La Traduction Medicale

July 16, 2017 | Author: CHOUGAR | Category: Translations, Hiv/Aids, French Language, Communication, Africa
Share Embed Donate


Short Description

Download La Traduction Medicale...

Description

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa Un cas de communication interculturelle au Burkina Faso

Lalbila Aristide YODA

ISBN 90-367-2281-0 © Lalbila A. Yoda, 2005 Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et d’exécution reserves pour tous les pays.

Rijksuniversiteit Groningen

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa Un cas de communication interculturelle au Burkina Faso

Proefschrift ter verkrijging van het doctoraat in de Letteren aan de Rijksuniversiteit Groningen op gezag van de Rector Magnificus, dr. F. Zwarts, in het openbaar te verdedigen op maandag 4 juli 2005 om 14.45 uur

door Lalbila Aristide Yoda geboren op 31 december 1961 te Komtoega (Burkina Faso)

Promotor:

Prof. Dr. E.J. Korthals Altes

Copromotor:

Dr. S.I. Linn

Beoordelingscommissie:

Prof. Dr. M. Mous Prof. Dr. R. Nikiema Prof. Dr. G. Redeker

Remerciements Ce projet s’inscrit dans le cadre de la coopération entre l’UFR/LAC (Unité de Formation et de Recherche en Lettres, Arts et Communication) de l’Université de Ouagadougou et la Faculté de Lettres de l’Université de Groningen. Je suis redevable à la «Netherlands Organisation for International Cooperation in Higher Education» (NUFFIC) qui, à travers le Programme MHO, a financé mes différents séjours et activités de recherche aux Pays-Bas d’octobre 2001 à décembre 2004. Je suis redevable également à la Faculté de Lettres de l’Université de Groningen pour avoir accepté de continuer le financement de mon projet en 2005 et faciliter l’impression de la thèse. Je voudrais exprimer toute ma reconnaissance au Professeur L. Korthals Altes (Département Arts, Cultures et Médias) et au Docteur S. Linn (Département des Langues et Cultures Romanes) qui m’ont fait confiance dès le début et ont accepté de diriger ma recherche. Je leur suis très reconnaissant pour leur disponibilité et leur rigueur qui m’ont permis de boucler ce travail de recherche dans les délais. Leur intérêt pour mon sujet de recherche et leurs encouragements permanents m’ont stimulé dans ma recherche. J’apprécie très positivement le souci qu’elles ont toujours manifesté pour mon bien-être pendant mes différents séjours aux Pays-Bas. Je remercie également le Professeur Norbert Nikièma qui, en dépit de ses nombreuses sollicitudes, a accepté de lire mon travail. Ses suggestions et ses conseils m’ont été très précieux. Ce travail aurait été impossible sans le soutien et les encouragements des personnes appartenant aux différentes institutions ci-dessus mentionnées. Je voudrais remercier les autorités de l’Université de Ouagadougou et de l’Université de Groningen, en particulier le personnel du Bureau de la Coopération Internationale, le personnel du Secrétariat des Langues Européennes de la Faculté de Lettres de l’Université de Groningen qui n’ont jamais ménagé aucun effort pour faciliter mes différents séjours aux Pays-Bas. J’adresse mes sincères remerciements au Professeur Gosman, dont la générosité a permis le financement des frais d’impression de la thèse, ainsi qu’à Gorus Van Oordt qui s’est occupé de sa mise en forme et de son impression. Je tiens à remercier en particulier Pierre Kouraogo, le responsable du Projet MHO à l’UFR/LAC qui n’a cessé de m’apporter ses encouragements et de me donner des conseils, Frans Rutten, responsable du Projet UFR/LAC à l’Université de Groningen, qui malgré ses responsabilités administratives a toujours trouvé le temps pour s’occuper de la coopération entre l’Université de Ouagadougou et l’Université de Groningen. Son amitié et sa disponibilité ont toujours rendu mes différents séjours agréables. Je remercie également Mahamadi Sawadogo, le chef du Département de Traduction et d’Interpréta-

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

tion, qui a bien voulu accepter d’assurer mes tâches administratives et me permettre ainsi de me consacrer à mes travaux de recherche. J’adresse également les collègues qui ont relu mon manuscrit et m’ont fait des suggestions de forme et/ou de fond. Il s’agit en particulier de Pierre Malgoubri, mon yagenga, de Youssouf Ouédraogo et de Sidiki Traoré. Mes remerciements s’adressent aussi à toutes les personnes qui m’ont aidé d’une manière ou d’une autre lors de mes travaux sur le terrain. Je pense particulièrement au Pasteur Jonas Djenné de la SIL, qui a transcrit en bisa l’émission radiophonique sur le choléra qui fait partie de notre corpus de documents unilingues ; Albert Ouédraogo qui a collecté des données en mooré, transcrit et traduit en français l’émission en mooré sur les infections sexuellement transmissibles ; Halidou Yoda pour la collecte des données en bisa. Quant à mon épouse, Maïmouna, et à mes filles, Marie Lise et Nicole, qui ont supporté mes longues absences, je leur dis tout simplement merci. Je leur dédie ce travail.

ii

CHAPITRE 1

Introduction générale Il existe au Burkina Faso des barrières linguistiques et culturelles entre les différents acteurs en matière de santé. Il y a, d’une part, les autorités politiques, les institutions et le personnel de santé, dont la langue de travail est le français et qui ont une conception moderne de la santé basée surtout sur celle de la médecine occidentale, et, d’autre part, les patients et de manière générale les populations qui s’expriment essentiellement dans les langues locales et dont la conception de la santé reste encore traditionnelle, c’est-à-dire sous l’emprise de la tradition et des croyances religieuses. Dans ces conditions une traduction efficace constitue un moyen de surmonter ces barrières linguistiques et culturelles et de permettre ainsi à la communication d’atteindre son but. D’où l’intérêt de notre recherche, qui s’intitule «La traduction du français vers le mooré et le bisa : un cas de communication interculturelle au Burkina Faso», et dont l’objectif, sur lequel nous reviendrons plus loin, est d’étudier les rapports entre langue et culture dans la traduction, considédérée à la fois comme un phénomène linguistique et culturel. Depuis la Deuxième Guerre mondiale, et en particulier avec le développement de la coopération internationale et la naissance d’organisations internationales telles que l’Organisation des Nations unies (ONU) ou la Communauté économique européenne devenue Union européenne (UE) en 1993, le volume de traduction professionnelle dans tous les domaines (littéraire, économique, scientifique et technique, commercial, médical ...) n’a cessé de croître. Dans le même temps, on a assisté à la naissance de programmes universitaires dont la vocation est la formation de professionnels de la traduction. Même si notre étude est basée essentiellement sur des documents écrits, nous employons comme Peter Newmark (1991 : 35) le concept de traduction ici dans son sens large : In general terms, translation is a cover term that comprises any method of transfer, oral and written, from writing to speech, from speech to writing, of a message from one language to another. La professionnalisation de la traduction a été soutenue dans les milieux universitaires par une théorisation sur sa pratique dont le couronnement a été la naissance dans les années 1960 d’une nouvelle discipline : «Translation Studies» – terme que le mot «Traductologie» rend difficilement en français

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

mais que nous allons utiliser au cours de cette étude faute de mieux – avec pour père fondateur J. S. Holmes (1972 / 1988). En tant que discipline, la traductologie a pour objet l’étude de la traduction dans son sens le plus large possible : ‘Translation Studies’ is now understood to refer to the academic discipline concerned with the study of translation at large, including literary and non-literary translation, various form of oral interpreting, as well as dubbing and subtitling (Baker, 1998 : 277). Cet intérêt pour la traduction en tant que pratique et objet d’étude théorique n’a pas laissé l’Afrique en reste. Dans la majorité des pays africains qui ont accédé à l’indépendance dans les années 1960, et avec la création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) et bien d’autres organisations régionales et sousrégionales, la traduction occupe de plus en plus une place de choix comme moyen de communication tout comme instrument dans la coopération et dans le développement économique et social. Cependant, force est de constater que la traduction reflète la situation linguistique paradoxale des pays africains. En effet, dans ces pays appelés francophones ou anglophones qui comptent des dizaines d' autres langues, les populations s' exprimant en français ou en anglais représentent plutôt une minorité de privilégiés. Pourtant, ce sont les langues héritées des différents systèmes coloniaux, à savoir essentiellement le français, l’anglais, le portugais et l’espagnol qui sont les langues du pouvoir, de l' administration et de l' enseignement, et qui par conséquent jouissent d' un statut de prestige. Au Burkina Faso le français est reconnu comme la langue officielle, tandis que toutes les langues locales ont le titre de langues nationales. Cette distinction entre langue officielle et langues nationales est valable dans la plupart des pays africains. On comprend alors pourquoi la traduction écrite se pratique surtout entre les langues des anciennes puissances coloniales. Au Burkina Faso, la pratique de la traduction professionnelle est liée à l' histoire moderne du pays. Dès son accession à l' indépendance en 1960, le ministère des Affaires étrangères s' est doté d' un service de traduction et d' interprétation dont la mission est de servir les besoins de l' État en matière de communication dans les principales langues internationales : français, anglais, espagnol et arabe. La typologie des langues de traduction reflète le constat fait ci-dessus, c' est-à-dire la place prépondérante des langues internationales, en particulier l' anglais et le français. Au fil du temps, la traduction dans les langues nationales au Burkina Faso, à l' instar des autres pays africains, - en partie pour des raisons nationalistes - s’est avérée nécessaire non seulement pour des besoins de communication mais également pour assurer deux fonctions essentielles. La première fonction est surtout d' ordre culturel. Dans son avant-propos au livre Proverbes et contes mossi de Bonnet et al. (1982 : 4), Bouquiaux souligne le nationalisme culturel de la traduction. Celui-ci peut se définir comme l' affirmation des valeurs culturelles nationales des anciennes colonies longtemps dénigrées par le colonisateur. C' est ainsi que l' indépendance politique devait être renforcée par la revalorisation des cultures nationales : 2

Chapitre 1. Introduction générale

Il est naturel que l' indépendance des pays en voie de développement ne veuille pas s' affirmer seulement sur le plan politique et économique, mais qu' elle tienne à se manifester au plan culturel (ibid.). Au Burkina Faso, la traduction apporte sa contribution à la valorisation du patrimoine culturel. Dès les années 1960, les chercheurs et les hommes de culture se sont lancés dans la collecte, la transcription et la traduction de documents culturels du pays en vue de les faire connaître et de les conserver pour les générations futures. Les recueils de contes et de proverbes sont légion. La seconde fonction de la traduction, qui touche le plus près à l' objet de notre recherche, est relative au développement économique et social. Essentiellement religieuse au départ, la traduction écrite remonte à la période coloniale. Ces dernières décennies, la traduction scientifique (en particulier dans les domaines de l’agriculture et de la médecine) est devenue un moyen d’information, de sensibilisation et de vulgarisation des connaissances dans le cadre du développement économique et social du pays. 1.1

La traduction : moyen de communication, d’expression et de développement économique et social

La situation linguistique du Burkina Faso rend la pratique de la traduction indispensable. On remarque que la traduction entre les langues nationales et les langues européennes d’une part, et entre les langues européennes d’autre part, occupe une place de plus en plus importante au Burkina Faso en tant qu’outil de communication et de développement. Les pouvoirs publics, d' une manière ou d' une autre, se servent de la traduction pour toucher la majorité du public, la langue officielle, le français, n' étant parlée que par une minorité de la population (10 à 15% selon Nikièma 2000 : 127). Dans le domaine de la santé, celui qui circonscrit notre étude, on peut affirmer que la traduction est non seulement un acte de communication mais également un moyen de communication pour le développement, car le développement d' un pays dépend en partie de la santé de sa population. Le besoin de traduction provient du fait que les organismes de santé publique, nationaux ou internationaux font des prestations de services en français au profit de populations dont la majorité ne s' exprime pas dans cette langue. Ces institutions ne disposant pas toujours de compétences dans les langues de leurs interlocuteurs, la traduction devient incontournable. Nazam Halaoui résume bien le problème : Nombreux sont... les agents de développement, personnel technique d’encadrement des populations rurales au sein des projets, qui, à l’heure actuelle, éprouvent de grandes difficultés à vulgariser la connaissance technique en la communiquant aux paysans, car s’ils s’adressent à eux en langue africaine, langue parfaitement connue d’eux, ils ne peuvent surmonter les obstacles causées par le manque de termes techniques de 3

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

leur langue, et s’ils utilisent une langue étrangère comme le français, langue bien armée dans le domaine, ils se heurtent à des difficultés de compréhension chez leurs interlocuteurs, qui n’ont pas une maîtrise suffisante de cette langue (1991 : 296). La traduction médicale, dont il est question ici, s' inscrit dans le cadre de ce que Baylon & Mignot (1999) appellent la communication sociale. Elle a pour ambition de servir le bien-être collectif, à travers la responsabilisation de l' individu dans ses choix en matière de santé et de sécurité. Pour Balima & Frère (2003), la communication sociale constitue non seulement un moyen de transmission des connaissances et des savoirs, mais elle permet également aux populations de participer plus activement à leur propre développement. Baylon & Mignot (1999 : 278) répartissent les sujets traités par la communication sociale en trois catégories : ceux qui cherchent à modifier les comportements, par exemple, le tabagisme et les mauvais traitements infligés aux enfants ; ceux qui ont pour objet de présenter des éléments nouveaux concernant les droits et les devoirs des citoyens comme le service national et ceux qui cherchent à promouvoir des services et des organismes publics comme les musées et les parcs nationaux. Les documents de notre corpus, que nous allons présenter plus loin, relèvent de la première catégorie, car les sujets traités cherchent à modifier les comportements. Cependant, il faut relever que les limites entre ces catégories ne sont pas nettes. Dans le contexte du Burkina Faso, chercher à changer les comportements individuels en matière de santé implique à la fois la promotion des structures de soins sanitaires auprès des populations. 1.2

Communication et culture

Si la langue est un moyen d’expression culturelle, elle constitue également l’un des moyens privilégiés dans la communication qui est tributaire de la culture. Cependant, il faut souligner la complexité de la communication, qui est loin d’être un phénomène purement linguistique. Selon Samovar & Porter (1991 : 28) «communication occurs whenever meaning is attributed to behavior or the residue of behavior». Quant à Hall (2002 : 16) «communication refers to the generation of meaning» (les italiques sont de l’auteur). Ces définitions, à l’apparence lapidaire, montrent toute la complexité et le caractère multidimensionnel de la communication, qui peut être, d’une part, consciente ou intentionnelle et, d’autre part, inconsciente. Prenons l’exemple d’un homme politique, qui prononce un discours à la télévision ou devant un auditoire. L’opinion que se fait l’auditoire de lui n’est pas fonction uniquement de l’interprétation des signaux linguistiques que constituent les mots (Baylon & Mignot 1999) mais, également, des signaux non linguistiques. Tout ce qui peut être potentiellement porteur de sens fait partie de la communication. Ainsi, participent à la communication, en ce qui concerne notre homme politique, en plus du facteur linguistique, des facteurs non linguistiques : l’aspect physique 4

Chapitre 1. Introduction générale

(habillement, taille, âge, corpulence...), le sexe, les gestes, les silences, etc. Même le canal de communication a son importance. L’écriture dans la société occidentale a une longue tradition, tandis que dans les sociétés africaines comme chez les Bisa et les Mossi l’oralité domine encore. L’enjeu de la communication est tel que l’on assiste, depuis ces dernières années, à la multiplication des services de spécialistes appelés conseils en communication1 qui, selon Baylon & Mignot (1999 : 10), tend à élargir son sens. Balima & Frère (2003 : 13), tout en relevant son intensification dans les projets de développement, soulignent les mutations que la communication a connues au Burkina Faso. Cependant, il est certain que communication et culture sont intimement liées (voir Ladmiral & Lipiansky 1989 ; Samovar & Porter 1991 ; Hall 2002), à tel point que l’on ne peut comprendre la première sans la seconde : «One’s cultural perceptions and experiences help determine how one sends and receives messages» (Samovar & Porter 1991 : xii). C’est dans cette perspective que la communication interculturelle est conçue pour désigner une situation de communication où le destinateur et le destinataire appartiennent à des cultures différentes. Ce concept s’applique à la communication entre «co-cultures2». Ainsi que le montrent Samovar & Porter (1991) et Hall (2002), la culture, en particulier la vision du monde, les valeurs et les normes qu’elle véhicule sont importantes pour comprendre la communication interculturelle, dont la traduction constitue un exemple parfait. Cependant, il faut relever, comme le notent Ladmiral & Lipiansky (1989 : 11 et 21), que la communication interculturelle est d’abord un problème de communication tout court et que les clivages linguistiques de la communication interculturelle, selon les situations, peuvent être considérés comme un obstacle ou seulement comme un élément de la relation interculturelle. Mais on ne doit pas voir cette relation entre culture et communication dans un sens unique. Hall (2002 : 55) souligne que la relation entre culture et langue est situationnelle. Pour lui, négliger la situation de la communication peut aboutir à des déceptions dans les interactions interculturelles : If we ignore the situational nuances, then community-based norms, ways of speaking, values, and world views become reified into stereotypes that 1

Il faut relever que dans la culture traditionnelle africaine, les «griots» en Afrique francophone ou «King’s linguists» en Afrique anglophone, maîtres de la parole et véritables spécialistes de la communication sont au cœur du pouvoir politique traditionnel. Diabaté (1985), Nama (1993), Kouraogo (2001) montrent la place cruciale qu' occupent ces personnages dans le système politique traditionnel. Diabaté (1985 : 21) signale qu’on ne peut concevoir un chef «s’il n’est entouré de griots qui le relient directement à la masse, au présent, et le projettent sur l’avenir». Kouraogo (2001 : 116) montre le parallèle qui existe entre les «King’s linguists» de la période précoloniale et les interprètes modernes au Burkina Faso. Kouraogo considère que ces derniers, pour la plupart des amateurs, perpétuent la tradition des premiers. 2 Ce terme de «co-culture» a été utilisé par Samovar & Porter (1991 : xii) dans le contexte américain, caractérisé par le multiculturalisme. La conclusion que l’on peut tirer d’un tel constat est que la communication interculturelle est un phénomène observable tant au plan international que national. 5

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

can distort and complicate intercultural interactions as often as enlighten and facilitate them (ibid.) Même si la culture permet de comprendre le monde, elle ne doit pas transformer les individus en robots culturels dont les actions seraient prévisibles et programmables. La culture n' est pas un système clos, mais ouvert, dynamique et capable d' adaptation selon la situation et le contexte. C' est dire que culture et communication s' influencent réciproquement. 1.3

La traduction comme moyen de transfert culturel

Dans les études traductologiques, la traduction n’est plus perçue uniquement comme un phénomène linguistique mais de plus en plus comme un transfert culturel où le traducteur est considéré comme médiateur entre deux cultures. En effet, la langue, partie intégrante de la culture au sens large du terme, est définie par Mackey comme : ensemble de connaissances, connaissances que possède un groupe social ou ethnique lui permettant d’identifier ses membres. Et par groupe entendons tribu, nation et même État-nation. En quoi consiste cet ensemble de connaissances ? Il peut inclure les coutumes, la nourriture, le vêtement, l’habitation, l’histoire, le comportement social, les traditions orales, la littérature écrite et les croyances. (...) Mais, avant tout, il peut comprendre une langue sans laquelle toutes les autres composantes perdent progressivement leur authenticité. Car non seulement la langue est un moyen de communication, mais elle constitue la représentation de tout ce que les générations antérieures ont considéré comme digne de représenter. C’est le découpage de l’univers opéré par les peuples qui a façonné toute culture (1998 : 12). Une telle définition permet de voir que la langue constitue non seulement l’une des composantes essentielles de la culture, mais également elle montre que, compte tenu du rapport entre les deux, le traducteur doit être bilingue et biculturel, car les différentes langues ne perçoivent pas la réalité de la même façon. Les liens qui fondent le couple «langue-culture» sont si forts que Richard (1998 : 151) note que «qui change de langue croit changer de culture». De nos jours, il est accepté de façon presque unanime que la langue véhicule l’expérience qui lui est propre. Autrement dit, la langue est l’expression de la réalité culturelle du groupe ou de la société qui la partage. En tant que telle, elle véhicule les normes et les valeurs qui sont le reflet de la culture qu’elle représente. Une telle approche renvoie à la fameuse hypothèse Sapir-Whorf selon laquelle la vision du monde d’une communauté linguistique est déterminée par sa langue. Cette hypothèse a été citée et commentée abondamment dans de nombreux ouvrages (voir par exemple Wardhaugh 1992

6

Chapitre 1. Introduction générale

et Hudson 1998). La langue, estime Whorf, détermine notre vision du monde et notre manière de percevoir la réalité : The background linguistic system (in other words the grammar) of each language is not merely a reproducing instrument for voicing ideas but rather is itself the shaper of ideas, the program and guide for the individual’s mental activity, for his analysis of impressions, for his synthesis of his mental stock in trade. Formulation of ideas is not an independent process, strictly rational in the old sense, but is part of a particular grammar, and differs, from slightly to greatly, between different grammars. We dissect nature along lines laid down by our native language (cité par Hudson 1998 : 96). Les conséquences que Kramsch (1998 : 14) tire de la théorie de Sapir et de Whorf montrent que leur hypothèse concernant le lien entre langue et culture demeure pertinente : 1. There is nowadays a recognition that language, as code, reflects cultural preoccupations and constrains the way people think. 2. More than in Whorf’s days, however, we recognize how important context is in complementing the meanings encoded in the language. C' est dire qu' il est difficile d' aborder la culture ou la langue de façon isolée, hors d’un contexte culturel donné. 1.4

La perception de la santé et de la maladie en Afrique

Le lien entre langue et culture apparaît particulièrement quand il s' agit d' un domaine chargé de valeurs et de tabous comme la santé. Les représentations de la maladie et de la santé, qui sont au centre des préoccupations de toute société, portent la marque de celle-ci et de sa culture. De nombreuses études anthropologiques dont, par exemple, Murdock (1980), Jacobson & Westerlund (1989) et Augé & Herzlich (1995) montrent que la maladie a une dimension sociale et culturelle dont l’interprétation et l’explication varient selon les sociétés. Murdock distingue par exemple les théories de la causalité naturelle de la maladie et les théories de la causalité surnaturelle. Les théories surnaturelles sont subdivisées en trois groupes : les théories mystiques, les théories animistes et les théories magiques. D’une façon générale, l’auteur aboutit à la conclusion qu’il existe une prépondérance, à travers le monde, d' attribution de causalité surnaturelle de la maladie dans toutes les croyances, en particulier en Afrique, où elles prédominent (1980 : 26). Cette approche a été rejetée par de nombreux anthropologues, à commencer par Augé (1995), qui ne voit pas de différence fondamentale entre les systèmes médicaux africains, qui seraient basés sur le surnaturel et la magie, 7

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

et le modèle biomédical d’origine occidentale, dit scientifique. Pour Augé la réalité est plutôt complexe ; il conviendrait de parler de «systèmes pluriels » où coexistent plusieurs traditions médicales qui ne s’excluent pas les unes les autres, en particulier en Afrique où le traitement de la maladie est souvent à la fois social et biologique. On ne se contente pas de soigner le corps malade seulement, mais il faut s' attaquer également à ses causes sociales : A social treatment (re-establishment of a normal, social relationship through admission, fine, sacrifice...) and an objectively vegetal treatment administered to the suffering body (Augé 1995 : 58). Cependant les conclusions auxquelles Murdock (1980) est parvenu dans son étude portant sur un échantillon de 139 sociétés à travers le monde, dont 18 représentent l’Afrique sub-saharienne, confirme, et si besoin en était, le lien entre la culture et la maladie. En effet, il a relevé que les théories de la maladie ont tendance à être les mêmes au sein d’une même famille de langues. Cela renforce donc non seulement le lien entre langue et culture mais également souligne les aspects culturels de la santé et de la maladie : Health and illness are conceptualized with a specific cultural experience and the codes are derived from it. This is also the case with Western school medicine, even if it has long been presented scientific medicine as an objective way of freeing the treatment of human body from shackles of old folk beliefs and popular nosologies. The practice of scientific medicine carries with it the social and cultural connotations of the dominant culture in which it has been developed to its present form... (Swantz 1989 : 277). Le cas spécifique du Burkina nous permettra, d’une part, de mettre en exergue le rapport entre langue et culture et, d’autre part, d' analyser comment ce rapport est pris en compte dans la traduction. Celle-ci étant un phénomène non seulement linguistique mais aussi culturel, toute traduction vers les langues africaines doit en tenir compte. Le traducteur doit savoir, par exemple, que dans la culture des peuples bisa (le groupe ethnique dont la langue est le bisa s’appelle également bisa3) et mossi4 (groupe ethnique ayant comme langue le mooré), la sexualité est un sujet tabou5. Par conséquent, la traduction des documents portant sur l’éducation, l’information et la sensibilisation en matière 3

Le mot «bisa» qui peut être utilisé comme nom ou adjectif s’écrit également «bissa». Il désigne à la fois l’ethnie et la langue. 4 Le mot «mossi», qui désigne l’ethnie dont la langue est le mooré, peut être utilisé comme nom ou adjectif et s’écrit également «mosi». Cependant, il convient de souligner que le nom mossi, le plus utilisé, a été celui donné par le colonisateur. Sinon l’ethnonyme normal est «moaaga» au singulier et «moosé» au pluriel. 5 La planification familiale, le sida et l’excision qui touchent à la sexualité constituent, selon Bougaïré (2004 : 15) des «des sujets tabous, difficilement abordés par les couples, les parents et même les éducateurs, ceci par pudeur». 8

Chapitre 1. Introduction générale

de sexualité ou de sida par exemple doit tenir compte de ce facteur culturel. Il existe un lien étroit entre culture et représentations de la maladie. «Illness» affirme Paaprup-Lausen (1989 : 63) «is thus not only a matter of cause and treatment, but the result of a cosmology, the result of the concept of man, society and nature». 1.5

Contexte de l’étude

Le Burkina Faso représente sans doute une vraie tour de Babel dans la mesure où ce pays, d’une superficie de 2 72 200 km2 et d’une population d’environ 11 300 000 habitants (Barrère et al. 1999), possède une soixantaine de langues, en plus du français, la langue officielle. Le mooré, le fulfuldé et le jula qui comptent respectivement 50%, 10% et 3% de locuteurs6 constituent les principales langues nationales, les autres étant des langues moyennes ou minoritaires (BARRETEAU 1998 : 6). Si le multilinguisme et le multiculturalisme sont à l’origine de la traduction, cette situation pose des problèmes en matière de communication publique dans un pays où la langue officielle et la langue du pouvoir, le français, n' est parlée que par une minorité. Le français constitue également la langue d’instruction. La plupart des spécialistes de la santé, par exemple, ont reçu toute leur formation dans cette langue. Un tel constat de la situation linguistique du pays montre la nécessité de la traduction. À la situation linguistique qui rend nécessaire la traduction, il convient d’ajouter le contexte social et épidémiologique du pays, qui reflète celui qui prévaut à l’échelle continentale. Les pays de l’Afrique subsaharienne sont confrontés à d’énormes difficultés de santé publique qui concernent aussi bien l’hygiène que des maladies courantes comme le paludisme et le sida. Depuis l’apparition de la pandémie du sida, l’Afrique semble être le continent qui en souffre le plus, avec 28 500 000 personnes infectées par le VIH/SIDA en 2001 (ONUSIDA 2002 : 8). Le Burkina Faso n’est pas en reste. Bien que les données relatives au sida ne soient pas exhaustives, on estime qu’au Burkina Faso l’infection du sida connaît une évolution inquiétante et qu’elle constitue une menace grave pour la santé publique. Le ministère de l’Economie et des Finances (2001 : 61) estime le nombre de séropositifs VIH à au moins 600 000 personnes en 1998 et la séro-prévalence aujourd’hui est estimée à 7,17% (L’Observateur Paalga, 2002 : 2). L’une des stratégies de mise en oeuvre de la politique nationale de population des pouvoirs publics repose sur la trilogie information - éducation – communication (IEC). Cette stratégie est valable pour plusieurs secteurs dont la santé en général, la planification, la nutrition, l’environnement, la sécurité 6

Il faut noter que le chiffre concernant les locuteurs jula est en deçà de la réalité, car la question posée lors du recensement qui a permis d’aboutir à un tel taux portait sur les langues parlées en famille (voir Barreteau 1998 : 6). Il n’existe pas au Burkina Faso de statistiques fiables à propos des locuteurs jula, une langue véhiculaire parlée également dans d’autres pays en Afrique occidentale. 9

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

routière, la lutte contre les MST et le VIH / SIDA (Le ministère de l’Economie et des Finances 2001 : 9). Parmi les productions de supports utilisés dans le cadre de l’information, de l’éducation et de la communication on peut citer, entre autres, la production de livres ou de manuels en français et dans les langues nationales. 1.6

La traduction médicale

La traduction médicale fait partie de la traduction dite scientifique et technique qui est une langue de spécialité, par opposition à la langue générale. Il n’est pas aisé de définir la traduction scientifique. La difficulté majeure provient de la notion même de «langue de spécialité». Existe-t-il une catégorie de langue dite scientifique ou spécialisée qui serait autonome au sein de la langue de façon générale ? Daniel Gile (1986 : 26) définit la traduction scientifique à partir de deux caractéristiques : - elle se fonde sur des contenus cognitifs spécialisés que ne possèdent que les spécialistes - elle véhicule essentiellement des messages informatifs plutôt qu’affectifs ou esthétiques. Les critères d’évaluation d’une bonne traduction pour Rouleau (1994 : 40), parlant de la traduction médicale, sont alors : 1) transmettre exactement le message original ; 2) observer les normes grammaticales de son temps ; 3) être idiomatique ; 4) être dans le même ton que l’original ; 5) être pleinement intelligible pour le lecteur qui appartient à une autre culture. Ces critères, qui peuvent s’appliquer en réalité à toute traduction, ne confèrent guère un statut particulier à la langue de spécialité. Cependant, l’assertion de Gile (1986 : 26) et de Rouleau (1994 : 41), selon laquelle la spécificité du texte médical ou paramédical réside dans la neutralité de ton et de contenu, reste discutable, particulièrement en ce qui concerne le premier point. En effet, lorsque le discours médical s’adresse à des non spécialistes il peut adopter, par exemple, un ton autoritaire, moralisateur ou humoristique. L’une des caractéristiques fondamentales de la langue de spécialité qui la rendent différente de la langue générale serait d' ordre terminologique. Sager (1990 : 2) définit la terminologie comme : The collection, description, processing and presentation of terms, i.e. lexical items belonging to specialised areas of usage of one or more languages.

10

Chapitre 1. Introduction générale

Pour certains, comme Faber (1999 : 106), le degré de spécialisation d' un texte dépend de sa terminologie, car ce sont les termes qui déterminent le domaine du texte et lui confèrent la technicité de son contenu. Cette vue est sans doute limitée et discutable, car la limite entre langue de spécialité et langue générale n' est pas claire. Le même terme peut relever des deux catégories et la proportion des termes de langue générale dans un texte relevant du domaine spécialisé est toujours importante. On le voit, la distinction entre ces types de langue est loin de faire l’unanimité. Pour Balliu (2001 : 94), par exemple : La distinction récurrente entre langue générale et langue de spécialité, si chère à plusieurs auteurs, me semble utopique à en juger par la diversité discursive qui caractérise nombre de textes spécialisés, dont ceux relatifs à la médecine. La biunivocité, rêve de tout terminologue, reste un voeu pieux qui ne sera jamais exaucé. Cependant, il faut distinguer plusieurs types de communication. Dans le domaine médical, comme dans tout autre domaine spécialisé d’ailleurs, Balliu (2001 : 92-93) en distingue trois qui correspondent à un triple besoin de communiquer : 1) le besoin ésotérique interne : la communication dans un micro-domaine permettant l’échange et la discussion d’information ; 2) le besoin ésotérique externe : ici on sort du micro-domaine pour s’adresser aux médecins généralistes ou d’autres spécialités ; 3) le besoin exotérique qui vise : essentiellement à informer de manière simple, claire et concrète un public extérieur à l’activité médicale, mais nécessairement en contact avec cette dernière par des consultations, des traitements ou d’une volonté d’information légitime. La typologie discursive sera de nature informative, axée sur la vulgarisation et par conséquent, sur une simplification lexicale et cognitive de l’information fournie (Balliu, 2001 : 93). Dans les documents de notre corpus, comme on le verra, la traduction du français vers le mooré ou le bisa répond au besoin exotérique. Les traductions sont destinées, d’une part, à faciliter la communication entre les spécialistes ou agents de santé ayant généralement reçu leur formation en français ou dans d’autres langues internationales et le public en majorité analphabète et, d’autre part, à informer et à sensibiliser les personnes alphabétisées dans les langues nationales. 1.7

Langage médical

Sur la base de ce qui précède, nous pouvons affirmer que le langage médical est loin d' être monolithique. Aussi sommes-nous d' accord avec la perception du

11

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

langage médical comme un type de registre, d’après Pilegaard (1997 : 159), à l' intérieur duquel il existe des variétés. Pilegaard (ibid.) en distingue cinq : (1) Language of medical education (e.g. textbooks), (2) language of medical occupation (e.g. journal articles), (3) language of medical journalism (popular medicine), (4) doctor / patient language, and (5) medical technical language (e.g. manuals). Il est clair que cette présentation du langage médical permet de mieux le comprendre, mais il n' existe pas de différences nettes entre ces variétés, car une même variété peut être perçue sous plusieurs angles. Par exemple, le langage populaire médical sert également à éduquer le public. Cependant, ce qui est incontestable est que toutes ces variétés servent à communiquer. Parlant d' anglais médical, Pilegaard (1997 : 160) soutient que la diversité de ce langage est sans importance. Ce qui importe, c' est l' existence d' une variété ou d' un sous-registre appelé «anglais médical». L' avantage de son approche est de prendre en compte les trois types de communication mentionnés ci-dessus, c' est-à-dire ésotérique interne, ésotérique externe et exotérique : It suffices to note that there is an isolatable variety or subregister called ' medical English'which varies according to the roles and status of participants, their degree of specialised training, and the setting in which the communication takes place. Medical English is here seen to comprise both highly technical jargon in expert-to-expert tenor and the colloquial vocabulary of the layman. Cette description concerne l’anglais, mais elle est valable sans doute pour toute langue. Elle montre que le langage médical ou de façon générale la langue de spécialité cesse d' être uniquement des «dialectes de métiers» pour faire partie de la communauté linguistique à laquelle ils appartiennent en tant que discours dont le contenu et la forme peuvent varier selon le contexte et les acteurs en présence. Dans cette perspective la traduction comme transfert culturel s’applique à tout type de traduction, y compris la traduction médicale. 1.8

Objectif

Très peu d' études sur la traduction prennent en compte la perspective culturelle africaine. Aussi une étude sur la traduction dans le domaine de la santé publique au Burkina Faso paraît-elle pertinente en vue d’examiner la relation entre langue et culture. Nous proposons une telle étude à partir de documents traduits du français vers le mooré et le bisa concernant l’information et la sensibilisation en matière de santé en vue de trouver des réponses aux questions suivantes :

12

Chapitre 1. Introduction générale

• Comment interviennent les différences culturelles dans la pratique de la traduction en matière de santé, de maladie et du corps ? En d’autres termes, vu le rapport entre langue et culture, que révèle l’analyse des traductions de notre corpus dans le domaine de la santé par rapport aux valeurs culturelles concernant le corps, la santé et la maladie ? Ou, quelles sont les représentations culturelles spécifiques de la santé, de la maladie et du corps que véhiculent les langues mooré ou bisa dans les documents traduits ? Quelle(s) fonction(s) jouent-elles dans la culture cible ? La relation entre langue et culture ainsi que les différences culturelles entre le français et le mooré/bisa sont-elles prises en compte dans la traduction des documents médicaux du français vers le bisa et le mooré ? Si oui, comment ? Quels sont alors les stratégies et procédés utilisés pour rendre compte des différences culturelles et linguistiques dans les traductions ? De manière générale, plusieurs fonctions sont attribuées à la traduction. Parmi celles-ci nous pouvons citer : • la valorisation et la promotion de l’identité et des valeurs culturelles de la langue source ou de la langue cible ; • l’enrichissement et le développement, ou au contraire la domination et la destruction d’une langue et d’une culture dans une situation multilingue ou plurilingue comme celle du Burkina Faso où les langues ne jouissent pas d’un même statut ; • le développement économique et social. L’hypothèse de recherche, sur laquelle nous reviendrons au chapitre 4, est que la traduction en tant que communication interculturelle véhicule des valeurs culturelles et remplit des fonctions, en particulier : • l’introduction de nouvelles représentations culturelles ; • la mise en valeur et la défense de certaines valeurs culturelles de la langue cible, ou au contraire leur rejet et leur condamnation. Quant aux stratégies de traduction, l’hypothèse, sous-jacente à la théorie du skopos, est qu’elles sont déterminées par la ou les fonction(s) assignée(s) à la traduction dans la culture qui la reçoit. Mais dans la pratique cet idéal cède le pas au réalisme. En effet, la traduction étant un acte de communication et vu les liens entre communication et culture, nous postulons que toute traduction ne sera fonctionnelle que si les stratégies utilisées par le traducteur sont adaptées aux normes et aux conventions socioculturelles de la langue cible.

13

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

1.9

Présentation du corpus

1.9.1

Type de corpus

L’utilisation d’un corpus bilingue est sans doute intéressante dans la mesure où elle permet d’apporter des réponses à notre problématique, en particulier concernant les stratégies utilisées dans la production des documents cibles et les valeurs culturelles que véhicule la traduction. Mais pour mesurer la pertinence de nos conclusions, nous proposons d’utiliser en plus du corpus bilingue un autre corpus de documents qui ne sont pas des traductions mais des documents originaux dans nos deux langues cibles. Ces deux types de corpus s’appellent corpus comparables, approche introduite dans la traductologie par Baker : Comparable corpora consist of two separate collections of texts in the same language : one corpus consists of original texts in the language in question and the other consists of translations in that language from a given source language or languages (Baker 1995 : 234). Les corpus comparables concernent en général des données importantes stockées sur ordinateur en vue d’une analyse automatique ou semi-automatique (Baker 1995 : 226). Ils peuvent contribuer à dégager les caractéristiques linguistiques spécifiques aux traductions par rapport aux documents unilingues produits dans la même langue. Selon Baker (1995 : 234) «the most important contribution that comparable corpora can make to the discipline is to identify patterning which is specific to translated texts, irrespective of the source or target languages involved». Dans l’approche de Baker, où l’anglais est la langue cible, des études semblables entreprises dans d’autres langues serviront à valider ou à réfuter les hypothèses concernant le processus de traduction et formulées à partir du corpus comparable en anglais. Dans notre analyse, nous allons utiliser des corpus comparables, constitués de documents sélectionnés sur la base de critères similaires sur lesquelles nous reviendrons dans les sections suivantes. Ces corpus comparables sont : des traductions dans les langues nationales (TLN) mooré et bisa à partir du français et des documents originaux en langues nationales (DOLN) en mooré et en bisa qui ne sont pas des traductions. Même si certains documents ne portent pas de date de publication, la période que couvre notre corpus peut être qualifiée de synchronique dans la mesure où il s’agit de documents portant sur des questions de santé publique qui sont d’actualité. L’essentiel de notre analyse portera sur les TLN et leurs originaux en français. Leurs résultats seront validés ou réfutés par ceux de l’analyse des DOLN. L’obstacle majeur à l’utilisation des corpus comparables dans la traduction impliquant les langues africaines est le caractère oral de celles-ci et leur expérience relativement récente de l’écriture, qui fait qu’il existe très peu de documents types écrits. Cette situation nous a conduit à envisager des corpus comparables mixtes, c’est-à-dire qui comportent des documents écrits (TLN) et des documents oraux (DOLN). Certes, il existe une différence entre discours 14

Chapitre 1. Introduction générale

écrit et discours oral, mais comme le montre Maingueneau (2002), les vieilles oppositions entre l’oral et l’écrit, qui associent, d’une part, oralité et instabilité et, d’autre part, écriture et stabilité, ne sont plus possibles. En effet, les avancées technologiques qui permettent d’enregistrer la voix rendent désormais l’oral aussi stable que l’écrit, si bien que pour Maingueneau (2002 : 60) «aujourd’hui quand on enregistre, d’une certaine façon on écrit» (les italiques sont de l’auteur). Tuomarla (1999 : 229) évoque l’oralisation de l’écrit à travers une tendance générale à la «conversationnalisation» qui fait qu’il «est difficile de disjoindre et d’opposer systématiquement l’usage de la langue parlée et celui de la langue écrite». D’ailleurs, nous verrons au cours de notre analyse que le discours oral est représenté dans les documents écrits de notre corpus sous forme de conversations dans Discutons avec nos enfants (1998) et sa traduction (1998). Dans tous les cas, comme le montre House (1986 : 180), l’écrit et l’oral ont tous les deux un objectif commun : la communication. Nous qualifions les documents oraux de notre corpus d’authentiques parce qu’ils ont été produits de manière spontanée. Les critères principaux de sélection, qui rejoignent ceux des documents écrits ci-dessous, sont leur caractère scientifique et de vulgarisation, et leur appartenance à la communication sociale, justifiant ainsi leur comparabilité avec les traductions. 1.9.2

Choix du corpus TLN

Le corpus de TLN qui fera l’objet de notre analyse est le résultat d’un travail de terrain réalisé en 2001 (juin – septembre) et en 2002 (janvier-juin). Au cours de cette période une lecture de plusieurs traductions en mooré et en bisa dans le domaine de la santé nous a permis de déterminer ce corpus. Dans un premier temps nous avons procédé à une collecte de données sur la traduction médicale auprès d’institutions s’intéressant à des domaines aussi variés que le développement, la recherche, l’alphabétisation, la santé publique et la traduction. Ces institutions sont en particulier : - le CRAAN (Centre régional d’appui à l' alphabétisation à Niogho) dans la province du Boulgou ; - l’ELAN - Développement (Association pour la promotion de l’écrit et du livre dans les langues nationales pour le développement) à Ouagadougou ; - l’INADES-FORMATION (Institut africain pour le développement économique et social - Centre africain de formation) basé à Ouagadougou et dont le siège se trouve à Abidjan en Côte-d' Ivoire ; - l’INA (Institut national d’alphabétisation) à Ouagadougou ; - la SIL (Société internationale de linguistique) à Ouagadougou ; - l’ANTEBA (Association nationale pour la traduction de la bible et l’alphabétisation) à Ouagadougou. En plus de ces institutions, il convient de mentionner : - la Commission nationale des langues burkinabé et les différentes sous-commissions de la plupart des langues nationales qui contribuent au développement des langues nationales et à l’essor de la traduction au Burkina Faso ; 15

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

- la filière professionnelle de Traduction et Interprétation de l’UFR/LAC (Unité de formation et de recherche en Lettres, Art et Communication) à l’Université de Ouagadougou qui a commencé à constituer des données sur la traduction au Burkina Faso, avec la confection de mémoires terminologiques par les étudiants et les recherches que mènent les enseignants de l' Université de Ouagadougou, en particulier ceux intervenant dans la filière. 1.9.3

Critères de sélection du corpus TLN

Compte tenu de l’orientation de notre étude et de la méthode d’analyse choisie, les critères qui ont prévalu lors de la sélection des documents écrits (livrets) de notre corpus sont les suivants : - Les documents retenus doivent être des traductions. Les documents en mooré et en bisa ainsi que les documents sources en français sont disponibles. - Ces documents doivent porter sur le domaine de la santé (la maladie ou le corps). - Ils doivent avoir également un caractère informatif, c’est-à-dire servir de moyen de sensibilisation et d’éducation du public cible. - Ces documents doivent avoir un caractère populaire, c’est-à-dire s’adresser non pas à des spécialistes, mais répondre à un besoin exotérique externe de communication selon les types de communication dans les domaines spécialisés indiqués plus haut. - Enfin, la communication dans ces documents doit avoir un caractère public et social. Il faut souligner, en passant, que le problème du choix s’est posé beaucoup plus pour les documents en mooré, parce que, en tant que langue majoritaire, le mooré dispose de plus de traductions que le bisa. Cependant, parmi la quinzaine de documents examinés, les livrets qui constituent notre corpus semblent les plus représentatifs et pertinents pour analyser la relation entre langue et culture en matière de traduction médicale. En effet, le corpus reflète la situation épidémiologique du pays, caractérisée par des maladies courantes comme le paludisme et la pandémie du sida, qui posent toutes des problèmes de santé publique. 1.9.4

Corpus TLN

Notre corpus est constitué de trois livrets, dont une traduction du français vers le bisa : Notre santé. Un livret pour l’agent de santé communautaire (1985) traduit en bisa sous le titre de (1988). Mais l’édition que nous utilisons est de 1992. La traduction du français vers le mooré concerne deux brochures : Mon livret sida (Sedgo, sans date), traduit en mooré sous le titre de (sans date) et Discutons avec nos enfants (1998), dont la traduction s’intitule (1998).

16

Chapitre 1. Introduction générale

Il est important de relever que deux de ces trois livrets, à savoir Notre santé... et Discutons avec nos enfants, qui ont été traduits respectivement en bisa et en mooré ne portent pas de nom d’auteurs mais seulement d’institutions. Par contre, leurs traductions comportent les noms des traducteurs. Quant à Mon livret sida et sa traduction, , ils portent tous les deux le nom de l’auteur original, mais le lecteur ne sait rien sur l’identité du traducteur. Le sida occupe une place importante dans ce corpus. En effet, non seulement un titre lui est consacré, mais il en est également question dans Discutons avec nos enfants. Il constitue un thème récurrent dans la plupart des publications (y compris les traductions) médicales destinées à la communication ésotérique externe, ce qui traduit l’ampleur de ce phénomène mentionné plus haut (voir 1.5.). Le choix de ces documents mérite quelques remarques, en raison du problème du lien entre langue et culture qu' il pose, en particulier en ce qui concerne les valeurs culturelles que chaque langue est censée véhiculer. Pour les Africains francophones ou anglophones écrivant en français ou en anglais, on peut se poser la question de savoir quelle culture leurs écrits véhiculent. S' agit-il de valeurs culturelles des pays dans lesquels ces langues sont parlées ? Ou bien s' agit-il de valeurs culturelles universelles ? Les documents sources de notre corpus ont été écrits et publiés au Burkina Faso où la langue française, langue officielle, on l' a dit, est parlée par une minorité. Qui plus est, le français ne représente pas la langue maternelle. C' est dire que la culture et la langue françaises, sous-produits de la colonisation, sont loin d' être partagées par toute la société burkinabè. Les Burkinabè comme la plupart des Africains utilisent la langue de l' ancien colonisateur pour exprimer leur propre expérience. Dans ces conditions, l' on ne peut s' attendre à ce que les documents sources de notre corpus qui sont en français véhiculent nécessairement les valeurs culturelles françaises de la même manière que le feraient des documents produits dans l' Hexagone. Nous aurons l' occasion de revenir sur la complexité des liens entre langue, culture et nation, dans le prochain chapitre. Pour l' instant, il suffit de dire, ainsi que le suggère notre corpus, que le phénomène culturel est complexe et, sans remettre en cause les liens entre langue et culture, on ne saurait les réduire à l' échelle d' une nation : «culture cannot just coincide with the principle of nation» (Lambert 1994 : 23). 1.9.5

Corpus DOLN

Comme nous l’avons souligné, l’essentiel de notre analyse portera sur les traductions. Mais au cours de nos travaux de recherche nous avons jugé utile d’élargir notre corpus à des documents originaux oraux. C’est ainsi qu’à partir de 2002 nous avons commencé à nous intéresser aux productions radiophoniques en mooré et en bisa. Après avoir écouté des enregistrements qui représentent environ cinq heures d’écoute, nous avons retenu deux émissions, dont l’une en mooré et l’autre en bisa, qui remplissent les critères de sélection des corpus comparables décrits plus haut. Chacune de ces émissions dure 17

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

environ trente minutes. L’émission en bisa provient de Radio Boulgou Horizon FM de la ville de Garango située à l’est du pays. Elle porte sur le choléra. Celle en mooré est de la Radio Évangile Développement basée à Ouagadougou, la capitale. Elle parle d’infections sexuellement transmissibles (IST) et du sida. Pour des raisons pratiques nous allons désigner ces documents par leur thème respectif (La question du choléra) et (Les infections sexuellement transmissibles). Mais pourquoi le choix d’émissions radiophoniques ? La prédominance de la langue officielle, le français, se retrouve au niveau de l’information selon Balima & Frère (2003 : 176) : «La situation d’ensemble aujourd’hui confirme bien la prédominance du français qui reste la langue de l’information et de la culture, donc du pouvoir». Cependant, la radio qui accorde une place importante aux langues nationales est une exception. En tant que moyen moderne de communication, ainsi que le montrent Balima & Frère, la radio constitue un héritage et un prolongement de la culture traditionnelle. Pour des raisons socio-économiques (analphabétisme très élevé, accessibilité à un poste de radio...) la radio demeure le média le plus populaire au Burkina Faso, avec plus de 70 stations de radiodiffusion7. Balima & Frère (2003 : 212), dans leur étude qui porte sur les médias et les communications sociales, montrent que 63% des personnes interrogées accordent leur préférence à la radio comme canal d’information. L’écoute radiophonique est impressionnante : L’écoute radiophonique tend à devenir un phénomène populaire sur l’ensemble du pays : 65% des personnes interrogées écoutent la radio plusieurs fois par jour et 11% l’écoutent en permanence, ce qui signifie 76% de total d’écoute répétée dans la journée (Balima & Frère 2003 : 212). Comme on le voit, le choix d’émissions radiophoniques est pertinent, car il traduit une réalité socio-culturelle. 1.10

Méthodologie et découpage du travail

Notre approche méthodologique repose sur une analyse comparative englobant deux perspectives : culturelle et traductologique. Pour pouvoir atteindre notre objectif, nous allons dans un premier temps nous pencher sur les théories relatives aux rapports entre langues et cultures, en particulier les liens entre langue et culture dans le domaine du corps, de la santé et de la maladie. Il s' agira d' une étude comparée entre les représentations de la santé, de la maladie et du corps dans la culture mossi et bisa et celles de la médecine moderne. Les conclusions d’une telle étude viendront éclairer davantage nos hypothèses en ce qui concerne le lien entre langue et culture en traduction. 7

Parmi des stations de radiodiffusion 12 stations relèvent du secteur public et une soixantaine du secteur privé (Balima & Frère 2003 : 75). 18

Chapitre 1. Introduction générale

De nombreuses approches théoriques ont été développées dans le but d’expliquer le phénomène de la traduction en tant que processus et produit. Mais la plupart d’entre elles n’arrivent pas à rendre compte des liens entre langue et culture en ce qui concerne la traduction entre langues de cultures différentes. Un aperçu de ces théories et méthodes de traduction permettra de montrer leurs limites et de proposer la théorie fonctionnelle du skopos et la méthode d’analyse de Nord (1991) comme outils pouvant permettre d’explorer les rapports entre langue et culture. Nous allons adapter la méthode de Nord (voir chapitre 7) en vue d’étudier notre corpus de documents relevant de la santé, de la maladie et du corps, traduits du français vers le mooré et le bisa, afin de répondre aux questions suivantes : Comment interviennent les différences culturelles dans la traduction médicale au Burkina Faso et quelles sont les stratégies de traduction utilisées pour rendre compte du rapport entre langue et culture ? Quelles sont les représentations de la santé, du corps et de la maladie que véhicule la traduction ? Quelle(s) fonction(s) jouent-elles dans la culture cible ? Ainsi, le travail sera découpé en trois parties. La première partie, «Langue et culture», comporte trois chapitres (chapitres 2-4) portant sur les liens entre langue et culture dans la société mossi et bisa. La deuxième partie, «Aperçu des théories et des méthodes de traduction» examine les principales approches contemporaines de la traduction et présente notre méthode d’analyse. Cette partie qui couvre également trois chapitres (chapitres 5-7) a également une portée pédagogique dans la mesure où la traductologie est encore très mal connue, surtout en Afrique. La troisième partie, «Analyse», comporte au total quatre chapitres (chapitre 8-11). Les trois premiers (chapitres 8-10) constituent une application pratique de notre méthode d’analyse visant à faire ressortir non seulement les fonctions de la traduction mais, également, les stratégies de traduction utilisées dans la production des documents cibles. Quant au dernier (chapitre 11), il est une étude comparative des résultats de l’analyse des TLN (traductions dans les langues nationales) et de ceux de l’analyse des DOLN (documents originaux en langues nationales) afin de voir si ces deux types de documents présentent les mêmes caractéristiques ou des différences au plan culturel. 1.11

Utilisation des termes «texte cible» et «texte source»

Tout d’abord, il faut indiquer que le terme «texte» désigne toute production écrite ou orale de longueur variable qui communique un message. En traductologie les termes «texte source» et «texte cible» sont utilisés pour désigner respectivement le texte à partir duquel se fait la traduction et le texte qui résulte de l’activité de traduction. Nous utilisons dans notre analyse ces termes dans ces acceptions pour désigner les différentes composantes des 19

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

brochures originales en français et leurs traductions en mooré et en bisa. Ces dernières, qui correspondent à la définition du concept de texte, peuvent être appelés respectivement textes sources et textes cibles. Mais pour éviter toute confusion et pour des raisons pratiques, nous proposons d’appeler originaux et traductions respectivement documents sources et documents cibles. Ainsi, par exemple, la brochure Notre santé... sera un document source et le document cible correspondant. La table des matières dans chaque document donne une liste de productions que nous allons désigner par textes sources et textes cibles. Dans ce sens «Nous apprenons pour améliorer notre santé» (p. 4) et «Nous mangeons bien» (p. 6) constituent des textes sources appartenant au document source Notre santé... et qui correspondent respectivement aux textes cibles ! " " ## $ "" % & ' ( (p. 6) dans le document cible Le terme «document» tout simplement sera utilisé pour désigner les transcriptions d’émissions radiophoniques qui serviront de comparaisons aux traductions dans ces mêmes langues.

20

PREMIÈRE PARTIE

Langue et culture

Introduction Dans cette partie, il s' agira d' aborder les représentations de la santé, de la maladie et du corps dans la culture bisa et mossi, d' une part, et, d' autre part, dans la médecine moderne occidentale, à l' origine du système sanitaire du Burkina Faso, tel que conçu par l' État. La culture mossi et bisa et la médecine occidentale ont-elles les mêmes représentations de la santé, de la maladie et du corps ? Quelles sont les caractéristiques de la représentation de la culture des langues mooré et bisa ? Les réponses à ces questions permettront de mettre en exergue nos hypothèses sur les rapports entre langue et culture dans la traduction que l’analyse de notre corpus permettra de tester. L’équivalence, comme visée de l’activité traduisante que nous discuterons lorsque nous aborderons les approches théoriques de la traduction, semble constituer une préoccupation pour ceux qui se sont intéressés à la traduction médicale. Pour Fischback (1986), l' universalité du corps humain rend relativement plus facile la recherche des équivalences et la communication en matière médicale : The universality is self-evident since the human body and its functions (..) are the same in Montreal, Mombasa and Manilla. The medical translator' s task is greatly simplified by the fact that the basic anatomical and physiological elements underlying medical communication are precisely the same the world over, as are the corresponding references in both the source and target languages, even if some descriptive terms are not (Fischback 1986 : 19). De telles conclusions ne correspondent pas à la réalité, et leur validité se limite sans doute aux langues et aux cultures d' origine judéo-chrétienne. À l’évidence, même si le corps est universel, sa perception et sa représentation diffèrent selon les cultures. Vu que la traduction est un acte de communication et qu’il existe une interaction entre la communication et la culture, notre objectif ici est d’explorer les notions de culture et de langue et les rapports qu’elles entretiennent entre elles. Dans cette perspective, l’analyse des représentations de la santé, de la maladie et du corps devient pertinente pour toute traduction dans un domaine impliquant des langues et cultures différentes. Cette partie compte trois chapitres. Elle examine d’abord quelques aspects importants de l’histoire et de la culture des sociétés mossi et bisa dans le chapitre 2. Ces aspects sont essentiels pour comprendre le chapitre 3 qui porte sur les représentations de la santé, de la maladie et du corps en cours au Burkina Faso. Pour terminer, nous aborderons au chapitre 4 certaines caractéristiques linguistiques de la culture mossi et bisa dont la pertinence socio-pragmatique pour la communication permettra d’appréhender les valeurs et les fonctions de la traduction dans notre corpus.

CHAPITRE 2 Sociétés mossi et bisa et leur culture Dans ce chapitre nous allons présenter quelques aspects importants de l’histoire, de l’organisation sociale et politique des sociétés mossi et bisa sans lesquels il serait difficile de comprendre les représentations de la santé, de la maladie et du corps. L’objectif de notre recherche étant de montrer les fonctions innovatrices et conservatrices de la traduction, il est important de relever les rapports qui existent entre les représentations et les valeurs culturelles et l’histoire, l’organisation sociale et politique des Mossi et des Bisa. Cela permettra par la suite de mieux mesurer l’ampleur des différences culturelles entre les valeurs que véhicule la traduction et celles du public cible mossi et bisa. Une telle démarche vise surtout à montrer la pertinence de notre hypothèse de recherche, à savoir la fonction innovatrice de la traduction. Mais auparavant, nous aimerions discuter brièvement la trilogie «identité culturelle, identité nationale et langue» qui est au coeur de la problématique des rapports entre langue et culture. 2.1

Identité culturelle, identité nationale et langue

Nous avons défini dans le chapitre précédent la culture comme étant l’ensemble des connaissances que possède un groupe social ou ethnique. Ces connaissances pouvant regrouper les coutumes, la nourriture, les vêtements, l’habitation, l’histoire, le comportement social, les traditions orales, etc. Une telle définition est sans doute pertinente, mais elle est trop étroite, car elle ne montre pas suffisamment la complexité et le caractère dynamique de la culture. La culture a fait et continue de faire couler beaucoup d’encre. Elle a fait l' objet de centaines de définitions8, chacune d' entre elles mettant l' accent sur différents aspects. Malgré les différences linguistiques et ethniques entre les Mossi et les Bisa, nous allons les considérer comme appartenant à une même culture, comme un même ensemble de pratiques et de représentations. Une telle approche mérite certainement quelques explications, mais avant, nous allons nous arrêter un instant sur cette notion de culture. Le mot «culture», d’origine allemande, a été introduit dans le discours par des philosophes tels que Herder (voir par exemple Gyekye 1997 et Kuper 1999) à la fin du XVIIIe siècle. C’est un terme agricole qui, appliqué à l’esprit 8

Samovar & Porter (1991 : 51) parlent d' environ cinq cents définitions, tandis que Hall (2002 : 3) fait cas de quelques centaines.

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

humain, constitue une métaphore, impliquant que celui-ci, tout comme les produits de la terre, peut se cultiver. Lorsque les Allemands évoquaient la fierté de leurs accomplissements, ils se référaient, selon Kuper (1999 : 30-31), à leur culture qui était essentiellement composée de faits intellectuels, artistiques et religieux. Cette notion de culture, selon Kuper, s’est développée en opposition au concept de civilisation universelle défendu par la France. Ce que les Français considéraient comme une civilisation universelle était un danger pour les Allemands. Une conception qui tendait et tend encore à établir ainsi une dichotomie entre culture élitiste et culture populaire ou culture de masse sera battue en brèche par les anthropologues et les sociologues au XXe siècle, qui proposent des définitions descriptives et universalistes de la culture : Dans son acception la plus unanimiste, la culture caractérise, par son opposition à la nature, la somme des réalisations accumulées par l’humanité au long des siècles du processus de civilisation. De cette somme, une partie s’incarne dans des productions symboliques dont la variabilité historique et spatiale démontre par elle-même qu’elles répondent partout, mais de manière différente et changeante, à un ensemble de nécessités fonctionnelles d’organisation des rapports entre les individus et entre les groupes au sein d’un ensemble social, entre les individus et leur environnement naturel, entre les individus d’une génération ou d’une époque données et les générations ou époques antérieures ou futures (Menger 2001 : 181-182). À une telle conception, qui insiste sur la pluralité et l’universalité culturelles, d’autres opposent une conception différentialiste des cultures. La plupart des définitions qui mettent en avant les différences culturelles soulignent que la culture constitue l' identité du groupe ou de la société. C' est elle qui différencie un groupe d' un autre. Ladmiral & Lipiansky (1989), Samovar & Porter (1991) et Hall (2002), par exemple, montrent que l' identité suppose la différence et la conscience d' appartenir à une même collectivité qui n' émerge que face à d' autres collectivités, ressenties comme différentes ou étrangères. De nombreux partis politiques, des communautés entières et des nations partout dans le monde se sont forgés une identité à partir d' un discours, qui exploite l' altérité. Mais, il est important de souligner que le terme «culture» associé à un individu ou à un groupe ou à la nation n' implique pas une homogénéité : No one person is a perfect representation of a whole culture. In part, this may be because we typically are part of many different cultures. I share a system for making sense of the world with members of my family, members of my occupation, members of my religion, members of groups linked to hobbies and other interests I have, and members of the regional and national communities in which I live. These different systems for making sense frequently overlap, but there are differences and no one

26

Chapitre 2. Societés mossi et bisa et leur culture

them entirely captures the resources I have for understanding and acting in the world (Hall 2002 : 20). Un même individu peut donc avoir plusieurs identités fondées sur une interaction entre différence et similarité. Comme le montre le propos de Hall, ci-dessus, deux personnes ayant la même religion, tout en partageant une même identité (similarité), peuvent sur ce point différer dans leurs appartenances régionales (différence). La culture d' un d' individu, d' un groupe ou d' une société se caractérise plutôt par sa diversité et sa complexité. Dans ces conditions, l' identité culturelle implique-t-elle une unité entre langue, culture et nation ? Que recouvre la notion de culture nationale ? Peut-on envisager une culture nationale sans une langue commune ? Pour les Allemands qui ont inventé le concept de culture, la culture convergeait avec la langue et l’une n’était pas concevable sans l’autre. Une telle approche était partagée par de nombreux penseurs dans la plupart des pays occidentaux. En Grande-Bretagne, pour T. S. Eliot par exemple qui ne fait pas de distinction entre civilisation et culture, une culture nationale n' est envisageable que dans le cadre d' une unité linguistique : Now it is obvious that one unity of culture is that of the people who live together and speak the same language : because speaking the same language means thinking, and feeling, and having emotions, rather differently from people who use a different language» (T. S. Eliot 1948 : 121, les italiques sont de l’auteur). Depuis la Révolution française (1789) et l’avènement de l’État-nation, la langue et la culture sont apparues comme d’importants traits de l’identité nationale. Sans remettre en cause le rapport entre langue et culture, on peut remarquer que le français ne s’est imposé que progressivement à l' ensemble du territoire français ; c’est dire que la matérialisation de l’idée d’État-nation a précédé l' extension de la langue française à la nation. Pour la plupart des chercheurs, les notions même de «langue», de «culture», et d’«identité nationale» sont dynamiques, sans cesse en construction, et ont besoin d’être constamment redéfinis (Stroinska 2001 : ix). Le lien entre ces concepts est complexe, voire ambigu, en raison de leurs connotations politiques et idéologiques. A cet égard, la remarque de Nectoux (2001 : 90-91) est pertinente : There is no direct organic, constitutive link between national identity and nation, on one side, and language on the other. Although languages are always part and parcel of a national culture in one way or another, there is no need for a ‘national’ language to accompany the constitution of a nation, nor is there a need for the various communities and social groups that come to constitute a nation to speak a ‘national’ language.

27

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

L’identité nationale ne correspond pas nécessairement au partage d’une même langue. C’est le cas, par exemple, de la Suisse9, de la Belgique et du Canada et surtout de nombreux pays en Afrique où plusieurs langues coexistent dans une situation de diglossie, avec ou sans bilinguisme. Dans le cas spécifique de l' Afrique, à l' instar du Burkina Faso qui compte une soixantaine de langues, cette diglossie est très variée et complexe : This means that several languages within a society have layered relationships corresponding to a dynamics of power between several types of speakers and types or modes of communication. The clearest instance of such linguistic structure occurs in countries that have experienced colonisation (Nectoux 2001 : 91). Dans bien des cas, la langue de l’ancienne puissance coloniale est la langue de l’administration et des classes dirigeantes. Les langues vernaculaires sont réservées aux communications intra-communautaires, familiales, religieuses... Dans le cas du Canada, de la Suisse et de la Belgique comme de nombreux pays africains, on peut parler d’identité nationale qui n’implique pas une identité culturelle que l’on observe dans d’autres pays multilingues comme l’Irlande ou les Pays-Bas. L’unité entre langue et culture, d’une part, et, entre l’identité culturelle et l’identité nationale, d’autre part, semble une gageure avec la multiplicité des ethnies, à l’origine de l’ethnicité qui, d’ailleurs, constitue un phénomène commun à la plupart des nations du monde aux yeux de Gykye (1997). Ce terme «ethnicité» qui vient de celui d’«ethnie» a été utilisé par les anthropologues avec des définitions qui varient. Mais, selon Amselle (1990 : 972), ces différentes définitions présentent des traits communs : À travers les différentes acceptions recensées apparaissent un certain nombre de critères communs tels que : la langue, un espace, des coutumes, des valeurs, un nom, une même ascendance et la conscience qu’ont les acteurs sociaux d’appartenir à un même groupe. L’existence de l’ethnie résulterait donc de la coïncidence de ces différents critères. La plupart des études anthropologiques ou sociologiques consacrées aux différentes ethnies du Burkina Faso abordent le concept d’ethnie selon ces critères. Faure (1996), par exemple, qui étudie le pays bisa, définit l’ethnie selon des indicateurs culturels et linguistiques, et des sentiments d’appartenance. 9

A propos de la Suisse, Matthey & Pietro (1997 : 138) affirment que «la pluralité des langues est constitutive de l’identité suisse».

28

Chapitre 2. Societés mossi et bisa et leur culture

En réalité le concept d’ethnicité représente une invention coloniale10 (Amselle 1990, Braeckman 1996, Gykye 1997) qui fait partie d’une stratégie de «diviser pour mieux régner». La notion d’origine ou d’ascendance commune à la base de l’ethnie est difficilement acceptable en raison des brassages historiques qui ont toujours caractérisé les peuples. En ce qui concerne le Burkina Faso, par exemple, Da (1990 : 7) montre que «les frontières ethniques à l’intérieur du pays ne sont pas toujours nettes». Selon Badini (1994 : 17), «l’ethnie moaga» est le produit d’un brassage séculaire. Même si la notion d’ethnie n’est pas fiable, la diversité culturelle au Burkina Faso comme dans la plupart des pays africains demeure une réalité qui constitue un défi à l’unité culturelle et à l’identité nationale. Le concept de multiculturalisme rend très bien compte de la diversité culturelle au sein d’une même société. Selon Kramsch (1998 : 82), il s’applique aussi bien à l’individu qu’à la société : In a societal sense, it indicates the coexistence of people from many different backgrounds and ethnicities... In an individual sense, it characterizes persons who belong to various discourse communities, and who therefore have the linguistic resources and social strategies to affiliate and identify with different cultures and ways of using language. Kramsch (1998 : 82) arrive à une définition de l’identité culturelle qui correspond à notre contexte : The cultural identity of multicultural individuals is not that of multiple native speakers, but, rather, it is made of a multiplicity of social roles or ‘subject positions’ which they occupy selectively, depending on the interactional context in which they find themselves at the time. Cette citation montre, d' une part, que le lien entre langue et culture est complexe et, d' autre part, que parler la même langue ne signifie pas forcément partager la même culture ou la même identité. Dans ce sens, la francophonie constitue un exemple significatif, car elle se caractérise par sa diversité culturelle. Comme le relève Albert (1999 : 5), elle «peut être appréhendée selon plusieurs perspectives : linguistiques, historiques, didactiques, etc.». Pour la grande majorité des pays dits francophones le français n’est pas la langue maternelle. En plus, le fait même de parler de culture globale aujourd’hui montre combien cette notion de culture est loin d’être fixe et qu’elle est évolutive. Face à une telle situation, on est obligé de reconnaître la pertinence de la thèse de Zalzman (1993 : 151) selon laquelle la corrélation entre langue et culture n’est pas encore établie : 10

À ce propos, Braeckman (1996) montre que les Tutsi et les Hutu étaient un même peuple appartenant à une même culture et partageant une même langue. Mais le concept d’ethnicité a permis à la puissance coloniale belge et l’Église catholique, avec la complicité des élites locales, de créer des divisions et des rivalités qui aboutiront au génocide de 1994. 29

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

Although it is true that human culture in its great complexity could not have developed and unthinkable without the aid of language, no correlation has yet been established between cultures of a certain type and a certain type of languages. In fact, there were and still are areas of the world where societies share a very similar cultural orientation yet speaks languages that are not mutually unintelligible but completely unrelated and structurally different. Ce qui est mis en cause ici, ce n’est pas le rôle crucial de la langue en tant moyen d’expression culturelle qui est irréfutable, mais l’unité entre langue et culture. Les développements ci-dessus indiquent que la culture ne signifie pas uniformité et stabilité, comme le montrent T. Samovar & Porter (1991), Kramsch (1998), Hall (2002) et l’idée de culture globale (Stroinska 2001). L’État-nation lui-même étant multiculturel, les notions de culture nationale et d’identité nationale deviennent des concepts politiques qui s’inscrivent dans le cadre d’un projet de construction nationale. D’ailleurs, on verra au cours de l’analyse de notre corpus (en particulier au chapitre 10) que les pouvoirs politiques peuvent se servir de la traduction pour réaliser un tel projet, notamment pour faire émerger une conscience nationale et pour introduire de nouvelles valeurs associées à l’État-nation. Indépendamment de cette dimension politique de l’identité culturelle et de l’identité nationale, nous pouvons parler de cultures bisa et mossi - en tant qu’éléments constitutifs de la culture burkinabè dans un sens descriptif et universaliste - qui entretiennent des liens historiques et même linguistiques. Nous partageons donc la position de Lambert (1994 : 24) qui relève : «Complex links can develop through ages between languages and cultures that suddenly have happened to coexist». Nous pensons que cette observation s’applique à beaucoup de sociétés africaines. L' histoire, la tradition, le partage d' un même territoire, la religion, l' ethnicité, par exemple, constituent, entre autres, autant d' éléments qui participent également à forger l' identité nationale et culturelle. Les représentations mossi et bisa de la santé, de la maladie et du corps nous permettront d' en savoir plus sur les deux sociétés. Mais, pour mieux comprendre ces représentations, il est important de connaître non seulement l' histoire, l' organisation sociale et politique mais également les représentations du cosmos dans culture mossi et bisa. 2.2

Histoire, organisation sociale et politique des Mossi et des Bisa

La notion de représentation, qui est au cœur aussi bien de la conception universaliste que de la conception différentialiste de la culture que nous venons de voir, est un paradigme commun aux sciences sociales. Aussi, avant d’aborder l' histoire, l' organisation sociale et politique, est-il important de savoir ce qu' est une représentation. Selon Moscovi (1969 : 11) :

30

Chapitre 2. Societés mossi et bisa et leur culture

Une représentation sociale est un système de valeurs, de notions et de pratiques ayant une double vocation. Tout d' abord, d' instaurer un ordre qui donne aux individus la possibilité de s' orienter dans l' environnement social, matériel et de le dominer. Ensuite d' assurer la communication entre les membres d' une communauté en leur proposant un code pour nommer et classer de manière univoque les parties de leur monde, de leur histoire individuelle ou collective. La pertinence de la définition de Moscovi se trouve dans la fonctionnalité et la relativité des représentations, qui aux yeux de Grinker & Steiner (1997) ne peuvent prétendre à l’universalité. Une telle approche est importante, car elle permet de comprendre non seulement l' histoire, l’organisation sociale et politique mossi et bisa comme des représentations culturelles, mais également d' envisager par la suite la santé, la maladie et le corps en ces termes. Les Mossi, d' origine mandé, sont venus de Gambaga, qui correspond au nord du Ghana actuel (voir Canu 1976 : 11 ; Badini 1994 : 17). Ils ont conquis entre le XIIIe et le XVe siècles les régions actuelles du Burkina Faso connues sous le nom de «plateau mossi». Cette conquête s' est faite en chassant ou en assimilant les populations autochtones : les Nioniosé, les Kurumba et les Dogon. L' ethnie mossi, selon Badini (1994 : 17), est le produit d' un brassage séculaire considérable entre les conquérants et les peuples autochtones. Quant aux Bisa, ils occupent la partie sud-est du pays. La région bisa est une enclave limitée au nord et à l’est par le pays mossi, à l’ouest par le pays gourounsi et au sud par les Boussancé du Ghana. Son peuplement s’est déroulé en deux phases successives. D’abord, vers la fin du XIIIe siècle et ensuite, au cours du XVe siècle, avec l’occupation de la partie occidentale par les Mossi. Pour Vanhoudt (1992), ce peuplement expliquerait peut-être les différences linguistiques entre le bisa de l’est et le bisa de l’ouest. La carte ci-dessous donne une idée des différents groupes ethniques au Burkina Faso :

31

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

Source : CNRST, Ouagadougou

Les relations entre Bisa et Mossi sont telles que, selon Faure (1996 : 51), leur histoire est inséparable. Ceci est renforcé par la légende, selon laquelle Naba Ouédraogo, le fondateur du premier royaume mossi, Tenkodogo, serait le fils d' un chasseur nommé Rialé - qui serait Bisa - et de la princesse Yennaga, fille du roi de Gambaga11. L’histoire et l’organisation sociale et politique des Bisa restent marquées par le modèle mossi (Fainzang 1986 ; Vanhoudt 1992 ; Faure 1996, Vossen 1998 et Reikat & Cissé 2000) et par la colonisation française. La société bisa était organisée sur le modèle de communauté villageoise, sous l’autorité du plus ancien ou ( & % soit le plus vieux du village appartenant au lignage fondateur du village. Mais, sous l’influence des Mossi et de la colonisation française, les Bisa ont adopté un système de chefferie semblable à celui des Mossi. Ainsi, l’utilisation du titre mossi, , qui désigne la fonction de chef () en bisa), désormais héréditaire, est largement répandue en pays bisa jusqu’à nos jours. 11

En fait, il existe plusieurs versions de la légende de Yennaga, mais la plus connue, et qui est enseignée dans les cours d' histoire, se résume comme suit : «Une amazone du nom de Yenenga quitte son père, un chef mamprusi de Gambaga, pour guerroyer dans la région de Tenkodogo. Son cheval s' emballe et elle rencontre dans la brousse de Tenkodogo un chasseur nommé Riaré ou Rialé, que certains auteurs n' hésitent pas à qualifier de Bissa. De leur union nait Ouédraogo, le premier Mossi, qui doit son nom à l' étalon de Yennenga. Ses descendants sont Zoungrana, puis Oubri, le premier chef du royaume mossi» (Faure 1996 : 70).

32

Chapitre 2. Societés mossi et bisa et leur culture

La société mossi comporte une aristocratie constituée, d' une part, par les conquérants ou les nakombse (singulier : nakombga), c' est-à-dire les nobles, qui jouissent d' un prestige et, d' autre part, par la masse des hommes libres ou talse (singulier talga) et les descendants des premiers occupants de l’actuel «plateau mossi» qui sont surtout les acteurs de la production économique. Cette stratification se reflète au niveau de l' organisation politique où l' essentiel du pouvoir est partagé entre les conquérants, les nakombse et les «autochtones», les tengembiisi ou les «enfants de la terre» (Bonnet 1988 ; Skinner 1989 ; et Badini 1994) qui correspondent aux anciennes familles nioniosé, kurumba ou dogon. Les nakombse gèrent le pouvoir politique, tandis que les tengembiisi sont responsables du pouvoir religieux, notamment le culte de la terre et les cultes des dieux et des ancêtres. Les hommes libres, qui constituent la majorité, sont soumis au pouvoir des nakombse et des tengembiisi.12 Les forgerons ou les saaba constituent une caste qui joue un rôle important dans la survie de la société mossi. Ils occupent une place que Badini (1994 : 19) décrit comme suit : Par les relations privilégiées qu' ils entretiennent avec les deux pouvoirs [les nakomcé et les tengbisi], grâce à leur maîtrise du fer et du feu qui leur confèrent des pouvoirs particuliers sociaux et religieux, les forgerons (Sanda) occupent la position enviable d' intermédiaires, de médiateurs, et de même d' intercesseurs écoutés et respectés de tous. La position sociale des forgerons est ambiguë. Comme le relève Badini (1994 : 19), le forgeron, en tant qu’homme de caste, est craint et honoré, méprisé et recherché. En effet, c’est lui qui fabrique les instruments aratoires et sa femme fait la poterie. En cas de dispute son verdict est sans appel. Cette ambiguïté visà-vis des forgerons vient sans doute, d’une part, de leur maîtrise du fer et du feu et d’autre part, de la liberté relative dont ils jouissent et qui les place au-dessus des règles courantes (Badini ibid.). La division de la société en groupes distincts, observée chez les Mossi, existe aussi chez les Bisa. Ainsi, les membres de la lignée du chef sont les " (singulier : ) et les autres sont les & " (singulier : & ). Les premiers, en tant que détenteurs du pouvoir politique, constituent en quelque sorte les dominants et jouissent de plus de prérogatives par rapport aux seconds, les dominés. Le du système social et politique mossi existe également dans la société bisa sous la même appellation mooré qui signifie littéralement «propriétaire de terre» ou «maître de terre». Si le pouvoir politique 12

Cependant, l' identité lignagère ne renvoie pas aujourd' hui à une spécificité ethnique mais tout simplement à un statut social parce cette notion d' ethnicité ne représente pas une catégorie immuable. Selon Bonnet (1988 : 59) «Un certain nombre de procédures de changements d' identité lignagère par segmentation de lignage ont permis que des deviennent & ou (forgerons), ou que des & deviennent De plus, un certain nombre de lignages de talse, venus avec les nakombse, sont de nos jours assimilés au tengenbiise».

33

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

est exercé par le chef, c’est le Tengsoba qui possède le pouvoir religieux concernant la terre et les cultes, comme dans la société mossi. À l' époque de l’implantation coloniale française, le pays mossi était déjà bien structuré, et disposait d' un pouvoir politique très centralisé, caractérisé par un sentiment national très poussé et l’attachement des Mossi à leur territoire (Badini 1994 : 15). Les trois grands royaumes les plus connus sont sans doute le royaume de Yatenga au nord, le royaume de Ouagadougou au centre et le royaume de Tenkodogo à l' est. Le Moogo Naaba, qui est le roi du royaume de Ouagadougou, est également le chef suprême de tous les Mossi. Aujourd' hui encore le Moogo Naaba exerce une influence sur le peuple mossi et continue de jouer un rôle dans la gestion du pouvoir moderne au Burkina Faso. Il constitue un enjeu électoral pour la classe politique, qui se bat pour avoir sa caution en tant que chef suprême des Mossi, et s' assurer ainsi du soutien de ses «sujets» sur lesquels, selon Badini (1994 : 16), il exerce encore son autorité. Si le Moogo Naaba et de façon générale le chef est responsable du pouvoir politique, le pouvoir religieux dans la société mossi incombe au * ou «maître de la terre». Il est responsable du culte des ancêtres et de la terre. Skinner (1989 : 30) décrit ses pouvoirs en ces termes : He made sacrifices to the earth shrines in the village, gave ritual permission for building compounds and digging graves, and took control of the village during the period between the death of a chief and the accession of another. L’installation d’un nouveau chef est légitimée par des sacrifices rituels effectués par le * . Mais en raison des transformations socioéconomiques et politiques, et de la poussée du christianisme et de l’islam, ses pouvoirs ont été considérablement réduits. Le modèle politique pour la société mossi et bisa est basé sur la communauté villageoise, avec le royaume constituant la forme achevée chez les Mossi. Même si l’institution royale n’existe pas en pays bisa, le système de communauté villageoise demeure la règle (Fainzang 1986 : 12 ; Faure 1996 : 154). En fait la composition d’un village est typique à beaucoup de sociétés en Afrique de l’Ouest, en particulier au Burkina Faso (Dachler 1992 : 10). Chaque village est constitué de «concessions» qui sont des groupes d’habitations ou des cours familiales où habitent tous les membres de la famille, c' est-à-dire les grands-parents, les parents, les fils et leurs épouses (les filles devant rejoindre leurs maris au domicile des parents de ceux-ci). Le lien principal entre les membres d' une même famille est l' appartenance à un même ancêtre. Selon Badini (1994 : 20), la référence aux ancêtres «servira de ciment garantissant la cohésion du groupe familial et lui assurera sa force». Il en est de même en ce qui concerne les Bisa. Une concession traditionnelle est composée de cases reliées entre elles par des murs ou des nattes en paille. Chaque famille occupe une partie de la concession, les différentes familles étant séparées par des nattes en paille. À l' intérieur de la concession, on trouve les greniers pour stocker les céréales. 34

Chapitre 2. Societés mossi et bisa et leur culture

Cependant, il faut indiquer qu’avec l’influence de la colonisation et du modernisme, la famille nucléaire, comme unité familiale, gagne du terrain et le lieu d’habitation a tendance à refléter cette nouvelle situation. En ce qui concerne la vie économique, l’agriculture demeure la principale activité pour les Mossi et les Bisa, à l’instar du reste du pays. Les Mossi appartiennent à la civilisation du mil (Canu 1976 ; Badini 1994), la principale activité économique en pays mossi demeure l' agriculture. Les populations pratiquent une agriculture de subsistance basée sur de petites exploitations familiales. Il s' agit d' un type d' exploitation extensive. Mais, il faut relever que la production tend à s’individualiser sous l’influence de la capitalisation grandissante de l’économie du pays et de la politique de l’État, à travers la mise en oeuvre de projets de développement agricoles intégrés et le développement de certaines infrastructures, telles que la construction de barrages, le développement de périmètres irrigués, la construction de routes qui ont pour conséquence d’ouvrir davantage la région sur le monde extérieur. Malgré la colonisation et la modernisation, les Mossi et les Bisa ont conservé leurs langues et leurs représentations culturelles. On l' a vu, le nouveau système politique n' empêche pas les Mossi de continuer de reconnaître l' autorité du Moogo Naaba. Skinner (1989 : 1), qui a consacré une étude à la société mossi, affirme avoir été attiré par celle-ci parce qu' elle aurait conservé ses anciennes structures sociales et politiques. Quant aux Bisa, selon Fainzang (1986), malgré la présence de l’islam dans leur région, leur système symbolique n’a pas changé en profondeur. Les représentations de la santé, de la maladie et du corps que nous verrons dans le prochain chapitre seront pour nous l’occasion de constater une telle situation. Maintenant nous allons nous intéresser à la représentation mossi et bisa du cosmos qui nous permettra de mieux comprendre, d’une part, l’organisation sociale et politique, et, d’autre part, les représentations de la santé, de la maladie et du corps. 2.3

Représentation du cosmos dans la culture mossi et bisa

La plupart des sociologues et anthropologues de tradition anglo-saxonne et française ont montré que les représentations du «mal» que constitue, entre autres, la maladie, sont tributaires de la représentation du cosmos et de l' ordre social. Sindzingre (1984 : 105) se demande si, dans la conception causale de la maladie dans ces représentations, il en existe qui ne prenne pas en compte une conception générale du monde physique, et partant, du monde humain et non humain. Dans les représentations culturelles mossi et bisa l' être vit en symbiose avec l’univers cosmique. Son bien-être, en particulier sa santé - par conséquent la maladie - dépend de l' équilibre entre son milieu social et le cosmos. De façon générale dans la culture africaine, le cosmos et l' individu ne sont pas représentés de façon différenciée, mais comme vivant en symbiose, même si dans leur représentation de l' univers les Africains distinguent monde visible (la 35

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

réalité humaine) et monde invisible (le monde des ancêtres, des dieux et des pouvoirs surnaturels). L' organisation sociale et politique des Mossi et des Bisa, telle que décrite ci-dessus, représente le monde visible, qui dépend du monde invisible. On comprend donc pourquoi la représentation du cosmos aura une importance pour la représentation de la santé, de la maladie et du corps. Dans la cosmologie mossi et bisa, le monde invisible est inséparable du monde visible. Ce sont deux mondes qui se complètent. Les éléments du monde invisible, en ce qui concerne les Mossi, selon Bonnet (1988) et Badini (1994), sont : les ancêtres ( singulier : les génies ( , singulier : a). Quoiqu' invisibles, les sont pour les Mossi des êtres vivant dans l' espace non cultivé, comme la forêt, les montages, les arbres. Ils ont une forme et des caractéristiques plus ou moins humaines. Ils n' aiment que la nourriture sucrée, comme le miel, le sésame, les gâteaux de haricot et l' arachide (Bonnet 1988 : 22). Il en existe de bons et de méchants. Parmi les divinités mossi, + * (Dieu suprême ou Soleil) et * (Terre) occupent une place de choix en tant que couple suprême. Les ancêtres, qui servent d' intermédiaires entre ces divinités et les hommes, sont jugés sur la base de l' efficacité de leur intervention en faveur des humains (Badini 1994 : 26). Ils veillent également à la santé, à la reproduction et à la survie économique des vivants. Les Mossi possèdent de nombreux lieux et des objets de culte associés aux génies ou à l' esprit des ancêtres à qui ils font des sacrifices, afin de demander leur aide dans la résolution de toutes sortes de problèmes relatifs à leur bien-être. Par ailleurs, les ancêtres veillent à la cohésion sociale en s' assurant que les humains observent les règles et les coutumes qui permettent de maintenir l' ordre social. Les contrevenants aux règlements de la société s' exposent à la sanction des ancêtres, car toute transgression contribue à la déstabilisation de la société tout entière. À quelques nuances près, l’univers cosmologique bisa comporte les mêmes représentations. Le monde invisible est composé d' un être suprême, , à l' origine de la création de l' univers dans la cosmologie bisa. + désigne également le soleil dans la langue bisa. Selon Fainzang (1986 : 21), l' utilisation de ce terme serait une influence de la pensée mossi, qui associe +* (Dieu) et + (soleil). Pour l' auteur, le fait qu' il existe un autre terme pour désigner le soleil, à savoir , & , plus utilisé selon elle, montre que la pensée bisa distingue clairement Dieu et soleil. Fainzang admet la dissociation entre Dieu et soleil dans la pensée bisa, contrairement à la pensée mossi qui, selon elle, ne ferait pas cette distinction. Cependant, elle ne dit pas que le mot , & est également un mot d' origine mossi, qui signifie aussi soleil. Si en bisa , & désigne uniquement soleil, il en est de même en mooré, où il est également utilisé exclusivement pour désigner le soleil. Skinner (1989 : 5) ne partage pas la position de Fainzang sur les croyances mossi. Pour lui, même si la vénération des ancêtres est au centre des croyances religieuses des Mossi, il existe un être suprême, «otiose high god»13, à l' origine de la création de l' univers. 13

Skinner n' est pas le seul à l' affirmer. Parmi les premiers ethnologues à s' intéresser à l' Afrique, certains, comme Delafosse (1941 : 152), pensent que la croyance en un Etre

36

Chapitre 2. Societés mossi et bisa et leur culture

Dans la hiérarchisation de la représentation cosmologique bisa les génies occupent la deuxième place après Dieu. Les génies sont des forces qui interviennent plus dans le quotidien du monde visible en comparaison avec + (Dieu). Ils sont partout : dans les arbres, dans les marigots, en brousse, etc. Il y a deux types de génies : les ! " (singulier : ! ) et les & " (singulier : & ). La différence entre les deux est complexe. Pour Fainzang (1986 : 31), tandis que les & " ont pour vocation de faire du mal sans raison, les ! le font pour mettre en garde quelqu' un, en provoquant en lui la maladie par exemple. Mais, la personne fautive peut réparer le mal commis pour que le ! , qui a été offensé, annule sa sanction en permettant au malade de recouvrer la santé. Les Mossi et les Bisa ont une représentation cyclique du cosmos et de la vie qui fait du monde visible et du monde invisible un continuum. Le concept mossi de la procréation à travers le , sur lequel nous reviendrons dans la représentation du corps, permet de saisir cette vision cyclique du monde. En effet, le qui représente l’esprit d’un ancêtre défunt, est à l' origine de la fécondation de la femme. Après la fécondation, l' enfant passe par plusieurs étapes, décrites par Bonnet (1988 : 34), qui lui permettront d' acquérir progressivement toutes les composantes de la personne, dont la plus importante est le ou force vitale. Le est censé quitter le corps avant le danger ou juste avant la mort. À ce moment-là, il devient & . Bonnet (1988 : 35) établit une différence entre $ & et représente l' étape ultime dans le processus d' ancestralisation d' un individu mort : «kiima représente, en quelque sorte, la mémoire du mort réinvesti par les vivants d' un pouvoir de vie dans l' autre monde». Si les conditions d' ancestralisation ne sont pas réunies, c' est-à-dire si le défunt de son vivant a commis des fautes (inceste par exemple) ou s' il est décédé de façon violente, il ne pourra pas rejoindre ses ancêtres. Son connaîtra l' errance et deviendra un génie maléfique, appelé ! capable de provoquer la maladie, la stérilité, etc. Contrairement à la pensée mossi, dans la pensée Bisa le ! n' est pas toujours associé à des forces négatives. Comme indiqué plus haut, les Bisa pensent qu’il est possible d’obtenir auprès du génie l’annulation de toute sanction éventuelle par le biais d’un sacrifice. Mais cette représentation du $ ( illustre assez bien la conception cyclique de la vie et du cosmos dans les représentations mossi et bisa. Toute naissance est associée au retour sur terre d’un ancêtre défunt. La représentation de la naissance, à travers l' esprit de l' ancêtre qui donne la vie en fécondant la femme, montre que monde invisible et monde visible vivent en symbiose. Le nouveau-né chez les Mossi et chez les Bisa est appelé Suprême, à Dieu unique, est universelle mais pour les Noirs elle «est d' ordre cosmogonique plutôt que d' ordre religieux. Ils admettent que le monde et les êtres qu' il renferme, y compris les esprits, ont été créés par un Etre supérieur dont ils reconnaissent l' existence, mais dont ils se désintéressent parce qu' ils ne sauraient comment entrer en relation avec lui et parce que luimême se désintéresse du sort des créatures». Ceci correspond aux croyances mossi. 14 Le mot ! provient du mot arabe qui veut dire génie. Selon Fainzang (1986 : 26), il existe sous des formes différentes dans de nombreuses sociétés en Afrique de l' Ouest. 37

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

(étranger) venant de l' autre monde. Jusqu' au sevrage, qui intervient en général vers l' âge de trois ans, l' enfant est susceptible de retourner dans l' autre monde, d' où il est venu. Avant le sevrage, l' enfant est considéré comme appartenant aux deux mondes. Dans les représentations bisa, le ( (Fainzang 1986 : 40) est la composante fondamentale de la personne. Cependant, il ne constitue pas l' attribut exclusif de la personne, puisqu' il est présent dans les autres catégories de la cosmologie. Le ( représente également une catégorie immortelle. Quand, dans la pensée africaine, on affirme que les morts ne sont pas morts, on se réfère à ce principe. Une fois le défunt enterré, son ( va quitter son corps pour rejoindre le pays des ancêtres ( " ) après les funérailles. Le ( est tellement important dans l' univers symbolique bisa qu' une mort accidentelle ou hors de la maison familiale nécessite l' organisation de rites particuliers, afin de ramener le nyi du défunt à son lieu normal d' habitation qui représente la terre sous laquelle sont censés reposer ses ancêtres. Comme on le voit, le concept de nyi représente ce que la cosmologie mossi désigne par plusieurs concepts, à savoir & et . Dans l' imaginaire mossi et bisa, certaines personnes ont le pouvoir de communiquer avec le monde invisible. Il s' agit d' abord du * , qui est responsable du culte des ancêtres et de la terre. Ensuite, les ou " (termes qui désignent respectivement devins en mooré et en bisa), qui sont consultés au sujet de tout événement heureux ou malheureux : maladie, naissance, voyage... Dans les représentations de la maladie, on verra que le devin joue un rôle important dans l' étiologie tout comme dans le traitement de la maladie dans la culture mossi et bisa. Avant de conclure ce chapitre, nous proposons de récapituler, sous forme de schéma, la vision mossi du cosmos et son organisation sociale et politique. Ce schéma, qui est valable pour les Bisa également, est une adaptation de la représentation graphique des mondes «visible et invisible» de Bonnet (1988 : 69) et du schéma de l’autorité moaga et de son exercice (Badini 1994 : 108).

38

Chapitre 2. Societés mossi et bisa et leur culture

Représentation du cosmos et organisation sociale et politique mossi

Dieu W*nde Monde invisible

Génies (Kingirse)

Ancêtres (Kiimse)

Chef = pouvoir politique (Naba)

Monde visible

Propriétaire ou maître de terre= pouvoir religieux (Tengsoba)

Notables (Nakombse)

Roturiers (Talse)

39

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

2.4

Conclusion : que retenir de la culture mossi et bisa ?

Notre analyse de la cosmologie donne l' impression d' une certaine homogénéité au sein de la culture mossi et bisa. Il n' en est rien. Il convient de relever qu' il existe des représentations et non une représentation, car les sociétés bisa et mossi qui subissent les influences de l' islam, du christianisme et des institutions modernes telles que l' école et l' État, ne sont pas statiques. Les valeurs culturelles décrites ici rivalisent avec celles qu' incarnent ces derniers. C' est pourquoi, il n' est pas possible de dire que la vision du monde, ainsi présentée, est unifiée. Comme indiqué plus haut, toute culture, loin d' être figée, se caractérise par sa diversité et son dynamisme. Les systèmes culturels mossi et bisa n' échappent pas à cette règle. Aussi ne faudra-t-il pas s' attendre à des représentations homogènes de la santé, de la maladie et du corps, mais à une hétérogénéité de représentations, dont celles de la culture traditionnelle mossi et bisa, et celles de la médecine moderne occidentale adoptée par les pouvoirs publics. Cependant, cette analyse a révélé que la société traditionnelle mossi partage la même représentation du cosmos avec la société bisa. Les Mossi et les Bisa ont une conception utilitariste de la cosmologie, puisque seuls les génies et les ancêtres, c' est-à-dire les divinités qui sont directement impliquées dans le monde des vivants font l' objet de culte. Ce n' est pas le cas de Dieu, + ou +* , qui semble lointain. Mais, malgré cet éloignement, Dieu agit dans leur vie quotidienne. Nous suivons donc Thomas & Luneau (2000 : 142) qui affirment : «il est dans toutes les salutations, dans toutes les bénédictions. Il est aussi dans les noms que l' on donne à l' enfant.» La place des noms individuels dans l' anthroponymie mossi et bisa révèle l' importance de Dieu dans leurs croyances. Comme le montre Badini (1994 : 49), la détermination et l' imposition du nom à l' enfant ne se fait pas au hasard, car, entre autres, le contexte religieux, social et psychologique doit être pris en compte. De nombreux noms en pays mossi, tout comme en pays bisa, sont adressés aux puissances surnaturelles. C' est ainsi que le nom de l' enfant peut exprimer la reconnaissance et la satisfaction envers Dieu. Bon nombre de noms représentent, pour les parents, une manière de rendre grâce à Dieu. En voici quelques exemples courants en mooré ( * signifie littéralement «[Ils (les parents)] ont regardé», ( * «[Ils (les parents)] ont écouté Dieu». En bisa, on peut citer + " «C' est pour Dieu» + % «C' est la bouche de Dieu». Tous ces noms sont des métaphores qui non seulement louent Dieu mais également mettent ceux qui les portent sous sa protection. On l' a vu, l' organisation sociale et politique des Bisa reste fortement marquée par des échanges séculaires avec les Mossi. La représentation du cosmos dans les deux sociétés, même si elles ne partagent pas la même langue, reste essentiellement la même. Au niveau linguistique, la langue bisa s’est enrichie au contact de la langue mooré. L’exemple de l’organisation sociale et politique en pays bisa montre que l’influence mossi ne se limite pas seulement aux institutions, mais qu’elle s’étend également à la langue. En effet, la langue bisa a emprunté au mooré sa terminologie politique $ (singulier du 40

Chapitre 2. Societés mossi et bisa et leur culture

mooré

&

$&

La schématisation de la représentation du cosmos, de l’organisation sociale et politique montrant d’un côté le monde visible et de l’autre le monde invisible est une approche qui facilite sans doute la compréhension, mais les précédents développements montrent qu’il n’existe pas en réalité une telle dichotomie dans la pensée des Mossi et des Bisa car, selon Badini (1994 : 25), «l’Africain [...] ne conçoit pas le cosmos comme une réalité extérieure à lui, mais se représente plutôt comme un élément qui fait corps avec cette réalité». Dans le prochain chapitre nous allons voir comment la santé, la maladie et le corps sont représentés, d’une part, dans la culture traditionnelle mossi et bisa, et d’autre part, dans le monde moderne.

41

CHAPITRE 3 Représentations de la santé, de la maladie et du corps dans la culture bisa et mossi Au chapitre 2, nous avons montré que malgré les différences entre les langues bisa et mooré les Bisa et les Mossi partagent essentiellement une même culture en raison des liens historiques et politiques qui les unissent. Nous avons également évoqué le dynamisme et l’hétérogénéité de la culture. Les représentations de la santé, de la maladie et du corps illustrent cette caractéristique fondamentale de la culture à laquelle le Burkina Faso n’échappe pas. En effet, aux représentations traditionnelles dominantes s’opposent celles dites modernes, basées sur la médecine moderne. Les différences entre ces deux systèmes de représentations, on le verra, ont des implications pour la traduction dans notre corpus. 3.1

Représentations de la santé, de la maladie et du corps dans les sociétés traditionnelles bisa et mossi

Les représentations de la santé, de la maladie et du corps semblent largement partagées en Afrique. Sindzingre (1984 : 101), par exemple, estime que même si l’explication de l’infortune, y compris la maladie, n’est pas généralisable à toutes les sociétés africaines, parce qu’elle fait appel à des systèmes de représentations qui diffèrent, certains traits sont largement récurrents, en particulier la prégnance des variables exogènes, l’importance de l’univers physique et humain, des ancêtres et des puissances surnaturelles. Dacher (1992 : 191), qui a consacré une étude à la société goin, une ethnie de l’ouest du Burkina, est formelle : les représentations goin de la maladie ne tranchent pas notablement avec celles des populations senufo, mossi, bisa et wynie. Dans ce chapitre, l’attention portera beaucoup plus sur la maladie que sur la santé qui, en fait, ne prend toute sa dimension que lorsqu’on la perd. Selon Pierret (1984 : 230), «la maladie fait prendre conscience de la santé comme d' un état positif complexe fait d' inter-relations entre le physique et le psychique». Elle représente un concept difficile à cerner, en raison de la complexité et de l' élasticité de son domaine, si l' on en juge par la définition plus ou moins idéaliste qu' en donne l' OMS (1946 : 100) : «La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d' infirmité.»

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

Cependant, il faut relever que les représentations de la santé varient d' une société à une autre, et même, à l' intérieur de la même société, d' un groupe à l' autre. Selon Helman (2000 : 84), dans les sociétés non industrialisées la santé est perçue en termes de rapport d'équilibre entre les gens, entre les gens et la nature, et entre les gens et les puissances surnaturelles, tandis que dans les sociétés occidentales la définition de la santé est moins globalisante, même si elle comporte des aspects physiques, des aspects psychologiques et comportementaux. La perception de la santé dans les sociétés mossi et bisa correspond à celle qui prévaut dans les sociétés non industrialisées. Elle traduit, à n' en pas douter, leur vision de l' univers, où monde visible et invisible se côtoient, et où l' ordre social est tributaire de l' harmonie entre ces deux mondes. La recherche de la santé, outre les préoccupations du quotidien de l’Africain, constitue un souci permanent. Pour les Mossi tout comme pour les Bisa, sans la santé, rien n’est possible dans la vie. Cette préoccupation pour la santé est perceptible dans le discours quotidien. À toute personne entreprenant un voyage le Mossi souhaitera + * .( laafi (littéralement, «Que Dieu vous descende en bonne santé»). Le Bisa dira pour exprimer la même chose + ( ! Les Mossi et les Bisa estiment que la santé est un don de Dieu qu’il faut préserver. L’un des objectifs des différents cultes est de demander aux ancêtres de veiller à la protection du lignage et de la famille contre tout mal et de leur apporter la santé afin qu’ils puissent continuer leurs traditions. La santé est également au centre des préoccupations du pouvoir politique et du pouvoir religieux. Ce dernier est représenté par le * aussi bien dans la société mossi que bisa. Celui-ci, affirme Faure (1996 : 180), manipule symboliquement la santé des villageois, la fécondité de la terre et la mort en pays bisa : Le jour du culte à tara [terre en bisa], le chef de village et lui demandent aux «génies» du territoire villageois d' éloigner les maladies et les malheurs pour tous les habitants, quelle que soit la durée de leur séjour. Dans la société mossi, le culte du / (le nom du culte des ancêtres dans certaines localités) ou celui du * , (le culte de la terre), pratiqués à travers l' ensemble du territoire mossi, visent les mêmes objectifs. En effet, au-delà de la cohésion au sein des différents lignages et de tout le pays mossi, ces sacrifices cherchent également à implorer les ancêtres afin que ces derniers leur assurent la santé, la prospérité et la fécondité15. Si l' on s' en tient à la définition de l' OMS, selon laquelle la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et pas seulement une absence de maladie, on peut dire que la santé est non seulement un rêve difficile à réaliser, mais également que santé et maladie se côtoient tous les jours. La formule de cet écrivain, Cioran, qui a vécu la maladie toute sa vie, «la santé est la maladie assoupie» (cité par Zarharia 2000 : 14) montre très bien que 15

Selon Skinner (1989 : 131) «These sacrifices were offered to induce the chiefly ancestors to grant the villagers health, food, and children.» 44

Chapitre 3. Représentations de la santé, de la maladie et du corps dans la culture bisa et mossi

l' une sert à révéler l' autre, et qu' elles constituent l' envers et l’endroit de la même pièce. Dans ces conditions, aborder l' une est une manière d' aborder l' autre. Il est intéressant de voir que la plupart des ethnies burkinabè, ainsi que le montrent Dacher (1992) pour les Goin, Fainzang (1986) pour les Bisa, Bonnet (1988) pour les Mossi et Jacob (1988) pour les Winye, expriment les notions de bonne santé et de mauvaise santé en terme d’opposition frais –froid - humide / sec – chaud. Ainsi on dira de quelqu’un qui est malade : % 0 % % (son corps chaud ou son corps chauffe) et en mooré respectivement (1 (1 Presque toutes les langues africaines expriment la relation individu/maladie de la même manière. Non seulement elles personnifient la maladie, mais la relation actif-passif est inversée par rapport au français. Alors qu’en français on dira «Il a attrapé le sida», en bisa et en mooré on dira respectivement ( d ( $ c' est-à-dire «le sida l' a attrapé». Les expressions % (1 («corps chaud» ou «corps qui chauffe»), qui indiquent l’état de maladie, restent vagues et elles ne nous renseignent pas sur la nature de la maladie. Lorsque celle-ci est banale, comme dans le cas d’un rhume ou d’un mal de tête, le malade se procurera la médication nécessaire (plantes, décoctions...) à sa guérison. Il le fait soit en faisant appel à ses propres connaissances, soit avec l' aide de ses proches, en général des personnes âgées, qui ont une certaine expérience de la pharmacopée traditionnelle. Mais lorsque les symptômes de la maladie persistent, elle devient un phénomène social, dont l’explication, l’interprétation et la thérapeutique mettent en jeu les représentations cosmologiques et l’organisation sociale, qui sont essentiellement culturelles. C’est l’analyse de ces représentations selon une méthodologie développée par Sindzingre & Zempléni (1981) qu' ont adoptée Fainzang (1986), Jacob (1988) et Dacher (1992). Elle propose une explication de la maladie en quatre étapes : 1) la reconnaissance de la maladie et sa dénomination, 2) la représentation de sa cause : le moyen par lequel elle est survenue, 3) l' identification de l' agent qui en est responsable, 4) la reconstitution de son origine : pourquoi elle est survenue chez tel individu ? (Jacob 1988 : 251). Pour les besoins de notre analyse nous allons nous limiter aux deux premières étapes, à savoir la reconnaissance et la dénomination de la maladie et la représentation de la cause.

45

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

3.2

La désignation et les catégories causales de la maladie

3.2.1

La pertinence de la désignation de la maladie

Il nous semble pertinent de nous arr êter sur la nosographie16 bisa ou mooré, car elle constitue une première étape dans l’explication de la maladie. Fainzang a pu identifier plusieurs désignations de la maladie, dont les plus significatives sont descriptives, causales et techniques. La description causale peut être littérale ou métaphorique. Dans la description littérale, la maladie est désignée en se référant au corps ou à la partie du corps atteinte ou aux symptômes, ou encore aux effets. Le tableau ci-dessus en donne quelques exemples en bisa pour chaque mode de désignation, suivi de la traduction littérale et si possible du nom scientifique17 : Référence au corps

Référence aux symptômes

Référence aux effets

( (testicule) Eléphantiasis du scrotum ou toutes sortes d’orchites . / "(gorge) Goitre

2" % (ventre gonflé) hydropisie . " " % (vomir) Vomissements

3 ( ( % (La femme qui n’accouche pas) Stérilité féminine

Dans la description métaphorique on prend en compte le symptôme que l’on exprime sous forme de métaphore. Parmi les désignations métaphoriques on retrouve beaucoup de maladies dont les noms expriment la ressemblance du symptôme avec un objet, un arbre ou un animal. C’est le cas, par exemple, de ( (crocodile), une maladie entraînant un gonflement de la gorge qui rappelle celle du crocodile. Cette maladie correspond au goitre ou à l' angine. Un autre exemple, intéressant d’un point de vue linguistique, est , mot mooré qui veut dire serpent, correspondant à la «maladie du python», une maladie provoquant des plaques sur la peau ressemblant à la peau du python. + désigne également la même maladie chez les Mossi. Ce terme, en réalité, est utilisé pour désigner diverses sortes de dermatoses. On peut toujours citer dans cette catégorie & (tortue) : douleur ventrale obligeant le malade à «marcher plié» ; son dos présente alors la forme de celui de la tortue. Ces métaphores peuvent renvoyer également à la cause de la maladie. Les dénominations causales, selon Fainzang (1986 : 59), renvoient à la cause à laquelle la maladie est imputée, en mettant l’accent sur «l' affection 16

Ce terme, utilisé par Fainzang (1986), est emprunté à la médecine. Il désigne la branche de la médecine qui a pour objet la description et la classification des maladies. Fainzang (1986 : 52) parle de système nosologique bisa qui comprend un certain nombre de critères permettant l’insertion d’une même maladie dans plusieurs catégories et une division de certaines d’entre elles en sous-catégories. Fainzang indique clairement que le système dont elle parle ne relève pas d’un découpage effectué par les Bisa eux-mêmes mais par elle-même. 17 Les exemples sont tirés de Fainzang (1986). 46

Chapitre 3. Représentations de la santé, de la maladie et du corps dans la culture bisa et mossi

subie par un organe engendrant l' irruption de la maladie, soit sur l' agent pathogène, ou encore sur l' agent persécuteur». En plus des exemples de ( $ et & ci-dessus, on peut ranger parmi les dénominations causales la folie qui correspond à une «perturbation du foie ou de la tête». Selon sa gravité on parlera de % («tête / cerveau tourné» ou «renversé») qui est moins grave et désigne des hallucinations, des propos incohérents, par opposition à " % («foie renversé») qui désigne une folie grave. Parmi les maladies désignées par le nom de l' agent pathogène, on peut citer "( («maladie des femmes»). Contrairement à Fainzang (1986 : 60) qui ramène "( à la blennorragie, "( est un terme générique désignant dans la pensée bisa une série de maladies transmises par les relations sexuelles. Quant aux dénominations renvoyant à l' agent persécuteur, on peut citer % ( («maladie de la bouche») : cette maladie est censée être causée par la mauvaise parole proférée contre quelqu' un, par jalousie ou par méchanceté. La dernière catégorie de dénomination est celle relative à la technique curative. Un exemple typique serait " («antilope»), qui correspond aux céphalées. " désigne également l’animal, dont les cornes seront utilisées pour soigner les maux de tête en dessinant avec les cornes sur la tête du malade. 3.2.2

Les causes de la maladie

Dans la pensée bisa, il existe essentiellement deux modes de contamination : la contamination par contact et la contamination - sanction. La contamination peut se faire par contact physique direct ou médiatisé entre l’agent pathogène et le corps d’une personne. Dans la nosograhie bisa, on pense que tout contact physique direct avec le gecko, une sorte de lézard qui vit sous les toits des maisons, peut causer la lèpre. Cette contamination peut également se faire de façon indirecte, si l’on venait à consommer une nourriture qu’aurait touchée cet animal. /%% («oiseaux») est un terme utilisé pour désigner deux types de maladie infantile. La première, qui se traduit par des secousses et des tremblements, évoque les mouvements d’oiseaux et la seconde désigne la constipation /%% attaque l’enfant dont la mère se trouvait, alors qu’elle était en grossesse, dans une case sur laquelle s’était posé un oiseau. Le contact ici est médiatisé par la case et le corps de la femme qui, pour Fainzang (1986 : 69), se confondent sur le plan symbolique : «La maison où se trouve l' enfant à naître et sur laquelle se pose l' oiseau peut être conçue comme l' équivalent symbolique de l’utérus maternel», ce qui entraîne le contact entre l’animal et l’enfant et permet au premier de transmettre ses propriétés au second. Cette même maladie infantile, qui s’appelle («oiseaux») en mooré, est transmise à l’enfant lorsque la femme est survolée par l’oiseau pendant qu’elle dort à la belle étoile. La contamination - sanction peut provenir d’origines diverses : les génies, les ancêtres, les sorciers, etc. Ce sont, selon Fainzang (1986 : 69), les maladies à dénominations causales et métaphoriques qui résultent de la transmission des propriétés d’un objet sans qu’il y ait nécessairement contact physique. On peut illustrer ce mode de contamination par la maladie évoquée ci-dessus. Généralement, cette maladie est causée par le python. Mais, 47

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

cet animal n' est susceptible de causer la maladie que lorsqu' il est habité par un génie. Sa rencontre n' est pas fortuite. Il ne se présente que pour signifier une faute que la maladie sanctionne. Si l' on applique la méthodologie de Sindzingre & Zempléni (1981), la cause serait la transgression d' un interdit ou la faute qui se traduit par la colère du génie, l' origine de la sanction, c' est-à-dire la maladie transmise par la rencontre avec le , le python, l' agent. Mais nous préférons les termes de «cause immédiate» et «cause première» utilisés par Fainzang (1986 : 97) pour plus de simplicité, car python et génie peuvent être considérés comme un enchaînement de causes. Dans le cas de la maladie o dont il est question ici, la cause immédiate serait le python et la cause première la faute que le fait de voir un python signifie. C' est pourquoi, on le verra plus loin, la thérapeutique pour le Bisa ou le Mossi ne consiste pas seulement à soigner les symptômes, il faut chercher à aller plus loin et retrouver la faute, la cause première, et la réparer afin de permettre au malade de recouvrer la santé. Seule l' instance divinatoire est en mesure d' identifier cette faute et de dicter la conduite à tenir. L' étiologie obéit à un principe cohérent que les anthropologues ont suffisamment décrit. Parlant de l’explication de la maladie dans les représentations Senufo, Sindzingre (1984 : 118) affirme : Elle [l’explication] forme une structure finie, à laquelle sont rapportables à l’infinité des événements heureux et malheureux ; elle ne peut être constituée en taxinomie, car les choix concrets dépendent d’une logique pragmatique qui n’est pas réfutable comme pourrait l’être une théorie scientifique, en privilégiant le raisonnement causal de nature circulaire ; elle est une extension de la théorie de l’univers physique et des relations sociales (lignage, terre) des hommes à son égard et entre eux. Cette relation étroite entre représentations du cosmos et de la maladie d’une part, et, d’autre part, entre l' ordre social et la maladie, est valable tant pour les Bisa que pour les Mossi. Nous suivons Fainzang (1986 : 81) qui propose sept catégories étiologiques de la maladie chez les Bisa reflétant leur vision du monde et de l’univers : les ancêtres (g "), les génies (4 " & "), les jumeaux ( ( # ( "ou ( ") ; les possesseurs de ( ( ( ! " les «sorciers» ( % "), le destin ( % 5 ) et « Dieu » (+ . Nous proposons dans le tableau ci-dessous les différentes catégories étiologiques bisa telles que proposées par Fainzang, qui correspondent également à l' étiologie mossi18. Il est important d’insister sur le caractère arbitraire de ces différentes catégorisations qui relèvent des chercheurs et non des Mossi et des Bisa euxmêmes. Même si elles sont utiles pour notre analyse, elles ne traduisent pas véritablement la vision des Mossi et des Bisa qui n’établissent pas de 18

À noter que les Mossi désignent par le même terme les jumeaux et les génies : . Une telle dénomination peut se comprendre, puisque dans les croyances mossi, tout comme bisa d' ailleurs, les jumeaux sont associés à des puissances divines, et en tant que tels ils sont redoutés.

48

Chapitre 3. Représentations de la santé, de la maladie et du corps dans la culture bisa et mossi

dichotomie entre causes naturelles et causes surnaturelles (car il existe une symbiose entre le monde invisible et le monde visible). Catégories étiologiques bisa et mossi Catégories

Termes bisa

1. Ancêtre

"

2. Génies 3. Jumeaux

4

"

,4

"

4. "Fétiches"

2(

5. Sorciers

/ %"

6. Destin

3%

7. Dieu

+

Observations Cause surnaturelle

" ,

(

Termes mooré

Cause surnaturelle Cause surnaturelle Cause surnaturelle

5

"(

Cause surnaturelle

5

Cause surnaturelle

*

Cause naturelle

On constate que dans leurs classifications Sindzingre (1984, 1995), Jacob (1988) et Dacher (1992) affirment tous que globalement les sociétés africaines appréhendent la maladie de la même manière. Ils distinguent dix catégories étiologiques, tandis Fainzang en dénombre sept. Mais cette variation dans le nombre de catégorisations étiologiques que l' on peut constater d' un auteur à l' autre ne constitue pas un problème fondamental. Elle résulte de la manière dont chaque auteur a procédé au regroupement des différentes étiologies qui, dans bien des cas, se recoupent et se confondent. Prenons deux exemples. On peut tout à fait concevoir dans la catégorie des maladies causées par les ancêtres la transgression d' interdits - qui représente une catégorie dans les catégorisations de Sindzingre et qui ne figure pas dans celles de Fainzang – parce que ce sont les ancêtres qui veillent au respect de la tradition et de l' ordre social et sanctionnent toute transgression les concernant. Il n' est également pas impossible de ranger les maladies résultant de la transgression d' interdits dans la catégorie des maladies causées par les génies. Cette dernière pouvant également comporter les maladies causées par les animaux, qui constituent à leur tour une catégorie de maladie chez Dacher et Sindzingre. La variation dans le nombre de catégories étiologiques ne remet nullement en cause les représentations de la santé et de la maladie qui sont essentiellement les mêmes

49

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

dans les sociétés africaines en général, et dans la culture mossi et bisa en particulier. Cependant, on note que même si l' étiologie consiste en l' énonciation de catégories causales finies connues de tous dans la culture bisa et mossi, elles ne constituent en fait que des indices pouvant, en définitive, se ramener à deux types de causalité : les causes naturelles et les causes surnaturelles (voir Tableau ci-dessus). Le diagnostic final revient au devin ( chez les Bisa) et ( chez les Mossi). Par ailleurs, même si ces catégories causales permettent de mieux cerner la maladie, cette dernière peut être référée à une, deux ou plusieurs catégories étiologiques. C' est le cas de la stérilité féminine, par exemple, qui peut être à la fois provoquée par les ancêtres, les génies ou les fétiches. Elle peut être attribuée également à une cause naturelle, c' est-à-dire à Dieu. Mais, en revanche, ces mêmes catégories causales prises individuellement peuvent également provoquer plusieurs maladies. Seul le devin est à même de poser le diagnostic définitif qui, dans tous les cas, s’inscrit dans les catégories causales fixes ci-dessus. La guérison devient envisageable après la réparation de la faute, qui constitue la cause première de la maladie. Il faut relever que la faute qui est la cause de la sanction n' est pas commise nécessairement par le malade. La maladie peut sanctionner une erreur commise par un membre de la famille proche ou du lignage. Les maladies infantiles résultent le plus souvent de fautes commises par les parents de l' enfant avant même sa naissance, comme la maladie %% chez les Bisa, connue sous le nom de chez les Mossi. Cette remarque ne fait que renforcer le caractère social de la maladie et explique pourquoi cet aspect doit être pris en compte dans son traitement. Mais avant de nous intéresser à l' approche thérapeutique de la maladie, nous allons nous arrêter à la représentation biomédicale de la maladie. Celle-ci nous semble pertinente dans la mesure où la thérapeutique, en milieu bisa et mossi, à l' instar de la plupart des sociétés africaines, est influencée par cette représentation biomédicale de la maladie. 3.3

La représentation biomédicale de la maladie : bref aperçu

La médecine biomédicale ou moderne est née dans le monde occidental, qui avait également pendant longtemps une vision du monde comparable à celle des Bisa et des Mossi, c' est-à-dire un monde où l' homme n' était pas dissociable du cosmos. Les représentations de la santé et de la maladie étaient alors dominées par les forces surnaturelles. Les causes sociales de la maladie étaient connues du milieu médical, en particulier des hygiénistes aux XVIIIe et XIXe siècles. Ces derniers, selon Herzlich (1984 : 190), mettent clairement en relation la santé d' une population avec ses conditions de vie, qui sont ellesmêmes déterminées par la position sociale. Cependant, la médecine connaîtra une révolution grâce aux découvertes de Pasteur vers la fin du XIXe siècle. En effet, celui-ci, en isolant le germe comme explication de la maladie, va, selon Pierret (1984 : 220), reléguer au 50

Chapitre 3. Représentations de la santé, de la maladie et du corps dans la culture bisa et mossi

second plan les étiologies sociales. Mais la conception de la maladie en tant que conséquence de l' action spécifique d' un germe va donner un caractère scientifique à l' approche hygiéniste de la santé et de la maladie. Selon Herzlich (1984 : 190), «la notion d' étiologie spécifique, la découverte des germes à l' origine de nombreuses infections, permet la mise en place de mesures prophylactiques efficaces, de nature variée». Parmi ces mesures, on peut citer, par exemple, la stérilisation du lait qui, à partir des années 1890, permet de maîtriser la diarrhée infantile, responsable d' innombrables décès de jeunes enfants. Herzlich cite également l' introduction de l' asepsie et de l' antisepsie dans les services hospitaliers, qui contribuera à réduire la mortalité postchirurgicale. La médecine occidentale, même si sa pratique varie d' un pays à l' autre, s' est développée à partir d' une représentation scientifique de la maladie. Il s' agit d' une approche biologique et scientifique, soutenue par une technologie de plus en plus sophistiquée. Helman (2000 : 79) affirme que pendant leur formation, les médecins subissent une enculturation qui leur permettra d' acquérir une perspective de la maladie dont les prémisses mettent l' accent sur : 1. la rationalité scientifique ; 2. l' évaluation objective et numérique ; 3. les données physiques et chimiques ; 4. le dualisme de l' esprit et du corps ; 5. la vision de la maladie en tant qu' entité. La maladie est décrite en termes cliniques uniques et «universellement» reconnaissables ; 6. le réductionnisme. De plus en plus l’intérêt de la médecine ne se porte pas sur le malade mais sur une partie du corps et sur un organe ; et 7. le malade en tant qu' individu, au détriment de la famille et de la communauté. Dans une telle représentation somatique et biologique de la maladie, la tâche du médecin consiste surtout à rechercher et à quantifier des données physiques et chimiques concernant le malade. L' interprétation du médecin est la seule valable. Les développements scientifiques et les nouvelles technologies permettent aujourd' hui de parler de la santé et de la maladie en termes numériques, comme le souligne Helman (2000 : 80) : Health or normality are defined by reference to certain physical and biochemical parameters, such as weight, height, circumference, blood count, haemoglobin level, levels of electrolytes or hormones, blood pressure, heart rate, respiratory rate, heart size or visual acuity. For each measurement there is a numerical range - the ' normal value' - within which the individual is considered normal and ' healthy' . Above or below this range is ' abnormal' , and indicates the presence of ' disease' . Cette approche normative de la santé et de la maladie a conduit les pouvoirs publics dans les pays occidentaux à développer une infrastructure médicale en vue de favoriser l' accès aux soins des populations, non pas nécessairement par 51

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

souci de les protéger, mais bien parce que l' on s' était rendu compte pendant l' expansion de l' industrialisation et du capitalisme que la productivité dépendait de l' état de santé des travailleurs. Ce n' est pas un hasard si dans le monde occidental la santé est perçue en termes de capacité de travailler et la maladie en termes d' incapacité de travailler. La perspective médicale de la maladie se veut universelle, quelle que soit la maladie. La tuberculose, par exemple, a la même cause, les mêmes symptômes et le même traitement partout dans le monde. 3.3.1

La médecine biomédicale au Burkina Faso

La représentation biomédicale de la santé et de la maladie, et les infrastructures qui l' accompagnent (hôpitaux, cliniques, écoles de santé, dispensaires, médecins, infirmiers, etc.) font désormais partie des réalités burkinabè, en tant qu’héritage de la colonisation. En effet, comme le montre Gnessien (1996), le système sanitaire burkinabè est un prolongement de celui mis en place par les autorités coloniales françaises. Mais, à l' instar des autres pays du Tiers Monde, le Burkina Faso ne dispose pas de ressources suffisantes lui permettant d' assurer un fonctionnement adéquat d' un tel système hérité de la colonisation. Avec un PNB évalué à 310 $US en 1997 (INSD 2000 : 2), le Burkina Faso est classé parmi les pays les plus pauvres au monde. Une telle situation économique permet de comprendre la difficulté pour l' État, sollicité de toute part, à mobiliser les ressources nécessaires à la protection sociale des populations. Contrairement aux systèmes médicaux sophistiqués des pays riches, la politique sanitaire du Burkina Faso, comme le constate Gnessien (1996 : 27), «reste encore largement embryonnaire». Elle se résume en l' application des principes contenus dans la Déclaration de la Conférence d' Alma Ata de 1978 - à laquelle le Burkina Faso a souscrit - initiée par l' OMS et l' UNICEF, qui affirme que la santé est un droit fondamental de l' être humain et invite tous les pays du monde, en particulier, les pays du Tiers Monde, à faire de la «santé pour tous en l' an 2000» leur objectif, par l' adoption d' un système de santé en adéquation avec leurs conditions économiques, socioculturelles et politiques. Selon Gnessien (1996 : 96), l' OMS et les États parties à sa constitution, en affirmant que la santé n' est pas uniquement une absence de maladie ou d' infirmité, mais également un état de complet bien-être physique, mental et social «entendaient bien élargir le champ des actions en faveur de la santé». C' est ainsi que l' essentiel de la politique sanitaire du Burkina Faso est basé sur les soins curatifs, les soins préventifs et les soins de santé primaires. Gnessien (1996 : 96) regroupe les soins curatifs et les soins préventifs sous le vocable «soins de santé», comme étant «l' ensemble des mesures prises par les pouvoirs publics soit dans le domaine de la prévention générale [...] soit dans le domaine des soins médicaux comportant le traitement des maladies déclarées avec ou sans les hospitalisations». Le constat des insuffisances et des inégalités dans la situation sanitaire entre pays riches et pays pauvres ainsi qu' à l' intérieur des pays, d' une part, et, d' autre part, la perception de la santé comme un droit fondamental de l' être 52

Chapitre 3. Représentations de la santé, de la maladie et du corps dans la culture bisa et mossi

humain ont été sans doute à l' origine de l' adoption en 1978 de la Déclaration d' Alma-Ata, qui se fixait comme objectif la santé pour tous en l' an 2000. Selon la Déclaration, les soins de santé primaires, qui constituent désormais l' épine dorsale de la politique sanitaire du Burkina Faso, permettront d' atteindre cet objectif de la santé pour tous en l' an 2000 parce que : Les soins de santé primaires sont des soins essentiels fondés sur des méthodes et des techniques pratiques, scientifiquement valables et socialement acceptables, rendus universellement accessibles aux individus et aux familles au sein de la communauté grâce à leur pleine participation, et à un coût que la communauté et le pays peuvent supporter à tous les stades de leur développement et dans un esprit d' autoresponsabilité et d' autodétermination. Comme on le voit, l' ambition de l' OMS et des États signataires de cette déclaration était non seulement de rendre accessibles les soins sanitaires à tous, mais également de rapprocher les structures de soins sanitaires des communautés qui doivent participer à leur gestion. Cependant, la dégradation des systèmes sanitaires et la difficulté du financement de «la santé pour tous en l' an 2000» ont conduit les ministres africains de la Santé à se réunir à Bamako (Mali) en 1987, sous l' égide de l' UNICEF et de l' OMS, en vue de redynamiser le système des soins de santé primaires. Cette rencontre a abouti à «l' initiative de Bamako» qui vise le recouvrement des coûts des soins de santé primaires à travers la participation communautaire dans le secteur de la santé. L’initiative de Bamako a pour objet, entre autres, l' extension des soins de santé primaires et le développement des médicaments essentiels génériques, la mise en place d' un financement communautaire et le contrôle de la gestion des structures sanitaires par la communauté. Dans cette perspective, la mise en oeuvre des soins de santé primaires requiert non seulement la participation de tous les membres de la communauté, mais également de tous les autres secteurs du développement : éducation, agriculture, administration, etc. Bien entendu, les différentes initiatives de l' OMS et de l' UNICEF constituent des cadres généraux. Il appartient aux États de les adapter à leur contexte socioculturel et économique. Cependant, la politique sanitaire du Burkina est empreinte des marques de la Déclaration d' Alma Ata et de l' Initiative de Bamako. En effet, la stratégie nationale en matière de santé (voir ministère de l’Economie et de Finances 2001) est basée sur la décentralisation des services de santé, la participation communautaire et la promotion des médicaments essentiels génériques (MEG). Le document de Politique sanitaire nationale (PSN), adopté par décret en septembre 2000, définit les objectifs prioritaires et les orientations stratégiques du gouvernement en matière de santé comme visant à : • accroître la couverture sanitaire nationale ; • améliorer la qualité et l’utilisation des services de santé ; • optimiser la gestion des ressources humaines en santé ; 53

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

• • • •

améliorer l’accessibilité financière des populations aux services de santé ; réduire la propagation du VIH/ sida ; promouvoir la santé des groupes vulnérables ; renforcer les capacités institutionnelles du ministère de la Santé. Les institutions chargées de la mise en oeuvre de la politique sanitaire du pays aux côtés de l' État et de ses structures de soins sont l' OMS, l' UNICEF, les ONG et les pays amis. Le dispositif sanitaire est structuré en plusieurs niveaux allant des plus élémentaires aux plus complexes (Gnessien 1996 et Fonteneau 1999) : - les Postes de santé primaires (PSP) au niveau de chaque village. Le Burkina Faso compte 7500 villages ; - les Centres de santé et de promotion sociale (CSPS) dans les chefs-lieux de département. Les CSPS, au nombre de 677 (Fonteneau 1999 : 4) couvrent chacun entre 16 000 et 20 000 habitants. Chacun comporte normalement un dispensaire ; - les Centres médicaux (CM), auxquels sont référés les malades qui ne peuvent pas être traités dans les CSPS, constituent l' échelon supérieur. Ils sont au nombre de 55 et couvrent des populations de 100 000 à 150 000 habitants. Certains d' entre eux sont appelés des CMA parce qu' ils possèdent des antennes chirurgicales qui permettent de prendre en charge certaines urgences, telles que les césariennes ; - les Centres hospitaliers régionaux (CHR), au nombre de dix, sont implantés dans les chefs-lieux de provinces. Ils coiffent les CM, les CMA et les CSPS. - enfin les Centres hospitaliers nationaux (CHN) au nombre de deux : un à Ouagadougou et un à Bobo-Dioulasso, respectivement la capitale politique et la capitale économique du pays. Il faut ajouter à ces structures étatiques le rôle de plus en plus important que joue le secteur privé dans la mise en oeuvre de la politique sanitaire du pays. Il n’est pas dans nos compétences de faire le bilan d' une telle politique sanitaire. Par contre, ce qui nous importe, c' est de montrer que celle-ci est basée sur une représentation biomédicale de la santé et de la maladie, aux antipodes des représentations traditionnelles bisa et mossi. Cependant, il est important de souligner que cette politique sanitaire, même si elle traduit la volonté de l' État et de ses partenaires d' oeuvrer en faveur de la santé des Burkinabè, est souvent plutôt théorique. Dans la pratique, la plupart des analystes s' accordent sur la mauvaise performance des systèmes de santé dans les pays en voie de développement, y compris le Burkina Faso. Gnessien, qui a mené une analyse de la politique sanitaire du Burkina Faso, la qualifie d' «embryonnaire». Fonteneau (1999 : 2) trouve son état pour le moins préoccupant : Il se caractérise par des taux élevés de mortalité générale (16, 5 pour mille), infantile (116 pour mille en milieu urbain ; 142 pour mille en milieu rural) et maternelle (556 pour 100 000 naissances vivantes).19 19

Cette situation, selon Fonteneau (1999 : 3 citant Traoré & Sondo (1997)), proviendrait des facteurs suivants : - Insuffisance quantitative et qualitative de la couverture sanitaire ;

54

Chapitre 3. Représentations de la santé, de la maladie et du corps dans la culture bisa et mossi

Théoriquement les soins de santé sont «gratuits», mais pour Gnessien (1996 : 116) cela relève plutôt de la fiction, car les structures sanitaires sont devenues des centres de distributions d' ordonnances que, la plupart du temps, les populations ne sont pas en mesure d' honorer. Comme conséquence (1996 : 116) certains malades se résignent à ne pas recourir à la médecine moderne, pensant que leur salut se trouve dans la médecine traditionnelle dont les coûts sont apparemment à la portée de leurs bourses mais dont l' efficacité n' est pas toujours évidente. C' est ainsi qu' une couche de la population naît et meurt sans jamais bénéficier des bienfaits de la médecine moderne. Pour Fonteneau (1999 : 5) la grande majorité (et encore plus en milieu rural) de la population a essentiellement recours à la médecine traditionnelle plutôt qu' à la médecine moderne. Seulement 20% de la population a recours à la médecine moderne et dans bien des cas, ce recours est combiné à celui de la médecine traditionnelle. Malgré les insuffisances de la médecine moderne, ses représentations de la santé, de la maladie et du corps ne manqueront pas de provoquer des mutations dans le comportement des populations, en particulier parmi les couches lettrées ou alphabétisées dans les langues nationales. En effet, comme indiqué plus haut, la mise en oeuvre des soins de santé primaires requiert la participation de plusieurs secteurs d' activités, dont l' information et la communication. On comprend alors pourquoi en matière de développement, y compris sanitaire, les pouvoirs publics burkinabè mettent l' accent sur l' information - l' éducation - la communication (IEC) et le plaidoyer. L' IEC est défini comme l’ensemble des interventions qui utilisent de manière planifiée et souvent intégrée les démarches, techniques et ressources de l’information, de l’éducation et de la communication pour opérer un changement de comportement volontaire (ou une consolidation) au niveau d’un individu, d’un groupe, d’une communauté ou d’une population donnés en vue -

Persistance des épidémies endémiques aggravées par l' apparition du SIDA. Les maladies les plus fréquentes sont le paludisme, la dracunculose, les bilharzioses, l' onchocercose, la fièvre jaune, la maladie du sommeil, la lèpre, la tuberculose, la méningite cérébro-spinale, la rougeole, le choléra ; - Persistance de la sous-alimentation, de la malnutrition protéino-énergétique et des autres carences nutritionnelles (goitre endémique, carence en vitamine A, etc.) ; - Insuffisant développement des activités de prévention en faveur des populations ; - Insalubrité de l' environnement, insuffisance des mesures d' assainissement de base et de fourniture d' eau potable ; - Faiblesse des ressources financières : les dépenses de santé représentent 6 à 7% du budget national ; - Faiblesse des facteurs socio-éducatifs. Cette liste des facteurs qui expliquent la situation préoccupante de la médecine moderne est loin d' être exhaustive. 55

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

d’une amélioration individuelle et/ou collective de la qualité de vie (ministère de l’Economie et des Finances 2001 : 9) Les moyens dont disposent les pouvoirs publics et les acteurs de la santé pour l' information, l' éducation et la communication sont essentiellement la radio, la télévision (avec une chaîne nationale qui couvre depuis 1990 presque tout le territoire national) et la presse écrite. En plus de cela, il faut ajouter les autres types de productions : livres/manuels, rapports de conférence, brochures, bulletins, cassettes vidéo, films, théâtre, etc. Après ce tour d' horizon de la conception médicale de la santé et de la maladie, qui est au centre de la politique sanitaire des pouvoirs publics, on peut maintenant envisager l' aspect thérapeutique dans la culture bisa et mossi. 3.4

La thérapeutique

Les instances qui interviennent au niveau de la thérapeutique, que ce soit en milieu mossi ou bisa, sont essentiellement les guérisseurs, les devins et la médecine moderne, qui est représentée au niveau des villages par le dispensaire. Dans le processus thérapeutique, il n' existe pas d' ordre quant à l' intervention divinatoire et aux soins à proprement parler tant les deux institutions sont indépendantes. Selon les situations et l' urgence des cas, on peut commencer par l' une ou par l' autre. Dans la pensée bisa et mossi, la guérison n' est totale qu' après l' accomplissement des sacrifices ordonnés par le devin. Cependant, il faut souligner qu' on peut avoir affaire à des guérisseurs simples, à des guérisseurs - devins ou à des devins simples. Mais il faut relever que les fonctions de guérisseur ou de devin, malgré leur importance dans l' organisation sociale et leurs prestations de service, ne constituent pas des activités professionnelles, car ceux qui les exercent ne vivent pas de ces activités. Comme tous les autres habitants du village, ils vivent du travail de la terre. 3.4.1

Le devin

Que ce soit chez les Mossi ou chez les Bisa, le devin représente un trait d' union entre le monde visible et le monde invisible. Cette position privilégiée lui permet de connaître la cause première de l' infortune, en particulier l' étiologie causale en cas de maladie. Dans la mesure où cette dernière est envisagée comme la sanction d' une faute commise par le malade ou par son entourage, le devin a pour mission d' identifier cette faute et de proposer sa réparation, en tant que partie intégrante du processus thérapeutique. Cependant, ce diagnostic posé lors de la consultation divinatoire puise dans les catégories causales finies tantôt évoquées. Il s' agit en fait de confirmer (sous une forme plus élaborée) ou d' infirmer ce que tout le monde soupçonne. Le devin prononce son diagnostic en se servant d' objets symboliques variés (cauris, bâton, instruments de musique...) censés lui permettre de communiquer avec les génies, qui l' assistent dans l' interprétation de l' événement sur lequel 56

Chapitre 3. Représentations de la santé, de la maladie et du corps dans la culture bisa et mossi

porte la consultation. Les résultats de la consultation donnent généralement lieu à la réparation de la faute, sous forme d' offrande, à laquelle s' ajoute un traitement à base de pharmacopée, lorsqu' il s' agit d' un devin - guérisseur qui est consulté. Mais, lorsque la maladie provient de la persécution (sorcellerie, méchanceté, jalousie...), la thérapeutique consistera à trouver l' antidote (produits médicamenteux, offrande..) qui permettra de neutraliser le pouvoir de l' agent persécuteur afin que le malade puisse recouvrer la santé. On ne peut qu' être d' accord avec Bonnet (1988 : 108) lorsqu' elle dit que «guérir, c' est donner sens à la maladie». On se rend compte qu' en dehors du devin - guérisseur, dont les fonctions se confondent, guérisseur et devin ont des rôles distincts dans le processus thérapeutique. Tandis que le premier agit sur les symptômes de la maladie à partir de l' examen du corps malade, le second s' attaque à la cause première de la maladie. Le devin n' a pas besoin de la présence du malade pour poser son diagnostic. En effet, la décision d' aller consulter et la consultation elle-même sont du ressort de l' entourage du malade. En général, ce sont les hommes, de préférence les chefs de famille, qui en ont la responsabilité. 3.4.2

Le guérisseur

Les guérisseurs détiennent leur savoir de leurs ancêtres, qui l' ont reçu des génies sans lesquels la thérapeutique n' aboutira pas à la guérison. Ils connaissent les vertus thérapeutiques de nombreuses plantes et de toutes sortes de matière provenant d' animaux (ossements, peau, sang, etc.) et de l' environnement. On a vu que la notion de «force vitale» ou «double», ( en bisa et en mooré, qui constitue une des composantes de la personne, n' est pas une propriété exclusive de l' homme, mais de tout être animé ou inanimé. Dans le processus thérapeutique, c' est la force vitale de la plante, de l' arbre ou de l' animal intervenant dans le traitement de la maladie qui vient renforcer celle du malade et assurer ainsi la guérison. La prescription d' une thérapeutique donnée fait suite à l' examen du malade. Contrairement au devin, le guérisseur soigne le corps malade. Il s' attaque aux symptômes ou aux causes immédiates de la maladie, s' il est simple guérisseur, en examinant le corps du patient. Il peut même le référer à un devin afin de déterminer la cause première de la maladie. En ce qui concerne le paiement de la consultation, il ne se fait en général qu' après la guérison. Souvent symbolique, ce paiement a connu une évolution. Aujourd' hui, il peut se faire en espèce, ou en nature (poulet, mouton, chèvre...). Le risque de non-paiement est minime, car le malade sait qu' au cas où il n' honorerait pas sa dette, la rechute peut être plus grave. Pour terminer, nous allons voir la troisième et dernière institution qui intervient dans le processus thérapeutique, la médecine moderne. 3.4.3

Le recours à la médecine moderne

Quant à la place de la médecine moderne dans le processus thérapeutique, la question du coût, mentionnée plus haut comme obstacle à l' utilisation des 57

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

structures de soins modernes, en l’occurrence le dispensaire, mérite d' être nuancée. Dacher (1992) fait un constat intéressant au sujet de l' utilisation des services du dispensaire d' un village goin que l' on peut généraliser non seulement aux Bisa et aux Mossi, mais à de nombreuses sociétés africaines. En effet, s' il est vrai que la consultation au dispensaire pour certaines maladies entraîne toujours des prescriptions qu' un paysan ne peut pas toujours honorer, le traitement de certains maux bénins, comme les maux de tête ou le paludisme, peut revenir moins cher que le recours au guérisseur. Si malgré cela, les gens hésitent avant d' aller au dispensaire, le coût n' est pas toujours un argument convaincant. Selon Dacher (1992 : 177) le fait que l' on doive payer le médicament européen avant de savoir s' il est efficace est au moins important. On l' a vu, le guérisseur n' est payé qu' une fois le malade guéri. Le fait que la médecine moderne exige le paiement des médicaments avant la guérison, qui demeure incertaine, constitue un blocage psychologique important pouvant expliquer la préférence des populations pour le guérisseur en milieu rural. Cependant, il faut dire que le recours au dispensaire fait partie du désir de faire disparaître les symptômes de la maladie, même s' il faut reconnaître que dans l' esprit des Mossi et des Bisa, il existe des maladies pour lesquelles ils iront en consultation au dispensaire et d' autres pour lesquelles ils s' adresseront au guérisseur et/ou au devin. Les Mossi parlent de & .( et les Bisa de ""&" 5 ( (littéralement «maladie de la maison du docteur»). C' est, par exemple, le cas des maux de tête, de diarrhées, des blessures et du paludisme. Nous suivons Fainzang (1986 : 115), qui considère le guérisseur et le dispensaire non pas en termes de rivalité, mais de complémentarité dans la pratique thérapeutique bisa et mossi. Dans tous les cas, le recours au dispensaire ne dispense pas de la consultation divinatoire dans la mesure où le rôle du dispensaire est comparable à celui du guérisseur. Dans les deux cas, il s' agit de s' attaquer aux symptômes. Or la représentation du cosmos et l' organisation sociale décrites au chapitre 2 continuent de faire partie de la réalité burkinabè. C' est pourquoi même en cas de guérison, suite à l' utilisation des structures de la médecine moderne, les questions que l' on se pose en cas d' infortune demeurent : «Pourquoi moi, maintenant... ? Comment cela m' arrive ? Qui ou quoi a initié l' infortune qui m' affecte ?» (Sindzingre 1984 : 94). En dehors de l' institution divinatoire, la médecine moderne ne peut répondre de façon satisfaisante à ces questions. C' est dire que, comme l' a indiqué Sindzingre (1984 : 122), les différentes alternatives n' entraînent pas la modification du modèle explicatif traditionnel20. 20

Un tel comportement nous amène à nuancer notre compréhension du dynamisme et du changement culturel. Samovar & Porter (1991 : 60), tout en reconnaissant que la culture change dans de nombreux aspects, affirment que sa structure profonde résiste aux changements majeurs : «Changes in dress, food, transportation, housing, and the like, though appearing to be important, are simply attached to the existing value systems. However, values associated with such things as ethics and morals, work and leisure, definitions of freedom, the importance of the past, religious practices, the pace of life, and attitudes towards gender and age are so very deep in a culture that they persist generation after generation.» Cette persistance de certaines valeurs qui touchent aux croyances religieuses et au passé explique

58

Chapitre 3. Représentations de la santé, de la maladie et du corps dans la culture bisa et mossi

Les représentations de la santé et de la maladie et la thérapeutique que nécessite cette dernière dans la culture mossi et bisa montrent d' une part comment les premières constituent un prolongement de la représentation du cosmos et de l' organisation sociale et politique, et d' autre part comment la thérapeutique, avec l' intervention des guérisseurs et de l' institution divinatoire, se sert de la maladie pour contrôler l' ordre social. La maladie en tant que désordre biologique - ou tout événement malheureux (la mort, la stérilité par exemple) - traduit un certain dérèglement de l' ordre social que les guérisseurs et les devins contribueront à rétablir en guérissant le malade. Dans ce sens, la santé, la maladie et le corps constituent des objets métaphoriques qui permettent une lecture de la société à travers sa représentation du désordre biologique qu' est la maladie. Le guérisseur et la médecine moderne représentée par le dispensaire jouent des rôles complémentaires. Les développements qui précèdent montrent que nous sommes en présence d’un système complexe combinant représentations traditionnelles et modernes en ce qui concerne la santé et la maladie en Afrique. La santé et la maladie concernent l' homme ; or, pour reprendre Le Breton (2001 : 7), «l' existence de l' homme est corporelle». Cette assertion étant irréfutable, on peut néammoins se demander si toutes les cultures ont les mêmes représentations du corps. Les sections suivantes tenteront de répondre à cette interrogation en examinant les représentations du corps dans la médecine moderne et dans la culture mossi et bisa. 3.5

Les représentations du corps

La santé, tout comme la maladie, se rapporte au corps, qui exerce une fascination sur l’imaginaire. Une telle fascination, selon Ritter & Stevens (2000 : 1), s’exprime à travers l’idéal de jeunesse et de santé qui semble tyranniser la vie sociale occidentale d’aujourd’hui, avec «l' essor des sciences médicales qui rendent de plus en plus accessible le rêve d' un corps que l' on peut façonner à volonté». La publicité, les journaux, la télévision produisent des images du corps dont le but est soit de nourrir ce rêve du corps idéal, soit d' utiliser celui-ci comme argument de vente de produits de consommation courante. Detrez (2002 : 102) relève que la santé ne signifie pas seulement ne pas être malade, mais qu’il faut être également en forme, répondre à l' idéal du corps sportif et performant. En réalité, il n' est pas aisé de parler du corps, en raison de sa complexité. En tant qu' objet d' étude, il intéresse diverses disciplines : sociologie, anthropologie, criminologie, art dramatique, littérature, biologie, médecine, psychologie, philosophie, etc. La liste est inépuisable. Chaque discipline décrit le corps selon sa propre perspective. Mais, en ce qui concerne cette description du corps, il est important de se rendre compte, comme le souligne Detrez (2002 : 16), que «derrière l' énonciation et l' imposition d' une manière de voir se manifestent des sans doute, en partie, l' attachement des Burkinabè à la médecine traditionnelle, malgré l' avènement de la médecine moderne. 59

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

enjeux de savoir et de pouvoir» et, quelle que soit la perspective, la représentation du corps dans une société reflète ses valeurs culturelles. Avant d' aborder les représentations du corps dans la culture mossi et bisa, nous proposons de voir quelle perception en a la médecine moderne. 3.5.1

La représentation médicale du corps

Lorsque l’on évoque la représentation médicale du corps humain, la première image que l’on voit est sans doute cette réalité anatomique et physiologique : squelette, muscle, vaisseaux, etc. Dans ce sens, on peut dire que le corps est composé d’organes, dont l’unité de base est la cellule. La description qu’en donnent Guyton & Hall (2000 : 7-8) relève d’une telle considération : The body is actually a social order of about 100 trillion cells organized into different functional structure organs. Each functional structure provides its share in the maintenance of homeostatic conditions in the extracellular fluid, which is called internal environment. As long as normal conditions are maintained in the internal environment, the cells of the body continue to live and function properly. Thus, each cell benefits from homeostasis21, and in turn, each cell contributes its share toward homeostasis. This reciprocal interplay provides continuous automaticity of the body until one or more functional systems lose their ability to contribute their share of function. When this happens, all the cells of the body suffer. Extreme dysfunction leads to death, whereas moderate dysfunction leads to sickness (les italiques sont des auteurs). Cette description du corps nous semble pertinente, car elle montre que le corps humain dans sa réalité physiologique est non seulement un tout, mais également qu' il peut être envisagé sous trois états différents : corps vivant, corps malade et corps mort. Compte tenu de l’orientation de notre problématique, nous allons nous intéresser seulement aux deux premiers. Le dernier, aussi intéressant soitil, semble poser d’énormes difficultés, telles que le statut du cadavre et les représentations de la mort, qui risquent de nous éloigner de nos préoccupations. Malgré la pertinence de la définition que donnent ci-dessus Guyton & Hall du corps, l' on ne peut s' empêcher de relever cette vision individualiste occidentale du corps et la perception du malade comme un corps par la médecine et non comme un homme malade. Mais, en même temps, cette définition rend compte de la prépondérance de la représentation médicale du corps par rapport aux autres représentations et de son rôle primordial dans le savoir médical. Parmi les prémisses de la perspective biomédicale, évoquées plus haut (3.3.), figure le dualisme entre le corps et l' esprit. Il faut souligner que, même si dès ses origines, la médecine était consciente de l' apport dont elle pouvait 21

Guyton & Hall (2000 : 7) définissent l' homéostasie comme un terme utilisé par les physiologistes pour désigner «maintenance of static or constant conditions in the internal environment ». 60

Chapitre 3. Représentations de la santé, de la maladie et du corps dans la culture bisa et mossi

bénéficier de la part de l' anatomie, elle était confrontée à un dilemme. D' une part, pour pouvoir soulager le corps qui souffre, il était nécessaire de le connaître et, d' autre part, les croyances sociales et religieuses se représentaient l' homme en tant que corps et âme, dont la vie ne s' arrêtait pas avec la mort, considérée comme le passage obligé vers l' au-delà. Aussi la dissection, le seul moyen de révéler l' intérieur du corps et son fonctionnement, était-elle condamnée. Les chirurgiens, eux-mêmes, sous l' emprise des croyances culturelles et religieuses, redoutaient les dissections. Le Breton (1993) situe la dissociation entre corps et homme vers la fin de la Renaissance. Pour guérir le corps, il fallait le dissocier de l' homme et l' étudier dans tous ses compartiments. Seul le corps était capable de révéler son mystère. Selon Le Breton (1993 : 92) : Le corps est perçu à l' image d' un continent dont la découverte progresse au rythme de son démantèlement et de l' obstination d' anatomistes que ne rebutent ni la chair ni le sang, ni le pourrissement, ni les moyens de s' emparer des cadavres. Anthropologues, médecins et autres spécialistes (voir par exemple Herzlich 1973 ; Le Breton 1993, 2001 ; Frank 1995 ; Detrez 2002) sont unanimes : le corps est au centre du savoir médical. «Le patient, dit Detrez (2002 : 50), est un matériau humain soumis à un "travail sur l' homme"». En clair, c' est le corps malade, plus précisément la maladie, qui intéresse la médecine et non l' homme. Selon Le Breton (1993 : 226-227), les premières dissections de corps humains entre les XIVe et XVIIe siècles consacrent, d' une part, la rupture du symbolisme entre corps et cosmos et, d' autre part, le savoir médical sur le corps dans son universalité et non sur un homme malade singulier souffrant. Au fil du temps, surtout avec Descartes22, se développe une conception mécanique du corps. Cette métaphore «corps – machine» représente la réification du corps composé de «pièces interchangeables» que l' on peut «réparer», «démonter». Après la mort, la dépouille, aux yeux de la médecine n' est qu' un «reste» sans valeur qui, paradoxalement, représente un intérêt scientifique dans la mesure où avec l' anatomopathologie, comme le montre Le Breton (1993 : 104), «le corps est promu au rôle éminent de texte à déchiffrer afin d' identifier la maladie.» Une telle représentation du corps, non seulement atomise celui-ci, mais également aboutit à une dépersonnalisation de l' homme qui se traduit par une spécialisation de plus en plus poussée de la médecine. Après la séparation du corps de l' homme, on en est, avec les spécialistes, au «corps en puzzle», selon Vaysse (1998 : 34), qui fait que dans l' univers hospitalier 22

Au XVIIe siècle, Descartes (1637) élabore une théorie mécanique de l' homme et de l' animal en tant que corps-machine. Cependant, il existe une différence fondamentale entre les deux. Tandis que les animaux «agissent naturellement et par rapports» (voir Descartes 1990 : 296) ou par instinct les hommes disposent de la faculté de penser et d' une âme immortelle. «Notre corps» écrit Descartes «n' est pas seulement une machine qui se remue de soi-même, mais il y a aussi en lui une âme qui a des pensées.» Descartes souscrit au dualisme anatomique qui distingue l' homme du corps. 61

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

l' individu sujet se sent dissous dans un fonctionnement groupal autant que parcellisé quand il doit circuler de lieu en lieu pour subir - organe par organe - des examens spécialisés. Du «corps-machine» au «corps-marchandise», il existe un pas que la médecine occidentale, dotée de moyens technologiques de plus en plus sophistiqués, a déjà franchi avec le prélèvement d' organes. Selon Vaysse (1998 : 35), «il a fallu, pour que cela [le prélèvement d’organes] soit possible, redéfinir la mort "clinique" afin d' avoir des sujets morts au corps-réservoir d' organes vivants.» Mais, en réalité, le prélèvement d' organes se fait sur le défunt tout comme sur un donneur vivant. Selon Le Breton (1993 : 269), sur le premier (consentant ou non) on peut procéder à de nombreux prélèvements : coeur, poumons, cornées, reins, intestin grêle et certains fragments d' os. Sur le second, on peut prélever : peau, rein, moelle osseuse, sang, fragments osseux, sperme, lait, voire cornée. Le Breton (2001 : 231) a sans doute raison de parler de «corps en pièces détachées», dont la valeur technique et marchande augmente au fur et à mesure que le corps est envisagé comme virtuellement distinct de l' homme. Le corps humain, en tant que réalité physiologique et anatomique, est universel. Mais, il va de soi qu' une représentation comme celle de la médecine, qui introduit une cassure entre l' homme et le corps, aboutissant à la réification et à la marchandisation du second, pose d' énormes problèmes culturels dans de nombreuses sociétés. Le Breton (1993 : 268) relève qu' au Japon, par exemple, le corps, même mort, conserve son individualité et son humanité : La tradition bouddhiste considère que l' esprit du défunt demeure quarante-neuf jours en ce monde. Il serait terrifiant pour la plupart des familles japonaises de prélever des organes sur un être dont la vie se poursuit sous une autre forme. On a vu que pour les Bisa et les Mossi, comme la plupart des sociétés africaines, qui pratiquent le culte des ancêtres, la mort est considérée en termes de passage dans le monde des ancêtres, et la procréation comme la réincarnation de l' esprit d' un ancêtre. Nous verrons, ci-dessous, que dans la pensée traditionnelle bisa et mossi, le corps n' est ni individualisé, ni dissocié de l' homme comme dans le discours occidental dominant sur le corps. L' homme forme un tout avec le cosmos et son univers familial et social. C' est à cause de cette unité entre l' homme et son univers cosmologique que la thérapeutique en milieu bisa et mossi, on l' a vu, va au-delà du corps. Il est vrai que la médecine moderne, au Burkina Faso, n' a pas atteint le même niveau de développement que dans le monde occidental. Mais le «don» d' organes, basé sur une conception mécanique du corps, qui rencontre encore quelques résistances dans les pays développés, représente un «luxe» susceptible de rencontrer des oppositions dans les pays africains. Au Burkina Faso, le don de sang ne pose aucun problème, mais celui d' organes serait inconcevable en raison même de la sacralité du corps et de la croyance en l' incarnation. À moins que, comme dans d' autres pays du Tiers Monde, la 62

Chapitre 3. Représentations de la santé, de la maladie et du corps dans la culture bisa et mossi

misère ne pousse certains à céder leurs organes pour des raisons matérielles et financières. Mais on peut comprendre que la représentation mécanique biomédicale du corps soit problématique. Il est intéressant de noter que les opérations chirurgicales rencontrent des résistances culturelles, parce que l' anesthésie est associée à la mort. La mort, tout comme la maladie, dans les représentations traditionnelles, s' inscrit dans un schéma de causalité finie et connue, qui ignore la «mort – anesthésie». Comme on le voit, la représentation biomédicale du corps est au coeur de la médecine moderne occidentale. Cette représentation, qui est loin de faire l' unanimité, consacre l' individualisation et la réification du corps que Detrez (2002 : 50) résume très bien en décrivant le corps que les aides-soignants présentent aux docteurs ou aux chirurgiens comme «un corps neutre et propre, un objet biologique et non plus social». Tout en ayant présent à l' esprit l' avènement de la médecine occidentale et sa représentation du corps au Burkina Faso, nous allons aborder dans les sections qui suivent les représentations mossi et bisa du corps. 3.5.2

Les représentations mossi et bisa du corps

La représentation qui constitue une interprétation de la réalité, disions-nous (voir chapitre 2), est une notion fonctionnaliste et relative. Si la conception biomédicale du corps met l’accent sur une représentation biologique, nous verrons dans les développements qui vont suivre que la conception mossi et bisa accorde la priorité à des représentations sociales et religieuses. La vision de Le Breton (2000) du corps permet de comprendre les représentations de ce dernier. En effet, selon lui, le corps est un instrument au moyen duquel s’expriment les émotions humaines. Cependant, même si les émotions et les sentiments sont communs à l’espèce humaine, elles ne s’expriment pas toujours de la même manière par le corps parce que, comme le montre Le Breton (2000 : 11), les expressions corporelles ne sont pas naturelles, mais sociales et culturelles : D’une société humaine à une autre, les hommes ressentent effectivement les événements à travers des répertoires culturels différenciés qui se ressemblent parfois mais ne sont pas identiques. L’émotion est à la fois interprétation, expression, signification, relation, régulation d’un échange. Elle se modifie selon le public, le contexte ; elle diffère dans son intensité, et même dans ses manifestations, selon la singularité personnelle. Elle se coule dans la symbolique sociale et les ritualités en vigueur. Dans la mesure où le corps humain, envisagé en tant que moyen d’exprimer les émotions, s’inscrit dans la symbolique sociale, on peut affirmer que, tout comme les représentations de la santé et de la maladie, les représentations du corps dans une culture donnée reflètent son organisation sociale et sa représentation du cosmos. Dans la culture bisa et mossi, au-delà de sa représentation physiologique, le corps représente un enjeu culturel. 63

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

Les Bisa et les Mossi, à l' instar de leur organisation sociale et de leur perception du cosmos, ont une représentation métaphysique et sociale du corps. Si nous prenons, par exemple, la théorie mossi de la procréation qui est semblable à celle des Bisa, on constate que malgré l' importance des rapports sexuels entre l' homme et la femme, les Mossi pensent que la fécondation provient d' un qui représente l' esprit d' un ancêtre (Bonnet 1988 et Badini 1994) : Le s' introduit alors dans la femme au moment de l' acte sexuel. Il passe de l' extérieur à l' intérieur du corps de la femme durant l' acte sexuel. La valeur de fécondité de l' homme semble ainsi supprimée et confiée à l' esprit qui néanmoins n' accorde sa fécondité que durant la pénétration sexuelle de l' homme (Bonnet 1988 : 25). Comme conséquence, la stérilité dans un couple n' est jamais attribuée à l' homme, mais à la femme qui, selon Badini (1994 : 42), «doit faire montre de ses grandes vertus de mère afin d' être un réceptacle digne d' attirer les "génies"». C’est pourquoi il existe dans le système de représentations mossi un autel de la fécondité auquel on fait des sacrifices pour s' attirer les faveurs des . Il y a donc une primauté du de l' esprit sur le corps biologique dans la procréation. Une telle théorie montre que dans les représentations mossi, le corps de la femme est un objet de procréation à la disposition des génies et des ancêtres. La femme - du moins son corps - n' est importante aux yeux de la société que parce qu' elle permet la reproduction de la famille et du lignage. Aussi la femme sans progéniture est-elle l' objet de mépris. Elle n' est pas jugée par sa beauté, mais bien par sa capacité de procréer et par ses qualités morales. Quant au nouveau-né que les Mossi et les Bisa appellent (étranger) parce que considéré comme venant de l' autre monde, le monde invisible, on ne peut pas parler de lui en termes de corps individuel dans la mesure où il est l' incarnation de l' esprit d' un ancêtre. Seul un rite spécial, appelé , selon Badini (1994 : 47), permet aux Mossi de déterminer «quel ancêtre ou quel esprit a rencontré la femme et l' a fécondée en s' incarnant dans l' enfant qui vient de naître». Par cette conception métaphysique de l' enfant, les Mossi affirment non seulement son caractère sacré, mais également son appartenance au lignage. La définition de la personne dans la pensée bisa et mossi renforce cette conception métaphysique et sociale du corps. Pour les Mossi, on vient de le voir, l' enfant est l' incarnation de l' esprit d' un ancêtre, $ qui féconde la femme. Après la fécondation, le foetus va progressivement acquérir l' une des principales composantes de la personne, à côté du corps biologique : le que nous avons traduit par «âme» ou «force vitale». Après la mort, le , dans la représentation mossi, va quitter le corps pour rejoindre le monde invisible et commencer une nouvelle vie, en tant que ou ancêtre. Dans la pensée bisa, nous avons la même représentation de la personne, sous la forme de corps biologique et d' «âme» ou de «force vitale», ( 64

Chapitre 3. Représentations de la santé, de la maladie et du corps dans la culture bisa et mossi

Les rites qui entourent le placenta et son enterrement dans la société bisa et mossi visent à renforcer la nature gémellaire de tout individu que symbolise le placenta dans de nombreuses cultures africaines, en particulier mossi et bisa. En effet, selon Barry (2001 : 40), «le placenta est dans un rapport de causalité directe avec l' enfant, ce qui arrive au placenta aura des effets sur l' enfant». C' est pourquoi, indique Bonnet (1988 : 45), l' enterrement du placenta doit s' effectuer avec une certaine rapidité, parce que les Mossi attribuent aux esprits et aux sorciers le désir de s' approprier le placenta de l' enfant et de tuer le nouveau-né. L' enterrement est effectué par les femmes qui se tiennent généralement à genoux par respect pour l' enfant, qui, à ce stade, fait encore partie du monde invisible. Il est intéressant de savoir que le placenta, appelé en mooré et ) en bisa («chef» dans les deux langues) occupe une place importante dans le système symbolique africain de façon générale. La désignation du placenta par le terme «chef» explique également le respect avec lequel il est traité. Cette représentation métaphysique du corps est au centre de la représentation de la maladie et de la thérapeutique mossi et bisa. En effet, pour les Mossi et les Bisa, la maladie procède de l' affaiblissement de la «force vitale» ou du «double» de la personne qui va affecter le corps. Lorsqu' on dit que les sorciers ou «mangeurs d' âmes» s' attaquent à quelqu' un, c' est à sa «force vitale». Seule une consultation divinatoire permettra de trouver l' antidote afin de délivrer le malade. Dans le cas contraire, le «double» sera «mangé», ce qui se traduira par la mort du malade. Ces représentations du corps qui renvoient à des conceptions métaphysiques ne doivent pas occulter les autres images du corps, en particulier celles qui sont associées au corps physiologique. Pour ce faire, nous allons nous intéresser au corps idéal, qui fascine tant le monde occidental. Le corps idéal, selon Helman (2000 : 12), est défini par la culture : The body image, then, is something acquired by every individual as part of growing up in a particular family, culture or society - although there are, of course, individual variations in body image within any of these groups. Dans la plupart des sociétés africaines, y compris au Burkina Faso, la conception du corps idéal a tendance à privilégier la grosseur comme un symbole de bien-être et de bonne santé. Etre gros signifie également qu' on est à l' abri du besoin. Les Mossi et les Bisa pratiquent certaines «mutilations» sur le corps à des fins esthétiques. Celles qui sont les plus connues sont les scarifications et le . Le terme en bisa comme en mooré désigne la circoncision et 23 l' excision . Les scarifications peuvent se faire sur le visage, la poitrine et également sur le ventre. En plus de leur fonction esthétique, les scarifications sur le visage tiennent lieu de «carte d' identité» dans ces sociétés à tradition 23

Badini (1994 : 59) indique que la circoncision consiste en l' ablation du prépuce de la verge du jeune homme entre 15 et 17 ans tandis que l' excision consiste en la clitoridectomie pour la jeune fille entre 12 et 15 ans. 65

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

orale. En effet, elles permettent d' identifier l' ethnie de la personne et même son lignage. Quant à l' excision et à la circoncision, elles représentent un moment important dans la vie de l' individu car, comme le relève Badini (1994 : 59), «elles annoncent l' avènement d' un nouveau statut : celui de "personne", de néda ou d' homme et de femme adultes.» Le est un rite d' initiation sociale et un rite de puberté. Il faut dire que le se déroule en principe dans un camp retranché loin des lieux d' habitation. Pendant toute la durée de l' initiation, un trimestre selon Badini, l' éducation sexuelle occupe une place importante dans la vie communautaire des jeunes. Mais l' essentiel de ce rite réside dans son symbolisme religieux et sacré. Pour Badini (1994 : 65), les différentes opérations chirurgicales lors du visent à perpétuer le mythe moaga de l' homme originel qui est une divinité androgyne. Or, on a l' a vu, parce qu' il participe au monde invisible et au monde visible, l' enfant est associé à une divinité androgyne, d' où le caractère sacré et religieux du que Badini (1994 : 65) décrit en ces termes : L' ablation du prépuce (principe féminin de l' homme) et de celle du clitoris (représentant de l' organe mâle chez la femme) vont restituer à l' un et à l' autre leurs véritables conditions : celle de l' homme (mâle, viril) et celle de la femme (donneuse de vie). L' initiation servira ainsi à définir la personnalité de l' individu largement dominé par l' appartenance à un sexe. L' exemple des scarifications et du montrent que dans les représentations mossi et bisa l' esthétique du corps, qui est relatif, a également un caractère social, sacré et religieux. Mais il faut indiquer que certaines de ces pratiques ont tendance à disparaître. C' est le cas en particulier de l' excision que la communauté internationale, les autorités politiques nationales et les ONG veulent éradiquer, en menant une campagne d' information et de sensibilisation, car elle constitue une violation du corps de la femme et une négation de son droit au plaisir. Aujourd' hui, au Burkina Faso comme dans d' autres pays, il existe une loi contre l' excision. Les contrevenants s' exposent à de lourdes peines d' emprisonnement et au paiement d' amendes tant pour les exciseuses que pour les parents24 des jeunes filles. Cependant, on reconnaît à la circoncision un 24

Drabo (2002 : 10) rapporte le cas de cette infirmière qui a été interpellée à plusieurs reprises pour l' excision qu' elle pratique depuis 1988. Elle gagnerait 3000 F (environ 5 euros) par excision. Lors de son procès qui a eu lieu au Palais de justice de Bobo-Dioulasso les 1er et 2 septembre 2002 pour trois filles qu' elle venait d' exciser, le procureur a requis une peine de 3 ans d' emprisonnement, une forte somme d' amende et l' interdiction d' exercer sa profession d' infirmière pendant une année. Les mères des filles ont été condamnées à six mois de prison. Cet exemple montre comment l' excision reste une pratique ancrée dans les mentalités et la culture. On a vu des femmes organiser des marches pour réclamer la libération d' exiceuses arrêtées. La demande serait tellement forte que certaines exciseuses qui avaient arrêté leurs activités ont dû les reprendre. Au Burkina, la prévalence de l' excision serait encore de 66% (Kaboré 2002 : 8). Le fait que tous les pays en Afrique de l' Ouest n' aient

66

Chapitre 3. Représentations de la santé, de la maladie et du corps dans la culture bisa et mossi

caractère hygiénique25. Pour cela, elle se fait de plus en plus dans les hôpitaux et dans les dispensaires. Si les représentations du corps chez les Mossi et les Bisa s' inspirent de leur culture, il faut reconnaître que cette culture est en pleine mutation sous l’influence de la médecine moderne comme nous allons le voir. 3.5.3

Les mutations dans les représentations mossi et bisa du corps

Le savoir médical sur le corps, la fascination du corps beau et sain ainsi que la chirurgie esthétique occupent une place de plus en plus grandissante dans le monde. Les représentations occidentales de la santé, de la maladie et du corps sont à l' origine de ce qu' il conviendrait d' appeler avec Virarello (1998 : 29) la «civilisation du corps». Nous allons nous contenter de relever quelques mutations dans les représentations du corps dans la culture mossi et bisa, résultant des influences du discours occidental dominant sur le corps. La théorie de la procréation mossi et bisa, on l' a vu, attribue la fécondation de la femme à l' esprit d' un ancêtre. Cette approche correspond à leur représentation holiste de l' homme, qui fait corps avec le cosmos et sa communauté. Mais, si l' on considère la politique démographique et sanitaire du Burkina Faso, on constate qu' elle véhicule la représentation occidentale et individualiste du corps. En effet, la croissance actuelle de la population dans les pays du Tiers Monde est perçue comme un frein au développement socio-économique. Au Burkina Faso où, selon l' INSD (2000), le taux de croissance moyen de la population est de 2,4%, la fécondité des femmes demeure à l' heure actuelle l' une des plus élevées au monde. Aussi la politique nationale de promotion de la planification familiale (PF) vise-t-elle à permettre aux couples, en particulier aux femmes, de maîtriser leur fécondité. L' objectif final étant la limitation de la croissance démographique en vue de favoriser la croissance socio-économique. Les moyens de promotion de la planification familiale sont la vulgarisation des différentes méthodes contraceptives. D' après l' enquête de l' INSD (2000 : 53), la prévalence contraceptive est passée de 8% en 1993 à 12% en 1998-99 pour les femmes et de 15% à 32% pour les hommes dans le même temps. Même si ces chiffres restent faibles, le niveau de connaissance des méthodes contraceptives est très important. En effet, «78% de l' ensemble des femmes et 91% de l' ensemble des hommes ont déclaré connaître, au moins, une méthode» contraceptive (INSD 2000 : 46). Ce qui importe ici, c' est la représentation du corps qu' implique la promotion des méthodes contraceptives. En effet, en insistant sur la maîtrise de la fécondité, afin de limiter la croissance, elle bat en brèche la représentation traditionnelle bisa ou mossi, qui attribue la procréation à des forces surnaturelles et la conception du corps comme «machine» à procréer. Elle constitue également une remise en pas adopté de lois anti-excision pousse certaines exciseuses à aller exercer leur métier dans des pays voisins. Ainsi les Burkinabè vont au Mali, les Ghanéennes au Burkina, etc. 25 Parlant de la circoncision, Helman (2000 : 13) note que «It may protect against some infections in the penile area, as phimosis (tight foreskin). » 67

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

question du caractère holiste de la personne. La représentation du corps dans la politique démographique est celle du corps individualisé. Désormais, le corps n' appartient plus au lignage, mais à l' individu qui tient en main sa propre destinée. La principale raison avancée contre la suppression de l’excision s’inscrit dans cette perspective individualiste du corps qui perçoit l’excision comme une violation du corps de la femme et postule le droit de celle-ci au plaisir. Cette individualisation du corps apparaît également dans les représentations des maladies sexuellement transmissibles (MST), en particulier le sida, qui sont liées aux comportements individuels. Le taux de séropositivé au Burkina Faso est estimé à 7,17% de la population totale. La prévention contre le sida et de façon générale contre les MST passe, entre autres, par la connaissance de ces maladies. En la matière, il semble que le niveau de connaissance des MST au Burkina Faso soit plus élevé parmi les hommes que parmi les femmes. En effet, selon l' enquête de l' INSD (2000 : 180), malgré les campagnes d' information et de sensibilisation, 48% des femmes déclarent n' avoir entendu parler d' aucune de ces maladies, contre seulement 12 % des hommes. Ces différences peuvent s' expliquer par divers facteurs, tels que l' éducation et le lieu de résidence. Il faut noter que dès l' enregistrement des premiers cas de sida au Burkina Faso en 1986, l' État a mis en place le Comité national de lutte contre le sida (CNLS). Sa mission est de lutter contre la transmission du sida par la voie sexuelle, par le sang et de la mère à l' enfant, à travers des campagnes d' information et de sensibilisation des populations et à travers la prévention. L' enquête de l’INSD (2000 : 190) révèle que les personnes interrogées citent trois moyens de protection contre le sida : le condom (24% chez les femmes contre 57% chez les hommes), la fidélité (49% chez les femmes et 53% chez les hommes) et le fait d' éviter les prostitués (3% chez les femmes et 12% chez les hommes). Il faut noter que le condom, l' un des moyens les plus efficaces de protection contre le sida26, est également utilisé dans le cadre de la planification familiale. Mais au-delà des chiffres, on remarque que la stratégie de lutte est basée sur une représentation individualisée de la maladie et du corps. Là encore, nous sommes loin des explications surnaturelles des représentations de la maladie comme sanction divine. On ne peut parler de sanction dans les mêmes termes que les étiologies traditionnelles bisa et mossi, où la sanction provient de forces surnaturelles (ancêtres, génies, sorciers...). En ce qui concerne les MST liées aux comportements individuels, il s’agit plutôt de la culpabilisation, voire de la moralisation de l’individu. On peut éviter les MST ou les expliquer de façon rationnelle, notamment par le comportement sexuel. L' approche des MST, tout en mettant en évidence l' individualisation de la conception biomédicale du corps, rend également l' individu responsable de sa santé et de sa maladie.

26

Mais selon Barrère et al. (1999 : 58), au Burkina Faso, «globalement 12% de femmes ont déjà utilisé un condom, qu' elle qu' en soit la raison» contre 40% des hommes. 68

Chapitre 3. Représentations de la santé, de la maladie et du corps dans la culture bisa et mossi

3.6

Conclusion

Les conclusions de notre analyse semblent plutôt confirmer celles de Augé (1984, 1995), qui estime que les systèmes médicaux africains représentent un système pluriel, où les différentes approches de la maladie ne s’excluent pas les unes les autres dans la mesure où ni la symptomatologie, ni la thérapeutique ne font de distinction entre étiologie naturelle et étiologie surnaturelle. Westerlund (1989 : 200) explique ce pluralisme, qu' il a lui-même relevé au sujet d' autres sociétés africaines (Bushmen, Maasai, Sukuma, Kongo et Yoruba), par la conception holiste de la société où l' homme, la nature et le surnaturel exercent une influence sur la santé et le bien-être de la communauté. Cette approche plurielle de la maladie s’applique également au corps, réalité physiologique à laquelle s’ajoutent ses différentes représentations métaphysiques et sociales (Barry 2001 : 25). Après ces représentations de la santé, de la maladie et du corps, nous allons à présent aborder les langues mooré et bisa. La langue est non seulement l’une des composantes majeures de la culture, mais également le moyen d’expression culturelle privilégié.

69

CHAPITRE 4 Les langues mooré et bisa Qu’il s’agisse du mooré ou du bisa, il faut indiquer que notre propos n’est pas de décrire ces langues, mais d’en présenter quelques éléments caractéristiques afin de permettre au lecteur de lire notre corpus et de suivre notre analyse. À partir de la littérature disponible nous présenterons dans ce chapitre quelques caractéristiques linguistiques du mooré et du bisa, en particulier les différences entre ces langues et le français. Ces éléments ne seront pas tous nécessaires à notre analyse, mais ils apportent des renseignements utiles sur les langues mooré et bisa. Les données intéressant notre analyse sont surtout les éléments culturels qui sont indispensables à la réussite de la communication en milieu traditionnel mossi et bisa. 4.1

La langue mooré

La langue mooré a fait l’objet de nombreuses études de la part de linguistes occidentaux et burkinabè. Pour ce qui nous intéresse, à savoir la phonologie, la syntaxe, le lexique et la sémantique, nous allons nous inspirer des travaux de Canu (1976), Nikièma (1978, 1982), Compaoré (1990), Balima (1997) et Malgoubri (1985, 2000). Le mooré, parlé par les Mossi, est une langue qui appartient au groupe linguistique gur. Les Mossi occupent la partie centrale du Burkina Faso ou le moogho (pays du moaga ou du mossi). Le moogho est situé entre le 12e et le 14e degré de latitude nord et entre le 12e et le 5e degré de longitude ouest. Sa superficie (voir Compaoré 1990 : 5) est estimée à 63 500 km2. Le moogho couvre tout le centre, le nord-ouest et une partie de l' est du pays, soit environ 15 provinces27 sur les 45 que compte le pays. Le mooré, avec un nombre de locuteurs estimé à 50%, est la langue majoritaire du Burkina Faso. La langue mooré comporte quatre dialectes28 (voir carte à la page 74) : 27

Depuis le changement de nom du pays de Haute-Volta en Burkina Faso en 1984, le territoire national a été découpé en 30 provinces. Mais en 1996 le nombre des provinces a été porté à 45 en vue de renforcer la décentralisation. Au niveau de la province, le dépositaire du pouvoir de l' État est le haut-commissaire. 28 La distinction entre langue et dialecte n’est pas claire, mais généralement la plupart des linguistes s’accordent sur le fait que (Leclerc 1986 :52) «les dialectes sont des formes locales d’une langue, assez particularisées pour être identifiées de façon distincte, mais dont l’intercompréhension est plus ou moins aisée entre les personnes qui parlent la même langue.»

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

• • • •

le dialecte du centre (Ouagadougou) ; le dialecte du centre est, (Koupèla) ; le dialecte du centre ouest, & (Koudougou) ; le dialecte du centre nord, ( (Ouahigouya).

À côté de ces dialectes, il convient de mentionner deux autres parlers : le yaande ou le yaana et le zaoore. Le yaande est parlé par les Yaana au sud-est du pays. Les yaana s’étendent jusqu’à la frontière togolaise. Quant au zaoore, il est parlé par les Zaoose qui vivent dans le centre-est du pays. Aucune étude, selon Balima (1997 : 42), ne permet d’affirmer que le yaande et le zaoore sont des parlers du mooré. Les différences entre les dialectes mooré, d’ordre phonétique et lexical, ne gênent pas l’intercompréhension. Il est important de relever que la communauté linguistique mooré s’étend de part et d’autre de la frontière du Ghana et du Burkina Faso. Il existe de fortes communautés mossi en Côte-d’Ivoire et au Ghana du fait de l’émigration. Le dialecte du centre, c’est-à-dire de Ouagadougou, est considéré comme le mooré «standard». 4.2

La langue bisa

Le bisa est la langue des Bisa, les locuteurs de cette langue, qui occupent la partie méridionale du Burkina Faso. Le bisa appartient au groupe mandingue ou mandé, notamment au sous-groupe mande-sud, auquel appartient également le , langue des Samo au nord-ouest du pays et le busa du Nigeria. Le pays bisa constitue une enclave linguistique de 12 000 km2, dominée par les langues gur, en particulier au nord et à l' est par le mooré, le koussasi au sud et les langues gourunsi (nankana et kassena) à l' ouest. Le bisa est une langue minoritaire, dont le nombre de locuteurs n' est pas connu avec exactitude : 300 000 selon Fainzang (1986 : 11), entre 175 000 et 300 000 selon Vanhoudt (1992 : 13), 400 000 d' après les estimations de Faure (1996 : 14) et de Keuthmann et al. (1998 : 6). Le pays bisa correspond, grosso modo, à la province du Boulgou, dont le chef-lieu, Tenkodogo, a une population composée presque à égalité de Bisa et de Mossi. Parmi les autres principales villes, on peut citer Garango et Zabré. (voir carte à la page 75) Si l' appartenance du bisa à la famille mandé est indiscutable, tel n' est pas le cas en ce qui concerne sa structure dialectologique (voir Vossen, 1998 : 99). Prost (1950, 1953), qui fut parmi les tout premiers à décrire la langue bisa, distingue trois dialectes. Vanhoudt (1992) et Hidden (1986) en distinguent deux : le barka, parlé dans la partie est du pays bisa et le lebir ou lebri à l' ouest. D' autres, comme Vossen (1998 : 111), estiment qu' il y a quatre dialectes : le barka, le «lebri noyau» au nord et le lere, considéré comme des formes «secondaires» par opposition aux «dialectes principaux» qu' étaient le lebir et le barka qui se subdivise en lere du sud-est et en lere du nord-est. Le terme lere signifie également la région géographique habitée par les locuteurs de ce parler. 72

Chapitre 4. Les langues mooré et bisa

Dans la classification de Vossen, le " e, qui constitue le troisième dialecte dans celle de Prost n' est pas retenu, car il «ne peut être prouvé sur le plan lexical» (Vossen 1998 : 111). Malgoubri (2001), tout en admettant deux dialectes, distingue le barka de Garango de celui de Bitou et de Yargatenga, le " . Pour ce qui est du lebri, Malgoubri (2001 : 304) distingue le parler de Komtoèga et de Niaogho de celui Zabré et de Gomboussougou, le lere. Quelle que soit la structure dialectologique adoptée, il existe une intercompréhension entre les différents dialectes.

73

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

Dialectes, sous-dialectes et parlers mooré. Source : Nikièma & Kinda (1997) Dictionnaire orthographique du mooré.

74

Chapitre 4. Les langues mooré et bisa

Carte de la région bisa. Source : Faure (1996 : 17)

75

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

.3

Quelques caractéristiques du mooré et du bisa

4.3.1

Systèmes phonologiques

Nous ne nous attarderons pas sur les méthodes qui permettent d’inventorier les phonèmes d’une langue, à savoir la commutation ou le rapprochement de paires minimales et l’étude de la distribution des sons29. Nous allons surtout nous intéresser aux différences entre le mooré, le bisa et le français dans la perspective de l’analyse de notre corpus. L’orthographe des langues nationales du Burkina Faso, y compris celle du mooré et du bisa, repose sur le principe d’un symbole un son, un son un symbole (Balima 1997 : 18). Elle utilise l’alphabet de l’IAI (Institut international africain). Un décret, en date du 2 février 1979, fixe l’alphabet national à 42 symboles dont 31 consonnes et 11 voyelles (voir Nikièma 1982 : 85-86). Les alphabets mooré et bisa constituent des sous-ensembles de cet alphabet national. Les tableaux ci-dessous représentent les phonèmes de chacune des deux langues. Tableau des phonèmes du mooré Consonnes %

!

$

"

# &

'

$

(

) *

+

$

,

-

/

.

# Voyelles 1 3 +

!$

*

!

0

2

% $ Source : Malgoubri (2000 : 33)

29

Pour en savoir davantage, le lecteur peut se référer à Nikièma (1978, 1982).

76

Chapitre 4. Les langues mooré et bisa

Tableau des phonèmes du bisa Consonnes

BiLabiolabiales dentales

Nasales

Alvéolaires

Pala- Vélaires tales

Glottales

&'

Occlusives +$

Constrictives

,

-

.

/

Latérale Vibrante En ce qui concerne les voyelles bisa, elles sont subdivisées en voyelles tendues et en voyelles lâches en fonction de l’harmonie de tension (Malgoubri 2001 : 303). Voyelles Voyelles tendues

Voyelles lâches 2 4

5 Source : Malgoubri (2001 : 302 -303) Le mooré et le bisa, à la différence du français, sont des langues à tons. Ces derniers ont une fonction distinctive. Selon la hauteur de la voix, un même mot ou une même phrase peuvent avoir des interprétations diverses. Il existe une variété de tons, mais deux, le ton haut (/) et le ton bas (\) sont reconnus comme pertinents, les autres n’étant que des tons intermédiaires. Nous allons donner des exemples, d’abord en mooré et ensuite en bisa, pour montrer l’importance des tons dans la sémantique : Mooré :

6 89

Bisa :

7 8:

couper mourir

%; < lieu, place

%= <

devant ; feuille d’arbre

< forgeron >

< ;

casser mil

écureuil 77

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

Mais, pour des raisons pratiques et pédagogiques argumentées par Nikièma (1982 : 107) et Balima (1997 : 43) la notation des tons n’est pas représentée dans l’orthographe. Cependant, pour une communication réussie, le lecteur doit tenir compte des tons dans l’interprétation. Avant de comparer la structure syntaxique de la phrase mooré et bisa à celle du français, nous allons d’abord comparer leurs système phonologiques. 4.3.2

Comparaison entre le français et le mooré

Nikièma (1982 : chapitre VIII) et Balima (1997 : deuxième partie) font ressortir les similarités et les différences des sons français et mooré. D’une manière générale, on remarque que l’orthographe mooré, comme celle de la plupart des langues africaines et burkinabè, a un système d’écriture basé sur une analyse phonologique, tandis que celle du français est basée sur l’étymologie. Balima (1997 : 2) résume bien les similarités et les différences entre le mooré et le français en ces termes : En mooré un même symbole a toujours la même valeur dans le même contexte alors qu’en français une même graphie peut représenter des sons différents. Réciproquement à un même son peuvent correspondre des graphies différentes. Il faut ajouter à cela le fait que les deux langues peuvent avoir des sons spécifiques ou communs qui n’assurent pas toujours les mêmes fonctions linguistiques dans chacune d’entre elles. L’absence de certains phonèmes dans la langue mooré conduit le locuteur mooré à recourir et à adapter les emprunts à la structure phonologique de sa langue. Le cas des emprunts de noms chrétiens, qui entraîne les phénomènes ci-dessous décrits par Balima (1997 : 127-29), est particulièrement intéressant d’un point de vue stylistique, car il participe d’un effort d’intégration morpholexical de ces emprunts : 1) L’aphérèse Ce phénomène décrit un changement phonétique qui consiste en la chute d’un élément initial du mot. Ex : Athanase Tanaase 3% 2) La prothèse Il consiste à ajouter à l’initiale d’un mot un élément non étymologique comme w devant les voyelles arrondies dans ces exemples. Ex : Oscar a Woskaare Odile 30

Il faut préciser que cette comparaison ne porte pas sur le mooré et le bisa, mais sur le français et ces deux langues nationales. En ce qui concerne la comparaison elle-même, le raisonnement ne part que de la structure du français parce dans le corpus que nous étudions le français constitue la langue source, le mooré et le bisa étant les langues cibles.

78

Chapitre 4. Les langues mooré et bisa

3) L’introduction d’une voyelle d’appui ou voyelle intercalaire Ex : François ? Clarisse 4) L’interversion Comme l’indique Balima (1997 : 128), «il y a interversion lorsque deux éléments contigus changent de place dans la chaîne parlée». Ex : Président @ ! Brigitte / !& 5) L’amenuissement On parle d’amenuissement lorsqu’un élément phonétique finit par ne plus être prononcé. Ex : Bernard / Barthélémy / & 4.3.3

Comparaison entre le français et le bisa

Lingani (1992) dans une étude contrastive du bisa et du français identifie une zone de convergence et deux zones de divergence dans les systèmes phonologiques de ces deux langues. Ces divergences, relève-t-elle, sont le plus souvent sources de difficultés. Dans les systèmes consonantiques, il n’existe pas un énorme écart entre les deux systèmes. Nous allons illustrer ces divergences au niveau du mot. Les difficultés, qui apparaissent dans les schèmes syllabiques du mot dans les zones de divergence, provoquent les phénomènes ci-dessous31 (Lingani 1992 : 42), en raison de l’inexistence de certains sons ou lexèmes français en bisa : 1) L’aphérèse L’aphérèse, ayant été définie ci-dessus, nous en donnons quelques exemples : Ex : Apprenti 5 #& Epingle 5A , Ancien-combattant Dans le troisième exemple, le phénomène d’aphérèse porte sur un mot entier : «ancien». 2) L’épenthèse Il s’agit de l’ajout d’un phonème à l’intérieur d’un mot ou d’un groupe de mots. Ex : Classe Glace Clé

31

Que les exemples que cite Lingani proviennent du bisa des phénomènes étudiés.

n’enlève rien à la pertinence

79

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

3) L’assimilation L’assimilation est le fait qu’une modification survient à un phonème à cause des phonèmes environnants. Elle peut être progressive ou régressive. Ex : Assimilation progressive porte 5" "& lettre %&% lampe #5 Ex : Assimilation régressive tomate zéro

& !

&

4) La dissimilation C’est un phénomène d’accentuation de la différence entre les phonèmes, à savoir l’addition d’une voyelle finale. Ex : caisse % Sénégal 5) L’agglutination et la proclise L’agglutination ou la proclise32 consiste à réunir deux éléments en un mot. Ex : le temps & # l’école % " sage-femme ! Il convient de souligner qu’en cas d’emprunt, le mot obéit à la structure de la langue bisa de la même manière que le mooré. Ces phénomènes, ci-dessus, qui résultent des différences de structure entre les langues cibles (mooré et bisa) et la langue source (français) de notre corpus de traduction, représentent sans doute un intérêt en traductologie, en particulier en ce qui concerne le lexique. Nous terminerons par une comparaison entre la syntaxe mooré et bisa et celle du français. 4.3.4

Syntaxe mooré et bisa

La syntaxe, selon Baylon & Mignot (1999 : 22), «étudie la combinatoire des signes au sein du macro-signe dénommé phrase». Bien que la phrase soit difficile à définir, la plupart des études syntaxiques mettent l’accent sur sa structure. Nous considérons la phrase comme un énoncé33, c’est-à-dire le résultat de l’énonciation ou de l’acte de production linguistique. Il n’est pas nécessaire d’examiner tous les éléments grammaticaux de la phrase dans le cadre de cette étude. Nous nous contenterons de donner la structure de la 32

Cependant, il existe une différence entre les deux termes. On parle de proclise lorsque les éléments agglutinés sont l’un un morphème et l’autre un lexème comme dans «le temps» et «l’école». Ce qui n’est pas le cas de «sage-femme» qui n’est qu’une agglutination. 33 La définition que donne Malgoubri (1985 : 8) à l’énoncé comme «la combinaison d’unités significatives de langue dont le sens est de donner forme à un message» nous semble pertinente également. 80

Chapitre 4. Les langues mooré et bisa

phrase simple et celle de la phrase complexe en mooré et en bisa dans la mesure où les langues africaines (Gregersen 1977 : 43) ne diffèrent pas des autres langues du monde, en ce qui concerne les types de phrases. Malgoubri (1985) et Compaoré (1990) montrent qu’en mooré, la structure des phrases ou des énoncés simples, composés d’une seule proposition, peut avoir deux types de structure : Syntagme nominal (SN) + syntagme verbal (SV) 6 @ 0 , Paul / est rentré ou syntagme nominal (SN) + syntagme verbal (SV) + syntagme nominal (SN) 6 / 0& 0 L’enfant / a puisé / l’eau. L’énoncé en bisa comporte deux termes : un sujet et un verbe ou un syntagme nominal (SN) + un syntagme verbal (SV). 6 ,< 0 & moutons / être Il y a des moutons

0 0& chef / cheval / être Le chef a un cheval

, 0 0 , femmes / les / venir Les femmes sont venues

Nous pouvons aussi avoir un énoncé de type : SN+SV+SN 6

20 < 0& 0 , moi / grand-mère / aller / village bisa+locatif Ma / grand-mère / est allée / au village.

La coordination et la subordination permettent la construction de phrases ou d’énoncés complexes qui constituent des combinaisons de propositions. Parmi les éléments de coordination Nikièma (1982 : 224 –25) relève («et») ; 34 (et/mais) 7 («ou») ; & («et», «que »). La subordination, elle, est assurée par & , n et * . En bisa parmi les éléments qui permettent d’assurer la coordination et la subordination, on peut citer, entre autres : 8 9 («et» «ou» «de »), :; («que») ' 2 («qui») («que»), ' («que»). Le mooré et le bisa semblent confirmer l’ordre courant des mots dans un énoncé dans la plupart des langues du monde. Cependant, la syntaxe de la plupart des langues africaines se distingue par l’absence de la voix passive avec un auxiliaire. Comme l’indique Gregersen (1977 : 49), on obtient le passif en changeant l’ordre des mots : «The commonest device is to change word order and modify the verb itself». Tallerman (1998) propose une explicitation plus pertinente en montrant que le passif s’applique aux propositions :

Il faut souligner que les tons sont différents 2= que ' sont des variantes, qui peuvent être utilisées comme des injonctifs ou dans des phrases au subjonctif. :;

81

La traduction médicale du français vers le mooré et le bisa

transitives, c’est-à-dire aux constructions dont le verbe admet un sujet et un complément d’objet direct (SVO). On obtient le passif, selon Tallerman (1998 : 178-79), en amenant O de la forme active en position de S («promotion») et en reléguant S de la forme active en position de O («demotion»), introduit par la préposition «par» ou en le supprimant. Ce processus s’accompagne d’une modification morphologique du verbe pour indiquer le passif. Dans la plupart des langues européennes l’auxiliaire «être» et le participe passé du verbe sont utilisés comme dans les exemples ci-dessous. La traduction en mooré et en bisa de ces exemples montrent que la voix passive s’obtient différemment dans ces langues ainsi que dans d’autres langues que Tallerman (1998 : 181) décrit en ces termes : «Instead of auxiliary-plus-verb kind of passive, many languages have a specifically passive form of the main verb ; this known as a morphological passive». Ce livret a été préparé par les soins du Service d’Education Sanitaire du Diocèse de Bobo-Dioulasso, en collaboration avec ... Les dessins ont été réalisés par François Veyrié du G.R.A.A.P. à BoboDioulasso. 2 & &B ?; Ces énoncés ont été traduits respectivement en mooré et en bisa comme suit : &
View more...

Comments

Copyright ©2017 KUPDF Inc.
SUPPORT KUPDF