Lili 03 Lili Et Son Âne Maguerite Thiébold 1961
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Thiébold Marguerite T 03 LILI ET SON ANE APRÈS Lili et son Basset et Lili et ses Chèvres, voici une nouvelle histo...
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LILI ET SON ANE par Marguerite THIÉBOLD
A PRÈS Lili et son Basset et Lili et ses Chèvres, voici une nouvelle histoire de la sympathique petite Lili. Lili s'est prise d'une grande amitié pour Florian, un petit âne gentil au possible, mais bien malheureux. N'écoutant que son bon cœur, Lili fait tout ce qu'elle peut pour arracher Florian à son mauvais maître. Mais l'entreprise est bien difficile pour Lili qui se trouve entraînée dans une suite d'aventures héroïcomiques auxquelles elle ne s'attendait guère. Florian non plus, d'ailleurs!...
Le label CHOUETTE figurant ci-dessus signifie que ce livre a été sélectionné par le jury du Club des Jeunes Amis des Animaux.
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MARGUERITE THIÉBOLD
LILI ET SON ANE ILLUSTRATIONS DE MARIANNE CLOUZOT
HACHETTE 4
TABLE 1. L'ânon 2. Intervention de Lili 3. La fête au village 4. Chez le boucher 5. Les fantaisies de Florian 6. Un mystérieux promeneur 7. Fâcheuse rencontre 8. Accusation 9. Seuls! 10. Dans l'orage 11. Brouillard 12. A dos d’âne 13. Une visite 14. Sauvetage 15. Mignon
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NOTE Les pages manquantes correspondent au blanc du livre original
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CHAPITRE PREMIER L'ânon Lili onze ans, les yeux bleus, rieurs et espiègles, ses deux nattes blondes volant au vent et un sourire sur ses lèvres rouges, s’avançait d'un pas dansant vers le chalet de sa tante Juliette. Sous son bras, elle serrait une grosse boule de pain encore un peu chaude. Lili venait de la boulangerie et elle avait
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envie de chanter parce qu'il faisait beau et qu'elle était en vacances. Déjà l'année dernière la petite fille était venue passer huit semaines à Dantières, un village de haute montagne où demeurait sa tante. Le séjour parmi les mélèzes et les sapins lui avait fait tant de bien que ses parents l'y avaient renvoyée cet été encore. Lili céda à son désir de chanter, et sa claire voix enfantine s'éleva. Mais son chant s'arrêta presque immédiatement. Elle s'im mobilisa sur le bord du chemin herbeux qu'elle avait suivi. Un âne, un ânon plutôt, de très petite taille, d'un joli gris soyeux, venait d'apparaître. Il galopait, galopait comme s'il avait eu le diable à ses trousses. Arrivé près de l'enfant, il s'arrêta une seconde, et Lili l'entendit souffler. Puis il repartit à fond de train. Etonnée, elle le suivit des yeux. Au bout de peu de temps, il revint sur ses pas du même air effrayé.
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Lili s'appuya contre la barrière qui clôturait le champ de tante Juliette et regarda passer devant elle l'âne qui galopait toujours. Il parut surpris de la voir à cet endroit, et son regard inquiet glissa une seconde sur la petite fille. Quand il eut disparu au tournant, Lili voulut reprendre sa marche. Mais, tout aussi vite qu'il s'était élancé vers le village, l'ânon reparut. « On dirait que cet âne est fou! pensa-telle intriguée. Il va et vient... Qu'a-t-il donc? » Cette fois, l'ânon s'arrêta devant elle. Comme il la regardait de nouveau, Lili lut dans ses yeux une telle détresse, une telle supplication, qu'elle s'exclama apitoyée : « Mon pauvre petit, pourquoi cours-tu tout le temps comme ça? As-tu peur de quelqu'un? » L'âne allongea la tête vers l'enfant. Celleci le caressa entre les yeux sur une
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étroite bande de poils blancs, douce au toucher comme du velours. « Mais tu trembles! s'écria-t-elle. Qu'est-ce qu'on t'a fait? » Entendant cette voix tendre, l'âne approcha encore. Il se pressa tout contre Lili comme s'il cherchait sa protection. Elle posa son pain sur une pierre et serra contre elle la grosse tête. « Je nie demande bien de quoi tu as peur?» murmura Lili. Elle ne tarda pas à le savoir. Un homme venait de déboucher sur le chemin. Lili l'avait déjà rencontré au village et, chaque fois, sans qu'elle sût pourquoi, elle l'avait évité. Il était grand, maigre, la peau bronzée, les cheveux noirs. Son regard sombre avait une expression farouche. Dès que l'ânon le vit, il fit un brusque écart et se retourna, prêt à reprendre sa course. Mais, plus prompt que lui, l'homme allongea le bras, saisit le licou et s'y accrocha des deux mains. En même temps, il criait : « Sale bête! Si tu bouges encore... »
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II n'acheva pas. Mais le ton était si menaçant que Lili comprit aussitôt la raison de l'étrange conduite de Fanon. La pauvre bête devait avoir grand-peur de cet homme. Celui-ci jeta un clin d'œil courroucé dans la direction de Lili, assena un coup de trique sur le dos de l'ânon qui s'éloigna au trot, tandis que l'homme courait à côté de lui. Lili avait poussé un cri de protestation lorsque le bâton s'était abattu. Mais l'homme ne l'avait pas entendu. Lorsqu'elle ne vit plus ni l'âne ni son
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maître, elle ramassa sa boule de pain et parcourut les quelques mètres qui la séparaient de la maison de sa tante. « Oh! tante Juliette! » s'écria-t-elle dès son entrée dans la cuisine qui embaumait la gelée de framboise. « Je viens de voir un bonhomme frapper un petit âne. Je ne sais pas ce que je lui aurais fait! Tu veux parler sans doute de Martial, un grand maigre, à l'air pas commode et sauvage? - Oui, oui, c'est ça. Tu le connais? — Naturellement! Il habite un des chalets isolés sur l'alpe aux rochers. On ne l'aime pas beaucoup à Dantières. Il a acheté cet ânon il y a quelques mois. Pauvre petit! Je ne crois pas qu'il ait la vie agréable chez Martial! — Moi non plus. N'y a-t-il pas moyen d'empêcher ce Martial de le brutaliser? s'enquit Lili tout en mettant le couvert pour aider sa tante. - Que faire? répondit tante Juliette en
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haussant les épaules. L'âne est à Martial. Personne ne peut le lui retirer. D'ailleurs, qui se préoccupe d'un âne, malheureux ou non? - Moi! » répliqua vivement Lili, son œil bleu étincelant d'une résolution subite. Sa tante lui sourit avec affection. « Je sais, fit-elle, je te connais! » Pendant la journée, il ne fut plus question de l'ânon maltraité. Tante Juliette put croire que sa nièce avait oublié l'incident de la matinée. Pourtant, il n'en était rien. Lili y pensait sans cesse. Elle détestait la brutalité, et plus encore quand elle s'exerçait sur un animal sans défense. Dans sa petite tête s'accumulaient les projets, même les plus invraisemblables, tous destinés à sauver le pauvre à non qui lui avait lancé un regard si émouvant. Elle rêvait d'aller ouvrir la porte de son écurie, pour lui permettre de s'échapper, ou bien de le mener à une grotte où sonne ne le découvrirait.
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Le lendemain, elle rencontra son ami Jean. Elle avait fait sa connaissance l'année précédente. Jean était alors le berger d'un important troupeau de chèvres. « Ohé! » cria-t-il en l'apercevant. Lili courut vers lui. Il portait sur son dos un gros sac de montagne et des cordes enroulées autour de piolets. « Où vas-tu? demanda-t-elle. - Rejoindre Louis, le guide, avec qui je monte aujourd'hui au lac Vert. Il emmène un client là-haut. - Et c'est toi qui es obligé de porter tout ça? s'étonna Lili. - Oui. Maintenant je suis porteur. Je le serai pendant deux ans au moins. Ensuite, je ferai l'école des guides. » Le visage hâlé du garçon rayonnait de plaisir. Ses yeux bruns, ronds et brillants, regardaient Lili amicalement. Il continua : « Tu vois, mon rêve se réalise. Je serai
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guide! Mais il faut que je m'en aille. Louis m'attend. » Elle le retint par la manche de sa veste. « Avant de partir, dis-moi vite si tu connais Martial, celui qui a un âne et qui... » Jean lui coupa la parole : « Le petit âne Florian? Bien sûr que je le connais. Dommage que ce soit Martial qui l'ait acheté. C'est une brute. Mon oncle Antoine a appris trop tard que Florian était à vendre. Il voulait l'acheter. Il en aurait eu besoin pour transporter des fromages et du beurre à Dantières. - Je voudrais arriver à délivrer Florian de son mauvais maître! » dit la petite fille, en marchant à côté de Jean. Il demanda en souriant : « Te faudra-t-il donc toujours quelqu'un ;i sauver? L'été dernier, c'était moi, quand j';ii eu mon accident1. Maintenant, tu veux te dévouer à un âne! » Jean faisait ainsi allusion à un accident I.
Voir Lili et ses Chèvres, dans la même collection.
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grave qui lui était survenu en montagne l'année précédente. Grâce à la promptitude de Lili, le sauvetage avait pu s'opérer rapidement. « Serais-tu jaloux? » demanda la petite fille sur le ton de la plaisanterie. Jean éclata de rire et lui serra la main. « Au revoir! A ce soir peut-être! » Elle le regarda s'éloigner. Avec ses gros souliers à semelle épaisse, les piolets qui dépassaient de son sac, il avait vraiment l'air d'un montagnard. Elle lui cria encore : « Tu as grandi depuis l'année dernière! » II se retourna et riposta gaiement : « Toi aussi. Tu m'auras bientôt rattrapé! » Lili revint à pas lents jusqu'au chalet. Elle songeait : « Si l'oncle de Jean avait acheté l'âne, ils seraient heureux tous les deux! Comment arranger cela? Est-ce vraiment trop tard? »
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CHAPITRE II Intervention de Lili SUR le chemin rocailleux qui serpentait au flanc de la montagne, le petit âne Florian avançait d'un pas de plus en plus lent. La charge était pesante. Une blessure ancienne sur son dos s'était rouverte et le faisait souffrir chaque fois qu'elle était frôlée par les courroies des sacoches qu'il portait.
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Soudain, il s'arrêta. Une de ses oreilles resta dressée, tandis que l'autre pendait, ce qui lui donnait un air triste et découragé. Martial, son maître, qui le suivait, cria d'une voix enrouée, impatiente : « Avance! » Mais Florian secoua la tête et ne bougea pas. « Je te dis d'avancer! » répéta Martial. L'âne racla le sol de ses petits sabots. Des cailloux roulèrent sur la pente. Irrité, Martial le frappa durement plusieurs fois. Florian avança d'un mètre, puis s'arrêta de nouveau. Le bâton frappa sur le dos si brutalement que tout le corps de l'animal en tressaillit. « Ah! je vais t'apprendre à m'obéir! » hurla Martial, en s'acharnant sur la pauvre bête avec une violence accrue. Mais les coups qui pleuvaient dru n'eurent pour résultat que de faire reculer l'ânon, ce qui augmenta la fureur de son maître. Martial l'aurait peut-être assommé si
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une petite main ne s'était soudain agrippée à son bras, tandis qu'une voix indignée criait : « Voulez-vous finir! C'est honteux! » Martial abaissa un regard menaçant vers la nouvelle venue. « Quoi? grogna-t-il. C'est toi qui te permets de t'occuper de ce qui ne te regarde pas? - Ça ne me regarde peut-être pas », riposta Lili avec une audace inattendue, car en général elle était assez réservée et même un peu timide, « mais je ne peux vous laisser continuer à maltraiter ce petit âne. Il ne vous a rien fait. Il m'a fait quelque chose, puisqu'il n'obéit pas! Et je .veux qu'on m'obéisse! Ote-toi de là et laisse-moi tranquille! » Lili s'obstina : « S'il ne veut pas avancer, c'est qu'il a peutêtre une raison. - Sa raison, je vais te la dire, grogna Martial. C'est un paresseux. » Au même instant, comme pour le narguer,
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à l'endroit où se tenait l'ânon une minute auparavant se produisit un effondrement de terrain. Un pan de terre miné par les eaux, à la suite de la fonte des neiges et des pluies du printemps, glissa vers la vallée entraînant avec lui des pierres couvertes de lichens et de mousse. Quelques arbustes dévalèrent la pente herbeuse et se fracassèrent beaucoup plus bas. Un frisson parcourut le pelage soyeux de l'ânon, tandis que la clochette accrochée à son harnais vibrait et tintait doucement. Aussitôt l'homme fit en arrière quelques pas prudents. « Vous voyez bien! s'exclama Lili d'un ton triomphant. Votre âne savait ce qui allait se passer. Il avait senti le sol trembler. » Martial ne voulait convenir de rien du tout, surtout devant cette petite fille qui se dressait toute droite et fière, le visage empourpré par le courroux. « De quoi j' me mêle! » fit-il en grossissant
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sa voix, et tout en s'écartant encore plus de l'endroit dangereux. « A ton âge, on...» Mais Lili ne l'écoutait plus. Elle s'était rapprochée de l'ânon et le caressait. Etonné, il tourna la tête vers elle. Peut-être la reconnut-il? Pendant une minute, leurs deux regards s'accrochèrent. Une courte communion s'établit entre l'enfant compatissant et l'animal maltraité. « Florian! murmura Lili. Mon pauvre Florian! »
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Ce n'était qu'un simple petit âne, mais il comprit ce langage. Il devina ce que signifiaient ces paroles dites d'une voix douce. Il se produisit dans son cerveau comme une révélation : maintenant il était certain qu'il n'y avait pas que des Martials sur la terre! « Viens! commanda alors Lili. Viens par ici! » Elle tira sur la bride. L'âne recula avec précaution jusqu'au moment où le sentier fut plus ferme et plus sûr sous ses sabots. « C'est bien, Florian! dit Lili satisfaite. - Florian, quel nom! ricana Martial. Voyons! donne-moi cette bride! Je vais le conduire. » Lili hésita. Pourtant, elle savait que cet homme allait se venger sur Florian si elle ne lui obéissait pas tout de suite. Elle lui tendit la bride en disant, sur un ton suppliant : « Est-ce que vous... ne voudriez-vous pas essayer de ne plus le battre? Il a une blessure au dos. Il faudrait la soigner.
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Voyez-vous ça! s'exclama Martial. Faut-il aussi que j'envoie chercher un médecin? » II cassa une baguette de noisetier et cingla les jambes de l'âne. « Allons, en route! contournons cet éboulement. » Florian s'ébranla. La courroie recommença à lui scier l'échiné. Il secoua ses oreilles pour chasser les mouches qui se posaient sur ses yeux. Puis il s'éloigna lentement, ployant sous sa charge. Lili, le cœur gros, le suivit des yeux. Le petit âne allait continuer de souffrir par la faute de Martial. Elle se sentait vaincue. Mais, en même temps, elle éprouvait un désir, plus vif que jamais, de venir en aide à Florian. « Non, se dit-elle, je ne veux pas qu'on continue à le martyriser comme cela! Mais comment le tirer d'affaire? »
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CHAPITRE III La fête au village LE LENDEMAIN, un dimanche, avait lieu la fête de Dantières. Des forains s'étaient installés sur la place principale, près de la fontaine qui coulait nuit et jour. Des stands de tir à la carabine attiraient les garçons du village. Il y avait aussi un manège d'avions qui
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tournait très vite au rythme d'une musique assourdissante. Tous les enfants de Dantières étaient là, espérant une friandise ou un tour de manège. S'y ajoutèrent bientôt les enfants qui se trouvaient en villégiature dans les hôtels et les pensions de famille. Lili en reconnut plusieurs qui, comme elle, étaient revenus cette année à la montagne. Ils l'appelèrent joyeusement : « Viens avec nous! Dépêche-toi! Il y a encore un avion libre! » Lili secoua la tête. Elle voulait, avant de s'amuser, acheter quelque chose pour sa tante. Elle tenait, bien serrée, la courroie du petit sac marron où elle avait enfermé toutes ses économies. Qu'allait-elle choisir parmi les étalages de verreries, de porcelaine et de tissus? Elle avisa un marchand qui déployait un assortiment chatoyant d'écharpes. Laquelle préférer?
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La bleue avec des épis d'or ou la jaune aux feuillages verts? Elle hésitait, tâtait les étoffes soyeuses, en soulevait une, l'abandonnait... « Allons! allons! ma p'tite demoiselle, prenez celle-là, elle est plus belle que l'autre! » lui conseillait le marchand. Mais Lili lâcha soudain l'écharpe qu'elle tenait dans sa main. Un braiment retentissant venait tout à coup de lui faire oublier la fête foraine et le cadeau qu'elle voulait faire à sa tante. Le marchand éberlué vit sa jeune cliente tourner les talons et dévaler la rue en courant. Un spectacle navrant attendait Lili au bas de la rue, après le tournant. Florian tentait vainement de s'échapper en tirant sur sa longe. Martial tirait de son côté. Quelques gamins regardaient la scène. La petite fille s'élança, indignée. « Encore toi! cria l'homme en l'apercevant.
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Mais je pense que tu auras bientôt fini de m'ennuyer. Je vais me débarrasser de cette maudite bête! Alors, tu pourras t'occuper d'un chien ou d'un chat si tu en as envie! » Pleine d'espoir, Lili s'exclama : « Vous allez vendre Florian? » L'homme éclata d'un rire cruel : « Oui! - A qui? - Ça, ma petite, c'est mon affaire. Mais ce que je peux te dire, c'est que là où il sera, personne ne le reconnaîtra. Et pourtant, tout le monde pourra le voir! » Ayant prononcé ces mots mystérieux, il secoua sa tête hérissée de cheveux noirs mal coupés et rit encore une fois : « A bon entendeur, salut! » Lili s'approcha de Florian en toute hâte et le caressa en lui adressant quelques paroles d'encouragement. Martial l'interrompit en la repoussant et, cette fois, il ne riait plus, car il proféra sur un ton menaçant :
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« Toi, tâche de ne plus te trouver sur mon chemin... Allons! ouste! » II tira violemment sur la longe, et le petit âne s'ébranla. Lili les regarda s'éloigner avec un vif sentiment d'inquiétude. Martial lui faisait maintenant aussi peur à elle-même qu'à l'âne. Un des garçons, parmi ceux qui avaient entendu le dialogue entre Martial et la petite fille, demanda à celle-ci, en clignant de l'œil : « Tu as deviné ce qu'il va faire de son âne?
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— Non, répondit Lili. - On peut dire que tu es naïve! » fit le gamin avec une moue de dédain. Les autres rirent sous cape. « Et toi, tu le sais? questionna Lili indifférente à la moquerie. - Bien sûr! Faut pas être très malin pour comprendre ça! Martial va vendre son âne au boucher. - Au boucher! s'écria Lili horrifiée. - Bien oui, quoi! insista le garçon sans ménagement. Un âne, ça peut faire du bon saucisson! » Le regard épouvanté de la petite fille faisait peine à voir. Mais le gamin n'en avait cure. Il reprit son explication : « Martial dira que c'est un animal rétif dont il ne peut rien tirer et qu'il faut l'abattre. - Mais ce n'est pas vrai ! protesta Lili. Florian est intelligent et sensible. Il obéit quand on ne le frappe pas. Il comprend très bien ce qu'on lui dit, quand on lui parle gentiment.
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- Qui te croira si son maître affirme le contraire? » Après tout, ce garçon avait peut-être raison. Ulcérée, Lili lui tourna le dos. « C'est bon! » fit-elle à haute voix, d'un air de défi. Puis elle se hâta de partir. Elle ne voulait pas que ces gamins rieurs voient les larmes qui coulaient sur ses joues. Elle pensait : « Tout le monde l'a abandonné. Mais moi, je ne l'abandonnerai pas! »
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CHAPITRE IV Chez le boucher LILI marchait si vite et en baissant la tête qu'elle ne voyait rien devant elle. Elle se jeta contre quelqu'un qui la reçut dans ses bras en riant de bon cœur. « Eh bien, tu es dans la lune? Sans moi, tu allais te cogner contre un arbre! » Lili, les yeux encore brillants de larmes, regarda celui qui lui parlait. 30
« C'est toi, Jean? fit-elle d'une voix contenue. — Ma foi, oui, c'est moi, si ce n'est pas mon double, répliqua Jean en riant de plus belle. Mais... tu as l'air d'avoir pleuré! Raconte-moi vite ce qui t'arrive. » Cette fois, Jean ne pensait plus à sourire. Il connaissait assez Lili pour savoir que son air triste n'était pas de la mauvaise humeur. Il l'obligea à lever la tête. « On t'a fait quelque chose... sûrement de la peine. Qui? Son nom? Je vais aller lui dire deux mots. Il apprendra à me connaître, celuilà! » Le ton combatif de Jean amena un sourire timide sur le visage de la petite fille. Un élan de confiance la poussa à s'expliquer. « Ne ris pas de moi, Jean, commença-telle. Si je suis triste, c'est à cause de Florian. - Encore! Pourquoi? — Martial veut le vendre au boucher. Il
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n'y a plus rien à faire. Le pauvre petit âne est perdu. » La phrase s'était terminée dans un sanglot. Puis soudain, Lili releva la tête, serra le bras de Jean avec nervosité. « Ecoute! Il y a encore un moyen de sauver Florian. Ton oncle Antoine voulait acheter un âne. En a-t-il trouvé un? — Non. — Eh bien... si tu lui disais que Florian est à vendre? Peut-être qu'il... - Je crois que pour une idée, c'en est une... et fameuse! Il n'y a que toi pour en avoir de ce genre! s'exclama Jean. Je vais monter tout de suite au chalet de mon oncle. Il pourrait descendre à Dantières dès demain matin. - Et moi, continua Lili, sur un ton toujours aussi animé, je cours chez le boucher pour qu'il ne fasse rien à Florian. Oh! comme je suis contente! Je suis sûre que le petit âne ne mourra pas. Ce sera grâce à toi! - Oh! non, grâce à toi, Lili! »
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Elle souriait maintenant, soulagée à la pensée qu'elle avait résolu ce grave problème. Pourtant, un point encore la tracassait : le boucher serait-il d'accord? Il fallait s'en assurer au plus tôt. « II faut que je te quitte, dit-elle à Jean. Je ne veux pas arriver trop tard là-bas. Tu as raison. Vas-y, et moi je file chez oncle Antoine. Mais surtout fais attention en traversant la route. Tu es tellement distraite quelquefois! » Lili s'élança vers la place, la traversa sans adresser le moindre regard au manège d'avions qui continuait de tourner, et s'engagea dans la rue principale. La boucherie était située à l'entrée du village, au bas de la route, près du torrent qui charriait de grosses pierres roulant les unes sur les autres avec un bruit sourd. On accédait à la boucherie en franchissant un pont qui enjambait le torrent. Quand l'enfant se trouva devant la boutique
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On accédait à la boucherie en franchissant un pont.
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elle vit que le volet en était abaissé, et se souvint que c'était dimanche. Elle fit le tour de la maison. Tout était clos, portes et fenêtres. Elle appela : « Il n'y a personne? » Point de réponse. Elle décida d'attendre et s'assit sur un banc de bois placé le long d'un mur. De l'autre côté de la route, il y avait une auberge. Quelqu'un s'en approchait. Lili, de son banc, reconnut Martial. Il tirait l'ânon qui avançait avec réticence, comme s'il se doutait du sort qui l'attendait. Elle se leva promptement et observa l'homme. Elle comprit que ce n'était pas à l'auberge qu'il allait,- mais à la boucherie. Aussitôt, elle se cacha de son mieux derrière la niche vide du chien. Martial pénétra à son tour dans la cour et cria : « Hé! Louvier! » A lui non plus, personne ne répondit. Il fit quelques pas indécis, tirant toujours
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l'ânon à sa suite. Avisant la porte de l'écurie, il fit un nœud avec la longe de Florian et l'accrocha à la poignée. Lili, qui continuait à surveiller attentivement ses allées et venues, le vit qui faisait demi-tour et se dirigeait, cette fois, vers l'auberge. Dès qu'il fut entré, elle se précipita vers l'âne qui tendait le cou, essayant de se libérer. Elle le caressa tant et si bien qu'il oublia son envie de fuir et parut tout content d'avoir retrouvé son amie. Il reconnaissait bien sa voix, ses gestes. Lili chassa les mouches qui le harcelaient, et courut tremper son mouchoir dans le torrent. Puis, toujours en hâte, elle revint laver la blessure de Florian. Celui-ci sentit avec satisfaction l'eau fraîche sur sa plaie. La petite fille fut interrompue par une voix joviale qui disait : « Tiens! Une cliente? » C'était Louvier, le boucher. Elle le salua poliment.
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« Ta tante aurait-elle oublié que c'est aujourd'hui dimanche? demanda-t-il. Qu'est-ce que tu veux? Et à qui appartient cet âne? On dirait que c'est celui de Martial. - Oui, répondit Lili. Et c'est à cause de lui que je suis là. » Le boucher la regarda, étonné. « Je ne vois pas très bien le rapport entre toi et cet âne? » Lili parla, tout en continuant de tapoter les naseaux de l'animal. « Voilà... je vais vous expliquer. Il y a Martial qui veut vous vendre son âne. Tiens! Il aurait encore besoin d'argent, celui-là? - Peut-être. En tout cas, il vous dira que Florian a mauvais caractère, qu'il ne vaut rien et que vous pouvez le mettre dans la machine à hacher. — Ah! ah! Tu crois qu'il me dira tout ça? - Oui. Et moi, je ne veux pas que Florian devienne du saucisson. - Oh! tu sais, fit M. Louvier sans se départir de son calme,
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entre le saucisson d'âne et l'autre on ne voit pas la différence. D'ailleurs... » L'expression scandalisée de Lili l'empêcha de poursuivre son explication. « Je vous en prie!... dit la petite fille en joignant les mains. Acceptez de lui acheter Florian! - Je ne te comprends plus. Tu veux que je l'achète, et tu ne veux pas que je l'utilise! - Ce serait seulement pour le revendre. Tiens, tiens! fit le boucher qui commençait à s'amuser. C'est toi qui le voudrais pour te promener? — Non. C'est M. Antoine, l'oncle de Jean. — Et c'est toi qui es chargée de la commission? — Oui. — Tu parles sérieusement? - Mais oui, monsieur. Vous ne me croyez pas? Je vais vous donner une preuve. » Lili ouvrit son sac, en sortit son porte-monnaie
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dont elle vida le contenu dans la main du boucher. « Vous voyez, fit-elle, je vous donne tout mon argent. C'est pour conclure le marché que vous faites avec moi. Ce sont mes économies, vous pouvez les prendre. » Les yeux de M, Louvier pétillaient de malice. « Je vois en effet que tu as plus de cervelle dans ta petite tête que celui-là dans sa grosse! s'esclaffa-t-il, montrant Fanon du doigt. Tu es douée pour les affaires. Je te donne mon accord. J'achète l'âne à Martial et je le revends à Antoine. Qui sera roulé là-dedans? Martial! Lui qui ne voulait pour rien au monde que cette bête devienne la propriété de son voisin Antoine! Seulement, je ne veux tout de même pas garder tout cet argent, ajouta-t-il, en faisant sauter d'une main à l'autre quelques pièces de monnaie. Je vais seulement conserver ce billet. Ce sera la preuve que tu as ma parole. Tu peux compter sur moi. Cependant... » II cligna de l'œil d'un air rusé. 39
« II y a encore quelque chose que je voudrais savoir. Est-ce vraiment pour faire plaisir à Antoine que tu t'occupes de cette bête? Ou bien est-ce à cause de l'âne luimême? Quand je suis arrivé, tu le caressais et il se laissait faire comme s'il te connaissait bien. Vous aviez l'air d'une paire d'amis! » Lili répondit avec franchise : « Je serai contente de rendre service à M. Antoine. Mais je veux surtout sauver Florian de son mauvais maître et de la mort. — Voilà qui est parlé! Range ton argent maintenant. Mais... attention!... Je crois qu'il est temps que tu t'en ailles. Voilà Martial. Il vaut mieux qu'il ne te trouve pas chez moi. Cela pourrait tout compromettre. » Lili n'eut que le temps de se glisser dans sa cachette, derrière la niche du chien. Martial ne se rendit même pas compte de sa présence. Il se dirigea droit vers le boucher avec lequel il parlementa un long moment d'une voix forte et avec de grands gestes.
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Puis Florian fut poussé dans l'écurie et la porte claquée derrière lui. Ensuite, les deux hommes entrèrent dans la maison, et Lili put sortir de son abri. Elle se hâta d'aller dire un bref au revoir à l'ânon qui ne paraissait pas enchanté de l'endroit où on l'avait enfermé. Elle essaya de le rassurer en lui disant : « Demain, tu seras libre! Tu monteras làhaut, sur l'alpe, et personne ne te battra plus! » Florian comprit-il mal cette fois ce que Lili lui disait? Toujours est-il qu'il se mit à braire lamentablement dès qu'elle l'eut quitté. Elle reprit le chemin de la maison de sa tante et repassa par la place où les forains continuaient à inviter les habitants de Dantières à acheter leurs friandises. Seul, le marchand d'écharpes n'était plus là. Elle en éprouva un remords :
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« Mon Dieu, j'ai tout à fait oublié tante Juliette, pensa-t-elle. Et maintenant je ne peux plus lui acheter de cadeau! » Sa tante s'étonna de la voir rentrer si tard. Mais elle ne lui fit aucun reproche. Elle remarqua simplement : « Tu es restée longtemps à la fête! Tu as dû bien t'amuser. J'espère que tu n'as pas mangé trop de glaces. Cela coupe l'appétit. Viens vite à table! » Ce n'étaient ni les glaces, ni le nougat, ni les chocolats qui empêchaient Lili de manger comme d'habitude! C'était uniquement 42
le regret de n'avoir rien à offrir à tante Juliette. Celle-ci n'était pas accoutumée à voir sa nièce longtemps silencieuse. Elle se demanda ce qui pouvait bien avoir changé l'humeur de la petite fille. Lorsque Lili se glissa entre les draps rudes qui sentaient la lavande et qu'elle vit, penchée au-dessus de la sienne, la bonne figure de tante Juliette, elle ne put garder plus longtemps son secret. Elle raconta tout : son désir d'acheter une belle écharpe, l'histoire de l'âne martyrisé, la longue attente chez le boucher, le marché conclu avec ce dernier et enfin le retour tardif par la place de la fête où ne se trouvait plus le marchand. Tante Juliette l'embrassa et sourit doucement. « C'est cela qui te tracasse? C'est pour cela que tu n'as pas mangé ce soir? Je n'ai pas besoin de cadeau, voyons! » A demi consolée, Lili demanda encore :
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« Est-ce que tu penses que M. Louvier tiendra parole? Tu crois qu'il gardera l'âne pour l'oncle de Jean? — Mais naturellement! Ne te fais plus de soucis. Dors bien maintenant. Je suis sûre que ton âne est déjà en train de ronfler. — Tu crois que les ânes ronflent? » Le rire de tante Juliette s'éleva dans la chambre obscurcie dont la fenêtre laissait entrer le parfum des foins coupés. « Je n'en sais rien du tout, ma chère petite!». Un peu plus tard, Lili, dans sa naïveté, crut qu'elle entendait les ronflements sonores de l'ânon, alors que celui-ci se trouvait à l'autre bout du village. Ce qu'elle prenait pour des ronflements, c'était tout simplement le bruit du vent qui soufflait des hauteurs. Ce fut cependant, pour elle, si rassurant, qu'elle ne tarda pas à s'endormir.
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CHAPITRE V Les fantaisies de Florian Florian dormit mal cette nuit-là. Lorsqu'il se réveilla, il se trouva encore en proie à l'inquiétude. Les bonnes paroles de Lili ne lui avaient produit aucun effet. L'écurie inconnue lui déplaisait. Il s'étonnait aussi de ne pas entendre les commandements rauques de son maître, de ne plus sentir les coups de trique sur ses flancs.
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De plus, il avait faim. On l'avait oublié. Il essaya d'ouvrir la porte en la poussant avec sa tête. Il ne parvint qu'à entrouvrir la partie supérieure. Mais cela lui permit de voir ce qui se passait dans la cour. Il y avait là des poules qui picoraient sur un tas de fumier, un gros chien somnolent qui écrasait son ventre sur les dalles de pierre, un chat jaune et noir qui se faufilait, la queue en panache, entre des pots de géranium. Florian surprit soudain un bruit de voix et vit un homme qui se dirigeait vers l'écurie. Ce n'était pas Martial, mais un inconnu, un homme maigre, assez grand, avec des yeux clairs dans un visage hâlé. Il était accompagné de M. Louvier, le boucher. « Oui, expliquait ce dernier, cet âne est tout à fait ce qu'il te faut. Avec une bonne nourriture, il deviendra robuste et solide. Tu soigneras ses blessures et, dans huit jours, il sera aussi costaud qu'un cheval. »
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Les nouveaux venus ouvrirent la porte et firent avancer Florian dans la cour ensoleillée. Antoine, car c'était lui, tâta les jambes, le poitrail, la tête de l'ânon, et déclara : « Ma foi, il est un peu maigre. Mais, chez moi, il ne manquera de rien. Il sera vite retapé. Je suis très content que Jean, mon neveu, m'ait averti qu'il était à vendre. Tant pis pour Martial! Je ne le lui revendrai certainement jamais. » Un moment, ils observèrent l'ânon. Celuici restait immobile au milieu de la cour. Le pinceau blanc de sa queue balaya l'air cl s'abattit sur son dos pour chasser les mouches. « C'est un vrai âne des montagnes! dit encore le boucher. Il a des jambes courtes cl la poitrine large. Il te rendra de bons services. - Je l'espère. Mais, tu sais, chez moi, il n'aura pas de bien rudes travaux. Il lui suffira de descendre à Dantières une fois par semaine,
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pour y porter les fromages et le beurre. » Florian écoutait distraitement ce qui se disait près de lui. Il avait de plus en plus faim et personne ne pensait à lui offrir la moindre touffe de chardons. Antoine prit la bride, y imprima une légère secousse et dit : « En avant! mon vieux! » Mais l'âne planta de toutes ses forces ses petits sabots dans le sol. Antoine le caressa. « Allons, viens, maintenant. Le travail m'attend. Nous allons ensemble grimper au chalet. » Florian secoua ses oreilles comme s'il refusait d'écouter et de comprendre l'ordre qu'on lui donnait. Antoine parut contrarié. « Je me demande si cette bête n'a pas été trop malmenée. A force de coups, Martial l'a rendue butée, ombrageuse. En somme, elle a peut-être maintenant des défauts difficiles à corriger. »
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L'ânon était tout prêt à démontrer qu'il était têtu comme une mule. Mais, tout à coup, une voix jeune et joyeuse claironna : « Bonjour, Florian! » Aussitôt tout changea. M. Louvier et Anloi ne eurent le sourire. L'âne aussi, à sa manière. Lili salua les deux hommes et couru I vers l'ânon qu'elle caressa et qui manifesta, à sa vue, un soudain ravissement en se mettant à braire. « Je suis si contente! dit la petite fille, les yeux étincelants. Maintenant ses misères sont finies. 49
- Et les miennes commencent! murmura Antoine piteusement. Il refuse de m'obéir. Vraiment, Florian? demanda Lili. Tu ne veux pas être gentil? Peut-être le seras-tu avec moi? » Antoine lui abandonna la bride qu'elle tira. L'âne la suivit sans difficulté. « Comme c'est simple! s'exclama M. Louvier en riant. Quand un veau sera rétif, j'irai te chercher! » Florian trottina allègrement sur la route qui montait au village. Il ne restait plus à son nouveau maître qu'à lui emboîter le pas. Arrivée à la maison de sa tante, Lili s'arrêta. Quelques petites filles attendaient leur amie pour jouer avec elle. Quand elles la virent, en compagnie de l'ânon, aux oreilles droites comme deux ailes de velours, aussitôt elles l'entourèrent et poussèrent des exclamations : « Qu'il est beau! - Et il a l'air intelligent!
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II nous regarde... on dirait qu'il comprend ce qu'on dit! » Comme si ces compliments le grisaient, Florian se mit à braire à pleins poumons, ce qui fit éclater de rire le groupe des petites filles. L'une d'elles, Rosette, tenait serrées contre elle des marguerites qu'elle venait de cueillir. Elle les tendit à Lili. « Tiens, mon bouquet est pour lui! Il faut lui en faire une couronne. Bonne idée! » dit Lili. Elle glissa quelques marguerites sous le frontal, cette bande de cuir qui ceignait le front de Florian, et d'autres près du mors, de chaque côté de la bouche. Les fleurs aux pétales blancs et au cœur jaune se balancèrent au vent et formèrent à la fois collier et diadème. L'ânon se laissait faire. Quand la décoration fut terminée, il remua délicatement ses oreilles comme pour se faire admirer. Myriam, une petite brune au nez
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retroussé, courut chercher du foin dans la grange de son père et en rapporta une grosse brassée qu'elle déposa aux pieds de Florian. Celui-ci se régala. Enfin, on pensait à le nourrir! Les enfants devenaient de plus en plus nombreux. Un petit garçon offrit à l'ânon sa tablette de chocolat. Un autre tira de sa bouche un bonbon et le lui tendit. Florian, cette fois, ne faillit faire qu'une bouchée de la main et du bonbon! Heureusement, Lili s'en aperçut à temps. Elle posa la friandise à plat sur sa main, ce qui permit au petit âne de s'en emparer. Florian avala tout pêle-mêle, en un temps record : trèfle, fruits, sucreries, foin, fleurs. On lui donna encore quelques poignées d'avoine qui, en le nourrissant mieux qu'il ne l'avait été depuis longtemps, lui firent oublier ses misères. Sa fatigue s'envola. Il se sentait maintenant tout ragaillardi, après la bonne nuit tranquille qu'il avait passée chez le boucher et ce repas copieux offert
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par ses nouveaux amis. Sa blessure même ne le faisait plus souffrir. Pour montrer sa joie et sa reconnaissance, il leva ses jambes de devant, se dressa sur celles de derrière et exécuta une sorte de danse. Les enfants scandaient ses pas en battant des mains. Ils martelaient le sol de leurs pieds et poussaient des cris en cadence : « Hou-hé! Hou-hé! Hou-hé!... » tandis que la clochette de l'ânon tintait gaiement.
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Antoine, qui avait regardé cette scène avec un sourire amusé, se gratta la tête en disant à tante Juliette qui venait d'apparaître : « Qu'est-ce que je vais faire d'un âne de cirque? » Elle lui répondit en riant : « Vous avez acheté un âne équilibriste! » Mis en forme par ces quelques exercices, Florian retomba sur ses quatre sabots et s'élança vers le pré où il pourchassa les deux chèvres de tante Juliette, très étonnées par cette soudaine intrusion dans leur domaine. La chèvre la plus courageuse, Roussette, fit face à l'arrivant et pointa vers lui ses petites cornes. L'âne dédaigna cette menace et s'éloigna, faisant voler derrière lui des mottes de terre et d'herbe. Il revint auprès de ses admiratrices et, arrivé à côté de Lili, il lui fit une sorte de révérence, en penchant vers elle ses longues oreilles parées de fleurs, ce qui fit rire encore plus fort les spectateurs.
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« Ça, alors!... répétait Antoine sidéré. Voilà un âne qui a plus d'un tour dans son sac! Il ne m'a pas l'air sérieux du tout. C'est un fantaisiste! - Oh! supplia Lili qui riait aux larmes, laissez-le, c'est son premier jour de liberté! 11 faut bien qu'il en profite. - Sa liberté, je crois bien qu'il en profite! s'exclama Antoine. Il n'y a qu'à le regarder. Vat-il accepter de me suivre maintenant? Ho! Florian, as-tu fini de faire le saltimbanque? Viens avec moi! » Florian fit mine de n'avoir point entendu. Il n'avait aucune envie de quitter Lili et ses amies. Toutes ces petites filles qui tournaient autour de lui en faisant voler leurs robes et leurs cheveux, finissaient par lui faire perdre la tête. Il n'avait plus été aussi heureux depuis les jours déjà lointains où il trottinait sagement près de sa mère... C'était la première fois qu'il trouvait la vie belle. Aucune charge ne le blessait.
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Aucune voix rude ne le harcelait. Les coups ne pleuvaient pas sur son dos meurtri. Alors, pourquoi n'aurait-il pas manifesté sa joie à sa manière? Mais l'oncle de Jean n'avait pas de temps à perdre. Il lui fallait remonter chez lui au plus tôt. Il s'empara de la longe et la tint d'une main ferme. D'un seul coup, s'éteignit la lueur espiègle dans les yeux de Florian. Il se raidit de nouveau, tendit le cou, refusa d'avancer. Des rires jaillirent. Encouragé par ces manifestations de sympathie, il s'arc-bouta, ses jambes devinrent rigides comme celles d'une statue, les quatre sabots joints. Son nouveau maître, tout d'abord dépité par cette résistance, prit le parti d'en plaisanter. Il se tourna vers Lili et dit : « Je crois que je vais avoir encore besoin de toi. Voudrais-tu essayer de faire entendre raison à ce jeune révolté? » Lili accepta bien volontiers. Florian, lui,
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ne demandait pas mieux que de la suivre. Dès qu'elle lui ordonna d'avancer, d'une voix qui lui était familière, et qu'il sentit, sur ses naseaux, sa petite main, il se mit en marche avec docilité, suivi par la troupe sautillante des petites filles. A la sortie du village, là où le chemin commençait à grimper au flanc boisé de la montagne, Lili rendit la bride à Antoine. Aussitôt, la même comédie recommença. « J'y suis, j'y reste! » semblait dire l'ânon, comme si son humeur récalcitrante se réveillait dès que Lili paraissait vouloir le quitter. « II faut prendre une décision, déclara Antoine d'un ton résolu. Je pourrais le forcer à marcher en le battant. Mais je ne veux pas le brutaliser. Ecoute-moi bien, petite. Cet âne est aussi un peu le tien. Il veut nous le prouver en n'obéissant qu'à toi. C'est son droit, après tout! Aussi, il m'est venu une idée. » Lili était tout oreilles, et Florian lui aussi sans doute, sous ses airs indifférents.
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« Voilà ce que je te propose. Viens avec moi au chalet des Trois-Rochers. Je suis sûr que quelques jours là-haut ne te feront pas de mal. Tu trouveras chez nous un air encore plus pur qu'à Dantières, du bon lait, du beurre frais, du miel excellent. Mes deux enfants, Janine et Nicolas, seront heureux d'avoir une camarade. Quand l'ânon sera habitué à moi, il n'hésitera plus à m'obéir. Qu'en dis-tu? — Cela me plairait bien! » répondit Lili, qui s'était déjà fortement attachée à Florian, et que la perspective de l'accompagner tentait beaucoup. « Alors, retournons sur nos pas et allons demander la permission à ta tante. » Ainsi fut fait. Tante Juliette accepta tout de suite. « Je veux bien, dit-elle. Mais, Lili, tu ne peux pas partir sans lainages et sans souliers. S'il pleut, que feras-tu là-haut avec tes sandalettes à lanières? » Un moment après, Lili prenait congé de
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sa tante qui l'embrassa affectueusement m lui disant : « Amuse-toi bien, ma petite fille. Quand tu auras envie de redescendre, dis-le à Antoine. Il te ramènera ici. Fais attention aux rochers. Sois prudente. » Lili promit de ne pas grimper aux endroits dangereux et s'en alla, escortée de Florian qui, par son allure décidée, prouvait sa satisfaction. Le ciel était sans nuages. Il faisait très chaud, mais une brise, qui venait des cimes, tempérait l'ardeur du soleil. Le chemin serpentait parmi les mélèzes et les pins, puis se rétrécissait et continuait à découvert, devenait pierreux. Il s'élevait rapidement, tantôt ombragé, tantôt en plein soleil et, tel que le Petit Poucet, Florian y semait les marguerites qui tombaient de son mors et de son frontal. La pente s'accentuait. Un à un, les pics neigeux se découvraient. Antoine les désignait par leurs noms, que
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Lili essayait de retenir en se les répétant tout bas. Un peu essoufflée, elle n'avait que plus d'admiration pour Florian qui, lui, escaladait le sentier abrupt d'un pas allègre.
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CHAPITRE VI Un mystérieux promeneur LILI fut secouée par le vent qui soufflait à cette altitude de deux mille mètres où se dressait le chalet des Trois-Rochers. Le chalet avait ainsi été nommé à cause de trois saillies rocheuses qui, à cet endroit, surplombaient la vallée, le torrent et, tout en bas, le village de Dantières.
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De la petite construction brune et rouge sombre adossée à la montagne, s'échappait une mince colonne de fumée blanche, aussitôt dissipée par le vent. La porte s'ouvrit et deux enfants bronzés, pieds nus, accoururent vers leur papa avec des cris de joie : « L'âne! L'âne! Tu l'as amené! — Il est à nous maintenant? — Martial ne viendra jamais nous le reprendre? - On pourra le garder toujours? » A toutes ces questions, le père répondait avec un sourire amusé. Il observait sa fille qui s'approchait de Florian et tendait la main vers lui. Le petit garçon, beaucoup plus jeune, n'osait imiter sa sœur. Il se contentait de regarder l'âne de ses grands yeux bruns. « Vous ne dites pas bonjour à Lili? » s'enquit le père en désignant celle-ci d'un geste. Alors seulement, les deux enfants s'aperçurent de la présence de cette petite fille
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qu'ils n'avaient jamais vue. Le garçon accourut et vint mettre sa main dans celle de Lili. « Jour...! fit-il d'une voix claire. Bonjour, Nicolas! » répondit-elle souriante. La sœur de Nicolas arriva à son tour, repoussant de son front ses cheveux noirs emmêlés. « C'est toi, Lili? demanda-t-elle avec curiosité. - Oui, c'est moi! » Une voix nouvelle se mêla à la conversation : « Nous te connaissons déjà! Jean nous a raconté comment, l'.année dernière, tu as gagné de l'argent pour lui, pendant qu'il était à l'hôpital, après son accident de montagne! » Lili se retourna et vit la mère des enfants, une jeune femme au visage doux et régulier. En même temps, elle rougit, gênée par ce rappel de sa bonne action.
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« Eh bien, j'espère que tu te plairas ici, continua la maman. Nous n'avons pas beaucoup de confort. Mais, par beau temps, on s'en passe. Tu n'as certainement jamais couché sur le foin dans un grenier? — Non, jamais, répondit Lili. Tu y dormiras très bien, tu verras. Il y fait toujours chaud. C'est d'autant plus agréable que chez nous les nuits sont fraîches. D'ailleurs, tu ne seras pas toute seule. Janine et Nicolas te tiendront compagnie. Prends ton sac. Janine va te montrer où tu pourras ranger tes affaires. Si tu as soif, tu iras boire à la source qui coule là-bas entre les sapins. Et, chaque matin, tu te laveras à l'abreuvoir. » Pendant qu'Antoine juchait son fils sur Florian, Janine entraîna Lili vers le chalet. De la salle commune on pouvait passer directement dans l'écurie qui était recouverte aux deux tiers d'un plafond, simple plancher où s'entassait la réserve de foin. Une échelle permettait d'y accéder. Une petite
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lucarne s'ouvrait dans la pente du toit d'où l'on pouvait apercevoir en bas, dans la cour, l'étable et au loin l'alpage. Janine fit grimper Lili au grenier, lui montra des couvertures étalées sur le foin et expliqua : « Ça, c'est notre lit. » Lili déposa son sac dans un coin et redescendit du grenier avec précaution. Un peu intimidée par la nouvelle venue dont Jean, son cousin, lui avait parlé avec admiration, Janine lui jetait des coups d'œil à la dérobée. « Ça te plaît? » demanda-t-elle quand Lili eut fini de visiter le chalet et de contempler le paysage magnifique qui se déployait sous ses yeux. « Oh! oui, beaucoup. Je suis sûre que je serai aussi bien ici qu'au grand hôtel de Dantières. Peut-être même un peu mieux. Vraiment? fit Janine candidement. Je suis contente que tu restes, continua-t-elle. Pour jouer, je suis toujours seule. Nicolas
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est trop petit. Il n'a que quatre ans. Moi, j'en ai huit. Il ne fait jamais ce que je veux. » La franchise naïve de Janine fit sourire Lili. « J'ai trois ans de plus que toi, dit-elle. Je pense que nous arriverons à nous entendre. Aimes-tu habiter ici? — Nous ne restons au chalet qu'en été. Dès qu'il commence à neiger, nous redescendons au village. Nous fermons tout. Les bêtes connaissent le chemin jusqu'à l'écurie d'en bas. Elles ne se trompent jamais. Alors le chalet reste tout seul quand c'est l'hiver. » Janine entraîna Lili vers un des rochers et l'y fit grimper. « Tu vois, tout en bas, cette maison près du torrent? C'est la nôtre. J'aime bien regarder le soir les lumières qui s'allument et les phares d'autos sur la route. Ça brille partout. On dirait qu'il y a des étoiles par terre et dans le ciel. C'est joli, très joli! »
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" Tu vois, tout en bas, cette maison près du torrent ? " 67
Lili jeta un coup d'œil rapide à la petite fille et, pour lui faire plaisir, déclara : « Tu me montreras ça aussi ce soir. Je veux voir les étoiles comme tu les as vues. » Janine sauta du rocher sur l'alpage et montra le troupeau de vaches brunes à grandes cloches qui paissaient et ruminaient parmi les fleurs. « Toutes ces vaches sont à nous. Elles sont belles, n'est-ce pas? Je connais chacune par son nom. » Un gros chien placide qui gardait le troupeau vint flairer la nouvelle venue. Il dut être rassuré, car il lécha la main de Lili. « C'est Jimo, notre chien, expliqua Janine. Il est déjà vieux, mais papa dit qu'on peut compter sur lui. Bravo Jimo! fit Lili. Tu as de bons yeux, tu me plais. Moi, j'aime beaucoup les chiens. - Alors, nous viendrons souvent avec lui sur l'alpe. Il est toujours content quand quelqu'un l'accompagne avec le troupeau.
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Je crois que ça ne lui plaît pas trop de rester seul avec les vaches! » Après avoir donné quelques caresses supplémentaires à Jimo, les enfants revinrent, en bavardant, vers le chalet. Florian promenait toujours Nicolas du même pas lent et tranquille, et le petit garçon, tout heureux, s'époumonait à crier : « Hue! Florian! » Antoine le montra à Lili en souriant : « Je crois que ton âne s'habituera vite à sa nouvelle vie. Il a l'air d'avoir déjà adopté notre petit Nicolas. Mais que dira Martial quand il le verra ici, chez nous? Il ne le saura pas! rétorqua vivement Lili. - Au contraire! C'est même la première chose qu'il apprendra lorsqu'il mettra le nez à sa fenêtre. Viens, Lili. Tu vas comprendre tout de suite. » Ils firent quelques pas sur l'herbe semée, ça et là, de courtes gentianes bleues. Antoine étendit le bras :
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« Regarde... Vois-tu ce chalet derrière ces sapins? - Oui, je le vois. Il a l'air abandonné. — Il ne l'est pas. Il appartient à Martial. C'est notre plus proche voisin. — Maintenant, je comprends, dit la petite fille en hochant la tête. J'espère qu'il ne voudra pas se venger sur Florian... - Il n'osera pas! » répliqua Antoine. Malgré cette réponse rassurante, Lili regardait, avec appréhension, le chalet délabré où vivait Martial. « Vous croyez vraiment qu'il n'osera pas? » reprit-elle d'une voix où perçait le doute. Antoine haussa les, épaules. « Que veux-tu qu'il fasse à Florian? Nous l'enfermerons chaque soir et, dans la journée, il y aura toujours quelqu'un pour le surveiller. » Lili ne fut qu'à demi convaincue. Pourtant, les heures passèrent sans amener aucun incident.
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Le soir, Lili assista au retour des vaches qui, avec l'aide de Jimo, furent ramenées à l'étable, près du chalet. Florian, lui, occupait l'écurie. Lili le caressa longuement avant de gravir les échelons de bois la menant au grenier. Florian essaya de la suivre, mais il se rendit bientôt compte que l'échelle n'avait pas été posée là pour ses sabots. Il resta au rez-de-chaussée, la tête levée, et il fit entendre un braiment assez désespéré quand il ne vit plus Lili. D'en haut, elle se pencha vers lui. « Dors, Florian. Je suis là, tu vois bien. » Elle laissa pendre ses bras jusqu'à l'ânon qui poussa son museau contre les doigts tièdes de la petite fille. « Bonne nuit! » dit-elle encore, avant de s'allonger sur un drap épais et de se couvrir d'une couverture de laine. « Comme c'est parfumé! s'exclama-t-elle en s'enfonçant dans le foin. — Tu es bien? fit la petite voix ensommeillée de Janine.
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Très bien. — Nicolas dort déjà. - Je crois que je dormirai bientôt, moi aussi», dit Lili. La conversation cessa. Lili s'appuya sur un coude et regarda par la lucarne. Tout en bas, à Dantières, les lumières clignotaient, et dans le ciel les étoiles leur donnaient la réplique. Tout était bien comme Janine l'avait décrit. Le silence régnait, presque absolu. Lili n'entendait que, de temps à autre, le bruit assourdi d'une cloche de vache et, venant de plus loin, le grondement du torrent dans la vallée. La petite fille retomba dans le foin. Ses veux se fermèrent. La nuit envahit tout l'alpage. Puis, soudain, comme si elle s'échappait des nuages qui l'avaient gardée prisonnière, la lune se montra, ronde et brillante. Marchant avec prudence, un homme allait de l'ombre d'un arbre à l'ombre d'un autre arbre.
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II se cachait un instant, repartait. Enfin, il monta à pas furtifs vers le chalet des TroisRochers. Le mystérieux promeneur s'immobilisa près de l'écurie. Dans la porte avait été percée une ouverture en forme de cœur. Le faisceau d'une lampe électrique s'y glissa, balaya le dos de Florian et sa tête, puis s'éteignit. L'homme avait vu ce qu'il voulait : Fanon acheté par Antoine... Minuit sonna au clocher de Dantières. L'homme s'éloigna du même pas prudent. Il se coula entre les sapins et disparut. Dans le ciel obscur, la lune se dessinait comme un disque d'argent.
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CHAPITRE VII Fâcheuse rencontre LILI fut tirée de son sommeil par une herbe qui lui chatouillait l'oreille. D'abord, elle crut qu'il s'agissait d'une mouche et voulut l'éloigner de la main. Mais le chatouillement reprit, le brin d'herbe s'enfonça plus profondément. Lili ouvrit tout à fait les yeux et vit au-dessus d'elle la petite figure rieuse de Nicolas, tout
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heureux de l'avoir enfin obligée à se réveiller. « Ah! c'est toi! fit-elle en se redressant. Tu trouves que je dors trop longtemps? - Oui. — Où est Janine? - Elle vient de descendre. J'ai faim. - Moi aussi! » Secouant les quelques brindilles de foin qui s'étaient mêlées à ses cheveux, elle se leva. Peu après, elle s'ébrouait sous l'eau froide de l'abreuvoir. Puis elle goûta au miel des sapins et au beurre frais étalé sur de larges tranches de pain. Elle dut interrompre son déjeuner en entendant des appels de Janine qui criait : « Lili, viens vite! Ton âne... » Lili sortit de la cuisine en courant pour voir de quel crime l'ânon s'était rendu coupable. Les parents de Janine avaient trait les vaches le matin de bonne heure, et le lait
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destiné à se transformer en fromage emplissait des bidons alignés devant la porte de la laiterie. On avait oublié Florian qui, lui, ne s'oubliait pas! Profitant de l'aubaine, il se régalait tout simplement en buvant à longs traits le bon lait encore tiède. « Florian! Florian! » cria Lili. L'ânon releva la tête, mais la replongea immédiatement dans un autre bidon. Lili avait fort envie de rire. Mais ce n'était pas le moment. Elle s'efforça de prendre une voix sévère : « Veux-tu finir! » Florian lui lança un coup d'œil malicieux. Puis il reprit son importante occupation. Alerté par Nicolas, Antoine accourut, leva les bras au ciel et-fit une grimace comique : « Voilà que tu bois le lait à vendre, coquin!» Cette fois, Florian sortit la tête du deuxième seau. A sa vue, tout le monde
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éclata de rire. Les poils de ses naseaux étaient barbouillés de lait. Il se secoua et aspergea Nicolas qui trouva cette pluie très amusante et s'en barbouilla à son tour la figure. « II aura la colique! prédit Janine. Ce n'est pas bon pour lui. Il va être malade. » Florian n'eut pas la colique et ne donna aucun signe de maladie, malgré les sombres pronostics de la petite fille. Il avait surtout la plus grande envie de recommencer dès que l'occasion s'en représenterait. Toute la matinée, il fut d'humeur charmante pour bien montrer qu'il se portait comme un charme, et aussi qu'il n'avait pas le moindre remords! A midi, Lili se chargea d'aller chercher l'eau pour le repas. Elle prit un grand cruchon de grès bleu et se dirigea vers la source. Celleci jaillissait d'entre des rochers et tombait un peu plus bas dans une cuvette creusée dans la pierre. Sous les arbres, régnaient une clarté d'un
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vert doré et une agréable fraîcheur. Grâce à l'humidité, mousses et fougères poussaient dans le voisinage de la source. Lorsqu'il fut plein, Lili reprit le cruchon. Elle s'apprêtait à rebrousser chemin; mais elle s'arrêta, interdite. Un homme se tenait debout sous les sapins. La petite fille le reconnut aussitôt, et une grande frayeur s'empara d'elle. « Ah! ah! te voilà, marchande d'âne! ricana Martial. Tu es contente de toi, hein? Avec Antoine, tu l'as roulé, le vieux Martial! J'ai appris ça au village. Mais qu'Antoine ne s'en vante pas trop! Je le lui ferai regretter! » Lili aurait été incapable d'articuler un mot de réplique. Son cœur battait à une vitesse folle. L'homme fouetta l'air de son bâton qui s'abattit en sifflant sur les fougères. Puis il s'enfonça dans le bois. La scène avait duré moins d'une minute. Mais la petite fille se rendait compte qu'elle
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n'avait pas rêvé. A la place où se tenait Martial, ses gros souliers avaient laissé leurs empreintes dans les mousses, et les feuilles dentelées des fougères avaient été lacérées par son bâton. Lili déboucha sur l'alpe ensoleillée. Une bergeronnette à gorge jaune s'échappa devant elle avec un cri joyeux. Un peu plus loin, un tapis de gentianes d'un bleu intense attira les regards de l'enfant. Mais elle s'en détourna rapidement. Un geai qui transportait une pomme de pin sous un vieux tronc d'arbre ne parvint pas davantage à lui faire oublier son inquiétude. « Que va faire ce méchant homme pour se venger? » se demandait-elle. Un braiment prolongé lui répondit. Presque aussitôt, elle vit l'ânon accourir au galop. Il fuyait, comme le premier jour où elle l'avait rencontré. Il n'entendit même pas sa voix quand elle l'appela : « Florian! » II s'en allait vers les rochers qui,
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entassés au flanc de la montagne, formaient comme un gigantesque escalier. Lili, posant la cruche sur le sol, courut à sa poursuite en continuant de crier son nom. Dans sa terreur, Fanon ne pensait qu'à s'éloigner au plus vite, et les rochers amoncelés ne l'arrêtaient pas. Il s'y aventurait d'un sabot sûr. Arrivé à quelques dizaines de mètres audessus du chalet, il s'arrêta enfin et regarda derrière lui. Il n'y avait personne d'autre sur l'alpage
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que Lili qui l'appelait, en agitant les bras. Les vaches écoutaient la voix de la petite fille et la suivaient de leur regard étonné. Jimo aboya pour rappeler le fugitif. Florian se décida à redescendre. D'un pas qui ne trébuchait jamais, il parcourut l'éboulis de rochers et revint vers Lili en secouant sa clochette. Elle lui jeta les bras autour du cou et lui prit la tête à deux mains. « Je comprends, disait-elle. Tu as vu le vilain Martial et il t'a fait peur, comme à moi. Il t'a peut-être surpris et battu? Pauvre Florian!» L'ânon manifestait une grande nervosité et agitait les oreilles. « Viens! ajouta Lili. Nous allons retourner au chalet. Là, il ne t'arrivera rien. » Encouragé par cette voix familière, le petit âne accepta de marcher. Mais pour avancer sans crainte, il lui fallait sentir la main de Lili posée sur son encolure.
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Nicolas raconta tout de suite à ses parents : « J'ai vu Martial courir après notre âne. Il avait un gros bâton à la main. » Lili s'empressa d'ajouter : « Et moi, il m'a parlé. » Tous les yeux se tournèrent vers elle. Aussitôt, elle rapporta l'aventure qui venait de lui arriver. Antoine et sa femme ne parurent pas affectés outre mesure par son récit. « Bah! firent-ils. Ce sont des paroles en l'air. » Quelques minutes après, Janine rappela que l'ânon, le matin même, avait bu du lait dans les bidons. Cela fit rire tout le monde, et on oublia bien vite les menaces du méchant Martial.. L'après-midi s'écoula, pour les enfants, au milieu du troupeau. Florian et Jimo les suivaient pas à pas. Quand revint le soir, alors qu'Antoine et les enfants étaient réunis au chalet, des coups de feu retentirent soudain dans le silence.
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Antoine posa la main sur le bras de Lili qui avait sursauté. « En montagne, expliqua-t-il, les coups de fusil font plus de bruit qu'ailleurs. Le son se répercute d'une paroi rocheuse à l'autre. On croirait entendre des coups de canon. - Qui a tiré? demanda Lili. - Sans doute encore un braconnier. La chasse au chamois est interdite. Mais il y a des hommes qui ne se gênent pas pour en tuer quand même. - On ne les punit donc pas? - C'est difficile de les prendre sur le fait. » Antoine s'était levé en parlant. Il se dirigea vers la porte. Nicolas se jeta dans ses jambes et s'agrippa au pantalon de son père en disant : « II ne faut pas sortir, papa! Pourquoi, mon petit bonhomme? » demanda Antoine en se baissant vers son fils.
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L'enfant prit un air mystérieux et roula des yeux effrayés : « Celui qui est dehors, il va te tuer aussi! » Antoine le souleva dans ses bras et le fit grimper à cheval sur ses épaules. « Petit peureux! » Janine dit à son tour : « Nicolas a raison, papa. Tu pourrais être blessé. » Le père rit, d'un rire insouciant. « Le bruit que vous avez entendu vient de loin. Je pourrais même vous dire de quel endroit exactement. Je connais les coins d'où l'on peut surveiller aisément les ébats d'une bande de chamois. Mais, pour vous tranquilliser, je ne sortirai pas tout de suite! » II reprit sa place à table et commença le récit d'une chasse aux bouquetins. « ... Mais il s'agissait d'une chasse pacifique! J'avais accompagné un photographe, là-haut, dans le royaume de ces bêtes qui ne
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se plaisent guère qu'au-dessus de trois mille mètres... » Les enfants l'écoutaient avec un vif intérêt. Pendant ce temps, autour du chalet, la nuit s'épaississait. Et, profitant de l'ombre déjà plus profonde, un homme avançait, tirant une lourde charge derrière lui... Ployé en deux, haletant, il marchait, évitant les endroits découverts. Il s'approcha du chalet et repartit. Puis il revint sur ses pas et, de nouveau, s'éloigna. Lorsqu'il se trouva près des sapins, il se redressa et se faufila sous les branches. Quand la lune se découpa dans le ciel d'un bleu très sombre, elle éclaira, à dix mètres du chalet, deux formes étendues côte à côte sur la terre.
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CHAPITRE VIII Accusation ANTOINE avait été tout de même assez intrigué par les coups de fusil. Aussi, dès qu'il eut fini de raconter son histoire, il se leva et, cette fois sans hésiter, il ouvrit la porte et se tint immobile sur le seuil. Il faisait bon. L'air sentait l'herbe coupée
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qui avait séché au soleil tout le jour. Lili vint le rejoindre pour regarder le ciel où les étoiles scintillaient. « C'est beau, n'est-ce pas? fit Antoine. Tu vois, quand on est à cette hauteur, on dirait qu'on n'est pas très loin du ciel. Et pourtant!... - Je n'ai jamais vu tant d'étoiles! » répondit la petite fille admirative. Antoine fit quelques pas devant le chalet en disant : « Voici l'étoile polaire et voilà le Chariot... Là-bas, la Voie lactée... - Ça va! coupa une voix rude qui sortait de l'ombre. Pas tant de discours! » Antoine chercha à percer du regard l'obscurité. Lili recula contre le mur. Les deux enfants rentrèrent précipitamment dans le chalet. « Qu'est-ce que c'est? » fit Antoine étonné, après une hésitation. A sa grande surprise, surgit un gardechasse tenant à la main une lampe de poche
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allumée. La lueur qui éclairait auparavant son costume foncé fut braquée sur le visage d'Antoine, puis sur celui de Lili. « On peut dire, fit-il, que je vous ai pris la main dans le sac et que, pour une fois, j'ai de la chance! » La stupeur paralysait Antoine. Il ne trouva rien à répondre. Sa femme apporta la lampe à pétrole qu'elle tint au-dessus de sa tête. « Qu'y a-t-il? demanda-t-elle. — Je ne comprends pas », finit par dire Antoine. Le garde-chasse s'avança en disant : « Vous pensiez que vous étiez le roi de la montagne et que -personne ne viendrait vous ennuyer! Mais, moi, ça fait plusieurs jours que je vous surveille. Vous ne vous en doutiez pas? — Pas du tout, répondit Antoine qui comprenait de moins en moins. — Aussi, quand j'ai entendu vos coups de feu, je me suis dit : « Voilà mon gaillard
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qui s'exerce! » Je vous ai suivi et j'ai vu où vous cachez le gibier. » L'accusation parut si grotesque à Antoine qu'il se mit à rire de son bon rire habituel. « Vous devez faire erreur! Je n'ai rien caché du tout, pour la bonne raison que je n'ai tiré sur aucun gibier. » Le garde-chasse haussa le ton. « II ne faudrait pas vous moquer de moi. Je vais vous montrer votre cachette, moi, si vous ne voulez pas le faire vous-même. » Et, sans attendre de réponse, il se dirigea vers la haie, derrière le chalet. Machinalement, tout le monde lui emboîta le pas. La femme d'Antoine allait en tête, portant très haut la lampe qui dessinait une clarté jaune autour d'elle. « Qu'est-ce que vous dites de ça? » fit le garde-chasse sur un ton sec en montrant deux chamois morts couchés l'un à côté de l'autre. Des branches de sapin qui avaient dû les recouvrir étaient éparpillées sur le sol.
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« Et voilà! ajouta le garde-chasse. Vous n'avez pas honte? » Non, Antoine n'avait pas honte. Seulement, il éprouvait maintenant une violente colère. « Le misérable! gronda-t-il entre ses dents. Détruire de si belles bêtes! » II y avait là un magnifique chamois adulte. Le second était plus petit. Il s'agissait d'un jeune, encore maigre. Antoine soupira. « Je n'ai pas tué ces deux chamois, déclarat-il avec force. Je ne braconne jamais. Si vous n'étiez pas nouveau à Dantières, vous le sauriez. On me connaît partout dans la vallée et tout le monde vous dira que le braconnage n'est pas mon genre. J'aime trop voir ces animaux en liberté pour avoir envie de les tuer. Vous pouvez me croire. — Comment voulez-vous que je vous croie? J'entends des coups de feu. Je vais vers l'endroit d'où est venu le bruit et j'arrive tout droit ici pour trouver deux chamois morts
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encore chauds, cachés sous des branchages. La conclusion est facile! » Antoine fronçait ses sourcils épais et noirs. « Vous pouvez me croire! reprit-il sur un ton pressant. Je ne chasse jamais. Je ne sais d'où viennent ces bêtes et qui les a mises là pour me nuire. Mais je le saurai! Cent personnes témoigneront pour moi si vous les interrogez. — Peut-être! Mais ces deux chamois témoignent contre vous! - Allez demander au maire de Dantières ce qu'il pense d'Antoine Collin. Il ne pourra rien dire quand il verra les chamois. » Malgré son irritation, Antoine essayait de se contenir. Pourtant il ne put s'empêcher de riposter avec passion : « Je suis un homme honnête. Je l'ai toujours été. — Calme-toi! lui recommanda sa femme à voix basse. Ça ne sert à rien de crier. La vérité se saura, ne t'inquiète pas. »
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Frémissante, Lili avait écouté le dialogue des deux hommes. Une pensée, une seule, s'imposait à elle : « Je sais, moi, qui a fait ça... je le sais! » Mais elle n'ouvrait pas la bouche. S'il est toujours pénible d'accuser quelqu'un d'une faute grave, il est encore plus pénible de le dénoncer. Ce procédé lui répugnait. Elle préférait se taire, souhaitant que la vérité se fît jour sans son aide. Le garde-chasse palpa, retourna ces malheureux chamois qui ne pourraient plus jamais sauter d'une corniche rocheuse à l'autre. Il hocha la tête, éprouvant de la pitié pour les deux bêtes. « Comme c'est dommage! l'un était dans la force de l'âge et l'autre promettait! C'est, honteux! » II se releva et prit un ton sévère pour dire : « Ne touchez à rien jusqu'à demain matin. Je remonterai avec les gendarmes. Vous vous expliquerez avec eux. Bonsoir! »
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Toute la famille, sans échanger un mot, suivit des yeux la petite lampe qui éclairait les pas du garde-chasse. Quand elle ne fut plus visible, Janine résuma la situation par une exclamation qui exprimait toute sa désolation. « Oh! là, là! - Rentrons! » commanda brièvement la mère. Tous lui obéirent. Dès qu'ils furent dans la cuisine, Antoine se mit à marcher de long en large en parlant à voix basse : « Qui a manigancé ce mauvais coup? Je 93
croyais n'avoir pas d'ennemis à Dantières ni ailleurs. Et pourtant, c'est pour m'attirer des ennuis qu'on a déposé ces chamois sur mon terrain. Une accusation pareille peut nie mener en prison. Quelle affaire! » Consternés, les enfants le regardaient aller et venir dans la pièce. C'était plus que ne pouvait en supporter Nicolas. Il était bien jeune pour comprendre la gravité de la situation, mais il sentait tout de même que son papa était plongé dans une incertitude angoissante. Aussi se mit-il à pleurer à grand bruit. Mme Collin le prit sur ses genoux pour le consoler. Janine se réfugia, près de son père qui pressait son front contre la vitre et tentait de percer l'obscurité autour du chalet. « Papa ! fit-elle d'une voix tremblante, bien proche des larmes, elle aussi, crois-tu que tu le trouveras, celui qui a tué les chamois? » Antoine écarta les cheveux qui cachaient le front de sa fille et répondit :
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« Le trouver?... Ce n'est peut-être pas difficile! — Que veux-tu dire? » questionna sa femme. Antoine cria soudain avec une violence inattendue : « De qui pourrait-il s'agir, sinon de Martial! » Le nom éclata comme un coup de tonnerre. « Martial! répéta Mme Collin. Mais, bien sûr, tu as raison! Cet homme nous en veut depuis toujours! — Il a été jaloux dès que j'ai acheté le chalet et agrandi mon troupeau. — C'est vrai ! Il racontait partout qu'il aurait bien aimé savoir comment tu avais gagné l'argent avec lequel tu faisais tes achats. — Rappelle-toi! Il n'a jamais supporté l'idée de nous voir plus riches que lui. — Nous avons beaucoup travaillé pour arriver à ce résultat.
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— Tu peux le dire! Et c'est bien, grâce à mon travail si je puis vendre mon beurre et mes fromages à Dantières, alors qu'il a été, lui, obligé de liquider ses bêtes. — Il oublie que tu es tôt à la besogne et que tu te couches tard, pendant qu'il perd son temps et son argent à l'auberge ! Oh! oui, c'est certainement lui qui » voulu se venger! » Lili s'avança timidement : « Et puis, il y a eu Florian! dit-elle. — Ça aussi, c'est vrai ! dit Antoine, La petite n'a pas tort. Cet âne appartenait à Martial. Il ne peut probablement pas admettre que nous en soyons devenus propriétaires. Il aurait préféré le faire transformer en saucisson. — C'est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase! ajouta Mme Collin. —Alors, une très grosse goutte! murmura Lili. — Tout de même, je vais avoir du mal à me défendre demain! remarqua Antoine.
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Qui me croira quand je raconterai tout cela? » Longtemps encore, ce soir-là, la famille et Lili s'entretinrent de ce problème délicat. Quand Nicolas s'endormit sur les genoux de sa maman, ce fut le signal de la séparation nocturne. On porta Nicolas dans le grenier à foin. Sa sœur l'y rejoignit, ainsi que Lili. Mais celle-ci ne s'endormit pas tout de suite. Elle écoutait, tendait l'oreille. Elle avait l'impression que quelqu'un touchait le foin sur lequel elle était couchée. Au bout d'un moment, dans l'obscurité, elle se rapprocha de Janine et lui demanda : « Est-ce que tu entends? — Oui. Ça doit être une souris. — Je vais allumer la lampe de poche. Ne bouge pas. » Une minute après, Lili étouffa un léger rire. « Qu'est-ce que tu as? s'enquit Janine. — Oh!... Ce n'est rien. Ce n'est que Florian qui... qui... qui... mange... mon lit! »
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En effet, l'ânon avait posé ses deux pattes de devant sur un des échelons supérieurs de l'échelle. Tendant le cou le plus possible, il tirait doucement des brins de foin qu'il dégustait avec un bruit caractéristique. « Redescends, Florian ! ordonna Lili. Tu vas te casser une patte! » Couchée à plat ventre, Lili essaya de repousser de la main la tête de l'ânon. Mais celui-ci ne voulait pas quitter son perchoir. Il trouvait très amusant d'être arrivé à la hauteur de son amie. Il lui donna un coup de langue affectueux qu'elle ne put éviter et qui lui mouilla toute îa figure. « Tu vas tomber et tu boiteras! insista-telle. Obéis, voyons I » Elle lui tapota les naseaux, et il finit par redescendre. Lili se recoucha. Après ce petit incident comique, les filles s'endormirent enfin. Dans le chalet, seuls Antoine et sa femme ne dormaient pas. Ils échafaudaient leur plan de défense pour le lendemain.
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Dehors, le vent un peu plus fort courbait les fougères, faisait onduler l'herbe des pâturages, berçait dans son sommeil le faon nouveau-né, l'oiselet dans son nid, le coq dé bruyère au creux d'une branche, le chamois à l'abri des rochers. Des nuages s'enroulaient autour des cimes, s'effilochaient aux dents aiguës des sommets et semblaient se livrer, dans le vent, à une sorte de danse.
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Lili essaya de repousser de la main la tête de l'ânon.
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CHAPITRE IX Seuls! COMME si le ciel avait voulu se mettre à l'unisson des cœurs tourmentés, il faisait, ce matin-là, moins beau que la veille. Des nuages cachaient souvent le soleil, et la chaleur était devenue plus lourde. Dès que toute la maisonnée fut éveillée,
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il ne fut plus question que de la visite du gendarme et des suites de cette fâcheuse histoire. En revenant de la laiterie, Mme Collin, la première, vit le gendarme Morel qui montait la côte. Elle alerta son mari et les enfants. Ceuxci, figés à leur place, regardèrent le nouveau venu -s'avancer vers eux. Il salua tout le monde militairement et jeta un coup d'œil circulaire. Devinant ses pensées, Antoine déclara d'une voix nette : « Les chamois sont toujours là. Nous n'avons touché à rien. Vous pourrez constater par vous-même. — Je sais... je sais..., fit le gendarme d'un air ennuyé. Quelle affaire! C'est mauvais pour vous, Collin. Le garde-chasse est formel. Puisje voir les bêtes? Venez! » dit Antoine. Le gendarme, ayant regardé les chamois, hocha la tête, puis se tourna vers Antoine. « Je n'arrive pas à comprendre, dit-il. Je
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vous connais, Collin, et je sais qu'on peut avoir confiance en vous. - Monsieur Morel!'s'écria impétueusement Antoine, ne me laissez pas emprisonner pour une faute que je n'ai pas commise. Vous savez bien que je ne suis pas le coupable. » Le gendarme toussota, gêné. « Pourtant, tout est contre vous... Ah! tout ça est bien ennuyeux. Je n'ai pas souvent de mission aussi désagréable. » II fit un petit geste amical dans la direction des enfants et, voyant leur mine apeurée, il haussa les épaules. « Voyons, voyons, je ne suis pas le loup qui vient dévorer les brebis! dit-il en essayant de plaisanter. Je fais ce qu'on m'a commandé, un point c'est tout. » II se détourna du trio qui avait vraiment l'air de l'accuser, lui, le gendarme! Et il prit une mine insouciante pour demander à Antoine : « J'aimerais que vous me montriez votre
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fusil. Je sais que vous en avez un depuis longtemps. — C'est vrai. Il a appartenu à mon père. Je ne m'en suis servi qu'une fois. C'était il y a deux ans. Un aigle blessé était tombé dans les branches d'un mélèze, tout près d'ici. Je l'ai achevé. Sa dépouille empaillée se trouve d'ailleurs dans le chalet. - Oui, oui, bougonna le gendarme de plus en plus embarrassé. Je me souviens de ce détail. » Puis, baissant le nez comme si c'était lui le coupable, il fit quelques pas en direction du chalet. Personne, à ce moment, ne pensait à Florian. On avait autre chose en tête. Mais l'ânon, lui, avait envie de dire bonjour à la famille Collin. Il revenait du pré dont il aimait l'herbe veloutée. D'excellente humeur, il le devint encore plus lorsqu'il vit tout le monde réuni. C'était un petit âne qui adorait la société. La vue du gendarme parut le dérouter. Cette
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figure semblait ne lui rappeler rien de bon. Peut-être se souvenait-il vaguement d'avoir déjà rencontré cet homme lorsque Martial était encore son maître? Il s'éloigna quand il vit que le gendarme s'avançait vers lui. Il recula vers le chalet, tant et si bien qu'il se trouva soudain acculé contre la porte qui céda sous son poids et s'ouvrit. Son arrière-train s'encastra dans l'ouverture, et l'ânon ne put plus bouger. Le gendarme allait toujours, baissant la tête. Il la releva subitement et se trouva nez à nez (si l'on ose dire!) avec Florian qui, bien calé dans l'encadrement de la porte, semblait incapable de s'en déloger par ses propres moyens. Antoine voulut l'attirer à lui. Florian résista, s'entêtant à ne pas bouger. Le spectacle était comique, du gendarme et de M. Collin essayant en vain de faire avancer le petit âne, et lui criant : « Allons, sors de là!
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Vas-tu obéir, oui ou non? » Eh bien, c'était non! Nicolas en oublia le sérieux de cette situation. Il pouffait de rire, et Janine avait du mal à ne pas l'imiter. Lili devina que les bonnes dispositions du gendarme n'allaient pas se prolonger longtemps si Florian continuait à faire la mauvaise tête. Elle se précipita vers lui et ordonna : « Viens ici tout de suite, Florian ! » Une oreille de l'ânon s'abaissa. Il n'aimait pas ce ton autoritaire. 106
Elle insista en lui donnant de petites tapes affectueuses sur l'encolure. Alors, Florian se décida. Il se décolla de la porte, lança une ruade en passant près de M. Morel et s'éloigna d'un pas tranquille. Tout le monde soupira, même Nicolas qui n'osait plus rire et qui avait eu peur en voyant la figure mécontente et sévère du gendarme. Antoine remercia la petite fille et suivit M. Morel à l'intérieur du chalet. Là, il décrocha le vieux fusil du grand-père et le tendit sans mot dire au gendarme qui l'étudia longuement. Quand son examen fut terminé, M. Morel parut soulagé. Il s'adressa à Antoine avec un sourire plus franc. « Je crois en votre parole, Collin. Mais cela ne suffit pas. J'aimerais que vous descendiez à Dantières. Vous parlerez au chef. Nous emporterons le fusil comme pièce à conviction. » Comme Mme Collin assistait à cet entretien,
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le visage tendu, il ajouta à son intention : « II serait bon, madame, que vous veniez également. Vous avez entendu, vous aussi, les coups de fusil. Vous pourriez témoigner de l'heure exacte. Vous pourriez, de plus, affirmer que ce fusil a appartenu au père de votre mari... Enfin, vous voyez ce que je veux dire. A vous deux, vous convaincrez le chef. Mon travail, à moi, va consister maintenant à découvrir le vrai coupable. Etes-vous d'accord? - Mais oui, monsieur Morel, nous allons vous accompagner, ma femme et moi, décida Antoine. - Et les enfants? » s'inquiéta sa femme. Lili s'avança. « Je resterai avec eux jusqu'à votre retour, dit-elle. - Je reviendrai sûrement dans le courant de l'après-midi, dit Mme Collin. Ecoute, Lili, tu seras bien gentille de réchauffer la soupe pour midi. Il y a du jambon fumé et
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des œufs durs. Je pense que ça suffira pour vous trois. » Elle s'adressa à son petit garçon qui faisait une drôle de moue comme s'il allait pleurer : « Toi, mon petit Nicolas, tu seras bien sage. Tu obéiras à Lili, n'est-ce pas? Et tu te coucheras après le repas, comme d'habitude. » Nicolas promit d'être obéissant. Janine déclara qu'elle aiderait Lili, et celle-ci assura que tout irait bien. Peu après, M. Collin et sa femme partaient pour Dantières avec le gendarme. « Je vous rapporterai des sucettes! » cria Mme Collin avant 'de disparaître au tournant. Les enfants, juchés sur l'une des roches plates, agitaient les mains, secouaient des mouchoirs en signe d'adieu. Puis, quand ils ne virent plus leurs parents et le gendarme, ils revinrent vers le chalet en bavardant.
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Pour distraire Nicolas, bien attristé par le départ de sa maman, Lili l'installa sur l'âne et lui fit faire une promenade autour du chalet. Un peu plus tard, Janine apporta du petit bois pour allumer le feu et Lili fit réchauffer la soupe comme on le lui avait recommandé. « C'est amusant de faire la cuisine! dit-elle à Janine qui la suivait pas à pas et la regardait d'un œil admiratif. Tu l'as déjà faite? demanda Janine. — Jamais. »
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Lili, d'un air appliqué, tourna le contenu de la casserole avec une cuiller de bois. Les trois enfants se mirent bientôt à table. « C'est comme si on faisait la dînette! » remarqua Janine. Le repas improvisé fut très gai. Les petites filles firent ensuite la vaisselle, cependant que Nicolas acceptait de se coucher pour sa sieste quotidienne. Il n'y avait vraiment aucune raison de s'inquiéter de l'absence des parents. Les vaches étaient sur l’alpe avec Jimo. Florian était dans l'enclos. Nicolas dormait sur le lit maternel. Quant à Janine et Lili, elles se racontaient des histoires en achevant de ranger la vaisselle. Et puis, soudain, dans le calme après-midi, éclata un violent coup de tonnerre. Les deux fillettes sursautèrent, coururent à la porte, l'ouvrirent. Le vent s'engouffra sous leurs robes. Le ciel était devenu orangé, avec des zébrures noires.
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Lili regarda sa petite compagne qui paraissait bouleversée. Elle lui entoura d'un bras les épaules et lui demanda gentiment : « Tu as peur? — Oui! répondit Janine. Je n'aime pas l'orage. Et puis, nous sommes seuls. Si papa et maman étaient là... » Elle s'arrêta de parler et devint songeuse. Son regard effarouché se posa sur Lili : elle se demandait comment celle-ci allait lui venir en aide. Subitement, elle parut avoir une idée, devint toute rouge et laissa échapper un petit cri de terreur : « Oh! Lili... le troupeau! Je n'y pensais pas. Il faut s'en occuper... tout de suite. Si la foudre tombe sur les hauts alpages, les bêtes seront tuées. Vite, vite! »
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CHAPITRE X Dans l'orage Revêtues de pèlerines trop grandes pour elles, les deux petites filles sortirent du chalet en luttant contre le vent. Des tourbillons plaquaient l'herbe sur la terre, et la tourmente, comme une meute de loups, hurlait par les échancrures des rochers.
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Le village de Dantières avait disparu. Des nuages d'un blanc gris couraient le long des flancs de la montagne et emplissaient le fond de la vallée. Lili, surprise par ce spectacle, resta une minute en proie au vent qui collait la pèlerine contre ses chevilles. Puis elle s'élança avec Janine vers l'alpe supérieure où le troupeau avait été conduit ce matin. En courant, elle se souvint d'un après-midi de l'été dernier, tout semblable à celui-ci. Elle s'était trouvée avec Jean au milieu d'un orage. Le jeune chevrier l'avait tranquillisée. Maintenant, c'était à elle de rassurer Janine. Evitant les bords escarpés qui plongeaient sur l'abîme, sautant par-dessus des troncs foudroyés par de précédents orages, les deux enfants montaient vers l'alpage sans se soucier des gifles du vent et de la pluie qui commençait à tomber mêlée de neige. Là-haut, les vaches, craintivement, se rapprochaient les unes des autres.
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Elles ne se préoccupaient plus du plantain, leur herbe préférée, et ne songeaient qu'à se serrer le plus possible, pendant que Jimo, affairé, les regroupait, mordillait les jarrets des jeunes veaux affolés et les ramenait près de leur mère. Les cloches de toutes ces bêtes sonnaient bizarrement dans le vent. Lili et Janine criaient, appelant les vaches, et leurs voix se perdaient dans le fracas de l'orage. Pourtant, le chien qui les avait entendues se mit à chasser le troupeau devant lui, aidant ainsi de son mieux les deux petites filles. Florian, que l'on avait libéré, s'était aventuré tout seul dans- un pré piqué de chardons savoureux. Il passa comme un bolide près de Lili et galopa sans s'arrêter jusqu'au chalet. Les éclats du tonnerre, les lueurs aveuglantes des éclairs, lui donnaient des ailes. A sa suite, le troupeau s'engagea dans la descente, et c'était un spectacle impressionnant
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de voir toutes ces grosses bêtes dévaler la pente sous la pluie torrentielle, et courant flanc contre flanc, dans le tintamarre de leurs sabots et de leurs cloches. La grêle, crépitant sur les rochers, s'ajoutait à la pluie et à la neige. Trempé, échines ruisselantes, le troupeau s'engouffra dans l'étable. A l'instant où le vent déchaîné emportait de jeunes arbres déracinés, la dernière vache pénétra dans l'abri et la porte fut refermée. Jimo et Florian se trouvaient déjà dans la petite étable du chalet quand Janine et Lili pénétrèrent à leur tour dans la maison. Elles accrochèrent leurs pèlerines dans le couloir, frottèrent leurs cheveux dégoulinant d'eau avec une grosse serviette éponge et, pour ne pas la salir, entrèrent dans la cuisine leurs souliers à la main. Ce fut pour trouver un Nicolas sanglotant, hoquetant, en larmes : « Je suis tout seul!... bredouillait-il. Vous n'étiez pas là... et y a de l'orage... »
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Janine et Lili, à tour de rôle, le prirent sur leurs genoux, l'embrassèrent, essuyèrent ses joues mouillées, lui dirent des mots consolants: « Ne pleure plus. - Il ne faut pas avoir peur, voyons! — Les bêtes sont toutes rentrées. Papa sera content de nous. Il fait tout noir », répondit le petit garçon en reniflant. Puis, un éclair éblouissant lui ayant fait fermer les yeux, il se mit à trembler. Janine, elle-même, n'en menait pas large. Lili s'efforçait de ne pas montrer que les orages ne lui plaisaient guère. « Regarde là-bas! cria Janine. On dirait du feu! » C'était vrai, on aurait dit que des langues de feu couraient d'une cime à l'autre. Le tonnerre ne cessait plus. Son roulement continu n'était interrompu que par des craquements brefs. Nicolas recommença à pleurer.
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« Maman ne pourra pas remonter chez nous s'il pleut tout le temps. » Janine soupira, elle aussi, près des larmes : « II n'est que quatre heures, et il fait nuit. - Maman ne trouvera plus le chemin! insista le petit en ravalant un sanglot. Ecoutez! fit Lili d'un air décidé. Nous n'allons pas nous mettre tous à pleurer. Nous sommes à l'abri, les bêtes aussi. Vos parents reviendront ce soir. S'ils ne peuvent pas... » Elle hésita avant de continuer, puis elle poursuivit sur le même ton énergique : « Oui, s'ils ne peuvent pas revenir ce soir, ils reviendront demain matin. Nous ne risquons rien dans le chalet. Maintenant, nous allons manger quelque chose. » C'était une excellente idée. Nicolas avait toujours faim, et ses plus grands chagrins ne résistaient jamais devant un bonbon ou une barre de chocolat.
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Cette fois encore, le remède fit merveille. L'enfant cessa de pleurer, divisa son chocolat en petits morceaux inégaux et les croqua l'un après l'autre. Son goûter terminé, il avait la bouche barbouillée et les doigts collants. Il fallut le laver, opération qu'il détestait. Cela occupa tout de même une demiheure! Janine chercha sa poupée, l'affubla de chiffons, la fit dormir, puis la promena et la coiffa. Bref, elle oublia elle aussi, pendant un bon moment, l'orage et leur solitude. Lili, derrière la fenêtre, contemplait le spectacle. Les éclairs, beaucoup moins fréquents, n'éblouissaient plus. Le bruit du tonnerre s'était éloigné. La neige avait terminé sa danse folle, la grêle, son crépitement sur les rochers. Il ne restait plus que la pluie qui creusait des ravines là où il n'y avait auparavant que des rigoles. « Peut-être bien qu'il va nous falloir rester
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seuls toute la nuit! se dit Lili. Ce sera bien la première fois que cela m'arrivera. » Pour chasser l'impression de désolation qui régnait dans la cuisine obscurcie, elle alluma la lampe à pétrole, la plaça sur la table derrière les petits carreaux de la fenêtre pour que, de loin, on pût voir la lumière. Puis elle alla s'occuper de Florian, ramena Jimo dans le chalet et lui servit un peu de pain trempé dans du lait. Pendant que le chien buvait, Nicolas lui tira la queue. « Moi aussi, je voudrais manger pour de
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vrai! fit-il en tournant vers Lili des yeux implorants. — Il ne pense qu'à ça! » dit Janine qui, elle, était grondée à chaque repas par sa maman parce qu'elle avait moins d'appétit que son frère. « Eh bien, je trouve que Nicolas a raison, dit Lili. Ça nous fera passer le temps. Je ne crois pas que vos parents pourront revenir ce soir. Le chemin doit être impraticable. » Entendant cela, Nicolas lâcha la queue de Jimo et montra un visage bouleversé par l'inquiétude. Lili eut une inspiration. « Quand nous aurons mangé, dit-elle à Nicolas, tu auras le droit de dormir dans le lit de ton papa. Veux-tu? » La proposition enchanta le petit garçon. Il se mit à danser autour de sa sœur et à la narguer, chantant à tue-tête : « Chic! je coucherai dans le grand lit de papa! »
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Ce soir-là, il fallut beaucoup de patience à Lili, car c'était son premier apprentissage d'aînée. Elle eut, à plusieurs reprises, du mal à apaiser les disputes entre le frère et la sœur. Elle soupira d'aise quand les deux enfants Collin, enfin réconciliés, se couchèrent dans le lit de leurs parents. Nicolas fut le premier à s'endormir. Ses cils épais, brun foncé, s'abaissèrent sur ses joues. « II est vraiment mignon maintenant! constata Lili ravie de le voir calmé. - Oui, quand il dort! » répondit Janine en riant. Lili referma la porte de la chambre, jeta un coup d'œil sur le feu éteint, souffla la lampe à pétrole, donna une caresse à Jimo et passa dans l'écurie. Mais l'écurie était vide, Florian avait disparu!
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CHAPITRE XI Brouillard LE RAYON de la lampe électrique de Lili fouilla sans succès les recoins de l'écurie. « II est tout de même plus gros qu'un chat, il ne peut pas se glisser n'importe où! » monologuait-elle à haute voix. Lorsqu'elle atteignit la porte, elle s'aperçut que celle-ci était entrebâillée. L'espace était
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suffisant pour laisser passer un ânon de la taille de Florian. Elle sortit à son tour. Il ne pleuvait plus. L'orage terminé, la terre avait gardé une humidité chaude. Un brouillard s'en élevait comme une fumée. Toute la montagne disparaissait sous une brume laiteuse. On n'y voyait pas à deux mètres. Impressionnée par les vapeurs qui montaient du sol, s'évanouissaient quelques secondes et se reformaient plus épaisses, la petite fille osait à peine faire quelques pas, de peur de s'égarer ou de tomber. « Florian! » appela-t-elle d'une voix angoissée, tandis que l'herbe mouillait ses jambes nues. Le mur flottant de la brunie avançait en même temps qu'elle et augmentait le sentiment d'insécurité qu'elle éprouvait. « Florian! » criait la pauvre petite, incapable
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de se diriger dans cet univers fantastique, qui ne rappelait en rien la belle alpe ensoleillée, sans ombre et sans mystère. « S'il est allé jusqu'aux rochers, il va se blesser », pensa-t-elle. Elle appela de nouveau : « Florian! » Sa voix ne portait pas. Elle semblait se dissoudre dans le silence cotonneux. Lili tournait en rond, cherchant une issue dans la prison blanche où elle était enfermée. Torturée à l'idée que Florian s'était égaré et qu'il était peut-être perdu pour toujours, épuisée par toutes les émotions du jour, elle ne put retenir ses larmes. Seule à deux mille mètres avec deux enfants craintifs qui comptaient sur elle, il y avait de quoi troubler une petite fille de son âge. Tout à coup, elle sursauta. On venait de la toucher à la jambe gauche. A son grand soulagement, elle vit, à la
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lueur de sa lampe électrique, qu'il s'agissait de Jimo. Le chien l'avait suivie en silence et, maintenant, il manifestait sa présence en lui donnant un bon coup de langue. Elle se baissa et le caressa. « Cherche Florian! » lui dit-elle d'un ton pressant. Jimo ne se le fit pas dire deux fois. Il partit, le nez à ras du sol. Peu après, il aboya avec vigueur. Les aboiements se rapprochèrent bientôt. En même temps, on entendait une sorte de « tic-tac », régulier comme les battements d'une horloge. « Ce sont des pas! murmura Lili. C'est peut-être Florian? » Reprenant espoir, elle se remit à appeler. Un « hi-han » sonore lui répondit. Puis une tête velue et toute humide de brouillard se glissa sous le bras qu'elle levait en tenant sa torche. « Vilain... vilain! dit-elle toute heureuse.
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Comme tu m'as fait peur! Où es-tu allé rôder?» L'ânon ne pouvait pas révéler que la porte laissée ouverte l'avait tenté et qu'un esprit d'aventure avait soufflé dans sa tête! Au fond, il était, lui aussi, bien content d'avoir retrouvé sa petite amie, et il accepta même d'être flairé par le chien, sans manifester la moindre mauvaise humeur. « Eh bien, rentrons maintenant! Vous deux, vous me montrerez le chemin. Je ne sais plus où nous sommes. » Se confiant aux deux bêtes qui, pourtant,
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prenaient une direction opposée à celle qu'elle croyait la bonne, Lili les suivit, une main sur le garrot de l'ânon. Il lui fallut bientôt se rendre à l'évidence. « Si j'étais rentrée seule, se dit-elle, j'aurais tourné le dos au chalet! » Bientôt, elle vit se dessiner vaguement, à travers les nuages, des contours qui, peu à peu, se précisaient. Plus elle s'en rapprochait, plus elle reconnaissait la silhouette du chalet Collin avec son étable à quelque distance et les sapins où s'abritait la source. Enfin, les doigts glacés de Lili touchèrent le mur de l'écurie. Elle entra derrière Florian et le chien et, cette fois, elle referma la porte avec soin. Ce fut avec un profond plaisir qu'elle se sentit de nouveau à l'abri. Après son équipée, l'ânon était tout mouillé. Se rappelant les conseils que lui avait donnés Jean l'année précédente, la petite fille fit un gros tampon de paille bien serrée et, tenant la lampe dans sa main
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gauche, elle bouchonna Florian en le frottant du mieux qu'elle put. Il se laissait faire avec complaisance, se tournant quand elle ordonnait : « Tourne-toi ». S'il avait su ronronner comme un chat, peut-être eût-il essayé de prouver ainsi sa satisfaction. Après une dernière tape amicale, Lili lui dit: « Maintenant, cela suffit! » Le chien s'était déjà couché sur un sac et, lorsqu'elle passa près de lui, il releva la tête. La petite fille comprit ce qu'il attendait d'elle. Il voulait être caressé, lui aussi. Elle le flatta de la main et lui donna un morceau de sucre. Elle alla encore dans la chambre où dormaient les enfants pour s'assurer si tout était en ordre. Janine et Nicolas n'avaient pas bougé. Leurs cheveux se collaient sur les fronts moites. Lili replaça l'édredon qui avait glissé et sortit sur la pointe des pieds. Elle souriait en pensant :
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« Me voilà soigneuse d'âne, gardienne de troupeau et mère de deux enfants! Enfin, heureusement que demain matin tout cela sera fini! » Elle remonta au grenier, s'endormit sur cette pensée réconfortante. Au cours de la nuit, le brouillard se dissipa. Quand l'aube parut, le soleil chassa les dernières écharpes de brume. Un nouveau jour, clair et chaud, commençait, et la lumière révéla les terribles dégâts de l'orage. Lili dormait. Elle était loin de se douter de ce qui l'attendait!
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CHAPITRE XII A dos d'âne A PRÈS une journée aussi fatigante que celle de la veille, les enfants dormaient à poings fermés. Les vaches pouvaient bien secouer leurs cloches à qui mieux mieux, rien n'y faisait. Un veau beuglait de toutes ses forces, pressé d'aller à l'alpage. Florian trouvait ce vacarme insupportable. Agacé, il éleva la voix à son tour. 131
Et quelle voix! Retentissante, claironnante, elle valait au moins celle d'une douzaine de coqs. Nicolas l'entendit le premier. Il se réveilla et s'étonna d'être couché dans le lit de ses parents. Puis, aussitôt, il se souvint de tout : les chamois tués, le départ de son papa et de sa maman, l'orage. En même temps que la mémoire, l'appétit lui revenait. Il avait faim, et sa sœur ne bougeait pas plus qu'une marmotte au fond de son terrier. Il la secoua, lui hurla son nom aux oreilles : « Janine! Janine! » La petite fille écarquilla les yeux, les frotta, bâilla, s'étira et enfin, encore toute ensommeillée, se redressa. « Qu'est-ce qu'il y a? fit-elle. Comme tu cries! — Je veux mon lait! » dit le petit garçon en sautant sur le plancher. Janine se leva à son tour, courut à la fenêtre, écarta les rideaux.
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« II fait beau! s'écria-t-elle joyeusement. Regarde, le ciel est tout bleu. Maintenant papa et maman vont pouvoir remonter. Dépêchonsnous de nous habiller. » Lili entendait le bavardage des deux enfants. Mais elle ne se pressait pas de descendre les rejoindre. Appuyée au rebord de la lucarne, elle ne pouvait s'arracher au spectacle qui s'offrait à sa vue. Son joli petit visage exprimait une stupeur attristée. Ce qu'elle voyait? Oh! non... elle n'osait le révéler aux petits Collin. Que leur dire pour expliquer ces choses?... Quand elle fut habillée, elle descendit se laver à la fontaine.et se coiffa rapidement. Puis elle entra dans la cuisine. Nicolas s'élança vers elle. « Tu nous fais notre déjeuner? demanda-til. - Oui, tout de suite. » Les deux plus jeunes s'affairèrent aussitôt. Du papier, du petit bois furent apportés,
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et Lili alluma le feu. Elle avait vu si souvent sa maman faire le feu, dans leur petite maison des Vosges, qu'elle retrouvait instinctivement les gestes qu'il fallait. Bientôt, le lait fut chaud. Lili fit des tartines de beurre et de miel, et chacun mangea de bon appétit. Nicolas bavardait, la bouche pleine. « Dis, quand ils reviendront, mon papa et ma maman, ils seront contents de voir que les vaches sont toutes rentrées! Pourquoi crientelles si fort? — Parce qu'il faudrait les traire et les mener au pâturage, répondit Janine. Tu sais traire, toi? » fit le petit à l'adresse de Lili. Elle secoua la tête. « Ce n'est pas difficile, expliqua-t-il avec de grands gestes. On tire, on tire, et puis le lait vient! » Janine le contredit avec vivacité : « Si, c'est difficile. Papa me l'a dit. Je n'essaierai que quand je serai plus grande. »
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Lili écoutait à peine. Elle avait un grave souci... Le frère et la sœur poursuivirent leur discussion qui dégénéra en querelle. Mais, le silence de Lili continuant, ils finirent par s'en apercevoir et par en être troublés. « Pourquoi ne dis-tu rien? » s'enquit Janine. Lili les regarda l'un après l'autre avant de répondre n'importe quoi. « Je vais m'occuper de Florian et de Jimo.» Les enfants la suivirent pendant qu'elle apportait au chien un peu de soupe réchauffée et du foin à l'âne. Après cela, elle prit une décision. « Maintenant, venez avec moi. Je veux vous montrer quelque chose. » Etonnés, ils voulurent lui poser des questions. Mais, sans leur répondre, elle les entraîna vers un des rochers plats, entre lesquels poussaient de minuscules fleurs rosés. L'accès de ce rocher était facile. La plateforme était un endroit idéal pour observer
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ce qui se passait dans la vallée. Nicolas et Janine grimpèrent sur la roche moussue et interrogèrent Lili du regard. Elle se contenta d'étendre le bras et de dire : « Regardez! » Ils regardèrent... Nicolas eut beau écarquiller les yeux, il ne remarquait rien. Janine découvrit bientôt ce que voulait leur montrer Lili. Elle cria : « Là-bas... le pont... Il n'y a plus de pont! Il a disparu. La montagne est tombée dessus. Et le chemin? Il a disparu, lui aussi! Maman ne pourra pas revenir chez nous! » Ayant dit ces mots, Janine éclata en sanglots. Nicolas n'avait compris que la dernière phrase de sa sœur. Il se mit aussitôt à sangloter lui aussi. Lili sentit sa patience l'abandonner. Pourtant elle essaya encore de calmer les deux enfants et de les consoler. Mais ils refusaient de l'écouter, préféraient gémir :
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« Maman... papa... Nous sommes tout seuls. Personne ne peut plus passer. » Cette fois, Lili se fâcha : « Avez-vous fini de hurler comme ça? Si vous croyez que c'est joli. Et puis, à quoi cela nous avance-t-il? A rien du tout! » Maintenant, elle criait plus fort qu'eux! Les lamentations cessèrent comme par enchantement. Nicolas, les yeux grands ouverts, regardait Lili. Il ne l'avait jamais vue en colère. Il en était suffoqué. « Eh bien... eh bien..., fit-il simplement. — C'est idiot! reprit-elle, exaspérée. Vous pleurez au lieu de réfléchir à ce que nous allons faire. Vous voyez bien que la route est coupée à cause d'un éboulement. Un éboulement? demanda Janine qui ne savait ce que voulait dire ce mot. - C'est la pluie qui a tout emporté, expliqua Lili. Je pense qu'on réparera le pont dès que la terre sera déblayée par une machine spéciale, comme on en voit sur les routes.
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Tu crois? — Mais oui. - On n'a plus de pain! se plaignit Nicolas d'une voix lamentable. — Il en reste encore un peu, assura Lili avec fermeté. Nous le partagerons en petits morceaux. Il y a des œufs, du fromage, du beurre, du sucre. Nous ne mourrons certainement pas de faim. — Tu crois? » fit Janine incrédule. Lili ne répondit pas tout de suite. Elle continuait d'observer le fond de la vallée. Quand elle parla, sa voix n'était plus irritée comme tout à l'heure. « Je vois beaucoup de gens qui sont arrêtés près du torrent, dit-elle. Des ouvriers ont amené des camions. Les travaux vont certainement commencer. Nous n'aurons peutêtre pas trop longtemps à attendre. » Un soupir s'échappa de la poitrine des enfants Collin. Lili haussa les épaules. Ce matin-là, elle n'avait pas du tout d'indulgence.
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« Ce n'est pas le moment de gémir! ditelle. Il y a des choses beaucoup plus importantes. Tu as dit, Janine, qu'il fallait traire les vaches, n'est-ce pas? - Oui, dit Janine. Si on ne le fait pas, elles attrapent la fièvre et elles meurent. - Mais qui pourrait les traire? Ni toi, ni moi, encore moins Nicolas! Alors? » Janine montra le bizarre sentier de pierraille derrière le chalet. « Si on pouvait monter jusque-là..., commença-t-elle hésitante. - Où? De l'autre côté de la montagne, habite Pierre le vacher. Il est gentil. S'il savait qu'on a besoin de lui, il viendrait sûrement. Eh bien, je vais aller le chercher! décida Lili qui sauta du rocher sur l'alpe. Tu ne pourras pas. C'est très dangereux par là. Viens voir! » Ils coururent tous trois jusqu'au pied même du sentier qui semblait grimper à
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l'assaut de la montagne au travers d'un chaos de pierres. « En effet! dit Lili avec une moue. Je ne suis pas une chèvre, ni un chamois, ni un guide comme mon ami Jean! » « Mais, moi, je suis là! » sembla répondre Florian qui venait à la rencontre des enfants. Lili le contempla avec des yeux surpris, comme si elle le voyait pour la première fois. « Je ne pensais pas à lui! dit-elle soudain. Si je ne peux pas monter là-haut toute seule, il m'y conduira. Oui, oui, Florian est capable de marcher dans ces rochers. Pas de danger qu'il glisse ou tombe. Florian, viens ici! » L'ânon accourut avec cette expression aimable qu'il avait toujours dans le regard, quand il voyait celle qui l'avait sauvé. Elle lui demanda : « Veux-tu m'emporter sur ton dos? Je ne suis pas trop lourde, tu sais! »
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Puis elle se tourna vers le frère et la sœur, et leur recommanda : « Rentrez au chalet et attendez-moi. Toi, Nicolas, ne touche pas au feu. Surveille-le, Janine! Voici Jimo, il vous gardera. Ne vous occupez pas du troupeau avant mon retour. » Nicolas voulait bien être sage. Quand Janine lui eut encore donné quelques détails sur le chemin à suivre, Lili monta sur le dos de Florian et l'encouragea de la voix : « Va! Va! » Et il alla, le petit âne! Il se moquait des difficultés du sentier, de l'escarpement, des pierres et même des blocs rocheux qu'il contournait avec aisance. D'un pas régulier et sûr, il s'élevait audessus de l'alpe et s'éloignait du chalet qui devenait de plus en plus petit aux yeux de Lili. Le paysage était si beau que la mauvaise impression du matin s'effaça, et que la
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petite fille oublia, pour quelques instants, tout ce qui venait de se passer. Un ruisseau, se faufilant entre les pierres, dégringolait à l'allure d'un torrent et l'eau en était blanche et brillante. Les cimes se découpaient nettement dans le bleu du ciel. Comme le chemin tournait, Lili ne vit bientôt plus le chalet des Trois-Rochers. Elle leva la tête. Sur la droite, un large espace épargné par la rocaille laissait pousser une herbe abondante. C'était l'alpe supérieure. Un troupeau de vaches y ruminait.
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Tout près d'elles, s'élevait une masure faite de pierres grossièrement posées les unes sur les autres. Un homme était assis devant, sur un banc de bois, surveillant son troupeau et fumant une longue pipe noire. Ce devait être Pierre, le vacher. Peu après, Lili mit pied à terre et salua l'homme, dont le visage était presque entièrement couvert d'une barbe qui descendait sur sa poitrine. Il tourna ses yeux bleus vers la nouvelle venue. Quand il vit cette petite fille à l'expression intimidée, il lui sourit avec bonté. « Je suis très flatté, dit-il, de recevoir une aussi aimable visiteuse. Surtout que chez moi, il n'en vient pas souvent. Tu te promènes? - Non... Si... enfin, je viens du chalet Collin. - Et tu as une commission à me faire? — Oui. Est-ce que vous pourriez descendre tout de suite? - Pourquoi?
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- M. et Mme Collin sont allés à Dantières hier matin. Ils n'ont pu remonter, le pont est détruit. - Je sais. L'orage a été méchant. Tu es venue me chercher à cause des vaches d'Antoine, n'est-ce pas? - Oui. Elles sont enfermées dans l'étable... - Et elles font de la musique! » De nouveau, Pierre le vacher eut un large sourire. Il se leva, tira une bouffée de sa pipe et ajouta : « Pauvres bêtes, elles n'aiment pas ça! Tu as bien fait de grimper jusqu'ici. Je vais descendre. Va, tu peux te remettre en route. Je serai en bas avant toi! » II caressa Florian et conseilla encore à Lili: « Fais attention. Tiens-toi bien. La pente est raide. A tout à l'heure! » Lili reprit la direction du chalet. C'était vrai que le versant vu d'en haut paraissait dangereux. Mais l'ânon l'aborda avec tant
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d'assurance que toute inquiétude abandonna la petite fille. Elle se laissa bercer par l'allure tranquille de Florian. Quand elle parvint en vue du chalet, elle aperçut le vacher qui, à grands pas, coupant au travers des éboulis, rejoignait, lui aussi, la demeure des Collin. Une heure après l'arrivée de Pierre, les vaches, ayant été traites, reprenaient le chemin de l'alpage, accompagnées de Jimo, au son joyeux des cloches. Le vacher donna quelques conseils aux enfants et distribua à chacun une tâche. Aussitôt, comme trois fourmis laborieuses, on les vit courir à la laiterie, retourner les fromages pour les faire égoutter, trotter à la cuisine et y éplucher des légumes, s'affairer près du fourneau, recueillir la crème pour le repas, préparer la labié. Pierre promit de revenir le soir. Puis il s'en alla, laissant, après son passage, tout le monde réconforté.
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Lili disait : « Comme il est gentil! Tout le contraire de Martial! assura Janine. Papa l'aime bien. - Moi aussi! déclara Nicolas. Quand je serai grand, j'aurai une barbe comme lui. » L'image d'un Nicolas barbu fit rire les deux filles, et la matinée se termina mieux qu'elle n'avait commencé. Pendant l'après-midi, les trois enfants jouèrent avec Florian qui les promena sur son dos à tour de rôle. Quand Pierre revint pour s'occuper des vaches, il trouva le trio s'amusant gentiment, l'aînée apprenant à ses compagnons des jeux qu'ils ne connaissaient pas. Le vacher repartit dès qu'il eut fini de traire, et les trois enfants allèrent au rocher plat pour voir où en étaient les travaux. Lili constata tout de suite : « Les ouvriers ont déblayé le lit du torrent. Cette grosse machine jaune que vous voyez a déjà fait beaucoup de travail. »
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Nicolas ouvrait, sans doute pour mieux voir, la bouche aussi grande que les yeux. Il s'écria : « Ils ont fait du feu! Ça brûle! — Je sais pourquoi! expliqua Janine. Papa m'a raconté une fois que, lorsqu'on veut savoir dans la vallée ce qui se passe dans la montagne, on allume un feu. Ceux qui sont en haut doivent en allumer un aussi pour prouver que tout va bien pour eux. Alors, dépêchons-nous de les tranquilliser! » conclut Lili en courant vers le chalet. Peu après, sur le rocher plat, une flamme s'éleva, entretenue par six petites mains agitées. Les enfants bavardaient fiévreusement. « Encore des brindilles! - Mets vite ce gros papier! - Maintenant, des bûchettes! - Janine, attention à ta robe! - Comme la flamme est haute! - Qu'elle est belle! »
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Nicolas, son petit visage rosi par la flamme, fourgonnait avec un bâton, dans le brasier, pour l'activer. La flamme rouge et jaune fut aperçue par la population de Dantières. Aussitôt, les enfants entendirent très nettement les cris de joie que tout le monde poussait dans la vallée. Ils se sourirent, heureux d'avoir établi une communication avec le village. Lili décida : « Maintenant que cela va mieux, nous pouvons laisser s'éteindre notre feu. »
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Mais Nicolas n'était pas de cet avis. « Non! Non! Je veux rester ici. C'est beau, le feu! - Nous ne pouvons pas passer la nuit dehors, insista Lili. Il faut rentrer. Tu vois bien que, maintenant, il commence à faire sombre.» II courut sur la plate-forme rocheuse au risque de tomber et de se blesser. Sa sœur le rattrapa et le gronda : « Si tu ne viens pas, nous partirons sans toi. Tu n'es pas ma maman! riposta le petit garçon, en s'arrachant à la main de Janine. Tu peux t'en aller, et Lili aussi! - Eh bien, on s'en va! » Les deux filles mirent leur menace à exécution. Elles éteignirent le feu, dispersèrent les cendres, sautèrent dans l'herbe où Florian les attendait patiemment. Quand le petit garçon vit qu'elles ne faisaient pas attention à lui, il se lança au galop derrière elles.
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Arrivé au chalet, il menaça Janine. « Je le dirai à maman! - Moi aussi, j'aurai quelque chose à lui dire! » fit sa sœur, la mine pincée. Lili, avec un rire moqueur, arrêta la querelle. « Vous me faites penser aux deux chèvres de ma tante Juliette! Venez vite au lit. Il faudra se lever de bonne heure pour tout ranger. Quand votre maman rentrera, elle sera contente de vous! » Lili avait gagné. Dociles, comme l'ânon, le frère et la sœur se couchèrent. « Quelle journée! soupira Lili, en s'étirant sur son lit de foin. Pourvu que je ne sois pas encore toute seule demain... »
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CHAPITRE
XIII
Une visite LE SOLEIL réchauffa les gros blocs rocheux où se cachaient les marmottes. Elles sortiront de leurs trous et se promenèrent dans la lumière. Les oiseaux reprirent leur dialogue interrompu par la nuit. Les enfants s'éclaboussèrent d'eau fraîche . 1 la fontaine. Puis ils coururent au rocher
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plat d'où ils virent que les ouvriers étaient en train de construire un pont provisoire. Ensuite, Pierre, le vacher, revint comme la veille prendre soin du troupeau, et les deux petites filles firent égoutter les fromages. Le temps passa vite. Lili avait décidé de préparer une omelette pour le repas de midi. Elle chantonnait en battant les œufs dans une assiette. Florian avait passé sa bonne tête par la fenêtre ouverte et il observait avec beaucoup d'intérêt la jeune cuisinière improvisée. Maintenant, Lili hachait menu les brins de ciboulette, prenant bien soin de ne pas se couper en même temps le bout des doigts Lorsqu'un appel joyeux retentit derrière elle, elle se retourna, lâchant le hachoir qui tomba sur le plancher. Dans l'embrasure de la porte se tenait Jean, un sourire épanoui sur son visage. « Jean! s'écria Lili, ravie, en accourant vers lui. — Salut! dit-il.
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- D'où viens-tu? Par où es-tu passé? — Devine? Tu n'as pourtant pas pu voler au-dessus du torrent! — Ça, non! - Alors? - J'ai pris le chemin des écoliers. Ou, si tu préfères, j'ai suivi le sentier des crêtes. - Ce n'est pas possible! - Mais si. Je suis venu de là-haut... » II lui montra du doigt la route qu'il avait suivie de sommet en sommet : « Ah! tu peux me croire, c'est un drôle de chemin! Je ne voudrais pas t'y voir. Pourtant, c'est très beau. On ne peut pas s'imaginer cela quand on est ici ou en bas dans la vallée. - C'était imprudent! dit Lili. - Il fallait bien risquer quelque chose pour savoir ce que vous deveniez, vous trois. Tout le monde se tourmente à cause de vous. Quant à ta tante, elle pense bien à loi, Lili, et à tout ce qui pourrait t'arriver!
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Moi, je serais venu ici tout de suite. Mais j'étais en montagne avec Louis et deux clients.» Lili buvait les paroles de son ami. Janine et Nicolas, attirés par le bruit, arrivèrent en courant, s'accrochèrent à Jean et l'accablèrent de questions : « Tu as vu maman? — Est-ce que papa n'ira pas en prison? — Tu restes avec nous? » Amusé, Jean se débattit pour faire lâcher prise aux petites mains qui le paralysaient. « Si vous parlez tous à la fois, dit-il, on ne s'entendra plus! » Ils se turent aussitôt. « Voilà les nouvelles, reprit Jean. Le pont provisoire doit être achevé dans la soirée, vos parents vont bien. Ils vous font dire d'être sages et d'obéir à Lili qui est la plus grande de vous trois. Pour la prison, pas besoin de vous faire de souci. Tout va s'arranger grâce au gendarme qui a interrogé Martial longuement. Celui-ci a tout avoué.
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C'est bien lui qui a tué les chamois et qui les a traînés jusqu'ici. C'est donc lui qui sera puni. Oncle Antoine pourra sûrement rentrer chez lui demain matin. Et, maintenant que vous savez tout, laissez Lili faire son omelette. Je meurs de faim! - Moi aussi! » cria Nicolas de sa voix aiguë. Lili surveilla de si près la cuisson de son omelette, que lorsqu'elle vint s'asseoir à sa place, ses joues étaient en feu. Jean l'observa, tandis qu'elle déposait le plat au milieu de la table, et il remarqua d'un air malicieux : « Tu as la figure aussi rouge qu'un coquelicot. Tu me fais penser à la grosse cuisinière du Grand-Hôtel! - Si tu crois que c'est facile de faire la cuisine quand on n'a pas l'habitude! » Jean ajouta en riant : « C'est justement comme cela que c'est amusant. Tu te rappelleras sûrement avec plaisir tes débuts de ménagère, lorsque tu
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seras de nouveau à l'école après les vacances! — En tout cas, je ne les oublierai pas! » conclut Lili. Le menu se composait d'une soupe qui fut déclarée « excellente »; puis de l'omelette que l'on trouva « succulente ». Cette fois, la jeune apprentie cuisinière rougit de satisfaction. Les compliments de Jean lui faisaient, certes, plaisir, mais la rapidité avec laquelle Nicolas faisait disparaître les bouchées valait, à elle seule, toutes les félicitations du monde. « Et maintenant, pour clore un si bon repas, déclara Jean, je vous annonce que je vous ai apporté un dessert. » Janine et Nicolas se bousculèrent pour mieux voir ce que leur cousin sortait de son sac. « Montre! Qu'est-ce que c'est? — Du chocolat, des bonbons, des sucettes! » dit Jean. C'était vrai. Il y avait maintenant tout un
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choix de bonnes choses sur la table. Les enfants se régalèrent et, pour prouver à Florian qu'ils ne l'oubliaient pas, ils lui donnèrent de grosses carottes que Jean avait eu l'idée d'apporter. Une heure après le repas, Jean replaça son sac sur son dos, accrocha la sangle dans la boucle de côté et dit : « II faut que je parte. On m'attend à Dantières. Tous les gens veulent savoir comment une petite fille, prénommée Lili, arrive à se débrouiller avec deux enfants, un âne, un troupeau de vaches, un chien, etc. — Tu leur diras que tout va bien, dit Lili, et que les enfants,. l'âne, le troupeau, le chien sont très obéissants et que, dans six mois, je serai capable de faire la cuisine dans n'importe quel hôtel de Dantières! » Ils éclatèrent de rire. Puis Lili demanda encore à Jean : « Tu reprends le même chemin? — A peu près. Au revoir et à bientôt! »
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On le regarda s'éloigner avec un petit serrement de cœur. Jean chantait en marchant. La brise apportait le son de sa voix aux trois enfants qui le suivaient des yeux. Ils le virent franchir un ruisseau, enjamber des troncs de sapins abattus, dépasser un éperon rocheux et disparaître derrière des rochers gris striés de vert. Un peu plus tard, ils l'aperçurent sur une crête dénudée, et sa silhouette devint si menue qu'elle ne fut bientôt plus qu'un trait noir se détachant sur le ciel. Nicolas se tourna vers sa sœur. Elle avait l'air aussi désolée que lui. Lili s'en rendit compte rapidement et, prenant le petit garçon par la main, elle l'entraîna vers Florian. Celui-ci se roulait joyeusement dans l'herbe. Les quatre fers en l'air, il se tournait tantôt à droite, tantôt à gauche. Nicolas voulut l'imiter. Il se jeta par terre et, comme Fanon, se mit à rouler sur le moelleux tapis.
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Quand il fut las de ce jeu, Florian sauta sur ses sabots et s'élança vers les sapins. Les trois enfants le poursuivirent en poussant des cris. Mais chaque fois qu'ils allaient l'atteindre, il leur échappait et courait plus loin. Nicolas parvint à le saisir par la queue, mais il dut bientôt lâcher prise. Et la course reprit. Quand le soir vint une nouvelle fois, le trio avait tellement ri et joué, que l'après-midi s'était écoulé rapidement. Les enfants, fatigués, tombaient de sommeil. « Tant mieux! » se dit Lili, qui aurait bien voulu dormir en paix. On n'entendait plus que le chant incessant des grillons, cachés dans les hautes herbes des alpages.
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CHAPITRE XIV Sauvetage Lili crut rêver lorsqu'elle entendit, dans son sommeil, des coups frappés à la porte du chalet. Elle se retourna dans son lit, se recroquevilla sous la couverture et s'enfonça plus profondément dans le foin pour mieux se rendormir. Mais les coups redoublaient et devenaient plus rapides. 160
Alors, Lili se réveilla enfin. Il faisait encore nuit. Le cœur battant, elle s'assit et essaya de se raisonner. « C'est peut-être Pierre... Il a dû se tromper d'heure... Je vais lui parler par la lucarne... » En même temps, elle se demandait avec angoisse. « Et si c'était Martial! » Elle avait peur. En bas, Florian s'agitait et le chien grognait. Elle se glissa avec précaution jusqu'à la lucarne, se pencha doucement à l'extérieur. La clarté d'une lampe jaune dessinait un rond sur le sol. Le cœur de la petite fille battait si fort qu'elle entendit à peine la voix qui appelait : « Lili! Réveille-toi! » Toutes ses craintes se dissipèrent. Elle venait de reconnaître la voix de M. Collin! Puis, au moment où elle comprenait enfin
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qu'il n'y avait aucun danger au-dehors, elle entendit Mme Collin qui disait : « Voyons, Lili, viens nous ouvrir! - Oui, oui », cria la petite fille, qui éprouvait une sensation merveilleuse de soulagement. Il ne lui fallut pas plus d'une minute pour dégringoler, en pyjama, l'échelle de bois, traverser la grange et la cuisine, et courir à la porte d'entrée, dont elle se hâta de tourner la clef. M. et Mme Collin lui tendirent les bras. Puis ils pénétrèrent dans le chalet. La lampe à pétrole allumée, ils regardèrent Lili avec une expression affectueuse. « Le pont provisoire est terminé, annonça Antoine. Comme nous pouvions passer, tu penses bien que nous n'avons pas voulu attendre jusqu'au matin. - Oh! je comprends! Il paraît que tu t'es débrouillée comme une grande fille! continua-t-il. — J'étais bien contente de te savoir au
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chalet avec les petits, dit Mme Collin. Sans toi, qui sait les bêtises qu'ils auraient inventées! - Jean nous a raconté, tout à l'heure, que tu savais même cuisiner! » Lili précisa avec un petit rire : « Oh! je ne sais pas faire grand-chose. Les repas se composaient tous de soupe, d'œufs et de fromage! - Cela suffit pour ne pas mourir de faim. » Mme Collin jeta un coup d'œil dans la chambre à coucher et vit ses enfants endormis. « Mais... Janine et Nicolas dorment dans notre lit! - Oui, expliqua Lili. Le premier soir, Nicolas était si triste que, pour le consoler, je lui ai permis de coucher dans votre chambre. Tu as bien fait. Mais toi alors, tu restais toute seule dans le grenier? — Bien sûr.
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— Tu n'avais pas peur? - J'ai eu un peu peur tout à l'heure, quand j'ai entendu les coups contre la porte. J'ai cru que c'était Martial qui venait encore se venger. - Oh! celui-là! grommela Antoine. Il a disparu de Dantières, mais il n'ira pas loin. On le recherche partout. » Après avoir été chaudement remerciée pour tout ce qu'elle avait fait, Lili remonta se coucher, l'âme tranquille cette fois. Mais cette nuit-là ne devait pas être comme les autres... L'aube naissait à peine, dévoilant un à un les pics découpés, lorsque Lili s'imagina entendre Jean l'appeler du haut d'une falaise rocheuse. De nouveau, elle tendit l'oreille, un peu effrayée. Rêvait-elle? Mais non, elle ne se trompait pas : c'était bien la voix de Jean. Sans hésiter, elle retourna à la lucarne et demanda :
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Puis elle courut ouvrir à Jean.
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« C'est toi, Jean? - Oui, c'est moi. Ne te dérange pas, je suis en bas. J'appelle Antoine. Il n'a pas l'air de s'éveiller facilement. Veux-tu que je descende tout de même? » demanda la petite fille, curieuse d'apprendre ce qui amenait Jean au chalet à une heure aussi matinale. « Si tu veux! » Lili rassembla ses vêtements dans l'ombre du grenier et les enfila en toute hâte. Elle alla frapper à la porte d'Antoine qui répondit : « Oui, j'ai entendu, j'arrive! » Puis elle courut ouvrir à Jean. Il n'était pas seul. Un inconnu l'accompagnait. Jean serra la main de Lili. Antoine apparut à son tour. Il dit à Jean sur un ton jovial : « C'est à cette heure-ci que tu nous déranges maintenant? » Puis, apercevant l'inconnu, il murmura : « Oh! excusez-moi! »
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Jean s'avança vers son oncle et lui présenta le nouveau venu. « Voici M, Davis. » Celui-ci semblait très nerveux. Il parla avec agitation : « II vient de m'arriver une terrible mésaventure. Nous nous trouvions hier dans le massif de Derrières, ma nièce Véronique et moi. Comme elle était très fatiguée, j'ai préféré que nous nous arrêtions au refuge pour y passer la nuit. Ce matin, de bonne heure, nous nous sommes préparés, décidés à redescendre vers la vallée au plus tôt. Pendant que je m'occupais de nos sacs, Véronique m'a dit qu'elle allait voir dehors le temps qu'il faisait. Quand je suis sorti à mon tour du chalet, j'ai cherché ma nièce. Je l'ai appelée, croyant qu'elle se trouvait derrière le refuge. Elle n'y était pas. Elle avait disparu! - Ce n'est pas possible, on ne disparaît pas comme ça, voyons! fit Antoine. — C'est pourtant ainsi, monsieur! Ma
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nièce savait quel sentier je voulais prendre. Elle devait donc s'y trouver. Eh bien, ce sentier était désert. J'ai crié, appelé le plus fort que j'ai pu. Pas de réponse. J'ai fait le tour du refuge. Toujours en vain! Votre nièce est peut-être tombée? - C'est ce que j'ai pensé. Mais comment m'en rendre compte? L'endroit est escarpé. Bien sûr, elle peut avoir glissé. L'herbe est si humide le matin... » M. Davis passa une main dans ses cheveux pour les rejeter en arrière. « Que faire? reprit-il. J'ai rencontré votre neveu, non loin d'ici. Il m'a conseillé de venir vous chercher. Il a bien fait. Nous allons nous mettre tout de suite en route. - Je vous accompagne aussi! » déclara Lili d'une voix décidée. M. Davis jeta un coup d'œil à la petite fille, « Je ne crois pas que tu nous sois bien utile! dit-il avec une moue.
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- On ne sait jamais! fit Jean. C'est grâce à elle que l'année dernière j'ai pu être ramené à temps dans la vallée après mon accident. - Alors, partons! coupa son oncle. Chaque minute perdue peut être fatale. Hâtons-nous! » Lili chaussa ses souliers de montagne et enfila son anorak. Nicolas accourut, les yeux gonflés de sommeil. « Où vas-tu? demanda-t-il. Avec ton papa et Jean faire une promenade, répondit Lili. Tu ne m'emmènes pas? - Non. Une autre fois, tu viendras avec nous. - Alors, je vais aller jouer avec Florian. C'est ça, va le retrouver. — Il n'est plus là! » Personne ne lui répondit. Ce n'était pas le moment de penser à l'ânon. Il y avait des choses plus pressées. Antoine, M. Davis, Jean et Lili commençaient à monter le dur sentier
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qui, à travers les éboulis, menait au massif de Derrières. Les dernières ombres de la nuit s'évanouissaient. Les cimes étaient bordées d'un ourlet de soleil qui allait bientôt s'élargir et envahir tout le ciel. L'eau qui ruisselait dans la pierraille s'argentait et devenait étincelante. Dans la vallée, s'étaient réfugiées quelques vapeurs blanches qui, dès les premières flèches de soleil, s'évanouirent. Jean guidait Lili avec soin. « Attention. Va doucement... Par ici! Viens plutôt de ce côté! » M. Davis et Antoine suivaient à quelques pas et ne parlaient guère. Ils étudiaient attentivement avec leurs jumelles chaque anfractuosité lointaine de rocher. Ils débouchèrent sur un versant où les rhododendrons abondaient, ainsi que de toutes petites pensées jaunes qui gardaient encore, en leur cœur, une goutte de rosée. « Tout a été facile jusqu'ici! constata Lili, dont les joues étaient empourprées.
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— Oui, jusqu'ici, dit Jean. Mais ne monte pas si vite. Tu vas t'essouffler. Regarde ce sentier abrupt qui grimpe jusqu'à la limite de la neige. C'est celui-là que nous allons suivre. » La neige, là-haut, était d'un blanc terni par le voisinage de la terre. Elle s'effritait sur les bords. Le soleil en faisait fondre des plaques entières déjà amincies par la chaleur des jours précédents. Des dizaines de ruisselets couraient entre les rocs, agiles comme des serpents. Les marcheurs s'immobilisèrent, observant la montagne, ses replis, ses aspérités, scrutant chaque paroi, cherchant à découvrir la jeune fille disparue. « Nous étions au refuge qu'on voit là-bas à gauche, expliqua M. Davis d'une voix tremblante. Elle a pu tomber le long de cette coulée de pierre. Que faire? que dirai-je à son père, à sa mère, quand ils me demanderont ce qu'est devenue leur fille? »
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Antoine Collin posa une main sur le bras du pauvre homme. « Nous la retrouverons, dit-il. Ne vous découragez pas! Nous avons, par chance, un temps superbe et une visibilité parfaite. Venez!» Ils reprirent l'ascension. Cette partie de l'escalade était beaucoup plus fatigante que la première. Lili respirait par saccades et n'avançait que très lentement. Toutes les cinq minutes environ, on faisait halte, et chacun appelait : « Véronique! » Puis on repartait. Maintenant, la neige apparaissait coupée de failles d'un bleu-vert étrange. Le vent devint plus vif. Malgré le soleil, il faisait froid à cette altitude. Lili s'arrêta pour reprendre haleine. Tout à coup, de sa bouche s'échappa un cri léger. On la regarda avec étonnement. Incapable de parler, elle montrait du doigt quelque chose...
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Nicolas avait décidé de jouer avec Florian et, sans même attendre d'être habillé, il s'était précipité en pyjama sur l'alpe. Mais l'ânon ne s'y trouvait pas. Le petit garçon l'appela à plusieurs reprises, s'impatienta et revint très mécontent au chalet. Sa maman eut beaucoup de peine à le calmer. Où donc était Florian? L'ânon avait déjà montré qu'il était très indépendant. L'herbe odorante des hauts alpages l'attirait comme un aimant. Ce matin-là, elle lui parut plus tentante encore que la veille, et il se mit en route pour aller se régaler en toute liberté avant que quelqu'un ne s'avisât de l'en empêcher. Il gravit sans effort le sentier qui conduisait au chalet de Pierre le vacher. Mais soudain, il s'arrêta, leva une oreille tandis que l'autre s'abaissait. Avait-il surpris un bruit suspect?... Il resta longtemps immobile.
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Dans ses beaux yeux graves, brillait une lueur d'intelligence. Ce qu'il avait entendu, il en était sûr, c'était une voix. Et cette voix ressemblait à celle de Lili. Il n'en fallait pas davantage pour que Florian changeât de direction. Il quitta le sentier et se fiant à son instinct, il s'engagea parmi les rochers, au flanc même de la montagne. De temps en temps, il s'arrêtait, restait bien planté sur ses quatre jambes, les oreilles frémissantes. Alors lui parvenait le son affaibli mais distinct d'une voix. 174
II repartait sans hésitation. Il contournait les gros blocs blanc et gris, évitait les aspérités de la pierre et avançait au milieu de l'éboulis avec une aisance, une adresse admirables. Infaillible, son sens de l'orientation le conduisait, malgré les détours qu'il était obligé de faire, vers la voix qui devenait de plus en plus nette. L'ânon découvrit ainsi, au bout d'un temps assez court, une jeune fille de quinze ou seize ans, assise sur le sol et adossée contre un rocher, le visage, les mains et les genoux couverts d'égratignures. A sa vue, elle s'écria : « Un âne! Est-il seul? A moi! Au secours!» Mais personne d'autre n'apparut. Florian s'approcha de la blessée et pencha la tête vers elle. Non, ce n'était pas Lili. Pourtant, il ne s'éloigna pas. Il attendit. Une idée traversa l'esprit de la jeune fille.
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« II est venu pour me sauver! Il peut me tirer de là. » Elle fit un effort pour se lever et poussa un gémissement. « C'est bien ce que je pensais! murmura-telle. J'ai le pied cassé. Je ne peux pas marcher.» Elle posa son regard sur l'âne immobile. « Tu es là... tu es venu à mon secours! Mais pourras-tu me porter? » Elle grimpa avec difficulté, en s'y reprenant à plusieurs reprises, sur un rocher d'abord, puis sur le dos de l'ânon, et elle s'y installa péniblement à califourchon. Une minute après, elle tapotait l'encolure de Florian en lui disant : « Va, mon brave petit âne! Où tu voudras. Je suis sûre que tu me conduiras chez ton maître. » L'effort qu'elle venait de faire l'avait épuisée. Elle ferma les yeux une seconde. Quand elle les rouvrit, Florian se mettait en marche.
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Tout aussi prudent qu'auparavant, il refit le chemin qu'il avait déjà suivi entre les pierres. La blessée serrait les lèvres pour ne pas laisser échapper de plainte, alors que chaque pas de Fanon augmentait sa souffrance. Courbée en avant, elle serrait dans ses mains le licou de cuir noir et s'y agrippait de toutes ses forces pour ne pas tomber. Florian était-il conscient du rôle important qu'il jouait? On aurait pu le croire. Il progressait très lentement. La jeune fille, en regardant l'énorme chaos de rochers qui descendaient jusqu'aux alpages, était prise de vertige. Mais l'assurance paisible de l'âne ne tarda pas à lui rendre son courage. « II n'a pas peur de ce précipice qui est là, à notre droite! se disait-elle. Alors, moi non plus, je ne dois pas avoir peur. Comme il semble sûr de lui! Il ne fait jamais un faux pas! Et puis, n'est-ce pas extraordinaire qu'il m'ait retrouvée?... »
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... Ce fut aussi ce que pensèrent M. Davis, Antoine et Jean quand ils virent ce que Lili leur montrait du doigt : l'ânon transportant la blessée et venant vers eux comme si c'était la chose la plus naturelle du monde! Malgré sa fatigue, l'oncle de Véronique s'élança à la rencontre de sa nièce : « Oh! Nique! Ma chérie... » II était si ému qu'il ne put en dire davantage. La jeune fille esquissa un sourire pour le rassurer et regarda les trois autres personnes qui lui étaient inconnues. 178
La présence de Lili surtout parut l'étonner. Mais la petite fille eut vite fait de lier connaissance avec elle. Puis Florian fut caressé, complimenté, cajolé. Il accepta tout avec son air modeste. Son œil brilla pourtant avec plus d'éclat quand Véronique raconta sa chute. « J'étais sortie pour voir le temps qu'il faisait. Pour regarder la vallée où nous allions descendre, je me suis approchée du bord d'un éperon rocheux. J'ai glissé. Je n'ai pu me retenir à aucune branche puisqu'il n'y avait pas d'arbre là-haut. J'ai crié, mais mon cri a été emporté par le vent. Je suis tombée... J'ai roulé, rebondi de pierre en pierre. Oh! je me suis fait très mal! Je crois que j'ai une fracture.» Après lui avoir palpé le pied gauche et la jambe, son oncle hocha la tête. « Je ne puis rien dire. Il faut qu'on te ramène le plus vite possible à Dantières. - Nous y serons bientôt, assura Jean. Au village, il y a des médecins, chaque été, en
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villégiature. Ils pourront voir si votre blessure est grave. - Comment cet âne t'a-t-il découverte? s'enquit encore M. Davis. - Eh bien, j'appelais au secours. Il a dû m'entendre. Il est apparu brusquement. Je pensais qu'il était accompagné. Mais non, il était seul. J'ai été très déçue. Mais il avait l'air d'attendre quelque chose. Alors, j'ai compris qu'il était mon unique moyen de salut. Je me suis hissée sur son dos et il est aussitôt reparti tout tranquillement comme s'il ne voulait que ça! - Maintenant, en route! proposa Antoine. Plus tôt nous serons arrivés, mieux cela vaudra. » Ils retournèrent vers le chalet des TroisRochers qu'ils atteignirent vers midi. Mme Collin reçut tout le monde avec cordialité, aida Véronique à s'allonger sur son lit et lui offrit un potage fait avec les herbes parfumées de son jardinet. Un peu de couleur revint aux joues de la
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jeune fille. Elle se sentait bien lasse. Mais elle était heureuse d'être chez des amis. Lili vint lui tenir compagnie en grignotant un morceau de pain. La vue seule de son visage souriant faisait du bien et, quand Nicolas, la mine réjouie, vint la rejoindre, Véronique oublia, pendant un moment, l'accident dont elle avait été victime. Le garçon croquait une pomme à belles dents. Il ne s'interrompit que pour demander : « C'est vrai, Lili, que tu vas partir? » Elle lui répondit : « Oui, c'est vrai. J'ai promis à Véronique de l'accompagner jusqu'à Dantières. Et j'ai décidé de redescendre chez tante Juliette le plus tôt possible. - Alors, on ne te verra plus? dit Janine qui venait d'entrer dans la chambre. - Mais si, je reviendrai. J'accompagnerai Jean, quand il montera au chalet. - Je l'espère bien! s'exclama Antoine, qui avait entendu la conversation des
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enfants. Tu seras toujours la bienvenue chez nous. Tu nous feras plaisir en nous montrant que tu ne nous oublies pas. » Lili eut envie de répliquer : « Comment pourrais-je oublier ces trois journées pleines d'imprévu? » « D'ailleurs, ajouta Jean, qui venait d'apparaître dans la chambre à son tour, que deviendrait Florian s'il ne s'entendait plus appelé par toi? » A ces mots, le visage de Lili se couvrit d'une ombre passagère. « J'ai beaucoup de peine à le quitter », avoua-t-elle, à mi-voix. Le rire d'Antoine s'éleva : « Elle ose nous dire cela! Elle est triste à cause de l'âne. Mais nous, elle nous abandonne sans regret! - Je n'ai pas... ce n'est pas... », commençat-elle, en bredouillant. Jean l'interrompit. « Allons! Allons! Ne t'excuse pas. Oncle Antoine a voulu te taquiner. Va te préparer.
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Je crois qu'il est temps de nous mettre en route. » Lili se précipita au grenier, chercha ses affaires qu'elle enfouit dans son sac. Puis elle prit congé de Mme Collin qui lui dit avec gentillesse : « Merci encore pour tout ce que tu as fait!» Janine et Nicolas glissèrent dans la main de Lili un cadeau personnel. La petite offrit un de ses livres et le petit garçon un bonbon, ce qui toucha beaucoup Lili qui avait appris à connaître l'appétit de Nicolas et surtout sa gourmandise. Le départ eut lieu peu de temps après. Véronique, bravement, étouffa plus d'un gémissement de souffrance pendant son transport jusqu'à Dantières. Quand elle arriva au village, elle était si pâle que tout le monde eut peur. Mais, bientôt, elle retrouva assez de force pour remercier Antoine, Jean et Lili d'une voix pleine d'émotion.
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Elle voulut aussi caresser Florian avant de le quitter. « Promettez-moi de lui acheter ce qu'il préfère, demanda-t-elle à Antoine. Des carottes, du son et même du sucre! » Son oncle voulut donner une somme d'argent importante à Jean pour le service qu'il lui avait rendu. Mais celui-ci refusa avec énergie. Il ne voulait pas être payé. Son idée n'était-elle pas uniquement de « guider » les voyageurs dans la montagne, à travers de multiples dangers? M. Davis installa sa nièce sur le siège 184
arrière de sa voiture. Puis il se mit au volant en disant : « Je préfère aller jusqu'à l'hôpital de la ville la plus proche. Il faudra radiographier le pied blessé de ma pauvre Nique. » La jeune fille serra, avec affection, la main de Lili dans les siennes. « Je t'écrirai bientôt et je reviendrai te voir avant la fin des vacances, dit-elle. Merci pour tout. Merci surtout pour ton âne. Je ne l'oublierai jamais! » La portière refermée, l'auto démarra. Lili la regarda s'éloigner d'un air si songeur que Jean lui demanda : « A quoi penses-tu? — A Véronique. Elle a été très courageuse. Je suis sûre qu'elle souffrait beaucoup. — Certainement. — Et puis, je pense à Florian qui s'est montré vraiment intelligent. » Elle se tourna vers Fanon et déposa
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quelques petits baisers sur la bande blanche de son front. « Je vais chez tante Juliette, dit-elle à Antoine, vous m'accompagnez? » Sans attendre la réponse, elle courut jusque chez sa tante. Celle-ci était occupée à ratisser l'allée de son jardin. Elle accueillit sa nièce avec joie : « Enfin, te voilà! Comme je suis contente! J'ai été très inquiète. Je me reprochais de t'avoir envoyée là-haut. Que vont dire tes parents quand ils sauront que tu es restée seule dans ce chalet avec des enfants si jeunes! Ah! j'ai été bien imprudente! » Mais Lili avait si bonne mine que les craintes de sa tante ne paraissaient guère justifiées. « Et voilà Florian! s'écria tante Juliette. Le grand héros du jour! » Antoine répondit : « Je voudrais bien qu'il revienne avec moi, au chalet, sans faire d'histoire! Il n'en fera pas», assura Lili.
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Elle poussa fermement l'ânon de la main et lui ordonna : « Allons, va! » Florian s'exécuta. Il partit lentement, suivi par Antoine. Avant de gravir le sentier de la montagne qui menait au chalet, il tourna la tête. Il vit Lili qui, debout à la même place, le regardait. Alors, il comprit. Résigné, comme le sont tous les ânes, il reprit sa route d'un pas égal. Sa clochette sonnait doucement... Les yeux de Lili étaient pleins de larmes. Tante Juliette et Jean firent semblant de ne pas s'en apercevoir. Un peu plus tard, Lili entendit Jean faire les éloges de Florian, alors elle retrouva son sourire. « Oui, disait Jean, ton âne n'a pas fini de rendre des services. Il portera le beurre et les fromages à Dantières. Il pourra transporter des blessés, comme il l'a fait pour Véronique. Son sort est tout de même plus
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enviable que de finir chez le boucher. Tu peux être contente du résultat que tu as obtenu.» II secoua Lili par les épaules en se forçant à rire pour dissiper la mélancolie de la séparation. « Avoue que tu l'aimes plus que Roussette et Blanchette, les chèvres de ta tante. - Je l'avoue! Il m'était plus attaché. Et je l'ai trouvé si intelligent! Il avait tant de mémoire! - Oh! pour ça, tu peux être sûr qu'il ne t'oubliera pas. Chaque fois qu'il passera devant cette maison, il s'y arrêtera, même lorsque tu seras partie. » Cette pensée consola un peu Lili.
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CHAPITRE XV Mignon Tous les trois jours environ, Lili revit Florian. Comme l'avait prédit Jean, l'âne ne passait jamais devant la maison de tante Juliette sans s'arrêter. S'il ne l'apercevait pas tout de suite, il criait assez fort pour faire accourir la petite fille, même si elle était loin de là.
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Et c'étaient des caresses à n*en plus finir! L'été pourtant s'achevait et, bientôt, les vacances terminées, Lili rentrerait en Alsace. Avant de quitter Dantières, elle alla cueillir des fleurs d'arnica d'un jaune éclatant, des aconits bleus, du lilas des Alpes rosé pâle, des gentianes et toutes sortes de petites étoiles blanches dont personne ne connaissait le nom. Elle voulait les faire sécher et les emporter chez elle. L'hiver, en les regardant, elle se rappellerait le bel été passé en haute montagne. Devant elle, un oiseau sautillait sur ses pattes fines. Il plongeait sa petite huppe d'or bordée de noir dans l’herbe et, vivement, la retirait, montrant son œil vif et brillant. Il était si amusant à regarder que Lili n'entendit point des pas qui se rapprochaient. Elle fut toute surprise, quand elle se sentit poussée dans le dos par une grosse tête.
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C'était Florian! Lili lui fit fête et sauta sur son dos. Il l'emporta aussitôt au trot régulier de ses petits sabots vers le village. « Plus vite! plus vite! » criait-elle. Il se mit à galoper. Lili riait, la tête renversée en arrière, les cheveux au vent et du soleil plein les yeux. Le retour à Dantières se fit dans un temps record. Jean, qui rentrait d'une nouvelle course dans le massif de Derrières, vit de loin Lili, à califourchon sur son âne. Le garçon se hâta de la rejoindre chez sa tante. Il était en train de la féliciter pour ses dons de cavalière, lorsqu'une auto stoppa tout près d'eux et fit faire un brusque écart à Florian. De la voiture, sortit Véronique, son pied fracturé emprisonné dans un appareil de plâtre. Elle souriait. Lili courut à sa rencontre. « Tu vois que je tiens mes promesses, dit
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la nouvelle venue. Je t'ai écrit que je reviendrai à Dantières. Me voilai — Ça me fait plaisir de te voir! dit Lili. — Et, tu sais, je suis contente de recommencer, depuis huit jours» à pouvoir me déplacer. Je serai bientôt tout à fait guérie. » Véronique portait dans ses bras, serré contre sa poitrine, un panier rond. Elle le tendit à Lili d'un air mystérieux, disant simplement : « Regarde ce qu'il y a dedans! » Etonnée, la petite fille souleva le couvercle et découvrit au fond du panier, sur un lit d'étoffes veloutées, une boule de poils. Elle la prit dans sa main. C'était tiède et noir, cela avait des pattes blanches, une tête ronde et des yeux d'un vert doré». « Un chat! murmura Lili, ravie. — On m'a offert trois chatons, je t'ai apporté le plus joli. — Comme il est beau! Tu me le donnes? — Mais oui. Il est à toi.
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— Alors, je l'appellerai Mignon !» Lili, les yeux étincelants de joie, enfouit son visage dans la petite boule de fourrure noire. « Merci ! dit-elle. J'espère qu'il n'a plus besoin de sa maman? — Non. Tu peux lui donner du lait dans une assiette. Il le boit très bien. » Pour le moment, une minuscule langue rêche et rosé léchait le bout du nez de Lili qui riait de tout son cœur. « Quand je rentrerai chez moi, dit la petite fille, il y aura une scène de jalousie. — Pourquoi? demanda Véronique. — Parce que, là-bas, il y a mon petit basset Bruno1. Il faudra que je protège Mignon de ses dents pointues. J'espère qu'ils arriveront à s'entendre et même à s'aimer. Je ferai tout mon possible pour cela. — La réussite ne m'étonnerait pas! » fit Jean à mi-voix. 1. Lili et son Basset. Hachette.
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Lili berçait le chaton dans ses bras. Puis, avec vivacité, elle alla à Véronique et lui plaqua deux baisers sonores sur les joues pour la remercier, tandis que celle-ci lui glissait à l'oreille : « Si je t'ai donné ce chaton, c'est un peu pour remplacer Florian ! » La petite fille courut vers sa tante, l'embrassa, elle aussi, et s'exclama : « Je suis gâtée et j'ai bien de la chance! Tout le monde est gentil avec moi. C'est merveilleux! » Ce qui était merveilleux, c'était autre
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chose. Mais Lili ne se doutait même pas qu'elle était, pour une grande part, l'artisan de cette « chance » dont elle parlait. Et c'était là ce qui faisait son charme. L'âne l'écoutait avec des tressaillements. Toute sa vie, il se souviendrait de cette voix qui effaçait de sa mémoire les brutalités dont il avait souffert. Et toute sa vie aussi, il se considérerait comme appartenant, en premier lieu, à celle qui l'avait sauvé. Pour bien montrer qu'il participait à la joie générale, il leva très haut la tête et poussa un braiment d'allégresse. Effrayé, le petit chat noir et blanc se nicha dans le cou de Lili, tandis que tout le monde, autour de Florian, éclatait de rire.
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Série Lili de marguerite Thiébold Série publiée aux éditions hachette dans la collection de la Bibliothèque rose. Toutes les illustrations sont de Marianne Clouzot sauf pour Lili et l'énigme de Rochenoire illustré par Henriette Lumière. 1. Lili et son basset (1956) 2. Lili et ses chèvres (1959) 3. Lili et son âne (1961) 4. Lili et son loup (1963) 5. Lili et son portrait (1965) 6. Lili et la sauvageonne (1967) 7. Lili et sa mule (1967) 8. Lili et le testament secret (1968) 9. Lili a disparu (1968) 10. Lili et le guépard (1969) 11. Lili et les mexicos (1969) 12. Lili et la grotte aux améthystes (1970) 13. Lili et le secret de la tour (1971) 14. Lili et le jeune gitan (1971) 15. Lili et le gondolier (1972) 16. Lili et la lettre cachée (1973) 17. Lili et la rose d'or (1973) 18. Lili et le lion (1974) 19. Lili et les skis d'argent (1974) 20. Lili mène la danse (1975) 21. Lili la fine mouche (1975) 22. Lili et la captive de l'île (1976) 23. Lili et la voix mystérieuse (1976) 24. Lili et la jument grise (1977) 25. Lili lance un S.O.S. (1978) 26. Lili et la guitariste (1979) 27. Lili et la lorgnette de l'empereur (1980) 196
28.
Lili et l'énigme de Rochenoire (1981)
Marguerite Thiébold Marguerite Thiébold est un écrivain français née le 12 août 1908 à Saint-Jean-d'Angély et décédée le 25 mai 1997 à Strasbourg.
Biographie Marguerite Thiébold est née le 12 août 1908 à Saint-Jean-d'Angély. Son père est originaire du Tarn et sa mère de Colmar. Elle vient s'installer dans le Bas-Rhin en 1931, avec son mari Albert (1904-1978) professeur pour enfants sourds-muets. Ensemble ils ont trois enfants, 2 filles et 1 garçon : Anne-Line, Evelyne, Daniel (1937-2009). Elle commence à écrire grâce à ses enfants à qui elle racontait de belles histoires qu'elle inventait pour eux quand ils étaient petits, puis sur leur demande elle décide de les mettre sur papier. Son époux l'encourage à choisir une quinzaine de ses nouvelles pour les publier, et elles sont acceptées. En 1936 elle est lauréate du Prix de l'Alsace Littéraire et en 1939 des Jeux Floraux de Tunisie. Ses contes et ses nouvelles paraissent dans des revues et almanachs d'Alsace, de Paris, de Suisse et de Belgique, ainsi que ses poésies. La guerre interrompt temporairement sa carrière d'écrivain mais en 1947 elle publie son premier roman L'appel de la montagne, puis en 1948 Suzanne aux cheveux d'or et la même année elle remporte le 1er prix des Jeux Floraux de Saintonge et d'Aunis. Parallèlement à ses livres pour la jeunesse, elle signe dans les années 50 le texte de plusieurs livres en reliefs destinés aux très jeunes lecteurs, aux éditions Lucos de Mulhouse. Certains de ses textes sont des adaptations de célèbres contes comme par exemple Cendrillon ou les contes de Grimm, ou bien des abécédaires d'apprentissage à la lecture. Les illustrations et le découpage sont pour certains livres l'œuvre de Jo Zagula. C'est en 1951 que parait Le château dans la forêt aux éditions Hachette. Il rencontre un certain succès auprès des jeunes lecteurs et fait connaître l'auteur au grand public, sa carrière est véritablement lancée. Suivront une cinquantaine de livres destinés à la jeunesse, dont la série des Lili qui comptera 28 titres en 25 ans et une douzaine de romans pour jeunes filles parues aux éditions du Dauphin et aux éditions des Remparts. Certains de ses livres furent traduits en plusieurs langues dont l'allemand, le portugais, l'anglais, l'espagnol, le serbo-croate, le japonais. Elle a aussi écrit des contes de Noël et de Pâques, qui ont été publiés dans des quotidiens Alsaciens et nationaux, et aussi quelques nouvelles dont Le mal-aimé publié par l'International council of women, et en 1969 est publié Mosaïque un recueil de 43 poèmes. Elle a aussi écrit quelques romans pour adultes sous le pseudonyme de M. Morgane. Elle vit à Bouxwiller de 1939 à 1953 et à Strasbourg-Neudorf, où la plupart de ses livres sont écrits. Passionnée de musique classique et pratiquant régulièrement le piano, son inspiration lui vient aussi des nombreux voyages qu'elle effectue avec son époux. 197
Marguerite Thiébold a été membre de la Société des gens de lettres et vice-présidente de la Société des Écrivains d'Alsace et de Lorraine pendant de nombreuses années. Elle s'est éteinte le 25 mai 1997 à Strasbourg dans sa 89ème année. Pour lui rendre hommage, l'école élémentaire de Bouxwiller a été rebaptisée école Marguerite Thiébold le 18 juin 2005
Livres en relief Tous les livres sont parus aux éditions Lucos, Mulhouse, au cours des années 1950.
Daniel et ses amis, illustrations de Grolleron Attention!... Dangers!..., illustrations de Janfre Moussy, illustrations de Janfre Cendrillon, illustrations de Jo Zagula A.B.C. en relief, illustrations de Jo zagula
Remarque : A.B.C. en relief est repris en 1956 par les éditions Lucien Adès sous forme de disque 33 tours intitulé J'apprends à lire et accompagné des 6 doubles pages en relief de A.B.C. en relief. Ce disque fait partie de la collection Le Petit Ménestrel. Le texte de Marguerite Thiébold est chanté et dit par Jany Sylvaine et la musique est signée Hubert Rostaing.
Romans
L'appel de la montagne (1947, Collection Libellule (n°16), Éditions La Colombe) Suzanne aux cheveux d'or (1948, Collection Libellule (n°25), Éditions La Colombe) Le château dans la forêt (1951, Bibliothèque Rose Illustrée, Hachette) La fleur de glace (1952, Collection Jeunesse du Monde, Hachette), réédité en 1957 après certains remaniements sous le titre Angelica (Bibliothèque Verte, Hachette) Le maître de Nordfjord (1953, Idéal-Bibliothèque, Hachette) Amitia, fille du lac (1955, Collection Rouge et Or Souveraine, éditions G.P.) Le Cygne de Solveig (1956, Bibliothèque Rose Illustrée, Hachette) Le collier de rubis (1956, Bibliothèque Verte, Hachette) Angelica (1957, Bibliothèque Verte, Hachette), réédition remaniée de La fleur de glace paru en 1952 La fille du potier (1959, Collection Rouge et Or Dauphine, éditions G.P.) La fleur du Mékong (1961, Idéal-Bibliothèque (n°200), Hachette) Deux garçons de nulle part (1962, Idéal-Bibliothèque (n°233), Hachette) Le traîneau de Manuela (1964, Idéal-Bibliothèque (n°270), Hachette) La robe écarlate (1965, Collection Romanesque, Éditions du Dauphin) Contes d'Alsace: Recits du folklore alsacien (1979, Collection Vermeille, Hachette)
date d'édition à déterminer :
L'inconnue de la crique (Collection Mirabelle (n°162), Éditions Des Remparts) 198
La statue vivante (Collection Mirabelle (n°215), Éditions Des Remparts) La dame du lac (Collection Rêves Bleus (n°20), Éditions Des Remparts)
Lili Série publiée aux éditions Hachette dans la collection de la Bibliothèque rose. Toutes les illustrations sont de Marianne Clouzot sauf pour Lili et l'énigme de Rochenoire illustré par Henriette Munière.
Lili et son basset (1956) Lili et ses chèvres (1959) Lili et son âne (1961) Lili et son loup (1963) Lili et son portrait (1965) Lili et la sauvageonne (1967) Lili et sa mule (1967) Lili et le testament secret (1968) Lili a disparu (1968) Lili et le guépard (1969) Lili et les mexicos (1969) Lili et la grotte aux améthystes (1970) Lili et le secret de la tour (1971) Lili et le jeune gitan (1971) Lili et le gondolier (1972) Lili et la lettre cachée (1973) Lili et la rose d'or (1973) Lili et le lion (1974) Lili et les skis d'argent (1974) Lili mène la danse (1975) Lili la fine mouche (1975) Lili et la captive de l'île (1976) Lili et la voix mystérieuse (1976) Lili et la jument grise (1977) Lili lance un s.o.s. (1978) Lili et la guitariste (1979) Lili et la lorgnette de l'empereur (1980) Lili et l'énigme de Rochenoire (1981)
Pascal Série publiée aux éditions Hachette dans la collection de la Bibliothèque rose
Pascal et le vagabond (1958), illustré par Jacques Pecnard Pascal et Pedro (1965), illustré par Gaston de Sainte-Croix Pascal et le fantôme (1966), illustré par Philippe Daure
199
Livres traduits à l'étranger en allemand
Le maître de Nordfjord (1953) : Das Schloss am Nordfjord (1956, Éditions Franckche Verlag à Stuttgart) Angelica (1957) : Angelika (1961) La fleur du Mékong (1961) : Ein Mädchen aus Laos (1962)
en anglais
Pascal et le vagabond (1958) : Pascal and the tramp (1964, Reinders Books, H. Hamilton), traduit par Helen Woodyatt et illustré par Prudence Seward
en portugais 15 livres de la série Lili ont été traduits en Portugais : 3 titres sont parus chez les éditions Majora dans la collection Rosalia en 1966, traduits par Julia Ferrari tavares et illustrés par Marianne Clouzot. Lili et son basset (1956) : Lili e o seu baixote (1966) Lili et ses chèvres (1959): Lili e as suas cabras (1966) Lili et son loup (1963) : Lili e o seu lobo (1966) 12 titres sont parus chez les éditions verbo entre 1985 et 1990 et ont été intégralement illustrés par Julio Gil.
Lili et la captive de l'île (1976) : Filipa e a prisioneira da ilha (1985), traduit par Maria Adelaide Couto Viana Lili et la voix mystérieuse (1976) : Filipa e a voz misteriosa (1985), traduit par Maria Adelaide Couto Viana Lili et sa mule (1967) : Filipa e a aldeia em perigo (1985), traduit par Ricardo Alberty Lili et la rose d'or (1973) : Filipa e a rosa de ouro (1986), traduit par Ricardo Alberty Lili et le testament secret (1968) : Filipa e o testamento secreto (1986), traduit par Fernanda Leitão Lili et l'énigme de Rochenoire (1981) : Filipa e o enigma de rocha negra (1986), traduit par Maria Guerne Lili et la lorgnette de l'empereur (1980) : Filipa e o velho coleccionador (1986), traduit par Maria Guerne Lili et le jeune gitan (1971) : Filipa e o jovem cigano (1986), traduit par Maria Guerne Lili et le secret de la tour (1971) : Filipa e o segredo da torre (1988), traduit par Maria Guerne Lili et la lettre cachée (1973) : Filipa e a carta escondida (1988), traduit par Maria Guerne Lili et la grotte aux améthystes (1970) : Filipa e a gruta das ametistas (1988), traduit par Maria Guerne 200
Lili la fine mouche (1975) : Filipa e o retrato roubado (1990), traduit par Maria Guerne Le traîneau de Manuela (1964) : O trenó de Manuela (1967, éditions Aster, Collection Nautilus, n°20), illustrations de Gaston de Sainte-Croix et Geraldes Sobrero, traduit par Maria de Barros
en espagnol
Le traîneau de Manuela (1964) : El trineo de Manuela (1972, éditions Kapelusz, Buenos Aires, Collection Iridium)
en serbo-croate, japonais
Le traîneau de Manuela
Principaux prix littéraires
1936 : Prix de l'Alsace Littéraire 1964 : Grand Prix du Salon de l'Enfance à Paris pour Le traîneau de Manuela 1965 : Diplôme du meilleur livre de l'année pour Pascal et Pedro 1968 : Prix "Maurice Betz" de l'Académie d'Alsace, pour l'ensemble de son œuvre. 1978 : "Grand Bretzel d'Or" de l'Institut des Arts et Traditions Populaires d'Alsace. 1971 : Le Prix "Label Chouette" du Club des Jeunes Amis des Animaux pour 3 de ses ouvrages : Lili est son âne, Lili et le secret de la tour, Lili et le jeune gitan 1979 : Le Grand Prix humanitaire de France. médaille d'argent de l'Académie internationale de Lutèce pour la nouvelle Flammes
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