Magazine

May 27, 2016 | Author: ebrahimi21 | Category: Types, Brochures
Share Embed Donate


Short Description

Magazine...

Description

AFRIQUE CFA : 3200 CFA – ALLEMAGNE : 5,30 € – ANTILLES FRANÇAISES : 4,20 € – AUTRICHE : 5,50 € – BELGIQUE : 4,50 € – CANADA : 7,30 $ CAN – ESPAGNE : 4,50 € – GRÈCE : 4,50 € – GUYANE FRANÇAISE : 4,20 € – ISRAËL : 27 ILS – ITALIE : 4,50 € – LUXEMBOURG : 4,50 € – MAROC : 38 DH – MAYOTTE : 4,50 € – NOUVELLE-CALÉDONIE : 750 XPF – PAYS-BAS : 4,50 € – POLYNÉSIE FRANÇAISE : 750 XPF – PORTUGAL CONT. : 4,50 € – RÉUNION : 4,20 € – SUISSE : 6,20 CHF – TUNISIE : 5,50 TND

Le retour d’une grande puissance La Perse, l’islam et l’Occident

DOSSIER SPÉCIAL

BERTRAND RIEGER/HEMIS.FR POUR « LE POINT ». ÉLODIE GRÉGOIRE POUR « LE POINT »

L 13780 - 2274 - F: 4,00 €

BRUCKNER LES VERTUS DE L’ARGENT

www.lepoint.fr Hebdomadaire d’information du jeudi 7 avril 2016 n° 2274

Le nouvel

Iran

Ø

Le tramway jaune avance lentement

L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

La CGT et le FN, c’est blanc bonnet et bonnet blanc François Fillon a trouvé le meilleur slogan de campagne en déclarant, dimanche, qu’il fallait « casser la baraque » pour « reconstruire autrement » la France. Nous sommes en effet arrivés au bout d’un système à la ramasse qu’incarnent parfaitement la CGT et le FN, leurs alliés objectifs et leurs idiots utiles. Preuve qu’il y a une justice en France, la CGT vient de perdre son procès contre l’auteur de ces lignes, qu’elle accusait de « complicité d’injures publiques » pour avoir notamment écrit cette évidence : que la centrale était au syndicalisme ce que le FN était à la politique. Un « boulet national » et une « exception française ». Nous persistons. A un bémol près. On peut tout reprocher au FN, mais, contrairement à la CGT, pas d’avoir mis à terre un certain nombre d’entreprises par intransigeance et déni de réalité. De Goodyear à la SNCM, longue est la liste des victimes de la confédération, qui bénéficie néanmoins d’avantages en tout genre, notamment grâce à ce grand fromage qu’est la formation professionnelle, aux performances très relatives. Sans parler de juteux comités d’entreprise, « gérés » comme on sait. Passons. Là sont les seules grandes différences. Que la CGT ose récuser toute comparaison avec le FN révèle son aveuglement : leur combat commun contre la loi Travail montre bien leur complicité idéologique. Pour reprendre le mot de Jacques Duclos, ex-figure papelarde du stalinisme à la française, ces deux-là, c’est « blanc bonnet et bonnet banc ». Comme la gauche de la gauche et la droite de la droite, la CGT et le FN ont les mêmes marqueurs idéologiques : le souverainisme, l’antiaméricanisme, la germanophobie, la russophilie, le protectionnisme, le laxisme budgétaire, la phobie de la « mondialisation libre-échangiste » et la haine compulsive de l’Europe, d’où viendraient tous nos maux. Tous sont des chantres du repli sur soi et du retour en arrière chantés, de surcroît, par une paresseuse mode médiatique. L’imposture de la gauche de la gauche est apparue avec éclat à l’occasion de la crise des migrants, pendant laquelle son silence fut assourdissant. Si elle avait eu une âme au lieu d’être un ramassis de petits calculs médiocres, elle aurait tenté de porter la cause de tous ces damnés de la terre, prêts à tout pour échapper aux couteaux des égorgeurs de l’«Etat islamique ». Face à tant de malheur, l’ultragauche n’a cependant pas bougé un doigt pour manifester, comme autrefois, sa

compassion ou sa solidarité. C’eût été trop lui demander. Occupée à maintenir le statu quo social qui crucifie la France, elle s’est tenue cyniquement à distance de cette déferlante, comme le FN. Toute honte bue, elle laisse aujourd’hui l’Europe renvoyer les réfugiés syriens ou afghans dans l’enfer turc dirigé par un mégalomane, massacreur de Kurdes, ce qui permettra à ses proches de se faire de l’argent sur le dos des déportés comme ils s’en font déjà sur le pétrole de l’« Etat islamique ». La CGT et le FN sont les deux faces du même mal français qu’incarnent tout aussi bien le NPA de M. Besancenot, les « frondeurs » du PS, Mme Aubry, les médias bien-pensants et j’en passe – M. Mélenchon, bien plus intelligent, étant à part. Attachée à conserver son fonds de commerce du chômage de masse et la misère sur laquelle elle prolifère, la fausse gauche est sur la même ligne que l’extrême droite sur les questions sociales et économiques. Plus la France va mal, plus elle doit persévérer dans la voie qui la mène à sa perte : telle est à peu près la « stratégie » naufrageuse que nous proposent de conserve la CGT, le FN et tous leurs compagnons de route. Convenons qu’elle remporte un certain succès, notamment chez les jeunes, si l’on en juge par le taux de remplissage des manifestations. La nouvelle doxa est bien incarnée par l’« économiste » Jacques Sapir. Un avant-gardiste, ancien proche du Front de gauche de M. Mélenchon passé chez les souverainistes de M. Dupont-Aignan. Volontiers complotiste, il n’hésitera pas à imputer à de prétendus diktats de Bruxelles la loi El Khomri première version, alors qu’elle avait seulement pour objet de sortir la France du chômage de masse que ne connaissent ni l’Allemagne ni la Grande-Bretagne. Une grande alliance souverainiste est-elle possible ? L’an dernier, M. Sapir l’appelait de ses vœux en rappelant que le FN avait changé. D’une grande habileté, Mme Le Pen a en effet semé partout des cailloux qui portent aujourd’hui, si l’on ose dire, leurs premiers fruits. Cette coalition moins hétéroclite qu’il y paraît nous enchaîne dans un déclin mortifère. Le prochain président devra donc l’affronter de face, sans pitié, surtout si, comme le plaide François Fillon, il veut mettre en œuvre un « choc de libération » de l’économie et de « désintoxication de la dépense publique » (1), pour réduire le chômage et relancer la croissance comme l’investissement. Oui, décidément, il faudra « casser la baraque » ! § 1. Interview au Figaro des 2-3 avril 2016.

Le Point 2274 | 7 avril 2016 | 7

SOMMAIRE2274

Des Sarkozy papers aux Hollande papers

L

8 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

40 Le nouvel Iran

30 Les derniers jours du quinquennat

64 Le shopping des Immortels

70 Télécoms : dans les coulisses de l’opération « Jardiland »

115 Pascal Bruckner réhabilite le Veau d’or

106 Le meilleur de la mode femme

84 L’histoire secrète des Guns N’Roses

SIBERT/COSMOS - ALLARD/RÉA (x2) - STUCIN/PASCO - ILLUSTRATION DUSAULT/LE POINT - MAZUR/WIREIMAGE/GETTY - INDIGITALIMAGES - DR

’affaire devrait faire du bruit. Des chefs d’Etat français ont dissimulé à l’opinion des faits explosifs. Abusant des possibilités offertes par les paradis verbaux, ils ont soigneusement caché que la France vivait au-dessus de ses moyens, que les 35 heures étaient un poison pour l’économie et que le droit du travail asphyxiait les PME. Camouflant ainsi un immobilisme coupable, ils ont affaibli la croissance et ont soustrait au PIB des dizaines de milliards. Les recettes de l’Etat en ont été durement affectées. Les hausses d’impôts qu’ils ont mises en œuvre dans des lois fiscales touffues et opaques ont également entraîné des sorties de capitaux. Usant de montages d’une complexité extrême conçus par des juristes inventifs, ils ont par ailleurs adopté des réformes fumeuses qui aboutissent aujourd’hui à la baisse des montants des retraites. Même les régimes dits « spéciaux » (départ à 50 ans pour les conducteurs de locomotives !) coûtent encore plus cher qu’auparavant, malgré les fanfaronnades d’un ancien président qui prétendait avoir mis fin à ce scandale. Indignés par ces turpitudes, quelques lanceurs d’alerte, dont François Fillon avec son « Je suis à la tête d’un Etat en faillite », en 2007, et Emmanuel Macron, qualifiant de « Cuba sans le soleil » le programme de son candidat lors de la campagne de 2012, ont permis à la vérité d’éclater au grand jour. Des clés USB, remplies de données recueillies par un collectif d’investigation nommé Cour des comptes, ont circulé sous le manteau avant que leur contenu ne soit divulgué au grand public. Désormais, les chefs d’Etat concernés sont en mauvaise posture. Des manifestations ont lieu sous leurs fenêtres… Non, tout cela est un rêve. Réveillez-vous, nous sommes en France ! La lâcheté de nos dirigeants a beau coûter bien plus cher que les fraudes et manigances révélées par l’affaire des Panama Papers, elle ne provoque aucune révolte. A l’inverse, c’est contre les débris de la loi El Khomri que manifeste Nuit debout. A dormir debout, vraiment… § Etienne Gernelle

40

BRUCKNER LES VERTUS DE L’ARGENT

www.lepoint.fr Hebdomadaire d’information du jeudi 7 avril 2016 n° 2274

Iran

DOSSIER SPÉCIAL

BERTRAND RIEGER/HEMIS.FR POUR « LE POINT ». ÉLODIE GRÉGOIRE POUR « LE POINT »

Le nouvel

Le retour d’une grande puissance La Perse, l’islam et l’Occident

11 12

L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert La chronique de Patrick Besson Editoriaux : Pierre-Antoine Delhommais, Nicolas Baverez, Jean-Michel Blanquer

16

LE POINT DE LA SEMAINE Nadine Morano-Nicolas Sarkozy : le secret de leur réconciliation

7

Exposition : dans l’œil d’Apollinaire Exposition : meurtre au palais Cinéma (« Fritz Bauer, un héros allemand ») : le juge et le nazi 93 Cinéma (« Le livre de la jungle » ) : ayez confiance ! 94 Récit (N. Bly) : elle a battu le record de Phileas Fogg 96 Autobiographie : Knausgaard, le nouvel existentialiste 97 Romans : en mémoire de nos pères 98 Récit (P. Constant) : une fable africaine ? 98 Roman (C. Orban) : comme une libellule dans un tourbillon… 100 Brèves 88 90 92

TENDANCES Gastronomie : Björn Frantzen, à Stockholm 104 Vins : bordeaux très bons et pas chers 105 Auto : le Salon Top Marques de Monaco 106 Mode 110 Marché de l’art 111 Bridge & Mots croisés 102

C

M

J

36 38

FRANCE Les derniers jours du quinquennat Les fabricants de ruine, par Pierre-Antoine Delhommais Brèves

54 58 62

EN COUVERTURE Le nouvel Iran Quand la révolution dévore les enfants de Khomeyni Téhéran : le pont de tous les désirs Retour à Ispahan Brèves monde

64 68

SOCIÉTÉ Le shopping des Immortels Mon épée, par Marc Lambron

40 50

70 76 78

ÉCONOMIE Télécoms : dans les coulisses de l’opération « Jardiland » Brèves Spécial seniors

82

SCIENCES Pier Vincenzo Piazza, le chercheur qui défie les lois de l’addiction

84

CULTURE Rock : l’histoire secrète des Guns N’Roses

112

115 115 118 122

Le bloc-notes de Bernard-Henri Lévy LE POSTILLON Les nouveaux colonialistes, par Sébastien Le Fol Pascal Bruckner réhabilite le Veau d’or Michael Sandel : les leçons politiques de la star de Harvard Kamel Daoud : le crash du tapis volant

« Le Point » et ses éditions régionales www.lepoint.fr Hebdomadaire d’information du jeudi 7 avril 2016 n° 2274

SAINT-MAUR

Les tribus

Les pénichards, les jardiniers, les Portugais, les fous d’aviron, les juifs… Rencontre entre voisins pénichards.

MARTA NASCIMENTO/RÉA

30

Le Point is published weekly by Société d’exploitation de l’hebdomadaire Le Point-Sebdo – 1, boulevard Victor, 75015 Paris, France. The US subscription price is $ 200. Airfreight and mailing in the USA by : IMX, C/O USA Agent, Cargo Bldg. 141, Suite 115-117, J.F.K. Int’ l Airport, Jamaica, NY 11430. Periodical postage pending at Jamaica Post Office 11431. US POSTMASTER : send address change to : IMX, C/O USA Agent, Cargo Bldg. 141, Suite 115-117, J.F.K. Int’ l Airport, Jamaica, NY 11430. Copyright Le Point 2016 - PRINTED IN FRANCE - entre les p. 122-123 : une couverture + 16 p. Saint-Maur (quantité partielle) ; un encart de 8 p. Verdun jeté (q. partielle) ; un encart abonnement jeté (ventes).

CM

MJ

CJ

CMJ

N

Une autre façon de voir la vie.

Consommations mixtes (l/100 km) : 4,4/6,3. Rejets de CO2 (g/km) : 115/149 (données homologuées conformément à la Directive 80/1268/EEC amendée). Ford France, 34, rue de la Croix de Fer - 78122 St-Germain-en-Laye Cedex. SIREN 425 127 362 RCS Versailles.

ford.fr

Frère Christian Patrick Besson

LAURENT DENIMAL/OPALE/LEEMAGE

A

nnoncé au dos du livre : « Christian Giudicelli est (…) membre du Comité de lecture des Editions Gallimard. » En littérature, ce comité représente une sorte de tribunal ultime. C’est l’équivalent de la Cour suprême pour les Etats-Unis. Tout condamné aura le manuscrit refusé. Giudicelli ne signifie-t-il pas, en langue corse, petit juge ? Christian a donc fini par intégrer la magistrature. Il porte la pourpre et l’hermine avec un air débonnaire, ses jugements n’en étant pas moins tranchés. Entré presque par hasard, à la fin du siècle dernier, dans cette maison internationalement connue pour être celle de Marcel Proust et de Daniel Pennac, il en est devenu un des piliers. Chaque mardi après-midi, sa demi-journée de présence, il tient salon au deuxième étage de l’hôtel particulier de l’ancienne rue Sébastien-Bottin, aujourd’hui Gaston-Gallimard. Défilent dans son petit bureau – dans l’édition, plus un bureau est petit, plus la personne qui l’occupe est importante – jeunes écrivains et vieux auteurs. Virevoltant, malgré d’évidentes difficultés à se mouvoir, d’un invité à l’autre, Christian distribue bons mots piquants et remarques acidulées. Parmi mes préférés : « Simenon : la preuve qu’un génie peut être bête », « “Anna Karenine”, c’était trop long », « Malraux, la barbe ! »… Dans le monastère Gallimard, frère Christian, sous le regard auguste et bienveillant du père supérieur Antoine, met de l’animation culturelle. Fort en danse, incollable en art (son dada : les peintres des Ballets russes), admirable en théâtre, inouï en opéra, le frère, dont chacun accepte en silence la faiblesse peu religieuse pour les tartes Tatin et les cheese-cakes, est un numéro de Télérama à lui seul. Que dis-je ? La collection complète. Son dernier livre sera-t-il son livre dernier, comme le Jugement du même nom ? « La planète Nemausa » (Gallimard, 17,90 €) est un requiem comme on en compose quand on a deux fois l’âge de Mozart. On y respire l’air frais des cimetières en

hauteur, par exemple celui de Montreuil. L’auteur revient sur ses passants, titre de son précédent recueil de souvenirs paru chez le même éditeur en 2007. D’abord, son enfance à Nîmes. Les fils uniques deviennent écrivains pour s’inventer des frères et des sœurs – dans le cas de Christian, surtout des frères – avec lesquels ils joueront dans le jardin de la fiction. Christian est un petit garçon à qui une mère cévenole craintive et un père corse résigné n’ont pas appris à faire du vélo et ont interdit de monter sur une motocyclette. Du coup, il montera sur les vélos et les motocyclettes de ses amis devenus bientôt ses petits amis. Giudicelli nous rappelle, avec ce sourire un peu narquois et ce regard à la fois aigu et lointain qui ne quittent jamais son style, que l’excitation sexuelle, chez l’être humain, ne commence pas à l’âge de 18 ans et 1 minute. La sexualité chez l’enfant et l’adolescent, après avoir été découverte par Freud, a été recouverte par les ligues de vertu. Giudicelli nous en expose calmement les charmes, bien plus grands à ses yeux que les dangers. « La planète Nemausa » peut se lire comme le récit d’une homosexualité heureuse, légère, sans complexes et sans ténèbres, presque banale : une sorte d’hétérosexualité moins la pension alimentaire. Encore que. Après Nîmes, Paris. Pendant cinquante ans. Il en arrive, des choses, en cinquante ans, même aux gens à qui il n’arrive rien. En mettant le sexe de côté, on se retrouve quand même avec une belle addition de rencontres. Christian nous relate, avec des roucoulements de plaisir, sa carrière théâtrale en France et à l’étranger (« Première jeunesse », joué dans treize pays). Ainsi que ses entretiens, pour France Culture, avec les plus grands écrivains du XXe siècle. Il a interrogé tout le monde, comme un inspecteur de la Stasi. Il ne sait pas faire la cuisine, mais il cuisine bien ses interlocuteurs, avec une fausse douceur qui, en fait, est vraie §

Christian Giudicelli.

« Dans le monastère Gallimard, frère Christian, sous le regard bienveillant du père supérieur Antoine, met de l’animation culturelle. » Le Point 2274 | 7 avril 2016 | 11

ÉDITORIAUX

L’interminable affaire de la « cagnotte »… par Pierre-Antoine Delhommais

L

a France est un pays aux mœurs économiques étranges, dont les habitants parlent une langue insolite où les mots n’ont pas la même signification qu’ailleurs. Où le profit est quasi synonyme de délit et de spoliation du bien public, où un découvert moins important que prévu est considéré comme un revenu qu’il convient de dépenser immédiatement. Il a suffi que Michel Sapin annonce que le déficit public avait été ramené en 2015 à 3,5 % du PIB, contre 3,8 % initialement annoncé – en grande partie grâce à la baisse des taux d’intérêt –, pour que le mot de « cagnotte » refasse son apparition. C’est Jacques Chirac qui fit la découverte, il y a plus de seize ans, de ce concept jusqu’alors inconnu en comptabilité publique, qui inventa ce bel oxymore budgétaire d’excédent dans le déficit. C’était le 14 juillet 1999. « Nous avons depuis deux ans de la croissance. Une croissance inespérée, même, qui fait que nous avons énormément d’argent qui entre dans les caisses », avait-il expliqué ce jour-là. Avant d’ajouter, histoire de bien mettre dans l’embarras son Premier ministre de cohabitation, Lionel Jospin : « Il faut tout le talent du ministère des Finances pour masquer le phénomène. Il faut rendre aux Français une part de ce que l’on leur a pris. » Le feuilleton de la « cagnotte » venait de commencer. Il allait rebondir le 5 février 2000 lorsque Le Monde en révélait en une le

montant caché et faramineux (65,97 milliards de francs), trois fois supérieur aux estimations qui circulaient. Pas de chance, le quotidien s’était totalement planté dans ses calculs. Dès le lendemain, avec une honnêteté louable et surtout un admirable sens du rebond, son directeur de la rédaction, Edwy Plenel, présentait ainsi ses excuses aux lecteurs : « Ce débat, auquel nous avons maladroitement voulu contribuer, est essentiel. Loin de relever d’une querelle d’apothicaires sur quelques milliards de francs en plus ou en moins, il pose la question du bon usage de la croissance retrouvée. » Le Monde, à l’époque si influent et redouté, ne lâcha pas l’affaire et accusa Bercy de vouloir affecter en catimini, sans débat démocratique, le surplus de recettes fiscales à la réduction du déficit. Le combat fut violent. Sans trouver trop d’alliés, le gouverneur de la Banque de France, Jean-Claude Trichet, tenta d’expliquer qu’il était insensé de s’interroger sur la façon de dépenser un argent qui n’existait pas puisque la France était en déficit. Le premier secrétaire du PS, un certain François Hollande, proposa, dans une synthèse habile des différents courants de son parti, que la cagnotte soit utilisée pour « une baisse d’impôts comprise et perceptible par le contribuable » et « un renforcement des

« Déjà avec Chirac, en 2000, on est tombés dans le panneau, on ne va pas y tomber deux fois », explique Michel Sapin.

Les Munch découvrant le montant de leur taxe d’habitation. 12 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

ILLUSTRATION JEAN POUR LE POINT

… ou comment l’Etat dépense allègrement un argent qu’il n’a pas. Comme d’habitude.

services publics là où ils sont nécessaires ». « En matière de baisse d’impôts, on pourrait avoir fromage et dessert », ajouta-t-il, déjà blagueur. Mi-mars 2000, Lionel Jospin renonçait officiellement à diminuer les déficits. « Aujourd’hui, il nous paraît nécessaire de privilégier quelques dépenses et surtout des allégements fiscaux. » La taxe d’habitation et la TVA furent réduites, l’impôt sur le revenu des tranches les plus basses abaissé et le budget des grands services publics augmenté (hôpital, politique urbaine, création de postes dans l’Education nationale, etc.). Plus tard dans l’année, au fur et à mesure que gonflait une nouvelle cagnotte pour l’exercice 2000 grâce à une croissance plus forte qu’espéré (3,9 %), le nouveau ministre de l’Economie, Laurent Fabius, s’efforça lui aussi de calmer les ardeurs dépensières du gouvernement. « Il ne faut pas semer d’illusions. On ne peut pas parler de cagnotte lorsque le bonus de recettes de 50 milliards est de 1 % par rapport à la dette de notre pays qui est de 5 000 milliards. » Mais, là encore, Jospin ignora ces conseils de fourmi, il joua les cigales en supprimant la vignette, en engageant des dépenses nouvelles pour compenser la hausse du prix de l’essence et le financement des 35 heures. Par ses choix budgétaires, il venait d’envoyer pour longtemps à l’opinion publique et à nos partenaires européens le signal désastreux d’un pays incapable de réduire ses déficits et sa dette. Ce qui s’est largement vérifié depuis. « On nous a déjà fait le coup une fois avec Jacques Chirac en 2000, on est tombés dans le panneau, on ne va pas tomber deux fois dans le panneau, explique aujourd’hui Sapin. Il n’y a pas de cagnotte quand vous êtes avec un déficit de 3,5 %. » Il oublie toutefois de

dire que le premier responsable du retour de ce débat irréel sur la cagnotte dans un pays dont la dette publique s’élève à 2 097 milliards d’euros, dont les dépenses publiques atteignent des sommets sans équivalent dans le monde et qui présente le niveau de déficit le plus élevé de la zone euro avec l’Espagne, la Grèce et le Portugal, c’est François Hollande lui-même. Qui explique depuis plusieurs mois que « le temps d’une forme de redistribution est venu après celui des efforts ». Qui, dans l’espoir de faire remonter sa cote de popularité et de reconquérir ses électeurs de gauche, autorise et même encourage le gouvernement à multiplier les dépenses nouvelles (extension de la garantie jeunes, aides aux agriculteurs, hausse du point d’indice des fonctionnaires, plan d’urgence pour l’emploi, etc.). Qui fait rechuter la France dans une crise de dépensite aiguë dont certains observateurs trop optimistes l’avaient crue enfin guérie. Un pays en Europe dispose d’une vraie cagnotte : c’est l’Allemagne, qui a dégagé l’année dernière 12 milliards d’euros d’excédent budgétaire au lieu des 200 millions prévus à l’origine. Cette cagnotte, le gouvernement va l’utiliser dès cette année à hauteur de 8 milliards pour accueillir dans les meilleures conditions possibles le million de migrants ayant fui l’horreur de la guerre, les atrocités de Daech et de Bachar el-Assad. Pendant que l’Allemagne de Mme Merkel, cette chancelière de droite honnie par la gauche française bien-pensante, allie les valeurs humanistes à la vertu budgétaire, la France socialiste de M. Hollande ajoute une faute morale impardonnable, celle de n’accueillir des réfugiés qu’au compte-gouttes, à un péché financier mortel,celui de dépenser sans compter de l’argent qu’elle n’a pas §

Afrique, la croissance et le péril autocrate Le continent ne peut se laisser voler le moment historique de son décollage.

par Nicolas Baverez

D

epuis 2000, l’Afrique s’est libérée de la malédiction du maldéveloppement et a effectué son décollage avec une croissance de 5,5 % par an. L’essor économique du continent est allé de pair avec d’importants progrès en termes de gouvernance. La dynamique émergente de l’Afrique a résisté jusqu’à présent tant à la crise du capitalisme universel qu’au choc sanitaire créé par le virus Ebola. Et ce en raison d’une croissance largement fondée sur la réduction de la pauvreté, de 50 à 31 % de la population depuis 1990, sur la constitution d’une vaste classe moyenne de plus de 300 millions de consommateurs, sur la montée en puissance du marché et de la société civile. Depuis 2014, l’Afrique est certes touchée par la fin de l’hypercroissance de la Chine, par la chute du prix du pétrole et des matières premières et par sa vulnérabilité particulière face au réchauffement climatique. Mais elle témoigne cependant d’une étonnante capacité de résilience vis-à-vis des chocs extérieurs. La croissance atteindra 4,4 % en 2016, contre 2,9 % pour l’économie mondiale, et 4,8 % en 2017. Elle culmine à 10,4 % en moyenne en Ethiopie depuis une décennie et dépasse 7 % en Côte d’Ivoire, au Mozambique, au Rwanda et en Tanzanie. Les véritables risques viennent donc moins des secousses

de l’économie mondiale que des évolutions politiques internes. Quatre périls se conjuguent. La poussée de l’islam radical. L’effondrement des Etats en Somalie et au Soudan du sud, au Mali, en Centrafrique ou en Libye. La recrudescence de la corruption, dont l’Afrique du Sud offre une triste illustration avec la condamnation de Jacob Zuma par la Cour suprême pour violation de la Constitution à l’occasion des 20 millions d’euros de travaux réalisés dans sa résidence de Nkandla. Enfin la dérive des élections, qui sont soit manipulées pour reconduire à vie les autocrates (Denis Sassou Nguesso, président du Congo depuis 1979, hormis cinq ans à l’écart du pouvoir, Yoweri Museveni en Ouganda depuis 1986, Robert Mugabe au Zimbabwe depuis 1987, Idriss Déby au Tchad depuis 1990, José Eduardo dos Santos en Angola depuis trente-sept ans, Paul Biya au Cameroun depuis trente-quatre ans, Paul Kagame au Rwanda depuis vingt-deux ans…), soit offertes aux populistes, à l’image de la victoire au Bénin de Patrice Talon, enfant illégitime de Donald Trump et de Silvio Berlusconi. Le paradoxe veut que les autocrates, en Afrique comme ailleurs, adorent les élections dès lors qu’elles sont organisées pour assurer leur triomphe. La pression du terrorisme islamique et du chaos qui l’accompagne menace ainsi d’enfermer l’Afrique dans un dilemme tragique : soit le pouvoir absolu au prix du renoncement à l’Etat de droit pour garantir la stabilité ; soit la liberté du suffrage universel au prix de la corruption et de la démagogie. L’Afrique ne doit pas se laisser enfermer dans … Le Point 2274 | 7 avril 2016 | 13

ÉDITORIAUX le choix pervers entre l’autocratie ou le désordre. Elle ne peut se laisser voler par les autocrates et les fanatiques le moment historique de son décollage. Mais il lui faut pour cela développer une culture de la stabilité à long terme qui conjure le risque du pouvoir personnel et de la corruption. Stabilité économique avec la modernisation de l’agriculture, la diversification de la production, l’investissement dans les infrastructures, le démantèlement des rentes bureaucratiques. Stabilité financière avec la discipline des dépenses publiques ainsi qu’une surveillance renforcée de la dette qui, à 44 % du PIB, a progressé de dix points de PIB en cinq ans. Stabilité juridique avec la protection des investisseurs étrangers, qui ont investi plus de 60 milliards en 2015, comme de l’épargne de la diaspora. Stabilité sociale avec l’intégration des 27 millions de jeunes qui se présentent chaque année sur le marché du travail. Stabilité politique avec le renforcement continu de l’Etat de droit, nécessaire contrepartie du suffrage universel. Stabilité stratégique surtout avec la priorité absolue qui doit aller à la lutte contre le terrorisme islamique qui cherche à s’étendre sur tout le continent, du golfe de Guinée au Kenya. Si l’Afrique est immense et diverse, ses 54 Etats sont confrontés à une configuration unique qui peut permettre au continent d’effectuer son décollage. Mais, pour cela, il leur faut se réformer en conjurant la tentation de sacrifier les progrès de leur gouvernance à la stabilité, par ailleurs indispensable à la paix civile comme au développement. « Lorsque tu ne sais pas où tu vas, dit un proverbe africain, regarde d’où tu viens. » L’Afrique a surmonté l’esclavage, la colonisation et la malédiction du non-développement. Pour tenir ses promesses, elle doit combattre la corruption, la démagogie et l’autocratie §

On ne badine pas avec la Constitution Procéder à une révision constitutionnelle au gré des événements, sans veiller au respect de l’Histoire et du droit, c’est mettre en danger le contrat social.

par Jean-Michel Blanquer

L

’échec de la révision constitutionnelle envisagée par le chef de l’Etat est révélateur des impasses d’une approche superficielle de la notion de Constitution. On peut donner de la Constitution une définition formelle. C’est l’approche la plus facile. On dit alors que c’est la règle de droit la plus haute. Au sommet de la hiérarchie des normes, elle commande à tout le système juridique. Cette conception conduit naturellement à penser qu’on peut agréger au texte suprême tout ce que l’on considère important à un moment donné. En France, où le processus de révision est relativement souple, cela peut conduire à la création, au gré des modes et des impulsions, d’un patchwork juridique incohérent. On peut, à l’inverse, donner une définition substantielle du texte suprême en s’attachant à son contenu. C’est ce que pose le constituant dès l’aube de notre histoire moderne : « Toute société 14 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution », affirme la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Les deux catégories d’éléments que l’on doit trouver dans une Constitution sont ainsi définis : les droits et libertés, d’une part ; l’organisation des pouvoirs publics, d’autre part. La France a tardé à trouver sa stabilité constitutionnelle. Nous nous divisions sur la nature du régime, monarchie, république ou empire. Sur la nature des droits, individuels, collectifs ou sociaux. Sur la nature du système, parlementaire ou présidentiel. Près de vingt textes ont ainsi scandé notre Histoire. La Constitution de 1958 a réalisé une forme de synthèse entre nos aspirations. Lorsque, en 1971, le Conseil constitutionnel a intégré non seulement les articles mais aussi le préambule de la Constitution, il a ipso facto incorporé deux siècles d’Histoire. Une Histoire nourrie par la Déclaration de 1789, les grandes lois de la République, le préambule de 1946. C’est le contrat social de la France. Il est le fil directeur entre ce qui a été, ce qui est et ce qui viendra. L’histoire d’une nation est comme un roman collectif dont chaque génération écrit un chapitre. La Constitution transforme cette histoire en droit. C’est ce qu’oublient les amateurs de révisions improvisées et les partisans d’une « VIe République ». La Constitution de 1958 a 58 ans. Elle est à douze ans du record de longévité de la IIIe République. Elle a démontré une capacité à dépasser les épreuves mais aussi à évoluer. Il y a bien des améliorations à souhaiter pour la moderniser, mais cela passe par une vision d’ensemble qui ne conduise pas à perdre ce que nous avons gagné : la légitimité d’un système de droits, la stabilité de l’Etat. Le bonheur de la table rase est plus chatoyant que la sagesse des nations. Et les jeux politiques sont plus attirants que le respect de l’Histoire et du droit. Mais c’est sur les routes droites et hautes que se manifeste le sens de l’Etat §

Le texte suprême transforme l’histoire d’une nation, ce roman collectif dont chaque génération écrit un chapitre, en droit.

ILLUSTRATION ZAK POUR LE POINT



Le point de la semaine PAR MICHEL REVOL, FABIEN ROLAND-LÉVY ET LES SERVICES DU « POINT »

EN FORME

Axelle Davezac 47 ans - Directrice générale de la Fondation ARC, elle sera nommée en septembre DG de la Fondation de France, premier réseau de philanthropie en France. Cyril Viguier 52 ans - Le présentateur de la matinale télé de Public Sénat et Sud Radio délocalise son émission pour recevoir les treize présidents de région en direct de chez eux.

EN PANNE Jean-Paul Huchon 69 ans - Un audit montre un recours massif à l’endettement et une solvabilité « fortement dégradée » de l’Ile-de-France sous le mandat de l’exprésident PS. René Marratier 63 ans - La cour d’appel a allégé la peine de l’ex-maire de La Faute-sur-Mer, mais l’a rendu responsable de délits qui ont conduit à la mort de 29 personnes après Xynthia. Rémi Garde 50 ans - Nommé en novembre, l’entraîneur d’Aston Villa a été évincé de son poste. Le club londonien est dernier de la Premier League, le championnat de foot anglais. 16 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

Le secret de leur réconciliation Depuis une douzaine d’années qu’ils se côtoient, ils n’avaient jamais déjeuné ni dîné en tête à tête. C’est chose faite. Nicolas Sarkozy et Nadine Morano devaient se retrouver pour un déjeuner au siège du parti. Une forme de réconciliation. L’ex-chef de l’Etat a pris l’initiative d’inviter son ancienne ministre pour la dissuader de concourir à la primaire de la droite, parce qu’elle occupe le même créneau que lui ; l’eurodéputée, elle, souhaite au contraire que Nicolas Sarkozy se retire à son profit. Dialogue de sourds. Pourtant, Morano met ses critiques en sourdine afin de récupérer « les électeurs de 2007 ». « Je ne fais pas l’erreur de Fillon, qui a critiqué Sarkozy alors qu’il s’est accroché à Matignon, glisse-t-elle. Moi, j’ai toujours dit que c’était un président exceptionnel, même au plus fort de la crise. » E. B. Copé bluffe-t-il ?

Candidat à la primaire des Républicains, Jean-François Copé jure détenir les 20 parrainages de parlementaires. Le maire de Meaux presse pourtant ses « amis » pour obtenir leur signature. Parmi eux, le député maire de

Châteaurenard, Bernard Reynès, copéiste historique, qui a même appelé Nicolas Sarkozy pour s’en plaindre ! « Copé ? Il a gardé ses amis mais perdu ses soutiens », ironisait il y a quelques semaines Brice Hortefeux. Quel est le plus important ?

PAUL/VISUAL PRESS AGENCY - BRUNO KLEIN - MICK OWEN/BESTIMAGE - SOGLIA/LMS/SIPA - REVELLI-BEAUMONT/SIPA - SALOM-GOMIS/SIPA - JAMES/JMP/SHUTTERS/SIPA

Nadine Morano avec Nicolas Sarkozy, le 13 février à Paris.

Gaspard Kœnig 33 ans - Le fondateur du groupe de réflexion Génération libre a reçu le prix Turgot du meilleur livre d’économie pour « Le révolutionnaire, l’expert et le geek » (Plon).

LE « RENOUVEAUMÈTRE » DE LA DROITE Plusieurs candidats à la primaire de la droite se battent pour brandir le flambeau de la nouveauté. Verdict avec le « renouveaumètre ».

Bruno Le Maire élu depuis 2007 (député) « Vous butez contre les mêmes visages. Nous allons vous en offrir de nouveaux ! » (« Le Figaro », 30/3/2016)

Nathalie Geoffroy Didier Kosciusko-Morizet élu depuis 2010 élue depuis 2002 (conseiller (députée) régional) « On a tout essayé. Non, « Je veux incarner la relève justement. La France n’a (…) J’assume d’être difféaucune expérience du rent des autres candidats. pouvoir féminin. » Moi, je ne suis ni ancien pré(dans « Nous avons changé sident ni ancien ministre. » de monde », Albin Michel) (« Le Monde », 31/3/2016)

ALCALAY/SIPA - MEIGNEUX/SIPA - IBO/SIPA (X 2) - BENHAMOU/SIPA - SEVGI/SIPA - ILLUSTRATION : JEAN POUR « LE POINT »

Valls crée des tensions au Grand Orient Le grand maître du Grand Orient, Daniel Keller, est intervenu en faveur de Sébastien Gros, chef de cabinet de Manuel Valls et membre peu assidu d’une loge. Keller a bloqué son exclusion et réglé les deux ans de capitations (cotisations, pour 1 000 euros) que le jeune homme n’avait pas réglées. « C’est contraire à nos statuts, le grand maître n’a pas le pouvoir de se substituer à un adhérent pour payer ses cotisations », grogne-t-on au GO. Ni Daniel Keller ni Sébastien Gros n’ont souhaité s’exprimer. Chez les frères, on voit dans le geste de Keller un renvoi d’ascenseur. En 2015, Manuel Valls l’avait nommé au Conseil économique et social. E. B. LE CHIFFRE DE PIERRE-ANTOINE DELHOMMAIS

91

En 2015, l’âge moyen des 150 plus grosses entreprises américaines (d’après leur capitalisation boursière) était de 91 ans, selon une étude de France Stratégie. Il était de 44 % inférieur à celui des 70 premières entreprises françaises, « âgées » en moyenne de 132 ans. Cet écart était de seulement 23 % en 2000. Parmi les grandes entreprises les plus innovantes et les plus actives en recherche & développement, 44 % sont nées après 1979 aux Etats-Unis, contre seulement 19 % en France.

Hollande refait le match…

A l’un de ses amis qui sondait son état d’esprit après qu’il a renoncé à la révision constitutionnelle, François Hollande a répondu : « Moi, j’ai tenu mes engagements : j’ai fait l’état d’urgence et j’ai accordé les moyens promis aux forces de l’ordre. Mais les élus n’ont pas démontré leur capacité à décider ensemble dans un moment important pour le pays. J’en prends acte, j’assume. Mais qu’on ne s’y trompe pas : c’est l’ensemble de la représentation politique qui, à terme, en subira les conséquences. » Bref, c’est pas sa faute !

Frédéric Lefebvre élu depuis 2007 (député) « J’invite ceux qui aspirent à bâtir ce renouveau, qui croient à la capacité de tracer un autre chemin pour la France, à unir nos forces. »

Jean-François Copé élu depuis 1995 (député) « Aujourd’hui, la société civile vit sans nous. On doit donc tout repenser avec des mots nouveaux, des comportements nouveaux. »

(« JDD », décembre 2015)

(meeting, août 2015)

… et soutient Karim Benzema

Hollande a recadré Manuel Valls et son ministre des Sports, Patrick Kanner, plutôt critiques à l’endroit de Karim Benzema, mis en examen dans l’affaire de la « sextape ». Décryptage d’un proche de Valls : « Hollande veut faire plaisir à son ami Le Graët, président de la FFF, qui pense que l’équipe de France ne peut pas gagner sans Benzema. Et comme Hollande, lui aussi, veut gagner l’Euro pour se remettre en selle pour 2017… » Chacun son but !

NKM et le « greffage »

Depuis le dernier bureau politique des Républicains, Nathalie Kosciusko-Morizet ne décolère pas : « Je maintiens ce que j’ai dit sur la nécessité d’un greffage de couilles pour certains. Dès qu’il s’agit d’affronter Sarkozy, ils sont tous aux abonnés absents. » Elle n’a pas apprécié qu’au moment d’évoquer les investitures aux législatives de 2017 et de modifier les règles de la primaire Juppé et Le Maire se soient fait porter pâles. « Ce jour-là, ils avaient piscine… », ironise-t-elle.

Madame Bovary avait récemment changé d’équipementier. Le Point 2274 | 7 avril 2016 | 17

LE POINT DE LA SEMAINE

Florian Zeller

Mieux que Zidane, Jean Dujardin ou David Guetta ! Le Français que tout le monde s’arrache désormais à l’étranger, c’est Florian Zeller. « Fantastic ! And unforgettable ! Masterful ! » pour le Times ; « Best play of the year » pour le Guardian. « The Father », signé par l’auteur de 36 ans, a été qualifié par la presse londonienne de « pièce la plus acclamée de la décennie ». Une consécration qui permet au dramaturge – père de deux enfants et marié à l’actrice Marine Delterme – d’être depuis deux ans l’auteur français le plus joué à l’étranger. Cette année, 31 productions des pièces de Zeller sont montées dans le monde, dont 14 versions différentes du « Père » ! Trois théâtres londoniens lèvent le rideau sur des spectacles du jeune écrivain (« La vérité » et « La mère »), tandis qu’à Paris Pierre Arditi et Daniel Auteuil font salles combles avec « Le mensonge » et « L’envers du décor ». En septembre, Robert Hirsch devrait remonter sur scène à 91 ans dans « Avant de s’envoler », spécialement écrit pour lui par Zeller § JÉRÔME BÉGLÉ

18 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

La trilogie Juppé

Le 11 mai sortira le troisième opus d’Alain Juppé, consacré cette fois à l’économie. Dans cet ouvrage, le candidat à la primaire dialoguera avec le journaliste Emmanuel Le Chypre et présentera son programme économique fondé sur le triptyque « stabilité, liberté, innovation ». Pour le lancement, l’équipe de Juppé a voulu innover. Pas d’extraits dans la presse, mais un grand raout le 10 mai au Palais des congrès en présence de décideurs et de journalistes. Sollicité, BFM Business a toutefois refusé de diffuser en direct l’événement…

Le conseil de Calmels à Sarkozy

Sortie de crise ?

Indice du moral des ménages français et achats de chocolat en tablette, en kilos par acheteur

MORAL DES MÉNAGES

CHOCOLAT

Le ministre de l’Economie est annoncé un peu partout, soit pour succéder à des maires qui n’ont pas Pas-dede dauphin solide, Calais soit pour être député.

Nord

Eure Côte-d’Or Paris Député

Bordeaux

Lyon

Maire

Contrairement à beaucoup, Virginie Calmels a un sérieux doute sur la candidature de Nicolas Sarkozy à la primaire. « On me dit : “Tu ne le connais pas, il ne pourra pas s’empêcher de tenter à nouveau sa chance”, confie la première adjointe d’Alain Juppé à Bordeaux. Mais moi, je ne suis pas sûre. Il a plus à perdre qu’à gagner. Si j’étais sa femme, je lui dirais de ne pas y retourner. » Qu’en pense Juppé ?

79

LE FURET MACRON

4,64 kg 74

3,96 kg

2005 06 07 08 09 10 11 12 13 14 2015 Source : Nielsen.

HautesPyrénées

Raffarin et son successeur Macron

Invité le 31 mars à une conférence à l’European Business School, Jean-Pierre Raffarin n’a pu échapper à une question sur Emmanuel Macron. « Qui verriez-vous comme

Marseille

Premier ministre d’Alain Juppé ? » lui a demandé un étudiant. Réponse de l’exlocataire de Matignon : « Le meilleur Premier ministre d’un président de droite modérée, ce serait Emmanuel Macron. » Transmis aux intéressés.

« Je souhaite une bien belle semaine @SocieteGenerale ainsi qu’à ses conseils. » Jérôme Kerviel, ancien trader de la Société générale, réagissant, sur Twitter, aux révélations des Panama Papers, selon lesquelles la banque aurait créé près d’un millier de sociétés par le biais de la firme panaméenne Mossack Fonseca. Précision. A la suite du graphique paru dans le n° 2272 du Point, le maire de Perpignan, Jean-Marc Pujol, précise que le coût du Théâtre de l’Archipel, édifié grâce à un montage en contrat de partenariat public-privé, n’a pas été dépassé de 233 %, mais de moins de 1 % (de 44 à 44,2 millions d’euros).

SÉBASTIEN SORIANO – GRAPHISME CHRISTOPHE THOGNARD – SIPA – CYRIL PECQUENARD / KCS PRESSE – NICOLAS TAVERNIER/RÉA

À L’AFFICHE

LE POINT DE LA SEMAINETECH&NET FLASH-TEST

Sonos peaufine son enceinte haut de gamme

Bientôt des hologrammes !

MARC VIGNAUD

On aime

Le dispositif True Play, qui permet de calibrer l’enceinte en fonction de la pièce.

Une enceinte haut de gamme, avec une appli On regrette propriétaire pour gérer L’absence d’un bouton toute sa musique, marche/arrêt et de même en streaming connexion Bluetooth pour (Deezer, Apple Music, l’utiliser en vacances, etc.), à condition d’avoir sans réseau Internet. un abonnement.

Sauce mexicaine

Whoopi Goldberg à Beverly Hills, le 28 février.

Start-up : le pari du cannabis L’actrice Whoopi Goldberg lance sa propre marque de produits à base de cannabis à usage thérapeutique pour soulager des règles douloureuses. De nombreuses start-up s’emparent de la libéralisation de la vente du cannabis dans un nombre croissant d’Etats américains comme le Colorado et la Californie pour se lancer dans ce secteur en… très bonne santé. La plus connue d’entre elles est sûrement Meadow, une start-up qui permet aux fumeurs agréés de se faire livrer leur herbe favorite en une heure. Elle fait partie de la dernière promotion du prestigieux accélérateur américain YCombinator. L’an dernier, les start-up du 20 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

Verdict

cannabis ont levé 100 millions de dollars, et plusieurs fonds d’investissement dédiés à cet écosystème sont particulièrement actifs, comme CanopyBoulder ou Arc View. En Israël aussi, la filière connaît une réelle croissance. Le petit Etat peut compter sur sa culture reconnue de l’entrepreneuriat et sur son programme de régulation du cannabis médical, parmi les plus anciens et les plus développés du monde. Bénéficiant du soutien du gouvernement et d’un climat particulièrement propice, le cannabis pourrait ainsi devenir le produit le plus exporté en volume, devant les armes et le gaz naturel § MAËLLE LAFOND

Planche à propulsion

A mi-chemin du skateboard et du gyropode, le Surfwheel signé Eco-Riders associe une planche et une roue. Il suffit de se pencher pour propulser cette planche étanche et tout-terrain dotée d’une roue gyroscopique. Comptez sur une vitesse maximale de 20 kilomètres/heure et une autonomie de 20 kilomètres.

Numa continue sa conquête. Après Casablanca en octobre 2015, c’est à Mexico que l’accélérateur parisien va poser ses valises. Présentée comme une future Silicon Valley, la capitale mexicaine devrait attirer les jeunes pousses du continent américain. Y. D.

J. H.

Robot serveur

L’appli BIM

Le magasin b8ta, situé sur Bryant Street à Palo Alto (Californie), permet de tester des produits électroniques avant leur sortie. Originalité, on est accueilli par un robot Beam (photo), les vendeurs se trouvant à des milliers de kilomètres, aux Bahamas, par exemple.

Pelé déclare la guerre à Samsung

L’ex-footballeur brésilien réclame 30 millions de dollars à Samsung. Le contrat publicitaire qui le liait à la marque d’électronique jusqu’en 2013 n’ayant pas été renouvelé, Pelé reproche au coréen de montrer dans ses publicités un footballeur faisant un ciseau, sa marque de fabrique. PAGE DIRIGÉE PAR GUILLAUME GRALLET

Déjeuners, brunch, et apéritifs : découvrez les meilleures adresses ville par ville, grâce à cette application gratuite née en France.

« Notre secteur manque de main-d’œuvre qualifiée. » Frédéric Potter, créateur de la société d’objets connectés Netatmo, qui, le 4 février, a reçu la visite de François Hollande. Netatmo passera de 120 à 190 salariés en 2016.

MOLOSHOK/REUTERS - HAMILTON/RÉA - DR

L’enjeu. La société californienne Sonos, leader de l’audio multiroom, affronte une concurrence exacerbée dans le domaine des enceintes connectées (Bose, Cabasse ou encore Panasonic). Pour qui ? Les amateurs de son à domicile. A savoir. Connexion en wi-fi ou par câble Ethernet. Disponible en noir mat et blanc mat. 6,6 kilos. L. 36 x H. 20 x P. 15 centimètres. Modele Play:5. 579 euros §

Utiliser une boîte, la Voxiebox, pour faire réapparaître la princesse Leia. Voilà l’idée de la société Voxon, créée par des fans de « Star Wars ». Bref, un rendu proche de celui que l’on aura en revêtant Hololens, le casque que s’apprête à lancer Microsoft.

PEUGEOT 308 GT T ADOPTEZ L’ESPRIT GT A

Moteur 1,6L THP 205 ch Moteur 2,0L BlueHDi 180 ch

SUSPENSION SPORT

DRIVER SPORT PACK

REPRISE E ARGUS® ®

+3600

€ (2)

Consommation mixte (l/100 km) : de 4 à 5,8. Émissions de CO2 (g/km) : de 103 à 134.

(1) Classement 2015 établi par le cabinet Inovev à partir des estimations de production sur la gamme 308. (2) Soit 3 600 € ajoutés à la valeur de reprise de votre ancien véhicule de moins de 8 ans, d’une puissance réelle inférieure ou égale à celle du véhicule neuf acheté. La valeur de reprise est calculée en fonction du cours de l’Argus® du jour de la reprise, applicable à la version du véhicule repris, ou, le cas échéant, à la moyenne du cours des versions les plus proches de celui-ci, ledit cours ou ladite moyenne étant ajustés en fonction du kilométrage, des éventuels frais de remise en état standard et déduction faite d’un abattement de 15 % pour frais et charges professionnels. Offre non cumulable, réservée aux particuliers, valable pour toute commande d’une 308 neuve, hors niveaux Access et Active, commandée avant le 30/04/2016 et livrée avant le 30/06/2016, dans le réseau Peugeot participant.

NOUVELLE PEUGEOT 308 GT

LE POINT DE LA SEMAINESCIENCES Le gène végétarien génétique. Chez les popu­

L’INVENTION

lations végétariennes de longue date (Inde, Afrique, Asie du Sud­Est), les généti­ ciens ont identifié la présence fréquente d’un gène amélio­ rant nettement la transfor­ mation des acides gras oméga­3 et oméga­6 (moins présents dans les végétaux que dans la viande ou le pois­ son) en composés essentiels pour le développement du cerveau (Molecular Biology and Evolution).

Médicaments à la carte pharmacologie. Certes, cette machine est moche, mais elle pourrait se révéler capitale. Il s’agit d’une unité mobile capable de fabriquer un tas de médicaments différents. En quelques heures, elle peut délivrer Benadryl, lidocaïne, Valium, Prozac, à raison de 1 000 doses par heure. « Notre objectif était de concevoir une unité intégrée qui puisse être envoyée n’importe où dans le monde », explique Klavs Jensen, l’un des trois concepteurs. Et ce pour répondre aux situa­ tions d’urgence. D’un côté, on introduit les molécules chimiques nécessaires, de l’autre sortent les remèdes sous forme liquide. Par ailleurs, cette unité peut sortir de petites quantités de médicaments – pour traiter des maladies orphelines, par exemple – qu’il serait impossible de produire à grande échelle dans des usines classiques, en raison d’un coût prohibitif. D’ores et déjà, les chercheurs du MIT travaillent sur une unité encore plus petite qui serait capable de produire de nombreux autres remèdes (Science) §

vraiment la violence gravée dans les gènes ? On en doute avec l’analyse des ossements de 2 500 chasseurs­cueilleurs japonais de la période Jomon, ayant vécu entre 13 000 et 800 avant notre ère. Seuls 0,89 % des os pré­ sentent des marques de violence. A comparer aux 12 à 14 % des chasseurs­ cueilleurs d’Europe (photo, gravures

rupestres de Tanum, en Suède). Ce qui fait dire aux paléoanthropologues que la guerre pourrait découler de facteurs étrangers à l’homme (Biology Letters).

C’est lumineux biochimie. En inversant le processus de

la photosynthèse, des chercheurs de l’uni­ versité de Copenhague ont peut­être trouvé un procédé révolutionnaire qui conçoit écologiquement un grand nombre de molé­ cules utiles à l’industrie. Alimentée en éner­ gie solaire par la chlorophylle, utilisant l’oxygène de l’air, une enzyme nommée monooxygénase transforme toute biomasse végétale en biocarburants, matériaux plastiques et autres molécules chimiques en quelques minutes (Nature Communications).

CHIFFRES

11 C’est le nombre d’odona­ libellules

toptères menacés de disparition en France sur un total de 89 espèces présentes. Ce chiffre pourrait encore doubler prochainement (MNHN, IUCN). 22 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

le télescope spatial russe RadioAstron et quatre radio­ télescopes terrestres, des as­ tronomes russes ont obtenu un instrument combiné hyperpuissant. Il a ainsi pu mesurer la température d’un jet de matière émis par le quasar 3C 273, situé à 2 milliards d’années­lumière (photo) : 1013 ° C. Soit cent fois plus que ce qu’on pouvait mesurer jusque­là.

114 229 20 % Ce sont très exactement Telle sera la proportion sur

la moitié des sites inscrits au Patrimoine mondial de l’Unesco qui sont menacés par des activités indus­ trielles. Aucun en France. Tel est le décompte effectué par le WWF.

d’humains obèses (femmes, 21 % ; hommes, 18 %) sur Terre en 2025. Aujourd’hui le plus fort indice de masse corporelle est détenu par les populations polynésiennes et micronésiennes.

Bois transparent architecture. Une maison en

bois entièrement transpa­ rente, c’est possible ! En enle­ vant la lignine présente dans le balsa et en incorporant du Plexiglas aux fibres de cellu­ lose restantes, des chercheurs américains (ACS) ont obtenu un matériau à la fois suffi­ samment solide pour consti­ tuer des parois et transparent pour que 85% des rayons solaires le traversent (ACS Journals Biomacromolecules). PAGE DIRIGÉE PAR FRÉDÉRIC LEWINO ET GWENDOLINE DOS SANTOS

MIT - LUISA RICCIARINI/LEEMAGE

Peace and love anthropologie. Les hommes auraient­ils

Chauds les marrons astronomie. En combinant

LE POINT DE LA SEMAINE DÉCÉDÉS NOUVEAU QUINQUENNAT Laurent Bayle, 64 ans, nommé en 2001 directeur général de la Cité de la musique (devenue Philharmonie de Paris), a été reconduit pour un nouveau mandat de cinq ans. Un décret a modifié les dispositions sur la limite d’âge, jusque-là fixée à 65 ans. Laurent Bayle rempile à la tête de la Philharmonie.

Anthony Vaccarello arrive chez Saint Laurent.

Jenny Raflik a reçu le prix Emile-Perreau-Saussine.

HAUTE COUTURE Le groupe Kering a annoncé la nomination d’Anthony Vaccarello, 36 ans, comme directeur artistique d’Yves Saint Laurent. Le créateur belge succède à Hedi Slimane, qui a quitté la maison qu’il avait rejointe en 2012. BIOLOGIE Hervé Bossin, chef du service d’entomologie de l’Institut Louis-Malardé de Papeete, a choisi l’île de Tetiaroa, que possédait Marlon Brando en Polynésie, pour une étude pilote sur le virus zika. PRIX LITTÉRAIRE Jenny Raflik, auteure de « Terrorisme et mondialisation, approches historiques » (NRF Gallimard), est la lauréate 2016 du prix Emile-Perreau-Saussine. Ce prix est décerné à un jeune chercheur, philosophe et historien de moins de 40 ans, en mémoire de cet enseignant disparu en 2010. PARTITION Le réalisateur Christophe Honoré, dont « Les malheurs de Sophie » sortent le 20 avril sur les écrans, mettra en scène « Cosi fan tutte », de Mozart, lors du prochain festival d’Aix-en-Provence.

Christophe Honoré prépare un « Cosi fan tutte ».

La styliste Anne-Valérie Hash expose à Calais.

ROLLS Après trois propriétaires néerlandais successifs, un amateur belge a acquis sur un site d’enchères, et pour 22 000 euros, la Rolls-Royce Silver Shadow 1972 ayant appartenu à Michel Sardou. PREMIÈRE Anne-Valérie Hash est jusqu’au 13 novembre l’invitée de la Cité de la dentelle et de la mode de Calais. C’est la première exposition consacrée à cette créatrice, dont la maison a été labellisée haute couture § PAGE RÉALISÉE PAR MARIE-CHRISTINE MOROSI

24 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

Imre Kertesz 86 ans. Ecrivain hongrois, il fut le premier auteur de langue magyare distingué du prix Nobel de littérature, en 2002. Déporté à 15 ans à Auschwitz puis à Buchenwald, ce jeune juif survit à l’horreur. Après la guerre, celui qui fut aussi un grand traducteur de Nietzsche et de Freud devient journaliste mais n’a bientôt pas l’heur de plaire au régime communiste. Son premier livre, « Etre sans destin », paraît en 1975. Avant sa publication, il travaille pendant dix ans ce récit distancié d’un jeune homme pris dans la tourmente de l’Holocauste. Toute l’œuvre de cet homme jovial et étrangement gai, selon ses proches, a porté sur le totalitarisme, la barbarie et la soumission. Hans-Dietrich Genscher 89 ans. Ancien ministre allemand des Affaires étrangères, sous Helmut Schmidt et sous Helmut Kohl. Chef de la diplomatie pendant dix-huit ans, de 1974 à 1992 – une longévité inégalée dans l’Allemagne d’après guerre –, ce libéral a été un artisan majeur de la réunification, en 1990. Angela Merkel a salué « un homme

d’Etat respecté dans le monde entier, qui n’accepta jamais l’injustice de la division allemande ». Jean-Pierre Coffe 78 ans. Chroniqueur gastronomique aux coups de gueule légendaires, il a fait les beaux jours d’émissions de télévision (Canal +, France 2) et de radio, en particulier des « Grosses têtes » de RTL. Chantre d’une alimentation saine et pourfendeur de la malbouffe, cet épicurien passait autant de temps en cuisine qu’à sa table de travail. Auteur d’une soixantaine d’ouvrages, il a confié ses souvenirs personnels en 2015 dans « Une vie de Coffe ». Lorrain, natif de Lunéville, il est décédé dans sa maison de Lanneray, en Eure-et-Loir. Zaha Hadid 65 ans. Star anglo-irakienne de l’architecture, elle a imposé son style, sculptural, aux formes fluides (lire page 28). Cesare Maldini 84 ans. Footballeur italien, vedette de l’AC Milan. Leandro « Gato » Barbieri 83 ans. Saxophoniste argentin, as du Latin jazz. André Brincourt 95 ans. Journaliste et écrivain, grand prix de l’Académie française en 1999.

ISOLDE OHLBAUM/LAIF-RÉA – FRED MARVAUX/RÉA – FRÉDÉRIC DUGIT/MAXPPP – FACEBOOK – ERIC CATARINA / ALLPIX / KCS PRESSE – C.HELIE/ GALLIMARD – RACHID BELLAK / BESTIMAGE – STEFAN THOMAS KROEGER/LAIF-RÉA

LE CARNET

LE POINT DE LA SEMAINEVOTRE ARGENT BOURSE : L’AVIS DE…

« L’impôt a été progressivement dévoyé » les impôts indirects, que tous paient, mais aussi pour les impôts directs, notamment l’impôt sur le revenu, dont une majorité de que s’il est juste, de telle façon qu’il soit com- Français sont exonérés aujourd’hui. Il est impris, admis, accepté. Alors, il réduit la fraude et portant que chacun contribue à la dépense commune et en mesure personnellement le favorise le développement économique. poids. Payer l’impôt est essentiel dans une Mais qu’est-ce qu’un impôt juste ? vraie démocratie. C’est un impôt équilibré, au service des citoyens, prélevé pour assurer la paix et la sécu- N’allez-vous pas trop loin en prônant un rité, permettre la vie commune. Surtout, c’est impôt proportionnel ? un impôt qui respecte la liberté de chacun. La flat tax, un impôt au même taux quel que Or, aujourd’hui, l’impôt a été dévoyé. Le pou- soit le revenu, est une des propositions de l’Iref, que j’anime avec Nicolas Lecaussin. Il voir s’est arrogé le droit de faire le bien à se décomposerait en deux taux : 2 % jusqu’à notre place. L’Etat-providence décrète que 8 000 euros de revenus c’est à lui de dire compar part et 15 % au-delà. bien doivent gagner les Il ne représenterait pas Français, comment ils une charge supplémendoivent se soigner, édutaire pour les salariés quer leurs enfants, modestes, car ces derécrire leur histoire et leur orthographe… En niers seraient décharn’hésitant pas à prélegés par ailleurs de cotisations sociales. ver les deux tiers de leurs revenus et à griN’est-ce pas blanc bonnet et bonnet gnoter leur patrimoine. Le Point : L’impôt doit-il être juste ou efficace ? Jean-Philippe Delsol : L’impôt n’est efficace

Que faire dans un marché aussi volatil ?

Les marchés étant sensibles à toute source d’inquiétudes, et il y en aura notamment avec le Brexit ou les attentats, il est rassurant pour l’investisseur de se concentrer sur des thématiques de croissance structurelle. Que ce soient les obligations dites high-yield, qui profitent de la politique monétaire de la BCE et de l’amélioration des bilans des entreprises après la baisse du prix du pétrole, des taux et de l’euro. Que ce soient la santé, portée par l’augmentation des dépenses et surtout l’innovation, ou encore le big data.

Pourquoi un fonds spécifique sur l’exploitation des données ?

C’est une évolution sociale majeure qui conduit les entreprises à adapter leur stratégie, quel que soit leur domaine : les assurances, la santé, l’habitat, l’automobile… L’analyse des données permet d’améliorer la connaissance de leur marché, de rendre plus efficace leur processus organisationnel et de dégager de nouvelles sources de revenus. Quelles valeurs retenir ?

Google, pour jouer les start-up du groupe comme Alphabet, Inovalon ou Splunk § PROPOS RECUEILLIS PAR L. A. 26 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

blanc ?

Le bien commun ne doit-il pas l’emporter sur le bien individuel ?

Pas du tout. Ceux qui gagnent plus continueJe ne le pense pas. Ce raient de payer plus. sont deux ordres difféL’impôt progressif est contraire à la Déclararents. Le bien relève de Jean-Philippe Delsol la décision individuelle. tion des droits de Avocat, auteur de « L’injusL’homme le recherche l’homme de 1789 intétice fiscale ou l’abus de bien sans être sûr de le trougrée dans le préambule commun » (Desclée de de la Constitution, qui ver, au même titre que Brouwer, 19,50 €) demande que chacun le vrai, le beau. L’apprécontribue à la charge ciation du bien diffère publique en proportion d’un individu à l’autre. de ses facultés. Il est si injuste et si insupporIl n’appartient pas à la société de dire à la place des individus ce qui est bien pour eux. table qu’il a fallu multiplier les exceptions Le risque est grand, sinon, que le pouvoir dequi en adoucissent la rigueur pour certains vienne despotique, ou pour le moins infanti- au détriment des autres. Il est assorti de lise l’individu, le déresponsabilise, attente à la 180 niches que l’instauration d’un impôt proliberté des hommes et, par là, à leur humaportionnel permettrait de supprimer, en économisant ainsi près de 50 milliards d’euros. nité, alors que le bien commun doit être au Un impôt proportionnel rapporterait plus. Il service des individus. serait plus efficace parce qu’il serait plus L’impôt doit-il être payé par tous ? L’idéal serait qu’il le soit non seulement pour juste ! § PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENCE ALLARD PERFORMANCES DES PRINCIPALES PLACES SUR UNE SEMAINE New York Dow Jones

+ 1,74 %

Paris

CAC 40

- 0,20 %

Zone euro

Shenzhen

- 1,01 %

+ 2 %

Eurostoxx 50

SSEC

Tokyo

Nikkei 225

- 5,90 %

Prêts à la consommation Taux le plus fréquemment accordé Sur 24 mois : 2,70 % Source : Empruntis.com.

Sur 36 mois : 2,80 %

Sur 48 mois : 2,89 %

CRÉDITS IMMOBILIERS 15 ans : 1,30 % 25 ans : 1,76 % 20 ans : 1,51 % 30 ans : 2,25 %

Taux hors assurance pour un très bon dossier

Pour 100 € de mensualité, vous empruntez (assurance comprise) : 15 ans : 15 970 € 25 ans : 23 377 € 20 ans : 20 085 € 30 ans : 25 077 € Source : meilleurtaux.com

PATRICK SORDOILLET - DR

JACQUES-AURÉLIEN MARCIREAU Edmond de Rothschild AM

LE POINT DE LA SEMAINEURBANISME/IMMOBILIER

Ce vaisseau spatial ? Le Centre des archives de Montpellier.

A 65 ans, sa mort prématurée a pris tout le monde de court. Au grand dam de nombreux amateurs d’architecture, cette sortie en accéléré est venue clore avant son terme l’extraordinaire partition tout en zigzag de Zaha Hadid. Cette « divarchitecte » anglo-irakienne a fait du mouvement une véritable matière première et sa marque de fabrique à part entière. Musées à Cincinnati, Glasgow ou Rome, Opéra de Canton, piscine des JO de Londres, centres culturels à Bakou et Abu Dhabi (en cours), la comète déconstructiviste inédite de la première femme auréolée du fameux prix Pritzker, le Nobel de l’architecture, laisse dans son sillage de nombreux bâtiments futuristes aux formes énergiques et fluides posés sur tous les continents (à retrouver sur lepoint.fr). L’Hexagone n’est pas en reste d’ovnis estampillés de la récente lauréate de la médaille d’or royale du Riba. On peut ainsi (re)découvrir en France le terminus Hœnheim, gare de tramway livrée en 2000 à Strasbourg, l’envolée de la tour de bureaux de l’armateur CMA-CGM érigée en 2011 dans le ciel de Marseille et, plus à l’ouest, le Centre des archives de Montpellier, bâti en 2012. Son nom ? Pierresvives ! § BRUNO MONIER-VINARD 28 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

L’auditorium tout feu tout flamme de l’Opéra de Canton.

Ce zigzag XXL abrite le musée des Transports de Glasgow.

GUILLAUME BONNEFONT/IP3/MAXPPP - PISTOLESI ANDREA /HEMIS.FR - HIGH LEVEL/REX SHUTTERS/SIPA

Zaha Hadid, retour vers le futur

FRANCE

Les derniers jours du Elysée. Les Français accablent François Hollande. Mais les plus sévères se recrutent parmi ses fidèles. Enquête au sein d’un pouvoir en capilotade.

S

ombres mines à l’Elysée. Les collaborateurs du président sont réunis vendredi 1er avril par JeanPierre Jouyet. L’ambiance n’est pas à la blague. Le secrétaire général et ami du chef de l’Etat s’essaie à un « grand exercice cathartique » après le cuisant échec de la déchéance de nationalité. L’onde de choc de ce revers a bousculé les conseillers ; les langues des soutiers se sont trop déliées dans la presse. Jouyet exige de tous de « jouer collectif ». « On a encore trois ou quatre mois devant nous pour gouverner ; après, plus personne ne va nous écouter dans les administrations », confiait, la semaine dernière, en petit comité, JeanJacques Barbéris, le conseiller aux affaires économiques de l’Elysée, en partance pour une filiale du Crédit agricole à l’été… Les départs et recasages sont lancés (voir p. 34), tant il apparaît que 2017 s’annonce sinistre pour la gauche… « Hollande est en soins palliatifs pour un an », lâche, amer, l’un de ses soutiens qui n’aura su le convaincre d’arrêter dès janvier la « tronçonneuse à diviser la gauche » que fut l’interminable feuilleton de la déchéance de nationalité et ses 63 heures de débats parlementaires. En enterrant la révision constitutionnelle, le président pense éviter le pire : un vote sanction au Congrès. Mais il ne peut empêcher que son autorité de chef de l’Etat parte en capilotade et que soit remise en question sa capacité à incarner l’unité de la nation. Passe encore par temps calme. Mais en cas de tragédie ? « Si on se prend un attentat en plein Eurofoot, comment on finit le mandat ? » s’alarme un cadre du ministère de l’Intérieur, hollandiste pur jus. Amateur de vélo, Jean-Christophe Cambadélis, le patron du PS, lance ce conseil à François Hollande : « On est vent de face, tu mets la tête dans les épaules et tu pédales. » Il en faudra sans doute plus pour remettre en ligne le peloton socialiste avec à sa tête un François Hollande en fin de règne qui, depuis le discours du Congrès à Versailles, le 16 novembre 2015, a enchaîné une séquence atroce entre les déchirements de sa famille politique, la démission de Christiane Taubira,

30 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

le ratage du remaniement gouvernemental, les rodomontades sans lendemain de Manuel Valls, la fronde syndicale, les manifs des jeunes, celles des agriculteurs et, au bout du compte, cette impréparation à la réforme du travail qui a mis en rage Emmanuel Macron contre le Premier ministre… Tous les regards se tournent désormais vers François Hollande, victime impuissante d’un « poison » d’avril après les « ires de Mars », gloussent ses détracteurs. Vindicte. Son attitude ? « La politique de l’éprouvette et de la cornue » pour le député et chef de file des frondeurs Christian Paul ; « l’implacable volonté d’en découdre », pour Gaspard Gantzer, son jeune communicant. En tout cas, à l’Elysée, il a été jugé que l’heure de l’explication était venue. Le 14 avril, le président de la République s’offrira sur France 2 à la vindicte d’un panel de Français. « L’émission miracle qui change tout, ça n’existe pas. Reconquérir la gauche, l’opinion, c’est un travail de fond qui n’a pas été fait jusqu’ici », grince Cambadélis. « Cette émission, c’est n’importe quoi ! Hollande va se faire lyncher comme sur TF1 en novembre 2014 », s’offusque l’un de ses conseillers, vent debout contre cette initiative qui aurait été soufflée par des « visiteurs du samedi après-midi ». Parmi eux, des communicants de l’ombre qui forment les cercles amicaux de Hollande : Robert Zarader, Marie-France Lavarini et Nathalie Rastoin… Le premier réseaute pour le compte du chef de l’Etat, la deuxième – une amie de vingt-cinq ans – avait déjà conseillé Lionel Jospin lors de la campagne de 2002 et la troisième faisait partie de l’équipe de com de la campagne Royal en 2007. « Lavarini et Rastoin sont associées à deux échecs de la gauche. Si c’est ça la référence… » souffle-t-on chez les hollandistes historiques, inquiets de ne pas retrouver leur siège parlementaire aux législatives de 2017. Car, à cet instant du quinquennat, ce sont les partisans du chef de l’Etat qui sont le plus remontés contre lui ! Et pour cause : « L’Elysée et Matignon nous ont demandé de fouler au pied nos convictions sur la déchéance de nationalité, éructe un député PS. On l’a votée en se reniant. Et ça n’a …

DENIS ALLARD/RÉA

PAR EMMANUEL BERRETTA

quinquennat Commémoratif. François Hollande attend l’arrivée de David Cameron à Amiens pour le centenaire de la bataille de la Somme, le 3 mars.

« Hollande est en soins palliatifs pour un an. » Un de ses proches Le Point 2274 | 7 avril 2016 | 31

FRANCE

Le pari  de Valls

servi à rien ! On ne va même pas porter la révision constitutionnelle au Congrès de Versailles, ce qui aurait permis de compter les voix à droite contre la révision. » Moralité : les frondeurs du PS exultent et ont beau jeu de dire qu’ils avaient raison depuis le début… Les grands fâchés du moment se recrutent chez les plus fidèles. A commencer par le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, tour de contrôle de Hollande au PS depuis de longues années. Il était l’homme qui repassait par-derrière pour dire « non » quand Hollande disait « oui » à tout. Aujourd’hui, Le Foll ne contrôle plus rien. L’émission de France 2 a été montée contre son avis. Il enrage… Sans parler de l’amertume d’un quarteron de hiérarques frustrés. Bruno Le Roux, contraint à la tâche ingrate de manier la schlague avec les députés socialistes, n’en revient pas de ne pas avoir obtenu un maroquin lors du dernier remaniement tandis que d’autres, « qui n’ont jamais été hollandais, ont eu de la promo » ! Didier Guillaume, le président du groupe PS au Sénat, n’est pas plus ravi : il guignait le poste de ministre délégué à l’Agriculture. Ce sera pour une autre vie… Même Kader Arif, l’ancien ministre délégué aux Anciens Combattants, a osé sortir du rang en vociférant publiquement contre la déchéance pour les binationaux. …

Hollande devrait aussi prendre garde de ne pas chatouiller le « grizzli » Frédéric Cuvillier, le coup de griffes n’est pas loin. Le maire du Touquet avait arrosé de notes le chef de l’Etat depuis des mois et n’a pas obtenu le ministère de la Ville pour lequel il phosphorait… Hollande est seul. Enfin, pas tout à fait. Samedi 27 février, en compagnie de Julie Gayet, il recevait à dîner quelques survivants du dernier carré : Jean-Yves Le Drian, son épouse, Maria, et l’avocat JeanPierre Mignard. « Le Drian, c’est normal, il s’en fout de 2017 ! Il a sa place au chaud dans sa maison de retraite de Bretagne : la présidence de la région », peste un jaloux. Si Hollande devait être candidat, qui se battrait pour lui ? Le combat politique n’est pas qu’une affaire de mots, ce sont aussi des chiffres. A ce titre, certains à gauche s’amusent à une terrifiante soustraction. Sur les 287 députés PS, une centaine arrêteraient la politique, atteints par l’âge et la lassitude, ne disputant pas les législatives de 2017. Une bonne raison pour ne pas mouiller le maillot pour un Hollande candidat. Chez les 187 autres, il faudrait soustraire environ 70 « frondeurs », par définition hostiles à la politique de Hollande… Sur la grosse centaine restante, 70 seraient certains d’aller au tapis tant leur victoire en 2012 fut acquise de

Guère impressionné par les sondages calamiteux, Manuel Valls considère que le poids institutionnel d’un président sortant ne peut être balayé aussi simplement. Il s’appuie sur les précédents : VGE n’a été battu par Mitterrand que d’une courte tête en dépit de la trahison de Chirac. L’impopulaire Sarkozy a manqué de peu d’être réélu après une belle remontée. Chirac, très affaibli en 2002, a quand même éliminé Jospin. Si toutefois la droite l’emporte en 2017, sa victoire ne gommera pas les difficultés du pays. Valls se voit donc briguer la nouvelle alternance en 2022, non sans une refonte du PS, un dépassement vers sa droite dont il se ferait le champion. A son avis, son expérience gouvernementale lui permettra de surclasser ses rivaux à gauche. Evidemment, cette présomption de supériorité vaut également si Hollande renonçait à se présenter en 2017.

Sur les 287 députés PS, une petite poignée défendra l’étendard de la hollandie. 32 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

justesse. Ils tenteront sans doute de sauver les meubles en se démarquant du bilan Hollande… Reste une quarantaine. Or, parmi ce résidu, il y aura des députés maires qui, en raison du non-cumul, choisiront de rester maires jusqu’en 2020. Donc, ils ne défendront pas leurs chances aux législatives et se tiendront sur la réserve. Sur la poignée de valides, combien, en définitive, lèveront l’étendard de la hollandie ? Qui pour assurer le maillage du terrain, le porte-à-porte, le tractage sur les marchés ? Cambadélis ne veut pas croire à ce scénario catastrophe et continue de filer la métaphore sportive : « Les militants socialistes sont comme les supporteurs d’une équipe de foot. Quand l’équipe n’est pas bonne, ils râlent contre l’entraîneur, les joueurs… Mais il suffit que l’équipe gagne trois matchs d’affilée et ils repartiront comme en 40. » Catéchisme. A l’Elysée, on guette les premiers buts du match Hollande contre le reste du monde à travers les prémices du retour de la croissance. On veut y croire. Les députés fidèles au président sont convoqués par petits groupes au palais pour apprendre à vendre, dans les médias, le petit catéchisme économique de la reprise : le pouvoir d’achat des ménages qui a augmenté de 1,7 %, « pas seulement à cause de la baisse du pétrole, mais aussi des premières baisses d’impôts » ; la croissance qui atteindrait 1,2 % au premier semestre, selon l’Insee, et pourrait dépasser 1,5 % cette année ; le succès de la prime à l’embauche, qui aurait généré 130 000 recrutements ; les marges des entreprises en partie restaurées « grâce au pacte de responsabilité et au CICE » ; les exportations en hausse de 6,1 % en 2015. Ses communicants veulent démontrer que le président travaille sérieusement au rétablissement des comptes publics avec un déficit 2015 de 3,5 %, meilleur que l’objectif initial de 3,8 %. Une « divine surprise » qui renforce l’« extrême combativité » du chef de l’Etat. Mais l’opinion n’a cure de l’amélioration de ces indicateurs « théoriques » tant que Hollande traîne le boulet de …

LAURENT GUÉRIN/EPRESS PHOTO

Cassure. Conseil des ministres du 15 avril 2015. Neuf mois plus tard, Christiane Taubira, en « désaccord majeur » avec le projet de déchéance de nationalité, quitte le gouvernement.

COPIREL S.A.S - RC RCSS Paris Paris 443 681 9903. Agence : io-Paris

LE BE AU DORMIR

Je ne suis pas fait pour vivre à la verticale.

Matelas, sommiers, dosserets, oreillers, couettes www.epeda.fr

FRANCE

souverains. Signe Ce n’est pas endes temps, ce job core l’hémorrad’ordinaire très gie, mais, à un prisé ne sera pas peu plus d’un pourvu : les an de la présidenautres conseillers tielle, les conseil- Jean-Jacques Barbéris Laurence Boone Hélène Le Gal chargés des queslers de François Hollande pensent déjà à prendre le large tions économiques et budgétaires reprenou se recasent sans attendre. Et d’ailleurs, dront ses dossiers. Autre départ : celui de le secrétaire général de l’Elysée, Jeanl’économiste Laurence Boone, qui rejoint Pierre Jouyet, qui a toujours aimé jouer le groupe Axa, où elle dirigera le départeau DRH de la République, laisse faire avec ment études et recherche. Enfin, Hélène bienveillance. Conseiller aux affaires Le Gal, la conseillère Afrique de l’Elysée, économiques, Jean-Jacques Barbéris, cet devrait obtenir prochainement une belle énarque à l’allure de jeune premier qui ambassade (on parle de Jérusalem). avait posé à la une d’un magazine, vient Une récompense méritée pour une diplode rejoindre Amundi, une filiale du Crédit mate rigoureuse que les barons de la agricole, où il sera chargé des relations Françafrique dénigrent continuellement avec les banques centrales et les fonds depuis plusieurs années § ROMAIN GUBERT l’inversion toujours repoussée de la courbe du chômage (+ 38 400 en février). Alors, à l’Elysée, on fustige la fiabilité du thermomètre de Pôle emploi : « Le chiffre mensuel de Pôle emploi ? Il est en décalage de 700 000 par rapport à celui du BIT. » François Rebsamen, maire de Dijon et ami, relaie le message dans Les Echos du 28 mars. L’ancien ministre du Travail entame la manœuvre consistant à changer de critère : « Il faudrait à l’avenir s’appuyer sur les chiffres du BIT et de l’Insee, d’une part parce qu’ils sont trimestriels, ce qui est la bonne périodicité, et d’autre part parce qu’ils sont la seule référence permettant de se comparer aux autres pays européens. » On …

remarquera qu’aucun socialiste n’avait contesté les chiffres de Pôle emploi ni leur périodicité quand ils recensaient 747 000 chômeurs de plus au cours du quinquennat Sarkozy… Naturellement, ce qui se joue à travers cette critique téléguidée de Pôle emploi, c’est la capacité de Hollande à se présenter à la candidature en dépit de sa conditionnalité à la baisse « durable » du chômage. Sur ce plan purement politique, Hollande est davantage à son aise. D’abord, il s’agit pour lui de manœuvrer au sein de son propre camp, ce dont il a l’habitude depuis 1997, date de sa première élection à la tête du PS. Pour lui préparer le Tactique. François Hollande et JeanChristophe Cambadélis à Jarnac, le 8 janvier.

34 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

Flingage tranquille. Mais, pour Hollande, le match n’a pas encore commencé. « Les Français ne sont pas entrés dans la présidentielle », a-t-il coutume de dire à un premier cercle. Outre les communicants, il entend les conseils de Ségolène Royal, les idées de Macron, de Daniel Vaillant… Le « raminagrobis attentiste » ne se découvrira qu’une fois connu son adversaire à droite, donc pas avant décembre 2016. A ses yeux, les outrances libérales des candidats lancés dans la surenchère d’une primaire qu’il anticipe sanglante suffiront à remobiliser son électorat classique. « La droite va nous aider. Elle s’attaque à toutes les clientèles de la gauche », résume un conseiller du chef de l’Etat. « Camba » traduit cette tactique en chiffres : « Nous augmentons le point d’indice de leur traitement de 1,2 % quand Sarkozy annonce la suppression de 300 000 postes de fonctionnaires. Ça va rafraîchir les opinions ! » En somme, ceux qui aujourd’hui défilent dans la rue contre le projet de loi El Khomri en intentant à Hollande le procès en trahison rangeront leur calicot quand ils verront les Juppé, Sarkozy, Fillon, Le Maire et autres promettre, avec

LAURENT THEILLET/MAXPPP - WITT/SIPA - DENIS ALLARD/RÉA - CHRISTOPHE MORIN/IP3/MAXPPP

Petit à petit, ils quittent l’Elysée

terrain, il peut compter sur « Camba ». Le premier secrétaire a posé publiquement la question : qui est avec et qui est contre Hollande ? Les deux candidats alternatifs les plus dangereux, Manuel Valls et Emmanuel Macron, se sont rangés derrière le président sortant avec chacun une petite idée derrière la tête (voir p. 32). Martine Aubry rouspète mais ne défiera pas Hollande en 2017. Le chef de l’Etat a pris soin de faire exploser EE-LV en jouant sur les ego et en distribuant les hochets ministériels à Emmanuelle Cosse, Jean-Vincent Placé… Cambadélis s’est chargé d’embarquer les communistes dans une primaire de la gauche qui, si l’affaire va jusqu’à son terme, les conduirait à soutenir le vainqueur de celle-ci quel que soit son programme. Un piège dont Pierre Laurent, leur leader, va avoir du mal à se défaire sans avoir l’air de se dédire grossièrement…

« A l’Elysée, vous êtes cernés d’énarques qui ont 35 ans et aucun sens politique. A cet âge-là, face à un président, ils s’écrasent. » Un visiteur du soir de Hollande les accents gutturaux de la sage Allemagne, une purge libérale à côté de laquelle la loi travail, même dans sa première mouture, était une douce tisane. Quand ses amis s’inquiètent de la popularité de Juppé, Hollande ne s’affole pas et flingue tranquillement : « Le masque de Juppé va tomber tôt ou tard quand les Français s’apercevront qu’il est le même qu’en 1986, le même qu’en 1995. A savoir un homme pas très sympathique qui veut administrer au pays une potion libérale. » Hollande reste arrimé à ses convictions : on ne réforme pas la France par ordonnances mais par le dialogue social (celui-là même qui a pourtant fait défaut au projet de loi El Khomri). « Toutes les fois où le gouvernement a voulu passer en

force, ça a bloqué le pays : Juppé en 1995 et Villepin en 2006 avec le CPE », lâche-t-il. Ses proches ne partagent plus ce bel optimisme. « Dès janvier 2017, le duel Juppé/Le Pen va prendre toute la place dans les médias. Car, comme d’habitude, on fera le second tour avant le premier. C’est déjà fini. Même les frondeurs, lors des réunions du groupe PS, ont renoncé à contester les monologues de Valls », se désespère-t-on à l’Assemblée. « On va même perdre les municipales en 2020, car, d’ici là, c’est la droite qui bénéficiera de l’embellie qui se dessine », se lamente un député du Sud. « A l’Elysée, il est impossible de garder le contact avec la réalité, juge l’un des visiteurs du soir du président. Déjà, vous n’êtes plus à Paris,

vous êtes à la campagne. Il n’y a plus un bruit, il y a de la verdure, un parc. Même dans les couloirs, on n’entend rien, alors que 860 personnes y travaillent. Et vous êtes cernés d’énarques qui ont 35 ans et aucun sens politique. A cet âge-là, face à un président, ils s’écrasent. » Hollande, lui, n’entend plus les Cassandre. Il multiplie les groupes de réflexion, les rencontres bilatérales et peut passer deux heures à écouter de vagues conseillers départementaux socialistes comme au temps de Solferino. Il prétend ne pas être dans la présidentielle, mais cela y ressemble furieusement... Son agenda officieux se charge : une sortie théâtrale par-ci, un dîner par-là, une sortie improvisée sur tel événement. Cette frénésie épuise ses équipes. « Quand il veut rencontrer les gens, il dîne avec Jean-Michel Ribes et des comédiens, ironise-t-on. Et quand les nouvelles sont mauvaises, lui, il dîne, loin, à la table d’Obama. » Pendant que la gauche, elle, s’attend à avaler une sacrée soupe à la grimace §

SPÉCIAL ISF 2016

75 % DE DÉFISCALISATION, 100 % DE GÉNÉROSITÉ ! Cette année encore, vous pouvez agir en faveur des plus démunis tout en réduisant votre ISF en faisant un don à la Fondation Française de l’Ordre de Malte : 75 % du montant de vos dons sont déductibles. ➤

Adressez votre don à : Fondation Française de l’Ordre de Malte 42, rue des Volontaires - 75015 Paris, et recevez un reçu fiscal à joindre à votre déclaration.



Pour plus d’informations : Contactez notre Service dons ISF, legs et donations au 01 45 20 98 07 ou consultez notre site internet www.fondationordredemalte.org

Fondé il y a plus de 900 ans, l’Ordre de Malte est la plus ancienne des institutions caritatives. Il déploie ses actions en France et dans le monde en faveur des populations marginaliséespar la pauvreté, la maladie, les conflits ou les catastrophes naturelles.

FRANCE

Les fabricants de ruine Dérive. Dans un livre acide, Jean Peyrelevade accuse la caste des hauts fonctionnaires.

pour cause, sur l’un des plus grands et l’un des plus coûteux désastres financiers qu’ait connus notre pays. Qui nous plonge dans la réalité peu glorieuse du pouvoir politique et économique en France, au cœur des pressions gouvernementales pour imposer à des postes prestigieux des amis plutôt que des gens compétents. Qui nous fait découvrir au plus près l’extraordinaire incompétence de certains ministres, le manque d’élégance dans le monde en apparence si bien élevé des grands banquiers, la négligence coupable et l’inefficacité des instances de régulation, sur fond de préoccupations person-

étudiant jugé besogneux à Sciences po, alors que lui-même était sorti major de la promotion avant de devenir inspecteur des Finances. Et faisant comprendre à Peyrelevade, lui-même « simple » polytechnicien, mais n’ayant pas fait l’Ena et n’étant pas inspecteur des Finances, qu’ils n’appartiennent pas au même monde. Un HaPAR PIERRE-ANTOINE DELHOMMAIS berer ayant fait cette réponse lunaire devant evinette : qui est l’auteur de ces prola commission d’enquête parlementaire qui l’interrogeait sur sa stratégie de pos peu amènes sur la façon dont en banque-industrie ayant conduit le LyonFrance les élites politiques et adminais au bord de la faillite et coûté des dinistratives dirigent l’Etat ? « Aujourd’hui comme hier, les mêmes connivences, la même zaines de milliards de francs aux consanguinité, le même opportunisme, la contribuables : « Je tiens à dire que le Crédit même absence de responsabilité, la lyonnais est fier de cette stratégie et que je suis fier d’avoir été le président qui même incompétence que l’on oublie de l’a conduite : elle m’a pris beaucoup de sanctionner produisent et continuetemps et d’efforts, mais nous avons là ront à produire les mêmes effets déléun outil absolument splendide. » tères. » Qui ose parler en termes La puissance de l’écriture sous aussi persifleurs de ces « hauts foncforme d’un journal est de donner tionnaires organisés de manière anl’impression au lecteur d’être luicestrale en mandarinat et qui, même, au côté de Peyrelevade, à la sélectionnés très jeunes parmi les plus barre du Titanic-Lyonnais en train brillants, les plus talentueux (ou supde sombrer. De s’épuiser avec lui à posés tels) d’une génération, sont en essayer de colmater les nouvelles outre l’objet à leur sortie de l’Ena d’une Amer. Jean Peyrelevade a présidé le Crédit lyonnais de 1993 à 2003. dernière distillation qui envoie à Bercy, pertes qui apparaissent chaque jour. où est géré l’argent public, la crème A sans cesse tenter de convaincre de la crème : les inspecteurs des File pouvoir politique de la gravité de la situation, à gérer aussi les consénances accompagnés de quelques membres de grands corps d’Etat de quences potentiellement dévastaniveau similaire » ? Eh bien, non, ce trices des fuites savamment distillées par Bercy ou Matignon n’est ni Jean-Luc Mélenchon ni Marine Le Pen, c’est Jean Peyreledans des journaux pas toujours bien conscients d’être manipulés. vade, lui-même ancien haut foncPour se rassurer, on pourrait se tionnaire et ex-patron de l’UAP et du Crédit lyonnais, qui écrit ces lignes en nelles sans aucun souci de l’intérêt dire que tout cela est de l’histoire ancienne. introduction du livre qu’il vient de pu- général. Il projette une lumière crue et Les énormes difficultés financières accruelle sur les dysfonctionnements struc- tuelles d’Areva, d’EDF ou encore de la SNCF blier, « Journal d’un sauvetage »*. Il s’agit des notes que Peyrelevade a turels de l’Etat actionnaire et de la gou- prouvent le contraire : rien n’a vraiment prises de début septembre 1993 à début vernance des entreprises publiques, sans changé. Mais le message le plus inquiétant 1995 quand l’Etat lui a confié la mission contre-pouvoirs pour corriger les erreurs de ce « Journal d’un sauvetage », c’est celui de sauver le Crédit lyonnais de la faillite. de dirigeants incompétents, soutenus par qu’écrit Jean Peyrelevade lui-même à la fin C’est d’abord un document rare, quand des hommes politiques copains de pro- de son introduction : « Le système français on connaît le goût du secret des grands motion de l’Ena et tous ensemble intime- de gouvernement centralisé par des élites patrons. Et, malgré ses 440 pages pleines ment convaincus de leur supériorité et consanguines doit être profondément changé. de chiffres et de précisions techniques, de leur infaillibilité. A défaut, ses défaillances répétées ne pourront pas du tout ennuyeux à lire grâce aux On reste sans voix devant l’arrogance qu’alimenter un populisme de plus en plus meanecdotes, aux récits des engueulades et inouïe et le délire mégalomaniaque d’un naçant pour notre démocratie. » De Jean-Yves des rendez-vous houleux, grâce aussi aux Jean-Yves Haberer à l’origine des risques Haberer à Anne Lauvergeon, le Front naportraits féroces que Peyrelevade fait de démesurés pris par le Crédit lyonnais quand tional a toujours pu compter sur des agents quelques-uns de nos plus hauts dirigeants il en était le président. Un Haberer faisant électoraux haut placés § politiques. C’est surtout un document ex- part un jour à Jean Peyrelevade de son mé- * « Journal d'un sauvetage », de Jean Peyrelevade traordinairement bien « documenté », et pris pour Jacques Chirac, condisciple et (Albin Michel, 448 p., 21,50 €).

D

36 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

HANNAH ASSOULINE/OPALE/LEEMAGE

« Le système français de gouvernement centralisé par des élites consanguines doit être profondément changé. »

FRANCE

PANAMA PAPERS LE FN CÔTÉ OFFSHORE 

Le 7 avril 2012,  au meeting de Lyon.

« Il faut en finir avec le règne de l’argent roi. » Janvier 2011, discours d’investiture de Marine Le Pen à la présidence du FN (congrès de Tours).

« On entre dans un monde où (…) ce sont les puissances financières qui, demain, décideront à quelle sauce vont être croqués les peuples. » Novembre 2011.

Le Front national a beau dénoncer les méfaits du « mondialisme », il en est parmi ses proches qui savent profiter de ses avantages. Les révélations du Monde sur les Panama Papers en apportent l’illustration. Des documents provenant du cabinet panaméen Mossack Fonseca détaillent « un système offshore sophistiqué » qui a bénéficié à des personnes liées à Marine Le Pen. Il s’agit de Frédéric Chatillon, l’un des principaux prestataires du FN, et de son père, Jean-Marie Le Pen, fondateur du parti. Chatillon aurait usé de circuits opaques entre Hongkong, les îles Vierges britanniques et Singapour pour dissimuler des transferts d’avoirs financiers. Quant à Le Pen, il lui est reproché d’avoir confié une fortune à une société panaméenne. Ces révélations sont-elles en mesure de stopper

l’ascension de Marine Le Pen, sinon de nuire à sa stratégie de dédiabolisation ? « Si le FN veut réussir le grand saut entre le statut de parti d’opposition et celui de parti de pouvoir, il a besoin d’élargir sa base sociologique aux classes moyennes et aux professions libérales. Une population réputée bien informée et donc potentiellement plus réceptive aux révélations relayées dans les médias », indique le politologue Jean-Yves Camus. Pour Brice Teinturier, directeur de l’institut de sondages Ipsos, les conséquences politiques devraient être minimes : « Il s’agit de personnes peu ou pas connues du grand public. Si ces révélations avaient touché des figures du parti comme Louis Aliot, Florian Phillippot ou Marine Le Pen elle-même, ce serait différent. » Mais il précise qu’il sera désormais difficile pour le parti de se poser « en chevalier

PRIMAIRE 2016 Michèle AlliotMarie : pourquoi pas moi ? La perspective d’une candidature de Michèle Alliot-Marie à la primaire de 2016 se précise. Pour rassembler ses soutiens, l’eurodéputée LR vient de lancer son mouvement baptisé Nouvelle France. « Il s’agira uniquement de mener campagne sur Internet afin d’appeler les Français à se prononcer, pardelà les considérations partisanes, sur les enjeux actuels », détaille Florimond Olive, collaborateur de MAM. Sous couvert de lancer une plateforme participative, l’exministre, longtemps discrète, envisage d’être candidate. Mais elle préfère d’abord évaluer ses chances. « Ce qui est sûr, c’est qu’elle veut peser en 2017 », affirme une fidèle, Marie-Anne Montchamp, ex-secrétaire d’Etat. Requinquée, en février, par ses 45 % de voix face à Luc Chatel pour 38 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

L’ex-ministre lance son propre parti, Nouvelle France.

l’élection à la présidence du Conseil national des Républicains, MAM entend exploiter le capital de sympathie dont elle jouit pour jouer sa partition. Un scénario que Nicolas Sarkozy verrait d’un bon œil. Alors qu’ils entretenaient des relations compliquées, il se montre dorénavant bienveillant vis-à-vis de celle qu’il trouvait « nulle » à la fin de son quinquennat. « Dans les réunions avec les militants, MAM est désormais

blanc face au système ». Lundi, lors d’un bureau politique, Marine Le Pen a dénoncé « un nouveau coup des médias » et ironisé : « Si on avait du fric à l’étranger, ce serait une bonne nouvelle, on n’aurait pas à en solliciter. » Dans le cadre de l’enquête sur Jeanne, le microparti de la présidente du FN, une information judiciaire a été ouverte en 2014 pour « blanchiment en bande organisée » et « financement illégal d’un parti politique et de campagne électorale ». L’enquête, toujours en cours, avait notamment abouti aux mises en examen du FN et de Frédéric Chatillon. Ce qui n’avait pas empêché le parti de Marine Le Pen – entendue récemment sous le statut de témoin assisté – d’arriver, quelques mois plus tard, en tête au premier tour des régionales § MATHIEU LEHOT ET HUGO DOMENACH la meilleure porte-parole de l’action de Sarkozy à la tête du parti », confie un cadre des Républicains. En outre – ce qui n’est pas pour déplaire à Sarkozy –, MAM en veut à Alain Juppé, qu’elle juge en partie responsable de son éviction du Quai d’Orsay en 2011, après les révélations de la presse sur ses vacances en Tunisie aux frais de l’ancien dictateur Ben Ali. La gaullo-chiraquienne Alliot-Marie sera-t-elle en mesure de gêner la candidature du chiraquo-gaulliste Juppé ? Sarkozy veut le croire et compte sur le soutien de son ex-ministre si d’aventure elle renonçait à se présenter. Il en est un autre qui observe ces manœuvres avec intérêt, c’est François Fillon. Selon nos informations, l’ancien Premier ministre a récemment déjeuné avec l’eurodéputée LR. Et on devine qu’il n’a pas seulement été question de leurs origines basques § M. L. TOUTE L’ACTUALITÉ SUR lepoint.fr

HAMILTON/RÉA - CHAMUSSY/SIPA

« Je dois évoquer devant vous le plus grand racket de tous les temps. Celui des marchés financiers et des banques. »

VIVEZ PLEINEMENT VOS PASSIONS N O U S G É R O N S V O T R E P AT R I M O I N E POUR VOUS DONNER LE TEMPS DE PROFITER PLEINEMENT DE VOS PASSIONS, SOCIÉTÉ GÉNÉRALE PRIVATE BANKING MET À VOTRE SERVICE SON EXPERTISE ET SES SOLUTIONS SUR-MESURE EN GESTION DE PATRIMOINE DANS PLUS DE 2300 AGENCES. privatebanking.societegenerale.fr

*Société Générale Private Banking, élue meilleure Banque Privée Européenne 2015 par Private Banker International. Société Générale Private Banking est le nom commercial pour les entités de private banking de Société Générale et de ses filiales à l’étranger. Société Générale est régulée et agréée par l’Autorité Française de Contrôle Prudentiel et de Résolution (« ACPR »), par l’Autorité des Marchés Financiers (« AMF ») et par la Banque Centrale Européenne (« BCE »). Tous les produits et services offerts par Société Générale ne sont pas disponibles dans toutes les juridictions. Contactez notre bureau local pour plus de renseignements. 2016 Société Générale Groupe et ses filiales. © Aurélien Chauvaud. FF GROUP

EN COUVERTURE

ALI KAVEH/RÉA POUR « LE POINT »

Le nouvel

Vent nouveau. Le pont Tabiat, à Téhéran, lieu emblématique de la capitale iranienne. 40 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

Iran

Epicentre. Longtemps isolée sur la scène internationale, cette grande puissance historique joue désormais un rôle central. Enquête sur l’autre « révolution » iranienne. DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL À TÉHÉRAN, ARMIN AREFI

L

a Perse millénaire renaît de ses cendres. Après les années sombres de l’ère Ahmadinejad, l’heure du changement a sonné en Iran. Depuis l’élection surprise du président modéré Hassan Rohani en 2013, l’image de la République islamique dans le monde est en train de changer. L’Iran renoue avec son passé de quatre mille ans. Celui du « Roi des rois », Cyrus le Grand, et de sa première déclaration des droits de l’homme. Celui de la merveilleuse Persépolis, berceau de la civilisation. Après trois décennies d’isolement sur la scène internationale, la République islamique est reconnue par l’Occident. Tel est le message implicite contenu dans l’accord historique sur le nucléaire iranien conclu en 2015. Mais la levée des sanctions internationales contre Téhéran enchante autant qu’elle inquiète. Elle concrétise le désir d’ouverture de la population iranienne jeune et éduquée, qui avait défié dans la rue l’ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad en 2009, avant d’être férocement réprimée. Elle permet aux entreprises françaises d’effectuer leur retour dans cet eldorado qui détient les premières réserves de gaz au monde et les quatrièmes en pétrole. Mais elle donne également l’occasion au pouvoir iranien, dominé par le Guide suprême conservateur, l’ayatollah Khamenei, de remettre la main sur des dizaines de milliards de dollars d’avoirs gelés. … Le Point 2274 | 7 avril 2016 | 41

EN COUVERTURE De quoi relancer une économie en détresse sans mettre fin à son programme nucléaire controversé. Et approvisionner ses sulfureux alliés dans un Moyen-Orient à feu et à sang, du Hezbollah libanais au Hamas palestinien en passant par le Syrien Bachar el-Assad. La sanglante guerre de religion (chiites contre sunnites) que se livrent par procuration l’Iran et l’Arabie saoudite, les deux grandes puissances régionales, en Irak, en Syrie, au Yémen ou au Liban, a de beaux jours devant elle… Ce serait toutefois oublier que, dans ce conflit politique entre Perses et Arabes, ce sont les premiers qui demeurent sur le terrain les véritables alliés de l’Occident contre Daech, renvoyant le royaume wahhabite à ses nombreuses contradictions. Et les Iraniens sont bien plus proches de nous qu’on ne le croit. Si la République islamique n’a jamais autant exécuté par pendaison que l’année dernière, la société iranienne, elle, avance… A l’université, la majorité des étudiants sont des femmes. En dépit de lois toujours fondées sur la charia, les Iraniennes se battent depuis trente-sept ans et font changer, lentement mais sûrement, des textes discriminatoires. Chaque jour, le voile islamique obligatoire tombe un peu plus. A contrario, les Saoudiennes ont toujours interdiction de conduire. Cette volonté, irrépressible, de changement, les Iraniens l’ont à nouveau montrée lors des dernières législatives en votant massivement, dans les grandes villes, pour les listes modérées, malgré les mises en garde du Guide suprême. Décidément, on est loin de la révolution islamique de 1979. Un nouveau chapitre de l’histoire du monde s’ouvre à Téhéran… §

Abbas Milani : dans la tête des Perses



Abbas Milani Historien américanoiranien, directeur du programme d’études iraniennes à l’université américaine Stanford.

Réveil. L’historien décrypte les mutations inexorables de la société iranienne. Le Point : Assiste-t-on aujourd’hui au réveil de l’Iran ? Abbas Milani : L’Iran s’est déjà réveillé. C’est un pro-

cessus de trente ans qui, petit à petit, se concrétise. J’ai toujours pensé que l’Iran dont parlait l’Occident n’était qu’une partie de ce pays. Il y a un autre Iran, l’Iran des jeunes, l’Iran des femmes, qui agit avec intelligence lors des élections. Regardez celle du président (modéré) Rohani en 2013. Ce n’est pas lui qui a créé les conditions du changement. Il n’est que le résultat de cette volonté populaire. Les Iraniens savaient que, s’ils ne pouvaient pas choisir le candidat qu’ils souhaitaient réellement, ils devaient en revanche porter leur choix sur la meilleure option possible. Ils ont agi de la même manière aux dernières élections du Parlement et de l’Assemblée des experts,

– 2000  L’Iran, « terre des Aryens ». Les Perses et les Mèdes, peuples d’Asie centrale de langue indoeuropéenne, s’installent sur le plateau iranien. – 550  Premier Empire perse. Cyrus II fonde l’Empire achéménide. « Roi des rois », il serait à l’origine de la première déclaration des droits de l’homme. Sous Darius Ier, l’Empire perse devient le plus vaste de l’Antiquité, en s’étendant de l’Inde à la mer Egée. Persépolis accède au rang de capitale. Le zoroastrisme, qui a influencé les trois monothéismes du Livre, en est la religion officielle. 637 Invasion arabe. Les Arabes envahissent l’Empire perse sassanide et l’intègrent dans leur califat. L’islam remplace peu à peu le zoroastrisme. Mais les Iraniens se démarquent des Arabes en épousant progressivement l’islam chiite. 42 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

1905 Révolution constitutionnelle. Une révolte d’intellectuels, soutenus par le clergé et le Bazar, contre le pouvoir absolu de la dynastie Qadjar aboutit à la création du premier Parlement iranien et à l’adoption d’une Constitution. 1907 La Perse divisée. La Russie et le Royaume-Uni se partagent le pays en trois « zones d’influence » (Nord pour Moscou, Sud-Est pour Londres et une zone neutre). En 1941, les deux puissances envahiront directement l’Iran, forçant le chah Reza Pahlavi à abdiquer en faveur de son fils Mohammad Reza Pahlavi.

Août 1953 Coup d’Etat de la CIA et du MI6. Seul Premier ministre élu démocratiquement en Iran (en 1951), Mohammad Mossadegh est renversé après avoir nationalisé le pétrole iranien. Le chah (photo) est réinstallé au pouvoir. Février 1979 Révolution iranienne. Après trentehuit ans de pouvoir sans partage, le régime impérial du chah est renversé par une révolte populaire mêlant islamistes, communistes, marxistes et libéraux. Exilé à l’étranger depuis 1964, l’ayatollah Khomeyni revient triomphalement à Téhéran et proclame, le 1er avril 1979, la République islamique d’Iran.

STEVE GLADFELTER - WWW.BRIDEMANIMAGES.COM - AGIP/RUE DES ARCHIVES - SETBOUN/SIPA

DE LA PERSE À L’IRAN : 4 000 ANS D’HISTOIRE

ARMÉNIE

extérieur, ils aspirent à une société plus ouverte, avec de la musique, des médias et des théâtres libres…

AZERBAÏDJAN TURKMÉNISTAN

Mer Caspienne

TURQUIE

La fin des sanctions contre l’Iran va-t-elle accélérer ce processus ?

Tabriz Orumieh Mechhed

Karaj Téhéran IRAK

Hamadan

IRAN

Qom

Kermanchah

D Ispahan

Gisement de pétrole

Yazd

Ahwaz

AFGHANISTAN

S E

R

Gisement de gaz

Persépolis Chiraz

KOWEÏT

Raffinerie de gaz Population urbaine : 8 000 000 5 000 000 1 000 000 500 000

T

Raffinerie de pétrole

É

Kerman Zahedan

South Pars QATAR ARABIE SAOUDITE

Golfe Persique ÉMIRATS ARABES UNIS

Golfe d’Oman OMAN

qui ont pourtant été les plus contrôlées de l’histoire de l’Iran. Le peuple a retourné le scrutin en sa faveur et l’a transformé en véritable référendum. Les Iraniens ont envoyé au monde et à leur pouvoir le message selon lequel ils ne peuvent plus tolérer la situation actuelle. Ils désirent être en lien avec le monde

SAYAD/SIPA - REZA/SIPA - BERNO/SIPA GOITIA/« THE NEW YORK TIMES »/REDUX-RÉA - KEITH/REUTERS

PAKISTAN

Bandar Abbas

Novembre 1979 Prise d’otages à l’ambassade américaine. Des étudiants islamiques iraniens retiennent 52 diplomates de la représentation américaine à Téhéran pendant 444 jours, provoquant la De 1980 à 1988 Guerre IranIrak. Se sentant menacé par la rupture des relations proclamation de la République entre les deux islamique chiite, Saddam Huspays. sein envahit l’Iran. Soutenu par l’Occident et les monarchies du Golfe, il fait pourtant face à une étonnante résistance du régime islamique naissant, qui en profite pour se consolider en interne et réprimer toute opposition. Le conflit durera huit ans et fera un million de morts.

0

200 km

Le gouvernement modéré de Rohani, avec le soutien des réformateurs et de la majorité du peuple, a montré qu’il souhaite une relation nouvelle avec l’Occident, mais aussi un véritable changement à l’intérieur du pays. S’il y arrive, alors ce sera un pas crucial pour l’émergence d’un nouvel Iran. Car l’arrivée de la richesse intellectuelle et technologique en Iran est à mon sens la seule voie pour que le pays sorte de la crise économique et sociétale dans laquelle il est plongé. Mais il existe encore au pouvoir un camp conservateur, puissant, qui ne veut pas dialoguer avec le monde et qui a créé une situation explosive au cours des dernières années. Il est incarné par le Guide suprême, l’ayatollah Khamenei. Son bras armé, ce sont les Gardiens de la révolution (armée idéologique du pouvoir) et les miliciens bassidjis, chargés de réprimer la population. Les « durs » conservent une place importante avec leurs députés au Parlement et leurs religieux, certes minoritaires dans le clergé, à l’Assemblée des experts. Tout cela représente un vivier de 6 à 8 millions de voix. Comment expliquer que les conservateurs tiennent le pays depuis presque quatre décennies ?

Ils ont mis la main sur des pans entiers de l’économie iranienne. Outre l’argent, ils ont la force et n’hésitent pas à l’utiliser. Et la vérité est que le peuple iranien ne souhaite pas lutter violemment contre cette minorité. Il ne veut pas que l’Iran se transforme en Syrie. Regardez avec quelle force le pouvoir iranien …

13 juin 2009 Mouvement vert anti-Ahmadinejad. La réélection du président ultraconservateur (photo) est jugée frauduleuse par une partie de la population. Pendant six mois, elle organise des manifestations pacifiques sans précédent en République islamique. Dirigée par les candidats malheureux Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, la contestation sera férocement réprimée, avec plus de 150 morts. 14 juin 2013 Election à la présidence du « modéré » Hassan Rohani (photo). Le nouveau président est élu dès le premier tour avec 50,5 % des voix , grâce à un programme axé sur la normalisation des relations avec le monde et la relance de l’économie, par la résolution du conflit sur le nucléaire.

14 juillet 2015 Accord sur le nucléaire iranien. L’Iran accepte de réduire drastiquement son programme nucléaire en échange de la levée des sanctions. La République islamique entame un réchauffement diplomatique avec les Etats-Unis (photo).

Le Point 2274 | 7 avril 2016 | 43

EN COUVERTURE soutient Bachar el-Assad. Une partie du message est adressée au peuple iranien. On lui signifie : « Si on est capables de s’emparer de la moitié de la Syrie, de prêter au pouvoir syrien des milliards de dollars, d’assumer 300 000 morts, imaginez ce qu’on est prêts à faire pour l’Iran… » Le message est à mon avis passé. Les Iraniens ont vu en 2009 que le régime était prêt à utiliser la violence pour rester au pouvoir. …

« Il existe encore au pouvoir un camp conservateur, puissant, qui ne veut pas dialoguer avec le monde. »

Comment expliquez-vous que ce mouvement de contestation se soit éteint ?

Je ne suis pas du tout d’accord. Si c’était le cas, Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi [leaders du Mouvement vert, assignés à résidence depuis 2011, NDLR] seraient aujourd’hui libres. Et l’ancien président réformateur Khatami aurait le droit de s’exprimer dans les médias. Lorsque le Guide suprême, à la veille des dernières élections, met en garde les électeurs contre l’« influence » de personnalités qui ne seraient pas sur la ligne officielle de la révolution, il trahit une inquiétude certaine. La crainte d’un peuple qui montre à chaque élection qu’il n’est pas satisfait. Le gouvernement mesure cette aspiration populaire. A tel point qu’il existe aujourd’hui un paradoxe d’une subtilité étonnante : alors que les leaders du mouvement de

2009 ne sont pas libres, plusieurs de leurs partisans sont membres du gouvernement Rohani ! Mais n’y a-t-il pas deux Iran ? L’Iran des grandes villes et celui des provinces ?

Cette vision n’est plus tout à fait vraie. Toutes les études réalisées à l’occasion de l’élection du président Hassan Rohani en 2013 montrent que, dans beaucoup de villages, la majorité des électeurs ont voté pour lui et non pour les candidats conservateurs. Mais le plus important, selon moi, est que la frontière entre villes et campagnes est sur le point de se briser en Iran. Grâce à Internet, aux paraboles satellites [que tous les Iraniens possèdent malgré leur interdiction, NDLR], mais aussi grâce aux échanges économiques. Il subsiste certes encore des écarts, mais ceux-ci diminuent chaque jour davantage. Vous tombez des nues lorsque vous lisez, dans les médias iraniens, que la ville …

CHIRURGIE ESTHÉTIQUE ET EXÉCUTIONS CARTE D’IDENTITÉ

ÉDUCATION

79 millions d’habitants 99 % sont musulmans

71 % sont citadins

55 % ont moins de 30 ans

50,4 % sont des femmes

17 % des actifs sont des femmes

Les Iraniens sont perses et non arabes. Ils parlent le persan, langue d’origine indo-européenne, qui s’écrit néanmoins avec l’alphabet arabe depuis l’invasion de 637. CONDITION DE LA FEMME

Obligation de porter le voile et de se couvrir le corps depuis 1979. Si les Iraniennes votent depuis 1963, elles subissent des lois discriminatoires en matière d’héritage, d’indemnisation en cas d’homicide ou de témoignage devant un tribunal. par femme. C’est le taux de 1,8 enfant fécondité malgré une politique gouvernementale nataliste. Il était de 7 au début de la révolution.

44 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

Taux d’alphabétisation

En 1976 (sous le chah)

2015 (sous Hassan Rohani)

47,5 % de la population

93 % de la population

3e pays au

monde avec 233 695 ingénieurs en 2015

EXÉCUTIONS

966 

personnes ont été exécutées en 2015, principalement pour trafic de drogue. La trahison, l’espionnage, le meurtre, l’attaque à main armée, le viol, la sodomie, l’adultère, la prostitution et l’apostasie sont également passibles de la peine capitale. La République islamique d’Iran est le pays qui exécute le plus de mineurs au monde, avec 73 condamnations à mort entre 2005 et 2015.

+ de 50 %

des étudiants à l’université sont des femmes

10,5 

millions de diplômés, dont 60 % de femmes

BEAUTÉ

4e  10e 

rang mondial en termes de rhinoplastie esthétique.

concernant la chirurgie esthétique. Les Iraniennes sont férues de rhinoplastie et d’injections de Botox aux joues, au front ou aux lèvres. Mais un nombre croissant d’hommes se font désormais également opérer le nez.

7e 

marché au monde pour la vente de cosmétiques.

BIEN INFORMER C’EST ANALYSER LE MONDE, EN COMMENÇANT PAR LE VÔTRE.

VOUS ÊTES AU CŒUR DE L’INFO LCI.FR / @LCI

GRATUITE SUR LE CANAL 26 ET DISPONIBLE ÉGALEMENT SUR LES OFFRES DE TÉLÉVISION DE LESOFFRESCANAL.FR

EN COUVERTURE de Mechhed, l’une des plus conservatrices du pays, est devenue un bastion de la musique de rap underground en Iran ! Que, dans un village éloigné de la province d’Azerbaïdjan, 80 filles et garçons ont été récemment arrêtés parce qu’ils dansaient et buvaient de l’alcool dans une soirée ! Que la ville sainte de Qom, deux jours avant la Saint-Valentin, était victime d’une rupture de stock de cadeaux et de cartes ! Il y a à peine quinze ans, j’aurais cru à de la science-fiction. …

Malgré toutes les restrictions, l’Iran n’est-il pas plus démocratique que la plupart des pays de la région ?

C’est vrai en ce qui concerne la société iranienne, pas la République islamique. C’est cette société qui lutte pour la démocratie depuis plus de cent ans. C’est cette société qui a fait la révolution constitutionnelle en 1905, qui a élu démocratiquement le Premier ministre nationaliste Mossadegh dès 1951. C’est cette société qui a obtenu le droit de vote et d’éligibilité pour les femmes en 1963. C’est elle encore qui a fait chuter en 1979 le chah, à la tête d’un des pouvoirs les plus puissants du Moyen-Orient. C’est cette société enfin qui a soutenu les (réformateurs) Khatami, Rafsandjani, puis Moussavi. Sur le plan démocratique et de la société civile, les Iraniens n’ont aucun équivalent dans la région, excepté peut-être les Turcs et les Israéliens. Mais s’ils sont à l’origine de l’une des plus importantes révolutions du XXe siècle, après les révolutions bolchevique et chinoise, leur but

SEXE ET RENCONTRES

Les relations sexuelles sont officiellement interdites avant le mariage, et les boîtes de nuit n’existent plus (elles étaient autorisées sous le chah). Pourtant, la jeunesse iranienne drague beaucoup, dans la rue, les cafés, les cinémas, les fêtes privées et sur les réseaux sociaux.

Peine de mort, en cas de récidive. Ce n’est pas le cas de la transsexualité, qui est autorisée après que l’ayatollah Khomeyni a émis une fatwa (décret religieux) légalisant les opérations de changement de sexe pour « maladie ». Celles-ci sont même en partie financées par le gouvernement. Mais certains homosexuels se résignent à opter pour le bistouri afin d’éviter la potence.

Comment s’inscrivent les trois décennies de République islamique dans l’histoire millénaire de l’Iran ?

La République islamique a provoqué la plus grande émigration de l’histoire de l’Iran. Jamais, depuis quatre mille ans, 10 % de la population n’était partie vivre à l’étranger. Mais le pays a également connu deux autres migrations sans précédent au cours du XXe siècle. Tout d’abord, le déplacement des femmes à l’extérieur du foyer, qui est survenu au cours des cinquante dernières années. Ensuite, l’exode des populations des campagnes vers les villes, un processus qui, en Iran, s’est réalisé en quarante ans. D’un côté, la République islamique est le résultat de certains de ces changements. De l’autre, elle s’est parfois dressée contre eux, comme pour les femmes. Mais elle n’a pas réussi. Les lois islamiques ne leur sont-elles pourtant pas défavorables ?

De Khomeyni à Khamenei, tout a été fait pour que les Iraniennes restent à la maison, d’autant qu’il est extrêmement dur pour elles de se dresser contre une loi fondée sur le Coran. Selon la Constitution iranienne, la vie d’une femme vaut moitié moins …

Age minimum Hommes : 15 ans Femmes : 13 ans (moins si accord du père et du juge)

HOMOSEXUALITÉ

n’était pas l’instauration du Velayat-e faqih (pouvoir du Guide suprême). D’ailleurs, lorsqu’il était réfugié à Neauphle-le-Château, jamais Khomeyni n’a utilisé ce mot. Au contraire, la première Constitution élaborée par l’ayatollah, lorsqu’il se trouvait en France, était calquée sur celle de la Ve République.

Il est possible, en Iran, de s’engager, devant un mollah, pour une durée provisoire allant de 1 heure à 99 ans. Mais cette particularité de l’islam chiite est très mal vue par la société iranienne, qui y voit une forme de légalisation de la prostitution.

MARIAGE

Un rapport du Centre de recherche du Parlement iranien soulignait en 2014 que 80 % des lycéennes iraniennes avaient un petit ami et « même des contacts sexuels ».

46 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

Le mariage temporaire

Age moyen 28,1 ans pour les hommes 23,4 ans pour les femmes

DIVORCE

21 % 

C’est le taux record atteint en 2014. Le phénomène est encore plus important dans les grandes villes. A Téhéran, près d’un couple sur trois se sépare. Le divorce est autorisé depuis 1967 pour les Iraniennes. Mais, contrairement à son mari, la femme doit motiver sa décision devant un juge, en prouvant que son conjoint la bat, a des problèmes psychologiques ou ne peut subvenir à ses besoins. Autre motif de divorce en faveur de la femme, l’impossibilité pour le mari de payer sa dot, ce qui peut même le conduire en prison. La garde des enfants de 7 ans ou plus va automatiquement à l’homme.

INTERNET ET MOBILES

20 millions 

d’Iraniens utilisent l’application Telegram, qui n’est pas filtrée par les autorités, contrairement à Facebook ou Twitter.

la population est connectée à Internet. L’Iran est le premier pays 57,2 %deau Moyen-Orient, avec 46,8 millions d’internautes.

85 %

 de la population iranienne possède un téléphone portable et 51 % un smartphone. L’Internet 3G et 4G se développe rapidement. Les Iraniens sont habitués à contourner la censure gouvernementale.

Bousculez les évidences

Écoutez vos émotions

Restez connecté

Leadership ? #Humanship ! Le leadership est en chacun de nous. C’est un potentiel qui ne demande qu’à être développé. NEOMA Business School vous apprend à révéler vos propres compétences en matière de leadership. Osez les point s de vue dif férent s et réinventez les modèles établis. Prenez en compte vos émotions et cultivez l ’empathie. Restez connecté et mobilisez les talents, avec la performance collective en ligne de mire. Head. Heart. Hands. Stay human, become a great leader, boost your humanship !

Rejoignez-nous sur neoma-bs.fr

Tête. Cœur. Mains. Restez humain, devenez un leader, boostez votre “humanship” !

Futur leader ou leader du futur ?

EN COUVERTURE des diplômés à l’université sont des femmes. Cette année, pour la première fois de l’histoire de l’édition en Iran, il y a plus d’auteurs femmes que d’hommes ! Et la loi sur la responsabilité civile vient de changer en faveur des Iraniennes ! Désormais, en cas d’accident de la route, les assurances sont tenues de rembourser la même somme, qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme. C’est considérable ! Donc, si on peut changer la loi du Coran, on peut tout changer. Comment expliquez-vous cette dichotomie entre population et pouvoir?

que celle d’un homme. Les postes les plus importants du pays leur sont interdits. L’âge minimal pour convoler a été abaissé à 9 ans. Tout a été mis en œuvre pour que le droit au divorce soit l’apanage des hommes. Mais les Iraniennes n’ont pas accepté tout cela. Elles ont une tradition historique de lutte pour leurs droits. Imaginez, il y a cent ans, l’Iran possédait déjà un magazine féminin ! Sous la pression des Iraniennes, l’âge du mariage a été relevé à 13 ans. Et aujourd’hui, l’âge réel moyen est de 24 ans. La majorité …

Ce n’est pas la première fois que le peuple iranien attire lentement vers lui un pouvoir dominant. Lorsque les Arabes ont envahi l’Iran il y a quatorze siècles, les Iraniens ont d’abord lutté pendant trois cents ans, avant de modifier leur stratégie : il s’agissait alors de changer l’islam de l’intérieur. Le Français Henry Corbin a parfaitement décrit leurs efforts pour intégrer des rituels zoroastriens préislamiques à cette religion (le chiisme est considéré comme une variante iranienne de l’islam). Les Iraniens ont reproduit le même plan après les invasions mongole (1219) et séfévide (1501). Aujourd’hui, de la même manière, ils choisissent une autre voie que la lutte violente pour se révolter. Ils ont compris ce que disait Foucault. Que la puissance se joue au jour le jour. Regardez la vie quotidienne des Iraniens, elle n’a rien à voir avec le pouvoir, croulant et masculin, de la République islamique. C’est un véritable signe de la maturité politique de ce peuple § PROPOS RECUEILLIS PAR ARMIN AREFI

Printemps iranien. Téhéran au mois de mars. Un groupe de rock se produit dans la rue, comme dans n’importe quelle ville occidentale.

ÉCONOMIE : CE QUE PÈSE L’IRAN 175,4 4e rang milliards de barils mondial

Production par jour 3,2 millions de barils

Richesse nationale En 2005, Ahmadinejad PIB par habitant*, en dollars est élu. En 2013, constants de 2000 le réformateur Rohani lui succède. 17 000

En 2006, début des sanctions contre l’Iran en raison de son programme nucléaire.

34 000 milliards de m3

7e rang mondial

Croissance

Evolution du PIB, en % La chute du prix du pétrole 4,3 % a impacté la croissance 3%

15 000

* Avec correction de la parité de pouvoir d’achat.

48 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

Chômage, en % de la main-d’œuvre totale 14

PÉRIODE AHMADINEJAD

2016

Prévision

473,9 millions de m3

4e rang mondial Soit 5 % de la production mondiale fin 2015

Inflation

Croissance des prix à la consommation, en % 40

PÉRIODE AHMADINEJAD

12,8 %* 12

14 029 $ 2010

Emploi

$ $

26,7 %

12,1 %

PÉRIODE AHMADINEJAD

Par ailleurs, le prix 14 452 $ du baril a fortement chuté de mars 2012 (94,20 €) à avril 13 000 2016 (33,64 €). 2005

1er rang mondial

Production par jour

Soit 18 % des réserves mondiales fin 2015

Soit 4 % de la production mondiale en 2016

Soit 10 % des réserves mondiales en 2016

GAZ

Réserves prouvées

20 *Estimé à 30 % par le FMI

0%

10

2014 2015 2016

Prévision

2005

13,4 % 0

2010

2016

Prévision

2005

2010

2016

Prévision

350 dollars

C’est le salaire moyen iranien. Celui d’un enseignant est de 300 dollars.

55 milliards

de dollars, dont 32 milliards d’avoirs bloqués dans les banques internationales. C’est ce que doit empocher la République islamique du fait de la levée des sanctions après la mise en œuvre le 16 janvier de l’accord sur le nucléaire iranien.

Sources : FMI (décembre 2015), BP Statistical Review of World Energy (juin 2015), ministère iranien du Pétrole (mars 2016), AFP, Trésor américain, Banque centrale iranienne.

ALI KAVEH/RÉA POUR « LE POINT »

PÉTROLE

$

Réserves prouvées

AVANT JE PAYAIS L’ISF. AUJOURD’HUI, JE LE DONNE POUR ACCÉLÉRER LES PROGRÈS DE LA RECHERCHE CONTRE LE CANCER.

«

« SPÉCIAL ISF

OUVREZ LES PORTES DE LA MÉDECINE DE DEMAIN EN SOUTENANT LA RECHERCHE CONTRE LE CANCER ET VALORISEZ VOTRE RÉDUCTION FISCALE DE 75%

75% de votre don à la Fondation ARC est déductible de votre ISF. Cette opportunité fiscale vous offre le choix d’utiliser votre impôt selon vos convictions. Vous pouvez ainsi soutenir la lutte contre le cancer tout en réduisant significativement votre ISF, jusqu’à 0€.

La Fondation ARC, reconnue d’utilité publique, est la première fondation française 100 % dédiée à la recherche sur le cancer.

Optimus - Photo : Thinkstock.

Faites un don en ligne à la Fondation ARC sur isf.fondation-arc.org ou envoyez votre chèque à : Fondation ARC - BP 90 003 - 94 803 VILLEJUIF CEDEX

EN COUVERTURE

Quand la révolution dévore les enfants de Khomeyni

DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL À TÉHÉRAN, ARMIN AREFI

L

’imposant dôme doré triomphe dans le sud, aride et populaire, de Téhéran. Protégé par quatre minarets tutoyant le ciel pollué de la capitale, il est visible jusqu’aux monts enneigés de l’Elbourz. Posés sur des dalles de marbre, une succession de tapis persans indiquent le chemin aux « sœurs » et aux « hommes » qui empruntent une entrée distincte.

Ils sont accueillis par le portrait géant de l’ayatollah Khomeyni, le fondateur de la République islamique, tout sourire, et celui de l’actuel Guide suprême, l’ayatollah Khamenei, plus pensif. Ce soir là, un jeune mollah au turban noir, la marque des descendants du Prophète, fait son entrée. Calme et souriant, son visage rond ceint d’une courte barbe noire, Hassan Khomeyni, le petit-fils de l’ayatollah le plus connu au monde, prend la direction de la prière devant des centaines de fidèles. Derrière lui, un énorme mausolée recouvert de feuilles d’or abrite deux sépultures. Celle de son père côtoie le tombeau, monumental, de son grand-père. Depuis 1995, c’est lui le gardien du temple. Des 15 petits-fils de l’ayatollah qui a fait tomber le chah, Hassan était sans doute le préféré. Il a suivi vingt années d’études religieuses dans la ville sainte de

Héritage. Hassan Khomeyni (à g., au centre et à dr.), le petit-fils de l’ayatollah Khomeyni, accompagné de son fils, Ahmad, 18 ans (au centre et à dr.).

« Dans ses cours, Hassan attire les jeunes en traitant des questions d’actualité et en intégrant les nouvelles technologies. » Un ami 50 | 24 mars 2016 | Le Point 2272

Qom, où son grand-père avait un temps promis de s’exiler, avant de s’emparer du pouvoir en 1979. A 43 ans, ce hojatoleslam (religieux de rang intermédiaire) y enseigne aujourd’hui. « Ses cours sont toujours très prisés, avec 300 élèves qui y assistent en moyenne », assure son ami Javad Emam, un homme politique réformateur. Outre son nom, c’est surtout la modernité de son enseignement qui séduit. « S’il a toutes les apparences du religieux, il n’est pas obtus, poursuit son ami. Il ne se réfère pas qu’aux sciences religieuses, mais utilise aussi l’anglais, l’économie, ou les sciences sociales. Il attire les jeunes en traitant des questions d’actualité et en intégrant les nouvelles technologies. » Ronaldinho. Vêtus de la robe de mollah, ses élèves utilisent les réseaux sociaux pendant ses cours, malgré leur interdiction par les autorités islamiques. « Il nous autorise à poser toutes les questions librement », nous confie l’un d’entre eux. Cette ouverture d’esprit, Hassan Khomeyni la doit, au dire de ses amis, à sa curiosité insatiable. « En parallèle de ses études religieuses, il s’est penché sur des domaines aussi

FACEBOOK – INSTAGRAM (X2)

Réformateur. Hassan, petit-fils du fondateur de la République islamique, est dans le collimateur des conservateurs.

INSTAGRAM

variés que la philosophie, la politique, la société, la psychologie ou l’histoire », explique le réformateur Mohammad Atrianfar, qui le connaît bien. Le petit-fils du fondateur de la République islamique a d’ailleurs eu la chance de découvrir le monde. Il a étudié en Inde, au Pakistan, et même en Afrique du Sud, où il a appris l’anglais et pu nourrir sa culture encyclopédique. A l’abri des regards, il a par exemple pris en défaut le pourtant très cultivé Ali Larijani, président du Parlement iranien, sur le fonctionnement des élections américaines.

Le descendant de l’ayatollah est apparu cette fois aux yeux de tous, sur le plateau de « 90 », le talk-show phare de la télévision iranienne consacré au football. Il y a notamment déclaré, chapelet à la main, sa flamme à l’ancien joueur du PSG Ronaldinho, et s’est remémoré, non sans malice, le 8-0 encaissé par l’Arabie saoudite contre l’Allemagne en Coupe du monde 2002. « Je n’ai encore jamais vu quelqu’un d’aussi humain que lui », s’émerveille Javad, propriétaire d’un magasin de vêtements, qui le côtoie,

Rupture. A la fin des années 70, le jeune Hassan embrasse la main de son grandpère, l’ayatollah Khomeyni, au côté de son père Ahmad. Près de quarante ans plus tard, il entend transmettre ses valeurs.

tous les jeudis, aux abords du mausolée de l’imam Khomeyni. « Chaque fois qu’il vient, il s’assoit auprès des gens et discute avec eux, écoute leurs problèmes et tente de les aider. » A Qom, où il réside du samedi au mercredi, il vit dans un modeste pavillon en compagnie de sa femme, Neda Bojnourdi, fille d’ayatollah, et de ses quatre enfants. Il se déplace en Samand, la voiture nationale iranienne, composée de pièces détachées de la Peugeot 405. Lorsqu’il est à Téhéran, il loge au domicile de … Le Point 2272 | 24 mars 2016 | 51

EN COUVERTURE

Un système politique complexe GUIDE SUPRÊME

A le dernier mot sur toutes les décisions de l’Etat (armée, police, médias…) Ali Khamenei NOMME CONTRÔLE

ASSEMBLÉE DES EXPERTS

PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE D’IRAN Hassan Rohani élu pour quatre ans

Président : Mohammad Yazdi 88 religieux élus pour huit ans

NOMME LES 6 RELIGIEUX

NOMME ET RÉVOQUE

NOMME

CONSEIL DES GARDIENS DE LA CONSTITUTION

CONSEIL DE DISCERNEMENT

CHEF DU POUVOIR JUDICIAIRE

Approuve ou rejette les candidatures aux élections

NOMME

Repose sur la charia

Président : Akbar Hachemi Rafsandjani 51 membres

Président : Ahmad Jannati 6 religieux et 6 juristes

GOUVERNEMENT ÉLIT

Arbitre les conflits entre le Parlement et le Conseil des gardiens de la Constitution

Sadegh Larijani

18 ministres APPROUVE OU S’OPPOSE APPROUVE OU REFUSE

ÉLIT Electeurs (hommes ou femmes) de 18 ans et plus

son père, situé derrière la maison historique de l’imam Khomeyni à Jamaran, une modeste propriété en briques blanches, perdue au milieu des ruelles du nord de la capitale. C’est là qu’il a décidé il y a quelques mois de se jeter dans l’arène politique. Il en a aussitôt découvert toute la dureté. Et pour cause… Hassan Khomeyni a choisi le camp des réformateurs. Ce n’est pas un hasard : dès son plus jeune âge, il a rencontré les proches de son grand-père, des figures de la gauche islamique iranienne qui ont accompagné l’imam durant son long exil en Turquie, en Irak et en France. Grâce à son ancêtre, il a aussi fréquenté Mir Hossein Moussavi, alors Premier ministre de la République islamique, Mohammad Khatami, ministre de la Culture, ou Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, commandant en chef …

52 | 24 mars 2016 | Le Point 2272

VOTE Président : Ali Larijani 290 membres élus pour quatre ans

LOIS Garant du caractère islamique

des armées. Des révolutionnaires de la première heure devenus au fils des ans les chefs de file réformateurs. Des « héros », aujourd’hui bannis. Ceux qui rêvent de voir Hassan Khomeyni comme un mollah frondeur qui utilise son nom pour forcer son destin risquent d’être déçus. Tout juste somme-t-il la télévision d’État de ne plus utiliser les propos de son grand-père pour sa propagande et ainsi brouiller l’image de son aïeul auprès des jeunes. « De par son nom de famille, Seyed Hassan Khomeyni doit se placer, comme le faisait son grand-père, au-dessus de la mêlée. On ne peut attendre de condamnation officielle de sa part, explique le réformateur Saeed Laylaz, qui l’a côtoyé. Mais il n’a pas besoin d’exprimer haut et fort sa position dans ce pays pour la faire comprendre de tous. » En juin 2009, lorsque des millions d’Iraniens sont descendus

Garant du caractère républicain

Institutions élues

dans la rue pour protester contre la réélection controversée à la présidence de l’ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad, plusieurs de ses proches ont été arrêtés. Mais il n’a rien dit. En revanche, en coulisses, le petit-fils Khomeyni s’est agité pour obtenir leur libération. Il a chargé ses deux frères cadets de rendre visite aux détenus libérés. Une ligne rouge, aux yeux des ultraconservateurs, qui voient Hassan Khomeyni comme un soutien du « mouvement de sédition » contre la République islamique. « Hassan n’est pas un Khomeyni mais un Moussavi [nom du leader de l’opposition, NDLR) et il va bientôt avoir de sérieux problèmes », souffle un ancien responsable conservateur. « Dans toute révolution, certains restent en travers du chemin », confie, prudent, le conservateur Hamid Reza Taraghi. Vingt ans après la mort de

VAHID SALEMI/AP/SIPA – PLANET PIX/ZUMA-RÉA – HALABISAZ/XINHUA-RÉA (X2) – XINHUA-RÉA – SOHAIE/REDUX-REA – AY-COLLECTION/SIPA

PARLEMENT (MAJLIS)

PEUPLE

INSTAGRAM

l’ayatollah Khomeyni, le culte de la personnalité du fondateur de la République islamique reste toujours aussi vivace. Mais son descendant est aujourd’hui un pestiféré pour les conservateurs, qui tirent les ficelles du pouvoir. En juin 2010, un an après le mouvement vert, alors qu’il prononçait un discours en direct du mausolée de son grand-père, Hassan Khomeyni a été interrompu par les sifflets incessants des supporters d’Ahmadinejad, le président ultraconservateur de l’époque. Fait unique, c’était la première fois en Iran qu’un Khomeyni était ainsi chahuté en public. Sa (timide) revanche, le petit-fils la prendra quelques mois plus tard, à sa façon. Lors de la visite de Mahmoud Ahmadinejad au mausolée de son grand-père, il ne se déplacera pas. Instagram. Six ans plus tard, alors que le nouveau président Rohani est un « modéré », et qui plus est son allié, Hassan Khomeyni n’est plus sifflé. Dans les rues de Téhéran, son portrait fleurit sur les nombreuses affiches de campagne, où on l’aperçoit prier derrière le Guide suprême, l’ayatollah Khamenei, le président, Hassan Rohani, et l’ancien président Hachemi Rafsandjani. C’est ce dernier, vieux briscard de la politique

« Hassan n’est pas un Khomeyni mais un Moussavi, il va bientôt avoir de sérieux problèmes. » Un ex-responsable conservateur

Relève. Ahmad, le fils de Hassan, étudiant en théologie. Surnommé le Justin Bieber iranien, il fait déjà parler de lui.

iranienne, qui l’a poussé à se présenter à l’Assemblée des experts, organe de 88 religieux chargés de nommer le prochain Guide suprême. « Une tromperie », s’insurge le conservateur Hamid-Reza Taraghi. « Hassan Khomeyni est beaucoup trop jeune. Certains l’ont grandi inutilement pour utiliser son nom, alors qu’il a des faiblesses en lui et ne possède aucun statut particulier en Iran. Or, lorsque l’on cueille un fruit qui n’est pas mûr, on ne peut plus le manger. » Le petit-fils Khomeyni a pourtant été dévoré par le régime de son grand-père en février. Le Conseil des gardiens de la Constitution a pointé son refus de participer à l’examen d’entrée à l’Assemblée des experts, prouvant sa science religieuse, alors même que celle-ci avait été confirmée par plusieurs marjah (plus hautes autorités religieuses de l’islam chiite). « Il ne s’agit nullement d’une disqualification, souligne Hamid Reza Taraghi. Seyed Hassan Khomeyni n’ayant pas daigné passer l’examen d’entrée, le Conseil des gardiens n’a même pas pu se

prononcer. En République islamique, les enfants des responsables ne sont pas au-dessus des lois. » Le mollah éclairé est-il aujourd’hui condamné à délaisser la politique et à se retirer définitivement à Qom ? Tant s’en faut, estime le député « conservateur modéré » Ali Motahari. « Les disqualifications du Conseil des gardiens sont si nombreuses que celui-ci a perdu sa légitimité passée », ose ce fils de l’ayatollah Motahari, un ancien compagnon de route de l’imam Khomeyni. A l’inverse, ceux qui sont aujourd’hui éliminés ne perdent pas leur légitimité auprès du peuple. » En attendant, c’est l’arrière-petit-fils de l’ayatollah Khomeyni (le fils de Hassan), un étudiant en théologie de 18 ans, qui fait parler de lui… Sur sa page Instagram, le site préféré de la jeunesse iranienne, Ahmad a délaissé sa robe de mollah pour un ensemble basketsjean-sweat à capuche Nike. « Tout le monde sait pourquoi [mon père] a été disqualifié », poste celui dont les selfies lui valent des milliers de « likes » et le surnom de Justin Bieber iranien §

S

e r a e p s e k a h WEEK-END

, te anglais è o p x u ie r r le mysté ent du mythe, de u s t n e c c saisiss met l’a e e s r s u e lt u u C iq t aturge. e a m c m a n r a lé d L r b I F d m , R n t e a or AV gr ns DU 8 cAaUsio1n0des 400 ans denstatrmois jours, nos émisnsrioiche et éclairée sur ce tio À l’oc e. Dura r a ariat avec e p ogramma r s p e en parten k e a n h u S t n e William us propos o v t e e r v son œu

EN COUVERTURE

Tabiat, le pont de tous

DR

Amoureux. Smartphone en main et cheveux débordant du foulard islamique, les couples s’affichent sans complexe sur le pont Tabiat.

54 | 24 mars 2016 | Le Point 2272

les désirs DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL, ARMIN AREFI

L

e drapeau noir du deuil, en hommage à Fatemeh Zahra, fille du Prophète, flotte au-dessus de l’autoroute Modarres, qui traverse la mégalopole iranienne de 15 millions d’âmes. Voilà une heure que les véhicules font du sur-place, provoquant un épais nuage de fumée qui obstrue la vue sur les monts hauts de 4 000 mètres. Seul passe-temps pour les automobilistes, l’étonnant spectacle offert par le pont Tabiat (« Nature »), géant de fer de 270 mètres de longueur suspendu 30 mètres au-dessus du trafic. Inauguré en 2014, sous les sanctions internationales, il relie le parc Ab-o Atash (« de l’Eau et du Feu ») au parc Taleghani. C’est aujourd’hui le plus grand pont piéton de Téhéran. « Il a été construit pour que la population s’y arrête et fasse une pause, alors que la

ville a été davantage conçue pour les voitures », explique Leila Araghian, son architecte, une Iranienne de 32 ans. Des gens de toute la capitale s’y retrouvent, du nord, aisé, jusqu’au sud, plus populaire. Et il y a foule en ce jeudi après-midi, veille de week-end en Iran. Des lions persans de pierre assurent la garde des lieux, alors que l’agent affecté à la sécurité semble distrait par les vaet-vient incessants. Une passerelle en bois s’enfonce jusqu’au cœur du premier étage de l’édifice. Le jeune Mohsen jaillit. Coiffé à la Cristiano Ronaldo, ce Téhéranais « fashion » de 17 ans, jean, baskets et sweat à capuche, vient de repérer deux « bombes iraniennes » au maquillage appuyé. « Je les ai vues à la station de métro. Elles prenaient un selfie, je me suis moqué d’elles et on a rigolé », explique-t-il. Moshen a usé d’un « ticket », comprenez une blague, visant à faire rire ses cibles, pour mieux les attirer. Depuis, il ne les lâche plus et compte bien les ferrer. Foulard islamique tombant, elles laissent dépasser leurs mèches rebelles, manteau serré à souhait jusqu’à la taille et jupe en résille tombant sur leur jean. Mains dans les poches, l’adolescent se porte à leur hauteur et leur glisse un mot doux à l’oreille. Mais …

Pionnière. Leila Araghian, l’architecte de 32 ans à l’origine du pont Tabiat. Le Point 2272 | 24 mars 2016 | 55

ALI KAVEH/RÉA POUR « LE POINT »

Téhéran. Cette passerelle est devenue le symbole du « printemps » iranien. Reportage.

EN COUVERTURE les jeunes filles accélèrent de plus belle sans se retourner. « Elles me provoquent, s’impatiente-t-il. Je vais les ramener chez moi quand mes parents ne seront pas là. » Ce sera peine perdue. Le jeune Iranien doit s’avouer vaincu. Il dégaine alors son portable pour se connecter sur Instagram, le réseau social prisé par la jeunesse et autorisé par la République islamique. Au troisième étage du pont Tabiat, nombre de jeunes – surtout des filles – s’adonnent au selfie, parfois même en ayant ôté leur foulard, sans que les quelques agents présents y trouvent à redire. Les passerelles s’entrelacent et mènent désormais à une plateforme ronde qui domine la structure. Trois jeunes femmes en tchador noir contemplent leurs compatriotes. Voici l’autre Iran, conservateur, tout aussi réel que celui de Mohsen. Et gare à quiconque ose leur sortir un ticket. « La liberté, c’est d’être en sécurité dans son pays. C’est ne pas ennuyer les autres. Si jamais quelqu’un me demande mon numéro de téléphone, je prends mon sac et l’abats sur sa tête, prévient Parastou, une étudiante en religion de 22 ans à l’université Alzahra. La pire chose pour une femme en tchador est qu’un homme la reluque. » La jeune Iranienne n’en demeure pas moins coquette. Son voile intégral noir cache un petit foulard argenté assorti à ses boucles d’oreilles et son vernis à ongles. « J’ai beaucoup de prétendants, mais on ne trouve pas beaucoup de bons garçons ici », soupire-t-elle en évoquant le khastegaari. Selon cette tradition encore en vigueur dans de nombreux foyers iraniens, c’est l’homme qui doit se présenter au domicile de la femme, qu’il connaît souvent à peine, pour demander …

MONTS ELBOURZ Prison politique d’Evin

Pont Tabiat Université de Téhéran, où a lieu la grande prière du vendredi Place Azadi (« de la Liberté »), où des millions d’Iraniens ont manifesté en juin 2009

Ex-ambassade américaine, théâtre de la prise d’otages de 1979

TÉHÉRAN Téhéran IRAN

Vers le mausolée de Khomeyni

Mégalopole

Capitale de l’Iran depuis 1796, Téhéran recense aujourd’hui 15 millions d’habitants. La ville rassemble les lieux les plus emblématiques de la République islamique. De l’ex-ambassade américaine, où 52 diplomates ont été pris en otage pendant 444 jours en 1979, à l’université de Téhéran, théâtre de la prière du vendredi, où les ayatollahs les plus influents du pays prononcent leurs diatribes antioccidentales. En passant par la funeste prison d’Evin, où sont enfermés les opposants politiques.

Cachée derrière un poteau, l’affiche rappelant l’obligation de respecter le voile islamique semble appartenir au passé. 56 | 24 mars 2016 | Le Point 2272

Palais Niavaran, ex-résidence du chah

Téléphérique de Tochal

0

5 km

sa main à ses parents. Pour Parastou, c’est la seule possibilité de sortir du cocon familial. Impossible pour ses parents d’imaginer la laisser habiter seule à Téhéran. Et cela est valable pour la grande majorité des Iraniennes célibataires, y compris les plus modernes. « Une femme est le miroir de sa famille », explique Parastou avec un grand sourire. Mais les temps changent. Désormais, « ce sont les jeunes femmes qui choisissent leur mari, et les parents ne font qu’aider », assure-t-elle. A l’entendre, certains autoriseraient même leur fille à contracter avec le futur époux un « mariage temporaire » de quelques semaines, une spécificité de l’islam chiite, pour mieux se connaître… Son homme idéal ? Un bon caractère, une pratique de la prière et une bonne situation financière. « Il est difficile pour une fille de songer mener une vie plus modeste que pendant sa jeunesse », confesse-t-elle. Malgré des traditions toujours profondément ancrées, Parastou se connecte toutes les cinq minutes sur son compte Instagram et sur la messagerie en ligne Telegram, qui compte 20 millions d’utilisateurs en Iran. Bien qu’islamique, son université lui permet tout autant de multiplier les contacts avec le sexe opposé. Mais elle le jure : « Jamais je ne piétinerai ma fierté pour choisir quelqu’un. C’est lui qui devra venir vers moi. » Les passerelles en bois ont pris une couleur de bronze. La nuit est tombée sur le pont, illuminé par des néons or et bleu. La structure se fond dans l’obscurité du parc Taleghani, une forêt miniature où

la pénombre est appréciée… « Les couples aiment les endroits sombres en Iran », sourit Hamed, bijoutier de 28 ans à la petite barbe noire de hipster. Mais il se reprend, plus amer : « Vous savez, il n’y a pas beaucoup de loisirs en Iran. » Le jeune homme ajoute une nouvelle couche de ketchup sur la pizza au pesto qu’il déguste avec sa fiancée, Tanaz, une artiste de 26 ans. Situé au deuxième étage du pont Tabiat, le fast-food fait à la fois office de McDonald’s, de KFC et de Pizza Hut ! L’addition sera salée : 20 euros les pizzas, alors que le salaire moyen n’est que de 350 euros… Mais c’est sans doute le prix de la tranquillité. Les portraits des ayatollahs Khomeyni et Khamenei trônent au-dessus de la ventilation. Cachée derrière un poteau, l’affiche rappelant l’obligation de respecter le voile islamique semble appartenir au passé. « Je pourrais vous fouetter ». « L’Iran a changé, assure Tanaz, dont le foulard n’est plus qu’un châle en laine allant à ravir avec son chemisier beige. Je ne vois plus de police des mœurs. Et les jeunes ont appris à tenir tête à leurs parents. Les miens me laissent sortir tard le soir. » Son fiancé, Hamed, se remémore ainsi une scène incroyable. Il a récemment été arrêté en voiture par des bassidjis, miliciens chargés de faire respecter l’ordre moral (en 2009, ces derniers étaient les principaux artisans de la répression du mouvement vert anti-Ahmadinejad). Or il rentrait d’une soirée… alcoolisée. « “Je pourrais vous fouetter pour cela, mais je sais bien que vous recommencerez”, m’a alors dit l’un d’eux. Et ils m’ont laissé partir ! Vous imaginez ? Je pense que le pouvoir veut aujourd’hui calmer le peuple et lui redonner espoir. » Ensemble depuis un an et demi, les deux amoureux se sont fiancés il y a un mois. Le couple n’a rien à envier à l’Occident. « On sortait sans aucun problème, confie Hamed. On ne pouvait juste pas aller à l’hôtel, alors on partait pour Shomal, dans le nord du pays, au bord de la mer Caspienne. » En 2009, Hamed et Tanaz songeaient pourtant sérieusement à quitter leur pays, comme nombre

Fast-food. Le deuxième étage du pont Tabiat abrite des restaurants. A 20 euros la pizza, l’addition est salée pour les salaires iraniens, dont la moyenne avoisine 350 euros.

ALI KAVEH/RÉA POUR LE POINT

dans la capitale. Comme lui, ses deux amis, Bahman, employé dans une usine de chaussures, et Mahmoud, agent de propreté, ont dû arrêter leurs études très tôt afin de subvenir aux besoins de leur famille. « Mon problème est qu’avec 315 euros par mois je dépense plus que ce que je gagne, avoue Bahman, teint mat et cheveux rasés. Le fossé entre classes sociales est criant. Mon obsession, c’est d’avoir du pain le soir à la maison. Alors, les loisirs… » Quant au mariage, les trois jeunes n’y pensent guère : ils n’en ont tout simplement pas les moyens. En Iran, lorsqu’un « homme prend femme », c’est à lui de se charger des dépenses du foyer. Depuis l’aggravation de la situation économique, les Iraniens se marient moins. Et pourquoi s’embêter avec une épouse quand on peut avoir une myriade de petites amies en même temps ?

de leurs amis, dans l’espoir d’une vie plus douce. Mais cette envie a disparu. « Les jeunes ne pensent plus à la politique. Ils ont compris en 2009 que ce régime allait rester, lance Hamed, la mort dans l’âme. Ceux qui ne sont pas contents s’en vont, les autres essaient de vivre leur vie du mieux qu’ils peuvent. » Une foule est toujours amassée à l’entrée du pont, au pied du parc Ab-o Atash. Inauguré en 2009, il doit son nom à ses fontaines et ses flammes de 6 mètres crachées par une demi-douzaine de tourelles. Véritable labyrinthe de curiosités, le jardin renferme une mini-Géode, un petit pont suspendu ainsi qu’un amphithéâtre. L’envoûtante mélodie d’une guitare espagnole s’échappe à présent des hautparleurs. Trois jeunes à la démarche chaloupée déambulent

sur un chemin éclairé en dalles de pierre. « Je suis ton serviteur, Dadash [mon frère] ! » se lancent-ils mutuellement en signe d’amitié profonde. En dépit du froid, ils ne portent qu’un simple pull, ce qui leur vaut les moqueries de certains passants. Eux n’ont pas été invités aux fêtes privées organisées ce soir dans le nord de Téhéran, où alcool, décolleté et drogues sont l’ordinaire. Ils viennent du quartier populaire de Shabdolazim, dans le sud de la mégalopole, d’où ils arrivent en métro. « L’Iran est un pays fantastique, qui propose tous les loisirs que vous souhaitez… à condition d’être riche », ricane Ali, solide gaillard de 23 ans. Originaire de Zanjan (ouest), il a quitté l’école dès l’âge de 17 ans pour aider son père, agriculteur. Désormais sans emploi, il vient de poser ses bagages

Foule. Plus qu’un simple passage, le pont Tabiat est devenu un but de promenade pour tous les habitants de Téhéran.

Drague. Deux jeunes femmes, aux longs cheveux d’ébène, croisent bientôt les trois amis. Et leur jettent un regard perçant. Bahman se précipite vers elles. « Que je dévore votre foie tout cru », ose-t-il. Les deux filles pouffent, et acceptent de prendre son numéro : « Regardez, tout le monde drague ! pointe son copain Ali. Dans quelques années, ce sera la Turquie, ici ! Un pays islamique où tout le monde sera libre. Un pays où régnera la dépravation. » Les mines se referment. La politique ? Ces jeunes s’en moquent, et peu importe que les dirigeants iraniens soient réformateurs ou conservateurs, eux n’ont pas vu de différence dans leur assiette. En revanche, ces enfants du sud de Téhéran affirment être profondément attachés aux valeurs de la République islamique. « Si la République perdait son côté islamique, le pays sombrerait, assure Bahman, qui se dit pourtant peu religieux. Regardez tous nos voisins. Au moins, en Iran, le peuple vit en sécurité. » § Le Point 2272 | 24 mars 2016 | 57

EN COUVERTURE

Histoire. L’Iran mise sur la mythique capitale de la Perse pour devenir le nouveau paradis du tourisme. DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE EN IRAN, NATHALIE LAMOUREUX

C

’est l’hiver, l’air est frais comme un sorbet et le ciel presque parfait. Dans la lumière rasante du matin, la ville s’agite en silence. Un silence étrange, cher à la quiétude du voyage en solitaire qu’un 58 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

citadin, d’ordinaire baigné dans le bruit, trouverait suspicieux. Dans le lacis du bazar, le visiteur est plongé dans le passé d’une cité caravanière sur la route de la Soie. L’intérieur est profond, rempli d’ombres et de lumières, les étals sont garnis d’épices, de pistaches et de dattes. Des hommes en tur-

Douceur de vivre. A la fin de la journée, les familles viennent piqueniquer sur les pelouses de la place de l’Imam (anciennement Naghshe Jahan), devant la mosquée du cheikh Lotfollah.

ban marchent à pas pressés, au milieu de motos et de carrioles poussées par des marchands vigoureux. Le long de l’allée voûtée, les artisans cisèlent l’argent et le cuivre, gravent le bois, peignent des miniatures et tissent des tapis. On pense d’abord à fuir, craignant le piège à touristes, mais c’est tout le contraire : la parole est discrète, les regards souriants, pleins d’étonnement, de tendresse et d’espoir, aussi, comme si la présence de l’étranger signifiait que le reste du

SERGE SIBERT/COSMOS

Retour à Ispahan

BERTRAND RIEGER (x2)

monde ne les a pas oubliés. « Le tourisme se développe, explique Reza Arbab, voyagiste, mais avec une clientèle essentiellement iranienne. » La levée des sanctions et le retour des tour-opérateurs soulèvent d’immenses attentes. Malgré l’histoire récente, la Perse fabuleuse est encore là. Installés dans des carrosses tirés par des chevaux décorés comme dans un conte des « Mille et une nuits », les touristes parcourent la surface immense de la place Khomeyni. Des familles pique-niquent sur le gazon. On mange, on rit. D’immenses mosquées célèbrent le paradis d’Allah. L’ancienne cité impériale, cernée par les montagnes noyées dans la brume, est le reflet de la gloire des souverains safavides. Dans cette oasis de palais et de jardins, les rois organisaient des fêtes somptueuses. Mais le luxe, la sensualité avaient fini par amollir ces souverains élevés à l’eau de pavot, encadrés par une coterie d’astrologues et d’eunuques, précipitant la ville dans le déclin. Au début du XXe siècle, Pierre Loti, grand voyageur, décrivait un Ispahan « de ruine et de mort ». Seules les roses survivaient à la gloire d’un passé déchu. Pour son bonheur, Ispahan enchanta le dernier chah, Mohammad Reza Pahlavi, qui la releva pour en faire un centre industriel et universitaire. Peu à peu, ses ruines somptueuses, émaillées de

Le « sport des héros ». Dans les gymnases (« zurkhaneh ») est pratiqué le sport national, le varzesh-e pahlavani, un art martial perse antique (ici, à l’entraînement).

Refuge. La maison de thé Azadeghan est la seule où les femmes sont autorisées à fumer.

bleu, de vert et d’or, ont été restaurées. Si les colonnes et les coupoles resplendissent, c’est aussi grâce à l’architecte et archéologue français André Godard, qui eut l’idée de les maintenir avec des cercles de fer invisibles. Il réhabilita également la mosquée Djani, qui avait été convertie en écurie et en dépôt d’ordures. Enfin, on lui doit aussi la restauration de l’hôtel Abbassi, le plus prestigieux de la ville. De là, on peut rejoindre les ponts pour y contempler le coucher de soleil ou regarder avec nostalgie la rivière d’où la cité de la rose tira sa prospérité. Depuis quelque temps, sous les ponts d’Ispahan, les eaux ne coulent plus comme avant. Elles sont détournées pour les besoins de l’agriculture, au mépris des règles de gestion collective.

Les Iraniens redécouvrent leur passé et – ils vous le diront –, sous beaucoup de monuments, il y avait un temple du feu. C’était le centre autour duquel s’organisait la société des hommes. Tous les feux ne se valaient pas. Il y avait le feu des guerriers, celui des prêtres et celui des agriculteurs. Pour fonder un feu sacré, les feux des villages étaient ramassés, triés, purifiés, puis mélangés. Et plus le feu était important, plus les rites étaient compliqués. La consécration, accomplie par plusieurs prêtres, demandait au moins un an. On sait peu de chose sur la religion des anciens Perses, appelée mazdéisme par référence à son dieu, Ahura Mazda, ou zoroastrisme, d’après le nom de celui qui l’aurait fondé, Zoroastre (Zarathoustra). Mais on sait au …

Cette oasis de palais et de jardins, cernée par les montagnes noyées dans la brume, est le reflet de la gloire des souverains safavides. Le Point 2274 | 7 avril 2016 | 59

EN COUVERTURE

moins une chose : c’est une religion qui célèbre la vie et la ri­ chesse. Iradj Nahid, 74 ans, zoro­ astrien, était ingénieur en pétrole sous le chah. « Après la révolution islamique, je suis parti au Canada, où j’ai créé une entreprise d’encadrement. » Quand nous l’avons ren­ contré, près d’un autel de feu en …

plein désert, il dansait sur un air de musique pop iranienne. Son épouse, pimpante quinquagénaire, sans voile et vêtue d’un jean mou­ lant, ne semblait pas concernée par les codes vestimentaires imposés par la République islamique. Les guèbres ne sont pas aussi prospè­ res que les parsis en Inde, mais ils

La nouvelle destination en vogue Dans un Moyen­Orient à feu et à sang, l’Iran est la bouffée d’air des voyagistes français. Nouvelles Frontières en a fait sa deuxième destination « la plus tendance » et Terres d’aventure réfléchit à une formule pour les familles. Etonnant pour un pays réputé dangereux et dont les conditions d’accueil sont encore loin des standards. « L’Iran fait partie des pays mythiques au même titre que l’Afghanistan et le Yémen, mais c’est le seul qui présente la sécurité nécessaire pour une clientèle en quête de désert et de découPERSÉPOLIS

La mythique capitale de l’empire perse achéménide, symbole d’unité et de diversité, a été détruite par Alexandre le Grand. Elle conserve d’importants vestiges archéologiques et abrite les tombeaux des rois de Perse Darius Ier, Xerxès Ier et Artaxerxès Ier. 60 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

Indépendants. Dans un café du quartier chrétien de la « petite Djolfa », où vit, depuis quatre siècles, une importante communauté arménienne.

ne sont plus persécutés. « Désormais, on nous respecte. Avant, on n’avait pas le droit de boire au même robinet que les musulmans », témoi­ gne Zartoshi, prof de technologie. Néanmoins, lors de la Fête du prin­ temps, les Iraniens allant au pèle­ rinage de La Mecque ne doivent pas exprimer leur joie en public.

vertes culturelles », explique Lionel Habasque, PDG de Terres d’Aventure. Côté infrastructures, le parc hôtelier se modernise et de nombreuses maisons traditionnelles ont été transformées en hôtels de charme. Surtout, le tourisme de masse n’a pas en­ core détérioré les 19 sites classés à l’Unesco. Même les barrières culturelles liées au port du voile sautent. « Il y a deux ans, mon épouse ne serait jamais venue avec moi », poursuit Lionel Habas­ que. On est loin de l’image diabolique véhiculée par l’admi­ nistration Bush. Les autorités tablent sur une forte croissance de l’activité touristique dans les dix prochaines années § N. L.

CHIRAZ

Oasis de verdure et de culture au milieu du désert, la capitale de la région du Fars est le berceau de grands poètes tels que Saadi et Hafez. Elle est synonyme de douceur de vivre, de jardins et de vignes.

YAZD

La ville est connue pour ses sites zoroastriens et ses impressionnantes tours du Silence. Jusqu’aux années 80, les défunts étaient déposés à leur sommet pour y être dépecés par les oiseaux, évitant ainsi à la terre d’être souillée par des impuretés humaines.

BERTRAND RIEGER (x2) - GRÉGORY YETCHMENIZA/MAXPPP - ULLA KIMMING/LAIF/RÉA - PAULE SEUX/HEMISFR

Confidentiel. Sur la rivière Zayandeh, le pont de Khajou abrite un véritable lieu de vie où les Iraniens aiment à flâner, à l’ombre et à l’abri des regards. Il sert également de barrage.

Retrouvez nos hors-série

Feu sacré. Dans le sanctuaire Chak Chak, haut lieu de pèlerinage pour les adeptes du zoroastrisme, la religion préislamique des anciens Perses, un portrait de Zarathoustra.

BERTRAND RIEGER

Au gré du périple, le voyageur est immergé dans une société ambivalente et complexe, entre modernisme et archaïsme politicoreligieux. Dans la rue, les femmes sont couvertes, mais pas de la tête aux pieds. Les plus belles savent se dévoiler, donner de la vivacité à leur regard. « C’est comme ça depuis une dizaine d’années », confie une Iranienne, bouche rouge baiser, voile bleu posé sur un chignon, qui laisse allègrement dépasser des mèches de cheveux. Les Orientales ont la culture du maquillage. L’Iran est un gros consommateur de cosmétiques, sans oublier la chirurgie esthétique, notamment celle du nez, qui se réalise en couple. Dynamisme. La maison de thé Chai Khaneh Azadeghan, au décor de bric et de broc, est un lieu prisé des étudiantes. Interrogées sur les perspectives du pays, l’une d’elles répond : « C’est la seule maison de thé où les femmes peuvent fumer. Ailleurs, c’est interdit et ce n’est pas normal. » Récemment, des attaques à l’acide visant des femmes à Ispahan ont semé la panique. Des méfaits rares en Iran, contrairement à l’Inde ou au Pakistan. Poussées par la conjoncture, les Iraniennes se sont fait une place dans presque tous les secteurs. Le soleil termine sa course. Nous avons rendez avec des lutteurs iraniens. Dans le zurkhaneh,

« maison de la force », se pratique un art martial ancestral mêlant chiisme, mysticisme et figures héroïques. A l’intérieur, baigné par une odeur de vestiaire, le regard est happé par les murs tapissés de portraits que l’on devine relever de la vie des bazars, mais aussi de la scène olympique. Rassemblés dans une fosse, des hommes font la toupie ou manipulent de lourdes masses au rythme du chant d’un maître de musique. « C’est excellent pour la musculation et la maîtrise de soi », jubile Hamid Hamini. A côté des discours valorisants, la mémoire collective a aussi colporté l’image d’« un nid de ruffians pédérastes sans foi ni loi ». « Les gymnases n’ont fait l’objet d’aucune condamnation de justice, contrairement aux débits de boissons et maisons de jeux », nuance Philippe Rochard, auteur d’une thèse sur le sujet. Dehors, dans le quartier de la « petite Djolfa », bars branchés et restaurants chics nourrissent le dynamisme de la vie nocturne. Au coin d’une ruelle, les néons d’un salon de thé rose bonbon distillent une ambiance digne de Barbie Land. Plus loin, dans l’obscurité d’une placette, deux gamins mendient discrètement. La misère se cache, la présence sécuritaire est moins pesante qu’en France mais, derrière les murs de la ville, les contrôles routiers maintiennent la pression §

Egalement disponibles : La méditation, Les penseurs de l’islam, Les rites de la chrétienté, La philosophie moderne, Le libéralisme, L’éloge de la simplicité, Star Wars 1...

Commandez-les sur : boutique.lepoint.fr rubrique hors-série

MONDE

HAUT-KARABAKH LE RÉVEIL DES DÉMONS DU CAUCASE 200 km

0

Mer Caspienne

RUSSIE GÉORGIE

Haut-

ARMÉNIE Erevan

TURQUIE

AZERBAÏDJAN Karabakh Stepanakert

Bakou

Az. IRAN

BRÉSIL Le petit juge qui défie Lula Il y a encore quelques mois, personne ne le connaissait. Installé à Curitiba, dans le sud du pays, le « petit » juge Sergio Moro, 43 ans, est devenu l’homme qui fait trembler toute la classe politique et l’idole des Brésiliens, qui, sur fond de crise économique, sont scandalisés par le comportement de leurs élites. A commencer par Dilma Rousseff, la présidente, et son prédécesseur, Lula (l’ex-président de 2003 à 2010). Comme une star, les caricaturistes le dépeignent aujourd’hui en Superman. Des affiches et des autocollants ont été 62 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

Le juge Sergio Moro, nouveau « Superman » des Brésiliens, s’attaque à l’élite.

imprimés pour défendre le « lavage rapide », la procédure judiciaire engagée contre des industriels et qui démontre l’ampleur de la collusion avec le monde politique. La popularité de ce juge, passé par Harvard et qui a mis au jour le scandale de corruption Petrobras en enquêtant au départ sur une modeste affaire de blanchiment et en multipliant les gardes à vue, ne cesse de grandir. Et ce d’autant qu’il risque d’être dessaisi de l’enquête au motif qu’il a rendu publique une conversation entre Dilma et Lula où la première proposait au second d’entrer au gouvernement pour bénéficier de l’immunité § ROMAIN GUBERT TOUTE L’ACTUALITÉ SUR lepoint.fr

VAHRAM BAGHDASARYAN/PHOTOLURE/MAXPPP - ANDRE PENNER/AP/SIPA

trois ans plus tard au prix de 30 000 morts et d’une trêve imposée par la Russie. Or voilà Bakou et Erevan à nouveau engagés dans une escalade militaire. En trois jours, une soixantaine de soldats des deux camps ont été tués. Et les menaces se multiplient. L’Azerbaïdjan se déclare prêt à une « opération d’ampleur tout le long de la ligne de front ». L’Arménie, elle, se féDes soldats arméniens de la République autoproclamée du Haut-Karabakh en position de défense, le 3 avril. licite d’avoir « pris de nouvelles positions » et affirme mobiliser des volontaires. Autre facteur aggravant : l’un comme l’autre disposent de Ils jouaient au « désert des Tartares » depuis plus de deux décennies. A se regarder en chiens de faïence malgré quelques es- puissants parrains, également à couteaux tirés. La Turquie, carmouches. Cette fois, l’un des plus vieux conflits du Caucase alliée à Bakou, et la Russie, soutien d’Erevan, traversent une se rallume. En jeu : le Haut-Karabakh, un territoire peuplé de grave crise diplomatique depuis l’entrée des troupes russes 150 000 habitants et grand comme deux fois la Seine-et-Marne. en Syrie. Recep Tayyip Erdogan, le président turc, souffle sur Une république séparatiste non reconnue par la communauté les braises. « Le Karabakh retournera un jour, sans aucun doute, internationale. Et, de chaque côté de la « ligne de à son propriétaire originel », lance-t-il tout en saluant ENTRE contact », l’Azerbaïdjan et l’Arménie, deux pays enles « martyrs azerbaïdjanais ». L’AZERBAÏDJAN Reste à connaître les intentions de Moscou. Pour trés en guerre en 1991 au lendemain de l’effondreET L’ARMÉNIE, l’heure, Vladimir Poutine appelle les deux protament de l’URSS. Avec un objectif : mettre la main QUI SE DISPUTENT gonistes au calme. Mais la reprise des hostilités sur ce périmètre de collines. Le premier au motif CE TERRITOIRE, pourrait également lui offrir le beau rôle : celui du que Moscou lui en avait attribué le contrôle à l’époque LES MENACES « faiseur de paix », à la manœuvre pour geler un soviétique. Le second en raison de la présence d’une nouveau conflit § MARC NEXON majorité d’Arméniens. Un conflit finalement « gelé » SE MULTIPLIENT.

DeBonneville - Orlandini

“TU AS VU LES IMAGES SUR BFMTV ?”

SOCIÉTÉ

Haute culture. Dernier essayage de Dominique Bona avant sa réception à l’Académie française, le 23 octobre 2014. « On est comme dans un rêve, on s’imagine académicien et soudain il faut contacter un tailleur, des traiteurs », se souvient l’écrivaine. 64 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

Le shopping des Immortels Trousseau. Habit, épée, réceptions… Pour équiper les nouveaux académiciens, le ToutParis se mobilise. Enquête. PAR ÉMILIE LANEZ ET VIOLAINE DE MONTCLOS

FRÉDÉRIC STUCIN/PASCO – NIVIÈRE/SIPA

D

ifficile d’imaginer ce qui, à Paris, surpasse en prestige ce club éphémère portant le nom désuet de comité de l’épée. L’affaire est peu connue, aussi mérite-t-elle quelques explications : lorsque l’Académie française élit un membre pour succéder à un Immortel – paradoxalement décédé –, l’entrant doit rassembler de l’argent. Etre admis sous la Coupole est un honneur dispendieux, les usages imposant d’y porter un habit vert – pure laine brodée à la main – et de tenir sur son flanc une épée, et cela seul coûte entre 30 000 et 100 000 euros. Pour réunir ces sommes, la tradition inventa un « mécanisme astucieux : un comité de souscription, de préférence prestigieux, qui peut réunir jusqu’à plusieurs dizaines de donateurs » et qu’on nomme comité de l’épée, « des amis qui se cotisent pour vous offrir de quoi vous vêtir », plaisante l’ancien ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon. Ce comité ne vit que le temps – deux mois environ – de trouver ces dizaines de milliers d’euros, de les enregistrer sur un compte spécial et de permettre ainsi au nouveau d’acheter habit et épée, de financer un cocktail où lui sera remise officiellement sa lame, puis d’en assurer un second afin de fêter son entrée officielle sous la Coupole. Là où l’entreprise est délicate, c’est que ce comité « n’est pas là pour battre le tambour et jouer les collecteurs de fonds. C’est une sorte de blason, composé d’amis prestigieux ou fortunés, avec

« L’Académie, ça sert à être un beau monsieur. » Jean d’Ormesson

Famille. Sur son épée d’académicien, le romancier, dialoguiste et parolier Jean-Loup Dabadie a fait graver les initiales de ses enfants et incruster le portrait de son épouse.

lequel vous sollicitez des dons dans un cercle plus large », explique Marc Lambron (collaborateur du Point), qui, le 14 avril, entrera à l’Académie française. « On prend des gens avec une certaine surface, ils offrent leur nom pour donner une solennité à l’impétrant, on choisit des gens assez chics », lui fait écho Jean-Marie Rouart. « La liste des noms doit remplir une feuille recto verso », soit entre vingtcinq et cinquante personnalités. « Il est d’usage de n’y associer aucun académicien et aucun politique », précise Xavier Darcos, qui détient le record du comité le plus peuplé avec ses 69 personnes – « On invite des amis, des écrivains, des artistes », et puis quelques mécènes, composant un subtil résumé de sa carrière, de ses gratitudes et de ses inclinations. « Celui de Lambron, on dirait le salon de Mme de Guermantes », plaisante un proche, découvrant, aux côtés d’Isabelle Adjani, Caroline de Monaco et Inès de La Fressange. « J’ai choisi trente femmes et chacune illustre un moment de mon parcours. Tout cela désigne une carte de Tendre, une géographie d’admiration et d’amitié », commente l’écrivain. Jean-François Deniau, épris d’aventures, avait invité à figurer dans le sien le commandant Massoud et le Prix Nobel de la paix Andreï Sakharov. François Weyergans s’illustra en invitant deux Prix Nobel de littérature – Doris Lessing et Mario Vargas Llosa – et le groupe de musique The Dø. Dans celui de Jean-Christophe Rufin, on trouve essentiellement « des amis, des médecins, des humanitaires ». « On m’a conseillé de glisser un ou deux milliardaires. Mais j’ai vérifié, en fait ils ont donné très peu », ajoute ce dernier. « Pour présider mon comité, j’avais choisi le banquier Bruno Roger, qui alliait trois qualités : un ami, un intello et une personne capable de suggérer aux autres de payer », se remémore Xavier Darcos. « Vous pouvez prendre le parti de ne solliciter que quelques fortunés, mais si vous ne demandez qu’à Pierre Bergé, eh bien, au cocktail vous serez en tête à tête avec Pierre Bergé », se moque Marc Lambron. Une boutade qui ne rend pas hommage à ce mécène, dont la générosité est à l’origine de bien des réceptions sous la Coupole. « Bergé a financé beaucoup de comités d’épée. Sans ses dons, jamais Weyergans n’aurait pu entrer. Il sait qu’il ne sera jamais élu et il paie tout pour les autres », observe un connaisseur. Les personnes … Le Point 2274 | 7 avril 2016 | 65

SOCIÉTÉ désignées par le comité reçoivent par courrier un bon de souscription les invitant à participer à la cagnotte du nouvel académicien. Il ne leur est pas précisé que ce don s’apparente à un « présent d’usage » et ne saurait être déductible des impôts. Le montant des dons est fort variable. Darcos reçut un chèque de 5 euros d’un ancien élève, Lambron des envois modestes mais si aimables d’anciens professeurs lyonnais. La principauté de Monaco, à l’instar de Pierre Bergé, est réputée verser souvent et beaucoup. « Certains donnent pour des raisons mystérieuses, raconte Marc Fumaroli. J’ai ainsi reçu une somme très conséquente d’un monsieur dont le nom ne me disait rien et que je n’ai jamais vu. Aussi, quand il est venu à ma remise de l’épée, ne le connaissant pas, je ne l’ai pas salué. C’était Lindsay Owen-Jones, PDG de L’Oréal… » Dans la foulée de son chèque, le souscripteur est invité à la réception sous la Coupole et au cocktail final. Une formule qui étonna une amie de Marc Lambron, recevant de son comité ce courrier joliment calligraphié : « C’est curieux, Marc donne un cocktail, mais il va falloir payer pour y aller. » Curieux, mais tellement chic d’y être convié, s’il est vrai que, « de toutes les fêtes de Paris, une réception académique est celle, peutêtre, qu’une Parisienne vraiment soucieuse de son prestige mondain se consolerait le moins d’avoir manquée », comme l’écrivait en 1905 déjà le magazine L’Illustration. Il est ici amusant d’observer le carambolage cocasse que produit une élection à l’Académie française, transformant un intellectuel, choisi pour son goût des belles-lettres, en un homme-orchestre sommé de trouver de l’argent, de choisir un fleuriste, du champagne et de régler une sono. « On est comme dans un rêve, on s’imagine académicien et soudain il faut contacter un tailleur, des traiteurs. On fait face à quelque chose de vertigineux », se rappelle Dominique Bona. « J’ai l’impression d’organiser un mariage où je serais à la fois le fiancé et la belle-mère, confie Marc Lambron. On cherche à être élu sur des activités aériennes, et puis on est brusquement noyé par des choses très prosaïques. » Cette



Indélébile. Sur l’épée de Simone Veil, Birkenau et son numéro de déportée.

confrontation avec la logistique mondaine connaît quelques pannes. Il est ainsi commun que la maison d’édition de l’heureux élu mette à sa disposition une équipe chargée de veiller au bon fonctionnement de ces tâches matérielles. « Une attachée de presse, un secrétariat et le directeur financier de la maison organisent le plus souvent les choses », confie Olivier Nora, PDG de Grasset. Nonobstant ces bonnes volontés, les choses s’embrouillent parfois au point qu’on doit recourir à des sauveteurs. Alain Finkielkraut, peu familier des fichiers Excel, et la charmante philosophe Elisabeth de Fontenay, présidente de son comité, s’étant quelque peu laissé déborder, le normalien Benjamin Olivennes, proche de « Finkie », avec lequel il travaille, avertit son père Denis, PDG de Lagardère Active. Car, quelques semaines avant l’intronisation, les caisses tardaient à se remplir. « Denis Olivennes a décroché son téléphone, il a passé la sébile directement », raconte un proche. Combien faut-il d’argent pour siéger parmi les Quarante ? Entre 40 000 (la facture totale de l’intronisation d’Angelo Rinaldi) et 238 000 euros (un

A chacun son comité Le plus « grands patrons » pour Xavier Darcos

Le plus « femmes des années 80 » pour Marc Lambron

Le plus hétéroclite pour François Weyergans

Vincent Bolloré Martin Bouygues Albert Frère Henri de Castries Gérard Mestrallet Anne Lauvergeon…

Isabelle Adjani Inès de La Fressange Caroline de Monaco Marianne Faithfull…

Le groupe The Dø Mario Vargas Llosa Pierre Bergé Michel Piccoli Michael Haneke…

66 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

RAPHAËL GAILLARDE/GAMMA – ALAIN BENAINOUS/GAMMA – VERNIER/JBV NEWS – JEAN-MARIE PÉRIER/PHOTO12 – CHESNOT/SIPA

Foisonnante. L’arme symbolique de l’écrivain Jean-François Revel.

Politique. Sur son épée, Alain Finkielkraut a fait graver une vache.

Art. L’épée de Dany Laferrière est l’œuvre du sculpteur haïtien Patrick Vilaire.

ÉLODIE GRÉGOIRE POUR LE POINT –JEANNE GALISSON/STARFACE

record atteint par l’écrivain Amin Maalouf, largement financé par de gros dons venus du Liban). Une fourchette large, car tout dépend de la taille des cocktails, des lieux où ils se tiennent et du coût de l’habit comme de celui de l’épée. L’uniforme vert peut être cousu sur mesure chez Berluti (choix de Marc Lambron, conseillé par Lagerfeld) ou chez Dior, ou bien – moins coûteux – confié aux aiguilles d’un tailleur militaire. C’est le choix que fit Jean-Christophe Rufin. « Quand je porte mon habit, je me prends pour un général d’Empire, s’amuse-t-il. On m’avait proposé de racheter le costume d’un Immortel… décédé, mais je n’avais pas très envie de me promener avec un fantôme. » Les moins fortunés s’aventurent à le faire réaliser chez un sous-traitant indien. Pour l’épée, il en va de même. Elle est forgée (Arthus-Bertrand, Cartier) ou se trouve d’occasion. « Avant la Révolution, en dehors des militaires, seule la noblesse avait le droit de la porter, raconte Michel Renonciat, restaurateur du patrimoine et des Musées nationaux, qui en conçut pas moins de treize pour l’Académie française. Autoriser les académiciens à porter l’épée revient à les anoblir. » Vache, éléphant, truie. Un adoubement qui, pour certains, confine au couronnement : Cousteau fit incruster de pierres précieuses, de cristal de Baccarat, de cristal de roche, d’or, d’émail et de verre de Murano une lame en verre trempé. Coût : 1 million de francs en 1988. D’autres, plus discrets, achètent chez un antiquaire une épée d’occasion puis la font décorer. Marc Lambron a trouvé la sienne dans l’atelier de Renonciat, « une épée de l’Institut d’Egypte ; Finkielkraut jeta son dévolu sur une simple lame d’officier. « Il voulait que je fasse graver une vache. Je lui ai montré le taureau choisi par un de ses confrères. Il trouvait l’animal trop méchant. Il a insisté pour que sa vache soit gentille et ses cornes toutes petites. » Ecouter Renonciat, tout comme son confrère l’expert en armes anciennes Jean-Claude Dey, se souvenir des heures passées avec ces académiciens rêvant à voix haute aux motifs de leur jouet honorifique enchante. « C’est

un peu comme chez un psy, sourit Jean-Claude Dey, je les accouche et ils me confient tout. Les initiales de leur maîtresse qu’on fera graver discrètement sous le nom de leur épouse, la gerbe de blé à neuf épis pour chacun des enfants ou bien le dessin d’une enzyme ou d’une roue de moulin », et puis, toujours, leur ville de naissance, les prénoms des aimés. Des caprices inscrits sur le pommeau et les fusées – les plaquettes de nacre autour de la poignée –, autant de touchants souvenirs de ces enfants en habit vert. « Jean-Loup Dabadie voulait un éléphant, en hommage à son premier film, “Un éléphant,ça trompe énormément”. Puis les notes écrites à la main par Julien Clerc de “Ma préférence », ainsi qu’une miniature de son épouse. On s’est bien amusés », se rappelle Dey. Sur son sabre de marin, Orsenna fit graver des profils d’îles, Max Gallo voulut une fleur de lys, une Marianne et une aigle napoléonienne, Dominique Fernandez une grosse truie, Zeus et le profil de son magnifique amant Ganymède. Etrange aventure que celle d’une entrée à l’Académie, dont les usages imposent tout à la fois au nouvel Immortel de plancher sur un mot choisi au hasard dans le dictionnaire et d’en disserter – sans préparation – devant ses pairs, tout comme de quêter pour s’acheter un habit brodé de branches d’olivier. Humilité et tradition, l’alliage donne raison au plus sémillant des académiciens, Jean d’Ormesson, qui définit le but ultime de cette élection : « L’Académie, ça sert à être un beau Beau portantFINAL.pdf l’épée § ANNONCE JUDmonsieur. FERRRARI » ET CIE monsieur LE POINT 07-04-16

Vente aux Enchères Publiques au T.G.I. de Versailles, Palais de Justice - 5, Place André Mignot

Le mercredi 11 mai 2016 à 9h - EN UN SEUL LOT UN MANOIR dénommé « CHATEAU DES CARNEAUX » (en partie loué) à BULLION (78) - Rue du Chat Noir de 7 pièces principales (500,43 m²) et au sous-sol 5 pièces (102,51 m²) DIVERSES DEPENDANCES comprenant: - UNE GRANGE aménagée en salle d’exposition (192,83 m²) - UNE SALLE DE STOCKAGE de 3 pièces (213,45 m²) - UN ENTREPOT DE STOCKAGE divisé en 3 parties (489,18 m²) - UNE DEPENDANCE de 5 pièces (159,72 m²) - UNE DEPENDANCE de 2 pièces (78,86 m²) - BATIMENT COMPRENANT BUREAUX et ARCHIVES - UNE MAISON DE GARDIEN de 3 pièces principales (109,02 m²) - UN PIGEONNIER - MAISON DU FERMIER de 5 pièces principales (126,17 m²) + DEPENDANCES - DIVERS BATIMENTS AGRICOLES (4 640 m²) - UN LOGEMENT de 2 pièces (61,21 m²) - atelier n°1 - UN LOGEMENT de 2 pièces (91,38 m²) - atelier n°2 - MAISON dit « DE GARDIEN » - DIVERSES PARCELLES DE TERRE (PATURAGES) ET DE BOIS - TROIS EMPLACEMENTS DE STATIONNEMENT

Mise à Prix : 3 000 000 €

Consignation pour enchérir : chèque de banque à l’ordre du Bâtonnier Séquestre de 300 000 € outre une somme pour les frais et émoluments dont le montant sera indiqué par l’Avocat chargé de porter les enchères. On ne peut enchérir que par le ministère d’un Avocat du Barreau de VERSAILLES. Pour tous renseignements, s’adresser : au Cabinet de Maître Elisa GUEILHERS, membre de la SCP D’AVOCATS GUEILHERS & ASSOCIES, Avocat à la Cour 21, rue des Etats Généraux 78000 VERSAILLES Tél. 01.39.49.10.10. Le cahier des conditions de vente est déposé au Greffe du JEX du TGI de VERSAILLES et au Cabinet de l’Avocat, où il peut être consulté.

VISITES SUR PLACE : les 11 AVRIL & 2 MAI 2016 de 13h à 15h Le Point 2274 | 7 avril 2016 | 67

1

31/

SOCIÉTÉ

Mon épée Avant d’être intronisé sous la Coupole, le 14 avril, Marc Lambron dévoile la symbolique de son épée.

M

on épée a été forgée autour de 1800, au moment même où un arrêté fixait les formes de l’habit vert, encore en vigueur aujourd’hui. A cette époque, elle a appartenu à un membre de l’Institut d’Egypte. Cette société savante regroupait les scientifiques ayant accompagné Bonaparte dans son expédition en Orient. Monge en était président ; Bonaparte, vice-président. On y trouvait aussi Berthollet, Vivant Denon ou Etienne Geoffroy Saint-Hilaire. L’épée de Bonaparte est exposée au musée de Malmaison. Deux autres membres de l’actuelle Académie française, Pierre Rosenberg et Max Gallo, en possèdent une. J’ai demandé au restaurateur de l’épée, Michel Renonciat, de la personnaliser sans anachronisme, avec des symboles qui auraient pu y figurer en 1800. Le pommeau initial étant constitué d’un heaume, je l’ai fait remplacer par un lion, blason de la ville de Lyon, où je suis né. C’est aussi l’animal associé à saint Marc. La poignée de chaque épée de l’Institut d’Egypte comportait une effigie dorée de la déesse Isis fixée sur une fusée de nacre. Je n’y ai pas touché. Isis symbolisait la déesse féminine suprême, mais je peux y superposer en imagination les femmes de ma vie et de mes romans. L’héroïne de « L’œil du silence », la photographe Lee Miller, vécut ainsi au Caire pendant cinq ans auprès de son mari égyptien. Une des étymologies de la ville de Paris découlerait aussi d’Isis, soit Bar-Isis, parce qu’une statue d’Isis y serait entrée en barque. Si le lion de Lyon est sur le pommeau, l’Isis de Paris figure sur la poignée. Sur l’autre flanc de la poignée, j’ai fait sertir trois symboles. Un petit masque en forme de loup, qui est là pour le théâtre, l’Italie, le XVIIIe siècle, les fêtes galantes. L’un de mes romans, pas le meilleur,

Adoubé. Marc Lambron a choisi une épée des années 1800 ayant appartenu à un membre de l’Institut d’Egypte. Sur la poignée, il a fait apposer un masque, une double croche et une balance.

s’intitulait d’ailleurs « La nuit des masques ». Au centre, une double croche, pour dire que je place la musique au cœur de ma vie, au-dessus même de la littérature. Enfin, une balance romaine, symbole de la justice, parce que je siège depuis trente ans au Conseil d’Etat et trouve encore honorable d’y défendre les citoyens contre les arbitraires du pouvoir. Sur le fourreau, je me suis autorisé des symboles plus contemporains. La chape, gaine métallique entourant le haut du fourreau, comporte les initiales de mes trois enfants, Mathieu, Juliette et Pauline, soit MJP. Ces trois lettres sont gravées dans le métal, mais moins profondément que dans mon cœur. Le bouton de chape, servant à assujettir le fourreau à la ceinture, a été modelé en forme de ruban antisida. J’aurai toujours près de moi mon frère Philippe, disparu en 1995. Au milieu du fourreau, j’ai fait inscrire dans un cartouche une devise des anarchistes espagnols : « Nadie sabe lo que somos » (« Personne ne sait ce que nous sommes »). C’était pour eux une façon de récuser l’idée qu’un dieu pourrait nous connaître, mais aussi une façon de revendiquer la part secrète et intraitable qui constitue chacun d’entre nous. Ce faisant, je suis heureux que l’Italie et l’Espagne apparaissent dans cet ensemble. L’Italie avec le masque, l’Espagne avec les anarchistes. Je songe enfin à ce que Claude Lévi-Strauss a écrit sur la symbolique de l’épée. Une épée, selon lui, peut défendre son porteur « contre les maléfices d’origine sociale ou surnaturelle auxquels sont exposés ceux qui changent d’état ». Je ne sais si j’ai changé d’état, mais les maléfices d’origine sociale sinon surnaturelle étant monnaie courante à Paris, il n’est pas superflu de s’y munir d’une flamberge pour marcher vers le quai de Conti §

Au centre de la poignée, une double croche, pour dire que je place la musique au cœur de ma vie, au-dessus même de la littérature. 68 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

JEAN-MARIE PÉRIER/PHOTO12

PAR MARC LAMBRON

“UN SCANDALE POLITIQUE À COUPER LE SOUFFLE” hollywood reporter

“BRILLANT”

“FASCINANT”

“ÉBLOUISSANT”

“PASSIONNANT”

DEADLINE

NEW YORK OBSERVER

VARIETY

Robert

THE NEW YORK TIMES

Cate

Redford

Blanchett

TRUTH

le prix de l a vérité actuellement au cinéma

ÉCONOMIE

Martin Bouygues PDG du groupe Bouygues Bouygues Telecom, c’est

4,5

milliards d’euros

de chiffre d’affaires 11,9 millions d’abonnés dans le mobile 2,8 millions d’abonnés dans le fixe 7 500 salariés

Fiasco. Rangez les fleurs, le mariage Orange-Bouygues Telecom n’aura pas lieu. Trop de haines dans la corbeille. PAR GUILLAUME GRALLET (AVEC MARIE BORDET ET CLÉMENT LACOMBE)

C

’est au 6e étage d’un très noble immeuble haussmannien de la très chic avenue Victor-Hugo, dans le 16e arrondissement de Paris, que s’est jouée une scène historique du capitalisme français. Ce vendredi 1er avril, derrière une imposante porte capitonnée et dans le plus grand secret, Stéphane 70 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

Richard, installé sur une banquette de velours, avait un ultime rendez-vous avec Martin Bouygues, qui, lui, avait opté pour le fauteuil Empire. Une discussion d’homme à homme entre le PDG d’Orange et le fils de Francis Bouygues, de celles qui peuvent faire changer le cours des choses. Mais, sous l’œil inquisiteur de l’imposante statue africaine du dieu de la Pluie et dans l’atmosphère toujours

vaguement enfumée du bureau de Jean-Michel Darrois, star des avocats d’affaires qui a renoncé à essayer d’arrêter la cigarette, les deux protagonistes du dossier le plus chaud du moment échangent un peu moins de trente minutes et se séparent sur un constat d’échec. Qu’importe la beauté des toiles de Bonnard et de Léger qui leur servaient de décor, leurs vues étaient trop irréconciliables. Deux heures plus tard, à 18 h 59 précises, les communiqués de presse tombent dans les boîtes mail. Les conseils d’administration d’Orange et de Bouygues se sont réunis en urgence et actent

ALLARD/RÉA

Les coulisses de l’opé

Stephane Richard PDG d’Orange Orange, c’est

19,1

milliards d’euros

de chiffre d’affaires en France 28,4 millions d’abonnés dans le mobile 10,7 millions d’abonnés dans le fixe 98 000 salariés

ration « Jardiland » la fin des négociations. Le marathon juridique et technique, qui a duré quatre mois, est terminé : Orange ne rachètera pas Bouygues Telecom. Martin Bouygues ne deviendra pas le premier actionnaire privé de l’ancien opérateur historique. Décidément, il est quasi impossible de faire bouger la moindre brique dans le grand Tetris des télécoms. C’est la cinquième tentative de consolidation du secteur qui vient d’échouer en moins de dix-huit mois ! A croire que la bande des quatre, Martin Bouygues, Stéphane Richard (Orange), Xavier Niel (Free) et Patrick Drahi (Altice-SFR), se

déteste tellement qu’elle n’arrivera jamais à s’entendre. « C’est sûr que le fait qu’ils ne se fassent aucunement confiance n’a pas aidé à la réalisation du deal », racontent à l’unisson tous les acteurs de la négociation. C’est sûr, la confiance ne règne pas (du tout) et ils se sont tous déjà écharpés (violemment) à un moment ou à un autre. Petit florilège. « Si c’était l’un de mes collaborateurs, il y a longtemps que je l’aurais viré », aurait déclaré Martin Bouygues au sujet de… Stéphane Richard, qui venait de passer un accord d’itinérance avec Free. Le même Martin Bouygues aime parler de Niel comme d’un « Tapie 2.0 ». Le ressentiment est tel

Dos à dos. Martin Bouygues et Stéphane Richard lors de la cérémonie des vœux de l’Arcep, l’Autorité de régulation des télécoms, le 28 janvier 2015 à la Sorbonne.

que Bouygues ne verra à aucun moment Xavier Niel lors des négociations, même quand ils seront présents au même moment dans le cabinet de Darrois. A l’encontre de Niel, le boss d’Orange, Stéphane Richard, qui a en revanche dîné chez Bouygues à Neuilly fin janvier, disait, le 15 décembre 2013, dans le Jounal du dimanche : « Je trouve Xavier Niel prétentieux et agressif. C’est le roi de l’embrouille. » Réplique le lendemain dans Le Figaro de l’intéressé : « Stéphane Richard est encore jeune dans le métier… » Depuis, le ton s’est un peu adouci. A la décharge des tycoons des télécoms, l’affaire était … Le Point 2274 | 7 avril 2016 | 71

Grégoire Chertok Rothschild & Cie

BOUYGUES TÉLÉCOM David Azéma Philippe Marien Bank of America Directeur financier du groupe Bouygues Merrill Lynch

ILIAD-FREE Rani Assaf Directeur technique

Thomas Reynaud Directeur général délégué

Jean-Michel Darrois Avocat

NUMERICABLE-SFR (ALTICE) Dexter Goei Jérémie Bonnin Directeur général Secrétaire général d’Altice d’Altice

Les commandos en action

Le deal était secrètement connu sous le nom de code « Jardiland ». Chaque opérateur a été rebaptisé d’un nom de fleur : Orange : Orchidée Bouygues Telecom : Bégonia Numericable-SFR : Nénuphar Iliad-Free : Iris

LES POUVOIRS PUBLICS Martin Vial Alexis Kohler Directeur de cabinet Commissaire aux d’Emmanuel Macron participations de l’Etat

ORANGE

Vincent Le Stradic Olivier Assant Lazard Avocat (Bredin Prat)

… d’une incroyable complexité. Le rachat pur et simple de Bouygues Telecom par Orange était impossible : il aurait fait passer d’un coup l’opérateur historique du côté de l’abus de position dominante. Pour échapper aux fourches Caudines de l’Autorité de la concurrence, il fallait donc que Bouygues Telecom soit partagé entre les trois opérateurs : Orange aurait repris la plus grosse part, mais SFR et Free devaient également accepter, en échange du paiement de 6 milliards d’euros, de se partager le réseau, des abonnés et des boutiques de Bouygues Telecom. Ce rachat et le passage de quatre à trois acteurs qu’il impliquait devaient permettre à un secteur des télécoms fragile – car hyperconcurrentiel, avec des prix pour les

72 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

Jean-Marie Messier Banquier

Ramon Fernandez Directeur financier

Pierre Louette Secrétaire général

Patrick Drahi PDG du groupe Altice

Xavier Niel Fondateur du groupe Iliad

Numericable-SFR, c’est

Free, c’est

11

milliards d’euros

de chiffre d’affaires 21,9 millions d’abonnés dans le mobile 6,4 millions d’abonnés dans le fixe 14 500 salariés

4 ,4

milliards d’euros

de chiffre d’affaires 11,7 millions d’abonnés dans le mobile 6,1 millions d’abonnés dans le fixe 7 900 salariés

Bruno Lasserre Président de l’Autorité de la concurrence

Nicolas Dufourcq Directeur général de la BPI

consommateurs parmi les moins élevés du monde – de se refaire une santé. « Aujourd’hui, un abonnement mensuel mobile coûte moins cher qu’une place de parking pour une nuit à Paris, on est arrivé à une limite dans la baisse des tarifs, expliquait Stéphane Richard, le 13 janvier, à l’occasion de ses vœux au café Littéraire situé dans le soussol du siège. Les opérateurs n’ont pas les marges de manœuvre pour supporter durablement une baisse massive des prix, car ils doivent investir. » Et résister aux géants de l’Internet – notamment Google, Microsoft et Facebook, qui, avec leurs applications de messagerie du type Hangouts, Skype ou WhatsApp, privent les opérateurs d’une part importante de leur chiffre d’affaires. Ce mouvement stratégique devait également leur

KHANH RENAUD POUR « LE POINT » (X4) - CHATIN/EXPANSION/RÉA - BOUYGUES - NIVIÈRE/SIPA - TRUFFY/MAXPPP - ALLARD/RÉA (X2) - HARTMANN/REUTERS - SCORCELLETTI - LUYSSEN/RÉA - HAMILTON/RÉA (X3) - CRUSIAUX/RÉA - GRÉGOIRE/RÉA - DECOUT/RÉA

ÉCONOMIE

SÉBASTIEN LEBAN POUR « LE POINT »

laisser plus de marge de manœuvre pour reprendre les investissements dans le haut débit… Les marchés ont d’ailleurs lourdement sanctionné les entreprises de télécoms à la suite de l’annonce de l’échec des négociations. Leur valorisation a fondu de 9 milliards en une seule journée, lundi 4 avril. « Il existe des opérations où il y a des gagnants et des perdants, mais là, c’est tous des perdants », résume un banquier. « Tout n’est pas à vendre ». Martin Bouygues avait fait le premier pas. Pour cet homme intransigeant, qui a hérité le groupe de son père et s’est bagarré pour s’imposer et faire ses preuves dans la téléphonie, cela n’allait pas forcément de soi. Afin de donner une idée de son fort caractère, rappelons qu’il avait envoyé promener en juin 2015 l’impétueux Patrick Drahi, qu’il ne porte pas très haut dans son cœur, et son offre de rachat de son « bébé », Bouygues Telecom, pour 10 milliards d’euros tout de même… Bouygues avait conclu l’affaire avec un cinglant « Tout n’est pas à vendre… ». Cette fois-ci, c’est donc Martin Bouygues qui s’est déplacé. Rue de Bassano, dans un immeuble du Triangle d’or parisien (8e arrondissement), dans lequel Stéphane Richard possède un bureau qu’il affectionne tout particulièrement. Car il

« Il existe des opérations où il y a des gagnants et des perdants, mais là, c’est tous des perdants. » Un banquier Guerre des nerfs. Le ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, avec Stéphane Richard lors des vœux de la Fédération française des télécoms, le 16 décembre 2015.

permet des allées et venues bien plus discrètes qu’au siège de l’opérateur, rue Olivier-de-Serres (15e). Y sont notament passés Sergey Brin, cofondateur de Google, et le PDG de Microsoft, Satya Nadella. Le 27 novembre, le jour de l’hommage national rendu aux victimes des attentats du 13 novembre dans la cour des Invalides, Martin Bouygues est là pour tenter de mettre fin à la guerre entre les

quatre opérateurs et proposer un armistice. Il lui propose de lui vendre sa filiale télécoms. « Je veux bien traiter avec toi, mais uniquement avec toi. Et la valorisation que je veux pour Bouygues Telecom est de 10 milliards d’euros, ce n’est pas négociable », lui dit-il en substance. Stéphane Richard a le sourire. « La dernière fois [NDLR : en 2014], c’est votre serviteur qui a pris sa canne et son chapeau pour aller voir Martin Bouygues. Cette fois-ci, c’est lui qui est venu », explique alors Stéphane Richard. Dans les deux camps se constituent dans la plus grande discrétion des équipes commando. L’opération est révélée au grand public le 5 janvier. Nom de code : « Jardiland ». Orange sera rebaptisé pour l’occasion Orchidée, Bouygues Telecom sera Bégonia, Numericable-SFR sera Nénuphar et Iliad-Free, Iris. Ces noms sentent bon le printemps et le jardinage amateur, mais ils cachent la mobilisation d’une armée d’avocats, de banquiers et des états-majors des quatre opérateurs. Dans la liste de ceux qui n’ont pas eu de weekends « normaux » pendant trois mois, on peut citer : Ramon Fernandez, le directeur financier d’Orange, son homologue Philippe Marien chez Bouygues, Dexter Goei, le directeur général d’Altice, Thomas Reynaud, directeur général délégué d’Iliad… Du côté des banquiers, on trouvait …

ÉCONOMIE Jean-Marie Messier et Philippe Villin pour Orange, Grégoire Chertok (Rothschild) et David Azéma (Bank of America Merrill Lynch) pour Bouygues. Et, pour les avocats, cette opération infiniment complexe (qui donnera lieu à la rédaction de 70 simulations de contrats différents !) mobilise August & Debouzy, Weil, Gotshal & Manges chez Orange, Bredin Prat (Free) ou encore Alexandre Marque, le fondateur du cabinet Franklin, recruté par SFR-Numericable. Les discussions – auxquelles Bouygues a fixé le 31 mars comme date limite – tournent autour de la question des « remèdes ». Un drôle de mot pour désigner les éventuels mouvements qui pourraient être demandés par l’Autorité de la concurrence après l’étude du dossier. Ces remèdes (également appelés risques d’exécution) sont classés en trois catégories : les blancs, qui, s’ils étaient imposés, ne poseraient pas de problème de fond aux différentes parties ; les noirs – les négociateurs en ont identifié cinq –, qui étaient susceptibles de bloquer le deal et contre lesquels chaque acteur s’est prémuni ; et ceux de la zone grise, les plus complexes à appréhender… « La grande angoisse de Martin Bouygues, et il avait raison, était que l’étude du dossier dure de longs mois, pendant lesquels Bouygues Telecom allait inévitablement s’affaiblir avec des départs de clients et des salariés démobilisés. Et que, finalement, la transaction ne se fasse pas, pour un remède ou pour un autre, et que son entreprise se retrouve exsangue », dit un négociateur de premier plan.



Quatre cents ans après sa mort, il est toujours là ! Et follement aimé, joué, adapté… Shakespeare est inépuisable.

En vente chez votre marchand de journaux et sur boutique.lepoint.fr

Niel, l’« outlaw ». A la manière des Tontons flingueurs, certaines phrases d’anthologie ont été prononcées. « Avec qui dois-je traiter pour les négociations avec SFR ? » demande un banquier au PDG d’Altice, Patrick Drahi. « Avec Patrick Drahi », répond le tycoon. Xavier Niel, pour son côté gangster des télécoms, a été surnommé l’« outlaw ». Au cours des discussions, il y a eu une bonne dose de surprises, de coups de bluff, de départs fracassants. Le dimanche de Pâques, l’équipe d’Orange se retourne et constate à sa grande surprise que l’équipe de Bouygues a disparu. S’ensuit alors une guerre des nerfs… Le même jour, à 20 heures, Philippe Marien (Bouygues) fait passer à son homologue Ramon Fernandez le message suivant : « Notre communiqué de fin de négociations est prêt. » Orange répond du tac au tac : « Le nôtre également. » Avant que les négociations ne reprennent pour une semaine folle… Dans les derniers jours, les négociateurs étaient organisés pour tenir un siège dans le cabinet Darrois Villey Maillot Brochier. Ils rentraient chez eux quelques heures pour prendre une douche et regagnaient ensuite l’immeuble près de la place de l’Etoile. Jusqu’à 120 plateaux-repas ont été portés – avec des menus chinois, libanais, thaïlandais ou des pizzas arrosées au Coca-Cola et parfois, rarement, à la bière. Mais les livreurs devaient veiller à ne pas se tromper de porte ! Une salle au premier étage du cabinet était attribuée à chaque opérateur (avec logo sur la porte) et une grande salle de conférences pouvait accueillir jusqu’à 40 personnes. Mais les négociations se déroulent aussi sur un autre front, celui de Bercy. Emmanuel Macron, ministre de

l’Economie, est entré dans la danse. L’Etat est actionnaire d’Orange à hauteur de 23 % et le ministre de l’Economie entend bien défendre bec et ongles le patrimoine de l’Etat. Il entend aussi et surtout ne pas insulter son avenir politique : qu’on ne puisse jamais lui reprocher d’avoir bradé les intérêts de la France… Le jeudi 24 mars, Martin Bouygues est reçu par Emmanuel Macron en présence de Martin Vial, le patron de l’Agence des participations de l’Etat. « Macron est redevenu le banquier d’affaires doué qu’il était chez Rothschild. Il négociait pied à pied », confie un proche du dossier. Le chef d’entreprise reste une heure dans son grand bureau vitré avec vue sur la Seine. Bouygues en ressort vexé et excédé par les demandes de l’Etat. Quelques jours plus tard, il résume ainsi la situation devant son conseil d’administration : « Je ne veux pas me retrouver à la une des journaux où il serait écrit que j’ai mis les deux tiers de mon patrimoine dans une participation minoritaire pour laquelle j’aurais renoncé à des droits de vote doubles et payé une surprime de 20 % sur le cours de Bourse. Si j’accepte cela, je suis soit un con, soit un fou. Et, à 64 ans, je suis trop vieux pour commencer à passer pour l’un ou pour l’autre. » Le créateur de Bouygues Telecom est hors de lui, mais, avec le

« Si j’accepte cela, je suis soit un con, soit un fou. » Martin Bouygues recul, ses conseillers pensent que la situation était gérable… Avec des petits coups de pouce de l’Elysée et de Matignon, Macron aurait assoupli sa position et fini par trouver un accord avec Bouygues. D’ailleurs, le 31 mars encore, Manuel Valls, Jean-Pierre Jouyet, secrétaire général de l’Elysée, et Emmanuel Macron téléphonaient à Stéphane Richard pour l’encourager à finaliser la fusion. Parallèlement, les équipes de Free amènent un dernier sujet sur la table. D’apparence anecdotique et purement technique, il va pourtant faire exploser le deal : c’est la question des baux (plus de 2 600) qui s’attachent à chaque antenne du réseau Bouygues (qui devait être repris par Free). En effet, ce transfert obligeait Free à renégocier avec chacun des copropriétaires les baux qui régissent l’installation des antennes sur les toits des immeubles… Un boulot de titan et une vraie incertitude juridique. Chez Free, on menace : « Si dans un an nous n’avons pas au moins 80 % des baux resignés, nous pourrons annuler l’opération. » La frayeur gagne le camp Bouygues. Cette histoire de baux est la goutte d’eau, elle donnerait une porte de sortie toute trouvée à Niel et c’est inacceptable… Les risques sont trop importants, c’en est trop pour Martin Bouygues. Il se braque et décide de lâcher l’affaire. Finalement, Bouygues Telecom poursuivra sa route seul. Jusqu’à la prochaine négociation ? Il paraît que les banquiers travaillent déjà sur le retour d’un nouveau scénario de fusion §



7ème Edition annuelle

Ville intelligente & connectée



De la mobilité aux smart grids, la convergence des flux au service des citoyens, une réalité en 2016 ? Paris, le 19 mai 2016, de 14h00 à 18h30 Cité de l’architecture et du patrimoine Avec les participations exceptionnelles de : Christian Estrosi, Maire, Nice Président, Métropole Nice Côte d’Azur Président du Conseil Régional Provence-Alpes Côte d’Azur Karine Dognin-Sauze, Adjointe en charge des relations internationales, Lyon - Vice-Présidente en charge de l’Innovation, de la Métropole intelligente et du Développement numérique, Métropole de Lyon Alexandre Fremiot Chef de l’Agence Mobilité Mairie de Paris Frédéric Leturque Maire, Arras Vice-Président, Communauté Urbaine d’Arras – Conseiller Régional Nord Pas-de-Calais Picardie Anne Walryck Vice-présidente en charge de la transition écologique, énergétique et du développement durable Bordeaux Métropole Francky Trichet Adjoint au Maire en charge de l’innovation et du numérique Nantes Conseiller, Nantes Métropole

En partenariat avec :

Demande de programme et inscription : Tel : +33 1 43 12 85 55 [email protected] lepoint-villeconnectee.fr

ÉCONOMIE

PSA LE DEUXIÈME ÉTAGE DE LA FUSÉE TAVARES Chiffre d’affaires du groupe PSA, en millards d’euros 59,91

2011

Carlos Tavares présente ses projets pour PSA, le 5 avril.

« Push to pass » : c’est le nom d’un bouton près du volant qui, en course automobile, permet de booster le véhicule au moment d’effectuer un dépassement ; c’est aussi le nom que Carlos Tavares a donné à son plan de croissance pour PSA. Le temps de la conquête est venu pour un groupe désormais redressé, deux ans après l’arrivée de Tavares à sa tête. Le constructeur vise une hausse de son chiffre d’affaires de 10 % entre 2015 et 2018 – de quoi retrouver les niveaux de 2011. Et 15 % supplémentaires entre 2018 et 2021. Jusqu’ici, PSA avait surtout serré les coûts et Tavares, pour restaurer les marges, assumait se comporter

« comme un financier » – presque une insulte dans ce monde hyper-testostéroné où on se vante d’être un « car guy » (un « mec de l’auto »). Le groupe table sur 6 % de marge opérationnelle en 2021, ce qui en ferait le constructeur européen généraliste le plus rentable, même s’il resterait loin par exemple de BMW, qui flirte avec les 10 %. Mais, grande nouveauté, on mise aussi sur le produit : est annoncé ainsi le lancement de 34 modèles d’ici à 2021 (26 voitures et 8 utilitaires, dont un pick-up de 1 tonne de charge utile). Il était temps, car si Peugeot s’en sort très bien (merci, la 308 !),

55,45 54,10 53,61 54,68

2012

2013

2014

2015

Sources : PSA, calculs « Le Point ».

69,17

60,15

Objectif 2018

Objectif 2021

les gammes Citroën et surtout DS tiraient la langue. Preuve que Tavares ne doute plus de grand-chose, il ose annoncer le retour du groupe aux Etats-Unis, où il va proposer un service d’autopartage, vingt-cinq ans après l’humiliant retrait de ce marché. Il rebaptise même la société : exit PSA Peugeot Citroën, bienvenue à Groupe PSA. Un sacré défi pour prouver (ou pas) qu’il mérite (ou pas) le doublement de son salaire en 2015 à 5 millions d’euros § CL. L. Précision

Dans l’article immobilier « Habiter près d’un green » (Le Point n°2272), nous avons écrit qu’une carte de licencié de golf coûtait 2 500 euros par an. Il n’en est rien, tant s’en faut : son coût est de 52 euros. Nous présentons nos excuses pour cette erreur.

Xavier Musca

Jean-Yves Hocher

Yves Perrier

Directeur général de Crédit agricole SA depuis mai 2015, Philippe Brassac (56 ans, Ensae, DEA de maths) vient de finaliser la refonte de son état-major. Le comité exécutif de l’organe central de la banque verte compte treize autres personnes. Xavier Musca (56 ans, Sciences po, Ena), secrétaire général de l’Elysée sous Nicolas Sarkozy, est DG délégué. JeanYves Hocher (60 ans, Institut agronomique Paris-Grignon, Engref) est directeur général 76 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

Philippe Dumont

Michel Mathieu

Pascal Célérier

Bertrand Corbeau

adjoint(DGA)Grandes (62 ans, Sciences po, maîtrise de droit des Clientèles. Yves Peraffaires, DECS) est rier (61 ans, Essec) est DGA Epargne, assuDGA Fonctionnement et transformation. rances et immobilier, Bertrand Corbeau tout en étant DG du (55 ans, Institut techgestionnaire d’actifs Philippe Brassac Amundi. Philippe nique de banque, InsDumont (55 ans, Institut agro- titut national de marketing, nomique Paris-Grignon, En- Insead) est DGA Développegref) est DGA Services financiers ment, client et innovation. spécialisés. Michel Mathieu Jérôme Grivet (54 ans, Sciences (60 ans, docteur en droit des af- po, Essec, Ena) est DGA Fifaires) est DGA Filiales banques nances groupe. Jérôme Brude proximité. Pascal Célérier nel (61 ans, Sciences po, Ena,

Jérôme Grivet

Jérôme Brunel

Insead) est secrétaire général. Bénédicte Chrétien (45 ans, master en RH à Paris-I) est DRH, Frédéric Thomas (59 ans, Ecole supérieure agronomique de Rennes, DESS de gestion) DG de Crédit agricole Assurances, Hubert Reynier (53 ans, Sciences po, maîtrise de droit et DEA d’économie à Paris-I, Ena) directeur des risques et enfin Jean-Pierre Trémenbert (60 ans, HEC, Centre d’études actuarielles), directeur de la conformité § CL. L.

ROLLE/RÉA - DECOUT/RÉA (X 3) - GOULARD (X 5) - FORESTIER - TORDJMAN

Etat-major Crédit agricole SA

8 mars - 28 août 2016

Buste uste us sste te e de ffem emm me, me e B Boisgelo sgelo gelo up, g u 19 1 31, 3 ci cm ment, men ent e ent, n Mu Musé Musée M é nation o al Pic P assoasso-P sso-P o-Par aris aris, ris, © S Succ Suc ce ession essio on o n Picas P Pica so 201 0 6. Photo oto t ©R RMNRMN RM M Grand Gran d Palai Palais Pa Pala alais/ /Adrie A Adri Adrie nD Didierjean Did rjean a an Buste d de e fe fem f me, me e, B Boisgelo gelo ou up, 19 1 31, 1, b bronze, onze M Musé Musée u national nation al P a Pic c asso-P assosso o aris, © Succession Succession n Picas P casso Pi o2 2011 6. 6 Photo © RMNN Gran Grand rrand nd Palais Pala /Math Palai /Mathi athi th e eu u Rab Ra eau au

PICASSO. SCULPTURES

SPÉCIALSENIORS

Santé connectée, santé partagée PAR NATHALIE LAMOUREUX

L

a mode est récente et l’engouement rapide. Six millions de Français, dont beaucoup de seniors, possèdent un objet connecté lié à la santé. « Depuis vingt ans, le diagnostic médical est lié à la maladie », explique Uwe Diegel, PDG d’iHealth Europe, leader mondial des objets de santé connectés. « Acheter une balance connectée, c’est un acte positif, qui permet de visualiser les signaux de son corps, et c’est bien plus efficace que les résolutions stupides du 31 décembre », poursuit le fabricant. La surabondance de l’offre, cependant, ne facilite, pas le choix du consommateur, pourtant séduit si on en croit le nombre d’acheteurs. Que ce soit au travers d’une application mobile de jogging ou d’une balance connectée, 78 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

l’usage de ces objets soulève d’importantes questions sur leur efficacité et la protection des données. Le mouvement du quantified self, ou mesure de soi, est né en 2007, en Californie. Mais plus largement, l’automesure remonte au début du XIXe siècle, avec l’arrivée des thermomètres et des balances à domicile. Son essor date des années 80, avec la prise en charge de maladies chroniques comme le diabète ou l’hypertension artérielle, et la mise à disposition d’appareils de mesure dans les foyers. « Les médecins invitent alors les patients à tenir des cahiers inscrivant l’historique de leurs résultats d’auto mesure », explique Nicolas Postel-Vinay, directeur du site automesure.com. Cette démarche a ouvert la voie à l’écriture d’algorithmes que la

Bon pied bon œil. Pierre Gruneberg, 85 ans, moniteur de ski à Courchevel.

6

millions

C’est le nombre de Français qui possèdent un objet connecté lié à la santé.

numérisation a permis d’inclure dans certains nouveaux objets connectés. Illustration de cette tendance, le fabricant Withings, dans son appli pour tensiomètre connecté, a intégré un protocole développé par les médecins de l’Hôpital européen Georges-Pompidou. Ce protocole permet de contourner trois problèmes majeurs du diagnostic de l’hypertension, fréquente après 50 ans : l’effet blouse blanche, lorsque la mesure est plus élevée à cause d’un sentiment d’anxiété du patient ; l’hypertension masquée, quand les mesures en cabinet paraissent normales, alors que le patient est réellement hypertendu ; enfin, la variabilité intrinsèque de la tension artérielle. Le résultat prend la forme d’une valeur moyenne de l’hypertension,

JULIEN FAURE/RÉA POUR LE POINT

Dynamisme. Une avalanche d’objets et d’applis promet d’améliorer le confort des seniors. Mais gare aux arnaques.

Pierre Gruneberg, à fond la forme

DR

A 85 ans, Pierre Gruneberg mène une double vie équilibrée. Moniteur de ski à Courchevel depuis son embauche par le champion Emile Allais, il occupe depuis le casier n°1 de l’Ecole de ski français de la station. Bientôt, il filera au Grand Hôtel du Cap-Ferrat, dont il est l’emblématique maîtrenageur. En soixante-cinq ans de carrière de moniteur été-hiver, bien des stars ont dit merci à ce pédagogue pour avoir grâce à lui découvert le plaisir de skier ou de nager. Si tout le monde n’a pas la chance de partager sa vie entre neige et mer, chacun peut selon lui entretenir sa forme. Et les objets de santé connectés peuvent vous y aider. Retrouvez les secrets d’équilibre de ce sportif accompli et l’intégralité de notre dossier spécial Seniors sur lePoint.fr § MARIE-CHRISTINE MOROSI

Souvenirs souvenirs. Bras dessus, bras dessous avec Johnny. Pierre Gruneberg a fait découvrir les joies du ski à plus d’une star.

d’un code couleur, et d’un message textuel, qui peut être partagé avec le médecin. Voici typiquement un objet connecté lié à la santé, ludique et efficace, dont le protocole a été validé par des études comparatives. Le marché se divise entre les produits grand public consacrés au bien-être, et ceux destinés à un usage médical, soumis à des certifications. Mais l’avènement de capteurs bon marché a démocratisé ces outils de mesure, et en même temps « gadgétisé » l’univers de la santé. Au dernier CES de Las Vegas a été présenté le Babypod, premier speaker vaginal, qui permet à la femme enceinte de jouer de la musique à son bébé ! « Une trentaine d’objets sont fiables et pertinents. Sur les 1 148 applications testées, 80 % ne servent à rien, sont peu ergonomiques et bien trop chères pour le service rendu », témoigne Guillaume Marchand, interne en psychiatrie et président cofondateur de DMD, une start-up qui évalue les applications santé en France. « Il y avait un grand intérêt à commencer ce travail de labellisation. Nous avons renforcé notre méthode avec de l’audit sécurité, de l’éthique, de l’analyse juridique, réglementaire, et des situations d’usage comme pour le Vidal », poursuit le chef d’entreprise. Les applications jogging et les bracelets connectés ne sont pas pris en compte, en raison de leur manque de précision. Des écarts

de mesure de 20 % sont constatés selon qu’on les place à la cheville, au bras ou à la ceinture. Lorsque l’outil connecté est utilisé dans un contexte de curiosité sur soi-même ou pour motiver ses troupes dans une entreprise au cours d’un walking challenge, la question de la fiabilité est moins importante que s’il s’agit d’un dispositif thérapeutique. Pour un fabricant d’objets connectés bien-être, ce n’est pas la mesure qui compte, mais l’évolution de la performance. Si l’on en croit une étude réalisée par IDS Santé, en 2013, sur 1 000 personnes, l’usage d’un coach électronique se traduit par un plus grand nombre de pas effectués chaque jour, et une diminution du tour de taille, du fait de la chute de l’IMC, liée à l’augmentation de la dépense énergétique. Ces résultats sont toutefois à nuancer, puisque la fréquence d’utilisation des capteurs d’activité s’effrite au bout de six mois chez 25 % des utilisateurs. Oubli d’un câble, batterie à plat, et voilà l’objet chéri au fond du tiroir. Du quantified self au modified self, il y a souvent un grand pas. Aucune étude n’a prouvé qu’avoir en permanence son niveau d’activité sous les yeux induisait de ne plus manger de caramel au beurre salé au goûter. L’innovation n’est pas tant dans l’objet, que dans les services qui vont s’y agréger et s’adapter à un patient dans un contexte …

INVESTISSEZ DANS L’IMMOBILIER avec le spécialiste des résidences seniors nouvelle génération

RÉDUCTION D’IMPÔTS

INVESTISSEMENT PATRIMONIAL

REVENUS COMPLÉMENTAIRES

Informations

05 62 47 94 95 www.investir-senioriales.com

Le Point 2274 | 7 avril 2016 | 79

SPÉCIALSENIORS

D’après un sondage Ifop, les balances arrivent en première position (6 %) des objets possédés par les Français, suivies par les montres (2 %), les tensiomètres (2 %) à égalité avec les traceurs d’activité (2 %). Du côté des motivations, 50 % des personnes interrogées répondent qu’elles désirent « surveiller ou améliorer leur santé », 26 % comptent sur ces joujoux pour les « encourager à réaliser des efforts » et 22 % pour « mieux se connaître ». Plus près du cœur iHealth Rhythm, l’électrocardio­ gramme portable le plus fin du marché, est composé d’un patch et connectable en bluetooth (ihealthlabs.com). Coach du sommeil Dreem est un casque truffé de capteurs, capable

d’analyser votre activité cérébrale en temps réel. Lorsque le dormeur est en état de sommeil profond, le bandeau émet des sons afin d’allonger ce sommeil et d’en améliorer la qualité (https ://rythm.co). Fiche médicale d’urgence Liva est un bijou dessiné par Christophe Lemaitre

et doté d’un QR code qui contient également vos informations médicales, stockées sur un serveur de santé agréé (liva.fr). La tension sans blouse blanche

Le bandeau Dreem.

Le tensiomètre connecté Withings a intégré un algorithme validé par la science (withings.com). particulier. Par exemple, une fourchette connectée ne sera pas très utile à une personne qui n’a pas de problème particulier, mais elle prend tout son sens dans le cas d’un sujet ayant subi une chirurgie bariatrique. On pourrait citer l’exemple du verre connecté d’AuxiVia, pour prévenir la déshy­ dratation des personnes âgées en maison de retraite. Les nouvelles technologies enrichissent, par ail­ leurs, les relations entre le patient et le médecin. La présentation d’une courbe, plutôt qu’un carnet papier de relevés, permet de gagner du temps et de mettre de l’humain au cœur du rendez­vous. Flairant le potentiel, les géants high­tech s’emparent du marché de l’e­santé, promis à une très forte croissance, puisqu’il devrait peser, …

80 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

d’après le cabinet d’étude allemand research2 guidance, 26 milliards de dollars en 2017. Apple veut faire de l’iPhone un véritable carnet de santé numérique. Samsung a lancé une plateforme logicielle baptisée Sami reposant sur l’utilisation du Cloud. Google s’attaque au vieil­ lissement avec un projet de brace­ let connecté pour détecter les risques de cancer. Où vont les données ? A quoi servent­elles ? Elles sont générale­ ment stockées sur des serveurs, se baladent aussi à l’extérieur, et servent, anonymement, à l’amélio­ ration des algorithmes des fabri­ cants d’objets connectés. Elles permettent aux éditeurs de services de quantified self d’établir des corré­ lations sur leurs utilisateurs, et ali­ mentent des programmes de

Salon des seniors 

Quatre jours pour préparer sa retraite, faire fructifier son patrimoine ou s’envoler vers de nouveaux horizons. Du 7 au 10 avril 2016 – Paris, porte de Versailles, www.salondes­ seniors.com.

Confidentialité. Chez Apple, les données du carnet de santé sont stockées dans le téléphone. Mais si on perd son téléphone, on perd ses données. Le constructeur propose de dupliquer le contenu sur le Cloud, mais cette solution passe par le réseau Internet et expose à des risques de cyberattaques, et de violation de confidentialité. « On a beau mettre en place des solutions ultra­ sécurisées, on ne peut pas se protéger contre tout, explique Philippe Pu­ cheral, professeur d’informatique à l’université de Versailles. Mais voir le dossier médical personnel des Français centralisé sur un seul serveur me fait dresser les cheveux sur la tête. » Son équipe, de l’Institut national de recherche en informatique et en automatique, a mis au point une clé USB avec carte à puce sécurisée et capteur d’empreinte digitale, pour un coût à l’unité estimé à 60 eu­ ros. Cette solution, simple et plus sûre, a été expérimentée avec suc­ cès, en collaboration avec le conseil général des Yvelines, auprès de per­ sonnes dépendantes, qui pour beau­ coup n’ont pas Internet et refusent que leur dossier médical soit stocké sur un serveur informatique. Enfin, derrière la santé connec­ tée se pose la question de l’évolu­ tion du système de soins français, pointé comme financièrement ar­ chaïque. Quel modèle ? La mutua­ lisation des risques, comme c’est le cas aujourd’hui, ou la person­ nalisation, à l’image des pays nordiques, pour plus de responsa­ bilisation ? Vaste débat §

DAVID HUGONOT PETIT – DR (X3)

Pourquoi les objets connectés séduisent 

recherches épidémiologiques. A partir d’une mesure de tension et d’une région géographique, on peut établir un rapport avec les consom­ mateurs de fromage. Une donnée de poids combinée à la taille peut permettre d’estimer un risque cardio­vasculaire. « A 30 ans, ce n’est pas grave, mais cela peut le devenir quand on aura laissé tous ses antécé­ dent médicaux et que Google sera de­ venu une police d’assurances qui saura que vous passez votre temps dans votre canapé et que vous avez dix fois plus de risques de faire un infarctus que votre voisin », analyse Guillaume Marchand.

Mon

EPARG N

E

Carac Profiléo

N° Cristal 0 969 32 50 50 A P P E L N O N S U R TA XÉ

SCIENCES

Le chercheur qui défie les lois de l’addiction Pionnier. Pier Vincenzo Piazza va tester une hormone contre la dépendance au cannabis. PAR SOPHIE PUJAS

«L

a biologie, je la trouve d’une beauté extraordinaire ! » s’enthousiasme Pier Vincenzo Piazza. Et pourtant, ce chercheur a plutôt contribué à en disséquer les pièges, notamment la façon dont elle nous rend vulnérables. Il est en effet l’un des spécialistes de l’addiction, dont il a contribué à mettre en lumière les mécanismes. Le 7 décembre, Piazza recevait le Grand Prix de l’Inserm pour ses recherches. Une récompense qui s’ajoute au prix Lamonica de l’Académie des sciences. Le couronnement de plusieurs décennies au chevet de l’esprit humain. Né en Sicile en 1961, il décrète très tôt (à 5 ans !) qu’il deviendra chercheur. Peut-être sous l’influence mystérieuse d’un arrièregrand-père professeur de pathologie générale, décédé au même moment. D’abord tenté par une carrière de psychanalyste, il entame des études de médecine. Mais la confrontation avec des malades en psychiatrie le convainc qu’il s’agit d’un champ largement en friche. « On ne connaissait pas encore les mécanismes des pathologies mentales, de sorte que la psychiatrie était séparée de la médecine. J’ai été très frappé par l’absence de thérapie efficace. » Cette prise de conscience fait basculer le jeune psychiatre du côté de la recherche médicale. 82 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

47,8 % des jeunes de 17 ans

ont déjà expérimenté le cannabis*.

9,2 % des jeunes de 17 ans

consomment régulièrement du cannabis* (au moins 10 consommations au cours des 30 derniers jours). *

En France, en 2014.

Source : Observatoire français des drogues et des toxicomanies.

Diplômé de l’université de Palerme, il rejoint Bordeaux pour une thèse, en 1988, dans les laboratoires de Michel Le Moal, un pionnier de la psychiatrie biologique. Il n’est jamais reparti de Bordeaux, où il est aujourd’hui à la tête du Neurocentre Magendie de l’Inserm. L’apport décisif de ses équipes ? Avoir démontré que l’addiction est une maladie. Et que cette maladie a ses lois. Piazza a prouvé que nous ne sommes pas tous égaux face à l’addiction. Après une consommation dite récréative, certains basculent dans la dépendance – qu’il s’agisse d’alcool, de tabac ou de cocaïne. Des individus biologiquement plus vulnérables. « Les gens ont une idée fausse de ce qu’est la biologie ; elle est due pour 50 % à la génétique et pour 50 % aux expériences de vie », explique le médecin. Si nous naissons plus ou moins vulnérables aux addictions, les expériences de vie ont le pouvoir de modifier de manière structurelle notre cerveau. Donc de diminuer ou d’augmenter cette vulnérabilité. Ainsi le stress

la fait monter en flèche. Mais l’impact du stress est lui-même différent d’un individu à un autre. Face à un même traumatisme, deux individus pourront se rétablir ou non. « Des expériences de vie qui ne sont pas pathogènes pour la majorité de la population le deviennent pour certains. Par exemple, les premières causes de dépression en France sont les divorces et les déménagements ! » Mécanismes de résilience. La biologie ne serait donc qu’une loterie ? « J’ai inventé l’eau chaude : j’ai prouvé que chaque individu était différent », sourit le chercheur. Reste que, lorsqu’il a commencé, cette conclusion n’allait pas de soi. « Une des raisons pour lesquelles on n’avait pas trouvé de thérapie, c’est qu’on regardait au mauvais endroit… Au lieu de s’intéresser au cerveau des toxicomanes, il fallait observer les mécanismes de résilience chez les sujets qui ne tombent justement pas dans l’addiction. » Mais attention, rappelle-t-il, si tout le monde n’est pas égal face à l’addiction, les effets néfastes des

Comment le cerveau lutte contre le cannabis Le THC, le principe actif du cannabis, se fixe sur les récepteurs cannabinoïdes (CB1) situés sur les neurones. Cela provoque de la détente et du bien-être, mais aussi des effets néfastes : dépendance, troubles de la mémoire, baisse de la motivation, de l’attention…

THC

Lorsque le cerveau est exposé à des concentrations de THC très élevées, il déclenche un mécanisme de défense pour se protéger et produit une hormone stéroïdienne, la prégnénolone, qui bloque les effets intoxicants du cannabis.

Récepteurs cannabinoïdes (CB1)

Prégnénolone

Infographie : Hervé Bouilly.

SÉBASTIEN ORTTOLA/RÉA

drogues pour l’organisme sont réels pour tous. L’abus d’alcool sera mauvais pour le foie même si on ne devient pas alcoolique… Son dernier cheval de bataille ? L’addiction au cannabis. Piazza est persuadé qu’elle devient un enjeu majeur de santé publique, en raison de la forte prévalence chez les 14 et 25 ans. Aux Etats-Unis, cette tranche d’âge consomme déjà plus de cannabis que de cigarettes. En France, la prévalence de l’usage de cannabis dans cette partie de la population est d’environ 50 %. « Si un adolescent sur deux fume, cela signifie que 15 % d’entre eux vont devenir accros ! » Avec de lourdes conséquences. « Les études montrent que la consommation régulière de cannabis se traduit par dix fois moins d’études supérieures et trois fois plus de chômage. On oublie ce qu’on a appris avant de fumer, alors même qu’on est plongé dans un état de zénitude total… De

« Si un adolescent sur deux fume du cannabis, cela signifie que 15 % d’entre eux vont devenir accros. » Pier Vincenzo Piazza

Au labo. Le professeur Piazza dirige le Neurocentre Magendie de l’Inserm, à Bordeaux.

sorte que l’échec scolaire est vécu dans une indifférence parfaite ! » Avec ses équipes, Piazza a découvert que, chez l’animal, la prégnénolone, une hormone produite par le cerveau, offre un mécanisme naturel de défense contre les effets du cannabis. Il a donc fondé une start-up, Aelis Farma, pour développer un médicament exploitant cette hormone, grâce à un dérivé chimiquement transformé. Les premiers tests sur l’homme pourraient être effectués dès septembre. « La difficulté, pour lever des fonds, c’est que parler de toxicomanie ne soulève pas l’enthousiasme, alors même que c’est un besoin médical énorme et un

marché colossal », regrette-t-il. En cause : un regard qui n’évolue guère, et qui rend le toxicomane responsable de ce qui lui arrive. « Aujourd’hui, cela ne viendrait à l’idée de personne de dire à un dépressif qu’il faut qu’il arrête d’être paresseux et se secoue. Alors qu’un toxicomane, on pense qu’il est quand même un peu vicieux… On reste sur l’idée qu’il s’agit juste d’une question de volonté. » Lui s’indigne de voir que sur le 1,5 milliard d’euros dépensé par la France chaque année pour lutter contre la toxicomanie, seuls 18 millions vont à la recherche. Comme si les mentalités avançaient moins vite que la science… § Le Point 2274 | 7 avril 2016 | 83

CULTUREMUSIQUE

s e d e t è r c e s e r i o L’hist

Guns

Monstre à deux têtes. Axl Rose et Slash, chanteur et guitariste de Guns N’Roses, en concert à Rio en janvier 1991. Avant la rupture.

N’Roses Brillant et toxique, le groupe aux 100 millions d’albums vendus a fasciné la fin des années 80 avant de se fracasser. Aujourd’hui, les Guns reviennent… de loin. Récit. PAR ANNE-SOPHIE JAHN

KE.MAZUR/WIREIMAGE/GETTY - DR

C

’est l’une des histoires les plus mystérieuses du rock. Celle d’un groupe qui a vendu 100 millions d’albums et qui n’a pourtant vécu que six ans. Celle d’un autiste qu’on a pris pour une diva. Celle de cinq rock stars sans lesquelles le grunge de Kurt Cobain n’existerait pas. Il n’y a qu’une chose de vrai dans ce qu’on dit des Guns N’Roses : avec eux, on ne savait jamais ce qui allait se passer. A quelle heure arriveraient-ils sur scène ? Six heures après ? Jamais ? Et qu’a-t-il pu se passer ce 17 juillet 1993, quand, après avoir joué devant 70 000 personnes à Buenos Aires, concert qui clôturait deux ans et demi de tournée, l’une des plus longues qu’un groupe ait jamais connues – 195 dates, dans 27 pays –, ils jurent, en pleine gloire, de ne plus jamais remonter sur scène ensemble ? Guns N’Roses, c’était le groupe le plus toxique de la fin des années 80, des titres inoubliables alternant ballades et morceaux agressifs, « Sweet Child O’ Mine » puis « Welcome to the Jungle », des pochettes au design explosif, des pluies de dollars, l’invention du short cycliste porté avec des baskets montantes et un bandana sur cheveux longs, du haut-de-forme sur tignasse crêpue… Oui, que s’est-il passé ? D’autant qu’en janvier dernier le chanteur Axl Rose annonce leurs retrouvailles… avant d’entrer en studio, sans prévenir, comme nouveau chanteur d’AC/DC pour remplacer Brian Johnson, devenu sourd. Constamment imprévisibles, les Guns… Hollywood, 1983. Les boîtes du Strip, cette bande de bitume de 2,5 kilomètres du Sunset Boulevard, parsemée de bars où les groupes se produisent, sont pleines à craquer. Le Whisky a Go Go est temporairement fermé, mais au Troubadour, au Rainbow ou chez Gazzarri’s des rockers permanentés et maquillés jouent une musique ultra-testostéronée. Cheveux

Avant les Guns. Tout juste débarqués de l’Indiana, Izzy Stradlin et Axl Rose montent un groupe, Hollywood Rose.

longs et crêpés, strip-teaseuses à leurs côtés, ces chevaliers du glam metal aspirent des litres de bière et des kilomètres de cocaïne avant de monter sur scène à coups de riffs de guitare ultra-agressifs. Ils s’appellent Mötley Crüe ou Twisted Sister. Fascinés, des jeunes de toute l’Amérique s’installent à Los Angeles pour leur ressembler. Parmi eux, un rouquin au visage d’ange : Axl Rose. Il est assis devant le Troubadour, avec sa veste en jean sans manches et ses santiags, et personne ne le remarque. Dans l’Indiana, il passait pour un punk. A Los Angeles, on le prend pour un plouc. Né à Lafayette vingt et un ans plus tôt, William Bruce Rose a été abandonné – et probablement violé – par son père à l’âge de 2 ans. Sa mère, qui n’avait que 17 ans quand elle est tombée enceinte, se remarie avec un pentecôtiste puritain. Il élève le garçon entre offices religieux et coups de ceinturon. « Il a molesté ma demi-sœur pendant vingt ans et me battait constamment », confie l’artiste en 1992 au magazine Rolling Stone. C’est pourtant dans le chœur de cette église de campagne qu’il trouve un peu de paix : il chante et joue du piano devant une salle comble, rêve de spectacles et écoute « Bennie & The Jets », de son idole Elton John (avec lequel il chantera un duo, vingt ans plus tard ; le rock est une tragédie mêlée de conte de fées). Champs de maïs. Le jour de sa rentrée en 3e, il rencontre Jeff Isbell, alias Izzy Stradlin, un garçon calme aux traits émaciés, qui vit à l’autre bout de Lafayette. Leur passion pour la musique et le skate les rapproche. Ils laissent pousser leurs cheveux, montent des groupes et ne pensent qu’à quitter l’Indiana et ses champs de maïs. A 17 ans, William se rebaptise W. Axl Rose (WAR, la guerre ? ou l’anagramme de « oral sex » ?). Izzy part le premier pour Los Angeles. Axl, emprisonné cet été-là pour délits mineurs, le rejoint en stop à la fin de l’année. Quand il arrive à la gare routière, tard le soir, il est choqué. « Il y avait des Noirs qui vendaient des … Le Point 2274 | 7 avril 2016 | 85

CULTUREMUSIQUE Duff McKagan. 1,93 mètre, cadet d’une fratrie catholique, le bassiste (ici, en 1987) fait partie de la tournée 2016.

bijoux volés, du crack, de l’héroïne et de l’herbe, et la plupart de ces drogues étaient fausses. » Il vit dans des taudis, dans la rue, chez des filles, chez Izzy, qui vend de l’héroïne au Tout-Los Angeles, dont Joe Perry, le guitariste d’Aerosmith. Ils montent un groupe, Hollywood Rose, enregistrent cinq titres composés par Izzy, où Axl chante déjà avec une voix de tête presque animale. « Ils ont raison quand ils disent qu’Axl Rose est un bébé de 2 ans qui hurle, expliquera-t-il à Rolling Stone. Un bébé très énervé parce que je n’ai pas pu le protéger. Le monde ne l’a pas protégé. » Leur démo (et un magnétophone volé) sous le bras, ils rencontrent Vicky Hamilton, une jolie blonde, débarquée de l’Indiana elle aussi, qui contrôle la programmation des clubs du Strip. « Ils m’ont dit qu’ils allaient devenir le plus grand groupe de Hollywood. Et, en écoutant ces cinq chansons, dont certaines figureront sur leur album “Appetite for Destruction”, j’ai compris que c’était vrai. J’ai accepté d’être leur agent », se souvient-elle aujourd’hui. …

86 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

Axl Rose. Le leader au charisme félinoreptilien (à g., en 2012) vit aujourd’hui reclus dans sa villa de Malibu, entouré, à 54 ans, de sa gouvernante brésilienne (ex-nounou du fils de Stephanie Seymour, avec qui Axl a entretenu une liaison tumultueuse) et les fils de celle-ci, qui sont ses actuels managers.

répondeur, c’était “Welcome to the Jungle”, le moment où Axl chante “tu es dans la jungle, baby, tu vas mourir !”. » La réputation sulfureuse du groupe remplit les salles. Rose ondule toujours plus lascivement, Slash hypnotise la foule avec ses incroyables solos sur sa Gibson Les Paul Hunter Burst Replica. « Les voir jouer, c’était comme regarder un train dérailler, on ne pouvait pas regarder ailleurs », explique Vicky, qui, en mars 1986, réussit à les faire signer chez Geffen Records, label d’Aerosmith. David Geffen, le patron du label, est un ami des parents de Slash. Mais ce dernier cache si bien son identité que Geffen n’apprend qu’un an plus tard qu’il a changé les couches du guitariste du groupe qu’il venait de signer. « Au moment de signer le contrat, Axl ne trouvait plus ses lentilles de contact. Il hurlait qu’on les lui avait volées. On les a retrouvées, elles, mais pas lui : il était parti méditer sur le toit du Whisky a Go Go », raconte-t-elle. Elle sera évincée : « Dans les

HALFIN/DALLE-APRF - DR - AIJAZ RAHI/AP/SIPA

« Sorcière irlandaise ». En 1985, Hollywood Rose devient Guns N’Roses. Le bassiste s’appelle Duff McKagan. Cadet d’une fratrie catholique de huit enfants, il enveloppe son 1,93 mètre dans un trench en cuir. Le guitariste, c’est Slash, fils d’un juif anglais qui avait créé les pochettes de disques de Neil Young et d’une costumière afro-américaine qui travaillait pour Diana Ross, Ringo Starr et David Bowie. Il a grandi à Hollywood comme son ami batteur Steven Adler. Quand il intègre les Guns, il l’emmène avec lui. Ce dernier se souvient, à la première répétition, d’avoir vu Axl attraper le micro et se mettre à courir dans tous les sens en hurlant « comme une sorcière irlandaise ». Une spécialité vocale qui deviendra, avec ses miaulements lascifs, l’un de ses gimmicks. C’est ainsi qu’à Los Angeles, royaume du fric, des corps bronzés, épilés et musclés, cinq prolos sales, ivres et qui ne supportent pas les sous-vêtements s’apprêtent à devenir le plus grand groupe de rock du monde. Leur premier concert a lieu au Troubadour le 6 juin 1985. Slash arrive avec un chapeau noir à large bord sur sa chevelure bouclée. Axl porte un kilt sur son pantalon en cuir. Son corps glisse en S comme celui d’un serpent, mouvement qu’il aurait pris à Richard Black, chanteur de Shark Island. Après une tournée catastrophique où leur van tombe en panne et les lâche, ils se relèvent, unis comme une vraie famille. Ils louent, à Los Angeles, une réserve de 12 mètres carrés derrière un magasin. Il n’y a ni cuisine, ni toilettes, ni salle de bains, mais il y construisent une minuscule mezzanine et s’y installent. Izzy y vend sa dope, Steven utilise ses baguettes pour se faire griller des brochettes et, très vite, l’entrepôt devient le QG de tout ce que la nuit de LA compte de plus rock : filles, dealers, ados désœuvrés… Lorsque Axl et Slash sont accusés de viol par des groupies mineures, le groupe emménage chez Vicky Hamilton, juste à côté du Whisky a Go Go. « Les mégots et des frites McDo traînaient sur la moquette, nous confie-t-elle. Je venais d’emménager, alors je n’avais rien, même pas un frigo. Ils dormaient dans des sacs de couchage posés par terre dans le salon. Quand leurs copines venaient, ils zippaient deux sacs ensemble pour coucher avec elles. L’appartement n’avait qu’une chambre : avec ma coloc, on s’y est barricadées. Le message du

Slash. Le guitar hero, ici à visage découvert, se cachait derrière sa crinière sommée d’un hautde-forme. Il est confirmé pour la tournée.

Steven Adler et Izzy Stradlin. Le batteur et le guitariste, copain d’enfance d’Axl Rose, semblent avoir définitivement quitté les Guns.

années 80, les filles n’étaient pas prises au sérieux… » A 9 000 kilomètres de là, à Paris, Francis Zégut tombe sur l’un des 10 000 exemplaires du premier 45-tours de Guns N’ Roses : « Live ?!*@ Like a Suicide ». Il le passe le soir même dans son émission « Wango Tango», sur RTL. « J’ai compris que j’étais face à un truc énorme. On était en pleine période Hair Metal, tout le monde faisait un métal lisse, très FM. Eux, c’était rugueux. » Vient la sortie d’« Appetite for Destruction », en 1987, ses morceaux ravageurs, pour lesquels ils font gémir des filles dans la cabine d’enregistrement. Avec les journalistes, le groupe est d’une franchise déconcertante. « Alors que Jon Bon Jovi me disait qu’il adorait les enfants et qu’il allait épouser son amour de jeunesse, la première question que les Guns m’ont posée, c’était où trouver de la drogue. Slash me parlait des pornstars avec qui il couchait et de sa peur d’attraper le sida… Dieu merci, le rock’n’roll existait encore ! », raconte Mick Wall, ex-journaliste au magazine de rock Kerrang ! Avec ses 30 millions d’exemplaires, « Appetite for Destruction » est le premier album le plus vendu de l’Histoire. Mais ce groupe sans limite finit par imploser car, même entre eux, ils sont incapables de jouer la comédie. Steven Adler s’est fait virer du groupe – il était tellement défoncé qu’il s’écroulait sur sa batterie. Matt Sorum l’a remplacé pour enre« Au moment de gistrer le fantastique « Use your Illusion I signer le contrat, & II », qui déclenche des émeutes dans les magasins de disques le jour de sa sortie en Axl ne trouvait 1991. Axl Rose, prisonnier de ses terribles plus ses lentilles angoisses, est tyrannique et arrive des de contact. Il hur- heures en retard aux concerts, entraînant des pénalités de plusieurs millions de dollait qu’on les lui lars. « Tous les soirs, avant de monter sur scène, avait volées. » il voyait ses chiropracticiens, masseurs, voyants, Vicky Hamilton psychologues… Il buvait de mystérieux élixirs pendant que le reste du groupe carburait au whisky et à la coke », se souvient Mick Wall, pour qui Rose, diagnostiqué bipolaire, souffrirait plutôt du syndrome d’Asperger. Si Izzy réussit à vaincre ses addictions, celles des autres lui sont devenues insupportables. Il quitte le groupe, qui ne parvient plus à composer une seule chanson sans lui. En 1993, les Guns sortent « The Spaghetti Incident ? », un album de reprises punk. « Et puis Axl a donné cette interview dans laquelle il raconte son viol et Slash est parti jouer avec Michael Jackson, accusé d’avoir abusé d’enfants… Axl ne lui a jamais pardonné », explique Doug Goldstein, manager du groupe entre 1991 et 2004. Slash et Duff claquent la porte en 1996 et 1997. Quant à Axl Rose, son album « Chinese Democracy », le plus cher de tous les temps, sorti en 2008, sera un échec commercial et critique. Pas assez pour entamer le pouvoir d’attraction du groupe. Les Guns fument encore § Plus d’infos sur : www.histoire.fr

Retrouvez Christophe Ono-dit-Biot dans l’émission « Au fil de la nuit » chaque lundi en troisième partie de soirée, sur TF1, et le week-end sur LCI.

www.facebook.com/lesdieuxmeurentenalgerie

CANAL 90

CANAL 216

CANAL 117

CANAL 201

CANAL 134

CANAL 158

CULTUREEXPOSITION

Dans l’œil d’Apollinaire L’enchanteur d’« Alcools » ressuscite à l’Orangerie avec ses intimes, Lou, Picasso et tous les autres… Un voyage en avant-garde. PAR JEAN-PAUL ENTHOVEN

88 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

Bouillonnement. De l’avant-garde russe (en haut, Natalia Gontcharova) aux statuettes primitives, en passant par les cubistes (ci-dessus, « L’homme à la guitare », de Picasso), l’œil d’Apollinaire se fait encyclopédique.

Sur le fond, Apollinaire et Picasso voulaient étudier les objets « comme deux chirurgiens dissèquent un cadavre ». Et ils voulaient, ensemble, en finir avec « le carcan embaumé des règles de l’art ». Dans cette entreprise, Guillaume tenait les hommes de pinceaux et d’images pour des élus plus libres que les poètes, « dont les mots sont trop faits d’avance ». D’où son goût pour l’affiche, le cinématographe (il fonda avec Max Jacob la Société des amis de Fantômas), les arts du cirque, les bestiaires fantastiques – où figurent les charmants pihis, oiseaux soudés par l’amour et qui, n’ayant qu’une aile, sont contraints de voler en couple…

VICTORIA AND ALBERT MUSEUM/ADAGP, PARIS 2016 - CENTRE POMPIDOU, MNAM-CCI, RMN-GP - BPK, RMN-GP/SUCCESSION PICASSO 2016

L

e merveilleux, le gracieux, l’éternellement amoureux Guglielmo Alberto Wladimiro Alessandro Apollinare de Kostrowitzky, plus connu sous le nom de Guillaume Apollinaire, prince des poètes et enchanteur farfelu, était un individu génialement unique : au physique, c’était, à l’évidence, une statue de l’île de Pâques, massive et chue d’on ne sait quel ciel, avec de petits yeux enfouis dans un visage bienveillant ; au moral, c’était un curieux, un courageux, un glouton de la vie, des formes, des femmes, des couleurs, des émotions, des mots. Et, à cela, ce Polonais né dans l’Empire russe, élevé à Monte-Carlo et mort en patriote français, ajouta sans faillir sa prodigieuse aptitude à aimanter la meilleure part de tout ce que le début du XXe siècle engendra de plus neuf. D’où, en pleines Pâques, le miracle de sa résurrection, au musée de l’Orangerie, où sa directrice, Laurence des Cars, une apollinarienne de haute érudition, a rassemblé et exposé l’essentiel de ce que cet ami du sublime et du bizarre sut repérer à l’aube de l’art moderne (1). Puisque le bel Apollinaire a toujours été une source de jouvence, il faut se laisser faire… Par où commencer ? Indécidable. Car tout séduit dans l’imaginaire de ce fils revendiqué d’Apollon – qui fut conçu dans les coulisses d’un théâtre avant d’être brièvement éduqué par une mère qui vivait de ses charmes. Ici, des poèmes érotiques, des calligrammes de légende en l’honneur de Louise de Coligny, alias « Lou » – dont la chevelure était « pareille à du sang répandu » et qui ne comprit jamais pourquoi son amant-poète tenait tant à l’immortaliser ; là, des « fétiches d’Océanie et de Guinée », des masques, des « idoles nègres » – auxquels Apollinaire conféra, bien avant Breton ou Paulhan, une première dignité artistique ; ailleurs, voici le critique qui, dans les colonnes de L’Intransigeant et de Paris-Journal, fut le premier chantre des fauvistes, des cubistes, des orphistes, dont les œuvres sont là, splendides, et débordant de gratitude pour l’expert qui sut les bénir par intuition. Au milieu, bien sûr, règne Picasso, le frère, le patron, « l’oiseau béninois », le double absolu d’un Apollinaire dont il fit la connaissance en 1907, chez un ancien clown devenu marchand de tableaux, et qui l’accompagna pendant dix ans, au fil d’un mano a mano somptueux.

CENTRE POMPIDOU, MNAM-CCI, RMN-GP - RMN-GP (MUSÉE PICASSO DE PARIS)/ SUCCESSION PICASSO 2016 - RUE DES ARCHIVES/VARMA - BHVP/ROGER-VIOLLET

Muse. L’aviatrice Louise de Coligny, une passion ardente. En haut, à g., un calligramme de la série « Etendards ». En haut, à dr., Apollinaire croqué en académicien par Picasso. Au centre du jeu. Guillaume Apollinaire en 1913. Le poète et critique d’art pose, de 1902 à 1918, son regard sur les métamorphoses picturales de l’époque, dont il est un acteur et un observateur privilégié.

« Seuls renouvellent le monde ceux qui sont fondés en poésie », affirma-t-il dans l’article où il forgea, en précurseur, le mot « surréalisme ». Et, du coup, ce lyrique rigolard accueillit dans son arche tout ce qui participait de ce renouvellement : le Père Ubu et Duchamp, Derain et des marionnettes de foire, l’art persan et des publicités, les décors de « Parade » et le

Douanier Rousseau, Dada et le Pont Mirabeau-souslequel-coule-la-Seine. C’est un vrac somptueux. On s’y promène dans la tête d’un virtuose qui mourut de la grippe espagnole le 9 novembre 1918. Ce jour-là, faut-il le rappeler, l’Allemagne perdait la Grande Guerre. La foule défilait, boulevard Saint-Germain, sous les fenêtres d’Apollinaire en maudissant l’empereur qui avait été cause du massacre. Indifférente à l’agonie de celui qui, plus haut, s’éteignait « comme le soleil se couche », elle hurlait joyeusement trois mots – « A mort, Guillaume ! » – qui furent sans doute les derniers que le poète entendit § (1) Laurence des Cars, Claire Bernardi (conservateur au musée d’Orsay) et Cécile Girardeau (conservateur au musée de l’Orangerie) ont publié, chez Gallimard, le remarquable catalogue de l’exposition qui se tient au musée de l’Orangerie jusqu’au 18 juillet.

Le Point 2274 | 7 avril 2016 | 89

CULTUREEXPOSITION

Meurtre au palais

ais l a p , Au Tokyo nfin de peut e ner on rome eur se p intéri ller. à l’ n thri d’u ener … Et m quête l’en

1 L’arme. La dague noire a été dotée d’un manche en moulage de vertèbres de serpent signé Jean Noël Buatois. 2 La scène de crime. Mais qui a tué la victime dans son lit à colonnes en œufs d’autruche ? 3 et 4 Les indices. La mise en scène méticuleuse veut démontrer l’obsession du détail commune à l’artiste, à l’artisan d’art et au policier.

4 1

3

2

S

ur le lit à colonnes en œufs d’autruche, une mare de sang. C’est une scène de crime. Un homme a été assassiné. Mais vous ne le verrez pas, et c’est toute la subtilité de cette exposition. Nous sommes ici comme dans un décor de cinéma, tiré d’une nouvelle écrite par l’auteur de thrillers Franck Thilliez. Celle-ci commence par la confession du meurtrier à la police et implique ensuite deux artistes, l’un de génie mais resté dans l’ombre, l’autre en panne sèche d’inspiration mais auréolé de gloire… Et c’est ce duel d’artistes qui vient d’entrer au palais de Tokyo, à l’invitation de son très créatif directeur Jean de Loisy. Baptisée « Double je », l’exposition nous conduit physiquement dans le polar de Thilliez. « Le cahier des charges était double, explique Thilliez, notre guide. Il fallait que l’exposition mette à l’honneur des objets créés par des “artisans d’art” et permette aussi de résoudre une énigme. » Car il y a eu « un vrai pingpong », comme on s’en amuse au musée, entre l’écrivain et les différents artisans et artistes – un ferronnier, une sculptrice sur bois, une brodeuse d’art… – qui ont donné vie aux objets décrits dans la nouvelle de Thilliez. « Il fallait, poursuit Thilliez, que je fournisse suffisamment de détails pour que l’on puisse donner corps aux objets. » Par exemple, l’arme du crime, au départ « une dague noire à double tranchant », va prendre, sous le 90 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

« Il fallait que l’exposition mette à l’honneur des objets créés par des “artisans d’art” et permette aussi de résoudre une énigme. » Franck Thilliez

souffle du coutelier Jean Noël Buatois, un « manche en vertèbres de serpent » qui sera alors ajouté à la première mouture du texte. La collaboration fonctionne dans les deux sens. Avant même d’écrire, Thilliez est séduit par les vases qui se modélisent au simple son de la voix, inventés par les créateurs numériques d’In-Flexions, et décide de les insérer dans la narration. Le labyrinthe conçu par Mathias Kiss est une découverte qui tombe à pic : transition entre l’atelier lumineux et l’atelier obscur de chacun des deux protagonistes, il est une figure du « psychisme », poursuit Thilliez, « dans lequel les cordes dénouées de l’artiste Janaina Mello Landini symbolisent les liaisons synaptiques ». Autrement dit, les méandres du cerveau humain si chers à l’auteur du « Syndrome E ». Et, comme chaque objet est potentiellement un indice pour la résolution du crime, l’exposition se change en un jeu de pistes où le visiteur est enquêteur. Ne reste plus qu’à trouver le mobile du crime comme dans un Cluedo géant. A quoi servait donc cette moto carénée de plumes ? Et ce « Gravomaton à vitesse accrue » qui vous tire le portrait sur sillons en moins de deux minutes ? Suspense… § « Double je », exposition d’après une nouvelle de Franck Thilliez, jusqu’au 16 avril 2016. « Double je », de Franck Thilliez (Fleuve, 32 p., 2,90 €).

AURÉLIEN MOLE - YAII1254/GETTY IMAGES/ISTOCKPHOTO - CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT (X3)

PAR JULIE MALAURE

Gallimard

Photo oto C. Hélie Hélie © Ga Gal Ga li lima iimard

présente

Marc

Dugain Ultime partie

/ roman /

Trilogie de L’emprise, III « Marc Dugain achève avec maestria cette fresque impitoyable des arcanes du pouvoir. » Laëtitia Favro, Le Journal du Dimanche

« De la haute voltige, vibrante de vérité. » Valérie Gans, Madame Figaro

« Vous voulez tout savoir ou presque sur la vie politique française ? Lisez Marc Dugain. » Arnaud Viviant, Transfuge

« Un roman universel. Une trilogie absolument vertigineuse. » Mohammed Aïssaoui, Le Figaro Littéraire

« Combien d’écrivains ont contribué à changer un peu les consciences ? Une petite armée. Marc Dugain fait partie de cette troupe-là. » Albert Sebag, Le Point

gallimard.fr I facebook.com/gallimard

CULTURECINÉMA

Chasseur. Fritz Bauer (en médaillon) est incarné à l’écran par Burghart Klaussner.

Le juge et le nazi Il s’appelait Fritz Bauer et avait découvert la planque d’Eichmann. Un film raconte son interminable traque. PAR FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN

L Bauer agissait seul, sur un terrain miné où d’anciens nazis infiltraient encore le monde de la justice, des renseignements généraux et de la politique allemande.

e dernier bon film venu d’outre-Rhin a pour titre « Fritz Bauer, un héros allemand ». Ce Bauer, on l’avait déjà vu passer l’an dernier dans un autre long-métrage allemand, « Le labyrinthe du silence » : un jeune procureur, Johann Radmann (nom fictif, inspiré par des personnages réels), y luttait contre vents et marées pour provoquer l’ouverture à Francfort, en 1963, de ce qu’on allait appeler le « second procès d’Auschwitz », instruit contre 22 prévenus impliqués dans le fonctionnement du camp. Son mentor était justement Fritz Bauer, qui allait conduire les débats. Mais, en 1963, ce même Bauer œuvrait dans les coulisses depuis plusieurs années. Ce travail de l’ombre fait l’objet du film, inspiré par le chapitre d’un ouvrage publié en 2009 par notre collaborateur Olivier Guez, « L’impossible retour. Une histoire des juifs en Allemagne depuis 1945 » (« Champs »/Flammarion). On y suit, à la fin des années 50, les efforts acharnés de ce Bauer, procureur juif, ancien détenu d’un camp nazi, clandestinement homosexuel, pour mettre la main sur Adolf Eichmann, clé de voûte de

92 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

« FBI anti-nazi ». L’autre figure majeure qui plane sur ces cent minutes est Hans Globke : ce juriste, ancien commentateur des lois raciales de Nuremberg de 1935, était le plus proche conseiller d’Adenauer. L’objectif ultime de Bauer, qui veut forcer les Allemands à se confronter à leur passé, étant de faire extrader Eichmann et de le juger outre-Rhin, à Francfort. Le risque pour Israël est trop grand : car un tel procès remonterait jusqu’à Globke, éclabousserait Adenauer, solide pilier des Etats-Unis dans la guerre froide. Or l’Amérique tient Israël à bout de bras. CQFD. Voilà pourquoi le procès d’Eichmann, une fois arrêté par le Mossad, aura lieu en Israël, à la grande déception de Bauer, qui se « vengera » avec le second procès d’Auschwitz de 1963, qui aura bien lieu en Allemagne. Le spectateur suit tout ce cheminement avec grand intérêt. Si l’Allemagne, ces derniers temps, braque ses projecteurs sur les consciences éclairées qui obligèrent le pays au mitan des années 60 à assumer son passé – la fameuse Vergangenheitsbewältigung –, il manque encore une pièce essentielle de ce retournement : le Service central d’enquête sur les crimes nationauxsocialistes, qui fut constitué à Ludwigsburg en 1958. Sa création, résultat d’une conférence des ministres de la Justice des onze Länder, était bien le signe d’une volonté allemande de traquer les criminels nazis. Il est d’ailleurs étrange que dans « Fritz Bauer », ce « FBI anti-nazi » soit déprécié (un de ses membres tend un piège au procureur, comme si celui-ci était le seul héros possible). Pour se rendre compte de la tâche accomplie par Ludwigsburg, on ne saurait trop conseiller la lecture de « Dans l’ombre du Reich » (Plein Jour), de la journaliste Gitta Sereny, qui met en exergue, dès 1967, leur travail de fourmi. Nul doute qu’un long-métrage sur le sujet arrivera bientôt en France, pays toujours friand des (més)aventures de la mémoire de son voisin § « Fritz Bauer, un héros allemand », en salles le 13 avril.

MARTIN VALENTIN MENKE/ZERO ONE FILM GMBH - MANFRED REHM/DPA/ABACA

l’extermination nazie, réfugié en Argentine. On a souvent retenu le dernier moment de cette traque, le coup de main du Mossad qui enlève Eichmann – alias Ricardo Klement – en pleine rue. Si la piste remontant jusqu’à lui était la bonne, c’est que cet homme de loi allemand en avait à plusieurs reprises informé les Israéliens. Dans ce geste réside le nœud du film. Bauer agissait seul, sur un terrain miné où d’anciens nazis infiltraient encore le monde de la justice, des renseignements généraux et de la politique allemande. Seul contre tous, ou presque, surveillé dans sa propre juridiction de Hesse, obligé de feinter et de mentir pour dissimuler ses recherches et ses trouvailles – la lettre de Lothar Hermann, dont la fille fréquentait en Argentine le fils d’Eichmann –, il va finir par se mettre en faute à l’égard de l’Etat allemand, d’où le titre original du film, bien plus percutant : « L’Etat contre Fritz Bauer ». Car en fournissant ses renseignements uniquement au Mossad, service étranger, il devient passible de haute trahison.

Sortilège. Scarlett Johansson prête sa voix au python ensorceleur Kaa.

Ayez confiance ! Le nouveau « Livre de la jungle » s’offre une ménagerie plus vraie que nature et un casting de rêve. PAR PHALÈNE DE LA VALETTE

SARAH DUNN/2016 DISNEY

P

lus hypnotique encore que le corps de Scarlett Johansson ? Sa voix ! Impossible d’y résister, dixit le réalisateur Jon Favreau, qui l’a choisie pour incarner Kaa, le célèbre python qui envoûte Mowgli (en médaillon) dans « Le livre de la jungle ». Près de cinquante ans après son grand classique d’animation, Disney réadapte l’œuvre de Kipling. Mais il s’agit cette fois d’un film en prise de vues réelle. Ou du moins en a-t-on l’illusion ! L’ours Baloo (Bill Murray), la panthère Bagheera (Ben Kingsley), le tigre Shere Khan (Idris Elba) et l’ensemble des animaux qui peuplent cette aventure (70 espèces, toutes très convaincantes) ont en fait été « intégralement créés en images de synthèse ». Un exploit inédit qui s’appuie sur le meilleur des technologies actuelles (l’animation photoréaliste et la motion capture notamment) pour un résultat visuel épatant de naturel. Ce qui n’empêche pas une touche de fantaisie : des modifications « quasi imperceptibles » ont été apportées pour adapter les expressions des animaux aux performances vocales de leurs interprètes. Regardez bien, vous retrouverez un peu de Scarlett dans ce beau serpent… § En salles le 13 avril.

L’orthographe, sujet incandescent et passion française

« Le Point hors-série » Langue française

100 pages - 6,90 €

En vente chez votre marchand de journaux et sur boutique.lepoint.fr

CULTURELIVRE

Elle a battu le record de Phileas Fogg En 1889, Nellie Bly faisait le tour du monde en 72 jours. Un récit enfin publié en français. Retour sur une héroïne du journalisme en immersion. PAR SOPHIE PUJAS

«V « Pour tirer le meilleur de nos semblables ou accomplir soimême un exploit, il faut toujours croire en la réussite de son entreprise. » Nellie Bly

ous n’y arriverez jamais ! Vous êtes une femme, vous aurez besoin d’un protecteur. » La réplique est celle du directeur commercial du New York World, à qui, en 1888, la journaliste Nellie Bly venait d’exposer son grand projet : faire le tour du monde en moins de 80 jours. Elle entend ainsi faire plus fort que le héros de Jules Verne, comme elle le raconte dans un récit aujourd’hui traduit par les Editions du SousSol, qui ont entrepris de publier l’intégralité des reportages de cette légende du journalisme américain. Du haut de ses 24 ans, la belle Nellie n’était pas du genre à laisser dire que sa féminité était une faiblesse. Son credo est simple : « Pour tirer le meilleur de nos semblables ou accomplir soi-même un exploit, il faut toujours croire en la réussite de son entreprise. » Née Elizabeth Jane Cochran, elle a commencé dans la presse après avoir écrit une lettre de protestation contre un article misogyne. Le journal incriminé embaucha cette plume incisive… Recrutée par la suite par le New York World de Joseph Pulitzer, elle s’y fait un nom comme une audacieuse redresseuse de torts. Chez elle, le journalisme est un sport de combat, et elle prend tous les risques. Bien avant Hunter Thompson et le gonzo-journalisme des années 70, c’est une pionnière de l’enquête infiltrée et subjective. En 1887, elle ose un reportage en immersion dans un asile d’aliénées de New York, après avoir réussi à se faire passer pour folle. Elle en ressort scandalisée. Son reportage et son témoignage lors d’un procès permettront d’améliorer l’institution psychiatrique*. L’année suivante, elle publie un recueil d’articles écrits au Mexique. Elle s’en était fait expulser pour avoir dénoncé la corruption et les entraves à la liberté de la presse… Autant dire que se glisser dans les pas de Phileas Fogg ne lui fait pas peur. Ayant obtenu gain de cause auprès de sa rédaction, elle quitte New York le 14 novembre 1889 à bord d’un bateau à vapeur, direction l’Est. Elle n’a qu’un costume de voyage et une malle ridicule pour l’accompagner dans l’aventure. Elle est accueillie chez un Jules Verne enthousiaste en France, rencontre des charmeurs de serpents à Ceylan, voit

94 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

des têtes coupées à Canton, achète un singe à Singapour. Elle doit faire face à un train qui déraille, au mal de mer ou à un prétendant malheureux qui menace de la précipiter par-dessus bord. Avec une obsession : les heures qui s’enfuient au fil des trains et des bateaux. Pour corser le tout, un journal concurrent a demandé à une autre reportrice de relever le défi. Le public se passionne pour ses aventures. L’une des grandes forces de ses reportages ? Un savoureux sens de l’autodérision. Elle n’hésite pas à raconter cette pensée qui la rassure lors d’une tempête : « Si nous coulions, personne ne pourrait dire si j’étais oui ou non en mesure de faire le tour du monde en soixante-quinze jours. » Quand Nellie revient en Amérique, coiffant au poteau sa compétitrice, des foules en liesse l’acclament. Belle victoire : un télégramme de félicitations de Jules Verne l’attend § « Le tour du monde en 72 jours », de Nellie Bly, traduit de l’anglais par Hélène Cohen (Editions du Sous-Sol, 174 p., 16 €). * « Dix jours dans un asile », de Nellie Bly, traduit de l’anglais par Hélène Cohen (Editions du sous-sol, 158 p., 14 €).

EXTRAIT Chez Jules Verne à Amiens « Si M. Verne ne me juge pas trop indiscrète, j’aimerais voir son bureau avant de partir », dis-je enfin. (…) Meublée modestement, la pièce était presque aussi minuscule que mon propre espace de travail. Le bureau faisait face à la fenêtre. Etait absente l’habituelle pile de feuilles qui encombre les bureaux des gens de lettres, et la corbeille souvent remplie à ras bord de ce que l’on considère d’ordinaire comme leur production la plus brillante ne contenait ici que quelques bouts de papier. (…) Dans cette pièce nue, Jules Verne a écrit les livres qui lui ont permis de passer à la postérité. (...) Prenant une bougie et me demandant de le suivre, il sortit dans le couloir, s’arrêta devant une grande carte suspendue et pointa du doigt plusieurs marques bleues. Avant même que ses paroles me fussent traduites, je compris qu’il y avait tracé le circuit de son héros, Phileas Fogg, bien avant qu’il lui fasse commencer son voyage autour du monde. Avec un stylo, il indiqua sur la carte, tandis que nous nous groupions autour de lui, les endroits où mon itinéraire différait de celui de son personnage. (…) M. Verne expliqua que, une fois n’était pas coutume, il souhaitait prendre un verre de vin afin de trinquer au succès de mon étrange entreprise. (…) « Si vous le faites en soixante-dix-neuf jours, je vous applaudirai des deux mains », annonça Jules Verne. Je compris alors qu’il doutait que je puisse faire ce voyage en soixante-quinze jours, comme je m’y étais engagée.

DR

Pour me faire plaisir, il s’efforça de parler anglais et lança, tandis que nos verres s’entrechoquaient : « Good luck, Nellie Bly. » En route vers Singapour Il faisait tellement moite dans le détroit de Malacca que j’en fus indisposée. L’air était suffocant, brumeux et humide, si bien que tout se mettait à rouiller, y compris les clés gardées dans nos poches, et les miroirs embués ne renvoyaient plus aucun reflet. Le deuxième jour de navigation, nous dépassâmes de magnifiques îles verdoyantes. Il circule de nombreuses histoires sur les détroits infestés de pirates, mais j’ai le regret d’annoncer que ce temps est révolu...

J’avais tant espéré courir de nouvelles aventures. Nous devions atteindre Singapour en fin de journée. Je le souhaitais vivement, car plus tôt nous arriverions, plus vite nous partirions pour une nouvelle destination, et chaque heure comptait. Le pilote fit son apparition vers six heures du soir ; j’attendis son verdict en tremblant. Je fus saisie du plus violent désespoir lorsqu’il annonça que nous ne jetterions l’ancre qu’au matin suivant car il était trop dangereux de rentrer dans le port pendant la nuit. (…) Je perdrais donc de précieuses heures aux portes du port et de l’espoir (…). Ce délai signait peut-être l’échec de ma correspondance à Hong Kong et il pourrait même se changer en plusieurs jours de retard §

Envoyée très spéciale. Au cours de son tour du monde, la journaliste aventurière du « New York World » sera accueillie en France par un certain Jules Verne.

Le Point 2274 | 7 avril 2016 | 95

CULTURELIVRES

Knausgaard, le nouvel existentialiste De son enfance malheureuse en Norvège il a fait une œuvre monstre. « Mon combat », son titre délibérément provocateur, a révélé un écrivain au monde entier. Bergen, toujours en proie à l’angoisse d’écrire et aux affres d’un amour malade. Le sixième est, paraît-il, une méditation sur Hitler, le meurtre de masse, et Anders Breivik, norvégien lui ar s’il y avait quelqu’un au fond de ce puits qu’est l’enfance, aussi, et addict aux jeux vidéo comme Knausgaard dans sa jeuc’était bien elle, ma mère, maman. » En une série de ronesse, jusqu’à ce qu’il écrive ce « roman des choses petites et mans autobiographiques, monumentale et fascinante, Karl Ove Knausgaard a conquis la planète. Les louanges simples » pour combattre par le réalisme toutes les abstractions les plus exaltées parlent d’un Proust norvégien. Comparaison du virtuel et de l’idéologie. absurde (c’est de la mort d’un père alcoolique que découle sa De plus en plus sombre, cette plongée en soi, dans laquelle formidable entreprise littéraire, et non de celle d’une maman la seule lueur au bout de la nuit est l’écriture, s’achèvera-t-elle lettrée, comme son lointain deun jour ? L’auteur ne voit pas vancier dans la recherche de l’end’arrêt possible de son besoin de fance perdue), mais pertinente « remettre en mouvement sa vie par quant au nombre de pages écrites l’écriture ». De la belle ouvrage, à ce jour et au contenu du rocomme on ne dit plus. Mais une œuvre, au sens de l’art littéraire, man : comment un enfant malheureux devient écrivain. Publié et bien que le mot roman figure entre 2009 et 2011 dans son pays sous chaque volume de son hexanatal, « Mon combat » comprend logie. « Pas de littérature, revenactuellement six gros volumes dique d’ailleurs l’auteur, je sous un titre délibérément provoulais dépeindre le quotidien, tout vocateur mais malencontreux à ce qui, d’habitude, n’est pas littél’heure où un ouvrage du même raire, et exorciser le monde réel. » Ce réalisme lui a valu avec sa fanom écrit par un certain Adolf Hitler tombe dans le domaine mille (son père, sa mère et ses public. Le combat de Knauscousins apparaissent avec leurs vrais noms et leurs humaines gaard ? Raconter la banalité du mal et le quotidien des âmes tourturpirtudes dans un pays luthémentées avec une noirceur dans rien où l’on ne dévoile pas les secrets de famille) des conflits la peinture des liens de famille publics, et aujourd’hui des avoou des rapports amoureux et politiques qui rendent pâles les plus cats relisent ses manuscrits sombres films de Bergman. Ça par-dessus son épaule. C’est qu’il parle de drogues et de voyages, a la mémoire absolue, le « fils toude jeunesse et de mort, de listes jours fils », comme d’autres ont de courses, de couches à chanen musique l’oreille absolue. « Pas de littérature, je voulais dépeindre le quotidien, Un écrivain subtil et violent, ger, du ménage qu’on fait et de tout ce qui, d’habitude, n’est pas littéraire, et exorciser aimant souffrir et faire souffrir, celui qui se défait, de vélo et de le monde réel. » Karl Ove Knausgaard au goût avoué pour les drogues rock, d’amour passion et d’enlittéraires dures et les vérités fants insupportables. Après « La crues. Addictif, si vous ne craignez pas l’overdose de détails sormort d’un père » et « Un homme amoureux », le troisième vodides et touchants (« Tor avait la bite la plus grande de la classe, lume de cette autobiographie, « Jeune homme », vient d’être peut-être même de toute l’école. Elle ballottait entre ses jambes telle publié en français. Récit des années d’apprentissage depuis le une véritable saucisse »), mais surtout sublimés dans une écrinoir enfer des amours enfantines et l’adolescence rythmée par The Clash et les coups d’un père omniprésent, jusqu’à l’écriture à l’opposé du narcissisme complaisant de l’autofiction. Comme ces pages sur ce grand frère solaire à l’ombre duquel il vain à la recherche de lui-même. Le tome 4, « Dancer in the grandit. Knausgaard ou l’homme qui aime faire mal et se faire Dark », pas encore traduit, montre l’auteur devenu instituteur mal. On pourrait appeler cela de l’auto-friction § et cherchant à oublier dans l’alcool l’humiliation de sa virginité, puis tombant amoureux d’une de ses élèves âgée de 13 ans. « Jeune homme », de Karl Ove Knausgaard, traduit du norvégien Le cinquième, « Some Rain Must Fall », paraît ces jours-ci aux par Marie-Pierre Fiquet (Denoël, 592 p., 24,50 €). « La mort d’un père » et « Un homme amoureux », Folio, 2015. Etats-Unis. On y verra ce même jeune homme, étudiant à PAR MICHEL SCHNEIDER

96 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

SOREN SOLKAER/THE SUNDAY TIMES/PROFILE/SIPA

«C

En mémoire de nos pères L’histoire familiale s’invite à Levallois. Avec Le Point. arce qu’il est question de Staline chez Kéthévane Davrichewy dans « L’autre Joseph » (Sabine Wespieser), de la guerre de 14-18 chez Daniel Picouly dans « Le cri muet de l’iguane » (Albin Michel), d’OAS et d’« un coup de force militaire à Alger » chez Sorj Chalandon dans « Profession du père » (Grasset), on pourrait croire qu’il va être question d’Histoire. Mais parce que le premier a été bandit, pillard, révolutionnaire, que le suivant « aurait pu gagner la guerre à lui tout seul » et que le troisième prétendait « avoir été chanteur, footballeur, parachutiste, espion et conseiller du général de Gaulle », on comprend que la mémoire familiale en question dans ces trois romans emprunte aussi beaucoup la voie de la légende. Et, ce faisant, le lecteur touche du doigt l’héritage et les fondations de l’individu écrivain. L’histoire intime, donc, facette unique dans laquelle se reflète la grande Histoire, et qui montre

L’histoire intime, dans laquelle se reflète la grande Histoire, montre la variété avec laquelle on aborde le roman historique au Salon de Levallois.

Vertige. Kéthévane Davrichewy évoque son arrière-grand-père, Joseph, qui ressemblait comme deux gouttes d’eau à un autre Joseph, géorgien lui aussi (Staline, en médaillon).

la variété avec laquelle on aborde le roman historique au Salon de Levallois. Lequel, pour sa cinquième édition, invite le romancier Adrien Goetz à présider une assemblée de 130 écrivains, scénaristes ou illustrateurs jeunesse, parmi lesquels Yasmina Khadra, Laurent Binet ou encore Hédi Kaddour § J. M. « Père et grand-père », rencontre avec Kéthévane Davrichewy, Daniel Picouly et Sorj Chalandon, animée par Le Point à 16h30. Salon du roman historique de Levallois, dimanche 10 avril, à l’hôtel de ville. Toute la programmation sur www.salonromanhistoriquelevallois.fr.

Moura la mémoire incendiée

“ Un souffle, un rythme, une ferveur : Alexandra Lapierre au meilleur de sa forme ! ” Christine Oddo, ELLE

“ Vous cherchiez un grand roman pour le printemps, une histoire absolument inouïe et un personnage prodigieux, avec Moura, vous avez trouvé le bon livre ! ” Franck Ferrand, Europe 1

Moura, c’est tout le XXe siècle. De Staline à de Gaulle, elle côtoya les plus grands. Russe, aristocrate, aventurière, amoureuse... Elle fut la muse de Gorki, la maîtresse de H.G. Wells. Moura reste la femme la plus libre de sa génération.

Illustration : d’après Gustav Klimt, Jeune femme au manchon (détail), huile sur toile, vers 1916-1917, dépôt d’une collection particulière, Prague, Narodni Galerie © Imagno / La Collection. Photo : © Bridgeman Images/RDA

MATSAS/OPALE/LEEMAGE - FINEARTIMAGES/LEEMAGE

P

CULTURELIVRES

Comme une libellule dans un tourbillon

Tragédie. Dans un hameau du Congo se propage un virus qui tait son nom…

Une fable africaine ? Un village où coule une rivière nommée Ebola. Un thriller médical signé Paule Constant, Goncourt 1998. PAR VALÉRIE MARIN LA MESLÉE

O

lympe tient une chauve-souris entre ses mains, sa douce alliée dans ce village du Congo où il ne fait pas bon être une petite fille de 7 ans qui encombre les garçons. Au même moment arrive là un médecin sans frontières, Agrippine, pour une campagne de vaccination sur une rivière dont le nom se répandra tragiquement. Elle est accueillie par les sœurs de la mission locale et rencontre Virgile, chercheur spécialisé dans les plantations d’hévéas, petit-fils d’un médecin-général qui, autrefois, « fit » l’Afrique. Les lecteurs d’« Ouregano » le reconnaîtront. Pourtant, la romancière change de registre, se fait fabuliste de notre temps, déploie une écriture qui sort de ses gonds, plus sensuelle, plus impressionniste, plus politique que d’habitude. En frôlant même le thriller… Car un jour des garçons rapportent de brousse le cadavre d’un grand singe : aubaine, de la viande pour tous ! Mais que réserve ce festin ? Ni l’Occident surmédicalisé ni la tradition africaine n’approuvent cette orgie carnassière. Et voilà tout l’art de ce livre : entremêler, de scènes en dialogues, de visions en tableaux, les mentalités, les histoires, les traumatismes et les préjugés, les rires et les peurs, l’admiration et la révolte… « Des chauves-souris, des singes et des hommes », dit le titre, mais aussi un Docteur Désir et une Sœur Cimetière, un Thomas traducteur qui monte dans une pirogue baptisée « S’en fout la mort » sans savoir ce qui l’attend, et même un couple énamouré de primatologues… Autour de la maladie qui menace, on a l’impression de pouvoir palper toutes les émotions qui sourdent de ces pages parfois douloureusement belles, car ancrées, encrées, dans cette connaissance de la terre d’Afrique que, visiblement, Paule Constant habite toujours §

« Des chauves-souris, des singes et des hommes », de Paule Constant (Gallimard, 176 p., 17,50 €).

98 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

our une tradition aussi ample que bariolée – en gros, de Stefan Zweig à Sofia Coppola –, nul ne saurait être admis dans la coterie des âmes sensibles s’il ne s’est, fût-ce pour un seul jour, épris de cette Marie-Antoinette, reine de France puis « veuve Capet », qui fut si tristement décapitée le 16 octobre 1793. Il est vrai que, depuis son trépas, cette défunte Austro-Française semble avoir encore enrichi l’art de séduire où elle excellait déjà de son vivant, tant son fan-club se recrute désormais, et indistinctement, parmi les érudits, les midinettes, les monarchistes, les féministes, les fashionistas, les mélancoliques. Mme Orban, l’amie des femmes de génie, de tête ou de cœur (Virginia Woolf, Joséphine de Beauharnais…), vient de rejoindre avec éclat les rangs de cette troupe où le romanesque fait loi : sa « M.-A. » – qu’elle nomme parfois « Antoine », selon un usage ancien – est, comme il se doit, frivole, irrésistible, pathétique, trahie, amoureuse, maternelle, digne, sainte, forcément sainte. Et, une fois de plus, le charme opère : deux cent vingt-trois ans après sa mort, cette femme – qui charme, s’égare et Christine Orban. meurt – reste, par l’ampleur de son destin, une créature sans pareille… QUE S’EST-IL PASSÉ ENTRE Les épisodes (dignes de Closer, LA FRANCE ET LE CORPS de Saint-Simon ou du théâtre de GLORIFIÉ PUIS HUMILIÉ boulevard…) sont archiconnus, DE MARIE-ANTOINETTE ? mais on en redemande : l’étiquette du lever et du coucher, les auscultations impudiques, les robes de Mme Bertin, les coiffures de Léonard, la virilité défaillante de son royal époux, les portes dérobées de Versailles, l’héroïsme de Fersen – Ah, Fersen ! le gentleman le plus accompli de l’histoire européenne… –, l’affaire du Collier, la cruauté des diplomates, du bourreau Sanson… Plus puissants, plus inédits, les aperçus défrichés par ce livre sur la fascination de la Cour et du peuple pour le corps, voire pour le sang, de cette reine successivement traitée de vierge, de castratrice, d’adultère, de tribade, d’incestueuse – et dont le « Dirty Corner » d’Anish Kapoor (baptisé « Le vagin de la reine ») illustre l’ultime avatar. Que s’est-il vraiment passé entre la France et le corps glorifié puis humilié de « M.-A. » ? Qu’est-ce qu’on ne lui a pas pardonné ? Sa beauté ? son innocence ? son goût pour la passion et les chiffons ? De tout cela il ressort que cette « libellule dans un tourbillon » (expression de Léon Bloy) n’en finit pas de hanter la nation qui l’a mise à mort. Et qui, depuis, ne se lasse pas d’instruire son procès en damnation ou en béatification § « Charmer, s’égarer et mourir », de Christine Orban (Albin Michel, 304 p., 19,50 €).

PER-ANDERS PETTERSSON / COSMOS – MARC JOURNEAU / MEDIA ACCESS

P

PAR JEAN-PAUL ENTHOVEN

Les meilleures ventes de la Fnac Fnac/Le Point du 28 au 31 mars 2016

Rang

Nombre de semaines de présence continue Genre

Classement précédent Editeur

La fille de Brooklyn

Guillaume Musso

XO

1

2

2

E

Vivez mieux et plus longtemps

Michel Cymes

Stock

5

10 5

3

R

En attendant Bojangles

Olivier Bourdeaut

Finitude

3

4

E

Tout ce qu’il ne faut pas dire

Bertrand Soubelet

Plon

2

2

5

E

Trois amis en quête de sagesse

A. Jollien, M. Ricard, C. André

L’iconoclaste

9

12

6

E

Le charme discret de l’intestin. Tout sur un organe mal aimé

Giulia Enders

Actes Sud

2

5

7

E

Comédie française. Ça a débuté comme ça… Fabrice Luchini

Flammarion

4

5

8

R

Trois jours et une vie

Pierre Lemaitre

Albin Michel

10

5

9

E

Pilleurs d’Etat

Philippe Pascot

Max Milo

11

7

Laurent Eloi

Les Liens qui libèrent

-

1

10

E

Nos mythologies économiques

11

E

Penser l’islam

Michel Onfray

Grasset

7

3

12

R

L’horizon à l’envers

Marc Levy

Robert Laffont

13

8 6

13

E

Le miroir aux alouettes

Michel Onfray

Plon

6

14

R

Condor

Caryl Férey

Gallimard

14

2

15

E

Le test. Une expérience inouïe, la preuve de l’après-vie ?

Stéphane Allix

Albin Michel

12

11

16

R

Le lagon noir

Arnaldur Indridason

Metailié

23

5

17

E

Murmure à la jeunesse

Christiane Taubira

Philippe Rey

16

9

18

R

Un fauteuil sur la Seine

Amin Maalouf

Grasset

30

4

19

R

Le livre des Baltimore

Joël Dicker

De Fallois

26

26

20

E

Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en as qu’une...

Raphaëlle Giordano

Eyrolles

31

7

21

R

La fille du train

Paula Hawkins

Sonatine

20

46

22

E

Méditer, jour après jour. 25 leçons pour vivre en pleine conscience

Christophe André

L’iconoclaste

22

11

23

R

L’arracheuse de dents

Franz-Olivier Giesbert

Gallimard

19

3

24

R

Je dirai malgré tout que cette vie fut belle

Jean d’Ormesson

Gallimard

27

14

25

R

On regrettera plus tard

Agnès Ledig

Albin Michel

17

5

R : Romans et nouvelles

E : Essais et documents

Le grand retour de

Richard Price

21 € - 416 pages

Auteur

R

© Ralph Gibson

Titre

1

Entrée ou retour dans la liste

Lisez (ce) Marx ! « Je suis marxiste, tendance William », pourrait-on dire en parodiant Woody Allen. William Marx, jeune universitaire spécialiste de la tragédie antique, est l’auteur d’un des meilleurs livres parus ces derniers temps sur la littérature. Un livre dont on parle de plus en plus et qui pourrait bien servir de bannière à tous ceux qui s’insurgent contre l’idée qu’une chose a de la valeur seulement si elle est utile. Sous le titre « La haine de la littérature » (Minuit, 222 p., 19 €), il recense avec une érudition et un humour toniques toutes les attaques dont la littérature a fait l’objet depuis deux mille cinq cents ans. De Platon (un Mao avant l’heure avec « Les lois ») à Bourdieu (pour qui la littérature n’était qu’un « signe distinctif d’un capital linguistique et culturel hérité »), de Renan (« Le temps viendra où l’art sera une chose du passé », a-t-il osé) à un certain Charles Percy Snow, qui, en 1959, accusa à Cambridge les écrivains d’« avoir contribué à rendre Auschwitz possible ». Ce qui est rassurant, avec la bêtise, c’est de se dire qu’elle a toujours été là § CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT

« Le patron est de retour aux affaires ! » Bruno Corty - Le Figaro

« Les romans de Price constituent [...] une formidable histoire de New York, de ses fantômes et de ses métamorphoses. » Michel Abescat - Télérama

« Un des plus grands portraitistes de l’Amérique urbaine. » Julie Malaure - Le Point

« Un mélange bien dosé entre la tragédie et l’humanisme. Du grand art. » Alexandre Fillon - Lire

« Le polar américain à ses sommets. » Philippe Blanchet - Le Figaro Magazine

CULTURE

NAISSANCE DU POLAR LIBÉRAL banquier senior à la City, Gordon Gekko 3.0. Le marché, Londres, le monde entier sont à ses pieds. Et sa femme, Ivana, quelle beauté ! Elle travaille chez Christie’s, elle assure, même la naissance de son bébé ne l’a pas fanée. Quant à Roxy, la nounou, elle est épatante. Elle vient de Roumanie. Là-bas, elle était aide-soignante, mais ici on a plus besoin de mères que d’infirmières ; les Ivana n’ont pas le temps de materner. Dommage que bébé George soit trop petit pour témoigner de cette harmonie, Gaspard Kœnig.

remercier ses parents par contumace de lui lâcher des scones et des jouets, mais jamais un long baiser. Jusqu’à ce que ce projet d’autoroute transeuropéenne fasse surgir la Roumanie au centre des intérêts du banquier, c’est à peine s’il l’avait remarquée, la grosse paysanne moldave, qui pourtant aime son fils comme la vie. Pour Roxy, c’est peut-être le moment de « raccrocher son costume d’immigrée méritante ». Ou de basculer du côté du titre du livre, qui en dit trop. Entre Regent’s Street et les Carpates, le roman vire au polar, puis au conte ethno-idéologique, truffé de petites maximes moralistes bien frappées : « L’Europe, c’est bien joli, mais à part distribuer des gilets fluo aux paysans et interdire d’égorger le cochon à Noël, ça nous donne quoi ? » Gaspard Kœnig n’est pas seulement l’atomiseur en chef de l’Etat-providence. Il n’est pas juste ce renégat bien peigné obsédé par le laisser-faire. C’est aussi un écrivain. Un poète, même – le barde du libéralisme. Tout chez lui est voué à servir la cause. Même la littérature § MARINE DE TILLY « Kidnapping », de Gaspard Kœnig (Grasset, 368 p., 19 €).

Despentes, chaos sous X Poche. Vernon Subutex

est un disquaire à l’ancienne, c’est le héros, et ça allait plutôt bien pour lui, avant qu’Alexandre Bleach ne crève. Overdose dans la baignoire. C’était un chanteur à succès, « genre rock indé, textes en français », c’était l’ami de Vernon. Et il lui payait son loyer, aussi. Alors Vernon se casse la gueule dans Paris, qui n’est pas du tout une fête, il squatte les canapés des potes, celui d’Emilie, l’ex-bassiste, celui de Xavier, scénariste frustré et facho, et puis il finit à la rue, le nez dans le ruisseau, avec les poissons drôles et sales, 100 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

transsexuels, fils de famille accros à la came, étudiants paumés, bourges sous Tranxène, et pas mal de « connards » et de « suceurs de bites ». « La vie se joue souvent en deux manches, écrit Despentes, dans un premier temps elle t’endort en te faisant croire que tu gères, et sur la deuxième partie, quand elle te voit détendu et désarmé, elle repasse les plats et te défonce. » C’est plutôt le deuxième round qu’elle radiographie dans ce livre cru, collant, radical, déterminé, gorgé de chair et de sang. Le ventre de la société, elle le passe aux rayons X, Despentes est extralucide. Et « Vernon Subutex », déjà culte § M. T. « Vernon Subutex », 1 et 2, de Virginie Despentes (Le Livre de Poche, 428 p. et 404 p., 7,90 €).

Pariétal. Fresque de Lascaux (reconstitution au musée d’Archéologie de Saint-Germain-en-Laye).

Tout sur la préhistoire Edition. Quelle maison d’édition ose encore lancer une collection de 14 épais volumes qui, au rythme de trois par an, couvriront tous les mondes anciens jusqu’à la chute de Constantinople en 1453 ? La maison Belin. Depuis sa reprise par le réassureur SCOR (propriétaire aussi des PUF), elle peut, en effet, après ses 13 volumes de l’« Histoire de France », être à l’initiative d’un tel projet, dirigé par Joël Cornette. Avant l’Egypte, la Mésopotamie, les terres d’islam… voici le baptême du feu avec « Préhistoires d’Europe », d’Anne Lehoërff. Quarante mille ans racontés en 600 pages, qui réussissent la synthèse entre une iconographie exceptionnelle, de multiples encadrés sur des sites, des objets (Solutré, le menhir d’Obélix, le premier port néolithique de Paris…) et un contenu scientifique irréprochable et actualisé. Une séquence illustre particulièrement cette réussite : le chapitre consacré à Otzi, l’homme des glaces, la momie la plus ancienne d’Europe (5 300 ans), découverte dans le Tyrol par des randonneurs en 1991. Autre chapitre passionnant au regard des migrations actuelles : comment après avoir affirmé leur identité (– 5000 /– 2500) et marqué leurs espaces, les Européens se mettent-ils à voyager et à circuler avec les marchandises ? Si toute la collection est à la hauteur de ce premier volume, elle fera date § FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN « Préhistoires d’Europe, de Néandertal à Vercingétorix. 40 000-52 avant notre ère », d’Anne Lehoërff (Belin, 608 p., 43 €).

JF PAGA/GRASSET - DE AGOSTINI/LEEMAGE

Roman. Ça marche bien pour David,

A la recherche d’une voix perdue Récit. Même les fantômes les

plus aimés se dérobent. Vingtcinq ans après la mort de sa mère, Bruno Racine s’interroge soudain : quelle était sa voix ? Aussi insaisissable qu’un regard ou un rire, ce Filial. Bruno Racine (médaillon) rend hommage à sa mère (ci-dessous).

son, pourtant l’une des expériences fondamentales de sa vie, lui échappe. Commence alors une enquête saisissante pour composer un portrait intime de sa mère. Seule certitude : elle parlait avec un léger accent, ayant grandi aux Etats-Unis. Les voix des mères forgent-elles celles des écrivains ? Ainsi Bruno Racine décrit-il les lectures à voix haute de l’enfance, où sa mère s’inquiète (à tort) des failles de son propre français. Chemin faisant, il évoque d’autres figures de fils ayant érigé pour leur mère un tombeau littéraire : Roland Barthes, Albert Cohen, Romain Gary… Un hommage pudique et émouvant, porté par une inquiétude universelle : celle des non-dits lovés au cœur des tendresses filiales § SOPHIE PUJAS « La voix de ma mère », de Bruno Racine (Gallimard, 128 p., 12,50 €).

GALLIMARD - C. HÉLIE/GALLIMARD - FONDATION BEYELER, RIEHEN/BASEL, COLL. BEYELER/CANTZ MEDIENMANAGEMENT, OSTFILDERN/2015 PROLITTERIS, ZURICH

Un grand Rey d’union Roman. Si Roméo et Juliette

avaient pu vivre ensemble, pas sûr que leur union eût tenu bien longtemps. Pas sûr non plus que ça colle entre Gabriel et Catherine. Lui, c’est le bobo de gauche dans toute sa splendeur. Quadra divorcé nonchalant, déprimé chronique, le cœur éternellement en vrac. Elle, institutrice, la cinquantaine radieuse, soulève des montagnes et élève seule trois enfants. Une amazone « secrète, intime, sublime, évidente », mais… militante pour le « parti national ». Voilà comment dans ce septième roman Nicolas Rey réinvente l’attraction-friction

Montaigu-Capulet sur fond de France d’aujourd’hui. Un « pays laïc », avec les prières de rue, les émeutes, le terrorisme… Elle est aussi « engagée » qu’il est « dégagé », ce qui donne lieu à des débats d’idées, des ébats trash sur canapé, la politique et l’amour mêlés comme les langues de leur premier baiser : « La grande roue, la région des lacs sous le soleil, le souvenir d’une première boum et vos plus belles vacances d’été »… N’est-ce pas que la sienne de langue, à Rey, est agile ? § JULIE MALAURE « Les enfants qui mentent n’iront pas au paradis », de Nicolas Rey (Au Diable Vauvert, 162 p., 14,50 €).

La guerre des people aura bien lieu « #Scoop », de Yann Le Poulichet. C’est la guerre entre Voici et Gala. Pardon, entre les magazines people Scoop et Gotha. Est-elle pour autant mortelle ? C’est la question que tout le monde se pose, lorsqu’on retrouve le chef des infos de Scoop égorgé dans les toilettes de la rédaction d’Issy-les-Moulineaux. Et c’est un journaliste, le narrateur, qui va mener l’enquête, une fois sa propre culpabilité écartée. Au jeu de qui a tué – et surtout de « qui baise qui » dans le journal –, l’enquête se poursuit sur les réseaux sociaux, entre @Vengeur_ Masque, @Cordelette6 et @Blind_Item… Ce premier polar étant signé d’un affreux jojo qui épingle chaque semaine les horreurs des people pour le vrai Voici, le roman démasque les vilaines manies du milieu. Alors on fait des « oooh », des « ahhh », des « pas possible ! », on pouffe, on blêmit, mais surtout on jubile, parce que, vraiment, on est sûr que tout est vrai ! § J. M. (Le Masque, 300 p., 19 €).

Dubuffet dans le paysage Exposition. Avant de créer les figures blanche, rouge et bleue

du cycle de l’Hourloupe, partie de son œuvre la plus connue, Jean Dubuffet (1901-1985) a emprunté bien des chemins de traverse. C’est à la découverte de ce voyage que nous convie « Métamorphoses du paysage », l’exposition que lui consacre la fondation Beyeler, à Bâle. Homme des marges, Dubuffet explore les frontières entre le monde réel et celui des rêves, transformant le corps de femmes géantes en campagnes imaginaires, ou montrant, à travers les portraits de ses amis, que l’âme humaine est formée de collines et de vallons. L’exposition dévoile également comment l’inventeur du concept d’art brut, inspirateur du street art, Marges. « Le voyageur égaré » va, tout au long de sa vie, tenter de (détail, 1950), de Jean Dubuffet. nouvelles expériences graphiques. Là, les paysages deviennent matériau, au sens propre, avec des collages aux ailes de papillon, des sculptures d’éponge, de pierres volcaniques, de bois. Ici, la technique se rapproche de l’écriture automatique pour aboutir aux figures monumentales de l’Hourloupe. Cette rétrospective réunit une centaine d’œuvres, provenant pour bonne part de collections privées – approvisionnées par le galeriste Ernst Beyeler, qui voyait en Dubuffet, à juste titre, un artiste majeur de la seconde moitié du XXe siècle § JULIEN FAURE Jusqu’au 8 mai, Fondation Beyerler, Baselstrasse 101, Riehen-Bâle, www.fondationbeyeler.ch.

Le Point 2274 | 7 avril 2016 | 101

TENDANCESGASTRONOMIE À LA CARTE par Thibaut Danancher Le chef du Frantzen, Björn Frantzen, révolutionne la cuisine scandinave avec des compositions mêlant des ingrédients du monde entier.

La Venise du Nord invite les fins gourmets à un voyage gastronomique inoubliable. Björn Frantzen, la star zen On est ressorti de chez lui avec le sentiment qu’il avait rendu l’éphémère inoubliable. Derrière la cuisine ouverte de son mouchoir de poche pour 19 couverts – 12 en salle et 7 au comptoir –, Björn Frantzen en version zen a passé le dîner à envoyer des mo(nu)ments d’éternité. Pourtant, avant d’enfiler le tablier de grand chef, le garçon de 39 ans fut dans sa première vie footballeur professionnel à l’AIK Solna, jusqu’à ce qu’un problème cardiaque l’éloigne 102 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

Yuzu glacé, mandarine confite, meringue au thé vert, huile d’argousier.

Saint-jacques marinée au gingembre et au sapin.

des rectangles verts. Le beau gosse qui fait briller 2 étoiles sur sa table homonyme – elle en mériterait 3 – nichée au cœur de la Vieille Ville, Gamla Stan, sort de ses casseroles de frissonnants morceaux de bravoure : flan de chou-fleur, oursin, truffe blanche ; langoustine frite au riz soufflé, beurre clarifié de mayonnaise ; saintjacques marinée au gingembre et au sapin, citron caviar, dashi ; pain perdu, truffe noire, crème d’oignons, vinaigre balsamique de 100 ans ; satio tempestas, son plat signature mêlant 46 ingrédients, dont feuilles, racines, légumes, herbes, graines… ; bœuf de Suède, câpres, miso blond ; yuzu glacé, mandarine confite, meringue au thé vert, huile d’argousier. Du grand art. Frantzen, Lilla Nygatan 21, Stockholm. (46) 820.85.80. Ouvert uniquement le soir. Menu unique à 265 €.

JULIEN FAURE/RÉA POUR LE POINT - FRANTZEN GROUP (x2)

Stockholm, perle scandinave

Mathias Dahlgren, le précurseur Voici l’homme qui a mis la haute gastronomie sur le devant de l’assiette en Suède : Mathias Dahlgren, sacré quatre fois chef de l’année dans son pays et couronné bocuse d’or en 1997. La toque de 47 ans a posé ses casseroles en 2007 au Grand Hôtel de Stockholm. Sa prouesse ? Avoir été distingué pour ses deux tables dans le même lieu, avec 1 étoile à Matbaren et 2 à Matsalen. C’est à cette dernière que le maestro dévoile son concept de Natural Cuisine avec un menu autour des trésors du terroir nordique. L’œuf de caille coiffé de truffe noire du Gotland se la coule

Le marché couvert d’Ostermalmshallen C’est l’une des places incontournables de la ville. Les halles d’Ostermalmshallen, qui furent construites en huit mois en 1888 par Isak Gustaf Clason et Kasper Salin, continuent d’abriter, sous leurs impressionnantes colonnes d’époque en fer forgé, un épatant marché

couvert. D’étal en étal, on découvre, au fil des 3 000 mètres carrés d’allées, toutes les spécialités suédoises : saucisson de renne, carpaccio d’élan, hareng fumé, saumon mariné, œufs de corégone, pommes de terre du nord du pays, fromages de vache, semla – un dessert à base de pâte d’amande et crème battue –, liqueur de rhubarbe… Ouvert du mardi au samedi.

Croquettes de haddock fumé accompagnées de peau de citrouille, encre de calmar, algues aux graines de sésame et peau de morue séchées.

JULIEN FAURE/REA POUR LE POINT - MAGNUS SKOGLÖF (x2)

Saint-jacques de Hitra, œufs de corégone, émulsion de raifort.

Le kiosque à saucisses Ove’s Hjulkorv Foncez devant le Konserthuset – traduisez la Maison des concerts –, où se déroule chaque année en décembre la remise des prix Nobel. Une fois sur place, impossible de rater le kiosque à saucisses Ove’s Hjulkorv. Ruez-vous sur cette

guitoune devenue une institution pour vous encanailler avec la spécialité de la maison à 45 couronnes (5 euros) : une saucisse d’élan en sandwich entre deux tranches de pain moelleuses nappées de moutarde. Verdict ? On en reprendrait bien une seconde dans la foulée. Ove’s Hjulkorv, Hötorget 8, Stockholm. De 3,50 à 5 €.

douce dans une sauce au beurre blanc au milieu des patates fondantes. Le pigeon sauvage rôti surmonté de graines de moutarde se sent pousser des ailes avec la mousseline de rutabaga et gingembre. Les pommes confites fondent face à un caramel au beurre salé, une glace au pain et un sorbet pomme. Matsalen au Grand Hôtel de Stockholm, Södra Blasieholmshamnen 6, Stockholm, (46) 86.79.35.84. Ouvert uniquement le soir. Menu unique à 225 €.

RETROUVEZ LA RECETTE DU CHEF, LES CONSEILS DU NUTRITIONNISTE LAURENT CHEVALLIER ET NOTRE SÉLECTION DE VINS SUR

le point.fr

Le Point 2274 | 7 avril 2016 | 103

TENDANCESVINS LES DÉGUSTATIONS de Jacques Dupont et Olivier Bompas Philippe Durand, propriétaire du Château Rocher- Corbin, en montagne-saint-émilion.

Ω SÉLECTION Le Calicé (saint-émilion) 05.57.24.17.31-06.08.48.14.35. 2012. Fruits rouges, encore boisé, bien fruité, tanins doux, frais et ronds, gourmand, belle longueur, persistance sur le fruit, délicieux déjà. 15 €. 2014. Fruits noirs, bouche douce, élégante, fraîche, droit, onctueux, frais et fin. Bel équilibre. Disponible en octobre, 16 €.

Bordeaux. Quelques adresses à garder secrètes de grands vins à petits prix.

P

armi toutes les lois singulières dont notre appareil législatif nous a gratifiés, il est regrettable qu’il n’en existe pas pour interdire les idées reçues. Ainsi, celle sur la cherté des vins de Bordeaux. Rien n’est plus faux et il n’est pas bien difficile de le prouver. Ici, on s’y emploie régulièrement. Voici donc encore quelques adresses de vignerons qui nous proposent des grands vins à prix raisonnables, pour peu qu’on sorte des grandes routes. Jean d’Antras, rejeton de familles qui ont fondé le vignoble bordelais, passé par les start-up, est revenu à la propriété familiale Château Magence, dans les graves, en 2011. Avec son père, il partage une idée précise du vin, qui ne doit être ni trop boisé ni trop extrait, et vendu quand il est mûr. A Magence, on vend les millésimes anciens moins cher que les jeunes, et chez quelques cavistes on peut même encore trouver du 2001 à petit prix. Cassagne-Haut-Canon, en appellation canon-fronsac, est situé tout en haut d’un

tertre dominant la Dordogne : « Mon grandpère était expert agricole et il a acheté en 1956, juste après le grand gel. Il s’était aperçu que fronsac avait moins souffert et c’est ce qui l’a fait venir. » Cette position au sommet d’une colline offre au vignoble toutes les expositions. « Il faut arriver à connaître le degré de maturité de chaque parcelle pour les vendanges. Ce ne sont pas des terroirs faciles à comprendre. Le paramètre, c’est la diversité », explique Jean-Jacques Dubois. Pour Arnaud Sainson, l’aventure a commencé avec le millésime 2007. Aidé par ses parents, il s’est constitué un petit domaine, Le Calicé, en saint-émilion, sur 4,20 hectares. « C’est lui le viticulteur ! » déclare Bruno Sainson en désignant Arnaud. Bruno a dirigé pendant des années le cru classé en saint-émilion Laroque, qu’il a porté à un très haut niveau. Pour rencontrer Philippe Durand, il faut passer Saint-Emilion et rejoindre les coteaux derrière Montagne. Rocher-Corbin est sur « des terres froides », mais qui permettent de récolter à pleine maturité sans obtenir de trop forts degrés. Le vignoble traité sans désherbants, dans une vision intelligente du bio, couvre 10 hectares vendangés à la main. Des vins remarquables, peu connus en France et davantage à l’export. Avec du caractère, comme le patron… § J. D.

TOUTES LES DÉGUSTATIONS DE JACQUES DUPONT ET OLIVIER BOMPAS SUR lepoint.fr

104 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

Cassagne-Haut-Canon (canon-fronsac) 05.57.25.05.55-06.23.11.14.39. La Truffière 2011. Nez butane, truffe, cacao, bouche délicate, fraîche, fine, vin savoureux, bien tendu, long, profond, terrien. 16,50 €. La Truffière 2012. Nez tabac, encre, fruits noirs, bouche douce, tanins délicats, gourmand, rond, bien parfumé, bonne longueur, très fin. 16,50 €. Rocher-Corbin (montagne-saint-émilion) 05.57.74.55.92. 2012. Nez fruits rouges au sucre, épices douces, bouche souple, tanins frais, bien fruité, droit, élégant, bonne longueur. 12,50 €. 2013. Vanille discrète, châtaigne, fruits noirs, bouche ronde, souple, bien fruitée, tendu en finale, issu de raisins mûrs, gourmand. Deuxième partie de bouche un peu serrée, mais pur et fruité. 10,50 €. 2014. Nez encore marqué par le raisin frais, cerise, bouche dense et onctueuse, très gourmand. 12,50 €.

SÉBASTIEN ORTOLA/RÉA

Très bons, pas chers

Magence (graves) 05.56.63.07.05-06.86.86.07.05. 2001. Nez bien mûr, gourmand, fruits cuits, cerises en bocal, bouche tendue, fine, élégante, fraîche, très cabernet, bouche gourmande avec une sucrosité naturelle, long, remonte en finale. En vente chez Philovino, à Paris. 2004. Mine de crayon, torréfaction, bouche souple, ronde, droite, bien fruité, juteux, vif. 11,25 €. 2005. Nez encore boisé, épicé, mine de crayon, poivre noir, encore peu ouvert. Long, riche, puissant, peu fondu encore, tanins moelleux et de grande finesse, mais demande du temps. 12,50 €. 2008. Nez frais, fin, fumé, épices, bois brûlé, bouche tendue, fraîche, élégante, délicieuse, serrée, très joli fruit. Beaucoup de fraîcheur. 11,25 €.

AUTOTENDANCES AUTO

L’Icona Vulcano.

L’Apollo Arrow.

La Donkervoort D8 GTO.

L’Aston Martin DB10.

Spécimens rares sur le Rocher Pole position. Les happy few ont rendez-vous à Monaco, où le Salon Top Marques réunit les supercars les plus fulgurantes de l’année.

CASPER HEIJ - DR

S

e prendre, l’espace d’un instant, pour un pilote de formule 1 dans les rues de Monaco, longer après la sortie du tunnel le port où paradent les yachts, accélérer jusqu’à la piscine, négocier les deux pif-pafs et lâcher à nouveau les chevaux jusqu’à la Rascasse : à quelques semaines du Grand Prix, certains pourront s’y croire. Du moins, les heureux visiteurs du Salon Top Marques, dont la section consacrée à l’automobile fait figure de plus grand rassemblement du continent consacré aux supercars. Du 14 au 17 avril, des clients triés

sur le volet peuvent monter à bord de voitures de rêve, des bolides gavés de 500 ou 1 000 chevaux. Pas de ersquilleurs possibles. « Les invités sont porteurs d’un badge », met en garde Suzanna Chambers, chargée de la communication du Salon. Cette année, c’est un homme tout simple qui tient la vedette, James Bond lui-même… Enfin, plus exactement, ses voitures, les vedettes du dernier opus de 007, « Spectre ». On verra ainsi l’Aston Martin DB10 construite à 10 exemplaires pour les besoins de la production, ainsi que la spectaculaire Jaguar C-X75, ou

La Jaguar C-X75.

encore la mythique DB5, sortie en 1963. Moins connue mais tout aussi spectaculaire, l’Icona Vulcano, un coupé inspiré du Blackbird SR-71, l’avion furtif le plus rapide au monde. Entièrement construite en titane, elle est équipée d’un moteur de 1 000 chevaux conçu par l’ingénieur Claudio Lombardi, un ancien de Ferrari. A ne pas manquer non plus, la Donkervoort D8 GTO et la flamboyante Apollo Arrow, la remplaçante de la Gumpert, modèle qui avait été créé par l’ingénieur allemand éponyme et dont la marque a été reprise par des investisseurs de Hongkong. Les lignes fuselées succèdent aux volumes carrés. Ce bolide file à 360 kilomètres/heure, propulsé par son V8 4 litres biturbo d’origine Audi. Chaud devant ! § JACQUES CHEVALIER Organisé en partenariat avec le groupe Edmond de Rothschild, le Salon Top Marques se tient au Grimaldi Forum de Monaco du 14 au 17 avril (www.topmarquesmonaco.com). Le Point 2274 | 7 avril 2016 | 105

TENDANCESMODE

Le meilleur de la mode D

e quoi sera fait le vestiaire de la femme millésime automne-hiver 2016-2017 ? D’un subtil va-et-vient entre inspiration glamour et allure masculine, au regard des défilés qui viennent de s’achever à Paris. Pour preuve, l’ampleur prise par le phénomène street couture. Une tendance qui combine vêtements de sport aux matières luxueuses et pièces très chics. Afin d’accentuer la silhouette garçonne, les créateurs inventent également des costumes-pantalons en prince-degalles, une foule de manteaux qu’ils assortissent d’une débauche

de dentelles, de sequins, de textures brillantes, d’effets plissés, de touches de fourrure et de tailles corsetées. L’imprimé animalier (léopard, panthère) tout comme le vinyle font également leur grand retour. Dernier apanage de la femme : le motif floral, qui se porte par touches ou en total look. Côté accessoires, les chausseurs dessinent des collections multiples, des derbys à semelle XL aux sandales à talon vertigineux. Le sac à main, quant à lui, s’assouplit, se transforme en boîte façon « glacière de luxe » ou vanity case § FABRICE LÉONARD

Il va y avoir du sport ! Alors que l’esprit doudoune met le feu aux poudres l’hiver prochain, l’allure ski de fond va de pair avec des combinaisons en maille pour des silhouettes aériennes et sportives. Ici chez Louis Vuitton (à g.) et Courrèges (à dr.)

Premier rang Chez Chanel (ci-dessus), Karl Lagerfeld avait décidé que tous les invités seraient assis au premier rang, à l’image des présentations de haute couture d’antan, afin d’apprécier au plus près des vêtements et des accessoires terriblement désirables tels que les jupes en tweed et denim sagement coupées au genou, les maxicolliers de perles, les robes noires en

crêpe georgette, les chapeaux ronds un peu rétro et les sacs en forme de vanity case. Sauvage Le motif léopard s’impose chez presque tous les créateurs, Dries Van Noten, Givenchy et Isabel Marant en tête (ci-dessous, de g. à dr.). Félin toujours, cet imprimé star apprivoise la ville, traquant à coups de griffe allure du jour et glamour de nuit. Question de décolleté Il se passe quelque chose autour du buste. Epaules surdimensionnées, bustier asymétrique, encolures basculées ou à effet tombant façon « j’ai à peine enfilé mon pardessus et il est en train de glisser ». A découvrir chez Dior.

106 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

Peaux lainées Le look « aviator girl » sera au cœur des collections hivernales. Soit réinterprété comme une cape, version manteau oversize, soit simplement en blouson avec des épaules découvertes. Coup de cœur chez Carven (ci-contre).

Pointures Objets de désir, les bottines sont l’obsession des chausseurs tels que Pierre Hardy (à g.) et Robert Clergerie (à dr.) et des maisons de luxe comme Hermès (ci-dessus), qui imaginent des modèles lacés, zippés ou ornés de motifs. La force de Stella McCartney ? Répondre aux attentes des femmes. Pour l’hiver prochain, la créatrice mélange des pièces qu’elle sait si bien faire – veste impeccable, manteau à la coupe parfaite, col cheminée et jupe étirée en maille chinée – à des doudounes XXL dézippées et des robes en denim javellisé.

Sexy Glamour en diable, le vinyle fait son come-back. Une tendance au summum de la sensualité reprise tant par Nina Ricci (à dr.), Anthony Vaccarello (à g.) que Lanvin… Un clin d’œil au vestiaire de Catherine Deneuve dans « Belle de jour ». … JULIEN DOSSENA, LE CRÉATEUR DE LA SEMAINE

Arrivé chez Paco Rabanne en 2013, le designer est parvenu à rendre à la griffe reine des Sixties son aura cool et moderne. Pour l’hiver 2016-2017, il imagine des robes en maille simples qui, par leur montage anatomique, deviennent bien plus radicales. Un clin d’œil aux sports mécaniques avec des bottes de motocross en cuir ouatiné, des motifs flamme, du mesh métal imprimé, et à la culture asiatique avec des broderies tigre et fleurs de sakura. Le Point 2274 | 7 avril 2016 | 107

SHOJI FUJII/OLIVIER.SAILLANT - MONICA FEUDI/INDIGITALTV - SPEEDKING4MECOM - PIXELFORMULA - DR

Consécration Tous les regards furent braqués sur la première collection de Demna Gvasalia pour Balenciaga. Le fondateur de la griffe ultrabranchée Vêtements imagine, pour la maison de couture, des silhouettes extrêmement stylisées (épaules arquées, ventre ultraplat et basques en porteà-faux) et distille des influences sportswear comme des doudounes et des fuseaux de ski.

TENDANCESMODE

SPEEDKING4@MECOM - ALFONSOCATALANO/SGPITALIA - INDIGITALIMAGESCOM - MONICA FEUDI - LABYRINTH - SPEEDKING4@MECOM - MARCO SEVERINI - DR

mailles à col cheminée sous des cache-cœur et chausse des rangers multiboucles. Les cachemires donnent la réplique aux maxiparkas. Et les perfectos à franges tutoient les tutus constellés de sequins miroitants.

Velouté Que ce soit chez Rochas (ci-dessus) ou Vanessa Seward (ci-dessous) , le velours revient en version bleu nuit ou émeraude. De longues robes chatoyantes et des smokings très années 70 à l’allure garçonne pensés pour réfléchir la lumière et briller tout au long de la nuit.

Aérien Une fois encore, Maria Grazia Chiuri et Pierpaolo Piccioli, le duo créatif de Valentino (ci-contre), dévoilent une collection sublime, donnant corps au vestiaire de la ballerine. Elle endosse un manteau d’homme en drap de laine à pli creux dans le dos, glisse des 108 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

Leçon de plissés Une féminité tranquille, une modernité épurée… Tout flotte, bouge, se plie allègrement aux mouvements chez Céline (en haut) et Hermès (en bas). Jupes ou robes plissées dans des tons minéraux de beige, nude ou rose, à l’élégance simplissime. C’est le bouquet ! L’imprimé floral fait son come-back. En total look à la frontière du kitsch ou par touches. Les effets tapisseries ou peintures à

l’ancienne sont joyeusement détournés et réinterprétés comme chez Moncler Gamme rouge (ci-contre) et Miu Miu (ci-dessous).

Brillances Un des fils rouges des collections de l’hiver 20162017 ? Les effets scintillants qui jouent avec la lumière grâce à un déluge de Lurex, de paillettes métalliques, de pampilles ou de miroirs en mosaïque comme chez Sonia Rykiel (ci-dessous) et A.P.C. (en bas).

Je n’ai besoin de personne… En Harley-Davidson La combinaison de motard en cuir ou en Nylon bouscule le vestiaire l’hiver prochain. Les plus désirables sont signées Acne Studios (ci-dessus, à g.), Wanda Nylon (ci-dessus, à dr.) et Chloé (ci-contre). Au garde-à-vous L’imagerie militaire met le feu à l’imaginaire des créateurs cette saison. Et notamment la veste d’officier retravaillée sous toutes les coutures, parée de pompons, de brandebourgs, de bijoux ou de strass. A découvrir chez Sacai (ci-contre).

FOCUS

La G Shock Gulfmaster GWN-Q1000 associe baromètre, thermomètre, boussole et profondimètre.

Hiroshi Nakamura, vice-président de Casio, parie sur des montres connectées adaptées à chaque loisir.

L’usine high-tech de Yamagata, au Japon, où sont produits les modèles premium. La WSD-F10, première smartwatch de la marque, dévoilée en janvier à Las Vegas.

La génération Y à l’heure japonaise Fusionnant artisanat et technologie, Casio entend se positionner sur le haut de gamme.

DR

L

e Japon, l’autre pays des montres ? La déferlante du quartz venue du SoleilLevant a jadis bien failli faire disparaître l’horlogerie suisse avant que celle-ci reprenne le dessus. Le défi est aujourd’hui japonais, obligeant le groupe Casio, qui fêtera ses 70 ans en 2017, à faire lui aussi sa mue. « On ne peut pas vendre toujours plus de montres ; leur prix moyen doit aussi être plus élevé », explique Hiroshi Nakamura, vice-président du géant nippon. Aux côtés de la musique et des calculatrices, la division horlogerie représente en effet 45 % de son chiffre d’affaires, notamment grâce à la G-Shock, lancée en 1983 et vendue depuis à 80 millions d’exemplaires. « Elle plaît

beaucoup aux jeunes ! » observe Hiroshi Nakamura. Pour conquérir une clientèle plus pointue, l’argument du made in Japan est de retour. L’arme secrète de Casio : une usine high-tech dernier cri où sont produites toutes ses montres haut de gamme. « La manufacture de Yamagata, c’est la fusion entre technologie, horlogerie et artisanat, explique Hiroshi Nakamura. Chaque modèle y est contrôlé manuellement par des collaborateurs qualifiés. Pour positionner un index à midi, nous utilisons des caméras et des écrans afin d’être le plus précis possible. » Connectées. Ce virage du premium amorcé il y a trois ans en France s’accélère avec la sortie de véritables collections. « Nous mettons l’accent sur les Master of G, des montres pour professionnels, et le concept Air-Terre-Mer, avec les Gravity Master, Gulf Master et Mudmaster », explique Annelise Mangin, responsable marketing France de la marque japonaise. Une manière de se différencier des horlogers

suisses en jouant la carte des usages « extrêmes ». Le pari de Casio depuis une dizaine d’années a été également d’intégrer des technologies digitales dans une montre analogique : GPS, Bluetooth…. « Des ajouts qui permettent de garder un design horloger tout en intégrant des fonctionnalités connectées », fait remarquer Yuichi Masuda, directeur général de la division montres de Casio. « Avec notre gamme Edifice, si vous disposez d’un mobile, où que vous soyez, vous pouvez d’un clic inverser l’affichage du fuseau horaire entre temps local et d’origine. » Sa dernière innovation, c’est d’ailleurs au CES de Las Vegas et non en Suisse que la marque japonaise l’a présentée. Casio y a dévoilé sa première famille d’outdoor watches aux fonctionnalités destinées aux loisirs d’extérieur : pêche, vélo, trekking… « Nous voulons intégrer aux montres connectées des fonctions plus utiles pour les consommateurs, se justifie Hiroshi Nakamura. Nous ne voulons pas faire la même smart watch pour tous. » § JUDIKAEL HIREL

Le Point 2274 | 7 avril 2016 | 109

TENDANCESMARCHÉ DE L’ART ENCHÈRES ET GALERIES par Judith Benhamou-Huet Pietà africaine

Lorsque les colons furent bien installés en Afrique, les autochtones produisirent des œuvres dans un style mélangeant les deux cultures, comme cette pietà à la coiffure tressée peinte en rouge de la tribu Akan de Côte d’Ivoire ou du Ghana, estimée 400 euros. Le 8 avril, Hôtel Drouot, www.pba-auctions.com.

Inutile de dire qu’être un artiste célèbre et être exposé dans un musée comme en ce moment Albert Marquet (1875-1947) au musée d’Art moderne de la ville de Paris ne suffit pas à transformer toutes ses œuvres en or. Cette aquarelle de Marquet est estimée 800 euros. Le 13 avril, Paris, www.fraysse.net.

Chez Phillips, dans l’air du temps

P

our avoir un petit aperçu du meilleur et du pire de ce qu’on trouve de plus à la mode dans le marché de l’art actuel, il faut consulter les catalogues de la maison de ventes Phillips, qui appartient à un groupe de luxe russe. Elle a récemment renforcé sa direction en recrutant au Qatar son responsable mondial de l’art contemporain, Jean-Paul Engelen, et en Italie un ancien commissaire de la Biennale de Venise, Francesco Bonami, en tant que conseiller. La vente New Now le 13 avril à Londres propose des œuvres censées être accessibles financièrement, comme cette suite de photos sur la transformation, de l’artiste suisse Ugo Rondinone (né en 1964), qui vit à New York. Il était le commissaire de l’exposition sur John Giorno au Palais de Tokyo à l’automne 2015 et fait l’objet d’une rétrospective au Carré d’art de Nîmes à partir du 15 avril. Estimation : 7 800 euros. Le 13 avril, Londres, www.phillips.com. 110 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

L’amour avec un grand A

Le grand peintre de l’amour au XVIIIe siècle, Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), donne ici un résumé de son talent. Ou comment Cupidon s’empare de la jeune créature dans tous ses états. Une image célèbre à son époque. La toile est estimée à 460 000 euros. Le 13 avril, New York, www.christies.com. EN GALERIE Friedrich Kunath

Il existe une vogue mondiale dans la peinture actuelle pour le made in Los Angeles, dont fait partie Friedrich Kunath (né en 1974). L’Allemand, qui vit à Pasadena, reprend des clichés de la culture californienne qu’il mélange, dans ses peintures au spray, à des références romantiques, avec toujours une pointe de dérision. A partir de 25 000 dollars. Jusqu’au 30 avril, Paris, www.vnhgallery.com.

COURTESY OF PHILLIPS/PHILLIPS.COM - PIERRE BERGÉ & ASSOCIÉS - CHRISTIE’S - STUDIO SEBERT - JOSHUA WHITE/JWPICTURES/COURTESY OF THE ARTIST & VNH GALLERY

Albert Marquet

JEUX MOTS CROISÉS PAR ALBERT D’AUNAC 1 2 3 4 5 6 7 8 9

HORIZONTALEMENT I. Celui de Michel Platini est bien développé. II. « Besoin de personne… » III. Tourne avec l’age. Exposés. IV. A travers le Trentin et la Vénétie. Off. V. Vendrai aux enchères. VI. Gobé ou à boire. Cardinal d’Alsace. VII. Concurrente de l’UE. Mesure de volume. VIII. Pas dégagé. IX. Eclaircies.

I II III IV V VI VII VIII IX

VERTICALEMENT 1. Une troupe désordonnée. 2. C’est entendu ! 3. Parties de vestibules. 4. Entrent en douce. Un sauveur. L’entrée des cabinets. 5. Buté ou étourdit, question d’accent. Font un peu maigre. 6. Lac en Bolivie avec le Po. Ancien tissu pour nonnes. 7. On n’en veut pas… 8. Cinq voyelles. Elle forme en partie le SEBC. 9. Affectées.

Solution de la grille du numéro 2273

I II III IV V VI VII VIII IX

1

2

3

4

5

6

7

8

9

D

E

S

O

R

M

A

I

S

E

C

O

U

T

I

L

L

E

S

E

R

R

U

R

I

E

R

C

R

E

A

A

M

A

S

E

V

B

E

L

N

E

T

E

D

L

O

R

L

A B

I

N

L

T

R A

R

E

F

U

G

I

E

N

T

E

S

U

E

S

S

E

R

P

BRIDGE PAR MICHEL LEBEL LE PROBLÈME DE LA SEMAINE Voici les jeux de Nord-Sud : ¿ V62 • DV94 \ A76 ±952

N O

E S

¿ A R 10 7 5 3 • AR7 \ 94 ±R8

I. Enchères Sud donneur. Faites les enchères de Nord-Sud, qui se déroulent dans le silence adverse. Réponse La bonne séquence : Sud 1¿ 4¿

Nord 2¿

Quelques commentaires : 1 ¿ : Sud ouvre de sa majeure sixième. 2 ¿ : priorité au soutien en majeure, même avec une distribution 4-3-3-3. 4 ¿ : l’ouvreur fitté revalorise son sixième ¿ et demande la manche.

LE TEST D’ENCHÈRES

II. Jeu de la carte Vous jouez 4 ¿ en Sud. Ouest entame du Roi de \. Réponse Commencez par compter vos perdantes possibles : deux à ± et une à \ et à ¿, soit un total de quatre levées. Vous pouvez défausser une perdante de votre main sur le quatrième • du mort à condition qu’Est ne prenne pas la main pour contre-attaquer à ±. Le bon plan se précise : laissez passer le Roi de \ pour couper les communications dans la couleur. Ouest rejoue \ pour l’As. Le maniement classique de votre couleur d’atout – avec un total de neuf cartes – consiste à encaisser As-Roi en tête. Pour éviter que l’adversaire dangereux ne prenne la main, jouez un petit ¿ du mort pour le 10 de votre main. Si Ouest prend de la Dame, vous réaliserez dix levées. Sur la donne, vous faites la levée du 10 et un total de onze levées – après avoir enlevé les atouts. Voici les quatre jeux :

¿4 • 10 8 5 2 \ RD85 ±AV43

¿ V62 • DV94 \ A76 ±952

N O S

¿ D98 • 63 E \ V 10 3 2 ± D 10 7 6

¿ A R 10 7 5 3 • AR7 \ 94 ±R8

LE POINT 1, boulevard victor, 75015 PARIS – TÉL. : 01.44.10.10.10 – FAX : 01.43.21.43.24 Publicité : Le Point Communication, tél. 01.44.10.13.69 Service abonnements : tél. 01.55.56.71.26 – 4 rue de Mouchy 60438 Noailles Cedex Tarif abonnement pour 1 an, 52 numéros : 129 € – e-mail : [email protected] Directeur de la publication : Etienne Gernelle Président-directeur général : Olivier Mégean - Directeur général délégué : François Claverie Président du Point Communication (publicité) : Edouard Broustet Le Point, fondé en 1972, est édité par la Société d’exploitation de l’hebdomadaire Le Point - Sebdo. Société anonyme au capital de 10 100 160 euros, 1, boulevard Victor, 75015 Paris. R.C.S. Paris B 312 408 784 - Associé principal : ARTEMIS S.A. Dépôt légal : à parution - n° ISSN 0242 - 6005 - n° de commission paritaire : 0615 C 79739.

Le début des enchères a été : Sud 1• passe

Ouest Nord passe 2• ?

Est passe

Vous êtes en Ouest (Nord-Sud vulnérables). Quelle doit être votre deuxième enchère avec chacun des cinq jeux suivants ? ¿ A V986 B 10 C A 10 8 5 D A R 10 8 E 98



\

±

7 87 RD 976 4

R 10 9 6 2 AV973 V98 A A 10 7 2

AV5 D V 10 6 5 10 9 7 3 97632 R V 10 8 7 4

Infos bridge A quand un AlphaBridge ? Le célèbre champion de go Lee Sedol a été battu par AlphaGo, un programme informatique conçu par Google. En ce qui concerne le bridge, il existe des programmes comme le G.I.B. de Fred Gitelman – un proche de Bill Gates – qui est particulièrement performant, à un détail près : il connaît les quatre jeux ! Un fan de bridge, Bill Gates, a déclaré que « le bridge est un des derniers jeux où l’ordinateur n’est pas meilleur que l’homme ». Le bridge se joue à quatre – deux contre deux –, trois jeux sont « cachés » pendant les enchères et deux au début du jeu de la carte. L’élément de décision reste encore à l’avantage de l’humain. Impression : Maury Imprimeur SA (45330 Malesherbes).

Réponses A contre = 20 ; passe = 10 ; 3 \ = 5. Il est, en règle générale, peu dangereux de réveiller après un soutien adverse au palier de 2. Avec quatre cartes à ¿ – l’autre majeure – et une courte à •, le contre de réveil s’impose. B 2 SA = 20 ; 3 ± = 10 ; passe = 5. Après un soutien en majeure, le réveil à 2 SA est conventionnel. Il montre un bicolore mineur moins fort ou moins bien distribué qu’une intervention directe à 2 SA. C passe = 20 ; contre = 15 ; 2 ¿ = 5. Il est plus prudent de passer avec ce jeu de 10 points H – dont cinq à • – et une distribution régulière. D 2 ¿ = 20 ; passe et contre = 10. Un contre de réveil avec un singleton dans une couleur non annoncée est à éviter. Il est en revanche bien joué de réveiller à 2 ¿ avec une belle couleur quatrième. E 3 ± = 20 ; passe = 10 ; 2 SA = 5. Un réveil évident à 3 ± avec cette robuste couleur sixième et une distribution 6-4.

VOTRE RÉSULTAT : - De 90 à 100 : un excellent résultat. - De 70 à 85 : un bon résultat. - De 50 à 65 : assez bien, travaillez davantage vos enchères. - Moins de 50 : lisez « La Majeure cinquième, édition spéciale ». Diffusion : MLP.

Les noms, prénoms et adresses de nos abonnés peuvent être communiqués à nos services internes et aux organismes liés contractuellement avec Le Point à des fins de prospection notamment commerciale. Nos abonnés peuvent s’opposer sans frais à cette utilisation en contactant le service abonnements. En tout état de cause, les informations recueillies peuvent faire l’objet d’un droit d’accès et de rectification conformément à la loi du 6 janvier 1978. LE POINT contrôle les publicités commerciales avant insertion pour qu’elles soient parfaitement loyales. Il suit les recommandations de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité. Si, malgré ces précautions, vous aviez une remarque à faire, vous nous rendriez service en écrivant à l’ARPP, 23 rue Auguste-Vacquerie, 75116 PARIS Toute reproduction est subordonnée à l’autorisation expresse de la direction du Point.

Le Point 2274 | 7 avril 2016 | 111

Le bloc-notes

de Bernard-Henri Lévy François Sureau, Renaud Girard, Pierre Leroy : doubles vies

B

leu sur blanc… Jaune du temps… Les douanes du hasard comme des portes ouvertes sur le ciel… J’ai découvert François Sureau ici, dans Le Point, il y a un quart de siècle, alors qu’il venait de publier, sous la houlette de Jean Schmitt, notre directeur de la rédaction d’alors, un reportage sur les Balkans qui précéda de peu mon propre premier voyage à Sarajevo. Je le retrouve aujourd’hui avec ce livre étrange, mi-poème mi-récit, où l’on se souvient de civils apeurés forniquant à froid dans les caves des immeubles bombardés, de tireurs à l’affût du moindre signe de vie, de morts jamais vraiment enterrés et d’une Europe commençant de crouler sous le poids de ses abandons et de ses lâchetés. Que reste-t-il d’une ville quand nul ne songe plus à la raconter ? Que reste-t-il du lieutenant de vaisseau Passavant des Baleines, sinon cette légende incertaine dont l’auteur s’ingénie, de livre en livre, et dans celui-ci plus que jamais, à déposer et, dans le même geste, effacer les rares traces ? Et qui est cet écrivain passé, en trente ans, d’un art du roman juvénile qui faisait roucouler les vieux académiciens au goût des mystères évangéliques, des ascèses à perdre le souffle ou, comme ici, des chansons de geste oublieuses de toute odyssée ? Peu de contemporains, en tout cas, semblent aussi prodigues en vies que lui. Avocat dans l’une. Officier de la Légion étrangère dans la deuxième. Fondateur, dans une autre, d’un centre d’accueil pour réfugiés en France. Amateur, dans une autre encore, de combats spirituels et de vies de saints. Et, ici (« Sur les bords de tout », Gallimard), cet énigmatique écrivain dans la lignée d’un Cendrars qui se serait frotté au « Crabe-Tambour » et à la « Double vie » de Gottfried Benn. Autre amateur, autre praticien de cette double vie, mon « petit camarade » Renaud Girard, comme on disait dans le folklore de l’Ecole normale dont nous sommes, l’un et l’autre, des produits irréguliers. Dans la première de ses deux existences, il a sa dégaine de dandy sarcastique qui fait la leçon, depuis trente ans, à tous les ministres des Affaires étrangères de la République ; qui épate, avec sa géopolitique d’état-major, les habitués des grandes conférences du Figaro ; et qui, dans son nouveau livre, « Le monde en guerre » (Carnets Nord/Montparnasse), disserte sur l’« humiliation de la Russie », les « pièges » de l’ingérence en Libye ou la « nouvelle hégémonie américaine ». Dans la seconde, en revanche, il est ce grand reporter au même Figaro, agrégé en charniers, technicien de tous les coups d’Etat de la planète et dont le goût de l’aventure, l’intelligence des corps et du terrain, le sens du temps sans Histoire, le mépris souverain d’un danger qu’il m’a toujours paru tenir pour quantité négligeable

112 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

et ne le concernant finalement pas, l’audace, pourraient en remontrer à la plupart de ses confrères, y compris anglo-saxons. Alors, qui est, au juste, cet homme ? Est-il, dans la première de ces deux vies, une sorte de Barrès qui, considérant qu’on ne peut pas courir les guerres toute la journée, passerait ses après-midi au Cercle de l’Interallié ? Ou est-ce dans la seconde qu’il est comme un James Brooke qui aurait perdu son royaume de Sarawak mais aurait eu le temps de lire « L’homme qui voulut être roi », « Lord Jim » ou le texte de Jacques Rivière marquant, bien avant celui de Roger Stéphane, la naissance de l’aventurier moderne ? Normalien et baroudeur… Enarque et fantassin de la vérité… Le mixte n’est pas banal. Et puis, vivant « au carré » s’il en est, il y a le cas de Pierre Leroy. Les initiés connaissent le très discret patron d’un groupe de communication mondial dont les performances défraient la chronique du CAC 40. Les amateurs de littérature, qui sont d’autres sortes d’initiés, ne vont pas tarder à découvrir, dans une grande exposition qui se tiendra à la bibliothèque de l’Arsenal du 21 avril au 24 mai, le sulfureux collectionneur de tel dessin original de Philippe Chéry pour le frontispice de la « Justine » de Sade ; de telles lettres à Fouché réclamant la mise en liberté du seul écrivain moderne à avoir passé, pour crime de volupté, le plus clair de sa vie en prison ; ou de telle épître à son épouse qui venait de lui demander de faire sortir de la Bastille son « vieux linge sale ». Qui est alors, et de nouveau, ce « voyageur du temps » dont Philippe Sollers décrit, dans la belle préface qu’il donne au catalogue de l’exposition, le « pessimisme très informé » ? Comment ce bibliophile fantasque et précis que l’on devine prêt à se damner pour tel manuscrit d’Albert Camus, telle lettre autographe de Diderot ou la dernière note d’honoraires adressée par Freud, au lendemain de la mort du musicien, à la famille de Mahler cohabite-t-il avec l’ancien lieutenant de Jean-Luc Lagardère promu, au décès de celui-ci, maréchal de son empire ? Est-ce l’histoire, classique encore, de l’aventurier compensant ce que peut avoir d’aliénant, c’est-à-dire de soumis au temps d’autrui, la part convenable de sa vie ? Ou est-ce celle, au contraire, du Wakefield de Nathaniel Hawthorne qui avait besoin d’une vie normale pour, sinon dissimuler, du moins refroidir ce que sa vraie passion pouvait avoir de dévorant ? Ou celle, ce qui revient au même, de Georges Bataille expiant, au cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale, le crime d’avoir écrit « Histoire de l’œil » et « Madame Edwarda » ? Autre façon d’être soi tout en étant un autre. Ou de vivre, comme voulaient les pythagoriciens, ce mélange de plusieurs vies simultanées. A l’Arsenal ! §

CONSTRUISEZ l’avenir avec Promogim

06 ANTIBES

06 CAGNES-SUR-MER

06 CANNES

Dans le quartier des Combes, résidentiel et pratique. Au milieu de beaux espaces paysagers. Proche centre commercial et écoles.

Dans le quartier résidentiel du Val Fleuri, agréable à vivre avec un accès aisé au centre-ville. La résidence est entourée d’un généreux jardin.

Une situation exceptionnelle au pied de la colline de la Croix-des-Gardes et son parc naturel forestier. Calme et résidentiel proche commerces et écoles.

Villa Lucia - Espace de vente : 874, chemin des Combes

Villa Jardin - Espace de vente : 23, chemin de la Campanette

Eden Parc - Espace de vente : 5, boulevard du Soleil

DES RÉALISATIONS POUR

06 JUAN-LES-PINS Une situation remarquable dans le quartier du Tanit. Architecture élégante, avec une piscine et un superbe jardin méditerranéen.

CONSTRUIRE VOTRE AVENIR

Villa Augusta - Espace de vente : avenue de la Victoire (à côté de la mairie)

27 Tanit - Espace de vente : 27, chemin du Tanit Promogim Groupe S.A.S. RCS Nanterre B 339 715 336. Illustrations à caractère d’ambiance –

06 LA TURBIE Une adresse rare au calme avec de belles vues dégagées sur la mer et le village historique. Tout à proximité.

06 NICE

13 MARSEILLE

83 LA CROIX-VALMER

Sur les hauteurs de Cimiez, dans un quartier recherché pour son élégance, son calme et son caractère résidentiel.

Dans le village des Trois Lucs, dans le 12e arrondissement. Un cadre résidentiel pratique offrant calme et verdure.

Bel ensemble résidentiel dans un cadre vert et aéré. Quartier agréable du Village, avec accès aisé aux commerces, aux écoles, à la poste et à la mairie.

Villa Adriana - Espace de vente : 1 bis, avenue Cap de Croix

Green Parc - Espace de vente : 12, impasse Sainte-Germaine

Le Parc - Espace de vente : rue Frédéric Mistral

ADRESSE



ARCHITECTURE



QUALITÉ / PRIX

01 60 79 83 83 - promogim.fr

PROMOGIM construit également en Alsace, Bourgogne, Franche-Comté, Ile-de-France, Nord-Pas-de-Calais, Pays de Loire et Rhône-Alpes.

ON EN PARLE CARVEN PARFUMS L’Eau Intense

Un nouveau parfum rejoint le vestiaire masculin de CARVEN PARFUMS avec une signature olfactive aussi intrigante que son nom : L’Eau Intense. Rafraîchissante comme l’eau infusée de feuilles de menthe, intense comme les notes d’épices et de bois, cette fragrance parle couramment l’oxymore olfactif. Belle et singulière, sa personnalité séduit par sa fraîcheur et son intensité racée. www.carven-parfums.com

DE GRISOGONO New Retro Lady

The New Retro Lady, une montre née au 21è siècle et profondément enracinée dans les années 50. Cette grande pièce, de forme rectangulaire à la fois minimaliste, atypique et élégante, confirme le style de GRISOGONO. Vêtu de couleur ou de sobriété, ce garde-temps à l’élégance intemporelle est fait de détails sur mesure. Renseignements : http://degrisogono.com

BVLGARI Diva

La Maison Bulgari dévoile une nouvelle version de l’emblématique bague de sa collection Diva, en or rose et diamants. Signe d’allure et d’élégance, la collection Diva en forme d’éventail se veut la définition même de la distinction. Une ligne imaginée pour une femme à la personnalité déterminée incarnant le charisme à l’état pur, une diva dynamique, insouciante voire rebelle, qui crée la tendance (prix indicatif : 2 700 €). Boutique Bulgari au 25 place Vendôme, Paris 1er - 01 55 35 00 50 

ABERLOUR Coffret d’exception

La distillerie ABERLOUR élabore un Single Malt qui se distingue par sa rondeur et ses saveurs finement fruitées et épicées. Son procédé de double maturation en fûts de Sherry et de Bourbon se transmet de Master Distiller en Master Distiller. Le coffret cadeau de la fête des pères offre 2 verres en forme de tulipe : à col resserré, ils concentrent tous les arômes et invitent à y plonger le nez pour mieux les identifier.* En vente chez les meilleurs cavistes

TROUBLES Jesper Stein

En cette fin 2007, alors que Copenhague connait les pires émeutes urbaines de son histoire, un meurtre est commis dans une zone étroitement surveillée par la police. L’inspecteur Axel Steen, aux méthodes peu conventionnelles, est chargé de l’enquête qui le mène des milieux activistes à ceux du trafic de drogue. Par l’étoile montante du polar danois (412 pages - 22,90 €). En librairie - Éditions Piranha www.piranha.fr

*L’abus d’alcool est dangereux. À consommer avec modération

ZENITH El Primero Chronomaster 1969 Tour Auto Edition

Carrosserie élégante, moteur puissant, touches tricolores : le chronographe El Primero Chronomaster 1969 Tour Auto Edition de Zenith roule les mécaniques sur route et sur circuit. Hommage aux bolides classiques du ‘‘Tour Auto Optic 2000’’ dont Zenith est le chronométreur officiel, cette bête de compétition vrombit à 36’000 alternances/heure et affiche la précision du légendaire mouvement El Primero (série limitée à 500 pièces). Boutique : Bon Marché au 24 rue de Sèvres Paris 7è - 01 55 27 00 27 www.zenith-watches.com

LA S É L E C T I O N D U P O I N T C O M M U N I C AT I O N

Pascal Bruckner réhabilite le Veau d’or Dans le très stimulant « La sagesse de l’argent » (Grasset), le philosophe désosse notre fascination-répulsion pour l’argent. Une passion française ?

«P

lutôt que de ne penser qu’à l’argent, j’ai décidé de le penser. Bien le penser, c’est bien le dépenser. » Ainsi parle Pascal Bruckner quand il évoque son nouveau livre, « La sagesse de l’argent » (Grasset). Un essai stimulant et salutaire parce qu’il interroge notre rapport à l’argent – c’est rare – et surtout l’hypocrisie qui va avec – ça l’est encore plus. Bref, de quoi faire bondir les beaux esprits dans ce pays où l’argent est considéré comme le mal suprême. En France, ose en effet Bruckner, il est à la rigueur permis d’en avoir, tradition aristocratique oblige, mais mal vu d’en gagner, à cause de notre passion égalitariste. « On a quand même élu un candidat qui avait déclaré qu’il n’aimait pas les riches… En France, l’argent est aussi sale que le sexe aux Etats-Unis », dit-il. Si Camus disait que le suicide était le seul problème philosophique vraiment sérieux, pour l’auteur du « Sanglot de l’homme blanc », c’est l’argent, ce « bien qui fait du mal et un mal qui fait du

bien », ou encore « ce serviteur qui ne veut jamais rester à sa place ». D’où la nécessité, à la suite de Georg Simmel et sa « Philosophie de l’argent » (1900), de prendre la plume pour embrasser historiquement, politiquement, philosophiquement, ce « principe qui nous meut », « dont on ne peut rien dire sans affirmer le contraire », et de l’examiner sous toutes les coutures, depuis les premières pièces de l’humanité frappées à l’effigie d’Ishtar (« déesse de la Fécondité et de la Mort, curieuse dualité », écrit-il) jusqu’aux débats sur les impôts et la prostitution, sans oublier le duel Rousseau/Voltaire et les diatribes de François Hollande. L’occasion pour le philosophe de procéder non seulement à une réhabilitation du Veau d’or, mais à celle des valeurs bourgeoises et du mariage heureux, celui « où passions et intérêts convergent », avec proverbe africain à l’appui : « Quand la pauvreté frappe à la porte, l’amour s’enfuit par la fenêtre. » § CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT …

Les nouveaux colonialistes PAR SÉBASTIEN LE FOL

Pour toute une gauche européenne, un vif péril menace l’humanité. Ce n’est ni le terrorisme ni le fanatisme religieux. Mais les intellectuels dissidents du monde musulman. Salman Rushdie, Ayaan Hirsi Ali et maintenant l’écrivain Kamel Daoud, chroniqueur au « Point », ont tour à tour fait l’objet d’une campagne de lynchage. Islamophobes, suppôts de l’impérialisme, réactionnaires… Les chasseurs en meute ne lésinent pas sur les épithètes pour les

abattre. Ce stalinisme de la pensée a une histoire et des méthodes bien connues. Les dissidents soviétiques en essuyèrent les plâtres. Aujourd’hui, il a pris une tournure encore plus perverse. Derrière les procès en sorcellerie intentés par ces inquisiteurs du XXIe siècle, il y a bel et bien un racisme qui ne dit pas son nom. Ces FouquierTinville prétendent le combattre. Mais, comme l’expliquent bien l’écrivain Paul Berman et le philosophe Michael Walzer*,

« ils finissent par tracer des distinctions injustes entre les gens comme eux, qui seraient libres d’adresser les critiques les plus virulentes à leur propre culture et à leur propre société, et les intellectuels du monde musulman, qui devraient se mordre la langue ». Les nouveaux colonialistes, ce sont les ennemis de Daoud, de Rushdie et des autres. Les Européens ne doivent pas se tromper de combat § *

Le Monde, 30/3/2016.

Le Point 2274 | 7 avril 2016 | 115

IDÉES

Les toilettes de Lénine

Dans un rare moment de lyrisme, Vladimir Ilitch Lénine fit, aux prolétaires, en 1921, la promesse suivante : la création de toilettes en or pour tous dès l’avènement mondial du communisme, une fois ce métal dépouillé de toute valeur. Double symbole : les lieux les plus triviaux de la société communiste seront désormais aussi luxueux que les palais de la bourgeoisie. Mais surtout, la classe ouvrière se soulagera sur l’incarnation même de la rapacité humaine, l’or maudit, dont les liens avec l’analité ont été soulignés par Freud. Le socialisme fera mieux que le capitalisme en même temps qu’il le disqualifiera. Détail piquant : en 2014, la femme d’affaires américaine Kim Kardashian et son époux, le rappeur Kanye West, se font construire dans leur résidence de Los Angeles des toilettes en or pour la modeste somme

« Picsou a ceci d’unique : il batifole dans l’or, de façon impudente, y connaît l’extase des saints habités par la transcendance. » 116 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

de 550 000 dollars. Lénine a été entendu, pas forcément par ceux qu’il espérait.

Va donc voir chez les Grecs

Aristote a de la richesse une vision plus clémente que n’en auront ensuite les chrétiens : elle fait partie des nécessités de la vie si on la couple avec la vertu et l’amitié. Un homme serviable peut travailler à faire la fortune de ses amis et s’en réjouir : « La vie à elle toute seule, encore une fois, est bonne et agréable ; ce qui le prouve bien, c’est que tout le monde y trouve des charmes et très spécialement les gens vertueux et fortunés. Car la vie leur est la plus désirable et leur existence est la plus heureuse sans contredit. » Plus tard Sénèque et Cicéron, eux-mêmes immensément riches, verront dans la vie, la santé, la richesse des préférables dont il serait insensé de se priver dès lors qu’ils sont à notre disposition. Ce sont des biens qui ne remplacent ni la raison ni la sagesse mais en forment les préliminaires ou les compléments.

Picsou en sa piscine

Il est un personnage de bande dessinée qui combine les deux régimes de la richesse, celui du travail et de l’extraction : Oncle Picsou, Scrooge McDuck, le canard cupide inventé par Carl Barks en 1947. Ecossais d’origine, appartenant à un clan ruiné, vendeur de bois, cireur de chaussures, la première pièce qu’il gagne, un sou américain, devient son « sou fétiche » ; il est l’homme du passage, de l’émigration. Pour lui, le destin est américain. Débarquant à Louisville, Kentucky,

ILLUSTRATION : DUSAULT POUR « LE POINT »

Extraits de « La sagesse de l’argent » (Grasset).

un soir de fête, il s’exclame : « L’air lui-même a le parfum de fortunes gagnées et perdues. » Un shérif philosophe lui dit : « Souviens-toi que la richesse est bien plus qu’un tas d’argent. C’est la gloire de l’accomplissement. » Contrairement à l’avare de Molière, il est né à une époque où le désir d’enrichissement est légitime. (…) Oncle Picsou aime à se vautrer dans sa piscine d’or, un lac, presque un océan de pièces, de lingots et de billets dans lequel il barbote, plonge, creuse des galeries. Pour lui, l’argent est un ventre d’une fécondité inépuisable qui atteint à la beauté du colossal. Il s’y régénère, jamais rassasié, d’autant que son trésor est régulièrement menacé par les frères Rapetou, sortes de canailles à la Robin des bois. Picsou a ceci d’unique : il batifole dans l’or, de façon impudente, y connaît l’extase des saints habités par la transcendance. Il ignore la belle distinction de Sénèque entre le brillant qui éblouit et le lumineux qui rayonne doucement. A ses yeux, tout ce qui resplendit est magique. Son rictus est celui d’un voluptueux dont rien n’apaise les transports. Oncle Picsou jouit.

C’est la faute à Rousseau

ses « Mémoires d’espoir » combien en France les rapports sociaux restent empreints d’aigreur : « Chacun ressent ce qui lui manque plutôt que ce qu’il a », explique-t-il dans une phrase très tocquevillienne. Et Nicolas Sarkozy, en clamant haut et fort son amour des gros sous, avec un sans-gêne qui a choqué jusqu’à Berlusconi, a perdu le contact avec les Français. Les condamnations de l’argent dans l’Hexagone s’emballent à mesure que la crise s’accroît. C’est la définition même de l’idéologie : mettre le monde à l’envers, prendre la conséquence pour la cause, rêver d’une hypothétique sortie de l’économie de marché. Puisqu’une fraction de nos compatriotes n’ont plus les moyens de vivre décemment, on va leur expliquer que la prospérité est dégradante, que la vraie richesse se trouve dans les liens et non dans les biens. En période de crise, les diatribes contre le Veau d’or sont un dérivatif. Ainsi s’expliquent les pamphlets contre les riches qui alimentent toute une industrie de l’indignation lucrative. Tels Michel et Monique Pinçon-Charlot qui, depuis quinze ans, livre après livre, passent au crible la vie de la haute bourgeoisie d’affaires. L’enquête, en soi instructive, leur vaut de beaux tirages ; ils auscultent les mœurs des puissants pour les maudire, dans une belle alliance d’hypocrisie et de fascination.

Toute notre attitude vis-à-vis de l’argent trouve son origine dans l’opposition entre Rousseau et Voltaire. Le premier pourfend le luxe qui dépouille les pauvres, corrompt les goûts et les mœurs et plaide pour des citoyens vertueux et Richesse oblige austères. Voltaire, à l’inverse, mondain qui roule L’ancienne bourgeoisie n’en finissait pas de déen carrosse, adepte du commerce et du progrès, truire la classe dominante pour s’en nourrir, « La sagesse de l’argent », défenseur de la tolérance, veut des hommes poselon la formule de Fernand Braudel, les nobles de Pascal Bruckner (Grasset, 318 p., 20 €). lis et brillants. On peut dire comme le jeune vendaient « leurs titres rouillés à des filles de Jean-Jacques dans ses « Confessions » : « Aucun financiers » (« Bel-Ami »). Elle manquait peutde mes goûts dominants ne consiste en choses être de panache et n’évitait pas toujours le riqui s’achètent. Il ne me faut que des plaisirs purs et l’argent dicule. Au moins restait-elle peu ou prou fascinée par la les empoisonne tous. » Mais considérer aussi avec Voltaire haute culture et ressentait-elle le besoin de l’invoquer, de la le superflu comme « chose très nécessaire » : « Quel idiot, s’il propager ; au moins se sentait-elle responsable du monde, avait un bon lit, aurait couché dehors ? » Pour l’auteur de savait-elle « exceller dans l’utile et l’agréable » (Voltaire), où « Candide », le confort et le courage ne sont pas incompa- elle trouvait une certaine forme d’apostolat. (…) La bourgeoitibles, toute sa vie en témoigne. Si les apparences dans l’Hexa- sie constitue donc, comme le disait Thomas Mann dans « Les gone plaident en faveur de Voltaire, les sous-titres restent Buddenbrook », « la noblesse du mérite » soucieuse de proinspirés par Rousseau. L’opulence n’est admise que sotto voce, grès et de bien-être. La noblesse, ce n’est plus ce qui nous comme une déplorable concession à l’esprit du monde. De échoit de par la naissance, mais ce que l’on s’octroie par sa cette discorde française ces deux esprits sont l’illustration. constance, son travail, ses talents. L’exubérance puérile de nos élites ne devrait pas nous faire oublier que les riches, de tout temps, ont incarné et porté un art de vivre exemplaire. « Oui, je n’aime pas les riches » Hollande a peut-être menti : mais en parlant à la France comme Ce qu’on doit leur reprocher aujourd’hui, ce n’est pas de vouelle voulait l’entendre, il a montré une parfaite connaissance loir régir le monde, c’est de manquer d’ambition, c’est d’avoir de l’âme hexagonale. De Gaulle déjà constatait en 1970 dans troqué une vaste mission pour des jouissances à courte vue §

« En période de crise, les diatribes contre le Veau d’or sont un dérivatif. Ainsi s’expliquent les pamphlets contre les riches qui alimentent toute une industrie de l’indignation lucrative. » Le Point 2274 | 7 avril 2016 | 117

PHILOSOPHIE

Michael Sandel, les leçons politiques de la star de Harvard Ses cours sur la justice dans la société de marché sont suivis par des milliers d’étudiants. Le philosophe américain publie « Justice » (Albin Michel), déjà vendu à 3 millions d’exemplaires dans le monde.

E

nfin ! La traduction de « Justice » était attendue. L’ouvrage dont l’auteur – qui remplit des amphithéâtres et des stades – est l’un des plus grands philosophes contemporains s’est déjà vendu à des millions d’exemplaires à travers le monde. Issu de son cours à Harvard, dont la saveur et la substance sont disponibles en ligne (www.justiceharvard. org), ce parcours dans les enjeux de la philosophie politique est rigoureux et lumineux. Le pédagogue accompagne le lecteur dans le déploiement des raisonnements et dans les chocs d’arguments entre les conceptions rivales du juste. Trois grandes conceptions, utilitariste, libertarienne, communautariste, visent la maximisation du bien-être, le respect de la liberté, la promotion de la vertu. Champion du troisième camp, Michael Sandel (même si la dénomination « communautarisme » ne lui convient pas) ne fait pas dans l’exégèse ésotérique des manières de concevoir la justice. Il propose une évaluation des théories de la justice à partir de situations et d’exemples très concrets. Il en va de dilemmes moraux comme de sujets très actuels. Certains développements ont trait à ses discussions, pendant les cours, avec ses étudiants qu’il aime sonder en direct sur les sujets les plus controversés (le recours à la torture, le mariage homosexuel, la vente d’organes, la gestation commerciale pour autrui). L’idée est de mesurer les convictions, leur justification, la qualité des argumentations et des objections. Sur des sujets aussi divers que la conscription ou l’armée de métier (avec une page originale sur la Légion étrangère), l’acceptation du handicap dans une équipe de pom-pom girls, Sandel sait susciter l’intérêt et, souvent, le sourire. Comme il l’écrit, il s’agit de « se frayer un chemin sur le terrain très disputé de la justice et de l’injustice, de l’égalité et de l’inégalité, des droits individuels et du bien commun ». La thèse de Sandel veut dépasser le libertarisme et l’utilitarisme. Estimant qu’il est impossible de dire le juste sans se référer à la nature de la vie bonne, il plaide pour la promotion de la vertu et du civisme § J. D.

Le Point : Vous pensez que les pouvoirs publics ne sauraient être neutres en termes moraux et religieux. Et vous critiquez ce que vous appelez la « neutralité libérale ». Qu’entendez-vous par là ? Michael Sandel : Je m’oppose à une version influente du li-

béralisme contemporain qui insiste sur ce que j’appelle le « sujet désengagé ». La liberté de ce libéralisme postule un sujet qui n’est pas défini par ses liens d’appartenance. Il vit détaché de l’Histoire, de la tradition et de l’identité culturelle. Cette conception de la liberté domine la philosophie anglo-américaine. Contre elle, je soutiens la vision de « sujets engagés », avec leurs attachements constitutifs, situés dans une existence historique, ce qui amène certaines obligations. La liberté affirmée par le « sujet désengagé » est une sorte de liberté consumériste. Je plaide en faveur d’une conception plus exigeante, sur le plan civique, de la liberté. Vous pourriez baptiser cela une conception républicaine de la liberté. Etre libre, ce n’est pas agir sans entraves selon ses intérêts et ses préférences. La liberté civique, ou républicaine, vise le bien commun. Cela nécessite que les citoyens cultivent certaines vertus. En ce sens, la vie publique ne peut pas et ne devrait pas chercher à être neutre à l’égard de la vertu et de la vie bonne. La politique démocratique devrait toujours consister en délibérations autour du bien commun. Vous soutenez cette « politique du bien commun », contre le libertarisme et l’utilitarisme.

Malgré leurs différences, notamment en ce qui concerne les bases des droits individuels, libertarisme et utilitarisme ont ceci en commun qu’ils prennent les préférences et intérêts des gens comme s’ils étaient donnés par la nature. Le libertarien insiste sur le droit de chaque personne à poursuivre ses intérêts, quels qu’ils soient, s’ils n’empiètent par sur la liberté des autres. L’utilitariste agrège les préférences des gens pour soutenir des politiques qui permettraient le plus grand bonheur du plus grand nombre. Je rejette ces deux

« S’il est injuste pour un pays d’empêcher sa population d’en sortir, pourquoi est-il juste pour un pays d’empêcher des étrangers d’y entrer ? » 118 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

Sélect. En janvier 2015, Michael Sandel est l’invité de la prestigieuse Oxford Union Society, un « club de débat » fondé en Angleterre en 1823.

Biographie

ROGER ASKEW/REX/SIPA - RICK FRIEDMAN/POLARIS/STARFACE

1953 Naissance 1980 Professeur de philosophie politique à Harvard. 1982 « Le libéra-

lisme et les limites de la justice » (Seuil, 1999). 2009 « Justice » (Albin Michel, 2016). 2011 « Personnalité étrangère de

l’année » pour China Newsweek. 2012 « Ce que l’argent ne saurait acheter » (Seuil, 2014, réédition en « Points », 2016).

théories au motif qu’aucune n’examine de façon critique les préférences et intérêts eux-mêmes. Aucune des deux théories ne se demande si des préférences sont valables et doivent être satisfaites tandis que d’autres ne le seraient pas. Les libertariens comme les utilitaristes soutiennent d’ailleurs le libre jeu des marchés, car les marchés prennent bien les préférences en compte, mais sans les juger ni les évaluer. Je soutiens qu’une vie bonne – pour une personne comme pour une communauté politique – implique que nous nous interrogions sur la valeur morale des préférences que nous voulons soutenir. La politique doit nécessairement passer par ces jugements moraux. Nous ne pouvons laisser notre jugement moral évoluer à la seule faveur des marchés. Nous devons délibérer, en citoyens, sur les visées et les fins qui sont dignes de nous. Nous devrions, concrètement, être plus engagés dans la confrontation des jugements moraux, cette confrontation étant inévitable dans les sociétés pluralistes. Depuis la première édition de « Justice » en 2009, où vous vous inquiétiez déjà des inégalités croissantes, ce thème a pris de plus en plus d’importance.

Ces dernières décennies, les inégalités de richesse et de revenu se sont accrues. Globalement, le 1 % le plus riche possède aujourd’hui plus de richesses que les autres 99 %. Dans la

Exigence civique. Michael Sandel à l’université Harvard en 2009.

plupart des sociétés démocratiques, la plus grande partie de la croissance économique a favorisé les plus aisés. Il y au moins deux raisons de s’inquiéter de la croissance des inégalités. L’une relève de la justice à l’égard des plus défavorisés et de ceux qui se trouvent au milieu de l’échelle des revenus. Un nombre croissant de personnes modestes se trouvent dépourvues d’éducation de qualité, de soins décents, de logement, de sécurité, de voix significative dans le débat public. Une deuxième raison de s’inquiéter ne procède pas de la justice mais de la cohésion sociale. Quand le fossé entre riches et pauvres devient trop large, les favorisés et les modestes vivent des vies de plus en plus séparées. Ils vivent, travaillent, consomment et se distraient à des endroits distincts. Leurs enfants vont dans des écoles différentes. Il existe ainsi de moins en moins d’espaces publics communs dans lesquels des gens d’origines sociales diversifiées se rassemblent et se rencontrent. Ce séparatisme a des impacts négatifs sur la solidarité sociale et la citoyenneté partagée. Cette séparation sape les expériences partagées de la vie quotidienne dont la démocratie a besoin. La France est plutôt réticente à ce que vous baptisez le « fondamentalisme du marché ». Quel regard portezvous sur nous ?

Ma critique du fondamentalisme du marché est bien



Le Point 2274 | 7 avril 2016 | 119

PHILOSOPHIE

La « rock star de la morale » Les écrits de Michael Sandel ont été traduits en 27 langues. Son livre « Justice » s’est déjà vendu à plus de 3 millions d’exemplaires. Son cours « Justice », premier cours de Harvard à avoir été rendu accessible gratuitement en ligne et à la télévision, a été vu par des millions de personnes dans le monde entier. A Séoul, en Corée, 14 000 personnes se sont rassemblées pour l’écouter.

Magistral et interactif. Conférence à Harvard, relayée sur Internet.

« Justice » se termine sur les sujets du patriotisme et de l’immigration. Que pensez-vous du sujet très sensible des migrants en Europe ?

Les crises des réfugiés et de l’immigration nous forcent à reconsidérer quelques-unes des questions les plus fondamentales de la philosophie politique. Quelle est la signification morale des frontières nationales ? Devons-nous nous préoccuper d’abord du bien-être de nos concitoyens ou de celui d’autres êtres humains ? Le patriotisme est-il une vertu ou un vice ? S’il est injuste pour un pays d’empêcher sa population d’en sortir, pourquoi est-il juste pour un pays d’empêcher des étrangers d’y entrer ? Une grande partie du débat autour de l’immigration relève de l’économie. L’immigration amène-t-elle pertes d’emploi et baisses de salaire pour les travailleurs en place, ou impose-t-elle un fardeau aux services sociaux ? Mais quelque chose de plus profond est en jeu. Les débats sur l’immigration sont passionnés parce qu’ils touchent, en fin de compte, à l’identité nationale, à la

120 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

communauté, à l’appartenance. Qu’est-ce qui caractérise la communauté politique ? Qu’est-ce qui nous unit en tant que peuple ? L’arrivée d’immigrants en grand nombre va-t-elle miner la cohésion sociale et les valeurs partagées ? Certains soutiennent que l’accueil d’immigrants de diverses origines culturelles peut enrichir l’identité nationale plutôt que l’éroder. Je n’ai pas de réponse simple à ces questions, mais il importe d’élever les termes du débat, en l’abordant sur la base de principes plutôt que de la seule peur. Comment expliquez-vous le succès extraordinaire de votre livre ?

Je suis étonné de la réception de cet ouvrage. Jamais je n’aurais imaginé qu’un livre de philosophie politique toucherait des millions de lecteurs. Quelles que soient ses propres qualités, son succès est dû à des facteurs que je ne contrôle pas. En ce moment, dans le monde entier, il y a une grande soif de débat public sur des questions philosophiques fondamentales. Aujourd’hui, dans presque toutes les sociétés démocratiques, les citoyens sont frustrés par la politique. Les gens sentent, à juste titre à mon avis, que les partis et responsables établis ne parviennent pas à répondre aux grandes questions essentielles : sur la justice, le bien commun, et ce que cela signifie d’être un citoyen. Le discours public est en grande partie vide de sens moral. Il consiste, trop souvent, soit en prises de parole technocratique et étroite, qui n’inspirent personne, soit en empoignades entre partisans qui parlent les uns à côté des autres sans s’écouter. Nous manquons de débats raisonnés sur des principes concurrents. Mon livre s’adresse, à ce titre, aux chercheurs, mais aussi aux citoyens qui se soucient des affaires publiques, et qui aspirent à un discours public plus profond, plus engagé sur le plan éthique. J’espère ainsi contribuer, de façon modeste, à élever et à revitaliser le discours public démocratique § PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN DAMON

DR

plus acceptée en France qu’ailleurs. Dans d’autres pays (dont le mien !), je rencontre davantage de résistances quand j’indique qu’il faut des limites au marché et aux relations de marché. Le principe de solidarité, que je tente d’encourager, est bien plus apprécié en France qu’ailleurs. J’ai cependant l’impression que la France, comme de nombreuses autres démocraties, fait face à un certain épuisement des idées politiques. Les idéologies qui ont structuré et animé le débat politique dans l’Europe d’après guerre ont perdu leurs capacités d’inspiration. Depuis la chute du mur de Berlin, et spécialement depuis la crise financière de 2008, nous sommes en quête d’une nouvelle philosophie publique. Nous avons besoin, à cet effet, de revigorer le discours public, en traitant plus directement des questions morales. Il y a là un défi central pour les démocraties à travers le monde. Dont la France. …

Extraits de « Justice » (Albin Michel) La pom-pom girl handicapée et Aristote

véridiques mais trompeuses – à un meurtrier qui tambourine à la porte ou devant une commission parlementaire – sont moralement admissibles sur un mode auquel ne peuvent prétendre des mensonges éhontés. Peut-être estimez-vous que la position de Kant est peu plausible et que je me suis donné trop de peine à établir le contraire. La distinction entre un mensonge direct et une vérité trompeuse contribue cependant à éclairer le sens de la théorie morale de Kant ; en même temps qu’elle donne l’occasion d’un étonnant rapprochement entre Bill Clinton et le moraliste austère de Königsberg.

Qui mérite quoi ? Callie Smartt était une pom-pom girl très appréciée à Andrew High School, dans l’ouest du Texas. Elle souffrait d’un handicap moteur d’origine cérébrale et se déplaçait en fauteuil roulant, mais cela n’entamait en rien l’enthousiasme qu’elle parvenait à communiquer aux joueurs de l’équipe de football et à ses fans, par sa présence pleine d’entrain sur le bord de la touche, lors des matchs de l’équipe junior. A la fin de la saison, Callie fut cependant renvoyée du groupe. (…) La querelle des pom-pom girls a l’allure d’un Les dilemmes moraux de notre temps cours accéléré sur la justice chez Aristote. Dans la philoso- Que nous débattions du renflouement des banques ou des phie de ce dernier, on retrouve deux idées centrales, qui fi- conditions présidant à l’attribution d’une décoration miligurent aussi dans la discussion concernant le cas de Callie. taire, des mères porteuses ou du mariage homosexuel, de la 1. La justice est téléologique. Définir des droits exige que discrimination positive ou du service militaire, des salaires des patrons du CAC 40 ou du droit d’utiliser nous identifions le telos (la finalité, le but ou la une voiture de golf lors d’une compétition, les nature essentielle) de la pratique sociale en question. 2. La justice est honorifique. Réfléquestions de justice appellent toujours une réflexion sur les notions d’honneur et de vertu, chir au telos d’une pratique – ou se disputer à de fierté et de reconnaissance. La justice ne son propos – revient, du moins en partie, à rénous renvoie pas seulement à la question de fléchir ou à débattre pour déterminer quelles savoir comment répartir des biens. Elle exige vertus cette pratique devrait honorer. (…) Supaussi de nous que nous sachions les évaluer. posez que nous soyons en train de répartir des La vie, dans les sociétés démocratiques, est flûtes. Qui devrait recevoir les meilleures ? Aristraversée de désaccords sur le bien et le mal, le tote répond : ceux qui en jouent le mieux. Il sejuste et l’injuste. Certains sont en faveur du rait injuste de faire des distinctions sur quelque droit à l’avortement, d’autres y voient la légiautre critère, tel que la richesse, la noblesse de « Justice » de Michael J. Sandel la naissance ou la chance. Aristote estime que timation d’un meurtre. Certains estiment qu’il (Albin Michel, les meilleures flûtes doivent revenir aux meilest équitable de taxer les riches pour secourir 416 p., 21,50 €), les pauvres, d’autres trouvent injuste au leurs joueurs parce que tel est ce pour quoi les contraire d’imposer des revenus que les gens flûtes sont faites : être bien jouées. ont acquis à force d’efforts. (…) Certains voient en la torture de personnes soupçonnées de terrorisme une abomination Clinton, Monica Lewinsky et… Kant Kant aurait-il défendu Bill Clinton ? L’avocat du président morale indigne d’une société libre, quand d’autres la déconcéda, comme l’avait fait avant lui Bill Clinton, que la re- fendent si, en dernier ressort, elle peut permettre de prévelation avec la stagiaire était un mal, qu’elle était inappropriée nir une attaque terroriste. Ces désaccords peuvent faire et condamnable et que les déclarations du président à ce pro- basculer une élection, déclencher des guerres dites « cultupos « avaient induit en erreur et trompé » le public. Il refusa relles ». Vu la passion et l’intensité qui animent ces débats de concéder une seule chose, que le président avait menti. (…) moraux, on pourrait croire que nos convictions morales L’échange très vif sur la question du mensonge – « a-t-il menti ? » sont déterminées une fois pour toutes, par notre éducation – accrédite l’idée kantienne qu’il y a, entre un mensonge et ou notre foi, et qu’elles se tiennent hors de portée de la raiune vérité trompeuse, une différence morale significative. La son. Si cela est vrai, alors l’idée de persuasion morale n’audifférence, à mon avis, se tient là : une esquive savamment rait aucun sens, et ce que nous pensons être des débats publics conçue rend hommage au devoir de véridicité d’une manière sur la justice et les droits ne seraient rien d’autre qu’une voqui est tout à fait étrangère au mensonge direct. Dans les lée d’affirmations dogmatiques, une simple bataille de tartes termes de la théorie morale de Kant, des déclarations à la crème idéologique §

« Kant aurait-il défendu Bill Clinton [dans l’affaire Lewinsky] ? (…) Dans les termes de la théorie morale, des déclarations véridiques mais trompeuses sont moralement admissibles. » Le Point 2274 | 7 avril 2016 | 121

CHRONIQUE

Le crash du tapis volant L’écrivain s’interroge sur l’absence de la science-fiction dans le monde arabe.

C

ap sur un sujet inattendu : la science-fiction « arabe » existe-t-elle ? Pendant ses années de jeunesse, ce fut cette littérature qui sauva l’auteur des mythes féroces de sa culture : difficile, en effet, d’imaginer le ciel hors du religieux sauf avec la science-fiction. A force, cela a abouti à une sorte de passion : les grands auteurs y défilaient comme des éclaireurs pour libérer un imaginaire pris en otage entre le religieux et l’épopée de la guerre de libération. Au ciel on n’avait pas de nationalité et c’était tant mieux. Et l’Univers redevenait une interrogation et pas une agaçante réponse. Sauf qu’avec l’âge on épuise la capacité de s’enthousiasmer pour les variantes de « 2001, l’odyssée de l’espace ». Il faudra de grands chocs d’érudits comme Dan Simmons pour retrouver le frisson stellaire. Cela mène, enfin, à la question : pourquoi il n’y a pas (ou presque, dit le Net) de romans de science-fiction « arabes » ? Voilà une géographie ancienne où l’imaginaire a le statut d’un empire irriguant une botanique du Paradis imaginaire, avec ses vierges et ses rivières de vin, où les fameuses Mille et une nuits sont une alternative au verrouillage des sens, et qui n’arrive pas à habiter une capsule, un vaisseau ou à aller au-delà du calendrier lunaire. Le mystère reste entier malgré quelques pistes. La première thèse est que, pour voyager dans l’espace, il faut libérer le ciel. La métaphysique, trop envahissante, est nécessairement le contraire de l’astronomie. L’Occident le sait, lui qui a mis des siècles à démonter la mécanique cosmique de Ptolémée. A cela s’ajoute cette colonisation des étoiles par les cosmogonies religieuses : comment retrouver de l’infini et y étendre le linge de ses fantasmes quand le ciel est surpeuplé d’anges et de prophètes ? Quand Dieu est partout, le cosmonaute n’est nulle part. On le sait depuis un siècle là aussi. Peut-être aussi que cela est dû au rapport au temps : pour la science-fiction, le temps est prétention, annonce, énigme et avenir. Dans le monde religieux, le temps est restauration, chute, éloignement : on le remonte pour retrouver le paradis alors que, pour le cosmonaute, on le descend pour restaurer l’énigme immense du monde. Ici, l’utopie est placée dans les

temps anciens, elle fonctionne à la nostalgie, pas à la conquête. A cet art aussi il faut la possibilité d’un soupçon solide et légitime (grâce aux sciences) sur les origines et les fins. Dans un monde fermé, Arthur C. Clark n’aurait pas pu faire rêver des lecteurs convaincus que l’homme descend d’un verbe. L’auteur de ce darwinisme cosmique aurait (mal) fini. La science-fiction ne suppose pas seulement le goût pour la technologie mais surtout la tolérance à la fiction. En arabe, le mot se traduit littéralement par ombre, spectre, ce qui n’est pas réel, ce qui est le contraire du corps, ce qui est futile. La fiction n’a pas d’ontologie respectée mais le statut d’une faribole. L’imaginaire dans le territoire de l’enfance du chroniqueur était certes vaste, mais il se rétrécissait sous l’effet des propagandes religieuses ou nationalistes, là où les amours orientalistes et les champs éditoriaux le déployaient comme exotisme en Occident. Entre les deux, une science-fiction « arabe » était une impossibilité, presque autant que la basse littérature sur les ovnis ou les mystères des surhommes. Vers l’arrière, une Genèse expliquait le monde comme un acte divin et, vers le futur, le monde était verrouillé par une fin du monde depuis longtemps annoncée. L’ascension n’était pas celle des vaisseaux mais des âmes et des prières ; le ciel était une colonie d’anges et les étoiles un éparpillement de luminaires. Enfin, le monde religieux est nombriliste et n’aime pas qu’on remette en question le royaume-terre de Dieu où l’homme est logé comme centre du monde. L’Occident le sait. La science-fiction est née quand les dieux sont tombés par terre ; dans le monde du chroniqueur, cela n’était pas encore arrivé. La science-fiction est toujours passible d’hérésie. En conclusion, le tapis volant avait bien été inventé il y a des siècles avec les contes perses et « arabes » mais il n’a jamais osé l’hérésie du voyage vers les étoiles. Seuls la mort et les prophètes le pouvaient et y gardaient le monopole de fait. Rêve ancien : écrire le manuel du cosmonaute « arabe » perdu dans l’espace. Dans quel sens diriger les prières ? Comment faire des ablutions en orbite ? Que signifie l’arabité face à l’infinité et que faire de la Lune quand elle ne sert plus à scander le calendrier ? Etc. §

Quand Dieu est partout, le cosmonaute n’est nulle part. 122 | 7 avril 2016 | Le Point 2274

ILLUSTRATION : ANTOINE DUSAULT POUR LE POINT

PAR KAMEL DAOUD

St-Florent-Oletta Propriété exceptionnelle, 16 000 m² Maison de maitre en pierre de taille de 350 m², piscine, source et ancien lavoir, vue mer, coup de cœur assuré. Aéroport de Bastia à 30 minutes. DPE : E. Réf. : V1781. Prix : 1 950 000 €.

Porto-Vecchio

Vue mer extraordinaire, villa de 5 chambres + garage, très beau terrain arboré de 2500 m², calme. Beaucoup de cachet et potentiel, droit à bâtir résiduel. DPE : N/C. Réf. : V1777. Prix : 980 000 €.

St-Florent Aux portes des Agriates. Propriété de 3 ha.

PROPRIÉTÉS CORSES SOTHEBY’S INTERNATIONAL REALTY 06 43 43 44 45 WWW.PROPRIETESCORSES.FR

PROPRIÉTÉS CORSES SOTHEBY’S INTERNATIONAL REALTY 06 43 43 44 45 WWW.PROPRIETESCORSES.FR

PROPRIÉTÉS CORSES SOTHEBY’S INTERNATIONAL REALTY 06 43 43 44 45 WWW.PROPRIETESCORSES.FR

Maison de maitre et dépendances en pierre de taille, 300 m², piscine. Plages et port de plaisance à 15 min. Aéroport de Bastia à 50 minutes. DPE : E. Réf. : V1785. Prix : 1 890 000 €.

Paris 10ème - Paradis / Faubourg Saint-Denis Paris 16è - Auteuil Dans un imm. récent de standing, au Neuilly Bel appartement meublé style loft de 100 m² en parfait état. Grande pièce à vivre. 2/3 chambres. Calme. Beaux volumes. DPE : N/C. Réf. : PP2-034. Prix : 900 000 €.

2è étage, 116 m². Vaste séjour, cuisine dînatoire, 2 chambres, bureau, salle de bains. Plan parfait. Nombreux rangements. Parking possible. DPE : E. Réf. : PO1-633. Prix : 1 095 000 €.

Exclusivité. Sectorisé collège et lycée Pasteur. Sud Ouest. Appt. familial 155 m² avec balcons filants. Salon, SàM. 4 ch. bureau, 2 SdB, cave. Parquet, moulures, cheminées. DPE : C. Réf. : PO2-588. Prix : sur demande.

PROPRIÉTÉS PARISIENNES SOTHEBY’S INTERNATIONAL REALTY 06 01 34 45 62 WWW.PROPRIETESPARISIENNES.FR

PARIS OUEST SOTHEBY’S INTERNATIONAL REALTY 01 77 37 67 67 WWW.PARISOUEST-SOTHEBYSREALTY.COM

PARIS OUEST SOTHEBY’S INTERNATIONAL REALTY 01 46 43 18 28 WWW.PARISOUEST-SOTHEBYSREALTY.COM

Neuilly - Longchamp

Imm. moderne de standing, 4ème étage, appt. rénové par architecte. Réceptions exposées Sud, cuisine US, master. Lumineux, vue dégagée. Cave, poss. parking. DPE : N/C. Réf. : PO3-528. Prix : 1 250 000 €.

Ile Maurice Côte

ouest, dans la ville de Rivière Noire. Appt. neuf 173 m² dans la seule marina de l’Ile. Au RdC. pieds dans l’eau. 3 ch. Ponton privé et accès direct mer. Permis de résidence Mauricien & fiscalité légère. Prix : $ 1,073,123

Antheor

PARIS OUEST SOTHEBY’S INTERNATIONAL REALTY 01 41 43 06 46 WWW.PARISOUEST-SOTHEBYSREALTY.COM

SOTHEBY’S INTERNATIONAL REALTY FRANCE-MONACO 01 47 27 51 77

CÔTE D’AZUR SOTHEBY’S INTERNATIONAL REALTY 04 92 92 12 88 WWW.COTEDAZUR-SOTHEBYSREALTY.COM

Entre Cannes et Saint-Tropez, au sein d’un domaine privé, villa de 200 m² sur 1 152 m² de terrain piscine, terrasses, et vues mer panoramiques : salon, cuisine équipée, 3 ch. garage. DPE : N/C. Réf. : CAN353. Prix : 1 280 000 €.

www.sothebysrealty-france.com

+ 80/0/ AGENCES DANS LE MONDE, + 40/ AGENCES EN FRANCE © 2016 Sotheby’s International Realty France. Tous droits réservés. Sotheby’s International Realty France est exploitée par Fortitude SARL et sous licence de Fortitude AG. Sotheby’s International Realty est une marque déposée licenciée à Sotheby’s International Realty France. Chaque agence est une entreprise indépendante exploitée de façon autonome. Toutes les informations sont de nature non-contractuelle, et sujettes à erreur, omission et changement, incluant le prix ou le retrait sans avertissement.

MUTUELLE SANTÉ PRÉVOYANCE

J’AI CHOISI

www.antigel.agency - 00209 - Photo © Hervé Thouroude. Document non contractuel.

MA SANTÉ, C’EST SÉRIEUX.

MGEN ” Quand on est sportif de haut niveau, la santé c’est essentiel. Et se sentir bien protégé est un réel avantage sur le chemin de la victoire. C’est pourquoi je ne m’entoure que des meilleurs. Pour son engagement, pour sa solidarité, pour la performance de sa protection santé et la qualité de son accompagnement, j’ai choisi MGEN.” MARTIN FOURCADE, Champion du Monde et Champion Olympique de biathlon.

mgen.fr MGEN, Mutuelle Générale de l’Education Nationale, n°775 685 399, MGEN Vie, n°441 922 002, MGEN Filia, n°440 363 588, mutuelles soumises aux dispositions du livre II du code de la Mutualité - MGEN Action sanitaire et sociale, n°441 921 913, MGEN Centres de santé, n°477 901 714, mutuelles soumises aux dispositions du livre III du code de la Mutualité.

View more...

Comments

Copyright ©2017 KUPDF Inc.
SUPPORT KUPDF