Les Textes - Jean-Michel Adam
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linguistique
JEAN,MICHEL ADAM
LES
TEXTES: TYPES
ET PROTOTYPES RECIT, DESCRIPTION, ARGU M ENTATION, EXPLICATION ET DIALOCUE
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^+t1T crdde par Henri Mitterand
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Iean-Michel Adom Professeur de linguistique frangoise d I'Universiti de Lousonne
Les textes : types et prototypes Rdcit, description, argumentation, explication et dialogue
Troisidme ddition revue et corrigde
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Du m6me auteur :
Le Le
Texte narratd Texte descriptif
Dans la mGme collection
:
Les Etudes littdraires par J. Rohou
La Didactique du Frangais par G. Guillo, A. Couprie La Didoctique d I'oral du CAPES de lettres modernes par A. Bouillaguet La PoCtique des textes par J. Milly La Pdriphdrie des textes par P. Lane
A Emmanuet et Sdgoline.
PrCcis d'analyse littCraire
par M. Patillon Eldments de rhdtorique classique par M. Patillon
O Editions Nathan, 1992 - ISBN 209 190756-X 9, rue M6chain - 75014 Paris
(
Le
phoiaopillage, c'61 I'usge abusif d collsrif de la phot@pic sm autoristion d6 au1ru$
et
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ouvrag€ est itrtcrditc D,
Avant-propos
Le problime des types constitue depuis Russel I'un des centres de la rdflexion en logique. Il se pose avec acuitd dons ce que I'on appelle les sciences humaines. Dans tous les cas, il s'agit d'une catigorisation relativement intuitive grdce d laquelle ensuite un systime de pro-
positions devient possible. (Sumpf 1969 : 46)
Any native speaker of a longuage will in principle be able to make a distinction between a poem and a hondbook of mathematics, between an article in the news-
paper and a questionnaire. This implies that he has the initial obility to differentiate the universe of texts and to recognize different types of texts. We sholl claim [...] that this.fundomental ability is part of linguistic competence. We shall argue at the same time that this competence must be a textual competence. (Van Dijk 1972 : 297-298)
Ces dernidres anndes, dans le domaine francophone, les num6ros 56 et 62 de Protiques (1987 et 1989), 74 de Languefrangaise (1987), 79 du Frangais
uujourd'hui (1987) et 83 des Etudes de tinguistique appliquCe (1991) ont 6t6 consacrds aux typologies de textes et de discours ou aux types de textes. Les rrum6ros de revues et les ouvrages de synthdse sur I'argumentation, la deseription, le r6cit, I'explication et la conversation se sont 6galement multipli6s, lltestant les progrds des analyses partielles de ces cinq grandes formes h6ritCes de la tradition rhdtorique et des manuels de composition classiques. La recherche de classements typologiques a pu paraitre limitde au champ tle la didactique du frangais langue maternelle, 6trangdre et seconde ou encore rtu domaine de la littdrature (d travers la th6orie des genres) car les linguistes ont, pour leur part, souvent exprimd une certaine m6fiance d l'encontre de
loute typologie des textes. J. Molino, par exemple, repr6sente bien la tendance radicale qui met en question l'id6e mOme de linguistique du texte. Il ddclare, d propos de la typologie des textes : auxquelles
on aboutit ne sont gudre
i
cette question, les conclusions encourageantes les classifications
Malgr6 les nombreuses recherches consacr€es
:
6
)
Les lextes: lypes et prototlpes
maniables celles par exemple qui distinguent (cf. Werlich) description, rdcit, exposition, argumentation, instruction ne sont fras distinctives et ne fournissent qu'un cadre vague sans garantie d'homog6n6itd ni de r6gularit€, tandis que les classifications qui visent €tre homogdnes, rigoureuses, monotypiques et exhaustives sont contraintes de se perdre dans une ramification sans limites qui les rend rapidement inutilisables sans qu'elles soient plus assur€es. Ce qui nous conduit ir la thdse suivante : il ne saurait exister de thCorie gindrale du discours ou du texte. (1990 : 16l)
-
-
i
< La typologie des textes est un domaine qui m'a toujours paru extr€mement ddlicat et je m'y suis peu risqud >, note, quant d lui, M. Charolles (1990 : 9) en reconnaissant toutefois que les enseignants, qui travaillent forcdment sur des textes et ont pour objet naturel de rdflexion les discours des 6ldves, des mddias, de la litt6rature, sont bien oblig6s de se poser des questions relatives aux classements de ces textes et discours. B. Combettes, autre sp6cialiste de linguistique textuelle, distingue fort justement les recherches qui semblent curieusement avoir la typologie pour seule finalitd de celles qui, < explicitement ou implicitement, ne considdrent pas la construction d'une typologie comme une fin en soi, mais comme la possibilit€ de mettre les types de textes en relation avec "autre chose", cet autre chose €tant en l'occurrence, majoritairement, le domaine linguistique D (1990 : l4). C'est bien le sens du pr6sent ouvrage : la typologie qui va €tre expos6e n'a de sens que dans un cadre thdorique plus large, que le chapitre I exposera et que mes,E/dments de linguistique textuelle (Mardaga 1990) d6taillent plus largement. L'hypothdse de l'existence d'un petit nombre de types s6quentiels de base types monog6r6s narratif, descriptif, argumentatif et explicatif ainsi que type polygdrd dialogal - a pour but de th6oriser de fagon unifi6e I'hdt6rog6n6itd compositionnelle des discours. Cette hypothdse a aussi pour finalit6, dans I'esprit de la citation de J. Sumpf donn6e en exergue, de tenir compte d'une categorisation relativement intuitive et proche des jugements spontan6s des sujets d partir de laquelle, sous certaines conditions, il deviendra possible de ddvelopper un certain nombre de propositions th6oriques. L'opposition rdcit,/non r6cit, acquise trds t6t, semble admise par la plupart des sujets parlants (je ne me prononce pas sur I'universalit6 de cette distinction malgrd les observations accumul6es dans des cultures trds diverses). Que les linguistes le veuillent ou non, comme la rdflexion de T.A. Van Dijk cit6e en exergue en tdmoigne (en termes de comp€tence linguistique 6largie), la cat6gorisation des textes fait partie des activitds cognitives spontan6es des sujets : < Toute activite intellectuelle ccnduit celui qui la pratique i cr6er des distinctions et d construire des types d I'intdrieur de I'objet d'analyse > (Dispaux 1984 :99). Dans un ouvrage r6cent et dans une perspective pourtant toute diff6rente, G. Kleiber le rappelle : (Kleiber et Riegel 1978, Sinaceur 1978) et sur lc curactCre modulaire de la langue ont heureusement modifi6 le paysage linluistique contemporain. Il est aujourd'hui assez commun6ment admis que, lron 916 mal 916, le linguiste doit - i ses risques et pdrils, bien s0r - s'aventurcr cn direction du texte-discours. De toute fagon, comme le note M. Mahrnoudian lui-m€me, d propos de ce qu'il nomme les dangers du classicisme : rr Que la linguistique structurale se soit cantonn€e dans l'6tude de la phrase ttc dCcoule pas des principes th€oriques qu'elle s'est donn€s. Par exemple, ln dCfinition d'une langue par Martinet n'implique nullement que l'€tude lingrristique doit se limiter au cadre de la phrase D (1989 : 221-222). Les recherches sur les catdgorisations humaines men6es en psychologie cognitive, et surtout utilis6es aujourd'hui dans le domaine de la s6mantique lexicale, ont eu une influence ddterminante sur I'esprit g6n€ral du prdsent ouvrage. Pour parler de typologie en linguistique du texte, il fallait en effet pouvoir ddgager la rdflexion de l'id6al scientiste des cat6gories gouverndes par dcs conditions n6cessaires et suffisantes. C. Vandeloise, dans la pr6sentation du num6ro 53 de la rewe Communications, r6sume I'esprit de ce changement dc perspective: Plut6t que d'adapter sa mdthodologie A la nature de son objet d'6tude, il senible que la linguistique contemporaine ait postul€ un objet conforme ir ses m€thodes, un postulat que l'€tude empirique de la cat6gorisation humaine ne vient pas conforter. En admettant que le langage est explicable par des tendances plut6t que par des rdgles absolues, la s€mantique cognitive renonce aux exigbnces des sciences exactes, mais des aspects primordiaux du langage ne peuvent €tre r€v€l6s sans ce type d'analyse. (1991 : 4)
Pour ce qui est du traitement cognitif des textes, de nombreuses recherches moddlisent les processus de compr6hension et de production en se r€f6rant d des schdmas textuels prototypiques d6finis comme des > (Brassart 1990 : 300). La maitrise de ces repr€sentations sch€matiques prototypiques semble avoir des consdquences sur le stockage des informations trait€es en cours de comprdhension et sur la recherche des blocs d'informations par stratdgies d'anticipation. Les
difficultds de comprdhension de textes oraux comme €crits que connaissent les sujets novices ou non experts semblent s'expliquer, en partie du moins,
Avant propos
Les lexles: types el prololypes
par la non-maitrise de sch6mas textuels prototypiques. S. Ehrlich (1985), par exemple, explique les 6carts entre lecteurs lents et rapides non seulement par des capacitds in€gales de d€chiffrage etlou une maitrise in€gale du thdme abordd dans le texte lu, mais 6galement par des diffdrences sensibles de construction, sous le contr6le de sch6mas textuels prototypiques, d'une repr6sentation organis6e et hidrarchis6e du contenu s6mantique du texte. Nombre de travaux sur la production 6crite confirment le r6le de tels schdmas disponibles en mdmoire d long terme sur les activitds de planification et de r6vision. C. Bereiter et M. Scardamalia (1982 et 1987) montrent que novices et non-experts (1984 :102). En m'int6ressant a cinq types 6l6mentaires, je choisis de partir de cat6gories culturellement prdexistantes, c'est-i-dire , la position exprim€e par Bakhtine est extr€mement int€ressante pour notre propos : Les formes de langue et les formes types d'6nonc6s, c'est-i-dire les genres du discours, s'introduisent dans notre exp€rience et dans notre conscience conjointement et sans que leur corr6lation dtroite soit rompue. Apprendre i parler c'est apprendre i structurer des €nonc6s (parce que nous parlons par 6nonc6s et non par propositions isol6es et, encore moins, bien entendu, par mots isol6s). Les genres du discours organisent notre parole de la m€me fagon que I'organisent les formes grammaticales (syntaxiques). (1984 : 285)
La r€flexion du linguiste russe a ceci d'original qu'elle 6tend les limites de la comp€tence linguistique des sujets au-deldr de la phrase, dans la direction des ( types relativement stables d'€nonc6s ) (1984 :266) et de ce qu'il appelle ailleurs la >, du discours prdsents aussi bien dans res genrer littdraire! (genres ,, ,ipar excel_ lence) que dans res 6nonc6s de la vie quoti-olnn..
,.*a,
L,hypothdse bakhtinienne de ant€rieuri comme la langue elle-m€me - g€n6rarit6, a le d la litt€rature, qu''s d.passent par leur m6rite de fonder la complexitd des formes les plus itauorg.r"rur un certain nombre de formes .l.mentaires qu'il faut probablemenr consid.rer .o_.. ;;;;ryp;q"es. En d'autres termes, des types relativement stables d,6nonc€s d, uur. -res Jont dispo_ nibles pour
Bien que Bakhtine n'explicite nulle part - i ma connaissance - comment s'articulent contexte socio-politique et choix d'une organisation compositionnelle, la linguistique contemporaine peut difficilement dviter de se demander quelles sont les limites de I'autonomie de la langue (rdgles phon6tiques, lexicales, morphologiques, syntaxiques, s€mantiques-logiques de base). Quelle est la part de la surddtermination du systdme par la mise en texte et en discours ? La mise en mots est-elle d6termin6e uniquement par des rtgles fond€es en langue ou ddpend-elle surtout des contraintes de I'interaction ? Roman Jakobson a souvent insistd sur le principe structural de la d€termination des parties par le tout et du tout par les parties. La question de I'autonomie relative des parties (temps verbaux, rdgles d'accord, etc.) ne doit pas €tre ndglig€e : tout en gardant des valeurs relativement autonomes, ces cat6gories d'une langue donn6e subissent diff€rentes modifications et spdcifications dans le cotexte, d'une part, et dans le contexte, d'autre part'. Michel Foucault-€crit fort nettement dans L'Archiologie du savoir : Ce ne sont pas la m€me syntaxe, ni le m€me vocabulaire qui sont mis en cuvre dans un texte 6crit et dans une conversation, sur un journal et dans un livre, dans une lettre et sur une affiche ; bien plus, il y a des suites de mots qui forment des phrases bien individualis6es et parfaitement acceptables, si elles figurent dans les gros titres d'un journal, et qui pourtant, au fil d'une conversation, ne pourraient jamais valoir comme une phrase ayant un sens. (1969 : 133)
d'infinies
combinaisons et transformations dans genres < seconds >. Ainsi, la structure 6l6mentaire de la s6quence narrative se trouve ua-se de l'6pop6e, de ra. fabre, ae ta piupart
i l1 des romans, des narrations th6itrales classiques d'exposition ou de ddnoriement, mais 6galement du reportage et du fait divers journaristique, de ra narration orale ou de l'anecdote
13
l.
Si par contexte on entend la prise en compte de conditions de production, d'une situation socio-discursive, cotexte, en revanche, ne ddsigne que I'environnement linguistique immddiat : les €nonc€s qui pr€cddent etlou suivent l'6nonc6 consid€r6.
14
Les texles: lypes et prototypes
Intoduction
Si nous revenons d prcsent dans le champ prus proprement
ringuistique, M'A.K. Haridav et R. Hasan, dans un ctassique a,Ji"irrgrir,iiue textueue (cohesion in Engrish), n'h€sirent pas parrei i o. . n,u.iort-iultures
A ses
15
concurrentes que si elle rend compte de fagon unifide d'un nombre plus
glund et plus vari6 de phdnomdnes.
> qui
font de chaque texte un texte de < nature sp6cifique .onur.rution, r6cit, chanson, correspondance commerciare, eic.- n (1976 : 32a rjetraduisl). Selon eux, chacune de ces. sortes de textes possdde p-pi, o discursive et ils entendent par ldr la structure globare < inhdienie uu* no,ion, de r6cit, priire, ballade, correspondan." orn-.r"tt", ,onn.,... > (1976 :326-327). euerques ann€es prus tard, dans re cadre de sa th60rie au texte, van oijr< (1978' t98la et b, l9g4) parre prut6t de > en r6servant ra notion
-
;#il;
i.i.
scmantique de au thcme ou topi. globul d,un €noncd : < Les superstructures sont des structures grobales qui ressembrent d un sch6ma. A la diffcrence des macrostructures, elles ne d€terminent pas un "contenu" global, mais plutdt la .,forme,, globale d,un discours. Cette forme est d6finie, comme en syntaxe, en termes de catigories sch€matiques >> (l98la : 26). c'est ainsi, finalement, que la question des typorogies
tourner autour de ra r€frexion sur les rup.trr*Jtur.", a fini par textue'es que je red.finis ici comme des sch€mas prototypiques a,"^pi."i prus restreinte
;:,,::""r'une
disrincrion entre diminsion textue'e et aimension s€quen-
D'un point de vue cognitif, ir est aujourd'hui admis que res schcmas pro_ biel sfir, pas cormpte d eux seuls d. tourl.. aspects de la compr€hension et de la production aJ, t.*t"r. Toutes sortes totypiques ne rendent,
de connais_
sances entrent en jeu dans ces deux opdrations
(connaisr"".* pr"g.atiques, connaissance des mondes reprdsent€s, etc.). La diversit€ a.ri"uir^ impriqu6s ne doit pas d6courager la recherche, o,"ir uu contraire stimuler une conception syst6mique des processus et, dcs lors, un travail sur les diff6rents systdmes ou modules i consid6rer. Dans les tiches qu.,"prer"nteit aussi uien
la compr.hension que ra production, la connaissance de sch.mas prototypiques dote interpr€tants et producteuis d'un ensembre a. .truttgi"rie r6soru_ tion de probtdmes spdcifiques. comme i"-not, w. Kintsch propos de ra lecture, les schdmas prototypiques guident et contr.lent les strat€gies de comprihension : , > chez Mallarmd, ou rn('t)rc ( raconter >>, < expliquer )), (< enseigner > chez Sartre. DISCOURS I
lnteraction sociale [1] I
Genres
(et sous-genres) de discours
o
N
-
N
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a
[21
I I
Vis6e
Rep6rages
rllocutoire
6nonciatifs
Coh6sion s6mantique
{r:oh6rence) t3t
(mondes)
Structure compositionnelle S6quentialit6
I4l
tsl
t6t
Connexit6
SUITE DE PROPOSITIONS
CONFIGURATION PRAGMATIOUE
TEXTE
17l lchdma
I : Les
bases de typologisation
Aprds un premier chapitre qui dessine le cadre de ma thdorie s€quentielle, 5 sont consacr6s aux formes monog6r6es que sont le r€cit, lir description, I'argumentation et I'explication, et le chapitre 6 une forme lcs chapitres 2
i
i
compositionnelle polyg6r6e : le dialogue. Le chapitre 7, enfin, a pour but tl'illustrer le mode d'insertion de s6quences narratives dans un genre littdraire par excellence dialogal : le th66tre. J'ai choisi de parler du th66tre classique pour montrer ce qu'est un genre narratif et pour expliquer le sens, selon moi, chapitres prdc6dents : rendre compte des pratiques discursives les plus complexes en choisissant, volontairement, un genre litt6raire situd entre le discours polyg€r6 et le discours monog6r€, entre I'oral et le scriptural. C'est au prix d'une telle mise d l'dpreuve que la th6orie s6quentielle doit Otre 6valu6e et compar6e d d'autres propositionsr. Ces propositions doivent €tre envisag6es des
D. Maingueneau a proc€d€, en 1990, ir la r€€criture du chapitre 7 de ses Eliments de linguistipour Ie texle littiroire (Bordas, 1986). Les pages 132 i 139, consacrdes aux probldmes de rypologie, A I'h6t6rogdndite du texte et i I'organisation hi€rarchique de la s6quence, appliquent I une fable de La Fontaine et ir un discours de Victor Hugo les hypothdses que j'avais expos€es dds 1987 et que je reprends en les corrigeant et prdcisant ici.
que
18
La
textes
: tlpes
el
prototy4s
dans la perspective de toute mod.risation th.orique. comme le Gleick dans La Thiorie
du chaos:
dit
Chopitre
I
James
Le choix est toujours te m.me. soit vous rendez votre moddre prus comprexe et plus fidile i la r€arit€, soit vous r...nJJr piu, ,i.pr. pi", r"h. a .anipuler. Seul un scientifique n?iLp..l, p*r.i-q".i.,ooite parrait ..il.rii.qui ,"p.e_ sente parfaitement ra.r6arit€. un tet n'oal[ ptan aussi grand et ditaiti'.que ou,un "uiuiir., t" possibre, sa pr€cision irait {...1. si un ter pran 6tait ";il;;';;eprisente d.enconir.i.." a."ination piemitre: g€n.rariser et r€sumer. [...] eueiles-gue soient teu.s roncitns, res carreser res moddL doivent tout autant simprifier re monde qur r"..p.oauire.
" Jil;;ilu'n1.1,*
Cadre thdorique
d'une typologie sdquentielle
tiramm".#",iai , ,onl
Pour obsemer quelque chose, ilfaut savoir quoi regorder. Une description n'est ainsi possible que dans un cadre thCorique prCaloble et celui-ci ne devient efJicace
qu'd condition d'Atre explicitC. (Borel, Grize, Midville
l. L'heterogdndit6 compositionnelle
1983
:
220)
des 6nonc6s
Par rapport aux approches discursives possibles, le cadre et les limites d'une approche linguistique et textuelle doivent €tre trds pr€cisdment situds. J'ai dit plus haut qu'il me paraissait pr6somptueux de parler de < typologie des textes >. Les sceptiques sont gdn€ralement d6courag€s par le fait que chaque texte est une r€alitd beaucoup trop hdtdrogdne pour qu'il soit possible de I'enfermer dans les limites d'une d€finition stricte. On peut, en effet, affirmer que les formes narratives sont au moins aussi varides que les formes argumentatives. La description existe, quant A elle, rarement l'€tat pur ei autonome ; elle ne constitue le plus souvent qu'un moment d'un texte narratif ou explicatif. Un r€cit peut n'Otre, de la m€me fagon, qu'un moment dans une argumentation, une explication ou une conversation, et il n'existe pas de r€cit sans un minimum de description. Comme on I'a vu plus haut, un principe de Bakhtine guide ma r€flexion :
i
i
i
parler, c'est apprendre structurer des 6nonc6s (parce que nous parlons par €nonc€s et non par propositions isol€es et, encore moins, bien entendu, par mots isoles). Les genres du discours organisent notre parole de la mOme fagon que I'organisent les formes grammaticales (syntaxiques). (t984 : 285) Apprendre
Tout en consid€rant ces genres du discours comme des types relativement stables d'6nonc€s, Bakhtine insiste sur le fait que le caracttre changeant et souple des genres du discours ne se traduit p:ls, pour le sujet parlant, par I'al€aI
20
Les textes: lypes et protolypes
Cadre thdorique d'une typologie
toire et l'anarchie de l'inspiration : < L'6nonc6, dans sa singularitd, en d6pit de son individualit6 et de sa crdativit6, ne saurait otre consid6r6 comme une combinaison absolument libre des formes de langue D (1984 : 287). En entrant un peu plus dans le d6tail, on peut dire que la compdtence linguistique des sujets est r6gl6e, de fagon fort complexe, par un faisceau de contraintes : locales et globales, textuelles et discursives. a. contraintes discursives (celles des genres) localisdes dans la partie sup6rieure du sch6ma
I
lement d6termin6es
-
li6es d des pratiques discursives historiquement et socia-
(ce sont ces contraintes qui intdressent Bakhtine-
Volochinov). b. contraintes textuelles
- localis6es dans la partie inf6rieure du schdma I li€es i I'h6t6rogdndit6 de la composition dont rendent compte les plans d'organisation (not6s Al, A2, A3, Bl et 82 dans le sch6ma 2).
c. Contraintes locales d'une langue donn6e, sur les plans phonique (ortho)graphique, lexical, grammatical, s6mantico-logique.
: un des plans d'organisation de la textualitd
L'organisation s€quentielle qui va nous retenir n'est qu'un des plans d'organisation de la textualitd. Le schdma suivant ddtaille les modules ou plans compl€mentaires qu'il est utile de distinguerr :
l.
TEXTE
CONFIGURATION PRAGMATIOUE
SUITE DE PROPOSITIONS
tAl
IBI
Vis6e
Rep6rages
illocutoire (coh6rencel
6nonciatifs
lAll
lA2l
Coh6sion s6mantique
Connexit6
S6quentialit6
lBll
1B2l
(mondes)
lA3l
Schdma 2
et
L'hypothdse de cat€gorisations (prototypiques) de base n,a de sens que si I'on congoit le langage comme un systdme complexe composd de soussystdmes ou modules d la fois relativement autonomes et en interaction les uns avec les autres. Les modules classiquement dtudi€s par la linguistique sont phon6tique-phonologique, morphologique, lexical, syntaxique, sdmantique et pragmatique. Je me propose de rdorganiser ces sous-systemes dans un essai de th6orie d'ensemble. Les plans d'organisation de la textualitd rendent compte du caractdre profonddment h€tdrogBne d'un objet irrdductible i un seul type d'organisation, complexe et en m€me temps cohdrent. pariant pour le caractdre th€orisable de cette diversite et de cette h6t6rog6n6it€, je parle de diff€rents plans d'organisation textuelle et je d6finis le texte comme une structure composde de sdquences. En revenant sur ces deux aspects, il s'agit de dessiner un cadre th€orique. L'objectif de la linguistique textuelle est simple : poursuivre I'analyse linguistique au-deld de la phrase complexe et des seuls couples de phrases et, si difficile que cela paraisse, accepter de se situer aux frontidres du linguistique dans le but de rendre compte de I'h6t€rog€n6it6 de toute composition textuelle.
2. Lasdquence
sCquentielle 2l
Je compldte au passage le chapitre 2 de la premiire partie de mes Eldments de tinguistique lextuelle qui ne dCcrivait que quelques plans d'organisation et ne fournissait pas encore de th6orie d'ensemblc.
Dans la perspective pragmatique et textuelle que je choisis d'adopter, un TEXTE peut €tre consid6r6 comme une configuration rCglCe par divers modules ou sous-systdmes en constonte interaction. Les trois premiers correspondent i I'organisation qu'on peut dire pragmatique du discours [A], les deux derniers permettent de rendre compte du fait qu'un texte est une suite non aleatoire de propositions [B], Trois plans - ou modules de gestion - de I'organisation pragmatique peuvent Otre distingu6s : la visde illocutoire [Al], les rep6rages (ancrages et
plans) €nonciatifs [A2] et la repr€sentation construite ou > du texte (organisation s€mantique-rdf€rentielle) [A3]. Deux plans d'organisation assurent I'articulation des propositions : la grammaire de phrase et la grammaire de texte sont responsables de ce qu'on peut appeler la connexitd textuelle (ou organisation g€n6rale) [Bl], mais il faut ajouter ce module de gestion de toutes les formes de mise en texte un autre module, celui de I'organisation s6quentielle (prototypes de sdquences) [B2]. Ces cinq plans d'organisation compl6mentaires, qui correspondent des sous-systemes ou modules de gestion de toute conduite langagidre, peuvent 6tre d€taillds en tenant compte chaque fois des dimensions locale et globale des faits de langue : Au niveau de ce premier module, et comme le montre L6o Apos' A.1. tel (1980), un texte est une s6quence d'actes de discours qui peut Otre consid6r6e elle-m€me comme un acte de discours unifi6. A la suite de F. Nef, j'ai souvent pris I'exemple d'un discours politique giscardien (le discours dit < du bon choix pour la France > de janvier 1978). Il est facile de rdsumer le discours de Giscard en disant qu'il a demand€ au pays (i tous les Frangais) de voter pour la droite. Mais cette op€ration implique que I'auditeur/lecteur identifie, d'une part, la suite des actes illocutoires : promettre, interroger, pr6dire, etc. mais aussi, d'autre part, qu'il d€rive de cette suite d'actes hi6rarchisde un acte global et indirect de type directif : en effet, nulle part le pr€sident n'ordonne explicitement de voter pour la majoritd de l'€poque.
i
i
-
;
22
Les
lules : types
Retenons que
et
prototwes
la ddrivation d'un macro-acte peut s'effectuer soit
Cadre thiorique d'une typologie
explicite ou d ddriver de I'ensemble du texte. c'est ce mouvement interprdtatif qui permet de d6clarer , < maigre )) ou ( mince >> pour un personnage, choix d'un lexique globalement euphorique ou dysphorique dans une description, etc.). Un ancrage 6nonciatif global confdre d un texte sa tonalitd 6nonA.2. ciative d'ensemble tandis qu'alternent d'incessants changements de plans €nonciatifs. On peut bridvement distinguer plusieurs grands types de repdrages €nonciatifs : 1. Une dnonciation (de < discours ) ou actuelle) orale dans laquelle le contexte est imm6diatement donn6 dans la situation. Le repdre est alors : JE-TUICI-MAINTENANT.
2. Une dnonciation (de >) ne permet gudre de cerner le thdme global de la pidce. A un niveau interm6diaire entre le global et le local, la dimension sdmantico-r€f6rentielle est analysable en termes d'isotopie(s) et de coh6sion clu monde reprdsentd. Un €nonc6 surr€aliste comme : (3)
il faut entendre aussitdt deux propositions : l'une explicite, la proposition n6gative qui est prise en charge par le locuteur lui-m€me, I'autie implicite, pr6supposde par la n€gation, laisse entendre: < Je dois vous dicter votre r6ponse. D cette dernidre proposition ne peut pas €tre prise en charge par le locuteur-prdsident, mais, grdce d un petit r6cit qu'il vient juste de raconter, par le simple citoyen qui tient i prdsent le serment fait un jour, au plus fort de la d6bdcle, par l'enfant qu'il 6tait alors : ouand j'avais treize ans. j'ai assist6 en Auvergne
sCquentielle
i
la d6b6cle de l,arm6e frangaise. Pour les gargons de mon dge, avant la guerre, l'arm6e frangaise 6tait une chose impressionnante et puissante. Et nous l,avons vue arriver en miettes. sur la petite route, prds du village o0 j'irai voter en mars comme simple citoyen, nous interrogions les soldats pour essayer de comprendre : < Oue s'est-il pass6 ? > La r6ponse nous venait, toujours ra m6me : < Nous avons 6t6 tromp6s. on nous a tromp6s. > J'entends encore a quarante ans d'intervalle cette r6ponse et je me suis dit que. si j'exercais un jour des responsabilites, je ne permettrais jamais que les Frangais puissent dire : . On nous a tromp6s. D C'est pourquoi je vous parle clairement.
A.3. - La dimension sdmantique globale est repr6sent6e par ce qu,on appelle la macrostructure sdmantique ou, plus simplement, le tt dm. global d'un 6nonc€. Le caractdre fictionnel ou non du texte est, i ce niveau aussi, tout i fait essentiel. Le monde repr6sent6 est soit merveilleux, c'est-i-dire soumis i une logique particulidre, soit un monde soumis i I'alternative du vner et du Reux dans la logique de notre univers de r6f6rence. En commenqant une narration par ( Il 6tait une fois... D, le narrateur opdre une mise d distance d la fois dnonciative [A2] et fictionnelle [A3], il donne au lecteur/auditeur une instruction sur I'ancrage 6nonciatif non actuel de ce qui suit et sur le monde singulier, non conforme aux lois qui rdgissent notie univers de
Dans le salon de Madame des Ricochets Le th6 de lune est servi dans des eufs d'engoulevent. (Andrd Breton, < Monde >, Signe ascendantl ne pr€sente pas les redondances s6mantiques n6cessaires ir la
jugement de coh6sion (et, partant, de coh€rence).
d'un 6noncd isotope comme
formulation d'un
Il diffdre trcs nettement
:
{4}
Dans le salon de Madame des Ricochets, le th6 de Chine est servi dans des
tasses de porcelaine. Les lexdmes < lune >> et < eufs d'engoulevent >> apparaissent comme h€t6rogdnes au contexte isotope du salon et du th€ qui peut €tre de Chine ou de
Ceylan, mais assurdment pas d'une autre plandte et qui peut @tre servi dans des tasses, mais pas dans des eufs d'engoulevent. Bien str, cette rupture peut etre attenuee par une interpretation attentive au fait que la lune est un lieu comme la Chine ou Ceylan, que I'euf, en raison de sa forme et de sa fragilit€, pourrait Qtre compard i une tasse de porcelaine. Sans pousser au-deli I'interprdtation, on voit que le concept d'isotopie (U. Eco i985). Ce concept permet de decrire les ph€nomdnes de poly-isotopie si fr€quents dans les €nonc€s du type de (3) et, par exemple, dans les paraboles (lisibles sur deux isotopies au moins). La notion s€mantique de cohdsion a pour but de repondre i des questions naives : comment expliquer le fait que, quand on lit et comprend un 6nonc6, on eprouve ou non un sentiment d'unit6 ? cOmment rendre compte s6mantiquement du fait qu'une phrase ne soit pas un tas de mots et un texte une simple juxtaposition de phrases ? Distingu6e dela eonnexild interne aux formants linguistiques d'une expression (des lettres,/sons aux composants morpho-syntaxiques) et opdrant aussi de phrase en phrase (module Bl)'
26
Les
texta : tWes el prototypes
Cadre thiorique d'une typologie
distingu6e 6galement de la cohirence (module A I et de la pertinencecontex) tuelle, la cohdsion sdmantique est un fait de co-textualit€ que la notion d'isotopie permet de th6oriser. 8.1. - Du point de vue de la connexit6 textuelle, que ddcrit partiellement ce qu'on appelle parfois la >, differents plans doi-
vent de nouveau etre consid6r6s qui correspondent
i la texture microlinguistique, objet traditionnel de la stylistique. A un tout premier niveau, chaque unit6 (proposition-phrase) est morphosyntaxiquement structur6e. ce niveau est celui que d6crit -hssiquement la lin_
guistique, aussi je souligne seulement que I'autonomie de la syniaxe est quand mOme relative. En effet, d'un point de vue syntaxique et s6mantique, un 6nonc6 comme (5) n'est pas forc€ment inacceptable : (51 Le chou mange l'engoulevent. Dans un monde oir Ie chou serait recat6goris6 comme une plante carnivore particulidrement vorace, les contraintes s6mantiques habituelles ne s'exer-
ceraient plus de la m€me fagon sur I'agent du verbe. une s€mantique des mondes [A3] doit donc accompagner la syntaxe. La connexit6 des chaines de propositions (ph€nomdnes locaux de liage) doit €tre envisagde dans le cadre de la tension textuelle : assurer la repriserdpdtition (la continuitd textuelle) tout en garantissant la progression. Les tra_ vaux linguistiques ddsormais classiques ddcrivent bien la pronominalisation (LE chat... rL...), la d€finitivisation (uN chat... r-E chat...i, la rdf6rentialisation ddictique cotextuelle (uN chat... cn chat...), la nominalisation (un chat entra... L'entrde du chat...), la substitution lexicale (un chat... L'animal...) et la reformulation (ce chat est un f6lin), les recouvrements prdsuppositionnels et autres reprises d'inf€rences (Lucky Luke a arr€t6 de fumer : it rumait donc auparavant)r. A titre d'illustration, on peut dire que dans le podme de Desnos cit6 plus haut, la connexitd morpho-syntaxique est correcte, mais la progression s6mantique trop forte et la coh6sion d peine garantie pragmatiqu;."nt pu. I'insulte rituelle (). De plus, on vient de L voir, le rapport s6mantique entre le titre et le podme tient plus de l'6nigme que de h ?ixation d'un thdme du discours : aucun rapport isotopique ne peut €tre instaurd sans un gros effort d'interpr6tation. Du point de vue du liage, les propositions successives ne cessent d'introduire des informations nouvelles. Informations certes reliees syntaxiquement entre elles, mais sur le mode d'une trds ancienne et populaire chaine de relatives enchdssdes i I'infini de L'homme qui a semd Ie groin qui a nourri Ie coq qui a rdveill{ Ie bon monsieur qui a arr€ti le mdchant brigind qui a battu la servante qui a trait Ia vache qui, etc, La grammaticalit6 des I
.
Pour une analyse de ces notions voir
mes
Eliments de linguistique textuette (l99|J,pages 52-60).
siquentielle
27
cnchainements syntaxiques ne suffit pas confdrer d une suite du type de (l) une coh{sion suffisante. En une seule phrase typographique et un seul acte d'fnonciation, on atteint dix niveaux de ddcrochage syntaxique (expansions compl{ment de nom clasprdpositionnelles internes au syntagme nominal proposition). Si, dans le poime et enchdssements relatifs d'une autre sique c'est que I'appui flagrant, est de Desnos, le manque de coh6sion-r6pdtition les condipr€c6dente faible, trop est proposition la sur de chaque nouvelle six font se succ€der transitions Les insuffisantes. tions de reprise nettement sans noyaux des constituant passd six 6v6nements soit simple verbes au la moindre adjonction d'un imparfait, c'est-d-dire d'un etaL Le rdsultat est, en fait, la production d'une suite entidrement orient{e vers sa fin : >. Le surgissement des possessifs de deuxidme personne (aprds les d€finis sp6cifiques des syntagmes nominaux pr6cddents) donne accds au genre discursif trds particulier de I'insulte rituelle. Toute cette s6quence tient entre ses premiers et derniers mots et le sentiment de coh6sion-coh6rence de I'ensemble s'explique : cohlsion sdmantique de I'isotopie [A3] de I'engendrement qui s'achdve avant I'engendrement du destinataire (succession 6vdnementielle) et cohdrence €nonciative mal6dic[A2l et pragmatique [Al] d'une insulte rituelle mimant le style des tions de I'Ancien Testament. Par ailleurs, il faut tenir compte de la dimension rythmique des 6nonc6s et ph{nom€nes de parenth{sages marqu6s argumentativement ou non. Avec des les parenth6sages, il s'agit d'6tudier des ensembles de propositions relifes et hi6rarchisdes par des connecteurs (Si... alors... mais... donc...) ou des organisateurs textuels (D'abord..., puis..., ensuite..., enfin... ; D'une Part'.., d'autre part... ; etc.). J'6tudie dans le ddtail ailleurs (1990 : 82-83) ce court passage du
i
-
-
-
-
< discours du bon choix pour la France
>>
dans lequel (2) se trouve pris
:
(6)
chacune de ces questions comporte une reponse claire. Je'n'ai pas d vous la dicter cAR nous sommes un pays de libert6, unls je ne veux pas non plus que personne, le dis bien personne, ne puisse dire un jour qu'il aura 6td tromP6.
La conclusion induite par le jeu des parenthesages introduit la proposition d6ni6e dont je parlais plus haut. L'argutlent qui suit la conjonction CAR (< Nous sommes un pays de liberte >>) se voit domin6, en quelque sorte' par I'argument introduit par MAIS (< Je ne veux pas... >). La conclusion d6ductible de ce dernier argument est tout simplement la n6gation de la conclusion qui prdcdde CAR (( Je n'ai pas d vous la dicter >>) : r.
l.
Sur pdriode et parenth6sage, voir Adam 1990' pages 72-83 el 227-251.
28
La
textes
:
Upes et prctotypes
Cadre thdorique d'une typologie
Les phdnomdnes de ddmarcations graphiques locales et de marquage gro-
bal du plan de texte (segmentation) son-t des aspects de la spatialisation dcrite de la chaine verbare, un premier rieu d'instru"iion pou, r'"-p"qu.tuge et le traitement des unit€s ringuistiques. Je range dans ce prun p"rii.u=rier d,organisation textuele non seurement res indicitions de ;""c;;;;de chapitre et de paragraphe, mais les titres et sous-titres, ra mise.n-u"r, ei ,troprre, .n po6sie, la mise en pages en g6n€ral, le choix des caractdres typograptriques, la p-onctuation. organisateurs textuels et connecteurs peuvent €galement venir souligner un plan de texter. 8.2. L'organisation s6quentieile de ra textuarit6 est le pran qui me parait constituer-la base la prus intdressante de typologie. En.o-p-ren.n'Jon.o,n*" en production, il semble que des schdmas siquentiers prototypi4aes soient pro_ gressivement 6labor6s par les sujets, uu .ou* de leur deveroppement cognitif. un r6cit singulier ou une deicription donn€e diffdrent l,un de |autre et dgalement des autres r6cits et des autres descriptions. Toutes les sortes de s€quences sont, d leur manidre, < originares >. Mais chaque s6quence reconnue comme descriptive,- par exemple, partage avec les autres un certain nom_ bre de caractdristiques ringuisriques d-'enseirbre, un ai qui incite le lecteur interpr6tant i les ideniifier comme aes "i, tiiiii sequencer"J"r.-ii-ptiu., ptu, ou moins typiques, plus ou moins canoniques. Ir en va exactement de meme pour une sdquence narrative, explicative bu Fondde sur I'hypothdse d'un nombre r€duit".gu*"ntative. d-e tvp* a. r"g.oupements des propositions 6l6mentaires, la description de ce derniei pran a'Jffisation doit
permettre de thdoriser de fagon unifi€e les ou (< genres primaires du discours > dont il a €t6 qurrtion ptus haut.
3. Approche unifide de Ia structure
sdquentielle des textes
L'unitd textuelle que je ddsigne par la notion de sEeuerucE peur €tre d6finie comme une STRUCTURE, c'est_ir-dire comme : - un r€seau relationner hi€rarchique: grandeur ddcomposable en parties reli€es entre elles et reli€es au tout qu'efes constituent ;une entit€ rerativement autonome, dot€e d'une organisation interne qui lui est propre et donc en relation de ddpendance/ind.pendance avec l,ensemble plus vaste dont elle fait partie. En tant que structure sdquentielle, un texte (T) comporte un nombre n de siquences comprdtes ou eiliptique(s). zes Miile it (Jne'Nuits,re'conte du Graal, un podme, une brdve aonuarruiion ou un discours politique sont tous, :t au mdme titre, des structures sdquentielres. C'est ." q,r. g"khtii" appeile 'hdtdrogdnditd compositionnelle dis 6nonc6s : Sur ce point, voir Adam 1990, pages 6g_72.
siquentielle
29
L'une des raisons qui fait que la linguistique ignore les formes d'€nonc€s tient d I'extr€me heterog€neitd de leur structure compositionnelle et aux particularit€s qui va de la r€plique monolexdmatide leur volume (la longueur du discours) que au roman en plusieurs tomes. La forte variabilitd du volume est valable aussi
-
pour les genres discursifs oraux. (1984 : 288)
D€finir le texte comme une structure sdquentielle permet d'aborder I'h€t€rog6n€itd compositionnelle en termes hi€rarchiques assez g6n6raux. La s€quence, unit6 constituante du texte, est constitu€e de paquets de propositions (les macro-propositions), elles-m€mes constitu6es de n propositions. Cette d6finition est en accord avec un principe structural de base : sdq.,domindel qui donnera lieu, par exemple, au sourignem"ni d., macropropositions d'une s6quence narrative par-des argumentatifs (parenth€sages marqu6s) : "on.r"at-"uru [s6q. narrative > s6q. argumentatiuellninsi aans cette s6quence du d6but de La princesse sur un pois d'Andersen of re r6cit domine manifestement, et oir |argumentation sourigne simplement te plan de texte (ie note les propositions par des lettres comi. pour-i'.*.-pt"
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de n'avoir pas trouv6 ce ou.il qu.il ddsiraii Oesiriii. j ,
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Les connecteurs argumentatifs sourignent ra suite des cinq macropropositions narratives en induisant les regrouper.n,, profosiiionnets vanrs
: [a + b] unls [c] ooNc [d + e] uars tf
*
,rri
gl u*"o*suquirvcE 1tr1. on aura certainement not6 que j'abandonne ici le terme mOme de ( superstructures )) textuelles. Diffus6e largement par T.A. van Dijk et utili_ sde assez systematiquement dans tn.r p..-[rs travaux, cette notior,a fini par recouvrir des unit€s textuelles trop vagues. T.A. van Dijk p"it! en
"rr"t
de rimes gdn6ralement diffdrentes dans chaque quatrain) et un distique final, tandis que le plan de texte du sonnet italien classique est constitud de cieux quatrains (au m€me systdme de rimes a + b) et de deux tercets (rimes c + d + e). Un sonnet n'est donc qu'une segmentation canonique d'un texte dont la structure sequentielle de base argumentative souvent aux xvtc et xvllc siecles, descriptive dans la po6sie descriptive du xvlrr" sidcle ou encore narrative reste d examiner de prds si l'on veut justement rendre compte du passage d'une forme d un genre litt€raire < second > par ddfinition. J'ai d6cid€ de ne retenir que cinq types de structures s€quentielles de base (narratif, descriptif, argumentatif, explicatif, dialogal). Les autres types envisag6s d titre d'hypothdse dans mes travaux antdrieurs peuvent certainement Otre abandonn6s. Ils se r6duisent, en effet, soit de simples descrip-
-
:
un4rince [b] quivourait 6pouser une princess",li"r [a] lltt y avait une fois un4rriDce t"1 une princesse v6ritable 'n[.}j re1 ei, a b v 6rit€, lr"":"i
(
superposdes > aux structures grammaticales (van Dijk 1984 : 2285). Toutefois, la confusion entre simple plan de texte (responsable de la segmentation vi-lisible du texte ecrit) et superstructure introduit des confusions comparables d celles d'Halliday et Hasan. T.A. Van Dijk considdre, en effet, un sonnet comme une ( superstructure prosodique D et un r6cit comme une < superstructure sdmantique >>. En proposant de s6parer segmentation (c'est-d-dire 6tablissement d'un plan de texte) d'un genre po6tique et sdquentialisalion, je suis amen6 d me ddbarrasser d'une notion devenue trop vague. Ainsi, pour moi, le sonnet 6lisabdthain comporte un plan de texte de trois quatrains (aux systdmes
r6flexions d l'6poque classique : il s'agissaii explicitement de se demander com_ ment gdrer une telre h6t€rog6n6it€ (c'est d cette question que sera consacrd le chapitre 7). Pour ce qui est de l'insertion de r8qu"n"., a.r.riptiu", aun, les narrations romanesques, des syntagmes introducteurs types eties crausules tout aussi st6r6otyp6es sont souveniutilis6s (Hamon rggi ; aJa- et petit_ jean 1989 pour une analyse d6taill6e).
(8)
33
de < superstructure > aussi bien d propos du rdcit et de I'argumentation (1984
L'insertion d'un diarogue dans un r6cit p.ui.o.r.rpondre d la structure : [s6q. narrative [s6q. dialogale] s.dq. narrativel, et celle d'un r6cit dans un diarogue ay s.qhgma inverse : [s6q. diarogale [s6q. narrative] seq. aiarogai"l. t-'ne,erogdnditd est un ph€nomdne telemeni 6vident pour res icripteirs que lorsque l'insertion d'une s6quence h€t6rogdne a rieu, iue suit ,ouu.nt a.r=proc6dures de ddmarcation tres strictes. Le marquage des zones r.ontieres,-aes fieux ini_ tial et final d'insertion, est codifi6 auisi bien dans re recit oral liiiee_prdface et Rdsumd d l'ouverture, chute ou Morare-dvaruation enfermeture; que dans la dramaturgie de l'6poque classique. La pr6sence de morceaux narratifs dans une pidce de th66tre par essence dialogale a fait
pr6c6dent)
sdquentielle
"
-
i -
-
tions d'actions (ainsi pour la plupart des textes et des textes ( expositifs ) en coMMENr), soit d des actes de langage, et ils reldvent alors, de ce fait, des plans illocutoire (Al) et 6nonciatif (A2) d'organisation textuelle et non de la s6quentialit6 (82) proprement dite. Ainsi en va-t-il pour la nature m0me de l,ordre d la base de l'< injonctif > ; le < pr6dictif > et l'> doivent €tre quant d eux abordds comme de simples descriptions de ce qui doit €tre ou est suppos6 devoir Otre.
l.
Mortara Garavelli (1988 : 165) parle ce propos de textes ( primitifs > : pridres, souhaits, malddictions, conjurations, imprdcations et incantations, qui semblent caractdris€s par leur forte composante conative et leur valeur d'acte de langage primitif. Le petit texte de Desnos cit€ plus haut (l) entre partiellement dans une telle cat6gorie illocutoire.
i
34
Les
tuta : tlpes
et prototypes
Codre thiorique d'une typologie
Dans le mOme esprit, il me parait i pr6sent impossible de consid6rer le type ( po6tique ) comme un type de mise en sdquence comparable aux cinq autres. Il n'est, en effet, pas prioritairement 169l€ par la structure hidrarchique de I'ordre des propositions qui ddfinit le mode de structuration sdquentielle. Sa sp6cificit6 rdside probablement dans le fait qu'il est organis6 en > et de la syntaxe par la mise en texte po6tique. Dans la po6sie descriptive, la po6-
sie didactique (explicative-expositive), la po6sie argumentative et surtout les podmes narratifs, un type de base se laisse identifier. Dans les formes dialogales que constituent la tragedie et le drame classiques en vers, des moments narratifs, argumentatifs, expositifs et purement dialogaux sont tous mis en texte selon les lois du po6tique. Ajoutons que le podtique doit 6galement Ctre abordd aux niveaux s6mantique (A3 du schdma 2) et dnonciatif (A2) qui jouent un r6le au moins aussi important que les effets de surface commun6ment admis. L'extrOme h6t€rogdn6it€ des
), deje rehvde par Bakh-
tine comme une caractdristique du langage humain, est un constat empirique pr6alable d toute approche typologique des diff6rences. L'h6tdrog6n€it6 est une donnde que le linguiste ne peut pas ignorer et il me parait impossible de d6velopper une th6orie un peu consdquente du texte sans rendre compte de faqon aussi dconomique et g6nerale que possible de ce qui est, aprds tout, l'expdrience commune des sujets parlants. Je propose donc de travailler sur la base de la d6finition suivante :
siquentielle
35
Cette hypothdse peut raisonnablement pric6der la ddfinition des types de s€quences si et c'est A ce niveau que, pour ma part je parle de th6orie quelles qu'elles soient, les unitds d6sign6es par la notion de s6quence unifi6e possddent la propri6t6 d'obdir toutes au m6me principe hi6rarchique de regroupement des propositions en macro-propositions, des macro-propositions en cinq prototypes de s€quences de base et des s€quences en textes.
-,
-
4. L'unitd de base : la proposition
€nonc6e
Nous avons vu que la sdquence comporte un nombre donnd de macropropositions compos€es d'une ou de plusieurs propositions 6l6mentaires. Il reste donc d d6finir ces propositions en nous demandant au passage s'il est pertinent de parler de propositions narratives, descriptives ou autres; en d'autres termes, si les diff6renciations typologiques ont lieu d ce micro-niveau ou au niveau sup6rieur du regroupement des propositions en paquets (macropropositions) organisds selon les sch6mas prototypiques de sdquences de base. A I'oral comme d l'6crit, I'interpr€tant cherche avant tout d comprendre ce qui lui est dit et les divers plans d'organisation des €noncds envisagds plus haut le guident dans cette opdration. Il n'y a certainement aucune raison qui permette de privil€gier le seul niveau syntaxique. Ordre des mots, catdgories grammaticales et marques morpho-syntaxiques guident I'interpr6tation s6mantique d un niveau trds local et la reprdsentation sdmantique d'un 6nonc6 peut 6tre congue comme un Un TExTE est une structure hi€rarchique complexe comprenant n s€quences
-
elliptiques ou compldtes
-
de m€me typ€ ou de types diff€rents.
:
(10) Une s6rie d'affrontements violents et sanglants entre la police et des membres du parti des Black Panthers ponctua les premiers jours de l'6te 1969. [...1
36
Les
Prop. 1 : Prop. 2 : Prop. 3 :
texta:
types et protorypes
ISANGLANTS, AFFRoNTEMENTSI
Leur analyse des op6rations de comprdhension de cette premiere phrase est la suivante : < P4 est sdlectionne comme proposition superordonnee car elle est la seule proposition de I'ensemble d'entr6e qui soit directement reli€e au titre: elle partage avec le titre le concept PoLIcE. [...] Pl, P2, P3 et P5 sont directement subordonn6es d P4 car elles ont en commun I'argument HEURT ; P6 et P7 sont subordonn6es en raison de la r6p6tition de I'argument
erE > (1984 [978] : I 14). Ces niveaux hidrarchiques peuvent ainsi €tre repr6:
[P4
[Pl, P2, P3, P5 [P6, PTlll
On le voit, ces diff€rents types de pr6sentation des propositionsr n'envisagent tout naturellement pas de caractdriser les diff€rentes sortes de propositions. Pourtant, dans son , D. Combe (1989) n'hdsite pas, lui, i affirmer que la c6ldbre proposition (l l) est, en soi, lisible comme un r6cit : (11) La marquise sortit ir cinq heures. Sa tentative de d€finition linguistique exclusivement phrastique d'une proposition narrative m6rite toute notre attention. La question pos6e est, en effet,
essentielle et difficilement 6vitable : existe-t-il des caractdres linguistiques qui
permettent de d6finir une proposition comme narrative et donc, par extension, une autre comme descriptive, argumentative, etc., ou l'unitd minimale de typicitd est-elle sup6rieure i la proposition ? Engageons un moment le d6bat.
L'exemple (ll) possdde certes une caracteristique linguistique : il s'agit d'un 6nonc6 assertif. Mais D. Combe ne dit pas que cette modalit{ assertive domine dgalement dans des 6nonc€s descriptifs portant sur des 6tats (12) ou sur des actions (13) et m€me dans des conclusions de suites argumentatives de type : < ... donc la marquise est une menteuse D, ou encore des sdquences explicatives (< ... parce que la marquise est maride >) : Pour une bonne prfsentation des diff6rentes sortes de repr€sentations propositionnelles, je renvoie ir J. Frangois 1991. Pour 6viter une technicitd excessive de I'analyse, je ne formaliserai pas autant mes diff6rentes analyses. Au niveau de th6orisation et en raison des objectifs qui sont ici les miens, j'ai cherche i att6nuer autant que possible les effets d'une formalisation qui n'6tait pas indispensable.
l.
37
l'l2l La marquise portait une robe de velours rouge. (131 La marquise monte sur son cheval.
ISERTE.AFFRoNTEMENTSI IVToLENTS, AFFRoNTEMENTSI
Prop. 4 : IENTRE. AFFRoNTEMENTS. PoLlcE, BLAcK PANTHERSI Prop. 5 : [TEMps: DANS, AFFRoNTEMENTS, €TEl Prop.6:loEBUT,Er€l Prop. 7 : ITEMPS: EN, ETE. 19691
sentds
Cadre thdorique d' une t.ypologie sdquentielle
De toute dvidence, si I'on d6finit spontandment (l l) comme une proposition plut6t narrative, il n'en va pas de mOme avec des propositions marqu6es par des modalitds syntaxiques interrogative (14), exclamative (15) ou
imp6rative (16)
:
(14) Est-ce que la marquise sortit d cinq heures ? (1 5) La marquise sortit a cinq heures ! (16) Madame la Marquise, vous sortirez d cinq heures
La n6gation suffit m€me l'€valuation
i
!
faire basculer (ll) dans le commentaire ou
:
117l La marquise n'est pas sortie d cinq heures. On voit toutefois qu'il suffirait d'ajouter < Ce jourJi... D et d'employer le pass6 simple pour que I'on interprdte (18) comme une proposition extraite
d'une suite narrative canonique
:
(18) Ce jour-li, la marquise ne sortit pas
i
cinq heures.
D. Combe peut fort justement observer qu'une proposition reconnue comme narrative doit Otre (1989 : 158) garantie en (l l), de toute 6vidence, par le et que la distanciation modale pass6 simple associ6 d la troisidme personne est indispensable. Lorsque la distanciation modale est attdnude, on peut affirmer, avec D. Combe, que ( commentaire et r6cit sont €troitement unis > (1989 : 159). Il semble bien qu'avec la recherche d'une ddfinition du rdcit appuyde sur une modalit6 assertive neutre, on retrouve la de Blanchot et l'> de Benveniste, soit une d6finition essentiellement 6nonciative de
-
-
la narration. Tentant de cerner l'€nonc6 narratif de base, D. Combe propose cette d€finition (sur laquelle je reviendrai, en la pr6cisant, au chapitre 2) : Dans l'6nonc6 narratif de base, le thdme devra €tre une personne, un €tre anim€, ou une chose d€finie anthropologiquement grice i une figure de rh€torique (mdtaphore, personnification, all€gorisation...). Quant au pr6dicat, il signifiera I'id€e d'action (< sortir >), de changement d'€tat, de transformation, ou plus gdn6ralement d'6v6nement, conform€ment aux critdres retenus par L€vi-Strauss, Greimas, Barthes et Bremond. (1989 : 160)
La narrativit6 ne saurait 6tre concentrde dans le verbe seul, elle semble tenir < d I'action et non pas au verbe en tant que catdgorie linguistique > (Combe 1989 : 160). En effet, I'intrusion d'un verbe d'6tat engendre une proposition descriptive :
38
La
Cadre thiorique d'une typologie
textes: tlpes et prototlpes
La simple intrusion du passd simple suffirait d transformer (19) en proposition narrative. Le fait d'habiter i I'endroit indiqud deviendrait un 6v6nement cl€ d'une suite narrative : (20) La marquise habita un h6tel particulier de l'avenue Foch'
La simple modification du temps du verbe a des incidences sur I'interprdtation de la proposition : (21) La marquise sortait d cinq heures. l22l La marquise sortira i cinq heures. (23) La marquise est sortie i cinq heures. l24l La marquise sort d cinq heures. En (21), ou bien I'on est en train de caractdriser (proposition descriptive exemplaire) le sujet sur la base de ses habitudes (fr€quentatif), ou bien cette proposition I'imparfait laisse attendre une suite du type: . Soit, dans ce dernier cas' un sch6ma d'incidence caract€ristique d'une suite narrative. En (22), on se trouve en pr6proposition prise dans une s{quence sence soit d'une r6ponse d une question soit d'un usage narratif d'historien (le < futur des historiens >). dialogale Les exemples (23) et (24) prdsentent une ambiguit6 comparable : r6ponse une question ou proposition narrative relide ir d'autres propositions au passd compos6 et i I'imparfait pour (23), iL l'imparfait et au pass6 simple pour (24),
i
-
conform6ment i I'usage du pr€sent dit narratif. Lorsque D. Combe considdre les phrases complexes suivantes
39
consid6r€es comme narratives est possible (thdme-argument anthropomorphe,
(19) La marquise habite un h6tel particulier de l'avenue Foch.
-,
sfuuentielle
i
:
(25) La marquise sortit d cinq heures, se rendit au th6etre. 126l La marquise sortit a cinq heures, puis se rendit au th6etre. (271 Aprds qu'i cinq heures la marquise fut sortie, elle se rendit au th66tre.
il se borne d noter que la succession temporelle peut s'exprimer explicitement ou implicitement et que : Lorsque la phrase compte plusieurs propositions, ddtermin6es par des verbes distincts, chacun d'entre eux constitue une unit6 minimale de r€cit, la phrase entiCre n'6tant qu'une expansion de cette unit€ de base qui prdpare le champ, plus vaste encore, d'une expansion au niveau discursif, qu'on prend g6n6ralement seul en compte. (1989: 165)
D. Combe reconnait que si (Martin 1985 : 57). Dans la mesure of tout texte construit une repr6sentation, on peut dire que la description est, d'une certaine manidre, au ceur de I'activitd langagidre. Il faudra donc veiller ne pas confondre par la suite cette fonction descriptive inhdrente d I'exercice de la parole et la forme de mise en texte-s6quence d laquelle nous donnerons le nom de description. De m€me, le fait que tout 6nonc6 possdde un but ou orientation argumentative ne devra pas €tre confondu avec la mise en s€quence argumentative. Il y a certes ld des sources de difficultds terminologiques, mais inventer de nouveaux termes ne nous faciliterait certainement pas plus la tdche. o Aspect dnonciatif. La construction de la rdf6rence est insdparable du point de vue d'un sujet. Le objectif ne peut qu'artificiellement €tre s6par6 de ce que Bally appelle la < rdaction d'un sujet )) ou ( modus >. En parlant plutdt de prise en charge 6nonciative, il s'agit de combler I'espace vide qui existe, chez Searle, entre le contenu descriptif de la proposition et I'application d'une force illocutoire sur le contenu propositionnel. Comment penser travers cette ( application D sans passer par un ancrage de l'dnonciation lequel se d6finit la validitd de la proposition ? Comment surtout sdparer un
lf
i
i
i
propositions : de Benveniste. Depuis Weinrich, Genette et Mains€es
gueneau, un tel glissement terminologique induit une confusion entre plans 6nonciatifs et sequentialit6. Si le passd simple est, comme le note un trds c6ldbre article de Roland Barthes, la (Bakhtine 1984 : 290). Dans Ze Marxisme et la philosophie du langage, Bakhtine-Volochinov pousse cette id6e encore plus loin :
sdquentielle
43
Toute 6nonciation-monologue, m€me s'il s'agit d'une inscription sur un monument, constitue un 6l€ment inalidnable de la communication verbale. Toute 6nonciation, m€me sous forme 6crite figde, est une rdponse quelque chose et est construite comme telle. Elle n'est qu'un maillon de la chaine des actes de parole. Toute inscription prolonge celles qui I'ont pr6c6d6e, engage une pol€mique avec elles, s'attend des rdactions actives de compr6hension, anticipe sur celles-ci, etc. [...] Une inscription, comme toute dnonciation-monologue, est prevue pour 6tre comprise, elle est orient€e vers une lecture dans le contexte de la vie scienti-
i
i
fique ou de la rdalitd litt€raire du moment 1...1. (1977
:
105-106)
Dans cet esprit, on ne peut interpr6ter le petit rdcit giscardien (citd page Z) et I'argumentation qui le prolonge (exemple 6, page 27) en dehors de la chaine des actes de parole : pression de Chirac qui enjoint le Pr6sident ir s'engager, intertexte de la droite classique rendant le Front populaire responsable de la
ddbdcle et assimilant I'Union de la gauche au souvenir de 1936, vote de la nation comme forme de r6ponse au discours de son Prdsident, etc. Cette nature profond6ment dialogique du discours ne doit toutefois pas €tre confondue avec le mode d'agencement s6quentiel que je d6signerai par le terme < dialogue >>. L'importance du principe dialogique ne confdre pas plus au dialogue une place primordiale que la rdf€rence ne ou part transforme la description en catdgorie langagidre g6n6rale.
-
i
-
r Chopitre
2
Le prototype de la s6quence narrative
En ddpit de diffdrences dvidentes entre rdcit historique et rdcit de fiction, il existe un e structure narrative commune qui nous autorise d considdrer le discours narratd comme un modile homogdne de discours. (Riceur 1980 : 3) Le r€cit est certainement I'unitd textuelle qui a 6td la plus travaill6e par d'Aristote d I'Essai sur le rdcit de - de Laet Podtique par la narratologie moderne t Bdrardier de Bataut (1776) - de la Morphotogie du conte de Propp (1928) d Temps et rdcit de Paul Riceur (1983-1985). Il existe aujourd'hui de nombreuses pr6sentations et synthdses de tous ces travaux et de ceux qui ont €td men6s, ces dernidres anndes, en psychologie cognitive (Fayol 1985). C'est d propos du r6cit qu'a €t6 progressivement 6labor6e la notion de superstructure, avec ces suites de propositions narratives auxquelles U. Eco fait allusion dans son Apostille.au Nom de la rose: (1985b : 50). Le moddle de la sdquence narrative de base que je vais exposer ici a pour but d'expliciter cette observation essentielle en d6finissant ce qui assure le lien des propositions ainsi que leur empaquetage sous forme de < macropropositions > constitutives d'une s6quence elle-m€me constitutive d'un texte. En tant qu'unitd textuelle, tout r6cit correspond certes iddalement i la d6finition minimale qu'on peut donner de la textualit| : suite de propositions liCes progressant vers une fin, mais comment d€finir ce qui fait la sp6cificit6 de ce type de mise en texte ?
la tradition rh€torique
l. Pour un expos€ d€taill€ des recherches modernes de narratologie, je renvoie narratif, publi€ dans la m€me collection que le prdsent ouvrage.
au
46
l.
Ricit
Les textes: tlpes et prototypes
Critdres pour une d6finition du r6cit
Deux d6finitions de
c.
Bremond posent les constituants de base de tout r6cit.
trouve dans Logique du ricit: (Bremond).
Pour qu'il y ait r6cit, il faut une succession minimale d'6v€nements survenant en un temps t puis t + n. En d€finissant l' qui traverse les diffdrents modes et genres narratifs, Paul Riceur souligne luiaussi I'importance de la temporalit€ minimale : >. La pr€sence d'un acteur (S) au moins un, individuel ou collectif, sujet d'6tat (patient) etlou sujet op6semrateur (agent de la transformation dont il va €tre question plus loin) par question Aristote est discut6e ble €tre un facteur d'unit6 de l'action. Cette au chapitre 8 de La Podtique :
t
(anim6 ou inanim6,
-
-
L'unit6 de I'histoire ne vient pas, comme certains le croient, de ce qu'elle concerne un h€ros unique. Car il se produit dans la vie d'un individu unique un nombre €lev€, voire infini, d'evdnements dont certains ne constituent en rien une unitd ; et de m6me un seul homme accomplit un grand nombre d'actions qui ne forment en rien une action unique. (5lal6)
La mise en garde d'Aristote doit €tre retenue, I'unicit€ de I'acteur (principal) ne garantit pas I'unit€ de I'action. La pr€sence d'(au moins) un acteur est indispensable, mais ce critdre ne devient pertinent que mis en rapport avec les autres composantes : avec la succession temporelle (A) et avec des pr€dicats caract6risant ce sujet (C).
(C).
Des prddicats transformds
:
qu'il advient d I'instont t + n des prddicats qui [...] Qi'il coiactdrisoient fte suiet d'6tot S] d I'instant t > (Bremond). Une trace de cette id6e se trouve deje e la fin du chapitre'7 de La PodtiK
soit
dit
ce
que : (51a6). Cet exemple choisi par Aristote correspond la notion d'inversion des contenus qui sera longtemps la cl6 de la ddfinition du r6cit par la s€miotique narrative de Greimas. Cette
i
opposition entre contenu inversi (un sujet d'6tat [S] est disjoint d'un certain objet de valeur : O) et contenu posd (le sujet d'6tat est, a la fin du r6cit, conjoint d I'objet qu'il convoitait) ddbouche sur la ddfinition suivante : (Bremond). Cette id6e d'unit6 de I'action est mise en avant par Aristote lui-m6me en plusieurs points de La Podtique et c'est en son nom qu'il ne se satis-
fait pas de l'unicit6 du h6ros (B) : [...] L'histoire, qui est imitation d'action, doit €tre repr6sentation d'une action une et qui forme un tout ; et les parties que constituent les faits doivent etre agenc6es de telle sorte que, si l'une d'elles est ddplac€e ou supprim€e, le tout soit troubld et boulevers€. Car ce dont l'adjonction ou la suppression n'a aucune consdquence visible n'est pas une partie du tout. (51a30)
un toui est ainsi prdcisde par \+. qui forme -La notion d'action utc-gt L-,.a-,---*'_ -+----*"Aristote : Forme un tout. ce qui a un commencement. un milieu et une fin. Un commence-ffi-aru-q*,ini: quoi se rrouve Fuiills n?GCffimirii?uii. .rt.jri,-il
ou vient ir se produire naturellement autre chose. Une fin au"ires contraire est ce qui vient naturellement aprds autre chose, par ndcessit€ ou dans la plupart des cas, et aprds quoi il n'y a rien. Un milieu est ce qui succdde i autre chose et aprds
49
quoi il vient autre chose. Ainsi les histoires bien agencees ne doivent ni commencer au hasard, ni s'achever au hasard' (50b26)
par les cette triade sera reprise systematiquement, a l'6poque classique, ( >>, (( termes de < d6but ) ou (( exposition )>, nceud )) ou d{veloppement comme < conclusion )> ou (( d€nouement >. La definition de I'action unique annales : tout permet e Aristote de distinguer le r6cit de la chronique ou des
[...]Leshistoiresdoivent€treagencdesenformededrame,autourd,uneaction un
et menee jusqu'd son terme, avec un commencement, qui forme un tout, milieu et une fin, pour que, semblables d un €tre vivant un et ne doit pas €tre semstructure propre leur ; elles procurent le plaisir qui leur est non d'une action I'expos€, qui n€cessairement sont blabli n celle des chroniques
uni, for,ount un tout
une,maisd'unep6riodeuniqueavectousles€v6nementsquisesontalorspro-
les autres
duits, affectant un seul ou plusieurs hommes et entretenant les uns avec qu'eurent lieu la bataille des relations fortuites ; cai c'est dans la m€me p€riode qui ne tendaient en navale de Salamine et ia bataille des Carthaginois en Sicile, p€riodes cons€cutique des dans peut m€me de rien vers le meme terme ; et il se en rien qui n'aboutissent 6v€nements deux l'autre aprds produisent I'un ves se d un terme un' (59a17-21)
c'est d ces propos d'Aristote que se r€fdre P. Ricaur lorsqu'il d€finit texte en r€cit. Le le mode de comjosiiion verbale qui constitue, selon lui, un philosophe souligne tres justement que le muthos comme
(
assemblage des
actions-accomplies>estuneopdrationdemiseenintrigue:>KSVO)
tif
:
A).
.. '
tiogr"
l.
initia'le1es rre.oi. nins-G
ai, noil avons'affaiiE a riri6?iri_d;sitioii
Pour un rdsumd et une application, voir Adam 1984: 59-73.
-De
bgj{s-?fonde S39t9:p.tgp-o-si4g}*=*ggiil_epgell-e_le*g$_.*-*
ses rencontr6es (< il ne pouvait jamais s'assurer si c'6taient de vdritables princesses >), c'est-i-dire de r€v6ler la vdrit€, et la proposition [g] insiste sur la difficult€ de d€celer le non-€tre mensonger sous le paraitre (< paraissait suspect >). Cette macro-proposition narrative peut €tre appel€e > m€me lorsqu'elle ne manifeste aucune r6solution du probldme pos€ ; par ce terme j'entends seulement souligner le fait que ce second d6clencheur permet la s€quence de s'achever comme le premier (Pn2) assurait, de son c6t6, le d6marrage de la sdquence. A sa manidre, Tomachevski avait pergu la nature profond6ment symetrique de Pn2 et de Pn4 : (Sartre 1947 : 147). Dans sa c6ldbre < Explicatio n de L'Etranger >> (1943), Sartre part Ae cette,r{r*l dEfinition du r6cit pour expliquer en quoi le roman de Camus ne peut
tmj
52
Les textes: types et prototlpes
Ricit
€tre considdrd comme un r6cit. Il d€veloppe la m€me id6e dans un essai de 1938 sur Dos Passos : < Le r6cit explique : I'ordre chronologique - ordre pour la vie dissimule d peine I'ordre des causes pour ordre I'entendement ; l'6v6nement ne nous touche pas, il est d mi-chemin entre le fait et la loi >> (1947 : 20). Si l'6crivain amdiicain invente litt6ralement >. De la m€me manidre, dans L'Etranger, les phrases semblent juxtapos6es : . euelques lignes plus loin, la tentative de narrativisation ce que j'appelle la mise en intrigue est decrite en ces termes :
-
-
Et maintenant, maintenant que tout est fini, tenter de rapporter, de reconstituer qui s'est pass6, c'est un peu comme si on essayait de recoller les ddbris dispers6s, incomplets, d'un miroir, s'efforgant maladroitement de les reajuster, n,obtenant qu'un resultat incoh€rent, derisoire, idiot, oir peut-€tre seul notre esprit, ou plutot notre orgueil, nous enjoint sous peine de folie et en d€pit de toute 6vidence de trouver tout prix une suite logique de causes et d'effets li of tout ce
i
ce que la raison
parvient d voir, c'est cette errance, nous-m€mes ballott6s de droite et de gauche, comme un bouchon i la d6rive, sans direction, sans vue, essayant seulement de surnager et souffrant, et mourant pour finir, et c'est tout...
Dans L'Art du roman, Milan Kundera va dans le m€me sens en comparant les suicides de werther et d'Anna Karenine. chez Goethe, < werther aime la femme de son ami. Il ne peut trahir |ami, il ne peut renoncer i son amour, donc, il se tue ) (1986 : 79) ; en d'autres termes le suicide est ici
53
( transparent comme une {quation mathdmatique >> (ibiA. Pour les anciens romanciers, le mobile rationnellement saisissable fait naitre un acte qui en provoque un autre, et ainsi de suite. L'aventure est r6cit, c'est-i-dire (ibid.). Le fait qu'on ne puisse, en revanche, pas vraiment expliquer le suicide d'Anna Karenine marque bien toute la diff6rence entre la narration classique et le roman de Tolstoi qui met en lumidre (ibid.). A titre d'exemple, considdrons ce rdsum€ de Colomba de M6rim6e proposd dans le Manuel des dtudes littdraires frangaises de P. Castex et P. Surer (Tome 5, XIX? siicle, Hachette, 1950 : 172) : regagnant [a] Un jeune lieutenant en demi-solde, Orso, fait connaissance, en la Corse. sa patrie, du colonel Nevil et de sa fille Lydia, dont il s'6prend. [b] A son arrivde dans l'ile, sa sceur Colomba trouble son beau r€ve en l'appelant d une vendetta contre les Barricini, meurtriers de son pOre. [c] Orso, bless6 par les deux frdres Barricini, riposte et les abat d'un coup double, puis gagne le maquis ; [d] Colomba et Lydia le rejoignent ; [e] mais la petite troupe
est capturee. [f] orso est consid6r6 comme ayant agi en 6tat de l6gitime ddfense [gl et celebre ses fianqailles avec Lydia, [h] tandis que Colomba' implacable, savoure son triomphe en prdsence du vieux Barricini mourant.
Un rdsumd d'un texte narratif est un texte comme un autre mOme si, comme le note A. Kibedi varga, < le r6cit ne reprfsente jamais /e texte, mais une espdce de r6sum€ mental de celui-ci, et qui risque mQme d'€tre inexact puisqu,il d{pend du choix de celui qui r6sume les €v€nements racont€s dans un texte > (1979 : 380). Le r6sumd choisi nous permet d'acceder ir une fable (ou histoire, terme pr€f6rable d celui de < r6cit >> qu'utilise A. Kibedi Varga) qui semble bien s'appuyer sur un syllogisme sous-jacent : L'homme qui ne d6fend pas son honneur est indigne d'6tre heureux. Or Orso {grice
A
Colomba} a su ddfendre son honneur. (m2 + m3 + m4
Donc Orso est digne d'6tre heureux. (m5
=
(ml = [a] +
[bl)
= [cl' [dl' lel et [fl]
[g] et [hl)
ChezMdrimee comme chez Goethe, les faits ont la transparence sinon d'une < 6quation mathematique ), comme le dit M. Kundera, du moins de cette forme iddale du raisonnement qu'est un syllogisme. Dans de telles conditions, la narration s'appuie sur la logique d'un raisonnement et I'on peut effectivement parler d'un >. La logique singulidre de la mise en intrigue n'a rien i voir avec la rigueur abstraite des raisonnements materialisds par de tels syllogismes. La < logique >
r 54
Les textes: lypes et prototlpes
Rdcil
narrative est parfaitement cernde par R. Barthes lorsqu'il parle d'elle comme d'une logique trds impure, un semblant de logique, une logique endoxale, li6e d nos faqons de raisonner et pas du tout aux lois du raisonnement formel que les syllogismes pr6c€dents mettaient, eux, en 6vidence : Tout laisse d penser, en effet, que le ressort de I'activit€ narrative est la confusion m€me de la cons€cution et de la consdquence, ce qui vient aprds 6tant lu dans le r6cit comme causd por ; Ie r6cit serait, dans c€ cas, une application syst€matique de l'erreur logique d6noncde par la scolastique sous la f ormule posl hoc, ergo propter hoc 1...1. (1966 : l0)
G. Genette insiste plus nettement encore, avec la notion de >, sur la fagon dont le r6cit dissimule son arbitraire : < Non pas vraiment I'inddtermination, mais la ddtermination des moyens par les fins, et, pour parler plus brutalement, des causes par les eflets > (1969 : 94). La motivation narrative est une sorte de voile de causalit6 : . L'op6ration de mise en intrigue repose sur ce dispositif 6l6mentaire qui d6bouche, bien str, sur des possibilit6s de combinaison des s6quences en textes selon trois modes de base que je dftaille ailleurs et qu'illustreront partiellement les analyses textuelles de ce chapitre et du suivant (Adam 1985 :'10-94) : coordonner lindairement des s€quences, les enchAsser-ins6rer les unes dans les autres ou les monter en paralldle (histoires altern€es dont le Conte du Groal deChrEtien de Troyes ou Palmiers ssuvages de Faulkner sont de bons exemples litt6raires et Les dieux sont tombds sur la t€te, le plus amusant exemple filmique)' On comprend aussi que la compilation de faits rang€s par ordre de dates des chroniques, annales, etc., puisse €tre d€clarde non narrative aussi bien par Aristote que par B€rardier de Bataut dans son Essai sur le rdcit de 1776 : dans ce cas on n'assiste pas d une mise en intrigue dominde par I'introduction des deux d6clencheurs constitu6s par la Complication-Pn2 et la R6solutionPn4. C'est par exemple le cas dans cet €nonc6 dont U. Eco note, dans Lector in fabula, qu'il est exclu du nombre des textes narratifs : Hier ie suis sorti de chez moi pour aller prendre le train de 8 h 30 qui arrive Turin d 1O heures. J'ai pris un taxi qui m'a amen6 d la gare, ld j'ai achet6 un billet et je me suis rendu sur le bon quai ; d 8 h 20 je suis mont6 dans
i
le train qui est parti e I'heure et qui m'a conduit
S6quence narrative
55
i
Turin.
Si une telle s6quence linguistique n'est pas un recit, ce n'est pas pour Situation initiale (0rientation)
Complication D6clencheur 1
Pn1
Pn2
{m1}
Actions
R6solution
ou
D6clencheur 2
Situation linale
Evaluation Pn3
(m2) +(m3) +(m4l
Pn4
Pn5 (m5)
L'application de ce sch6ma au r6sumd de Colomba proposd plus haut donne le d6coupage suivant, plus proche de I'ensemble du rdsum€ que le syllogisme : Pn1
= [a] + [bl =
Pn2 =
Bonheur d'Orso et d6shonneur ressenti d'abord par Colomba (d'o0 le mandement) dans une Situation initiale type qui conjoint trois acteurs dans la perspective de deux qu6tes li6es : Orso et Lydia (bonheur vis6), Orso et Colomba (honneur vis6). [cl = Qr5s, bless6 par les Barricini, riposte et les tue : soit un faire transformateur qui peut modifier les pr6dicats de base de Pn 1 en introduisant le malheur et le d6s-
honneur.
i
les raisons pragmatiques envisag€es par U. Eco : > de voyage en train n'est pas un recit, c'est parce qu'elle se contente d'6numdrer une succession d'actes - qui correspondent d un simple script sans mettre les €vdnements en intrigue. Pour distinguer description d'actions et r6cit, disons que la description d'actions (dont il sera question d la fin du chapitre 3) n'est pas soumise au critdre de mise en intrigue (E). Ajoutons que I'Orientation-Pnl, en fixant la situation initiale du r6cit, 6tablit surtout les 6l6ments constitutifs du < monde >> de I'histoire racontde. Comme le note U. Eco : ( Pour raconter, il faut avant tout se construire un monde, le plus meubl6 possible, jusque dans les plus petits d6tails > (1985b : 26). Non seulement les personnages sont contraints d'agir selon les lois de
l tlr
il I
tll
56
Les textes: tlpes et prototypes
Rdcil
ce monde, mais < le narrateur est le prisonnier de ses pr6misses > (l9g5b : 35). c'est dire qu'une logique du monde repr€sent6 vient se superposer d la logique de Ia mise en intrigue. cette logique du monde repr6sent6 se situe, elle, dans la partie gauche du schdma 2 (chapitre l, page 2l), en A,3.
(F). Uye_lvaluation finale (explicite ou implicite) : . Pour Lessing, I'unit6 de I'ensemble provient de I'accord de toutes les parties en vue d'une seule fin : < La fin de la fable, ce pourquoi on l,invente, :'est le principe moral. > claude simon, dans son discours de rdception du \obel, pr6cise dans le mOme sens le processus de fabrication de la fable : Selon le dictionnaire, la premidre acception du mot < fable > est la suivante : < Petit r6cit d'otr I'on tire une moralite >. une objection vient aussitot i I'esprit : c'est qu'en fait le v6ritable processus de fabrication de la fable se d6roule exactement ir I'inverse de ce schdma et qu'au contraire c,est le r6cit qui est tir6 de la moralitd. Pour le fabuliste, il y a d'abord une moralitd [...] et ensuite seulement I'histoire qu'il imagine i titre de d€monstration imag€e, pour illustrer la maxime, le prdcepte ou la these que I'auteur cherche par ce moyen dr rendre plus frap-
pants. (1986:
I I I I I
Situation Complication (R6)Actions R6solution
initiale D6clencheur 1 (Orientation) Pn2 Pn1
ou
Evaluation
Pn3
Ddclencheur
Pn4
2
Situation finale
Morale
PnS
PnO
i I I
i i
16)
Edgar Poe, d propos d'un tout autre genre narratif, aboutissait d6ja e m€me conclusion dans sa < M6thode de composition >> de Lo Gendse d'un todme : < Je puis dire que mon podme avait trouv6 son commencement rar la fin, comme devraient commencer tous les ouvrages d'art [...] > (1951 : 9l). < Un plan quelconque, digne du nom de pran, doit avoir 6t6 ioigneusenent elabor6 en vue du d6nouement, avant que la plume attaque le papier. a
Les 6crivains mettent bien en 6vidence cette compldmentarit6 narrative entre s€quence et configuration. Ainsi Milan Kundera, dans L'Art du roman, parle de < I'art de I'ellipse D comme d'une ndcessit6 qu'il explique en des termes fort proches de ceux d'E.A. Poe : (1986 :94), La structure du r6cit garantit la maitrise de la diversit6 des 6l6ments : assurant la coh6sion, elle permet la mdmorisation comme la lisibilitd des 6nonc6s.
Prenons I'exemple d'un r6cit d'une bridvet6 extr€me
-
l2l
: ll
IL FAUT FAIRE SIGNE
AU MACHINISTE
l.
l
f 58
Les
textes: tlpes et protolypes
Ricit
La dame attendait I'autobus Le monsieur attendait l'autobus
passe un chien noir qui boitait la dame regarde le chien le monsieur regarde le chien et pendant ce temps-ld l'autobus passa Raymond Oueneau, Courir les rues, @ 6d. Gallimard, 1967. Ce petit texte pr6sente I'intdr€t de ne pas respecter tout d fait I'ordre canonique des macro-propositions. Le titre correspond, en effet, i une anticipation de l'dvaluation finale-Pno qui suit habituellement la situation finale-pnS. cette dernidre n'est pas explicitement fournie, mais donn6e ir d€river i partir des informations pr€cddentes : bus dgalement manqu6 par le monsieur et par la dame, soit un retour ir la situation de d6part (t + n [Pn5] = t [pnl]). Les deux premiers vers d€finissent la Situation initiale (Orientation-pnl) ; le vers 3 introduit le d6clencheur du r6cit (Complication Pn2) ; les vers 4 et 5
correspondent
i
la (r6)action centrale (Pn3) et le dernier vers au second d6clen-
cheur ou R6solution-Pn4.
Il est intdressant de comparer ce petit recit avec ce que dit Lessing lorsqu,il montre qu'une suite de personnages un coq de bruydre (Sl) + une martre (S2) + un renard (S3) + un loup (S4) - ne fait pas une fable. Une succession dv6nementielle de ce type, ou m6me, comme I'envisage Lessing : , ne suffit pas - quoi qu'il en dise d transformer le principe moral en fable. L'importance du pass6 simple est -tout d fait r6elle et 6galement mise en avant par le dernier mot du petit recit de Queneau : derridre ce temps narratif se profile le d€placement de la succession temporelle (A) vers la causalitd narrative de la mise en intrigue (E). Mais, pour qu'il y ait r6cit, il faut passer du plan de la succession dvdnementielle d celui de la < configuration >, il faut pouvoir ddpasser I'absence d'acteur constant. L'unit€ est ici assur6e par le principe moral : < Le plus faible est la proie d6sign6e du plus fort > qui pose clairement deux acteurs charg6s d'assurer le lien, en profondeur, des propositions : Slle plus fort et S2-le plus faible, mais on ne peut parler d'un pro:ds transformationnel articuld autour des deux d€clencheurs (Pn2 et pn4) qui rssurent le passage d'une situation initiale d une situation finale. Pour 6crire un r6cit et ddpasser la simple description d'actions, il faudrait, par exemple, imaginer un procds qui mette face d face le plus fort (le Loup) et le plus faible il'Agneau) pour aboutir d I'intrigue de la fable de La Fontaine dont je ddtaille .'analyse plus loin. Les six critdres envisagds peuvent €tre r€unis dans le schdma de synthdse ;uivant
:
59
Unit6 th6matique (B) [Sujet] Succession 6v6nementielle (A) Pr6dicats {C}
:
:
t[m1l (Sl X, X'...
Procls (D)
[m2-m3-m4]
+ n[m5]
(sl Y, Y'...
Transformation
tll ttt n Morale >-Evaluation finale
t
Causalit6 narrative (El [Pn2 et Pn4j
{F}
lPnol
2. Pragmatique du r6cit Trois rdgles pragmatiques ont 6t6 6dict6es par Cic6ron et reprises, par exemple, dans I'article < Rdcit >> del'Encyclopddie : rdgles de concision (loi d'6conomie), de clartd et de vroisemblance. Les ouvrages classiques ajoutent g6ndralement une loi toute pragmatique d'intdrdt : < La narration sera int6ressante, si l'orateur, qui parle pour €tre 6cout6, et I'auteur, qui 6crit pour €tre lu, savent attacher I'auditeur ou le lecteur, soit en I'amusant, soit en I'instruisant, soit en le touchant, c'est-d-dire en parlant i son imagination, i son intelligence ou i son ceur. ) On peut se poser des questions sur ces quatre principes. Si le vraisemblable et la clart6 semblent unanimement prescrits pour former un bon r6cit, I'int6r6t ne s'accorde pas toujours avec la loi d'6cono-
mie classique. En t6moignent, par exemple, ces remarques de Michel D6on dans Un taxi muuve. A propos des histoires racont6es par le personnage central' le narrateur note d'abord qu'elles respectent la rdgle de vraisemblance : ( Dans les histoires de Taubelman [...] il y a une part de v6ritd qui les'rend plausibles > (1973 : 160), mais, ajoute-t-il un peu plus loin: (Bakhtine-Volochinov 1977 : 103). \utre formulation, dans la traduction de T. Todorov : < Tout 6nonc6 exige, rour qu'il se r6alise, d la fois la prdsence d'un locuteur et d'un auditeur. [...] 'oute expression linguistique, donc, est toujours orient6e vers l,autre, vers 'auditeur, mOme si cet autre est physiquement absent > (1981 : 292). Les ons6quences de cette prise en compte du destinataire (co-6nonciateur, en fait)
rdcit sont considdrables pour la narratologie. on trouve chez Bakhtine les ermes de ce que W. Labov et J. Waletzky (1967, l9T2) th6oriseront autour .es propositions 6valuatives : < Ainsi, tout 6nonc6 (discours, conf6rence, etc.) st congu en fonction d'un auditeur, c'est-i-dire de sa comprdhension et de a r6ponse non pas sa rdponse imm6diate, bien s0r, car il ne faut pas interompre un orateur ou un conf6rencier par des remarques personnelles ; mais ussi en fonction de son accord, de son d6saccord, ou, pour le dire autre.u
-
rent, de la perception €valuative de I'auditeur, bref, en fonction de l',,audirire de l'6nonc6" > (Todorov l98l :292). La narratologie moderne a mis un certain temps d tenir compte de ces ypothdses qui font dclater la belle unit6 monologique du r6cit. C'est dans Voir ir ce sujet T. Todorov
1981.
6l
cette perspective que W. Labov met I'accent sur un fait pragmatique fort int6-
ressant
:
Zlt, j'ai ddjd tout dit. Il aurait fallu parler longuement de la < pdte amaigris-
(1987
Rdcit
:
Il y a bien des fagons de raconter la m€me histoire, et on peut lui faire dire des choses fort diff6rentes, ou rien du tout. L'histoire qui ne dit rien s'attire une remarque m€prisante : < Et alors ? ) Cette question, le bon narrateur parvient toujours d l'€viter, il sait la rendre impensable. Il sait faire en sorte que, son r€cit termin6, la seule remarque appropri6e soit : < Vraiment ? ) ou toute autre expression apte ir souligner le caractdre memorable des dvdnements rapportes. (1978 : 303) Le meilleur exemple litt6raire de ce genre de sanction nous est fourni par ce r6cit de l'acte IV des Justes de Camus :
{@ Kaliayev
[1] : ll ne faut pas dire cela, frdre. Dieu ne peut rien. La justice est notre affaire | (Un silence.) Tu ne comprends pas ? Connais-tu la l6gende de saint Dmitri ?
Fokalll:Non. Kaliayev [2] : [a] ll avait rendez-vous dans la steppe avec Dieu lui-m0me, et il se h6tait [b] lorsqu'il rencontra un paysan [c] dont la voiture 6tait embourb6e. [d] Alors saint Dmitri l'aida. [e] La boue 6tait 6paisse, la fondridre profonde. [f] ll fallut batailler pendant une heure. [g] Et quand ce fut fini, [h] saint Dmitri courut au rendez-vous. [i] Mais Dieu n'6tait plus lir. Foka [2]: Et alors ? Kaliayev [3] : Et alors il y a ceux qui arriveront toujours en retard au rendezvous parce qu'il y a trop de frdres d secourir. Le fait que le rdcit alldgorique ne permette pas ir I'auditeur (Foka) d'interpr6ter correctement la < maxime de morale > implicite oblige le narrateur d formuler explicitement une 6valuation finale sous forme de . On peut dire que la sanction du < Et alors ? > manifeste la mauvaise anticipation par le narrateur des possibilit€s interpr6tatives de son auditeur. Soulignons que ce recit, extremement concis, est totalement ddpourvu d'dvaluations susceptibles de pr€parer I'interpr6tation finale. Le respect outrancier de la loi d'6conomie est certainement responsable des difficultds de comprdhension de Foka. Cet exemple contraste avec le r6cit d'un bavard que I'on trouve dans Belle du seigneur d'Albert Cohen. Dans ce texte, les mouvements d'anticipation des rdactions de I'auditeur, la fagon d'adjoindre au corps du r6cit tout un ensemble de propositions clescriptives et 6valuatives suspendent le cours des 6v6nements et contrastent avec l'dconomie excessive du r€cit des Justes ou I'impuissance du narrateur de Ni /es ailes ni le bec. Avec l'approche pragmatique et textuelle, le changement de cap de la narratologie a lieu dans une double direction : en direction du langage ordinaire et non plus de la seule narration litt6raire, d'une part, en direction de la non-homog€ndit€ du r€cit, de ce que j'appellerai son orientation
F
62
Ricit
Les textes: types el prototypes
argumentative, d'autre part. La narratologie qu'inaugurent Labov et waletzky et que prolongent les travaux amdricains de sacks et Jefferson et, en Allemagne, d'Uta Quastoff consiste d d6crire des textes domin6s par une atti-
-
tude langagidre fondde -sur I'appel d I'activit€ du ou des partenaire(s) de I'interaction. soit un glissement des prdoccupations du plan de Ia normalitd formelle - de la cl6ture structurale, ri6e d un genre (le conte merveilleux 6crit) au plan de I'interaction langagidre en situation - causalit6 interactive toujours sous-jacente et parfois dominante. ces deux composantes ne sont en rien s6parables et il faut absolument penser le r€cit comme Ie produit d'une construction textuelle (plan de sa structure s6quentielle propre) et d'une orientation pragmatique (pian de I'interaction langagidre). c'est dans ce sens que s'engagent le Lector in fabula d'Umberto Eco (1979), qui constitue le premier essai de pragmatique textuelle
appliqude au rdcit, et, d'une certaine manidre, la r€flexion de p. Riceur dans les trois volumes de Temps et rdcit. La triple mimesis de p. Riceur approche, en effet, une grande partie de I'objet m€me de la pragmatique textuelle d'U. Eco : < Etudier comment le texte (une fois proouit;-est lu Lt comment toute description de la structure du texte doit, en mOme temps, €tre la description des mouvements de lecture qu'il impose > (Eco l9g5 : l0). La premiire mimesis ou plan de la prdfiguration situ€e en amont de la textualitd est celle de I'intrigue comme composition d,actions enraci-
-
-
n€es dans du pr€construit. M€moire de ce que le texte prend en charge et tente de rendre intelligible, elle marque I'ancrage de la composition narrative
dans la compr6hension pratique du lecteur. En effet : (Riceur 1983 : 86). on peut la ddfiniicomme une activitd productrice d'intrigue qui consiste d prendre ensemble une succession d'actions pour en faire un tout organis6 ayant un commencement et une fin. Comme mddiation, le moment de l'op6ration configurative fait d'6v6nements individuels une histoire, il compose en un tout des facteurs hdterogcnes. En d'autres termes, la mise en intrigue permet de rassembler une succession d'6v6nements en un tout signifiant faisant < figure >>, dot6 d'un lommencement et d'une fin, et susceptible d'€tre suivi par qui lit ou entend l'< histoire >. ce plan est, bien sfir, celui qui nous int€resse le plus directement ici. La troisieme mimesis ou plan de la refiguration, avaldu texte, ( marque L'intersection du monde du texte et du monde de I'auditeur ou du lecteur. L'intersection, donc, du monde configurd [.. .] et du monde dans lequel I'action :ffective se deploie et deploie sa temporalit6 spdcifique > (Riceur issl , t09).
63
Ce moment oir le lecteur s'approprie le monde de I'euvre se trouve encore dans l'euvre elle-mOme. En d'autres termes, I'effet produit par le texte, cette de I'expdrience du lecteur que la lecture effectue, n'est pas ext€rieur au texte lui-m6me et sa signification. Riceur oppose r€cit historique et rdcit fictionnel partir de la pr6tention d la v6ritd par laquelle se ddfinit la troisidme relation mim6tique (1984 : l2). Soulignons au passage que c'est bien I'objet de la dernidre [3] r6plique du narrateur des Justes que de donner le sens du r6cit configur6 en explicitant I'intersection du monde du r€cit et du monde dans lequel se ddroule l'6change entre Kaliayev et Foka. C'est < dans I'auditeur ou dans le lecteur >, souligne encore Riceur, que (1983 : 77). Le triple aspect de l'activit€ mimdtique permet de souligner l'importance de la mimesis 2, lieu de passage d'un amont (m6moire) un aval (attente) du texte. Ceci d€bouche sur un heureux refus de I'enfermement dans la < cl6ture > (structurale) du texte. Mais, en contrepartie, si une place importante est accordde au lecteur (point d'articulation entre mimesis 2 et mimesis 3), Riceur ndglige son sym€trique entre mimesis I et mimesis 2 : le producteur du r6cit. Enfin, les limites de ces propositions apparaissent dans Ie privildge accord€ I'art narratif : P. Ricaur place le r6cit ordinaire dans la mimesis I ( I 984 : 230 et 37) et ne situe dans la mimesis 2 que les grandes euvres l6gitim6es et valoris6es par I'institution litt6raire. Pour 6viter une telle limitation, examinons i prdsent comment des textes trds differents actualisent le prototype de la s€quence narrative ddfini plus haut. J'emprunte volontairement mes exemples d des genres assez divers : thddtre, roman et fable en ajoutant, en guise d'exercices, une anecdote et un r6cit de presse.
i
i
i
i
3. Analyses sequentielles 3.1. Albert Camus : complexitd sdquentielle d'un rdcit bref
'
Le r6cit (3), tir6 des Justes d'Albert Camus, pr6sente I'immense avantage de permettre d'expliciter la structure intratextuelle d'un monologue narratif (sa (( syntaxe narrative >) et son insertion dans le cotexte conversationnel d'une pidce de th€itre (sa dont il sera plus amplement question au chapitre 7). De plus, sa structure interne, malgr€ sa bridvetd, est une structure plus complexe que celle des exemples prdc€dents avec deux procds enchAss6s. J'insiste sur cet exemple parce que Harald Weinrich, qui I'examine dans Le Temps (1973 : I l2-l 15) en adoptant un point de vue de linguistique
l.
Lapresentedtudecompldteetaffinecellequejeproposais,enl9S5,dansLeTextenarrotif
(pages 163-167).
I 64
Les texles: types et prototypes
Rdcit
Responsable de I'action contraire au premier procds, la s6quence centrale (Sn2) peut 6tre ainsi d€crite :
textuelle, n'entre pas du tout dans le d6tail de la structure textuelle et utilise des catdgories de description du rdcit beaucoup trop dl€mentaires. Le seul point qui me semble bien vu par H. Weinrich a trait au passage du monde de la ldgende au monde de I'interaction (traduit maladroitement par le terme < monde commentd >). Je cite ce qui me parait fort bien situer la nature des macropropositions Pnl et Pn5 ainsi que la nature du passage de Pn5 d PnO (c'est moi qui ajoute ces 6l6ments dans le texte de Weinrich, bien s0r) :
Pnl' - [c] = Situation initiale (donr + imparfaitl. Pn2' - [d] = Complication (alors + pass6 simple]. Pn3' - [e] = Evaluation centrale (imparfait]. Pna' - [f] = R6solution (pass6 simple). Pns' - [g] = Situation finale (et quand ce fut finil. Des organisateurs ponctuent les transitions entre les m€mes macropropositions des deux sdquences: Pnl - LoRSeuE - Pn2 et pnl'- eLoRS Pn2' , Pn4'- ET eUAND - Pn5' et Pn4 - MArs - Pn5. L'emploi de la troisidme personne, I'alternance de I'imparfait et du passd simple sont, eux aussi, significatifs : ils renvoient d une 6nonciation distancide (historique). La proposition Pn5' au passd simple souligne, avec I'anaphorique cE, la reprise de la premidre sequence, un moment interrompue. cette description intratextuelle du monologue de Kaliayev confirme bien sa nature narrative, mais elle n'est pas suffisante. La narratologie poststructuraliste nous a permis de comprendre et de th6oriser la n6cessit6 d'interprdter le r6cit dans le cadre interactif oir il apparait. La rdplique (2) de Foka (< Et alors ? >) prouve que Kaliayev, le narrateur-r6citant, a mal 6valu6 les capacites de son interlocuteur. Le contrat initial n'est que partiellement rempli et il faut, pour comprendre ce qui se passe, remonter au dialogue qui amdne le monologue narratif. L'6nonc6 r6futatif qui ouvre I'intervention de Kaliayev est directement li6 i la pr6c€dente r6plique. Son assertion : laisse Foka muet, comme la didascalie (>) le souligne. Prenant conscience de cet 6cart et de cette incompr6hension, Kaliayev envisage alors de raconter la ldgende de saint Dmitri, elle aussi inconnue de son interlocuteur. Un double savoir doit donc €tre mis en place par Kaliayev : connaissance de la ldgende et interpr6tation de sa pertinence dans le contexte prdsent (sur le moddle classique d'interpr6tation de la parabole). Le de Foka porte bien sur la pertinence ici-maintenant
Introduction [Pnl] et conclusion [Pn5] repr6sentent bien plus que les premidres qui, du point de vue de la technique narrative, assurent des fonctions bien pr6cises. L'introet dernidres phrases du texte ; ce sont pleinement des parties du r6cit
duction [Pnl] sert d'exposition elle pr€sente le monde qui va €tre racont€ et invite le lecteur (ou I'auditeur) i p6ndtrer dans cet univers €tranger. La conclusion [Pn5] referme ce monde myst6rieux du r6cit oi un mortel peut avoir rendez-vous avec Dieu. Elle nous conduit vers la morale [PnO] de la l€gende, en plein domaine du monde comment€. Nous voici ramen€s de ce monde €tranger vers notre monde quotidien. C'en est bien fini des rendez-vous avec Dieu ; en revanche, th€ologie et morale y ont leur place : la l6gende va pouvoir Otre comment€e. Ce sont donc deux fonctions qualitativement diff€rentes du r€cit lui m€me ; elles marquent la frontidre entre monde comment€ et monde raconte. Elles enserrent le corps narratif proprement dit oir se fait la progression du r6cit. (1973 : ll4)
Concentrons, dans un premier temps, I'analyse sur le bloc narratif homogdne que constitue la deuxidme r6plique de Kaliayev. L'examen des prddicats de la situation finale (i) permet d'identifier,
d. rebours, ceux de la situation procis + lnoyau narratif ou procds proprement ditl + rendez-vous manqui-aprds le procis. Si I'on examine de prds la proposition (a) (la plus longue et la plus complexe du r€cit), on constate qu'elle met en place un conflit entre deux procds : rencontrer Dieu (a) etlou aider un paysan (b et c). Tout le texte tourne autour de la tension entre deux choix : opter pour I'absolu (rencontrer Dieu) ou pour une conduite de bon Samaritain prescrite par la loi religieuse elle-meme. La rencontre du paysan,
initiale : rendez-vous projetd-avant
le
soulign€e par le passd simple et le marqueur d'6v6nement LoRSQUE, devient ici un obstacle (macro-proposition Complication-Pn2) dans la marche du saint
de cette histoire. Le d€clenchement d'une explication s'impose : Kaliayev expli-
cite donc la < morale >> de son r6cit. Le choix des temps (pr6sent et futur) ainsi que I'utilisation de termes universels (>) soulignent le passage du monde du r6cit (de la l€gende) i celui de I'interaction en cours. Le monologue narratif thditral - dont il sera de nouveau question au chapitre 7 comporte donc, comme tout r€cit oral, deux macro-propositions - : une Entrde-prdface-PnO () et qui I'encadrent une Evaluation finale-Pno. L'une permet de passer du monde actuel de l'dchange au monde de la l€gende, I'autre d'accomplir le trajet inverse. En mentionnant d'autres variantes d'ouverture (le Rdsumd) et de fermeture (la simple Chute [< Et voild >] ou la Coda), on aboutit i un moddle - ou prototype du r6cit €l€mentaire complet :
vers son Dieu. Une analyse linguistique attentive aux marques permet de d6crire ce petit r6cit comme une s6quence comportant I'enchdssement d'une autre sdquence dans la macro-proposition centrale (Pn3-(R6)action) du premier niveau. La premidre s6quence narrative (Snl) est constituee d'une suite de macropropositions narratives : Pn1 Pn2 Pn3 Pna Pns
-
65
[a] [bl
= Situation initiale-Orientation, verbes a l'imparfait. = Complication (ddclencheur du procds) llorsquelet verbe au pass6 simple. a [c] [s] = R€-action [ici s6quence ench6ssde Sn2, d6taill6e ci-dessous]. = R6solution tentde, verbe au pass6 simple. [hl = Situation finale, verbe ir l'imparfait. [i]
-
\
66
Les
Rdcil
texles: tYqes et Protollqes
67
splendide, Gobelins, et catera. Lui donc, imposant devant son bureau grand style. un visage de marbre, le regard pdndtrant, [d] et alors tout a coup un sourire. Je t'assure que j'ai eu le coup de foudre, il a un charme fou. Oh, je sens que je me jetterais au feu pour un type comme ga ! [e] Donc, le sou-
Recit
rire et puis silence, mais un silence d'une dur6e, peut-etre deux minutes
pourpoint si j'ai quelque chose i lui dire. [h] Moi €tonn6 je lui dis naturellement que non. [i] Alors, il me dit que c'est bien ce qu'il pensait. A vrai dire, je n'ai pas compris ce qu'il voulait dire par ld, mais ga n'a pas d'importance. [j] Alors moi, pas bdte, avec une prdsence d'esprit peu ordinaire, tu voudras bien le reconnaitre, je saisis l'occasion par les cheveux et je dis qu'en somme j'ai bien quelque chose A lui dire, et c'est que je suis heureux de l'occasion qui m'est offerte de lui dire toute la joie que j'6prouve i servir sous ses ordres - quoique de loin, ajout6-je finement, tu comprends l'allusion au truc de faire partie de son cabinet ? Bret, du joli baratin. [k] Li-dessus on parle de choses et autres, politique internationale, dernier discours de Briand, moi disant chaque fois mon mot, bref conversation. Et conversation dans son bureau somptueux, devant les Gobelins, donc conversation d'6gal A 6gal, mondaine en quelque sorte. fl Bon, mais attends. c'est pas fini, il y a mieux. [m] lmagine-toi que brusquement il prend une feuille et il 6crit dessus, moi je regarde du c6t6 de la fen€tre pour n'avoir pas I'air indiscret. Et alors, il me passe la feuille. Elle 6tait adressde A la section administrative ! Tu sais ce qu'il y avait dessus ? Eh bien, je vais te le dire. Ma promotion ! (ll respira largement, ferma les yeux, les rouvrit, ralluma sa pipe pour d6glutir un ddbut de sanglot, tira plusieurs bouff6es pour rester viril et lutter contre les spasmes des ldvres en 6moi.) [n] Bref, par d6cision du secr6taire g6n€ral, monsieur Adrien Deume promu membre de section A A dater du premier juin ! Voild ! ll me reprend la feuille, il la signe et il la lance dans la boite des sorties ! Pour moi, il n'a m€me pas consultd Sir John ! Bref. choix direct, procddure exceptionnelle ! [o] Alors qu'est-ce que tu en dis ? ' - C'est magnifique. - Je te crois que c'est magnifique I Tu te rends compte, bombard6 A tout
passage de la Bakhtine avait rep€re l'existence de ces marques de conversation au rdcit :
Cesont,eneffet,despropositionsd'' ier I'interprdtation de son r6cit, il aurait €vit€ le fatidique )'
[ml= R6solution marqu6e par I'adverbe BRUSoUEMENT' [nl = Situation finale soulign6e par vollA et SREF. [o] = Evaluation finale dialogu6e.
3.3. Hdtdrogdn6itd compositionnelle d'une fable de La Fontaine
(5)
LE LouP
Er L'AGNEAU
La raison du plus fort est toujours la meilleure
:
Nous l'allons montrer tout d l'heure. Un Agneau se d6salt6roit Dans le courant d'une onde Pure; Un Loup survient d jeun, qui cherchoit aventure, Et que la faim en ces lieux attiroit. te rend si hardi de troubler mon breuvage ? Oui Dit cet animal plein de rage : Tu seras ch6ti6 de ta t6merit6. l'Agneau, que Votre Majest6 - Sire, r6pond Ne se mette pas en coldre ; Mais plutOt qu'elle considdre Que je me vas desalterant Dans le courant Plus de vingt pas au-dessous d'Elle ; Et que par cons6quent, en aucune fa9on, Je ne puis troubler sa boisson. reprit cette b€te cruelle ; Tu - je la troubles, Et sais que de moi tu mddis l'an pass6. l'aurois-je fait si ie n'6tois pas n6 ? - Comment Reprit l'Agneau, je tdte encor ma mere.
La complexit6 de la structure de cette fable cdldbre embarrasse beaucoup les commentateurs. Le premier vers fournit, par anticipation, la Morale-pno tandis que le second vers correspond d une exemplaire Entr€e-pr6face-pn0. Le choix des temps verbaux confirme le fait que ces deux macro-propositions sont, en quelque sorte, ext€rieures au rdcit proprement dit : pr6sent de v6rit6 g6n6rale renforcd par < toujours )), pour le premier vers, futur proche pour le second qui annonce le r6cit i venir. La segmentation (blanc mrqud entre ces deux vers et le corps du r6cit) souligne typographiquement la s6paration cies deux < mondes >>. Les vers 3 et 4 mettent en place un premier acteur (Sl,l'Agneau), cette macro-proposition d I'imparfait a la valeur descriptive caractdristique des d6buts de r6cit : fixer le cadre (ici uniquement spatial) de la Situation initiale-pn I . Le d6but du procds est soulign6, au d6but du vers 5, par le prdsent de narration qui introduit le second acteur (s2, le Loup) et une motivation importante pour la suite (< d jeun >), motivation renforcde par les deux propositions descriptives (suite du vers 5 et vers 6) d I'imparfait. on peut consid6rer ces deux vers comme la complication-Pn2 du r6cit : la relation potentielle [S2 - manger Sl] 6tant construite spontandment par le lecteur sur la base de ses savoirs encyclop6diques (histoires de loups peuplant notre imaginaire). L'intrigue ouverte par pn2 est la suivante : la faim de 32 sera-t-elle satisfaite et Sl restera-t-il ou non en vie ? ces deux questions sont intimement li6es : la d6gradation de sl (Etre d6vor6) constituant une amdlioration pour s2 (ne plus Otre d jeun), la d€gradation pour 52 (€tre toujours affam6) entrainant une am6lioration pour Sl (rester en vie). Sym€triquement d Pn2, les vers 27 iL29 constituent la R6solution-pn4 qui met fin au procds. ces vers sont constituds de deux propositions narratives (vers 27 et d5but de 28, d'une part, suite du vers 28, d'autre part) qui ont pour agent Sl et pour patient 52, les pr6dicats /emporter/ et /manger/ sont compl6t6s par une localisation spatiale : < au fond des bois >. Le vers 29 peut 6tre consid6r6 comme une proposition 6valuative de Pn4. conform6ment au moddle pos6 plus haut, on peut dire qu'une Situation finale Pn5 (elliptique ici) est ais6ment d6duite de Pn4, une fin qui inverse le prddicat initial [Sl vivant] en [Sl mortl. Avec Pn4, le manque (faim de 52) introduit en pn2 comme d6clencheurComplication se trouve rdsolu conformdment aux attentes. Reste l'ensemble des vers 7 d 26 qui apparait comme s€quentiellement hdt€rogdne au reste narratif du texte. on peut parler ici d'un dialogue
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70
Les textes
:
Ricit
lypes et Prototpes
ins6r6 dans le r6cit ou d'un r6cit construit autour d'un dialogue, conform6ment au genre narratif choisi : la fable. Je propose de consid6rer ce dialogue comme une transformation de I'Action-Pn3 en dire(s), en un conflit de paroles. Si la longueur de ce d6veloppement tranche par rapport au reste du r€cit, ce qui tranche aussi, c'est Son inutilitd : les vingt vers Se resument en une macroproposition Pn3 qui n'influe pas du tout sur le cours des 6v6nements que Pn2 laissait pr6voir. C'est pr6cisdment ce d{sdquilibre qui explique la teneur de auquel sera la morale. Sans analyser ici la structure de ce long dialogue j'ajouterai simplement qu'il illustre parfaiconsacree la fin du chapitre 6 tement ce que I'on peut dire, avec Ch. Perelman, des conditions prfalables
-,
-
d I'argumentation, de I'opposition entre libert6 spirituelle et contrainte
:
i
L'Agneau aimerait €tre sur ce terrain ou, du moins, il tente d'y amener le Loup car il sait que : ( Le recours i I'argumentation suppose l'{tablissement d'une communaut6 des esprits qui, pendant qu'elle dure, exclut l'usage de la violence > (ibid.). La fable de La Fontaine illustre ce que ch. Perelman et L. Olbrecht-Tyteca pr€voient quand m€me : D'aucuns pr6tendront que parfois, voire toujours, le recours d I'argumentation n'est qu'une feinte. Il n'y aurait qu'un semblant de d6bat argumentatif, soit que I'orateur impose I'auditoire I'obligation de l'6couter, soit que ce dernier se contente d'en faire le SimulaCre : danS I'un comme danS I'autre CaS, I'argumentation ne serait qu'un leurre, I'accord acquis ne serait qu'une forme deguisde de coercition ou un symbole de bon vouloir'
i
4. Pour conclure Ce que je viens de dire de r6cits minimaux et de r6cits plus complexes confirme
la d6finition de la textualit6 pos6e au chapitre l. Un texte comporte une seule ou un nombre n de s6quences soit identiques (toutes narratives dans la plupart des exemples choisis ci-dessus), soit diff6rentes (une sdquence dialogale ins6r6e dans un r6cit pour I'exemple
De la m€me fagon qu'un texte est le plus souvent composd de s6quences h6t6rogdnes, la s6quence narrative comporte des propositions descriptives (en Pnl surtout et en Pn3 qui n'est gdndralement qu'une description d'actions), mais elle peut aussi comporter des propositions dvaluatives ou encore des ensembles dialogaux plus ou moins d€veloppds qui viennent alors compliquer la structure compositionnelle de la s€quence. Dans l'6tat actuel de nos connaissances, il ne me parait pas pertinent de tenter d'6num6rer des marques de surface dont le rep6rage suffirait pour affirmer que l'on est en pr6sence d'une s6quence narrative. En effet, en y regardant d'un peu prds, on se rend compte que les organisateurs temporels (puis, alors, soudain, etc.), pourtant trds fr6quents dans le r€cit, peuvent fort bien €tre combin6s avec voire remplacds par des connecteurs argumentatifs (mais, alors, en consdquence, donc, etc.) ; I'apparition du pass6 simple n,est une condition ni n6cessaire ni suffisante de d6finition d'une s6quence narrative : le pr6sent de narration est trds fr€quent ; la prdsence de verbes exprimant des actions est aussi caracteristique des descriptions d'actions... certes des configurations de marques peuvent €tre envisagdes : trds forte densitd d'anaphores pronominales (cette forme de thdmatisation est probablement un des indices formels les plus caracteristiques de la s6quence narrative) et alternance de I'imparfait et du pass6 simple (ou du pass6 compos€, voire du prdsent de narration), par exemple. Il semble surtout que I'on puisse caract6riser la narrativit6 par I'exclusion de certaines formes linguistiques : emploi exclusif de I'imparfait (absence de sch6ma d'incidence) et pr6sence exclusive de pr6dicats d'0tre ou d'6tat, par exemple ; emploi massif de ddterminants ir valeur g€n6rique et de ce pr6sent de vdrit6 gdn€rale (gnomique) qui peuvent certes se trouver dans la < Morale >>, mais pas dans tout le r6cit. Le fait que les critdres avanc6s plus haut ne s'appliquent pas d des genres dits narratifs comme le < rdcit de bataille >>, le >, les chroniques et le < r6cit de r€ve )) nous met dans I'obligation de considdrer ir pr6sent un autre type de sdquentialit6 : la description. Les types de descriptions d'actions se situent certainement fort prds du rdcit, mais, nous allons le voir, dans I'attraction imm6diate du type descriptif. ll resterait enfin d examiner trds attentivement le cas de rdcits partiellement d6viants par rapport au prototype de base dont il vient d'6tre question : . L'origine du r6cit arborescent est assur6ment le principe du Conte d votre fsgon de Raymond Queneau (1967), histoire de , formuler ce jugement sans appel :
11
i
pp. t3V1-1325) Si on la d6finit isoldment, il y a bien une sorte de monstruositd textuelle de la description qui la distingue nettement du r€cit. Vannier par exemple, en 1912, souligne que dans la description, I'ordre des parties 6tant facultatif, le scripteur est maitre de son plan, ce qui n'est, selon lui, pas le cas dans la narration. A I'oppos6 de cette monstruosit€ et de cette anarchie, mouvement, action et ordre presque par d6finition, le r6cit correspond assez naturellement I'id6al prdn6 par I'esthdtique classique. Ce que J. Ricardou d6signera plus tard (1978) comme une < belligdrance (1845 : 339)
i
-
( par Egli -unsque - Il y a deux ordres de faits qu'on pourrait appeler les permanents et simultan€s, les autres passagers et successifs. Les premiers fournissent les 6l6ments de la description, les autres ceux de la narration >> (1912 :37). A ce propos, la distinction que les petits maitres de stylistique 6tablissent entre le tableau et le rdcit est int€ressante : Le tableau suppose [...] des traits en nombre restreint et habilement group,€s autour d'un motif principal. Par li il diffdre de la description ordinaire. Il diffdre aussi de la narration en ce sens qu'il ne comporte pas toujours une action ; de plus, s'il en comporte une, cette action n'a ni commencement, ni milieu, ni fin ; nous la voyons un moment donn6, mais d un seul moment, sinon ce serait un r€cit. Or le r€cit est au tableau litt6raire ce que des vues cin6matographiques sont au
i
vrai tableau. [...] L'invention d'un tableau
est la m€me pour le peintre et l'€crivain. La disposition aussi : I'artiste distingue en effet un premier p/an, un deuxidme plan, etc., c'est-i-dire des groupements de personnes ou de choses plus ou moins 6loign6es du spectateur, et, dans chaque plan, la position relative de celles-ci n'est pas laiss6e au hasard. (Vannier l9l2 : 300 et 302)
On le voit, le genre descriptif du tableau est soigneusement distingu€ du r€cit et Vannier peut repertorier diff6rents sujets de tableaux qui sont autant de descriptions d'actions : le retour du marin, une heureuse famille, un grandpdre et ses petits-enfants, I'entr6e en classe, la sortie des 6ldves i quatre heu-
res, le salut au drapeau, un paysage en hiver ou en 616, etc. Autant de
78
Les textes: tlpes et prototypes
Description
morceaux descriptifs que les exercices scolaires de composition ont, au d6but du xx. sidcle, €rigds en moddles. Pour ins6rer une s6quence descriptive dans un rdcit, il est ndcessaire d'op6rer une r€duction de son statut de ( morceau >r en evitant tout ralentissement st toute cassure :
classiques sont particulidrement sensibles d6borde largement le seul cas de la s€quence descriptive. Rhdtoriciens et maitres de stylistique mentionnent un autre aspect n6gatif de la description : sa tendonce d la ddpersonnalisation. Si le narratif est jugd positivement, c'est que ce dernier est par essence foncidrement anthropomorphique. Comme on I'a vu au chapitre pr6c6dent, la prdsence centrale et permanente d'au moins un personnage-acteur est une des composantes de
Le succds d€pend non seulement de la richesse du style et de la fraicheur, de la bonne ordonnance de la peinture ; mais encore de ses proportions relativement ir I'ensemble de I'ouvrage ; de I'opportunit6 de la description, de la place qu'on lui assigne, et de la manidre plus ou moins essentielle dont on la relie a I'ensemble. Il faut qu'elle soit un moyen dramatique, qu'on en sente la n6cessit6, que jamais elle ne reste un hors-d'euvre, et autant que possible, qu'on y rattache quelque sentiment. (Wey 1845 : 399-400)
base du r6cit. La description, qui peut concerner tout aussi bien le monde inanim6 que des personnages, est susceptible d'introduire, ce niveau th6matique, une nouvelle cassure et une h6tdrog6nditd suppldmentaire. La solution stylistique d ces divers probldmes se trouve dans le precepte hom6rique vant6 par Lessing : ), la enosoPocRAPHIE (< description qui a pour objet la figure, le corps, les traits, les qualit6s physiques, ou seulement I'ext6rieur, le maintien, le mouvement d'un Otre anim6, r6el ou fictif, c'est-d-dire, de pure
l. San Antonio lui-m€me reconnait I'existence de cette rdgle lorsque, page 34 de Remouille-moi la compresse, on peut lire : < Le lecteur, dans sa bienveillance inaccoutumidre, me permettra qu'il ne soit d6cid6 d me faire chier d'interrompre -d'uni moins paragraphe, pour d6peindre la surnomm6e Ninette. >
t
cette palpitante histoire, I'espace
l0
Les textes: tlpes et prototypes
Description 8l
i la s6quence descriptive
Lmagination >>), I'EtHoRrie (< description qui a pour objet les mcurs, le carac:dre, les vices, les vertus, les talents, les ddfauts, enfin les bonnes ou les mau-
2. De l'6num6ration
raises qualitds morales d'un personnage rdel ou fictif >>), le RoRTnalr i< description tant au moral qu'au physique d'un €tre anim6, r6el ou fictif >), e PARALLELe (qui < consiste dans deux descriptions, ou cons6cutives, ou ndlang€es, par lesquelles on rapproche I'un de l'autre, sous leurs rapports rhysiques ou moraux, deux objets dont on veut montrer la ressemblance ou a diff6rence >) et le TABLEAU ().
Comme le dit I'article < Description >> de I'Encyclopddie : > L'6num6ration apparait dds lors comme une sorte de base ou de degr6 z1ro de la proc6dure descriptive. Est-ce pour autant, comme Val6ry le laissait entendre dans les observations citdes plus haut, un non-texte ? Les deux exemples suivants, litt6raire et publicitaire, recourent visiblement d des proc6d6s semblables. Le premier est une publicit6 pour une encyclop6die de Gallimard :
il ajoute que la description donne lieu d 'HyporyposE < quand I'exposition de l'objet est si vive, si 6nergique, qu,il :n rdsulte dans le style une image, un tableau >. M€me id6e chez Marmontel l6jd : < Sila Description ne met pas son objet sous les yeux, elle n'est ni ora\vec les rh€toriciens antiques,
oire, ni poetique : les bons historiens eux-mOmes, comme Tite-Live et Tacite, fait des tableaux vivants >> (1787,T.2). Dans son Art d'dcrire enseignd en vingt legons (1896), Antoine Albalat era I'un des premiers d s'insurger contre les excds de tels classements :
rn ont
La connaissance de l'€thopde, prosopop6e, hypotypose, etc., n'enseigne ni ii bien d6crire ni savoir ce que c'est qu'une bonne description. Laissons d d'autres le soin de diviser la description en < chronographie, topographie, prosopographie,6thopde >. Il ne manque pas de livres oir I'on pourra se renseigner sur ces etiquettes steriles, chdres aux Le Batteux et aux Marmontel. Contentons-nous de retenir seulement deux divisions:.la description proprement dite etle portrait, qui est une sorte de description r6duite et de qualit€ particulidre. (19ffi :227)
i
On le voit, la rh6torique a longtemps construit sa typologie sur la qualit€ lu r6f€rent d6crit. Chez Fontanier,le temps,le lieu,l'apparence extdrieure t les qualitds morales sont privil6gi6s et combin6s de fagon i donner les dif6rentes espdces de descriptions. chez ses successeurs, le critdre r6f6rentiel Lemeure, mais au prix d'une r6duction aux cat€gories centrales de I'humain portrait) et du non-humain (description proprement dite). Le rejet d'une vis6e normative amdne la linguistique textuelle d rompre 6solument avec des ddmarches qui rendent difficile une rdflexion g6n6rale ur le fonctionnement spdcifique des procddures descriptivest. En thdorisant l sdquentialit6 descriptive et en laissant de c6t6, dans un premier temps du roins, les ph6nomdnes d'h€tdrogdn€itd textuelle (rapports avec la narration, 'argumentation, I'explication, etc.), il s'agit, par-deld les diffdrences purerent r6f6rentielles et thdmatiques, de repdrer une procddure descriptive beauoup plus structuree qu'on ne le pr6tend gdn6ralement.
'
Comme I'ecrit Paul Riceur : < Le savoir est toujours en train de s'arracher d I'id6ologie, mais id6ologie est toujours ce qui demeure la grille, le code d'interpr6tation par quoi nous ne sommes as intellectuellement sans attaches [...1, port€s par la "substance €thique" > (1986b: 331).
(1) Des r6cits, des 6v6nements, des t6moignages, des podmes, des correspondances, des bibliographies, des dates, des archives, des analyses, des anecdotes, des l6gendes, des contes, des critiques, des textes littdraires... Des documents, des photos, des croquis, des gravures, des cartes, des sch6mas, des pastels, des calligraphies, des plans, des dessins, des aquarelles, des euvres d'art..,
o""0"":'""J:;lff
,il?ll:;,3i1,!lTJ'i",l"des6checs'
du pass€, du futur. des explorations, du r6ve. de l'6vasion, de la science, des aventures, des hdros et des inconnus. D6couvertes Gallimard t...1
On n'a jamais vu autant de choses entle la premidre et la derniOre page d'un livre. D6couvenes Gallimard : la premidre encyclop6die illustr6e en couleurs au format de poche. 12 titres chez votre libraire.
A part trois blocs thdmatiques non-verbal, thdmes abord6s - verbal, qui viennent justifier la segmentation du plan de texte choisi (trois paragraphes et une sorte de conclusion en deux temps), I'ordre des trois premiers paragraphes pourrait €tre modifi6, I'ordre des 6l6ments 6num6rds chaque fois 6galement. Aprds cet inventaire des composantes ou parties de chaque < livre > de l'encyclopddie en question, une fois donnd ce que j'ai propos6 d'appeler le thdme-titre de la s6quence descriptive (le nom de la collection : ), une 6valuation vient confdrer un sens d l'€numdration (inachevde de surcroit si I'on en croit les points de suspension) :
-
-
82
Les textes
: tpes
I'abondance exceptionnelle (< autant de choses >>), soit une premidre propri6t6 suivie d'une autre propri6td : < en couleurs au format de poche >>. L'orientation argumentative de la sdquence descriptive apparait clairement au terme du processus de valorisation (< jamais vu )), (( premidre >) : invitation implicite i d6river un acte illocutoire sous-jacent de recommandation et d'incitation d I'achat. Le long paragraphe descriptif suivant, dans le style de I'inventaire d'un commissaire priseur, extrait du Souveroin poncif de Morgan Sportds, pr6sente I'avantage d'€tre trds explicitement pr€sente comme une < fastidieuse
6num6ration >
Desuiption
et prototlpes
M6talinguistiquement, cette sdquence est clairement d6sign6e comme une description 6l6mentaire (< sommaire r>), mais suffisante (< prdcise >r). La construction de cette brdve s6quence est intdressante. La premidre phrase d6crit deux objets successivement : moustache el chapeau melon ; elle compldte chacun (par le biais de prddicats qualificatifs PRq) par quelques propri6t6s : taille pour la moustache : petite, couleur identique pour la moustache et le chapeau : noire. Soit des propositions descriptives 6ldmentaires (notdes pd par la suite) relides par l'6num6ratif pr :
:
(2t Et comme Xerox se tait, Rank fait alors une fastidieuse 6num6ration du mobilier de cet appartement. Une fagon comme une autre de meubler le silence : - Un fauteuil Chippendale, des lampes champignon Gal16 en p6te de verre. un canap6 Art-D6co, une bergdre Louis XV h6rit6e de sa mdre ; une chaise Knoll ; une chaise-sac Pierro Gatti ( goutte d'huile > en cuir et polyuretane ; un pouf marocain ; un paravent vietnamien ; des ombrelles en papier imprim6 ( Pattaya Beach > ; une reproduction du Jardin des ddlices de J6r6me Bosch ; deux affiches Mucha ; une plaque 6maill6e Banania ; un masque primitif Pounou du Gabon ; un porte-ananas en opaline p6te de riz blanche style LouisPhilippe ; un fauteuil de Manille en rotin ; un automate joueur de flOte Lambert ; une poup6e ancienne < googlie D avec son service < minuscule D ; une s6rie de cartes postales 6rotiques 19OO ; une chaine st6r6o Hitachi d platine pour disque compact et ampli Technics ; une buvette et pot e eau en fai'ence de Moustiers, Gaspard F6raud ; un juke-box Wurlitzer 78O, de 194'l , achetd chez les Emmatis ; une cafetidre ir pi6douche ainsi qu'un crdmier et un sucrier Ridgway ; une boite en m6tal bouillon cube Maggi jaune et rouge ; une lampe pakistanaise multicolore en peau de chameau ; un kalamkar ; une s6rie de jarres afghanes ; une panthere noire en c6ramique blanche craquel6e 193O ; le poster de Marilyn retenant sa jupe au-dessus de la bouche de m6tro ; une seringue clystdre 6tain et bois trouv6e aux puces de Clignancourt ; une cr6maill0re c6venole ; une chaise longue de Starck ; une bibliothdque chinoise en bambou de chez Pier lmport oir l'on pouvait trouver entre autres Fragments d'un discours amoureux de Barthes, les M6moires d'une jeune fille rangde ; Quand la Chine s'€veillera... Enfin Esther avait fait de notre studette un vrai petit nid d'amour modeste mais cosy ! Cossu mdme. Morgan Sportds, Le Souverain poncif , O €d. Balland, 1987 -struc-
Une moustache
11 PROPR (taille) PRq ant€pose < < petite <
<
PROPR (couleur) PRq
er (connecteurl un chapeau melon <
<
PROPR PRq
<
<
noire
(comparatif) <
<
de la mdme couleur
La phrase suivante comporte une partie mdtalinguistique (< description sommaire >) et surtout un nouvel 6l6ment : le nom propre, thdme-titre qui attribue ir un sujet d€termind les propositions descriptives pr6cddentes : Char-
/o/, d6sign6 d'abord par antithese i un synthdme qualificatif courant dans la presse : ( ennemi public no I )). Cette fagon de donner le thdme-titre en retard, aprds des 6l6ments reli6s m6tonymiquementr, introduit un effet d'attente qui pourrait ddboucher sur une forme d'€nigme dans un texte de plus grande amplitude. Les op€rations qui permettent de fixer un thdme-titre et de s6lectionner des aspects (parties ou propri6t6s) de
I'objet garantissent l'unit6
de la sdquence
descriptive. Le mouvement est ici le suivant : a) ddcrire une moustache (propositions descriptives 6l6mentaires) ; b) ddcrire un chapeau (proposition descriptive 6l6mentaire) ; c) les relier, en cr6ant une structure hi6rarchique nouvelle, sous la d€pendance d'un terme super-ordonn6 (nom propre). Soit le passage d'une r6f6rence non spdcifique impliqu6e par I'op6ration d'extraction (uNE moustache, uN chapeau) i une r6f6rence sp6cifique (r-R moustache et LE chapeau DE Charlot). D'autres procddures descriptives sont possibles. Ainsi, par exemple, dans ce petit texte des Histoires noturelles de Jules Renard tout entier domin6 par une reformulation mdtaphorique : t-n pucr grain Un de tabac
(4)
De telles dnum6rations faiblement ordonndes contrastent avec la
ture descriptive (mOme 6l6mentaire) de cette pr6sentation d'un article de presse consacr€ d Charlie Chaplin
83
i
ressort.
:
{3)
Une petite moustache noire et un chapeau melon de la mdme couleur. Description sommaire et pr6cise d la fois de I'ami public
No1:Charlot.[...]
l.
Le chapeau melon apparfrt comme un 6l6ment m€tonymique qui, A la diffdrence des oreilles ou des livres (synecdoques), dispose d'une certaine ind6pendance par rapport A la t€te (il peut €tre retir€). La moustache est une partie du tout, au m6me titre que les joues, le front, les sourcils et les cheveux (relation plus synecdochique que m6tonymique).
84
Les tates
: tlpes
Desuiption
et prototypes
85
i
La description-d6finition ne porte plus sur la couleur, la grandeur ou la forme de I'objet consid6r€, mais elle s'appuie sur un rapprochement du ddcrit avec un objet d'un autre ordre (< grain de tabac >) auquel est pr€t€e une propri€td inconcevable dans le r6el (< i ressort r>). L'examen des diverses proc6dures possibles peut etre r6sum6 par un sch6ma prototypique de la s6quence descriptive qui est, en fait, un rdpertoire des op6rations de constructions des macro-propositions elles-m€mes. Ce qui diff€rencie le prototype de la sdquence descriptive de celui du r6cit, c'est surtout, comme les Anciens et Val€ry le pressentaient, le fait que cette structure ne refldte pas le moindre ordre des op€rations. En revanche, je dirai que la critique de Val6ry ndglige le fait que le nombre de proc6dures, r€duit et trds strict, est rdvdlateur d'un ordre singulier : non pas lin6aire, mais hi6rarchique, vertical en quelque sorte et trds proche de I'ordre du dictionnaire : (Barthes 1973 : 45).
Pour passer de ce r6pertoire d'op€rations une description particulidre, est possible de s'appuyer sur l'organisation lin6aire globale d'un PLnN DE TEXTE : quatre saisons, cinq sens, ordres alphab€tique ou numdrique, points
il
cardinaux, simple succession temporelle, plans spatiaux frontal (haut-bas), lat€ral (gauche-droite), fuyant (avant-arridre). Dans la mesure oir le prototype de la sdquence descriptive ne donne c'est bien le regret de Paul Val€ry aucune indication d'ordre, ne comporte aucune lin6arit6 intrinsdque qui lui permette de se trouver (ou non) en phase avec la lindarit6 propre au langage articuld, les plans de textes et leurs marques sp6cifiques ont une importance ddcisive pour la lisibilitd et pour I'interprdtation de toute description. Je ne reprends pas ici ce que j'ai d€veloppd ailleurs autour des marqueurs d'6numdration et de reformulation (1990 : 143-190).
-
3.
-
Les quatre procedures descriptives (ou macro-opdrations) la base du prototype
i
3.1. Procddurc d'ancrage: ancrage, affectation et reformulation
-t
Par I'op€ration d'ancrage - ancrage r6f6rentiel - la sdquence descriptive signale, au moyen d'un nom (pivot nominal que j'appelle le rttBtrle-rtrnB qu'il s'agisse d'un nom prbpre ou commun) : a) d'entrde de jeu de qui/quoi il va €tre question (eNcnecn proprement dit), b) ou bien, en fin de sdquence, de qui/quoi il vient d'€tre question (nrnnc-
I
/\--
\
Pd.PROPR Pd.PART (qualitdsl (synecdoque)
/T\-.etc. --4.1
forme taille
2 3 etc.
Partie
ttttlttt
,/\
,/\
-P"K' Temps.
Loc.
/\ /\ /\ pd.PROPR pd.PART
etc.
A
pd.SlT
Pd,ASS
n
I
rnrroN), c) ou bien encore, combinant ces deux procddures, elle reprend en le modifiant le thdme-titre initial (neroRMULATIoN). Cette dernidre op€ration peut
I Comparaison Mdtaphore
I
TH€MATISATIoN
I I
tl
PROPR
rsEunrrsnloru MISE EN RELATION
I
-/\ Pd.SIT
THEMATTSATToN THEMATTSATToN ASS-Comparat
ASPECTUAUSATION
I
MISE EN RELATION
ASPECTUALISATION
dgalement s'appliquer d d'autres unit6s apparues en cours de description (refor-
muler une propridtd ou la d6signation d'une partie de I'objet considdr6). Dans I'exemple de la puce de Jules Renard (4), grice i la mise en place, en t€te de s6quence, d'un thdme-titre, le lecteur peut convoquer ses connaissances encyclop6diques et confronter ses attentes d ce qu'il va lire. L'op6ration inverse d'affectation du thdme-titre en fin de s6quence seulement
I I
/\ /\
I
(exemples
(l)
et (3) ci-dessus), retarde un tel processus r6f6rentiel et
cognitif
:
ASPECTUA- MISE EN
I
LISATION RELATION
I
le lecteur ne peut plus qu'€mettre des hypothdses qu'il v6rifie au terme de la s6quence quand le thdme-titre lui est donn€ (comme c'est g6n6ralement le
I
cas).
etc.
pd.ASS
etc.
etc.
On peut donc dire qu'en cr€ant une cohdsion s€mantique r€f€rentielle, le thdme-titre est un premier facteur d'ordre. Pr6cisons, d ce propos, qu'il faut bien distinguer la rdfdrence virtuelle ddclench€e par I'ancrage (attente d'une classe plus ou moins disponible dans la m6moire du lecteur/auditeur)
I I REFORMULA TION
dela rifdrence actuelle (la classe construite) produite au terme de la sdquence. Schdma ptototyplque de
b
La repr€sentation descriptive vient en effet renforcer (confirmation) ou
sdquence descriptive
I
86
Les textes: types el prototypes
Description
modifier (r6vision) Ies savoirs ant€rieurs. L'anarchie descriptive n'est pas aussi grande que Valdry le prdtend. En effet, le producteur de la description interrompt I'expansion de la s6quence ld oir il estime en avoir assez dit en fonction, d'une part, des savoirs qu'il pr€te d son interlocuteur et, d'autre part, de l'6tat de I'interaction (c'est-d-dire, par exemple, du ddveloppement du r€cit ou de I'argumentation en cours ou encore du genre de discours). Ainsi, le caractdre succinct de (3) s'explique-t-il par le fait que le texte peut jouer avec ce que les lecteurs sont suppos6s savoir du personnage de Charlot. L'affectation retard6e du thdme-titre s'explique ici par une sorte de jeu cognitif : une incitation d lever une €nigme (trds relative dans le cadre d'un article de presse accompagnd de photos). La bridvetd et le caractdre mdtaphoriquement inattendu de (4) s'explique aussi par les lois stylistiques du genre (ddfinitions de
chef . dont ils ne savent pas les intentions ; c'est une multitude d'6mes pour la plupart viles et mercenaires, qui, sans songer d leur propre rdputation, travaillent d celle des rois et des conqu6rants i c'est un assemblage confus de
libertins, qu'il faut assujettir ir l'ob6issance ; de l6ches, qu'il faut mener au combat ; de t6m6raires qu'il faut retenir ; d'impatients, qu'il faut accoutumer A la confiance. (Je souligne)
La reformulation peut marquer I'ouverture de paragraphes successifs. Ainsi dans cette d€finition de la m€disance par Massillon (e souligne la structure de base, ir I'initiale des paragraphes) : (6) La m6disance est un feu ddvorant qui fl6trit tout ce qu'il touche, qui exerce sa fureur sur le bon grain comme sur la paille, sur le profane comme sur le
type po6tique). Les exemples (2) et (3) mettent en dvidence la parent6 qui existe entre I'affectation d'un thdme-titre d un objet du discours et la modification du thdme-titre donn6 par I'opdration de rd-ancrage qu'on d€signe par le terme de reformulation t. En (2), I'ancrage donne d'abord le thdme-titre suivant : ( cet appartement >, reformuld d la fin sous la forme et surtout > d < Charlot > est marqud par les deux points, ce qui revient, ld aussi, d modifier le thdme-titre en signalant la reformulation au moyen de la ponctuation. Les formes linguistiques de la reformulation vont de la simple mise en apposition soulignde par la ponctuation, i I'utilisation d'un verbe explicite de type : Nl s'appelle,/se nomme N2 (nom propre) en passant par les structures : Nl bref/donc/enfin (c'est) N2 Nl en un mot/autrement ditlpour tout direlautant dire,/en d'autres termes, c'est-i-dire N2. Dans la rubrique < ddfinitions > de leurs Legons de littdrature frangaise
ir
t7t
Le boy chinois : quand j'y repense ! Ouelle n'avait pas 6t6 notre surprise i Anne Marie et moi lorsque nous avions 6t6 le chercher d la gare ! Tout guind6 en gentleman. jaune dans les attifements du blanc, avec son costume bleu ray6, son neud papillon et ses chaussures en daim, on aurait dit un d6fileur de carnaval. Pourtant, grand et mince, visage sculpt6 dans le bois dur des jungles, des yeux de tigre et de hautes pommettes, c'6tait un vdritable Seigneur de la guerre. En le voyant, j'avais 6te tout excit6, le ceur comme un tambour : avoir l'un de ces hommes redoutables pour serviteqr d la fois m'atti-
rait et me terrifiait [...].
Lucien Bodard, La Chasse d I'ours, O Grasset 1985 : 39.
La reformulation peut €tre int6gr6e d la structure narrative, comme dans cette fable de La Fontaine. Les reformulations successivement assumees par le narrateur (< Or c'6tait un cochet D, vers 15) et par la mdre du souriceau (< Ce doucet est un chat )), vers 34) viennent corriger la description fournie par celui dont le texte prdcise qu'il ignore encore tout du monde. Le jeu d'6nigme que g6ndre le retardement de l'ancrage est particulidrement int€ressant ici :
:
(s)
Qu'est-ce qu'une armde ? C'est un corps animd d'une infinite de passions diff6rentes, qu'un homme habile fait mouvoir pour la ddfense de la patrie ; c'est une troupe d'hommes arm€s qui suivent aveugl6ment les ordrbs d'un
l.
sacr6 ; qui ne laisse, partout oir il a pass6. que la ruine et la desolation [...]. La mddisance est un orgueilsecret qui nous d6couvre la paille dans l'eil de notre frdre, et nous cache la poutre qui est dans le n6tre [...]. La mddisance est un mal inquiet qui trouble la soci6t6, qui jette la dissension dans les cit6s [...]. Enfin, c'est une source pleine d'un venin mortel [...1. Souvent, la reformulation indique qu'une s6quence descriptive s'achdve. Ainsi dans cet exemple de Lucien Bodard dont je ne d6taille pas ici I'analyse :
et de morale (1842), Nodl et De la Place choisissent plusieurs textes construits sur le principe de la reformulation. Ainsi dans cette oraison fundbre de Turenne
par Fldchier
87
(8)
rE
cocHrr.
LE
cHAr
ET LE souRrcEAU
Un souriceau tout .ieune, et qui n'avait rien vu, Fut presque pris au d6pourvu. Voici comment il conta l'aventure d sa mdre :
D€crite plus compldtement dans mes ElCments de linguistique textuelle, pages l?0-190.
t
88
Description
Les textes: types et protolypes
< J'avais franchi les monts qui bornent
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+ Pn4-R6solution (v. 18-30) + [ellipse de Pn5-Situation finale] + PnOEvaluation finale (v. 3l- 40) et Morale proprement dite (v. 4l-42).
cet Etat,
Et trottais comme un jeune rat Oui cherche d se donner carridre, Lorsque deux animaux m'ont arr6t6 les yeux : L'un doux. b6nin et gracieux, Et l'autre turbulent, et plein d'inquidtude. ll a la voix pergante et rude, Sur la tdte un morceau de chair. Une sorte de bras dont il s'6ldve en l'air Comme pour prendre sa vol6e, La queue en panache 6tal6e. ) Or c'6tait un cochet dont notre souriceau Fit d sa mdre le tableau Comme d'un animal venu de I'Am6rique. < ll se battait, dit-il, les flancs avec ses bras, Faisant tel bruit et tel fracas, Oue moi, qui gr6ce aux dieux de courage me pique, En ai pris la fuite de peur, Le maudissant de trds bon ceur. Sans lui j'aurais fait connaissance Avec cet animal qui m'a sembl6 si doux. ll est velout6 comme nous, Marquet6, longue queue, une humble contenance ; Un modeste regard, et pourtant l'eil luisant : Je le crois fort sympathisant Avec messieurs les rats ; car il a des oreilles
Soulignons, pour conclure ce premier point, que c'est probablement I'existence de cette op6ration g€n6rale d'ancrage qui amdne M. Riffaterre d dire du systdme descriptif qu'il < ressemble d une d6finition de dictionnaire > et d le consid6rer comme un ( reseau verbal fig6 qui s'organise autour d'un mot noyau > (le de Philippe Hamon). On comprend mieux aussi que Barthes puisse parler d'un < artefact lexicographique >'
3.2. Procddure d'aspectualisation Si I'on en croit Littre, la description est une ( sorte d'exposition des divers aspects par lesquels on peut considerer une chose et qui la fait connaitre au moins en partie > (ie souligne). On peut dire que l'6num6ration de I'exemple (l) consiste d donner successivement quarante-deux parties (aspects) des encyclopddies de la collection < Ddcouvertes ) chez Gallimard (thdme-titre donne aprds l'6numdration, c'est-d-dire ici sous la forme d'une affectation retardant l'ancrage rdfdrentiel). Ce texte apparait, dans sa premiCre partie, comme un exemple de ce qu'on peut appeler un degr€ z6ro de la description dans la mesure of n'est pas pris en compte I'autre aspect de tout objet : la mise en dvidence de ses qualitds ou propridtds (ce que prend en charge la fin du document). L'op€ration d'aspectualisation est la plus communement admise comme base de la description. Ainsi G.G. Granger' parle-t-il de < la mise en 6vidence d'un tout > et de ( son d6coupage en parties ) au moyen d'un < reseau abstrait > qui met les 6l6ments en relation. Je dirai, pour ma part, que I'op6ration d'ancroge est responsable de la mise en 6vidence d'un tout et I'opdration d'aspectualisation du d6coupage en parties (n. ennrtns). Il faut toutefois ajouter d ce d6coupage en parties la prise en consid6ration des qualitds ou propri6t6s du tout (couleur, dimension-taille, forme, nombre, etc.), voire, par le biais d'une nouvelle op€ration (sous-thdmatisation), des propridtds des parties envisagdes. Ainsi, en (4), pour la couleur et la taille (PRoPRIETES) du chapeau (e,lnrtE) de Charlot (Thdme-titre). Entreprenant le portrait de Carmen, Mdrimde se r€fdre au moddle de la beaut6 espagnole et il identifie une matrice textuelle qui correspond parfaitement d I'op€ration d'aspectualisation.
En figure aux n6tres pareilles. Je l'allais aborder, quand d'un son plein d'6clat L'autre m'a fait prendre la fuite. Mon fils. dit la souris, ce doucet est un chat, Oui sous son minois hypocrite Contre toute ta parentd D'un malin vouloir est port6. L'autre animal tout au contraire, Bien 6loign6 de nous mal faire, Servira quelque jour peut-€tre d nos repas. Ouant au chat, c'est sur nous qu'il fonde sa cuisine. Garde-toi, tant que tu vivras, De juger des gens sur leur mine. >
La Fontaine, Fables.
(s)
J'eus alors tout le loisir d'examiner ma gitane, pendant que quelques honn€tes gens s'6bahissaient, en prenant leurs glaces, de me voir en si bonne compagnie. Je doute fort que mademoiselle Carmen fOt de race pure, du moins elle 6tait
On voit que la fable - genre habituellement dconome en description 'appuie ici entidrement sur de longs fragments descriptifs (vers 8 e 14, l8-19 :t 24 it 30) ins€r6s dans une structure narrative €ldmentaire : pn0-R6sum6
infiniment plus jolie que toutes les femmes de sa nation que i'aie jamais
v. l-2) et Entr6e-pr6face (v. 3) +
r
Pn2-Complication (v.7-14)
Pnl-Situation initiale (v. 4-6) + Pn3-Evaluation extradi6gdtique (v. l5-17)
l.
I
Pour la connaissance philosophique, Paris, Odile Jacob, 1988
:
109
et
I 17.
90
Les textes: types eI prototypes
Description 9l
rencontrdes. Pour qu'une femme soit belle, disent les Espagnols, il faut qu,elle r6unisse trente si, ou, si l'on veut, qu'on puisse la d6finir au moyen de dix adjectifs applicables chacun d trois parties de sa personne. Par exemple, elle doit avoir trois choses noires : les yeux, les paupidres et les sourcils ; trois fines, les doigts, les ldvres, les cheveux, etc. Voyez Brant6me pour le reste. Ma boh6mienne ne pouvait prdtendre e tant de perfection. Sa peau. d,ailleurs parfaitement unie, approchait fort de la teinte du cuivre. ses yeux dtaient obliques, mais admirablement fendus ; ses ldvres un peu fortes, mais bien dessindes et laissant voir des dents plus blanches que des amandes sans leur peau. Ses cheveux, peut-Ctre un peu gros,6taient noirs, d reflets bleus comme I'aile d'un corbeau. longs et luisants. Pour ne pas vous fatiguer d'une description trop prolixe, je vous dirai en somme qu'd chaque d6faut elle r6unissait une qualitd qui ressortait peut-Ctre plus fortement par le contraste. C'6tait une beautd 6trange et sauvage, une figure qui dtonnait d'abord. mais qu'on ne pouvait oublier. Ses yeux surtout avaient une expression i la fois voluptueuse et farouche que je n'ai trouvde depuis d aucun regard humain. CEil de boh6mien, eil de loup, c'est un dicton espagnol qui d6note une bonne observation. Si vous n'avez pas le temps d'aller au Jardin des plantes pour 6tudier le regard d'un loup, consid6rez votre chat quand il guette un moineau. Prosper M6rim6e, Carmen
Lorsqu'il note que la femme id€alement belle se d€finit (1990-: ll4). A prdsent que les critdres se sont affin6s, je suis plus nuanc6. Je me demande, en effet, si nous n'avons pas affaire,'dans tous ces cas, d des actualisations singulidres d'un simple genre de description. M'opposant trds nettement i ceux (Greimas 1983, Bouchard 1991) qrii font de ces des variantes du r6cit, je la recette de cuisine surtout sortes de textes dirai qu'ils se laissent abuser par la prdsence massive de pr6dicats actionnels, qu'ils ne tiennent pas assez compte du caractdre illocutoire des temps utilis6s (infinitif jussif, imp€ratif ou futur pr6dictif), de I'absence dnonciative de sujet ddtermin6 (place abstraite destin6e d €tre occup6e par le lecteur lui-m€me) et du caractdre r$solument non fictionnel du genre. Qu'une narrativisation soit en raison de la transformation d'un 6tat de d6part en toujours possible ne m6tamorphose pas pour autant le discours proc6dural un 6tat d'arriv6e programmateur en rdcit. Faute de place, je me contenterai du cas de la ou recette de cuisine en examinant un exemple classique, d I'infinitif (publicit6 des magasins cooP).
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Les
textes: tlpes et protorypes
{15} COOUELET AUX MORILLES
lngrddients pour 4 personnes : 2 gros coquelets 5O g de beurre 1 dchalote 1/2 gousse d'ail 1 sachet de morilles s6ch6es 1 dl de vin blanc 2 dl de bouillon de poule ou un fond de volaille sel
poivre noir du moulin 1 pointe de moutarde 1 pointe de concentr6 de viande 2 dl de double crEme PrEparation Couper les coquelets en morceaux, les rincer i l'eau froide et les s6cher avant de les saler et poivrer. Les faire dorer de toutes parts, les rdserver. Faire tremper les morilles dans de l'eau chaude et les rincer soigneusement. Dans le beurre de cuisson des coquerets. 6tuver air et 6charote hachds menu, ajouter les morilles et saisir. Mouiller avec le vin blanc, et laisser rdduire avant
d'ajouter le bouillon, la moutarde et le concentr6 de viande. Remettre la volaille dans la sauce, couvrir et laisser cuire pendant 20 min d petit feu. Sortir les morceaux de volaille et r€server au chaud. Affiner la sauce avec la cr0me et tout en remuant, porter d dbullition. Napper les morceaux de
volaille de cette sauce et servir trds chaud. Accompagner de haricots ( mange-tout >>, de riz sauvage et de l6gumes.
Le genre de discours que I'on catdgorise sans peine comme comporte un plan de texte clair : a) Nom de la recette qui correspond parfaitement au thdme-titre (opdration d'ancrage) de la sdquence descriptive. b) Liste des ingr6dients ndcesssaires qui degr6 z€ro de la description - (encore correspond i l'6numdration des composants 6pars et crus) du tout (a). c) Description des actions d ex6cuter correctement pour obtenir le plat convoitd
Description
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ail et 6chalote hach€s menu )) : il faut donc, pr6alablement avoir hach6 menu la l,/2 gousse d'ail et I'dchalote). Une premidre s6rie d'actes concerne la volaille (actes I ir7),la s6rie suivante (8 d 17) porte sur la sauce, puis trois actions (18 a 20) ont conjointement trait d la volaille et d la sauce. Une nouvelle phase (21 it 22) porte alors sur la volaille, puis une autre sur la sauce (23 it 25) et, de nouveau, sur les deux (25 et26). Le plat ainsi constitu6 est enfin accompaen9 (27) d'6l6ments non rdpertorids dans la liste des ingrddients du plat
principal.
On le voit, un ensemble ordonn6 d'actes aboutit d I'objet global qui assure I'homog6n6it6 de la structure. Soit un plan type de ce genre de texte dans lequel les 6l6ments de la s6quence (b) sont repris syst6matiquement dans une s6rie d'actes (c). Ce plan est nettement plus prdcis que celui que je proposais dans mon article de la revue Pra tiques (n" 56 1987) : [a] correspond d ce que j 'appelais alors < 6tat final ,, [b] e < 6tat initial D et [c] d . Ce sch6ma reste vrai du point de vue de l'algorithme de transformation : une suite ordonn6e d'op6rations permet de passer d'un 6tat initial (ensemble d'ingrddients divers ou d'6l6ments 6pars) d un 6tat final (tout achev6). Mais le sch6ma que je propose actuellement tient mieux compte du fait que cette structure peut 0tre assimilde un processus de condensation lexicale : passage de la liste [b] d un lexdme superordonn6 [a], qui sert de thdme-titre d la recette, par le moyen [c] de verbes d'action. G. Vigner (1990 : 109)t identifie parfaitement ce mouvement sans en tirer malheureusement les cons6quences typologiques qui s'imposent : un tel processus correspond d la structure de la description. On peut dire que le texte de type programmatif introduit un mouvement dans la structure : [a] n'est obtenu que si l'on opdre sur [b] une s6rie d'actes [c]. Mais [b] et [c] ne font que d6crire ou d6finir, d'une fagon certes un peu particulidre, le thdme-titre [a]. Le processus de ddmultiplication qui permet de passer de [a] la liste [b] des ingr6dients ressemble dl'aspectualisation et le processus inverse de condensalior ressemble beaucoup ir
i
i
l'affectation.
(a).
. cette dernidre s6quence, entidrement lindaire, garantit le passage des parties au tout. Ainsi, en (15), la s6quence de2i actes successiis (c)-permet de passer des 12 ingr6dients de (b) au tout (a). La d6composition de L description d'actions (c) ne peut €tre op6r6e en termes narratifs. Il s'agit seulement de s6ries d'actes successifs soigneusement hi6rarchis6s. L'exemfle (15) comporte 25 actes explicites et 2 actes sous-entendus (en dixidme position < : 6tuver
l.
G. Vigner d6crit toutefois avec beaucoup de justesse le mdcanisme g6n6ral et il dresse une typologie des algorithmes de transformation qui permet de rendre compte de tous les textes programmatifs. Je renvoie donc cet article ainsi que, pour une premidre approche de la description d'actions, ir F. Revaz 1987.
i
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Les textes: types et prototypes
Description Thdme-
Coquelet aux morilles [al
-/
\- ---\ Icondensation]
'[transf ormation]
------------t>
S6quence 2 Description d'actions [cl
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Je ne considdre plus aujourd'hui cette s6quence comme un exemple type d'hdtdrog6n€it6, mais comme un simple cas d'animation par la description d'actions d'un portrait par d€finition statique. En d'autres termes, cette sorte dc procddure descriptive ne diffdre pas vraiment de la description d'objets dans le mouvement de leur fabrication. Ainsi dans cet exemple homdrique (un peu moins cdldbre que le bouclier d'Achille) oir la description du lit d'ulysse cl de Pdndlope XXIII del'odyssde est narrativement motiv6e - au chant par le fait que P€n6lope met Ulysse d l'dpreuve -en lui demandant de d€crire I'objet qu'ils sont les seuls, avec la servante Actoris, d connaitre :
(17t
ce plan de texte et des marques de surpeut €tre tent6 de consid6rer les textes proface elles aussi trCs spdcifiques, on comme un type bien individualisd, situ6, cdduraux et injonctifs-instructionnels (trds proche du r6cit selon la le r6cit et description entre dans un continuum, Greimas (1983) et Bouchard (1991), extremement proche de la description selon moi). Je viens de montrer pourquoi je ne considdre pas utile d'en faire un sixidme prototype de s6quence, cette solution ne me g€ne que parce que I'on n'est d6jd plus dans un prototype de s€quentialit6, mais bien dans un genre discursif avec toutes ses composantes pragmatiques (vis6e illucutoire injonctive, place 6nonciative vide destin6e d Otre occupde par le lecteur, monde repr6sent6 non fictionnel). Je trouve plus 6conomique d'dviter autant que possible de multiplier les prototypes de base. L'application du moddle propos€ a toutes les recettes possibles permet de comprendre le cas singulier du portrait-recette de Chateaubriand cit6 par Philippe Hamon (1981) et repris page 95 du Texte descriptif :
A cause du caractdre trds strict de
(16) Lucile, la quatridme de mes seurs. avait deux ans de plus que moi. Cadette d6laissde, sa parure ne se composait que de la d6pouille de ses seurs. Ou'on se figure une petite fille maigre, trop grande pour son 6ge, bras d6gingand6s, air timide, parlant avec difficulte et ne pouvant rien apprendre ; qu'on
lui mette une robe emprunt6e d une autre taille que la sienne ; renfermez sa poitrine dans un corps piqu6 dont les pointes lui faisaient des plaies aux c6t6s ; soutenez son cou par un collier de fer garni de velours brun ; retroussez ses cheveux sur le haut de sa t€te, rattachez-les avec une toque d'6toffe noire ; et vous verrez la misdrable crdature qui me frappa en rentrant sous le toit paternel. Personne n'aurait soupgonn6 dans la ch6tive Lucile, les talents et les beaut6s qui devaient un jour briller en elle.
Chateaubriand, M6moires d'outre-tombe, 13.
[...] ll est un secret dans la structure de ce lit : je I'ai bdti tout seul. r90 Dans la cour s'6levait un rejet d'olivier feuillu dru, verdoyant, aussi 6pais qu'une colonne. Je bdtis notre chambre autour de lui, de pierres denses, je la couvris d'un bon toit, la fermai d'une porte aux vantaux bien rejoints. Ensuite, je coupai la couronne de l'olivier et, en taillant le tronc ir la racine, avec le glaive je le planai savamment et l'6quarris au cordeau pour faire un pied de lit ; je le pergai A la taridre. Aprds cela, pour l'achever, je polis le reste du lit 2oo en l'incrustant d'argent, d'ivoire et d'or ; je tendis les sangles de cuir teintes de pourpre. Voild le secret dont je te parlais [...] Homere, Odyssde, trad. de p. Jaccottet, @ La D6couverte, 1 989, pp. 372-373.
on le voit clairement : le lit n'est pas d6crit dans son 6tat d€finitif mais en cours de fabrication par ulysse lui-m€me. Il est difficile de mieux m€ler description et action. conformdment aux recommandations des petits maitres de rh6torique et de stylistique, la description-recette est, avec la descriptionpromenade (dont la description d'itin6raire est une variante), une des techniques d'animation des objets statiques. Toutes ces formes de recours d la description d'actions apparaissent donc comme des solutions internes au descriptif ct pas du tout comme des proc6d6s de narrativisation. Au terme de ce type de description d'actions un tout est certes constitu6, mais il faut absolument tenir compte du fait qu'aucune complication-Pn2 et aucune r6solution-pn4 ne viennent, dans la description-promenade, la description-recette et la description d'itindraire, proc6der d une quelconque mise en intrigue. si une 6valuation finale est parfois introduite, ceci ne fait pas pour autant basculer la description d'actions dans le r6cit : le critdre (E) manque. En d'autres termes, un algorithme lin6aire de transformations n'est pas un recit. Il serait, ir ce propos, utile de r6server le verbe relater aux rapports non narratifs de
100
Les textes
:
Dauiption l0l
lypes et prototwes
chaines d'actions. Ainsi Ulysse relate-t-il ici la construction du lit (il en d6crit la fabrication), mais il ne raconte, proprement parler, rien. Un < r6cit de r€ve > relate une suite non coordonn€e causalement d'actes et d'6tats. A pro-
i
prement parler,
il
ne raconte, lui non plus, rien.
5. Pour conclure Pour conclure, retenons que la description s'6tend de la limite infdrieure repr6sent6e par une simple proposition descriptive d la s6quence descriptive compldte dont la limite est potentiellement infinie. En termes de dominante textuelle, la description I'emporte rarement. Dans un r6cit de quelque 6tendue, elle est, en principe, au service de la narration, c'est-d-dire domin6e. Peu d'dcrivains se sont d'ailleurs risqu6s la description continue. < Le Domaine d'Arnheim > et < Le Cottage Landor )) d'8.A. Poe (Histoires grotesques et sdrieuses) constituent deux cas uniques dans toutes les nouvelles de I'auteur amdricain. Avec Lo Presqu'ile, Julien Gracq va plus loin encore dans la procddure de la description-promenade et il se conforme i la ddfinition qu'il donne lui-mOme de la description : < La description, c'est le monde qui ouvre ses chemins, qui devient chemin, oti ddjd quelqu'un mar-
i
che ou va marcher >> (En lisant, en dcrivont). Je ne citerai, pour finir, qu'un cas d'h6t6rog6n€it6 textuelle forte : la description des Terriens r€v6s de fagon prdmonitoire par Ylla K., au tout d6but des Chroniques martiennes de Ray Bradbury. (18)
- Bizarre, murmura-t-elle. Trds bizarre, mon r6ve. -oh? Visiblement il n'avait qu'une envie : aller retrouver son livre. r6v6 d'un homme. - J'ai homme - Un homme trds grand. Prds d'un mdtre quatre-vingt-cinq. - Un un g6ant, un g6ant monstrueux. Ridicule - Pourtant, ;dit-elle, cherchant ses mots. ll avait l'air normal. Malg16 sa taille. !
-
Et il avait... oh je sais bien que tu vas me trouver stupide... ll avait les yeux b/eus
-
!
Les yeux bleus ! Dieux ! s'exclama M. K. Qu'est-ce que tu reveras la pro-
chaine fois ? Je suppose qu'il avait les cheveux noirs ? ? Elle 6tait surexcitee. - Comment l'as-tu devin6 plus invraisemblable, r6pliqua-t-il froidement. la la couleur J'ai choisi pourtant noirs ! Et il avait la peau trds blanche ; oh vrai. lls 6taient C'est il 6tait tout d fait extraordinaire ! Avec un uniforme 6trange. ll descendait du ciel et me parlait trds aimablement. Elle se mit e sourire. Descendre du ciel, quelle sottise ! [...] Les propositions descriptives sont ici diffract6es de r€plique en r6plique selon un ordre [dialogue dominant > description dominde]. Bien s0r, I'int6r0t
dc ce texte est de nous donner d connaitre les normes descriptives du monde dans lequel nous entrons. La banalitd d'un homme (thdme-titre) mesurant I m 85 (propri6t6), aux yeux (partie) bleus (propri6t6), aux cheveux (partie) noirs (propri6te) et e la peau (partie) blanche (propri6t6) est transformde, par la mise en scdne dialogale (6valuations successives), en description extraordirraire au regard de M. et Mme K. Les adjonctions mdtonymiques (v€tements, l'usde) viennent ensuite compl€ter cette description, on le voit, tout d fait canonique par ailleurs.
6.
Exercices d'analyse s6quentielle
Texte 3.1 . Un portrait en parallele (L. Bodard) Analysez, de faqon d6taill6e, la structure s6quentielle de la troisiime puis de la quatridme phrase de I'exemple (7) p. 87 - portrait du boy chinois (Lucien Bodard, La Chasse d l'ours, Grasset 1985: 39). lnspirez-vous des reprdsentations de la structure des exemples (1 2) et (1 3) pour mettre au point le schdma de la structure de chacune de ces phrases-sAquences.
Texte 3.2. Types et prototypes d'6l6phants africains Pour renvoyer - en abyme - d la probl6matique du pr4sent ouvrage d partir d'une description qui pose la question des prototypes de fagon fort claire (prototype d'6l6phants africains dits < de savane > et < forestier > par rapports auxquels une gamme de variantes peut 6tre posde), je ne resiste pas d I'envie de citer ce petit texte paru dans un hebdomadaire helvetique : [...] [a] On diff6rencie deux types d'6l6phants africains : [b] le type dit < fores> dont les aires d'habitat sont les for6ts de C6te-d'lvoire [c] et le type dit ( de savane > que l'on rencontre g6ndralement au Kenya. [d] L'6l6phant forestier est le plus petit. [e] ll a une forme plus a6rodynamique > [f] et " le front un peu fuyant. [g] Ses d6fenses sont droites [h] et dirigdes vers le bas, [i] particularitd anatomique [j] lui permettant de se d6placer plus facilement [k] dans les for€ts !l encombr6es de branches. [m] Ses oreilles ont une forme plus arrondie. [n] Ouant d l'6l6phant de savane, il peut atteindre 3 m 5O au garrot. [o] Son front est plus droit, [p] ses d6fenses sont recourb6es [q] et ses oreilles, trds grandes, [r] sont de forme triangulaire. [s] Entre ces deux types, il existe toute une gamme de variations et il est difficile de tracer avec nettet6 une
tier
limite conventionnelle oir la race dite forestidre cdde le pas d celle des savanes.
P. Challandes, Fdmina no 4, janvier 1992 : 34, Lausanne.
Etabtissez l'arbre descriptif des deux portraits d'1tdphants. Structure de la description de l'6l6phant ( forestier > puis structure de celle de l'616-
phant < de savane
>.
Chapitre
102 La tutes : lypes et prototYqes
4
Texte 3.3. Argumenter en ddcrivant Donnez, dans un premier temps, le schdma de la structure descriptive de cette brCve tfigende qui accompagnait la photographie d'une falaise d'escatade de ta rdgion d'Evian et Thonon : Cadre verdoyant
rocher franc et massif le Pas-de-l'ours a tout Pour Plaire.
lAlpi-rando, n" 90, 1986
:
Le prototype de la s6quence argumentative
1161.
Afin d'articuler analyse s6quentielle et analyse pragmatique, tentez de rendre compte des dimensions s6mantique, flnonciative et illocutoire de
ce petit texte. Comme je I'ai d6ji notd plus haut, il ne faut pas plus confondre I'unit6 compositionnelle, que je d6signe sous le terme de s6quence argumentative, avec I'argumentation en g6n6ral que confondre la s6quence descriptive dont il vient d'€tre question avec la fonction descriptive-rdf6rentielle de la langue ou encore le dialogisme avec le dialogue. D'un point de vue g6n€ral, I'argumentation pourrait fort bien €tre conque comme une quatridme ou une septidme fonction du langage aprds les fonctions 6motive-expressive, conativeimpressive et r€ferentielle de Btihler ou encore m€talinguistique, phatique et po€t:que-autotdlique de Jakobson. Il ne peut €tre question d'entrer ici en matidre sur la question classique de la prioritd d accorder i la fonction descriptive (conception dite descriptiviste) ou d la fonction argumentativerh6torique (position dite ascriptivrsre). Quand on parle, on fait allusion i un < monde > (< r6el >> ou fictif, pr6sentd comme tel ou non), on construit une repr6sentation : c'est la fonction descriptive de la langue. Mais on parle souvent en cherchant d faire partager i un interlocuteur des opinionq ou des repr6sentations relatives dr un thdme donn6, en cherchant i provoquer ou accroitre I'adhdsion d'un auditeur ou d'un auditoire plus vaste aux thdses qu'on pr6sente i son assentiment. En d'autres termes, on parle trds souvent pour argumenter et cette finalitd est consid€r6e par les uns comme surajout6e a la valeur descriptive-informative de la langue (c'est la position classique de la rh6torique) et par les autres comme premidre (c'est la thdse de Ducrot et Anscombre 1983). Dans cette dernidre perspective, les donndes informationnelles ne sont pas vues comme prioritaires dans la reconstruction du sens d'un 6nonc6, mais comme d€riv6es de sa valeur argumentative. D'aprds le sch6ma 2, proposd au tout ddbut du pr6sent ouvrage (page 2l), la notion gdndrale d'argumentation peut €tre abord€e soit au niveau du discours et de I'interaction sociale, soit au niveau de I'organisation pragmatique de la textualit6. Si I'on d6finit I'argumentation comme la construction, par un 6nonciateur, d'une reprdsentation discursive (plan A3 d'organisation)
104
Les textes
:
types et protoljpes
Argumentotion
visant d modifier la repr6sentation d'un interlocuteur d propos d'un objet de discours donn6, on peut envisager le but argumentatif en termes de visde illocutoire (plan Al). En revanche, si I'on considdre l'argumentation comme une forme de composition 6l6mentaire, si I'on postule I'existence, chez les locuteurs, de repr6sentations prototypiques relatives d un ou d des sch6mas de l'argumentation, on se situe, cette fois, au niveau 82 de I'organisation s6quentielle de la textualit6. Dans cette perspective, on se demandera si certaines suites de propositions peuvent €tre marqudes comme des suites r6interpr6taConclusion, Donnde(s) Conclubles en termes de relr''rn Argument(s) sion (Toulmin 1858 : 97)r ou encore Raisons Conclusion (Apoth6loz et al. 1989). Ces variantes rendent toutes compte d'un m€me ph6nomdne : un discours argumentatif vise d intervenir sur les opinions, attitudes ou comportements d'un interlocuteur ou d'un auditoire en rendant cr6dible ou acceptable un dnoncd (conclusion) appuy6, selon des modalit6s diverses, sur un autre (argument./donn6e,/raisons). Par ddfinition, la donn6e-argument vise d 6tayer ou r6futer une proposition. On peut dire que ces notions de conclusion et de donn6e (ou encore prdmisses) renvoient I'une d I'autre. Un 6nonc6 isol6 n'est pas a priori conclusion ou argument-donn6e. Si une (une seule ou plusieurs) proposition apparait comme le pr6alable d'une conclusion, c'est aposteriori, par rapport d cette dernidre. La relation [Donn6e Conclusion] peut €tre consid6r6e comme une s6quence de base dans la mesure oir une s6rie s'interrompt et oir un effet de cldture est ressenti (Apoth€loz et al. 1984 : 38). Cette id6e est soutenue aujourd'hui par nombre de sp€cialistes de l'argumentation. M.-J. Borel, par exemple, exprime une position trds proche de celle que syst6matise le prdsent ouvrage : chez Toulmin) qui justifie la conclusion C. Cependant, comme le souligne le sch6ma argumentatif imagind par Toulmin (1958), pour que cette .iustification soit valable, il faut encore rdpondre d la question implicite : comrnent peut-on passer de la donn6e p ir la conclusion C ? Qu'est-ce qui l6gitime ce passage de la douceur des mains de la marquise d I'amour qui lui est port6 ? Une rdgle d'inf6rence, un principe g6n6ral ( chez Toulrnin) ou (Conclusion non-C')
+
EN CONSEOUENCE
+
prop. [h]
Soit un schdma complexe des dtayages de la proposition [h] semblable d celui de l'€tayage de [d] : (([dlet [el MAls [f]et lsl-----> non-c'] -----> {D.NNEES
Voir aussi Plantin 1990 : 28, et Brassart l99O : 3l'7.
---> non-C) ---> -.._> CONCLUSION}
(([a] et [b] MAIS [c]
---->
t",X3t-"tJ:il--->
EN CONSEOUENCE [h]]
coNcLusroN}
ll0
Les textes: tlpes et prototlpes
Argumentation
J'ai montr€, au chapitre 2, comment cette structure argumentative est narrativis6e. Je ne reviens pas sur cette analyse, mais soulignons que nous avons ici I'illustration parfaite de ce que j'ai d6fini comme une h6t6rog€n6it€ de type [S6quence dominante ) Sdquence dominde]. Si le rdcit domine ici l'argumentation, c'est, d'une part, pour des raisons linguistiques de surface : pr6sence de I'organisateur narratif < Il 6tait une fois > et du couple verbotemporel imparfait-passd simple accompagn6 de la troisidme personne (illelle) et, d'autre part, pour des raisons g6n6riques : ce texte est un conte. La structure argumentative que je viens de ddcrire est au service de la structure s6quentielle narrative. La < logique >> de ce paragraphe est certes ceile que les deux sch6mas des dtayages argumentatifs des propositions viennent de d6crire, mais celle-ci ne prend tout son sens que dans la logique narrative propre aux contes : les sujets partent en qu€te d'un objet qui doit Otre valoris€, ils tentent de transformer une relation de disjonction en conjonction pour effacer le manque qui motive la narration m€me. La premidre sdquence, scand6e par le d€part et le retour du sujet-hdros, ne pr6sente pas de r€solution du manque et I'on peut, de ce fait, escompter que ce r6cit est loin d'Otre achev6. R€v6lant un autre aspect de I'h6t6rog6ndit6, l'exemple descriptif (7) du chapitre 3, permet d'examiner comment deux descriptions successives d'un m€me personnage, rdsumdes chacune dans une reformulation dont j'ai parl6 d6jd plus haut, peuvent Otre argumentativement reli6es. t7t [P1] Le boy chinois : quand j'y repense ! [P2] Ouelle n'avait pas €t6 notre surprise d Anne Marie et moi lorsque nous avions 6t6 le chercher d la gare ! [P3] Tout guindd en gentleman, jaune dans les attifements du blanc, avec son costume bleu ray6, son neud papillon et ses chaussures en daim, on aurait dit un ddfileur de carnaval. [P4] pouRTANr, grand et mince, visage sculpte dans le bois dur des jungles, des yeux de tigre et de hautes pommettes, c'6tait un v6ritable Seigneur de la guerre. [pS] En le voyant, j,avais 6td tout excit6, le ceur comme un tambour : avoir I'un de ces hommes redoutables pour serviteur d la fois m'attirait et me terrifiait [...].
La premidre phrase-s€quence descriptive [P3] aboutit reformulative : Proposition
p:
i
une proposition
Le boy chinois [...] on aurait dit un ddfileur de carnaval.
La deuxidme phrase-s6quence
se
r€sume dans cette autre reformulation
:
Proposition q : Le boy chinois [...] c'6tait un v6ritable Seigneur de la guerre.
Soit une structure argumentative que je ddcris plus compldtement dans le corrig6 de I'exercice 3.1. (p. 198-200) du chapitre pr6c6dent : (C1) Pronpsition p (D2) ---- POURTANT
L__---'.7,
Conclusion non-q (C2)
-1-
---
-
----
(C3) proposition q (D4)
,---HONCLUSTON
(C4l
III
La proposition p peut €tre analysde, dans un premier mouvement, comme une sorte de conclusion (Cl) tirde des donn6es fournies par la description (Dl). Dans un deuxidme mouvement, cette conclusion devient une nouvelle donn6e (D2) menant d la conclusion non-q (C2) selon un processus inf6rentiel qui ne pose pas de probldmes. La proposition q, de la mOme manidre, est une sorte de conclusion (C3) des donn6es (D3) fournies par le reste de la phrasesdquence descriptive P4. Elle devient une nouvelle donnde (D4) qui, associde d D2 dans un mouvement concessif classique, 6taye la conclusion (C4) de la phrase P5. Soit le sch6ma suivant de l'dtayage successif des propositions : 1P3l D1
-->
C1
prop.
I
D2
p
+
C2 (non-q) --- POURTANT --- [P4] D3
-
ala
prop. q
I
D4
+
C4 [Psl
Selon ce sch6ma du mouvement argumentatif, on voit que les deux un mouvement argumentatif dominant. Les reformulations, dont il a 6t6 question au chapitre 3, prennent ici tout leur sens. La fonction s6quentielle de la reformulation a trop rarement 6t6 soulignde par les linguistes : on voit bien ici comment la reformulation est une sorte d'intermddiaire, de transition entre la sdquence descriptive qu'elle boucle et le mouvement argumentatif englobant. s6quences descriptives sont prises dans
2. Schdma inf6rentiel, syllogisme et enthymdme On peut dire que le moddle r6duit du mouvement argumentatif est exemplairement rdalis€ par l'induction [Si p alors q] et par le syllogisme (avec sa variante
incompldte propre au discours ordinaire : I'enthymdme). Dans les Premiers Analytiques (24b, 18-22) - voir aussi les Topiques, Aristote avance cette ddfinition du syllogisme : Livre l, 100a25-100b26 -, < Le syllogisme est un raisonnement dans lequel certaines pr6misses 6tant posees, une proposition nouvelle en r6sulte n6cessairement par Ie seul fait de ces donn6es. > On retrouve la base du sch6ma examin6 plus haut : les pr6misses sont ici d6finies comme des donn6es dont rdsulte ndcessairement (< une proposition nouvelle > qui est proprement une conclusion. Le syllogisme a pour particularit6 d'amener la conclusion sans recours extdrieur : ( par le seul fait de ces donn6es >. C'est dire qu'il ne n6cessite ni support, ni restriction et que la rdgle d'inf6rence est la simple application d'un sch6ma abstrait (sch€ma tellement formel qu'il peut aboutir i des conclusions aussi absurdes
ll2
Les texles
:
Argumentation
types et prolotwes
qu'amusantes). Retenons seulement que la structure du syllogisme correspond conclusionl. au sch6ma de base : [donn€es (prdmisses majeure et mineure) Par rapport e cette structure logique un peu trop iddale et formelle, le discours naturel recourt plus volontiers I'enthymdme. Ainsi dans ces deux exemples publicitaires que j'6tudie plus en d6tail ailleurs (1990 : l2l-133):
-
i
la conclusion < Alors il n'y a pas de bulles dans Banga >. L'enthymdme a ici la forme superficielle du sch6ma inf6rentiel argumentatif [Si p alors ql et nous sommes trds proches des enoncds argumentatifs classiques :
i
(11) Si vous savez casser un
LE MIEL
(1O) ll n'y a pas de bulles dans les fruits. Alors il n'y a pas de bulles dans Banga.
En (9), la conclusion du syllogisme manque : < Donc toutes les vertus sont dans le miel. > En (10), c'est une pr6misse qui est sous-entendue : < Or il n'y a que des fruits dans Banga. > Dans les deux cas, on peut reconnaitre la d6finition aristot6licienne de I'enthymdme. Aristote pr6cise, dans Ie livre premier de la Rhdtorique, que l'exemple comme induction et I'enthymdme comme syllogisme sont ( compos6s de termes peu nombreux et souvent moins nombreux que ceux qui constituent le syllogisme proprement dit. En effet, si quelqu'un de ces termes est connu, il ne faut pas l'€noncer ; I'auditeur luim€me le suppl6e > (1357a). Prenant I'exemple d'un athldte c€ldbre, Aristote explique que pour conclure qu'il < a regu une couronne comme prix de sa victoire, il suffit de dire : il a 6t€ vainqueur d Olympie ; inutile d'ajouter : d Olympie, le vainqueur regoit une couronne ; c'est un fait connu de tout le monde > (ibid.). Dans le Livre II de la Rhdtorique, lrailant des enthymdmes, il ajoute : ), le publicitaire 6vite, de plus, de voir son propos tomber sous le coup d'une accusation de publicitd mensongdre. Le lecteur-interpretant assume seul la donn6e implicitde qui permet d'aboutir
(Alsa)
qu'elle est. Dans ces deux cas, le schema [donn6es + conclusion] est 6vident. Il se complique seulement de la construction d'un monde plus (12) ou moins (l l) fictif. Dans tous les cas, le moddle est le suivant : dans le contexte de p (Si p), il est pertinent d'6noncer la conclusion q (alors q)1. Avec les exemples suivants, le sch€ma argumentatif se complique un peu : (13) M6me si leurs nombreuses couches sont d6lectables : le secret de nos lasagnes reste imp6n6trable. (Findus)
(14) Si notre classe Club World est reconnue comme I'une des meilleures au monde, c'est qu'elle a 6t6 pens6e avant tout par des passagers d'affaires. (British Airways) (1
5) Si les mamans veulent la douceur Peaudouce, c'est parce que c'est bon
pour elles.
En (13), MEME SI laisse entendre que I'on pourrait normalement tirer de la donn6e p une conclusion contraire i la valeur n6gative (< imp6ndtrable >) de la proposition q. Ce sch6ma concessif repose sur [Si p alors q] et sur son
corollaire [Si non p alors non q]
:
DONNEE --- [Rdsle d'inf6rencel --- CONCLUSION (Si non-p)
choses dvidentes > (1395b22).
Ajoutons qu'6noncer la conclusion de (9) serait certes inutile, puisque tout lecteur, appliquant la loi d'abaissement (premier terme de la pr6misse majeure + second terme de la pr6misse mineure), aboutit ais€ment d la conclusion implicitde, mais surtout que ceci ne permettrait pas de formuler la conclusion publicitaire vis6e qui porte sur un miel particulier et pas sur tous les miels. L'€conomie du discours naturel est ici de nature < podtique >>,
euf, vous savez faire un g6teau.
(12) si SAAB produisait ses voitures en masse, aucune sAAB ne serait ce
(9) Toutes les vertus sont dans les fleurs Toutes les fleurs sont dans le miel TRUBERT
I 13
'---t M€me si p------------> (alors q)
Bien sfir, il faut admettre une rdgle d'inf6rence un peu ddlicate d 6tablir ici, mais qui laisse entendre que ce qui est < d{lectable )) est ( p6n€trable >. L'exemple suivant est probablement plus simple d interprdter : (16) M€me si la population canine est en baisse dans nos r6gions ['..] l'amour du toutou n'est pas pass6 de mode pour autant'
l.
pouruneetuded6taill6e,jerenvoieauchapitre3deLangueetlittdrature(1991)quejeconsa-
cre A un grand nombre d'exemples d'hypoth6tiques.
ll4
Les textes: tlpes et prototypes
Argumentation
DONNEE --- [Rdgte d'inf6renceJ --- CONCLUSTON Mdme si p----------;'(alors q)
I 15
La structure explicative de (14) et de (15) correspond donc d un mouvement infdrentiel qui part de I'indice-effet (la ou les donndes) pour remonter d la cause en renforgant avant tout la v6rit6 m€me de la donn6e.
Si non-p
3. Du
schdma del'ltayage des propositions au prototype de la sdquence argumentative
Ici, la donn€e ( baisse de la population canine > laisse conclure dans le sens (1988 : 5l). que les hommes comme re souligne Ia cdldbre formure , - Etant donn€ - caprice de Pascal se gouvernent ( plus par que par raison > (), il faut insister sur le choix dei prlmisses d'une argumenra_ tion. Le fait qu'une argumentation vise toujouis un auditeur ou un public sp€cifique explique l'importance de ce choix : < Il est n6cessaire que [le locuteurl se fasse, parmi d'autres, une reprdsentation de son auditeur. Non s.utement des connaissances qu'il a, mais des valeurs auxqueiles il adhdre > (Grize 1981 : 30). Dans cette perspective, on comprend qu;Aristote et perelman d sa suite se soient longuement attard6s sur lanature des premisses. Le raisonnement d'Aristote est le suivant : pour convaincre un lnterlocuteur, il faut mettre celui-ci en position telle qu'il se trouve dans I'impossiuiliid
haut
i
l'essai de d6finition d'une unit6 s6quentielle prototypique, partons d'une
d6finition avanc€e dans un contexte linguistique pourtant non textuel par O. Ducrot : Un grand nombre de textes litt€raires, surtout aux xvn. et xv[r. sidcles, se pr€sentent comme des raisonnements. Leur objet est soit de ddmontrer, soit de refuter
une thdse. Pour ce faire, ils partent de pr€misses, pas toujours explicites d'ailleurs, cens6es incontestables, et ils essaient de montrer qu'on ne saurait admettre ces pr€misses sans admettre aussi telle ou telle conclusion la conclusion 6tant soit la thdse ir d€montrer, soit la n6gation de la thdse de leurs adversaires. Et, pour passer des pr€misses aux conclusions, ils utilisent diverses ddmarches argumentatives dont ils pensent qu'aucun homme sens6 ne peut refuser de les
-
accomplir.>(1980:81) Bien qu'elle s'appuie sur des formes trds dlabordes (litt6raires) de discours argumentatifs, cette d6finition rejoint le moddle mis en dvidence plus haut. O. Ducrot parle d'abord de deux mouvements argumentatifs : ddmontrer et r6futer une thdse. Dans les deux cas, le mouvement est le mOme puisqu'il s'agit de partir de prdmisses (donndes) qu'on ne saurait admettre sans admettre aussi telle ou telle conclusion. Entre les deux, le passage est assur6 par des < d6mar-
ae refuser
les propositions avanc6es. pour aller dans le sens d'une telle impossibilit6, il.faut que ces propositions soient aussi proches que possibre a. q.ilrque opinion ou autorit6 g6n6rare. pour se faire une idee ae ta *-p[.iiJ-oe ra cor_ lecte de telles pr6misses endoxales, suffit de voir !l Aristote d6crit Ieur rdcolte : > (Topiques r, l4). Assurdment, les prdmisses choisies trahissent I'id6e que le locuteur se fait des repr6sentations (connaissances, croyances, id6ologie)i" ron ini"rtocuteur. Aprds une rdflexion qui nous a men€s aux frontiEres de notre obj.t, ,"u.nons a ce qui nous occupe pr6sentement. Il faut certainement admettre les r6serves exprimdes aussi bien par J.-B. Grize : < Si I'on considdre des textes
ches argumentatives >> qui prennent I'allure d'enchainements d'argumentspreuves correspondant soit aux supports d'une rdgle d'inf6rence, soit d des micro-chaines d'arguments ou des mouvements argumentatifs enchdss6s. Le sch6ma simplifi€ de base correspond d ce qu'on a vu plus haut :
i
ootrtru€es --------- ARGUMENTS --------> coNcLUstoN
(pnEurssEs)
I
6tayage des arguments I
GARANT SUPPORT
Ce sch€ma de base n'exclut pas les restrictions dont on a parl6 plus haut. De plus, il doit €tre compl6t€ d la lumidre d'un principe dialogique dont j'ai
t
ll8
Les textes: types et prototlpes
Argumentation
d6ji soulign6 I'importance :
Conclusions non-C-C' [P. arg 3]
Le rnouvement infdrentiel de gauche se situe dans le monde non actuel marqu{ par Si hypoth6tique, I'imparfait et le conditionnel, c'est.ir-dire ici dans un univers non pris en charge par le locuteur. Cet enchainement argumentatif acquiert ainsi un statut de thdse ant€rieure (P. arg 0) tandis que les donprend en n6es aisert6es au pr6sent, aprds MAIS, sont celles que le locuteur (CenreS) la valiquand m€me qu'il reconnait charge tout en laisiant entendre inf6de ces validit{ qu'il la ne situe (vers mais 2), dit6 des conclusions C et C' qui des mdne rdgle d'infdrence La hypoth{tique. que dans un monde rences la dans r6appliqu6e ensuite 2 est vers du conclusions vers I aux donn{es du on c-c'], ---> conclusions p que --cERTEs reconnait l,on mesure otr, si [Si doit admettre 6galement que [Si non-p --- alors ---> non-C-C']. Or, les vers 3 et 4 viennent trds exactement nier la propri6t6 accord6e aux < feux dans la nuit > du vers I (< faisaient des signes > et, dans un premier 6tat manuscrit du texte : ). La rime < certes >>/< d6concertent > Concentre, d elle seule, le renversement tragique du Sens au non-Sens, de la communicatiorr d la non-communication.
:
Vetu-e
Si les feux dans la nuit faisaient des signes certes la peur serait un rire et l'angoisse un pardon mais les feux dans la nuit sans cesse d6concertent le guetteur affind par la veille et le froid.
Le sch6ma argumentatif de ce petit texte est, en fait, assez complexe. )n peut dire que les vers 3 et 4 r€futent, sur la base de la donn€e qu'ils 6nonrent (P. arg l), la thdse antdrieure (P. arg 0) exposde dans les deux premiers rers. Les infdrences ir tirer de la proposition qui suit uers (vers 3-4) mdnent i une conclusion implicite qui infirme les deux assertions hypoth6tiques du ters 2, Soit un sch6ma g6n6ral de ce texte :
j
v 120
Argumentation
Les textes: types et prototypes
4.2. Retour sur un texte publicitaire :
Mir
Rose
D.G. Brassart (1990) a consacrd un article aux diverses analyses que, de 1976 i 1987, j'ai successivement propos6es de ce petit texte publicitaire fie respecte lutant que possible la disposition typographique du document original et d6signe les propositions de surface par une lettre, pour la commodit6 de I'analyse) : (
18)
[a] Les hommes aiment les femmes [b] qui ont les mains douces. [c] Vous le savez. [d] Mais vous savez aussi [e] que vous faites la vaisselle. [f] Alors ne renoncez pas pour autant d votre charme, [g] utilisez Mir Rose. [h] Votre vaisselle sera propre et brillante. [i] Et vos mains, gr6ce i I'extrait de pdtale de rose contenu dans Mir Rose, seront plus douces et
un stade de thdorisation presque aussi 6labord que celui des s6quences descriptive et narrative que je connaissais beaucoup mieux. Dans une toute premidre analyse, j'avais avancd une description narrative de ce texte. Ceci s'explique par le fait que ma conception du r6cit 6tait, d l'6poque, encore trds proche de la s6miotique narrative de Greimas. Or, dans le moddle sdmiotique de l'Ecole de Paris, la syntaxe narrative est suppos6e rendre compte de tous les textes (Greimas 1983 : 17-18). La narrativit€ est m€me ddfinie comme < le principe organisateur de tout discours > (Greimas et Court6s 1979 :249). Ne disposant pas encore des six critdres avancds
au chapitre 2, il m'erait tout d fait possible d'imaginer une narrativisation du contenu du texte.
plus belles.
[j] Elles ne pourront que vous dire merci. [k] Votre mari aussi.
l2l
(Doyle Dane Bernach Publicite)
Rendant compte de mes diff6rentes dtudes de cette publicitd, D.G. Brasart se demande s'il ne s'agit pas d'un de mes textes f6tiches... Pour 6viter le le contredire et pour verser une pidce de plus ?r son dossier, je n'h6site pas r revenir une fois encore sur cet exemple. En fait, je ne me permets ce retour ur le lieu du crime que parce que j'ai I'impression de pouvoir enfin proposer rne description d la fois simpler et relativement pr6cise de ce petit texte dans cadre d'une r6flexion plus pouss6e que celles que j'ai pu entreprendre aupaavant sur les schdmas de I'argumentation. Ddpassant progressivement la th6oie des superstructures qui est longtemps rest6e d l'6tat d'6bauche (T.A. Van e
)ijk I'a
plusieurs fois reconnu), il me fallait abandonner la pure et simple entation d'appliquer un sch6ma d un texte supposd repr6sentatif, il me falilt 6laborer un moddle prototypique de la sdquence argumentative plus souple t plus g6n6ral que le sch6ma superstructurel propos6 par L. Sprenger)harolles (1980:77).Il me fallait enfin quelques ann6es de travail sur les rarqueurs de I'argumentation (connecteurs et organisateurs) pour arriver i
. ce critdre de simplicitd n'est pas du tout appliqu6 par D. c. Brassart qui se r6fdre pourtant, cmme moi, au moddle de Toulmin. Je renvoie le lecteur int6ressd par une comparaison de nos escriptions d son article d'Argumentation no 4, 1990.
En n'entrant pas dans le detail du fonctionnement et en ndgligeant le fait qu'aucun 6vdnement n'est relat6, on pourrait consid6rer les propositions [a], [b] et [c] comme dessinant we situation initiale (Pnl) et voir dans [d] et [e] une forme de complication (Pn2). La suite pose plus de probldme, mais on pressent que I'utilisation de Mir Rose [g] pourrait constituer lune rdsolution (Pn4) du probldme pos€ en [d] et [e] qui amdne, en [h] et [i], une espdce de situation finale (Pn5). On pourrait m€me aller jusqu'ir accorder a [] et [k] un statut de < Morale >. En s'interrogeant sur les deux dernidres phrases et ces remerciements €tranges qui 6manent des mains du sujet lui-m€me et de son mari, on constate que le moddle s6miotique des actants du r6cit et des programmes narratifs s'applique assez bien. En effet, le don de la douceur et de la beaut6 accrue des mains appelle un contre-don sous forme de remerciements d'lun destinataire. La vaisselle fait quant d elle figure d'opposant et Mir Rose d'adjuvant magique dans une qu€te que mdne le sujet (< vous D. La division de ce sujet en personne totale (< vous >) et partielle (< vos mains >>, synecdoque exemplaire) s'explique parfaitement par le dispositif actantiel et les programmes narratifs : le sujet d'dtot est repr6sent6 par les mains et le sujet defaire par la consommatrice utilisatrice de Mir Rose. Si ce dernier possdde la modalitd vout-otR (vouloir plaire tout en faisant quand in€me la vaisselle) et la modalitd sAvoIR (r6p6t6e deux fois), c'est bien le eouvotn plaire qui lui manque. Le produit Mir Rose, en lui redonnant ce pouvoir, rend le sujet capable de toutes les s6ductions. Bien qu'elle soit trds approximative, une telle lecture est possible et, en d6pit de d€fauts ind6niables, elle esquisse une interprdtqtion du texte. Ceci confirme un point th€orique qui int6resse trds directement notre propos. La comprdhension d'un texte est une stratdgie de rdsolution de probldme, c'esti-dire qu'en cours de lecture, I'interprdtant conjecture au mieux I'organisation du texte en se fondant sur des strategies dont il se souvient qu'elles < se sont r6v6l6es utiles au cours de son exp6rience ant6rieure > (Kintsch l98l-82 : 780). Dans ces conditions, aussi surprenant que cela puisse paraitre, la lecture narrative d laquelle je viens de me livrer peut fort bien correspondre d l'interprdtation d'un lecteur qui ne disposerait, dans sa mdmoire d long terme,
22
r Les textes: tlpes et prototypes
Argumenlation ue de sch€mas prototypiques de rdcits (moddles de contes merve'reux en parculier)' Lecteur naifet narratorogue sont, l'un et l,autre, ounuuiles ptus par application d'un schdma preconitruit qu. pu, une r6ete attention a ra logiue spdcifique
faut ajouter encore I'appui des infdrences sur un savoir partag€: le Garant < Les mains douces, c'est bon pour les caresses ). Le connecteur argumentatif MAIS introduit une restriction susceptible de bloquer la conclusion infdrentielle Cl. La proposition [c] peut Otre d€crite comme une deuxidme sdquence ench6ss6e en position de restriction :
du texte consid6r€. Pour en revenir i certe logique, je partirai de ce sch6ma simplifi. de la lructure argumentative de Mir Rose : -
S6quence 1
PFEMISSES
Donn6es onn6es
lnf6rences
1-[a]-[bl
:
D1- Inf6ren
tal-tbl
_->Conclusion Ci
donc probablement
I
[cl
I MAIS Bestriction
Conclusion Cl
Restriction MAIS
:
S6quence 2
->
d moins que
lcJ
Donndes D2
lnfdrences
leI
ldl
-
I
/6ns
-
12
-
lnf€rences
tdr -
[eJ
ALORS
I
probablement
--
i moins que non-(non-Cil Restriction
t
puisque Garant
_> (imp6ratif)
{St} Donnee D4
[g]
>Conclusion non-Cl
t
T-
poUR
lrro*,
6tant donnd
Ifl
Support
-__-__---j l
La donn6e (D2) (( Vous faites la vaisselle >) entraine I'application d'un processus inf6rentiel : [donc probablement non-Cll : Les hommes ne vous aimeront vraisemblablement pas. Cette conclusion non-Cl s'appuie sur une rdgle d'inf€rence garantie par : puisque faire la voisselle abime les mains, ainsi que par le support : dtanl donnd que Ia vaisselle se fait avec les mains (sans gants protecteurs qssez efficaces et sons lave-vaisselle). Ce dernier mouvement argumentatif est lui-mOme susceptible d'Otre interrompu dans son ddroulement par une troisidme s6quence :
co;;tusio;;_______--__-___j
C2-rht \ c2-[hl ca-tit )I =cr--------"-----___---______--j c4-tjl-tkl
|
)
cette sch€matisation rerativement simpte permet de r6soudre l,essentiel les probldmgs que je rencontrais dans mes pr6c€dentes repr6sentations e ce texte. Il reste t r6tablir aussi clairement que possible res diffdrents rouvements argumentatifs en revenant sur les principau* uppui, lnrer"n_ els.
Sdquence
Le connecteur argumentatif MArs, qui ouvre [d], articule entre elles deux rdmisses qui ont une vareur de donn.es bout i.u" concrusions oppos.es. Les ropositions [c] (< Vous re savez >) et [d] (< vous savez aussi >>) insistent sur fait que I'interpr€tant-lecteur.(< voilJ rl pzut effectuer certaines inf6ren-
t ' D1-
rnndes D1 lal-tbl
rnf6rences tcl
-
donc
i
probabrement \
Sdquence
2:
concrusion c1
D2 [el
-
lnf6rences ldl A
-
ALORS probablement
-
Conclusion non-C1'
I
Sdguence 3
res
1
R6futation
La proposition rerative [b] introduit une propri6t6 qui est presque une striction de [af : seules tes fimmes qui oii vous avez les mains douces,
moins que MAIS
Garant
ndes des hommes, Soit une conclusion
tI
Restriction
:
-
I
[cl-->C1--*
lnf6rences
ral_rbt
.
:s. On a donc une premiire s6quence argumentative
Concl. non-Cl
probablement -
I
)onnees
123
cl
i^
moins douces peuvent otre appuy6e sur [c] : vous savez que
hommes vius aimeroii
p-nooii*ent.'
:
non-(non-Cll POUR AUTANT Restriction 2 [fl d moins que Donn6e D4 [g]-lnf6rences
--------: :
:
-
Conclusions
c2-thl
c3-[il )l=c1 c4-tjl-tkt J
{
:
--.---:
124
Argumentation
Les textes: tlpes et prototlpes
La proposition [fl (< Alors ne renoncez pas pour autant d votre charme >) . aisse entendre que le mouvement argumentatif des deux premidres s6quenplaire). cette conclusion non-cl est
:es menait d une conclusion (renoncer d
mplicitement amen6e par la donn6e D2 introduite par MArs. ce mouvement des deux premidres s6quences ne peut Otre bloqu6 que )ar une raison susceptible d'interrompre un tel enchainement : pour que non
non-cl)
ne pas (renoncer d plaire)
soit possible, il faut r6futer des inf6'ences pr6c6dentes. Le r6le du connecteur pouR AUTANT est ici important. le connecteur souligne la cons6cution [D2 ---> conclusion non-cl], c'est-dlire une conclusion non-cl (ne pas pouvoir plaire aux hommes) qui impli1ue bien un renoncement au charme. pouR AUTANT signale que cette ronclusion peut €tre rejet6e, qu'elle 6mane d'un point de vue (d'une logique) 1ui n'est pas celui du locuteur. L'analyse polyphonique d'o. Ducrot (19g4 : ',19-220) vient en quelque sorte expliquer le changement de modalit€ syntaxi1ue. Le passage d I'imp6ratif dans les propositions t4 et tgl prouve que les nonc6s qui suivent ALORS sont pris en charge nettement par le locuteur :
-
-
elui-ci pose, en fait, le savoir (propositions tbl et tdl) de son lecteurnterpr6tant comme un point de vue dont il propose la rdfutation. L'ensem,le du mouvement prdc6dent est, par la n6gation (< ne renoncez pas... >), ttribu6 i un point de vue ddclard inadmissible et que le locuteur implicite ejette imp6rativement. Le moyen de ce rejet (restriction A naotNs euE) tient tout entier dans I'utisation du produit de vaisselle Mir Rose (proposition [g]). Soulignons encore ue le futur des propositions [h], [i] et tjl introduit une prddiction des conclurons lides d cette nouvelle donn6e : sI vous utilisez Mir Rose, ALoRS votre aisselle sera..., vos mains seront..., etc. La conclusion c3 (< vos mains seront lus douces et plus belles >) renvoie directement aux infdrences de la premidre lquence (Dl cl). c'est dire que la seconde restriction (r6futation D4-tgl) ient tout simplement compenser la premidre (MAIS D2-[e]). Les effets 6nonciatifs de surface li6s aux changements des temps des veres (prdsent, puis imp6ratif, puis futur) sont surtout des changements modaux. 'ux propositions non prises en charge par le locuteur (prdmisses au pr6sent e vdritd g6n6rale) succddent des propositions trds directement assum6es par ri (impdratif et futur d valeur prddictive). ces aspects 6nonciatifs participent u mouvement argumentatif comme volonte d'influencer autrui (< vous >) r quelque manidre.
->
.
Exercices d'analyse sdquentielle
exte 4.1. V. Giscard d'Estaing : discours du 27 janvier 197g la lumidre du sch1ma prototypique, peut-on dire de ce passage de la n du discours dit < du bon choix pour la France > qu'it constitue une iquence argumentative compldte
?
comparez votre description de cet
125
extrait (paru dans le journatLe Monde du 30 ianvier 1 978) d celle du petit texte de Raymond Aueneau examind pages 1 1 8-1 1 9. Vous pouvez 6ventuellement revoir ce qui a 6td dit de ces quelques lignes au chapitre 1 (page 27). pas [...] chacune de ces questions comporte une r6ponse claire. Je n'ai
d vous
la dicter car nous sommes un pays de libert6, mais je ne veux pas non plus que personne, je dis bien personne, ne puisse dire un jour qu'il aura 6t6 tromp6' ["']
Texte 4.2. Racine'. B€r6nice
Etudiez le mouvement argumentatif des vers 371 e 386 de la scdne 2 de I'acte ll de Bfrfnice. PAULIN
gzt N'en doutez point, Seigneur. Soit raison, soit caprice, Rome ne l'attend point pour son imp6ratrice. On sait qu'elle est charmante ; et de si belles mains Semblent vous demander l'empire des humains. szs Elle a m€me, dit-on, le ceur d'une Romaine ; Elle a mille vertus. Mais, Seigneur, elle est reine. Rome. par une loi qui ne se peut changer, N'admet avec son sang aucun sang 6tranger, Et ne reconnait point les fruits illegitimes sso Oui naissent d'un hymen contraire i ses maximes. D'ailleurs, vous le savez, en bannissant ses rois, Rome ir ce nom si noble et si saint autrefois, Attacha pour jamais une haine puissante ; Et quoiqu'ir ses Cdsars fiddle, ob6issante, sgs Cette haine, Seigneur, reste de sa fiert6, Survit dans tous les ceurs aprds la libert6' ['..]
Texte 4.3. Thomas More : L'tJtoPie
le mouvement argumentatif de cet extrait de L'Utopie de 'tudier Thomas More, commencez par examiner les diffdrentes sdquences argumentatives qu'it contient, puis essayez de schdmatiser le mouvement Pour
g6n6ral. jour et d'une nuit en vingt-quatre [...] Les Utopiens divisent l'intervalle d'un heures 6gales. Six heures sont employ6es aux travaux mat6riels [...]' $o lci, je m'attends d une objection s6rieuse et j'ai hate de la pr6venir. $1
$2
On me dira peut-Ctre : Six heures de travail par iour ne suffisent pas aux besoins
de la consommation publique, et I'Utopie doit 6tre un pays trds mis6rable. ll s'en faut bien qu'il en soit ainsi. Au contraire, les six heures de travail produisent abondamment toutes les n6cessit6s et commodit6s de la vie, et en outre un superflu bien sup6rieur aux besoins de la consommation'
llt 126
Chopitre
Les lextes: types et prototlpes
Vous le comprendrez facilement, si vous r6fl6chissez au grand nombre de gens oisifs chez les autres nations. D'abord, presque toutes les femmes, qui composent la moitie de la population, et la plupart des hommes, ld o0 les femmes travaillent. Ensuite cette foule immense de pr€tres et de religieux fain6ants. Ajoutez-y tous ces riches propridtaires qu'on appelle vulgairement nobles et seigneurs ; ajoutez-y encore leurs nu6es de valets, autant de fripons en livr6e ; et ce d6luge de mendiants robustes et valides qui cachent leur paresse sous de feintes infirmit6s. Et, en somme, vous trouverez que le nombre de ceux qui, par leur travail, fournissent aux besoins du genre humain, est bien moindre que vous l'imaginez. $4 considerez aussi combien peu de ceux qui travaillent sont employ6s en choses vraiment n6cessaires. Car, dans ce sidcle d,argent, oir l,argent est le dieu et la mesure universelle. une foule d'arts vains et frivoles s'exercent uniquement au service du luxe et du d6rdglement. Mais si la masse actuelle des travailleurs 6tait 16partie dans les diverses professions utiles, de manidre ir produire m€me avec abondance tout ce qu'exige la consommation, le prix de la main-d'@uvre baisserait a un point que I'ouvrier ne pourrait plus vivre de son salaire. $s Supposez donc qu'on fasse travailler utilement ceux qui ne produisent que des objets de luxe et ceux qui ne produisent rien, tout en mangeant chacun le travail et la part de deux bons ouvriers ; alors vous concevrez sans peine qu'ils auront plus de temps qu'il n'en faut pour fournir aux n6cessit6s, aux commodit6s et mcme aux plaisirs de la vie, j'entends les plaisirs fond6s sur la nature et la v6rit6. $6 Or. ce que j'avance est prouv6. en Utopie, par des faits. [...]
5
$3
Le prototype de la sdquence explicative
Le terme
>
ddsigne des activitds trPs diverses.
Expliquer le point de vue que I'on adopte, expliquer une page de Proust et expliquer comment rdussir un riz crCole ne renvoient certainement pas d un mAme sens. Il importe donc, pour commencer, d'y mettre un peu d'ordre, quitte d prendre parfois des ddcisions orbitroires.
(Grize I98l
l.
:
7)
Explicatif, expositif et informatif
Dans le flou des premiers classements typologiques, on a parfois confondur texte explicatif et texte expositif et m€me parl6 volontiers de texte informatif. C'est le cas, par exemple des Instructions officielles frangaises pour le Col' lige (page 46 de l'6dition du Livre de Poche). Une d€finition du type de celle de Littr6 pr€te sur ce point i confusion : semble pouvoir €tre ddfinitivement exclu de nos classements prototypiques. cette position est d6fendue 6galement aujourd'hui par
D.G. Brassart
:
Nous proposons donc de ne pas retenir I'expositif comme type textuel ou sfquentiel
et de d€crire ces documents, selon leurs propri€t6s d'organisation proprement textuelle, soit comme des descriptions (tel est quasi toujours le cas, par exemple, des fiches zoologiques que I'on trouve aujourd'hui en abondance dans les encyclopddies, les manuels, les publications pour la jeunesse comme Astrapi ou sur
les images publicitaires offertes avec telle marque de chocolat [...]), soit comme des explications. (1990b : 34)
Dans un article plus r6cent, B. combettes, nettement moins prdcis que ci-dessus, abandonne I'id6e m€me de type de texte explicatif au profit d'une < conduite >> ou d'un < discours > explicatif : ), ainsi que, entre autres' de Jo€lle ChesnyI'explication genre de discours, >>),
kohler sur les aspects explicatifs de la paraphrase et de Denis Mi{ville sur le discours didactique en mathfmatiques. De ces deux dernidres, il faut aussi citer : (Chesny-Kohler 1983) et
(Borel
1981b).
riors de la semiologie neuchdteloise et des recherches formelles (Hempel 1965), c'est surtout dans le domaine de la recherche didactique que les travaux se sont multipli€s. La revue Pra tiques a consacr6 deux num6ros ir la question : (no 51, 1986) et < Les discours explicatifs > (no 58, 1988), avec des articles de Danielle Coltier, Bernard Combettes, Jeanirangois Halt6 et Anne Leclaire-Halt€ auxquels je me r€f6rerai souvent ici' Trois num6ros de la revue Replres, de I'Institut national de la recherche p6dagogique frangais, ont portd sur I'explication : < Communiquer et expliquer uuloneg. > (no 69, 1986), ( Discours explicatifs en classe >> (n" 72, 1987) et {l} " Alors, il faut du robuste. (m) Nous, on a toujours eu une Radiola. (n) Et on n'a jamais eu d'ennuis avec. D (o) Chez Radiola, il n'y a pas que les machines d laver qui soient sans probldmes : les lave-vaisselle, les cuisinidres, les r6frig6rateurs et les cong6lateurs sont aussi fabriquds pour durer, comme la machine d'laver du lac de Gaube.
inexistant. Mais quelle est, dira-t-on, -La D'ailleurs signification de cette m6taphore : < Mince comme un cheveu, ample comme I'aurore Et pourquoi ces naseaux hors des trois dimensions ? Si je parle du temps, c'est qu'il n'est pas encore, Si je parle d'un lieu, c'est qu'il a disparu' Si je parle d'un homme, il sera bientdt mort' Si je parle du temps, c'est qu'il n'est d6jir plus. Si je parle d'espace, un dieu vient le d6truire, Si je parle des ans, c'est pour an6antir, Si j'entends le silence, un dieu vient y mugir Et ses cris repetes ne peuvent que me nuire. [.'.] Raymond Oueneau, Les Ziaux, @ 6d. Gallimard.
Radiola
Des appareils 6lectro-m6nagers sans probldmes.
Un processus descriptif couvre les deux premiers paragraphes et met en place une premidre repr6sentation (schdmatisation S-i de J.-B. Grize, P. expl. 0 selon moi). Par inclusions successives de type m6tonymique, nous passons de la chaine des Pyr6ndes au Vignemale, puis au lac de Gaube et d I'auberge de Mme Seyrds pour aboutir enfin d la machine d laver Radiola. Mais, au lieu de d6crire classiquement cet objet (thdme-titre d6clar6 dans l'€nonc6-titre de la publicit€), une sdquence explicative s'ouvre nettement alors qui semble avoir pour seule fonction d'affirmer une propri6t6 : la soliditd (sous des reformulations diverses : < qui ne tombe pas en panne >, < du robuste >, (1990 : 156). On peut, en effet, consid6rer que le paradoxe P. expl. 0 est exposd
par les propositions [a], [b] et [c] et que [d] constitue la premidre macroproposition P. expl. l. La r6ponse (P. expl.2) est donn6e par les propositions [e] n [i] et la conclusion (P. expl. 3) par la proposition [j]. On ne retrouve pas cette structure dans le texte (7) qui aborde pourtant le m€me thdme. La description I'emporte clairement dans les propositions [a], [b] et [c] (reformulation mdtaphorique exemplaire). La suite de cette description est toutefois un peu plus complexe. La question rh6torique [d] porte sur
la propri6t6 (< rapidit6 >) exprim6e par la proposition [b] et par la reformulation m6taphorique [c]. La r6ponse [e] est donn6e par le retour i une partie de I'animal (proc6dure de sous-th6matisation classique dans la description) : sa peau. Une comparaison (proposition [fl) permet d'appuyer la propridtd avancde par la proposition [g]. On pergoit toutefois une contamination de la description par une sorte de reste d'une structure explicative : le probldme pos6 en [d] trouve une premidre r€ponse en [e] avant d'6tre repos6 en [f] et trouver sa reponse en [g] et [h]. Cette mixit6 du texte (7) doit €tre prise en compte : la description est, en quelque sorte, dynamis€e par des microenchainements de nature plus explicative que descriptive. La dominante reste clairement descriptive, mais la prdsence de I'explication en filigrane a pour
140
Explication l4l
Les textes: types et prolotypes
cons6quence une composition nettement moins claire que dans cette descrip-
tion extraite d'une autre sorte de fiche sur un animal marin pas la moindre trace d'explication :
oi
ne demeure
(s) Les manchots, ces curieux oiseaux des mers australes et des r6gions antarctiques, pr6sentent une extraordinaire adaptation d la vie aquatique. [...] Les plus agiles atteignent des vitesses de 40 i 45 km/h. En nage rapide, ils se propulsent d la fagon des dauphins, prds de la surface, dmergeant en souplesse ir un rythme 169ulier, pour respirer. Le corps est massif mais f usel6 ; par suite de l'alourdissement du squelette, sa densit6 est proche de celle de I'eau, ce qui facilite la nage en immersion. 1...1
L'appareil propulseur est constitu6 par les ailes, dont les os aplatis et solidement ligatur6s en font de v6ritables rames, analogues aux ailerons des c6tac6s. Le sternum porte une forte cardne oi viennent s'attacher de puissants muscles. Cet appareil permet au manchot des acc6ldrations extraordinaires ; il peut bondir litt6ralement hors de l'eau pour atteindre le bord de la banquise d deux ou trois mdtres de haut. En nage rapide, les ailes battent jusqu'A 20O fois ir la minute. Les pattes palm6es, tendues tout d l'arridre du corps, font office de gouvernail de direction, de m6me que la courte queue. En d6pit de leur masse, les manchots sont 6galement capables de plonger d'une bonne hauteur ; leur sternum allong6 protdge le ventre de l'effet du choc. Etude zootogique, @ Editions Rencontre, Lausanne, 1977.
La complexit6 et I'hdt6rog6n€it€ des formes usuelles de conduite explicative sont probablement i l'origine des assertions des adversaires de toute d€marche typologique. Un texte comme (7) est effectivement d'une h6t6rog€n6it6 qui emp€che de le considdrer comme une manifestation d'un prototype donn6. Ce fait ne vient, selon moi, pas jeter le doute sur I'utilit6 de la r6flexion typologique, il confirme seulement que les textes rdels actualisent d'une fagon plus (textes (8) et (9), par exemple) ou moins nette (texte (7) de toute dvidence) les prototypes de base disponibles dans la m€moire des locuteurs. La position ddfendue dans le pr6sent ouvrage permet aussi de d6passer d'autres difficultds. Le moddle s6quentiel nous rend avant tout attentifs i I'insertion de s6quences hdt6rogdnes : pr6sence d'une explication dans un r€cit ou d'un r6cit dans une explication, par exemple. Sur les rapports, d un niveau textuel, du r€cit et de I'explication, je renvoie au trds bon article d'Anne Leclaire-Haltd : < Explication et r€cit dans les textes de fiction >> (Pratiques n" 67,1990). Sa notion de > La deuxidme macroproposition (P. expl. l) pose une schematisation probl6matique (S-q) appuyde sur I'op€rateur PoURQUoI : < [b] Je I'ai fait, vous l'avez vu, avec une certaine gravit6. [c] Il faut que je vous dise pourquoi. > Soit I'buverture d'un processus plus de justification (portant sur le dire) que d'explication. En guise de Rdponse-justification (P. expl. 2), il choisit d'insdrer une sdquence narrative (recit autobiographique que j'analyse dans Ze Texte nanatif, Nathan 1985, pp. 186-200) : < [d] Je vous raconterai, pour cela, un souvenir d'enfance. >>
La fonction de ce r6cit enchdss6 est donc de servir clairement de justification, le r6cit rdpond au probldme, il a pour t6che d'apporter la rdponse au probldme pos6 en P. expl. l. La chute du r6cit, qui correspond i la macroproposition P. expl. 3, manifeste bien le retour au niveau de la s6quence explicative enchissante : < [] C'est pourquoi je vous parle clairement. >> Le
passage dela gravitC dla clartd correspond i une conclusion-€valuation interne et intervient aprds une conclusion-dvaluation externe : les longs applaudissements qui ont 6clate juste la fin du r6cit. Comme je I'ai montrd ailleurs et
i
rappel€ plus haut, le bref r6cit autobiographique n'a certes pas que cette
142
Explication
Les textes: types et prototypes
fonction de < r6ponse-P. expl. 2 >>.Il faut considdrer cette fonction dejustification dans son rapport avec I'importante operation de l6gitimation dont
j'ai
d€jd parl6. Soit la structure textuelle suivante
:
P. expl. 1 Pourquoi [b] ? et [cl
au-dessus de la cheville, est tel qu'il donne, au bout d'une ann6e. un vice de marche 6ternel au forgat. Oblig6 d'envoyer dans une jambe plus de force que dans
l'autre pour tirer cette manicle, tel est le nom donn6 dans le bagne d ce ferrement, le condamn6 contracte invinciblement l'habitude de cet effort. Plus tard, quand il ne porte plus sa chaine, il en est de cet appareil comme des jambes coup6es, dont l'amputd souffre toujours ; le forgat sent toujours sa manicle, il ne peut jamais se d6faire de ce tic de d6marche. En termes de police, il tire la droite. Ce diagnostic. connu des forcats entre eux, comme il l'est des agents de police,
S6quence explicative
P. expl. O lal et lbl
143
P. expl.2
P. expl. 3
JUSTIFICATION
tll
tdl
s'il n'aide pas d la reconnaissance d'un camarade, du moins la compldte. Chez Trompe-la-mort, 6vad6 depuis huit ans, ce mouvement s'6tait bien affaibli ; mais, par l'effet de son absorbante mdditation, il allait d'un pas si lent, et si solennel que, quelque faible que fOt ce vice de d6marche, il devait frapper un exerc6 comme celui de La Pouraille. On comprend trds bien d'ailleurs que les
eil
I
forgats, toujours en pr6sence les uns des autres au bagne, et n'ayant qu'eux-
PnO
Pn1
I
I
lel
tft
Pn2 Pn3
ltt
lgl
[hl
Pn4
Pn5
[il
tkl
I
m0mes d observer, aient 6tudi6 tellement leurs physionomies, qu'ils connaissent certaines habitudes qui doivent 6chapper d leurs ennemis syst6matiques : les mouchards, les gendarmes et les commissaires de police. Balzac, Splendeurs et misCres des courtisanes, La Pl6iade, Gallimard 1977 : 839.
Ddterminez si I'on peut parler ici de pause explicative comme on parlait au chapitre 3 de pause descriptive. Pouvez-vous considdrer ce passage comme une actualisation canonique du prototype explicatif ?
5. Exercices d'analyse sequentielle Texte 5.1 . Retour sur un r6cit 6tiologique Appliquez au petit rdcit proposd pages 73-74\e moddle de la sdquence explicative. Peut-on ddfinir le rdcit 6tiologique comme une relation de dominante (voir page 32 ce qui est dit de cette notion) liant ici structure explicative et structure narrative ? S'agit-il plut6t d'un enchdssement ?
Texte 5.2. Balzac : La d6marche du bagnard Dans la quatriCme partie de Splendeurs et misdres des courtisanes, Balzac interrompt un moment sa narration pour expliquer le propos de criminels qui observent J. Collin, alias Vautrin, alias Trompe-la-mort, detenu d la conciergeriel :
i
n
n'est pas un sanglier[pr9tre en argot], dit La Pouraille Fil-de-Soie, c'est cheval de retour [r6cidiviste]. Vois comme il tire sa droite ! I est n6cessaire d'expliquer ici, car tous les lecteurs n'ont pas eu la fantaisie de risiter un bagne, que chaque forgat est accoupl6 d un autre (toujours un vieux rt un jeune ensemble) par une chaine. Le poids de cette chaine, riv€e i un anneau Ce "121
i
L. J'emprunte cet exemple un article du num€ro 13 de Recherches : < Identifier et dcrire des extes explicatifs au L, P. >, de Brigitte Hibert-Hocquet et Guislaine Luccini-Monteil (1990).
Texte 5.3. Jules Verne revu par un manuel de sciences physiques J'ai d plusieurs occasions (Adam 1985b : 43 et 1987a : 72-7& prdsent1
le texte suivant - trouv6 dans un manuel de sciences physiques oi il figure en tant que document d'un chapitre consacr6 aux , trds ritualisde, mais la plupart du temps une impression de ddsordre et d'hdt6rog€ndit6 pr6domine. De fait, si la plupart des commentateurs s'accordent - i peu prds sur les quatre prototypes prdcddents, ils rejettent majoritairement le dialogue-conversation de leurs typologies. Celle de Werlich, par exemple, repose sur une telle exclusion, alors que celle de R. de Beaugrande (1980) intdgre le dialogue parmi les grands modes de mise en texte. La tendance g6n6rale consiste d mettre le dialogue-conversation nettement d part soit en lui accordant une place prddominante, soit en l'ignorant. Ces deux solutions me paraissent aussi prdjudiciables I'une que I'autre. La fagon dont T. Virtanen et B. Warvik ont critique ma position repr€sente assez bien les arguments g6n6ralement avancds pour que nous prenions le temps de I'examiner de prds :
Il
semble que la < conversation > ne forme pas un type textuel, mais qu'elle soit d intdgrer i la typologie de Werlich. En d'autres termes, une conversation peut consister en fragments argumentatifs, narratifs, instructifs, etc., ainsi que naturellement contenir des r€alisations de la fonction phatique, qui a pour but unique de maintenir la communication. Ce qui distingue les emplois conversationnels des autres emplois des types textuels est le caractdre dialogique de la conversation. Ainsi le monologue ne permet pas les interventions d'un interlocuteur, contrairement au dialogue. En plus, la conversation est diff€renci€e par
plutdt
146
Les textes
: tlpes
son caractdre
et
prototpes
impromptu et tous
Dialogue les ph€nomdnes que cela
tation, les corrections, le >,
etc. (1987
entraine, tels que I'h6si-
: 100-l0l)
Le fait qu'un dialogue puisse comporter des moments (s€quences monologales) narratifs, descriptifs, explicatifs ou argumentatifs ne constitue pas un argument de diff€renciation pertinent. En fonction de ce que j'ai dit de la textualitd et de son mode compositionnel, le dialogue est potentiellement d'une hdt6rog6n6it6 comparable d celle du r6cit, avec ses sdquences descriptives, dialogales, explicatives. L'hypothdse s6quentielle rend compte de I'h6t6rogdn6it6 compositionnelle du dialogue comme elle rend compte de celle des autres formes de mise en texte. Elle ne nous met pas dans I'obligation d'accorder une place d part d un type par rapport aux autres, m€me si, comme le souligne Ia citation de Bakhtine propos6e en exergue de ce chapitre ou cette phrase de Volochinov : (Jakobson 1963 : 32) . Comme l'6crit E. Benveniste : < Le "monologue" est un dialogue int6rioris6, formul6 en "langage int6rieur", entre un moi locuteur et un moi dcouteur > (1974 : 85). Dans une structure dialogale, les voix des interlocuteurs se r6pondent, leurs interventions se suivent en conservant une cer-
taine autonomie, mais comme le rappelle Volochinov
:
plusieurs voix (6nonciateurs) au sein d'une m€me intervention (monologale) : structure polyphonique qu'on oppose parfois d la structure diaphonique qui voit le locuteur reprendre et rdinterprdter, dans son propre discours - d I'aide d'un puisque, par exemple des propos attribuables d son interlocuteur. -, On peut donc placer, au c@ur mOme de I'activit6 6nonciative, une polyphonie et un dialogisme constitutifs. Cette hdt6rogdn6it6 fondamentale de la parole n'est pas explor6e seulement par les linguistes, psychanalystes et autres psychologues. C'est tout le sens de I'euvre d'dcrivains comme Dostoi'evski ou Nathalie Sarraute. Le < principe dialogique > cher au groupe de Bakhtine relativise donc fortement les distinctions que l'on cherche d mettre en avant pour opposer les formes monologales (r6cit, description, argumentation et explication) la forme dialogale et exclure le dialogue de toute r6flexion typologique. Quel que soit le degr6 d'accord ou m€me le violent d€saccord des partenaires d'une interaction dialogude, ceux-ci coopdrent, qu'ils le veuillent ou non, d la production d'une unit€ parfaitement identifiable, comportant un d6but et une
i
fin, et des modes d'enchainement des prises de parole. Comme le note J. Schwitalla : Si aucune des contributions n'est plus li€e i la prdc6dente [...], un dialogue cesse d'€tre un dialogue ; il devient une suite de monologues tels que nous les connaissons dans certaines situations de communication, oir plusieurs locuteurs livrent leur commentaire sur un sujet dr tour de rdle, sans tenir compte de ce que disent les autres. (1978 : 166)
Rappelant ce propos, Catherine Kerbrat-Oreccioni ajoute fort justement
d mon sens
:
Pour qu'on puisse v€ritablement parler de dialogue, il faut non seulement que se trouvent en pr6sence deux personnes au moins qui parlent i tour de rdle, et qui tdmoignent par leur comportement non verbal de leur < engagement > dans la conversation, mais aussi que leurs €noncds respectifs soient mutuellemeil dhrcr-
minds.1...1 Une conversation est un ( texte > produit collectivement, dont les divers fils doivent d'une certaine fagon se nouer faute de quoi on parle, d I'aide d'une m€taphore qui reldve elle aussi de cette isotopie du tissage, de conversation < d6cousue >. (1990: 197)
-
Les 6nonc€s longuement d€velopp6s et bien qu'ils dmanent d'un interlocuteur par exemple : le discours d'un orateur, le cours d'un professeur, le unique monologue d'un acteur, les r6flexions i haute voix d'un homme seul sont monologiques par leur seule forme ext€rieure, mais, par leur structure sdmantique et
-
147
-
stylistique, ils sont en fait essentiellement dialogiques. (Cit6 in Todorov
l98l :292\
Le dialogue, en tant que forme textuelle, n'est que la manifestation la plus spectaculaire et la plus 6vidente d'un m6canisme dnonciatif complexe et il convient de distinguer une telle succession de r6pliques de la prdsence de
Les travaux rdcents mettent tous I'accent sur le
fait qu'un dialogue-
conversation est une coconstruction, une (Schegloff 1982) qui se prdsente non seulement comme une succession d' (Roulet l98l), mais comme une ( structure hi€rarchisde d'dchanges > (RemiGiraud 1987). On peut donc se demander si un texte dialogal n'est pas une suite hidrarchisde de s6quences appel6es 6changes. Se pose alors la question de savoir si cette s6quence-6change est I'unit€ constituante du texte dialogal
148
Les
texta:
types et prototjpes
Dialogue
au m€me titre que les s6quences d'un conte sont les unit6s constituantes de narratif particulier et s'il importe peu que cette forme de mise en texte soit polyg6rde (interventions de plusieurs sujets) - les intervenants successifs 6tant, qu'ils le veuillent ou non, engagds dans la coconstruction d'un texte unique. Avant de tenter de rdpondre i ces questions essentielles, il convient de nous entendre sur quelques distinctions terminologiques. Je vais profiter de cette pause pour op6rer un bref ddtour historique, car les conversationnalistes contemporains oublient un peu trop souvent que le dialogue-conversation a toujours intdress6 la stylistique et la rh6torique.
Les catdgories gdn€ralement utilis6es manquent de prdcision. Ainsi, rien n'oppose structurellement les Dialogues de Platon etles Diologues des morts de Lucien, F€nelon ou Fontenelle aux Entretiens sur la pluraliti des mondes du m€me Fontenelle : dialogue et entretien, ici, semblent synonymes. Parmi les rares tentatives de classement, je retiens celle de Joseph de Maistre qui, dans Les Soirdes de Soint-Pdtersbourg (1821'), ddfinit le dialogue comme une unit6 de composition textuelle : < Ce mot ne reprdsente qu'une fiction ; car il suppose une conversation qui n'a jamais exist6. C'est une @uvre purement artificielle [...] ; c'est une composition comme une autre. >> La conversation, qui admet un nombre illimit6 d'interlocuteurs, n'a jamais de hrrt pr6ddfini et offre < un certain p1te-m1le de pensdes, fruit des transitions les plus bizarres, qui nous mdnent souvent d parler, dans le m€me quart d'heure, de I'existence de Dieu et de I'op6ra-comique >>. L'entretien ne se distingue de la conversation que par le nombre n6cessairement limitd de ses participants (deux ou trois au maximum) et la gravit€ de leurs propos. En d'autres termes : . Mdr6 ajoute enfin quelques indications que nous dirions aujourd'hui pragmatiques : < Celui qui parle, s'il veut faire en sorte qu'on
Dans les romans, la part dite dialogu6e est l'expression de la paresse et de la routine : les personnages parlent pour mettre des blancs dans une page, et par imitation de la vie otr il n'y a pas de rdcit, mais des conversations ; il faut donc de temps en temps dans les livres donner la parole aux gens ; le contact direct est une 6conomie et un repos (pour I'auteur plus encore que le lecteur), (Blanchot 1959 : 208-209)
I'aime, et qu'on le trouve de bonne compagnie, ne doit gudre songer, du moins autant que cela d6pend de lui, qu'i rendre heureux ceux qui l'6coutent. [...] C'est la conformit€ qui fait qu'on se plait ensemble, et qu'on s'aime d'une affection rdciproque. De sorte qu'autant que la biensdance et la perfection le peuvent souffrir, et quelquefois m€me au pr€judice de I'une et de I'autre, on se doit d'accommoder le plus qu'on peut aux personnes qu'on veut gagner. > Cette position trds historique se retrouve 6galement chezLa Bruydre :
(Wey 1845
Il
.
Je reprends ici trls partiellement quelques 6l6ments de l'article 6crit avec Sylvie Durrer pour l'Atlos des littdralures de l'Encyclopoedia Universalk. I
t49
me semble que l'esprit de politesse est une certaine attention
i
faire que par
nos paroles et par nos manidres les autres soient contents de nous et d'eux-memes. < L'esprit de la conversation >, 1688.
t
150
Dialogue
Les textes: lypes et prototypes
Il
pr6cise encore
l5l
de composition textuelle, dchappent partiellement d la contrainte rituelle ou,
:
i
en tout cas, on peut difficilement accorder cette contrainte une place centrale. Les dchanges < confirmatifs > sont, en effet, le plus souvent absents des dialogues thdAtraux, romanesques et philosophiques. Lecteurs et spectateurs voient rarement les personnages se saluer et prendre cong€. Et quand le cas se prdsente, c'est g6n6ralement moins pour souligner la confirmation d'un lien que pour marquer la rupture, d€sir6e ou subie, d'un lien social ou amoureux. De fagon plus g6n6rale et d'un point de vue plus textuel, alors que tendanciellement le dialogue oral se pr6sente plut6t comme une structure compldte et hidrarchis6e d'dchanges constitu€s de r6pliques qui s'enchainent selon des modes sp6cifiques d'organisation, le dialogue 6crit ob6it d la tendance inverse en 6tant le plus souvent fragmentaire. Des dchanges de ce type
L'esprit de la conversation consiste bien moins d en montrer beaucoup qu'i en faire trouver aux autres : celui qui sort de votre entretien content de soi et de son esprit, I'est de vous parfaitement. Les hommes veulent plaire ; ils cherchent moins d Ctre instruits, et m€me r6jouis, qu'i Otre gottds et applaudis ; et le plaisir le plus d6licat est de faire celui d'autrui. Si le xvll" sidcle a vu fleurir, sous la plume du chevalier de M6r6 ou de Nicolas Faret, de v€ritables guides de la conversation, le xlx" sidcle n'est pas en reste avec l'6tonnant Dictionnaire de la conversqtion et de lo lecture (1835) dont le plan, 6voqu6 dans I'article , est plus ambitieux encore que celui de l'Encyclopddie : La d6finition de J. Janin prolonge celle de M6rd et de I'opinion g6n6rale : < La conversation, ce n'est pas toute parole qui sort de la bouche de I'homme, c'est sa parole perfectionnde, 6rudite, ddlicate ; c'est le langage de I'homme en soci6t6, mais dans une soci€t6 bien faite, 6l6gante, polie ; la conversation, c'est le superflu de la parole humaine [...] ; la conversation est une espdce de murmure capricieux, savant, aimable, caressant, moqueur, po€tique, toujours flatteur, m€me dans son sarcasme ; c'est une politesse r6ciproque que se font les hommes les uns les autres ; c'est une langue d part dans la langue universelle. > Ce d6tour historique n'est pas totalement inutile dans la mesure oit, prds de trois sidcles plus tard et dans des contextes pourtant trds diffdrents, les descriptions des socio-ethnologues am6ricains E. Goffman, P. Brown ou S. Levinson vont dans le m€me sens en d6finissant la conversation avant tout comme une activitd rituelle dont l'enjeu est la confirmation et le maintien du tissu social. Pour un certain nombre de thdoriciens actuels, plus encore que les contraintes communicatives, ce sont les contraintes rituelles qui influencent la forme et la structure de la conversation. Dans les 6changes verbaux, le comportement des individus serait essentiellement d6termin6 par la ndcessit6 de ne pas perdre Ioface en protdgeant - autant que possible - celle des autres. La notion de conformit6 du chevalier de M6r6 se retrouve dans celle d'> qui correspondent aux remerciements et aux salutations sur lesquelles s'achdvent n6cessairement les conversations. La confirmation r6ciproque apparait, chez de nombreux conversationnalistes, non seulement comme l'€tape finale mais comme la finalit6 m€me de la conversation L'id€al du consensus semble traverser un grand nombre d'approches de la conversation. Les formes €crites du dialogue, en revanche, en tant qu'unit6s
sont monnaie courante dans la litterature romanesque
:
Comme il passait par Vassonville, il aperqut, au bord d'un foss€, un jeune garqon assis sur I'herbe. le m€decin ? demanda I'enfant. -Et, Etes-vous sur la rdponse de Charles, il prit ses sabots d ses mains et se mit d courir devant lui. L'officier de sant€, chemin faisant, comprit aux discours de son guide que M. Rouault devait €tre un cultivateur des plus ais6s. Il s'6tait cass6 la jambe, la veille au soir, en revenant de faire les Rois chez un voisin. La femme 6tait morte depuis deux ans. Il n'avait avec lui que sa demoiselle, qui I'aidait ?r tenir
la maison. Flaubert, Modame Bovary, 1,2.
Pour Maurice Blanchot, les r6cits de James ( ont tous pour p6les quelques conversations capitales oir la v€rit6 secrdte, passionn6e et passionnante, diffuse dans tout le livre, essaie d'apparaitre en ce qu'elle a de ndcessairement dissimuld )) (( La douleur du dialogue >, 1959). Le consensus dont nous avons parl6 plus haut se trouve ici, comme le note encore M. Blanchot, d6plac6
et thdmatisd autrement
:
James parvient [...] a mettre en /rers dans les conversations la part d'obscurit€ qui est le centre et I'enjeu de chacun de ses livres et il faire d'elle, non pas seulement la cause des malentendus, mais la raison d'une anxieuse et profonde entente. Ce qui ne peut s'exprimer, c'est cela qui nous rapproche et qui attire les unes vers les autres nos paroles autrement sdpardes. C'est autour de ce qui 6chappe
d toute communication directe que se reforme leur communaut6.
Les formes du dialogue de fiction ont le mdrite de nous entrainer bien loin de la civile et paisible conversation, de I'esprit de politesse et des c€ldbres < maximes de la conversation > de H. Paul Grice qui ddveloppe ce qu'il appelle le < principe de coop6ration >. Si les maximes de < quantit| >> (Que votre qu'il n'est pas plus contribution contienne outont - d'informotion - et requis), de < qualit6 >> (N'affirmez pas ce que vous croyez Atre faux ou ce
I
152
Les lextes
: tlpes
et
prototpes
Dialogue
pour quoi vous manquez
de preuves), de (< modalitd > (Soyez c/alr) sont malheureusement assez confuses, la maxime la plus importante - > (Parlez d propos, soyez pertinent) montre ir quel point les interactions sont assujetties d I'empire du sens et soumises au regard de I'autre. Comme le sou-
ligne F. Flahaut : < Prendre la parole, c'est toujours au moins avoir d charge d'attester qu'on est fond6 d le faire. [...] La visde de pertinence est constitutive de l'dnonciation. >> Ceci n'empOche pas que, comme le souligne La Bruydre lui-mOme: L'on parle imp6tueusement dans les entretiens, souvent par vanit€ ou par humeur, rarement avec assez d'attention : tout occupe du d€sir de r€pondre i ce qu'on n'6coute point, I'on suit ses id€es, et on les explique sans le moindre 6gard pour les raisonnements d'autrui ; I'on est bien dloign€ de trouver ensemble la v€rit€, I'on n'est pas encore convenu de celle que l'on cherche. Dds 1925, Charles Bally tient €galement compte de cette r6alit6 conflic-
tuelle inh6rente d I'activit€ €nonciative du sujet parlant
:
Pour un observateur superficiel, [a conversation la plus anodine] n'offre rien de particulier ; mais examinez de plus prds les proc6d6s employ6s : la langue apparaitra comme une arme que chaque interlocuteur manie en vue de l'action, pour imposer sa pens€e personnelle. La langue de la conversation est r€gie par une rhdtorique instinctive et pratique. [...]
Le contact avec les autres sujets donne au langage un double caractere : tantOt celui qui parle concentre son effort sur I'action qu'il veut produire, et I'esprit de I'interlocuteur est comme une place forte qu'il veut prendre d'assaut ; tant6t c'est la reprdsentation d'un autre sujet qui d6termine la nature de I'expression ; on ne calcule plus les coups i donner, on songe i ceux qu'on pourrait recevoir. (1965 :21-22\ Sans m'attarder sur les formes du discours indirect, indirect libre ou sur les modes de fusion du dialogue avec son contexte que r€alisent Dostoi'evski,
Virginia Woolf, James Joyce ou Albert Cohen, je prdfdre insister sur ce qui n'a gudre 6t6 envisagd que par Marmontel : les types de dialogues. Dans ses Eldments de littdrature (1787), ce dernier consacre un article au < Dialogue po€tique > et distingue quatre formes de >. Dans un premier type de dialogue, Dans le dernier, < les interlocuteurs ont des vues, des sentiments, ou des passions
r53
qui se combattent, et c'est la forme la plus favorable au th6Atre >. En 1876, G. Vapereau (Dictionnaire universel de littdrature, tome l) reprend ces cat6gories en pr6cisant seulement que le dialogue participe du monologue, dela conf4rence, de la harangue et de la dispute. Les cat6gories propos6es par Marmontel et Vapereau montrent bien que les dialogues obdissent ir des r6gularit6s. Cependant, en raison de I'hdt6rog6nditd des critdres utilisds, elles sont trop impr6cises et gagneraient ir €tre revues
i
la lumidre de sch6mas d'interaction didactique, dialectique et poldmique propos6s par S. Durrer (1990) d propos de I'art romanesque du xIx" sidcle ou encore de la < typologie des dialogues > et routines de conversation qu'envisage G. Dispaux (1984) dans la droite ligne des distinctions philosophiques classiques entre dialogues critique, dislectique et dristique. Dans les affrontements 6ristiques, je rappelle que le d6sir de vaincre est dominant, qu'il s'agit litt6ralement de faire mordre la poussiire l'autre, sans se pr6occuper vraiment de la v6rit6 des propos tenus. Ce sont les applaudissements qui sont recherchds :
i
En s'engageant ir dialoguer, on t€moigne de I'intention d'obtenir un accord, m€me partiel. Si cette volont6 est absente, la relation dialectique s'6puise dans le jeuspectacle du dialogue 6ristique. (Dispaux 1984 : 55)
En distinguant dialogue de stratdges, d'experts, d'id€ologues et de sourds,
Dispaux se situe de toute dvidence i un niveau plus conversationnel que dialogal et il faut absolument essayer de reprendre Ie probldme tout autrement en se demandant si un noyau prototypique commun d toutes les formes de dialogues n'est pas imaginable.
3. L'organisation
sdquentielle du prototype dialogal
Comme le note Catherine Kerbrat-Orecchioni dans la section la plus linguistique du premier tome de sa prdsentation de synthdse svr L'Interaction verbale, notre propos consiste essentiellement d (1984 : 5). Entre cette notion de > et celle de >, il faut quand m€me ajouter d'autres unitds et, conform6ment au moddle utilis6 jusqu'ici, se demander si I'on a bien affaire au moddle hi6rarchique [Texte < S6quence
< macro-propositions < propositions] ou si ce moddle doit €tre am6nag6. Si quelques am6nagements sont n€cessaires, il ne faut pas qu'ils remettent en cause la description unifi6e. Les sp6cialistes s'accordent d poser I'existence d'une macro-unitd : le texte dialogal - qu'ils appellent plus volontiers >, < incursion >>, < dvdnement de communication )) ou encore >. Deux types de s6quences doivent otre distingu€es : les sdquences phatiques d'ouverture et de cldture, - les sdquences transoctionnelles constituant le corps de l,interaction. - L'id6e d'un bornage participationnel d6limit6 par la rencontre et la s6paration d'au moins deux actants en un temps et un lieu donn6s semble une bonne d6finition de d6part. Il suffit toutefois de consid€rer le flou du d€coupage d'une pidce de thddtre en scdnes d6limit6es, en principe, par - pourtant les entr6es et les sorties des personnages pour percevoir la complexitd de cette d€finition en apparence simple. Les- limites de I'acte qui renvoie tout le monde dans les coulisses sont ddje un peu plus claires. En fait, une personne peut quitter une interaction en cours et revenir 6ventuellement sans que I'unit€ ait €t6 obligatoirement brisde. L'unit6 d'une interaction a certainement aussi quelque chose d voir avec le ou les thdmes abord6s (les < changements de conversation D, comme on dit). cette question est si d6licate que c. KerbratOrecchioni ne peut proposer que cette d6finition : ). Comme le suggdre C. Kerbrat-Orecchioni (1990 : 240-241), on peut consid6rer la plupart des s6quences ternaires comme compos6es, en fait, de deux 6changes (QuestionR6ponse not6e puis Service-Remerciement not6 < b >) :
:
A1
-
41 -
Excusez-moi.--------------- [al
Vous avez l'heure ? --------------r [b-c]
sor.
81 - Bien 81 A2 - Merci.-----
.--:
:: _l ll_l
r J
On voit I'utilitd de la distinction entre une unit6 appelle sdquence - constitutive du texte dialogal et constituee d'dchanges - et une unit6 appelde ichange. Dans le banal petit texte 2, la s6quence transactionnelle comporte trois 6changes imbriqu€s. Il reste i d6finir quelles unit6s constituent l'6change. Manifestement, I'intervention ou tour de parole n'est pas une unit6 hi6rarchique. Elle est la plus grande unit6 monologale seulement. C'est la plus petirc unitd monologale qui importe : les suites [a], [b], [a'], [b'], [cl, [c'], [d] et [d'] ci-dessus d6gag6es. Ces unitds ressemblent fort aux propositions dont j'ai parl6
d la fin du chapitre l.
I
et qui, regroup6es en paquets, constituaient
des
Erving Goffman traitant longuement ce type d'exemple dans le premier chapitre de Fagons je n'insiste pas plus.
de parler (1987),
158
Les textes: types et prototypes
Dialogue
macro-propositions dans les analyses des chapitres pr6c6dents. La nature sp6cifique du dialogue dont m€me - conduite d la fois verbale et mimo-gestuelle les dialogues litt6raires tentent de rendre compte nous place dans I'obliga- de la s6quence dialogale tion de donner d cette plus petite unit6 constitutive une valeur particulidre.
Texte 3
A1 81 A2 82 A3 -
Les sp6cialistes de la conversation parlent g6ndralement d'. Dans sa synthdse, d6ji plusieurs fois cit6e, C. Kerbrat-Orecchioni considdre < I'id6e
que les conversations sont constitu6es, au niveau basique, non pas d,unit6s informationnelles, mais d'actes de langage ) (1990 : 2ll) comme faisant I'objet d'un consensus. Pour ma part, au risque de ternir ce beau consensus, je parlerai de propositions 6nonc6es possddant pleinement la valeur de clause dont
j'ai
trds bridvement parl6 en fin de premier chapitre.
A.
Berrendonner et
la fois verbale et mimo-gestuelle, apte ir op€rer des transformations dans la m6moire discursive ( = le stock structur6 d'informations M que gdrent coopdrativement les interlocuteurs). Une clause est ainsi une unit6 minimale virtuelle de comportement, un r6le langagier 6l€mentaire. (1989 : l13)
On dira donc qu'un 6change (unit6 constitutive de la s6quence) est constitue de clauses. c'est dire qu'un geste peut fort bien remplacer une intervention et constituer alors un 6l6ment de l'6change au m€me titre qu,un 6nonc6 verbalisd. soulignons ici que dans le cadre de I'inscription d'un dialogue dans un rdcit, il est fr6quent de voir le narrateur commenter un enchainement au lieu de le donner dans sa compldtude. Il est trds fr6quent de trouver une intervention-clause [a] au discours direct et la narrativisation de la r€action mimo-gestuelle [a']. Au th6dtre dgalement, une didascalie de I'auteur peut signaler quel geste constitue la < r6plique >> d'un personnage. L'intervention, constituee par une prise de parole d'un locuteur, plus grande unit6 monologale, peut fort bien s'6tendre en longueur et 6tre constitu6e par un rdcit complet ou par une s6quence d'explication enchissde en un point de l'6change en cours. Toutefois, une interruption monologu6e un peu longue doit toujours Otre soigneusement n6goci6e et elle donne lieu aux sanctions d6crites au chapitre 2 (3.1.). Faute de place, je vais ddcrire rapidement les enchainements de plus en plus complexes que j'avais d6ji examin6s dans mon article de 1987a. Je corrige la description encore trop 6l6mentaire proposde alors.
Non.
ll est six heures. Merci.
conflictuelle
:
41 A1
81
A2* 82A3-
Un acte dnonciatif ne se r6duit pas d I'expression d'une valeur illocutoire ou < interactive ) (au sens de Roulet et al. 1985 :,27),bien qu,il comporte ordinairement ?r
?
interprdt6e comme une requ6te et il ne lui est pas r6pondu par le dddoublement observ6 plus haut, d'autre part la r€plique Bl vient sdrieusement compliquer I'enchainement en donnant ir I'ensemble de I'interaction une tonalitd
:
ces aspects. C'est, plus largement, une conduite
:
Excusez-moi. Vous avez I'heure Vous n'avez pas de montre ?
Ce texte ressemble au pr6c6dent, mais, d'une part la question (b) est juste
M.-J. Reichler-Bdguelin soulignent que la fonction spdcifique de la clause n'est plus < de marquer des diff6rences de sens, mais de servir d I'accomplissement d'un acte dnonciatif > (1989: ll3). Ils pr6cisent de fagon int6ressante pour nous
159
On peut h6siter d consid€rer
Bl
cornme une acceptation de l'6change,
mais je propose la description hidrarchique suivante de ce texte conversation-
nel 6l6mentaire
:
Texte 3 S6quence
56quence transactionnelle Echange ench6ssant
S6quence 0
d'a
aA lAll
O
lA3l
[B1l
t
o-b
R-b'-d lB2l
Echange enchAss6
lAll
--------- Q-c lBl
l
--._-*-l
R-c'
lA2l
Cette description un peu plus fine que les pr6c6dentes permet de souligner plusieurs phdnomdnes mentionn€s plus haut : . On note d'abord I'absence d'6changes phatiques rituels de type < Bonjour ! > (A0 et B0) et < Au revoir > (A4 et B3). Cette absence est remplac€e par une intervention que I'on peut dire phatique d'entr6e en contact [Al-a] qui, sous la forme d'une excuse, tente clairement d'ouvrir une interaction tout en cherchant d att6nuer I'effet de I'incursion de A sur le < territoire > de B.
160
Les textes: types et prototypes
Dialogue
L'intervention [Bl] est d'ailleurs une rdaction dont I'inddniable violence rdpond in6vitable de I'incursionr. La cldture est assur6ment elliptique aussi. On aurait fort bien pu imaginer que B vienne clore i son tour l'6change en compensant son agacement initial par un : ( Il n'y a pas de quoi. > Cette absence de cldture phatique r€ciproque confirme le d6s6quilibre initial. En d'autres termes, on voit qu'un d6faut de structure peut €tre rdvdlateur d'un rapport de force : tout n'est donc peut €tre pas aussi anarchique qu'on veut le dire dans la conversation ordinaire. d la
o Les transitions
entre sdquences phatiques et sdquences transactionnelles sont assurdes de fagon in6gale. On ne peut pas dire vraiment que Bl soit une clause
[a'] et [c] en m€me temps. En revanche, 82 est d la fois r6ponse [R-b'] de la s6quence transactionnelle enchdssante et service cr66 [d] appelant un remerciement [d']. De ce fait, A3 est en m€me temps remerciement [d'] et clOture de l'interaction. o L'absence de r6ponse d la question
[Al-b] qui ouvre le premier 6change transactionnel, entraine tout naturellement I'enchissement d'un second 6change. On peut parler ici d'enchdssement dans la mesure oir la rdponse [Rc'] conditionne [R-b']. Ajoutons que cette absence de r6ponse de B i la question pos€e par A est un signe de d6saccord et une source de conflit. Le retardement d'une rdponse est toujours un risque interactif. En conclusion de cette premidre analyse d'un exemple un peu simple et invent6, je veux esp6rer que la formalisation proposde ne tombe pas sous la critique formul6e par C. Kerbrat-Orecchioni d I'encontre du moddle hi6rarchique de l'6cole de Gendve : (1990 :243). Le dernier exemple que je vais 6tudier est tire d'un texte fictionnel de la s6rie policidre des Reiner de Claude Klotz. Sa nature th66trale et le dysfonctionnement qui le r€git m'ont incit€ dr le choisir. La s6rie d'interviews tdl6vis6es qui suit ne passa pas i l'antenne durant les jours d'angoisse. Elles n'ont d'ailleurs, d notre connaissance, jamais 6t6 programmdes. Un journaliste et un cam6raman de I'ORTF alldrent poser dans diffdrents quartiers de Paris les mdmes questions sur les €v6nements en cours d des personnes isol6es appartenant A diverses categories sociales. Une jeune fille, visible[...] Troisidme interview : (Jardin du Luxembourg ment une etudiante, tricote sur un banc ; elle a de longs cheveux frisds sales).
-
l.
i
A. Finkielkraut 6crit, ce propos: < Par oi commencer ? Par I'excuse. [...] C'est l'6crasante responsabilit6 des premiers mots : trouver une brdche dans la forteresse du quant-d-soi, se faire absoudre, en commengant, du scandale de commencer >> (Le Nouveau Disordre amoureux, Paris, Le Seuil, 1971 :291).
l6l
Journaliste [J 1 ] : [1 ] Pourriez-vous, pour la t6l6vision, donner votre avis sur les 6v6nements actuels ? Jeune fille [JF1] (regard trds las) : [2] Et ca vous avancera d quoi d'avoir mon
avis
?
(Silence)
Journaliste [J2] : [3] Eh bien... c'est... c'est int6ressant de savoir ce que les gens pensent ; [4] vous n'aimez pas savoir ce que les gens pensent, vous ? Jeune fille lJF2l : [5] Si, bien s0r, [6] j'aimerais par exemple bien savoir ce que vous en pensez, vous ? Journaliste [J3] : [7] De quoi 7 Jeune fille [JF3] : [8] Des 6v6nements. Journaliste [J ] : [9] Eh bien, d mon avis, 9a va mal, trds mal m6me. Jeune fille [JF ] : [1O] Vous qovez que c'est la guerre ? Journaliste [J 5] : [1 1 ] ll f aut que je me m6f ie [1 2l car je suis d,un temp6ra_
ment naturellement pessimiste, [1 3] mais je ne pense pas cette fois que nous pourrons l'6viter. [14] C'est d'ailleurs l'avis de ma femme. Jeune fille [JFs] : [15] Vous 6tes mari6s depuis longtemps ? Journaliste [J6] : [16] Qa va faire quinze ans. 1.. .l Jeune f ille lJF9l : [41 ] Je vous remercie inf iniment, [42] d vous Cognac_ Jay. (elle baisse la tete sur son tricot). C. Klotz-Reiner, Cosmos-Cross, 6d. Christian Bourgois
L'absence de sdquences phatiques rituelles d'ouverture et de fermeture de type salutations s'explique assez bien ici par le genre de I'interview t6l6vis€e. A I'ellipse de toute s6quence phatique d'ouverture r6pond quand m0me la s6quence phatique de cldture rituelle (intervention JF9) : remerciements et antenne rendue aux studios de t€l6vision. Tout I'humour tenant, bien s0r, ici au renversement des rdles : I'intervieweur interviewd se voit d6poss6d6 de son pouvoir et c'est la jeune fille elle-m€me qui se substitue d lui pour rendre I'antenne. on comprend que, dans ces conditions, comme le souligne l'ouverture de ce passage trds singulier et autonome par rapport au roman, cette interview d6lirante n'ait jamais 6t6 programmde. Du fait de ce d6rapage, la question qui ouvre la s€quence transactionnelle ne recevra jamais vraiment sa r6ponse. Ou plut6t, si I'interview peut se clore par les remerciements d'usage, c'est
qu'en fait, la rdponse a quand m€me 6t6 apport6e. Elle I'est au terme d'une reprise de la question [Q-al] du journaliste par la jeune fille [e-a6] au d€but de la troisidme s6quence enchdssde. Dans ces conditions, la r€ponse [R-a'] attendue de la jeune fille est d€placde dans les sdquences 3 et 5 : [Ra'9] et [Re'l l] du journaliste (ensuite I'interview bifurque vers tout autre chose : la vie priv6e du journaliste-interviewd). cet exemple permet de mettre en 6vidence divers modes d'articulation des dchanges transactionnels : le type enchdssd dont il a d6jd 6t6 question plus haut et deux formes de liage coordonn6.
162
Les textes
types et prototpes
:
Dialogue
o Enchdssement d'dchange engendr€ par une absence de rdponse:
153
Texte conversationnel
(interviewl Echange ench6ssant (3)
Oa (JF2) ---- non rdponse
---
56quences transactionnelles
Ra' (J4)
E"t"nn"
S6quence
ench6ss6 (4)
od
(J3)
---(J1)
Oa1
.
Liage coordonnd d'dchanges dans des interventions successives (sans changement de rdles) :
Echange
42
1
Echange ench6ssant
Rd' (JF3)
1
non-r6ponse -----Ra'
I
Echanges
(J4-Ra',g)
Y'ench6ssds
Es
E2
Echange {6}
(51
S€q. phatique de cl6ture
I
Oe
{JF4}
of {JFs}
Re' (J5}
Rf', (J6}
I
o Echanges coordonn€s au sein d'une m€me intervention (alternance r6les)
des
Ob2
>
(JF1)
I
Rb'3-Oc4 (J2t
:
>
Rc'5-Oa6
(JFr
-
I
-
Ra'9 (J4l
I
I
I
I
QelO > Re'11 Of15 > Rf'16 (J5) (JFs) {J6}
(JF4)
[...1
€s Echange
.------.Ob (JF1}
Echange (2)
(1)
Rb'-et
Oc
tJ2l
uF2t
On retrouve ici les grandes formes d'articulation des unitds ddcrites au chapitre 2, d propos du r6cit, le cas des 6changes altern6s est m0me envisageable : c'est l'exemple du dialogue de sourds dans lequel deux conversations se poursuivent symdtriquement sans se rencontrer. On peut rdsumer la structure de I'extrait de Cosmos-cfo,r.r de la fagon suivante (je num6rote les interventions J l, J2 etc., d'une part, et les clauses
al, b2, b'3, etc., d'autre part)
:
l,g'?i;3,
Rc' Rc'-
Je ne d6veloppe pas, on pergoit aisdment la complexit6 de la description
d'un texte un peu plus int6ressant que ceux qui sont gdndralement cit6s.
4. L'inscription du dialogue
dans le r6cit
De tout temps, I'insertion des dialogues a pos6 aux 6crivains des probldmes techniques et esthetiques. Un des derniers en date, pourtant spdcialiste de narratologie et de sdmiotique par ailleurs, s'exprime en ces termes dans son,4pos-
tille au Nom de Ia rose
:
Les conversations me posaient de gros probldmes que j'ai rdsolus en dcrivant. Il est une th€matique, peu trait6e par les thdories de la narrativitd, qui est celle des turn ancillaries, c'est-i-dire les artifices gr0ce auxquels le narrateur passe la parole aux diffdrents personnages. [...] C'est un probldme de style, un probldme iC6ologique, un probldme de < po€sie ), autant que le choix d,une rime, d,une assonance ou I'introduction d'un paragramme. Il s'agit de trouver une certaine coh€rence. (Eco 1985 : 37 et 39)
Dans
. Les cas d'extr0me
examine aussi cette
164
Les textes: types et protolypes
domination du dialogue qu'elle cite (Ivy Compton-Burnett et Hemingway) ne sont cependant pas tout d fait des innovations et doivent 0tre compl6tds par ceux de Gyp, d'Abel Hermant, par les 350 pages de pur dialogue de Jean Barois de Roger Martin du Gard et par les 500 pages de questions et de r€ponses de L'Inquisitoire de Robert Pinget. Comme le souligne Nathalie Sarraute, de tels cas particuliers s'apparentent plus au thddtre qu'au genre romanesque. A I'autre extrdmitd, en intervenant dans les dialogues et en recourant
Dialogue
rlc ce dialogue, je compldte donc i la fois I'analyse narrative du chapitre 2 ct la rdflexion g6n€rale sur les types de dialogues.
-
[1] aui te rend si hardi de troubler mon breuvage
-
Dans le courant
meilleur compte et de fagon plus efficace par le document et le reportage), mais en profondeur > (1956). L'invention des Tropismes consistera < d plon-
Plus de vingt pas au-dessous d'Elle
;
[5] Et que par consdquent, en aucune fagon, Je ne puis troubler sa boisson.
ger le lecteur dans le flot de ces drames souterrains que Proust n'a eu le temps que de survoler >. La sous-conversation ici 6voqu6e est d6jd en germe dans I'cuvre d'Henry James.
[6] Tu la troubles, reprit cette b6te cruelle ; [7] Et je sais que de moi tu m6dis l'an pass6. Comment l'aurois-je fait si je n'6tois pas n6 ? [8] - Reprit l'Agneau, [9] je tette encor ma mdre. - [1O] Si ce n'est toi, c'est donc ton frbre. [11] Je n'en ai point. - I12l C'est donc quelqu'un des tiens
-
Derridre la question de I'insertion du dialogue dans le corps d'un r6cit profile la question du discours relatd : direct, indirect, indirect libre et narrativisd. Cette question a 6td I'objet d'une assez abondante littdrature pour que je ne la ddveloppe pas ici. Retenons que se posent deux questions, de notre point de vue. Celle de I'effet de dominante du rdcit sur le dialogue dans le cas du discours se
A titre d'exemple d'inscription du dialogue dans un r6cit, je me propose de revenir sur la fable de La Fontaine dont I'analyse narrative en fin de chapitre 2 ne pouvait €tre qu'insuffisante. En d6veloppant I'analyse s6quentielle
?
Dit cet animal plein de rage : [2] Tu seras ch6ti6 de ta t6m6rit6. [3] Sire, r6pond I'Agneau, que Votre Majest6 Ne se mette pas en coldre ; [4] Mais plut6t qu'elle considdre Que je me vas d6salt6rant
d I'analyse, la tentative proustienne est plus sp6cifiquement romanesque. Elle apporte aux lecteurs ) et les paroles de I'enfant passent du discours direct dans le manuscrit autographe de Flaubert (< Il y a joliment longtemps que je suis d vous esp6rer, ajouta-t-il, Mamzelle Emma m'a envoy€ vous attendre, sit6t que Borel a 6t6 revenu. C'est que notre maitre souffre I'impossible il jure comme tout >) i un style indirect libre qui neutralise les marques d'oralit€ et souligne seulement, avec les italiques, la parole d'autrui. La ddcision de passer le discours d'un personnage d'un premier plan (s6quence dialogale compldte ou tronqu6e) d un second plan est une d6cision importante. On peut €mettre ici I'hypothdse d'un choix destin6 d ne pas donner d'importance d un personnage secondaire. La narration reste centr6e sur un Charles silencieux.
165
-
;
[13] Car vous ne m'6pargnez gudre, Vous, vos bergers et vos chiens. [14] On me l'a dit: [15] il faut que je me venge.
La Fontaine, Fables.
On a peu dit de la fable de La Fontaine lorsqu'on a simplement ddcrit structure narrative. On n'a rien dit de I'humour gringant de la morale, transposition bien ironique du moddle latin du fabuliste : (Phddre). On peut parler d'ironie ici dans la mesure oir ce que la fable ( montre > cst si 6norme qu'on ne peut prendre la morale propos6e au seul premier degr6. L'analyse du dialogue montre un non-respcct du moddle prototypique : aucune s6quence phatique d'ouverture et de fermeture. Le dialogue est imm6diatement donn6 dans sa phase transactionnelle. Deux explications peuvent 0tre avanc6es : une loi d'6conomie li6e au genre narratif de la fable, mais on peut aussi consid6rer que la violence de I'interaction rend totalement inutile loute d6marche phatique rituelle. La violence est proprement la n6gation des principes de m6nagement et de consensus qui pr6sident aux rituels phatiques. Le corps de I'interaction est assez complexe. Le loup ouvre et ferme la transaction (Ll et L4), ce qui prouve qu'il domine en prenant I'initiative et $a
cn ayant le dernier mot. La premidre intervention du Loup (Ll) donne le ton : il pose d'abord rune question [1] puis il profdre une menace [2] qui annonce I'issue de I'interaction puisque I'Agneau est bel et bien < chitie de sa t6m6ritd > en fin de tcxte. Cet enchainement Question + Menace nous incite d revoir la nature
Dialogue
166 La texta: types et prototypes interrogative de la question initiale: ne serait-ce pas une fausse question destinde d permettre au Loup d'asserter par pr6supposition un fait et d'en conclure une promesse de chdtiment ? La longue intervention (Al) de I'Agneau constitue une sorte de r6ponse argumentde d la question pos6e. En fait, plus qu'une rdponse d la fausse question, le propos de I'Agneau se pr6sente comme une v€ritable entreprise de r6futation des prdsupposds de la question initiale. En effet, alors que la question porte sur la - < t6m6rit6 > de I'Agneau, elle pr6suppose comme un fait donnd que ce dernier est venu troubler I'eau du Loup. Le mouvement argumentatif du propos de I'Agneau est le suivant : [3] Pr6paration, recadrage de l'interaction. [4] MArs : expos6 d'un fait physique (donnde irr6futable] [5] erncorusEouerur (Conclusion] : n6gation du prdsuppos6 : < Je ne puis troubler... "
On peut dire que I'Agneau recadre I'interaction en proposant au Loup de passer de la violence (>) au raisonnement (< qu'elle considdre >). La citation de Perelman propos6e au chapitre 2 (page 70) montre bien que la d6cision d'argumenter est un renoncement d la force. L'Agneau doit recourir i la parole argumentative - au dialogue dialectique recherchant les preuves, affirmant la vdritd et d6nongant-d€montrant la fausset€ au Loup qui - pour tenter de bloquer la violence initiale. Par rapport engage, avec cette fausse question, un ( faux > dialogue un dialogue 6ristiquer I'Agneau entre dans une entreprise de conviction (c'est, bien s0r,
-,
sa seule arme).
L'intervention L2 du Loup confirme que le dialogue dans lequel il s'est engag€ est un dialogue 6ristique. L'assertion [6] vient juste rdaffirmer le pr6supposd de la question initiale en r6duisant d ndant toutes les objections de l'Agneau. Aux faits eux-m€mes, ddmontr€s par I'Agneau, est oppos6 un autre
fait, non ddmontrd, lui. Le Loup poursuit pourtant son argumentation 6ristique. La clause not6e [7] est un reproche qui apparait comme une deuxidme raison de mettre la menace [2] d ex€cution. La r6plique A2 de I'Agneau [8] et [9] vient contester par un fait objectif le prdsupposd de l'assertion [7] du Loup. L'intervention suivante du Loup (L3) semble accepter I'objection de I'Agneau et la corriger [0]. L'Agneau r€plique d son tour (A3) selon la mOme dialectique de r6futation des pr6suppos€s
Il].
Le mdcanisme des enchainements ne peut €tre ddcrit dans les termes simples Question > Rdponse envisag6e plus haut. Si la question apparait comme la plus €vidente des ouvertures d'un dchange et la r6ponse comme la
t. Eristique vient de < €ris > qui signifie querelle. Protagoras passe pour I'inventeur de cet art de la controverse, cher aux sophistes et qui permettait de faire triompher I'absurde et le faux.
167
r onrposante r6active de la paire, il faut bien voir qu'une assertion permet aussi rlc prcndre I'initiative et d'ouvrir un 6change. Une assertion pose un fait, une rhuurde, une thdse que I'interlocuteur est somme d'admettre ou de rdfuter. I lrr Cchange est donc clairement ouvert aussi bien par un acte interlocutif (l'intcrrogation que par un acte d'assertion. De plus, la valeur illocutoire d'une r lrrrrsc peut Otre en apparence assertive ou interrogative et viser en fait une t()ut autre action : les reproches que formule le Loup prennent ainsi, en surou d'une simple assertion [7]. lrrec, I'aspect d'une interrogation La nature €ristique du dialogue choisi par le Loup est 6vidente jusqu'd ln l'in : il s'agit bien de mettre I'adversaire en difficult6 quoi qu'il dise. Les grr trnisses-pr6suppos€s ne jouent pas un rdle important dans le dialogue 6ristrrlue. L'Agneau, lui, a raison de chercher d situer I'interaction dans un autre typc de dialogue, car dans le cas des dialogues dialectique et critique des le r6le des pr€misses est imporAnciens connus bien sOr de La Fontaine tnnt et I'adh€sion des interlocuteurs est indispensable. Le fait que le Loup nc s'en soucie pas materialise bien son optique 6ristique. Comme le note G. l)ispaux : < En s'engageant d dialoguer, on t6moigne de I'intention d'obtenir un accord, m6me partiel. Si cette volontE est absente, la relation dialectitpre s'6puise dans le jeu-spectacle du dialogue dristique > (1984 : 55).
[]
-
-
La fagon dont le Loup va clore I'interaction est d'abord la 11u'avant : passage de la responsabilitd directe de l'Agneau [7]
i
mOme
celle de son lrdre [0]puis de sa famille [2]et plus largement de sa classe ou de son clan (( vous >). Le dernier argument est amen€ par cAR U3l et c'est celui qui dnonce le plus clairement les raisons du Loup : un affrontement dont Louis Marin (1986) a montrd qu'il est celui du monde de la nature (celui du Loup) cl du monde de la culture (celui de I'Agneau, des chiens et des bergers). Ces deux mondes n'obdissent pas aux m€mes lois. A mon sens, si la morale ironise, c'est pour interroger l'ordre du monde : lc leurre de I'argumentation ou la parodie de procds que r€vdle le dialogue 0ristique prouve que nous vivons dans un univers de barbarie encore non r6gul€
par la parole. Il faut encore relever l'6trange clause Ia] qui semble relativiser la seule juste raison du Loup. En passant d'une €vidence naturelle qui pourrait justifier son acte [5] i un >, le Loup prouve qu'il n'a m€me pas 6t6 directement victime de I'agression pos€e en [3]. L'ddifice dialectique s'effondre totalement pour que I'emporte la seule sophistique €ristique.
5. Exercice d'analyse sequentielle sur les deux dialogues du texte de Jules Verne proposO dans I'exercice 5.3. du chapitre prdcddent, d6terminez leur incompl6tude et les formes d'enchainements qui les caractdrisent. En revenant
168
Chopitre
Les textes: tlpes et prototlpes
7
[A1] < Demain, dit-il, je tuerai cet ours ! [81] - Demain !fit Johnson, qui semblait sortir d'un mauvais r6ve.
[ 2] [82] [A3l [83] [A4] -
Demain ! Vous n'avez pas de balle ! J'en ferai. Vous n'avez pas de plomb ! Non, mais j'ai du mercure !
[84] ( Ah ! monsieur Clawbonny, s'6cria le maitre d'6quipage. voild qui est merveilleux ! Vous 6tes un f'.r homme ! [A5] - Non, mon ami, repondit le docteur, je suis seulement un homme doud d'une bonne m6moire et qui a beaucoup lu. [85] - Que voulez-vous dire ? [46] - Je me suis souvenu d propos d'un fait relat6 par le capitaine Ross dans la relation de son voyage : il dit avoir perc6 une planche d'un pouce d'6paisseur avec un fusil charg6 d'une balle de mercure gel6 ; si j'avais eu de I'huile i ma disposition, c'e0t 6td presque la m6me chose, car il raconte 6galement qu'une balle d'huile d'amande douce, tirde contre un poteau, le fendit et rebondit i terre sans avoir 6t6 cass6e. Jules Verne, Les Aventures du capitaine Hatteras.
Un exemple d'hetdrog6n6it6 r6gl6e le monologue narratif dans le th66tre classique
:
Aprds des chapitres consacr6s i des formes textuelles 6l6mentaires, il me grtrait indispensable de passer d un mode complexe de combinaison de s6quenccs h6t6rogdnes en essayant de r6concilier tradition rh6torique et analyse linguistique. Le monologue narratif thddtral est un des grands genres du rdcit. ll pr6sente un int6r0t majeur dans le cadre du pr€sent ouvrage : il s'agit d'une sdquence ins6r6e dans une autre, dialogale. La fable de La Fontaine 6tudi6e irux chapitres 2 et 6 prdsentait le cas de figure exactement inverse d'un dialogue ins6r6 dans une s€quence narrative. Pour aborder ce genre narratif singulier, j'examinerai tout d'abord les rilpports du th66tre et de la narration en insistant sur le mode d'insertion du rdcit dans le dialogue. Je proc6derai aussi d une relecture des thdses de Jactlues Sch6rer dans Lo Dramaturgie classique en France et, i la lumidre de cette rnise au point thdorique et historique, je ddcrirai un certain nombre de cdldhres monologues narratifs d'exposition et de ddnouementr.
l. Th€dtre et narration l.l.
Le texte thditral : genre narratif ou dramatique
?
l.a pensde classique oppose, depuis I'Antiquit6, la diCgisis dla mimlsis. Cette dernidre 6tant entendue dans le sens platonicien de dialogue, c'est-d-dire moins d'imitation (sens commundment retenu aujourd'hui) que de transcription ou de citation. Soit un couple rdcit VS dialogue ou mode narratif VS mode dramatique. Cette opposition est reprise par G€rard Genette, dans Nouveaux Discours du rdcit (1983). Ce dernier d6plore I'entreprise et le titre m6me de Syntaxe narrative des tragddies de Corneille de Thomas Pavel (1976) en
L Une premidre version de cette 6tude, 6crite avec la collaboration de B6n6dicte Le Clerc, ;raru dans un num6ro de Pratiques (no 59, septembre 1988) consacr6 aux genres du r6cit.
a
170
Les
lutes : types
soulignant que (1983 : l3).
>
On peut effectivement opposer le livre de Pavel i deux articles du no 4l de la revue Pratiques : (Kerbrat-Oreccioni 1984) et (Petitjean 1984) ou encore au no 6 des Cahiers de linguistique frangaise de I'Universit6 de Gendve, < Discours th66tral et analyse conversationnelle > (Moeschler et Reboul 1985). La simple confrontation des titres permet de situer le ddbat et de d€gager deux tendances : I'analyse narrative (Pavel) et I'analyse de la conversation (Reboul-Moeschler) peuvent aborder, chacune d leur manidre, le discours theatral du classicisme frangais. Le fait qu'il s'agisse des grandes tragddies de Corneille dans le premier cas et de L'Ecole des maris et des Fourberies de Scapin dans I'autre ne change rien d I'affaire. On reconnait derridre > deux fagons d'approcher le texte theatral en privil6giant soit le mode narratif, soit le mode dramatique. Lorsque, i la fin de leur travail (pages 103-106 et 107-ll0), A. Reboul et J. Moeschler rdsument les deux pidces de Molidre, ils procddent, en fait, d la suppression des dialogues et e la restitution monologale d'une histoire. Il est vrai qu'une pidce de th6itre, i un certain niveau de description (celui du r6sum6 prdcis6ment), est une histoire et Georges Jean, dans son ouvrage g6n6ral sur le th66tre de la collection r au Seuil, peut rappeler la citation cdldbre de Brecht : >. Car le spectateur de th6dtre attend toujours qu'il se passe quelque chose. Cette attente pouvant d'ailleurs constituer toute la fable. De plus, la fable est le r6v6lateur r
of
se
r€fractent la soci€t€, I'histoire, les id6ologies. (1977
personnages, c'est d€jd du pass6, La narration est presque entidrement ant€rieure I'action ; elle la conditionne m€me, mais la part narrative de celle-ci se r€duit i un minimum. [...] Une fois I'action d6clench€e, la narration se dresse presque comme un obstacle ; comme les descriptions dans les romans r€alistes, elle est ndcessaire mais elle ralentit la marche des €v6nements. (1988 : 84)
i
z
l6)
Pour consid6rer une pidce de th66tre comme un r6cit, il faut donc passer du niveau des dialogues des acteurs-personnages de la repr6sentation th66trale d celui de la pidce comme texte global communiqud par un auteur (narrateur) absent d un public (lecteur) : A premidre vue, le th6itre peut nous apparaitre comme une narration, surtout lorsque I'on songe de prdf€rence au texte th6dtral : pendant les cours et les examens de littdrature, nous avons l'habitude de r6sumer les pidces narrativement. Nous pouvons etudier les personnages principaux et les personnages secondaires exactement comme dans les textes narratifs et nous pouvons 6tablir le modile actantiel d'une pidce de th€dtre qui ne se distinguera en rien de celui d'une nouvelle
nanatif l7l
Puisque le texte thddtral classique comporte des sdquences narratives, il convient de se donner les moyens de ddcrire ces sdquenccs monologales et surtout leur mode d'insertion dans le texte dialogal. Pour une linguistique textuelle, l'6tude du monologue narratif pr€sente un double intdr€t : permettre, d'une part, de poser trds concrdtement la question de I'insertion de s6quences h6t6rogdnes du type
:
[conversation [r€cit] conversationl,
l.
Auxquelles il convient, bien s0r, d'ajouter les didascalies trds brives dans le thCAtrc classique, mais bien plus nombreuses et d6velopp6es chez Hugo, par exemple, pour citer un cas extrOme.
172
Les
Le monologue narratif
texles: tlpes et prototypes
permettre, d'autre part, de penser la nature profond€ment dialogique des dchanges narratifs. Avec ce qu'on peut appeler un type de ricit dans lo conversation, il s'agit donc de souligner I'ouverture ou la coconstruction du r6cit par le narrateur-r6citant et son interlocuteur. Soit une triple probl6matique : celle de la structure interne (intra-textuelle) du monologue narratif, celle de l'insertion (cotextuelle) du r6cit dans le dialogue, celle de la fonction interactionnelle (contextuelle) de l'dchange narratif.
1.2. Le rdcit dans la conversation (I'Ecole
des
femmes
ll,
-
AcrvEs
Mon Dieu, ne gagez pas : vous perdriez vraiment. ARNOLPHE
47s Quoi ? c'est la v6rit6 qu'un homme..'
-
Chose s0re. ll n'a presque boug6 de chez nous, je vous jure. ARNoLPHE, bas, d part. Cet aveu qu'elle fait avec sinc6rit6 Me marque pour le moins son ingdnuit6. (haut)
Mais il me semble, Agnds, si ma mdmoire est bonne. +eo Que j'avais ddfendu que vous vissiez personne. AcrrrEs
Oui ; mais quand ie l'ai vu, vous ignorez pourquoi ; Et vous en auriez fait, sans doute, autant que moi. ARNoLPHE
Peut-Ctre
Lorsque je vis passer sous les arbres d'auprds Un jeune homme bien fait, qui rencontrant ma vue,
D'une humble r6v6rence aussit6t me salue : Moi, pour ne point manquer d la civilit6. Je fis la rdv6rence aussi de mon c6t6. Soudain il me refalt une autre r6v6rence : Moi, j'en refais de m6me une autre en diligence ; Et lui d'une troisiOme aussit6t repartant, D'une troisi€me aussi j'y repars d l'instant. ll passe, vient, repasse, et touiours de plus belle Me fait i chaque fois rdv€rence nouvelle ; Et moi qui tous ces tours fixement regardais, Nouvelle r6v6rence aussi je lui rendais : Tant que si sur ce point la nuit ne fOt venue, Toujours comme cela, je me serais tenue, Ne voulant point c6der, et recevoir l'ennui Qu'il me pOt estimer moins civile que lui.
Ces premidres observations s'appliquent parfaitement au monologue nar-
-
*
[...] Quelles nouvelles
?
Le petit chat est mort. [...]
cette scdne est domin6e par une demande d'information et I'attente d'une r. Dans cette situation d'interrogatoire, Agnds, sommde de raconter, n'a pas besoin d'imposer sa prise de parole narrative. Faute de place, je n'examine que le premier r€cit d'Agnds (vers 483 i 542) en citant tout le texte indispensable ir la d6monstration :
tout autre
ARNOLPHE
Fort bien. ActrtEs
ARwOlpne, ayant un peu r€v6. 1...1
Quelques voisins m'ont dit qu'un jeune homme inconnu +zo Etait en mon absence i la maison venu. Oue vous aviez souffert sa vue et ses harangues ;
fort 6tonnante et difficile i croire.
J'6tais sur le balcon A travailler au frais,
ratif classique. Molidre imagine toutefois, i la scdne rr,5 de L'Ecole des femmes, un autre mode d'6valuation : une 6valuation externe par le destinataire, interprdtant du r€cit lui-m€me. Il s'agit de la scdne qui commence par l'illustre enchainement des vers 460 et 461 : AcrrrEs.
; mais enfin contez-moi cette histoire. AGNES
Elle est
locuteur.
ARNoLeHE.
?
ActrtEs
5)
Le chapitre 2 a propos6 une d6finition minimale de la s6quence narrative fie renvoie surtout d l'6tude d'un extrait des Justes de camus qui a permis d'expliciter la structure intratextuelle du monologue narratif sa et son insertion dans le cotexte conversationnel sa (( syntaxe dramatique >). Sur la base de cette premidre description, on peut dire que le monologue narratif au th66tre comporte, comme tout r6cit oral, deux macropropositions qui I'encadrent : une Entr6e-pr6face (PnO) et une Evaluation finale ou Morale (Pno). L'une permet de passer du monde actuel de l'6change au monde de la narration, I'autre d'accomplir le trajet inverse. on constatera plus loin que, dans la dramaturgie classique, un ensemble de r€pliques pr6pare gdn6ralement le r6cit non seulement par une Entr6e-pr6face, mais 6galement par un R6sum6. Comme on I'a ddjd vu, le r6cit peut aussi comporter des Evaluations ; quand elles sont le fait du r6citant, cilles-ci sont g6n6ralement destin6es i signaler I'issue du r6cit ou i maintenir I'attention de l'inter-
-
Mais je n'ai point pris foi sur ces m6chantes langues, Et j'ai voulu gager que c'6tait faussement.'.
sos
Le lendemain, 6tant sur notre Porte, Une vieille m'aborde en parlant de la sorte : < Mon enfant le bon Dieu puisse-t-il vous b6nir,
Et dans tous vos attraits longtemps vous maintenir
!
t73
174
Les textes: types et prototypes
Le monologue
ll ne vous a pas faite une belle personne Afin de mal user des choses qu'il vous donne 510
>
!
AGNis
j'ai blessd quelqu'un ! fis-je toute dtonn€e. Oui, dit-elle, bless6, mais blessd tout de bon ; Et c'est l'homme qu'hier vous vites du balcon. 515
AGNEs
Voild comme il me vit, et regut guerison. Vous-m6me, a votre avis, n'ai-je pas eu raison ? Et pouvais-je, aprds tout, avoir la conscience De le laisser mourir faute d'une assistance, Moi qui compatis tant aux gens qu'on fait souffrir Et ne puis. sans pleurer, voir un poulet mourir ? Anuolpne, bas, d part Tout cela n'est parti que d'une 6me innocente ; Et j'en dois accuser mon absence imprudente, Oui sans guide a laissd cette bont6 de m@urs Expos6e aux aguets des rusds s6ducteurs. Je crains que le pendard, dans ses v@ux tdmdraires. Un peu plus fort que jeu n'ait pouss6 les affaires.
[Cette histoire] est
>>
< Moi,
- Hdlas ! qui pourrait, dis-je, en avoir 6t6 cause ? Sur lui. sans y penser, fis-je choir quelque chose ? - Non, dit-elle, vos yeux ont fait ce coup fatal, Et c'est de leurs regards qu'est venu tout son mal. - Hd ! mon Dieu ! ma surprise est. fis-je, sans seconde : 520 Mes yeux ont-ils du mal, pour en donner au monde ? - Oui, fit-elle, vos yeux, pour causer le tr6pas, Ma fille. ont un venin que vous ne savez pas. En un mot il languit. le pauvre mis6rable ; Et s'il faut, poursuivit la vieille charitable, 525 Oue votre cruautd lui refuse un secours, C'est un homme e porter en terre dans deux jours. - Mon Dieu ! j'en aurais, dis-je, une douleur bien grande Mais pour le secourir qu'est-ce qu'il me demande ? - Mon enfant, me dit-elle, il ne veut obtenir Oue le bien de vous voir et vous entretenir : Vos yeux peuvent eux seuls emp€cher sa ruine Et du mal qu'ils ont fait Ctre la m6decine. - H6las ! volontiers, dis-je : et puisqu'il est ainsi, ll peut, tant qu'il voudra, me venir voir ici. > Anruolexe, d part Ah ! sorcidre maudite, empoisonneuse d'6mes, Puisse l'enfer payer tes charitables trames !
(
fort dtonnante et difficile d croire. >> Cette Entrde-pr6face est meme prdcddde d'une sorte de R6sum€ (v.476), aveu qui fait du rdcit d venir I'explicationjustification du fait coupable d'avoir regu un homme sans autorisation (v. 479-480). Le caractdre dialogique du r6cit apparait dans la demande formul6e par Arnolphe lui-mOme : ) et elle fait partie du quatridme chapitre consacr€ aux formes fixes. Avant le monologue et l'apart6, J. Sch6rer examine, dans un premier temps, les rdgles du r6cit (1966 :229-235) puis sa < forme >, ses (( fonctions ) et son < prestige D (1966 : 235-244).
2.1. Les trois lois du monologue narratif Les observations de J. Schdrer 6tant assez d6sordonn6es, j'ai choisi de les regrouper en envisageant pour ma part, de fagon synth6tique, trois grandes lois - li6es, bien s0r, les unes aux autres - que je propose de d6signer en ces termes : une loi d'homog6n6itd textuelle ou /oi d'dconomie ; - une r6f6rentielle ou /oi d'informotion ; - une loi loi pragmatique ou loi de motivation.
-
Loi d'dconomie Cette loi correspond d I'affirmation, d6jd cit6e plus haut, de Racine dans sa premidre prdface de Britannicus : < Une des rdgles du th6dtre est de ne mettre en r6cit que les choses qui ne peuvent passer en action. >> C'est bien du choix d'un type de mise en texte qu'il s'agit ici : rdcit ou dialogue. Si le rdcit rapporte des 6v6nements (loi d'information) qu'il est impossible de reprdsenter sur la scdne, c'est bien str en raison de la rdgle des trois unit6s (de lieu, de temps et d'action) et de la rdgle de biensdance. La loi d'dconomie contr6le essentiellementlafrdquence etla durde d,es r€cits : dans un genre dramatique dialogal dont I'essence est la mat€rialisation par la parole des 6motions et des passions, la narration monologale apparait comme un pis-aller auquel il ne faut recourir qu'd propos et sans excds. Au sujet de ce qu'il appelle < le r6cit
narrotif
177
dramatique >, Pierre Guiraud a insist6 sur cette hdt6rog6ndit6 textuelle et parl6, d sa manidre, de I'incompatibilite stylistique fondamentale du drame et du rdcit : < Ce dernier, en effet, dans la mesure oir il postule une distanciation du temps narr6 et du temps de la narration, suspend le temps dramatique et cnerve I'action ) (1969 : 152). De la m€me fagon que la description peut venir perturber la progression narrative dans le genre romanesque, le caractdre monologal du r6cit risque de briser le rythme des enchainements de r6pliques. Cette loi d'6conomie est donc entidrement justifi6e par la crainte toute classique de I'hdt6rog6n€it6 et par la recherche constante d'une unitd discursive : le dialogue. On a vu comment, dans la scdne 5 de I'acte ll de L'Ecole des femmes,le dialogue (rdpliques d'Arnolphe en apart6 et discours relatd) pouvait all6ger la densit6 du monologue narratif.
Loi d'information Cette deuxidme loi est d6termin6e par des exigences r6f€rentielles. Le r6cit doit, en raison des limites imposdes par les < unitds D, apporter de l'information sur des faits inconnus (loi 2.a.) ; il doit aussi, en raison cette fois du caractdre psychologique du th€dtre classique, fournir des informations sur les caractdres des personnages eux-mOmes (loi 2.b.). L'information porte soit sur les absents dont il est question dans le r6cit, soit sur les pr6sents : le narrateurrdcitant lui-m€me et,/ou son auditeur. Pierre Guiraud reldve fort justement que la fonction d'information < doit Otre masqude et subordonn6e d I'action >>. Trois exemples suffiront : une maxime de Corneille, dans l'examen de ( il ne faut la suite du Menteur, stipule que conform6ment d la loi 2.a. jamais faire raconter ce que le spectateur a ddjd vu >> et, dans I'Examen de Polyeucte, il ajoute : < [...] Ce sont des choses dont il faut instruire le spectateur en les faisant apprendre par un des acteurs d I'autre ; mais il faut prendre garde avec soin que celui d qui on les apprend ait lieu de les ignorer jusque-ld aussi bien que le spectateur. D A la scdne 2 de l'acte lY d'Horace, il est, d'un point de vue tant psychologique que dramaturgique, naturel de voir Valdre, dans un r6cit d'une trentaine de vers, raconter la seconde partie du combat des Horaces et des Curiaces en insistant sur le prestige du jeune h€ros absent de la scdne (loi 2.b.). Enfin, les interventions pressantes d'Arnolphe, dans la scdne de L'Ecole des femmes 6tudi6e plus haut, ainsi que ses dvaluations successives en apart6, sont, bien s0r, destin6es d rdv6ler la jalousie du vieux barbon autant qu'i mettre en 6vidence des faits encore incer-
-
-
tains. Quant d I'innocence (de la narration) d'Agnds, elle est reconnue et soulign6e par Arnolphe lui-m6me (v. 477-478 et 543). Il faut insister sur I'int6ressante exception de la scdne III,3 d.es Fourberies de Scapin (sur laquelle je reviens pp. 186-187) otr Zerbinette raconte e Gdronte l'histoire qui vient justement d'arriver d ce dernier. C'est, bien s0r, d partir d'un quiproquo que surgit I'effet comique. L'ambiguil6 r6fdrentielle (elle ne sait, en fait, pas de qui elle est en train de rire et elle ne soupqonne
178
Les textes: lypes et prototypes
Le monologue
i
narratif
179
pas que le d€ictique (< ce > renvoie son interlocuteur : ) et le non-respect de la loi d'information sont directement d la
2.2.Un r6cit d'exposition un peu complexe i Les Fourberies de Scapinl,2
source du comique.
[Jne exclamation d'entr€e marque I'arrivde sur scdne du
Loi de motivotion
vdritable 6motion. Le monologue narratif doit surmonter un obstacle que Cor-
neille, dans I'examen du Cid (1660), citant Horace, d6finit en ces termes : Toutefois, ici encore, pour les classiques - hors de la com6die du moins -, la mesure est de rigueur : le narrateur et I'auditeur ne sauraient €tre ni indiffdrents, ni trop impliqu6s dans le r6cit. Ajoutons que la loi de motivation exclut les r6cits d la cantonade destinds aux seuls spectateurs et qui viendraient rompre le cours de
l'action.
:
Sclpttt. (1)
Loi pragmatique par excellence, cette dernidre loi souligne surtout la ndcessit6 pour le r6cit de susciter, au-deld d'un simple apport d'information, une
-
futur r6citant
- Qu'est-ce, seigneur Octave ? Ou'avez-vous ? Ou'y a-t-il ? Ouel d6sordre est-ce ld ? Je vous vois tout troubl6. Ocuve. (1 ) - Ah ! mon pauvre Scapin, je suis perdu, je suis d6sesp6r6, je suis le plus infortund de tous les hommes ! Les exclamations d'Octave entrainent chez Scapin I'envie de prendre connaissance de ce qui motive un tel affolement (questions de curiositd) et amdnent l'annonce anticip6e, par Octave, de ce qui constitue, en fait, le point de d6part de tout le r6cit (la Complication-Pn2 de toute la pidce) :
(2)
? - Comment N'as-tu rien appris de ce qui me regarde ? Scaprru. (3) - Non. Ocrave. (3) - Mon pdre arrive avec le seigneur G6ronte, et ils me veulent
Scaptru.
Ocrnve. (2) marier.
Le dialogue qui suit justifie qu'il soit n6cessaire de remonter de la Complication-Pn2 dr la Situation initiale (ou Orientation-Pnl) pour I'expliciter d Scapin lui-mOme :
(4)
a-t-il ld de si funeste ? - Eh bien ! qu'y pas la cause de mon inqui6tude. ne sais Hdlas ! tu Scnptru. (51 - Non ; mais il ne tiendra qu'i vous que je le sache bient6t ; et je suis homme consolatif, homme i m'int6resser aux affaires des jeunes Scnprru.
Ocrave. (4) gens.
Suit, de la part d'Octave, une vdritable demande de R€solution-Pn4 qui permet d'introduire le thdme de la >, c'est-d-dire de la maitrise thditrale de I'intrigue par le valet, thdme de toute la pidce :
Ocrrve. (5) - Ah ! Scapin, si tu pouvais trouver quelqu'invention, forger quelque machine. pour me tirer de la peine oi je suis, je croirais t'Otre redevable de plus que de la vie. Sclpttt. (6) - A vous dire la v6rit6, il y a peu de choses qui me soient impossibles, quand je m'en veux m€ler. J'ai sans doute regu du Ciel un g6nie assez beau pour toutes les fabriques de ces gentillesses d'esprit, de ces galanteries ingdnieuses, i qui le vulgaire ignorant donne le nom de fourberies ; et je puis dire sans vanit6 qu'on n'a gudre vu d'homme qui fOt plus habile ouvrier de ressorts et d'intrigues, qui ait acquis plus de gloire que moi dans ce noble m6tier. Mais, ma foi, le mdrite est trop maltrait6 aujourd'hui, et j'ai renoncd d toutes choses depuis certain chagrin d'une affaire qui m'arriva. Ocrlve. (6) - Comment ? Ouelle affaire, Scapin ? Sceptru. (7) - Une aventure oir je me brouillai avec la justice.
180
Les textes: types et prototlpes
Le monologue
Ocreve . (7) - La justice ! Scrpttrt. (8) - Oui, nous e0mes un petit d6m6l6 ensemble. Ocravr. (8) - Toi et la justice ?
rue 6cartde quelques plaintes m€l6es de beaucoup de sanglots. Nous demandons ce que c'est : Une femme nous dit en soupirant que nous pouvions
voir ld quelque chose de pitoyable en des personnes 6trangdres, et qu'd moins
En ce point, on s'attend d un renversement de la relation narrative qui pourrait amener scapin i raconter, mais ce dernier interrompt la digression pour demander i octave de commencer le r6cit des 6v6nements ant6rieurs e la situation prdsente et qui doivent l'expliquer : Scaprru. (9)
-
Oui. Elle en usa fort mal avec moi, et je me d6pitai de telle
sorte contre I'ingratitude du sidcle, que je r6solus de ne plus rien faire. Baste Ne laissez pas de me conter votre aventure.
I
La longue mise en place de I'orientation-Pnl' du rdcit d'Octave se d6roule sur deux plans : si I'on se place du point de vue de Scapin, la loi d'information n'est pas respect€e (< Je sais cela >>), mais, du point de vue du spectateur, l'apport d'information est dvident et tout d fait conforme aux n€cessit6s
d'un r6cit d'exposition
:
Ocrevr. (9) - Tu sais, Scapin, qu'il y a deux mois que le seigneur Gdronte et mon pOre s'embarqudrent ensemble pour un voyage qui regarde certain commerce ofi leurs intdrdts sont mel6s. Scaprru. (1O) - Je sais cela. Ocravr. (10) - Et que L6andre et moi nous f0mes laissds par nos pdres, moi sous la conduite de Sylvestre, et L6andre sous ta direction. Scnpru. (11) - Oui. Je me suis fort bien acquitt6 de ma charge. Octeve. (11) - Quelque temps aprds. L6andre fit rencontre d'une jeune Egyptienne dont il devint amoureux. Sceptru. 112l - Je sais cela encore. Ocrnve. 112l * Comme nous sommes grands amis, il me fit aussit6t confidence de son amour et me mena voir cette fille, que je trouvai belle d la v6rit6, mais non pas tant qu'il voulait que je la trouvasse. ll ne m'entretenait que d'elle chaque jour, m'exagdrait ir tous moments sa beaut6 et sa gr6ce, me louait son esprit et me parlait avec transport des charmes de son entretien,
dont il me rapportait jusqu'aux moindres paroles, qu'il s'efforgait toujours de me faire trouver les plus spirituelles du monde. ll me querellait quelquefois de n'6tre pas assez sensible aux choses qu'il me venait de dire, et me bl6mait sans cesse de l'indiff6rence oi j'6tais pour les feux de l,amour. Scnptru. (13) - Je ne vois pas encore oir ceci veut aller.
La dernidre r6plique de Scapin sanctionne les digressions d,Octave et m'apparait comme une vdritable demande de Complication-pn2', une demande de sortie de I'Orientation-Pnl'. Ouverte par >, la r€plique d'octave introduit la proposition indispensable au d6clenchement du r6cit
narratif l8l
:
Ocrave. (1 3) - Un jour que je l'accompagnais pour aller chez les gens qui gardent l'objet de ses v@ux, nous entendimes dans une petite maison d.une
d'6tre insensibles, nous en serions touch6s. Sceptru. (14) - Oir est-ce que cela nous mdne ? OcrAVE. (14) - La curiosit6 me fit presser Ldandre de voir ce que c'6tait. 1...1
La suite de la r€plique d'Octave est une longue description domin6e par I'imparfait et ponctu6e d'6valuations de Scapin et d'Octave lui-mOme. Soit une macro-proposition Pn3' tout d fait classique : Ocuve. {14 suite) - [...] Nous entrons dans une salle, oit nous voyons une vieille femme mourante, assist6e d'une servante qui faisait des regrets, et d'une jeune fille toute fondante en larmes, la plus belle et la plus touchante qu'on puisse jamais voir. Scaptru. (15) - Ah ! ah ! Ocrave. (15) - Une autre aurait paru effroyable en l'6tat oi elle 6tait, car elle n'avait pour habillement qu'une mdchante petite jupe, avec des brassieres de nuit qui dtaient de simple futaine, et sa coiffure 6tait une cornette jaune, retrouss6e au haut de sa tete, qui laissait tomber en d6sordre ses cheveux sur ses 6paules ; et cependant faite comme cela, elle brillait de mille attraits, et ce n'6tait qu'agrements et que charme que toute sa personne. Sclptn. (16) - Je sens venir les choses. Ocrave. (16) - Si tu I'avais vue, Scapin, en l'6tat que je dis, tu l'aurais trouvde admirable. Sclpttrt. (171 - Oh ! je n'en doute point ; et, sans l'avoir vue, je vois bien qu'elle 6tait tout i fait charmante. Ocrlve. (171 - Ses larmes n'dtaient point de ces larmes d€sagr6ables qui d6figurent un visage : elle avait, ir pleurer, une gr6ce touchante, et sa douleur 6tait la plus belle du monde. Scaprru.
(18)
-
Je vois tout cela.
OcrevE. (181 - Elle faisait fondre chacun en larmes en se jetant amoureusement sur le corps de cette mourante, qu'elle appelait sa chdre mdre, et il n'y avait personne qui n'e0t l'5me perc6e de voir un si bon naturel'
Sur la base des 6valuations multiples d'Octave, Scapin anticipe la R6solution-Pn4' pour acc6l6rer le cours de la narration :
- En effet, cela est touchant, et je vois bien que ce bon naturelvous la fit aimer. Ocravr. (19) - Ah ! Scapin, un barbare l'aurait aim€e. ScnptN. (20) - Assur6ment. Le moyen de s'en emp€cher ! Ocrnve. (20) - Aprds quelques paroles dont je t6chai d'adoucir la douleur de cette charmante afflig6e, nous sortimes de lA et, demandant A L€andre ce qui lui semblait de cette personne, il me r€pondit froidement qu'il la trouvait assez jolie. Je fus piqu6 de la froideur avec laquelle il m'en parlait, ot Sclpttrt. (191
li
182
Les textes: tlpes et prototypes
Le monologue
je ne voulus point lui d6couvrir I'effet que ses beaut6s avaient fait sur mon
183
En ce point de la scdne, Sylvestre et Octave reprennent la narration d
6me.
un niveau supdrieur qui nous ramdne d la situation pr6sente des personnages (Situation initiale-Pnl) et d I'annonce pr€alable, par Octave, de la Complication-Pn2 : Nous comprenons ainsi que les deux s6quences narratives d'exposition ne constituaient que la Situation initiale-Pnl du r€cit de la pidce en cours de d6roulement. Soit un enchissement-insertion, cette fois, de deux
Conscient du fait que la narration de son maitre est trop satur6e de digressions descriptives et 6valuatives, Sylvestre ddcide de I'interrompre pour formuler lui-m€me la teneur de la Situation finale-Pn5' de ce qui ne constitue, en fait, que la premidre sdquence d'un r6cit qu'il prend dds lors en charge
pour mener plus rondement la narration de la s6quence suivante
narratif
:
s€quences dans
un r6cit enchdssant
:
-
SYLvrsrne. (11 I'interrompant Si vous n'abr€gez ce r6cit, nous en voild pour jusqu'A demain. Laissez-le-moi finir en deux mots. Son ceur lil ddsigne Octavel prend feu dds ce moment. ll ne saurait plus vivre qu'il n'aille consoler son aimable afflig6e. [...]
Les Fourberies de Scapin
{r6cit ench6ssant}
Pn1
Situation finale de la premidre sequence (Pn5'-Snl) et Situation initiale de la seconde (Pnl"-Sn2) coincident, conformdment au moddle du liage lindaire des s6quences narratives. Sylvestre pose ensuite la Complication-Pn2" :
Pn3
Pn2
Pn4
Pn5
(R6cits ench6ssds)
Sn1
(Octave)
SvlvesrRe. (1 suitel - [...] Ses fr6quentes visites sont rejet6es de la servante, devenue la gouvernante par le trepas de la mdre : voili mon homme au ddsespoir. ll presse, supplie, conjure : point d'affaire. On lui dit que la fille, quoique sans bien et sans appui, est de famille honn€te et qu'd moins que de l'6pouser, on ne peut souffrir ses poursuites ; voili son amour augmente par les difficultes. [...]
Pn1' Pn2' Pn3'
Pn4'_ PnS',
Pn2" Pn3" (Pn4"l
Suit l'6noncd de la Complication-Pn2
Deux 6valuations introduites par < voild > ponctuent cette indeniable Complication-Pn2". Suit une Evaluation-Pn3" qui d6bouche sur I'annonce mdtalinguistiquement explicite de la macro-proposition-Pn4" que j'ai prdcisdment propos6 d'appeler > :
Pn5"
:
Sylvesrnr. (2) - Maintenant. mets avec cela le retour impr6vu du pdre, qu'on n'attendait que dans deux mois ; la decouverte que l'oncle a faite du secret de notre mariage, et l'autre mariage qu'on veut faire de lui (il ddsigne Octavel avec la fille que le seigneur Gdronte a eue d'une seconde femme qu'on dit qu'il a 6pous6e d Tarente Ocuvr. l21l - Et, par-dessus tout cela, mets encore I'indigence oi se
-
Svlvesrne. {1 suite} [...] ll consulte dans sa t€te, agite, raisonne, balance, prend sa r6solution : [...]
trouve cette aimable personne et I'impuissance o0 je me vois d'avoir de quoi la secourir.
La R€solution-Pn4" est, en fait, sous-entendue : Sylvestre, conform6ment au contrat de bridvetd, conclut sa narration par l'€noncd direct de la Situation finale-Pn5" de la deuxidme s6quence du rdcit d'exposition :
Puis survient une 6valuation, par Scapin, de la situation (Iivaluation-Pn3)
qui vient clore ce que I'on peut consid6rer comme le rdcit d'exposition
Svlvesrne. (1 suite) - [...] : le voild mari6 avec elle depuis trois jours. Scnptru. l21l - J'entends.
:
l22l - Est-ce ld tout ? Vous voild bien embarrass6s tous deux pour une bagatelle ! C'est bien ld de quoi se tant alarmer ! [...] Sclpttrt.
Soulignons, d'une part, le contraste des deux s6quences prises en charge par deux narrateurs diff6rents (deux narrateurs dont I'implication psychologique dans les €v€nements diffdre, conform€ment ici d la loi de motivation) et I'efficacit6 de Sylvestre qui voit sa narration sanctionnee positivement par un (1988 : 84). On peut, ir la lumidre du sch6ma proposd plus haut, mesurer ce et 6numdre d'abord : (1966 : 236). Les d6finitions qu'il en donne correspondent d ce que nous avons appeld plus haut l'Entrde-prdface (PnO). Dans les r6cits oraux, les formules habituelles sont les suivantes : < Je vais vous raconter une histoire/t'en raconter une bien bonne. > Dans le texte classique, ceci donne, par exemple, la formulation plus 6lev6e suivante : Et puisque vous voulez qu'ici je vous raconte La gloire d'une mort qui nous couvre de honte, Ecoutez' admirez' et plaignez son
tr6pas'
corneilre, pomp4e
L'annonce du fait correspond tout d fait d ce que j'ai appeld plus haut Rdsumd. Selon J. Schdrer : < Si la personne qui [...] dcoute s'int6resse vraiet nous avons vu que c'est ld, d l'€poque classique, une ment [au] rdcit elle doit Otre impatiente de connaitre tout de suite le des rdgles du r6cit fait nouveau qu'annonce le messager. [...] C'est pourquoi le r6cit proprement dit est presque toujours prdcdd6 de I'annonce du fait, qui tient en un vers ou deux et apaise la curiositd ; ensuite on en vient aux d6tails D (1966 :237). Comme il le souligne, cette idde de placer une annonce du fait essentiel ou r6sumd avant le r6cit proprement dit n'est pas une invention de la dramaturgie classique. Il cite d I'appui des exemples de Robert Garnier (acte III d'Antigone), Hardy, Rotrou et bien d'autres encore. Corneille dnonce quant d lui, dans I'Examen de Pompde, une v6ritable rdgle d'introduction du R6sum6 : > Dans la scdne des
-
-,
Fourberies de Scapin examinde plus haut, on aura reconnu la rdplique d'Octave : ( Mon pdre arrive avec le seigneur Gdronte, et ils me veulent marier. > De la part du r6citant, d'autres interventions secondaires (r6ellement < accessoires >, elles) sont possibles : o L'Exclamotion d'entrde qui ponctue I'arriv6e sur scene du futur r6citant et est entidrement li6e i la fonction 6motive : elle manifeste sa surprise et entraine, en retour, chez I'auditeur, une envie de prendre connaissance du fait qui motive cette attitude. Dans les Fourberies, les deux premidres rdpliques
T: 186
Les textes: lypes et prototypes
Le monolcgue
portent entierement sur cette unit6 (questions de Scapin, exclamations
norratif
187
(5) Priambule ou Entrde-prdface type de Zerbinette : < Oui. Pour peu que vous me pressiez, vous me trouverez assez dispos6e d vous dire I'affaire, et j'ai une d€mangeaison naturelle d faire des contes que je sais. )) (6) Demande de ricit de G6ronte : > dont nous parlions plus haut. De cette fagon, I'auditeur libdre I'intensit6 de ses dmotions, g6ndralement contenues pendant le r6cit, par des commentaires exclamatifs et des €valuations
histoire.
>
(7) Rdcit de Zerbinette interrompu par un bref dialogue et I'apart€ sui-
vant de G€ronte : (8) Exclamation-ivaluation : Ceci permet d G€ronte de conclure lui-m€me : Q0) Evaluation-Morale: < Je dis que le jeune homme est un pendard, un insolent, qui sera puni par son pdre du tour qu'il lui a fait ; que I'Egyptienne est une malavis6e, une impertinente, de dire des injures i un homme d'honneur qui saura lui apprendre ir venir ici d6baucher les enfants de famille ; >>
et que le valet est un sc6l6rat qui sera par G6ronte envoy6 au gibet avant
soit demain.
d'indignation ou de rdjouissance. Examinons rapidement une insertion de monologue narratif. Faute de place, je renvoie aux descriptions ultdrieures du r6cit du combat contre les Maures (Le Cid IV,3) et du r€cit de Thdramdne (Phidre V,6) ainsi qu'aux deux exercices d'analyse sdquentielle propos€s en fin de chapitre.
qu'il
>
3. Le monologue narratif : rdcit et/ou ornementation
?
Les prd-classiques, soucieux de motiver le r6cit (loi de motivation), ont trop volontiers abond€ dans le sens des remarques de l'abb€ d'Aubignac : < fles narrationsl sont ennuyeuses [...] quand elles sont faites avec des expressions faibles et languissantes ; car n'apportant aucun ornement au thddtre, le spectateur se d6gotte, se reldche et n'6coute plus r> (Sch6rer 1966 :240). Au nom de ce principe, I'ornementation I'a emport6, bien souvent, dans la narration : < On pourrait dire que les passages narratifs constituent des 6l6ments 6pidictiques d I'int6rieur d'une Guvre qui, dans son ensemble, ne I'est pas [...], Si les rapports entre la po6sie et le genre dpidictique sont €troitg, le th66tre et en particulier la tragddie classique reldvent plutOt des deux autres genera causarum de la rh6torique traditionnelle : du judiciaire et du d6lib€ratif > (Kibedi Varga 1988 : 84-85). La dramaturgie classique a, ici encore, recherch€ l'6quilibre et voulu soumettre I'ornementation rh6torique d la primautd de l'action aussi bien dans Ia tragddie-procds corn6lienne que dans la trag€die-passion racinienne. Les analogies entre I'intrigue des pidces de Corneille et un procds sont manifestes: Le hdros se justifie soit devant un tribunal "r€el", soit devant le public > (Kibedi Varga 1988 : 85). Il faut toutefois dipasser les analogies trop simples (chercher, par exemple d rapprocher la trag6die racinienne du seul genre d€lib6rati0 car A quoi Zerbinette r6plique par un r6sum6 exemplaire : (3) Rdsumd : < Cela ne vous regarde point, et je ris toute seule d'un conte qu'on vient de me faire, le plus plaisant qu'on puisse entendre. Je ne sais pas si c'est parce que je suis int6ress€e dans la chose, mais je n'ai jamais trouvd rien de si drdle qu'un tour qui vient d'Otre jou€ par un fils i son pdre, pour en attraper de I'argent. > (4) Demande d'information de G€ronte : < Par un fils d son pdre, pour en attraper de I'argent ? >>
(
i
I
188
Les textes: types et prototypes
forte et plus directe (judiciaire-ddlib6rative) qui cherchera d. communiquer au public des dmotions, en particulier celles de la crainte et de la piti6 > (Kibedi Varga 1988 : 86). Dans le but de cerner les rapports complexes de l'6pidictique, du judiciaire et du d€lib€ratif, examinons rapidement, et pour terminer, trois textes. 3.1. Aspects de I'art oratoire dans les rdcits de Rodrigue et de Th6rambne Je reviens sur deux des plus c6ldbres monologues narratifs de corneille (r6cit du combat du Cid contre les Maures) et de Racine (r6cit, par Thdramdne, de la mort d'Hippolyte) qui sont tous deux fortement influencds par l'art oratoire : le genre judiciaire du tribunal domine dans le premier, le genre 6pidictique des rassemblements commdmoratifs dans le second.
Le Cid IV,3 : Rdcit du combat contre les Maures Le mode d'insertion de ce rdcit est int6ressant dans la mesure oir la narration est demand6e directement par le personnage hidrarchiquement supdrieur. Le roi rdsume et formule lui-m€me la requ€te suivante : < Et de cette victoire
/
Apprends-moi plus au long la v6ritable histoire. R6citant (Rodriguel
(5) Poursuite du r6cit (1257-13291
.
Les marques du genre po6tique sont, quant d elles, fort bien soulign6es par A. Boissinot : < De m€me le moddle po6tique joue aussi bien dans la mise en scdne (le cadre nocturne de la bataille, qui se poursuit de la nuit d l'aube, sugg€rant que le h6ros nait avec le jour) que dans les innombrables figures du signifid (m6taphores , v . l29l , m6tonymies , v .127 4, oxymore, v '127 3 , etc ,)
ou du signifiant (effet de rythme, de contrastes, de r6p6titions, v.l28l, 1289 et 1290, 1318... ; allit6rations comme celles du vers1276: "Les MORes et la MeR Montent jusqu'au pORt") > (1987 : 70). Phddre V,6
: le rdcit de Thdromine
>>
plus critiqud de tout le thddtre classique > (Sch6rer 1966 :
Auditeur (le roil
(1)
R6sum6 fi215-12201
(2)
Demande de
(4)
lnterruption-commentaire (1253-1 257 < 1...1 Mais poursuis
6)
189
qui, selon I'expression d'A. Boissinot, < fait de Rodrigue un nouvel Ulysse > (p. 70), style noble et amplification dpique des c6ldbres vers 1259 it 1262 (< nous partimes cinq cents... >>), 1284 (< Poussons jusques au ciel mille cris 6clatants >>) et l3l4 (), l29l (< Et nous faisons courir des ruisseaux de leur sang >), 1299-1300 (( Et la terre, et le fleuve, et leur flotte et le port,,/ Sont des champs de carnage, oir triomphe la mort D), l30l-1302 k O combien d'actions, combien d'exploits c6ldbres / Sont demeur6s sans gloire au milieu des t6ndbres >>), etc.
L'insertion de ce c€ldbre r6cit de la fin de la pidce de Racine
(3) R6cit du combat (1243-12521
norratif
Le monologue
Al) -
-
sans doute )
lnterruption de la scdne (arriv6e de Chimdnel
Dans le texte de Corneille, le plaidoyer pro domo de l'6loquence judiciaire structure entidrement la dynamique du rdcit. Rodrigue applique la loi d'information en accddant d la requ€te du roi (v. 124l-1242 et 1257 ddji cit6s plus haut) et en d6taillant la suite des 6vdnements survenus hors de la scdne. Cependant, sa narration est, avant tout, une argumentation destin6e d souligner le rdle d6terminant de son action h6roique. Comme A. Boissinot I'a bien montrd (1987 : 67-71), il est utile de distinguer la double valeur pragmatique de ce r6cit : d'une part, le discours adress6 par Rodrigue d son roi - plan des personnages-acteurs a pour but de convaincre de la valeur du h€ros et de ( [faire] comprendre que le roi ne puisse se rdsoudre i sacrifier un tel d6fenseur > (Sch6rer 1966 :240\; d'autre part, I'effet recherch6 sur le lecleur,/spectateur - plan de la r6ception de I'euvre - est essentiellement d'ordre esthdtique et se manifeste par deux types de marques ou registres : r Les marques du genre 6pique : choix de la ruse guerridre (v. 1263-1272\
?
THERAMENE
0 soins tardifs et superflus
!
lnutile tendresse ! Hippolyte n'est plus. THESEE
Dieux
!
THERAMENE
J'ai vu des mortels p6rir le plus aimable, Et j'ose dire encor, Seigneur, le moins coupable. rHEsEr
t+gs Mon fils n'est plus ? H6 quoi ? quand je lui tends les bras, Les Dieux impatients ont h6t6 son tr6pas ? Ouel coup me l'a ravi ? quelle foudre soudaine ? THERAMENE
A peine nous sortions ............... rHERnuErur
0
l'eil
mdme de son pdre. mon fils ! cher espoir que je me suis ravi !
r57o Et que m6connaitrait
IT
190
Les textes: types et protolypes
Le monologue
Ce dernier vers, souvenir de L'Endide (VIII, 240), est prolong6 par I'amplification mythique des vers 1539-1540 :
THESEE
lnexorables Dieux, qui m'avez trop servi ! A quels mortels regrets ma vie.est rdserv€e
!
On dit qu'on a vu mdme, en ce d6sordre affreux, Un Dieu qui d'aiguillons pressait leur flanc poudreux.
THERAMENE
La timide Aricie est alors arriv6e.
Ce qui donne le sch6ma de synthdse suivant R6citant
(Th6ramdnel
La description du monstre renvoie mOme au souvenir du Minotaure fait d'Hippolyte, d son tour, un h6ros de l6gende :
:
Auditeur (Th6s6el
(1)
(3) Exclamations (1493)
Exclamations (1491-14921
et r6sum6 (1492)
(4)
Reprise du r6sum6 (1493-1494)
(6) R6cit (1498-1570)
(8)
Suite du rdcit (1574-15921
Soulignons enfin le terme de la course funeste des chevaux effrayds par le monstre vaincu :
(51 Exclamations et nouvelle demande de r6cit (1495-'1497)
{7}
De nos cris douloureux la plaine retentit ; Leur fougue impdtueuse enfin se ralentit : lls s'arrdtent, non loin de ces tombeaux antiques Oir des rois ses aieux sont les froides reliques. (v.1551-1554)
Exclamations-commentaires
(1571-1573)
{9} lnterruption de
la scdne (arriv6e de Phddre)
A ces marques du genre 6pique, auxquelles on pourrait encore ajouter I'herbe rouge et fumante >> du vers 1577,la structure po6tique du chant fundbre ajoute une coloration pathdtique. Au tableau du ddbut r6pond le tableau final des femmes 6plor6es autour de la ddpouille du hdros. Le rythme du vers est disloqud d I'extr0me dans les instants les plus pathetiques (v.1535,1542, 1545, 1550, 1559), le travail du signifiant est tout aussi 6vident, par exemple au vers 1520 (( Sa CROUPe Se RECOURbe en REPlis ToRTueux >) ; l'6tude des figures (synecdoques du d€but : v.1502,1504,1505, m€tonymies, m6taphores de la < plaine liquide > du v.l5l3 ir la du v.1538) m6riterait d elle seule un long ddveloppement. Insistons surtout sur I'hypotypose qui, avec le pr6sent historique soutenu par le verbe votR de I'interruption des v. 1545-1548 (< J'ai vu, Seigneur, j'ai vu... >), est la figure classique de l'6loge fundbre. Lamy en donne la ddfinition suivante : < Hypotypose est une espdce d'enthousiasme qui fait qu'on s'imagine voir ce qui n'est point pr6sent, et qu'on le repr6sente si vivement devant les yeux de ceux qui 6coutent, qu'il leur semble voir ce qu'on leur dit'. > Ceci prolonge l'> de Quintilien dans L'Institution oratoire (IX,2).Il n'est, de plus, pas surprenant de voir Dumarsais 6crire, d propos du r6cit de Th6ramdne : < Remarquez que tous les verbes de cette narration sont au present, I'onde s'approche, se brise, etc., c'est ce qui fait I'hypotypose, I'image, la peinture, il semble que I'action se passe sous nos yeux D (Traitd des tropes
Le rdcit de Thdramdne ob€it exactement aux memes contraintes pragmatiques et textuelles que celui de Rodrigue. Sur le plan scdnique, il s'agit d'une argumentation : Th6ramdne, qui s'est vu confier la garde d'Hippolyte, doit narrativement expliquer d Th6s6e qu'il n'est en rien responsable de la mort de son fils, d'une part, et faire l'6loge du h6ros, victime innocente (genre €pidictique), d'autre part. Sur le plan de la r6ception esth€tique, la double dimension 6pique et poetique travaille ce pathetique chant fundbre. Les imparfaits des vers (1498-1506) de I'orientation permettent au tableau
de se ddvelopper amplement
'
II,9). Un seul au
v. 1524:
S,2,Lemonologue de Ndron : texte narratif ou lyrique(BritannicuJ,II, 2)
?
Pour terminer par un exemple relativement bref et revenir sur la structure narrative expos6e au chapitre 2, examinons le c6ldbre monologue de N6ron d la scdne 2 du deuxidme acte de Britannicus. Comme il a d6jd 6t6 abondamment commente, je ne reviens pas sur ce qu'en dit Barthes dans sa r6flexion sur le < t6n6broso racinienr > et je renvoie surtout d une trds bonne analyse de P. Kuentz(1970) pour ne discuter qu'un point i mes yeux important : le rapport du podme et du r6cit'
narratif
193
;
NARcISSE
41o
Ouoi, Seigneur 7 croira-t-on Ou'elle ait pu si longtemps se cacher
i
N6ron
?
L'insertion du monologue narratif dans le dialogue se fait i deux niveaux : encadrement du rdcit, d'une part, et insertions phatiques directement li6es d l'interaction en cours, d'autre part.
NERON
Narcisse, c'en est fait, N6ron est amoureux'
R6citant {N6ronl
NARcISSE
Vous
(11
?
NERoN
Depuis un moment. mais pour toute ma vie. J'aime, que dis-je, aimer ? j'idol6tre Junie I
Annonce du fait brut R6sum6 (382)
{3) R6sum6 (383-384)
Auditeur (Narcissel
(2)
(41 Nouvelle question 6tonn6e (385)
NARctssE
Vous l'aimez
Ouestion 6tonn6e en retour (3831
{5t R6cit (385-4081
?
NERON
(6) Retour au dialogue
Excitd d'un d6sir curieux,
395
Cette nuit je l'ai vue arriver en ces lieux, Triste, levant au ciel ses yeux mouill6s de larmes, Oui brillaient au travers des flambeaux et des armes' Belle, sans ornements, dans le simple appareil D'une beaut6 qu'on vient d'arracher au sommeil' Oue veux-tu ? Je ne sais si cette n6gligence, Les ombres, les flambeaux. les cris et le silence, Et le farouche aspect de ses fiers ravisseurs, Relevaient de ses yeux les timides douceurs. Quoi qu'il en soit, ravi d'une si belle vue, J'ai voulu lui parler, et ma voix s'est perdue : lmmobile, saisi d'un long 6tonnement,
Je l'ai laiss6e passer dans son appartement. J'ai passd dans le mien' C'est lir que, solitaire. De son image en vain j'ai voulu me distraire. Trop prEsente d mes yeux, je croyais lui parler, J'aimais jusqu'ir ses pleurs que je faisais couler. Ouelquefois, mais trop tard, je lui demandais gr6ce J'employais les soupirs, et m€me la menace.
l.
Pages 26-28
de Sur Racine, Paris, Le Seuil, coll. Points'
;
sous forme de question (4091
(7)
Commentaire (4O9-410)
A cet encadrement 6l6mentaire dans lequel, on le voit, N€ron a I'initiative (c'est m€me lui qui relance la conversation par une question au vers 409), s'ajoute un rdcit ouvert non pas par des interruptions de Narcisse, mais par des marques de la complicitd phatique : ), qui ? (< je >), quoi ? (< voir arriver Junie >), oil ? (( en ces lieux >). Pn2 : Les vers 395-398 introduisent une Complication : le ravisseur est litt€ralement (glissement du sens propre des du v. 393 au sens ici figur€) et frapp€ d'impuissance. La reprise du voir (< je I'ai vue D, v. 386), sous forme cette fois nominale (< si belle vue >), souligne le passage de la premidre i la deuxidme macro-proposition. Pn3 : Les deux vers suivants (399-400) correspondent i la Rd-action de Ndron et soulignent, par la sdparation spatiale et la solitude, le passage au fantasme.
lg4
Conclusion
Les textes: tYqes et ProtoryPes
Pn4:Lesvers40li404correspondentilatentativedeR€solutionfanpar I'imparfait)' tasmatique dl ta aitt"nit (soulignde finale. Les deux suivants Situation ia fixent +oo pn5 : Les u"r, +oi PnO : 'i une v6ritable Evaluation terminale (407-408) Pnl de la.Coda ""*iit*i quelque sorte' < trop betle image D est' en >)' image (), pnZ (-< si belte Yle ') et n" puisse pas Otre'aussi cat6On comprendra que;;;s cesconditioni' 3t ni d une aifaire ni [irl un "r€cit" gorique que p. rrrrnti ,'.l N*our-n'uuons que nous Ce :26)' (1970 ) .,description", mais b;";; une "mise en scdne" une trds qtrt ia mise en scdne est essentiellement ici venons de monffer pto"u" probl€matique question importante, li6e i la stricte mise en recit. nert. irne
posons en.termes de dominante typologique de l'ornementation et que nous de P' Kuentz : >
segmentation
fait' " poetiquJ;iJ;;;
souligner la structure
2 +2vers' +u.tt,Pn3 = ZveriPn4 = 4vers'P15 = = 4 + 2+ 4vers,pnZ = lyrique d'un monologue On peut donc bi-en pu'tt'iti de la construction de fagon exemplaire' s'agit' Il narrative' dont la dynamique s6quentielle reste ( 6ios 6v6nement >> d'ail-
u#;;;'ilpore a'up-p.ter un Narcisse aux v' 409-410 reptque de u -' ;iis;i;;"; explicitement leurs > qui unit Junie et Bri-
du r€cit de ce que
qo,!-n]-* Jet oir. t'< €ios sororal pas mutuellement' Tout au tannicus. Le poeme ei it tttit ne s'excluent ie ce monologue une densit6 leur combiriuiron aonn. i l'.criture
6ros dont on sait
contraire,
stylistique toute Particulidre'
4. Exercices d'analyse sequentielle r6cit 7.1. Andromaque V, 3 : un modele r6duit du de d6nouement Etudiezles6t6mentsc;aractlristiquesdel'inseriondur6citded6noueenvirod' Vd'Andromaque /vers 1493 d 1534 ment de
la
scbne 3 dei'acte
7.2. Mithridate Y, 4 Etudiez de
la
m€me riqon te r6cit de
(vers 1549-164d'
la
y scdne 4 de l'acte de Mithridate
Au terme de cet essai, on voit que les prototypes s€quentiels sont des cat6gories relativement floues et pourtant operatoires. S'il est souvent difficile de d6terminer de quel type un texte global est I'actualisation, c'est que la plupart des textes se pr€sentent comme des mdlanges de plusieurs types de s€quences. Les textes homog€nes (unitypes) sont plus rares que les textes h6t€rogdnes (pluritypes) composds, par ddfinition, de sdquences actualisant elles-m€mes des prototypes diffdrents. Un texte het€rogdne est g€n6ralement class€ en fonction du type encadrant. Ainsi la fable du des spectateurs, c'est l'exploit du h6ros du r6cit qui se trouve finalement mis en avant. Les deux dernidres propositions [m] et [n] d6veloppent une 6valuation finale-morale Pno qui interprdte le sens, pour chateaubriand, de cette anecdote : on est pass6 de l'histoire d'un voyage interrompu d l'exploit du h6ros adolescent inconnu compar6 aux plus illustres.
198
Les lextes
: tpes
et prototypes
Conigis des exercices
Texte 2.2. : Un r6cit journalistique : l'attentat de Brighton Cet exemple non litt6raire pr6sente l'avantage de comporter tous les
616-
ments d'une sdquence narrative et un noyau (Pn3) plus 6valuatif qu'actionnel, ce qui compldte les descriptions pr6c6dentes de cette unit6. Le premier titre peut 6tre consid616 comme PnO-R6sum6 tandis que le grand titre (en gros caractdres), qui joue, bien s0r, sur l'intertexte de l'hymne national britannique, constitue la < Morale >-PnO. La Situation initiale-Pn 1 est longuement expos6e et elle contraste avec la bri6vet6 de la Complication Pn2 (< Soudain, c'est l'explosion ,r) amen6e et soulign6e par un organisateur narratif introducteur type de la macro-proposition Pn2. La macro-proposition Pn3 est constitu6e par une 6valuation r6trospective (< L'Arm6e R6publicaine lrlandaise avait pos6 une bombe au troisidme 6tage >). La R6solution-Pn4 dresse le bilan des victimes en insistant sur le fait que, conform6ment d PnO, Madame Thatcher est vivante. La Situation finale-Pn5 est prise en charge par la dernidre phrase du texte (discours narrativise - ( ...annonce que... > - pr6c6d6e d'une 6valuation : < fiddle d son image >).
Texte 2.3. : Un r6cit 6tiologique Le premier paragraphe et le propos de l'ain6 des lapins donnent une sifuation initiale {Pn1) caract6ris6e par un 6tat de manque de la communaut6. On peut consid6rer l'injonction finale < Cherchons un moyen d'y rem6dier > et le d6but du paragraphe suivant comme le d6clencheur du r6cit (Pn2) : qudte qui apparait comme un vouloir des sulets portant sur le savorT etle pouvoir qui manquent. La rencontre de la pie et le long dialogue constituent le noyau de la s6quence (Pn3) au cours duquel le savoir est acquis par le sujet-h6ros collectif. L'application de ce savoir (quatre premi6res phrases du dernier paragraphe) ou passage du savoir au pouvoir qui manifeste la comp6tence des sujets constitue une rdsolution exemplaire (Pn4) aboutissant it la situation finale (Pn5) : < Les lapins [...] 6taient tout 6tonn6s [...] >. Enfin, la dernidre phrase est une 6valuation finale (PnQl en forme de chute (< Depuis ce jour... "l qui nous ramdne bien au pr6sent du lecteur, A l'6tat du monde actuel.
Texte 3.1. : Un portrait en paralldle Le thdme-titre est pos6 d'entr6e (< le boy chinois >), mais il donne lieu d deux phrases descriptives successives (P3 et P4). argumentativement reli6es par le connecteur POURTnrut. Chacune de ces deux phrases s'ache-
comme on l'a d6jd dit - par une reformulation, le boy chinois est successivement d6crit comme un ( d6fileur de carnaval > puis comme un < Seigneur de la guerre >. Le connecteur PouRTRrur, qui articule entre elles ces deux reformulations, introduit un mouvement argumentatif en
vant
199
signalant que re texte va dans re sens de ra seconde reformuration prut6t QUe (ou en d6pit) de ra premidre. cette orientation possibre ra dernidre phrase (p5) < "rg;;";,u,ive ,,rend : un de ces hommesiedoutabres qui ne peut cor6f6rer qu'avec ra seconde reformuration. La fonction textueile du connecteur est,ici 6videnle : ir signare un pran de texte en articurant les deux parties d,un portrait en paialldle. Comme on l,a vu plus haut, il est inutile de partir de l,< unit6 > phrase pour anaryser ra textualit6 d'un tel extrait. Les phrases pg et p+ sont
essentietement des unit6s typographiques
qui correspondent d deux s6quences descriptives construites en paraltdle et articul6es argumentativement par "o.pict"l, re connecteur. pour cerner ra structure textueile de chacune de ces d.eux phrases-s6quences, ir est utire de partir des unit6s d'analyse textueile dont nous avons d6jd parr6 ir" ,,.."l:oroposition
descriptive, unit6 constituante de ra s6quence et m.me de propositions descriptives. La complexit6 unit6 constitu6e eile_ de ces deux phrases_ s6quences apparait dds que rjon essaie de rendre compte de ra hi6rarchie des unit6s (macro-propositions descriptives not6es pd et micro_ propositions descriptives not6es pd) qui les composent 1. cette s6quence est construite sur ra seure op6ration descriptive d'aspectuarisation : deux propri6t6s du personnage sont d,une expansion sans suite pour la premidre 'objet gentleman]] [tout.guind6 et [en beaucoup plus d6veloppde pour la seconie puisque sont successivement prises en compte des parties.[pd(3)] de son v6tement fpJtzft des pro_ pri6t6s [pd(a)] de certaines de ces parties. La reformuration ", vient crore cette premidre s6quence en red6finissant re thdme_titre. La phrase-s6quence suivante (p4) est hi6rarchiguement aussi complexe. Deux propri6t6s (pd(1)pROpR) du boy pos6es : < grand D et < mince D et une partie "hi;;il;;"; (pd(l)pART) seulement: son < visage >' on a vu que re caractdre arborescent de ra description tient surtout au fait que l'expansion descriptive peut se d6veropper, non seulement directement depuis le thdme_tiire (sorte d,hyperthdme), mais 6ga_ lement d partir d'une unit6 prise comme sous-thdme-titre par une op6ration de sous-th6matisation. cette op6ration permet d,extraire re cos_ tume ou res chaussures ou re visage du personnage pour reur affecter des propri6t6s ou des parties (sous-p-artiesl'susceptiores d,6tre, d reur tour, th6matis.es seron un processus d'enchdssement hi6rarchique th60riquement infini, mais 16916, en fait, par les besoins du sens a c'est-d-dire par le principe de pertinence. "ommuniqrer,
-
l"j,lfi]"ji iii.',"j;[rrlli::,ton
propos6e page r78 de Adam er peritjean re8e, ainsi que dans
200
Les texta
:
types et PrototYqes
Sch6ma de la phrase P3
Corrigis des :
Theme-titre Le boy chinois
--------ASPEcruALrsATroN tout guind6
Pd(1} REFORMULATION
taune I
I
pd(2)ASSIMILATION
pd(2)SlT I
I
I
I
en gentleman,
dans les attifements du blanc,
un d6fileur de carnaval.
I
I
AVEC
[6vah.iation]
I
pd(31 PARTIES
1on
aulait ditl
201
La comparaison des sch6mas des deux s6quences permet de cerner leur identit6 structurelle : d6veloppement par aspectualisation puis reformulation conclusive dans les deux cas. Les diff6rences tiennent au fait que ces deux s6quences mettent chacune l'accent sur un 6l6ment diff6rent : les vetements (< attifement > est lexicalement marqu6 de fagon n6gative), d'une part, et le visage, d'autre part. ll semble qu'en abandonnant, dans la seconde s6quence, ce qui est le plus ext6rieur au per-
sonnage, l'isotopie cesse d'Ctre n6gative. L'unit6 de chaque sdquence r6sulte, on le voit, de la hi6rarchie des propositions descriptives. Deux reformulations successives terminent les deux phrases-s6quences et confdrent e cette description une unit6 textuelle, celle du portrait en paralldle de la tradition rh6torique classique. Dans le cadre du moddle dynamique dont la linguistique textuelle a le plus grand besoin, on constate qu'il s'agit moins ici d'une seule descriptionrepr6sentation d'un personnage que de la modification progressive d'une repr6sentation : soit une dynamique d l'int6rieur de chaque phrases6quence d'abord, puis une modification de phrase-s6quence (P3) en phrase-s6quence (P4) ensuite (orientation argumentative). Sch6ma de la phrase P4
:
ThEme-titre Le boy chinois
chaussures
costume
exercica
papillon I I
pd(4)PROPRIETES
/\
,r( \,r,
pd(4)PROPRIETE I I
Pd( 1}REFORMULATION
ASPECTUALISATION
-----\ Pd(1}PROPRIETES Pd(1}PARTIES
en daim,
Ainsi le visage du boy chinois se trouve-t-ilth6matis6 de deux manie( res : des parties (pd(2)PART) sont consid6r6es (( yeux D et pommettes ))) et regoivent chacune un d6veloppement : m6taphorique (pd(3)ASS) pour les ( yeux , (n de tigre )) et choix d'une propri6t6 (pd(3)PROPR) pour les ( pommettes D (< hautes >). L'assimilation m6taphorique du < visage o : ,, sculpt6 dans le bois > est suivie de deux propri6t6s de ce ,. bois )) : ( dur D et ( des jungles >'
grand (et)
mince,
I
visage
-----^-------pd(2)PART
c'6tait
pd{2}PROPR +ASS
-----.---.(et) pommettes, yeux
I
sculpt6 dans le bois
des
lttt
pd(3)ASS I
pd(3)PROPR
de tigre
I
[6valuation] v6ritable
pd{3}PROPR I
(de) hautes
un Seigneur de la guerre.
202
Conigis des exercices 203
Les texles: types et prototYqes
Texte 3.2 : Types et prototypes d'6l6phants africains La premidre partie de ce texte a pour thdme-titre la classe /6l6phants afri-
cains/. Une premidre macro-proposition descriptive (Pd1 PART) s6lectionne deux parties de cette classe en pr6cisant (pd2 SIT m6tonymie) oit vit chacune des deux sous espdce. On peut m€me consid6rer cette mise en relation comme soulignant la d6finition de chacun des deux types. Suivent deux descriptions - sur le moddle du portrait en paralldle ici encore - que je vais d6tailler en donnant simplement la structure hi6rarchique de chacune de ces s6quences.
Le second sch6ma est nettement plus simple que le pr6c6dent, mais construit sur le meme moule exactement : Thdme-titre El6phant de savane (Type S) I
ASPECTUALISATION
Pd1. PROPR
Pd1 PART
I
(taille)
f
I
jusqu'd 5 m lnl Thdme-titre Elephant forestier (Type
plus
tque tJpe st
grandes
tpl
trBs tql
forme triangulaire
lrl
type
F)
lol front I
[e]
d6fenses
oreilles
o
I
I
pd2 PROPR
pd2 PROPR
,,J"",
6troites dirig6es tgl vers le
un peu lf1
pd2
PROPR
I
arrondies I
------"*9
pd3 COMP
til
(type S)
I
pd3 REFORMULATION plus que
tqu" tl/p" st
I
recourb6es
I
PROPR
plus (que
I
COMP plus
I
droit
pd2
I
Pd1 PART
----_------(taille) f orme
le
pd2 PROPR
pd3 COMP
Pd1. PROPR
n
pd2 PROPR
I
I
I
rl tt adrodynamique peiit tl pd2 COMP pd2
oreilles
I
F)
ASPECTUALISATION
tt tt ldl
ront
I
pd4 PROPR til
pd5 SIT (M6to-Loc) I
dans les fordts [k] I
pd6 PROPR I
encombr6es de branches [ll
I
lml
Texte 3.3. : Argumenter en d6crivant En d6pit de sa bridvet6, cette l6gende d'une photographie constitue un texte entier. Sa compl6tude est conforme au sch6ma 1 propos6 en fin d'introduction : structure s6quentielle descriptive 6vidente et configura-
tion pragmatique. L'6tude de cet exemple est une bonne occasion de souligner comment une repr6sentation se construit pas a pas, de proposition en proposition 1. a) La premidre ligne du texte est une premidre proposition descriptive qui, en l'absence de d6terminant, se trouve en attente d'une r6f6rence pr6cise (donn6e, il est vrai par la proximit6 spatiale de la photo que cette l6gende accompagne). Cette proposition est constitu6e d'un thdme (( cadre >) et d'un pr6dicat qualificatif (Propri6t6: < verdoyant >).
b) La deuxidme ligne est une proposition descriptive de structure semblable (deux propri6t6s sont seulement coordonn6es) : second thdme (< rocher et double pr6dicat qualificatif (Propri6t6s : < franc > et < massif >1. ',) Les savoirs du lecteur lui permettent de mettre en relation ces deux thdmes : le cadre et le rocher apparaissent comme les constituants d'un lieu dans lequel (" cadre >) et sur lequel (< rocher >) il est possible de pratiquer la grimpe (contexte du magazine et de I'article dont cet 6nonc6 est extrait). La suite vient encore pr6ciser ceci : l.
Je reprends ici l'essentiel des pages 98-103 de Adam et Petitjean 1989.
204
Conigis des exercica 205
Les textes: types et prototypes
c) Avec la troisidme ligne, la r6f6rence d un lieu-dit (" Le Pas-deI'ours ,) stabilise r6f6rentiellement les deux thdmes pr6c6dents qui apparaissent dds lors comme des parties de ce qui devient le tout ou thdmetitre de la s6quence. La quatridme ligne d6veloppe le pr6dicat (nouvelle propri6t6) li6 d ce nouveau thdme. La structure s6quentielle descriptive de ce texte est donc la suivante :
TEXTE
Sdquentialit6 s6quence descriptive I
Vis6e illocutoire
Rep6rage
Cohdsion s6mantique
I
6nonciatif
I
I
I
macro-structure
macro-acte de discours implicite A d6river
(voir sch6ma pr6c6dent)
s6mantique
ThCme-titre Le Pas-de-l'ours
Pd(1} PROPR
I I
I
a tout pour plaire
Pd(1) PART
Plan explicite du
rocher
cadre
I
I
I I
verdoyant
f
ranc et
massif
Plan implicite
ll faut ici tenir compte du mouvement r6gressif de l'argumentation : la conclusion < Je n'ai pas d vous la dicter " (Conclusion non-C-P. arg 3 ci-dessous) vient avant l'argument introduit par cAR r ( Nous sommes un pays de libert6 > (Donn6e-P. arg 1). Soit le schdma suivant de cette sdquence :
a tout pour plaire
Cette structure s6quentielle, conforme au prototype le plus simple de la s6quence descriptive, tire sa coh6sion et sa coh6rence de sa dimension pragmatique. D'un point de vue s6mantique, le pr6dicat apparu d la quatridme ligne semble avoir une importance trds grande : une isotopie relie les diff6rents pr6dicats euphoriques (verdoyant + franc et massif = a tout pour plaire). D'un point de vue 6nonciatif , le patient du verbe transitif indirect manque : plaire, c'est toujours plaire d, €tre source de plaisir pour quelqu'un. Conform6ment d une rhdtorique toute publicitaire, cette place vide est destin6e au lecteur : Le Pas-de-l'ours a tout pour VOUS plaire / pour plaire au grimpeur que vous 6tes. Le rep6rage 6nonciatif singulier de ce texte r6side dans l'acte de lecture qui fixe les paramdtres d'identit6, de lieu et de temps du sujet de l'6noncialion' D'un point de vue ittocutoire, on peut dire que l'6clairage euphorique des pr6dicats amdne I'interpr6tant d calculer les raisons pr6sum6es de cette description. Ceci aboutit d la d6rivation d'un acte de discours de type recom-
CONCLUSION n6n-Q
P.ars3
donc
-
probablement-
CAR-
infdrences P.ary2
A
DONNEE
P, arg
1
l
MAIS RESTRICTION
I I
(Conctusion
C)>, L'Orientation scolaire et professionnelle no 4, XIV, Paris. 1985b : < Quels types de textes ? >>, Le Frangais dans le monde n" 192, -Paris, Hachette. 1986 : >, Degrds
- 46-47, n"
1987a:
-Metz.
Bruxelles. >,
Pratiques no 56,
1987b : < Textualit€ et sdquentialit6 : I'exemple de la description >>, Lann" 74, Paris, Larousse. 1989 : >, in L'InterprCtation des textes, C. Reichler €d., Paris, Minuit. 1990a : Eldments de tinguistique textuelle, Li0ge, Mardaga. 1990b : J.-M. ADAM, 1990d M.-J. BoREL, C. CALAMn, M. KlLeNt 6ds : Le Discours anthropologique,
-
gue frangaise
-
-
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212
Les textes: Apes et
prototlpes
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Chapitre 2
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ll ll
Types 6l6mentaires et hdt€rog6n6it6 textuelle Quelle base de typologisation choisir ?
3. Approche unifi6e de la structure s6quentielle des textes 4. L'unit6 de base : la proposition 6nonc6e
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1975 : Typologie der Texte, Heidelberg, Quelle und Meyer. 1975b : Text analysis and Text production, l.
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