Les Manuscrits de la Mer morte.pdf

October 30, 2017 | Author: vele | Category: Dead Sea Scrolls, Hebrew Language, Bible, Religion And Belief, Religious Texts
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DU MÊME AUTEUR chez le même éditeur :

LUMIÈRES NOUVELLES SUR

LES MANUSCRITS

DE LA MER

MORTE

MILLAR BURROWS Professeur de théologie biblique

à I'Université Yale

&@s

DE &A Traduit de l'américain par M. GLOTZ et M.-T. FRANCK

BIBLIOTHEQUN DES

GRANDES ÉNIGMES

Titre original

:

THE DEAD SEA SCROLLS

@ Editions Robert Laffont, S.A., Paris,l97O.

A

Charles Cutler Toruey

Nlt$ Npl N'Dr/ mt)D) qTxnn 'r N.tàD n'nn IDrn "ïtJ: n'T, P'àâ T §ntf TD (Jn , comptant les deux fragments dt Manuel de Discipline comme un seul roulèau. Après notre rètour en Amérique, le docteur Trever en détacha une colonnè et, en se basant Sur ce texte, émit I'hypothèse que le docul ment pourrait étre le livre perdu de Lamech; désormais nous l'appelâmes le Rouleau de Lamech. Sur la suggestion du métropolite, Georges Isaiah persuada les Bédouins de le conduire a la grotte oir il aperçut une jarre intacte, les fragments d'autres jarres, une mystérieuse pièce de bois posée sur une pierre et de nombreui fragments de manuscrits, ainsi que des fragments du tissu qui avait enveloppé les rouleaux. Au mois d'août, l'archevêque envoya un de ses moinés, le Père Joseph, procéder à un nouvel examen de la grotte. L'idée de transporter'la jarre intacte qui se trouvait encore dans la grotte fut envisagée; mais on I'abandonna, la jarre étant trop lourde pour -qu'on pût la traisporter, vu l'intense chaleur qui règne l'été dans cette région iituée à plus de 400 mètres au-dessous du niveau de la mer. Au cours de l'été, I'archevêque Samuel consulta plusieurs érudits et fit voir ses rouleaux à de nombreux visiteurs du monastère, afin de s'informer avec précision du contenu, de la date et de la valeur des manuscrits. Il semble que la première personne consultée ait été un membre de l'Église syrienne oithodoxe, feu Stephan Hannah Stephan, gri_entaliste àe renôm, qui travaillait alors au Service des Antiquités de Palestine. Sans hésiter il déclara les rouleaux dépourvus de valeur. Comme il était compétent dans le domaine de I'histoire des Arabes plutôt qu'en archéologie ou en paléographie hébraTque, il faut attribuer son jugement sur ce point à un scepticisme général. L'archevêque Samuel parla aussi des rouleaux à un des savants de l'École française dominièaine d'Archéologie, le Père A.S. Marmadji, autre arabisant. Or, un éminent savant venu de Hollande, le Père van der Ploeg, résidait à ce moment au monastère dominicain de SaintÉtienne, (ui est en rapports étroits avec l'École d'Archéologie; le Père Marmadjil'emmena voir les rouleaux et les autres manuscrits au monastère syrièn. Le Père van der Ploeg reconnut immédiatement dans le 20

LES PREMIÈRES DÉCOUVERTES plus grand rouleau le livre d'Isaïe et il fut sans doute le premier à faire cette identification. Au début de septembre, le métropolite-emporta ses rouleaux en Syrie pour les montrer-au patriarche de son Église à Homs. Il voulut alors ôonsulter le professeur d'hébreu de I'Université américaine de Beyrouth, mais celui-ci n'était pas revenu de ses vacances. Rentré à Jérusalem, I'archevêque Samuel tenta de nouveau de s'informer auprès de Stephan Hannah Stephan qui, sur sa demande, lui apporta des livres sur I'alphabet hébreu; mais ces livres ne servirent pas à grand-chose. Toujours

sceptique, Stephan proposa d'amener à I'archevêque un érudit juif de ies relations qu'il prétendit être spécialiste. Sans doute celui-ci était-il Tobie Wechsler, qui devait jouer plus tard un rôle de premier plan dans la controverse publique au sujet des rouleaux. D'après lui, et d'accord avec Stephan, les rouleaux n'étaient pas anciens. L'archevêque Samuel rapporte qu'il désigna une table en disant:

« Si cette table était un coffre et que vous le remplissiez de billets de banque, cela ne représenterait pas, et à beaucoup près, le prix de ces rouleaux Si, comme vous le dites, ils avaient deux mille ans d'existence ! >> Plus tard, Wechsler admit qu'il avait été induit en erreur par des corrections marginales, dans l'un des manuscrits, ces corrections étant tracées d'une encre si noire qu'il pensa qu'il ne pouvait être ancien. Au début d'octobre, l'archevêque Samuel montra ses rouleaux à un médecin juif, le docteur Maurice Brown, venu au monastère pour discuter de l'affectation d'un immeuble appartenant à la communauté orthodoxe syrienne. Le docteur Brown en parla au président Judah L. Magnes, de l'IJniversité hébraique; à la demande de ce dernier, deux hommes travaillant à la bibliothèque de I'Université furent envoyés au monastère. Après avoir vu les manuscrits, ces derniers proposèrent de les faire examiner par quelqu'un de I'Université ayant plus de compétence en cette matière qu'ils n'en avaient eux-mêmes. Pendant ce temps le docteur Brown en parlait à un antiquaire juif du nom de Sassum, qui vint voir les rouleaux et suggéra d'en envoyer des fragments à des antiquaires d'Europe et d'Amérique; mais le métropolite s'y montra peu disposé.

Le docteur E. L. Sukenik, professeur d'archéologie à l'Université

, était en Amérique pendant que tout ceci se passait et à son retour en Palestine on ne lui parla pas immédiatement des manuscrits. Le 25 novembre, un antiquaire lui soumit un fragment de rouleau, lui raconta la découverte de la grotte et lui proposa d'acheter les rouleaux. Bien que soupçonneux et flairant une escroquerie, Sukenik répondit par l'affirmative. Quatre jours plus tard il revit l'antiquaire, lui acheta quelques rouleaux de cuir ainsi que deux jarres en poterie dans lesquelles les Bédouins prétendaient avoir trouvé les manuscrits. Ce même jour, I'Assemblée générale des Nations unies vota le fatal ordre du jour en faveur du partage de la Palestine. Accueillie avec joie par les Juifs mais blessant amèrement les Arabes, cette décision conduisit à une détériohébralque

2T

I-ES MANUSCRITS DE LA MER MORTE ration rapide de leurs rapports, si bien que toute communication pacifique entre eux devint bientôt impossible. Pourtant avant d'en arriver là, sukenik réussit à faire passer ses deux jarres de Bethléem dans la zone israélite de Jérusalem et à acheter d'autres fragments des manuscrits, aidéet encouragéen cela par le président Magnes qui lui procura I'argent nécessaire. Jusqu'à ce moment, sukenik ignorait tout des manuscrits acquis par I'archevêque samuel. Au début de décembre, il en entendit parler par I'un des hommcs de I'Université qui était allé au monastère pendant l'été. supposant à juste titre que ces manuscrits appartenaient vraisemblablement à la même collection que ceux qu'il avait achetés, sukenik tenta de rendre visite au monastère, mais se rendit compte que c'était devenu impossible. L'affaire en resta là jusqu'à la deuxième quinzaine de janvier; àcette époque il reçut une lettre d'un membre de l'Église orthodoxe syrienne

du nom d'Anton Kiraz; celui-ci possédait une propriété au sud

de

Jérusalem, dans laquelle il avait fait des fouilles et mis au jour une tombe ancienne. Kiraz lui écrivit qu'il était en possession de vieux manuscrits qu'il aimerait lui soumettre. Etant donné qu'à cette époque la circulation entre les quartiers juifs et arabes était impossible, la rencontre eut lieu à l'y.M.c.A. situé dans ce qui était alors laZone Militaire B; de là on pouvait obtenir des laissezpasser pour les autres zones de la ville. Dès qu'il vit les manuscrits, sukenik se rendit compte qu'ils faisaient effectivement partie de la même collection que les fragments en sa possession. Kiràz déclara qu'ils avaient été trouvés dans une grotte près de la mer Morte et qu'il avait visité la grotte. Il offrit de vendre les rouleaux à l'université hébraique et proposa de rencontrer le métropolite pour en discuter. L'archevêque samuel affirme que tout ceci fut fait sans son consentement, sans même qu'il en eût connaissance. Kiraz autorisa Sukenik à emprunter trois rouleaux pendant deux jours et sukenik en profita pour copier plusieurs colonnes du manuscrit d'Isaie, qu'il publia ultérieurement. Le 6 février, d'après ses dires, il rendit les rouleaux à Kiraz qui lui en montra deux autres qui faisaient partie (l'un à coup sûr) du Manuel de Discipline. Ils convinrent de se rencontrer encore une fois en présence du docteur Magnes et du métropolite pour conclure les négociations et I'achat des rouleaux. Cette rencontre n'eut jamais lieu. Pendant ce temps le métropolite prenait les mesures qu'il jugeait opportunes. un des moines du monastère de saint-Marc, mort aujour-

d'hui, Boutros Suwamé, suggéra qu'ils pourraient obtenir un

avis

digne de confiance au sujet des rouleaux en s'adressant à l'American School of oriental Research. Dans ce but il téléphonale 17 février à l'église collégiale de saint-Georges pour demander à l'évêque stewart de lui indiquer un membre de l'École Américaine capable de donner un avis. J'étais absent de Jérusalem à l'époque, I'ayant quitté le dimanche précédent pour une tournée en Irak. Mais il se trouva qu'un de mes étu22

LES PREMIÈRES DÉCOUVERTES diants, le docteur William H. Brownlee, qui suivait le cours d'arabe à I'École des Missions Newman, avait été obligé de se procurer auprès d'un pasteur résident un papier certifiant qu'il était chrétien, ceci pour pouvoir circuler entre notre École et l'École Newman et ne pas être arrëté par les gardes arabes à la ligne de démarcation. L'évêque Stewart lui ayant fait lui-même ce certificat, il pensa à lui et donna son nom à Suwamé, tout en mentionnant que je venais de partir pour Bagdad. En conséquence, le mercredi 18 février 1948, Boutros Suwamé téléphona à I'American School of Oriental Research et demanda Brownlee. Celui-ci venait de sortir pour acheter du papier d'emballage destiné à expédier ses affaires personnelles en Amérique. Le domestique qui répondit au téléphone dit à Suwamé que le docteur Brownlee n'était pas dans la maison

et que j'étais moi-même absent de Jérusalem, mais que le docteur John C. Trever faisait fonction de directeur pendant mon absence. Trever vint donc à I'appareil et invita Suwamé à apporter les manuscrits à

I'Ecole le lendemain. Le jeudi après-midi, à 2 heures et demie comme convenu, Boutros Suwamé et son frère Ibrahim arrivèrent à l'École avec les rouleaux;

mais cette fois-ci Brownlee s'étant rendu au bureau de poste avait été de nouveau retardé au passage des postes de zone, de sorte qu'il manqua cette occasion de rencontrer les Syriens. Trever les reçut, examina les rouleaux et avec la permission de Suwamé

copia deux lignes du plus grand d'entre eux. Surpris par la forme de I'alphabet hébreu utilisé dans ce manuscrit, il le compara avec le texte de plusieurs vieux manuscrits hébreux reproduit dans une collection de plaques Kodachrome qu'il avait préparée. Le manuscrit dont l'écriture ressemblait le plus à celle des rouleaux était le papyrus Nash, un fragment dont la date (suivant l'opinion divergente de plusieurs spécialistes) placerait entre le lre siècle avant J.-C. et le ule siècle de notre ère. Quand Brownlee rentra, Trever lui montra le passage qu'il avait copié et qu'il avait très vite reconnu comme étant le premier verset du 65" chapitre d'Isaïe. D'autres personnes avaient déjà identifié ce rouleau comme tel. Un des Syriens, en fait, avait dit qu'il pensait qu'un des rouleaux était « Isaïe >>, mais Trever ne prit pas cette déclaration au sérieux, d'une part parce qu'il savait les Syriens incapables de lire I'hébreu et, d'autre se

part, parce qu'il ignorait lui-même que d'autres experts avaient déjà

vu le manuscrit. Le lendemain matin, Trever s'arrangea pour aller dans la Vieille Ville, au monastère de Saint-Marc oir Boutros Suwamé le présenta au métropolite. Il obtint l'autorisation de photographier les rouleaux et le métropolite et Suwamé convinrent de les apporter à I'American School à cette fin. Ils apportèrent en même temps le manus-

crit d'Isaïe pour permettre à Trever d'identifier quelle partie du livre

d'lsaïe y était reproduite. En le déroulant avec difficulté, il copia ce qui lui parut être le début de la première colonne et qui s'avéra être le premier verset du chapitre d'Isaie. Les rouleaux furent apportes à l'École 23

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE le samedi 21 février et les deux jeunes savants entreprirent la tâche difficile de les photographier. Le mardi après-midi suivant, ayant accompli la première partie de leur tâche, Brownlee et Trever rapportèrent les rouleaux au monastère dans la Vieille Ville. Pendant le reste de la semaine ils terminèrent le développement des négatifs et en tirèrent des épreuves. Quelques-unes des premières épreuves furent envoyées au professeur William F. Albright, de I'Université Johns Hopkins, pour lui demander son opinion sur la nature et l'âge des manuscrits. Les premières épreuves tirées furent celles du rouleau d'Isaïe et celles des deux rouleaux identifiées ultérieurement comme étant des fragments du Manuel de Discipline.Le vendredi 27 février on procéda au tirage des épreuves d'un autre rouleau qui devait être, suivant Brownlee, un commentaire des deux premiers chapitres du livre d'Habacuc. Le contenu des deux autres rouleaux ne put être identifié qu'après mon retour de Bagdad.

Une série complète des photographies fut remise à l'archevêque

Samuel. D'après lui, ce fut après qu'il les eut reçues que Kiraz lui deman-

da I'autorisation de montrer les rouleaux à Sukenik au Y.M.C.A. Le métropolite nous dit avoir suggéré àKiraz de prendre les photographies, mais celui-ci déclara qu'elles n'étaient pas assez grandes. Ceci est en contradiction avec la déclaration de Sukenik suivant laquelle, après avoir copié une partie du manuscrit d'Isaïe, il retourna les rouleaux à Kiraz le 6 février, c'est-à-dire trois semaines avant que les photographies de Trever ne soient terminées. Je ne sais que conclure de cette divergence. En tout cas l'archevêque Samuel décida de ne pas se défaire des rouleaux et de confier leur publication à I'American School of Oriental Research,

tandis que Kiraz assurait à Sukenik que la priorité serait donnée à l'Université hébraïque dès que les rouleaux seraient mis en vente. Le samedi 28 février, tard dans l'après-midi, notre équipe retourna à Jérusalem. J'appris à mon grand soulagement que rien de fâcheux ne s'était passé à l'École pendant notre absence, bien qu'une terrible explosion se fût produite en ville, causant la mort de plus de cinquante personnes. Mon journal indique : >. Le 18 *uts, le métropolite vint me voir

à l'École et Trever et moi discutâmes avec lui de différents points concernant les manuscrits. Je lui fis part de la conviction qui me faisait considérer le rouleau d'Isaïe comme le plus ancien manuscrit connu d'une quelconque partie de la Bible et réussis à I'impressionner. Je soumis aussi à son approbation un texte d'information, destiné à être publié, que j'avais préparé. Sachant maintenant que les manuscrits avaient été découverts dans une grotte près de la mer Morte, j'étais sûr que si nous pouvions fouiller la grotte et recueillir quelques fragments des jarres dans lesquelles ils avaient été trouvés, cela nous aiderait matériellement à établir leur âge. Nous discutâmes avec le métropolite de la possibilité d'une excursion à la grotte et lui fîmes part de nos projets de publication des manuscrits par I'Ame-

rican School of Oriental Research.

26

LES PREMIÈRES DÉCOUVERTES Le 19 mars j'écrivais dans mon journal : > Pour la première fois il était fait allusion devant nous aux négociations qui s'échangeaient entre I'Université hébraique et lo monastère de Saint-Marc, mais nous ignorions encore que le professcur Sukenik s'était rendu acquéreur d'autres rouleaux et de fragments

tlc manuscrits. Le20 au matin, nous nous rendîmes au Haram, I'enceinte sacrée de la Mosquée d'Omar, accompagnés par des gardesqu'un aminousavait fournis. Nous y rencontrâmes un gardien du sanctuaire de Nebi Musa, près

de la.route de Jéricho, qui nous dit qu'il lui serait possible d'organiser pour nous une excursion à la grotte. Nous irions en voiture jusqu'à Nebi M usa, etde là à pied jusqu'à la grotte, guidés par un Bédouin de la localité. Nous fûmes terriblement désappointés, au jour convenu, de ne pas voir arriver I'homme qui devait nous servir de guide. On nous expliqua par la suite que l'expédition projetee avait été jugée trop dangereuse, des troupes israéliennes se trouvant à I'entraînement dans la plaine au nord ct à I'ouest de la mer Morte. Nous ne saurons probablement jamais à qui nous devons cette déconvenue, mais nous en avons quelque soupçon. Nous ne pouvions pas partir seuls et I'eussions-nous tenté que nous n'aurions pas trouvé la grotte. Le 25 mars, le métropolite annonça à Trever que Suwamé avait quitté la Palestine avec les manuscrits. J'avais moi-même émis I'idee qu'ils n'étaient pas en sûreté au monastère de la Vieille Ville et Trever avait suggéré de les envoyer dans un autre monastère syrien orthodoxe au bord du Jourdain. Les événements nous donnèrent raison quelques semaines plus tard, quand le monastère de Saint-Marc fut endommagé par un bombardement et que Boutros Suwamé lui-même y périt. Cependant la sortie des manuscrits sans une licence d'exportation émanant du Service des Antiquités était illégale. Je ne saurais dire dans quelle mesure le métropolite en avait conscience; mais nous essayâmes en tout cas de I'en convaincre. Je sais bien qu'il avait une fois déjà emporté ces rouleaux en Syrie et qu'il les avait rapportés. Pour être juste, il faut se rappeler que des siècles durant, la Palestine n'avait pas possédé de gouvernement autonome et qu'elle avait été régie par des puissances étrangères successives. Dans de telles circonstances il n'était pas extraordinaire que parfois, et même en haut lieu, se manifestât vis-à-vis de la loi une certaine attitude que les démocraties occidentales elles-mêmes n'ignorent pas. Nous devons ajouter, non pour excuser mais pour expliquer en partie ce qui se produisit, qu'en mars 1947, il n'y avait plus de gouvernement effectif dans le pays et peu de perspective d'en voir surgir un. l,e Service des Antiquités continuait à fonctionner, faisant de son mieux, rnais son souci majeur était la protection de ses trésors face au chaos menaçant. Ce que I'avenir réservait à Jérusalem et aux Rouleaux de la rner Morte nul ne pouvait le prévoir 27

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE Nous passâmes de longues heures en cette fin du mois de mars à prendre des dispositions pour notre voyage de rétour. Très vite la situation empira. Les facilités qui nous étaient jadis offertes pour tout ce qui touchait aux transports, aux communications, aux opérations de banque et autres services indispensables n'avaient plus de « facilité » que le nom. Le 27 mars eut lieu le cours de clôture qui nous permit d'achever en première lecture le Commentaire d'Habacuc. Le lendemain, dimanche de Pâques, fut un des jours les plus tristes dont je me souvienne. Les efforts déployés pour obtenir une trêve à cette occasion échouèrent complètement. Le mardi 30, Brownlee partit pour l'Amérique. Ma femme et moi partîmes de Jérusalem le 2 avril, mais nous ne pûmes quitter Haïffa qu'au bout de deux semaines. Trever, après une ultime rencontre avec le métropolite et Sqwamé, le 3 avril, se rendit à Lydda le 5 et y prit un avion pour Beyrouth. Le 1l avril, tandis que ma femme et moi attendions avec impatience que notre bateau entrât dans le port, le compte rendu que j'avais envoyé de Jérusalem en Amérique parut dans les journaux. Malheureusement, une erreur s'était, je ne sais comment, glissée dans la version donnée à la presse. J'avais écrit : . A qui devions-nous cette modification, je l'ignore. Le professeur Sukenik, après avoir lu le compte rendu des journaux, fit paraître un rectificatif signalant que les rouleaux avaient été découverts dans une grotte près de la mer Morte l'année précédente. C'est en lisant cette déclaration dans le Rome Daily American du 28 avril 1948, alors que notre bateau faisait escale à Gênes, que j'appris que la découverte comprenait d'autres manuscrits que ceux qui avaient été achetés par le métropolite. Pendant notre voyage de retour, lent et reposant, à bord d'un petit cargo norvégien, j'eus tout loisir de collationner le texte entier du manuscrit d'fsaie avec le texte hébreu traditionnel ou massorétique, ayant eu soin d'apporter avec'moi une série complète des photogfaphies Trever et une édition classique de l'Ancien Testament en hébreu.

de

Ce

travail me servit de base pour tous les articles que je publiai I'année suivante. Les premières nouvelles de la découverte, publiées d'abord goutte à goutte, s'enflèrent bientôt en un véritable torrent. The American

Friends of the Hebrew University firent paraître un bulletin spécial le 16 juin. Un exposé supplémentaire parut dans le bulletin de novembre. Le numéro de septembre du Biblical Archaeologr§, contenait un article de Trever sur la découverte des rouleaux et un autre de moi sur

leur contenu et leur signification.

Ce même mois, Sukenik publia son premier volume sur les Manuscrits, sous le titre de Meghillôth genûzôth (Les rouleaux cachés). Il y donnait un compte rendu de l'acquisition des manuscrits en sa possession et un 28

LES PREMIÈRES DÉCOUVERTES résumé de leur contenu dans la limite des textes identifiés à ce jour, ainsi que des extraits choisis accompagnés de notes et de très bonnes photographies. Le texte des chapitres 42 et 43 du livre d'Isaie, copié par lui sur lo manuscrit du métropolite, lorsqu'il l'avait eu entre les mains, faisait partie de ce tome. Ce texte était présenté en face du texte massorétique. Le numéro d'octobre du Bulletin of the American School of Oriental Research contenait un article de Trever intitulé » et la première partie d'un de mes articles sur les variantes du manuscrit d'Isaïe. Les numéros de décembre et de février contenaient une traduction du Commentaire d'Habacuc de llrownlee, un article de H.L. Ginsberg sur les rouleaux de Sukenik, la suite de mon article sur les variantes du manuscrit d'Isaie, un a.ticle sur la paléographie des rouleaux par Trever et un autre sur la date du rouleau d'Isaie par Salomon A. Birnbaum. Les savants intéressés furent ainsi très bien informés de la nature générale et du contenu des rouleaux dans I'année même où nous avions eu connaissance de leur existence. Aux réunions de la Society of Biblical Literature and Exegesis et des American

Schools of Oriental Research qui eurent lieu à New York en tlécembre 1948, Brownlee présenta deux études sur le Commentaire d'Habacuc, anticipant ainsi certaines théories publiées ultérieurement par différents érudits. , D'autres découvertes devaient suivre, mais la première escarmouche tle ce qu'il fut bientôt convenu d'appeler la « bataille des rouleaux avait eu lieu. Des doutes et des accusations, suivies parfois, mais bien rarement, de rétractations, se succédèrent à une cadence accélérée. Les brises salubres de l'investigation et de la discussion objectives n'avaient pas encore dissipé complètement la fumée des combats. Mais avant de poursuivre ce récitfantastique, donnons encore quelques détails sur le contenu et le caractère des rouleaux. Les onze rouleaux ou parties de rouleaux découverts et retirés les premiers de la grotte par les Bédouins en 1947 correspondent à six æuvres distinctes, à savoir : lo le livre du prophète Isaie de l'Ancien Testament, contenu en entier dans le plus grand et le plus ancien des rouleaux; des fragments de ce livre se trouvent égalenrent dans les rouleaux acquis par l'Université hébraique;20 le Coitmentaire sur Habacuc; 3" le Manuel de Discipline sous la forme d'un rouleau qui fut découvert fractionné en deux parties; 40 le manuscrit araméen appelé provisoirement le Rouleau de Lamech qui n'a pas encore été déroulé; 5o la Guerre des Fils de Lumière contre les Fils de Ténèbres et 60 les Hymnes d'Action le Grôces contenues dans quatre des pièces achetées par le professeur Sukenik. De nombreux fragments d'autres livres furent découverts plus tard quand la grotte et d'autres grottes situées dans le voisinage furent cxplorées. D'autres encore furent achetés à des Bédouins qui les avaient trouvés. Cependant aucun texte découvert après 1947 n'est comparable on importance aux premiers rouleaux. >>

29

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE 10 Le manuscrit d'IsaTe de Saint-Marc est un rouleau de cuir fait de bandes cousues bout à bout. Déroulé, il mesure environ 32 centimètres de large sur 7,80 m de long. Il est remarquablement bien conservé malgré I'usure imputable à un long service. En plusieurs endroits la peau a été déchirée puis réparée à une époque très ancienne, soit en la recousant soigneusement, soit en fixant des bandes de peau au revers du rouleau. Le texte hébreu écrit sur cinquante-quatre colonnes est encore en grande partie clairement lisible; il ne présente naturellement pas notre division habituelle en chapitres et en versets, mais il se divise en sections et paragraphes indiqués par des alinéas dont le premier mot coûrmence dans la marge quand la ligne précédente n'a pas été remplie, et en retrait quand la ligne précédente est entièrement remplie. Il arrive qu'un espace supplémentaire soit laissé entre les lignes. Les grandes divisions ne correspondent pas toujours à nos chapitres. A I'intérieur des paragraphes il ÿ a souvent des espaces entre les phrases indiquant des subdivisions qui correspondent quelquefois, mais pas toujours, à la division bien plus

récente en versets. Un curieux système de notation se trouve dans les marges : une courte ligne horizontale, munie ou non d'un petit crochet à l'une de ses extrémités, souligne à certains endroits le commencement ou la fin d'un passage. Ailleurs, des signes d'une extrême minutie y apparaissent dont Ia signification n'a pu être encore déterminée. On ne peut faire que des conjectures sur l'emploi de tels signes. Peut-être servaient-ils à marquer un passage choisi ou une péricope pour I'office liturgique utilisés lors des réunions du culte, bien que les passages compris entre deux signes consécutifs semblent souvent bien courts pour remplir un tel but. Peutêtre indiquent-ils des portions du texte considérées comme étant spécialement importantes par ceux qui se servaient du manuscrit. Le texte hébreu est écrit dans l'alphabet carré ou araméen. C'est de ce même alphabet, évolué par la suite, qu'a été tiré celui qui est encore

utilisé pour imprimer I'hébreu. La forme des lettres du manuscrit

d'Isaie et des autres rouleaux de la mer Morte ressemblent à celles des inscriptions palestiniennes datant du dernier siècle avant J.-C. environ et des inscriptions ultérieures. En général les différentes lettres ont des formes bien distinctes, de sorte qu'aucune confusion n'est possible ou presque entre une lettre et une autre, comme cela arrive souvent dans les autres manuscrits anciens. Contrairement aux brèves inscriptions, ce manuscrit est si étendu qu'on y trouve de nombreux exemples de chacune des lettres de l'alphabet, rendant possible une comparaison qui révèle des variantes fort intéressantes et nous permet quelquefois de surprendre la façon dont le scribe traçait les lettres. Quelques détails et leur signification devront être débattus quand nous en arriverons à la question de l'âge des manuscrits. Le texte lui-même est dans l'ensemble le même que celui du livre d'Isaie qui nous est familier, avec beaucoup de différences plus ou moins 30

LES PREMIÈRES DÉCOL}VERTES importantes dans les détails. Les différences aussi bien que les concorle texte traditionnel sont importantes et nous devrons plus tard en tenir compte pour essayer d'évaluer l'importance du manuscrit au point de vue de la critique textuelle. Le texte a, de toute évidence, été vérifié et corrigé, car en de nombreux endroits, des mots écrits par erreur ont été effacés ou rayés et des corrections ajoutées. De légères corrections d'une seule lettre ou d'un seul mot sont de la main même du scribe; d'autres plus importantes ont été écrites par quelqu'un d'autre. Des lettres et des mots oubliés par le copiste sont fréquemment insérés au-dessus de la ligne. Quand il n'y a pas de place dans les interlignes pour tout ce qui a été oublié, les corrections sont ajoutées tout au long de la marge gauche en descendant. De nombreuses indications prouvent clairement que le copiste laissait un espace chaque fois que quelque chose manquait ou n'était pas clair dans le manuscrit qu'il copiait. Les lacunes du texte étaient ordinairement comblées plus tard «Iances avec

un autre manuscrit. Le manuscrit d'Isaile de l'Université hébraîque, un des rouleaux achetés par le professeur Sukenik, n'est pas contme le premier, une copie complète du livre. Son contenu ne fut identifié qu'un certain temps après la découverte et l'acquisition des rouleaux parce qu'il était si étroitement comprimé qu'on attendit pour entreprendre de le dérouler que les autres rouleaux fussent ouverts et que nous eussions acquis un peu plus d'habileté dans ce travail délicat. Cette tâche une fois entreprise, on s'aperçut que le rouleau était fait d'un grand morceau et de plusieurs petits. Le cuir était détérioré au point que Ie texte en maints endroits ne put être

d'après

déchiffré qu'à I'aide de

la

photographie infra-rouge. Finalement il

s'avéra que le grand morceau contenait le dernier tiers du livre d'Isaie, du chapitre 38 à la fin, avec quelques lacunes. Les morceaux plus petits contenaient des passages des chapitres 10, 13, 19-30 et 35-40. Apparemment le rouleau était déjà fragmenté quand il fut déposé dans la grotte. Le texte de ce manuscrit, contrairement au manuscrit de Saint-Marc, suit de très près le texte massorétique des manuscrits ultérieurs. Ce fait est important pour établir la valeur des deux manuscrits et leur importance pour l'histoire du texte de I'Ancien Testament (voir 5" partie, chap. 1). 20 Le rouleau contenant le Commentaire d'Habacuc est relativement petit. Le début a été perdu mais il .ne manque apparemment qu'une colonne. Le reste est presque complet à l'exception du bas des colonnes qui a été rongé, et de quelques trous dans certaines des colonnes. Déveil devait avoir, à I'origine, loppé, le rouleau a 1,65 m environ de long 2 m ou 2,30 m de plus. Actuellement il n'a que 1,80 m dans sa plus grande largeur; sa largeur primitive peut être estimée, raisonnablement, à environ 2,30 m. Le texte est encore plus clair, d'une plus belle écriture et beaucoup mieux conservé que celui du premier rouleau d'Isaïe. La forme des caractères indique une date un peu plus récente et il semble bien que 31

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE le rouleau n'ait pas subi autant de manipulations que celui d'Isaïe avant d'être déposé dans la grotte.

A certains égards, ce curieux petit document est le plus intéressant et le plus important de tous ceux qu'on a trouvés pour I'identification et l'histoire du groupe à qui on le doit. Mention est faite de certaines

personnes et de certains événements d'une façon mystérieuse, qui excite la curiosité. Nous aurons à revenir ultérieurement sur ces allusions à propos de I'authenticité et des dates des rouleaux, de l'histoire etdes croyances de la secte qui les possédait. A ce moment-là, une description générale et quelques brefs extraits suffiront à donner une idée de la nature et du contenu de l'æuvre. La première colonne, dont une certaine partie est conservee, débute par les mots du second verset du premier chapitre d'Habacuc. Il ne reste que quelques mots à la fin des lignes dans cette colonne. Ceux du bas appartiennent au quatrième verset du même chapitre. La colonne suivante est mieux conservée mais avec un grand vide du haut en bas au

milieu des lignes. Les premiers mots sont ceux du cinquième verset d'Habacuc I. La méthode suivie tout au cours de l'æuvre consiste à citerletexte d'Habacuc, quelques mots à la fois, et à accompagner chaque citation d'une explication se rapportant à l'histoire de la secte et montrant l'accomplissement de la prophétie. Par exemple, le sixième verset du premier chapitre d'Habacuc : > est cité avec ce commentaire : « Ceci concerne les Kittîm, qui sont rapides et vaillants dans la guerre. » Mais qui sont les Kittîm ? La réponse à cette question est importante pour déterminer l'époque où le commentaire fut écrit et nous aurons à revenir là-dessus. Il est encore question des Kittîm dans les commentaires de versets ultérieurs, mais rien de suffisamment précis ne permet de les identifier à coup sûr. Pour les premiers lecteurs de ces commentaires qui étaient au courant de la situation historique de l'époque et capables de comprendre des allusions qui restent obscures pour nous, l'intention de I'auteur était sans doute fort aisée à saisir. D'autres mentions encore plus mystérieuses ont trait à des peuples, des groupes et même des individus. La seconde moitié du treizième verset d'Habacuc I est citée par exemple avec une légère variante du texte classique : « Pourquoi regaldes-tu les perf,des et te tais-tu lorsqu'un méchant dévore celui qui est plus juste que lui ? » Puis, vient le commentaire : « Ceci concerne la se dressa contre lui et le persécuta. Cette persécution atteignit son apogée le jour de la fête du Grand Pardon, iour de jeûne, d'expiation, de pénitence, au cours d'un incident décrit de façon imprécise. Aucun passage des manuscrits de la mer Morte n'a soulevé autant de discussions et même de controverses. ce passage et d'autres allusions d'une imprécision exaspérante, à des personnes et à des événements, représentent presque tout ce que nous savons des origines et du début de l'histoire de la secte. Nous èn discuterons plus tard mais ce que nous venons de dire peut suffire à donner une notion préliminaire générale du caractère du document. 30 Le Manuel de Discipline, comme nous l'avons dit, était en deux rnorceaux, roulés séparément, quand il fut apporté à I'American School of Oriental Research. Des fentes dans le cuir très cassant prouvaient qu'ils avaient été déroulés, plusieurs fois peut-être, de sorte qu'il n'est pas certain que les deux morceaux aient été déjà séparés quand ils furent découverts par les Bédouins. En tout cas, ce sont deux parties consécutives de ce qui était à l'origine un seul rouleau fait de cinq bandes de cuir ou de parchemin cousues ensemble. Les deux morceaux réunis feraient un rouleau d'un peu plus de 1,82 m de long. Le début manque, mais la longueur initiale du rouleau complet a dû être de 2,L2 m au moins. La

largeur est d'environ 0,24 m. La peau dont est raitcærouleauest d'une texture grossière, d'une teinte que les autres rouleaux achetés par le métropolite. on y Qien_plus claire décèle peu de traces d'usure et, à l'inverse des autres roulèaux, il n'â pas beaucoup souffert des ravages du temps. Les fourmis blanches en ont mangé les bords supérieurs et inférieurs mais pas assez profondérnent pour détruire la moindre partie du texte, sauf dans la première colonne qui a perdu quelques mots de ses deux premières lignes. Au bas des colonnes, des fragments dans les trois dernières lignes on1été mangés oxcepté dans la dernière colonne dont les deux tiers manquent pour compléter le document. Le titre Manuel de Discipline n'est pas donné dans le texte lui-même; il me vint à I'esprit en lisant pour la première fois le texte à Jérusalem en rnars 1948. Observant le mélange d'instructions liturgiques et de règles ooncernant le protocole des réunions du groupe et la conduite persônnelle des membres, je me souvins du manuel de discipline de l'Éghse rnéthodiste. Je ne fais pas partie de cette communauté èt je ne crois pas avoir jamais vu son manuel de discipline mais j'ai l'imprèssion qu'il est 33

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE fait d'une combinaison de règles liturgiques et disciplinaires un

peu

comparable. Étant donné que le rouleau ne décrivait pas les croyances mais émanait et lei pratiques -ou du judaisme rabbinique ou orthodoxe d'un groupe à I'intérieur du judaïsme, nous le désid'une iecte gnâmes d'abord sous le nom de >, mais cela i'étuit évidemment pas satisfaisant. Dans notre première insertion de presse du 11 avril 1948, nous en parlions comme d'un > La fabrication des faux en matière d'antiquités est une occupation prospère dans les pays où les archéologues ont été à l'æuvre depuis de longues années mettant au jour des statues, des pièces de monnaie, des inscriptions et d'autres objets que les musées et les collectionneurs payent cher. D'habiles artisans peuvent en faire des imitations que le meilleur des experts est à peine capable de déceler. La Palestine n'a ignoré, elle aussi, ni les fausses inscriptions ni les faux manusorits, mais le fait est resté peu commun parce que les fouilles palestiniennes ne livrent pas beaucoup d'objets qui se prêtent à cette entreprise malhonnête. Quand je vis pour la première fois les photographies que Trever avait faites des manuscrits du métropolite, je me posai naturellement la question : Les arguments misen avant à ce momentlà, et plus tard par Zeitlin, contre l'antiquité des rouleaux seront passés en revue dans les chapitres IV et V de ce livre. Ils ont trait surtout à des mots et à des idees qui, à son avis, n'apparurent pas avant le Moyen Age dans la littérature hébraique. Il démentit catégoriquement I'existence de commentaires sur la Bible avant cette époque. Les autres Savants, dans l'ensemble, acceptèrent I'authenticité et I'antiquité des rouleaux, Se réservant pourtant, avec une louable prudence et en termes modérés, de porter un jugement flnal le jour où les textes seraient publiés. Le professeur Zeitlin, lui, resta sur ses positions et continua à bombarder tous ceux qui prenaient la défense des rouleaux, quels qu'ils fussent. Il serait inutile de suivre ici en détail l'ardent débat qui s'ensuivit dans les revues érudites et dans la grande presse. Les points Àsentiels en seront soulevés quand nous aborderons la question de l'âge des manuscrits. La discussion entra dans une nouvelle phase quand la grotte dans laquelle les manuscrits avaient été trouvés fut redécouverte et fouillée. Bien des doutes et des discussions eussent été évités si la grotte avait pu être fouillée ou même inspectée par des archéologues compétents dès la première découverte. Cela ne fut pas possible, et qui pis est, la grotte fut fouillée plusieurs fois par des personnes incompétentes et agissant sans autorité avant qu'aucun archéologue n'eût vent de la découverte. En

novembre ou début décembre 1948, avant que I'ordre ne fût rétabli dans le pâÿS, après les désordres de I'année qui venait de s'écouler, des individus peu scrupuleux, uniquement intéressés par le pillage et le gain, creuÀèrent une seconde ouverture dans la grotte, au-dessous de l'ouverture naturelle; ils retournèrent le sol de la grotte et jetèrent les décombres à l'extérieur, rendant à jamais impossible une description exacte de l'état et du contenu de l'anfractuosité à l'époque où les Bédouins y pénétrèrent pour la première fois. L'homme dont les efforts aboutirent enfin à la redécouverte et à l'excavation de la grotte était un observateur belge de I'O.N.U., le capitaine Philippe Lippens, qü avait fait ses études à l'Université de Louvain. Peu de temps après son entrée en fonction en Palestine, il avait lu un compte rendu de la première découverte qui éveilla son intérêt. Au début décembre 1948, alors qu'il résidait au King David Hotel, il eut une conversation à ce sujet avec le directeur de l'Institut Biblique Pontifical à Jérusalem; et le 15 décembre, ayaffi pour la pre4L

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE mière fois I'occasion de franchir la ligne d'armistice, il fit une visite au monastère de Saint-Marc et conféra avec deux des moines qu'il trouva « fort polis mais méfiants ». De là, il se rendit à I'American School of Oriental Research et apprit que le professeur O.R. Sellers, qui m'avait succedé à la direction de l'École, tenait beaucoup, lui aussi, à déterminer I'emplacement de la grotte. Le ll janvier 1949, le capitaine Lippens, après une courte absence, revint à Jérusalem et eut une conversation avec le professeur Sellers. Il rendit aussi visite au Père de Vaux, de l'École française d'Archéologie, qui lui montra plusieurs articles concernant les Rouleaux de la mer

Morte. Un article de Trever faisant allusion à notre projet avorté

de

recherche de la grotte excita davantage encore l'intérêt que le capitaine Lippens portait à I'affaire et le poussa à prendre une détermination énergique. Le 17 janvier, il revit le Père de Vaux et s'engagea, au cas où

il découvrirait la grotte, à procéder aux fouilles et à prendre le Père comme directeur technique. Grâce à I'entremise du commandant Simon, autre officier belge attaché à I'O.N.U., le capitaine Lippens put obtenir une entrevue avec le commandant de la 3" Brigade de la Légion Arabe à Ramallah, le géné-

Cæ dernier convoqua son conseiller archéologique, le colonel Ashton, et téléphona à G.L. Harding, inspecteur en chef du Service des Antiquités jordaniennes à Amman qui se déclara extrêmement désireux lui aussi de découvrir la cachette. A l'issue de ces conversations, le général Lash décida d'envoyer deux Bédouins de la Légion Arabe en expédition sous les ordres du colonel Ashton; il fut entendu que le capitaine Lippens servirait de conseiller technique et que l'entreprise serait menée en collaboration avec Harding. Cinq jours après ces conversations, le capitaine Lippens fut muté de Jérusalem à Amman. Il se mit immédiatement en rapport avec Harding qui I'informa que le projet du général Lash avait déjà été mis à exécution et la grotte identifiee. Le capitaine Lippens apprit plus tard que les deux Bédouins n'avaient pu réussir à obtenir les informations désirees mais que le colonel Ashton lui-même, accompagné du capitaine Akkash el-Zebn de la Légion Arabe, s'était mis à la recherche de la grotte et l'avait trouvée le 28 janvier. Le regard perçant du capitaine Akkash el-Zebn avait repéré à l'entrée de la grotte la terre fraîchement remuée

ral Lash.

et les tessons rejetés par les chercheurs de trésor clandestins en novembre ou décembre. Le colonel Ashton était alors entré dans I'anfractuosité et

avait trouvé plusieurs morceaux de linge ayant servi à emballer

les

rouleaux et une grande quantité de tessons. Il n'était pas possible, sans faire d'excavation, d'établir de façon precise si la grotte découverte en 1947 était bien la même que celle-ci. Harding s'y rendit au début de février. Quelques jours après, sur la suggestion du capitaine Lippens, il y retourna accompagné du Père de Vaux. Le professeur Sellers, en allant à Beyrouth, s'arrêta le 3 février à 42

vit: t-*"

,essons rapporrés Amman et y par Harding. Des fouilles méthodiques furent alors entreprises par Harding et de Vaux avec l'aide de deux hommes du Musee palestinien, d'un homme d'Amman et d'un garde de la Légion Arabe. Ils travaillèrent qünze jours durant une période de près de trois semaines, jusqu'au 5 mars. Lippens vint voir les fouilles le 11 février et revint deux autres fois un peu plus tard. Sellers, qui avait été retardé par la pluie et la neige en revenant de Beyrouth, rendit visite à la grotte le 18 et le 26 février, en compagnie de D.C. Baramki, du Musée palestinien. Le travail n'était pas facile : l'espace dans la grotte était si restreint que deux hommes seulement pouvaient y travailler à la fois, à condition de n'utiliser que de petits outils; chaque tesson, chaque bribe de linge, le moindre fragment de parchemin portant ou non des caracteres, tout fut soigneusement recueilli. Après examen, aucun doute ne parut plus possible et les archéologues eux-mêmes furent convaincus qu'ils étaient bien en présence de la grotte dans laquelle avaient été découverts les premiers manuscrits vendus par les Bédouins au professeur Sukenik et au métropolite Samuel. Ils crurent même tout d'abord que certains des fragments qu'ils avaient trouvés provenaient de ces mêmes rouleaux. Cette impression ne fut pas confirmée lors des examens plus complets faits ultérieurement. Les fragments qui semblaient faire partie du Commentaire d'Habacuc se trouvèrent appartenir à des commentaires similaires sur d'autres livres de I'Ancien Testament : I'un venait d'un commentaire du livre de Michée et un autre d'un commentaire du Psaume 110. Pourtant les examens approfondis conûrmèrent que les fragments trouvés lors des excavations et les rouleaux vendus par les Bédoüns étaient similaires quant à la nature du support, la graphie, l'état de conservation et le contenu. Ils avaient appartenu de toute évidence à la même collection

":-iJ:":::

de documents. Des preuves de dépradations plus recentes furent également mises au jour. Mêlés aux débris antiques, on retrouva les traces çxaspérantes des chasseurs de trésor de I'hiver précédent et de leurs efforts désastreux : morceaux de tissu moderne, bribes de journaux, mégots et même un appareil à rouler les cigarettes portant le norh d'un des fouilleurs clan-

destins; Harding le renvoya

à son propriétaire.

Les poteries trouvées dans la grotte confirmèrent les dires des Bédouins

selon lesquels ils auraient decouvert les rouleaux dans des jarres et confirmèrent I'ancienneté des manuscrits, mais la date que de Vaux et Harding leur avaient attribuée, environ cent ans'avant J.-C., se révéla le bec d'une lampe et.des être un peu trop reculée. Quelques bribes - (fin du re ou début du tessons de marmite semblaient plus tarüifs - Les fouilleurs conclurent que cette poignée de rrre siècle après J.-C.). tessons de la fin de l'époque romaine (qui ne représentaient pas plus 43

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE de 5 oA de la totalité de la trouvaille) avaient dt être abandonnés par des intrus qui s'étaient introduits dans la grotte durant la période romaine et qui avaient peut-être enlevé quelques-uns des manuscrits. On ne manqua pas de rappeler que Ie grand théologien et exégète biblique du ute siècle, Origène, avait parlé en son temps de la découverte de manuscrits bibliques dans une jarre près de Jéricho. Si cette première fouille amena à des conclusions qui durent être rectifiées et modifiées quelque peu, lors de découvertes ultérieures, elle permit néanmoins de répondre à quelquesunes des questions qui se posaient. Le premier pas important avait été

franchi dans la recherche scientifique des problèmes soulevés par la découverte des rouleaux. Les fragments de manuscrits découverts dans les fouilles de 1949

comprenaient des bribes de plusieurs livres canoniques de I'Ancien Testament, quelques fragments d'écrits apocryphes ainsi que plusieurs ceuvres jusqu'alors inconnues. Dès 1952 une vingtaine d'ouvrages diflérents avaient été identifiés. La plupart des fragments étaient écrits dans les mêmes caractères que les rouleaux trouvés en 1947, mais quelques' uns étaient écrits en hébreu archalque, appelé parfois écriture phénicienne et de cette forme particulière qu'on trouve dans les Lettres de Lakich, qui datent du vre siècle avant J.-C. S'agissait-il de fragments, unique survivance de rouleaux contemporains des Lettres de Lakich, ou bien d'une copie plus récente d'un texte ancien en écriture archaïque ? La question a été longuement débattue. Nous y reviendrons au moment d'examiner le problème de l'âge des manuscrits. Plusieurs documents différents étaient ainsi représentés mais bon nombre des fragments contenaient des bribes des chapitres 19 et 20 du Lévitique. QuiconQue avait supposé que toutes les questions seraient résolues et tous les doutes levés par ces fouilles fut condamné à une prompte

désillusion. PIus d'un érudit, en particulier ceux dont la compétence s'exerçait dans un domaine autre que l'archéologie, reçurent les nouvelles informations avec un scepticisme considérable. Après tout, d.irent-ils, que prouve la découverte de jarres hellénistiques ? Quel est le rapport exact entre ces jarres et les manuscrits ? Les jarres ont-elles été faites specialement pour les contenir, ou des jarres bien plus anciennes que les manuscrits ont-elles été utilisées quand les rouleaux ont été cachés dans la grotte. Cette dernière supposition n'expliquerait-elle pas le fait d'avoir trouvé au même endroit des tessons romains ? Et, à tout prendre, était-il impossible que les manuscrits aient été mis dans les jarres par les Bédouins mêmes qui s'étaient vantés de les y avoir trouvés mais qui

les avaient peutétie passés en fraude d'É,gypte en Palestine ? Pendant ce temps, la thèse résultant de l'étude paléographique prenait corps, mais, elle aussi, était en butte aux attâques. J'ai mentionné deux articles qui parurent en février 1949. L'un était de Trever, I'autre ayaît trait seulement au rouleau d'Isaîe appartenant au couvent de SaintMarc, était le premier d'une série d'articles écrits par une éminente auto44

ALARMES ET EXCURSIONS rité britannique en matière de paléographie hébraique, Salomon A. Birnbaum, de l'Université de Londres. La forme des lettres, d'après sa conclusion, faisait remonter la copie du manuscrit d'Isaie à la première moitié du ue siècle avant J.-C. La date attribuée à ce même rouleau par Trever était un peu plus récente, environ 125-100 ans avant J.-C:; il proposait pour le Manuel de Discipline 75 ans avant J.-C. et pour le Commentaire d'Habacuc etle Rouleau de Lamech une date se situant entre 25 ans avant et 25 ans après J.-C. En'juin parut un article de Birnbaum datant le rouleau d'Habacuc de la première moitié du rer siecle avant

J.-C., c'est-à-dire, une fois encore, bien plus

tôt que ne l'avait fait

Trever. Dans un article suivant, Birnbaüm datait le ManueldeDiscipline de 150 à 100 ans avant J.-C.; dans un autre il rectifia les dates et indiqua pour le Commentaire d'Habacuc environ 50 ans avant J.-C. et pour le Manuel de Discipline 125 à 100 ans avant J.-C. Les méthodes employées pour en arriver à ces conclusions furent violemment attaqu&s par le professeur E.R. Lacheman, de Wellesley College, dans un article publié en juillet 1949. Commençant par un nouvel eÏâmen de la graphie du Papyrus Nash, il critiqua en détail la méthode employée par Albright pour attribuer à ce papyrus une date préchrétienne; cette même méthode avait été adoptée par Trever à l'égard des Rouleaux de la mer Morte. Les arguments de Birnbaum n'étaient cités qu'incidemment. Au même moment Albright et moi faisions paraître des réponses succinctes aux articles antérieurs de Zeitlin, ce qui donna lieu de sa part à une réfutation. En octobre, Albright publia une réponse à l'article de Lacheman; elle fut suivie d'une brève riposte de Lacheman commentée par Albright. Durant ce temps le métropolite Samuel était parti en Amérique; son patriarche I'avait nommé délégué apostolique des Congrégations syriennes orthodoxes pour les États-Unis et le Canada. Il avait apporté avec lui les manuscrits, mais en dépit de l'intérêt qu'ils suscitaient, ses efforts pour trouver acquéreur restèrent vains. Les déclarations des journaux leur assignant une valeur fabuleuse de un million de dollars découragèrent probablement les acheteurs éventuels; des rumeurs inquiétantes circulaient aussi au sujet de la possession légale des rouleaux et purent faire hésiter quelques-uns. La façon dont les rouleaux avaient quitté la Palestine ne simplifiait pas les choses. Le gouvernement précédent n'existait plus et il ne s'en forma pas un nouveau immédiatement dans la partie du pays encore occupée par les Arabes. Quand ce territoire, qui comprenait la région dans laquelle les manuscrits avaient été trouvés, fut incorporé avec la Transjordanie au royaume Hashemitç de Jordanie, le liouvernement de ce dernier eut le sentiment que les rouleaux lui appartenaient en tant que successeur du gouvernement mandataire de la Grandellretagne. Dès,grpositions publiques des rouleaux furent organisées en plusieurs cndroits, la première à la Bibliothèque du Congrès à Washington, d'oc45

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE tobre à novembre 1949. Dans les années qui suivirent, d'autres eurent lieu, à l,université Duke, à la Galerie walters de chicago, au Musée d'arts plastiques de Baltimore, à I'Institut Oriental de l'Université de Chicagô et àu Musée de Worchester, Massachusetts. Aucun acheteur ne se présentait. Enfin, au début de 1954, les rouleaux furent achetés pour lê compte du gouvernement d'Israël par le fils deSukenik, I'ancien ôhef d'état-major de I'armée israélienne, Ygael Yadin. L'acquisition fut annoncée officiellement un an plus tard, le l3 février 1955. Les fragments trouvés lors des fouilles de 1949 furent emportés à Londres pour y être traités suivant des procédés spéciaux. Le docteur Harold J. Plenderleith, qui était, en tant que chimiste, directeur du laboratoire de recherches du British Museum, y travailla patiemment pendant trois mois, usant d'infinies précautions pour arriver à séparer les feuillets cassants de parchemin ou de cuir en partie décomposés. En les exposant Sous verre à une humidité contrôlee jusqu'à ce qu'ils soient

asie, souples pour être détachés les uns de§ autres, puis en les plaçant en réfrigératêur pour durcir la matière décomposée, il fut capable de-séparer pe,, â peu une centaine de morceaux et de les mettre bout à bout. Il acquit aussi l'assurance que les caractères étaient tracés avec une encre au noir de fumée. Le travail du docteur Plenderleith eut pour autre résultat de révéler que ce que l'on avait pris tout d'abord pour de la poix servant, avait-on cru, à sceller les rouleaux, n'était que du cuir décomposé.

Un article de M. Harding sur les manuscrits parut dans le Times de Londres du 9 août. Deux jours après, les fragments furent exposés à Londres et le docteur Plenderleith reçut les journalistes. Ces fragments, ainsi que les rouleaux trouvés en 1947, fournissaient maintenant des titres de première page sensationnels à la grande presse. Un soupçon de controverse, sous la forme d'une interview accordée au Daily Mail de Londres par le professeur G.R. Driver, de l'Université d'Oxford, servit à aiguiser I'appétit du public. Parlant des rouleaux achetés parle métropoütê Samuel, Driver aurait dit : « C'est au laboratoire du British ùuseum qu'il fallait soumettre ces objets; c'est le seul endroit qualifié pour les examiner. L'idée de les avoir transportés en Amérique sèmble avoir été inspirée par la réflexion suivante : Quelle somme d'argent peut-on en tirer? >» Lorsqu'on me demanda de commenter cette âectaiation je signalai que les rouleaux n'étaient pas en la possession de l'American School of Oriental Research, que des photographies allaient en être publiées incessamment et qu'en attendant on pouvait obtenir ces photographies sur simple demande adressée aux savants qui les ava.ient faites.

Le professeur Driver ne savait évidemment pas que j'étais en correspondance depuis le mois d'avril avec Sir Alan Gardiner; je lui ayais àemandé de rechercher I'endroit et la personne qualifrés pour ouwir le rouleau écrit en araméen. Il avait eu I'amabilité d'écrire à T.C. Skeat 46

ALARMES ET EXCURSIONS au British Museum; Skeat en avait parlé à Plenderleith, qui était tout disposé à examiner le rouleau mais ne pouvait rien suggérer avant de l'avoir vu. Cet échange de lettres nous convainquit que personne en Angleterre n'était plus qualifié pour cette tâche délicate que les deux ou troi! hommes doni nous disposions aux États-Unis. Dans sa dernière lettre, éCrite une semaine après l'interview du professeur Driver, Sir

Alan Gardiner exprimait

ses regets de

n'avoir pu nous être utile

et

concluait : « Mais maintenant que mon vieil ami Ibsher est mort, je ne saurais vraiment plus à qui m'adresser si j'avais des manuscrits très fragiles à manipuler. Driver ne se borna pas à critiquer la façon dont la découverle avait été exploitée) il réfuta la date pré-chrétienne que Sukenik et moi avions assi>>

Il exposa ses vues dans une série de lettres adressées âu Times de Londres, et d'autres érudits se joignirent aux débats. gnèe aux rouleaux.

L'éditeur de la Palestine Exploration Quaterly écrivit dans le numéro de juillet-octobre 1949 : du commentaire, prétendait-il, étaient les Romains. Le mystérieux « prêtre impie >> devait, à son avis, représenter à la fois Aristobule rI, frère et prédécesseur d'Hyrcan Il, et Hyrcan lui-même. C'était Aristobule qui avait persécuté Ie > et les « Kittîm d-'Assyrie r'd. ;; docùment les qui, vers lô71, se dis'putèi:ent la' possession de la Palestine. En'octqbre 1950, G.R. Driver publia un autre article; et le l0 du même mois il fit une conférence, la quatrième, au bénéfice des Amis de la Bibliothèque du docteur williams de Londres; il avait choisi comme sujet les Rouleaux de la mer Morte. cette conférence fut publiée l,année suivante sous forme de monographie par l'oxford (Jniversity press. Rejetant une fois encore les preuves extérieures au texte et même la paléographie comme étant « sans valeur >>, Driver n'acceptait que l'évidence de >; certains de ses contemporains l'identifiaient à > par le même chef. Deux autres documents en araméen et deux en grec portaient une date de l'ère de la province romaine d'Arabie. un paqüet de papyrur'àn dialecte nabathéen fournit d'importants matériaui pour i,e?ùde des lalgues sémitiques, l'araméen en particurier, parce que ces papyrus offrent des textes plus longs et moins fragmentaires qrè res insciiôtiàns auxquelles nous devions jusque-là nos connaissancei en cette màtière. spécialement intéressant, pour res exégètes bibliques, un fragment de colonne d'un manuscrit grec du livre d'Habacuc àpporta à I'hi-stoire de la septante, ce que le père de vaux considéra .ômm" le chaînon qui avait manqué jusque-là. Maic ce qui nous occupe le plus ." I'occurrence, ce sont les manuscrits du wadi eumrân.Dâns unJanfract_uosité indigne du nom de grotte, située dani les parages du Khirbet Qumrân, les Bédouins découvrirent encore d'autres fiagments, A;;; I'un contenait un passage du Document de Damas. comrie je r,âi àejâ fait observer, cette æuvre est étroitement apparentée aux manuscrits de la mer Morte. La présence dlun vestige^du Document de Damas, si petit soit-il, parmi les autres textes de Qumrân prouve donc qu'ii ne peut être, comme beaucoup l'ont soutenu, .rne càmposition -aoievale. En fait on en retrouvera plus tard d'autres fragments. Le point culminant de toute cette extraordinaire séiie de découvertes fut atteint_lorsque les Bédouins dénichèrent une cachette dans un endroit imprévu du plateau sur lequel s'érèvent les ruines du Khirbet. ce pia-

teau est coupé par un ravin qui rejoint le wadi eumrân. Au poini de .ionction, un petit trou creusé dans la terre marneuse et molle lËs attira; ils en retirèrent un lot important de manuscrits. Cette cachette est connué aujourd'hui sous Ie lom de 4e, ce qui veut dire : quatrième grotte àe

Qumrân. Dès que

la nouvelle lui parvint, le service aes aîtiquites

commença par arrêter les recherches des Bédouins, et une quatiième cxpédition archéologique fut dépêchée sur les lieux pour proc-éde. au*

liruilles en collaboration avec l'École française diA.rchêologie Musée palestinien.

une semaine de travail

-

du 22 au 29 septembre 1952 65

-

et i;

suffit

à

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE parachever l'æuvre des Bédouins. Les résultats combinés des fouilles iant illégales que légales se sont soldés par une grande quantité de

fragmenis dont I'importance dépasse celle de la trouvaille initiale de lgil d'après I'opinion des fouilleurs. Outre la cachette trouvée par les Bédoüins I'expédition découvrit une cavité voisine intacte contenant aussi des fragments mais beaucoup moins bien conservés que les autres. La tâche préliminaire consistant à identifier et à cataloguer tous ces textes est en cours, patiemment entreprise par le Service jordanien desAntiquités et les Dominicains avec l'aide de I'American School of Orienlal Research. La totalité des fragments n'est de loin pas encore identifiée, mais on a pu établir d'ores et déjà que la grotte 4Q à elle seule a iivré les fragments d'au moins soixante ouvrages différents. En ajoutant les rouleaux et les fragments de toutes les autres grottes, on dênombrera peut-être une centaine de manuscrits bibliques différents.

Tous ou presque tous les livres de I'Ancien Testament font partie des æuvres identifiées. Le Pentateuque et Isaïe sont les plus largement

représentés mais il y a aussi beaucoup de fragments des Psaumes, de Dàvid et de Jérémie. Il y a également des commentaires des Psaumes, d'Isaie et de quelques prophètes mineurs; des hymnes de seote comme les Hymnes d-'Aciion de Grâces acquis par Sukenik, et des fragments du ltianuel de Discipline de deux textes différents, I'un identique à celui

du rouleau du méiropolite Samuel et I'autre d'un type plus ancien. Il y a un fragment qui appartient àla Guerre des Fils de Lumière contre bi fits de iénèbrrJ o, q,ri .'y rapporte. Le livre apocryphe de Tobie est représenté par des fràgments en hébreu et en araméen. Des bribes du Dàcument de Damas, de plusieurs æuvres apocalyptiques et d'autres ouvrages inconnus jusqu'alors en font partie. Tous ces écrits, utilisés sinon composés par les membres de la commu-

nauté qui occupait la région, montrent combien I'intérêt qu'ils portaient à la littérature religieuse était intense et étendu. Le 4 octobre, quelques jours après la fin de ces fouilles, I'American School of.Oiienial Research donna une grande réception, et le Père de Vaux se trouvait parmi les invités. Le docteur A.D. Tushingham, qui entre-temps avait strccédé au professeur Reed à la direction de iiÉ"ofq ,"ruii de rentrer avec d^'autres membres de l'École d'un voyage en Syrie. Le Père de Vaux en profita pour lui parler des derniérei découvertes et fit valoir la nécessité d'entreprendre une autre exploration avant qu'il ne soit trop tard. En dépit de leurs autres obligutiorrt et de la fatigue occasionnée par leur long voyage, le docteur iushingham et les diux membres de l'École, Neil Richardson et Gus Van Bàek, se montrèrent à la hauteur des circonstances et se mirent en route dès le lendemain matin avec le Père Milik, de l'École française,

et Youssef Saad, du Musée palestinien. Malheureusement leur fut pas récompensé. L'ère des découvertes en série était révolue. 66

zèle ne

DÉCoUVERTES ULTÉRIEURES Pendant ce temps le gouvernement de Jordanie faisait surveiller par des patrouilles le territoire de Qumrân pour mettre fin dorénavant à toutes les fouilles illégales et effectuées sans surveillance. Une grosse somme d'argent fut affectée à I'achat de tout ce que pourrait apporter les Bédouins, de façon à ne rien laisser échapper de ce quipouvaiti'avérer important. Il était impossible de savoir si des manuscrits de valeur n'étaient pas toujours entre les mains des Bédouins, ni ce qu'ils risquaient encore de découvrir en dépit de toutes les précautiois prises. [Jn autre groupe se joignit maintenant aux recherches. Le colonel belge ex-capitaine Philippe Lippens qui avait en 194849 pris une part active à I'expédition chargée de localiser Ia première grotte, ne s'ètait pas entre-temps désintéressé de la question. Professeur à l'Université de Louvain, il s'adjoignit son collègue le professeur R. de Langhe pour organiser et conduire une expédition belge; leur campagne de fouilles dura de février à mai 1953. Le site choisi par eux était le Khirbet Mird, ruines d'un monastère byzantin situé à quatre kilomètres environ au nord-est du monastère de Mar saba dans le wadi en-Nâr. Au sommet d'une montagne ayant la forrne d'un tronc de cône se trouvent des vestiges de cellules de moines, de réservoirs et d'un aqueduc, les murs éboulés et les mosaïques du sol d'une église ainsi qu'un certain nombre de tombes. Des fragments de manuscrits furent découverts à cet endroit par les Bédouins et par les savants belges; ils comprenaient des fragments grecs et syro-palestiniens des livres de l'Ancien et du Nouveau Testament et des textes rituels chrétiens datant du ve au vflre siecle après J.-c. ainsi que des fragments arabes .et quelques bribes d'araméen. L'expédition est parvenue à établir que ies fiagments trouvés par les Bédouins l'été précédent dans le wadi en-Nâr étaient originaires non pas d'une grotte du wadi en-Nâr mais du Khirbet Mird. Harding et de vaux dirigèrent une autre mission au Khirbet eumrân du 9 février au24 avril 1953; ils y obtinrent de plus amples informations sur l'histoire du site et des gens qui I'occupèrent, leur permettant de modifier certaines de leurs conclusions antérieures. La plus grande partie de l'établissement fut mise au jour et I'on s'aperçut qu'i1 avait connu trois périodes d'occupation. un tremblement de terre mit fin à la première d'entre elles. Des monnaies de Jean Hyrcan (135-104 avant J.-c.) et d'Alexandre Jannée (103-76 avant J.-c.), trois autres du roi séleucide Antiochus îrr (138-129 avant J.-c.) prouvaient que l'occupation avait commencé bien plus tôt que les fouilles de t§st ne I'avaient indiqué et que cette première période d'occupation avait été plus importante qu'on ne l'avait alors supposé. Les tèssons à ce niveau et dans un gisement à 30 mètres environ au nord du bâtiment étaient tous du même type que ceux qu'on trouve généralement aux niveaux de la dernière période hellénistique à Beth-sor et dans la cita-

delle de Jérusalem. D'autres monnaies indiquaient que la première période d'occupa67

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE tion avait duré jusqu'à la fin de la période hasmonéenne (39 avant J.-C.) ou du règne d'Hérode le Grand (37-4 avant J.-C.). Josèphe fait mention d'un grave tremblement de terre survenu au cours de la septième année du règne d'Hérode, juste avant la bataille navale

d'Actium dans laquelle Antoine et Cléopâtre furent vaincus par Octave. Assurant non sans raison que ce tremblement de terre fut celui même qui détruisit le bâtiment de Qumrân, de Vaux pense que la fin de la première période peut être, en définitive, fixéo au printemps de I'an 31 avant J.-C. Les autres tremblements de terre, qui ont eu lieu durant la même période générale, et dont on a la trace, se sont produits ou trop tôt ou trop tard pour concorder avec le témoignage des monnaies. Le bâtiment qui avait deux étages fut certainement construit au plus tard sous le règne d'Alexandre Jannée (103-76 avant J.-C.) et peut-être sous le règne de son frère Aristobule (104-103 avant J.-C.) ou de son père Jean Hyrcan (135-104 avant J.-C.). A l'angle nord-est s'élevait une solide tour aux murs épais, qui tenait évidemment lieu d'ouvrage défensif. Les sous-sols comportaient des chambres à provisions. Dans l'angle sud-ouest se trouvaient do grandes salles pour les réunions ou les repas, et dans I'angle nord-ouest une chambre qui semble avoir été une grande cuisine. Une seule monnaie d'Hérode fut trouvée et une autre de la ville de Tyr de l'an 29 avant J.-C. A partir du règne d'Archélaüs, fils d'Hérode (4 avant J.-C. - 6 après J.-C.), les monnaies deviennent plus nombreuses et ceci jusqu'à la première révolte juive (68-70 après J.-C.), après laquelle se place un autre intervalle plus long que le premier. Ces faits indiquent que le bâtiment ne fut pas immédiatement reconstruit après sa destruction par le tremblement de terre de 3l avant J.-C., mais fut probablement restauré au temps d'Archélaüs et continua à être utilisé jusqu'à son anéantissement au cours de la première révolte. Il avait dû être restauré pourtant par les premiers occupants car le plan général et l'utilisation des lieux étaient copiés sur les précédents. Les tessons de la deuxième période d'occupation concordent avec ceux qui furent découverts lors des fouilles de 1951. tls ont des points communs avec ceux du niveau inférieur mais laissent apparaître des caractéristiques qui les rapprochent davantage de ce qu'on a trouvé ailleurs dans les tombes datant d'Hérode. La différence entre les deux niveaux inférieurs n'étant pas apparue lors des fouilles de 1951, on avait attribué aux tessons anciens une date plus récente correspondant aux formes plus modernes et aux monnaies du premier siècle après J.-C., alors qu'ils appartenaient en réalité à la seconde période d'occupation. Comme nous'l'avons déjà dit, le plan général du bâtiment ne fut pas changé au couts dela seconde période, bien qu'il subît des modifications de détail destinées à assurer à ses habitants une sécurité et un isolement plus grands. La salle située dans l'angle sud-ouest et garnie d'une banquette le long des quatre murs, semblait encore avoir 68

DÉCoUVERTES ULTÉRIEURES été consacréo aux repas en commun ou aux assemblées

générales.

Une salle attenante, donnant à l'est et encore plus grandc que la première, avait pu être réservée aux réunions et aux services du culte, mais on ne trouva dans ces deux salles du rez-de-chaussée aucun objet qui pût indiquer leur destination. Il fut cependant possible de reconstituer avec des fragments de briques provenant du premier étage et soigneusement assemblés, une table d'un peu plus de 5 mètres de long et de 50 centimètres de hauteur, ainsi que deux autres plus basses mais incomplètes. La pièce semblait trop loin de la cuisine pour avoir été un réfectoire. Qui plus est, un encrier en bronze et un autre en argile furent trouvés dans la même pièce : il y avait encore de I'encre séchée

dans l'un des deux. Un troisième encrier étant découvert dans une autre chambre, l'on en conclut qu'on était en présence du scriptorium du monastère oir les manuscrits étaient composés. Tous les manuscrits de l'aire du wadi Qumrân, à l'exception de ceux que les premiers occupants avaient pu apporter avec eux, datent de ces deux premières périodes d'occupation du Khirbet Qumrân. Deux fragments trouvés dans des grottes situées à quelque distance l'une de I'autre étaient de la main du même scribe. Quelques-uns des tessons provenant de l'excavation du bâtiment portaient des caractères hébreux d'un alphabet identique à celui des manuscrits, rnais d'un type nettement antérieur à celui des manuscrits du wadi Murabba'at et du wadi enNâr. Sur un des tessons provenant du niveau inférieur (celui de la première occupation), I'alphabet hébreu était grossièrement tracé. Cela représente probablement les exercices laborieux d'un étudiant en vue de devenir l'un des scribes chargés de composer les manuscrits. Des cendres et des pointes de flèches en fer témoignent de la fin vioIente de cette seconde période d'occupation. Josèphe, une fois encore, nous aide à en fixer la date. Il rapporte que Vespasien était à Jérusalem en juin 69 après J.-C. et qu'il y laissa une garnison. De Vaux suppose qu'une partie de cette garnison qui appartenait à la fameuse 10e Légion attaqua et détruisit le monastère de Qumrân à ce momentJà et utilisa

les ruines pour en faire un poste de surveillance et de contrôle des

rives de la mer Morte. IJne monnaie de Vespasien de I'année 70, deux de la ville d'Ascalon des années 72-73, trois de Judaea Capta du règne de Titus (79-81) et une d'Agrippa II d'environ 86 furent trouvées au cours des fouilles et y avaient probablement été laissées par la garnison romaine. Très peu de tessons proviennent de la troisième période d'occupation, et seulement du début de cette période, c'est-à-dire peu de temps après la destruction de l'édifice. Dans cette période, le bâtiment n'est plus conçu pour abriter une communauté organisée mais seulement un petit poste militaire. Quelque temps après le départ des Romains,

les ruines furent, selon toute apparence, occupées temporairement par des rebelles juifs qui y abandonnèrent sans doute les treize monnaies 69

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE de la seconde révolte (132-135 après J.-C.) qui y furent trouvées. Les cinq pièces plus récentes et les bribes de poterie arabe qui en 1951 firent croire à une occupation plus tardive, ne représentaient que des vestiges trop peu nombreux pour signaler autre chose que la présence de quelques bergers ayant campé une nuit dans les ruines. Une troisième campagne de fouilles eut lieu du 15 février au 15 avril 1954. Seul un exposé très sommaire des résultats en a été publié jusqu'à présent, mais en général elles ont confirmé les conclusions des travaux de I'année précédente. On découvrit qué le bâtiment principal s'étendait plus au sud qu'on ne I'avait supposé. Les vestiges de divers ateliers et d'une installation destinée à assurer des provisions d'eau suffisantes

furent mises au jour.

Une grande salle d'environ 24 mètres de longueur, fut dégagée; elle avait certainement été utilisée comme lieu de réunion ou pour y prendre des repas consacrés. Dans une petite piçce adjacente se trouvait une grande collection de poteries, soigneusement rangées suivant la forme des récipients, comme des plats sur un vaisselier. On acquit la preuve que ces récipients avaient été fabriqués sur place en découvrant ce que de Vaux décrit corlme l'atelier de poterie le plus complet et le mieux préservé qu'on ait jamais mis au jour en Palestine. A l'extrémité opposée de I'excavation on trouva un moulin et tout à proximité les meules. Le témoignage des monnaies pour la datation des trois périodes successives d'occupation corroborait celui des fouilles antérieures. Des indications supplémentaires au sujet du séisme qui termina la première période furent recueillies ainsi que d'autres témoignages sur I'occupation romaine de la troisième période. On fit pourtant une découverte tout à fait inattendue : des tessons des vlrre et vrle siècles avant J.-C. apportèrent la preuve qu'il y avait eu sur ces mêmes lieux un établissement israélite pré-exilique. Un tesson portait quelques caractères de I'alphabet phénicien. Aucun vestige d'habitation ne subsistait, de cette très ancienne occupation. Il n'y avait d'ailleurs aucun rapport entre cette dernière et celle des membres de la secte; en fait, un intervalle de plusieurs siècles sépare les deux occupations. Le ler fevrier 1955, le Père de Vaux m'écrivait : ou composition d'argile était « nettement romaine >». Toutes ces précisions convainquirent de Vaux que les jarres elles-mêmes n'étaient pas hellénistiques mais romaines. Mais si les jarres étaient d'une origine plus récente qu'on ne l'avait supposé tout d'abord, les tessons romains de la grotte étaient plus anciens et provenaient non du uIe ou IVe siècle, mais du ler. Il devenait ainsi inutile de supposer qu'une intrusion ultérieure avait eu lieu, et le témoignage archéologique réinterprété à la lumière d'autres références de même nature, renforçait I'opinion suivant laquelle les manuscrits avaient été déposés dans la grotte au cours du Ier siècle de notre ère (entre l'an I et 60). Le Père de Vaux fit un rapport à cet effet à I'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres le 4 avril 1952, ajoutant pourtant que les manuscrits étaient plus anciens que Ia poterie et les textes originaux plus anciens encore que les copies. Des matériaux archéologiques d'une espece différente offrent un autre moyen de dater le dépôt des manuscrits dans les grottes, mais avec une latitude encore plus grande que celui fourni par les tessons. Les premiers manuscrits découverts étaient enveloppés dans des linges très décomposés et des bribes innombrables de ces mêmes linges furent trouvées lors des excavations. De même que les jarres, les enveloppes de tissu pouvaient être ou plus vieilles ou plus récentes que les manuscrits, bien qu'il semble plus naturel d'envelopper un vieux manuscrit dans un tissu neuf que d'en envelopper un neuf dans un vieux tissu. Quand Harding emporta en Angleterre les fragments de manuscrits de la première grotte en été 1949, il y joignit quelques fragments de tissu et demanda à Mrs G.M. Crowfoot de les examiner. Une autre boîte pleine de débris identiques lui fut envoyée plus tard de Jordanie. L'examen microscopique des fibres fut entrepris par le Major G.O. Searle, de l'H.M. Norfolk Flax Establishment, qui établit de façon précise que le tissu

était du lin.

D'après Sukenik, les Bédouins qui trouvèrent les premiers rouleaux avaient dû jeter les enveloppes de tissu qui sentaient mauvais. Mrs Crowfoot relate que lorsque la première bojte de débris fut ouverte il en sortit une odeur comparable à « celle des tombes égyptiennes anciennes )). Dans la mesure otr l'état de pourriture des fragments le permettait, elle les nettoya soigneusement, en monta une certaine quantité et en cxamina au microscope le tissage et le dessin. Elle en conclut que le 81

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE tissu était de fabrication palestinienne et que les enveloppes avaient été faites spécialement pour les rouleaux. Son examen, cependant, ne donna aucune indication précise concernant l'âge du tissu. Un autre morceau d'enveloppe prove;ant de la grotte fut emporté aux États-

Unis par le professeur O.R. Sellers et examiné par Miss Louisa Bellinger, de Dumbarton Oaks et du Textile Museum à Washington. Son rapport indiqua également que le tissu était d'origine palestinienne et ancien maiJ qu'aucune autre précision ne pouvait être donnée concernant la date.

Les choses en étaient là quand l'analyse du carbone 14 permit de serrer les dates de plus près. Cette analyse déjà mentionnée permet de déterminer l'âge d'une matière organique donnee (avec une marge d'erreur de 5 à lO %) par la mesure de l'éradiation du carbone 14 dans le fragment examiné. Ce procédé entraînant par voie de conséquence la destruction de la matière analysée, ne peut être appliqué directement aux rouleaux eux-mêmes. Cependant les lignes qui les enveloppaient ne sont pas précieux au point de ne pouvoir être sacrifiés pour une si bonne cause.

A cette fin le professeur J.L. Kelso, directeur de I'American School Resèarch à Jérusalom en 1949-1,950 emporta avec lui, lorsqu'il retourna en Amérique, un morceau de tissu qu'Harding

of Oriental

lui avait procuré. Comme je I'ai dit déjà, le linge fut soumis àl'analyse du carbone 14 par W.F. Libby de l'Institut d'Etudes nucléaires de Chicago, un des pionniers du développement du procédé. D'après ses calculi, le morceau de tissu qu'on lui remit à la fin de 1950 devait avoir

l.gl7

ans d'âge, avec une marge de 200 ans en plus ou en moin§; le

tissu a donc pu être fabriqué 200 ans avant l'an 33 do notre ère ou 200 ans après, c'est-à-dire entre 167 avantJ.-C. et 233 après J.-C. Tout en n'apportant pas une date très précise, ces calculs corroboraiont les autres témoienagès en établissant la période générale pendant laquelle les enveloppes

lin avaient été fabriquées. Voici donc une réponse à notre première question. Les rouleaux trouvés dans la grotte du wadi Qumrân y ont sûrement été laissés

de

quand le bâtiment central fut détruit et les parages abandonnés. Comme

rrotr" recit des fouilles l'a montré, cet événement eut lieu durant la guerre de 66-70 de notre ère, très probablement au printemps de 68. Les manuscrits étaient-ils depuis longtemps dans les grottes à cette époque? Nous ne le savons pas, mais de Vaux pense, et probablement

àlusie titre, qu'ils furent cachés au moment où la nécessité d'abandonner l'établissement devint imminente. Si I'on admet que le dernier en date des manuscrits fut ecrit avant l,année 70 de notie ère, la question suivante se pose : à quel moment avant 70 furent-ils ecrits ? La réponse ne peut porter que sur une période assez étendue parce que les manuscrit§ ne furent pas tous faits en même temps. Le fait qu'une des salles du bâtiment principal du Khirbet 82

ARCHÉOTOCTP ET PALÉOGRAPHIE Qumrân était de toute évidence un scriptorium indique qu'un grand nombre des manuscrits y furent écrits durant les deux périodes principales d'occupation des lieux. Ceci nous reporte aussi loin que le règne d'Alexandre Jannée au commencement du dernier siècle avant le Christ ou peut-être à20 ou 30 ans en arrière, au règne de Jean Hyrcan. Le cimetière adjacent, de plus d'un millier de tombes, fut utilisé évidemment aux mêmes époques. La première occupation du site ne fixe pourtant pas la date extrême du plus vieux des manuscrits. Ils n'ont pas tous été nécessairement écrits dans le scriptorium. Quelques-uns d'entre eux ont pu être apportés par la communauté lorsqu'elle vint s'établir là, . et par conséquent être déjà vieux à cette date. Il faut donc nous rejeter sur l'examen des manuscrits eux-mêmes pour y trouver une réponse à la seconde question. Notre principal critère ici sera la paléographie, c'est-à-dire l'étude de la forme des caractères employés par les scribes. Les premières déclarations de I'American School of Oriental Research et de l'Université hébraïque fondées sur cette étude s'accordent à dater les manuscrits d'une époque préré:.:

dant de fort peu les débuts de l'ère chrétienne

La controverse qui s'ensuivit, rappelons-le, fut surtout centrée sur la portée scientifique de la paléographie et le degré de confiance qu'on pouvait lui accorder. Le nombre de spécialistes compétents en cette matière n'est pas grand, et tous ceux qui ont émis des jugements à ce sujet n'en font pas partie. La question est trop technique pour être présentée ici de façon adéquate, mais nous pouvons en exposer les points essentiels de telle sorte que celui qui ne connaît pas I'alphabet hébreu

puisse comprendre la nature des problèmes posés et leurs principales solutions. L'essence même de la méthode paléôgraphique réside dans la comparaison minutieuse et exacte des différentes formes de chaque lettre de l'alphabet trouvées dans des documents de périodes différentes et leur

arrangement sous forme de tableaux faisant apparaître les modifications graduelles. Le procédé est le même que celui qu'emploie le paléontologue qui range en succession des fossiles pour montrer comment l'eohippus préhistorique a évolué jusqu'au cheval. Ce n'est naturellement pas un phénomène inhérent à l'évolution qui préside à I'histoire de I'alphabet. Il s'agit ici simplement du fait que les formes et les styles de l'écriture ont effectivement changé au cours des âges, comme les modes vestimentaires, I'architecture ou la poterie. Les changements ne s'opéraient ni de façon inévitable ni dans une direction prévisible,

mais l'observation systématique nous permet de déterminer I'ordre dans lequel ils se sont produits et de classer les formes successives des lettres dans un ordre chronologique. Parfois, au lieu de se modifier graduellement, une graphie a été abandonnée et une autre, différente, adoptée à sa place. Nous ne trouvons naturellement pas souvent le remplacement complet et soudain d'une 83

LEs MANUSCRITS DE LA MER u.onTÈ graphie par une autre telle que l'adoption de l'alphabet romain par les Turcs modernes. Et même dans ce dernier cas, le changement ne fut pas vraiment aussi complet que I'eût souhaité un gouvernement

qui était pourtant assez fort pour I'imposer. Un changement de graphie beaucoup moins rigoureux se produisit dans I'histoire de l'écriture hébraïque ancienne. La graphie Ia plus ancienne ost appelée souvent phénicienne parce qu'on la retrouve sur les inscriptions phéniciennes, mais elle était également utilisée à une époque très reculée pour écrire I'hébreu et d'autres langues. Le terme de chananéen lui conviendrait mieux. On l'appelle quelquefois aussi hébreu archaïque ou ancien. Des inscriptions antérieures à I'exil babylonien, découvertes en Palestine et en Transjordanie sont écrites avec cet alphabet. L'autre graphie qui a succédé à la première est appelee écriture carrée ou araméenne; on la trouve dans des documents datant du ve siècle avant J.-C.; c'est elle qui sert encore aujourd'hui à ecrire I'hébreu après avoir subi diverses modifications au cours des âges. La substitution de I'araméen à l'écriture chananéenne ne fut ni brusque, ni absolue, ni définitive. La vieille graphie réapparaît sur des monnaies hébraiques"de la période des Macchabées. Les Samaritains I'emploient encore sous une certaine forme. Quelques-uns des fragments trouvés dans'les grottes du désert de Juda en sont recouverts. Dans le Commentaire d'Habacuc on l'emploie pour écrire le nomdivin Yahweh et l'un des fragments trouvés lors des fouilles porte le nom hébreu El, signifiant Dieu, écrit avec l'ancien alphabet au milieu d'un texte en écriture carrée. Un fragment de la grotte 4 porte même un mélange des deux écritures. Cependant, la plupart du temps, nous nous trouvons en présence d'un phénomène de modification progressive de l'araméen, non dépourvu pour autant de certaines complexités. Les changements de forme des différentes lettres n'obéissent pas à un mot d'ordre général et instantané. Sans tenir compte des particularités individuelles de chaque scribe, deux manuscrits écrits à peu près à la même époque peuvent présenter des différences dans la forme de quelques-unes des lettres de l'alphabet, alors que les autres lettres sont similaires. Certaines lettres sont plus importantes que d'autres parce qu'elles révèlent plus clairement et plus congrûment l'évolution de l'alphabet. Des variations locales, nationales ou propres à la secte peuvent aussi apparaître. La différence des matériaux peut également affecter la graphie. Quand des inscriptions sont gravées sur la pierre, les lettres

n'ont

pas exactement

la même forme que lorsque les documents sont écrits sur du parchemin avec une plume et de l'encre. La paléographie, réduite à ses seuls moyens, ne peut servir à fixer des dates précises. Elle permet de classer des manuscrits en séries chronologiques, mais elle ne peut pas indiquer le laps de temps qui s'est 84

ARCHÉOLOGIE ET PALÉOGRAPHIE écoulé entre deux composants qui se suivent dans une même série, sauf de façon toute relative en tenant compte du nombre et de l'importance des modiûcations. Si la fin d'une série ou I'un de ses composants peut être daté par d'autres moyens, la chronologie relative déterminée par les données paléographiques sera jalonnée ici et là de dates plus exactes. Sous ce rapport, la paléographie comporte les mêmes possibilités et les mêmes limites que I'examen des poteries en vue d'un but analogue. Les spécialistes qui ont contesté les dates assignées aux Rouleaux de la mer Morte sur les bases de la paléographie ont fait grand cas de ces imperfections flagrantes pour justifier leur préférence pour un autre critère. Certains de ces critères sont importants, mais il serait erroné de supposer qu'ils soient plus exacts ou plus objectifs que la paléographie. Les modifications successives des lettres de I'alphabet sont des réalités qui peuvent être observées, enregistrées et étudiées et dont l'importance peut être fixée par une discussion impartiale. La paléographie n'est peut-être pas une science exacte mais c'est une discipline scientifique dans la mesure oir elle traite de réalités bien définies pouvant être enregistrees et étudiées objectivement; et son exactitude augmente au fur et à mesure que les matériaux d'études s'accumulent. Plusieurs savants ont déclaré que la paléographie était particulièrement inefficace pour la datation des manuscrits de la mer Morte parce que les matériaux dont on disposait étaient trop peu nombreux pour permettre une étude comparative et que rien, dans ces quelques éléments, ne pouvait être daté. Si cela signifie que nous ne pouvons assigner à un manuscrit une année ou une décade précise, nous soûrmes d'accord; mais nous possédons des matériaux très suffisants pour déterminer la période à laquelle appartient le manuscrit à un quart ou à un demi-siècle près.

Examinons brièvement quelques-uns de ces matériaux. Adoptons la méthode de S.A. Birnbaum et suivons-la dans ses grandes lignes. Nous commencerons donc par les manuscrits médiévaux pour remonter aux textes plus anciens. Birnbaum présente d'abord un acte de vente du xre siècle après J.-C. Une similitude réelle entre ce texte relativement moderne et les rouleaux de la mer Morte serait très significative. Il n'y a en fait aucune similitude, bien que Zeitlin ait produit ce document comme preuve à I'appu.i de son argumentation datant les Rouleaux de la mer Morte du moyen àge. L'acte de vente, en fait, est écrit en cursive. La différence entre cette dernière et les caractère officiels utilisés pour écrire les livres était plutôt moindre que celle qui existe entre notre écriture anglaise et les caractères d'imprimerie. On peut en dire autant du « Fragment B » du Document de Damas, du xe siècle de notre ère, que Zeitlin a cité à la même occasion : ce dernier ressemble un peu plus aux Rouleaux de la mer Morte mais pourrait difficilement passer pour l'un d'entre eux. En remontant dans le passé, Birnbaum donne des tableaux repré' 85

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE sentant quelques-unes des lettres les plus caractéristiques utilisees dans les Rouleaux de la mer Morte côte à côte avec les mêmes lettres telles qu'elles apparaissont dans un codex du xu siècle qui est à Leningrad, dans un autre du tx" siècle appartenant au British Museum et dans un fragment du vrre siècle de la bibliothèque de I'Université de Cambridge. Dans une autre publication il montre également des lettres provenant d'un fragment de papyrus liturgique du vtlle siècle après J.-C. dont la graphie est censée ressembler à celle du Commentaire d'Habacuc. La comparaison des diverses formes des lettres de ces tableaux révèle de notables différences; il est vrai qu'il en existe aussi dans les caractères des différents Rouleaux de la mer Morte mais pas aussi marquées qu'entre ceux-ci et'n'importe quel document médiéval. Ceci est également vrai de la lettre-en hébreu du ve siècle qui a été comparée au Commentaire d'Habacuc.

'

Birnbaum nous présente ensuite un fragment de papyrus hébreu venant d'Égypte datant, selon lui, du lve siècle après J.-C. On peut y déceler quelques points communs avec la gfaphie des Rouleaux de la mer Morte mais la forme des lettres a déjà beaucoup évolué dans la direction des formes médiévales et modernes. Du début du ItI" siècle, nous possédons un fragment sur papyrus d'un texte liturgique provenant des fouilles de Doura Europos sur I'Euphrate. Là encore, aucune ressemblance avec la graphie des Rouleaux de la mer Morte n'indique qu'ils puissent être contemporains. Des inscriptions hébraïques des Itle et tle siècles existent en nombre suffisant pour suppleer à la carence de textes manuscrtts. Elles comprennent des dallages de rnosaique de synagoguos telle que la fameuse mosaique de Beth Alpha près de Beisan qui représente les signes du zodiaque avec leurs noms hébreux. Deux inscriptions d'environ 200 ans après J.-.C. découvertes à Beth .Shearirn en 1953 ont été publiées. La forme des lettres dans ces inscriptions ne présente rien qui puisse permettre de conclure à une analogie. Les manuscrits et papyrus du second siècle après J.-.C. ne sont connus que depuis quelques années.. Certalns des fragments trouvés dans les caves du wadi Murabba'at en 1952 sont spécifiquement datés de la première moitié du Il" siècle après J.-.C. Seules, une description préliminaire et quelques photographies en ont été publiées, mais elles suffisent à montrer que la forme des caractères dans ces fragments indiquent un degré d'évolution beaucoup plus poussé que celui des documents de Qumrân.

Il n'existe aucun document daté de manière précise du Ier siècle après J.-C., non plus que du siecle précédent qui nous permettrait d'établir une comparaison. Nous devons donc, pour cette période, faire largement appel aux inscriptions. Un petit nombre d'entre elles sont du type conventionnel dénommé « inscription )); d'autres, plus nombreuses, d'un type plus irrégulier connu sous le nom de graffites 86

ARCHÉOLOGIE ET PALÉOGRAPH IE comportent surtout des noms gravés sur pierre. La plupart de celles-ci se trouvent sur les ossuaires, petits coffres de pierre qui servaient à recueillir les ossements humains pendant la période s'étendant du règne d'Hérode (40 ans avant J.-C.) à la destruction du temple (70 après J.-c.). Les lettres grossièrement tracées donnent une image plus fiàèle de l'écriture courante de cette époque que les caractères artistiques et plus artificiels des inscriptions soigneusement. gravées. Nous mentionnerons avec les inscriptions de's-ôssuaires un graflite trouvé dans le tombeau de la reine Hélène d:Adia.bène,à Jérusalem, populairement appelé Le Tombeau des Rois. Il est'daté de la décade 50 à 60 après r.-C. tt y a aussi une inscriptipn ptseiée sur l'architravi d'une tombe de la vallée du cédron à Jérusalem dédiee à.la mémoire de huit prêtres de la famille des ûls d'Hezir. Ses caractères ressemblent à ceux des ossuaires et sont comme ces derniers rattachés à la période précédant la destruction du temple. De tous ces documents, ceux qui se rapprochent le plus des Rouleaux de la mer Morte au point de vue écriture sont les graffites des ossuaires et de quelques autres inscriptions de la même période; ajoutons pourtant que c'est avec les rouleaux les plus récents que la ressemblance est la plus frappante; parmi ceux qui présentent l'écriture la plus évoluée citons le Commentaire d'Habacuc et le Rouleau de Lamech. De l'avis de Trever et d'Albright, ce qui ressemble le plus à ces deux documents est un « dipinto »> araméen, ou inscription peinte trouvée dans une tombe juive et publiée par Sukenik en 1934. sukenik lui attribuait une date très proche de la destruction du temple; Albright la fait remonter de quelques années en arrière, du début de l'ère chrétienne. L'inscription d'Ozias, ainsi appelée parce qu'elle déclare que les ossements du roi de Judée Ozias ont été transférés à I'endroit oir l'inscription fut primitivement gravée, est une véritable æuvre d'art plus artistiquement taillee que les inscriptions mentionnées plus haut. Comme les ossuaires, elle ne peut être datée de façon précise, mais depuis longtemps elle est considérée comme étant leur contemporaine" Albrieht pense qu'elle est postérieure à la révolte de 66-70 après J.-C. cela nous donne une autre base de comparaison pour les Rouleatrx de la mer Morte; les résultats sont identiques à ceux fournis par les ossuaires.

En ce qui concerne la graphie des rouleaux les plus anciens, il nous faut remonter encore plus loin. Il existe des inscriptions antérieures environ d'un siècle à celles dont nous avons déjà parlé et de nature très différente, mais pourtant significatives et se prêtant parfaitement

à cette étude comparative. ce sont les inscriptions

concises gravées sur les bornes découvertes il y a longtemps à Gezer. Aucune date precise ne peut leur être attribuee mais les épigraphistes sont unanimei pour. les faire remonter à la première moitié ou au premier tiers du dernier siècle avant J.-C. Les lettres de ces inscriptions, bien que grossièrement 87

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTË taillées dans la pierre, ressemblent d'assez près à celles du Manuscrit d'Isaie du monastère de Saint-Marc.

Une autre inscription très brève mais plus soigneusement gravée que les bornes de Gezer, est tracée à côté de I'ouverture d'une tombe creusée dans le rocher à Araq el-Emir, à l'est du Jourdain. Une autre inscription semblable se trouve non loin de là. C'est là que les Tobiades, famiilê juive influente aux IIIe et ue siècles avant J.-C., bâtirent un château fameux dont on peut encore voir les ruines. Nous reparlerons des Tobiades. L'inscription qui comporte uniquement le nom de Tobie, daterait, d'après Birnbaum, d'une période comprise entre 183 et 175 avant J.-C., bien que Vincent la considère comme antérieure de plus d'un siècle. La forme de trois des lettres hébraïques sur cinq ressemble à celle du Rouleau d'Isaie du monastère de Saint-Marc, tandis que les deux autres sont d'une forme plus ancienne. Mais en tenant compte du fait qu'une inscription gravén sur la pierre puisse faire usage d'un alphabet plus archaique que celui d'un manuscrit écrit avec une plume et de I'encre, nous pouvons admettre qu'avec cette inscription nous avons vraisemblement atteint une date peu éloignée de celle oir le manuscrit et même, peutétre, un peu dépassée. d'Isaie fut écrit A partir de là,-nous avons de nouveau des papyrus qui pguyent servir de bâses de comparaison avec les rouleaux. Tout d'abord, le Papyrus Nash, fort discuté, dont Trever fut le premier à noter la ressemblance avec ies Rouleaux de la mer Morte. Du point de vue de la paléographie, il le situe entre les plus anciens et les plus récents des rouleaux, postérieur au Manuscrit d'Isaie du monastère de Saint'Marc et au Manuel de Discipline, mais antérieur au Commentaire d'Habacuc, at) Rouleau de Lamech èt a.rx corrections les plus récentes du manuscrit d'Isaïe. Malheureusement la date du papyrus lui-même est encore sujette à des controverses. La date la plus ancienne qu'on lui reconnaisse est celle de Birnbaum qui le fait iemonter au début du Ite siècle avant J.-C. Au Rouleau d'Isaie il assigne une date moins tardive, environ le second quart de ce même siècle. Il diffère donc d'opinion avec Trever quant aux deux âges relatifs de ces deux manuscrits, mais est d'accord avec lui pour relonnaître que leurs dates respectives ne sont pas éloignees I'une de l,autre. Quant à moi, tout ce que je puis dire ici c'est qu'en prenant pour basè les tableaux de Birnbaum lui-même, le Papyrus Nash me paraît être un peu plus récent que le Rouleau d'Isaïe et très proche 'Discipline.

Les ressemblances sont si frappantes et les àü Manuel de différences si insignifiantes qu'il faut se contenter, par prudence, de déclarer que les trois manuscrits ont été composés au cours d'une période de cinquante à soixante-quinze ans. La recherche de documents permettant la comparaison avec les

Rouleaux de la mer Morte ne doit naturellement pas s'arrêter au moment où nous trouvons une graphie si semblable à celle des rouleaux qu'elle permet de dater ces dèrniers; nous devons poursuivre nos recherches 88

ARCHÉOLOGIE ET PALÉOGRAPHIE jusqu'aux documents dont la graphie est nettement antérieure à celle atteint ce point. quelques ostracas du uIe siècle avant Deux papyrus araméens et notre ère trouvés à Edfou, sur le Nil supérieur, ont été publiés. Driver élève une objection contre l'usage que nous voulons en faire sous prétexte qu'ils >. Cette objection aurait quelque valeur si l'on prétendait trouver dans la comparaison une démonstration éclatante en faveur d'une date précise, mais il n'en est rien. Faisant partie de tout un ensemble, la comparaison avec ces des rouleaux. Avec le Papyrus Nash nous avons presque

textes est valable et significative.

Le papyrus d'Edfou et los ostracas présentent une forme d'alphabet bien plus archaïque que celle qui apparaît dans les Rouleaux de la mer Morte ou le Papyrus Nash. Cela signifie-t-il qu'ils furent réellement écrits à une période antérieure? Et, dans ce cas, de combien antérieure? La réponse peut prêter à controverse, mais jusqu'à preuve du contraire on peut à bon droit supposer que les documents dont la forme est la plus archaïque sont les plus anciens. Birnbaum produit aussi un papyrus juridique du tIIe siècle avant J.-C., qui se trouve actuellement à la Bodleian Library d'Oxford, et le comparant au Rouleau d'Isaîe en conclut que « nous nous trouvons ici beaucoup trop en arrière >>. Les formes des lettres dans le Rouleau d'Isaie se placent entre celles des papyrus et celles des ossuaires. Que nous nous trouvions maintenant en deçà de la période des Rouleaux de la mer Morte devient plus évident encore quand nous remontons de deux siècle et nous déplaçons vers la source du Nil; considérons le papyrus araméen trouvé à Assouan, l'Eléphantine des Pharaons:

ces documents proviennent d'une colonie militaire juive qui vivait en Egypte au ve siècle avant J.-.C. Dans ces documents, qui utilisent une forme très ancienne de l'écriture carrée, on trouve quelques similitudes intéressantes avec la graphie tles Rouleaux de la mer Morte, mais il est bien évident que les papyrus ont été écrits longtemps avant les rouleaux. Un papyrus encore plus ancien, du vI" siècle avant J.-C., a été comparépar Birnbaum au Rouleau d'Isaie. Cette vue d'ensemble, bien loin d'être complète, donnera pourtant une idée assez adéquate de la quantité et de la nature des documents qui sont à la disposition du paléographe. Il est certain que pour extraire de ceS documents des preuves convaincantes, il est indispensable d'en étudier tous les détails avec beaucoup plus d'attention que nous ne pouvons le faire ici. Un grand avantage des Rouleaux de la mer Morte, si on les compare aux inscriptions, toujours brèves et aux fragments de manuscrits, c'est que chaque lettre y est représentée non pas une fois ou deux cofilme dans ces derniers, mais un grand nombre de fois. Pour permettre au lecteur non initié de se rendre compte de façon plus 89

LES MANUSCRITS DE I,A MER MORTE claire du changement opéré dans la forme des lettres au cours des siècles, nous montrons ici dans les figures I et 2 des formes typiques de la

lettre m. (b)

(a)

,) 2

â

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(d)

(c)

à

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5'T ) 4

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LETTRE

,3 ,,

m : formes

médiales

Dans le rouleau d'Isaîe de Saint-Marc. Ligne 1. Ligrre 2. - Dans le Manuel de Discipline. 3. Dans le Commentaire d'Habacuc. Ligne Ligne 4. - (a) Manuscrit A du Document de Damas. - (à) Manuscrit B du Document de Damas. (c) Un parchemin de Doura. (d) Un fragment provenant du wadi Murabba'at. (a) L'inscription d'Ozias. Ligne 5.

- (b) Le papyrus Nash. (c) Un papyrus d'Edfou. (d) Un papyrus d'Eléphantine.

Des arguments d'ordre littéraire ont été avancés pour essayer cle con-

trôler ou de réfuter les verdicts de la paléographie. Zeitlin « a,,étudié dans le Talmud et les Midraschim tous les passages dans lesquels les formes des lettres hébraiques sont décrites >>. Examinant les formes de I'h et de l'm dans les Manuscrits de la mer Morte à la lumière de ce témoignage, il en conclut que ce sont des lettres utilisees aux ile et rrre sièèteJ après J.'C. Si nous ne possédions pas effectivement des termes de comparaison pouvant être datés de façon approximative, cet argument de Zeitlin pourrait nous impressionner; mais en admettant même I'authenticité des declarations rabbiniques et leur date, il faudrait vraiment que la description littérale des lettres de I'alphabet soit d'une 90

ARCHEOLOGIE ET PALÉOGRAPHIE bien grande exactitude pour qu'on puisse leur reconnaître une valeur de comparaison semblable à celle que nous offrent les exemples reels trouvés dans les manuscrits et les inscriptions. Les descriptions citées par zeitlin ne nous inspirent donc aucun confiance. Cinq lettres de (b)

(c)

r

,t)

(a)

2

a b fr

3

I)

4

D

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Ligne 2. Ligne 3. Ligne 4. -

-

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EvolurtoN DE LA Ligne l.

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D LETTRE

4 ïf

m

:

formes rtndes.

Dans le rouleau d'Isaïe de Saint-Marc. Dans le Manuel de Discipline. Dans le Commentaire d'Habacuc. (a) Manuscrit A du Document de Damas. (à/ Manuscrit B du Document de Damas. ( c ) Un parchemin de Doura. ( d) Un fragment provenant du wadi Murabba'at. (a) L'inscription d'Ozias. (b) Le papyrus Nash. ( c ) Urt payrus d'Edfou. 1d) Un papyrus d'Eléphantine.

I'alphabet hébreu (k, ffi, n, p et s) ont deux formes différentes dans l'ecriture carrée évoluee. L'une est utilisée au commencement ou au milieu d'un mot et s'appelle la forme « médiale >»; l'autre est utilisée à la fin d'un mot et s'appelle la forme > de I'm apparaît souvent à la fin d'un mot et la forme > se trouve quelquefois au milieu d'un mot. Les trois autres lettres de ce groupe n'ont pas encore de forme spéciale

9l

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE bien que le k et I's soient un peu plus longs quand ils sont placés à la fin d'un mot. Le Manuel de Discipline reproduit à peu de chose près ces mêmes phénomènes.

Dans le Commentaire d'Habacuc et le Manuscrit d'Isaîe de l'Université hébraïque, qui sont chronologiquement à l'autre extrémité de la série

des Rouleaux de la mer Morte, les cinq lettres ont leur forme finale utilisée régulièrement à la fin des mots. Les Rouleaux de la mer Morte eux-mêmes fournissent un témoignage important quant au développement des formes finales de ces lettres. En fait le Rouleau d'Isaîe du monastère de Saint-Marc recèle un témoignage de ce genre très intéressant car dans un des passages omis par le premier scribe et inséré par la suite

p final qui n'apparaît à aucun autre endroit dans le manuscrit. Peut-on utiliser ces constatations pour établir l'âge des rouleaux? Là encore, des affirmations provenant de la littérature rabbinique ont été mises en avant pour établir le moment oir les formes finales des nous trouvons un

lettres furent adoptées et par voie de conséquence la date des Rouleaux de la mer Morte.. H. Tur-Sina[ (Torczyner) prétend que I'emploi partiel et irrégulier des lettres finales dans le Manuscrit d'Isaîe du monastère de Saint-Marc correspond à une decision rabbinique du début du tIe siècle après J.-C., tandis que I'emploi régulier de toutes les formes finales des derniers en date des manuscrits représente une habitude en usage au milieu ou à la fin de ce même siècle. Zeitlin se contente d'affirmer Sur la foi des déclarations rabbiniques que l'usage des formes finales des cinq lettres fit son apparition après la destruction du temple et se répandit dans les années qui suivirent la mort du rabbin Akiba-ben-

Joseph, mais il n'était pas encore définitivement établi au IIe siècle. Cette conclusion est irrecevable du fait même de la démonstration archéologique prouvant que les manuscrits étaient déjà dans la grotte à la fin du Ier siècle. Elle est également réfutée par d'autres considérations. Birnbaum a démontré que les passages talmudiques sur lesquels elle se fondait n'impliquent pas réellement ce que Tur-Sinaï et Zeitlin en déduisent. Admettant même qu'ils le pensent, leur témoignage ne pourrait pas avoir plus de poids que le simple fait de trouver des formes finales dans des papyrus et des inscriptions antérieures au IIe siècle

de notre ère. Des tentatives d'm final ou forme > entre deux lettres consécutives. Aux siècles qui nous occupent, 92

ARCHÉOLOGIE ET PALÉOGRAPHIE ces liaisons apparaissent plus fréquemment dans les documents les plus

anciens. Elles sont fréquentes dans les papyrus des rye et tlre siècles avant J.-C. et dans le Papyrus Nash, mais à partir du début du rer siecle elles deviennent de plus en plus rares. Au ute siècle après J.-C. elles ont pratiquement disparu. Elles apparaissent souvent dans les Rouleaux de la mer Morte, spécialement dans le Rouleau d'Isaie du monastère de Saint-Marc.

Les lettres de l'alphabet hébreu sont toutes des consonnes, bien

que certaines d'entre elles aient fini par servir aussi de voyelles. Un système de signes pour les voyelles commença à être utilisé vers le ve siècle après J.-C. La présence ou I'absence de ces > est donc

très importante pour dater les manuscrits. Dans ceux de la guéniza du Caire, les signes voyelles sont utilisés à l'occasion. Ils n'apparaissent pas dans les Rouleaux de la mer Morte. La déclaration d'un érudit

qui avait cru discerner des points voyelles dans le Commentaire d'Habacuc sensation pendant quelque temps, mais il en apparaît souvent dans les manuscrits, et qui n'ont aucun rapport avec l'écriture. S'il est vrai que l'absence de signes pour les voyelles n'est pas un témoignage positif en faveur d'une date reculée, leur présence aurait fourni un indice important en faveur d'une date relativement récente. Jusqu'ici nous n'avons considéré que les formes de l'écriture carrée ou araméenne utilisée dans les Rouleaux de la mer Morte. Le tableau se complique pourtant et gagne en intérêt du fait, déjà mentionné, euo l'écriture archaïque apparaît aussi dans quelques-uns des manuscrits. Ici, il faut distinguer deux problèmes : l'emploi occasionnel de l'écriture archaïque pour le nom divin et pour le mot Dieu EL- à I'intérieur de textes écrits en araméen, et I'emploi de l'écriture- archaïque pour des manuscrits entiers. Considérons d'abord l'emploi occasionnel. Les documents pouvant servir de termes de comparaison sont, dans ce cas, moins nombreux et moins satisfaisants que ce que nous avons

fit

trouvé pour l'étude de I'araméen. Pour la périôde anterieure à I'exil

babylonien il y a une abondance de documents comprenant les Lettres de Lakich du vre siecle avant J.-C., écrites sur des tessons. Pour les siècles qui suivirent l'exil babylonien, alors que l'usage de I'araméen se répandait, nous avons beaucoup moins de documents en écriture archalque pouvant servir de compàraison. IJ y a beaucoup d'inscriptions phéniciennes, puniques et néo-puniques. I1 y a aussi des monnaies juives, portant le vieil alphabet datant de la période macchabéennehasmonéenne (rre et Ier siècles avant J.-C.) et des deux révoltes contre Rome (66-70 et 132-135 de notre ère). La forme ornementale et très évoluée de l'écriture archaïque utilisée par les Samaritains se retrouve sur beaucoup d'inscriptions datant des premiers siècles chrétiens. S'appuyant sur le témoignage de ces documents variés et peu nombreux, David Diringer considère que le nom divin dans le Commentaire d'Habacuc est écrit d'une façon « stylisee et plutôt inhabituelle »; 93

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE pense qu'il a été tracé « par un scribe qui n'avait pas I'expérience de l'hébreu archaïque ancien >>. Le mot EL dans un fragment provenant de la première grotte est par contre jugé par lui comme « non stylisé >) et « probablement de la même écriture que les fragments du Lévitique ». Birnbaum estime que la forme archaïque utilisée dans le Commentaire d'Habacuc potJr le nom divin est intermédiaire entre celle des Lettres de Lakich et celle des monnaies juives. Baruch Kanael conclut, après une comparaison avec les monnaies, que les manuscrits et les Hymnes d'Action de Grâces (dans I'un desquels apparaît le mot ELI en caractères archaïques) furent écrits entre le règne d'Hérode et la destruction du temple, c'est-à-dire entre 40 avant et 70 après J.-C. Un témoignage d'un genre un peu différent a été mis en avant en faveur d'une date plus récente. Des copies de traductions grecques de I'Ancien Testament, écrites au début de l'ère chrétienne, portent parfois le nom divin en caractères hébreux; certaines de ces copies utilisaient les caractères carrés, ou des lettres grecques leur ressemblant plus ou moins, mais deux fragments, I'un du IlIe siècle, I'autre du ve siècle de notre ère, portent le nom divin en caractères archaiques hébreux. L'un des fragments grecs du Khirbet Mird nous fournit maintenant un troisième exemple de l'emploi de caractères hébreux archaiques dans un texte grec. Origène, le théologien du ttte siècle, a dit que dans les meilleurs manuscrits bibliques de son temps, le nom divin était écrit en caractères archaïques hébreux. IJn siècle plus tard, Jérôme observait que dans certains manuscrits grecs le nom divin était encore écrit en lettres archaïques. Qu'un rapport existe entre cet usage dans les traductions grecques et I'emploi de caractères archaïques pour le nom divin ou le mot EL dans les textes hébreux ne nous autorise pas à en faire usage pour prouver quoi que ce soit. Le témoignage littéraire indirect d'Origène et de Jérôme ne peut d'aucune façon contrebalancer le témoignage paléographique des textes eux-mêmes; de plus, ses implications sont loin d'être claires. En un mot, les usages en honneur dans les manuscrits grecs n'ont aucune signification en ce qui nous concerne. Nous arrivons ainsi à I'autre problème : I'emploi de l'hébreu archaïque pour des textes entiers comme ceux des fragments du Lévitique trouvés depuis dans les autres grottes. Nous avons ici comme terme de comparaison non seulement les documents relativement récents déjà mentionnés, mais aussi la totalité des inscriptions anciennes en hébreu archaïque. Rien de ceci, il est vrai, n'est exactement identique aux fragments de Qumrân. Nous ne possédons aucun autre texte en écriture archaique sur cuir ou parchemin. Les fragments sont aussi les seuls spécimens connus d'écriture manuscrite en caractères archaiques. En les mettant en comparaison avec les inscriptions, il ne faut pas oubliei que différents genres d'écritures peuvent être utilisés en même temp§. Les caractères gravés sur pierre, l'écriture manuscrite conventionnelle

il

94

ARCHÉOLOGIE ET PALÉOGRAPHIE littéraires et l'écriture cursive de documents tels que les Lettres de Lakich, qui sont écrites à l'encre sur des tessons, peuvent différer considérablement, mais pas au point de rendre inutile toute comparaison entre les inscriptions et les lettres. Les fragments du Lévitique de la première grotte ont été soigneusement comparés avec f inscription de Mesa du txe siècle avant J.:C., avec les ostracas de Samarie et l'inscription de Siloé du vlue siècle avant J.-C.; on les compara également avec des sceaux, des empreintes de sceaux et des cachets frappés sur les anses de jarres du vre siecle avant J.-C., avec les Lettres de Lakich, du vle siecle avant J.-C., avec d'autres cachets d'anses de jarres des ve et tve siecles avant J.-C., avec des monnaies juives du Ier siecle avant J.-C. et des ler et ue siècles de notre ère, avec des inscriptions samaritaines s'étendant environ des textes

du rre siècle de notre ère aux vIIIe et txe siècles. Les conclusions des paléographes varient largement, les dates attribuées par eux aux fragrnents sont comprises entre 450 avant et 50 après J.-C. Cette divergence d'environ trois siecles dans les appréciations d'érudits compétents est quelque peu troublante. Les adversaires de la paléographie ne sauraient être blâmés d'en éprouver une certaine satisfaction. Mais I'explication de cette divergence se trouve dans la nature même des témoignages. Tous les documents qui peuvent nous servir de comparaison avec les fragments du Lévitique sont revêtus de caractères différents, soit qu'ils soient gravés sur la pierre, estampillés sur de l'argile ou écrits sur des tessons de poterie au lieu de parchemin, et leur graphie est monumentale ou cursive plutôt que littéraire. Ce fait devrait suffire à expliquer pourquoi, s'inspirant des mêmes éléments, des érudits également compétents peuvent tirer desconclusions si différentes. Diringer fait aussi remarquer qu'une graphie littéraire professionnelle comme celle des fragments du Lévitique peut à la longue servir de modèle type et rester en usage sans beaucoup changer pendant plusieurs siècles. Cependant, si ce témoignage n'est pas satisfaisant, il n'est pas pour autant négligeable. Nous pouvons être certains que les fragments ne sont pas antérieurs au ve siècle avant J.-C. ou postérieurs au Ier siecle de notre ère; et dans cette période de cinq siècles c'est plutôt à la première moitié qu'il faut les rattacher, à moins que la graphie n'en ait été délibérément archaique. De même que pour les autres documents examinés précédemment, la discussion en ce qui concerne La date des fragrnents du Lévitique ne se borna pas à tenir compte seulement des comparaisons paléographiques. Des témoignages littéraires ont été mis en avant pour démontrer que le vieil alphabet hébreu a continué à être utilisé par les Juifs jusqu'à l'ère chrétienne. Sans nier que l'écriture carrée était communément employee pour les manuscrits bibliques au Ier siecle de notre ère, les savants ont trouvé de bonnes raisons d'affirmer que l'écriture archaique n'était pas abandonnée et que des manuscrits bibliques écrits de cette 95

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE façon dataient du ue siècle. (Jne assertion rabbinique déclarant que seuls les textes en écriture carrée étaient sacrés a servi d'argument pour et contre cette affirmation. Il semble raisonnable d'en inférer que l'écriture archaïque ne devait plus servir à composer les nouveaux textes de la loi, même si de vieux manuscrits ainsi composés étaient encore en usage. En tout cas, les conjectures basées sur les textes'ne peuvent rien contre les données concrètes de la paléographie. Et celles-ci, nous l'avons vu, militent en faveur d'une date pré-chrétienne, probablement pas antérieure au rrle ou IIe siècle avant J.-.C. Ce n'est pas après tout le fait même que le vieil alphabet soit utilisé qui importe, mais les particularités de cet alphabet telles qu'on les trouve dans chacun des manuscrits. Il faut se rappeler que toute cette discussion porte sur les cinq fragments du Lévitique trouvés en 1949. De nombreux fragments en écriture archaïque ont été trouvés par la suite et sont étudiés présentement au Musée palestinien; très peu d'entre eux ont été publiés. F.M. Cross, qui les a examinés, pense qu'ils pourraient dater du ue siècle avant J.-C., mais il croit plus probable d'attribuer leur écriture à une renaissance archaïque du Ite siecle de notre ère, pendant la période macchabéenne. La science de la paléographie ne s'occupe pas seulement de la forme

des lettres. D'autres caractéristiques dans la manière d'écrire doivent être également prises en considération. L'un des traits les plus frappants des Rouleaux de la mer Morte est le fait que des lignes y ont été soigneu-

sement tracées pour guider l'écriture. L'ancienneté d'un tel usage est formellement reconnue. Le Talmud palestinien le fait remonter à une ordonnance de Moïse sur le Sinaï. Zeitlinconsidère cette déclaration comme une fiction destinée à justifier un procédé nouveau récemment emprunté aux Grecs et aux Romains. Birnbaum y voit plutôt une 'Il indication prouvant que le procédé passait pour être très ancien. cite une autre affirmation d'un célèbre rabbin du II' siecle qui fait remonter l'origine du réglage des manuscrits à Adam. Il fait en effet remarquer que même les fragments du Lévitique en hébreu ancien sont réglés.

LJne autre caractéristique des rouleaux pouvant être considérés du dans la marge des colonnes. Le Commentaire d'Habacuc pofie fréquemment

point de vue de la paléographie est I'emploi de certains signes

X majuscule à la fin d'une ligne. Des croix similaires apparaissent occasionnellement dans le Rouleau d'Isaîe du Monastère de Saint-Marc, mais placés dqns la marge. Teicher pense que ces X représentent la lettre gxecque khi,.qui voudrait dire Christos

une simple croix comme un

et qui servait à marquer les passages christologiques. Ceci est un corollaire de sa théorie suivant laquelle les membres de I'Alliance auraient été

des Juifs chrétiens. Sonne a démontré que cette théorie suppose plusieurs postulats improbables. Il pense que ces X sont le taw hébreu, voulant simplement dire « marque » et il croit qu'on l'employait pour 96

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE marquer des passages considérés pour certaines raisons importants ou utiles. Dans le Manuscrit d'Isaîe du couvent de Saint-Marc et dans le Manuel de Discîpline, on trouve souvent dans la marge une courte ligne horizontale ou bien une ligne terminée à I'une de ses extrémités par un crochet. Ces deux manuscrits portent également dans les marges plusieurs signes mystérieux et compliqués tout à fait remarquables. Aucune explication satisfaisante de tous ces signes n'a encore été trouvée. Quelques-uns peuvent marquer des passages choisis pour être lus en public ou considérés spécialement importants au point de vue de la doctrine. D'autres sont peut-être destinés à attirer l'attention sur des erreurs de copie demandant une correction. D'autres encore sont si compliqués qu'on serait tenté de les prendre pour de simples gribouillages tracés par un scribe ou un élève distrait, mais une telle explication ne peut être envisagée qu'en dernier ressort. Il faudra peut-être attendre que des exemples comparables du même genre de > soient découverts dans d'autres manuscrits pour trouver à ce problème une solution convaincante. Quand les fragments exhumés lors des fouilles de la première grotte en 1949 furent exposés à Londres. Kahle annonça que certains d'entre eux portaient des caractères au recto et au verso, prouvant ainsi qu'ils provenaient de manuscrits en forme de codex, c'est-à-dire de volumes reliés comme le sont nos livres. S'appuyant sur le fait qu'aucun manuscrit de cette sorte n'a été composé à notre connaissance avant le tIe siècle de notre ère, Kahle en conclut que le plus récent des manuscrits trouvés dans la grotte ne pouvait être antérieur à cette date. A ceci, Birnbaum répondit qu'aucun des fragments sur cuir n'était écrit des deux côtés. Sur la trentaine de fragments de papyrus, six portent des caractères au recto et au verso, mais dans aucun d'eux l'écriture ne semble être la même d'un côté et de I'autre; à vrai dire, elle est nettement dissemblable sur trois des fragments et dans I'un d'eux les caractères sur chaque face sont tracés dans une direction différente. Plutôt que de voir dans ces morceaux de papyrus des pages de codex, il est donc plus vraisemblable d'en déduire qu'ils ont été employés à deux reprises ditrérentes.

D'autres considérations ont encore aidé à compliquer le problème. On supposa tout d'abord qu'un des fragments trouvés dans la grotte portait deux lettres grecques. Plus tard on s'aperçut que ces caractères appartenaient probablement à üne écriture cursive hébraïque trouvée sur quelques-uns des.autres fragments. Kahle pensa pouvoir identifier sur I'un d'eux deux lettres de l'alphabet syriaque Estrangélâ, probablement inconnu en Palestine avant le Ier ou IIe siècle de notre ère. D'autres érudits, cependant, qui ont cherché ces lettres ne les ont pas trouvées.

Le résultat le plus èlair de toutes ces investigations et controverses au sujet des preuves paléographiques c'est que I'impression initiale 98

ARCHÉOLOGIE ET PALÉOGRAPHIE de ceux qui ont été les premiers à examiner les rouleaux sous cet angle a été solidement confirmée. Les arguments de ceux qui persistaient à attribuer aux manuscrits une date postérieure au rer siècle après J.-C. (pour ne rien dire du Moyen âge) ont été réfutés, à la fois par le témoignage archéologique apporté par les fouilles et par le témoignage paléographique qui ressort des manuscrits eux-mêmes. Il y a encore des différences d'opinion qui jouent sur un quart ou une moitié de siècle dans l'attribution d'une date à tel ou tel des manuscrits. L'accord est moins général en ce qui concerne les fragments portant des caractères archaiques. Cependant, parmi les savants qualifiés pour tirer des déductions des données paléographiques, il ne subsiste pas de divergence majeure concernant les principaux rouleaux. C'est à juste titre, semble-t-il, que Birnbaum regrette que le débat n'ait pas consisté en une controverse entre paléographes, mais bien plutôt en une attaque de la paléographie par des savants spécialisés dans d'autres domaines.

Une confirmation inattendue du résultat d'ensemble a été fournie

par les trouvailles ultérieures de la grotte du wadi Murabba'at. Quelquesuns des textes qui en proviennent sont datés. Leur écriture est nettement plus tardive que celle des rouleaux et des fragments de Qumrân. La confiance que l'on peut accorder aux méthodes paléographiques pour dater des manuscrits se trouve ainsi brillamment justifiée.

Alors que la paléographie demeure notre critère principal pour déterminer l'âge des manuscrits, il en existe d'autres qui permettent d'en compléter et d'en vérifier les résultats. L'un de ceux-ci repose sur la matière même dont sont faits les rouleaux. L'usage du cuir et du papyrus au lieu de parchemin a été allégué pour prouver que les rouleaux ne pouvaient être postérieurs au rve siècle après J.-C.; mais la portée de cette déduction n'est tout au plus que relative. Pour autant qu'on en fasse cas, elle ne peut que renforcer les autres preuves, mais elle est moins précise et moins concluante que les autres critères fournis par I'archéologie et la paléographie. L'examen de I'encre aussi bien que de la peau a été entrepris pour essayer de dater les manuscrits, mais il n'a été d'aucune utilité. Se fondant sur certaines déclarations du Talmud, on a supposé que I'encre métallique n'avait pas été employée par les Juifs avant le ue ou rrre siècle après J.-C. Birnbaum a bien fait remarquer que I'encre des Lettres de Lakich au vre siècle avant J.-.C. contenait déjà du fer. Mais quand le docteur Plenderleith, du British Museum, analysa I'encre des fragments de la première grotte en 1949, il constata qu'elle n'était pas métal-

lique. Plus tard on fit la même constatation en analysant I'encre desséchée dans un des encriers découverts au Khirbet Qumrân. Par

conséquent, la composition de I'encre n'est d'aucun secours pour dater les Rouleaux de Ia mer Morte. Tous Ies résultats des diverses investigations convergent donc sur une période historique durant laquelle tous les manuscrits furent écrits 99

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE et qui s'étend d'environ 300 avant J.-C. à 70 après J.-C. L'âge relatif des différents manuscrits est assez clairement résolu lui aussi et leur place approximative à l'intérieur de cette période passablement assurée. b"rr* â,rtre. méthodes d'investigation ont été pourtant entreprises et

nous reste maintenant à examiner le résultat de cette enquête. Il ne s'agit plus du cuir, de I'encre ou de la forme des lettres, mais du langage et du texte même des manuscrits.

il

CHAPITRE

V

Témoillnage des tentes et de la lan$ue

sans 6 r I'on admettait que les æuvres originales ont été recopiées \ transformations et sans erreurs, l'âge des copies particulières L/ retrouvées dans les grottes serait indépendant de la forme du

texte et de la langue employée. En fait les manuscrits ne sont jamais recopiés avec une exactitude absolue, les scribes anciens n'étaient pas toujours aussi minutieux qu'ils auraient dû l'être, et les meilleurs d'entre eux n'étaient que des hommes. I1 est curieux d'observer qu'ils font très souvent le même genre d'erreurs que font aujourd'hui les typographes et les imprimeurs, Quand on dispose de plusieurs copies d'âges divers qui permettent la comparaison, comme c'est le cas quand on étudie le texte grec du Nouveau Testament, on peut grouper les manuscrits par types et par familles en établissant des sortes de pedigrees; l'on arrive ainsi à déterminer plus ou moins complètement l'histoire du texte dans ses modifications successives. Pour les Rouleaux de la mer Morte, cette méthode de recherche n'est praticable qu'en ce qui concerne les manuscrits bibliques, parce que æ sont les seuls dont nous ayons d'autres copies. Même pour ceux-ci, malheureusement, nous ne possédons pas d'autres manuscrits dont l'âge approche celui des Rouleaux de la mer Morte. Entre les deux manuscrits de Qumrân, qui contiennent le livre d'Isaïe et les manuscrits hébreux de ce livre, qui sont les plus anciens après ceux de Qumrân, s'ouvre un gouffre de plusieurs siècles, pour ne pas dire davantage. Par conséquent nous ne pouvons comparer les rouleaux avec d'autres copies plus anciennes du texte hébreu. En dehors des rouleaux, des fragments trouvés dans le wadi Qumrân et de quelques fragments de papyrus trouvés en Egypte, tous les manuscrits que nous possédons de l'Ancien Testament en hébreu contiennent 101

LES MA NUSCRITS DE LA MER

M.ORTE

le texte qui fut édité et unifié pendant les premiers siècles de l'ère chrétienne. Cette tâche fut accomplie par des érudits juifs appelés Massorètes (du mot hébreut masora qui signifie tradition), et le texte qu'ils établirent s'appelle le texte massorétique. La question qui se pose quand on veut dater les manuscrits bibliques de la mer Morte, c'est leur rapport avec le texte massorétique. Le large accord avec le texte massorétique qu'on rencontre dans quelques-uns des rouleaux a été utilisé comme preuve d'une date relativement récente. Comme le texte massorétique n'a pas été fixé avant l'ère chrétienne, on conjecture que tout texte qui s'accorde avec lui ne peut être pré-chrétien. Ainsi présenté sans nuances, l'argument comporte des erreurs évidentes. On ne l'avance jamais sous cet aspect catégorique, mais les erreurs sont seulement dissimulées par la subtilité des arguments. Avant d'apprécier dans quelle mesure ces remarques affectent la datation des Rouleaux de Ia mer Morte, il nous faut examiner d'un peu plus près les hypothèses. D'abord, l'époque otr fut établi le texte massorétique n'est pas un moment déterminé du temps; I'antériorité ou la postériorité ne peut être si précise qu'elle permette de dater n'importe quelle forme du texte. L'unification de ce texte ne fut pas l'événement d'un jour, mais un développement progressif. D'aurte part, les Massorètes n'ont pas créé un texte absolument neuf; ils n'ont pas composé une nouvelle Bible sortie de rien, ils ont tenté de découvrir et de restaurer le texte correct. Le texte absolument correct serait, si on pouvait le retrouver,

le texte original émanant de I'auteur de chaque livre. Le texte le meilleur qui soit accessible est celui qui remonte d'aussi près que possible à cette forme originale. Les Massorètes, en d'autres termes, éditaient des écrits anciens. S'ils avaient réussi dans leur dessein, un manuscrit écrit longtemps avant leur époque pourrait et devrait s'accorder étroitement avec le texte qu'ils ont adopté. Cette rencontre montrerait seulement qu'ils avaient à leur disposition de bons manuscrits et qu'ils exécutaient soigneusement leur besogne. Si un long manuscrit coïncidait exactement avec le texte massorétique sur chaque point, ou avec quelques rares exceptions nous serions

en droit d'inférer qu'il est une copie du texte standard établi par les Massorètes et que par conséquent il a été exécuté aprés l'époque où ils travaillèrent. Mais, quand il s'agit d'un passage bref, une coïncidence même absolue prouve tout simplement que le texte adopté par les Massorètes se rencontre sur ce point particulier avec celui que recopie le scribe, auteur du manuscrit. Aucun érudit ne peut prétendre sérieusement que toute copie faite avant l'époque des Massorètes doit nécessairement différer de leur texte dans chaque verset; et pourtant æ point de vue semble être tacitement adopté dans beaucoup de discussions qui ont pour objet les Manuscrits de la mer Morte. Si d'autre part il diffère du texte massorétique, un manuscrit n'a t02

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE pas forcément.été écrit avant le temps des Massorètes. L'adoption ômcielte d'une forme unifiée du texte et l'élimination de toutes les autres formes sont choses différentes. Des textes non officiels offrant des différences considérables avec le texte standard peuvent avoir subsisté un certain temps. On peut distinguer trois étapes dans l'élaboration du texte massorétique : 10 Différentes formes du texte se développent graduellement, y compris celle qu'on acceptera plus tard comme normative. Sans doute n'étàit-il aucun manuscrit qui ait ôontenu tout le texte d'un livre quelconque sous la forme exacte qu'adoptèrent les MassorèteS. Leur æuwe

fut probablement éclectique, peut-être même dans une certaine mesure créatrice, quoiqu'ils n'aient jamais eu l'intention qu'elle le fût. Dans I'ensemble, d'ailleurs, le texte qu'ils approuvèrent devait s'appuyer sur d'anciennes traditions. 2o La seconde étape fut donc le choix parmi des traditions diverses, comportant unq décisioq quant à la version qui serait acceptée ,

pour chaque verset et chaque mot. 30 Enfin vient l'élimination de tous les manuscrits qui ne sont pas conformes au texte approuvé. .:l

C'est seulement après I'achèvement de ce travail qu'a dû cesser complètement la production de manuscrits nouveaux contenant des variàntes. C'est seulement quand toutes les copies nouvelles eurent été soigneusement corrigées, quand toutes les anciennes ou nouvelles copies différant de la noüne officielle furent détruites, que la standardisation fut achevée. Cette étape ne fut peut-être pas atteinte avant le vrlte siecle après J.-C. L'importance de ces distinctions apparaît quand on lit ce qui a été écrit à propos du texte du Rouleau d'Isaie de Saint-Marc. Ce manuscrit offre quantité de différences minimes qui le séparent de la recension massôrétique dans les détails orthographiques et grammaticaux. Il contient aussi plusieurs variantes de plus grande importance. Dans Isaie 34 : 17-35 : 1, trelte et un mots omis par le scribe furent plus tard insérés entre les lignes par une main que nous avons déjà signalée comme différente de celle qui écrivit le reste du rouleau. Contrairement au reste du manuscrit, ce passage inséré concorde absolument avec le texte massorétique. Sous le prétexte qu'on ne pourrait avoir accès à ce texte avant le rre siecle après J.-C., certains savants ont allégué que le manuscrit complet, avec cette correction, n'a pu être déposé àans-la gtrotte avant le ue siècle. On perçoit clairement ici la conjecture, étrange et tout à fait injustifiée, selon laquelle la coincidence avec le texte standard, même dans un bref passage, est incompatible avec une date prémassorétique.

La différence entre les mots ainsi insérés et le reste du manuscrit est plus significative que leur colncidence avec le texte massorétique. 1,04

LES TEXTES ET LA LANGUE Elle indique, ou tout au moins elle suggère, que le rouleau pouvait être déjà très ancien quand ces mots y furent insérés. LJne autre insertion à la fin du chapitre 38 coïncide de même avec le texte massorétique, alors que le texte d'ensemble auquel elle fut ajoutée diffère sur plusieurs points de la recension massorétique. On a vu dans ce fait la preuve de I'origine très ancienne du rouleau lui-même et de l'existence d'un long intervalle entre l'époque oir il fut écrit et celle oir fut faite cette addition. On peut supposer que, durant cet intervalle, les versions de ce texte qu'adoptèrent les Massorètes avaient été acceptées par le correcteur qui fit les insertions. Avant de tirer des conclusions des différences existant entre le Rouleau d'Isaîe de Saint-Marc et le texte massorétique, il nous faut chercher dans quelle mesure ces différences ne sont pas simplement des erreurs dans la copie du manuscrit. Il y a certainement beaucoup d'erreurs évidentes, comme I'omission ou I'addition d'un ou de plusieurs mots, des confusions de mots et de lettres, la substitution d'un mot à un autre, la transposition de certains mots, ou de certaines lettres à I'intérieur d'un mot et diverses fautes d'autre genre. Nous pouvons

en mentionner quelques-unes en guise d'illustration. Il existe d'assez nombreuses omissions, quelquefois d'étendue assez considérable. Dans Isaïe 2:9-10, où le texte massorétique est manifestement défectueux, le rouleau omet douze mots hébreux et cette omission n'améliore pas la situation. Sans doute le texte suivi par le scribe était-il déjà incorrect et il n'en a rien pu tirer. Le rouleau contient trois bons exemples d'une erreur fréquente appelée homéotéleute, l' omission d'un passage compris entre deux emplois du même mot ou I'emploi de deux mots dont la terminaison est la même. Dans Isaïe 4:5 f, I'expression >. Ces mots se rencontrent plus tard dans 59:3 et peuvent avoir été insérés ici par une erreur de mémoire. 105

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE >. La mention des vallées s'accorde avec la référence à des montagnes dans les versets précédents, mais la répétition introduite dans la der'nière partie du verset provoque le soupçon. A la fin de 52:12, après les mots « le Dieu d'Israël »>, le rouleau ajoute : , appelée techniquement matres lectionis, est très ancienne, mais elle ne s'est pleinement développée que postérieurement à la période de l'Ancien Testament. Dans Le Rouleau d'Isaîe de Saint-Marc, elle est appliquée à un point extraordinaire; le résultat est que beaucoup de mots sont aussi longs que dans le texte massorétique, et ce résultat est encore accru parl'emploi de formes pluslongues pour certains suffixes pronominaux. La différence atteint parfois au Èrotesque; ainsi bhltw devient bhwlywtyw; r'sm devient rw'syhmh. Dans leur effort pour établir la date du manuscrit, les érudits ont longuement discuté la prévalence de la scriptio plena dans ce rouleau. Un emploi aussi prodigue et non systématique de matres lectionis ne pourrait guère se rencontrer dans un manuscrit biblique écrit après i'établissement du texte standard. Kahle appelle I'attention sur le fait que l'usage des voyelles n'est pas uniforme d'un bout à l'autre du manuscrit. La scriptio plena est plus employée dans les chapitres 34 à 66 que dans les chapitres

I

à 33. La paléographie ne change pas; mais

le même scribe peut avoir copié deux manuscrits différents pour les deux moitiés du liwe. Kahle voit ici une indication qui révélerait deux différents types de textes; il n'en infère pas que l'un des types était

plus ancien que l'autre, mais seulement que les deux manuscrits utilisés

par notre scribe représentent des coutumes orthographiques ditrq: ientes. La différence entre les deux moitiés du rouleau est à cet égard

indiscutable : toutefois il ne s'ensuit pas que I'explication de Kahle soit forcément correcte. Le changement à la fin du chapitre 33 n'est pas si brusque ni si absolu qu'il l'indique. Mgr. Patrick Skehan, qui prépare une collation de ce manuscrit pour l'American School of Orien-

tal Research, croit que le scribe est simplement tom|é dans une négligence plus grande au long'de sa copie et s'est de plus en plus laissé aller à l'usage des voyelles, à mesure qu'il écrivait. 111

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE A partir de quel moment a-t-on utilisé la scriptio plenaZ Quelques érudits, en essayant d'utiliser l'orthographe du rouleau comme élément de datation, ont insisté sur I'idée que les voyelles n'étaient pas indispensables tant que l'hébreu était une langue vivante. Cette reLlarque n'est pas.tout à fait exacte; même pour un peuple élevé dans l'u,age

d'une langue, il existe toujours une forte part d'ambiguité dans un texte formé uniquement de consonnes. Des lettres voyelles ou une autre indication des voyelles n'étaient inutiles que dans les lieux et aux temps otr la prononciation correcte du texte subsistait grâce à une traduction orale. Dans ce cas, le texte écrit était seulement un aide-

mémoire. L'introduction de lettres voyelles dans les manuscrits bibtiques peut être due à la crainte de voir disparaître la tradition orale correcte ou au fait que se sont développées des traditions orales ditrérentes. Pour combattre I'idée selon laquelle la scritpio plena entra dans l'usage au moment où l'hébreu cessa d'être une langue vivante, Birnbaum allègue que l'hébreu n'était déjà plus la langue parlée par les Juifs au ule siècle avant J.-C. lorsque fut rédigée la version grecque connue sous le nom de Septante; pourtant la Septante présuppose souvent des voyelles différentes de celles qu'on trouve dans le texte massorétique pointé, ce qui démontre qu'il existait des possibilités d'équivoques inconcevables si les lettres voyelles avaient été en usage. Kahle a nuancé de manière intéressante l'idée selon laquelle scriptio plena fut introduite parce que I'hébreu n'était plus une langue vivante. D'après lui, I'usage général des lettres voyelles doit s'être établi à un moment où de nombreux Juifs se remettaient à étudier l'hébreu, ce qui nous amène à la renaissance nationaliste de la période macchabéenne. De cette époque jusqu'à la destruction du Temple, I'emploi des voyelles fut général. Kahle alors voit dans I'usage fréquent qu'en fait, dans sa deuxième moitié surtout, le Rouleau d'Isaie de Saint-Marc, I'indication que le rouleau fut écrit entre la période macchabéenne et 70 après J.-C. La conclusion est plus convaincante que I'argument. Une hypothèse plus probable est que la scriptio plena fut introduite graduellement durant les siècles qui précèdent l'établissement par les Massorètes du texte standard et que les Massorètes éliminèrent la plupart des voyelles en se fondant sur leurs manuscrits, plus anciens. D'après Driver, l'introduction de la scriptio pleno ne precède pas, mais suit la standardisation massorétique du texte. Il considère que cet usage ne fait que commencer au rrre siècle après J.-C., car Origène fait très peu d'erreurs qu'on puisse expliquer par un manque de voyelles dans ses manuscrits, et Jérôme au rve siècle n'en fait presque aucune. Les premiers essais de pointage de voyelles auraient été faits au ve siècle. Ensuite la scriptio plena devint inutile et disparut. L'emploi très fré-

quent de lettres voyelles dans les Rouleaux de la mer Morte amène Driver à la conclusion qu'on peut les dater d'une époque antérieure à celle d'Origène ou de Jérôme. L'argument est très fragile. L'absence 1,1,2

LES TEXTES ET LA LANGUE d'erreurs dues à la lecture des voyelles dans origène et Jérôme indique seulement, sans doute, qu'ils étaient encore familiers avec une tradition orale exacte de la prononciation. On a des exemples nombreux de scripth plena longtemps avant Origène. Les lettres voyelles commencent à apparaître dans les inscriptions dès le vrrre siècle avant J.-C., quoique l'usage ne se soit développé que plus tard. Elles se rencontrent beaucoup plus fréquemment dans les derniers livres de I'Ancien Testament que dans les premiers. Une étude de l'orthographe hébraïque faite par Cross et Friedman aboutit à désigner la période macchabéenne comme celle oir la scriptio plena fut le plus développée. Les particularités orthographiques dans le manuscrit d'Isaïe de Saint-Marc et les Rouleaux de la mer Morte ne s'expliquent pas nécessairement en termes de temps. Elles peuvent, du moins en partie, représenter des différences locales. Il est possible aussi, comme Kahle le fait valoir, que les lettres voyelles soient plus largement utilisées dans les textes non officiels ou >. Un groupe comme celui qui copiait les manuscrits de Qumrân peut ne s'être pas senti lié par les règles imposées aux scribes qui faisaient des copies « officielles )) pour le Temple et les synagogues. Il est curieux d'observer qu'on a tiré des arguments se contredisant mutuellement de la présence ou de l'absence de scriptio plena. Le manuscrit d'Isaïe acheté par Sukenik concorde étroitement avec l'orthographe massorétique. Kahle prétend donc qu'il n'a pu être écrit avant le rre siècle après J.-c. Mais l'orthographe des Massorètes n'était pas une création nouvelle du ue ou du rrr" siècle; il est plus raisonnable de croire que ce manuscrit suit un texte plus ancien, non encore influencé

par le type nouveau d'orthographe du manuscrit de Saint-Marc. Sukenik lui-même donne du fait une version précise : durant le siècle qui précéda la destruction du Temple, la scriptio plena fut déjà utilisée pour faciliter la lecture, qu'il s'agît de nouvelles compositions ou du texte ancien de la Bible. Dans la même période cependant, des

manuscrits bibliques qui utilisaient la vieille orthographe circulaient aussi. Le manuscrit de sukenik maintient la vieille orthographe; le manuscrit de Saint-Marc utilise des lettres voyelles pour indiquer la prononciation des mots; mais il est probable que les deux rouleaux étaient lus et prononcés de même. D'autres traits distinctifs dans l'orthographe du manuscrit de saintMarc sont d'un intérêt purement technique et n'ont pas à être mentionnés ici. Il arrive que I'orthographe soit si spéciale qu'elle suggère l'idée que le scribe écrivait sous la dictée ou même de mémoire. De toute façon, il était certainement négligent et il a souvent usé d'une orthographe phonétique fort simpliste qui lui est particulière. une indication assez importante porte cependant à croire qu'il suivait à certains égards une très ancienne tradition. Sa façon d'orthographier les noms propres et les titres, fait observer Dewey Beegle, est souvent 113

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE plus en accord avec leur signification originale que I'orthographe des manuscrits. Par exemple, le titre assyrien orthograpbié, tartan, dans le texte massorétique, apparaît dans le rouleau comme turtan; la forme assyrienne originelle est turtannu. Le nom que les Massorètes transcrivent Shareser est Sharuser dans Ie rouleau, ce qui correspond de nouveau beaucoup plus à I'orthographe assyrienne. Le texte massorétique écrit Rabshakeh en un mot. C'était à I'origine un titre assyrien formé de deux mots, et dans le manuscrit de Saint-Marc un espace les sépare : Rab Shakeh. Le maintien de formes plus proches des noms et des titres assyriens ne prouve pas nécessairement que ce manuscrit est très ancien, mais indique que sur ces points il se fonde sur une tradition plus ancienne que le texte massorétique. De tout ceci nous pouvons déduire que l'orthographe particulière at Rouleau d'Isaîe de Saint-Marc n'aide guère à dater ce manuscrit; on n'y trouve ni confirmation ni réfutation des renseignements fournis par l'archéologie et la paléographie; nous pouvons tout au plus dire qu'il ne contredit pas ces renseignements. Mais la langue du manuscrit a d'autres traits distinctifs. On trouve dans les Rouleaux de la mer Morte, et spécialement dans celui d'Isaie appartenant à Saint-Marc, des particularités non seulement d'orthographe, mais aussi de grammaire. Comme la plupart des lecteurs auxquels le présent livre est destiné ne savent sans doute pas I'hébreu, nous ne donnerons ici qu'une indication générale de quelques-unes de ces particularités grammaticales. Par exemple, pour certains mots oùr le texte massorétique met des voyelles courtes et non accentuées, les lettres voyelles du rouleau suggèrent que, dans le dialecte du scribe, ces voyelles devraient être longues et probablement accentuées. Certains pronoms et suffixes, qui se terminent par des consonnes dans le texte massorétique, comportent dans le manuscrit un a final,long mais additionnel. Ceci est assez frappant parce qu'un a final de ce genre était, à ce que l'on croit, caractéristique d'une forme ancienne de la langue; plus tard il disparut de I'hébreu, puis réapparut dans les compositions médiévales, sans doute sous I'influence de I'arabe classique. Il apparaît occasionnellement dans le texte massorétique de l'Ancien Testament, oùr on peut l'expliquer aussi bien comme une survivance archaique ou comme une innovation médiévale. Il semble que la communauté de Qumrân gardait encore I'ancienne prononciation. A cet égard il vaut de noter que le dialecte samaritain a conservé ces voyelles finales. D'autres particularités grammaticales de l'Isaîe de Saint-Marc suggèrent une infiuence araméenne. Quelques savants ont donc supposé que le manuscrit doit avoir été écrit après que I'araméen était devenu la langue des érudits juifs. D'autres pourtant ont suggéré que ces formes impliquent pour le manuscrit une date ancienne, parce qu'on ne les rencontre pas dans la transcription du texte hébreu en lettres grecques donnée par Origène dans ses Hexaples. En dehors des affinités avec 114

LES TEXTES ET LA LANGUE la langue araméenne en général, on a noté des points de contact avec le dialecte christo-palestinien de l'araméen. En résumé, il semble que, si I'orthographe de ce rouleau est relati-

vement tardive, les formes grammaticales suggérées par son orthographe sont plus anciennes que celles du texte massorétique. La syntaxe, comme la forme des mots, diffère parfois de celles des Massorètes, mais on ne peut décrire ces différences sans user d'un langage technique. Pas plus que dans l'orthographe et dans la forme des mots,- on ne remarque de constance dans les particularités syntaxiques. Le scribe

qui copia le manuscrit suivit dans l'ensemble sa copie, mais çà et là il tomba dans les formes parlées de son dialecte personnel qui lui étaient plus familières. Ces faits sont intéressants pour la grammaire historique de la langue hébraïque; mais, dans l'état actuel de nos connaissances, elles ne fournissent aucune preuve claire de l'âge du rouleau.

D'ailleurs ces particularités linguistiques peuvent n'être pas apparues justement dans ce manuscrit; on peut concevoir que plusieurs -d'entre elles se soient glissées dans le texte lors de copies plus anciennes. Il est nécessaire d'examiner ces questions d'orthographe et de grammaire pour tous les textes bibliques trouvés dans les grottes en se servant comme base de comparaison du texte massorétique. Toutefois, pour les textes non bibliques, nous ne possédons pas d'autres manuscrits qui permettent cette comparaison. Il est impossible de détermi-

ner dans quelle mesure la langue de ces documents est celle des compositions originales et dans quelle mesure elle a subi, en cours de transmission, des changements comme ceux qu'on rencontre dans le Rouleau d'Isaîe de saint-Marc.Par conséquent, nous n'avons pas les moyens de savoir si les renseignements linguistiques concernent l'époquè où fut composé chaque livre ou celle oir fut copié le manuscrit. r est vraisemblable que le temps écoulé entre la composition originale des documents non bibliques et la confection des manuscrits de eumrân qui les contiennent fut beaucoup moindre que dans le cas des textes bibli-

ques. Néanmoins cette règle même souffre des exceptions. Ainsi les fragments du Livre de Daniel peuvent être aussi voiiins de l'époque oir fut composé le livre original que le rouleau du Manuet de-Diicipline l'est de l'époque oir cette æuvre fur composée. ce n'est donc que d'une façon très générale et hypothétique que I'on est autorisé à tirer de la langue de ces manuscrits des conclusions touchant leur âge. En fait, le critère de la langue s'est montré beaucoup moins efficace pour la datation des manuscrits qu'on ne s'y était tout d'abord attendu.

Avant d'abandonner le sujet de l'âge des manuscrits, il reste à mentionner une autre source d'information. Peu après la diffusion de la première découverte des manuscrits en 1947, les érudits évoquèrent des découvertes analogues faites dans les débuts de l'ère chretienne. Les Massorètes, comme le rappelle de vaux, citent parfois des variantes 115

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE empruntées à un texte qu'ils nomment le Pentateuque de Jéricho. Origène, le grand théologien du rrr" siècle, édita une compilation de plusieurs versions grecques de I'Ancien Testament, les Hexaples; il mentionne, comme source de l'un de ces textes, des manuscrits découverts à Jéricho ou dans les environs. Cette découverte est mentionnée aussi au rvu siècle par Eusèbe, l'historien de l'Église, et par Jérôme. Eusèbe dit que la découverte fut faite sous le règne de I'empereur Caracalla (2ll-217 après J.-C.). En 217, Origène était en Palestine; c'est probablement alors qu'il se procura son manuscrit. Ce manuscrit était évidemment grec et fut retrouvé parmi d'autres manuscrits grecs, mais des manuscrits hébreux auraient été retrouvés en même temps. 11 n'est pas impossible que le manuscrit d'Origène provienne d'une des grottes qu'on a récemment explorées; pourtant les découvertes faites dans le wadi Qumrân n'indiquent pas que les communautaires de Judée aient possédé des manuscrits grecs. En tout cas nous ignorons l'âge qu'avaient ceux qui furent découverts au temps d'Origène. Au chapitre III nous mentionnons la lettre de Timothée qui concerne une découverte de manuscrits faite aux environs de 800 après J.-C. Naturellement on a beaucoup discuté l'autorité de l'histoire racontée par Timothée et ses rapports possibles avec les Rouleaux de la mer Morte. Avant la découverte d'autres grottes, on supposait naturellement que la première grotte de Qumrân avait pu être celle dont parlait Timothee. Aujourd'hui toutefois, même en attribuant à I'histoire de Timothée une authenticité sérieuse, nous n'avons plus de raison d'identifier la grotte dont il parle avec celle qui a été découverte en 1947, ou avec une autre des grottes découvertes plus tard. L'histoire souligne simplement le fait que dans les temps anciens, des manuscrits étaient souvent cachés dans les grottes. Peut-être ne faut-il pas tirer de conclusions d'une autre référence à une découverte de manuscrits dans une grotte, donnée par le Qaraïte du xe siècle, Al Qirqisani. Dans le deuxième chapitre de son histoire des sectes juives, juste après avoir parlé des Sadducéens, il ajoute ; >.La lettre continue ainsi : « Et à cause de ces livres, ils enseignèrent à leurs fils à prier 116

LES TEXTES ET LA LANGUE dans la grotte matin et soir durant longtemps; et l'accumulation des jours fit oublier pour quelle raison ils avaient l'habitude de prier dans cette grotte; mais ils gardaient la coutume de leurs pères sans savoir pourquoi. A la fin de longs jours vint un certain Juif qui chercha la raison de cette coutume; il alla à la grotte et la trouva pleine de livres et il les en sortit. Et à partir de ce jour jusqu'à maintenant, ils se sont évertués à apprendre la Loi. Ainsi, nos pères nous l'ont raconté comme les hommes d'autrefois l'ont entendu, I'entendant eux-mêmes de la bouche d'un homme qui l'avait entendu, et ces choses sont très anciennes.

>>

Ici, fait remarquer

Segert, les circonstances de la découverte sont absolument différentes de celles que relate la lettre de Timothée. Le récit fait penser que la grotte dont il parle était plus grande que toutes celles du wadi Qumrân. Alors que cet incident ne présente visiblement aucun rapport avec celui dont parle Timothée, Segert suggère que cette grotte pourrait être celle où, comme le raconte Al Qirqisani, ont été retrouvés les livres des Maghariens. Nous possédons donc au moins deux, si ce n'est pas trois, comptes rendus indépendants de la découverte faite au Moyen Age de manuscrits enfermés dans des grottes. Ces découvertes, conclut Segert, étaient sans doute fréquentes. Lieberman rappelle I'affirmation du rabbin du xtlte siècle, Moses Taku, selon laquelle les Qaraïtes du vrrru siècle cachaient dans le sol les écrits hérétiques qu'ils possédaient, puis les déterraient et prétendaient avoir découvert des livres anciens. Cette accusation portée par leurs ennemis pourrait s'être fondée sur la découverte effective de manuscrits anciens. Aucune de ces références littéraires à des découvertes de manuscrits n'offre un rapport immédiat avec les grottes où ont été trouvés les Rouleaux de la mer Morte. Elles n'offrent par conséquent aucune aide pour déterminer l'époque oir les manuscrits ont été abandonnés dans les grottes, pour ne rien dire de l'âge des manuscrits au moment

où ils y furent déposés; elles ont I'intérêt pourtant d'illustrer une

ancienne coutume. Le résultat de toutes les recherches entreprises pour fixer l'âge des manuscrits trouvés dans les grottes peut être résumé brièvement. Ils ont tous été écrits avant 70 après J.-C. Entre le plus ancien et le plus récent s'est écoulée une période considérable. Les plus anciens des fragments bibliques peuvent remonter au IIIe siècle avant J.-C., mais sont probablement plus récents d'un siècle ou de deux. Le plus ancien des rouleaux plus ou moins complets, le Rouleau d'Isaite de Saint-Marc, remonte probablement aux dernières années du tte siecle avant J.-C. ou peut-être aux premières années du rer siècle. Le Manuel de Discipline ne peut être plus récent que 100 avant J.-C. Du dernier quart du rer siècle avant J.-C. date sans doute le manuscrit du Commentaire d'Habacuc. Le Rouleau de Lamech,le Rouleau de la Guerre,le Rouleau des Psaumes d'Actions de Grâces et Ie Rouleau d'Isaîe de l'Université 1,17

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE hébraique furent sans doute tous copiés pendant la première moitié du I"r siècle apres J.-C. Les innombrables fragments d'autres manuscrits du Qumrân s'étagent pendant toute la période qui va de 100 avant J.-C., ou même plus tôt, jusqu'à 70 après J.-C. Les fragments du wadi Murabba'at et les autres textes sont naturellement plus tardifs.

TROISIEME PARTIE

Les dates de eomposition

CHAPITRE VI

Les allusions historiques dans le « Gommentaire d'Ilabaeue » Les l§ttîm

3

qu'un manuscrit ne provienne directement de l'auteur du livre, son âge ne renseigne pas sur l'époque où fut tout d'abord écrite l'æuvre qu'il contient. Quand la date de la pre-

MorNS

mière copie existante est connue, nous savons que le livre était composé à ce moment, mais nous ne savons pas depuis combien de temps il

existait ni combien de copies en avaient été faites dans l'intervalle. Le moment oir un livre a été composé pour la première fois doit être déterminé par les preuves internes. Les preuves internes les plus importantes et les plus spécifiques sont

les allusions historiques. Cependant, avant de les considérer, il nous faut mentionner brièvement une autre sorte de preuves internes. En recherchant l'âge des Rouleaux de la mer Morte, nous avons parlé de leur langue. Dans la mesure oir la langue de l'auteur n'a pas été altérée par les copistes ultérieurs, elle aide à ûxer la date originale de la composition. En général les textes bibliques dans les Rouleaux de la mer Morte ont, plus longuement que les æuvres non bibliques, subi des altérations dues au copiste. Même dans les manuscrits non bibliques, il faut tenir compte des changements qui ont pu intervenir dans la langue; néanmoins, dans l'ensemble, on est en droit d'attendre ici moins de changements que dans les manuscrits bibliques. Nous pouvons considérer la langue des documents non bibliques comme étant approximativement celle des auteurs eux-mêmes. Dans le Commentaire d'Habacuc on rencontre à peu près les mêmes caractères linguistiques que dans le Rouleau d'Isai'e de Saint-Marc. Ici aussi les particularités d'orthographe et de grammaire ont des paral-

lèles dans I'araméen, dans les dialectes samaritain et rabbinique de l'hébreu, et dans des poèmes hébreux du pré-Moyen Age. En dehors t2'l

LES

M

ANUSCRITS DE LA MER MORTE

de ces points particuliers, la langue est simple; elle est très voisine de celle de l'Ancien Testament et donne l'impression, comme le souligne van der Ploeg, que I'auteur n'était pas un homme de haute culture, mais avait appris la langue hébraïque surtout par la lecture de la Bible. La langue du Manuel de Discipline présente à peu près les mêmes caractères. Certains mots employés semblent tardifs; on ne les connaissait jusqu'ici que dans la littérature rabbinique ou médiévale, mais simplement parce que nous n'avons presque aucune autreæuvre post-biblique en hébreu à laquelle les comparer. Driver définit les Psaumes d'Actions de Grâces comme ', Le Targoum araméen * porte Romains dans Nombres 24:24, mais il est peu probable que ce soit ici le sens. Le premier verset de I Macchabées dit qu'Alexandre le Grand vint du pays des Kittîm et dans 8-5 le roi Persée de Macédoine est appelé roi des Kittîm. Le livre des Jubilés, lui aussi, parle des Macédoniens comme des Kittîm (24:28 11. Devant cet ensemble de faits il est normal de se demander d'abord si les Macédoniens ne sont pas les envahisseurs étrangers que le Commen-

taire d'Habacuc nomme les Kittîm. Plusieurs érudits sont de cette opi-

nion; d'autres cependant croient que dans cet ouvrage le nom se réfère aux Romains, comme dans Daniel 1l :30. La théorie avançant que les

" N.d.T.

Le Targoum est la traduction en araméen de la Bible hébraïque. 125

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE Kittîm sont les Macédoniens, ou, plus précisément, les Séleucides de Syrie, implique ou du moins admet pour notre ouvrage une date de composition plus ancienne que n'implique la théorie d'après laquelle ils sont les Romains. La décision dépendra de l'interprétation de détail du texte. Considérons donc ce que le commentateur dit des Kittîm et examinons les interprétations que fournissent de ses dires les avocats respectifs de la théorie macédonienne et de la théorie romaine. Il nous suffira ici de citer ou de résumer les passages qui concernent les Kittîm. Pour de plus amples détails on pourra consulter la traduction du Commentaire d'Habacuc qui figure à la fin de ce volume. Les Kittîm sont >. A un certain moment, le commentateur parle des En outre « ils étendent leur joug et leur tribut qui leur donnent leur nourriture, contre tous les peuples, année par année, dévastant de nombreux pays >>. Dans leur avance impitoyable, >. Presque tout ce qui est dit ici peut s'appliquer à n'importe quelle armée d'invasion; mais certains détails plus précis ont été relevés pour servir de preuve à l'une ou à I'autre des théories. Le débat porte principalement sur des expressions ambiguës qui peuvent aussi bien s'appliquer à l'une des nations qu'à l'autre. Seuls quelques points très rares 126

« COMMENTAIRE D'HABACUC >: LES KITTIM s'imposent vraiment comme non équivoques; mais en fait, reconnaissons-le au départ, aucun d'eux n'est vraiment concluant. Dans le cas contraire, évidemment, il n'y aurait pas de débat. Tout ce à quoi nous pouvons viser, c'est une probabilité plus forte pour une thèse que pour une autre. Ecoutons d'abord les tenants de la théorie macédonienne. Dans la phrase « Et ils viennent par un chemin aisé >>, l'expression que je traduis par chemin aisé signifie littéralement droit ou plat. Tâlmon traduit : > D'autres emploient le mot (( plaine >>. Delcor suggère qu'il s'agit du haut plateau à l'est de la mer Morte, entre le fleuve Arnon et la ville d'Hesbon; ce prateau

faisait partie du territoire conquis par'le

roi

hasmonéen Alexandre

Jannée (103-76 avant J.-c.); mais il serait fait allusion ici à une campagne du roi séleucide Antiochus xII (87-84 avant J.-C.) contre les Nabaiéens.

Rien dans le texte n'étaie une allusion de ce genre. L'expression « par un chemin aisé » peut d'ailleurs vouloir dire « facilement >> ou >.

La mention de la

> des Kittîm a été interprétée comme désignant les Séleucides, parce que ces vices leur sont souvent attribués par I Macchabées et Josèphe, alors que ces auteurs accordent aux Romains de la sagesse et de la patience. Par contre on peut rappeler

que

la

ruse

et la

fausseté caractérisaient aussi

Pompée.

le

général romain

un argument avancé par ceux qui voient les Kittîm dans res Macédoniens est tiré de la phrase du commentateur : les Kittîm quand il veut parler de chevaux; pourquoi ne dirait-il pas (( éléphant >> s'il voulait parler d'éléphant? Le substantif traduit > est en fait employé ici au singulier; il est pris, dit Dupont-sommer, dans un sens coilectif qui inclut toutes les espèces d'animaux employés par les armées. Naturellement le singulier pourrait aussi être employé dans un sens collectif pour désigner les éléphants. Elliger reconnaît que les éléphants de stauffer ne peuvent porter le fardeau dont ils les a chargés. Michel, d'autre part, insiste sur l'idée qir'il s'agit de certains animaux utilisés au combat et que ceux-ci ne peuvent être que des éléphants. Mais on pourrait aussi penser aux bêtes de somme qui accompagnent l'armée. c'est seulement si une autre preuve plus concluante montre qu'il s'agit bien des séleucides, que nous aurons une raison pour croire que les éléphants sont visés ici. Rien ne démontre que les animaux étaient plus caractéristiques des Kittîm que les chevaux. 127

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE Les chevaux, d'âilleurs, pour Michel, font plutôt penser aux Séleucides. Citant les nombreux témoignages de I Macchabées sur la puissance formidable de la cavalerie séleucide, il faut observer que la cavalerie n'est pas mentionnée dans la campagne des Romains contre la Judée en 63 avant J.-C. Peut-être les chevaux seraient-ils, pour la thèse séleucide, un argument plus fort que les éléphants. L'indication : (( lls viennent de loin, des côtes (ou îles) de la mer )), est appliquée aussi aux Séleucides. Josèphe dit que deux des rois séleucides avaient des mercenaires venant des îles. Dans I Macchabées, Antiochus Epiphane est dit avoir envoyé des lettres des >. Ce n'est pas un argument très frappant. En fait, le substantif employé dans le Commentaire ne signifie pas forcément . Dans la première inâication il croit voir que les Kittîm mettent en déroute des forces plus nombreuses que les leurs, tandis que la dernière lui paraît signifier qu'ils dépassent en nombre ceux qui les combattent. Dans le premier càs, il déèouvre une allusion à la victoire d'Antiochus Epiphane sur les armées égyptiennes, beaucgup plus nombreuses que 1es siennes, dans l'autre une allusion à l'écrasante supériorité numérique des armées séleucides dans les guerres macédoniennes. L'hypothèse d'après laquelle t28

« COMMENTAIRE D,HABACUC >>: LES KITTIM la multitude représente chaque fois une supériorité ou une infériorité numérique importante est purement gratuite. Le commentateur dit que les chefs des Kittîm disparaissent l'un devant l'autre, leurs chefs arrivent l'un après I'autre pour « dévaster la terre >>. Delcor applique ceci aux rois séleucides de la fin du tIe siecle avant J.-.C. en citant cette phrase de Boucher-leclercq : , mentionné par Daniel ll,20, fut envoyé en Palestine par Séleucus IV, successeur d'Antiochus Epiphane. En 141, la Palestine cessa de payer le tribut au chef séleucide. La référence qu'on trouve dans le Commentaire d'Habacuc au paiement d'un tribut annuel paraît à Stauffer indiquer une date comprise entre ces deux événements. Si l'on admet que les Kittîm sont les Séleucides, cette hypothèse est assez probable. Mais ceux pour qui les Kittîm sont les Romains voient naturellement ici une allusion au joug et au tribut imposés par les Romains au peuple conquis. La référence est trop générale pour être probante dans un sens ou un autre. Dans la phrase >, est un défi lancé aux interprètes. Vermès affirme que seuls les prêtres guerriers de la dynastie hasmonéenne sont visés par cette expression. Les prêtres hellénisants de la période pré-macchabéenne n'auraient pâs, dit-il, attaqué leurs alliés et patrons macédoniens. D'autre part les prêtres de l'époque d'Hérode et du temps des procurateurs romains n'étaient pas des guerriers, et les grands prêtres de 66-70 après J.-C. sont éliminés par l'évidence archéologique. Par contre tous les grands prêtres de

la

dynastie hasmonéenne ont attaqué les peuples voisins et se sont enrichis de leurs dépouilles. Vermès, nous le voyons ici, considère que les

Kittîm sont les Romains.

La dernière indication que le Commentaire donne sur les Kittîm

:

Car ils sont le reste des peuples >>, est rapprochée par Michel du tableau tracé dans le livre de Daniel de la monarchie séleucide sous Antiochus

, il le rend par (( plaine » (liquide?). Même si les Romains étaient L3r

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE nettement visés et s'ils avaient effectivement gagné la Palestine par mer, cette interprétation du mot hébreu serait contestable. La phrase : « Ils viennent de loin, des côtes (ou îles) de la mer )), que Stoffer applique aux Séleucides, s'applique aussi bien ou plutôt

mieux aux Romains. Pourtant Dupont-Sommer va trop loin en affirmant que les Romains, mais non les Séleucides, viennent des îles de la mer. Si la référence vise les Macédoniens en général, à partir d'Alexandre, on peut dire qu'ils sont venus de la région-de la mer Égée. Au surplus, comme nous l'avons vu, le substantif qu'on traduit généralement par (( île » peut aussi bien signifier « côte » ou

, est appliquée par le commentateur aux Kittîm. Comme le mot > est souvent traduit par « aigle >>, Dupont-Sommer nous rappelle que l'aigle était l'emblème des légions romaines. S'il pensait aux Romains, le commentateur peut avoir eu ce fait dans l'esprit; mais le rapprochement est trop fragile pour rendre la référence certaine. En fait, c'est sur la rapacité insatiable des Kittîm que le commentateur insiste tout spécialement, et ceci, dit Michel, caractérise le vautour plus que I'aigle. Quand le commentateur parle des dominateurs des Kittîm, DupontSommer fait du mot « dominateur » un équivalent du latin imperator, alors que les chefs séleucides sont appelés rois. Pourtant dans le Psaume

105:20, le même mot s'applique au pharaon égyptien, et ailleurs il a un sens très général. Le tableau que fait le commentateur de I'attitude moqueuse et méprisante des Kittîm quand ils entourent et prennent la >, constitue pour Elliger une allusion à la prise de Jérusalem par Pompée en 63. Mais nous avons vu Michel affirmer que les Romains de cette époque n'ont pas montré cette attitude à l'égard des Juifs.

Dupont-Sommer, quoiqu'il trouve ailleurs dans le Commentaire une qu'il s'agit ici du traitement infligé par Gabinius en 57 à plusieurs cités palestiniennes. Une fois de plus, la référence est trop vague pour faire préférer une date ou une période à une autre. Nous avons trouvé peu convaincante la tentative d'appliquer à la période macchabéenne ou hasmonéenne le fait que les chefs de Kittîm « par décision d'une maison de culpabilité disparaissent l'un devant I'autre >> et >. On a proposé non seulement une, mais plusieurs interprétations de ce passage comme se référant aux Romains. Dupont-Sommer pense aux

référence à la conquête de Pompée, croit

132

« COMMENTAIRE D,HABACUC >>: LES KITTIM guerres civiles qui se déroulent dans l'empire romain de 49 à 29. Dans ces guerres, I'un après I'autre les prétendants passent et disparaissent C'est à I'année 4l avant J.-C., croit Dupont-Sommer, que se réfère spécialement le Commentaire d'Habacuc.' le monde romain tout entier était alors anxieux de la situation politique et I'invasion des Parthes venus d'Orient était imminente. Van der Ploeg propose une autre interprétation. Il croit qu'il s'agit dans cette phrase des campagnes faites par les généraux romains envoyés par le Sénat, I'un après l'autre, à la conquête du monde. De même Barthélemy voit ici une allusion aux proconsuls d'Asie. Pour Ben Zion Katz, les chefs des Kittîm sont les procurateurs qui ont gouverné la Judée au rer siècle après J.-C. En 1951, Vermès songeait aux empereurs romains qui se succédèrent rapidement entre 68 et 70 après J.-C.; mais il a depuis abandonné cette thèse, contraint qu'il était, par l'évidence tant archéologique que littéraire, à adopter pour la composition du Commentaire une date plus ancienne. La multiplicité même des théories montre qu'il n'en est point de concluante. Nous avons déjà noté une suggestion qui croît reconnaître en la famille pré-macchabéenne des Tobiades, la seront livrées aux Kittîm, le commentateur ajoute: >. Pour Dupont-Sommer, comme pour Elliger, cette phrase signifie que les Kittîm sont le dernier peuple qui jouera un rôle sur le

théâtre de I'histoire, c'est-à-dire les Romains. On peut l'admettre; mais le commentateur, quelle que soit l'époque à laquelle il vivait, a bien pu regarder la puissance qui dominait en son temps comme

devant être la dernière dans la suite des empires avant la fin de I'histoire humaine. Ce jugement a toujours été caractéristique du point de vue apocalyptique et, si le Commentaire d'Habacuc n'est pas un ouvrage apocalyptique, son point de vue est souvent proche de celui de ces ouvrages. Les références aux Kittîm nous apparaissent donc comme trop vagues pour s'appliquer de façon nette et indiscutable à une nation déterminée. La porte reste ouverte à toute interprétation que dicterait, sur le cadre

historique du Commentaire, une évidence d'un autre genre. La seule allusion qui puisse faire pencher la balance en faveur d'une nation plutôt que d'une autre est celle qui a trait au culte des enseignes. Toutes choses égales d'ailleurs, les Romains paraissent plus indiqués que les Séleucides.

Si donc nous admettons, à titre provisoire, euo les Kittîm sont les Romains, il ne s'ensuit pas nécessairement que le Commentaire fut écrit après la conquête de la Palestine par les Romains. La question restê posée de savoir si le commentateur évoque l'invasion romaine 134

« COMMENTAIRE D,HABACUC >): LES KITTIM comme remontant à un passé lointain, ou conune récente, comme contemporaine ou encore comme future. Pour Segal, le commentateur n'a pas en vue la conquête de la Judée, mais seulement l'asservissement d'autres nations par les Romains. Le butin des derniers prêtres de Jérusalem n'a pas encore été livré aux Kittîm. segal va jusqu'à croire

que les descriptions des Kittîm dans le Commentaire ne sont pas fondées sur une connaissance directe des Romains, mais sur des oui-dire et sur ce qui, dans Habacuc, se rapporte aux Chaldéens. Elliger s,oppose violemment à cette thèse : on sent chez le commentateur, affirme-t-il,

la force et la passion d'un homme qui connaît par expérience les terri-

bles choses dont il parle. D'autres savants croient que, pour le commentateur, l'invasion de la Judée est encore à venir, mais non forcément aussi lointaine que le suppose Ségal. van der Ploeg s'attache surtout à l'emploi des temps du verbe en hébreu. Pour indiquer les événements passés, le commentaire emploie les verbes hébreux au temps « parfait » qui marque l'achèvement de l'action. or, pour les actes des Kittîm, il utilise le temps « imparfait » qui d'ordinaire, mais pas nécessairement, se réfère au futur, ou bien le « participe actif >>. L'inférence qui se dégage de I'emploi de ces temps est que les Romains n'étaient pas encore en Judée quand fut rédigé

le commentaire, mais qu'on attendait leur venue. vermès

accepie

I'interprétation que van der Ploeg donne des verbes et admet avec lui que le commentaire fut écrit peu avaît l'arrivée de pompée devant Jérusalem en 63 avant J.-c. Le pillage des voisins d'Israël par les prêtres guerriers hasmonéens durait depuis des générations; mais leur butin leur sera bientôt confisqué par les Romains. Dupont-Sommer rejette l'argumentation de van der ploeg. Il fait remarquer que le temps imparfait est employé régulièrement pour marquer une action répétée ou continuelle qui se développe dans le présent ou même dans le passé. La remarque est juste et souvent, dans le commentaire d'Habacuc, des verbes au temps imparfait se réfèrent clairement au présent. L'emploi du participe non plus, dit DupontSommer, ne s'applique pas au futur, mais au présent. Il faut encore une fois admettre qu'il a raison : l'emploi des temps hébreux peut indiquer, mais n'indique pas nécessairement que les Kittîm ne sont pas enèore

arrivés. Les descriptions si fortes et si vivantes qui font impression sur Elliger et sur lesquelles il insiste pour combattre la thèse de Ségal, sont alléguées par Dupont-Sommer pour confirmer son interprétation. Il souligne aussi le ton sévère et violent des accusations lancées contre les Kittîm; ce

ton contraste avec I'attitude favorable aux Romains exprimée, antérieurement croit-il, dans I Maccàabées. Il en tire la coÀclusion qu'à l'époque où fut écrit Ie commentaire, la Judée avait déjà beaucôup souffert de la présence des Romains. D'autre part, ce qui est dit des Kittîm ne convient pas toujours à r35

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE ce qui se produisit au temps de la conquête de la Judée par Pompée. Michel observe que rien n;indique une avance particulièrement rapide des armées romaines, que Pompée n'est pas venu pour exécuter un plan militaire délibéré, mais en réponse à une invitation, alors que le ôommentateur dit des Kittîm : >; enfin il rappelle que les Romains ont, pendant les premières décades de leur domination en Palestine, traité les Juifs avec sévérité, mais sans insolence et sans cruauté particulière. Tous ces faits sont aisément compris si nous admettons qu'à l'époque oir fut écrit le Commentaire, on connaissait et on redoutait déjà les Romains, mais on ne les avait pas encore

vus en Palestine. Elliger, passant en revue tous ces faits, en conclut que le Commentaire fut écrit après 65 avant J.-C., quand le premier légat romain artiva en Judee pour régler le conflit entre Hyrcan et Aristobule, mais avant le règne d'Hérode. Je ne vois pas de raison pour le reporter à cette date. En ce qui concerne les références aux Kittîm, il me semble plus probable qu'il s'agit des Romains, mais que le Commentaire fut écrit un peu avant 63 avant J.-C. Toutefois une decision frnale ne peut être prisè sans tenir compte des autres allusions historiques contenues dans

le

Commentaire.

CHAPITRE VII

Allusions historiques d.ans le « Gommentaire

d'Ilabaeue » :

Les personnaEes

urnr les références faites à la situation internationale, il

est

longuement question dans le Commentaire d'Habacuc de partis et d'individus présents au sein de la nation juive. Il n'y a pratiquement pas de liaison entre ces références et les autres. Ces allusions

t^\/ I

concernent des gens et des groupes que ne mentionnent pas les passages

concernant les Kittîm, et de leur côté elles ne mentionnent pas les Kittîm. La seule exception est l'annonce (déjà examinée) selon laquelle le butin des derniers prêtres de Jérusalem sera livré aux Kittîm; cette phrase n'a aucun rapport net avec les partis et les personnes dont il

est parlé ailleurs. L'identification

de ces

individus et de ces groupes ressemble à la solution

d'un puzzle. Le problème est de faire coincider ce que le commentaire

dit des personnages avec ce que, par d'autres sources, nous connais-

sons de I'histoire juive. Le fait qu'à une ou deux exceptions près, ellesmêmes discutables, aucun nom n'est fourni rend le choix plus difficile encore. L'action des diftérents personnages est liée de façon telle qu'on ne peut les identifier séparément, ni les placer dans des périodes histo-

riques différentes ou dans des situations isolées. Nous devons, s'il est possible, trouver un ensemble de circonstances ou une série de gens

coffespondant à tout ce qui est dit sur chacun d'eux. Si nous n'y parvenons pas, nous devrons examiner s'il peut être question non d'une, mais de plusieurs situations et séries d'individus; mais cette hypothèse ne devra être envisagée qu'en dernier ressort. La meilleure méthode, par conséquent, semble être d'amener sur Ia scène tous les personnages du drame à la fois, de les considérer tous ensemble et de voir si nous pouvons reconnaître quels ils sont et la scène qu'ils jouent. Ainsi notre pluzzle commence à ressembler à une charade. 137

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE justice. »' Le héros du drame est un homme appelé « le maître de traduire, le peut bien aussi ôn justice ou, comme l-" titi. maître de . « le juste maître »i est probablement dérivé de plusieurs passages de l'Ancien Testament. Le terme exact n'apparaît dans aucun, mais on

>>) trouve deux références à un > et dans la Version standard américaine >, mais nous y reviendrons. Le commentateur continue à parler des perfides >, sont appliqués par le commentateur au maître de justice « à qui Dieu a révélé les mystères contenus dans les paroles de ses serviteurs les prophètes >>. Le maître de justice donc était un prêtre que ses disciples croyaient doué par Dieu du don d'interpréter les paroles des prophètes. On ne

nous

dit pas, comme I'observe Elliger, qu'il était inspiré aussi pour

la loi; néanmoins, puisque d'après maintes indications, ses disciples se considéraient comme les seuls vrais observateurs de la loi, on peut supposer que son autorité s'étendait aussi à ce domaine. Le Commentaire dit : « Entre les mains de son élu, Dieu remettra le jugement de toutes les nations, et lors de leur châtiment expieront les impies de son peuple. » Dupont-Sommer considère que « son élu >> désigne ici le maître de justice et que, par conséquent, le maître de justice était regardé comme I'agent futur du jugement dernier, rendu d'abord sur les nations et ensuite sur IsraëI. Alors que la forme du mot hébreu correspondrait normalement au singulier, les Rouleaux de la mer Morte offrent une particularité d'orthographe : les formes singulière et plurielle des substantifs ne peuvent être distinguées quand elles sont suivies du suffixe possessif de la troisième personne du masculin. Ici le substantif « élu >> est probablement pluriel, pour s'accorder avec (( son peuple »> dans la phrase precédente, et il ne se rapporte pas au maître de justice, mais à ses disciples. Dans ce cas ) est un des points les plus chaudement àébattus dans les controverses sur les allusions hisce sujet. [oiiqr"r du Commentaire. Plusieurs questions se posent à justice »' L'urie est le sens de I'expression >, Elliger cite un passage sur les Kittîm que je traduis : « Et leur plan délibéré est de faire le mal. Le mot discuté est celui qui est traduit ici par « délibéré »; il ne s'agit pas, d'ailleurs, de la décision d'une assemblee délibérative, mais de l'intention déliberee ou du plan conscient des conquérants Kittîm. Dans le passage que nous traduisons ici, le mot >? Devons-nous croire à I'existence d'un homme qui s'appelait effectivement Absalon ou le nom est-il pris dans un sens symbolique? Nous avons fréquemment fait remarquer que personne d'autre dans le document n'est appelé de son nom. L'analogie la plus proche de I'emploi du nom Absalon est l'emploi du nom Kittîm, ce qui porterait à croire qu'Absalon ici n'est pas le nom vrai d'un homme. Pourtant on a proposé plusieurs interprétations du passage qui admettraient l'existence d'un personnage historique nommé Absalon et cité plusieurs hommes de ce nom comme étant la personne visée par le commentateur. I1 me semble peu vraisemblable qu'un groupe particulier soit nommé ici de son vrai nom, alors que I'identité de tous les autres personnages du drame est >>

voilee

et

obscure.

Le commentateur semble croire que la maison d'Absalon aurait

dû aider le maître de justice dans son conflit avec I'homme du mensonge. donc que quelques-uns des disciples du maître de justice aient été appelés maison d'Absalon parce qu'ils I'ont abandonné.

Il se pourrait

t4t

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE Dans ce cas, tous ses disciples ne seraient pas visés;

il

conservait au

moins un nombre de fidèles disciples suffisant pour continuer son æuvre et préserver I'ensemble de ses écrits. Un peu plus loin le Commentaire parle de . Pourtant, comme le fait remarquer Barthélemy, le maître de justice est un interprète inspiré des Écritures, il est donc nécessaire de croire en son enseignement. L'emploi de la préposition dans avec le substantif établit d'ailleurs >>

ce sens, en hébreu comme en

français. On peut

se

rapeler aussi la condam-

nation de ceux qui (( ne croient pas quand ils entendent annoncer par la bouche du prêtre toutes les choses qui frapperont la dernière génération; ces choses sont annoncées par la bouche du prêtre au cceur

duquel Dieu a mis la sagesse afin qu'il explique toutes les paroles de ses serviteurs les prophètes >>. Et maintenant, entrée du traître! A moins, évidemment, qu'il soit déjà entré sous les traits de I'homme du mensonge. Il apparaît ici sous

son nom ordinaire, le >. L'homme dont Habacuc dit : Malheur à celui qui entasse ce qui ne lui appartient pas » eôt, d'après le Commentaire, . La traduction que j'ai donnée eit suggérée par une expression hébraique ressemblant beaucoup à celle-ci

:

« il fut nommé selon la fin qui I'attendait », c'est-à-dire qu'il reçut

un nom qui indiquait son destin. Au bas de la huitième colonne du commentaire, Ies derniers mots qui subsistent sont peut signifier littéralement ; ou il peut signifier « faire trébucher )» ou « troubler ». Vu le contexte, le second sens est plus probable. Le même verbe se rencontre dans Isaïe, 28:7 et dans Psaumes. lO7:27 pour exprimer les effets de f ivresse otr plonge le vin. Ce dernier sens convient au texte d'Habacuc qui vient d'être cité. tl est renforcé par les mots (( les confondre et les faire trébucher >> dans la phrase suivante, quoique le complément du verbe soit ici au pluriel, désignant sans doute les disciples du maître de justice, tandis que plus haut, il est au singulier et se rapporte sans

doute au maître lui-même. [æs mots que j'ai traduits (( avec le désir de l'exiler )) sont obscurs et leur signification est très débattue. Chacun des deux mots hébreux

constituant l'expression pose des questions difliciles. Dans les caractères employés par le copiste du Commentaire, w et ,* sont écrits de même; on peut donc lire le premier mot avec l'une ou l'autre de ces lettres. Plusieurs formes d'un verbe signifiant ou « désirer >> ont été suggérées avec diverses nuances de sens. Une autre

interprétation entièrement différente repose sur I'hypothèse selon laquelle il ne s'agit pas là d'un mot, mais de la contraction d'une préposition avec un substantif, formant une phrase dont le sens est » se rattacherait au verbe ou >, plutôt qu'au verbe confondre; dans ce cas pourtant, il paraît maison

>>.

été proposées.

145

LES MANUSCRITS DE LA. MER MORTE singulier que cette expression ne suive pas de plus près le verbe dont elle dépend. On pourrait concevoir que la phrase traduite >. Ces suggestions vont chercher trop loin pour être admises sérieusement; mais Elliger a sûrement raison en insistant sur le fait que le désir du prêtre impie n'était pas de tuer le maître de justice, mais de le réduire au silence. Contre toutes ces suggestions, prévaut la possibilité que le verbe ici ne signifie pas >, mais ) ou « exiler ». DupontSommer objecte que dans ce sens-là I'hébreu biblique emploie en général

une forme différente du verbe. Un substantif signifiant (( son exil >>, pourtant, aurait exactement la même orthographe que I'infinitif , il s'agit plutôt ici d'exil que de déshabillage. L'expression >

ouverte, quand le grand prêtre révéla ses intentions réelles; à ce moment ou tout de suite après le maître de justice fut arrêté et jugé. Toute i'interprétation dépend du sens qu'on prête au verbe >. Comme I'Ancien Testament I'emploie pour les apparitions de Dieu, Dupont-Sommer pense ici que le maître de justice qui avait

tre

été mis à mort, réapparut de façon surnaturelle pour punir ses ennemis.

Plusieurs savants soulignent que ce verbe apparaître n'implique pas nécessairement, surtout dans l'hébreu tardif, une manifestation divine. Dupont-sommer admet que le sens du mot a subi une évolution après les temps bibliques, mais nie que cette évolution ait éliminé le sens biblique primitif. Toutefois le verbe par lui-même, à moins d'une confirmation précise dans le contexte, ne comporte pas forcément un élément surnaturel.

[Jne autre objection plus grave peut être faite à Dupont-Sommer. Le sujet de la phrase précédente est le prêtre impie; il est donc naturel de supposer qu'il est aussi le sujet du verbe apparaître. Dupont-Sommer nous rappelle qu'on trouve souvent dans l'hébreu ancien un changement de sujet sans explications précises. C'est vrai; mais ici, le contexte exige-t-il un changement de sujet? Si le commentateur avait dans l'esprit un changement de ce genre, une nouvelle phrase commencerait après > ou « son exil >>, et la conjonction ne signifierait pas >, mais un énergique >. Ce qui arriva, on ne nous le dit pas. Nous avons un peu plus de détails sur les crimes du prêtre impie. L'expression dans Habacuc, 2:16 : > et la mention de », dans Habacuc, 2:17, est appliquee aux (( cités de Judée, oir il a pillé les richesses des pauvres >>. Le (< sang de la cité » dans le même verset signifierait, d'après

le commentateur,

>. Dans quelle mesure la langue de ce passage est symbolique, nous I'ignorons; mais la présomption est forte que le prêtre impie me,nait une vie mauvaise et qu'il s'adonnait en particulier à l'ivrognerie. Évidemment il était coupabie aussi de violence et d'oppression, et même de profanation du Temple. Toute cette perfidie ne restera pas impunie. >, ici le texte s'arrête de nouveau en haut de la 1le colonne; mais dans la colonne suivante il est dit que les paroles d'Habacuc, 2:17, visent ; puis il explique : > Ceci rappelle la mention faite plus haut d'Habacuc, 2;4 : >

: LES

PERSONNAGES

condamné. L'homme du mensonge est probablement un troisième personnage; le prédicateur du mensonge peut être l'homme du mensonge ou un quatrième rôle principal. La maison d'Absalon est un groupe de gens qui, pour une raison inexpliquée, auraient dû aider le maître de justice, mais qui ont gardé le silence. Les élus de Dieu, les hommes de vérité, les pauvres, les simples de Judée, les observateurs de la Loi, sont ceux qui ont gardé leur foi en le maître de justice. Tous ceux-là, avec les Kittîm, la maison de culpabilité, la maison du jugement et les derniers prêtres de Jérusal.em, constituent la distribution de notre drame, remplissant les principaux rôles et formant le chæur.

CHAPITRE VIII

fdentifieation des personnagles et des événements

ous les acteurs du drame ainsi présents sur la scène, pouvonsnous les identifier et reconnaître les événements historiques auxquels ils participent? L'intrigue générale n'est pas claire et même les épisodes isolés sont obscurs. Dans notre tentative pour

les rapprocher des circonstances historiques, nous ne devons pas perdre de vue une idée qui ne simplifie pas le problème : nous n'avons pas le droit d'imaginer que les incidents se sont produits dans I'ordre oir ils

s'offrent à notre lecture. L'exposé des faits est déterminé par l'ordre du texte d'Habacuc; chaque phrase rappelle à la pensée du commentateur des circonstances ou des hommes qui interviennent dans l'histoire de son pays et dans sa propre communauté religieuse et il les mentionne quand ils lui passent par l'esprit. Par suite il est impossible d'inférer de la lecture du Commentaire un ordre chronologique.

Dans ces conditions il semble que subsistent bien peu d'éléments susceptibles de permettre une identification précise des personnages dont nous avons fait la connaissance et des événements oir ils figurent. sans doute sont-ce cette obscurité et cette ambiguité des données qui expliquent la variété des théories formulées par les érudits. Plusieurs de ces théories ne se basent pas exclusivement sur le commentaire d'Habacuc. On fait, en particulier, grand usage du Document de Damas, dans lequel apparaissent également le maître de justice et d'autres personnages mentionnés dans le Commentaire. Comme nous ne nous préoccupons actuellement que de déterminer, à l'aide des références historiques qu'il contient, l'époque oir fut rédigé le commentaire

d'Habacuc, toutes les interprétations et tous les arguments fondés sur le Document de Damas ou sur d'autres textes doivent être provisoirement laissés de côté. Les rapports existant entre le Document deDamas 151

LES MAN TJS('RI'TS DE LA MER MORI'E et les Rouleaux de la mer Morte constituent un autre problème, qu'il

faudra considérer à part et au moment voulu. Lalogiquecomme la commodité poussent à passer en revue les théories dans l'ôrdre historique des situations et des événetnents évoqués dans notre document. Nous croyons que les Kittîm sont plutôt les Romains que les Macédoniens; cette hypothèse cependant ne doit pas nous prévenir contre les arguments qui tendent à reporter le maître de juslice et |e prêtre impie jusqu'à une époque plus ancienne. S'il s'avère probable que ces hommes vivaient antérieurement à la conquête de la Èalestine par Rome, notre conclusion concernant les Kittîm devra être révisée, ou nous conclurons peut-être que ces personnages et les Kittîm n'étaient pas contemporains. Ën liaison avec les Kittîm, nous avons étudié le conflit entre les hellénisants et les Juifs conservateurs dans la période pré-macchabéenne et mentionné f importante famille connue des historiens sous le nom de Tobiades. A la ûn du ttle siècle avant J.-C., la Palestine étant sous la domination des Ptolémées d'Égypte, un membre de cette famille, nommé Joseph, obtint du roi. par l'intrigue et la fourberie, que lui fût affermée la taxe des villes situées en Syrie et Palestine; les manæuvres destinées à se procurer pouvoir et richesse l'entraînèrent à traiter de façon inique son oncle, le grand prêtre Onias II, dont la famille porte chez les historiens le nom d'Oniades. De cette famille ne sortirent pas moins de quatre grands prêtres du nom d'Onias. Peut-être, suggèrei-on, la trahison de Joseph envers son oncle l'a-t-il fait comparer par le

parti oniade au fils rebelle de David, Absalon; ainsi les Tobiades auraient été appelés

la maison d'Absalon.

D'après une autre hypothèse, ce serait le fils de Joseph, nommé Hyrcan, dont la trahison valut aux Tobiades d'être appelés la maison diA.bsalon. Par des méthodes semblables à celles de son père Hyrcan à son tour gagna la faveur du roi d'Égypte; mais il provoqua ainsi la colère de son père et la jalousie de ses frères; aussi fut-il attaqué par ses frères et foicé de fuir au-delà du Jourdain. Il y vécut jusqu'à I'avènement d'Antiochus Epiphane, puis se suicida. La trahison, d'Hyrcan envers son père, sa conduite hypocrite et le fait qu'il dut se réfugier au-delà du iourdain constituent un parallèle frappant avec I'histoire d'Absalon et de David. Cette conception me sembla un certain temps la plus vraisemblable quant à l'arrière-plan historique du Commentairi. Maintenant, j'ai I'impression qu'il faudrait rechercher l'explication du nom (( maison d'Absalon >> dans la trahison d'un gfoupe à l'égard du maître de justice lui-même. Le devoir auquel ce groupe se

montra infidèle n'est pas nécessairement la loyauté du disciple; ce pouvait être une obligation de famille ou autre. Les érudits, pour qui la situation reflétée par le Commentaire serait pré-macchabéenne, la placent un peu au-delà de l'époque de Joseqh èt d'Hy."an. Au début du tte siècle avant J.-C., la domination de la 152

PERSONNAGES

ET

ÉVÉNPVTENTS

Palestine passa définitivement des Ptolémées d'Égypte aux séleucides

de Syrie. A l'achèvement d'Antiochus Épiphane au trône de Syrie en I75 avant J.-C., le grand prêtre était Onias III, petit-fils d'Onias II. Les Tobiades, récemment chassés de Jérusalem par Ïes oniades, s'adressèrent à Antiochus, qui prit Jérusalem et causa de grands dégâts dans la ville. Onias, déposé comme grand prêtre, fut exilé. Son frère, Jeshua (Jésus) fut nommé à sa place; pour témoigner sa reconnaissance à son royal protecteur, il prit le nom grec de Jason et poussa activement les prêtres et l'aristocratie des Juifs à adopter les mæurs grecques. cet abandon des coutumes de leurs ancêtres affermit l'opposition des Juifs dévôts à toutes les innovations hellénisantes. Jason fut bientôt remplacé par un certain Ménélas qui avait promis au roi des présents plus substantiels que ceux de Jason. Quelques années plus tard, vers le moment otr les Romains contraignirent Antiochus

fruit de ses succès en Egypte (168), Jason recouvra

à

renoncer au

sa dignité à

la suite

d'une révolte des Oniades partisans de l'Égypte à Jérusalem; mais la révolte fut promptement réprimée et Antiochus rendit le pontificat

à

Ménélas.

On a avancé que le maître de justice, comme le prêtre impie du Commentaire d'Habacuc, pourraient être des figures (( super-individuelles », représentant non une seule personne, mais deux ou trois du

même type. Dans cette hypothèse, le maître de justice serait à la fois le grand prêt légitime en général et onias III en particulier; le prêtre impie serait à la fois Jason et Ménélas, et peut-être aussi Alcime, le successeur de Ménélas, pour n'en pas mentionner d'autres. Certains érudits, sans

accepter une interprétation collective, ont adopté ce qu'on pourrait

appeler des interprétations multiples, appliquant le titre de maître de justice et de prêtre impie non à une fonction en général, mais à plusieurs individus détenteurs de cette fonction. D'après eux, un conflit aurait pu opposer pendant des générations les maîtres de justice et les prêtres impies. Pourtant I'opinion courante aperçoit dans le maître

de justice un individu particulier. L'hypothèse des identifications multiples n'a cependant rien d'invraisemblable. Le commentateur peut distinguer dans Habacuc des références à plusieurs mauvais prêtres et par conséquent distinguer à un certain moment dans ce Commentaire : >, et à un autre moment : >. Dans ce cas il faudrait'traduire

le passage en question, non >, mais > et ainsi de suite. cette interprétation serait spécialement plausible si le terme prêtre impie,

il nous parut probable, était une parodie du titre officiel de grand prêtre. D'autre part, appliquer dans un passage une designation à une personne, et dans un autre la même désignation à une autre personne,

comme

153

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE signifie qu'on n'a pas trouvé un seul et même individu à qui appliquer toutes les allusions. L'interprétation multiple est admissible si le texte nous contraint à I'adopter, mais on ne doit évidemment I'adopter qu'en dernier ressort. Notre incapacité à identifier les personnages en question peut simplement montrer que leurs vies ne sont pas racontées dans les documents historiques qui nous sont parvenus. La supposition qu'il n'y a eu qu'un seul maître de justice, mais plusieurs prêtres impies, éveille particulièrement la méfiance; dans ce cas, certes, il y aurait des indications plus claires de la pluralité du prêtre impie. Tous ceux pour qui la période pré-macchabéenne constitue le fond historique du Commentaire ne jugent pas nécessaire d'adopter l'interprétation multiple des titres en question. Plusieurs savants identifient le maître de justice avec Onias III et le prêtre impie avec Ménélas. Pour résumer brièvement les renseignements fournis sur Onias III, nos sources le représentent comme un homme d'une piété telle que, pendant son pontificat, les gouverneurs, gentils eux-mêmes, rendirent hommage au Temple. L'un d'entre eux cependant tenta de s'emparer des trésors qui y étaient déposés; mais une apparition divine arrêta ce dessein sacrilège. Un roi de Sparte écrivit à Onias, déclarant que les Spartiates, comme les Juifs, étaient les descendants d'Abraham. Quand Onias fut déposé à l'avènement d'Antiochus Épiphane, il se réfugia en Egypte; là, une tradition veut qu'il ait, quelques années plus tard, bâti un temple semblable à celui de Jérusalem. Ailleurs Josèphe attribue cette construction à Onias IV, tandis que le Talmud en donne le crédit à Onias II. Suivant II Macchabées, c'est en Syrie qu'Onias III chercha refuge, mais il fut assassiné à l'instigation de Ménélas dans le bois sacré de Daphné aux environs d'Antioche.

Tout ceci contient vraiment peu de renseignements qu'on

puisse

rattacher au maître de justice inspiré dont parle le Commentaire d'Habacuc. L'hypothèse selon laquelle le maître de justice fut exilé et poursuivi dans le lieu de son exil comme le fut Onias, dépend d'une interprétation particulière d'une expression difficile que je traduirais par (appliqués à la

devant des témoins. » M « ... Et en tout lieu oir se réuniront dix hommes faisant partie du conseil de la communauté, un prêtre devra être présent parmi eux. » D « ... Et en un lieu où dix seront réunis devra être présent un prêtre savant dans le livre de HGW. » M > La relation entre les textes est si étroite que sur certains points, le libellé de l'un des documents peut être corrigé par comparaison avec I'autre. Par exemple, on trouve dans le Document de Damas une expression qui paraît signifier > ou le , tandis que le Manuel de Disciplineparle dela«communauté>>. Le mot hébreu mwsb est employé avec un sens différent dans les deux documents : dans le Manuel de Discipline il signifie une réunion du groupe; dans le Document de Damas il semble vouloir dire un étabtissement. Pour désigner la propriété, le Document de Damas emploie un mot (m'd) qui n'apparaît pas dans le Manuel de Discipline. Un détail assez intéressant, c'est qu'à la liste des prêtres, Lévites et peuple (ou fils d'Israël),le Document de Damas ajoute les prosélytes, qui ne sont jamais mentionnés dans le Manuel de Discipline.Le Document de Damas fait souvent allusion aux camps et parfois aux villes, tandis que dans le Manuel de Discipline ne se rencontre aucune allusion aux uns ou aux autres. Ces différences suggèrent que Ies deux documents émanent du même mouvement religieux d'ensemble, mais ne représentent pas exactement le même groupe au sein du mouvement, ou peut-être pas le même stade dans son histoire. Les conclusions à tirer de ces comparaisons dépendront des réponses à deux questions : d'abord, le Document de Damas est-il antérieur ou postérieur aux Rouleaux de la mer Morte? Ensuite, quand Le Document de Damas lui-même a-t-il été écrit? La découverte de fragments anciens du Document de Damas dans les grottes du wadi Qumrân a déjà été mentionnée. Indépendamment de cette découverte, les références au Temple que contient le Document de Damas montrent que le livre a dû être écrit alors que le culte se poursuivait dans le Temple, c'est-à-dire avant 70 après J.-C. En général, on admet que les Rouleaux de Ia mer Morte sont d'une 176

ALLUSIONS HISTORIQUES origine plus ancienne que le Document de Damas. une des raisons

fait qu'une fuite dans le désert et un établissement dans le pays de Damas semblent présupposés par le Document de Damas, alors qu'il n'y a pas d'indication précise d'une telle fuite et d'un retour en Judée dans les Rouleaux de la mer Morte. ll paraît naturel par conséquent de présumer que la fuite dont parle le Document de Damas fut probablement I'occasion de l'abandon des rouleaux de cette conviction, c'est le

dans les grottes; beaucoup d'érudits se fondent sur cette hypothèse. cependant l'étude et la discussion ont soulevé des doutes au sujet des références contenues dans le Document de Damas lui-même et fourni des indices qui révèlent que la composition serait peut-être antérieure

aux rouleaux.

Des arguments qui étayent une opinion contraire ont eux aussi été avancés. Gottstein trouve dans le Document de Damas un relâchement de la discipline stricte et de I'organisation fermée que reflète le Manuel de Discipline. Se basant sur la théorie selonlaquelle l'évolution

normale d'un tel groupe va

, caractéristique du Manuel de Discipline et qui apparaît une fois au moins dans les Hymnes d'Actions de Grâces, a été pratiquement remplacé par d'autres mots dans le Document de Damas. Il existe aussi une relation très étroite entre la fin d'un de ces hymnes et le dernier psaume dtt Manuel de Discipline. Mais, tandis que le Document de Damas est considéré comme postérieur au Manuel de Discipltne, Rost maintient que le Commentaire d'Habacuc est postérieur au Document de Damas, parce que celui-ci se réfère au maître de justice comme encore vivant et ne parlè pas de ses souffrances, dont il est beaucoup question dans le commentaire d'Ha-

bacuc.

une éventualité dont il faut tenir compte est que le Document 177

de

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE Damas lui-même ne soit pas une composition homogène écrite à une époque unique, mais la compilation de matériaux de dates variées. Les p-ortions què l'on a retrouvées dans la guéniza du Vieux Caire sont des parties de deux, si ce n'est trois, manuscrits différents. Deux fragments (R t, A 2) semblent de la même écriture et faisaient sans doute partie

d'un seul manuscrit; mais l'écriture d'un autre fragment (B) est très

différente et paraît plus târdive. En gros, les deux manuscrits essentiels

sont parallèles; mais dans les passages parallèles on peut cependant relever de nombreuses différences et même parfois l'insertion dans un manuscrit d'éléments qui font entièrement défaut dans l'autre. Isaac Rabinowitz distingue trois séries d'apports littéraires dans le Document de Damas.' 1o un , mais cette version laisse la phrase en suspens.) Nous sommes ainsi informés qu'un intervalle de quarante ans après la mort (« le rappel >>) du > sépare cette mort d'un événement déjà passé ou encore à venir. S'il s'agit d'un événement à venir, ce peut être la venue attendue d'un , etc. La mort du maître unique doit donc être survenue plus de quarante ans avant la composition du Document de Damas. Un autre passage cependant parle de ceux « qui écoutent la voix du maître de justice >>, ce qui impliquerait que le maître de justice est encore en vie. Cette raison pousse Rost, nous l'avons vu, à distinguer le maître de justice du maître unique, qui est pour lui le fondateur de

la

secte.

Nous savons que Rost considère le Document de Damas comme plus. ancien que le Commentaire d'Habacuc parce que la persécution et les souffrances du maître de justice semblent encore inconnues de l'auteur drt Document de Damas. Croyant avec Dupont-Sommer que le Commentaire d'Habacuc fut écrit aux environs de 50 avant J.-C., Rost, en conséquence, date le Document de Damas de quelques années auparavant. Si le maître unique était mort depuis plus de quarante ans, il a donc dû mourir aux environs de 100 avant J.-C. Sa vie s'est écoulée par conséquent durant la période hasmonéenne, dans la deuxième moitié du rIu siècle avant J.-C. Pourtant le maître de justice, d'après cette interprétation, vivait un demi-siècle plus tard, à peu près au début de

la

période romaine. Un passage encore plus essentiel du Documents de Damas se lit ainsi : « Car lorsque ceux qui l'abandonnèrent tombèrent dans le péché, il détourna son visage d'Israël et de son sanctuaire; mais, en se rappe-

lant I'alliance conclue avec les anciens il laissa un reste à Israël et ne le voua pas à la destruction. Et durant la période de sa colère (390 ans 179

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE

il

les livra aux mains de Nabuchodonosor, roi de Babyblone), il fit sortir d'Israël et d'Aaron une racine d'une souche qui hériterait le pays et grandirait sur son sol favorable. Alors ils comprirent leur iniquité et surent qu'ils étaient coupables; pourtant, comme des hommes aveugles, ils tâtonnèrent en cherchant leur voie pendant vingt ans. Et Dieu observait leurs æuvres, voyant qu'ils le recherchaient avec un cæur pur; et il suscita pour eux un maître de justice pour qu'il

oir

les visita et

les conduise dans la voie selon son cæur. »

Dans l'avant-dernière phrase de ce passage, Charles traduit

: « Ils

surent qu'ils étaient coupables et qu'ils avaient tâtonné comme des aveugles », impliquant que les vingt ans de cécité précédèrent le bourgeonnement d'un rejeton du tronc d'Aaron et d'IsraëI. Il semble plus naturel de croire, comme I'ont fait la plupart des traducteurs, que le verbe indique une période supplémentaire de vingt ans après la fin des 390 ans. Le nombre 390 est visiblement emprunté à Ezéchiel, 4:5, qui annonce que ce sera le nombre d'années que durera le châtiment d'IsraëI. On ne sait d'oùr peut venir le nombre vingt. Si la racine du rejeton désigne

la communauté de Qumrân, comme on le croit généralement, le maître de justice serait donc apparu après que la communauté eut été créée et eut tâtonné en aveugle pendant vingt ans. Avec I'hypothèse d'après laquelle les 390 ans sont comptés à partir de la conquête de la Judée par Nabuchodonosor en 586 avant J.-C., ce passage a généralement été interprété comme signifiant que la visite divine et le bourgeonnement de la racine ont eu lieu en 196 et que le maître de justice apparut en 176 avant J.-C. Cette interprétation prévalait avant la découverte des Rouleaux de la mer Morte. Un des premiers à l'appliquer aux rouleaux fut Reicke, dont nous avons déjà noté, à propos du Commentaire d'Habacuc, les identifications du maître de justice et du prêtre impie. Rappelons que la théorie de Reicke (qu'il a depuis modifiée) identifiait, au moins partiellement, le maître de justice avec le grand prêtre Onias III. Onias fut déposé en 175 avant J.-C.; combien de temps avait-il été grand prêtre avant d'être déposé? Josèphe place son avènement sous le règne de Séleucus IV (187-175 avant J.-C.); il doit donc avoir eu lieu peu avant 176, date à laquelle conduisent les références à 390 ans et à 20 ans contenues dans le Document de Damas. D'autres computations plus ou moins plausibles se fondent sur les 390 ans et les 20 ans. Zeitlin met en avant une tradition talmudique assez tardive d'après laquelle le Temple resta debout 420 ans. Ajoutant ce nombre aux 70 ans de la captivité de Babylone, il obtient un total de 490 ans. Le grand rabbin Hillel serait devenu le chef du Sanhédrin 100 ans avant la destruction du Temple. Soustrayant 100 de 490, Zeitlin obtient 390, comme étant le nombre d'années écoulées du début de la captivité de Babylone à la nomination de Hillel. Cela implique que I'auteur du Document de Damas connaissait une tradition rabbinique 180

ALT.USIONS HTSTORTQUES tardive, ce qui s'accorde avec la conviction de Zeitlin, selon laquelle le Document de Damas est une composition médiévale. Mais Zeitlin identifie Hillel avec I'homme du mensonge, alors que c'est la venue

du maître unique qui se produisit 20 ans après la fin des 390 ans. En fait, les 20 ans semblent ignorés dans la chronologie de Zeitlin. 1l parle de 20 ans comme de la période où Hillel et Ménahem se trou, vèrent ensemble à la tête du Sanhédrin; mais il s'agit ici d'une combinaison des 20 ans de ce passage avec une interprétation très discutable du passage entièrement différent qui parle des 40 ans écoulés entre la mort du maître unique et la destruction des hommes de violence. Weis accepte I'interprétation de Zeitlin sur les 390 ans qui s'étendraient du début de la captivité de Babylone à la nomination de Hillel; mais il ajoute que, si Hillel fut nommé 100 ans avant la destruction du Temple, sa nomination doit remonter à 30 avant J.-C. Les 20 ans nous ramèneraient à l0 avant J.-C. Selon Tertullien, Jésus serait né entre 9 et 6 avant notre ère. Weis en infère que Jésus pourrait avoir été le maître unique du Document de Damas et I'un de la série des maîtres de justice

qu'honoraient les Qaraïtes médiévaux.

Une critique approtbndie de toutes ces théories a été faite récemment par Rabinowitz. Toutes reposent, comme il le fàit remarquer, sur l'hypothèse que la phrase : >

qu'il

les eut remis dans les mains de Nabuchodonosor >>. Cette traduction est contraire à I'usage habituel en hébreu. Normalement la phrase doit signifier ou » (c'est-à-dire « quand les

signifie

>) ou « jusqu'à sa remise » (c'est-à-dire « jusqu'à ce qu'il les eût

remis »;. Rabinowitz prend l'expression dans le dernier sens; en d'autres termes, la période de 390 ans ne suivrait pas, mais précéderait, la chute de Jérusalem en 586 avant J.-C. L'auteur du Document de Damas, de l'avis de Rabinowitz. trouva le chiffre 390 dans Ezéchiel, 4:5 et l'interpréta comme concernant l'époque qui précéda la captivité de Babylone. Les années des règnes de tous les rois de Judée, de I'avènement de Réhoboam à la onzième année de Zédékiah, oir Jérusalem fut prise par Nabuchodonosor, totalisent 393 ans. Dans II Chroniques, 1l:16-17, sont mentionnés trois ans de bonne conduite au début du règne de Réhoboam; en retranchant ces trois ans on obtient 390 ans, durée de la . La visite (punition) fut donc la destruction de Jérusalem. Il est intéressant de rappeler que Ginzberg a, il y a longtemps, interprété ce passage comme relatif à la période qui précède la captivité de Babylone. ll remontait plus loin encore et supposait que les chiffres étaient relatifs aux règnes de tous les rois, de Saül à Josias. Aussi prétendait-il que le maître de justice était sans doute le grand prêtre Hilkiah, qui, pendant le règne de Josias, redécouvrit dans le Temple le livre de la Loi. Le sens attribué aux 390 ans dépend de la façon dont on interprète 181

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE plusieurs références à un départ de Judee et à un séjour dans le pays de Damas. Ce sont ces références qui ont fait donner à cette composition le nom de Documents de Damas ou de Fragments de Damns, alors que Schechter, quand il le publia, I'appela >.

Deux passages mentionnent ceux (( qui entrèrent dans la nouvelle Alliance au pays de Dama§ >>. Rabinowitz croit que I'expression > ne modifie pas le verbe entrer, mais le substantif Alliance; en d'autres termes, le sens serait « ceux qui entrèrent dans la nouvelle Alliance (conclue) dans le pays de Damas >>. C'est bien possible; mais, même dans ce cas, ceux qui ont conclu la nouvelle Alliance étaient à cette époque au pays de Damas; ce fait est explicitement affirmé dans un passage qui dénonce ceux qui revinrent en Palestine sous le règne d'Hérode, quelques-uns d'entre eux demeurèrent cependant à Damas. Il croit que le Document de Damas fut écrit à peu près au même moment que le Commentaire d'Habacuc, un peu avant 40 avant J.-C., donc avant

le

retour. Isaac Rabinowitz rejette l'idée d'une migration de la secte à Damas, ainsi que I'interprétation des 390 et des 20 ans du point de vue de I'histoire de la communauté. Il fait remarquer que les passages concernant Damas se fondent sur la prédiction d'un exil « au-delà de Damas >> dans Amos, 5:26 f, cité dans le Document de Damas, quoique, en fait, le manuscrit ne porte pas >. Le passage sur les 390 ans place à la destruction de Jérusalem parNabuchodonosorl'époque de la visite divine; la prophétie d'Amos, que réalisa effectivement la conquête du royaume d'Israël par les Assyriens en 721, doit avoir été appliquée par I'auteur 184

ALLUSIONS HISTORIQUES

dt Document de Damas à la conquête babylonienne du royaume de Judée plus d'un siècle plus tard. En tout cai, ,, le pays de bamas », à ce que croit Rabinowitz, désigne tout le territoire de l'Assyrie et de la Babylonie, dans lequel se dispersèrent les exilés. vu de palestine, tout ce territoire est « au-delà de Damas >>. Les exilés dispersés furent considérés comme le reste des Justes à qui avait été promise la nouvelle Alliance dont parle Jérémie, 31:31 ff. Mais, si le jour dans « le pays de Damas » désigne la vie des exilés en Babylonie ou en Assyrie, qui donc était « I'interprète de la Loi qui vint à Damas » ? A cette question Rabinowitz ne fournit pas de réponse satisfaisante. Pour lui, l'allusion à I'interprète de -ib Loi signifie simplement que parmi les exilés se trouvaient des homme:japableJde combiner les textes de façon à faire ressortir des sens cachés. Ezra, fait-il remarquer, interprétait ainsi la Torah. Pourtant le rapprochement avec « l'étoile de Jacob )), en qui Rabinowitz aperçoit une référence au Messie davidique, comporte au moins la nécessité que I'interprète de la Loi soit un individu, et un individu hautement honoré par les membres de la secte.

Il est difficile de savoir qui ce titre pouvait désigner à une époque où s'annonçait l'exil à Babylone. Là se rencontre, à mon avis, le point faible de l'argumentation de Rabinowitz. En tout cas, il a môntré I'importance du problème d'une migration à Damas et d'un retour plus tardif, et il a au moins fait voir que toutes les tentatives pour reconstruire l'histoire de la secte en se basant sur cette migration hypothé-

tique sont décidément incertaines. D'autres allusions historiques apparaissent dans le Document de Damas, mais elles sont de faible secours. Lacondamnationdumariage avec une nièce est interprétée par certains érudits comme une allusion

au mariage de Joseph, fils de Tobie, avec sa propre nièce durant la

période prémacchabéenne. La validité de cette interprétation s'affirme ou s'affaiblit naturellement suivant qu'augmente ou diminue le poids des autres références supposées à cette même période. En relle-même,

quoique plausible, elle n'est pas très forte. On trouve, en rapport à une citation du Deutéronome, 32-33, une allusion aux Charles considère que le nom de I'Assyrie ici est une erreur «lu texte. La ponctuation qu'il donne à la phrase fait de I'Assyrie un lieu ou une région dans le pays de Canaan. Mais il est possible de supposer que les mots n'est plus en usage après l'exil à Babylone; on n'y revient, ajoute-t-il, que dans la littérâture juive du Moyen Age. Quelques érudits croient que le terme dans le rouleau de la Guerre ne se réfère pas du tout au pontife iuprême, mais à un prêtre spécialement consacré pour la durée d-e la guerre suivant une interprétation rabbinique du Deutéronome 20:3. Néànmoins, ceux qui attribuent au rouleau de la Guerre une date plus tardive que la période hasmonéenne doivent tenir compte de l'argument de Sukenik. Plusieurs autres termes employés dans les Rouleaux de la mer Morte fournissent des éléments à I'argumentation qui met en doute une date préchrétienne. L'emploi du mot èst, d'après Zeitlin, « contraire à la terminologie de toute la littérature connue-du Second Temple >>. Birnbaum considère que ce n'est qu'une

question de style; mais l'usage que font les rouleaux de ce terme est dû peut-être à la croyance des membres de I'Alliance que leur goTmynauié constituait le vrai Israël; le Nouveau Testament emploie de la même façon le terme Israël pour désigner l'Église chrétienne. Dans femploi du substantif hébreu EL signifiant Dieu, à la place 198

RAPPORTS LITTÉRAIRES du nom divin YHWH ou du mot Adonai (Seigneur), Zeitlin croit aussi voir la preuve d'une date médiévale. Il repousse comme insignifiant le fait que la littérature apocryphe emploie souvent le mot Dieu; la question, d'après lui, n'est pas de savoir pourquoi EL est employé, mais pourquoi le nom divin ne I'est pas. Weis insiste sur le fait que cet emploi du mot EL est étranger à la littérature rabbinique; il serait naturel, déclare-t-il, chez les Juifs vivant en pays arabe, et habitués à la désignation arabe de Dieu comme Allah. Répliquant à ces arguments, Teicher avance trois faits : 10 la pratique delacommunautéde Qumrân peut n'avoir pas été conforme à I'usage ordinaire chez les Juifs;2o le mot EL est cité dans des prières juives très anciennes; 30 en fait, la littérature juive du Moyen Age ne l'emploie que >. En ce qui concerne ce mot et d'autres que Zeitlin considère comme nettement médiévaux, il suffit de répéter que les Rouleaux de la mer Morte proviennent d'un groupe très différent et représentent un type

littéraire très différent des sources rabbiniques. Weis propose une explication ingénieuse de I'expression > dans le Commentaire d'Habacuc.Il rapproche le mot que nous traduisons par > d'un mot arabe qui signifie > ou > et suppose alors que l'expression signifie > sert à introduire des explications sur le texte biblique. Zeitlin attribue le mot pishro aux Qaraïtes médiévaux et Weis élabore de nouveau une argumentation de Juda

impressionnante pour déceler ici un résultat de l'influence arabe. Il montre en effet, de façon convaincante, que le vocabulaire du Document de Damas et du Commentaire d'Habacuc est plus proche de celui des écrits du Moyen Age que des écrits d'une période antérieure connus jusqu'ici. Comme on a maintenant démontré que ces documents datent, soit d'avant l'ère chrétienne, soit au plus tard du tout premier début de cette ère, la conclusion s'impose que les termes en question, ou bien sont revenus en usage à une période plus tardive, ou bien ont été conservés dans une tradition différente de celle de la littérature rabbinique. 199

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE La différence d'usage peut aussi indiquer que le Commentaire et le Document de Damas sont, non postérieurs, mais antérieurs aux sources

rabbiniques. Renversant I'argumentation de Weis, Teicher suggère que les écrivains arabes tardifs ont pu être influencés par I'usage des

se hasarder jusque-là; mais I'existence d'un rapport entre la communauté des Rouleaux de la mer Morte et'les Qaraïtes du Moyen Age est indubitable. Le caractère de ce rapport sera examiné dans un autre chapitre. Les Qaraïtes étaient familiers aussi avec la langue arabe et la terminologie des écrivains arabes. Une relation à trois termes, de laquelle le mot pishro n'est qu'un exemple, peut être dégagée de ces remarques. Qu'il nous suffise de dire, pour notre propos actuel, que le rapport n'implique pas forcément, et même en fait n'implique pas, une origine médiévale des Rouleaux de la mer Morte. Puisque le seul élément dont nous disposions pour déterminer la naissance des idées est leur expression en littérature, notre effort pour replacer nos documents dans l'histoire des idées et de la terminologie est lié au problème des relations littéraires. Des analogies d'idées ou de langue peuvent indiquer simplement que deux documents appartiennent à peu près à la même période; toutefois elles peuvent aussi montrer que l'un d'eux a été influencé par l'autre et lui est par conséquent postérieur. L'étude des rapports littéraires tente de découvrir des exemples de cette influence, en particulier une citation de l'un de ces écrits par l'autre. A moins que la source de la citation ne soit mentionnée, il est souvent très difficile de dire lequel des deux documents a subi l'influence de I'autre ou si tous deux ne révèlent pas l'existence d'une source commune. Un exemple familier est la fameuse prophétie de paix qu'on trouve dans Isaïe 2:2-4 et dans Michée 4:1-4. Est-ce lsaïe qui cite Michée, Michée qui cite Isaïe, ou citent-ils tous deux un livre plus ancien qui

Rouleaux de la mer Morte. Il n'est pas nécessaire de

s'est perdu

?

Même une relation littéraire très claire entre deux documents ne suffit pas en général à établir la priorité de I'un sur I'autre. Elle montre seulement qu'il existe un rapport entre eux, la relation chronologique devant être déterminée par d'autres moyens. Ce n'est qu'à des occasions la relation chronologique apparaît nettement.

exceptionnelles que

Aucun écrit connu ne manifeste avec les Rouleaux de la mer Morte des affinités aussi étroites que celles qu'on rencontre dans le Document de Damas; mais on rencontre dans d'autres livres des analogies d'idées,

sinon une influence littéraire directe. La littérature apocryphe de la période intertestamentaire doit naturellement être examinée à ce point de vue. Hempel a remarqué que les Hymnes d'Action de Grâces paraissent plus tardifs que les derniers Psaumes et les Écrits Sapientiaux de I'Ancien Testament, mais qu'on n'y aperçoit aucune influence du livre apocryphe de Sirach. Naturellement, cette absence d'une influence littéraire évidente ne suffit pas à fournir une indication de date. Même une æuvre

200

RAPPORTS LITTÉRAIRES plus tardive appartenant à ce type de littérature ne montrerait pas forcément la trace d'une influence de Sirach et il n'y a rien dans les Rouleaux de la mer Morte qui appartienne véritablement à la littérature sapientiale. Les rapports entre les Rouleaux de la mer Morte et le livre de Sirach posent un problème assez curieux. Kahle a suggéré que les manuscrits du Document de Damas comme les fragments du texte hébreu de Sirach, trouvés dans la guéniza du Vieux Caire, seraient des copies de rouleaux plus anciens qui auraient été rapportés d'une des grottes du wadi Qumrân vers 800 après J.-C., à l'époque de la découverte dont parle

Timothée. Dupont-Sommer, adoptant cette suggestion, ajoute que peut-être la communauté de Qumrân avait reçu le livre de Sirach d'un groupe plus ancien et y avait introduit des additions. Trinquet note un exemple possible d'une addition de ce genre : le texte hébreu de Sirach trouvé dans la guéniza du Caire contient un psaume inséré dans les chapitres 50 et 51 du texte grec; on y trouve le vers : .

Ici, Trinquet combine visiblement des réflexions relatives à

des

rapports d'idées avec l'interprétation de références historiques. D'après lui, le Commentaire d'Habacuc rcflète l'histoire complexe de la période prémacchabéenne et les Kittîm sont les Séleucides. Il doit cependant admettre que l'unique référence aux fils de Sadoq n'établit qu'un lien très fragile entre Sirach et les Rouleaux de la mer Morte. Il explique l'absence d'une liaison plus étroite en supposant que Sirach fut simplement adopté sans modifications par la communauté, alors que les documents où se reflètent sa propre histoire et des doctrines distinctives furent rédigés plus tard au sein de la communauté. Le résultat bien clair de toute la recherche, c'est qu'on n'a pas encore établi de rapports certains entre nos documents et le livre de Sirach. 201

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE La relation qu'admettent Dupont-Sommer et Trinquet, si elle n'est pas improbable, reste encore à démontrer. On a trouvé dans l'une des grottes de Qumrân des écrits où I'on crut d'abord reconnaître des fragments du texte hébreu de Sirach; un examen plus attentif y flt reconnaître des fragments hébreux et araméens du livre de Tobie; mais certains fragments de Sirach auraient maintenant été identifiés aussi.

Aucun des documents dont nous nous occupons n'est, au sens propre du terme, un ouvrage apocalyptique; mais on y trouve pour (( les derniers jours )> un intérêt très vif qui témoigne d'un lien spirituel avec la littérature apocalyptique et pousse à rechercher des indices de rapports littéraires. Delcor prétend qu'il existe une affinité très précise de vocabulaire et de pensée entre les Rouleaux de la mer Morte et le livre d'Enoch, le plus long et le plus minutieux de tous les ouvrages apocalyptiques. Tous les détails qu'il cite pour soutenir sa thèse ne sont pas très convaincants; la plupart d'entre eux, sinon tous, prouvent seulement une analogie d'ensemble dans l'atmosphère spirituelle. Des expressions comme les > et le > sont beaucoup trop répandues dans la littérature à la tradition sacerdotale vraiment authentique. Un livre parmi ceux qu'on appelle communément pseudépigraphes est mentionné par son nom dans le Document de Damas et, dans les fouilles de la première grotte de Qumrân, on en a trouvé un fragment en hébreu : c'est le livre des Jubilés, appelé quelquefois « la Petite Genèse >>. La plupart des érudits le croient rédigé au ue siècle avant J.-C., pendant la période hasmonéenne. Quelques-uns cependant le font remonter de un ou deux siècles en arrière. On a noté de nombreuses ressemblances dans la langue et les idées entre le livre des Jubilés et le Manuel de Discipline, ce qui n'a rien de surprenant. Le livre des Jubilés était certainement connu de la communauté, comme le démontre catégoriquement la présence d'un fragment de cet ouvrage dans l'une des grottes. Qu'il soit explicitement mentionné par son nom dans le Document de Damas prouve que son origine est antérieure à celle de ce document; d'autre part, les contacts entre les Jubilës et les Rouleaux de la mer Morte portent à croire qu'ils remontent tous à la même période et se rapportent tous à la même situation, sans qu'une influence claire se discerne dans un sens ou l'autre. Les Jubilés et les Testaments des douze Patriarches contiennent des passages qu'on interprète en général comme des références à un Messie de la'tribu de Lévi. Ces passages ont été souvent considérés commedes additions. chrétiennes à un document juif antérieur. Cependant DupontSommer pense que le Messie auquel se réfèrent les Testaments des douze Patriarches est le maître de justice'du Commentaire d'Habacuc et du Document de Damas. Dans la comparaison entre les Testaments et les Jubilés avec ces derniers documents, il croit découvrir la preuve que la 2;02

RAPPORTS LITTÉRAIRES croyance en un Messie souffrant et rédempteur existait dans le judaïsme au rer siècle avant J.-C.; à la lumière de cette conclusion il réclame un examen nouveau de nombreux passages dans I'Ancien Testament. Depuis de longues années, Torrey prétend que les textes cités par DupontSommer ainsi que d'autres passages dans I'Ancien Testament montrent que l'idée d'un Messie souffrant existe en effet dans le judaïsme préchrétien. Quelle que soit la nature des rapports entre les Rouleaux de la mer Morte et les Testaments des douze Patriarches, on ne relève aucune trace bien nette d'une influence littéraire directe. Comme l'a dit Reicke, les Jubilés et les Testaments eux-mêmes ne sont pa.1 des unités littéraires composées à une seule époque, mais les résultatsr'd'une longue élaboration. Des coïncidences avec des ouvrages contemporains ou à peu près contemporains ne prouvent sans doute rien de plus que l'existence d'un milieu commun. On a noté des contacts entre le Commentaire d'Habacuc et les Psaumes de Salomon, collection de poèmes écrits, au moins en partie, peu après 63 avant J.-C. Aucun de ces contacts, il faut le reconnaître, n'est assez

étroit pour indiquer une influence littéraire directe. La

ressemblance

réside surtout dans I'emploi d'une terminologie commune, essentiellement biblique, pour exprimer des idées largement répandues. Dans les deux cas, néanmoins, la situation est analogue, sinon la même, et on

relève beaucoup de détails communs dans l'attitude et les points de vue des Psaumes de Salomon et des Rouleaux de la mer Morte. Delcor insiste sur le contraste entre les saints et les pécheurs, la condamnation de I'amour des richesses chez les prêtres, la sympathie exprimée pour les pauvres, la réprobation de la rapacité chez les prêtres et les allusions à une fuite dans le désert pour échapper à la persécution. Il conclut que les Psaumes de Salomon et les Rouleaux de la mer Morte émanent tous du même milieu, mais non de la même période, les rouleaux étant un peu antérieurs. Schoeps a f impression que les parallèles entre le Commentaire d'Habacuc et les Psaumes de Salomon révèlent qu'ils émanent de groupes qui déniaient aux Hasmonéens le droit de prétendre au pontificat suprême et qu'avait vivement frappés le châtiment infligé par les Romains au dernier roi hasmonéen. Pour résumer notre discussion sur les dates de composition des Rouleaux de la mer Morte, nous pouvons dire que la date la plus tardive pour chacun d'eux est l'époque oir furent écrits les rouleaux trouvés dans les grottes, c'est-à-dire un moment antérieur au dépôt de ces rouleaux dans les grottes; cette époque a été fixée par I'archéologie comme étant celle de la première révolte des Juifs contre Rome (66-70 après J.-C.). La date la plus ancienne qui soit possible pour la composition d'un de ces livres ne peut-être déterminée. Les fouilles du Khirbet Qumrân révèlent une occupation qui a commencé à la période hasmonéenne, mais certains manuscrits ont pu être copiés avant l'établis203

LES MANU.SCRITS DE LA MER MORTE sement de la communauté en ces lieux. L'examen paléographique des rouleaux et des fragments montre qu'il en est de plus anciens que d'autres. Peut-être les plus anciens manuscrits existaient-ils déjà quand furent composés pour la première fois les livres que contiennent certains des manuscrits les plus récents. Peut-être aussi, naturellement, les manuscrits les plus tardifs seraient-ils des copies nouvelles de livres plus anciens encore que ceux que contiennent les plus vieux manuscrits. Quand il s'agit de manuscrits bibliques, tout ceci est assez clair. Pour le Livre de Daniel, les manuscrits dont on a trouvé des fragments dans les grottes peuvent avoir été écrits peu après la composition originale du livre; mais les livres comme Isaïe et le Lévitique sont indis-

cutablement plus anciens que la date la plus éloignée qu'on puisse raisonnablement assigner à aucun des rouleaux ou des fragments; leur antériorité se mesure en siècles. Le problème essentiel est celui des écrits non bibliques, car, là, nous dépendons seulement du témoignage fourni par la langue, les allusions historiques, les idées, la terminologie et les influences littéraires. Certains des fragments bibliques sont considérés par quelques érudits comme les restes de manuscrits datant du lve ou du v" siècle avant J.-C., mais aucun érudit ne ferait remonter un des documents non bibliques au-delà de Ia dernière période prémacchabéenne. iPlusieurs savants leur attribuent cette date, tandis que d'autres plaident en faveur de dates plus tardives. De l'avis général, le Manuel de Discipline est un des écrits les plus anciens. Pour de nombreux érudits, la Guerre des Fils de Lumière est également un des premiers écrits, mais il n'y a pas là de certitude. Alors que le Commentaire d'Habacuc est attribué par quelques-uns à la période prémacchabéenne, iune tendance très nette se dessine qui le fait dater de la fin de la période hasmonéenne ou du début de la période romaine et les arguments en faveur de cette thèse me semblent convaincants. Que la date doive se situer avant ou après 63 avant J.-C. est moins clair. Aux Psaumes d'Actions de Grôces comme aux Psaumes de l'Ancien Testament, on ne peut assigner une date précise; on a suggéré qu'ils ont été écrits par le maître de justice luimême, mais les preuves alléguées ne sont pas très valables; il est plus probable qu'ils furent composés à différents moments durant cette période. En tout cas, il semble maintenant bien établi que les textes non bibliques trouvés dans les rouleaux et les fragments venant du wadi Qumrân ont tous été composés pendant une période d'environ cent trente-cinq ans, de I'avènement d'Antiochus Épiphane en 175 avant J.-C., ou peu avant cet événement, jusqu'aux environs de 40

avant J.-C.

QUATRIEME PARTIE

La commrrnarrté d,u GDumrân

CHAPITRE XI

Origine, histoire et orelanisation

Âur sont ces gens qui ont écrit les Rouleaux de la mer Morte? t I tts formaient évidemment une secte à l'écart du courant principal Y du Judalsme officiel représenté par le Temple et son clergé. Ce

fait nous sauta aux yeux dès le premier examen que nous fîmes des rouleaux prêtés par le métropolite Samuel de Jérusalem. Pendant un certain temps nous désignâmes le Manuel de Discipline en particulier

>. Bien entendu, ce n'était là qu'une désignation provisoire, utilisée à défaut d'une autre qui semblât meilleure. J'ai expliqué comment I'expression en parlant de ces textes ? Avant la destruction du Temple, aucune forme particulière de judaisme n'était > dans un sens qui ferait croire qu'une autre tendance était considérée comme hérétique. Les mots « sectaire )) et > ne sont pas synonymes. La communauté de Qumrân était un groupe organisé, avec des croyances définies et des règles strictes; elle condamnait le culte tel que le pratiquaient à son époque les chefs du clergé officiel du judaïsme. Si le mot dans le Document de Domas, du Do, ce qui signifie probablement le clergé et les laiques. Le Manuel de Discipline mentionne les prêtres, les Lévites, €t (( tout le peuple >>, à quoi 7e Document de Damas ajoute les prosélytes. Dans un autre passage, la place des Lévites est prise par les anciens. On distingue, au sein de l'organisation, des groupes plus petits, dont chacun comprend au moins dix hommes, comme ie miiyan de la synagogue orthodoxe. Aussi bien le Manuel de Discipline que le Document de Damas parlent de milliers, de centaines, de et de dizaines. A moins que le groupe n'ait compris, "irrq.rurriuines à un certain moment en tout cas, un grand nombre de membres, ces chiffres ne peuvent guère être qu'un écho nostalgique du langage des Écritures. On a estimé en effet que la population totale de la communauté de Qumrân ne dépassait guère deux cents individus. Quoique les manuscrits, à l'exception du Document de Damas, aient tous été retrouvés dans un espace restreint auprès de la mer Morte, il semble que l'habitat du groupe n'ait pas été limité à une seule localité. L'expressôn > dans le Manuel de Discipline 210

HISTOIRE ET ORGANISATION n'implique pas forcément des établissements très séparés, mais le Docu-

ment de Damas mentionne nettement l'existence de plusieurs groupes locaux distincts. certes il peut n'y avoir là que I'expression d'un sôuhait; toutefois les indications détaillées du règlement et le fait qu'on y perçoit l'amorce d'un développement dans les règles elles-mêmes paraisent révéler I'existence effective de plusieurs colonies locales. A la tête de chaque petit groupe se trouve un prêtre; son âge et les autres conditions qu'il doit remplir sont mentionnés dans le Document de Damas. Le droit de décider de tout dans l'administration de la communauté est le privilège des fils d'Aaron. Les prêtres, fils de sadoq, sont les gardiens de I'Alliance. A propos du conseil de la communauté, il est question d'un groupe de douze laiques et de trois prêtres; on ne distingue pas clairement si ce nombre est relatif à un corps particulier ou s'il est le quorum nécessaire pour une réunion du conseil. Les qualités requises chez les quinze membres, ou peut-être seulement chez lès trois prêtres, sont la perfection « dans tout ce qui est révélé de la Loi, gràce à la pratique de la vérité, de la justice, de la piété, et I'entraide pleine d'humilité avec les voisins >>. Le but assigné au groupe est de . Faire connaître la Loi et donner I'exemple dans la conduite sont les fonctions essentielles du conseil des quinze. Les prêtres jouent un rôle éminent dans la vie de la communauté : ils prononcent la bénédiction dans les repas communautaires et dans Ia cérémonie d'entrée dans I'Alliance. Dans Ie rouleau de la Guerre des Fils de Lumière, le grand prêtre conduit la guerre contre les fils de ténèbres. Le Manuel de Discipline comme le Document de Damas mentionnent un personnage officiel qu'on désigne par un terme assez difficile à bien traduire. on peut le rendre par (( examinateur )> ou « enquêteur », mais les fonctions qui leur sont dévolues correspondraient assez bien à celles d'un >. tl semble que l'homme désigné par ce titre soit le même qui est appelé « inspecteur >> dans le conteite. Le Document de Damas parle d'un surintendant du camp et aussi d'un surintendant de tous les camps. D'après le Manuel de Discipline les jugements sont rendus par l'assemblée des membres du groupe : tout au moins ne trouve-t-on aucune référence à des juges. Mais dans le Document de Damas il y a un groupe de juges choisis au sein de la congrégation, quatre parmi « Lévi et Aaron » et six dans ([ corinthiens 14:40). L'ordre dans lequel les membres s'asseyent et prennent la parole à I'assemblée est prescrit-et I'on attend de chacun qu'il donnè son avis à son tour; il ne lui est pas permis de parler hors de son tour ou d'inter-

rompre celui qui parle.

L'obéissance aux règles de la communauté est assurée par des sanctions. Les infractions sont punies par des peines qui vont de la réduction de la ration alimentaire à la suspension pour un délai variable et même à I'expulsion. Dans le Document de Damas, le retour des offenseurs repentants est prévu, mais avec des réserves très précises. Celui qui rompt le sabbat et qui se repent sera sous surveillance pendant sept ans, puis alors réadmis dans I'organisation si sa conduite a été constamment correcte. Faire comparaître un membre devant une cour de justice paienne oir il encourrala peine de mort est, en soi, une offense qui mérite la mort. Le sentiment est ici le même que celui qu'exprime paul dans I Corinthiers 6:1-8. Une grande partie du temps des membres est consacrée à l'étude de

la Loi. cette étude doit être poursuivie continuellement, jour et nuit,

toute l'année. Dans chaque groupe de dix, il doit y avoir à tout moment un homme au moins qui étudie et qui interprète la Loi. Les membres forment trois équipes pour assurer la permanence pendant la nuit de la lecture et de l'exposition de la Loi. En accord avec le désir de satisfaire à toutes les exigences de la Loi, la règle insiste avec rigueur sur la pureté rituelle. La punition des dffenses 213

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE comportè en général I'exclusion de ce qui est appelé littéralement qui >. LJn homme qui est condamné à deux ans de punition n'a pas le droit de toucher > même durant ia deuxième année. Ainsi les règles rabbiniques limitent plus strictcment l'usage des liquides qui sont sacrés que Celui des aliments solides qui le sont. Avani d'être autorisé à toucher de nouveau la >, le

« nourriture

>>

coupable repentant doit être immergé dansl'eau; mais une telle immersion est ians valeur pour qui n'est pas membre de I'ordre ou pour qui est indigne. Des formes variées d'ablutions rituelles sont prescrites; le senJspirituel conféré à l'idée de se laver est très caractéristique. Uné des observances rituelles les plus importantes du groupe était la cérémonie annuelle d'entrée dans l'Alliance et de renouvellement de I'Alliance. La liturgie de ce rite est détaillée dans le Manuel de Discipline. Les prêtres prononcent des bénédictions et les Lévites des anathèmes comÀe dans la cérémonie décrite par Deutéronome 27 . Les béné-

dictions, nous l'avons vu, sont inspirées de la bénédiction d'Aaron dans Nombres 24-26, tandis que les anathèmes consistent surtout

dans le contraire des bénédictions. Brownlee a signalé qu'une cérémonie

similaire, destinée à renouveler annuellement l'Alliance, est décrite dans le livre des Jubilés (6:17).

Le Psaume final du Manuel de Discipline mentionne des prières au lever du soleil, au coucher du soleil, aux phases de la lune' aux jours de fête, et au début de I'année. On ne distingue pas nettement s'il s'agit là de prières en commun par le groupe ou de prières privées. Le ton du passage, plein d'une piété intime, rend plus probable le dernier terme de l'alternative. Deux prières publiques en rapport avec la conduite d'une guerre sont prescrites dans 7a Guerre des Fils de Lumière.' l'une est la >Les membres du groupe est présent, occupant une place plus basse que celle du prêtre et recevant le pain après seulement que le prêtre l'a béni. L'attitude du groupe à l'égard du Temple et de ses sacrifices est assez surprenante. Le Manuel de Discipline ne fait aucune référence au Temple ou aux sacrifices si ce n'est dans des expressions évidemment figuratives. La communauté elle-même est (( une sainte demeure pour IsraëI, le fondement du saint des saints pour Aaron ». La vie et I'adoration qu'on y pratique sont considérées comme ayant le pouvoir d'expier le péché. La prière est appelée Le Document de Damas mentionne le sabbat et les fêtes parmi les

>;r'n dàns la phrase non-Àoin, *vrtàrii.ur" , >. cette explication, qui au mieux n'esi guère vraisemblable, ;"ô;;; deux ou trois difficultés grammaticales. Pour la « lettre N », Dupont-sommer offre une explication originale

et tentante qui lui est particulière. Les lettres

de i'alphau"t-rrZui"" comme de l'alphabet grec servaient à représenter les nombres et la lettré z représentait le nombre 50. Les pythagoriciens et divers groupes gnos_

le nombre 50 ôomÀe sacré. Dupont-sommer cite deux passages de philon oûr celui-ci note que, dans un triangl" i""tungi" tiques regardent

dont les côtés mesurent 3 et 4, I'hypothénrr"

des carrés de ces trois nombres est 5ô.

*"r.r.e 5 et la somme ce nombre sô etait donc consi_

déré comme l'expression parfaite du triangle reciarrgl",

,v-uoi"-àu

« suprême principe qui a produit le monde ,, Oit phil6n. .Dans ce passage du Manuel de Discipltne', Dupoii-sommer rattache > aux mots_qui la précèderrl, l" ,i sain't Jàs saints ,r, « le saint des saints et là rerftè N ». Il y voit ;" i;;;t;;;;, .t iirit , t"dift;;; non deux choses mais une, comme (( en ce jour et ce moment >>. L,ex_ pression « le saint des saints et la lettre f ,ig"iÀe par conséquent « le caractère suprêmement sacré du nombre 50"». Èro*ri"", qui T_e paraît plus plausible, construit le saint des saints d'";;à;;; avec les mots précédents et suppose qu'un nouveau. membre de phrase .o-*"""" avec les mots >. L'explication d" D"p.;-i;;;;;; l'n, d'ailleurs, ne dépend pas de detuit pu.ti.urio' d,interprétation. "" miséricàrdes éteinelles ;,'Dü;;;: considèrent que la guerre est prescrite afin de détruire les Gentils. L'attitude de la secte à l'égard des biens matériels a déjà été étudiée. La leçon citée plus haut du Commentaire qui substitue, dans Habacuc 2:5,\e mot (( richesse )) au mot > doit être rappelée. I1 faut se souvenir aussi que, si le Manuel de Discipline n'autorise aucune propriété privée, du moins parmi les membres de la secte ayant fait profession, il contient une r§gle qui ordonne d'indemniser l'ordre pour toute destruction d'un de ses biens. Le Document de Damas, lui, autorise les membres du groupe à toucher un salaire et à le garder, n'attribuant au surintendant que le salaire de deux jours par mois. La différence entre çes deux documents en ce qui touche le mariage a aussi été mentionnée à propos de I'organisation de la communauté, 220

HISTOIRE ET ORGANISATION et nous avons cité les références aux femmes et aux enfants contenues dans les deux colonnes du Musée palestinien ainsi que la présence de squelettes de femmes dans le cimetière de Khirbet Qumran. euel que soit le sens de ces faits, Hempel remarque que les iemme, jouôni "è Egr,." visiblement pas dans la communauté Ie même rble dans la primitiv"

chrétienne. Le Document de Damas condamne sévèremènt le maiiage avec une nièce. si différente que puisse être l'attitude à l,égard àu mariage adoptée par le groupe ou un rameau du groupe, tous làs textes insistent sur un strict idéal de pureté; même les regaràs luxurieux sont condamnés. Les règles qui président aux réunionJ du groupe mettent l'accent sur la modestie et la gravité. En-général on peut dire que l'idéal moral des s'efforcent, comme dit le Manuel de Discipline, avaient ou non une idée de ce que nous appelons un canon; en tout cas, leur bibliothèque contenait beaucoup d'ouvrages autres que notre Ancien Testament. Le Document de Damas cite par

les

son nom le livre des Jubilés; le livre, de nous inconnu, de HGW est mentionné comme faisant autorité dans le Document de Damas ainsi que dans un des fragments acquis par le Musée palestinien. Bien des æuvres qui n'ont pas trouvé place dans le canon juif ont indiscutablement été copiées et tenues en haute estime par les Ce que le prophète lui-même ignora fut toutefois révélé au « maître de justice à qui Dieu fit connaître tous les mystères contenus dans les paroles de ses serviteurs les prophètes >). L'interprétation donnée des Écritures est essentiellement historique, non dans un sens qui corresponde à nos conceptions modernes de la critique et de I'interprétation historiques, mais parce que tout est considéré immédiatement sous I'angle de l'histoire du groupe lui-même. Non seulement les événements de l'époque où vit l'auteur sont interprétés à la lumière des Écritures, mais, ce qui est encore plus caractéristique, les Écritures elles-mêmes sont interprétées à la lumière des événeménts récents. Un rapide examen dt Commentaire d'Habacuc et du Document de Damas suffit à montrer avec quelle liberté les textes sont combinés, interprétés et appliqués aux conditions et aux faits présents, dans un esprit absolument étranger à leur véritable signification.

Si un tel usage de l'Écriture paraît d'abord surprenant aux lecteurs 224

CROYANCES modernes, ils seraient cependant à même d'observer une façon d'agir analogue dans l'adaptation populaire qu'on fait aujourd'hui des prophéties. Ainsi un livre récent soutient l'idée, vraiment ridicule, que les > de Daniel 1l :30 sont les vaisseaux anglais envoyés de Chypre dans la Première Guerre mondiale pour attaquer les côtes de syrie et de Palestine; de même les versets 40-42 de ce chapitre annonceraient l'occupation anglaise du Moyen-Orient; et cette affirmation est suivie d'une conclusion menaçante pour les efforts faits par l'Égypte afin de rejeter le contrôle britànnique! Les > de Qumrân ne se sont jamais portés .à de pires extrémités dans I'absurde. Quand la substance de la Bible est employée par les rouleaux à régler la vie et le culte de la communauté, elle est soumise à un traitement qui I'adapte et la modifie librement. Un excellent exemple est fourni par la bénédiction prescrite au prêtre dans le Manuel de Discipline ; elle fait de larges emprunts à la bénédiction aaronique de Nombres 6:24-26. Suivant le dispositif dont se sert Brownlee dans la traduction qui suit, les mots extraits de la bénédiction ancienne sont en italiques : « Qu'il te bénisse de tout le bien et te garde de tout le mal; « Qu'il illumine ton cæur de la sagesse vivante et te donne la grâce de la connaissance éternelle; « Qu'il te soutienne par l'appui de son amour et re donne la paix

éternelle.

))

Un emploi analogue du langage biblique dont on étend librement

le sens s'observe parfois aujourd'hui dans les églises protestantes non liturgiques. Ainsi un pasteur lisant, après un service, la bénédiction de Paul à la fin de II Corinthiens 13, ne se bornera pas, bien souvent, à s'arrêter quand l'apôtre s'arrête, mais, poussé par un besoin de sonorité liturgique, ajoutera : « maintenant et dans l'éternité ». La façon dont le Commentaire d'Habacuc interprète l'Ancien Testament comporte un fait curieux que nous avons signalé à propos du texte de I'Ancien Testament tel qu'il apparaît dans les Rouleaux de la mer Morte. Les paroles d'Habacuc sont parfois citées dans le Commentaire sous une certaine forme alors que I'explication qui fait suite à la citation semble se référer à une forme différente. Dans Habacuc 1:11 par exemple, oir le texte classique dit :> alors que le texte classique porte >; pourtant le verbe, dans I'explication qui suit, tel au moins qu'il est compris par certains érudits, signifie « le découvrir ». (Dans ce cas, l'interprétation du passage dans le Commentaire est contestable.) La citation d'Habacuc 2:16 se lit >

au lieu de . 225

LES MANU,SCRITS DE LA MER MORTE Quelques érudits supposent que Sur ces points le commentateur se trouvait en présence de deux versions différentes du texte, dont il a cité I'une tout en visant l'autre dans son explication. Delcor suggère que le commentateur pourrait avoir utilisé un manuscrit d'Habacuc sur lequel les leçons du texte massorétique auraient été notées dans la màrge. D'après une autre hypothèse, le Commentaire fut originalement composé sur la base d'un texte conforme à la recension massorétique; mais un scribe copia plus tard le Commentaire en modifiant les citations pour les faire colncider avec un texte qui lui semblait meilleur. L'intérêt que lês étaient gnostiques.a de l'importance pour qui veut pénétrer I'esprit de la secte de Qumrân et déterminer sa place dans l'histoire des religions; il nous faut donc y consacrer notre attention. Dans une certaine mesure c'est une question de définition. Qu'entend-on quand on parle de gnosticisme ? Au sens strict. le mot désigne une hérésie du christianisme qui se développe au rre siècle après J.-C. 227

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE Cette hérésie, toutefois, n'était pas un phénomène entièrement neuf représentait un amalgame singulier d'idees

ni vraiment unique; elle

nouvelles et anciennes dont quelques-unes remontaient jusqu'à I'antique religion babylonienne. On peut donc voir dans le gnosticisme un mouvement général de pensée qui affecte d'autres religions aussi bien que le christianisme. Le gnosticisme chrétien ou pseudo-chrétien du ue siecle après J.-C. ne fut, sans aucun doute, qu'une phase de ce mouvement qui par nature est plus païen que chrétien. Certains érudits reconnaissent un type préchrétien de gnosticisme juif; d'autres nient cette interprétation. Ceux qui l'admettent découvrent dans les Rouleaux de la mer Morte une preuve nouvelle à l'appui de ce qu'ils prétendent.

Quand nous parlons de gnosticisme à propos des Rouleaux de la

mer Morte, la question donc n'est pas de savoir si les Dupont-sommer reconnaît ici une inspiration caractéristique de la gnose. « Et Dieu, dans la chaleur de sa colère 228

CROYANCES contre les habitants de la terre, a commandé que leur connalssance les fuie avant qu'ils finissent leurs jours. >> Peut-être ce passage est-il une allusion à Genèse 6:3; il pourrait s'agir simplement de la confusion d'esprit qui est propre à la sénilité. Commentant Habacuc 2:141. >,le Commentaire dit : « Et plus tard la connaissance leur sera révélée aussi abondante que les eaux de la mer. >> DupontSommer voit ici la révélation de la Gnose divine. Le Manuel de Discipline prescrit aux membres de la secte d'apporter à la communauté leur savoir aussi bien que leurs richesses et leur force. Un homme qui refuse d'entrer dans I'Alliance refuse . ies références les plus fréquentes et peut-être les plus significatives yeux qui se rencontrent dans le Manuel de Discipline sont contenues mes à dans l;hymne qui le termine et qui appelle Dieu On peut juger de même I'emploi du substantif connaissance. {Jn des Psàumei d;Actio4de Grâces contient les mots:. Dupontberie » qui « retirent aux altérés la boisson de la connaissance 2:29

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE Sommer, en citant ce passage, affirme que la gnose est un des concepts la secte; mais ici encore s'impose un parallèle fort étroit dans la Bible'de : sont men-

tionnés aussi dans le Manuel de Discipline

et

dans

le Document de

Damas.

Quelques autres affirmations typiques trouvées dans

le

Manuel

de Discipline peuvent être citées à ce sujet. La section qui traite des deux esprits dit que les péchés des fils de la justice sont causés par l'ange

des ténèbres

üenne

.

en toute chose et le secret sur 1a vérité des mystères de la connaissance

Une autre section

d\

Manuel de Discipline 230

dit que ceux qui

>.

ont

CROYANCES choisi la voie » doivent être exhortés afin qu'ils soient « guidés dans la connaissance et que leur soit ainsi donné de comprendre les mystères merveilleux et la vérité >>. Le dernier Psaume contient ces vers :

Car il n'est personne auprès de toi Pour s'opposer à ton conseil >. Cette association de la connaissance avec la Loi est aussi étrangère au gnosticisme qu'elle est caractéristique du judaïsme. La conception gnostique de la réalité et de l'âme s'exprime par une mythologie compliquée. La réalité est conçue comme un pur esprit, non contaminé par la matière. Le monde matériel dérive du pur royaume

mais

de l'esprit par une série d'émanations ou de générations semblables aux couples successifs de dieux et de déesses dans les cosmogonies païennes. Il est souvent parlé du monde spirituel de la réalité en termes de lumière, du monde matériel de l'illusion en termes d'obscurité. On observe dans les Rouleaux de la mer Morte un dualisme de la lumière et des ténèbres qui rappelle de façon frappante ce dualisme gnostique. Le grand combat qui est le sujet du rouleau de la Guerre s'appelle >. Non seulement les fils de l'erreur sont complètement sous la domination de I'ange des ténèbres, mais même les fils de la justice sont égarés par lui et souffrent l'affiiction dans le royaume de sa haine; mais >. Une fois seulement, si j'ai bien observé, le mot ange est employé dans le Manuel de Discipline

pour désigner un bon esprit; c'est la référence à I'ange de vérité. En général il semble que d'autres termes soient préférés pour désigner les anges et les esprits du bien; il est dit que les justes > et qu'ils reçoivent , les méchants, « les hommes du lot de Bélial >>. Le « lot de Bélial » et « tout le peuple du lot de Dieu >> sont nommés aussi dans la Guerre des Fils de Lumière. Un des Hymnes d'Action de Grâces dit: « Tu as fait tomber sur l'homme un sort éternel. » Dupont-Sommer rappelle, en liaison avec ce passage, le renseignement fourni par Josèphe selon lequel les Esséniens considéraient tout ce qui arrivait à l'homme comme déterminé par la destinée. Il apparaît donc que, pour les >, l'électioh divine ne concernait pas seulement le peuple élu dans son ensemble, mais aussi les individus. La conception de la nature humaine qu'exprime la section du Manuel de Discipline sur les deux esprits est qualifiée par Rost de théologie déterministe. Des idées analogues apparaissent dans le Document de Damas oir, comme remarque Rost, les hommes semblent divisés en quatre groupes suivant la destinée qui leur est assignée. Une telle division des individus en groupes diffère tout à fait de I'ancienne conception hébraïque de la nation entière comme élue de Dieu. Pourtant la voie avait été préparée pour la croyance en une élection individuelle par les idées de I'Ancien Testament sur les justes isolés de la masse et sur la nouvelle Alliance. Vermès fait remarquer que dans le Document de Damas, l'histoire de l'humanité est divisée en cinq périodes;danschacune d'elles, Dieu a séparé des autres un groupe qui sera sauvé et qui est dirigé par ceux de ses serviteurs qu'il a choisis. Depuis la venue du maître de justice, la Loi ne peut être rigoureusement observée que dans la communauté de ses fidèles. Faire partie de la communauté est donc le signe del'élec236

CROYANCES

tion divine. L'élection de la nation reste naturellement présupposée, mais l'accent est désormais placé sur l'élection des individus qui ont rejoint la communauté. En d'autres termes, l'idée d'un peuple choisi s'est effectivement transformée en l'idée d'une Église. Savoir si lia conception de la communauté réserve une place aux Gentils est une autre affaire. Le seul indice qu'on soit en droit d'envisager une telle idée réside dans la mention d'hôtes ou de prosélytes dans le Document de Damas; mais il est possible que l'expression désigne seulement les candidats à l'entrée dans la communauté qui subissent l'épreuve préparatoire. La croyance en l'élection, ou prédestination, n'est pas, comme on le suppose communément, une expression ou une source d'orgueil, mais bien plutôt l'inverse; ceci est certainement vrai des est une forme occidentalisée du mot hébreu qui signifie . Plusieurs références aux Messies d'Aaron et d'Israël ou issus d'Aaron et d'Israël apparaissent dans le Document de Damas; peut-être I'emploi du mot au singulier résulte-t-il d'une altération plus tardive, qu'il s'agisse d'une incompréhension ou d'une correction délibérée faite à une époque oir l'idée de deux Messies parut inacceptable. On peut présumer que les deux Messies représentent le roi et le grand prêtre de l'avenir. Dans ce cas, il paraît étrange que le Messie royal doive être issu d'Israël et non de Juda; il se peut cependant qu'Israël soit employé dans un sens général pour désigner le peuple entier et que le Messie d'Israël soit, si l'on peut dire, le Messie laïque, tandis que le Messie d'Aaron serait le Messie prêtre. La conception d'un Messie issu de la tribu sacerdotale de Lévi apparaît dans les Testaments apocryphes des Douze Patriarches et dans la littérature rabbinique, parfois en combinaison bien singulière avec d'autres idées. L'une des > appartenant au Musée palestinien, qui sont les fragments d'un document en rapport avec le Manuel de Discipline, contient le récit d'un repas qui ressemble de très près à celui du Manuel de Discipline, mais oùr il est fait allusion au Messie d'IsraëI. On trouve là aussi une allusion au ), qui est peut-être le même personnage. Le Manuel de Discipline ne mentionne le Messie d'Israël que s'il apparaît avec le prophète et le Messie d'Aaron. Dans les « Deux colonnes >>, le Messie d'Israë| est, dans la description du banquet, subordonné au prêtre; ce banquet d'ailleurs pourrait n'être pas un repas véritable, mais le banquet eschatologique de la littérature rabbinique En dehors de I'emploi du mot >, les Rouleaux de la mer Morte présentent d'autres signes des idées messianiques. Le manuscrit d'Isaie du couvent de Saint-Marc contient une série de variantes que Barthélemy

il faut les noter en abordant l'importance qu'offrent les rouleaux pour la critique des textes. IJne allusion ds Document de Damas à « la venue du maître de justice à considère comme des leçons messianiques; la fin des jours à venir.

>>

suggère un rapport entre le maître de justice et le Messie

D'après Dupont-Sommer, d'ailleurs, l'auteur du Document de Damas attendait le retour du maître de justice à la fin du monde en qualité de Messie. Pour soutenir son opinion, Dupont-Sommer cite l'expression « depuis la mort du maître unique jusqu'à ce que surgisse le Messie issu d'Aaron et d'Israël ». Mais ceci implique une distinction entre le maître unique et le Messie plutôt que leur identification. Comme il croit que le maître de justice a été mis à mort en 65'63 avant J.-C., Dupont-Sommer infère qu'alors la fin du monde est attendue pour bientôt. Toute cette hypothèse se relie à son interprétation du Commen239

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE taire d'Habacuc ou il croit discerner que le maître de justice reviendra comme Messie, quoique ce titre ne lui soit pas effectivement décerné. Il paraît plus raisonnable de dire avec Vermès que, si le Messie doit indiscutablement être un maître de justice, le maître de justice qui fonda la secte doit être distingué de celui qui viendrait et qui ferait régner la justice à la fin des âges. La place tenue par le maître de justice dans le concept de salut a été bien résumée par Vermès. Les justes sont ceux qui ont obéi au maître de justice et les méchants sont ceux qui ont refusé de l'écouter. L'essentiel pour le salut, c'est la foi dans la mission du maître de justice et la fidélité à son enseignement. En d'autres termes, son rôle est précisément celui qu'indique son titre : il est un maître de justice. Hempel fait remarquer que rien dans nos documents ne parle d'une incarnation de la

parole divine en le maître de justice et qu'aucun hymne analogue à celui de Paul dans Philippiens 2 n'est chanté à son sujet. On ne trouve aucune trace d'un évangile dont le maître de justice serait le centre.

Une liaison toute différente entre le maître de justice et ce qu'on peut appeler, en un sens large, les idées messianiques a été récemment proposé par Brownlee, quoiqu'il ne prétende pas que le maître de justice fût le Messie. Plusieurs des Rouleaux de la mer Morte lui semblent indiquer que le maître de justice peut être identifié avec le serviteur du Seigneur décrit dans Isaïe 40-55. Qui est le serviteur, décrit dans ces chapitres, reste un sujet de discussion parmi les savants spécialistes dans l'Ancien Testament. Dans certains passages, le serviteur est explicitement identifié avec Israël : >. Brownlee ÿoit 1à une altération délibérée destinée à permettre un rapprochement, le participe « oint >> suggérant l'idée du Messie. Nous étudierons cette variante du texte dans le chapitre XIV. Brownlee a raison d'entendre l'expression « ses élus » dans le Commentaire d'Habacuc comme un pluriel et il y voit une interprétation collective du serviteur de Dieu comme le peuple fidèle de Dieu. Les élus subiront les souffrances comme celles du serviteur, et comme au serviteur ils se verront attribuer le jugement sur les Gentils. Dans le psaume final du Manuel de Discipline, tel que le comprend Brownlee, la triple fonction du servi240

CROYANCES teur est attribuée à la secte : témoignage prophétique (Isaïe 43-10), réparation sacerdotale (Isaie 53), jugement royal (lsaïe 42:l). La communauté ainsi conçue comme constituant le serviteur du Seigneur se réalise quelquefois en la personne du maître de justice. Brownlee propose plusieurs arguments ingénieux tendant à identifier le maître de justice avec le serviteur du Seigneur. Ils sont plus subtils et ils vont plus loin que nous ne pouvons l'indiquer ici. Ils ne suffisent pas à me convaincre, mais la présomption qu'ils contiennent mérite qu'on la considère. Sonne, il est intéressant de le noter, reconnaît dans les versets par lesquels débute un des Psaumes d'Action de Grôces, une paraphrase développée d'Isaïe 42:6; il suggère que le chef de la secte a pu lui-même se prétendre serviteur du Seigneur.

D'autres aspects de ce que les . Mais « toutes les périodes de Dieu arriveront à leur terme fixé comme il en a décidé dans les mystères-de sa sagesse ». Alors . Ceux qu'aura détournés le prédicateur du mensonge seront . L'exécution du jugement sur les Gentils et sur les Juifs pervers sera confié aux élus de Dieu : « Dieu ne détruira pas son peuple par les mains des nations, mais en les mains de son élu Dieu confiera le jugement de toutes les nations, et par leur châtiment tous les pervers parmi son peuple seront punis ».

Un substantif hébreu, qui signifie originairement la fin, est souvent employé dans les Rouleaux de la mer Morte et le Document de Damas dans le sens de temps ou de période, ainsi que dans le livre de Daniel et à I'occasion ailleurs. Dans le Document de Damas, nous voyons mentionnée la période de colère, la période de perversité,la période du sacerdoce des fils de Sadoq, la période de destruction du pays, la période de la première visite et la période de la transgression d'IsraëI. On trouve aussi une déclaration plus générale au sujet des périodes. Toutes ces expressions se réfèrent à des périodes de l'histoire, mais il est question aussi de > dans I'avenir et de la période eschatologique « de visite ». La période de colère est mentionnée dans les Psaumes d'Action de Grâces; le Manuel de Discï pline emploie le mot en se référant au moment convenable pour la célébration des fêtes, aux divisions astronomiques du temps, à la période oir les méchants seront affiigés, à la période oùr les bons seront récompensés, aux « périodes des âges >> durant lesquelles les divisions de l'humanité se verront attribuer leur lot, à la période fixée pour I'existence du mal et à la période finale ou la domination du mal

s'achèvera.

De nombreuses expressions contenant le mot hébreu qui signifie éternité sont employées dans le Manuel de Discipline pour indiquer

le destin des pervers et des justes. Les pervers sont éternellement maudits, ils sont l'objet d'une haine éternelle et d'une éternelle hostilité; ils souffriront dans l'obscurité du feu éternel; leur sort est la destruction éternelle. Aux justes sont promis la paix et la lumière et la vérité et la gloire éternelles. Une description de ce qui attend les méchants et les justes est donnée dans la section du Manuel qui concerne les deux esprits présents dans l'homme. 242

CROYANCES Comment les > conçoivent-ils la vie future de l'individu? Ont-ils, avec beaucoup d'autres Juifs de leur époque, cru à la résurrection du corps? Sinon, acceptaient-ils f idée de l'immortalité de l'âme? De quelques passages dans les Rouleaux de la mer Morte on a voulu inférer une croyance en la résurrection. La malédiction que les Lévites doivent prononcer contre les pervers, d'après le Manuel de Discipline, comporte une phrase qu'on a traduite « et il ne vous fera pas vivre >>, ce qui signifierait que les pervers ne se relèveraient pas d'entre les morts; mais en fait, le texte ne dit pas >, mais tout simplement « vous être favorable ». Une allusion à la résurrection du corps est relevée aussi dans la phrase d'un des Hymnes d'Action de Grôces; « Et je sais qu'il est un espoir pour celui que tu as formé de la poussière en vue de l'éternelle assemblée ». D'autres érudits interprètent ces mots de façon toute différente. Vermès par exemple y voit suggérée l'immortalité de l'âme, mais non de l'homme tout entier. Une conception platonicienne de ce genre paraît surprenante dans le judaïsme, mais, pour montrer qu'elle n'y était pas inconnue, Vermès cite une phrase de Josèphe sur les Esséniens èt aussi l'inscription d'une pierre tombale juive trouvée en Égypte. Les « sectaires »> de Qumrân, croit-il, attendaient le jugement avant la fin de leur propre génération, ils ne s'intéressaient donc pas à la résurrection du corps. Ce qu'ils attendaient n'était ni la résurrection du corps, ni f immortalité de l'âme seule, mais >. En notant que ces expressions rappellent le langage des Psaumes de I'Ancien 243

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE Testament, van der Ploeg conclut que la secte avait, ou bien adopté une vieille tradition concernant la vie future, ou bien reçu ces idées d'une source différente, et avait cru les lire dans les Psaumes par réinterprétation. Le tableau qui ressort de tous ces commentaires n'est pas clair dans le détail; mais les grandes lignes se discernent facilement. En résumé, nous pouvons dire que la sectè de Qumrân était un groupe juif qui révérait la révélation divine faite à ses ancêtres par la Loi et les Prophètes.

Comme les autres sectes juives cependant, ils avaient leur façon à eux d'interpréter les Ecritures. Contrairement à la majorité des autres sectes juives, ils croyaient même que leur avait été accordée une nouvelle révélation qui éclaircissait le sens véritable des Écritures. Dans les prophètes ils voyaient leur propre passé et la préfiguration de leur avenir. On peut discerner dans les croyances de la secte quelques affinités avec le gnosticisme; mais les > ne se séparaient pas de la tradition hébraïque au point d'adopter le dualisme métaphysique des gnostiques ou leur subtile mythologie de la rédemption. Ils croyaient que toutes choses sont ordonnées par Dieu, même I'existence du mal, et que les luttes entre le bien et le mal dans la société humaine et dans l'âme individuelle font partie du plan divin. A la fin de la période préfixée, Dieu délivrera ses élus et détruira 1es troupes des pervers. A l'arrière-plan de ces idées se rencontrent non seulement l'antique tradition hébraïque, mais aussi le dualisme moral, l'angélologie et la démonologie de la religion iranienne. Peut-être I'influence iranienne est-elle aussi à l'æuvre dans les croyances de la secte relatives au salut; mais est-il vraiment nécessaire d'assumer l'existence d'éléments étrangers différents de ceux qui sont incorporés aux derniers livres de l'Ancien Testament et aux ouvrages postbibliques et apocalyptiques ? Néanmoins il est possible que de nouveau courants de pensée, empruntés à cette combinaison générale de traditions et de cultures que nous appe-

lons l'hellénisme, se soient frayés un passage dans le, fleuve voisin du judaïsme. Quoi qu'il en soit, les > croyaient fermemenl qu'ils étaient choisis par Dieu, non seulement comme membres du peuple élu, mais aussi individuellement comme fils de lumière, comm€ homme du lot de Dieu. lls étaient entrés dans l'Alliance et devenus membres de la communauté qui voyait dans le maître de justice l'interprète inspiré des mystères divins. Ils escomptaient la venue d'un prophète et des Messies d'Aaron et d'IsraëI, ils attendaient avec confiance le Jugement dernier et le châtiment éternel des fils des ténèbres, le Jugement qui mettrait fin à l'empire de Bélial. Ils avaient I'espoir fervent d'être purifiés de tout mal par l'esprit de vérité, et de jouir d'une félicité éternelle avec les armées des anges en la présence de Dieu. Quoi qu'on puisse ajouter au sujet de la théologie de Qumrân ceci, du moins, est clair. Mais qui étaient ces gens ? Quelle espèce de Juifs étaient-ils ? Pouvons-nous les identifier avec un des groupes existant au sein du judaïsme et que nous connaissons par d'autres sources?

CHAPITRE XIII

Identifieation

rs érudits ont proposé et défendu pour la secte qui formait la communauté de Qumrân non pas une, mais plusieurs identifi-

cations; toutefois, récemment, on discerne une tendance à considérer la question comme résolue. Utilisant les indices que nous fournit

l'examen des traits caractéristiques de

la

secte, nous allons passer

les hypothèses en revue. Le problème est compliqué. Aucun des documents ne fournit un nom qui s'applique au groupe. Le Manuel de Discipline semble considérer qu'il forme >. Juda comme distinct d'IsraëI, n'y est pas mentionné. Dans le rouleau de la Guerre, les fils de lumière sont explicititement identifiés comme les tribus de Lévi, de Juda et de Benjamin, c'est-à-dire la tribu sacerdotale et les deux tribus qui constituaient le royaume de Juda. Par contre, Le Document de Damas reflète une hostilité à Juda et des liens étroits avec les tribus du Nord. comme nous ne nous occupons pas d'un seul texte, mais de plusieurs, nous ne pouvons nous attendre à ce que tous les textes émanent de la même secte ou du même parti. Tous les écrits contenus dans les rouleaux et les fragments trouvés dans les grottes de Qumrân étaient assurément acceptés et utilisés parla secte, mais non pas nécessairement tous produits par elle. Même s'ils représentent des rameaux ciu même tronc ou des phases successives du même mouvement d'ensemble, une de ces phases isolées, un de ces rameaux peut se révéler identique à un groupe donné

dans l'histoire juive, alors que ceux dont d'autres documents font le

tableau ne peuvent être identifiés de même. on peut admettre par exemple comme le fait Barthélemy, que les > émanent des premiers Hassidim, tandis que le Manuel de Discipline viendrait de la sècte plus récente des Esséniens. un fait est évident et peut nous servir de point de départ. Le groupe 245

LES MAN USCRITS DE LA MER MORTE ressort le simple désir des récompenses. Leur fondateur, pense Schoeps, pourrait être un homme du nom de Sadoq qu'on aurait appelé le maître de justice. L'un des manuscrits4u Document de Damas se lit eflectivement à un endroit : > au lieude«maîtredejustice», quoique la plupart des érudits voient ici une erreur de copie. Le Qaraïte du Moyen Age, Al Qirqisânî, glisse dans son histoire des sectes juives une indication confuse, mais suggestive, sur les Sadducéens. Leurs chefs, dit-il, étaient deux hommes des noms de Sadoq

et de Boethus, pupilles d'Antigone, le

successeur de Siméon le Juste.

Nous serions ainsi ramenés au tto siècle avant J.-C. Pourtant le Talmud parle de la famille de Boethus comme d'une des quatre familles qui formaient le haut sacerdoce au Ier siècle après J.-C. et Josèphe mentionne un certain Boethus comme le père de Joazer, qui fut grand prêtre au début de ce même siècle. S'il s'agit du même Boethus, il aurait donc vécu, et Sadoq aussi, au dernier siècle avant J.-C. Puisque les noms de Sadoqites et de Sadducéens sont les mêmes en hébreu, ce que dit Al Qirqisânî des successeurs de Sadoq et de Boethus ne concerne peut-être pas les Sadducéens. Le nom de Sadoq a en hébreu la même racine que le mot justice; il n'est pas tout à fait impossible que le Sadoq d'Al Qirqisânî soit le maître de justice des Rouleaux de la mer Morte. Dans ce cas, naturellement, il ne serait pas le fondateur de la secte. Ses successeurs alors seraient bien des Sadoqites, mais non des Sadducéens; ces derniers resteraient de la classe sacerdotale dominante et auraient sans doute emprunté leur nom au grand prêtre de David et de Salomon. Cette hypothèse, qui me semble possible mais non très probable, fournirait une théorie voisine de celle de Schoeps, sauf que les > ne seraient à aucun moment identifiés avec les Sadducéens. Si les

>. On ne voit pas clairement si les appartiennent à la mer Morte elle-même, comme le croient certains commentateurs, ou désignent les maux du monde loin duquel les Esséniens se sont retirés. Suivant Philon, les Esséniens vivent dan§ des villages pour éviter les vices et les souillures des villes; mais ensuite il déclare qu'on en trouve dans plusieurs villes de Judée, tandis que Josèphe dit qu'il y en a quelques-uns dans chaque ville. Tant que loon n'eut découvert qu'une seule grotte de la mer Morte 250

I

DENTIFICATI ON

et que l'on n'eut procédé au Khirbet eumrân qu'à un sondage prélimi_ naire, l'archéologie sembla soutenir la thèse d;après laquelle-le's ,i ;;;_ taires >> n'étaient pas des Esséniens. L'attribution oe la poterie a r" à.r_ nière période hellénistique semblait excrure l'idée que la grotte iut occupée à l'époque où les Esséniens habitaient la région. r-J. rouiriultérieures éliminèrent cette difficulté chronologique, et les instailàti-Às découvertes au Khirbet_e.umrân peuvent facileÀent ét." .o.rçu., faisant partie d'un établissemeni' d'Esséniens. De vaux utôr, ,"ronià "o-ÀÈ au doute qu'il avait d'abord entreteÉu et accel a de reco"nuitrÀ rà, ) comme des Esséniens. En ce qui me .bncerne, je dois dire que l1 relation géographique reste pour moi la r,.rson la pius f;. à;

considérer les « sectaires » de eumrân comme des tjiséni.n.. s,il, éiui; différents où trouverait-on la place de loger les Esseniens et les ,. ;;;taires >> dans le voisinage du wadi eumàn ? Pourtant la situation -géographique n'est pas le seul élément qui per_ mette d'associer les Esséniens et la secte de Qumrân. philon ioreiî" fournissent des renseignements sur |organiiation et la discipli;;: "t i; rituel et les pratiques morares, enfin la théologie des Esséniens. Nbus pouvons y comparer avec quelque détail les repères fournis par les Rou_ leaux de la mer Morte et le Document de Damàs. Parmi les analo._gies se signale tout de suite celle qui existe entre les titres de leurs chefs. phiron comme Josèphe dit que lËs Esséniens honorent entre tous, après Dieu rui-même, celui que Josèphe appelle ,. teu. ^c" législateur » et philon.> était le repas en commun. Les détails fournis par Josèphe Sur le rêpas des Esséniens ne Se retrouvent pas toujours dans le Manuel de Discipline ou les > du Musée palestinien. Mais rien de ce qu-il raconte ne contredit ce qui apparaît dans les deux manuscrits. De pait et d'autre il est prescrit qu'un prêtre prononce une bénédiction avant chaque repas; Josèphe parle aussi d'une bénédiction à la fin du repas. -Chez les > et du > et f indica254

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DENTIF ICATI

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N

tion qu'il existe deux esprits en l'homme, ce qui pourrait être le signe de I'existence chez les > d'une croyance à la prédestination.

Les croyances des > quant à la vie future, que nous avons étudiées au chapitre XII, sont très différentes de celles que Josèphe attribue aux Esséniens. Car pour eux, dit-il, les corps sont corruptibles, la matière dont ils sont faits n'est pas durable, mais les âmes sont immortelles et demeurent éternellement; érnanant de l'éther le plus pur, elles sont liées aux corps comme à une prison, attirées en bas par une sorte de charme magique; mais, une fois libérées des liens de la chair, elles se réjouissent comme affranchies d'un long esclavage et renaissent dans un monde supérieur. Josèphe ajoute que cette idée ressemble à celles des Grecs; elle rappelle aussi l'idée fondamentale du gnosticisme que nous avons recherchée en vain dans les Rouleaux de la mer Morte. Hippolyte donne des croyances des Esséniens sur la vie future un résumé qui les rapproche davantage des croyances des >, I'offrande de la parole et du cæur. Le Document de Damas cependant, tout en limitant le nombre des sacrifices en présuppose la pratique. Malheureusement il y a des obscurités dans les textes de Josèphe et de Philon comme dans le Document de Damas, ce qui rend hasardeuse une conclusion ferme sur ce sujet. Dans d'autres rites et pour d'autres formes du culte, on note aussi un manque de correspondance. Les Esséniens et les > insistent également sur la prière, publique sans doute aussi bien que privée. Pour les Esséniens, nos sources indiquent un rythme journalier, très strict, de prière, de travail et de réunions pour le culte comme pour les repas et l'étude. Les parties existantes du Manuel de Discipline ou du Document de Damas ne révèlent pas un ordre d'occupation aussi précis, mais de nombreuses indications séparées correspondent à des détails de l'emploi du temps des Esséniens. Par exemple Brownlee appelle

I'attention sur l'obligation de la prière à l'aube et durant la nuit. La première pourrait être cette prière avant le lever du soleil et les Esséniens. Il découvre, dans les réserves faites sur une purification par l'eau, une attaque contre les rites du baptême, alors que les Esséniens étaient une secte baptiste. En réalité il n'y a pas de raison sérieuse de croire que l'attitude des Esséniens est fondamentalement différente de celle qu'exprimele Manuel de Discipline. Josèphe attribue aux Esséniens des règles alimentaires très strictes. Leur régime très simple et leur genre de vie très régulier permettent, dit-il, à beaucoup d'entre eux d'atteindre plus de cent ans. ll ajoute que, dans la guerre contre Rome, les Esséniens endurèrent d'horribles tortures plutôt que de manger une nourriture interdite par la Loi. Les Rouleaux de la mer Morte ne révèlent pas un tel souci du régime alimentaire. La secte de Qumrân et les Esséniens sont d'accord pour insister sur l'observance exacte des jours de fête; mais les observances dont nos Sources indiquent l'importance ne Sont pas les mêmes. Toutes les sources 2,56

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DENTIF IC ATI ON

s'accordent à montrer que les Esséniens attachaient un prix particulier à la sainteté du sabbat. La même insistance n'apparaît pas dans les Rouleaux de la mer Morte; pourtant Brownlee souligne dans le Document de Damas un passage montrant que les > s'abstenaient plus strictement que les Pharisiens de travailler le jour du sabbat. Le rite annuel pour I'entrée dans I'Alliance et son renouvellement, que le Manuel de Discipline décrit longuement, n'a pas de contrepartie dans ce que nous Savons des Esséniens. D'ailleurs, en dehors du sabbat, le souci des Esséniens. D'ailleurs, en dehors du sabbat, le souci des jours consacrés dont témoignent les Rouleaux de la mer Morte n'a pas de correspondance chez les Esséniens. ÿllle 1uu6ert, toutefois, dans son étude sur le calendrier des « sectaires >>, souligne des analogies qu'il présente avec le calendrier des Samaritains; et à cette occasion, elle cite Épiphane qui traite les Esséniens de secte de Samaritains. On a discerné dans la langue des Rouleaux de la mer Morte certains rapports obscurs avec la langue des Samaritains. Si les Esséniens tout comme les > ont des rapports avec les Samaritains, cela renforcerait l'idée d'une relation entre ont dû aussi être des cultivateurs, quoiqu'on se demande avec étonnement quel genre d'agriculture était possible dans le voisinage 258

IDENTIFICATI ON désolé du Khirbet Qumrân. Philon ajoute que les Esséniens poursuivaient d'autres occupations paisibles : l'élevage, l'apiculture, divers arts et industries utiles étaient pratiqués pour assurer à la communauté les nécessités de l'existence. Ainsi les Esséniens satisfaisaient à leurs frugales exigences. Philon voudrait même nous faire croire qu'on les considérait en général et avec raison comme richgs, bien qu:ils ne possédassent ni or, ni argent, ni grands domaines. Nous avons trouvé chez les > la mise en commun des biens, quoique le Document de Damas reflète, de cette institution, une forme moins radicale que le Manuel de Discipline. Toutes les autorités s'accordent pour affirmer que les Esséniens pratiquaient la communauté des biens. Pline dit simplement qu'ils ne se servaient pas de monnaie. Josèphe déclare que tout était commun entre eux, si bien que le riche ne profitait pas plus de ses richesses que le plus pauvre. La remarque est

singulière, car elle pourrait signifier qu'il y avait encore des moines pauvres ou riches; mais peut-être ne vise-t-il ici que leur richesse ou leur pauvreté d'origine, avant leur entrée dans I'ordre. Philon s'étend sur ce sujet : les logements, les vivres, les dépenses, les vêtements, les salaires, les troupeaux, tout, dit-il, appartenait à la communauté entière et servait également aux besoins de chacun. Les vieillards et les malades étaient soignés comme si une grande famille s'était occupée d'eux. Le renseignement fourni par Philon, selon lequel les membres de l'ordre recevaient des salaires mais les versaient à un fonds commun, rappelle l'indication du Document cle l)amas oùr il est dit qu'une part fixe des salaires de chacun devait être remise à I'intendant. D'après Hippolyte, chaque homme, à son entrée dans l'ordre des Esséniens, devait vendre ses propriétés et en remettre le montant au « chef >>. Le Manuel de Discipline dit que chacun apporte sa richesse à l'ordre en même temps que sa force et sa science. A ce sujet, de Vaux observe que, si l'on a retrouvé des centaines de monnaies dans les fouilles du Khirbet Qumrân, on n'en a découvert dans aucune des grottes. I1 en infère que toutes les transactions comport'ant de la monnaie étaient centralisées au siège de la communauté et que les membres individuels

n'en possédaient pas. Pour beaucoup de savants, la concordance sur ce point paraît une confirmation frappante de f idée selon laquelle les Esséniens et les « sectaires » formaient le même ordre. D'autres trouvent les différences suffisantes pour se convaincre qu'il s'agit de deux sectes différentesoupour confirmer cette conviction. Pour Rubinstein, la tradition contenue dans le Document de Damas dérive des Esséniens, mais I'essénisme des (( sectaires >> de Damas était en décadence. Il nous faut certainement reconnaître que des différences d'époque ou les nuances qui existent entre les multiples branches d'une même secte suffisent à expliquer partiellement au moins les divergences apparentes. Pour leurs contemporains, ce qui, chez les Esséniens, paraissait plus 259

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE surprenant encore que la communauté des biens, était l'abstention du mariage. Pline dit qu'ils vivaient sans femme, ayant renoncé à toute vie sexuelle. Néanmoins, ajoute-t-il en s'en étonnant : « la multitude qui chaque jour les rejoint volontairement se renouvelle avec régularité, car nombreux sont ceux qui, fatigués de la vie, se réunissent et sont amenés à leur genre de vie par les tourmentes de la fortune. Ainsi à travers les âges, si incroyable quoen paraisse le récit, un peuple au sein duquel ne se produit pas une naissance, reste éternel, tant se montre fécond pour eux le repentir des autres. >> Nos autres sources s'étendent aussi sur cet étrange aspect de la secte essénienne. Josèphe dit qu'ils renonçaient au mariage, mais adoptaient de jeunes enfants et les élevaient selon les principes de la secte; la cause de cette pratique n'était pas une condamnation de principe prononcée contre le mariage et la propagation de la race, mais leur manque de confiance en la fidélité des femmes. Philon profite de cette particularité des Esséniens pour exposer à loisir son opinion défavorable du caractère féminin : les Esséniens ne se marient pas parce que les femmes sont égoïstes, jalouses et hypocrites; si elles ont des enfants, elles deviennent orgueilleuses, hardies et même violentes. Un homme qu'une affection naturelle lie à une femme et à des enfants, conclut Philon, n'est plus un homme libre, mais un esclave. Que ce point de vue fût ou non celui de la majorité des Esséniens, tous n'étaient certainement pas d'accord avec Philon. D'après Josèphe, aux autres points de une certaine branche de la secte, qui partageait le renoncement vue les idées et les coutumes de la majorité, regardait au mariage comme un crime équivalent au meurtre. Ils soumettaient leurs femmes, continue-t-il, à trois ans de probation, et leur imposaient les bains et le port des vêtements de lin comme aux hommes. Les sources qui nous renseignent sur les > comportent des divergences en ce qui concerne le mariage. Le Manuel de Discipline ne parle absolument pas des femmes et des enfants; mais leur présence dans la communauté est clairement attestée par le Document deDamas et les > du Musée palestinien. Brownlee remarque que si les sectaires )> étaient des Esséniens, ceux dont parlent le Document de Damas et les >. Une des raisons alléguées par Gottstein pour distinguer les > et les Essé. niens, c'esl que chaque membre de I'ordre des Esséniens en faisait partie à titre définitif, tandis que la secte de Qumrân était de ce type de secte oir chaque membre doit périodiquement >. Il en voit comme preuve le pastuge du Manuel de Discipline qui décrit la cérémonie ànnuelle du renouvellement de l'Alliance; mais il s'agit là de tout autre chose que d'une renaissance spirituelle périodique de I'individu. I1 est bien des détails de pratiques ou de croyances dont on nous rend compte à propos des Esséniens et dont nous ne trouvons pas trace dans les Rouleaux de la mer Morte; mais en semblable cas l'argument a silentio est sans valeur. Outre la possibilité d'erreurs dans les renseignements qui concernent les Esséniens, il faut ne pas oublier que les iouleaux et les fragments de Qumrân représentent seulement unefraction de la bibliothèque de la communauté. I1 reste encore à savoir si le déchiffrement de tous les fragments n'ajoutera pas à nos connaissances. On ne peut même imaginer ce que contenait la fraction disparue des livres dont une partie seulement a survécu, pour ne pas parler de ceux qui ont totalement disparu. Mais si les lacunes de nos connaissances et même les divergences ne prouvent rien contre f identité des Esséniens et des >, les èor.erpondances sont-elles assez étroites pour l'établir ? Plusieurs érudits soutiennent que les éléments qui Se rencontrent en commun chez les Esséniens et dans la secte de Qumrân, ne Sont pas moins carac261

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE téristiques des autres groupements juifs. Esséniens et les

ne peuvent se confondre avec les Pharisiens, mais il ne s'ensuit pas qu'il n'y avait aucun lien entre eux et les Pharisiens. A ce sujet, Marcus afait une suggestionintéressante; pour lui la tradition légale du Document de Damas est essentiellemeni la même que celle des Pharisiens; donc si les > de Damas et

de Qumrân et les Esséniens étaient la même secte, ils formaient une branche des Pharisiens. Marcus rappelle que Ginsberg a démontré l,existence

dans le groupe pharisien d'une aile conservatrice et d'une aile libérale; les Esséniens forment une troisième division, les Pharisieni de gauche. Il nous propose ainsi une nouvelle classification des partis dans le judaïsme palestinien au rer siècle : à I'extrême droite les sàdducéens, à I'extrême gauche, les Zélotes; entre eux, les trois groupes de Pharisiens, avec les Esséniens ou . A ce point des recherches, la conclusion générale qui s'impose me par.yt claire et je ne crois pas qu'on soit en droit d'en hàsarder une plus précise. En admettant que plusieurs sectes apparentées sont réunies ôous le nom d'Esséniens, on peut bien appeler les > des Esséniens; mais si les Esséniens constituent une secte particulière et que nous adoptions à leur sujet la description qu'en font lès écrivains anciens,les > n'étaient pas des Esséniens. Il me paraît plus sage, dans l'état actuel de l'information, de ne pas parler de la secte de eumrân comme d'Esséniens, mais plutôt de dire que les Esséniens et les > ainsi que d'autres groupes sur lesquels nous sommes mal renseignés, représentaient un même type d'ensemble. Il importe plus de dèfinir jusqu'où s'étendent les ressemblances et les difféiences que d'accepter ou de rejeter un nom particulier. quelques autres identifications qu'on a proposées pour -lesMentionnons >. Josèphe parle-d'un « sadoq le pharisièn » qui r étuit uni à Judas de Galilée dans la révolte contre les Romains dè 6 avant J.-c. sadoq et Judas auraient fondé la « quatrième philosophie >> des Juifs; ses adhérents s'accordaient dans l'ensemble avec les Èharisiens,

il conclut que

mais insistaient avec fanatisme sur I'indépendance qu'ils voulaieni 262

IDENTIFICATION maintenir à l'égard de tout rnaître humain et enduraient joyeusement la mort plutôt que de reconnaître un homme comme leur seigneur. Plusieurs historiens voient en Judas le Galiléen le fondateur du groupe appelé les Zélotes; Josèphe cependant ne désigne sous ce nom que ceux qui ont combattu contre Rome, soit cent ans plus tard. Un éminent historien a voulu identifier la communauté des Rouleaux de la mer Morte avec les plus violents des Zélotes,les Sicaires; rappelons qu'Hippolyte rattache les Zélotes et les Sicaires aux Esséniens. Cette identification entraîne tant d'invraisemblances qu'il n'est pas nécessaire de la discuter ici dans le détail; mais il faut reconnaître l'existence de points de contact assez impressionnants entre les > et les fidèles de Judas et de Sadoq. Peut-être quelques membres de la commu-

nauté rejoignirent-ils les Zélotes dans les décades qui précèdent immédiatement la destruction du Temple. Pourtant un rapprochement plus étroit paraît bien aléatoire. La communauté des Rouleaux de la mer Morte est certainement beaucoup plus ancienne que le mouvement fondé par Sadoq et Judas. El Qirqisânî, après avoir parlé des disciples de Sadoq et de Boethus, qu'il mentionne en liaison avec les Sadducéens, ajoute : « Là-dessus apparut l'enseignement d'une secte qu'on appelle les Maghariens; on leur donne ce nom parce que leurs livres furent retrouvés dans une grotte » (le mot arabe pour grotte est maghara). Cette indication est suivie d'une autre qui concerne Jésus; les Maghariens auraient donc

pu apparaître peu avant l'ère chrétienne. Barthélemy et de Vaux ont suggéré que les Maghariens étaient peut-être les

Il est possible,

>

de Qumrân.

comme le hasarde Kahle, que les Maghariens aient été les Esséniens et que des écrivains ultérieurs les aient appelés Maghariens parce qu'on avait retrouvé leurs livres dans une grotte et que leur véritable nom était inconnu. La simple suggestion que les >, les Sadoqites, les Esséniens, les Zélotes et les Maghariens puissent former un même groupe, donne toute sa valeur à la mise en garde de Lieberman et d'autres contre la tendance à identifier la communauté de Qumrân avec une secte connue du judaïsme. Malgré quelques analogies certaines et la possibilité d'obscurs rapports, la secte ou les sectes' dl Document de Damas et des Rouleaux de la mer Morte ont pu être distinctes de toutes celles que nous avons mentionnées. D'autres rapprochements qui ont été proposés ne doivent pas être ignorés. Teicher, par exemple, soutient avec vigueur que la communauté des Rouleaux de la mer Morte était la secte primitive judéo-chrétienne des Ébionites. Pour plusieurs raisons cette théorie est indéfendable. Teicher la développe avec beaucoup d'ingéniosité et d'érudition; mais la chronologie la réfute. Teicher reconnaît que les textes supposent une secte déjà développée et bien organisée. Il en conclut que la composition des rouleaux doit être fixée à une date beaucoup plus tar263

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE drve que 70 après J.-C. Comme l'archéologie démontre que 70 après J.-C. est la date la plus tardive qu'on puisse proposer pour la copie des derniers manuscrits, et que la paléographie fait remonter le plus ancien des manuscrits à une date beaucoup plus ancienne, il est inutile de réfuter autrement la théorie de Teicher Non qu'un rapport soit inconcevable entre les > et les Ebionites. Oscar Cullmann a examiné le problème; en particulier il a étudié les contacts entre les textes de Qumrân et les premiers documents

chrétiens, les écrits pseudo-clémentins, auxquels on attribue une origine ébionite. Malgré d'asssez nombreuses différences, il retrouve dans ces deux groupes de textes la même théologie, les mêmes pratiques rituelles et les mêmes règles de vie. Chacun isolément, ces parallèles ne prouveraient pas l'existence d'un rapport direct entre et de Judée. Si elles comportent véritablement une signification messianique, elles offrent un témoignage de valeur sur les croyances de la secte. Il nous faut toutefois nous demander si les scribes officiels ont altéré le texte pour éliminer ce qui leur paraissait comporter un sens dangereux, ou si l'altération a été faite par les >, le rouleau de SaintMarc dit (ou semble dire) : a été oubliée. On y retrouve beaucoup de différences d'orthographe dont plusieurs suggèrent que le copiste a écrit sous la dictée. Quelques erreurs semblent dues à une confusion entre deux lettres voisines dans une copie précédente.

En dehors des différences d'orthographe, van der Ploeg trouve environ cinquante variantes dans le Commentaire. La plupart de ces variantes n'ont guère d'importance. Ce qui paraît une variante réelle peut 282

CRITIQUE DES TEXTES quelquefois n'être qu'une erreur de copie ou d'audition. Il ne faut toutefois pas adopter trop légèrement cette explication. par exemple, en citant Habacuc I :11, le commentaire se lit « èt il fit » au lieu ae n ei il fut coupable >>; aussi van der ploeg suppose que cette variante peut être un accident. Mais Elliger, avec raison je crôis, trouve la leçon du commentaire supérieure à celle du texte massorétique. Elle iournii le sens : « Il fit de sa puissance son Dieu >>, alors qué la leçon massorétique est à tout le moins obscure; d'ailleurs, antérieurement à la découverte, les érudits avaient proposé une correction du mot hébreu pr"rque identique à la leçon du Commentaire. Dans Habacuc 1:17, où le texte massorétique."se lit « son filet », le commentaire dit « son épée » si bien qu'au lieu de « il vide son filei », le sens devient « il tire son épée ». La leçon (( son épée » est supposéé aussi dans le commentaire qui suit. Elle trouve un léger appui dàns les anciennes versions et certains érudits l'ont proposée comme correction du texte. Pour Elliger,la référence à un égorgement sans merci à la fin du verset confirme cette leçon. une des variantes les plus curieuses dans le commentaire d, Habacuc est attribué par van der Ploeg à une simple confusion de lettres voisines. Dans Habacuc 2:5 le texte massorétique dit : >. Torrey insiste sur l'hypothèse selon laquelle la leçon originale était : « La Grèce est traître ». Le commentaire contient une troisième leçon : >. En hébreu, re mot qui signifie vin est hyyn, le mot qui signifie Grèce est hywn (avec I'emploi de l,article dafini dans les deux cas), tandis que le mot qui signifie richesse (sans article défini) est hwn. La leçon ce qu'Habacuc luimême a écrit ou a dit est, bien entendu, une autre affaire; il n'y a pas de raison spéciale pour supposer que c,était richesses. ^ Dans la leçon du commentaire d'Habacuc 2:15 > au lieu de >, il s'agit de choiJir entre d et r, les deux lettres le plus fréquemment interverties dans les manuscrits hébreux. Ici de nouveau, la variante est présupposée par I'interprétation qui suit. Peut-être existait-elle déjà dans Ë manuicrit d,Ha^bacuc ses

283

LES MANUSCRITS DE, LA MER MORTE utilisé par l'auteur du Commentaire : peut-être ce manuscrit était-il écrit en caractères oir Ie detT'r ne se distinguaient pas nettement. Dans ce dernier cas, la signification de l'événement dont le Commentalre saisit un reflet dans le texte, peut l'avoir porté inconsciemment à lire devant « il les traîne >> dans Habacuc 1:15 n'est pas importante, mais vaut d'être notée car c'est un cas otr le Commenlaire s'àccorde avec la Septante contre le texte massorétique. Dans l'.17, le texte massorétique commence pas une particule interrogative; les autres versions, à l'exception du Targum, n'indiquent pas àe question et plusieurs érudits modernes ont corrigé le texte dans ce sens^ afin d'y lire une amrmation ; le Commentaire d'Habacuc met la particule inierrogative. D'autres menues divergences avec le texte traditionnel ont au moins quelque appui dans les versions. Dans Habacuc 2:16, une variante appuie une correction très simple à laquelle inclinent plusieurs érudits modernes et que confirment les versiôns. Oir le texté massorétique se lit >, le Commentaire porte « Bois et chancelle ». Les deux verbes hébreux ne diffèrent que par I'ordre de deux consonnes. Le commentaire du verset contient un mot dont la racine est la même que (< n'être pas circoncis >>, ce qui suggère que le commentateur a basé ici son interprétation sur la même leçon que les Massorètes. On pourrait supposer qu'u, copiste s'est trompé, sôit dans ce manuscrit, soit dans une copie antérieure faite après la composition du Commentaire; mais, comme la variante concoràe mieux avec le contexte et que les versions la confirment, on peut lui attribuer une base plus substantielle. Il est donc possible que ce soit ici la leçon massorétique qui résulte d'une erreur de copie. Dani la phrase familière d'Habacuc 2:3 : >, le Commentaire appuie le texte massorétique contre que recommandent vivement plusieurs érudits moder,rr" Ginsberg, par exemple, affirme qu'au lieu de I'adverbe (( encore », nes. "o.t"ction le texte originai porte lê substantif « témoin >>. La phrase signifierait alors : « Càr la vision est un témoin pour le terme fixé » (c'est-à-dire une preuve de la certitude que la fin se produira); dans un texte consonantique sans indications de voyelles, les deux mots seraient le même; mais le Commentaire d'Habacuc, en insérant une voyelle, appuie de façon indiscutable la leçon massorétique (( encore ». Ce n'est pas une p.ê.,ue que la leçon originale n'était pas (( témoin >>, mais simplement que l'erreur, s'il y en a une, était ancienne. De toutes ces variantes, van der Ploeg conclut que le Commentaire représente une tradition tout à fait différente de toutes celles qu'offrent >>

CRI

IIQUE DES TEXTES

les versions ou la recension massorétique. Avec les exceptions que nous

avons notées, les versions confirment le texte massorétique là oir le Commentaire en diffère. Comme les deux rouleaux d'Isaie, Ie Commentaire d'Habacuc conserve une forme populaire du texte. Après un examen minutieux des variantes, Elliger conclut que le Commentaire a fort peu de valeur pour la restitution d'un texte plus correct; ce dont

il

témoigne en général, c'est que la recension massorétique est ancienne

et relativement digne de confiance. Les difficultés essentielles dans le texte d'Habacuc demeurent, car elles résultent de la corruption de ce texte intervenue avant l'époque oir fut écrit le Commentaire. Pour les autres livres de la Bible, on n'a pas découvert de rouleaux étendus comparables à ceux qui furent trouvés en 1947; mais les fragments innombrables découverts dans les grottes contiennent des passages de presque tous les livres appartenant à I'Ancien Testament. Même quand ne se trouve préservée qu'une très petite portion d'un livre, il arrive qu'elle fournisse un témoignage intéressant touchant le texte. Frank Cross Junior fait remarquer que le grand nombre de fragments sortis des grottes offre des échantillons de plusieurs types textuels différents. Le fait que tant de livres soient représentés permet de constituer une sorte de grille pour le déchiffrement de tout I'Ancien Testament, plus importante à certains égards pour la critique de textes que ne le seraient des manuscrits entiers d'un ou deux livres seulement. Parmi les fragments retrouvés dans la première grotte, peut-être au cours de I'opération illicite de 1948, quelques-uns proviennent du livre de Daniel et comprennent le passage du deuxième chapitreoirl'hébreu est brusquement remplacé par I'araméen. Ce changement apparaît dans I'ancien manuscrit exactement comme dans le texte standard. Les fragments du Lévitique transcrits en écriture hébraïque ancienne qu'on a retrouvés dans la première grotte en 1948, nous donnent, remarque Birnbaum, le témoignage le plus ancien que nous possédions pour le texte d'une partie quelconque de la Bible; d'oir I'importance présentée par leur accord à peu près complet avec le texte massorétique du Lévitique. De nombreux fragments, et en qualité vraiment étonnante, proviennent de la grotte IV. Muilenburg a publié les fragments d'un rouleau admirablement écrit de l'Ecclésiaste. Ce rouleau, copié aux environs de 150 avant J.-C., semble différer du texte massorétique dans les mêmes proportions et de la même façon que le rouleau de Saint-Marc qui en est à peu près contemporain. Bien d'autres fragments sortis de cette grotte offrent un tableau tout différent. Mgr Patrick Skehan, travaillant au Musée palestinien sur les fragments provenant de la

grotte IV, en trouva un qui contenait un petit passage du huitième

verset du Deutéronome 32, comportant le premier exemple sur un manuscrit hébreu de la leçon > directs aux livres de la communauté par les auteurs du Nouveau Testament est une simple question de fait historique. Pourquoi l'ÉgHse n'aurait-elle pas adopté et conservé les sentiments et les idées qu'elle considérait comme authentiques et valables, de même qu'elle a indiscutablement adopté quelques-unes des formes de l'adoration pratiquée à la Synagogue et qu'elle s'est même plus tard approprié des éléments païens? Les Chrétiens n'ont jamais hésité à reconnaître que Jean-Baptiste a influencé l'Église primitive. 292

JUDAISME ET CHRISTIANISME En fait, Dupont-Sommer parle de préparation plutôt que d'antiemploie des mots comme réincarnation et emprunt. cipation, quoiqu'il ^directe de la secte de Qumrân sur l'Église primitive se Uïe influénce révèlera sans doute moins probable que des développements parallèles au sein de la même situation d'ensemble. La question qui se pose ici est celle qui se posait quand nous avons essayé d'expliquer les analogies entre le judaisme et le mazdéisme ou même entre le christianisme et les cultes païens de mystères. On ne devrait pas s'étonner de trouver des analogies étroites de langue et de pensée entre 1'Église primitive et la communauté de Qumrân. Jésus fut baptisé par Jean-Baptiste dans le Jourdain au moment oir la communauté florissait à quelques milles de là. Plusieurs érudits ont suggéré que Jean-Baptiste était un Essénien : Brownlee suggère que des Esséniens ont pu adopter Jean encore enfant, selon la coutume dont parle Josèphe. En dehors de l'identification hypothétique des Esséniens et des (( sectaires » de Qumrân, il existe certainement sur plusieurs points une ressemblance entre les idées de Jean et celles qu'expriment les Rouleaux de la mer Morte. Comme les , il s'était voué à la tâche de préparer dans le désert [a venue du Seigneur. Son baptême de repentir peut avoir un rapport historique avec le bain rituel de la secte de Qumrân et, comme le Manuel de Dist:ipline, il insiste sur l'idée que, sans une purification spirituelle, l'immersion ne suffit pas à délivrer du

péché.

On a décelé des

ressemblances entre l'attente messianique de Jean

et celle des Rouleaux de la mer Morte. La prophétie de Jean, selon laquelle celui qui viendrait après lui exécuterait le jugement par le feu,

esf en quelque façon parente de I'idée mazdéenne d'une conflagration finale dans laquelle les montagnes fondront et tomberont sur la terre comme un fleuve. Or cette idée est présentée avec force dans I'un des Psaumes d'Action de Grâces oir sous > flamberont et se consumeront les fondements mêmes des montagnes. La Conception d'un baptême messianique par le Saint-Esprit se rencontre aussi

dans les rouleaux.

La prédiction du Manuel de Discipline affirmant

que à la fin de cet âge Dieu purifiera l'homme en l'inondant de l'esprit de vérité, rappelle la proclamation de Jean d'après laquelle le Messie baptisera son peuple avec le Saint-Esprit. On a avancé que le mouvement de Jean a trouvé ses origines au sein du sacerdoce et S'en est séparé plus tard, comme fit sans doute la communauté de Qumrân. De nombreuses autres analogies, plus ou moins frappantes, ont été signalées. On a même suggéré que Jean, avant

d'avoir transféré son espoir sur Jésus, a pu se croire le maître de justice revenu Sur la terre. Cependant Jean, contrairenlent aux Esséniens ou aux >, S'adressait à tout le peuple. Uhe autre différence notable entre ce que nous Savons de lui et le contenu des Rouleaux de 293

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE la mer Morte, c'est que nous n'avons aucun témoignage d,un

lien entre les disciples de Jean qui corresponde à la forte organisation de

la communauté. A ce sujet, il faut dire que, si Jean-Baptiste avait jamais été un

il

Essé-

avait dû quitter la secte et se vouer à un ministère prophétique indépendant. La chose n'est pas impossible, mais le rapport entre Jean et les Esséniens n'est pas assez étroit pour rendre cette attitude très probable. Par contre, il est très vraisemblable que Jean connaissait la communauté de Qumrân. Le mouvement religieux dont il fut l'initiateur exprimait certainement aussi la tendance générale du judaisme qui a engendré cette secte et d'autres dans la période qui a immédiament précédé et suivi les débuts de l'ère chrétienne. Ce n'est pas seulement Jean-Baptiste, mais Jésus lui-même, en qui l'on a quelquefois vu un Essénien. cette hypothèse est hors de question, comme le reconnaissent aujourd'hui tous les historiens compétents. sur un certain nombre de points néanmoins, les Rouleaux de la mer Morte, qu'il s'agisse de langue ou d'idées, offrent des ressemblances surprenantes avec ce que le Nouveau Testament rapporte sur Jésus. Dupont-sommer, après avoir lu le commentaire d'Habacuc, déclara que Jésus semblait (( une réincarnation étonnante du maître de justice ». comme Jésus, le maître de justice était pour ses disciples l'élu de Dieu, le Messie, le Rédempteur du monde. Tant le maître de justice que Jésus eurent contre eux I'opposition du parti sacerdotal, les Sadducéens. Tous deux furent condamnés et mis à mortl tous deux proclamèrent le jugement sur Jérusalem; tous deux établirent des communautés dont les membres attendaient qu'il revînt et jugeât le monde. nien,

De nombreux érudits ont souligné que f interprétation faite par Dupont-Sommer du commentaire d'Habacuc établissait avec la foi et la pratique chrétiennes des parallèles dont le détail ne pouvait toujours être soutenu par une exégèse précise. Ainsi, son affirmation selon laquelle le maître de justice était l'élu de Dieu et le Messie n'est pas confirmé dans le détail par le texte du commentaire ou par les auires rouleaux. Comme nous l'avons vu, le mot > se réfère probablement à la communauté et il n'est pas démontré que le maître de justice était considéré comme le Messie ou le Rédempteur du monde. Il n'y a rien de particulier ou de nouveau dans l'hostilité des prêtres à l'égard du maître de justice (ou dans son martyre, s'il est effectivement impliqué dans le commentaire d'Habacuc); et les premiers chrétiens pratiquaient des rites compa-

rables. Ce que-nous avons dit du baptême de Jean-Baptiste s'applique aussi bien à I'Eglise de Jérusalem, et les références du Manuel de Disci-

pline à la nécessité d'une purification par I'esprit de vérité nous rappellent I'insistance mise sur le don de I'Esprit dans l'Église apostolique. Les règles formulées dans les Rouleaux de la mer Morte pour les repas communautaires rappellent l'usage de , faisant entendre que 296

IUDAISME ET CHRISTIANISME des cas comme celui d'Ananias et Saphira n'étaient pas inconnus parmi les >. Ce châtiment toutefois était relativement bénin; exclusion du pour un an avec réduction d'un quart de la ration alimentaire au lieu de la peine de mort. Peut-être des fautes de ce genre étaient-elles plus fréquentes dans la secte de Qumrân que dans l'Église. Même les savants qui ont recherché avec le plus d'ardeur les parallèles entre les premiers chrétiens et les > ont reconnu I'existence d'aussi notables différences. L'Église ne constituait pas un groupe exclusif et ésotérique qui gardait jalousement des enseignements secrets. L'Évangile qui lui était donné devait être enseigné à toutes les nations. Entre l'Église et la secte de Qumrân, une des différences les plus marquées était relative à la vie et à l'organisation; c'était le statut des femmes, entièrement différent dans les deux communautés. Quelques-unes des doctrines théologiques les plus caractéristiques du Nouveau Testament trouvent des analogies dans les Rouleaux de la mer Morte. Ceci est d'une vérité frappante pour un bon nombre d'idées de Paul. Le « mystère de l'iniquité » dont il parle dans II Thessaloniciens 2:7 a été comparé avec le « mystère du mal » dans les Psaumes d'Action de Grâces. Le dualisme des Rouleaux de la mer Morte rappelle I'opposition de la chair et de l'esprit, du terrestre et du céleste dans les épîtres de Paul. Dans lI Corinthiens 6;14-75, Paul établit un

contraste aigu entre la justice et l'iniquité, la lumière et les tenèbres, Christ et Bélial. Le nom de Bélial, terme tout à fait particulier aux Rouleaux de la mer Morte, n'apparaît qu'ici dans le Nouveau Testament. On a suggéré que Paul utilise là un détail d'une tradition chrétienne primitive qui reflète les idées de la secte de Qumrân. La profonde défiance de Paul pour la justice humaine rappelle celle qui apparaît dans plusieurs des rouleaux. On a dégagé un parallèle important avec Romains 3:20 et Galates 2:16 dans le passage suivant Je sais que la justice n'appartient pas à un homme, « Ni à un fils de l'homme une conduite qui ne mérite pas le blâme;

L'idée que Dieu seul est juste et qu'à ses yeux aucun homme ne peut prétendre au mérite apparaît déjà en termes similaires dans l'Ancien Testament, mais les > ne s'arrêtent pas là. Le psaume qui conclut le Manuel de Discipline exprime une idée voisine de l'idée paulinienne de justification par la justice de Dieu : > On a vu là un parallèle frappant avec Éphésiens 6:ll : « afin que vous soyez capables de tenir contre les ruses du diable >>. En réalité, les paroles contenues dans l'exhortation du grand prêtre sont fondées directement sur Deutéronome 20.:3, et ni les mots ni l'idée n'ont une relation profonde avec le verset de l'Epître aux Éphésiens. Le passage entier concernant > dans Éphésiens 6:11 et suivants est, jusque dans les expressions employées, profondément enraciné, a-t-on prétendu, dans la tradition des Rouleaux de la mer Morte. Mais I'idée de base de quelques-uns des détails de ces versets s'inspire d'Isaïe (59l.17) qui évidemment était familier aux auteurs des Rouleaux de la mer Morte. Les >, 299

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE d'Éphésiens 6:16, ont un parallèle dans un des Hymnes d'Action de Grâces; mais le contexte montre ici que le poète du psaume ne voyait pas des dards enflammés, mais des lances- resplendissantes au soleil. ll est vrai d'ailleurs que ce passage des Ephésiens contient des idées

et des termes qu'on rencontre dans les Rouleaux de la mer Morte.

Les contacts entre les rouleaux et l'Épître aux Hébrez,r, sur lesquels plusieurs érudits attirent l'attention, consistent moins en analogies verbales qu'en points de vue de base. L'auteur de l'épître montre de l'intérêt pour les lois rituelles du Pentateuque, mais les regarde comme temporaires, préfigurant le sacrifice effectif et final du Christ, ministre d'une nouvelle et meilleure Alliance. Les sectaires, nous l'avons vu,

n'avaient pas f idée d'une rédemption divine qui remplacerait le système sacrificiel de I'ancienne Alliance; ils se considéraient déjà comme les bénéficiaires d'une nouvelle Alliance et employaient la langue du culte sacrificiel dans un sens figuré. Si la « congrégation des fils du ciel >>, , ainsi dit Jean 3:19-27 : en particulier, plutôt que par le judaïsme en général, ait conduit I'auteur

du quatrième évangile à marquer la supériorité du Christ sur la loi

de Moïse. Il me paraît improbable que l'évangéliste eût dans l'esprit le maître de justice en écrivant que Nicodème s'adressa à Jésus comme à un > et que les autres le saluèrent comme >. On a identifié ou imaginé d'autres idées messianiques qu'auraient partagées l'évangéliste et les auteurs des rouleaux; mais la plupart de ces indications sont fondées sur des inférences très douteuses tirées de passages obscurs des textes. Aussi peu convaincante à mes yeux 304

JUDAISME ET CHRISTIANISME est la suggestion selon laquelle le souci du calendrier religieux manifesté par les > suggère la liaison soulignée par le quatrième évangile entre les miracles ou les discours de Jésus et les fêtes juives. Les paroles de Jésus à Nicodème « si un homme ne naît d'eau et d'esprit... >> ont pu tendre à condamner la confiance en le baptême et les ablutions, mais la secte de Qumrân n'était pas la seule à pratiquer ces rites.

Même les parallèles les plus frappants entre la littérautre johannique et les Rouleaux de la mer Morte n'ont rien d'absolument particulier. Quelques-uns des traits les plus caractéristiques des deux groupes d'écrits s'inspirent d'un courant plus large, qui est le courant général de l'influence iranienne sur le judal§me et lés autres religions de-l'Asie occidentale. on peut dire pourtant sans exagérer que l'évangile de Jean, ses épîtres et les Rouleaux de la mer Morte sont un reflet du même milieu, celui du judaïsme des sectes. Les rouleaux montrent ainsi, ce qu'on n'a pas toujours reconnu, qu'il est inutile de rechercher hors du judaisme palestinien le sol oir a grandi la théologie johannique. Quelques érudits prétendent que le lien a dû être beaucoup plus étroit. L'auteur du quatrième évangile, dit l'un d'eux, a dû être quelque temps membre, sinon chef, de la communauté de Qumrân. Le lien entre l'évangéliste et la communauté, dit un autre, doit avoir été JeanBaptiste et ses disciples : I'évangéliste, que la tradition rattache à Ephèse, aurait pu connaître à Éphèse les disciples de Jean-Baptiste, dbnt ii est question dans [e dix-neuvième chapitre des Actes; ou peut-être l'évangéliste était-il lui-même ce disciple anonyme de Jean-Baptiste qui, selon Jean I :35-40, suivit Jésus. Un autre encore propose l'idée que les membres de la communauté de Qumrân se sont réfugiés en Syrie à l'époque de la révolte juive contre Rome; les doctrines qu'ils y auraient répandues par la parole auraient pu de cette façon atteindre l'évangéliste. Toutes ces idées valent d'être'mentionnées parce qu'elles illustrent au moins I'impulsion que les Rouleaux de la mer Morte ont donné à I'imagination des érudits. Elles sont toujours légitimes et louables, à la condition que les théories qui en résultent soient soumises à une critique sereine et que de vagues possibilités ne soient pas confondues avec des certitudes ou des probabilités. En général il est très concevable,

quoique difficilement démontrable, que l'évangéliste ait été conduit à une appréciation et une formulation nouvelle de sa foi à la suite d'un contact avec cette secte juive ou une autre similaire. Des conclusions lointaines au sujet de la date et de la valeur his-

torique de l'Évangile de Jean ont été tirées de ses affinités avec les Rouleaux de la mer Morte. Il faut, prétend-on, exclure une date récente parce que l'évangéliste doit avoir connu personnêllement la communauté de Qumrân qui fut détruite et dispersée en 70 après J.-C. Les connexions possibles avec la Syrie ou Éphèse, que nous venons de mentionner, 305

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE montrent que I'argument n'est pas concluant. On a cru voir que les Rouleaux de la mer Morte confirment I'exactitude historique des renseignements donnés sur Jean-Baptiste dans le quatrième évangile : mais l'argument repose sur une interprétation discutable des textes. Les livres que nous avons mentionnés ne sont pas les seules parties du Nouveau Testament oir I'on retrouve un écho de la langue et des idées des Rouleaux de la mer Morte. Les références fréquentes à >, dans l'Apocalypse de Jean, rappellent l'usage fait de cette expression dans le Manuel de Discipline. Lex trois premiers chapitres de l'Apocalypse portent les traces d'un acrostiche sur le mot (( amen )) comme celui qui a été découvert dans la dixième colonne du Manuel de Discipline. Un passage particulièrement obscur des Hymnes d'Action de Grâces a récemment été interprété comme relatif à la naissance du Messie, dont la mère est la communauté elle-même, comparée à une femme dans le travail de l'accouchement.'Dans l'Apocalypse 12:l-6, il est parlé mystérieusement d'une femme dans le ciel dont naît >. Outre les parallèles spécifiques entre certains livres du Nouveau Testament et les Rouleaux de la mer Morte, on peut signaler quelques points de contact de valeur plus générale avec le Nouveau Testament dans son ensemble. L'attitude des >. En général,les idées de Jésus et des auteurs du Nouveau Testament touchant f interprétation de la Bible coïncidaient avec celles qui prévalaient alors dans le judaïsme; quelques-unes d'entre elles cependant semblent plus caractéristiques de certains groupes, comme les > que du judaïsme dans son ensemble. En même temps que le contenu théologique du Nouveau Testament, le vocabulaire dans lequel sont exprimées ses doctrines est abondamment illustré par les textes de Qumrân. Ce que les mots employés par 306

JUDAISME ET CHRISTIANISME ou leurs lecteurs, I'emploi fait des mêmes mots dans la littérature juive contemporaine nous aide à le comprendre. Sur ce point, les Rouleaux de la mer Morte enrichissent de façon substantielle le matériel dont nous disposons. Dans les évangiles en particulier, la langue araméenne, dont usent Jésus et les apôtres signifiaient pour leurs auditeurs

et les premiers disciples, sous-tend exactement le texte grec. Ici surtout, mais aussi dans le reste du Nouveau Testament, les associations éveillées- par ces mots pour ceux qui les premiers entendirent et prêchèrent l'Evangile, s'éclairent lorsque nous lisons la littérature Jésus

de leurs contemporains, les > de Qumrân. Les formes littéraires de composition utilisées dans le Nouveau Testament rappellent, aussi bien que les idées théologiques et le vocabulaire, celles que nous trouvons dans les Rouleaux de la mer Morte. Les cantiques des deux premiers chapitres de l'évangile de Luc, qui ont probablement d'abord été composés en hébreu, rappellent à certains égards Les Hymnes d'Action de Grôces, quoiqu'on n'y rencontre pas les allusions obscures, peut-être délibérément mystérieuses, qui abondent dans ceux-ci. Dans Colossiens l:12-14, les érudits découvrent une citation d'un hymne chrétien primitif oir I'on décèle des analogies de style et de forme comme de pensée avec les Hymnes d'Actionde Grâces.Les exhortations dans les épîtres du Nouveau Testament sont comparables à celles du Manuel de Discipline eL du Document de Damas; pourtant ici les parallèles relevés dans la littérature grecque sont plus étroits. Tous ces parallèles, tous ces contacts, et beaucoup d'autres qu'on y peut ajouter ont de l'importance pour l'étude du Nouveau Testament. Ils ne perdent pas leur intérêt du fait que certains érudits ont exagéré cette importance. Il n'est pas nécessaire de supposer que certains rédacteurs du Nouveau Testament ont justement entendu parler de la secte particulière qui a produit les Rouleaux de la mer Morte; je ne vois

d'ailleurs pas de preuve évidente pour le croire. Comment se fait-il que ni les > ni les Esséniens ne soient mentionnés nulle part dans le Nouveau Testament, qui pourtant n'hésite à nommer ni les Pharisiens et les Sadducéens ni les disciples de Jean-Baptiste? Pour ma part, je vais plus loin et je dois confesser qu'après sept ans d'étude consacrées aux Rouleaux de la mer Morte, ma façon de comprendre le Nouveau Testament ne s'en trouve pas substantiellement affectée. Son cadre juif m'apparaît plus clairement et je le comprends mieux; mais sa signification n'a pas changé et ne s'est pas éclaircie de façon notoire. Peut-être ne suis-je pas capable de voir ce qui est sous mes yeux. Malgré la meilleure volonté, je n'ai parfois, en visitant des fouilles archéologiques, pas distingué ce que me signalaient ceux qui les dirigeaient. Il est vrai qu'un æil exercé découvre souvent ce qui est invisible au non-initié. Il est vrai aussi que les savants, étant des hommes, ne font pas toujours la différence entre la perception

de l'initié et l'imagination non critique. 307

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE Mais pourquoi attendre des découvertes sensationnelles ? Ne suffit-il pas que nous interprétions désormais le Nouveau Testament avec une certitude plus grande de le bien comprendre, parce que nous connaissons mieux le cadre intellectuel et spirituel au milieu duquel il fut écrit? Et, connaissant plus complètement le monde dans lequel est né l'Evangile, sa piété profonde, ses hautes espérances comme ses aberrations pathétiques, nous nous représentons mieux ce que I'Évangile a apporté à ce monde. Le plus grand service peut-être que nous puissent rendre les Rouleaux de la mer Morte est de nous permettre d'apprécier davantage, par contraste, notre Bible à nous. Les rapports entre les Rouleaux de la mer Morte et les écrits chrétiens post-apostoliques offrent à l'étude un champ fertile. Un des Dominicains français de Jérusalem, le P. Audet, a étudié les analogies qu'on relève entre le Manuel de Discipline et l'exposé des , malgré de grandes différences de détails. Pour lui, la liaison est si étroite que I'auteur des « Deux Voies » doit avoir été membre de la communauté de Qumrân ou tout au moins l'avoir connue; en tout cas, l'enseignement moral du Manuel de Discï pline doit avoir été répandu au début de l'ère chrétienne. Le même savant aperçoit aussi entre le Manuel de Discipline et le Pasteur d'Hermas une relation si étroite qu'elle suggère qu'Flermas remonte de la littérature chrétienne apocryphe jusqu'aux idées exposées dans le Manuel de Discï pline. tl y a là un champ d'études qui attend de nouvelles recherches. >>

Gonclusion

Visiblement, il reste beaucoup à faire dans I'investigation des Rouleaux de la mer Morte. L'étude exhaustive qui est nécessaire demandera de longues années et exigera l'effort de nombreux chercheurs. Avant que les conclusions finales soient tirées, il faudra classer tous les textes, les déchiffrer, les publier. Néanmoins, sans attendre cette époque, des résultats nombreux sont déjà atteints. La et des Esséniens est dans une large mesure une question de définition. Si les >

315

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE VI. Les prêtres sont les captifs d'Israël qui sont partis du pays de

les^Lévites sont ceux qui se joignirent à eux, et les fils de Sadoq sànt ies élus d'Israël, ceux qu il a appelés par leur nom qui demeureront à la fin des jours. Voiia l'explication de leurs noms selon leurs

fuda,

J

de leurs épreuÈene.utio"s et la duree de leurs fonctions et le nombre æuvres, à euX ies et les années de leur séjour et l'explication de leurs t"r pr.-i.rs saints à qui Dieu a pardonné et qui ont justifié le juste et I'impie. Tous ceux qui les suivront devront agir selon I'inter"o"àà-"e laqueile leurs ancêtres furent instruits jusqu'à ;;èàii;; de la loi dans péiiode de ces années. Selon l'alliance conclue la q"" accomplie soit ô, pour le pardon de leurs.péchés, ainsi Dieu ;;r ôigu avèc teuis.ancêtres ["or pu.Oonnera. Quand cettè période sera accomplie selon le nombre mais Oe ces années, ils Àe devront plus se rallier à la maison de Juda, chacun devra se tenir sur sa tour de guet. La muraille a été bâtie, le décret est reculé.

Et durant toutes ces années, Bélial sera lâché en Israël; ainsi Dieu u pu.fè par le prophète IsaÏe, fi]s d'Amos, disant : sont leurs toiles et les sont leurs æufs. Celui qui est près d'eux ne restera pas innocent; plus il s'en approche, plus il bera tenu pour coupahle, à moins qu'on ne l'ait forcé. Màis depuis longtemps Dieu a pum leurs æuvres et sa colère s'est allumée à cause,de leurs agissements. Car , car il n'y a pas de discernement en eux. Car jadis par le prince de lumière se sont levés Moïse et Aaron, et Bélial dans sa malice suscita Jannes et son frère quand Israël fut délivré pour la première fois.

VI[. Pendant le période de la destruction du pays s'élevèrent ceux qui déplaçaient les limites et ils égarèrent IsraëI. Et le pays fut désolé parce qu'ils prèchaient la rébellion contre les commandements de Dieu donnés par Moïse et aussi par les oints sacrés; et eux prophétisèrent des mensonges pour détourner Israël de Dieu. Mais Dieu se rappela l'alliance conclue avec les anciens et il fit surgir d'Aaron des hommes intelligents et d'lsraël des hommes sages. Et il les fit écouter sa voix et ils creusèrent le puits. « Un puits que les princes creusèrent, que les nobles du peuple forèrent avec le bâton de commandement. » Le puits est la loi, ceux qui I'ont creusé sont la

captivité d'Israël qui sortit du pays de Juda et séjourna au pays de Damas, eux tous, Dieu les nomma princes parce qu'ils l'ont cherché et leur gloire n'a été rejetée par Ia bouche de personne. Et le bâton (ou législateur) est celui qui étudie la loi comme dit Isaïe : Et tel est le jugement de la captivité d'Israël; ils se sont détournés de

la voie du peuple. L'amour de Dieu pour les ancêtres qui avaient incité à le suivre (Ms. B : qui avaient témoigné contre le peuple vers Dieu), il I'a éprouvé pour ceux qui sont venus après eux, car l'alliance des pères leur appartient. Mais; dans sa haine pour les bâtisseurs de murailles (Ms. B : mais Dieu hait et abhorre les bâtisseurs de murailles), sa colère s'est allumée. (Ms. B : contre eux et contre tous ceux qui les suivent). Et voici comment sera jugé tout homme qui rejette les commandemants de Dieu et les abandonne et se détourne dans l'endurcissement de son cæur. C'est la parole de Jérémie à Baruch fils de Nériah et d'Élisée à son serviteur Gihézi. Tous les hommes qui sont entrés dans la nouvelle alliance au pays de Damas (Ms. B : mais qui se sont détournés), 319

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE ont agi traîtreusement et se sont écartés du puits d'eau vive, ne seront plus comptés dans l'assemblée du peuple et dans son registre ne seront pas inscrits, depuis le jour de la réunion du maître unique jusqu'à ce que surgisse un Messie d'Aaron et d'IsraëI. Ainsi sera jugée quiconque entre dans la congrégation des hommes de parfaite sainteté; et il déteste pratiquer les préceptes des justes; il est celui qui se consume dans la fournaise. Quand ses æuvres seront connues, il sera exclu de la congrégation comme un homme que le destin n'a pas fixé au milieu des disciples de Dieu. Pour ses fautes, les hommes de savoir le repousseront jusqu'au jour oir il rentrera dans I'assemblée des homme de parfaite sainteté. Et quand ses æuvres seront connues, selon l'interprétation de la loi que suivent les hommes de parfaite sainteté, nul ne devra s'associer à lui pour le gain ou pour le travail, car tous les saints du Très-Haut I'ont maudit. Et ainsi sera jugé quiconque fait fi des choses anciennes et des choses nouvelles, ceux qui placent des idoles dans leur cæur et marchent dans I'obstination de leur cæur. Il n'y a pas de part pour eux dans la maison de la loi. Comme ont été jugés leurs compagnons qui se sont détournés avec les hommes de moquerie, ils seront jugés eux-mêmes, car ils ont parlé mensongèrement contre les ordonnances de justice et rejeté la ferme alliance conclue au pays de Damas, c'est-à-dire la nouvelle alliance.

Et ni eux ni leurs familles n'auront de part dans la maison de la loi. Du jour de la réunion du maître inuque jusqu'à I'anéantissement des hommes de guerre qui retournèrent avec I'homme du mensonge, iI y aura environ quarante ans, et dans cette période la colère de Dieu s'allumera contre IsraëI, comme il est dit : > Ceux qui se sont repentis des manquements de Jacob ont gardé l'alliance de Dieu. Alors chacun parlera à son prochain pour qu'ils se fortifient l'un I'autre afin que leurs pas soient fermes sur la voie de Dieu. Et Dieu écoutera leurs paroles et les entendra et un livre de mémoire sera écrit devant lui pour ceux qui craignent Dieu et honorent son nom jusqu'à ce que le salut et la justice se révèlent à ceux qui craignent Dieu. Alors

vous distinguerez de nouveau le juste de l'impie, celui qui sert Dieu de celui qui ne le sert pas. Et il se montrera bon envers des milliers, envers ceux qui l'aiment et gardent ses cor4mandements, pour mille générations, càmme a fait la maison de Peleg Qui sortit de la^cité sainte et s'appuya sur Dieu pendant la période oir Israël était infidèle et profanait le sanctuaire; mais eux se sont tournés vers Dieu. Et il châtia le peuple en peu de mots. Tous, chacun selon son esprit, seront jugés en son saint conseil. Et tous ceux qui ont fait une brèche dans les limites de la loi parmi ceux qui sont entrés dans I'alliance, quand la gloire de Dieu apparaitra à IsraëI, ils seront retranchés du milieu du camp et avec eux tous ceux qui ont entraîné au mal Juda aux jours de ses épreuves. 320

DOCUMENT DE DAMAS Mais tous ceux qui se sont tenus fermes à ces ordonnances, dont les entrées et les sorties ont été conformes à la loi et qui écoutent la voix d'un maître et confessent devant Dieu : «< Nous avons péché, nous

avons agi avec perversité, nous et nos pères, en marchant contre les commandements de I'alliance; justes et vrais sont tes jugements contre nous; )) tous ceux qui ne lèvent pas la main contre ses saints commandements, ses justes jugements et ses véridiques témoignages, qui sont instruits dans les préceptes anciens selon lesquels furent jugés les hommes de la communauté, qui prêtent l'oreille à la voix d'un maître de justice et ne rejettent pas les justes ordonnances quand ils les enten-

dent, ils se réjouiront dans I'allégresse, leurs cæurs seront fortifiés

et ils prévaudront sur tous les autres hommes, et Dieu leur pardonnera et ils verront son salut parce qu'ils ont cherché refuge en son saint nom.

Règles de

la

communauté

X. Tout homme qui

consacre ce qui appartient au camp, suivant mort : quant à ce qui est dit : >, quiconque parmi ceux qui entrent dans l'alliance porte une accusation contre son prochain sans l'avoir d'abord réprimandé

les règlements des gentils sera mis à

devant témoins, et qui I'accuse dans I'ardeur de la colère, et qui le dénonce à ses anciens pour l'humilier, se venge et garde rancune; mais

est simplement écrit : > Si I'homme se tait jour après jour et que, dans l'ardeur de la colère, il accuse I'autre d'un acte qui mérite la mort, il lui a fait tort, parce qu'il n'a pas obéi au commandement de Dieu : devra avoir de trente à soixante ans, être instruit dans le livre HGW, et dans toutes les prescriptions de la loi pour leur parler comme il convient. Et le surintendant

qui dirige tous les camps devra avoir de trente à cinquante ans, connaître tous les secrets humains et toutes les langues selon leur nombre. Suivant ses décisioïs, ceux qui entrent dans la congrégation entreront chacun à son tour. Tout sujet sur lequel un homme aura à parler, qu'il en parle au surintendant qu'il s'agisse d'un conflit ou d'une décision.

XVIII. Et voici la règle des > pour le règlement de tdutes leurs affaires. Le salaire de deux jours par mois au moins et ils le pour verseront dans lês mains du surintendant et les juges en useront l'orphelin, et ils soutiendront le pauvre et le nécessiteux, et le vieillard près de mourir, et le voyageur, et le captif chez un peuple étranger et la vierge qui n'a pas de racheteur et I'esclave pour qui nul ne cherche

::i:::ii::: fi:î:iiTt XIX. Qu'on ne jure ni par aleph et

lamed

ni par aleph et

daleth.

Celui qui jure et viole son serment, il profane le Nom. Celui qui a juré par les malédictions de l'alliance devant les juges, s'il a violé son serment il est coupable; il doit se confesser et faire réparation, ainsi il ne se chargera pas d'un péché et ne mourra pas. Les fils de ceux qui entrent dans I'alliance de tout Israël pour une disposition éternelle, quand ils auront l'âge de passer parmi ceux qui sont enrôlés, ils seront tenus par le serment de I'alliance. Et voilà la règle pour toute la période de la perversité pour chacun de ceux qui se détournent de leur voie de corruption. Le jour oùr il 325

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE aura parlé avec le surintendant des >

Il

est redoutable et teruible; de lui-même procède son pouvoir et Kittîm, crainte et effroi de tous les peuples. Et leur plan délibérÉ "est de faire le mal, et avec ruse et tromperie ils

sa grandeur. Ceci désigne les

en agissênt envers toüs tes peuples. (8) ,Ses chevaux sont plus rapides que les léopards et plus farouches que les loups du soir. Ses cavaliers avancent fièrement, ils se déploient; de loin ils volent comme le vautour pressé de dévorer. Tous viennent pour la violence; l'aspect de leurs visages est comme un ÿent d'est. Ceci désigne les Kittîm qui foulent la terre avec leurs chevaux et leurs animaux, et ils viennent de loin, des rivages de la mer, pour dévorer tous les peuples comme un vautour sans se rassasier. Et avec fureur et emportement, avec une colère brûlante et un courroux impitoyable ils traitent tous les peuples. Car il est dit : >

(10) 1/ se moque des rois et les chefs sont l'objet de sa risée. Cela signi-

fie qu'ils raillent les puissants et méprisent les hommes respectables; ils

se rient des rois et des princes et se moquent de peuples nombreux. se rit de toutes les forteresses, il entasse la terre et la capture. Ceci désigne les chefs des Kittîm qui méprisent les forteresses des peuples et s'en rient avec dédain; et avec une multitude d'hommes ils les assiègent pour s'en emparer et dans I'effroi et la terreur elles tombent entre leurs mains. Et ils les détruisent à cause de I'iniquité de leurs habitants. (11) Alors le vent change et disparaît, et il fait de sa puissance son dieu. Ceci désigne les chefs des Kittîm, qui par la volonté d'une maison coupable se retirent l'un devant l'autre; leurs chefs arrivent l'un après l'autre pour dévaster la terre. Et il fait de sa puissance son dieu .' ceci signifie...

Il

(12) N'es-tu pos de toute éternité, ô Seigneur mon Dieu, mon Saint. Nous ne mourrons pas. O Seigneur, tu l'as ordonné pour le jugement, et toi ô Rocher, tu l'as établi pour le punir (13), ayant ,des yeux trop purs pour voir le mal; et tu ne peux regarder l'unjustice. Ces paroles signifient que Dieu ne détruira pas son peuple par la main des nations, mais qu'aux mains de son élu Dieu remettra le jugement de toutes les nations; et par leur châtiment tous les impies parmi son peuple seront punis; car ils ont gardé ses commandements dans leur détresse. Car lorsqu'il a dit ayant des yeux trop purs pour voir le mal, ceci signifie qu'ils n'ont pas obéi aux désirs impurs de leurs yeux au ternps de la perversion. Pourquoi regardes-tu

les perfides, mais gardes-tu le silence

328

COMMENTAIRE D'HABACUC quand l'impie dévore un homme plus juste que lu,;.Z ceci désigne la maison d'Absalon et les gens de son parti qui gaidèrent le silence devant le châtiment du maîtré de justice Ët rr" i'aià'èrent pas contre l,homme du. mensonge qui rejeta la loi au milieu de toutè leur congrégation. (14) Et tu as fait l'homme comme le poisson de ra mer, iomme les choses rampantes pour dominer sur eux. (15) Il les ramène tous avec un hameçon, les tire avec son filet; il les rassemble dans sa senne. c'est pourquoi il sacrifie à son rtlet; c'est pourquoi il se réjouit et exulte, et brûle de l'encens à sa senne, car grôce à eux sa portion est grasse et sa

nourriture opulente.

... les Kittîm, et ils rassemblent leur richesse avec tout leur butin comme les poissons de la mer. Et quant à ce qui est dit :

Et Dieu dit à Habacuc d'écrire les choses qui adviendraient à la dernière génération, mais il ne lui fit pas connaître la consommation des temps. Et quant à ce qu'il est dit que celui qui lira me lise couramment, ceci désigne le maître de justice à qui Dieu a révélé tous les mystèrei des paroles de ses serviteurs, les prophètes.

(3) car

de cette vision le temps est déjà fixé; elle ayonce vers son terme ne ment pas. Ceci signifie que la dernière période dépassera le terme fixé par les prophètes; car les mystères de Dieu sont merveilleux. ,si elle tarde, attends-la; car elle viendra sûrement;elle ne seraplus dffirée. ceci désigne les hommes de vérité, ceux qui pratiquent ^la loi," dont les mains ne se lassent pas du service de la vérité, quand la période dernière_s'allongera pour eux. car toutes les périodés àe Dieu pïrviendront à leur terme fixé, comme il en a décrété dans les mystèrès de sa e-t

sagesse.

(4) voici qu'elle est enflée, elle n'est pas droite en rui son âme. cela 329

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE signifie qu'ils doubleront sur eux le jugement; ils ne gagnent pas l'approjugés, car leurs âmes ne sont pas droites. Mais bàtion quand -vivra ils sont par sa foi. CeLa désigne tous ceux qui pratiquent la loi lé juste dans la maison de Juda que Dieu sauvera de la maison du jugement à cause de leurs épreuves et de leur foi en le maître de justice. (5) D'ailleurs la richesse est trompeuse, un homme arrogant et ne subsiste.pas. Son avidité est vaste comme le Shéol, et, comme la mort, il n'est jamais rassasié. Il rassemble autour de lui tous les peuples. (l) Tous ne le couyriront-ils pas de socarsme's, le moquant et le raillant et disant : > Et tous ceux qui entreront dans l'alliance doivent dire après ceux qui bénissent et ceux qui maudissent : Car tous ceux qui ne sont pas comptés dans

I'alliance de Dieu doivent être séparés avec tout ce qui leur appartient; et un homme saint ne doit pas s'appuyer sur des æuvres de vanité; car tous ceux sont vanité qui n'ont pas reconnu son alliance, et tous ceux qui méprisent sa parole, il les retranchera du monde, et toutes leurs æuvres ne sont pour lui que souillure; et tout est impureté dans leurs biens. Quand un homme entre dans l'alliance pour agir selon tous ces préceptes, pour être uni à la sainte communauté, on examinera son esprit en commun, distinguant entre un homme et son prochain selon son instruction et ses æuvres en ce qui concerne la loi ainsi qu'il est décidé par la majorité d'IsraëI, ceux qui se sont engagés volontairement à s'unir dans. son alliance. Ils seront inscrits dans l'ordre, I'un après l'autre, selon l'instruction et les ceuvres de chacun, afin qu'ils obéissent l'un à I'autre : I'inférieur au supérieur. Et ainsi, chaque année, leur esprit et leurs æuvres seront examinés afin de faire avancer chacun selon son instruction et la perfection de sa conduite ou de le faire reculer d'après ses fautes de façon qu'ils se réprimandent l'un l'autre dans la vérité et l'humilité et la charité bienveillante du prochain. Qu'on ne parle pas à son frère avec colère et ressentiment ou avec insolence et dureté et perversité; qu'on ne le haïsse pas dans la folie de son cæur. Au moment voulu, on le réprimandera et il ne portera plus sa faute; et un homme ne doit pas accuser son prochain devant les chefs sans I'avoir d'abord réprimandé devant témoins. Voici comment ils se conduiront dans toutes leurs demeures, I'un envers l'autre. L'inférieur obéira au supérieur en ce qui concerne les salaires et les biens. Ensemble ils mangeront, ensemble ils prieront, ensemble

ils prendront des résolutions.

Partout oir se trouveront dix hommes du conseil de la communauté, que ne manque pas parmi eux un prêtre. Chacun selon son rang, ils siégeront devant lui; et dans cet ordre ils seront consultés sur toute chose. Et quand ils préparéront la table pour manger, ou le vin pour boire, le prêtre étendra la main pour bénir les prémices du pain et du vin. Et du lieu où seront les dix ne devra pas être absent un homme qui scrute la loi jour et nuit, à tour de rôle, l'un après l'autre. Et les maîtres veilleront ensemble un tiers de chaque nuit pendant toute l'année pour lire le livre et chercher la justice et bénir Dieu en commun. Voici l'ordre pour les séances des maîtres, chacun ayant sa place. Les prêtres s'assiéront les premiers et les anciens les seconds; ensuite 341

LES MANUSCRITS DE LA MER MORTE tout le reste du peuple s'assiéra chacun à son rang. Et dans cet ordre on leur demandera leur avis concernant la justice et chaque sujet et

affaire présentés aux maîtres, afin que chacun donne son bpiniô, au conseil de la communauté. Personne ne devra interrompre lê discours d'un autre avant que son frère ait fini de parler. Et un hômme ne devra pas non plus parler avant le rang qui lui est assigné par écrit. celui qu'on interroge parlera à son tour; et dans la réuni,on des maîtres l'on ne doit prononcer aucune parole sans l'assentiment des maîtres. Et quand l'homme qui est l'inspecteur des maîtres ou n'importe quel autre a quelque chose à dire aux maîtres, mais n'est pas au rang de qui peut s'adresser au conseil de la communauté, il doit se mettre debout e_t dire :
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