avec les croisades. N’oublions pas non plus que les Suédois passent la Baltique, parviennent en Russie, le long des voies fluviales et contribuent, en concurrence avec Byzance, au regroupement en État de ses tribus éparses (principautés de Kiev, etc.). Par contre, on peut à bon droit distinguer, au sein de ces trois siècles, deux âges différents, que l’approche du programme ne permet guère d’approfondir : – de 950 à 1150, c’est l’âge féodal ou, plus convaincant, l’ordre seigneurial qui s’impose. En effet, la cellule première de cette société, c’est la seigneurie et non le fief, la relation féodo-. vassalique ne concernant que d’étroites minorités sociales (3 % de la population ?). On a longtemps parlé d’anarchie féodale au nom d’un présupposé absurde selon lequel il n’y aurait d’ordre que monarchique. Or, il y a au contraire « peu de périodes où les hommes aient été plus solidement tenus en main  » (Robert Fossier). Non seulement, ceux-ci sont encadrés dans un © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

«  ordre  » intellectuel tripartite, mais ils tissent entre eux de très solides liens, horizontaux – liens de parenté (naturelle ou spirituelle), confréries pieuses, communautés villageoises ou urbaines, etc. – ou verticaux. Les relations entre maîtres et valets (dans les ateliers), entre propriétaires et locataires, entre seigneurs et « serfs » ou manants contribuent, plus encore que la vassalité, à la hiérarchisation générale de la société ; – de  1150 à  1350, on assiste à la naissance de l’État moderne pour reprendre le titre a priori insolite d’un manuel récent (Jean Kerhervé, Hachette, 1998). L’affirmation du pouvoir royal, épaulée par l’essor urbain et par le rayonnement des universités, permet alors une recomposition des pouvoirs autour de la monarchie, du moins en France ou en Angleterre. Dans l’Empire, l’épuisement des empereurs à lutter contre les princes (affrontement entre guelfes et Staufen) et contre le pape (querelle des investitures) voit s’affirmer un modèle politique très différent qui fait cohabiter une pluralité d’États princiers, de villes et de seigneuries. On notera que ce Moyen Âge central, «  classique » pour certains, est aussi l’âge où s’épanouit l’art médiéval, en intégrant les apports antiques à ceux de la tradition barbare. L’opposition art roman/art gothique – l’âge de la foi farouche, l’âge de la piété évangélique, disait le grand historien de l’art Émile Mâle – n’est pas loin d’épouser le découpage précédemment évoqué. Sans tomber dans un sociologisme simpliste, on notera que l’art roman est marqué par de fortes différences entre « écoles » régionales qui recoupent peu ou prou les principautés territoriales, de l’Aquitaine à la Normandie, alors que l’art gothique, «  art de France  », disent les contemporains, naît au cœur du domaine royal (Saint-Denis, Sens, Laon et, bien sûr, Paris) et tend à imposer un modèle « rayonnant » à partir de ce foyer originel.

◗ Bibliographie Réflexions sur le Moyen Âge

Christian Amalvi, Le Goût du Moyen Âge, Paris, Plon, 1996 [rééd. augmentée, Paris, La Boutique de l’Histoire, 2002]. Alain Guerreau, L’Avenir d’un passé incertain. Quelle histoire du Moyen Âge au xxie  siècle  ?, Paris, Seuil, 2001. 55 •

Jacques Le Goff, À la recherche du Moyen Âge, Paris, Louis Audibert, 2003. Généralités

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Georges Duby, Les Trois Ordres ou l’imaginaire du féodalisme, coll. «  Bibliothèque des histoires  », Paris, Gallimard, 1978 [repris dans Féodalité, coll. « Quarto », 1996]. Jacques Le Goff, L’Imaginaire médiéval, coll. « Bibliothèque des histoires », Gallimard : Paris, 1985 [repris dans Un autre Moyen Âge, coll. « Quarto », 1999]. • 58

Hervé Martin, Mentalités médiévales, xie-xve siècle, 2 vol., coll. «  Nouvelle Clio  », Paris, P.U.F., 1996 et 2001. Michel Pastoureau, Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental, Paris, Seuil, 2004. Pour prolonger sur Internet

• Des sites pour se guider et aller plus loin… http://www.menestrel.fr/ [tout sur les études médiévales et l’application des nouvelles technologies à la « médiévistique »] http://lamop-dev.univ-paris1.fr/ [site du laboratoire de médiévistique de Paris I et du CNRS] http://shmesp.ish-lyon.cnrs.fr/ [site de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public. Des bibliographies exhaustives] http://www.enc.sorbonne.fr/ [site de l’École des Chartes. Une activité d’édition en ligne de qualité exceptionnelle]

• Des bases de données http://jonas.irht.cnrs.fr/accueil/accueil.php [réper­toire des textes et des manuscrits médiévaux d’oc et d’oïl  ; notices de manuscrits  ; fichiers bibliographiques] http://www.enluminures.culture.fr/documentation/enlumine/fr/ [propose diverses visites virtuelles comme « La guerre », « Le Moyen Âge à table » ou « Les travaux des champs ».] http://mandragore.bnf.fr/html/accueil.html [base des manuscrits enluminés de la BNF] http://www.arlima.net/index.html [archives de littérature du Moyen Âge] http://www.culture.gouv.fr/culture/inventai/. patrimoine/ [les bases de données documentaires mises en œuvre par la direction de l’Architecture et du Patrimoine] http://www.irht.cnrs.fr/ [site de l’Institut de recherche et d’histoire des textes] http://www.wga.hu/ [le site le plus complet sur la peinture occidentale] • Des recueils de sources http://sourcesmedievales.unblog.fr/ [très riche] http://www.fordham.edu/halsall/sbook.html [en anglais]

• Des expositions virtuelles http://www.culture.gouv.fr/culture/arcnat/. charavines/fr/ [sur les fouilles du site de Colle­tière et sur l’histoire de chevaliers-paysans de l’an mil] © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

http://www.moyenageenlumiere.com/ [ce site prolonge l’ouvrage dirigé par Jacques Dalarun et publié au Seuil (Le Moyen Âge en lumière). Dix parcours thématiques pour découvrir la vie des hommes au Moyen Âge à travers les manuscrits des bibliothèques de France. La sélection d’images est renouvelée chaque jour.] http://www.culture.gouv.fr/culture/medieval/ francais/index.htm [sur la peinture médiévale dans le Midi de la France. Beaucoup d’informations sur la vie quotidienne] http://expositions.bnf.fr/carolingiens/index. htm [présente les trésors de l’enluminure carolingienne] http://www.saint-denis.culture.fr/fr/index.html [sur Saint-Denis, la ville au temps de la splendeur de l’abbaye] http://expositions.bnf.fr/arthur/index.htm [sur la légende arthurienne] http://expositions.bnf.fr/bestiaire/index.htm [sur le bestiaire, la chasse, les romans animaliers…] http://classes.bnf.fr/ema/index.htm [sur l’enfance au Moyen Âge et, au-delà, sur la société médiévale dans son ensemble et plus particulièrement sur Paris] http://expositions.bnf.fr/jeux/ [sur le monde du jeu] http://classes.bnf.fr/dossitsm/index.htm [sur les savoirs, en particulier au Moyen Âge] http://www2.imarabe.org/temp/expo/sciencesarabes/sciences_arabes [sur «  l’âge d’or des sciences arabes (viiie-xve siècles) »]

© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

http://www.musee-moyenage.fr/index.html [permet de découvrir les collections du musée de Cluny] http://www.metmuseum.org/works_of_art/the_ cloisters [permet de découvrir les collections du musée des Cloisters (New York)] http://classes.bnf.fr/villard/index.htm [les cathédrales et Villard de Honnecourt. Beaucoup de choses sur la ville médiévale] http://www.philippe-auguste.com/ [Paris à l’époque de Philippe Auguste] http://www.curiosphere.tv/moyenage/ [site qui « explore le Moyen Âge ». Réalisé par Hachette, France 5 et le Louvre] http://expositions.bnf.fr/gastro/index.htm [sur la gastronomie médiévale] • Sur les châteaux http://www.chateau.caen.fr/ http://www.carcassonne.culture.fr/ http://www.guedelon.fr/index.php [sur le chantier de Guédelon, pour voir naître un château fort] http://www.mesqui.net/ [le site d’un des meilleurs spécialistes de l’architecture militaire du Moyen Âge] http://www.casteland.com [beaucoup de photos, un glossaire…]

59 •

Réponses aux questions

Chapitre

4

La chrétienté médiévale (xie-xiiie siècles)

◗ Présentation de la question

La chrétienté médiévale est comprise comme l’Occident médiéval, à l’exclusion de l’Orient byzantin, désigné comme orthodoxe depuis le schisme de 1054. La période envisagée ici est celle du «  Moyen Âge central  », marquée par la réforme grégorienne. C’est alors que le mot Église en vient à désigner non plus la communauté des chrétiens dans son ensemble, mais l’institution qui prétend la diriger. Le clergé a pour mission de conduire le peuple des fidèles (les laïcs, la chrétienté) vers le salut, avec ses deux grandes composantes. Le clergé régulier (les moines) est chargé de prier pour obtenir, par l’intercession des saints, le salut éternel de tous les hommes. Le clergé séculier encadre les fidèles, auprès desquels il assure la prédication et la célébration de sacrements tout au long de la vie, du baptême à l’extrême-onction en passant par le mariage. C’est à cette époque (seconde moitié du xiie siècle) que sont définis « les sept sacrements ». Le monachisme s’inscrit dans une tradition très ancienne de l’Église (ive siècle), concrétisé en Occident dans le Règle de saint Benoît (vie  siècle). Il connaît un important développement au xie (Cluny et les clunisiens) et au xiie siècle (Cîteaux et les cisterciens). Spécialistes de la prière, les moines consacrent une grande partie de leur temps (un tiers selon la Règle de saint Benoît) à prier pour les hommes, ce qui leur vaut de très nombreux dons et donc la richesse. Les monastères sont devenus des grands centres économiques, culturels et artistiques  : des lieux de pouvoir aussi. Contre cette richesse des moines, se développent au xiiie siècle dans les villes des ordres religieux nouveaux (ce ne sont pas des moines) qui renoncent à toute propriété et vivent d’aumônes : on les appelle ordres • 60

� MANUEL, PAGES 92-111

mendiants. Adaptés à la nouvelle société urbaine et européenne du xiiie siècle, ils se déplacent de ville en ville pour prêcher et étudier en vue de la prédication. Franciscains et dominicains pourraient être appelés « ordres voyageurs » par opposition aux moines qui restent stables, en principe toute leur vie dans le même monastère. Le clergé séculier est moralisé et renforcé par la réforme grégorienne. Les curés s’efforcent de mieux contrôler les fidèles. Les évêques soutiennent le développement des villes, en créant de nouvelles paroisses et en reconstruisant les cathédrales selon les techniques de l’architecture gothique. La papauté cherche à affirmer son autorité suprême sur toute la chrétienté. La théocratie pontificale prétend que le pape est supérieur à tous les pouvoirs, même dans le domaine temporel. Mais les papes doivent bientôt renoncer à cette prétention et admettre une certaine autonomie du pouvoir temporel. Cette affirmation de la chrétienté entre le xie et le xiiie siècle s’opère aussi par distinction et exclusion et même persécution de tout ce qui n’est pas considéré comme en faisant partie, donc de tout ce qui n’est pas catholique. Ce qui vise les hérétiques (vaudois et cathares) et les juifs. Contre les hérétiques, d’abord combattus par les évêques, est mis en place au xiiie siècle le tribunal d’inquisition, relevant directement du pape, qui le confie aux ordres mendiants. Contre les juifs, les premiers massacres ou pogroms ont lieu au xiie siècle, avec les croisades. L’affirmation de la chrétienté se fait aussi contre les musulmans progressivement chassés d’Espagne (Reconquista) tandis que des expéditions sont dirigées vers Jérusalem conquise par les Turcs. Le nouveau programme, à travers l’emploi du terme chrétienté, s’appuie clairement sur l’histo© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

riographie récente, qui privilégie les interactions entre le religieux et le social (à travers notamment la notion de représentations).

◗ Bibliographie Instruments de travail

A. Vauchez dir., Dictionnaire encyclopédique du Moyen Âge, Cerf, 1997. C. Gauvard, A. de Libéra, M. Zink, Dictionnaire du Moyen Âge, PUF, 2002. J. Le Goff, J.-C. Schmitt, Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval, Fayard, 1999. E.  Suire, Vocabulaire historique du christianisme, Armand Colin (Cursus), 2004. N. Lemaître, M.-T. Quinson, V. Sot, Dictionnaire culturel du christianisme, Cerf, Nathan, 1994. Généralités

B. Merdrignac, Le Fait religieux. Une approche de la chrétienté médiévale, PUR, 2009. J. Baschet, La Chrétienté médiévale, Documen­ tation photographique, n° 8047, 2005. J. Baschet, La Civilisation féodale, Aubier, 2004. Y. Le Bohec dir, Les Religions triomphantes au Moyen Âge. De Mahomet à Thomas d’Aquin, Editions du temps, 2007. N.-Y. Tonnerre, Être chrétien en France au Moyen Âge, Seuil, 1996. Pour approfondir

A. Vauchez dir., Apogée de la papauté et expansion de la chrétienté (1054-1274), Histoire du christianisme des origines à nos jours, t. V, Desclée, 1993. C. Vincent, Église et société en Occident (xiiiexve siècles), Armand Colin, 2009. D. Iogna-Prat, Ordonner et exclure. Cluny et la société chrétienne face à l’hérésie, au judaïsme et à l’islam (1000-1150), Aubier, 1998. Art roman, art gothique

J.-P. Caillet, L’Art du Moyen Âge, Gallimard, 1995. A.  Erlande-Brandebourg, L’Art roman, Découvertes Gallimard, n° 471, 2005. J.-P.  Deremble, C.  Manhes, Les Vitraux légendaires de Chartres, Desclée de Brouwer, 1988. Moines et religieux

D.-O. Hurel, collaboration D.  Riche, Cluny, de l’abbaye à l’ordre Clunisien (xe-xviiie siècles), Armand Colin, 2010. © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

D.  Iogna-Prat, «  Les Seigneurs de Cluny  », L’Histoire, n° 217, janvier 1998. L. Pressouyre, Le Rêve cistercien, Découvertes Gallimard, n° 95, 1990. J.-L.  Biget, «  La naissance de Cîteaux  », L’Histoire, n° 217, janvier 1998. Les ordres mendiants

A. Vauchez, Saint François d’Assise, Fayard, 2009. Dossier « François d’Assise », L’Histoire, n° 348, déc. 2009 (J. Dalarun, J.  Tolan, E.  CrouzetPavan, I. Heullant-Donat, A. Vauchez). G.  Bessière et H.  Vulliez, François d’Assise, Découvertes Gallimard, n° 354. « Les ordres mendiants dans la rue », entretien avec N.  Bériou de F.  Coste, Tracés, revue de sciences humaines, avril 2004. Les cathares

A.  Brenon, Les Cathares, Découvertes Gallimard, n° 319. P. Boucheron, « Les cathares ont-ils existé ? », L’Histoire, n° 327, décembre 2007. Les juifs

G. Miccoli, « Ils ont tué le Christ… », L’Histoire, n° 269, octobre 2002. D. Nirenberg, « Plus juif que les Juifs : le roi ! », ibid. Sites internet

www.cathedrale-chartres.fr Ce site présente toutes les formes d’art et d’architecture liées aux églises romanes et gothiques de France. C’est une mine de documents iconographiques : www.romanes.com/ Description et interprétation du tympan roman de Conques : www.tympan-conques.webou.net/ Description et interprétation du tympan de la cathédrale d’Amiens : www.limen-arcanum.org/.../tympan.php

◗ Ouverture de chapitre � MANUEL, PAGES 92-93

Doc. 1. La communauté des fidèles, unie autour de la cathédrale… (Vitrail de saint Silvestre, Notre-Dame de Chartres.)

xiiie

siècle. Cathédrale

Le vitrail historié est une création médiévale, particulièrement du xiiie siècle. L’adjectif his61 •

torié, dans le vocabulaire de l’histoire de l’art médiéval, signifie décoré de scènes tirées de la Bible ou de la vie des saints. Le verre capte les couleurs, les transforme et illumine l’intérieur de l’église. Dans la cathédrale, l’ouverture de larges baies libère la place pour des histoires courtes, limitées dans l’espace de la fenêtre  comme à Chartres  : la vie du Christ, celle de Marie, des apôtres, de Charlemagne ou de saint Sylvestre. La cathédrale de Chartres possède le plus important ensemble de vitrail du xiiie siècle, 176 vitraux d’une surface de 2 500 m2. La réalisation d’un vitrail est une œuvre collective, associant un théologien, un ferronnier et un verrier. La technique de la découpe du verre implique une grande stylisation des formes. Le vitrail contorsionne les personnages pour leur faire remplir l’espace. Ici, ils sont courbés à la fois sur leur tâche et pour s’inscrire dans le demicercle du vitrail. Toutes les verrières historiées du xiiie siècle à Chartres indiquent les donateurs ou les représentent comme ici les maçons (cf. p. 102, doc. 2). Doc. 2. … et encadrée par un clergé hiérarchisé (Manuscrit du xiie siècle. Paris, Bibliothèque nationale de France.)

L’église de l’abbaye de Cluny est représentée avec deux clochers et une voûte avec un clocheton au-dessus de l’autel. De grands cierges éclairent l’intérieur de l’église. Sur l’autel sont disposés le calice qui contient le vin et la patène, petit plat en or, pour poser l’hostie, pour célébrer la messe. L’abbaye de Cluny, en Bourgogne, a été fondée en 910 et elle est devenue le centre d’un ordre monastique rayonnant dans toute l’Europe (France, Espagne, Italie, Angleterre…). Avec plus d’un millier de dépendances au xiie siècle, l’ordre de Cluny est le plus puissant ordre monastique bénédictin en Occident. À gauche, le pape Urbain II qui a été moine de Cluny en 1067 sous l’abbé Hugues de Semur (1049-1109) que l’on voit à droite. L’année de la consécration de la nouvelle église est aussi l’année du concile de Clermont où le pape Urbain II lance l’appel à la croisade (cf. p. 107, doc. 3). Le pape, l’abbé et les évêques tiennent une crosse, bâton recourbé, symbole du pasteur. Ils sont coiffés d’une mitre, bonnet triangulaire à deux • 62

pointes et portent les vêtements liturgiques pour célébrer la messe. À droite, les moines sont reconnaissables à leur robe et à leur tonsure. De chaque côté de l’abbé deux servants de messe en aube blanche avec des encensoirs.

1. Le rôle majeur de l’Église � MANUEL, PAGES 94-95

Doc. 1. Un apôtre, un pape, un évêque (Hortus Deliciarum, manuscrit du bourg, Bibliothèque alsatique.)

xiie 

siècle. Stras-

Ce document illustre la théorie de la succession apostolique, par laquelle l’Église catholique se légitime  : le pape tient son autorité de l’apôtre Pierre, dont il est le successeur, et il nomme les évêques qui sont aussi les successeurs des apôtres. Doc. 2. L’Église, les clercs et les laïcs

(Miniature d’un manuscrit de l’abbaye du Mont-Cassin, vers 1087. Rome, Bibliothèque vaticane.)

• Question 1. Les clercs sont représentés avec la tonsure et ils tiennent à la main des livres sacrés, Bibles ou livres de messe. Ce sont uniquement des hommes. Les laïcs sont des hommes et des femmes.

• Question 2. Le mot Église avec « É » majuscule désigne la communauté des chrétiens et en un sens plus restreint l’institution qui est au service de cette communauté. Elle est la Mère de tous les chrétiens, Mater Ecclesia. L’institution est ici personnifiée par une figure maternelle. Elle soutient le bâtiment église avec un «  é  » minuscule. À la place de la Mater Ecclesia se trouve normalement l’autel pour célébrer la messe. Les clercs et les laïcs sont séparés dans les églises. Doc. 3. La supériorité du pape

Le Dictatus Papae (qui signifie « texte écrit par le pape ») est un texte en 27 propositions qui figure dans le Registre des lettres du pape Grégoire VII en date des 3-4  mars 1075. C’est une sorte de résumé des positions du pape Grégoire VII, affirmées d’une manière très nette, une sorte de programme de la théocratie pontificale. • Question. Le pape affirme son autorité suprême à la fois sur l’Église et sur les laïcs. Il

© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

se pose en chef absolu de l’Église catholique, avec une autorité supérieure à celle des conciles et le pouvoir de déposer et rétablir les évêques (proposition 25). Il se déclare aussi supérieur au pouvoir temporel, puisque « tous les princes embrasseront les pieds » et « qu’il lui est permis de déposer des empereurs ». Il ne peut d’ailleurs « être jugé par personne ».

trant ce qui l’attend après la mort s’il commet trop de péchés. On y voit Satan, le prince des ténèbres, sous la forme d’un monstre géant, assis sur un dragon et qui attrape les damnés pour les manger. Et l’on peut détailler tous les supplices effrayants que subissent les damnés, y compris les clercs (on peut repérer un personnage coiffé d’une mitre et d’autres qui sont tonsurés).

Doc. 4. Le prêtre face au monde des laïcs

Doc. 3. Un miracle au monastère

• Question 1. Les évêques redoutent que leurs prêtres ne se comportent comme des laïcs, qu’ils adoptent les travers de leurs paroissiens, comme le jeu. Ils craignent surtout le contact avec les femmes, le mariage ou le concubinage des prêtres. Aux premiers siècles du christianisme, en Occident et en Orient, les prêtres pouvaient être mariés. L’Église d’Orient a fixé sa discipline au viie siècle : les hommes mariés choisis comme évêques devaient répudier leur femme, mais pas ceux qui devenaient seulement prêtres. En Occident, l’abstinence conjugale est renforcée mais on continue à ordonner des hommes mariés. Avec la réforme grégorienne en 1074, tout mariage est impossible et toute cohabitation est interdite.

• Question 2. Ce texte montre que la réforme grégorienne est mal appliquée. Le deuxième concile du Latran (1139) a invalidé le mariage des prêtres. Mais, concrètement, cette décision est difficile à appliquer et il faut la rappeler encore en 1245.

2. Vivre en chrétien � MANUEL, PAGES 96-97

Doc. 2. L’enfer

(Le Jugement dernier, fresque de Giotto, vers 1306. Padoue, église de l’Arena.) Pour visiter les fresques de l’église supérieure : chapelle Scrovegni  : www.encyclopedie.bseditions.fr/article.

• Question 1. Le destin qui attend le pécheur est l’enfer, tandis que le bon chrétien gagnera le paradis. Cette fresque fait partie d’une immense représentation du Jugement dernier de 10 mètres de large, où figure aussi le paradis.

• Question 2. Les artistes du Moyen Âge, sculpteurs, peintres ou verriers, cherchaient à frapper les imaginations. Cette peinture entretient la peur de l’enfer chez le chrétien en lui mon© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

• Question 1. Le miracle est un récit merveilleux (voir le titre du livre) pour faire comprendre un mystère, quelque chose qui ne peut pas s’expliquer par la raison. Ici, le miracle vécu par ce moine lui permet de comprendre la présence réelle, puisqu’il a la vision du Christ sous la forme d’un enfant se tenant sur l’autel (de l’abbaye de Cluny) et lui tendant le « pain sacré ».

• Question 2. Ce texte met d’abord en valeur la doctrine de la présence réelle du Christ dans l’eucharistie, adoptée au xiie  siècle par l’Église catholique. Le prêtre en redisant les paroles de Jésus lors de la Cène (Jeudi Saint) change le pain et le vin en corps et en sang du Christ. Pour expliquer ce mystère, le concile de Latran IV (1215) emploie le terme de transsubstantiation, changement de substance. Le texte met aussi en valeur l’intercession de la Vierge Marie, « la bienheureuse Mère de Dieu », à laquelle le moine adresse ses prières pour qu’elle le libère de la tentation diabolique. • Question 3. Ce texte nous apprend que les moines se pensent comme une sorte d’avantgarde de l’Église, comme les chrétiens les plus purs, qui prient pour le salut de tous. Ils subissent les assauts du diable, ils sont saisis par le doute et la tentation, mais ils parviennent à y résister, notamment grâce aux miracles dont ils sont les témoins privilégiés. Doc. 4. Conseils à un confesseur

• Question 1. Le prêtre qui confesse doit rester impassible, ne pas laisser voir ses sentiments, même à l’énoncé de fautes très graves. Il ne doit pas regarder celui qui se confesse, surtout si c’est une femme. Comme les fidèles doivent se confesser à leur curé, celui-ci connaît bien la vie de ses paroissiens et peut les surveiller (cf. p. 94).

• Question 2. Les péchés supposés les plus fréquents pour un paysan sont le vol, les es63 •

croqueries pour ne pas payer tous les impôts très lourds auxquels il est soumis. La dîme est l’impôt prélevé par l’Église sur les revenus des paysans, théoriquement d’un dixième. Le terme « prémices » désigne souvent la part de la dîme qui revient au curé (le reste étant conservé par le décimateur, celui qui perçoit la dîme d’une paroisse, un abbé par exemple). Le déplacement des bornes marquant les limites de son champ, pour l’agrandir aux dépens de celui de son voisin, est une accusation fréquente entre voisins à la campagne.

◗ Étude La vie des moines cisterciens au xiie siècle � MANUEL, PAGES 98-99 Pour visiter l’abbaye de Senanque  : www.provenceweb.fr/f/vaucluse/senanque/ Analyse des documents

1. Les sites choisis par les cisterciens pour fonder leurs monastères sont des lieux isolés ou « déserts » dans le sens où ils sont loin des villes ou des villages, «  à l’écart des habitations  ». Les moines se retirent du monde pour consacrer leur vie à la prière et à Dieu. Au xie siècle, les moines ont la nostalgie du désert, à l’image des Pères du Désert, fondateurs du monachisme à la fin du iiie siècle en Égypte. Les monastères sont construits dans des vallées, des forêts ou sur des montagnes, mais il y a toujours de l’eau à proximité. Les cisterciens doivent pouvoir vivre en autarcie. 2. Le monastère est construit autour du cloître qui permet la communication entre les différents bâtiments. Le cloître est adossé à l’église. C’est une galerie couverte entourant un jardin qui sert de lieu de promenade, de lecture (car on lisait à voix haute) et de lieu de méditation.

3. Les deux catégories de moines qui vivent dans un monastère cistercien sont les moines de chœur qui savent lire et peuvent chanter l’office. Ils ne sont pas forcément prêtres. Et les frères convers qui sont chargés des travaux manuels. Ces derniers apparaissent au xiie siècle chez les cisterciens pour assurer la gestion des domaines. Ils n’ont pas « voix au chapitre » : ils ne sont pas réunis avec les autres moines dans la salle capitulaire. • 64

Le temps du moine de chœur est ordonné selon trois activités : la prière communautaire ou office divin et la prière personnelle  : la lectio divina, lecture de la Bible ; et le travail manuel, revalorisé même s’il est surtout assuré par les convers. Les moines de chœur se retrouvent à l’église neuf fois par jour pour les offices et la messe : laudes à l’aurore, prime au lever du soleil, tierce vers la troisième heure, sexte à midi, none vers la neuvième heure, vêpres en fin d’après-midi et complies avant le coucher du soleil, auxquelles s’ajoute un office de nuit appelé vigiles, matines ou nocturnes. C’est pour cet office de nuit qu’un escalier descend directement du dortoir, situé au-dessus de la salle capitulaire, dans l’église. 4. Les cisterciens ont voulu retrouver l’idéal monastique, oublié selon eux par les clunisiens dont l’abbaye-mère était devenue très riche et possédait plus d’un millier de monastères dépendants. Les cisterciens s’opposent aussi au faste de la vie des évêques. Ils voulaient mener une vie monastique parfaite sans compromission avec le monde.

5. Bernard de Clairvaux préconise une architecture très dépouillée qui favorise l’ascèse, mais il ne s’oppose pas à l’art. Au contraire, il promeut un art épuré, sans or et sans décors somptueux. Les vitraux sont en grisaille et composés d’entrelacs formant des motifs géométriques. Les chapiteaux ne doivent pas être ornés de figures humaines ni de monstres mais de feuillages ou tout simplement rester sans décor. Le plan de l’église est un plan en forme de croix, plan qui se prête aussi bien aux grandes qu’aux petites églises (cf. doc. 3). Bernard de Clairvaux s’oppose ici aux clunisiens, qui estimaient que la beauté des églises et le faste de la liturgie servaient la gloire de Dieu. L’abbatiale de Cluny (cf. p. 93, doc. 2) était alors la plus grande église de la chrétienté jusqu’à la construction de Saint-Pierre de Rome au xvie siècle. C’était un chef-d’œuvre de l’art roman. Bilan de l’étude

Les cisterciens au xiie  siècle veulent retrouver l’idéal monastique de pauvreté et d’austérité. Rien ne doit distraire les moines. Ils doivent fuir les richesses du monde et s’adonner uniquement à la prière et au travail manuel. Ces deux activités sont assurées par deux catégories diffé© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

rentes : les moines de chœur et les convers. Le monastère doit être simple et fonctionnel, loin des fastes des monastères clunisiens.

◗ Histoire des Arts Le Diptyque de la Madone de Berlinghieri � MANUEL, PAGES 100-101 Analyse du document

1. La Vierge Marie apparaît sur le tableau de gauche tenant l’enfant Jésus. Elle est présente sur celui de droite, dans les quatre scènes qui entourent la crucifixion de Jésus. Elle suit Jésus qui porte sa croix avec les autres femmes (8), dont Marie Madeleine. Elle est reconnaissable à son grand voile bleu. Le bleu marial est la couleur du ciel. Éplorée et brisée, elle est soutenue par les saintes femmes (6). Elle est avec Jean, le disciple que Jésus aimait, qui est le seul disciple au pied de la croix selon l’Évangile et auquel Jésus a confié sa mère (7). Marie est encore là à la descente de croix (9). Cette présence de la Vierge révèle le développement de son culte aux xiie-xiiie siècles en Occident. Les cisterciens notamment, avec Bernard de Clairvaux, ont développé le culte marial. Au Moyen Âge chaque église possédait une Vierge à l’Enfant et de nombreuses cathédrales sont dédiées à Marie  : Notre-Dame de Paris (p.  103), de Reims (p.  102), de Chartres (p. 92) ou d’Amiens (p. 104-105). 2. Dans la partie droite du tableau, le Christ est représenté en train de subir la Passion. Ce terme (qui vient du latin passio, souffrance) désigne les souffrances endurées par Jésus depuis son arrestation jusqu’à sa mort sur la croix, telles qu’elles sont racontées dans les quatre Évangiles. Ici, on voit Jésus portant la croix (8), Jésus mort sur la croix au centre du tableau (5) et Jésus descendu de la croix (9). Cette représentation est fondamentale pour les chrétiens parce que la Passion est suivie de la résurrection du Christ selon les Évangiles. Toute la foi chrétienne est fondée sur la résurrection le jour de Pâques et sur l’idée que Jésus est le fils de Dieu qui s’est incarné en homme et qui a donné sa vie pour le salut de l’humanité, avant de ressusciter. 3. Le Christ est représenté en enfant mais portant la robe brune des franciscains. Trois per© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

sonnages figurant sur le tableau de gauche appartiennent à l’ordre des franciscains  : saint François d’Assise (4), le fondateur de l’ordre dont la règle est validée par le pape Innocent III en 1210 (cf. p. 95, doc. 5) ; Antoine Padoue (3), ami de François et grand orateur qui enseigne la théologie à Bologne et à Montpellier ; et à droite de la Vierge, sainte Claire (2), amie de François d’Assise, qui fonde en 1212 un ordre franciscain pour les femmes : les clarisses. Le peintre a donc voulu mettre en valeur l’ordre franciscain, d’autant que ce diptyque est destiné au couvent des clarisses de Lucques.

4. Quatre couleurs sont utilisées ici : l’or pour le fond des tableaux, qui est la couleur aussi utilisée pour les icônes comme celle de La Vierge de Vladimir (doc. 1) ; le bleu pour la Vierge Marie ; le rouge pour les autres personnages, hommes ou femmes  ; et enfin le brun pour les franciscains. Sur ce diptyque, deux personnages sont mis en valeur par leur taille supérieure : Jésus-Christ et Marie. C’est à eux que s’adressent principalement les prières des clarisses. Tous les autres personnages ont la même taille, sauf sainte Claire qui est moins importante que saint François. La peinture médiévale ne cherche pas à refléter la réalité, mais à entretenir la foi. Les couleurs ont une fonction symbolique et non réaliste. L’organisation de l’espace et la taille des personnages ne relèvent pas non plus du réalisme.

◗ Étude L’Église dans la ville � MANUEL, PAGES 102-103 Analyse des documents

1. La présence de l’Église dans les villes où réside l’évêque se traduit par la cathédrale, église où se trouve la cathedra, siège de l’évêque. Elle se manifeste aussi par la présence des chanoines qui habitent à côté de la cathédrale, par le palais épiscopal et par l’hôtel-Dieu qui se trouve à côté de la cathédrale. Aux xiie et xiiie siècles, des hôpitaux, hôtels-Dieu ou maisons-Dieu, sont construits et tenus par des religieux ou des religieuses pour accueillir les malades, les orphelins et les enfants abandonnés.

2. L’évêque de Paris crée la paroisse de SaintJean-en-Grève parce que l’église Saint-Gervais 65 •

est située dans l’un des quartiers les plus peuplés de la ville. La paroisse Saint-Gervais devenait trop lourde à gérer pour le curé et l’évêque décide donc de répartir les tâches et les paroissiens sur deux paroisses. Pour que la nouvelle paroisse puisse vivre, il partage les revenus et les possessions de SaintGervais en deux. Les deux curés ont les mêmes devoirs et les mêmes fonctions. Celui de SaintGervais n’est pas supérieur à celui de Saint-Jean. 3. Dans cette paroisse urbaine du xiiie  siècle, la vie religieuse comprend des manifestations collectives comme les processions. Le curé doit veiller à leur organisation, ce qui passe notamment par une bonne gestion matérielle (revenus, fonctions des différents prêtres qui assistent le curé, ici des chapelains). Le jour de la Saint-Marc, le curé porte l’encens devant la croix de la cathédrale Notre-Dame et, le jour des Rogations, il participe à la procession qui monte à Montmartre qui, au xiiie siècle, était situé hors de la ville. La procession des Rogations attirait une foule importante à Paris et dans les villes mais surtout dans les campagnes, car c’était une procession de supplication à Dieu pour demander de bonnes récoltes.

4. Les laïcs participent à la vie religieuse en fréquentant leur église et à la vie matérielle de leur paroisse (cf. p. 96) en nettoyant l’église, en offrant de l’argent et des cierges, en finançant des vitraux (cf. p. 92, doc. 1) voire en aidant à la construction à laquelle ils participaient physiquement eux-mêmes. En dehors du cadre paroissial, ils peuvent aussi écouter la prédication des frères mendiants, très actifs dans les villes à partir du xiiie siècle.

5. La foule rassemblée ici sur la place de la ville de Sienne (Piazza del Campo) devant le palais de la Commune pour entendre Bernardin de Sienne montre le succès de la prédication des franciscains. La foule étant trop nombreuse, elle ne pouvait se réunir dans une église de la ville, ce qui explique qu’elle se soit rassemblée sur la place principale. Bernardin de Sienne (13801444) est sur une estrade (une chaire) et il prêche en montrant à la foule le monogramme du Christ, IHS, peint en lettres d’or et entouré d’un soleil. Ses sermons pouvaient durer deux ou trois heures. Les prédicateurs comme Bernardin de Sienne mettent en scène leur sermon. Il faut • 66

remarquer aussi que les hommes et les femmes à genoux sont séparés par un tapis rouge et que les femmes portent un voile sur la tête. Elles n’entraient pas dans une église si elles n’avaient pas la tête couverte. Les hommes eux devaient se découvrir. Bernardin est représentatif des ordres mendiants qui, à partir du xiiie  siècle, ont lutté contre les hérésies et ont tenté de réformer les mœurs des riches laïcs. Bilan de l’étude

L’Église s’occupe des âmes et des corps des habitants des villes. Elle construit des églises dans les villes (cf. doc. 2) et elle dédouble les paroisses quand le nombre de paroissiens devient trop important pour la charge d’un seul curé. Elle fait participer les habitants à l’entretien et à l’agrandissement de leur église ou de la cathédrale. Elle assure la formation religieuse des fidèles grâce à la prédication des curés mais aussi à celles des franciscains ou des dominicains qui se déplacent de ville en ville et qui attirent les foules. L’Église s’occupe aussi des malades, des orphelins et des pauvres à qui elle apporte soin et réconfort dans les hôtels-Dieu.

◗ Histoire des Arts Notre-Dame d’Amiens, cathédrale gothique � MANUEL, PAGES 104-105 Analyse du document

1. La cathédrale Notre-Dame d’Amiens possède des voûtes qui s’élèvent jusqu’à 42,50 mètres. Elle a un volume de 200 000 m3, ce qui en fait le plus vaste édifice médiéval de France. Ses tours sont d’inégale hauteur et ne s’élancent pas audessus du bâtiment, ce qui renforce son aspect massif. Mais celui-ci est atténué par les tours percées de fenêtres et par la première galerie qui est ajourée. Pour arriver à construire aussi haut et à percer de larges fenêtres dans les murs, les architectes rivalisent dans la recherche de l’exploit et adaptent les techniques de construction. Ils construisent à l’extérieur de la cathédrale des contreforts très puissants, et grâce à la croisée d’ogives et aux arcs-boutants, la poussée des murs s’effectue sur les contreforts et non sur les murs eux-mêmes qui, sinon, s’écarteraient. L’effet recherché est celui de l’élancement vers le ciel et de la luminosité à l’intérieur, luminosité qui vient du ciel. © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

2. La façade de Notre-Dame d’Amiens comporte trois portails avec des tympans et des voussures sculptés ; deux galeries, dont la galerie des rois avec des statues mesurant plus de 3,70 mètres ; au-dessus une rosace et de chaque côté une tour. Elle compte plus de 3  000 sculptures dont la fonction est religieuse. Le tympan du portail central représente le Jugement dernier comme très souvent les tympans des églises médiévales. Les autres sculptures représentent des personnages de la Bible. La galerie des rois compte 22 rois, mais on ne sait pas vraiment qui sont ces rois. On retrouve une galerie des rois sur les façades des cathédrales de Reims, Paris et Chartres. La fonction de ce décor, qui au Moyen Âge était peint, était de rappeler aux fidèles le Jugement dernier, des scènes de la Bible ou de la vie de Jésus, de Marie et des apôtres. 3. L’élévation de la voûte et la croisée d’ogives ont permis d’évider les murs en ouvrant de hautes fenêtres et des rosaces pour faire entrer la lumière à l’intérieur des églises. Cette innovation a été accompagnée par le développement de la technique du vitrail qui, dans l’art gothique, privilégie le verre coloré. L’objectif de cette innovation est de rendre l’intérieur de l’église plus vaste, plus homogène (l’église romane est plus compartimentée que l’église gothique), plus lumineux. La couleur bleue qui est très souvent utilisée dans les vitraux symbolise la lumière divine qui vient éclairer les fidèles.

3. La chrétienté, entre intégration et exclusion

� MANUEL, PAGES 106-107

Doc. 2. Deux lépreux demandant l’aumône (Enluminure du Miror Historial de Vincent de Beauvais, xiiie siècle. Paris, Bibliothèque de l’Arsenal.)

Au Moyen Âge, la maladie est considérée comme une punition de Dieu. Dès que la maladie se déclare, un véritable rituel sépare le lépreux de la société, la lèpre étant assimilée à la mort. Après une cérémonie à l’église où le lépreux a été placé sous un catafalque, le prêtre jette à ses pieds une poignée de terre en disant : « Sois mort au monde mais vivant pour Dieu. » Le malade doit ensuite se retirer dans une léproserie à l’extérieur de la ville (cf. p. 102, doc. 3). © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

Doc. 3. L’appel à la croisade

• Question 1. En lançant l’appel à la croisade en 1095, le pape Urbain II demande d’aller « au secours de vos frères qui habitent les pays d’Orient  », c’est-à-dire d’aller au secours des chrétiens orthodoxes. L’Empire byzantin a été attaqué par les Turcs et a demandé de l’aide au pape. Ce dernier promet à ceux qui partiront et qui mourront en route ou au combat qu’ils verront leurs péchés remis, effacés.

• Question 2. Le pape s’adresse particulièrement aux chevaliers « qui s’adonnaient à des guerres privées et abusives ». L’Église a déjà lutté contre la violence des chevaliers avec la Paix de Dieu et la Trêve de Dieu. En les envoyant se battre contre les Turcs, le pape essaie aussi de les éloigner pour pacifier l’Occident.

• Question 3. Les musulmans sont qualifiés ici de « païens », « de peuple néfaste ». Les chrétiens et les musulmans se traiteront ensuite mutuellement « d’infidèles ». Doc. 4. La répression des cathares (Enluminure des Grandes Chroniques de France, xiie siècle. Londres, British Library.)

Le pape Innocent III, en 1208, lance un appel à la croisade contre les hérétiques cathares du Languedoc, appelés aussi les « albigeois », car Albi était l’un des centres de l’hérésie. L’épisode le plus tragique de cette croisade est le massacre de la population de Béziers réfugiée dans la cathédrale en 1209. Juste après, les croisés mettent le siège devant Carcassonne qui est obligée de se rendre. Les croisés habillés en chevaliers chassent de la ville les hommes et les femmes qui ont dû abandonner leurs vêtements avant d’être expulsés. Doc. 5. Un procès d’Inquisition

• Question. Pierre Garcias dit dans sa déposition qu’il y a un Dieu bon et un Dieu malin, mauvais. Il ne croit donc pas en un Dieu unique créateur. Les cathares pensent que dès l’origine il y avait, sinon deux dieux, du moins deux principes rivaux  : celui du Bien et celui du Mal (Satan ou Lucifer). Donc, la puissance de Dieu n’est pas absolue, même si beaucoup de cathares adhèrent à un dualisme modéré, fondé sur la conviction que les deux puissances ne sont pas égales. C’est le Diable qui est à l’origine de la Création, car le Dieu du Bien ne pouvait créer que les âmes, tout 67 •

ce qui est spirituel. C’est le Dieu mauvais qui a donc créé la matière (les éléments du cosmos  : eau, terre, air, feu, les plantes, les corps animaux et humains…). Le dualisme cathare vise avant tout à « innocenter du mal et du monde le Dieu d’amour des Évangiles » (Anne Brenon). II est également impossible que Dieu se soit incarné dans la matière pour devenir vrai Homme comme le dit l’Évangile : le Nouveau Testament est faux sur ce point fondamental, le Christ n’a pas pu mourir sur une croix. Le Fils, messager de la Bonne Parole, n’a eu qu’apparence d’homme. Les cathares ne croient pas en la Vierge ni au culte des reliques des saints. Pierre Garcias rejette explicitement le purgatoire, l’intercession auprès des saints pour obtenir le salut des morts, les miracles. Seul le mort peut obtenir son salut, s’il a fait lui-même pénitence sur la terre avant de mourir. On le voit bien ici, les cathares refusent toute 1’institution ecclésiastique, considérée comme une usurpatrice, accusée d’avoir trahi l’Évangile. Pierre Garcias a des mots très durs à l’encontre du clergé catholique. Pour les cathares, chaque être humain est un «  porteur de lumière  », investi du pouvoir de répandre la parole du Christ. Les cathares se sont dotés d’une contre-Église avec des évêques, des diacres et des pasteurs : ce sont les « bons hommes » et « bonnes femmes », plus connus par le terme que les inquisiteurs ont popularisé, « hereticus perfectus », soit « achevé », Parfait et Parfaite. Les femmes ont accès au sacerdoce. Les simples croyants sont mariés, ont un métier, font des enfants et vénèrent leurs Parfaits. Au total, cette Église est extrêmement dépouillée : pas de bâtiments ni de dîmes, ni de clergé rémunéré, ni de pompes liturgiques ; elle est purement spirituelle, d’où l’immensité du péril pour l’Église établie. Les Bons Hommes et les Bonnes Femmes constituent une sorte de clergé, à la fois régulier et séculier. Ils vivent en communautés, soumis à une Règle (vœux de pauvreté, chasteté et obéissance) et à un mode de vie strict (non-violence et végétarisme). Ces communautés sont situées au cœur des villes et des villages et elles sont ouvertes sur le monde (pas de clôture) : ce sont des lieux d’accueil (hospice) et de vie religieuse (on partage le pain). Anne Brenon parle d’un «  apostolat de proximité  ». Les Parfaits prêchent en occitan, à partir de traductions en langue vulgaire des Écritures. • 68

◗ Étude Entre intégration et exclusion : les juifs dans l’Occident chrétien � MANUEL, PAGES 108-109 Analyse des documents

1. Bernard de Clairvaux, cistercien et prédicateur de la deuxième croisade en 1146, pense, comme les théologiens de son époque, qu’il ne faut pas tuer ses ennemis et, pour cela, il s’appuie sur un Psaume. À ce titre, il s’oppose aux massacres de juifs perpétrés par les croisés en Rhénanie.

2. Bernard n’a pas pour autant une vision positive des juifs. Il considère qu’ils sont responsables de la mort du Christ (le thème des juifs « déicides » est le fondement de l’antijudaïsme chrétien). Et il voit la diaspora comme «  le juste châtiment d’un tel crime ». Il reconnaît qu’ils « subissent une captivité cruelle sous des rois chrétiens  », ce qui le conduit à penser qu’il ne faut pas en rajouter dans la persécution. Et, en s’appuyant implicitement sur certains passages de la Bible, il affirme que les juifs se convertiront à la Fin des temps. Il ne faut donc pas tuer les juifs, parce qu’ils sont des témoins de la Passion et parce qu’il faut attendre leur conversion.

3. La relative intégration des juifs dans l’Occident chrétien se voit à plusieurs indices dans les documents. Le concile de Latran IV (doc. 3), en 1215, entend précisément lutter contre une trop grande intégration des juifs  : il déplore la «  confusion  » qui règne dans «  certaines provinces », où les juifs (et les musulmans) ne sont pas identifiables et fréquentent des chrétiennes. C’est clairement l’Espagne qui est visée, puisque le texte met les juifs et les musulmans sur le même plan. Le document 5 montre qu’à Narbonne les juifs sont sous la juridiction de l’archevêque. Ils sont protégés par lui, moyennant un impôt annuel. S’ils sont en prison pour un petit délit, ils peuvent sortir pour célébrer le shabbat ou les autres fêtes religieuses. Enfin, le document 2 montre qu’à Perpignan (royaume de Majorque) en 1299 les juifs pouvaient pratiquer leur culte et disposer d’un manuscrit enluminé de la Torah.

4. Les mesures discriminatoires prises à l’encontre des juifs sont d’abord vestimentaires. Ils ne doivent pas s’habiller comme les chrétiens.

© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

Dans les pays allemands, ils doivent porter un chapeau pointu appelé Judenhut. En France, les hommes devaient porter la rouelle cousue sur le côté droit de leur vêtement. Les femmes mariées devaient porter le voile ou « oralia ». En Angleterre, les juifs portent des Tables de la loi cousues sur le dos. D’autres mesures discriminatoires existent. Le mariage mixte entre un chrétien et une femme juive est interdit. Pendant la Semaine Sainte, qui commémore la Passion de Jésus, les juifs ne peuvent pas sortir en public. Enfin, on ne doit pas leur confier des charges publiques. 5. Le texte du concile de Latran IV multiplie les mesures discriminatoires contre les juifs, reflétant une hostilité croissante à leur égard. Il s’appuie sur des rumeurs  : on dit qu’ils font de la provocation en mettant leurs vêtements de fête le Vendredi Saint, jour où les chrétiens commémorent la mort de Jésus. On dit qu’ils blasphèment, qu’ils sont des « transgresseurs » et qu’ils abusent des charges publiques qu’on leur a confiées pour « sévir contre les chrétiens ». Bilan de l’étude

Les communautés juives, disséminées dans l’Occident chrétien, sont relativement bien intégrées au xie siècle et protégées par les puissants. Mais leur situation se détériore au xiie siècle : dans le contexte de la deuxième croisade, ils sont victimes de pogroms en Rhénanie. Le concile de Latran IV, en 1215, multiplie les mesures discriminatoires comme le port de signes distinctifs.

◗ Méthode Extraire les informations d’un texte et les expliquer � MANUEL, PAGES 110-111

Pour répondre aux questions : 1. Sélectionner des informations dans le texte

– Les passages surlignés permettent de répondre à la question 4. – Pour la question 2  : «  un emplacement dans la ville de Cahors, où les frères prêcheurs pourraient s’installer pour y servir Dieu », « une chapelle pour les malades ». – Pour la question 3 : « appelés par… sacriste ».

© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

– Pour la question 5 : « ils firent… et toutes les autres annexes ». 2. Présenter le texte

L’auteur du texte, Bernard Gui (1261-1331), est un dominicain français qui a été évêque, ainsi qu’inquisiteur. Il entre à l’âge de 19 ans (1280) comme novice au couvent dominicain de Limoges. Il devient prieur du couvent d’Albi dix ans plus tard (1290), puis de Carcassonne, de Castres et de Limoges et finalement est mandaté grand inquisiteur de Toulouse (1307-1323). Il reçoit en 1329 l’évêché de Lodève. Historien et hagiographe de son ordre, il est l’auteur de nombreux ouvrages de grande importance  : un célèbre manuel intitulé Practica Inquisitionis hæreticae pravitatis (Manuel de l’inquisiteur) portant sur les pratiques et les méthodes de l’Inquisition à l’usage de ses frères et une compilation historique sur l’ordre des dominicains dont est tiré ce récit. 3. Expliquer le contenu du texte

Les dominicains ont fait vœu de pauvreté. À leur arrivée à Cahors, ils sont hébergés gratuitement chez « la dame de Concort » car ils n’ont aucune ressource. Leur mission est de « servir Dieu ». Mais, contrairement aux moines cisterciens qui demeurent à l’intérieur de leur monastère et se consacrent à la prière et à la copie de manuscrits, les dominicains ne vivent pas retirés du monde dans un endroit désert. Ils veulent « un emplacement dans la ville de Cahors » pour apporter leur aide aux laïcs. En effet, leur tâche principale est la prédication, c’est pour cela qu’ils s’appellent « les frères prêcheurs ». Leur couvent vient aussi au secours des plus nécessiteux, ce qui explique notamment la présence « d’une chapelle pour les malades ». – Entre guillemets, les citations du texte. – Sont soulignées les connaissances extérieures au document. Complément de réponse : Le pape a donné comme mission aux dominicains de lutter contre l’hérésie cathare très présente dans la région.

69 •

Chapitre

5

Sociétés et cultures rurales (xie-xiiie siècles) � MANUEL, PAGES 112-129

◗ Ouverture de chapitre � MANUEL, PAGES 112-113

Doc. 1. Labeurs paysans (Le foulage du raisin, Psautier de la reine Mary, vers 1315. Londres, British Library, Royal 2 B VII, f. 49.)

Le quotidien du paysan est dominé par un labeur dur et exigeant dont la pénibilité est rappelée par l’étymologie même du mot travail, trepalium, un instrument de torture en latin tardif ! Cette enluminure est tirée d’un livre de prières du début du xive siècle, réalisé à la demande d’un commanditaire anglais inconnu et offert, en 1553, à la reine Marie Tudor. Le psautier est souvent orné de miniatures illustrant les différents mois de l’année au cours desquels on récite ces prières et constitue donc un véritable calendrier. La vigne est représentée à différents mois de l’année, ce qui souligne son importance et le soin que lui apportent les paysans. Octobre est le mois des vendanges et, pour les évoquer, les artistes préfèrent en général le foulage à la cueillette. Les vendangeurs arrivent, prêts à verser dans la cuve le contenu de leur hotte. Deux autres paysans, le bliaud relevé jusqu’aux cuisses, piétinent les grappes pour obtenir un vin de foulage, de médiocre qualité. Il faudra ensuite le laisser fermenter et le passer au pressoir, avant de l’entonner. Dernière opération de la vinification, l’ouillage consiste à remplir périodiquement les tonneaux, une partie du contenu étant absorbée par le bois des parois. La vendange et le foulage sont des opérations particulièrement pénibles. On remarque que le hotteur ploie sous la charge, souvent considérable. Doc. 2. Loisirs aristocratiques (Scène de tournoi, Codex Manesse, début du xive  siècle. Heidelberg, Universitätsbibliothek, Cod. Pal. germ. 848, fol 17r ou 81.)

Ce luxueux manuscrit, conservé aujourd’hui à la bibliothèque universitaire de Heidelberg, est un recueil de poésies courtoises réunies par le conseiller zurichois Rüdiger II Manesse et son • 70

fils Johannes à la fin du xiiie  siècle. 110 poètes différents (30 autres auteurs sont ajoutés au xive siècle) sont à l’origine de ces textes, chansons d’amour courtois, textes moraux ou didactiques… Il est célèbre pour les 137 miniatures gothiques, qui idéalisent les poètes dans leurs activités chevaleresques et courtoises. Substitut de la guerre et excellent entraînement au combat, le tournoi oppose en général des groupes de combattants, la joute entre deux chevaliers autour d’une lice, immortalisée par Ivanhoé, n’apparaissant que tardivement. Le tournoi peut durer plusieurs jours et met aux prises deux équipes. Il s’agit donc d’une véritable mêlée, d’où l’importance des signes de reconnaissance – armoiries, bannières ou cimiers – qui permettent aux spectateurs, comme ici les dames qui s’enthousiasment pour leurs exploits, de reconnaître les acteurs.

1. Seigneurs et paysans � MANUEL, PAGES 114-115

Doc. 1. Meunier apportant du grain au moulin (Bestiaire, milieu du xiiie siècle. Oxford, Bodleian Library, Ms Bodley 764, fol 44r.)

Le pain tient le premier rang parmi les préoccupations des paysans. L’essentiel des terres cultivées était consacré aux céréales (voir leçon 2) et les redevances seigneuriales sur cette production étaient nombreuses. Une des plus lourdes était l’obligation d’utiliser le moulin seigneurial, certains seigneurs n’ayant pas hésité, pour l’imposer, à détruire au début du xie siècle les moulins paysans, comme en Catalogne. À cette époque, le moulin tend à devenir un élément familier du paysage, présent sur le moindre cours d’eau, les moulins à vent étant encore rares. Le poids de ce droit de mouture est d’environ 10  % du grain porté, souvent insupportable pour les paysans démunis. Les chartes de franchise accordées aux paysans ont quelquefois permis aux paysans de se libérer de l’obligation d’utiliser le moulin seigneurial ou banal, mais en échange d’une redevance. © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

Doc. 2. Un bourg castral : Saint-Montan (Ardèche)

• Questions 1 et 2. Entre 950 et 1050 se produit une véritable «  révolution castrale  ». Pour l’historien de la Catalogne, Pierre Bonnassie, ce n’est «  rien d’autre que le passage de l’habitat dispersé du très haut Moyen Âge à un habitat rigoureusement concentré en gros villages fortifiés, placé sous la domination du château seigneurial ». Pour lui, comme pour Robert Fossier, le but essentiel du processus est la concentration des paysans et le contrôle de la croissance agricole. Il s’agit donc d’une entreprise volontariste, concertée et planifiée d’encadrement des paysans. De fait, le resserrement de l’habitat autour du château souligne l’encellulement des hommes et le renforcement de l’autorité seigneuriale. Dans les régions méridionales, les sites perchés, plus faciles à défendre avec leurs maisons jointives, sont la règle, comme ici en Ardèche. Le village se développe autour de deux pôles, situés à ses extrémités, le château (en haut, aujourd’hui en ruines) et l’église. Il existe de nombreuses variantes, comme les castelnaux qui fleurissent dans la deuxième moitié du xie siècle en Gascogne. Doc 3. Les paysans face au seigneur : la révolte normande de 997

L’auteur de ce texte célèbre – ici en français modernisé – Wace, est un clerc qui vit à la cour royale des Plantagenêts, et reçoit d’eux une prébende à Bayeux (1165-1169). Outre plusieurs ouvrages pieux et vies de saints, il a écrit des œuvres en langue vulgaire, comme le Roman de Brut, dédié à Aliénor d’Aquitaine, épouse de Henri II, consacré aux rois bretons et donc à la geste arthurienne (voir dossier, p. 124-127). Le Roman de Rou, œuvre de commande d’Henri II Plantagenêt, est en fait un long poème rédigé en langue vulgaire, relatant la geste normande à la suite de la geste bretonne. Il compile des éléments trouvés dans les œuvres plus anciennes de Dudon de Saint-Quentin, de Guillaume de Jumièges ou d’Orderic Vital. La Normandie est, au moment de la révolte des paysans, une principauté indépendante. Elle a connu, surtout sur ses zones côtières, les invasions vikings de Normands, les « hommes venus du Nord ». Rollon, chef danois, a été reconnu comte des Normands par le roi Charles le Simple (traité © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

de Saint-Clair-sur-Epte en 911). En échange, il a dû recevoir le baptême et prêter hommage au roi des Francs. C’est à partir de cette date que la Normandie est née, d’abord limitée au comté de Rouen et à ses alentours, puis étendue par ajouts successifs. Richard II (996-1026), petit-fils de Rollon, fait partie des princes les plus puissants du royaume.

• Question 1. Partisan de l’ordre, Wace ne s’étend pas sur les raisons immédiates de la révolte, sans doute motivée par des abus et exactions précises, comme la remise en cause par les seigneurs des droits d’usage sur les forêts. Il radicalise le mouvement en prêtant aux révoltés la volonté de n’avoir « de seigneur ni de maître ». L’allusion aux « communes » est sans doute un anachronisme qui rend plutôt compte de la situation au xiie siècle quand s’affirment les communautés villageoises. • Question 2. En tout cas, la répression est brutale. Habilement, le duc parvient à préserver son autorité surplombante et c’est son oncle, Raoul d’Ivry, qui se charge de la répression à la tête d’une armée de milites, sans qu’aucun jugement ne soit prononcé contre les « vilains ». On leur ôte les dents, on les empale, on leur arrache les yeux, on leur coupe les poings, etc. D’ordinaire, seule la condition servile pouvait justifier de tels traitements. Mais il est clair que Raoul d’Ivry veut faire un exemple. De fait, après cet épisode d’une violence paroxystique, «  se tinrent cois les vilains » : il n’y a pas de soulèvement paysan d’ampleur avant les révoltes du xive siècle, comme la jacquerie de 1358 en Île-de-France. Doc 4. Le cœur de la seigneurie de Coucy au xiiie siècle

Cette seigneurie a été étudiée par Dominique Barthélemy et la carte lui est, dans une large mesure, empruntée1. • Questions 1 et 2. L’assise territoriale de la seigneurie est pratiquement impossible à cartographier, compte tenu de l’enchevêtrement de droits sur lesquels le seigneur assoit son autorité et des réseaux de fidélité complexes dans lesquels les sires de la région sont engagés. Au xiiie siècle cependant, l’ordre seigneurial peut s’appuyer sur des hiérarchies de droits plus lisibles. Le 1. Les Deux Âges de la seigneurie banale. Coucy (xie-xiiie siècles). Pub. de la Sorbonne, 1984.

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pouvoir seigneurial repose sur le contrôle des axes de communication, ce qui permet au sire de Coucy de percevoir des tonlieux. Il a la gestion des forêts et, à ce titre, peut aussi concéder – et monnayer – des droits d’usage pour leur utilisation. Il s’appuie sur le réseau de châteaux et de lieux – souvent des biens d’église dont il s’est fait concéder les droits judiciaires et militaires (avouerie) – pour exercer son droit de ban et exiger des prélèvements supplémentaires, de la taille aux prestations du gîte. La présence de moulins sur la Serre et l’Ailette rappelle l’importance des banalités (voir doc. 1), qui s’étendent à l’usage des fours et des pressoirs seigneuriaux. L’espace domanial est aussi un espace féodal et ses droits sont souvent exercés, au nom du sir de Coucy, par des châtelains, ses vassaux, détenteurs de seigneuries de village enkystées dans la seigneurie de Coucy.

2. Vivre au village � MANUEL, PAGES 116-117

Doc. 1. Des hommes de labeur

(Psautier, enluminé en Normandie, v. 1180, ms 76F13, fol. 10v. La Haye, Konink. Bibl.) L’omniprésence des grains dans les systèmes de production contribue à donner une place centrale aux travaux exigés par la céréaliculture dans les calendriers agricoles qui accompagnent les psautiers et les livres d’heures (voir doc. 1 p. 112) ou qui sont représentés dans le décor des façades des cathédrales, comme à Amiens. Les semailles ont en général lieu en octobre sur une terre labourée, destinées à ensemencer la terre en céréales d’hiver (froment, seigle, épeautre). Elles sont assez précoces pour que les graines, bien enracinées, résistent au gel hivernal. Le travail exige de l’adresse, le paysan semant à la volée et veillant à bien éparpiller la poignée de grains le long des sillons. Il passe ensuite la herse perpendiculairement aux sillons afin d’assurer la couverture de la graine – et limiter les pertes liées aux oiseaux – et d’aplanir le champ. La herse, constituée d’un châssis de bois où sont fixées des dents métalliques, se généralise au xiiie siècle. Le paysan fouette le cheval pour accompagner son effort. Sur les enluminures des travaux des mois, il est fréquent de voir le couple paysan au travail. Le partage sexué des tâches est la règle. Aux • 72

hommes – de loin, les plus représentés –, les activités de production, aux femmes, les travaux de transformation ou les activités à la maison ou à proximité, c’est-à-dire, le plus souvent des activités d’appoint. Seules la moisson et la fenaison associent les deux sexes. Ici, la femme tient dans la main gauche la quenouille sur laquelle a été placée la masse de laine à filer. Elle dévide le fil qui, étiré, s’enroule autour du fuseau, lesté et mis en mouvement par la main droite. Doc. 2. Une scène de labour

(Saint Augustin, La Cité de Dieu, manuscrit du début du xiie siècle. Florence, Bibliothèque Laurentienne.) Cette enluminure, tirée de la Cité de Dieu de saint Augustin, n’est pas exempte de maladresses, en particulier dans les rapports de taille ou dans la représentation des animaux. Elle n’en rend pas moins compte avec précision des techniques de labour. Les pièces de la charrue sont nettement dessinées. Le coutre tranche la terre verticalement alors que le soc la coupe horizontalement. Ce qui distingue nettement la charrue de l’araire, c’est le versoir, placé de biais entre le versoir et le timon (la pièce horizontale emmanchée dans le mancheron) qui permet de retourner la terre en la versant d’un côté et donc de ramener à la surface les couches du sol précédemment enfouies, pour le plus grand bonheur des oiseaux qui virevoltent autour des sillons pour essayer de récupérer de la nourriture. L’attelage est constitué par deux bœufs qui tirent la charrue grâce à un collier d’épaule. Le cheval est rare avant le xiiie siècle.

• Question 1. On conçoit que le coût d’un tel équipement, la charrue doublée de l’attelage, soit élevé. Les riches paysans étant les seuls à pouvoir s’équiper, le terme de laboureurs leur est réservé. Les autres leur louent souvent la charrue et le train de labour en échange de services de travail. Ici, deux hommes, munis d’aiguillons, conduisent l’un les bêtes, l’autre la charrue. Tous deux portent un bliaud non ajusté, avec un capuchon et sont munis de chausses de toile. • Question 2. De la bonne préparation du sol dépend en grande partie la saine germination des graines et les récoltes favorables. On procède ainsi à plusieurs labours au cours de l’année, le plus important ayant lieu en septembre ou oc-

© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

tobre avant les semailles des céréales d’hiver (doc. 1). Doc. 3. La naissance d’un village au xie siècle, l’exemple d’Ardres

• Question. On a longtemps cru à la continuité de l’habitat rural de l’Antiquité au village médiéval, en passant par la villa carolingienne. Jusqu’aux apports récents de l’archéologie, on croyait à un habitat fixe précoce, pensant à tort que la centuriation romaine avait été générale, ou au moins étendue à la majorité de l’Empire, et surestimant l’irrigation de l’espace par le réseau routier. Or, la continuité entre la villa et le village est loin d’être évidente. Dans certains cas, la villa a certes pu être un pôle attractif et a pu fixer autour d’elle l’habitat paysan. Mais souvent la villa a été un pôle répulsif, notamment parce qu’elle restait un centre d’exploitation esclavagiste  : les paysans se sont donc installés à l’écart des curtes, au hasard des clairières. L’habitat était le plus souvent précaire (la pierre avait reculé dans la construction, jusqu’à disparaître très largement) et dispersé (fermes isolées, hameaux de huttes…). Pour Robert Fossier, les progrès de l’archéologie rurale ont montré, pour le haut Moyen Âge, une implantation désordonnée, sans centre moteur, une masse de « paquets de maisons  », jetée sur les clairières soumises au brûlis. Puis autour de l’an mil, le village apparaît, constitué de l’agglomération de maisons construites « en dur ». Une redistribution globale du peuplement rural s’opère avec la fixation définitive des terroirs. Le village n’est pas seulement un mode d’habitat groupé, noyau de peuplement et d’organisation d’un terroir, il est doté d’un statut juridique et d’une convivialité. Les traits constitutifs du village sont ainsi le cimetière, l’église, la personnalité juridique et le château2. Même si cette interprétation est aujourd’hui remise en question3, le texte de Lambert d’Ardres, attentif à reconstituer l’ascension du lignage de Guines, éclaire le processus. Le village naît de l’afflux spontané de marchands itinérants et de 2. Voir Robert Fossier, « La naissance du village », in R. Delort éd., La France de l’an mil, Paris, Le Seuil, 1990, p. 162168.

3. Voir, par exemple, Magali Watteaux, «  À propos de la “naissance du village au Moyen Âge”  : la fin d’un paradigme ? », in Études rurales, n° 167-168, 2003/3-4, p. 306318. © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

« gens de la campagne » autour d’une taverne. L’habitat commence à se polariser, probablement parce que cette auberge est une étape sur une route commerciale fréquentée, entre Calais et Saint-Omer. Au noyau primitif s’ajoutent bientôt des migrants plus lointains. Le seigneur, Arnoul Ier, accompagne le mouvement et suscite le développement du village en assainissant le sol, en construisant un moulin, une enceinte fortifiée, en fondant un marché et en installant un chapitre de chanoines dans l’église paroissiale (dans un passage coupé : « Il entreprit de négocier avec Drogon, évêque de Thérouanne, pour savoir comment il pourrait transformer son église d’Ardres en une église régulière »). Lorsque le seigneur crée l’échevinage, c’est-à-dire accorde une reconnaissance officielle à la communauté des habitants d’Ardres, le processus est achevé. Ainsi, le village se caractérise à la fois par son aspect monumental (enceinte, place, église, taverne…) et sa cohésion communautaire. Doc. 4. Le domaine et le village de Cuxham (Oxfordshire, Angleterre)

• Question. En 1268, le chancelier d’Angleterre, Walter de Merton, acquiert le domaine de Cuxham, situé à 19 kilomètres au sud-est d’Oxford où il a fondé, quatre ans plus tôt, un collège prestigieux. Les revenus du domaine sont affectés au financement de cette institution. La comptabilité manoriale d’une abondance exceptionnelle a permis de reconstituer l’organisation spatiale, la répartition des cultures, mais aussi la structure des dépenses, les prix et les salaires, le statut des paysans, etc4. La région est vallonnée et les zones inondables et humides sont abandonnées aux prés et aux pâtures pour le bétail. La céréaliculture se concentre sur les terres les mieux drainées. La rotation triennale permet d’obtenir deux cultures sur trois ans, améliorant ainsi la productivité du sol. Elle permet aussi de mobiliser plus efficacement les hommes et le matériel en répartissant mieux le travail au cours de l’année. Elle incite à mettre en valeur des friches et son succès apparaît inséparable du grand élan de défrichement des xie-xiiie siècles. Ici, la rotation triennale n’est pas organisée au niveau de chaque exploitation individuelle, mais au niveau de l’ensemble du domaine, ce qui permet de par4. P. D. Harvey, A Medieval Oxfordshire Village : Cuxham, 1240 to 1400, Oxford, Oxford U.P., 1965.

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ler d’assolement. Cette mise en œuvre collective de la rotation est encore assez rare, même si on cite souvent l’exemple de la grange cistercienne de Vaulerent (« Il faut savoir que [en 1248] tout le terroir de Vaulerent est divisé en trois soles : la première sole de blé couvre 365 arpents et demi et six perches ; la deuxième sole qui est en jachère 323 arpents et demi et neuf perches  ; la troisième sole qui est en marsage contient 333 arpents et dix perches »). L’espace en jachère dégagé par l’assolement se prête mieux à la vaine pâture et permet donc l’essor de l’élevage, ici de mouton.

se dessine au tournant du siècle. Cet émiettement des terroirs s’accompagne fréquemment d’une importante dispersion des parcelles. Les tenures apparaissent éclatées sur l’ensemble du finage agricole, ce qui va d’ailleurs contribuer à encourager les paysans à aménager des soles homogènes et compactes, les exploitants ayant toujours quelques arpents dans chaque sole.

Doc. 5. L’éventail des exploitations à la fin du xiiie siècle

1. Le dossier croise des sources diverses, éclairant assez bien la richesse de la documentation dont bénéficient aujourd’hui les médiévistes. Il y a deux chartes, l’une publique, conservée à Barcelone par la chancellerie comtale (doc.  2), l’autre, monastique, consignée sans doute dans un chartrier que l’abbaye de Saint-Denis conserve soigneusement (doc. 3). Suger a utilisé et cité cette charte dans un ouvrage qu’il a consacré à la réorganisation du domaine de l’abbaye, le De rebus in administratione sua gestis. La miniature du document 4 est un détail d’une enluminure. Il s’agit d’une marge décorée qui orne le livre des Moralia in Job et accompagne le texte. L’univers des marges, souvent facétieux, est aujourd’hui une source d’étude privilégiée des médiévistes qui ont relevé que le décor glose souvent subtilement le texte. Les deux autres documents (1 et 5), de nature cartographique, ont été élaborés à partir de diverses sources  : photographies aériennes, fouilles archéologiques, analyse en laboratoire de l’évolution de l’environnement matériel grâce aux progrès de l’archéo-botanique. Cette dernière recourt en particulier à la palynologie (étude des pollens fossiles), à l’anthracologie ou à la carpologie (étude des graines et des fruits fossiles) pour apprécier les variations de la couverture végétale (et donc dater les défrichements). La toponymie est aussi précieuse pour établir la carte des défrichements, comme le révèlent les abondantes mentions de « fraus », « gâtines » et autres « brandes » sur la carte 1.

• Question 1. Le Moyen Âge conjugue grande propriété – celle des seigneurs, des églises, des hôpitaux ou des confréries – et petite exploitation. Dans les grandes plaines céréalières du Nord, la hiérarchie des exploitations est très marquée. Quelques grandes exploitations peuvent couvrir des superficies immenses. Les moines cisterciens, adeptes de l’exploitation directe, à la différence des moines noirs de Cluny, simples rentiers du sol, sont à la terre de domaines de plusieurs milliers d’hectares (à Vaulerent, le domaine des moines de l’abbaye de Châalis couvre 18 km2). Certains riches fermiers ont des exploitations qui dépassent aisément la centaine d’hectares. Ainsi, Thierry d’Hireçon († en 1328), serviteur dévoué de la comtesse Mahaut d’Artois, est à la tête d’un domaine foncier considérable dans la région de Béthune. Compte tenu du poids du prélèvement seigneurial (25 à 40 %) et de la dîme, on estime qu’il faut au moins 3 hectares à 4 hectares pour atteindre le seuil d’autosubsistance. Or, à Herchies, dans l’Oise, 60  % des exploitations ont moins de 1 hectare et 82 % moins de 4,5… On observe un phénomène similaire dans d’autres régions comme le Comtat venaissin étudié par Monique Zerner5. • Question 2. Ce morcellement est d’abord lié aux multiples partages successoraux, mais il est aussi la conséquence de l’essoufflement des défrichements. Ainsi, les micro-tenures se sont multipliées au xiiie siècle, ce qui est un des grands facteurs du retournement de la conjoncture qui 5. Le Cadastre, le pouvoir et la terre. Le Comtat venaissin pontifical au début du xive siècle, Paris, École française de Rome, 1990.

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◗ Étude L’évolution des paysages ruraux � MANUEL, PAGES 118-119 Analyse des documents

2. Les défrichements d’initiative paysanne, nombreux, échappent largement à la documentation. Dans les deux chartes, on est confronté © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

à des initiatives seigneuriales. En Catalogne, le comte veut convaincre les paysans d’abandonner leurs vallées pyrénéennes pour repeupler le piémont, abandonné par la population en raison des incursions musulmanes («  lieux déserts  », « espaces en friche »). Il fait construire le château de Cardona, dans le Bagès, et accorde aux paysans qui viendront habiter dans le bourg castral une charte de franchises. Suger, l’abbé de Saint-Denis, un siècle et demi plus tard, fonde une ville neuve, Vaucresson, pour mieux mettre en valeur l’immense domaine foncier dionysien. Le terme de ville neuve ne doit pas induire en erreur : il s’agit bien d’un village, comme le sont les autres villeneuves dont Suger a alors l’initiative, comme Rouvray-Saint-Denis sur la route de Paris à Orléans. Dans les deux cas, les paysans bénéficient d’avantages substantiels. En Catalogne, les terres qu’ils mettent en valeur sont libres de droits, en contrepartie – mais le texte ne le dit pas –, ces colons sont astreints à un service d’armes. Ces avantages sont étendus aux terres qu’ils pourraient mettre en valeur dans le cadre de défrichements spontanés. Il y a là un trait caractéristique de la société espagnole confrontée aux exigences de la Reconquista : la consolidation d’une paysannerie relativement libre bénéficiant de concessions du pouvoir comtal ici, royal ailleurs (en Castille, ce sont des cartas-pueblas). En Île-de-France, les concessions sont moins importantes. Les paysans reçoivent des terres, souvent appelées hostises. Les paysans, alors désignés comme des hôtes, sont exemptés des taxes les plus lourdes (la taille) et les plus humiliantes (coutume d’exaction, formule vague, mais qui couvre diverses prestations, comme le droit de gîte ou les services de travail, et surtout, celles qui sont associées à la servitude corps, comme la mainmorte, le formariage ou le chevage). Ils sont placés sous l’autorité exclusive de l’abbé, protégés ainsi des exactions d’autres seigneurs – dont ils ont quelquefois abandonné les terres – et des services militaires encore exigés d’eux (quand il n’est pas converti en taxes destinées à financer la garnison de milites professionnels ou à nourrir leurs chevaux). Cette protection a toutefois un prix : les paysans de Vaucresson doivent verser à leur seigneur ecclésiastique, outre la dîme, un cens fixé à 4 deniers (sans oublier © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

les 12 deniers versés initialement pour entrer en possession de la terre). Ils sont aussi soumis au pouvoir de l’abbé, placés dans sa justice, justice sans doute moins arbitraire que celle de bien des seigneurs laïcs, mais pas forcément moins coûteuse, tant Suger s’avère un gestionnaire attentif à faire valoir les droits de sa communauté.

3. Les habitats les plus anciens sont à la périphérie du massif forestier, souvent le long des boucles de la Charente et de ses affluents. Dès la fin du xe siècle, des clairières sont ouvertes au cœur de la forêt, comme à Aussac, à la suite d’entreprises diffuses. Il y a ensuite des entreprises de plus grande ampleur (« Le Grand Essart »), des opérations de défrichement concertées, comme celle qui conduit à la fondation épiscopale de l’église de Maine-de-Boixe. Le mouvement de mise en culture des terres semble culminer au début du xiie siècle. Il s’essouffle à la fin de ce siècle. Aucune fondation n’est postérieure à 1185. Les nouveaux habitats, identifiés souvent grâce à une date de fondation précise, ce qui peut indiquer l’existence d’une charte garantissant les droits de la communauté, montrent le lent grignotage de la forêt. Ils sont toujours associés à l’apparition de nouvelles paroisses.

4. En Allemagne, beaucoup de villages sont nés avec la colonisation des terres qui a accompagné, aux xiie et xiiie siècles, la marche vers l’Est. Les villages-tas (Haufendörfer), la forme la plus fréquente d’habitat rural dans l’Empire, sont l’expression d’une croissance spontanée, d’où un plan assez confus, sans ordre apparent, à la différence des villages neufs nés dans les régions pionnières. Les villages-rues (Strassendörfer) se sont développés le long des axes de communication, souvent au cœur des régions forestières et dominent en Allemagne orientale. Les maisons jointives, ayant pignon sur rue, sont prolongées par des jardins, qui sont quelquefois séparés des champs par un chemin de garde (pas visible sur le plan). Les villages ronds (Rundlingdörfer) sont eux caractéristiques des zones de contact entre Slaves et Allemands et sont nombreux de part et d’autre de l’Elbe. Ils revêtent un caractère annulaire, se développant autour d’une place qui peut servir de marché, mais aussi réunir les hommes en armes. Le caractère défensif, souligné par le fait qu’il n’y a souvent qu’une voie d’accès au village, explique qu’on a rapproché 75 •

– un peu vite – le village rond allemand des circulades languedociennes (Bram). La carte suivante, tirée de l’article de René Lebeau d’où sont extraits ces documents si souvent reproduits6, permet de préciser l’opposition dans l’espace germanique de ces différents types d’habitat.

5. On est en présence ici de deux logiques différentes, mais qui visent l’une comme l’autre à permettre la mise en valeur de nouvelles terres. Suger, dans la tradition bénédictine – celle des moines de Cluny, par exemple –, cherche à augmenter le prélèvement seigneurial. Il favorise et encadre les initiatives paysannes parce qu’il espère que les gains de terre se traduiront par une augmentation des redevances et des dîmes (les dîmes novales) portant sur ces nouvelles censives. Il se comporte en gestionnaire avisé, mais aussi en rentier du sol. La logique cistercienne est très différente. Les « moines blancs » ne se contentent pas de réhabiliter le travail manuel, ils adoptent, à l’initiative de l’abbé Étienne Harding, un système de faire-valoir direct qui assure à la communauté son indépendance économique grâce au travail des convers et à l’organisation de domaines ruraux originaux, les granges. Le souci de rationalité et d’efficacité les conduit à assécher les marais, à détourner les rivières et à multiplier canaux, biefs et dérivations. C’est dans cet esprit qu’ils jouent un rôle essentiel dans la conquête de nouvelles terres en s’attaquant aux bois, comme sur cette enluminure. Toutefois, il ne faut pas oublier que leur objectif est aussi de valoriser leur capital forestier. Les cisterciens rationalisent la coupe et la pousse des espèces et sont pionniers dans l’élaboration au xiiie siècle de règlements d’exploitation forestière. La présence dans l’arbre d’un religieux non tonsuré, qui de plus ne porte ni la bure ni la coule traditionnelles, rappelle le rôle décisif des convers dans cette politique. Ni clercs ni véritables moines, les convers ou frères lais ont dû comme les moines renoncer à tous leurs biens personnels et s’engager à obéir totalement à l’abbé. D’extraction plus humble, ils sont chargés de la mise en valeur des granges et occupent une place à part dans l’abbaye. Logés à l’écart des moines de chœur, les profès, ils 6. « L’habitat rural en Allemagne », Les Études rhodaniennes, 1945, vol. 20, n° 3, p. 227.

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accèdent à l’église par une porte dérobée et ne peuvent participer à tous les offices ni pénétrer dans le cloître. Bilan de l’étude

À partir de la fin du xe siècle, la pression démographique, les nécessités du repeuplement (au sud, face à la menace musulmane ; à l’est, face à la menace slave) ou le simple souci de tirer de la terre des revenus supplémentaires poussent les paysans comme les maîtres de la terre à s’engager dans un puissant mouvement de mise en culture de nouvelles terres. Les limites du saltus sont repoussées, les landes et les taillis essartés et ensemencés, les bois attaqués par les haches et les serpettes des défricheurs. Aux entreprises ponctuelles des paysans qui grignotent la forêt se substituent de plus en plus des grands défrichements concertés qu’encadrent les seigneurs laïcs ou ecclésiastiques, promettant aux paysans qui s’y engagent – les hôtes – un allégement significatif de leurs charges. Les moines cisterciens sont même des acteurs déterminants de ce processus en participant directement aux défrichements, afin de discipliner la nature et de transformer le «  désert  » en «  paradis  ». Cette politique remodèle durablement les paysages ruraux. Au-delà de la simple extension des terroirs, elle contribue à la multiplication des habitats, à la fondation de nouvelles paroisses et renouvelle la trame des villages. La forme même des villages témoigne quelquefois, comme en Allemagne, des caractères spécifiques de ces créations nouvelles, le long de front pionnier agricole et militaire. Ce mouvement séculaire qui s’est poursuivi pendant trois siècles, mais culmine entre 1100 et 1150, a été un des grands facteurs de la «  révolution économique  » dont bénéficie alors l’Occident chrétien.

3. Aristocratie et féodalité � MANUEL, PAGES 120-121

Doc. 1. Les liens féodaux (Liber feudorum maior, xiie siècle. Barcelone, Arxiu de la couronne d’Aragon.)

L’union entre le royaume d’Aragon et la Catalogne, fruit du mariage en 1137 de Raymond Béranger IV et de Pétronille d’Aragon, prend vraiment corps avec Alphonse le Chaste (11571196). Celui-ci règne à la fois sur l’Aragon (où © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

il est Alphonse II) et sur la Catalogne (où il est, comme comte de Barcelone, Alphonse Ier). Ce cartulaire, constitué à la demande d’Alphonse, au plus tard en 1194, avait pour objectif d’asseoir l’autorité du souverain sur une noblesse catalane, volontiers rebelle. Il consigne ainsi plusieurs centaines de contrats (convenientiae) et de serments faisant de ce recueil un véritable «  mémorial de la fidélité vassalique  » (Michel Zimmermann). Instrument de l’affirmation du pouvoir comtal, le Liber feudorum est aussi richement enluminé, ce qui est exceptionnel pour un cartulaire. Sans surprise dans ce contexte, c’est le geste de l’hommage qui est privilégié. En réalité, cet acte solennel comporte trois phases : la déclaration de volonté est suivie par l’immixtio manuum représentée ici, le vassal plaçant ses mains jointes entre celles de son seigneur qui referme les siennes sur elles. Une dernière phase, le baiser de bouche, donné ou simplement signifié, est à mettre en rapport avec la fidélité. Après l’hommage, la prestation de serment – sur les Évangiles – donne un caractère sacré aux engagements du vassal. Alors seulement, le vassal est investi de son fief par la remise d’un objet symbolique : épée, motte de terre, fétu de paille, cape de fourrure voire, au plus fort des conflits grégoriens, crosse d’évêque. Doc. 2. Portrait de Guillaume V d’Aquitaine, v. 989-1030

Pour Dominique Barthélemy, «  aucun autre prince français de l’an mil n’a eu la chance de passer à la postérité par un portrait “politique” aussi précis  ». De fait, Adémar de Chabannes (988-1034) nous laisse un portrait à la fois haut en couleur et extrêmement flatteur du duc d’Aquitaine. Moine à Saint-Cybard d’Angoulême et à Saint-Martial de Limoges, Adhémar appartient à la moyenne noblesse limousine. Sa chronique, compilation peu inventive pour les temps mérovingiens et carolingiens, est beaucoup plus précieuse pour le xe siècle, Adémar ayant certainement pu s’appuyer sur des témoignages de première main. • Question 1. Il exalte les multiples vertus du prince : sa gloire militaire, mais aussi sa sagesse, sa générosité, son souci permanent de protéger les pauvres et de soutenir l’Église, en particulier le nouvel ordre de Cluny (« père des moines »). De nombreux monastères, comme Saint-Martial, © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

Maillezais, Bourgueil voire Saint-Michel de la Cluse en Italie, ont bénéficié de ses libéralités. Il n’y a plus guère de différence avec les vertus royales, si ce n’est celles qui sont inhérentes au sacre et qui apparentent le ministerium royal à celui d’un évêque. Des prérogatives régaliennes, il en exerce surtout une : l’exercice de la justice. Il se déplace sans cesse dans son duché pour y tenir des plaids et tenter d’arbitrer les conflits. Sans doute lui manque-t-il une capitale, mais Adémar peut faire de lui un « presque roi », parlant d’égal à égal avec le roi de France.

• Question 2. C’est son ample réseau vassalique qui lui a permis de soumettre «  à son pouvoir toute l’Aquitaine  ». Toutefois, on perçoit que certains vassaux sont remuants et impatients de s’émanciper à leur tour et que Guillaume doit consacrer beaucoup d’énergie à les soumettre. C’est ainsi que Boson, le comte de la BasseMarche (969-1006), aux limites du Limousin et de la Haute-Vienne, n’hésite pas à l’attaquer alors que le duc assiège le château d’un autre de ses vassaux, le sire de Rochemaux (à Charroux, Haute-Vienne). Si Guillaume parvient à l’emporter, c’est grâce à la fidélité du comte d’Angoulême, Guillaume Taillefer III (960-1028). Adémar montre qu’il sollicite volontiers son consilium et que l’amitié entre les deux hommes est indéfectible. Toutefois, ce soutien sans faille a une contrepartie et le comte d’Angoulême reçoit, pour prix de sa fidélité, de nombreux fiefs, situés dans les pays charentais, ce qui, à terme, fragilise le pouvoir princier. Doc. 3. Un serment de fidélité en Catalogne

• Question. Tiré du Liber feudorum maior (voir doc. 1), ce serment a été conservé par la chancellerie comtale avant d’être consigné dans ce cartulaire «  royal  » de la fin du xiie siècle. Il souligne l’intérêt de la riche documentation catalane pour qui veut comprendre la nature des liens féodo-vassaliques en pays de droit écrit. Le serment lie ici des détenteurs de la puissance publique, un évêque et un comte. Conformément à la tradition carolingienne, les évêques catalans sont les auxiliaires des comtes dans le gouvernement temporel. Ils servent d’ambassadeurs, participent aux opérations militaires, en particulier contre al-Andalus. Les comtes les récompensent en leur confirmant les immunités que les 77 •

souverains francs leur avaient accordées ou en leur abandonnant une partie des regalia, comme le droit de frapper monnaie. Ils considèrent que l’episcopatus fait partie du comitatus et exercent un contrôle rigoureux sur le choix des évêques qui appartiennent souvent à leur famille. Rien d’étonnant dans ces conditions que l’évêque prête au comte un véritable serment de fidélité. Celui-ci, le plus ancien qui nous soit parvenu pour cette région, est prêté par Ermengol, évêque d’Urgell, dans les Pyrénées catalanes, à son oncle par alliance, Guifred, comte de Cerdagne, célèbre pour avoir fondé le monastère de Saint-Martin-du-Canigou, dans le Roussillon en 1007 (il s’y retire en 1035, pour y mourir en 1049). La première obligation est négative : Ermengol s’engage à ne pas faire du tort à son seigneur, ni à ses biens, ni aux charges qu’il exerce («  honneurs  ») ni à sa personne («  ton corps  »). Mais, il s’engage aussi à lui apporter aide et conseil (auxilium et consilium), c’est-àdire à participer aux plaids comtaux et à l’accompagner à la guerre. Ce type d’engagements se généralise en Catalogne à partir du milieu du xie siècle et contribuent à enserrer toute l’aristocratie dans un réseau de fidélités contractuelles, depuis le comte de Barcelone jusqu’aux simples chevaliers constituant les garnisons castrales du principat. Doc. 4. L’omniprésence de la guerre (« Bible de Maciejowski », épisode du Livre de Josué. Art français, vers 1250. New York, Pierpont Morgan Library, Ms 638, fol 10v.)

La Bible de Maciejowski, chef-d’œuvre de l’enluminure gothique, est conservée à New York dans la très riche Pierpont Morgan Library. Elle est constituée par 44 folios illustrant par ordre chronologique diverses scènes de l’Ancien Testament et a été enluminée dans le nord de la France au midi du xiiie siècle. Elle doit son nom à un évêque de Cracovie qui, en 1608, en fit cadeau au Shah d’Iran, Abbas Ier le Grand. Ce folio illustre un épisode de la conquête de la Terre promise par Josué, la prise et la ruine de la ville de Aï dont le roi est pendu (Josué, 8, 1-35). • Question 1. Le souci d’actualiser le message divin explique que l’affrontement soit présenté de manière délibérément anachronique. On assiste d’un côté à la charge meurtrière d’un groupe de chevaliers qui frappent de taille et

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d’estoc, forçant leurs adversaires à battre en retraite. On notera l’importance des armes défensives  : la cotte de mailles recouverte d’une légère soubreveste, le heaume « en seau » couvrant tout le visage ou le casque conique prolongé par une pièce protégeant le nez, le bouclier triangulaire… On voit peu à peu apparaître des renforts divers – plaques de cuir, gorgerins, jambières, genouillères et coudières… – qui transforment le guerrier en une véritable statue de métal. Occasion de rappeler que la force de la cavalerie lourde, c’est sa puissance percussive quand elle est lancée au galop. La lance tenue fermement permet lors d’un choc frontal, grâce aux selles hautes et aux étriers, de précipiter l’ennemi à terre… La violence de la charge est bien rendue par l’enlumineur, comme la peur qui s’empare alors de ceux qui la subissent. Sur la droite, le document présente une scène de siège. Ici, les chevaliers cèdent la place aux «  piétons », à l’infanterie qui tente l’« échelade » des murailles, les assaillants grossièrement protégés par leurs boucliers longs (pavois) et par le tir des arbalétriers subissant de lourdes pertes en raison de la pluie de projectiles (pierres, flèches) qui s’abattent sur eux.

• Question 2. Un des assaillants semble vouloir saper les fondations de la forteresse. De fait, cette technique visant à ouvrir une brèche dans la muraille a été très utilisée. Il s’agit alors de creuser de véritables galeries, puis de provoquer un écroulement de la maçonnerie. D’autres techniques sont laissées de côté ici : l’usage d’un bélier, le recours à l’artillerie mécanique, celle des trébuchets et autres mangonneaux, sans oublier l’incendie. Mais, dans les faits, les sièges sont souvent interminables, en raison des progrès de l’architecture des forteresses, du moins jusqu’à l’apparition de l’artillerie à feu à la fin du Moyen Âge.

4. Nobles et chevaliers � MANUEL, PAGES 122-123

Doc. 1. Un chevalier et son écuyer (Codex Manesse, vers 1300-1310. Heidelberg, Universitätsbibliothek.)

Ce codex a déjà été présenté (doc. 2, p. 112). Des quelque 110 poètes dont les œuvres sont réunies dans cet ouvrage, Wolfram von Eschenbach © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

(v. 1170-1220) est sans doute le plus célèbre. Ce chevalier-poète a inspiré Wagner qui l’a mis en scène dans Tannhaüser et lui a emprunté le livret de l’opéra Parsifal, adapté de son chef-d’œuvre, Parzival. Les armoiries, nées sur les champs de bataille et dans les tournois pour permettre d’identifier des combattants dont le heaume dissimule le visage deviennent peu à peu de véritables signes d’identité. Leur usage se généralise au moment où s’affirme la conscience lignagère. Si le répertoire des figures est relativement ouvert dans l’héraldique médiévale, le choix de la couleur (ou émail) est limité : gueules (rouge), sable (noir), azur, sinople (vert) et pourpre, auxquels s’ajoutent deux métaux, l’or (jaune) et l’argent (blanc). De plus, les règles de composition sont contraignantes : ainsi, le rouge ne peut être associé au bleu, au noir ou au vert. Les armes de von Eschenbach sont dites, dans le langage de l’héraldique, « de gueules [le champ] à deux haches d’or [la figure] ». Doc. 2. La culture de la guerre

• Question 1. La guerre est souvent vécue comme une activité naturelle et joyeuse. C’est en tout cas l’image qu’en donnent les sirventès, ces poèmes qui, à la différence des chants d’amour (cansos), prompts à célébrer l’amour parfait (fin’ amor), interpellent les seigneurs, dénoncent leurs calculs politiques et leurs intrigues mais célèbrent les faits d’armes et les prouesses de leurs maîtres (le sirven est un serviteur en occitan). Cadet de famille et chevalier désargenté, Bertran de Born (v. 1140-1210), héritier sur le tard de la seigneurie de Hautefort (Dordogne), est un troubadour qui a participé aux nombreux conflits qui ont secoué l’Aquitaine et déchiré la famille Plantagenêt. Il a été mêlé aux luttes féodales de son temps et a célébré la guerre dans de multiples poèmes. Ici, il exalte le plaisir de l’assaut et de la bataille et voit dans la guerre l’occasion pour le chevalier d’éprouver sa valeur. Dans cet extrait, on voit que les hommes d’armes sont d’abord des cavaliers lourdement armés, qu’ils partent au printemps en campagne, assiègent des châteaux, défient les bandes rivales…

• Question 2. Les valeurs nobles s’expriment avec force : le courage, le mépris de la mort, la fidélité au seigneur – pour autant que celui-ci fasse honneur à son rang en faisant preuve de vaillance. © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

La fascination pour la violence, le plaisir, quasiment sensuel, pris à détruire et à tuer, sont bien éloignés des valeurs de l’Église et des idéaux que celle-ci cherche à inculquer aux guerriers. Il n’est pas surprenant que dans la Divine Comédie, Dante ait rencontré Bertran de Born, le « semeur de discorde », dans le 9e cercle de l’Enfer ! Doc. 3. L’adoubement : un rituel religieux (Miniature du Pontifical de Guillaume, archevêque de Rouen, xive siècle, Paris, Bibliothèque nationale de France.)

• Question. L’Église tente d’inculquer des idéaux chrétiens aux milites. Elle célèbre les chevaliers-moines, comme saint Géraud d’Aurillac, canalise la fougue des guerriers avec la croisade et s’efforce de christianiser les rites de chevalerie, comme le montre cette enluminure. Le rituel de bénédiction du chevalier est, à partir du xiie siècle, une véritable cérémonie religieuse, consignée dans des livres liturgiques, comme le Pontifical de Guillaume de Mende, en 1295. L’adoubement a lieu à l’occasion d’une fête religieuse, comme la Pentecôte. Il est précédé d’une nuit de prières et les armes du chevalier, portées sur l’autel, sont bénies au même titre que ses éperons, son bouclier ou sa bannière. Le nouveau chevalier prête ensuite serment de défendre l’Église et de promouvoir la chrétienté et la paix. Derrière le chevalier, dont la barbe naissante trahit la maturité nouvelle, deux jeunes pages manifestent par leurs gestes leur émotion. Doc. 4. L’amour courtois (Coffret de mariage en émail de Limoges, Londres, British Museum.)

xiie

siècle.

L’amour courtois est au cœur de la culture du plaisir de l’aristocratie. Ce coffret de mariage occitan montre les étapes de la conquête amoureuse. Seule la partie droite est ici reproduite, ce qui ne permet pas de mesurer la subtilité de la scène.

• Question 1. À gauche, un troubadour mène l’action, joue de la vielle et tente de séduire sa Dame. Au centre, placé sous la ferrure du coffre, un jaloux tente de lui disputer cet amour. À gauche, l’amant est capturé et enlacé. Il s’agenouille en offrant les mains dans un geste caractéristique de l’hommage vassalique. Le faucon, métaphore du désir masculin, qui apparaissait virevoltant à gauche est ici maîtrisé et soumis. 79 •

• Question 2. Au-delà du raffinement de cette vision d’un amour idéal, les codes de l’amour courtois sont clairs : il s’agit de célébrer la discipline de soi, la maîtrise des pulsions. Doc. 5. Un château fort : Beynac

Situé dans le Périgord noir, Beynac a été souvent utilisé par le cinéma ces dernières années (Les Visiteurs, la Fille de d’Artagnan, Jeanne d’Arc…). • Questions 1 et 2. Le château, construit sur un piton rocheux, surplombe la Dordogne, constituant un verrou stratégique contrôlant l’accès à la vallée. C’est donc un excellent point d’appui militaire et Richard Cœur de Lion ne l’ignorait pas quand il confia Beynac à l’un de ses fidèles, Mercadier, à la fin du xiie siècle. Le gros donjon carré, construit par les barons de Beynac au xiie siècle, est la partie la plus ancienne. Cette tour maîtresse, avec sa terrasse crénelée, sa bretèche et son échauguette (invisibles ici), abritait à l’origine la résidence du seigneur sur plusieurs étages. Le donjon a été agrandi au fil des siècles, flanqué de logis de plus en plus confortables sans que le château ne perde pour autant son allure de forteresse. Une double enceinte permet de renforcer les défenses naturelles du côté du plateau et de séparer la basse cour de la cour noble. On note la présence d’un châtelet d’entrée et de tours de flanquement. Les douves ont aujourd’hui disparu. Il ne faut pas exagérer l’importance de ces défenses pour spectaculaires qu’elles apparaissent. Le château est avant tout lieu de pouvoir et espace de vie civile, comme le rappelle à l’arrière-plan la chapelle seigneuriale.

◗ Étude La légende arthurienne � MANUEL, PAGES 124-128 Analyse des documents

A. L’univers arthurien � MANUEL, PAGES 124-125

1. La remise de l’épée est, dans la société médiévale, à la fois un rite initiatique et l’expression de l’accès à une autorité ou à une dignité (cingulum militiae). Cette coutume germanique que décrit déjà Tacite est pratiquée par les rois francs et constitue un des temps forts de la cérémonie du sacre. Charlemagne « ceint de l’épée » • 80

son fils Louis quand il lui remet l’Aquitaine. Ces remises s’étendent aux ducs et aux comtes parallèlement au glissement de l’autorité. Avec l’adoubement du chevalier, la remise d’armes revêt un caractère exclusivement militaire. Dans le cas d’Arthur, il s’agit de signifier qu’il est bien le souverain légitime, malgré sa naissance adultérine. Le prodige qui lui permet de l’arracher au rocher – ici, une simple enclume – montre qu’il est l’élu de Dieu. Elle précède l’acclamation, c’est-à-dire l’élection, par les vassaux réunis à l’arrière-plan. L’archevêque de Londres semble présider à la cérémonie et bénit le roi ainsi qu’Excalibur. Le parallèle avec le sacre est évident. Cette présence montre, au prix d’une certaine invraisemblance – Arthur, obscur roi celte du début du vie siècle, a peu de chance d’avoir été chrétien – que l’Église est une force politique majeure avec laquelle les rois doivent compter, du moins à l’époque où ces récits sont composés.

2. Le texte de Robert Wace, un clerc anglonormand chargé par Henri II Plantagenêt de « mettre en roman » l’Historia regum Britanniae de Monmouth, fait d’Arthur un roi féodal. Il s’entoure des meilleurs chevaliers de son royaume, un corps d’élite qui, par souci d’égalité, prend place sur une table circulaire pour éviter les querelles de préséance. On notera l’accent mis sur l’égalité et la fraternité au sein de cette assemblée ainsi que sur la nécessaire générosité du roi à l’égard de ceux qui le servent. L’esprit est celui d’une cour féodale où le roi s’entoure de ses fidèles vassaux. Ce sont d’ailleurs eux qui sont au cœur des aventures qui constituent la trame du cycle arthurien. La tapisserie des Neuf Preux (doc. 3) illustre un poème de Jacques de Longuyon (v. 1310). Le thème a rapidement rencontré un grand succès, repris par exemple sur les cartes à jouer. On a longtemps admis que l’œuvre avait été réalisée à la fin du xive siècle dans l’atelier parisien de Nicolas Bataille peut-être pour le célèbre mécène Jean de Berry, frère du roi Charles V (ses armes apparaissent sur certaines tapisseries). Toutefois, le musée des Cloisters présente aujourd’hui l’œuvre comme flamande. À la fin du Moyen Âge, le roi a su, en France comme en Angleterre, imposer son autorité aux barons. Figure immobile, il trône en majesté, dominant largement par sa stature les autres figures de la tapisserie, tous des prélats. Les © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

chevaliers se sont bel et bien effacés derrière le monarque.

3. La forêt comme la cour sont le cadre privilégié des aventures vécues par les chevaliers de la Table ronde. Ces deux lieux constituent les deux pôles du processus initiatique qui permet au chevalier de s’accomplir. La forêt est le lieu par excellence du rêve, du merveilleux ; un monde qui, au moins dans l’imaginaire romanesque, résiste à la socialisation. On y rencontre diverses figures de l’étrangeté, des ermites aux fées sans oublier, comme ici, des bêtes sauvages. Il s’agit d’un monde menaçant et terrifiant. La cour, au contraire, est le lieu par excellence de l’apprentissage de la discipline de soi, celui où se déploient les subtilités de l’érotique courtoise. Les tournois permettent aux chevaliers d’éprouver leur valeur, de multiplier les prouesses sous les yeux du roi comme des dames qui regardent ici le spectacle depuis les loges. Les banquets offrent aussi l’occasion de faire preuve de largesse et de prodigalité. À la cour, il faut, comme dans la forêt, apprendre à trouver son chemin, se méfier des pièges et des embûches, même si ici ils prennent la forme de la vanité et de l’orgueil, de la médisance, de l’envie ou de la félonie…

4. Le cycle arthurien apporte un éclairage précieux sur le mode d’existence des chevaliers et au-delà de l’aristocratie ainsi que sur leur système de valeurs. Ils se doivent d’entourer le roi, de l’assister et de le servir dans l’honneur. La quête de l’excellence les conduit à rechercher en permanence les occasions de s’illustrer, c’est-à-dire de gagner gloire et renommée par leurs exploits. La vie chevaleresque est une vie d’épreuves et d’aventures, individuelles et collectives. La cour est le centre de cet univers et le roi, dispensateur de bienfaits, le garant de la pérennité de cet univers. B. L’idéologie chevaleresque � MANUEL, PAGES 126-127

5. Lancelot, le « beau trouvé », a été adopté par la Dame du Lac après la mort de son père, le roi Ban, et alors que sa mère, la reine Hélène, éperdue de douleur, l’a abandonné. Elle s’emploie à lui donner, dans son château déguisé en lac, une éducation courtoise et à éveiller chez lui les qualités innées lui permettant de devenir le « meilleur chevalier du monde ». Lorsqu’il s’ap© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

prête à la quitter pour rejoindre Camelot, elle lui rappelle les devoirs qu’implique le fait d’être un « élu du monde ». Dans cet extrait du LancelotGraal (doc. 6), elle insiste sur l’utilité publique de la chevalerie  : protéger les faibles, assurer paix et justice, défendre la Sainte Église. Si on retrouve, dans cette vision de l’ordre social, un écho de la tripartition sociale chère aux clercs depuis la fin du ixe siècle, les chevaliers semblent bien constituer le premier ordre tant ils brillent par leurs vertus : aux qualités physiques – force, beauté, agilité – s’ajoutent la droiture morale et la générosité, le courage et la loyauté, la cour­ toisie et la miséricorde. La vie du chevalier est ainsi régie par un code de l’honneur contraignant. Ici, les devoirs à l’égard de l’Église sont soulignés, visant à faire de Lancelot un soldat du Christ, conformément à l’idéologie de la Paix de Dieu et à l’éthique des croisades.

6. Lancelot entre en chevalerie en recevant du roi Arthur la colée, ce geste initiatique qui imprime en lui les responsabilités nouvelles qui sont les siennes. On notera que, dans cette enluminure pourtant tardive, la cléricalisation de la céré­monie est loin d’être évidente (à comparer éventuellement avec le doc. 3, p. 123). Elle ne se déroule pas dans une chapelle, mais dans la grande salle du château de Camelot et la présence du clergé est limitée à la présence dans l’assistance d’un moine, qui semble curieusement porter l’habit franciscain. Il est vrai que, dans la légende, la cérémonie est écourtée : impatient de courir l’aventure, Lancelot quitte la cour sans attendre qu’elle ne s’achève. C’est la reine Guenièvre qui, à son retour, va lui remettre l’épée. Le document  9 montre précisément les premières épreuves qu’affronte le héros. Guenièvre a été emprisonnée par le cruel Méléagant, le fils du roi de Gorr. Après une longue chevauchée, Lancelot parvient aux abords du château où la reine est enfermée. Il doit d’abord franchir le Pont de l’Épée, tranchant comme un rasoir, puis affronter les lions qui gardent la forteresse avant de vaincre en duel dans une ultime épreuve Méléagant. Guenièvre assiste, aux côtés du vieux roi Baudemagu aux exploits de celui qui va bientôt devenir son amant. 7. La courtoisie règne dans l’univers arthurien et la relation entre Lancelot et Guenièvre est, au même titre que celle de Tristan et d’Yseut, une des plus belles expressions de la « fin’ amor », 81 •

de cet amour parfait, mais nécessairement adultérin, que célèbrent les troubadours à la cour des Plantagenêts. Galehaut, le Prince des Lointaines Îles, est devenu l’ami de Lancelot. Ayant découvert l’amour secret que celui-ci porte à la reine, il parvient à les réunir. La scène, célèbre, montre la naissance de leur idylle, le « baiser d’accordement  » dont la reine prend l’initiative, l’amant étant, dans la logique courtoise, soumis aux caprices de sa dame. Elle se déroule dans un jardin clos. Guenièvre a échappé à la vigilance de ses suivantes et « prend par le collet » son « doux ami ». Toute la tension de Lancelot est exprimée par le raidissement de sa jambe droite. Le baiser sur la bouche, loin de relever de l’intime, est une pratique tant sociale que religieuse. Il accompagne l’accueil des hôtes comme l’hommage vassalique et se pratique à la fin de la messe quand le «  baiser de paix  » soude la communauté des fidèles après la célébration du rite de l’Eucharistie.

8. Dans les versions primitives du cycle, le Graal occupe une place secondaire, associé exclusivement à Perceval, un personnage dont la trajectoire individuelle se situe en marge de la cour. Au tournant du xiie siècle, avec le Conte du Graal de Chrétien de Troyes, le motif du Graal acquiert une importance nouvelle. Le texte de Chrétien est assez énigmatique. Au cours de son errance, Perceval le Gallois, un jeune sauvageon élevé à l’écart du monde, arrive à Corbenic, au château du Roi-Pêcheur. Il assiste alors à une mystérieuse procession et rencontre un jeune homme portant une lance qui saigne, deux jeunes gens avec des chandeliers, puis une demoiselle portant le Graal. Il s’agit d’un grand plat creux, en or, serti de pierres précieuses, une coupe qui répand une lumière surnaturelle. Perceval, ne posant aucune question, échoue à en percer le secret et ne peut ni rendre la santé au roi ni la prospérité au royaume. Dans les versions ultérieures, comme La Quête du saint Graal, volet central du cycle de LancelotGraal, c’est Galaad, le fils de Lancelot, qui, pur de corps et de cœur, accomplit la prophétie de Merlin, retrouve la coupe avant de mourir en extase après une ultime vision de l’objet sacré. Le jour de la Pentecôte, alors que les chevaliers de la Table ronde sont rassemblés, le Graal apparaît en une « épiphanie mystique » (Anne Berthelot). • 82

La présence de l’enfant Jésus montre bien que le plat est un calice et qu’il s’identifie à la coupe de la Cène comme à celle dans laquelle Joseph d’Arimathie a recueilli le sang du Christ. Les jeunes gens du texte de Chrétien sont devenus des anges et un évêque (Merlin ?) bénit même le repas, implicitement identifié à la Cène.

9. Les premières versions du cycle arthurien, nourries de légendes celtiques, n’accordent qu’une place limitée à l’Église et aux valeurs chrétiennes. Peu à peu, toutefois, l’idéal chevaleresque devient un idéal religieux. L’élection d’Arthur doit moins à la protection de Merlin qu’au soutien de l’Église (doc. 1) et le roi breton devient, aux côtés de Charlemagne et de Godefroid de Bouillon, le héros de la première croisade, l’incarnation du preux chrétien (doc. 2). Dans le Lancelot-Graal, la chevalerie est présentée comme une institution destinée à défendre la Sainte Église (doc. 6). Chrétien de Troyes, un clerc champenois, infléchit le roman de manière significative en introduisant la figure du Graal dont la quête est d’abord une aventure spirituelle (doc. 10). L’interprétation résolument chrétienne de ce thème est encore plus nette dans les versions ultérieures de la légende, la Table ronde devenant une sorte de reproduction de la table de la Cène (doc. 11). Bilan de l’étude

D’un roman à l’autre, la légende arthurienne marque le triomphe de l’idéal chevaleresque. Elle a eu un impact considérable sur les juvenes, ces jeunes chevaliers turbulents, qui, faute d’épouse et de château, rêvent d’aventures et trouvent une compensation à leurs frustrations dans cette littérature romanesque. Le roi y est dépeint comme un roi idéal qui ne cherche ni à imposer son autorité brutalement, ni à s’appuyer sur des roturiers, mais à s’entourer des meilleurs chevaliers et à les couvrir de bienfaits. Un roi faible, respectueux des intérêts féodaux, une sorte d’anti-Philippe Auguste, ont même pu affirmer certains historiens (Laurence Harf-Lancner). La cour constitue un espace de socialisation où s’épanouissent une culture des loisirs et du plaisir et une éthique amoureuse et mondaine. Les chevaliers peuvent y briller, en particulier à l’occasion des tournois, mais c’est en quittant le groupe et en allant affronter les épreuves dans le monde sauvage et © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

mystérieux de la forêt qu’ils parviennent, par leurs prouesses, à atteindre la renommée. Les errances des héros arthuriens constituent autant de quêtes initiatiques qui exaltent les valeurs dont est imprégnée l’aristocratie : la fidélité, la générosité, le sens de l’honneur, la bravoure, le

Chapitre

6

sacrifice… La christianisation de la chevalerie, manifeste à travers l’idéologie de la croisade ou le succès des ordres militaires, est soulignée par la place centrale de la quête du Graal dans l’univers arthurien à partir de la fin du xiie siècle.

Sociétés et cultures urbaines (xie-xiiie siècles) � MANUEL, PAGES 130-147

◗ Ouverture de chapitre � MANUEL, PAGES 130-131

Doc. 1. La ville, un paysage original… (Ambrogio Lorenzetti, Cité au bord de la mer, 1346. Sienne, Pinacoteca Nazionale.)

Comment reconnaître une ville ? La réponse ne va pas de soi. La formule « l’air de la ville rend libre » a souvent été mise en avant pour souligner que la ville bénéficie d’un droit spécifique. Or, il n’en est rien : la ville n’a pas le monopole des franchises pas plus que celui des communes. Ni la présence de murailles (il y a des bourgs fortifiés), ni la densité de l’habitat ne sont en soi des critères déterminants, pas plus que l’absence d’activités rurales, les villes ne manquant pas de jardins et de vignes (clos), voire de prés ou de champs. Toutefois, le paysage urbain est clairement reconnaissable par sa monumentalité : portes, palais fortifiés, maisons à plusieurs étages, souvent à encorbellement, églises imposantes, halles couvertes, beffroi et maison commune, etc. Dans l’art, pendant une grande partie du Moyen Âge, la ville est réduite à quelques symboles (voir l’étude sur Paris p. 138-139). Il faut attendre le premier tiers du xive siècle pour voir la peinture toscane offrir les premières représentations réalistes de villes. Encore ne s’agit-il le plus souvent que d’un décor, à l’arrière-plan d’une scène religieuse ou d’une allégorie. Ce petit tableau, attribué sans certitude à Ambrogio Lorenzetti, un peintre siennois mort en 1348, lorsque la Peste Noire frappe la Toscane, est de © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

ce point de vue absolument unique. On notera la présence du château qui rappelle que la ville s’est développée dans le cadre de l’ordre seigneurial, les rares places, les palais fortifiés et la profusion de tours. Ces tours qui se retrouvent encore aujourd’hui quelquefois dans le cœur médiéval des villes italiennes (Bologne…) permettent d’évoquer les rivalités entre familles, comme dans la Vérone des Capulet et des Montaigu, ou la peur des révoltes populaires, et invite à poser le problème du pouvoir au sein de la ville. Doc. 2. … et une société nouvelle (Banquiers au travail, miniature du Traité des sept vies, xive siècle. Londres, British Library, ms add. 27695, fol. 8.)

Cette enluminure illustre assez bien ce qui fonde le plus clairement l’originalité de la ville : la diversité, voire l’hétérogénéité, de son corps social. La ville est en effet le siège de nombreuses activités artisanales et marchandes. D’où certains traits de la culture urbaine : l’attrait de l’argent et le goût du profit, l’individualisme, l’ouverture au monde et à la séduction pour la nouveauté. Ici, on voit des banquiers italiens, richement vêtus, qui pratiquent le prêt, sur une table sous les arcades de leur boutique, souvent ouverte sur la rue. Le coffre est, au même titre que le livre de comptes ou la balance, un des outils de travail de ces manieurs d’argent. La présence du Christ, comme l’inscription, leur rappelle qu’il doit veiller à ne pas s’exposer, en maniant l’argent, au péché capital qu’est la cupidité (avaritia). 83 •

mystérieux de la forêt qu’ils parviennent, par leurs prouesses, à atteindre la renommée. Les errances des héros arthuriens constituent autant de quêtes initiatiques qui exaltent les valeurs dont est imprégnée l’aristocratie : la fidélité, la générosité, le sens de l’honneur, la bravoure, le

Chapitre

6

sacrifice… La christianisation de la chevalerie, manifeste à travers l’idéologie de la croisade ou le succès des ordres militaires, est soulignée par la place centrale de la quête du Graal dans l’univers arthurien à partir de la fin du xiie siècle.

Sociétés et cultures urbaines (xie-xiiie siècles) � MANUEL, PAGES 130-147

◗ Ouverture de chapitre � MANUEL, PAGES 130-131

Doc. 1. La ville, un paysage original… (Ambrogio Lorenzetti, Cité au bord de la mer, 1346. Sienne, Pinacoteca Nazionale.)

Comment reconnaître une ville ? La réponse ne va pas de soi. La formule « l’air de la ville rend libre » a souvent été mise en avant pour souligner que la ville bénéficie d’un droit spécifique. Or, il n’en est rien : la ville n’a pas le monopole des franchises pas plus que celui des communes. Ni la présence de murailles (il y a des bourgs fortifiés), ni la densité de l’habitat ne sont en soi des critères déterminants, pas plus que l’absence d’activités rurales, les villes ne manquant pas de jardins et de vignes (clos), voire de prés ou de champs. Toutefois, le paysage urbain est clairement reconnaissable par sa monumentalité : portes, palais fortifiés, maisons à plusieurs étages, souvent à encorbellement, églises imposantes, halles couvertes, beffroi et maison commune, etc. Dans l’art, pendant une grande partie du Moyen Âge, la ville est réduite à quelques symboles (voir l’étude sur Paris p. 138-139). Il faut attendre le premier tiers du xive siècle pour voir la peinture toscane offrir les premières représentations réalistes de villes. Encore ne s’agit-il le plus souvent que d’un décor, à l’arrière-plan d’une scène religieuse ou d’une allégorie. Ce petit tableau, attribué sans certitude à Ambrogio Lorenzetti, un peintre siennois mort en 1348, lorsque la Peste Noire frappe la Toscane, est de © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

ce point de vue absolument unique. On notera la présence du château qui rappelle que la ville s’est développée dans le cadre de l’ordre seigneurial, les rares places, les palais fortifiés et la profusion de tours. Ces tours qui se retrouvent encore aujourd’hui quelquefois dans le cœur médiéval des villes italiennes (Bologne…) permettent d’évoquer les rivalités entre familles, comme dans la Vérone des Capulet et des Montaigu, ou la peur des révoltes populaires, et invite à poser le problème du pouvoir au sein de la ville. Doc. 2. … et une société nouvelle (Banquiers au travail, miniature du Traité des sept vies, xive siècle. Londres, British Library, ms add. 27695, fol. 8.)

Cette enluminure illustre assez bien ce qui fonde le plus clairement l’originalité de la ville : la diversité, voire l’hétérogénéité, de son corps social. La ville est en effet le siège de nombreuses activités artisanales et marchandes. D’où certains traits de la culture urbaine : l’attrait de l’argent et le goût du profit, l’individualisme, l’ouverture au monde et à la séduction pour la nouveauté. Ici, on voit des banquiers italiens, richement vêtus, qui pratiquent le prêt, sur une table sous les arcades de leur boutique, souvent ouverte sur la rue. Le coffre est, au même titre que le livre de comptes ou la balance, un des outils de travail de ces manieurs d’argent. La présence du Christ, comme l’inscription, leur rappelle qu’il doit veiller à ne pas s’exposer, en maniant l’argent, au péché capital qu’est la cupidité (avaritia). 83 •

Refusant d’abord toute forme de prêt à intérêt, l’Église a progressivement assoupli sa doctrine. Si elle continue de condamner l’usure, elle reconnaît, à partir du xiiie siècle, la légitimité d’un intérêt quand le risque encouru par le prêteur est réel, en particulier pour le prêt maritime.

1. Le renouveau des villes � MANUEL, PAGES 132-133

Doc. 1. Le sceau d’Ypres (Belgique, 1409)

Sceaux et monnaies constituent une source précieuse pour apprécier l’image que la ville veut donner d’elle-même. Le sceau, destiné à authentifier les actes auxquels il est apposé, est pour la ville une marque de reconnaissance significative de sa personnalité juridique. Il représente souvent les symboles de son autonomie et de son rayonnement. Ypres, opulente ville drapante du plat pays flamand, se dote au xiiie siècle d’une imposante halle aux Draps (Lakenhal) dominée par un beffroi de plus de 70 mètres, fierté des Yprois. Détruit lors de la Première Guerre mondiale, le bâtiment a été fidèlement reconstruit. On notera aussi, outre les murailles et la porte monumentale, les deux écus : l’un arbore le lion de Flandre et l’autre les armes de la ville. Doc. 2. La place du marché (Maître de la Cité des Dames, Le Chevalier errant, manuscrit de Thomas III de Saluces, vers 1400-1405. Paris, BnF, Ms fr 12559, fol. 167.)

Ce roman, écrit par le marquis de Saluces entre  1394 et  1405 raconte le voyage allégorique d’un chevalier anonyme. L’enluminure, tirée d’un manuscrit piémontais du début du xve siècle, représente une scène de marché ou de foire dans une ville imaginaire. La place, pavée, seul espace ouvert dans l’enchevêtrement des maisons et des ruelles tortueuses, est le lieu privilégié des activités urbaines.

• Questions 1 et 2. On note la présence de marchands qui tiennent boutique, vendant des draps de laine ou des paniers et des pots d’étain. Ils sont installés dans des loges ou « étalent » devant leur atelier sous un auvent. Les marchés conservent leur caractère rural, d’où la présence ici de paysans qui apportent les productions des campagnes environnantes. Des éleveurs conduisent les bêtes, bovins ou pourceaux (noirs et velus), aux bouchers et charcutiers chargés de les • 84

abattre  ; une paysanne, installée au pied d’un calvaire, propose les produits de sa basse-cour et de son jardin (oignons ?). Sur la gauche, on entrevoit peut-être un colporteur. Au premier plan, des couples de clients, nobles ou bourgeois, en tout cas, richement habillés. Les habits longs, les étoffes moirées, la ceinture à clous dorés, le chaperon pourpre tranchent avec les vêtements courts et le simple capuchon des paysans. Doc. 3. Les foires de Champagne vues par un marchand siennois, 1265

Les raisons du succès des foires de Champagne restent aujourd’hui discutées. Certes, la situation géographique, en position d’interface entre l’Italie du Nord et la Flandre, est un atout réel, mais le réseau navigable est médiocre et les routes ne sont pas les plus directes. La protection comtale a eu son importance. L’organisateur du comté, Henri le Libéral (1152-1181), a imposé la « paix du prince » et accordé aux marchands divers privilèges  : le conduit des foires garantit la sûreté des personnes, alors que la garde des foires assure une justice rapide pour tous les délits et sanctionne et pourchasse les débiteurs récalcitrants. Par ailleurs, les « lettres de foire », payables deux mois plus tard à la foire suivante, constituent un habile système de compensation propre à limiter les gros mouvements de fond. Dès le milieu du xiie siècle, on dénombre 12 foires en Champagne. Si certaines, comme Saint-Florentin, Sézanne ou Château-Thierry, n’ont qu’un intérêt local, 6 revêtent une dimension internationale, constituant un véritable cycle. Provins et Troyes ont le privilège d’en accueillir deux.

• Question 1. Un marchand siennois, correspondant de la societas constituée par les Tolomei, fait état des difficultés qu’il rencontre à écouler ses marchandises. Il s’agit d’épices (poivre, gingembre, safran) ou de produits de semi-luxe comme la cire. Cette dernière était utilisée surtout par les puissants et par l’Église, l’éclairage des classes populaires se faisant grâce à des chandelles de suif. Les meilleures bougies étaient fabriquées avec de la cire d’abeille que l’on importait du Bassin méditerranéen (Bougie ou Bejaia se trouve en Kabylie).

• Question 2. La Champagne est ainsi au cœur d’un commerce international. Même si sa production de draps n’est pas négligeable, elle sert

© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

surtout d’intermédiaire, mettant en relation des marchands d’horizons très différents. Cette situation, si elle a fait la fortune des changeurs, fragilise les foires. On le voit à la fin du texte quand un marchand envisage d’aller porter directement ses marchandises sur le marché londonien. À partir de 1277, une liaison maritime directe s’établit entre Gênes et les ports flamands. Elle devient régulière en 1317. La Champagne perd son intérêt économique et les changeurs qui avaient fait la prospérité de ses villes les désertent au profit des villes où se trouvent leurs clients : Paris, Bruges et, bientôt, Avignon. Doc. 4. Une bastide en Aquitaine : Libourne (Gironde)

La bastide correspond à un dernier type d’habitat volontaire créé dans le cadre du grand essor démographique des xie-xiiie siècles, après les castelnaux, villeneuves et autres sauvetés. La plus ancienne est sans doute Cordes, en Albigeois, à l’initiative du comte Philippe de Montfort (1222). À sa suite, Alphonse de Poitiers fonde 36 bastides en Gascogne et en Agenais. Le mouvement s’accélère encore dans le dernier tiers du siècle, dans un contexte de rivalité avec les Anglais maîtres de l’Aquitaine. Il y a eu au total 350 à 400 fondations de bastides. S’il s’agit incontestablement pour le roi et ses agents de mieux quadriller le territoire, le regroupement de population a aussi un intérêt économique, permettant par exemple de repeupler le Toulousain et l’Albigeois après l’épisode cathare.

• Question. À Libourne, qui doit son nom à Roger de Leybourne, le lieutenant d’Édouard Ier chargé de réaliser la bastide, le port doit permettre aux produits de l’arrière-pays d’être embarqués sur des navires de haute mer. Ici, l’ancien village est bien visible, à la confluence de l’Isle et de la Dordogne, à la gauche de la photo, reconnaissable au tracé irrégulier des rues et à la présence de ruelles étroites.

2. Travailler en ville � MANUEL, PAGES 134-135

Doc. 1. Le boulanger (Détail du vitrail de « Moïse et Isaïe », xiiie siècle. Cathédrale Notre-Dame, Chartres.)

Les vitraux de la cathédrale de Chartres constituent le plus grand ensemble vitré encore en place © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

dans une cathédrale française. Sur les quelque 180 verrières, 42 ont été offertes à la cathédrale par les commerçants et artisans chartrains. Les donateurs les ont «  signées  » en faisant représenter la vie des métiers. Il s’agit donc d’un témoignage précieux sur les techniques propres à chacun d’entre eux. Ici, un boulanger – souvent le maître en personne, l’opération étant délicate – est en train de pétrir la pâte, mélangeant lentement la farine au levain dilué dans de l’eau tiède. Un apprenti ajoute à sa demande de l’eau à la pâte. Les linges qui pendent au-dessus du pétrin rappellent que cette tâche exige de la force et que le boulanger transpire d’abondance, l’apprenti lui essuyant régulièrement le visage et le cou. Doc. 2. Un chantier de construction (Cantigas a Santa María d’Alphonse X, vers 12601270. Florence, Biblioteca Nazionale Centrale, ms. B.R. 20.)

Le roi de Castille Alphonse X le Sage (12211284) a rassemblé une équipe de clercs, de poètes, de musiciens, de scribes et d’enlumineurs, pour composer et diffuser ce recueil  de poèmes relatant, en galicien, les miracles accomplis par la Vierge. Destinées à être chantées, en particulier sur les routes de pèlerinage, ces œuvres sont souvent considérées comme un des sommets de la musique médiévale. On peut retrouver quelques cantiques illustrés picturalement et musicalement sur le site d’un amoureux de la musique médiévale : http://marcel.arnoux.free.fr/LES%20CANTIGAS% 20DE%20SANTA%20MARIA.html

Le manuscrit conservé à Florence comporte plusieurs centaines d’enluminures illustrant le texte des hymnes qu’elles accompagnent. Les scènes de construction sont fréquentes dans ce manuscrit, comme dans celui, célèbre, de l’Escorial. L’espace de l’enluminure devient un moyen de mise en scène du discours poétique qui dépasse la simple illustration. • Question 1. Ainsi, la construction représentée est à la fois celle des lieux de culte et du sens même des Cantigas. Les ouvriers ici s’affairent sur le chantier d’une église, dont ils achèvent les arcs brisés du chœur. Le maître-autel est déjà en place, légèrement surélevé et recouvert d’un drap lourd au décor orientalisant et de deux nappes blanches. 85 •

• Question 2. Parmi les ouvriers présents sur le chantier, on peut distinguer différents corps de métier  : un tailleur de pierre est en train de sculpter la base d’une colonne, un mortellier – ou un plâtrier – s’active pour préparer le mortier ou le plâtre qu’un apprenti va hisser, grâce à un instrument de levage à poulie, jusqu’à l’échafaudage, où deux maçons s’emploient à appareiller un arc. Bien d’autres corps de métier sont présents sur un chantier  : carriers, couvreurs, charpentiers, plombiers, échafaudeurs, piqueurs, appareilleurs, sculpteurs (ou imagiers)… sans oublier bien sûr les maîtres bâtisseurs ou maîtres d’œuvre, dont certains sortent alors de l’anonymat comme à Paris, Pierre de Montreuil, l’architecte de la Sainte-Chapelle et du transept sud de Notre-Dame. Doc. 3. Les « batteurs de pavé »

Pour les marchands ambulants qui n’ont ni «  pignon sur rue  » ni enseigne, il faut crier sa marchandise à travers les rues. Guillaume de la Villeneuve invente un genre littéraire, les Cris de Paris, qui a eu un grand succès à la fin du Moyen Âge et au xvie siècle, la dimension sonore de ces évocations se prêtant à de brillantes mises en musique, dont la plus célèbre est la « fricassée » – superposant plusieurs voix – de Clément Janequin («  Vouloir ouyr les cris de Paris ? », 1528-1529).

• Question. Dans cet extrait, on évoque deux types d’activités, les bains et le commerce des poissons. Peu de maisons possédaient des cuves à baigner et disposaient de servantes pour chauffer l’eau et l’apporter  ; les bains étaient pour cette raison nombreux. On compte alors à Paris au moins six rues, ruelles ou culs-de-sac, portant le nom d’estuves. On y prenait des bains de vapeur ou des bains à l’eau chaude. On pouvait s’y faire servir à boire et à manger. Ces endroits ne jouissaient pas d’une excellente réputation, on y pratiquait le jeu et certaines tenancières d’étuves tenant ouvertement « bordelage » dans leur maison… Le commerce du poisson salé n’a rien de marginal dans un monde chrétien qui impose de faire maigre quelque 166 jours par an. Les poissons salés, fumés ou séchés dominaient largement ce commerce pour d’évidentes raisons de conservation, et parmi eux, à partir du dernier tiers du xiie siècle, les harengs. Ceux-ci venaient • 86

de Rouen, de Dieppe ou de Calais, sans doute la première ville du royaume pour la pêche du hareng à la fin du Moyen Âge. C’est Louis IX qui, en 1254, divisa la vente du poisson en frais, salé, et saur (salé et fumé). À Paris, les harengères passaient pour utiliser une langue fleurie et imagée, évoquée par François Villon dans certains de ses poèmes, pour mieux vendre leurs poissons. Doc. 4. Un métier réglementé : la draperie de Chartres, 1268

Cette ordonnance d’avril 1268 apporte un éclairage précieux sur l’organisation complexe des métiers drapants et sur la division du travail dans cette industrie. À Chartres, celle-ci transforme la laine rude, longue et épaisse, du mouton de la Beauce, et un des premiers privilèges dont jouissent ici les « bourgeois de la rivière », c’est l’interdiction d’utiliser des laines « estranges », ici des laines d’Espagne, celle des fameux mérinos (art. 3). Or, dans la deuxième moitié du xiiie  siècle, l’usage de ces laines, courtes mais fines, se répand avec les progrès de l’arçonnage et du cardage, la qualité des étoffes étant souvent bien supérieure à celle des moutons à poil grossier.

• Question 1. Plus largement, ce règlement encadre rigoureusement la production. Le comte confère aux 12 jurés d’amples pouvoirs de police (art. 1). Il leur appartient de faire respecter les «  us et coutumes  » du métier, c’est-à-dire veiller à la qualité des draps (art. 2), à l’égalité des conditions (pas plus de deux apprentis par maître, art. 7), au respect des règles de fabrication (obligation de recourir aux moulins à foulon, art. 2) et à l’interdiction pour les ouvriers de « faire communauté », c’est-à-dire de s’assembler dans une coalition qui menacerait le pouvoir des maîtres (art. 4). Il réglemente aussi l’accès à l’apprentissage et à la maîtrise (art. 12).

• Question 2. Pour être apprenti, il faut être de bonne moralité et acquitter un droit de 18 deniers, partagés entre la confrérie, afin d’assurer divers secours – matériels ou spirituels – à ses membres, et les réjouissances («  le vin  ») qui accompagnent son admission dans le métier. Au terme de son apprentissage, l’apprenti peut devenir maître, mais devra verser « une redevance », appelée quelquefois un «  droit de bienvenu  » © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

et destinée à financer un banquet offert aux jurés. Celle-ci n’a rien de symbolique comme le montre le fait que le fils du maître en est dispensé. Bien des apprentis ne peuvent l’acquitter, d’autant qu’elle s’ajoute à d’autres dépenses : il faut acquérir un atelier, un métier à bras, payer à la municipalité une sorte de patente, etc. Ajoutons que quand le chef d’œuvre apparaît (souvent assez tard), les fils de maîtres en sont en général dispensés. Dans ces conditions, les dynasties de maîtres artisans sont légion et beaucoup d’apprentis, renonçant à la maîtrise, restent valets toute leur vie. Doc. 5. Une scène de tissage (Egerton Genesis Picture Book, fin du xive  siècle. Londres, British Library, Egerton 1894, fol. 2v.)

Ce document, croisé avec le précédent, peut offrir l’occasion de présenter – très schématiquement – les différentes étapes de la fabrication. On distinguera :

1. La préparation de la matière première : le lavage de la laine la dégraisse et élimine le suint, l’arçonnage permet, en battant la laine avec un arçon (archet), de faire des fibres entremêlées une nappe mousseuse avant le peignage (pour les fils de chaîne) ou le cardage (pour les fils de trame) des mèches de laine.

2. Le filage se fait au fuseau et à la quenouille (doc. 1 p. 116) ou, à partir du xiiie siècle, au rouet.

3. L’ourdissage consiste à préparer la chaîne. L’ourdissoir se présente comme un ensemble de barres de bois, les ensouples. L’opération consiste à dérouler ensemble un certain nombre de fils et à les accrocher à des chevilles pour obtenir une chaîne de la longueur de la pièce de drap désirée (souvent 30 mètres).

4. Le tissage se fait sur un métier horizontal à bras. La taille des métiers s’est accrue avec le «  métier large  » (2 mètres) à deux ouvriers et à pédales, deux à trois fois plus rapide, une des clefs de l’essor de la production flamande à la fin du xiiie siècle et au début du xive siècle. Comme sur la miniature, le tisserand se dresse sur les pédales et actionne des cadres (lames), qui permettent d’élever et d’abaisser certains fils de chaîne, afin de faire passer la trame avec la navette.

5. Les opérations de finition ou d’apprêt – foulage, tondage et lainage – sont indispensables © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

pour dissimuler la structure du tissu et faire du drap écru un lainage à la surface unie et veloutée.

6. Le tissu peut maintenant être teint, ce qui va permettre d’augmenter sensiblement sa valeur (celle-ci est facilement multipliée par trois si le colorant est rare). Les teintures les plus courantes sont végétales : le bleu s’obtient avec le pastel (guède dans le Nord), le rouge avec la garance, le jaune avec le safran ou la gaude (réséda). Comme le foulage, la teinture est le fait de petits entrepreneurs qui utilisent une maind’œuvre salariée et peu qualifiée. Ces « ongles bleus » sont au cœur des luttes sociales de la fin du Moyen Âge.

3. Les sociétés urbaines � MANUEL, PAGES 136-137

Doc. 1. Une scène de pendaison (Bréviaire de Belleville, vers 1323-1326. Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. lat. 10483-10484.)

Le Bréviaire de Belleville est un livre liturgique destiné aux dominicains. Le manuscrit a été la propriété d’Olivier de Clisson, seigneur de Belleville, avant d’entrer, sous Charles V, dans les collections royales. Il a été enluminé par un artiste parisien, Jean Pucelle, dont l’originalité consiste à avoir accordé une place considérable aux marges, décorées de multiples saynètes, commentant souvent avec grâce et humour le texte. Dans une justice médiévale qui manie la grâce au moins autant que la coercition, et est prompte à excuser la violence surtout quand les questions d’honneur sont en jeu, le recours aux peines corporelles est exceptionnel. Le plus souvent, les délits sont sanctionnés par des amendes, y compris pour des actes où le sang coule. Cette amende, souvent négociée entre les parties, est destinée à rétablir la paix sociale. Les peines corporelles, mutilation ou mort, sont utilisées en fonction de leur exemplarité. C’est la «  politique de l’effroi », les « rituels d’infamie ». Le voleur subit l’humiliation d’être exposé au pilori ou fustigé publiquement. Les criminels endurcis, récidivistes, sont amputés, l’essorillement étant très répandu et en général gradué (oreille incisée, percée, échancrée…). L’homicide simple est – en théorie – puni de mutilation ou de pendaison, le meurtrier étant préalablement traîné sur une claie. Les femmes criminelles sont en87 •

fouies vivantes ou brûlées. Le faux-monnayeur est bouilli. La décapitation n’est pas encore privilège de noble, mais s’applique systématiquement, à la fin du Moyen Âge, aux crimes de lèse-majesté. Reste que le nombre d’exécutions est limité. On préfère le bannissement, souvent d’ailleurs pour répondre à la demande de la partie lésée, un bannissement qui est rarement perpétuel. Doc. 2. Les tours de San Gimignano, Toscane, Italie (San Gimignano (détail), Taddeo di Bartolo, v. 1390. S. Gimignano, Musei Civici.)

Ce document est un détail d’un tableau de Taddeo di Bartolo montrant la cité bénie par son saint patron. Aujourd’hui encore, les tours de San Gimignano dominent la campagne toscane. En Italie, la noblesse inscrit son pouvoir au cœur de l’espace urbain. Chaque consorzeria – le groupe nobiliaire et sa clientèle – domine un quartier, privatisant l’espace public. Des passages voûtés, des chaînes voire des portes en contrôlent l’accès, en particulier la nuit. Il y a une église domestique, un puits, un four, des étuves, un entrepôt (fondaco) et, à la fois symbole d’autorité et ultime refuge, une tour. Si la ville italienne pousse en hauteur, le phénomène n’est pas exclusivement transalpin. Quand, en 1226, Louis VIII veut soumettre Avignon, il fait raser ses murs, combler ses fossés et détruire « 300 maisons à tour ». Doc. 3. La révolution florentine de 1293

• Question 1. À Florence, depuis le xiie siècle, le pouvoir est aux mains de la noblesse – noblesse urbaine, mais aussi du contado – et de quelques familles d’affaires dont l’implantation est ancienne. Ces magnats ont fait main basse sur le consulat (12 membres en 1189) afin d’en accaparer les ressources. Ils sont accusés de menacer la paix publique en raison des rivalités qui les déchirent. Vision un peu réductrice, même si le conflit entre les Uberti et les Buondelmonti a longtemps divisé la ville, dans la mesure où elle laisse à l’arrière-plan le clivage majeur, celui qui oppose guelfes et gibelins. Ils sont aussi accusés de léser les popolani, c’est-à-dire les marchands et les artisans à l’origine, dit Giovanni Villani, lui-même marchand florentin, de la prospérité de la ville. • 88

• Question 2. Après une tentative avortée en 1250, le Popolo prend le pouvoir pacifiquement d’abord en 1282 avec l’établissement du priorat, puis en 1293 quand sont adoptées les «  Ordonnances de justice  ». Au nombre de six les prieurs sont recrutés dans les sept Arts majeurs (drapiers [Arte de Calimala], juges et notaires, artisans de la laine, changeurs, médecins et apothicaires, artisans de la soie, pelletiers et fourreurs). À partir de 1293, ils sont assistés d’un gonfalonier qui veille à l’exécution des ordonnances de justice. Celles-ci ne se contentent pas d’exclure 147 familles de magnats des magistratures, elles visent à intimider les consorzerie en les obligeant à renoncer à leur justice privée. Attention à ne pas exagérer l’ampleur de cette « révolution » : c’est le peuple gras qui domine Florence dorénavant, essentiellement l’aristocratie d’affaires, alors que les menus, petits commerçants et artisans, restent exclus du pouvoir. Doc. 4. L’enseignement du droit

(Manuscrit du xive siècle. Cambrai, Médiathèque municipale, MS 620, fol1, détail.) Juristes et hommes de loi sont très présents dans la ville médiévale. Nombreux dans les chapitres canoniaux, ces iurisperti sont aussi conseillers des grands et des princes comme les fameux légistes méridionaux de Philippe le Bel, Pierre Flotte ou Guillaume de Nogaret.

• Questions 1 et 2. Cette miniature illustre un ouvrage de droit canon de Giovanni d’Andrea (1270-1348), un célèbre professeur, docteur in utroque jure, c’est-à-dire rompu au droit romain comme au droit canon, et ayant enseigné à Padoue et à Bologne. Il écoute un de ses étudiants en train de lire le texte d’une autorité, comme Gratien ou Huguccio, pour le droit canon. La scène se déroule dans une salle de classe dominée par la chaire du maître. Celui-ci se reconnaît aussi au luxe de ses vêtements : chaperon fourré, col d’hermine… Les étudiants sont mieux lotis que leurs homologues parisiens, en général assis par terre, au pied du maître, puisqu’ils disposent de bancs et de pupitres. Ils ne prennent pas de notes mais suivent attentivement le texte, s’efforçant de le mémoriser. L’exercice de lecture est plus ardu qu’il n’y paraît, en raison de la langue utilisée, des abréviations et de la © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

ponctuation incertaine sans compter les erreurs du scribe. Lire, c’est d’abord rendre au texte sa cohérence, mais c’est aussi le commenter, dégager des «  sentences  » qui peuvent, à leur tour, devenir objet de réflexion et de discussion.

◗ Étude Une ville capitale : Paris au xiiie siècle � MANUEL, PAGES 138-139 Analyse des documents

1. Paris est une ville administrative où se concentrent au xiiie siècle les fonctions de commandement avec la résidence royale, dans l’île de la Cité et, bientôt, au Louvre, et le Parlement dont les différentes chambres s’installent dans la Cité. Le prévôt royal, qui représente le roi dans la ville, siège lui au Grand Châtelet. C’est aussi, en raison de sa population – évaluée à 200 000 habitants à la veille de la Grande Peste –, un grand centre de consommation et, logiquement, une ville artisanale qui, du fait de la présence de la cour, accorde une grande place aux métiers d’art, du livre enluminé au travail de l’ivoire en passant par l’orfèvrerie. Ces activités se concentrent sur les ponts habités, en particulier le Grand Pont, de plus en plus appelé Pont-au-Change, en raison de la présence de nombreuses boutiques de changeurs, mais c’est surtout la rive droite qui affirme sa vocation marchande. C’est là que se trouvent les principaux ports qui alimentent Paris en pondéreux, c’est là aussi que se trouvent les halles des Champeaux, un « marché neuf » créé par Louis VI en 1107, mais qui a été entouré de murailles pour l’isoler du cimetière des Innocents et doté de bâtiments en dur pour entreposer les marchandises sous Philippe Auguste. Le vendredi et le samedi, les marchands et artisans de Paris sont tenus de fermer boutique pour y exercer leur négoce. Paris rayonne aussi par ses activités intellectuelles. Certes, ce n’est pas un archevêché, l’évêque de Paris étant suffragant de celui de Sens jusqu’en 1622, mais Notre-Dame, reconstruite à partir de 1163, est un laboratoire pour le nouvel art gothique et l’école cathédrale est, au xiie siècle, renommée pour le talent de ses maîtres comme Alain de Lille ou Pierre Lombard. Sur la rive gauche, l’habitat est beaucoup plus dispersé, les loyers moins élevés, ce qui permet aux maîtres de trouver des loge© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

ments pour exercer leur enseignement, en particulier autour du Petit-Pont, de la place Maubert et de la rue des Écoles. De plus, les monastères sont d’importants foyers culturels, comme Saint-Germain-des-Prés et, surtout, SainteGeneviève, où a exercé Abélard, et Saint-Victor, un des hauts lieux de la scolastique naissante. Les nombreux conflits qui les opposent au chancelier de Notre-Dame poussent aussi beaucoup de maîtres à s’installer rive gauche, accélérant le déplacement de la population estudiantine vers le « quartier latin ».

2. Il y a à Paris, comme dans toutes les grandes villes médiévales, des pouvoirs concurrents, en particulier de nombreuses seigneuries monastiques. Le roi doit en outre composer avec l’évêque comme avec le chapitre cathédral qui a son propre domaine foncier. L’enchevêtrement des juridictions a été à l’origine de nombreux conflits, dont le plus célèbre a d’ailleurs présidé à la naissance de l’université (voir questions suivantes). En 1222, une charte solennelle, la « forma pacis », précise les droits respectifs du roi et de l’évêque. Elle sera respectée jusqu’en 1674. Le roi, l’évêque et le chapitre cathédral se partagent l’exercice de la justice ainsi que de nombreuses taxes (la taille, le guet, les droits d’aubaine et de criage…). L’extrait retenu concerne d’abord trois secteurs où les litiges ont été nombreux  : le bourg Saint-Germain se trouve rive droite, autour de Saint-Germain l’Auxerrois ; la culture l’Évêque est située en banlieue et correspond à l’actuel quartier de la Madeleine ; le clos Bruneau se trouve rive gauche. Dans ces trois cas, les droits de justice sont partagés selon la nature du délit commis. Une distinction est introduite entre le meurtre – qui implique préméditation – et le simple homicide, le prévôt royal se réservant les cas les plus graves. Le dernier paragraphe indique que l’évêque a été lésé par les travaux entrepris par Philippe Auguste sans doute en raison du percement de nouvelles voies ou de la confiscation de terrains lui appartenant. L’évêque percevait par exemple des droits de passage sur les ponts de la capitale. Même si celui-ci obtient un dédommagement, il ne fait guère de doute que le roi conforte par cet accord son autorité sur la capitale. 3. Paris doit en grande partie son essor à la présence de nombreuses îles rendant le fleuve ai-

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sément franchissable. Aucun pont n’enjambe directement la Seine et l’île de la Cité est donc un passage obligé, du moins pour ceux qui n’utilisent pas un bac. Le Grand Pont est le seul pont de pierre de la capitale. Élevé sous Louis VI, il est emporté par une inondation en 1280, puis de nouveau en 1296, et reconstruit à chaque fois à l’initiative du roi. Le Petit Pont, en bois jusqu’au xve siècle, est, comme le Grand Pont, « maisonné ». L’enluminure, tirée de Vie et martyre de saint Denis, donne une idée de l’activité marchande qui régnait sur ces ponts. Le même manuscrit montre d’ailleurs (par exemple folio 37v) qu’il y avait sous la plupart des arches des moulins, du moins jusqu’en 1296. Ces ponts ne sont pas alignés, ce qui fait la fortune des marchands qui se sont installés sur les axes qui les réunissent, en particulier la rue de la VieilleDraperie au cœur de l’île. C’est là que se trouve, jusqu’à l’expulsion de 1182, la plus vieille juiverie de la capitale et le marché Palu se tient à proximité d’une halle aux blés, non loin de Notre-Dame. Pour mieux relier l’île de la Cité à la rive droite, on a ajouté, pour les piétons, une passerelle en bois, les « planches de Milbray ». Les nécessités de l’approvisionnement de la capitale en produits lourds – sel, hareng, grains, bois ou vin acheminés depuis Rouen, Pontoise, Melun ou Sens – expliquent le développement du trafic fluvial et l’aménagement sommaire de quais, situés essentiellement sur la rive droite à proximité des halles des Champeaux. Le plus ancien et le plus important est le port de Grève. Très logiquement, quand, en 1263, la «  hanse des marchands de l’eau  », nantie depuis Louis VI d’importants privilèges, est autorisée à former, avec d’autres puissants métiers, l’embryon de la municipalité parisienne, celle-ci s’installe à proximité de la place du même nom. 4 et 5. Guillaume le Breton (c. 1160-1226), chapelain du roi Philippe Auguste, est célèbre pour sa description épique de la bataille de Bouvines, mais sa Vie de Philippe Auguste (Gesta Philippi Augusti), que Louis IX fait traduire et insérer dans les Grandes Chroniques de France, apporte des informations précieuses sur son règne. Dans l’extrait du document 3, Guillaume fait l’éloge de la ville royale, devenue une nouvelle Athènes ou une nouvelle Alexandrie en raison du soutien que les rois, Philippe Auguste et avant lui son • 90

père Louis VII, ont apporté aux «  écoliers  », c’est-à-dire aux maîtres et à leurs élèves unis dorénavant dans une corporation, une universitas. Vers 1200, Philippe Auguste les soustrait à la juridiction du prévôt et confirme à la communauté scolaire les privilèges propres aux clercs. En 1215, maîtres et élèves, réunis dans l’Universitas magistrorum et scolarium Pariensium, obtiennent de la papauté des statuts, que conforte en 1231 une charte solennelle. L’université est maîtresse de son recrutement (même si le chancelier conserve formellement la licentia docendi)  ; elle peut élire des officiers pour la représenter (le recteur)  ; elle dispose d’un sceau et échappe dans de nombreux domaines à la juridiction de l’évêque. Le prestige de l’université naissante transparaît nettement sous la plume de Guillaume le Breton. Il précise aussi l’organisation du studium, c’est-à-dire les disciplines qui sont enseignées. Les sept arts libéraux, dont l’apprentissage, véritable propédeutique, est jugé indispensable depuis le haut Moyen Âge, sont enseignés dans le cadre de la faculté des arts. Puis, les étudiants, reçus « maître ès arts » peuvent poursuivre leurs études dans une discipline supérieure : le droit, la médecine et, la reine des sciences, celle qui vaut à Paris son prestige, la théologie. On notera que Guillaume le Breton, qui achève ses Gesta vers 1220, évoque l’enseignement du droit civil. Or, celui-ci a été interdit à Paris en 1219 par le pape pour protéger la théologie parisienne de la concurrence de cette discipline profane. C’est à Montpellier, Toulouse ou Orléans que sont formés les civilistes, en particulier ces « légistes » si attentifs à défendre, en s’appuyant sur les maximes romaines, les prérogatives du souverain. À l’inverse, Guillaume le Breton n’évoque pas les collèges qui ont largement contribué au renom des écoles parisiennes. Ils sont en effet encore rares. Le véritable essor de cette institution date de 1257, quand le chapelain du roi Louis IX, Robert de Sorbon, fonde le collège qui porte son nom dans le but d’héberger 20 pauvres étudiants, maîtres ès arts désireux d’étudier la théologie. Les collèges ne délivrent encore aucun enseignement, mais offrent d’excellentes conditions de travail qu’il s’agisse des bibliothèques – celle de la Sorbonne compte 1 722 volumes en 1338 et a beaucoup fait pour la réputation du collège – ou du tutorat, les étu© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

diants (socii) organisant des disputes et des répétitions qui commencent à attirer des auditeurs extérieurs.

6. Ce document (doc. 4) est un détail de l’enluminure du mois de juin dans le calendrier qui ouvre les Très Riches du duc de Berry, le chefd’œuvre des Frères Limbourg réalisé au début du xve siècle. À l’arrière-plan d’une scène de fenaison, on peut admirer le Palais royal depuis la rive gauche ou, plus probablement, depuis l’île des Juifs, aujourd’hui absorbée par l’île de la Cité. Le Palais royal a d’abord eu une fonction résidentielle. Protégé par des murailles, jouissant d’amples jardins, le roi y réunissait sa cour, à l’ombre du donjon de Louis VI. Saint Louis (1226-1270) y fait construire de  1243 à  1248 une chapelle domestique, la Sainte-Chapelle, pour abriter les reliques de la Passion du Christ ainsi que la galerie des Merciers – devant la Grosse Tour – pour la relier au logis royal. On lui doit aussi une grande salle de réunion, la salle au Bord-de-l’Eau (à gauche). Peu à peu, des organes de gouvernement se détachent de la curia regis. Philippe le Bel (1285-1314) dote cette administration en plein essor de nouveaux locaux. On peut observer le Parlement, avec la Chambre des Plaids (Grand-Chambre) où se tiennent les plaidoiries et où sont rendus les arrêts et les deux tours destinées à la chambre civile et à la chambre criminelle, les Tournelles. Une imposante Grand-Salle (70 mètres x 27 mètres) sert aux séances royales les plus solennelles. La Chambre des comptes, chargée de vérifier les comptes des baillis et sénéchaux, se trouve à la droite de la Sainte-Chapelle.

muraille, un puissant donjon, le Louvre, et deux bastions fortifiés, les Châtelets, protégeant l’accès des deux ponts. Il aménage aussi les halles des Champeaux, sur la rive droite, afin de répondre aux besoins d’une ville en expansion (100 000 habitants peut-être vers 1220). Paris est en effet un énorme marché de consommation, ce dont témoigne la multiplicité de ses ports destinés à accueillir le sel de Guérande, les harengs de Rouen, les vins d’Auxerre ou de Dijon, les grains de Melun ou de Pontoise… La rive droite est la plus peuplée, profitant des deux pôles commerciaux que sont les Halles et le port de Grève. La rive gauche, de développement plus récent, est vouée aux activités culturelles et intellectuelles. C’est là que se trouvent la plupart des écoles et des collèges. L’université de Paris qui voit le jour au début du xiiie siècle est la plus renommée d’Occident, en particulier pour l’enseignement de la théologie, elle attire maîtres et élèves de toute la Chrétienté, comme l’Italien Thomas d’Aquin ou l’Allemand Albert le Grand. L’affirmation du pouvoir royal conduit à étoffer les institutions monarchiques, progressivement dissociées de la cour royale. Les « gens du roi » vont s’installer à demeure dans l’île de la Cité, le roi délaissant peu à peu son palais au profit du Louvre ou de Vincennes. Le rayonnement de Paris est aussi religieux. Certes, la ville n’est pas un archevêché, mais Notre-Dame est un des fleurons de l’art gothique naissant et la Sainte-Chapelle est un somptueux écrin pour les prestigieuses reliques de la Passion du Christ.

◗ Étude Deux grands pôles urbains : Bruges et Venise

Bilan de l’étude

Paris jouit d’une excellente position de carrefour à un endroit où la Seine peut être aisément franchie. La prééminence de l’axe Nord-Sud rappelle que les premiers Capétiens régnaient sur un domaine étroit qui s’étendait de Senlis à Orléans. La ville a ainsi pu rapidement se développer, en particulier dans l’île de la Cité, mais c’est le soutien que les rois lui ont apporté qui explique, dans une large mesure, son affirmation comme capitale du royaume. Clovis y réside et y meurt en 511, mais il faut attendre le xiie siècle pour que les Capétiens s’y établissent vraiment. Philippe Auguste fait construire une imposante © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

� MANUEL, PAGES 140-143 analyse des documents

A. Deux villes marchandes � MANUEL, PAGES 140-141

1. Bruges et Venise se trouvent dans deux régions, la Flandre et l’Italie du Nord, qui ont été au cœur de la «  révolution économique  » des xie-xiiie siècles et qui ont joué un rôle de plaque tournante dans les échanges entre les deux espaces maritimes les plus dynamiques du Moyen Âge  : la Méditerranée et l’ensemble mer du Nord-Baltique. Bruges est idéalement située, au fond du détroit qui rapproche l’Angleterre 91 •

du continent, alors que Venise, réfugiée au fond de l’Adriatique, est sur l’itinéraire le plus court conduisant par la vallée du Rhin ou par les foires de Champagne de la Méditerranée aux villes de l’Europe du Nord.

2. Le site de ces deux villes est, a priori, défavorable. L’instabilité du littoral, les variations du niveau des eaux et la multiplication des lagunes et des marais les menacent. Toutefois, ce caractère inhospitalier a pu offrir quelques avantages : les îlots sablonneux de la lagune – Torcello, Iesolo ou Malamocco – ont servi d’abri aux populations vénètes qui fuyaient les incursions des Barbares dans la plaine du Pô, en particulier les Lombards. En 811, ces déshérités, qui vivaient du sel, de la pêche et de la chasse aux animaux aquatiques, transfèrent leur gouvernement sur un archipel situé au cœur de la lagune, Rivoalto, et, sous l’autorité de leur duc (doge), entreprennent de le fortifier. Le castellum, à l’extrémité orientale, veille sur la cité de bois qui se développe lentement autour du castrum et de son église palatiale, la future San Marco. Bruges, au fond de l’estuaire de la Reie, paraît moins exposée. Elle offrait un excellent mouillage pour les navires des Vikings, ces langskips, connus depuis le xixe siècle sous le nom impropre de drakkars. Ce sont d’ailleurs ces peuples du Nord qui ont bap-

tisé le site, bryggia, l’«  accostage  ». Quand la Flandre est intégrée dans l’empire carolingien, une garnison franque s’installe au cœur d’un castrum construit autour de l’église Saint-Donatien. Dans les deux cas, la ville se développe grâce au labeur inlassable des hommes. À Bruges, il a fallu multiplier les polders asséchés, les fossés de drainage, pour gagner des terres à la culture, élargir la Reie et multiplier les canaux qui ont épousé la croissance de la ville, et communiquent avec la Lys et l’Yser. Toutefois, il a fallu renoncer en partie aux activités portuaires en raison de l’ensablement du Zwin, au profit d’avantports plus accessibles. C’est à Damme puis à l’Écluse que sont transbordées les cargaisons sur des péniches de faible tirant d’eau, Bruges conservant toutefois le contrôle de cet ensemble portuaire étiré le long du Zwin. À Venise, on s’est aussi employé à gagner des terres sur la lagune et à consolider et étendre le réseau des canaux à commencer par le Grand Canal, magnifique artère maritime bordée de palais. Dans un second temps, quand la République est devenue puissante, elle a cherché à renforcer son emprise sur le delta de l’Adriatique et s’est employée à le bonifier, des opérations de drainage supprimant les marais les plus malsains et gagnant des espaces à la culture.

BRUGES

Des sites différents

Des handicaps proches

Une commune volonté de lutter contre l’eau et de transformer en bienfaits les handicaps naturels Des logiques de défense différentes • 92

VENISE

Au fond de l’estuaire de la Reie : la ville est entourée . de terres basses, le plat pays. Le port est menacé . par l’ensablement.

Un archipel au cœur de la lagune : la ville est entourée d’eau. Le port est partout.

Une lutte permanente pour conquérir des terres agricoles . et pour permettre . à la navigation d’emprunter le chenal du Zwin malgré . les risques d’ensablement.

Un effort constant pour . maîtriser le niveau des eaux . de la lagune, stabiliser . et étendre les canaux, gagner des terres pour permettre . la croissance de la ville.

L’instabilité du niveau des eaux menace de provoquer la submersion du plat pays ou l’ensablement de l’estuaire.

L’instabilité du niveau des eaux favorise l’intrusion marine, un risque accentué par l’affaissement du sol.

Une enceinte, reconstruite au rythme de la croissance de la ville.

Pas d’enceinte, Venise misant sur sa flotte et donc sur le . développement de son arsenal. © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

3. L’Italie possédait une nette avance en matière commerciale, comme en témoignent ces deux documents. La colleganza est un contrat qui associe deux partenaires, afin de partager les risques d’une entreprise maritime soumise à de multiples aléas (tempêtes, pirates, avaries, etc.). Le marchand qui accompagne la marchandise investit une somme limitée (100 £) alors que son partenaire passif, ici un orfèvre, ne prend pas part à l’aventure maritime, mais place exclusivement son capital (200  £). Ici, le capital provient pour un tiers du partenaire actif, pour deux tiers du bailleur de fonds. Le plus souvent le rapport était un quart, trois quarts. Le deuxième paragraphe du document 4 met l’investisseur à l’abri d’éventuelles malversations : le partage des profits doit être équitable, chacun encaissant la moitié des bénéfices réalisés, même si le marchand a fait fructifier le capital initial en revendant plusieurs fois la cargaison avant de rentrer à Venise. Ce système ingénieux permet d’associer une grande partie des Vénitiens à l’expansion méditerranéenne et de renforcer les solidarités au sein des familles marchandes. Peu à peu, toutefois, les grands marchands cessent d’accompagner leurs marchandises, utilisant les services sur place d’un facteur, correspondant chargé de réceptionner et de vendre la marchandise moyennant une commission. À partir de la fin du xiiie siècle, les marchands ont recours à des lettres pour limiter les transferts de numéraire et faciliter les opérations de change. Moyen de paiement, le contrat de change étant payable à terme, la lettre constitue aussi un instrument de crédit. Cette lettre est la plus ancienne qui ait été conservée entre Bruges et Venise. Sur la place de Bruges, le donneur, un marchand de Lucques, Piero de Bon, remet en gros tournois – la monnaie d’argent en cours dans le royaume de France – 17 £ et 12 sous au preneur (ou tireur), Giacomo Gabriel, un marchand vénitien, en échange du contrat de change. Trois mois plus tard, à échéance, son associé, Bartolomeo Michel, le bénéficiaire de la lettre, la remet au payeur (ou tiré), Zacharia Gabriel, un parent de Giacomo, et reçoit 200 ducats. Une fois le change effectué, la somme remboursée est sensiblement supérieure. Ici, le taux d’intérêt peut même sembler usuraire : 54,5 % !

4. Ce texte permet de comprendre, au même titre que le contrat de change (doc. 5), que les deux © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

villes ont tissé une relation privilégiée. L’auteur, un gentilhomme castillan qui revenait du ProcheOrient, décrit avec beaucoup de précision le marché brugeois. Les produits importés par Bruges sont bien souvent réexportés, Bruges étant d’abord un immense entrepôt par où transitent les produits de tout le commerce maritime européen. À l’aide de la carte et du texte du document 2, on peut essayer de reconstituer la géographie de ces échanges. L’Angleterre fournit la laine de ses moutons ; l’Allemagne des produits bruts, du bois ou des métaux, des fourrures, du miel et de la cire, des harengs de la Baltique, des vins du Rhin ; Brabant, Hollande et Zélande, des draps et des articles de confection ; France et Bourgogne, du sel, des blés et du vin, etc. Les campagnes méditerranéennes fournissent des agrumes, des amandes, des figues et des raisins secs ; l’Orient, via Alexandrie, des soieries et des épices. L’Italie occupe une place à part, en raison de la qualité et du renom de son artisanat  : tissus de luxe, lourds brocarts et délicates soieries, armes – en particulier les armures et les boucliers, comme les célèbres pavois – et bien d’autres produits de luxe (cuir, céramique, verre ou orfèvrerie). Pour l’auteur, plus que Venise, Bruges est la plaque tournante des échanges internationaux. En témoigne à ses yeux la présence dans cette « Venise du Nord » d’importantes communautés de marchands étrangers. Ceux-ci se voient octroyer des privilèges pour leur « nation ». Les Allemands sont les premiers à s’organiser, dans la deuxième moitié du xiiie siècle, suivis par les autres partenaires européens, de plus en plus présents dans la ville depuis qu’une liaison maritime régulière a été établie avec la Méditerranée. Les Vénitiens s’organisent ainsi en consulat en 1332. À la fin du xive siècle, ils installent le siège de leur communauté, la Loge vénitienne, dans l’immeuble de la Vieille Bourse (Ter Ouder Beurse) que leur loue une famille d’hôteliers-courtiers, les Van der Buerse. Peu à peu s’impose la fortune de l’expression les « marchands de la Bourse » pour désigner ceux qui s’y rendent – et se réunissent sur la place attenante – pour traiter de leurs différentes affaires… B. Pouvoir et société � MANUEL, PAGES 142-143

5. Dès le xie siècle, les Brugeois, unis par un serment de solidarité, avaient obtenu certains 93 •

privilèges. Mais il faut attendre les années 11271128, avec la grave crise politique qui suit l’assassinat du comte Charles le Bon, pour voir vraiment s’élargir les libertés urbaines. Toutefois, le pouvoir au sein de l’échevinat est confisqué par les marchands et, en 1280, les artisans des métiers sont fort mécontents des charges fiscales nouvelles qu’ils doivent acquitter, en particulier les accises évoquées dans le texte. L’insurrection qui éclate alors, la « Grande Moorlemaaie », fait écho à d’autres révoltes qui, la même année, touchent Gand, Douai, Arras ou Ypres. Les insurgés appartiennent au «  commun  », c’est-à-dire aux corps de métier, surtout textiles. Ils se tournent vers le comte, dont ils espèrent le soutien, soulignant fortement qu’il n’a pas été associé à la keure controversée. Ils veulent contrôler l’utilisation des finances municipales, réviser les règlements urbains et, surtout, être associés au gouvernement de la ville. Cette « révolution des métiers », selon la formule d’Henri Pirenne, débouche ici sur un réel élargissement du pouvoir, comme on le voit en observant le document 6. Les 54 métiers obtiennent de désigner une majorité d’échevins et de jurés. Ce succès est toutefois fragile, dans une Flandre qui est divisée en cette fin du xiiie siècle entre « partisans des lys » (le lys du roi de France, suzerain du comté) et « partisans du lion » (le lion de Flandre, ils sont favorables à l’alliance anglaise pour affirmer l’indépendance du comté). La belle union des métiers ne résiste pas à ces conflits, permettant bientôt aux Poorters – entrepreneurs et marchands qui siègent à la Porterie, la Pootersloge – de reprendre le pouvoir en s’alliant avec les maîtres-drapiers les plus riches.

6. À Venise, l’organigramme des pouvoirs montre le caractère oligarchique de la République. Une assemblée populaire, l’arengo, a peu à peu été dessaisie de tout pouvoir, se contentant de ratifier, a posteriori, les décisions du Grand Conseil. Celui-ci est devenu le pivot de l’organisation politique. Le doge est choisi par le Grand Conseil parmi les familles les plus éminentes. Il exerce le pouvoir exécutif, mais ces pouvoirs sont amoindris, dans la mesure où il doit composer avec les commissions du Grand Conseil, comme la Quarantia, à la fois cour de justice et principale autorité en matière fiscale et financière, et avec le Petit Conseil, dont les six membres sont élus • 94

à raison d’un par sestiere (Catsello, Canareggio, Dorsoduro, Santa Croce, San Marco et San Polo). C’est du Grand Conseil que dépendent les grands offices chargés d’administrer la ville et c’est en son sein que sont recrutés les sénateurs chargés de la politique extérieure de la Cité des Doges. En 1297, le doge Pietro Gradenigo est à l’origine de la Serrata : ne sont plus éligibles au Grand Conseil que les conseillers ayant siégé durant les quatre années précédentes, barrant ainsi l’accès du pouvoir aux hommes nouveaux. Cette politique heurte certaines familles, réunies autour de Marco Querini et Baiamonte Tiepolo. Celles-ci souhaitent un gouvernement élargi aux « excellents et vertueux citoyens » et veulent éliminer le doge Gradenigo, détesté en raison des échecs des armées vénitiennes pour conquérir Ferrare (1308). Le vieux doge ayant été informé, la conjuration échoue : Gradenigo a pu renforcer la police, rassembler son parti et, surtout, s’appuyer sur ceux qui approuvent la politique d’expansion de la ville  : les podestats des cités dépendantes de la lagune et les milliers d’ouvriers du grand chantier d’État, l’arsenal. L’échec du soulèvement se traduit par l’affirmation d’un conseil de sûreté, le Conseil des Dix, et s’accompagne d’un relatif élargissement du Conseil : celui-ci passe de 400 membres en 1297 à plus d’un millier en 1350, certaines case nuove (nouvelles familles), appartenant à l’élite du popolo, étant récompensées pour leur fidélité. Cette politique habile permit de consolider le pouvoir d’une noblesse urbaine, détentrice exclusive et héréditaire des principales magistratures dans la ville.

7. Cette miniature, tirée des Livres du graunt Caam, une des multiples variantes du Livre des Merveilles de Marco Polo (Bodleian Library, Oxford, Ms 264). Il illustre le départ de l’expédition qui mène les frères Polo, Niccolo et Maffeo, en 1252, vers l’Orient, aux frontières du monde connu. L’auteur de l’enluminure a une connaissance assez précise de Venise. Il représente avec une assez grande exactitude la place Saint-Marc, la façade de l’église où trônent les fameux chevaux de bronze rapportés de Constantinople en 1204, la colonnade du palais des Doges et les colonnes de la Piazzetta portant le Lion de SaintMarc ainsi que saint Théodore, le premier patron de Venise, foulant aux pieds un crocodile. Au premier plan, on devine – la reproduction étant mal© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

heureusement tronquée – les toits de San Giorgio Maggiore. Toutefois, pour rendre la scène plus parlante, il n’hésite pas à déplacer le Grand Canal à la droite de la place Saint-Marc. On retrouve l’alignement des palais, les fameux Ca’, mais le pont qui l’enjambe a peu de choses à voir avec le Rialto. L’importance du trafic maritime rend bien compte de ce qu’incarne alors la thalassocratie vénitienne, toutefois la présence aux côtés de galères de navires ronds, massifs et pansus, de type nef, est assez incongrue, même si ceuxci sont apparus en Méditerranée à l’initiative des Génois au xive siècle. La part du rêve est déjà manifeste dans cette œuvre qui ouvre un récit qui a enflammé l’imagination des Occidentaux : comment expliquer autrement la présence des cygnes dans la Méditerranée et plus encore celle de lions sur une Giudecca au relief curieusement montagneux  ! L’invention des fortifications comme la présence d’un embarcadère sur une improbable île montrent que l’espace pictural est d’abord au Moyen Âge un espace mental. 8. À Bruges, le pouvoir des métiers et des marchands s’affirme dans l’espace urbain avec l’imposant ensemble monumental que constituent les halles et le beffroi. Comme à Ypres (p. 132), cet édifice domine le paysage urbain. À Venise, les symboles du pouvoir mettent plutôt en avant l’autorité du doge, à travers son palais, San Marco, véritable chapelle palatine. La place Saint-Marc est le cœur politique et religieux de la ville. C’est là que le peuple s’assemble pour acclamer le doge, que s’achèvent les processions les plus solennelles ou que se rassemblent ceux qui partent à la guerre. Bilan de l’étude

Venise et Bruges incarnent, à un degré sans doute exceptionnel, le dynamisme urbain du Moyen Âge. Ces deux villes ont su tirer parti de leur situation privilégiée sur le littoral des mers les plus fréquentées – Méditerranée et mer du Nord – pour devenir des cités marchandes de premier plan. Les handicaps de leur site ont pu être compensés par un inlassable labeur permettant de multiplier les canaux, d’assécher et de drainer les marais, afin de développer des activités portuaires. Elles ont été, à des degrés divers, au cœur des échanges entre, d’un côté, le monde méditerranéen, et au-delà l’Orient lointain, et, © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

d’un autre côté, l’Europe du Nord. Bruges a sans doute été plus ouverte aux marchands étrangers, alors que Venise a multiplié les têtes de pont en Méditerranée orientale, bâtissant, grâce à ses comptoirs, comme Modon en Grèce ou Candie en Crète, un véritable empire maritime. Bruges et Venise sont aussi des pôles d’activités artisanales, autour du textile dans les deux cas, mais aussi à Venise autour de la construction navale ou de l’industrie du verre qui a fait la célébrité de Murano. C’est dans le domaine politique que se mesure le mieux la différence entre les deux villes. À Bruges, l’autorité politique est exercée par le comte de Flandre, mais celui-ci a dû abandonner à la Commune la gestion de la ville et, en son sein, le patriciat a été contraint de faire, à la fin du xiiie siècle, une place aux « métiers ». Par contre, la république de Venise est dominée par le Grand Conseil et par un petit nombre de familles, au sein desquelles se recrutent le doge, élu à vie, et ses conseillers, membres du Sénat ou du Conseil des Dix. Cette différence a sa traduction dans l’espace urbain. À Bruges, la halle aux Draps et le beffroi constituent les plus beaux édifices de la ville, soulignant l’emprise des marchands comme des métiers sur la communauté. À Venise, les palais des familles patriciennes alignés le long du Grand Canal incarnent, avec le palais des Doges, où siège l’essentiel des magistratures, le pouvoir des marchands anoblis.

◗ Méthode Analyser une image � MANUEL, PAGES 144-145 1. Identification du document

Cette image est une enluminure illustrant un ouvrage manuscrit intitulé Vie et martyre de saint Denis et de ses compagnons. Il a été écrit par Yves, moine à l’abbaye de Saint-Denis. Ce manuscrit est offert en 1317 au roi de France Philippe V (1317-1322) par l’abbaye de Saint-Denis. Il est aujourd’hui conservé à la Bibliothèque nationale de France. Pour les détails sur Saint-Denis et son abbaye voir le site Internet : http://www.culture.gouv.fr/ fr/arcnat/saint-denis/fr/index.html

Ce manuscrit relate comment les Parisiens ont été convertis au christianisme sous l’Empire

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romain par Denis et ses deux compagnons, Rustique et Eleuthère. De nombreuses légendes forgées dès l’époque carolingienne et rapportant de nombreux miracles dus à ce saint en ont assuré la popularité en France. 2. Analyse du contenu

Comme de nombreuses villes du Moyen Âge, à l’image de Quimper (cf. p 146), Paris a été entourée d’une enceinte de pierre composée d’un mur crénelé renforcé par des tours. Une idole est une représentation d’une divinité qui est objet de culte tout comme la divinité ellemême, le culte des idoles est très présent dans les religions polythéistes. La Bible réfute l’adoration des idoles, car elle dénature la dimension divine du Dieu unique, en la reléguant au stade de l’objet. Dans cette image, les idoles symbolisent le culte des dieux romains et gaulois. Les trois personnages sont représentés comme des membres du clergé, ils en portent l’habit. Un des compagnons de Denis tient dans les mains la croix chrétienne tandis que ce dernier qui est en train de prêcher la bonne parole est vêtu comme un évêque. Les auréoles placées autour de leur tête rappellent que les trois personnages principaux sont considérés comme des saints. Une nombreuse assistance les écoute avec attention et on constate que l’auteur de l’image a pris soin de représenter un échantillon varié de la population parisienne (marchands, femme, chevaliers). Pour monter l’efficacité de la prédication de Denis certains sont représentés à genoux et en prière. Un soldat converti détruit d’ailleurs les anciennes idoles. Au premier plan, l’enluminure traite de l’activité commerciale qui anime les quais de la Seine. Au second plan, l’action se concentre sur la prédication de Denis. L’enceinte de la ville sépare les deux scènes. L’auteur met en valeur l’action de saint Denis en exagérant la taille des personnages de l’arrière-plan, ils sont plus grands que ceux placés au premier plan. La scène de la prédication occupe aussi une plus grande surface dans l’enluminure. 3. Portée et objectif de l’image

L’abbaye de Saint-Denis a joué un rôle important dans la diffusion de ces récits légendaires autour de saint-Denis pour assurer son rayonnement et pour attirer les largesses royales. Quoique l’épisode relaté soit censé se dérou• 96

ler dans l’Antiquité, c’est le Paris médiéval qui est ici représenté (décor, vêtement, etc.). L’enluminure donne l’impression d’une vie économique active sur les quais de la Seine  : fabrication et vente de couteaux, transport du vin et d’autres marchandises… De nombreuses catégories sociales sont représentées, du noble chevalier au mendiant en passant par l’artisan et le simple soldat. Le rappel de la conversion des Parisiens et l’importance donnée à cette scène est très significative de la place centrale occupée dans la vie religieuse de l’époque par le culte des saints.

◗ Exercices � MANUEL, PAGES 146-147 1. Faire le point : la chrétienté médiévale

1. Cf. p.  96, B) et C). 2. Cf. p.  106, C). 3. Cf. p. 94, B). 4. Cf. p. 94 C) 2. Une ville médiévale, Quimper (Bretagne)

1. Quimper est situé au confluent de l’Odet et de la Steir. Les cours d’eau protègent la cité et évitent de creuser des fossés au pied des fortifications, en outre, ils favorisent la circulation des hommes et des marchandises. La marée qui remonte l’Oder permet la navigation jusqu’à l’océan, Quimper est donc un port de fond d’estuaire.

2. La ville est très inégalement urbanisée. Elle comprend des terrains non bâtis, ce qui lui donne un aspect champêtre, ainsi que des quartiers aux rues étroites où les habitations se serrent les unes contre les autres. Elle est fortifiée comme la plupart des cités importantes de l’époque grâce à un mur crénelé renforcé de tours. 3. La présence d’une cathédrale révèle que Quimper est le chef-lieu d’un diocèse et qu’un évêque réside dans la cité. 4. Cf. p. 104.

5. L’autre importante institution religieuse présente dans la ville est le couvent des Cordeliers. Il occupe une vaste surface, l’ensemble des bâtiments est organisé autour d’un cloître. On distingue aussi une église. Ce couvent appartient aux franciscains, un ordre de « frères mendiants » qui a choisi de s’installer au cœur des villes pour prêcher l’Évangile et venir en aide aux plus démunis. © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

6. Définition p.  114. La présence d’un moulin banal appartenant à l’évêque révèle que celui-ci est aussi le seigneur de la cité de Quimper. 3. Histoire des Arts

1. En architecture, un chapiteau est un élément de forme évasée qui couronne une colonne et lui transmet les charges qu’elle doit porter. 2. Le chapiteau présente une femme chevauchant un âne et qui tient dans ses bras un enfant. Ces deux personnages portent une auréole et regardent le spectateur. Il s’agit de la Vierge Marie et de l’enfant Jésus. La monture est conduite par un homme armé. On note la présence d’un abondant décor végétal. La scène est extraite du Nouveau Testament.

3. Le sculpteur a donné de la vie et beaucoup d’humanité à cette scène. Ainsi Marie penche la tête et sourit légèrement, elle semble tenir son fils dans ses bras avec beaucoup de tendresse. L’âne lève une de ses pattes pour avancer tandis que celui qui conduit la monture est penché en avant et semble fournir un effort conséquent. 4. Le sculpteur a donné l’illusion de la profondeur en plaçant à l’arrière des personnages et de la monture un décor végétal. 5. Les personnages sont représentés de façon très stylisée. Les détails anatomiques sont beaucoup plus précis dans les œuvres de la Renaissance.

6. L’objectif du clergé est d’instruire le peuple, de transmettre le message chrétien en multipliant les illustrations représentant des scènes de la Bible. 4. La vie des enfants dans les campagnes au Moyen Âge (TICE)

2. a.  Les enfants sont surtout connus par les sources archéologiques. Dans les cimetières du Moyen Âge, ils étaient enterrés avec soin et les archéologues «  tirent de nombreuses in-

© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

formations de leurs ossements  : d’abord, l’âge du sevrage, […] ensuite, les âges au décès, qui révèlent les étapes dangereuses de leur vie d’enfant […] enfin, leur état général et leur santé ». b. Christine de Pisan évoque l’éducation des enfants des pauvres et des ruraux dans l’un de ses ouvrages didactiques, le Livre des trois vertus, dans lequel elle donne des conseils aux femmes de laboureurs et aux femmes de pauvres. Les enfants apparaissent aussi «  dans les récits de miracles, les documents judiciaires évoquant les accidents dont ils sont les victimes ». Les enluminures, bien que destinées à la haute noblesse, ne négligent pourtant pas l’enfance des campagnes. Aussi voit-on de jeunes ruraux dans les herbiers, les livres de morale, les calendriers des livres d’heures, qui montrent les activités agricoles.  c. « Les grands travaux des champs, entre mai et août, sont particulièrement propices aux catastrophes, quand les deux parents sont au travail hors de la ferme et qu’ils ne peuvent plus surveiller leur progéniture du coin de l’œil. D’une façon générale, les enfants sont laissés libres de se promener tout seuls dès l’âge de 3 à 4  ans. Certains se noient dans la mare ou dans le puits, d’autres se perdent en forêt. » d. « Aux plus petits sont confiées les tâches ingrates, mais sans danger ni fatigue excessive », par exemple «  celles du petit jardinage, de la chasse aux insectes (hannetons), aux batraciens des jardins et aux oiseaux, qui viennent picorer les semences fraîchement dispersées dans les billons. » e. « Les filles et les garçons ne se voient pas investis des mêmes rôles. Les premières ont vocation à rester dans l’espace de la ferme pour aider leur mère. Les seconds sont commis aux tâches masculines : travaux des champs et des vignes, tonte, arrachage des mauvaises herbes, ramassage du bois, vente au marché. »

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Partie

4

Nouveaux horizons géographiques et culturels des Européens à l’époque moderne � MANUEL, PAGES 150-217

Rappel du programme Thème 4 – Nouveaux horizons géographiques et culturels des Européens à l’époque moderne (10-11 heures) Question obligatoire L’élargissement du monde (xve-xvie siècles) Mise en œuvre :

La question traite des contacts des Européens avec d’autres mondes et de l’élargissement de leurs horizons géographiques en prenant appui sur une étude obligatoire : – de Constantinople à Istanbul  : un lieu de contacts entre différentes cultures et religions (chrétiennes, musulmane, juive) ; sur une étude choisie parmi les deux suivantes : – un navigateur européen et ses voyages de découverte ; – un grand port européen ; et sur une autre étude choisie parmi les deux suivantes : – une cité précolombienne confrontée à la conquête et à la colonisation européenne ; – Pékin : une cité interdite ?

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On traite une question au choix parmi les deux suivantes : Les hommes de la Renaissance (xve-xvie siècles) Mise en œuvre :

Une étude obligatoire : Un réformateur et son rôle dans l’essor du protestantisme ; et une étude choisie parmi les deux suivantes : – un éditeur et son rôle dans la diffusion de l’Humanisme ; – un artiste de la Renaissance dans la société de son temps. L’essor d’un nouvel esprit scientifique et technique (xve-xvie siècles) Mise en œuvre :

Deux études choisies parmi les trois suivantes : – un savant du xvie ou du xviie siècle et son œuvre ; – les modalités de diffusion des sciences au xviiie siècle ; – l’invention de la machine à vapeur : une révolution technologique.

© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

Réponses aux questions Chapitre

7

L’élargissement du monde (xve-xvie siècles) � MANUEL, PAGES 152-173

◗ Présentation de la question L’état de la question

L’étude des « Grandes Découvertes » et de leurs conséquences a connu d’importants renouvellements au cours des dernières décennies. À la suite des travaux d’historiens français de l’école des Annales comme Pierre Chaunu, auteur à la fin des années 1960 de plusieurs synthèses au demeurant toujours utiles sur le sujet, c’est du monde anglo-saxon que sont venues à partir des années 1990 de nouvelles problématiques.

La critique d’une historiographie trop européocentrée développée par les historiens du courant des subaltern studies les a conduits à tenter de «  provincialiser l’Europe  » (Dipesh Chakrabarty), c’est-à-dire à écrire une histoire qui ne soit plus systématiquement vue au travers d’un prisme européen. On conçoit aisément comment la déconstruction d’une notion aussi européocentrique que celle de «  Grandes Découvertes » est au cœur d’une telle entreprise. À leur suite, les historiens se réclamant de la world history se sont  lancés dans l’élaboration d’une histoire globale, tournée vers l’étude des échanges et des contacts entre les différentes régions du monde plutôt que sur l’analyse isolée de chacune d’entre elles. Depuis quelques années, l’historiographie française s’est à son tour astreinte à cet exercice de décentrement du regard et de pensée à l’échelle globale, notamment sous l’impulsion des travaux de Serge Gruzinski.

La vieille vulgate des «  Grandes Découvertes  » a donc cédé la place à une interprétation tout à la fois moins européocentrée et moins téléologique de l’expansion européenne et de ses conséquences. Moins européocentrée car à rebours d’une historiographie traditionnelle qui glorifiait une Europe en avance sur son temps et comme prédestinée à © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

s’étendre au reste du monde, on insiste au contraire aujourd’hui sur la pluralité et le dynamisme des centres du monde au xve siècle. À l’échelle mondiale, rien au xve siècle ne justifie d’accorder à l’Europe un statut exceptionnel. Bien au contraire, la Chine ou les sultanats musulmans des rives de l’océan Indien n’ont à cette époque rien à envier à l’Europe en termes de maîtrise technique ou de dynamisme économique. Tenochtitlán, la capitale des Aztèques, est alors l’une des villes les plus peuplées du monde, et les expéditions de l’amiral chinois Zeng He témoignent s’il en était besoin que la maîtrise de la navigation au long cours n’était pas alors le monopole des Européens. Bloquée à l’Ouest par l’inconnu et à l’Est par le monde musulman, l’Europe fait bien plus figure de finistère quelque peu isolé que de centre prééminent au sein d’un monde dont la partie orientale est alors en pleine effervescence. Rien ne prédestinait donc les monarchies ibériques à «  découvrir  » l’Amérique, si ce n’est précisément leur isolement qui les pousse à rechercher de nouvelles routes pour pouvoir se connecter directement au système-monde asiatique et à ses richesses.

La compréhension du mouvement des « Grandes Découvertes » est également désormais moins téléologique dans la mesure où l’on n’y voit plus la manifestation d’une précoce modernité rationnelle et scientifique des Européens mais au contraire la continuation de la dynamique médiévale de reconquête sur l’Islam, la coïncidence entre la prise de Grenade et l’arrivée de Christophe Colomb en Amérique en 1492 n’en étant précisément pas une. Loin d’être des savants désintéressés, les explorateurs ibériques sont d’abord des conquérants guidés par leur ferveur religieuse et la perspective d’un gain substantiel pour leur propre compte. La quête du mythique royaume du prêtre Jean, censé permettre de prendre les infidèles à revers, 99 •

et la perspective de s’insérer dans le lucratif commerce des épices venues d’Asie constituent les deux principaux moteurs des explorations. D’où le relatif désintérêt des Européens pour l’Afrique qu’ils se contentent de contourner sans guère chercher à pénétrer à l’intérieur des terres.

◗ Bibliographie

Deux ouvrages récents offrent un bon panorama de l’état actuel de la question : P.  Boucheron (dir.), Histoire du monde au xve siècle, Paris, Fayard, 2009. S.  Grunzinski, Les Quatre Parties du monde  : histoire d’une mondialisation, Paris, La Martinière, 2004.

On trouvera une utile synthèse de ces deux publications dans : Les Grandes Découvertes, L’Histoire, n°  355, numéro spécial, juillet-août 2010.

On peut compléter à partir de : C. Bernand et S. Gruzinski, Histoire du Nouveau Monde, de la découverte à la conquête, 2 vol., Paris, Fayard, 1991. P.  Chaunu, L’Expansion européenne du xiiie au xve siècle, Paris, PUF, 1969. P.  Chaunu, Conquête et exploitation des Nouveaux Mondes, xvie siècle, Paris, PUF, 1969. Denis Crouzet, Christophe Colomb, Héraut de l’Apocalypse, Payot, 2006. C. Grataloup, Géohistoire de la mondialisation, le temps long du monde, Paris, Armand Colin, 2007. C. Grataloup, L’Invention des continents, Paris, Larousse, 2009. G. Martinière et C. Valera (dir.), L’État du monde en 1992, Paris, La Découverte, 1992. J.  Meyer, L’Europe et la conquête du monde, Paris, Armand Colin, 1996. S.  Subrahmanyam, L’Empire portugais d’Asie, 1500-1700, Paris, Maisonneuve et Larose, 1999.

◗ Ouverture de chapitre � MANUEL, PAGES 152-153

Doc. 1. D’un monde limité et cloisonné… (Enluminure attribuée à Simon Marmion, vers 14591463. Bruxelles, Bibliothèque royale Albert Ier.)

Cette enluminure offre un bon exemple de map• 100

pemonde médiévale de type « T dans l’O » figurant la Terre sous la forme d’une sphère entourée d’eau (le « O ») coupée en trois par deux traits formant un T, dessinant les contours des trois parties du monde connues des Européens : Asie, Afrique et Europe. Elle permet d’illustrer une représentation du monde fondée sur les textes sacrés et non sur les observations scientifiques.

Le monde y est ainsi représenté sans souci de réalisme géographique, divisé en trois régions isolées les unes des autres  : l’Asie en haut, où l’on distingue l’arche de Noé ; l’Afrique en bas à gauche ; et en bas à droite, sur l’autre rive d’une Méditerranée longiligne, l’Europe. Selon le texte biblique, après le Déluge, la terre fut repeuplée par les trois fils de Noé qui partirent chacun dans une direction : Sem vers l’est, serait à l’origine des peuples asiatiques ; Cham vers le sud-ouest, serait l’ancêtre des Africains ; et Japhet vers le nord-ouest, dont descendraient les Européens. Les points cardinaux sont indiqués : Orient en haut, Occident en bac, Midi à droite et Septentrion à gauche. Doc. 2. … à un monde élargi

(Les Quatre Parties du monde, gravure de Jost Amman, 1577. Paris, Bibliothèques nationale de France.)

Par contraste avec le document 1, cette gravure de la fin du xvie siècle témoigne de l’élargissement de l’horizon géographique des Européens au lendemain des Grandes Découvertes. Chacun des quatre continents désormais connus y est représenté par une figure allégorique qui tente de les singulariser.

1. L’Europe chrétienne face à l’Empire ottoman � MANUEL, PAGES 154-155

Doc 2. L’Empire ottoman, xive-xviie siècles

• Question 1. Du xive siècle au xvie siècle, l’Empire ottoman s’étend essentiellement dans la péninsule balkanique et en Asie mineure, la prise de Constantinople en 1453 lui permet de contrôler les détroits qui mènent de la Méditerranée à la mer Noire. À partir du xvie siècle, les Ottomans s’emparent des rives méridionales du Danube, du Moyen-Orient et d’une bonne partie des côtes de l’Afrique du Nord, ils dominent désormais la Méditerranée orientale. © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

• Question 2. L’expansion ottomane est particulièrement menaçante pour les possessions des Habsbourgs en Autriche et en Italie et pour la république de Venise, laquelle perd la plupart des îles qu’elle possédait en Méditerranée orientale, seule la Crète reste vénitienne jusqu’en 1669. Doc. 3. L’enlèvement des enfants chrétiens (Miniature extraite de la Süleymannâme, 1558, Istanbul, musée du Palais de Topkapi.)

Cette pratique s’appelle le devchirmé. Les jeunes adolescents mais aussi les enfants ainsi recrutés étaient destinés à faire partie de l’élite ottomane : ils étaient formés pour occuper des hautes responsabilités au sein de l’appareil d’État ottoman ou devenir soldats d’élite. Entre le xive siècle et xviie siècle, plus de 200  000 enfants chrétiens, serbes, grecs, bulgares, croates et hongrois auraient été pris par les Turcs. Il s’agissait en fait au départ de ne pas donner de hautes responsabilités aux enfants issus des familles rivales de la dynastie ottomane. Les adolescents ne devaient pas être trop jeunes, pour pouvoir supporter les longs déplacements, et pas trop âgés, pour qu’ils puissent être convertis à l’islam et être replacés dans des familles turques. Il était interdit de recruter un garçon s’il était l’unique garçon de sa famille. Beaucoup de familles chrétiennes y envoyaient volontairement leurs enfants car c’était l’assurance d’une ascension sociale rapide, certains sont même devenus grands vizirs. Doc. 4. L’alliance avec la France, 1535

En 1535, François Ier s’allie à Soliman le Magnifique pour combattre Charles Quint et le prendre à revers.

• Question 1. C’est un traité de paix mais aussi un texte qui assure une certaine liberté de commerce et de déplacement. Il permet aussi aux marchands ottomans et français de s’installer librement dans chacun des deux pays et de payer des taxes moins lourdes lors de leurs opérations commerciales.

• Question 2. Ce traité d’amitié peut paraître étonnant parce qu’il lie une puissance chrétienne et une puissance musulmane au moment même où le pape et l’empereur tentent de faire revivre l’esprit de croisade. Cette alliance cause cependant un grand trouble dans le monde chrétien, et elle est qualifiée © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

d’«  alliance impie  », ou d’«  union sacrilège  ». Cette alliance est maintenue plus de deux siècles et demi, jusqu’à la campagne d’Égypte, qui voit les troupes napoléoniennes envahir un territoire ottoman en 1798-1801.

◗ Étude Constantinople, lieu de contacts entre différentes cultures et religions � MANUEL, PAGES 156-157 Analyse des documents

1. Constantinople est située à un endroit stratégique qui permet de contrôler les détroits menant de la Méditerranée à la mer Noire. La cité proprement dite est installée sur une presqu’île entourée des trois côtés par l’eau, avec le Bosphore, la mer de Marmara et la Corne d’or, ce qui rend le site facilement fortifiable. La Corne d’or est un estuaire qui forme un port naturel très abrité.

2. La cité est d’abord livrée au pillage et une partie de la population est massacrée. Mais, très vite, le sultan qui entend faire de Constantinople sa capitale entreprend de reconstruire la ville et de la repeupler.

3. Les Ottomans reconstruisent les murailles, ornent la ville de nombreux monuments (mosquées, bazar, palais de Topkapi…). La majorité des églises sont transformées en mosquées, notamment Sainte-Sophie qui est dotée de minarets. Le port est agrandi. 4. L’essor démographique de la ville est impressionnant, le chiffre de la population est multiplié par 16, passant de 36 000 à 600 000 entre 1453 et  1566. Cette croissance s’explique par la politique des sultans qui ont attiré dans la cité des populations de tout l’empire.

5. La ville est décrite comme «  marchande  » et «  riche  », c’est donc un centre commercial et artisanal de grande importance. Le bazar est immense et le port apparaît particulièrement actif. La cité commerce de façon intensive avec les pays européens (en particulier la France, Florence ou Venise).

6. La cité abrite d’importantes communautés juives et chrétiennes. Vers 1500, les juifs représentent plus de 17  % des foyers, les chrétiens, 54 %. Il s’agit de chrétiens de rite orthodoxe ou

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de chrétiens de rite latin. Ces derniers vivent surtout dans le quartier de Galata, ancien comptoir fondé par les Génois. Ce multi-ethnisme s’explique par la politique des sultans qui permettent aux non-musulmans de «  vivre selon les institutions et préceptes de telle religion qui leur plairait  ». L’Empire ottoman a même accueilli des juifs chassés par les monarques chrétiens d’Espagne. Bilan de l’étude

La conquête de Constantinople par les Ottomans permet à cette cité prestigieuse de retrouver un grand dynamisme économique et démographique. Elle redevient une place commerciale de grande importance grâce à son port idéalement situé entre la Méditerranée et la mer Noire, l’Asie et l’Europe. Des marchands chrétiens sont autorisés à y résider, en particulier dans le quartier de Galata, notamment parce que le sultan a signé des traités avec certaines grandes puissances européennes comme la France, Venise ou Florence. Istanbul est aussi un lieu de contacts culturels majeur grâce à la politique de tolérance des sultans. Pour repeupler la ville, après le siège éprouvant de 1453, les souverains ottomans ont attiré dans leur capitale des populations de toutes leurs conquêtes et ont autorisé les nouveaux habitants à garder leur religion. Constantinople est donc devenue une cité cosmopolite qui est en outre restée très marquée par son héritage byzantin car certains des principaux monuments n’ont pas été détruits.

◗ Carte Les grandes civilisations du monde vers 1450 � MANUEL, PAGES 158-159

Cette carte permet de brosser un portrait du monde à la veille des Grandes Découvertes au travers des principales civilisations qui en dominent alors les différentes parties. Les principaux axes d’explorations maritimes et terrestres déjà empruntés à cette date sont signalés par des flèches, rendant visibles les liens déjà tissés entre civilisations. Ces flèches permettent par ailleurs de souligner que d’autres civilisations que l’Europe participent à ce mouvement d’exploration, notamment la Chine des Ming d’avant 1533. Les principales villes du monde ont également été représentées, notamment celles qui sont évoquées • 102

dans les différentes études de cas du chapitre et qu’on pourra donc faire localiser et contextualiser aux élèves à l’aide de cette carte.

2. Un nouvel horizon : les Grandes Découvertes européennes � MANUEL, PAGES 160-161

Doc. 2. Les Grandes Découvertes

• Question. Les Espagnols et les Portugais peuvent entrer en conflit surtout en Amérique du Sud, sur la ligne de partage fixée par le traité de Tordesillas (1494) et par le traité de Saragosse (1529). Les Philippines peuvent être également une zone de conflit. Doc. 3. Une humanité nouvelle

• Question 1. Cet observateur européen décrit la population des Canaries d’une façon très péjorative. Les Canariens sont des sauvages qui se comportent «  bestialement  », des barbares qui semblent sortis de la préhistoire. Les mêmes critères de description apparaissent une quarantaine d’années plus tard sous la plume des Européens évoquant les Amérindiens. – « Ils vont toujours nus » : la nudité est le signe le plus évident de la sauvagerie, elle ramène les hommes à l’état animal (ou bien à l’état d’innocence pour les « bons sauvages » qui ignorent la pudeur). – Ils ignorent la métallurgie  : «  n’ayant pas d’armes en fer », ils utilisent des massues et des lances en bois durci par le feu ou en corne. Les Guanches vivent donc à l’âge de pierre. – Ils ignorent l’architecture : « Ils ne bâtissent ni maisons de pierre, ni de paille, et vivent dans des grottes et des cavernes dans la montagne. » Les Guanches vivent donc à l’âge des cavernes. Dans la hiérarchie des civilisations, l’architecture est un critère important  : les peuples capables de construire des édifices en pierre sont considérés comme plus développés par les Européens (c’est le cas par exemple des Mayas, Aztèques et Incas, par opposition aux Taïnos des Caraïbes). – Ils ont des pratiques sexuelles étranges : « Ils ne partagent pas leurs femmes, mais chacun a le droit d’en avoir autant que bon lui semble. » La polygamie est contraire aux règles du mariage chrétien et choque donc les Occidentaux. Mais il © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

y a plus choquant, on le verra plus tard pour les Amérindiens accusés de toutes sortes de « pratiques contre-nature » (partage des femmes, sodomie, etc). – Et, bien sûr, ils ignorent la Révélation chrétienne (et les deux autres religions monothéistes) : « ils n’ont pas de foi, ne reconnaissent pas de Dieu ». Ce sont des « idolâtres », terme fourre-tout utilisé par les chrétiens pour disqualifier les religions de type animiste. Le plus déroutant pour les Européens est de découvrir un peuple qui aurait totalement échappé au message du Christ. Cette vision péjorative des Guanches légitime en quelque sorte le traitement qu’ils subissent de la part des Européens et qui annonce celui des Indiens d’Amérique. On voit en effet à la fin du texte que les colons installés aux Canaries ont coutume d’attaquer la nuit par surprise les Canariens pour les réduire en esclavage. Le même sort fut réservé ensuite aux Indiens par les Espagnols, dès les débuts de la conquête des Caraïbes.

◗ Étude Vasco de Gama, « l’amiral de l’Inde » � MANUEL, PAGES 162-163 Analyse des documents

1. L’objectif du voyage de Vasco de Gama est double. Il est très bien résumé par le premier marin débarqué à Calicut et qui répond aux deux Tunisiens  : «  Nous venons chercher des chrétiens et des épices » (doc. 1). – Le premier objectif est donc religieux. Le roi du Portugal espère trouver dans l’océan Indien des princes chrétiens susceptibles de s’allier à lui pour prendre à revers les musulmans. Cette idée est nourrie par la légende du prêtre Jean, un mystérieux roi chrétien qui se trouverait quelque part en Orient (après l’avoir cherché en Inde, on l’assimile au roi d’Éthiopie). Les Portugais sont tellement obsédés par cette quête qu’ils voient des chrétiens partout ! En effet, les hommes de Vasco de Gama prennent les hindouistes pour des chrétiens (et leurs divinités pour la Vierge et les saints). – Le second objectif est commercial  : aller directement à la source des épices, pour court© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

circuiter les réseaux commerciaux mis en place depuis longtemps par les marchands musulmans et leurs partenaires vénitiens. Le témoignage de Guido Detti (doc. 4) le confirme : les Portugais sont partis « à la recherche des épices ». C’est bien cela qui intéresse le marchand qu’est Detti. Dans d’autres passages de cette lettre, il détaille le commerce des épices et se félicite à l’idée que les Portugais vont ouvrir une nouvelle route commerciale. Cette « belle découverte » va briser le monopole islamo-vénitien (le Florentin déteste ses concurrents vénitiens !).

2. Les Portugais veulent garder secrètes toutes les informations relatives à cette nouvelle route maritime, parce qu’ils veulent s’en réserver le monopole. Guido Detti l’explique très clairement  : «  Le roi de Portugal leur a fait enlever toutes leurs cartes de navigation, sous peine de la vie et de la confiscation de leurs biens, c’està-dire toutes celles qui donnent des informations sur cette côte, pour qu’on ne sache pas leur route, ni la façon de se diriger dans ces régions, et pour éviter ainsi que d’autres gens ne s’en mêlent. » Cette « politique du secret », surestimée par certains historiens, a eu de toute façon peu d’efficacité. Detti lui-même émet immédiatement des doutes : « Mais je crois que, quoi qu’il fasse, tout se saura et d’autres navires vont commencer à y aller. » Sa lettre elle-même montre que l’information a déjà filtré (il a dû rencontrer des marins sur les quais de Lisbonne). Il est capable de décrire assez précisément l’itinéraire emprunté par les Portugais et il donne une définition correcte du régime des moussons qui rend la navigation facile dans l’océan Indien (« Il y a deux vents… »). Autre signe de la faible efficacité de la politique portugaise : la carte dressée en 1502 par l’espion italien Cantino, à partir de documents secrets obtenus à Lisbonne (doc. 4). 3. L’arrivée des Portugais en Inde suscite le mécontentement des marchands musulmans qui comprennent que leur monopole sur le commerce des épices est désormais menacé. On le voit dès le premier contact à Calicut en 1498 : les deux « Maures de Tunis » accueillent assez fraîchement le marin de Gama. Et on comprend, en lisant le document 5, que les relations entre les Portugais et les habitants de Calicut se sont vite dégradées. Le souverain de Calicut, qui est hindouiste mais soumis aux pressions des mar-

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chands musulmans de la ville, s’est vite opposé aux exigences des Portugais. En 1502, lors de sa seconde expédition, Gama utilise une grande violence pour obtenir la soumission de Calicut (bombardement naval, pendaison d’otages ensuite mutilés). 4. Le voyage de Gama a permis de nets progrès dans la cartographie, bien visibles si l’on compare le planisphère de Martellus (1489, doc. 2) et la carte de Cantino (1502, doc. 3). La côte orientale de l’Afrique et la partie occidentale de l’océan Indien sont désormais connues avec précision. Le planisphère de Martellus est encore proche de Ptolémée, qui croyait que l’Afrique rejoignait vers l’est l’Asie, faisant de l’océan Indien une mer fermée. La carte de Cantino, elle, propose un tracé à peu près exact du continent africain et figure Madagascar et les Mascareignes. Bilan de l’étude

Le voyage de Vasco de Gama a joué un rôle important dans les Grandes Découvertes, un peu éclipsé par la renommée de Christophe Colomb. En entrant dans l’océan Indien, après avoir contourné l’Afrique, il a permis aux Portugais de battre en brèche le monopole des marchands musulmans et vénitiens sur les épices. En maîtrisant cette nouvelle route maritime, les Portugais ont pu instaurer leur domination sur les Indes orientales au xvie siècle, tandis que les Espagnols se tournaient vers l’Amérique.

2. Les Européens et le monde à la fin du xvie siècle � MANUEL, PAGES 164-165

Doc. 1. La population de l’Empire aztèque au xvie siècle

Ce graphique rend compte de la brutalité du choc microbien provoqué par l’irruption des Européens en Amérique au travers du cas de l’Empire aztèque qui, selon les estimations de W. Borah et S.F. Cook, a vu sa population divisée par 25 entre 1519 et 1605. Un tel cataclysme démographique permet de comprendre la facilité avec laquelle les Européens vinrent à bout de cet empire et la nécessité qui s’imposa à eux, en vue d’exploiter ces terres, de les repeupler, par le recours aux esclaves africains notamment. • 104

Doc. 2. Le monde connu des Européens à la fin du xvie siècle

Cette carte présente l’état du monde connu des Européens à la fin du xvie siècle. À l’exception de l’Océanie, l’ensemble des continents est désormais connu mais le plus souvent de manière superficielle, l’intérieur des terres restant à explorer, particulièrement dans le cas de l’Afrique. Le rôle des Ibériques dans cette première mondialisation ressort de l’ampleur des empires coloniaux qu’Espagnols et Portugais se sont forgés et qui leur assurent le contrôle des principales voies commerciales. Doc. 3. L’Amérique, terre de métissages (Portrait de Don Francisco de Arobe et de ses fils (détail), huile sur toile d’Adrián Sánchez Galque, 1599, Madrid, musée de l’Amérique.)

Ce tableau d’un peintre amérindien a été réalisé en 1599 à l’occasion de la venue de souverains zambos (métis de Noir et d’Amérindien) venus à Quito confirmer leur loyauté à l’Espagne. Il permet d’illustrer le processus de métissage découlant des Grandes Découvertes.

• Question. Ces hommes, biologiquement issus de la rencontre entre Africains et Amérindiens sur le sol américain, sont vêtus d’habits européens et parés de bijoux amérindiens. Doc. 4. Les Indiens « ne sont-ils pas des hommes ? »

Les propos de Montesinos, rapportés par Las Casas dans son Histoire des Indes, témoignent des interrogations des Européens au sujet de la nouvelle humanité découverte en Amérique et du sort à lui réserver. Son statut de missionnaire montre toute l’ambiguïté d’une position qui entend prendre la défense des Amérindiens, tout en leur apportant une nouvelle religion appelée à se substituer à la leur.

• Question 1. Montesinos reproche aux Espagnols d’abuser de leur force («  Qui vous a autorisés à leur faire des guerres aussi détestables » ; « vos tueries et vos ravages inouïs ») et d’asservir les Amérindiens («  une servitude aussi cruelle et aussi horrible ») par pure cupidité (« vous les tuez, pour avoir un peu plus d’or chaque jour »). • Question 2. Les critiques de Montesinos sont inspirées par sa foi chrétienne  : convaincu de l’humanité à part entière des Amérindiens, il en-

© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

joint ses compatriotes à les traiter avec respect en vue d’assurer la conversion au christianisme.

◗ Étude Tenochtitlán, la ville disparue � MANUEL, PAGES 166-167 Analyse des documents

1. La puissance de Tenochtitlán est d’abord reflétée par sa taille : c’est une « grande ville » que Cortés compare à Séville et Cordoue (doc. 1). La présence d’un centre monumental visible sur le document 2 témoigne de la prospérité et du rayonnement de la capitale de l’Empire aztèque. 2. La ville est difficile à prendre du fait de son isolement au milieu d’un lac. Cortés, disposant de peu d’hommes, craint de s’engager dans la ville de peur d’être pris au piège : « ils n’auraient pour nous affamer qu’à enlever les ponts ». C’est précisément ce que fait finalement Cortés pour venir à bout de la résistance de Tenochtitlán.

3. Le siège de Tenochtitlán a été particulièrement dur : les habitants en sont réduits à manger des racines et l’écorce des arbres et le chroniqueur évoque même des cas d’anthropophagie. Victimes de la faim et de la soif, les assiégés sont très affaiblis (« si maigres, si sales, si jaunes, si infects  ») et nombreux sont ceux qui meurent (« les maisons pleines d’Indiens morts »).

4. Cortés est d’abord aidé par le fait que les Amérindiens s’interrogent sur la nature des Européens qu’ils considèrent pour certains comme des teules, des envoyés des dieux, qu’il faut donc soutenir. Par ailleurs, il joue des divisions au sein de l’Empire aztèque et se pose en libérateur venu délivrer les communautés soumises à la domination de Tenochtitlán du joug de la capitale qui impose notamment le versement d’un tribut annuel.

5. La construction d’une cathédrale monumentale sur les ruines de l’ancienne Tenochtitlán, qui plus est en réemployant les pierres des édifices aztèques détruits, symbolise la politique. d’acculturation mise en œuvre par les conquérants espagnols. Celle-ci passe en premier lieu par l’évangélisation des populations amérindiennes, qui nécessite la construction de lieux de culte. © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

Bilan de l’étude

Du fait de leur infériorité numérique écrasante et malgré leur avantage technologique, les Espagnols savent qu’ils n’ont aucune chance de conquérir l’Empire aztèque par la seule force des armes. Aussi Cortés déploie-t-il une stratégie de conquête progressive consistant à retourner tous les peuples soumis aux Aztèques en sa faveur. Il est aidé pour cela par la croyance des Amérindiens en l’origine divine des Européens qui les incite à se ranger de leur côté. Pour venir à bout de la résistance de Tenochtitlán, Cortés, qui ne peut là encore se livrer à une attaque frontale compte tenu de la faiblesse numérique de ses troupes, choisit d’affamer la ville. Cette tactique a des conséquences terribles en ce que, contrairement à une bataille, elle touche toute la population de la ville, y compris les femmes et les enfants. Elle n’en est pas moins très efficace puisque les Espagnols prennent possession de la capitale en seulement trois mois.

◗ Étude Séville, « port et porte des Indes » � MANUEL, PAGES 168-169 Analyse des documents

1. Le Guadalquivir est d’une importance cruciale pour Séville : c’est lui qui en fait un port ouvert sur l’Atlantique et donc sur l’Amérique, et en même temps protégé d’éventuelles attaques (doc. 1). Le célèbre tableau (aujourd’hui considéré comme anonyme, après avoir été longtemps attribué à divers peintres) représentant Séville a pratiquement comme sujet le Guadalquivir (doc. 4). Au premier plan de l’image, le fleuve enserre la ville et le port (Arenal) et est animé d’une intense activité. Comme le dit Jérôme Münzer (doc. 3), «  cette rivière rend d’admirables services à la ville  ». Au point que le voyageur allemand sous-estime la distance à parcourir jusqu’à la mer et surestime sans doute les avantages du Guadalquivir en le qualifiant de « très beau fleuve, navigable et large ». En fait, la navigation est assez difficile sur le Guadalquivir et la Casa de la Contratación fournit aux navires des pilotes spécialisés, notamment pour franchir la redoutable barre de San Lucar de Barrameda, à l’embouchure du fleuve (bancs de sable). Quoi 105 •

qu’il en soit, des navires d’un tonnage assez important (150  tonneaux selon Münzer) peuvent accéder au port fluvial de Séville.

2. La découverte de l’Amérique a été essentielle au développement de Séville, parce que la ville, grâce à sa situation à proximité de l’Atlantique, a obtenu en 1503 le monopole du commerce avec les « Indes de Castille ». La Couronne castillane aurait pu choisir un port galicien, mais Pierre Chaunu a montré que la situation de Séville était plus favorable  : les divers courants faisaient que le voyage transatlantique depuis le golfe de Cadix faisait économiser 15 % du temps et 20 % des frais par rapport à un départ de Galice. Les richesses du Nouveau Monde affluent donc à Séville. Il s’agit d’abord des métaux précieux extraits dans l’Amérique espagnole, l’or et de plus en plus l’argent (doc. 2). Alonso Morgado évoque les charrettes pleines « d’or et d’argent en barres depuis le Guadalquivir jusqu’à la Casa de la Contratación » : les métaux précieux sont débarqués à Séville et pris en charge par les contrôleurs de l’État. Morgado évoque aussi toutes « les richesses » qui affluent dans les rues commerçantes de la ville, où sont installés des marchands de l’Europe entière. Le témoignage de Christophe Colomb (doc. 5) montre, d’une manière plus technique, que les voyages transatlantiques sont entièrement organisés à partir de Séville. Le navigateur se plaint du « mauvais travail des tonneliers de Séville » (les barriques de vin ont fui pendant le voyage) et veut organiser avec un « marchand de Séville » l’armement de deux caravelles pour ravitailler Hispaniola. 3. La plaine située autour de Séville joue un rôle économique important, pour alimenter la ville et l’Empire américain en produits agro-alimentaires. Jérôme Münzer (doc. 3) évoque «  une plaine de toute beauté, plus grande que toutes celles que j’ai jamais vues en Espagne, et qui produit de très grandes quantités d’huile, de vin très réputé et de tous les fruits  ». Christophe Colomb (doc. 5) veut se ravitailler en vin et en bétail. Il passe commande d’animaux de boucherie et de trait, qui sont inconnus en Amérique. Il souhaite des animaux vivants, jeunes, et de préférence des femelles, pour assurer ensuite la reproduction dans le Nouveau Monde. Tous ces

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animaux sont certainement élevés dans les environs de Séville.

4. Le monument emblématique de Séville est la Giralda, ancien minaret de la mosquée transformé en clocher de la cathédrale (avec une statue de la Foi installée au sommet en 1568). Il est bien visible sur le tableau (doc. 4), dominant la ville de presque une centaine de mètres. Le « touriste » allemand Münzer (doc. 3) contemple la ville du haut de la tour : « Nous sommes montés dans le très haut clocher de l’église de la Sainte-Vierge, qui était autrefois une très grande mosquée, et je contemplais la ville. » Ce minaret transformé en clocher symbolise bien sûr l’Espagne de la Reconquista (Séville a été reprise aux musulmans en 1248) et la persistance d’un héritage « maure » en Andalousie. Bilan de l’étude

Séville est bien le « port et la porte des Indes », qui doit sa richesse au commerce avec l’Amérique. La ville a reçu en 1503 le monopole de ce commerce, grâce à sa situation de port fluvial proche de l’Atlantique. Toutes les relations transatlantiques sont contrôlées et organisées depuis Séville, par la Casa de la Contratación. Les métaux précieux et toutes les richesses du Nouveau Monde affluent sur les bords du Guadalquivir. Les bateaux partent de Séville pour l’Amérique chargés des produits agricoles de la plaine andalouse.

◗ Étude Pékin, capitale de l’empire du Milieu (Chine) � MANUEL, PAGES 170-171 Analyse des documents

1. Le plan de la ville révèle que l’essor urbain n’a jamais été laissé au hasard. Les principales rues se croisent en angle droit, les principaux quartiers forment des polygones quasi réguliers à quatre côtés. Pékin s’est développé autour du palais impérial (Cité interdite) qui est lui-même entouré par un espace réservé aux entrepôts, à l’administration et aux résidences de l’aristocratie. Ensuite viennent les quartiers résidentiels et commerciaux les plus anciens (ville intérieure) puis au sud une extension plus récente du xvie siècle. Chaque quartier est enclos dans une enceinte. Le long d’un axe nord-sud se trouvent alignés les principaux monuments, tours de la © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

cloche et du tambour, colline de charbon, Cité interdite et temples du ciel et de l’agriculture.

2. Pékin est une des cités les plus étendues au monde, la ville murée occupe un espace d’environ 6 kilomètres sur 4 kilomètres. Matteo Ricci s’étonne de sa « multitude d’habitants », de son « nombre de magistrats et de soldats ». Il est impressionné par la hauteur et la largeur des murailles de la cité. 3. La présence d’un immense palais impérial, la Cité interdite, l’importance de la ville impériale où sont installés les entrepôts et l’administration marquent profondément l’espace urbain. La cité comporte de nombreux temples, les deux plus importants se trouvent dans la ville extérieure : le parc du temple du Ciel (environ 1,5 kilomètre de long) et le temple de l’Agriculture. Cette importance politique et religieuse explique la forte présence militaire et l’ampleur des murailles.

4. L’architecture monumentale chinoise diffère fortement de celle qu’on connaît en Europe. Les architectes chinois conçoivent des ensembles complexes occupant de vastes espaces, les principaux bâtiments sont alignés sur un axe nord-sud, isolés les uns des autres et abritent de grandes salles. Les toits de tuiles sont parfois à deux étages. L’ensemble est très coloré : dans la Cité interdite, les murs sont rouges et les tuiles jaunes, pour le temple du Ciel la couleur dominante est le bleu. L’architecture chinoise comme l’européenne joue avec les symboles. 5. L’aventurier portugais est frappé par le nombre de marchés qui coexistent dans la ville et le nombre de boutiques. Il est particulièrement étonné par l’abondance des produits de luxe. Cette activité commerciale particulière s’explique par la présence de la cour impériale et d’un grand nombre de riches aristocrates. Bilan de l’étude

Les Européens qui découvrent Pékin à la fin du xvie siècle et au début du xviie siècle sont fascinés par la grandeur de la cité, son importance démographique, son intense activité commerciale et l’originalité de son architecture et de son urbanisme. Contrairement aux grandes cités européennes qui se sont développées dans le plus grand désordre, l’essor de la capitale chinoise a été soigneusement planifié par les autorités impé© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

riales. Son plan est orthogonal, le centre de la cité est occupé par un immense palais impérial interdit aux communs des mortels et qui est disposé selon un axe nord-sud, lequel structure aussi le reste de la cité. L’ensemble de la ville est ainsi fortement marqué par le rôle de capitale politique et religieuse : les grands monuments aux couleurs vives sont somptueux. Les temples, le quartier réservé à l’administration et aux membres de l’aristocratie occupent de vastes espaces. La cité est soigneusement fortifiée ; la présence militaire est forte, l’artisanat de luxe destiné à la cour est une activité économique majeure.

◗ Méthode Lire et expliquer une carte historique � MANUEL, PAGES 172-173 1. Comprendre la construction d’une carte

Cette carte n’est pas un document d’époque. C’est une carte de synthèse, une source secondaire conçue par un des auteurs du manuel en 2010. Elle est très postérieure aux phénomènes représentés. Vers 1600, seule cette partie de l’Amérique est colonisée par les Européens. Ces derniers ne se sont pas encore installés dans le nord du continent. On parle d’Amérique latine pour désigner la partie du continent américain qui a été conquise par les Espagnols et les Portugais. La légende est composée de figurés linéaires pour représenter les routes et les frontières, de flèches pour les déplacements de personnes. Les figurés ponctuels servent à montrer les caractéristiques des principales cités, permettent de localiser les mines et les plantations. Enfin, les figurés de surface révèlent l’étendue des deux empires coloniaux. La colonisation est un processus de domination politique, culturelle et économique pratiquée par un État sur un territoire et un peuple obligé d’accepter des liens de dépendance. C’est un processus expansionniste d’occupation, qui conduit à l’établissement de colons, c’est-à-dire de personnes en provenance du pays colonisateur avec pour but l’exploitation du territoire au profit de la métropole ou des colons. La colonisation se différencie de la simple annexion par la différence de traitement, de droits ou de statut juridique entre le colon et le colonisé, à la défaveur de ce dernier. 107 •

2. Expliquer une carte en histoire

Depuis la fin du xve siècle, les Espagnols et les Portugais ont exploré et conquis cette partie de l’Amérique. La carte évoque les différents aspects de cette colonisation : la conquête qui a fait disparaître les empires précolombiens, l’exploitation économique des territoires (mines, plantation, esclavage…), l’organisation politique et religieuse de la conquête qui s’est accompagnée de la fondation de nombreuses villes. Les Portugais sont installés seulement sur les côtes du Brésil. L’empire colonial espagnol est beaucoup plus grand, il s’étend de la Floride au sud du continent et les Espagnols ont aussi colonisé l’intérieur des terres. Le contrôle des conquêtes est assuré par la présence d’un système administratif complexe. L’empire espagnol est divisé en deux parties, chacune ayant à sa tête un vice-roi qui représente le souverain sur place et contrôle le travail de l’Audiencia, à la fois cour de justice et

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organisme administratif et financier. La carte indique peu de chose sur l’administration encore embryonnaire des territoires portugais, elle signale simplement la présence d’un gouverneur général. Le contrôle politique s’accompagne d’une forte présence de l’Église catholique, dans les grandes cités ont été installés des archevêques ou des évêques qui s’occupent des colons mais aussi de l’évangélisation des indigènes. Pour les Espagnols et les Portugais, l’intérêt économique de ces territoires réside dans leurs richesses naturelles (culture de la canne à sucre, mines d’or et d’argent). Le problème du manque de main-d’œuvre a été résolu par le recours à l’esclavage, les esclaves provenant d’Afrique noire (cf. p. 164). Ce choix s’explique par la forte diminution de la population américaine à la suite des mauvais traitements et des épidémies, liées aux maladies apportées par les colons.

© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

Chapitre

8

Les hommes de la Renaissance (xve-xvie siècles) � MANUEL, PAGES 174-197

◗ Présentation de la question

La notion même de Renaissance, si elle trouve son origine chez quelques auteurs du xvie siècle, a essentiellement été forgée postérieurement, afin de donner corps à la supposée rupture avec le Moyen Âge qui interviendrait dans les années 1450, voire quelques décennies plus tôt pour certaines parties de l’Italie. Les philosophes des Lumières, comme Voltaire, mais aussi les penseurs du xixe siècle, comme Jules Michelet (Histoire de France au xvie siècle), ou le philosophe Hegel, ont contribué à construire cette image d’une rupture nette entre les deux périodes. Au milieu du xixe siècle, Jacob Burckhardt élabore même le concept de «  civilisation de la Renaissance », qui verrait la naissance de la modernité. C’est bien ce concept embarrassant de « modernité » qui cristallise les débats universitaires par sa forte connotation téléologique. Ce n’est qu’au xxe siècle que l’idée d’une rupture entre les deux périodes commence à être remise en cause. Toute une partie de l’historiographie récente s’est attachée à démontrer comment la plupart des bouleversements du xvie siècle plongent leurs racines dans l’Europe au sortir de la Grande Peste. L’école historique anglo-saxonne convient d’ailleurs de ne plus utiliser le concept de Renaissance que dans le domaine des Arts et des Lettres. Si les ruptures sont nécessairement artificielles et les oppositions factices, il n’en demeure pas moins que de grands événements symboliques, de grands personnages, ou des accélérations brutales de l’histoire, comme la Réforme ou l’extraordinaire floraison artistique, contribuent à fortement individualiser cette période. C’est par la multiplication d’inflexions de diverses natures qu’un tournant s’opère à la fin du xve siècle, qui contribue à diffuser de nouvelles réalités à l’échelle européenne. L’État, l’individu, l’artiste sont autant d’exemples de ces grands piliers de la modernité que la Renaissance contribue à révéler. © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

Le nouveau programme de seconde propose d’étudier les hommes de la Renaissance par le biais de quelques figures qui servent à caractériser la période : un éditeur-humaniste, un réformateur, un artiste.

◗ Bibliographie Ouvrages généraux

P.  Boucheron (dir.), Histoire du monde au xve siècle, Fayard, 2009. M. Aston (dir.), Panorama de la Renaissance, Thames and Hudson, Paris, 2003. A. Jouanna, P. Hamon, D. Biloghi, G. Le Thiec, La France de La Renaissance, Histoire et dictionnaire, Robert Laffont, Bouquins, Paris, 2001. A. Jouanna, J. Boucher, D. Biloghi, G. Le Thiec, Histoire et Dictionnaire des guerres de Religion, Robert Laffont, Bouquins, Paris, 1998. B.  Bennassar et J.  Jacquart, Le xvie siècle, Armand Colin, Coll. « U », Paris, 2002. P. Brioist, La Renaissance 1470-1550, Atlande, Coll. « Clefs Concours », Paris, 2003. Ouvrages spécialisés

• L’humanisme : H. Bots et F. Waquet, La République des Lettres, Belin-de Boek, Paris 1997. J.-C. Margolin, L’Humanisme en Europe au temps de la Renaissance, PUF, coll «  QSJ  », Paris, 1981. J.-C. Margolin, Érasme précepteur de l’Europe, Julliard, Paris, 1995.

• L’édition, le livre et l’imprimerie : L. Febvre et H.-J. Martin, L’Apparition du livre, Albin Michel, 1958, rééd. 1999. R.  Chartier et H.J. Martin, Histoire de l’édition française, tome  I, Le livre conquérant, Promodis, Paris, 1982 Lowry (Martin), Le Monde d’Alde Manuce : imprimeurs, hommes d’affaires et intellectuels dans la Venise de la Renaissance, Paris, Electre, 1989. R. Chartier et G. Cavallo, Histoire de la lecture

109 •

dans le monde occidental, Seuil, coll. «  Points Histoire », Paris, 2001.

• Les réformes : M. Venard (dir.), De la Réforme à la Réformation (1450-1530). Histoire du christianisme tome VII, Desclée de Brouwer, Paris, 1992. M.  Venard (dir.), Le Temps des confessions (1530-1620). Histoire du christianisme tome VIII, Desclée de Brouwer, Paris, 1994. P.  Chaunu, Le Temps des réformes, Complexe, Paris, 1975. O. Christin, Les Réformes, Luther, Calvin et les protestants, Gallimard, Découvertes, n°  237, 1995, rééd 2009.

• La Renaissance artistique : M. Baxandall, L’Œil du Quattrocento : l’usage de la peinture dans l’Italie de la Renaissance, Gallimard, Paris, 1985. C.  Harbison, La Renaissance dans les pays du Nord, Flammarion, coll « Tout l’art », 2009. E.  Panofsky, La Vie et l’Art d’Albrecht Dürer, Paris, Hazan, 1987. C. Nicholl, Léonard de Vinci, Biographie, Actes Sud, Arles, 2006. D.  Arasse, Léonard de Vinci, Le Rythme du monde, Hazan, 1997. L’ABCdaire de la Renaissance italienne, Flammarion, 2001. L’ABCdaire de Michel-Ange, Flammarion, Paris, 2003. L’ABCdaire de Lénoard de Vinci, Flammarion, 2003. Sites Internet

http://www.panurge.org/ http://aparences.net http://www.imprimerie.lyon.fr/imprimerie/ http://www.museeprotestant.org/

◗ Ouverture de chapitre � MANUEL, PAGES 174-175

Doc. 1. L’Europe de la Renaissance, entre retour à la sagesse antique… (L’École d’Athènes, fresque de Raphaël, 7,70  m de large, 1509-1511. Rome, palais du Vatican.)

La fresque de l’école d’Athènes orne la chambre de la Signature du palais du Vatican. Réalisée par Raphaël en 1509-1511, c’est une œuvre mo• 110

numentale qui affiche l’ambition des hommes de la Renaissance  : redécouvrir les savoirs antiques, porteurs d’une sagesse universelle. La structure de l’œuvre use en partie des principes du trompe-l’œil et prolonge l’architecture de la pièce. La perspective est rendue par un décor antique, organisé autour d’une succession d’arcs en plein cintre. Les lignes de fuite mettent en valeur les deux pères de la philosophie antique que sont Platon et Aristote, identifiables grâce au livre qu’ils tiennent (Le Timée, ouvrage de cosmologie et de physique de Platon, et l’Éthique, l’un des principaux ouvrages de philosophie morale d’Aristote). Sous la protection d’Apollon et Minerve se déploie une foule de personnages évoquant chacun une branche du savoir humain. Aristote, Platon, Héraclite et Diogène évoquent la philosophie antique. La présence d’Averroès, principal commentateur musulman des ouvrages d’Aristote, montre l’influence considérable de ce philosophe médiéval sur la pensée occidentale. Pythagore et Euclide incarnent l’arithmétique et la géométrie. En représentant Platon et Héraclite sous les traits de Léonard de Vinci et de Michel-Ange mais aussi en réalisant son autoportrait à l’extrême droite de la fresque, Raphael exprime cette volonté de fusion des deux époques, antique et moderne. Doc. 2. … et violences religieuses (Le Massacre de la Saint-Barthélemy, huile sur toile de François Dubois, 1576-1584. Lausanne, musée cantonal des Beaux-Arts.)

Ce tableau du massacre de la Saint-Barthélemy a été réalisé entre  1576 et  1584 par François Dubois (1529-1584), un huguenot rescapé de la tuerie, qui s’est peut-être représenté au premier plan du tableau. C’est dans un espace clos, n’offrant aucune échappatoire possible aux victimes du massacre que le peintre juxtapose une multitude de saynètes, toutes plus horrifiques les unes que les autres. Personnages célèbres et anonymes partagent le même sort et ne peuvent échapper au carnage. Déclenchés par l’attentat commis contre l’amiral de Coligny le 22 août 1572 par les guisards, les massacres ne devaient toucher à l’origine que les chefs protestants réunis pour assister au mariage d’Henri de Navarre et de Marguerite de Valois. © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

La violence déborda rapidement de son cadre et toucha tous les protestants parisiens. Le tableau illustre ce premier massacre qui frappe la noblesse protestante  : l’amiral de Coligny est défenestré puis décapité et émasculé. À l’arrière-plan, les cadavres des nobles protestants sont entassés dans la cour du Louvre sous l’œil vigilant de Catherine de Médicis. À la fenêtre, le roi Charles IX tire à l’arquebuse sur les protestants. Mais l’autre massacre, opéré par la populace et les pillards, est aussi représenté et n’épargne ni les femmes ni les enfants. Les corps sont jetés à la Seine, traînés au sol et dépecés dans une débauche de violence que les contemporains de l’événement ont relevée. En représentant le roi, la reine mère et le duc de Guise sur le tableau, François Dubois désigne les responsables des 3 000 morts parisiens de la Saint-Barthélemy.

◗ Carte Culture et religion dans l’Europe des xve et xvie siècles � MANUEL, PAGES 176-177

Il est particulièrement délicat de rendre perceptible sur une carte ce que furent les grandes évolutions de la période renaissante. Ce document présente quelques-uns des grands vecteurs de la propagation des idées nouvelles – centres d’imprimerie et universités. La carte permet aussi d’identifier les quatre principaux foyers de la Renaissance en Europe, pour insister d’emblée sur le fait que ce mouvement n’est pas uniquement italien, ce que le chapitre s’efforce aussi de montrer. Les centres de moindre importance sont également mentionnés, comme ceux de l’Europe centrale, qui font maintenant l’objet d’importants développements historiographiques. Surtout, cette carte doit immédiatement permettre une appréhension dynamique du phénomène, pour comprendre comment la Renaissance est un mouvement qui se structure rapidement à l’échelle européenne. Néanmoins, il est important de faire percevoir aux élèves que la Renaissance est aussi en partie ignorée de vastes espaces de l’Europe au sortir du Moyen Âge. Elle correspond donc à une logique de polarisation assez nette sur les nouveaux es© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

paces du savoir que sont les grands centres de l’humanisme, caractérisée par la conjonction de grands centres d’édition et d’érudition universitaire. La carte est ainsi en partie révélatrice de la constitution de certains États au sens moderne. À cette dynamique de polarisation s’ajoute le développement d’un clivage religieux en Europe, du fait des réformes religieuses qui diviseront durablement les Européens.

1. L’humanisme � MANUEL, PAGES 178-179

Doc. 1. Statistiques sur l’imprimerie européenne

Ce tableau permet de prendre la mesure des mutations quantitatives et des transformations qualitatives de la circulation de l’écrit permises par l’invention de l’imprimerie. Ces statistiques soulignent la massification de la production de livres, multipliée par 5 ou 6. À partir de 1520, le lectorat traditionnel de clercs et de lettrés est rejoint par de nouveaux groupes sociaux de lecteurs : notaires, marchands, gens de métiers dotés d’offices municipaux. Cet élargissement du lectorat européen s’accompagne d’une double transformation  : la part des sujets profanes augmente dans l’édition. Les livres en langues vernaculaires sont également de plus en plus nombreux. Toutefois, les nuances européennes sont fortes  : 60  % des incunables imprimés en Angleterre sont en langue anglaise, contre seulement 25 % en Europe continentale. En Italie, le livre profane prend rapidement une place dominante, alors que, dans les zones germaniques, le livre religieux reste prépondérant. Doc. 2. Les Lettres contre la barbarie

Étienne Dolet est un homme de lettres, un érudit et un imprimeur. Comme auteur, il écrit aussi bien en latin qu’en français et participe aux débats sur la langue française et sa codification. Après avoir obtenu de François Ier, en mars 1538, un privilège exceptionnel pour l’impression des œuvres « des auteurs modernes et antiques », il publie à Lyon différents ouvrages touchant à la littérature, à l’éducation, à la philosophie et à la religion. Il sortira de son atelier plus de quatrevingts éditions dans des circonstances souvent difficiles. Accusé d’athéisme par l’Inquisition, il est emprisonné en 1542. Relâché en 1543, grâce 111 •

à l’intervention de François Ier, il reprend son travail d’édition, mais s’enfuit rapidement en Italie. Revenu en France en 1544, il est à nouveau jugé et condamné pour publication hérétique par le Parlement de Paris. Étienne Dolet a été exécuté place Maubert à Paris le 3 août 1546.

• Question. Dans cet extrait, tiré des Commen­ taires sur la langue latine, qui constitue l’un des premiers lexiques étymologiques du latin, Étienne Dolet se livre à une digression optimiste au sujet de l’humanisme. Usant et abusant du champ lexical de la guerre, il présente, de manière traditionnelle pour l’époque, mais pour le moins manichéenne, l’affrontement entre l’obscurantisme médiéval et la lumière des savoirs retrouvés. Il accorde ici une place majeure à l’éducation et à l’érudition, qui permettront d’accéder au bonheur individuel et collectif. Doc. 3. Érasme et la « République des Lettres »

Le «  prince des humanistes  » fut l’un des plus grands voyageurs de la Renaissance, et ce document n’en offre qu’un aperçu. De 1495 à 1499, il fait de nombreux séjours à Paris, dont un au collège Montaigu pour suivre les cours de la Sorbonne. En 1499, son premier voyage en Angleterre lui permet de rencontrer Thomas More et John Colet à Oxford. Il revient à Paris en 1500 puis effectue son deuxième séjour en Angleterre en 1505-1506. La troisième grande étape de ses pérégrinations européennes est son tour d’Italie, de  1506 à  1509, pendant lequel il rencontre l’éditeur vénitien Alde Manuce. Après un troisième séjour en Angleterre à partir de 1509, il rencontre Froben à Bâle en 1514. Érasme s’est donc rendu et a élaboré une large partie de son œuvre dans l’ensemble des grands foyers humanistes de la période, à l’exception des cités universitaires espagnoles. Modèle de la pérégrination savante des humanistes, Érasme tisse un réseau d’amitiés et de contacts avec lesquels il entretient une riche correspondance. On lui connaît aujourd’hui plus de 600 correspondants européens. Il écrit des lettres à tout ce que l’Europe compte de princes, de grands ecclésiastiques, d’érudits ou de disciples. De 1516 à sa mort, il publie plus d’une douzaine de recueils différents où sont associées ses propres lettres et celles de ses correspondants. • 112

Doc. 4. Un atelier d’imprimerie (Dessin sur panneaux de bois. Dole, musée des Beaux-Arts.)

Ce dessin sur panneau de bois permet de mettre en lumière les principales innovations qui ont mené à la révolution de l’imprimerie. Il rend compte du caractère artisanal de l’imprimerie : les ateliers sont alors fortement hiérarchisés et segmentés, chaque «  métier  » veillant jalousement sur son pré carré et son savoir-faire. À droite, un typographe en livrée bleue tient une règle qui contient des caractères mobiles, inventés par Gutenberg, qu’il place sur une table inclinée afin de composer le texte sur une plaque d’impression. À gauche, un autre personnage prépare les tampons (balles) qui serviront à encrer la plaque. Au centre trône la presse. L’engin, connu depuis l’Antiquité, permet d’appliquer une pression uniforme et puissante sur la plaque d’impression recouverte d’une feuille de papier. Enfin, le correcteur effectue une relecture, ce qui permet de vérifier les qualités techniques de l’impression mais aussi la fidélité au manuscrit original, subtilement évoquée par le chien endormi au premier plan. Caractères mobiles, encres spécifiques, papier et presse constituent donc les bases indispensables à la révolution de l’imprimerie. Doc. 5. Un roi humaniste

• Question. François Ier a contribué à la Renaissance des Lettres par une action opiniâtre tout au long de son règne. En 1536, il nomme Guillaume Budé responsable de la Bibliothèque royale avec pour mission d’en accroître les collections. En 1540, il exhorte son ambassadeur à Venise à acheter le plus possible de manuscrits vénitiens. Il fonde le corps des « Lecteurs royaux  » (le futur Collège de France), parmi lesquels on trouve le géographe et astronome Oronce Fine, évoqué à la fin du texte. Il favorise le développement de l’imprimerie en France (cf. doc. 2) et fonde l’Imprimerie royale dans laquelle travaillent des imprimeurs comme Robert Estienne. Comme l’évoque le deuxième et le troisième paragraphe, François Ier fait œuvre de mécénat envers des poètes tels Clément Marot et des artistes comme Benvenuto Cellini, Le Primatice, et bien sûr Léonard de Vinci qui séjourne à Amboise, au clos Lucé, de 1516 à 1519. Pourtant, ce roi, protecteur des humanistes, ne © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

maîtrisait pas le latin et il faut l’éloquence de Pierre du Chastel pour ne pas en faire trop de cas.

◗ Étude Alde Manuce, un éditeur humaniste � MANUEL, PAGES 180-181 Analyse des documents

1. En 1494, Alde Manuce ouvre une imprimerie à Venise, qui est alors le premier foyer d’édition européen. Manuce se singularise rapidement par la volonté d’imprimer les classiques grecs, avec l’aide des érudits byzantins réfugiés depuis 1453 à Venise. Parmi ses premiers ouvrages, on compte des grammaires et une édition d’Aristote en cinq volumes, qu’il n’achèvera qu’en 1498. Chaque année, il publie un ou plusieurs volumes de chefs-d’œuvre de la littérature grecque. Manuce imprime aussi les auteurs latins, en particulier les poètes classiques. Comme le montrent les documents 2 et 5, Alde Manuce entretient aussi des relations éditoriales avec les principaux humanistes de son temps. Il imprime les ouvrages d’Érasme et de Pietro Bembo avec lesquels il entretient des relations érudites et amicales, même si leur participation à l’Académie aldine n’est guère avérée. En 1499, il réalise un chef-d’œuvre en imprimant le Songe de Poliphile, récit de rêveries amoureuses en néo-latin, accompagné de nombreuses gravures et d’une mise en page originale. Il est sur le point de publier une Bible en trois langues, répondant ainsi aux vœux d’Érasme de Rotterdam, mais meurt avant d’avoir acquis la gloire d’être le premier auteur d’une Bible polyglotte.

2. Alde Manuce est à l’origine de plusieurs innovations dans le domaine typographique. Il participe à la normalisation de l’imprimerie en caractères grecs en utilisant des fontes gravées pour lui par Francesco Griffo qui utilise comme modèles les écritures d’érudits grecs réfugiés. À partir de 1501, il utilise de nouveaux caractères, qui seront baptisés plus tard italiques. Leur excellente lisibilité permet d’imprimer des formats de livre plus petits. Ce sont ces fontes qu’évoque Érasme dans le dernier paragraphe du document 2. Un privilège de dix ans fut accordé à Alde en 1502 par le Sénat de Venise, pour © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

lui garantir l’emploi exclusif de ses caractères italiques. Alde Manuce multiplie donc les impressions in-octavo, inventant en quelque sorte le livre de poche. Ces volumes renferment autant de textes que les in-quarto mais sont plus commodes et économiques. Ce petit format (9 x 16 cm environ) permet de posséder dix livres pour le prix d’un seul in-folio. Il modifie aussi les habitudes de lecture, reléguant progressivement le lutrin au rang des accessoires démodés (doc. 5).

3. Le succès de Manuce se mesure d’abord aux collaborateurs qu’il attire vers ses projets éditoriaux. Ainsi, le peintre Dürer enlumine plusieurs volumes imprimés par Manuce, qui entretient aussi des relations amicales avec de nombreux humanistes italiens, comme Pietro Bembo dont il publie les œuvres. Mais le succès des volumes de Manuce revêt aussi une face plus sombre comme en témoigne sa lettre contre les contrefacteurs lyonnais. À la fin du xve siècle, des imprimeurs piémontais associés à des marchands vénitiens avaient fondé la Compagnie lyonnaise d’Ivry (ou Ivrée) qui contournait, en étant hors d’atteinte juridique, les privilèges accordés par le Sénat de Venise à Alde Manuce. Les volumes d’Alde, dès leur parution, étaient reproduits à Lyon dans le même format, avec des caractères très proches et presque ligne pour ligne. Par souci de discrétion, les contrefacteurs ne faisaient pas relire leurs épreuves par des correcteurs de métier, si bien que leurs impressions comportaient de nombreuses coquilles. Alde Manuce publie donc un placard daté du 16  mars 1503 où il rappelle l’importance des marques typographiques que les imprimeurs et libraires utilisaient pour marquer leur production sur la page de titre, permettant l’identification d’un ouvrage et la garantie de sa provenance. 4. Passionné par l’Antiquité grecque et latine, à laquelle il accorde toutes les vertus, Manuce est représentatif du mouvement humaniste. La création d’une académie d’érudits au début du xvie siècle, dont nous avons conservé le règlement, en est une autre indication. Ce souci de réunir érudits et savants dans le même amour, exclusif, de l’Antiquité s’inscrit dans le mouvement académique italien, à l’imitation de l’académie néo-platonicienne de Marsile Ficin à Florence. 113 •

Bilan de l’étude

Alde Manuce est un exemple de la génération des éditeurs imprimeurs, aux côtés de Robert Estienne ou de Johan Froben, qui ont grandement participé à la diffusion de l’humanisme. Manuce appartient pleinement à la République des lettres, par sa formation d’helléniste et par ses fréquentations savantes. Ami d’Érasme et de Pietro Bembo, il joue un rôle fondamental dans la diffusion du grec et fonde une académie savante sur le modèle des académies humanistes de son temps. Par son métier d’imprimeur, Alde popularise les grands textes des auteurs antiques mais aussi les œuvres de ses contemporains. Il introduit dans l’imprimerie de nombreuses innovations techniques, comme les caractères italiques et le livre in-octavo au format de poche, qui facilite la diffusion de l’écrit.

2. La Renaissance artistique � MANUEL, PAGES 182-183

Doc. 1. Le retour du nu (David, vers 1430-1440, bronze de Donatello, 158 cm de hauteur. Florence, musée du Bargello.)

Bénéficiant de la protection de Cosme l’Ancien dès 1434, Donatello est un artiste dont le travail est intimement lié à la ville de Florence. Ami de Brunelleschi et de Ghiberti, il se rendit deux fois en voyage d’études à Rome pour redécouvrir les ruines du monde antique. Cette statue est célèbre et révolutionnaire à plus d’un titre. Réalisée entre 1430 et 1432, il s’agit de la première sculpture grandeur nature (1,58 mètre), en bronze et en ronde-bosse depuis l’Antiquité. C’est aussi le premier nu de la Renaissance. Selon la Bible, David enleva la lourde armure que lui avait remise Saül avant son combat contre Goliath. La nudité sert donc ici le message du sculpteur  : les hommes n’ont besoin que de la protection de Dieu pour vaincre. À l’origine, la statue se trouvait sur une colonne, ce qui explique la posture de la tête et le regard baissé. Initialement au palais Médicis en 1453, elle est conservée et exposée maintenant au palais du Bargello. Doc. 2. L’architecture de la Renaissance en France

Le château historique de Tanlay est l’un des plus beaux exemples de l’architecture de la Renaissance en Bourgogne. Demeure de la fa• 114

mille de l’amiral de Coligny pendant les guerres de religion, il fut achevé par le surintendant des Finances de Mazarin, et devint, à la fin du xviie siècle, la propriété des marquis de Tanlay. La galerie d’apparat, longue de 21 mètres, est décorée de pilastres et de figures antiquisantes en trompe-l’œil. Elle est représentative de l’influence italienne en France. Doc. 3. La peinture à l’huile

Giorgio Vasari est un artiste toscan proche des Médicis pour lesquels il réaménage le Palazzo Vecchio et construit la Galerie des Offices. Il est surtout connu aujourd’hui pour son travail d’historiographe et son ouvrage Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes italiens de Cimabue à notre temps. Il est le premier à utiliser le terme Renaissance pour qualifier son époque (rinascimento).

• Question 1. Vasari ne consacre que quelques pages de son livre aux peintres flamands et attribue à Jan Van Eyck, sans doute imprudemment, l’invention de la peinture à l’huile. Selon Vasari, cette technique permet de «  donner presque la vie  » aux œuvres de la Renaissance. La supériorité de la peinture à l’huile sur la tempera réside notamment dans la lenteur du séchage qui permet des reprises et des corrections plus aisées. De plus, elle donne aux couleurs plus de brillance et de transparence en facilitant la technique du glacis, c’est-à-dire l’application d’une couche transparente sur une couche plus opaque bien sèche.

• Question 2. Ce texte de Vasari nous apprend que les échanges artistiques entre l’Europe du Nord et les artistes italiens étaient intenses, comme le montre la diffusion de l’innovation de la peinture à l’huile. Vasari connaît les principaux artistes flamands, au moins de réputation. Des œuvres circulent, notamment le triptyque Portinari de Hugo Van der Goes qui parvient à Florence en 1483  : exécuté à Gand, le tableau avait été transporté par bateau à Pise puis acheminé en barque, sur l’Arno jusqu’à Florence. Doc. 4. Le portrait

(Portrait d’un vieillard et d’un jeune garçon, détrempe sur bois de Domenico Ghirlandaio, 62 x 46 cm, vers 1490. Paris, musée du Louvre.)

• Question 1. Surtout célèbre pour ses fresques qui ornent Santa Maria de la Novella à Florence

© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

et la chapelle Sixtine de Rome, Domenico Ghirlandaio peignit aussi de nombreux tableaux. Le Portrait d’un vieillard avec un jeune garçon fait partie de la tradition réaliste de la peinture florentine.

• Question 2. Ce portrait pousse très loin ce réalisme en n’occultant pas les défauts physiques du vieillard, en particulier le nez boutonneux et la peau marquée de rides et de furoncles. Les cheveux gris du personnage renforcent cette impression de réalisme qui n’altère en rien la douceur qui se dégage du tableau, témoignage de la tendresse d’un grand-père envers son petit-fils.

◗ Étude Léonard de Vinci, un artiste italien de la Renaissance � MANUEL, PAGES 184-185 analyse des documents

1. Pour Léonard de Vinci, la perfection de la représentation humaine est un des objectifs essentiels de la peinture. La connaissance de l’anatomie humaine est donc indispensable à la recherche du naturel des postures et de la véracité des mouvements.

2. C’est pourquoi Léonard s’est souvent essayé aux exercices de dissection, particulièrement à partir de 1505 où il semble s’intéresser davantage à l’anatomie qu’à la peinture. Concentrés sur les muscles et les mouvements, ses dessins témoignent d’un réalisme saisissant mais la reproduction de détails anatomiques se limite cependant le plus souvent à la représentation superficielle du corps, de la musculature et de l’ossature. Lorsqu’il se risque à représenter les parties plus profondes de l’anatomie humaine, Léonard commet des erreurs souvent importantes, ce qui les distingue des planches anatomiques d’André Vésale. Après avoir pratiqué l’inventaire des muscles et tendons et en avoir ébauché une topographie humaine, Léonard multiplie les croquis de positions et d’expressions afin de parvenir au plus grand réalisme possible.

3. À la fin du xve siècle, le duché de Lombardie, sans jouir du prestige d’une région comme la Toscane, se développe sous l’impulsion de la dynastie des Sforza. À partir de 1480, Ludovico © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

Sforza entretient à Milan l’une des cours les plus fastueuses d’Italie. On comprend mieux la volonté de Léonard de trouver un protecteur, notamment financier, pour parvenir à mener ses travaux. Cette célèbre lettre au duc de Milan nous montre un Léonard de Vinci habile à vanter ses mérites d’ingénieur militaire. En outre, il s’engage également sur un programme urbanistique pour Milan. Il est vrai que la ville possède alors encore de nombreux espaces disponibles, permettant à Léonard et à d’autres architectes d’imaginer différents plans de cités idéales. Plus prosaïquement, Léonard projette de fondre une gigantesque statue équestre de 70 tonnes, en l’honneur de Francesco Sforza, le père et prédécesseur de Ludovic. Cette statue restera inachevée. Après l’achèvement de la version en argile pour le moule, le bronze prévu pour la statue n’est plus disponible car il a été utilisé pour fondre des canons et défendre la ville contre Charles VIII.

4. La peinture de Léonard de Vinci se distingue d’emblée par le traitement de l’ombre et de la lumière. Sa technique lui permet de magnifier les volumes, mais aussi de théâtraliser ses scènes en jouant des contrastes et en obscurcissant volontairement des parties de ses tableaux. Il met au point notamment la technique du sfumato, consistant à enrober figure et fond d’un voile vaporeux, qui permet de présenter chromatiquement les effets de la perspective et de rendre des effets de transparence des carnations particulièrement frappantes. La plupart de ses œuvres religieuses s’inscrivent dans des paysages imaginaires dont le caractère d’étrangeté est renforcé par la crédibilité géologique et l’exactitude botanique mise en œuvre dans les détails. Toutes ces qualités trouvent leur illustration dans La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne (1509).

5. Si les multiples talents de Léonard impressionnent déjà ses contemporains, Giorgio Vasari a sans nul doute contribué à créer la légende de son génie. Reprenant le principe antique du « kalos kai agathos », le beau et le bon, harmonieusement réunis en une seule personne, il décrit un personnage touché par la grâce divine et l’inspiration créatrice. Pour autant, Vasari n’hésite pas à évoquer les inclinations procrastinatoires du peintre, qui ne parvint pas à terminer de nombreuses œuvres. Giorgio Vasari est d’ailleurs

115 •

bien placé pour évoquer ce défaut. C’est lui qui remplaça une œuvre inachevée de Léonard au Palazzo Vecchio, la bataille d’Anghiari, par une fresque de sa composition. Bilan de l’étude

Léonard de Vinci symbolise la Renaissance car sa vie et son œuvre rejoignent l’idéal d’accomplissement et de perfection par le savoir des humanistes de son temps. Tout à la fois ingénieur et artiste, il est le modèle de ces nouvelles catégories professionnelles émergentes de la Renaissance. Il symbolise, par ses multiples recherches personnelles dans les domaines techniques ou anatomiques, la soif de connaissances des humanistes. Adulé par ses contemporains, courtisé par les princes, Léonard de Vinci est à l’origine d’une production picturale peu abondante, mais qui ne connaît que des chefs-d’œuvre.

◗ Étude Albrecht Dürer, un artiste allemand de la Renaissance � MANUEL, PAGES 186-187 Analyse des documents

1. La gravure sur bois profita de l’invention de l’imprimerie car la renommée d’une édition tenait aussi à la qualité des illustrations qui l’accompagnaient. Les premiers illustrateurs furent allemands et, parmi eux, Albrecht Dürer se distingua rapidement par son talent. C’est d’ailleurs pour ses compétences en gravure qu’Érasme le compare à Apelle, estimant même qu’il est plus difficile de se priver volontairement de la couleur que d’en faire usage. Le document 2 nous livre un exemple de xylogravure. Cette représentation est à la frontière du réalisme et de la mythologie. S’appuyant sur une description faite par un Portugais et le récit de Pausanias, Dürer affuble le rhinocéros d’une corne dorsale et le caparaçonne à la manière d’un soldat. Pour autant, il faut reconnaître que l’animal demeure ressemblant. 2. Le document 4 nous renseigne sur les relations des artistes de la Renaissance avec leurs commanditaires. Lors de son deuxième séjour vénitien à partir de 1505, Dürer est un artiste internationalement reconnu. Artiste mature et influent, il est l’hôte du luxueux palais du banquier • 116

d’Augsbourg, Jacob Fugger. C’est à la demande de la corporation des marchands allemands, qui était l’une des plus influentes communautés étrangères dans les domaines artistiques et éditoriaux, qu’il réalise le grand tableau d’autel de la Fête du Rosaire qui constitue l’une de ses plus grandes œuvres. L’artiste prend conscience de son nouveau statut et, comme il se doit pour un artiste de son rang, il n’hésite pas à réclamer de considérables émoluments.

3. Les séjours vénitiens de Dürer sont de nature différente. Il séjourne une première fois en Italie du Nord à l’âge de 23 ans afin de parfaire sa formation artistique, découvrir les artistes italiens et étudier l’art antique. Ce premier séjour lui permet de mettre à profit ses nouvelles connaissances et d’accroître sa renommée à son retour à Nuremberg. Il revient à Venise en 1505, soucieux d’acquérir la maîtrise des « secrets de la perspective  » que les artistes nordiques ne maîtrisaient qu’imparfaitement. Il rencontre des humanistes et des mathématiciens, comme Luca Pacioli, auteur du célèbre traité d’algèbre De divina proportione. 4. Soucieux de maîtriser proportions et perspective de la plus juste des manières, Albrecht Dürer se passionna très tôt pour les mathématiques et la géométrie. Son œuvre mathématique majeure reste les Instructions pour la mesure à la règle et au compas (1538), qui développe en quatre livres les principales constructions géométriques mais aussi une théorie de l’ombre et de la perspective. On lui doit l’invention du perspectographe, un appareil mécanique permettant de tracer une vue en perspective, représenté sur le document 5. Il s’intéresse également aux sciences du vivant, comme en témoigne la célèbre gravure du rhinocéros. 5. Albrecht Dürer est sans doute l’artiste le plus célèbre parmi ses contemporains des écoles du Nord de la Renaissance.  Il suscita le plus vif intérêt de la part des humanistes de son temps. Érasme lui délivre le plus beau des éloges en affirmant qu’il surpasse le peintre grec Apelle. Il travailla aussi avec Alde Manuce (cf. page 180). Réalisée pendant son séjour à Venise, la Fête du Rosaire était destinée à l’origine à l’autel d’une église vénitienne fréquentée par la communauté allemande. Commandée par le ban-

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quier et marchand Jacob Fugger, le tableau a un contenu qui mêle une dimension religieuse et politique. Parmi les nombreux portraits figurent le banquier d’Augsbourg mais aussi le pape Alexandre VI Borgia et l’empereur Maximilien de Habsbourg, sur la tête duquel la Vierge dépose une couronne de roses. Un peu à l’écart, mais facilement reconnaissable du fait des nombreux autoportraits qu’il réalisa, Dürer se représente lui-même parmi les assistants  : il montre un cartouche rédigé en latin portant sa signature, la date et l’indication du temps passé à l’exécution du tableau, soit cinq mois de travail. La position, haute, que s’attribue Dürer sur ce tableau témoigne de l’importance acquise par l’artiste. Bilan de l’étude

Albrecht Dürer est, à plus d’un titre, exemplaire des artistes de la Renaissance. D’abord graveur, il bénéficie de la diffusion de l’imprimerie pour accroître sa renommée. Son perfectionnisme et sa curiosité naturelle le mènent en Italie sur les traces des artistes de la Renaissance. Il y diver­ sifie ses techniques picturales. Attaché à la notion de perspective, il élabore de nouveaux outils et étudie les mathématiques et la géométrie. Dürer est aussi représentatif des transformations du statut de l’artiste de la Renaissance. Célèbre de son vivant, il travaille pour une riche clientèle de princes et d’hommes d’affaires. Conscient de sa nouvelle importance sociale et culturelle, Dürer multiplie les autoportraits et se peint souvent lui-même sur ses tableaux de commande.

◗ Histoire des Arts Le Jugement dernier de Michel-Ange � MANUEL, PAGES 188-189

1. La superficie de cette fresque, pas moins de 165 m2, témoigne de l’importance de la question du salut dans la religion chrétienne. Les dimensions et la dynamique tourbillonnante de la composition de la fresque provoquent la stupéfaction et la crainte (la «  terribilità  ») du Jugement dernier. L’Église accorde une place importante à ce thème car c’est en suivant son enseignement qu’on peut être sauvé et échapper au destin tragique des damnés.

2. La représentation du Christ est inhabituelle : tout-puissant, il crée, par le mouvement de ses © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

bras, le tourbillon qui entraîne les élus et repousse les damnés. Jésus et les saints sont représentés sous les traits d’hommes aux corps musclés et dénudés, tranchant avec les représentations traditionnelles. L’inspiration antiquisante est ici complétée par la préfiguration du maniérisme. L’irrespect pour les codes classiques de représentation des saints, bien qu’ils soient figurés avec leurs attributs, n’a pas manqué de surprendre les contemporains. Cependant, c’est surtout la nudité des personnages et leur posture tourmentée qui a choqué.

3. Le motif profane omniprésent dans cette fresque est le corps nu. Près de 400 personnages étaient représentés, à l’origine, dans le plus simple appareil. À la Renaissance, la nouvelle conception de l’art repose sur l’imitation de l’Antiquité gréco-. romaine, en particulier du nu, qui réapparaît après plusieurs siècles d’éclipse médiévale.

3. La Réforme, la fin des certitudes religieuses � MANUEL, PAGES 190-191

Doc. 3. Mettre un terme aux guerres de Religion

• Questions 1 et 2. L’édit de Nantes se présente, à l’instar des différents édits pris au cours des guerres de Religion, comme un édit de pacification. Le premier paragraphe de l’extrait fourni insiste sur la volonté de faire table rase après trente années de conflits meurtriers entrecoupés de rares trêves. La postérité du texte tient à l’autorité royale d’Henri IV, qui a su le faire respecter. Les réformés obtiennent la liberté de conscience, une liberté de culte limitée et l’égalité civile avec les catholiques. Le texte leur offre aussi des garanties judiciaires avec la constitution dans quatre villes de tribunaux mi-parties. Ils disposaient enfin d’une centaine de places fortes pour huit ans. L’édit de Nantes est plus avantageux pour les catholiques que pour les protestants, comme d’ailleurs le souligne l’appellation de religion « prétendue » réformée dont les protestants sont ici affublés. Certaines villes se voient interdire le culte protestant. Le royaume reçoit ainsi une structure duale profondément origi117 •

nale, qui fonde en fait une nouvelle organisation sociale. Doc. 4. Les religions en Europe à la fin du xvie siècle

• Questions 1 et 2. Le catholicisme demeure prépondérant en Europe occidentale  : ses trois bastions principaux qui n’ont pas cédé un pouce de terrain à la Réforme demeurent l’Italie, l’Espagne et la Pologne. À l’exception de l’Irlande, les îles Britanniques ont basculé dans le protestantisme, calvinisme rigoriste écossais, ou occidentale : anglicanisme anglais. L’Europe scandinave a également fait le choix de la Réforme. Le cœur de l’Europe est occupé par deux ensembles contrastés. La France demeure largement catholique, mais l’édit de Nantes a défini une situation duale pour le royaume où les protestants sont tolérés. Le Saint Empire est éclaté entre un centre demeuré catholique, à l’exception de la Suisse calviniste, et du Nord luthérien. Ces grands agrégats correspondent à peu près à ceux que l’on peut observer actuellement.

◗ Étude Martin Luther et la Réforme en Allemagne � MANUEL, PAGES 192-193 Analyse des documents

1. Martin Luther a sans doute conçu très tôt ce qui allait devenir le point central de la doctrine réformée. Habité par l’angoisse de son propre salut, Luther rejoint les ermites de Saint-Augustin d’Erfurt, approfondit l’étude de la Bible et se forme à la scolastique. Il est très vite conquis à l’idée que la Bible se suffit à elle-même. Ce principe du « sola scriptura » valorise le rapport intime du chrétien au texte sacré. Ce dernier doit chercher et trouver la foi par l’étude personnelle de la Bible. Il institue que la foi est un don de Dieu, donné à l’homme par les Écritures.

2. Ce principe du « sola scriptura » pouvait mener au principe du sacerdoce universel, évoqué dans le document 1 : « Tous les chrétiens appartiennent vraiment à l’état ecclésiastique. » Les exégèses des Pères de l’Église, des conciles et des papes, deviennent superflues et même nuisibles. L’Écriture l’emporte sur l’autorité du pape. À ce monopole accordé à l’Écriture, Luther ajoute un autre élément de doctrine : si seule l’Écriture peut procurer • 118

la foi, alors le salut ne dépend plus des œuvres. C’est sans doute dans la lecture de saint Bernard que Luther a puisé cette idée que les œuvres ne pouvaient être que gratuites et ne pouvaient assurer le salut. Seule la foi prodigue la certitude du salut (« sola fide »), sans intercession de l’Église. Dès lors, c’est toute la hiérarchie catholique qui se trouve remise en cause, mais aussi son fonctionnement économique : la charité publique, les dons à l’Église, les travaux d’embellissement de l’Église paroissiale ne sont plus nécessaires au chrétien pour obtenir son salut. La querelle des Indulgences cristallise cet affrontement : ces remises de peine, accordées par l’Église pour une action méritante ou une somme d’argent, furent massivement utilisées par les papes pour financer la reconstruction de Saint-Pierre de Rome et contribuèrent à choquer Martin Luther. 3. Le tableau de Lucas Cranach illustre bien les principes luthériens. Nul clergé n’apparaît sur le tableau et aucun saint n’est représenté autour de Jésus. Le pasteur et sa Bible font face au groupe de fidèles sans intercession d’aucune sorte. Le peintre a sans doute volontairement utilisé la prédelle du polyptique, afin de mettre à profit sa forme horizontale pour laisser un espace vierge et insister sur ces nouveaux principes religieux.

4. Après l’affaire des 95 thèses et la condamnation des Indulgences en octobre 1517, la rupture avec Rome devient inévitable. Dès 1520, Luther publie plusieurs ouvrages destinés à préciser sa doctrine (doc. 1) dont la diffusion est facilitée par l’imprimerie et qui rencontrent un grand succès. Recueilli et caché par Frédéric de Saxe au château de Wartburg, après sa mise au ban par l’empereur Charles Quint, Luther traduit le Nouveau Testament en allemand, mettant à la portée de « chaque personne de condition basse et vile » (doc. 4) les débats autour de l’Évangile. La prédication de Luther se diffuse rapidement dans les pays germaniques. Si le message luthérien rencontre un public de plus en plus nombreux, il peut surtout compter sur l’appui de villes (Erfurt, Constance, Magdebourg, Brême…) et celui de quelques princes allemands. Le princeélecteur de Saxe, Frédéric le Sage, puis son fils Jean-Frédéric offriront un soutien et une protection indéfectible à Luther et à ses proches disciples. Conscient de la nécessité de l’appui des princes, Luther désavoue les troubles agraires et © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

prend le parti de la répression lors de l’épisode de la guerre des Paysans de 1524-1525.

5. Pour l’ambassadeur Tiepolo, Vénitien et catholique, le protestantisme constitue un sujet d’indignation. La prédication luthérienne est assimilée à une forme de séduction, allusion limpide à Satan. Il est frappant de constater que c’est la dimension populaire du luthéranisme qui choque l’aristocrate vénitien. Il déplore même que les femmes se mêlent des Écritures. Les peuples, plus faciles à séduire, s’égarent et suivent Luther, ce qui pour Tiepolo les sépare de la communauté des chrétiens. Bilan de l’étude

La réforme de Martin Luther s’inscrit dans le contexte des nouvelles aspirations religieuses du xve  siècle. La recherche d’une foi plus simple, d’une relation plus directe entre les chrétiens et les Écritures l’amène à la rupture avec l’Église de Rome. La réforme luthérienne s’appuie sur deux piliers fondamentaux  : d’abord, une fréquentation plus directe des Écritures, seule source de la Vérité et de la foi, ce qui conduit les luthériens à refuser le culte des saints et à ne pratiquer que deux sacrements. Ce rapport direct à la Bible conditionne le sacerdoce universel, qui fait l’économie d’un clergé spécialisé, médiateur entre Dieu et les hommes. La réforme luthérienne rompt durablement l’unité du christianisme européen.

◗ Étude Jean Calvin et la diffusion de la Réforme � MANUEL, PAGES 194-195 analyse des documents

1. Pour Calvin, comme pour Luther, c’est la «  sainte Parole  » qui permet aux hommes de parvenir au salut. La foi est le signe de la grâce gratuitement accordée par Dieu. Calvin introduit la notion de prédestination dans sa doctrine du salut  : Dieu sait d’avance qui sont les damnés et qui sont les élus. Cet élément doctrinal pouvait sembler pessimiste et décourageant à ses contemporains mais Calvin précisa dès 1552 que la foi sincère, révélée par la lecture de la Bible, était la garantie de la miséricorde divine.

2. C’est dans l’organisation de l’Église réformée que Jean Calvin prend ses distances avec le modèle © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

luthérien. Après son séjour à Strasbourg, il s’installe pour la seconde fois à Genève où il rédige les Ordonnances ecclésiastiques, qui organisent l’Église genevoise avec ses docteurs, ses diacres, son consistoire et ses pasteurs. Les docteurs fixent le dogme, les diacres s’occupent des pauvres et les pasteurs évangélisent, comme en témoigne l’extrait du catéchisme du document 1. Le consistoire est une institution collégiale chargée de la morale des fidèles et qui dispose des moyens de punir les fidèles qui ne respectent pas les Ordonnances. Si ce n’est pas un pouvoir théo­cratique qui s’impose alors à Genève, puisque les institutions civiles ne sont pas confondues avec le consistoire, il n’en demeure pas moins que l’intransigeance dogmatique de Calvin et la surveillance pointilleuse du consistoire attisent les tensions dans la ville.

3. Construit en six mois en 1564, Le Temple du Paradis à Lyon, peint par Jean Perissin vers 1565, s’organise autour d’un plan plus ou moins circulaire. Le bâtiment comprend trois escaliers à deux volées donnant accès aux tribunes intérieures, avec des galeries tout autour. La chaire du pasteur occupe le centre de l’édifice et des bancs sont répartis tout autour. On remarque les banquettes confortables pour les personnages importants de la communauté, la séparation des hommes munis de leur épée et des femmes, la présence des enfants, le sablier destiné à limiter le temps de parole du prédicateur. La disposition de l’édifice permet de mettre en lumière le rôle du plan centré, qui met en relation très proche le ministre du culte et l’assemblée. Cette disposition en amphithéâtre est fréquente dans les temples protestants où la sobriété et l’austérité l’emportent. Aucune décoration religieuse ne vient troubler la relation du pasteur et de la communauté. À l’étage, la tribune est éclairée par des lucarnes. Un décor intérieur sur les murs de la galerie supérieure présente des cartouches avec les armes du roi et celles de la ville. L’existence de ce temple fut éphémère : il est détruit dès 1567, à la veille de la seconde guerre de Religion.

4. Calvin compare la situation des protestants en terre catholique à celle des Hébreux en Égypte ou à Babylone, c’est-à-dire réduits à la captivité et à l’esclavage. Il condamne fermement le nicodémisme, c’est-à-dire la dissimulation par les protestants de leurs convictions religieuses et leur participation aux rituels catholiques, qualifiés dans 119 •

le texte d’« ordures ». L’intransigeance calviniste le conduit à préférer le martyr dans la Gloire de Dieu à une « vie caduque et transitoire ».

5. Le tableau du document 3 est une représentation partiellement imaginaire du « sac » de 1562.La vue d’ensemble est une reconstitution d’une place typiquement Renaissance par les bâtiments qui la bordent, mais qui ne correspond à aucun quartier lyonnais. La ville n’a d’ailleurs pas été mise à sac au sens strict, à l’exception des églises et des couvents. Ces scènes de pillage sont ici représentées : le butin est transporté sur des affûts de canon au premier plan. Au deuxième plan, un personnage semble distribuer ou mettre en vente les étoffes et objets de culte pillés dans la grande église de droite. Enfin, au troisième plan au centre du tableau, on peut supposer que les « idoles » catholiques sont brûlées sur un bûcher. Contrairement au tableau de François Dubois en ouverture de partie, l’artiste représente une violence religieuse ciblée sur les édifices et les objets de culte. Pour autant, il ne s’agit pas d’une euphémisation volontaire, la destruction des objets de culte constituant un motif d’épouvante suffisant pour les catholiques de l’époque.

Bilan de l’étude

Jean Calvin a beaucoup contribué à la diffusion du protestantisme d’abord par ses pérégrinations. Picard, il séjourne à Strasbourg et à Genève et mène donc une vie internationale. Il a inlassablement précisé la doctrine protestante, en particulier la doctrine du salut. Sa doctrine de la double prédestination affirme que Dieu a déjà choisi les élus et les damnés et que, par conséquent, la pratique des œuvres est superflue et que seule la foi, signe d’élection, sauve. Soucieux de doter les protestants d’une organisation solide, il organise une Église calviniste à Genève qui sera le modèle des Églises calvinistes européennes. Les imprimeries de Genève diffusent les textes de Calvin et l’Académie de Genève, dirigée par le Français Théodore de Bèze, forme les pasteurs de l’Europe entière.

◗ Méthode Analyser une œuvre d’art � MANUEL, PAGES 196-197 1. Présenter l’œuvre

Cette peinture a été commandée par le pape Léon X pour décorer le palais pontifical du Vatican à Rome. • 120

Raphaël évoque ici l’incendie qui a ravagé le quartier du Borgo à Rome en 847. Le héros de la fresque est le pape Léon IV, il aurait arrêté l’incendie par un simple geste de bénédiction. L’œuvre a été peinte en 1514, à un moment où Rome est un des foyers majeurs de la Renaissance artistique grâce aux grands chantiers pontificaux. Raphaël (1483-1520) est appelé à Rome en 1508 par le pape Jules II qui lui demande de décorer quatre stanze ou chambres du palais du Vatican. Dans la première chambre, la stanza della Segnatura (chambre de la Signature, 15091511), il peint la célèbre École d’Athènes, qui représente un forum de philosophes antérieurs au christianisme et présidé par Platon et Aristote. Après la mort du pape Jules II en 1513, et l’accession de Léon X, l’influence et les responsabilités de Raphaël augmentent. Il est nommé architecte en chef de la basilique Saint-Pierre en 1514, et, un an plus tard, directeur de toutes les fouilles d’antiquités de Rome. En raison de ces nombreuses activités, il ne réalise qu’une partie de la troisième chambre du palais du Vatican, la stanza dell’Incendio (chambre de l’Incendie, 1514-1517). 2. Analyser l’œuvre

La fresque est une technique artistique consistant à peindre à l’eau sur un mur enduit de mortier frais. Avec cette technique, la peinture doit être exécutée avec rapidité tant que le plâtre reste frais et humide. Le premier plan est beaucoup plus sombre, à gauche du spectateur le rouge et le noir prédominent, c’est le lieu du drame, de l’incendie. Le second plan est plus lumineux, les couleurs sont plus claires, c’est le lieu du miracle, de l’intervention divine par l’intermédiaire du pape. Chaque personnage possède son individualité, les objets sont facilement reconnaissables grâce à la précision du trait et au souci du détail. Le peintre attache un soin particulier au rendu de l’anatomie des corps (muscles…) ou du drapé des tissus. L’expression et l’attitude des personnages du premier plan donnent une grande tension dramatique à la scène : des fuyards pris de panique s’échappent du brasier (une femme qui tente de sauver son enfant, un jeune homme qui sauve un vieillard…), un groupe de Romains tente avec l’énergie du désespoir d’éteindre l’in© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

cendie par tous les moyens, une femme à genoux réclame l’intervention du pape. Au premier plan, on distingue des colonnades de style gréco-romain. En revanche, à l’arrière-plan, les bâtiments sont de style roman et semblent dater du Moyen Âge. Les personnages 1 et 2 montrent que pour peindre cette fresque Raphaël et ses élèves se sont inspirés du Jugement dernier de Michel-Ange. La division du tableau en trois parties est soulignée par la présence de colonnes. À gauche, sont figurés l’incendie et un groupe de Romains en fuite, ainsi que des personnages qui tentent d’éteindre le brasier. Le centre du tableau est consacré au miracle, c’est-à-dire à l’intervention du pape et à un groupe de personnes en prière. L’interaction des gestes et des regards relie les trois scènes, donne une impression de mouvement et rend les personnages plus vivants. Pour donner de la profondeur au tableau, des lignes de fuite organisent la composition du tableau. Elles convergent vers un point situé au centre de la toile. Les auteurs de la fresque ont

© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

aussi pris soin de peindre en plus grand les personnages et les objets du premier plan. 3. Interpréter l’œuvre

Les éléments montrant que cette fresque est typique des œuvres de la Renaissance sont : – l’emploi des techniques de la perspective ; – la présence d’éléments architecturaux de l’Antiquité ; – la recherche du beau idéal dans la peinture d’un corps humain aux justes proportions ; – la composition très structurée en trois parties. En attribuant un miracle au pape, cette peinture réaffirme qu’il est bien le représentant de Dieu sur Terre et donc le digne descendant de saint Pierre, principal apôtre du Christ et premier évêque de Rome. Le xvie siècle est une période de crise pour l’Église catholique, le clergé est très critiqué et en particulier l’autorité du pape. Ces virulentes critiques donnent naissance en 1517 à la Réforme.

121 •

Chapitre

9

Un nouvel esprit scientifique et technique (xvie-xviiie siècles) � MANUEL, PAGES 198-215

◗ Présentation de la question

Les bouleversements scientifiques, de Copernic à Newton, n’ont pas échappé à leurs contemporains, comme en témoignent les rapports souvent difficiles que les savants ont entretenus avec les Églises. Dès le xviiie siècle, les philosophes des Lumières rendent des hommages appuyés aux précurseurs de la science moderne, polémiquant parfois avec violence, comme Voltaire, sur les mérites de chacun. Porter attention à cette période où se constituent les règles de la science et/ou se délitent les conceptions antiques et mystiques du monde est indispensable à la formation des élèves. Jusqu’à la fin du xixe siècle, l’histoire des sciences se cantonne à un catalogue de découvertes réalisées par de grands hommes géniaux et permettant d’assurer la marche linéaire vers le progrès humain. Cette conception positiviste n’a plus cours et on ne conçoit plus aujourd’hui l’histoire des sciences comme un empilement de découvertes. Évoquer la «  science  » à l’époque moderne constitue d’ailleurs une imprudence de langage qu’il nous faut éclairer. Si science il y a, ce ne peut être qu’au terme de notre période d’étude. En effet, l’époque moderne est celle de la construction de la scientificité. Au xvie siècle, le terme de savant est plus approprié que celui de scientifique. À partir du xviie siècle, se tracent progressivement les frontières entre science et non-science, mais les plus grands savants de l’époque peinent parfois à distinguer ces limites en cours d’élaboration  : Johannes Kepler pratique l’astrologie, Isaac Newton est féru d’alchimie. Autant de contradictions éclairantes qui doivent être partagées avec les élèves. La science se construit et s’identifie progressivement par ses méthodes. Galilée est le premier physicien moderne mais c’est à Francis Bacon et René Descartes qu’il revient de définir les premiers principes de méthodologie scientifique. Il faudra près de deux siècles pour que • 122

la science s’appuie sur une méthodologie à peu près indiscutée.

La notion de «  révolution scientifique  » est souvent utilisée pour cette période, que ce soit à l’égard de Copernic et Galilée ou même de Newton. Le terme peut être trompeur et doit être utilisé avec prudence. La révolution scientifique n’est jamais une réfutation brusque et brutale du paradigme constituant la science normale, c’est-à-dire acceptée par tous. Dans la période qui nous occupe, le paradigme aristotélicien n’est remis en cause que progressivement par une chaîne de savants qui cherchent à résoudre les anomalies de fonctionnement de la science normale et provoquent ainsi une crise d’interprétation du monde. Entre Copernic et Newton, il convient de montrer les réfutations partielles mises en œuvre par Giordano Bruno, Johannes Kepler, Galileo Galilei, Blaise Pascal, qui chacun ont contribué à la destruction de l’édifice aristotélo-ptoléméen communément admis. Si la révolution scientifique substitue un paradigme à un autre, il convient d’éviter de présenter le nouveau paradigme comme définitif. Il fera aussi l’objet de nouvelles contradictions et limites. La recherche physique ne s’achève pas avec Isaac Newton… ni même avec Albert Einstein. Durant l’époque moderne, la science se constitue en tant que science et se sépare vigoureusement de la magie et du charlatanisme. La distinction avec le développement technique est plus délicate et les liens restent étroits entre recherche fondamentale et application technique. Songeons à Galilée polissant les lentilles de ses lunettes ou Newton inventant le télescope. Denis Papin appartient à cette catégorie hybride de savant et technicien qui sont les ancêtres des ingénieurs du xixe siècle. Enfin, faire l’histoire des sciences et des techniques, c’est aussi prendre en compte le contexte social, culturel et politique qui permet l’émergence de nouvelles formes de scientificité et © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

la naissance du nouveau cadre de pensée de l’homme moderne. La question de la diffusion des savoirs, de leur progressive acceptation comme nouvelle norme explicative du monde ne saurait être écartée d’une histoire des sciences qui n’est plus seulement celle des découvertes.

Mazauric Simone, Histoire des sciences à l’époque moderne, A. Colin, collection U, Paris, 2009. Blay Michel et Halleux Robert (dir), La Science classique xvie-xviiie siècles, dictionnaire critique, Paris 1998. Cohen Bernard, Les Origines de la physique moderne, Seuil, Points Sciences, 1993. Mandrou Robert, Des humanistes aux hommes de science, Seuil, 1973. Taton René, La Science moderne de  1450 à 1800, Quadrige, PUF, 1995. Histoire des sciences et des techniques, Historiens et géographes, n°  407, juillet-août 2009. Histoire des sciences et des techniques, Histo­ riens et géographes, n° 409, janvier-février 2010.

– Sur le tableau de Vermeer : http://www.essentialvermeer.com/catalogue/astronomer.html – Sur l’astronomie moderne : http://www.cite-sciences.fr/cs/Satellite?c=Page &cid=1195216649412&pagename=Portail%2F GRU%2FPortailLayout&pid=1195216502897 http://www.canal-u.tv/producteurs/universite_de_tous_les_savoirs/dossier_programmes/ les_conferences_de_l_annee_2005/physique/ la_physique_fondamentale/la_gravitation http://expositions.bnf.fr/ciel/arretsur/sciences/ index.htm h t t p : / / w w w. c i e l e t e s p a c e r a d i o . f r / galilee_en_proces_.511 – Sur les machines à vapeur : http://library.thinkquest.org/C006011/english/ jsites/steam_thomas_savery.php3?v=2 http://www.arts-et-metiers.net/musee.php?P=17 5&lang=fra&flash=f&id=35 – Sur l’invention du mètre : http://www.metrologie-francaise.fr/fr/histoire/ histoire-mesure.asp – Sur les scientifiques des Lumières : http://expositions.bnf.fr/lumieres/ http://aura.u-pec.fr/duchatelet/

Ouvrages spécialisés

Filmographie complémentaire

◗ Bibliographie Ouvrages généraux

Galileo Galilei, Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, Seuil, Points Sciences, 1992. Galileo Galilei, Écrits coperniciens, Livre de poche, 2004. Maury Jean-Pierre, Galilée, le messager des étoiles, Gallimard, Paris, 1986, éd. 2005. Maury Jean-Pierre, Newton et la mécanique céleste, Gallimard, Paris, 2005. Balibar Françoise, Galilée, Newton lus par Einstein Espace et relativité, PUF, Philosophies réed. 2008. Guedj Denis, Le Mètre du monde, Livre de Poche, 2000. Sites internet

– Deux portails très complets sur l’histoire des sciences : http://www.science.gouv.fr/fr/ressources-web/ bdd/t/5/web/histoire-des-sciences-et-techniques/ http://brunelleschi.imss.fi.it/museum © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

Galilée ou l’amour de Dieu, Jean-Daniel Verhaeghe, 2005. Agora, Alejandro Amenàbar, 2010 (pour l’explication du cosmos ptoléméen et des éléments de physique aristotélicienne). Vermeer le grain de lumière, d’Alain Jaubert, 1989.

◗ Ouverture de chapitre Doc. 1. De la naissance d’un nouvel esprit scientifique… (L’Astronome, huile sur toile de Johannes Vermeer, 1688. Paris, musée du Louvre.)

Ce tableau de Johannes Vermeer représente un savant étudiant le globe de Hondius et le livre de l’astronome flamand Adrian Metius, De l’exploration et de l’observation des étoiles. On attribue souvent au frère de cet astronome, Jacob, l’invention de la lunette astronomique, qui a révolutionné l’observation du ciel au début du xviie siècle. Ce cabinet d’études évoque aussi 123 •

l’exercice solitaire de la recherche du savoir par les premiers savants humanistes. Quant au livre de Metius, il est symboliquement ouvert au chapitre III, qui conseille la recherche de la vérité par «  l’inspiration de Dieu  » et par les mathématiques, tandis qu’au mur est représentée une scène de la vie de Moïse, évocation de la recherche de la connaissance. L’artiste représente donc un idéal de savant, conciliant foi chrétienne et recherche de vérité scientifique. Doc. 2. … aux innovations techniques qui en découlent

La machine à vapeur est le parfait exemple du développement scientifique et technique de l’époque moderne. Elle est le fruit d’interrogations scientifiques fondamentales sur l’existence du vide et les propriétés de la pression atmo­sphérique, qui, dès le xviie siècle, ont passionné Torricelli, le disciple de Galilée, puis le père Mersenne et surtout Pascal. Par la suite, de géniaux expérimentateurs, comme l’allemand Otto von Guericke, démontrent la possibilité d’obtenir des effets moteurs à partir du vide. Dès lors s’enchaînent les tentatives européennes de construire une machine capable de convertir la chaleur en énergie mécanique. Au début du xviiie siècle, la pompe à feu de Newcomen supplante ainsi rapidement celle de Savery dans les mines anglaises pour remplacer les chevaux qui assuraient alors le pompage des mines. Elle est remplacée par la machine de James Watt, rapidement après son invention en 1769.

◗ Étude Galilée, pionnier de l’astronomie moderne � MANUEL, PAGES 200-203 Analyse des documents

A. De Copernic à Galilée � MANUEL, PAGES 200-201

1. La différence fondamentale tient au basculement d’un système géocentrique à un système héliocentrique. Même si des systèmes héliocentriques ont déjà fait l’objet d’hypothèses dans l’Antiquité, en particulier par Aristarque de Samos, l’univers géocentrique est depuis près de 1500 ans accepté comme la norme du savoir. Le système d’Aristote et Ptolémée organise l’univers autour de la centralité terrestre, autour de • 124

laquelle s’agencent les mouvements des corps célestes y compris du Soleil. Il s’appuie aussi sur une dichotomie fondamentale entre le monde sublunaire, corruptible et changeant, et le monde supralunaire, parfait et immuable. Dans le système géocentrique, l’univers est fini et limité par la sphère des étoiles fixes. Les corps célestes se déplacent sur des orbites circulaires, seule figure géométriquement parfaite. Au fil de ses observations, l’astronome Claude Ptolémée a complexifié son système afin d’expliquer les mouvements apparemment inexplicables des planètes. Ajoutant des épicycles, le système géocentrique s’est trouvé de plus en plus alourdi mais toujours incapable d’expliquer les observations des mouvements des planètes (mot dont l’étymologie grecque renvoie à la notion d’errance ou de déplacement aléatoire). À partir de 1512, le chanoine Nicolas Copernic essaie de trouver une explication logique aux déplacements visiblement incohérents des planètes et aux variations lumineuses de Mars. Il propose alors un système héliocentrique, où la Terre n’est plus qu’une planète parmi d’autres, qui tourne autour du Soleil en un an. Le terme de «  révolution copernicienne » est utilisé par Kant dans la Critique de la raison pure (1781) pour illustrer le changement radical de paradigme scientifique que propose l’astronome polonais. Pour autant, si révolution scientifique il y a, Copernic ne fait pas table rase du savoir des Anciens.  Pour lui, l’univers reste fini et il reste attaché à l’idée des trajectoires circulaires des orbes célestes. Le nouveau système proposé par Copernic explique le mouvement journalier du Soleil et des étoiles par la rotation terrestre et permet de résoudre certaines difficultés d’explication sur le mouvement des planètes.

2. Au xvie siècle, on croit fermement que la Terre est immobile et la théorie du géocentrisme est la règle universelle. Le témoignage des sens est invariablement appelé à la rescousse pour défendre cette vision. Les astronomes peuvent observer le mouvement des planètes dans le ciel et tous leurs contemporains peuvent ressentir la sensation d’immobilité de la Terre. Dès lors, proposer un système s’appuyant sur la rotation diurne et annuelle de la Terre, contredisant ainsi le témoignage élémentaire des sens, est d’une audace scientifique remarquable. © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

3. Les origines de la lunette astronomique demeurent obscures. René Descartes en attribue l’invention au Flamand Jacques Metius mais d’autres hypothèses sont parfois proposées. C’est en 1609 que Galilée construit une première lunette qui grossit 6 fois. Cette invention marque un tournant dans la vie de Galilée et dans celle de l’histoire de l’astronomie. Le 21  août, il la présente au Sénat de Venise. La démonstration a lieu au sommet du campanile de la place SaintMarc et enthousiasme le doge en raison de ses possibles applications militaires. La lunette permet surtout de réaliser de nouvelles observations astronomiques. Ainsi, Galilée découvre les satellites de Jupiter, ce qui permet d’enlever au système Terre-Lune son caractère exceptionnel. Il observe les montagnes et les vallées lunaires et découvre les taches solaires, montrant ainsi l’imperfection du monde supralunaire  : un dogme aristotélicien s’écroule. Ces découvertes sont présentées par Galilée dans le Sidereus Nuncius (Le messager des étoiles) dès 1610.

4. Galilée ouvre la voie à la méthode expérimentale, fondée sur l’observation et l’expérimentation qui sera au cœur de la révolution scientifique du xviie siècle. Toutefois, il s’appuie aussi parfois davantage sur ses intuitions scientifiques a priori que sur l’observation, comme en témoignent les «  expériences de pensée  » qu’il reconnaît implicitement ne pas avoir eu besoin de prouver par l’expérimentation. B. Galilée face à l’Église catholique � MANUEL, PAGES 202-203

5. Dès 1533, Copernic évoque sa thèse héliocentrique. Parmi les protestants, Rheticus défend l’héliocentrisme tandis que Luther et Melanchton s’y opposent vigoureusement. De même, l’Église catholique est partagée. Les évêques de Capoue et de Chelm encouragent pourtant Copernic à publier son ouvrage. L’astronome polonais a la prudence de proposer son système « ex hypothesis », c’està-dire comme une simple hypothèse destinée à simplifier les calculs astronomiques et non comme une réalité factuelle. Cet artifice diplomatique permet à l’ouvrage de circuler librement même s’il ne rencontre guère de succès et que les idées coperniciennes demeurent minoritaires et méprisées. À la fin du xvie siècle, l’astronome Tycho Brahé propose même un compromis entre les deux systèmes, © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

à savoir une Terre immobile et centrale et toutes les autres planètes tournant autour du Soleil. En 1597, Galilée enseigne à l’université de Padoue et aucun universitaire ne s’est encore officiellement proclamé copernicien. Il cherche alors un soutien auprès de l’astronome Johannes Kepler avant d’entrer dans la bataille scientifique que son caractère frondeur et polémique lui impose d’engager.

6. Le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde est considéré comme le tout premier ouvrage de physique moderne. Publié par Galilée en 1632, le projet avait reçu l’aval du cardinal Bellarmin à condition de respecter l’équilibre de présentation des deux systèmes, géocentrique et héliocentrique. Mais, en dépit de ces protestations de neutralité, Galilée livre un dialogue socratique qui favorise la thèse de l’héliocentrisme et la remise en cause de la physique aristotélicienne. La forme dialoguée rend l’ouvrage vivant et très pédagogique, ce qui lui permet de connaître un grand succès mais expose aussi Galilée aux foudres de l’Église catholique en dépit de la confiance que Galilée plaçait dans le pape Urbain VII avec lequel il avait entretenu des relations amicales avec son élection comme pape en 1623. 7. Les démêlés de Galilée avec l’Église catholique sont complexes et s’inscrivent dans la durée. Dès 1616, ses audaces héliocentriques le désignent à la vindicte des jésuites qui ont adopté le système de Tycho Brahé et refusent les remises en cause de la physique aristotélicienne et surtout aux dominicains de l’Inquisition qui vont devenir ses plus farouches adversaires. Appelé à Rome, Galilée se voit interdire d’enseigner la thèse copernicienne, qui est déclarée absurde et hérétique par le représentant de l’Inquisition, le cardinal Bellarmin, déjà interrogateur de Giordano Bruno en 1600. La publication du Dialogue déclenche la colère de l’Inquisition. On reproche à Galilée de ne pas avoir respecté les termes de l’accord de 1616 et de défendre l’héliocentrisme comme une réalité et non une hypothèse. L’immobilité du Soleil est hérétique car formellement contredite par l’Écriture sainte. Galilée est condamné, son livre est interdit et il est contraint d’abjurer ses thèses. Le prestige international de Galilée le protège sans doute d’une condamnation au bûcher et son ancien ami, le pape Urbain VIII, commue sa peine en résidence surveillée dans sa villa d’Arcetri. 125 •

Les universités catholiques n’enseigneront l’héliocentrisme qu’en 1822. En 1992, Galilée est partiellement réhabilité par le pape Jean-Paul II. 8. Pour Galilée, la Bible n’a pas été écrite dans le but de nous révéler la vérité des phénomènes de la nature. Il considère que la Bible doit parfois être interprétée de manière métaphorique et qu’on ne saurait utiliser l’épisode du livre de Josué où ce dernier arrête la course du Soleil comme une démonstration de vérité géocentrique. En cela, il décide d’interpréter l’Écriture sainte, ce qui le place en contradiction avec les décisions du concile de Trente qui réserve cette possibilité aux seules personnes autorisées. De plus, il semble subordonner l’interprétation de la Bible aux certitudes de la philosophie naturelle, c’est-à-dire la physique. Bilan de l’étude

Au xviie  siècle, science et religion entretiennent des rapports complexes. Le catholicisme romain n’interdit pas, bien au contraire, la curiosité scientifique. De nombreux savants, de Nicolas Copernic au père Mersenne, appartiennent à l’Église catholique. Tous font profession d’une foi solide, Galilée le premier d’entre eux. Pourtant, la remise en cause progressive par les savants des dogmes aristotélo-ptoléméens, adoptés par le catholicisme depuis plus d’un millénaire, va aboutir à une confrontation que symbolisent les procès de Giordano Bruno ou de Galilée. L’Église catholique s’arc-boute sur un paradigme physique et astronomique que les nouvelles méthodes de la science écornent un peu plus chaque jour, comme en témoigne la lutte contre les théories héliocentriques. Condamné à l’abjuration et au silence, Galilée est le symbole de cette difficulté à concilier orthodoxie religieuse et découvertes scientifiques au xviie siècle.

1. Des humanistes aux hommes de science � MANUEL, PAGES 204-205

Doc. 1. Johannes Kepler (1571-1630) (Huile sur toile, vers 1620. Strasbourg.)

Scientifique mais aussi mystique, le personnage de Kepler suscite la méfiance de beaucoup de ses contemporains, comme René Descartes. Johannes Kepler est un savant situé à la char• 126

nière de la révolution scientifique du xviie siècle. Reprenant les travaux de Brahé, il devient un astronome réputé mais est aussi féru d’astro­ logie judiciaire, qu’il pratique toute sa vie. Il va décrire les lois du déplacement des planètes qui serviront de point de départ à la théorie newtonienne de l’attraction. Précocement rallié au système de Copernic, Kepler énonce trois lois fondamentales qui contribuent à remettre en cause la physique d’Aristote et le système ptoléméen. Dès 1605, la première loi décrit le mouvement elliptique, et non plus circulaire, des planètes. La seconde loi décrit les variations de la vitesse orbitale en fonction de l’éloignement du foyer de l’ellipse : la vitesse de la planète est plus élevée quand elle est proche du Soleil, plus lente quand elle s’en éloigne. C’est la plus importante avancée scientifique depuis Copernic. Une troisième loi complète en 1618 la thèse de Kepler. Doc. 2. La leçon d’anatomie (Frontispice d’un ouvrage d’anatomie, xvie siècle.)

• Question. L’année même où Copernic publie son De revolutionibus, le médecin André Vésale, universitaire puis médecin de Charles Quint, publie le De humani corporis fabrica. Ce célèbre traité d’anatomie repose sur la pratique des dissections qui devient alors une procédure classique de recherche médicale mais aussi d’enseignement. L’Église catholique ne s’oppose alors pas à la dissection de cadavre humain. Contrairement aux temps médiévaux, c’est l’observation des corps et leur dissection qui priment maintenant sur la tradition livresque de Galien et d’Avicenne, progressivement remise en cause. La chirurgie, jusqu’alors considérée comme un art mécanique, acquiert peu à peu ses lettres de noblesse. La voie tracée par Vésale est suivie par d’autres savants comme le professeur d’anatomie anglais John Banister ou l’Italien Realdo Colombo. Doc. 3. « Soumettre la nature à la question »

• Questions 1 et 2. Francis Bacon (1561-1626) est un philosophe et homme politique anglais. Si son apport scientifique est faible, il a contribué à définir une nouvelle méthodologie fondée sur l’expérimentation. Dans son Nouvel Organon (le terme Organon désigne les traités de logique d’Aristote), Bacon préconise de ne plus prendre appui sur les livres des Anciens mais de ne s’ap© Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

puyer que sur l’expérimentation en mettant en place des dispositifs spécifiques, afin de valider ou invalider une hypothèse. Il reproche aux savants de son temps leur manque de rigueur dans l’expérimentation et surtout la confusion entre l’expérience des sens et l’expérimentation scientifique qui doit être une forme de torture de la nature. Mis en œuvre par Pascal lors de ses expériences sur le vide, les principes de Bacon ont contribué à instaurer les règles de la recherche scientifique moderne et c’est à ce titre qu’il est célébré par les philosophes des Lumières. Dans son Dictionnaire philosophique, Voltaire en fait le précurseur de la théorie de la gravitation de Newton. Doc. 4. Sciences et vie de cour (Descartes à la cour de la reine Christine de Suède, huile sur toile de Pierre Louis Dumesnil, xviiie siècle. Musée national du château de Versailles.)

Ce tableau de Pierre Louis Dumesnil représente une scène imaginaire. Si René Descartes a bien été le précepteur de la reine Christine de Suède, ce qui lui coûta la santé puis la vie, cette dernière ne rencontra pas le père Mersenne. Le tableau célèbre autant le génie scientifique français que la conversion au catholicisme de la reine Christine. Au second plan, une expérience sur le vide illustre l’une des plus importantes controverses du xviie siècle. Les « plénistes », fidèles aux principes aristotéliciens selon lesquels la nature a horreur du vide, s’opposent à Pascal qui tranche la question par l’expérimentation. Les plénistes, jésuites et cartésiens, n’en demeurent pas moins persuadés de l’existence d’une «  matière subtile  » qu’on ne peut observer par le moyen de l’expérience.

◗ Étude L’aventure de la vapeur au xviiie siècle � MANUEL, PAGES 206-207 Analyse des documents

1. Denis Papin est l’héritier des recherches qui ont agité le xviie siècle. Les propriétés de l’air, de la pression atmosphérique et du vide font l’objet de toutes les attentions depuis les expériences de Torricelli jusqu’à celles de von Guericke. En 1673, Huygens le prend comme assistant. Ils échouent à créer du vide en brûlant de la poudre © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

à canon. Papin ne se décourage pas. Il perfectionne la pompe à vide de Guericke et invente le « Digesteur », ancêtre de notre Cocotte-Minute. Il s’intéresse à la possibilité d’engendrer du vide par la condensation de la vapeur d’eau et parvient à créer le premier cylindre-piston en 1690.

2. L’œuvre de Papin reste celle d’un précurseur et d’un expérimentateur plus que celle d’un pionnier de la mise en pratique. La première machine opérationnelle sera celle de Thomas Savery en 1698. Elle permet de pomper l’eau des mines de charbon anglaise ; ce qui lui vaut le surnom de «  miner’s friend  ». Toutefois, le rendement est modeste et le risque d’explosion de la machine est encore trop important. En 1712, la machine de Newcomen permet un bond qualitatif important. L’efficacité de sa machine dépend de la quantité de vapeur admise dans le cylindre et non plus de la pression de cette vapeur. Fonctionnant à basse pression, la machine de Newcomen ne risque guère d’exploser mais elle reste fortement consommatrice d’énergie. Pendant les décennies suivantes, la machine à vapeur ne connaît plus que des améliorations de détail. C’est James Watt qui introduit de nouvelles innovations majeures en 1769. Il est donc maladroit de vouloir désigner un inventeur unique de la machine à vapeur. La mise au point et l’utilisation des machines à vapeur dépendent de grappes d’innovations qui ont été portées par des ingénieurs et des entrepreneurs nombreux et de toutes nationalités.

3. James Watt (1736-1819) introduit une innovation majeure en 1769 puis ne cesse d’améliorer sa machine jusqu’en 1798. Employé à l’université de Glasgow, où il est chargé de l’entretien des instruments scientifiques, il s’initie aux règles fondamentales de la thermodynamique. Lors d’une réparation d’une pompe à feu de Newcomen, il améliore le rendement de la machine en inventant le condenseur. Le refroidissement ayant lieu dans un récipient à part, le cylindre reste chaud. Ce procédé permet d’éviter la déperdition d’énergie consécutive au refroidissement du cylindre, qu’il fallait auparavant réchauffer longuement pour obtenir à nouveau la température requise. Ces premières machines ne produisent aucun mouvement de rotation, elles puisent de l’eau et

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la rejettent sur une roue qu’elles entraînent. La machine consomme, à travail égal, simplement beaucoup moins de charbon que la pompe de Newcomen. En 1783, James Watt met au point une machine à double effet : le cylindre reçoit dorénavant la vapeur alternativement par le bas et par le haut. Le mouvement de va-et-vient continu du piston est communiqué au balancier. Watt transforme les mouvements alternatifs du balancier en mouvement de rotation par des leviers articulés (parallélogramme de Watt, 1784) puis uniformise le mouvement grâce à un régulateur à boules. La machine à vapeur est devenue un véritable moteur.

4. La machine à vapeur est d’abord utilisée pour évacuer l’eau des mines de charbon, en particulier avec les machines de Savery puis surtout de Newcomen. La machine à vapeur participe aussi à la mécanisation de l’industrie textile à partir de 1787 mais son usage ne se généralise que dans les années 1820. Elle permet donc une augmentation de la production de matières premières et de produits industriels. Très vite, la possibilité de transformer le mouvement de translation du piston en mouvement de rotation ouvre de nouvelles applications. En 1770, l’ingénieur militaire français Joseph Cugnot fait le premier essai de son fardier, un chariot d’artillerie propulsé par une machine à vapeur à deux cylindres. En dépit de sa capacité au transport de charges lourdes, le fardier n’est pas capable de remplacer efficacement les chevaux et il reste à l’état de prototype. La machine à vapeur connaît un développement plus rapide dans la navigation, d’abord fluviale. En 1807, Robert Fulton ouvre une première ligne de transports de passagers par bateaux à vapeur sur la rivière Hudson entre New York et Albany. La machine à vapeur donne une nouvelle liberté à la navigation. En 1819, le Savannah est le premier voilier à vapeur à traverser l’Atlantique. La mobilité des hommes et des marchandises est ainsi rendue plus facile. 5. La machine à vapeur permet le développement de la première industrialisation. D’abord diffusée en Angleterre, cette innovation accorde à l’économie anglaise un avantage éminent et participe à la mise en place de la division inter• 128

nationale du travail comme nous l’apprend le témoignage émerveillé, et inquiet, de Faujas de Saint-Fond. Bilan de l’étude

S’appuyant sur les découvertes de la science fondamentale dans les domaines de la pression atmosphérique et de l’élasticité de la vapeur d’eau, de nombreux savants ont contribué à mettre au point des machines à vapeur de plus en plus perfectionnées. Devenues de véritables moteurs, ces machines ont transformé la vie quotidienne des hommes du xviiie siècle. De cette révolution technologique ont découlé une révolution productive et une révolution des transports, qui participent de la révolution industrielle qui s’épanouit au xixe siècle.

2. L’effervescence scientifique et technique au xviiie siècle � MANUEL, PAGES 208-209

Doc. 1. Isaac Newton (1642-1727)

Cette gravure représente l’une des plus célèbres expériences d’Isaac Newton sur la décomposition de la lumière sur laquelle Newton gardera le silence pendant cinq ans avant de publier les résultats. À l’aide de prismes, Newton remet en cause les vieilles idées d’Aristote sur la nature de la lumière et des couleurs. Il prouve que la lumière n’est pas blanche et que les couleurs ne résultent pas de son affaiblissement, mais que la lumière blanche du soleil est un mélange de lumière de toutes les couleurs. Ce document nous renseigne sur la méthode newtonienne, faite du primat total accordé à l’expérimentation, appuyée sur des protocoles rigoureux. Une méthode construite en partie en opposition aux principes du cartésianisme. Doc. 2. Deux conceptions de la physique

• Questions 1 et 2. Exilé à Londres en 1726, Voltaire y fréquente les cercles newtoniens. De retour en France, il devient le plus ardent défenseur du newtonisme dans un royaume encore tout acquis aux fondamentaux du cartésianisme. Dans les Lettres philosophiques, publiées en 1733, il prend parti pour Newton contre Descartes dans quatre lettres différentes. La quatorzième est la plus célèbre. Voltaire y moque la frontière scientifique qui sépare l’Angleterre de © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

la France en deux univers physiques distincts. Dans le domaine astronomique, Descartes s’oppose aux partisans du vide et décrit des planètes mues par des tourbillons de matière subtile, invisible aux sens humains tandis que Newton décrit des planètes qui se meuvent dans le vide. Sur le plan géodésique, newtoniens et cartésiens s’accordent à penser que la Terre n’est pas une sphère parfaite mais divergent sur sa déformation. Pour les cartésiens, la terre est aplatie à l’équateur sous l’effet des tourbillons de matière subtile qui la mettent en mouvement. Pour les newtoniens, elle est aplatie aux pôles sous l’effet de la force centrifuge de son mouvement diurne. Il faudra deux expéditions périlleuses au Pérou et en Laponie à partir de 1735, menées par La Condamine et Maupertuis afin de calculer un degré de méridien, pour donner raison à Newton. Dans le domaine de la physique, Newton théorise la force centripète de la gravitation universelle et en donne une formulation mathématique. Toutefois, il ne parvient pas à expliquer la cause de cette attraction des corps. Descartes répugne à accepter le principe d’une attraction à distance, qui ressemble à un phénomène magique, et estime nécessaire une impulsion physique pour déclencher le mouvement d’un corps. Finalement, tout semble opposer Descartes et Newton, en particulier leur méthode scientifique. Le savant français incarne une méthode fondée sur la déduction a priori à partir de quelques principes métaphysiques. Le savant anglais est fidèle au modèle scientifique de Francis Bacon, empiriste et inductif. Toutefois, il faut se garder de forcer le trait et prendre en compte les intentions polémiques et militantes de Voltaire, féroce critique de Descartes. Doc. 3. Portrait d’un grand savant (Portrait de Monsieur de Lavoisier et sa femme, huile sur toile de Jacques Louis David, 1788. New York, Metropolitan Museum.)

• Question. Issu d’une famille fortunée, Antoine Laurent de Lavoisier est un grand commis de l’État, en tant que fermier général puis contrôleur général des Finances. Il est surtout un savant des Lumières à l’origine de nouvelles découvertes et de nouvelles méthodes en chimie. Il pourfend la théorie du phlogistique (avec l’aide de son épouse Marie-Anne Pierrette Paulze) et participe à la découverte de l’oxygène et de la © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

composition de l’air et de l’eau. Élu à l’Académie des sciences en 1768, il en devient le directeur en 1785. Il met en œuvre une nouvelle nomenclature chimique destinée à simplifier les dénominations de produits chimiques. À la veille de la Révolution française, la recherche scientifique reste souvent l’apanage d’un petit nombre de nantis, susceptibles de recevoir la meilleure éducation et de consacrer une grande partie de leur vie à la recherche. Doc. 4. La girafe

Au xviiie siècle, les sciences du vivant connaissent de grands progrès sous l’impulsion de grands naturalistes comme Réaumur ou de grands botanistes comme Linné. Nommer et classer le vivant devient un objectif primordial des savants du siècle. Le comte de Buffon fait paraître à partir de 1749 son Histoire naturelle en 36 volumes, qui traite aussi bien de botanique que de zoologie et dont certains jugements prêtent parfois aujourd’hui à sourire. Ainsi la girafe est qualifiée par Buffon : «  Un des premiers, des plus beaux, des plus grands des animaux, et qui sans être nuisible, est en même temps des plus inutiles. » La girafe est aussi l’animal emblématique de la théorie du transformisme, qui préfigure celle de l’évolution. Pour le naturaliste Jean-Baptiste de Monet de Lamarck (1744-1829), le besoin de brouter le feuillage détermine l’allongement du cou de la girafe, et cette caractéristique acquise se transmet d’une génération à l’autre. Doc. 5. Le mètre, une nouvelle unité de mesure

• Question. L’objectif de l’Assemblée constituante est d’unifier les poids et mesures, en accord avec une revendication populaire largement exprimée dans les cahiers de doléances. Par souci d’universalité, les savants décident que le mètre sera la dix millionième partie du quart de méridien terrestre. L’aventure du calcul du mètre peut alors commencer. Il faudra sept ans à Jean-Baptiste Joseph Delambre (1747-1822) et à Pierre-François Méchain (1744-1804) pour effectuer les opérations de triangulation pour mesurer le méridien de Dunkerque à Barcelone. Le mètre est officiellement proclamé en 1799.

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◗ Étude La diffusion des sciences � MANUEL, PAGES 210-211 Analyse des documents

1. Au xviiie siècle, les savants reçoivent le soutien des monarques et de la noblesse. Dès la fin du xve siècle, les premières académies savantes étaient apparues en Italie, en particulier à Florence sous l’impulsion de Marsile Ficin en 1462. Au xvie siècle, le mouvement académique se développe et se structure. Les académies se dotent de règles de fonctionnement précises, comme l’académie des Lynx fondée à Rome en 1603 et à laquelle appartient Galilée. Mais ce sont encore des initiatives privées qui ne survivent guère à leur mécène. L’académie des Lynx disparaît en 1630 à la mort du prince Cesi. En France, il faut attendre le xviie siècle pour voir émerger un phénomène équivalent à celui de l’Italie. Mais la monarchie française s’intéresse peu au mouvement académique, hormis la fondation de l’Académie française en 1635. Pendant la première moitié du siècle, les scientifiques français s’organisent librement sans contrôle politique fort. En 1635, le père Mersenne fonde une académie scientifique vouée aux mathématiques et plusieurs nobles parisiens ouvrent leurs hôtels particuliers à des réunions de savants. La deuxième moitié du xviie siècle est marquée par l’institutionnalisation des académies. La Royal Society est fondée en 1660 à Londres, mais les rapports de la monarchie anglaise et de la Royal Society restent discrets. En France, c’est Colbert qui décide de fonder l’Académie des sciences à Paris en 1666 et de donner un rayonnement international à cette nouvelle institution en recrutant et pensionnant les savants étrangers Huygens et Cassini. Il crée aussi un Observatoire dont la construction commence en 1667 et qu’on distingue à l’arrière-plan du tableau d’Henri Testelin. En 1699, Louis XIV accorde un règlement précis et un financement complet à l’Académie qui devient l’Académie royale des sciences. Les cercles scientifiques privés s’étiolent. À la même époque, la noblesse de cour se pique toujours davantage de sujets scientifiques et certains savants, comme l’abbé Nollet, ouvrent des cours publics, y compris aux femmes. La science devient une mode. • 130

2. Le document 1 évoque le rôle considérable tenu par la marquise du Châtelet dans la diffusion de la physique newtonienne en France. Mathématicienne, Émilie du Châtelet a été l’un des plus brillants esprits de son temps. Au xviiie  siècle, Leibniz et Newton ont inventé le calcul infinitésimal, ouvrant ainsi de nouvelles possibilités de recherche et de résolution de problèmes. Le but de l’Académie est de cultiver les sciences astronomiques, géographiques, mathématiques et physiques. Elle distingue les «  physiciens  » qui se préoccupent d’anatomie, de zoologie et de botanique et les « mathématiciens », c’est-à-dire les astronomes, mathématiciens et physiciens. Sur le tableau d’Henri Testelin (doc.  2), ces nombreux domaines scientifiques sont suggérés. À droite, un globe céleste accompagné d’un quadrant, derrière lesquels on peut apercevoir diverses cartes déroulées sur la table et présentées au roi. Parmi celles-ci, se trouve une carte de la lune, dessinée par Cassini en 1679. Le bâtiment de l’Observatoire achève de suggérer l’importance de la discipline astronomique. À l’arrière-plan, des squelettes d’animaux évoquent les recherches en sciences du vivant. Enfin, sur la droite du tableau, on remarque une grande carte murale déroulée et présentée par deux hommes dont l’un est juché sur une échelle du fait de la grande taille de la carte murale. Cette carte est peut-être un plan du canal du Midi, construit entre 1665 et 1681 par PierrePaul Riquet. L’effervescence scientifique est telle au xviiie  siècle et touche toutes les branches de la science que les Encyclopédistes forment le projet de créer un arbre généalogique des sciences. 3. Newton a écrit son principal ouvrage en latin. La marquise du Châtelet l’a traduit en français, le rendant ainsi accessible au plus grand nombre. De plus, elle a ajouté à l’ouvrage un livret permettant ainsi d’expliquer un livre dont la langue mathématique est particulièrement ardue. Scientifique de talent, Émilie est aussi une médiatrice entre les savants de son temps et le «  grand public  » pour lequel elle se livre à un brillant exercice de vulgarisation.

4. Au xviiie siècle, les scientifiques diffusent leurs travaux de plus en plus largement.  Bénéficiant © Nathan. Histoire 1re Le Quintrec, 2010

du soutien des monarques et de l’intérêt de la noblesse, ils se professionnalisent toujours davantage et publient des ouvrages dont le succès est parfois considérable comme en témoignent la Cyclopædia d’Ephraïm Chambers (1728) ou le projet d’Encyclopédie, en partie portée par le mathématicien d’Alembert. Les expériences publiques attirent toujours plus de monde. C’est particulièrement vrai pour les essais d’aérostation.

5. L’élargissement du lectorat scientifique s’illustre notamment par la traduction du livre de Newton du latin au français. Un nouveau public, avide de savoirs, mais non latiniste, réclame au xviiie siècle des livres en français. La marquise du Châtelet a aussi accompagné le texte de Newton d’un livret explicatif facilitant la compréhension de cette œuvre difficile. D’un public savant, les sciences se diffusent en direction d’une noblesse curieuse d’expériences amusantes ou troublantes. Ce sont ici l’expérimentation et les travaux pratiques qui permettent de toucher un public curieux mais peu formé aux subtilités de la science moderne. Enfin, les expériences publiques se multiplient en particulier dans le domaine des aérostats où les démonstrations de vol sont très populaires. étude du bilan

Au xviiie siècle en France, les académies savantes s’étiolent au profit d’une Académie royale voulue par la monarchie centralisatrice. Codifiées et institutionnalisées, les pratiques scientifiques se diffusent. Le goût pour les sciences se développe dans la société et trouve notamment son expression dans les importants travaux d’Émilie du Châtelet. Les philosophes des Lumières publient des ouvrages de vulgarisation à destination d’un lectorat toujours plus large. La pratique de l’expérimentation se généralise et s’accompagne d’expériences publiques amusantes ou fascinantes.

◗ Exercices � MANUEL, PAGES 214-215 1. Faire le point : de grands hommes ouvrent de nouveaux horizons

a. Galilée, cf. p.  200. b. Calvin, cf. p.  194. c.  Newton, cf. p.  208. d. Luther, cf. p.  192. e. Dürer, cf. p. 186. f. Vasco de Gama, cf. p. 162. © Nathan. Histoire 1 Le Quintrec, 2010 re

2. Renaissance artistique et humanisme

1. Léonard de Vinci était un ingénieur qui a « imaginé » des machines de guerre (chars munis de faux). Il a mené des recherches scientifiques sur l’anatomie en n’hésitant pas à disséquer des cadavres. Enfin, il a peint des tableaux d’une grande originalité.

2. Michel-Ange fut aussi un homme aux talents multiples : sculpteur, peintre, architecte, poète et ingénieur en fortifications.

3. La connaissance de l’anatomie permet aux artistes d’atteindre le beau idéal, c’est-à-dire les proportions parfaites du corps humain représenté. 4. Léonard de Vinci est un véritable humaniste parce qu’il veut s’affirmer en maîtrisant la nature  : «  J’ai voulu dompter le monde.  » Cette foi en l’homme passe par la soif de savoir avec comme objectif suprême de «  comprendre le mystère de la nature humaine ». 3. Histoire des Arts : le portrait

1. Cf. p. 182, C).

2. Quentin Metsys (né en 1466 à Louvain, mort en 1530) est un peintre flamand, fondateur de l’école d’Anvers. Ce qui caractérise la peinture de Metsys est la richesse des couleurs et un réalisme marqué par la rigueur des contours et le soin pour le détail, ce qui parfois favorise le grotesque.

3. La peinture présente le buste d’une femme âgée. Elle porte une coiffe somptueuse à motifs floraux, ornée d’un bijou d’or et de pierres précieuses. Tout dans sa tenue dénote une grande élégance et une grande richesse (les bagues aux doigts), sa robe d’un décolleté profond met en valeur sa poitrine. Cette élégance contraste avec la laideur du visage, les rides profondes, les traits masculins et la tête hypertrophiée… C’est ce contraste entre l’effort pour plaire et l’aspect repoussant de cette femme âgée qui produit l’effet grotesque.

4. Le souci du détail se révèle par exemple par le soin que prend l’artiste à rendre les plis du vêtement, les lacets du corsage ou les motifs floraux de la coiffe. Les traits du visage, les doigts de chaque main, le rendu de la peau sont aussi soignés ; les yeux sont très expressifs. 5. La peinture à l’huile.

6. Cf. doc. 4 p. 183, p. 186. 131 •

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