Les Demoiselles de Rochefort

September 30, 2017 | Author: Marcos | Category: Arts (General), Entertainment (General)
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LES DEMOISELLES DE ROCHEFORT Script, Lyrics by Jacques Demy

ACTE I - VENDREDI

(Sur la place Colbert) BILL On s’installe ici? ETIENNE OK... BILL OK!

(Dans l’appartement) DELPHINE Très bien mes enfants, la leçon est terminée. LES ENFANTS Au revoir mademoiselle. SOLANGE Et n’oubliez pas que vos costumes doivent être prêts pour demain samedi. Dimanche ce sera trop tard. LES ENFANTS Oui mademoiselle.

SOLANGE Au revoir Fufu. Au revoir Magguie. Au revoir Hélène. Au revoir toi. Allez. Delphine! Viens voir, ils sont arrivés. Ils s’installent sur la place. Tu sais, les gosses ne seront jamais prêts. Faudra les faire répéter dimanche matin. DELPHINE Mais non. SOLANGE Tu crois?

“CHANSON DES JUMELLES” DELPHINE ET SOLANGE Nous sommes deux soeurs jumelles Nées sous le signe des gémeaux Mi fa sol la mi ré, ré mi fa sol sol sol ré do Toutes deux demoiselles Ayant eu des amants très tôt Mi fa sol la mi ré, ré mi fa sol sol sol ré do DELPHINE Nous fûmes toutes deux élevées par Maman Qui pour nous se priva, travailla vaillamment SOLANGE Elle voulait de nous faire des érudites Et pour cela vendit toute sa vie des frites. DELPHINE ET SOLANGE Nous sommes toutes deux nées de père inconnu

Cela ne se voit pas, mais quand nous sommes nues Nous avons toutes deux au creux des reins C’est fou... DELPHINE ... là un grain de beauté... SOLANGE ... qu’il avait sur la joue DELPHINE ET SOLANGE Nous sommes deux soeurs jumelles, nées sous le signe des gémeaux Mi fa sol la mi ré, ré mi fa sol sol sol ré do Aimant la ritournelle, les calembours et les bons mots Mi fa sol la mi ré, ré mi fa sol sol sol ré do DELPHINE Nous sommes toutes deux joyeuses et ingénues... SOLANGE ... attendant de l’amour ce qu’il est convenu... DELPHINE ... d’appeler coup de foudre... SOLANGE ... ou sauvage passion... DELPHINE ET SOLANGE ... nous sommes toutes deux prêtes à perdre raison Nous avons toutes deux une âme délicate

DELPHINE Artistes passionnées... SOLANGE ... musiciennes... DELPHINE ... acrobates... SOLANGE ... cherchant un homme bon... DELPHINE ... cherchant un homme beau... DELPHINE ET SOLANGE ... bref un homme idéal, avec ou sans défauts Nous sommes deux soeurs jumelles, nées sous le signe des gémeaux Mi fa sol la mi ré, ré mi fa sol sol sol ré do Du plomb dans la cervelle, de la fantaisie à gogo Mi fa sol la mi ré, ré mi fa sol sol sol ré do SOLANGE Je n’enseignerai pas toujours l’art de l’arpège J’ai vécu jusqu’ici de leçons de solfège Mais j’en ai jusque-là, la province m’ennuit Je veux vivre à présent de mon art à Paris DELPHINE Je n’enseignerai pas toute ma vie la danse A Paris moi aussi je tenterai ma chance Pourquoi passer mon temps à enseigner des pas

Alors que j’ai envie d’aller à l’opéra DELPHINE ET SOLANGE Nous sommes deux soeurs jumelles, nées sous le signe des gémeaux Mi fa sol la mi ré, ré mi fa sol sol sol ré do Deux coeurs, quatre prunelles, à embarquer allegreto Mi fa sol la mi ré, ré mi fa sol sol sol ré do

DELPHINE Oh ! Midi moins le quart. Cà y est, je suis en retard. SOLANGE Delphine! DELPHINE Oui. SOLANGE Tu vas chercher Boubou? DELPHINE Oh tu peux pas y aller? SOLANGE J’irai cet après-midi. DELPHINE Je peux sortir avec ça! Oh puis si. Oh puis non. J’ai rendez-vous à midi avec Guillaume, je n’y serai jamais. SOLANGE Qu’est-ce qu’il veut encore celui-là?

DELPHINE Je ne sais pas... me voir. SOLANGE Oh bien il attendra. Tu rentres déjeuner? DELPHINE Oui. Mais pas avant une heure. Qu’est-ce que j’ai fait de mon poudrier? Ah non je l’ai. DELPHINE ET SOLANGE Jouant du violoncelle, de la trompette ou du banjo Aimant la ritournelle, les calembours et les bons mots Du plomb dans la cervelle, de la fantaisie à gogo Nous sommes soeurs jumelles, nées sous le signe des gémeaux SOLANGE Au revoir. DELPHINE Au revoir.

(Sur la place) DELPHINE Oh pardon!

JUDITH Où allez-vous?

ETIENNE Au café. ESTHER Attendez-nous.

(Au café Garnier) YVONNE Bonjour messieurs. BILL ET ETIENNE Bonjour! ETIENNE Frites? BILL Frites! ETIENNE Deux frites. YVONNE Deux frites. Alors c’est la fête? ETIENNE On vient d’arriver. BILL Ca va faire marcher le commerce.

YVONNE On n’avait pas besoin de ça. Voilà messieurs. JUDITH Esther et moi on va faire un tour en ville. ETIENNE C’est pas le moment! ESTHER On n’est pas aux pièces. JUDITH Ciao! ESTHER Ciao! BILL Elles n’en foutent pas lourd. YVONNE Vous n’êtes pas très galants avec vos dames. ETIENNE Ce ne sont pas nos dames. Enfin, presque pas. YVONNE Ce sont des artistes? ETIENNE La petite blonde fait le numéro du Chabavanais indien, et la rousse le numéro du Chabavanais chinois.

BILL C’est plus difficile! YVONNE C’est intéressant... BILL C’est lui le patron. Moi je l’accompagne, je suis mécanicien. MAXENCE Bonjour madame Yvonne. YVONNE Ah, bonjour monsieur Maxence. MAXENCE Bonjour Josette. Bonjour Pépé. YVONNE Toujours abstrait? MAXENCE Plus que jamais, madame Yvonne. C’est de naissance. (S’adressant à Pépé) La quille, dans trois jours, Pépé! (A Josette) Un claxin. JOSETTE Y’ en a pas. Hein madame, y’ en a pas? YVONNE Non, mais il y a autre chose. MAXENCE Une bière?

JOSETTE Alors vous l’avez trouvé? MAXENCE Pas encore, mais... je suis patient. JOSETTE Une bière pour monsieur Maxence. YVONNE Alors, il l’a trouvé? JOSETTE Toujours pas. BILL Qu’est-ce qu’il a perdu? JOSETTE Son idéal féminin. YVONNE Il ne l’a pas perdu. Il ne l’a jamais trouvé, c’est pas la même chose. JOSETTE Il l’a peint paraît-il, c’est un peintre poète. Il fait son service ici. ETIENNE L’idéal féminin nous le cherchons tous. Il n’est pas le seul. JOSETTE Ne soyez pas triste monsieur Maxence. Les filles après tout il y en a plein les magasins.

“CHANSON DE MAXENCE” MAXENCE Je l’ai cherchée partout, j’ai fait le tour du monde De Venise à Java, de Manille à Angkor De Jeanne à Victoria, de Vénus en Joconde Je ne l’ai pas trouvée et je la cherche encore Je ne connais rien d’elle, et pourtant je la vois J’ai inventé son nom, j’ai entendu sa voix J’ai dessiné son corps, et j’ai peint son visage Son portrait et l’amour ne font plus qu’une image Elle a cette beauté des filles romantiques Et d’un Botticelli le regard innocent Son profil est celui de ces vierges mythiques Qui hantent les musées et les adolescents Sa démarche ressemble aux souvenirs d’enfants Qui trottent dans ma tête et dansent en rêvant Sur son front ses cheveux sont de l’or en bataille Que le vent de la mer et le soleil chamaillent Je pourrai vous parler de ses yeux, de ses mains Je pourrai vous parler d’elle jusqu’à demain Son amour c’est ma vie, mais à quoi bon rêver? Je l’ai cherchée partout, je ne l’ai pas trouvée LES FORAINS Il pourrait nous parler de ses yeux de ses mains Il pourrait nous parler d’elle jusqu’à demain Son amour, c’est sa vie. Mais à quoi bon rêver Il l’a cherchée partout, il ne l’a pas trouvée

MAXENCE Est-elle loin d’ici, est-elle près de moi? Je n’en sais rien encore mais je sais qu’elle existe Est-elle pécheresse ou bien fille de roi? Que m’importe son sang, puisque je suis artiste Et que l’amour dicte sa loi... YVONNE C’est un joli portrait. Mais je ne vois pas ça dans mon entourage. JOSETTE Moi non plus. ETIENNE Moi, j’aime mieux les rousses. YVONNE Oh Dieu du ciel, tu n’as pas vu Delphine ce matin? JOSETTE Ah non madame. YVONNE Je suis sure qu’elle a oublié d’aller chercher Boubou. Vous ne voulez pas y aller monsieur Maxence? MAXENCE Je peux pas. On part en manoeuvres et j’suis déjà en retard. JOSETTE Si j’y vais, je peux pas mettre la table.

MAXENCE Excusez-moi. YVONNE Je vous en prie. MAXENCE Salut. Salut Pépé. PÉPÉ Salut. BILL Salut. YVONNE Vous ne voulez pas y aller, messieurs? L’école est à deux pas, derrière la place. ETIENNE On veux bien, hein? BILL Oui on veut bien. YVONNE Vous êtes gentils. Vous demanderez Boubou. BILL Qui çà?

YVONNE Boubou. C’est mon fils. Mon petit dernier. Excusez-moi, mais je ne peux jamais sortir. C’est simple, je vis séquestrée dans cet aquarium! Moi qui étais faite pour vivre au grand air, sur une plage, au bord du pacifique, écouter de la musique douce en lisant des poèmes... PÉPÉ Yvonne, je n’ai plus de colle! YVONNE Ah! Et achetez-lui un tube de colle en passant... Merci. (Etienne et Bill sortent)

(Devant l’Ecole) DELPHINE Ouh ... Boubou! BOUBOU Bonjour Delphe! DELPHINE Ce que tu peux être sale, mon pauvre vieux. Regarde ça, une culotte neuve. Tu exagères! ETIENNE C’est toi, Boubou? DELPHINE Qu’est-ce que vous lui voulez? BILL Bonjour mademoiselle. On vient chercher Boubou.

DELPHINE De quel droit? BILL La dame du café! DELPHINE Vous avez un sacré culot! ETIENNE On est honnête. BILL Oui, on est venus pour la kermesse. DELPHINE Oui, oh, ça va. BILL Vous êtes bien jolie, mademoiselle! DELPHINE On me l’a déjà dit, c’est pas original. BOUBOU Ta robe va encore craquer. DELPHINE Tu vas te taire, non? ETIENNE Alors, on l’emmène ce môme?

BOUBOU Je veux aller avec eux! DELPHINE C’est pas un kidnapping? BILL De toute façon, on ne vous le dirait pas. DELPHINE C’est malin! Au fond, ça m’arrange parce que... Parce que rien. J’ai à faire. Alors sois sage! Au revoir mon chichou. BOUBOU Au revoir Delphe. DELPHINE Au revoir. BILL ET ETIENNE Au revoir. ETIENNE Elle est bien, ta tante! BOUBOU C’est pas ma tante, c’est ma frangine! BILL Elle est chouette!

BOUBOU Je voudrais des bonbons. Ben alors, on prend racine?

(Chez le marchand de tableaux) GUILLAUME Bonjour ma fleur. DELPHINE Bonjour Guillaume. GUILLAUME Que tu es belle, mon âme. DELPHINE Quand tu dis mon âme, c’est à mon corps que tu penses. GUILLAUME Exactement, mon coeur. Si je n’étais pas aussi amoureux de toi, je serais jaloux. Mais je t’aime. Et cela me rend orgueilleux. Et envieux parce que j’ai toujours envie de toi. DELPHINE Au fond je ne t’inspire que de très vilains sentiments. GUILLAUME Et aussi gourmand, et luxurieux... DELPHINE ... et bavard. Tu t’écoutes parler et tu n’aimes que toi.

GUILLAUME Moi et toi. Je t’aime. DELPHINE C’est pour me dire ça que tu voulais me voir? GUILLAUME Tu ne m’aimes pas mon coeur et pourtant un jour tu seras ma femme. DELPHINE Je t’ai déjà dit non, Guillaume. GUILLAUME Alors pourquoi viens-tu? DELPHINE (Elle s’arrête devant le portrait peint par Maxence) Parce que tu m’amuses. Mais si tu y tiens, je peux ne plus venir. Mais, c’est moi! GUILLAUME Oui ma fleur. Tu ne m’avais pas dit que tu posais pour les militaires. DELPHINE Les militaires? Qu’est-ce que c’est que cette histoire? Qui a fait ce portrait? GUILLAUME Je viens de te le dire. Un militaire. Il se dit peintre, et poète. Tu vois le genre! Tu le connais? DELPHINE Non. C’est troublant cette ressemblance. Tu ne trouves pas? GUILLAUME Simple coïncidence.

DELPHINE Mais c’est tout à fait moi! GUILLAUME Pas du tout, c’est platement figuratif. Toi, tu es spirituelle, mon âme. Non, c’est un portrait sans valeur. Une oeuvre d’imagination. Et il l’appelle “idéal féminin” en toute simplicité. DELPHINE Idéal féminin. Comme ce type doit m’aimer puisqu’il m’a inventée! Comment est-il? GUILLAUME Lui? Fade, insignifiant. DELPHINE J’aimerais rencontrer ce peintre. GUILLAUME Ah dommage, il vient de quitter Rochefort. Il est à Paris pour quelques temps. Mais ce n’est absolument pas le genre de type qu’il te faut.

“DE DELPHINE A LANCIEN” DELPHINE Mais, Mais que sais-tu de moi, toi qui parles si bien? Toi qui dis me connaître et pourtant ne sais rien, rien, rien, rien, rien? Que sais-tu de mes rêves et de quoi ils sont faits? Si tu les connaissais, tu serais stupéfait Tu ne sauras jamais... GUILLAUME Tu sais bien que je sais : pourquoi me contredire?

DELPHINE Tu ne sauras jamais pourquoi j’aime sourire, rire, rire, rire, rire Tu ne sauras jamais pourquoi j’aime danser Pourquoi j’aime passer mon temps à rêvasser Pour toi je ne suis rien qu’une poupée de plus Je me demande encore ce qui en moi t’a plu Tu trouves mes propos plats et incohérents Que je sois triste ou gaie te laisse indifférent Jamais, Jamais tu ne te poses la moindre question Tu te moques de moi pour un oui pour un non, non, non, non, non Tu dis aimer l’argent encore plus que toi-même Et moi où suis-je alors quand tu dis que tu m’aimes? Si tu m’aimais vraiment ... GUILLAUME A quoi bon répéter ce que t’ai redit? DELPHINE Si tu m’aimais vraiment, autant que tu le dis, dis, dis, dis, dis, dis Quand tu m’as assez vue, soupirerais-tu en Disant “excuse-moi, le temps c’est de l’argent”? Mais le temps mon ami, pour moi c’est de l’amour C’est rire, c’est chanter tant que dure le jour C’est aimer chaque nuit que le Seigneur a faite Le temps, c’est de l’amour, vivre, c’est une fête! Alors, Alors n’espère pas devenir mon amant Tu mens lorsque tu parles de tes sentiments, ment, ment, ments, ments Reprends ta liberté et de fille en liaison, Tu trouveras l’amour pour le prix d’un vison Et puis tu m’oublieras...

GUILLAUME Pourquoi tout compliquer quand tout est si facile? DELPHINE Ton oeil s’allumera aux battements de cils, cils, cils, cils S’il te plaît d’une fille à la voix de velours Qui prendra ton argent en te parlant d’amour Pardonne ma franchise et ma sincérité Quant au coeur, si tu veux, mettons-le de côté Évitons les amours aux lentes agonies Et disons gentiment toi et moi, c’est fini! DELPHINE Adieu Guillaume. GUILLAUME Au revoir, mon coeur.

(Devant la vitrine de la galerie) JUDITH Tiens, vous avez les yeux du même bleu que le bleu du tableau! MARIN N°1 Ce n’est pas de ma faute. JUDITH (A Esther) C’est vrai non? Toi qui aimes les yeux bleus, tu dois apprécier. ESTHER Je n’ai jamais rien vu de pareil. MARIN N°2 C’est mystérieux. On dit que la peinture est abstraite mais c’est faux puisqu’elle ressemble à ses yeux! MARIN N°1

Qui eux ne sont pas abstraits donc cette peinture vous voit comme je vous vois...

(Dans le café) (Etienne et Bill, précédés par Boubou pénètrent dans le café) BOUBOU (Il montre à sa mère un petit bateau en plastique) Regarde m’man! YVONNE Oh, mais pourquoi, vous n’auriez pas dû! ETIENNE C’est une bricole. YVONNE Merci. BILL Voilà Pépé (il lui donne un tube de colle). PÉPÉ Ah! Vous êtes bien aimable. YVONNE Vous prendrez bien quelque chose? ETIENNE Oui. On a vu une blonde drôlement roulée. BILL Votre soeur. YVONNE J’ai pas de soeur! BOUBOU Mais c’est Delphe! YVONNE

Ah, Delphine... c’est ma fille! ETIENNE Elle est bath. BILL Vous aussi. YVONNE On me l’a déjà dit! BOUBOU Attention, tempête sur la mer noire. Ouh! YVONNE Boubou tais-toi... (Subtil Dutrouz, un retraité, entre dans le café) Bonjour Dutrouz! DUTROUZ Bonjour, bonjour tout le monde. YVONNE Des amis... DUTROUZ Bonjour. YVONNE Subtil Dutrouz. DUTROUZ Subtil... comme le parfum, Dutrouz avec un “z” mais on ne le prononce pas! BILL Bill... comme bilboquet. ETIENNE Etienne... comme tout le monde! DUTROUZ Tiens. C’est pour toi! BOUBOU Qu’est-ce que c’est?

DUTROUZ Un sous-marin atomique en celluloïd. Alors, ça colle? PÉPÉ Ca colle! DUTROUZ Eh bien tant mieux! Je viens encore de les croiser, avec leurs bottes et leurs fusils, armés jusqu’aux dents. Ils vous abattraient comme des lapins! JOSETTE Je vous sers quelque chose monsieur Dutrouz? DUTROUZ Non rien merci, je me sauve. Je repasserai cet après-midi. YVONNE Bonsoir! DUTROUZ Bonsoir! BILL ET ETIENNE Bonsoir! BILL Qui est-ce? YVONNE C’est Dutrouz, un ami de Pépé. ETIENNE Qu’est-ce qu’il fait? YVONNE Rentier. Et vous, qu’est-ce que vous faites, exactement?

“NOUS VOYAGEONS DE VILLE EN VILLE” BILL ET ETIENNE Nous? Nous voyageons, de ville en ville Nous représentons des motos

Des bicyclettes et des bateaux La route est notre domicile ETIENNE Un jour ici... BILL Un jour ailleurs ... BILL ET ETIENNE Nous vivons libres et sans attaches Lutins farfelus et potaches Courant de bonheur en bonheur! ETIENNE Préférant au pire le meilleur... BILL La bonne humeur à la tristesse... ETIENNE Les jolies filles aux laideronnesses... BILL Et le plaisir à la douleur BILL ET ETIENNE Nous voyageons de fille en fille Nous butinons de coeur en coeur A tire d’aile dans chaque port, A corps perdu dans chaque ville ETIENNE Notre vie, c’est... BILL Le vent du large... ETIENNE L’odeur du pain...

BILL Le goût du vin... BILL ET ETIENNE Le soleil pâle des matins Le soleil noir des soirs d’orage... BILL Le sourire d’une enfant sage... ETIENNE La sieste dans le foin coupé... BILL L’amour fou au milieu des blés... ETIENNE Et le vent frais sur le visage. BILL ET ETIENNE Nous voyageons de ville en ville Nos lendemains sont incertains Une blonde vous tend la main C’est à nouveau la vie facile ETIENNE Un jour ici... BILL Un jour ailleurs... BILL ET ETIENNE Notre vie comme une romance S’élance sur un air de chance Courant de bonheur en bonheur... BILL Préférant la joie au malheur... ETIENNE L’intelligence à la bêtise...

BILL A l’hypocrisie la franchise... BILL ET ETIENNE Aux gendarmes les gens de coeur Nous voyageons de fête en fête On nous désigne de la main On nous appelle les forains En vérité, on est poètes ETIENNE Un jour sérieux... BILL Un jour rieurs... BILL ET ETIENNE Notre vie joue en alternance La tragédie de l’existence Et la comédie du bonheur Amis à la vie à la mort Princes sans peur et sans reproches Chevaliers sans un sous en poche Par contre notre coeur est d’or Nous voyageons de ville en ville Du Val de Loire au bord du Rhin On nous appelle les forains La route est notre domicile Nous voyageons de ville en ville Du Val de Loire aux bords du Rhin On nous appelle les forains La route est notre domicile (Dans l’appartement)

SOLANGE Qu’est-ce que tu as? DELPHINE Je suis triste et je m’ennuie. SOLANGE Toi, tu me caches quelque chose! DELPHINE C’est fini avec Guillaume, ça ne pouvait pas durer. SOLANGE Oh bien c’est plutôt une bonne nouvelle, j’ai jamais aimé ce type-là! DELPHINE Et tu sais à quoi je pense? SOLANGE Oui. A l’homme de ta vie. DELPHINE Comment as-tu deviné? SOLANGE Mais mon petit chou, c’est simple, tu as toujours cet air-là lorsque tu penses à l’homme de ta vie.

“CHANSON DE DELPHINE” DELPHINE Je ne sais rien de lui, et pourtant je le vois Son nom m’est familier et je connais sa voix, Souvent dans mon sommeil, je croise son visage Son regard et l’amour ne font plus qu’une image Il a cette beauté des hommes romantiques Du divin Raphaël le talent imité

Une philosophie d’esprit démocratique Et du poète enfin la rime illimitée Je pourrais te parler de ses yeux de ses mains Je pourrais te parler de lui jusqu’à demain Son amour, c’est ma vie, mais à quoi bon rêver L’illusion de l’amour n’est pas l’amour trouvé Est-il près, est-il loin, est-il à Rochefort? Je le rencontrerai car je sais qu’il existe Bien plus que la raison, le coeur est le plus fort A son ordre, à sa loi, personne ne résiste Et je n’y résisterai pas... SOLANGE Ma petite, je ne crois pas que ce genre de garçon traîne dans les rues de Rochefort. DELPHINE Pas en ce moment, il est à Paris, il a peint mon visage. SOLANGE Qui est-ce? Tu ne m’en as jamais parlé. DELPHINE C’est un peintre. Je ne le connais pas. Il existe et je sais qu’il m’aime, mais je ne l’ai jamais vu. SOLANGE Tu as de la fièvre. DELPHINE Je ne plaisante pas. SOLANGE Alors on part à Paris. DELPHINE Et les élèves? SOLANGE

Ah, notre carrière d’abord. DELPHINE Et l’argent? SOLANGE Pour l’instant n’y pensons pas, nous sommes libres. Nous partons à Paris... la semaine prochaine. Cet après-midi j’irai voir monsieur Dame. Tu sais je t’en ... Mais qu’est-ce qui te fait rire? DELPHINE Rien. Ce nom-là, monsieur Dame. Ce que c’est bête! SOLANGE Il est très gentil. Et il connaît bien Andrew Miller. DELPHINE Andrew Miller? Qui est-ce? SOLANGE J’sais pas. Un compositeur américain. Et Simon Dame a fait toutes ses études avec lui. Et justement Andrew Miller donne une série de concerts à Paris. Et Simon Dame doit me recommander à lui. C’est formidable. Enfin il me fera une lettre quoi. Et puis après j’irai chercher Boubou. DELPHINE Tu sais c’est peut-être pas la peine ; ce matin maman avait envoyé deux types. Si bien que je suis allée à l’école pour rien, Boubou est reparti avec eux. SOLANGE Tu as laissé Boubou seul avec deux types? Inconsciente! Dans une ville pleine de guerriers, de sadiques et de peintres méconnus! DELPHINE Ma vieille tu es trop méfiante... Tu ne trouveras jamais d’amant! SOLANGE D’abord, c’est pas parce que je suis née douze minutes avant toi que je t’autorise à m’appeler ma vieille. Quant aux amants, parlons-en. Oh, tais-toi! DELPHINE Quoi? SOLANGE Je l’ai... le thème de mon concerto...(Elle court au clavier pour attaquer un adagio passionné)

(Chez le marchand de musique) SIMON Bonjour mes Soeurs. LA RELIGIEUSE L’Ave Maria de Schubert! SIMON Oui... L’Ave, l’Ave, l’Ave... Schubert... le voilà. Ce sera tout, ma Soeur? LA RELIGIEUSE Oui, merci. SIMON Merci. LES RELIGIEUSES Au revoir, monsieur Dame. SOLANGE Au revoir mes Soeurs. LES RELIGIEUSES Mademoiselle. SOLANGE Bonjour monsieur Dame. SIMON Bonjour mademoiselle. Ah, j’ai reçu votre papier à musique. Excusez ce fâcheux retard, mais l’installation de ce magasin m’a terriblement compliqué l’existence. Rochefort n’est pas Paris, et je ne suis pas encore tout à fait rochefortais. SOLANGE C’est vraiment joli maintenant. SIMON N’est-ce pas, j’ai essayé de recréer un certain climat musical. Nom d’un petit bonhomme, où l’ai-je mis? ... Ah, le voilà. Serez-vous prête pour la kermesse? SOLANGE Les enfants répètent chaque jour. Et j’ai composé pour eux une petite chose en forme de choeur... Un choral à trois voix en do mineur. Combien vous dois-je, monsieur Dame?

SIMON Douze francs. Appelez-moi Simon, je vous en prie. SOLANGE Vous croyez? SIMON C’est un nom si bête. SOLANGE On m’appelle Solange. SIMON Solange... la clé de sol, et l’envol des anges. C’est un nom qui vous va bien. SOLANGE Monsieur Simon, j’ai un service à vous demander. SIMON Je vous en prie. SOLANGE J’ai l’intention de monter à Paris la semaine prochaine. Et vous m’aviez laissé entendre, mardi dernier, qu’il vous serait possible de me recommander auprès de votre ami, Andrew Miller, le compositeur. SIMON Andy? Mais certainement. Je ne l’ai pas revu depuis le conservatoire, mais nous sommes restés amis. Après ses études, Andrew est reparti pour les Etats-Unis et puis... sa réussite, ses concerts, la gloire... la vie en somme nous ont séparés. Il faut profiter de son séjour en France. Je vais tout de suite lui écrire aux Concerts Parisiens. Je suis sûr qu’il pourra vous aider. Vous allez devenir une grande compositrice mademoiselle Solange, une grande compositrice. SOLANGE Je le souhaite. J’ai trouvé ce matin le thème du troisième mouvement de mon concerto en fa dièse mineur. Voulez-vous l’entendre? SIMON Oh mais avec plaisir! (Solange s’installe au piano). SIMON Admirable! Quelle richesse, quelle invention, quelle émotion, quelle vigueur, quel lyrisme!

SOLANGE Je l’aime aussi beaucoup. SIMON Vous partez quand? SOLANGE Lundi, après la fête. SIMON Ne prenez pas mal ce que je vais vous dire, mais lorsque ma fiancée m’a laissé, il y a dix ans, j’ai éprouvé le même petit agacement du côté du coeur. SOLANGE Votre fiancée? SIMON C’est pour elle voyez-vous que j’ai décidé de quitter Paris. Il y a un mois je me suis installé ici afin de retrouver quelques souvenirs. SOLANGE Pourquoi, elle habite Rochefort? SIMON Non, non. Elle vit au Mexique. Mais nous nous sommes connus ici. Oh, c’est une histoire peu commune pour un homme comme moi en somme bien ordinaire.

“CHANSON DE SIMON” SIMON Ma fiancée trouvait mon nom très ridicule Il la choquait je crois, alors sans préambule Un soir elle est parti sans un mot, sans adieu Mes yeux depuis dix ans n’ont plus croisé ses yeux Elle m’avait appris dans le plus doux moment Qu’elle attendait de moi l’heureux événement Qui enorgueillit l’homme et anoblit la femme Mais elle refusait le nom de madame Dame

Pourtant je lui plaisais, je l’appelais ma muse Mais je ne savais pas, le poète s’amuse Qu’un nom comme le mien pu l’agacer autant Je ne l’ai pas compris hélas au bon moment J’étais un beau jeune homme, elle une demoiselle Qui sans le faire exprès avait eu des jumelles Que je n’ai jamais vues, elles vivaient en pension Et ne rentraient jamais le soir à la maison Quelques années plus tard, par un ami commun J’ai su qu’un étranger sollicitait sa main Ils partirent tous deux quelque part au Mexique Pour vivre leur amour au bord du Pacifique A présent je suis seul comme un amant déçu J’ai voulu voir la ville où je l’avais connue Je m’y suis installé, depuis j’y demeure Avec mes souvenirs je joue à cache-coeur

SOLANGE Et vous ne l’avez jamais revue? SIMON Jamais. Elle doit être heureuse, du côté d’Accapulco. Elle n’aimait que le soleil. Mais je parle...je parle. Je vais écrire à mon ami Andy. J’espère qu’il ne m’a pas oublié. SOLANGE C’est à dire qu’il a peut-être la grosse tête! SIMON Pardon? SOLANGE Je veux dire qu’il est peut-être devenu prétentieux. SIMON

Ah! Non. Andy était un homme intelligent. D’ailleurs vous verrez, je suis sûr que vous l’aimerez. SOLANGE Oh, quatre heures déjà! Au revoir monsieur Simon. SIMON Au revoir mademoiselle Solange.

(Devant l’école) BILL Je pense qu’elle ne viendra pas. ETIENNE Le môme ne va pas rentrer chez lui tout seul. SOLANGE Pardon, messieurs. ETIENNE Laisse passer la demoiselle. SOLANGE Boubou! BOUBOU Bonjour Solange. SOLANGE Bonjour poussin. BOUBOU Ta combinaison dépasse. SOLANGE Tu t’es encore battu. Regarde-moi ça. Ce n’est pas gentil. BILL Bonjour Boubou.

BOUBOU Tiens, vous voilà? SOLANGE Qu’est-ce que vous lui voulez? BILL Bonjour mademoiselle, on vient chercher Boubou. BOUBOU C’est mes copains. ETIENNE On est venus pour la kermesse. SOLANGE Et vous repartez quand? BILL Lundi. SOLANGE Alors, bon voyage! BILL Mademoiselle!... mademoiselle, votre combinaison dépasse. SOLANGE On me l’a déjà dit! BILL Elle n’est pas aimable ta tante. BOUBOU C’est pas ma tante, c’est ma frangine! ETIENNE Elle a drôlement changé depuis ce matin.

BILL Viens... laisse tomber. BOUBOU Je veux aller avec eux, ils m’achètent des bonbons. SOLANGE Je vais t’acheter du réglisse. BOUBOU Je veux aller avec eux, j’en ai marre! (il lance son cartable au milieu de la rue, les cahiers et les crayons s’éparpillent) SOLANGE Oh, tu n’auras pas de réglisse! (elle se baisse pour ramasser les affaires. Un homme se baisse pour l’aider) SOLANGE Excusez-moi. ANDY Je vous en prie... Vous êtes musicienne? SOLANGE Oui monsieur (elle finit de ramasser les affaires et en se relevant fait tomber l’une de ses partitions). Au revoir monsieur. ANDY Mademoiselle? SOLANGE Oui? ANDY Votre combinaison dépasse. SOLANGE Je sais, mais ça ne fait rien. ANDY Mademoiselle, puis-je vous revoir? SOLANGE Je ne sais pas. Je ne crois pas. (A Boubou) Viens... tiens.

BOUBOU Il est gonflé ce type-là.

“ANDY AMOUREUX” ANDY (Il a ramassé la partition) Sol, la, fa, sol, si, la, la, sol Tiens, mais c’est un sol mineur Sol, la, fa, sol, la, mi, sol, fa, mi, fa, do, fa (Il se cogne avec une passante) I’m sorry mademoiselle, mais je suis amoureux PASSANTE Vous avez de la chance ANDY Je fais ce que je peux Je suis à Rochefort pour revoir un ami Un certain Simon Dame et à deux pas d’ici Je rencontre une fille et j’en deviens crazy La fille a disparu mais l’amour m’a choisi Il a fallu que je traverse deux continents Il a fallu enfin ce hasard étonnant Pour transformer ma vie et lui donner un sens Il a fallut que je revienne en France Ciao!

(Sur la place) JUDITH (Elle sort du camion-roulotte avec une valise à la main)Tu es prête?

ESTHER On ne peut pas partir sans leur dire au revoir! J’ai le coeur qui bat. JUDITH C’est normal. Écoute : Un... j’en ai assez. Deux... ils nous exploitent. Trois... je n’aime pas Etienne. Quatre... Bill n’a pas les yeux bleus. Cinq... l’aventure nous tend les bras. Six... ESTHER Oh les voilà! BILL (Voyant la valise) Qu’est-ce qui vous prend? JUDITH Tu le vois bien, on part. ETIENNE Quoi? ESTHER On part. BILL Avec qui? ESTHER Des marins. ETIENNE Oh, ne pleurniche pas. Ca ne sert à rien! BILL Elles sont idiotes! ETIENNE On les aime. Ca encore, c’est rien. Mais on leur offre un travail en or, et elles nous laissent tomber la veille d’une représentation! BILL

Et pour qui? Hein? Des marins!

“MARINS, AMIS, AMANTS OU MARIS” ESTHER Les marins sont bien plus marrants Que tous les forains réunis! BILL Les marins font de mauvais maris JUDITH Mais les marins sont de bons amants ETIENNE Marins, amis, amants ou maris Les marins sont toujours absents JUDITH Le hasard qui fait d’habitude Si bien les choses, s’est trompé En semant des roses fanées Au coeur de nos deux solitudes En semant des roses fanées Au coeur de nos deux solitudes ETIENNE Si les roses de notre amour Ne fleurissent plus qu’en épine Et si tu préfères l’algue marine Cela ne vaut pas même un discours Veux-tu pour ça que je t’assassine Ou veux-tu que je meure d’amour? ESTHER Tu avais tout pour me séduire Le nez, la bouche, le front, les cheveux Si tu avais eu les yeux bleus

J’aurais pu d’amour pour toi mourir Si tu avais eu les yeux bleus J’aurais pu pour toi mourir d’amour! BILL Si mes beaux yeux chère marquise Ne te font plus mourir d’amour Si un marin t’a fait la cour Qu’est-ce que tu veux que je te dise? Veux-tu que je me scandalise? Veux-tu que je meure de jalousie? JUDITH Il ne faut pas que tu m’en veuilles Ou je vais me mettre à pleurer ESTHER Mon maquillage va couler Et j’ai déjà la larme à l’oeil JUDITH ET ESTHER Mon maquillage va couler Et j’ai déjà la larme à l’oeil ETIENNE ET BILL Envolez-vous mes tourterelles Partez, voyagez au long cours BILL Puisque ni nos yeux... ETIENNE Ni nos discours... BILL ET ETIENNE ...ne vous font plus frémir d’amour Envolez-vous mes toutes belles Bon voyage et belles Amours!

JUDITH Au revoir. ESTHER Au revoir. BILL Tu a bien réfléchi? ESTHER Oui. BILL ET ETIENNE Nous voyageons de fille en fille Nous butinons de coeur en coeur Un jour ici, un jour ailleurs Dans la vie tout nous est facile...

(Au café) MAXENCE Braque, Picasso, Klee, Miró, Matisse... c’est ça la vie! DUTROUZ D’accord... la vie. Mais vous, comment faites-vous? Vous n’allez pas me dire que vous peignez à la caserne, on ne peut pas peindre dans une caserne, ça ne s’est jamais vu! MAXENCE J’ai une chambre en ville... mon atelier quoi. Tous les soirs je fais le mur, je rentre chez moi, et je peins. La semaine prochaine, je monte à Paris, et dans six mois, j’expose. DUTROUZ Si on vous libère. MAXENCE Ah déconnez pas Dutrouz! DUTROUZ Eh, ça va mal partout. Ca me rappelle 39. Tenez, ça a commencé comme ça en 39. Je vous ai encore vu ce matin faire le guignol. MAXENCE

On partait en manoeuvres. Si vous croyez que ça m’amuse. Oh non, puis fermez-la Dutrouz.La semaine prochaine je suis civil, la quille! Lundi. N’est-ce pas, madame Yvonne? YVONNE Comme c’est triste tous ces hommes qui partent. MAXENCE Tous? Pourquoi tous? YVONNE Oh, je disais ça comme ça. Je pensais à une histoire qui m’est arrivée. Évidemment ça ne vous regarde pas. Vous allez bien finir par casser cette chaise! MAXENCE C’est une histoire d’amour, je suppose. YVONNE Que voulez-vous que ce soit? C’était ... c’était une passion secrète. Je n’en ai parlé à personne. Personne n’en a jamais rien su. Pas même mes filles. MAXENCE Ah, vos filles. Depuis le temps que vous m’en parlez! J’aimerais bien les connaître. DUTROUZ Mais taisez-vous donc! Et alors, cette passion, si je comprends bien, ça a mal tourné?

“CHANSON D’YVONNE” YVONNE Mon fiancé avait un nom fort détestable Et ce nom m’agaçait plus qu’il n’est supportable Alors je l’ai quitté sans un mot, sans adieu Il y aura dix ans que j’ai brisé ce noeud Je lui avais appris dans le plus doux moment Que j’attendais de lui l’heureux événement Qui anoblit la femme et enorgueillit l’homme Car Boubou s’annonçait, pauvre petit bonhomme

C’était un beau jeune homme et j’étais demoiselle Bien que j’ai eu déjà par hasard mes jumelles Qu’il ne connaissait pas, elles vivaient en pension Et ne rentraient jamais le soir à la maison Quelques années plus tard par un ami commun Je lui ai fait savoir qu’un riche mexicain Me proposait l’amour au bord du Pacifique Ce n’était qu’un mensonge amer et pathétique A présent je suis seule, et je n’ai plus vingt ans J’ai voulu voir la ville où mon amour d’antan Avait connu le jour, je m’y suis installée Avec mes souvenirs épars et désolés DUTROUZ Et vous ne savez pas ce qu’il est devenu? YVONNE Non. Il doit être à Paris. MAXENCE Mais vous devriez aller le retrouver, ou faire une enquête. DUTROUZ Mais... et comment s’appelait-il, ce monstre? YVONNE Dame... Simon Dame. Devant la loi, je devenais madame Dame, c’était ridicule! PÉPÉ C’était un salaud! YVONNE Mais non, Papa, calme-toi! PÉPÉ Un salaud!

DUTROUZ C’était peut-être un salaud, mais il avait un nom aimable! MAXENCE Madame Dame... moi je trouve ça rigolo! YVONNE Oui, en somme j’ai eu tort... MAXENCE Non, j’ai pas dit ça. Bon, on y va? DUTROUZ C’est figuratif!? MAXENCE Mais puisque je vous le dis! C’est ma seule toile figurative. Mes toiles abstraites sont à la caserne. Vous venez avec nous? YVONNE Mmm? MAXENCE Je vais lui montrer mon idéal féminin. YVONNE Où ça? MAXENCE Je l’ai mis en dépôt chez Guillaume Lancien, un marchand de tableau. C’est à cinq minutes d’ici. YVONNE Je regrette mais je ne peux vraiment pas... MAXENCE Vous vous foutez de ce que je fais. YVONNE Vous savez bien que non! MAXENCE Bon. Salut! Vous venez?

DUTROUZ Bonsoir. YVONNE Bonsoir. SOLANGE Bonjour maman. YVONNE Bonjour. SOLANGE Bonjour Pépé. Bonjour Josette. JOSETTE Bonjour. SOLANGE Mais qu’est-ce que t’as? T’as pleuré... YVONNE Non! SOLANGE Ne dis pas non, je le vois! MARIN N°1 Salut! MARIN N°2 Salut! SOLANGE Bonjour. YVONNE Bonjour messieurs. J’aime bien ton chapeau. SOLANGE Moi aussi. YVONNE Eh bien, c’est tout ce que tu racontes? SOLANGE Je suis toute émue parce que j’ai rencontré l’homme de ma vie. A part ça on travaille. YVONNE J’ai pas vu Delphine depuis trois jours, tu te rends compte! SOLANGE

On travaille, je te dis. Ah... et puis la semaine prochaine, on monte à Paris. Je vais me faire engager aux Concerts Parisiens et Delphine à l’Opéra. Ah... on ne va pas moisir ici! YVONNE Vous êtes assez grandes pour savoir ce que vous avez à faire. Il a raison Dutrouz, ça va mal, il y a toujours une guerre quelque part. C’est incroyable cette manie de se battre! MAXENCE J’ai oublié mon béret! BOUBOU Salut Maxence! MAXENCE Salut. Bonsoir. SOLANGE Qui c’est, celui-là? YVONNE Maxence. Un peintre qui fait son militariat. (Bruit de verre)... Boubou! Descends de là! Oh, je t’ai déjà dit de ne pas monter sur les tables quand il y a du monde. Ce gosse! Eh, tu t’en vas? SOLANGE Oui, je rentre. Bonsoir maman. YVONNE Venez dîner demain si vous voulez. Dutrouz sera là. SOLANGE Dutrouz? Qui c’est Dutrouz? YVONNE Tu ne connais pas Dutrouz ? C’est un ami de Pépé. Ils se sont connus à Salonique en 24, ils se sont retrouvés la semaine dernière, ils ne s’étaient pas revus depuis quarante ans! SOLANGE Bon alors à demain.

YVONNE A demain! SOLANGE (Etienne et Bill entrent dans le café) Tiens, c’est encore vous! Au revoir. YVONNE Messieurs. BILL Elle est charmante votre soeur. YVONNE C’est pas ma soeur, c’est ma fille. ETIENNE Elle aussi? YVONNE J’ai eu deux filles d’un premier lit. Elles sont jumelles, mais elles ne se ressemblent pas. Ensuite j’ai eu Boubou... mais beaucoup plus tard. ETIENNE ... Dans un second lit! YVONNE Soyez correct, je ne suis pas d’humeur à plaisanter. BILL Nous non plus. On a des ennuis. YVONNE Ah oui? ETIENNE Les filles nous ont laissés tomber. YVONNE Les filles? ETIENNE Les deux donzelles que vous avez vues ce matin. D’habitude elles font pour nous un numéro, pas mal d’ailleurs, qui attire la clientèle. YVONNE Le grand Chabavanais! ETIENNE

Oui, c’est ça. Alors nous, on reste le bec dans l’eau. YVONNE Ici, vous ne trouverez personne pour faire le Chabavanais. Enfin, ça m’étonnerait! ETIENNE Le Chabavanais, ou autre chose. BILL Vos filles pourraient nous aider! YVONNE Mes filles? Oh, n’y comptez pas! ETIENNE Elles savent danser! YVONNE Delphine danse, c’est vrai. Solange solfie. Elle compose surtout. Enfin, elle sait danser aussi, mais elles n’accepteront pas! BILL Vous croyez? YVONNE J’en suis certaine! D’ailleurs avec le talent qu’elles ont, elles ne vont pas moisir ici. La semaine prochaine, elles montent à Paris. Qu’est-ce que je vous sert? ETIENNE Un blanc? BILL Un blanc. ETIENNE Deux blancs. Enfin, on peut toujours leur demander. BILL On ne risque rien. ETIENNE Oui. Qui ne risque rien... (il casse un oeuf dur pas dur)

YVONNE Oh, dieu du ciel! C’est encore Boubou qui a voulu faire une farce!

(Chez le marchand de tableaux) MAXENCE (Il montre sa toile à Dutrouz) Voilà. C’est elle. DUTROUZ C’est votre idéal? J’ai connu autrefois une jeune femme qui ressemblait un peu à ce portrait. Elle était danseuse. Je vous parle de ça... il y a quarante ans. Mais elle était brune, avec les cheveux courts, comme ça... MAXENCE Alors elle lui ressemblait pas du tout! DUTROUZ Non, pas vraiment. Enfin, un faux air, par là. Mais, je ne vois pas ça dans mon entourage. GUILLAUME Ce n’est pas à Rochefort que vous trouverez ce genre de fille.

“CHANSON DE MAXENCE - SUITE” MAXENCE Je l’ai cherchée partout, tout autour de la terre De Bali à Lima, des cousettes aux marquises Du ciel de l’île de Sein, au ciel de lit d’Elise Je l’ai courue partout et de partout j’espère Le seul fait d’exister la rend incomparable Le seul fait d’être là la rend plus désirable Que mille filles nues dans mille rêves fous J’ai fait le tour du monde, je l’ai cherchée partout Est-elle loin d’ici, est-elle près de moi?

Je n’en sais rien encore, mais je sais qu’elle existe Est-elle pécheresse, ou bien fille de roi Star de cinérama ou modeste fleuriste Je sais qu’elle m’appartiendra...

(Dans l’appartement) DELPHINE (Elle termine une leçon de danse) Un, deux, trois, quatre. Un, deux, trois, quatre... Très bien. Merci mes enfants. LES ENFANTS Au revoir mademoiselle. SOLANGE (Elle entre en courant dans l’appartement) J’ai rencontré l’homme de ma vie! DELPHINE Où ça? SOLANGE Dans la rue. DELPHINE Raconte!

“CHANSON DE SOLANGE” SOLANGE Je rentrais de l’école et je traînais Boubou Qui trépignait, pestait, jurait comme un voyou Au milieu de la rue il me fait un caprice Et jette son cartable dans les immondices Me voilà à genoux cernée par les vélos Recherchant les cahiers, les crayons, les stylos Répandus ça et là lorsqu’une voix aimable Me fait lever les yeux vers un type adorable Comme un souffle grisant sa voix à mon oreille

Chante, fredonne et joue comme un envol d’abeilles Je croise son regard et son regard me toise Je suis émerveillée, pis je reste pantoise Brun comme je les aime, un air intelligent Un sourire incertain, quelques mèches d’argent Dans une chevelure de pâtre ou de poète Un concerto sublime éclate dans ma tête Son doux regard au mien s’oppose longuement Ensorcelés tous deux par un enchantement Boubou attend toujours, autos vélos défilent, Et le temps lentement perpétue notre idylle Mais il me faut partir et mon coeur se résigne Car mon bel inconnu du départ donne signe Il se lève et sa voix émue me dit en face “Votre combinaison le saviez-vous dépasse?” Ce fut tout... DELPHINE ET SOLANGE Est-il près, est-il loin, est-il à Rochefort? Je le retrouverai car je sais qu’il existe Bien plus que la raison, le coeur est le plus fort A son ordre, à sa loi, personne ne résiste Et je n’y résisterai pas SOLANGE C’était sûrement un étranger. Ou un touriste. DELPHINE Pourquoi? Il avait un accent? SOLANGE Je ne sais plus. DELPHINE

Un appareil photo? SOLANGE Non. DELPHINE Alors, pourquoi serait-il américain? SOLANGE J’ai pas dit américain. J’ai dit étranger. Les étrangers ne sont pas forcément des américains. DELPHINE Non, mais ce sont souvent des touristes. SOLANGE (Sonnerie) Seigneur, si c’était lui? (Elle ouvre la porte d’entrée) Oh, c’est Jules et Jim. BILL Bonjour mademoiselle. ETIENNE Bonjour. DELPHINE Encore vous! Tu les connais? SOLANGE Oui, on s’est déjà rencontrés. DELPHINE Ne restez pas dans la porte, j’ai froid. SOLANGE Que voulez-vous? BILL Voilà. Votre mère, madame Yvonne... DELPHINE Oui, ça va! SOLANGE Laisse-les parler!

ETIENNE Oui, laissez-nous! BILL ... Votre mère, madame Yvonne, nous a dit que vous montiez à Paris la semaine prochaine. SOLANGE Oui... c’est vrai. ETIENNE ... Et que vous cherchiez quelqu’un pour vous emmener. DELPHINE On n’a jamais dit ça! BILL Enfin... nous on peut vous emmener! SOLANGE Dans votre camion? ETIENNE Il y a des couchettes! DELPHINE On voit ça d’ici. BILL On est sérieux. DELPHINE Quel baratin! SOLANGE Bon. Rien d’autre? BILL On voulait vous proposer une affaire. ETIENNE

Mais pas dans l’entrée! SOLANGE Bon. Prenez ça (elle leur tend deux chaises). DELPHINE Alors? ETIENNE Explique. Après tout, c’est une idée à toi. BILL Euh, c’est toi le chef! SOLANGE Nous avons tout notre temps. ETIENNE Bien. Pour animer un peu notre stand, dimanche à la kermesse, nous avons pensé, enfin c’est Bill qui en a eu l’idée, nous avons pensé disais-je que vous pourriez peut-être faire un numéro. Quelque chose de gai. SOLANGE Un numéro? DELPHINE Ils nous prennent pour des strip-teaseuses! SOLANGE C’est évident. BILL C’est à dire que les artistes que nous avions engagées nous ont fait faux bond au dernier moment. Et nous avons besoin de... SOLANGE ... de remplaçantes... DELPHINE ... au pied levé! BILL Oui, c’est cela. ETIENNE Alors, est-ce que ça vous intéresserait?

SOLANGE Intéresser n’est pas le mot exact. Néanmoins nous pouvons y penser. DELPHINE Nous avons vraiment beaucoup de travail en ce moment. ETIENNE Ca veut dire oui, ou ça veut dire non? DELPHINE Qu’est-ce que tu en penses? SOLANGE Je ne sais pas ce que veulent ces messieurs. ETIENNE Quelque chose de gai. SOLANGE Vous vous répétez!... Quelque chose dans cet esprit là :

“DANS LE PORT DE HAMBOURG” SOLANGE Dans le port de Hambourg, sur le pavé mouillé Trois marins et l’amour, ça fait quatre paumés Ca fait quatre en bordée, quand trois filles et l’argent Rencontrent les paumés, sur le pavé luisant DELPHINE Dans le port de Hambourg, trois marins javanais Parlaient du grand amour, comme si ça existait Comme si pour ce prix-là, les filles de Hambourg Aux marins de Java, offraient le grand amour SOLANGE Vous aimez? ETIENNE C’est sinistre.

BILL Et puis ça a traîné partout. Les marins, les filles et les bateaux... y’en a marre! DELPHINE Oui, on a compris. Solange, notre chanson! SOLANGE Oui, ça va leur plaire.

“DE HAMBOURG A ROCHEFORT” DELPHINE ET SOLANGE Nous sommes deux soeurs jumelles, nées sous le signe des gémeaux Do, ré, mi, fa, do, si... si, do, ré, mi, mi, mi, si, la Du plomb dans la cervelle, de la fantaisie à go-go ré, mi, fa, sol, ré, do ... do, ré, mi, fa, fa, fa, do, si. BILL ET ETIENNE Donnez-nous du bonheur, donnez-nous aussi de l’esprit Ajoutez-y du coeur, et puis un zeste de génie Aussi fort que la joie, aussi beau que la vie Donnez-nous des chansons, inventez des folies! DELPHINE ET SOLANGE Voulez-vous de la danse, choisissez : moderne ou classique Voulez-vous la cadence des danses dites romantiques? SOLANGE Voulez-vous du Mozart? DELPHINE Voulez-vous du Stravinski? SOLANGE Voulez-vous du Jean-Sébastien Bach? DELPHINE

... Ou du Bogoslovsky? SOLANGE Louis Amstrong, Ellington, Count Basie ou bien Hampton? DELPHINE Ou préférez-vous entendre... du Michel Legrand? ETIENNE Chantez l’amour... BILL ... Ou le mépris... BILL ET ETIENNE ... Chantez surtout avec esprit. SOLANGE Chantons le jour... DELPHINE ... Dansons la nuit... DELPHINE ET SOLANGE ...Chantons les beautés de la vie! ETIENNE Chantez la joie... BILL ... Chantez le vent... BILL ET ETIENNE ... Chantez la pluie ou le beau temps... ETIENNE Exaltez-nous SOLANGE

Inspirez-nous BILL ET ETIENNE Enchantez-nous, étonnez-nous!

LES FORAINS (Sur la place) Pavoisons, à grands coups de soleil Peignons des éclats de rire, décorons Enluminons la ville, allumons Des feux de joie, de plaisir et de sourire

GUILLAUME (A la galerie) Pourquoi me contrarier? Pourquoi perdre du temps? Et pourquoi repousser ce bras que je te tends passionnément? Puisque le jour viendra où tu seras ma femme Et que pour te ravir j’irai jusques au drame

YVONNE (Dans son café) Pourquoi ai-je menti? Pourquoi le Pacifique? Pourquoi ce Mexicain perdu sous les Tropiques? JOSETTE Vous n’allez pas gémir et pleurer tous les jours YVONNE Pourquoi me faudrait-il renoncer à l’amour?

ANDY (Au volant de sa voiture) Quelle harmonie sublime Ré, si, do, ré, la, do

Que cette phrase exprime, Do, la, si, do, sol, si, la, la, do, do, fa, fa Sol, mi, fa, la, sol, sol, Où sont les jolies mains Qui tracèrent ces notes? Mi, ré, mi, si, mi, mi Il me faut sans tarder Leur passer des menottes

SIMON (Dans son magasin) Me faudra-t-il travailler encore sans espoir? Me faudra-t-il longtemps demeurer sans la voir? Pourquoi courir l’amour au bord du Pacifique Alors qu’on peut le faire ici dans l’Atlantique

MAXENCE (Dans les rues de Rochefort) Retrouver le génie problème existentiel De l’artiste fuyant la peinture officielle Et dans le même instant par le plus grand hasard Retrouver cet amour le jour de mon départ

DELPHINE ET SOLANGE De l’ardeur... BILL ET ETIENNE ... De l’esprit... DELPHINE ET SOLANGE ... De l’amour... BILL ET ETIENNE ... Des folies... DELPHINE ET SOLANGE ... Du génie... BILL ET ETIENNE ... De la joie... DELPHINE ET SOLANGE ... Du bonheur, de la vie...

BILL ET ETIENNE ... De l’ardeur... DELPHINE ET SOLANGE ... De l’esprit... BILL ET ETIENNE ... De l’amour... DELPHINE ET SOLANGE ... Du génie... BILL ET ETIENNE ... De la joie... DELPHINE ET SOLANGE ... Du bonheur... ENSEMBLE ... De la vie... DELPHINE ET SOLANGE ... De l’ardeur... BILL ET ETIENNE ... De l’esprit... DELPHINE ET SOLANGE ... De l’amour... BILL ET ETIENNE ... Des folies... DELPHINE ET SOLANGE ... Du bonheur... BILL ET ETIENNE ... Du génie... DELPHINE ET SOLANGE ... De la joie... BILL ET ETIENNE ... De la vie... DELPHINE ET SOLANGE ... De l’ardeur... BILL ET ETIENNE ... De l’esprit... DELPHINE ET SOLANGE ... De l’amour... BILL ET ETIENNE ... Des folies... DELPHINE ET SOLANGE ... Du bonheur... BILL ET ETIENNE ... Du génie... ENSEMBLE ... De la joie, de la vie...Ah!

ACTE II - SAMEDI

(Au café) MAXENCE Salut! YVONNE Bonjour! MAXENCE Vous êtes toute seule? YVONNE Josette est allée conduire Boubou à l’école, Pépé dort encore. Vous partez? MAXENCE Oui, j’avais deux jours de permission à récupérer. Je vais à Nantes, voir ma famille. Je vais en perm’ à Nantes! YVONNE En perm’ à Nantes! Ce que vous êtes drôle! (Elle prend le journal du matin). MAXENCE Donnez-moi une bière. YVONNE Oui. MAXENCE Je serai de retour lundi matin. Juste le temps de préparer ma valise et... Et adieu Rochefort! Bonjour Pépé. PÉPÉ Bonjour.

“LA FEMME DECOUPÉE EN MORCEAUX” YVONNE Tiens on a découpé une femme en morceaux Rue de la Bienséance, à deux pas du château On trouva ce matin une malle d’osier Renfermant les morceaux de Pélagie Rosier Une ancienne danseuse des Folies Bergères

Premier prix de beauté et de danse légère Elle avait soixante ans, plus connue autrefois Sous le fier pseudonyme de Lola-Lola Elle envoûtait les foules et des salles entières L’acclamaient en hurlant aux soirées de première On a ouvert la malle et aussi une enquête On attend les détails, la police est discrète On pose des questions, on fouille l’entourage Afin de découvrir l’auteur du découpage! Ca te dit quelque chose ça, Lola-Lola? PÉPÉ J’ai jamais connu de danseuse! MAXENCE Tiens, voilà Josette. JOSETTE Bonjour. YVONNE Vous en avez mis du temps! JOSETTE J’ai été arrêtée par un car de police En rentrant de l’école où j’ai mis votre fils Je me suis renseignée, on cherchait un sadique Que certains qualifiaient de fou métaphysique D’autres disaient de lui que c’est laid, que c’est lâche L’arme du crime étant ou la scie, ou la hache Le monstre avait coupé la dame savamment Et rangé les morceaux avec discernement... Dans l’ordre énuméré par l’Ordre des docteurs Avec les pieds en bas... YVONNE Arrêtez, quelle horreur!

JOSETTE On dit que l’on s’agite en milieu informé Que la population ne doit pas s’alarmer! MAXENCE Je vais aller voir ça, le mystère m’enchante Puis je prendrai mon train... YVONNE Il va en perm’ à Nantes! MAXENCE Au revoir, à lundi... JOSETTE Prenez votre bagage... MAXENCE Au revoir mes amis... JOSETTE ... Et faites bon voyage! YVONNE Dieu que ce crime est laid, et quel assassin sale! JOSETTE Il rangea cependant les morceaux dans la malle ... (Devant la maison de la victime)

“LES RENCONTRES” AGENT N°1 Ne restez pas là Circulez, soyez chics! AGENT N°2 Nous ne voulons pas Vous êtes antipathiques AGENT N°3

Ne nous forcez pas... A vous cogner dessus à bras raccourcis BADAUD N°1 Il y avait du sang jusqu’ici! BADAUD N°2 C’était une petite vieille aux blancs cheveux BADAUD N°3 C’est proprement immonde! MAXENCE Je n’aime que les blondes SOLANGE C’est très gentil pour moi, monsieur MAXENCE Ne vous fâchez pas Je n’aime que les blondes, mais ce n’est pas Parce que vous êtes rousse qu’avec un couteau Je vous couperai en morceaux SOLANGE Pourquoi seriez-vous Cet ignoble sadique? MAXENCE Ma foi non, et vous? SOLANGE J’enseigne la musique Parce que ça me plaît MAXENCE Moi je fais de la peinture abstraite Mais j’ai une ambition concrète Je cherche vainement mon idéal

Alors Je l’ai peint chez moi Venez le voir une fois Nous ferons connaissance... SOLANGE Sacré Maxence! MAXENCE Comment savez-vous mon nom? SOLANGE Maman m’a dit hier votre prénom Je vous ai aperçu dans son café Je suis Solange Garnier MAXENCE Ah, vous êtes la jumelle SOLANGE Vous pourriez essayer d’être spirituel Où allez-vous comme ça? MAXENCE J’ai un train à prendre Je vais deux jours en permission à Nantes Je vais en perm’ à Nantes... Ca ne vous fait pas rire du tout! SOLANGE C’est de l’esprit à quatre sous! MAXENCE Grattez où ça vous démange! Tant pis, et salut Solange! ANDY Monsieur, s’il vous plaît Depuis hier je cherche mais sans succès Un marchand de pianos...

MAXENCE J’en achète jamais! ANDY Pourquoi? Mais c’est idiot! MAXENCE Je suis peintre, alors Aux pianos je préfère les couleurs ANDY Moi j’aime la musique, et je vous assure Que cela ne m’empêche pas d’aimer la peinture MAXENCE Je vais vous dire ce que j’en pense Comme moi, vous avez une sacré chance! Il faut que je vous quitte Je prends mon train à cinquante Je vais deux jours en perm’ à Nantes! ANDY Il va en perm’ à Nantes! Ah, ah, ah, ah, l’astuce est étonnante! ANDY Pardon, mademoiselle! DELPHINE Excusez-moi, monsieur. ANDY Je suis criminel! Laissez-moi vous aider Vous ai-je blessée? DELPHINE

Moi pas du tout, mais si vous avez affaire Inutile de vous en faire ANDY Je ne veux pas vous importuner Je cherche partout comme une âme En peine un nommé Simon Dame C’est un ami marchand de pianos DELPHINE C’est ridicule ce nom! ANDY C’est un type épatant DELPHINE Je ne vous dis pas non! Mais cela me fait rire Presque malgré moi ANDY La question n’est pas là! DELPHINE Un nom, je sais bien C’est un peu comme une tête Ca ne rime à rien Ainsi moi j’ai l’air bête Ca ne veut rien dire Si par exemple je ressemble à une poule C’est parce que je me défoule! Mais au fond, voyez-vous, je suis très gentille Ah, j’oubliais la boutique De votre marchand de musique C’est ici à gauche, et puis deux fois à droite Au revoir monsieur ANDY

Merci pour ce renseignement précieux Au revoir mademoiselle. DELPHINE Excusez-moi je file J’ai rendez-vous en ville! (A côté de l’école) DELPHINE Bonjour mon chichou Qu’est-ce que tu t’es fait là? BOUBOU C’est rien, c’est un trou! SOLANGE Quels sont tous ces paquets? DELPHINE Nos costumes de scène De superbes robes de reine SOLANGE Vite, montre-les moi. DELPHINE C’est tout simple, et ça nous ira, je crois C’est coquet... SOLANGE C’est coquin ! BOUBOU Ah qu’est-ce que j’ai faim! DELPHINE Oui, on y va, mais patiente une minute SOLANGE Tu n’as pas peur qu’on fasse un peu putes?

DELPHINE Tiens, c’est drôle, mais je n’avais pas pensé à ça.

(Chez le marchand de musique) ANDY Bonjour monsieur Dame. SIMON Vous désirez? ANDY Tu ne me reconnais pas? SIMON Ma foi, monsieur, j’avoue que... Andy! Dieu me fustige, je suis impardonnable! D’autant plus impardonnable que je pense souvent à toi, je t’ai même écrit pas plus tard qu’hier, aux Concerts Parisiens. ANDY J’ai tellement changé? SIMON Pas du tout! Mais je m’attendais si peu à te voir ici dans cette boutique, après tant d’années... dix ans? ANDY Oui, dix ans. C’est bien ici, c’est calme. Tu vis seul? SIMON Oui. ANDY Et Yvonne? SIMON Elle n’est jamais revenue. Mais qu’est-ce qui me vaut l’honneur? ANDY Je donne quelques concerts en Europe. Hier, j’étais à Paris et j’ai pensé à toi. Aux Concerts Parisiens, on m’a dit que tu étais ici, alors je suis venu.

SIMON Ca me fait vraiment plaisir de te revoir. ANDY Oui. SIMON J’admire beaucoup ce que tu fais. Si, si. Quelle réussite, c’est prodigieux. Mais dans le fond ça ne me surprend pas, déjà, au Conservatoire, c’était évident! Tu savais ce que tu voulais, quoi... et tu l’as eu. ANDY C’est vrai “CHANSON D’ANDY” ANDY Adolescent, je rêvais de conquérir le monde Je n’étais amoureux que de croches ou de rondes Combien de fois l’accord d’un piano m’a ravit Pour un fortissimo, j’aurais donné ma vie! Pour une symphonie, j’aurais vendu mon frère Pour une mélodie, j’aurais trahi mon père Je n’étais que musique et jusqu’à aujourd’hui Par qui aurais-je pu être séduit? Je possède à présent tout ce que je souhaitais Le succès, le talent, de l’argent sans compter On me flatte, on m’adule, on me déshumanise Je suis découragé par la bêtise J’aurais préféré me battre pour de vraies richesses J’aurais tout sacrifié pour trois sous de tendresse Il me manquait l’amour, et l’amour m’appartient Depuis que cette fille a croisé mon chemin Est-elle loin d’ici, est-elle près de moi? Je ne l’ai pas revue, mais je sais qu’elle existe Est-elle puritaine, ou bien fille de joie?

Qu’importe sa vertu, puisque je suis artiste Et que l’amour dicte sa loi SIMON Si je comprends bien, tu es déçu et amoureux. ANDY Non, non. Pas déçu, je suis sage, et heureux. SIMON Alors puisque tu es sage, heureux et amoureux, tu restes à Rochefort! ANDY Impossible! J’ai un concert demain à Paris. Mais je reviendrai la semaine prochaine. Il faut que je retrouve cette fille-là! Hé, peut-être que toi tu la connais. SIMON Tu sais, il y a beaucoup de jolies filles ici. Enfin quelques-unes. ANDY Ok, ok. Alors, tu m’as dit que tu m’avais écrit? SIMON Justement, à propos d’une jeune amie. Une admiratrice qui aimerait te rencontrer. Elle compose. Je ne t’en dis pas plus. Mais tu pourrais l’aider, elle le mérite. ANDY Tu l’aimes? SIMON Ca se pourrait. ANDY Elle est jolie? SIMON Beaucoup plus que cela! Tu ne peux pas savoir ce que ça me fait plaisir de te revoir. ANDY

Tiens, écoute-ça. Tu vas me dire ce que tu en penses (Il s’installe au piano et joue le morceau de Solange). SIMON Je connais ça. ANDY C’est joli, hein? SIMON Très. J’ai déjà entendu ça quelque part. Mais où?

(Pendant le repas du soir, au café) SOLANGE (Elle cherche dans sa pochette) Tiens mais c’est curieux, où est mon concerto? DELPHINE Je l’ai vu au salon ce matin. Non tantôt! SOLANGE Il était ici rangé dans ma serviette, entre mon rouge à lèvres et l’étui à lunettes. DUTROUZ Bonsoir! YVONNE Voilà Subtil Dutrouz! Vous vous connaissez tous? Alors asseyez-vous! DUTROUZ Non, je ne connais pas je crois ces demoiselles. YVONNE Je vous en ai parlé. Ce sont mes jumelles. DUTROUZ Il me semble je crois vous avoir rencontrée. DELPHINE Vous m’étonnez, monsieur, car je m’en souviendrais.

DUTROUZ Je vous ai déjà vue, comme ça, face à face. A moins que d’autres femmes ainsi vous ressemblassent. YVONNE Delphine est danseuse, et... DUTROUZ Sans doute, me trompais-je... YVONNE Solange connait tout du chant et des arpèges. Mais vous tombez à pic. Prenez donc ce couteau. Vous allez cher Subtil découper le gâteau. DUTROUZ C’est que je ne sais pas! YVONNE Feriez-vous des manières? DUTROUZ Je vais m’exécuter si c’est une prière. YVONNE Je vous en prie, Dutrouz. JOSETTE Oh, il nous manque, Maxence. YVONNE Il est en permission sur son lieu de naissance. Il m’a dit en partant “Je vais en perm’à Nantes”. J’avoue que j’ai bien ri. SOLANGE L’astuce est consternante. DELPHINE

Quel est ce plaisantin? SOLANGE C’est un peintre-poète. Il est en garnison. Il dessine des têtes. DELPHINE Est-ce celui qui m’aime? SOLANGE Hélas, Dieu seul le sait. YVONNE (S’adressant à ses filles) Je bois à vos amours. (S’adressant à Etienne et Bill) Je bois à vos succès. DUTROUZ A notre belle époque, hein Norbert? Salonique! C’est là qu’on s’est connus, dans l’aéronautique. ETIENNE Nous on s’est rencontrés à Cherbourg. Sur le port. On le jetait d’un bar. Il était ivre mort. BILL La vie vous joue parfois des tours décourageants. J’avais perdu ma place, j’étais sans argent. J’avais bu ! BOUBOU Manque de pot! SOLANGE Ecoutez ce morveux! Veux-tu laisser ton nez! BOUBOU Je fais ce que je veux! SOLANGE Mets tes mains sur la table. Et puis ne bois pas tant! Il est insupportable! DUTROUZ

Je suis sûr et certain que nous nous sommes vus. DELPHINE Puisque je vous dis non, monsieur, n’insistez plus! Ensuite s’il vous plaît, La fin de votre histoire, Si monsieur le permet. BILL J’avais des idées noires. Je traînais dans Cherbourg de quartier en quartier, Après six mois passés à bord d’un chalutier. DUTROUZ J’ai connu un coiffeur à Cherbourg, euh... “Aimé”, Il avait épousé madame Desnoyers Une veuve de Tours, ou plutôt d’Orléans, Une ancienne danseuse, et mère d’une enfant. BILL Je ne l’ai pas connue. DUTROUZ ... C’était une Nantaise! BOUBOU Je pourrai avoir demain une glace à la fraise? YVONNE Oui, mais tais-toi! Que ce dîner manque d’attrait! Pourquoi ne pas donner ce soir quelques extraits Du numéro de chant et de danse classique Que vous jouerez demain? SOLANGE Il manque la musique! DELPHINE

Quant à moi, aujourd’hui, je me sens...quotidienne. YVONNE Je n’ai pas vu non plus vos costumes de scène! SOLANGE Demain! YVONNE Je n’irai pas demain à la kermesse. Je ne peux délaisser dimanche mon commerce. Je suis clouée ici. Dutrouz, vous nous quittez? DUTROUZ Il faut savoir hélas en tout se limiter! BILL On s’en va nous aussi. On doit se lever tôt. ETIENNE Ne vous dérangez pas. On file incognito. DUTROUZ Bonsoir messieurs, bonsoir à tous. BILL Bonsoir, bonne nuit. ETIENNE Bonsoir. YVONNE Boubou nous a quitté pour un juste sommeil. SOLANGE Il a bu à lui seul au moins une bouteille. DELPHINE Le marchand de sable endormi s’est trompé. Il a sablé Boubou au champagne frappé. SOLANGE

Bonsoir maman. YVONNE Bonsoir, et bonne nuit. DELPHINE Bonsoir JOSETTE Bonsoir YVONNE Comment vais-je emporter maintenant celui-ci?

ACTE III - DIMANCHE

(A la kermesse) BILL (Sur le stand de motos) Roulez, roulez, roulez à l’aise, roulez à l’air, sans fatigue, sans souci, pour tous les goûts, à tous les prix. Roulez, roulez.

(Dans la loge) DELPHINE Oh, j’ai un oeil plus grand que l’autre, regarde ! SOLANGE Montre! Non ça va. T’as pas vu mon gant? J’ai perdu un gant. ETIENNE C’est à vous maintenant.

SOLANGE Mais j’ai qu’un gant. Je peux pas rentrer en scène avec un seul... Ah! ETIENNE Dépêchez-vous!

(Sur le stand) BILL Maintenant, nous avons la joie de vous présenter les soeurs Garnier! Et voici les célèbres soeurs Garnier!

“LA CHANSON D’UN JOUR D’ÉTÉ” Quand l’été a disparu, l’été Quand le temps s’en est allé (est allé) Du côté des saisons mortes (saisons) On ne peut que soupirer (regretter l’été) Mais pour revivre un jour d’été Lorsque l’hiver s’est installé Et que votre coeur s’est glacé Il faut aimer... Aimer la vie, aimer les fleurs Aimer les rires et les pleurs Aimer le jour, aimer la nuit Aimer le soleil et la pluie Aimer l’hiver, aimer le vent Aimer les villes et les champs Aimer la mer, aimer le feu Aimer la terre pour être heureux... Quand l’amour a disparu (l’amour) Quand le coeur s’en est allé (est allé) Du côté des jamais plus (plus jamais) On ne peut que regretter (l’amour envolé)

Mais pour ressusciter l’amour Si votre coeur vide est trop lourd Si l’ennui menace vos jours Il faut aimer... Aimer la vie, aimer les fleurs Aimer les rires et les pleurs Aimer le jour, aimer la nuit Aimer le soleil et la pluie Aimer l’hiver, aimer le vent Aimer les villes et les champs Aimer la mer, aimer le feu Aimer la terre pour être heureux... Devant la joie retrouvée (la joie) Quand le coeur s’est installé (est allé) Du côté du grand amour (l’amour) Chaque jour est un été (le plus bel été) Et devant la joie retrouvée Devant l’été recommencé Devant l’amour émerveillé Il faut chanter... Chanter la vie, chanter les fleurs Chanter les rires et les pleurs Chanter le jour, chanter la nuit Chanter le soleil et la pluie Chanter l’hiver, chanter le vent Chanter les villes et les champs Chanter la mer, chanter le feu Chanter la terre pour être heureux... Chanter la vie, chanter les fleurs Chanter les rires et les pleurs Chanter le jour, chanter la nuit Chanter le soleil et la pluie Chanter l’hiver, chanter le vent

Chanter les villes et les champs Chanter la mer, chanter le feu Chanter la vie! Chanter les fleurs! Chanter les rires! Chanter les pleurs! Chanter la mer! Chanter le feu! Chanter la terre! Pour être heureux...

(De retour dans les coulisses) SOLANGE Je me suis payée un de ces tracs! DELPHINE Finalement, ça ne s’est pas si mal passé! SOLANGE J’avais mon truc derrière, ça, qui s’était décroché. BILL Y’a un type qui veut te voir. SOLANGE Moi? BILL Non, Delphine. DELPHINE Qui est-ce? BILL Je sais pas. SOLANGE Y’a quand même eu des applaudissements.

ETIENNE Evidemment, c’est très différent du grand Chabavanais. Mais, ça peut plaire! SOLANGE Oh, oh, ça va! DELPHINE Retrouvez-les vos Chabavanaises, grossiers personnages! (Elle sort de la tente) Ah c’est toi! GUILLAUME Tu es déçue? DELPHINE Oui. GUILLAUME Je passais, j’ai vu ton petit numéro, et je voulais te dire simplement que tu avais fait de grands progrès. DELPHINE Et à part ces quelques fleurs? GUILLAUME Je pense que si tu voulais... je ferais de toi une vedette. Viens avec moi. Je vais à Paris, je t’emmène. Une belle fille comme toi... DELPHINE ... a besoin d’un type comme toi. GUILLAUME Ce que j’aime moi, tu vois, c’est la vivacité de ton intelligence. DELPHINE Je ne veux plus te revoir Guillaume. GUILLAUME Tu le regretteras. DELPHINE Donne-moi au moins des nouvelles de mon petit peintre. GUILLAUME Il est en Allemagne, en manoeuvres. Grace à moi, mon coeur!

(Le soir, dans la tente) SIMON Bonsoir. Bonsoir messieurs. B&E Bonsoir SOLANGE Tiens, bonsoir. Delphine, ma soeur. SIMON Bonsoir mademoiselle. C’était merveilleux. SOLANGE Ah, merci. SIMON Non, non, sincèrement. Vous partez demain? SOLANGE Oui, ces messieurs ont la bonté de nous emmener à Paris. SIMON Hier, j’ai vu mon ami Andy. C’est formidable, il pensait à moi, il est venu me voir. Il retournait à Paris. Entre temps, il a rencontré une fille dont il est tombé amoureux. Enfin... ce serait trop long à expliquer. Je lui ai parlé de vous. Il sait qui vous êtes. Et vous pouvez aller le voir aux Concerts Parisiens. SOLANGE Je vous remercie. Vous êtes vraiment gentil. SIMON Mais non, c’était bien naturel. Bon, au revoir messieurs. B&E Au revoir SIMON Au revoir mademoiselle. DELPHINE Au revoir, monsieur Dame (rires).

SIMON Bonne chance. SOLANGE Eh bien, vous restez là, vous? BILL Pourquoi? On vous gène? DELPHINE Oui, on aimerait changer de tenue. Tournez vous de l’autre côté BILL Ah! là là (rires). ETIENNE On a quelquechose à vous dire. SOLANGE Alors parlez. Mais faites vite. DELPHINE On peut tirer ce truc là? SOLANGE On attend! BILL Voilà... Etienne et moi, on vous aime. DELPHINE Mais nous aussi, on vous aime. N’est-ce pas Solange? SOLANGE Bien sûr... DELPHINE Bill ou Etienne, passez-moi mon blue-jean sur la chaise. ETIENNE Oui, mais d’amour.

DELPHINE Quoi d’amour? BILL Qu’on vous aime... DELPHINE Je comprend rien à ce qu’il dit. ETIENNE Bref... On voudrait coucher avec vous. DELPHINE & SOLANGE QUOI? BILL Ben oui, c’est normal, puisqu’on vous aime! DELPHINE C’est pour ça que vous voulez nous emmener à Paris! SOLANGE On prendra le train. Ah, ah! ETIENNE Vous n’êtes pas très compréhensives... SOLANGE On voit très bien où vous voulez en venir.

“TOUJOURS-JAMAIS” DELPHINE Toujours la même rengaine Toujours la bagatelle Toujours les types m’entraînent Dans leur chambre d’hôtel Pourquoi?

SOLANGE Jamais de “je vous aime” Jamais de “je t’attends” Jamais de beaux poèmes Comme aux dames d’antan Pourquoi? DELPHINE Toujours la même histoire (pourquoi?) Toujours des aventures (pourquoi?) Toujours on me fait croire Que jamais rien ne dure Pourquoi, pourquoi? SOLANGE Jamais de sentiments (pourquoi?) Jamais de romantisme (pourquoi?) Jamais de grands moments Bouleversants de lyrisme Pourquoi? DELPHINE Toujours des types pressés (pourquoi?) Toujours des Amours brèves (pourquoi?) Toujours au jour laissées Quand l’aurore se lève Pourquoi? SOLANGE Toujours des Amours mortes Toujous des feux de braise Toujours entre deux portes Le coeur entre deux chaises Pourquoi? DELPHINE & SOLANGE Pourquoi nous faire la cour?

Pourquoi vouloir coucher? Pourquoi vouloir toujours Jamais nous épouser? Pourquoi? ETIENNE Pourquoi nous faire la tête? BILL Pourquoi nous semoncer? ETIENNE Pour terminer la fête Peut-on vous embrasser? BILL D’accord? DELPHINE D’accord ETIENNE On part quand même ensembles demain? SOLANGE Si vous nous promettez d’être corrects. BILL Bon. On essaiera. SOLANGE Soit. Nous partirons donc. ETIENNE Rendez-vous ici demain à midi. ENSEMBLE A demain. BILL Toujours la même rengaine

ETIENNE Toujours on nous délaisse BILL Toujours on nous dit non ETIENNE Jamais on nous dit oui Pourquoi? BILL Et toujours des promesses ETIENNE Et toujours des demains BILL On n’a vraiment pas de chance ETIENNE On n’a pas l’air malin! Pourquoi? Pourquoi? Oui, pourquoi?

ACTE IV - LUNDI MATIN

FACTEUR Facteur! YVONNE Bonjour. Dépêchez-vous, vous allez être en retard. JOSETTE Dépêche-toi, Boubou. Vite.

YVONNE Au revoir chéri. BOUBOU Au revoir m’man. ETIENNE Bonjour madame Yvonne. BILL Bonjour madame Yvonne YVONNE Bonjour messieurs BILL Un café. ETIENNE Ca fera deux! YVONNE Vous partez déjà? BILL On reviendra. YVONNE Vous emmenez mes filles? ETIENNE On a rendez-vous à midi. YVONNE Soyez prudents. Et cette fête, c’était réussi? ETIENNE Très YVONNE

Et mes filles? BILL Un triomphe! YVONNE (Dépliant le journal) Oh, ils en parlent en première page! Il y a même une photo! “Les soeurs Garnier mériteraient bien du palais”. Qu’est-ce que ça veut dire? ETIENNE Je ne comprends pas. BILL Moi non plus. Tiens, mais c’est Dutrouz! “Le sadique avait gardé chez lui l’arme du crime”. YVONNE Dutrouz. C’est bien lui. Oh, ils n’ont pas mis de “z” à la fin de son nom. Il va en faire une tête quand il va voir ça! ETIENNE Si elle lui reste sur la tête, sa tête! YVONNE Dutrouz, ça alors! ETIENNE On y va? BILL On y va! ETIENNE Il faut retourner à l’hôtel, revenir ici, finir le chargement. YVONNE Dutrouz, et il faisait des manières pour découper le gâteau! BILL Oh, le vilain! Madame Yvonne! ETIENNE Madame Yvonne!

YVONNE Au revoir messieurs, bon voyage! Si vous passez par Rochefort, venez me voir, ça me fera plaisir. B&E Au revoir (etc.) YVONNE C’est vrai que ça va mal. Dutrouz... le salaud.

(Dans l’appartement, bruit de sonnerie) DELPHINE Onze heures et demi. Ah, la vache! Solange! FILLETTE Je viens prendre ma leçon. DELPHINE Impossible, le cours est fermé. Nous préviendrons vos parents. SOLANGE Qui c’était? DELPHINE La petite Dumont. Elle voulait prendre sa leçon. SOLANGE Les gens sont fous. A cette heure-ci! DELPHINE Il est onze heures et demie. SOLANGE J’avais oublié de la décommander! Nous ne serons jamais prêtes à midi. Il faut absolument dire “au revoir” à maman et je dois encore aller chercher Boubou. Je vois vraiment pas comment je peux y arriver! DELPHINE J’irai embrasser maman. Pendant ce temps tu iras à l’école. Qu’est-ce que tu cherches?

SOLANGE Le troisième mouvement de mon concerto. Je l’ai pas retrouvé! C’est une catastrophe. DELPHINE Tu le connais par coeur. SOLANGE Oui, mais ça m’énerve! DELPHINE (Elle ouvre le rideau de la fenêtre qui donne sur la place) Et s’ils nous aimaient vraiment? SOLANGE Qui ça? DELPHINE Nos camionneurs. SOLANGE Je ne sais pas. DELPHINE Ils sont mignons. SOLANGE Oui, ils sont mignons. DELPHINE Et ton étranger? SOLANGE Envolé. Je l’ai peut-être rêvé. Et ton peintre? DELPHINE Il est en Allemagne. (Sonnerie). SOLANGE Tu attends quelqu’un? DELPHINE

Non, mais cette fois, nous sommes définitivement en retard. SIMON Mademoiselle Solange. Il faut que vous veniez tout de suite. SOLANGE Moi, où ça? SIMON Au magasin. Mon ami Andy est revenu, il vous attend. SOLANGE Maintenant? SIMON Immédiatement. Il est de passage, comprenez-vous? SOLANGE Nous sommes très en retard. Et je dois aller absolument chercher mon petit frère à l’école. SIMON Bonjour mademoiselle DELPHINE Bonjour. Monsieur peut aller chercher Boubou. C’est à deux pas, rue St André. Si ça ne l’ennuit pas, ça nous rendrait service. SOLANGE Tu exagères. SIMON Mais oui, bien sûr. DELPHINE Vous demanderez Boubou. Vous verez bien, c’est un petit roux. SOLANGE Impossible. C’est impossible. Je ne peux pas y aller. J’ai le trac.Je le verrai à Paris. DELPHINE Ce que tu peux être bête. Vas-y! SIMON Mais oui, allez-y.

SOLANGE Je tremble. Quelle folie! (elle sort) SIMON Bon. Au revoir mademoiselle. DELPHINE Au revoir monsieur.

(Au café) MAXENCE Salut! YVONNE Oui? MAXENCE On ne me dit plus bonjour? YVONNE Oh, monsieur Maxence. Ca vous change le... enfin l’uniforme civil. MAXENCE La quille, madame Yvonne. A moi la vie! YVONNE A dire vrai, je ne pensais pas qu’on allait vous libérer, avec tous ces bruits qui courent... MAXENCE Quels bruits? YVONNE Eh bien, vous n’avez pas lu le journal? Ca va mal partout. MAXENCE. Allons bon! Que Dutrouz soit pessimiste, je veux bien, mais vous? YVONNE Dutrouz? Eh, parlons-en. Tenez, regardez! Le sadique c’était lui... un drame passionnel. Il aimait cette dame depuis quarante ans, et depuis quarante elle se refusait à lui. Ca l’ennuyait beaucoup évidemment, mais c’était pas une raison pour la découper en morceaux, n’est-ce pas?

MAXENCE Elle prenait trop de place dans sa vie. Dutrouz! Bon, je file. YVONNE A Paris? MAXENCE A Paris. YVONNE Vous rencontrerez peut-être mes filles. Elles partent aussi. MAXENCE Ah, j’en ai rencontré une l’autre jour par hasard... Solange. YVONNE Et votre idéal? MAXENCE Ce sera pour la prochaine fois. J’ai laissé ma toile chez Lancien,vous pourrez passer la voir quand vous voudrez. Allez... au revoir madame Yvonne. Je vous embrasse. YVONNE Au revoir monsieur Maxence (il sort).

DELPHINE Bonjour m’man. YVONNE Alors c’est décidé, vous partez? DELPHINE Il est temps. YVONNE Solange ne viendra pas me dire au revoir. DELPHINE Je suis venue pour nous deux. YVONNE

Je suppose que vous n’irez pas non plus chercher Boubou? DELPHINE C’est arrangé. Un ami de Solange, monsieur Dame, est allé à l’école. Heureusement qu’il est venu, celui-là! YVONNE Qu’est-ce que tu as dis? Monsieur Dame? DELPHINE Dame. Simon Dame. C’est un nom idiot, mais c’est un type très sympathique. YVONNE Delphine, il faut absolument que je sorte. Depuis le temps, et Josette ne revient pas. Attends-moi. DELPHINE Mais je ne peux pas. Je dois partir, on m’attend! YVONNE Je reviens tout de suite (elle sort du café, laissant Delphine toute seule). PEPE Yvonne! Yvonne, le journal! Tu m’entends? (Delphine prend le journal et l’apporte à Pépé dans l’arrière-cuisine. A ce moment, Maxence entre). MAXENCE J’ai oublié mon sac! Salut! (Il ressort). DELPHINE (elle revient) Il y a quelqu’un?

(Chez le marchand de musique) (Andy est au piano, en train de joueur le morceau de Solange. Solange entre dans le magasin) SOLANGE L’étranger! ANDY

L’étranger? SOLANGE C’est vous, Andy? ANDY Oui, c’est moi. SOLANGE Où avez-vous trouvé cette partition? ANDY Dans la rue. SOLANGE Je l’ai cherchée partout. ANDY Moi aussi, je vous ai cherchée partout!

(Devant l’école) YVONNE Boubou? SIMON Yvonne! YVONNE Oh Simon! SIMON Yvonne, tu es là! C’était beau le Mexique? YVONNE Oui Simon, très beau.

(Sur la place) (Delphine sort du café, toujours désert. Dehors, elle rencontre Lancien)

GUILLAUME Où vas-tu? DELPHINE A Paris. GUILLAUME Tu ne veux pas venir avec moi dans ma belle auto? 230 au compteur, je suis à Paris dans quatre heures. DELPHINE Je ne suis pas pressée. GUILLAUME Si tu attends ton peintre, tu perds ton temps. DELPHINE J’irai en Allemagne, s’il le faut. Mais je le trouverai. GUILLAUME Alors bonne chance! DELPHINE Tu ne veux toujours pas me donner son adresse? GUILLAUME Il est à Paris. Et comme disait le poète “Paris est tout petit pour ceux qui s’aiment comme vous d’un aussi grand amour”. Alors tu finiras bien par le rencontrer, sur les grands boulevards.

(Devant le camion des forains) ETIENNE Dépêchez-vous, on vous attend. DELPHINE Solange n’est pas là? BILL Tant pis pour elle. DELPHINE

Je ne comprend pas. On s’était donné rendez-vous ici à midi. BILL Il est presque la demie. Allez, montez! DELPHINE Oh attendez deux minutes, quoi! Tenez, là voilà. ETIENNE Non c’est Josette. JOSETTE Attendez-moi, attendez-moi... Emmenez-moi, je voudrais voir la capitale. ETIENNE Allez, montez!

(La caravane foraine quitte la ville. Sur le chemin, le camion d’Etienne et Bill s’arrête pour prendre un auto-stoppeur : c’est Maxence).

FIN

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