Les premiers traités latins de géomancie

January 26, 2017 | Author: lukasesane | Category: N/A
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Cahiers de civilisation médiévale

Les premiers traités latins de géomancie Thérèse Charmasson

Citer ce document / Cite this document : Charmasson Thérèse. Les premiers traités latins de géomancie. In: Cahiers de civilisation médiévale, 21e année (n°82), Avriljuin 1978. pp. 121-136; doi : 10.3406/ccmed.1978.2075 http://www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_1978_num_21_82_2075 Document généré le 01/06/2016

Thérèse CHARMASSON

Les premiers traités latins de géomancie

En même temps que l'astrologie arabe, une autre technique divinatoire, qui a été beaucoup moins étudiée, la géomancie fut introduite dans l'Occident latin. Les premiers traités en langue latine connus datent en effet du xne s. et sont l'œuvre de traducteurs : VArs géomancie de Hugues de Santalla, le Si quis per artem geomanticam de Gérard de Crémone, le traité anonyme Eslimavcru.nl Indi, auxquels on peut ajouter un quatrième texte attribué à Platon de Tivoli, se présentent comme des traductions de traités arabes. Ces œuvres constituent les bases sur lesquelles se développera la géomancie au cours du moyen âge : l'essentiel de la technique géomantique y figure déjà1. Cette technique divinatoire, d'origine arabe, a pris en Occident le nom d'un des quatre grands groupes de divination distingués par Varron, à partir des quatre éléments : Varro dicil divinaiionis quatuor esse gênera, terram, aquam, aerem, ignem: hinc geomanliam, hydromantiam, aeromantiam, pyromanliam2. Mais elle en diffère complètement. Chez Varron et, après lui, chez les auteurs du haut moyen âge, comme Raban Maur, Hugues de Saint- Victor, Richard de Saint- Victor ou Robert Kilwardby, le terme geomantia recouvre l'interprétation des signes donnés par la terre, en particulier les tremblements de terre ou éruptions volcaniques3. La géomancie, telle qu'elle est pratiquée par les Arabes à partir des xe-xie s., et telle qu'elle sera utilisée dans l'Occident latin, est au contraire une technique « savante ». Il s'agit d'une divination à base mathématique, qui vise à la connaissance du passé, du présent et de l'avenir, par l'interprétation de seize figures. Ces seize figures, formées par la combinaison du pair et de l'impair sur quatre échelons, sont placées sur un thème, dans des cases appelées maisons : Est autem geomancia ars ex veritate astronomica assumpta, que per certa signorum judicia intente querentern de re dubia ad vera deducit judicia... Ad hujus ergo artis scienciam, sedecim figurarum signis utimur, que per duodecim domorum mansiones, secundum astronornicam doclrinam locamus*. 1. Sur l'histoire de la géomancie latine médiévale, voir Th. Charmasson, Recherches sur une technique divinatoire: la géomancie dans l'Occident médiéval, Paris, Sorbonne, 1975 [thèse doctor. 3e cycle]. 2. P. Tannery, Le rabolion, d:uis Mémoires scientifiques, Paris, 1920, t. IV, p. 295-412, p. 318 ; Isidore de Séville, Élymologies, VIII, 9-13. 3. Raban Maur, De magicis ariibus, P.L., CX, col. 1098 ; De universo, ibid., CXI, col. 423 ; Hugues de Saint-Victor, Didascalion, livre vi, chap. XV, De magica et partibus ejus, éd. C. H. Buttimer, Hugonis de Sancto Victore Didascalion. De studio legendi. A Crilical Text, Washington, 1939, p. 132; Richard de Saint-Victor. Liber exceptionum, Pars I, liber 1, cap. XXV, éd. J. Chàtili.on, Richard de Sainl-Viclor, « Liber exceptionum », texte critique avec introduction, notes et tables, Paris, 1958, p. 112 ; Robert Kilwardby, De orlu scienciarum, chap. LXVII, De ariibus magicis brevis sermo secundum Hugonem, éd. A. G. Judy, Londres, 1976, p. 225-226, n°3 662, 664, 670. 4. Gérard de Crémone, Si quis per artem geomanticam, Venise, San Marco, VIII-44, fol. 103v°. 121

THERESE CHARMASSON A chaque figure comme à chaque maison sont attribuées des propriétés et des significations particulières. Les pronostics sont tirés de la combinaison, selon certaines règles, des propriétés et des significations respectives des figures et des maisons. Les points qui permettent de former ces figures devaient, à l'origine, être tracés sur le sable ou la terre, d'où les termes qui désignent la géomancie chez les Arabes :« raml » (sable), chez les Byzantins : poc6oXtov (calqué sur « raml »), et les Latins : geomanlia5. Les géomanciens postérieurs au xne s., comme Guillaume de Moerbeke ou Barthélémy de Parme, s'attachèrent à donner de ce dernier terme une définition étymologique : divination sur la terre, du grec ge et mancos (ou mantia), et non plus divination par la terre, comme chez les Anciens. Les origines de la géomancie ont donné lieu à nombre d'hypothèses, tant de la part des géomanciens eux-mêmes que des érudits. Pour les géomanciens médiévaux, la géomancie tire son origine première de Dieu lui-même, qui, par l'intermédiaire d'un de ses prophètes, a voulu ainsi permettre à l'homme de connaître passé, présent et futur6. Gérard de Crémone, comme le traité Estimaverunt Indi, fait appel à l'autorité des Indiens, des Arabes et des Grecs7. Il semble à peu près certain toutefois que la géomancie est d'origine arabe : les études faites sur la divination chez les Mésopotamiens, dans la Grèce antique et à Rome, n'en font nulle part mention8. Par contre, la géomancie est encore actuellement pratiquée sous des formes diverses, en Afrique du Nord, à Madagascar et aux Gomores ; elle y a sans doute été apportée par les conquêtes de l'Islam9. Les premiers traités latins, le traité de Hugues de Santalla, et le texte Estimaverunt Indi, se présentent comme des traductions de l'arabe10. Avant d'aborder l'histoire des textes eux-mêmes, il paraît nécessaire d'expliquer rapidement, d'après ces traités, la technique géomantique. Le thème géomantique est toujours formé pour répondre à une question précise. Hugues de Santalla recommande de tracer les points sur du sable, tandis que le traité Estimaverunt Indi admet, outre le tracé des points sur la terre, la farine et la poussière, l'emploi de l'encre, ou encore de pierres11. Après une invocation à Dieu, le géomancien trace de la main droite, en allant toujours de la droite vers la gauche, quatre groupes de quatre lignes de points ; il ne doit jamais compter ces points. Les quatre lignes d'un même groupe doivent être de longueur inégale, comme les quatre doigts de la main gauche12. C'est dans cette projection (ou jet) des points seulement que le hasard intervient. En allant toujours de la droite vers la gauche, on joint deux à deux les points de la première ligne, jusqu'à ce qu'il ne reste, à l'extrémité de cette ligne, qu'un ou deux points. Ce ou ces points représentent l'échelon supérieur (tête) de la première figure. On joint de même les points de la deuxième ligne pour obtenir le deuxième échelon, ceux de la troisième ligne pour obtenir le troisième échelon, puis ceux de la quatrième ligne pour obtenir le quatrième échelon : on a ainsi la première 5. B. Carra de Vaux, La géomancie chez les Arabes, dans P. Tannery, Mémoires scientifiques, Paris, 1920, t. IV, p. 298-316, p. 300. 6. Gérard de Crémone, ras. cit., fol. 103 ; Hugues de Santalla, Paris, Bibl. Nat., lat. 7354, fol. 1 ; Eslimaverunl Indi, Florence, Laur., Plut. 30-29, fol. 2v°. 7. Ibid., fol. 1 ; Gérard de Crémone, ms. cit., fol. 103. 8. J. Defredas, La divination en Grèce, dans La divination. Études recueillies par A. Caquot et M. Leibovici, Paris, 1968, t. I, p. 157-195 ; R. Bloch, La divination en Étrurie et à Rome, ibid., p. 197-232; J. Nougayrol, La divination babylonienne, ibid., p. 25-81. 9. Voir J. C. Hébert, Analyse structurale des géomancies comoriennes, malgaches et africaines, « Journ. Soc. africanistes » XXXI, 1961, p. 116-208. 10. Hugues de Santalla, ms. cit., fol. 1 ; Eslimaverunl Indi, ms. cit., fol. 1 ; sur la géomancie arabe, voir Th. Charmasson, Recherches sur une technique divinatoire..., op. cit., p. 13-14, 56-57. 11. Hugues de Santalla, ms. cit., fol. 2 ; Estimaverunl Indi, ms. cit., fol. 1. 12. Gérard de Crémone, ms. cit., fol. 124v°-125 ; Hugues de Santalla, ms. cit., fol. 2-3. 122

LES PREMIERS TRAITES LATINS DE GEOMANCIE figure géomantique. On agit de même avec chacun des trois autres groupes de lignes de points. Ces quatre figures sont appellées figures-mères (maires). Elles sont placées l'une à côté de l'autre sur le thème, dans les cases I à IV. Les quatre figures suivantes, ou figuresfilles (filie), sont obtenues par transposition des mères de l'horizontal au vertical : les têtes des quatre figures-mères constituent la cinquième figure, les points des deuxièmes échelons des mères, la seconde fille (figure VI), les points des troisièmes échelons, la troisième fille (figure VII), et les points des quatrièmes échelons, la quatrième figure-fille (figure VIII). Ces quatre filles sont placées sur le thème à gauche des mères. Les figures IX à XV sont obtenues par addition : ainsi la figure IX est tirée des figures I et IL On additionne le ou les points des têtes de ces deux figures ; si le résultat est impair, on pose un



• —•

•—•

IV Jet des points

\

VI

VII

ïl •



• •

IV

III

I

• ■

4> V

/•

1

VIII

• •

XII

XI

\V

• • • • • •

X

XIV XIII

IX

1

/ /

Thème géomantioue complet 123

THÉRÈSE CHARMASSON point ; s'il est pair, on en pose deux. On agit de même avec les deuxièmes, troisièmes et quatrièmes échelons. Cette figure IX est placée sous les figures I et II dont elle est issue. La figure X est formée de même à partir des figures III et IV, la figure XI, à partir des figures V et VI, la figure XII, à partir des figures VII et VIII, les figures XIII et XIV, figurestémoins (testes), à partir des couples IX-X et XI-XII, et la quinzième figure, le juge (judex), à partir des figures XIII et XIV. Cette quinzième figure est toujours constituée d'un nombre pair de points. Elle résume les significations de toutes les figures du thème, et son examen donne l'orientation générale de la réponse à la question posée. Je reprendrai ici un exemple proposé par Gérard de Crémone dans son traité Si quis per artem geomanticam (Venise, San Marco, VIII-44, fol. 125) : On peut encore former une seizième figure, ou super-juge, pour compléter et nuancer l'interprétation, figure formée à partir de la figure I et de la figure XV. Il existe seize figures géomantiques, qui comportent entre quatre et huit points. Chacune de ces figures porte un nom, qui peut être légèrement différent suivant les auteurs (tableau I). La terminologie se diversifie et s'enrichit de Hugues de Santalla à Gérard de Crémone, sans qu'on puisse indiquer la source de ces changements, à moins qu'il ne faille imputer cette diversité aux textes arabes13. Parmi ces seize figures, douze sont graphiquement symétriques deux à deux : des propriétés et des significations opposées leur sont attachées. Les quatre autres figures (Via, Populus, Carcer et Conjundio) sont, par analogie, groupées en deux couples ; leurs significations sont plutôt complémentaires. A chacune de ces seize figures est attribuée une qualité fondamentale (bonne ou mauvaise). On peut noter ici encore certaines divergences entre ces trois traités du xne s. (tableau II)14. Le nombre (seize) des figures a conduit à des associations : avec les quatre éléments, les quatre qualités élémentaires, les quatre humeurs, les quatre saisons, les quatre points cardinaux. Les données sont ici semblables chez Hugues de Santalla, Gérard de Crémone et dans le traité Estimaverunt Indi (tableau III)15. On peut noter également des correspondances avec les unités de temps (année, mois, semaine, jour, heure), avec les règnes animaux, minéraux et végétaux, avec les couleurs. Mais ces rapprochements n'ont que peu d'incidences sur l'interprétation du thème géomantique. Les géomanciens insistent par contre bien davantage sur l'association des figures géomantiques, des signes du Zodiaque et des planètes. Hugues de Santalla comme Gérard de Crémone placent les figures sur un carré astrologique où Ariès occupe la première maison astrologique (tableau IV)16.

ceux Estimaverunt 13. qui 14. 15. Lessont Hugues Ibid., noms fol. Indi, encore de4en; ms. Santalla, Gérard italique en cit., usagefol. sont dedems. lrb, Crémone, nos ceux cit., jours. 2ra-rb, quifol.ms. sont 5va. 37-37v°, cit., les fol. plus 40v° 111. courants ; Gérard chezdelesCrémone, géomanciens ms. postérieurs; cit., fol. 106-107v°, ce sont également 118-119; 16. Hugues de Santalla, ms. cit., fol. lv°; Estimaverunt Indi, ms. cit., fol. 21v°; Gérard de Crémone, ms. cit., fol. 105-106v°.

124

LES PREMIERS TRAITES LATINS DE GEOMANCIE



Via

Via

Via

Congregacio

Aggregacio

Populus Aggregacio Congregacio

Conjunctio

Conjunctio Goadunatio

Conjunctio Coadunatio Associatio

Carcer

Carcer Constrictus

• •



• • •

• •

Barbatus

Barbatus Ridons Canus

Diminutus Transvcrsus Diminutus

Leticia Barbatus Caput Altum Tristicia Transversus Caput Ymiim

Mundus Fa- Mundus Fa- Mundus Facie Puer cie cie Imberbis Flavus Puella Belliger

• •

Constrictus

• •

Imberbis

Imberbis Flavus Puella

• •

Foriuna Major • • Auxilium Auxilium In- Tutela Intrans Intus tus Tutela Intrans Omen Majus

Candidus

Albus Candidus

Albus Candidus

Foriuna Minor Auxilium Fo- Tutela Exiens Auxilium Tutela Foris Foris ris Tutela Exiens Omen Minus

Rubeus

Rubeus

Rubeus Ruffus

Limen Interius

Limen Intrans

Caput Draconis Limen Intrans Limen Superior

Limen Exterius

Limen Exiens

Cauda

• •



Comprehensum Intus

Comprehensum Intus

Acquisicio Comprehensum Intus

Comprehensum Foris

Comprehensum Foris

Amissio Comprehensum Foris

Hugues de Eslimaverunl Santalla Indi

Gérard de Crémone

• •

• •



Hugues de Estimaverunt Gérard de Santalla Indi Crémone

Tableau I : Les noms des figures géomantique?.

125

THKRESE CHARMASSON

fortunée masculine

bonne masculine

bonne masculine

fortunée féminine

bonne masculine

bonne féminine

• •

mixte ou fortunée féminine

bonne féminine

• •

bonne masculine

• •



• •

• •





infortunée féminine

mauvaise masculine

mauvaise masculine



fortunée masculine

bonne féminine

bonne masculine

bonne masculine

• •

infortunée masculine

mixte masculine

mauvaise masculine

bonne masculine

bonne masculine

• •

infortunée féminine

mauvaise féminine

mauvaise masculine

bonne féminine

bonne féminine

féminine

• •

infortunée masculine

mauvaise masculine

mauvaise masculine

bonne masculine

bonne masculine

mixte féminine

• •

bonne ou infortunée masculine

ambiguë masculine

mixte féminine

fortunée féminine

bonne

bonne féminine



infortunée masculine

mauvaise

mauvaise féminine

fortunée ou infortunée féminine

mixte

mixte masculine

• •

infortunée masculine

médiocre masculine

féminine

Hugues de Santalla

Gérard de Crémone

Estimaverunt Indi

Hugues de gérard de Estimaverunt Santalla Crémone Indi

Tableau II : Les qualités des figures.

126

LES PREMIERS TRAITES LATINS DE GEOMANCIE

AIR Chaud humide Printemps Sang, est

FEU Chaud sec Été, sud Bile jaune

Conjunctio

Puella

Via

Populus

Leticia

Acquisicio

Puer

Albus

Rubeus

Amissio

Carcer

Tristicia

Cauda

Fortuna Major

Fortuna Minor

Caput

EAU Froid humide Hiver, nord Flegme

TERRE Froid sec Automne, ouest Bile noire

Tableau III : Classification élémentaire des figures.

\

Aquarius e •

Pisces\

Sagittarius '/\ \ Capricornus \**V Scorpio

/

Aries

\x. •• •• \«*

/

/\ y

Libra

/ Cancer\

\ /•: Virgo

Taurus N * * / a

Gemini \/

Léo

\

Tableau IV : Les figures et les signes du Zodiaque. 127

THERKSE OHARMASSON Deux figures sont attribuées à chacune des sept planètes. Capul et Cauda sont liées tantôt à la Tête et à la Queue du Dragon (chez Hugues de Santalla), tantôt à Jupiter et Vénus, et Saturne et Mars (chez Gérard de Crémone) (tableau V). Saturne

Vénus

. .

Carcer

. .

Tri st ici a



• Puer

Amissio

Jupiter

Mercure

. .

Aequisicio

. .

Albus

Conjunctio

Rubeus

Pueila

Mars

Soleil

Lune

. .

Fortuna Major

. .

Populus

. .

. .

Leticia

Fortuna Minor Via

Tableau V : Les figures et les planètes. Hugues de Santalla en outre indique que les figures géomantiques sont également en relation avec les vingt-huit mansions lunaires17. La géomancie est étroitement tributaire de l'astrologie. Au début de leurs traités, Hugues de Santalla et Gérard de Crémone s'attachent à démontrer que la géomancie s'est développée pour pallier les difficultés présentées par l'emploi de l'astrologie. En effet la grande complexité de l'astronomie peut être la source de nombre d'erreurs dans le calcul des positions des planètes aussi bien que dans l'interprétation. Par contre, la géomancie, plus simple, ne nécessite

:

17. Hugues de Santalla, ms. cit., fol. lv° il donne les noms arabes des mansions lunaires ; voir H. Dozy, Le, calendrier de Cordoue, Leyde, 1961, p. xi-xii. 128

LES PREMIERS TRAITES LATINS DE GEOMANCIE aucun instrument18. Mais Hugues de Santalla comme Gérard de Crémone notent que les planètes ont un certain pouvoir sur les figures et les maisons géomantiques. Ces rapports entre les figures, les signes du Zodiaque et les planètes, considérablement amplifiés par les géomanciens postérieurs, permettent d'introduire dans la géomancie un certain nombre de notions astrologiques : ainsi les aspects. Chacune des seize figures géomantiques a un sens fondamental, positif ou négatif suivant sa valeur, généralement traduit par son nom, sens dont sont tirées des significations dérivées : Acquisicio signifie l'acquisition, la vérité, la sagesse, la stabilité, Amissio, la perte, la fausseté, l'instabilité, Fortuna Major, la fortune, la justice, l'honneur, la noblesse et la dignité, Fortuna Minor, l'arrogance, le désir de gloire ...19. Les douze premières cases du thème géomantique (maisons) ont également des significations, qui sont celles des douze maisons astrologiques : la maison I est celle de toutes les entreprises qui commencent, en particulier celle du nouveau-né, la maison II, celle de la richesse, la maison III, celle de l'entourage ... (tableau VI)20. Maisons

Significations

I II III IV V VI Vil VIII IX X XI XII

Vie Richesses Entourage Parents Enfants Serviteurs Conjoints Mort Foi, religion Dignités Amis Ennemis

Tableau VI : Significations des maisons. Ces maisons sont soit bénéfiques (les quatre maisons angulaires I, IV, VII et X), soit moyennes (les maisons succédantes II, V, VIII et XI), soit maléfiques (les maisons cadentes III, VI, IX et XII)21. Les quatre dernières maisons du thème, domus acidité, ont seules une valeur proprement géomantique : les maisons XIII et XIV, maisons des témoins, représentent le passé et l'avenir. La maison XV, maison du juge, résume les significations de toutes les figures et des maisons, tout comme la maison XVI, maison du super-juge22. 18. Hugues de Santalla, ms. cit., fol. 1 ; Gérard de Crémone, rus. cit.. lui. 103. 19. Hugues de Santalla, ms. cit., fol. 3-17 ; Gérard de Crémone, ms. cit., fol. 111-115. 20. Hugues de Santalla, ms. cit., fol. 45-45v° ; Gérard de Crémone, ms. cit., fol. 107v°-108v° ; Estimaveruni Indi, ms. cit., fol. lv°-2, 3, 25ra. 21. Gérard de Crémone, ms. cit., fol. 108v"-10!t; Eslimaverunl Indi, ms. cit., fol. ôv°. 22. Gérard de Crémone, ms. cit., fol. 108. 129

THERESE CHARMASSON Contrairement aux traités géomantiques postérieurs, les textes du xne s. ne présentent pas de plan cohérent pour l'interprétation du thème géomantique ainsi formé. On peut cependant, d'après les notions traitées, reconstituer la démarche à suivre. L'interprétation, d'après ces premiers textes, est relativement simple : le géomancien doit tout d'abord examiner la figure du demandeur, qui est toujours celle de la première maison, puis la figure qui représente l'objet de la question, et qui se trouve dans une des onze autres maisons, enfin les figures-témoins et le juge de la question. Hugues de Santalla insiste particulièrement sur l'adaptation de la signification de la figure à la maison qu'elle occupe. Une figure favorable dans une maison favorable est d'autant plus bénéfique ; la valeur de la figure l'emporte généralement sur celle de la maison23. Dans le traité Estimauerunt Indi, une partie entière est consacrée à l'examen des significations particulières prises par chacune des seize figures géomantiques dans chacune des douze premières maisons : Tutela Exiens in prima domo significat regem et dignitatem et sublimitatem et signiflcat comatos et mulieres. In secunda, signiflcat bonitatem dispositionis in acquisitione et venditione et emptione et fortitudine familiarum et serviencium. In tertia, signiflcat mulieres et sorores et cognatos et illos qui in lege sunt majores et scienciam et acquisitionem neccessitatum...24. De la position des figures dans les maisons dépendent aussi les aspects que les figures ont entre elles. Il s'agit ici d'une notion astrologique adaptée à la géomancie. Il existe, en géomancie, quatre aspects : l'association (associatio) unit les figures qui occupent deux maisons voisines, le trigone (aspeclus Irinus), aspect favorable, associe les figures séparées par quatre maisons (figure de la maison V avec figure de la maison X par exemple), l'aspect carré (aspeclus quadratus), plutôt défavorable, associe les figures séparées par trois maisons, l'aspect sextile (aspeclus sextilis), favorable, associe les figures séparées par une seule maison, et l'opposition (oppositio), défavorable, les figures séparées par six maisons25. Ces trois traités du xne s. étudient également le problème de la génération des figures : les figures IX à XVI sont en effet formées à partir de deux figures. Une figure favorable issue de deux figures favorables est pleinement favorable ; si par contre elle est formée à partir d'une figure favorable et d'une figure défavorable, elle devient médiocre26. Hugues de Santalla indique, pour chacune des seize figures, toutes les combinaisons qui permettent de l'obtenir27. Et de même que le traité Estimaverunt Indi, il consacre un chapitre à la paternité de la figurejuge. Peuvent seules être juge, les figures comportant un nombre pair de points : Via, Populus, Acquisicio, Amissio, Conjunctio, Carcer, Fortuna Major et Fortuna Minor. Un premier jugement peut donc être formulé après l'examen du groupe témoins-juge28. Une phrase du traité Estimaverunt Indi (qui se retrouve dans la plupart des textes postérieurs) résume bien les différents points qu'il faut examiner avant de formuler le jugement final d'un thème géomantique : Hinc elici potest quod figure fortunantur vel infortunantur quinque modis scilicet proprietate, loco, aspectu, associatione, paternilale29. 23. Hugues de Santalla, ms. cit., fol. 47 ; Estimaverunt Indi, ms. cit., fol. 5v° ; Gérard de Crémone, ms. cit., fol. 119 24. Estimaverunt Indi, ms. cit., fol. 10-15, fol. lOvb. 25. En géomancie, l'association remplace la conjonction : deux figures ne peuvent se trouver en même temps dans la même maison ; voir : Gérard de Crémone, ms. cit., fol. 109v°-110. 26. Hugues de Santalla, ms. cit., fol. 46-47 ; Estimaverunt Indi, ms. cit., fol. 2rb. 27. Hugues de Santalla, ms. cit., fol. 17-37v°. 28. Ibid., fol. 46-47 ; Estimaverunt Indi, ms. cit., fol. 19-21. 29. Estimaverunt Indi, ms. cit., fol. 1. 130

LES PREMIERS TRAITES LATINS DE GEOMANCIE

VIII

VII

VI

V

IV

« XI

\ ï \ XII \ s. • • \

1> < «1 1t X

III

I

• / IX / V

XIV XIII

1

Les trois traités du xne s. proposent, en nombre plus ou moins grand, des exemples de questions géomantiques résolues. Dans le traité de Gérard de Crémone, ces questions sont groupées par maisons, en fonction de leur objet : toutes les questions qui concernent la vie et la santé du demandeur relèvent de la première maison, celles qui touchent aux biens et aux richesses, de la seconde maison, celles qui se rapportent à la famille, de la troisième maison ...30. Gérard de Crémone donne en outre un certain nombre d'exemples illustrés par la représentation d'un thème géomantique. Reprenons l'un d'eux : Quidam interrogavit de infirmo, utrum morereturzl.

/ /

Exemple de thème géomantique. Via, dans la première maison, représente le malade ; Carcer, dans la sixième, la maladie. Cette figure, propter suam fortitudinem, « signifie » la gravité de la maladie. Carcer se trouve également dans la huitième maison, maison de mort, en conjonction (association) avec Cauda, figure défavorable. Le malade mourra donc. Je voudrais maintenant m'attacher aux textes eux-mêmes. Je ne traiterai pas, pour l'instant, des problèmes posés par l'œuvre de Platon de Tivoli. Les traités géomantiques du xne s. sont donc au nombre de trois et ont respectivement pour incipit : Rerum opifex Deus, Estimaverunt Indi et Si quis per artem geomanticam. Le traité de Hugues de Santalla, Rerum opifex Deus, a été confondu par les premiers érudits qui s'intéressèrent à la géomancie, avec Estimaverunt Indi. P. Meyer, en 1897, étudiant un poème géomantico-astrologique du xme s., y releva le nom de Hue de Satalia (Hugues de Santalla)32. Connaissant par ailleurs un manu-

;

30. Gérard de Crémone, ms. cit., fol. 125v°-152. 31. Ibid., fol. 116v°. 32. P. Meyer, Traités en vers provençaux sur Vastrologie el la géomancie, « Romania », XXVI, 1897, p. 225-275, p. 247249 poème édité par G. Contini, Un poemetto provenzale di argomento geomantico, Fribourg, 1940, p. 50, v. 911. 131

THÉRÈSE CHARMASSON scrit de la Bibliothèque Laurentienne de Florence ayant pour titre : Incipil liber géomancie noue magistri Ugonis Saliliensis, editus de Alalrabuluci translatione. Eslimaverunt Indi quod quando linee lineaniur absque numéro ..., il en conclut qu'il s'agissait là de l'œuvre de Hugues de Santalla33. A sa suite, M. Steinschneider met ce manuscrit sous le nom de Hugues de Santalla, sans signaler que les autres manuscrits qu'il indique sont ceux d'une autre œuvre Rerum opifex Devis3*. C'est ce deuxième texte qu'étudie plus particulièrement P. Tannery : il établit que cette géomancie, dédiée à Michel, évêque de Tarazona en Aragon, est sans doute le premier traité latin de géomancie35. Et il distingue deux textes différents : Rerum opifex Deus et Estimaverunt Indi, qu'il attribue tous deux à Hugues de Santalla, leur donnant respectivement le titre de Ars geomantiae et Geomantia nova. Depuis cette étude, Gh. H. Haskins a repris l'ensemble de la question des traductions de Hugues de Santalla, et bien montré que ce dernier avait dédié toutes ses œuvres à Michel, évêque de Tarazona36. Et il signale que le texte du manuscrit de la Bibliothèque Laurentienne est différent de Rerum opifex Deus31. Le traité Estimaverunt Indi a été également attribué à Gérard de Crémone. La liste des œuvres de Gérard de Crémone, dressée par ses élèves, comporte en effet une géomancie. La première édition de cette liste, due à B. Boncompagni, donne seulement l'indication : Liber géomancie38. Dans la réédition faite par K. Sudhoff, apparaît la variante suivante, relevée dans un manuscrit du xive s. : Liber géomancie de arlibus divinantibus qui incipit Eslimaverunl Indi39. A. Birkenmajer et, à sa suite, le P. Ziegler signalent l'existence d'un manuscrit de la bibliothèque de l'université d'Upsala, qui attribue la traduction d' Estimaverunt Indi à Gérard de Crémone40. Il ne s'agit pas d'un manuscrit de ce traité, mais d'une compilation dont les éléments ont été extraits de Rerum opifex Deus et de Eslimaverunt Indi : Incipiunt capitula scientie inferioris elementi propter defeetum scriptoris et accelerationis redditionis exemplurium a duabus translationibus extraeta diversimode. Primum exemplar erat translacio que incipit Rerum opifex Deus... Secunda (translacio) erat Avicenna a magistro Gherardo Gremonense translata que incipit Estimaverunt Indi. Quarum ambarum translacionum capitula, que in utrisque inveni meliora, inter se propter necessitatem antedictam per invicem sunt commixta". Le traité Eslimaverunl Indi est toujours désigné au moyen âge par son incipil. C'est sous cet incipit qu'il est condamné en 1277, en même temps que tout recours à la nigromancie, par l'archevêque de Paris Etienne Tempier : ... item librum geomantie, qui sic incipil: Eslimaverunt 33. Ms. Florence, Laur., Plut. 30-29, fol. 1-25 v°. 34. M. Steinschneider, Die europaïschen Obersetzungen aus dem Arabischen bis Mille des 17. Jarhunderts, réimpr. anast., Graz, 1956, p. 35-36. 35. P. Tannery, op. cit., p. 339-344, d'après les mss : Paris, Bibl. Nat., lat. 7354 et Florence, Laur., Plut. 30-29, fol. 125v°. 36. Ch. H. Haskins, The Translations of Hugo Sanctallensis, dans Sludies in the Hislorg of Mediaeval Science, New York, 1960, p. 67-81. 37. Ibid., p. 78, n. 47. 38. B. Boncompagni, Délia vita e délia opère da Gherardo Cremonense, tradutlore del secolo duodecimo e di Gherardo da Sabbionelta, astronomo del secolo decimo terzo, dans Alti deV Accademia ponlifica de Nuovi Lincei, 1851, p. 387-483, p. 391. 39. K. Sudhoff, Die Kurze « Vita » und das V erzeichnis der Arbeilen Gherardo von Cremona, von seinem Schùlcrn und Studiengenossen Kurz nach dem Tode des Meisters (1187) zu Toledo Verabfassl, « Archiv f. Gesch. d. Medizin », VIII, 1914, p. 73-82, p. 79. 40. A. Birkenmajer, compte rendu critique de Ch. II. Haskins, Studies in the Hislonj of Mediaeval Science, Cambridge, 1924, « Philosoph. Jahrb. », XXXVIII, 1925, p. 281-283, p. 281-282; P. A. Ziegler, Histoire de la géomancie latine du milieus.,dusignalé xme XIIe siècle par L. au Tiiohndike, milieu du XVIIe A Catalogue siècle, « Pos. of Irtcipils thèses, Éc. of Mediaeval nat. ChartesScienlific », 1934, Writings p. 159-170,in p.Latin, 165 ; Londres, Upsala, C. 1963, 619, col. 241. 41. Upsala, C. 619, cité par A. Birkenmajer, op. cit., p. 282. 132

LES PREMIERS TRAITES LATINS DE GEOMANCIE Indi, et sic lerminalur : Ratiocinare ergo super eum et invenies elc...i2. C'est de même sous son incipit que Barthélémy de Parme, géomancien du xine s., le cite43. L'attribution à Gérard de Crémone ne me semble pas pouvoir être maintenue, et je considérerai le texte comme anonyme. Le troisième texte géomantique du xne s., Si quis la plupart des manuscrits, à Gérard de Crémone. Estimaverunt Indi à Gérard de Crémone, met Si de Gérard de Sabbionetta, astrologue du xine s.44. fondée.

per artem geomanlicam, est attribué, dans Le P. Ziegler, qui donne la paternité de quis per artem geomanticam sous le nom Mais cette attribution ne me paraît guère

Le premier traité géomantique en latin connu jusqu'à présent est donc celui de Hugues de Santalla (Rerum opifex Deus). Hugues de Santalla appartient à cette génération de traducteurs de la première moitié du xne s. (qui compte par ailleurs Platon de Tivoli, Robert de Chester, Hermann de Carinthie) qui travailla dans le nord-est de l'Espagne, sur des ouvrages astronomiques et astrologiques45. On ne possède malheureusement que fort peu de données sur la vie de Hugues de Santalla. Je ne peux que reprendre celles qui sont fournies par Ch. H. Haskins. Le nom de Hugues de Santalla se trouve dans les manuscrits sous des formes diverses : Sanctelliensis, Sanclallensis, Sanclellensis, Sanctaliens, Sandaliensis, Saliliensis, Strellensis (Salalia en provençal). Les traductions dues à Hugues de Santalla sont dédiées à Michel, évêque de Tarazona en Aragon, qui occupa ce siège de 1119 à 1151. Un magisler Hugo, qualifié de clerc de l'église de Tarazona, apparaît comme témoin dans deux chartes de l'évêque de Tarazona, datées de novembre 114546. Il est fort vraisemblable que Hugues de Santalla ait pu avoir accès à la bibliothèque de Rueda de Jalon, entre Saragosse et Catalayud, château repris en 1118 à la dynastie des Béni Hud47. Il aurait trouvé dans cette bibliothèque des manuscrits arabes d'ouvrages scientifiques. On peut mettre sous son nom huit traductions : le Centiloquium de Ptolémée, le De nativitatibus de Messehala, le Liber ymbrium d'Albumasar, un traité de spatulomancie (divination à partir des omoplates des moutons), le Liber de secrelis naturae et occultis rerum causis quem translulil Apollonius de libris Hermetis Trimegisti, un commentaire d'al-Bïrûnï sur l'œuvre d'al-Fargânï, De motibus planetarum, un générale commentum d'Aristote : Liber Arislolelis de 255 Indorum voluminibus, universalium queslionum tam gencralium quam circularium summam continensiS. Le traité de Hugues de Santalla est conservé par neuf manuscrits49. Trois d'entre eux seulement citent le nom de Hugues de Santalla, et un quatrième celui de magisler Hugo. Quatre autres manuscrits ne comportent pas le prologue à Michel, évêque de Tarazona, et sont anonymes. Aucun des huit manuscrits que j'ai consultés ne donne intégralement le même texte. Les parties communes sont constituées par un paragraphe sur la formation du thème géomantique et seize chapitres sur la nature, les propriétés et les significations de chacune des seize figures géomantiques. Dans plusieurs manuscrits se retrouvent également des chapitres sur la génération des figures. 42. A. Denifle et E. Châtelain, Chartularium universiiatis parisiensis, t. I, Paris, 1889, p. 543. 43. Barthélémy de Parme, Surnrna, 1288, Vienne, lut. 5523, fol. 13, 21, 81 v« ; Breviloquium, 1294, Munich, lat. 489, fol. 76. 44. P. A. Ziegler, op. cil., p. 166. 45. Ch. H. Haskins, Studies in Vie Hislory..., p. 11-12, 67-68. 46. J. M. Lacarra, Documenlos para el esludio de la Beconquista y repoblacion del Valle del Ebreo, « Estud. de Edad Media de la Corona de Aragon », V, 1952, p. 511-668, p. 577, 578, n™ 357, 358. 47. E. Millas-Vendrell, El comentario de Jbn al-Mutannâ' a las tablas aslronômicas de al-Jwârizmï. Esludio y édition crilica del texlo latino..., Madrid/Barcelone, 1963, p. 29-31. 48. F. Carmody, Arabie Aslronomical and Astroloyical Sciences in Latin Translation, Berkeley/Los Angeles, 1956, p. 16, 36-37, 58, 100; on peut ajouter à cette liste un Liber trium judicum : Ch. S. F. Burnett, A Group of Arabie-Latin Translators in Northern Spain in the Mid-12lh Cenlury [à paraître dans « Journ. Royal Asiat. Soc. »]. 49. Voir liste : Th. Charmasson, op. cit., p. 78, notes ; je citerai le texte d'après Paris, Bibl. Nat., lat. 7354. 133

THERESE CHARMASSON L'ensemble de ces chapitres (formation du thème, étude des figures) appartient certainement à la tradition médiévale du traité de Hugues de Santalla, ainsi que l'atteste le témoignage d'un scribe du xive s. : Nunc intendimus procedere secundum XII modos, hoc est secundum modum et naturam XII signorum ac etiam XII domorum celi stellati... Signa sunt XII, Aries, Taurus etc., et XVI figure, Acquisicio, Amissio... Acquisicio vero exhibitur ex stellis Arietis, ut patet in primo capitulo in illo libro Rerum opifex Deus etc., et in alio capitulo sequenti, quod est primum capitulum ex sedccim, et in eodem capitulo tradit plures signiflcaciones ejusdem, et in secundo capitulo de XVI, tradit plures signiflcaciones ipsius que dicitur Amissio, et in tercio de tercia, et sicut de singulis, et eadem capitula reperiuntur in libro Estimaverunt Indi, et in eisdem libris, et maxime in Rerum opifex inveniuntur XVI capitula, primum est quod una figura potest extrahi a duabus flguris XVI modis et altéra figura ab aliis duabus XVI modis, et sicut de singulis etc...60 Le prologue dédicatoire à Michel, évêque de Tarazona, par lequel débute le traité est le passage le plus intéressant. Hugues de Santalla y explique en effet les raisons qui l'ont poussé à composer cette œuvre51. La géomancie permet de suppléer aux insuffisances de l'astrologie : toute chose ici-bas ayant son correspondant dans le monde des astres, les figures géomantiques ont des rapports étroits avec les signes du Zodiaque et les mansions lunaires comme avec les planètes. Il a donc entrepris de faire connaître la géomancie, telle qu'elle a été établie par les Anciens. Il se réfère à la classification des sciences divinatoires donnée par Varron. Il indique en effet qu'il traitera plus tard de l'hydromancie, mais non pas de l'aéromancie et de la pyromancie sur lesquelles il n'a pu recueillir suffisamment d'informations52. Il explique ensuite qu'il existe seize figures géomantiques, possédant chacune une valeur et des significations propres qu'il étudiera en particulier. La plupart des manuscrits comportent également des exemples de questions géomantiques résolues53. Cette géomancie a connu une diffusion certaine : dès le xme s., une géomancie provençale s'y réfère. On retrouve des emprunts dans plusieurs textes géomantiques postérieurs anonymes54. Un exemplaire, provenant de la bibliothèque de Richard de Fournival, figure au catalogue de la petite librairie de la Sorbonne55. Un autre appartient, au xve s., à François de Gonzague, capitaine de Mantoue56. Le traité Estimaverunt Indi subsiste dans sept manuscrits, dont quatre sont plus incomplets57. Deux seulement de ces manuscrits mentionnent, dans le titre, que a été traduit de l'arabe58. Mais dans le cours du traité lui-même, le traducteur se à plusieurs reprises de l'auteur de l'œuvre qu'il nomme Abusaid Tripolitanus,

ou moins l'ouvrage distingue Johannes

:

50. Oxford, Bibl. Bodl., Bodley 625, fol. 10v°-llv°, fol. llv° dans ce manuscrit, l'œuvre de Hugues de Santalia est incomplète. 51. Voir supra, p. 38. 52. Paris, Bibl. Nat., lat. 7354, fol. 1-2. 53. Voir pour plus de détails Th. Charmasson, op. cit., p. 84-90. 54. Erfurt, AmpL, 4° 345, fol. 47 ; Cambridge, Clare coll. 15, fol. 174v°, Munich, lat. 3216, fol. 18v°. 55. L. Delisle, Le Cabinet des manuscrits, t. III, p. 67, nos LV-17 : legs de Gérard d'Abbeville qui avait acheté la bibliothèque de Richard de Fournival à la mort de celui-ci en 1260. 56. P. Girolla, La bibliotheca di Francesco Gonzaga, secondo Vinuentario del 1407, « Atti e mem., Reale Accad. Virgiliana di Mantova », XIV-XVI, 1921/23, p. 30-72, p. 67, n» 8. 57. Voir la liste : Th. Charmasson, op. cit., p. 96. 58. Florence, Laur., Plut. 30-29, fol. 1 ; Florence, Riccard., 829, fol. 43. 134

LES PREMIERS TRAITES LATINS DE GEOMANCIE Albusaiz ou Albusaix ou encore Albez59. Ce traducteur inconnu signale qu'il modifie ou complète les explications de l'auteur60. Dans ce traité, le procédé de formation du thème est supposé connu : il est seulement noté que les lignes de points peuvent être tracées dans le sable ou la poussière, ou sur du papier ou du parchemin. Par ailleurs, le traité n'est pas ordonné de façon systématique et traite plusieurs fois les mêmes notions. Il ne comporte que très peu d'exemples de questions géomantiques. La principale originalité de ce texte est l'exposé du calcul des points. « Le calcul des points permet de déterminer les éléments caractéristiques de la figure d'ensemble. On procède de trois manières : par la voie du point, par le calcul de la part de fortune et par celui des points impairs61 ». La voie du point part de l'échelon supérieur de la figure-juge. Elle relie les figures qui possèdent le même nombre de points à l'échelon supérieur (à droite ou à gauche de l'axe central du thème). La figure où s'arrête la voie du point indique l'issue finale de l'affaire. La part de fortune éclaire « sur les caractéristiques finales de l'affaire62 ». On additionne les points des figures des douze premières maisons ; on divise ensuite le total par douze. Le reste de l'opération indique la maison de la part de fortune. On peut de même calculer les points impairs du thème, en additionnant les échelons impairs des douze premières maisons et en divisant ce nombre par douze, ou encore les points pairs du thème, en additionnant les échelons pairs des figures et en divisant ce nombre par douze63. Ces développements sur le calcul des points se retrouvent textuellement dans plusieurs géomancies postérieures64. Il me semble inutile de présenter la personnalité de Gérard de Crémone, le plus important des traducteurs du xne s.65. Son traité, Si quis per artem geomanlicam, est en fait constitué de deux parties : la première partie expose toute la technique géomantique, la seconde comprend des exemples de questions géomantiques regroupées, en fonction de leur objet, par maisons. Cette seconde partie, Si quis de statu corporis, figure assez tôt seule, de façon anonyme, dans d'assez nombreux manuscrits66. Barthélémy de Parme la cite, à côté du traité de Hugues de Santalla et de Estimauerunt Indi, comme un des trois principaux traités géomantiques du moyen âge67. Dans le prologue de ce traité, l'auteur tente de montrer que la géomancie est, comme l'astrologie, une science licite, car apprise aux hommes par Dieu lui-même. Il rattache la géomancie à l'astrologie et explique que la géomancie tire ses pronostics de l'examen de seize figures placées dans des maisons. On retrouve ensuite les différentes classifications des figures, leurs significations ainsi que les significations des maisons. Les questions géomantiques proposées dans la seconde partie ont souvent été reprises par les géomanciens postérieurs (ainsi dans le traité composé pour Richard II, en 1391 )68. Cette géomancie figure dans plusieurs bibliothèques médiévales : celle d'Amplonius Ratinck, entre

:

;

:

5'J. Florence, Laur., Plut. 30-29, fol. 2vb, 4rb, G, 10, 17, 22ra, 22vb ; le P. Ziegler indique un traité dû à Zacharias Albasarith ou Johannes Albusaiz traduit, par Salio de Padoue : op. cit., p. 165 ; la Bibliothèque Nationale de Paris possède un manuscrit arabe de géomancie dont l'auteur est un certain Abu Sa'id at-Tarabùlusi (de Tripolij Paris, Bibl. Nat., arabe 5834 (2) ; E. Brochet, Catalogue des manuscrits arabes des nouvelles acquisitions (1884-1924), Paris, 1925, p. 124 ; C. Brockelmann, Geschichle der arabischen Liieralur, Leyde, 1937, p. 908-909; A. Boissier, Mantique babylonienne et manlique hittite, Paris, 1935, p. 49. 60. Florence, Laur., Plut. 30-29, fol. 4va, 6ra, lOrb, 17vb, 23vb. 61. E. Caslant, Ti■ailé élémentaire de géomancie, Paris, 1935, p. 75-76. 62. Jbid. 63. Florence, Laur., Plut. 30-29, fol. 18rb-22rb. 64. Munich, lat. 588, fol. 78-79v" ; Munich, lat. 483, fol. 50-51 ; Munich, lat. 198, fol. 82v» ; Munich, lat. 192, fol. 127-136 Munich, lat. 483, fol. 50, p. e. 65. Voir Ch. H. Haskins, oj>. cit., p. 14-15, p. 104-108 ; E. Grant, A Source Book in Médiéval Science, Cambridge Mass., 1974, p. 35-38. 66. Voir la liste Th. Charmasson, op. cit., p. 116. 67. Barthélémy de Parme, Breviloquium, Munich, lat. 489, fol. 76. 68. Oxford, Bibl. Bodl., Bodley 581, fol. 76-87. 135

THÉRÈSE CHARMASSON 1410 et 1412, celle du médecin humaniste Hartmann Schedel (fin xve-début xvie s.)69. Elle a été traduite en italien à la fin du xve s. : il existe de cette traduction deux versions différentes70. On conserve deux géomancies différentes sous le nom de Platon de Tivoli. Platon de Tivoli fait partie, comme Hugues de Santalla, de ce groupe de traducteurs à l'œuvre au début du xiie s. dans le nord-est de l'Espagne. Il travailla en collaboration avec le mathématicien juif Abraham bar Hiyya ha-Nasi (Savasorda) et fut le premier à traduire un ouvrage de Ptolémée en latin71. Trois manuscrits des xive et xve s. conservent un Liber arenalis. Deux d'entre eux indiquent qu'il s'agit d'une traduction de l'arabe en latin due à Platon de Tivoli ; le troisième note qu'il s'agit d'une traduction de l'hébreu, due à Platon72. Ce dernier manuscrit, qui se trouve au British Muséum, indique les noms des figures, la signification principale de chacune des maisons et les significations particulières de chacune des figures dans chacune des maisons ; la dernière partie, empruntée à l'œuvre de Hugues de Santalla, traite de la paternité des figures. Les autres manuscrits, du xive s., ont un incipit semblable : Incipit liber arenalis sciencie ab Alpharino Abizarch ediius et a Platone Tiburlino de arabico in latinum translatas. In nomine domini misericordii et pii. In lineis contineri scienciam uni prophetarum a Deo creatore transmissam... L'auteur explique le jet des points, la formation des figures, et étudie les significations des figures et leur paternité73. Je n'ai retrouvé aucun témoignage de l'utilisation de l'un ou l'autre de ces textes au cours du moyen âge. Je n'ai pas pris en compte, parmi ces géomancies du xne s., Y Experimentarius de Bernard Silvestre, qui relève davantage des livres de sorts que de la géomancie74. La géomancie connut un grand succès au cours des siècles suivants : à partir du xme s., et jusqu'au xvne s., de nombreuses personnalités, comme Barthélémy de Parme, Guillaume de Moerbeke ou Jean de Murs, et plus tard Robert Fludd, Agrippa et Barthélémy Coclès, attachèrent leur nom à des traités de géomancie. Toutes les grandes bibliothèques possèdent de nombreux manuscrits géomantiques, aussi bien en latin qu'en langues vulgaires (français, italien, catalan, anglais, allemand). Plusieurs textes littéraires, dont la Divine Comédie de Dante et le Tiers Livre de Rabelais, et certaines chroniques attestent d'une diffusion certaine de cette technique dans les milieux cultivés. La légitimité de son emploi donna lieu à des discussions dont on retrouve l'écho chez Albert le Grand et Thomas d'Aquin par exemple. La géomancie cependant ne bénéficia pas, comme l'astrologie, du support philosophique de l'aristotélisme. C'est pourquoi elle ne la supplanta pas, dans l'Occident latin du moins, et n'atteignit même jamais une aussi grande popularité. 69. P. Lehmann, Mittelalterliche Biblioiheks Kalaloge Deutschlands und der Schweiz, Munich, 1928, t. II, p. 30, n° 64, t. III (2), p. 832. 70. Florence, Nat., Magliabech XX-13, fol. 61-97v° ; Paris, Bibl. Nat., Ital. 449, fol. 16-64. 71. L. Minio-Paluello, Plato of Tivoli, dans Ch. C. Gillispie, Dictionary of Scientiftc Biography, t. XI, New York, 1975, p. 31-33. 72. Cambridge, Magdalen Coll., F. 4. 27, fol. 120-125 ; Londres, British Mus., Arundel 66, loi. 269-277 ; Oxford, Bibl. Bodl., Rawlinson D 1227, fol. 38-40v°. 73. Trad. de l'hébreu : Londres, British Mus., Arundel 66, fol. 269-277 ; de l'arabe : Cambridge, Magdalen Coll., F. 4. 27, fol. 120-125 ; Oxford, Bibl. Bodl., Rawlinson D 1227, fol. 38v°-40, incomplet ; les questions publiées en 1687 sous le nom de Platon de Tivoli dans le Fasciculus geomanticus de Robert Fludd : Quaestiones geomantiae Alfakini Arabici filii a Platone in latinum translatae... sont empruntées au traité de Gérard de Crémone. 74. Voir une étude de ce texte : Ch. S. F. Burnett, What is the Experimentarius of Bernardus Silvestris? A Preliminary Survey of the Material, « Arch. d'hist. doctr. et littér. », XLIV, 1977, p. 79-125; M. Brini-Savorelli, Un manuale di geomanzia presentato da Bernardo Silvestre da Tours: F Experimentarius, « Riv. critica di stor. d. fllos. », XIV, 1959, p. 283-342. 136

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