Les Faux Monnayeurs

January 20, 2019 | Author: Velkov Nikola | Category: Philosophical Science, Science, Psychology & Cognitive Science
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Les Faux-monnayeurs

p ar André Gide, Gide, publié en 1925 Les Faux-monnayeurs est le titre d'un roman écrit par dans la Nouvelle Revue française (NRF). Alors que Gide a déjà écrit de nombreuses œuvres à cette époque, telles Les Caves du Vatican , il affirmera dans la dédicace à Roger Martin du Gard que c'est son "premier roman" (qualifiant ses publications antérieures de "récits" ou de "soties"). Cons Constr trui uitt avec avec minu minuti tie, e, ce roma romann multi multipl plie ie les les pers person onna nage ges, s, poin points ts de vues vues narratifs et intrigues secondaires diverses autour d'une histoire centrale. Par la liberté de l'écriture, la multiplicité des angles de vue et les ruptures dans la narration chronologique, Gide se détache de la tradition littéraire du roman linéaire. À travers le personnage d'Edouard, dans lequel il projette sa propre personne, il montre les limites de la prétention du roman à reproduire le monde réel et ouvre ainsi la voie à la recherche plus large d'une écriture créatrice. Ce roman aujourd'hui est considéré comme l'un des plus importants du XXe siècle siècle,, précurseur de mouvements littéraires à venir comme sera le Nouveau Roman. Par ailleurs, Gide illustre dans cette œuvre les idées sur l' homosexualité et la pédérastie qu'il théorise dans divers essais comme le Corydon . Résumé

Ce roman est difficile à résumer car les intrigues et personnages sont multiples et s'enchevètrent les uns les autres. Toutefois, il est possible de dégager une histoire centrale autour de trois personnages, et plusieurs intrigues secondaires qui en partent ou y reviennent. reviennent. Histoire centrale

L'histoire centrale est celle de trois personnages, deux jeunes garçons lycéens et un homme de 38 ans, durant les quelques mois d'un été et d'automne. Bernard, lycéen parisien de 17 ans sur le point de passer son bachot, tombe par hasard sur des lettres appartenant à sa mère et découvre qu'il est le fruit d'un amour interdit entre cette dernière et un amant de passage. Il en conçoit un profond mépris pour l'homme qui l'a pourtant élevé, mais qui n'est pas son père et qu'il pense alors n'avoir jamais aimé. Pourtant, Alberic Profitendieu, le père de Bernard, a malgré lui une préférence pour celui-ci. Après avoir laissé une lettre d'adieu très froide et très dure à son père, il décide de fuir la maison - mais ne sachant où passer sa première nuit, il se réfugie chez un de ses amis et camarade de classe, Olivier. Ce dernier est un garçon timide en manque d'affection, qu'il cherche à combler auprès de ses amis proches ou de son oncle Édouard dont il est amoureux - amour réciproque, mais que ni l'un ni l'autre ne parviennent à exprimer. Cependant, à la suite d'un concours de circonstances, Bernard se retrouve engagé par Edouard, qui exerce le métier d'écrivain, en tant que secrétaire et ils s'en vont tous deux pour un séjour dans les montagnes. Par dépit et jalousie, Olivier se laisse séduire par le comte de Passavant, écrivain à la mode, riche, dandy et pédéraste mais également cynique et manipulateur, qui 1

convoitait le garçon depuis un moment et profite de ses états d'âme pour se l'accaparer. L'influence du comte sur le garçon est pernicieuse : Olivier devient mauvais, brutal, détestable même aux yeux de ses meilleurs amis. Il finit par s'en rendre compte et sombre dans une dépression noire, sans savoir comment faire machine arrière. Au cours d'une soirée mondaine, il se saoule et se ridiculise devant tout le monde puis sombre dans une torpeur éthylique. Il est rattrapé et soigné par l'oncle Édouard, dans les bras duquel il achèvera la nuit. Au matin, il tente de se suicider, non pas par désespoir dira-t-il, mais au contraire parce qu'il a connu un tel bonheur cette nuit-là qu'il a senti n'avoir plus rien à attendre de la vie. Il finira par rester vivre chez son oncle, grâce à la bienveillance de sa mère qui devine bien les relations liant son frère à son fils, mais ne veut pas les détruire. Intrigues secondaires •









Autour de cette histoire centrale gravitent plusieurs intrigues secondaires : celle du grand frère d'Olivier, Vincent, qui connaît avec une cousine éloignée une amourette adultère au fruit amer puisqu'il la rend enceinte. Lâchement, il abandonne ses responsabilités pour se perdre auprès de lady Griffith, amie du comte de Passavant mais plus cynique encore, puis finit par assassiner cette dernière au beau milieu d'un voyage halluciné en Afrique. celle du petit frère d'Olivier, Georges, jeune garçon calculateur qui n'a pas froid aux yeux et vire à la délinquance, manipulé par un sous-fifre du comte de Passavant. celle d'un ami d'Olivier, Armand, désabusé et dépressif, qui vire au nihilisme absolu dans ses attitudes et ses idées. Il finit par trouver sa voie auprès du cynisme du comte de Passavant. les adultes du roman ont aussi leurs histoires: le père de Bernard, juge d'instruction qui suit une affaire de fausse monnaie, où Georges se trouve mêlé; le père d'Olivier, tiraillé entre sa femme, sa famille et sa maîtresse ; un vieil organiste qui rêve de retrouver son petit-fils perdu mais se trouve terriblement déçu lorsqu'il le rencontre ; etc. enfin, Boris, le petit-fils de l'organiste, jeune enfant fragile rencontré dans un sanatorium en montagne par Edouard et Bernard est ramené à Paris afin de l'éloigner de la maladie de Bronja, fille de sa doctoresse, qu'il vénère, mais aussi de ses penchants à la masturbation avec ses petits amis, attitude jugée honteuse et maladive à cette époque. Perdu, desespéré, abandonné de tous y compris d'Edouard qui s'était pourtant juré de s'en occuper, maltraité par Georges et ses copains, il sera la victime expiatoire d'un drame épouvantable qui clôt le roman sur une note extrêmement sombre. Par ailleurs, le roman est construit sur une mise en abyme puisque l'oncle Edouard, écrivain, est présenté en train d'écrire un roman intitulé "Les Faux-Monnayeurs", dans lequel il cherche à s'éloigner de la réalité, et qui a pour personnage principal un romancier. Analyse du roman 2

Le roman est simple à lire, entre autre grâce à l'écriture et au style fluide de l'auteur. La narration se tient dans le temps et l'espace, sans ruptures logiques, bien qu'elle dérive régulièrement dans des histoires annexes au récit principal. Les personnages sont solidement campés, consistants et bien étudiés et leurs réactions plausibles dans le contexte où l'auteur les fait évoluer. Pourtant, la construction du roman est très complexe et loin de la narration linéaire classique. Les différentes histoires s'enchevêtrent les unes aux autres, les points de vue sont multiples et variables, le narrateur lui-même change régulièrement. Les genres narratifs sont, par ailleurs,multiples : journal intime, lettre, ... Il arrive même que l'auteur s'adresse directement au lecteur. La narration est ainsi fondée sur une ambigüité constante. A travers cette œuvre, l'auteur montre les limites du roman traditionnel et son échec dans sa prétention à décrire la complexité du monde réel. Il souhaite libérer ainsi la littérature de son carcan narratif pour faire du roman une œuvre d'art créatrice à part entière, plutôt que le simple réceptacle d'une histoire racontée. •





Les personnages Bernard Profitendieu est l'un des

trois personnages principaux de l'histoire. Adolescent difficile et impulsif, il n'aime pas son père et ne supporte pas l'éducation qu'il lui a donnée. Lorsqu'il découvre les lettres de sa mère et apprend que ce n'est pas son vrai père, il se sert de cela comme motif pour quitter la maison. Il rompt toute attache avec sa famille et s'enfuit pour vivre sa vie. Il est le meilleur ami d'Olivier et devient le secrétaire d'Edouard pour un temps. Garçon fier et généreux, il cherche à aider ceux qui ont des problèmes même s'il n'est pas toujours très adroit. Olivier Molinier est le personnage central de l'histoire, même s'il n'en est pas le principal, tout le roman ou presque gravite autour de lui, ainsi que les personnages qui lui sont liés soit par le sang, soit par une histoire le concernant. Garçon timide et sensible, en manque d'affection, il recherche cette dernière chez ses amis. Admiratif et amoureux de son oncle Edouard, il désespère de pouvoir le lui exprimer, et s'en veut de sa maladresse quand il est en sa présence. Lorsqu'il voit Bernard et Edouard ensemble sans lui, il se sent trahi et jaloux - de dépit, il se laissera séduire par le cynique comte de Passavant. L'oncle Edouard est le troisième personnage principal de l'histoire. Il entretient un journal personnel dans lequel il relate les différents événements de sa vie et dans lequel il note l'avancée de son projet littéraire " les Fauxmonnayeurs " . C'est en cela qu'il permet à Gide de montrer la difficulté pour un roman d'échapper au réel, et même son impossibilité. Edouard n'arrivera pas à rédiger son roman comme il le voulait. C'est aussi ce personnage qui entraînera Bernard à l'aventure, amènera Boris, le petit-enfant de Monsieur de La Pérouse, à son grand-père. Une construction complexe

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Voici les relations qu'entretiennent les personnages au début (chronologique) du roman :

André Gide

Publié par Radu Iliescu le samedi, juillet 15, 2006 . samedi, juillet 15, 2006 Libellés André Gide, littérature

Ecrivain original, inventif, désireux de renouveler l’expression littéraire au prix même de la notoriété. Il devient connu grâce à la Nouvelle Revue Française fondée par lui. Il a voulu établir de nouveaux rapports entre le livre et le lecteur. Sa vie et son œuvre se confondent.

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Aucun exégète n’a pu séparer, chez Gide, la morale de l’esthétique. La morale gidienne est l’explosion, au XXe siècle, de toute une évolution de l’humanisme à partir de la Renaissance. Il envisage l’homme comme la cause et le but de la civilisation et de la culture. Son œuvre assure à l’homme une place privilégiée, dans le monde, à mettre en valeur ses vraies qualités qui dépassent toute raison d’ordre social, politique etc. et font de lui un être authentique. Gide veut éliminer tout ce qui renvoie au social et à la convention, c’est-à-dire tout ce qui empêche l’homme de s’affirmer tel qu’il est, en pleine liberté. La nouveauté de l’humanisme gidien réside dans la manière de comprendre l’homme comme essence, dans ses manifestations les plus authentiques. Etre nouveau c’est être soi-même, se libérer des contraintes, ne pas se soucier du présent. L’écrivain transpos dans tous ses écrits sa propre morale, son code privilégié de conduite. La morale de Gide se constitue sur deux coordonnées: un penchant vers l’égotisme et la sincerité (impliquant la disponibilité). Son culte du soi est synonyme du narcissisme. Gide se trouve devant la difficulté de s’affirmer avec naturel dans une société faite de conventions mais il n’en fait pas un drame et ne se laisse pas abattre par ce qu’il transforme en devoir humain. L’égotisme n’est pas une forme d’égoïsme forcené, mais un besoin de sympathie et d’amitié, une forme de communication, une manière de se lier à autrui, de se connaître et de connaître ainsi l’homme avec ses problèmes vitaux. La morale de la sincérité est pour l’écrivain un devoir, le devoir de tout dire ouvertement. C’est l’unique rapport que Gide accepte avec le monde, objets et êtres y compris, c’est sa manière d’être d’accord avec soi-même par l’intermédiaire du monde. Accepter la sincérité est tout d’abord reconnaître à chaque chose et à chaque être l’indépendance, dépasser l’esclavage et la subordination que seuls les artifices de la morale peuvent imposer. Etre d’accord avec soi-même, ne pas avoir peur d’être soi-même ne veut pas dire être obéissant. Par la sincérité on affirme sa liberté, son choix de rester insoumis et insatisfait.

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La morale de la sincérité est chez Gide la loi du progrès et de la civilisation: l’homme sincère devient authentique et pur, ce qui le rend capable de progrès, d’élargissement. Etre sincère, tout dire de sa personne, implique aussi une façon particulière de réagir devant les sollicitations du monde. Si l’on dépasse les limites de la morale bourgeoise on est libre et ouvert à tout, on est prêt à tout accepter et à tout faire. L’idée centrale des Nourritures terrestres  est une définition de la disponibilité: l’homme ne devient vraiment libre que lorsqu’il n’est plus prisonnier de son temps, lorsqu’il n’y a plus de rapport entre le passé et l’avenir et que l’avenir ne dépend pas du passé. Le passé ne doit plus nous embarrasser et pour nous sentir vivre nous devons en faire table rase. N’être attaché à rien nous donne la possibilité de nous attacher à tout, d’être disponible à chaque nouveauté. La disponibilité se définit comme une source de progrès révélant la mobilité de l’intelligence humaine réceptive à tout signe de nouveauté. La curiosité oblige l’être gidien de vivre dans le présent, à le savourer car dans le présent il y a la révélation de soi par l’intermédiaire des sens. Goûter le bonheur implique, selon Gide, le savoir d’opposer sentir à comprendre. L’acte gratuit, en tant que forme d’expression de la disponibilité, s’explique comme la réponse à un besoin précis de la sincérité du corps ou de l’âme et comme la possibilité d’assouvir sa curiosité de soi, de vérifier le rapport présumé entre l’imagination et le fait. La morale de la sincérité a été appelée le gidisme . Le gidisme est une manière de vivre par laquelle on réclame l’o riginalité et l’a utonomie de l’i ndividu et conformément à laquelle l’homme est né pour le bonheur. Le gidisme est une morale qui exprime la confiance dans l’homme mais laisse voir certaines inquiétudes de l’écrivain concernant le rapport entre l’homme et son milieu social. Gide est toujours à la recherche de formes nouvelles. Selon lui, le double devoir qui revient à l’artiste est: fonder son art sur ses propres expériences de vie; 6

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observer ses expériences pour mieux les exprimer. Selon Gide, l’art ne reproduit pas la nature, il faut regarder la réalité comme une matière plastique à modeler par une pensée essentiellement artistique, il faut donc parler des choses et non de l’invisible réalité.

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Principes de la conception gidienne de l’art: l’art doit refuser l’autorité de la tradition et affirmer la nouveauté; l’art est le fait d’un individu; l’individu s’affirme en affirmant la nouveauté; l’œuvre d’art n’est pas close, il est perfectible et inachevé. Gide ressent le besoin de laisser au lecteur la liberté de déployer son propre esprit critique. Il a considéré que l’élément essentiel dans l’art ne doit plus être ce qu’on dit, mais la façon dont on le dit. Ls curiosité développe elle aussi l’esprit critique. La curiosité de tout examiner est la source de l’esprit de révolte. L’artiste doit être un révolté contre tout ce qui est superficiel, contre l’apparence tout en affirmant sa conscience critique. L’écrivain pense à solliciter le lecteur de collaborer comme créateur d’œuvre d’art en instaurant ainsi un nouveau rapport entre le texte et la lecture. La nouveauté du texte gidien est que la lecture change le statut de l’écriture. L’œuvre ne devient vivante qu’en réalisant la collaboration entre l’artiste avec sa part d’inconscient et le lecteur auquel on doit la révélation de nos œuvres. Le lecteur-critique doit observer un nouveau principe: la lecture ne doit plus être un esclavage qui montre chaque liberté provisoire, car la réalité du livre n’est pas une vérité unique, universellement valable. La critique littéraire gidienne fait crédit à l’imagination du lecteur et fait que celui-ci sort de la paresse à laquelle l’a habitué le roman classique. Selon Gide, faire l’éloge d’un livre est une manipulation aussi méprisable que celle de l’auteur qui explique son livre. Dans Les Faux-Monnayeurs , Gide indique, par l’intermédiaire du personnage écrivain, les étapes de sa propre esthétique: a) dénoncer ce qui est artificiel dans le genre; 7

b) suggérer la nouvelle forme romanesque et c) parler de la difficulté de la réaliser. L’auteur omniscient dans le roman traditionnel nuit à l’expression de la sincérité par le recours aux analyses psychologiques qui chargent trop le récit et par de nombreux détails et explications inutiles. Le lecteur est influencé et manipulé sans avoir la liberté de chercher à lui seul les sens de l’œuvre. L’œuvre d’art doit être un but en soi. L’art véritable élimine tout ce qui est artificiel pour exprimer la sincérité. Pour Gide, l’inspiration romanesque est étroitement liée au vécu, à l’expérience personnelle. Le fait de faire du roman le reflet de la réalité vécue remplace le sujet décidé d’avance et impose l’existence d’un personnage qui représente l’artiste au travail. Le personnage écrivain est nécessaire pour expliquer la substance même du livre. Les personnages de la réalité gidienne ne sont jamais entraînés dans une intrigue, ils représentent des lignes de vie qui se croisent par de simples rencontrent dues au déroulement naturel de l’existence. Ils n’ont jamais de destinées tragiques, leur rôle étant d’éclairer la personnalité gidienne sans en être de simples projections. Par rapport à l’auteur qui les a créés, ils sont tout à fait indépendants et imposent leur propre point de vuee sur l’événement. Chaque protagoniste est à la fois Gide et une attitude de vie, il est à la fois la projection de l’écrivain et sa disponibilité même d’être tous ses personnages en même temps. Ce personnage libre qui n’est plus le porte-parole des idées de l’écrivain, qui n’est plus le porteur d’un message, décline la position omniprésente de l’auteur. Le roman, qui garde toute sa liberté par rapport au romancier, devient libre à tel point qu’il n’a pas de fin véritable. Chez Gide, les intrusions de l’auteur ont l’effet contraire à l’omniscience de l’auteur, n’étant qu’une manière dont l’écrivain insiste sur ses ignorances. L’esthétique gidienne est celle du puzzle: elle propose une simultanéité temporelle et défait l’unité chronotopique en envisageant l’espace comme une multiplicité de lieux et de scènes, comme une ouverture qui peut être traversée de tous côtés.

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Gide a imaginé un roman du roman qui exprime l’essence du genre, le roman impossible à écrire. La preuve est qu’Edouard expose dans son Journal sa manière de composer une œuvre, mais dans l’espace du livre don’t il est le protagoniste principal il n’arrive pas à achever son roman. Le roman est une source permanente de découverte pour le lecteur de même que pour l’auteur. Gide comprend la qualité d’apprentissage de l’acte écrire: en écrivant, l’écrivain acquiert un double savoir sur la vie et sur l’art. L’acte d’écrire est une activité nécessaire pour le perfectionnement et la compréhension de soi. La lecture et la relecture vérifient la qualité de l’œuvre. L’œuvre gidien n’est pas moyen, mais but. Gide s’est rendu maître de la mise en abyme . C’est la solution esthétique trouvée par Gide pour verser dans l’impur roman qu’on écrit la théorie du roman pur qu’il est impossible d’écrire. Elle lui permet de donner une valeur ethétique à son narcissisme. Il transforme ainsi tout objet et tout personnage de son œuvre en miroir de son moi. Chez Gide la morale et l’esthétique sont inséparables et la mise en abyme le prouve. La mise en abyme exprime d’ailleurs toute la nouveauté de l’art de Gide qui ne fait pas confiance à l’expérience de ses pensées mais à celle de sa propre vie en illustrant en même temps la difficulté d’écrire. La mise en abyme devient chez Gide une modalité de révélation. On considère Les Faux-Monnayeurs  comme le meilleur exemple de la manière dont un écrivain emploie la technique de la mise en abyme. L’œuvre de Gide ressemble à un vaste journal dissimulé qui contient l’explication profonde de l’œuvre et de l’artiste et qui, usant de la même technique de la mise en abyme, recourt lui-même à un texte spéculaire, le fameux Journal d’une vie, où Gide a noté tout ce qui se rapportait à son existence et à son œuvre.

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André Gide 1:Sa vie

L’enfance de Gide fut marquée par l’éducation austère et religieuse qu’il reçut de sa mère. Après ses études à l’École Alsacienne, il fréquente les milieux littéraires, Mallarmé, Pierre Louÿs, son condisciple, Oscar Wilde et Valéry. L’influence symboliste transparaît dans ses premiers ouvrages, Les Cahiers d’André Walter, recueil de poésie en prose, en 1891, Le Traité du Narcisse et La Tentative amoureuse ou le traité du vain désir en 1893, et deux ans plus tard, il épouse Madeleine Rondeau. Un voyage de convalescence en Algérie lui permet de se dépouiller des conformismes de la vieille société, pour retrouver la ferveur au spectacle de la nature. L’hédonisme* qui s’exprime ainsi dans Les Nourritures terrestres en 1897 enthousiasme toute une génération. Mais cette liberté individualiste est tempérée par l’inquiétude des œuvres à venir : le drame de Saül écrit en 1898, le conte philosophique du Prométhée mal enchaîné en 1899, et surtout L’Immoraliste en 1902 et La Porte étroite en 1909. En 1908, Gide fonde avec Copeau et Jean Schlumberger la Nouvelle Revue Française, mais ne néglige pas son œuvre pour autant. Explorant les chemins et les limites de la liberté, il met en scène en 1914, dans Les Caves du Vatican, le héros de l’acte gratuit, Lafcadio, qui tue arbitrairement un homme pour se prouver sa liberté. Puis il publie La Symphonie pastorale en 1919. Alors que la jeunesse d’après guerre se tourne vers André Gide et ses héros, la publication en 1926 de Si le grain ne meurt, récit autobiographique, et de Corydon, une apologie de la pédérastie, déclenche « la croisade des longues figures » et de la bourgeoisie bienpensante. Mais Les Faux-Monnayeurs consacrent définitivement le génie et la réputation de l’auteur. Libéré enfin des contraintes qui pesaient sur lui, Gide peut alors s’engager dans l’actualité sociale et politique, qui sollicite sa collaboration. D’un séjour en Afrique noire, il rapporte son Voyage au Congo, où il dénonce, non sans effet, le colonialisme. Il prend position contre les institutions capitalistes, religieuses et familiales, dont il met en évidence le caractère aliénant. Porté par un idéal humaniste, il sympathise avec le communisme. Mais après un séjour en U.R.S.S., il est l’un des premiers en France à dénoncer les excès dogmatiques du régime, dans son Retour de l’U.R.S.S. Les deux dernières œuvres de l’auteur, Œdipe et Thésée surtout, semblent un testament littéraire, et c’est l’homme, tout autant que l’œuvre, que le Prix Nobel consacre en 1947. Les hommes de son temps ont su le reconnaître : il est pour eux « le contemporain capital ». 2:Son oeuvre

L’œuvre d’André Gide est marquée par l’égotisme*, cette tendance à l’introspection, signe d’un réel effort de sincérité, car Gide ne hait rien tant que le mensonge et l’hypocrisie. De ses origines protestantes, sans doute, il a gardé cette habitude de l’examen de conscience, qui fait de lui un homme vrai et authentique. Ce tempérament, le gidisme, apparaît en particulier dans L’Immoraliste, Si le grain 10

ne meurt et dans son fameux Journal. Cette lucidité consciente de ses faiblesses, et de ses exigences, interroge sans cesse sa liberté, car dit l’auteur, « Je suis un être de dialogue ; tout en moi combat et se contredit. » Mais loin de tout narcissisme, la quête du moi débouche sur autrui. L’engagement dans le monde est déjà perceptible dès Les Nourritures terrrestres. Prônant le déracinement, l’auteur de ce nouvel évangile enseigne la ferveur pour « aimer sans s’inquiéter si c’est le bien ou le mal », pour « assumer le plus possible d’humanité. » La libération enfin obtenue, encore faut-il la mettre au service d’une fin bonne, et non comme Lafcadio, au service gratuit de sa propre et meurtrière exaltation. Gide se bat pour une meilleure justice dans ses Souvenirs de cour d’assises. Il s’engage activement sur tous les terrains, tout en réservant son indépendance d’esprit. Corydon est, dit-il, « le plus important de mes livres », mais il défend, outre la pédérastie, toutes les libertés fondamentales de l’individu, menacées par les doctrines et les systèmes, colonialisme, christianisme, communisme. Il assume, courageusement et volontairement, la « fonction d’inquiéteur ». La vérité de son œuvre coïncide avec celle de sa vie. Art et morale répondent dans son œuvre à cette même exigence de rigueur et de vérité. Oscillant toujours entre les aspirations sensuelles et spirituelles, l’auteur évolue du symbolisme des premières œuvres au classicisme, presque, de L’Immoraliste, en passant par le lyrisme des Nourritures. Toutefois, la tendance majeure de Gide dans ses récits est à l’ironie et à la critique, critique du mysticisme, du romantisme, de l’i ndividualisme, et même, en un sens, du romanesque*, dans Les Faux-Monnayeurs, où il réfléchit sur l’art du roman. Gide vieilli pouvait alors dire comme son héros, Thésée : « C’est consentant que  j’approche la mort solitaire. J’ai goûté des biens de la terre. Il m’est doux de penser qu’après moi, grâce à moi, les hommes se reconnaîtront plus heureux, meilleurs et plus libres. Pour le bien de l’humanité future, j’ai fait mon œuvre. J’ai vécu. » Ève  [1924] [?] Raymond Clauzel

Une querelle littéraire autour d’André Gide Je puis aimer, chacun pour soi, le bugle ou le violon. Toutefois, ma satisfaction ne sera rendue complète que par le concert de tous les instruments coulant dans un beau, large et profond fleuve de musique ou bien édifiant ensemble une magnifique cathédrale de sons. L’écrivain qui, par infirmité ou parti-pris, n'a à sa disposition qu'un talent défibré des autres, pourra bien me charmer, mais il ne me prendra pas dans toute mon humanité, comme celui qui sait impressionner, à la fois, ou tour à tour, les cordes sensibles et intellectuelles les plus variées. La vie, telle que notre conscience la rassemble, produit une orchestration d'émotions

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diverses et multiples ; l'œuvre littéraire qui prétend la traduire doit donc réaliser une symphonie, au cours de laquelle les soli les meilleurs sont les plus courts. Certes, l’on doit rechercher les talents où ils se trouvent et les prendre comme ils sont. Je m'en voudrais de l'exclusivité de mon goût, comme d'une infériorité. D'être un familier de Racine, cela ne peut m'empêcher d'adorer La Fontaine ni de m'éblouir, lorsque passe dans mon esprit la majestueuse, puissante et riche prose de Bossuet. De même, ces trois grands classiques, en changeant de temps et de paysage littéraire, ne n’empêcheront point de communier avec le génie de Chateaubriand, de Lamartine ou de Victor Hugo, pas plus que ces derniers ne sauraient me retrancher de Flaubert, de Baudelaire, de Verlaine ou de Moréas. La variété des sympathies et la diversité de la compréhension ne doivent pas, cependant, nous livrer à l'éclectisme comme un brin de paille pris dans des remous et des tourbillons. Chacun doit avoir son gouvernail et le cap tourné vers son étoile, si lointaine soit-elle. Il faut donc éviter les mares, les ruisseaux perdus, les torrents solitaires, tout en les découvrant d'un regard en passant. Lorsque la production littéraire d'une époque prend les caractères spécifiques d'une maladie mentale, d'une déformation du sens humain, d'une stérilité précieuse, d'un invertissement des facultés, d'un arrêt du cœur et de l'imagination, l’on se trouve en présence d'un phénomène de décadence et ce mal n'est pas un mal français. Faites-en la remarque. Les malades ou les anormaux de notre littérature sont tous reliés à un père spirituel étranger, comme par un cordon ombilical. Pensez à Gérard de Nerval et aux sorcelleries de Faust ; à Baudelaire et à Edgar Poe, à maints contemporains, dont André Gide et à Oscar Wilde ou Dostoïewsky. Je crois vous avoir introduits ici, par trois avenues principales, au centre même d'une attaque littéraire, dont M. André Gide et le clan de la Nouvelle Revue  française sont l’objet. Elle est menée d’un côté par M. Henri Massis dans le second volume de ses Jugements (Plon) au nom de la critique catholique, et d’un autre point de l’horizon, par M. Henri Béraud, champion du grand air et de la pleine vie . Tandis que M. Henri Massis se livre à un examen critique très serré, confrontant l’idée au fait, l’œuvre à l’homme, et l’homme à la vie, Henri Béraud ne craint pas de martyriser l’obèse, en le lançant dans la polémique comme un fier à bras bien intentionné. Il en a le don, de la polémique. Ses armes, il les manie avec un talent copieux, dru, truculent, jovialement offensif, de la meilleure veine satirique. M. Béraud donne du muscle à l'ironie. Il pousse l'invective jusqu’à la franche engueulade. Cette voix qu'on entend dans la rue vient aussi du cœur et ses colères ont toujours un accent généreux. Commençons par ce gladiateur costaud avant de passer aux coups réglés, donnés en profondeur par M. Massis. C'est dans la Croisade des longues figures, de la collections « Les Pamphlets du siècle » (aux Éditions du Siècle) que M. Henri Béraud a rassemblé tous les échos et propos de sa querelle. Les « longues figures » pour lui, ce sont les missi dominici  de la Nouvelle Revue française , où se cultive particulièrement, pense-t-il, la 12

littérature étriquée de l'ennui. Ces messieurs stricts, en « cravate blanche », et qui observent en quelque sorte un régime esthétique « sec », ne peuvent qu’offenser le tempérament plantureux de M. Henri Béraud. Aussi, face aux doctrinaires, proclame-t-il avec une emphase robuste les vertus encloses dans une bouteille de Beaujolais et le lyrisme animateur du soleil. Ce qui fâche M. Béraud, c'est que cette littérature de maigres constipés soit en quelque sorte imposée à l’heure actuelle, comme la seule qui représente vraiment l’esprit français en sa nouveauté. Il va jusqu’à accuser, et c'est le but principal de son intervention, nos services de propagande à l'étranger de favoriser avec partialité ce que l'on pourrait appeler le énéréfisme . Son ire, à ce propos, vise particulièrement mon ami Jean Giraudoux qui a dirigé ce service et dont la délicatesse scrupuleuse ne me paraît pas devoir être prise sérieusement en défaut. En vérité, la phalange serrée de la N.R.F., qui veut triompher, est très active, fort entreprenante, bien dirigée, peuplée de talents réels que M. Béraud ne méconnaît pas, du reste, et moi non plus, j’en ai donné la preuve ici même. La défense des attaques me paraît facile, d'ailleurs. Ils peuvent répondre, en effet : « Faites-en autant au lieu de vitupérer ; ce sera la meilleure façon de nous combattre en servant les lettres françaises. Puisque nous formons une chapelle, dîtes-vous, et une chapelle fortifiée, formez l’église, vous autres, la grande église ouverte à tous les fidèles ; puisque nous sommes un lac privé, lancez sur le fleuve libre, sur le large fleuve de la tradition française, vos flottilles et vos escadres ; nous saurons bien forer la roche pour vous rejoindre. » Mais laissons ce qu'a de particulièrement professionnel la vindicte de M. Béraud, laquelle, d'ailleurs, ne manque ni d’à-propos, ni d’utilité sans doute, puisqu'elle combat pour une plus large expansion de notre génie national. Ce  journaliste de grand talent, fait écrivain d'un beau tempérament, s'est croisé encore pour la régénération de la vie des lettres. Il n’aime pas « les bluffeurs internationaux moroses », ceux qui affabulent en romans « leurs maussades réflexions sur la verticalité du néant ». Le « snobisme de l’ennui » qui est un snobisme huguenot l’exaspère. Enfin, l’art qu’il aime est « fait de grâce déployée d’agréable paganisme, de vérité humaine, de passion, de gaîté, de colère ou de prime-saut ». Tout cela conduit M. Béraud à la détestation de ce qu’il appelle le « gidisme », c’est-à-dire de la contrainte en art, de l’insensibilité mise en mouvement par des artifices cérébraux : du purisme s’accordant avec les divagations impures de l’esprit. M. Gide, pour lui, « c’est… le vide qui a horreur de la nature ». Ce sera toutefois dans le deuxième volume des Jugements  de M. Henri Massis (Plon) que nous trouverons le procès en règle du « gidisme » ou, plus exactement, de l’« immoralisme » de M. André Gide, de son influence néfaste à notre bonne santé littéraire, et de sa responsabilité. On ne saurait méconnaître que M. Gide ne soit un écrivain de premier ordre. Son style dûment classique, racinien, le narcissisme d’une pensée subjective qu’il 13

fuit pour se sauver et qu’il recherche pour se perdre, fournissent des heures de lecture peu ordinaires, susceptibles de captiver ceux qui aiment la pureté de la langue française et la subtilité byzantine de l’esprit, conférant avec soi-même. Mais enfin, il faut mordre au fruit et savoir s’il contient du poison ou des sucs vitaux. C'est ce qu’a fait M Henri Massis. Son analyse serrée, courtoise et sévère, pleine d'investigations et de tours de clef précis, ne saurait se contenter de la spécialité du talent. Elle met la pensée de l'auteur de l 'Immoraliste  et des Nourritures terrestres en contact avec les valeurs humaines, salutaires à l'individu comme àla race. M. Massis trouve ainsi dans la pensée gidienne des virus qui avarient gravement ces valeurs essentielles. Il dénonce donc « l’anarchisme guindé » ; le « puritanisme esthétique » de M. Gide, le fond « inavouable » de sa méditation, la vase qu'il y remue, les larves effrayantes qu’il y lève. Il l'accuse de n'aimer que le spécial, l’anormal, l'étrange, seuls réactifs pour lui de l'originalité. Son classicisme n'est que « l’hypocrisie volontaire et raffinée » sous laquelle le puritain impur, si l’on peut dire, couvre le sadique désordre de son esprit. Il marque cette prétention coupable qu’a M. Gide d’appeler à l’expression tout ce qui fourmille dans les eaux troubles de la conscience à l’état primitif ; de faire pousser le bon grain et l’ivraie avec une égale prédilection, de ne rejeter enfin aucune idée ; d’agréer même de préférence les plus insolites et inavouables, puisque c’est de la dissidence morale que l’art doit tirer ses valeurs originales. On voit où cela peut conduire. Que penserait-on de celui qui éventrerait M. Gide au passage, parce que cette idée baroque, hétéroclite, insensée, aurait acquis le droit d’être mise à exécution par le fait même d’avoir été conçue ? M. Gide qui se désintéresse des conséquences en art, comme des effets de la communion qu’il offre à ses fidèles, estimerait sans doute alors que l’homme est responsable  et que c’est en cela que résident sa dignité et sa vraie liberté. Je sais bien qu’en soi l’art de M. Gide est infiniment séduisant et que cet écrivain, rôdeur autour de ce qui rôde, vagabonde et se perd ordinairement dans la nuit du moi, pourrait donner lieu à une étude humaine des plus curieuses ; mais enfin, c’est à bon droit que M. Massis demande compte à l’œuvre de M. Gide de sa bonne ou de sa mauvaise influence, et cela d’autant plus que, M. Gide, cultivant les virtualités les plus étrangement singulières et amorales en vue de l’acte, aime mieux faire agir les autres, que lui-même, car il ne saurait se compromettre. MM. Massis et Béraud, chacun à leur manière, essaient d’empêcher que les jeunes puissent se contaminer et se perdre en suivant l’enseignement étrange du maître des Nourritures  terrestres sophistiquées.

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