L’interprétation comptable

September 18, 2017 | Author: Rholam Tarik | Category: Directive (European Union), Accounting, Depreciation, Taxes, Reading (Process)
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La quasi-majorité des ouvrages en matière comptable ne comporte pas une définition de la comptabilité. Cela est-il dû à...

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ROYAUME DU MAROC INSTITUT SUPERIEUR DE COMMERCE ET D’ADMINISTRATION DES ENTREPRISES

MEMOIRE PRESENTE EN VUE DE L’OBTENTION DU DIPLOME NATIONAL D’EXPERT COMPTABLE PAR

Brahim CHAOUI

.

NOVEMBRE 2006

Je dédie ce mémoire à la mémoire de ma grand-mère Lalla Zineb. .

REMERCIEMENTS Au terme de ce travail, il m’est agréable d’exprimer mes remerciements envers tous ceux et toutes celles qui ont contribué de quelque manière que ce soit à son aboutissement. Je tiens à exprimer ma profonde gratitude à mon Directeur de Recherche Monsieur Mohamed HDID. Je le remercie vivement de m’avoir fait confiance, de m’avoir encadré et fait bénéficier de son savoir et son expérience. J’exprime ma gratitude et tout mon respect à ma famille et spécialement à ma Mère pour sa générosité et sa bonté, mon Père pour sa présence et ses nombreux conseils ainsi que Dada qui est une deuxième mère pour moi, ma sœur Lamiaa, mes frères Mohamed et Mehdi et enfin mon neveu Karim. Mes remerciements s’adressent également à l’ensemble des membres du jury qui ont bien voulu évaluer mon travail. Je voudrais également rendre un hommage particulier à la Direction, au corps professoral et au personnel de l’ISCAE pour les efforts qu’ils déploient pour la réussite du cycle d’expertise comptable et plus particulièrement à Madame SAÏDA. Je ne saurais terminer sans remercier tous mes collègues d’études et de travail pour leurs commentaires pertinents, leurs conseils et aides précieux.

Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Sommaire

Sommaire Page INTRODUCTION GENERALE.

9

PREMIERE PARTIE : L’interprétation comptable à partir de la théorie comptable.

12

Introduction.

13

Chapitre 1 : Etude du concept de l’image fidèle.

15

Section 1 : Etudes préalables à l’analyse du concept de l’image fidèle.

16

Sous-section 1 : L’image comptable produit du système de représentation.

16

Sous-section 2 : Les origines historiques de l’image fidèle.

23

Sous-section 3 : Les concepts de régularité et de sincérité.

26

Sous-section 4 : L’image fidèle vue par le juge.

33

Section 2 : Analyse du concept de l’image fidèle. Sous-section 1 : Les obligations de dépassement de la présomption de fidélité.

39 39

………………..1. L’ajout d’informations complémentaires.

41

………………..2. La dérogation à l’image fidèle.

45

Sous-section 2 : Réflexion autour de la signification du concept romano.............................................germanique de « true and fair view ».

51

………………..1. Les dimensions d’appréciation du concept de l’image fidèle.

52

………………..2. Première Vision du concept de l’image fidèle : Une notion ……………….. confuse limitée par le déraisonnable dans son appréciation.

53

......

…… ……………… …… ..

4

Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Sommaire

………………..3. Deuxième vision du concept de l’image fidèle : Un souci de ………………… transparence passant par l’ETIC en juxtaposition aux notions de ……………… régularité et de sincérité.

57

4. Troisième vision du concept de l’image fidèle : Une vision réelle ………………… . par une traduction loyale de ce qu’est l’entreprise.

60

Chapitre 2 : Etude du cadre conceptuel implicite marocain.

62

Section 1 : Réflexion sur l’information comptable.

63

....

.



Sous-section 1 : Quelle place occupe l’information comptable aujourd’hui ?

63

Sous-section 2 : La satisfaction des besoins en informations financières de …………………………….tous les utilisateurs est-elle possible ?

68

………………..1. Les utilisateurs de l’information financière.

69

………………..2. Les besoins des utilisateurs de l’information financière.

72

………………..3. L’énigme de la conciliation des différents besoins des ……………… utilisateurs de l’information financière.

73

Sous-section 3 : Peut-on parler au Maroc, des caractéristiques de l’information …………………………..financière ?

74

Sous-section 4 : La dimension contractuelle et la dimension prédictive de ……………………………l’information financière peuvent-elles coexister ensemble ?

78

Section 2 : Existe-t- il un cadre conceptuel implicite dans la comptabilité marocaine ?

82

…………Sous-section 1 : L’histoire de la naissance de l’idéologie des cadres ………… ;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;conceptuels.

82

………….Sous-section 2 : Débat sur la théorie comptable.

86

………………..1. Critique de l’approche inductive.

87

………………..2. Avantages de l’approche déductive.

89

…………Sous-section 3 : La hiérarchie et la classification des textes ayant trait à la ………………………. …comptabilité au Maroc.

90

…………Sous-section 4 : La régulation comptable.

94

…………Sous-section 5 : Les concepts de valeur en comptabilité.

101

......

.....

… …… …… …… … .… …… …… …… …..…

.

… … ..

… … ..

;;;; ;;; ;;;.

5

Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Sommaire

………….Sous-section 6 : Les éléments du cadre conceptuel marocain.

105

Conclusion du la première partie.

106

DEUXIEME PARTIE : L’interprétation comptable d’après le raisonnement juridique et le jugement professionnel.

111

Introduction.

112

Chapitre 1 : L'interprétation comptable à partir du raisonnement juridique.

115

Section 1 : Etude préalable de la notion de « l’interprétation » en droit.

116

Sous-section 1 : Définition de « l’interprétation » et des notions voisines.

116

………………..1. Définition de l’interprétation.

116

………………..2. L’interprétation des contrats.

118

………………..3. L’argumentation.

121

Sous-section 2 : L’histoire des principales écoles de l’interprétation.

123

………………. .1. L’école de l’exégèse.

124

……………….. 2. L’école historique ou sociologique.

126

……………….. 3. L’école de la libre recherche scientifique.

129

Sous-section 3 : Les sanctions du droit comptable comme contrainte à

131

………………… ………......l’interprétation comptable. ……………….. 1. Les sanctions de la comptabilité irrégulière.

131

……………….. 2. Les sanctions des états de synthèse ne donnant une image fidèle.

135

Section 2 : Le raisonnement juridique.

140

Sous-section 1 : Les conceptions de l’interprétation.

140

Sous-section 2 : Le syllogisme juridique.

141

6

Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Sommaire

Sous-section 3 : Les directives interprétatives.

143

Sous-section 4 : Le comblement des lacunes en droit.

150

………………..1. L’argument a contrario.

151

………………..2. L’argument « a fortiori ».

152

………………..3. L’argument « a simili ».

153

Sous-section 5 : La solution des antinomies en droit.

155

Chapitre 2 : L'interprétation comptable à partir du jugement professionnel

159

Section 1 : Etude du jugement professionnel.

160

Sous-section 1 : Essai de définition du jugement professionnel. Sous-section 2 : Le jugement professionnel est un processus de prise de ………….décision. Sous-section 3 : Les qualités nécessaires au jugement de l’expert-comptable. Section 2 : Théories modérées du jugement professionnel.

162 165 167 174

Sous-section 1 : La théorie du développement moral cognitif.

174

Sous-section 2 : Théorie des conventions.

180

………………..1. Les hypothèses et postulats de la théorie des conventions.

182

………………..2. La convention comptable comme réponse à l’incertitude.

183

………………..3. Caractéristiques des conventions comptables.

185

………………..4. Dynamique.conventionnaliste.

186

Section 3 : Théorie opportuniste du jugement professionnel se basant sur la gestion des

189

données comptables. Sous-section 1 : Définition de la gestion des données comptables.

190

Sous-section 2 : La gestion des données comptables est-elle efficace ?

192

7

Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Sommaire

Sous-section 3 : La théorie comptable positive.

195

Sous-section 4 : Classification et étude des différents types de gestion des ……………………………données comptables.

199

………………..1. Lissage des résultats.

199

………………..2. Nettoyage des comptes.

201

………………..3. La comptabilité créative.

203

Sous-section 5 : Contraintes à la gestion des données comptables.

206

Sous-section 6 : La gestion des données comptables représente-t-elle un …………………………….danger ?

206

Conclusion de la deuxième partie.

210

CONCLUSION GENERALE.

213

ANNEXES

215

BIBLIOGRAPHIE

275

LEXIQUE ARABE – FRANÇAIS

287

RESUME

289

SOMMAIRE DES ANNEXES

290

8

Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. » Introduction générale.

Introduction générale La quasi-majorité des ouvrages en matière comptable ne comporte pas une définition de la comptabilité. Cela est-il dû à une négligence des auteurs ? La comptabilité est considérée à la fois comme une science, un droit, une technique et un art. Cette vision hybride démontre une certaine difficulté d’appréhension de la matière comptable et explique pourquoi aucune définition n’a su s’imposer à ce jour. Ce mémoire intitulé « l’interprétation comptable » vise l’obtention du titre national d’expert comptable. L’intitulé du titre visé qui se compose d’une juxtaposition des termes « expert » et de « comptable », nous rappelle notre métier de base qu’est la comptabilité. Le sujet proposé qui s’inscrit dans cette optique tente d’étudier les composantes du raisonnement interprétatif du professionnel comptable. L’interprétation peut être définie comme un processus ou une opération qui permet de déterminer le sens et la portée d’un texte. Dans la mesure où la comptabilité repose sur un ensemble de textes, il nous semble logique que lorsque nous nous prononçons sur un traitement comptable par exemple lors d’une consultation ou d’un commissariat aux comptes, nous nous basons sur une certaine compréhension que nous faisons de la lecture des textes. En appelant les choses par leurs noms : il s’agit d’une opération d’interprétation dans le domaine comptable. Quel que soit le soin que l’on ait mis à la rédaction d’un texte réglementaire comptable, il reste toujours sujet à des interprétations, au moins pour les raisons suivantes : Il est pratiquement impossible de réglementer chaque difficulté ou chaque combinaison de difficultés qui peut se présenter ; Les textes comptables peuvent quelquefois être ambigus, ce qui peut se traduire par des incohérences lors de leur interprétation ; La réglementation comptable permet parfois des choix comptables qui sont logiquement incompatibles parce qu’on ne peut s’entendre sur la meilleure méthode comptable à privilégier ; Il peut arriver que les directives soient inapplicables dans une situation particulière à laquelle on n’avait pas pensé au départ. Lors de l’exercice de notre profession nous accomplissons fréquemment des opérations d’interprétation en matière comptable, auxquelles nous essayons d’appliquer aux cas

9

Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. » Introduction générale. pratiques rencontrés les différents textes. Notre raisonnement est focalisé vers une solution optimale justifiée par des articles, des phrases ou des mots issus des différentes réglementations. Si l’on en croit Paul Valéry « nous ne raisonnons que sur des modèles ». Autrement dit, le juge qui juge, l’administrateur qui administre, le citoyen qui agit utilisent inconsciemment les uns et les autres des modèles. Le commun des mortels fonctionne lui-même par modèle. Le langage que nous utilisons comme principal moyen de communication est lui-même fondé sur des modèles. En droit plusieurs modèles et méthodes d’interprétation existent. Il nous semble que ces modèles sont dans une certaine mesure applicables à la matière comptable puisqu’il s’agit d’un droit autonome. La comptabilité comprend à la fois une composante théorique et une composante technique. La relation entre les deux composantes peut être représentée par un noyau comptable et une couronne externe ou encore sous forme d’une pyramide, dans la mesure ou les règles techniques doivent toujours respecter l’image fidèle et les principes comptables. Dans ce sens, toute interprétation comptable ne peut se faire que dans le respect de la théorie comptable. De plus, l’essence d’une profession libérale réside dans le fait que son exercice exige un niveau élevé de jugement. La valeur associée à l’information financière est influencée par la qualité des jugements professionnels de l’expert-comptable qui s’appuient sur les jugements formulés collectivement par l’ensemble de la profession dans les normes professionnelles. Le jugement professionnel se situe donc au cœur de l’exercice de l’expertise comptable. Il nous semble que l’interprétation en matière comptable, comme nous l’avons précisé cidessus, tient compte implicitement des trois dimensions suivantes :

La théorie comptable ; Le raisonnement interprétatif juridique ; Théorie comptable

Le jugement professionnel.

Raisonnement interprétatif juridique

Les dimensions de l’interprétation comptable

10

Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. » Introduction générale. L’étude que nous proposons de faire s’attachera à étudier de façon détaillée, premièrement l’interprétation comptable à partir de chacune de ces trois dimensions, et deuxièmement le concept de l’image fidèle que nous considérons comme le moyen de convergence des interprétations comptables issues de ces trois dimensions. Nous allons supposer comme hypothèses dans le reste de l’étude les éléments suivants : H1 :

L’image fidèle est un moyen de convergence entre les différentes dimensions de l’interprétation comptable ;

H2 :

La théorie comptable est une dimension de l’interprétation comptable ;

H3 :

Le raisonnement juridique interprétatif est une dimension de l’interprétation comptable ;

H4 :

Le jugement professionnel est une dimension de l’interprétation comptable.

Les deux premières hypothèses seront étudiées dans la première partie, la troisième et la quatrième hypothèse seront analysées dans la deuxième partie du présent mémoire.

11

Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Partie 1 :

12

Partie 1

Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Introduction partie 1

Introduction de la partie 1 A l’instar des modèles économiques, la comptabilité est une représentation formalisée et quantifiée d’une réalité économique. Quand on l’applique à l’entreprise, il s’agit plus précisément d’un système d’information « chargé de produire, en réponse à des besoins internes et externes (description du patrimoine et détermination du résultat de l’activité), une image pertinente de la situation financière de l’entreprise. »1 Sa coloration scientifique est indiscutablement soutenue par la rigueur formelle de la technique de la partie double. Celle-ci, née au XVème siècle avec PÀCIOLO, s'est trouvée couplée avec l'usage de la notion de « bilan » apparue au XIXème : Poussée à l’extrême jusqu'à une présentation matricielle des comptes traditionnels. Vers le début du siècle, le concept de l’image fidèle a fait son apparition en Angleterre, et a su s’imposer à travers le monde en tant que concept suprême de la comptabilité. Son introduction, de façon codifiée, corrélativement avec l’instauration d’une sanction lorsque celui-ci n’est pas atteint, dans les comptabilités du type romano-germanique, a soulevé un débat non encore clos sur sa signification et sa portée. L’utilisation de ce concept au niveau de l’interprétation n’est pas aussi évidente. Nous avons précédemment précisé que le présent mémoire a pour objectif d’analyser, premièrement l’interprétation comptable à partir de chacune des trois dimensions identifiées dans l’introduction générale (théorie comptable, raisonnement juridique et jugement professionnel) et deuxièmement le rôle de l’image fidèle comme vecteur de convergence entre les trois types d’interprétation découlant de chacune de ces dimensions. Nous tenterons à travers le premier chapitre de cette partie de déterminer la signification de ce concept novateur et évolutif selon les différentes visions qui lui sont généralement attribuées par la doctrine et les professionnels. Les significations dégagées de cette étude seront utilisées lors de l’analyse de chaque dimension. La première confrontation, entre les significations de l’image fidèle et chacune des dimensions de l’interprétation comptable, sera réalisée dans le second chapitre de cette partie où l’étude portera sur l’interprétation à partir de la théorie comptable.

1

Charles BIALES, in « Analyse économique et logique comptable. », 1984, journée de l’Association française de comptabilité (A.F.C), consacrée à l’évolution des pédagogies comptables.

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Introduction partie 1

Le monde de l’information financière a connu un véritable tremblement de terre avec des scandales de dimension mondiale : Enron, Andersen, Worldcom, Parmalat,… Dans tous ces scandales ont été mis en cause différents acteurs de la chaîne de production, de validation et d’utilisation de l’information financière : responsables comptables et financiers, présidents et directeurs généraux, auditeurs, analystes financiers et banquiers d’affaires. L’information financière constitue, à l’heure de la mondialisation des marchés financiers, une matière première fondamentale pour la prise de décision des investisseurs. L’étude de la dimension scientifique de la comptabilité sera consacrée en premier, à l’appréhension de l’information comptable par la théorie comptable et la place qu’elle occupe actuellement dans tous les cadres conceptuels existants. La seconde section de ce chapitre traitera de la notion de cadre conceptuel, création d’assise scientifique de la théorie comptable. Nous tenterons de démontrer que les composants essentiels d’un cadre conceptuel de forme implicite sont contenus dans le Code Général de Normalisation Comptable.

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 1:

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Chapitre 1 partie 1

Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 1 partie 1

11.. E ET TU UD DE ESS PPR RE EA AL LA AB BL LE EA AL L’’A AN NA AL LY YSSE ED DU UC CO ON NC CE EPPT TD DEE L L’’IIM MA AG GE E FFIID DE EL LE E.. Nous avons préféré développer dans une première section les études préliminaires relatives à l’image fidèle, que nous utiliserons dans la section suivante lors de l’analyse du concept. La présente section traitera de la notion « d’image comptable » dans une première sous-section car nous estimons que ce concept se subdivise en deux éléments « image comptable » et « fidèle », ensuite nous traiterons des origines historiques de l’image fidèle dans la mesure où le concept est emprunté au modèle anglo-saxon qui traditionnellement à une autre vision des choses, nous aborderons ensuite les anciens concepts français de « la régularité » et « la sincérité » qui se rapprochent de la notion d’image fidèle et qui sont toujours rémanent dans notre législation marocaine, en dernier lieu nous essayerons d’analyser les rares arrêts qui se sont aventurés à traiter l’image fidèle. 11..11.. L C L’’IIM MA AG GE E CO OM MPPT TA AB BL LE E R RE EPPR RE ESSE EN NT TA AT TIIO ON N..

PPR RO OD DU UIIT T

D DU U

SSY YSST TE EM ME E

D DE E

La discipline comptable est avant tout un système de représentation2 de la réalité économique. Il nous semble que cette affirmation, qui ne peut être omise par n’importe quelle définition de la comptabilité, constitue le caractère permanent de cette discipline depuis son émergence à nos jours. Certes, la pratique de l’entaille vieille d’au moins quarante millénaires ou le codex accepti et expensi romain sont fondamentalement différents de nos écritures et de nos états de synthèses d’aujourd’hui, toutefois ce constat ne voudrais pas dire que ces sortes d’aide mémoire ne sont pas des formes de comptabilité primaire au motif qu’ils ne ressemblent en rien à notre comptabilité du 20ème siècle ou du moins à la comptabilité vénitienne du 15ème siècle. Ces deux formes de comptabilité sont des systèmes de représentation de la réalité économique et d’ailleurs, on ne peut commencer à parler de comptabilité que lorsqu’un tel système existe. Jean Guy Degos3 précise dans ce sens que l’on ne peut situer la naissance de la comptabilité qu’à partir du moment où une civilisation est capable de reconnaître et d’utiliser les bijections. Ces systèmes de comptabilités primaires se sont développés par stratifications successives depuis leur apparition dans un enchaînement logique, orienté et génial donnant naissance aux 2 Nous avons opté pour l’expression « système de représentation » formée d’une juxtaposition des termes suivants : - Système : en raison premièrement de la complexité et du dynamisme de la représentation, et deuxièmement en raison de l’hétérogénéité de la nature des mécanismes et des règles qui sont soient objectives, subjectives ou hybrides ; - Représentation : les termes utilisés par plusieurs auteurs comme quantification nous semble non adéquat en l’espèce. Il nous semble que le choix du terme est indirectement lié au débat de la nature de la comptabilité comme science, art ou droit. Notre vision des choses en cette question est la nature hybride de cette discipline, ce qui explique en partie le choix du terme utilisé. 3

Cité par Robert OBERT, in « La construction du droit comptable. », 1999, http://perso.wanadoo.fr/robert.obert. (Mis à jour à mars 2006).

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 1 partie 1

mécanismes et règles comptables et forgeant ainsi le langage comptable fondamental d’aujourd’hui. L’image comptable est en quelque sorte le produit du filtrage de la réalité économique par le système de représentation. Le schéma suivant illustre clairement nos propos. REALITE

SYSTEME DE REPRESENTATION

IMAGE COMPTABLE

Etant un output d’une représentation, l’image comptable obtenue ne peut être que lacunaire. Il nous semble que cette situation est due aux faiblesses inhérentes à n’importe quel système de représentation, dans la mesure où chaque système comprend implicitement une série de choix qui ont été tranchés lors de l’élaboration du système ou lors de son développement. Les grands choix implicites des modèles comptables peuvent à notre avis être résumés dans les points suivants : Dimensions du système : L’image issue ne peut refléter au mieux que les dimensions du système de représentation choisies, parce que la réalité est de nature très complexe et multidimensionnelle. Ceci explique par exemple pourquoi les dimensions sociales et humaines manquent de reflets comptables ; Sélection des agrégats : L’intérêt d’une représentation est de présenter de façon synthétisée les agrégats de la ou les dimensions qu’on cherche à étudier. Dans ce sens l’image issue de cette synthétisation sera impactée par le choix des agrégats. En comptabilité, ces deniers sont principalement les états de synthèse, qui sont différents d’un pays à l’autre ; Conventionnalisme interne : Les mécanismes, règles et langage régissant la représentation découlent elles aussi d’un choix implicite, car la stabilité et l’utilisation généralisée de la représentation ne peuvent être assurées qu’à travers un certain conventionnalisme. Les principes et règles d’évaluation ne relèvent pas d’une logique exacte, mais d’un choix du législateur. Certains d’entre eux sont érigés au rang d’axiome et d’autres sont déduits à partir des autres ; Degré de simplification : Le degré de précision de la représentation est intiment lié au besoin informationnel en terme de nature, temps et coût. La simplification ou la sophistication de chacun des mécanismes ou des règles dépendra à son tour d’un choix. Le degré de simplification entraîne un degré d’arbitraire4. « Substrat du fonctionnement économique d’une communauté, les normes comptables sont socialement déterminées, elles résultent des choix culturels, économiques et sociaux d’une 4

« La mesure de l’amortissement n’est pas susceptible d’être résolu car la répartition de l’estimation de la dépréciation d’un bien n’échappera jamais à l’arbitraire ; toutefois, sans méthode de répartition systématique de l’amortissement entre les exercices, comment arrêter les prix des produits ? », François PASQUALINI, in « Principe de l’image fidèle en droit comptable », 1992, Litec, Paris.

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 1 partie 1

communauté. »5 En concourant à cet ordre social, les normes comptables ne sont et ne seront jamais neutres. Si nous introduisons cette idée de choix dans notre définition nous dirons alors que l’image comptable est une réalité reconstruite à partir d’un système de représentation socialement déterminé. « La comptabilité loin d’être une science exacte, est un art du consensus. »6 L’image issue de ce système de représentation est malheureusement inférée par la fiscalité et l’orientation des dirigeants. La deuxième inférence relative à l’intervention volontaire des dirigeants à travers les manipulations comptables qui est en mesure de transformer radicalement cette image dans un sens orienté et opportuniste sera traitée ultérieurement. Nous allons ci-après essayer d’exposer la première. « Avant 1914, en Europe, les pratiques statique et dynamique régnaient en maîtres quasi absolus sur l’univers des comptables, mais la première guerre mondiale de 1914-1918 oblige les belligérants à inventer de nouvelles sources de revenus pour financer les gigantesques déficits publics. C’est à cette époque que naissent, sans une farouche résistance des capitalistes, les premiers impôts sur le revenu des entreprises. Dès lors, tout naturellement, le Fisc va s’intéresser à ce qui lui paraît la meilleure source d’information sur le résultat de ses chers contribuables : la comptabilité. »7 Richard7 distingue les trois grandes périodes suivantes, relatives au choix du type de comptabilité par le Fisc français : Avant 1925 : La période dynamique où la comptabilité fiscale s’efface devant la comptabilité dynamique ; Entre 1925 et 1959 : La période « de la distanciation subie » où la comptabilité fiscale va être ajustée pour prendre en compte des règles fiscales spécifiques tel que la règle des reports déficitaires fiscaux, dont la non prise en compte constituait une véritable provocation aux contribuables ; De 1959 à nos jours : La période séparatiste est caractérisée par la rupture avec l’idéal, aussi lointain soit-il, de convergence avec la comptabilité dynamique8 et l’affirmation de son autonomie. L’heure a sonné de l’utilisation de la fiscalité comme instrument de la politique économique de l’état. L’idéal dynamique est totalement abandonné, place est

5

Christine NOEL, in « La comptabilité est-elle une science immorale ? », Juin 2004, colloque de l’Université Catholique de Lyon sous le thème « Les enjeux du management responsable ». 6 Mathieu AUTRET, « La comptabilité peut-elle dire le vrai ? », 2003, La Gazette de la Société et des Techniques, n°22. 7 Jacques RICHARD, « Comptabilité et pratiques comptables », Dalloz, 1996, p 81. 8 « Les règles comptables qui ne heurtent aucune disposition expresse de la réglementation fiscale s’impose comme règle commune à la comptabilité et à la fiscalité. (…) Le droit comptable tient le droit fiscal en l’état pour autant que le texte fiscal n’y déroge pas expressément. » Abderraouf YAICH, in « Le nouveau droit comptable. », 1997, La Revue Comptable et Financière n° 36, Tunis.

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 1 partie 1

faite aux multiples manipulations fiscales dont les amortissements dérogatoires et les provisions9 pour investissement constituent les exemples les plus connus. Les études comparatives des systèmes comptables des grandes nations industrialisées démontrent qu’il existe deux grandes conceptions des rapports entre la comptabilité fiscale et les autres comptabilités. Il s’agit des systèmes en connexion et en déconnexion qui sont présentés ci-dessous : Connexion : C’est le système appliqué au Maroc. Il suppose que la fiscalité impose ses règles à la comptabilité. On parle dans ce cas de main mise de la fiscalité sur la comptabilité. Dans les années quatre vingt pour contrecarrer la montée de l’influence du droit fiscal, la comptabilité romano - germanique en quête d’assise juridique a cherché « progressivement son autonomisation par rapport au droit national »10. Toute fois contrairement à certains auteurs nous estimons que si l’autonomie juridique la situe aujourd’hui sur le même pied d’égalité que le droit fiscal, l’inférence est toujours présente11 ; Déconnexion : tout se passe comme s'il y avait deux comptabilités séparées. Une est publiée et l’autre transmise à l’Administration. Ce système est de règle dans les pays où la régulation boursière joue un rôle essentiel tel que les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne. Le schéma12 suivant expose cette vision des choses : (DCS : Données Complémentaires Spécifiques.) Mais la définition à ce stade nous semble encore incomplète, car elle omet le rôle du comptable et du lecteur des états financiers. « Il y a au départ, un inévitable degré de subjectivité, parce qu’il est inconcevable d’arriver à éliminer la sensibilité de celui qui transmet l’information ; il a établi cette dernière en fonction de la vérité qu’il s’est construite à partir de l’observation des faits réels.

9

L’inscription en comptabilité de l’amortissement dérogatoire, n’a pas véritablement de sens comptable pour les utilisateurs de l’information financière mise a part le Fisc, qui en tant que poids politique a réussit en France à influencer l’avis du CNC en 1986 pour la prise en compte de sa conception fiscale de la chose (la comptabilisation de l’amortissement est une condition de déductibilité). Il nous semble que la présence de ce compte dans le plan comptable marocain est le fruit d’une forte inspiration de la législation française, qui souhaitait de façon judicieuse satisfaire tous les utilisateurs. 10 Bernard COLASSE, in « L’évolution du droit comptable », Journée pédagogique de l ’AFC, ENS Cachan, 2004. 11 A titre d’exemple une des conditions de la déductibilité des provisions ou des amortissements est l’inscription en comptabilité. 12 Joseph RAYBAUD, in « l’architecture comptables, hier, aujourd’hui, demain… », 1986, Revue Française de Gestion, n°60, p 84.

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 1 partie 1

Les événements ne peuvent être présentés en eux même mais seulement exposés tels qu’ils ont été perçus par le rédacteur des comptes »13. Il nous semble que l’intervention du comptable dans cet état de subjectivité, se fera à travers les deux étapes suivantes : Interprétation et qualification des pièces : Les faits économiques ne sont enregistrés qu’après leur traduction en langage juridique. Une forme d’interposition du droit entre les phénomènes et leur traduction comptable est indéniable. « En elle-même, les pièces sont muettes. Elles ne prennent sens que par leur interprétation, et elles n’acquièrent de portée juridique que par leur qualification au regard du droit. »14 ; Opération des choix comptables : La comptabilité normalisée tout en forgeant un certain formalisme permet premièrement de nombreuses options, par exemple pour les opérations à long terme (achèvement ou avancement) ou encore la méthode de valorisation des sorties matières (CMP ou FIFO)… et deuxièmement une certaine liberté d’estimation tel que la fixation des taux d’amortissement15 ou l’estimation des provisions… ; Qu’en est-t-il du rôle du lecteur des états de synthèse ? Premièrement nous faisons l’hypothèse que cette personne ait au minimum les compétences nécessaires, parce que sinon l’information serait fortement biaisée par une vulgarisation excessive. En d’autre terme, l’information devra se faire dans le cadre du langage conventionné du système de représentation. En reformulant la question autrement, nous dirons : est-ce que l’image comptable formalisée par le système de représentation sera perçue de la même façon par n’importe quel lecteur averti ? Nous estimons que la réponse à cette question serait sans aucun doute négative, du moins pour les raisons suivantes : Interprétation du lecteur : L’image comptable perçue par le lecteur sera en fonction de l’interprétation qu’il se fera en lisant les états de synthèse matérialisés par écrit. La coexistence simultanée d’un écrit et d’un lecteur est le critère qu’on a retenu dans la deuxième partie pour la définition de la notion « interprétation » ; Unicité et globalité de l’image comptable pour le même lecteur : •

Unicité de l’image : Par exemple un commissaire aux comptes est tenu d’élaborer un rapport d’opinion où il se prononcera sur la fidélité de l’image comptable. Il nous semble que chaque lecteur se fera une seule et unique image. C’est dans ce sens, qu’on parle de l’unicité de l’image comptable pour le même lecteur. Dans le cas où il se trouverait en impossibilité d’émettre une opinion, cela voudrait-il dire qu’il ne s’est

13

François PASQUALINI, cit. op. Eric CAUSIN, in « Droit comptable des entreprises », 2005, Larcier. 15 En France, en 1987, le ministère des finances a chargé un groupe de travail pour l’étude des durées des amortissements. La conclusion du rapport « propose que le chef d’entreprise puissent choisir les durées d’amortissements qui lui paraissent justifiés. », in « Les Durées d’amortissement : rapport au Ministre d’Etat de l’économie, des finances et de la privatisation », présidé par Paul MENTRE, 1987, La documentation française, Paris. 14

20

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Chapitre 1 partie 1

pas fait une image comptable ? Il nous semble que la formalisation d’un déni d’opinion est en quelque sorte une formalisation d’une image comptable incomplète que le commissaire aux comptes s’est faite. En terme mathématique, cette caractéristique se traduirait par la phrase suivante : Chaque lecteur se fera au maximum une seule image comptable ; •

Globalité de l’image : Il nous semble que l’image comptable perçue par le lecteur averti, est construite à partir d’une succession d’image de chaque composant des états de synthèse pris isolément. L’image finale est une sorte de vision globale de l’ensemble de ces images.

« Tout professionnel comptable est, à l’évidence, un constructeur d’images ; il se trouvera donc, inévitablement confronté en permanence aux problèmes que soulève ce type d’activité : subjectivité, erreurs d’optique, bâclage ou perfectionnisme. S’il se veut honnête et sincère, il devra tout à la fois, pousser ses investigations avec rigueur, et décider, sous sa responsabilité, que son travail est achevé alors que celui-ci, en raison de l’essence même de l’image, est forcément imparfait : il existe toujours plusieurs reflets de la même réalité. »16 L’image comptable est construite progressivement avec une succession d’intervenants. Il est alors patent, d’après tout ce qui précède, « qu’elle est fondée sur deux états de subjectivité qu’unit une base d’objectivité. »17 Notre définition serait alors finalisée sous cette forme : L’image comptable est image imparfaite de la réalité économique perçue au premier niveau subjectivement par le rédacteur des comptes, saisie au deuxième stade objectivement à partir d’un système de représentation socialement déterminé, polluée fiscalement et orientée par les dirigeants de l’entreprise et en dernier lieu reconstruite subjectivement sous forme unique et globale par un lecteur averti. Le schéma suivant, met en exergue notre définition relative à l’image comptable et explicite les lacunes du paradigme comptable actuel dans la déperdition qualitative de la reconstruction de la réalité économique, à chaque passage d’un filtre à un autre. La pollution fiscale et l’intervention opportuniste des dirigeants ont été mises sous forme d’un bloc de couleur clair, aussi la réalité a été représentée sous forme de sphère. Pour mettre en relief le conventionnalisme interne de la comptabilité, qui est dû en grande partie au dimensionnement du système et la sélection des agrégats, nous avons établit qu’après chaque passage de la réalité économique à travers un filtre comptable, la forme est aplatit. Par ailleurs nous avons utilisé des couleurs de plus en plus claires, pour essayer de mettre en valeur la déperdition qualitative de l’information essentiellement due aux passage par les différents filtres qui biaisent d’une certaine manière la qualité informationnelle.

16 17

Joseph RAYBAUD, cit. op. François PASQUALINI, cit. op.

21

Vision du comptable de la réalité

- Conventionnalisme interne ; - Degré de simplification.

Lecteur averti

- Sélection des agrégats ;

- Interprétation par le lecteur ; - unicité et globalité de l’image comptable pour le même lecteur.

Image comptable

Etats de synthèse Filtre n°3

- Opération des choix comptables.

- Dimensions du système ;

Système de représentation

- Interprétation et qualification des pièces ;

Chapitre 1 partie 1

Filtre n°2

Filtre n°1

Réalité économique

Rédacteur des comptes

Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Etapes de construction

Etapes de la construction de l’image comptable

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 1 partie 1

11..22.. L LE ESS O OR RIIG GIIN NE ESS H HIISST TO OR RIIQ QU UE ESS D DE EL L’’IIM MA AG GE E FFIID DE EL LE E.. Les origines des principaux traits de l’image fidèle se trouvent certainement dans la notion anglo-saxonne de true and fair view qui fut transcrite pour la première fois dans le « Joint Stock Companies Act de 1844 », qui a introduit les grands principes sur lesquelles est fondé le droit des sociétés actuelles en Grande Bretagne. Dans ce pays de droit coutumier, l’usage et les pratiques ont une place prépondérante au coté de la jurisprudence qui est la première source du droit. Les prémisses de la notion d’image fidèle sont nées dans un esprit où l’objectif majeur du professionnel est tout simplement de rechercher la meilleure présentation des comptes.

De 1929 De 1948 De 1985

Extraits des Joint Stock Companies Act

De 1844

Le tableau suivant présente synthétiquement l’historique de la transformation de la notion d’image fidèle dans le droit anglais : « a full and fair balance sheet… La notion s’inscrit en premier lieu dans (showing) a true statement… of the une volonté d’exposition complète des assets and liabilities… and a distinct comptes. view of the profit or loss (of the period) »18 «true and correct view »19

Sans en préciser réellement l’environnement, on ne demande à l’auditeur que « de s’assurer si un bilan montre une image vraie et correcte. » 19

« every balance sheet of a company shall give a true and fair view of the states of affairs of the company at the end of its financial year, and every profit and loss account of a company shall give a true a fair view of the profit or loss of the company for the financial year »18

Il s’agit là d’une innovation majeure, bien que des textes antérieurs aient déjà utilisé, mais séparément, les mots « true » and « fair »19.

« the financial statements give a true and fair view of the state of affairs of the company and its results and operations »18

La nouvelle formulation presque similaire à la précédente s’inscrit dans une application des dispositions de la quatrième directive et la porte désormais sur tous les états de synthèse qui sont considéré comme un tout indissociable.

« Est de la sorte, né en Grande Bretagne un système d’information comptable cohérent comprenant la publication périodique des comptes assortie de l’avis d’un réviseur indépendant, portant sur l’adéquation de ceux-ci avec le ou les critères qualitatifs

18 19

François PASQUALINI, cit. op. Robert OBERT, cit. op.

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 1 partie 1

d’information recherchés. Ce pays ne connaissait aucune codification des règles comptables ; il fallait proposer un principe directeur aux comptables à défaut de cadre rigide. »20 « Or la « True And Fair View » est une notion anglo-saxonne « l’image fidèle », sa proche traduction, est alors introduite dans un environnement différent. En effet, en France, les principes comptables ont fait l’objet d’une codification, alors qu’en Grande-Bretagne, ils proviennent des usages. »21 Les investigations des organismes professionnels comptables américains, principalement axées sur les principes comptables généralement admis, « s’avérèrent largement infructueuses sur le terrain pratique, bien qu’elles soulèvent des questions théoriques non négligeables. (…) Ils avaient simplement permis de mettre en évidence le besoin d’une information donnant une image fidèle de l’entreprise »22 auquel les anglais en ont acquis la certitude depuis fort longtemps. Une des plus importante recherche, sur le sujet, a été publiée en 1970 par l’AICPA. L’accent y était mis sur la crédibilité (reability) des comptes, dont la responsabilité incombe aux dirigeants sociaux, et sur l’intérêt qu’ont les utilisateurs à disposer du rapport d’un réviseur indépendant se prononçant sur la fidélité de la présentation des informations (present fairly) en conformité avec les principes généralement admis. La relation qui figure dans cette recommandation, entre les principes comptables et l’image fidèle est toujours mentionnée expressément par les auditeurs américains qui concluent toujours ainsi : « Les états financiers présente (avec ou sans réserve, ou ne présente pas) fidèlement la situation financière de la société et le résultat de ses opérations en conformité avec les principes comptables généralement admis, appliqués de manière constante durant l’exercice. » 23 « Le concept de l’image fidèle est apparu pour la première fois dans les pays de l’Union Européenne (autres que la Grande-Bretagne) à travers la 4ème directive »17 adoptée par la Commission des Communautés européennes le 25 juillet 1978. Pratiquement tous les états membres ont introduit cette notion dans leur droit interne, en conformité avec l’article 55 de cette directive qui a prévu un délai de deux ans pour la mise en vigueur des dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires. L’idée de cette directive a été prévue par l’article 2 de la première directive24 du 9 mars 1968, qui disposait que le conseil devrait arrêter dans les deux ans suivant l’adoption de cette dernière, une « directive portant sur la coordination du contenu des bilans et des comptes de profits et pertes ». Sa préparation fut confiée à la direction « droit des sociétés » de la CEE qui 20

Emmanuel DU PONTAVISE cité par François PASQUALINI, cit. op. Aline HONORE, in « La mauvaise acclimatation de la notion internationale de « true and fair view » dans les pays de droit romains : les conséquences sur le cadre conceptuel français. », 2000, publication du centre de recherche CREFIGE. 22 François PASQUALINI, cit. op. 23 Abdelkader MASNAOUI, in « Mémento comptable marocain. », 1995, Ed. MASNAOUI, Casablanca. 24 Première directive du Conseil du 9 mars 1968 tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l’article 58 deuxième alinéa du traité, pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers (68/151/CEE) ; à partir du site : http://eur-lex.europa.eu/ 21

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 1 partie 1

termina la première phase en 1970, mais elle ne fut édictée qu’en 1978. Cette longue période de gestation est due, entre autres, aux divergences entre les états sur la prise en compte et la formulation à la fois de la notion d’image fidèle et des différents principes comptables fondamentaux. Le tableau de l’annexe A1 ( page 216 ) présente les changements de la notion d’image fidèle, du stade de projet à sa formulation définitive. A ce propos, nous faisons les remarques suivantes : Contrairement à la première directive européenne qui ne visait que le bilan et le CPC, la vision moderne des états de synthèse comme un tout indissociable a été expressément mentionnée dans la quatrième directive. L’annexe25 est élevé au même rang que le bilan et le compte de résultat, et forme dorénavant avec ces états un tout indissociable, qui doit donner une image fidèle ; La trilogie patrimoine, situation financière et résultats avait déjà été retenue (et sera maintenue) par la directive alors que les Anglo-saxons ne s’attachent généralement qu’à l’image fidèle de la situation financière et du résultat. Le choix de cette orientation patrimoniale est important car il différencie notamment l’optique de la comptabilité continentale européenne de celle de la comptabilité anglo-saxonne ; Dans l’ouvrage présenté à l’occasion du 36ème congrès de l’Ordre des experts-comptables, relatif aux Principes comptables fondamentaux, il était affirmé qu’« avant l’arrivée des britanniques, le concept devant présider à la réalisation des états financiers s’appuyait en Allemagne sur la notion d’image aussi sûre que possible et en France sur la notion de régularité et sincérité. Le premier projet de la quatrième directive s’inspirait de ces deux optiques »26 : •

L’expression « aussi sure que possible » inspirée de la législation allemande a été écartée au motif « qu’elle était trop imprécise (…) et pouvait dans certaines circonstances, ne pas se révéler parfaitement appropriée pour illustrer de façon suffisante la situation réelle de l’entreprise. Elle demanderait à être complétée par des commentaires adéquats afin que les finalités exposées soient convenablement atteintes »27 ;



A son tour les mentions de la régularité et de la sincérité n’ont pas été retenues dans la version finale. Il n’a pas semblé utile ni opportun de définir de façon plus précise ces principes, étant donné qu’ils ne pouvaient pas être clairement circonscrits quant à leur contenu et à leur portée. Toutefois certains auteurs, pensent que « la 4ème directive

25

Le terme « ETIC » choisi par le Maroc suggère à notre avis, à cause du mot « complémentaire » une idée d’hiérarchie entre les états, malgré l’affirmation du caractère du « tout indissociable ». 26 Robert OBERT, cit. op. 27 Robert OBERT, cit. op.

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pose d’abord le principe de la conformité aux règles qu’elle édicte elle-même et, par conséquent, au respect du principe de régularité. »28 Les deux mentions furent remplacées par la fidélité, parce qu’on estimait que c’est la qualité fondamentale à rechercher et qui répondait à la formulation habituelle chez les Anglo-saxons de « true and fair view » fondée sur l’application des principes comptables généralement admis. Le concept de l’image fidèle a été introduit pour la première fois au Maroc dans le Code Général de Normalisation Comptable, puis à travers l’alinéa 1 de l’article 11 de la loi n° 9-88 relative aux obligations comptables des commerçants, ensuite dans la loi n° 17-95 relative à la société anonyme. La doctrine nationale considère que c’est à travers la publication de la loi n° 9-88 que la notion de l’image fidèle a véritablement été introduite au Maroc. Le CGNC ne pouvait pas introduire un changement des mentalités dans la mesure où il n’a jamais été publié, ni d’ailleurs approuvé par arrêté. La formulation du troisième texte de base (loi sur les sociétés anonymes) qui s’est largement inspirée de la législation française, a gardé les notions de régularité et de sincérité en leur juxtaposant le concept de l’image fidèle. Etant dans une approche historique du concept nous avons choisi de laisser la comparaison des textes marocains et français, à la partie réservée à l’étude du concept et de nous focaliser, dans la sous-section suivante sur les concepts de la régularité et de la sincérité encore présents dans la législation marocaine. 11..33..

LLE ESS C CO ON NC CE EPPT TSS D DE ER RE EG GU UL LA AR RIIT TE EE ET TD DE E SSIIN NC CE ER RIIT TE E..

Les notions de sincérité et de régularité ont été héritées des décrets-lois français de la période 1935-1937, instaurés dans le climat des scandales de l’époque notamment « les affaires Hanau, Oustric et Stavisky »29. Ces décrets-lois ont mis à jour en France la loi du 24 juillet 1867, ce qui a permis de préciser et renforcer la mission de contrôle des commissaires aux comptes30. En revanche « Le Dahir du 11 août 1922 qui a marocanisé la loi française de 1867(…) a conservé ses imperfections »31. En ce sens l’article 3232 de la loi annexée à ce 28

Renaud DENOIX DE SAINT MARC, in « Comptabilité et fiscalité », 1980, acte du xxxvème congrès national de l’Ordre des Experts Comptables et des Comptables Agrées, Paris. 29 Robert OBERT, op.cit., 30 Extrait du décret-loi français du 31 août 1937 modifiant l’article 32 alinéa 1 de la loi du 24 juillet : «l’assemblée générale ordinaire des actionnaires désigne pour trois ans un ou plusieurs commissaires qui ont mandat de vérifier les livres, la caisse, le portefeuille et les valeur de la société, de contrôler la régularité et la sincérité des inventaires et des bilans ainsi que l’exactitude des informations données sur les comptes de la société dans le rapport du Conseil d’Administration. » 31 Sami AL OMARI, in « Emergence d’une profession comptable libérale : le cas du Maroc », 2005, paru dans « L’entreprise, le chiffre et le droit », éditeurs J.G. DEGOS et S. TREBUCQ, Bordeaux. 32 « L’assemblée générale annuelle désigne un ou plusieurs commissaires, associés ou non, chargés de faire un rapport à l’assemblée générale de l’année suivante sur la situation de la société, sur le bilan et sur les comptes présentés par les administrateurs » cité par Ahmed MAAROUFI et Robert TELLER, in « La comptabilité des entreprises marocaines », 1984, Société d’édition et de diffusion AL-MADARISS, Casablanca.

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Dahir ne faisait aucune allusion à la régularité et la sincérité dans les dispositions relatives au commissariat aux comptes. La loi comptable française a gardé, ces deux concepts traditionnels en leur juxtaposant la notion d’image fidèle. Ce choix français se trouve comme par enchantement présent dans la législation marocaine récente, alors que la question a déjà été tranchée par la loi n° 9-88 qui ne les mentionne nullement. L’historique de cette situation peut être résumé comme suit : Les rédacteurs du CGNC ont fait le premier pas, en procédant prudemment à la façon de la 4ème directive. Une définition assez spécifique de la régularité33 a été adoptée et on n’a pas expressément retenu la sincérité34 ; La loi relative aux obligations comptables des commerçants, a rompu sur ce point avec le modèle français, en ne mentionnant pas la régularité timide du CGNC ; La loi n° 15-89 réglementant la profession d’expert comptable publié 34 jours après la loi n° 9-88 réintroduit les notions de sincérité et de régularité35, qui ne figurent pas dans les deux textes précédents ; Le dahir36 de 1993 relative aux OPCVM, se démarque des dispositions de la loi française37 sur les OPCVM instaurée en vue d’une mise en harmonie avec la directive européenne n°85-61138, en s’inspirant cette fois de la formulation du code de commerce français. La certification concernera cette fois la régularité et la sincérité. Le modèle de rapport du commissariat aux comptes prévu par le Conseil Déontologique des Valeurs Mobilières dans la circulaire n° 44 / 0039 s’est conformé à cette exigence, en prévoyant expressément les mentions de régularité et de sincérité ; S’inscrivant dans la même vision de l’article 100 de la loi sur les OPCVM, les articles 166 et 175 de la nouvelle loi sur les sociétés anonymes, s’inspirent à leur tour de l’article L225-235 du code de commerce français. Toutefois, paradoxalement au paragraphe précédent les rapports de commissariat aux comptes, des sociétés qui ne sont pas régies 33

« Pour être probante, la comptabilité doit satisfaire aux exigences de la régularité. Celle-ci est fondée sur le respect des principes et des prescriptions du CGNC. » 34 « D’autres principes, moins universellement acceptés, n’ont pas été retenus : tel le "principe de prééminence de la réalité sur l’apparence", et le principe de "sincérité", dont l’intérêt conceptuel n’est pas évident. » 35 Article 1 de la loi n° 15-89 réglementant la profession d’expert comptable et instituant un Ordre des Experts Comptables promulguée par le dahir n° 1-92-139 du 8 janvier 1993 et publié au BO n°4188 du 3 février 1993 à la page 36 : « Il est seul habilité à (…) attester la régularité et la sincérité des bilans, des comptes de résultats et des états comptables et financiers ». 36 Dahir portant loi n° 1-93-213 du 21 septembre 1993 relatif aux Organismes de Placement Collectif en Valeurs Mobilières (modifié par la loi 53-01), article 100 : « Le commissaire aux comptes d’un O.P.C.V.M. a pour mission permanente, à l’exclusion de toute immixtion dans la gestion, de vérifier les livres et les valeurs de l’O.P.C.V.M. et de contrôler la régularité et la sincérité des comptes de ce dernier. Il vérifie également la sincérité des informations afférentes à la situation financière, préalablement à leur diffusion. » 37 Loi, n° 88-1201 du 23 décembre 1988, relative aux Organismes de Placement Collectif en Valeurs Mobilières et portant création des fonds communs de créances. 38 Directive du conseil, du 20 décembre 1985, n° 85/611/CEE, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains Organismes de Placement Collectif en Valeurs Mobilières. 39 Circulaire N°04/00 relative aux documents comptables et financiers exigés des Organismes de Placement Collectif en Valeurs Mobilières, du 4 décembre 2000, http://www.casablanca-bourse.com/.

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par des textes spéciaux, ne font nullement mention de ces concepts40. Les modèles des rapports sont standardisés par le manuel des normes de l’Ordre des Experts Comptables marocain (largement inspiré de l’ancien manuel français), rappelle à maints égards la notion de sincérité et parfois associe les deux notions d’image fidèle et de sincérité41. Le modèle de rapport du commissaire aux comptes de l’attestation semestrielle des établissements de crédits illustre cette confusion totale, où la notion de sincérité apparaît sans la juxtaposition de l’image fidèle. En résumé nous dirons que ces textes ont eu malheuresement pour effet, la coexistence de ces concepts dans notre système juridique avec la notion de l’image fidèle. Toutefois dans certaines situations une rémanence de ces concepts sans l’existence de l’image fidèle existe. Tel est le cas des coopératives qui sont régie par la loi n° 24-8342 où les commissaires aux comptes doivent certifier uniquement la régularité et la sincérité selon l’article 73 et les rédacteurs des comptes doivent se conformer selon l’article 71 premièrement aux obligations comptables édictées par le code de commerce, en l’occurrence à l’image fidèle puisque le code de commerce renvoie à la loi n° 9-88 et deuxièmement au « Plan Comptable Spécifique aux Coopératives » qui à son tour ne mentionne que le concept de l’image fidèle. Les traductions arabes suivantes de la régularité, la sincérité et l’image fidèle soulèvent, à l’instar de la précédente incohérence, un flou total : Image fidèle

: « ‫»  رة د‬43 ;

Régularité et sincérité : « ‫»   و  ق‬44 et «‫»ام و  ق‬45. Les traductions arabes introduisent premièrement une confusion entre l’image fidèle et la sincérité, et deuxièmement traduisent le même concept de la régularité différemment. Nous manifestons tout de même un certain penchant pour la deuxième traduction de la régularité qui est confirmée par la traduction de l’irrégularité dans le code pénal46, parce qu’elle nous parait être plus appropriée.

40

Contrairement au normes du référentiel CNCC français qui mentionne expressément les notions de régularité et de sincérité sous la forme suivante : « Nous certifions que les comptes annuels sont, au regard des règles et principes comptables français, réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l’exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la société à la fin de cet exercice », https://www.cncc.fr/ 41 Manuel des normes marocain, page 198 : « les états de synthèse ci-joints ne donnent pas une image fidèle (ou "ne présentent pas sincèrement, dans tous leurs aspects significatifs") » 42 Dahir n° 1-83-226 du 9 moharrem 1405(5 octobre 1984) portant promulgation de la loi n°24-83 fixant le statut général des coopératives et les missions de l’Office du Développement de la Coopération, tel qu’il a été modifié par Dahir portant loi n° 1-93-166 du 22 rebia I 1414 (10 septembre 1993). 43 Article 11 de la loi n° 9-88 relative aux obligations comptables des commerçants, journal officiel version arabe, n° 4183, du 30 décembre 1992, p 1868. 44 Article 1 de la loi n° 15-89 réglementant la profession d’expert comptable et instituant un ordre des experts comptables, journal officiel version arabe, n° 4188, du 3 février 1993, p 157. 45 Article 73 de la loi n° 24-83 fixant le statut général des coopératives et les missions de l’Office du Développement de la Coopération version arabe, http://www.odco.gov.ma/uploadODCO/File/loi_ar.pdf 46 Article 358 du code pénal, http://www.justice.gov.ma/ar/legislation/

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Chapitre 1 partie 1

Ces incohérences nous pousse à nous interroger sur la nature de ces notions. Dans la mesure où ces concepts n’ont pas été définis dans notre droit national, nous allons ci-après essayer d’étudier ces notions dans le droit français, ainsi que dans la doctrine. Le tableau suivant récapitule les définitions françaises figurant au niveau de l’ancien et du nouveau plan comptable général. PCG 198247

PCG 199948

- La régularité est la conformité aux règles et procédures en vigueur. - La sincérité est l’application de bonne foi de ces règles et procédures en fonction de la connaissance que les responsables des comptes doivent normalement avoir de la réalité et de l’importance des opérations, événements et situations. 1.

La comptabilité saisit et classe toutes les données nécessaires à la réalisation de son objet, pour autant qu’elles puissent être quantifiées, c’est-à-dire exprimées en nombres d’unités appropriées.

2.

Ces données de base sont enregistrées sans retard afin qu’elles puissent être traitées en temps opportun.

3.

Les informations comptables doivent donner à leurs utilisateurs une description adéquate, loyale, claire, précise et complète des opérations, événements et situations.

4.

La cohérence des informations comptables au cours des périodes successives implique la permanence dans l’application des règles et procédures.

120-2. - La comptabilité est conforme aux règles et procédures en vigueur qui sont appliquées avec sincérité afin de traduire la connaissance que les responsables de l’établissement des comptes ont de la réalité et de l’importance relative des événements enregistrés.

Commentant les modifications de la rédaction des définitions, les éditions Francis LEFEBVRE49 émettent les observations suivantes : « L’énoncé des conditions à remplir pour satisfaire à l’obligation de sincérité n’a pas été considéré comme étant d’essence normative (…) et par conséquent n’a pas été reprise dans le PCG 1999. Désormais, le principe de bonne information est inclus dans les notions plus larges de sincérité et d’image fidèle » ; « La régularité et la sincérité s’apprécient par rapport à la traduction de la connaissance que les dirigeants ont de la réalité et de l’importance relative des événements enregistrés. À notre avis, par « événements enregistrés » il faut comprendre tous les événements susceptibles d’influencer les comptes de l’exercice, que ce soit le bilan, le compte de résultat ou l’annexe. Le principe d’importance relative n’est pas défini de manière explicite dans la réglementation française. Ce principe est proche du concept « d’importance significative » qui gouverne dans le PCG les informations à fournir dans l’annexe, mais celui-ci non plus n’a pas donné lieu à une définition précise. »

47

Plan comptable général, imprimerie national, 3ème édition septembre 1983, Paris, p 5. Plan comptable général, édition janvier 2005, http://www.minefi.gouv.fr/. 49 Mémento Francis LEFEVBRE, édition 2003. 48

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 1 partie 1

« Elles ne sont plus directement liées à la notion de prudence (l’énoncé du principe de prudence est désormais séparé de ces obligations dans l’article 120-3 qui lui est entièrement consacré) (…) c’est la réalité des affaires qui est privilégiée par rapport à la prudence dont l’excès a d’ailleurs fait l’objet de critiques (cf. notamment Rapport COB 1995, p. 104, 108, 109 et 115 et BCF 5/96, p. 13 s.) » La régularité a été définie par le CGNC comme étant « le respect des principes et des prescriptions du CGNC ». L’interprétation littérale de cette définition, inspirée de la 4ème directive, nous semble non adéquate en l’espèce dans la mesure elle cumule une certaine restriction et un excès de prudence. Ce commentaire, se situe dans une période où le CGNC, premièrement aspirait à être le référentiel unique face à une situation d’anarchie et deuxièmement était antérieur à la loi n° 9-88, supérieure au CGNC dans la hiérarchie juridique, qu’il ne pouvait contredire. Par contre, nous semble-t-il, une interprétation extensive à la française est fortement recommandée. A défaut de consensus sur une définition marocaine, nous allons essayer au début d’analyser la définition de la notion française. Toutefois une question se posera alors avec acuité : Quelle est la nature des « règles comptables en vigueur» ? Juridiquement, il ne pourra certainement s’agir que de la réglementation écrite en vigueur50. Cette réponse incorpore une autre question implicite : est-ce que les avis du conseil national de la comptabilité et les organismes professionnels compétents s’intègrent-ils dans la notion de réglementation en vigueur ? Le dernier terme en « vigueur » souligne à notre avis une force juridique que les avis ne peuvent prétendre renfermer ; c’est une conformité à la règle de droit51 qui est privilégiée dans ce cas précis. Avant l’entrée en vigueur du PCG de 198252, dans la mesure où le plan comptable de 1957 ne prévoyait aucune définition de la régularité, la majorité des auteurs se référaient à une définition de la COB dans son rapport de 196953 où l’interprétation de façon extensive inclut les avis du CNC. A défaut d’une interprétation légale54 ou d’une jurisprudence généralisée la question restera posée dans le cadre de la législation marocaine qui, nous semble, permettre les deux interprétations suivantes :

50 Définition proposé par Djelloul SACI, in « comptabilité de l’entreprise et système économique : l’expérience Algérienne », 1991, office des publications universitaires algérienne, p 310. 51 François REY, in « Développements récents de la comptabilité », 1979, p 21. 52 Contrairement au cas marocain, le PCG de 1982 a été approuvé par arrêté du ministre de l’économie et de la finance du 27 avril 1982, publié le 7 mai au JORF p 4355 et 4356 et sa rédaction a été ordonné à travers un arrêté du ministre de l’économie du 8 juin 1979, publié le 15 juin 1979 au JORF p 5001. 53 «Des règles fixées par la loi, la jurisprudence, le Conseil National de Comptabilité et les organismes professionnels compétents, pour préciser le contenu de la doctrine comptable. » in « Comptabilité et droit pénal des affaires » étude présentée à l’occasion du 34ème congrès national par le conseil supérieur de l’Ordre des Experts Comptables et des Comptables Agréés, Paris, 1979 p 9 et François REY, cit. op. p 21. 54 Une définition a été apporté par le manuel des normes marocaines de l’ordre des experts comptables : « La conformité des comptes aux règles comptables et lois en vigueur », mais aucune définition des règles comptables n’a été précisé.

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Chapitre 1 partie 1

Une interprétation restrictive qui s’intègre avec une interprétation stricte de l’irrégularité pénalement sanctionnée au niveau du code pénal55 dans la mesure où les définitions de la régularité et l’irrégularité ne peuvent pas être dissociées ; Une interprétation extensive en conformité avec l’article 256 de la loi n° 15-89 réglementant la profession d’expert comptable qui inclut les usages admis par la profession et les recommandations des organisations compétentes. Nous avons traité la régularité, dans ce qui précède, sous une forme binaire de vrai ou de faux. Une question peut toutefois être soulevée, est ce que l’existence d’une irrégularité entraîne une comptabilité irrégulière ? Nous avons préféré traiter cette question dans la deuxième partie. Qu’en est-il de la nature de la sincérité ? En se basant sur la définition du PCG de 1999 fournie dans le tableau précèdent (page 29), le Mémento Francis LEFEVBRE émet l’observation suivante : « La sincérité est donc celle des dirigeants, naturellement considérés comme les plus aptes à apprécier l’ensemble des activités et opérations de l’entreprise (ce qui était déjà le cas dans l’ancien PCG, mais moins mis en avant). » « La sincérité est une qualité généralement reconnue à des personnes. C’est pourquoi certains auteurs ont pu penser que l’appréciation de la sincérité devait viser non les documents mais les dirigeants qui les ont établis. Les documents financiers sont sincères s’ils ont été élaborés avec loyauté et bonne foi. Cette conception rejoint celle du droit pénal, pour lequel par exemple, le délit de présentation de faux bilan n’est constitué que si aux éléments, légal et matériels, s’ajoute l’élément moral, c’est-à-dire, la mauvaise foi de ceux qui présentent le bilan. »57. Outre le fait que l’on peut commettre de bonne foi une erreur, c’est au regard des documents comptables que la sincérité doit être appréciée. Le caractère objectif de la notion de sincérité a été affirmé par la COB, dans son rapport général pour l’année 1969 : « la sincérité résultera de l’évaluation correcte des valeurs comptables, ainsi que d’une appréciation raisonnable des risques et des dépréciations de la part des dirigeants ». « À notre avis, il en résulte une notion de « sincérité objective », selon laquelle sont sincères des documents financiers tels que les établirait un professionnel, indépendant, de bonne foi, placé devant les problèmes techniques et l’interprétation qui s’y attache. Pratiquement les comptes sincères résultent d’une parfaite connaissance : des règles et de leur application, 55

Article 358 du code pénal, version arabe http://www.justice.gov.ma/ar/legislation/ «Pour la réalisation de leurs missions, les expert comptables appliquent les lois et règlements en vigueur ainsi que les usages admis par la profession. Ils tiennent compte des recommandations des organisations compétentes et des administrations. » 57 « Comptabilité et droit pénal des affaires » étude présentée à l’occasion du 34ème congrès national par le conseil supérieur de l’Ordre des Experts Comptables et des Comptables Agréés, Paris, 1979 p 10. 56

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Chapitre 1 partie 1

de la situation de l’entreprise, de la perception extérieure des comptes ainsi présentés afin que le contenu ne soit pas perçu de manière déformée. »58 Cette notion de sincérité objective tend à s’identifier à celle de l’image fidèle. N’y voyant pas de grande différence, certains auteurs, l’ont assimilé à cette dernière59.Mais il subsiste l’ambiguïté suivante que la doctrine n’a pas encore levée : La sincérité, dans une acception stricte, résulte uniquement des comptes constituant une notion relative et dépendante de l’état de la technique ; dans cette optique les comptes sont sincères si les éléments qui y figurent, existent, sont correctement évalués et correctement classés ; La sincérité dans une acception large, tient compte du caractère imparfait et limité de la technique comptable, les documents financiers n’étant sincères que si des informations complémentaires précisent les points importants que la technique comptable ne permet pas de mettre en évidence. Il nous semble que la première optique correspondait aux termes de la loi française sur les sociétés. Face aux besoins actuels d’une information toujours plus précise, la sincérité pouvait prétendre à être élevé au rang de critère qualitatif servant de référence pour veiller à la fiabilité du message comptable, mais la sincérité « fut dépeinte et conçue en tant qu’élément de la certification et fut toujours associé à la régularité dont la signification et la nature ne souffrent d’aucune ambiguïté. (…) Qui de plus a subi l’invasion fiscale. (…) La portée de la sincérité fut annihilée par la régularité fiscalisée. Elle ne joua qu’un rôle secondaire (sincérité régularisée) alors que la régularité aurait dû être un outil pour parvenir à la sincérité. Ces deux moyens tendaient uniquement à la satisfaction d’exigences administratives. Les textes fiscaux n’ont d’ailleurs à aucune époque repris la notion de sincérité, se bornant à prévoir des pénalités en cas de comptabilité incorrecte ou irrégulière.»60 En conclusion nous dirons, qu’il nous semble que la mention de la sincérité présente dans notre droit actuel n’est que le fruit d’un « copier – coller » législatif sans véritable assise doctrinale et que la rémanence de ce concept dans le droit français n’est pas le fruit d’un certain conservatisme mais plutôt une position politique milieu qui satisfaisait les opposants à une modification radicale et qui militait vers une acceptation et une application généralisée de l’esprit de cette loi. Un quart de siècle après la promulgation de la loi comptable française, nous estimons que les deux concepts sont équivalents, parce qu’il serait aberrant de croire en un concept d’image 58

Mémento Francis LEFEVBRE, édition 2003. « Les documents sociaux doivent donner une image sincère (c’est-à-dire non déguisée) et loyale (true and fair view). Ainsi, non seulement les comptes doivent être conformes aux règles, mais il faut s’assurer que ces normes n’ont pas été détournés de leur objet, qu’elles n’ont pas été appliquées d’une façon erronée, en vue de donner une idée fausse de la situation sociale », François REY, cit. op. p 21. 60 François PASQUALINI, op.cit, p 23. 59

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Chapitre 1 partie 1

fidèle évolutif et une sincérité tronquée du début du siècle. En admettant cette idée qu’elle serait la nature nouvelle de la sincérité ? 11..44.. L L’’IIM MA AG GE E FFIID DE EL LE EV VU UE E PPA AR RL LE E JJU UG GE E.. Les arrêts s’intéressant à l’image fidèle, comme d’ailleurs à la comptabilité en général, sont relativement exceptionnels. Dans cette sous-section nous souhaitons étudier les rares arrêts qui se sont intéressés à la question, pour pouvoir ensuite les utiliser dans le reste de l’étude. Les deux premiers arrêts sont issus de la Cour européenne de Justice qui a émis des interprétations de l’image fidèle figurant au niveau de la quatrième directive. Aussi le dernier arrêt, présenté ci-dessous, est unanimement considéré par la doctrine française comme le seul véritable arrêt ayant trait à la comptabilité. De plus, nous avons souhaité traiter dans cette sous-section les deux questions suivantes, qui sont indirectement liées à la vision du juge de la notion de l’image fidèle : Le juge a-t-il la possibilité de recourir à l’avis des professionnels dans des questions de droit ? La notion de « déni de justice » est-elle transposable dans une certaine manière au commissaire aux comptes ? 1) Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 14 septembre 1999, dans l’affaire Bauunternehmung GmbH contre Finanzamt Bergheim61. « Le principe de l’image fidèle, dont le respect constitue l’objectif primordial de la directive, selon lequel les comptes annuels des sociétés visées par la directive doivent donner une image fidèle de leur patrimoine, de leur situation financière, ainsi que de leurs résultats » ; Commentaire : La Cour européenne reconnaît que la notion d’image fidèle est l’objectif principal de la directive. Il nous semble que cette « reconnaissance » de la Cour découle des termes du préambule de la directive qui est simplement rappelé par la Cour. « La directive ne précisant pas ce qu’il convient d’entendre par «cas exceptionnels», il y a lieu d’interpréter cette expression à la lumière de l’objectif visé par cette directive, selon lequel, les comptes annuels des sociétés visées doivent donner une image fidèle de leur patrimoine, de leur situation financière, ainsi que de leurs résultats.(…) Les cas exceptionnels visés à l’article 31, paragraphe 2, de la directive sont ceux dans lesquels une évaluation séparée ne donnerait pas une image aussi fidèle que possible de la situation financière réelle de la société concernée. » Commentaire : La Cour a entrepris une interprétation par l’objectif de l’image fidèle d’un terme non défini dans la directive, en énonçant expressément son

61

Arrêt de la Cour Européenne de justice, à partir du site http://eur-lex.europa.eu.

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Chapitre 1 partie 1

choix de la méthode d’interprétation62 par les termes « il y a lieu » qui dénotent à notre sens le caractère obligatoire de cette méthode d’interprétation dans la mesure où la Cour la considère comme la seule méthode envisageable. En utilisant le terme « aussi fidèle que possible » la Cour reconnaît que l’image fidèle est un but à atteindre et non une obligation d’atteinte. De même, dans la mesure où on a utilisé le terme « une image » au lieu du terme « l’image », nous estimons que la Cour admet le caractère relatif de cette image qui diffère d’une personne à une autre. La définition des cas exceptionnels est assez spéciale, dans la mesure où l’évaluation séparée d’un élément ne réalisant pas une image fidèle ne peut donner lieu à dérogation que si l’image globale est compromise. 2) Arrêt de la Cour du 7 janvier 2003, dans l’affaire de la banque internationale pour l’Afrique occidentale SA (BIAO) contre Finanzamt für Großunternehmen in Hamburg63. L’article 2, paragraphe 3, énonce, comme principe fondamental, que les comptes annuels doivent donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière ainsi que des résultats de la société (…) Ce principe exige, d’une part, que les comptes annuels des sociétés reflètent les activités et opérations qu’ils sont censés décrire et, d’autre part, que les informations comptables soient données dans la forme jugée la plus valable et la mieux adaptée pour satisfaire les besoins d’informations des tiers, sans porter préjudice aux intérêts de la société ; Commentaire : Il s’agit là d’une véritable interprétation pratique de l’image fidèle qui reprend de façon synthétisée la véritable vision des anglo-saxons. Cette définition qui se rapproche de notre vision des choses sera développée dans la section suivante. Il ressort tant de ces considérations que des termes mêmes de la quatrième directive que celle-ci n’est pas destinée à réglementer en détail toutes les questions comptables qui dépendent de la spécificité des faits. Son objet est essentiellement d’énoncer certains principes d’ordre général qui doivent guider l’établissement des comptes annuels des sociétés dans tous les États membres. Ces principes doivent nécessairement être mis en application par l’adoption de réglementations nationales qui, à condition que les exigences de ladite directive soient respectées, peuvent varier selon les pratiques comptables des États membres concernés ; Commentaire : Il nous semble que lorsque la Cour affirme que la directive ne peut contenir toutes les questions comptables et qu’elle a pour objet 62 63

Les méthodes d’interprétation seront développées plus en détail dans la deuxième partie du mémoire. Arrêt de la Cour Européenne de justice, à partir du site http://eur-lex.europa.eu.

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Chapitre 1 partie 1

l’énonciation de principes d’ordre général, la Cour confirme indirectement le rôle des principes comptables comme véhicule de l’interprétation lors du silence de la directive. À cet égard, il convient de rappeler que les pratiques nationales ont eu tendance, de manière croissante au fil des années, à s’aligner sur les normes comptables internationales, dénommées «IAS» ; Commentaire : Ce constat fait par la Cour est utilisé dans le reste de l’arrêt en considérant les normes IAS comme une doctrine. Quant à la possibilité de procéder à une évaluation globale, il convient de relever que l’article 31, paragraphe 1, sous e), de la quatrième directive prévoit que les éléments des postes de l’actif et du passif doivent être évalués séparément. Toutefois, la Cour a jugé qu’une dérogation, au titre du paragraphe 2 de ladite disposition, peut être appropriée lorsque, à la lumière du principe de l’image fidèle, une évaluation séparée ne donnerait pas une image aussi fidèle que possible de la situation financière réelle de la société concernée. Commentaire : Cet arrêt dans sa formulation est identique à la définition des cas exceptionnels exposés auparavant. Il dénote, à notre sens, du caractère régulier et constant de cette définition donnée par la Cour. 3) Arrêt de la Cour de Paris du 6 avril 199464. Même en l’absence de toute obligation comptable, les engagements de portage doivent faire l’objet d’une mention spéciale dans l’annexe du bilan pour donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et des résultats de l’entreprise. Commentaire : Cet arrêt fait suite à une contestation de l’ancien président du Conseil d’Administration d’une société anonyme qui a fait l’objet d’une lourde sanction pécuniaire65 par la Commission des Opérations de Bourse française. L’ancien président prétendait que « le fondement légal fait défaut : aucune règle objective de comptabilisation des portages n’existe. Le mode de comptabilisation des « engagements d’achats » retenu par Ciments Français correspond à la réalité juridique des conventions en cause et donc aux normes comptables en vigueur. » Cet arrêt démontre l’applicabilité des sanctions en cas de non-respectt de l’obligation de donner des informations complémentaires lorsque l’application d’une prescription comptable ne suffit pas pour donner l’image fidèle.

64 65

Rev. Soc. 1994,735 n. Médus, Dr. société 1995, n° 105 n. Hovasse, cité par http://lexinter.net/. Bulletin de la COB, n° 271 de juillet - août 1993.

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Chapitre 1 partie 1

Il nous semble que cet arrêt émis lors d’engagements de portage importants, ne peut être extrapolé à des cas où l’importance significative ne le justifie pas comme peut le sous-entendre, à notre avis, la formulation de l’arrêt. Aussi cet arrêt confirme la nécessité de la portée informationnelle fidèle des états de synthèse pour les lecteurs qui est nécessaire pour que les états financiers soient qualifiés de fidèle. Ces arrêts traitant de l’image fidèle sont à notre avis conformes à la doctrine comptable actuelle. Un des plus grands soucis des professionnels comptables est qu’en cas de litige, le juge puisse faire une interprétation juridique tronquée des notions comptables qui ne sont pas d’essence juridique. Une grande partie des comptables marocains ne saisissent pas le sens de l’image fidèle, dès lors on est amené à se demander si les juges marocains de formation juridique pure peuvent être en mesure de saisir la vision comptable de l’image fidèle. Le législateur marocain a crée une sanction pour les comptes ne donnant pas une image fidèle, alors que les Anglo-saxons à qui on a emprunté cette notion n’ont jamais pensé à prévoir une telle sanction dans la mesure où il considère que cette notion d’essence comptable ne peut pas être appréhendée par le droit. Dans ce sens si le législateur marocain a introduit la notion dans le cadre de sa vision latine du droit, on est en droit de nous demander du sort de son interprétation par le juge. La Cour de cassation française commentant le délit des comptes ne donnant pas une image fidèle a préconisé que « Les éléments constitutifs de cette infraction nouvelle encadrent strictement l’appréciation du juge. En premier lieu, l’image donnée par ces comptes doit être manifestement infidèle. Elle doit en outre porter sur des éléments significatifs. Ces deux conditions permettent de distinguer ce délit de celui de comptes annuels inexacts. Seules les fraudes caractérisées sont punissables. Sont donc exclues du champ du délit les erreurs matérielles, les informations inexactes portant sur des faits non significatifs ou celles qui portant sur des éléments significatifs ne constituent qu’une atteinte bénigne au principe de fidélité des comptes. »66 Il nous semble que ce commentaire de la Cour française démontre un mûrissement de la notion d’image fidèle chez les juges français qui ont saisit son véritable sens. C’est comme si la Cour punissait l’ancienne formulation de bilan inexact dans la mesure où elle sanctionne les fraudes caractérisées donnant des comptes manifestement infidèles. L’appréciation de l’image fidèle des états de synthèse par le juge doit tenir compte du fait que l’image qu’il conçoit peut être différente de l’image que se fera peut être une autre personne. Toutefois cette latitude d’acception doit se faire dans une limite acceptable qui n’induirait pas le lecteur en erreur, en d’autre terme cette image ne doit pas être source de « dol » comptable.

66

Bulletin n°84 de novembre 2001 de la Cour de cassation française.

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Chapitre 1 partie 1

La rareté de l’interprétation de la réglementation comptable par le juge complique le travail des professionnels comptables, qui lors de chaque opération d’interprétation ne sont pas en mesure d’estimer si, leurs interprétations pourraient être admises par le juge en cas de litige. L’arrêt cité précédemment relatif au portage, a été largement traité par la doctrine, ce qui a entraîné à notre sens une mise en conformité des professionnels avec le traitement ayant fait l’objet d’une interprétation jurisprudentielle. Ces derniers évitent ainsi de faire une interprétation67 qui ne sera peut être pas admis par le juge. Il nous semble que l’avis du CNC relatif aux opérations de portage, postérieur à l’arrêt précédent, n’a pas véritablement été la cause du respect de ce traitement par les professionnels, dans la mesure où juridiquement un avis n’a pas véritablement de force obligatoire. Cette situation peut être présentée par un arrêt du tribunal correctionnel de la seine paru en 1963 qui stipulait que « le bilan inexact résulte du fait que la comptabilité enregistrait les recettes et les dépenses au fur et à mesure de leurs encaissements ou règlements. Cette méthode préconisée par le Groupement Professionnel ne permet pas de présenter un bilan qui doit refléter la situation exacte des valeurs actives et passives au jour de la clôture de l’exercice. »68 A notre avis le juge, qui est tenu de respecter que les textes légaux, peut passer outre un avis du CNC et prescrire ainsi une non-adéquation du traitement comptable recommandé par le Conseil. « Le droit comprend, outre la loi, tout ce que le législateur n’a pas dit et que la doctrine et la jurisprudence ont constaté en se basant sur une volonté dégagée non seulement de l’interprétation rigoureuse d’un texte législatif mais de l’esprit général d’une législation. Les principes généraux du droit ne sont pas autre chose, et lorsque le législateur, averti de l’interprétation que la doctrine et la jurisprudence donnent à sa pensée présumée, ne s’insurge pas contre cette interprétation, c’est qu’il y souscrit et admet tacitement que ces principes prennent place dans notre droit positif. » 69 Supposons maintenant le cas d’école suivant : Un expert comptable Y qui lors d’une mission de commissariat aux comptes, hésite devant plusieurs interprétations possibles du traitement comptable de l’opération X, qui est très significative. Face à cette situation de doute, l’expert comptable Y se demande s’il peut donner une information dans son rapport sous forme de réserve ou d’observation concernant les différentes possibilités d’interprétation. Y justifie son choix par l’assimilation du doute sur le sens d’une disposition réglementaire à une forme d’incertitude. Il nous semble que cet exemple se rapproche du cas du juge qui ne peut pas s’abstenir d’émettre un jugement ; cas 67

« (…) le texte d’un jugement, et plus particulièrement son dispositif, constitue non pas un modèle mais la concrétisation d’une forme déterminée, dans un espace donnée, à un moment précis, de la disposition législative ou, en d’autres mots, le jugement constitue le produit final et irréversible de l’interprétation de la disposition, par son interprète, en regard de son espace d’application. », Philippe THIRY, in « Interpréter le droit : le sens, l’interprète, la machine : actes », du 4e séminaire du Mont Orford, 1994 ; sous la dir. de Claude THOMASSET et Danièle BOURCIER, 1997, E. Bruylant, Bruxelles. 68 Cet arrêt sera développé dans la deuxième partie dans le traitement du délit de bilan infidèle. 69 Eric CAUSIN, cit. op.

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 1 partie 1

connu sous le nom de « déni de justice ». Cet expert en comptabilité, M. Y est obligé de choisir une seule interprétation, dans la mesure où on ne peut différer aux lecteurs la sélection de l’interprétation adéquate. Normalement ce n’est pas au commissaire aux comptes de faire ce choix, mais plutôt au rédacteur des comptes. Toutefois en pratique, le directeur financier, demande au commissaire aux comptes, quel est le traitement qui devrait être adopté dans ce cas ? La question posée par le responsable financier est plus profonde qu’elle n’y parait. Si le rédacteur des comptes fait lui-même ce choix en début d’année et ne consulte pas son expert comptable, il se peut qu’en fin d’année l’expert comptable, lors de son intervention, conteste la pertinence du choix adopté, ce qui est susceptible d’entraîner une réserve ou un refus dans ce cas. L’expert comptable peut inverser la donne en se prévalant de la séparation du conseil et du mandat de commissariat aux comptes. Nous pouvons dire en synthèse, que si le rédacteur des comptes est obligé de choisir une interprétation dans le cas où il y en aurait plusieurs, le commissaire aux comptes n’est pas pour autant exempté de l’obligation de cette interprétation. Sous cet angle, l’interprétation comptable peut être perçue comme une partie d’échec. Face à l’interprétation d’une disposition comptable réglementaire, le juge peut souhaiter l’avis des professionnels comptables sous forme de consultation par exemple. « La consultation est destinée à permettre au juge de recueillir un avis technique, sans toutefois ordonner une expertise. Alors que les constatations, comme l’expertise, sont généralement écrites, les consultations devraient être le plus souvent orales. Le consultant, lorsqu’il est avisé de sa mission par le secrétaire-greffier, peut être convoqué par celui-ci. Par ce moyen, le technicien commis prendra connaissance des documents de la cause et pourra, le cas échéant, conférer avec le juge sur les investigations demandées et se tenir à sa disposition. »70 Toutefois concernant des questions de droit l’expertise judiciaire ou la consultation sont à notre avis en application des dispositions du code de procédure civile inopérantes.

70

Maurice AYDALOT, Jean ROBIN, Jacques LACOSTE, in « L’expertise comptable judiciaire. », 1981, Presses universitaires de France, Paris.

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Chapitre 2 :

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Chapitre 2 partie 1

Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 2 partie 1

11.. R RE EFFL LE EX XIIO ON N SSU UR RL L’’IIN NFFO OR RM MA AT TIIO ON NC CO OM MPPT TA AB BL LEE.. Cette section sera traitée sous la forme de quatre questions qui forment les quatre soussections suivantes : Quelle place occupe l’information comptable aujourd’hui ? La satisfaction des besoins en informations financières de tous les utilisateurs est-elle possible ? Peut-on parler au Maroc, des caractéristiques de l’information financière ? La dimension contractuelle et la dimension prédictive de l’information financière peuventelles coexister ensemble ? Nous avons fait en sorte, dans la présente section, de traiter l’information dans la conception comptable, de façon progressive. 11..11.. Q QU UE EL LL LE E PPL LA AC CEE …………...…..A AU UJJO OU UR RD D’’H HU UII ??

O OC CC CU UPPE E

L L’’IIN NFFO OR RM MA AT TIIO ON N

C CO OM MPPT TA AB BL LE E

« On sait aujourd’hui qu’il est vain d’isoler le signifiant du signifié, pas plus qu’il n’est possible d’envisager tant une pensée pure, non langagière en quelque sorte, qu’un langage pur simple succession de signes dépourvus de pensée. »131 L’association américaine de comptabilité définit l’information comptable comme étant « une donnée chiffrée relative à un phénomène économique passé, présent ou futur d’une entité, ceci à partir d’une observation selon des règles établies »132. Cette définition suggère que l’information comptable soit à la fois quantitative et générée suivant des règles ou normes précises. On pourrait être tenté de croire que les données chiffrées sont issues de la comptabilité, vue comme système ordonné de traitement des données chiffrées (un nombre d’écritures enregistrées dans un journal, reprises dans un grand livre puis transcrites sur une balance qui servirait à établir les états de synthèse). Toutefois les états de synthèse ne comprennent pas que des informations chiffrées, ils contiennent aussi d’autres informations non chiffrées qui sont généralement contenues dans l’ETIC, auxquelles la définition précédente ne fait nullement mention. Dans ce sens nous nous demandons si une information non chiffrée peut être qualifiée de comptable ? A notre avis le terme « information comptable » soulève en premier lieu pour le récepteur l’acception première développée dans la définition précédente. Cependant, nous estimons que ce terme devrait être compris selon la deuxième signification de façon plus extensive dans la mesure où la comptabilité est un système d’information global ; Afin d’éviter tout équivoque 131

François OST, in « Entre la lettre et l’esprit. », cit. op. Nadédjo BIGOU-LARE, in « Le SYSCOA et la pertinente de l’information comptable : une analyse de la pratique dans les entreprises Togolaises », 2001, congrès AFC.

132

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Chapitre 2 partie 1

nous utiliserons le terme « information financière » souvent utilisé par la doctrine ou les réglementations étrangères tel que l’IAS, qui ne comporte pas à notre sens un risque d’une signification biaisée par le récepteur. Nous allons essayer d’aborder successivement dans cette sous-section la place de l’information financière et aussi les dimensions de cette information. Afin de mieux appréhender la relation entre les états de synthèse et l’information financière, nous allons ci-après exposer l’étude de Macintosh sur l’analyse sémiotique des médias comptables. Dans la mesure où la présentation de cette étude nécessiterait des connaissances préalables dans le courant pragmatique de la sémiologie, nous présenterons sommairement la définition de la triadique du signe de Peirce. Peirce, le père fondateur133 de ce courant, défini le signe comme étant « quelque chose qui tient lieu pour quelqu’un de quelque chose sous quelque rapport ou à quelque titre … Il s’adresse à quelqu’un, c’est-à-dire créé dans l’esprit de cette personne un signe équivalent ou peut-être un signe plus développé. Ce signe tient lieu de quelque chose : son objet. Il tient lieu de cet objet, non sous tous rapports, mais par référence à une sorte d’idée que j’ai appelée quelquefois le fondement du signe134 »135 Dans cette définition, trois éléments interviennent, à savoir : Le « signe » : C’est un élément matériel ; Le « quelque chose » : C’est un objet de pensée ; « Quelqu’un » : C’est une représentation mentale de la relation entre le signe et l’objet. Il est appelé aussi l’interprétant ; « Le signe (S) est premier (une pure possibilité de signifier), l’objet (O) est second (ce qui existe et dont on parle), mais ce processus s’effectue en vertu d’un interprétant (I) (un troisième qui dynamise la relation de signification). »136 « On peut résumer ce qui précède dans le schéma suivant dans lequel les flèches représentent des déterminations et le signe une relation triadique liant S, O et I :

133

www.fr.wikipedia.org/wiki/pearce. Nous avons changé dans cette définition le mot « représentamen » créé par PEARCE, dans la mesure où l’auteur estime dans ses travaux ultérieurs que le représentamen est presque équivalent au mot sens. 135 M. ROBIN, in « 76 définitions du signe relevées dans les écrits de C.S.PEIRCE. », http://www.univperp.fr/see/rch/lts/MARTY/76-fr.htm 136 Raymond - Robert TREMBLAY, in « Charles Sanders Peirce », http://www.cvm.qc.ca/encephi/contenu /philoso/peirce.htm. 134

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Chapitre 2 partie 1

De plus on observe que puisque I est déterminé par O il devient d’une certaine manière un signe de O au même titre que S et est donc susceptible de déterminer un nouvel interprétant et ainsi de suite. On rentre donc nécessairement dans un processus d’interprétation indéfini (en l’état actuel de la conceptualisation) »137 que l’on peut représenter par ce schéma : Par exemple le mot « cheval » représente sans aucun doute un animal, toutefois chacun l’interprète à sa façon : le boucher y voit de la viande ; le jockey y voit son instrument de travail ; d’autres y voient du loisir… Dans son étude sur les médias comptables, Macintoch utilise la relation entre l’objet et le signe pour démonter que le signe comptable change d’une phase à une autre à travers l’histoire de la comptabilité. Le tableau138, figurant à l’annexe B1 (page 215), présente de façon détaillée les résultats de cette étude. Ce tableau mérite une analyse sémiotique. D’abord, le signe « une urne » est là pour identifier les vaches dans un pré. À l’époque médiévale, tout comme plus tardivement l’aristocrate anglais possesseur de grandes terres au XIX siècle, le seigneur n’échange pas son capital (ses terres) qui n’est pas valorisé. L’intendant ne rend compte que des entrées et sorties qui permettent de dégager un excédent. Au début de la renaissance, les associés se partagent la liquidation d’une « aventure ». L’objet de la comptabilité est d’attribuer la juste part à chaque associé, à eux de faire la part du capital et du revenu. Puis la liquidation ne se fait plus à chaque aventure (East Indian Company), mais la comptabilité la simule. L’objet de la comptabilité devient une simulation, d’abord sans identifier le capital puis en l’identifiant à partir de 1657 pour l’Est Indian Company. Pendant la période industrielle, la comptabilité mesure une organisation ce qui n’est ni une liquidation ni une simulation de liquidation. À l’ère financière, la comptabilité mesure un potentiel à faire des profits qui est interprété par les marchés financiers. « Macintosh a-t-il raison de décrire l’histoire comptable en termes de changement du rapport du signe à la réalité ? Il fait l’hypothèse implicite que le signe change et que la réalité est constante. Est-ce vraiment le cas ? Le signe change-t-il ou la réalité change-t-elle ? L’objet de la comptabilité change ainsi que la réalité décrite : de la vache à un potentiel à faire des profits. Peut-être est-ce simplement la réalité qui a changé ? »139 Le tableau suivant propose une analyse triadique de Macintosh :

137

Robert Marty, in « L’algèbre des signes. », 1990, éditions John Benjamins, Amsterdam. Emprunté à Macintosh N. B. & Shearer T. & thornton D. B. & Welker M., in « Accounting as simulacrum and hyper reality : perspectives on income and capital », 2000, Accounting Organizations and society, Vol. 25, cité par Victor LABOURET, in « sémiotique et comptabilité, ou la triade : réalité, acteur, comptabilité », 2002, congrès AFC. 139 Victor LABOURET, cit. op. 138

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Nous comprenons dès lors que la crise actuelle que subit la comptabilité est intimement liée au développement des marchés financiers. Afin de mieux saisir le « signe » actuel de la comptabilité, nous allons présenter une étude menée par Chekkar et Lardin140 qui permet de montrer comment et pourquoi les entreprises sont passées d’une production d’informations comptables (1670 – 1880) à une production d’informations financières (1860 – 1960) et enfin à une production de connaissances financières (1960 – à nos jours). La figure présentée dans l’annexe B4 (page 219) synthétise les résultats de cette étude. Nous allons ci-après exposer la dernière étape de « la production de connaissances financières » selon la vision de ses auteurs qui distingue trois points marquants : La sophistication des supports : Le rapport annuel est, comme par le passé, toujours le premier moyen de communication financière. Mais ce rapport, à la différence de la fin du 19ème siècle, est plus élaboré et ne se contente plus de répondre aux obligations légales. Dans certains cas des informations volontaires, sont diffusées. D’après Heurteux141, il existe trois types de rapports financiers, comme le montre le tableau ci-dessous :

Tableau des contenus des rapports annuels selon Heurteux

La troisième forme de rapport est particulièrement intéressante parce que par cette stratégie les sociétés essayent de satisfaire leurs cibles. D’autres formes de communication accompagnent parfois les rapports, comme les conférences de presses… La spécialisation des acteurs : Les rapports figurant dans la dernière catégorie du tableau précèdent (page 66) ne sont plus établis uniquement par le service financier en 140 Rahma CHEKKAR et Pierre LABARDIN, in « De l’information financière à la connaissance financière : des années 1670 à nos jours. », mai 2005, 26ème congrès AFC à Lille. 141 Cité par Rahma CHEKKAR et Pierre LABARDIN

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collaboration avec les dirigeants. Depuis la moitié du siècle passé, dans certaines grandes sociétés, un service des relations publiques a vu le jour pour renforcer la stratégie communicationnelle de la société. En parallèle des agences de communication financière ont vu le jour. On dénombre actuellement plus d’une cinquantaine d’agences dans chaque place boursière importante ; La volonté de réduire les dissonances cognitives : La diffusion d’informations financières s’inscrit désormais dans une démarche volontaire de la part des entreprises. Elles se mettent à communiquer pour mettre en confiance leurs partenaires. Pour ce faire, la société procède à des choix dans ce qu’elle veut dire, mettre en avant ou, au contraire, reléguer à l’arrière plan, même si elle donne pourtant l’information. En confrontant ces deux études, nous dirons que l’étude de Macintoch met en exergue une demande d’information financière spéciale de la part des utilisateurs et l’étude de Chekkar et Lardin dénote une réponse à cette demande de la part des sociétés. Nous constatons dès lors que les entreprises ont saisis la place réservée actuellement à l’information financière et se mettent à communiquer pour essayer d’orienter cette information. Toutefois la communication d’information financière pour aboutir aux buts assignés doit répondre à certains critères. Une de ces caractéristiques a été étudiée par Rakotonjanahary142 à savoir la surcharge d’information. L’auteur s’est livré à une expérience dans le cadre de laquelle les sujets simulaient une décision de prêt commercial. La quantité de données disponibles a été manipulée de façon qu’elle soit faible, moyenne ou élevée, ce qui a donné lieu à trois versions de la demande de crédit. Les prêteurs prévoyaient la santé financière de six entreprises emprunteuses. L’expérience a permis de constater les résultats suivants : Au-delà d’un certain seuil, la quantité de données, perçues comme étant pertinentes et redondantes par le décideur, réduit la qualité de sa décision : L’augmentation de la quantité de données redondantes nuit à la qualité de la décision, telle que présentée dans le schéma suivant. Les résultats obtenus suggèrent qu’une stratégie d’information possible consiste à cibler les utilisateurs et à leur fournir seulement les données pertinentes à leur tâche. La quantité de données perçues comme étant pertinentes n’influence pas la qualité de la décision : Ce résultat est conforme aux résultats de plusieurs études similaires 142

Philémon RAKOTONJANAHARY, in « Caractéristiques de l’information, surcharge d’informations et qualité de la décision. », 2002, congrès AFC.

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(Iselin, 1993, Simnett, 1996 et Gadenne et Iselin, 2000) qui ont isolé l’effet des données pertinentes et n’ont pas observé de détérioration de la qualité de la décision lorsqu’on a augmenté la quantité de ces données. L’enjeu de l’information et de la communication financière et donc considérable. Les éléments à prendre en compte sont divers, complexes et évolutifs. On ne peut pas s’en tenir au respect de simples obligations formelles dispensées par la réglementation au sens strict du terme. Il appartient aux organes de surveillance tel que Bank al Maghrib ou le CDVM par exemple de veiller à l’adaptation constante du contenu et du support de l’information aux évolutions techniques et de susciter chez les émetteurs une volonté de communiquer envers le public, à bon escient et en toutes circonstances A supposer acquise du côté des émetteurs cette volonté de donner une image objective et fidèle de l’entreprise (ce qui suppose une stratégie adéquate et notamment des procédures ou des moyens permettant de recueillir des éléments fiables), l’exercice de la communication financière proprement dite demeure un art difficile. 11..22.. L LA A SSA AT TIISSFFA AC CT TIIO ON N D DEESS B BE ESSO OIIN NSS E EN N IIN NFFO OR RM MA ATTIIO ON NSS ………..............FFIIN NA AN NC CIIE ER RE ESS D DE E T TO OU USS L LE ESS U UT TIIL LIISSA AT TE EU UR RSS E ESST T--E EL LL LE E ………..............PPO S S I B L E ? OSSIBLE ? Aujourd’hui, tous les professionnels comptables, s’accordent à dire que les états de synthèse sont destinés à une multitude de lecteurs, « d’horizons et de culture divers »143. Le devoir de fidélité de l’image comptable, exige en outre, que les rédacteurs des comptes doivent s’attacher à répondre aux besoins de ces utilisateurs. Si le devoir de réponse aux besoins des utilisateurs est axiomatique et ne soulève pas de difficulté doctrinale précise, sa mise œuvre en pratique est problématique. Nous pouvons résumer cette situation sous la forme des trois questions suivantes : Quels sont ces utilisateurs ? Quels sont les besoins de ces utilisateurs ? Peut-on privilégier une catégorie d’utilisateurs par rapport à une autre ? Nous allons ci-après essayer successivement de développer des réponses à chacune de ces questions. 11..22..11.. L LE ESS U UT TIIL LIISSA AT TE EU UR RSS .……………… ;;…………..F FIIN NA AN NC CIIE ER RE E..

D DE E

L L’’IIN NF FO OR RM MA AT TIIO ON N

La loi n° 9-88 relative aux obligations comptables des commerçants, à l’instar de la loi comptable française, ne fait pas mention du terme « utilisateur ». Dans le cadre de la comparaison des cadres conceptuels étrangers (IAS, tunisien, suisse et canadien) avec 143

Hassan ALLOUCH, in « La politique d’arrêté des comptes : Enjeux et finalité. », décembre 2000, Bulletin d’information périodique, Casablanca.

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les éléments implicites d’un cadre conceptuel contenus dans le CGNC, nous avons présenté les différentes références, contenues dans ces cadres, relatives à la notion d’ « utilisateur » dans l’annexe B4 à la page 223. Il ressort de l’analyse de ces textes les éléments suivants : Le CGNC fait la distinction entre utilisateurs internes et utilisateurs externes : Il nous semble que cette classification qui est aussi contenu dans le cadre conceptuel tunisien, n’est que purement formelle ; Les catégories d’utilisateurs cités par le CGNC figurent aussi dans tous les cadres conceptuels cités précédemment ; Le CGNC affirme dans un de ses nombreux commentaires que les états de synthèse visent la satisfaction de toutes les catégories d’utilisateurs : Le CGNC s’inspirant du Plan Comptable Général français144, vise globalement tous les utilisateurs. Toutefois, la quasi-majorité des cadres conceptuels étrangers ont choisi une catégorie spécifique comme utilisateur privilégié. Devant la diversité des utilisateurs, il nous semble légitime de se demander s’il existe une échelle de préférence retenue par la comptabilité et si cette dernière arrive à satisfaire tous ceux qui la sollicitent ? Même si la question a été tranchée précédemment dans le cadre de la comptabilité marocaine, nous allons essayer de développer la notion d’utilisateur privilégié qui revient incessamment dans le cadre des recherches conceptuelles, en vue de comprendre les causes implicites du choix marocain et les différences qu’introduit une pareille différence conceptuelle. La précédente question n’est pas neutre145 au niveau de l’approche conceptuel de la comptabilité. Celle-ci, est selon certain, met en évidence un certain nombre de questions tel que : « Dans la mesure où la vérité comptable n’est que relative et qu’elle est différente selon les utilisateurs, il est utile de savoir si le paradigme comptable : Permet de satisfaire tous les utilisateurs et de recouvrir, grâce à l’emploi d’un langage normalisé, une portée générale et universelle. Ou bien, au contraire, en raison de la diversité des préoccupations, il doit être d’une portée spécifique et adaptée à chaque utilisateur. Autrement dit, il est essentiel de poser cette interrogation : spécificité ou universalité de l’information financière ? »146 144

Le PCG de 1982 ne mentionne pas expressément ce choix, toutefois cette idée, nous semble-t-il ressort d’après l’utilisation simple des termes « donner à leurs utilisateurs » contenue dans la page 5 du PCG. Cette conclusion est identique à la conception de Bernard COLASSE, cit. op. 145 « Cette conception n’est pas neutre sur la nature de l’information à publier et sur les principes et conventions comptables. », Christian HOARAU, in « Le passage aux normes IAS – IFRS : une révolution comptable. », 2004, la revue du FINANCIER, Paris. 146 Définition proposé par Djelloul SACI, in « comptabilité de l’entreprise et système économique : l’expérience Algérienne », 1991, office des publications universitaires algérienne.

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Le FASB explique qu’il privilégie les investisseurs, car ces derniers disposent non seulement d’un modèle de décision qui a fait ses preuves, mais aussi parce que les données concernant les réactions des investisseurs à l’information financière sont facilement accessibles. Ce sont eux qui utilisent les flux monétaires plutôt que les bénéfices comptables pour leurs analyses, qui ont besoins d’informations rapides, actuelle, et autorisant des prévisions. Selon certain « le fait de désigner comme utilisateurs privilégiés des utilisateurs externes, et plus particulièrement les investisseurs potentiels, et les prêteurs, ne sont pas en contradiction avec l’approche systémique dans la mesure où, pour fournir ces informations, on puise à la même source structurée par des objectifs et des principes fondamentaux inter - reliés. Source, ou base de données, dans laquelle les autres utilisateurs externes ou internes puisent aussi. »147 Cette conception des choses ressemble à notre avis à la dernière recommandation mise en gras dans le rapport de la Banque Mondiale sur le respect des normes et codes au Maroc : « Sur le plan de l’information financière, le cadre législatif et réglementaire doit être revu afin que les investisseurs, aient accès à une information financière suffisante, dans un délai raisonnable, et de façon aisée. »148 Au Canada, Stamp149 souligne qu’à ces yeux le Comité de recherche comptable devrait tenir compte des besoins d’un éventail de groupes d’utilisateurs beaucoup plus vaste que celui auquel s’intéresse le F.A.S.B. aux Etats-Unis, dans la mise au point de son cadre théorique. Ceci, ajoute-t-il, vise à tenir compte du fait qu’à bien des égards, le système social et le système politique du Canada se rapprochent plus de ceux d’Europe (où le concept de responsabilité comptable élargie est plus acceptable qu’aux EtatsUnis) que de la réalité sociale et politique des Etats-Unis. Stamp propose dès lors une liste de 15 catégories d’utilisateurs, pour lesquelles il est légitime (sans nécessairement que ce droit soit protégé par la loi) de vouloir recevoir et d’utiliser les états financiers publiés. L’annexe B3 (page 220) présente les différentes catégories identifiées par Stamp, ainsi que leur classement en actuel, passé et potentiel. Aux catégories d’utilisateurs généralement visées par les cadres conceptuels (investisseurs actuels et potentiels, et aux prêteurs), Stamp ajoute, en particulier, les salariés, les clients, les associations patronales, les pouvoirs publics, le grand public, les bourses, les autres sociétés, les normalisateurs et les chercheurs.

147

Bernard APOTHELOZ, in « Pertinence et fiabilité de l’information comptable : la cas du crédit bail. », 1989, Collection systémique, Méta-Edition. 148 Banque mondiale, «Rapport sur le Respect des Normes et Codes (RRNC) au Maroc», 2002. 149 Edouard STAMP, in « L’information financière publiée par les sociétés : évolution future », 1983, Instituts Canadiens des Comptables Agréés, Toronto.

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Cet auteur distingue parmi les différentes catégories d’utilisateurs identifiées, deux catégories d’utilisateurs qui disposent d’un pouvoir d’obtenir des informations différentes : Les utilisateurs internes, qui ont évidemment besoin de renseignements qui ne figurent pas dans les états financiers, mais pour lesquels, cependant, il n’est pas nécessaire d’établir de normes, car ce sont eux les responsables du système d’information ; Les utilisateurs qui disposent du pouvoir et des ressources nécessaires pour dicter la nature des renseignements qu’ils entendent recevoir (fisc, organismes de réglementation, établissements de crédit), bien qu’ils consultent d’abord, en règle générale, les états financiers publiés. L’ancien cadre théorique de l’Office des Normes Comptables du Canada a partiellement suivi ces recommandations d’élargissement du groupe des utilisateurs, il indique notamment, l’information financière est destinée tant aux utilisateurs internes (directeurs, employés, administrateurs), qu’aux utilisateurs externes (investisseurs, créanciers, fisc, organismes de réglementation et autres groupes de la société canadienne). Pour le cas marocain, il nous semble que le choix mentionné dans le CGNC, qui est postérieur d’une décennie de la publication des cadres conceptuels du FASB et de l’IAS, peut être expliqué de façon très rationnelle. Nous citons à ce titre le professeur Colasse qui en commentant les nouvelles normes IFRS précise que « Ces comptes obéiront donc désormais à des normes inspirées d’un cadre conceptuel qui, dans son article 10, proclame sans détours son orientation actionnariale (…) Il s’agit là d’une rupture majeure avec notre droit comptable qui, en ne désignant pas d’utilisateurs privilégiés, s’efforçait de concilier les intérêts des diverses parties prenantes. (…) C’est là, l’un des traits marquants du droit comptable français, il n’assigne aucun objectif à la comptabilité, en ce sens il ne dit pas à quels utilisateurs et à quelles utilisations l’information financière est spécifiquement destinée. Ce qui semble dire a contrario et implicitement qu’elle est destinée à tous, sans exclusivité, et vise ainsi l’intérêt général. Ce qui en soit est porteur de contradictions et de discordances dans la mesure où les besoins d’information des différentes parties prenantes ne sont pas les mêmes et ne peuvent être a priori satisfaits par les mêmes normes. Mais ce droit discordant est sans doute le prix à payer pour une élaboration collégiale et démocratique à laquelle, au sein du Conseil National de la Comptabilité, participe toutes les parties prenantes. Ce droit-là est peut-être d’ailleurs beaucoup plus ambitieux qu’il ne le paraît car il peut aussi vouloir dire que l’entreprise, en tant qu’entité autonome, obéit à des objectifs qui transcendent ceux des parties prenantes et guident l’action des dirigeants au service de l’intérêt commun. »150 La comptabilité a été définie comme un système d’information. Les cadres conceptuels de la comptabilité (annexe B4 figurant à la page 222) ont défini les utilisateurs de l’information 150

COLASSE, « L’évolution du droit comptable », Journée pédagogique de l ’AFC, ENS Cachan, 2004.

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financière. Les études effectuées aux Etats-Unis ont surtout privilégié l’impact des informations financières sur les comportements boursiers. Mais, la comptabilité est un outil d’information universel ; elle renseigne des destinataires directs (actionnaires, banquiers, administrations fiscales), mais aussi des destinataires indirects (concurrents, salariés, fournisseurs, clients) dont les options sont fonction des informations données. « Elle est aussi appelée à prendre en compte de nouveaux besoins (comptabilité environnementale, ressources humaines par exemple). »151 La plupart des entreprises marocaines sont des petites et moyennes entreprises de type familial. A notre avis, la prise en considération de cet élément est cruciale dans la comparaison avec des systèmes capitalistiques tels que la France, les Etats-Unis ou le Canada. Dans un cadre socio-économique proche du notre, une étude152 tunisienne démontre que les principaux utilisateurs des états financiers de ces PME sont les utilisateurs internes suivis par le fisc et les bailleurs de fonds (les banques). 11..22..22.. L LE ESS B BE ESSO OIIN NSS D DE ESS U UT TIIL LIISSA AT TE EU UR RSS ………………………………… L L’’IIN NF FO OR RM MA AT TIIO ON NF FIIN NA AN NC CIIE ER RE E..

D DE E

.

Stamp a développé de façon très intéressante, la relation qui doit exister entre les besoins des utilisateurs internes et externes. L’un n’allant pas sans l’autre, le caractère intégré de toute l’information financière est reconnue. Le tableau figurant dans l’annexe B3 bis (page 223) présente les différents besoins spécifiques en information financière définie par Stamp pour chaque catégorie d’utilisateurs. D’après les cadres conceptuels de la comptabilité financière étudiés dans l’annexe B4 (page 221), les investisseurs qui fournissent les capitaux à risque ainsi que les prêteurs sont concernés en premier par le risque inhérent à leurs placements et crédits. Ces derniers veulent généralement savoir si l’entreprise est rentable, si elle génère des flux de trésorerie positifs, si ces actifs sont sauvegardés et si elle est en mesure de continuer son activité et d’honorer ses engagements dans un avenir prévisible. Dans ses systèmes, la qualité d’utilisateur privilégié est reconnue en premier lieu aux investisseurs, pour plusieurs raisons, dont notamment « leur rôle dans l’économie mais surtout pour le risque auquel il s’expose du fait du concours qu’ils acceptent volontairement d’accorder à l’économie ».153 Afin d’évaluer la capacité de l’entreprise à demeurer solvable, l’agent économique trouve dans l’état des flux de trésorerie des variables indispensables à l’évaluation de la capacité de l’entreprise à générer des flux futurs et à honorer ses engagements. Ainsi cet état permet de déterminer directement les flux de trésorerie liés à l’exploitation, 151

Robert OBERT, cit. op. Basma CHOUCHANE, in « Petites & moyennes entreprises : Suivi des travaux de recherche de l’ISAR sur la comptabilité des petites et moyennes entreprises. », 2002, Revue Comptable et financière n° 55, Tunis. 153 Fthia AOUAMRI, « Les divulgations comptables et leurs implications sur les choix décisionnels de l’utilisateur privilégié », 1999, mémoire DEA, ISCAE Tunis 152

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ceux relatifs aux activités de financement et ceux provenant des activités d’investissement. Lauzon affirme que « la détermination de la capacité de gain futur de l’entreprise représente une information capitale pour l’investisseur et le créancier. La notion de pouvoir ou de capacité de gain se réfère à la mesure par laquelle l’entreprise accroîtra sa richesse, obtiendra des fonds et pourra ultérieurement convertir ses bénéfices en espèces. »154 L’idéologie de la satisfaction des besoins des utilisateurs privilégiés, introduit initialement dans le cadre conceptuel du FASB, « a bouleversé totalement la fonction comptable : de discipline d’enregistrement, elle est devenue discipline de prise de décision ayant pour principe de base la pertinence »155. 11..22..33.. L L’’E EN NIIG GM ME E D DE E L LA A C CO ON NC CIIL LIIA AT TIIO ON N D DE ESS ………………………………..D DIIF FF FE ER RE EN NT TSS B BE ESSO OIIN NSS D DE ESS U UT TIIL LIISSA AT TE EU UR RSS ………………………………..D EL L’’IIN NF FO OR RM MA AT TIIO ON NF FIIN NA AN NC CIIE ER RE E.. DE La mise à disposition à tous d’une information régulière, permanente ou continue, de qualité et compréhensible portant sur la situation actuelle et les perspectives de l’entreprise permet aux détenteurs d’instruments financiers et au public d’investir ou de ne pas investir en connaissance de cause. Dans ce sens, la pression des marchés (actionnaires, bailleurs de fond, investisseurs, épargnants…) est probablement le facteur qui a le plus d’influence sur le comportement comptable des entreprises. Ainsi, nous vivons dans une époque marquée par la pression que les marchés exercent sur les émetteurs de titres et les emprunteurs. Dès lors que l’entreprise a besoin de lever des capitaux ou d’emprunter, elle devra se soumettre aux règles du marché. Par conséquent, plus les opérateurs du marché sont exigeants, plus les entreprises améliorent leur performance comptable. Toutefois de cette transparence du marché dépend la confiance des investisseurs ainsi que la liquidité des titres côtés. Des communications irrégulières, incomplètes, incorrectes ou ambiguës finissent par énerver les marchés, incitent à l’octroi de primes de risque, ce qui se traduiront tôt ou tard par une augmentation du coût de financement des entreprises. 11..33.. PPE EU UT T--O ON N PPA AR RL LE ER R A AU U M MA AR RO OC C,, D DE ESS C CA AR RA AC CT TE ER RIISST TIIQ QU UE ESS D DE E ……….............L L’’IIN NFFO OR RM MA AT TIIO ON N FFIIN NA AN NC CIIE ER RE E ?? « La comptabilité pourrait être une forme banale de l’illusion ou du mensonge si les informations qu’elle présente n’étaient ni pertinentes, ni fiables. »156

154

Paul LAUZON, in « Le cadre théorique de la comptabilité. », 1988, Gaëten Morin. Ahmed NACIRI cité par Bernard APOTHELOZ, cit.op. 156 Code général de normalisation comptable. 155

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Selon le CGNC, les états de synthèse sont établis dans le respect des principes comptables fondamentaux qui ont précisément pour but d’en assurer les caractéristiques suivantes : La pertinence des informations tient à l’adéquation existante entre leur contenu et leur objet : une information pertinente doit représenter convenablement, fidèlement, les faits ou les concepts qu’elle énonce ; elle est donc signifiante ce qui suppose que toutes les précautions ont été prises pour en définir clairement et sans ambiguïté le contenu, le contour, les limites. La Norme Générale s’est attachée à dégager de telles informations, qui puissent convenir à l’ensemble des utilisateurs. (…) L’objectif étant de ne pas se tromper et de ne pas tromper les tiers ; La fiabilité des informations tient quant à elle, davantage au caractère quantitatif ; les montants qui apparaissent dans les comptes ou dans les états de synthèse doivent être sûrs, ce qui implique tant une très bonne définition des méthodes d’évaluation qu’une parfaite maîtrise des faits comptables et de la chaîne des traitements qui aboutissent aux comptes et aux états de synthèse ; La comparabilité dans le temps et dans l’espace : Cette caractéristique, qui est expressément mentionnée par le CGNC, n’est pas expliquée de façon précise. La présentation de ces caractéristiques de l’information financière suscite à notre avis un certain nombre d’observations qu’on essayera de traiter successivement dans ce qui suit. La loi n° 9-88 relative aux obligations comptables des commerçants ne fait pas mention de ses caractéristiques : Il nous semble que juridiquement ces caractéristiques qui sont citées dans le CGNC n’ont pas de valeur en tant que tel, dans la mesure où ils ne sont pas cités par la loi n° 9-88. Cependant une valeur doctrinale leur est généralement consacrée par les auteurs ; Le CGNC suppose qu’une conformité à ses dispositions aboutie nécessairement à la pertinence et à la fiabilité de l’information financière : Il nous semble que les dispositions précédentes font parties des nombreux commentaires du CGNC ayant pour objet une approche justificatoire de son assise doctrinale ; En vue d’arriver à la pertinence et la fiabilité, le CGNC recommande de recourir à des professionnels comptables qualifiés tant en amont des états de synthèse (conception du système comptable) qu’en aval (contrôle). Il nous semble que les éléments développés par le CGNC concernant les caractéristiques financières, en raison notamment de la deuxième observation ci-dessus, ne peuvent à notre avis justifier la prise en compte de ces caractéristiques lors d’une opération d’interprétation comptable. Toutefois d’un point de vue doctrinal, il nous semble intéressant de développer les caractéristiques de l’information dans les législations supranationales. Dans la page 225 (page 4 de l’annexe B4), sont présentés les textes relatifs aux caractéristiques de l’information financière dans les cadres conceptuels internationaux,

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Chapitre 2 partie 1

tunisien, suisse et canadien. Nous allons essayer de traiter successivement les caractéristiques de l’information financière tel qu’ils sont généralement reconnus : L’intelligibilité : L’information fournie par les états de synthèse doit être compréhensible par les utilisateurs qui ont une connaissance raisonnable des affaires et de la comptabilité. Même si le CGNC et la loi n° 9-88 ne mentionnent pas cette caractéristique, il nous semble que celle-ci s’impose d’elle-même, dans la mesure où nous estimons que cette caractéristique découle implicitement de l’objectif de l’image fidèle. Toutefois, la reconnaissance de cette caractéristique, par les cadres conceptuels étrangers, entraîne à notre avis les observations suivantes : • On ne peut pas trop vulgariser l’information pour répondre aux besoins d’information de personnes profanes en comptabilité. De même on ne peut pas rendre les informations véhiculées dans les états de synthèse trop complexes. Un juste milieu est à notre avis nécessaire ; • Une information complexe, qui doit être incluse dans les états de synthèse du fait de sa pertinence, ne doit pas être exclue au seul motif qu’elle serait incompréhensible par certains utilisateurs ; • L’utilisateur est supposé avoir la volonté d’étudier l’information d’une façon raisonnablement diligente ; La pertinence : L’information est pertinente de par sa nature lorsqu’elle peut influer sur les décisions des utilisateurs, en les aidant à évaluer l’incidence financière des opérations et des faits passés, présents ou futurs, ou en leurs permettant de confirmer ou de corriger des évaluations antérieures. Cette caractéristique se subdivise généralement en les éléments suivants : • La valeur prédictive : L’information doit aider les utilisateurs à prévoir les résultats et événements futurs ; • Une valeur rétrospective ou de confirmation : L’information peut être utilisée pour comprendre ou corriger des résultats, des événements et des prédictions antérieures ; • La rapidité de divulgation : Pour être susceptible d’être utile à la prise de décision, toute information doit être divulguée au moment opportun157. Il nous semble, que la célérité de l’information, est unanimement reconnue et ne soulève pas de polémique particulière ; La fiabilité : l’information est fiable lorsqu’elle concorde avec les opérations et les faits sous-jacents, que ce rapport de concordance est susceptible de faire l’objet d’une

157

Le rapport de la banque mondiale sur le respect des normes et codes au Maroc stipule que « sur le plan de l’information financière, le cadre législatif et réglementaire doit être revu afin que les investisseurs, aient accès à une information financière suffisante, dans un délai raisonnable, et de façon aisée. »

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Chapitre 2 partie 1

vérification indépendante et que l’information est raisonnablement exempte d’erreur et de partis pris. Cette caractéristique englobe quatre critères essentiels : • La représentation fidèle : C’est la correspondance entre la mesure ou la description des faits et transactions qu’elles sont censées traduire ; • La neutralité : L’information financière est neutre quant-elle ne fait pas l’objet de partie pris ; • La vérifiabilité : Elle est matérialisée par des pièces justificatives qui peuvent être contrôlées à tout moment ; La comparabilité : C’est une caractéristique du rapport qui existe entre deux éléments de l’information et non une caractéristique qui se rattache à un élément de l’information en soi. Celle-ci doit être appréhendée selon ses dimensions, à savoir : • La comparabilité temporelle : L’information financière doit être comparable d’un exercice à un autre afin de suivre l’évolution de la situation financière de l’entreprise ; • La comparabilité spatiale : La caractéristique de comparabilité ne doit pas conduire à une uniformité pure dans les méthodes comptables, au contraire lorsqu’une nouvelle méthode aboutie à une information plus pertinente et une meilleure image fidèle, elle doit être adoptée. La prise en considération des caractéristiques de l’information financière, en vue de leur application, doit tenir compte des deux contraintes suivantes : L’importance significative : une information d’importance significative est une information dont l’absence ou l’inexactitude sont susceptibles d’influencer les décisions qui seront prises par les utilisateurs ; Equilibre avantages / coûts : Les avantages obtenus de l’information doivent être supérieurs au coût de production de l’information. Celle-ci est essentiellement affaire de jugement. On doit établir un équilibre entre les différentes caractéristiques qualitatives puisque l’accent sur une qualité se fera généralement au détriment d’une autre. Le schéma158 suivant présente les caractéristiques de l’information financière selon le cadre conceptuel tunisien.

158

D’après Raouf YAICH, cit. op.

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Le schéma suivant récapitule les caractéristiques de l’information financière identifiée par le FASB159.

Il nous semble que l’interprétation en comptabilité doit tenir compte de la pertinence et de la fiabilité qui sont les principales caractéristiques de l’information financière tel que développées dans les schémas précédents. Ces caractéristiques qui découlent, à notre sens, du caractère scientifique de la comptabilité, doivent être pris en compte même s’ils ne sont pas visés par un texte réglementaire.

159

D’après le FASB, statement n° 2 (qualitative characteristics of information), 1980, cité par Kadri NASSER, « Le pouvoir prédictif de l’information comptable (une étude exploratrice du secteur bancaire tunisien). », 1997, DEA comptabilité, ISCAE Tunis.

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Chapitre 2 partie 1

La pertinence et la fiabilité constituent les qualités fondamentales alors que la comparabilité et l’intelligibilité constituent des qualités secondaires. En pratique, il est souvent nécessaire de faire un compromis entre les diverses qualités de l’information, notamment entre la pertinence et la fiabilité. Généralement, on cherche à réaliser un équilibre approprié. L’importance à accorder à chacune de ces qualités, dans chaque cas d’espèce, est affaire de jugement professionnel. Selon un autre point de vue, Eli Amir et Baruch Lev (1996) ont examiné la pertinence des informations financières (comptables) et non financières pour les investisseurs dans un secteur d’activité particulier. Ils ont trouvé que les informations financières, prises seules, sont largement impertinentes pour l’évaluation des titres financiers. « Les indicateurs non financiers, tels que le potentiel de croissance et la pénétration du marché sont, par contre, très pertinents. Cependant, si elles sont combinées aux indices non financiers, les informations comptables contribuent à l’explication des cours. La complémentarité entre les deux formes d’indicateurs a été fortement confirmée dans cette étude. En effet, les indicateurs purement financiers sont parfois biaisés. Selon Daniel Zéghal (1999) qui confirme les observations de Leana (1996), les décisions sont, dans bien des cas, motivées par une amélioration des résultats financiers aux dépens d’une intensification de la productivité et au détriment de ces mêmes sociétés. Il rapporte les conclusions de Likert (1958) qui a publié dans un article de la revue « Havard Business Review » que les accroissements d’entrées de fonds découlant d’une réduction des coûts résultent plutôt de la liquidation d’actifs dont la valeur pour l’organisation se trouve substantiellement supérieure à l’augmentation des bénéfices. »160 11..44.. L LA A D DIIM ME EN NSSIIO ON N C CO ON NT TR RA AC CTTU UE EL LL LE E EET T L LA A D DIIM ME EN NSSIIO ON N ..……………....PPR RE ED DIIC CT TIIV VE E D DE E L L’’IIN NFFO OR RM MA AT TIIO ON N FFIIN NA AN NC CIIE ER RE E PPE EU UV VE EN NT T-………………..E EL LL LE ESS C CO OE EX XIISST TE ER RE EN NSSE EM MB BL LE E ?? Deux conceptions de l’information financière coexistent aujourd’hui selon l’utilisation que l’on veut en faire. Contractuelle, elle sert principalement au contrôle des contrats externes et internes à l’entreprise ; prédictive, elle doit permettre aux investisseurs de formuler leurs anticipations sur l’avenir de la firme. Mais ces deux approches qui ont des exigences souvent opposées exigent du système comptable des qualités profondément différentes. Nous allons essayer dans ce qui suit de développer chacune de ses dimensions : La dimension contractuelle : « Cette conception dérive de la théorie contractuelle des organisations, selon laquelle l’entreprise peut être considérée comme un ensemble de contrats entre les divers agents économiques, internes et externes, participant à son activité. Certains de ces contrats lient l’entreprise à des tiers. Ce sont ceux relatifs à 160

Eli AMIR et Baruch LEV, «Value - relance of non financial information: thé wireless communication industry», 1996, journal of accounting and économies n°22 et Daniel ZEGHAL, « De nouveaux actifs en fonction de la nouvelle économie », 1999, journal igf, cités par Rym BEN NASRALLAH, « l’effet des système de contrôle de gestion sur les performances des SMVDA. », 2000, Mémoire de DEA, ISCAE Tunis.

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Chapitre 2 partie 1

l’acquisition et à la vente de biens et services, ou encore les contrats de prêts et d’emprunts. D’autres résultent de relations internes à l’entreprise. » 161 C’est le cas des contrats de travail des salariés ou des engagements entre actionnaires et dirigeants. Vue sous cet angle, l’information financière doit fournir des éléments quantitatifs permettant de s’assurer que les engagements - explicites ou implicites - des diverses parties ont été respectées. Cette conception n’est pas nouvelle car la comptabilité a d’abord été, et reste encore un moyen de preuve entre commerçants. Mais ce rôle traditionnel a progressivement été relégué au second plan en raison des besoins d’informations nés du développement des marchés financiers ; La dimension prédictive : Cette approche est centrée sur le marché financier. Elle considère l’entreprise comme un « producteur d’actifs financiers » - actions et obligations - confronté aux « clients » que sont les investisseurs. Pour prendre leurs décisions d’achat, ces derniers ont besoin d’informations sur les produits qu’on leur propose. Les documents comptables constituent une source d’informations. « W.H. Beaver déclare, par exemple, que la comptabilité « ... doit aider l’investisseur individuel, confronté à un ensemble de prix, à constituer un portefeuille optimal de titres ». Selon Hendriksen, cette conception est apparue aux Etats-Unis aux alentours de 1930. Popularisée par les milieux académiques et par la SEC, elle s’est peu à peu imposée parmi les professionnels de la comptabilité. Le FASB, organisme de normalisation comptable américain, affirme par exemple que «...les documents financiers doivent fournir aux investisseurs, créanciers et autres utilisateurs actuels ou potentiels une information utile à la prise de décisions rationnelles en matière d’investissement, de crédit, etc. ». Selon cette conception, l’utilité de l’information financière s’apprécie par rapport à 1’usage qu’en font les investisseurs pour définir et réviser leurs anticipations. » 162 Le problème de l’investisseur est de déterminer le « juste » prix de chaque actif qui lui est proposé. En théorie, ce prix est égal à la somme actualisée des revenus futurs. Selon l’approche prédictive, l’information financière doit permettre à l’investisseur de formuler ses anticipations quant aux revenus à venir et quant aux risques pesant sur ces revenus, de manière à fixer le taux d’actualisation. Les exigences de l’approche contractuelle quant à la nature et au volume des informations à publier sont très différentes. Remarquons en premier lieu que, pour cette analyse, l’information prévisionnelle n’a pas vraiment d’utilité, puisque seul l’examen de l’activité passée permet de vérifier l’exécution des contrats en vigueur. Quant aux informations nécessaires, elles sont en nombre réduit et diffèrent selon les parties concernées. Les relations avec les clients et fournisseurs se satisfont du simple contrôle de l’exécution des prestations et

161

Pascal DUMONTIER et Bernard RAFFOURNIER, in « L’information comptable, pour qui ? pour quoi ? », Mars 1989, Revue Française de Gestion. 162 Pascal DUMONTIER et Bernard RAFFOURNIER, cit. op.

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du suivi des règlements. A l’origine, d’ailleurs, l’obligation de tenir une comptabilité avait pour but de permettre la résolution des litiges entre commerçants. Pour leur part, les actionnaires voudront s’assurer que les gestionnaires ne profitent pas du mandat qui leur est confié pour détourner à leur profit une partie de la richesse de la firme. Ils s’intéresseront donc à toutes les rémunérations directes et indirectes perçues par les dirigeants. Ils seront également attentifs à la nature et au montant des frais généraux, ceux-ci pouvant représenter des dépenses d’intérêt personnel des gestionnaires. En cas d’intéressement des dirigeants aux résultats de la firme, la vérification du mode de calcul de ces résultats revêtira une importance particulière. Quant aux créanciers, leur crainte principale est que les actionnaires s’approprient à leurs dépens l’essentiel de la richesse de la firme. C’est pourquoi dans certains pays, notamment aux Etats-Unis et au Canada, les contrats de prêts sont fréquemment assortis de clauses restrictives limitant l’autonomie des gestionnaires. Même en l’absence de telles dispositions, les créanciers porteront une attention particulière aux dividendes, veillant à ce que ces distributions n’amputent pas le capital économique de l’entreprise. Ils seront également sensibles aux cessions d’actifs, les actionnaires pouvant par ce biais vider de sa substance la garantie des créanciers. L’accroissement du risque de l’entreprise leur est également dommageable car elle accroît leur probabilité de non-remboursement sans les associer aux bénéfices correspondants. Ils accorderont donc une attention particulière aux investissements de l’entreprise et en particulier aux prises de participations, qui peuvent être un moyen simple et rapide d’acquérir des actifs risqués. Ils ont également tout à perdre d’un accroissement du niveau d’endettement de l’entreprise. Ils seront donc sensibles au maintien d’un équilibre entre les émissions et les remboursements d’emprunts. Bien que l’établissement trop tardif des comptes puisse permettre au mandataire de détourner à son profit la richesse de la firme avant que le mandant ne s’en aperçoive, l’exigence de rapidité est moins vive que pour la conception prédictive de la comptabilité. Pour le contrôle des contrats en cours, l’exactitude et la fiabilité de l’information importent plus que sa rapidité d’obtention. Pour que l’information financière soit utile à l’investisseur, il faut que les principes comptables soient suffisamment souples. Le comptable doit pouvoir choisir, parmi toutes les méthodes, celle qui donnera l’image la plus conforme à la situation réelle de l’entreprise. Cette conception s’oppose donc à la standardisation et milite au contraire pour la multiplicité des méthodes. La comptabilité doit aussi pouvoir s’adapter sans délai à l’évolution de la réalité économique. Les changements de méthodes doivent donc être permis sans conditions particulières. Les évaluations doivent tenir compte des fluctuations de l’unité monétaire. Une comptabilité en valeurs actuelles apparaît préférable à la comptabilité classique aux coûts historiques, même si certaines études ont montré un manque d’intérêt des investisseurs pour des documents comptables corrigés des effets de l’inflation. Enfin, il importe que l’information produite ne 80

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soit pas systématiquement biaisée par une vision particulière de la réalité. Ainsi, la règle de prudence, qui aboutit à donner une image pessimiste de la situation de l’entreprise, n’est pas justifiée. Il convient au contraire de laisser aux dirigeants l’appréciation raisonnée des risques de leur entreprise car ils sont les mieux placés pour cela. Les entreprises pourront bien sûr tirer parti de la grande liberté qui leur est laissée pour essayer de tromper les investisseurs. Néanmoins, selon cette conception, il est douteux qu’elles y parviennent car le marché devrait facilement rétablir la vérité grâce aux autres informations dont il dispose. Ce laisser-faire n’est pas compatible avec la conception contractuelle. Etant donné que la comptabilité sert de preuve au respect des contrats existants, le bon fonctionnement du système impose que l’information fournie soit objective et aisément vérifiable, d’où la nécessité de limiter, par un certain nombre de normes, les options offertes au comptable. Cette exigence est d’autant plus vive qu’une des parties dispose généralement du monopole de production de l’information. Il convient notamment de privilégier l’utilisation des méthodes comptables les plus courantes, parce qu’elles sont compréhensibles par tous et que leur choix ne peut être suspecté. La comptabilité aux coûts historiques, en particulier, apparaît préférable car elle évite l’arbitraire dans la détermination des valeurs réévaluées. De plus, elle est facilement contrôlable (à partir de pièces comptables : factures, etc.) et donc opposable aux tiers. De même, la règle de prudence est commode car elle réduit le degré de subjectivité dans l’évaluation des résultats. Le principe de permanence des méthodes apparaît fondamental car il empêche les producteurs de l’information d’occulter d’éventuels détournements de richesse par le jeu de modifications comptables. Il évite également que les dirigeants utilisent ces changements pour tenter de s’affranchir des éventuelles clauses restrictives. Les deux conceptions de la comptabilité aboutissent, comme développées précédemment, à des choix souvent opposés. En résumé, l’utilisation contractuelle exige une réglementation précise, alors que l’approche prédictive plaide, au contraire, pour un plus grand libéralisme. L’harmonisation comptable a toujours défendu l’unicité des états financiers, toutefois nous nous demandons si la solution de cette crise de la comptabilité ne résulte pas d’un double jeu des états de synthèse qui répondraient aux deux dimensions présentées précédemment, presque comme l’avait admis Alain Savary163 dans son livre « le parfait négociant », il y a trois siècles et demie. Dans ce sens, nous estimons que l’unicité des états de synthèse n’est pas axiomatique.

163

Jacques RICHARD, cit. op.

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22.. A AN NA AL LY YSSE ED DU UC CO ON NC CE EPPT TD DE EL L’’IIM MA AG GE E FFIID DE EL LE E.. Nous avons préféré développer dans une première sous-section l’obligation d’ajouter des informations complémentaires lorsque les états de synthèse ne donnent pas une image fidèle, et également le cas de la dérogation à l’image fidèle. La deuxième sous-section traitera de la signification de l’image fidèle selon trois visions. 22..11.. L LE ESS O OB BL LIIG GA AT TIIO ON NSS D DE E D DE EPPA ASSSSE EM ME EN NT T D DE E L LA A PPR RE ESSO OM MPPT TIIO ON N D DE E FFIID DE EL LIIT TE E.. Selon le CGNC les règles comptables appliquées de bonne foi fournissent une présomption71 de fidélité. « Toutefois dans des cas exceptionnels, il convient de déroger aux dispositions de la norme, pour tenter d’atteindre cette fidélité. Le plus souvent néanmoins, il suffira de fournir dans l’ETIC des informations complémentaires. » Ces exceptions accessoires à la présomption précédente ont été introduites au Maroc en même temps que la notion principale de l’image fidèle, premièrement par le CGNC puis à travers la loi n° 9-88 relative aux obligations comptables des commerçants. Il nous semble qu’une décennie et demie après la promulgation de cette loi comptable, les exceptions précédentes demeurent très mal comprises par la profession comptable dans la mesure où ces concepts qui sont traités rarement par la doctrine ou par la jurisprudence, sont formulés de manière très floue. Nous essayerons ci-après d’exposer les points de vue des rares auteurs qui se sont aventurés dans le traitement de la question. Notons tout d’abords que, selon Pasqualini, l’introduction de ces notions a troublé les comptables au plus haut point « Cet étonnement était excessif et n’aurait pas dû être le fait de juriste, ne serait-ce qu’en raison de l’antécédent connu par le droit maritime : le good seamanship, c’est-à-dire le sens marin, l’emporte dans diverses situations sur le respect des règles de conduite du navire selon le règlement international de prévention des abordages en mer. »72 A partir du tableau présenté à l’annexe A2 (page 217) regroupant la réglementation marocaine, française, européenne et international traitant de ces exceptions qui permettent d’aboutir à l’image fidèle, nous avons élaboré un regroupement analytique des éléments clés de ces dispositions sous la forme d’un tableau73 figurant dans la page suivante.

71 Selon le Code Général de Normalisation Comptable : « Lorsque les opérations, événements et situations sont traduits en comptabilité dans le respect des principes comptables fondamentaux et des prescriptions du Code Général de la Normalisation Comptable, les états de synthèse sont présumés donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et des résultats de l’entreprise. » ou encore « La Norme est en effet conçue de telle sorte que l’application de ses règles conduise et suffise a priori pour l’obtention d’une image fidèle. » 72 Pasqualini cit. op, citant Emmanuel du PONTAVICE in, « La notion d’image fidèle dans les comptes des sociétés françaises, depuis la mise en harmonie de la loi sur les sociétés commerciales avec la quatrième directive. ». 73 Il est à signaler, que nous avons procédé à la substitution des termes comptables standards employés par les réglementations étrangères qui différent qu’au niveau sémantique des termes marocains (sens identique).

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Nous allons essayer de traiter successivement dans le reste de cette sous-section les éléments définis dans le tableau cité précédemment. 22..11..11.. L L’’A AJJO OU UT TD D’’IIN NFFO OR RM MA AT TIIO ON NSS C CO OM MPPL LE EM ME EN NT TA AIIR RE ESS.. Elément 1 : « Prescriptions comptables ». On remarque que la loi marocaine et le CGNC ont utilisé une formulation identique à la loi française. « Le législateur français, par son imprécision linguistique, a compliqué la situation posée très simplement par la directive européenne qui se contenait de prévoir des dérogations à ses dispositions, mais a œuvré dans la voie d’une bonne information. »74 Par l’emploi de l’expression « prescription comptable », le législateur marocain soulève une difficulté d’interprétation. En effet le terme « prescription » ne fait l’objet d’aucune définition et n’a pas, à proprement parler, un sens juridique. Or les prescriptions comptables sont aujourd’hui une notion législative. Est-il opportun de leur conférer une portée restrictive ou extensive ? Dans la mesure où ce terme n’a pas été défini par aucune des législations précédentes, nous nous interrogerons dans ce qui suit sur la signification qui lui a été attribué par la doctrine. Vision restrictive à partir des textes légaux : « Par prescription comptable - terme non défini - il faut entendre uniquement règles comptables (lois, décrets, arrêtés), terminologie désormais retenue dans le PCG (art. 120-2) ; les recommandations de l’ensemble de la doctrine et les commentaires faits dans les guides comptables professionnels, n’ayant pas valeur de règle, ne sont donc pas visés. »75. Vision restrictive à partir du caractère obligatoire : « Un auteur proposa de les considérer comme englobant tout ce qu’il est susceptible de juger obligatoire, sans que des limites précises soient fixées. »76 Il apparaît qu’il faut réunir sous le vocable « prescriptions comptables » les lois et décrets régissant la matière, les différents plans comptables approuvés par les arrêtés et les autres textes émanant d’organismes ayant un pouvoir légal dans le domaine de la comptabilité tel que les circulaires de Bank Al Maghrib ou du CDVM… ; Vision Extensive : « La seule donnée qui soit certaine est que, par le substantif « prescriptions », le législateur a voulu recouvrir des éléments extérieurs aux lois, décrets et arrêtés. Or plus l’interprète parcourt à rebours l’échelle de la réglementation pour arriver aux avis et même aux règles de base non dénommées, plus il s’interroge sur l’exactitude de l’opinion selon laquelle les lois, décrets et arrêtés sont au premier chef visés par le terme de « prescriptions ». (…) Les parlementaires ont vraisemblablement songé d’abord à l’immense masse des autres prescriptions, masse immense car la fin du 74

François PASQUALINI, op. cit. Mémento Francis LEFEVBRE, édition 2003. 76 Emmanuel du PONTAVICE, cité par François PASQUALINI, op. cit. 75

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xxe siècle dans les sociétés développées est marquée par une véritable inflation de normes et recommandations diverses. Il faut envisager les dérogations potentielles dans leur globalité plutôt que de s’obstiner à ne voir que les dérogations aux dispositions légales. » 77

Pour notre part, nous partageons le dernier avis développé précédemment, et ceci pour les raisons suivantes : Nous estimons que si le législateur a voulu sous-entendre une vision restrictive, il aurait utilisé dans ce cas le terme « disposition » au lieu du terme « prescription » qui n’est pas défini expressément par la loi 9-88, ni en droit en général ; La Cour de justice européenne, comme nous l’avons développé auparavant, a essayé de définir les termes « cas exceptionnels » à l’aide d’une méthode d’interprétation ayant pour objectif l’image fidèle. Il nous semble qu’en procédant par cette méthode, la portée du terme « prescription » ne peut être qu’extensive dans la mesure où pour ne pas induire les lecteurs des états de synthèse en erreur, il faut respecter, à notre avis, les textes que les lecteurs ont cru en leur force obligatoire et ont estimé que l’entreprise les prend déjà en comptes (exemple le CGNC : texte non approuvé par arrêté et recommandé par un simple avis du CNC) ; Elément 2 : « ne suffit pas à obtenir l’image fidèle ». L’élément 2 se rapproche dans sa formulation de l’élément 3 de la dérogation à l’image fidèle. La question est de savoir que veut dire une disposition insuffisante pour pouvoir la distinguer de la prescription qui « ne permet pas » de donner une image fidèle. Le Mémento Francis Lefebvre a entrepris cette distinction à travers la définition des « cas exceptionnels » (le premier élément de la dérogation à l’image fidèle, tel que précisé dans le tableau précèdent figurant à la page 40). Pour notre part, nous ne partageons pas totalement cet avis. Nous allons ci-après essayer d’éclaircir notre vision des choses. Il nous semble que cette disposition s’insère en premier lieu dans le cadre de la bonne information supposée par le concept de l’image fidèle. L’application de bonne foi ou encore entant que bon père de famille, des prescriptions comptables n’est pas totalement garante d’une information comptable qui n’entraîne pas les lecteurs en erreur. On parlera dans ce cas, nous semble-t-il, d’une forme de « dol » comptable. Toutes les réglementations modernes ont accordé, ces dernières décennies, à l’ETIC une place importante parmi les autres états. Il nous semble que cette constatation est due à la reconnaissance de l’insuffisance des informations dégagées par les autres états, qui nécessiteraient pour être bien comprises, des informations complémentaires. Les normalisateurs s’activent à prévoir un minimum d’informations indispensables pour une 77

François PASCALINI, op. cit, citant en partie Jacques Caudron, in « L’image fidèle. Miroir ou mirage ? Les difficultés pratiques d’une notion fondamentale. ».

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bonne compréhension des informations dégagées par les autres états. Toutefois ces régulateurs ne peuvent pas prévoir toutes les informations nécessaires dans des cas particuliers, essentiellement pour les raisons suivantes : On ne peut pas encombrer les lecteurs par des informations qui seront estimées nécessaires, que dans les cas particuliers ; On ne peut pas exiger des rédacteurs des comptes un nombre très important d’informations dans la mesure où un encombrement excessif aboutirait à un dépérissement de la qualité des informations dégagées78 ; La réglementation comptable sous ses différentes composantes est établie à des instants « ti ». Aux instants « ti +1 », il se peut qu’il y est des situations nouvelles auxquelles les normalisateurs ne pouvaient pas être en mesure de les prévoir aux instants « ti ». A notre avis, il nous semble que cette obligation de fournir des informations complémentaires, est à prescrire dans les cas où l’image comptable normalisée nécessiterait pour ne pas induire à un « dol » comptable, des informations supplémentaires pour éclaircir les points importants sur lesquelles les lecteurs seraient amenés à baser leurs décisions. Par exemple des charges ou des produits non courants « qui du fait de ce caractère et de leur importance sur les comptes de l’exercice, nécessiteraient un complément d’information (sur leur origine, les modalités de leur détermination…) »79 L’arrêt relatif aux contrats de portage, cité auparavant, fourni lui aussi un bon exemple. Dans ce cadre nous sommes amenés à nous demander du traitement à adopter pour des contrats de portage conclus sous cette appellation par des sociétés marocaines (cas constatés réellement en pratique) où aucun régime juridique particulier n’est prévu pour ce type d’opération. La Cour française s’est prononcée de façon très judicieuse pour une insuffisance des informations complémentaires, au lieu d’envisager la nécessité de dérogation à l’image fidèle très plausible dans ce cas précis. Selon le CGNC : « Pour être pertinentes, les informations de l’ETIC doivent être d’une importance significative, c’est-à-dire susceptibles d’influencer l’opinion que peuvent avoir les lecteurs des états de synthèse ». Il nous semble que cette phrase assez explicite démontre l’importance que doit revêtir l’information complémentaire pour que son ajout soit obligatoire. Elément 3 : fourniture des informations complémentaires. Les modèles des états de synthèse rigoureusement réglementés par la loi n° 9-88 relative aux obligations comptables des commerçants ne comportent pas à une place précise pour les

78

Un des conseiller de l’ancien président Américain Reagan avait prouvé que la courbe des rentrées fiscales par rapport aux taux de l’impôt est sous une forme de U inversée. Il nous semble que ce modèle des rentrées fiscales est applicable à ce cas précis. 79 Abdelkader MASNAOUI, cit. op.

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informations complémentaires. Le CGNC et le code de commerce français ont précisé qu’ils doivent être mentionnés au niveau de l’ETIC. Selon le cinquième alinéa de l’article 10 de la loi n° 9-88 : « L’état des informations complémentaires complète et commente l’information donnée par le bilan, le compte de produits et charges, l’état des soldes de gestion et le tableau de financement. » Selon la doctrine marocaine les informations que le rédacteur des comptes juge nécessaire d’ajouter pour donner une image fidèle, doivent être insérées dans l’ETIC80. Le législateur marocain a utilisé des formulations presque identiques aux formulations françaises mais n’a pas cité expressément que les informations complémentaires doivent être ajoutées à l’ETIC. Il nous semble que dans ce cas précis, les deux interprétations suivantes peuvent être envisagées : Soit, que le législateur a jugé que cette mention est superflue ou redondante dans la mesure où il ne peut s’agir que de l’ETIC. Cette interprétation se base sur l’article 10 cité précédemment qui utilise aussi le terme « complète » ; Soit, que le législateur a considéré que les états de synthèse formant un tout indissociable (article 9) peuvent être concernés indifféremment par cette mention. Cette interprétation entraînera une interprétation restrictive de l’alinéa 5 de l’article 10 qui considérera que la définition légale de l’ETIC vise cet état dans le cadre des informations normalisées. Pour notre part, nous préférons opter pour cette deuxième interprétation, plus large, qui nous semble correspondre à l’intention présumée du législateur, et aussi à l’objectif de l’image fidèle qui n’exige pas un certain formalisme rigoureux mais en premier lieu l’existence des informations répondant fidèlement aux attentes des utilisateurs. Les états de synthèse sont formés d’un ensemble de tableaux qui ne comportent nullement de place aux informations complémentaires. Ce constat nous amène à nous interroger sur l’adaptation pratique faite par les professionnels pour surmonter ce silence de la loi. Nous aborderons en premier des exemples tirés de la pratique pour ensuite nous prononcer sur une formulation d’une solution généralisée. Ajout d’état comptable : Les professionnels comptables marocains recourent en général à l’ajout d’un état B15 relatif aux passifs exigibles qui n’est pas prévu par l’annexe de la loi 9-88. Cet ajout correspond donc à une pure invention des professionnels ; Modification d’état comptable de l’annexe : L’annexe 14 relatif aux mouvements des actifs prévus par la circulaire N°04/0081 du CDVM relative aux documents comptables et financiers exigés des OPCVM ne comportait pas une colonne relative aux intérêts courus.

80

Abdelaziz TALBI et Claude PEROCHON, in « Pour comprendre et utiliser le plan comptable marocain. », 1993, FOUCHER. 81 La Circulaire n°11/06 du CDVM, datée du 20 juillet 2006 a abrogé la circulaire n°04/00 du 4 décembre 2000 et a rectifié cette anomalie de l’annexe 14.

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Les comptables de ce secteur étaient contraints de procéder à une modification de cet état pour aboutir à une cohérence d’ensemble ; Ajout d’information sous forme de renvoie en bas de page : •

Au niveau des états financiers autres que l’ETIC : Certaines lois, tel que la loi sur les OPCVM, prévoient que le premier exercice peut durer jusqu’à 18 mois. La présentation des colonnes des états comptables sous la forme « exercice n » et « exercice n +1 » peut aboutir à un dol des lecteurs. Certains professionnels estiment qu’un renvoi, énonçant les durées des deux exercices, est nécessaire dans ce cas ;



Au niveau de l’ETIC : Certains rédacteurs des comptes procèdent à des renvois dans l’état relatif aux titres de participation pour expliquer dans certains cas la méthode d’évaluation utilisée, les difficultés auxquelles ces sociétés peuvent faire fassent ou pourquoi la valeur bilancielle n’a pas été retenue comme méthode d’évaluation…

Il nous semble qu’il n’y a pas de solution généralisée proprement parlée, mais qu’il s’agit d’une adaptation pratique, qui à notre avis ne peut se faire que par les procédés développés auparavant dans les exemples précédents. 22..11..22.. L LA AD DE ER RO OG GA AT TIIO ON NA AL L’’IIM MA AG GE E FFIID DE EL LE E.. « Les dérogations sont trop souvent confondues avec les options et les contraventions à la législation. Déroger ne signifie, ni opter entre deux solutions offertes entant qu’équivalentes par les textes, ni se rendre coupable d’entorses à la loi, ce qui serait le cas si des contrats de crédit bail venaient à être immobilisés. L’action de déroger correspond à une présentation dans l’annexe complémentaire à celle figurant dans les documents chiffrés lorsque plusieurs critères d’enregistrement sont envisageables. Chaque fois qu’une telle information s’avère nécessaire pour bien dépeindre la substance de l’entreprise, comprise comme sa réalité personnalisée. Aussi la formule d’obligation de dérogations est dans une large mesure exagérée : il n’y a pas de contrainte dans le sens d’une dérogation aux prescriptions comptables, parce que déroger est la conséquence du devoir de bonne information supposé par le concept d’image fidèle. La règle est dépassée en se situant dans un plan unique : le rapport qui l’unit à la dérogation est horizontal et non vertical ; cette dernière reste dans le cadre du langage comptable positif. Les dirigeants d’une entreprise seraient responsables d’une entorse au droit sanctionnée s’ils assimilaient leurs fonctions à celle de législateur. »82 Avant d’étudier les éléments constituants cette disposition, notons tout d’abords qu’elle est presque non appliquée dans la pratique marocaine. Ce curieux constat nous amène à nous demander sur les raisons implicites de cette situation. Nous avons essayé de les résumer dans les éléments suivants : Cette disposition n’est pas enseignée dans le cursus universitaire ou dans le cycle d’expertise comptable, comme d’ailleurs pour l’image fidèle qui est simplement citée 82

François PASCALINI, op. cit.

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comme postulat de base. Au Maroc nous ne disposons premièrement pas de diplôme de deuxième cycle spécialisé en comptabilité, à l’exception des cycles étrangers délocalisés, deuxièmement dans ces cycles universitaires marocains le nombre de matières liées à la comptabilité est très restreint et ne fait généralement même pas mention au CGNC83 ; Cette disposition est citée exceptionnellement dans la doctrine marocaine ou française ; Il nous semble que la raison principale84 qui peut véritablement expliquer cette situation découle d’une application de la théorie des conventions85. Les rédacteurs des comptes dans une approche prudente qui ne les dégage pas de leurs responsabilités, anticipent la non-conformité de la profession à cette disposition, et se cantonnent à une stricte application de la réglementation comptable86. Dans certains cas, les dérogations comptables, si elles devaient être envisagées, peuvent avoir une répercussion fiscale. Il nous semble que cette disposition ne peut être véritablement appliquée en pratique que si l’administration lui accorde la neutralité fiscale. Pourquoi un dirigeant dérogerait à un cadre réglementaire pour aboutir à l’image fidèle (hypothèse : le dirigeant est conscient de la nécessité d’une dérogation dans une situation spécifique particulière) dans le cas où il y aurait une répercussion fiscale importante ? Dans une vision pragmatique, ce dirigeant ne tiendra pas compte du délit de présentation des états de synthèse ne donnant pas une image fidèle parce qu’il estimera la double faible probabilité, premièrement qu’un tiers lui intente un procès ayant pour objet les comptes et deuxièmement que le juge applique cette disposition qui est très rarement soulevée par la jurisprudence même en France. Une étude récente publiée dans un quotidien marocain fait mention d’un grand pourcentage de bilans déposés qui ne sont pas équilibrés. Face à ce constat notre dirigeant s’estimera heureux d’avoir établit un bilan équilibré même s’il ne présente pas une image fidèle. Elément 1 : situations spécifiques. Le CGNC ne s’est pas aventuré dans une définition des termes qu’il a emprunté aux modèles français et européen, dans la mesure qu’il serait erroné du point de vue de l’interprétation de l’image fidèle qu’il n’a pas expressément définie, et contraire au droit, d’établir en dehors de 83

Rares sont les personnes qui disposent d’une version officielle du CGNC, comme d’ailleurs d’une photocopie. Comment est-il concevable de se conformer à quelque chose dont la publication a été réalisée de façon très restreinte ou dont on ignore même l’existence ? Cette situation ne concerne pas exclusivement le CGNC mais tous les autres plans sectoriels. Sur un plan juridique formel, on ne peut pas parler d’une diffusion insuffisante d’une loi, parce que dès sa publication au bulletin officiel, personne ne peut se prévaloir de son ignorance de la loi, et de ce fait à la loi 9-88. A notre avis les lois ne sont appliquées de façon très généralisée en pratique qu’après leurs traitements par la doctrine qui s’attache à en vulgariser le contenu et a assurer une diffusion large d’un contenu facilement applicable en pratique. 84 Nous avons considéré les précédents éléments comme accessoires dans la mesure où nous estimons que l’état A3 joint aux liasses comptable et fiscale permet d’assurer une diffusion large de l’existence de cette disposition. 85 Cette théorie sera expliquée de façon très détaillée dans le deuxième chapitre de la deuxième partie. 86 Un exemple pourrait être données : La réévaluation prévue par la loi comptable n’a presque jamais été mise en œuvre, parce que les rédacteurs des comptes ont toujours eu peur des répercussions fiscales. Une timide application, néanmoins limitée dans le temps, a eu lieu lorsque cette disposition a été prévue par une loi de finance. La réponse de l’administration fiscale publiée dans le site du ministère des finances affirmant le caractère presque neutre de la réévaluation n’a pas véritablement changé les mœurs dans la mesure où les coefficients de réévaluation n’ont pas été prévus.

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toute hypothèse concrète une liste de situations dans les quelles la dérogation s’imposerait sauf preuve contraire. De même, les lois marocaine et française n’ont pas procédé à une définition expresse de ces termes. Selon la doctrine française les termes « cas exceptionnels »87 sont des situations spécifiques issues d’un événement : Spécifique à l’entreprise et limitée dans le temps : Selon le CNCC « une dérogation ne peut être appliquée de manière permanente par une entreprise pour satisfaire à une particularité propre en fait à son secteur d’activité et non visée par la réglementation comptable professionnelle du secteur concerné. »88 « Cette particularité s’analyse uniquement par référence à l’entreprise ; elle présente une particularité qui, par essence n’est pas commune à toutes les entreprises d’un secteur ou d’une branche d’activité ou à une partie d’entre elles »89 ; De caractère significatif : Il faut qu’il y « ait un impact significatif sur le patrimoine, la situation financière et le résultat de l’entreprise »90 ; Et dont le traitement n’a pas été prévu par le législateur91 : « Le facteur justificatif de la démarche dérogatoire doit avoir été imprévisible à l’époque où la prescription a été édictée. »92 Selon Francis LEFEBVRE : « Il s’agit, nous semble-t-il, de cas où la réalité économique de l’opération serait totalement dénaturée par une traduction purement juridique. (…) Dans ces conditions, en pratique, lorsque l’application des règles comptables ne permet pas d’obtenir une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise, cette dernière ne pourra pas déroger (sauf cas exceptionnels) à la règle mais, aura à fournir, en revanche, des informations en annexe. »93 M. Masnaoui estime pour sa part que la vision de la doctrine précédente est très restrictive dans la mesure où elle envisage que les situations spécifiques, à une entreprise ayant un caractère permanent en raison de son secteur d’activité, ne peuvent donner lieu à une dérogation. « L’application de cette position dans le contexte marocain serait discutable au moins pour deux raisons :

87 Terme que nous avons jugé synonyme au terme marocain. Le législateur marocain qui s’est largement inspiré de la législation française a opté pour un terme aussi vague que le terme français sans en définir expressément la portée, ce qui nous amène a nous interroger sur l’utilité d’une telle innovation linguistique, qui ne prête à notre sens qu’à d’avantage de confusions. 88 Bulletin CNCC n° 73, mars 1989, in www.cncc.fr. 89 François PASCALINI, op. cit. 90 François PASCALINI, op. cit. 91 Mémento Francis LEFEVBRE, édition 2003, citant Cormaille DE VALBRAY, RFC n°150, octobre 1984. 92 François PASQUALINI, op. cit. 93 Mémento Francis LEFEVBRE, édition 2003.

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L’article 19 de la loi ouvre la possibilité de dérogation, du seul fait de l’existence de toute situation spécifique, qu’elle soit de caractère permanent ou ponctuel94, pourvu que la dérogation puisse amener effectivement les états de synthèse à donner l’image la plus fidèle possible ; Notre Conseil National de la Comptabilité, étant de création toute récente, n’a pas encore été en mesure de proposer des réglementations particulières qui répondent à des situations spécifiques de caractère permanent liées à la nature de certains secteurs d’activité. C’est pourquoi, il nous parait indiqué de nous éloigner de l’interprétation européenne à ce sujet et d’admettre toute dérogation justifiée et estimée nécessaire par le chef d’entreprise, sous sa responsabilité, à condition qu’il se conforme aux dispositions de l’article 19 de la loi et qu’il l’applique de manière constante d’un exercice à l’autre. » Pour notre part, il nous semble que les trois critères précédemment identifiés, découlent des trois formes d’interprétation suivantes : Critère 1 : Interprétation à partir du souci de comparabilité spatiale ; Critère 2 : Interprétation à partir du principe de l’importance significative ; Critère 3 : Interprétation exégétique95. Le fait de retenir les critères précédents, revient à notre avis à dire que cette disposition n’aurait même pas du être prévue. Il nous semble que, premièrement cette disposition est le corollaire de l’image fidèle, et deuxièmement si nous l’envisageons sous une forme différente de la première, c’est en quelque sorte la dénaturer en lui ajoutant le substantif « présumée ». A notre avis, la définition adoptée par la Cour de justice européenne développée précédemment est la mieux adaptée dans ce cas d’espèce (sous section précédente). Il est à noter que cette disposition, nous semble, non applicable dans des cas où elle serait antinomique avec des axiomes prévus par la loi (tel que l’intangibilité du bilan, la comptabilité d’engagement ou la non-comptabilisation du crédit bail dans l’actif 96…). Elément 4 : « peut déroger ». Nous n’avons pas développé le deuxième élément dans la mesure où il est identique au premier élément du cas de « l’ajout des informations complémentaires ». De plus, le troisième élément sera traité simultanément avec le cinquième élément.

94

La doctrine française recommande en général une interprétation restrictive. Il nous semble que la condition de la limitation dans le temps découle essentiellement du terme « exceptionnel » utilisé par le texte. 95 Cette méthode sera étudiée en détail dans le premier chapitre de la deuxième partie. 96 Nous avons considéré ce cas comme axiomatique parce que le législateur s’est obstiné à prévoir un état spécialement réservé à ce mode de financement qui nous semble permettre un retraitement facile. Procéder à une immobilisation du crédit bail par l’usage de la dérogation peut aboutir à notre avis à un « dol comptable », dans la mesure où les lecteurs sont habitués a procédé systématiquement à ce retraitement, ce qui entraîne un risque de prise en compte double.

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La loi comptable a utilisé le terme « peut »97 alors que le CGNC a utilisé le terme « doit ». Dans ce cas précis, on va appliquer les règles générales d’antinomies. La loi 9-88 par rapport au CGNC, est plus restreinte dans ses champs d’application, a été promulguée postérieurement, et lui est juridiquement supérieure hiérarchiquement. Dans ce cas le « peut » devrait prévaloir. Si nous envisageons la loi n° 9-88 par rapport aux différents plans comptables marocains, nous obtiendrons le tableau suivant :

L’opération précédente devient plus compliquée si nous l’envisageons entre la loi comptable et la loi sur les sociétés anonymes ou la loi sur les sociétés en nom collectif… Les lois précédentes prévoient une sanction pour les états de synthèse ne donnant pas une image fidèle. Cette disposition devient antinomique avec le terme « peut » de la loi n° 9-88 dans le cas où la dérogation est envisagée comme corollaire de l’image fidèle. Il nous semble que ces 97

« La loi, enseignait déjà le jurisconsulte romain Modestin, non seulement commande, défend et punit mais permet aussi. Précisément, les règles permissives sont celles qui se bornent à proclamer une certaine liberté, à reconnaître à telle ou telle personne ou classe de personnes la faculté de faire ou de ne pas faire quelque chose. (…) De prime abord, l’expression de règles permissive semble receler un paradoxe. En effet, la coexistence même de la norme, ce qui détermine, et de la permission, ce qui est indéterminé, ne peut soulever des délicats problèmes logique. Dès lors, certains considèrent que la principale caractéristique de la norme permissive est d’être dépourvue de tout caractère obligatoire, celle-ci ne faisant pas naître d’obligation à la charge de son destinataire qui est libre d’user ou non de la faculté qui lui est attribuée. (…) La pensée juridique s’est toujours efforcée de retrouver, derrière le permis, l’obligatoire. Plusieurs facteurs y contribuent. Il est très généralement admis que la règle permissive fait naître une obligation à l’égard non pas à de ses bénéficiaires, mais des tiers, lesquels ne peuvent faire obstacle à la permission ou les facultés reconnues. » Cécile PERES-DOURDOU, in « La règle supplétive. », 2004, Libr. Générale de droit et de jurisprudence, Paris, p129 à p132.

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textes de lois de niveaux hiérarchiques égaux, sont postérieurs et plus spécifiques que la loi n° 9-88, et de ce fait militent en faveur du « doit ». L’opération n’est pas pour autant résolue : plusieurs secteurs particuliers sont exclus du champs d’application de la loi n° 9-88 soit expressément par une autre loi, soit par le champs d’application de la loi n° 9-88 elle-même. Il nous semble que dans certains cas particuliers, l’interprétation par l’objectif de l’image fidèle (principe largement admis en comptabilité même dans le cas où il n’aurait pas été prévu expressément par un texte particulier applicable au cas d’espèce) militerait dans toutes les situations a une prévalence juridique du « doit ». Elément 5 : « mentionnée dans l’ETIC et dûment motivée ». Dans la mesure où la dérogation a un effet sur les comptes utilisées ou/et sur les montant comptabilisées, le devoir de bonne information supposé par l’objectif de l’image fidèle exige que l’influence de la dérogation soit indiquée. Dans ce sens le CGNC, la loi n° 9-88 et le décret fiscal, à l’instar du modèle français, ont prévu que cette dérogation doit être mentionnée au niveau de l’ETIC et dûment motivée, avec l’indication de son influence sur le patrimoine, la situation financière et le résultat de l’entreprise. L’état A3 distingue les trois formes de dérogation suivantes : Dérogations aux principes comptables fondamentaux ; Dérogations aux méthodes d’évaluation ; Dérogations aux règles d’établissement et de présentation des états de synthèse. Nous nous sommes précédemment prononcés pour la non-possibilité de dérogation aux axiomes comptables tel que l’intangibilité du bilan qui résultent de choix cadre implicite du législateur dans sa conception de la comptabilité. Les trois formes de dérogations prévues par cet état excluent les axiomes, ce qui prouve l’affirmation précédente ; sinon il faut prévoir une dérogation à l’état A3 dans l’état A3. Il est à noter que l’estimation de l’influence sur le patrimoine, la situation financière et le résultat de l’entreprise de la dérogation peuvent dans certain cas être très difficile, parce qu’elle suppose que l’entreprise procédera à une passation fictive de toutes les opérations concernées par les dérogations. Il nous semble que la troisième forme de dérogation prévue par l’état A3 ne découle pas du quatrième alinéa de l’article 11 mais plutôt du deuxième alinéa98, où le législateur a prévu que les états de synthèse doivent comprendre autant d’informations qu’il est nécessaire pour donner une image fidèle : à notre avis, il s’agit d’une obligation générale, dont le législateur n’a pas jugé bon d’indiquer quand il faut l’appliquer, qui permet en outre d’ajouter « autant de « postes » que l’exigent les besoins de l’information, dans le cadre des principes de clarté et d’importance significative. »99 98

Si nous considérons la troisième forme de dérogations comme issue de l’alinéa 4, peut-on parler dans ce cas d’indication de l’influence sur le patrimoine, la situation financière et le résultat de l’entreprise. 99 Extrait du CGNC.

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Toutefois il nous semble que les erreurs et les incohérences contenues dans les modèles des états de synthèse ne sont visées par l’état A3. Les états de synthèse publiés au bulletin officiel en langue française en annexe à la loi 9-88 contiennent un certain nombre d’erreurs manifestes qui ont été rectifiées par la doctrine et les professionnels. Si tel n’était pas le cas, alors toutes les entreprises marocaines devraient inscrire des dérogations dans l’état A3. 22..22.. R RE EFFL LE EX XIIO ON NA AU UT TO OU UR RD DE EL LA A SSIIG GN NIIFFIIC CA AT TIIO ON ND DU UC CO ON NC CE EPPT TR RO OM MA AN NO O-G GE ER RM MA AN NIIQ QU UEE D DE E «« T TR RU UE EA AN ND D FFA AIIR RV VIIE EW W »».. L’image fidèle est le pivot de la doctrine comptable nouvelle et confère au CGNC sa véritable portée, c’est-à-dire celle d’un ouvrage de doctrine laissant apparaître une philosophie axée autour de trois éléments essentiels : Une explication claire des principes comptables et des règles d’évaluation ; Une adaptation étroite à la réalité actuelle des entreprises et aux besoins des analystes ; Une souplesse du système d’information comptable en fonction de la taille des entreprises. Aucune définition précise n’est encore attribuée au concept importé de l’image fidèle. Le terme, introduit par la 4ème Directive, est imprégné de l’intégralité des traditions comptables anglo-saxonnes qui consistent à adopter un modèle comptable d’établissement, de présentation, et d’évaluation, avec comme référentiel, un ensemble de principes généralement admis, laissant toute initiative aux professionnels dans la mise en oeuvre du processus allant de l’enregistrement des données jusqu’à la diffusion des informations comptables et financières. Les professionnels marocains ont une démarche complètement différente. « Leur principale référence est le CGNC, véritable guide dans le processus mentionné précédemment. Ainsi la notion de « true and fair view » (Image fidèle) perd, au Maroc, son sens et sa portée. « Avant de calquer ce concept il apparaît nécessaire de le situer dans son nouveau contexte. Dès lors une série de questions sont débattue dans l’ensemble des milieux de la comptabilité quant à l’enrichissement ou non des comptes annuels, l’identification des cas exceptionnels où l’image fidèle jouit de toute sa puissance, la nature de la réalité que doivent représenter les comptes annuels... »100 Dans la présente sous-section nous allons traiter successivement des dimensions d’appréciation du concept de l’image fidèle puis des trois types d’appréhension de la signification de ce concept, où nous allons adopter de façon chronologique une maturité de réflexion. La dernière vision étant celle qui correspond à notre pensée.

100

Aline HONORE, in « Le concept de l’image fidèle comme traduction d’une éthique comptable. », 1999, thèse en sciences de gestion, Université Paris Dauphine.

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22..22..11.. L LE ESS D DIIM ME EN NSSIIO ON NSS D D’’A APPPPR RE EC CIIA AT TIIO ON ND DU UC CO ON NC CE EPPT TD DE EL L’’IIM MA AG GE E ……………...FFIID DE EL LE E.. La réglementation marocaine ne définit nulle part le concept de l’image fidèle. « L’originalité du concept d’image fidèle tient tout à la fois à son absence de définition et aussi au fait qu’il convient, dans des cas exceptionnels, de déroger aux dispositions de la norme pour tenter d’atteindre cette fidélité. »101 L’annexe A2 présente les textes marocains, français, européens et internationaux traitant de la notion de l’image fidèle. Si l’objectif de l’image fidèle est au niveau de sa formulation identique dans les différentes réglementations, les « dimensions d’appréciation » de l’image fidèle diffèrent d’une réglementation à une autre. Le tableau ci-dessous présente de façon synthétisée ces « dimensions d’appréciation » de l’image fidèle.

Nous allons ci-après essayer d’analyser le tableau ci-dessous : « Patrimoine » ou « actifs et passifs » : Le législateur marocain dans les articles de la loi n° 9-88 a opté pour le terme « actifs et passifs » au lieu du terme « patrimoine ». Tout en remarquant la subtilité102 du remplacement de terme, il nous semble qu’il n’y pas de différence entre ces deux termes, qui sont à notre avis, tout simplement, équivalents. Il est à noter que les normes IAS ne reconnaissent pas cette dimension, à la quelle ils ont préféré la dimension comptable de flux de trésorerie, et ce pour des raisons que nous évoquerons plus tard, dans le deuxième chapitre de cette partie ; « Situation financière » : Nous remarquons que cette dimension est prise en compte dans toutes les réglementations ; « Résultats » ou « performance financière » : A notre avis, le terme de performance utilisé dans la norme IAS est équivalent au terme « résultat » ; « Flux de trésorerie » : Cette dimension de l’image fidèle a été prévue uniquement dans les rapports de certification et les normes IAS. Ce qui nous pousse à nous interroger sur la source juridique de cette dimension dans les modèles de rapport élaborés par l’Ordre des Experts Comptables marocain. Le tableau de financement fait partie des états de synthèse 101

CGNC, page 26, volume 1, première partie. L’utilisation du terme patrimoine, suscite le doute sur la prise en compte des dettes. Toutefois il nous semble que la rédaction française ou européenne n’a pas soulevé de problème spécifique d’interprétation de cet article.

102

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et forme avec les autres états un « tout indissociable »103. De ce fait, lorsque les comptes ont été certifiés par un commissaire aux comptes, cela entraînerait nécessairement que le tableau de financement a été certifié aussi. Cette certification du tableau de financement ne peut découler, à notre avis, que selon la dimension des flux de trésorerie qui n’est pas prise compte dans la législation marocaine, comme d’ailleurs dans les législations française et européenne. « La 4ème directive et la loi comptable semblent considérer que le patrimoine (…) et le(s) résultat(s) de l’entreprise sont des entités, des concepts qu’on ne peut appréhender qu’à travers une « représentation » imagée. Les éléments qui concourent à la construction de ces images sont ceux qui figurent, individuellement ou par regroupements, dans les comptes annuels. Quant à la notion de patrimoine, il est clair qu’elle ne peut être appréhendée qu’à travers une description plus ou moins précise, pouvant utiliser des techniques variées et débouchant sur une vision synthétique. »104 22..22..22.. PPR RE EM MIIE ER REE V VIISSIIO ON N D DU U C CO ON NC CE EPPT T D DE E L L’’IIM MA AG GE E FFIID DE EL LE E :: ……..N OT TIIO ON N C CO ON NFFU USSE E L LIIM MIIT TE EE E PPA AR R L LE E D DE ER RA AIISSO ON NN NA AB BL LE E D DA AN NSS NO ……..A APPPPR RE EC CIIA AT TIIO ON N..

U UN NE E SSO N ON

Beaucoup d’auteurs ont qualifié le concept de l’image fidèle de concept floue. Nous présenterons quelques exemples : « Les normes législatives proposent essentiellement des énoncés de principes qui doivent être appliquées en les adaptant à chaque situation de fait. Comme si tous et chacun savaient ce dont il s’agit. »105 ; « Le principe de l’image fidèle conduit à des prestations qui varient selon les trois cas suivants : •

Le fait comptable à un montant indiscutable (le débit de 5 f pour tenue d’un compte courant postal, par exemple), attesté par une pièce justificative ; l’image fidèle implique que l’on passe ce montant en écriture ; on n’a pas besoin de principe pour cela dès l’instant où l’on se cramponne à la conviction que la comptabilité est une technique descriptive et non l’expression d’une vocation artistique ;



L’écriture dépend d’une décision interne à l’entreprise (durée d’un amortissement, montant d’une provision, réintégration d’une subvention d’équipement au résultat) ; dans un monde en ordre, la décision est prise par le responsable de l’entreprise et appliqués par le comptable ; c’est alors au patron de respecter le principe de l’image fidèle et ce sont les principes ci-après qui le guideront ;



L’écriture pose un problème d’évaluation (titres de participations) ; l’image fidèle s’adresse alors aux auteurs des lois, règlements, et plans applicables en comptabilité et

103

Article 9 de la loi n° 9-88 relative aux obligations comptables des commerçants. Emmanuel du PONTAVICE cit. op. 105 Philippe THIRY, cit. op. 104

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exige d’eux qu’ils inventent de bonnes règles. En vérité, le principe de l’image fidèle ne contient pas grand – chose ; il fait plutôt figure d’introduction à des principes plus fonctionnels. »106 La conception et la présentation des états de synthèse du plan comptable sont un compromis des principes comptables codifiés et d’un concept, d’origine anglo-saxonne, importé : l’image fidèle. Or, ce compromis a fait naître des contradictions et un flou troublant. En effet comment parler d’image fidèle de la réalité économique lorsqu’un immeuble constituant la moitié des actifs demeure au bilan pour sa valeur d’origine alors que sur le marché de l’immobilier il serait probablement évalué différemment, ou encore lorsque des titres d’OPCVM dont le cours a sensiblement augmenté, sont inscrits avec leur valeur historique107. Selon Causin108 l’image fidèle est une norme à contenu variable. Dans le cadre de cette étude nous avons préféré, qualifié l’image fidèle par le terme de « notion confuse », selon la conception de Perelman, qui à notre sens ne différent pas fondamentalement de la notion de norme à contenu variable défendu par Causin, dans la mesure où nous estimons que le précèdent terme envisage les différentes conséquences divergentes de l’interprétation comptable alors que le terme de « notion confuse » souligne en premier lieu l’incertitude du contexte de l’interprétation du concept lui-même. Peut-il y avoir un usage défendable des notions confuses ? Le fait d’utiliser une notion confuse, sans s’efforcer de la préciser et de la clarifier, ne constitue-t-il pas un abus toujours condamnable ? Nous allons essayer de répondre aux questions précédentes en tentant d’éclaircir ce qu’entend Perelman avec les termes « notions confuses ». Le législateur ne parvenant pas à élaborer un texte précis, introduit une notion confuse, telle que « l’équité » ou les « bonnes mœurs », en chargeant le juge de décider, dans chaque cas concret ce qui est, ou n’est pas conforme à l’équité et bonnes mœurs. Le recours à une notion vague ou confuse augmente, par le fait même, le pouvoir d’interprétation de celui qui doit l’appliquer. Le recours à des notions confuses, parfois indispensable en droit interne, s’avère tout à fait inévitable en droit international public quand la confusion des notions est une condition

106

Henri CULMANN, in « Le plan comptable révisé de 1979. », 1980, Presses universitaires de France, Paris. L’opération de rachat suivi d’une souscription, nul en termes de coûts, qui assure juridiquement la transformation des gains latents en plus-values, est laissée à la discrétion des dirigeants pour moduler leurs résultats en fonction des objectifs poursuivis. 108 « Les normes à contenu variable sont des règles de droit positif dont le contenu est polysémique, c’est-à-dire constitués de notions qui se prêtent à des interprétations littérales ou à des appréciation en fait variées et divergentes. La notion de « faute » et celle de « bonne foi » en sont des exemples classiques en droit civil. En droit pénal, nonobstant également les principes de légalité, d’interprétation stricte et de prudence, les exemples sont également nombreux : ordre public, bonnes mœurs, fraude, volonté de nuire, état de nécessité ou encore légitime défense... En droit comptable les notions importantes d’image fidèle et de juste valeur sont également des exemple typique de notions, par le choix même des termes employés, polysémiques. », Eric CAUSIN, cit. op. 107

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indispensable pour réaliser l’accord sur un texte109 entre états ayant des idéologies différentes, si incompatibles. Dès que le désaccord porte, par exemple, sur le juste ou l’injuste, c’est-à-dire ce que nous considérons comme des valeurs, et qui s’expriment au moyen de notions confuses, en l’absence de critères de décision, on doit recourir à la dialectique. Les lieux communs tel que la justice est préférable à l’injustice, forment le point de départ de raisonnements dialectiques et rhétoriques visant à obtenir l’adhésion de l’auditoire à certaines thèses controversées. Mais il est rare qu’une controverse ne s’engage pas quand il s’agit de les appliquer dans des situations concrètes. « Le concept de l’image fidèle, est exprimé de ce fait en des termes polysémiques dont une interprétation et une application souveraines par les juges exposeraient les justiciables au risque d’arbitraire. Toutefois, « ce risque est contenu par le principe de la légalité des crimes et délits et surtout par le fait que le droit des comptes lui-même guide l’application de ces principes a contenu variables par des normes précises qui n’éliminent pas le pouvoir d’appréciation des entreprises mais, qui en délimitent rigoureusement l’exercice. (…) L’application usuelle du principe de légalité tend à abandonner, non pas au juge mais aux entreprises, la marge d’appréciation inhérente aux concepts à contenu variable.»110 Il est à noter que des notions historiques tel que « prudence » ou « sincérité », qui figurent encore dans la législation, expriment certes la volonté de laisser cette marge d’appréciation aux entreprises elles-mêmes, mais elle est aussi « le résidu historique d’une époque où la législation comptable positive n’existait pas et où, dès lors, on devait se contenter d’un vocabulaire à vocation incantatoire. »111 La comptabilité, loin d’être une science exacte, est un art du consensus. Un bilan, c’est une histoire de convention. Il n’y a pas de vérité des comptes. « La question est de savoir si on est dans un compromis acceptable ou pas. »112 Cette conception du compromis acceptable a été introduite par Perelman113 sous la forme d’un terme plus subtil qu’est « le raisonnable ».

109

« Comment a pu se réaliser, en 1948, l’accord sur le texte de la déclaration universelle des droits de l’homme ? Jacques Maritain, dans son introduction au texte de la déclaration publié par l’Unesco, a signalé que l’on a pu formuler des règles qui diversement justifié par chacun, sont pour les uns et les autres des principes d’action analogiquement communs. En d’autres termes, les signataires se sont mis d’accord sur des textes contenant des notions confuses, susceptibles d’interprétation variées, chacun se réservant le droit de les interpréter à sa façon. Mais le jour où un tribunal, tel que la Cour européenne des droits de l’homme, sera chargé d’appliquer de tels textes, les intentions individuelles des signataires devront s’effacer devant l’interprétation autorisée, qui sera donnée par la Cour. Les notions confuses permettront de concilier l’accord sur des formules avec le désaccord sur leur interprétation. » Chaïm PERELMAN, in « Etudes des logiques juridiques », 1978, E Bruylant, Bruxelles. 110 Eric CAUSIN, cit. op. 111 Eric CAUSIN, cit. op. 112 Matthieu AUTRET et Alfred GALICHON, in « L’information financière en crise. », 2004, Editions Odile Jacob. 113 Chaïm PERELMAN, in « La Raisonnable et le déraisonnable en droit : au-delà du positivisme juridique. », 1984, Libr. Générale de droit et de jurisprudence, Paris.

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Chapitre 1 partie 1

Selon cet auteur le raisonnable ne renvoie pas à une solution unique, mais implique une pluralité de solutions possibles ; pourtant il y a une limite à cette intolérance, et c’est le déraisonnable114 qui n’est pas acceptable. Le vague de certains termes, figurant dans un texte légal ou réglementaire, donne une latitude à l’interprète, mais à moins de considérer certaines expressions telles que « intérêt commun », « urgence » ou « équité » comme des formules vides, il y a des bornes au pouvoir d’appréciation. Tout droit, tout pouvoir légalement protégé est accordé en vue d’une certaine finalité : le détenteur de ce droit a un pouvoir d’appréciation quant à la manière dont il l’exerce. Mais aucun droit ne peut s’exercer d’une façon déraisonnable, car ce qui déraisonnable, n’est pas de droit. Certains auteurs voient dans cette absence de définition légale une bonne chose, dans la mesure où elle « risquerait de figer quelque chose d’évolutif. »115 Selon Pasqualini la norme juridique, produit de l’image fidèle, est une règle de vie et non un principe désincarné qui renferme en lui une capacité d’évolution et d’adaptation. Pour notre part nous ne partageons pas totalement cet avis concernant le but de l’absence d’une définition, dans la mesure où l’absence de définition est susceptible d’être mal assimilé à la fois par les professionnels comptables et par le juge en cas de litige. Si le législateur n’a pas jugé nécessaire de définir ce concept, il est du devoir de la doctrine de préciser son sens de façon clair et univoque. « Quoi qu’il en soit, la réaction dominante à l’égard de l’image fidèle a certainement été une réaction de crainte peu propice à une juste appréciation de ses caractères. L’image fidèle a été jugée « un ver dans le fruit » une « trahison organisée », un « loup dans la bergerie » dangereusement subjectif ou encore comme « un stéréotype élevé au rang de symbole » ne valant guère mieux que les célèbres « bon père de famille » du droit civil et « chef d’entreprise prudent et avisé » du droit des sociétés, ne changeant fondamentalement rien à l’état antérieur du droit et ne correspondant qu’à la traduction terminologique de l’actuelle tendance à l’inflation de l’information financière destinée au public. »116 En conclusion nous dirons que sous cette vision « l’image fidèle est un concept importé (…), novateur (…) toutefois inutile sous sa forme présente, en l’absence de consensus sur son sens et ses implications dans l’ensemble du dispositif actuel. »117 114

« Est déraisonnable ce qui est inadmissible dans une communauté à un moment donné. On en tirera des conséquences dans l’application de la loi. (…) Quand l’application stricte de la lettre de la loi donne lieu à des conséquences inacceptables, parce que iniques, ridicules ou opposées au bon fonctionnement de l’état, on cherchera par tous les moyens, allant jusqu’à la fiction juridique, à éviter ces conséquences déraisonnables. (…) Il y a des cas où le respect strict de la lettre aboutit non à une solution iniques, mais à des conséquences ridicules. (…) Alors que, en droit, les idées de raison et de rationalité ont été rattachées d’une part à un modèle divin, d’autre part à la logique et à la technique efficace, celles du raisonnable et de son opposé, le déraisonnable, sont liées aux réactions du milieu social et à leur évolution. Alors que les notions de « raison » et de « rationalité » se rattachent à des critères bien connus de la tradition philosophique, tels que les idées de vérité, de cohérence et d’efficacité, le raisonnable et le déraisonnable sont liés à une marge d’appréciation admissible et à ce qui, excédant les bornes permises paraît socialement inacceptable. » Chaïm PERELMAN, cit. op. 115 « L’image fidèle, miroir ou mirage », 1984, Revue du commissaire aux comptes, n° 2, cité par Abdelaziz BOUGJA, cit. op. 116 François PASQUALINI, cit. op. 117 Aline HONORE, in « Le concept de l’image fidèle comme traduction d’une éthique comptable. », 1999, thèse en sciences de gestion, Université Paris Dauphine.

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 1 partie 1

22..22..33.. D DE EU UX XIIE EM ME E V VIISSIIO ON N D DU U C CO ON NC CE EPPT T D DE E L L’’IIM MA AG GE E FFIID DE EL LE E :: U UN N SSO OU UC CII D DE E T TR RA AN NSSPPA AR RE EN NC CE E PPA ASSSSA AN NT T PPA AR R L L’’E ET TIIC C E EN N JJU UX XTTA APPO OSSIIT TIIO ON NA AU UX XN NO OT TIIO ON NSS D DE ER RE EG GU UL LA AR RIIT TE EE ET TD DE E SSIIN NC CE ER RIIT TEE.. Le principe typique de l’univers juridique anglo-saxon, la true and fair view n’a jamais été défini bien que quotidiennement mise en œuvre. L’esprit latin réclame une analyse de la notion et paradoxalement du reste, la traduction littérale nous parait beaucoup plus juste que la fausse traduction qui a été donnée sous le nom de l’image fidèle. « La fidélité est un concept vague précisément en matière de traduction, comme en matière d’affaires commerciales ou d’affaires de cœur. Disons qu’il s’agit en notre matière de donner toutes les valeurs significatives et d’éliminer ce qui n’est pas significatif, la surinformation équivalent, comme on le sait, à la désinformation. »118 « Le CGNC n’a pas donné de définition à la notion de l’image fidèle, mais il a présenté un moyen pour l’atteindre. Ce moyen réside dans l’annexe. En effet, celui-ci comporte, à l’instar des états de synthèse anglo-saxons, des informations complémentaires qui affinent la situation de l’entreprise. »119 Selon la COB120 « Quelle que soit l’honnêteté de ceux qui préparent les comptes et les connaissances comptables de leurs lecteurs, les états financiers, si bien agencés soient-ils, ne peuvent communiquer par eux-mêmes l’image fidèle dont ils ont besoin et à laquelle ont droit leurs utilisateurs. C’est pourquoi les bilans et comptes de résultats ne peuvent remplir utilement l’objet d’information qui leur est assigné que s’ils sont accompagnés de notes annexes ». Toutefois, si l’ETIC joue un rôle important pour la production d’une image fidèle de l’entreprise, ça ne doit pas être le remède. Il est destiné à compléter le bilan et le compte de résultat et non à s’y substituer ou à justifier leurs insuffisances. L’information financière, pour être compréhensible au plus grand nombre, doit être synthétique et limitée aux aspects importants. De longs commentaires allant à l’encontre de l’objectif recherché, l’ETIC ne doit donc pas s’égarer dans les explications sur les motifs de l’utilisation éventuelle, dans le bilan, de règles qui ne permettent pas d’en donner une image fidèle. Toutefois « Le souci de transparence n’est pas véritablement entré dans les mœurs, et l’amélioration de l’information externe reste soumise aux exigences réglementaires. »121 Sous cette vision coercitive, l’obligation de fournir des informations complémentaires apparaît comme une lourde responsabilité qui pèse sur les rédacteurs des comptes et en même temps sur les commissaires aux comptes qui certifient ces états de synthèse.

118

Emmanuel du PONTAVICE, cit. op. Abdelilah HASSAN, in « Plan comptable marocain et français, états de synthèse. », 1989, Revue Banques et Entreprises, n° 21-22. 120 Bulletin de la Commission des Opérations de Bourse française (COB), février 1974, n° 57, cité par Eric CAUSIN cit. op. 121 Monique HINARD, in « Effets de la réglementation sur la nature de l’information. », in Revue Française de gestion, n°60, 1986, p 61. 119

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 1 partie 1

L’image fidèle apparaît non comme un principe comptable fondamental supplémentaire, mais « comme la convergence des principes retenus. »122 Ainsi l’image fidèle suppose l’application « d’une règle du jeu constituée par les différents principes comptables. »123 Selon le professeur Yaïch124, la qualité du produit comptable ne peut jamais être supérieure à la qualité des principes comptables utilisés pour l’élaborer dans la mesure où il s’agit que d’une image comptable. Selon cette vision la sincérité s’accompagne du souci de l’établissement d’une information qui soit aussi proche que possible de la réalité, toutefois sans se préoccuper de sa compréhension par le lecteur, à la différence de la fidélité qui implique en premier lieu le souci complémentaire d’une bonne réception du message par les tiers. En d’autre terme la sincérité est une étape, parmi d’autres, dans la voie de la recherche de l’image fidèle. Pour aboutir à cette image , une double exigence de traduction de la réalité de l’entreprise et de présentation de documents susceptibles d’être lu sans encombre et sans ambiguïté, doit être envisagée, afin que cette réalité puisse être découverte à travers les comptes. La fidélité n’est pas seulement la réalité de la description ; la présentation non trompeuse de cette réalité est aussi indispensable. « Pour certains le mot le plus important de la loi comptable a été l’introduction du verbe « donner ». L’image fidèle passe ainsi par la régularité (c’est-à-dire le respect des règles et procédures en vigueur) et la sincérité (c’est-à-dire l’application de bonne foi de ces règles) ; c’est un objectif à atteindre qui nécessite : De choisir la meilleure méthode possible lorsque plusieurs solutions sont envisageables ; De bien utiliser l’annexe en tant qu’outil de l’information financière et comptable ; De déroger à la règle dans des situations tellement rares, que cette possibilité n’a que très rarement été mise en œuvre en pratique. »125 Le schéma de la page suivante emprunté au Mémento Masnaoui126 expose, plus ou moins127, cette vision des choses.

122

CGNC, page 26, volume 1, première partie. Pierre FUEILLET, in « Les grands principes de la nouvelle législation comptable française. » cité par Abdelaziz BOUGJA, in « présentation et analyse comparée du projet de code de normalisation comptable au Maroc et du plan comptable général français 1982 », édition juillet 1992. 124 Abderraouf YAICH, in « Les déterminants de la qualité comptable. », 2000, La revue comptable et financière n° 47, Tunis. 125 Eric DELASALLE, « La loi comptable française : situation et évolution. », juillet 2005, La lettre de Artémis, n° 6, Casablanca. 126 Abdelkader MASNAOUI, cit. op. 127 Nous souhaitons introduire par ce schéma uniquement les idées de sincérité et de régularité juxtaposées à l’obligation de fournir des informations complémentaires. Nous avons utilisé les termes « plus ou moins » en raison de la mention de la dérogation par cet auteur. L’explication de cette dernière est semblable à la notre comme exposées auparavant. 123

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

ATTITUDES

ACTIONS

RESPECT

➟ ➟ ➟ ➟

➟ ➟

APPLICATION DES METHODES PREVUES POUR L'ENREGISTREMENT, L'EVALUATION ET LA PRESENTATION DES OPERATIONS AUX ETATS DE SYNTHESE

DES LOIS DES REGLEMENTS (1) COMPTABLES DE LA JURISPRUDENCE

(2)

DE LA DOCTRINE

SINCERITE DANS



Chapitre 1 partie 1

APPLICATION DE BONNE FOI DE CES METHODES

:

(4)

L'EXHAUSTIVITE DES ENREGISTREMENTS (3) L'EVALUATION DES OPERATIONS LA PRESENTATION AUX ETATS DE SYNTHESE

LA COMPTABILITE OBTENUE EST REGULIERE ET SINCERE

(6) (5)

RECHERCHE DE L'IMAGE FIDELE : OUI OBTIENT-ON UNE IMAGE FIDELE DU PATRIMOINE, DE(6)LA SITUATION FINANCIERE ET DES RESULTATS ? NON (6) bis OUI

L'IMAGE FIDELE PEUT-ELLE (7) ETRE OBTENUE EN DONNANT DES INFORMATIONS COMPLEMENTAIRES A CELLE DEJA REQUISES ?

IDENTIFICATION INTRODUIRE LA OU LES DEROGATIONS AUX METHODES PREVUES POUR OBTENIR UNE IMAGE FIDELE, AVEC MENTION A L'ETIC :

PRESENTATION AUX TIERS

59

OUI

Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 1 partie 1

22..22..44.. T TR RO OIISSIIE EM ME E V VIISSIIO ON N D DU U C CO ON NC CE EPPT T D DE E L L’’IIM MA AG GE E FFIID DE EL LE E :: U UN NE E V VIISSIIO ON N R RE EE EL LL LE E PPA AR R U UN NE E T TR RA AD DU UC CT TIIO ON N L LO OY YA AL LE E D DE E C CE E Q QU U’’E ESST T L L’’E EN NT TR RE EPPR RIISSE E.. Selon Pasqualini les caractères traduits directement de la formule true and fair view se retrouvent dans le concept de l’image fidèle : true → réel et fair → loyal. La true and fair view est équivalent comme le veut le pragmatisme anglo-saxon, à « une vision réelle par une traduction loyale de ce qu’est l’entreprise. » L’image fidèle se conçoit dans l’actualité, dans la vie des entités économiques et des comptes. Elle n’est donc pas un concept in abstracto mais, bien au contraire, une réalité immatérielle adoptée par le droit et, dès lors, d’aspect juridique, et non pas d’essence juridique, pas plus qu’économique d’ailleurs. Elle est l’horizon vers lequel l’action converge et ressemble, en quelque sorte, à un produit d’appel ayant pour fonction de coordonner les agissements et de les stimuler pour les rendre plus concrets. L’image fidèle s’impose à tous les comptes, pour lesquelles elle est un véritable cap, ainsi qu’à ceux qui sont en relation avec l’information financière et juridique, et même au législateur lorsqu’il intervient en matière comptable ; elle prend alors une dimension particulière, quasiment supra légale. Selon cette vision, le concept de l’image fidèle correspond au cumul des idées suivantes : Dépend largement du jugement professionnel : L’opinion largement répandue outremanche selon laquelle le concept de l’image fidèle dépend du jugement professionnel, est parfaitement logique. Par sa nature de nécessité, elle rend chacun responsable de ses actes et dicte une attitude constituée de réalisme et du sens des autres, car la réalité de l’entreprise est décrite par les procédés de la technique et de la doctrine comptable en vue de sa perception par autrui. La pénétration du pragmatisme dans le droit écrit d’origine romaine que traduit l’image fidèle est certainement proche de l’incohérence pour un esprit traditionaliste. Le droit continental construisait des barrières à l’intérieur desquelles régnait la liberté : le droit pragmatique, pour sa part, met l’individu face à des obligations et juge sur le résultat de l’action. Selon cette vision le principe d’importance significatif est le corollaire direct du concept de l’image fidèle ; l’appréciation de l’importance significative ne peut s’exercer qu’a travers le jugement professionnel ; Les informations comptables complémentaires doivent être données « dans la forme jugée la plus valable et la mieux adaptée pour satisfaire les besoins d’informations des tiers, sans porter préjudice aux intérêts de la société. »128 ; La dérogation doit être envisagée dans tous les cas ou les informations ne permettent pas de présenter l’image comptable réelle de l’entreprise : on ne peut pas se cacher derrière le caractère normatif de la comptabilité. « La notion d’image fidèle se heurte aux notions traditionnelles de régularité et de sincérité. La doctrine et la pratique la 128

Arrêt de la Cour européenne du 7 janvier 2003, dans l’affaire de la banque internationale pour l’Afrique occidentale SA (BIAO) contre Finanzamt für Großunternehmen in Hamburg.

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 1 partie 1

marginalisent, considérant que l’image fidèle ne peut être recherchée que dans des cas exceptionnels ; et l’annexe est le lieu privilégié pour cette recherche qui n’affecte guère le bilan et le compte de résultat. La jurisprudence est tout aussi réticente et ne traita que très tardivement de cas d’« infidélité » (l’affaire des Ciments français). »129 Elle correspond en ce sens à la vision de la Cour européenne de justice, qui émet premièrement l’obligation que « les comptes annuels des sociétés reflètent les activités et opérations qu’ils sont censés décrire » et deuxièmement précise que la dérogation est obligatoire dans des « cas exceptionnels » (termes interprétés par le concept de l’image fidèle comme nous l’avons vu précédemment) ; Correspond à une interprétation contemporaine130 de la juxtaposition des termes « régularité et sincérité » : Nous nous sommes prononcés précédemment pour une interprétation entraînant une signification de ces notions identique au concept de l’image fidèle parce qu’il serait aberrant de croire en un concept d’image fidèle évolutif et une sincérité tronquée du début du siècle ; C’est le but suprême de toutes interprétations comptables : La Cour européenne de justice, comme développé auparavant, a entrepris une interprétation par l’objectif de l’image fidèle d’un terme non défini dans la convention, en énonçant expressément son choix de la méthode d’interprétation. Il nous semble que le concept de l’image fidèle correspond à ce but ultime de l’interprétation même dans les cas d’importance non significative. Toutefois la forte influence de la fiscalité à développer la tentation de privilégier la représentation d’une réalité engendrant des économies d’impôt au détriment de l’image fidèle. Les lois fiscales joue un rôle important car il est stipulé qu’en l’absence de dispositions fiscales contraires, les règles comptables s’appliquent. L’avancée réglementairement réalisée est sous-estimée en pratique, ce qui nécessite une interprétation législative claire ou à la rigueur jurisprudentielle. Toutefois à notre avis une interprétation doctrinale univoque est aussi susceptible de changer les mœurs…

129

Bernard COLASSE, in « l’évolution récente du droit comptable. », 2004, conférence prononcée à la journée pédagogique sur « L’actualité comptable 2004 » organisée par l’AFC à l’ ENS de Cachan. 130 « Interpréter la loi en fonction des buts et besoins sociaux du moment. Appelé aussi interprétation objective. », Charles MORAND, in « Introduction au droit. », 1998, Association des Etudiants en Science Politique et Relations Internationales (A.E.S.P.R.I.), publié au site : www.aespri.unige.ch.

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 2 partie 1

22.. E EX XIISST TE E--IIL LU UN NC CA AD DR RE EC CO ON NC CE EPPT TU UE EL L IIM MPPL LIIC CIIT TE ED DA AN NSS LLA AC CO OM MPPT TA ABBIIL LIIT TE E M MA AR RO OC CA AIIN NE E ?? … ……… ……………… …… … … … … …

«Ce nouveau droit de la comptabilité qui se met en place (les IFRS en France), à vocation très économique et fortement marquée par le droit anglo-saxon est sans doute très éloigné du droit (droit civil), auquel pensait Pierre Garnier quand il disait de la comptabilité qu’elle était à la fois algèbre du droit et méthode d’observation des phénomènes économiques. Mais son avènement est sans doute nécessaire pour qu’elle devienne véritablement une méthode d’observation, sinon de tous les phénomènes économiques, du moins comme le souhaitent les grands investisseurs qui s’intéressent aux marchés financiers. »164 Pour pouvoir répondre à la question posée dans le titre de la présente section, nous allons développer un certain nombre d’études préliminaires à savoir : L’histoire de la naissance de l’idéologie des cadres conceptuels ; Débat sur la théorie comptable ; La hiérarchie et la classification des textes ayant trait à la comptabilité au Maroc ; La régulation comptable ; Les concepts de valeurs en comptabilité. Enfin, la dernière sous-section sera consacrée à la réponse à la question centrale de cette section. 22..11.. L L’’H HIISST TO OIIR RE E D DE E L LA A N NA AIISSSSA AN NC CE E D DE E L L’’IID DE EO OL LO OG GIIE E D DE ESS C CA AD DR RE ESS ……………C CO ON NC CE EPPT TU UE EL LSS.. La notion de cadre comptable conceptuel (conceptual accounting framework) est intimement liée à l’histoire de la normalisation américaine. Dès sa création en 1973, le FASB (Financial Accounting Standards Boards), organe américain, indépendant de la profession comptable, décida de se donner un cadre conceptuel comptable défini comme : « un système cohérent d’objectifs et de principes fondamentaux liées entre eux, susceptibles de conduire à des normes solides et d’indiquer la nature, le rôle et les limites de la comptabilité financière et des états financiers.»165 Après le FASB, qui a ouvert la voie de la rédaction d’un cadre conceptuel, d’autres instances ont suivi tels que, le Canada, l’Australie, la Tunisie, la Suisse, l’Angleterre166 ou encore sous l’égide de l’I.A.S.C. (l’International Accounting Standards Committee). Les études

164

Bernard COLASSE, in « l’évolution récente du droit comptable. », 2004, conférence prononcée à la journée pédagogique sur « L’actualité comptable 2004 » organisée par l’AFC à l’ ENS de Cachan. 165 Robert OBERT, cit. op. 166 Ce cadre est relativement récent, il ne date que de décembre 1999.

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 2 partie 1

comparatives, accomplies par plusieurs auteurs, de ces travaux postérieurs se référent explicitement ou implicitement à ceux du FASB. Ces travaux plus récents sont loin d’être des copies serviles des recommandations américaines, elles proposent des compléments ou des variantes particulièrement intéressantes : notamment dans « le domaine de la mesure de la valeur compte tenu, du prix actuel et de la variation du pouvoir d’achat, et de celui de l’examen rétrospectif »167. Par contre, les études semblent se trouver très proches en matière de définitions des éléments des états financiers. « Dès le dix-neuvième siècle et surtout dès la création de l’AICPA, on sentait déjà une pression sur les grandes sociétés pour une sorte d’uniformité de la comptabilité qui permette les comparaisons. Naciri rapporte que Spragues dans une série d’articles intitulés «Algebra of accounts» essaya de classifier et de résumer les théories comptables les plus discutées du moment en un cadre susceptible d’être relié aux mathématiques et à l’économie. Cependant, malgré les appels pressants en faveur de l’uniformité en matière comptable, lancés dès 1880 et accentués par la crise de 1929, la profession comptable américaine s’était montrée incapable de s’imposer des règles de conduite uniformes. L’ambition du FASB était de construire une théorie générale de la comptabilité financière. Ce système avait pour objet : de préciser la manière, la fonction et les limites de la comptabilité et des informations financières. Enfin, chaque question abordée dans un projet de norme devrait être étudiée à la lumière des objectifs de l’information financière définie par les recommandations conceptuelles.»168 Dans sa recherche d’un objectif précis pour l’établissement et la publication des états financiers, le F.A.S.B., chargé de la fixation des normes comptables, a élaboré, entre 1978 et 1985, un cadre conceptuel sous la forme de six recommandations ou concepts, intitulées Statement of Financial Accounting Concepts. Après la publication, en décembre 1985, de la recommandation N° 6 qui remplace en la complétant la recommandation N° 3, le F.A.S.B. a interrompu provisoirement ses travaux en matière de concepts. Comme le relève Ahmed Naciri, « ces recommandations sont une réaction aux conclusions du comité Trueblood, du nom de son président, que l’A.I.C.P.A (American Institute of Certified Public Accountants), avait mandaté pour réfléchir sur les objectifs de la comptabilité. Ces conclusions, publiées en 1973, ont en effet bouleversé complètement la pensée comptable traditionnelle puisqu’elles ont relié l’information financière à la prise de décision et ont spécifié que l’intérêt de l’utilisateur est dans les flux monétaires futurs plutôt que dans le bénéfice comptable. » Le rapport Trueblood précise aussi que l’information comptable peut être aussi bien quantitative que qualitative, de même qu’elle peut être aussi bien actuelle que prévisionnelle. »169 167

Benard APOTHELOZ, cit. op. Robert OBERT, cit. op. 169 Ahmed NACIRI, cité par Benard APOTHELOZ, cit. op. 168

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 2 partie 1

Ce bouleversement porte donc sur la reconnaissance du rôle d’aide à la décision de la comptabilité, sur l’intérêt de traiter des flux plutôt que des résultats fruits de trop d’inférences, sur la nécessité de mettre la trajectoire de l’entreprise en perspective en introduisant les données prévisionnelles, et sur un élargissement quantitatif de l’information. Ce cadre n’a pas vu le jour d’un seul coup, bien au contraire : il a évolué graduellement et ce n’est vers les années 1980 qu’il a atteint un certain stade de réalisation. Six normes ont finalement été publiées entre 1978 et 1985, la septième étant publiée en février 2000. La première norme (statement n°1 : objectives of financial reporting for business enterprises) publiée en novembre 1978, décrit l’environnement et énumère les besoins présumés des utilisateurs de l’information financière et comptable. Les objectifs de l’information financière ont alors été définis comme suit : fournir les informations utiles aux investisseurs actuels ou potentiels et aux prêteurs pour leur permettre des décisions rationnelles ; leur fournir des informations permettant d’estimer le recouvrement des prêts ou du produit des ventes ; apporter des renseignements relatifs aux ressources économiques d’une entreprise et aux facteurs qui modifient sa solvabilité ; fournir des informations sur la gestion de la direction (utilisation du capital investi). Le champ auquel s’est intéressé le FASB dépasse largement le cadre des seuls comptes annuels puisqu’il intègre également les informations complémentaires fournies obligatoirement sur demande mais non intégrées dans les comptes annuels au sens strict. « Bien que le FASB reconnaît que les utilisateurs des informations financières sont multiples, il privilégie néanmoins les actionnaires, actuels ou potentiels, et les créanciers. Cette étude reflète une conception très restrictive des utilisateurs de l’information financière, une conception très actionnariale (shareholders) qui contraste avec la conception française traditionnelle qui retient une pluralité de parties prenantes. »170 La norme n°2 (statement n° 2 : qualitative characteristics of accounting information) publiée en mai 1980, traite des critères qui sont nécessaires pour rendre les informations financières utiles à la prise de décision (parmi les critères identifiés apparaissent la pertinence et la fiabilité). C’est incontestablement la recommandation la plus riche et la plus innovante. La norme n° 3 (statement n°3 : elements of financial statements of business enterprises) de décembre 1983, définit les dix éléments suivants des comptes annuels : actif, passif, capital, apports, distribution, résultat, produits, charges, profits et pertes. Elle a été remplacée ultérieurement par la norme n°6. 170 Djamel KHOUATRA, in « La normalisation comptable entre modèle anglo-saxon et modèle continental : Le cas de la Roumanie, pays en transition vers l’économie de marché. », 2004, congrès AFC.

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 2 partie 1

La norme n° 4 (statement n°4 : objectives of financial reporting by non-business organizations) publiée en décembre 1980 a étendu la recommandation n°1 aux entités à but non lucratif. La norme n° 5 (statement n° 5 : recognition and measurement in financial statements of business enterprises) publiée en décembre 1984, résume les pratiques en matière de constatation comptable et d’évaluation. Ce texte poste le problème de la prise en compte des informations au niveau des états financiers, à savoir quelle information doit y figurer et à quel moment doit elle être donnée. La norme n° 6 (statement n°6 : elements of financial statements) publiée en décembre 1985, reprend les définitions relatives aux éléments de base figurant dans les comptes annuels (traités par la norme n°3) en les complétant. Après la publication de la sixième norme, le FASB a interrompu, provisoirement, ses travaux de recherche en matière de concepts. « Les six premières normes publiées n’ont pas réellement convaincu les utilisateurs potentiels, les définitions demeurant générales et abstraites et donnant l’impression de ne pas aborder les vrais problèmes. La longueur des travaux (1973-1985), leur coût important (22 millions de dollars, 3000 pages de papiers de discussion) comparés à la relative faiblesse des résultats obtenus ont fait l’objet de sévères critiques et engendré une grande déception. »171 La norme n° 7 (statement n° 7 : Using Cash Flow Information and Présent Value in Accounting Measurement) publiée en février 2000, présente l’utilisation des flux de trésorerie actualisées et de la juste valeur dans l’évaluation des actifs et des passifs. Deux types de problèmes sont posés par cette norme : l’utilisation de la juste valeur comme principe d’évaluation ; l’utilisation de l’approche en flux de trésorerie attendus comme moyen de mesure (la norme fournit des règles précises). La norme, qui se concentre sur les systèmes de mesure de manière plus approfondie que les normes précédentes, présente les techniques et des idées qui ne sont pas habituelles pour le praticien comptable. Cependant, les principes articulés dans cette norme n° 7 reprennent des concepts qui remontent aux années 1950 en matière de principes économiques et financiers et aux années 1970 en littérature comptable. Il faut noter que, malgré toutes les critiques formulées à l’encontre de la formulation d’un cadre conceptuel aux Etats Unis, l’IASC n’a pas hésité à mettre en chantier son propre cadre (lequel a abouti en 1989).

171

Robert OBERT, cit. op.

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 2 partie 1

En agissant ainsi, comme le fait remarquer Naciri172, le FASB, semble avoir mis le doigt sur le vrai problème du cadre conceptuel, à savoir que les idées qui y sont exposées sont très en avance et n’ont pas encore été bien assimilées par les patriciens aux Etats-Unis, qui s’étaient bien accommodées de l’ancien système tout en lui reprochant beaucoup d’incohérence. Le FASB entend donc faire entrer les idées du cadre conceptuel dans les habitudes des préparateurs des états financiers, très progressivement. Naciri ajoute que les réactions enregistrées à l’occasion de la présentation en public des projets de normes du FASB, depuis la publication du cadre conceptuel, l’incitent d’ailleurs à la prudence étant donné qu’elles sont très partagées. On comprend donc qu’un tel cadre conceptuel bouscule les habitudes des comptables. Il leur demande de préparer, avec la rigueur qui leur est propre, des éléments d’informations utiles à la prise de décision. Eléments d’information pouvant même se trouver en dehors du champ traditionnellement réservé à la comptabilité. Naciri souligne en ces termes : « ce cadre conceptuel a bouleversé totalement la fonction comptable : de discipline de prise de décision ayant comme principe de base la pertinence. »173 Il faut noter que, malgré toutes les critiques formulées à l’encontre de la formulation d’un cadre conceptuel aux Etats Unis, l’IASC n’a pas hésité à mettre en chantier son propre cadre. Un cadre de préparation et de présentation des états financiers (Framework for the preparation and presentation of financial statements) a été adopté par l’IASC en avril 1989 pour publication en juillet 1989. « Les premiers projets de cadre conceptuel avaient une vue plus large, ils voulaient s’intéresser à la globalité des informations financières externes à caractère général des entreprises, champ auquel s’était intéressé le FASB précurseur en matière de cadre conceptuel. En fait, l’IASC a rétréci son champ d’application par rapport aux projets initiaux, le limitant aux états financiers. »174 22..22.. D DE EB BA AT T SSU UR RL LA AT TH HE EO OR RIIE EC CO OM MPPT TA AB BL LE E.. « Les apparences du discours laissent penser que la comptabilité est juridique en Europe, et qu’elle est économique au Etats-Unis. La réalité est différente et plus subtile. »175 Depuis 1970, la littérature comptable rend compte d’une heureuse évolution du débat sur la théorie comptable, où une approche sémantique du problème est de plus en plus privilégiée. Comme il faut s’y attendre à chaque fois qu’un thème est appréhendé du point de vue de sa signification et des choix qu’il suppose, les auteurs n’ont pas la même vision du rôle que doit jouer la comptabilité. En effet, on relève à cet égard deux approches possibles : Une approche inductive reposant sur une conception déontologique de la comptabilité ; 172

Ahmed NACIRI, cité par Benard APOTHELOZ, cit. op. Ahmed NACIRI, cité par Benard APOTHELOZ, cit. op. 174 Robert OBERT, cit. op. 175 Eric CAUSIN, cit. op. 173

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 2 partie 1

Une approche déductive impliquant une vision utilitaire de la comptabilité. L’étude de ces deux approches, entre indirectement dans le cadre de nos propos. Cependant, nous pensons qu’il n’est pas vain de rappeler brièvement sous une forme synthétique176 les caractéristiques de chacune d’elles, avant d’expliquer notre adhésion à la seconde démarche. APPROCHE DESCRIPTIVE

APPROCHE NORMATIVE

Modèle déontologique

Modèle utilitaire

Approche descriptive et inductive

Approche normative et déductive

A partir d’une observation pragmatique des faits, des propriétés communes sont dégagées et supposées s’appliquer à tous les cas ; La comptabilité est uniquement soumise à des principes fondamentaux pour rendre compte de la réalité observée.

Vérité - Cohérence

A partir de propositions générales, posées comme hypothèses, des règles comptables sont définies. Formulation des critères et vérification de leur acceptabilité ; Le paradigme comptable est conçu pour répondre aux besoins actuels et futurs des utilisateurs.

Vérité – Contingente

Recherche de la fidélité, de la sincérité et de l’exactitude = substituts d’une vérité difficile à atteindre ; Constitution d’un corps autonome de connaissances comptables. Pertinence prescriptive de l’information reposant sur une représentation des éléments qui doivent être d’un certain intérêt.

Actes jugés en fonction de leurs effets ; La théorie comptable est connectée sur les effets qu’elle entraîne et les objectifs qu’elle entend satisfaire.

Pertinence descriptive de l’information liée aux conséquences des choix comptables effectués.

22..22..11.. C CR RIIT TIIQ QU UE ESS D DE EL L’’A APPPPR RO OC CH HE E IIN ND DU UC CT TIIV VE E.. Selon Masnaoui, « la méthode inductive de la comptabilité implique que c’est la pratique comptable issue de la doctrine, qui détermine l’essentiel des comportements, attitudes et analyses qu’il convient d’avoir, face à chaque type de transactions économiques. Ainsi, de cette pratique se dégagent, progressivement et de manière implicite, des règles consensuelles. Néanmoins, deux critiques fondamentales sont adressées à cette école : Jusqu’à ce qu’il y ait consensus sur une pratique donnée, plusieurs situations conceptuelles contradictoires peuvent exister et amener à un certain désordre dans les comptabilités et donc, dans l’esprit des utilisateurs ;

176

Tableau emprunté à Djelloul SACI, cit. op.

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 2 partie 1

L’émergence d’attitudes et de pratiques nouvelles peut être le fait implicite de groupes de pression ou d’institutions qui cherchent à changer les règles comptables à leur avantage. »177 A notre avis, les principes comptables ne peuvent être considérés comme étant, simplement, des règles de conduite déontologique dictées par une éthique de l’information. Ils reposent sur des hypothèses implicites sur l’entreprise et son environnement, et qui sont de ce fait, les bases doctrinales de toutes les pratiques comptables. « Il convient d’observer à cet égard que les notions de « sincérité », de « fidélité », et bien sûr de « vérité » ne sauraient être détachées des préoccupations du milieu qui les utilise, en ce qu’elles reflètent une certaine conception de l’ordre socio-économique. Nous pensons, en effet, que les faits comptables ne sont pas enregistrés et classés d’une manière anodine, dans la mesure où nous partageons l’avis de ZEFF précisant que la comptabilité ne peut être vue comme une activité technocratique et isolée. Elle est, au contraire, au service de ses utilisateurs et se doit de tenir compte des différents intérêts en jeu. Cela explique en particulier le fait que des travaux théoriques et empiriques portant sur les conséquences économiques des choix comptables réalisées aux U.S.A. ou en Europe Occidentale, sont logiquement axés sur les préoccupations de l’économie capitaliste : reproduction élargie du Capital, gestion de la trésorerie efficience des marchés boursiers. »178 L’absence de neutralité des choix comptables à été reconnue par certains auteurs américains, qui se prononçait pour des modèles « mixtes » éloignés d’une conception déontologique pure. Toutefois un changement draconien s’annonce aujourd’hui. En effet « La Loi Sarbanes-Oxley de 2002 obligeait la Securities and Exchange Commission (SEC) à mener une étude sur l’adoption, dans le cadre du système d’information financière des États-Unis, d’un processus de normalisation fondé sur des principes et à présenter au Congrès un rapport sur cette étude. (…) Les principales recommandations du rapport étaient que le FASB publie des normes axées sur des objectifs et qu’il corrige les déficiences du cadre conceptuel. Selon la définition énoncée dans le rapport, les normes axées sur des objectifs devraient comporter les caractéristiques suivantes : être fondées sur un cadre conceptuel amélioré et appliqué uniformément ; être suffisamment détaillées et structurées pour permettre une mise en application uniforme ; limiter au minimum les exceptions à la norme ;

177 178

Abdelkader MASNAOUI, cit. op. Djelloul SACI, cit. op.

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Chapitre 2 partie 1

éviter le recours à des critères fondés sur des pourcentages (critères de démarcation très nets) qui permettent aux ingénieurs financiers de respecter techniquement la norme tout en contrevenant à son intention. »179 22..22..22.. A AV VA AN NT TA AG GE ESS D DE EL L’’A APPPPR RO OC CH HE ED DE ED DU UC CT TIIV VE E.. Selon Masnaoui, « la méthode déductive de la comptabilité se veut par contre être la création d’un « modèle scientifique » déterminé à l’avance sur la base d’une réflexion logique. Cette nouvelle école, qui a vu le jour au lendemain des années 1960, a gagné beaucoup de terrain, aidée en cela notamment par les courants de la nouvelle pensée managériale. Ainsi plusieurs mouvements de scission entre l’ancienne et la nouvelle école ont progressivement émergé partout dans les pays à économie développée et ont donné naissance à des institutions régionales et internationales de normalisation. »180 Nous pensons qu’il est bon d’aborder les problèmes comptables sur la base d’une vision normative et du raisonnement déductif qu’elle suppose. Dans cette optique, les problèmes ne sont pas appréhendés d’une manière factuelle, c’est-à-dire à partir de ce qui est, mais en portant l’attention sur ce qui devrait être. « L’option retenue par le législateur marocain a été l’approche déductive car il a tenu à donner une cohérence et une homogénéité aux pratiques comptables en dégageant les concepts dont doit s’inspirer la pratique : la loi comptable a normalisé le fond en accordant une certaine souplesse à la forme. Cette apparente rigidité légale est toutefois à relativiser en comparant le système comptable dit « latin » avec le système anglo-saxon. »181 En effet, dans le cas marocain, il y a lieu de faire les observations suivantes : Le plan comptable et les modèles des états financiers sont imposés par la loi ; Les règles d’évaluations prévues par le CGNC offre moins de latitudes aux professionnels comptables que les normes IAS plus axés sur des principes. En résumé nous dirons que : « C’est par l’existence d’un cadre conceptuel qu’on estime que la normalisation IAS – IFRS relève d’un choix de normalisation par les principes par opposition à certains système de normalisations par les règles. » 182 ; Si le modèle comptable marocain peut sembler appartenir à l’approche déductive, il nous semble qu’il s’agit d’un modèle mixte, plus proche de l’approche inductive même s’il ne répond pas aux fondements conceptuels de cette approche, à moins de convenir, qu’il s’agit dans ce cas d’une approche déductive à la romano - germanique. 179

Paul CHERRY, in « Activité du conseil des normes comptables de l’ICCA et de ses permanents. », 2005, CNC normes comptables, Canada. 180 Abdelkader MASNAOUI, cit. op. 181 Hassan ALLOUCH, in « La politique d’arrêté des comptes : Enjeux et finalité. », décembre 2000, Bulletin d’Information Périodique, Casablanca. 182 Eric DELASALLE, in « Les normes IAS – IFRS. », 2004, Le francilien des experts comptables, n°46.

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Chapitre 2 partie 1

Il nous semble que l’idéologie d’un cadre conceptuel n’est pas forcément liée à l’imposition d’un plan comptable ou d’un jeu des états de synthèse, mais exige plutôt comme préalable un système non pas basé sur des règles, mais basé sur des normes, où l’appréciation par les professionnels fait largement place à l’exercice du jugement professionnel, sans pour autant à l’arbitraire. Dans la mesure où dans l’approche déductive, on juge les actes par rapport à leurs effets, il nous semble qu’on ne peut pas faire à moitié place au jugement professionnel, parce que nous estimons que même s’il s’agit d’un choix préalable du normalisateur, pour qu’une culture des principes s’instaure chez les professionnels comptables, ils doivent être intégralement responsable de leurs actes. Le modèle tunisien datant de 1997 et plus récemment le modèle malgache témoignent des changements radicaux réussis. 22..33.. L LA A H HIIE ER RA AR RC CH HIIE E E ET T L LA A C CL LA ASSSSIIFFIIC CA AT TIIO ON N D DE ESS T TE EX XT TE ESS A AY YA AN NT T ...T R A I T A L A C O M P T A B I L I T E A U M A R O C . TRAIT A LA COMPTABILITE AU MAROC. « La codification tarit sans doute la pratique, mais permet à la doctrine de reconquérir son autorité dans l’interprétation des textes. » 183 Le fonctionnement de la hiérarchie des normes dans le système juridique marocain est pyramidal : la norme de niveau supérieur s’impose à celle de niveau inférieur. Ainsi, la norme la plus inférieure – un contrat par exemple – doit être conforme avec la totalité des règles qui lui sont supérieures. En droit marocain, la liberté est un principe consacré : tout ce qui n’est pas formellement interdit est autorisé. Les règles qui doivent être obligatoirement respectées sont dites « d’ordre public ». Cette notion a été mise au point par Hans Kelsen afin de dégager le droit de ses fondements idéologiques et moraux, pour n’en faire qu’une technique de régulation : une pure technique au service de l’État laïc. Selon cette théorie, toute règle de droit doit respecter la norme qui lui est supérieure, formant ainsi un ordre hiérarchisé. Plus elles sont importantes, plus la superposition des normes acquiert une forme pyramidale, ce qui explique pourquoi cette théorie est appelée pyramide des normes. Cet ordre est qualifié de statique car les normes inférieures se doivent de respecter les normes qui leur sont supérieures, mais il est également dynamique car une norme peut être modifiée en suivant les règles édictées par la norme qui lui est supérieure. La norme placée au sommet de la pyramide étant, la Constitution. Le schéma suivant illustre la pyramide de la hiérarchie des normes dans le système juridique marocain.

183

Frederic ZENETTI, in « La jurisprudence. », 1991, DALLOZ, Paris.

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 2 partie 1

Constitution Bloc de supra légalité184 Lois Principes généraux du droit Règlement (Décret - Arrêté - Circulaire) Actes administratifs La pyramide précédente forme avec la jurisprudence, la coutume et la doctrine, les sources du droit. Nous avons regroupé dans l’annexe B5 (page 245) tous les textes marocains ayant trait à la comptabilité, classé sous forme analytique selon la hiérarchie des normes (lois, décrets, arrêtés, circulaires et avis du CNC) et selon les différents secteurs économiques (commerçants, OPCVM, entreprises immobilières, coopératives, établissements de crédits, sociétés de bourse, association de micro-crédit, ORMVA, FPCT, OPCR, associations, entreprises d’assurance et les établissements publics). Nous allons essayer dans ce qui suit de développer quelques sources du droit : La constitution : il nous semble que les principaux articles qu’on peut évoquer dans le cadre de l’interprétation comptable sont : • L’article 4 : La loi ne peut pas avoir d’effet rétroactif ; •

Les articles 46 / 47 / 48 : Le régime des obligations civiles et commerciales, est du domaine de la loi. Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi appartiennent au domaine réglementaires. Les textes pris en forme législative peuvent être modifiés par décrets, après avis conforme du Conseil Constitutionnel lorsqu’ils seront intervenus dans un domaine dévolu à l’exercice du pouvoir réglementaire.

Les lois : Le tableau figurant à l’annexe B5 (page 245) précise, selon le secteur économique dont il s’agit, les lois qui sont applicables. Lorsque il existe plus qu’une loi applicable à ce secteur, il peut y avoir un risque d’antinomie entre les dispositions de ces textes. Le premier chapitre de la deuxième partie traitera des moyens de solutionner ce genre de conflit des lois. Au Maroc, on ne pouvait commencer à parler de droit comptable qu’après la promulgation de la loi n° 9-88 relative aux obligations comptables des commerçants, qui a posé la pierre angulaire de l’assise juridique de la comptabilité. Les similitudes entre la loi n° 9-88 et la loi comptable française sont très frappantes. 184

« Le bloc de supralégalité est constitué du droit international c’est à dire des traités et conventions internationales à l’exclusion de la coutume (CE,6 juin 1997, Aquarone), mais aussi les lois organiques, (lois précisant l’organisation des pouvoirs publics). », in http://fr.wikipedia.org/wiki/Pyramide_des_normes.

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 2 partie 1

La comparaison détaillée de la loi n° 9-88 et de la loi comptable française nous dévierait de notre de objectif. A ce titre, nous ferons que les remarques suivantes : •

Les similitudes entres les textes marocains et français sont frappantes, toutefois avec une certaine marocanisation palpable d’un certain nombre de termes, tel que les termes marocains « états de synthèse » ou « ETIC » ;



Le choix marocain s’est porté sur une loi regroupant la totalité de la loi comptable française et une grande partie du décret comptable français ; De plus l’approche marocaine est réglementaire. Il existe une hiérarchie des textes (loi – décret – arrêté) qu’il faut respecter. Une erreur conceptuelle ne peut être corrigée qu’en modifiant une loi ; sans cela elle se perpétue. Cette situation conduit à une rigidité extrême en obligeant par exemple le conseil national de la comptabilité à travailler dans les limites étroites du « droit constant ». Aujourd’hui peu d’acteurs sont conscient de la réalité de cette difficulté ;



Les dispositions introduites par les modifications réalisées dans les années quatrevingt en France, avant la promulgation de la loi n° 9-88, n’ont pas donné lieu à des dispositions marocaines similaires. Comme si le législateur s’est largement inspiré du texte initial de 1982, sans tenir compte des modifications ultérieures ;



Le champ d’application de la loi n° 9-88 est identique au code de commerce français. Ce champ d’application qui constitue une continuité historique (depuis l’ordonnance de Colbert en 1693) apparaît à première vue comme statique. Toutefois, il s’est vu modifié directement en fonction des évolutions historiques de la définition juridique de la commercialité et se voit élargi indirectement en fonction des lois qui l’instaurent pour certains non commerçants ;

Les arrêtés : Nous allons faire à cet égard les deux remarques suivantes : •

La quasi majorité des plans comptables sectoriels ont été approuvé par arrêté à la différence du CGNC. Toutefois l’utilisation du CGNC a été recommandée par un simple avis du CNC. On pourrait dire que juridiquement, les textes opposables en comptabilité sont restreints à la loi n° 9-88 ;



Les plans comptables sectoriels qui ont été approuvés par arrêté, n’ont pas été publiés au Bulletin Officiel. Il nous semble que juridiquement on ne peut pas imposer de respecter un texte qui n’a pas été publié, simplement parce qu’un autre texte en fait référence. En France, cette situation a été rectifiée lors de la réécriture du plan comptable ;

Les circulaires : Certaines circulaires de Bank Al Maghrib ou du CDVM imposent des traitements comptables : exemple circulaire relative aux opérations de pension qui a vu le jour après l’avis du CNC. Il nous semble que le mode de régulation de la comptabilité par les circulaires émises par certains organismes peut s’avérer extrêmement dangereux,

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 2 partie 1

parce que ces organismes disposent d’une certaine force coercitive et aussi parce que la valeur juridique des circulaires peut être supérieure à celle des avis du CNC dans le cas où ces derniers n’ont pas été approuvés par arrêté ; La jurisprudence : « Il existe peu d’arrêts ou de jugements spécifiquement comptables. C’est en général, à l’occasion d’un litige portant sur la mise en oeuvre du droit commercial ou du droit pénal des affaires, que le juge est amené à se pencher sur un aspect comptable, pour rechercher l’existence de l’élément matériel d’une infraction à travers la non - application ou la mauvaise application d’une disposition comptable. Il en résulte une jurisprudence qui, bien, qu’elle n’ait pas un caractère obligatoire, peut servir de référence. Il est à signaler que de nombreux litiges d’origine fiscale existent et lorsqu’ils sont réglés par un arrêt du Conseil d’État, celui-ci fait jurisprudence. »185 ; La doctrine : Elle est constituée par les avis et interprétations donnés par les différents organismes sur des points que les textes législatifs ou réglementaires n’ont pas ou peu précisés. L’une des originalités de la doctrine comptable est qu’elle est constituée en grande partie par les organisations professionnelles et publiques. Les « avis »186 du CNC rentrent dans cette catégorie y compris le Code Général de Normalisation Comptable (CGNC) dont l’application a été recommandée par le premier avis du CNC. Deux décennies sont passé depuis que le CGNC a été rédigé, il nous semble intéressant de faire à ce titre les remarques suivantes : •

Le CGNC comprend des dispositions relatives à la comptabilité analytique et aux comptes consolidés. Il nous semble que cette ancienne mode française qui est toujours rémanente dans notre code est tacitement en désuétude. Selon le Professeur Essaîd187 une disposition légale même non appliquée ne saurait être contrecarré par l’usage. Dans la mesure où il s’agit d’un simple avis, il nous semble que nous pouvons affirmer que ces dispositions sont non applicables sauf pour les sociétés et offices auxquels le CGNC a été imposé par arrêtés ;



Ce code comprend en grande partie des explications et des commentaires188 difficilement dissociables des règles comptables. Toutefois la rédaction des nouveaux plans comptables sectoriels ne les comprend pas ;

185

Didier KLODAWSK, in « Les sources de la normalisation et de la réglementation comptable. », 2004, publié dans : http://www.master-gestion.net/ 186 Terme utilisée par le décret n° 2-88-19 du 16/10/1989 instituant le conseil national de la comptabilité, publié au BO n°4023 du 6 décembre 1989, tel que modifié par le décret n° 2-00-682 du 01/11/00 publié au BO n° 4848 du 16/11/2000, puis le décret 2-026-888 du 22/05/2003 publié au BO n°5114 du 05/06/2003. 187 Mohammed Jallal ESSAID, in « Introduction à l’étude du droit. », 3ème édition 2002, Collection Connaissances, Rabat. 188 Le plan comptable général français de 1982, dont le CGNC s’est beaucoup inspiré, était rédigé de cette façon. Toutefois la réécriture en 1999 de ce plan en France a aboutit aux suppressions des commentaires. Un projet de cadre conceptuel français réalisé en 1996 par le conseil supérieur de l’ordre des experts comptables, était lui aussi rédigé de cette façon. Sa non acceptation par le CNC était avant tout due à l’existence des nombreux explications et commentaires. Projet publié sous le titre « Cadre conceptuel de la comptabilité. », mai 1996, RFC n° 278. Commenté dans « Améliorer le système comptable français. », avril 1996, RFC n° 277.

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 2 partie 1



Le CGNC n’a jamais été actualisé. Son actualisation semble difficilement concevable, dans la mesure où ses paragraphes n’ont pas été codifiés ou numérotés189, tel que les normes IAS ou le nouveau plan comptable général français ;



Le CGNC n’a pas été publié au bulletin officiel ;



Le CGNC n’a pas été traduit en arabe ;



La publication du CGNC a été réalisée de façon très restreinte. Cette situation entraîne les conséquences suivantes : -

Il est indisponible dans le commerce ;

-

Il est indisponible dans les bibliothèques, même dans la bibliothèque de l’I.S.C.A.E. qui accueille le cycle national d’expertise comptable ;

-

La plupart des étudiants même dans le cycle de l’expertise comptable ne dispose pas d’une photocopie du CGNC. Et s’ils ont la chance de le photocopier, ça sera d’après une autre photocopie. Un doute interpelle alors l’étudiant qui se demande si l’original de sa photocopie était complet ;

-

Certains professionnels n’ont jamais entendu parler du CGNC ;

-

La plupart des ouvrages marocains traitant de la comptabilité sont restreints à la comptabilité générale et ne citent le CGNC que dans l’introduction. Tout se passe comme si les auteurs inventent les schémas d’écritures comptables et les règles d’évaluations ;

-

Certains professeurs universitaires ne le citent pas dans leurs cours ;

-

Il comprend cinq tomes imprimés sur des centaines de pages. Ce qui rend très difficile les recherches.

Nous nous demandons alors : comment ça marche la comptabilité au Maroc ? Certains auteurs réclament une révision du CGNC qui est devenu obsolète, alors que le commun des mortels ne le possède pas, et parfois certain n’ont jamais entendu parler ; La coutume : « La coutume est l’usage prolongé d’une même règle de droit non écrite. Pour nous faire comprendre ce qu’était la coutume, un de nos professeurs de droit prenait l’exemple des pelouses de l’école sur lesquelles se dessinaient peu à peu des chemins façonnés par l’habitude qu’avaient prise les étudiants d’emprunter un même itinéraire, plus court que les chemins soigneusement dallés qui quadrillaient ladite école… On ne saurait mieux définir la coutume qu’avec cette image simple. Lorsqu’une règle a connu un long usage, le juge peut être amené à la constater et à la reconnaître pour valable et s’imposant à tous. Très fréquemment, la coutume est circonscrite localement à une région (usages locaux). »190 189 190

Groupe revue fiduciaire, in « Le nouveau droit comptable. », 1999, GRF, 1999, Paris. www.defidoc.com.

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 2 partie 1

11..44.. L LA AR RE EG GU UL LA AT TIIO ON NC CO OM MPPT TA AB BL LE E.. Selon Colasse la régulation comptable désigne : «le processus de production, de mise en œuvre et de contrôle de l’application des normes comptables »191. Celle-ci peut être distinguée selon les trois formes suivantes : La régulation par une organisation étatique ou inter-étatique (ou réglementation) ; La réglementation par la profession (ou endo-régulation) ; La régulation par un organisme indépendant. Le schéma présenté ci-dessus présente synthétiquement cette vision des choses :

ETAT

? ORGANISME INDEPENDANT

PROFESSION

Il nous semble qu’il existe une relation étroite entre le mode de régulation comptable et le type de modèle comptable choisi, dans la mesure où nous pensons, comme précisé dans la première sous-section de cette partie, que la comptabilité est avant tout un système socialement déterminé, toutefois nous reconnaissons qu’elle peut être influencée par des événements particuliers et les échanges entre pays. Dans ce sens toute modification de la réglementation, de façon imposé par l’Etat par exemple, à de forte chance d’être avortée si elle n’est pas véritablement et largement acceptée192 par les professionnels comptables. Par

191

Bernard COLASSE, in « La régulation comptable entre public et privé. », 2004, Séminaire réalisé par l’université Paris Dauphine sous le thème « Nouvelles normes comptables : Quels enjeux pour l’enseignement de la comptabilité. ». 192 Une étude tunisienne effectuée, à partir du modèle de Berry (1989) dans une optique psychosociale, presque une décennie après l’instauration du nouveau système comptable des entreprises, démontre que suite au passage à des normes presque identique aux normes IAS (toutefois avec un plan comptable et un jeu des états de synthèse imposés – conception romano-germanique oblige) l’adoption de ces normes comptables s’est accompagnée d’une légère évolution de la culture comptable. En effet, les comptables tunisiens ont tendance à appliquer les anciennes habitudes de l’ancien plan comptable de 1968 (une adaptation national très proche du plan comptable français de 1957). Il s’agit d’une « contre accumulation » avec des tentatives de retour aux sources » qui apparaît. La déculturation interdit la recréation de la culture originelle. « Et ceci en dépit du projet de revenir à la situation passée, c’est un acte de création d’une situation nouvelle : une nouvelle culture comptable propre au

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 2 partie 1

exemple dans la littérature comptable, on insiste beaucoup sur le clivage existant entre modèle anglo-saxon et le modèle romano-germanique. A notre avis la conception du droit en est pour beaucoup là dedans. « Quelques recherches anglo-saxonnes ont tenté d’établir une classification des systèmes comptables nationaux. Cette idée très à la mode à la fin des années 1970 et au début des années 1980. (…) Les classifications statiques de Da Costa, Bourgeois et Lawson (1978), Frank (1979), Nair et Frank (1980) classent les pays en fonction de leurs pratiques en matière de comptabilisation et d’évaluation. »193 Nobes en 1984 a proposé une classification des systèmes comptables sous une forme d’arbre généalogique, tel que résumé dans la figure ci-dessous :

Nous pensons que toutes classification de ce type présente un défaut fondamental dans la mesure où elle suppose qu’il existe une uniformité comptable au sein de chaque pays, ce qui est loin d’être le cas. On peut également reprocher à ce genre d’approche d’avoir tendance à trop simplifier les ressemblances à l’intérieur d’un même groupe et à trop insister sur les différences entre groupes. Les différences fondamentales entre le modèle anglo-saxon et le modèle romano-germanique sont résumées dans la figure194 suivante :

contexte tunisien. » ; Basma CHOUCHANE, in « Evolution culturelle comptable ou accumulation ? », 2005, congrès AFC. 193 Axel HALLER et Peter WALTON, in « Comptabilité internationale. », 1997, Vuilbert. 194 Axel HALLER et Peter WALTON, cit. op.

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Chapitre 2 partie 1

La forme de la régulation adoptée par chaque pays, ne peut être appréhendée uniquement par la classification générale présentée auparavant, ni d’ailleurs expliquée de façon exclusive par l’appartenance à une classe précise d’une classification donnée ou par les différences entre les modèles. Dans ce sens la régulation de chaque pays est assez spéciale. Nous présentons à ce titre, sous forme de schémas, les régulations de certains pays, largement cités par la doctrine, qui sont considérées par certain comme des modèles à part entière :

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 2 partie 1

Le cas de la France : une normalisation partenariale sous la tutelle de l’état ;

Le cas des États-unis : une normalisation professionnelle puis indépendante sous contrôle para-étatique.

NOMME LES MEMBRES

FOUNDATION ACCOUNTING STANDARDS ADVISORY COUNCIL (FASAC) - environ 30 membres

FINANCIAL ACCOUNTING FOUNDATION

(FAF) 15 membres SECURITIES AND EXCHANGE COMMISSION (SEC)

NOMME LES MEMBRES ET FINANCE LE

CONSEILLE LE

FINANCIAL ACCOUNTING STANDARDS BOARD (FASB) 7 membres

DELEGUE LE POUVOIR

ELABORE NORME

APPROUVE OU REJETTE

Le principe d’un cadre conceptuel nous apparaît, comme à de nombreux auteurs, un élément indispensable de cohérence. « C’est à partir de ce cadre, qui est peut être réactualisé lorsque cela s’avère nécessaire, que peut se construire progressivement un ensemble complet de normes de qualité. »195

195

Jean KELLER, in « Normalisation comptable française. Faut-il un cadre conceptuel ? », 2001, Les cahiers de l’audit n°12.

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 2 partie 1

En reformulant cette opinion, on mesure immédiatement le chemin à parcourir pour parvenir à cet objectif. Beaucoup d’obstacles et beaucoup d’incertitudes devront en effet être levés. L’opposition entre réglementation et normalisation est, à notre sens, le point central. Dans ce sens, nous nous demandons quelle serait l’autorité d’un cadre conceptuel sous la contrainte permanente du droit constant ? La légitimité juridique du cadre conceptuel ne doit pas être remise en cause par la loi n° 9-88 ; une publication par arrêté ou par avis du CNC n’aura aucun sens dans ce cas. En matière de régulation comptable plusieurs termes sont utilisés. Nous allons essayer cidessous de définir chacun des termes les plus couramment utilisés : L’harmonisation vise à réduire la diversité des pratiques comptables afin de les rendre plus comparables. L’harmonisation pourrait être vue comme la première étape du processus de création des normes comptables ; La normalisation : Ce terme a été utilisé surtout dans la littérature européenne, où « la normalisation » était la traduction de la « standardisation ». Les « standards » anglais s’appelant « normes » en français, le processus de « standardisation » est traduit par « normalisation ». La normalisation se situe entre l’harmonisation et la standardisation, comme deux étapes du processus de création des normes comptables ; La standardisation permet d’attendre une uniformité totale. Elle est plus ambitieuse que l’harmonisation et la normalisation, parce qu’elle conduit à l’adoption d’une seule règle comptable dont l’application sera universelle. Pour mieux comprendre les différences entre ces concepts, nous proposons le schéma suivant196 :

196

Emprunté à Elena BARBU, in « 40 ans de recherches en harmonisation internationale. », 2004, congrès AFC.

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 2 partie 1

Ces différentes étapes sont illustrées dans le schéma197 suivant :

L’évolution de l’harmonisation internationale peut être facilement appréhendée à travers les événements marquants de l’histoire de l’IAS. Le schéma198 suivant présente les importants événements qu’a connus l’IAS.

Les étapes présentées par Barbu sont presque unanimement reconnues par la doctrine traitant de la comptabilité comparée. Nous allons essayer d’exposer les significations qui leur sont généralement attribuées : Flexibilité : L’organisme international lors de sa création, forcé de satisfaire toutes les parties, présentait plusieurs options de chaque traitement. Seules étaient écartées quelques traitements, utilisés par certains pays, qui présentent des faiblesses doctrinales notoires ; Comparabilité : L’organisme de régulation internationale privée après presque de deux décennies de sa création, voyant sa légitimité se raffermir, se devait d’élever le ton, en

197

Emprunté à Elena BARBU, cit. op. Emprunté à Elena BARBU, in « Le vagabondage comptable normatif existe-il toujours ? », 2003, congrès AFC.

198

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Chapitre 2 partie 1

restreignant les nombreuses options et en mettant fin à la diversité des options. L’accord conclu avec l’IOSCO (L’International Organization of Securities Commissions) a permis de le relancer au devant de la scène, en prévoyant que les sociétés côtés utilisant les normes IAS peuvent être admis dans toutes les places boursières de la planète. Toutefois cet accord a permis à l’organisme de contrôle boursier international d’imposer son ingérence dans la révision des normes pour lesquelles sont aval était indispensable ; Acceptabilité : L’adoption européenne sans véritable modification de presque la totalité des normes a permis de redorer le blason de l’IAS dont le poids commence à surpasser le FASB. Selon Barbu plusieurs facteurs peuvent être explicatifs de l’harmonisation internationale. Le schéma199 suivant synthétise les conclusions de cet auteur :

11..55.. L LE ESS C CO ON NC CE EPPT TSS D DE EV VA AL LE EU UR RE EN NC CO OM MPPT TA AB BIIL LIIT TE E.. Les comptabilités financières traditionnelles en vigueur en Europe et aux USA s'appuient sur des principes bien établis (coûts historiques, prudence, etc.). Elles fournissent une mesure du résultat et des fonds propres légale mais souvent contestée, même si elle ne manque pas de défenseurs. Or l'importance accordée à ces deux piliers de l'information comptable, sur 199

Emprunté à Elena BARBU, in « Une meilleur connaissance de l’environnement comptable : condition sine qua non d’une meilleur compréhension de l’harmonisation comptable internationale. », 2006, congrès AFC.

101

Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 2 partie 1

lesquels s'appuient des décisions essentielles (en interne comme en externe), exige une approche renouvelée pour atteindre le meilleur degré de pertinence possible. C'est pourquoi, après plusieurs décennies de contestation du modèle comptable de référence, les normalisateurs anglo-saxons sont parvenus à faire accepter par l'Union Européenne une remise en cause d'un de ces principes fondamentaux qu'ils jugeaient incapable de fournir une évaluation suffisamment représentative de la situation des entreprises. L'évolution la plus significative et la plus discutée, apportée par les mesures adoptées en 2003 par la Commission de la réglementation comptable européenne et applicables dès 2005, remplace en effet dans de nombreuses situations le principe du coût historique, imposé pour l'évaluation des actifs et passifs avec les conventions actuelles, par le concept de « juste valeur » (fair value). « La notion de juste valeur, ou Fair value en anglais, implique la valorisation d'actifs et de passifs sur la base d'une estimation de leur valeur de marché ou de leur valeur d'utilité par actualisation des flux de trésorerie estimés attendus de leur utilisation. Ainsi, l'IASB impose d'utiliser la juste valeur pour comptabiliser les instruments financiers qui n'ont pas vocation à être détenus jusqu'à leur échéance (et notamment les produits dérivés), mais il n'a pas réussi à l'étendre à tous les actifs et passifs. »200 Le schéma201 suivant synthétise les différentes valeurs indirectement visées dans le concept de juste valeur :

Les effets de l’introduction de la juste valeur dans les normes internationales s’analyse selon le poste bilanciel. Le schéma202 présenté dans la page suivante expose cette vision des choses :

200

Pierre VERNIMEN, in « Finance d’entreprise. », 4ème édition 2000, Dalloz, Paris. Emprunté à Alfred STELLER et Reda GHERBI, in « Les cadres conceptuels comptables et les méthodes d’évaluation », 2005, l’expert comptable suisse n° 04/05. 202 Emprunté à Alfred STELLER et Reda GHERBI, cit. op. 201

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 2 partie 1

« Le capitalisme comptable français est passé par deux stades : la comptabilité en valeur de marché (de 1800 à 1900 ; stade statique), la comptabilité en valeur coût (de 1900 à 2000 ; stade dynamique). Depuis 2000, on entrerait dans le cadre d’une comptabilité en valeurs

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 2 partie 1

actualisées. Il s’agit d’une révolution comptable liée à l’apparition possible d’un troisième stade du capitalisme comptable français. (…) Au 19e siècle, les capitalistes français acceptaient l’idée d’un « risque de mort » à court terme de leur entreprise et de décaler leurs profits vers la fin du cycle d’investissement ; au 20e siècle, ils n’admettent l’idée de mort qu’à long terme et revendiquent une répartition du profit sur l’ensemble de la période d’investissement ; au début du 21e siècle, ils semblent, à l’instar de leurs homologues américains, vouloir croire à une entreprise éternelle et avancer, grâce à la technique de l’actualisation, les profits potentiels au début des cycles d’investissement. »203 Les principales incidences de l'adoption du principe de juste valeur et des normes IFRS sont résumées dans le tableau 204 suivant : Avantages recherchés

Limites – Difficultés – Craintes Pour le normalisateur

Accélération de l'harmonisation des normes internationales, début de standardisation des comptes consolidés ; Amélioration de l'objectivité, de la neutralité, de la transparence, de la pertinence et de la fiabilité des informations comptables, donc de leur crédit ; Réduction des options offertes dans l'application des normes pour simplifier la comptabilité et favoriser la comparabilité ; Renforcement de l'efficacité du prudentiel des autorités de tutelle ;

contrôle

Meilleure approche du risque encouru principalement sur les instruments financiers et les engagements hors bilan ; Modernisation des pratiques de communication et d'analyse financières ; Meilleure information des apporteurs de capitaux et des créanciers par une référence à des prix des actifs et passifs plus pertinents que les valeurs historiques.

Coexistence des normes nationales pour les comptes individuels et des normes internationales pour les comptes consolidés, d'où un volume plus important d'informations à traiter ; Divergences entre le PCG et les normes IFRS pour les immobilisations (amortissements, crédit bail,…) entraînant un double suivi ; Priorité donnée aux principes sur la simplicité et l'applicabilité ; Méthode mixte complexe pour l'enregistrement des instruments financiers (juste valeur pour certains, coûts historiques pour d'autres) ; Principe de prudence en retrait en traitant les gains latents comme les pertes latentes ; Manque de repères externes pour les actifs non valorisés sur des marchés efficients, comme les actifs incorporels ; Neutralité incertaine du principe de juste valeur compte tenu de la non efficience des marchés ; Prégnance accrue des marchés financiers sur le pilotage des entreprises.

Pour l'investisseur et l'analyste financier Meilleure appréhension de la réalité de l'entreprise en tentant de rapprocher sa valeur « bilantielle » et sa valeur de marché ;

Manque de recul et d'études sur les avantages réels et les conséquences du principe de juste valeur, surtout sur le long terme ;

Approche plus économique de la performance et de la valeur de l'entreprise (résultat par destination, analyse sectorielle et géographique, réévaluation des postes du bilan,…) ;

Perception difficile de la signification économique des gains et pertes latents, du suivi dans le temps des actifs et passifs, de la rentabilité opérationnelle incluant des éléments

203

Jacques RICHARD, in « Fair value : vers un troisième stade du capitalisme comptable français ? », septembre 2004, séminaire national français, sous le thème : « Nouvelles normes comptables : quels enjeux pour l’enseignement de la comptabilité ? ». 204 Tableau emprunté à Guy THOMAS, in « Le concept de juste valeur et la normalisation comptable internationale », 2004, http://www.educnet.education.fr/ecogest/veilleTic/comptagestion/compta08.htm.

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Informations financières plus riches et plus nuancées, prévisions facilitées ; Comparaison des entreprises plus aisée y compris à l'international.

Chapitre 2 partie 1

exceptionnels ; Ambiguïté de la performance de l'entreprise mesurée à partir d'une variation entre deux exercices du résultat en juste valeur ; Changement des habitudes des professionnels et complexité de la mise en œuvre.

Pour l'entreprise Pilotage de court terme de l'entreprise plus aisé ; Discipline imposée aux dirigeants en matière d'opportunisme relatif aux plus ou moins-values latentes et de création de valeur partenariale ; Application aisée pour des actifs dont les valeurs sont observables sur des marchés liquides ; Analyse simplifiée concurrents.

des

comptes

des

Coûts élevés de l'obtention des informations en juste valeur et de la formation des professionnels ; Interprétation difficile de la signification économique des gains et pertes latents ; Plus grande part laissée à l'interprétation par les dirigeants ou les auditeurs dans l'évaluation ; L'objectif d'un dirigeant n'est pas seulement d'accroître à court terme la valeur de marché de son entreprise.

11..66.. L LE ESS E EL LE EM ME EN NT TSS D DU UC CA AD DR RE EC CO ON NC CE EPPT TU UE EL LM MA AR RO OC CA AIIN N.. Comme préalable au traitement de cette sous-section, nous avons élaboré un Tableau synoptique de la comparaison des cadres conceptuels tunisien, international, suisse et canadien (annexe B4). Ce tableau a été complété par une partie des dispositions du CGNC suivant le canevas dégagé par la comparaison des différents cadres conceptuels étrangers. Le tableau suivant présente les éléments, dégagés de la trame générale, existants dans le CGNC. Eléments du cadre conceptuel

Pris en compte

Eléments du cadre conceptuel (suite)

Pris en compte

1. Objectifs du cadre conceptuel

Oui

7. Les éléments des états financiers

Oui

2. Les utilisateurs des états financiers

Oui

8. Comptabilisation des états …financiers

Non

3. Objectifs des états financiers

Oui

9. La mesure des états financiers

Oui

4. Les caractéristiques des états …financiers

Oui

10. Concept de capital et de maintien …..du capital

Non

5. les hypothèses sous jacentes

Oui

11. Mécanismes de communications

Oui

6. Les conventions comptables.

Oui

On remarque que le CGNC comprend presque tous les éléments d’un cadre conceptuel. Dans ce sens, il nous semble que nous pouvons parler d’un cadre conceptuel implicite marocain contenu dans le CGNC. Toutefois ce cadre implicite suppose pour être pris en compte de reconcevoir les règles en des normes et d’être publié sous une forme réglementaire lui garantissant d’être au plus haut de la hiérarchie.

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Conclusion partie 1

Conclusion de la partie 1 Nous avons analysé dans cette partie, le raisonnement interprétatif d’un point de vue comptable. Cette analyse a englobé deux éléments importants, à savoir l’image fidèle et l’interprétation comptable à partir de la théorie comptable. Avant d’étudier le concept de l’image fidèle, nous nous sommes penché sur un essai de définition de l’image comptable. La mouture finale de cette définition est présentée cidessous205 : L’image comptable est une réalité économique perçue subjectivement au premier niveau par le rédacteur des comptes, saisie objectivement au deuxième stade à partir d’un système de représentation socialement déterminé, polluée fiscalement et orientée par les dirigeants de l’entreprise et en dernier lieu reconstruite subjectivement sous forme unique et global par un lecteur averti. A ce stade de l’étude, l’interprétation comptable englobe trois étapes importantes, à savoir : L’interprétation et la qualification des pièces comptables (étape préalable à la comptabilisation) ; L’interprétation des règles réglementaires comptables applicables ; L’interprétation finale faite par le lecteur des états de synthèse. En nous penchons sur la fidélité de cette image comptable, nous avons étudié, le cas de la nécessité d’ajout d’autres informations comptables non prévues dans le cadre réglementaire lorsque cette image fidèle est compromise. Dans le cas où ces informations ne sont pas suffisantes pour attribuer la fidélité à cette image comptable, nous nous sommes prononcé pour une obligation de dérogation à l’image fidèle, avec une interprétation extensive des termes « situations spécifiques ». La prise en compte d’une interprétation extensive de la dérogation, aboutit à notre avis, à faire la distinction entre deux images comptables, à savoir : L’image comptable normalisée : cette image correspond à la définition de l’image comptable, qu’on vient d’exposer précédemment ;

205

Le schéma figurant à la page 22 synthétise cette définition.

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Conclusion partie 1

L’image comptable personnalisée : Cette image à la différence de la première comprend également les informations complémentaires dont l’ajout a été estimé nécessaire et les dérogations au cadre réglementaire effectuées. Cette décomposition de l’image comptable est synthétisée dans le schéma ci-dessous :

Image découlant de l’application des règles réglementaires

Image découlant de l’application des règles réglementaires

On doit ne faire apparaître dans l’ETIC que les informations d'importance significative.

On doit ne faire apparaître dans l’ETIC que les informations d'importance significative. + Complément d’informations lorsque l’image précédente ne donne pas une image fidèle

Dérogations pour aboutir à l’image fidèle. L’image comptable normalisée

L’image comptable personnalisée

Nous avons ajouté dans le schéma ci-dessus, l’obligation de ne faire apparaître que les informations significatives, (disposition prévue par le CGNC volume 1 p 45) dans la mesure où elle nous semble un élément important pour aboutir à l’image fidèle. L’article 11 de la loi n° 9-88 rédigée presque à l’identique de l’article L 123-15 du code commerce français, ne prévoit pas cette disposition de façon expresse. Une interprétation large, considérant la non mention de cette disposition comme une acceptation tacite, est à notre avis fortement à recommander. Il nous semble qu’il faudrait ajouter une quatrième étape de l’interprétation, consistant en l’interprétation de la réalité économique, lorsque l’image personnalisée est appréhendée. Dans le cadre de la comptabilité normalisée, un certain nombre d’options sont offertes, toutefois un soin particulier doit être accordé à la rédaction de l’ETIC et plus particulièrement à l’état A1 pour permettre au lecteur des états de synthèse de se faire une image comptable normalisée presque identique, et ce quel que soit le rédacteur des comptes qui a conçu cette image comptable ; c’est dans cet ordre d’idées que la comptabilité normalisée à un sens. La distinction des deux images a de lourdes conséquences sur la responsabilité des commissaires aux comptes. Dans la mesure où nous estimons que ces derniers en certifiant les comptes se prononcent implicitement sur les deux types d’images. Par exemple, si une société 107

Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Conclusion partie 1

détient cinquante pourcent de son actif constitué de titres d’OPCVM dont la valeur actuelle correspond au double de son coût d’acquisition, une certification pure et simple, en absence de dérogation, signifie-t-elle que les états de synthèse donnent une image fidèle ? Les informations contenues dans les états de synthèse ne permettront pas au lecteur des états de synthèse d’apprécier la réalité économique. Lorsque une dérogation est effectuée, elle devrait être mentionnée dans l’ETIC, parce que ce lecteur a une certaine appréhension de la comptabilité normalisée, qui n’englobe pas la dérogation estimée nécessaire par le rédacteur des comptes. Nous avons opté, dans le cadre de la présente étude, pour une appréhension du concept de l’image fidèle sous formes de trois visions. Ces dernières sont synthétisées dans le schéma suivant :

Une notion confuse limitée par le déraisonnable dans son appréciation.

Un souci de transparence passant par l’annexe en juxtaposition aux notions de régularité et de sincérité. Une vision réelle par une traduction loyale de ce qu’est l’entreprise.

Les trois visions de l'image fidèle.

La troisième vision correspond à notre avis au véritable sens évolutif du concept anglo-saxon de l’image fidèle. La différence entre la deuxième et la dernière vision est essentiellement axée sur l’appréhension de la dérogation à l’image fidèle. Il est à signaler que les notions de sincérité et de régularité ne sont pas visées selon la deuxième vision comme synonyme de l’image fidèle206. Dans le deuxième chapitre nous avons prouvé l’existence d’un cadre conceptuel implicite marocain. Le schéma suivant expose la principale composante de ce cadre :

206

Nous nous sommes prononcé précédemment pour une signification de la régularité et de la sincérité, identique à celle de l’image fidèle, dans la mesure où nous avons estimé qu’il serait aberrant de croire en un concept de l’image fidèle novateur et évolutif et en même temps de concevoir les concepts de régularité et de sincérité d’une façon tronquée, correspondant à la mentalité du début du siècle. De la même façon que la théorie comptable évolue, les concepts comptables évoluent à leur tour ; rien n’est immuable dans la vie.

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Conclusion partie 1

Caractéristiques de l’information financière.

Pertinence

Fiabilité

Satisfaction des besoins des utilisateurs Cadre conceptuel implicite marocain

Toutefois, il nous semble que la prise en compte de ses caractéristiques n’est pas en ellemême garante d’une information comptable de qualité. Nous allons essayer ci-dessous d’illustrer nos propos par un exemple pratique. Lors d’une étude accomplie par nos soins en Tunisie, portant sur la pertinence et la fiabilité de l’information financière agricole207, nous avons relevé que l’information comptable agricole tunisienne de qualité médiocre était pertinente et fiable. Cette question a été traitée sous les deux angles suivants : En analysant les insuffisances théoriques de la comptabilité agricole tunisienne, française et internationale, à partir de l’étude détaillée des particularités comptables agricoles, nous avons élaboré une esquisse des règles comptables qui devraient être établies. Ces règles ont été confrontées à l’étude pratique des règles comptables appliquées en Tunisie réalisée à partir d’un questionnaire adressé aux exploitations agricoles. Les résultats ont montré que l’information comptable agricole est de qualité très inférieure au cadre théorique comptable qui est à la base insuffisant ; Pour pouvoir juger de la pertinence et de la fiabilité de l’information financière agricole, nous avons étudié les besoins théoriques spécifiques des utilisateurs privilégiés dans le domaine agricole en se basant sur une adaptation, à ce domaine particulier, de l’analyse financière. Ce cadre théorique d’analyse a été testé en pratique en se basant sur un questionnaire adressé aux différents responsables dans les établissements financiers, qui s’occupent de l’octroi de crédits à ce secteur spécifique. Les résultats ont montré que ces banquiers sont plutôt satisfaits de la qualité de cette information. Le facteur le plus marquant

207

Brahim CHAOUI, in « Pertinence et fiabilité de l’information financière agricole. », 2002, mémoire de fin d’étude, ISCAE Tunis.

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Conclusion partie 1

relevé était que ces banquiers, de formation initiale agronomique, initiés à la comptabilité et la gestion, font plus confiance à l’expertise accomplie par leurs soins de l’exploitation. Dans ce sens nous estimons qu’il est fortement recommandé dans certains cas de dépasser l’information pertinence et fiable qui répond aux besoins des utilisateurs, pour fournir une information de qualité susceptible de créer des nouveaux besoins. Cette recommandation est fortement soutenue à notre sens par la vison évolutive de l’image fidèle, à savoir : Une vision réelle par une traduction loyale de ce qu’est l’entreprise. Le schéma suivant permet de retracer synthétiquement notre point de vue :

Besoin

Offre

Conséquence

Utilisateurs se contentant d’une information financière de qualité médiocre

Offre basée sur les caractéristiques de l’information financière

Information financière répondant aux besoins d’une information financière de qualité

Information financière de qualité médiocre

L’offre est susceptible de créer la demande

110

Vision évolutive de l’image fidèle : Une vision réelle par une traduction loyale de ce qu’est l’entreprise.

Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Partie 2 :

111

Partie 2

Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Introduction partie 2

Introduction de la partie 2 « Indissociablement liée au droit dont il traduit les implications et les effets, la comptabilité se propose donc la recherche et l'enregistrement de faits entraînant toute modifications physiques et juridiques subies par les biens et droits appartenant à une entité juridique quelconque. » 208 En effet, le bilan, qui est le document de synthèse comptable par excellence, est la représentation chiffrée du patrimoine de l’entreprise ; de façon plus générale, on peut affirmer que tous les montants qui entrent dans les comptes de bilan ou de résultats sont l’expression en unités monétaires des droits subjectifs patrimoniaux de la personne dont la l’entreprise relève. En ce sens, on a pu dire que la comptabilité est « l’algèbre du droit. »209 La comptabilité a toujours eu des relations privilégiées avec le droit et leur histoire commune est bien longue. Depuis que les hommes ont établi des comptes, les juristes se sont intéressés à ceux-ci. En fait, « dès que la comptabilité s'est constituée, un droit comptable est apparu. »210 Si, de longue date, les prescriptions, du droit commercial ont rendu obligatoire la tenue d'une comptabilité, ce n'est que plus récemment que le mode de tenue lui-même a fait l’objet d'une réglementation visant à le soumettre à des normes, et que s'est imposée l'expression de droit comptable, pour renvoyer à la branche du droit privé qui régit les comptables et la comptabilité, définition qui suggère la prééminence du droit comptable sur les pratiques des comptables. Dans les faits, celles-ci précèdent régulièrement la codification comptable, mais il y a évidemment entre eux une constante interaction, dans laquelle le premier rôle revient aux comptables : il leur appartient de rechercher les solutions permettant de répondre aux nouveaux besoins que fait naître l'évolution économique et sociale puis, au moment où la nécessité s'en fait sentir, de participer à leur codification. Le droit comptable, comme le droit en général, est le fruit de l'histoire et de l'évolution économique et sociale. « Au cours des âges, au travers des périodes, on a pu constater que les faits économiques et sociaux ont été à l'origine des règles de droit, en particulier des règles de droit économique dont fait partie le droit comptable. Les périodes riches en événements

208

Abderrahmane SAAIDI, in « La pratique du droit et de l’expertise comptable. », 1991, Revue marocaine de droit et d’économie du développement. 209 Pierre GARNIER, in « La comptabilité, algèbre du droit et méthode d’observation des faits économiques. », 1947, DUNOD, Paris, cité par Eric CAUSIN cit. op. 210 Robert OBERT cit. op.

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Introduction partie 2

économiques et sociaux, et en particulier notre vingtième siècle ont été naturellement des périodes riches en développement du droit comptable. »211 L’état de droit ne serait qu’un faux semblant si, dans son application, la norme de droit positif était livrée à l’arbitraire des pouvoirs ou des personnes. C’est pourquoi la place du raisonnement juridique et des règles qui le régissent est si importante dans un état de droit. Le raisonnement juridique nous semble transposable à la comptabilité dans la mesure où la comptabilité est, comme précisée ci-dessus, fondamentalement juridique. Le premier chapitre de cette partie a été consacré à l’analyse de l’affirmation précédente. L’essence d’une profession libérale réside dans le fait que son exercice exige un niveau élevé de jugement. La valeur associée à l’information financière est influencée par la qualité des jugements professionnels de l’expert-comptable qui s’appuient sur les jugements formulés collectivement par l’ensemble de la profession dans les normes professionnelles. Le jugement professionnel se situe donc au cœur de l’exercice de l’expertise comptable. Autrement dit, l’exercice d’un jugement crédible traduit à la fois la complexité et l’expression des compétences du professionnel comptable. « Depuis les affaires Enron et World Com, on a assisté à une remise en cause de la sincérité des comptes sociaux et parfois même des méthodes de comptabilisation et de certification. »212 Le jugement professionnel est vu par certain comme l’élément central de cette crise. Est-il possible de remédier aux lacunes des règles comptables existantes par le jugement professionnel ? Il nous semble que la réponse à cette question doit être subdivisée en deux points : Le jugement professionnel peut il être guidé par un cadre normatif ? et peut-il présenté des caractéristique reconnues lui assurant de façon scientifique la réalisation de cet objectif ? Le jugement professionnel, dans le cadre du premier point, peut-il être neutre, efficace et sans but détourné ? Certains auteurs affirment qu’« il faudrait tenir compte (…) du jugement professionnel »213 comme solution au comblement des lacunes. Nous avons élaboré une première section qui sera consacrée à l’étude détaillée de cette notion dans la doctrine et la réglementation internationale. « Les lecteurs avertis peuvent relever dans les rapports financiers de nombreux exemples de dérogations apparentes aux normes. Il ne fait aucun doute que ces situations sont parfois attribuables à une simplification de la présentation de l’information dans des cas où 211

Robert OBERT, cit. op. Claude BAILLY-MASSON, in « Degré de liberté et sincérité. L’expérience française. », 2004, L’expertcomptable suisse, n° 1-2. 213 Ross SKINNER, in « Pierre angulaire : Dans la communication de l’information financière, toutes les règles du monde ne remplaceront jamais l’exercice du jugement professionnel », novembre 1995, CA Magazine. 212

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Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Introduction partie 2

l’application rigoureuse de la norme ne fournirait pas d’informations significatives. Si cette explication est peu plausible, il est souvent difficile de déterminer si la dérogation est délibérée ou si elle résulte tout simplement d’une opinion divergente quant à la façon dont une norme devrait être interprétée et appliquée. »214 Plusieurs théories se sont intéressées à la question en étudiant le comportement des professionnels comptables face à une situation d’interprétation. Dans le cadre de cette étude nous n’avons retenu que les trois grandes théories les plus reconnues au niveau mondial, qui ont étudié cette notion sous les visions suivantes : Vision éthique

: La théorie du développement moral cognitif ;

Vision conventionnaliste : La théorie des conventions ; Vision opportuniste

: La théorie comptable positive.

Les deux premières visions seront étudiées lors de la deuxième section du deuxième chapitre et la troisième vision sera quant à elle appréhendée dans le cadre plus général de la gestion des données comptables traité dans la troisième section du deuxième chapitre.

214

Ross SKINNER, in « Jugement professionnel : une question d’interprétation. », Mars 1996, CA Magazine.

114

Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 1 :

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Chapitre 1 partie 2

Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 1 partie 2

11.. E ET TU UD DE E PPR RE EA ALLA AB BL LE ED DE EL LA AN NO OT TIIO ON ND DE E «« L L’’IIN NT TE ER RPPR RE ET TA AT TIIO ON N »» E EN ND DR RO OIIT T.. Avant d’étudier la méthodologie du raisonnement interprétatif juridique qui sera traitée dans la deuxième section de ce chapitre, nous avons estimé nécessaire de développer un certain nombres d’études préalables, qu’on a regroupées dans la première section, à savoir : La définition de l’interprétation et de ses notions voisines qui sont l’interprétations des contrats et l’argumentation ; L’histoire des principales écoles de l’interprétation ; Les sanctions du droit comptable comme contrainte à l’interprétation comptable. 11..11.. D DE EFFIIN NIIT TIIO ON N D DE E «« L L’’IIN NT TE ER RPPR RE ET TA AT TIIO ON N »» E ET T D DE ESS N NO OT TIIO ON NSS sssssssssssssssssV VO OIISSIIN NE ESS .. Afin de mieux cerner la notion de « l’interprétation », nous avons essayé dans cette soussection de ne pas nous limiter exclusivement à un essai de définition de notion de l’interprétation. Dans ce sens nous allons procéder à l’étude sommaire de deux notions voisines, celle de l’interprétation des contrats et celle de l’argumentation. 11..11..11.. D DE EFFIIN NIIT TIIO ON ND DE EL L’’IIN NT TE ER RPPR RE ET TA AT TIIO ON N.. Etymologiquement le mot interprétation provient de la juxtaposition des termes latins « inter » qui veut dire liens entre les personnes et « pretari » qui s’inspire du radical « pres » qui signifie prix. Ce dernier terme indique la liaison entretenue avec le domaine commercial où le terme désignait un courtier d’affaire (intermédiaire commercial), puis celui-ci fut dévier de sa signification première pour désigner un crieur public (intermédiaire public), ensuite un divin (intermédiaire religieux), puis enfin signifier un traducteur (intermédiaire linguistique). Sous le vocable « interprétation », au sens large, on réunit fréquemment : L’interprétation au sens strict : « Interpréter une règle de droit écrit, c’est en définir le sens et la portée »215, en préciser les limites, en le plaçant dans son contexte. C’est en réalité une méthode scientifique englobant l’ensemble des opérations nécessaires pour rendre les normes, (réalités abstraites et de caractère général), susceptible d’une application dans le concret. De ce point de vue, le droit doit être considéré comme une science ; L’application du droit : L’interprétation est aussi « l’ensemble des procédés intellectuels qui servent à déterminer et à préciser, dans une situation concrète donnée, le principe applicable »216 (la solution particulière de droit positif qu’il convient de donner à ce problème de fait). De ce second point de vue, le droit est considéré comme un art.

215

Jacques FALYS, « Introduction aux sources et principes du droit. », Bruylant, Bruxelles, 1981. P. PESTACORE, in «Introduction à la science du droit », 1960, Office des imprimés de l'État, Luxembourg, cité par Jean-François GERKENS, in « Introduction au droit privé », 2004, Éditions juridiques de l’Université de Liège.

216

116

Mémoire d’expertise comptable « L’interprétation comptable. »

Chapitre 1 partie 2

Les définitions de l’interprétation proposées par les différents auteurs, qui se sont intéressés à la matière, divergent d’un auteur à un autre, dans la mesure où la conception du droit, des finalités, des méthodes, des directives, de l’approche déductive ou inductive du raisonnement juridique… différent eux aussi d’un auteur à un autre. Par exemple chez les positivistes, interpréter signifie « élucider un texte à l’aide de sa formule pour autant qu’on ne soit pas mener à créer une antinomie ou à combler une lacune. »217 Cette définition nous semble très critiquable, parce que premièrement lorsque on juge un texte comme obscure, on l’a implicitement interprété et deuxièmement la différence entre la création d’antinomie et le comblement de lacunes n’est pas aussi évidente que ça. Dans le cadre de cette étude nous avons choisis d’opter pour la définition suivante de Ost218 : « L’interprétation est un ensemble d’opérations intellectuelles qui doivent être parcourues pour trancher un problème (de droit) à l’aide de textes (juridiques) qui font autorité. » Deux termes sont utilisés en arabe pour exprimer le terme « interprétation », à savoir : « ‫ » ا‬et «  ‫» ا و‬. Si nous revenons aux dictionnaires arabes, on retrouve que les deux mots ont un sens presque équivalents219. Toutefois un débat non encore clos anime les jurisconsultes sur le choix du terme le plus approprié. Nous allons essayer sommairement de présenter les différents points de vue. :    ‫» أ ه اوق  ا و ا و‬ ' -./‫ ا‬0+, ‫ أ ا‬,‫ إ" !   اه   ذا‬$ % ‫إن ا و  'ول ' ا&! " اه‬ ; $ ‫! " ا‬ ; 5!&‫ ا‬,  ‫ظ و ا و‬2‫ ا‬, ‫  !& ا‬3‫إن ا أ'  ا و  و أآ‬ ; =% 7  ‫ ا‬7@% 7!=A 7 ‫د‬+?‫ ا‬7%&' 0+,  ‫ف ا و‬9: $ ‫
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