Les Statues de Sepa Et Neset Du Louvre
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Les statues de Sepa et Neset du Louvre 15 juillet 2008Beaux-Artségyptologiejlfoucart
Les collections du Musée du Louvre possèdent un ensemble exceptionnel de trois statues égyptiennes grandeur nature datant des tout premiers temps de l’histoire pharaonique. Acquises en 1837, c’est-à-dire à l’époque de l’inauguration du département égyptien du Louvre, on en ignore la provenance exacte. La tombe d’où elles proviennent demeure inconnue pour l’instant, tout comme la biographie des deux personnages représentés. Mais il est certain, compte tenu de la qualité exceptionnelle de ces trois statues, pour l’époque très ancienne où elles ont été sculptées, qu’elles furent produites par les ateliers royaux de Memphis, capitale de l’Egypte sous l’Ancien Empire (2613-2100 av JC).
Elles sont les premières grandes statues de l’art égyptien (1,69 m de haut) et comptent parmi les plus grandes effigies de personnages non royaux de toute l’histoire de l’art pharaonique. En effet, seul le pharaon bénéficiait du privilège de se faire statufier grandeur nature ou encore plus grand que nature ; les « colosses » étaient donc réservés au seul monarque. Pour jouir du privilège de statues aussi grandes, Sépa et son épouse devaient figurer parmi les personnes les plus importantes du royaume égyptien, en ce début de XXVIIème siècle av JC. Que sait on au juste de l’identité de ces deux personnages ? Sépa, représenté deux fois, était visiblement un très haut fonctionnaire du royaume. L’inscription gravée sur le socle lui attribue le titre de « Grand des Dizaines du Sud », c’est-à-dire d’administrateur de la Haute Egypte, fief historique de la monarchie pharaonique. Seul un proche parent du pharaon pouvait occuper un tel poste à cette époque reculée. Des critères stylistiques et épigraphiques permettent de dater ces œuvres du début de la IIIème dynastie (2686-2613), plus précisément du règne du pharaon Djéser, pour
lequel l’architecte Imhotep bâtit le plus ancien ensemble architectural en pierre de taille du monde et la toute première pyramide : la fameuse pyramide à degrés de Saqqara.
La pyramide à degré du complexe funéraire du pharaon Djéser à Saqqara, IIIe dynastie.
L’importance du personnage, sa probable parenté avec le pharaon régnant expliquent donc pourquoi ses deux statues et celle de son épouse, « la Dame
Neset » possèdent une telle taille et une telle qualité d’exécution, si on les compare avec les productions plastiques de l’époque. En général les statues non royales retrouvées dans les tombeaux de la IIIème dynastie sont de petite taille, n’excédant pas 50 cm et sont exécutées dans des pierres dures sombres (diorite) ou dans du granit rose. L’aspect en est schématique, l’anatomie succincte, les visages impersonnels et les détails du costume assez peu marqués. En outre, il s’agit surtout de représentations masculines.
Statue du prêtre Ankh, IIIème dynastie, Paris, Louvre
Ici, il s’agit d’un calcaire coquillier, pierre généralement utilisée pour les bas reliefs ou les effigies royales comme en témoigne la célèbre statue du pharaon Djéser, elle aussi grandeur nature (1,42 m en position assise) et vraisemblablement contemporaine des trois statues de Sépa et Neset. Cette effigie royale, la première de grande dimension de l’art égyptien, a été retrouvée dans une chapelle isolée, prototype des serdabs aménagés dans les mastabas de l’Ancien Empire, au Nord de la pyramide à degrés de Saqqara. Malgré les mutilations subies, elle montre des qualités plastiques déjà affirmées, notamment dans le rendu des traits anguleux du pharaon, aux pommettes saillantes caractéristiques. Le roi porte une lourde perruque (rappelant celle de la statue de Néset du Louvre) recouverte de la coiffe funéraire Némes au plissé
horizontal. Détail de la statue du pharaon Djéser, contemporain de Sépa et Néset, début de la IIIe dynastie (vers 2700), Musée du Caire.
Un autre contemporain de Djéser, le scribe royal Hésyrê, premier dentiste de l’Histoire connu (le titre figure sur les inscriptions de sa tombe), a légué son portrait à la postérité sur les panneaux d’acacia qui garnissaient le
fond de 11 niches aménagées le long du couloir intérieur de son mastaba. Son visage anguleux montre des similitudes avec le style de la statue de Djéser. Il faut y voir la signature de l’atelier royal de cette période. Outre leur remarquable état de conservation, les statues de Sépa et Neset possèdent déjà les conventions base de la statuaire égyptienne, lesquelles demeureront immuables pendant près de trois mille ans :
Frontalité de la représentation : la statuaire égyptienne est avant tout « présentative ». Elle ne montre pas une action mais présente un individu dans sa dimension sociale, sa parure et ses accessoires traduisant son statut et son importance. Attitude stylisée de la marche, pied gauche en avant, pour l’homme. Les deux pieds sont posés à plat sur le sol, contrairement à la marche réelle (où le pied droit devrait être figuré détaché du sol). Cette anomalie, devenue conventionnelle, est liée à un souci de stabilité et donc de solidité de la statue, taillée dans un matériau rigide et cassant : la pierre. L’homme tient dans sa main droite un bâton de commandement appelé « Sekhem » ou « Khérep », indiquant qu’il occupe un grade élevé dans la hiérarchie administrative et/ou politique. Il tient également une sorte de canne de marche dans sa main gauche, insigne de dignité, par allusion au respect porté à la vieillesse (le hiéroglyphe du vieillard courbé marchant à l’aide de cette canne sert de déterminatif aux mots désignant de hautes fonctions sociales). Position statique, jambes collées, pour la femme. La robe moulante accentue la région pubienne, symbole de fécondité associée à la fonction maternelle de l’épouse. Les visages sont éternellement jeunes et souriant car les statues, généralement placées dans les tombeaux à l’Ancien Empire, sont destinées à perpétuer une image intemporelle de jeunesse, vigueur et bonne santé des propriétaires. Considérées comme des substituts « vivants » de la momie, elles doivent pouvoir servir de réceptacle aux différentes composantes de « l’âme », condition indispensable à la survie dans l’au-delà, en cas de disparition de la momie. Le nom, les titres et parfois la filiation sont inscrits sur le socle et permettent à la statue de jouer son rôle de support matériel à « l’âme » du défunt. Une statue anonyme ou dont le nom a été martelé perd son efficacité
rituelle, condamnant son propriétaire à l’oubli éternel et rendant alors toute survie dans l’au-delà impossible.
. Statues de Sépa et de Néset, IIIe dynastie, Musée du Louvre.
Les costumes et les parures sont sobres, ce qui est une caractéristique des statues appartenant aux périodes anciennes de l’art pharaonique. Sépa est vêtu d’un simple pagne court avec une retombée plissée de biais nouée à la ceinture, la boucle ressortant sur le flanc gauche. Il porte une perruque « boule » courte aux mèches disposées en rangées horizontales. Néset porte une longue robe fourreau à bretelles suggérant à peine les formes de son corps. Sa tête est garnie d’une lourde perruque tripartite (deux retombées sur les épaules et une retombée dans le dos) typique de la IIIème dynastie. Deux larges bracelets constitués d’anneaux accolés stylisés constituent son unique parure. Les deux personnages sont représentés pieds nus, les sandales, très rarement portées, n’étant pas représentées sur les statues avant le Nouvel Empire (1550-1050 av JC). Les statues devaient être à l’origine entièrement peintes ; seuls le noir (de charbon) des perruques et le cerne vert (malachite) du maquillage des yeux (pour des raisons essentiellement ophtalmologiques) subsistent. Le bourrelet entourant les yeux est typique, lui aussi du style de la IIIème dynastie. Ces statues sont très anciennes datant au moins du début du XXVIIème siècle (les inscriptions gravées sur les socles révèlent une épigraphie très ancienne). Elles souffrent encore d’archaïsmes dus au manque d’expérience des sculpteurs égyptiens dans la taille de statues de grande échelle :
Les silhouettes sont encore massives : l’allure générale de Néset ne révèle pas de différences très marquées avec celle de son époux (mêmes épaules larges, absence de féminité dans le rendu du bassin, poitrine stylisée, membres épais, pieds courts). Le modelé reste succinct : les détails anatomiques sont à peine rendus, exceptions faites pour les tendons du cou, les clavicules et les os iliaques. Les têtes semblent engoncées à cause de l’absence de cou. Les espaces situés entre les bras et le tronc et les jambes de Sépa n’ont pas été évidés, afin de ne pas fragiliser l’ensemble. Les jambes sont massives, y compris chez Néset, pour d’évidentes raisons de stabilité. Le sceptre « Sekhem » de Sépa a été figuré rabattu contre son bras droit et non horizontalement, la technicité encore précaire de l’époque ne permettant pas aux sculpteurs de réaliser des parties en extension dans la
pierre. Même remarque pour la canne de marche encore collée contre le corps de Sépa et qui devrait être tenue en avant. Plus tard, les sculpteurs égyptiens maîtrisant toujours plus la technique de la taille, la silhouette et les proportions iront en s’allégeant, les espaces entre les membres et le reste du corps seront évidés et le rendu des détails anatomiques deviendra plus conforme à la réalité.
Dès le début de la IVème dynastie pourtant, soit à peine moins d’un siècle après la réalisation de Sépa et Néset, les statues commencent à gagner en naturel. Le double portrait du prince Rahotep et de son épouse Nofret, chef d’œuvre inégalé, en constitue une illustration flagrante. Enfin, dès le règne de Khéops, les visages sculptés s’individualisent au point de livrer à la postérité d’authentiques portraits des hauts personnages de l’époque des grandes pyramides. Notons toutefois le souci du détail dans le rendu du plissé du pagne de Sépa et celui des mèches des perruques révélant une virtuosité dont seuls les ateliers royaux de Memphis étaient capables à cette époque, la production artistique provinciale demeurant rare et de qualité bien inférieure à celle de la Cour de Memphis.
No fret, début de la IVe dynastie (vers 2600) De même, on retrouve des similitudes stylistiques entre le visage de Nesa et celui de Nofret, sculpté un siècle plus tard. L’arrondi du visage et la rondeur des joues dénotent notamment une origine commune, probablement celle des ateliers royaux de Memphis, les seuls capables de sculpter les effigies des membres de la famille royale et de la haute aristocratie destinées à immortaliser dans la pierre leur enveloppe charnelle dans la nuit de leurs chapelles funéraires et dont certaines furent retrouvées in situ dans les
grands mastabas entourant les pyramides royales de Meïdoum, Dashour ou Giza par exemple.
Rahotep et Nofret, contemporains du pharaon Snéfrou (début de la IVe dynastie)sont sculptés à la même échelle La haute stature de Néset, représentée à même échelle que son époux, est exceptionnelle dans la statuaire égyptienne où la femme est toujours de taille inférieure, sauf si dans la réalité elle était plus grande (dans ce cas elle était figurée à la même taille). Même si l’inscription gravée sur le socle ne mentionne pas de filiation royale pour Néset (ni pour Sépa d’ailleurs), il semble raisonnable de croire qu’elle était vraisemblablement issue de la plus haute classe sociale, compte tenu du caractère unique de sa statue : la plus grande statue féminine civile jamais retrouvée pour les hautes époques et, de surcroît, produite par les ateliers royaux. Notons que la même « égalité » de taille se retrouve dans le double portrait du prince Rahotep et de son épouse Nofret, datant du début de la IVe dynastie, déjà mentionné plus haut. Faudrait il y voir le reflet d’un état ancien de la société égyptienne où une
pseudo égalité entre les deux sexes semblait régner dans les classes dominantes ou plutôt l’indice d’une filiation de l’épouse plus « noble » que celle de son mari (les cas de mariages hétérogamiques dans lesquels l’homme se marie à une femme de condition plus élevée que la sienne n’étant pas rares chez les anciens égyptiens) ? Malheureusement, l’origine exacte des trois statues du Louvre demeure inconnue. Leur destination funéraire, compte tenu de leur typologie, n’étant pas douteuse, comme c’est le cas de la quasi-totalité des statues de cette période, il reste à souhaiter qu’un jour on retrouvera le tombeau de Sépa et Néset ou que des inscriptions permettront de lever définitivement le mystère entourant la biographie de ces deux égyptiens contemporains des premières temps de l’Ancien Empire. Les caractéristiques exceptionnelles de ces statues nous autorisent à imaginer qu’ils appartenaient à la classe dirigeante, voire à l’entourage du pharaon Djéser lui-même. Enfin, n’oublions pas qu’avec ces trois grandes effigies de Sépa et de son épouse Néset, nous nous trouvons face à d’authentiques chefs d’œuvre annonçant les plus grandes réussites de la sculpture royale de l’époque des grandes pyramides. Elles représentent un progrès vertigineux par rapport aux productions antérieures encore grossières et schématiques. Elles marquent véritablement la fin de l’archaïsme et le tout début du classicisme de l’art de l’Ancien Empire. Avec les statues de Sépa et de son épouse Néset, s’ouvre une des périodes les plus glorieuses de l’histoire de l’Egypte pharaonique : l’ère des grandes pyramides de pierre. Quelques décennies après elles, les pharaons de la IVème dynastie, en dignes successeurs du roi Djéser, feront élever les monuments de pierre les plus hauts de toute l’Antiquité autour desquels de véritables cités des morts livreront aux archéologues des temps modernes des œuvres d’art qui demeurent parmi les expressions les plus élevées de la spiritualité et du génie humain. J’aurai prochainement l’occasion d’y revenir… Yves Rinaldi
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