Lamy, M. - Jules Verne Initié et Initiateur

April 16, 2017 | Author: Nigromant | Category: N/A
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Du même auteur : Histoire secrète du Pays Basque (Albin Michel).

JULES VERNE, INITIÉ ET

INITIATEUR

MICHEL LAMY

JULE,S VE,RNE, INITIE ET

INITIATEUR La clé du secret de Rennes-le-Château et le trésor des Rois de France

PAYOT, PARIS L06, Boulevard Saint-Germain

tgu

Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.

Copyright @ Payot, Paris 1984.

PROLOGT]E

Il faisait un soleil radieux en i:e matin de I'automne 1968 et, pour la première fois, j'apercevais le üllage de Rennes-le-Château se découpant sur le ciel de I'Aude. Quelque temps auparavant, j'avais

lu un curieux ouvrage, Le

Trésor Maudit de Rennes-le-Chôteau, remarquablement écrit par Gérard de Sède. Etonné, excité par cette histoire, j'étais alors tout à fait incapable d'y démêler le vrai du faux mais j'y sentais confusément l'appel de I'aventure et du mystère. Accompagné de quelques amis, j'avais voulu voir sur place de quoi il retournait. Un trésor fabuleux trouvé par un curé, des tombes truquées, des morts énigmatiques, une église transformée en rébus, des tableaux emplis de signes de pistes, des livres à clés..., tous ces éléments donnaient à l'

cercle des cercles.

Il suffit de connaîte

les règles du ieu.

Trouver le cercle, le centre et le trésor, et pour cela décrypter le message, mais aussi bien connaître les règles du jeu, c'est la loi imposée par Jules Verne, et le jeu intervient souvent dans ses romans. Beaucoup de ses personnages en ont la passion : Nicholl,

34

LE TRÉsoR Esr DANs LE cERcLE

Keraban, le docteur Schwarzencrona et Bredeford, par exemple. Mais le plus grand de ses joueurs est sans doute Philéas Fogg : son tour du monde commence par une partie de whist au cours de laquelle est engagé le fabuleux pari, une autre partie jouera d'ailleurs un rôle lors de sa traversée de l'Amérique, et ce parieur est un parieur absolu puisque c'est toute sa fortune qu'il engage dans I'aventure. En tout cas, on rencontre des jeux tout au long des romans de Jules Verne, de la partie de croquet da Rayon Vert au tirage du Billet de Loterie. Les descriptions des lieux elles-mêmes utilisent des éléments ludiques : ainsi Salt-Lake-City, la ville des Mormons, est , il est une > qu'ils nommaient... la « minne ». Cette quête doit se faire avec détermination : .. Fonçons jusqu'au centre du globe, s'il le faut, pour lui arracher son dernier morceau de houille », dit Simon Ford. L'appel de son >, Harry va le ressentir

: « Il était irrésistiblement entraîné par l'espoir de retrouver l'être mystérieux, dont l'intervention, pour dire le vrai, I'avait sauvé plus que tout autre, et les siens avec lui. » L'intérioriprofondément

(E) Jean-Paul Bourre, Les sectes lucifériennes aujourd'hui (Belfond).

JULES YERNE FRANC.MAçON

47

retion et la quête intérieure vont avoir lieu : En 1244, donc, Montségur fut assiégé. La forteresse était le dernier bastion du catharisme. Tout le monde connaît plus ou moins cette histoire, nous ne la reverrons donc pas

en détail. Disons simplement que la situation devenant critique, des négociations furent engagées, et I'on peut s'en étonner. La citadelle ne pouvait manquer de tomber à court terme et pourtant les croisés accordèrent aux défenseurs la possibilité de se retirer

avec armes, bagages et honneurs de la guerre, sauf pour les Cathares refusant d'abjurer, qui seront brûlés. Quelle clémence pour les hommes d'armes, d'autant qu'ils furent même absouts du meurtre des inquisiteurs massacrés à Avignonet. En plus, il leur fut accordé le droit de demeurer dans la place quinze jours supplémentaires. Pourquoi? Nous ne sommes pas au bout de nos surprises dans cette histoire car les tractations avec les défenseurs de la place, Pierre-Roger de Mirepoix et Ramon de Perelha, vont être conduites par Ramon d'Aniort, seigneur de la région de RennesJe-Château ayant toute la contrée sous sa mainmise. Et voilà que dans ce délai de quinze jours, le trésor spirituel et le trésor matériel des Cathares furent évacués. On vit un feu allumé sur le sommet du Bidorta pour avertir Montségur que tout allait bien, que le précieux dépôt se trouvait en lieu sûr. Or, celui qui avait allumé ce feu se nommait Escot de Belcaire et il était l'envoyé de Ramon d'Aniort. Durant la guerre contre les Albigeois, les Aniort se sont battus du côté des Cathares. Les quatre frères, Géraud, Othon, Bertrand et Ramon, auxquels se sont joints leurs deux cousins, en ont fait

voir de toutes les couleurs aux hommes de Simon de Montfort et ils furent excommuniés. Ils durent remettre leurs châteaux mais, fort bizarrement, leur excommunication fut rapidement levée, on leur recéda même quelques-unes de leurs terres. Le château d'Aniort devait être rasé mais, au dernier moment, Louis IX se ravisa mystérieusement et envoya un contrordre. Pourquoi? Mystère! Ajoutons que Louis IX reçut à la cour Ramon d'Aniort avec les égards dus à un homme que I'on ne doit pas négliger. Mais retournons à Montségur. N'est-il pas étonnant de voir Eso de Belcaire apporter à la forteresse une lettre de Ramon dAniort ? Des liens puissants lient ce dernier aux défenseurs de la furteressc : Remon a épousé Marquésia, sæur de Pierre-Roger de

OU LE SECRET DB

RENNES.LE-CHÂTEAU

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Mirepoix, et a donné sa s@ur Alice à Jordan de Perelha, fils de Ramon de Perelha. Mais cela ne nous explique pas quels moyens de pression possédait Aniort pour obtenir des conditions aussi favorables pour la garnison. Comment se fait-il, également, qu'en 1247,l-oais IX ait obligé Pierre de Voisins à rendre une partie de ses terres à Ramon d'Aniort ? Blanche de Castille aurait-elle dt négocier la reddition de Montségur? Ramon d'Aniort n'aurait-il pas obtenu de tels avantages contre la promesse de ne pas utiliser des documents prouvant que la lignée mérovingienne n'était pas éteinte ? Dès lors, tout deviendrait parfaitement logique de ce qui pouvait paraître incompréhensible. Mais alors, si Ramon d'Aniort a pu jouer un tel rôle, s'il a eu en mains les cartes suffrsantes pour forcer la royauté française à négocier, où le trésor aurait-il pu être plus en streté que sur ses terres ou dans la zone qu'il contrô-

hit

(31) ?

Autre sujet d'étonnement

: en t283, Philippe III le Hardi,

fit un voyage dans Pierre Razès. Il s'arrêta bien entendu chez de Voisins (32), le seigneur de Rennes et qui, en fait, possédait à peu près tout le Razès pour le compte du roi de France. Le passage du souverain dans cette région était sans doute motivé par la préparation de la guerre contre le Roi d'Aragon, Philippe le Hardi désirant obtenir la neutralité des seigneurs locaux qui, pour certaines de leurs terres, étaient vassaux du Roi d'Aragon. Mais Philippe le Hardi ne semble pas avoir eu ce seul but, et il se rendit chez Ramon d'Aniort. Il y fut fort bien reçu par Ramon, sa femme Alix de Blanchefort, et son jeune frère Udaut d'Aniort, dont Philippe le Bel aurait aimé faire son compagnon d'armes mais qui préfiéra devenir Templier. Comment le Roi pouvait-il venir honorer ces Aniort dont deux oncles étaient Cathares, alors même qu'Alix de Blanchefort était fille d'un seigneur faydit hérétique ayant mené la vie dure à Simon de Montfort ? Il est vrai que les Aniort étaient également Parents accompagné de son fils, le futur Philippe le Bel,

(3t) D'autant que, comme le fait fort justement remarquer Elie Kercob dans le n" 72 des Cahiers d'Etudes Cathares, I'itinéraire habituellement admis pour l'évacuation du trésor n'est pas logique. A l'époque concernée, la route aurait été à peu près impraticable pour des fugitifs lourdement chargés, à cause de la neige. De plus, le point d'aboutissement invoqué habituellement, Usson, se serait révélé être un véritable piège. (3'?) Ptritippe le Bel fut parrain du fils aîné de Pierre III de Voisins.

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cl,ous

DARDENToR

du Roi mais par alliance et par famille d'Aragon interposée (33). En repartant, Philippe le Hardi s'arrêta chez Pierre de Voisins pour déjeuner. Un accord avait dû être conclu et les Voisins étaient chargés de le faire respecter puisque Pierre

III

de Voisins, veuf de

sa première femme, épousa Jordane d'Aniort, cousine de Ramon ('o). En ligne directe, la famille de Voisins s'éteignit au début du xvt" siècle avec la dernière héritière : Françoise, fille unique de Jean II de Voisins. Baronne d'Arques et de Cousan, elle épousa en 1518 Jean de Joyeuse, qui

prit ainsi possession des terres

de la famille de Voisins. Il faut dire un mot également de la famille d'Hautpoul, l'une des plus anciennes et des plus illustres du Pays d'Oc. On nommait ses fondateurs les Rois de la Montagne Noire, où ils possédaient la mine d'or de Salsignes. On peut voir, près de la forêt de Nore, les ruines de leur premier château, démantelé par Simon de Montfort en 1212, tout près d'une grotte où une fée passait son temps à peigner ses longs cheveux d'or, telle Marie-Madeleine ou Mélusine. Pierre-Raymond d'Hautpoul était au siège d'Antioche aux côtés du Comte de Toulouse quand celui-ci découwit comme par miracle la Sainte-Lance. Lors de la croisade contre les Albigeois, les Hautpoul furent eux aussi dépouillés de leurs châteaux aux noms évocateurs sis sur les rives de l'Orbiel : Cabaret (de Caput

Arietis, la tête du bélier), Quertinheux, Tour Régine et Fleur Espine. Or, en 1422,Pierre-Raymond d'Hautpoul épousa Blanche de Marcafava, fille et héritière de Pierre de Voisins. En 1489, l'alliance entre les deux familles fut renouvelée plusieurs fois par la suite. En 1732, François d'Hautpoul épousa Marie de Negri

d'Ables qui apportait dans la corbeille les terres des anciens domaines de la famille d'Aniort. Ils eurent trois filles : Elisabeth qui vécut et mourut célibataire à Rennes, Marie qui épousa son cousin Hautpoul-Félines, et Gabrielle qui se maria avec le Marquis Paul-François Vincent de Fleury. Elisabeth eut des ennuis avec ses seurs auxquelles elle refusa de communiquer les papiers et titres de

(33) Philippe le Hardi était marié à Isabelle d'Aragon, fille de Jacques I" d'Aragon, lui-même neveu de Sancia d'Aragon et Géraud d'Aniort. (v) Nous ajouterons que, si les Aniort protégèrent toujours les Templiers sur leurs terres, Jacques de Voisins réussit, quant à lui, à sauver quelques templiers lors de I'arrestation ordonnée par Philippe le Bel. Au courant des ordres envoyés à son

père, il put prévenir à temps les moines soldats qui se rendirent en Aragon.

OU LB SECRET DE

RENNES.LE.CHÂTEAU IW

la famille sous prétexte qu'il était dangereux de compulser sans cesse ces documents et qu'il » viendrait, selon Vladimir Topentcharov ("), de ), noms que I'on donnait aux Cathares. Ce nom n'aurait-il pas été donné après que leur héritage att êté enfoui sous la protection de ce nouveau Tabor ? D'ailleurs, n'est-ce pas le Graal qui figure sur les murs de l'église du Bézu, figuré en noir et blanc, comme le Beaucéant des Templiers 138; Z Oe plus, n'existe-t-il pas un lien direct entre la quête du Graal et Salomon? C'est l'épée de ce dernier que (tt) On trouve dans des archives espagnoles un De FIeury commandeur de I'Ordre du Temple à Carcassonne au début du xvt'. Les armoiries des Fleury étaient : d'or à trois roses de gueules, posées 2 et l. (5) Parmi ces documents auraient figuré des documents généalogiques marqués du sceau de Blanche de Castille, prouvant l'existence de descendants des Rois Mérovingiens.

Vladimir Topentcharov, Boulgres et Cathares (Seghers). (38) Il est très exactement semblable à la représentation du Graal que I'on peut voir dans les heures de Caillaut et Martineau, du xvlo siècle, lui ausi alterné noir ct blanc. Notons par ailleurs, sur le plan toponymique, que la rune employée par les Wisigoths pour désigner le calicc, le Graal, remplaçait une ancienne rune ayant le sens d' « 61ç », tandis que celle de I'homme se voyait substituer celle de la tombe. 137)

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cLous

DARDENToR

Lancelot se vera remettre par une main sortie du lac, épée fabuleuse et magique que, selon la légende, Godefroi de Bouillon aurait possédée. Dans Parstful, Wolfram von Eschenbach nous dit qu'il tient le récit de la quête du Graal d'un texte primitivement écrit par le paTen Flégétanis qui était de la lignée de Salomon. Il n'y a peut-être pas antinomie entre le Graal et le trésor de Salomon, à condition de ne pas y voir un dépôt « juif », n'en déplaise aux agents israéliens qui sillonnent régulièrement le plateau de Rennes. En tout cas, la région fut toujours surveillée par les Cathares et le dernier parfait connu, Guilhem Bélibaste, qui périt brûlé en 1321, vécut à Arques. C'est aussi à Arques que vivait, il y a quelques années encore, celui que I'on nomma souvent d'un terme complètement impropre : le pape des Cathares, Déodat Roché. C'est là que, plus qu'ailleurs, la doctrine a survécu malgré les persécutions : « Au xrv' siècle, écrit Jean Duvernoy, ce n'est plus que dans les pâturages d'Arques, ce n'est plus qu'autour des feux de bergers que l'on récite le Credo et la mythologie cathares, singulier mélange de traditions venues de l'orient grec, d'humble piété montagnarde et de rêves de revanche. C'est à ces bergers que nous devons, hélas, I'exposé Ie plus complet qui nous soit conservé du catharisme. » On pourrait également rapprocher le livre fermé des sept sceaux de l'Apocalypse, représenté dans l'église de Bugarach à côté du calice graalique, de ce livre secret nommé Livre des Sceaux que l'on ouvrait solennellement au cours de la fête cathare de la Bêma. C'est bien au catharisme que s'intéressait Colbert, qui chercha le trésor de Rennes-le-Château pour le compte de Louis XIV, lorsqu'il chargea, en16fl9, un homme de confiance d'aller recopier à Carcassonne les registres de l'inquisition concernant la croisade contre les Albigeois. Dès lors, ne doit-on pas penser que le Graal aurait été caché dans la région du Bugarach ? N'est-ce pas ce que veut nous dire Jules Verne lorsqu'il commet une erreur sur le nom du site de Khrafalla qu'il nomme Kralfalla ? N'est-ce pas mettre en éüdence KralGraal ? Je serais tenté de le penser, d'autant qu'il récidive en parlant de Sidi-Kraled au lieu de Sidi-Khaled. N'évoque-t-il pas également le peuple des Beni-Amer qu'il transforme en BeniAmor, c'est-à-dire : les Fils de l'Amour ! Comment mieux désigner les Cathares qui se disaient messagers de l'Amour et voyaient dans Amor le contraire de Roma ?

OU LE SECRET DE RENNES-LE.CHÂTEAU

r09

La Coupe du Graal et le Sel de la Vie Eternelle. Jules Verne nous conduit sur la piste du Graal, cette coupe que I'on nommait antiquement coppe, cuve ou encore cave, termes désignant aussi les cavernes. A ce propos, on ne peut que

remarquer I'insistance de Jules Verne sur les tonneaux. A de nombreuses reprises, il rappelle que Clovis Dardentor est tonnelier : qui opposa deux sociétés rosicruciennes. Ayant lancé dans la presse de multiples attaques contre Stanislas de Guaita, Jules Bois vit un jour arriver les témoins de ce dernier : Victor-Emile Michelet et Maurice Barrès. Un autre duel I'opposa également à Papus.

Emma Calvé, qui fut aussi la maîtresse de Bérenger Saunière, entretenait d'étroites relations avec Joséphin Péladan (ta). Songeons donc à la présence de roses et de croix dans la décoration de l'église de Rennes-le-Château, aux roses figurant sur certaines des tombes, à la double sépulture de Paul-Urbain de Fleury et à I'inscription : « Il est passé en faisant le bien »>, à la croix ornée de roses de Rennes-les-Bains, portant l'inscription : In Hoc Signo Vinces, Domino Vie Rectore, Petrus Delmas Fecit, 1856

(s).

Ne devons-nous pas songer aussi aux écrits du Père Gaultier, un jésuite du xvn" qui s'attaqua à la Rose*Croix, l'accusant d'être un rejeton du Luthéranisme. Il écrivait : « il n'est pas indifférent que le sabbat général dont parlent les Effroyables pactions faites entre

le Diable et les prétendus Invisibles de 1623 se tiennent aux environs du labyrinthe qui est dans les Pyrénées

>>.

Qu'entendait-il

par là ?

Le Tour du Monde d'un Rose*Croix.

Il est temps de revenir à Jules Verne dans l'æuvre duquel il existe de nombreuses allusions à la Rose*Croix. Elles vont du grade de ('n) Lu société de Péladan comptait parmi ses membres le Comte de La Rochefoucauld, dont la famille possédait, selon Gérard de Sède, d'immenses forêts dans I'Aude et qui avait fait venir d'Alsace pour les gérer la famifle StuUein. C'est Eugène Stublein qui releva les inscriptions de

la tombe de la marquisc de

Blanchefort avant que Saunière les fasse disparaître. (rs) L,orsque la messagère ailée üent inüter Christian Rosenkreutz alrx noces royales, elle lui remet une lettre fermée d'un sceau portant une croix et I'inscription l Sous ce signe tu vaincras. Dans la lettre, on peut lire : « Ce jour, ce jour, ce jour, est celui des noces royales. Si ta naissance t'y convie, si Dieu t'a prédestiné à la joie, gagne donc le sommet que trois temples couronnent, et qu'en personne tu voies I'histoire, » Et ce n'est que muni de pain, de sel et d'eau que sa quête pourra s'accomplir.

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ruLEs VERNE ET LÀ sosE+cRorx

Réau-Croix évoqué de façon voilée dans Da la Terre à la Lune at nom du domaine qui, dans Bourses de Voyage, porte carrément I'appellation de la « Rose*Croix ». Quant à la devise figurant sur la tombe du marquis de Fleury à Rennes-les-Bains, nous avons déjà vu qu'elle apparaissait sous sa forme latine (Transire Benefaciendo) dans Les Enfants du capitaine Grant, Paganel affirmant : « c'est là

Notre devise ». Etonnons-nous après cela que dans un roman qui nous invite à une relecture du Tour du Monde en 80 jours, P.-J. Farmer nous montre Philéas Fogg comme un terrien élevé par des extraterrestres, possesseur d'un élixir de longue vie (t6). Toutes les caractéristiques du Rose*Croix sont aussi dans ce qu'écrit MarieHélène Huet à propos de Philéas Fogg (") : « il transcende le Temps : un Byron qui aurait vécu mille ans sans vieillir, dit Verne au début. (...) Le personnage n'est pas seulement mystérieux ou impénétrable, il est quasi omniscient. « Avait-il voyagé ? C'est probable, car personne ne possédait mieux que lui la carte du monde. Il n'était d'endroit si reculé dont il ne paralt avoir une connaissance spéciale (...). Ses paroles s'étaient trouvées souvent comme inspirées par une seconde we, tant l'événement finissait toujours par les justifier. » Et Marie-Hélène Huet, après avoir relevé ces passages, poursuit en écrivant : >. Par ce puits, selon l'un des personnages, il semble qu'on puisse aller « au centre de la terre >>. Là est un fabuleux trésor. Qui en aurait douté ? En tout cas le R.C. est bien lié à la Rose*Croix puisqu'un jeu de mots fait allusion au grade de Réau-Croix des Elus Coëns dans Ie chapitre IX, et il règne sur « l'une des plus formidables puissances occultes qui se soient constituées depuis longtemps en marge de la société », nous dit Gaston Leroux. Les rapports existant entre Robur et le Roi Mystère sont trop impoftants pour être le fait du hasard. C'est à se demander si Gaston Leroux et Jules Verne n'appartenaient pas à la même société, ou même si le premier ne tenait pas ses informations du second; c:r, nous dit Daniel Compère (") , Il n'est pas impossi" ble que Jules Verne et Gaston Leroux se soient rencontrés. C'est une simple hypothèse que nous avançons, mais voici sur quels éléments elle s'appuie : Gaston Leroux est né à Paris en 1868, mais ses parents viennent s'installer au Tréport vers 1879. Le jeune garçon fréquente donc le collège d'Eu, de la sixième à la classe de Rhétorique. Au collège, le directeur désigne le jeune garçon pour être le camarade de jeu de Philippe, fils du comte de Paris qui habite le château d'Eu. Entre parenthèses, les travaux de restauration de ce château sont effectués sur les plans de Viollet-le-Duc, par le père de Gaston Leroux, directeur d'une entreprise de

(")

Cf. aussi la rue des Brouillards. L'entrée du royaume souterrain du Roi Mystère se situe d'ailleurs très précisément à I'endroit où l'on retrouva Gérard de Nerval pendu (on ne sut jamais s'il s'agissait d'un suicide ou d'un assassinat)' (37) Daniel Compère, « Gaston læroux et Jules Verne » (in Yirions nouvelles sur lules Verne, Centre de Documentation Jules Verne).

(s)

t46

rulEs

yERNE ET LA RosE+cRoD(

travaux publics. Or, Jules Verne passe à cette époque de nombreuses semaines au Tréport où est ancré son « Saint-Michel III ». II a fait la connaissance du Comte de Paris à qui il offre le manuscrit de Vingt Mille Lieues sotn les Mers. Daoiel C-ompère pense qu'il serait fort étonnant que, ayant des fréquentations communes durant plusieurs années, le jeune Gaston l-eroux, déjà attiré par la littérature (il écrit des nouvelles au pensionnat du collège), et Jules Verne ne se soient pas rencontrés. Gaston Leroux fut-il initié par Jules Verne ? L'affirmer serait bien imprudent. Ce qui est certain, en revanche, Cest que Jües Verne a exeré une grande influence sur Gaston Leroux. On peut citer le titre clin d'æil d'un chapitre du Parfum de la Dame en Noir.' « La presqu'île mystérieuse. » Quant au roman de Gaston Leroux : Baloo, il traite du même sujet que Le village aérien de Jules Verne : le lien existant entre l'homme et le singe. De même, Rouleubille chez Krupp est presque un hommage rendu à Jules Verne, nous dit Daniel Compère. D'ailleurs, au début, se trouve le passage suivant : « Mais c'est une histoire dc Jules Verne que vous nous racontez là, mon cher savant... Je l'ai lue quand j'étais au collège : cela s'appelle Les Cinq cents milliotts de la Begurn » Et quoiqu'il ne s'agisse pas là comme chez Jules Verne d'un obus, mais d'une torpille, le roman de Leroux suit bel et bien le canevas des Cinq Cents Millions de la Begum de Verne, qui s'était d'ailleurs inspiré des usines Krupp pour créer la Stahlstadt de son roman. Il faut ausi citer un ouvrage « sousmarin >, de Leroux intitulé Le Capitaine Hyx. S'appeler H1a (X) ou personne (Nemo), n'est-ce pas la même chose ? D'ailleurs le roman s'inspire bien évidemment de Vingt Mille Lieues sous les Mers. Je ne peux que conseiller à ceux qui s'intéressent à Rennes-leChâteau de lire « tout » Gaston Leroux. Traiter en détail de son Guvre nous entraînerait trop loin. Mais il nous faut cependant citer à titre d'exemple : La Reine du Sabbat, dont les héros se nomment Réginald, Regina, et Rynaldo. L'histoire, qui se déroule pour partie en Camargue et pour partie en Bohême, est celle (très romancée et partisane de la part de Gaston læroux) de cet archiduc de Habsbourg mis en scène par Jules Verne dans Les Naufragés du Jonathan.' Jean Orth, à peine déguisé sous le nom de Jacques Ork (38;. Dans ce roman, tout comme dans Un homme dans la Nuit

(il) est curieux dc remarquer qure Un homme dans la nzit décrit bien exactement I'incendie du Bazar de la Charité dans lcqucl mourut une archiduchessc de Habsbourg : Sophie.

Il

JULES VERNE ET

LA

ROSB+CROD(

I47

ou Rouletabille chez les Bohémiens, l'histoire tourne autour d'un problème dynastique, de la quête d'un », d'un descendant d'origine royale, promesse d'un bonheur à venir pour le peuple : ), nous inütant à poser une équation (3e), curieux gitans qui nous livrent les secrets de Jules Verne. D'ailleurs Gaston Leroux avoue I'emprise qu'exerce sur lui l'æuvre de Verne. Dans Un homme dans la Nuit, il s'inspire d'un épisode da Tour d.u Monde en Quatre-Vingts jours sans s'en cacher d'ailleurs; dans La Reine du Sabbat il reprend en le citant nommément le supplice subi par Michel Strogoff et nomme un chapitre .< Monsieur sans-Nom » (autant dire Nemo), s'inspirant par ailleurs da Chôteau des Carpathes et de Maître Zacharius pour certains passages. Livrons enfin pour le plaisir cette phrase, tirée de Rouletabille chez les Bohémiens, à la sagacité des lecteurs : « jamais on ne vit tombe de bohémien si bien que la légende raconte qu'ils détournent le lit des ruisseaux pour y enfouir les corps qu'ils veulent sauver de la profanation des roumis. » A ce propos, je ne peux que conseiller la lecture d'un article de E. Blanc-Lafangere, intitulé », autre , l'amour devenant ainsi un des ressorts de »

(e) Ed. Albin Michel.

194

JULES VERNE ET LA TERRE CREUSE

prendre des leçons d'abime afin de progresser dans l'art des hautes contemplations (ro).

La Tene

Creuse.

Ce qui nous intéresse, ici, c'est Ie thème même de la terre creuse. Cette idée de se représenter le globe terrestre, Axel nous en donne la source en se souvenant « de cette théorie d'un capitaine anglais qui assimilait la terre à une sphère creuse à l'intérieur de laquelle l'air se maintenait lumineux par suite de sa pression, tandis que

deux astres, Pluton et Proserpine, y traçaient leurs mystérieuses orbites ». Dans les Aventures du Capinine Hatteras (chapitre XXIV), Jules Verne nous donne des précisions, par la bouche du docteur Clawbonny, sur ce capitaine anglais qui serait : « le capitaine Synness qui proposa à Humphry D"rry, Humboldt et Arago de tenter le voyage ! mais ces savants refusèrent ». Le même docteur Clawbonny rappelle d'ailleurs une légende prétendant

»

JULES VERNE ET LES ILLUTNNÉS DE

BAVIÈRE



Canadiens français. Il défend la mémoire des Vendéens, des Bretons contre-révolutionnaires. Il ne cesse de se proclamer d'une certaine façon anticolonialiste, et par ailleurs nous le voyons faire preuve de racisme. Dans La Mission Barsac (et cela n'est qu'un exemple parmi bien d'autres), il écrit des Noirs « qu'il ne pourrait être question de les consulter, pas plus qu'on ne consulte un enfant malade sur le remède qu'il convient de lui appliquer ». Et ce racisme s'applique plus particulièrement aux Juifs. Il n'est qu'à voir le personnage d'Isaac Hakhabut dans Hector Servadac pour bien s'en convaincre, à tel point que l'éditeur Hetzel reçut une plainte du grand Rabbin de Paris. Hetzel écrivit à ce sujet à son fils : .< J'avais prévenu Jules Verne, j'avais atténué plus d'un passage, mais il s'est acharné sur le piteux personnage de telle sorte qu'il n'y a que des atténuations difficiles. » Et lorsque dans l'un de ses romans un Juif a l'air presque sympathique, Jules Verne s'empresse de nous signaler qu'il s'agit d'une exception. Sur le plan religieux, l'ambiguïté est la même. Elevé dans le catholicisme, il semble que Jules Verne ait plus ou moins traversé une crise de mysticisme vers 1853. On peut sans doute en déceler l'aboutissement dans un texte assez extraordinaire intitulé Maître Zacharius. Mais, en \862, ce fut la rencontre d'Hetzel qui vivait dans un milieu composé d'anticléricaux comme Jean Macé et de franc-maçons déistes. Il semble qu'il ait alors adopté le déisme. On pourrait en voir la preuve dans le fait que s'il nomme souvent Dieu, la Providence ou le Créateur, il ne parle jamais du Christ. S'il imagine certaines scènes se déroulant dans les églises, il ne parle jamais de l'Eglise. Simone Vierne fait remarquer par ailleurs que le personnage de Nemo intervient un peu «)mme le cri de Nietzsche : Dieu est mort, dans la pensée de Jules Verne. Mais il faut souligner combien, souvent, la pensée des héros verniens est d'essence religieuse.

lules Verne ou l'anarchisme aristocratique. L'ambiguïté des positions politiques de Jules Verne est bien mise en évidence par le titre de l'un des chapitres du livre de Gilbert Prouteau (Le grand roman de lules Verne, sa vie) .' .< LIn anarchiste conservateur »; ambiguité que l'on retrouve dans Chemin de France dans lequel Jules Verne écrit : « Tantôt l'un rapportait que

210

,ULES VERNE ET LES ILLUMINÉ,S DB BAVIÈRE

j'avais été à droite quand c'était à gauche. Tantôt I'autre à gauche quand c'était à droite. » Pour débrouiller cet écheveau, je pense qu'il faut faire la part de I'idéalisme et celle du réalisme chez Jules Verne. Le réalisme fait de lui un homme d'ordre. L'idéalisme fait de lui un anarchiste, mais pas un aigri revanchard, non, un anarchiste aristocratique, un anarchiste par idéal. On sent fort bien sa sympathie pour des héros prométhéens se mettant à l'écart de la société, comme Robur ou Nemo. Jules Verne a d'ailleurs été mis en relation, sans doute grâce à Hetzel, avec des anarchistes importants, tel Elisée Reclus (r). D'une certaine façon, on peut voir dans Jules Verne un

révolutionnaire; d'ailleurs Pierre [.ouys, procédant à l'analyse graphologique de son écriture ('), fit apparaître en premier lieu qu'il était un « révolutionnaire souterrain »>. Révolutionnaire soit, mais à condition de ne pas poser sur ce terme les masques qui l'accompagnent à notre époque. Tout d'abord, Jules Verne n'est pas marxiste, n'en déplaise à bien des récupérateurs. La preuve, on peut la trouver dans un roman qui, même s'il doit quelque chose à son fils, semble être tout à fait représentatif de sa pensée politique : Les Naufragés du Jonathan. Dans cet ouvrage, des naufragés, gens pauvres allant chercher fortune au bout du monde, se retrouvent en Terre de Feu, contraints de s'organiser pour survivre. Certains chercheront à prendre le pouvoir sur le groupe et ce sera I'occasion pour Verne de

mettre en sêne socialistes et communistes et de les montrer essayant de fonder un gouvernement. Du communiste, il dit : « Dorick prônait l'égalité d'une manière telle qu'il la rendait haïssable. Ce n'est pas en bas, c'est en haut qu'il regardait. La pensée du sort misérable auquel est vouée l'immense majorité des humains ne faisait battre son cæur de nulle émotion, mais qu'un petit nombre d'entre eux occupassent un rang social supérieur au sien, cela lui donnait des convulsions de rage. » Quant au socialisme, il lui règle son compte avec tout autant de lucidité : .. Le socialisme, cette doctrine dont la prétention ne va à rien

(1) C-e géographe anarchiste était aussi franc-maçon, membre de la loge « La Renaissance ». (2) Graphologie publiée dans Broutilles (La Roche-sur-Yon, 1938) et citée par Marie-Hélène }Jtet, L'histoire des voyages extaordinaires (Lettres Modernes, 1973).

JULES VERNE



LES ILLUMINÉS DE

BAVIÈRE

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moins qu'à refaire la société de la base au faîte n'a pas le mérite de la nouveauté. Après beaucoup d'autres qui se perdent dans la nuit des temps, Saint-Simon, Fourier, Proudhon et « tutti quanti » sont les précurseurs du collectivisme. Des idéologues plus modernes,

tels que les Lassale, les Karl Marx, les Guesde n'ont fait que reprendre leurs idées en les modifiant plus ou moins. » Et il ajoute : .

LA

A l'ombre

COUPE DANS LE BROUILLARD

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des llluminés.

La Société Angélique, ou » Mais, au fil des ans, son avis changea, semble-t-il, comme changea celui de George Sand. Verne se détourna plus ou moins d'Hetzel et, en 1886, ce n'est sans doute pas un hasard s'il ne s'associa pas au concert d'éloges du numéro spécial du Magasin d'Education et de Récréation, pubhé le 15 juin

en mémoire d'Hetzel. L'éditeur lui avait mis le pied à l'étrier, l'avait soutenu, mené à la notoriété et à la gloire, comment Jules Verne aurait-il pu être assez ingrat pour ne pas saluer la mémoire d'Hetzel à sa mort ? Cela semble inconcevable, à moins que Jules Verne ait eu de sérieuses raisons pour cela, à moins qu'Hetzel soit sorti de son cæur, à moins qu'il lui en ait voulu. N'en doutons pas, là se trouve la clé de ce mystère, et Jules Verne nous l'avoua luimême en écrivant Les cinq cents millions de la Begum. Ce n'est certes pas une simple coincidence si le nom de la ville maudite inhumaine dans laquelle les hommes sont réduits à I'esclavage se nomme « Stahl-Stadt », la ville de Stahl,le nom même que prenait

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Hetzel lorsqu'il signait ses propres écrits. Et, comme si cela ne suffisait pas, Verne nous indique que cette cité est située dans une
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