La Colonie Française en Algérie 200 Ans d'Inavouable

May 7, 2017 | Author: grindaizer | Category: N/A
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La Colonie française en Algérie 200 ANS D'INAVOUABLE Rapines & Péculats

O u v r a g e p u b l i é s o u s la d i r e c t i o n d ' A m o Man.smiri

É d i t i o n s D e m i - L u n e - 18, r u e E u g è n e S u e 7 5 0 1 8 P a r i s Tél. : 01 4 2 6 4 3 7 9 6 - w w w . e d i t i o n s d e m i l u n e . c o m

Thierry Palau, pour la conception graphique de la couverture et sa réalisation

Images de couverture : Carte d'Alger et de l'Algérie {1875) : © Steven Wright/Shutterstock Hn médaillon, dans les 7éros; À gauche, le général Bugeaud, criminel de guerre français, dont trop de rues portent encore le nom. À droite, la seule photo connue du général Mohamed (dit Toufik) Médiènc, le maître de l'Algérie, autre criminel notoire.

Texte : © Lounis Aggoun, 2010 Tous droits réservés

© Éditions Demi-Lune, 2010 Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés ESBN : 978-2-917112-14-4

Dépôt légal : septembre 2010

10 9 8 7 6 5 4 3 2 1

L e C o d e de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à u n e utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite p a r quelque procédé q u e ce soit, sans le consentement de l'éditeur, de l ' a u t e u r ou de leurs ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L - 3 3 5 - 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

A ma mère

Rapine : 1. Action de brigandage, de pillage accompagné de violences, notamment lors d'une guerre; comportement prédateur d'une nation à l'égard d'une autre. 2. Détournement de biens publics ou privés opéré par quelqu'un qui abuse de son pouvoir, de ses fonctions. Synonymes : concussion, exaction, malversation, prévarication.

Péculat : (droit romain, droit pénal). Soustraction ou détournement des fonds publics ou des biens de l'État par un dépositaire ou comptable public.

SOMMAIRE

ACRONYMES

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INTRODUCTION

L'Histoire de l'Algérie, entre silences et mensonges Paranoïa ou réalité ? Des images brouillées et des voix étouffées Le coup d'éclat permanent Au débat, citoyens ! 1 . La face noble des rapports entre la France et l'Algérie Les vrais amis français de l'Algérie Le monopole du cœur... et le Front du déshonneur Un massacre en chasse un autre Lucile Schmid, coupable d'« aimer l'Algérie et les Algériens » Jean Audibert, « avocat de l'Algérie auprès de la France » Sur la civilisation des barbares

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2 . Les « b i e n f a i t s » de la colonisation : 200 ans de prévarication ..

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Talleyrand, Busnach, Bacri, inventeurs du crédit «revolving» Une diplomatie hors norme Le baiser du scorpion Main basse sur le Trésor d'Alger Actionnaires majoritaires du Trésor d'Alger La guerre de civilisation de Bugeaud contre Abd-el-Kader Fermeté des seins des Algériennes et massacres philanthropiques Le pot de terre contre le pot de fer « La guerre aux troupeaux » Les génocidaires gardiens de l'innocence

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3 . Deux collèges de colons, un troisième pour les « i n d i g è n e s » ...

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Le pénible enracinement de la colonie Bénéfice privé, punition collective La colonie bâtisseuse Révolte imposable L'école de Jules Ferry L'agriculture, ou le mythe de la France défricheuse La chasse à cour et « Oran-dour» Les maisons coloniales, les pénitenciers et les routes «Un des plus beaux faits d'armes de l'armée française» Les intellectuels négatifs Le legs politique colonial : la torture

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4 . 1962, l'Indépendance aliénée L'habit fait le moine Un peuple pluriel, mais relativement exclusif L'Algérie, un Paradis sans « langue, ni mémoire, ni Histoire » Parricide et déchirure 1954-1962, une guerre inutile Les musulmans indésirables en France Le serpent se mord la queue Avant tout, le salut de la patrie ! Bachir Boumaza, le ministre algérien... au service de la France Hervé Bourges jette son dévolu sur Ben Bella De Gaulle face à « l'élite » algérienne de Bigeard La Françafrique, l'armée barbare de Jacques Foccart 5 . De Gaulle et le «secret du r o i » Le secret de l'affaire Si Salah Armée de l'intérieur contre GPRA Le coup de poignard dans le dos de Si Salah Entre « retournement » ou « homo », il faut choisir Derrière les lignes ennemies Ahmed Benchérif, déserteur de l'armée des frontières Justice sous chantage La gueule du loup et l'agneau La Wilaya 5, ou le syndrome de la 5e colonne Un complot peut en cacher un autre 6 , Ben Bella le nain et Boumediene l ' h o m m e serpent La double allégeance de Ben Bella Paris cède aux injonctions d'Alger L'Indépendance confisquée « Orandour » sur plage Le complexe de la souricière La colonie renouvelée Hervé Bourges, honorable correspondant auprès de Ben Bella Ferhat Abbas, la compromission de trop Panne de ravitaillement Ferhat Abbas, le géant aux pieds d'argile Regards rétrospectifs Ben Bella, la «couverture» française dans l'Algérie indépendante 7 . Boumediene et l'éradication de l ' A L N Quelques braves qui ne connaîtront pas l'Indépendance La révolte des braves L'invasion barbare Le clan des traîtres La SM, école de la mort et machine à tuer

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Le 19 mars 1962, «des rêves de demain, des réalités d'hier» Papon, ou le maître en réhabilitation Le totalitarisme du pouvoir et la permanence du tourment 8 . Le conclave des espions français L'empoisonnement de Boumediene Éliminer l'éliminateur Un comploteur peut en cacher un autre La colonie française à l'assaut du pouvoir Chadli, ou la tête de chou président Malheur aux vaincus ! Le duo de l'ombre, Nart- Belkheir, et la loi du silence Mitterrand et le « rêve africain » La mécanique infernale de Larbi Belkheir Mostefa Belloucif, un «dauphin» dans un monde de requins 9 . Pasqua, «ministre de l'Intérieur»... de l'Algérie L'amitié de la SM aux enchères des services français L'assassinat de Mécili Ali Mécili, inestimable monnaie d'échange Le SAC, premier legs de l'Algérie française à la France Mitterrand ou la deuxième chance Retrouvailles des caciques de l'Algérie française L'ennemi terroriste de mon ennemi est un ami Ombre et lumière, ou le crépuscule de la politique Les escadrons de Charles Pasqua 10 . Club des Pins, station balnéaire pour gros calibres du terrorisme international Aux sources du terrorisme palestinien Carlos, protégé du Mossad israélien et de la SM algérienne Abou Nidal, hôte d'Alger Paris, ville ouverte pour les services algériens Gestion collégiale de l'opposition algérienne Action Directe, FARL : succursales de la SM ? Alger, plaque tournante du terrorisme international Le « commerce » des otages « Gorge profonde » à la française Pasqua, Belkheir, négociateurs de l'ombre Paris brûle et les pompiers pyromanes L'opération « Faire parler un muet » de Louis Caprioli Abdallah, coupable de ne pas être assez coupable «Et si les chefs de la SM s'agaçaient?» 11 . Le marché de la honte : la mort de Mécili La muselière pour Abdallah Trois petites balles et puis s'en va

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Quand le meurtrier est garant des preuves Retour sur odieux investissement Mitterrand-Pasqua, même combat La République des aventuriers « Raison d'État» ou raison des voyous? Veuves au combat

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12 . Eurodif et petits meurtres entre amis

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Michel Baroin, ou une certaine idée de la France Code A, comme «Arrête, ou on t'élimine ! » Eurodif, le contrat gagnant-gagnant Y'a bon l'uranium gabonais Le pion gabonais et la Françafrique triomphante Des accords radioactifs Des trains et des atomes La curiosité, un bien vilain défaut Aller simple pour Caracas Un GIA (Georges Ibrahim Abdallah) de perdu, dix GIA (Groupes islamiques armés) de retrouvés 13 . La V République, fille naturelle de l'Algérie française « Le colonialisme est un système » Les courants de l'Histoire ne sont pas discutables Français en sursis Story-tellers, les faiseurs d'opinions Gaston Monnerville, précurseur d'Obama L'Algérie, matrice d'une certaine presse française L'Algérie, matrice de la sécurité française L'islam de France, ou le «Nous sommes ici chez nous ! » du DRS L'Algérie, matrice de l'indépendance énergétique et de la dissuasion Sahara algérien, débarras atomique français L'eau de la Seine dans le pot-de-vin L'Algérie, matrice de la sidérurgie française 14 . Le «clan français» ou la politique de la terre brûlée

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Opération sabotage ! 399 Le bon ménage du libéralisme sauvage et d'une bureaucratie stalinienne 402 Des trous, des surfacturations, des gaspillages 403 407 «La République des loups» Le torpillage de Creusot-Loire 409 Un point à l'envers, un point à l'endroit 411 Le beurre, et l'argent du beurre 413 Mieux que le pétrole, l'eau 415 Des « trous », encore des trous 416 Le malheur des uns fait le bonheur des autres 419 Un « trou » d'un milliard, ou deux 420

15 . Mitterrand, schizophrène ou déloyal ? La «créance» de Bouygues père et le «petit con» de fils Le « complot juifi» Le spectre de Guy Mollet rôde Un discours peut en cacher un autre Vive la vacance... de pouvoir Guerre civile ou guerre de l'aimée contre son peuple Boudiaf, ou la mort en direct 16 . La revanche perdue de François Mitterrand La non-ingérence, c'est l'ingérence Il n'y a pas de hasard dans la communication Mitterrand, Pasqua et le «clan français» Guerre des clans entre Pasqua « le menteur» et Juppé le Républicain Boum, boum, boum ! Les excuses de Lionel Jospin et l'éternel recommencement Pasqua, Chevènement, les «damnés de la terre» et les bombes On ne prête qu'aux riches Les «Afghans» débarquent à Paris Bigeard ressuscité Abdelaziz Bouteflika, retour vers le futur 17 . Le « c o u p d'éventail» permanent Un pays au bord du chaos L'État criminel Tant qu'il y aura des hommes méprisables Décennie 1993 : le terrorisme au service des affairistes Opération « éradication » La liquidation du tissu économique La mafia en a rêvé, les généraux algériens l'ont fait Opération blanchiment en France La gangrène Razzia sur les banques 18 . Le retour de manivelle «Un pays riche de son peuple et provisoirement pauvre de ses élites» La sidérurgie, la preuve par l'exemple Acte 1 : Sider, Lakshmi et le fer irradié de Tchernobyl Ombre côté algérien, brouillard côté français Le retour du boomerang « Échec et mat» au racisme d'État Monsieur 20% 19 . Bouteflika, Halliburton et Khelil, « l ' a g e n t américain» Chakib Khelil, l'espion américain Razzia sur les ressources naturelles De Bacri à BRC

423 424 428 431 433 434 436 437 443 444 447 449 451 454 456 458 460 462 464 466 469 470 471 473 474 476 477 480 481 483 484 489 491 492 494 495 497 499 501 SOS 506 507 509

AIKONYMIS

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LISTE DES ACRONYMES UTILISÉS

AIS : Armée Islamique du Salut (bras armé du FIS). ALN : Armée de Libération Nationale ANP: Armée Nationale Populaire (héritière de l ' A L N ) APN : Assemblée Populaire Nationale AQMI : Al-Qaïda au Maghreb Islamique APS : Algérie Presse Service HEL : Bureau Études et Liaisons, (département des services secrets français) CCE : Comité de Coordination et d'Exécution (instance dirigeante du FLN créée en 1956) CNS : Compagnie Nationale de Sécurité (équivalent algériens des CRS français) C O M : Comité opérationnel militaire C P O : Centre Principal des Opérations (unité du DRS) C R A C : Couverture Radar Aérienne et Côtière C R U A : Comité Révolutionnaire d'Unité et d'Action DAF : Déserteur de l'Armée Française DCE : Direction du Contre-Espionnage (branche du DRS algérien) DCRI : Direction Centrale du Renseignement Intérieur (regroupe depuis 2008 la DST et les RG) DGSE : Direction Générale de la Sécurité Extérieure (ex-SDECE) DOP : Détachements opérationnels de protection DRE : Direction des Relations Extérieures (équivalent algérien de la DGSE) DRS : Département du Renseignement et de la Sécurité (ancienne Sécurité militaire) DST : Direction de la Surveillance du Territoire (maintenant Direction Centrale du Renseignement Intérieur - DCRI - faisant partie de la Direction Centrale des Renseignements Généraux - DCRG) I-.MG: État-Major Général (commandement militaire aux frontières dirigé par Boumediene)

20(1 ANS D'INAVOIIAIII I

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ENITA : École Nationale des Ingénieurs et des Techniciens Algériens FAF : Fraternité Algérienne en France (association islamique) FARL : Fractions A n n é e s Révolutionnaires Libanaises FFS : Front des Forces Socialistes (créé en 1963) FIDH : Fédération Internationale des Ligues des Droits de l ' H o m m e FIS : Front Islamique du Salut (créé en 1989) FLN : Front de Libération Nationale FMI : Fonds Monétaire International GIA : Groupes Islamiques Armés GIGN : Groupes d'Intervention de la Gendarmerie Nationale (France) GIS : Groupement d'Intervention Spéciale (unités du DRS, créées en 1987) G L D : Groupes de Légitime Défense (milices armées créées en 1994) GPRA : Gouvernement Provisoire de la Révolution Algérienne GSPC : Groupe Salafiste de Prédication et de Combat H C E : Haut Comité d'État (organisme né du coup d'État de janvier 1992) LADDH : Ligue Algérienne de Défense des Droits de l ' H o m m e (créée par Ali Yahia Abdenour). Ligue d'opposition. LADH : Ligue Algérienne des Droits de l'Homme (créée par Miloud Brahimi). Ligue officielle. M A L G : Ministère de l'Armement et des Liaisons Générales (ancêtre de la SM et du DRS) MCB : Mouvement Culturel Berbère (né des événements de Kabylie en 1980) MDN : Ministère de la Défense Nationale MNA : Mouvement National Algérien MTLD : Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques OAS : Organisation de l'Armée Secrète O N A C O : Office National du Commerce OPEP : Organisation des pays Exportateurs de Pétrole

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INTRODUCTION

L'Histoire de l'Algérie, entre silences et mensonges h a q u e a n n é e d e p u i s 1962 est j a l o n n é e de d a t e s a n n i v e r s a i r e s : 8 m a i 1945 et les m a s s a c r e s de Sétif, 1 er n o v e m b r e 1954 et la T o u s s a i n t r o u g e , 19 m a r s et le c e s s e z - l e - f e u , 17 o c t o b r e et les iiiliimmdes de P a p o n , 5 j u i l l e t et l ' I n d é p e n d a n c e de l ' A l g é r i e , etc. Si l ' o n ii|niiic les o c c a s i o n s de visites o f f i c i e l l e s , les r e n c o n t r e s internationales, mnichs de f o o t b a l l , les é c h o s é t o u f f é s d ' a t t e n t a t s , la sortie d ' u n film, lu publication d ' u n o u v r a g e , d ' u n article, l ' A l g é r i e s ' i n v i t e r é g u l i è r e m e n t •liin . les d é b a t s m e t t a n t d a n s l ' e m b a r r a s d e s a n i m a t e u r s incultes é p a u l é s |nii des « e x p e r t s » m a n i p u l a t e u r s . O r , t o u t ce qui p e u t se d i r e s u r I A i g r i e est m o t i f à d é r a p a g e . L a m o i n d r e d e s vérités est d a n g e r e u s e . I histoire r é c e n t e d e ce p a y s , de ses r e l a t i o n s a v e c la F r a n c e , r e l è v e d u mU-iisonge p e r m a n e n t . Lu guerre d ' A l g é r i e « n ' e n finit p a s d e finir». « L ' A l g é r i e f r a n ç a i s e » i i."11Imité la « F r a n ç a l g é r i e », qui s ' e s t m u é e en A l g é r i e m o n d i a l i s é e où huiles les p u i s s a n c e s p r é d a t r i c e s ( n o t a m m e n t les É t a t s - U n i s et la C h i n e ) mil leur part, sauf le p e u p l e . Tout c h a n g e d é c e n n i e a p r è s d é c e n n i e , m a i s mit' réalité d e m e u r e i n t a n g i b l e : la c o l o n i s a t i o n . C e qui é v o l u e d ' é p o q u e m r p o q u e , c ' e s t la c o m p o s a n t e h u m a i n e p a r laquelle celle-ci s ' e x p r i m e , l'iiihc en 1962, la F r a n c e a b a n d o n n e u n p o u v o i r n o y a u t é p a r les DAF,* il«'s s o u s - o f f i c i e r s d e s t i n é s à de b e l l e s carrières et m i s s i o n n é s p o u r être h--, mirants d e s i n t é r ê t s d e la F r a n c e d a n s u n e A l g é r i e n o u v e l l e m e n t uulcpendante. Ils ont p e u à p e u a c c a p a r é le p o u v o i r , p o u r en faire leur p i o p r i é t é p r i v é e à p a r t i r d e 1992. A u j o u r d ' h u i , u n d e m i - s i è c l e a p r è s ii voir o f f i c i e l l e m e n t r e c o u v r é leur liberté, les A l g é r i e n s s o n t p l u s q u e iniiiiiis p a r i a s d a n s leur p a y s .

* No|e de l'auteur: C'est par cet acronyme (de «déserteurs de l'année française») que »nul désignés les officiers et sous-ofïïciers algériens qui rejoignirent le FLN des frontières.

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200 ANS D'INAVOUAILL I

En France, la Ve République, c'est l'Algérie. Ce sont les « é v é n e m e n t s » qui portent de Gaulle au pouvoir, et lui permettent de rassembler les suffrages autour de sa Constitution; c'est l'Algérie qui forge l'identité de la France après 1962, son élite politique et sa dissuasion nucléaire, marque d ' u n e grande nation. A u c u n h o m m e de cette génération n'écrit ses Mémoires sans accorder une place primordiale à ce pays, pour le meilleur ou pour le pire. « S a n s la guerre d'Algérie, il y avait là de quoi souder un club de copains; avec la guerre d'Algérie, il y a de quoi mobiliser la couche sociale peut-être la plus significative de cette période d'explosion économique et de recomposition institutionnelle. D e quoi baptiser une génération. Et de quoi créer, chez ses membres, le sentiment tacite mais très fort d'appartenir à un groupe solidaire. Jacques Julliard en témoigne. [...] "L'événement sera notre maître intérieur". [...] Il n ' y a pas de génération politique de la guerre d'Indochine. [...] M a i s il y aura une génération de la guerre d ' A l g é r i e » 1 note Michel Rocard. U n e expérience si intense, et à bien des égards traumatisante, forge des psychologies aux ressorts pervers. C ' e s t là l ' u n e des spécificités de la relation entre la France et l'Algérie a u j o u r d ' h u i : elle est fondée sur le non-dit. « L e s 132 ans de présence française restent en grande partie inexplorés». Nul avenir n'est envisageable s'il ne se fonde sur une réflexion franche, q u ' i l reste à mener. « L ' A l g é r i e f r a n ç a i s e » cesserait, pensent certains, avec l'avènement d ' u n e VI e République, et le départ à la retraite de tous ceux qui, aujourd'hui, disposent d ' u n pouvoir, de toute la génération qui a éclos dans les années 1950. Cet espoir fait long feu, sous nos yeux. Un demi-siècle d'occultations plus tard, longue période jalonnée tantôt de silences gênés et tantôt d'éclats de voix assourdissants, de collusions criminelles, de m e n s o n g e s et de complicités affreuses, de mystères, de rumeurs érigées en système de communication, de pillages, de destructions et de trahisons, il ne se dit plus rien concernant l'Algérie qui ne provoque de levée de bouclier. Les acteurs les plus improbables, parmi ceux dont la vocation est d'éclairer, se soulèvent pour imposer silence à quiconque souhaite lever le voile sur les abominations à l ' œ u v r e . L'Algérie, c ' e s t l'exception en toute c h o s e ; c ' e s t le sujet par excellence où c h a c u n (l'enquêteur, le policier, le journaliste, le juge, le politique, l'universitaire, l'analyste) a b a n d o n n e l'éthique de sa profession pour devenir aveugle, sourd et muet, souvent incohérent, et parfois, pour m e n e r des croisades morbides. Chacun apporte sa contribution à la montagne d ' i g n o r a n c e qui écrase les deux pays, puis déplore que nous ne comprenions rien à ce que tous s'échinent depuis si longtemps à rendre totalement opaque.

INTRODUCTION

l i N T K l Sil 1-NCIiS liT M U N S O N d l i S

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PARANOÏA OU RÉALITÉ ? Un récent o u v r a g e a f f i c h a n t l ' a m b i t i o n de « d é p o u s s i é r e r » l ' h i s t o i r e de l.i V République - qui se c o n f o n d d o n c souvent a v e c celle de l ' A l g é r i e n ii pas p u s ' e m p ê c h e r de conclure de f a ç o n sibylline, sur le chapitre de l'Indépendance a l i é n é e : « L e s conditions de ralliement p a r f o i s tardif [des I ) A h' | au c o m b a t nationaliste sont encore a u j o u r d ' h u i source de p o l é m i q u e ilims un p a y s où la F r a n c e reste v o l o n t i e r s t e n u e p o u r r e s p o n s a b l e de loul ce qui v a mal. L e général de Gaulle, croit-on savoir à Alger, aurait i n c o u r a g é ce p h é n o m è n e de d é s e r t i o n d a n s le but de " f r a n c i s e r " d e l'intérieur la f u t u r e a r m é e du p a y s i n d é p e n d a n t . R i e n d a n s les a r c h i v e s Ininçaises n e c o r r o b o r e t o u t e f o i s cette a s s e r t i o n . » 2 U n e a f f i r m a t i o n lupidaire qui v o u e les A l g é r i e n s à l ' i m m a t u r i t é éternelle, et à subir les .ircasmes et la prétention des élites françaises, p r o l o n g e m e n t du r a c i s m e huilai que leur infligent leurs propres dirigeants. Ne n o u s a t t a r d o n s p a s sur le p a t e r n a l i s m e s u a v e et la vanité q u e d é g a g e cette c o n d a m n a t i o n , ni sur son c a r a c t è r e d é f i n i t i f , s u g g é r a n t i|ue l ' a u t e u r a lu toutes les archives, tout compris, et rien découvert qui soit susceptible de d o n n e r c o r p s à cette t h è s e ; c o n c e n t r o n s - n o u s p o u r l'étayer ou la réfuter, a v e c logique et raison, sur les faits objectifs et les déclarations incontestables des p e r s o n n e s concernées. L a F r a n c e a-t-elle tenté de n o y a u t e r les instances de l ' A l g é r i e indépendante p o u r préserver ses intérêts ? L ' e x e r c i c e n ' e s t p a s a n o d i n car, a y a n t r é p o n d u à cette question, toutes les autres se clarifient c o m m e par e n c h a n t e m e n t ; et bien île ceux qui se présentent q u o t i d i e n n e m e n t à nous, à la télévision, pleins d ' a s s u r a n c e p o u r n o u s instruire, apparaîtront sous le v i s a g e h i d e u x du propagandiste de s y s t è m e s politiques détestables. D a n s la p r e m i è r e partie de cet o u v r a g e , n o u s v e r r o n s q u e l ' i d é e d ' u n « p h é n o m è n e de désertion dans le but de "franciser" de l'intérieur la f u t u r e urinée du p a y s i n d é p e n d a n t » n ' e s t en rien e x t r a v a g a n t e . A u p a r a v a n t , c o m m e n ç o n s p a r n o u s p o s e r la q u e s t i o n inverse : la F r a n c e aurait-elle a b a n d o n n é u n p a y s , sacrifié u n e f r a n g e i m p o r t a n t e d e sa p o p u l a t i o n , r e n o n c é à s o n i n f l u e n c e d a n s u n e r é g i o n a u s s i s t r a t é g i q u e q u e la Méditerranée et cette porte d ' e n t r é e sur le continent africain, sans tenter d ' a s s u r e r ses arrières, de s ' o f f r i r q u e l q u e s garanties - h o r s les a c c o r d s d ' E v i a n d a n s lesquels seul u n politicien n a ï f pouvait avoir c o n f i a n c e ? Si tel était le cas, l ' A l g é r i e serait bien la seule a n c i e n n e colonie où de G a u l l e n'aurait pas songé à p r é s e r v e r les intérêts de la France. R a p p e l o n s q u ' a u m o m e n t des faits, u n million d ' E u r o p é e n s y résident qui ont v o c a t i o n et

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21, ANS D'INAVOIIA

légitimité à rester d a n s ce qui est leur pays. Scientifiques et militaires y m è n e n t les e x p é r i m e n t a t i o n s c h i m i q u e s m a i s s u r t o u t n u c l é a i r e s qui doteront la F r a n c e de l ' a r m e a t o m i q u e de dissuasion à laquelle de Gaulle attache la p l u s g r a n d e i m p o r t a n c e . C ' e s t là que v i e n n e n t d ' ê t r e découverts des g i s e m e n t s i m m e n s e s de pétrole et de gaz qui permettent p o u r la p r e m i è r e f o i s à la F r a n c e de ne pas d é p e n d r e d i r e c t e m e n t des a p p r o v i s i o n n e m e n t s étrangers. R a y m o n d Aron, pourtant adepte précoce de l ' I n d é p e n d a n c e algérienne, r é s u m e ainsi la situation g é o p o l i t i q u e : « La région où n o u s o c c u p o n s u n e place importante, qui n o u s laisse la possibilité d ' u n rôle de puissance, est la Méditerranée et, en particulier, la Méditerranée occidentale. La seule part de l ' e m p i r e français qui a j o u t e e f f e c t i v e m e n t à n o s r e s s o u r c e s est l ' A f r i q u e du N o r d » , étant e n t e n d u « q u e la préservation de l ' e m p i r e n e signifie en a u c u n c a s le m a i n t i e n pur et simple du r é g i m e colonial en v i g u e u r a u j o u r d ' h u i . » 3 Et de Gaulle accepterait de c é d e r ce j o y a u - l à sans s ' a s s u r e r q u e le p o u v o i r qui s ' y installera sera a c q u i s à une f o r m e de c o o p é r a t i o n privilégiée a v e c la F r a n c e ? Cela n ' a strictement aucun sens ! Les déclarations du général sont de ce point de v u e sans é q u i v o q u e : cela se passe en 1958 lors de sa t o u r n é e e n A f r i q u e où il tente de rallier les d i r i g e a n t s à son p r o j e t de « c o m m u n a u t é f r a n c o - a f r i c a i n e » . E n G u i n é e où il r e n c o n t r e u n e résistance, a v e c u n S é k o u Touré d é c i d é à voter « n o n » , de G a u l l e réagit au quart de t o u r : « " E h bien m e s s i e u r s , voilà un h o m m e avec lequel n o u s ne n o u s e n t e n d r o n s j a m a i s . A l l o n s , la chose est claire : n o u s partirons le 29 s e p t e m b r e au matin !" A b a s o u r d i , le g o u v e r n e u r a un geste, un m o t peut-être. [ . . . ] "- M a i s . . . les intérêts français en G u i n é e ? - M e d i r e z - v o u s q u e la G u i n é e est indispensable à la F r a n c e ? N o n . Il y a des positions qui n o u s sont indispensables, des p a y s qui doivent rester unis à n o u s : l ' A l g é r i e , par e x e m p l e . . . M a i s la G u i n é e ? Q u ' e l l e choisisse, qu'elle prenne ses r e s p o n s a b i l i t é s . . . " » La G u i n é e hésite, p u i s S é k o u Touré se r a v i s e : « L e 24 s e p t e m b r e , le P r é s i d e n t g u i n é e n r e m i t un m e s s a g e au général de G a u l l e : la G u i n é e d e m a n d a i t à s ' a s s o c i e r à la c o m m u n a u t é . [ . . . ] M . M a u b e r n a télégraphia s u r - l e - c h a m p à Paris. L a c o m m u n i c a t i o n r e s t a s a n s r é p o n s e . O n n e " m a n q u e " p a s au général de G a u l l e . » 4 D ' a u t a n t q u e J a c q u e s F o c c a r t s a u r a f a i r e c o n n a î t r e à S é k o u T o u r é c e q u ' i l en c o û t e de b a f o u e r l ' h o n n e u r du général.

ÎNTKODIICIION-I N1K1 SII1NC1S1.1 Ml.NSONtil.S

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DES IMAGES BROUILLÉES ET DES VOIX ÉTOUFFÉES I II 2010, le Festival de C a n n e s a d o n n é lieu à la diffusion de deux films Imitant de l'Algérie. Le premier, Des Dieux et des hommes, sur les m o i n e s de libhirine, prend bien soin de ne pas évoquer les circonstances de leur issassinat tragique en 1996: Q u a n t au second, Hors la loi, qui é v o q u e k'N événements d e Sétif consécutifs à la manifestation d u 8 mai 1945, il ikinne lieu (avant m ê m e sa projection) à une vive p o l é m i q u e : un député 11MP organise une manifestation pour dénoncer un film « p a r t i a l » tandis • |iie l'auteur se c o n f o n d en justifications alambiquées. Notons d ' a b o r d que si le réalisateur d e Hors la loi fait m o n t r e d e « c o u r a g e » à traiter un sujet délicat, après n ' e n avoir pas m a n q u é à tourner Indigènes, l ' o n peut considérer q u ' i l prend peu de risques en se penchant mi des faits qui se sont déroulés il y a 65 ans, et que la p o l é m i q u e et les réactions indignées q u e suscite son film n e risquent pas d e nuire à la réputation de son œuvre, bien au contraire. M a i s n e désespérons de rien i'l attendons avec patience le j o u r où il fera m o n t r e du m ê m e e n g a g e m e n t a l'égard de l'Histoire pour réaliser un film sur le massacre d e Bentalha, par exemple. Et si la réaction excessive d ' u n député U M P peut prêter à ricanement, elle n ' e s t pas tout à fait d é n u é e de fondement : un film financé par la France, pour le public français, a r d e m m e n t soutenu par les généraux algériens, pour accabler une population (les Pieds-noirs) qui a déjà p a y é un lourd tribut, il y a de quoi s ' a g a c e r un peu. Face à un demi-siècle de déni de parole, de déni de débat, de déni de justice, il n ' y a plus de raison possible, il n ' y a plus de place que pour la révolte.

LE COUP D'ÉCLAT PERMANENT Près de 22 ans avant ce coup de chaleur au festival de Cannes, en décembre 1988, un autre film sur l'Algérie, de M o h a m e d - L a k h d a r H a m i n a , avait soulevé une p o l é m i q u e en tout point identique. « J ' a i été saisi à plusieurs reprises de plaintes émanant d'associations de rapatriés, s'indignant de la laçon dont a été diffusé, dans le corps enseignant, le dossier sur le film La Dernière Image, coproduit par TF1, avec la participation du ministère de la Culture. [ . . . ] C o m p t e tenu du caractère passionnel q u e revêt ce sujet pour l ' e n s e m b l e de la c o m m u n a u t é rapatriée, [ . . . ] il conviendrait, si ces affirmations étaient vérifiées, que soit mis fin à de telles initiatives. II m ' a p p a r a î t f o n d a m e n t a l de donner aux j e u n e s générations une i m a g e plus réelle de ce q u ' a été, d a n s toute sa complexité, l ' œ u v r e civilisatrice

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21- ANS L> INAVOUA»

de la France d'outre-mer.» 5 Il s'agit-là d ' u n extrait d ' u n e lettre d ' A n d r é Santini à Hervé Bourges, alors P - D G de TF1. C e dernier s ' e m p r e s s e de clore le sujet, quand il aurait dû au contraire l'ouvrir, en organisant par exemple un débat ouvert sur la chaîne qu'il dirige : « M . Lakhdar Hamina, répond-il, cinéaste algérien de r e n o m m é e m o n d i a l e ( P a l m e d ' O r du festival de C a n n e s pour Chronique des années de braise)* et d é f e n s e u r de la francophonie, a écrit et réalisé un film [ . . . ] à partir de ses propres souvenirs d ' e n f a n c e . [ . . . ] C e film, empreint d ' h u m a n i s m e et porteur de leçon antiraciste, a été présenté en compétition officielle au festival de C a n n e s en 1986 où il fut ovationné. [ . . . ] L e s diverses pressions, dont votre m i n i s t è r e " est l'objet, m ' a m è n e n t à rappeler que la France reste encore - heureusement - un pays de liberté et que la création artistique y est libre et indépendante, c o m m e dans toute démocratie digne de ce nom. L e film [ . . . ] est la vision personnelle d ' é v é n e m e n t s qui ont marqué la vie d ' u n créateur.» O n ne peut imaginer réponse plus adaptée de la part de celui qui fut successivement haut fonctionnaire algérien sous Ben Bella et sous Boumediene. Il n'est pas utile de s'appesantir sur la réalité de « l a démocratie digne de ce n o m » qu'est la France, mais simplement de noter que, m ê m e après tant d'années, les réactions n'ont pas évolué d ' u n iota: des rapatriés qui réagissent au quart de tour dès que l'on évoque un épisode douloureux de leur histoire, des « créateurs » qui se défendent en relativisant le caractère d'authenticité de leur travail, q u ' i l s qualifient de « f i c t i o n » - malgré sa vocation historique initiale - , les arbitres médiatiques s'empressant de manier l'étouffoir, (Bernard Kouchner, par exemple) assortis de commentaires défaitistes prédisant que tout cela prendra fin lorsque la génération de la guerre d'Algérie aura disparu; l'oubli salutaire, l'espoir q u ' e n enterrant les acteurs, les plaies se cicatrisent, quand l'Histoire regorge des preuves du contraire, les nouvelles générations n'oubliant j a m a i s les drames de leurs ancêtres, surtout quand ils furent occultés voire niés. Ce débat avorté, qui laisse un goût d'inachevé, fait la part belle à l'idée folklorique d ' u n e c o m m u n a u t é de rapatriés faite d'exaltés revanchards, opposés à des artistes et des hommes de culture soucieux de vérité. Rarement, une voix raisonnable parvient à émerger du lot, c o m m e lorsqu'Yves Reyre, un lecteur du Monde, répond à Mohamed-Lakhdar Hamina : * Laquelle Palme d'Or a été accompagnée d'une autre polémique, et de rumeurs sur la façon dont elle aurait été décernée, sous la pression du pouvoir algérien. ** M. Santini était alors ministre de la Communication dans le gouvernement Chirac.

INTRODUCTION

I N I Kl Sll.liNC KS l i t M l i N S O N i i l i S

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«Ton histoire se passe bien à M'Sila: L'Oasis, devenu Hôtel de France, est là, qui suffit. Oui, Azzi avait un cœur d'or et son enclume nous réveillait au chant du coq. [...] Oui, les gamins arabes se branlaient à la santé des "Françaises", les seules femmes qu'on voyait dans la rue. Non, gamins juifs et gamins arabes ne jouaient pas souvent ensemble. Non, il n'y avait pas d'école Chalon. Non, le directeur d'école (Perrot, pas Langlois), pas plus que sa femme, ne tenait pas de leçon raciste aux adjointes venues de métropole. Oui, pourtant, tout le monde était raciste : Chrétiens, Arabes, Juifs, comme les autres. Et ça n'empêchait ni la courtoisie ni les amitiés. Oui, les institutrices arrivaient par le car, comme ma mère 20 ans plus tôt. | ..] Non, aucun Juif n'a été arrêté chez lui par une milice. Pas à M'Sila. ] . . .] Quel dommage d'avoir prêté le merveilleux décor de notre enfance à une histoire qui n ' a jamais eu lieu. Pis, qui s'en trouve historiquement invraisemblable! Alors, t'en vouloir d'avoir usé du passé? Non, sur le principe. Même aussi anachroniques, des réminiscences peuvent fabriquer de belles histoires... parfois. T'en vouloir de l'avoir distordu en anecdotes médisantes? Peut-être as-tu été influencé par tes curieux producteurs? Et puis, s'agissant de ceux qui t'ont quand même appris à lire, la médisance, ça rapporte pas mal de nos jours. D'avoir par contre utilisé notre chère M'Sila pour prêter vie à une telle décharge de haine, là, oui, je t'en veux. D'avoir défiguré le lieu et les temps magiques de notre enfance, oui, je t'en veux. Mais ce qui m ' a le plus surpris, c'est, à travers ton fils, ressemblant et excellent acteur, d'avoir paru toi-même dans cette incroyable "évocation". Je me revois en effet par un frais matin de novembre, dans la cour d'école, à 8 h 05, au pied du drapeau. Et j'entends encore ta voix déclamer fortement: "Gloire à notre France éternelle, Gloire à ceux qui sont morts pour elle, ... aux martyrs, aux vaillants, aux forts..." Dans un concours public et loyal avec mon frère Gil, tu avais été choisi parce que tu semblais le plus enthousiaste. Tout change ! Sais-tu que Gil est mort, il y a 20 ans, loin, très loin de M'Sila? Il n'avait pas changé. » 6 J a m a i s d a n s la b o u c h e d ' u n A l g é r i e n , artiste o u h i s t o r i e n , la v i l l e d e M ' S i l a n ' a c o n n u p l u s bel h o m m a g e .

A U DÉBAT, CITOYENS ! I ,a F r a n c e et l ' A l g é r i e , g r â c e o u e n d é p i t d e leur h i s t o i r e c o m m u n e , o n t tout p o u r c o n s t i t u e r u n c o u p l e d ' u n i o n a m i c a l e , e n t r e t e n a n t d e s r a p p o r t s économiques sains, s ' e n g a g e a n t dans u n e concorde sociale, culturelle, s c i e n t i f i q u e s a n s é g a l e , l ' u n e é p a u l a n t et c o m p l é m e n t a n t l ' a u t r e . Or, si Ici était le r ê v e d e s a r c h i t e c t e s d e l ' I n d é p e n d a n c e a l g é r i e n n e , d e s f o r c e s antagonistes ont vite imposé aux deux peuples d ' a m è r e s désillusions. En r e v a n c h e , d e s l i e n s s o l i d e s o n t r a p i d e m e n t été t i s s é s e n t r e d e s groupements d'intérêts détestables au sein des deux États, mettant en jeu d e s p r o c e s s u s q u i o n t a n é a n t i les e s p o i r s d e m i l l i o n s d ' h o m m e s .

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N o u s d o c u m e n t e r o n s l a r g e m e n t cette triste réalité d a n s cet o u v r a g e . M a i s n o u s n e p o u v o n s e n g a g e r ce travail sans rappeler l ' é v i d e n c e : ces collusions criminelles sont le fait de m i n o r i t é s agissantes, au pouvoir. Les p e u p l e s , quant à eux, m a l g r é des heurts é p i s o d i q u e s aspirent à u n e meilleure concorde.* Ce seul sujet m é r i t e des o u v r a g e s entiers, e n c o r e à écrire, et les d e u x p a y s u n e é p o p é e h u m a i n e , n o u v e l l e et positive, à inventer. A u j o u r d ' h u i , S a r k o z y et B o u t e f l i k a p r é s i d e n t a u x d e s t i n é e s des d e u x n a t i o n s . . . Si c h a c u n des p r o t a g o n i s t e s a ses raisons, q u e la raison ignore, le destin d e ces d e u x p e u p l e s s ' é r i g e sur u n m o n u m e n t de m e n s o n g e s . La plus petite vérité d e v i e n t alors partiale. Q u e faire d a n s c e s c o n d i t i o n s ? C e s s e r d ' é v o q u e r le passé, et mille autres s u j e t s qui constituent l ' é d i f i c e secret sur lequel reposent les relations entre la F r a n c e et l ' A l g é r i e ? C i n q u a n t e , soixante ans après les faits, à q u e l s r e n i e m e n t s les d e u x p a y s ont-ils dû consentir p o u r q u e les n e r f s soient à ce point à fleur de peau ? Qui est r e s p o n s a b l e d e s silences i n t e r m i n a b l e s qui s u c c è d e n t a u x c r i m e s ? À qui la f a u t e ? Si v o u s le d e m a n d e z à u n r e s p o n s a b l e algérien, il n ' a u r a a u c u n e d i f f i c u l t é à v o u s c o n v a i n c r e de son i n n o c e n c e : « I l n ' e s t p a s rare de voir tel ou tel m i n i s t r e p r é s e n t é c o m m e m o d e r n i s t e , m o d é r é et partisan du d i a l o g u e , invité à l ' a m b a s s a d e d e F r a n c e d a n s u n c a d r e informel, se m e t t r e à critiquer le r é g i m e c o m m e s'il n ' e n était p a s partie prenante, c o n f i a n t q u ' i l est impuissant, q u ' i l n e sait rien et q u e ce sont les m i l i t a i r e s qui g o u v e r n e n t » , 7 c o n f i e r a d é s a b u s é e L u c i l e S c h m i d , diplomate f r a n ç a i s e spécialiste de l ' A l g é r i e . Si l ' o n décidait u n j o u r tous e n s e m b l e de c h e r c h e r à établir la vérité, en se donnant pour seules entraves la déontologie, la rigueur de raisonnement, le respect des faits, des chronologies, la morale, toutes choses auxquelles les intellectuels m é d i a t i q u e s ont tourné les dos, des m o n t a g n e s s'effondreraient.

* Éric Cantona, invité de Jean-Jacques Bourdin sur BFM-TV le 9 décembre 2009, dit cette fraternité qui existe parmi « l e peuple» et que les élites dévoyées spolient via un débat sur «l'identité nationale» qui cache mal une islamophobie galopante. De Gaulle, à qui certains prêtent des penchants racistes pour justifier sa volonté de quitter l'Algérie, était parfaitement conscient de cette âme généreuse des peuples algériens et français et distingue ce qui relève de l'Etat et ce qui reste l'apanage des peuples: « L e s Arabes ne peuvent pas faire autrement que d'exhaler leur x é n o p h o b i e ? Mais si vous parcourez toute l'Algérie, vous n'aurez que des politesses et des amabilités.» Dans C'était de Gaulle, tome 2, d'Alain Peyrefitte, (De Fallois-Fayard, 1994), p.446.

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Mais l'histoire est écrite par les vainqueurs. De m ê m e que ce sont les vinii(|ueurs qui incarnent la loi, la justice, le droit, et qui définissent le Bien. \ n moment où la France de Nicolas Sarkozy tente de réhabiliter son passé 11 d'imposer à l'inconscient collectif l'idée que la colonisation française a ru un « r ô l e positif», l'Algérie de Bouteflika soutient un projet de loi qui la • m i n i n a l i s e » . Cinquante ans après son «abolition», on n e peut imaginer positions plus inconciliables, plus diamétralement opposées. 200 a n s d ' h i s t o i r e c o m m u n e , et p r e s q u e tout r e s t e à dire. E n iliTiilant d ' e n v a h i r l ' A l g é r i e , La F r a n c e a-t-elle a p p o r t é les L u m i è r e s ou l ' i n c e n d i e ? La colonisation a-t-elle eu caractère positif ou g é n o c i d a i r e , • le ( i a u l l e a-t-il o f f e r t l ' I n d é p e n d a n c e ou bien a-t-il p l o n g é le p a y s i l n u s un piège dont celui-ci n ' a r r i v e pas à sortir? Ben Bella a-t-il été le picmier Président d ' u n e A l g é r i e i n d é p e n d a n t e ou l ' a g e n t de la France, n u s s i o n n é p a r d e G a u l l e p o u r p r é s e r v e r les i n t é r ê t s d e son p a y s ? Iloumcdiene est-il m o r t n a t u r e l l e m e n t ou bien l'a-t-on a i d é ? Le p o u v o i r (|in s ' i n s t a l l e a p r è s sa m o r t s o u s la « c o u v e r t u r e » de C h a d l i est-il •»ouverain ou constitué d ' u n clan d ' a g e n t s f r a n ç a i s ? L o r s d e l ' a s s a s s i n a t il'Ali Mécili, par la Sécurité Militaire algérienne sur le sol f r a n ç a i s , la I tance a-t-elle s i m p l e m e n t couvert le c r i m e a posteriori ou bien a-t-elle ••lé impliquée d i r e c t e m e n t d a n s l ' e x é c u t i o n ? Quel rôle la F r a n c e a-t-elle loué lors de la « s a l e g u e r r e » de la décennie 1 9 9 0 ? Voilà q u e l q u e s - u n s îles mille d o s s i e r s sur l e s q u e l s la vérité est o c c u l t é e , c o n s t i t u a n t un nubstrat de m e n s o n g e qui n o u r r i t les spoliations les p l u s g r a n d i o s e s . ( c sont q u e l q u e s - u n e s des q u e s t i o n s q u e soulève cet o u v r a g e et qui ilévoilent de s o m b r e s aspects de cette relation entre les d e u x pays. Elle ne saurait se résumer, c o m m e le font malgré tout tant de p e r s o n n a l i t é s uiL-iliatiques d a n s leur i n s o n d a b l e médiocrité, en un seul m o t : passion. Les r é a c t i o n s r é c e n t e s d e d e u x i n t e l l e c t u e l s d e p r e m i e r r a n g , spécialistes incontestés du sujet, sont aussi é l o q u e n t e s q u e fascinantes. Dans « C D a n s l ' a i r » , sur F r a n c e 5, mercredi 2 6 m a i 2 0 1 0 , B e n j a m i n Stora a v o u e son d é c o u r a g e m e n t f a c e à l ' i n e f f i c a c i t é d u travail des historiens. U n d e m i - s i è c l e de travail patient qui v o l e en éclats d u fait il'unc déclaration, de la sortie d ' u n film. « O n d é m a r r e au quart de tour pour un oui o u p o u r un n o n » , déplore-t-il, « l e s n e r f s sont t o u j o u r s à vil, les b l e s s u r e s e n c o r e o u v e r t e s » . D e son côté, M o h a m m e d H a r b i nippelle que le p o u v o i r algérien, qui réclame a u j o u r d ' h u i les archives, •.'était e m p r e s s é de mettre sous scellés (pour les soustraire aux r e g a r d s îles historiens), celles q u ' i l avait o b t e n u e s de la F r a n c e en 1984. « L a

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CHAPITRE 1

La face noble des rapports entre la France et l'Algérie

E

ntendre les m é d i a s traitant de sujets concernant les Algériens est pénible pour quiconque éprouve quelque sympathie pour ce p a y s et ce peuple. Si l ' o n n ' y prenait garde, on oublierait que la société i méconnue dont il est question se trouve non dans une lointaine galaxie mais à une heure d ' a v i o n de Marseille, voire en partie de l'autre côté des boulevards périphériques. I.a France est irrémédiablement engagée dans une relation fusionnelle avec l ' A l g é r i e . Toute politique qui ne prend pas cette réalité c o m m e prémices de son analyse et de ses projets semble v o u é e à l ' é c h e c . Or, îles d e u x côtés de la M é d i t e r r a n é e , tout paraît c o n ç u p o u r attiser les m l a g o n i s m e s , s e m e r la d i s c o r d e . U n j e u n e b e u r p r o s é l y t e désire-t-il construire son identité, p a r f o i s n o n sans p r o v o c a t i o n , en se laissant pousser la barbe, en cultivant la blancheur i m m a c u l é e de son kamis (ou la noirceur d u hijab ou du niqab pour sa f e m m e ) , ou s'avise-t-il de multiplier U-s épouses dociles, que son c o m p o r t e m e n t est aussitôt présenté c o m m e ivpique de l ' e n s e m b l e d u peuple algérien, qui se retrouve au centre d ' u n ilùhat d ' o ù il ressort à chaque fois déprécié. U n autre décide-t-il de braquer une b a n q u e , u n casino, ou u n e vieille d a m e sans d é f e n s e que, par la magie de la télévision, il illustre ce qui doit apparaître c o m m e le trait de caractère de toute la « c o m m u n a u t é » dont il est m e m b r e . Il apparaît dès lors justifié de réfléchir à des lois spéciales, pour ainsi dire d ' e x c e p t i o n , i|iii effaceront ce que les g o u v e r n e m e n t s antérieurs, f o r c é m e n t «laxistes», ont c o m m i s l'erreur de c o n c é d e r : la nationalité, les allocations familiales, le visa d ' e n t r é e , etc. Au-delà de ces faits divers, nul ne semble remarquer i|iie les révisions constitutionnelles préconisées sont autant de régressions notables de l ' É t a t de droit qui portent atteinte à l ' i d e n t i t é française. Le peuple algérien serait-il c o n d a m n é à n ' ê t r e q u ' u n éternel souffre-douleur pour des dirigeants mal i n s p i r é s ?

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2T)I ANS D'INAVOUAB

Les intellectuels, français ou non, désireux de travailler à la concorde entre les peuples ne m a n q u e n t pas ; mais un mal les afflige qui les rend indésirables aux é m i s s i o n s de « d é b a t s » : ils disent la vérité. D a n s ces conditions, il ne reste place q u ' a u x adeptes de la d é s i n f o r m a t i o n et de la manipulation. A u m i e u x , il est fait appel pour traiter de sujets d ' u n e brûlante actualité à . . . des historiens ! Ceux-ci doivent alors, en quelques phrases lapidaires, remplir un cahier des charges impossible : inscrire le contexte où n o u s vivons dans une trame séculaire, faire de l'anthropologie i m m é d i a t e ; ils contribuent alors, volens nolens, à rebuter l'auditeur, et à le conforter dans l'idée que le sujet est bien trop compliqué. Il ne s'agit pas de remettre en cause la qualité de leurs interventions. La plupart des historiens c o n c e r n é s sont h o n n ê t e s et compétents. M a i s c o m m e n t e x p l i q u e r que, depuis plus de q u a r a n t e ans q u ' i l s écrivent sur l ' A l g é r i e , ils p e i n e n t e n c o r e à n o u s éclairer et n e c o n t r i b u e n t q u ' à épaissir notre p e r p l e x i t é ? Ils a c c o m p l i s s e n t leur tâche avec une abnégation méritoire et défrichent des p a n s m é c o n n u s de l'histoire, par touches éparses ; la présente synthèse est d'ailleurs le c o n d e n s é de leurs recherches. M a i s les historiens ne sont pas censés être des parangons de témérité et les scandales qu'il s'agit de dénoncer ne relèvent pas du travail aseptisé qui est le leur. Le c h e m i n à parcourir, du m e n s o n g e officiel à la vérité indicible, est immense. U n historien est plus enclin à taire q u ' à révéler ce q u ' i l sait lorsque cela soulève un p a r f u m de scandale, trop raisonnable pour la tâche qui s ' i m p o s e ici, et qui confine au sacrilège: un travail qui franchit les frontières au-delà desquelles la moindre parcelle de vérité enfin dévoilée relève de la p r o v o c a t i o n . . . digne d'être bannie. Il ne s'agit pas non plus d'être naïf et d ' i g n o r e r que la politique est l'art de la ruse, et q u ' e l l e s ' e x e r c e bien souvent au détriment de ceux q u ' e l l e prétend servir; ou que, pour faire une belle carrière dans le journalisme, la quête de la vérité ne doit pas constituer u n e priorité. N o u s espérions q u e la prévarication était la part m a r g i n a l e de l ' a c t i o n publique, et le m e n s o n g e subtil ; n o u s d é c o u v r o n s avec e f f a r e m e n t q u ' i l s sont c h a q u e j o u r davantage le c œ u r des systèmes étatiques qui n o u s gouvernent. Ce dont nous allons parler ici, ce n ' e s t pas de déviations mineures, m a i s bel et bien de politiques criminelles confinant au génocide. N o u s allons d o n n e r quelques e x e m p l e s de l ' a m i t i é réciproque entre les peuples de France et d'Algérie. N o u s allons aussi découvrir c o m m e n t q u i c o n q u e s ' e n g a g e à travailler d a n s ce s e n s positif est exclu des mass-médias. Les Algériens a u j o u r d ' h u i aspirent à une i m m e n s e majorité

I.A I A C I NciHI I DI S K A W I K T S l-.NIKI

I A I K A N l ï : HL l ' A K i l H I I

2»)

11 l'exil é c o n o m i q u e n ' y est pas pour tout - à se rendre en F r a n c e ; rl liicn de ceux que le destin y a enracinés aspirent à pouvoir regagner leur terre de n a i s s a n c e pour vivre d a n s un cadre serein. D e la m ê m e iiwnière, de n o m b r e u x Français rêvent de pouvoir v o y a g e r en A l g é r i e • m de s ' y installer d u r a b l e m e n t et, dans les deux cas, ils souhaiteraient pouvoir entretenir des rapports confraternels avec le pays auquel ils sont iincùrement attachés, si la sécurité et l'assurance d ' u n e vie dans le respect mutuel y étaient garanties.

LES VRAIS AMIS FRANÇAIS DE L'ALGÉRIE Aux première heures de la colonie, un « g r o u p e de "Jeunes A l g é r i e n s " nn millier de p e r s o n n e s s e u l e m e n t - constituant l'intelligentsia, et iK'i ulés à d é f e n d r e des revendications m o d é r é e s dans le cadre français Im «il pourtant a c c u s é s d ' ê t r e des nationalistes antifrançais. [ . . . ] L e s lcnnes Algériens s'attirèrent les sympathies de quelques libéraux français, ili •. députés R o z e t et M e s s i m y par e x e m p l e , qui r é c l a m è r e n t plus de lïompréhension à l'égard des m u s u l m a n s . Le journal Le Temps lança en l'»t)7 une c a m p a g n e contre le système de l ' I n d i g é n a t . D a n s une série il'iuticles publiés en 1912, Paul Bourde revendiquait pour les m u s u l m a n s r.-Kiilité d a n s de n o m b r e u x d o m a i n e s , des libertés et une place réelle iliiii!. la vie politique française. C ' é t a i t assez pour déchaîner la fureur des niions. A d m i r a b l e s de m e s u r e f u r e n t les Français qui se rassemblèrent iiniour du groupe de Georges Leygues, Albin Rozet et A d o l p h e Messimy, •li'N journalistes de La Lutte sociale, La Guerre sociale, et surtout Le h iiifis, dénonçant les a b u s du système colonial et prônant des m e s u r e s il»* l'orme. C e s c a m p a g n e s obligèrent le gouvernement, à la veille de la Miinre, à accorder quelques améliorations: une augmentation du collège IIPI. ¿lecteurs, une participation a c c r u e aux c o n s e i l s m u n i c i p a u x , un iiv.onplissement du code de l'Indigénat.» 1 Un prêche dans le désert. Dès le début, n o m b r e u x sont les Français qui se distinguent par li'in h u m a n i s m e et qui tentent, autant que le permettent leurs pouvoirs, il ntttinuer les s o u f f r a n c e s des Algériens. Pélissier de R e y n a u d , Ismayl 1 >1 bnin, Charles Richard* 2 et bien d ' a u t r e s s'activent au sein des Bureaux >n uhes d a n s ce sens. N a p o l é o n III tente de d o n n e r u n e orientation

• Polytechnicien et saint-simonien, cet utopiste d'une intelligence remarquable se lin mil e un défenseur sourcilleux des indigènes et de leurs droits, notamment en ce qui l'IMn rriie leurs propriétés. »2

J O

2,1 ANS D'INAVOUAU

positive à la colonisation en imaginant un « r o y a u m e a r a b e » . « T r o i s points essentiels le caractérisent. [ . . . ] D ' u n e part, il se déclare hostile à la colonisation de peuplement qu'il souhaite cantonner à des zones très précises pour protéger les territoires des a u t o c h t o n e s ; d ' a u t r e part, il soutient l'égalité des colons et des m u s u l m a n s face à l ' i m p ô t f o n c i e r ; enfin il suggère d ' o c t r o y e r la nationalité française aux m u s u l m a n s qui pourraient le cas échéant d e m a n d e r la citoyenneté française. [ . . . ] O n imagine l'accueil de ces desseins par les colons.» 3 Jules Ferry tentera de son côté d ' i m p o s e r une politique de scolarisation des Algériens analogue à celle qui prévaut en métropole ; en vain. Durant la guerre, de 1954 à 1962, des intellectuels ou de simples militants ont pris le parti des Algériens, par amitié pour ce peuple, par anticolonialisme, par p r a g m a t i s m e ou simplement pour d é f e n d r e leurs principes (c'est-à-dire leur identité) contraires aux pratiques détestables de l ' a r m é e française. « A l b a n Liechti, militant c o m m u n i s t e , est connu pour être le premier insoumis de la guerre d'Algérie. Le 2 juillet 1956, il refuse de partir et rend publique la lettre qu'il adresse au Président de la République et au président du Conseil : "Je ne peux pas prendre les armes contre un peuple qui lutte pour son Indépendance." E m b a r r a s s é par cette initiative qu'il n ' a pas souhaitée, le parti communiste se montre peu prolixe, m a i s sa discrétion n ' e m p ê c h e pas Alban de faire école. À plusieurs reprises, des appelés refusent de partir sans q u ' o n puisse les accuser de lâcheté, car leur prise de position leur vaut sanctions militaires, emprisonnement et envoi dans les bataillons disciplinaires de Timfouchi. Alban lui-même est embarqué de force en Algérie et emprisonné. » 4 Sur place, si Henri Alleg, coupable de sympathie pour les Algériens, survit à la torture, Maurice A u d i n y succombe. Parmi les militaires, ils ne sont pas rares à avoir eu une conduite irréprochable. Avant d'accepter un soldat dans ses sections, le général Jacques Pâris de Bollardière lui fait signer un texte qui l ' e n g a g e sur plusieurs points dont celui-ci: « J e m ' e n g a g e en outre, sur l'honneur, à respecter les règles des n o u v e a u x c o m m a n d o s n o m a d e s : Tout musulman sera considéré comme un ami, et non comme un suspect, sauf preuve du contraire. Je m e s u r e aussi le risque supplémentaire que cette règle, indispensable à la réussite de notre mission, m e fait courir et j e l ' a c c e p t e p l e i n e m e n t . » 5 L'idée de Bollardière est s i m p l e : «Aller se p r o m e n e r tout le temps, j o u r et nuit, parmi les musulmans, presque sans armes de manière à parler avec eux et pour que les m u s u l m a n s d ' A l g é r i e voient un autre visage de la France que les colons. Parce que les m u s u l m a n s d ' A l g é r i e détestent les colons.

I . A I A C I : N O I l l 11' 1)1 iK R A P P O R T S I N T R i : I A I R A N C I : I l l.'AIXiftKII

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Mais B o l l a r d i è r e se disait q u ' i l n ' y avait a u c u n e raison q u ' i l s détestent les I lançais. D o n c , p u i s q u ' o n a la c h a n c e q u ' u n ou d e u x m i l l i o n s d e F r a n ç a i s oient là à c a u s e d u c o n t i n g e n t , m o n t r o n s a u x m u s u l m a n s q u e les F r a n ç a i s i k France n ' o n t rien à voir a v e c la colonisation. C ' é t a i t l ' i d é e p o l i t i q u e II militaire d e B o l l a r d i è r e , d e m a n i è r e à r a m e n e r la p a i x en A l g é r i e . Il l'.i mise en a p p l i c a t i o n . » 6 Et a v e c g r a n d s u c c è s : « L a p a t r o n d e la sûreté, li-,in M a i r e y , d a n s son r a p p o r t r e m i s à G u y M o l l e t le 2 j a n v i e r 1957, n i e p r é c i s é m e n t B o l l a r d i è r e c o m m e u n m o d è l e d e stratégie à s u i v r e en M^érie: "Bien d e s c h o s e s auraient c h a n g é a v e c d ' a u t r e s m é t h o d e s . J ' e n veux p o u r p r e u v e la m a g n i f i q u e réussite d u secteur oriental d e la M i t i d j a . I H. un g é n é r a l , a u d a c i e u x d a n s ses c o n c e p t i o n s , réaliste d a n s le travail, i onrageux et o p i n i â t r e c o m m e il l ' a v a i t été d a n s les luttes d e libération, a •iu associer civils et militaires, E u r o p é e n s et f r a n c o - m u s u l m a n s d a n s u n e 0 uvre d e p a c i f i c a t i o n v é r i t a b l e . " » 7 B o l l a r d i è r e d é m i s s i o n n e le j o u r où il .iperçoit q u ' i l n e peut p a s a c c o m p l i r sa m i s s i o n s a n s trahir sa m o r a l e ; sans avoir a u p r é a l a b l e l a n c é à M a s s u : « J e m é p r i s e ton action ! »

IIDII

Paul Teitgen a g i r a d e m ê m e . « J ' é t a i s p a s s é p a r la t o r t u r e , m o i , en l'M3. P l u s i e u r s f o i s par la G e s t a p o ; j e s a v a i s c o m m e n t on h u m i l i a i t u n lionime, q u a n d on n e le r e s p e c t e pas, q u a n d on en a r r i v e à le r é d u i r e à •m, plus le c a m p d e c o n c e n t r a t i o n D a c h a u , ça m e suffisait. Je n e p o u v a i s |iii'. supporter q u e les F r a n ç a i s agissent d e m ê m e . [ . . . ] J e r e f u s e ce p r o c é d é « I• • • h u m i l i e celui qui est torturé, m a i s qui h u m i l i e bien p l u s le t o r t i o n n a i r e • i réveille en lui le m a l latent qui est en c h a c u n d ' e n t r e n o u s . Il n e f a u t p a s limiter b e a u c o u p . Je n ' e n t r e p a s d a n s le m a l . » 8 L o r s q u ' i l s d é c o u v r e n t le n u l q u e r é s e r v e n t les p a r a s a u x p r i s o n n i e r s , C h a r l e s C e c c a l d i - R a y n a u d cl Paul Teitgen se r e n c o n t r e n t et « s ' i s o l e n t à l ' a r r i è r e d e la v o i t u r e d e li-itgen. C e c c a l d i i n t e r r o g e : " Q u e p o u v o n s - n o u s f a i r e ? " " N o u s l u t t o n s 1 outre des f o r c e s supérieures. N o u s n e p o u v o n s rien faire." Et, a p r è s u n iili-iice, Teitgen a j o u t e : " P o u r la m o r a l e , d é m i s s i o n n o n s " . » 9 Et ce f u t fait. I histoire d e l ' A l g é r i e , d e p u i s 2 0 0 ans, est u n l o n g p r o c e s s u s où c e u x p o u r • liai les m o t s « m o r a l e » et « v e r t u » ont un s e n s c è d e n t la p l a c e à c e u x qui IOIII

résolus à s ' e n a f f r a n c h i r . . .

« W i l l i a m Lévy, r e s p o n s a b l e d e la S F I O en A l g é r i e » a été a s s a s s i n é |nii les c o m m a n d o s O A S Delta du lieutenant D e g u e l d r e « a u prétexte q u ' i l uvii11 tenu d e s p r o p o s hostiles à leur s u j e t . » 1 0 C h a r l e s C e c c a l d i - R a y n a u d , non claire d e la Fédération socialiste d ' A l g é r i e , livre sur lui u n e é m o u v a n t e • n.uKon f u n è b r e : « L é v y représente à lui tout seul le d r a m e algérien, p u i s q u e ion lils a été tué par le F L N , et lui a été tué par l ' O A S . » " L e r a p p o r t ii-inis à G u y M o l l e t p r é c o n i s e d e s s o l u t i o n s d i a m é t r a l e m e n t o p p o s é e s

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2LI' ANS D INAVOUAJI

à la politique en œ u v r e : « " P o u r être véritablement u n instrument de pacification, l ' a r m é e doit demeurer sous le contrôle du pouvoir politique. Or, actuellement, l ' a r m é e est laissée pratiquement j u g e des m o y e n s à employer, et le pouvoir civil, au lieu d'orienter son action et d ' e n tracer les limites, est placé à la remorque du pouvoir militaire." Cette lettre, datée du 5 avril 1957, est remise en m a i n propre au président du Conseil par un militant de la fédération d'Algérie, William Lévy. [ . . . ] Mollet a dit à Lévy : "Je v o u s crois de bonne foi, j e crois à ce que vous m ' é c r i v e z , mais c'est inopportun, surtout venant de la Fédération socialiste d ' A l g e r et ça va donc être exploité par l ' O N U . Vous allez n o u s faire le plus grand mal. Je vais porter un remède à tout cela, m a i s j e ne [le] pourrai pas si cette lettre est publiée. Et si elle est publiée, il faut la démentir. C ' e s t l'intérêt du parti et l'intérêt du pays. Donc, cette lettre n'existe pas." [...] La lettre destinée à Mollet n ' a d o n c j a m a i s existé. » I 2 Et d e fait, s'afFranchissant de sa promesse, plutôt que de rétablir la hiérarchie en Algérie au profit du civil, Mollet donne les pleins pouvoirs aux paras du général M a s s u : la torture se généralise, gangrénant véritablement l'institution. Ceux qui sont chargés de la mettre en œ u v r e ne sont pas forcément enchantés; mais «il ne faut pas trop gratter... pour q u ' é m e r g e le mal en c h a c u n » . U n e fois l'engrenage en marche, il ne reste que le m e n s o n g e : « E n 1959, dira Paul Delouvrier, afin de traiter des atteintes aux droits des personnes, j e réunissais à la délégation générale [ . . . ] le c o m m a n d a n t en chef [Challe], les trois chefs de région (Gambiez, Olié, Massu) et les officiers chargés directement du maintien de l'ordre. C ' e s t au cours d ' u n e de ces séances de travail que M a s s u proposa de mettre par écrit u n certain n o m b r e d ' o r d r e s et d'interdictions, telle q u e celle relative aux exécutions sommaires. Or, ce jour-là, le j u g e Patin, qui était venu de Paris pour cette affaire et avait souhaité partager notre repas, insista pour que cette note de service ne fut j a m a i s d i f f u s é e : elle avait l'air de reconnaître la réalité des faits. » 13 Pas de consigne, pas de méfaits, qui peuvent ainsi se poursuivre ; alors que les militaires souhaitent y mettre fin, à condition que ce soit exprimé clairement, un juge, dépêché pour y mettre le holà, prescrit leur reconduction, à condition que ce ne soit pas transcrit, de sorte que « r i e n dans les archives ne p e r m e t t e » de les attester.

La guerre d ' A l g é r i e (officiellement u n e simple opération d e « m a i n t i e n d e l ' o r d r e » , bien q u ' e l l e mobilise j u s q u ' à deux millions d ' h o m m e s ) est sans doute l ' u n des derniers épisodes où les intellectuels ont rempli pleinement leur rôle. Alors que l'opinion reste indifférente à qui se passe hors de la métropole, des réseaux de soutien à la cause algérienne se constituent : Réseau (Francis) Jeanson, réseau C u r i e l . . .

A l'AC'l: NOILL. I)I:S KAI'l'OKTS

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« Q u e l q u e s viviers alimentent [ . . . ] le gros des volontaires: les prêtres, I f . enseignants, les journalistes, les m é d e c i n s et enfin, les c o m é d i e n s et listes. La plupart de ceux qui ont c o m m e on le dit si trivialement "porté ili". valises" ont un c u r s u s p o u r le m o i n s brillant. P o u r e x e m p l e , l ' a b b é lli-iïiard B o u d o u r e s q u e est polytechnicien et ingénieur au Commissariat à I l nergie A t o m i q u e . Robert Davezies, prêtre-ouvrier, est physicien. A n d r é M.indouze, p r o f e s s e u r d'université, c o f o n d a t e u r de Témoignage chrétien |H"iulant la Résistance, est f o n d a t e u r de Consciences maghrébines, revue i|in tente d'éveiller la c o m m u n a u t é française à l'idée de la revendication libérienne dans les années 1950. Pierre Vidal-Naquet et Robert B o n n a u d 'Mil agrégés d'histoire. É t i e n n e B o l o est p r o f e s s e u r de philosophie. Le ]• un naliste Robert Barrat est l'ancien secrétaire du Centre catholique des inii'llectuels français. Le professeur Veullay, un gynécologue mondialement • iiiiiiii. Le fils du surréaliste André Masson, Diego, un musicien brillant. Le monde du spectacle m o n t e lui aussi en scène. Les n o m s d ' A n d r é Thorent, Marina Vlady, Serge Reggiani circulent. Françoise Sagan aurait prêté sa l.iguar...» Le M a n i f e s t e des 121 p r o c l a m e « l e droit à l ' i n s o u m i s s i o n » . I i"s signataires comptent parmi le fleuron de l'élite intellectuelle française : • Simone de Beauvoir, Michel Butor, Pierre Boulez, A n d r é Breton, Michel I L'iris, Nathalie Sarraute, Robert Barrat, J é r ô m e Lindon, A n d r é M a n d o u z e , I iiinçois M a s p é r o , Vercors, Pierre Vidal-Naquet, Tristan Tzara, Danielle I h'iorme, S i m o n e Signoret, François Truffaut....>> 14

LE MONOPOLE DU CŒUR... ET LE FRONT DU DÉSHONNEUR II serait vain de recenser toutes les interventions qui ont p e r m i s à la F r a n c e île préserver un p e u de son h o n n e u r durant cette g u e r r e a b s u r d e et de se u v o n c i l i e r a v e c sa grandeur. A l o r s q u ' a u l e n d e m a i n du d é c l e n c h e m e n t ili" la r é v o l u t i o n a l g é r i e n n e t o u t le m o n d e s ' e m p l o i e à m i n i m i s e r l ' i m p o r t a n c e de l ' é v é n e m e n t , F r a n ç o i s M a u r i a c , le p r e m i e r s ' a l a r m e : Je n e c r o y a i s p a s q u e le pire f û t si p r o c h e . [ . . . ] La r e s p o n s a b i l i t é des Irllaghas d a n s l ' i m m é d i a t n ' a t t é n u e en rien celle qui, d e p u i s 120 a n s , pi'se sur n o u s d ' u n p o i d s accru de g é n é r a t i o n en génération. L ' h o r r e u r de IT qui va se d é c h a î n e r doit être tout de suite a d o u c i e p a r u n e o f f e n s i v e l oncertée c o n t r e les bas salaires, le c h ô m a g e , l ' i g n o r a n c e , la m i s è r e , et par les r é f o r m e s de s t r u c t u r e q u ' a p p e l l e le p e u p l e a l g é r i e n . Et, c o û t e • I• îo coûte, il f a u t e m p ê c h e r la p o l i c e d e torturer.»* C ' e s t e n c o r e lui,

* ( )n chercherait en vain dans les médias dominants des intellectuels pour lancer le même i|i|irl. aujourd'hui, pour dénoncer les mêmes méfaits, et préconiser les mêmes «réformes».

3 4

2 ( ANS IVINAVOUAH

m i e u x apte que q u i c o n q u e à m e s u r e r le poids d e s mots, qui s ' i n s u r g e le 11 février 1956 lorsque G u y Mollet est accueilli par un j e t de t o m a t e s : « C ' e s t l'État qui a reçu cet outrage. [ . . . ] Vous avez d é l i h é r é m e n t livré l'État aux insultes d ' u n e f o u l e que protégeait, (quelle ironie!), l ' a r m é e française, soumise à v o s ordres. [ . . . ] Et au dehors, l'autre protagoniste, un p e u p l e de 8 millions d ' h o m m e s , observe et attend.» 1 5 E n 2010, un peuple de plus de 35 « m i l l i o n s d ' h o m m e s observe et a t t e n d » t o u j o u r s . . . Plus seul que j a m a i s . Le 3 avril 1958, à propos de la torture et de la saisie de La d'Henri Alleg, Mauriac écrivait dans L'Express :

Question

«La publication à ciel ouvert du livre d'Alleg témoignait en notre faveur, malgré tant d'abus et d'attentats. Sa saisie nous frustre de cette dernière fierté. Elle enlève au gouvernement le bénéfice de son libéralisme relatif, sans l'ombre d'un avantage puisque la diffusion du livre, à travers le monde, est d'ores et déjà accomplie. Tirer le pire d'une situation donnée, c'est la règle d'or du régime, sur tous les plans, dans tous les ordres. "Participation à une entreprise de démolition de l'armée ayant pour objet de nuire à la défense nationale." Tel est le motif officiel de la saisie. Alleg a été torturé ou il ne l'a pas été. S'il l'a été dans les conditions qu'il décrit, ne reprochez pas à la victime, mais aux bourreaux, de démoraliser l'armée; en quoi le fait de demander la justice contre eux menace-t-il l'État, offense-t-il la nation? Et qui pourrait douter de ce que rapporte cet ami de Maurice Audin? M. Robert Lacoste d'ailleurs, s'il n'avoue pas, ne nie rien. En vérité, il plaide coupable: "L'examen médical du plaignant, a-t-il déclaré hier à la Chambre, révèle divers érythèmes sur les doigts et le poignet gauche et trois petites cicatrices." Mais les tortionnaires peuvent dormir tranquilles. Les praticiens n'ont, paraît-il, aucune idée sur la nature et sur l'origine de ces traces suspectes. [...] Il reste que la torture qui ne laisse pas de trace demeure une des conquêtes de la technique policière qui aujourd'hui assure le mieux le repos des experts et des juges. Voici pourtant l'aveu de M. Robert Lacoste à peine déguisé : "Je dis qu'on ne saurait confondre certaines erreurs avec notre peuple. Mais j'ajoute qu'il n'appartient pas à n'importe qui de nous faire la morale..." Certaines erreurs ! Qu'un euphémisme peut donc être ignoble ! Bien sûr vos crimes sont, dans l'ordre politique, des erreurs, et ce n'est pas assez dire : des bêtises insignes. Mais ils restent des crimes et qui atteignent à travers ceux qui les commettent, le corps d'élite dont ils portent l'uniforme, et à travers l'armée, nous-mêmes, notre peuple, monsieur Lacoste, dont vous êtes l'élu. Ce que vous appelez "certaines erreurs" sont donc bien le fait de ce peuple ! Vous agissez en son nom ; vous en êtes l'incarnation en Algérie. [...] Vous en demeurez la clef de voûte. J'ose écrire ici cette vérité qui ressemble à un blasphème: "En Algérie, monsieur Lacoste, vous êtes la France." La France, c'est vous. Hélas! C--)» 16

A I A I T : NOIII.I I>I:S RAPPORTS I:NTRI;

A I Ï I A N C I I:T I:AIXÎI RII;

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Muis l ' a r m é e n ' a pas pour habitude de s u b o r d o n n e r ses décisions aux rondamnations d ' u n intellectuel et, à Alger, ll'armée a bientôt les pleins pouvoirs. « L e 17 m a r s 1956, François Mitterrand,, garde des S c e a u x , publie deux décrets relatifs à l'organisation et au fonctionnement d e la justice militaire en Algérie. C ' e s t par ces textes que sera octroyé aux militaires le pouvoir de rendre justice pour assurer "le «établissement de l'ordre, de la protection des personnes et des biens et de lia sauvegarde du territoire". I es tribunaux permanents des forces armées ( r TPFA) sont nés. U n e justice d'exception est m i s e en place : "Article 1er. À dater de la m i s e en vigueur du présent décret, les juridictions militaires é t a b l i e s en Algérie pourront cire saisies, m ê m e dans la phase d'instructiom, de tous les faits c o m m i s postérieurement au 30 octobre 1954." [ . . . ] Ptour la première fois depuis le régime de Vichy, un ministre de la J u s t i c e , suivi par l ' e n s e m b l e de l ' e x é c u t i f accepte d ' i n s t a u r e r un décret qui a un effet rétroactif Cette disposition est en contradiction avec la tradiition du droit f r a n ç a i s et la I)éclaration des droits de l ' h o m m e en son articcle 11.» 17 O n mesure la gravité de la décision si l ' o m prend conscience que cela intervient dans un contexte où 8 millions de personnes vont devenir, du seul fait d ' ê t r e des « m u s u l m a n s » , passibles des tribunaux en question. Si tout cela indiffère l'opinion, les indignaticons ne m a n q u e n t pas. D a n s un article de la revue Esprit, intitulé « C o m m i e n t fonctionne la justice en Algérie», Paul Thibaud s ' i n s u r g e : « " P o u r la {première fois, la R é p u b l i q u e française laisse à la discrétion du pouvoir e x e c u t i f toutes les dispositions concernant les libertés des citoyens. [ . . . ] Toiute cette organisation a fait la part belle à l ' e f f i c a c i t é : p r o c é d u r e s acceélérées, j u r é s c o m b a t t a n t s , assignations à résidence, tribunal d e cassattion sur les lieux, tout est l'ait pour la rapidité". Tandis que l ' i n t e l l e c t u e l catholique H e n r i M a r r o u dénonce dans les colonnes du Monde, le 5 awril 1956: "Je ne puis éviter de parler de Gestapo. Partout en Algérie, la chiose n'est niée p a r personne, ont été installés de véritables laboratoires ede torture, avec baignoires électriques et tout ce qu'il faut, et cela est urne honte pour le pays de la Révolution française et de l ' a f f a i r e D r e y f u s . " Gilles Martinet, combattant infatigable p o u r l'instauration d ' u n e éthiqute en politique, se souvient encore a u j o u r d ' h u i des réflexions du ministree de la Justice de l ' é p o q u e : "François M i t t e r r a n d m i n i m i s a i t la torturce [ . . . ] " L e j o u r n a l i s t e de Libération Albert-Paul Lentin témoigne, des ainnées plus tard : "Des ordres ont été transmis afin d ' o b t e n i r des informatioins par tous les m o y e n s . Ces ordres se sont propagés oralement du h a u t een bas de l ' a r m é e . L e Haut C o m m a n d e m e n t a obtenu que j a m a i s u n o)fficier ne serait j u g é p o u r

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2T)I ANS D'INAVOUAB

une ' b a v u r e ' . C ' e s t une loi non écrite c o n v e n u e entre G u y Mollet, son ministre de la Justice, Mitterrand, et le Haut C o m m a n d e m e n t . Je voyais les militaires qui s ' e n v a n t a i e n t : ' O n est couvert, on v o u s e m m e r d e ' . " » 1 8 Un dernier exemple, celui de Fernand Iveton, ce militant c o m m u n i s t e sympathisant du FLN, c o n d a m n é à mort et exécuté pour avoir posé une b o m b e . Son cas n o u s intéresse ici à double titre: d ' a b o r d en raison de l ' e n g a g e m e n t - m ê m e si la m é t h o d e envisagée est c o n d a m n a b l e - de cet h o m m e en faveur d ' u n peuple m a r t y r i s é ; ensuite à cause du traitement de son dossier par le garde des Sceaux, François Mitterrand. «Le 14 novembre 1956, le militant Fernand Iveton [est arrêté]. Que lui reproche-t-on? D'avoir placé une bombe d'une faible puissance dans un local désaffecté d'une usine de gaz d'Alger, située dans le quartier du Hamma. La bombe n'explosera jamais. Fernand Iveton est immédiatement interpellé. Il est torturé. L'historien Jean-Luc Einaudi, au terme d'un travail de recherche minutieux, a retrouvé, plusieurs décennies après, les écrits de la main même de Fernand Iveton sur les toitures qu'on lui a infligées: coups, humiliations diverses, brûlures sur tout le corps par l'électricité, supplice de l'absorption d'eau jusqu'à l'étouffement complet... Ce 24 novembre 1956, Fernand Iveton comparaît devant le tribunal militaire. Sept juges siègent, en tenue militaire. "En 1956, se souvient maître Albert Smadja, le nombre d'affaires était devenu tellement important que les juges n'y suffisaient plus. On a donc rappelé des juges volontaires pour siéger dans les tribunaux militaires. C'étaient des magistrats auxquels de fortes primes étaient versées et qui recevaient un grade assimilé à celui de colonel." Paul Teitgen, secrétaire général de la police d'Alger à l'époque, les qualifie sans détour: "Les juges rappelés étaient des voyous." Le président du tribunal est le colonel Roynard, officier de justice militaire. Obscur magistrat en métropole avant les événements d'Algérie, une fois les décrets parus, il n'hésite pas une seconde à traverser la Méditerranée, où il obtient son grade. «Au cours d'un interrogatoire sommaire, le colonel fait le parallèle entre la bombe posée par Iveton et celles du Milk Bar et la Cafétéria. Il est rapidement démenti par des dépositions de témoins. De plus, la preuve est apportée que le lieu où Iveton avait choisi de déposer la bombe était bel et bien un local désaffecté. Autre précaution de l'apprenti terroriste, la bombe ne pouvait pas dépasser un rayon de trois à cinq mètres ni endommager une cloison en maçonnerie. Les experts sont formels sur ce point. Dans l'aprèsmidi, le commissaire du gouvernement commence son réquisitoire : "Iveton savait que la bombe devait exploser à 19 h 30 et qu'elle aurait fait des dégâts. Mais, en admettant qu'il dise vrai en prétendant qu'il ne voulait pas qu'il y eût des victimes, son crime est aussi grave." Et il termine par ces mots : "Au moment de délibérer, vous penserez à ces enfants odieusement mutilés du Milk Bar [...] Aucune circonstance atténuante ne peut être accordée à Iveton." Einaudi conclut: "Iveton n'est pas jugé sur les faits qui lui sont reprochés. On veut en faire un exemple."

I A LACII NOUL. 1)1 :S KAITOKIS I N IKL I A L;K ANCII I T I.AI.D KLL

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«Après l'échec du pourvoi en cassation, un recours en grâce est déposé en trois exemplaires auprès du garde des Sceaux, François Mitterrand, »lu Conseil supérieur de la magistrature et du Président de la République, René Coly. Après que le PC a refusé que maître Gaston Amblard défende Iveton, après cette condamnation à mort, il sort enfin de sa réserve. Pour prêter main-forte aux deux défenseurs commis d'office par le barreau »l'Alger. C'est Joé Nordman, l'avocat des grandes causes communistes, i|iii se charge du recours en grâce. [...] Le 23 janvier 1957, le Conseil »les ministres approuve un projet présenté par le ministre de la Justice. Il s'agit de l'examen en accéléré des recours en grâce des condamnés à mort. "Les propositions faites par le ministre d'État, garde des Sceaux, permettront de réduire sensiblement les délais administratifs." François Mitterrand accorde aux extrémistes qui réclament des têtes un soutien décisif. Le même jour, il mute administrativement le directeur des Affaires criminelles et des Grâces, M. Mazard. Ce dernier, natif d'Alger, a fait part »le son opposition au jugement d'Iveton en Algérie. A la chancellerie, tous les obstacles aux exécutions sont levés. Le 10 février 1957, la grâce est refusée par le Conseil supérieur de la magistrature dont le garde des Sceaux est le vice-président. Le 11 février, Fernand Iveton est exécuté, l'eu s'émeuvent de ce refus de grâce. Parmi eux, Madeleine Jacob, la ix'lèbre chroniqueuse des affaires judiciaires de l'après-guerre, écrit dans l.ihcration: "L'exécution d'Iveton est impensable."» 19 I u d e i n m e n t , « F r a n ç o i s M i t t e r r a n d a v o t é la mort.* Tout c o m m e le l'u-sident C o t y » , c o n f i r m e r a J e a n - C l a u d e Périer, m e m b r e d u C o n s e i l iiipùrieur de la m a g i s t r a t u r e au m o m e n t d e s faits et r e d e v e n u tel en l''KS, qui d i r a : « C e t h o m m e n ' a v a i t tué p e r s o n n e et on allait l'exécuter. I M nuit que magistrat, j ' a i été r é v o l t é . » 2 0 C e s p r a t i q u e s qui é v o q u e n t le I m West et les p r i m e s a u scalp, rappellent tout ce q u e la h o n t e f r a n ç a i s e iltui nux socialistes, et m o n t r e n t q u ' à ce j o u r , le d e r n i e r directeur de la pnlice d ' A l g e r le plus a t t a c h é à la sécurité des A l g é r i e n s a p o u r n o m l'uni Teitgen.

* I >es deux septennats de Mitterrand, il reste peu d'actes mémorables : une photographie niiiiii dans la main avec Helmut Kohi, symbole de la réconciliation, et l'abolition de lii de mort... On ne pourrait trouver deux traits de caractère plus éloignés de la |ii iMumnlité mitterrandienne, revanchard endurci et abolitionniste de la 25 e heure: «Entre NMi m 1957, la guillotine fonctionna avec son assentiment. S'il avait eu alors le moindre mpiile, il en aurait fait part. Sa conversion tardive à l'abolition datait de son arrivée à la h li- du l'arli Socialiste "rénové", nourri de tous les courants contestataires issus du PSU, ••• i ilmuiilents du Parti Communiste, des chrétiens progressistes. Encore devait-il être I mi il'1* signataires d'une proposition de loi du Parti Socialiste dite proposition Deferre, i n liiiiiiinl la peine de mort pour les trafiquants de d r o g u e » , racontent André Giresse, • » |Mi".ulcnt de la Cour d'assises de Paris, et l'écrivain-journaliste Philippe Bernert, dans ' i «/ n u l , p a r J e a n A u d i b e r t , a m b a s s a d e u r d e F r a n c e e n A l g é r i e , à

un

intiment c l é o ù c e p a y s h é s i t e e n t r e la v o l o n t é d e s o n p e u p l e d e s ' a r r a c h e r i l " , c n l i e s d e c e t t e j u n t e e t l ' a c h a r n e m e n t d e c e l l e - c i à le f a i r e b a s c u l e r ilnir, le t e r r o r i s m e , o u t o u t a u m o i n s à le f a i r e p a r a î t r e c o m m e t e l a u x y e u x • lr l ' o p i n i o n i n t e r n a t i o n a l e . C h a r l e s P a s q u a a i d e r a s e s a m i s g é n é r a u x à |i'ii v e n i r à l e u r s

fins.

•< I )t>s son arrivée à la tête d u g o u v e r n e m e n t , B a l l a d u r a a f f i r m é sa v o l o n t é • I•.- lutter é n e r g i q u e m e n t c o n t r e les m e n a c e s terroristes p r o v e n a n t d e s p a y s t'iiiiiigers. Son m i n i s t r e d e l ' I n t é r i e u r [ C h a r l e s P a s q u a ] s ' é t a i t r e n d u c é l è b r e ••ii 1986 [...] p a r la f o r m u l e : " N o u s a l l o n s terroriser les t e r r o r i s t e s ! " Il n ' a |ni» osé en 1993 r é p é t e r cette sottise, m a i s il a, d a n s t o u t e s les o c c a s i o n s |ii'NNihles, m a n i f e s t é p u b l i q u e m e n t l ' i n t e n t i o n d u g o u v e r n e m e n t d e p r é v e n i r i l île r é p r i m e r t o u t a c t e terroriste p r é p a r é p a r d e s g r o u p e s d ' e x t r é m i s t e s •MuiiHcrs. D è s j u i n 1993, tout u n train d e m e s u r e s a restreint les facilités tir jour d e s é m i g r a n t s et d e s v i s i t e u r s et u n e p o l i t i q u e d é c l a m a t o i r e ii l o u e c o n n o t a t i o n x é n o p h o b e a v o u l u c o n v a i n c r e l ' o p i n i o n q u e le LIIHI\finement serait e x e m p l a i r e à l ' é g a r d d e tentatives d e d é s t a b i l i s a t i o n vt'iiui" de l'étranger. H o r s la m a n œ u v r e p o l i t i c i e n n e d e capter la clientèle ili -. i v n i p a t h i s a n t s "lepénistes", q u e l l e s réalités c a c h e n t ces r o d o m o n t a d e s ? I ii'iix e x e m p l e s r é c e n t s le m o n t r e n t c l a i r e m e n t : • I »i-lnii n o v e m b r e 1993, a p r è s l ' e n l è v e m e n t p u i s la l i b é r a t i o n d e t r o i s 'i|iriiis d u c o n s u l a t f r a n ç a i s d ' A l g e r , " P a s q u a l a n c e u n e g r a n d e r a f l e iliius les m i l i e u x i s l a m i s t e s e n r é g i o n p a r i s i e n n e , à L y o n et à M a r s e i l l e ; '(H p e r s o n n e s s o n t i n t e r p e l l é e s . O n se f é l i c i t e , P l a c e B e a u v a u , d ' a v o i r i l i niiverl à l ' o c c a s i o n d e c e t t e o p é r a t i o n d e s d o c u m e n t s i m p o r t a n t s .

h •

' I 'n|iriniion se révèle un grossier montage organisé par les officiers du DRS et leurs Ini'iir . parisiens pour justifier la répression qui s'ensuivra en France. Voir à cet effet -hii taux enlèvement des époux Thévenot et d'Alain Fressier», in Françalgérie, d'Etats, pp.342-344.

AÏKLANSD'INAVOUAIN.I;

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« M a i s bien vite la vérité apparaît. La plupart des personnes interpellées sont relâchées, les 13 gardes à vue sont levées et finalement on découvre que le dernier suspect retenu, M o u s s a Kraouche, n'avait en sa possession que des documents provenant des services français. "Erreur de manipulation", conclut l'enquête de l'inspection de la police. Et c'est bien cela: gesticulation, tentative de manipulation de l'opinion, poudre aux yeux pour abuser les Français et pour donner au pouvoir algérien l'impression q u ' o n est solidaire de lui dans sa lutte contre l'intégrisme. Résultat: les réseaux qui existent adoptent des méthodes moins visibles et le travail de surveillance des services français spécialisés est brouillé pour longtemps. [...] « Q u e l q u e s semaines après, à la veille de l ' a n n é e 1993, deux terroristes iraniens i m p l i q u é s d a n s un attentat à G e n è v e , incarcérés en F r a n c e et qui doivent être t r a n s f é r é s à la j u s t i c e suisse sur sa d e m a n d e en application d ' a c c o r d s internationaux, sont libérés et renvoyés en Iran. Le g o u v e r n e m e n t suisse proteste devant cette violation par la France d ' u n e convention à laquelle elle a adhéré. Le gouvernement français et Monsieur Pasqua ne peuvent justifier leur décision exorbitante du droit international q u ' e n invoquant la Raison d'État. «Voilà bien la vraie nature de la politique suivie par le g o u v e r n e m e n t : Une grande détermination ostentatoire, une intense c a m p a g n e médiatique qui ne cachent en réalité que la recherche du c o m p r o m i s , la poursuite de desseins cachés m e n é s par des réseaux d ' i n f l u e n c e . On s ' e m b r o u i l l e dans les manipulations et on se retranche derrière la raison d'État. Et les terroristes sont rendus à leur pays d'origine. » 30 T r o p p r o c h e des A l g é r i e n s , Jean A u d i b e r t est r a p p e l é à Paris, et r e m p l a c é

1

par un diplomate «éradicateur» : Bernard Kessedjian. Le crime de m a s s e

I

peut commencer.

SUR LA CIVILISATION DES BARBARES Devenu Président, Nicolas Sarkozy, reprend opportunément l'antienne

I

c h è r e à H u b e r t V é d r i n e - s e l o n l a q u e l l e le M a g h r e b e n g é n é r a l , et l ' A l g é r i e

I

en particulier, d o i v e n t r e t o u r n e r a u g o u v e r n e m e n t d e s « t r i b u s » 3 1 : le

I

M o y e n - Â g e c o m m e p a n a c é e p o u r un p e u p l e v o u é , par principe, au

I

s o u s - d é v e l o p p e m e n t p o l i t i q u e . Il p r o c l a m e à l ' e n v i q u e l ' O c c i d e n t n ' a

I

p a s à i m p o s e r a u x autres p e u p l e s sa v i s i o n d u m o n d e et surtout p a s sa

1

c o n c e p t i o n d e la « d é m o c r a t i e » , s a n s s ' e n c o m b r e r d e s c r u p u l e s p o u r

I

p r ê c h e r , a u n o m d e c e s v a l e u r s « o c c i d e n t a l e s » m ê m e s , la g u e r r e e n

I

A f g h a n i s t a n ( d u f a i t q u e l e s T a l i b a n s « c o u p e n t les d o i g t s a u x p e t i t e s

filles

I

qui mettent du vernis sur leurs ongles»)* o u de m e n e r un lobbying f o r c e n é

I

* Un de ces mensonges qui se perpétuent du seul fait qu'il n'y a personne pour le — / l i n e un mnnHp verrouillé.

I A lAC i: N O U I I l)KS R A P P O R T S I N T K I



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I A F R A N C K HT L ' A L C i Ê R I i :

i ii déclencher une autre contre l'Iran (sous prétexte q u ' i l d i s p o s e

Icclmologie pour fabriquer l ' a n n e nucléaire, laquelle technologie il r i r f o u r n i e . . . par la France* - N o u s en reparlerons). U n e culture Htyti ilii u Ile lui aurait pourtant appris que mille ans avant Vercingétorix, H k | MN| hrébins p o u r qui il a f f i c h e tant de mépris, disposaient d ' u n e • M i l l i o n à la pointe de la « m o d e r n i t é » . | I un des poncifs inaltérables de notre temps consiste à affirmer qu'il (Moi Ii,mer la route aux fondamentalistes islamistes dont l'objectif serait il»- n i ihlir des t e m p s anciens. Les temps actuels sont-ils donc plus radieux H | t i < m |( s Algériens que les temps a n c i e n s ? D e quel t e m p s ancien parlepi cri s è m e n t ? D e l ' é p o q u e où l ' e m p e r e u r de Rome, un Berbère, avait l l N i u i nom Septime S é v è r e ? D e celle où les a n n é e s d ' A f r i q u e du N o r d se IHHIIHI' ni d ' é g a l à égal contre l ' E m p i r e r o m a i n ? Du temps où Massinissa • MI un r o y a u m e et forgeait un État dédié au bienfait de sa population, H t lu culture et à l'agriculture au point de faire de l ' A f r i q u e du N o r d , le ^ H | | i i nier de l ' E u r o p e » ? De celui où Hannibal défiait R o m e j u s q u e sous p u icinparts? D u t e m p s où le chef des a r m é e s s ' a p p e l a i t Kahina, une I h H m , île confession j u i v e ? Est-ce celui où Lalla F a d h m a N ' S o u m e r menait H * « Iroupes contre les nuées sauvages du général R a n d o n qui déferlaient ^ B m l i i son p e u p l e ? Est-ce celui de Youcef U-Qasi, ce poète du x v n e siècle l i | i n Incarnait à lui seul le peuple kabyle et sa «civilisation du verbe»,** une fléniocratie populaire analogue à celle dont n o u s voyons a u j o u r d ' h u i une Il unie d'expression en S u i s s e ? Est-ce le t e m p s où Ibn-Khaldoun inventait lu nociologie m o d e r n e ? Celui où Saint-Augustin inspirait la doctrine i lui tienne? Tous ces « t e m p s a n c i e n s » , avec les malheurs relatifs q u ' i l s I t limliaient, étaient-ils pires que l'Algérie de B o u t e f l i k a ?

I es n o u v e a u x a m i s d e S a r k o z y - c e u x que C h a r l e s P a s q u a lui rt offerts en héritage - ont éliminé de f a ç o n m é t h o d i q u e la plupart des I M . I I K I S h o m m e s qui se sont levés c o n t r e leurs p r o j e t s , Ali Mécili, r * NdE: L'ouvrage Israël et la Bombe de l'historien Avner Cohen devait paraître en avril 11)10 dans la collection Résistances (éditions Demi-Lune). Si, à ce jour, nous n'avons pas ihuililonné ce projet, le lecteur doit savoir que M. Cohen n'a pas permis à l'éditeur de publier l'excellente traduction française qui en a été faite, à cause de «certains titres qui figurent il SHM catalogue». Ce type d'autocensure est exceptionnelle dans le monde de l'édition, et IMiiiculièrement pour un livre qui depuis sa parution (en 1998!) reste inaccessible à un Miblic francophone; cela est d'autant plus vertigineux que l'auteur a lui-même été victime 1I11 M censure militaire israélienne. ** Selon les mots de Mouloud Mammeri, Culture savante, IUIV-I9N9, ouvrage posthume, (Éditions Tala, 1991), p.67.

culture

vécue,

études

r

45 200 ANS D'INAVOUABLE

Mouloud M a m m e r i , Tahar Djaout, Djilali Lyabès, M ' H a m e d B o u k h o b z a , M a h f o u d Boucebsi, Laâdi Flici, etc. Ils ont ensuite p r o m u des individus dénués de scrupules, dont ils ont désigné les porte-paroles, pour inscrire le t e r r o r i s m e au c œ u r de la société algérienne, dont la culture est traditionnellement à l ' o p p o s é . Relatant les débats séculiers sur le sens du Coran, I b n - K h a l d o u n écrivait il y a plus de 500 ans, que Dieu a révélé au prophète M a h o m e t « Son Livre précieux, en claire langue arabe, pour n o u s y indiquer les obligations (religieuses) nécessaires (au salut et au b o n h e u r ) » , ajoutant que celui-ci recelait également des parties « d o n t le sens n o u s est incompréhensible. Toutes ces parties sont dites "ambiguës" et il est b l â m a b l e de chercher à les éclaircir. » L o r s q u e l ' a m b i g u ï t é est d ' e s s e n c e divine, « n o u s devons Le laisser seul à savoir ce q u ' i l a voulu dire, et n e pas nous soucier du reste. [ . . . ] C o m m e l ' a dit A ' i s h a : "Ceux que v o u s v o y e z discuter sur le C o r a n [ . . . ] É v i t e z - l e s ! " » E n d ' a u t r e s termes, le M o y e n -  g e m u s u l m a n était mille fois plus fécond que la piètre production des philosophes médiatiques qui nous sont présentés c o m m e l'élite intellectuelle française, sans parler des médiocres pantins qui leur donnent la réplique à Alger. Car, c o m m e t o u j o u r s , les faillites de la F r a n c e o u t r e - m e r , ses compromissions, ses complaisances douteuses, pour tout dire ses crimes, finissent par éclater à la figure de ceux qui en ont été m o m e n t a n é m e n t les complices ou les témoins silencieux. Tous les h o m m e s de bonne volonté qui, dans les m é d i a s français, sont poussés les uns après les autres vers la sortie, car trop « i n d é p e n d a n t s » , ignorent peut-être qu'ils paient l ' u n e des factures de la « sale guerre » algérienne. En choisissant le silence, ils ont favorisé l ' é m e r g e n c e d'intellectuels négatifs tels Philippe Val ou B H L au s o m m e t du pouvoir médiatique, deux h o m m e s qui savent mieux que personne maquiller en philosophie leur vacuité mentale et leur arrivisme, usant de m é t h o d e s indignes dans le ghetto médiatique pour faire le vide et bannir tout esprit critique, toute pensée hétérodoxe. L'islamisme d ' A b d el-Kader hier, ou celui d ' A b d e l k a d e r Hachani plus récemment, sont bien plus enviables que les projets à l ' œ u v r e a u j o u r d ' h u i en Algérie, m e n é s par des généraux algériens, qui ne laissent de choix q u ' e n t r e le terrorisme nihiliste des uns et le crétinisme déshumanisé des autres. M a i s la philosophie n ' e s t que le m a s q u e avec lequel chacun dissimule ses vils desseins, b a s s e m e n t matériels. Il y a 2 0 0 0 ans, Jugurtha, roi b e r b è r e , soudoyait l ' i n t é g r a l i t é du Sénat r o m a i n et l ' a s s u j e t t i s s a i t à ses désirs ( l ' u n des derniers c h e f s locaux peut-être à avoir œ u v r é pour le c o m p t e de son p r o p r e p e u p l e , avant q u e les invasions « b a r b a r o -

LA F A C E N O B L E D E S R A P P O R T S E N T R E L A F R A N C E E T L ' A L G É R I E

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civilisatrices» c o m m e n c e n t , p o u r ne p l u s j a m a i s cesser). D e p u i s ces temps i m m é m o r i a u x , il y a une sorte de continuité qui tient en quelques m o t s et leurs corollaires : corruption, spoliation, a b u s de c o n f i a n c e , meurtres barbares, m e n s o n g e . . . Q u e s'est-il passé depuis p o u r que ce peuple jadis militairement l'égal de R o m e soit maintenant incapable de s'extirper du m a r a s m e ? La question est o u v e r t e ; cependant, quel que soit l'angle d'analyse, les raisons sont à chercher non pas dans une quelconque propension de ce p e u p l e à la violence, m a i s bien d a v a n t a g e dans son pacifisme. C e u x qui exercent la violence à son encontre sont légions, et il relève du miracle q u ' i l ait pu traverser tant d ' a d v e r s i t é depuis 2 000 ans sans disparaître de la face de la terre, tant les déferlantes qui se sont succédé depuis les R o m a i n s (Vandales, Byzantins, A r a b e s et finalement Français) ont rivalisé de brutalité contre lui. M a i s r e v e n o n s à la question de savoir si la F r a n c e a plutôt des raisons de s'enorgueillir de son passé colonial ou de s ' e n repentir. Le but n ' e s t pas de s ' a p i t o y e r sur les m a l h e u r s p r o v o q u é s par la c a m p a g n e de conquête coloniale française de 1830. Mille ouvrages n ' y suffiraient pas. I.es événements décrits ici sont sélectionnés non en raison de l ' é m o t i o n légitime q u ' i l s p e u v e n t susciter, ni p o u r entretenir u n e q u e l c o n q u e acrimonie. Il s ' a g i t s i m p l e m e n t de relater des faits datant d ' i l y a 2 0 0 ans qui, sans cette précision, apparaîtraient c o m m e la c h r o n i q u e des é v é n e m e n t s et des p r o p o s qui se tiennent a u j o u r d ' h u i m ê m e , sous la bannière de la « d é m o c r a t i e » , du « p r o g r è s » et des « d r o i t s de l ' h o m m e » . Parfois, les similarités sautent aux yeux. D ' a u t r e s sont plus subtiles pour c]ui ignore certaines facettes des m é c a n i s m e s à l ' œ u v r e . Les faits h i s t o r i q u e s relatés sont ainsi choisis en raison de leur i n f l u e n c e à très long t e r m e ; a u c u n é v é n e m e n t n ' e s t r a c o n t é qui n e trouvera son é c h o soit durant la guerre d ' I n d é p e n d a n c e , soit durant la « s a l e g u e r r e » ou encore le conflit larvé qui sévit depuis 1 9 9 9 ; certains drames récents sont en fait la redite de la conquête coloniale, avec ses brutalités et les é c h o s m é d i a t i q u e s qui en sont faits en m é t r o p o l e , où détracteurs et partisans s ' a f f r o n t e n t . . .

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CHAPITRE 2

Les « bienfaits » de la colonisation : 200 ans de prévarication

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'histoire c o m m e n c e sous le Directoire. La France cherche du blé pour alimenter sa « c a m p a g n e d'Italie» et Alger en produit beaucoup. Mais Paris, en proie à de graves difficultés financières, n ' a pas de quoi payer. Généreux, le dey* offrit « u n million de francs et il avançait la s o m m e au gouvernement français sans réclamer d'intérêts. Malheureusement, au lieu de traiter directement, il ouvrit un crédit auprès de deux négociants de la Régence. L'un, Michel Busnach, s'était tellement enrichi avec les marchés de l'État q u ' o n ne l'appelait plus que le "roi d'Alger". Son complice, Joseph Bacri, était le chef d ' u n e redoutable tribu d e profiteurs: ses trois frères, Mardochée, Salomon et Jacob, et son fils, David. »'

TALLEYRAND, BUSNACH, BACRI, INVENTEURS DU CRÉDIT «REVOLVING» Qui sont Busnach et B a c r i ? De confession j u i v e , ce sont des autochtones, berbères sans doute ou peut-être de ceux q u e la Reconquista a chassés d ' E s p a g n e . N ' y v o y o n s d o n c a u c u n e m a i n étrangère, m a i s s i m p l e m e n t d'insatiables appétits privés et d ' é n o r m e s instincts de prédateurs. « L e s familles juives Bacri et Bou Chenak j o u è r e n t u n rôle considérable dans le c o m m e r c e extérieur algérien. Elles réussirent à supplanter les compagnies étrangères, en particulier f r a n ç a i s e s , dans l'exportation des grains. Elles achetaient leurs marchandises d a n s les souks, les fondouks, les caravanes et les dépôts qui recevaient le produit des taxes en nature, le plus souvent en imposant leurs prix, et l e s revendaient trois à quatre lois plus cher, en particulier à l ' E s p a g n e e t à la France. Entre 1793 et * I x territoire algérien, gouverné par le dey d'Alger, est alors subdivisé en trois provinces (Constantine, Titteri, et Oran) administrées par des beys selon un fédéralisme Ile*, lâche. Les liens avec Constantinople sont également fort distendus.

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2(1» ANS D'INAVOUABLE

1798, ce sont les Bacri et Bou Chenak qui ravitaillèrent en blé la région méditerranéenne et les a n n é e s françaises d'Italie et d 1 Egypte. Ils faisaient venir de n o m b r e u x produits de L i v o u r n e et réimportaient des objets de luxe, réalisant des bénéfices extraordinaires. » 2 B u s n a c h et Bacri j o u i s s e n t d ' u n q u a s i - m o n o p o l e p o u r v e n d r e à la France le blé dont elle a tant besoin ; au prix d ' u n e i m m e n s e surfacturation, certes, 100 à 120 francs u n e quantité qui en coûte c o u r a m m e n t 4 2 ; m a i s n ' e s t - c e pas le propre du c o m m e r c e ? « G r a n d s seigneurs, ils accordaient tous les délais de p a i e m e n t souhaités. Ils ne posaient à cet arrangement q u ' u n e petite condition : percevoir les intérêts de leur créance. » 3 C h a q u e partie trouverait tout de m ê m e son c o m p t e , d a n s ce qui p o u r r a i t être c o n s i d é r é c o m m e les p r é m i c e s des m é c a n i s m e s d u libéralisme sauvage actuel. Pourtant, rien ne se passe de façon ordinaire, car la Méditerranée vit sous le règne de la flibuste et les pirates ont la f â c h e u s e habitude d ' a r r a i s o n n e r les navires transportant le blé sitôt q u ' i l s quittent le port d'Alger. L'efficacité de cette piraterie n ' e s t sans doute pas étrangère à une collaboration fructueuse entre les négociants B u s n a c h et Bacri et les flibustiers q u ' i l s renseignent à dessein. Le blé extorqué est débarqué à Oran ou dans d ' a u t r e s ports où notre duo de choc n ' a plus q u ' à racheter la cargaison... pour un prix dérisoire, cela v a de soi. Dès que la F r a n c e est avisée de l ' é v é n e m e n t , elle se présente de n o u v e a u pour se réapprovisionner, bien que l'argent lui m a n q u e toujours aussi cruellement. Lorsque f i n a l e m e n t le blé parvient en France, il est dans un tel état de décomposition que l ' o n est obligé de le décharger de nuit et de le jeter à la m e r pour éviter l ' é m e u t e . Les deux h o m m e s c o n d u i s e n t d o n c un c o m m e r c e très prospère. M a i s vont-ils se contenter de cette f r a u d e e x c e p t i o n n e l l e ? A s s u r é m e n t p a s . . . Ainsi, lorsque B u s n a c h « apprend que le bey de C o n s t a n t i n e désire o f f r i r un c a d e a u à la f e m m e du d e y d ' A l g e r , son suzerain, il lui p r o p o s e un d i a m a n t q u ' i l a f f i r m e valoir 3 0 0 0 0 0 francs. C o m m e le bey ne dispose p a s d ' u n e pareille s o m m e e n liquide, B u s n a c h a c c e p t e d ' ê t r e réglé en blé : en é c h a n g e d u b i j o u , il se fait livrer 75 000 m e s u r e s , estimées à 4 f r a n c s l ' u n e . Il les r e v e n d aussitôt à la F r a n c e , p o u r 50 f r a n c s la m e s u r e . B é n é f i c e n e t : 3 4 5 0 0 0 0 f r a n c s . Ce n ' e s t pas tout. Il c o n v i e n t d ' a j o u t e r u n b o n u s de 2 7 0 0 0 0 f r a n c s , car le d i a d è m e [ . . . ] avait été acheté à Paris p o u r 10 fois m o i n s , 3 0 0 0 0 f r a n c s s e u l e m e n t . » 4 Ainsi va le c o m m e r c e entre A l g e r et P a r i s . . .

I l i s « B I C N I - A I T S » D E LA C O L O N I S A T I O N

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Si la France reçoit peu de blé, sa dette n ' e n finit pas de g o n f l e r ; et le dey tarde à recouvrer son argent. Mais, dans ce m a r c h é de dupes, tout le m o n d e n ' e s t pas perdant. B u s n a c h et Bacri ont e m p o c h é l'argent du dey, et de substantiels bénéfices. Par ailleurs, les deys ont une espérance de vie très courte à Alger. De 1791 à 1818, neuf se sont succédé (Hassan, Mustapha, A h m e d , Ali K h o d j a , H a d j M e h m e t , O m a r A g h a , H a d j Hafiz Ali K h o d j a , et enfin Hussein ), 5 presque tous d é c é d é s de mort violente. Les d e u x n é g o c i a n t s , i m p e r t u r b a b l e s , a s s u r e n t p o u r ainsi dire la p e r m a n e n c e ; ils p o u r s u i v e n t leur n é g o c e , r é c l a m a n t r é g u l i è r e m e n t q u e soient h o n o r é s les intérêts, fruit d ' u n e créance toute virtuelle p u i s q u ' i l s n ' o n t p a s d é b o u r s é le m o i n d r e c e n t i m e . Talleyrand d é f e n d leur cause a u p r è s du m i n i s t r e des F i n a n c e s ; et ce n ' e s t pas p a r a l t r u i s m e : si Busnach et Bacri « e u r e n t mille peines p o u r se faire payer, [c'est] que les s o m m e s portées sur l'attestation signée de Talleyrand étaient infiniment plus importantes que celles que le dey avait prêtées. Talleyrand, B u s n a c h et Cohen-Bacri comptaient, c ' e s t certain, se partager la différence. C ' e s t donc Talleyrand qui se chargea des d é m a r c h e s p o u r d o n n e r à ce tripotage l ' h e u r e u s e conclusion q u ' i l en attendait. Il écrivit ainsi au ministre des F i n a n c e s : "L'état de nos rapports avec la R é g e n c e exige q u ' o n m o n t r e aux Juifs la meilleure b o n n e volonté possible." » 6 Et de r e d o u b l e r de v e r v e p o u r soutenir ses c o m p l i c e s : « I l faut, plaide-t-il, considérer cette affaire n o n c o m m e leur étant particulière, mais c o m m e u n e affaire d ' É t a t . Ils méritent des m é n a g e m e n t s , à raison de ce que leur souverain n o u s accorde, et l ' o n pourrait craindre que leur mécontentement n'altérât, dans leur principe, les bonnes dispositions qu'il vient de nous montrer. » 7 U n e commission spéciale du Parlement, toujours influencée par Talleyrand, e x a m i n e l ' a f f a i r e qui n ' a q u e trop duré. « B a c r i leur présente u n m é m o i r e dont le total atteint 24 millions. Les magistrats discutent pied à pied. Ils obtiennent que les créanciers réduisent leurs prétentions à 18 millions, puis à 14. C ' e s t encore trop. Bacri [ . . . ] se contentera de 7 millions. Par un vote du 24 juillet 1820, les C h a m b r e s approuvent la t r a n s a c t i o n . » Le dossier est-il c l o s ? « L e s Juifs battirent des m a i n s : ils n ' a v a i e n t j a m a i s espéré pareille aubaine. N é a n m o i n s , il restait un solde. Pourquoi y r e n o n c e r a i t - o n ? L ' u n d ' e u x écrivait: "Si le boiteux n'était pas dans m a main, j e n e compterais plus sur rien."» 8 Q u e ne peut-on faire quand on tient un h o m m e puissant dans sa m a i n ? Ce pourrait être la conclusion d ' u n e belle escroquerie... mais la petite histoire continue et va infléchir la grande, en c h a n g e a n t d u r a b l e m e n t la géopolitique de cette région du m o n d e . Car le dey, seul véritable

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ANS [VINAVOUAH

créditeur, ne compte pas parmi les bénéficiaires de ce qui apparaît c o m m e une cabale financière. « D a n s cette affaire», explique l'historien Gabriel « l e g o u v e r n e m e n t français, les Esquer, auteur de La Prise d'Alger, créanciers juifs, peut-être m ê m e leurs coreligionnaires et parents, tout le m o n d e fut dupé par ce Jacob Bacri, qui avait l'air d ' u n imbécile. Et le prince Sixte de Bourbon a j o u t e : "Tous, s a u f T a l l e y r a n d " . » 9 Sous les traits de Jacob Bacri, chacun pourrait substituer plus récemment le visage bon enfant de Larbi Belkheir, le plus puissant des Algériens ( j u s q u ' à sa mort début 2010), quand tout le m o n d e le tenait pour insignifiant. Vus de Paris, les remparts d ' A l g e r paraissent n'abriter que brigands, usuriers m a l h o n n ê t e s et pirates impénitents, qui tous méritent u n e bonne correction. Qui oserait proclamer que ces spoliations sont le fait de quelques h o m m e s bien introduits dans les cercles du pouvoir et que si châtiment mérité il doit y avoir, le peuple, lui, doit en être é p a r g n é ? Le peuple a cela de particulier, à travers les âges, que tous ceux qui ont pouvoir pour parler en son n o m - en prétendant le servir - comptent souvent parmi ses pires ennemis. Et voilà q u ' u n e grande nation f o m e n t e de nouveau de lui donner une leçon... Le projet d ' e n v a h i r Alger n'est pas r é c e n t ; il est m ê m e à l ' é t u d e depuis plusieurs décennies. Dès 1802, Napoléon Bonaparte, entre deux campagnes européennes, rêve déjà de « d o n n e r une leçon à ces messieurs d ' A l g e r » . Il missionne pour cela un capitaine du génie n o m m é Vincent Boutin. Celui-ci s ' y rend clandestinement et en revient avec les plans détaillés d ' u n d é b a r q u e m e n t ; un c h e f - d ' œ u v r e de stratégie militaire et de précision diplomatique: pourquoi s'entêter à attaquer Alger par la m e r quand il est si simple de débarquer un peu plus loin sur la côte, là où nulle résistance sérieuse ne peut être o p p o s é e ? Il suffit ensuite d'encercler la ville j u s q u ' à l'asphyxier. L'ingénieur Boutin meurt en 1814.* M a i s ses * «Afin de venger sa mort, une force armée a dévasté la région où il disparut. L'histoire de cette vengeance est une belle histoire d'amour. Boutin avait été lardé de [coups de] poignards par les Hashashins (dont le nom est à l'origine d'"assassin"), au cours d'une reconnaissance dans leur territoire: les monts Ansarieh. Pendant des mois, la femme qu'il aimait supplia toutes les autorités possibles et imaginables d'organiser une expédition punitive. En vain. [...] Elle usa de sa beauté et exigea. Soliman, pacha de Saint-Jean-d'Acre, l'écouta : il envoya une véritable armée [...] lui donnant l'ordre de ne point faire de quartier. Cette femme s'appelait Lady Stanhope, elle était nièce de William Pitt et future "reine de Palmyre". Elle a laissé de Boutin le plus bel éloge mais le plus étrange aussi dans la bouche d'une Anglaise de l'époque: "C'était un homme qui avait toute la vertu et la fermeté d'un Romain, les talents et l'honneur d'un Français".» Pierre Serval, L'Histoire ténébreuse de la prise d'Alger, (La Table ronde, 1980), p.73.

I I.S« UII N I A I Ï S »

>1 1 A COLONISATION

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|iliiii>. sont conservés précieusement et ne demandent q u ' à être implémentés puni mener à bien le p r o j e t ; le m a r q u i s de Clermont-Tonnerre, ministre • !• - l.i (¡uerre, e x p o s e en q u e l q u e s lignes au roi Charles X tout l'intérêt île l.mccr l ' o p é r a t i o n ; les raisons sont édifiantes. Organiser l ' a r m é e et la uiiiviir de g l o i r e ; s ' a c c a p a r e r les richesses de l ' A l g é r i e : « D e s plaines il'nne prodigieuse fertilité, [ . . . ] des forêts de sapins et de chênes propres •IIIH (.(instructions n a v a l e s ; on y exploite des mines de fer et de p l o m b qui ••Mil d ' u n e grande richesse». 1 0 D'ailleurs, explique-t-il, « q u a n d bien m ê m e LI> KM n'aurait pas d ' a u t r e dessein que de punir les Algériens, en détruisant I M I I ville, ce résultat devrait suffire pour décider de l'expédition. Je ne jniile pas des trésors qui sont a c c u m u l é s dans le château du dey d ' A l g e r : • •n les estime à plus de 150 millions [ . . . ] . » n Il faut n é a n m o i n s un p r é t e x t e ; une rencontre entre le dey et Deval, le iiiii .iil il'Alger, un gredin de p r e m i e r ordre, le fournit. U n é c h a n g e vif niivi d ' u n coup d'éventail, et des millions de personnes étrangères à toutes m •• considérations plus p r é d a t r i c e s q u e d i p l o m a t i q u e s v o n t se t r o u v e r pli muées dans l'horreur. La raison officielle invoquée par le m a r q u i s de < Ici mont-Tonnerre est de « v e n g e r l ' a f f r o n t fait au consul français. »

UNE DIPLOMATIE HORS NORME I incident d i p l o m a t i q u e est-il fortuit ou Deval a-t-il tendu un piège au il« v. pour créer les conditions d ' u n e expédition p u n i t i v e ? Tout plaide pour i »'iip llièse de la préméditation et q u i c o n q u e verra d a n s ce récit le scénario •!•• l'invasion de l'Irak par B u s h père aura parfaitement raison. D'abord, par quelle circonstance Deval se trouve-t-il là, à A l g e r ? O n un ieui pas étonné de découvrir que c ' e s t Talleyrand « q u i e n v o y a à Alger li ifonsul Deval [qui] régla sans doute mal le différend car il reçut du dey lin coup d'éventail à la suite de quoi Charles X, pour conclure, ordonna, i munie on le sait, en 1830 la prise d ' A l g e r » , 1 2 note Jean Orieux. Le réglai il mal ou au contraire trop b i e n ? E n tout cas, on retrouve au m o m e n t Itilal les m ê m e s acteurs q u ' a u d é p a r t : Talleyrand le ministre des Relations •'«ii-iieurcs et son e n v o y é spécial D e v a l , les m ê m e s B u s n a c h et Bacri, iiiinlis q u ' a u s o m m e t des d e u x États, C h a r l e s X a r e m p l a c é N a p o l é o n llniiiiparte et un dey a succédé à un autre. Soit, m a i s c o m m e n t D e v a l p e u t - i l d e v i n e r q u e le s o u v e r a i n »mu omberait à sa p r o v o c a t i o n ? U n d i f f é r e n d c o m m e r c i a l analogue entre

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2(1(1 ANS D'INAVOUABLF-,

l ' E s p a g n e et l'incontournable Bacri, et auquel le dey s'était aussi trouvé mêlé, n ' a pas pu é c h a p p e r à la sagacité de ce grand manipulateur. Bacri exigeait 5 millions de f r a n c s pour u n e dette qui remontait à 20 ans. « Lal discussion fut vive, et le consul [espagnol] quitta la ville, ce qui faillit'! causer la rupture entre les deux g o u v e r n e m e n t s . Le dey fut assez sage | p o u r l ' é v i t e r : il p r o p o s a a u g o u v e r n e m e n t espagnol u n a r r a n g e m e n t raisonnable, le p a i e m e n t d ' u n million aux créanciers d e Bacri et de 5 0 0 0 0 0 f r a n c s remis au Trésor à titre d ' i n d e m n i t é . » L ' a f f a i r e était close, m a i s l ' o n peut s u p p o s e r q u e c ' e s t là q u ' a u r a pu g e r m e r d a n s l'esprit d e D e v a l l ' i d é e de la p r o v o c a t i o n : faire vibrer non p a s la fibre de la sagesse d u dey, m a i s celle de la colère. D e fait, outre Talleyrand, « l e s Juifs trouvèrent en le consul français Deval u n complice qui les a aidés à tromper et à m a n œ u v r e r le d e y [...] Le dey fut tenu dans l ' i g n o r a n c e ; lui dont la créance était réelle se trouva n ' a v o i r a u c u n e garantie. Ni les Juifs ni le consul ne l'avaient [avisé des] formalités à accomplir. O n lui opposa des a r g u m e n t s de p r o c é d u r e pour n e pas le rembourser. L e dey Hussein comprit que le m a l h o n n ê t e diplomate Deval était de m è c h e avec ses adversaires. » 13 Voilà d o n c les protagonistes réunis. II faut cependant, p o u r enclencher le processus, a m e n e r le dey à r é c l a m e r f e r m e m e n t son d û à la F r a n c e : « L e s Bacri [le] persuadèrent q u ' i l s n e pouvaient r e m b o u r s e r les dettes c o n t r a c t é e s e n v e r s lui q u e si la F r a n c e p a y a i t la f o u r n i t u r e d e blé faite à son g o u v e r n e m e n t sous la R é v o l u t i o n et le Consulat. » Le dey d e m a n d e p a i e m e n t au roi Charles X qui, mystérieusement, n e lui répond pas. Talleyrand et D e v a l ont-ils s i m p l e m e n t o m i s de t r a n s m e t t r e la c o r r e s p o n d a n c e ? En tout cas, courroucé, le dey exige des comptes. Deval l ' i n s u l t e : « L e roi a bien autre c h o s e à faire q u e d ' é c r i r e à u n h o m m e c o m m e toi ! » Le dey peut-il se permettre de supporter pareille i n s o l e n c e ? « C e t t e réponse grossière m e surprit», racontera-t-il. « L ' a m i t i é ne d o n n e p a s le droit d'être impoli. [ . . . ] Il continua à m e tenir des propos durs et méchants ; j e voulus lui imposer le silence, il persista. "Sortez m a l h e u r e u x ! " Deval m e brava en restant, et ce fut au point q u e hors de moi, j e lui donnai, en signe de mépris, de m o n c h a s s e - m o u c h e au v i s a g e ; voilà l ' e x a c t e vérité. Il existe b e a u c o u p de témoins de cette scène qui pourront v o u s dire j u s q u ' à quel point j e f u s p r o v o q u é et ce q u ' i l m e fallait de patience p o u r supporter toutes les invectives de ce consul qui déshonorait ainsi le p a y s qu'il représentait.» 1 4 Charles X exige des excuses, que le dey n ' a aucune raison de donner, lui qui s ' e s t i m e le p r e m i e r lésé. « J ' a i appris par ledit

I I S « HII NI AI IS » 1)1:I.A < OL ONISATION

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Mm M. se plaint-il, q u ' i l a fallu promettre à M o n s i e u r v o t r e consul Deval et 1« Monsieur Nicolas Pleville u n e s o m m e de deux millions de francs p o u r lui nvoir l'ail obtenir les sept millions». 1 5 Il tente de m o n t r e r sa b o n n e foi unir personne n e l'écoute. Le ton m o n t e . « Q u i a raison : Deval ou le d e y ? l'uni les ultras de Paris, cela importe peu, le c h a s s e - m o u c h e leur d o n n e •m pu-texte de g u e r r e a v e c Alger. Et ils ont t e l l e m e n t besoin d e cette l'in n e . . . » 1 6 C e l a se p a s s e le 30 avril 1827. L ' i n v a s i o n est à l ' o r d r e du |inii l'Ile attendra trois ans p o u r se concrétiser, mais ce n ' e s t plus q u ' u n e •|in 111(111 « de circonstances ».

LE BAISER DU SCORPION I i l préparatifs c o m m e n c e n t m a i s A l g e r a la réputation d ' ê t r e un bastion iinpiciiable et de n o m b r e u s e s légendes é v o q u e n t des protections qui ne ¡liiivcni pas tout au rationnel ; l ' u n e d ' e l l e s prétend q u ' « A l g e r ne peut être (jue p a r des soldats habillés de r o u g e . » Les Anglais, les Hollandais, I " I -«pugnols et d ' a u t r e s encore ont essayé de la p r e n d r e et s ' y sont cassé l> • "lents. A u xvi e siècle, c ' e s t « le maître du m o n d e en p e r s o n n e , Charlese m p e r e u r d ' A l l e m a g n e et roi d ' E s p a g n e , souverain des Flandres, il»' l'Autriche et des colonies d ' A m é r i q u e , l ' h o m m e sur les terres de qui le wiilnl ne se c o u c h e j a m a i s » qui tente l'aventure. Il est sûr de son fait. ••Il H confié la flotte - 75 galères et 451 navires de transport - à l'un des |ilus illustres amiraux de tous les temps: Andréa Doria, secondé, pour le mandement des 12 330 matelots des galères, par le redoutable général I li irmrdin de Mendoza. Les chefs des corps de débarquement portent des nnnis que l'histoire a retenus comme ceux des grands chefs de guerre: I cinand Cortez, le cruel conquérant du Mexique, le duc d'Albe, don Pedro « 1« =: lolede, Ferdinand de Gonzague, Fernand de Cordoue, Camille Colonna, \nnnstin Spinola, Antoine Doria. Ils ont sous leurs ordres une armée de '.MK)0 hommes. [...] Ils sont venus 6000 d'Allemagne, 5000 d'Italie, ii(KM) d'Espagne, 3 000 de tous les autres pays chrétiens. La maison ilr ITlmpereur fournit un renfort de 1 500 cavaliers et de 200 gardes. Autocrates de cette croisade, 150 officiers nobles et 150 chevaliers de Mulk participent également aux opérations. Nul ne doute d'une prompte • i ('datante victoire, lorsque, le 19 octobre 1541, l'armada arrive en vue île »on objectif. [...] Leur débarquement s'effectue [...] le 23 octobre. Le li iiilcmain, après avoir décimé au canon une grande partie de l'armée du iloy I lassan Agha, l'empereur installe son PC sur une colline, à 800 mètres mi nid de la Casbah. Le succès paraît certain. Les forces chrétiennes se |nr|>arcnt à l'assaut des derniers bastions barbaresques. Mais le temps inivaille contre elles. Dans la soirée du 25, plus soudaine que n'importe i|in'lle attaque de l'ennemi et plus meurtrière que n'importe quel pilonnage

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d'artillerie, p l u s e f f r a y a n t e q u e les c h a r g e s d e s h o r d e s s a u v a g e s et p l u s dévastatrice que le p a s s a g e d e toutes les razzias, u n e t e m p ê t e se lève, qui s o u f f l e en rafales le vent de la défaite. D e s torrents de pluie engloutissent les p o u d r e s , les a r m e s , les vivres. F e u d ' a r t i f i c e de la m o r t , les éclairs p e r m e t t e n t de v o i r la c o u r s e é p e r d u e d e s h o m m e s vers les h a u t e u r s et d ' a s s i s t e r à la n o y a d e des p l u s m a l c h a n c e u x d ' e n t r e eux. A n é a n t i p a r le ciel, le c a m p impérial n ' e s t q u ' u n e é p a v e qui flotte l a m e n t a b l e m e n t sur u n e terre hostile. E n mer, c ' e s t pire : il n ' y a p a s le m o i n d r e abri possible p o u r les navires et p o u r leurs équipages. L e s bâtiments s ' a r r a c h e n t de leurs ancres, partent à la dérive, s ' a b o r d e n t et se coulent en s ' é p e r o n n a n t . D a n s l'indescriptible c o n f u s i o n de m a n œ u v r e s de cette nuit tragique, 15 galères et 86 vaisseaux s o m b r e n t . L e s v a g u e s j o u e n t avec les c o q u e s disloquées, les m â t u r e s d é m a n t i b u l é e s , les c a d a v r e s b r o y é s des h o m m e s et les c o r p s déchiquetés des c h e v a u x . [ . . . ] L ' a u b e éclaire d ' u n pâle soleil le crépuscule de l ' a r m a d a . [ . . . ] C h a r l e s - Q u i n t a b a n d o n n e a r m e s et b a g a g e s . 11 n e s o n g e m ê m e pas à faire sauter les canons. Il o r d o n n e la retraite, a v e c son c o r t è g e d e c o m b a t s sans espoir. [ . . . ] L e survivants tentent de r e j o i n d r e la partie de la flotte qui a é c h a p p é à la t e m p ê t e et t r o u v é r e f u g e derrière le cap M a t i f o u . Les A r a b e s les harcèlent, la b o u e les e m p ê c h e d ' a v a n c e r , le froid a c h è v e de les démoraliser. [ . . . ] A p r è s u n e retraite d a n s un m o n a s t è r e , le souverain qui, sur le c h e m i n d u retour, a risqué un n a u f r a g e au large de C a r t h a g è n e , r e c o n n a î t p u b l i q u e m e n t son e r r e u r : "11 ne s ' a g i t p a s d e se lever tôt le matin, m a i s bien de se lever à l ' h e u r e q u ' i l faut, et, cette h e u r e , elle est dans la m a i n de D i e u . " » 1 7 L e s A l g é r i e n s n ' o n t m ê m e p a s e u le t e m p s d ' a v o i r p e u r ; s o n g e z d o n c q u e l'armée de Charles-Quint n'était pas habillée de rouge. M a i s l e t e m p s a p a s s é et l e s p l a n s c o n c o c t é s p a r l ' a s t u c i e u x i n g é n i e u r Boutin semblent frappés au coin du b o n sens ; pourtant, tout b o n militaire s a i t q u ' i l y a t o u j o u r s u n p a s h a s a r d e u x e n t r e le p r o j e t et l a r é a l i s a t i o n . L e s plans de Boutin permettront toutefois au général B o u r m o n t de débarquer t r i o m p h a l e m e n t à S i d i - F e r r u c h , u n p e u à l ' o u e s t d ' A l g e r . L a p r i s e d e la ville sera m ê m e u n e p r o m e n a d e de santé. L a r a p i d i t é a v e c l a q u e l l e s ' e f f o n d r e l e p o u v o i r t u r c e s t à la m e s u r e d e la s o l i d i t é d e s i n s t i t u t i o n s q u i le g o u v e r n a i e n t : d i c t a t u r e , c o r r u p t i o n , a b u s d e p o u v o i r s , t y r a n n i e s a n g l a n t e . . . L e p o u v o i r était u n e fiction. Et les fictions ne durent que tant que ceux sur lesquels elles s'exercent acceptent d ' y c r o i r e . U n É t a t f a n t o c h e d o n c , d e s é l i t e s d é m o b i l i s é e s et, d e u x p r é c a u t i o n s valant m i e u x q u ' u n e , u n e f i n e p r o p a g a n d e p o u r neutraliser les oppositions. L e d i s c o u r s e s t e n t e n d u : la F r a n c e v i e n t e n s a u v e u r , n o n e n e n n e m i , a v e c toutes les garanties q u ' u n e g r a n d e p u i s s a n c e doit à ses futurs sujets : « N o u s le j u r o n s sur notre s a n g . . . Soyez unis à nous, soyez dignes de notre protection. [ . . . ] N o u s nous e n g a g e o n s à respecter vos trésors, vos propriétés

I I S i ii intéressé qu'il s ' e n g a g e à verser à Flandin une « s o m m e importante |riii i H-, où il] ne p u b l i e r a i t ] pas son o u v r a g e . » M a i s le Trésor de la 1 IIHIUIII n'est-il pas justement si richement doté qu'il peut balayer toutes If« un niions? I

lendemain, Pion se présente au très luxueux hôtel particulier du D c n n i é e . E n sortant, l ' i m p r i m e u r se r e n d c h e z F l a n d i n : "Ils m ' o n t • lu 1111 'i 1 y a v a i t u n e o r d o n n a n c e d e n o n - l i e u et q u e j e m e c o m p r o m e t t r a i s il |r publiais v o t r e Historique et q u e si j e le f a i s a i s ils m ' a t t a q u e r a i e n t . Vnii'. v o y e z b i e n q u ' i l m ' e s t i m p o s s i b l e d e le p u b l i e r . " Q u e l q u e s j o u r s plu' lard, l ' i m p r i m e u r r e v i e n t a u d o m i c i l e d e F l a n d i n et lui m o n t r e u n m h- c x l r a j u d i c i a i r e f a i s a n t d é f e n s e d e p u b l i e r s o n m a n u s c r i t . [ . . . ] F o r t s il> i elle o r d o n n a n c e , D e n n i é e , F i r i n o , T h o l o z é , S e i l l i è r e , H a g e r m a n et If nlli o n t é g a l e m e n t l a n c é u n e a c t i o n en d é n o n c i a t i o n c a l o m n i e u s e p o u r Imir laire d é f i n i t i v e m e n t F l a n d i n . Et, c o m m e il y a u r g e n c e - la m e n a c e il' publication - l ' i n s t r u c t i o n est r o n d e m e n t m e n é e . [ . . . ] L e 5 d é c e m b r e I M I I. I landin est c o n d a m n é à u n a n d e p r i s o n et à 3 0 0 0 f r a n c s d ' a m e n d e p l u . ()000 f r a n c s d e d o m m a g e s et intérêts. [ . . . ] F l a n d i n est c o n d a m n é à I ' Mipnsonnement et au silence. C e u x q u e F l a n d i n a v a i t d é s i g n é s c o m m e «pnliulcurs" p e u v e n t s o u f f l e r et r e l e v e r la tête, a p r è s c i n q a n s d e c o m b a t il. viennent d e t e r r a s s e r le " c a l o m n i a t e u r " . [ . . . ] L ' a f f a i r e d u T r é s o r d e la • H tmiba est d é s o r m a i s e n t e r r é e . » 3 6

H II pmaîl scandaleux que des spoliateurs se retrouvent du côté des iilriiimiitils, et le dénonciateur en position d'accusé, m e n a c é de prison, il IMIII I oininencer à s'habituer à cette situation de déni de droit, qui reste la lit il ni)- pisqu'à a u j o u r d ' h u i , près de 200 ans plus tard. Ainsi, le vol de quantités fabuleuses d ' o r devient fiction; un tour de (Mwiinlii'itation judiciaire et puis s ' e n va. M a i s il ne s'est pas évaporé pour tinil le inonde. Des pièces « t r è s nombreuses, [sont] signalées à Londres, k ISni'i, Marseille, Nice, Gênes, M a s s a ou Livourne. » 37 Exilé à Londres, MI.IIII N X n ' e n m a n q u e p a s , a y a n t été le d e s t i n a t a i r e d ' u n e b o n n e p a r t i e

iln nipl Un cabinet noir se met en place dans son entourage, dans le but de |||HI CI -air le trône la duchesse de Berry. L'objectif est de soulever le Midi •I»- lu I lance, qui sera suivi de la Vendée où les Chouans sont en pleine tlnillilmn. L'opération marseillaise échoue et la révolte des Chouans est ni .ré dans le sang. Artisan de sa répression féroce, le lieutenant Achille

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ANS D'INAVOIJAIi

de Saint-Arnaud écrira bientôt quelques-unes des pages si «glorieuses» de l ' H i s t o i r e de F r a n c e , selon A l a i n - G é r a r d S l a m a qui p é r o r e : «Li France a cru pérenniser et légitimer sa présence i m p o s é e en accomplis sant en Algérie une œ u v r e considérable, dont les vestiges matériels encori visibles continuent de susciter l'admiration. >>38 Autant dire que la gloires la couleur du sang et la civilisation l'odeur de la charogne.

LA GUERRE DE CIVILISATION DE BUGEAUD CONTRE ABD-EL-KADER C o m m e n t le général B o u r m o n t a-t-il pu si aisément s ' e m p a r e r d ' A l g e r é p u t é e i m p r e n a b l e ? La t e c h n i q u e d ' u n e g u e r r e éclair est c o n n u e neutraliser les p o p u l a t i o n s civiles par de belles et v a g u e s p r o m e s s e s recruter des e s p i o n s derrière les lignes e n n e m i e s , et d i s p o s e r d'ui avantage n u m é r i q u e et technologique. F a c e à une légion surarmée, I; garde r a p p r o c h é e du dey « f o r t e » de q u e l q u e 1 0 0 0 0 janissaires, parai bien frêle. D ' a i l l e u r s ces derniers n ' o p p o s e n t a u c u n e résistance.* Oi sait p o u r q u o i le dey d ' A l g e r a été a b a n d o n n é par ses propres h o m m e s L'explication est d o n n é e par « H a m d a n K h o d j a , riche propriétaire et conseiller du dey d ' A l g e r [qui le] raconte dans un livre publié trois ans après les faits, Le Miroir. [...] Il a f f i r m e q u e B o u r m o n t a b é n é f i c i é des a g i s s e m e n t s du khasnadji qui intriguait p o u r p r e n d r e la p l a c e d u d e y H u s s e i n P a c h a . L e khasnadji avait m o n t é u n e c a b a l e p o u r obtenir la destitution de Yahia A g a , le chef militaire, en f a v e u r de son gendre Ibrahim A g a , [ . . . ] un incapable notoire. B i e n q u ' a y a n t entre les m a i n s tous les plans f r a n ç a i s et n o t a m m e n t le lieu de d é b a r q u e m e n t , I b r a h i m A g a n ' a v a i t pris a u c u n e m e s u r e p o u r contrer l ' o f f e n s i v e française. [Lorsque le dey c o m p r i t sa m é p r i s e ] il le destitua, et le r e m p l a ç a par le bey de Titteri, m a i s il était trop tard p o u r e n d i g u e r les t r o u p e s f r a n ç a i s e s qui c e r n a i e n t le f o r t de l ' E m p e r e u r et qui, au petit m a t i n du 4 juillet, le b o m b a r d a i e n t . >>39

B o u r m o n t avait déjà des c o m p l i c e s d a n s les lieux ! Pour la population à qui l ' o n avait p r o m i s la lune, les p r e m i e r s pas de la France en Algéri p r e n n e n t les allures de l ' a p o c a l y p s e . P e n d a n t 2 0 ans, son quotidiei sera p o n c t u é d ' i n c e n d i e s , de viols, de m e u r t r e s , d ' e x t e r m i n a t i o n s d ' e n f u m a d e s , de razzias, de famines, de déplacements forcés. On n ' e n es m ê m e plus à comptabiliser les humiliations et les atteintes à la m o r a l e p l u s i e u r s tribus, avec leurs h a b i t a n t s i n d i f f é r e n c i é s , seront e f f a c é e s * À l'image de la prise de Bagdad par l'armée américaine en 2003, où «la quatrième année du monde» s'est inexplicablement évaporée.

I IÎS « llll NI AI I S » 1)1' I A C O l i O N I K A I I O N

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!*•• i i I c r r e s ravagées, leurs populations décimées. M a i s , p o u r bien saisir lu piolondeur d e l ' œ u v r e civilisatrice, n o u s allons suivre cette aventure i iinvers les y e u x de la p u i s s a n c e coloniale qui p r e n d ses quartiers à \ luri .. Le destin des Algériens n o u s apparaîtra en Filigrane, p u i s q u e le M i e n n e , la m a r g e , l'état d ' e x c e p t i o n , représentent leur r é g i m e ordinaire il> puis cette é p o q u e , sans"discontinuer. Au s o m m e t de l'État français, le début de la c o n q u ê t e est h é s i t a n t ; I mu', l'hilippe, qui remplace Charles X quelques semaines à peine après h ili-liiirquemeiit de Sidi Ferruch, tergiverse et laisse à ses officiers le mu il'improviser. L a colonisation se heurte aux tribus qui contrarient ».un développement, engendrant u n e exacerbation de la violence. M a i s , envahisseurs q u ' i l s soient, la vie des premiers colons n ' a rien d ' u n e •iini'i ure. Si les terrains leur sont concédés gratuitement, les m o y e n s p o u r l> •• \ploiter sont inexistants. Et très p e u surmontent les difficultés. « 60 % • I• . m rivants repartent dans les m o i s ou les années qui suivent. En 1847, I>• |)u|)ulation c o m p t e environ 1 1 0 0 0 0 Européens, dont m o i n s de 5 0 0 0 0 I çiiis de s o u c h e . » 4 0 C e u x qui restent, lorsqu'ils n e sont pas ruinés, MU N II. limes de lynchage, de maladie, de mille fléaux naturels, finissent -iinvnil dans le dénuement. Si bien que, progressivement, ils succombent nunr l'orme de loi de la j u n g l e qui leur i m p o s e de vaincre ou mourir. Iliiir, ces conditions, l ' o n s'attache p e u aux « v a l e u r s universelles». Les "iililiures qui débarquent de plus en plus n o m b r e u x c o m p t e n t quant à u n purmi la lie de l ' h u m a n i t é . Ils découvrent u n p a y s où ils ont carte liliiiu lie, avec droit discrétionnaire sur toute â m e qui croise leur chemin, i r,' ,i pour la plupart u n e seconde c h a n c e dans la vie, et quelle c h a n c e ! Il'i "iil le choix de m e n e r à bien leur mission «civilisatrice» ou de repartir I i mice où, par exemple, u n lieutenant Achille de Saint-Arnaud est en ili'liuilcsse avec la justice, criblé de dettes et promis à la disgrâce. Tandis i|n n i Algérie, dira-t-il, c'est une tout autre affaire : li' règne p r e s q u e sans contrôle. Je n ' a i ni C h a m b r e p o u r m e contrôler, in ministre p o u r m e c o n s e i l l e r ou m e contrarier et j u s q u ' i c i t o u t e s les mesures q u e j ' a i prises étaient d e v e n u e s d e s faits a c c o m p l i s q u a n d j ' e n ai n inlu c o m p t e . . . C ' é t a i t la p l u s belle é p o q u e d e m a vie. » 41

il nussi l ' h e u r e où les h o m m e s forgent leur gloire à m o i n d r e frais, iluc d ' O r l é a n s vient de f r a n c h i r les Portes de fer, reliant A l g e r à mnntine p a r les terres, traversant les i n s o n d a b l e s B i b a n s , s u c c è s m u n a n i m e m e n t . M a i s cette réussite expéditive - qui doit tout à la i iillnlioration et au laisser-faire d ' u n des chefs locaux, M o k r a n i - lui laisse mi nul d ' i n a c h e v é , lui qui cherchait des sensations fortes. Il décide donc

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ANS LTINAVOUAU

de récidiver et, a c c o m p a g n é du duc d ' A u m a l e , son frère, de participer à l ' a s s a u t prévu contre les tribus de M é d é a . U n « i n t r u s » , u n e m p ê c h e u r de se glorifier en rond, va contrarier l'opération : Abd-el-Kader, qui leur administre u n e défaite m é m o r a b l e . « L e Maréchal [Valée] et les Princes viennent de rentrer à Alger, raconte Ismayl Urbain. L'armée expéditionnaire de Médéah est donc, depuis hier, complètement désorganisée. [...] Avec le détachement d'Oran, elle ne comptait pas plus de 8 000 combattants, sabres et baïonnettes. Elle a perdu 1 200 hommes; c'est plus du huitième de son effectif. Jamais armée d'Afrique n'avait été atteinte dans une proportion aussi considérable.» 42 A b d - e l - K a d e r serait-il d e v e n u plus f o r t ? N o n , r é p o n d U r b a i n ; l ' é c h e c est s i m p l e m e n t dû à l ' i m p r o v i s a t i o n , q u a n d il faut a s s u m e r les m o y e n s de ses fins, à s a v o i r « la c o n q u ê t e totale du pays. » La p o l i t i q u e de la c o l o n i s a t i o n restreinte est m o r t e , v i v e l ' o c c u p a t i o n totale. « C e q u ' i l f a u t , c ' e s t d é t r u i r e A b d - e l - K a d e r . » C o m m e n t ? E n f a i s a n t v e n i r de plus gros e f f e c t i f s , é v i d e m m e n t . C a r à m i s s i o n e x c e p t i o n n e l l e , m o y e n s e x c e p t i o n n e l s , s o u s p e i n e de c o n n a î t r e la d é r o u t e . Le s c é n a r i o a f g h a n d ' a u j o u r d ' h u i , en s o m m e . . .

FERMETÉ DES SEINS DES ALGÉRIENNES ET MASSACRES PHILANTHROPIQUES Il va sans dire, la d é f e r l a n t e f r a n ç a i s e qui s ' a b a t sur la p o p u l a t i o n a l g é r i e n n e a p o u r but officiel de la sortir de l ' â g e b a r b a r e où elle se trouve. C o m m e Sarkozy a u j o u r d ' h u i qui ambitionne de sauver les « o n g l e s v e r n i s » des fillettes afghanes, c ' e s t un « ancien officier de la garde du consul de France à Alger, Renaudot, sans doute jaloux de la gloire de son homonyme Théophraste, [qui] aiguise sa plus belle plume pour décrire le sort affreux des femmes en pays musulman : "Les Mauresques sont aussi fécondes que les Européennes, quoique la plupart cessent de concevoir à 30 ans ; mais elles commencent de si bonne heure [...]. Si jeunes qu'elles soient, elles allaitent elles-mêmes ceux dont elles accouchent. L'usage fréquent du bain influe tellement sur la densité de leur chair qu'au premier enfant qu'elles nourrissent leur sein se déforme ; et comme toutes les parties de leur corps, il perd toute consistance et toute fermeté".» 43 Cette noble mission - préserver la f e r m e t é des seins des Algériennes ceux qui doivent la mettre en œ u v r e sur le terrain vont l ' a g r é m e n t e r de petits a c c o m m o d e m e n t s : ainsi, lors d e la prise de l ' o a s i s de Z a a t c h a , les z o u a v e s , « d a n s l ' e n i v r e m e n t de leur victoire, se précipitaient a v e c fureur sur les malheureuses victimes qui n ' a v a i e n t pu fuir. Ici, un soldat

1-LIS « IUI.NIAI IS » 1)1 I.ACOIONISAIION

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miipiiimi, en plaisantant, le sein d ' u n e p a u v r e f e m m e , qui d e m a n d a i t u n e grâce d ' ê t r e achevée et expirait quelques instants après dans lt i mu I fiances ; là, u n autre soldat prenait par les j a m b e s une petite enfant i'l lin lu isait la cervelle contre la muraille». 4 4 HIIIIIHI'

i r genre de scènes se répète lors de la prise de Laghouat, d é c i m é e par I iiltimiinable Yusuf, massacrant 2 0 0 0 civils en u n e seule j o u r n é e , pour i> upiT un a f f r o n t . L e c r i m e ? La population refusait de p a y e r l ' i m p ô t . Uihinl i\ Uugeaud, il dira plus tard que « l e seul m o y e n de faire céder |l> u-helles] est d e s ' a t t a q u e r à leurs intérêts: leurs f e m m e s au p r e m i e r plan •> , n Ainsi, les seins des A l g é r i e n n e s cèdent r a p i d e m e n t leur attrait mu oi s du palais. Si la prise d ' A l g e r c o m p t e des partisans zélés, elle a n é a n m o i n s ses ih h m leurs : • D é p u t é et m e m b r e d e l ' I n s t i t u t , A l e x a n d r e d e L a b o r d e p u b l i e u n pamphlet d ' u n e violence inouïe: "Cette guerre est-elle j u s t e ? N o n , vi aiment, j e n e c r a i n s p o i n t de le dire, n o n . U n j u r y p o l i t i q u e , u n c o n g r è s r u i o p e e n , c o m m e le rêvait H e n r i IV, ne l ' a u r a i t point p e n s é . Il aurait ainsi i r i u m é cette a f f a i r e : le d e y r é c l a m e , o n le v o l e ; il se plaint, o n l ' i n s u l t e ; il t e lâche, o n le tue." [ . . . ] M a i s e n f i n , p u i s q u e cette g u e r r e n ' e s t ni j u s t e m mile, est-elle au m o i n s l é g a l e ? E l l e ne l ' e s t p a s d a v a n t a g e , et c ' e s t ici line la q u e s t i o n d e v i e n t g r a v e et q u ' e l l e c o m p r o m e t n o s d r o i t s les p l u s i liers. Si d a n s l ' a b s e n c e d e s C h a m b r e s , si m ê m e en leur p r é s e n c e , o n l'i'iil, sous le p r é t e x t e d ' u n e g u e r r e d é p a s s e r le b u d g e t de 100 m i l l i o n s et i .issembler u n e a r m é e , il n ' y a p l u s de g o u v e r n e m e n t r e p r é s e n t a t i f . » 4 6

! nliiiule craint le retour de bâton sur la viabilité des institutions de son pays H au la conscience de son propre p e u p l e . . . Un prêche dans le désert. I.e coût de la c o n q u ê t e et l'entretien de l ' a n n é e d ' A f r i q u e s ' a v è r e n t i * militants, sans véritables r e t o m b é e s - le Trésor d ' A l g e r suffirait à le rninhler, m a i s n o u s avons vu q u ' i l fut quasi intégralement d é t o u r n é il»", finances p u b l i q u e s . T h é o b a l d Piscatory, ancien secrétaire de la i iimmission spéciale d ' e n q u ê t e de l'Algérie en 1833, préconise l'abandon tir l ' A f r i q u e au motif que c ' e s t « r u i n e pendant la paix, affaiblissement limitant la g u e r r e » , ajoutant que « l ' A f r i q u e est un malheur, u n e f o l i e » . Nrniii, rétorque Thiers, s o u l e v a n t l ' e n t h o u s i a s m e de T h o m a s Ismayl I ' I I H I I I I qui, bien q u ' a d e p t e p r é c o c e de « l ' A l g é r i e a l g é r i e n n e » et de la MliiMon des r a c e s » , s ' i n s u r g e contre « c e mot terrible: é c o n o m i e , dont lui il de petits experts se servent c o m m e d ' u n e a n n e victorieuse pour faire H M H 1er les questions les plus h a u t e s » . L e s q u e l l e s ?

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200 ANSD'INAVOUAHI.!•

«Je regrette cependant», écrit-il, «que Thiers n'ait vu qu'une face de la question. Quand il parle de cette force irrésistible qui entraîne la Russie à Kiwa, l'Angleterre en Chine, la France en Algérie, la pensée est mal rendue, car, c'est dans la Nouvelle-Zélande que va l'Angleterre, et c'est vers la Perse que va la Russie. Ce n'est pas seulement une œuvre de guerre que ces nations, comme nous, veulent accomplir, mais c'est une œuvre apostolique. Passez-moi cette expression qui n'est là que pour remplacer le mot civilisation qui ne signifie plus rien. »47 Les populations algériennes découvrent avec effroi ce qu'il en coûte de croire les p r o m e s s e s de paix et de prospérité d ' u n e a n n é e d ' i n v a s i o n . Un rouleau compresseur s ' a b a t à répétition sur leur tête. Leur quotidien sera r y t h m é pendant 2 0 ans par une indicible violence. Cela n ' e m p ê c h e r a pas l ' a r g u m e n t de libérer les f e m m e s algériennes de la tutelle masculine de prospérer longtemps. «Il y aurait beaucoup à dire», note particulière dont ont fait l'objet les réformes des coutumes kabyles, de la elles focalisent l'attention du public et question de l'islamisme.» 48

Alain Mahé, « d e la sollicitude femmes dans les tentatives de même manière que de nos jours de la presse dès qu'on évoque la

Et lorsque ce n ' e s t pas la razzia et la m o r t ou l ' i n c e n d i e qui é l i m i n e les A l g é r i e n s d e la f a c e de la terre, c ' e s t l ' a d m i n i s t r a t i o n qui leur r é s e r v e un sort é q u i v a l e n t . Il est i m p o s s i b l e en e f f e t de r é s u m e r la f a ç o n d o n t l ' a d m i n i s t r a t i o n f r a n ç a i s e a d é s a r t i c u l é t o u t e la s o c i é t é a l g é r i e n n e ; les c o n f i s c a t i o n s des terrains c o m m u n a u x - au p r é t e x t e q u ' i l s n ' a p p a r t e n a i e n t à p e r s o n n e - signifiaient littéralement m e t t r e fin à un s y s t è m e m i l l é n a i r e de c o h é s i o n sociale, ce « p a t r i m o i n e f o n c i e r d u village étant le s u p p o r t tangible de sa p e r s o n n a l i t é m o r a l e et, à ce titre, il était l ' u n e des conditions de la pérennisation des c o m p o r t e m e n t s c i v i q u e s à l ' i n t é r i e u r du village, m a i s e n c o r e le fait q u e les terrains c o m m u n a u x aient t o u j o u r s b é n é f i c i é aux K a b y l e s les m o i n s bien nantis [ . . . ] [constituait une] r é f o r m e sociale non n é g l i g e a b l e . » Par quel hasard ce p a t r i m o i n e f o n c i e r est-il ainsi d é n u é de p r o p r i é t a i r e ? La loi. « L e s d e u x seuls m o y e n s de d é p o s s é d e r les A l g é r i e n s étaient soit l ' e m p l o i de la f o r c e soit l ' i m p o s i t i o n de nouvelles lois foncières. [ . . . ] D ' o ù une interprétation coloniale de la propriété [ . . . ] : on e s t i m a que les tribus p o s s é d a i e n t p l u s de terres q u ' e l l e s n ' e n avaient b e s o i n , et le d o c t e u r W o r m s d o n n a ainsi au c a n t o n n e m e n t une base j u r i d i q u e , posant en fait q u e les tribus n ' é t a i e n t pas p r o p r i é t a i r e s m a i s u s u f r u i t i è r e s de leurs terres et q u ' o n p o u v a i t d o n c leur enlever leurs terres en s u r p l u s . » 4 9 Il n ' y a dès lors plus d ' o b s t a c l e . Le « v o l l é g a l » c o m m e n c e . . .

I .lis « HII NI AITS » l)li I A COLONISATION

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« L ' i n t e n d a n t G e n t y de Bussy "utilisa d e s biens sous séquestre dont l'État n'avait pas la propriété". [ . . . ] Sur le plan administratif, Clauzel favorise l'acquisition d e s terres à g r a n d e échelle par des E u r o p é e n s . "On profitait de ce q u e les conceptions j u r i d i q u e s des acheteurs et des v e n d e u r s étaient dissemblables, voire inconciliables: o n confondait astucieusement propriété et u s u f r u i t , et cela p a r t i c u l i è r e m e n t [pour] les biens d e s c o m m u n a u t é s religieuses, et p a r définition inaliénables. Il se créa une véritable m a f i a , des "bandes noires" qui organisaient la spoliation. O n voyait un m e m b r e du tribunal correctionnel substituer dans la traduction d ' u n acte le mot "vente" au mot "loyer" : ainsi, le v e n d e u r touchait-il p o u r prix total de la transaction ce q u ' i l croyait n ' ê t r e que le p r e m i e r t e r m e du loyer. » 5 0

i 'est de la sorte que les premiers colons ont acquis leurs terres en 1832. (.»liant aux « a n c i e n s occupants, [ils] étaient c o n d a m n é s à la misère, des M'ilentaires d e v i n r e n t n o m a d e s , certains é m i g r è r e n t en Tunisie et en ( »rient. L'âpreté des colons n ' e u t plus de limites : "Il n ' y a en A f r i q u e i|u'un seul intérêt respectable, écrivait un de leurs j o u r n a u x , c ' e s t celui du iolon, c ' e s t le n ô t r e ; q u ' u n seul droit sérieux, c'est le nôtre. Tout ce qui ne vise pas là m a n q u e le b u t . " » Autre exemple, « e n 1839, les terres des Il ¡bus acquises à A b d e l k a d e r et les propriétés délaissées par les Algériens • Iui passèrent à la résistance f u r e n t c o n f i s q u é e s . Près d e Staouéli, en 1843, les trappistes reçurent 1 020 hectares et 6 2 0 0 0 francs en usufruit pour y installer des familles et construire un village. Ils n ' e n firent rien, I usufruit fut t r a n s f o r m é en pleine propriété. G r â c e aux s u b v e n t i o n s I Ivçues, et au matériel fourni, les trappistes firent d e leur propriété un domaine prospère de colonisation, q u ' i l s cédèrent en 1904 aux Borgeaud, ytos colons p r o t e s t a n t s . » C e f l e u r o n de l ' a g r i c u l t u r e a l g é r i e n n e sera ifinis à l ' I n d é p e n d a n c e aux p a y s a n s organisés en coopératives et sera l'un des rares d o m a i n e s à produire des fruits et des l é g u m e s durant la " Révolution a g r a i r e » de B o u m e d i e n e . Considérées c o m m e les terres les plus fertiles d ' A l g é r i e (qui n ' e n a pas tant, le Sahara constituant l'essentiel ilu territoire), elles ont été d é c r é t é e s inaliénables. C o n v o i t é e s par la iininenklatura militaires, celle-ci réussira, à la f a v e u r du « t e r r o r i s m e » iNlimiiste et à la « r é f o r m e » du secteur de l'agriculture, à se les approprier, »don des m é t h o d e s que ne renieraient ni Worms ni Warnier (dont la loi portant son n o m , p r o m u l g u é e le 26 juillet 1873, légalise « u n véritable |i|ll«ge des terres au profit des colons.») 5 1 Des villas dignes de Beverly I lills y seront constniites, f o r m a n t un secteur ultra-sécurisé pour généraux i l inands « p r o p r i é t a i r e s » , colons de l ' A l g é r i e contemporaine. " La p l u s i m p o r t a n t e c o n c e s s i o n f u t a c c o r d é e en 1853 à la C o m p a g n i e g e n e v o i s e de S é t i f , 2 0 0 0 0 h e c t a r e s a u t o t a l , soit 12 0 0 0 p o u r la t o n s l r u c t i o n de 10 v i l l a g e s d e s t i n é s à a c c u e i l l i r 5 0 0 f a m i l l e s d e c o l o n s ; cl 8 0 0 0 p o u r l ' e x p l o i t a t i o n au p r o f i t d e s c a p i t a l i s t e s de l ' o p é r a t i o n .

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200 ANS D ' I N A V O U A H I .!•

En fait, la C o m p a g n i e g e n e v o i s e se p r é o c c u p a e s s e n t i e l l e m e n t de ses p r o p r e s f e r m e s , a g r a n d i t p r o g r e s s i v e m e n t son d o m a i n e qui passa à 1 4 5 1 8 hectares et réalisa, sur le d o s des travailleurs algériens, d ' é n o r m e s b é n é f i c e s q u ' e l l e rapatria en Suisse. » "

LE POT DE TERRE CONTRE LE POT DE FER Anticipons un peu et écoutons Nicolas Sarkozy faire écho à Urbain : « L e rêve européen a besoin du rêve méditerranéen. Il s'est rétréci quand s ' e s t brisé le rêve qui j e t a j a d i s les chevaliers de toute l ' E u r o p e sur les routes de l'Orient, le rêve qui attira vers le sud tant d ' e m p e r e u r s du Saint Empire et tant de rois de France, le rêve qui fut le rêve de Bonaparte en Égypte, de N a p o l é o n III en Algérie, de Lyautey au Maroc. Ce rêve ne fut pas tant un rêve de c o n q u ê t e q u ' u n rêve de civilisation. [ . . . ] Faire u n e politique de civilisation c o m m e le voulaient les philosophes des Lumières, c o m m e essayaient de le faire les Républicains du t e m p s de Jules Ferry. Faire une politique de civilisation pour répondre à la crise d'identité, à la crise morale, au désarroi face à la mondialisation. Faire une politique de civilisation, voilà à quoi nous incite la Méditerranée où tout fut toujours grand, les passions aussi bien q u e les crimes, où rien ne f u t j a m a i s médiocre, où m ê m e les Républiques m a r c h a n d e s brillèrent dans le ciel de l'art et de la pensée, où le génie humain s'éleva si haut qu'il est impossible de se résigner à croire q u e la source en est définitivement tarie. ( . . . ) Il suffit d ' u n i r nos forces et tout recommencera. » 52

Les grands crimes ne seraient donc jamais médiocres, mais « à r e c o m m e n c e r » . Ce m ê m e rêve, la nécessité d ' é l a r g i r son « e s p a c e v i t a l » , p r é s i d a à pareille a m b i t i o n c h e z Hitler. En A l g é r i e , ce sera r a r e m e n t l'intérêt d e la F r a n c e qui prévaudra, m a i s celui de q u e l q u e s gros colons. Mctis d ' o r i g i n e antillaise, T h o m a s Ismayl Urbain vit au c œ u r m ê m e de l ' e x p é d i t i o n c o m m e traducteur auprès des plus hautes autorités du gouvernorat de l'Algérie. Humaniste, « arabophile », converti à l ' i s l a m , marié à une Constantinoise, ses articles irriguent toute la presse libérale de l ' é p o q u e . Urbain, au contraire de Sarkozy a u j o u r d ' h u i , ignore tout des « m é f a i t s d e la colonisation, en particulier des spoliations foncières qui interviendraient plus t a r d . » Son souci est sincèrement l'émancipation et le « p r o g r è s des Arabes m u s u l m a n s à l'intérieur de leur culture et de leur société». Grâce à son témoignage, l ' é c h o des pratiques barbares à l ' œ u v r e pour la gloire de la France secoue donc é p i s o d i q u e m e n t le m i c r o c o s m e parisien. D e s protestations s ' é l è v e n t ici et là, c o m m e en t é m o i g n e cet article du Sémaphore de Marseille qui publie la déclaration de M. Segaud, docteur en m é d e c i n e à Marseille, le 2 mars 1833 :

Il S

Mil NI Ail S » 1)1 I A COLONISATION

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1.1 .11 appris par la voix publique que, panni les os qui servent à la fabrication L du i luirbon animal, il s'en trouve qui appartiennent à l'espèce humaine. A html ilr la bombarde, La Bonne Joséphine, venant d ' A l g e r et chargée d ' o s , l ii reconnu plusieurs os faisant partie de la charnière humaine. J ' y ai vu des i lAïu-s, des cubitus et des fémurs de la classe adulte récemment déterrés et f H i tant pas entièrement privés des parties charnues.» 5 4

l ' i n i v r e glorieuse a parfois l'odeur du cadavre déterré. I ( V qui caractérise l ' é p o q u e et qui la distingue de la nôtre, c ' e s t la •(nullité de ses débats, l'ardeur de ses auteurs, et l ' i n c r o y a b l e «liberté de lnu - que la presse s'autorisait alors. Des échanges auxquels participaient IHII , l> < corps de métiers. C ' e s t sans doute le député et écrivain Lamartine i|in i oiulamne mieux que nul autre, et dans les termes les m o i n s ambigus, ïlNNNiuTcs et razzias. « J e ne craindrai pas, au n o m de la conscience du M M, »l'engager la France à renoncer à l ' A f r i q u e plutôt que de tolérer une Hiu lie d ' e x é c u t i o n s signalées par de tels actes.» 5 5 Les échanges sont vifs Ml n'ont rien des simulacres de débats a n i m é s par les chroniqueurs et les lit pulrs d ' a u j o u r d ' h u i . Lorsque Bugeaud s ' a d r e s s e à la C h a m b r e , début IN III, l'ambiance est houleuse. « M e s s i e u r s , on ne fait pas la guerre avec ilt'n sentiments p h i l a n t h r o p i q u e s . . . » , scande-t-il. « J e préfère t o u j o u r s )»'» intérêts français à une absurde philanthropie p o u r les étrangers qui peut la tête de nos prisonniers ou blessés.» Et cinq m o i s plus tard, i omine s'il ne s'était pas fait s u f f i s a m m e n t comprendre, B u g e a u d e n f o n c e I*1 clou: «11 faut une grande invasion semblable à celle que faisaient les II nu s, à ce que faisaient les G o t h s ; sans cela, vous n ' a r r i v e r e z à rien. |l si lumations [des députés]).» 5 6 Ii iiniin d ' u n e barbarie indicible m e n é e par les troupes de B u g e a u d , l'i lissier de R e y n a u d , responsables des Bureaux arabes, écrira à p r o p o s il \lul-el-Kader qu'il est « u n e idée morale, une idée d ' o r g a n i s a t i o n » , qui .'affronte à celle de Bugeaud, assimilée à une « i d é e brutale, celle de di stinction». 5 7 Tocqueville (qui se renseigne enfin aux b o n n e s sources, iluiil Ismayl Urbain) dira après son d e u x i è m e v o y a g e en Algérie que m 'est à présent du côté d ' A b d - e l - K a d e r que se trouve la civilisation.» l,t"( soldats sont d ' a i l l e u r s p a r f a i t e m e n t c o n s c i e n t s d e leur p r o p r e i manié, c o m m e en t é m o i g n e cet é c h a n g e entre « d e u x grenadiers dont i litngarnier a entendu la conversation tandis qu'ils plumaient une poule : "I es pauvres diables se souviendront de notre visite." - "Que v e u x - t u ? Nous leur apportons les Lumières, seulement nous leur faisons payer la i h.indelle un peu cher."» 5 8

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200 ANSD'INAVOUAHI.!•

C ' e s t u n e é p o q u e où la « G r a n d e » n'était p a s e n c o r e tout à fait « m u e t t e » . Parmi les officiers supérieurs, il s ' e n trouve b e a u c o u p que les m é t h o d e s de leurs pairs scandalisent. Q u a n d on s ' e n g a g e dans une aventure meurtrière, on arrive fatalement aux confins de ce que notre propre morale réprouve ; à ce m o m e n t , les belliqueux quittent la scène pour céder la place aux barbares. L e général Berthezène n ' y tient p l u s : « O n n ' e s t venu que pour piller les fortunes publiques et particulières, on a osé m e proposer de faire ou de laisser faire, d ' a v o i r deux poids deux mesures, de laisser voler les habitants parce que c'est autant d'argent importé en France; enfin, d'obliger les habitants à déserter le pays pour s'approprier leurs maisons et leurs biens sans être inquiété.» 5 9 A u j o u r d ' h u i , certains chroniqueurs appellent cela du p r a g m a t i s m e . Le discours de N i c o l a s Sarkozy, près de deux siècles plus tard, n'est d o n c pas une figure de style : il est persuadé que la France est inapte à se faire une place de choix p a r m i les grandes puissances et q u ' e l l e ne s ' e n tirera q u ' e n allant spolier les plus grandes faiblesses. En 2008, lors de son v o y a g e à Alger, d ' o ù il est revenu avec 5 milliards de contrats de d u p e d o n t 80 m i l l i o n s d ' e u r o s p o u r r e n f l o u e r A l s t o m au bord du dépôt de bilan, Christophe Barbier, le directeur de L'Express, soutiendra doctement dans « C dans l ' a i r » sur France 5 que le chef de l'État a raison d'aller chercher son « p o i n t de c r o i s s a n c e » là où se trouve l'argent, c ' e s t à-dire chez les dictateurs, sachant que s'il ne le fait pas, les A m é r i c a i n s ou les Chinois ne se gêneront pas. A u n o m du « p r a g m a t i s m e » , il jette un voile de vertu sur les pratiques iniques d ' u n Président qui se fait le c o m p l i c e d e s rapts d ' u n e caste militaire barbare, un r é g i m e c o u p a b l e de c r i m e s contre l ' h u m a n i t é ; é c h a n g e de b o n s p r o c é d é s , honorabilité contre « p o i n t de c r o i s s a n c e » . Cet « e x p e r t » du j o u r n a l i s m e m o d e r n e se rend-il c o m p t e q u ' i l ne fait que j o u e r un disque rayé sur la nécessité de se placer au p r e m i e r rang des spoliateurs ? Voilà ce que préconisait A l e x i s de Tocqueville à une é p o q u e où les « i n d i g è n e s » étaient une « r a c e i n f é r i e u r e » , et que l ' o n ne craignait pas de le dire : « Si ces positions ne restent pas dans n o s mains, elles passeront dans celles d ' u n autre p e u p l e de l ' E u r o p e . Si elles ne sont pas p o u r n o u s , elles seront c o n t r e n o u s , soit q u ' e l l e s t o m b e n t d i r e c t e m e n t s o u s le p o u v o i r d e n o s e n n e m i s , soit q u ' e l l e s entrent dans le cercle habituel de leur influence. Il est probable q u e si n o u s a b a n d o n n i o n s Alger, le pays passerait directement sous l ' e m p i r e d ' u n e nation chrétienne. M a i s en a d m e t t a n t m ê m e , c e qui est possible, q u ' A l g e r r e t o m b â t d ' a b o r d dans les m a i n s d e s m u s u l m a n s , on p e u t a f f i r m e r d ' a v a n c e q u e la p u i s s a n c e m u s u l m a n e qui p r e n d r a i t notre place serait très différente de celle que n o u s a v o n s d é t r u i t e ; q u ' e l l e viserait plus haut, q u ' e l l e aurait d ' a u t r e s m o y e n s d ' a c t i o n , q u ' e l l e entrerait

LES.»DE LA COLONISATION

i i

73

i ii Kintact h a b i t u e l a v e c les n a t i o n s c h r é t i e n n e s et serait h a b i t u e l l e m e n t ilu if i e p a r l ' u n e d ' e n t r e elles. En u n m o t , il est é v i d e n t p o u r m o i q u e q u o i i|n'il arrive, l ' A f r i q u e est d é s o n n a i s e n t r é e d a n s le m o u v e m e n t d u m o n d e i i\ Misé et n ' e n sortira p l u s . » M

UNIIIH I

relativise

les m é f a i t s d e

Sarkozy,

en proposant

une

lecture

Hmivclk- d e la m o r a l e e n v e r t u d e l a q u e l l e u n c r i m e c e s s e d ' e n ê t r e u n d è s IMMI q u ' i l e s t p l e i n e m e n t

assumé.

« L A GUERRE AUX TROUPEAUX »

I .1 u

istance d e s A l g é r i e n s est, o n le c o n ç o i t a i s é m e n t , v o u é e à être

mu m i l i e . L ' a r m é e d ' A f r i q u e e s t l à p o u r f o r g e r s a g l o i r e ; m a i s q u i p e u t •» * m i t e r d ' a v o i r r é u s s i à é c r a s e r u n e m o u c h e ? L ' e n n e m i d o i t d o n c , a u nu p u s d e l ' é v i d e n c e , ê t r e b r a v e , d é t e r m i n é , i n t e l l i g e n t , f o r t , f a r o u c h e lit m c o m m o d e r a v e c l a d i a l e c t i q u e q u i l e d é p e i n t c o m m e a r r i é r é , v e u l e , IHIIH m i t , l â c h e , p a r a s i t a i r e , p o u r j u s t i f i e r s a d é c i m a t i o n -

mais

l'heure

D'en! p a s à l a c o h é r e n c e ) . P o u r t a n t , si l e s m é t h o d e s d e B u g e a u d s e m b l e n t i Un m ' e s , * e l l e s n e s o n t p a s d u g o û t d e t o u s : l i e a u c o u p d ' o f f i c i e r s g é n é r a u x o u s u p é r i e u r s - C h a n g a r n i e r en tête [qui pinliqua p o u r t a n t la r a z z i a au p o i n t d e " r a y e r les H a d j o u t e s d e la c a r t e " ] c o n t i n u e n t à m a l s u p p o r t e r le g o u v e r n e u r , à c o n t e s t e r l ' e f f i c a c i t é m i l i t a i r e ilr ses m é t h o d e s et à s ' i n q u i é t e r d e l e u r s r é p e r c u s s i o n s s u r les s o l d a t s . Ainsi, p a r m i b i e n d e s d é c l a r a t i o n s , le c a p i t a i n e Cler, d u 2 e d ' I n f a n t e r i e • I A f r i q u e , r é s u m e p a r f a i t e m e n t la s i t u a t i o n : " N o u s n ' a v o n s fait la g u e r r e q u ' a u x t r o u p e a u x , a u x h a b i t a t i o n s , a u x r é c o l t e s et à la p a r t i e la p l u s Infime d e la p o p u l a t i o n qui, s a n s a r m e s , p o u s s é e p a r la f a i m et la m i s è r e , p r é f é r e r a i t se r e n d r e p l u t ô t q u e c o m b a t t r e . [ . . . ] E n F r a n c e , il est e n c o r e q u e l q u e s i n d i v i d u s qui r e g a r d e n t s i n c è r e m e n t l ' A f r i q u e c o m m e u n e b o n n e (Vole d e g u e r r e ; j e d i f f è r e d ' o p i n i o n a v e c e u x . [ . . . ] Q u e l q u e f o i s , c e s o n t les c é l é b r i t é s d e l ' a r m é e qui, b é n é v o l e m e n t , c h e r c h e n t à f a i r e b l e s s e r d e s h o m m e s p o u r a v o i r r a i s o n d e f a i r e d e p o m p e u x bulletins. L ' e x a g é r a t i o n , j e dirai m ê m e plus, le m e n s o n g e , s o n t à l ' o r d r e d u j o u r ; c h a c u n c h e r c h e à s e fuire p a s s e r p o u r u n g r a n d v a i n q u e u r . " » 61 Voilà b i e n l a r é a l i t é : f a c e à u n e a r m é e s u r é q u i p é e e t d é p o u r v u e d ' é t h i q u e , II v a d e s v i e i l l a r d s , e n g u e n i l l e s e t m i s é r e u x . . . M a i s l a b a r b a r i e g r a t u i t e .1 '.es f e r v e n t s s u p p o r t e r s , q u i o n t d ' a i l l e u r s , t o u t c o m m e

aujourd'hui,

lionne presse. L e p l u s c é l è b r e d ' e n t r e e u x est « l ' h o n n ê t e

Bodichon»,

* I es bombardements au napalm sur les campagnes vietnamiennes étaient tout aussi • iflcnces dans leur capacité à anéantir les populations rurales. (Voir le livre d'André ttnuny, Agent Orange - Apocalypse Viêt Nam, dans la même collection).

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2(M) ANS D'INAVOl1AHI I

d o c t e u r de son métier, lui aussi « a r d e n t d é f e n s e u r des droits de la f e m m e » , i n v e n t e u r d e sa p r o p r e théorie des e s p è c e s , p e r s u a d é que la « n a t u r e m a r c h e sans c e s s e vers de nouvelles perfections [qu'elle atteint] en détruisant n o m b r e d e c r é a t u r e s . » 62 D e la t h é o r i e sur la volaille, le p a s s a g e à l ' h o m m e est à peine tortueux : « Si, au lieu des A r a b e s qui, en Algérie, s ' a s s a s s i n e n t , se pillent, tuent les prisonniers, [ . . . ] sodomisent [et] n e p r o d u i s e n t rien, si [ . . . ] au lieu d e cette race qui o u t r a g e la nature et l ' h u m a n i t é p a r son état social, [ . . . ] il n ' y en avait pas, [ . . . ] la nature et la civilisation y g a g n e r a i e n t . » B o d i c h o n n ' e s t pas avare en m é t a p h o r e s b o t a n i q u e s p u i s q u e nier la nécessité d ' e x t e r m i n e r les A r a b e s s ' a p p a r e n t e pour lui à « u n h o m m e qui, chargé d ' a s s a i n i r un marais, n e v o u d r a i t pas en é c o u l e r les e a u x s t a g n a n t e s de p e u r de faire périr les p l a n t e s a q u a t i q u e s . » Il p r ô n e une « p o l i t i q u e d o n t le but p r o c l a m é est de faire disparaître les " A r a b e s j u s q u ' a u dernier", car ils sont "aux y e u x d e la théologie des h o m m e s d é c h u s ; aux y e u x de la m o r a l e des h o m m e s v i c i e u x ; aux y e u x de l ' é c o n o m i e h u m a n i t a i r e , des i m p r o d u c t e u r s " » . Le m o y e n de p a r v e n i r à cette fin est d o n c la g u e r r e totale, « e l l e est l ' i m m o l a t i o n du f a i b l e au progrès. Le p r o g r è s est n é c e s s a i r e m e n t une substitution d ' é l é m e n t s . Il est e n s u i t e l ' e f f a c e m e n t des êtres inutiles ou nuisibles. Les êtres inutiles ou n u i s i b l e s ne se t r a n s f o r m e n t p a s : ils disparaissent. » E x p r i m é e m o i n s a b r u p t e m e n t , sa théorie aurait pu connaître un meilleur destin et inspirer bien des a d e p t e s du libéralisme s a u v a g e qui p e u p l e n t les p l a t e a u x d e télévision d ' a u j o u r d ' h u i . L e s d e s c e n d a n t s intellectuels de B o d i c h o n que H a n n a h A r e n d t q u a l i f i a i t de « p r é d i c a t e u r s s c i e n t i f i q u e s » 6 3 n o u s apparaissent d é s o r m a i s sous les traits d ' « e x p e r t s » . Un observateur avisé verra dans cette description les traits h i d e u x de la haine p o u r les p e u p l e s « m u s u l m a n s » q u ' i n c a r n e n t a u j o u r d ' h u i , entre autres, Philippe Val ou M i c h e l H o u e l l e b e c q . P o u r dissimuler leur caractère prédicateur et prédateur, ils se n o m m e n t à la tête d ' « i n s t i t u t s » , d ' « o b s e r v a t o i r e s » , ils sont propriétaires de j o u r n a u x et directeurs de rédactions « h o n o r a b l e s » . Qui pourra ensuite d o u t e r de leur vertu, de leur b o n n e foi ou de leur g é n é r o s i t é ? Mais de quelle façon se conduit alors l ' É g l i s e ? De la m ê m e façon fort peu civilisée. Face à la destruction des m o s q u é e s et leur transformation en églises, sa réaction est peu orthodoxe. Sitôt dans Alger, « le duc de Rovigo voulut s'installer à la m o s q u é e de K e t c h a o u a , les m u f t i s r e f u s a n t de donner leur accord, il menaça de les faire arrêter. Il r e f u s a la m o s q u é e de la Pêcherie ( D j a m a ' el-Djedid) q u ' o n lui proposa et s'écria : "Je n ' e n veux pas, j e veux la plus belle. Nous sommes les maîtres, les vainqueurs."*

* En 1967, à propos des hydrocarbures qu'il souhaitait nationaliser, Bouniediene

LES .< BIENFAITS>»DE LA COLONISATION

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I k s m a n i f e s t a n t s algériens s ' y o p p o s a n t , R o v i g o d o n n a l ' o r d r e il IH m p e r la m o s q u é e le lendemain (17 d é c e m b r e 1831). Ce qui fut f a i t : IM n o i x et le drapeau français fixés au minaret. Près d e 4 0 0 0 fidèles se Mouvaient à l'intérieur de la mosquée. C o u p s de feu, bousculades, fuite. I # l k fut la première manifestation officielle du christianisme en Algérie. | Le pape, satisfait, e n v o y a l ' o r d r e de saint G r é g o i r e - l e - G r a n d aux | m u t i n s de cette occupation.» 6 4

LES GÉNOCIDAIRES GARDIENS DE L'INNOCENCE I iHsqu'intervient l ' a f f a i r e des « g r o t t e s » , au cours de laquelle Pélissier t iilume un millier de civils « c o m m e des renards», selon les préconisations ili Hugeaud, c ' e s t Le Journal des Débats qui relaie la polémique. A d e p t e il' l'attaque à outrance c o m m e m o y e n de défense, B u g e a u d devance les II niques en écrivant dans Le Moniteur algérien : « A u lieu du blâme, c ' e s t l i lo^e q u ' i l faudrait d o n n e r » à Pélissier et consorts. « P a r une rigoureuse philanthropie, on éterniserait la guerre d ' A f r i q u e , ou tout au moins l'esprit il. révolte, et alors o n n'atteindrait m ê m e pas le but philanthropique. » L e massacre humanitaire ayant pour objectif d ' a b r é g e r la peine des massacrés aii^ne son brevet p o u r l'éternité p u i s q u e nulle invasion n e s ' o p é r e r a iiiinais plus sans invoquer le vertueux dessein de sauver de la régression les populations que l ' o n écrase sous les b o m b e s . Mais n ' a n t i c i p o n s p a s ; p o u r l ' h e u r e , B u g e a u d se plaint des « b u r e a u x niiibes» où se t r o u v e n t , dit-il, ses « p r i n c i p a u x e n n e m i s » . E t SaintArnaud de renchérir, la m a i n sur le c œ u r : « C o m m e n t ! N o u s s o m m e s en \ l r i q u e à ruiner notre santé, e x p o s e r nos j o u r s , travailler à la gloire du l'iiys, et le p r e m i e r v e n u pourra n o u s insulter, c a l o m n i e r nos intentions, nous prêter des s e n t i m e n t s c o u p a b l e s qui n e sont p a s du siècle et n e peuvent a p p a r t e n i r à n o s soldats. A r r i è r e , i n s u l t e u r s p u b l i c s ! >>65 O n i luirait e n t e n d r e B e r n a r d - H e n r i Levy, en 1998, p r e n a n t la d é f e n s e des g é n é r a u x a l g é r i e n s a p r è s les m a s s a c r e s , avec p o u r seul a r g u m e n t I l bonne foi p r o c l a m é e des g é n é r a u x e u x - m ê m e s , et de leurs obligés, itfl'ublés p o u r la c i r c o n s t a n c e du titre p o m p e u x de « j o u r n a l i s t e s » . En entonnant le chant de l ' a n n é e « v e r t u e u s e » , le v o y a g e u r m o n d a i n B H L ose une arnaque qui clôt le débat alors naissant dans l ' o p i n i o n f r a n ç a i s e

i' prendra à sa manière l'imprécation de Rovigo: «Je veux le contrôle de tout, nous sommes • lie/ nous ! » Voir Mahfoud Bennoune et Ali el-Kenz, Les Hussards de l'Histoire, entretiens un e BélaïdAbdesselam, tome 2, (Enag, 1990).

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2 ANS D'INAVOUABLE

p o u r r é c l a m e r q u ' u n e c o m m i s s i o n d ' e n q u ê t e se rende sur place afin d'établir les responsabilités. «J'ai, à Tizi-Ouzou et Oran comme à Alger, rencontré d'autres officiers de terrain. À tous, j'ai posé cette même question de la passivité des forces années. Tous m'ont donné le même type de réponse, l'attribuant, soit à la "culture" de l'ALN, soit à la mobilité "insaisissable" des groupes terroristes, soit, encore, à la difficulté, pour n'importe quelle armée placée dans une situation semblable, d'adapter son "outil" aux contraintes d'une guerre de guérilla qui n'a cessé, de surcroît, de changer de formes et de terrain (terrorisme urbain, attaques des banlieues puis des villages, douars isolés). Et si je devais, au bout du compte, résumer mon propre sentiment, je dirais comme, d'ailleurs, la plupart des intellectuels ou des démocrates algériens que j'ai pu rencontrer: [...] incompétence des militaires, sûrement, indifférence, peut-être ; l'arricrepensée, dans la tête de certains, que la vie d'un bon soldat ne vaut pas celle d'un paysan qui, hier encore, jouait le FIS, pourquoi pas; mais un "état-major", ou un "clan", ou même un "service spécial", fomentant les massacres, ou armant les massacreurs, ou déguisant — cela s'est dit ! — leurs hommes en islamistes, voilà une hypothèse à laquelle je ne parviens pas à croire. » 66 O u l'art de d e m a n d e r à un assassin s'il est l'assassin et de prendre sa réponse pour argent comptant. Son alter ego algérien, Yasmina Khadra reprendra la m ê m e antienne : «J'ai été soldat, et je n'ai pas quitté les arènes algériennes [sic] des yeux une seule seconde, [sic] [...] L'armée algérienne n'est pas un ramassis de barbares et d'assassins. C'est une institution populaire qui essaye de sauver son pays et son âme [sic] avec le peu de moyens appropriés dont elle dispose que compensent sa détermination et sa vaillance, et rien d'autre. Présenter le soldat algérien comme un mercenaire ou un légionnaire sans foi et sans conscience est injuste et inhumain, indigne d'hommes éclairés et supposés défendre la vérité et les valeurs fondamentales au nom de toute l'humanité. [...] Je reviens des maquis, des villages blessés, des villes traumatisées; je reviens d'un cauchemar qui m'aura définitivement atteint dans ma chair et dans mon esprit; je reviens de ces nuits où des familles entières sont exterminées en un tournemain, où l'enfer du ciel tremble devant celui des hommes, où les repères s'effacent comme des étincelles dans l'obscurité, tant l'horreur est totale et la douleur absolue. Et que suis-je en train d'entendre? Que le soldat miraculé que je suis est un tueur d'enfants! Que savez-vous de la guerre, vous qui êtes si bien dans vos tours d'ivoire, et qu'avez-vous fait pour nous qui tous les jours enterrions nos morts et qui veillions au grain toutes les nuits, convaincus que personne ne viendrait compatir à notre douleur? Rien. Vous n'avez absolument rien fait. »67

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^•IHHHV c o m m e n t , par-delà les siècles, les esprits de la mort se fin* iHiiii nt : contre le prince de la Moskowa* qui soulève la question des iilmn.idcs» à la C h a m b r e des députés, Bugeaud s'insurge : Aifière, misérable! Viens voir de près ceux que tu calomnies; tu ii < n icgarderas pas un de f a c e ! » Montagnac n'est pas en reste: «Vos 11npidcs, stupidissimes journaux de France sont bien drôles. [...] Les i iiliiinades du colonel Pélissier les exaspèrent. Ce sont des moyens (M iiiimentaux qu'il faut employer pour leur faire plaisir. Tas de cochons ! I t .»m je me trouve en pareille conséquence et je leur fournirai de quoi Itillli i Ah, Rossailles que vous êtes, [...] il faut pour vous plaire que f li • |i.mvres diables qui viennent ici se disloquer la carcasse et verser li m ;ing se laissent encore dévorer par les bêtes fauves plutôt que de I li . détruire ! Tout cela pour satisfaire les exigences de votre stupide philanthropie! C'est un peu trop mirobolant.» 68 t nient reconnaître un j o u r n a l i s t e d ' u n porte-parole de l ' a r m é e ? A u i les militaires au pouvoir, tous les repères se brouillent. « I l ne liini p.is avoir peur de franchir le m u r de la honte ! », dit un h o m m e qui »11 approche un autre et, pour le convaincre, lui fait faire le tour de ses |tin|n niés. Le passage de la prison aux lambris du pouvoir, de la pauvreté A I opulence, est simple: il suffit de faire allégeance. Car pour assurer la •llltiniinication, on ne peut pas s ' e x p r i m e r depuis le fief du Club des Pins. I h H1 bien meilleure stratégie consiste à retourner (ou créer) des opposants MII i i y i m e qui en seront les meilleurs a m b a s s a d e u r s , puisque censés it |in M-nter les valeurs universelles de la raison et de l ' h u m a n i s m e . C e lOli tir faux opposant est, par exemple, celui de Yasmina Khadra. Q u ' i l ne lii'iM léellement illusion q u ' a u p r è s des islamophobes importe peu dans un lltnlidc de propagande et de story-telling.

' NdE : Il s'agit de Napoléon Joseph Ney, fils aîné du maréchal Ney,.

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CHAPITRE 3

Deux collèges de colons, un troisième pour les «indigènes»

L

e m o t « c o l o n i s a t i o n » , complice de toutes les impostures, réduit en 5 syllabes 2 0 0 0 ans d'histoire tourmentée, 200 ans d'entrelacs historiques avec la France, et des dizaines de millions d'êtres humains •..icrifiés, en grande partie réduits en servitude. U n j e u n e Français aurait «lu mal à comprendre ce q u ' a été la perte de l'Algérie pour quelque deux millions de ses compatriotes en 1962. Et il se trouve peu de gens désormais pour contester la légitimité d e leur exode brutal. Pourtant, il s'agissait purement et simplement d ' u n e opération de purification ethnique dont les H (isans sont, outre les trois Présidents A h m e d Ben Bella, B o u m e d i e n e et Bouteflika, leurs complices subalternes de l ' é p o q u e , qui ont depuis phagocyté le p a y s : les DAF, ces «déserteurs de l ' a r m é e f r a n ç a i s e » qui spolient les Algériens de leur bien, leur pays. Les généraux amis de Sarkozy, ipiés avoir été ceux de Chirac, de Mitterrand, du général de Gaulle... Difficile d ' i m a g i n e r q u ' i l y a u n demi-siècle, l ' A l g é r i e , c ' é t a i t la I iimce, sans l ' o m b r e d ' u n doute dans l'esprit de la population française. «Je suis resté près de deux ans en Oranie dans le 3 e escadron du 6 e régiment de chasseurs d'Afrique, puis en bordure de l'oued Dahman, près de la frontière marocaine. [...] Dans une interview à Paris Match (24 février 1978), Jaques Chirac évoque encore cette période : "Pour moi, l'Algérie a été la période la plus passionnante de mon existence. [...] J'ai eu une vie qui était passionnante et enthousiasmante, mais détachée de tous les éléments qui pouvaient alimenter une réflexion politique. Si bien que pour moi, le problème algérien se situait dans un contexte très particulier. On nous avait dit que nous étions là pour la bonne cause et nous ne remettions pas cela en question. [...] Pour moi et contrairement ti ce que l'on peut penser, ce fut un moment de très grande liberté et probablement un des seuls moments où j'ai eu le sentiment d'avoir une influence réelle et directe sur le cours des choses. [...] Parce qu'il y allait

X »

2 A N S D'INAVOUAHI I

L'on c o m p r e n d ce q u e peut avoir d'exaltant pour un j e u n e h o m m e de 20 ans de c o m m a n d e r u n e s c a d r o n de « c h a s s e u r s » lorsque le gibier est à deux pattes; mais, au-delà, nul ne peut nier l'attachement que développe rapidement quiconque se p l o n g e dans ce pays, pour la terre, pour la mer, pour le ciel, pour le désert, pour la végétation et pour les h o m m e s . . . Le témoignage de Jean-Pierre Soisson est assez saisissant, surtout lorsqu'on sait qu'il s'est fait un point d ' h o n n e u r de refuser tout retour dans ce pays après l ' I n d é p e n d a n c e : «Depuis 1962, je ne suis jamais retourné en Algérie. Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand m'ont, tour à tour, demandé de m'y rendre, dans le cadre de mes fonctions ministérielles. Je ne l'ai pas voulu. L'an dernier, je me suis perdu dans le maquis corse, où j'ai retrouvé la même végétation qu'en Algérie, en particulier les arbousiers et les lentisques de l'Atlas blidéen. Je mesurai l'importance de la rupture que constitua pour ma génération l'Algérie. Elle m'aura donné le goût du risque, la volonté de sortir des sentiers battus. Elle fut l'aventure de mes 20 ans. »2 Un autre h o m m e d ' É t a t qui se disciplina à ne plus retourner en Algérie, après 1962, fut Paul Delouvrier, l'architecte du Plan de Constantine.* Au m o m e n t de partir, le 24 n o v e m b r e 1960, il eut ces m o t s : « J e quitte l'Algérie, mais l'Algérie ne m e quittera p a s . » C o m m e n t a-t-il pu résister à la pression sachant q u ' i l était chargé de préparer rien de m o i n s que l ' A l g é r i e i n d é p e n d a n t e au c œ u r d ' u n e population prête à m o u r i r pour la maintenir française. « I l existait un antidote à cette solitude: le ciel d ' A l g é r i e . A chacun de m e s retours de Paris, où j ' a v a i s b a i g n é dans la grisaille, j ' é t a i s saisi, à l'approche de l ' a é r o d r o m e de Maison-Blanche, par un étrange sentiment de soulagement : la clarté de la lumière est une vertu de ce pays. En dépit des situations bien sales dans lesquelles y vivaient les humains, cette beauté du ciel m e soutenait. » 3 U n ciel serein dans une sale guerre, voilà le quotidien des Algériens depuis 200 ans. Q u a n t à Jean-Pierre C h e v è n e m e n t , il a v o u e avoir été f a v o r a b l e à l'Algérie française, «mais cela aurait supposé que l'on fasse ce qu'il fallait et que le Plan de Constantine n'ait pas lieu en 1959 seulement. [...] Pendant ces huit mois d'avril à décembre 1962, dit-il, j'aurai vécu intensément les événements,

* Il s'agit du Plan de développement économique et social (1959-1963), élaboré par le gouvernement français après l'arrivée du général de Gaulle en 1958, visant à combler le retard économique de l'Algérie, et à valoriser ses ressources. Ce plan s'inscrit dans une double démarche, économique d'une part, pour gagner la sympathie de la population «musulmane», et militaire ensuite (le plan «Challe»), pour vaincre sur le terrain et se présenter aux négociations en position de force.

DBUX COLLÈGES [)!•: COLONS, UN TROISIÈME POUR LUS « I N D I G È N E S »

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iivei un sentiment très fort d'exister. A l'inverse, à mon retour en France iinnmc élève de l'ENA, je ressens un profond malaise, une impression • I nbsurdité qui me pèse beaucoup après deux ans d'Algérie. Tout au long • I. l'unnée 1963, je suis traversé par une sorte de souffrance. [...] Tous ceux i|iii ont été envoyés en Algérie ont gardé un sentiment de malaise, voire di- nàchis. En acceptant de participer, à partir d'avril 1962, à la période de transition, j'ai peut-être mieux que d'autres dans l'immédiat surmonté • i malaise, mais je mesure aussi à quel point cet engagement pour une mnllcure compréhension entre la France et le monde arabe est difficile à h nir dans la durée, tant sont lourdes de part et d'autre les pesanteurs.» 4 i »m parmi cette difficulté à «tenir dans la d u r é e » l ' e n g a g e m e n t positif, il \ .i la facilité déconcertante avec laquelle Jean-Pierre C h e v è n e m e n t |HMII « t o u r n e r c a s a q u e » et s'allier avec des généraux dont les m o i n d r e s ILI li I I I S c r i m e s devraient leur valoir la j u s t i c e p é n a l e internationale, l'uii ille inconstance illustre parfaitement le parcours d ' u n autre penseur, li .m Daniel, qui passe de la g r a n d e u r de son e n g a g e m e n t de j e u n e s s e ii I indignité de la fin de sa vie où il est fait docteur honoris causa par llniilellika, l ' h o m m e de paille des criminels généraux algériens. invoquant les j e t s de tomates sur G u y Mollet, Jean Daniel affirmait que » .nis le service d'ordre, de l'avis de tous les témoins, il était lynché. Le i lie! du gouvernement de la France est désavoué par des Français. Et non Miilcinent désavoué dans sa personne, mais dans l'autorité qu'il incarne, d m le s y m b o l e q u ' i l r e p r é s e n t e . » 5 Il aurait été r a i s o n n a b l e alors de limoger celui qui souille la plus haute fonction de l ' É t a t ; au lieu de cela, nu lui permet de p r e n d r e les décisions qui vont plonger la France dans l'horreur. Ce sont surtout des j e u n e s qui vocifèrent contre Mollet, constate li ,in Daniel; parmi eux, celui-là «n'a pas 20 ans. Prenons-le comme exemple. Il est né en 1936. A ce moment-là, il y avait déjà un siècle que la France était présente en Algérie. Un siècle que des Français, des Espagnols, des Italiens, des Maltais s'étaient installés sur les rivages nord-africains pour y former un nouveau peuple méditerranéen. Un peuple - l'algérien - qui ne ressemble à aucun autre. Il a ses singularités, ses mœurs, son patois qui le font ressembler autant et aussi peu au peuple français qu'aux peuples espagnol, italien ou maltais. A l'époque, donc, où ce jeune homme est né, ce peuple "européen" d'Algérie avait déjà un siècle d'histoire. Ni ce jeune homme, ni ses parents, ni ses grands-parents ne connaissent la France autrement que pour y avoir Néjourné pendant une guerre ou un service militaire. C'est en Algérie qu'il y a toutes les tombes de sa famille. C'est en Algérie qu'il a tous ses souvenirs d'enfance. Si le mot "patrie" a un sens charnel affectif, alors l'Algérie est incontestablement sa patrie. [...] Les 1 300000 Européens d'Algérie ne sont ni capitalistes, ni colons, ni colonialistes. Ils sont pourtant gouvernés, administrés et informés par des capitalistes, des colons

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et des colonialistes. Un certain nombre limité de familles se partage cet énorme pouvoir. [...] La démocratie n'a jamais joué en Algérie en faveur des musulmans. Mais elle a peu joué en faveur des Européens. L'exemple le plus saisissant est celui des petits colons. Voici la signification du vote des petits colons. Ils sont dans la complète dépendance économique des féodaux par l'intermédiaire d'un singulier organisme qui s'appelle la Caisse des crédits agricoles. Largement subventionnées par la métropole, ces caisses sont administrées par des conseils inamovibles. Les conseils constituent les trop fameuses "chambres d'agriculture" qui sont devenues les bastions des féodalités colonialistes. Lorsqu'un petit colon a besoin d'un prêt pour un tracteur ou un équipement quelconque, il en fait la demande au Conseil. Neuf fois sur dix, cette demande est examinée dans une perspective électorale. Aujourd'hui, le succès d'une telle demande est fonction de l'enthousiasme du demandeur pour le poujadisme, les organisations d'autodéfense, les comités de "présence française". Cela est un exemple entre mille. Il explique en tout cas, qu'on peut parcourir l'Algérie et entendre dans les conversations avec les Français des propos extrêmement libéraux et que pourtant les élections assurent toujours le succès des candidats colonialistes et que la presse européenne prend les positions outrancières que l'on sait.» 6 Q u ' i l est d u r en e f f e t de g a r d e r u n e n g a g e m e n t durable. J e a n D a n i e l oubliera toutes ces paroles sensées, en 1992, lorsqu'il déniera aux j e u n e s Algériens les droits q u ' i l r e v e n d i q u e en leur n o m en 1956. Pourtant, tout ce q u ' i l é v o q u e des féodalités du t e m p s de la colonie, du contrôle de la rente et de sa gestion aux fins électorales, tout cela aurait pu, et dû, être d é n o n c é à l ' i d e n t i q u e durant ces dernières d é c e n n i e s ; il p r é f é r e r a alors hurler avec les loups. E n 1962, les regrets et les nostalgies des élites ne sont é v i d e m m e n t rien c o m p a r é s à ce q u e ressentent ceux que l ' o n a spolié de leur vie, de leur histoire, de leur pays. Qui sont-ils ? Pour en avoir une idée, il faut suivre patiemment la façon dont s'est constituée la colonie européenne d'Algérie.

LE PÉNIBLE ENRACINEMENT DE LA COLONIE Elle s'implante laborieusement au début de la c o n q u ê t e ; et, près de 20 ans après l'invasion, alors que les gouverneurs hésitent entre la colonisation partielle et l ' o c c u p a t i o n totale, il f a u d r a encore « r e c r u t e r des cargaisons de colons i m p r o v i s é s » 7 p o u r lui d o n n e r quelque épaisseur. D u r a n t des décennies, les migrations coloniales serviront de prétextes pour éloigner de la m é t r o p o l e tous les indésirables. Il en va ainsi lors des révolutions de 1848 et de 1852, quand des dizaines de milliers de prisonniers, parmi

DEUX COLLÈGES DE( ' ( M . O N S .UN TROISIÈME POUR LES «INDIGÈNES»

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« l.i limaille» d e Paris, sont incarcérés en Algérie, pour lesquels il a fallu • oiisiniire des pénitenciers tout neufs. Il en va de m ê m e lors de l'annexion il* l'Alsace et d e la Lorraine en 1871 par l'Allemagne:* l'exode conduit mu? population entière à découvrir l'Eldorado algérien. Quelques « s o l d a t s laboureurs » s'enracineront, mais p e u de véritables p a y s a n s consentiront l'aventure. La proportion de Français n'atteindra j a m a i s la moitié (de l'ordre de 4 0 % ) des effectifs de la colonie, les arrivants provenant de Ions horizons, (Italie, Suisse, E s p a g n e , . . . ) Ils gagnent ainsi la nationalité Imnçaise par la plus improbable des immersions. Ceux-là seront et resteront "u vent des colons pauvres, payant un lourd tribut dans l'entreprise. Est-ce i n les voyant sortir des bateaux avec leurs chaussures noires ou bien des nuirais q u ' i l s asséchaient, dégoulinant de boue, que les autochtones les mu nommèrent « P i e d s - n o i r s » ? Le n o m , au caractère péjoratif à l'origine, • • perdra d ' a b o r d avant de resurgir à partir de 1954, repris à leur compte p.n les Européens d'Algérie. Parmi la c o m m u n a u t é de ces « p e t i t s » colons, mus ne sont é v i d e m m e n t pas logés à la m ê m e enseigne. A u x côtés des I lançais de souche, qui forment « l ' é l i t e » , « s e constitue une "sous-culture" liés marquée par les Espagnols, les Maltais, les I t a l i e n s » ; 8 et les juifs, qui m Tonnent pas une c o m m u n a u t é unifiée. « L e vocable "Algérie" est apparu p o u r la p r e m i è r e fois dans les uiilonnances royales des 1 er et 6 décembre 1831.» 9 Les juifs quant à eux mut là, pour ainsi dire, depuis toujours. La Kahéna, qui m e n a les derniers i oinbats contre les invasions de l'islam au vn e siècle, était de confession liiive; autant dire que Yahvé fut le premier dieu monothéiste au Maghreb. l'i M niant, si les Algériens en général, les Berbères de Kabylie en particulier et plus encore les Chaouias dont Kahéna était issue, revendiquent une filiation avec elle, il se trouvera peu de m o n d e pour assumer la moindre fraternité iivec les juifs qui ont fui le pays en 1962 - sinon quelques d é m a g o g u e s médiatiques désireux de gagner une b o n n e réputation sur le dos de leurs i ompatriotes taxés d'antisémitisme congénital. Si, à l'instar des Mozabites, celte c o m m u n a u t é kharidjite de Ghardaïa, aux portes du désert, les j u i f s avaient eu c o m m e fief un rocher bien localisé, ils auraient pu laisser passer l'orage de l'été 1962. S'ils ont dû quitter le pays, c'est parce qu'ils étaient puitout en Algérie - et donc de nulle part - c'est-à-dire véritablement plus Algériens que beaucoup d'Algériens actuels. + «L'histoire de la migration des Alsaciens et des Lorrains commence dès 1841; mi compte plus de 2 0 0 0 Alsaciens en Algérie. [...] La migration s'accroît au cours de la ilrconnie suivante, plus de 10000 personnes parmi lesquelles on compte les premiers I orrains originaires de la Meurthe qui a connu une famine en 1847.» Jeanine Verdès-Leroux, I 'Algérie et la France, (Robert LafFont, 2009), pp.354-355.

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L e s siècles ont charrié d a n s le p a y s de n o m b r e u s e s d é f e r l a n t e s militaires, sous la bannière de l'islam, imprimant sur les Maghrébins le sceau de cette religion et un brassage culturel où la langue arabe s ' e s t peu à peu insinuée dans les m œ u r s et le l a n g a g e ; l'identité berbère n ' a pourtant j a m a i s été e f f a c é e et bien des populations ont conservé leur religion juive préislamique. Certains j u i f s ont prospéré dans le c o m m e r c e et l ' u s u r e ; c o m m e nous l ' a v o n s vu, quelques-uns se sont distingués par des pratiques m a l h o n n ê t e s ; néanmoins, « l a notoriété des négociants j u i f s et de quelques financiers et marchands d'esclaves ne doit pas faire oublier que la très grande majorité de cette communauté était composée d'artisans et d ' a g r i c u l t e u r s qui travaillaient dur et dont les relations avec les m u s u l m a n s étaient habituellement paisibles, quoique leur statut de dhimmi [protégé] leur réservât une position de soumission et d'infériorité.» 1 0 La c o m m u n a u t é n ' a rien d ' u n i : L e s j u i f s d ' o r i g i n e e u r o p é e n n e , les « L i v o u r n a i s » , les j u i f s « b l a n c s » en q u e l q u e sorte, é p r o u v e n t une f o r m e de m é p r i s à l ' é g a r d de leurs coreligionnaires du cru. Il en alla ainsi de Busnach et Bacri, de m ê m e que de l ' u n des f l e u r o n s de l ' a r m é e d ' A f r i q u e que v a n t e n t t e l l e m e n t les n é o c o l o n i a l i s t e s : l ' a b o m i n a b l e Yusuf. Ce dernier poussa pourtant la barbarie au-delà de l ' e n t e n d e m e n t à L a g h o u a t , ville h a n t é e par les f a n t ô m e s de milliers d ' i n o f f e n s i v e s victimes de sa sauvagerie, et qui porte a u j o u r d ' h u i encore les séquelles p s y c h o l o g i q u e s de son passage. « Il possède, dit-on, le meilleur service de renseignement de l ' a n n é e et l ' u n e de ses m é t h o d e s favorites est de faire c o u p e r la tête à 11 prisonniers pour faire parler le d o u z i è m e . » " E n c e n s é par la colonisation, il n ' a u r a i t rien à envier aux plus g r a n d s c r i m i n e l s nazis. « Ses exactions, son a m b i t i o n c u p i d e , ses pillages, la terreur q u ' i l r é p a n d a i t : tout cela f u t d é n o n c é par le duc de R o v i g o l u i - m ê m e », 12 qui n'avait pourtant rien d ' u n tendre : « Des têtes. A p p o r t e z des têtes, bouchez les conduites d ' e a u crevées avec la tête du p r e m i e r b é d o u i n que v o u s r e n c o n t r e r e z » , exigeait-il de ses s o l d a t s ; 1 3 c ' e s t dire ! Pélissier de R e y n a u d dresse de cet h o m m e un tableau e f f r a y a n t : « J o s e p h l ' e x a c t e u r de T l e m c e n , J o s e p h , le spoliateur des tribus de B ô n e , l ' a u t e u r de n o s insuccès à C o n s t a n t i n e , J o s e p h souillé de sang et de rapines doit être en horreur à toutes les honnêtes gens. » Pourtant, « Y u s u f ne fut point inquiété: il finit général de division et grand croix de la Légion d ' h o n n e u r . » Il a rempli certaines des pages les plus noires de l ' h u m a n i t é , et participé à cette légende « g l o r i e u s e de l'histoire de F r a n c e » chère à A l a i n - G é r a r d Slama, et que d ' a u c u n s rêvent de voir renaître.

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On trouvait d o n c des j u i f s dans toutes les régions d ' A l g é r i e , et « à I ughouat, on naissait et on mourrait juif. »' 4 L'arrivée des Français en 1830 lu- soulève d'ailleurs pas leur enthousiasme - y compris parmi les riches négociants. Pourtant, cela va contribuer à les éloigner de la c o m p o s a n t e « m u s u l m a n e » . Les p r o m o t i o n s dont ils b é n é f i c i e r o n t durant les 132 uns à venir seront autant de cadeaux empoisonnés. La promulgation, le .'•1 octobre 1870, du décret C r é m i e u x créera un clivage entre ces deux sociétés que rien ne parviendra à c o m b l e r ; ce privilège fera des j u i f s d ' A l g é r i e des citoyens français - au contraire des m u s u l m a n s régis par le ( ode de l'Indigénat - et contribuera à leur m a l h e u r . . . près d ' u n siècle plus lurd. En octobre 1940, le g o u v e r n e m e n t de Vichy procède à l'abolition du décret C r é m i e u x et au «retrait de la nationalité française aux 111 000 juifs français d ' A l g é r i e » à qui il est d é s o r m a i s «interdit d ' e x e r c e r u n e profession libérale, de faire partie de la magistrature, d ' e n s e i g n e r ou, pour les enfants, d ' a l l e r à l'école. Messali c o m m e n t e : "L'abolition du décret C r é m i e u x ne peut être un p r o g r è s pour le p e u p l e algérien. En fttant leurs droits aux j u i f s , v o u s n ' a c c o r d e z au m u s u l m a n aucun droit nouveau. L'égalité que vous v e n e z de réaliser entre m u s u l m a n s et j u i f s est une égalité p a r le b a s . " » 1 5 De G a u l l e rétablit le décret C r é m i e u x à la Libération. Q u a n t aux Algériens, plusieurs milliers d ' e n t r e eux sont massacrés en mai 1945 à Sétif pour avoir osé réclamer pacifiquement le statut honorable qui leur avait été promis en échange de leur e n g a g e m e n t pour libérer la France du j o u g nazi.

BÉNÉFICE PRIVÉ, PUNITION COLLECTIVE I es juifs ne sont pas appréciés des colons européens et ne rencontrent que mépris de la part des officiers français. En 1837, Le Monde illustré publie un violent réquisitoire contre les j u i f s d ' O r a n , impliqués dans « u n e triste affaire de c o n c u s s i o n [qui] venait d e mobiliser l'attention de B u g e a u d et de ses plus proches collaborateurs: l'affaire Brassard. Ce général qui c o m m a n d a i t la p r o v i n c e d ' O r a n d e p u i s le début de l ' a n n é e avait été accusé de s'être partagé avec le juif Ben Durand le produit d ' u n m a r c h é passé par l'Intendance avec Abd-el-Kader, pour la fourniture de céréales: « A b d e l k a d e r croyait avoir r a c h e t é des prisonniers p o u r des d e n r é e s ; l'autorité française croyait avoir acheté les denrées argent comptant et livré les prisonniers à titre de m e s u r e politique et de générosité. » Intermédiaire, Ben Durand, digne successeur de Bacri, e m p o c h e u n e double cagnotte que nul n'aurait dû débourser, les prisonniers arabes détenus à Marseille

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ayant é g a l e m e n t p a y é p o u r r e c o u v r e r leur liberté ! « B r o s s a r d nia s responsabilité, mais B u g e a u d lui enleva son c o m m a n d e m e n t , le mit au arrêts forcés et fit rapport à Paris. [ . . . ] [Il] avait "indignement comproml la dignité de la F r a n c e " . » ' 6 B u g e a u d se fend ensuite d ' u n article d ' u n e violence inouïe sur ceu « f r a c t i o n de la nation israélite, ce peuple méprisé et fort d i g n e d e l'être ci Afrique, [dont] il est difficile d'imaginer, sans l'avoir vu, j u s q u ' à quel poin d ' a b j e c t i o n , de fourberie et de rapacité [il] est descendu d a n s la R é g e n c e : C o m m e toujours, le c r i m e est individuel et la sanction collective: Bugeau s ' e n prend à « l a nation israélite» toute entière. A u j o u r d ' h u i , le moindr écart d e c o n d u i t e d ' u n « m u s u l m a n » à Paris ou à B e y r o u t h éclabouss des m i l l i o n s d ' i n d i v i d u s , a u x a n t i p o d e s . . . A c o n t r a r i o , t o u t e critiqu contre les p r o p o s détestables d ' u n B H L , Éric Z e m m o u r o u J a c q u e s Attall est d é t o u r n é e p o u r paraître viser les j u i f s d a n s leur e n s e m b l e , devenan c o m m e par magie l'expression d ' u n antisémitisme épidermique, d'u « p é t a i n i s m e r a m p a n t si présent d a n s le p a y s a g e intellectuel français.» 1 Pendant ce t e m p s , la colonisation s'étoffe.

LA COLONIE BÂTISSEUSE La c o n q u ê t e de la Kabylie, c ' e s t l ' e x p é d i t i o n d e trop p o u r beaucoup et Tocqueville la j u g e « n u i s i b l e , voire a b s u r d e » p o u r la b o n n e m a r d i d e la c o l o n i s a t i o n . Il c o n s i d è r e q u e les « A r a b e s » sont s u f f i s a m m e i « c o m p r i m é s » et veut en finir avec « l'arbitraire contre les colons et passe au r é g i m e civil. » M a i s toutes les pratiques a f f r e u s e s des d e u x première décennies de la conquête vont être de n o u v e a u portées à leur paroxysm pour assujettir cette région rebelle d e p u i s 2 0 0 0 ans. Il arrive r a r e m e n t q u e les adeptes de la glorification d e la colonisatioi évoquent ses massacres.* L ' a r g u m e n t qui fait autorité, ce sont les routen les ponts, les édifices, les h ô p i t a u x , les écoles, les p l a i n e s défriché© l ' a g r i c u l t u r e d é v e l o p p é e p a r les c o l o n s . C e t t e m y t h o l o g i e a fait florèu inscrite d a n s les livres d ' h i s t o i r e d e l ' é c o l e d e Jules F e r r y ; des formule c o m m e « I l y a 1 5 0 0 ans, l ' A l g é r i e était p e u p l é e d ' h o m m e s ignorant appelés B e r b è r e s . . . » étaient c o u r a m m e n t e n s e i g n é e s aux petits Arabes. * Admirez l'ambiguïté dans la formule de Nicolas Sarkozy «tout fut toujours grand, le passions aussi bien que les crimes, où rien ne fut jamais médiocre», qui peut être interpréti comme une condamnation du «crime», mais tout autant comme sa célébration, puisqt «rien ne fut jamais médiocre».

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Pourtant, à bien y regarder, l ' o n doit admettre que la France est partie en 1962 en laissant un pays avec des infrastructures routières et immobilières q u ' e l l e n ' a v a i t pas trouvées à son arrivée... M a i s à quel p r i x ? « D a n s cette Algérie que le duc d ' i s l y et ses c o m p a g n o n s ont péniblement conquise, tout était à faire. Sur ce sol, avant 1830, en dehors des vestiges du génie romain, il n ' y avait rien. » Cette description d ' u n n o man's land, que Nicolas Sarkozy reprendrait volontiers à son compte, est de Pierre Montagnon. 1 8 Est-elle c o n f o r m e à la réalité? Qui finançait cette infrastructure? Et au profit de qui était-elle c o n ç u e ? Les o u v r a g e s traitant de la question sont l é g i o n s ; et toute lecture sérieuse permet de constater que la réalité est fort éloignée de ce portrait réducteur. C o m m e n ç o n s en 1845 où « l ' i n s t i t u t i o n d ' u n système fiscal propre aux indigènes d'Algérie [...] fut appliquée dans tous les territoires du Tell soumis à la France. Le m o d e de calcul et la distribution de ces impôts dits "arabes" variaient et étaient e x t r ê m e m e n t compliqués. O n percevait quatre sortes d ' i m p ô t s : Yh'okor, correspondant au loyer des terres [ . . . ] ; Yachour, impôt sur les grains; la zekkat, sur les bestiaux et Yeussa, calculé globalement et réservé aux tribus du désert. Dès que les Iribus de la Grande Kabylie furent soumises [après 1858], les autorités coloniales, [ . . . ] instituèrent un r é g i m e particulier, appelé lezma [...] [ou] "impôt de capitation spécial à la Grande-Kabylie". [ . . . ] Ainsi, alors que dans le r é g i m e c o m m u n , cette contribution s'élevait à 2 centimes par franc, elle m o n t a à 10 centimes par franc pour la lezma kabyle, [ . . . ] [puis à] 20 centimes. [ . . . ] Si bien que les Kabyles payaient cinq fois plus cher pour une opération qui ne les concernait quasiment p a s » , puisque l'impôt «devait être affecté aux opérations de constitution de la propriété individuelle [ . . . ] qui était déjà une réalité en Kabylie.» 1 9 Ces impôts ultra-féodaux ne furent que la part avouable des fonds qui contribuèrent à l'édification de l'infrastructure coloniale. Le cas de la Kabylie est éloquent. Depuis que les nécessités internes en France* ont imposé la conquête de cette région, elle a vécu sous un régime d'exception, qui institue « d e s catégories de contribuables tout à fait ubstraites et laissées à l'appréciation (et à l'arbitraire) de l'administrateur: les "très riches", les "riches", etc., [ . . . ] système [qui] est devenu un impôt sur le revenu.» Outre de saigner à blanc la population kabyle, cela * La réélection de Napoléon 111 ne pouvant passer que par un coup d'État, l'année d'Afrique matera «les Bédouins de Paris» (comprendre les Républicains); mais, auparavant, il fallait offrir au général Achille de Saint-Arnaud la bataille qui lui fera gagner les galons pour devenir ministre de la Guerre. Ce sera la conquête de la Kabylie.

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engendre des « p h é n o m è n e s c o m m e l'émigration vers la France, l ' e x o d e rural ou la "dépaysannisation" (dans le sens d ' u n e dévalorisation du travail de la terre dont Bourdieu a démontré les ressorts et le caractère précoce en Kabylie), le système d ' i m p o s i t i o n qui fut pratiqué en Kabylie dès 1858, alors qu'il n'interviendra dans le reste de l'Algérie q u ' a p r è s 1918. » 20 [ . . . ] « Charles-André Ageron a longuement analysé ce système et souligné le déséquilibre entre l ' i m p o r t a n c e de la contribution fiscale des indigènes [ . . . ] et le fait que [ceux-ci] ne profitent quasiment pas des réalisations c o m m u n a l e s , qui n ' i n t é r e s s a i e n t la plupart du t e m p s que le chef-lieu habité par les Européens. » 2I II faut bien sûr, à cette déstructuration sociale par l'impôt et le rapt, ajouter la nomination de supplétifs locaux (gardes champêtres, aghas, bachaghas, etc.) qui s'acharnent sur leurs congénères accentuant le fossé entre autochtones et colons et provoquera l'engrenage banditisme-répression et la naissance de maquis. (Les D A F au pouvoir a u j o u r d ' h u i sont les descendants de cette caste de supplétifs.) La Kabylie, présentée par la m y t h o l o g i e coloniale c o m m e bénéficiaire des faveurs de la Métropole, a ainsi été de tout t e m p s soumise à des régimes plus contraignants qu'ailleurs. U n régime d'exception dont ne manqueront pas de s'inspirer les g o u v e r n e m e n t s d ' e s s e n c e coloniale qui succèdent à la France après 1962. Les échanges actuels avec Algérie, baptisés « coopération économique », s ' a p p a r e n t e n t à des m a r c h é s de d u p e s d ' u n genre p a r t i c u l i e r ; p u i s q u e le « d u p é » m a r c h e main dans la main avec le « d u p e u r » , pour abuser le peuple algérien. Cette tradition trouve ses origines très loin dans le passé.

RÉVOLTE IMPOSABLE L o r s de la p r e m i è r e i n s u r r e c t i o n en K a b y l i e (en 1 8 5 5 - 1 8 5 7 ) , les populations ont « dû payer plus de deux millions de francs de contribution de guerre », argent qui « servit à financer la construction de routes. [... ] U n e route carrossable avait alors été construite pour relier Sétif à Bougie, une autre de Dellys à A u m a l e en passant par Dra-El-Mizan, et, enfin, une dernière reliant Bougie à Alger, en passant par Tizi-Ouzou et le col des Beni-Aïcha. » 22 Le régime d'exception se renforce après l'insurrection de 1871. C ' e s t encore une histoire de créance impayée par la France qui est à l'origine de la révolte de H a d j M o h a m e d Mokrani, fidèle ami de la France et fils de celui qui aida quelques décennies auparavant le transit des troupes françaises c o m m a n d é e s par le duc d ' O r l é a n s en route vers la c o n q u ê t e de Constantine. « Durant les années de f a m i n e et d ' é p i d é m i e s diverses de

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1863 à 1866, Mokrani engagea ses propres fonds pour l'achat de grains de semences destinées aux tribus qu'il avait dans sa circonscription, avec l'assurance du maréchal M a c - M a h o n d'être remboursé de ses dépenses par l'État français. Il avait avancé 5 0 0 0 0 0 francs. Or, la chute de M a c - M a h o n dans la t o u r m e n t e de la guerre de 1870 le priva de tout soutien. Il f u t alors obligé d ' h y p o t h é q u e r tous ses biens et s'entendit dire par le général Augeraud : " C ' e s t un gouvernement révolutionnaire qui s'est substitué au gouvernement d e l'empereur, ce sont des civils qui gouvernent l'Algérie, nous ne p o u v o n s rien faire." » 23 Plusieurs thèses circulent sur les raisons réelles de cette insurrection. I .'une d'elles, qui fait état du chagrin ressenti par les populations musulmanes après la promulgation du décret C r é m i e u x , est r é f u t é e par l'historien M a h f o u d K a d d a c h e : « L e s notables m u s u l m a n s de Constantine firent savoir au Consistoire de la ville que le décret Crémieux n'avait pas excité la colère des Algériens. Tous les chefs de l'insurrection traduits devant la cour d'assises répondirent, sans exception, que la naturalisation des juifs n'avait été pour rien dans leur révolte. De n o m b r e u x insurgés prirent d'ailleurs des avocats juifs. » 24 Selon François Maspéro, la vraie raison est ailleurs : les généraux français auraient en fait volontairement instrumenté Mokrani pour lancer cette révolte et forcer les civils à leur laisser le pouvoir.* C ' e s t le m ê m e procédé qui, en 1992, permettra aux généraux de s'imposer c o m m e garants de la stabilité du pays, voire, c o m m e certains n'hésiteront pas à le proclamer, du monde. En 1871, révolte spontanée ou suscitée par les militaires pour garder leur ascendant sur les civils, la r é p r e s s i o n f u t en tout cas t e r r i b l e : « Les insurgés, considérés c o m m e "belligérants" durent p a y e r de fortes contributions de guerre, près de 36,5 millions de francs. [...] Les terres des "sujets indigènes" furent frappées de séquestre ; cette m e s u r e toucha toutes les tribus insurgées, la collectivité tribale étant traitée c o m m e personne civile responsable, ce qui n ' e m p ê c h a pas les Français d ' a p p l i q u e r la m ê m e sanction aux tribus qui n ' a v a i e n t pas combattu en tant que telles. A u total, près de 3 4 0 0 0 0 hectares f u r e n t séquestrés à titre collectif et 2 5 0 0 0 0 à

* On voit ainsi épisodiquement la Kabylie instrumentée par les pouvoirs. Deux exemples concrets: pour assurer une transition paisible durant la passation de pouvoir Boumediene( hadli (en réalité les DAF), un parachutage d'armes fut effectué à Cap Sigli, en Kabylie, Histifiant le quadrillage de la région par l'armée. En 2002, une tentative de déstabilisation du pouvoir de Bouteflika se traduisit par des émeutes qui durèrent des mois et où plus de 120 personnes trouvèrent la mort, donnant lieu à une véritable mise au ban économique de la région, «régime d'exception» obligeant.

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titre individuel. De n o m b r e u x propriétaires algériens devinrent alors khamé ou ouvriers agricoles dans leurs anciennes propriétés. [ . . . ] » 2 5 Les conséquences pour la Kabylie furent dramatiques. Mais les répercussions financières et patrimoniales ne furent pas les plus graves ; en effet, « la plupart des paysans d é p o s s é d é s dans le cadre du séquestre foncier de 1871 ont récupéré leurs terres en les rachetant aux colons attributaires de parcelles dans le cadre de la colonisation officielle. [ . . . ] Ces rachats de terres furent massifs et coûtèrent aux insurgés 63 millions de francs.» 2 6 La campagne de Kabylie rapporte aux militaires un « b u t i n énorme. Il est, pour une grande part, aussitôt revendu à ses légitimes propriétaires », 27 c o n f i r m e François Maspéro. Les conséquences psychologiques sur les colonisés sont en revanche d ' u n e portée autrement plus f â c h e u s e et p r o v o q u e n t un e f f o n d r e m e n t moral dont la population ne s ' e s t pas encore relevée a u j o u r d ' h u i . M o n t é e du banditisme, p a u p é r i s a t i o n galopante, exode rural, émigration vers la France, usure (des prêts à des taux atteignant « 2 0 % par semaine et 1 1 0 0 % l ' a n » ) et « i m p ô t s de guerre qui conduisirent dans les m a q u i s les c o n t r i b u a b l e s récalcitrants ou trop d é m u n i s p o u r s ' a c q u i t t e r des s o m m e s q u ' o n leur réclamait. » 28 Plusieurs c h e f s de cette insurrection furent déportés à N o u m é a ou furent c o n d a m n é s à mort. Voici la réponse de Cheikh A h e d d a d , l ' u n des principaux chefs religieux qui m e n è r e n t l'insurrection : «Quant à la prison, à l'opprobre, à la mort, à la spoliation, à l'incendie et aux coups, tout cela ne ramène pas les gens à l'obéissance; peut-être même ces choses augmentent-elles, dans le cœur des gens, notamment des prisonniers, de leurs proches et des gens de leur suite, la haine et l'inimitié contre le gouvernement, à l'opposé de ce qui aurait lieu pour ces répondants vivant au milieu de leurs tribus. »29 Quant à l'argent dont les Kabyles sont dépossédés, il sert à financer la guerre que la France leur m è n e ( « C ' e s t par une s o m m e représentant plus de dix fois le montant des impôts ordinaires prélevés annuellement en G r a n d e K a b y l i e que l'État colonial f i n a n ç a la guerre qui vint à bout de l'insurrection de 1871 »), 30 et à construire des routes, avec une m a i n - d ' œ u v r e bon m a r c h é , sinon gratuite, puisée parmi ces m ê m e s propriétaires d ' h i e r dépossédés de leurs biens ou emprisonnés, hier riches et à j a m a i s désœuvrés. Ce sont ces constructions que Nicolas Sarkozy et autres députés U M P évoquent a u j o u r d ' h u i pour illustrer le rôle positif de la colonisation. On chercherait en vain dans cet épisode le moindre bienfait que cela a apporté aux « i n d i g è n e s » , la m o i n d r e « g r a n d e u r » digne d'être rééditée.

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O u t r e les routes, l ' u n des apports s u p p o s é s de la colonisation a u x « i n d i g è n e s » est l ' é c o l e . . .

L'ÉCOLE DE JULES FERRY «En 1830, [Constantine] comptait 25 000 habitants, avec de nombreuses familles nobles, une importante bourgeoisie mauresque de vieille souche, et de riches commerçants arabes et juifs. Cité de culture aussi, où l'on comptait plus d'écoles qu'en France à l'époque où la loi Guizot n'avait pas encore rendu l'enseignement obligatoire. La prise de la ville a marqué la fin de cette ère de prospérité.» 31 Un rapport de B e d e a u , inspiré par Ismayl Urbain, déplore la dégradation de la situation scolaire à C o n s t a n t i n e a p r è s l ' a r r i v é e d e s F r a n ç a i s . « Nous a v o n s réduit les é t a b l i s s e m e n t s charitables, laissé t o m b e r les écoles, dispersé les s é m i n a i r e s » d e f a ç o n d r a m a t i q u e ; « s u r les é c o l e s 'l'instruction secondaire et supérieure existant à Constantine au m o m e n t île la conquête où 600 à 7 0 0 élèves étudiaient, [ . . . ] a u j o u r d ' h u i ce n o m b r e i si réduit à 60. » 32 C e s é t a b l i s s e m e n t s scolaires g é r é s p a r les clercs e n s e i g n a i e n t « l a grammaire, l'arithmétique, la géométrie et l ' a s t r o n o m i e » , 3 3 « l a rhétorique et la p h i l o s o p h i e . » 3 4 Selon ce rapport, « a u m o m e n t de la c o n q u ê t e , en I K37, il existait à Constantine 35 m o s q u é e s et 7 m é d e r s a s dans lesquelles on professait l ' i n s t r u c t i o n du s e c o n d degré. [ . . . ] Il y avait à la m ê m e époque dans la ville 86 écoles primaires que fréquentaient environ 1 3 5 0 enfants. Il n ' e x i s t e a u j o u r d ' h u i q u e 60 j e u n e s qui suivent les c o u r s du second degré. L e n o m b r e des é c o l e s p r i m a i r e s est réduit à 30 qui sont Iréquentées p a r 3 5 0 é l è v e s . » C e rapport, p r é s e n t é p a r T o c q u e v i l l e au Parlement en 1847, p r o u v e q u ' e n 17 ans, l ' a p p o r t de la France en matière d ' é d u c a t i o n présente un solde négatif accablant. Sont-ce là peut-être les conséquences déplorables m a i s inévitables de la c o n q u ê t e ? V é r i f i o n s ce que cette politique scolaire de la France en Algérie a réalisé lorsque les canons se sont tus : «En 1870, on comptait en Algérie 96 écoles arabes-françaises, qui enseignaient à 1300 élèves l'arabe le matin, le français le soir; deux lycées, à Alger et Constantine, avec 200 élèves algériens ; une école des Arts et métiers, à Fort-National et trois médersas officielles avec une centaine d'étudiants ; enfin, une école normale d'instituteurs dotée d'une section indigène. [...] 1 150 écoliers en 1880, 81 lycéens en 1889. » "

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C e r t e s , Jules F e r r y et q u e l q u e s anticolonialistes des b u r e a u x a r a b e s c o m m e U r b a i n , Pélissier d e R e y n a u d , É m i l e M a s q u e r a y o u C a m i l l e S a b a t i e r t e n t e n t d ' i n f l é c h i r cette c u l t u r e de l ' o b s c u r a n t i s m e . M a i s , globalement, en Kabylie, «Entre 1871 et 1900, [...] c'est tout le système scolaire traditionnel qui s'est effondré. [...] Dans des proportions encore plus grandes qu'en France, l'application des lois de Jules Ferry sur l'école laïque et républicaine allait s'accompagner d'une offensive généralisée contre ce qui restait encore d'établissements scolaires gérés par les clercs. Dans la politique scolaire de la France en Algérie, la Kabylie faisait figure de région pilote, nous pourrions même dire de laboratoire d'expérimentation. [...] Très rapidement, l'État français comprit qu'il ne parviendrait à mettre en œuvre sa politique scolaire qu'en assumant lui-même l'entreprise, donc sans passer par l'administration coloniale ou par les municipalités européennes, farouchement opposées au projet. Plus précisément, c'est une équipe restreinte de républicains laïcistes militants de l'entourage de Jules Ferry, qui appartenaient au ministère de l'Enseignement, qui prirent en charge la scolarisation de la Kabylie, aussi bien financièrement qu'au niveau de la mise en œuvre pratique du projet. »36 Jules Ferry aura beau protester contre les obstructions, rien n ' y f e r a : « Les colons proclament les Arabes incorrigibles et non éduqués sans avoir jamais rien tenté depuis 30 ans pour les arracher à leur misère intellectuelle et morale. Le cri d'indignation universelle qui a accueilli, d'un bout à l'autre de la colonie, les projets d'écoles indigènes du Parlement, est un curieux témoignage de cet état d'opinion. »37 Et c'est ainsi en dépit de l'administration coloniale et non pas grâce à elle que la construction de 8 écoles fut projetée et que « 4 premières écoles furent construites et, dès 1883, la première promotion de 8 j e u n e s kabyles fut reçue au certificat d ' é t u d e s » ; 53 ans après l'arrivée des Français, les « L u m i è r e s » se p r o p a g e n t encore à la vitesse d e la tortue. L'action de Jules Ferry endigue donc la déchéance, mais le résultat est dérisoire, plus d ' u n siècle après la Conquête : « La scolarisation des enfants par communauté était d'une inégalité criante. Selon les statistiques de l'administration française, il y avait, en 1945, en Algérie, 1 250000 enfants musulmans d'âge scolaire. Le nombre d'écoles pour les accueillir s'élevait à 699. Même surchargées, elles permettaient la scolarisation de moins de 100000 enfants, soit un taux de [...] 8%. Les enfants européens du même âge étaient 200000, accueillis dans 1400 écoles, soit un taux [...] de 100%.» 38 Le témoignage suivant est celui d ' u n «Constantinois m u s u l m a n , d ' o r i g i n e m o d e s t e » . H e u r e u x scolarisé, grâce à l ' a c h a r n e m e n t d e son père, il relativise lui-même ces statistiques :

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«Pourtant, l'obligation scolaire était alors fixée à 14 ans. Les écoles réservées aux garçons indigènes (les filles n'étaient pratiquement pas scolarisées), [...] par leur nombre très insuffisant, accueillaient des enfants bien au-delà de leurs capacités. [...] Malgré la bonne volonté des enseignants, auxquels il faut rendre hommage, particulièrement à ceux d'origine métropolitaine, ou, plus rarement des Algériens musulmans sortis des rangs, les cours étaient donnés dans des conditions très précaires. La majorité des enfants ne suivaient pas, l'absentéisme était important, d'où des résultats catastrophiques qui ne semblaient émouvoir personne. [...] Ainsi, à l'âge de 14 ans, la majorité des élèves [...] étaient exclus [...] et livrés aux dangers de la rue, sans aucune perspective d'avenir. L'obscurantisme et l'indigence s'étendaient, favorisant d'autant l'asservissement de la population indigène. [...] Malgré les entraves du système [...] nous apprîmes la géographie et l'histoire de France, quelques rudiments sur l'Europe, mais les spécificités de l'Algérie, à part la période de sa conquête, étaient quasiment occultées. [...] Ces omissions étaient sans doute liées au fait qu'on nous apprenait que nos ancêtres étaient les ( iaulois et que nous n'avions pas à connaître de sujets susceptibles de nous rendre trop curieux de nos véritables origines et de notre vraie histoire. »39 Nous s o m m e s , au m o m e n t d e ce t é m o i g n a g e , à q u e l q u e s a n n é e s de I Indépendance. Sitôt la France partie, un pouvoir prend le relais qui fait siennes les m ê m e s méthodes. L a date d u début de l'Histoire n ' e s t alors plus 1830 c o m m e auparavant, m a i s fixée par les n o u v e a u x colons au V I I I e siècle, avec l'arrivée de l ' i s l a m - en ayant pris le soin tout de m ê m e il'occulter quelques épisodes de résistance f a r o u c h e à cette invasion. Puis I histoire s'arrête et reprend en 1962. Trop j a l o u x de l'éducation de qualité que dispensaient alors les coopérants français, le pouvoir de B o u m e d i e n e entreprendra d ' a r a b i s e r les sciences sociales, l'histoire et la géographie, pour ne pas « r e n d r e les j e u n e s Algériens trop curieux de leurs véritables origines et de leur histoire. » L'histoire m é c o n n u e devient alors un éternel recommencement. Mais, si cette arabisation est dans l ' o r d r e des fantasmes du pouvoir qui s'installe, la France n ' e s t pas totalement irréprochable dans l'affaire : «Lors de la rentrée de 1963, l'Algérie, démunie de tout après 8 ans de guerre, avait besoin de 12000 maîtres d'école. Sollicité, Paris n'accepta de détacher outre-Méditerranée que 4000 de ses instituteurs et professeurs. Et c'est ainsi qu'aurait germé l'idée de l'arabisation: si la France, qui semblait mal pardonner l'émancipation de son ancienne colonie, refusait son concours, il n'y avait d'autre solution que de faire appel à l'Égypte et à la Syrie, qui ne demandaient qu'à aider leurs frères arabes, rapporte |...] un ancien ministre de Boumediene. [...] À l'époque, les responsables algériens n'envisageaient l'arabisation que comme pis-aller temporaire, une façon de tenir la promesse d'une école pour tous. [...] »40

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O n p r e n d vite goût a u x vertus de l ' é c o l e au rabais. Inutile d e dire q u e de fiascos en échecs, 2 0 a n s p l u s tard, plusieurs générations de j e u n e s A l g é r i e n s d e v i e n d r o n t d e p a r f a i t s « a n a l p h a b è t e s b i l i n g u e s ». L'école française offrant un bilan peu

flatteur

p o u r la c o l o n i s a t i o n ,

p e u t - ê t r e f a u t - i l c h e r c h e r d a n s l ' a g r i c u l t u r e m a t i è r e à la g l o r i f i e r ?

L'AGRICULTURE, OU LE MYTHE DE LA FRANCE DÉFRICHEUSE

Q u e l l e é t a i t la s i t u a t i o n a g r i c o l e d e l ' A l g é r i e à la v e i l l e d e l ' i n v a s i o n française ? « L e désir d ' é c h a p p e r à l ' i m p ô t p o u s s a i t les p o p u l a t i o n s d e s H a u t e s plaines et du Sud à p r é f é r e r l ' é l e v a g e à la culture, les troupeaux pouvant f u i r avec leurs propriétaires. Mais, à ces e x c e p t i o n s près, l ' é c o n o m i e sédentaire resta prépondérante. Du xvi e au début du xix e siècle, l'Algérie fut réputée p o u r ses productions agricoles. A u x céréales et aux moutons, [ . . . ] s ' a j o u t a i e n t les cultures et les vergers des plaines du N o r d et des z o n e s p é r i u r b a i n e s . D e n o m b r e u x v o y a g e u r s c o m m e Léon l ' A f r i c a i n , M a r m o l , D a p p e r ont signalé l ' a b o n d a n c e des productions. S h a w évoque, au début du x v m e siècle, les m a g n i f i q u e s plaines de la Mitidja, la riche plaine d ' A r z e w . Venture de Paradis signale la fertilité des terres, tout en remarquant que la moitié du r o y a u m e est en friche.* A cette richesse des terrains, contribuaient les réseaux d ' a d d u c t i o n d ' e a u développés autour des g r a n d e s villes, c o m m e T l e m c e n , M o s t a g a n e m , M é d é a , M i l i a n a , Alger, H a m m a , et des barrages c o m m e ceux de M i n a , le Sig, l ' H a b r a , les seguia de K a b y l i e et du Sud. [ . . . ] Th. de Q u a t r e b a r b e s relate par e x e m p l e la b e a u t é "des vergers, d e s oliviers, des figuiers é n o r m e s , des cyprès, des grenadiers, des oliviers" p o u r la r é g i o n entre Staouéli et Alger. Rozet signale l ' a b o n d a n c e des orangers autour de Blida, les vignes et les j a r d i n s de M é d é a . D ' a u t r e s t é m o i g n a g e s é v o q u e n t les oliviers et l'huile de T l e m c e n , les potagers et les vignobles de M a s c a r a , les l é g u m e s et les v i g n e s de M o s t a g a n e m , la diversité des p r o d u c t i o n s fruitières et légumières de Mila, d a n s E l - H a m m a de Constantine. [ . . . ] Les plaines intérieures présentaient quelques zones de culture intensive ; c'était le cas par exemple, dans la plaine de l'Habra, dans celle du Chelif où l'on faisait des céréales, du riz, des pastèques. [ . . . ] Les z o n e s de culture extensive se trouvaient surtout dans les plaines p o s s é d é e s par de gros propriétaires. [ . . . ] A u x alentours immédiats de la ferme, on trouvait des potagers, des plantations d ' a r b r e s fruitiers, dont de m a g n i f i q u e s orangeraies, et plus loin des céréales avec j a c h è r e b i e n n a l e . . . » 4 I

* C'est le cas du Canada aujourd'hui sans que cela ne justifie pour quiconque des visées colonialistes sur ce pays.

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( uniment ces richesses agricoles, a u j o u r d ' h u i disparues, ont-elles été a n é a n t i e s ? À Blida, « C a n r o b e r t n o u s a p p r e n d que l ' o n a dû raser le dernier bois d ' o r a n g e r s , "jardin idéal dont les mille fleurs e m b a u m a i e n t le voisinage en toutes saisons", car «la nuit, les Arabes se glissaient dans le bois et, de là, se jetaient sur les v o y a g e u r s et les convois."*» 4 2 Q u a n d vient le t e m p s de p o u s s e r plus à l ' o u e s t les expéditions, « l e plan d e L a m o r i c i è r e est a p p l i q u é en g r a n d . Il n e doit p a s rester a u x populations le m o i n d r e grain de blé p o u r l'hiver. O n b r û l e les c h a m p s , on c h e r c h e les silos, o n e n l è v e les t r o u p e a u x , o n c o u p e dattiers et u hres fruitiers et o n e m m è n e les p o p u l a t i o n s qui n ' o n t p a s été m a s s a i rées. » E n c o r e p l u s loin v e r s T l e m c e n , d a n s l ' O r a n a i s , l ' i n f a t i g a b l e M o n t a g n a c c o n t i n u e d ' e x u l t e r : « L e s razzias se succèdent à u n e vitesse vertigineuse, " r a s a n t , b a t t a n t , f r o t t a n t , p i l l a n t , b r û l a n t , s a c c a g e a n t , bouleversant les t r i b u s " » . D a n s le D a h r a , « B u g e a u d a fait savoir aux Ueni-Menasser que, f a u t e de s o u m i s s i o n , il couperait t o u s les f i g u i e r s i t tous les o l i v i e r s . » 4 3 Et il tient p r o m e s s e . À M i l i a n a , S a i n t - A r n a u d décide q u e « b â t i r , c ' e s t bien, m a i s il faut aussi c o n t i n u e r à d é t r u i r e . » 4 4 I orsque B u g e a u d s ' e m p a r e d e la s m a l a d ' A b d - e l - K a d e r , « l e c a m p est surtout p e u p l é d e civils, vieillards, f e m m e s et e n f a n t s : d a n s la c o h u e , les q u e l q u e s centaines de réguliers n e p e u v e n t se d é f e n d r e e f f i c a c e m e n t . On fait 3 5 0 0 p r i s o n n i e r s , on s ' e m p a r e des tentes, de 4 0 0 0 0 têtes d e bétail, des a r c h i v e s , d u trésor.» 4 5 S a i n t - A r n a u d s ' y c o n n a î t d a n s l ' a r t de g u e r r o y e r : « J ' a i c o m m e n c é à c o u p e r d e b e a u x v e r g e r s et à b r û l e r de superbes villages sous les y e u x de l ' e n n e m i . M a i s la p r o v o c a t i o n ne léussit pas, l ' e n n e m i r e f u s e de d e s c e n d r e p o u r u n s e c o n d c o m b a t » , 4 6 se l.iniente-t-il. Entre d e u x a f f r o n t e m e n t s , a s s a i s o n n é s de q u e l q u e s razzias, il joue au bâtisseur. Lorsque la conquête est achevée et que plus aucune arme ne gronde, l.i colonie bâtisseuse se m e t en m a r c h e . A p r è s la défaite d ' E l - M o k r a n i , I Algérie connaît u n demi-siècle d e « p a i x des c i m e t i è r e s » . À partir de 1920 après la première guerre m o n d i a l e - , quelques élites algériennes i oinmencent à émerger et à s'organiser pour de n o u v e a u revendiquer des droits pour leur peuple. D ' a b o r d dans le cadre f r a n ç a i s ; m a i s l ' i d é e de I Indépendance s ' i m p o s e bientôt. La guerre éclate à nouveau.

* Durant la décennie 1990, c'est pour se prémunir contre les «maquis islamistes» ipic le pouvoir voua à l'incendie et au napalm bien des forêts algériennes rescapées des guerres précédentes...

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20(1 ANS D'INAVOUABLI

LA CHASSE À COUR ET « ORAN-DOUR » 1955. D a n s les environs de Philippeville (Skikda) : « P a r f o i s , au loin, on distingue la f u m é e d ' u n e récolte en feu. [ . . . ] Voici la première c o m p a g n i e en opération [ . . . ] U n e porte grince, on devine un burnous b l a n c : 10 c o u p s de fusil éclatent. L ' h o m m e bondit et disparaît. [ . . . ] U n m o m e n t passe ; puis on voit déboucher sur la gauche, par-derrière une épicerie attenante au m o u l i n , deux A r a b e s se dirigeant vers nous. Après sommations, l ' o f f i c i e r prend leurs cartes d'identité et c o m m u n i q u e avec les g e n d a r m e s qui n o u s accompagnent. Quelques minutes après, le sergent-chef C i r . . . sort son pistolet et abat les deux h o m m e s . "Moi, j e fais du travail propre, j e nettoie", dira-t-il plus tard. Ensuite l'épicerie est m i s e à sac par les h o m m e s ; chacun se charge d'espadrilles, de lampes de poche, de bougies, de savonnettes. L e lieutenant d e m a n d e l'argent, on lui remet la caisse. Avant de m o n t e r vers le douar pour le contrôle, nous mettons le feu au moulin. La fouille dure plusieurs heures. A u début de la matinée, dans un gourbi isolé, on découvre un blessé. C ' e s t l ' u n des deux Arabes exécutés le matin qui a pu se traîner jusque-là. O n le contraint, sous les injures, à descendre vers le PC. Vers midi, on entend u n e détonation: le prisonnier blessé est abattu une fois p o u r toutes. Puis des feux s ' a l l u m e n t un peu partout, quelques gourbis, au café maure. "Ça crame b i e n ! " Nos "bons petits gars de France" sont ivres de haine et curieux de tuer. O n entend le p r e m i e r "Tu p e u x partir" adressé à un A r a b e qui vient d ' ê t r e contrôlé. Il fait quelques p a s et reçoit u n e décharge dans le dos. Il était pourtant porteur d ' u n e carte d'identité, f . . . ] L e drapeau de la France flotte au-dessus du camp. »

Puis c o m m e n c e n t les tortures : « L e s m a i n s sanglantes du caporal décoré s ' a m u s e n t d ' u n brin de paille. [ . . . ] À 6-7 heures, l ' i n t e r r o g a t o i r e reprend. O n m a t r a q u e , les lèvres s'ouvrent, les nez saignent. Les officiers n ' o n t plus à faire aucun signe. Ils regardent, ils sont ivres, ils transpirent, ils sourient. L a France est grande qui leur p e r m e t d ' ê t r e si forts. [ . . . ] À 2 heures d u matin, la 2 e C o m p a g n i e est e m m e n é e en camion. À 3 heures, nous s o m m e s sur les lieux de l'opération. Par-delà les crêtes, vers l'est, u n e section partie la veille attend. Elle rabattra sur nous les fellahs qui chercheraient à fuir. [ . . . ] À l'aube, notre mortier est en batterie, pointé sur quelques gourbis. U n g r o n d e m e n t de t o n n e r r e se r é p e r c u t e d a n s la vallée. [ . . . ] N o u s n o u s rendons au h a m e a u : l ' o b u s est t o m b é dans le t h a l w e g voisin. L e s f e m m e s et les gosses, sur le pas de leurs gourbis, hurlent de frayeur. Sans cesser de gémir, les f e m m e s se sont rassemblées et assises. Un sergent, nonchalamment, e n f l a m m e les habitations de bois sec. Sur les m o n t a g n e s alentour, des f e u x apparaissent aussi. » 47

On aurait du m a l à imaginer que le seul tort de la plupart de ces suppliciés est d ' ê t r e . . . des Algériens.

DEUX C O L L È G E S DE( ' ( M . O N S .UN TROISIÈME POUR LES « I N D I G È N E S »

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Mais, si ce n ' e s t ni dans l'école, ni dans l'agriculture, peut-être est-ce dans les édifices m o d e r n e s que la France coloniale a investi ses f o n d s et trouverait légitimité à se flatter de son œ u v r e « g r a n d i o s e » ?

LES MAISONS COLONIALES, LES PÉNITENCIERS ET LES ROUTES I ors d e sa visite en A l g é r i e a p r è s s o n é l e c t i o n , e n t r e la s i g n a t u r e de contrats qui p e r m e t t e n t à certaines g r a n d e s entreprises f r a n ç a i s e s de se renflouer, N i c o l a s S a r k o z y e f f e c t u e u n e e x c u r s i o n à T i p a z a où il s ' é m e r veille d e v a n t . . . les r u i n e s r o m a i n e s . À croire q u e la s e u l e réalisation de l ' A l g é r i e i n d é p e n d a n t e digne d ' ê t r e saluée est la c o n s e r v a t i o n partielle de ce site h i s t o r i q u e , ainsi q u e c e u x de D j e m i l a ou de T i m g a d d a n s les Aurès. C e n t s o i x a n t e ans p l u s tôt, un de ses s e m b l a b l e s a é p r o u v é u n s e n t i m e n t c o m p a r a b l e f a c e à la « g r a n d e u r » de ces m o n u m e n t s qui ont s u r v é c u à 2 0 0 0 a n s d ' a g r e s s i o n s . C e l a se p a s s e en 1850, a l o r s q u ' i l doit « a l l e r m e t t r e en chantier, d a n s le Sud, l ' é t a b l i s s e m e n t disciplinaire spécial d é c i d é p a r l ' A s s e m b l é e . L e site r e t e n u est celui de L a m b e s s a | . . . ] [avec] d ' a b o n d a n t e s r u i n e s r o m a i n e s dont les p i e r r e s c o n s t i t u a i e n t une carrière f a c i l e m e n t e x p l o i t a b l e . » A la tête d ' u n e c o l o n n e de 5 0 0 0 h o m m e s , il p o u s s e ses o p é r a t i o n s vers le sud, « au-delà des A u r è s , j u s q u e d a n s le m a s s i f d e s N e m e n t c h a s [ . . . ] : " M a carte de visite leur c o û t e r a c h e r " » , 4 8 dira-t-il. D a n s u n c o u r r i e r à sa f e m m e , il s ' é m e u t : « C h è r e bien-aimée, j ' a i passé 8 heures dans une admiration continuelle. Ces ruines m a g n i f i q u e s ont p r o d u i t sur m o i u n e f f e t i n c o n c e v a b l e . Toutes ces inscriptions, t o u t e s ces c o l o n n e s e n c o r e d e b o u t m e p a r l a i e n t d ' u n p a s s é auprès d u q u e l n o u s s o m m e s p e t i t s . » Il s o n g e a v e c tristesse q u ' i l f a u d r a sacrifier ce site p o u r installer « l a c r è m e de la b o u e de la c a n a i l l e de France ! » S o u c i e u x de « n e p a s souiller les r u i n e s du contact de t o u s ces c u e u x » , il fixe f i n a l e m e n t son c h o i x de l ' i m p l a n t a t i o n du b a g n e sur le lieu où la III e L é g i o n A u g u s t e tint son c a m p . « O n c o m p r e n d m a l ce qui c o n d a m n a i t s o u d a i n à périr d e s v e s t i g e s qui avaient traversé d e u x m i l l é naires - sinon l ' a c t i o n d é l i b é r é e de l ' a r m é e f r a n ç a i s e » d é p l o r e F r a n ç o i s M a s p é r o , citant l ' a r c h é o l o g u e L é o n R é n i e r qui, d a n s ses I n s c r i p t i o n s r o m a i n e s d ' A l g é r i e p u b l i é e s en 1858, « q u a l i f i e r a le t r a i t e m e n t i n f l i g é à I . a m b e s s a de " h o n t e i n e f f a ç a b l e " : p o u r c o n s t r u i r e le c a m p f r a n ç a i s sur l ' e m p l a c e m e n t du c a m p r o m a i n , on sciera les m a r b r e s , on m a r t è l e r a les inscriptions, on d é m o l i r a l ' a m p h i t h é â t r e , le n y m p h a e u m , les t e m p l e s de Minerve et de N e p t u n e . » L e site de T i p a z a qui a suscité tant d ' é m o t i o n chez S a r k o z y a p e u t - ê t r e d û son salut à l ' i n c a p a c i t é des « B é d o u i n s de Paris » à r e n o u v e l e r les r é v o l u t i o n s . . .

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M ê m e respect des t r o u p e s françaises p o u r la culture universelle lors de la capture de la s m a l a d ' A b d - e l - K a d e r : « L a bibliothèque de l ' é m i r est brûlée ou d i s p e r s é e : on dit q u ' i l pleura en voyant flotter au vent du désert les lambeaux des précieux manuscrits et de savantes calligraphies des grands mystiques et des savants des siècles passés, de G r e n a d e et de Cordoue. » 49 C ' e s t encore Saint-Arnaud qui f o n d e Orléansville, avec force f r a i s : « 1 0 0 0 0 0 f r a n c s d ' i m p ô t s s u p p l é m e n t a i r e s rentrés o f f i c i e l l e m e n t d a n s les c a i s s e s p o u r l ' a n n é e 1845 [ . . . ] lui en d o n n e n t les m o y e n s . Il en attend 5 0 0 0 0 0 p o u r les a n n é e s s u i v a n t e s . Il a m é n a g e u n h i p p o d r o m e . S o n t h é â t r e est en p a s s e d e d e v e n i r c é l è b r e d a n s tout l ' A f r i q u e [ . . . ] Q u a n t à l ' o r i g i n e d e s f o n d s , elle est é g a l e m e n t l i m p i d e : "Voici les f a i t s : le m a r é c h a l , e n c h a n t é de c e q u e j ' a v a i s fait à Orléansville, de m e s idées, de m e s projets, m ' a aidé, en m ' a u t o r i s a n t à p r é l e v e r sur les razzias d e s f o n d s qui ont tous eu la destinée i n d i q u é e p a r le G o u v e r n e u r . C e s c o m p t e s sont clairs, simples." C e s f o n d s , bien entendu, s ' a j o u t e n t à la part qui revient de droit au c o m m a n d a n t supérieur sur toutes les razzias. » 5 0

La conquête de l ' A l g é r i e n ' e s t pas u n e sinécure. U n e région est à peine soumise qu'il faut déjà songer à « p a c i f i e r » ailleurs. En 1849, la première expédition en Kabylie lui laisse de b o n s souvenirs : « D e s villages b r û l é s p o u r l ' e x e m p l e , b e a u c o u p de m o r t s c h e z les K a b y l e s "rebelles", l ' i m p ô t levé et les f r a i s de g u e r r e p a y é s , u n p o n t construit "aux f r a i s de l ' e n n e m i " . . . À K h e n c h e l a , il a su f a i r e e n t e n d r e le l a n g a g e de la r a i s o n : les soldats ont soldé l ' i m p ô t d e 1 8 4 9 - 1 8 5 0 , ils ont p a y é en outre les f r a i s de t r a n s p o r t de la colonne, et e n f i n c e u x d e la c o n s t r u c t i o n d ' u n f o r t : au total 1 6 5 0 0 0 f r a n c s et, c o m m e le note le général l u i - m ê m e , " c ' e s t beaucoup".»51

Les quelques infrastructures que la F r a n c e laissera en 1962 font partie des grands travaux m e n é s au tournant du siècle : chemins de fer, création de l'institut Pasteur d ' A l g e r et, la culture du la vigne. « C e m o u v e m e n t a c o m m e n c é au début des années 1880, date à laquelle la vigne ne concerne q u ' e n v i r o n 2 0 0 0 0 0 hectares p o u r en o c c u p e r plus de 10 f o i s cette superficie à la veille de 1 9 1 4 . » Un tel d y n a m i s m e n e doit é v i d e m m e n t rien à la volonté de la puissance coloniale de montrer quelque grandeur, m a i s tout à « la crise du phylloxéra en métropole. >>52 Pour le reste, la petite colonisation ayant échoué, les bénéficiaires sont de gros propriétaires qui ont besoin de m o y e n s de transport modernes, (ports, routes et lignes de chemin de fer), de réseaux électriques et de c o m m u n i c a t i o n . . .

DEUX C O L L È G E S DE( ' ( M . O N S .UN TROISIÈME POUR LES « I N D I G È N E S »

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J u s q u ' e n 1962, l ' é c o n o m i e du p a y s est entre les m a i n s d e trois « g r o s c o l o n s » , S c h i a f f i n o , p o u r le t r a n s p o r t m a r i t i m e , B l a n c h e t t e , p o u r

la

c u l t u r e d e l ' a l f a , et B o r g e a u d , p o u r l e s c u l t u r e s m a r a î c h è r e s . Q u a n t à la c u l t u r e d e l ' e s p r i t , t o u t e s t à r e c o n s t r u i r e . . . H é l a s , c e u x q u i p r e n n e n t le pouvoir auront d'autres projets. M a i s si l a c o l o n i s a t i o n n ' a r i e n f a i t p o u r « c i v i l i s e r » l e s i n d i g è n e s , M elle a détruit leurs écoles, rasé leurs vergers, d é m o l i leur architecture, qu'a-t-elle fait des êtres h u m a i n s qui y v i v e n t ? Le

13 n o v e m b r e

1954,

soit

moins

de

d é c l e n c h e m e n t d e l a T o u s s a i n t r o u g e , L'Express

deux

semaines

après

le

p u b l i e u n e a n a l y s e d e la

situation en Algérie : « [ . . . ] L e g r a v e est q u ' e n A l g é r i e , si l ' o n est b i e n p e r s u a d é d ' ê t r e en F r a n c e , o n est m o i n s bien sûr q u e les A l g é r i e n s , e u x , s o i e n t f r a n ç a i s . [ . . . ] Il f a u t p r é c i s e r q u e la v o l o n t é d e s p r e m i e r s c o l o n s d ' A l g é r i e n'était pas de construire une communauté franco-musulmane. Pionniers c o u r a g e u x , p a t r i o t e s i n d u s t r i e u x , les c o l o n s ont été h a b i t é s p a r un certain m é p r i s des i n d i g è n e s . L e r a c i s m e est i n s é p a r a b l e d u c o l o n i a l i s m e a u q u e l il d o n n e b o n n e c o n s c i e n c e . L e c o l o n i s a t e u r a b e s o i n d e c r o i r e i n f é r i e u r le c o l o n i s é . J u s q u ' e n 1943, l ' A l g é r i e a été le p a r a d i s d u r a c i s m e . [ . . . ] En 1937, on se m o n t r a i t d u d o i g t u n p r o f e s s e u r d e c o l l è g e qui, d a n s une p e t i t e ville, se p r o m e n a i t t o u s les j o u r s a v e c d e s m u s u l m a n s . U n e E u r o p é e n n e se d é c o n s i d é r a i t e n s ' a f f i c h a n t a v e c u n A r a b e . [ . . . ] O n n e peut p a s s u r e s t i m e r le m a l q u e c e r a c i s m e a fait à la F r a n c e en A l g é r i e le m a l q u e f i n a l e m e n t les c o l o n s se s o n t fait à e u x - m ê m e s . [ . . . ] U n siècle d u r a n t , l ' A l g é r i e a c o n n u l ' â g e d ' o r d e s m é t h o d e s c o l o n i a l e s qui o s c i l l a i e n t e n t r e le p a t e r n a l i s m e a u t o r i t a i r e et la c o r r u p t i o n p a r les h o n n e u r s . [ . . . ] Il n ' y a v a i t [alors] ni p a n a r a b i s m e ni n a t i o n a l i s m e . Messali p r e n a i t b i e n c o n t a c t à Paris a v e c le c é l è b r e C h e k i b A r s l a n . M a i s il n ' é t a i t e n c o r e q u ' u n fils d e c o r d o n n i e r à T l e m c e n , a n c i e n c o m b a t t a n t et c o m m u n i s t e : son a u d i e n c e était n u l l e . La j e u n e s s e a l g é r i e n n e é v o l u é e se sentait b i e n d a v a n t a g e e x p r i m é e p a r u n é t u d i a n t en p h a r m a c i e , fils d ' u n caïd, q u i s a v a i t à p e i n e l ' a r a b e et é c r i v a i t en f r a n ç a i s le p l u s c l a s s i q u e : F e r h a t A b b a s . E n f é v r i e r 1936, F e r h a t A b b a s c o n s i d é r a i t c o m m e u n e i n j u r e l ' a c c u s a t i o n d e n a t i o n a l i s m e d o n t il était l ' o b j e t . Il é c r i v a i t : " L ' A l g é r i e est u n e t e r r e f r a n ç a i s e , n o u s s o m m e s d e s F r a n ç a i s a v e c le statut m u s u l m a n p e r s o n n e l ; il f a u t aller de la c o l o n i e v e r s la p r o v i n c e . " U n i m m e n s e e s p o i r s o u l e v a i t alors la j e u n e s s e m u s u l m a n e : jamais on n ' a v a i t recueilli de t é m o i g n a g e s aussi populaires, aussi spontanés d ' u n e v o l o n t é i n d i g è n e de s ' i n t é g r e r à la F r a n c e . [ . . . ] M a i s les colons, q u i a v a i e n t p a r m i e u x p l u s d ' i n d i v i d u a l i t é s h a r d i e s q u e d e têtes politiques, n e p o u v a i e n t c o n c e v o i r q u e les m é t h o d e s qui a v a i e n t "réussi" près de cent a n s f u s s e n t p é r i m é e s . Ils s ' i n s u r g è r e n t u n a n i m e m e n t c o n t r e

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le p r o j e t B l u m - V i o l e t t e , q u i p a r a î t a u j o u r d ' h u i bien timide. Il o c t r o y a i t la c i t o y e n n e t é f r a n ç a i s e et les d r o i t s p o l i t i q u e s à c e r t a i n e s c a t é g o r i e s de m u s u l m a n s . L e p r o j e t f u t a b a n d o n n é , à la suite de leur o p p o s i t i o n . O n en r e s t a au statu q u o , c ' e s t - à - d i r e q u e les i n d i g è n e s p o u v a i e n t d e m a n d e r à être c i t o y e n s f r a n ç a i s à la c o n d i t i o n d ' a b a n d o n n e r leur statut. Et s o u v e n t , l o r s q u e d e s m u s u l m a n s d e m a n d a i e n t la c i t o y e n n e t é d a n s ces c o n d i t i o n s , l ' A d m i n i s t r a t i o n les d é c o u r a g e a i t . [ . . . ] P e u n o m b r e u x au d é b u t , les p a r t i s a n s d u m e s s a l i s m e q u i r é c l a m a i e n t , e u x , l ' I n d é p e n d a n c e et n o n la c i t o y e n n e t é f r a n ç a i s e , v i n r e n t g r o s s i r l e u r s r a n g s d e tous les a m i s d e F e r h a t A b b a s et d e s p a r t i s a n s d e l ' a s s i m i l a t i o n d é ç u s p a r l ' a b a n d o n du projet Blum-Violette. Les colons français n'avaient d'ailleurs pas t o u j o u r s vu en M e s s a l i u n e n n e m i ; ils se s e r v a i e n t d e lui, au c o n t r a i r e , p o u r lutter c o n t r e la p o l i t i q u e d ' a s s i m i l a t i o n . L e s d e u x c l a n s é t a i e n t d ' a c c o r d s u r u n p o i n t p r é c i s : ni l ' u n n i l ' a u t r e n e v o u l a i e n t d ' u n e communauté franco-musulmane. » "

Le projet était beau, il n ' y aura hélas pour mener la politique de la France que Mollet, Lacoste, Lejeune, et la g é g è n e . . . Q u e l q u e 4 0 ans plus tard, la situation est aussi « grave » ; et, du point de vue des « n o u v e a u x colons », des n o u v e a u x f é o d a u x , tout est bon dans l ' A l g é r i e , ses p a y s a g e s , sa mer, ses m o n t a g n e s , son désert, ses forêts, son pétrole, ses mille minerais, tout, a b s o l u m e n t t o u t . . . sauf son peuple. C e s « i n d i g è n e s » a u x q u e l s les militaires v o u e n t le m ê m e m é p r i s , le m ê m e racisme, et pour lesquels ils ne conçoivent d ' a u t r e p r o g r a m m e que l ' é r a d i c a t i o n : depuis 1962, « j a m a i s le r é g i m e n ' a s s u m e r a r é e l l e m e n t la c h a r g e d ' a d m i n i s t r e r cette n o u v e l l e nation. L ' A l g é r i e instituée par les accords d ' É v i a n de 1962 n ' a j a m a i s trouvé, c o m m e État et c o m m e nation, le "centre s y m b o l i q u e " , le lieu de légitimité qui lui p e r m e t t e de se construire autour d ' u n contrat de droit entre ses dirigeants et son p e u p l e . En récupérant les "biens vacants" des Français, en se glissant en fait dans la p e a u d e s anciens colons, le r é g i m e algérien, qui se caractérise depuis 30 ans par une r e m a r q u a b l e continuité des h o m m e s et des comportements, a interdit la définition d ' u n e identité algérienne. S o u s la d o m i n a t i o n française, l ' o c c u p a t i o n était un f e r m e n t national puissant. Ensuite, s ' o p p o s e r est devenu plus difficile, voire impossible. À qui s ' o p p o s e r d ' a b o r d ? » . 5 4 La difficulté se corse du fait que si les m é d i a s de l ' é p o q u e coloniale osaient écrire la vérité sur l'Algérie, les m ê m e s j o u r n a u x - L'Express de Denis Jeambar, d ' A l e x a n d r e A d l e r et de C h r i s t o p h e Barbier, par e x e m p l e - sont d é s o r m a i s d a n s l ' a p o l o g i e du faux. Mais n o u s ne p o u v o n s clore ce passage sur le rôle « p o s i t i f » de la colonisation chère à Nicolas Sarkozy sans citer q u e l q u e s hauts faits d ' a r m e s consacrés par les annales algériennes.

DEUX C O L L È G E S DE ('(M.ONS. UN TROISIÈME POUR LES « I N D I G È N E S »

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« U N DES PLUS BEAUX FAITS D'ARMES DE L'ARMÉE FRANÇAISE» Sitôt la c o n q u ê t e e n g a g é e , l ' A l g é r i e ne m a n q u e pas de personnalités désireuses de dialogue constructif avec la France. Les courriers de l ' é m i r A h d - e l - K a d e r sont des c h e f s - d ' œ u v r e de m a n i f e s t a t i o n de f r a t e r n i t é ; Mokrani père et fils ont été les amis fidèles de la France, avant d ' ê t r e Ituhis. A l'orée de la révolution, Ferhat A b b a s n'ambitionnait rien de plus que de donner au p e u p l e algérien des droits d ' ê t r e s h u m a i n s ordinaires dans une Algérie française. Le premier intellectuel algérien à avoir tenté le dialogue constructif est H a m d a n e K h o d j a , adepte de la « s o u m i s s i o n » dès IX.W et n e d e m a n d a n t aux Français que d ' ê t r e « f i d è l e s à leurs traditions de liberté», jugeant que « s i la providence a m i s l'Algérie au pouvoir de la I rance, c'est pour que celle-ci se montre grande, m a g n a n i m e , généreuse.» Mais l'enthousiasme cède vite le pas à la désillusion: « L e s m o s q u é e s ont clé enlevées aux fidèles, les biens pieux m i s sous séquestre, les t o m b e a u x ouverts et les ossements des m o r t s dispersés. Extorquer des biens, verser le sang des h o m m e s , commettre des déprédations et des crimes, voilà les actes qui s'accomplissent à Alger. Quelle constitution, quelles lois humaines iipposées à tout le système d'égalité et de paix ! [...] L'exil et la confiscation formant l'article 57 de la charte, nous pourrons nous estimer heureux s'il n'arrive pas un article additionnel, qui sera l ' e x t e r m i n a t i o n du p e u p l e algérien.» 5 5 Le cri de K h o d j a frise la provocation; il ignore que la question • i a bientôt à l'ordre du j o u r du Parlement français et que le peuple algérien n'y échappe - grâce à la recommandation de Tocqueville - que pour être N O i t m i s la « c o m p r e s s i o n » , c'est-à-dire u n e extennination «partielle». Nulle région n ' é c h a p p e à la f u r i e meurtrière. « Enfin d a n s le N e m e n t c h a s , [Achille de S a i n t - A r n a u d ] a a b o r d é les " o p é r a t i o n s de g u e r r e : c ' e s t la p a r t i e a m u s a n t e et f a c i l e " . [ . . . ] D e s villages brûlés, des prises d ' o t a g e s , des razzias - 10 à 1 2 0 0 0 m o u t o n s un jour, 15 0 0 0 autres, a v e c 5 0 0 c h a m e a u x - "les N e m e n t c h a s sont é p o u v a n t é s et p a y e n t " . » 5 6

Un siècle p l u s tard, les N e m e n t c h a s p a y e r o n t de n o u v e a u , en 1956, c o m m e le relatera Robert B o n n a u d dans son célèbre texte « L a Paix des Nementchas», 5 7 u n épisode de la guerre où « les j e u n e s Français se battent en Algérie p o u r u n e cause à laquelle ils ne croient q u ' à d e m i . Faut-il [alors] s ' é t o n n e r q u ' i l s se battent m a l , m ê m e si parfois ils torturent b i e n ? Faut-il s ' é t o n n e r que le bilan de l ' o p é r a t i o n du 25 octobre ait c o m p o r t é p l u s de cas de j a u n i s s e q u e de t u é s ? [Après l ' a f f r o n t e m e n t ] , n o u s e x p l o r â m e s le lit du torrent, les trous, les rocs, les

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buissons. Nous découvrîmes des cadavres, d'une lividité verdâtre, que la mort et le froid avaient figés dans des attitudes pathétiques [...]. Un autre, le cadavre d'un très jeune homme, affreusement convulsé, portait une sacoche pleine de papiers manuscrits. Peut-être un ancien élève de l'école de Chéria, qui avait trouvé dans l'histoire de France le sens de la liberté et le besoin d'une patrie, un de ces gosses dépenaillés et vibrants dont l'instituteur me disait, avec un regard entendu : "Ils sont très forts sur Jeanne d'Arc". Les blessés qui n'avaient pu fuir étaient souvent atteints aux jambes, récupérables donc, malgré la perte de sang et le froid nocturne qui bleuissait leur chair. Ils furent massacrés, dans des conditions odieuses qui dépassent une imagination normale mais non la réalité algérienne. Les cadres européens du GMPR, qui dirigeaient le nettoyage, se distinguèrent particulièrement. Ils s'acharnaient à coups de pieds sur les blessures, et les malheureux suffoquaient de douleur. [...] Finalement, sortant le couteau de cuisine, ils l'aiguisaient longuement sur le roc, aux yeux du condamné. L'exécution était maladroite et lente, charcutait le cou et évitait la carotide. Mais les mots historiques, prudhommesques, ne manquaient pas après l'égorgement ("Encore un qui est mort comme il a vécu"). Comble de précaution, une balle de Mas-36, à bout portant, [...] Et les assassins en tiraient vanité, posaient pour la galerie, faisaient durer le plaisir. La plupart étaient des Européens d'Algérie. Par-delà leurs allures de matamores, leur bêtise, leur cruauté, on devinait la haine et la peur du bicot, la mauvaise conscience tournée en agressivité sauvage, la volonté exacerbée de domination, le refus épouvanté du changement, l'appréhension devenue folle d'une libération indigène. Ah, non, le personnage du colon n'est pas un des beaux personnages humains, et une nation soucieuse de santé morale, un peuple désireux de s'éviter à lui-même un pourrissement marginal et une infection généralisée se devrait d'éliminer au plus vite les séquelles du passé colonisateur... »58

Étant d o n n é l'histoire de cette région, les n o u v e a u x g é n é r a u x algériens ne pouvaient pas n e pas inscrire en lettres de sang leur passage en dignes héritiers de la colonisation et les N e m e n t c h a s payeront encore en 2004. D e u x ans auparavant, en 2002, alors que la Kabylie était mitraillée, les forces militaires, de gendarmerie, de police, des forces spéciales, des services de sécurité, les indics, l'administration dans son ensemble, tous les rentiers et les affairistes, tout ce qui vit c o m m e parasite et bourreau de ce peuple se coalise pour créer un cordon « s a n i t a i r e » autour de la région. Le but est d ' e m p ê c h e r que des solidarités lui p a r v i e n n e n t . La hantise du régime, c ' e s t que des forces positives fassent jonction : tant q u ' e l l e s sont f r a g m e n t é e s , elles sont inoffensives. C o n c e r n a n t la Kabylie, le j e u est simple. Il y a cinq ou six voies d ' a c c è s et d ' i m m e n s e s casernements ont été installés à des points stratégiques. Il suffit de quelques barrages

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pour bloquer toute circulation et empêcher quiconque de se déplacer. Pour l'axe Alger-Tizi-Ouzou, c'est entre Tadmaït et Naciria, au sommet d ' u n e colline, que deux grandes casernes forment un verrou qui peut être rendu infranchissable en m o i n s de cinq minutes. C ' e s t ainsi que les événements de 2002 y ont été « r é d u i t s » sans m ê m e l'intervention d ' A b d e l a z i z Bouteflika, parti en villégiature à Tamanrasset. Pourtant, des g r o u p e s sont arrivés des Aurès, pour apporter le témoignage de leur solidarité aux Kabyles martyrisés. Dans le Nementchas, en 2004, scénario inverse. Mais les Kabyles qui voudront s ' y rendre n ' y parviendront p a s . . . Pendant des mois, la région a été le théâtre d ' u n e redite de la guerre de libération. C ' e s t pour avoir dénoncé les sévices, les liquidations sommaires, les tortures, pour avoir dit qu'il ne voyait aucune différence entre les tortionnaires d ' A b o u - G h r a ï b et les g e n d a n n e s de T ' k o u t que le journaliste M o h a m e d Benchicou s'est retrouvé dans Les Geôles d'Alger59 pendant que le pouvoir démantelait son quotidien Le Matin : «Nous sommes en Algérie, en 2004, pays de bourreaux insoupçonnables, d'adolescents qui hurlent en silence, de mineurs qui se détestent déjà et de dévots qui regardent ailleurs. [...] Les adolescents, eux, venaient de T'kout, une petite ville de l'Est algérien, au sud de Batna, où la population assume son originalité berbère et parle la langue chaouie. Ici, [...] un jeune homme, Chouaïb Agrabi, venait d'être abattu froidement par les gardes communaux. [...] T'kout [...] est trop pauvre pour s'accommoder du déshonneur, trop fière pour l'ignorer, trop cicatrisée pour l'oublier. T'kout cumule l'orgueil berbère et la témérité des Aurès : le premier coup de feu de la révolution de novembre 1954 a été tiré à quelques centaines de mètres de là. [...] Les jeunes indignés par l'assassinat de Chouaïb, sont sortis à l'appel de 20 siècles de bravoure. Les enfants de T'kout ont grandi à la galette noire des montagnes austères et au lait d'une légende, belle et incomparable, d'une autre femme au regard de feu, la Kahina, la reine berbère, qui défendit les Aurès au V I I E siècle contre l'envahisseur arabe, une fille du pays. L'abri de repli qu'utilisait l'héroïne dans ses batailles face aux armées de Okba Ibn-Nafaà et de Hasan Ibn-Nu'man, est à quelques kilomètres de la ville sur la piste sinueuse qui mène à la bourgade d'El-Mahmal. [...] "Ils nous ont alignés après nous avoir déshabillés..." La répression qui s'abattit sur T'kout, en ces funestes journées de mai 2004, rappelait, en tous points, celles des bérets rouges de l'armée française. La ville est encerclée, isolée des communes avoisinantes, prête à être violée dans le silence. Dans le huis clos terrifiant d'une cité coupée du monde, les forces de sécurité se livrèrent à l'immonde outrage de la chair, à la recherche des meneurs, lesquels avaient déjà rejoint les maquis [...]. Les femmes et les enfants sont malmenés ; les hommes arrêtés et parqués au centre de

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la ville; les plus jeunes sont conduits à la caserne pour y être torturés. À la manière des paras de l'armée coloniale française, les gendarmes algériens prenaient plaisir à avilir leurs victimes, à leur faire payer leurs actes par l'insulte et le vocabulaire universel des tortionnaires: "Vous détestez le régime algérien, espèce de vermines, hé bien vous allez le regretter ! Maintenant qu'il n'y a plus d'hommes en ville, vous allez voir ce que nous allons faire de vos femmes". Les parachutistes du général Massu torturant Henri Alleg ne lui parlaient pas différemment: "Ici, c'est la Gestapo! Tu connais la Gestapo? Tu as fait des articles sur la torture, hein, salaud ! Hé bien, maintenant, c'est la 10e DP qui les fait sur toi". [...] «Les révélations du Matin sur la torture à T'kout provoquèrent, comme de juste, un séisme politique. [...] Le commandant de la gendarmerie démentit les tortures de T'kout, suivi du chef du gouvernement puis de l'extravagant ministre de l'Intérieur, Yazid Zerhouni qui, pour ne pas changer, assortit ses dénégations de menaces publiques envers Le Matin. Un officier des services de renseignements me fit même parvenir un message menaçant : "Le général Toufik est très fâché par vos articles sur T'kout. Cela risque de vous nuire." [...] Le 26 mai 2004, je publiai ce qui allait être un de mes derniers articles dans le journal, où je répliquai à l'indignation feinte du pouvoir: "Le Matin a-t-il inventé les tortures de T'kout ? Ah ! Nous eussions aimé que ce fut le cas, pour que les treillis de nos gendarmes restent propres et que seules nos manchettes soient sales. Nous eussions aimé mentir pour que jamais T'kout l'algérienne ne se confondît avec Abou Ghraïb la maudite, pour que le torturé demeurât irakien et le tortionnaire seulement américain. Oui, nous eussions aimé mentir pour vendre le papier plutôt que de vous voir, mon général, vendre votre âme. Nous plutôt que vous, nous plutôt que l'Algérie, nous vauriens et vous innocents. Oui, nous eussions aimé respecter l'éthique et la déontologie si vos hommes avaient respecté les enfants de T'kout. Si vos prisons ne rappelaient pas la ville Sésini. [...]" Quinze jours plus tard, le pouvoir prenait brutalement sa revanche et me jetait en prison. »60 L e témoignage est d'autant plus saisissant qu'il vient d ' u n de ceux qui, p e n d a n t q u e se déroulait la « s a l e g u e r r e » , durant plus de 10 ans, en rajoutait dans ses éditoriaux sur les nécessités « fâcheuses » de l'éradication. Bien sûr q u ' o n tortura à T ' k o u t , que des j e u n e s y furent sodomisés, des f e m m e s violées devant leurs enfants, et que les tortionnaires algériens n ' o n t strictement rien à envier à leurs prédécesseurs. Tout cela se passe 12 ans après que, prétextant rétablir la démocratie - à laquelle ils étaient les principaux obstacles - , les généraux algériens mettaient fin aux rêves de liberté d u peuple, en interrompant un processus électoral, forçant un Président à abdiquer, en installant un autre à sa place, puis l'assassinant à la face d u m o n d e entier. Qui laissa faire, car évidemment, il fallait bien éviter que le pays ne versât dans la « barbarie islamiste ».

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LES INTELLECTUELS NÉGATIFS Sitôt leurs quartiers pris à Alger, les troupes françaises se lancent dans des opérations meurtrières qui déciment les tribus voisines. Les exactions se multiplient. Les récits qui en sont d o n n é s font froid dans le dos, c o m m e à l'occasion du m a s s a c r e de la tribu des O u f f a s , é v o q u é par H a m d a n e Khodja dans son ouvrage Le Miroir. «Oui, Monsieur, le massacre d'El-Ouffa est un crime atroce; et qui, si ce n'est vous, oserait le nier à la face de la France et de l'Europe? Quoi ! On soupçonna quelques individus d'avoir volé un envoyé prétendu d'un chcikh du Sahara, que depuis on a reconnu avoir, par l'intermédiaire d'un juif, trompé les généraux pour en obtenir des présents; et sur ce simple soupçon, on égorge, de nuit, une tribu tout entière, hommes femmes, enfants, vieillards; on s'empare de tous leurs biens, on vend les bijoux attachés encore aux doigts qui les portaient! Et à vos yeux c'est tout simple ! C'est bien, même très bien ! Cet acte, dont on trouverait à peine le pendant dans les siècles de la plus affreuse barbarie, obtient non seulement votre approbation, mais encore vos éloges ! Sont-ce là les exemples d'humanité et de civilisation que vous voulez donner? Dieu merci ! Vos idées ne sont pas communes en France ; tout ce qui porte un cœur vraiment français se soulève d'indignation à de semblables récits.»

I e malentendu, d a n s toute sa splendeur, entre un intellectuel qui fait itppel aux valeurs d ' h u m a n i t é q u a n d les h o m m e s auxquels il s ' a d r e s s e 1rs foulent au pied, d é l i b é r é m e n t . Le m a s s a c r e des O u f f a s dont celui «li l ' k o u t n ' e s t q u ' u n balbutiement, se reproduira en 1997 à Bentalha, soulevant u n e v a g u e d ' i n d i g n a t i o n en France, aussitôt é t o u f f é e p a r les huiliers du général Clauzel que sont B H L , Daniel Leconte, Denis J e a m b a r et bien d'autres. Les croisades de ces h o m m e s et les envolées lyriques de Nicolas Sarkozy pourraient prêter à sourire et passer pour des imbécillités mineures pour qui ignore la nature des crimes en question. Le m a s s a c r e île Hentalha, un rescapé a eu le courage de le raconter dans un ouvrage. « I .'assaillant revient vers le groupe qui encercle les femmes et les enfants. | .. J Certaines femmes se battent avec eux comme des lionnes pour protéger leurs filles. Celles qui ne veulent pas suivre les criminels sont exécutées à coup de hache ou posées à même le sol pour être égorgées. Les femmes crient : "Ne nous égorgez pas ! S'il vous plaît, tuez-nous avec vos balles, ne nous égorgez pas !" Ils tirent les enfants avec une agressivité extrême et les jettent par-dessus la terrasse, et tout d'un coup je vois l'un d'eux arracher un enfant accroché à sa mère. La femme tente de le serrer contre elle, mais il la frappe avec une machette. Il prend l'enfant par le pied et, en faisant demi-tour sur lui-même, lui cogne la tête contre un pilier de béton. Les autres en font autant, ils sont pris d'un rire frénétique. [...]» 61 Puis ils se saisissent

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d'un jeune handicapé mental, surnommé «Chocolat»: «Ils mettent le feu à une voiture stationnée à l'endroit même et certains veulent le jeter dans les flammes, mais l'un d'eux l'empoigne et lui coupe un membre, puis un autre. Les cris de la pauvre victime déchirent la nuit et sont indescriptibles. [...] Ils traînent la sœur de "Chocolat" et le vieux père hors de la maison. Quelques-uns des assaillants se ruent sur elle et la violent à tour de rôle. Le père, attaché, est contraint de regarder la scène. Tous les deux sont tués peu de temps après. [...] Ils "nettoient" les lieux, tuant et pillant tout sur leur passage. On voit dans la ruelle [...] des gamins de 10 à 12 ans sortant des maisons [...] Les tueurs [les] contraignent à porter leur butin. Ils se dirigent vers l'orangeraie où on les trouvera morts par la suite.» 62 Puis survient u n e scène où les victimes se m é p r e n n e n t sur l'identité de leurs a g r e s s e u r s . . . R é f u g i é s dans une cachette, un g r o u p e d ' h a b i t a n t s espèrent passer inaperçus et échapper à la nuée barbare. Mais soudain, «des projecteurs s'allument [...] et nous éblouissent. [...] Les voisins s'écrient les uns après les autres : "Les militaires arrivent ! Les militaires arrivent!" Apparemment, ils ne sont pas très loin. Les assaillants aussi semblent déroutés. [...] Mais les chefs, des brutes, arrivent en courant et hurlent aux éléments des groupes armés: "Continuez! [...] Prenez tout votre temps, les militaires ne viendront pas. Allez, au travail !" »63 Le calvaire de Bentalha dure toute la nuit, faisant près de 1 0 0 0 morts. «Dans la nuit, les habitants des quartiers voisins, de Baraki, de l'ancien Bentalha ou d'ailleurs, avaient été alertés par les explosions de bombes, les balles traçantes, les cris et les hurlements des victimes, et étaient accourus immédiatement. À ce moment-là, les militaires et les policiers avaient déjà déployé leurs effectifs sur le grand boulevard et empêchaient les gens d'intervenir. Ils ont attendu là toute la nuit! Après des heures d'attente angoissante, ils n'ont plus supporté cette situation et forcé le barrage pour venir à notre secours. Ils étaient très nombreux et ce n'étaient que des civils. [...] Pas un seul militaire, pas un policier, pas une ambulance. » M L ' a u b e c o m m e n ç a n t à poindre, les assaillants se «replient lentement en longeant les vergers. Ils crient aux réfugiés dans les orangeraies: "Sortez, sortez, la police est là!" Certains rescapés sortent naïvement de leur cachette. [Une] femme [...] et ses 4 enfants sont tués ainsi, à la dernière minute. Il est étonnant que ces personnes soient tombées dans le piège. Y avait-il quelque chose qui les a mis en confiance? Les assaillants s'étaient-ils débarrassés de leur kachabial»*

* Les agents des forces spéciales portaient sans doute leur tenue militaire sous leur kachabia (habit apprécié par les «terroristes islamistes», une sorte de toge en laine épaisse qui protège du froid dans le maquis). La vue des tenues militaires a pu laisser croire à leurs victimes que les «secours» étaient arrivés enfin à leur secours, cc qui les a amenés à se découvrir pour recevoir le coup fatal.

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La population n ' i g n o r e rien des tenants de la violence q u ' e l l e subit. Les r e c o u p e m e n t s se f o n t r a p i d e m e n t : si b o n n o m b r e des é g o r g e u r s sont des islamistes, dont certains sont identifiés par leurs v i c t i m e s ( r a r e m e n t inquiétés, ils s e r o n t au contraire p r o t é g é s d e t o u t e p o u r s u i t e p a r u n e loi d ' a m n i s t i e , et d o t é s de c o m m e r c e s f l o r i s s a n t s sur les lieux m ê m e s de leurs crimes), l ' o p é r a t i o n a été p l a n i f i é e , e n c a d r é e et e x é c u t é e p a r des e s c a d r o n s de la mort, avec la p r o t e c t i o n des dirigeants de l ' a r m é e « r é g u l i è r e » qui a facilité le bilan m o r b i d e et c o n t r i b u é à l ' a l o u r d i r . Les t u e u r s a g i s s a i e n t avec la c e r t i t u d e d e n e p a s être d é r a n g é s d a n s leur m a c a b r e opération. Des agents des f o r c e s spéciales, au n o m b r e d e 4 0 0 , v e n u s de Biskra, ont pris leurs quartiers autour du village q u e l q u e s s e m a i n e s avant cette nuit d ' h o r r e u r . D e s t o m b e s étaient p r é p a r é e s des j o u r s à l ' a v a n c e en p r é v i s i o n des e n t e r r e m e n t s c o l l e c t i f s à venir. L e g a r d i e n d u c i m e t i è r e a f f i r m e r a avoir « r e ç u la visite de militaires qui lui avaient o r d o n n é de creuser des t o m b e s , puis c ' é t a i e n t les g e n d a r m e s qui étaient v e n u s lui dire de r e m b l a y e r et e n f i n , d e u x j o u r s a v a n t le m a s s a c r e , des m i l i t a i r e s lui a v a i e n t d e m a n d é de m a i n t e n i r les t o m b e s o u v e r t e s » . A v a n t le c o u c h e r d u soleil, u n e p a t r o u i l l e qui t r a v e r s e le village s ' é t o n n e de voir la p o p u l a t i o n v a q u e r à ses o c c u p a t i o n s et des habitants ont d i s t i n c t e m e n t e n t e n d u l ' u n d ' e u x d i r e : « I l s n e savent p a s ce qui les attend. » D u r a n t la nuit, alors q u e les assaillants p e i n e n t à localiser certaines de leurs victimes, des p r o j e c t e u r s sont a l l u m é s p o u r leur faciliter la t â c h e , des p r o j e c t e u r s installés la veille p a r la p o l i c e . Les p o l i c e s s u p p l é t i v e s , G L D ( g r o u p e s de légitime d é f e n s e ) , p o l i c e s c o m m u n a l e s et a u t r e s « p a t r i o t e s » , ont m y s t é r i e u s e m e n t d i s p a r u cette nuit-là. Mille autres détails c o n c o u r e n t à la c o n c l u s i o n q u e le c a r n a g e est l ' œ u v r e d e l ' a r m é e a l g é r i e n n e . « L e soir d u m a s s a c r e , [ . . . ] a v a n t m ê m e que n ' e x p l o s e n t les p r e m i è r e s b o m b e s , plusieurs a m b u l a n c e s sont g a r é e s d e v a n t l ' é c o l e d e B e n t a l h a , sur le g r a n d b o u l e v a r d . La p o l i c e aussi s'était installée devant la cité des 2 0 0 l o g e m e n t s . » 6 5 Tout a u t o u r du v i l l a g e , les b l i n d é s sont m a s s é s d e p u i s des j o u r s , a p p o r t a n t leur contribution à l ' h o r r e u r en r e p o u s s a n t les citoyens v e n u s o f f r i r leur aide q u a n d ils entendirent les h u r l e m e n t s et le bruit des détonations. Pis, «certains rescapés ont néanmoins pu s'échapper par le grand boulevard, mais nombreux sont ceux qui ont été refoulés dans la direction d'où ils fuyaient. Les militaires se sont avancés avec des blindés sur le grand boulevard vers minuit, c'est-à-dire au moment où le massacre "battait son plein". De ma terrasse, nous pouvions en apercevoir deux, mais, en réalité nous saurons qu'ils étaient six. Ces véhicules longeaient le grand boulevard [...] et durant toute la nuit, leurs phares étaient allumés. C'étaient des militaires [...] qui tenaient ces barrages.» 66

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L o r s q u e le soleil se lève sur le spectacle de Bentalha martyrisée, il n ' y a p a s l ' o m b r e d ' u n d o u t e : « T o u s disent que ce sont les militaires qui n o u s ont tués. » 67 S p o n t a n é m e n t . Pourquoi des h o m m e s et des f e m m e s , des vieux et des enfants, qui viennent de subir le s u m m u m de l ' h o r r e u r iraient-ils i n n o c e n t e r leurs b o u r r e a u x ? C ' e s t p o u r t a n t bien à cela que les intellectuels français, les m é d i a s algériens, les agents des services de sécurité, n o u s convient : a d m e t t r e q u e ces suppliciés ont atteint un tel degré de f a n a t i s m e q u ' i l s continuent de protéger les islamistes alors m ê m e que le sang m ê l é à la cervelle de leurs nourrissons écrasés contre les piliers en b é t o n n ' a p a s e n c o r e séché. C ' e s t à d e telles insultes à la raison que doit se s o u m e t t r e q u i c o n q u e veut disculper les g é n é r a u x algériens des meurtres de m a s s e de l ' é t é 1997 et de la vague d e violence qui a j a l o n n é toute la d é c e n n i e . Et cela fonctionne. N o n pas q u e cette ahurissante imposture fasse illusion - tout le m o n d e sait ce que peut une j u n t e assoiffée de p o u v o i r et l ' a r m é e algérienne est c o u t u m i è r e du fait depuis 35 ans d é j à - m a i s b e a u c o u p se disent que de tels actes sont des « n é c e s s i t é s f â c h e u s e s » auxquelles doit se résoudre u n e a r m é e désireuse de sauver le p a y s du b a s c u l e m e n t dans la barbarie talibane. Et l'essentiel n'est-il pas que le m e n s o n g e ne trouve pas face à lui trop d ' o b j e c t i o n s ? D ' o ù l ' i m p o r t a n c e de verrouiller les m é d i a s et d ' e n exclure q u i c o n q u e p e u t être tenté de dire la vérité. Cela est révélateur de la nature de la civilisation dans laquelle n o u s vivons. La d i f f é r e n c e entre le m a s s a c r e des O u f f a s et celui de Bentalha est q u e leurs auteurs le nient d a n s le p r e m i e r cas et le m e t t e n t sur le c o m p t e des islamistes d a n s le second. M a i s ce dont n o u s p a r l o n s ici c ' e s t du fait m ê m e , indéniable, et de l ' i d e n t i t é de c e u x qui l ' o n t c o m m i s . Et c ' e s t d a n s u n e s y m b i o s e totale q u e des intellectuels en F r a n c e relativisent les e x t e r m i n a t i o n s . Des m a s s a c r e s de m a s s e , il y en a u r a au m o i n s q u a t r e , rien que cet été 1 9 9 7 : Raïs (plus de 3 0 0 m o r t s en u n e nuit), B e n i - M e s s o u s , d a n s le v o i s i n a g e le plus surveillé d ' A l g é r i e , où sont r e g r o u p é e s des dizaines de casernes, Relizane (plus de 1 0 0 0 m o r t s en u n e nuit), et Bentalha. N o n s e u l e m e n t c e s m a s s a c r e s sont l ' œ u v r e de l ' a n n é e , m a i s les g é n é r a u x assistaient en direct à leur exécution, d e p u i s u n h é l i c o p t è r e « q u i fait son a p p a r i t i o n toutes les nuits [ . . . ] avec ses p h a r e s allumés et, les éteint une fois q u ' i l s ' a p p r o c h e . » N e reste alors plus « que le bruit sourd de ses m o t e u r s [... ] angoi ssant. » 6 8 U n hélicoptère ultramoderne, doté d ' é q u i p e m e n t de vision nocturne, que Charles P a s q u a a fait parvenir à ses a m i s généraux en c o n t o u r n a n t l ' e m b a r g o européen.

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C e u x d e s g é n é r a u x qui rechignent à ces vols n o c t u r n e s assistent a u x opérations en direct, retransmises dans u n e salle de projection du DRS.*

LE LEGS POLITIQUE COLONIAL: LA TORTURE «Pour Vidal-Naquet, comme pour Germaine Tillion qu'il prenait souvent comme exemple, la torture n'est pas un moyen. Constitutive de la guerre révolutionnaire apprise par les militaires français pendant la guerre d'Indochine, elle est une fin, une "institution d'État", l'expression d'une domination d'État. [...] »69 C e que les militaires français ont appris en Indochine, ils l ' o n t transmis aux militaires algériens qui en ont fait leur règle. L ' a u t r e artifice p o l i t i q u e qui a p e r d u r é p a r - d e l à les â g e s est sans conteste l ' é t a t d ' e x c e p t i o n . D e p u i s l ' a n 2 0 0 0 ( 1 5 0 ans a p r è s la fin de la c o n q u ê t e coloniale), l ' A l g é r i e vit s o u s u n r é g i m e d ' e x c e p t i o n , c a d r e légal qui couvre les spoliations à g r a n d e échelle qui s ' y produisent et qui place les recettes des h y d r o c a r b u r e s ( 9 8 % des ressources du p a y s ) sous le contrôle direct des généraux ; fait unique sans doute dans les annales, les revenus pétroliers sont conservés en Suisse par la Sonatrach, sans a u c u n droit de regard du g o u v e r n e m e n t . L a K a b y l i e quant à elle subit un état d ' e x c e p t i o n particulier, v i c t i m e d ' u n e h a i n e de ses dirigeants d ' a u t a n t plus g r a n d e q u ' e l l e m o n t r e e n c o r e q u e l q u e s velléités de résistance. Une résistance r e n d u e p o s s i b l e g r â c e a u x r e v e n u s de l ' é m i g r a t i o n : la plus m o d e s t e retraite d ' u n ancien ouvrier de chez Renault p e r m e t à u n e famille entière de survivre à la t e m p ê t e , interminable, q u e rien ne s e m b l e pouvoir enrayer. L a génération d e retraités v o u é e à disparaître, la seule p e r s p e c t i v e de salut r é s i d e d a n s l ' e n v o i à l ' é t r a n g e r d ' u n e n o u v e l l e vague d ' i m m i g r a t i o n , à tout prix. L e prix, c ' e s t souvent de périr n o y é au large des côtes e s p a g n o l e s ou turques, q u a n d la b a r q u e chavire, ou j e t é par-dessus b o r d p a r des m a t e l o t s p e u s c r u p u l e u x et désirant éviter les tracas administratifs dans les ports où ils a c c o s t e n t . . . Parvenu en Europe, ayant f r a n c h i les plus périlleux obstacles, le j e u n e téméraire en d é c o u v r e d ' a u t r e s . . . P o u r t a n t , il suffit de laisser p a s s e r q u e l q u e s a n n é e s p o u r le r e t r o u v e r ragaillardi, m i r a c u l é d ' u n s y s t è m e

* Des journalistes ont eu la «chance» d'assister à de telles projections, notamment à l'occasion de l'opération de communication d'Oued-Allal, destinée à sensibiliser l'opinion nationale et internationale au danger terroriste.

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qui ne lui offrait d ' e m b l é e aucune chance. Des bacheliers sortis d ' u n e éducation au rabais, frisant l'analphabétisme, se m u e n t sitôt inscrits dans une université française en de brillants étudiants. C ' e s t qu'ils connaissent leur chance, les b o u g r e s ; c ' e s t cela peut-être le vrai atavisme, u n inextinguible sentiment de précarité. Ses comportements ultérieurs doivent être examinés au travers de cette grille de lecture du rescapé provisoire, son extraction actuelle ne lui offrant q u ' u n sursis, lui imposant la prudence et la crainte sourde d ' u n lendemain piégé, d ' u n environnement traître, incertain. Cela seul peut expliquer que la première préoccupation d ' u n Algérien soit de mettre un toit au-dessus de sa famille, en rognant sur tout le reste, en sacrifiant son confort, sa vie, pour le salut de sa progéniture. Est-ce vraiment un particularisme? Durant la seconde guerre mondiale, « u n e enquête e f f e c t u é e [ . . . ] après un b o m b a r d e m e n t de la Luftwaffe attestait que le moral des civils était plus atteint par la destruction de leur maison que par la mort de leur voisin ou d ' u n parent.» 7 0 C ' e s t d'ailleurs en se fondant sur ce principe que Churchill entreprit les bombardements contestables de villes allemandes, l'idée étant q u ' « e n trois ans, [ . . . ] on pourrait mettre 25 millions d ' A l l e m a n d s à la r u e . » La destruction de Dresde p r o v o q u a une v a g u e d ' i n d i g n a t i o n en Grande-Bretagne qui fit cesser la pratique. Mais comment a-t-on pu en arriver l à ? Qui a fait et qui a laissé faire? C o m m e n t une génération forte de Ferhat Abbas, B o u m e n d j e l , Lahouel, Ben M ' h i d i , A b b a n e R a m d a n e , K r i m Belkacem, M o h a m e d B o u d i a f , Hocine A i t - A h m e d , Rachid Ali-Yahia, M o u r a d Didouche, Aissat Idir, O u a m r a n e Amar, M o h a m m e d Harbi, Hocine Zahouane, Benyoucef Ben Khedda, Salah Boubnider, O m a r Boudaoud, Rabah Z a m o u m , M o h a n d A r a b Bessaoud, Saâd Dahlab, L a m i n e Debaghine, Dehilès, H a o u e s , M o u r a d Oussedik, et de milliers d'autres révolutionnaires aguerris qui méritent de figurer au Panthéon de la Résistance algérienne, ait pu se laisser déposséder de l'Indépendance par une poignée de comploteurs aux instincts démentiels, dont Ben Bella, Boumediene et Bouteflika ? C o m m e n t un pays qui, au milieu des années 1970, malgré une dictature de fer, avait engendré une génération d ' h o m m e s et de f e m m e s instruits, intelligents, courageux, militants déterminés, a-t-il pu se déliter intégralement et sombrer aussi vite? L'Algérie offrait l'occasion de faire de grandes choses. O n n ' e n fit que de petites. Les tortionnaires ont bénéficié d ' u n peu d ' a i d e et c o m m i s beaucoup d ' a s s a s s i n a t s . M a i s la réponse est un peu courte et mérite d ' ê t r e développée...

CHAPITRE 4

1962, l'Indépendance aliénée

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o r s q u e se d é n o u e en 1962 le d r a m e de la colonisation f r a n ç a i s e , il n ' y a q u e d e s p e r d a n t s , h o n n i s u n e p o i g n é e d ' i n d i v i d u s qui s ' e m p a r e n t du pouvoir. Bien sûr, c h e m i n faisant, la liste de c e u x qui p r o f i t e n t du d é p e ç a g e du p a y s et de la d e s c e n t e a u x e n f e r s de son p e u p l e ira s ' a l l o n g e a n t . En 2 0 1 0 , u n e m i c r o c o l o n i e c o n s t i t u é e d ' u n e p o i g n é e de d é c i d e u r s , e n t o u r é s d e q u e l q u e s c e n t a i n e s de m i l l i e r s de rentiers prêts à t o u t e s les indignités, p a r a s i t e ce pays, p h a g o c y t e son é c o n o m i e , spolie ses f o r c e s v i v e s et s ' a p p l i q u e m a i n t e n a n t à g a n g r e n e r les structures sociales sur lesquelles a r e p o s é la survie du p e u p l e d e p u i s des millénaires. D i r e que l ' A l g é r i e est g o u v e r n é e p a r u n État v o y o u , un État m a f i e u x , est u n e u p h é m i s m e . O n m e s u r e toute la difficulté q u ' i l y a à c o n v a i n c r e u n o b s e r v a t e u r extérieur q u a n d ce r é g i m e est p r é s e n t é p a r les grandes p u i s s a n c e s c o m m e un p a r a n g o n de démocratie, dont m ê m e les O c c i d e n t a u x devraient s'inspirer.

L'HABIT FAIT LE MOINE « O n voit toujours la perfection dans la personne d'un vainqueur. [...] Parce que ses inférieurs pensent, à tort, que leur défaite est due à la perfection du vainqueur. Cette erreur de jugement devient un article de foi. [...] On pourrait croire que la supériorité du vainqueur tient à ses usages et à ses coutumes, et non à son esprit de clan ou à sa force. C'est encore une conception fausse de la supériorité. En conséquence, on observe toujours que le vaincu s'assimile au vainqueur, dont il copie les vêtements, la monte et les armes. »' Cet adage (du M o y e n - Â g e ) sous la p l u m e d ' I b n - K h a l d o u n prend tout son relief appliqué aux militaires algériens. É p r o u v a n t u n e haine absolue p o u r tout ce qui é m a n e du peuple, ils n e font q u e perpétuer le racisme d ' É t a t , a c c o m p a g n é des m é c a n i s m e s de d o u b l e collège, de r é g i m e d ' e x c e p t i o n , de prédation é c o n o m i q u e et de spoliations de tous ordres chers aux g r a n d s propriétaires coloniaux français a u x q u e l s ils ont succédé - m o i n s peut-être

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la dose d ' h u m a n i t é d ' u n Borgeaud. Les bénéficiaires de l ' I n d é p e n d a n c e sont donc une ultraminorité. Certains les appellent hizb frança, (« le parti de la F r a n c e » ) , d ' a u t r e s les D A F ( « l e s déserteurs de l ' a r m é e f r a n ç a i s e » ) . Qui sont-ils? C o m m e n t parviennent-ils à s'accaparer le pays, alors q u ' i l s auraient dû payer le prix d ' u n e sévère épuration, qui n e frappa que les plus modestes, les Harkis, les Européens les plus démunis. Ces derniers sont-ils totalement i n n o c e n t s ? Sans doute pas. Méritaient-ils le déracinement qui leur fut infligé ? Pas davantage. De quelle soi-disant « s u p é r i o r i t é » d i s p o s e n t les v a i n q u e u r s en 1962 qui leur assure u n e victoire aussi t r a n c h é e ? On peut sans conteste r é p o n d r e que les v a i n c u s l ' o n t été en raison de leur attachement aux valeurs d ' h u m a n i t é alors que leurs adversaires ont eu la victoire facile au prix d ' u n renoncement total à toute f o r m e de miséricorde. Et si, près d ' u n demi-siècle plus tard, ils peuvent poursuivre leur œuvre destructrice, c ' e s t que les Algériens continuent de les considérer c o m m e doués de raison. C ' e s t m ê m e là le n œ u d de la question : on n e peut combattre efficacement un adversaire en continuant à se m é p r e n d r e sur sa nature. Le destin des Algériens tient à la b o n n e volonté qu'ils prêtent à un pouvoir qui n ' a eu de cesse de les anéantir. Espérer une transition douce procède de ce fait du mirage. L ' I n d é p e n d a n c e de 1962, qui relevait déjà de l'inconcevable, aboutissement de quelque 20 ans de militantisme et 8 années de guerre a b o m i n a b l e , était de loin plus facile à obtenir que la chute du r é g i m e actuel. Il n ' a été possible d ' e n g a g e r le c o m b a t contre le n a z i s m e q u ' à partir du m o m e n t où des h o m m e s (Churchill, secondé par Roosevelt et suivi par de Gaulle) ont pris la décision de renoncer à dialoguer avec lui. N o u s s o m m e s loin de cette prise de conscience des élites algériennes.

UN PEUPLE PLURIEL, MAIS RELATIVEMENT EXCLUSIF Une histoire aussi dramatique que celle de la décolonisation de l ' A l g é r i e et ses conséquences désastreuses sur des millions d ' h o m m e s et de f e m m e s ne peut se résumer à la « d i s c o r d e » * d ' u n été. Près d ' u n demi-siècle de littérature sur le sujet laisse d a n s l ' o b s c u r i t é totale l ' h i s t o i r e de cette passation de pouvoir frelatée. « La curiosité pour le passé de l'Algérie est s o m m é e de dire sa couleur - la bonne couleur étant de raconter une histoire * L'Été de la discorde, tel est le titre de l'ouvrage consacré par Ali Haroun à l'épisode glauque de l'été 1962 qui conduisit à la confiscation de l'Indépendance. L'Été de la discorde -Algérie 1962, (Éditions Casbah, 2000).

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linéaire, saine alors q u ' e l l e est é q u i v o q u e : "Notre histoire coloniale, affirmait Jacques Berque, dans un entretien publié en 1993, est riche de séquences positives alternant avec les atroces". [...] Dans l'Histoire, les grands changements s'accomplissent le plus souvent au cours d ' u n long processus qui avance, recule, zigzague : on n ' e s t pas sorti, par exemple, de l'esclavage, d ' u n seul coup. Or, on a assisté en ce qui concerne le passage de l'Algérie "française" à l'Algérie "algérienne" à un retournement très brutal, qui reste très énigmatique. [...] C h a q u e époque relit son passé, les historiens apportent une lecture dont la société et l ' é p o q u e ont besoin. "L'Histoire suit la dominante du t e m p s ; c ' e s t l ' é v i d e n c e m ê m e . " Notre é p o q u e s e m b l e p r é f é r e r les réquisitoires a u x interrogations et a u x révisions», écrivait Jeanine Verdès-Leroux, dans L'Algérie et la France,2 un ouvrage réunissant la collaboration de 160 spécialistes - une gageure. Pour mesurer l'ampleur du drame, il faut d ' a b o r d connaître la sociologie de ses victimes. Depuis le début de la colonisation, si « u n e politique sans aucun f o n d e m e n t légal, totalement favorable aux c o l o n s » soustrait ses territoires aux tribus arabes et berbères autochtones, elle favorise « u n e colonisation très particulière, celle des g r a n d e s sociétés au détriment des petits colons. T h é o r i q u e m e n t , les attributions d ' h e c t a r e s impliquent de la part des c o m p a g n i e s la création de "villages de colonisation". Dans l ' e n s e m b l e c ' e s t un échec, et b e a u c o u p de c e u x qui tentent l ' a v e n t u r e déchantent rapidement. Beaucoup s ' e n d e t t e n t à l ' é g a r d de ces sociétés qui spolient colons européens et cultivateurs m u s u l m a n s . » 3 Un capitaliste accompli fait rarement le tri parmi ses victimes. Les trajectoires sont diverses. Prenons c o m m e exemple celle d ' u n très modeste colon : « En 1854, Pierre L., cultivateur à Monthiers, en Charente, quitte sa terre natale, accompagné de sa mère âgée de 80 ans et de sa femme Catherine, 18 ans. Ses deux premiers enfants [...] sont aussi du voyage. [...] Nul ne sait ce qui le pousse à tenter cette aventure à 42 ans. Mais, en métropole, on parle de l'Algérie. Certes, les concessions sont gratuites, il faut obtenir une somme de base pour mettre en valeur la propriété ainsi obtenue et y construire une ferme correspondant à la superficie concédée. Il réalise tout son bien pour pouvoir recommencer sa vie de l'autre côté de la Méditerranée. [...] Moyens limités, isolement, et aléas climatiques transforment sa première ¡installation à Sidi Brahim, près de Sidi Bel-Abbes en catastrophe. La deuxième implantation dans la "banlieue" de ce qui n'est qu'un poste miliitaire entouré de quelques habitations, à 80 km au sud-ouest d'Oran, est également laborieuse. [...] Pierre L., qui a construit une belle maison eit défriché 17 hectares, ne

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peut ou presque compter que sur ses propres forces. [...] Les difficultés liées à la sécheresse le contraignent à demander une aide pour construire une noria en bordure de la Mekerra. [...] [Refus de l'administration qui] "n'accorde plus de primes aux norias." [...] Au début des années 1860, il a fallu vendre la concession à un gros colon qui a prêté l'argent sur parole et qui, une fois la somme remboursée, refuse de restituer la terre. Pendant que certains s'enrichissent, chez Pierre L., on parle des "années de misère et de sécheresse" et les terres maintenant loties appartiennent à un autre. Rien n'y fait cependant et, de Pierre en Pierre, la famille fait souche. [...] Les uns et les autres n'ont pas le sentiment d'avoir volé la terre qu'ils cultivent. Tout le problème est là... »4

L a loi des h o m m e s est ainsi faite que les objectifs louables des petites gens sont à la merci des g r a n d s prédateurs. Car si initialement les gouverneurs offrent de grandes concessions et des largesses illimitées aux détenteurs de capitaux, c'est q u ' i l s espèrent que ceux-ci respecteront leur engagement à construire les logements et à procéder aux assainissements qui favoriseront l'implantation de paysans européens. Hélas, après avoir acquis les biens, ils oublient de remplir leur part du contrat. (Remarquons déjà que ceux qui se servirent j u s q u ' à l ' é c œ u r e m e n t dans le Trésor de la Casbah ne figurent pas parmi les grands exploitants en devenir; l'argent a migré vers l'Europe, pour ne plus j a m a i s en revenir; une de ces constantes qui perdurent a u j o u r d ' h u i encore.) À ce stade, donc, aucune politique ne se montre efficace et chaque nouveau gouvernement expérimente sa batterie de mesures, inspirée tantôt par un général en verve, tantôt par l ' h u m a n i s m e des « b u r e a u x arabes», parfois par les « c i v i l s » , ou par les plus hautes autorités (tel N a p o l é o n III qui poussera le plus loin l'ambition de faire une place aux h o m m e s ) . C h a q u e fois, les gros colons sauront tordre les règles à leur profit. Cette accumulation de la richesse au b é n é f i c e d ' u n e minorité va c r e s c e n d o , au point q u ' a u m i l i e u du XXe siècle, trois potentats se p a r t a g e n t l ' e s s e n t i e l de la richesse a l g é r i e n n e : L u c i e n B o r g e a u d , Georges Blanchette et Laurent Schiaffmo. Mais il ne faut pas oublier les échelons intermédiaires, tel le « s é n a t e u r Duroux [qui] possédait toutes les minoteries et le j o u r n a l L'Écho d'Alger», etc. Le « p r o p r i é t a i r e » de l ' A l g é r i e à partir de 1979, Larbi Belkheir, abritera à ses débuts son incommensurable fortune, tant elle irrigue tous les paradis fiscaux de la planète, sous la modeste activité de petit « m i n o t i e r » .

1962. L'INDÉPENDANCE ALIÉNÉE

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L'ALGÉRIE, UN PARADIS SANS «LANGUE, NI MÉMOIRE, NI HISTOIRE» Lorsque c o m m e n c e la guerre, pour certains colons, les racines d a n s ce p a y s r e m o n t e n t à plus d ' u n s i è c l e ; d ' a u t r e s sont là depuis des t e m p s immémoriaux, et être considéré c o m m e étranger relève pour eux d ' u n pur non-sens. Ce sont souvent des gens simples. Albert C a m u s était « f i l s d ' u n c o m m i s de f e r m e du Constantinois tué en 1914 et d ' u n e m è r e espagnole qui ne savait ni lire ni é c r i r e . » Jules R o y r a c o n t e : « J ' a i vu m a grandmère inquiète des écarts de conduite des uns et des autres, généreuse avec les siens et avec les mesquines. Elle ne savait ni lire ni écrire, m a i s elle savait compter. Je l'ai vue intraitable quand il s'agissait d ' a r g e n t q u ' i l n e fallait pas gagner sur le dos de n ' i m p o r t e qui. Avec elle, on ne volait pas leur terre aux Arabes, on n e spoliait pas ceux qui ne pouvaient pas se défendre. Les Frères Paris [leurs voisins] essayaient parfois de se rouler e u x - m ê m e s , j e ne vais pas en faire des saints, mais personne ne les accusa de fraude ou d'exactions. Honnêtes, ils sont restés p a u v r e s . » Et, au-delà de l'attachement qu'ils ont tous naturellement envers la terre où ils sont nés, pour chacun d ' e u x , l'Algérie, à l'instar de « R o v i g o , [c'est] un café ou deux, le curé, les c o m m è r e s , le médecin, les maîtres d ' é c o l e , le boulanger. C e serait le paradis s'il n ' y avait pas les A r a b e s . » Les Arabes, superflus m ê m e chez eux ? Tout est question de point de vue, c o m m e le p r o c l a m e sans détour Théophile G a u t h i e r : « L ' A l g é r i e est un pays superbe où il n ' y a que les Français de trop. » 5 C o m m e n t se reconnaître et se tolérer si les nécessités n ' a m è n e n t pas à se respecter les uns les a u t r e s ? « I l fallait d ' a b o r d savoir son origine. J u i f ? A r a b e ? F r a n ç a i s ? Italien? E s p a g n o l ? M a l t a i s ? A u t r e s ? Suivant les familles, les uns étaient moins bien considérés que d ' a u t r e s » 6 raconte Simone Balazard Djaffar, dans un ouvrage collectif, traduisant l ' e x t r ê m e multiplicité de l'identité algérienne avant 1962, réduite depuis par le F L N à l'unité, sinon à néant. « E n Algérie, écrira Hervé Bourges, se côtoient, sans toujours bien se comprendre et se tolérer, le pur Arabe musulman solidement ancré dans ses convictions séculaires, l'Africain révolutionnaire soucieux de dépasser les limites du nationalisme étroit, l'Oriental attaché aux signes plutôt q u ' a n c r é dans la réalité, le Méditerranéen rêveur, insouciant et versatile, a m o u r e u x du ciel, de la terre et de la mer, le "Français" orienté vers le m o d e de vie occidental, et m e n a c é par l'acculturation et le mimétisme. La "dispute de l'authentique et de l'efficace", pour reprendre l'expression de Jacques Berque, r é s u m e cette lutte pour découvrir une identité qui s ' a b r e u v e j u s t e m e n t à ses sources anciennes et m o d e r n e s

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a p p a r e m m e n t contradictoires. » 7 Voilà deux ¿numérations qui, prétendant rétablir l'équité, se voulant exhaustives, balaient d ' u n revers de m a i n l ' u n e des principales c o m p o s a n t e s de ce peuple multiple, les B e r b è r e s ; mais il est vrai q u ' H e r v é Bourges - n o u s en reparlerons - a été nourri à la m a m e l l e du F L N , ce parti unique qui ne supportait pas de voir une tête émerger du néant qui constitue son patrimoine intellectuel... « C e peuple est fait de Languedociens, de Provençaux, d ' A n d a l o u s , de Mahonnais, de Corses, de Sardes, de Siciliens, de M a l t a i s . . . Certes, r e m a r q u e Jeanine Verdès-Leroux, Audisio mentionne quelquefois les Arabes et les Berbères, parle "du quelque chose de Berbère" dans l'"Algérien", m a i s il c o n f i e : "L'Algérie est le seul de nos territoires d ' o u t r e - m e r où l ' o n ait vraiment réussi à 'faire de la France'." » 8 M a i s r e v e n o n s à c e s c o l o n s p a u v r e s , qui ont vu u n siècle passer, c h a q u e a n n é e apportant son lot de « m a l h e u r » , les « s a u t e r e l l e s » , « u n e i n o n d a t i o n » , toutes c h o s e s qui forgent u n lien charnel avec un lieu, et qui au bout du c o m p t e font dire à Jules R o y : « C e t t e terre, j e l ' a i m a i s , c ' é t a i t la m i e n n e , c ' é t a i t la n ô t r e . » C e p e n d a n t , p o u r la p l u p a r t , « l a F r a n c e était la f o r c e , la j u s t i c e , la c i v i l i s a t i o n . . . [Mais] les A r a b e s , [ . . . ] tous voleurs, tous m e n t e u r s , tous p é d é r a s t e s » . Et il aimait bien M e f t a h , l ' h o m m e à tout faire de la m a i s o n . Sinon, le reste n ' é t a i t q u e « r a c a i l l e » , si bien q u e valait m i e u x « r e s t f e r ] entre n o u s , laiss[er] les i n d i g è n e s où ils s o n t . » O u i , disait J u l e s Roy, a v e c C a m u s « n o u s a v i o n s la m ê m e m è r e , l ' A l g é r i e » . M a i s la m è r e a eu le m a l h e u r d ' e n f a n t e r des r e j e t o n s m a u d i t s , et n o m b r e u x : « l e s A r a b e s » ! Un p e u p l e sans citoyenneté. E n 1954, au début de la guerre, pour un million d ' E u r o p é e n s , l'Algérie c ' e s t l ' E d e n q u ' i l faut garder j a l o u s e m e n t à tout prix, et les « A r a b e s » la p o m m e de discorde. Pourtant, disait la g r a n d - m è r e de Jules Roy, « à la ferme, il n ' y a pas une miette qui soit injuste. » Q u e vaut une justice en « m i e t t e s » ? Albert C a m u s le pressentait: « N o u s n ' a v i o n s dérobé le bien de personne, m a i s peut-être la langue, la m é m o i r e , l ' H i s t o i r e . . . » Et voilà que la « r a c a i l l e » déculturée se m u e subitement en vainqueur, trop rapidement pour laisser place au discernement, au retour à la fraternité, à la mère de reconnaître toute sa progéniture. Un Eden dont on expulsera b r u t a l e m e n t ses h ô t e s privilégiés, p a r c e q u ' i l s n ' o n t pas su à t e m p s s ' a c c o m m o d e r des faibles. « E u r o p é e n s » , « A r a b e s » , et « B e r b è r e s » ne f o r m e n t pas un peuple, tout j u s t e un conglomérat d ' i d e n t i t é s qui n ' o n t j a m a i s réussi à c o o r d o n n e r leurs efforts, une population disparate de 12 millions d'êtres, tous spoliés de l'après-guerre.

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P o u r q u o i de G a u l l e a-t-il f r o i d e m e n t choisi cette s o l u t i o n d u « d é g a g e m e n t » précipité et sans garantie qui n ' a , au final, b é n é f i c i é à aucune de ces composantes, et fait la part belle aux canailles, une poignée de D A F ? Le crime est c o l o s s a l ; s'il s ' a v è r e q u ' i l fut délibéré, il serait a b o m i n a b l e . . . A b o r d e r la question est déjà un o u t r a g e ; c ' e s t , pour les uns, être nostalgique de l ' A l g é r i e française, vouloir la réhabiliter; pour les autres, oser la m o i n d r e explication qui sorte des carcans idéologiques revient à mettre tous les m a u x de l'Algérie sur le dos de la France, et d o n c à se disqualifier soi-même. Dans les deux cas, parler ou écrire équivaut à faire le j e u de l ' e x t r ê m e droite, des nationalistes, d u Front National. Le fait q u ' u n t h e r m o m è t r e soit défectueux signifie-t-il q u ' i l ne fasse pas f r o i d ? Pour espérer r e d o n n e r q u e l q u e chaleur à ce pays, il n e faut pas avoir peur d ' a f f r o n t e r les températures polaires qui y sévissent.

PARRICIDE ET DÉCHIRURE « Oran, 12 août 1962... Je dois prendre la Caravelle Oran-Paris mercredi 15 dans la soirée. J'espère être auprès de vous vers 22 h 30. Je vis intensément mes derniers jours d'Oran, plage le matin, quand je peux, vers 18 h les brochettes avec des amis dans les rares troquets français qui restent dans le faubourg de Saint-Eugène, dernier bastion un peu européen. Le soir, dîner et cinéma, dégagements sur la corniche toujours magnifique, Bouisville, Aïn-el-Turk, cap Falcon, la mer au clair de lune, les pins, les orchestres de musique douce au bord de l'eau. Les ultimes vestiges de l'Algérie de papa. Je suis malade d'en partir. » 9 C e s m o t s d é c h i r a n t s sont d ' u n s o u s - l i e u t e n a n t f r a n ç a i s q u e l q u e s j o u r s avant de quitter l ' A l g é r i e ; il vient à peine de débarquer dans ce p a y s pour la p r e m i è r e fois, le 18 août 1960. Q u e dire des sentiments i n e x p r i m é s de près d ' u n million d ' E u r o p é e n s qui n ' o n t c o n n u de terre que c e l l e - l à ? En 1962, ils sont n o m b r e u x à n ' a v o i r eu d ' a u t r e choix que « l a valise ou le c e r c u e i l » . C o m b i e n sont-ils à n ' a v o i r pas eu la possibilité de ce « c h o i x » d é c h i r a n t ? Des dizaines de milliers, surtout à O r a n où l ' a r m é e f r a n ç a i s e a laissé s ' a c c o m p l i r le m e u r t r e b a r b a r e de centaines d e civils e u r o p é e n s - p r è s de 3 0 0 0 e n l e v é s dont une g r a n d e partie ne r é a p p a r a î t r o n t plus j a m a i s - , c o m m e le raconte l ' h i s t o r i e n Jean M o n n e r e t d a n s La Tragédie oubliée, Oran, juillet 1962. Les r e s c a p é s partent avec p o u r tout viatique, une « v a l i s e » ; le fruit de toute une vie a b a n d o n n é d a n s la c o h u e et la fuite éperdue vers un h y p o t h é t i q u e salut. L ' E d e n s ' e s t m u é en enfer. A h , si l ' o n pouvait en q u e l q u e s h e u r e s r e p r e n d r e - q u e dis-je, e n t a m e r - le dialogue, accepter de partager, raviver sa m é m o i r e , e n t i è r e . . . ! M a i s il

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est trop tard. Il f a u t f u i r ; s y n d r o m e d e la souricière. Le s p e c t a c l e est d é c h i r a n t d e c e s m a l h e u r e u x t e n t a n t d ' é c h a p p e r à ce q u ' i l s c r o i e n t être la m o r t certaine, ces fillettes h a g a r d e s et p e r p l e x e s q u e m o n t r e n t les a c t u a l i t é s de l ' é p o q u e , n e p a r v e n a n t p a s à t r o u v e r le s o m m e i l , a l l o n g é e s sur u n b a g a g e d a n s le hall d ' e m b a r q u e m e n t d ' u n port ou d ' u n e aérogare ; et, lorsque la c h a n c e leur est enfin d o n n é e de gravir les m a r c h e s de la passerelle qui les c o u p e d é f i n i t i v e m e n t d u « p a r a d i s » , le sentiment accablant d ' u n e existence d é f i n i t i v e m e n t g â c h é e les assaille. M a i s tous ces m a l h e u r e u x d a n s leur f u i t e d é s e s p é r é e ont-ils souvenir, à cet instant de désarroi, de cet autre spectacle, tout aussi d é p l o r a b l e ? En 1830, « s ' é t o n n a n t de la m o d i c i t é d u c h i f f r e d e la p o p u l a t i o n m a u r e , 2 0 0 à 3 0 0 , et qui en c o m p t a i t à l ' o r i g i n e 7 0 0 0 , dont la moitié de Juifs et la m o i t i é d ' E u r o p é e n s , U r b a i n r a c o n t a à ses lecteurs c o m m e n t la p a n i q u e s ' é t a i t r é p a n d u e à Oran, q u a n d on avait c o n n u le "prétendu sac d ' A l g e r " , et c o m m e n t en u n e n u i t , " T u r c s , C o u l o u g h l i s , M a u r e s et A r a b e s " avaient a b a n d o n n é m a i s o n s m e u b l é e s , m a g a s i n s garnis et pris la r o u t e de M o s t a g a n e m , T l e m c e n et M a s c a r a . " C ' é t a i t pitié d e voir O r a n " » , 1 0 concluait-il. O n p e u t douter des vertus de la m é m o i r e . C ' é t a i t pitié de voir Oran à l ' é t é 1962. Il y eut un c r i m e à l ' é t é 1830, tout c o m m e à l ' é t é 1962, le s e c o n d n e réparant en rien le premier, l ' a c c e n t u a n t m ê m e ; m a i s ce n ' e s t pas fini, car il y aura u n c r i m e a n a l o g u e qui d u r e r a toute la d é c e n n i e 1990 ; trois m o m e n t s d r a m a t i q u e s qui se répondent en s ' i g n o r a n t , de loin, f r a g m e n t s d ' u n e histoire c o m p a r t i m e n t é e que p e r s o n n e n ' i m a g i n e m ê m e c o n c e v a b l e de r é u n i r ; ils ont en c o m m u n d ' a f f l i g e r des g e n s ordinaires, simples, p a u v r e s , b r a v e s ; « d e s crimes sans assassin en s o m m e » , 1 1 p o u r reprendre l ' e x p r e s s i o n de Jean Monneret, des é v é n e m e n t s qui deviennent « u n simple résidu de la g u e r r e » . L'histoire c o m p r i m e les t e m p s et écrase les d e s t i n é e s ; le d r a m e des u n s o c c u l t e le m a l h e u r d e s autres. C ' e s t la règle. À qui tant de m a l h e u r profite-t-il d ' a i l l e u r s ? À u n e p o i g n é e d ' o f f i c i e r s D A F . . . Qui tirera un j o u r les leçons de l ' h i s t o i r e ? C e u x qui p r e n n e n t la peine de la lire, hélas, sont ceux-là m ê m e s qui p a t i e m m e n t , y p u i s e n t les t r a q u e n a r d s q u ' i l s tendent à leur e n n e m i , le p e u p l e algérien, a u q u e l ils ne laissent d ' a u t r e c h o i x que la lutte h a r a s s a n t e pour survivre, le m ê m e h o r i z o n d ' u n e histoire qui b a l b u t i e ; depuis la m o r t de Jugurtha, le p o u v o i r est t o u j o u r s r e v e n u à l ' e n n e m i . « M a l h e u r aux v a i n c u s ! » , prédisait I b n - K h a l d o u n . O ù est l'élite qui permettrait au p e u p l e algérien de l ' a i d e r à forger les a r m e s p o u r se l i b é r e r ? E n g l u é e dans la f a n g e . . . A u s o m m e t de l ' É t a t , au C l u b des Pins, à D j e n a n e l - M i t h a q ( d a n s cette villa r e s c a p é e de l ' é p o q u e t u r q u e , sur les h a u t e u r s d ' A l g e r , où

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la n o m e n k l a t u r a reçoit a v e c faste), o n p o u r r a i t v o l o n t i e r s i m a g i n e r u n b a n q u e t où B o d i c h o n d o n n e r a i t la r é p l i q u e à H o u e l l e b e c q ou à P h i l i p p e Val et B u g e a u d à L a m a r i - S m a ï n ou M o h a m e d , au c h o i x - , Bacri à Larbi B e l k h e i r (en s ' e s c l a f f a n t , ils r i v a l i s e r a i e n t d ' a i r « i m b é c i l e » ) , S a i n t A r n a u d ou P a p o n à K h a l e d N e z z a r t a n d i s q u e T o c q u e v i l l e apparaîtrait c o m m e le t h é o r i c i e n m é t h o d i q u e et f r o i d des p r o g r a m m e s m e u r t r i e r s à l ' œ u v r e en A l g é r i e d e p u i s 1 9 9 0 . . .

1 9 5 4 - 1 9 6 2 , UNE GUERRE INUTILE En lisant les o u v r a g e s d e r é f é r e n c e sur la g u e r r e d ' A l g é r i e et les témoignages de ceux qui l'ont m e n é e , ou simplement subie, on se d e m a n d e pourquoi elle a duré huit ans. Avec le recul, on se dit q u ' e l l e aurait m ê m e pu et dû ne j a m a i s avoir lieu. L o r s q u e de Gaulle est arrivé au p o u v o i r en 1958, elle s e m b l e ne s'être p r o l o n g é e que d a n s le dessein abject de la voir se d é n o u e r de la pire des façons. N o u s étions encore en 1955 : « L o r s q u e M e n d è s F r a n c e eut son célèbre entretien avec de Gaulle, le général lui a a n n o n c é q u e l ' A f r i q u e du N o r d était d é s o r m a i s p e r d u e p o u r la F r a n c e . "Et l ' A l g é r i e ? " a d e m a n d é M e n d è s France. L ' A l g é r i e aussi a r é p o n d u de Gaulle. Et il a a j o u t é : " N o u s a v o n s déjà trop de partis en France, n o u s en aurons bientôt un de p l u s : le parti des r é f u g i é s d ' A f r i q u e du N o r d " . » 1 2 Sa religion était faite trois ans avant sa prise de pouvoir. Il v a louvoyer pendant trois ans après celle-ci. P o u r q u o i ? Bien sûr, éviter « u n n o u v e a u D i e n - B i e n - P h u » ; g a g n e r la guerre d ' a b o r d , p o u r ne pas n é g o c i e r en position de faiblesse. Et puis, il faut p r e n d r e le t e m p s de faire avaler la pilule à tous ceux qui, croyant en lui, ont conspiré p o u r le r a m e n e r aux affaires. M a i s la raison la plus sérieuse est q u ' i l doit a c c o m m o d e r cette I n d é p e n d a n c e i n é l u c t a b l e d ' u n e f o r m u l e qui arrimerait l ' A l g é r i e à la France. Pour lui, « l ' A l g é r i e restera française c o m m e la France est restée romaine. » B E n c o r e faut-il trouver les voies et les m o y e n s . . .

U n e chose est certaine, tous ses calculs - en lui prêtant les meilleures intensions - seront contrariés par des « circonstances » qui lui échapperont. Et l ' I n d é p e n d a n c e sera a m è r e p o u r l ' é c r a s a n t e m a j o r i t é des p o p u l a t i o n s concernées. L a guerre qui perdure quatre ans après sa prise de p o u v o i r est atroce en t e r m e s de pertes en vies h u m a i n e s , et p l u s encore p o u r la honte de ceux qui l ' o n t m e n é e d ' a v o i r c é d é à des pratiques aussi v a i n e s que barbares, qui les a forcés à révéler leurs p e n c h a n t s les plus a f f r e u x . Il serait salutaire d ' a n a l y s e r c o m m e n t des h o m m e s q u e rien ne prédestinait à de tels a v i l i s s e m e n t s ont p r a t i q u é des tortures q u e l ' o n n ' i n f l i g e r a i t

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pas à un animal* (on n e peut accepter - puis guérir - que ce que l ' o n c o m p r e n d ) , des h o m m e s qui, c h e m i n faisant, se sont révélés des artistes en la m a t i è r e : « U n interrogatoire, c ' e s t c o m m e q u a n d on fait l ' a m o u r . U n e règle essentielle : prendre son temps. Savoir se retenir longuement au m o m e n t crucial. Maintenir la douleur c o m m e le plaisir à son paroxysme. Surtout n e pas dépasser ce palier, sinon le partenaire te claque dans les doigts. Si tu parviens à bien le motiver, il parle. L'orgasme, quoi. Sinon il t o m b e dans les p o m m e s . Si v o u s a i m e z les f e m m e s , m o n lieutenant, v o u s d e v e z c o m p r e n d r e . »' 4 Telle est la p é d a g o g i e d ' u n agent des D O P (détachements opérationnels de protection, devenus des centres de tortures à échelle industrielle) à l'adresse d ' u n j e u n e officier qui s ' a v o u e inefficace à soutirer des renseignements malgré le passage à tabac de ses suspects. « L ' I n d é p e n d a n c e » est terrible pour quelque deux millions de militaires français, engagés ou conscrits, envoyés de gré ou de force se battre pour une cause qui les indifférait. Les Harkis font l ' e x p é r i e n c e d o u l o u r e u s e que la fidélité ne compte pas dans les tourmentes de l'Histoire. Q u a n d les Européens d ' A l g é r i e c o m p r e n n e n t que l ' o n n e peut pas indéfiniment nier l'existence d ' u n peuple et lui interdire voix au chapitre, il est trop tard pour éviter la déchirure. Mais, si tout cela a donné lieu à littérature foisonnante, l ' o n m é c o n n a î t que « l ' I n d é p e n d a n c e » sera encore plus terrible pour le p e u p l e algérien, s o m m é de ravaler ses espoirs alors q u ' i l s'apprêtait à les concrétiser; et si toutes les autres composantes éclatées de la société d ' a v a n t 1962 trouvent bon gré m a l gré une nouvelle patrie en France, les « m u s u l m a n s » redeviennent parias chez eux, sans échappatoire possible. M a i s il y a aussi les victimes transparentes de ce conflit, ceux qui contre vents et marées, Français ou non, ont d é f e n d u l'honneur, sans rencontrer la gloire q u ' i l s méritent, ni les r e m e r c i e m e n t s de la part de ceux q u ' i l s ont aidés, parfois au péril de leur vie. D e s décennies après que l'Histoire leur a donné raison, ils restent proscrits, traîtres encore aux yeux de ceux qui avouent pourtant s ' ê t r e trompés. C o m b i e n d ' A l g é r i e n s connaissent l'histoire des « p o r t e u r s de v a l i s e s » et, parmi eux, c o m b i e n citeraient un seul n o m ? Jacques Pâris de Bollardière a porté haut l ' h o n n e u r de la F r a n c e avant de connaître une fin de carrière affligeante. Qui connaît Paul Teitgen, les réseaux J e a n s o n ? Quel Algérien honore la m é m o i r e de Maurice Audin, exécuté par les h o m m e s du général Aussarresses, d ' H e n r i

* Les ouvrages de Pierre Vidal-Naquet (Les Crimes de l'armée française, Éditions François Maspéro, réédité en 2004 par La Découverte) et de Jean-Pierre Vittori (On a torturé en Algérie, Éditions Ramsay, 2000), notamment, recensent quelques « belles pages » de l'histoire de France dont la lecture vous révulse.

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Maillot, de Fernand Iveton, ou des militants c o m m u n i s t e s morts à Paris le 8 février 1 9 6 2 ? C o m b i e n savent ce que doit la révolution algérienne au Maroc et à la Tunisie ? La douleur des uns occulte celle des autres, les regrets des uns éclipsent les nostalgies des autres. Il reste le ressentiment, et les larmes irrépressibles de Jules Roy reçu dans « A p o s t r o p h e s » pour ses Mémoires barbares. Si toutes les victimes se mettaient à pleurer, l'Algérie engendrerait un o c é a n . . . Les assassins, en revanche, continueront à exercer de hautes fonctions, et les récidivistes c o m m e M a u r i c e P a p o n p o u r r o n t se livrer à leurs bas instincts sous la Ve R é p u b l i q u e , bien l o n g t e m p s après avoir fait la honte de la III e .

LES MUSULMANS INDÉSIRABLES EN FRANCE « A v e z - v o u s songé q u e les A r a b e s se multiplieront p a r 2 puis p a r 5, pendant q u e la p o p u l a t i o n f r a n ç a i s e restera presque stationnaire ? Il y aurait 200, 400, 6 0 0 députés arabes à P a r i s ? Vous v o y e z un Président arabe à l ' É l y s é e ? » 1 5 C ' e s t par ces p r o p o s que le général de Gaulle illustre le caractère repoussant de l'idée d ' u n e Algérie française. «L'intégration, q u e l q u e sens q u e l ' o n d o n n e à ce m o t , n ' e s t plus praticable. U n e représentation algérienne à l ' A s s e m b l é e nationale, proportionnelle à la population, est le m o y e n le plus sûr d ' a c h e v e r la ruine du régime. L e taux de croissance d é m o g r a p h i q u e est trop différent des d e u x côtés de la Méditerranée pour que ces peuples, de race et de religion différentes, puissent être f r a c t i o n d ' u n e m ê m e c o m m u n a u t é » j u s t i f i e R a y m o n d Aron. 1 6 Pierre Le G o y e t é v o q u e des propos encore plus crus du général : « M a i s enfin, [général] Allard, v o u s n ' i m a g i n e z tout de m ê m e pas q u ' u n j o u r un Arabe, un m u s u l m a n , puisse être l'égal d ' u n Français ! Voyons, c'est impensable ! » 17 II faut trancher dans le v i f . . . « E n général, les gens intelligents ne sont pas courageux et les gens c o u r a g e u x ne sont pas intelligents», 1 8 disait de Gaulle. S ' e s t i m a n t « c o u r a g e u x » , il fait le choix de l'Indépendance de l'Algérie, seule solution permettant de préserver la « cohésion » culturelle et religieuse de la France ; suffisamment «intelligent», il ambitionne de «réussir la décolonisation». Restent quelques p r o b l è m e s s u b s é q u e n t s : par exemple, que faire des Pieds-noirs et des H a r k i s ? Et, surtout, comment assurer l'Indépendance de l'Algérie tout en préservant les intérêts stratégiques de la F r a n c e ?

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D e s Pieds-noirs, il c o n s e n t à s ' a c c o m m o d e r ; de m a u v a i s e grâce et nourrissant le secret espoir que « les repliés devraient p o u v o i r rentrer chez e u x » 1 9 ou q u ' i l s iraient, n o n pas au Brésil ou en Argentine c o m m e le s u g g è r e Louis J o x e au m o t i f q u ' i l s « i n o c u l e r a i e n t le f a s c i s m e à la F r a n c e » , m a i s « p l u t ô t en N o u v e l l e - C a l é d o n i e , ou bien en Guyane, qui est sous-peuplée et où on d e m a n d e des d é f r i c h e u r s et des pionniers ! » L e s H a r k i s d e v i e n n e n t q u a n t à eux un f a r d e a u dont il ne s o u h a i t e p a s s ' e m b a r r a s s e r . « O n n e p e u t p a s a c c e p t e r de r e p l i e r tous les m u s u l m a n s qui viendraient à déclarer q u ' i l s ne s ' e n t e n d r o n t p a s avec leur g o u v e r n e m e n t ! L e t e r m e de rapatriés ne s ' a p p l i q u e é v i d e m m e n t pas a u x m u s u l m a n s : ils ne retournent p a s dans la terre de leurs pères ! D a n s leur cas, il ne saurait s ' a g i r que de réfugiés ! » Q u e l l e m o u c h e les a d o n c piqués, p o u r devenir Harkis, et « t r a h i r » leur p e u p l e ? Le comble, c ' e s t q u ' i l s sont n o m b r e u x à l'être d e v e n u s après l'arrivée du général de Gaulle, et répondant parfois à son appel. Les voilà d e v e n u s encombrants, enjeu d ' u n débat qui se borne à définir le m o y e n c o m m o d e de les sacrifier. D'ailleurs, estime Georges P o m p i d o u , ceux qui sont arrivés en France posent déjà p r o b l è m e ; les « d e u x c a m p s m i l i t a i r e s » où ils sont p a r q u é s « sont submergés. Ces gens ne veulent pas travailler. Ils se trouvent bien au Larzac sous les tentes et ils s ' y installeraient volontiers p o u r l ' h i v e r et a u - d e l à ; m a i s il f a u d r a bien les évacuer. E n s e p t e m b r e , les f r o i d s vont venir. » R é p o n s e du général : « Il faut les mettre en d e m e u r e ou de travailler, ou de repartir.» En tout état de cause, que ceux qui n ' o n t pas encore fait la traversée se débrouillent avec leur « f r è r e s » , dans la terre de leurs a ï e u x . . . C e j u g e m e n t qui v o u e les Harkis, les rescapés tout du moins, à la paresse éternelle et à une culture parasitaire occulte l ' é p i s o d e abominable auquel ils viennent d'échapper. U n événement si douloureux, explique Fatima B e s n a c i - L a n c o u , dans Fille de Harki, q u ' e l l e décide de le refouler et d ' e n épargner le souvenir à ses propres e n f a n t s ; j u s q u ' à ce que le Président algérien B o u t e f l i k a en visite à Paris en 2 0 0 0 le réveille en sursaut: « L e s conditions ne sont pas encore v e n u e s pour des visites de Harkis [en Algérie]. C ' e s t un peu c o m m e si on demandait à un Français de la Résistance de toucher la m a i n d ' u n c o l l a b o » , avait-il dit sur F r a n c e 2 à Béatrice Schoenberg qui l'interviewait. « C e t t e phrase m ' a transpercé le c œ u r » , 2 0 avoue Fatima B e s n a c i - L a n c o u . Elle décide alors de sortir de son « t r o u de m é m o i r e » et de faire le récit de son propre exil forcé, une histoire « b o u l e v e r s a n t e » . M a i s ni G e o r g e s P o m p i d o u ni le général de Gaulle n e sont là pour la lire.

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En tout cas, en cette a n n é e 1962, la m e s s e est dite, et de f a ç o n lapidaire ! C o m b i e n sont-ils, ces Harkis dont Charles d e Gaulle n e veut p a s ? « A u total, 5 000 personnes, qui semblent préférer ne pas demeurer en Algérie, après l ' I n d é p e n d a n c e » , estime Robert Boulin, ce à quoi le général répond laconiquement : « Pour les Harkis, n e comptez-vous pas u n peu j u s t e ? » Les chiffres atteignent 2 0 0 0 0 0 rescapés, candidats à l ' e x o d e , et la métropole, raison d ' É t a t oblige, ne dispose pas des « c a p a c i t é s » d'accueil pour les recevoir. C ' e s t pour mettre fin aux « é v é n e m e n t s d ' A l g é r i e » , p a r o x y s m e d ' u n e longue histoire d ' a b o m i n a t i o n s coloniales, que la F r a n c e fait appel au général de Gaulle en 1958. D é c i d é à ne pas « e n c o m b r e r » son pays et son Parlement avec des m u s u l m a n s trop prolifiques, il se retrouve c o n f r o n t é à une migration sur son sol encore plus m a s s i v e que du t e m p s où l ' A l g é r i e était française. Et, pour les Algériens qui n ' o n t pas « l ' h e u r » de traverser la Méditerranée, il n ' a été mis fin à une colonisation que pour permettre à une autre, plus cruelle encore, de s'installer.

LE SERPENT SE MORD LA QUEUE De Gaulle r e f u s e l ' i d é e q u ' u n A r a b e soit l ' é g a l d ' u n F r a n ç a i s ; m a i s le résistant qu'il était apprécie encore m o i n s les «traîtres». « À des Algériens qui réclamaient [l'amnistie] pour leurs amis français [porteurs de valises], de Gaulle avait r é p o n d u : "Occupez-vous de vos traîtres, j e m ' o c c u p e des miens". Cette trahison, tous les porteurs d ' e s p o i r c o m m e Jacques [Charby] l'appellent fidélité. » 21 Mais pour de Gaulle, les Harkis sont des traîtres. Et que fait-on dans ce cas ? « Pour la plupart, [ils] furent livrés à la vengeance des vainqueurs sur l'ordre peut-être du Général lui-même qui, par le verbe, transfigura la défaite et c a m o u f l a les horreurs. » 22 A b a n d o n n é s p i e d s et p o i n g s liés aux « m a r s i e n s » , ils subissent de véritables p o g r o m s : les évaluations vont de 5 0 0 0 0 à 1 5 0 0 0 0 morts, en quelques mois. Les Harkis ne sont pour lui q u e « d e s j o u e t s de l'Histoire, m a i s pas des militaires français "à part entière", auquel cas, soldat et patriote, il n'aurait j a m a i s accepté de les abandonner à leur sort » conclut R é m i Kauffer. Mais le « t o r t » de ces h o m m e s est moins d'être Harkis, ou traîtres, que musulmans vivant en France; tort qu'ils partagent avec une autre catégorie d'individus destinés à y demeurer; les musulmans nombreux au sein m ê m e de l'armée française. Peut-on imaginer que de Gaulle tienne ceux-là en si haute estime qu'il les considère c o m m e « é g a u x » des Français? En militaire

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averti, ne verrait-il pas en eux une source future de problèmes, surtout dans la perspective de deux pays voués à une coopération incertaine? L'idée de les faire déserter opportunément, tout en leur confiant la mission de servir la France depuis les cabinets ministériels de l'Algérie indépendante, a-t-elle pu échapper à son esprit a f t u t é ? Faire d ' u n e pierre deux coups. «Renvoyer les Arabes à leur douar d'origine», selon la formule consacrée, et compter sur leur soutien à vie pour préserver les intérêts de la France. Cela paraît relever de l'enfance de l'art. M a i s qui sont ces m u s u l m a n s de l ' a r m é e française et dans quelle mesure peut-il compter sur e u x ? Certains ont a priori le profil adéquat, faisant partie d e p u i s l o n g t e m p s de lignées de collaborateurs et de supplétifs de la France, à l'instar de Larbi Belkheir. Selon le journaliste H a n a f i T a g u e m o u t , Larbi Belkheir, aurait « s e r v i sous les ordres du général Jacques Mitterrand, frère de François». 2 3 Larbi Belkheir n ' e s t pas un simple c a ï d : il est p r o g r e s s i v e m e n t devenu, à partir de 1980, le propriétaire de l'Algérie. C e qui explique à la fois sa totale absence de pitié envers les islamistes durant la décennie 1990, son absence de scrupules à coordonner l'assassinat du Président Boudiaf, sa propension à disloquer la vie de tout un peuple, parmi ses forfaits les plus saillants. Toutefois Belkheir n ' e s t pas une exception. M o h a m e d Touati chasse le fellouze dans la région d ' A z e f f o u n (ex-Port Gueydon) en Kabylie quelques m o i s à peine avant le cessez-le-feu. Certains sont de « p e t i t s cadres dans l ' a r m é e française, caporaux, sergents, au m i e u x adjudants c o m m e Belhouchet, ils ont connu une p r o m o t i o n rapide dans l ' A L N » , 2 4 note M o h a m m e d Harbi. D'autres, raconte Abdelhamid Brahimi, déserteront en septembre 1957: « I l y avait les capitaines A b d e l m o u m e n e , M o u l o u d Idir et M o h a m e d Zerguini suivis du lieutenant Bouanane, M o h a m e d Boutella, A b d e l k a d e r C h a b o u et Slimane H o f f m a n qui avaient rejoint le F L N en Tunisie. Ces derniers avaient été rejoints en 1958 ou en 1959 notamment par les sous-lieutenants A b d e l m a d j i d Allahoum, Abdenour Bekka, Larbi Belkheir, M o h a m m e d Ben M o h a m m e d , H a m o u B o u z a d a , M o s t e f a C h e l o u f i , A b d e l m a l e k G u e n a ï z i a , M o k h t a r K e r k e b , L a h b i b Khellil, A b d e l h a m i d Latrèche, M a d a o u i , R a c h i d M e d i o u n i , K h a l e d N e z z a r et Selim Saadi. En 1961, à quelques m o i s de l ' I n d é p e n d a n c e , un autre groupe de "déserteurs" formé de quelques militaires fraîchement p r o m u s au grade de sous-lieutenant par la France rejoint le F L N au Maroc et en Tunisie. Parmi eux, il y avait M o h a m e d Lamari et M o h a m e d Touati» 2 5 U n e délégation de ces h o m m e s dirigée par Slimane H o f f m a n a annoncé la couleur dès leur arrivée à Tunis : « N o u s , ex-officiers de l ' a r m é e française

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et vous, officiers sortis des académies militaires arabes, [ . . . ] devons n o u s entendre dès à présent sur la répartition des rôles et des tâches pour accéder au c o m m a n d e m e n t de la future a r m é e algérienne. » C e à quoi A b d e l h a m i d Brahimi r é p o n d i t : « N o u s n ' a v o n s rien d e c o m m u n . [ . . . ] N o u s n ' a v o n s pas l'intention de faire carrière dans l ' a n n é e après l ' I n d é p e n d a n c e . N o u s ne s o m m e s pas des militaristes. Q u a n t à vous, v o u s v e n e z de l ' a r m é e française bien tardivement après avoir c o m b a t t u en Indochine, puis en Algérie contre les partisans de la liberté et de l ' I n d é p e n d a n c e . Les p r o p o s que vous venez de tenir montrent bien que v o u s êtes en service c o m m a n d é [...] dans le cadre d ' u n plan préétabli et élaboré à Paris. » 2 6 L'incorporation des D A F au sein de l ' a r m é e de libération nationale à la f r o n t i è r e t u n i s i e n n e s ' e s t faite d a n s la douleur. A c c u e i l l i s a v e c suspicion par les officiers, les soldats sur lesquels ils e x e r c e n t leur c o m m a n d e m e n t ne les apprécient guère m i e u x ; Larbi Belkheir échappe de p e u au lynchage. « Leur réaction correspondait à la conviction selon laquelle les déserteurs ( D A F ) étaient l ' e n n e m i intérieur. [ . . . ] À l ' i m a g e des autres groupes de l'intelligentsia nés dans le sillage de la colonisation, [ . . . ] les officiers algériens de l ' a n n é e française victimes de discrimination au sein de cette dernière étaient travaillés p a r des soucis de carrière et aspiraient à se reclasser à l'algérienne. [ . . . ] Leurs entretiens, dont j ' a i eu connaissance, n e témoignaient pas d ' u n e identification totale aux thèses du n a t i o n a l i s m e » , 2 7 explique M o h a m m e d Harbi. Sur les q u e l q u e 500 déserteurs, certains étaient sans doute sincèrement déterminés à épouser la cause de leur nouvelle patrie.(De la m ê m e façon, l ' o n peut avec certitude affirmer que les quelques dizaines d ' e n t r e eux qui ont accaparé le pouvoir en éliminant les vrais patriotes de f a ç o n radicale, ceux qui déclencheront la sale guerre en 1992, font obstacle à la démocratie et contribuent à l'avilissement du p a y s depuis des décennies, ceux-là ne peuvent éprouver aucun sentiment noble à l'égard d ' u n e Algérie indépendante) Cela, nul ne le conteste d é s o r m a i s ; la question qui d e m e u r e est de savoir s'ils ont été missionnés par Paris (étant entendu que, l o r s q u ' o n règne sur un pays au sous-sol aussi riche que celui du Sahara algérien, on puisse se permettre de r é c u n e n t e s insubordinations). Les indices mettant en évidence la connivence de la j u n t e au pouvoir en Algérie avec la France sont légions. Cette collusion éclaire bien des attitudes mystérieuses autrement inexplicables - de l'État français depuis. Pourquoi la France soutient-elle un r é g i m e qui est à la source de n o m b r e de ses m a u x aujourd'hui ? Pourquoi le secoure-t-elle au m o m e n t où il s'apprête à être renversé par une coalition démocratique en 1991 ? Pourquoi accepte-t-elle

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sans broncher le terrorisme d ' É t a t pratiqué par ce régime sur son territoire en 1 9 9 5 ? Pourquoi se fait-elle auxiliaire de police p o u r m u s e l e r toute son opposition en F r a n c e ? Pourquoi consent-elle à voir ses ressortissants assassinés sur son sol et assure-t-elle l ' i m p u n i t é à leurs m e u r t r i e r s ? Toutes ces questions trouvent leur cohérence si l'on admet que les h o m m e s qui dirigent l'Algérie d ' u n e main de fer ont été et sont encore des agents de la France, pour des missions au regard desquelles la vie de quelques Français est accessoire; ce qui fait de l'État français le complice de crimes contre l ' h u m a n i t é qui prolongent 132 ans d ' u n e colonisation meurtrière. Voilà p o u r l ' h y p o t h è s e ; il reste m a i n t e n a n t à a p p r o f o n d i r la question. L'ancien Premier ministre algérien A b d e l h a m i d Brahimi est le p r e m i e r à a v o i r é v o q u é p u b l i q u e m e n t l ' i d é e d ' u n e « P r o m o t i o n L a c o s t e » de D A F m i s s i o n n é s p a r celui-ci p o u r servir la France au sein des instances d i r i g e a n t e s de l ' A l g é r i e i n d é p e n d a n t e . L ' h o n n ê t e t é i n t e l l e c t u e l l e de l ' h o m m e plaide pour lui, m a i s il ne parvient pas à convaincre en raison, selon ses détracteurs, du m a n q u e de d o c u m e n t s officiels attestant de cette « p r o m o t i o n » . Sa théorie présente u n e faille car elle laisse entendre que Robert Lacoste, ministre résident en Algérie, aurait réuni des h o m m e s pour leur enseigner les r u d i m e n t s de la trahison. Cela paraît i n v r a i s e m b l a b l e dans la m e s u r e où la viabilité d ' u n e telle entreprise aurait été bien mince. En effet, on peut difficilement c o m p t e r sur la fidélité et le silence d ' u n g r a n d n o m b r e d ' i n d i v i d u s , d e s traîtres de surcroît, surtout d a n s u n e c o n j o n c t u r e où la torture sévit à grande échelle au sein du F L N et q u e tout le m o n d e peut se trouver broyé par u n e m é c a n i q u e a b o m i n a b l e . Et puis l ' u n d ' e u x pourrait vouloir se refaire u n e virginité en dénonçant ses petits c a m a r a d e s espions. M a i s Lacoste peut p a r f a i t e m e n t avoir missionné des individus isolément, destinés à se liguer plus tard, lorsque le t e m p s et leur parcours auront c o n f i r m é leur fidélité à la France. D ' a u t a n t qu'il n ' e s t pas le seul « p r o m o t e u r » potentiel de cette idée, qui est m ê m e pratiquement dans toutes les têtes.

AVANT TOUT, LE SALUT DE LA PATRIE! « L e critère des critères, c ' e s t l'intérêt du p a y s » , expliquait C h a r l e s de G a u l l e . D a n s quel o b j e c t i f p r i m o r d i a l ? « M a t â c h e essentielle, celle qui c o m m a n d e toutes les a f f a i r e s dont j ' a i reçu la charge - l ' A l g é r i e , la d é c o l o n i s a t i o n , le r e d r e s s e m e n t de l ' é c o n o m i e et des f i n a n c e s , la force de dissuasion, une politique planétaire - c ' e s t de bâtir l'État, [ . . . ]

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sculpter [sa] stature. [ . . . ] Primum omnium salus patriae.» Et dans cette perspective, surtout « ne pas confondre les intérêts de la France avec ceux des Français. À plus forte raison avec ceux des Français d ' A l g é r i e » . Q u e dire alors des intérêts des « A l g é r i e n s » d ' A l g é r i e ? C ' e s t à l ' a u n e de ce principe f o n d a m e n t a l que l ' o n doit e x a m i n e r si l'idée de noyauter une Algérie n o u v e l l e m e n t indépendante est une option concevable. N o u s verrons ensuite si les faits objectifs accréditent ou n o n l ' h y p o t h è s e de cette infiltration. « E n A f r i q u e du N o r d , la France ne peut pas avoir d ' a u t r e but que de r e n f o r c e r les m o d é r é s qui, aspirant à l ' I n d é p e n d a n c e nationale, n ' e n sont pas m o i n s désireux de m a i n t e n i r des liens de coopération et d ' a m i t i é avec la France. [ . . . ] La région où nous occupons une place importante, qui n o u s laisse la possibilité d ' u n rôle de puissance, [ . . . ] qui ajoute e f f e c t i v e m e n t à nos ressources est l ' A f r i q u e du Nord. [ . . . ] La préservation de l ' e m p i r e ne signifie en aucun cas le maintien pur et simple du régime colonial en vigueur a u j o u r d ' h u i . » 2 8 Pour qui l'intérêt de la France prime, l ' i n d é p e n d a n c e énergétique est « l a préoccupation majeure. Les approvisionnements dépendaient des U S A et leur garantie de livraison était assez aléatoire. Il fallait des sources plus s û r e s . » Adepte de l'Algérie française, Jacques Soustelle est d ' u n avis encore plus tranché: «L'intérêt du Sahara est de nous offrir une c h a n c e ; la seule qui soit en vue pour a u j o u r d ' h u i et pour un avenir prévisible de combler notre déficit énergétique sans dépendre pour cela ni des Arabes ni des ÉtatsU n i s . . . » 2 9 D e fait, le pétrole algérien constituera en 1966 plus du tiers des approvisionnements, soit 18,5 millions de tonnes pour un v o l u m e global 53 millions, le Gabon et le C o n g o par exemple ne fournissant alors à la France que 1,2 million de tonnes. 3 0 Et puis, « i l y aura les États qui ont la bombe. Il y aura les États qui n ' o n t pas la b o m b e atomique et qui seront des champs de bataille. Il faut à n o u s - m ê m e s possibilité propre de riposte atomique», 3 1 tranchait Jean Mons, secrétaire général de la D é f e n s e nationale de Guy Mollet. Le m o i n s que l ' o n puisse dire, c'est que, aux yeux du général de Gaulle, l ' e n j e u était majeur. Les raisons qui imposent objectivement la préservation des intérêts français en Algérie sont incontestables. De quelle façon peut-on s'assurer q u ' u n pays indépendant respecte des intérêts qui ne sont pas les siens p r o p r e s ? C o m m e n t concilier l'indépendance énergétique de la France et l'indépendance tout court des Algériens? Quelle meilleure façon de garantir une politique amie de l'Algérie que d ' e n désigner certains des futurs responsables ? D u vœu pieu à la mise en œuvre, un pas reste à franchir.

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Or, c e t t e a m b i t i o n n ' a p a s c o m m e n c é a v e c de G a u l l e : D é j à , « l ' a s t u c i e u x colonel S c h o e n , a y a n t a p p r i s le rôle clef d ' A ï t A h m e d , v a tenter de l ' a p p r o c h e r , via un avocat, p o u r le faire c h a n g e r de c a m p en j o u a n t sur le r e g i s t r e c l a s s i q u e : "Vous, le K a b y l e , d e v r i e z v o u s m é f i e r des A r a b e s . " [ . . . ] O n s o u s - e s t i m e souvent ce f a i t : dès le début de la g u e r r e d ' A l g é r i e , on assiste à u n e v é r i t a b l e bataille de services s e c r e t s . » 3 2 C e l a se p a s s e q u e l q u e s m o i s à p e i n e avant la « T o u s s a i n t r o u g e » , et d é j à la D S T en sait b e a u c o u p sur la r é b e l l i o n ; il faut dire q u ' à partir de là, « l a s u r v e i l l a n c e du territoire, c ' e s t a v a n t tout le m a i n t i e n de l ' A f r i q u e du N o r d dans le giron français. [ . . . ] A l ' é c h e l o n central, à Paris, p l u s d ' u n tiers des m o y e n s en h o m m e s est alloué à la g u e r r e d ' A l g é r i e . » 3 3 Et les r é s u l t a t s s ' a c c u m u l e n t : Salah L o u a n c h i , r e s p o n s a b l e d e la F é d é r a t i o n de France après l'arrestation de Terbouche, « d o n t le p r o c h e e n t o u r a g e est infiltré », est suivi de p r è s par la DST. « Bientôt, n o u s c o n t r ô l o n s n o u s - m ê m e s la F é d é r a t i o n de France, c o m m e l ' O k h r a n a r u s s e m a n i p u l a i t les terroristes s ' o p p o s a n t au t s a r i s m e ou c o m m e l ' A b w e h r a l l e m a n d e contrôlait certains réseaux de résistance. » 34 Bref, l ' i d é e de faire « c h a n g e r de c a m p » u n o p p o s a n t n ' e s t pas a b s u r d e ; c ' e s t la priorité. É v i d e m m e n t , les p e r s o n n e s sollicitées n ' e n font pas g r a n d e publicité, y c o m p r i s l o r s q u ' e l l e s d é c l i n e n t l ' o f f r e ; le fait q u e l ' e n n e m i les ait a p p r o c h é e s de la sorte est en soi suspect et inavouable. M a i s l ' i d é e de f é c o n d e r l ' A l g é r i e de d e m a i n d a n s la p e r s p e c t i v e d ' u n e c o o p é r a t i o n f r u c t u e u s e avec la F r a n c e est d a n s tous les e s p r i t s . . . Et si Ait A h m e d r e f u s e , il n ' e s t p a s i n v r a i s e m b l a b l e d ' i m a g i n e r q u e d ' a u t r e s aient été n o m b r e u x à accepter, a v e c r é t i c e n c e ou e m p r e s s e m e n t et selon u n e multitude de raisons. Les « a r c h i v e s » établissent que l ' u n e des p r e m i è r e s pratiques des services f r a n ç a i s l o r s q u ' i l s arrêtent u n A l g é r i e n i m p l i q u é d a n s la révolution est de tenter de le retourner.* N o u s v e r r o n s que c e u x qui r e f u s è r e n t eurent souvent une e s p é r a n c e de vie très courte.

* Témoin, cette fiche du 5e Bureau sur le dénommé Khalef Mustapha. « U n des soucis permanents des autorités françaises ressort de la dernière phrase de cette fiche : "Ne sait pas exactement ce qu'il veut. Semble pouvoir être récupéré après un stage de rééducation".» (La Guerre d'Algérie - De la Conquête à l'Indépendance, de Pierre Vallaud, Editions Acropole, 2006, p. 182).

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BACHIR BOUMAZA, LE MINISTRE ALGÉRIEN... AU SERVICE DE LA FRANCE À quel niveau hiérarchique cherche-t-on des « alliés » ? Certainement pas parmi les subalternes. N'est-il pas vrai q u e qui peut le plus peut le m o i n s ? Selon F e r h a t A b b a s , « B a c h i r B o u m a z a , un d e s r e s p o n s a b l e s de la d é t e n t i o n F L N à F r e s n e s , aurait été a i d é p a r les a u t o r i t é s f r a n ç a i s e s lors de sa s p e c t a c u l a i r e é v a s i o n en o c t o b r e 1961 de l ' h ô p i t a l c e n t r a l . » C e t t e d é c l a r a t i o n est q u a l i f i é e de « m e n s o n g e a b s o l u » p a r l ' a v o c a t d e l ' i n t é r e s s é . Si c e t t e r é f u t a t i o n d e p r i n c i p e est d a n s l ' o r d r e d e s c h o s e s , l ' o n sait q u e F e r h a t A b b a s a été s u f f i s a m m e n t a v a r e de ses p a r o l e s d e p u i s l ' I n d é p e n d a n c e p o u r c o n s i d é r e r ses a c c u s a t i o n s c o m m e s é r i e u s e s . E l l e s lui v a l e n t un p r o c è s en d i f f a m a t i o n en F r a n c e . M a i s , d a n s l ' h y p o t h è s e p l a u s i b l e de cette é v a s i o n s i m u l é e , B a c h i r B o u m a z a aurait ce p r o f i l d ' a g e n t p o t e n t i e l de la F r a n c e . Il est l ' u n d e s o b l i g é s du r é g i m e des g é n é r a u x D A F en A l g é r i e , qui l ' a p p e l l e n t à la r e s c o u s s e c h a q u e f o i s q u ' i l s se t r o u v e n t en d i f f i c u l t é . C ' e s t ainsi q u ' i l est a p p a r u en juillet 2 0 0 2 lors du p r o c è s du général N e z z a r à Paris, c o m m e t é m o i n de « m o r a l i t é » - le p r o c è s d e v a i t d é c i d e r si l ' a c c u s a t i o n p o r t é e p a r le lieutenant S o u a ï d i a sur la r e s p o n s a b i l i t é de K h a l e d N e z z a r d a n s la m o r t de « 1 5 0 0 0 0 p e r s o n n e s » était f o n d é e ou relevait de la d i f f a m a t i o n ; la Justice a statué en f a v e u r de Souaïdia. C ' e s t dire à quel point la p r o b i t é du t é m o i n de m o r a l i t é était p r o b l é m a t i q u e . À l ' I n d é p e n d a n c e , B o u m a z a o c c u p e le p o s t e de m i n i s t r e d e l ' É c o n o m i e sous B e n Bella et fait de son m i e u x p o u r « j u g u l e r le f l o t » d ' é m i g r a n t s algériens en France, le tout-venant de l ' A l g é r i e qui voit d a n s les é v é n e m e n t s de l ' é t é 1962 des augures terrifiants. Ils sont quelque 6 0 0 0 par s e m a i n e à s'installer en métropole, parfois en se faisant passer p o u r d e s . . . Harkis. 3 5 B a c h i r B o u m a z a sert ensuite d ' i n t e r m é d i a i r e p o u r faire venir en Algérie l'inénarrable H e r v é B o u r g e s : « J e v o u s t é l é p h o n e de la part d ' A h m e d Ben Bella. Il garde un b o n souvenir de son "geôlier", et il aimerait q u e vous puissiez faire partie de son cabinet pour le faire profiter de votre expérience administrative et juridique. F o r m e l l e m e n t , v o u s serez son conseiller t e c h n i q u e chargé de l ' i n f o r m a t i o n et de la jeunesse. En pratique, il aurait besoin de vous consulter sur d ' a u t r e s thèmes." » 36

* On ne saura rien de ces « autres thèmes ».

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2(M) ANS D'INAVOl1AHI I

B a c h i r B o u m a z a , q u e l ' a v o c a t de l ' e x - F é d é r a t i o n de F r a n c e M o u r a d O u s s e d i k q u a l i f i e d ' « h o m m e d e la t r a h i s o n p e r m a n e n t e » , f u i r a l ' A l g é r i e en 1966 p o u r rejoindre « l ' o p p o s i t i o n extérieure au r é g i m e de B o u m e d i e n e » sans prendre la peine d ' e n informer son ami Bourges, qui se retrouvera alors entre les griffes de la S M : « U n e a r m é e avait r e m p l a c é l ' a u t r e , m a i s j ' a l l a i s bientôt m e s u r e r l ' i r o n i e de c e décalage, r a c o n t e celui-ci : si les v i c t i m e s d ' h i e r étaient d é s o r m a i s les b o u r r e a u x , les m é t h o d e s e m p l o y é e s n ' é t a i e n t g u è r e d i f f é r e n t e s . [ . . . ] J e sentis q u e les c h o s e s allaient se gâter. Je n e p e u x dire à partir de quel m o m e n t o n plaça un sceau en fer sur m a tête, sur lequel u n des inquisiteurs t a m b o u r i n a i t de plus en plus vite, et de p l u s en plus fort, a v e c u n e règle m é t a l l i q u e . L e f r a c a s , c o n t i n u et croissant, tout contre m e s oreilles, m e transperçait le crâne, et les m ê m e s questions revenaient, entêtées, à c h a q u e p a u s e . J ' a v a i s l ' i m p r e s s i o n q u e m a tête allait exploser, q u e tout m o n s a n g y affluait et allait gicler p a r m e s y e u x , q u e le m o n d e n ' é t a i t plus q u ' u n e i m m e n s e caisse de r é s o n n a n c e a u t o u r de m o n crâne. [ . . . ] Je n e saurai n o n plus à quel m o m e n t ils passèrent à la s e c o n d e é p r e u v e , celle de la g é g è n e , torture dont j ' a v a i s d é n o n c é la pratique p a r l ' a r m é e f r a n ç a i s e p e n d a n t la g u e r r e d ' A l g é r i e . [ . . . ] L a t r o i s i è m e é p r e u v e était p s y c h o l o g i q u e : [ . . . ] c ' é t a i t l ' é p r e u v e de la s e r i n g u e , q u e l ' o n b r a n d i s s a i t s o u s m e s y e u x en m ' e x p l i q u a n t alternativement q u ' e l l e contenait u n s é r u m de vérité, ou q u e la p i q û r e m e ferait passer de vie à trépas. » 3 7

Finalement, sur intervention d ' E d m o n d Michelet et de Bernard Stasi, au soir du d e u x i è m e jour, on le rase de près et on le coiffe. « J e signai de bon c œ u r l'attestation que l ' o n m e présenta alors, par laquelle j e certifiais avoir été correctement traité durant m a courte détention»,* conclura-t-il. C e t é p i s o d e « r e l a t i v e m e n t » d o u l o u r e u x n ' e m p ê c h e r a pas H e r v é Bourges de se remettre au service de la j u n t e en 2003 en tant que promoteur de l ' a n n é e de l ' A l g é r i e en France. Si « u n e a n n é e avait remplacé l ' a u t r e » , les tortionnaires d ' a u j o u r d ' h u i sont e x a c t e m e n t les m ê m e s que ceux de la v e i l l e ; et ce t é m o i g n a g e p e r m e t d ' i m a g i n e r le sort que subissent les o p p o s a n t s algériens depuis 1962. É v i d e m m e n t , eux n ' o n t p e r s o n n e de l'autre côté de la M é d i t e n a n é e pour leur venir en aide, et leur supplice ne dure pas deux jours, m a i s un demi-siècle, faisant suite à un autre, long de 132 a n s . . . Mais Bachir B o u m a z a n ' e s t q u ' u n second c o u t e a u . . . Le « g r o s p o i s s o n » a pour n o m Ben Bella et, coïncidence ou pas, c ' e s t le m ê m e H e r v é Bourges qui a eu pour mission de lui servir de « g e ô l i e r » , de le mettre dans les conditions de servir les intérêts de la France, contre la garantie de devenir Président de ce pays faussement indépendant.

* C'est une manie consubstantielle à la psychologie du tortionnaire, (en 1988 et au début de la décennie 1990 notamment), de faire attester à la victime qu'elle a été «bien traitée».

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HERVÉ BOURGES JETTE SON DÉVOLU SUR B E N BELLA La mission c o m m e n c e après l'arrivée au pouvoir de Charles de Gaulle. « J e rencontrai E d m o n d Michelet, q u e j e ne connaissais pas, et il m e décrivit en quelques phrases la situation qui m ' a t t e n d a i t : il avait besoin de q u e l q u ' u n qui suive l ' e n s e m b l e des dossiers, à c o m m e n c e r par le dossier algérien, p o u r aider au p r o c e s s u s de libéralisation e n g a g é sous la conduite du général de Gaulle. "Cela mettra du temps, parce que tout est difficile, et q u e tous n ' y sont p a s prêts, mais l ' A l g é r i e sera un j o u r indépendante, le général en est persuadé. 11 faudra aller étape par étape, attendre que l'opinion publique le c o m p r e n n e , que l ' a r m é e l'accepte, q u e le g o u v e r n e m e n t en soit convaincu, [ . . . ] m a i s à la fin de ce processus, l ' A l g é r i e sera indépendante. Le général m ' a chargé de préparer et de faciliter cette évolution : voulez-vous m ' y a i d e r ? " » 38 Et c'est ainsi q u ' « à partir du

1er j u i l l e t 1 9 6 0 , j e v i n s d o n c

occuper

auprès d ' E d m o n d Michelet [...] un poste de magistrat d'administration c e n t r a l e d u m i n i s t è r e d e la J u s t i c e , a y a n t r a n g d e s u b s t i t u t d u p r o c u r e u r d e la R é p u b l i q u e . » U n p o s t e t a i l l é s u r m e s u r e p o u r a v o i r t o u t e l a t i t u d e d ' a p p r o c h e r les c a d r e s d u F L N , d o n t b o n n o m b r e s o n t e m p r i s o n n é s e n F r a n c e . E t c ' e s t a i n s i q u ' a y a n t j a u g é l e s p r i n c i p a u x o p p o s a n t s , il j e t t e s o n d é v o l u s u r le m a i l l o n f a i b l e , A h m e d B e n B e l l a , q u i n e s o r t i r a d e p r i s o n q u e p o u r d e v e n i r P r é s i d e n t d e la R é p u b l i q u e a l g é r i e n n e

indépendante.

C o u p de chance ? « E d m o n d Michelet, poursuit H e r v é Bourges, m ' a v a i t d e m a n d é de rendre régulièrement visite, au m i n i m u m deux fois par mois, aux cinq dirigeants du F L N dont l'avion avait été intercepté en 1956, et j e m e rendais donc à intervalles fréquents auprès d ' A h m e d Ben Bella, Rabah Bitat, M o h a m e d Khider, Hocine Ait A h m e d et M o h a m e d Boudiaf dans les lieux successifs où ils furent placés. [ . . . ] C ' e s t par une décision prise dans ces conditions particulières par le G é n é r a l de G a u l l e q u ' E d m o n d M i c h e l e t réussit à obtenir une nouvelle libéralisation de la situation des "cinq", et q u ' i l parvint à convaincre le chef de l'État q u ' i l serait de m a u v a i s aloi de ne n é g o c i e r q u ' a v e c les r e s p o n s a b l e s du G o u v e r n e m e n t provisoire de la R é p u b l i q u e a l g é r i e n n e ( G P R A ) installé à Tunis, les c h e f s des m a q u i s intérieurs [ . . . ] ou m ê m e l ' a r m é e des frontières stationnée à O u j d a autour du colonel B o u m e d i e n e , en tentant de marginaliser les dirigeants du F L N en détention en France, qui faisaient figure de martyrs de la résistance aux yeux du peuple algérien. » 39 C ' e s t lui q u i c h o i s i t le c h â t e a u d e T u r q u a n t - q u ' i l v i d e d e s e s l o c a t a i r e s - , c o m m e lieu i d é a l d ' u n e s i n é c u r e p o u r les « c i n q » . Il s ' e m p l o i e e n s u i t e à isoler Ben Bella p o u r m i e u x l ' i n f l u e n c e r :

I2X 623200ANS D'INAVOUABI.I

« J e sentis bientôt q u ' i l s n ' a v a i e n t p a s d u tout les m ê m e s positions idéologiques, et q u e leur solidarité e l l e - m ê m e était fragile. D e u x clans apparaissaient n e t t e m e n t : le g r o u p e Ben Bella, Khider, Bitat et [ . . . ] le g r o u p e Ait A h m e d et Boudiaf. » 40

H e r v é B o u r g e s n ' a a u c u n m a l à identifier en B e n Bella la m a r i o n n e t t e idéale. C o n t r e toute attente, il sera la tête de p o n t du clan qui p r e n d r a le p o u v o i r en 1962. D a n s l ' a u t r e clan, il y a des d é m o c r a t e s convaincus, qui c o n s t i t u e r a i e n t c e p e n d a n t d e s p r o t a g o n i s t e s c o r i a c e s d a n s u n e Algérie indépendante, d a n s u n e c o n j o n c t u r e où de Gaulle doit s ' a s s u r e r d ' u n e c o l l a b o r a t i o n s a n s f a i l l e , au m o i n s d a n s le d o m a i n e d e la r e c h e r c h e a t o m i q u e d a n s le Sahara et, p o u r q u o i pas, du maintien d a n s le g i r o n f r a n ç a i s de ce désert o ù l ' o n vient de d é c o u v r i r les p r e m i e r s puits de pétrole. S u r qui miser, sinon sur celui qui m o n t r e de b o n n e s prédispositions, un ambitieux, un peu falot, d é j à p a s s é par les m a i n s de la D S T : il avait participé aux p o u r p a r l e r s a v e c les autorités f r a n ç a i s e s avant q u e Max L e j e u n e p r e n n e l ' i n i t i a t i v e de torpiller le d i a l o g u e en arraisonnant l'avion qui transportait les « c i n q » de Rabat vers Tunis (où devait se tenir une c o n f é r e n c e afin d ' « u n i r l'aile g a u c h e et l'aile droite de l ' A f r i q u e du Nord, de mettre fin à la guerre d ' A l g é r i e et de j e t e r les bases d ' u n e unité politique et stratégique en A f r i q u e du N o r d . » ) 4 1 L e rapt du 22 octobre 1956, d é c i d é m e n t bien c o m m o d e , ne doit sans doute pas tout à la p r o v i d e n c e ou à quelque d y s f o n c t i o n n e m e n t dans les institutions. M a i s de Gaulle a toujours plusieurs « fers au f e u » , c'est m ê m e le b-a-ba du métier. Et, pendant ce t e m p s , sur le terrain, la guerre se p o u r s u i t . . .

DE GAULLE FACE À «L'ÉLITE» ALGÉRIENNE DE BIGEARD À R a y m o n d A r o n qui c o n d a m n e la militarisation du conflit et qui prône de f a ç o n précoce l ' I n d é p e n d a n c e , Robert Lacoste livre quelques-unes de « s e s p e n s é e s s e c r è t e s » : « Q u i v o u s dit q u e la politique de pacification telle q u ' e l l e est m e n é e à l ' h e u r e actuelle est m o n u n i q u e p e n s é e ? A i - j e le droit, en pleine action, alors q u e c h a q u e m o t e x e r c e une i n f l u e n c e directe sur nos antagonistes, de livrer tout m a p e n s é e ? Vous savez bien que m o n devoir est de préparer les meilleures conditions possibles pour un règlement politique équitable du p r o b l è m e algérien. Vous savez bien q u e la force et la terreur font partie du système politique de la rébellion et de ceux qui la soutiennent à travers le m o n d e . Il ne m ' e s t pas, ni ne sera possible à p e r s o n n e de s'abstraire de ces réalités, à m o i n s de penser

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à des négociations honteuses où notre pays se trouverait dans la situation dérisoire d ' u n e descente de lit foulée aux pieds par nos adversaires.» 4 2 La seule préoccuppation du m o m e n t est d'éviter à la France une sortie de crise "déshonorante". Le 27 août 1959, Charles de Gaulle se rend en Algérie. À son retour, il semble s ' ê t r e fait, plus que j a m a i s , à l ' i d é e de l ' I n d é p e n d a n c e de l'Algérie. C o m m e n t se forge-t-il cette o p i n i o n ? ««La renommée du secteur [de Saïda] s'étend dans toute l'Algérie, ce qui doit se savoir à l'Élysée car le général de Gaulle va venir faire sa tournée des popotes et sa première visite sera pour moi», s'exclame le général Bigeard. Que d'honneur! De Gaulle chez Bigeard! [...] Dans la ville, les troupes attendent de pied ferme, habillés de la tenue camouflée, coiffés de la casquette. [...] Le commando musulman avec ses fanions, sa devise, ("chasser la misère") et le superbe Georges à sa tête est remarquable. [...] Le général visitera ensuite longuement le commando musulman, où il tient à remettre quelques croix de guerre, il prendra le thé sous la tente avec les "Georges" qui lui donneront quelques cadeaux. » Puis, patatras ! « De Gaulle s'en va, je me demande ce qu'il est venu faire. Il n'a rien dit, ne m'a pas encouragé, que pense-t-il? Que veut-il? Je n'en sais rien.» 43 Q u e peut bien penser en effet l ' h o m m e de l'appel du 18 Juin, ce patriote légaliste, attaché à la grandeur de la France, quand le c o m m a n d o d'élite dont se gargarise Bigeard n ' e s t autre que le sinistre « G e o r g e s » ? C ' e s t l u i - m ê m e qui le f o n d e a p r è s sa r e n c o n t r e a v e c G e o r g e s Grillot en d é c e m b r e 1955 : «J'aperçois quelques chars qui se dirigent à toute allure sur mon PC. [...] Un lieutenant svelte, beau garçon, les commande, il se présente:[...] "Mon colonel, j'ai mis le paquet pour vous rejoindre, je suis tellement heureux de vous connaître et j'aimerais servir sous vos ordres." Le 17 décembre, après m'avoir quitté, il m'écrira une lettre très émouvante : "Mon colonel, merci pour mon peloton, merci pour moi, de cette foi que vous nous avez communiquée. [...] Je crois en une bonne unité commandée par un chef capable de se libérer de la bureaucratie, une unité faite de gars jeunes qui y croient, qui ont l'amour de l'aventure et du panache, ces gars courant le bled en tous sens, prêts à intervenir dans toutes les directions. [...] Je n'ai qu'une hâte, vous rejoindre..." w44 Le colonel Bigeard, sensible à tant de dévotion, le dépêche sous ses ordres, alors q u ' i l se trouve dans la région de Saïda dans la 25 e Parachutiste. « A 5 heures du matin, on frappe à ma porte... Le lieutenant Grillot est devant moi... "Mon colonel, je suis à vos ordres, j'ai réussi à larguer mon commandement et je n'ai qu'un désir, vous suivre là où vous irez" ; brave "Georges", j'aurai au moins un para pour attaquer ce secteur de Saïda. Sa présence, sa jeunesse, son dynamisme, "sa gueule" sont pour moi un précieux réconfort. »45

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2> 34 C'est-à-dire non loin d e l à où Si Salah est éliminé par le 11e Choc, et où ces troupes d'élite d e v i e n t sans doute avoir leurs quartiers. Les archives déclassifïées en août 1999, dont M a u r i c e Faivre livre quelques perles, montrent j u s q u ' a u plus )etit détail 1'« itinéraire du convoi de B e n c h é r i f » . 3 5 O n y découvre les e r e m e n t s initiaux, avec de n o m b r e u x « t u é s » , avant que, le 2 9 avril i960, B e n c h é r i f f r a n c h i s s e le barrage. Puis u n long périple où toutes les haltes sont consignées, émaillé d'accrochages, n o t a m m e n t le 10 mai, où n ' e n réchappent que 14 m e m b r e s d u convoi. Ses haltes sont c o n ç u e s pour lui permettre des « c o n t a c t s » é p i s o d i q u e s - s a n s doute pour prendre des consignes - , c o m m e cela semble être le c a s lorsque, « a u début de l'automne 1960, [ . . . ] il se retrouva avec son détachement au village de Taghma où, selon l'aspirant Ouatah Rachid, ce f u t M o h a n d O u h a m o u c h e , 1; maire de Tifritine, qui les recevra l u i - m ê m e dans son domicile. Ce sont es voisins, des Harkis, qui auraient m o n t é la garde et les protégèrent c o n t e u n e éventuelle incursion de l ' a n n é e française ! >>36 D e s Harkis protégeait u n officier de l ' A L N ! L a guerre d ' A l g é r i e recèle décidément de grandesénigmes. Suivi à la trace, essuyant des accrochages de c o m p l a i s a n c e p o u r accréditer la d i f f i c u l t é de son périple où il p e r d « les 3/4 de son g r o u p e » , il lui suffit de scinder au dernier m o n e n t son équipe en quatre p o u r faciliter sa capture. « A r r ê t é en octobre, à u n e date où le principe d'autodétermination a été reconnu, il a, en tan que m e m b r e du C N R A et d ' u n e famille [supplétive] de la France, b é n é i c i é de la c l é m e n c e q u ' o n ne reconnaît pas à u n déserteur», 3 7 souligne vlaurice Faivre. B e n c h é r i f

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2u k o i »

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G P R A , il se s i g n a l e p a r sa brutalité. Le v o i c i à n o u v e a u en A l g é r i e , r e v e n u chez lui g r â c e sans doute à des c o m p l i c i t é s o f f i c i e l l e s f r a n ç a i s e s . [...] Cette collusion française sera d é m o n t r é e lorsque Benchérif; q u e l q u e s s e m a i n e s p l u s t a r d , sera a r r ê t é p a r l ' a r m é e f r a n ç a i s e s u r le terrain. Ses a n t é c é d e n t s le c o n d a m n e n t à la p e i n e de m o r t . A l o r s q u e son e x é c u t i o n est p r é v u e p o u r le l e n d e m a i n , un o u k a s e parisien l ' a r r a c h e à la j u s t i c e militaire et l ' e x p é d i e en F r a n c e y attendre la Fin de la g u e r r e . » 4 2 A u p a r a v a n t , il fait o f f i c e d ' « a v o c a t » des c o n d a m n é s , et sert de petite m a i n p o u r l i q u i d e r les c o m p a g n o n s de Si Salah. E n g u i s e d ' o r a i s o n f u n è b r e p o u r ce j u s t e , il lira d a n s les « p e n s é e s » i n t i m e s du g é n é r a l : D ' a p r è s A h m e d B e n c h é r i f ; de cet entretien, le g é n é r a l de G a u l l e devait retirer u n e c o n c l u s i o n essentielle : « L e s h o m m e s q u ' o n lui avait a m e n é s et qui p r é t e n d a i e n t être les c h e f s d ' u n e r é v o l u t i o n a r m é e n ' é t a i e n t en fait q u e des a v e n t u r i e r s , des êtres stupides et a m b i t i e u x , n ' a y a n t a u c u n caractère r e p r é s e n t a t i f Ainsi, il f u t contraint de r e n o u v e l e r le m ê m e j o u r ses o r d r e s de p a i x au G P R A . » 4 3 R a r e p a r o l e d i s s o n a n t e d a n s un f l o t d ' é l o g e s p o s t h u m e s p o u r ces h o m m e s q u e la r é v o l u t i o n n e méritait pas. Il s e m b l e en tout cas q u ' A h m e d B e n c h é r i f soit entré dans le saint des saints de la c o n f i d e n c e é l y s é e n n e . Et ces c o n c l u s i o n s auraient tout aussi bien p u lui être s o u f f l é e s p a r de G a u l l e l u i - m ê m e , l o r s q u ' i l « a été p a r m e s u r e de g r â c e t r a n s f é r é en F r a n c e . » C e s actes i n a u g u r e n t u n e é p o p é e a l g é r i e n n e « i n d é p e n d a n t e » où les b r a v e s sont v i l i p e n d é s p a r des traîtres a l o r s q u e « d e s a v e n t u r i e r s , d e s ê t r e s s t u p i d e s et a m b i t i e u x , n ' a y a n t a u c u n c a r a c t è r e r e p r é s e n t a t i f » , les D A F , a c c a p a r e r o n t le p o u v o i r et v o u e r o n t les A l g é r i e n s a u x a b y s s e s de l ' i n h u m a n i t é .

U n e n j e u d ' É t a t , en c o m p a r a i s o n d u q u e l la vie de 14 soldats f r a n ç a i s , d o n t 6 é g o r g é s de la « p r o p r e » m a i n d e B e n c h é r i f ; v a u t v r a i m e n t p e u de c h o s e . L ' « i n t é r ê t de la F r a n c e » p a s s e p a r f o i s p a r d ' é t r a n g e s convulsions.

LA GUEULE DU LOUP ET L'AGNEAU A la lumière de ces faits, on comprend aisément le sort de la cohorte autour de Si Salah: elle n ' a pas quitté l ' E l y s é e q u e l ' o r d o n n a n c e de sa liquidation est déjà programmée. Car, dans l ' h y p o t h è s e où ces h o m m e s sont approchés p a r de G a u l l e pour en faire des supplétifs de la c a u s e f r a n ç a i s e après l'Indépendance, on peut supposer qu'il s ' e f f o r c e r a de leur donner des gages de sérieux. La virulence de leurs griefs à l'égard du F L N de l'Extérieur est telle qu'ils paraissent m û r s pour la trahison. Et ce que leur proposerait le

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2(X)ANS IVINAVOUA

II

général serait s o m m e toute de ces offres que l ' o n ne refuse pas : « L ' A l g é r i e algérienne», dirigée par eux. Ayant découvert les visées du général, sans doute m ê m e l'identité de certains «révolutionnaires» déjà convaincus, et refusant d e trahir, Si Salah devenait encombrant, dangereux. Q u e dire d e plus sinon que M o h a m m e d liquidant certains d e ses c o m p a g n o n s entrerait dans le scénario décrit par Wybot où les traîtres j u g e n t les patriotes et les a c c u s e n t d e trahison, les c o n d a m n e n t et les exécutent. M o h a m m e d aurait été séduit par la perspective d e c o m p t e r p a r m i les h o m m e s f o r t s d e l ' A l g é r i e i n d é p e n d a n t e s o u s l ' é g i d e d e la F r a n c e , surtout après en avoir été c o n v a i n c u par B e n c h é r i f qui l ' a « r e t o u r n é » . Toujours selon Wybot, on élimine les adversaires potentiels et on p r o m e u t le vrai « t r a î t r e » . D e fait, M o h a m m e d est le principal bénéficiaire de cette hémorragie en devenant le c o m m a n d a n t d e la Wilaya 4 en juillet 1960 à la place d e Si S a l a h ; il exhorte alors ses soldats et les cadres sous ses ordres à « e n r a y e r la t r a h i s o n » , m o n t r a n t l u i - m ê m e l ' e x e m p l e en liquidant Lakhdar. M a i s taraudé par le remords, ayant failli à aller au b o u t de la logique - supprimer Si Salah - , il constitue u n e m e n a c e , ce qui j u s t i f i e l'intervention du 11e de C h o c pour « t e r m i n e r le travail», effacer l'effaceur. Il n e se serait alors pas « j e t é dans la gueule du loup », m a i s serait simplement venu rencontrer ses contacts qui se seraient e m p r e s s é s d e le liquider pour l ' e m p ê c h e r de dévoiler le lourd secret. O n n e badine pas avec les intérêts suprêmes de la F r a n c e . . . L ' e f f i c a c i t é des D A F à réussir leurs missions pourrait s ' e x p l i q u e r à l ' a u n e des techniques du 2 e Bureau. Roger Wybot explique : «Les hommes que nous glissons dans le dispositif adverse, souvent à des postes subalternes, nous les aidons à conquérir progressivement de l'importance au sein de la rébellion. Nous leur permettons par exemple de passer des armes, de l'argent pour le FLN. Leurs convois clandestins sont protégés par la DST alors que les transports d'armements d'autres chefs fellagas sont saisis. Avec notre accord, et la complicité de l'année française, nos agents FLN montent également des opérations bidons, de manière à se couvrir de gloire aux yeux de l'état-major du Caire et de Tunis. Chaque fois, nous organisons tout nous-mêmes pour rendre le coup de main rebelle totalement crédible. [...] Certains de ces agents doubles vont atteindre les plus hauts échelons dans l'état-major FLN. Il nous est arrivé de manipuler des chefs et des chefs adjoints de wilayas. »44

L a facilité a v e c laquelle les services f r a n ç a i s p e u v e n t é l i m i n e r les g ê n e u r s laisse p e r p l e x e ; m a i s p a s autant que d e voir B e n c h é r i f s ' e n sortir indemne. Il est d e surcroît « l e seul déserteur de l ' a r m é e française

1)1. ( i A l J I . I I I T I I. « SI ( K M D U K O I »

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à se retrouver au C N R A » Cet h o m m e est «issu d ' u n e grande famille de jawâds de Djelfa », chevaliers, seigneurs de c o m m a n d e m e n t : une famille de noblesse. Ils sont près de 200, ces D A F issus c o m m e Larbi Belkheir, Khaled Nezzar ou M o h a m e d Lamari, de familles de caïds, de nantis, de familles maraboutiques, « les grandes tentes » ; « ils cultivaient des valeurs élitistes et avaient un mépris profond pour le peuple », écrira M o h a m m e d Harbi. Accueillis avec circonspection par les officiers « a r a b o p h o n e s » du F L N , détestés par leurs subalternes, leur haine n ' a pas dû trouver de raison de s'apaiser. Comploteur en chef et en mal de troupes, B o u m e d i e n e leur donne leur chance. « L e s cadres déserteurs de l ' a r m é e française furent aussitôt reconvertis et non plus t e n u s à l'écart c o m m e des brebis galeuses. Mutés dans tous les services et au "bureau technique", ils préparaient minutieusement les actions. [Ils] évitèrent maintes fois des casses inutiles», dira d ' e u x le commandant Azzedine, qui a lui aussi sans doute beaucoup à se faire pardonner. Arrêté dans les maquis algérois, confronté au colonel Marion et au général Massu, il en réchappe miraculeusement : « En sortant de chez Massu, Marion m ' e m m è n e faire la tournée des grands ducs : Alger, que j e n'ai pas vue depuis 1955. Il m e promet monts et merveilles, et la liberté si j e collaborais à son projet. » Visite à sa famille puis invitation chez le capitaine Marion m ê m e , qui lui présente sa femme, lui « montre des films sur le 13 mai, l'industrialisation du pays. «Azzedine, il faudrait raconter ce que tu as vu ici au conseil de ta wilaya. Nous savons que Si M ' H a m e d est en wilaya III. Je vais faire ordonner q u ' i l n ' y ait plus d'opérations d'Orléansville à Palestro, ni dans la région où se trouve ton colonel. Ainsi, on détendra l'atmosphère et on évitera le risque de tuer un responsable. Quand tu les verras, j e te recommande de te méfier d ' O m a r Oussedik. C'est le plus dur. Il a été communiste. Si Salah est un romantique et Si M ' H a m e d un sentimental. C'est toi, en fait, le patron de l ' A L N . Il n ' y a pas de raison pour que les autres ne marchent pas. [ . . . ] Ils m ' o n t alors envoyé dans le maquis.» 4 5 Cette version aseptisée de sa « l i b é r a t i o n » (retournement) contraste avec le compte rendu qu'il en fait sur Radio Tunis le 15 mars 1959; un tissu d'invraisemblances flagrantes, qui fait dire à M o h a m m e d Harbi et Gilbert M e y n i e r : « L a version de l'aventure d ' A z z e d i n e est ici revue et corrigée par son héros qui se donne évidemment le beau rôle. » C ' e s t bien le moins que l ' o n puisse dire. Florilège: « S u r v i n t alors une importante force de 30 000 h o m m e s [sic] ou plus commandés par le général Massu, le général Faure et le général de Maisonrouge. » Arrêté, et confronté au capitaine Marion, du 2 e Bureau, sa réaction est d ' u n e audace insigne : « J e les ai insultés». Mais le général Massu lui fournit un laissez-passer,

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200 A N S D ' I N A V O U A I Î l . h

dont il se sert pour convoyer des médicaments au maquis: « O u i , à 12 ou 13 reprises, c'est-à-dire que chaque matin, grâce au laissez-passer, j e montais au djebel », 46 Quels naïfs, ces Français ! Autre indice troublant le concernant : alors que les purges battent leur plein en Kabylie, en 1958, un d o c u m e n t de propagande est d i f f u s é par les services français, avec pour titre « L a p a i x » , sur deux colonnes. La première porte en chapeau la photo du colonel Amirouche, avec la mention « C o n t r e » , suivie d e : « C e q u ' i l a f a i t : Capitaine Nouri M u s t a p h a , de Tizi-Ouzou, responsable politique et militaire, Zone 1. Lieutenant Kamal, Liaisons et renseignements, Z o n e 4. Docteurs : Si M o h a m e d , responsable sanitaire de la wilaya 3, Si Mustapha, responsable sanitaire de la zone 1, Bouiri Boualem, dit "Si Y o u s s e f ' , de Bordj-Menaïel, responsable militaire de zone, et plus d ' u n millier de vos frères bien connus de chacun de vous. Tués sur ordre d ' A m i r o u c h e . Pour avoir voulu la p a i x ! » Sur l ' a u t r e colonne, la photo du c o m m a n d a n t Azzedine, avec la mention « P o u r » et « C e q u ' i l a d i t : "Sans renier m o n passé, j ' a f f i r m e solennellement a u j o u r d ' h u i que j e suis décidé à tout faire pour mettre fin à cette lutte fratricide, en travaillant en accord complet avec les personnes qui m ' o n t accordé leur confiance. Je souhaite désormais m e consacrer à l'édification de l'Algérie nouvelle, celle voulue par le général de Gaulle. Zerari Rabah, dit A z z e d i n e " . Suit la signature ainsi que la mention « L u i aussi veut la paix ! Cette paix, le général de Gaulle continue de vous l'offrir.» Si le document manuscrit peut parfaitement avoir été dicté sous la contrainte, il constitue un élément de plus dans une suite qui jette le doute sur la réalité de l'itinéraire exempt de tout reproche qu'il nous livre dans ses Mémoires.* A la frontière tunisienne, le bras de fer entre le colonel Boumediene et son principal adversaire Krim Belkacem est à son paroxysme quand intervient un incident. Krim exige que le lieutenant Frédéric Gaillard, un pilote d ' a v i o n abattu par la D C A algérienne sur le territoire tunisien, captif de Boumediene, soit remis au Président Bourguiba. R e f u s de celui-là : « L a veille, Boumediene, Slimane, Menjili et moi, nous avions décidé de démissionner», 4 7 écrit le c o m m a n d a n t Azzedine,** qui ne trouve pas de mots assez doux pour flatter les D A F : « J ' é t a i s le quatrième mousquetaire de l'équipe, dont Boumediene fixa les quartiers généraux opérationnels à * Jean-Claude Carrière et Commandant Azzedine, C'était la Guerre, (Pion, 1992). ** La démission fera long feu, l'objectif étant simplement de semer la discorde et de se montrer plus révolutionnaire que les révolutionnaires en préparant les esprits au coup d'État que le «groupe d'Oujda» appliquera à l'été 1962.

n i ( i A U i . i . i ; I:T i.i-, « s i c K i r o u K O I »

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G h a r d i m a o u , sur la frontière tunisienne, et à O u j d a , au Maroc. [ . . . ] Les anciens maquisards confortés dans leur engagement révolutionnaire et les déserteurs de l ' a n n é e française séduits par la perspective de construction d ' u n e a n n é e m o d e r n e » . 4 8 L ' a r c h a ï s m e révolutionnaire des u n s contre les visées modernistes des autres, en s o m m e . C e s propos encenseurs ne sont pas p r o n o n c é s sous le c o u p de la peur ou dans l ' e n t h o u s i a s m e de l ' I n d é p e n d a n c e , m a i s en 1992, quand l'Algérie de B o u m e d i e n e a depuis longtemps viré au désastre, et que le clan des D A F vient tout juste, dans un bain de sang, de mettre fin deux fois en six m o i s à la seule aventure démocratique que le pays a connue en deux mille ans. Le c o m m a n d a n t A z z e d i n e n e p r o f i t e r a p a s des s e r v i c e s r e n d u s a u x p u t s c h i s t e s et a u r a un r ô l e m é d i o c r e , q u a n d c e u x à qui il fit la courte échelle connaîtront un destin international auquel rien, sinon la détermination de l'assassin, ne les prédestinait. S'il a é c h a p p é à la mort, alors qu'il était lourdement suspect en se rendant en Tunisie, c ' e s t q u ' u n « c h e f d ' u n tel prestige ne pouvait avoir failli et le G P R A avait o r d o n n é de tourner la p a g e pour sauver les apparences. » 4 9 Un G P R A disposé à tourner la p a g e contre un de ses officiers suspectés de trahison ? Les cimetières et les fosses c o m m u n e s regorgent d ' h o m m e s et de f e m m e s , n o t o i r e m e n t patriotes, qui n ' o n t pas b é n é f i c i é d ' u n e telle i n d u l g e n c e . Les contacts discrets m a i s soutenus entre E d m o n d Michelet et les leaders du G P R A 5 0 ont certainement p e s é pour b e a u c o u p dans la balance.

LA WILAYA 5 , o u LE SYNDROME DE LA 5 E COLONNE L o r s q u e le « c l a n d ' O u j d a » a u t o u r du trio B e n Bella, B o u m e d i e n e et B o u t e f l i k a se réunit à T l e m c e n , o ù il est rejoint par Ferhat A b b a s et M o h a m e d K h i d e r n o t a m m e n t qui lui o f f r e n t leur c a u t i o n p o l i t i q u e , l ' a r m é e f r a n ç a i s e e n c o r e sur les lieux aurait pu e m p ê c h e r la progression de l ' a r m é e des f r o n t i è r e s vers Alger. Si l ' o n peut c o m p r e n d r e q u ' e l l e s ' e n soit abstenue - on ne m e t pas fin à u n e guerre p o u r en d é c l e n c h e r u n e autre, m ê m e si protéger le G P R A avec lequel la F r a n c e a signé les accords d ' E v i a n aurait été dans l ' o r d r e des choses - il est plus étonnant d ' a p p r e n d r e que les g é n é r a u x f r a n ç a i s m e t t e n t à la disposition de Ben Bella u n e logistique pour faciliter son opération, dont un hélicoptère pour assurer ses d é p l a c e m e n t s . Et Ben Bella s e m b l e d é c i d é m e n t sûr de son fait, c o m m e en t é m o i g n e cette scène q u e relate Jean-Pierre C h e v è n e m e n t : « Ben Bella et B o u m e d i e n e ont tenu e n s e m b l e à O r a n u n e c o n f é r e n c e de presse en présence d ' u n certain n o m b r e de patrons Pieds-noirs. La ville

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2>2'

1 amouri éliminé, la dissidence ne s'en tient cependant pas là. Les m ê m e s causes produisant les m ê m e s effets, « H a m b l i se répandit en critiques contre les embusqués de l'arrière et les grands chefs qui, d ' a p r è s lui, roulaient en Ford Vedette, organisaient des noces dispendieuses, se saoulaient et

* Ce serait Tedjini Haddam (futur recteur de la Mosquée de Paris) qui aurait servi d'entremetteur avec les services égyptiens.

niN.Ml'INAVOIIAItl I

collectionnaient les femmes. Il lut arrêté et interné d'avril à octobre 1958.» Relâché, il participera au « c o m p l o t L a m o u r i » et sera arrêté de nouveau avant de s'évader. « Il était populaire auprès de ses hommes : il dénonçait leur misère et l'état d'abandon où les laissait le commandement. Il les défendait contre les "traitements de chien" qu'ils enduraient dans les camps. » Il lança une révolte à la tête de ses hommes. Poussés dans leurs retranchements, « a u crépuscule, 148 h o m m e s se rendirent [à l'armée française] avec Hambli. [...] Le ralliement avait été pour Hambli et ses h o m m e s le seul recours pour échapper à une extermination programmée par le commandement algérien : ils avaient appris que quelques-uns des leurs, faits prisonniers l'avant-veille par les h o m m e s de Si Nacer, avaient été égorgés.» Ces quelques e x e m p l e s de révoltes de l ' a r m é e intérieure contre le c o m m a n d e m e n t militaire en exil, et le sort barbare qui a été réservé à ces vrais combattants, comptent sans doute pour une grande part dans la facilité avec laquelle le général Challe a achevé de mettre à genoux la révolte militaire. Elle repose sur deux constantes : les récriminations contre l ' E M G et son chef B o u m e d i e n e qui faillit à toutes ses missions de ravitaillement des m a q u i s et qui, délibérément, bloqua tout soutien logistique à l ' A L N de l'intérieur. Les récits que l'on évoque d'ordinaire s ' a p p e s a n t i s s e n t b e a u c o u p sur les oppositions entre le clan d ' O u j d a (autour de Boumediene) et les Kabyles. Ces quelques exemples montrent que le sort des autres wilayas, y compris l ' O r a n a i s c o m m a n d é e par Boumediene, justifie les critiques envers le futur h o m m e fort de l'Algérie indépendante. Au cours de ces révoltes, des h o m m e s préféreront se rallier à la France plutôt que de subir les supplices d ' u n A h c è n e la Torture ou d ' u n B e n c h é r i f ; devenus Harkis, ils seront c o n d a m n é s à l'exil ou à la mort par des traîtres à la cause de leur pays.

La révolte

des officiers

dans

la Wilaya

3

(Kabylie)

L e m o u v e m e n t des officiers libres de la Wilaya 3 c o m m e n c e après la disparition du colonel Amirouche. Deux autres colonels aspirent à lui succéder, M o h a n d O u - L h a d j et A b d e r r a h m a n e Mira, contribuant à une discorde qui simplifia la tâche du général Challe. « L e mécontentement m o n t a chez les j e u n e s cadres - conduits par les lieutenants A l l a o u a Zioual et Sadek Ferhani - contre, d ' u n côté, Mira, accusé d'être violent et primaire, d ' a v o i r épousé une jeunette de 13 ans et de vivre avec elle dans le maquis, de faire preuve d"iqlimiyya et de n é p o t i s m e en promouvant systématiquement des gens issus de son douar natal; [ . . . ] et de l'autre

HOIJMI DU NI I I RR.KADICAL ION DLI L.'AI.N

209

i-nic. contre M o h a n d O u - L h a d j , plus posé, plus cultivé et plus sensible, m.us accusé d ' a v o i r assisté passivement aux grandes purges de l'été 1958, • !•• laire preuve de népotisme coupable à l'égard de son Fds Saïd M o h a n d , i-i plus g é n é r a l e m e n t d ' ê t r e falot et d ' a v o i r un c o m p o r t e m e n t égoïste. I '.uljoint de M o h a n d , le capitaine Fadel H ' M i m i , l ' u n des e x é c u t e u r s des purges, était aussi a c c u s é de multiples atrocités, de prévarication, d'.ibnndon de f a m i l l e et d e mariage abusif avec une fillette de 12 ans. D i p u i s plusieurs mois, les allocations aux f a m i l l e s prescrites d e p u i s | k C o n g r è s de] la S o u m m a m n ' é t a i e n t pas versées, alors q u ' A l l a o u a venait de découvrir 4 3 millions de f r a n c s enterrés près du PC de la W-3. Mohand O u - L h a d j serait resté terré pendant plus de trois mois dans un iilni pendant l'opération "Jumelles". Il maria à ce m o m e n t son fils à une deuxième é p o u s e pendant q u ' u n autre officier supérieur convolait une nouvelle fois avec une j e u n e fille de 17 ans de la côte, v e n u e par idéal au maquis, et épousée sous la contrainte. [ . . . ] De j e u n e s cadres subalternes ulcérés se dressèrent contre l'autorité établie de la wilaya. Ils libérèrent deux o f f i c i e r s c o n t e s t a t a i r e s p r i s o n n i e r s - les a s p i r a n t s M o h a m e d Ucnyahia [ . . . ] et Saïd Meddour. Sous la direction d ' A l l a o u a et Sadek, il. convoquèrent, près de la maison forestière d ' A g o u l m i m e O u r o u f a l , dans la forêt d ' A k f a d o u , un c o n g r è s qui réunit, du 14 au 16 s e p t e m b r e l l >59, une q u a r a n t a i n e de cadres. Le c o n g r è s constata " l ' a b a n d o n du i o m m a n d e m e n t pratique par les c o m m a n d a n t s Mira, M o h a n d O u - L h a d j et le capitaine H ' M i m i " et la "négation des directives édictées par la wilaya, iL'iivres contraires aux principes de la révolution." [...] Le congrès déposa les deux grands chefs. [ . . . ] Ils résolurent de rendre c o m p t e de leur action a l'Extérieur et de d e m a n d e r à Tunis le r e m p l a c e m e n t des d e u x c h e f s contestés. Début octobre, l'un des corijurés, l'aspirant M o h a n d Akli, fut lait prisonnier par le c o m m a n d a n t M o h a n d O u - L h a d j . Torturé, il dévoila le complot de l ' A k f a d o u avant d ' ê t r e exécuté le 5 octobre. Pour décapiter le m o u v e m e n t , le capitaine A h c è n e M a h i o u z - le célèbre exécuteur des purges - tenta d'attirer Sadek dans un guet-apens. En vain. [ . . . ] Le G P R A prit connaissance du m e s s a g e des "officiers libres" le 28 octobre et leur répondit le 31 : "Le c o m m a n d a n t M o h a n d O u - L h a d j est le seul chef de la wilaya. Vous d e v e z v o u s s o u m e t t r e sous peine de graves sanctions. Aucune exécution n e devra être faite." [ . . . ] "Le c o m p l o t des lieutenants" et le m o u v e m e n t des "officiers libres" eurent donc pour point c o m m u n le réflexe de cadres subalternes de valeur contre leurs c o m m a n d e m e n t s respectifs. Dans le premier cas, ce furent des réactions contre ce qui était ressenti c o m m e de l'incurie militaire et contre le système dictatorial de Moussouf et Boumediene qui provoquèrent la révolte.» 2 2

.•xinniM IRINAVNLIAIII I

Tous les traîtres à leur patrie, à la cause de la révolution, les b o u r r e a u x de leur p e u p l e , les assassins, les tortionnaires q u e n o u s v e n o n s d e citer f o r m e r o n t le clan d ' O u j d a qui, a u t o u r d e B o u m e d i e n e et Ben Bella s ' e m p a r e r a d u p o u v o i r en 1962, ou d ' u n e façon ou d ' u n e autre leur simplifieront la tâche. La S M et les h o m m e s qui la composeront ont pris leur formation dans les écoles du K G B au pied d e la lettre. C o n ç u e pour alimenter le F L N en renseignement, cette organisation pratiqua le meurtre de m a s s e non p a s contre l ' e n n e m i français, ni contre les Algériens frileux à se rallier à la guerre, m a i s bien contre les meilleurs et les plus e n g a g é s de ses combattants... Voici un courrier adressé au F L N à Tunis, qui dénonce sans a m b a g e s les carences, l'incurie et les visées totalitaires de Boumediene. Dès le début, tout le m o n d e savait : « N o u s avons espéré de la fraternité chez le c o m m a n d a n t Boumediene. Je dois dire que j ' a i perdu m o n temps avec un voleur d ' a r m e s et de munitions» 2 3 écrivait O m a r Oussedik de la Wilaya 4 en septembre 1957. Cette année-là, « a l o r s que les barrages n'existaient pas, n o u s n ' a v o n s j a m a i s pu obtenir les armes qui pourrissaient dans les stocks du Maroc oriental. Les récupérations et la répartition du matériel se faisaient par et au profit de la W-5. Ces m ê m e s dirigeants nous interdirent le transit de nos brigades d ' a c h e m i n e m e n t d ' a r m e s , sous prétexte q u ' i l s se chargeaient e u x - m ê m e s du transport. Effectivement, des milliers d ' a r m e s légères, de mitrailleuses destinées aux m a q u i s du centre d e l ' A l g é r i e disparurent en cours de route. Cette grave affaire de vol a été étouffée malgré toutes nos démarches. Cet acte criminel est la cause directe de la mort de milliers de moudjahidine désarmés des wilayas du centre.» 2 4

L'INVASION BARBARE N o u s c o n n a i s s o n s tous la légende d e S a l o m o n d e v a n t rendre la j u s t i c e entre d e u x f e m m e s r e v e n d i q u a n t la m a t e r n i t é d ' u n m ê m e b é b é . N e parvenant pas à identifier la vraie mère, il leur p r o p o s a de couper en d e u x 1 ' « o b j e t » du litige. Joignant le geste à la parole, il allait trancher l ' e n f a n t lorsque l ' u n e des f e m m e s avoua ne p a s être la m è r e . L e roi lui remit alors le bébé, et c o n d a m n a à m o r t celle qui était p r ê t e à voir m o u r i r l ' e n f a n t dont elle prétendait être la mère. U n e analyse d ' A D N réglerait a u j o u r d ' h u i le problème, m a i s dans de n o m b r e u x cas la vérité ne peut se forger q u e par l ' i n t i m e conviction. À l ' é t é 1962, le G P R A et le clan d ' O u j d a se déchirent p o u r un m ê m e « b é b é » , le pouvoir sur l ' A l g é r i e indépendante : d ' u n côté le G P R A , de l'autre l ' E M G de B o u m e d i e n e qui est prêt à verser le sang

JICHIMI i»! NI: I i I'(:HADIC A I K I N m-, t:AI N

2! !

• l>* 11>iis les Algériens pour parvenir à ses fins. Hélas, il n ' y a pas de roi •min' pour décider de le lui contester. D e telles situations sont f r é q u e n t e s MI I.,« vainqueur est celui qui est prêt à accepter les plus grands m a s s a c r e s : li' plus c o r r o m p u , le plus meurtrier, le plus d é t e r m i n é . B u s h l ' e m p o r t a lui.) mu CJore q u a n d fut suspendu le d é c o m p t e des bulletins de vote en I l o u d c lors des élections présidentielles en 2 0 0 0 ; tout le m o n d e a d m e t iui|ourd'hui q u e le candidat d é m o c r a t e avait g a g n é : il a r e n o n c é p o u r ne donner au m o n d e le spectacle d ' u n p a y s déchiré. Bush, lui, était résolu .i iillci j u s q u ' a u bout. N o u s c o n n a i s s o n s la suite. I Irange calamité que celle d ' u n e Algérie indépendante entre les mains de iiiulics qui s'emploient à éliminer tous les patriotes. Partant de là, c o m m e n t • i|irn r un destin positif pour ce p a y s ? O ù les D A F puiseront-ils leur inspii iinon sinon chez leurs instructeurs? La France, moins de 20 ans auparavant, il » onnu une m ê m e conjoncture, où des collaborateurs entreprenaient de se Imper in extremis un passé de résistant, quand les Alliés aux portes de Paris li'in donnaient l'assurance de la chute imminente de Vichy. I es v a i n q u e u r s en 1962 sont les m ê m e s qui ont a i d é B o u m e d i e n e à •il uclurer l ' a r m é e des f r o n t i è r e s et à liquider les f o r c e s vives susceptibles de c o n t r a r i e r ses o b j e c t i f s totalitaires. E n s e m b l e , ils ont é c r a s é s o u s leurs c h a r s les d e r n i e r s l a m b e a u x de l ' a r m é e de l ' i n t é r i e u r - la v r a i e iévolution - é p a r g n é s p a r l ' o p é r a t i o n C h a l l e . Telle u n e n u é e b a r b a r e , ik ont d é f e r l é en s e m a n t la m o r t sur leur p a s s a g e j u s q u ' à A l g e r où les iln mères velléités d é m o c r a t i q u e s avaient d é j à c o m p r i s q u ' i l valait m i e u x piendre le large. « L a prise de p o u v o i r de l ' a r m é e d e s f r o n t i è r e s en août I ')2 se solda p a r p l u s de 1 5 0 0 m o r t s d a n s de v i o l e n t s a c c r o c h a g e s à M assena, Tiaret, B o g h a r , S o u r e l - G h o z l a n et E l - A s n a m , ainsi q u e d a n s le nord du C o n s t a n t i n o i s . » 2 5 U n e a r m é e d e s f r o n t i è r e s portant en g e r m e le régime d e s D A F qui n ' é c l o r a v é r i t a b l e m e n t q u ' à la m o r t de leur c h e f • lu m o m e n t , H o u a r i B o u m e d i e n e .

L e CLAN DES TRAÎTRES A lu ned Ben Bella, l ' h o m m e qui « m a r c h e r a i t sur ses a m i s » , plus q u e vraisemblablement l ' h o m m e de la France, éliminera un à un tous ceux qui auront contribué à rendre leur liberté aux Algériens et fera avorter ce rêve millénaire d ' u n peuple. U n e fois le grand coup de balai effectué, il faut passer à la vitesse supérieure. Cela c o m m e n c e en 1965 par le coup d'État du duo B o u m e d i e n e - B o u t e f l i k a qui e m p r i s o n n e celui qui leur servit de

caution, le Président B e n Bella. La dictature revendiquée c o m m e n c e , « a u n o m du peuple et pour le p e u p l e » . Mais toute b o n n e dictature s ' a p p u i e sur une f o r m e quelconque de légitimité. Pour Boumediene, cela se concrétise par la constitution d ' u n Conseil de la Révolution, désigné au lendemain du coup d'État. Sa constitution est éloquente: les colonels ( D A F ) Said Abid, Abdallah Belhouchet, A h m e d Benchérif, Chadli Bendjedid, A h m e d Draïa, l ' h o m m e de la France Bachir B o u m a z a , Chérif Belkacem (seul témoin de l'assassinat d ' A b b a n e ) , Soufi Salah, (lui aussi D A F ) , et quelques h o m m e s remerciés p o u r leurs services r e n d u s à la cause de B o u m e d i e n e . À ce groupe vient se joindre le clan d ' O u j d a , constitué de Tahar Zbiri, d ' A h m e d Medeghri, et des deux colonels kabyles traîtres à la cause de la démocratie : M o h a m m e d i Saïd, qui lui offrit le vote de la Kabylie au congrès de Tripoli, et Mohand O u - L h a d j qui se rallia à Ben Bella dans la crise du F F S en 1963. Et bien sûr Abdelaziz Bouteflika, le comploteur en chef. N ' a p p a r a i s s e n t p a s e n c o r e d a n s cet o r g a n i g r a m m e c e u x q u i s ' o c c u p e r o n t de l ' i n f d t r a t i o n de toute l'administration et qui émergeront p r o g r e s s i v e m e n t d a n s les h a u t e s s p h è r e s de « l a c o l o n i e f r a n ç a i s e d ' A l g é r i e » après 1992. P o u r cause, dans le désordre absolu de l ' é p o q u e , les c o n n i v e n c e s et les trahisons, les solidarités et les f o u r b e r i e s sont le lot quotidien. Et les « œ u f s » de la F r a n c e n ' o n t pas tous dus être m i s d a n s le m ê m e panier. La prise de p o u v o i r des D A F , m a l g r é les c a h o t s inévitables d ' u n e telle entreprise, est u n e f u s é e à plusieurs étages, et B e n Bella c o m m e B o u m e d i e n e n e sont q u e des étapes transitoires au c o u r s desquelles s'infiltrent et se consolident le p o u v o i r du futur. Celui-ci ne prendra réellement f o r m e q u ' a p r è s la disparition de B o u m e d i e n e .

L a S M , ÉCOLE DE LA MORT ET MACHINE À TUER Pour autant, au sortir du coup d'État de 1962, il reste au sein des institutions des h o m m e s déterminés et intègres, ou encore attachés à l'idéal de l'indépendance, en nombre suffisant pour espérer rétablir un pouvoir civil. Ils seront éliminés, souvent physiquement, l'un après l'autre. Pour échapper à la mort, Krim Belkacem, Mohamed Khider et Hocine Aït A h m e d prendront le chemin de l'exil. Les «Boussouf b o y s » à la tête desquels sévira Abdallah Khalef, (alias Kasdi Merbah), secondé par Yazid Zerhouni, les traqueront et parviendront à éliminer les deux premiers, l'un à Düsseldorf et l'autre à Madrid. Le troisième ne devra son salut qu'au conseil avisé d'Ali Mécili, un jeune cadre ayant participé à la structuration des services du M A L G à Tripoli et qui, écœuré par les méthodes de Boumediene, est entré en dissidence contre

I l O l l M I ' D I I ' N i : I ! l ' f i K A D K ' A I l.pioiinage de l ' u n répond à l ' e s p i o n n a g e de l'autre, tant et si bien q u e IH'iiunnc ne sait plus qui espionne p o u r le c o m p t e de q u i ; les frontières « l'Niitiupcnt, ce qui poussera Georges P o m p i d o u à s ' e x c l a m e r : « L ' A l g é r i e i «i indépendante. La France aussi, j e p e n s e ! » Et B o u m e d i e n e d ' e x p l o s e r tl>-v.iiit B o u t e f l i k a : « E n f i n , es-tu le ministre d e s A f f a i r e s étrangères de i i i i c a r d ou le m i e n ? » La c o n f u s i o n est à son c o m b l e , et, « à c h a q u e n ui o u t r e , d e p u i s la fin 1969, les émissaires algériens semblent connaître d ' a v a n c e les propositions françaises. Il y a u n e fuite en haut lieu. Tandis i|iir la DST enquête à Paris, se produit un nouveau c o u p contre les réseaux ilu S D E C E à A l g e r : M o u l a y C h a b o u fait arrêter u n e dizaine de Français, dmit des coopérants des P T T et, surtout, un attaché au consulat d ' A l g e r , l'uni Avril, ancien du 2 e Bureau et d e la S M française. Finalement relâché, « >' dernier expliquera à Paris ce q u ' i l avait appris avant son arrestation : les Mgéiicns ont u n e taupe au sein de la direction des a f f a i r e s é c o n o m i q u e s du ministère des A f f a i r e s étrangères [ . . . ] Béatrice H., u n e simple secrétaire • lin se livrait à de l ' e s p i o n n a g e p o u r A l g e r p a r amour.» 2 4 Il est difficile de trouver d e s p r e u v e s écrites et tangibles de l'histoire il« i. relations entre les services secrets de la France et de l'Algérie. P o u r la iiuson simple que «le traitement des "sources" humaines, leur classement surtout, était l'une des zones les plus sensibles et donc les plus secrètes du service. Officiellement, honorables correspondants, agents ou agents doubles étaient recensés par le service "E2", le "saint des saints". [...] En réalité, les plus importants d'entre eux n'étaient jamais enregistrés par ce service; ils n'étaient même enregistrés nulle part, existant seulement sous la forme d'un nom de code dans la mémoire d'une poignée de contre-espions. [...] ( )n gardait, en effet, toujours présente à l'esprit l'idée qu'une trahison, une révolution, un coup d'État, une guerre, pouvaient survenir d'un moment à l'autre, et que pareille liste d'agents risquait, à cette occasion, de tomber entre de mauvaises mains. [...] Pour les mêmes motifs, une affaire sérieuse n'était jamais archivée, pas même de manière codée, sauf quand on considérait qu'elle était "morte", ce qui n'arrivait presque jamais tant on reste convaincu, dans cette maison, qu'une affaire ne "meurt" jamais.» 25

2(10 ANS IVINAVOIIAIII I

En tant q u e le n u m é r o 2 de la DST, R a y m o n d Nart « e s t p r o b a b l e m e n t l'un des meilleurs connaisseurs français de l'establishment a l g é r o i s ; lié avec l'ancien secrétaire de [ . . . ] Houari B o u m e d i e n e , avec plusieurs m e m b r e s de la présidence, a v e c u n e f e m m e députée, avec deux walis (préfets) et de n o m b r e u x hauts policiers, il est tout aussi à l'aise dans la classe politique et dans les milieux é c o n o m i q u e s q u ' a v e c les militaires», 2 6 racontent Éric M e r l e n et Frédéric Ploquin d a n s un o u v r a g e rédigé à partir des carnets intimes de cet h o m m e . Et, tout bien pesé, « l ' A l g é r i e est d a n s le j a r d i n de R a y m o n d Nart. » M i e u x , il a été « e n matière d'intoxication et de paranoïa [ . . . ] à b o n n e école. [ . . . ] L a bataille d ' A l g e r fait rage lorsque [le capitaine Léger] décide de constituer un g r o u p e destiné à récolter du renseignement dans les ruelles de la casbah. Pour distinguer les m e m b r e s de cette équipe des autres supplétifs, il leur fait e n d o s s e r un u n i f o r m e particulier : des bleus de c h a u f f e . Tout naturellement, en ville, on n e tarde pas à les appeler les " b l e u s " . » 2 7 Les c o n s é q u e n c e s de la « b l e u i t e » sont bien c o n n u e s ; et R a y m o n d N a r t était au c œ u r de ce dispositif. Ayant inauguré sa carrière de la sorte, il trouve naturellement sa place au sein de la D S T à son retour en France en 1962. Et si l ' e x p e r t en paranoïa et en intoxication est capable de faire p a s s e r des milliers d ' i n n o c e n t s pour des « b l e u s » , dans le but de les faire assassiner, l ' o n p e u t imaginer q u ' i l soit aussi capable de faire passer de vrais bleus p o u r de fervents patriotes. R e v e n u en France, c ' e s t n a t u r e l l e m e n t q u ' i l finit « p a r être le p r e m i e r représentant de la D S T à nouer des relations avec les services algériens, en 1983 ».

MITTERRAND ET LE « RÊVE AFRICAIN » En a c c é d a n t au pouvoir, en m a i 1981, F r a n ç o i s Mitterrand a a c c o m p l i son rêve. M a i s cela ne va p a s sans quelques difficultés : ne pas décevoir l'espoir de tout un peuple, et acquérir u n e stature internationale. Il parvient à g o m m e r son i m a g e de « b o l c h é v i q u e » en livrant à R o n a l d R e a g a n le dossier « F a r e w e l l » et le n o m des agents d o u b l e s soviétiques œ u v r a n t sur le sol américain. Cette victoire, il la doit à la DST. Son directeur M a r c e l Chalet s ' i n t e r r o g e : « L e Président mesure-t-il la c h a n c e d ' ê t r e m i s d a n s la c o n f i d e n c e ? L a D S T n ' a f v a i t ] rien dit à Valéry G i s c a r d d ' E s t a i n g , l ' a f f a i r e étant alors trop brûlante et l ' a v e n i r du Président de la République trop incertain. » Car la D S T ne transmet aux politiques que ce q u ' e l l e veut b i e n : « E n réalité, quand v o u s êtes au s o m m e t de la hiérarchie, v o u s ne p r e n e z c o n n a i s s a n c e que de la moitié des i n f o r m a t i o n s recueillies p a r les échelons inférieurs» confie J a c q u e s Fournet, chef de la DST de 1990

CONCI.AVIÎ il SISI'IONS I KAN(. AIS

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ii 1993. Rémy Pautrat, directeur du service de 1985 à 1986, reconnaît lin mcine avoir « fait des tas de choses, au n o m de l'intérêt général, sans • M iclérer au pouvoir politique qui, dit-il, m ' e n aurait voulu de prendre des i itques. | . . . ] Force est de constater que, lorsque vous dirigez la DST, v o u s devenez très vite autonome.» 2 8 Bref; la D S T et ses intérêts sont une chose, I I lut français et les siens en sont u n e autre. Lorsque ces deux intérêts H confondent, c ' e s t tant mieux, lorsqu'ils divergent, l ' u n des deux n ' e s t mcine p a s au c o u r a n t . . . Pour l'heure, D S T et Mitterrand ont un projet i nniinun, renouer les fils du dialogue avec Alger. I l cela urge à plus d ' u n titre. Car s'il est partiellement réhabilité aux veux des Atlantistes, c ' e s t au plan é c o n o m i q u e que Mitterrand risque de l u i y e r cher la facture de son avènement politique. Avant de se convertir aux " icnlités du m a r c h é » , il doit tenter de faire illusion, au m o i n s un temps. II lui faut trouver de l'argent frais à mettre dans les rouages. Et, fidèle à une iradition inaugurée en 1830, la France sait où trouver les « t r é s o r s » i|iu lui m a n q u e n t : Alger.* L ' A l g é r i e , c ' e s t u n e vieille c o n n a i s s a n c e pour Mitterrand. Il était ministre de l'Intérieur en 1954 quand débuta l'insurrection. Il disait alors: « J e n ' a d m e t s pas de négociations avec les ennemis de la Patrie. La seule négociation, c ' e s t la guerre ! » 29 On connaît le. conséquences d ' u n e guerre dont les deux pays n ' o n t pas fini de payer le prix. Mais les t e m p s ont changé. «En prenant le pouvoir, les socialistes français sont en effet divisés. Il y ii chez eux deux logiques : celle militante, des pro-algériens partisans de consacrer au niveau des États la relation suivie entre le PS et le FLN. C'est la conception des Cheysson, Jospin ou Estier. Mitterrand l'a officiellement assumée dans son manifeste de candidat adopté en janvier 1981 par le congrès socialiste. Il s'est en effet prononcé pour l'établissement "de liens privilégiés avec les pays non alignés de la zone méditerranéenne, spécialement l'Algérie". A cela s'opposent les partisans d'une approche maghrébine, c'est-à-dire d'une diplomatie plus équilibrée entre Alger et Rabat. [...] Ces derniers occupent des postes clefs dans le nouveau dispositif en place à Paris puisqu'il s'agit notamment du conseiller diplomatique de Mitterrand, Hubert Védrine, dont le père Jean Védrine fut confident de Mohammed V, et de Michel Jobert, l'enfant de Meknès, qui a ses entrées au palais royal de Rabat. »30 * De fait, ce pays deviendra pourvoyeur de l'économie française jusqu'à aujourd'hui. \prés Jacques Chirac qui fait d'Alger son pré carré, à peine désigné ministre de l'Economie, Nicolas Sarkozy effectue un voyage à Alger d'où il revient avec 2 milliards de francs de • nuirais, dont quelque 100 millions qui sauvent Alstom du dépôt de bilan ; sitôt élu Président, i n quête d'un point de croissance, il s'envole pour Alger, d'où il revient avec 5 milliards • l'euros de contrats.

200 ANN D'INAVOI IAIII I

D a n s une telle situation, sous les apparences v o n t se glisser des doubles discours, des d o u b l e s politiques, et des d e m i - m e s u r e s . . . En voulant m é n a g e r la chèvre et le chou, o n se hasarde à perdre les deux. «Mitterrand s'occupe d'emblée de l'Algérie, où il effectue, les 30novembre et 1er décembre 1981, la quatrième visite officielle à l'étranger de son septennat. Le Maroc attendra janvier 1983 pour recevoir le Président français qui y fera sa 28e visite officielle à l'étranger. Si l'on exclut les visites de travail,* l'Algérien Chadli sera le 4 e hôte officiel de Mitterrand à Paris en novembre 1983 et le Marocain Hassan le 19e, 24 mois plus tard. »31

Dans la hiérarchie mitterrandienne, le rang est fonction de la richesse du sous-sol. Dans ces noces, Mitterrand ne vient pas les m a i n s vides. Pour satisfaire ses « a m i s du F L N » , il régularise plus de 1 0 0 0 0 0 Algériens, clandestins sur le sol f r a n ç a i s . Il d o n n e ensuite le c o u p d ' e n v o i de négociations pour fixer le prix du gaz du Sahara, que la France privilégie au détriment de celui provenant de l ' U R S S . U n ancien diplomate français é v o q u e cette discussion, qui voit la France payer le gaz algérien près de 3 0 % plus cher que le m a r c h é : « À la table des négociations, les interventions de Claude Cheysson étaient consternantes. Je me demandais s'il plaidait pour le compte de la France ou pour celui de l'Algérie. » Ce surcoût - donnant lieu à rétrocommissions - , «la France souhaitait qu'il apparaisse clairement dans l'accord [comme étant] une aide au développement, ce qu'Alger, allergique à cette notion néocolonialiste, avait refusé, obtenant que la Sonatrach encaisse l'intégralité du chèque». 32 Cela n ' e s t pas anodin, car si l ' a i d e au d é v e l o p p e m e n t est versée dans les comptes de l'État algérien, la Sonatrach, véritable « É t a t dans l ' É t a t » , est quant à elle payée dans des comptes suisses, que les décideurs algériens gèrent à leur c o n v e n a n c e et en dehors de tout contrôle publique. Le reste peut faire l'objet d ' u n e chronique humoristique. La rencontre entre Mitterrand et Chadli est une pièce d'anthologie: « L e dîner se termine vers minuit. Chadli dit à Mitterrand: "Cher Président, j e vais faire un petit tour, car j ' a i besoin d'air." N o u s l'accompagnons j u s q u ' à la porte. Là, une Maserati rouge l'attend. Il prend le volant et part en pétaradant. Ce Président qui "sortait" la nuit tout en assumant ses fonctions de chef d'État dans la journée n'était pas pour déplaire à Mitterrand», 3 3 raconte Jean Audibert. En fait, dîner avec Mitterrand a sans doute été la plus haute activité d ' É t a t à

* Le mot «travail» est ici à prendre au figuré, Chadli Bendjedid en vrai playboy dilettante s'en remettait en tout point à son fidèle Larbi Belkheir.

1.1-FONCI AVI; I>I:SI:S['[I»NS I KANÇAIS

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laquelle s'est astreint Chadli ce j o u r - l à ; et un pigeon de cette facture n ' a pu"! du déplaire au chef de l'État français; il a m ê m e dû réveiller en lui une i i i liiine nostalgie pour la colonisation. Peu avare en offrandes symboliques, M I L I I - I rand livre à son ami Chadli une partie des archives algériennes :* • "( >11 ne va pas rendre les archives de la France à l'Algérie," mais on fera rn sorle que l'Algérie puisse disposer de celles dont elle a besoin dans un i ri lnin nombre de domaines", avait expliqué Mitterrand à la veille de son voynge dans un entretien au quotidien du FLN El-Moudjahid. En clair, Pnns restituera tous les documents antérieurs [sic] à la colonisation, c'estii dire à 1830. Pour la période coloniale, la France est prête à donner les documents "techniques", comme le cadastre et les plans des villes [...] l u revanche, rien de ce qui touche à la colonisation, à son histoire et aux ilioits des personnes ne doit quitter le sol français. Après de multiples |n i ipéties, donnant lieu à d'innombrables protestations des associations de nipntriés, les archives, tout au moins une partie, furent restituées en février 1985. La France a pris soin de faire microfilmer tous ces documents techniques et de retirer des cartons entreposés à Aix-en-Provence tous les dossiers délicats, y compris celui du célèbre "procès des eaux" qui remonte lit fin du xix e siècle. La France garde jalousement tous ses secrets sur la colonisation, y compris et surtout ceux de la guerre d'Algérie.» 34 Miel, on n e saura rien du rapt du T r é s o r d ' A l g e r en 1830 et e n c o r e moins sur les tractations secrètes qui a c c o m p a g n è r e n t l ' I n d é p e n d a n c e libérienne. M a i s pour inouï q u e cela puisse paraître, tout cela relève d e lu lace a v o u a b l e des relations f r a n c o - a l g é r i e n n e . L'essentiel se d é r o u l e ilnns l ' o m b r e .

LA MÉCANIQUE INFERNALE DE LARBI BELKHEIR A partir de cette période, à Alger, le clan Belkheir, qui s ' e s t d é j à bien éiolle, p h a g o c y t e l i t t é r a l e m e n t toutes les institutions. M a i s c e r t a i n s •iceieurs lui résistent, pour lesquels il devra recourir aux grands m o y e n s . I 'un des trois g r a n d s obstacles à sa m a i n m i s e a p o u r n o m M e s s a o u d / e g h a r . Depuis sa « d é s i g n a t i o n officieuse, en 1967, c o m m e représentant

* Que le pouvoir algérien s'empressera de mettre sous scellés, à supposer qu'il ne les ait |MN lout simplement détruites. ** «En 1962, Auguste Sauzon "liquide" la DST en Algérie. Un repli a lieu sur Paris, le 1" mars 1962. Un ami de toute confiance, le commissaire Pierre Richard de la PJ, a déjà nipntrié dès 1961 des archives compromettantes de la DST à Alger, notamment celles du ili'partement E2 concernant les affaires menées, avec des fortunes diverses, par Lassabe.» HngerFaligot, Pascal Krop, DST, Police secrète, (Flammarion, 1999), p. 199.

du gouvernement auprès de l'administration américaine», 3 5 l ' h o m m e s'est littéralement substitué à la diplomatie algérienne, agissant d a n s l ' o m b r e au service de la politique à d e u x vitesses du Président B o u m e d i e n e ( p a n a r a b e et anti-impérialiste p o u r la partie visible, et p r o f o n d é m e n t e n g a g é e d a n s u n e c o l l a b o r a t i o n a v e c les p u i s s a n c e s o c c i d e n t a l e s en sous-main). Il aide les A m é r i c a i n s à obtenir des i n f o r m a t i o n s sur leurs détenus au Vietnam, et obtient d ' e u x des prêts et les garanties de soutien t e c h n i q u e d a n s la p e r s p e c t i v e des n a t i o n a l i s a t i o n s des h y d r o c a r b u r e s en 1971. L e s p o r t e s de la M a i s o n B l a n c h e lui sont g r a n d e s ouvertes. Dans son carnet d ' a d r e s s e , le gotha de la haute finance a m é r i c a i n e (dont David R o c k e f e l l e r ) , de l ' a r m é e , de la Justice ( R i c h a r d K l e i n d i e n s t , ministre de la Justice de Richard N i x o n ) et d e la p o l i t i q u e ( G e o r g e s Conalby, g o u v e r n e u r du Texas, ministre des Finances), etc. A u point q u ' o n l'accusera d ' ê t r e un agent de la CIA. Pour tout ce qui touche au c o m m e r c e extérieur, M e s s a o u d Z é g h a r est incontournable. Lors des m a n œ u v r e s de succession déjà, Messaoud Zéghar avait misé sur le mauvais cheval, participant aux «réunions de [Kasdi] Merbah, patron de la Sécurité Militaire, et Bouteflika, alors ministre des Affaires étrangères, en vue d'évincer Chadli c o m m e prétendant à la Présidence. » 36 Au m o m e n t de la relève, l ' h o m m e de l ' o m b r e Messaoud Zéghar a la haute main sur le c o m m e r c e extérieur, un des secteurs clés que Larbi Belkheir, un autre maître de l'ombre, voudrait s'approprier. En se débarrassant du gêneur, ce dernier pourra de surcroît reprendre en main les relations avec les ÉtatsUnis, levier indispensable pour qui veut durer en politique. Dans cet univers d'assassins sans merci, éliminer physiquement un gêneur ne pose a priori aucun problème. Mais pourquoi ne pas en profiter pour récupérer son magot estimé à 2 milliards de dollars? Cela s'impose pour une double raison: la pure cupidité d ' u n e part, et le pragmatisme, dans la mesure où cette fortune ne doit pas servir de soutien à une opposition qui atteint alors son apogée. En d é c e m b r e 1982, « l e Président Chadli avait fait escale à Paris. F r a n ç o i s M i t t e r r a n d , estimant avoir a f f a i r e à un " h o m m e de b o n n e volonté", avait eu avec lui u n e c o n v e r s a t i o n f o n d a m e n t a l e . L e s d e u x h o m m e s avaient conçu ce jour-là un scénario progressif de réconciliation franco-algérienne, étalé sur d e u x ou trois ans, afin d e ne pas h e u r t e r les é l é m e n t s réticents de leurs opinions publiques, essentiellement les m o u d j a h i d i n e du F L N , d ' u n côté de la Méditerranée, et les Pieds-noirs rapatriés, de l'autre.» 3 7 C ' e s t à cette occasion, pense Hanafi Taguemout, que s'est scellé le sort de Messaoud Zéghar, l'obstacle pro-américain à la « r é c o n c i l i a t i o n » franco-algérienne. Avant d ' a l l e r plus loin, r e m a r q u o n s

I L CONCI AVIÎ 1)1 S LISI'IONS L'KANC, AIS

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i|nr il.MIS ccs réconciliations, il y a deux grands absents : le peuple algérien »'i h- peuple f r a n ç a i s . . . qui auront rapidement à subir, chacun à sa façon, lu lourde facture de ces noces honteuses. Il suffit pour Larbi Belkheir de faire arrêter Zéghar par une justice à ses nnlics. Les m o t i f s ne manquent pas. Sa position lui a p e r m i s d ' a c c u m u l e r uni' lortune colossale; une « r é u s s i t e » qui, cela s ' e n t e n d , ne peut se faire diiir. la stricte légalité. Et un h o m m e de cette t r e m p e a, avec l'accord de la '•M d'ailleurs, installé un véritable système d ' é c o u t e à son domicile, où il di .pose également d ' u n arsenal militaire. Autant de « d é l i t s » qui peuvent l'tie invoqués à son encontre. 1 e 17 d é c e m b r e 1982, au retour du v o y a g e de Chadli B e n d j e d i d en llel«ique et à Paris, Larbi Belkheir décide donc de mettre fin à l ' é p o p é e Zi'uliar. Arrêté sans m é n a g e m e n t , il est soumis à la torture des m o i s durant, i hic le dossier d ' a c c u s a t i o n soit m i n c e importe p e u ; lorsque le capitaine i h iwki Benaïssa, j u g e d'instruction militaire, m o n t r e quelque réticence à poursuivre « u n dossier v i d e » , le capitaine Trichine, un h o m m e de Larbi llelklieir, lui r é p o n d : « R e n d e z une ordonnance de non-lieu si v o u s avez l'étoile d ' u n héros. » 3 8 Les cimetières débordent de cadavres de h é r o s . . . Croyant m o n t r e r sa b o n n e foi, Z é g h a r accepte d ' e m b l é e de reverser l'intégralité d e sa f o r t u n e au Trésor a l g é r i e n ; m a i s qui a parlé d e l'intérêt n a t i o n a l ? L ' a m b i t i o n de Larbi Belkheir est d e se l ' a p p r o p r i e r pcisonnellement. En échange de p r o m e s s e s de libération, Zéghar cède les ' milliards de sa fortune (placée en Suisse) à u n e m e u t e de prédateurs u u s s i o n n é s par ses t o u r m e n t e u r s . L o r s q u e le dernier c e n t i m e de ce monumental p a t r i m o i n e a c h a n g é de m a i n , n o u s s o m m e s en 1 9 8 5 : le pouvoir alors est quasi verrouillé par le clan Belkheir. En septembre, un piocès expéditif c o n d a m n e M e s s a o u d Zéghar à trois ans de prison pour des délits secondaires. L'un des juges, M o h a m e d Kara M u s t a f a , r é s u m e In situation par ce c o m m e n t a i r e : « Z é g h a r a été arrêté pour être délesté d e H fortune par certains individus. » 39 Relâché après avoir purgé 33 m o i s de prison, dépourvu de passeport, il est contraint de rester une année de plus eu Algérie avant de bénéficier de la « m a n s u é t u d e » de ses bourreaux. Il se iclugie alors en Espagne, où il s u c c o m b e à une crise cardiaque en 1987, nu sortir d ' u n restaurant algérien, deux j o u r s après avoir eu u n e longue et houleuse discussion avec un agent de la Sécurité Militaire. Selon certains, ayant recouvré un peu la santé, il s'apprêtait à se rallier à l ' o p p o s i t i o n . . . I In lien de cause à effet n e peut être formellement établi, m a i s il est clair que l ' h o m m e , m ê m e m a l a d e et a p p a u v r i , demeurait une m e n a c e trop

2(10 ANS IVINAVOIIAIII I

sérieuse p o u r le clan au pouvoir. L'obstacle Z é g h a r est en tout cas mis hors d ' é t a t de nuire dès 1983 ; l ' h o m m e qui meurt en 1987 n ' e s t d é j à plus que l ' o m b r e d ' u n e o m b r e . . . Signe de la c o l l u s i o n entre L a r b i B e l k h e i r et ses h o m o l o g u e s en France, d e u x s e m a i n e s après l'arrestation de Zéghar, un autre « o p p o s a n t » est s o u m i s à la tourmente. « L a police française effectue une "perquisition" dans la villa de Montmorency, en banlieue parisienne, où réside habituellement Ahmed Ben Bella libéré deux années plus tôt par Chadli. L'ancien Président n'a pas respecté la promesse faite [...] de se taire. Depuis son arrivée en France, il multiplie déclarations et interviews où il attaque violemment le pouvoir en place à Alger. [...] Peu avant l'escale de Chadli à Paris, les autorités françaises invitent Ben Bella à quitter la France "pour quelques jours". [...] C'est là qu'il apprend que sa villa a fait l'objet d'une perquisition. [...] La police découvre des armes, ce à quoi elle s'attendait. Car peu de temps avant son départ pour la Suisse, la police française est venue [lui] proposer d'assurer sa protection. Celui-ci décline l'offre et affirme préférer lui-même assurer sa sécurité. [...] La publicité faite autour de cette affaire a un triple objectif: d'abord fournir aux autorités françaises un motif légal d'expulsion de Ben Bella. Il constitue ensuite un avertissement lancé au reste de l'opposition algérienne. Enfin et surtout donner aux autorités algériennes les gages de bonne volonté du gouvernement français. Alger a apprécié. Qu'a-t-elle donné en échange? Zéghar?» 4 0 C a r si Z é g h a r c o n t r a r i e les v i s é e s d e L a r b i B e l k h e i r , il c o n t r a r i e é g a l e m e n t l ' a m b i t i o n d e M i t t e r r a n d de retirer le p r é carré algérien d e l'influence américaine. Conséquence immédiate: « L e montant des é c h a n g e s entre les d e u x p a y s est p a s s é d e 25 milliards de f r a n c s en 1981 à 4 5 milliards en 1 9 8 3 . »

MOSTEFA BELLOUCIF, UN «DAUPHIN» DANS UN MONDE DE REQUINS Celui qui montre quelque h u m a n i t é à l'égard d ' u n M e s s a o u d Z é g h a r libéré mais démoli (il facilite son exil en lui faisant délivrer un visa) est l ' h o m m e fort de l ' a r m é e , le colonel M o s t e f a B e l l o u c i f , le d a u p h i n de C h a d l i B e n d j e d i d qu'il connaît d e p u i s la Révolution. H o m m e du sérail, d o n t il p a r t a g e les turpitudes, m a i s attaché à u n e certaine é t h i q u e nationale, il r e f u s e de signer les contrats ruineux d a n s un p a y s e x s a n g u e pour lesquels Larbi Belkheir intercède en f a v e u r de l'industrie militaire française. C ' e s t le second h o m m e à abattre p o u r mettre le g r a p p i n sur l ' e n s e m b l e de l'État algérien et en faire une propriété privée.

I.I; r.s KSHONS I HANTAIS

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i m, de façon inattendue, Belloucif se m o n t r e résolu à e m p ê c h e r ces di hiiiincments. Est-ce pour se convaincre de l'épaisseur d e son p o u v o i r ? I n l')X4, L a r b i B e l k h e i r se p r é s e n t e à lui c o m m e V R P d ' u n e o f f r e Iniiiçiiise d o u t e u s e : doter l ' A l g é r i e d ' u n e c o u v e r t u r e r a d a r a é r i e n n e et nMiéic ( C R A C ) , p o u r un m o n t a n t de 36 milliards d e f r a n c s français, un |ini|cl p o u r lequel F r a n ç o i s Mitterrand s ' i m p l i q u e p e r s o n n e l l e m e n t . L e l ' i e n u c r ministre A b d e l h a m i d Brahimi 4 1 avait quelque t e m p s auparavant inipillé ce contrat en arguant d e v a n t le Président C h a d l i q u e l ' A l g é r i e |iiiuvuit affecter u n e telle s o m m e à d ' a u t r e s fins q u ' u n e couverture radar n'i vnnl seulement les desseins stratégiques de la France. L e n o u v e l l e m e n t | I I I I I I I I I général Belloucif rejette l ' o f f r e française. « L e projet C R A C a été |in .ie entre le Président Chadli et le Président Mitterrand d e gré à gré. | | ( "est le général Blanc qui a négocié avec le chef d ' é t a t - m a j o r [ . . . ] » 42 indiquera Khaled N e z z a r qui tentera de s'attribuer la paternité du r e f u s de > u n i l u r e , a j o u t a n t q u ' i l y avait aussi « l e projet C a s c a v e l : engins blindés i m u e s , avec le B r é s i l ; et le projet Ciel c o n c e r n a n t les t r a n s m i s s i o n s , le projet a m é r i c a i n d e construction d e la b a s e de B o u f a r i k » ; le m o n d e entier semble f o n d r e sur l ' A l g é r i e p o u r y écouler son matériel militaire, • Inique fois p o u r d e s m o n t a n t s de plusieurs milliards d e dollars, d a n s u n e • nnjoncture où la population n ' a rien à se mettre sous la dent, d é p e n d a n t quiisi e x c l u s i v e m e n t d ' i m p o r t a t i o n s p o u r l e s q u e l l e s les c a i s s e s sont dr-.espérément v i d e s . . . L e s g r a d e s les plus élevés ne valent rien d a n s un pu y s où celui qui détient le p o u v o i r réel est un v a g u e chef de c a b i n e t ; et le général Belloucif l ' a p p r e n d r a très vite à ses dépens. C ' e s t p o u r u n e s o m b r e a f f a i r e d e c o r r u p t i o n , cela va s a n s dire, que Belloucif va tomber. L i m o g é en 1986, il n ' e s t pas au b o u t d e ses p n n e s , p u i s q u e « K h a l e d N e z z a r profitera de son ascension pour [ . . . ] le peisécuter j u s q u e d a n s sa g e ô l e à la prison militaire de Blida, d a n s le bloc • le haute sécurité», 4 3 où il sera c o n d a m n é en 1992 à purger une p e i n e de I "> uns d e prison. Il croisera bien d e s d é t e n u s qui ont pour seul tort de n ' a v o i r pas appliqué sans ciller q u e l q u e o r d r e contestable d ' u n g é n é r a l : Nezzar, Smaïn L a m a r i , M o h a m e d L a m a r i , Larbi B e l k h e i r . . . « Parmi les militaires incarcérés, j ' a i r e c o n n u M u s t a p h a Belloucif, l'ancien secrétaire l'i'iiéral du ministère de la D é f e n s e , du t e m p s de Chadli. L e procureur du inbunal militaire d e Blida avait r e q u i s [ . . . ] 20 a n s de prison contre cet uneien général et la prison à vie contre ses complices. Tous avaient été m eusés de d é t o u r n e m e n t d e fonds. M a i s le pire, c ' e s t que c'était lui qui nvnit inauguré cette prison militaire de B l i d a . . . des a n n é e s a u p a r a v a n t » , 4 4 i nconte A b d e l k a d e r Tigha.

2 4 X

200 ANS D'INAVOUAHI I

Tout l o g i q u e m e n t , ce sont les services f r a n ç a i s qui aident Larbi Belkheir à ficeler le dossier de corruption.* Avec le recul, on peut m e s u r e r le soutien criminel auquel se prêtent les services officiels français, le ministre de l ' É c o n o m i e et des Finances, le fisc, ses services secrets et sa police, soit peu ou prou le corps étatique français dans son ensemble : disposés et diligents lorsqu'il s'agit d ' é p a u l e r les basses m a n œ u v r e s du clan français autour de Larbi Belkheir, ils se m o n t r e n t nettement plus réservés quand ils peuvent servir la cause de la démocratie, celle du peuple algérien, et par voie de conséquences, celle du peuple français.** Q u e l l e s i n f o r m a t i o n s les services f r a n ç a i s peuvent-ils détenir sur leurs h o m o l o g u e s a l g é r i e n s ? Le détail d e leurs avoirs p e r s o n n e l s et, plus prosaïquement, des affaires de m œ u r s ; les enregistrements de leurs ébats « s e c r e t s » réalisés systématiquement par les agents français servent traditionnellement de m o y e n s de pression. Lors de la visite d ' A b d e l a z i z B o u t e f l i k a à Paris en 1963, raconte H e r v é Bourges, « B e r n a r d Stasi fut chargé à Paris d ' o r g a n i s e r une soirée. [ . . . ] Il l ' a c c o m p a g n a , sans trop savoir s'il apprécierait l'attention, au C r a z y H o r s e : il n ' e s t pas certain que Paris n ' a i t rien eu de m i e u x à p r o p o s e r au ministre de la Jeunesse de la nouvelle Algérie.» 4 5 R a p p e l o n s que c ' e s t au retour de ce v o y a g e que Bouteflika deviendra ministre des A f f a i r e s étrangères, la place ayant été opportunément libérée par l'assassinat de M o h a m e d Khemisti, œ u v r e d ' u n « f o u » providentiel devant l ' A s s e m b l é e nationale. Z é g h a r liquidé, Belloucif neutralisé, il reste un troisième h o m m e , autrement plus difficile à éliminer. Ali Mécili vit en exil en F r a n c e ; il est citoyen français, jouit d ' u n e très bonne réputation sur la scène française et internationale, et connaît la maison Sécurité Militaire sur le bout des doigts p o u r avoir contribué durant la guerre de libération à sa structuration. Il n ' e n sera pas moins assassiné, en plein Paris, dans un silence de plomb. * Pour les circonstances de cette élimination, et les détails sur les multiples contrats qu'il a contrariés, lire Françalgérie, Crimes et mensonges d'États, (La Découverte, 2004), pp. 104-107. ** Ainsi lorsqu'une délégation de trois agents envoyée par le Président Boudiaf en 1992 pour obtenir des informations détenues par ces même institutions sur des faits de corruption qui gangrènent l'Algérie, et mettre un peu d'ordre dans les pratiques économiques, elle bute contre une fin de non recevoir. Les trois hommes seront tous trois liquidés dès leur retour et Boudiaf lui-même sera abattu dans la foulée. Plus tard, Alain Juppé émettra, sur les conseils de Nicole Chevillard, une journaliste spécialiste des rapports Nord-Sud, le désir d'affaiblir les généraux algériens en s'attaquant à leurs avoirs. Même réaction d'hostilité et le destin politique d'Alain Juppé connaîtra rapidement une brusque dégringolade, suite à la dissolution par Jacques Chirac d'une Assemblée nationale entièrement acquise à la droite.

LE CONCLAVE DES ESPIONS FRANÇAIS

249

Son meurtre intervient à un m o m e n t où les dirigeants français peinent à mettre fin à une v a g u e de terrorisme sur leur sol et où les décideurs algériens se déclarent disposés à les y aider. N o n sans raison d ' a i l l e u r s : ils en sont les principaux orchestrateurs. Les temps ont changé : la colonie française d ' A l g é r i e des D A F est maintenant solidement ancrée. Elle peut entreprendre des projets d'extension. Sur la scène mondiale, le terrorisme de l'ancienne veine, avec des personnels européens, répand ses derniers m a u x . U n e m u t a t i o n stratégique s ' o p è r e : l ' a v e n i r est au t e r r o r i s m e islamiste. La SM liquide les vieux réseaux encore actifs, non sans avoir au préalable négocié au mieux le salaire de leur démantèlement.

2 5 1

CHAPITRE 9

Pasqua, «ministre de l'Intérieur«... de l'Algérie •

' u n des g a g e s de b o n n e v o l o n t é q u e d o n n e F r a n ç o i s M i t t e r r a n d à

I

la g a u c h e est l ' a m n i s t i e a c c o r d é e a u x m i l i t a n t s d ' A c t i o n directe.

£

À Mal lui e n p r e n d , car les attentats se m u l t i p l i e n t à partir de 1982 en

I i micc où les terroristes s e m b l e n t n e r i e n devoir craindre. L e g o u v e r n e m e n t I - I .nix a b o i s . . . L ' a u t o n o m i e de la D S T à l ' é g a r d d u p o u v o i r p o l i t i q u e la Itoli' .c à m e n e r des o p é r a t i o n s p a s très c o n v e n t i o n n e l l e s et, p o u r tout dire, i|in c o n f i n e n t a u c r i m e d ' É t a t . E n l ' a b s e n c e de tout contrôle, elle fait f e u il> Inni b o i s p o u r e n d i g u e r le t e r r o r i s m e , ce qui la c o n d u i t à e n t r e p r e n d r e • l > a c t e s p l u s m e u r t r i e r s e n c o r e . M a i s n ' e s t - i l p a s vrai q u ' à c h a q u e j o u r nllil sa p e i n e ? Et p o u r a c c o m p l i r la c a u s e d ' u n j o u r , « l o r s q u ' o n travaille |tniii la DST, o n doit être prêt à d î n e r a v e c le diable s ' i l le f a u t » ' a f f i r m e muiv a m b a g e s Y v e s B o n n e t , s o n directeur. A s s e r t i o n a s s e z n a ï v e , q u i fait l'.'ii

de cas de la p u i s s a n c e d u diable : q u i dîne a v e c le diable se réveille

m m vent e n enfer, et p a r f o i s d a n s le f r a c a s des b o m b e s . Mais p a r t o n s d u p r i n c i p e q u e l ' o b j e c t i f de m e t t r e c o û t e q u e c o û t e fin lin terrorisme sur le sol f r a n ç a i s i m p o s e de c o n s e n t i r a u diable q u e l q u e s iimiihilités. D e f a i t , n o u s a l l o n s le v o i r , cette « f r a t e r n i s a t i o n »

va

piiivisoirement faire taire les b o m b e s à P a r i s ; m a i s au p r i x d ' u n e m o r t e l l e II hiipromission : la sécurité de la F r a n c e s e r a m i s e s o u s tutelle des services Mi-i icts algériens. I r r é m é d i a b l e m e n t . Pour dîner a v e c le diable, il f a u t d é j à le localiser. C ' e s t la partie aisée île l'opération ; il se t r o u v e en e f f e t q u ' i l d i s p o s e d ' u n pied-à-terre à l ' o u e s t il Alger, le C l u b des Pins, fief de la Sécurité Militaire, o ù il p e u t p r e n d r e lncn des a p p a r e n c e s . E n 1985, lors d e la v a g u e d ' a t t e n t a t s à Paris, «la DST se réjouit d'avoir réussi à établir, par l'entremise d'un Palestinien résidant à Paris avec sa compagne algérienne, un contact avec l'un des poseurs de bombes les plus actifs de la planète. [...] Abou Nidal et ses hommes viennent de semer la terreur rue des Rosiers en déchargeant leurs

Í.JÍ

21X1 ANS D'INAVOUAIII I

pistolets-mitrailleurs sur des passants au cœur du plus ancien quartier juif de Paris. [...] Des émissaires de la DST, parmi lesquels Raymond Nart, [...] voient Abou Nidal à Alger, au Club des Pins - rencontre à laquelle assiste également le général Rondot, alors attaché à la DST. [...] Peu après, la DST obtient ce qu'elle est venue chercher : une trêve des attentats sur le sol français pour une durée indéterminée en échange de l'expulsion vers la Libye des deux membres de l'organisation détenus en France. »2

L'AMITIÉ DE LA S M AUX ENCHÈRES DES SERVICES FRANÇAIS La tradition de collaboration, souhaitée ou i m p o s é e , des plus hautes instances officielles françaises avec les services algériens est ancienne : « G r â c e à ses agents spéciaux, au pactole que fait couler le pétrole et à la brigade de c h a r m e de plusieurs dizaines de séductrices du service opérationnel de Kasdi M e r b a h , bon n o m b r e de diplomates et d ' h o m m e s politiques - y compris certains ministres de la Ve République - deviennent [ . . . ] des agents d ' i n f l u e n c e conscients ou inconscients, sinon des agents de r e n s e i g n e m e n t pour la S M » , 3 révèle R o g e r Faligot. Au n o m b r e de ceux-ci, probablement Jean de Broglie,* assassiné le 24 mars 1976 alors que le pot aux roses est découvert par le S D E C E . Lorsque Pasqua est c o n d a m n é en 2009 à une peine de prison dans le procès de l ' A n g o l a g a t e , sa première réaction est de réclamer la fin du secret d é f e n s e qui, selon lui, est à la base de l ' i n c a p a c i t é des h o m m e s politiques accusés à se défendre. Il est assez cocasse que cet appel vienne de celui qui, durant sa longue carrière, y a le plus recouru. Son ouvrage, Ce que je sais, est aussi d é c e v a n t q u e sa c o u v e r t u r e est a l l é c h a n t e : « F a i s a n t m i e n cet aphorisme tout britannique qui veut que le propre d ' u n service secret soit de rester secret, j e lui d e m a n d a i d ' o p p o s e r le "secret défense" aux d e m a n d e s d'investigation de la j u s t i c e » , écrit-il n o t a m m e n t à l'occasion d ' « u n e affaire de détournement de fonds impliquant certains socialistes.» 4 U n e « t e m p ê t e » qui, raconte-t-il, l ' a p r o f o n d é m e n t usé et à l'occasion de laquelle il a pu c o m p t e r sur quelques amitiés fortes : « P a r a d o x a l e m e n t , alors q u e j ' é t a i s attaqué d a n s m o n propre pays, des m e s s a g e s de sympathie m ' é t a i e n t parvenus, au plus fort de la tempête, de pays traditionnellement amis de la France, ceux du Maghreb, bien sûr, mais aussi de l ' A f r i q u e f r a n c o p h o n e . » 5 * NdE: Secrétaire d'État chargé de la Fonction publique (avril à novembre 1962), puis aux Affaires algériennes (1962-1966) et aux Affaires étrangères (1966-1967), il fut, avec Louis Joxe et Robert Buron, l'un des négociateurs des Accords d'Évian conclus entre la France et le FLN, le 18 mars 1962, qui ont mis un terme à la guerre d'Algérie.

A S Q I I A « M I N I S I K l : 1>I I ' I N I Î K L l - L J K »

1>I 1 A I C.Î KIL

253

A i|iicl point Pasqua est-il l'ami des dirigeants m a g h r é b i n s ? Il prétend IVIni In plus haute considération pour l ' i m a g e de la France, et la vie de «t'i ny.nits, jugeant sévèrement « l e gouvernement d'alors, dont Michel l r iniiiiiiiwski était ministre de l'Intérieur, [qui] avait gravement e n t a m é I ininm" île la France et l'autorité de l'État en laissant repartir librement des iiiililmits autonomistes qui avaient tué deux g e n d a r m e s . » 6 U n e m é m o i r e liinn m-lective, dont nous allons tenter ici de combler les lacunes... Lorsqu'il « nciulle Place Beauvau, il s'apprête à travailler main dans la main avec un I .ois Mitterrand qui, en 1956, considérait que les compromissions sont D* I CN nécessités dont on se remet vite: « B a h , on se refait une virginité en -tK heures.» 7 Mieux q u ' u n programme, un état d'esprit.

L'ASSASSINAT DE MÉCILI I > / avril 1987, A b d e l m a l e k Amellou, un proxénète notoire, n e s e m b l e nullement anxieux lorsqu'il pénètre dans l ' i m m e u b l e du boulevard SaintMu liel dans le sillage d e sa victime. Il loge trois balles de 7,65 dans la leir d ' A l i - A n d r é Mécili avant de quitter tranquillement l ' i m m e u b l e pour m- londre dans la rue. L ' é m o i considérable suscité par l'assassinat de cet homme auprès de ceux pour qui démocratie et droits de l ' h o m m e ont un m le. contraste radicalement avec le m u t i s m e q u ' a f f i c h e n t tous les hauts i• i: I J A L C i f R I I '

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M lucques Foccart devient le discret ordonnateur des basses besognes du ii'Hiine, du Maroc à l'Afrique, de la lutte anti-OAS au SAC. Il écarte Roger Wvbnl de la tête de la DST en 1959 et Paul Grossin de la direction du SI U'CIi en 1963, afin de les remplacer par des hommes à lui.* De nouvelles i, ihles sont définies : surveillance des syndicats, espionnage politique ou noyautage d'organisations antigaullistes. Depuis l'Élysée, Jacques Foccart ii nu a-il sur tout. Au ministère de l'Intérieur, Roger Frey, un gaulliste pur el dur, ancien trésorier du RPF et secrétaire général de l'UNR (le nouveau p.nli gaulliste), nommé après le putsch manqué des généraux en Algérie en m.il 1961, tient la maison jusqu'en avril 1967. Il prend comme conseillers le préfet corse Jean Bozzi ainsi que son ami Alexandre Sanguinetti. [...] Iciui Uozzi a débuté sa carrière comme haut fonctionnaire chargé de l'( )ntre-mer, puis comme sous-préfet, avant d'être nommé secrétaire Ueuéral de la préfecture d'Alger en 1957 et préfet de Mostaganem en 1961. | | Alexandre Sanguinetti est, quant à lui, un combattant venu de l'extrême limite. [...] Sanguinetti défend farouchement l'Algérie française en vue de préparer le retour au pouvoir du général de Gaulle en mai 1958. Recruté p.n Roger Frey au secrétariat général de l'UNR, il le suit au gouvernement, en bénéficiant au passage d'une curieuse faveur: condamné en juin 1958 pour faillite et poursuivi notamment pour banqueroute et escroquerie, Snnguinetti est blanchi, en dépit des réserves appuyées du parquet de la Seine, par la loi d'amnistie du 31 juillet 1959, grâce aux instructions venant du cabinet du Garde des Sceaux. »15 Omis un contexte où, en Algérie, «l'armée et la police ne suffisent pus à contenir les menaces, [...] le régime est aux abois. Il lui faut des hommes de main efficaces. Il fait alors appel au milieu.» Qui mieux nlors qu'Alexandre Sanguinetti pour mener l'affaire? Celui qui deviendra « "Monsieur anti-OAS", est le cousin du parrain corse de Grenoble, Mathieu Matteï. [...] Ancien des forces navales de la France libre, responsable de la sécurité du général de Gaulle à l'Elysée, Paul Comiti, le président du SAC à partir de 1960, connaît la plupart des figures du milieu. l ' u n de ses affidés, Charles Pasqua, natif de Grasse mais de souche corse, est également un habitué de tous les bars corses de la ville. [...] Quelques i .iïds, braqueurs, proxénètes, cambrioleurs, spécialistes des enlèvements, indiquants, saisissent l'opportunité offerte par le régime. »' 6

Knilà donc réunie la garde prétorienne du général de Gaulle. L o r s q u ' i l n'ngit de contrer l ' O A S en Algérie, craignant de ne pouvoir s ' a p p u y e r sur l'mince et la police régulières, j u g é e s trop «Algérie f r a n ç a i s e » , le pouvoir n é e la « M i s s i o n C » . Et, de f a ç o n attendue, « l ' i n i t i a t i v e est lancée par Iniques Foccart à l ' É l y s é e , R o g e r Frey et A l e x a n d r e Sanguinetti au ministère de l'Intérieur et le colonel Laurent du S D E C E . Le pouvoir ne veut pas apparaître directement dans cette action secrète. Le journaliste * Ce descriptif s'applique parfaitement à l'œuvre de Larbi Belkheir en Algérie.

21X1AN*

D'INAVOIIAIII I

L u c i e n Bitterlin, le teinturier a l g é r o i s A n d r é G o u l a y , le militant D o m i n i q u e Ponchardier et l'avocat Pierre Lemarchand, anciens du RPF [ . . . ] prennent en charge l'organisation des opérations.» 1 7 M a i s lorsqu'on veut recruter des h o m m e s pour un m o n d e parallèle, ce n ' e s t pas à l ' E N A que l ' o n s ' a d r e s s e : «La situation algérienne, le "quarteron de généraux en retraite" et les actions de l'OAS sont à l'origine de ce virage non négocié. S'estimant trahi par une partie de l'armée et ne faisant plus confiance aux services de renseignements, de Gaulle se tourne vers Roger Frey et Jacques Foccart pour mettre fin à la contestation française en Algérie et empêcher l'OAS d'exporter son action terroriste en métropole. Ce qui conduit certains à se tourner vers le milieu français. Et ainsi, exactement comme la CIA l'a fait en 1947 avec les frères Guerini à Marseille, une branche de l'État accepte de collaborer avec le crime organisé. [...] Pire, lorsqu'il fallut recruter des hommes prêts à tout, y compris à l'assassinat et à la torture, certains responsables du SAC n'ont pas hésité à faciliter la libération de criminels. Ainsi, Christian David déclare-t-il un jour: "On est venu me chercher en prison en 1961 pour travailler avec une organisation nommée SAC. Ma libération a été arrangée par une personne avec des connexions dans les plus hauts cercles du pouvoir français."» 18 Pendant 20 ans, le S A C c o m b i n e r a son œ u v r e au service du gaullisme avec trafics de drogue, braquages, et mille autres délits qui constituent la nomenclature du crime. « L e premier président du SAC, Pierre Debizet, partisan farouche de l'Algérie française, est remplacé en avril 1960 par Paul Comiti [...] Enregistré officiellement comme association le 4 janvier 1960, le SAC a pour vocation affichée de "rassembler toutes les personnes, sans distinction d'opinion ou de race, désireuses de soutenir l'action du général de Gaulle". Il est officiellement chargé d'assurer la sécurité des campagnes électorales des candidats gaullistes de l'UNR. En réalité, il va vite se transformer en une armée de nervis recevant des missions de "police parallèle", qu'il remplit d'ailleurs de manière souvent désordonnée: coups de poing et fusillades avant les élections et chasse aux militants du FLN algérien, préparatifs de guerre civile contre les communistes, renseignements politiques, assauts contre les grévistes, projets d'actions paramilitaires en Mai 1968... Le SAC attire à lui des centaines d'escrocs, petits délinquants ou caïds, qui voient là une occasion rêvée d'obtenir des protections en échange de leurs services. En 1967, à-Grenoble, lors d'une réunion électorale qui oppose Pierre Mendès France au Premier ministre Georges Pompidou, quelques gros bras, les vestes gonflées par leurs revolvers, assurent le service d'ordre. "Je n'ai jamais vu ça, confie, écœuré, un policier. Parmi les types qui sont là, il y a plusieurs interdits de séjour connus." Et le chauffeur de Pompidou, ce soir-là, n'est autre que Mathieu Mattéï, le panain de

MASQUA. « M I N I S T K I Î 1)1 l ' I N l'f'KIIUJK »..

I)li l ' A l X i f i K I I

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In ville. Le parti gaulliste ne regarde pas trop qui le soutient. "Quand m u e maison brûle, vous ne demandez pas aux pompiers quelle est leur ii liuion", dira Charles Pasqua, qui a pris en main, entre 1962 et 1965, le A< des Bouches-du-Rhône, du Var et des Alpes-Maritimes, avant de devenir, à Paris, le vice-président du service d'ordre. La carte tricolore de membre du SAC, vraie ou falsifiée, ne donne pas tous les droits. Mnis elle semble conférer à son porteur quelques avantages, comme M' nippelle l'ancien commissaire Lucien Aimé-Blanc [ . . . ] : "Quand on iniuhnit sur un truand avec une carte du SAC, en général, les poursuites ennent abandonnées. Il y avait un conseiller au ministère de la Justice, 11iti s'occupait des interventions pour les faire relâcher." Cette impunité ••il confirmée par un ancien commissaire parisien, Marcel Morin, en • luirge à cette époque du banditisme : "La Préfecture de police de Paris, nlors dirigée par Maurice Papon, nous envoyait parfois des consignes H lui de faire libérer dans la journée des voyous que nous venions il'iirrcter, parce qu'ils étaient membres du SAC ou proches de certains iiiius du pouvoir gaulliste".» 19

I i m o n d e souterrain est b i e n petit. T o u s ces h o m m e s f e r o n t d o n c d u n i vice d ' o r d r e , un peu, et du grand banditisme, b e a u c o u p . « L a direction ili lu police judiciaire d é n o m b r e r a un total de 65 affaires impliquant 106 nienihies du S A C entre 1960 et 1982, affaires t o u c h a n t à la prostitution, •m mcket, à la f a u s s e m o n n a i e , au trafic d ' a r m e s ou de stupéfiants, ainsi ipie des crimes de droit c o m m u n . » Et il n e s'agit pas de m e n u e s affaires : i m i e 1965 et 1971, le r é s e a u de t r a f i c de d r o g u e de M i c h e l M e r t z et Achille Cecchini « a u r a i t transporté près d ' u n e t o n n e et d e m i e d ' h é r o ï n e h11x f tats-Unis. Six années durant lesquelles le g o u v e r n e m e n t f r a n ç a i s et »e:. autorités de police ont été i n f o r m é s à de n o m b r e u s e s reprises m a i s ne se sont g u è r e activés. [ . . . ] M e r t z , C e c c h i n i , Venturi, S i m o n p i e r i , l.invid et d ' a u t r e s ont tous, en plus de leur participation au c o m m e r c e de l'héroïne, un point c o m m u n : ils ont tous été proches du S A C . » 2 0 Toutes lei. m o u v a n c e s du g a u l l i s m e n e r a s s e m b l e n t p a s q u e des f r i p o u i l l e s , bien entendu. En r e v a n c h e , écrivent les journalistes Jacques Follorou et Vincent Nouzille, « la p r é s e n c e m a s s i v e des v o y o u s au sein du S A C , le '.civice d ' a c t i o n civique, tout au long des années 1960, ne relève pas du iinitasme. Elle constitue m ê m e un e x e m p l e u n i q u e de m é l a n g e des g e n r e s huit la confusion, au sein de cette organisation, entre militants et truands, dont b e a u c o u p de Corses, a été p o u s s é e à l ' e x t r ê m e . [ . . . ] » 21 Mais la guerre d ' A l g é r i e connut la fin q u e l ' o n sait et ce b e a u m o n d e , tout au long des années 1960, e n c o m b r e les travées du pouvoir. L a plupart de ces h o m m e s entrent en d é s h é r e n c e lorsque Valéry Giscard d ' E s t a i n g nccède à la présidence en 1974. Mitterrand va m ê m e j u s q u ' à dissoudre le

JIKI A N S I ) ' I N AVI MIAIII I

S A C en 1982. Charles P a s q u a le ressuscite sous u n e autre f o r m e lorsqu'il s'installe Place B e a u v a u en 1986. Et si ces h o m m e s n e sont plus en odeur d e sainteté lorsque leur m e n t o r quitte le ministère de l'Intérieur en 1995, leur œ u v r e connaîtra u n e renaissance, de l ' a u t r e côté de la Méditerranée. U n e organisation c o p i e a b s o l u m e n t c o n f o r m e à la c o m p o s a n t e h u m a i n e du S A C , réunissant v o y o u s , truands, h o m m e s sans foi ni loi, n e répugnant ni devant l'assassinat ni la torture, prospère déjà en Algérie, à cette nuance près q u ' e l l e n e vit pas sous couvert de l'État : c 'est l'État algérien.

MITTERRAND OU LA DEUXIÈME CHANCE S'il fallait r é s u m e r François Mitterrand en quelques convictions fermes, à s u p p o s e r q u ' i l en eût, l ' h i s t o r i e n Éric D u h a m e l indique q u e ce serait « s o n a m o u r de la F r a n c e plus sensuel q u e transfiguré, son m é p r i s des valeurs et des hiérarchies sociales f o n d é e s sur l'argent, la d é f e n s e de la liberté de l ' h o m m e » . Q u ' a d v i e n t - i l alors q u a n d la d é f e n s e d e la F r a n c e a c h o p p e c o n t r e celle de l ' h o m m e ? N o n q u e la question p h i l o s o p h i q u e n o u s p r é o c c u p e tant ici, m a i s s i m p l e m e n t q u e c ' e s t à ce d i l e m m e q u ' i l sera c o n f r o n t é en d é c i d a n t de concrétiser son « r ê v e d ' u n e plus g r a n d e France p r o l o n g é e sur le continent africain», 2 2 avec l ' A l g é r i e n o t a m m e n t , un p a y s où l'État et l ' h o m m e sont d e u x entités à présent inconciliables. Son aventure « a f r i c a i n e » , quelle q u e soit la n o b l e s s e de ses a m b i t i o n s initiales, sera i n l a s s a b l e m e n t battue en b r è c h e par ce choix. Et c h a q u e fois, il préférera la France et l'État, au détriment hélas des Algériens et, par contagion, de ses propres concitoyens. D ' a u t a n t q u e l ' h o m m e de « l ' A l g é r i e , c ' e s t la F r a n c e » reste p e r s u a d é « q u e s'il avait eu les mains libres à partir de 1954, le cours de l'Histoire en aurait été m o d i f i é : l ' A l g é r i e serait peut-être restée associée à la France. » Et son action dès sa prise d e p o u v o i r en m a i 1981 trahit la v o l o n t é de réparer cette déchirure : « L e p a s s é est le passé. R e g a r d o n s maintenant, et résolument, l'avenir.» 2 3 A m b i t i o n louable, si ce n ' e s t q u ' e l l e fait litière de ce passé. S y m b o l i q u e m e n t d ' a b o r d , il réhabilite les g é n é r a u x putschistes - « C ' e s t le Président d e la V6 R é p u b l i q u e [qui] donnait ainsi raison au ministre de l'Intérieur de la I V » - , ce qui fait sortir Pierre Vidal-Naquet de ses g o n d s : « L a guerre d ' A l g é r i e , c o m m e autrefois, l ' a f f a i r e D r e y f u s ou la Résistance, a été un critère [ . . . ] entre le c h e m i n de l ' h o n n e u r et celui de la honte. [ . . . ] Supprimer ce clivage, pour le g o u v e r n e m e n t de g a u c h e , serait u n e décision très grave. Elle voudrait dire q u ' e n t r e G u y Mollet et Pierre M e n d è s France, [ . . . ] le g o u v e r n e m e n t choisirait G u y M o l l e t . » 2 4

MASQUA « MINIST RI I)

l . ' I N i f r R I I Ï U R » . . . DI- l.'AIXil' KII

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M.m. Ii-s intellectuels parlent tandis que les politiques agissent; m i e u x : les |inliiiqiics passent, les polices restent. I choix de G u y Mollet parait d ' a u t a n t plus aisé q u e Mitterrand fit 11111111.' iludit g o u v e r n e m e n t Mollet qui signa les pleins p o u v o i r s a u x niiln.mes. Et que tout son parcours politique après le second avènement ilu p.énéral de G a u l l e est j a l o n n é de ces alliances bizarres qui n ' o n t pour hi'iic directrice que son opposition à celui qui contraria sa destinée. Huns l ' o p p o s i t i o n à de Gaulle, durant les a n n é e s 1960, « u n e alliance luilit sur le souvenir de la défunte Algérie française entretenu par les luiu lies amis et collaborateurs de François Mitterrand, Pieds-noirs, pour h i.|iiels l ' I n d é p e n d a n c e de l'Algérie avait été un drame personnel. [ . . . ] S l'rlection présidentielle de 1965, une partie de l'électorat qui s'était pinic sur le candidat de l ' e x t r ê m e droite T i x i e r - V i g n a n c o u r vota au i l n m e i n e tour p o u r [lui]». Jusque-là, « u n e grande partie de la gauche, la nouvelle gauche, celle qui précisément quitta la S F I O par désaccord iivii sa politique coloniale, la g é n é r a t i o n d ' h o m m e s et de f e m m e s dont l ' e n g a g e m e n t en politique est lié à la lutte contre la "sale guerre", nn.ocièrent le n o m de François Mitterrand à c e u x qui en portent les n^lionsabilités les plus lourdes». 2 5 I .'attachement de François Mitterrand pour l ' A f r i q u e est incontestable, l'iuir le meilleur parfois, pour le m a l h e u r souvent. « D a n s les années 1950, il a accordé bien plus de temps et de passion à l ' A f r i q u e q u ' à l'Europe. Son passage au ministère de la France d ' O u t r e - m e r est une expérience ih'ierminante. [ . . . ] Il désamorce une explosion de violence et parce qu'il llénocie avec le R a s s e m b l e m e n t d é m o c r a t i q u e africain, il m é n a g e les voies d ' u n e évolution libérale de l ' A f r i q u e noire. [ , . . ] » 2 6 Q u e l q u e temps plus tard, il choisit de d é m i s s i o n n e r pour protester contre la déposition ilu sultan du Maroc, considéré c o m m e trop proche des indépendantistes. •• I e 20 août 1953, le sultan fut d é p o s é par des fonctionnaires français •nuis que Paris en soit averti au préalable. Ce coup de force, pour ne pas ilue ce c o u p d'État, était la conclusion logique de l'hostilité m a n i f e s t é e pur le général Juin, et son successeur le général Guillaume, à l'égard du mltan Sidi M o h a m m e d ben Y o u s s e f » , père du f u t u r roi Hassan II. Pour Mitterrand, il faut mettre ses efforts « a u service d ' u n e évolution qui se lera contre nous si elle ne se fait pas avec n o u s » . 2 7 Cet épisode l'a-t-il convaincu que pour peser sur les décisions, il faut être au pouvoir (et donc •.'abstenir de démissionner, quitte à m e t t r e ses principes en sourdine), IMI respectant la règle quand cela se peut et, à défaut, en la pervertissant ce qu'il reprocha p r é c i s é m e n t à de G a u l l e ; m a i s celui-ci n'a-t-il pas

200 ANS D'INAVOIIAI

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contribué, passé le péché originel, à r e d o n n e r à la France un peu de sa g r a n d e u r ? Sans doute cet épisode l'a-t-il conforté dans sa conviction qu'il faut « é v o l u e r au gré des circonstances», le pouvoir étant le meilleur gage pour peser sur les événements, m ê m e au prix de quelques entorses à la morale. A ceux qui n e comprennent pas, il dit: « J ' a i m e mieux travailler avec des démocrates q u e pratiquer une opposition stérile contre des gens qui ne m'entendraient p a s . » C ' e s t par ces m o t s qu'il tente de justifier sa décision de rester au gouvernement et d ' a v a l e r la couleuvre lorsque la morale lui dicte de d é m i s s i o n n e r suite à l'arraisonnement en 1956 d e l ' a v i o n qui transporte du M a r o c vers la Tunisie les cinq leaders d e la Révolution algérienne, tournant qui permit aux faucons de l'emporter sur les h o m m e s d e raison. « A r g u m e n t tout d e circonstance et qui n e t r o m p e p e r s o n n e : d a n s l'affaire, Robert Lacoste et G u y Mollet se sont-ils c o m p o r t é s en d é m o c r a t e s ? C ' e s t pour le moins discutable» 2 8 c o m m e n t e Catherine Nay. Au final, et à son corps défendant, François Mitterrand sera donc à l'égard de l'Algérie l ' h o m m e impuissant de deux « s a l e s g u e r r e s » . . . Il participe à la première, quand Alain Savary, par exemple, choisit l'honneur en démissionnant, « se refus[ant] à cautionner plus longtemps une politique qui tourne le dos à toutes ses convictions », 29 U n e fois revenu au pouvoir, il favorisera l'émergence puis le maintien du régime des généraux algériens putschistes, jetant les j a l o n s de tous les fléaux qui minent la société française aujourd'hui. Pour cette seconde guerre, il agira en concordance de vues et de buts avec un h o m m e que les apparences présenteront c o m m e son opposant, mais pour lequel, à la manière de Machiavel, il éprouve la plus grande sympathie : Charles Pasqua. En matière de lutte antiterroriste, l'échec - astucieusement maquillé en victoire et justifié en proclamant que le pire a été évité - se manifeste rapidement. Le retour de manivelle intervient dès le début de la décennie 1990 par l'assassinat de deux géomètres, puis de cinq gendarmes, puis par l'enlèvement de trois agents consulaires, le détournement de l'Airbus, la série d'attentats en France, le meurtre de Pères blancs à Tizi-Ouzou, l'enlèvement et la décapitation des 7 moines d e Tibhirine, l'assassinat de M o n s e i g n e u r Claverie, suivis depuis 1999 et la mutation du terrorisme algérien en « b r a n c h e maghrébine d ' a l - Q a ï d a » , par des attentats p a r f o i s f a u s s e m e n t ratés* en France, * Des bonbonnes de gaz sans détonateurs qui ne font pas de victimes mais provoquent les mêmes conséquences en matière de ripostes liberticides, par ses effets terrorisants. Le 15 août 2010, 30000 pèlerins ont été évacués de Lourdes et contrariés dans leur célébration, suite à une fausse alerte à la bombe.

ASQUA, «MINISTRE D

L'INTÉRIEUR»... DE L'ALGÉRIE

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l'enlèvement de touristes et d ' a g e n t s des services français dans le Sahel |ugué; a s s u j e t t i s s e m e n t qui prend d e s p r o p o r t i o n s relevant d a v a n t a g e • li- la collusion criminelle q u e d e la c o o p é r a t i o n entre nations respectables combattant le terrorisme. I in tout état de cause, ces terroristes q u e rien ne s e m b l e p o u v o i r arrêter vont pourtant cesser leurs a v e n t u r e s m e u r t r i è r e s ; b r u t a l e m e n t ; sans p l u s île raison apparente q u e l o r s q u ' i l s la débutèrent, c o m m e s o u s l ' e f f e t d ' u n e ui|onction i m m a n e n t e . C a r l o s s ' é v a p o r e s a n s crier g a r e ! Q u a n t à A b o u Nulal, il p r e n d d ' a b o r d la d é c i s i o n « d ' é p a r g n e r à l ' a v e n i r le territoire Iiiuiçais d e t o u t e action v i o l e n t e » , a v a n t d ' ê t r e d o n n é p o u r m o r t le (•novembre 1984. 1 9 Q u ' i l s ' a g i s s e d ' u n « c o u p de b l u f f » importe peu - le » c a d a v r e » sera vu, bien p o r t a n t , d a n s d i v e r s p a y s d u M o y e n - O r i e n t ; il ne sera d û m e n t liquidé q u e le 19 août 2 0 0 2 à B a g d a d 2 0 p a r un S a d d a m Hussein désireux d e d o n n e r d e s g a g e s à l ' O c c i d e n t et espérant v a i n e m e n t •»'épargner l ' i n v a s i o n a m é r i c a i n e - , l'essentiel est q u e son action terroriste

2 %

2ÍM) A N S l)'INAVC)l)A i> I I

est d é f i n i t i v e m e n t close. Ses agents aux mains d e s polices e u r o p é e n n e s seront p r o g r e s s i v e m e n t « e x p u l s é s v e r s . . . la S y r i e » ou c o n d a m n é s p o u r des délits m i n e u r s à des p e i n e s légères avant de r e c o u v r e r la liberté. R é s u l t a t : « D a n s le "trou" des a n n é e s 1984-85, [ . . . ] il ne se p a s s e pas g r a n d - c h o s e en France en matière de terrorisme.» 2 1 Mais, p o u r un État v o y o u , le terrorisme est u n sacerdoce, aussi vital q u e le c œ u r p o u r u n o r g a n i s m e ; il n e p e u t s u s p e n d r e l o n g t e m p s son activité sans mettre sa survie en péril ; il p e u t au m i e u x c o n s e n t i r u n e respiration, p o u r d y n a m i s e r ses réseaux, remodeler ses o r g a n i g r a m m e s , en v u e de préparer de plus a m p l e s projets. S'il n ' e s t pas avéré q u e les services secrets algériens soient impliqués d a n s les attentats survenus entre 1982 et 1983, leur rôle dans les suivants est indiscutable. N o u s s o m m e s en p l e i n e g u e r r e Iran-Irak, au c œ u r d e la crise U R S S - A f g h a n i s t a n , et le t e r r o r i s m e s o l d e ses c o m p t e s , en attendant d ' o p é r e r u n e m u e , p o u r p r e n d r e dans le f u t u r la c o u l e u r verte de l ' i s l a m i s m e radical. L e t e m p s q u e sorte des laboratoires des services algériens cette n o u v e l l e m o u t u r e , o n p e u t souffler. M a i s la p a u s e sera d e c o u r t e d u r é e , u n i m p o n d é r a b l e v e n a n t f o r c e r q u e l q u e s - u n s des p r o t a g o n i s t e s à r e m e t t r e l ' o u v r a g e sur le métier. D e d é c e m b r e 1985 à s e p t e m b r e 1986, Paris est m a r t y r i s é e ; l ' é p i s o d e fait couler b e a u c o u p d ' e n c r e , sans véritablement livrer ses secrets. Cette parenthèse terroriste énigmatique réunit u n c o n s e n s u s sur l'identité des lampistes, m a i s laisse les c o m m a n d i t a i r e s indemnes, enhardis. Car, alors q u e la S M algérienne est p a r f a i t e m e n t identifiée c o m m e l'instigatrice directe de cette v a g u e terroriste, plutôt q u e de d é n o n c e r le c h a n t a g e à la b o m b e q u ' e l l e m a n i e quasi o u v e r t e m e n t , les r e s p o n s a b l e s f r a n ç a i s p r é f è r e n t s ' a p l a t i r ; u n tel signe de faiblesse ouvre des perspectives inespérées aux services algériens qui s ' e n g o u f f r e n t dans la brèche, estimant q u ' i l s p o u r r o n t toujours aller plus loin, j u s q u ' à assujettir la sécurité des Français à leur bon vouloir et vouer le destin du peuple algérien aux g é m o n i e s .

ACTION DIRECTE, F A R L , SUCCURSALES DE LA S M ? A u milieu de la d é c e n n i e 1980, le terrorisme international conserve d e u x visages : Action Directe et les F A R L (Fractions A r m é e s R é v o l u t i o n n a i r e s Libanaises) de G e o r g e s Ibrahim Abdallah, deux organisations qui portent u n g è n e c o m m u n : la Sécurité Militaire algérienne. Figure e m b l é m a t i q u e

C I . U H 1)1 :S F I N S , S T A I I O N B A L N f AIRI- l ' O U R ( i R O S C A L I B R I S

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île- cette hérédité, M o h a n d H a m a m i . D e p u i s 1982, p a s u n e e x p l o s i o n ne retentit en F r a n c e sans que l ' o n n ' é v o q u e la piste Action Directe. Le Hioupe vient tout j u s t e (automne 1981) de se scinder en deux, les « m o u s » i|iu décident de mettre fin à l'action terroriste et les « d u r s » pour qui il agit au contraire de redoubler de virulence, en s'alliant avec qui veut bien en u n e n é b u l e u s e « i n t e r n a t i o n a l i s t e » , sans c o h é r e n c e ni a u t r e uléologie apparente que d ' e n découdre avec un vague « i m p é r i a l i s m e » : « Mrigades r o u g e s italiennes, g r o u p e s a l l e m a n d s , b e l g e s et, bien sûr, palestiniens... » 22 Nous s o m m e s en 1982, l'assassinat du diplomate américain C h a r l e s Uay et de son h o m o l o g u e israélien Yacov Barsimentov vient d ' a v o i r lieu. » I .es h o m m e s de la Brigade de répression du banditisme du commissaire I >evos découvrent, "sur renseignement", un important stock d ' a r m e s . Le M U I S - S O I de l ' i m m e u b l e est m i s sous surveillance. Les deux p r e m i è r e s personnes qui p é n è t r e n t d a n s le box sont Joëlle A u b r o n et M o h a n d I lainami. O n les arrête. H a m a m i qui, dit-il, ne faisait q u ' a c c o m p a g n e r son amie et contre qui il n ' y a pas de preuve décisive, sera r e l a x é . » O n peut déjà sursauter à l'idée q u ' u n telle prise donne lieu à la remise en liberté d ' u n h o m m e aussi m a n i f e s t e m e n t suspect, sachant n o t a m m e n t que la D S T connaît a m p l e m e n t les liens de cet h o m m e avec les F A R L de G e o r g e s Ibrahim Abdallah qui ont revendiqué les deux meurtres. M a i s une o m b r e bienveillante semble protéger les terroristes les plus violents. C ' e s t Georges Ibrahim Abdallah qui d e m a n d e à M e Mazurier d'assurer la d é f e n s e d ' H a m a m i . Q u e l q u e s t e m p s après, le 22 août 1982, u n attentat avenue de La Bourdonnais fait deux morts : les artificiers venus désamorcer la b o m b e . Les F A R L revendiquent l'attentat. M e M a z u r i e r c o m p r e n d i m m é d i a t e m e n t le lien entre A b d a l l a h et H a m a m i « d o n t il lestait le "commanditaire" [ . . . ] : É c œ u r é de ce qui s'était passé a v e n u e île La Bourdonnais, j e m e suis retiré de la d é f e n s e d ' H a m a m i la veille île l'audience, où il a, du reste, été r e l a x é . » 2 3 Pourtant, sur l'insistance d ' A b d a l l a h , l ' a v o c a t accepte d ' a s s u r e r la c o m m u n i c a t i o n entre lui et le prévenu : « J ' a v a i s fait passer un m e s s a g e en détention à H a m a m i , en citant le n o m de "Georges". Cela avait eu un effet immédiat, et j ' a v a i s rejoint aussitôt les autres avocats assurant sa défense. » 24 Bref^ le récit de M e Mazurier esquisse le profil de deux organisations, relevant d ' u n e tutelle c o m m u n e , où les F A R L revendiquent des attentats sans doute c o m m i s par Action Directe, dans l'objectif évident de disculper ses militants arrêtés. Opération réussie, puisque H a m a m i est relâché.

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En mai 1983, survient une fusillade rue Trudaine, au cours de laquelle d e u x p o l i c i e r s sont tués. D e n o u v e a u , le n o m d e M o h a n d H a m a m i surgit, m a i s celui-ci a « d é f i n i t i v e m e n t disparu après la fusillade et gagné l'Algérie ». Le j u g e Jean-Louis Bruguière - qui a inauguré depuis l'attentat de la rue d e s Rosiers u n e longue carrière d ' i n e f f i c a c i t é d a n s la justice antiterroriste - lancera de vaines c o m m i s s i o n s rogatoires et reviendra chaque fois (concernant en tout cas les m o t i f s officiels de ses missions) « b r e d o u i l l e » de ses multiples voyages à Alger. M o h a n d H a m a m i , le dur parmi les « d u r s » d ' A c t i o n Directe, celui qui apparaît c o m m e le cerveau d ' u n e g i g a n t e s q u e entreprise terroriste, est en fait, a f f i r m e Jean-Paul Mazurier, un simplet : « H a m a m i n e m ' a pas paru d ' u n niveau intellectuel, ni m ê m e politique, transcendant. Je le s u r n o m m a i s le "distributeur de tracts". [... Il] m ' a v a i t paru très i m m a t u r e : il avait été placé en détention a v e c un autre de m e s clients, un b r a q u e u r qui avait d é j à c o m p a r u à plusieurs reprises en cour d'assises. Les deux h o m m e s se sont bagarrés. H a m a m i avait pris un c o u p d e tabouret sur la tête et il était allé se plaindre c o m m e un petit garçon au directeur de prison, c o m m e s'il voulait que l'autre détenu soit sanctionné, puni d ' u n séjour au "mitard".» 2 5 A p r è s A b o u N i d a l « d é s a c t i v é » , C a r l o s qui m e t sa c a r r i è r e en veilleuse, A b o u Iyad qui ne fait plus parler d e lui, exit M o h a n d H a m a m i , r é f u g i é dans l ' i n e x p u g n a b l e fief des terroristes, le C l u b des Pins, près d ' A l g e r . C ' e s t au tour d e s F A R L de G e o r g e s Ibrahim Abdallah, sinon d e faire parler la p o u d r e , d ' o c c u p e r le d e v a n t d e la scène. Pourtant, cette organisation, c o m m e toutes les autres qui ont sévi j u s q u e - l à , est v o u é e à s ' e f f a c e r d a n s la f o u l é e d e sa p e r c é e « a c c i d e n t e l l e » d a n s les m é d i a s , pour laisser la p l a c e au « t e r r o r i s m e i s l a m i s t e » . M a i s un grain va se glisser d a n s la belle m é c a n i q u e et le « g o u j o n » G e o r g e s Ibrahim A b d a l l a h se r e t r o u v e r a a c c u s é i n j u s t e m e n t d ' ê t r e un « g r o s p o i s s o n » . Très rapidement, quelques acteurs troubles vont se m ê l e r à l'affaire, pour j o u e r les « b o n s o f f i c e s » ; centre névralgique de la d o n n e : Alger, encore et t o u j o u r s . . . D e fait, le s c é n a r i o qui s ' e n c l e n c h e - f r u i t d ' u n c o n c o u r s d e circonstances - va tourner au désastre, avec m o r t s et blessés, forçant les uns et les autres à montrer d e quelle t r e m p e ils sont faits. En sortiront v a i n q u e u r s les d e u x p r o t a g o n i s t e s de la d é c a d e à v e n i r : la SM se découvrira un p o u v o i r exorbitant sur la France, q u ' e l l e assujettira à sa volonté j u s q u ' à a u j o u r d ' h u i , pouvant compter sur le soutien indéfectible de l'autre usufruitier du terrorisme de veine algérienne : Charles Pasqua.

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INS. M A I I O N HAI N Ì . A I K I T O U R

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ALGER, PLAQUE TOURNANTE DU TERRORISME INTERNATIONAL I '.1 lluire G e o r g e s Ibrahim Abdallah c o m m e n c e de façon banale. L ' h o m m e , i|in se croit suivi par des agents israéliens et a peur d ' ê t r e abattu par eux, ic présente s p o n t a n é m e n t d a n s un c o m m i s s a r i a t d e police à Lyon. Il se m u oiive instantanément j e t é en cellule, dont il n e ressortira plus j a m a i s . Car, à l'extérieur, s ' e n g a g e un tourbillon infernal sur lequel il n ' a plus mu une prise, qui p l o n g e la France d a n s l ' u n e des v a g u e s terroristes les |ilus meurtrières du siècle, et qui lui vaudra la perpétuité. Il est en e f f e t icinarquable q u e l ' h o m m e qui parmi tous les acteurs du d r a m e qui se noue, a sans d o u t e le m o i n s de sang à se reprocher, ait écopé de la plus lourde peine, q u e n u l l e c l é m e n c e ou a m n i s t i e ne v i e n d r a amoindrir, et ilont aucun m a r c h a n d a g e occulte ne l'extraira." La raison d e ce traitement (l'exception tient sans doute au fait q u ' i l aurait, en retrouvant la liberté, beaucoup à dire et à révéler sur les d e s s o u s de son i n f o r t u n e . " lin réalité, il était bien suivi, m a i s ce sont les services f r a n ç a i s qui l'avaient pris en filature depuis l'arrestation tout aussi grand-guignolesque il'un j e u n e h o m m e n o m m é E l - M a n s o u r i dans un train reliant L j u b l j a n a à l'nris, près de Trieste en Italie. C e l a c o m m e n c e par u n e banale dispute ilnns un w a g o n , a v e c un p a s s a g e r (un agent du M o s s a d ?) qui tentait d e nouer la c o n v e r s a t i o n avec lui. L e s c o n t r ô l e u r s arrivent, le fouillent, et découvrent d a n s ses b a g a g e s sept pains de Semtex, un puissant explosif. I ' a v o c a t J e a n - P a u l M a z u r i e r (qui se t r a n s f o r m e r a en « a g e n t n o i r » , un taupe au service de la D S T ) sera c h a r g é par les F A R L d ' a s s u r e r la c o r r e s p o n d a n c e a v e c lui et de le d é f e n d r e en Italie;*** il fait le m ê m e constat q u e p o u r H a m a m i : « Q u a n d le gardien a introduit E l - M a n s o u r i , 1 ai été f r a p p é par son e x t r ê m e j e u n e s s e . C ' é t a i t v r a i m e n t un g a m i n . » 2 6 Sans doute un pauvre b o u g r e qui, contre u n e m o d e s t e prime, a accepté de convoyer un b a g a g e dont il ignorait le contenu.

* Au contraire d'un Ali Vakili-Irad, par exemple, assassin avéré de Chapour Bakhtiar, qui ii'Hiignera l'Iran en mai 2010, sans doute échangé contre la remise en liberté de Clothilde Kciss, la jeune étudiante française arrêtée durant les émeutes de Téhéran, en 2009, et sur qui |M>SC le soupçon qu'elle ait travaillé pour la DGSE. ** En effet, bien des terroristes avérés, palestiniens, syriens, iraniens, ou des organisations européennes, retrouveront peu à peu la liberté, tandis que nul Etat («noble», terroriste ou voyou), ne viendra jamais intercéder en faveur d'Abdallah. *** El-Mansouri sera acquitté, «faute de preuves» (il transportait quand même 7 pains d'un puissant explosif!), après que ses avocats eurent démontré que le document sur lequel se luudait l'accusation était un faux grossier dressé soit par la police française, soit par une luiduction volontairement fautive de leurs homologues italiens.

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>(HI ANS D'INAVOI AMI I

L'affaire qui a c o m m e n c é en Italie rebondit d o n c à Lyon. Georges Ibrahim Abdallah qui s'était rendu à la police porte deux passeports: l'un, maltais, est un f a u x ; l'autre, algérien, établi au n o m d ' A b d e l k a d e r Saadi, est, renseignements pris auprès des autorités algériennes, « u n document authentique mais obtenu par un canal anormal et pour un usage probablement p r o h i b é » . Pour C h a r l e s Villeneuve et Jean-Pierre Péret, auteurs de L'Histoire secrète du terrorisme, « voilà qui explique, en partie du moins — car il y a d'autres raisons - le comportement "coopératif' des Algériens envers les Français, tout au long du déroulement d e l ' a f f a i r e Ibrahim Abdallah. La possession de ce passeport authentique, mais truqué quant à l'identité réelle de son possesseur, est un indice troublant: il est aujourd'hui à peu près certain que Georges Ibrahim Abdallah était "membre", ou pour le moins "correspondant", des services secrets algériens. » 27

LE « COMMERCE » DES OTAGES D è s lors, la Sécurité Militaire algérienne fera du sort de Georges Ibrahim A b d a l l a h sa p r o p r e a f f a i r e . Pourtant, l ' h o m m e n e s ' a c c o r d e pas tant d ' i m p o r t a n c e q u e cela. Il n e cesse de c l a m e r son i n n o c e n c e et j u r e ses grands dieux n ' a v o i r j a m a i s eu l'intention de nuire à la France. Bien sûr, il milite contre le sionisme et l ' i m p é r i a l i s m e américain, m a i s la F r a n c e est son amie. L e fait m ê m e q u ' i l se soit rendu s p o n t a n é m e n t d a n s un c o m m i s s a r i a t plaide en sa faveur. M a i s il se trouve piégé c o m m e u n « m i s é r a b l e i n s e c t e » , selon ses p r o p r e s mots, « r i e n q u ' u n e m o u c h e » au c œ u r d ' u n e gigantesque toile, petit exécutant balloté d a n s u n e lutte d ' i n f l u e n c e mondiale. D è s q u e G e o r g e s Ibrahim A b d a l l a h est identifié c o m m e le chef des F A R L , organisation qui a r e v e n d i q u é tant d ' a t t e n t a t s d e p u i s le début d e la d é c e n n i e , tout se précipite : le 2 3 m a r s 1985, Gilles S y d n e y Peyrolles, agent d u centre culturel f r a n ç a i s à Tripoli, au N o r d - L i b a n , est enlevé. A B e y r o u t h , la veille, d e u x j o u r n a l i s t e s f r a n ç a i s ont c o n n u le m ê m e sort, M a r c e l C a r t o n et M a r c e l F o n t a i n e . H e u r e u s e c o ï n c i d e n c e , « l e s A l g é r i e n s sont d é j à au contact d e s ravisseurs et p r o p o s e n t leur entremise pour évaluer u n e possibilité d e libération d ' A b d a l l a h » en é c h a n g e des F r a n ç a i s enlevés.* « I l faut aller très vite. L e s a u t e u r s d e l ' e n l è v e m e n t * On assiste en 2010 à un scénario analogue (réussi cette fois): «Al-Qaïda au Maghreb islamique» (le DRS algérien en fait) enlève au Mali Pierre Camatte, (un probable agent de la DGSE), lance un ultimatum pour procéder à un échange de prisonniers, l'agent français contre des terroristes de son organisation (des agents du DRS). Requête à laquelle se plient

C L U B DI S P I N S , S I A l I O N IIAI N I A I R I

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oui e n c o r e d a n s la p h a s e d ' e x é c u t i o n . Il ne faut p a s attendre la p h a s e d e «Inbilisation d e la situation», 2 8 e x p l i q u e M o n s e i g n e u r Hilarion C a p u c c i , lonctionnaire au Saint-Siège, Syrien d e nationalité, Palestinien de cœur, nncien é v ê q u e à J é r u s a l e m d u Patriarcat c a t h o l i q u e d e rite grec avant • Ine les s e r v i c e s i s r a é l i e n s l ' i d e n t i f i e n t c o m m e m i l i t a n t a n t i s i o n i s t e . < "est à cette é p o q u e q u e R o l a n d D u m a s le d é f e n d i t , et q u e leur amitié '' noua. C ' e s t d o n c avisé d e son i n f l u e n c e q u e le ministre f r a n ç a i s des A f f a i r e s é t r a n g è r e s le sollicite. D a n s le m ê m e t e m p s , Y v e s B o n n e t , chef de la DST, se d é m è n e . D e son côté, le PS active ses r e l a i s : Alain i licnal, a m i du p r e m i e r secrétaire du parti Lionel J o s p i n , est m a n d a t é pour se r e n d r e à A l g e r « d e m a n d e r l ' a i d e d e s " a m i s du F L N " et tout spécialement celle d e M o h a m e d Yazid, l ' u n des "historiques", et C h é r i f Messaâdia, le n u m é r o 2 du F L N » . 2 9 Trois m o y e n s valent m i e u x q u ' u n , '.auf que, c u r i e u s e m e n t , les pistes du chef d e la DST, du prélat grec et du PS m è n e n t toutes vers Alger. Ht, miracle, la d é m a r c h e « p o r t e ses fruits». Sans se faire prier, la SM nigérienne dépêche un d e ses agents (un certain Ben Mahdi) en France. ( "est le j u g e Alain Marsaud qui sert d'entremetteur. Ben Mahdi se rend à lu prison de Lyon où il rencontre Georges Ibrahim Abdallah ; selon lui, ce dernier lui aurait indiqué la personne à contacter au Liban pour accélérer les négociations. L'intéressé d é m e n t i r a : « I l ne m e parlera de la visite d'émissaires algériens dans sa cellule - pour m'assurer qu'il avait refusé de les recevoir - q u ' e n avril 1985, un mois après les faits», raconte son avocat lean-Paul Mazurier. D a n s ses Mémoires, Yves Bonnet, fortement subjugué par ses h o m o l o g u e s algériens, prétend q u e « l e chef des FARL pose un doigt sur le n o m d e Bassam Abou Charif, directeur de l'hebdomadaire du I l'LP El-Hadaf, puis il écrit lui-même sur la feuille de papier un numéro de téléphone au Liban. Les deux h o m m e s se lèvent, se donnent l'accolade.» Yves Bonnet est sous forte influence algérienne et, tout directeur d e la DST qu'il soit, d a n s c e cas précis, il n ' e s t pas crédible. D'ailleurs, cette déclaration détonne avec la suite de son récit: « L e lendemain, mercredi 27 mars, [Ben M a h d i ] retourne à la Santé. [ . . . ] Abdallah se m o n t r e dès les premières paroles soupçonneux. Il d e m a n d e à examiner de nouveau le passeport de Ben Mahdi, le lui rend brusquement en s'étonnant que ce soit nu final les Maliens et les Français. Tout le monde est content. Les Algériens peuvent même (l'aire mine de) protester contre cette libération (qu'ils ont exigée), entretenant l'illusion d'une politique intransigeante à l'égard des terroristes. Victimes de la transaction: la vérité, sérieusement malmenée, les peuples de la région, suspects d'héberger un terrorisme islamiste international, et la sécurité dans le Sahara, maintenue sous tutelles étrangères.

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un passeport personnel. Surtout, il l'accuse d ' ê t r e de m è c h e avec la D S I et avec Ibrahim Souss, l ' a m b a s s a d e u r de l ' O L P à Paris. Décidément, il est intelligent ; il a tout compris de nos interventions et de nos manœuvres. Puis il se lève b r u s q u e m e n t p o u r partir. Ben M a h d i se lève à son tour, va vers lui pour le retenir par le bras ; Abdallah le repousse violemment, il est hors de lui. L e lendemain, Ben Mahdi revient à la Santé ; Georges Ibrahim r e f u s e de le voir. N o u s n ' e n tirerons pas plus, nos amis algériens ont fait un travail utile et la D S T ne l'oublie pas. » 30 Un bon bougre, Yves Bonnet. Certains l'accusent de bénéficier, outre de ce soutien pour diriger la DST, de valises d ' a r g e n t épaisses de 5 0 0 0 0 0 francs. Il portera l'affaire en justice qui, faute de preuves, c o n d a m n e r a « L e Figaro et Libération [ . . . ] pour diffamation». 3 1 M a i s revenons à A b d a l l a h . . . La nuit lui a-t-elle porté conseil ou bien a-t-il simplement éconduit l'agent algérien, ayant d ' e m b l é e éventé son rôle trouble et ses « m a n œ u v r e s » ? Ben Mahdi lui ayant par exemple d e m a n d é de collaborer avec la DST, contre la promesse d ' u n e rapide libération, trahison qui ne correspond nullement - nous allons le voir - avec la personnalité d'Abdallah, qui préférera la perpétuité au r e n i e m e n t . . . S'agit-il d ' u n e rencontre alibi? Pour justifier l'efficacité des agents de la S M à localiser si rapidement les tenants de l ' a f f a i r e ? Cela paraît probable. Toujours est-il qu'après cette rencontre, les choses se passent pour le mieux. Paris ne peut pas suspendre la procédure judiciaire, mais promet de la cantonner à ses aspects les plus véniels (une procédure correctionnelle). « L e s Algériens estiment qu'il faut agir... Ils prennent sur eux de demander et d'obtenir la libération» de Gilles-Sydney Peyrolles, laquelle, nouveau miracle, intervient dans la nuit du 1 er au 2 avril. «L"'incident" est clos... Dans sa prison, Abdallah alias Abdelkader Saadi peut désormais espérer "sortir" bientôt, sans trop de bruit. Dans ces conditions, il peut se montrer patient... » 32 Quelques mois tout au plus...

« GORGE PROFONDE » À LA FRANÇAISE Sauf que q u e l q u ' u n , dans l ' o m b r e , ne l ' e n t e n d pas de cette oreille. Et c ' e s t j u s t e au m o m e n t où l ' a f f a i r e s e m b l e se d é n o u e r positivement (au sens où le c o n ç o i v e n t les p r o t a g o n i s t e s a l g é r o - f r a n ç a i s ) q u ' i n t e r v i e n t une découverte « f o r t u i t e » par la D S T d ' u n e cache d ' a r m e s , « d a n s un studio 18 rue Lacroix à Paris XVII e , loué par Jacqueline Esber, amie du prévenu [...] contenant le matériel suivant: 2 5 k g d ' e x p l o s i f s divers, des détonateurs, 6 propulseurs de R P G 7 , deux pistolets mitrailleurs Scorpion, un pistolet automatique tchécoslovaque C Z calibre 7,65, un silencieux, des

CI M I III S l ' I N S . S I A l ION IIAI N Ì AIKI l'OlIK ( ¡ K O S C A I I I I K I S

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immilions, des s y s t è m e s de mise à feu t é l é c o m m a n d é s par e x p l o s i f des |m|iiers d'identité, de n o m b r e u x d o c u m e n t s et matériels divers, dont les Miles d'objectifs potentiels sur la France. » " En fait, explique Yves Bonnet, ( est le j o u r m ê m e de la libération de S y d n e y Peyrolles q u ' e s t « a r r i v é nu service un f a x en p r o v e n a n c e de Suisse signalant l ' e x i s t e n c e d ' u n e |tlniK|ue probable des F A R L rue Lacroix, à Paris. [Or], les enquêteurs de Il I ont déjà visité plusieurs de ces planques sans j a m a i s rien t r o u v e r ; ils «c t endent donc sans illusion rue Lacroix. » 34 Et la récolte est miraculeuse, ( in l ' u n e des a r m e s est celle-là m ê m e qui a servi au meurtre de Charles l'iiy et Yacov B a r s i m e n t o v . D a n s c e s conditions, la libération e s p é r é e île ( i e o r g e s Ibrahim A b d a l l a h est c o m p r o m i s e . La F r a n c e se t r o u v e ilnns l'incapacité d ' h o n o r e r sa part du c o n t r a t ; et « c e type de relations tfxlrêmement personnalisées [sont] f o n d é e s sur la parole d o n n é e plutôt i|ue sur les accords écrits. » 35 Oui a intérêt à s a b o r d e r le m a r c h é f r a n c o - a l g é r i e n en aidant la police française à « d é c o u v r i r ce q u e nul n e c h e r c h a i t » ? 3 6 « I s r a é l i e n s , \méricains, magistrats français au courant de la tractation et opposés à • elle-ci par p r i n c i p e ? » se d e m a n d e n t Charles Villeneuve et Jean-Pierre l'éiel. « L a D S T pourrait avoir s c i e m m e n t torpillé l ' é c h a n g e p r é v u , i omine si q u e l q u ' u n de très haut placé tenait mordicus à ce q u ' A b d a l l a h icsle en prison», 3 7 c o n f i r m e Jean-Paul Mazurier, l'avocat « a g e n t n o i r » . Due faire? « C h a r g e r Jacqueline Esber, locataire en titre de la rue Lacroix, pour dédouaner le plus possible G e o r g e s ; mais c o m m e n t expliquer que le loyer était p a y é d ' u n c o m p t e joint Georges A b d a l l a h / J a c q u e l i n e E s b e r ? | . | Michel Olas m ' a p p e l l e de nouveau ; Pierre Verbrugghe, convaincu • le fuites au cabinet du ministre, lui a a n n o n c é que la découverte de la rue I ncroix allait sortir dans la presse. C ' e s t une nouvelle tuile, qui v a encore embrouiller notre relation avec la S M A . Je d e m a n d e donc à R a y m o n d Nart île tout expliquer à S m a ï n » 3 8 pleurniche Yves Bonnet. Alger, porte-parole des FARL, accorde un délai de 7 à 8 m o i s pour faire libérer Abdallah. Si les A m é r i c a i n s et les Israéliens p e u v e n t légitimement voir d ' u n mauvais œil q u e l ' o n fasse peu de cas de la mort de deux de leurs agents, les raisons n e leur m a n q u e n t pas de vouloir j o u e r les e m p ê c h e u r s de négocier en rond. Briser l ' i m a g e d ' u n e « F r a n c e a m i e du m o n d e a r a b e » , empoisonner les relations avec l ' A l g é r i e , après avoir fait les f r a i s en matière é c o n o m i q u e du r a p p r o c h e m e n t opéré par Mitterrand et Chadli, etc. La liste est déjà longue de ceux qui tiennent à contrarier les b o n n e s teintions entre D S T et SM algérienne. D ' a u t a n t que l'affaire telle q u ' e l l e se pose confusément dans les m é d i a s n ' e s t que le soubassement d ' u n édifice

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à étages multiples : les enlèvements, tous mis dans le m ê m e sac, procèdcnl de conflits divers, au c œ u r de bras de f e r à l ' é c h e l l e interétatique, l ' u n d ' e u x ayant p o u r a b c è s de fixation le projet Eurodif (relevant d ' a c c o r d s nucléaires conclus a v e c l'Iran du t e m p s du Shah, q u e la France a décidé de ne plus h o n o r e r après la prise de p o u v o i r des ayatollahs, sans prendre la peine de r e m b o u r s e r la s o m m e d ' u n milliard de dollars d é j à avancée). P a r souci de simplicité, retenons s i m p l e m e n t q u e tous les e n l è v e m e n t s , h o r m i s celui de S y d n e y Peyrolles, entrent dans la stratégie iranienne de r é c u p é r e r son d û et de f o r c e r la F r a n c e à h o n o r e r le contrat. Cela, les h o m m e s politiques le savent, m a i s tous les observateurs et les enquêteurs, les journalistes, l'ignorent encore ( n o u s en reparlerons). Quant à G e o r g e s Ibrahim Abdallah et S y d n e y Peyrolles, leur aventure trouve son centre de gravité à A l g e r . . . Huit m o i s après, en d é c e m b r e 1985, l ' u l t i m a t u m informel d o n n é par la S M est écoulé et Abdallah est toujours en prison. L e s b o m b e s résonnent d a n s Paris. Et, c o m m e si les choses n ' é t a i e n t pas assez c o m p l i q u é e s , le p o u v o i r c h a n g e de m a i n q u e l q u e s m o i s plus tard, en m a r s 1986, a m e n a n t de n o u v e a u x interlocuteurs dont les interventions intempestives se surajoutent aux anciennes. La droite arrive avec sa face « a i m a b l e » , (Jacques Chirac à M a t i g n o n et ses réseaux), et sa f a c e s o m b r e , ( P a s q u a à l ' I n t é r i e u r et les siens), qui v o n t se m a r c h e r sur les pieds. L e s p r o t a g o n i s t e s sont n o m b r e u x : DST, D G S E , R G , PJ, Quai d ' O r s a y , ministre de la D é f e n s e , D R E (Direction d e s relations extérieures) a l g é r i e n n e c o m m a n d é e par Smaïn Lamari, vrai chef des services secrets algériens, agissant derrière le p a r a v e n t L a k h a l Ayat, et s o u s le c o m m a n d e m e n t en chef de Larbi Belkheir, le m a n i p u l a t e u r de la marionnette Chadli B e n d j e d i d .

PASQUA, BELKHEIR, NÉGOCIATEURS DE L'OMBRE Charles Pasqua n ' e s t pas en odeur de sainteté d a n s ce cercle déjà nourri du g r e n o u i l l a g e . « J a c q u e s C h i r a c [ s ' é c h i n e ] à p e r s u a d e r le m i n i s t r e de l'Intérieur de c o n s a c r e r son énergie à la sécurité de l ' H e x a g o n e , le P r e m i e r ministre flatte son c o m p a g n o n d a n s le s e n s du poil. » M a i s P a s q u a n ' e s t p a s né de la dernière p l u i e ; il sait q u e tout en lui dérange les « é l i t e s » , et il veut regagner son h o n n e u r m i s à m a l durant d e u x d é c e n n i e s de turpitudes, n o t a m m e n t au titre d e r e s p o n s a b l e du S A C , grâce à ce « s e c t e u r en d é v e l o p p e m e n t » q u ' e s t le terrorisme, et d o n t il s ' a g a c e d ' ê t r e

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lins « hors jeu». 3 9 Pour retrouver son influence, c ' e s t cette corde q u ' i l iloil luire vibrer. « P o u r q u o i n e serait-il pas plus directement associé à la ttncrrc de l ' o m b r e qui se m è n e dans les rues sombres de Beyrouth et dans le. ..lions m o d e r n e s des Hilton de quelques c a p i t a l e s ? » 4 0 D ' a u t a n t que i i i l n i n s « c o m m e n c e n t à m a r c h e r sur ses terres. [...] J a c q u e s Foccart a liml simplement détourné au profit de l'équipe de M a t i g n o n quelques-uns •li s réseaux traditionnels de l ' h o m m e de la place Beauvau. » Pour s'inviter île lu partie, la stratégie élémentaire est de contester les accords en cours, • h* lout remettre à plat, pour repartir à zéro. Sitôt après avoir pris ses quartiers Place B e a u v a u , P a s q u a réunit ICN « b o y s » . D a n i e l Léandri, J e a n - M i c h e l Schœler, ses réseaux O A S , iinii-OAS, SAC, corses, flics, financiers, etc. «Pourquoi Pasqua [...] ne fait-il pas appel aux services de police qu'il est censé diriger? Histoire de tempérament. Méfiance, souci du cloisonnement. Charles Pasqua a encore peu confiance en sa police, Irop dévouée à Robert Pandraud. Et puis il éprouve, comme s'il n'avait pas vieilli, une sourde passion pour les secrets. [...] Charles Pasqua, découragé par Matignon, s'obstinera à organiser des rendez-vous hors de loute hiérarchie officielle. [...] Les réseaux encore. La vieille règle de la cooptation. Les amis d'amis. Cela fait enrager Jacques Chirac et sourire Erançois Mitterrand, qui apprécie en connaisseur. [...] Le ministre s'est mis à voyager, souvent sans en demander la permission. A Alger, presque une fois par mois. Au passage, il s'intéresse aux négociations entre l'Espagne et l'ETA. Il a même servi d'intermédiaire.» 41 I n bergerie compte un loup de plus. Les cadavres vont bientôt s'amonceler n Paris. Les attentats, qui avaient momentanément cessé reprennent donc de plus belle. Les responsables français ne sont plus dupes. «Robert Pandraud s'envole pour l'Algérie en compagnie du conseiller diplomatique de l'Intérieur, M. Didier Quentin. Objet officiel de ce premier déplacement à Alger, le 26 mai 1986, le "recadrage" des réglementations françaises à l'endroit des immigrés algériens - et notamment des expulsions d'auteurs de délits de droit commun. [...] On parle en effet "règlements". Très vite. Visite ensuite à l'un des principaux conseillers du Président algérien Chadli, M. Khédiri. Un officier général, Larbi Belkheir,* prend note de l'entretien. [...] Enfin, le général Lakhal Ayat - jadis jeune officier de l'armée française, aujourd'hui chef de la "Sécurité Militaire" - rejoint Robert Pandraud à la Présidence algérienne. Les choses sérieuses commencent. »42 * Nul ne sait alors véritablement que Larbi Belkheir, qui joue au petit secrétaire, est le chef tout puissant du régime.

2FXÎ ANS D'INAVOIIAIII I

L e chef de la SM p e s t e : « N o u s , Algériens, a v o n s bien v o u l u servir d'intermédiaires, pour la libération de votre diplomate enlevé à TripoliLiban. [...] La partie arabe a tenu p r o m e s s e : elle a libéré Peyrolles, grâce à nous et n o u s nous s o m m e s engagés auprès des FARL. [...] N o u s avons observé, M o n s i e u r le ministre, que les attentats que vous avez subis à Paris, au m o i s de d é c e m b r e , correspondaient exactement à l ' é c h é a n c e de 7 à 8 m o i s » qui devait se traduire par la libération de Georges Ibrahim A b d a l l a h . Ainsi, la S M algérienne, s u f f i s a m m e n t influente p o u r faire libérer sans délai ( c ' e s t un cas d ' e s p è c e unique au M o y e n - O r i e n t ) un diplomate enlevé, a décrypté le m e s s a g e des bombes qui explosent à Paris. Les services algériens sont passés maîtres dans l'art de faire cesser d ' u n e m a i n les actes répréhensibles q u ' i l s accomplissent de l'autre, de régler avec efficacité des conflits qu'ils ont contribué à faire naître et à nourrir dans l ' o m b r e , d ' a p a i s e r des polémiques dont ils sont les seuls initiateurs, de mettre Fin à un terrorisme dont ils sont les seuls commanditaires, et de déchiffrer des textes obscurs qu'ils sont seuls à avoir codés. Le message est explicite: « Q u e l ' o n se débarrasse de cet e n c o m b r a n t A b d e l k a d e r S a a d i / G e o r g e s Ibrahim Abdallah qui doit être j u g é à Lyon au début du m o i n s prochain... Avis que tous les ministres concernés entendront d ' u n e oreille bienveillante, e x c e p t é peut-être M . Jacques Chirac, soucieux de respecter "sa" f e r m e t é antiterroriste.» 4 3 N a ï f Jacques Chirac, à qui la SM va s ' e m p r e s s e r de donner une leçon d e p r a g m a t i s m e politique. Robert Pandraud encaisse sans broncher, avant de rentrer à Paris. Le 10 juillet 1986, Georges Ibrahim Abdallah écope de 4 ans de prison. La peine est plus lourde que prévu, mais assez légère cependant pour lui laisser de sérieuses perspectives de rapide libération, remises de peine aidant. Les FARL, s ' e x p r i m a n t par la voix des Algériens (ou l'inverse, selon le point de vue), semblent se satisfaire de ce verdict et donnent à la France « j u s q u ' a u 1 er août pour arrêter la m a c h i n e , et ne pas relancer un d e u x i è m e dossier Abdallah. » M a i s les A m é r i c a i n s et les Israéliens, qui ont tout de m ê m e perdu chacun un diplomate dans l'affaire, protestent. A Paris, c ' e s t la confusion. On d e m a n d e un délai. « L ' e n t o u r a g e de Lakhal Ayat, arrive dès le 11 juillet. [ . . . ] Il suffit que le j u g e B o u l o u q u e se p r o n o n c e à non-lieu de poursuite, l'affaire serait classée. [ . . . ] » Le j u g e rencontre Robert Pandraud, qui préconise de temporiser. « G a g n o n s un peu de t e m p s j u s q u ' à s e p t e m b r e . . . D'ici là, j e l'espère tout sera réglé... C o m p t e tenu des pressions américaines, des exigences des suppléments d ' i n f o r m a t i o n s de la partie civile, l'instruction ne peut être considérée c o m m e close. "On" le fera savoir à Alger. L'ultimatum des F A R L - C S P P A est r e p o u s s é au 1 er s e p t e m b r e . » Si l'affaire est c o m p l i q u é e pour tout le

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iiioiitlc, le juge Boulouque, lui, ignore j u s q u ' à l'identité et à la situation géographiques d e s tutelles a u x q u e l l e s il doit s o u m e t t r e l ' o r i e n t a t i o n île son instruction. L e n o u v e a u garde des Sceaux n ' e s t q u ' u n e c h i m è r e l'vriiiesccnte, m a i s est-ce à Washington, est-ce à Alger, est-ce à Beyrouth qu'il faut o b é i r ? Si les Israéliens lâchent prise (sans doute bien d o c u m e n t é s par leurs h o m o l o g u e s f r a n ç a i s , qui plaident a u p r è s d ' e u x l ' a p a i s e m e n t ) , les l»iessions a m é r i c a i n e s se font quant à elles plus pressantes que j a m a i s : il est exclu q u e l'assassin d ' u n des leurs s ' e n tire à si bon compte.* Le |uge B o u l o u q u e est livré à l u i - m ê m e , d é s e m p a r é : « J u i l l e t aura été pour lui un calvaire, confie l ' u n de ses collègues, le "dossier" lui a fait découvrir qu'il n ' e x i s t e pas, lui, le "juge d'instruction", que tout se passe .1 côté, derrière, au-dessus, au-dessous d e lui, m a i s j a m a i s avec lui.» 4 4 Il n ' i g n o r e rien des « i m p l i c a t i o n s terribles - le réveil des attentats - que pourrait entraîner la non-prise en c o m p t e d e la négociation secrète entre la France et l ' A l g é r i e . . . » 4 5 Étrange et délicate situation que celle d e cet h o m m e qui se suicidera en 1 9 9 0 ; chargé d e l'instruction d e l ' a f f a i r e , il est sans doute celui qui c o m p r e n d le m o i n s dans quelle pétaudière il s'agite, méconnaissant tout du « n o n - d i t politique de son d o s s i e r » , ce que Me Georges K i e j m a n , avocat de la partie civile, d é p l o r e : « M o n s i e u r le Juge, il va d e soi que j e ne pourrai v o u s remettre une note sérieuse que lorsque j ' a u r a i eu un accès suffisant à ce dossier.» 4 6 La décision est prise, la justice suivra son c o u r s . . . M ê m e si nul ne sait à qui elle doit obéir. Et les b o m b e s vont exploser. Le 4 s e p t e m b r e 1986, un attentat raté** s u r v i e n t : « U n v o y a g e u r , repérant un colis suspect sous la b a n q u e t t e d ' u n w a g o n d e m é t r o [ . . . ] près de la station Châtelet-Les Halles, [avait tiré] la sonnette d ' a l a r m e . Il n ' y a eu guère d ' a u t r e s précisions sur cette affaire, m a i s les policiers ont affirmé q u ' u n véritable m a s s a c r e aurait pu avoir lieu, si le colis piégé avait explosé. >>47 Pour Charles Villeneuve et Jean-Pierre Péret, « ce "ratage" [...]

* Curieusement, ni Israël, ni la famille Barsimentov, ne s'associeront à une constitution de partie civile. ** Cette technique de l'attentat «raté» reviendra au goût du jour au début de la décennie 2000, quand les généraux algériens souhaiteront maintenir la pression sur leurs homologues français sans engendrer de victimes physiques, à une époque où leur rôle dans la terreur qui a ensanglanté l'Algérie et la France est devenu notoire (même si les médias s'obstinent, contre toute vraisemblance, à les en dédouaner). Terroriser sans s'exposer à la justice internationale du TPI créé en 1998, voilà toute la science de «l'attentat raté».

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aurait été volontaire : un avertissement q u e les attentats allaient reprendre. A r g u m e n t en f a v e u r de cette thèse : la charge explosive ( h e x o g è n e ) était t e l l e m e n t p u i s s a n t e q u ' e l l e eût été p l u s m e u r t r i è r e q u ' a u c u n attentat j a m a i s exécuté en France. L e s techniciens quant à eux soutiennent q u e le n o n - d é c l e n c h e m e n t de l'engin était dû à un m a u v a i s r é g l a g e . »

PARIS BRÛLE ET LES POMPIERS PYROMANES L e 9 juillet 1986, Charles P a s q u a se trouve à l ' A s s e m b l é e nationale quand il « a p e r ç o i t Daniel Léandri, son conseiller, remettre à un huissier un pli à son intention : "Un grave attentat vient d ' a v o i r lieu à la PJ, quai de Gesvres. 11 y aurait des m o r t s et des blessés. P a n d r a u d part sur place." [ . . . ] A u x environs de 1 5 h 5 5 , au c œ u r de la capitale, l ' a n n e x e de la police judiciaire, située derrière le Théâtre de la Ville, place du Châtelet, a tremblé et s'est lézardée sous la puissance de l'explosion d ' u n e b o m b e pesant une dizaine de kilos. S o u s la d é f l a g r a t i o n de l ' e n g i n , d é p o s é d a n s les toilettes du q u a t r i è m e étage du bâtiment, la dalle de béton qui séparait les quatrième et c i n q u i è m e étages s'est r o m p u e et affaissée. L ' u n des m u r s de la f a ç a d e intérieure, qui d o n n e sur la cour, a c é d é et s'est volatilisé en parpaings, 12 m è t r e s plus bas. C l o i s o n s , f a u x p l a f o n d s et p o u t r e s m é t a l l i q u e s ont été tordus, pliés. L e s dégâts sont considérables. [ . . . ] L e bureau du chef inspecteur divisionnaire Marcel Basdevant, 54 ans, marié, père de d e u x enfants, se trouvait à un mètre des toilettes. Le corps du policier est écrasé sous le plafond. D a n s les couloirs et les d i f f é r e n t e s pièces de la brigade, de n o m b r e u x blessés, dont deux d a n s le c o m a , sont recouverts de gravats. [ . . . ] L e s rues sont j o n c h é e s de débris de verre. L e s sirènes et les klaxons à d e u x t o n s hurlent de toutes parts. [ . . . ] Il y a au total 22 blessés dont trois d a n s un état grave. [ . . . ] A u cas où les j o u r n a l i s t e s n ' a u r a i e n t p a s bien c o m p r i s le ministre de l'Intérieur m e t les points sur les "i", quatre j o u r s plus tard, au cours d ' u n e c o n f é r e n c e de presse. [ . . . ] Il reproche aux m é d i a s de ne pas c o m p r e n d r e l ' e n j e u de la lutte contre le terrorisme et se p r o n o n c e pour le respect, de leur part, d ' u n "code de b o n n e conduite".» 4 8 M a i s la presse n ' e s t pas encore encline à obtempérer.*

* Ce «code de bonne conduite» sera appliqué dans ses formes les plus strictes en Algérie en 1993, les mêmes causes produisant les mêmes effets, avec, aux commandes de l'État, les mêmes types de dirigeants de l'ombre. Sous la conduite du général Mohamed Lamari, un code de l'information sera promulgué, baptisé par ceux qui le subiront «code-pénal-bis». Encore en vigueur aujourd'hui, ce code soumet la divulgation de toute information sécuritaire (autant dire toute information) à l'assentiment du DRS.

Clini

S l ' I N S S I A I ION M A I . N f i A I R i : l ' O l i n e R O S C A I .MIRI :S

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•( I.e lundi 8 septembre (au moment où le conseil de sécurité se réunit à Matignon, pour la première fois depuis le 1er mai), à 19 heures, un colis piégé (tolite-TNT) explose dans un bureau de poste de l'hôtel de ville de Paris : une employée de maintenance est tuée. 18 blessés. [...] Le vendredi 12 septembre, au cœur du monumental ensemble "tertiaire" de la Défense, A 13 heures, un autre engin (hexogène) dissimulé sous une table explose dans la cafétéria du magasin Casino absolument comble: 41 blessés, pour la plupart des employés de bureau. La Défense, fleuron du modernisme parisien, est en fait installée sur le territoire administratif de l'ex-sénateur îles Hauts-de-Seine, Charles Pasqua. [ . . . ] » I es cibles laissent s o n g e u r : à q u e l q u e s m è t r e s d e s b u r e a u x du P r e m i e r ministre et m a i r e d e Paris p o u r l ' u n e ; au c œ u r d u f i e f du m i n i s t r e d e I Intérieur p o u r l'autre. Le c o m m a n d i t a i r e n e se contente p a s d e frapper, il nargue et veut humilier, n e c o n n a î t a u c u n e merci et s e m b l e j o u i r de latitudes i m m e n s e s p o u r m e n e r ses p r o j e t s m e u r t r i e r s . C e q u ' i l exige, i" est « t o u j o u r s la libération des "Trois",* dont u n seul c o m p t e vraiment, ( i e o r g e s I b r a h i m A b d a l l a h . [ . . . ] D è s le s a m e d i 13 s e p t e m b r e , J a c q u e s < Inrac s ' e n v o l e p o u r A l g e r . » Un h o m m e a c o m p r i s q u e tout c e l a d é p a s s e a m p l e m e n t les c a p a c i t é s logistiques et opérationnelles d ' u n e petite f a m i l l e libanaise : le j u g e A l a i n Marsaud. M a i s cette fois, plus question d e j o u e r solo. L a R é p u b l i q u e est en danger et l ' h e u r e i m p o s e u n e trêve. E n t r e les terroristes et la France, cela N'entend, m a i s aussi entre les d i f f é r e n t s belligérants d e la scène f r a n ç a i s e : les p a s q u a l i e n s , les c h i r a q u i e n s et les m i t t e r r a n d i e n s , les g a u c h o s et les lachos, les légaux et les occultes, la D é f e n s e , la D S T et la D G S E , la PJ et les R G , le Quai d ' O r s a y et la « C r i m » , la police et la g e n d a r m e r i e , etc. Tout ce b e a u m o n d e , qui d ' o r d i n a i r e rivalise c o m m e s'il s ' a g i s s a i t d ' u n sport, doit se c o o r d o n n e r p o u r faire cesser la boucherie. E n cette fin d ' é t é 1986, les bisbilles f r a n c o - f r a n ç a i s e a p p a r a i s s e n t s u b i t e m e n t o b s c è n e s . Il laut se serrer les c o u d e s et enrayer cette v a g u e de terrorisme. A p r è s , o n avisera. « D a n s la lutte c o n t r e le terrorisme, n o u s m a r c h o n s la m a i n d a n s la m a i n » , 4 9 p r o c l a m e Mitterrand d e p u i s D j a k a r t a . Signe de ce c h a n g e m e n t d ' a t t i t u d e , à Alger, J a c q u e s Chirac est cette fois a c c o m p a g n é de C h a r l e s P a s q u a et d e Robert Pandraud ; ils plaident ensemble p o u r l'arrêt d e s attentats, m a i s ils ne viennent p a s les m a i n s v i d e s : « A i d e z - n o u s à trouver d a n s c h a c u n de vos p a y s des " g e n d a r m e s " qui aident la France à couper à leurs sources les actes d e terrorisme c o m m i s

* Anis Naccache et Varoujan Garbidjian sont les deux autres, mais ils n'ont été ajoutés à la liste que pour brouiller les pistes, laisser croire que l'Iran est derrière la vague d'attentats.

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en France. En échange, la France surveillera plus attentivement q u e jamais vos m o u v e m e n t s d'oppositions exilés ou réfugiés sur son territoire. » Pour les vieux briscards de la S M , c'est le signe que les dirigeants français sont aux a b o i s ; m a i s ne l'étaient-ils p a s déjà lorsqu'ils sont venus à genoux quémander la libération de Sidney Peyrolles? Pour se rétracter sitôt l ' h o m m e libéré. Les Français croient pourtant avoir convaincu leurs interlocuteurs algériens. « P e i n e perdue. Le 14 septembre, une b o m b e explose au sous-sol du Pub Renault sur les C h a m p s - É l y s é e s . D e u x morts et des dizaines de blessés. [...] Le 15 septembre, provocation inouïe, un attentat fait un mort et 51 blessés au rez-de-chaussée de la préfecture de police. ». 50 L e s terroristes ne se c o n t e n t e n t p a s de c o m m e t t r e des attentats, ils m o n t r e n t que nul lieu sensible ne leur est inaccessible. Q u e faire ? « Le m a r d i 16 septembre, R o b e r t P a n d r a u d , p a r avion spécial du G L A M , se r e n d de n o u v e a u à Alger. Il est a c c o m p a g n é de B e r n a r d Gérard, patron de la D S T » , et de Pierre M a r i o n , de la D G S E . R e ç u s p a r El-Hadi Khédiri, m i n i s t r e de l'Intérieur et de M e j d o u b Lakhal-Ayat, c h e f de la SM," ils implorent : « O ù sont v o s g e n d a r m e s ? O n n e peut pas continuer c o m m e ç a . . . » 51 Soit ! M a i s les terroristes ne résistent pas à l ' e n v i e d ' u n e dernière salve, u n e ultime tournée, « p o u r la r o u t e » . Si bien q u e «l'horreur atteint son paroxysme le mercredi 17 septembre en fin d'aprèsmidi, quand une bombe, qui vient d'être déposée dans une poubelle, rue de Rennes, par le passager d'une BMW noire, explose devant le magasin Tati, à quelques mètres de la FNAC. Parmi les corps déchiquetés par l'explosion, la police et les secours dénombrent 6 morts et plus de 50 blessés. En plein Paris, ces scènes de cauchemar que l'on ne croyait possibles qu'à Beyrouth défilent sur les petits écrans sous les regards d'une France tétanisée. La peur s'empare de la population.»

L'OPÉRATION «FAIRE PARLER UN MUET» DE LOUIS CAPRIOLI D a n s sa cellule isolée, G e o r g e s Ibrahim Abdallah paraît un militant bien frêle devant l ' a m p l e u r de la violence qui s ' a b a t sur la France. « A b d a l l a h est [ . . . ] un assassin, m ê m e p a s un chef de réseau », 52 conclut-on à la DST. U n soir, en rentrant à son bureau, Daniel Burroni se retrouve malgré lui e m b a r q u é dans une opération qui l'horripile: sur le bureau de son voisin a b s e n t , bien en é v i d e n c e , un m e s s a g e e s t a m p i l l é « u r g e n t » . B u r r o n i appelle la p e r m a n e n c e et hérite de la mission de son c a m a r a d e :

* Deux marionnettes manipulées par Larbi Belkheir et Smaïn Lamari, qui préfèrent ne pas s'exposer à un moment où les cartes sont pratiquement jouées sur table.

N . U N I I S l'INS. STATION UAI.NFIAIRI! l'OUR TIROS CAI.IURI S

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« Tu te présentes au service en jean, blouson et impérativement en baskets, sans oublier ton arme. "C'est pourquoi? Un coup d'État?" [...] J'arrive au service dans la tenue indiquée. Dubié [Caprioli] est surpris de me voir. Quatre collègues sont déjà là. Comme je m'en doutais, ce sont les fidèles du patron, les "prétoriens" comme on les appelle. [...] "Matignon nous a chargés d'une mission spéciale. Georges Ibrahim Abdallah vient d'être |extrait de Fleury-Mérogis pour être] transféré à la Santé. Nous allons le surprendre et tenter de lui arracher des renseignements sur les poseurs de bombes. Il est dans le QHS." Nous partons dans une demi-heure. » Persuadé d e participer à un projet de liquidation, Daniel Burroni est nssailli par le scrupule : «Abdallah est peut-être un criminel, mais moi, je suis citoyen d'un pays démocratique. La justice se rend devant les tribunaux, au grand jour. [...] L'ombre de Baader, suicidé dans sa cellule, plane sur la prison. [...] Les bruits résonnent à l'infini sur les murs. Je me tourne vers Dubié [Caprioli], "Dites-moi..." Son regard se pose sur moi quelques secondes. Les mots sont inutiles. "Ne vous inquiétez pas! [...] Nous allons foutre la trouille à Abdallah pour le faire craquer." [...] En un quart de seconde, Abdallah est tiré de son sommeil. Il ouvre les yeux. Je lis un instant d'effroi, puis la résignation. [...] J'éprouve un malaise devant la méthode que nous employons. [...] Deux heures plus tard, la porte de la cellule s'ouvre. A la mine des collègues, je devine que le prisonnier n'a rien dit. "On reste avec lui, il faut le faire craquer. [...] Choisissez-vous une cellule, on dormira à tour de rôle." [...] Après deux jours passés à la Santé, je rentre au service. Le reste de l'équipe continue à cuisiner Abdallah. Plus tard, Anis Naccache et Garbidjian seront transférés boulevard Arago pour subir le même traitement, sans plus de résultat d'ailleurs. Le gouvernement voulait, paraît-il, établir un rapport de forces avec les commanditaires des attentats. Étrange idée. » " lin fait, le c o u p a été m o n t é par Alain M a r s a u d , j u g e antiterroriste, et Albin C h a l a n d o n , m i n i s t r e d e la Justice. Projet avalisé par toute la hiérarchie, s u p e r v i s é par le c o m m i s s a i r e divisionnaire J e a n - F r a n ç o i s Clair et Louis Caprioli, il c o n f i n e aux m é t h o d e s inavouables, mais d a n s un cadre juridique « l é g a l » . L'idée qui a g e r m é dans leur esprit est assez lordue pour être relatée : il s'agit de mettre Georges Ibrahim Abdallah en garde à vue, lui qui achève une d e u x i è m e année d e détention préventive ; ce statut de gardé à vue lui interdit alors toute assistance, n o t a m m e n t d e son avocat. Le procédé est honteux, m a i s il a un mérite, aux antipodes de ce qu'espéraient ses t o u n n e n t e u r s d e la n u i t : « L e s réflexions nocturnes * «Tant que vous étiez ici, vous vous trouviez sous ma sécurité, désormais...», lui dit le chef de sa division à Fleury-Mérogis, avant de le céder aux agents de la DST venus l'en extraire. En langage barbouzard, cela s'appelle de la mise en condition... Patrice de Méritens, Charles Villeneuve, Les Masques du terrorisme, (Fixot, 1991), p.81.

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[ d ' A b d a l l a h ] sont d ' u n e telle solidité et leur développement d ' u n e telle spontanéité - on pourrait presque parler de "courbe d ' i n n o c e n c e " , mais ce serait b e a u c o u p dire - , thèse, antithèse, a f f r e s du doute, synthèse, honnêteté interrogative, q u ' A l a i n M a r s a u d conclut que [...] l'inquiétude d ' A b d a l l a h l'incline à poursuivre sa route par-delà le L i b a n . . . » 5 4 Bref, il en est certain : l ' h o m m e est innocent." Et il faut i m p é r a t i v e m e n t un c o u p a b l e , un interlocuteur, q u e l q u ' u n à qui s'accrocher. « H o r m i s l'attentat avorté du R E R , cinq actions de terrorisme ont été p a r f a i t e m e n t réussies au c œ u r de Paris en dix jours. C ' e s t é n o r m e . [ . . . ] A l o r s les m i n i s t r e s se m e t t e n t à " g a m b e r g e r " : impossible q u ' u n e famille libanaise puisse seule, p o u r faire libérer un frère emprisonné, f r a p p e r aussi fort et aussi m é t h o d i q u e m e n t . Il a fallu des soutiens étatiques importants.» 5 5 L e s q u e l s ? P e r s u a d é s q u ' A b d a l l a h n ' a rien à voir d a n s la v a g u e d'attentats, les agents français changent d ' a p p r o c h e ; ils lui d e m a n d e n t maintenant de les aider. Ils lui proposent de consulter quelques pièces du dossier et de leur d o n n e r son impression. L ' h o m m e observe les d o c u m e n t s et réfléchit tout haut, développant, en substance, un raisonnement infaillible : «Si le but réel des "opérations" est d'influer sur la politique française, [...] la France a dû recevoir des messages plus explicites, qui justifient notamment les trêves. Cherchez dans cette direction et vous trouverez l'organisation ou l'État qui se cache derrière tout cela.» 56 Plongé dans l'isolement depuis deux ans, maintenu dans une méconnaissance totale des tractations tous azimuts qui se mènent, quelques m i n u t e s lui suffisent pour d é c h i f f r e r d a n s les quelques pièces q u ' o n lui soumet ce qui saute aux y e u x de tous et que chacun s'évertuait jusque-là à ne pas v o i r ; il vient de pointer du doigt le commanditaire de cette vague d'attentats : l'Algérie, « p o r t e - p a r o l e » des FARL, mais aussi porte-flingue, é m e t t e u r d ' u l t i m a t u m s , et décrypteur de leurs subtilités. D e s m e s s a g e s explicites qui justifient les trêves, la SM algérienne en a fourni plusieurs: à Robert Pandraud, Lakhal Ayat avait d o c t e m e n t e x p l i q u é : « A v e z - v o u s remarqué, monsieur le ministre, que les attentats que v o u s avez subis à Paris, au mois de décembre, correspondaient exactement à l'échéance de

* Lorsqu'il deviendra invraisemblable d'attribuer l'attentat aux Abdallah, les pistes s'orienteront vers les réseaux Fouad Ali Saleh, et se perdra dans les méandres iranosyriens, le témoin visuel le plus crédible étant (parmi 2 millions de Parisiens), l'épouse de feu Georges Besse - le P-DG de Renault, mais également fondateur d'Eurodif, assassiné le 17 novembre 1986 - , qui les a croisés sur l'avenue de Rennes, à bord de la BMW (parmi nombre de véhicules) qu'ils conduisaient juste avant le drame.

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ROSCAI.IIIRI S

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/ ou 8 m o i s » , 5 7 délai initial accordé à la F r a n c e pour libérer A b d a l l a h . Déjà, P a n d r a u d avait t i q u é : « L e m e s s a g e est clair, limpide. Il e x p l i q u e les attentats d e d é c e m b r e . » Puis, alors q u e le chef p r é s u m é des F A R L est en prison, q u e sa famille dément f o r m e l l e m e n t tout implication d a n s 1rs attentats, d e p u i s le Liban, « l e s "services" de Lakhal Ayat envoient ce message au m i n i s t è r e d e l ' I n t é r i e u r : "Attention, les F A R L - C S P P A v o u s donnent j u s q u ' a u 1 er août pour arrêter la m a c h i n e , ne pas relancer un deuxième dossier Abdallah. Il suffit q u e le j u g e B o u l o u q u e se p r o n o n c e ii non-lieu, l ' a f f a i r e sera c l a s s é e . " » 5 8 M a i s le j u g e B o u l o u q u e n ' a pas prononcé d e non-lieu et les attentats ont repris.

ABDALLAH, COUPABLE DE N'ÊTRE PAS ASSEZ COUPABLE Philosophe, A b d a l l a h assure q u e « l e s attentats d ' a u j o u r d ' h u i sont le fait d ' u n e organisation m a j e u r e . Il y a s û r e m e n t un p r o b l è m e m a j e u r entre vous et un État. C ' e s t à cet État q u ' i l faut v o u s adresser.» 5 9 L e seul État à qui s'adressent les principaux ministres de Jacques Chirac e s t . . . l'Algérie. I l le « p r o b l è m e m a j e u r » , c ' e s t que A l g e r est sur le point d ' ê t r e d é m a s q u é c o m m e la tête p e n s a n t e d e la branche la plus dure d ' A c t i o n Directe et des I A R L ; j e u m a l s a i n q u e G e o r g e s Ibrahim A b d a l l a h peut d é v o i l e r ; il se montre par ailleurs réfractaire à toute idée de faire le j e u de la S M ; ce qui L-uplique sa réaction de d é f i a n c e à l ' é g a r d de Ben M a h d i , l'agent venu sans doute lui intimer d e tout a s s u m e r pour d é d o u a n e r ses m e n t o r s algériens. ( )r, Abdallah, v r a i s e m b l a b l e m e n t innocent de bien des turpitudes dont on l'accuse - et toutes les enquêtes ultérieures montreront que tout ce qui sera imputé à lui et à ses frères est d ' u n e a m p l e u r qui le d é p a s s e totalement n ' e s t pas d a v a n t a g e enclin à pervertir ses idées, m ê m e au prix de sa liberté. Selon t o u t e v r a i s e m b l a n c e , son m a i n t i e n en détention p e n d a n t plus de 25 ans, lui q u e R a y m o n d N a r t qualifia de « g o u j o n » l o r s q u ' o n prétendit q u ' i l s'agissait d ' u n « g r o s p o i s s o n » , p r o u v e s'il en était encore besoin la nécessité de le garder, en Q H S , hors d ' é t a t de s ' e x p r i m e r sur toute cette pitoyable aventure. M e Vergés, l ' u n de ses défenseurs, e x p r i m e assez prosaïquement l'aberration qui entoure les accusations : «C'est l'époque des attentats, en France, l'année 1986-1987... Et bientôt l'on accuse la famille Abdallah d'être à l'origine de toutes les bombes qui explosent où que ce soit, avec des récits fantasmagoriques que même Hergé n'aurait jamais pu imaginer pour Tintin: un frère d'Abdallah descend chez Tati poser une bombe, saute dans une BMW, part pour Orly, saute dans un avion pour Vienne, prend un autre avion pour Nicosie, monte sur un petit bateau pour Koubayat, où il tient finalement une conférence de presse [le lendemain]. Les médias français ont foncé

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dans ce récit abracadabrant avec, à l'appui et pour leur déshonneur, les interviews d'une femme qui s'est présentée comme une secrétaire-dactylo ayant couché avec un Turc qu'elle reconnaît, réflexion faite, comme un des frères d'Abdallah! On apprendra bientôt que cette secrétairedactylo travaille en fait à la préfecture de police, et elle sera inculpée ensuite pour trafic de cartes de séjour! Voilà l'ambiance d'hystérie qui règne autour de la famille Abdallah, dont les photos figurent dans tous les postes frontières, avec une déclaration de monsieur le Président de la République, indiquant que "des charges très lourdes pèsent sur Abdallah" et que "si la cour fait la preuve de sa culpabilité, il convient de lui infliger le maximum." Un chef d'État africain tiendrait un discours pareil, la Ligue des droits de l'homme protesterait aussitôt. Le chef de l'État français tient ce discours scandaleux, et la Ligue des droits de l'homme se tait. La Fédération internationale des droits de l'homme aussi, sans parler des autres organisations humanitaires... »60 En effet, si « d e u x t é m o i n s reconnaissent, parmi plus d ' u n e centaine de photos de suspects, Emile Abdallah, le troisième frère du chef des FARL, et un Libanais s o u p ç o n n é d ' a p p a r t e n i r à ce g r o u p e terroriste, Salim el-Khoury, [...] la police éprouve pourtant de grandes difficultés à établir la p r e u v e de la présence en France des auteurs p r é s u m é s des attentats, que l ' o n aurait a p e r ç u s au nord du Liban q u e l q u e s h e u r e s s e u l e m e n t après les explosions. La piste Abdallah ne sera a b a n d o n n é e q u ' a u terme d ' u n e enquête minutieuse de la D S T à la fin du m o i s de septembre. » 6I On attribuera l ' i n c o n g r u i t é de ces identifications au fait que tous les frères se ressemblent, des Orientaux de surcroît ; on prétendra que ceux qui ont c o m m i s l'attentat ne sont finalement pas les deux frères Robert et Maurice A b d a l l a h , que d e u x agents a s s e r m e n t é s ont initialement identifiés de façon catégorique, m a i s les deux autres, Joseph et E m i l e . . . Qui pouvaient parfaitement avoir, à l'instar de « P h i l é a s F o g g » , pu accomplir le forfait, le soir et faire le trajet de Paris à K o b a y a t , via « V i e n n e , C h y p r e et D a m a s , pour participer à la conférence de presse d o n n é e par l ' e n s e m b l e de la famille le lendemain à 13 heures. Sauf q u ' « un c o r r e s p o n d a n t de l ' A s s o c i a t e d Press, Assad D a n d a s h i , a f f i r m e avoir rencontré les quatre frères Abdallah au Liban le 17 septembre», 6 2 soit le j o u r de l'attentat. G e o r g e s Ibrahim Abdallah, sans doute le plus innocent de tous les protagonistes de cette vague d'attentats, y compris parmi les plus hauts responsables de l'État algérien, sera le seul à être c o n d a m n é dans l'affaire, à perpétuité, sans l'esquisse d ' u n e preuve de son i m p l i c a t i o n . . . Son seul tort est sans doute d ' e n savoir trop et d'être trop honnête pour se prêter au j e u des « c o u p s t o r d u s » : « O n est prêt à expulser à tout va, à monter des "coups tordus" », avaient promis les responsables français à Alger.

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INS. STATION HAI.NFIAIRI; POUR (IROSC'ALIHRI-.S

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A b d a l l a h ignore é v i d e m m e n t q u e d e p u i s le début, la SM s ' é v e r t u e à le charger, tout en œ u v r a n t pour le faire l i b é r e r : « A t t e n t i o n , [avait] dit M e j d o u b Lakhal Ayat, le c h e f de la SM à P a n d r a u d , à p r o p o s d e G e o r g e s Ibrahim A b d a l l a h , cet h o m m e que v o u s détenez et ses a m i s des Fractions nrmées révolutionnaires libanaises sont d e vrais révolutionnaires qui ont pris à leur c o m p t e la lutte pour la libération d e la Palestine et celle d e leur pays, le Liban. A leur façon, ce sont des "résistants" contre l ' e n n e m i c o m m u n , Israël, et son alliée, l ' A m é r i q u e . P o u r eux, la F r a n c e n e doit liunais a p p a r a î t r e c o m m e s o u t e n a n t c e d u o i s r a é l o - p a l e s t i n i e n . » 6 3 E n d ' a u t r e s m o t s , cette petite f a m i l l e d ' i d é a l i s t e s m a r x i s t e s est, selon les propos d ' A y a t , bien plus redoutable q u e l ' e n s e m b l e des Etats arabes qui lèvent d e mettre au pas l ' e n t i t é sioniste. La F r a n c e doit d o n c le libérer pour se mettre à l ' a b r i d e sa f u r e u r ! S o u m i s à q u a t r e j o u r s d e h a r c è l e m e n t , au c o m b l e d e la f a t i g u e , ( i e o r g e s I b r a h i m A b d a l l a h c o m p r e n d s o u d a i n q u ' à l ' e x t é r i e u r , il a u n avocat, M e J a c q u e s Vergés, qui se d é m è n e p o u r lui ; il reprend du poil île la bête, m a i s pour marteler, sous u n e autre f o r m e , la m ê m e vérité : « C o m m e n t ç a ? Vous, j u g e M a r s a u d , v o u s m e m a i n t e n e z l à ? Je n e suis q u ' u n m i s é r a b l e insecte au f o n d de cette cellule ! Je n e suis rien, q u ' u n e m o u c h e , q u ' u n insecte, alors que v o u s savez bien, oui, v o u s savez très bien q u e v o u s êtes en p r é s e n c e d ' u n e o r g a n i s a t i o n terroriste m a j e u r e , u n État ! » 6 4 O u i , t o u s les d i r i g e a n t s f r a n ç a i s le s a v e n t p a r f a i t e m e n t . Mais u n e c h o s e est d e savoir, et u n e autre q u e d e c o n t r a i n d r e cette « o r g a n i s a t i o n terroriste m a j e u r e » , cet « É t a t t e r r o r i s t e » , à mettre fin à ses agissements. Q u a t r e a n s p l u s tard, i n t e r r o g é sur le rôle d e l ' A l g é r i e d a n s cet é p i s o d e , A l a i n M a r s a u d c o n f i r m e r a q u ' e l l e f u t « u n État p a r a s i t e » . 6 5 Un c r i m e véniel en q u e l q u e sorte. M a i s lui n ' i g n o r e pas q u e c e r t a i n s parasites sont c a p a b l e s d e p h a g o c y t e r les m i l i e u x sur l e s q u e l s ils se greffent. « Q u e l l e était la c o n v i c t i o n i n t i m e de R o b e r t P a n d r a u d , d a n s l ' a v i o n qui le ramenait d ' A l g e r vers P a r i s ? Croyait-il à la piste des F A R L lices au C S S P A et à la "justice d e paix" d e s A l g é r i e n s ? [ . . . ] " H u m ! Pas trop c o n v a i n c u . . . N o n , v r a i m e n t ! M a i s j e n e p o u v a i s négliger a u c u n e s o l u t i o n . " » S a c h a n t q u e ces c o n f i d e n c e s p r u d e n t e s sont d o n n é e s alors que ces deux h o m m e s sont e n c o r e t e n u s par le d e v o i r d e réserve, q u e diraient-ils a u j o u r d ' h u i s ' i l s étaient v i v a n t s et avaient toute liberté et, surtout, toute v o l o n t é d e servir la vérité ?

« ET SI LES CHEFS DE LA S M S'AGAÇAIENT?» Le fin mot de l'histoire, c ' e s t un agent palestinien qui le donne à Daniel Burroni. Travaillant en solo, ignorant tout des tractations politiques et des d é m a r c h e s au sein du g o u v e r n e m e n t , cet as du contre-espionnage poursuit son enquête et parvient à faire venir à Paris le c o m m a n d a n t Jabert, un responsable palestinien influent (il avait, quelques m o i s avant le début de la série d'attentats, prévenu de son i m m i n e n c e ) : « L e s attentats q u e subit la France, depuis le début de l ' a n n é e font partie d ' u n e stratégie élaborée p e n d a n t une réunion tenue à D a m a s en j a n v i e r 1986. Étaient présents le général el-Khouly et son adjoint le colonel Saïd H a i t h a m représentant la Syrie, H a d j R a f i g h - D o u s t p o u r l'Iran, un certain c o l o n e l Saleh p o u r la Lybie et un responsable du g r o u p e A b o u Nidal. C h a c u n des participants a e f f e c t i v e m e n t des g r i e f s contre la F r a n c e . La Syrie veut s t o p p e r les ingérences dans ce q u ' e l l e considère c o m m e sa chasse gardée : le Liban. La Lybie désire a m e n e r la France à plus de m o d é r a t i o n d a n s son intervention au Tchad ; quant au contentieux franco-iranien, il est connu. Les m o l l a h s veulent contraindre Paris à régler la dette Eurodif et stopper les livraisons d ' a r m e s à l'Irak. La libération d ' A n i s N a c c a c h e vient bien après. C ' e s t le g r o u p e A b o u N i d a l qui a été chargé de la réalisation sur le terrain des attentats. C h a c u n des participants à cette réunion espère p o u s s e r la France à e n t a m e r des négociations en position de faiblesse. » 6 6 Celui qui pouvait faire libérer les otages, c'était R a f i g h - D o u s t . Or, p a r leurs interventions intempestives, la multiplicité des acteurs, les Français ont « t r a n s f o r m é une sorte de règlement de c o m p t e en é v é n e m e n t international qui a é c h a p p é à son instigateur lorsque les h o m m e s politiques du m o n d e arabe ont vu tout le parti q u ' i l s pouvaient en tirer. » 67 Les volets otages et attentats de cette affreuse aventure, s'ils participent de la m ê m e logique globale, sont l ' œ u v r e de deux forces différentes. Les g r o u p e s m o y e n - o r i e n t a u x (syriens, iraniens et libanais) p o u r les otages, et algériens pour les attentats. A b o u Nidal ne p o u v a n t officiellement pas r e v e n d i q u e r les attentats, en raison des p r o m e s s e s faites via A l g e r de ne p l u s entreprendre d ' a c t e s répréhensibles sur le sol français, c ' e s t un de ses n e v e u x , Samir Abdallah, aidé p a r un Libanais, Grigorian, qui « a été chargé de coordonner les attentats de Paris. [ . . . ] Ils sont en France sous des identités d ' e m p r u n t . » Jabert fournit à Daniel Burroni le n u m é r o de série du lot de passeports libanais dont dispose A b o u Nidal, ce qui permettra à la police d'arrêter Grigorian. Le fonctionnement du réseau tel q u e le décrit Jabert est digne de l'horlogerie de précision, et m e t les c o m m a n d i t a i r e s h o r s d'état d'être juridiquement m i s en cause. Les d e u x h o m m e s

CI . t u » l'I'.S l ' I N S . S I A I ION MAI N i A I K I . l'OlJK ( ¡ R O S ( Al I l I R l i S

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«ont pour tâche d'activer les "agents dormants" des réseaux qu'ils ont constitués. Les groupes n'ont aucun lien entre eux. Chaque réseau est lui-même compartimenté. Un agent détient les explosifs, un autre les détonateurs, un troisième les armes. Le matériel est généralement en |il»ce depuis longtemps dans une ou plusieurs caches. À un signal, les agents donnants, sans jamais se rencontrer, déposent le matériel dans une consigne de gare. Un spécialiste le récupère et confectionne la bombe qu'il place à son tour dans un endroit sûr. Le poseur intervient ensuite. Il échange avec une voix anonyme au téléphone un mot de passe, puis on lui dit où récupérer l'engin. Sur place, il découvre, avec le colis piégé, les p l a n s des lieux de l'attentat. Cet ultime maillon de la chaîne est souvent un idéaliste, un fanatique religieux qui n'a jamais vu une bombe de sa vie." Jabert déplie une [...] boule de papier à cigarettes et me donne les noms de quelques sympathisants du groupe Abou Nidal en France, ainsi que l'emplacement présumé d'une cache en région parisienne. [...]»

Le c o m m a n d a n t J a b e r t e x p l i q u e l o n g u e m e n t la d o n n e et a s s u r e q u e •• les I r a n i e n s s o n t i n c a p a b l e s d e m e n e r à b i e n u n e s é r i e d ' a t t e n t a t s nr u n e l o n g u e é c h é a n c e . Ils n ' o n t p a s les s t r u c t u r e s n é c e s s a i r e s . Ils p e u v e n t s e u l e m e n t m e n e r u n e a c t i o n p o n c t u e l l e ; seul le g r o u p e A b o u Nidal, qui a h é r i t é d e s s t r u c t u r e s d e W a d d i H a d d a d , p e u t m o n t e r d e s o p é r a t i o n s d e t y p e m i l i t a i r e . » 6 8 E t W a d d i H a d d a d , n o u s le s a v o n s , a hérité d e s r é s e a u x F L N q u e lui a g é n é r e u s e m e n t a s s e r v i s le K G B . N o u s s a v o n s p a r ailleurs q u e le g r o u p e A b o u N i d a l est t o t a l e m e n t i n f é o d é à lit Sécurité M i l i t a i r e a l g é r i e n n e . S a n s être les i n s t i g a t e u r s d e s c o u p s , ils Nont là c o m m e f a c i l i t a t e u r s , p r ê t s à s u b l i m e r d e s o p é r a t i o n s m i n e u r e s , et d o n n e r u n é n o r m e r e t e n t i s s e m e n t a u x p é t a r d s q u e les i n i t i a t e u r s projetaient d e f a i r e e x p l o s e r . Ils ont d e s u r c r o î t la p a r f a i t e c o u v e r t u r e , p u i s q u e les c o m m a n d i t a i r e s n e m a n q u e r o n t p a s p o u r r e v e n d i q u e r les attentats, les m e t t a n t à l ' a b r i de t o u t e a c c u s a t i o n , q u a n d b i e n m ê m e les s e r v i c e s f r a n ç a i s s e r a i e n t a v i s é s de leur rôle. A i n s i , si la Syrie, l ' I r a n , le Liban, la P a l e s t i n e et la L y b i e p a r a i s s e n t i m p l i q u é s d a n s l ' i n s p i r a t i o n d e s attentats, a u c u n d ' e n t r e e u x n ' e s t c a p a b l e d e les m e n e r à bien. L a S M , les r é s e a u x d o r m a n t s d u F L N m o n t é s s o u s les a u s p i c e s d u K G B , les g r o u p e s q u ' e l l e fait u n p e u p l u s q u ' h é b e r g e r , A b o u N i d a l , les F A R L , le C S S P A , p e u v e n t être e x p l o i t é s à d e s s e i n p o u r f r a p p e r la F r a n c e j u s q u e d a n s s e s sites les p l u s p r o t é g é s , les s a n c t u a i r e s de la sécurité p a r i s i e n n e , la p r é f e c t u r e d e police.

* Ce type de fonctionnement sera largement mis en œuvre durant la décennie 1990, les petites mains (Kelkal, Bensaïd, Ramda, etc.), des idéalistes ou des délinquants, se faisant cueillir chaque fois, tout en laissant les commanditaires totalement intouchables ; leurs principaux agents (Ali Touchent), miraculeusement avisés des opérations de police, échapperont quant à eux systématiquement aux coups de filets.

2 H ANS D'INAVOIIAIII I

Lorsque Georges Ibrahim Abdallah est arrêté, tout cela risque d ' ê t r e révélé par les services f r a n ç a i s ; la F r a n c e pourrait alors u s e r de cet avantage pour peser d e façon significative sur le r é g i m e d ' A l g e r , le f o r ç a à u n e démocratisation du pays, aider l'opposition à se faire entendre ou, plus cyniquement, se tailler u n e plus grande part du gâteau saharien. U n e gestion calamiteuse plus tard, la F r a n c e se retrouve à genoux, implorant les terroristes d ' A l g e r , « le clan f r a n ç a i s » , de l'épargner. P o u r l ' h e u r e , D a n i e l B u r r o n i s ' a c q u i t t e d e sa t â c h e a v e c p r o f e s s i o n n a l i s m e , fort d e l ' i d é e q u ' i l sert son pays. Tous ces détails ne profiteront en fait q u ' à C h a r l e s P a s q u a qui, l ' a y a n t t e m p o r a i r e m e n t fait a f f e c t e r s o u s ses o r d r e s , lui interdit d e c o m m u n i q u e r ses d é c o u v e r t e s à sa h i é r a r c h i e . D a n i e l B u r r o n i p a i e r a c e t t e « t r a h i s o n » très cher, c o m m e n o u s le verrons. D a n s les p o u r p a r l e r s avec Alger, le ministre de l'Intérieur Charles Pasqua a assurément une bonne longueur d'avance sur ses c o n c u r r e n t s et n é a n m o i n s c o m p a g n o n s d e g o u v e r n e m e n t . Étant seul à c o m p r e n d r e ce f o n c t i o n n e m e n t , il n ' a plus q u ' à se rendre à Alger, et à m e n e r sa p r o p r e partition, d a n s un o r c h e s t r e a p p a r e m m e n t dirigé par M a t i g n o n , et n é g o c i e r en d o u c e d e s « v o l e t s s e c r e t s » d ' a c c o r d s s e m i - o f f i c i e l s d é j à e u x - m ê m e s h a u t e m e n t inavouables. Jabert détaillera par le m e n u l ' i t i n é r a i r e d e G e o r g e s I b r a h i m A b d a l l a h , c e r t e s « u n assassin, m ê m e pas un c h e f d e b a n d e . » Du m e n u f r e t i n . . . D ' a i l l e u r s , tout le m o n d e l ' o u b l i e r a r a p i d e m e n t , car les attentats cessent subitement,* fin s e p t e m b r e 1986, tout aussi i n e x p l i c a b l e m e n t pour l ' o p i n i o n en tout cas - q u ' i l s ont repris au début d e la m ê m e année. Et p o u r d e bon. François Mitterrand sort d e son m u t i s m e « E n o c t o b r e 1986, au c o u r s d e la p r é p a r a t i o n d e l ' é m i s s i o n " D é c o u v e r t e s " p o u r E u r o p e 1, [il] a c o n f i é à Jean-Pierre Elkabbach q u ' i l "trouvait regrettable d ' a v o i r été i n f o r m é - dans leurs détails - des n é g o c i a t i o n s et des a c c o r d s sur les a f f a i r e s t e r r o r i s t e s . . . p a r le P r é s i d e n t syrien E l - A s s a d et par l ' e n t o u r a g e du Président libanais G e m a y e l . » F a ç o n c o m m e une a u t r e d e p r é t e n d r e n e pas être a v i s é d e s tractations, d e f e i n d r e l ' i s o l e m e n t , d e se laver les m a i n s - p o u r le cas où q u e l q u e j u g e hardi pousserait les investigations au-delà des limites que la raison d ' É t a t prescrit - des c o n s é q u e n c e s des a c c o r d s c o n c l u s par son g o u v e r n e m e n t ; * * a c c o r d s

* Le 17 novembre 1986, Action Directe revendique l'assassinat de Georges Besse, P-DG de la Régie Renault, sans lien apparent avec la série d'attentats antérieurs. ** Lors de la campagne présidentielle de 1988, du débat qui l'oppose à Jacques Chirac, la

CI .IIH 1)1 S L'INS, SI AL ION IIAI NI AIKI; POUR S CAI.IIIRIS

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¡•il vertu d e s q u e l s la F r a n c e n e peut pas se défiler u n e autre fois, sans les b o m b e s se r e m e t t r a i e n t à d é t o n e r . . . « J e s e n s l ' i m p a t i e n c e niiiicale d e nos p a r t e n a i r e s de la S M A » , balbutiait le naïf Yves B o n n e t i|iuiml il a n n o n ç a i t à son « a m i » L a k h a l Ayat, bien s e c o n d é p a r le u-doutable S m a ï n L a m a r i , son incapacité à tenir la p r o m e s s e d ' a s s u r e r l.i libération rapide de G e o r g e s Ibrahim A b d a l l a h contre celle de S y d n e y l ' e y r o l l e s : « E t s ' i l s s ' a g a ç a i e n t ? » O n c o n n a î t les c o n s é q u e n c e s d ' u n Ici a g a c e m e n t : trois m o i s d ' u n insupportable e n c h a î n e m e n t d ' a t t e n t a t s . Sachant q u e cet a g a c e m e n t ne traduisait q u ' u n e « i m p a t i e n c e a m i c a l e » , il y a de quoi f r é m i r à l ' i d é e de les voir m a n i f e s t e r un j o u r une « h o s t i l i t é inamicale» !

I|IIOI

l-n tout cas, ils n e s ' a g a c e r o n t plus pendant près de 10 ans. Et celui i|iu sort v a i n q u e u r d e ce terrible m o i s de septembre 1986, c ' e s t le non inoins «terrible m o n s i e u r P a s q u a » . A u c œ u r de la tourmente, il a fait parlie de la délégation porteuse d ' u n m e s s a g e en quatre points du Conseil de sécurité français ; des directives transmises à tous les pays concernés ; mais une clause secrète assortira le m e s s a g e : « C o m m e t o u j o u r s , ce message-constat, que le Premier ministre présente au Président algérien l'hadli Bendjedid, est assorti d ' u n e cinquième clause, plus discrète. Seuls les r e s p o n s a b l e s de la Sécurité, C h a r l e s P a s q u a et R o b e r t P a n d r a u d , Nont chargés d ' e n assurer la transmission à leurs h o m o l o g u e s des pays concernés.» 6 9 C ' e s t la clause par laquelle la France s ' e n g a g e à s ' o c c u p e r « p l u s a t t e n t i v e m e n t » d e l'opposition « d e s pays c o n c e r n é s » en échange de l'arrêt des attentats... Les attentats sont stoppés. Quels remerciements la France apporteral-clle à ses bienfaiteurs a l g é r i e n s ? Ali Mécili n ' a u r a pas le temps d e le comprendre.

chronique retiendra principalement l'échange musclé autour de la libération du «terroriste» iranien Gorgi. « Pouvez-vous, droit dans les yeux, prétendre... ». « Les yeux dans les yeux, je proclame... », avait froidement répondu le machiavélique François Mitterrand, déstabilisant son adversaire.

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CHAPITRE 1 1

Le marché de la honte: la mort de Mécili

Q

u ' a dû offrir la France au clan des D A F qui soit si précieux que les attentats cessent d ' u n c o u p ? D é b u t 1987, Charles Pasqua « f a i t la tournée des capitales du M a g h r e b . Ses hôtes ont bien compris rche. Ils attendent sa venue, et la cérémonie du thé, pour aborder certains problèmes concernant des ressortissants algériens ou marocains en France. [...] P o u r plaire à ses interlocuteurs, Charles P a s q u a peut déplacer des montagnes. Quelques préfets ont ainsi reçu, un j o u r ou l'autre de 1987, des ordres inattendus. Promesses faites ailleurs, q u ' i l fallait tenir pour la r e n o m m é e de la F r a n c e » , 1 écrivent é n i g m a t i q u e m e n t les auteurs de Ce terrible monsieur Pasqua ; tout cela, évidemment, « sans en avertir le Quai d'Orsay, [...] lesté des r e c o m m a n d a t i o n s de ses n o u v e a u x amis algériens [ . . . ] il v e u t r e n c o n t r e r l u i - m ê m e [ . . . ] les dirigeants palestiniens, [ . . . ] discuter des m e n a c e s intégristes qui pèsent sur la M e c q u e et sur l ' A r a b i e Saoudite [ . . . ] et se m ê l e de tout ce qui peut concerner "ses" m u s u l m a n s de France. » U n bien lourd sacerdoce pour u n h o m m e qui, il y a quelques m o i s à peine, lançait ses c o m m a n d o s de choc dans des opérations fleurant la ratonnade, et qui était inconnu - j u g é d ' u n mauvais œil m ê m e - dans cet Orient p e u p l é e de « m u s u l m a n s » . . . Récapitulons. En septembre 1986, la terreur règne sur Paris. Sitôt que les ministres français font la p r o m e s s e à leurs « n o u v e a u x amis a l g é r i e n s » de neutraliser leur opposition, les attentats cessent... L e 7 avril 1987, Ali Mécili, l ' o p p o s a n t algérien le plus crédible, est assassiné en plein Paris par un proxénète m a n d a t é par la S M , un meurtrier sûr de son impunité et qui n ' h é s i t e pas à se v a n t e r : « L a police le sait mais n o u s n e risquons r i e n . » N o u s n e s o m m e s pas dans u n e société primitive qui, pour bénéficier de la protection de forces occultes, consent au sacrifice d ' u n de ses h o m m e s les plus valeureux, m a i s dans la F r a n c e moderne, terre d'asile, h a v r e de

justice, berceau d e la Déclaration universelle des droits de l ' h o m m e , héritière des L u m i è r e s . . . U n p a y s dont le Président peut se répandre en déclarations aussi r o n f l a n t e s que creuses ( « L a mort d ' u n h o m m e est sans doute plus grave que la mort d ' u n État») 2 , tout en adoptant, à cette occasion, une attitude à mille lieues des principes q u ' i l proclame. M a i s la version longue mérite le d é t o u r . . . Elle recèle son pesant de leçons sur la réalité du pouvoir en France et sur l'humanité nouvelle qui s'augure, une humanité où l ' h o m m e a si peu de place, une société ou le vice prend l'apparence de la vertu, et voue la droiture et la probité à la mort.

LA MUSELIÈRE POUR ABDALLAH Le 2 3 février 1987, lorsque c o m m e n c e son procès, G e o r g e s Ibrahim Abdallah donne à son avocat, M e Jacques Vergés, la consigne de ne pas plaider les demi-mesures. Il s ' e s t i m e i n n o c e n t ; si la justice le considère c o m m e tel, elle doit l'acquitter ; si elle le tient pour coupable, alors q u ' e l l e le c o n d a m n e à perpétuité. «On va me coller 12 ans de prison. Je n'en veux pas. Je m'excuse auprès de toi de t'interdire un succès professionnel et de poser le problème en termes impossibles : ou ils m'acquittent, ou ils me donnent le maximum. Au début, je leur dirai ce que je pense d'eux, c'est-à-dire des valets des Américains, que je les méprise, que je n'ai aucun dialogue possible avec eux. Et ensuite, je resterai dans ma cellule. Je n'assisterai pas aux audiences. Toi de ton côté, je t'en prie, pas de circonstances atténuantes : ne dis pas que je suis gentil, ni que ma mère est une sainte femme ! » 3 Cette intransigeance laisse peu de place au m o i n d r e pacte secret, qui le verrait revendiquer quelques méfaits - blanchissant au passage la S M - , en échange d ' u n e peine de 8 à 10 ans, après que le j u g e en aurait requis 12, et vu défiler à la barre une pléiade d ' e x p e r t s étourdir les auditoires de thèses et d'antithèses, de preuves et de contre-preuves ; il espérerait alors retrouver la liberté au bout de deux ans, en ayant déjà purgé d e u x et vu transformer sa détention en sinécure. N o n , Georges Ibrahim Abdallah n ' a rien c o m m i s de répréhensible en France, il le certifie, et il est prêt à passer sa vie en prison plutôt que de prétendre le contraire... Militant résolu qui ne renonce en rien à ses idées, il rédige un m a n i f e s t e qu'il fait publier dans Le Nouvel Observateur : «[...] Qu'un combattant arabe soit jugé par la Cour spéciale en Occident, rien de plus normal. Qu'il soit traité de criminel, de malfaiteur, rien de vraiment nouveau. Déjà, les "bandits" de l'Aurès, les "terroristes" de

I I MAI«

III

1)1 I A M O N I I •: I.A M O K I

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Palestine ainsi que les "fanatiques lépreux" d'Ansar et de Khiam ont été l'objet de ces honorables qualificatifs. Ils rappellent à tous ceux qui ont la mémoire courte le patrimoine de votre justice occidentale, de votre civilisation judéo-chrétienne. Mais que le criminel yankee, bourreau de tous les déshérités de la terre, soit en plus le représentant des prétendues victimes, il y a bien de quoi, alors, s'abstenir de tout commentaire sur la nature de cette Cour. Quarante ans après la Libération de Paris, on voit persister dans votre pays une référence quasi obligée de tous vos patrons aux années d'Occupation, référence mystifiante, larmoyante et vantarde. Elle occulte la lâcheté de tous ceux qui se foutaient des porteurs de l'étoile jaune et qui n'ont découvert leur virilité qu'en soutenant les escrocs qui exploitent le souvenir d'Auschwitz... [...] »4 Puis il s ' e n f e r m e dans le silence... Le procès l u i - m ê m e est un simulacre. La sentence est écrite à l ' a v a n c e , il faut s i m p l e m e n t un peu de théâtre. Les larmes de la v e u v e de C h a r l e s Ray, Sharon, sont sans doute le seul é p i s o d e sincère de l ' a u d i e n c e . Le reste f r i s e la b o u f f o n n e r i e . L ' u n d e s d é f e n s e u r s d ' A b d a l l a h , J e a n - P a u l Mazurier, a p o u r t â c h e a r d u e de concilier son statut d ' a v o c a t et celui de t a u p e d e la D S T , c h a r g é d e p u i s des a n n é e s de p i é g e r son p r o p r e client : « Il n o u s a été d ' u n g r a n d service, n o u s c o m m u n i q u a n t t o u s les m e s s a g e s à destination de G e o r g e s Ibrahim A b d a l l a h ou écrits par l u i » , c o n f e s s e r a Yves B o n n e t ; p r e u v e , s ' i l en fallait u n e d e plus, q u e la D S T sait tout de ses plus intimes c o r r e s p o n d a n c e s , sans pour autant apporter la m o i n d r e p r e u v e incontestable de sa culpabilité. C e vice de f o r m e aurait pu être invoqué pour annuler toute la p r o c é d u r e ; on n ' e n fera rien. Le contrôleur général de la DST, R a y m o n d Nart, sollicité par l ' a c c u s a t i o n , surprend en plaidant pour la d é f e n s e : « O n parle de lui en disant que c ' e s t un c h e f , j e récuse le t e r m e de c h e f , c e n ' e s t m ê m e pas un petit c h e f p u i s q u ' i l s ' e s t fait p r e n d r e . » La p o s i t i o n du n u m é r o 2 d e la D S T n ' e s t pas des plus aisées, les i m p é r a t i f s q u ' i l voudrait satisfaire étant a b s o l u m e n t d i v e r g e n t s : s e s a m i t i é s a v e c les s e r v i c e s m o y e n orientaux ne doivent pas s o u f f r i r du verdict ; ami des services algériens, il doit innocenter A b d a l l a h , leur a g e n t ; en guerre o u v e r t e contre C h a r l e s Pasqua, qui a conclu un p a c t e secret a v e c le diable, à Alger, il ne doit rien dire qui soit susceptible d e le renforcer. A j o u t o n s e n c o r e la n o u v e l l e attitude d ' A b d a l l a h et sa d é f i a n c e à l ' é g a r d des A l g é r i e n s qui excluent d e lui laisser le loisir, en r e c o u v r a n t la liberté, d e raconter à qui v o u d r a les secrets d e leur relation. Il reste à multiplier les contradictions, égarer les j u r é s , d é f a i r e c e qui a pu être d é m o n t r é a u p a r a v a n t et vicier par anticipation ce qui p o u r r a être établi par la suite.

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Avec R a y m o n d Nart, la j u s t i c e s ' e m b o u r b e dans les m a r é c a g e s de l'inavouable. Il est l ' h o m m e qui en sait le plus, sans doute, et celui qui peut le m o i n s se p e r m e t t r e d e parler. C e q u ' i l dit, c ' e s t pour sauver sa propre crédibilité, car la D S T doit survivre à cet épisode et il ne faudrait pas q u e son carnet d ' a d r e s s e m o y e n - o r i e n t a l , le c œ u r d e ses activités, se vide d ' u n c o u p de tous ses contacts. Maître K i e j m a n s ' e n é t r a n g l e : « " C o m m e n t p o u v e z - v o u s dire c e l a ? L ' u n d e v o s s u b o r d o n n é s (le commissaire Caprioli) a f f i r m e dans un rapport q u ' A b d a l l a h est bien le chef des FARL, et q u ' à ce titre, il a directement organisé, par l'intermédiaire d e son réseau, les attentats réalisés en F r a n c e . . . " R a y m o n d Nart tient bon : "On n ' a j a m a i s vu Georges Ibrahim Abdallah agir directement. O n n ' a pas trouvé d ' é l é m e n t s le faisant apparaître c o m m e autre chose q u ' u n support. Moi, j e ne dirai pas q u ' i l s'agit d ' u n chef opérationnel. Le véritable chef des FARL, v o u s m e permettrez d ' e n avoir quand m ê m e une petite i d é e . . . " Personne ne se m o n t r e c u r i e u x . . . » 5 L'aurait-on été d'ailleurs qu'il aurait de toute f a ç o n é v o q u é le sacro-saint impératif du secret défense. N u l pourtant ne s ' y aventure, m ê m e pour la forme. S y d n e y Peyrolles, dont l ' e n l è v e m e n t est le seul c r i m e avéré d e G e o r g e s Ibrahim A b d a l l a h ( q u o i q u ' i l était en prison au m o m e n t du rapt), est d ' a b o r d absent au procès. M e K i e j m a n , obligé par ailleurs de se d é f e n d r e de toute inféodation aux Américains, s ' i n s u r g e ! « C ' e s t u n témoin capital ! » Ce à quoi M e Vergés réplique: « P o u r u n e fois, j e suis d ' a c c o r d avec la partie civile. » Puis voilà q u e Peyrolles se p r é s e n t e ; m a i s sa déposition, qui aurait d û accabler l ' a c c u s é , est plutôt d e nature à le disculper. Les c o n f i d e n c e s que lui ont faites ses geôliers sur le rôle de la famille Abdallah lui paraissent, autant qu'il peut en juger, relever, au pire, d e la « v a n t a r d i s e » . Il y a bien d e quoi perdre son latin. Bien malin qui pourrait deviner de quel côté p e n c h e r a la balance d e la justice (qui, à cette occasion, aura perdu la majesté d e sa majuscule). Les pressions américaines sont telles que le verdict ne peut pas être clément. Il est au demeurant exclu d ' i n n o c e n t e r l ' a c c u s é sans trouver d e meilleur c o u p a b l e idéal. A l ' o p p o s é , « d e s émissaires sont r e v e n u s d ' A l g e r , d e B e y r o u t h et d e D a m a s . O n ignore les c o m m a n d i t a i r e s , m a i s la m e n a c e est c l a i r e : à u n verdict d e perpétuité répondra u n e v a g u e d ' a t t e n t a t s . » 6 Voilà pour les accords occultes. Pour ce qui est du volet secret des accords occultes, il faut attendre pour v o i r . . . Alors, acquittement ou p e r p é t u i t é ? Allez, h o p ! C ' e s t décidé, ce sera perpétuité !

I R MAR( LLF: 1)1 I A IIONTI!: I.A MORT 1)1 M Î C I I I

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«l'ace aux pressions franches ou détournées, [...] le chantage habituel n'a pas joué... Mais au fait quel chantage? Car, dans ce jeu pervers où le secret et les actions parallèles sont la règle, où la raison d'État se superpose à la justice, tout le monde a été dupe. Dupe, le gouvernement intoxiqué par Alger et Damas. Dupe, l'avocat général qui, "n'ayant pour seule cliente que la République", s'est, sans ordre formel, sacrifié à sa défense. Dupes, les juges qui, en sursaut d'honneur judiciaire, ont condamné Abdallah pour les crimes anciens dont il était responsable mais qui ont été moralement aggravés par le soupçon pesant sur ses frères du terrorisme aveugle de 1985 et 1986. "Question de climat" avait dit Pandraud. [...] La rumeur de représailles était trop puissante? Les inagistrats-jurés, quoi qu'on dise, n'ont pas rendu leur verdict en stricte connaissance de cause. » 7 Mais le sort d ' A b d a l l a h n ' e s t pas à une prévarication judiciaire près, après tout. Car si, c o m m e nous l ' a v o n s vu, il ne peut être, concernant la v a g u e d'attentats, c o u p a b l e que de c r i m e d e vantardise, il reste « l a p r e u v e » , l'élément matériel sur lequel repose toute l'accusation, celui qui a justifié son maintien en détention et sans lequel il serait libre depuis longtemps. L ' a r m e t r o u v é e d a n s la c a c h e d e la r u e Lacroix, celle qui a servi au meurtre d e Charles et Barsimentov. G a r d o n s à l'esprit que nous s o m m e s dans un univers d e coups tordus, d e manipulations, et s o u v e n o n s - n o u s que cette découverte n'avait rien de particulièrement fortuit. Or, au cours de l'audition le 25 février, l ' a v o c a t général a voulu clarifier u n p o i n t : u n e écharde de la taille d ' u n e poutre dans l'accusation, mais que, c o m m e par enchantement, p e r s o n n e n e songera à a p p r o f o n d i r : « L ' a r m e qui a tué Robert Charles R a y a été retrouvée e n v e l o p p é e dans u n journal dont la date est largement postérieure à l'arrestation d ' A b d a l l a h , le tout, dans la malle f e r m é e à clefi [ . . . ] Nart est formel : le journal a été ramassé dans le studio par l ' u n de ses policiers qui a l u i - m ê m e enveloppé le pistolet qui se trouvait "à cru" dans la malle. Geste uniquement destiné à sauvegarder les empreintes. » 8 I I n e s'agit pas d ' u n sketch d ' u n humoriste mais de débats devant décider du sort d ' u n h o m m e . . .

Il devait avoir le nez bien creux, le policier qui, dans une malle contenant « 2 5 kg d ' e x p l o s i f s divers, des détonateurs, 6 p r o p u l s e u r s de R P G 7 , 2 pistolets mitrailleurs Scorpion, u n pistolet a u t o m a t i q u e t c h é c o s l o v a q u e C Z calibre 7,67, u n silencieux, des m u n i t i o n s , des s y s t è m e s d e m i s e à feu t é l é c o m m a n d é s par explosif, des papiers d'identité, de n o m b r e u x d o c u m e n t s et matériels divers, dont les listes d ' o b j e c t i f s potentiels sur la F r a n c e » a d ' u n c o u p d ' œ i l , identifié précisément l ' a r m e tchèque q u ' i l faut envelopper p o u r « sauvegarder les empreintes », celle-là m ê m e qui

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accusera Georges Ibrahim Abdallah, d a n s un contexte où la cache, visitée maintes fois en vain par les diverses polices, a été « d é c o u v e r t e » le j o u r précis où l ' o n s'apprêtait à clore son dossier judiciaire et a livré seulement alors son contenu accusateur. Mais revenons aux menaces algéro-irano-syriennes, aux c o m m a n d i t a i r e s obscurs, qui m e n a c e n t d e r e p r e n d r e les attentats, si A b d a l l a h é c o p e d e la « p e r p é t u i t é » . C e dont d ' a i l l e u r s M e Vergés n e doute nullement p u i s q u ' i l s ' e x c l a m e sitôt le verdict p r o n o n c é : « N o u s n e f o r m e r o n s pas d e p o u r v o i en cassation. La France gardera d a n s ses prisons Georges Ibrahim Abdallah à perpétuité. [ . . . ] C ' e s t u n e déclaration d e guerre, un acte d'hostilité envers les combattants arabes. Abdallah a cent fois plus d ' a m i s a u j o u r d ' h u i q u ' a v a n t le procès. » Et Bernard Gérard, patron d e la DST, qui craint les représailles, de se lamenter : «Aura-t-on les m o y e n s de leur courage ? » 9 N ' o u b l i o n s pas que les FARL sont censés avoir fait déferler la terreur un an durant sur la France du seul fait q u ' A b d a l l a h a été maintenu en détention préventive. Maintenant que le voilà c o n d a m n é à la plus lourde charge (la peine de mort ayant été abolie), que vont-ils accomplir de pire que ce qui leur a déjà été i m p u t é ? Leur réponse est éloquente: « J e m ' e n remets à D i e u » dira la mère d'Abdallah. « P a s de commentaire», affirme Emile, l'un de ses frères. « C e t t e affaire ne nous concerne plus. Le verdict a été prononcé, alors à quoi bon p a r l e r ? » , laisse tomber le frère aîné Joseph. Interrogé sur les menaces à peine voilées de M e Vergés, il a j o u t e : « N o u s s o m m e s ici tous les quatre. N o u s s o m m e s des gens ordinaires et non pas des militants a r a b e s . » Constat amer d ' u n e famille isolée, impuissante, inoffensive, et qui, face à une si flagrante injustice, s ' e n remet à D i e u ! Fatalistes, assurément, terroristes de la pire trempe, certainement pas ! Voilà pour les b o u c s émissaires. Mais, on l'a compris, les choses sérieuses se négocient ailleurs. Et les partenaires algériens doivent à ce stade hurler, sombrer dans une fureur noire. Souvenons-nous que « l ' i m p a t i e n c e amicale de nos partenaires de la S M A » ressentie j a d i s par Yves Bonnet - quand il leur avouait son incapacité à libérer Abdallah « dans les délais i m p a r t i s » en contrepartie de celle de Sydney Peyrolles - a d é b o u c h é sur un « s e p t e m b r e n o i r » à Paris. L ' o n est en droit de craindre que cette condamnation à perpétuité mette Paris à feu et à s a n g . . . Hé bien non ! Pas l ' o m b r e d ' u n pétard ne perturbe cette aube d ' u n e année prometteuse...

I.li M A R C H É DI I.A H O N T I i

I.A M O R T l ) l i M Î C I I I

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Le 2 3 février, en plein procès, Jean-Bernard R a i m o n d , ministre des Affaires étrangères et m e m b r e du Conseil d e sécurité intérieure, est à Alger. «Avant de déjeuner avec son homologue algérien, il s'est entretenu seul à seul avec Chadli Bendjedid. Le Président a tenu à rappeler sa conversation avec Jacques Chirac le 13 septembre 1986. Les différents points du message-constat établi par le Conseil de sécurité français sont toujours valables, particulièrement la cinquième clause, la plus discrète : Aidez-nous à trouver des "gendarmes" qui permettent à la France de couper à leur source les actes de terrorisme sur son territoire, en échange, la France surveillera plus attentivement que jamais vos mouvements d'opposition. » I0

TROIS PETITES BALLES ET PUIS S'EN VA Q u e l q u e s s e m a i n e s plus tard, e x a c t e m e n t le 7 avril 1987, A b d e l m a l e k Amellou, u n p r o x é n è t e notoire, m i s s i o n n é par la S M , loge trois balles dans la tête du principal o p p o s a n t algérien en France, l ' a v o c a t f r a n c o algérien des déshérités, Ali-André Mécili. Sitôt après, le pouvoir politique, et dans u n e u n a n i m i t é c o n f o n d a n t e , les p o u v o i r s policier, judiciaire et diplomatique, c o n j u g u e n t leurs efforts p o u r mettre le criminel à l'abri puis pour faire q u e le scandale n e d é p a s s e j a m a i s le cercle étroit de quelques j o u r n a l i s t e s d ' i n v e s t i g a t i o n au zèle fluctuant. L ' É t a t f r a n ç a i s a fait sienne la détermination que j a m a i s la vérité n e soit établie sur ce meurtre terroriste et que le coupable, parfaitement identifié, n e soit j a m a i s m i s entre les m a i n s de la justice, que les commanditaires n e soient j a m a i s inquiétés outre m e s u r e . N o u s s o m m e s alors bien loin de la doctrine de Charles de Gaulle. « Certains journalistes ont été surpris que v o u s ayez gracié des assassins qui v o u s ont bel et bien mitraillé, et que v o u s n ' a y e z pas gracié Bastien-Thiry, qui n ' a pas participé directement à l ' a c t i o n » , constate Alain Peyrefitte, le 13 m a r s 1963. La réaction du général est alors vive : « J u s t e m e n t , c ' e s t i m p a r d o n n a b l e ! Il n ' a pas tiré l u i - m ê m e ! 11 s'est contenté de donner le signal de la fusillade avec u n journal. Et quel j o u r n a l ? L'Aurore ! M a i s ce qui est impardonnable aussi, c ' e s t qu'il a fait tirer sur u n e voiture dans laquelle il savait q u ' i l y avait u n e f e m m e ! » Ce que Peyrefitte traduit en ces t e r m e s : « L e s uns suscitent des idées qui tuent, d ' a u t r e s c o m m a n d e n t a u x tueurs, les derniers tuent. Le général r e f u s e l'impunité des chefs et des inspirateurs. » "

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Et, paradoxe des paradoxes, alors q u e le r é g i m e algérien devrait, du fait d e ce crime d ' É t a t , d e v e n i r l ' o b l i g é des services français, c ' e s t le contraire qui se p r o d u i t : c ' e s t d é s o r m a i s la France qui se trouve piégée dans une condition d ' a s s e r v i s s e m e n t , ayant plus à craindre de l ' o p p r o b r e qui naîtrait de la divulgation d e ce contrat exécuté f r o i d e m e n t d a n s la « p a t r i e des droits de l ' h o m m e » . Les services algériens tiennent la France par le chantage d e p u i s ce j o u r , et la contraignent c h a q u e année u n peu plus. Et le terrorisme devient r a p i d e m e n t u n e ressource qui assure u n e rente c o n f o r t a b l e à ceux qui, policiers, j u g e s , politiques, journalistes, experts, acceptent d e se mettre au service de sa manipulation. M a i s qui est Ali Mécili pour mériter l ' h o n n e u r de tant de d é s h o n n e u r d ' u n e nation, de d e u x É t a t s ? Un m o i s après les négociations secrètes m e n é e s p a r C h a r l e s P a s q u a et R o b e r t P a n d r a u d , la F r a n c e s ' a p p r ê t e à e x p u l s e r 13 A l g é r i e n s vers Alger. M a i s un h o m m e se d é m è n e pour e m p ê c h e r cette expulsion : M e Ali-André Mécili . . . n Depuis, l'avocat est «l'objet de menaces répétées, surtout au cours des dernières semaines. Les enquêteurs retrouvent d'ailleurs dans son coffre une lettre dactylographiée datée du 20 janvier 1987 et signée "le groupe des Aurès" : menaces de mort. Fin février 1987, l'avocat qui partage son cabinet trouve un message laissé entre 9 heures et 9 h 3 0 sur le répondeur [...] L'homme parle sans accent, d'une voix posée et claire : "Début mars, ce sera fini pour toi !" Informé, Ali ne lâche que quelques mots : "De toute façon, je sais qui c'est..."[...] Quatre jours avant le crime, un étrange incident va inquiéter l'un de ses amis [...] qui l'attend dans un café au bas de son cabinet. À l'intérieur du bistrot, un homme guette visiblement la porte d'entrée. Voyant arriver l'avocat, L. va à sa rencontre et l'entraîne vers l'extérieur. L'homme le suit. Assez longtemps pour que L. signale le manège à Ali qui se retourne brusquement et s'avance vers l'individu. Pris de court, celui-ci fait mine de regarder passionnément une vitrine... vide, car en réfection ! [...] "Je suis menacé : ils me reprochent mes prises de position", dit Mécili à plusieurs reprises. [...] Pour André, lettres anonymes et appels téléphoniques répondent à un objectif clair: le faire renoncer à toute activité politique. Il ne parle pas en l'air. Depuis plusieurs années déjà, un ancien responsable des services spéciaux, Abdallah Ben Hamza - "Le Rouquin", comme tout le monde l'appelle dans l'entourage de Mécili - se manifeste sous n'importe quel prétexte. Coups de téléphone intempestifs, visites surprises, une manière subtile de mettre ses nerfs à l'épreuve. Le harcèlement porte. Combien de fois Ali n'a-t-il pas fait ce cauchemar, toujours le même, qui le réveille en sursaut au moment précis où l'assassin tire...» 13 Un c a u c h e m a r dont il sera dit que cette fois qu'il ne se réveillera jamais. A l i - A n d r é Mécili n e s o u s - e s t i m e d o n c pas les m e n a c e s qui pèsent sur lui. Un d a n g e r p e r m a n e n t plane autour lui, q u ' i l a s s u m e , et q u ' i l

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i. onsidère c o m m e le prix à payer pour être en accord avec sa morale, son tMhiquc, qui exclut de s'assujettir aux désirs d ' u n e organisation terroriste internationale. Engagé sans retenue pour le combat démocratique, « a v o c a t des déracinés, [ . . . ] Palestiniens, Maghrébins, Iraniens, Kurdes, Zaïrois, Arméniens» 1 4 - c o m m e si, en tentant d'atténuer les affres de l'exil de ses congénères, il regagnait un peu de sa propre patrie perdue - , attaché à la revendication identitaire berbère, fondateur de la revue Libre Algérie, il ••.•si aussi l'artisan du rapprochement entre Ait-Ahmed et Ben Bella, pour lequel la S M réagit au quart de tour: «Ali recevait la visite d ' u n émissaire de la SM [...]. La police politique, qui venait d ' a p p r e n d r e notre projet d ' u n i o n , nous faisait dire [ . . . ] que n o u s "devions absolument démentir les r u m e u r s faisant état de rencontres [avec] Ben Bella, et surtout d ' u n éventuel accord, car les conséquences peuvent être graves."» 1 5 Mais rien ne devait faire plier Ali Mécili, qui considérait que « q u a n d les inégalités, les injustices ou les retards d ' u n e société dépassent la mesure, il n ' y a pas d ' o r d r e établi, pour répressif qu'il soit, qui puisse résister au soulèvement île la v i e » , p e r s u a d é que, « e n droit international, la non-assistance à peuple en danger n ' e s t pas encore un délit, [ . . . ] m a i s c ' e s t une faute politique et morale qui a déjà coûté trop de morts et de douleurs [ . . . ] pour que nous acceptions n o u s - m ê m e s de la commettre.» 1 6 Cet « h o m m e qui a lutté pour ses idées j u s q u ' a u bout et qui l ' a p a y é de sa v i e » est sans l ' o m b r e d ' u n doute, aux yeux des potentats algériens et leurs h o m o l o g u e s f r a n ç a i s ne p e u v e n t p a s l ' i g n o r e r - l ' o p p o s a n t le plus redoutable, l ' h o m m e à abattre. M o i n s de six m o i s après q u ' u n e clause secrète, dont furent porteur Charles Pasqua et Robert Pandraud, d ' a c c o r d s d é j à h a u t e m e n t secrets c o n c l u s entre le g o u v e r n e m e n t de J a c q u e s C h i r a c et la S M algérienne, et avec l ' a s s e n t i m e n t tacite de François Mitterrand, « u n m i n a b l e truand recruté par contrat se chargeait de faire taire définitivement Ali Mécili. » 17 Le silence des élites f r a n ç a i s e s est assourdissant. L ' e s p o i r - m a i s il sera vite déçu, tant le p o u v o i r algérien a le bras long - viendra du Parlement européen, où 44 députés relaient une plainte contre X, visant Robert Pandraud, « p o u r forfaiture » déposée par les avocats de m a d a m e A n n e Mécili, le 13 d é c e m b r e 1989. L e s d é p u t é s de Strasbourg ont déposé une motion dénonçant le « c r i m e d ' É t a t » et le « d é n i de j u s t i c e » et joignent leur signature à une pétition où figurent les n o m s de Pierre B o u r d i e u , Gilles D e l e u z e , J a c q u e s Julliard, Jean L a c o u t u r e , A l b e r t M e m m i et Pierre Vidal-Naquet.

QUAND LE MEURTRIER EST GARANT DES PREUVES Que le meurtre d ' A l i Mécili - dont l'injuste incarcération à vie de Georges Ibrahim Abdallah est une ramification - soit un échange de bons procédés entre Alger et Paris, cela est certain. Tout ce q u ' o n peut savoir sur la nature de cet échange d'amabilités relève cependant de la conjecture, car «il n ' y a j a m a i s d ' o r d r e écrit» en la matière. M a i s l'on peut être certain que la décision a été prise en haut lieu. Deux ans auparavant, lors de l'affaire du Rainbow Warrior, le navire de Greenpeace coulé par des agents de la D G S E dans un port de Nouvelle-Zélande, interrogé par le journaliste Jean Lanzi qui souhaitait savoir « qui a donné l'ordre », Laurent Fabius déclarait : «La réponse n'est pas facile, parce que, comme vous l'imaginez bien, il n'y a pas d'ordre écrit. Mais c'est la question que je me suis posée, comme beaucoup de Français. Pour y répondre, j'ai disposé de l'enquête effectuée par M. Quilès. Mais ce n'était pas assez. Alors, cet après-midi même, dans ce bureau, à votre place, j'ai convoqué successivement l'amiral Lacoste et Charles Hernu et je leur ai posé des questions. Ma conviction (...), c'est que c'est à leur niveau que se situe la responsabilité (...). Dans une démocratie comme la nôtre, la responsabilité de ce genre de décision incombe à l'autorité politique, c'est-à-dire au ministre.» 18 Et, au ministère de l'Intérieur, à partir de septembre 1986, « o n est prêts à expulser à tout va, à monter des "coups tordus" ». 19 Or, Charles Pasqua ne m a n q u e pas d ' e x p e r t s en ce domaine ; son cabinet m ê m e en est une sorte d'écurie d'Augias. Pour connaître la vérité, ce n ' e s t pas davantage dans les archives qu'il faut chercher, c h a q u e responsable qui passe les expurgeant autant q u ' i l lui est loisible de savoir où le bât peut blesser, pour rendre l'histoire c o n f o r m e à ses propres intérêts. En pleine affaire Gordji - ce diplomate iranien, haut responsable des services secrets, impliqué j u s q u ' a u cou dans les affaires terroristes d ' a l o r s - , Charles Pasqua déclare, au cours d ' u n e réunion tenue devant le Président François Mitterrand, en présence du Premier ministre Jacques Chirac : « G o r d j i est une plaque tournante. N o u s disposons d ' é c o u t e s téléphoniques, d ' é m i s s i o n s de radio vers Téhéran, et d ' i n f o r m a t i o n s de services é t r a n g e r s . » Robert P a n d r a u d a s s u r e : « N o u s s o m m e s entre nous : dans le dossier, il n ' y a pas grand-chose, et j e pense que le j u g e le libérerait.» Jean-Bernard R a i m o n d , ministre des A f f a i r e s étrangères, ne retient pas sa c o l è r e : « V o u s m ' a v e z parlé de p r e u v e s . . . M a i s ces preuves, j e ne les ai j a m a i s vues ! On m ' a toujours tenu à l'écart, on ne m e dit r i e n ! Ces preuves, avouez que vous les avez détruites!... Bon, j e m ' a r r ê t e , j ' a i dit ce que j ' a v a i s à dire.» 2 0 Et c'est sur la base de

I L MAR('III" 1)1' I.A MON I I : I.A MORI 1)1 MÎICMI

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i.clic absence de p r e u v e s q u e « d é c i s i o n fut prise d ' o r g a n i s e r l'audition de • iordji par le j u g e au Palais de justice, puis, si rien n ' é t a i t retenu contre lui. de l ' e x p u l s e r » . C e qui fut fait. I .a soustraction de pièces d ' a r c h i v e s existantes, ou le rajout par la police • le Causses pièces compromettantes, sont malheureusement choses courantes i liins ce m o n d e qui marche sur la tête. Pour faire venir le commandant Jabert île Palestine à Paris, l'agent de la D S T Burroni doit lui envoyer un certain Metni, l'intermédiaire, qui se trouve être recherché par le fisc français. ( o m m e n t lui faire prendre l'avion sans le faire repérer? « M e s r a t i m e donne le n o m d ' u n inspecteur divisionnaire de la police de l'air et des frontières qui se chargera de le faire passer sans encombre à Orly. [ . . . ] Il lui fait passer les contrôles sans anicroche. Il m e remet ensuite les formulaires remplis par Metni pour détruire toute trace de son passage.» 2 1 Bref;, pour comprendre, pour établir de façon incontestable une vérité, il faut souvent travailler et réfléchir en dépit des archives, et non grâce à elles.

RETOUR SUR ODIEUX INVESTISSEMENT C u r i e u s e m e n t - m a i s , d a n s ce dossier, n o u s n e s o m m e s plus à u n e curiosité près - , alors q u e la F r a n c e vient tout à fait o f f i c i e l l e m e n t de s ' e n g a g e r à « s u r v e i l l e r plus é t r o i t e m e n t » les o p p o s a n t s algériens, nulle écoute t é l é p h o n i q u e du plus sérieux d ' e n t r e eux (qui aurait m o n t r é q u e les m e n a c e s dont faisait l ' o b j e t Mécili étaient parfaitement c o n n u e s des services français) ne sera versée au dossier d'instruction. L a France, avec m é t h o d e , a rempli sa part du contrat. Et q u e l q u ' u n s'est chargé à c o u p sûr de « d é t r u i r e toute t r a c e » de telles écoutes. L e s Français, dont la sécurité d é p e n d d é s o r m a i s du b o n v o u l o i r de S m a ï n L a m a r i , Larbi Belkheir, M e j d o u b Lakhal-Ayat, El-Hadi Khédiri, peuvent maintenant se d é p l a c e r sans avoir la peur au ventre. Cette quiétude durera 10 ans.

MITTERRAND-PASQUA, MÊME COMBAT Il r e s t e à d é t e r m i n e r le rôle j o u é tout au long d e l ' a f f a i r e p a r le si m a c h i a v é l i q u e F r a n ç o i s M i t t e r r a n d , q u i , o f f i c i e l l e m e n t , s ' e s t soigneusement tenu à l'écart d e s tribulations du g o u v e r n e m e n t . C a r il est a b s o l u m e n t impensable, cohabitation ou non, q u ' i l n ' e n ait pas été avisé, au m o i n s d a n s les g r a n d e s lignes. D a n s quelle m e s u r e a-t-il été partie prenante d e la décision de laisser se c o m m e t t r e l'assassinat d ' A l i M é c i l i ?

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2 0 0 A N S D INAVOIIAIII I

N o u s avons vu que lorsque Chirac a temporisé avant de n o m m e r Charles P a s q u a Place Beauvau, Mitterrand a discrètement transmis à ce dernier la m a r q u e de son estime en faisant savoir q u ' i l ne s'opposait nullement à sa nomination. Et, durant les deux périodes de cohabitation, la complicité entretenue par les deux h o m m e s n e m a n q u e r a pas d'interloquer bien des observateurs, y compris dans l ' e n v i r o n n e m e n t immédiat du Président, où « t o u t le m o n d e s'attendait à les voir s'entre-déchirer.» 2 2 Mais quels sujets peuvent les amener à plancher e n s e m b l e ? «François Mitterrand a plusieurs raisons de vouloir créer des liens de bonne compagnie avec le ministre de l'Intérieur. D'abord parce qu'il devra quotidiennement travailler avec lui sur les difficiles dossiers de la sécurité, du terrorisme, des otages. [...] Charles Pasqua se montre tout de suite ouvert au dialogue avec François Mitterrand. Leur première conversation en tête à tête a lieu fin mars. Le ministre de l'Intérieur vient à l'Élysée pour avoir le sentiment du chef de l'État sur plusieurs dossiers : le terrorisme, les relations entre la police et les gendarmes, le projet de redécoupage électoral. François Mitterrand l'accueille presque comme un ami. »23 Entre les deux h o m m e s , le courant passe : «Ce sont ces coups de téléphone, ces dossiers fidèles aux rendez-vous, ces gestes quotidiens, ajoutés aux prises de position privées du ministre de l'Intérieur sur les grands sujets d'actualité, souvent plus nuancées que ses prises de position publiques, qui ont conduit François Mitterrand à conclure: [Charles Pasqua], "C'est un modéré!" Sans parler des apartés complices qui ont eu le don, pendant deux ans, d'agacer Jacques Chirac. Un jour, le Conseil des ministres débat de l'opportunité d'instituer des cartes d'identité infalsifïables. François Mitterrand et Charles Pasqua échangent un regard et comprennent que, cette fois encore, ils pensent la même chose en même temps. "Il y a autour de cette table, souligne le Président de la République en souriant, deux hommes qui savent qu'il est parfois très utile de pouvoir falsifier une carte d'identité..." Toujours la vieille complicité de la Résistance... [...] Le jour de la cérémonie des vœux du gouvernement pour 1987, à l'Élysée, en pleine période de crise sociale, on aperçoit François Mitterrand et Charles Pasqua rire de bon cœur dans un coin du salon. >>24 L o r s q u e Jacques Toubon met l'assassinat de G e o r g e s B e s s e par Action Directe sur le c o m p t e de la gauche, accusée de laxisme, la réaction de Mitterrand est cinglante, revendiquant sa part des « s u c c è s » récents dans l'antiterrorisme : «Ceux qui ont parlé ainsi ont fait preuve d'une extrême légèreté ou d'une extrême indignité. Des terroristes qui ont commis de nombreux crimes ont été arrêtés. A quoi dont-on penser d'abord? A se réjouir, à remercier les services de police qui ont accompli cette réussite après des années d'efforts. Et ensuite unir les Français, car la lutte antiterroriste est loin

II MARCHÉ DI: I.A IIONÏÏ

I.A MORI DI M Ì ( Il I

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d'être terminée." Pasqua est content. [...] François Mitterrand ne manque pas l'occasion, dans la même période, de féliciter le ministre de l'Intérieur de ses "excellents résultats" dans la lutte contre le terrorisme. »25 I equel lui retourne systématiquement la politesse. Autant le dire tout de suite, l'arrestation des m e m b r e s d ' A c t i o n Directe ne doit rien ni à la hiérarchie policière ni aux pouvoirs politiques, m a i s lout au travail des policiers de terrain, qui doivent parfois agir malgré les consignes des « m a n d a r i n s » . Philippe « M a s s o n i sauvera sa tête grâce à la chute de la b a n d e d ' A c t i o n Directe. L'histoire secrète de cette arrestation mérite que l ' o n s ' y a r r ê t e » , explique Partick Rougelet, agent des R G . L'arrestation doit au fait que les personnes en charge des dossiers n e sont pas de p e r m a n e n c e ce soir-là. Au téléphone, u n h o m m e d e m a n d e à parler à Marcel. «Malheureusement, Marcel n'est pas là. Alors, l'interlocuteur, au bout du fil, raconte son histoire: "J'habite à Vitry-aux-Loges et il y a une ferme où j'ai remarqué des gens bizarres." [L'inspectrice qui prend l'appel décide de téléphoner aux RG, son ancien service, et] tombe sur l'inspecteur Savoy. Hasard encore, Savoy est un spécialiste d'Action Directe. Il a participé à leur première arrestation et il a du pif II décide, le week-end suivant, d'aller faire une tour sur place. De loin, discrètement, il prend une série de photos des occupants de la ferme. Selon lui, en regardant attentivement les clichés, une personne ressemble à Rouillan, un des leaders d'Action Directe. Savoy montre la photo à Swinners-Gibaud, le chef de la section recherche des RG et à Claude Bardon, alors sous-directeur à la centrale, sous les ordres de Massoni. Ce dernier entre à cet instant dans la pièce, regarde le cliché et dit à Savoy: "Rouillan! Mais vous n'y pensez pas. Vous perdez votre temps." Savoy n'écoutera pas son conseil. [...] Le samedi suivant, il planque avec son appareil photo [...] et "mitraille" Nathalie Ménigon. Dans la foulée, les RG arrêteront toute la bande. Massoni va récupérer ce succès et devenir, aux yeux des médias et des politiques, le tombeur d'Action Directe. »26 La réputation que n o u s connaissons de Philippe M a s s o n i lui vient de ce succès auquel il n e doit rien, et qui n ' a u r a i t j a m a i s eu lieu si Savoy l'avait écouté. M a i s ce « s u c c è s » politique s ' a c c o m p a g n e r a d ' u n bonus. « L e gouvernement avait promis une récompense, de l'ordre d'un million de francs, pour la personne qui donnerait une information susceptible d'arrêter les auteurs de l'assassinat, en novembre 1986, de Georges Besse, le patron de Renault. Massoni s'est retrouvé dans le bureau de Pandraud, réclamant la récompense pour son informateur. La mallette, bourrée de billets, était sur la table. Robert Pandraud [...] demanda "toute la vérité". Massoni a alors évoqué un interlocuteur anonyme, qui "craignait pour sa vie". »27

1 * 1 M-I.-* IL I N A V I M I A I I L I '

Pasqua tenait Mitterrand au courant de tout ce qui avait trait au terrorisme ; il ne pouvait pas ne pas l ' i n f o r m e r des a c c o r d s secrets avec Alger, d ' a u t a n t plus q u ' i l n ' i g n o r a i t rien d e s liens étroits q u e celui-ci entretenait a v e c le Président algérien, qui n ' a u r a i t pas m a n q u é de le p r é v e n i r de son c ô t é . . . M a i s si d e s o p p o s a n t s iraniens, irakiens, syriens et autres p o u v a i e n t être e x p u l s é s sans r e m o u s , v e r s des p a y s tiers v o i r e leur p r o p r e p a y s où u n e m o r t certaine les attendait, Ali Mécili, citoyen Français, n e pouvait quant à lui faire l ' o b j e t d ' a u c u n e m e s u r e d ' é l o i g n e m e n t . Son sort devait être scellé en France. A p r è s son second p a s s a g e Place B e a u v a u , « la m a i s o n P a s q u a est en ruine. Fils, c o u s i n s , a m i s , secrétaires, g a r d e s du c o r p s , conseillers de l ' a n c i e n ministre d e l'Intérieur sont m i s en e x a m e n [ . . . ] » 2 8 Il y a peu de s c a n d a l e s p o u r lesquels il n ' e s t pas traduit devant la justice. Il p a r v i e n d r a t o u j o u r s à passer entre les gouttes, écopant d e p e i n e s avec sursis, ou de p e i n e s f e r m e s q u ' i l conteste aussitôt, r e n v o y a n t le dossier a u x c a l e n d e s g r e c q u e s . . . L e « t e r r i b l e m o n s i e u r P a s q u a » est p o r t e u r d e secrets qui le m e t t e n t à l ' a b r i d e trop lourdes c o n d a m n a t i o n s . L e s circonstances qui ont conduit la France à sacrifier un de ses ressortissants, f r o i d e m e n t , pour satisfaire aux désidérata d ' u n État terroriste, l ' A l g é r i e , est sans doute l ' u n de ces secrets g r â c e auxquels, selon ses termes, il peut « f a i r e exploser la R é p u b l i q u e » .

LA RÉPUBLIQUE DES AVENTURIERS C h a r l e s P a s q u a , F r a n ç o i s M i t t e r r a n d , m ê m e c o m b a t d o n c ? S u r le d o s s i e r du t e r r o r i s m e , c e r t a i n e m e n t . U n « s e c t e u r p o r t e u r » p r o l i f i q u e , un d o s s i e r e s s e n t i e l l e m e n t politique, où la « r a i s o n d ' É t a t » p r i m e . M a i s u n e q u e s t i o n se p o s e : ce d o s s i e r est-il géré d a n s l ' i n t é r ê t d e l ' É t a t ou d a n s celui, privé, d e s h o m m e s qui en ont la c h a r g e ? L ' a n t i t e r r o r i s m e rime-t-il a v e c d é f e n s e d e la d é m o c r a t i e , de la liberté, du d r o i t ? La m o r t d ' A l i M é c i l i est u n e r é p o n s e sans appel à la q u e s t i o n . D a n s cette affaire, t o u s les c r i m i n e l s a v é r é s ont été é l a r g i s ; seul G e o r g e s I b r a h i m A b d a l l a h reste e m p r i s o n n é , son attitude de d é f i a n c e laissant c r a i n d r e q u e le j o u r où il sortirait, il n e m a n q u e r a i t pas de lever le v o i l e sur c e r t a i n s aspects i n a v o u a b l e s du terrorisme. M a i s le cas n ' e s t pas u n i q u e : l'histoire de Daniel B u r r o n i , l ' a s d e la D S T p l o n g é au c œ u r du dossier durant la d é c e n n i e 1980, broyé p a r sa m a i s o n m è r e p a r c e que trop attaché à la légalité, est à ce titre très éclairante. Pour ne pas avoir été assez « v o y o u » , sa propre hiérarchie à la

I I M A K C H Í 1 ) 1 1 . A N O N T I i: I.A M O K I 1)1 M Í i C I U

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I >S I m o n t e une contre lui opération en instrumentalisant le G I G N . Daniel I lin i oui en est c e r t a i n : « J ' a u r a i s dû m o u r i r lors de l ' a s s a u t . » Pourtant, i icn ne le prédestinait à un tel sort : «Ces gens me connaissent bien, je suis sous leurs ordres depuis plusieurs minées. Je suis un des trois fonctionnaires les plus anciens de la division iinliterroriste. J'ai participé à un grand nombre d'affaires importantes. [...] Mon intégrité, plusieurs fois testée, est reconnue. J'ai la réputation d'un fonctionnaire réfléchi et pondéré, qualités dont j ' a i fait preuve lors de multiples interpellations d'individus dangereux. J'ai toujours fait confiance à ma hiérarchie. Je lui transmettais de manière précise les résultats de mes contacts. Bien exploités, certains renseignements pouvaient conduire devant les tribunaux des personnages aux agissements contraires aux intérêts français. J'espère seulement que le véritable destinataire de ces renseignements, le directeur de la DST les a bien reçus. Il est fort possible que celui-ci n'ait jamais été informé de la totalité de mon travail et de celui de mes collègues. Cela pose une question très grave : quel est le degré de loyalisme de certains fonctionnaires vis-à-vis de la haute hiérarchie et du gouvernement? Je doute maintenant, quand je me pose la question.» 29 Mais si le dossier « t e r r o r i s m e » est é m i n e m m e n t politique, les ministres n ' o n t pas vocation à réaliser des enquêtes de terrain. Qu'arrive-t-il alors quand l ' a g e n t qui en a la charge doit rendre c o m p t e à u n e autorité politique ou s i m p l e m e n t policière, m a i s agissant selon un agenda p o l i t i q u e ? D a n s un contexte de cohabitations tous azimuts, gauche/droite, police régulière/ police parallèle, A r m é e / D S T / D G S E / C e l l u l e antiterroriste de l ' E l y s é e , e t c . ? F a c e à la « r a i s o n d ' É t a t » , le citoyen est insignifiant. L ' i r o n i e est paradoxale puisque c ' e s t le citoyen qui par son suffrage, m e t des élus en situation de lui o p p o s e r la raison d ' É t a t .

«RAISON D'ÉTAT» OU RAISON DES VOYOUS? Daniel Burroni est un h o m m e e x t r ê m e m e n t estimé par sa hiérarchie (ses notes oscillent de 18 à 2 0 , a n n é e après année), p r o m i s à u n e a s c e n s i o n certaine p o u r avoir r e n d u d ' e x c e l l e n t s « s e r v i c e s » à son pays, d a n s le cadre des institutions républicaines. Son travail a permis, d a n s un contexte obscur, d ' i d e n t i f i e r les t e n a n t s et les aboutissants d a n s l ' e n l è v e m e n t de plusieurs Français (Jean-Paul Kaufmann, Bernard Normandin, Roger A u q u e , M a r c e l F o n t a i n e , M a r c e l C a r t o n , etc.), au M o y e n - O r i e n t et conduit à leur libération ; ayant p e r m i s à la D S T de n o u e r un contact avec les services syriens, il est c o m p l i m e n t é par Yves Bonnet 3 0 en p e r s o n n e : « J e tiens à v o u s féliciter p u b l i q u e m e n t . J ' a i apprécié la f a ç o n dont v o u s

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2l! MfX'll.l

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En effet, si les otages sont libérés avant la présidentielle de 1988, le succès peut servir les desseins de la droite, ce que l'Elysée et, surtout, la haute hiérarchie de la DST, ne voit pas d ' u n bon oeil. Et les h o m m e s d e Charles Pasqua, de leur côté, font tout pour empêcher les autres services de voir clair dans le dossier, pour garder tous les bénéfices d ' u n dénouement heureux. Avisé des succès de Daniel Burroni (un agent de la DST, sa bête noire) Charles P a s q u a le fait affecter provisoirement sous ses ordres. N e pouvant pas ouvertement refuser au ministre de l'Intérieur cette affectation, Raymond Nart et Louis Caprioli l'avalisent la mort dans l'âme. M a i s ils éprouvent une rancœur mortelle contre leur agent qui aurait dû sans doute prendre l'initiative de refuser de son propre chef. D ' a u t a n t que sitôt dans les bureaux de Charles Pasqua, il reçoit un ordre e f f a r a n t : « L e ministre tient à ce que v o u s ne donniez rien à la D S T pour le moment. Vous recevrez le feu vert en temps voulu. La m a j e u r e partie des informations concerne les otages. Cette affaire est traitée directement par le gouvernement. Il faut garder le secret le plus absolu. Trop de gens ont intérêt à ce q u ' a u c u n e conclusion heureuse n ' i n t e r v i e n n e avant les prochaines é l e c t i o n s . » Sa mission c o u r o n n é e d e succès, il rentre d o n c confiant à sa « m a i s o n » . Caprioli l ' a c c u e i l l e f r o i d e m e n t : « V o u s a v e z pris la r e s p o n s a b i l i t é de travailler pour des gens qui sont en place pour un peu plus d ' u n an seulement. Nous, on est là pour une bonne quinzaine d'années. Je v o u s prie de croire que v o u s allez amèrement le regretter quelle que soit l'affectation q u ' o n vous trouvera, car il est hors de question que v o u s restiez dans m o n service. Je vous j u r e q u ' o n aura votre peau. » 34 B u r r o n i t o m b e d e s n u e s . M i s au p l a c a r d , il a le t e m p s d e m i e u x c o m p r e n d r e certaines d e ses m é s a v e n t u r e s récentes ; n o t a m m e n t lorsque, ayant pris en charge l ' a g e n t palestinien Jabert, il d é c o u v r e q u e la villa où ils sont p l a n q u é s est sous étroite surveillance. Il é v a c u e les lieux en toute hâte, j u s t e à t e m p s pour é c h a p p e r à l ' a s s a u t d o n n é par le G I G N , d a n s le dessein évident d e p r o v o q u e r u n e bavure. A u m é p r i s d e la vie des o t a g e s t o u j o u r s retebus à l'étranger, cela s ' e n t e n d , m a i s é g a l e m e n t d e celle d e s p o l i c i e r s m i s s i o n n é s o f f i c i e l l e m e n t . Il a p p r e n d q u e les a r c h i t e c t e s d e cet assaut sont ses p r o p r e s c h e f s : « I l s ont m i s les prétoriens d e D u b i é [Caprioli] en c h a s s e p o u r te retrouver. J ' a i l ' i m p r e s s i o n q u e tu as été b a l a n c é par q u e l q u ' u n d e ton équipe. Q u a n d ils t ' o n t localisé à L ' I s l e A d a m , ils ont m o n t é le c o u p a v e c le G I G N . Je p e u x t ' a f f i r m e r q u ' i l s étaient là-bas p e n d a n t l ' a s s a u t , vérifie. C l a u d e , A l a i n , Philippe étaient en mission du 3 au 10 octobre. Ils ont réapparu tous les trois j u s t e a p r è s l ' a s s a u t . Si tu a v a i s vu leurs têtes. Ils étaient plutôt dépités. [ . . . ] N e te laisse p a s faire. L e s e r v i c e est en train d e p e r d r e son â m e » , 3 5 lui

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2 ANS O'INAVOIIAMI I

c o n f i e u n de ses c o m p a g n o n s . M a i s il n ' e s t p a s tout à fait tiré d ' a f f a i r e . L ' a d j o i n t de C h a r l e s P a s q u a en p e r s o n n e le m e t en g a r d e : « V o u s risquez gros. U n e action du t y p e d e celle de L ' I s l e - A d a m n ' e s t pas à e x c l u r e contre vous. M é f i e z - v o u s ! » M a i s il ne fait rien p o u r le protéger. C o m m e n c e alors p o u r Burroni u n e inexorable descente aux enfers. On lui c o u p e les vivres, il e n v i s a g e le suicide, on lui dit : votre « a n c i e n n e hiérarchie est très r e m o n t é e contre vous. Je v o u s conseille de faire très attention à v o u s p h y s i q u e m e n t » . R é a f f e c t é à la D G S E , qui ne veut pas de lui, il est l ' o b j e t d ' u n c o u p m o n t é : u n individu louche le heurte par l'arrière dans un « a c c i d e n t de la c i r c u l a t i o n » , puis l ' a c c u s e de l ' a v o i r m e n a c é de son revolver. O n lui présente u n agent de la C I A qui, au fait de ses déboires, lui p r o p o s e de travailler p o u r son agence. Il voit q u e l q u e s - u n s des p r o t a g o n i s t e s de l ' a f f a i r e éliminés un à u n : A n d r é Hadart qui « t r o u v e r a la mort un petit matin de n o v e m b r e en décollant de l'aéroport de Toussu-le-Noble en région parisienne. Les circonstances de cet "accident" sont curieuses. Hadart a été prévenu à l ' i m p r o v i s t e p o u r effectuer un vol le lendemain. Il n'avait pas, paraît-il, la qualification pour piloter ce genre d'appareil. On a dit aussi q u ' e n arrivant à l'aéroport, il avait trouvé l'appareil sur la piste m o t e u r en route. D e ce fait, il n'aurait pas pu procéder aux vérifications habituelles. Enfin, les pilotes précédents auraient constaté des anomalies de fonctionnement sur l'avion. Q u e l q u e s m i n u t e s après le décollage, l ' a v i o n s ' é c r a s e : 7 morts. [ . . . ] Ont péri avec lui 5 journalistes, et l ' u n de ses a m i s . » 3 6 L'autre intervenant, celui par qui les premiers contacts orientaux ont été établis, un Libanais n o m m é A n t o i n e Makdessi, « s e r a abattu de 7 balles de pistolet, le 2 3 juillet 1989, par un tueur professionnel, en sortant de son hôtel. » 3 7 Et n o u s ne s o m m e s ni à Beyrouth ni à Kaboul, m a i s en région p a r i s i e n n e . . . Q u a n t à Burroni, s'il é c h a p p e à la mort, il est livré au tourbillon judiciaire. Toutes ses tentatives auprès des responsables politiques sont vaines : « Plus de 170 lettres recommandées avec accusé de réception parviendront aux plus hauts responsables de notre République. La plupart de ces hommes qui sont les garants de nos lois et de nos libertés me répondront par des lettres de circonstance, mais ne feront jamais rien. Les parlementaires, qu'ils se réclament de Jaurès, de de Gaulle ou de Marx, agiront de même. L'administration, quant à elle, confortée par son anonymat, restera sourde et muette. [...] Les syndicats de police queje contacte ne me sont d'aucun secours. [...] C'est donc ça la patrie des libertés, mon pays. »

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S'ensuivent cinq mutations administratives en moins de deux ans, dont l ' u n e à Juvisy-sur-Orge, qui « c o ï n c i d e curieusement avec la libération de Vulcain. C e dernier, après trois ans d ' e m p r i s o n n e m e n t en Lybie, vient de rejoindre le territoire français. Il demeure à Juvisy-sur-Orge. La manœuvre est habile. Elle consiste, après avoir laissé entendre à Vulcain que j e suis la cause de tous ses maux, à m e mettre en sa présence. Qui sait si le résultat ne sera pas une belle v e n g e a n c e ? » 3 8 Son père s ' e n g a g e à hypothéquer tous ses biens pour l'aider à se défendre, et lui conseille d'aller voir Le Canard enchaîné pour médiatiser son affaire, puis de s'adresser au « d i a b l e » , M e Vergés. Celui-ci l'écoute et lui dit : « J e prends toute votre affaire. Pour que vous soyez parfaitement à l'aise dans nos relations, concernant mes honoraires, vous m e donnerez ce que vous pourrez, quand vous le pourrez. Il n ' y a plus à revenir là-dessus. Maintenant, m e t t o n s - n o u s au t r a v a i l . » Le « d i a b l e » peut d é c i d é m e n t prendre de drôles d'apparences. «Une administration, celle des Finances, me harcèlera. Comment payer des impôts alors qu'on n'a plus de salaire? Un contrôleur du Trésor viendra chez moi un beau matin, accompagné d'un commissaire de police et d'un serrurier. [...] Mais chez moi, ce matin-là, se trouvent trois journalistes de télévision. A leur vue, le contrôleur et le commissaire prennent la fuite. [...] Le 17 octobre 1989, c'est une nouvelle fois le commissariat de mon domicile qui me signifie ma révocation de la Police nationale. Dans la plus parfaite illégalité, je suis renvoyé sur la base d'un décret abrogé. J'adresse à l'occasion, une nouvelle fois, une multitude de lettres. Voici un extrait de la dernière lettre que j'adresse à notre Premier ministre M. Michel Rocard : "Un pays où une administration peut en toute impunité violer une loi, en l'occurrence le statut général des fonctionnaires, muter un policier, retenir son salaire pour finalement le révoquer, en application d'une circulaire (illégale) qui date des événements d'Algérie. Un pays où les policiers n'ont aucun droit à se défendre (en application d'un décret de 1968 pourtant abrogé de droit depuis 1983), où on peut exercer toutes les pressions possibles sur eux, et ainsi les transformer en une police politique, ne peut prétendre à la démocratie à laquelle nous aspirons tous." [...] Le 25 janvier 1990, je retrouve ma dignité de citoyen français. Je suis acquitté pour l'accident de voiture. Mais mon affaire contre l'administration, elle, est loin d'être réglée. [...] J'ai surmonté cette dernière épreuve, mais curieusement, elle a un goût amer. Cette fierté un peu puérile d'être français, cette envie de servir mon pays, cet attachement aux institutions, à la République et à ses symboles, la confiance dans la hiérarchie, toutes ces valeurs auxquelles j'ai cru pendant 22 ans, qu'en reste-t-il? Durant toutes ces années, j'ai eu le sentiment de m'être montré fidèle. [...] Durant la vague

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terroriste, j'ai eu le tort de considérer les victimes comme des victimes et non comme enjeu politique. Cette phrase qu'on in'a lancée un jour à propos des otages français au Liban me revient : "La route provoque chaque année 10000 victimes en France, alors..."» 3 9 Belle oraison funèbre. Voilà ce que vaut la vie des citoyens, à l ' a u n e de laquelle se m e s u r e la qualité de la « d é m o c r a t i e f r a n ç a i s e » . C ' e s t d a n s ce contexte où les « v i c t i m e s » ne sont pas des victimes q u ' e s t t o m b é Ali Mécili, sous les balles d ' u n p r o x é n è t e agent des services algériens, lesquels entretiendront sitôt après d ' e x c e l l e n t e s relations avec Charles Pasqua, le ministre de l'Intérieur chargé de veiller à la sécurité des citoyens f r a n ç a i s . . . Bien sûr, l ' o n pourra arguer que Mécili n ' a pas pu être u n e m o n n a i e d ' é c h a n g e entre la Place B e a u v a u et le Club des Pins, puisque « r i e n dans les a r c h i v e s » ne permet de l'attester. On pourra m ê m e ajouter q u ' i l n e s'agit que de conjectures, quand bien m ê m e toutes les clauses qui accompagneraient un tel contrat - sur lequel on ne trouvera j a m a i s la preuve écrite d ' u n e collusion française - ont été scrupuleusement réalisées depuis 1987 : remise en liberté de l'assassin après son identification et son aveu du crime ; complicités politique, policière et judiciaire pour étouffer le d o s s i e r ; impunité absolue pour les commanditaires. Mais la propension à accepter les versions officielles n e dépend-elle pas de la vulnérabilité dans laquelle chacun se trouve face à la j u s t i c e ? et aux dividendes que chacun peut tirer du m e n s o n g e qui en découle ? U n e chose prête cependant à discussion, le degré d ' i m p l i c a t i o n des différents intervenants : la hiérarchie des responsabilités. S'il est avéré que tous les h o m m e s politiques de premier rang, regroupés dans le Conseil national de sécurité, ont collaboré pour m e n e r à « b i e n » les négociations avec Alger, il est difficile de savoir quel sens c h a c u n donnait à la p r o m e s s e de surveiller « p l u s attentivement que j a m a i s [les] m o u v e m e n t s d ' o p p o s i t i o n s des exilés ou r é f u g i é s sur son t e r r i t o i r e » faite à A l g e r par Chirac, Pasqua et Pandraud. Voyant tout le m o n d e mouillé, avec l'assentiment de Mitterrand sans doute, il n ' e s t pas outrageux d ' i m a g i n e r que l'un des trois, le plus déterminé, décide « d ' a l l e r u n peu plus l o i n » que ce que la morale, m ê m e politique, autorise. Q u i ? A u sortir d e ce crime d ' É t a t qui déshonore la France, c'est en tout cas Charles Pasqua qui gagne le statut d ' a m i incontournable des généraux algériens... Son « a s c e n s i o n » dans l'échelle de l'amitié avec les militaires algériens (une terrible déchéance en réalité) se fait au détriment de la DST, et de ses mandarins, qui occupaient confortablement la place j u s q u e là. On peut dès lors c o m p r e n d r e q u ' i l s éprouvent du ressentiment à l'égard de la Maison

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Pasqua. Quelle réaction peut-on leur prêter sinon la rage l o r s q u ' u n d e leurs plus brillants agents, sur le point d e faire une avancée significative dans le dossier classé prioritaire, celui des otages, se retrouve a f f e c t é manu militari auprès de l ' e n n e m i ; et que celui-ci mette sans réserve tout son talent au service du ministre d e l'Intérieur, à quelques m o i s d ' u n e élection présidentielle... U n e rage telle q u ' i l s vont j u s q u ' à organiser un assaut du G I G N d a n s l'espoir que leur agent, considéré c o m m e un traître, y perde la vie. Ayant découvert la surveillance dont il fait l'objet, celui-ci évacue les lieux quelques heures à peine avant l'assaut, ce qui achève d e ridiculiser sa hiérarchie. Qui le lui fera payer très cher.

VEUVES AU COMBAT Nous s o m m e s bien loin de la lutte antiterroriste. L ' h o m m e qui pouvait trouver les m o t s , et les c a n a u x m é d i a t i q u e s p o u r les exprimer, p o u r d é n o n c e r les « c o u p s t o r d u s » à venir, Ali Mécili, n ' e s t plus. Tous les otages ont été libérés... Tous, sauf Michel Seurat, mort en captivité, jouet entre des m a i n s assassines, pendant que les c o m m a n d i t a i r e s sont reçus avec faste au plus haut s o m m e t de l'État français. Michel Seurat, seul à payer pour les errements coupables d e l'État français. Son épouse, «Marie Seurat, crie sa douleur et sa faiblesse: "J'accuse les responsables français. Joxe pour son expulsion de deux Irakiens ; Fabius pour avoir proclamé qu'il ne céderait jamais au chantage tout en libérant deux terroristes d'Abou Nidal ; le Quai d'Orsay pour avoir cédé aux pressions de certaines familles d'otages et envoyé en mission un olibrius. Je les accuse tous d'ignorance, d'inefficacité, de laxisme, de discorde. Les ministères qui se mettent des bâtons dans les roues. Les dirigeants qui jouent les fantômes. Personne ne veut répondre de rien. A qui m'en prendre, dans ces palais officiels où chacun se défile? Aux tables? Aux chaises? Aux bureaux Directoire ? »40 Dans une tribune publiée dans Le Monde, abattement, cette m ê m e impuissance :

A n n i e Mécili exprime ce m ê m e

«Il y a eu silence. Il y a eu complicité active: l'assassin présumé, très vite interpellé au mois de juin 1987, fut aussitôt remis à la disposition des services algériens sous le prétexte d'urgence absolue. [...] Je pensais encore que la démocratie ne pouvait s'accomplir dans la honte et le marchandage. Lorsque nous avons voulu, avec le Comité Mécili, soulever des montagnes, alerter les consciences sur la gravité du geste et l'existence d'un déni de justice, le terrain s'est dérobé sous nos pas. Nous n'avions pour toute réponse que des regards fuyants, des silences gênés. Nous étions incongrus de nous acharner ainsi. Un seul mot justifiait

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200 ANS D'INAVOUAHIJ

toutes les dérobades: "Algérie". Sur l'un des plateaux de la balance, la mort d'un homme. Que pesait-elle, quand sur l'autre, il y avait la raison de deux États avec, pêle-mêle : otages, services réciproques, négociations sur le gaz, etc.? [...] Homme de double culture, Ali Mécili avait choisi de lutter pour l'Indépendance de son pays, tout en aimant profondément la France, ses idéaux de liberté et ses traditions démocratiques. Le divorce avait été douloureux, mais il était le symbole même des relations qui pouvaient se nouer entre les deux pays, fondées, sur le respect des droits de l'homme. Non sur des opérations de basse police. Non sur une logique implacable d'élimination de quiconque ose rendre possible l'avènement de la démocratie en Algérie. Il était de ceux qui, par son charisme, sa foi en une stratégie pacifique, sa lucidité, la mettait soudain à notre portée. Il en est mort et son intelligence, sa clairvoyance nous font cruellement défaut. » 4I D e s m o t s q u e pourrait r e p r e n d r e à son c o m p t e la v e u v e de C h a p o u r Bakhtiar, lui aussi victime de la lâcheté de l'État français. Et, assurément, n o u s allons le voir, les rescapés de la famille Baroin.

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CHAPITRE 1 2

Eurodif et petits meurtres entre amis

L

es services algériens ont bien p r o f i t é de cette v a g u e terroriste, sur laquelle ils ont g r e f f é leurs p r o p r e s objectifs. Bien sûr, ces forfaits n e leur sont pas entièrement imputables. Seul l ' e n l è v e m e n t de Peyrolles a d û être opéré sous leur c o m m a n d e m e n t . Et il n ' e s t pas exclu que d ' a u t r e s forces aient profité des attentats de l ' a n n é e 1986 pour p r o c é d e r à q u e l q u e s liquidations o p p o r t u n e s . La t h è s e que d é v e l o p p e D o m i n i q u e Lorentz dans Une guerre est, à cet égard, assez solide pour être signalée. Selon elle, certains attentats, celui du P u b Renault, sur les Champs-Élysées, ainsi que les deux qui ont frappé les locaux de la F N A C (aux Halles et sur le boulevard de Rennes) sont à rapprocher des meurtres de deux personnalités de haut rang, G e o r g e s Besse et Michel Baroin, auxquels il faudrait ajouter l'assassinat d u général R e n é A u d r a n . Trois h o m m e s qui ont en c o m m u n d ' ê t r e hautement m ê l é s au dossier nucléaire et d ' ê t r e hostiles à la vente de cette technologie à l'Iran. Ils auraient alors été éliminés, n o n pas par les services iraniens, c o m m e on pourrait s ' y attendre, sur ordre du plus haut s o m m e t de l'État français.

MICHEL BAROIN, OU UNE CERTAINE IDÉE DE LA FRANCE « P a r t i s a n f a r o u c h e de l ' A l g é r i e f r a n ç a i s e » , m e m b r e de la DST, « c o m m i s s a i r e divisionnaire des Renseignements généraux (RG), affecté aux affaires nord-africaines» à la tête de la «direction d ' u n groupe de la "section active" nord-africaine», un des «piliers du règlement du problème algérien», « b a r o n des services de renseignements», l ' h o m m e doit donc concilier « u n Baroin public, sous la lumière, et un Baroin secret, dans l ' o m b r e » , développant « s e s réseaux policier, politique et maçonnique en France et à l'étranger. 11 a des correspondants au Maroc et en Algérie.» 1 Il mène ses activités sous la couverture de la direction de la G M F (la Garantie mutuelle des fonctionnaires), où il «noyaute l'entreprise d'anciens militaires, d'anciens flics, d'anciens activistes du F L N et de l ' O A S , tous "chargés de

mission" ». En fait, explique Patrick Rougelet, le chapitre maçonnique de Michel Baroin n'est pas anodin, il serait le prolongement de sa mission d'agent secret : L'ancien directeur Jean-Émile Vié raconte : « M a plus grande réussite en matière d'entrisme fut la surveillance du Grand Orient de France par le truchement de Michel Baroin. Ce j e u n e et brillant commissaire avait été évincé de la D S T [ . . . ] et j ' a v a i s accepté son affectation à la direction des renseignements généraux et lui avais assigné comme mission la surveillance du Grand Orient. Michel Baroin adhéra donc au Grand Orient et, tant que j e f u s directeur des R G , remplit correctement la mission que j e lui avais c o n f i é e . » 2 Il remplit si bien la mission q u ' « e n 1977, l'histoire bascule. Baroin est élu grand maître du Grand Orient de France. Jean Émile Vié se souvient d ' u n déjeuner intime, quelques semaines après, au cours duquel il félicite son ancienne "recrue".» Tel est le pedigree impressionnant de Michel Baroin, l'un des h o m m e s les plus influents du microcosme français, mort dans des conditions mystérieuses, avec six autres personnes dont les m e m b r e s de l'équipage, et dont le n o m va instantanément disparaître des annales, c o m m e s'il n'avait pratiquement j a m a i s existé. L a version officielle sur la m o r t de M i c h e l Baroin, c ' e s t Roland Jacquard, le d é s i n f o r m a t e u r en chef de la République, qui se charge de l'écrire. « M a v é r i t é » , l'intitule-t-il d ' a i l l e u r s ; c ' e s t dire à quel point l ' o n peut être assuré q u ' i l s'agit d ' u n e version personnelle : «Certains laissent entendre que le but réel du voyage de l'ancien patron de la GMF au Congo-Brazzaville était une mission secrète politique. Cela est totalement faux. Michel Baroin avait réellement l'intention d'acheter une forêt d'eucalyptus pour la création d'une usine de pâte à papier au Congo. [... Il] n'avait pas annulé précipitamment tous ses rendez-vous le lundi soir pour partir soudainement au Congo. Il avait rencontré Jacques Chirac le 2 février à Matignon. Mais cela en présence de très nombreux journalistes. Ce jour-là, Michel Baroin n'a pas eu d'aparté particulier avec le Premier ministre. [...] Chaque fois qu'il revenait de discussions, aussi bien avec le chef de l'État qu'avec le Premier ministre, il était très content, précisément, de ne pas avoir abordé avec ces deux interlocuteurs les problèmes de ce qu'il appelait la politique politicienne ou la politique spectacle. [...] Michel Baroin n'est pas allé au Gabon, (sic) Il devait rencontrer le Président Bongo lors de la visite privée que ce dernier a effectuée à Paris la semaine dernière. [...] Il n'y avait, bien sûr, aucun agent des services secrets dans l'avion de Michel Baroin. Tous ceux qui connaissaient, outre les membres de l'équipage, les autres disparus tragiques savent qu'ils étaient loin de toutes ces préoccupations. [...] La boîte noire révélera, peut-être, ses secrets. En tout cas une chose est certaine: quels qu'en soient les résultats, les rencontres de Michel Baroin n'avaient rien à voir avec des opérations de diplomatie secrète.» 3

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AMIS

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( e monceau de manipulation des faits mériterait de figurer dans toutes les écoles de journalisme ; ou de l'art de mentir sans rien dire de foncièrement I I I I I X ou qui soit susceptible d ' ê t r e réfuté (en l'occurrence, Baroin ne n s q u e plus de le démentir). Ainsi donc, selon Jacquard, Michel Baroin mirait été loin des préoccupations de diplomatie parallèle du fait qu'il n ' a pus eu d'aparté avec Jacques Chirac en présence des journalistes. Chirac cl Mitterrand raffoleraient de «politique politicienne ou de politique pectacle», m a i s Baroin ne s'abaissait j a m a i s à les entretenir de c e l a , il serait parti au Congo-Brazzaville pour acheter une forêt et non point pour rencontrer O m a r Bongo (qu'il devait rencontrer à Paris); aucune des victimes n'est liée au secret car sinon « t o u s ceux qui les connaissaient» en miraient été avisés ; Jacquard est certain que les boîtes noires ne révéleront l ien et, à coup sûr, elles ne dévoileront pas que Baroin était impliqué dans « d e s opérations de diplomatie parallèle». Et ces élucubrations indignes ne portent pas sur un sujet sans conséquence mais bien sur les circonstances de la mort de 7 personnes, qui méritaient mieux que les dénégations anticipatoires de ce personnage. Avant de revenir sur le drame, quelques mots méritent d'être dits sur l ' « e x p e r t » Roland Jacquard : «En matière de terrorisme, dans la plupart des cas, l'expert, c'est celui qui ment», dit laconiquement Dominique Lorentz. Dans cet art du mensonge, «Roland Jacquard illustre à merveille le danger de ces relations incestueuses [entre les médias et les services secrets], explique Patrick Rougelet, agent des RG. Le "sous-marin nucléaire", comme on le surnommait dans le service, était un bien curieux journaliste. Avec lui, plus aucune frontière. D'origine libanaise, celui qui passait pour être un journaliste informé en matière de renseignement et de terrorisme est entré dans le circuit en 1974. Il était alors membre du parti des forces nouvelles. Quatre ans plus tard, il flirte avec les gaullistes et s'abonne à leur organe Le Sursaut populaire. Il se dit conseiller occulte de Jacques Chirac. Le voilà ensuite rédacteur en chef d'une feuille confidentielle, La Sentinelle, plutôt marquée à l'extrême droite. Dès 1983, grâce à l'entregent de son associé Nasplezes et de Gilles Ménage, le directeur adjoint de cabinet de Mitterrand qui deviendra "l'homme des écoutes de l'Elysée", Jacquard se rapprochera des socialistes. En 1988, il fondera même l'Observatoire des libertés. Il a longtemps travaillé pour de nombreux journaux, aussi bien Minute que Le Point à une époque. »4 Ln un mot : un opportuniste de haute volée ; mais c'est bien le moindre de ses défauts. D ' o ù lui vient son expertise? Il se ravitaille à la source, chez ceux dont la mission est de faire que j a m a i s la moindre vérité ne sorte, (les RG, la DST, etc.), et la profession de désinformer et de manipuler.

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«Je me souviens du rituel qui entourait les visites de Jacquard à "Pétrolette". Les deux hommes s'enfermaient dans le bureau de Dalle et tout le service devait montrer la plus grande discrétion. De temps à autre, "Pétrolette" convoquait l'un d'entre nous et lui faisait préciser, devant Jacquard, telle ou telle information. Les dossiers étaient là, ouverts, béants, sur le bureau du patron ou sur les genoux de Jacquard. Rassasié, le "sous-marin" naviguait ensuite vers d'autres eaux, son nouveau dossier en soute. Arroseur arrosé, en 1993, Jacquard va faire à son tour l'objet d'une fiche. Devant des membres du CNPF, il avait évoqué une mission secrète de la DST au Soudan et avait même balancé les noms des deux agents chargés de négocier. Pire : suite à un conflit mineur, les RG, pour le reprendre en main, feront circuler dans les rédactions des fac-similés de ses multiples bulletins de salaire. Grâce à ses relais dans la presse, la section peut mettre en place des opérations d'"enfumage". Le jeu consiste à faire diffuser des articles, ou de simples brèves, au sujet d'un fonctionnaire ou d'un élu gêneur. Personne, hormis "Pétrolette" ne sait d'où vient l'ordre. Avant la présidentielle de 1988, des infos, sont sorties sur Raymond Barre et l'origine hongroise de sa femme, Ève. Par allusions, il avait suggéré que l'ex-Premier ministre candidat avait des liens étroits avec l'Est. [...] »5 L e s as de cette manipulation s ' a p p e l l e n t Yves Bertrand, qui a livré r é c e m m e n t ses carnets, et B e r n a r d Dalle, q u ' i l a l u i - m ê m e introduit aux RG. « P é t r o l e t t e » , c'est Dalle. La section « p r e s s e » des R G « e s t un instrument capital pour le pouvoir en place. Sa mission, c'est d'agir, en essayant de contrôler la presse et de manipuler les journalistes, pour leur faire dire ce que l'on veut», 6 explique Patrick Rougelet. Les journalistes de premier plan sont tous ainsi « s o u s p e r f u s i o n » . Autant dire que ce ne sont pas les plus futés qui sont prisés des services français; Roland Jacquard est une bénédiction. Plus récemment, il a trouvé un bon client en la personne d ' Y v e s Calvi qui lui o f f r e de d i f f u s e r en quasi quotidienne dans son émission « C dans l ' a i r » , (sur France 5), la substance de son « e x p e r t i s e » , la désinformation continue. Concernant la chute de l'avion de Michel Baroin, l'enquête imputera la responsabilité de « l ' a c c i d e n t » à la fatigue des pilotes. Quant aux boîtes noires, c o m m e le supputait Jacquard, « l e s dernières minutes de [1'] enregistrement étaient effacées » 7 . En tout état de cause, si Roland Jacquard, l'expert attitré ès désinfonnation, dit qu'il n ' y a rien à voir, on peut être certain qu'il y a beaucoup à trouver! Et ses interventions intempestives dans le drame de la famille Baroin sont pour le m o i n s énigmatiques : un an auparavant, Michel Baroin apprenait la nouvelle du décès de sa fille, Véronique, victime d ' u n « a c c i d e n t » de voiture, de la bouche d e . . . « R o l a n d Jacquard, qui tenait la nouvelle du directeur central des R G , Philippe Massoni, haut gradé maçonnique et proche de Charles Pasqua. » 8

I IJKODII I I IM 111S M l ' . i m I Kl S l ' N I Kl A M I S

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CODE A , COMME «ARRÊTE OU ON T'ÉLIMINE!» I Yiuiuete de D o m i n i q u e Lorentz m o n t r e q u e si le crash de l ' a v i o n de Michel Baroin, le 5 février 1987, n e p e u t être m i s sur le c o m p t e de la luiigue des p i l o t e s (très e x p é r i m e n t é s , a v e c r e s p e c t i v e m e n t 2 0 0 0 0 et /()()() h e u r e s de vol) q u ' a u prix d ' u n e réelle volonté d ' é t o u f f e r l ' a f f a i r e , l'accident dont a été victime sa fille, le 26 avril 1986, est i m p u t a b l e à I l liitalité; q u a n t à l ' e x p l o s i o n d ' u n e b o m b e d a n s la F N A C d e s H a l l e s dont il est le propriétaire, elle relèverait aussi de cette affectation aléatoire i-l « a v e u g l e » d e s attentats terroristes. D e toute cette v a g u e terroriste, où 1rs « a v e u g l e s » savent très bien viser, c ' e s t le seul attentat pour lequel la police a reçu un avertissement préalable : un h o m m e prévient les forces de Ni:curité q u ' u n e b o m b e est posée au « niveau A » du centre c o m m e r c i a l ; ce niveau n ' e x i s t e pas. E r r e u r ? O u bien est-ce à rapprocher d ' u n c o d e secret dont seule use la haute hiérarchie m a ç o n n i q u e , où « A » veut dire « A r r ê t e , ou on t ' é l i m i n e » ? 9 Baroin est-il disposé à céder à q u e l q u e c h a n t a g e ? A s s u r é m e n t non, et il le dit sans a m b a g e s , et à la télé, sur T F 1, interrogé par Jean Lanzi d a n s l ' é m i s s i o n 7 sur 7 : «L'arme utilisée, c'est créer la peur, pour déstabiliser en donnant la mort. Quelle est la réponse? [...] S'armer de courage. C'est la FNAC-sports qui explose, et le lendemain matin, à dix heures et demie, le magasin ouvre ses portes, et le ministre de l'Intérieur, accompagné du préfet de Police, qui vient voir ce qui s'est passé la veille constate qu'il n'y a plus rien. C'est une certaine réponse. Quant au contact, il faut bien causer avec les gens pour comprendre? Mais pour moi le contact s'arrête quand commence le chantage. [...] On se retrouve toujours pris à quelque chose, qui est la nécessité d'avoir à s'arrêter quand commence le chantage: ne pas, par exemple, livrer d'armes pour libérer des otages. C'est un problème, si l'on donne des armes, on sait qu'avec les armes on va tuer, et on va peut-être tuer encore davantage de personnes. Moi je pense toujours à ma bombe à la FNAC. Je pense que j'ai trouvé là 12 personnes alignées sur le sol, un jeune de moins de 25 ans qui a une jambe en moins pour le reste de sa vie. Alors, ce n'est pas acceptable du tout, non?» 1 0 C e t t e d é c l a r a t i o n , qui établit le lien e n t r e l ' a t t e n t a t c o n t r e l ' u n d e ses m a g a s i n s et les v e n t e s d ' a r m e s à l ' I r a n a u x q u e l l e s il est o p p o s é , intervient le 16 n o v e m b r e 1986, m o i n s de trois m o i s avant l ' « a c c i d e n t » . La profession de foi q u ' i l e x p o s e ainsi à la télé est à rapprocher de celle d ' A l i Mécili, qui tenait à peu près les m ê m e s propos, au m ê m e m o m e n t , et qui a été assassiné à la m ê m e période. Le rejet du terrorisme, et le r e f u s de se soumettre au c h a n t a g e . . . « O n salue des interlocuteurs qui ne sont

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2(K> A N S I V I N A V O l lAltl I

pas des preneurs d ' o t a g e s ni des terroristes, m a i s qui ont donné asile i\ des terroristes qui soutiennent les ravisseurs. Je ne vais pas v o u s faire un d e s s i n : il y a la Syrie, l ' I r a n , et l ' A l g é r i e qui sont c o m p r o m i s dans l ' a f f a i r e A b d a l l a h . A b d a l l a h était porteur d ' u n p a s s e p o r t algérien. La France dit : "on n e négocie pas avec les terroristes", m a i s on négocie en fait avec des États terroristes. C ' e s t ce q u e j e pense très c l a i r e m e n t . » " M o i n s d ' u n m o i s plus tard, il était assassiné. Quant à Michel Baroin, juste après 1'« accident» mortel dont fut victime sa fille - pour lequel il n e porte m ê m e pas plainte - , il écrivait: «Véronique [...] Quelle haine as-tu dû susciter de la part de la mort pour q u ' e l l e te f a u c h e ainsi! [ . . . ] D a n s une dernière poignée de main, celle q u e n o u s nous donnions, dans nos accords complices et le sourire aux lèvres, nous regardant droit dans les yeux, j ' a i décidé de relever le défi, en ton n o m et pour toi. Avec m o n dernier baiser de paix. »' 2 Et il a relevé le défi : combattre le terrorisme, et les chantages d'États qui en découlent. Prosaïquement, il se met au service de Mitterrand, et s'oppose au couple Chirac-Pasqua. Le premier refuse le chantage, par la bouche de son Premier ministre Laurent Fabius : «Alors que quatre de nos compatriotes sont, depuis de longs mois, otages au Liban, voici qu'une équipe d'Antenne2 vient d'être enlevée... Il s'agit d'exercer un chantage sur la politique de notre pays au Moyen-Orient, sur l'action du Président de la République et sur celle du gouvernement. Les ravisseurs doivent savoir que nous n'y céderont pas. [...] Mon devoir est de vous dire qu'une nouvelle escalade de la violence est même possible, puisqu'il s'agit, précisément au moment où la France est dans une période électorale, d'exercer des pressions sur son gouvernement et sur son peuple. [...] Je demande à tous les Français de comprendre que, dans l'épreuve que nous traversons, la réponse d'une démocratie comme la nôtre doit être une totale fermeté et une totale unité. » Sitôt au pouvoir, J a c q u e s C h i r a c et C h a r l e s P a s q u a libèrent Wahid Gordji, et livrent à l'Iran l ' a r m e m e n t qu'il exige. Pire e n c o r e : alors q u e la libération des otages était sur le point d'aboutir, le c o u p l e ChiracP a s q u a s'était activé pour torpiller les accords: «Il y a eu surenchère sur les otages», 1 3 dira le docteur Ryad Raad. « M e m b r e du parti socialiste progressiste du druze Walid Joumblatt, m a i s de sentiment pro-syrien, [ . . . ] le docteur Raad avait été l ' u n des ambassadeurs officieux de la France. O n disait q u ' i l pouvait réussir, qu'il avait approché les ravisseurs de l ' é q u i p e d ' A n t e n n e 2 . [ . . . ] D e s o f f r e s financières plus fortes auraient [ . . . ] été suggérées, des conditions plus favorables proposées à Téhéran. Les otages

MJRniMI HT l*lilIIS Mi tIKI Kl-S I NIKI AMIS

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••il tout cas n ' o n t pas été libérés avant le 16 mars, alors q u e B e y r o u t h iillendait à un élargissement de plusieurs prisonniers français j u s t e avant II«N élections. Le premier, Pierre Péan a d o n n é l ' i n f o r m a t i o n concernant lu concurrence chiraquienne dans le m a r c h a n d a g e des otages. Son article, dnns Libération, a été i m m é d i a t e m e n t et f e r m e m e n t démenti. Puis la mineur s ' e s t éteinte. Ils étaient, en avril 1986, q u e l q u e s - u n s à partager lf secret d e ce "report", dont le chef d e l'État.» 1 4 Q u a n d les otages sont libérés, ils sont accueillis triomphalement par Charles Pasqua.* Et François Mitterrand de se d e m a n d e r : « Q u ' o n t - i l s p r o m i s à l'Iran pour avoir ç a ? » Lit est la question. O n sait q u e l'Iran d e m a n d e de l'argent, des armes et de l ' u r a n i u m , et le respect du contrat Eurodif. Ils auront officiellement I Urgent, et, au prix du scandale Luchaire, des armes. Reste l ' u r a n i u m . Or, c ' e s t là qu'intervient la diplomatie secrète de Michel Baroin, de René Audran, d e Georges Besse, trois nucléocrates confirmés, qui r e f u s e n t dans un m ê m e geste d ' h o n n e u r toute livraison d ' u r a n i u m à l'Iran et qui disparaissent en quelques mois. Mais q u ' e s t - c e donc q u ' E u r o d i f ? Cela nous ramène à l'an 1 de la décolonisation...

EURODIF, LE CONTRAT GAGNANT-GAGNANT I e projet Eurodif c o m m e n c e en 1970 et s'étale sur plusieurs décennies. «La France est alors en plein démarrage du plus ambitieux programme mondial de production d'énergie nucléaire, et veut construire une cinquantaine de réacteurs. [...] Afin de nourrir ces piles atomiques, il faut du combustible nucléaire - de l'uranium enrichi - en grandes quantités. Pour se le procurer, la France va lancer la construction de l'usine Eurodif, à Pierrelatte. Le Shah annonce alors qu'il va acquérir 10% des actions de cette usine, et ajoute un second cadeau à cette première aubaine : [ . . . ] un prêt au CE A d'un milliard de dollars, que la France s'engage à rembourser à partir de 1981. Troisième cadeau: l'Iran commande deux centrales atomiques, construites en France par Framatome. [...] Entre la France et l'Iran, tout va pour le mieux, jusqu'à ce que le leader des chiites iraniens prenne le pouvoir en 1979. L'ayatollah Khomeiny ne veut plus entendre parler, dans un premier temps, des projets nucléaires du Shah, et la France bloque les * NdE : Ce marchandage n'est pas sans rappeler la négociation en parallèle qui eut lieu autour des otages américains de l'ambassade US à Téhéran. L'équipe de Carter s'évertuait, olliciellement, à les faire libérer en octobre 1980 pour aider à la réélection du Président Démocrate; et de l'autre côté, les Républicains sabordaient les efforts de l'Administration en place en promettant argent et armes aux ayatollahs pour qu'ils ne les libèrent pas trop vite. Ce marché donnera lieu plus tard au scandale de l'Irangate. Voir La Route vers le Nouveau Désordre Mondial, de Peter Dale Scott (Demi-Lune, 2010).

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avoirs iraniens dans Eurodif. [...] Les relations se tendent d'autant plus entre Paris et Téhéran que, durant la guerre Iran-Irak, [...] la France choisit le camp irakien. En 1985, plusieurs otages français sont enlevés au Liban à l'instigation de Téhéran. [...] La France tente de rééquilibrer sa relation avec l'Iran, mais en jouant un jeu fort dangereux et, pour tout dire, entièrement condamnable: en même temps qu'elle continue à soutenir l'effort de guerre irakien, la France livrera simultanément des obus à l'Iran, ce qui donnera naissance à l'affaire Luchaire. La livraison d'armes à l'Iran, entre 1982 et début 1986, est passée par un trucage. [...] Déclassifié en 1987 par le successeur de Quilès, André Giraud, [un rapport demandé par Laurent Fabius] établit que non seulement le directeur de la DGSE Pierre Lacoste avait averti dès mai 1984 le ministre de la Défense Charles Hernu et son principal conseiller Jean-François Dubos que ces livraisons avaient lieu, mais encore que ces deux derniers les avaient à tout le moins tolérées. Le rapport "n'exclut pas", sans plus, que 3 millions de francs de commissions aient été versés au Parti socialiste, ce que la société Luchaire, aujourd'hui disparue, et le PS démentiront avec énergie. [...] En 1986, Paris avait pensé solder une partie du contentieux nucléaire avec Téhéran en remboursant 330 millions de dollars sur le prêt Eurodif, sans pour cela calmer le moins du monde des Iraniens rendus sans doute particulièrement vindicatifs par l'arrêt des livraisons d'armes françaises. Détail troublant: la signature de cet accord partiel se produisit le jour même de l'assassinat - revendiqué par Action Directe - de Georges Besse. [...] Deux heures s'écouleront entre sa mort et l'annonce de l'accord par le ministère des Affaires étrangères. Or, Georges Besse était l'un des principaux "nucléocrates" français, l'un de ceux qui, avec Pierre Guillaumat, avaient mené l'aventure de la bombe dans les décennies 1950 et 1960. [...] Dans un livre, Dominique Lorentz a émis en 1997 une hypothèse dérangeante. Selon elle, Georges Besse aurait pu s'être opposé à l'accord avec les Iraniens, qui le lui auraient fait payer de sa vie. Le problème, c'est qu'aucune preuve n'est venue à ce jour étayer cette hypothèse, et qu'aucun lien n'a été prouvé entre Action Directe et les Iraniens. Autre détail troublant, il faut rappeler que c'est le même groupe d'extrême gauche qui avait assassiné l'ingénieur général de l'armement René Audran, le 25 janvier 1985 à la Celles-Saint-Cloud. Cet illustre inconnu ne l'était pas pour ceux qui savaient qu'il organisait le soutien militaire de la France à l'Irak dans sa guerre contre l'Iran, comme directeur des affaires internationales de la DGA. Alors? 20 ans après sa mort, le mystère subsiste... » " Selon Jean Guisnel, « a u c u n e preuve n'est venue étayer l ' h y p o t h è s e » de Lorentz; m a i s les preuves n'ont pas pour habitude de se présenter spontan é m e n t . . . Il faut les traquer et, parfois, à l'instar d ' H e r v é Ghesquière et Stéphane Taponier, au péril de sa vie. En l'occurrence, il y a bien de quoi vouloir approfondir la recherche ou, tout au moins, relater les suppositions « d é r a n g e a n t e s » en question, qui mettent en cause non pas les terroristes habituels, m a i s des commanditaires au plus haut sommet de l'État français, rien de m o i n s . . .

I DKODII I I IM-IITS MI U K I K I S LIN I KL: AMIS

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V A BON L'URANIUM GABONAIS V O I C I en r é s u m é l ' h y p o t h è s e d e D o m i n i q u e L o r e n t z : l'Iran r é c l a m e li' K-inboursement de son prêt, la livraison d ' a r m e s et de c o m b u s t i b l e nucléaire. Jacques Chirac n ' y est pas opposé. Mais,

« quand les premiers Français sont enlevés au Liban, Jacques Chirac et le Président iranien Ali Khamenei ont un ennemi commun : François Mitterrand. Le président du RPR étudie la situation. En temps normal, les livraisons d'armes sont de la compétence du Premier ministre. Mais quand il s'agit d'en fournir à un pays frappé d'embargo, cela peut dilïicilement se faire sans la complicité du chef de l'État. [...] Au plan linancier, Chirac n'a aucune inquiétude. Une fois à Matignon, il aura autorité sur le ministère des Finances. Pour ce qui concerne l'uranium, en revanche, il voit bien que les instances du CEA en métropole lui sont fermées. Leurs dirigeants, Georges Besse en tête, ne faillissent pas dans l'engagement qu'ils ont pris auprès du Président de la République de ne pas céder à la pression. Quelle que soit leur sensibilité politique, ils ont compris qu'ils sont en guerre. [...] Pour obtenir le règlement de la crise franco-iranienne, le seul terrain favorable à Jacques Chirac est l'Afrique. L'uranium est à Franceville, chez Omar Bongo. [...] Le CEA est actionnaire majoritaire de la Comuf (Compagnie des mines d'uranium de Franceville), mais en Afrique, cela ne représente pas un obstacle. L'entreprise est dirigée depuis 1979 par Maurice Delauney, un fidèle de Jacques Foccart, ancien ambassadeur de France au Gabon. » "

Voilà pour le projet, il reste à le mettre en œuvre, en élaguant au besoin q u e l q u e s têtes. P o u r cela, C h i r a c , chef du R P R , doit r e m p o r t e r les législatives de m a r s 1986. La g a u c h e est impopulaire, m a i s si le dossier des otages est réglé, elle risque de reprendre du poil de la bête. D ' o ù la nécessité de tout faire pour q u ' i l s ne soient pas libérés avant les élections. C ' e s t en substance ce que d é c o u v r e un e n v o y é de l ' É l y s é e au M o y e n Orient. L'opposition de droite entreprend « des relations suivies depuis trois mois avec les ravisseurs et [ . . . ] avec les milieux proches du gouvernement iranien, en leur promettant un règlement beaucoup plus avantageux que celui élaboré avec l'actuel g o u v e r n e m e n t . [ . . . ] L'opposition a m i s en garde les intéressés contre tout accord qui valoriserait l'actuelle majorité aux yeux de l'opinion française à la veille des élections législatives.» 1 7 Cet article du 19 j a n v i e r 1987 paru dans Le Matin, quotidien de Michel Baroin, « n e précède que de 15 j o u r s [sa] mort, [...] le 5 février.»' 8 «Le 3 février, Michel Baroin s'envole pour le Congo. Avant de partir, il annonce sa candidature à la reprise de TF1, et accorde un entretien au Nouvel Observateur. Au journaliste qui lui demande ce que signifie pour

lui la réussite, il répond: "Je sais que je ne suis rien. La vie... qu'est-ce que c'est que la vie? [...] Le pouvoir, c'est une vanité, ça n'existe pas. Ce qui compte, c'est d'essayer d'être utile, parce que le temps de vivre est court. [...] Vous savez, j'ai perdu ma fille Véronique il y a quelques mois. Je vais vous dire ce que ça fait: j e suis complètement décanté. Alors, ça vaut le coup de se battre pour des idées, pour une éthique de vie." À 22h45, Baroin et ses compagnons rejoignent l'aéroport, où le Learjet est resté sans surveillance pendant 24 heures. [...] L'avion s'envole. Dans un article publié Fin 1996 par le Nouvel Économiste, Vincent Nouzille écrit: "Hasard? Durant ce séjour, Michel Baroin et Georges Gavary ont également discuté avec des officiels gabonais..." Il raconte que "le ton est monté jusqu'à la rupture. Baroin et Gavary étaient inquiets des conséquences de cette discorde en montant dans l'avion." Péan précise qu'avant d'embarquer, "Baroin, qui doit faire escale à Libreville, a un entretien orageux avec Omar Bongo." À la frontière entre le Cameroun et le Nigeria, l'avion s'écrase. Tous les passagers meurent carbonisés.» 19

Ainsi disparaît Michel Baroin, l ' h o m m e « d é c a n t é » , qui s'apprêtait à acheter TF1, pour des objectifs qui ne sont ni le pouvoir ni la richesse, m a i s l ' a c c o m p l i s s e m e n t d ' u n destin r é s o l u : « s e battre pour des idées, pour une éthique de v i e » . Rêve éphémère qu'il ne put que caresser. Dans un m o n d e de requins, la garantie de la vie sauve appartient à ceux qui sont résolus à garder le pouvoir, en donnant la mort au besoin ; Alger et Paris commencent décidément à partager les m ê m e s mœurs. Invitée par l'un des plus proches «conseillers» d ' O m a r Bongo à discuter avec lui de ce qu'elle aurait pu découvrir de dérangeant sur le Président gabonais, Dominique Lorentz louvoie avant de s'entendre dire: « J e dois m'assurer que vous n'écrirez rien qui puisse déstabiliser B o n g o » . Puis il ajoute: «Vous savez, le Gabon, c'est un pion très important. [ . . . ] [Quant à] Baroin, il n'avait q u ' à rester à la GMF. » 20 Michel Baroin meurt dans un « a c c i d e n t » le 3 février 1987. Ali Mécili est assassiné le 7 avril 1987. Quelques mois plus tôt, « G e o r g e s Besse est abattu de trois balles, lundi 17 novembre 1986, à 20 heures, devant son domicile parisien. Les C R S en faction dans le quartier sont les premiers sur place, immédiatement rejoints par l'état-major de la Police judiciaire, le préfet de Police, Alain Marsaud (chef de la nouvelle cellule antiterroriste). Aussitôt après, viennent le Premier ministre, Jacques Chirac, le ministre de la Défense, André Giraud, et le ministre délégué à la Sécurité, Robert Pandraud. » On reconnaît là les principaux acteurs de l'épisode Mécili ; et un intrus parmi e u x : André Giraud. « Q u e l q u e s minutes après son arrivée chez Georges Besse, l'un des patrons de la brigade criminelle assure qu"'il

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.igit très v r a i s e m b l a b l e m e n t de l ' œ u v r e du g r o u p e Action Directe." Avant de c o m m e n c e r l'enquête, la Police connaît d o n c les coupables.* | | Dans cette litanie, une voix détonne. André Giraud, le ministre de la Défense, ne parle pas d ' A c t i o n Directe. Il qualifiera bientôt l'assassinat île Georges Besse d " ' a c t e de guerre".» Il ne se contente pas de protester, il démissionne de son poste de ministre de la D é f e n s e , et s ' e n g a g e à reprendre le poste de son ami assassiné Georges Besse, c o m m e président de la Régie Renault. « A m i , si tu t o m b e s . . . » Mais est-ce c o m m e modeste président de la Régie Renault qu'il promet de remplacer son ami au pied levé, ou bien dans ses activités stratégiques liées au nucléaire? Son éloge lunèbre est éloquent : « Georges Besse, la France est fïère de toi. La France est triste et indignée. Mais ton action est en marche et elle sera suivie. [ . . . ] Ils sont là, tous tes amis. Ils sont là, ceux de l ' é p o p é e atomique qui fut la grande aventure de ta v i e . . . » 2 1 Il va sans dire que la démission d ' A n d r é ( ïiraud est rejetée dans un bel u n a n i m i s m e par Jacques Chirac et François Mitterrand. On n'assassine pas un h o m m e pour le laisser remplacer par un de ses amis, sans doute lui aussi « d é c a n t é » et déterminé à « s e battre p o u r des idées, pour une éthique de vie». Lorsque Jacques Chirac tentera de se disculper de toute responsabilité vis-à-vis d ' E u r o d i f , Michel d ' O r n a n o , ministre de l'Industrie au m o m e n t de la signature de l'accord, se contente de rappeler que « l e décret du 18 juin 1976 au Journal Officiel porte trois signatures: celle de Valéry Giscard d ' E s t a i n g (Président de la République), Jacques Chirac (Premier ministre) et Jean Sauvagnargues (ministre des Affaires étrangères). [ . . . ] Georges Besse est abattu et le gouvernement de Jacques Chirac annonce un premier versement "par anticipation" de 330 millions de dollars, dans le cadre du contentieux Eurodif. » 22 Si la vengeance était un plat, il se mangerait volontiers froid. « L e 8 mars 1991, Michel d ' O r n a n o m o u r r a brutalement, renversé par une voiture.» C ' e s t aussi l ' a n n é e où un accord secret est signé entre la France et l'Iran, dont l ' u n e des clauses prévoit le remboursement de 1,6 milliard de dollars à l'Iran qui est rétabli dans son statut d'actionnaire d'Eurodif. Dans toute cette affaire, un h o m m e au moins a dit la vérité, le Gabon n ' y est q u ' « u n p i o n » . Dans cette partie d ' é c h e c s , qui est le roi, qui est le f o u ? C o m m e n t le pion gabonais intervient-il dans cette incroyable et « d é r a n g e a n t e » aventure, où des États et leurs représentants censés

* Que viendra «confirmer» un tract portant la signature d'Action Directe, trouvé par un passant.

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p r o t é g e r leurs c o n c i t o y e n s et a fortiori leurs c a d r e s les p l u s brillants, surfent sur u n e v a g u e terroriste pour régler leurs propres c o m p t e s , tuant ceux qui contrarient leurs appétits c o m m e on écrase des i n s e c t e s . . . Avec des m é d i a s s o u s « p e r f u s i o n » , les risques sont m i n i m e s : u n petit tract f r o i s s é r a m e n é par un passant met tout sur le c o m p t e d ' A c t i o n Directe, et le tour est j o u é ! Il suffit à 1'« e x p e r t » Roland Jacquard, bien renseigné par Philippe M a s s o n i ( « h a u t g r a d é m a ç o n n i q u e et p r o c h e de C h a r l e s P a s q u a » ) , 2 3 d ' i n o n d e r la presse de sa p r o s e . . .

LE PION GABONAIS ET LA FRANÇAFRIQUE TRIOMPHANTE « Le G a b o n n ' a pas d ' e x i s t e n c e é c o n o m i q u e propre - ce qui existe, c ' e s t le bois, qui est français, le pétrole, qui est français, le fer, qui est français. » 2 4 C ' e s t ce q u e dit de f a ç o n t r a n c h a n t e G e o r g e s P o m p i d o u à C h a r l e s de Gaulle au Conseil des ministres du 18 février 1964. Le m o i n s q u e l ' o n puisse dire c ' e s t que, depuis, la situation n ' a guère é v o l u é . . . A ceci près q u ' i l faut maintenant a j o u t e r l ' u r a n i u m . Pour comprendre, il faut remonter aux balbutiements des indépendances des colonies africaines, au m o m e n t où Jacques Foccart, l ' â m e d a m n é e du général de Gaulle, s ' e m p l o i e à distribuer des rôles de Président africain. L o r s q u ' i l en parle, Foccart n ' y va pas par des c h e m i n s de traverse : «C'est très simple. Le putsch du Congo[-Brazzaville], c'était le 14 août [1963], J'étais sur mon bateau en Méditerranée. On n'a pas pu me joindre. On a laissé filer. Quand je suis revenu à terre, c'était irrattrapable. Pour le putsch du Gabon, j'étais à mon bureau, j'ai aussitôt téléphoné aux uns et aux autres, j'ai donné les ordres qui s'imposaient, et je n'ai mis le général au courant qu'ensuite. Si je n'avais pas été là, on aurait eu à Libreville exactement le même scénario qu'à Brazzaville. Il ne faut jamais que le général soit en première ligne pour ce genre de coups durs. Il faut les régler sans lui en parler. On parle en son nom. On le met au courant quand c'est fini. 11 peut toujours nous désavouer, si ça rate. »25 E n l ' o c c u r r e n c e , r a c o n t e H a b i b - D e l o n c l e , « u n c o u p d ' É t a t a éclaté au G a b o n . Les lieutenants ont écarté leurs supérieurs français. » Il a été m a t é par l ' a n n é e française, qui a réinstauré L é o n M ' B a au pouvoir, « g r â c e [au] responsable local du S D E C E , B o b Maloubier, et des soldats de la 11e division aéroportée légère d ' i n t e r v e n t i o n » ; 2 6 contre son gré, quasiment, et grâce à Foccart qui l ' a aidé à « n e p a s f l a n c h e r » . «Gravement malade, Léon M ' B a prépare sa succession en la personne d'un Vice-président, de la même ethnie fang, Albert-Bernard Bongo, [...]

I U K O I H F l i t P I i T î ' l ' S M l l R I R l i S F.NTRI-: A M I S

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i|in lui succède après sa mort le 2 décembre 1967. L'arrivée au pouvoir de Bongo a été surtout téléguidée par ce qu'on appelle alors le "clan Gabonais" autour de Maurice Delauney, l'ambassadeur de choc nommé à l'instigation de Foccart. [...] Autour de lui s'organisent la mise en coupe réglée du Gabon, l'interdiction des partis et des journaux d'opposition, la création de l'unique Parti démocratique gabonais (PDG) [sic]. Et, surtout, une organisation tentaculaire de police politique et d'espionnage, où l'on retrouve le gotha de la barbouzerie française en Afrique. Montée par Bob Maloubier - avant qu'il ne rejoigne Eli - la Garde présidentielle sera dirigée par des Bretons, le général Le Bras, puis Louis Martin; le Service de contre-ingérence, spécialisé dans la liquidation des opposants, est animé par le futur patron du Service d'action civique (SAC) Pierre Debizet; le CEDOC (Centre de documentation extérieure) - le SDECE à la gabonaise est dirigé par un ancien inspecteur de la DST française, André Casimir ; la société aérienne Transgabon s'honore d'avoir pour P-DG Jean-Claude Brouillet, ancien résistant du réseau Alliance et "honorable correspondant" du SDECE; [...] sans oublier l'interface avec le service de renseignement interne de la compagnie Elf; créé par un as du service 7 du SDECE, Jean Tropel. La liste serait fastidieuse de tous les affidés de Jacques Foccart, les mercenaires de la bande à Bob Denard, les "honorables correspondants" du colonel Maurice Robert, les bailleurs de fonds du système Bongo, les agents corrupteurs d'Elf-Gabon et d'autres prédateurs qui, à Libreville, vont constituer pendant 30 bonnes années le "clan des Gabonais".» 27

Mieux q u e le G a b o n français donc, le G a b o n indépendant. Tout cela est déplorable, m a i s s e m b l e cependant loin de l'histoire qui n o u s concerne, l'affaire Eurodif, ce contrat a t o m i q u e avec l'Iran du Shah q u e l ' a v è n e m e n t du pouvoir k h o m e y n i s t e remet en cause et qui va plonger la France d a n s la t o u r m e n t e . P a s si loin q u e cela, en f a i t . . . Si la p l a c e q u ' o c c u p e le Cîabon dans l ' e m p i r e Elf est c o n n u e , on parle peu de l ' u r a n i u m gabonais. La France a des idées, et des « g r o s b r a s » : il lui m a n q u e des ressources et de l'argent. L'Iran fournira l'argent et le G a b o n l ' u r a n i u m .

DES ACCORDS RADIOACTIFS Après l'Indépendance du G a b o n , en 1960, la France signe des accords de coopération « q u i laissent à Paris des droits presque aussi importants que si ce pays était resté un simple territoire d'outre-mer. O n peut parler, en ce qui le concerne, de souveraineté limitée. [ . . . ] L'article 4 des accords francogabonais stipule que "la République gabonaise facilite au profit des forces armées françaises le stockage d e s matières et des produits stratégiques. Lorsque les intérêts de la F r a n c e l'exigent, elle limite ou interdit leur exportation à destination d ' a u t r e s p a y s . " » En 1964, la tentative de c o u p

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2CKIANS D ' I N A V O I I A I I I I

d'État est matée par les h o m m e s de Jacques Foccart et Léon M ' B a remis en selle, en attendant de placer Albert-Bernard Bongo. « A u m o i s de juin 1969, Georges Pompidou est élu Président de la République. [... La m ê m e année], Bongo annonce la construction d ' u n train. Le Transgabonais doit relier Libreville et Franceville.» Prétextant l'évacuation du fer extrait de la mine de Belinga, et le désenclavement d ' u n e zone forestière de 3 millions d'hectares, la ligne répond réellement à un autre cahier des charges : «Si Bongo réclame un train, c'est que la France en a besoin. Mais pour quoi faire? [...] Le 25 février 1973, el-Hadj Omar Bongo est réélu Président du Gabon, avec près de 100% des suffrages. Il confirme que le Transgabonais sera construit, en deux tranches. Le premier tronçon reliera Libreville au village de Booué. Le second ira jusqu'à Franceville. La France aura son train au Gabon, financé pour partie par les Émirats arabes unis. Avec quelle contrepartie. [...] Sous la présidence de Pompidou, la France et le Gabon passent un accord avec les pays producteurs de pétrole. Trois termes du pacte sont lisibles. Un, le Gabon est admis à l'OPEP. Deux, le Président Bongo se convertit à l'islam. Trois, des membres de l'OPEP financent le Transgabonais. Il manque le quatrième point. En échange de leurs pétrodollars, que reçoivent les pays de l'OPEP? Au mois de mai 1974, Giscard est élu Président de la République, et Baroin président de la GMF. Chirac est Premier ministre. La France signe l'accord Eurodif, sous la bannière du CEA, dirigé par André Giraud. Georges Besse est nommé président du directoire d'Eurodif. Michel Baroin suit le dossier pour le président de l'Assemblée nationale, Edgar Faure. [...] A peine arrivé à la GMF, il prend le contrôle de la Setimeg, société d'ingénierie dans le capital de laquelle entre également le groupe Elf. Avec la Setimeg, Baroin engage la construction du palais présidentiel de Bongo. [...] "La construction du palais constitue le meilleur symbole du 'système Bongo'. Ayant vu à Skhirat, au Maroc, le palais de son ami Hassan II, le Président voulut à son tour quelque chose d'aussi luxueux.* [...] Pour le nouvel édifice, on a déplacé une église et fait disparaître un stade. Pour tenir les délais, le marbre de Carrare a été transporté par avion d'Italie. Le système de sécurité a été particulièrement étudié. Véritable bunker, le palais a été construit à la fois pour soutenir un siège [...] et pour permettre une fuite rapide du Président en cas de besoin : ascenseur permettant à une voiture blindée de changer rapidement de niveau, héliport protégé..."[...] A l'automne 1974, la construction d'un centre de recherches médicales est lancée à Franceville, à l'initiative française. [... Prétexte:] Dans la période euphorique qui a suivi le quadruplement des prix du pétrole, les entrepreneurs ont été obligés de faire appel à la main-d'œuvre étrangère. [...] Sénégalais et même Yougoslaves sont alors arrivés par centaines... Toutes ces mesures ne règlent pas pour autant le problème de fond : la faible fécondité des Gabonais. »28 * C'est après avoir vu la mosquée pharaonique construite par le roi Hassan II que Bouteflika a décidé d'en construire une plus grande, plus luxueuse, à l'est d'Alger.

I URONII M I'I i r i s MI URI RI S I N 1 RI AMIS

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Il lullait l ' i n v e n t e r ! La vocation véritable est-elle v r a i m e n t liée à la lcililité des G a b o n a i s ? Le « c e n t r e d e r e c h e r c h e » , est l ' œ u v r e du d u o < i n i l l a u m a t - B a r o i n , la r e n c o n t r e du plus g r a n d n u c l é o c r a t e f r a n ç a i s et île l ' a g e n t secret spécialisé dans les a f f a i r e s d e d é f e n s e ; et s'il s ' a g i s s a i t n m p l e m e n t d ' u n centre de traitement d ' u r a n i u m , pourquoi pas de nn e n r i c h i s s e m e n t ? Pour ensuite en v e n d r e à qui on v o u d r a , sans se |n••occuper d e s traités internationaux, p u i s q u e le G a b o n est d e p u i s 1960 un pays « s o u v e r a i n » . «L'accord définitif est donc signé en 1974, sous la présidence de Valéry ( ìiscard d'Estaing, avec Jacques Chirac à Matignon. Georges Besse est nommé président du directoire d'Eurodif. [...] Bien que Khomeiny ait annulé ses commandes de centrales, la France doit lui fournir de l'uranium. Or, si la France fournit de l'uranium à l'Iran, Khomeiny fabriquera une bombe.* Voilà donc le fameux contentieux Eurodif. Une histoire de la folie des hommes. En 1974, la France passe un accord avec le régime du Shah. Cinq ans plus tard, elle se trouve contrainte de le tenir, avec l'ayatollah Khomeiny à la tête d'une République islamique.» 29 Des deux thèses, r é s o u d r e le p r o b l è m e d ' i n f e r t i l i t é des G a b o n a i s , ou permettre l'enrichissement de l ' u r a n i u m , laquelle est la plus proche de la vérité? Concernant la première, le professeur Beaulieu livre la réponse en 19X3: « N o u s s o m m e s partis d e [l'hypothèse de] l'infertilité. [ . . . ] Est-ce le cas a u j o u r d ' h u i ? Je n e sais pas. L'infertilité n ' e s t pas aussi m a j e u r e q u ' o n pourrait le p e n s e r . . . » Reste l ' u r a n i u m .

DES TRAINS ET DES ATOMES Dans Affaires

africaines,

Pierre Péan raconte :

«Le cap d'Estérias est un petit village situé à une vingtaine de kilomètres au nord de Libreville. Une bonne route frayée dans la forêt permet de rejoindre en moins d'une demi-heure cet endroit de rêve... Une grande "concession" [...] très sévèrement gardée par des membres de la GP, la

* Note de l'éditeur: Soulignons ici que l'ayatollah Khomeini et ses successeurs ont condamné la fabrication, le stockage, l'utilisation, et la menace d'utilisation de l'arme nucléaire comme contraires à leurs valeurs religieuses. Selon eux, il est moralement inacceptable d'utiliser des armes de destruction massive qui tuent indistinctement civils et militaires, partisans et adversaires d'un gouvernement. Cette prohibition a pris force de loi avec le décret émis par le Guide suprême de la Révolution, l'ayatollah Ali Khamenei, le 9 août 2005. Force est de reconnaître que la propagande occidentale autour du danger que poserait le nucléaire iranien est ancienne: elle a d'ailleurs atteint son paroxysme avec le mensonge de dimension planétaire au sujet de la soi-disant intention du Président Ahmadinejad de vouloir «rayer Israël de la carte».

.'INI A N S l ï ' I N A V t >1IAIM I

garde présidentielle, abriterait une construction spéciale. C'est là, disent les rumeurs hostiles, qu'auraient été enterrées certaines personnalités... Du mystère qui entoure cette sorte de "sanctuaire", le Président paraît tirer une partie de sa puissance. »30 Tant de p r é c a u t i o n s pour faire disparaître des o p p o s a n t s ? D ' a u c u n s , pour les m ê m e s desseins, ont découvert les vertus de la soude. Q u a n t au train, D o m i n i q u e Lorentz é v o q u e un article du Monde, titré « Le G a b o n vu du train » : «Libreville. Une si petite gare pour un si grand train! [...] Le Transgabonais, s'il n'a pas encore l'autorité de l'Orient-Express [...] est appelé à entrer dans le gotha des chemins de fer, à s'inscrire au cercle très fermé des "trains de légende". Ou alors, à quoi serviraient ces quelque 700 kilomètres forçant une forêt de matin du monde, vierge comme on dit si bien, pour mettre à quelques heures d'un Atlantique mollasson le roboratif plateau batéké, près des sources de l'Ogooué qu'un explorateur français [...] mit trois ans pour atteindre il y a un peu plus d'un siècle? [...] 5 000 hectares défrichés au prix de 6 millions de troncs abattus, l'entrée en action inédite du "dinosaure", engin de 150 mètres de long poussant une mâchoire dévoreuse de paysage; 49 ponts et viaducs; [...] 300 mètres forés à travers un éperon rocheux... ; et aussi l'épopée d'une ville ambulante de 25 000 personnes, avançant avec les travaux, car femmes et enfants, y compris ceux des techniciens européens, instituteurs, épiciers, médecins, musiciens, prostituées, suivaient les 4000 poseurs du rail. [...] A Booué, à mi-parcours, votre wagon procède à un mystérieux arrêt, si long que vous avez le temps d'aller lire un graffiti géant, loin là-bas, sur un hangar: "Je crois à l'amour"; ensuite d'aller faire un tour en forêt, puisqu'elle commence là... »31 Tant d'activité ne peut, c'est certain, couvrir que des installations hautement stratégiques, dans un Gabon qui, selon les m o t s de Pompidou, « n ' a pas d'existence économique p r o p r e » . U n Gabon où le Président n'est q u ' u n « p i o n » , qui fait ce q u ' o n lui d i t ; en 1973, en plus d ' a c c e p t e r la tutelle de la France, il doit se soumettre à un m a n è g e loufoque :*se convertir à l'islam pour s'attirer le soutien des pays m u s u l m a n s m e m b r e s de l'OPEP, qui s'engagent à subventionner la construction du Transgabonais, lequel transporte l ' u r a n i u m , q u ' i l s peuvent ensuite acheter h o r s des circuits officiels et des traités internationaux si pointilleux. Certes, tout cela n'aurait pas été nécessaire si l'Iran était restée la dictature pro-occidentale q u ' e l l e était, de 1953 à 1979. Mais on ne refait pas l'histoire...

* Quelques années plus tôt, en 1968, Albert-Bernard Bongo s'était fait baptiser pour obtenir une entrevue avec le pape Paul VI. (Alain Barluet, « O m a r Bongo, le doyen de la Françafrique », Le Figaro, 8 juin 2009).

I I J R O D I I l-T l'I T U S MI I I R Ï R I i S I N T R I

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I 'instauration de la République islamique par K h o m e i n y entraîne lit nipture du contrat Eurodif par la France. Les Iraniens se rebiffent: les iiirnlnls succèdent aux prises d'otages. Jacques Chirac voudrait bien leur IIVMT des armes, des centrales, de l'uranium - au prix fort et si possible iiwc commissions et rétrocommissions à la clé - ce que certains barons ¡lu complexe militaro-industriel français n ' a d m e t t e n t pas, au n o m d ' u n e • i ilinne « é t h i q u e » . Les voilà bientôt tous morts. Les otages sont libres. U n e imitie de l'argent est remboursé. Les attentats cessent... En juin 2009, O m a r Itoiigo meurt, son fils Ali est élu « d é m o c r a t i q u e m e n t » . U n seul Président m i iilental assiste aux obsèques du père et félicite le fils: Nicolas Sarkozy. I i honni soit qui pense à quelque survivance de la Françafrique ; ce n'est pir, « l ' e x p e r t » Roland Jacquard qui le dit, mais le très sérieux Antoine • iluscr, qui, plutôt que de reconnaître une sophistication dans le fait qu'elle ic poursuit sans nécessiter la présence de nombreuses troupes françaises, ili i rète sa disparition totale. Et le fait que Michel Baroin, l'un des Français le-, plus influents, ait été totalement « e f f a c é des m é m o i r e s » , après sa mort iluns les conditions que l'on sait, ne doit rien aux secrets dérangeants et imivouables que les journalistes d'investigations ignorent tant q u ' « a u c u n e pi cuve ne vient étayer cette hypothèse ».

LA CURIOSITÉ, UN BIEN VILAIN DÉFAUT I n fait, des journalistes curieux, il y en eut. L ' u n d ' e u x « e s t arrivé en disant qu'il avait des informations sur Baroin. Il enquêtait sur la GMF. [...] ( c qui est plus étrange, c ' e s t que du j o u r ou lendemain, Jean-Pierre B. a disparu de la circulation. [ . . . ] Il aurait a b a n d o n n é le métier de journaliste, nprès avoir reçu des m e n a c e s d ' u n m e m b r e du cabinet du ministre de l'Intérieur.» 3 2 U n e autre « j o u r n a l i s t e du Matin de Paris, qui travaillait •uir ces é v é n e m e n t s à l ' é p o q u e [ . . . ] a vu son a p p a r t e m e n t dévasté. Et un journaliste de la presse m a g a z i n e , qui a repris l'enquête au début des minées 1990, a reçu une visite p e u courtoise à son domicile. [ . . . ] [Un nutre] raconte q u ' a u milieu de l'été 1985 [ . . . ] u n certain "Monsieur X", | . . . ] très actif pendant la guerre d ' A l g é r i e , [ . . . ] se disant en relation avec les ravisseurs, [...] lui confie pour mission de transmettre des messages des terroristes aux autorités françaises. Il s'agit de m e n a c e s d'attentats, dont | le journaliste] constate q u ' e l l e s sont mises à e x é c u t i o n . » M a i s l ' h o m m e ne veut rien dire de précis, car, dit-il, « J ' a i promis de m e taire. [...] J ' a i été menacé de mort. [ . . . ] On m ' a dit q u ' à partir du 1 6 m a r s [1986], il m ' é t a i t interdit de revoir " M o n s i e u r X " et les familles des otages. Je ne devais plus avoir aucun contact avec personne, s i n o n . . . [...] O n m'éliminerait. Et

le dimanche 16 mars, le j o u r des élections, j ' a i trouvé tous les boutons de gaz ouverts, en rentrant chez moi. La petite manette d'alimentation était restée fermée. C ' é t a i t le dernier avertissement. A u cas où j e n ' a u r a i s pas compris. [ . . . ] Ils m ' o n t dit q u ' i l s reprenaient le dossier. Q u e j e ne devais plus rien faire. » 3 3 D o m i n i q u e Lorentz parviendra à identifier ce Monsieur X : il s'agit de Lucien Bitterlin, plus barbouze que les barbouzes, h o m m e de tous les coups fourrés, m e m b r e éminent du S A C avant sa déconfiture, en déshérence avant que, pragmatique, il ne « c r é e l'association FranceP a y s arabes, sous c o u v e r t d e laquelle il intervient d a n s d e multiples o p é r a t i o n s d e d i p l o m a t i e parallèle. Il d e v i e n t n o t a m m e n t le "porteparole" du terroriste A b o u Nidal», 3 4 l ' u n des h o m m e s de m a i n de la S M algérienne. Or, écrit D o m i n i q u e Lorentz, « c ' e s t Charles Pasqua qui hérite de l'affaire des otages, quand il est n o m m é ministre de l'Intérieur.» 3 5 Et on ne sait que trop bien c o m m e n t il a pu établir ses premiers contacts avec Alger, grâce aux bons offices de «certains de ses c o m p a g n o n s du S A C , voire de l ' O A S » ? 3 6 Les interlocuteurs de ce journaliste «boîte aux lettres» sont multiples; à l'Élysée, c'est François de Grossouvre. Il sera un soir retrouvé « s u i c i d é » dans le bureau mitoyen à celui de François Mitterrand. U n autre h o m m e mérite attention: René Audran. Voici ce q u ' e n dit l'ex-agent de la D S T Daniel Burroni, qui apprend de l'un de ses informateurs, Antoine Makdessi (lui aussi assassiné), que «de discrètes réunions sont organisées dans les suites de l'hôtel Nova-Park à Paris. Des militaires français rencontrent régulièrement des hommes d'affaires du Moyen-Orient. La ronde des réunions, ponctuée par le ballet de voitures officielles, va durer quelques mois. Je réussis à identifier quelques personnes qui assistent à ce qui s'avère être des transactions sur un marché d'armement. [...] Les protagonistes, hommes d'affaires libanais et iraniens, sont de gros marchands d'armes et ont des relations au plus haut niveau en France. Côté français, généraux et intendants militaires, qui viennent en voitures officielles, agissent, semble-t-il, dans le cadre de leurs fonctions, f...] 25 janvier 1985 : le général René Audran est assassiné. Le crime est revendiqué par Action Directe. [...] Dans un communiqué Action Directe s'explique : "René Audran, par son rôle militaire et économique, se situait au cœur du projet stratégique de l'Impérialisme." [...] Troublant. [...] Le général René Audran, responsable de toutes les exportations d'armes françaises, avait la réputation d'être un homme d'une intégrité absolue. Il était, de par ses fonctions, l'un des premiers fournisseurs d'armes à l'Irak. Son assassinat est un avertissement au gouvernement français. Les services iraniens, par l'entremise du groupe Abou Nidal, avec lesquels ils entretiennent les meilleures relations en cette année 1985, ont organisé l'assassinat du général Audran en utilisant à son insu Action

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Dnecte. Au moment où le général Audran a été assassiné, les Iraniens t-NMiynient, par tous les moyens, d'obtenir du gouvernement français de r.nmcmcnt sophistiqué, notamment des Exocet. C'était un marchand • I'.unies du monde arabe qui [...] tentait de convaincre qu'en accédant aux demandes iraniennes les relations entre les deux pays s'en trouveraient énormément améliorées et que la libération des otages détenus au Liban .émit quasi immédiate - sans compter qu'il y avait beaucoup d'argent ik gagner. [...] Comment faire parvenir les armes à l'Iran? Antoine m'apprend qu'un intermédiaire espagnol effectue de courts séjours à Paris. Il me dit qu'un Brésilien d'origine libanaise fait de même. [...] Les armes pour l'Iran passeraient donc "end use" par ces deux pays? À la DST, nous snvions que ces armes étaient destinées à l'Iran, nous ignorions seulement qu'il s'agissait d'Exocet. Un seul obstacle à la conclusion de ce marché : le général René Audran. Cet homme incorruptible estimait qu'on ne devait pus, en conscience, fournir ce genre de matériel à l'Iran de Khomeiny. Il se moquait des monceaux de dollars qu'allaient perdre les intermédiaires des Iraniens. Il n'avait que faire des bakchichs qui devaient rentrer dans les caisses des partis politiques français. Ce sera non. La France ne vendra pas d'armes sophistiquées à l'Iran. Il en mourra. Lorsque le noyau dur d'Action Directe sera arrêté par hasard à Vitry-aux-Loges, le 21 février 1987, on retrouvera dans la ferme les armes qui ont servi à tuer le général René Audran. Le général Audran, mort par manque de sens politique? Certainement. Mais quelle politique? Homme de devoir et d'intégrité, il n'a jamais substitué le caprice à la règle. »37 I )écidément, Action Directe a bien plus servi les desseins du c o m p l e x e inilitaro-industriel que combattu l'impérialisme. Khaled Dahbal, lui, n ' e s t ni un journaliste chevronné, ni un agent de police assermenté, ni un politicien engagé. Le 20 juin 1989, il est retrouvé assassiné à Paris. Qu'est-ce qui pousse les policiers à aller perquisitionner le domicile de son a m i e ? Ils découvrent « u n sac contenant des documents au nom de Malek Amellou. D e s chéquiers, des carnets de notes, un récépissé ilu Répertoire des métiers de Paris, des photocopies du Haut-Commissariat nu service national algérien et un talon de taxes sur les automobiles correspondant à la B M W à bord de laquelle M a l e k A m e l l o u avait été interpellé le 10 juin 1987. » 38 Peu avant la mort de Mécili, Khaled Dahbal l'avait sollicité pour le défendre « dans une affaire qui l'opposait à l'Amicale des Algériens de Montbéliard. » Révolté par l'assassinat de l'avocat, il aurait décidé de m e n e r son enquête personnelle. Le début d ' a n n é e 1987 a d é c i d é m e n t donné le signal des soldes, en matière de terrorisme en France. Sont assassinés quelques-uns des h o m m e s d'États les plus intègres de la société française, les plus attaché à « l ' é t h i q u e » , à « l a m o r a l e » , à la « c o n s c i e n c e » , au « d e v o i r » .

N N . I L> IINAVI M I A M I I

Puis, a y a n t m a n i p u l é à souhait les g r o u p e s terroristes des F A R L et d ' A c t i o n Directe, au prix parfois de q u e l q u e s opérations particulièrement m a l ficelées, leurs c o m m a n d i t a i r e s leur i m p u t e n t tous leurs crimes, en plaçant a s t u c i e u s e m e n t des « p r e u v e s » qui p e r m e t t e n t aux policiers de faire des pêches miraculeuses, les a r m e s qui ont servi dans les attentats les plus délicats - faisant des victimes p a r m i les A m é r i c a i n s et les Israéliens - qui p o u r r a i e n t m e n e r les e n q u ê t e u r s j u s q u ' à e u x , de m a n i è r e à clore définitivement les dossiers judicaires. L ' i m p u n i t é peut parfois prendre de sanglants détours.

ALLER SIMPLE POUR CARACAS En France, plusieurs autres protagonistes de cette éprouvante aventure connaissent un destin tout aussi funeste. N o u s l ' a v o n s vu, l'un des meilleurs agents de la DST, Daniel Burroni, coupable d ' a v o i r m i s ses talents au service de Charles Pasqua, voit sa carrière d é m o l i e : « J ' a u r a i s dû mourir lors de l'assaut» 3 9 du G I G N dit-il. A n d r é Hadart, « t r o u v e la m o r t » . Antoine Makdessi, est « a b a t t u de 7 balles de pistolet» En m ê m e temps, à Alger, tous les vestiges du terrorisme vieille veine sont peu à p e u balayés. Les chefs des réseaux terroristes qui ont ensanglanté l ' E u r o p e connaissent un rapide déclin. A b o u Nidal disparaît. A b o u Iyad aussi. Carlos s ' é v a n o u i t provisoirement dans la nature avant de se voir livré à la France lors d ' u n e ultime opération de propagande au service de Charles Pasqua. L e dernier représentant de ce terrorisme d ' u n âge révolu est l ' E T A . La S M fait c o m p r e n d r e aux m e m b r e s de l'organisation hébergés sur leur sol q u ' i l est temps pour eux de partir. Ils ne saisissent pas tout de suite le message. Mal leur en p r e n d . . . Il faut dire q u ' e n Algérie, ils trouvaient j u s q u e - l à un havre de prédilection ; ils connaissent u n e période houleuse qui se finira rapidement par leur expulsion vers l ' A m é r i q u e latine, dans des conditions extrêmement m o u v e m e n t é e s . N o u s s o m m e s fin 1986. « D e s membres du commando "Madrid" comme Juan-Manuel Soares Gamboa ou Idoya Lopez Riano avaient rejoint Alger à la fin de la campagne d'attentats dans la capitale espagnole. D'autres activistes étaient également sur le territoire algérien, comme Belen Gonzalez ou Ignacio Aracama, membres de la même cellule etarra. L'Algérie pratiquait un double jeu, fournissant entraînement militaire et asile aux membres de l'ETA d'un côté, et proposant sa médiation au gouvernement espagnol

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île l'autre. Soares Gamboa, un témoin fiable, mentionne la présence de 14 activistes en Algérie outre lturbe lui-même; 6 d'entre eux étaient partisans de déposer les armes. [...] En janvier 1987, l'exécutif espagnol envoie une délégation proche des hautes sphères gouvernementales, constituée de l'ancien secrétaire d'État à la sécurité, Julian Cristobal, et des commissaires Ballestros et Pedro Martinez. [...] Les contacts sont interrompus par la mort accidentelle de Txomin lturbe, que les autorités algériennes attribuent à un accident de la route qui aurait eu lieu le 27 lévrier, alors que le dirigeant de l'ETA voyageait en compagnie d'Ignacio Aracama et de Belen Gonzales. En contradiction avec cette version des laits, nous disposons de celle donnée par Juan Manuel Soares Gamboa aux juges de l'Audiencia Nacional. Témoin visuel de l'accident, Soarez révéla qu'Iturbe avait trouvé la mort le 25 février après être tombé du toit d'un ancien monastère de la région de Médéa dans lequel était logé le groupe de 8 etarras favorables à la continuation de la lutte armée. Les 6 etarras qui s'y opposaient étaient logés à 2 km de là. Immédiatement après l'accident, tous les etarras de Médéa furent transférés à Boumerdes en des groupes séparés, de façon à éviter que les journalistes espagnols envoyés après la mort d'Iturbe ne les localisent. Les autorités algériennes avaient intérêt à donner une version erronée des faits, car [...] la découverte du monastère de Médéa où étaient hébergés les membres de l'ETA aurait été compromettante. Un peu plus tard, étant donné le scandale déclenché par la révélation de Gonzalez et d'Aracama, alors qu'elles l'avaient formellement démentie auprès du gouvernement espagnol, l'Algérie organisa leur "expulsion" à Bamako. Les deux etarras y restent le temps de se prendre en photographie et de faire parvenir un exemplaire à Egin pour "prouver" le départ du territoire, avant d'y revenir au plus vite. »40 Après les événements d'octobre 1988, les choses se précipitent pour les militants de l'ETA, plus que jamais indésirables. Le quotidien Le Monde évoque « d e s négociations qui seraient en cours en Algérie, où réside Lugenio Etxebeste, alias Anton, pour une prolongation de la trêve de 15 jours annoncée le 7 janvier. Selon le journal madrilène El Pais, le gouvernement nigérien aurait fait savoir aux militants basques réfugiés dans le pays après leur expulsion de France qu'il était décidé à les reconduire à ses frontières si l'ETA n'annonçait pas une trêve unilatérale de trois mois.» 4 1 Quatre mois plus tard, « 6 membres de l'ETA [sont] expulsés d'Algérie vers la République dominicaine. [...] Parmi eux, Antxon Etxebeste, l'interlocuteur de l'ETA avec le gouvernement espagnol lors des négociations qui s'étaient tenues à Alger, ainsi qu'Ignacio Aracama Mendia, l'un des principaux dirigeants de l'organisation. Les activistes voyagent à bord d ' u n avion des forces années espagnoles, accompagnés de fonctionnaires de police espagnols et algériens. Dans les milieux officiels, on n'exclut pas que d'autres membres de l'ETA réfugiés à Alger soient expulsés du pays. » 42

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«Anton, qui a déjà passé deux ans à Saint-Domingue après son expulsion de France en 1984, avait été transféré en 1987 à Alger, en provenance d'Équateur, suite à un discret accord avec les autorités algériennes et espagnoles. Il s'agissait de lui permettre de participer aux discussions que des émissaires du gouvernement espagnol maintenaient à l'époque avec un autre dirigeant de l'ETA, Domingo lturbe, dit Txomin. La mort de ce dernier allait faire d'Anton [... ] le principal interlocuteur de Madrid à Alger. [...] La décision du gouvernement algérien constitue un désaveu politique pour l'ETA, dont les dirigeants n'avaient jusqu'ici cessé de louer 1'"objectivité" et la "neutralité" algériennes dans la question basque. Le revirement de l'Algérie, terre d'accueil traditionnelle pour ces mouvements de libération nationale auxquels l'ETA aspire à être assimilée, se traduit par une perte de légitimité "internationaliste", alors qu'elle se trouve déjà isolée. » 43 C o m m e s'il fallait clore le chapitre des 2 0 ans d ' a s i l e pour des terroristes de « v e i n e é t r a n g è r e » , l ' A P S (Algérie Presse Service) publie le 21 avril un c o m m u n i q u é dans lequel elle a n n o n c e la fin des « b o n s o f f i c e s » algériens, j u g e a n t les d e u x parties p e u e n c l i n e s à « r e p r e n d r e les n é g o c i a t i o n s » . Le 9 mai, 10 n o u v e a u x séparatistes b a s q u e s sont e x p u l s é s vers les Iles du Cap-Vert. Trois s e m a i n e s p l u s tard, le 28 m a i 1989, « u n g r o u p e de m e m b r e s de l ' E T A r é f u g i é s en A l g é r i e a été e x p u l s é [ . . . ] à bord d ' u n Hercule C - 1 3 0 des forces aériennes espagnoles. O n ignore le n o m b r e de p e r s o n n e s c o n c e r n é e s - entre 15 et 2 0 selon certaines informations - et si le tout dernier g r o u p e d'"etarras" encore présent en Algérie est parti. La destination finale serait Caracas. » 44

UN G I A (GEORGES IBRAHIM ABDALLAH) DE PERDU, DIX G I A (GROUPES ISLAMIQUES ARMÉS) DE RETROUVÉS Pour ce qui concerne l'Algérie, l ' E T A a vécu. M i s hors d'état de nuire à ses commanditaires, avec la complicité des institutions françaises, G e o r g e s Ibrahim A b d a l l a h c è d e la p l a c e à d ' a u t r e s types de G I A : les G r o u p e s i s l a m i q u e s a r m é s ; lesquels r e v e n d i q u e r o n t bientôt t o u s les m é f a i t s des services algériens, qui ne se gêneront dès lors plus p o u r p o u s s e r la barbarie j u s q u e dans des c o n f i n s inédits, toujours « p l u s l o i n » , aussi loin q u e le v o u d r o n t leurs adversaires tant q u ' i l s ne sont p a s disposés à se soumettre. Car si la S M peut manipuler à ce point une b a n d e d ' é c e r v e l é s et imposer une telle terreur en France, p o u r q u o i s'arrêterait-elle en si b o n c h e m i n ? Qui l ' e m p ê c h e r a i t de passer à une échelle plus large, p l a n é t a i r e ? D e s g r o u p e s terroristes (tantôt a u t o n o m e s , tantôt m a n i p u l é s , s o u v e n t créés ex nihilo pour les besoins du m o m e n t ) , de simples concepts m ê m e ,

HJKODII- I T I ' I T I I S M I U K I K I ï S l-NTKi: AMIS

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|M-i mettront bientôt à une p o i g n é e d ' i n d i v i d u s décidés, placés au p l u s linai! s o m m e t de quelques États puissants, avec la complicité de dictateurs ilinNcininés sur les cinq continents, d ' a c c a p a r e r les richesses de la planète. I •: terrorisme ancien a vécu. « V i v e le terrorisme islamiste ! » Une a v e n t u r e de 25 ans v a bientôt s ' i n a u g u r e r , où l ' o n r e t r o u v e r a i ornine « e x p e r t s » c e u x qui, au vu de leurs rôles d a n s les a v a n i e s de la ilircennie qui vient de s'écouler, devraient plutôt craindre de s ' a f f i c h e r ••ii public : m a i s R o l a n d J a c q u a r d , L o u i s Caprioli, et consorts, auront le 11"iifort d ' u n e n o u v e l l e g é n é r a t i o n d ' i n t e l l e c t u e l s m é d i a t i q u e s , ( B H L , André G l u c k s m a n n , Daniel Leconte, etc.), a v e c l ' a r r i v é e sur le m a r c h é d'intellectuels a l g é r i e n s de c o n t r e f a ç o n , d a n s la b o u c h e d e s q u e l s toutes k'N incohérences, les aberrations, les m a n i p u l a t i o n s et les sournoiseries irront saluées c o m m e autant de m a r q u e s de vertu, d e g r a n d e u r d ' â m e , île courage et d ' e n g a g e m e n t .

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CHAPITRE 1 3

La Ve République, fille naturelle de l'Algérie française

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a n s q u e l l e m e s u r e , a p r è s l ' i n é b r a n l a b l e « l ' A l g é r i e , c ' e s t la F r a n c e » , est-il f o n d é de dire q u ' a u j o u r d ' h u i , « l a France, c ' e s t l ' A l g é r i e » . Il ne s ' a g i t p a s ici de d o n n e r c o r p s à la p o l é m i q u e i lière aux partis d ' e x t r ê m e droite - q u ' u n e f r a n g e de l ' U M P reprend en îles t e r m e s e n c o r e p l u s i n d i g n e s - m a i s de d o c u m e n t e r u n e réalité qui mérite d ' ê t r e explorée, tant la question est vitale.

« L a F r a n c e d ' a u j o u r d ' h u i s ' e s t faite (et sans doute se fait t o u j o u r s ) en Algérie, avec et contre e l l e » , a f f i r m e le p h i l o s o p h e É t i e n n e Balibar' missi r é c e m m e n t q u e 1997. D e fait, p a s un h o m m e politique de p r e m i e r ning, e n t r e p r e n e u r i n f l u e n t , j o u r n a l i s t e ou intellectuel d a n s la f o r c e de l 'âge, haut gradé militaire, n ' a écrit ses M é m o i r e s sans consacrer u n large chapitre à l ' é p i s o d e algérien, où se sont forgés bien des caractères et des i.urières. « L ' a p o c a l y p s e de l ' A l g é r i e f r a n ç a i s e m ' a p p r i t aussi q u e si u n e Hociété était mortelle, d ' a u t r e s étaient c o n c e v a b l e s . J ' e n r e v i n s a v e c un i égard n o u v e a u sur la société f r a n ç a i s e e l l e - m ê m e , qui m e p a r u t b i e n clérosée p a r rapport à l'intensité de la p é r i o d e q u e j ' a v a i s v é c u e p e n d a n t deux ans en A l g é r i e et à la r u d e e x p é r i e n c e q u e j ' y avais a c c u m u l é e » 2 < on fiera Jean-Pierre C h e v è n e m e n t . L ' A l g é r i e , p o u r l ' e n s e m b l e de l ' é l i t e Irnnçaise a été le p l u s grand c h a m p d ' e x p é r i e n c e s . Si l ' A l g é r i e a o f f i c i e l l e m e n t a c q u i s son I n d é p e n d a n c e en 1962, elle d e m e u r e d i s c r è t e m e n t m a i s f e r m e m e n t le p r é carré de la France. C e t t e i d a t i o n a d u l t é r i n e r e l è v e du secret de Polichinelle. Et s ' i l est de b o n ton de vilipender « l ' A l g é r i e f r a n ç a i s e » d ' h i e r , il est p l u s d i f f i c i l e de c o n v a i n c r e q u e la « F r a n ç a l g é r i e » d ' a u j o u r d ' h u i fait p l u s de r a v a g e s irréparables e n c o r e . M a i s , u n e réalité reste p l u s i n a v o u a b l e e n c o r e : l'inlluence à rebours - dont n o u s v e n o n s de voir q u e l q u e s m a n i f e s t a t i o n s que l ' a n c i e n n e colonie exerce sur l'État français, ses institutions et son personnel politique.

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200 ANS D'INAVdllAIII I

Les r e t o u r s d e m a n i v e l l e ne datent pas d ' h i e r . P o u r A l e x i s de Tocqueville, « c e qui fait m a i n t e n i r le général B u g e a u d en A f r i q u e est m o i n s le bien q u ' o n attend là, de lui, p o u r la France, que le mal q u ' o n pourrait craindre de lui, ici, à P a r i s . » 3 En laissant l ' a r m é e d ' A f r i q u e se d é f o u l e r sur les populations d é s a r m é e s d ' A l g é r i e , la F r a n c e n e fait cependant q u e d i f f é r e r le d a n g e r ; il finit par revenir tel un b o o m e r a n g . B u g e a u d aura l ' o c c a s i o n de casser du « B é d o u i n de P a r i s » , en 1848 d ' a b o r d , puis en 1852. En fait, les pratiques scandaleuses que m è n e n t les généraux français « o u t r e - m e r » ne sont bien souvent que des répétitions pour des p r o g r a m m e s q u ' i l s entreprennent tôt ou tard d ' i n f l i g e r à leurs concitoyens métropolitains. L ' i n s u r r e c t i o n a l g é r i e n n e qui éclate en 1954 aura raison d ' u n e I V République grabataire. Cette période trouble, qui aurait dû susciter un sursaut salvateur et permettre aux élites françaises de redorer le blason d ' u n e France meurtrie par deux guerres, conduira la classe politique à investir quelques-uns de ses pires représentants et à révéler sa f a c e la plus sombre. G u y Mollet sera préféré à Pierre Mendès-France, Robert Lacoste au général Catroux, M a x Lejeune à Alain Savary, etc. Les gouvernements qui se succèdent depuis la Libération doivent pour u n e grande part leur a v è n e m e n t aux appuis q u e leur o f f r e n t les colons corrupteurs. De Gaulle prend le pouvoir grâce à un c o u p d ' É t a t maquillé en transition c o n f o r m e à la légalité constitutionnelle. Les ultras d ' A l g é r i e qui lui font la courte échelle lanceront trois ans plus tard une sédition contre lui. La « d é c o l o n i s a t i o n » qui en d é c o u l e recèle u n e large part d ' o m b r e qui ternit a u j o u r d ' h u i encore l ' i m a g e de la France, et l'héritage de ce péché originel n ' e n finit pas d ' e m p o i s o n n e r le quotidien d e son p e u p l e ; une intarissable culpabilité bride les capacités de ses dirigeants à peser de façon b é n é f i q u e sur la scène m o n d i a l e et à imposer sur leur propre sol la souveraineté et la sécurité à laquelle les citoyens ont droit. C e sont les nécessités c o n j o n c t u r e l l e s d e la guerre d ' A l g é r i e qui ont conduit de G a u l l e à s ' a p p u y e r sur un cabinet noir (autour d e J a c q u e s Foccart et Roger Frey), qui crée le S A C . Cette organisation pèsera ensuite lourdement sur la scène française durant une décennie encore, n o t a m m e n t en Mai 68, sous la férule de Charles Pasqua. C ' e s t le S A C qui permet à ce dernier de se m u e r en h o m m e politique influent, devenant deux fois ministre de l'Intérieur, avec chaque fois l ' A l g é r i e c o m m e moteur de son action. Mais les raisons qui permettent de voir dans la V6 République la fille naturelle de l'Algérie française sont bien plus nombreuses.

I A V1 Kf'IMIHI l(;il|-. Ml I h NAIUKI I I I 1)1' l'Ai.(iÎiRHi l l11 c o m p r e n d dès lors que Dalil B o u b a k e u r se soit fait c o m p l i c e d ' u n e npèration p o u r p e r m e t t r e à l ' i s l a m o p h o b e Philippe Val d e s ' o f f r i r u n e i iunpagne de c o m m u n i c a t i o n à l ' é c h e l l e p l a n é t a i r e : le p r o c è s d e s iiiiicatures. U n succès grâce auquel Philippe Val, c e « r e b e l l e à but lucratif», g a g n e ses g a l o n s d a n s l ' e s t i m e d e N i c o l a s S a r k o z y qui le l»iopulse directeur d e France Inter; les « n e t t o y a g e s » en règle surviennent dés le premier j o u r de sa nomination - Frédéric P o m m i e r privé de revue de presse, coupable d ' a v o i r cité l ' h e b d o m a d a i r e satirique Sine Hebdo - , ci se poursuivent avec le limogeage d e Stéphane Guillon et Didier Porte »•n juin 2 0 1 0 ; ils n e s'arrêteront que le j o u r où n e transpirera d e Radio Iinnce que la parole validée par ce m é d i o c r e ex-humoriste. A u sortir d e l'nnnée de l'Algérie en France et de l ' é p o p é e Khalifa où l'argent a coulé i Ilot, le D R S a m i s la plupart des principaux animateurs de télévision à .i botte; avec Philippe Val à la tête de France Inter, le D R S dispose d ' u n nllié fidèle dans la place forte de l ' i n f o r m a t i o n en France. L ' I n d é p e n d a n c e de l'Algérie a été sabotée en 1962. La bataille pour l ' i n d é p e n d a n c e de la I innce à l'égard de l'Algérie n ' e s t pas près d ' ê t r e g a g n é e : il faudrait déjà commencer par l'engager.

L'ALGÉRIE, MATRICE DE L'INDÉPENDANCE ÉNERGÉTIQUE ET DE LA DISSUASION FRANÇAISE

I e p r e m i e r baril d e p é t r o l e f r a n ç a i s a jailli à H a s s i M e s s a o u d . Le lèglement d u c o n f l i t a l g é r i e n a l o n g t e m p s a c h o p p é sur le sort d u Snhara que la France voulait garder dans son giron. C e sont sans doute ces tergiversations qui ont d o n n é le t e m p s aux c o m p l o t e u r s a u t o u r de B o u m e d i e n e d e f o u r b i r leurs a r m e s , c o m p r o m e t t a n t le r è g l e m e n t '..ilisfaisant d e cette guerre. Le Sahara est resté algérien m a i s la F r a n c e i léa Elfl « D e Gaulle doit se retourner d a n s sa t o m b e s'il voit en quelle pompe à finances personnelle a été t r a n s f o r m é e l'entreprise dont il avait voulu q u ' e l l e incarne l ' i n d é p e n d a n c e nationale en matière d ' é n e r g i e . » 4 2 I mis les calculs du général sont décidément plombés par des h o m m e s sans "»crapules. Les géants se croient-ils à ce point éternels qu'ils négligent la possibilité que leurs successeurs soient des lilliputiens?

2(X) ANS D'INAVOUAHI I

« La Compagnie française des pétroles - future Total - c'était, sans panache particulier, sans "baroud", le pétrole au Moyen-Orient à côté des majors américaines et britanniques. La SN Repal - future composante du groupe Elf notamment avec la société des pétroles d'Aquitaine - , ce devait être le pétrole saharien, sans partage avec les Anglo-américains. Bien qu'en 1956 les deux compagnies aient prospecté le désert ensemble et découvert en même temps les gisements d'Hassi Messaoud, Elf revendiquait l'essentiel de l'exploitation au nom de sa mission d'origine. L'Indépendance de 1962 puis les nationalisations des actifs pétroliers en 1972 mirent fin à ses ambitions. Elle plia bagage alors que Total faisait preuve de souplesse et restait présente, aux conditions voulues par l'Algérie.» 43 Les conditions v o u l u e s par Alger n ' é t a i e n t p a s o u t r a g e u s e s : un partage 5 1 - 4 9 % c o n f o r m e à la n o r m e m o n d i a l e ; Elf ira se refaire une santé au G a b o n et dans le reste de l ' A f r i q u e noire, avec les suites que l ' o n connaît, à base de scandales et de crimes couverts par la raison d'État. La sécurité énergétique française doit tout à Pierre Guillaumat. «Pour que la France sorte de sa dépendance absolue à l'égard des "sept sœurs",* il faut à tout prix découvrir des gisements et les mettre en exploitation rapidement. Les efforts seront couronnés de succès : ce seront les découvertes de Lacq (Pyrénées-Atlantiques) ; puis, en Algérie, Edjeleh, Hassi R'Mel, Zarzaïtine et surtout Hassi Messaoud, en 1956, le plus énorme des gisements algériens alors identifiés. [...] Pour Guillaumat, la première partie de sa tâche est accomplie. Cet ingénieur d'une froideur glaciale, caricature du technocrate que la défaite ne visite pas davantage que le doute, est bien un homme providentiel. Car il avait également pensé à l'atome, préparant non seulement la France à posséder la bombe atomique, mais aussi l'énergie nucléaire civile.» 44 Depuis lors, et pour longtemps, pétrole, gaz, uranium et essais nucléaires auront pour foyer le désert algérien ; trois ressources qui portent dans leur A D N des c h r o m o s o m e s antinomiques de la démocratie. Tout cela n ' e s t é v i d e m m e n t pas l ' a p a n a g e de la France. Ce sera aussi vrai en Iran (et dans quelle m e s u r e !), où «Washington et Londres décident alors, comme le fera la France dans ses anciennes colonies d'Afrique subsaharienne, d'imposer des solutions politiques contraires aux choix démocratiques du peuple iranien, en usant de procédés classiques: corruption, chantage, manipulations, menaces, provocations et, pour finir, coup d'État militaire organisé, financé et

* NdE : À propos de la dépendance de nos sociétés industrielles aux énergies fossiles, lire l'ouvrage de Richard Heinberg, Pétrole, la fête est finie ! (Éditions Demi-Lune, 2008).

A V 1 K f ' . P i m i . K J D I - , I II,1,1! NATIJKI'1,1,1'11)1 l . ' A U i f i K I I - I K A N Ç A I S I -

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commandé par Washington, sur ordre direct du nouveau Président Dwight l .isenhower. Le 19 août 1953, Mossadegh est renversé manu militari par In CIA soucieuse de consolider Reza Pahlavi, sur lequel une pression maximale était mise par le général H. Norman Schwarzkopf (le père de l'officier qui allait commander les forces alliées dans la guerre du Golfe, M ans plus tard, cette fois pour sauver l'accès des Occidentaux aux puits de pétrole du Koweït). Le Shah demeurera 26 ans durant au pouvoir, appuyé sur la sinistre police secrète SAVAK, toujours au mieux avec l'agence de I .angley (la CIA), jusqu'à son éviction par la rue et les ayatollahs en 1979. |...] Mais la tradition des interventions dans les affaires intérieures de pays considérés comme stratégiques, de l'appui aux forces les plus réactionnaires et les moins démocratiques qui soient, constante de la politique américaine, sera appliquée par la France avec une vigueur similaire. Pierre Guillaumat et les hommes de fer de la Ve République seront toutefois plus prudents que d'autres. Aucun d'entre eux ne subira le sort funeste de l'Italien Enrico Mattei, qui prend la tête de l'Agence générale du pétrole italien (AGIP) en 1945, avant de devenir patron de la société pétrolière italienne (ENI). II meurt le 27 octobre 1962, dans un mystérieux accident d'avion dont les Italiens sont nombreux à penser qu'il trouve son origine dans le conflit avec les "sept sœurs" pour garantir l'accès de l'Italie aux ressources pétrolières, du fait des conditions exigées par ces dernières. A savoir le fameux FiftyFifty [moitié-moitié...] négocié entre l'Arabie Saoudite et Aramco dans les années 1950 et qui va progressivement s'imposer comme la règle. »45 I n Algérie, ce sera pour ainsi dire pareil, à ceci près q u e la recette sera pimentée d ' u n e certaine French Touch, un Know-how en m a t i è r e d e discrétion et de manipulation que le m o n d e entier envie à la France. Si les uiiiionalisations en 1971 donnent l'illusion d ' u n e Algérie définitivement émancipée de son ancienne tutelle, la réalité est plus p r o s a ï q u e : pour le plus grand m a l h e u r du peuple algérien, la France é c o n o m i q u e n ' a j a m a i s quitté l ' A l g é r i e « u s a n t de p r o c é d é s classiques, corruption, c h a n t a g e , manipulations, m e n a c e s , provocations et, pour finir, c o u p d ' É t a t militaire organisé, financé et c o m m a n d é » cette fois par le « c l a n f r a n ç a i s » à Alger, en collaboration directe avec l ' É l y s é e et la Place Beauvau.

SAHARA ALGÉRIEN, DÉBARRAS ATOMIQUE FRANÇAIS ( luirles de Gaulle dévoile, « d è s le 17 juin 1958, lors de son premier conseil île défense, le calendrier de "Gerboise bleue". Cette m e s u r e - conservée secrète - vient c o m p l é t e r u n e accélération du p r o g r a m m e nucléaire Imnçais, tant pour la b o m b e que pour ses vecteurs. [...] L'arme atomique luinçaise se glisse dès lors dans le statut dont elle ne bougera p l u s : celui d'un outil d ' i n d é p e n d a n c e nationale, du symbole ultime et inaliénable de

2IXIANS D'INAVOIJAMI I

l'incapacité pour un ennemi quel q u ' i l soit de s ' e n prendre aux intérêts vitaux d e la F r a n c e . » 4 6 Quarante-trois ans plus tard, en 2001, Chirac entonnera les couplets gaulliens p o u r décliner sa doctrine en la matière : après avoir bravé la c o m m u n a u t é internationale pour réaliser les ultimes essais en Polynésie, il menace tous ceux qui «étaient animés d'intentions hostiles à notre é g a r d » , leur promettant « q u ' i l s s ' e x p o s e r a i e n t à des d o m m a g e s inacceptables pour eux. » Sachant que le plus grand péril qui pèse sur la France à cette période est d'origine « m a g h r é b i n e et islamique», plus notoirement des services secrets algériens du D R S (maquillés en « t e r r o r i s m e i s l a m i s t e » mais les autorités françaises ne sont pas dupes), il n ' e s t pas impensable que ce rhétorique b o m b e m e n t de torse leur soit adressé ; personne ne peut toutefois le prendre au sérieux, le D R S disposant d ' u n e arme bien plus contraignante que le nucléaire : le chantage. P o u r o b t e n i r son a r m e de d i s s u a s i o n et s ' a f f r a n c h i r de la tutelle a m é r i c a i n e , C h a r l e s d e G a u l l e a s a c r i f i é le destin d ' u n m i l l i o n d ' E u r o p é e n s d ' A l g é r i e et précipité le règlement d ' u n conflit en sacrifiant l ' a v e n i r du p e u p l e algérien. M a i s la décolonisation présente des e f f e t s nuisibles bien m o i n s perceptibles. Si les e x p l o s i o n s nucléaires et les expérimentations chimiques au Sahara ont cessé en 1978, les effets nocifs de la radioactivité perdureront des millions d ' a n n é e s e n c o r e . . . Outre les radiations d u e s aux essais, les F r a n ç a i s a b a n d o n n e n t l'intégralité des installations, é q u i p e m e n t s , véhicules irradiés, etc. N e reculant devant a u c u n e prévarication, elle présente cet a b a n d o n de d é c h e t s t o x i q u e s c o m m e un cadeau offert à l ' A l g é r i e : un cadeau empoisonné, au sens le plus littéral du mot, à effet illimité, mais que, dans sa générosité, la France facturera... « à bas prix ». «Comme l'a raconté Vincent Jauvert en 1977, [Boumediene] charge un de ses conseillers, le commandant Abdelkader Chabou [un DAF], de le représenter auprès de l'ancien ambassadeur Philippe Rebeyrol, mandaté par le général de Gaulle: "Je devais prendre des précautions extrêmes chaque fois que nous allions nous rencontrer, souligne Rebeyrol. Le commandant Chabou ne voulait en aucun cas que les civils soient au courant. Et surtout pas le ministre des Affaires étrangères, Bouteflika. Pour obtenir l'aval du Président Boumediene, la France minimise les expérimentations qu'elle compte effectuer sur la base, évoquant de simples 'études de protection contre les agressifs chimiques'. Elle propose en outre au Président algérien de lui céder à bas prix les matériels entreposés sur les quatre bases nucléaires du Sahara qu'elle abandonne cette année-là. Le 27 mai 1967, le colonel Boumediene donne son feu vert à l'armée française, [...] à condition qu'un secret absolu soit respecté. Par souci de discrétion, Paris accepte que ses militaires travaillent désormais sous couverture civile. [...] Les expérimentations dureront officiellement

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lusqu'en 1978. À cette date, la France est réputée avoir détruit la base. I .es militaires du génie chargés de nettoyer les centaines de kilomètres i-.urés du polygone d'essai ont-ils laissé ou enfoui sur place les produits dangereux? Mystère. "La base de B2-Namous, c'était vraiment très secret", lâchait en 1997 Pierre Messmer. » 47 I il « p r é s e n c e » f r a n ç a i s e au Sahara prend donc, de ce point de vue, u n e lui me quasi éternelle. Au milieu de la décennie 1970, alors q u e le conflit iilyero-marocain atteint son p a r o x y s m e , la France, officiellement en froid IL VIT Alger, est d o n c encore présente d a n s les environs de la frontière, u n e HT mn militaire c o m m a n d é e par le D A F Sélim Saadi, qui sera r e m p l a c é |nit Khaled N e z z a r , un autre DAF.* Discrétion assurée, par c o n s é q u e n t . I l «¡1 l'hôpital de C o l o m b - B é c h a r [des m é d e c i n s français] s ' o c c u p a i e n t d ' A l g é r i e n s b l e s s é s au c o u r s d ' e n g a g e m e n t s contre l ' a n n é e m a r o c a i n e nu Sahara occidental. C o m m e seuls les S a h r a o u i s du F r o n t P o l i s a r i o iMnicnt censés livrer cette guerre, il fallait faire semblant de ne rien v o i r ! ( "est d ' a i l l e u r s a v e c le m o i n s de publicité possible q u e f o n c t i o n n a , de 1 % 4 à 1976, u n e "Mission m é d i c a l e f r a n ç a i s e au Sahara", après le départ ili s t r o u p e s f r a n ç a i s e s , qui risquait de priver les p o p u l a t i o n s de toute • ouverture m é d i c a l e . » 4 8 Sans remettre en cause la mission h u m a n i t a i r e des médecins, g a g e o n s q u e la « c o u v e r t u r e m é d i c a l e » d e s p o p u l a t i o n s locales, e x p o s é e s a u x e x p l o s i o n s n u c l é a i r e s c o m m e d e s c o b a y e s , est la i miette d e s p r é o c c u p a t i o n s o f f i c i e l l e s . P o u r faire court, la d i s s u a s i o n lninçaise a été acquise par la F r a n c e grâce aux facilités q u e lui a o f f e r t e s •• l'Algérie f r a n ç a i s e » .

L'EAU DE LA SEINE DANS LE POT-DE-VIN Nous a v o n s vu c o m m e n t la sidérurgie f r a n ç a i s e et les i n f r a s t r u c t u r e s leiroviaires n o t a m m e n t en F r a n c e ont été f o n d é e s grâce au Trésor d'Alger. Un autre c o n g l o m é r a t é c o n o m i q u e p r o f i t e r a é g a l e m e n t , de m a n i è r e indirecte, de cette m a n n e é c o n o m i q u e t o m b é e du ciel. «Le 27 juillet 1853, lors de l'assemblée constitutive de [la Compagnie générale des Eaux], son président, le comte Henri Siméon, s'entoure d'une belle brochette de noms à particules choisis pour leur fortune, leur poids politique et leur influence dans le milieu des affaires. [...] Le comte Henri Siméon, 50 ans à l'époque, n'a rien à voir avec ses lointains * Il faut vraiment faire preuve d'obstination pour ne pas voir dans l'octroi du contrôle de 11 Ile zone militaire à des DAF autre chose que le fruit d'une négociation entre Alger et Paris. I l ilonc pour nier que la France sait que les DAF travaillent à la préservation de ses intérêts. I »il «chercherait en vain dans les archives» pareil contrat.

HÏNAVUIJAHI I

successeurs Jean-Marie Messier, puis Henri Proglio. [... Il] s'est marié avec une carte de visite prestigieuse: Anne-Camille Seillière, fille du baron François-Alexandre Seillière (ancêtre d'Ernest-Antoine Seillière, ex-patron du MEDEF), membre du Conseil général des Manufactures, et sœur de François-Florentin-Achille Seillière, banquier. [...] Quant au banquier de la société, James de Rothschild, l'empereur et le préfet de la Seine n'étaient pas en mesure de lui refuser grand-chose. A la tête de la grande famille de la banque Rothschild, l'organisme financier le plus puissant de France [... se trouve] son groupe de banquiers (dit "Syndicat Rothschild des chemins de fer") [...] A sa création en 1853, les fondateurs de la Compagnie générale des Eaux sont dans leur majorité des banquiers, des diplomates et des hauts fonctionnaires qui ont déjà investi dans le chemin de fer. Ces administrateurs siègent presque tous au conseil d'administration de la société Paris-Lyon-Marseille (PLM), qui exploite cette ligne ferroviaire attribuée par contrat en 1845.» 49 « Pour vivre heureux, vivons c a c h é s » : telle est la devise des maîtres de I • C o m p a g n i e générale des Eaux. «[Elle] vend modestement à ses abonnés un produit de toute première nécessité... discrètement, sans tapage, sans articles dans les journaux. Et prodigieux coup de maître: non seulement elle se place à l'abri d'un monopole protégé par un régime autoritaire, dont l'un des domaines privilégiés est la rénovation urbaine, mais elle fait aussi ses premiers pas sous l'œil avide d'actionnaires qui sont les plus hauts représentants de ce même régime autoritaire, c'est-à-dire la famille et des proches de Napoléon III. En effet, derrière le décret impérial qui crée, le 14 décembre 1853, la Compagnie générale des Eaux, une "institution d'utilité publique et pleine d'avenir dans la distribution de l'eau", se cache l'éminence grise du second Empire: le demi-frère de Napoléon III, le duc de Morny.» 50 De fait, «c'est ce côté secret, très politique, de la Générale qui perdure jusqu'à aujourd'hui. Il est vrai que le duc de Morny recèle une énigme dès sa naissance, puisqu'il est né des amours adultérines de la reine Hortense, belle-sœur de Napoléon, avec le général de Flahaut, lui-même fils naturel de Talleyrand. Artisan du coup d'État du 2 décembre 1851, cet officier de lancier, ministre de l'Intérieur, député, ambassadeur de France et grand coureur de jupons ronge son frein à l'époque. Sa sulfureuse réputation d'affairiste sans scrupule contraint l'empereur à ne pas le nommer à la tête du Corps législatif (équivalent à l'époque de l'Assemblée nationale). Dès lors, le dandy désœuvré collectionne les lucratifs jetons de présence dans les conseils d'administration, notamment dans la compagnie des chemins de fer (la France se couvre alors de voies ferrées), et se jette avec frénésie dans les affaires qui vont lui permettre d'amasser une immense fortune. Aucune activité n'échappe à son insatiable appât du gain: promoteur immobilier, inventeur de Deauville et des bibliothèques de la gare, fondateur de l'hippodrome de Longchamp [...] Le duc de Morny ne peut pas rater le prodigieux développement des sociétés industrielles et commerciales qui connaissent un essor remarquable sous la forme

I.A V ' R Î I N I l i L i y i l L , I M I L N A I U R L I LL I)

L ' A L t i f R I L KKANÇAISI:

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toute nouvelle des sociétés anonymes: 42 sont cotées à la Bourse de l'iiris en 1850, 182 en 1869. Ce cynique visionnaire, cheville ouvrière de l'tmpire libéral et social, [...] sera l'un des premiers à souligner l'intérêt des t'usions des sociétés afin de créer de puissants monopoles. [...] Cette profession de foi correspond parfaitement aux idées des promoteurs très olficiels de la Compagnie générale des Eaux, les banquiers Rothschild, I atfitte, Blount, Hottinguer, Dassier, Lizardi et Pourtalès, qui ont obtenu de l'État un quasi-monopole de l'eau... [...] En un mot, il s'agit de créer un capitalisme de rente grâce à une branche industrielle (la distribution d'eau potable) qui doit échapper à la loi du marché, c'est-à-dire à la concurrence. Un capitalisme qui souhaite se développer sans prendre le moindre risque. L'eau cesse d'être un bien collectif pour devenir un service public à caractère industriel. [...] Sur le plan technique, ce type de valeur se fonde sur un investissement modique dans l'espoir d'en tirer un rendement maximal, à très long terme. Il suffit de pomper, à travers de petites grilles, l'eau polluée ou non (à l'époque, personne ne se soucie réellement de la pollution) dans le fleuve le plus proche, de préférence pas nu milieu des déchets flottants en surface, et de l'y rejeter après usage. » 5I c capitalisme d e rente - e n c o r e en vigueur a u j o u r d ' h u i (nous en (•parlerons) - , un h o m m e va tenter de le combattre: le baron Haussmann. «L'incorruptible préfet de la Seine [s'efforçait] d'imposer la recherche et le transport d'une eau de source plus fraîche et plus pure, jaillissant A plus de 100 kilomètres à l'est de Paris... Et ce malgré la mise en demeure du Conseil national des Ponts et Chaussées, organisme dépendant du ministre de l'Intérieur, puis des Travaux publics, qui somme Haussmann de soumettre au conseil municipal un programme de pompage d'eau effectué uniquement dans la Seine, [sic] Or, les créateurs de la Compagnie avaient fondé cette entreprise pour pomper l'eau de la Seine et la distribuer dans la ville de Paris. L'un des administrateurs, le comte Henri d'Avigdor, devait sa nomination à sa grande connaissance du dossier des Eaux de Paris. Ce membre du parlement sarde," administrateur du chemin de fer Victor-Emmanuel, avait déjà été, en 1843, l'auteur de deux projets de concession auprès de la ville de Paris. Neveu du banquier de Napoléon III Jacques Laffitte, l'affairiste mondain Charles-Pierre Eugène Laffitte va demander très officiellement à l'empereur de donner la concession de la capitale à la Compagnie. [...] I.e baron Haussmann, début 1854, réussit à convaincre l'empereur de laisser la distribution de l'eau à Paris en régie municipale. Et ce grand commis de l'État [...] va obtenir également le feu vert du souverain pour aller puiser l'eau de source à une centaine de kilomètre à l'est de Paris. On imagine la fureur, la colère des grands actionnaires de la Compagnie. Très hostile envers eux, le préfet Haussmann raconte dans ses Mémoires "combien la concession directe d'une pareille entreprise [de distribution d'eau] à l'industrie privée, sans la garantie de la concurrence * ( )ù l'on retrouve un lien entre le Trésor d'Alger, le réseau sarde et les chemins de fer.

2ï l OYAI ?

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• i les I ) A F ont c o m p r i s q u ' i l s p o u v a i e n t s ' é m a n c i p e r q u a n d ils le xtiiiL-nl de la tutelle parisienne, ils ne p r e n n e n t j a m a i s u n e décision n.ilc uins l'aval de celle-ci (ou du m o i n s sans l'en avoir avisée). Il est ^ f i i vsnnt de suivre le d r a m e algérien à travers le regard du principal H YNC, François Mitterrand lui-même.

LE SPECTRE DE GUY MOLLET RÔDE ni', s o m m e s en octobre 1988. L ' a r m é e algérienne vient de se distinguer i-n poussant à leur p a r o x y s m e t o u t e s les t e c h n i q u e s d e r é p r e s s i o n lmii(iinubles ( e x é c u t i o n s s o m m a i r e s , m a s s a c r e s , tortures, viols), faisant ïilun de I 000 morts. Mitterrand déclare alors en conseil des ministres : •••.lue va-t-il se passer en Algérie? Je n'en sais rien. Mais en tout cas, il v h une hypothèse à laquelle il est interdit de penser: l'établissement de lu démocratie. [...] Je m'indigne autant que quiconque, mais il faut aller plus loin. [...] Ce pays est mal géré, cela crève les yeux. Boumediene a pudiquement annihilé l'agriculture au profit de l'industrie lourde. Chadli ii nuturellement les plus grandes difficultés à changer tout cela. Avec le poids de la jeunesse, les rivalités ethniques, ce pays n'est pas facile à liouverner.

»

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f -mi de m a u v a i s e foi laisse pantois. D e p u i s 1981, rien ne s'est accompli ii Algérie qui n ' a i t associé des conseillers d a n s l ' e n t o u r a g e m ê m e du IV .ident français, civils et militaires. Q u a n t « à l'industrie l o u r d e » , n o u s nvons que c ' e s t la France qui l ' a souhaitée, conçue et réalisée. Ayant lu il: wint les ministres le projet d e c o m m u n i q u é q u e lui a préparé Roland Humus, il c o m m e n t e i r o n i q u e m e n t : »On déplore les affrontements: très bien... On veut que le dialogue u-prenne: parfait... On n'est pas indifférent: tant mieux... Après avoir • In ces belles choses, vous n'avez rien dit, donc pas de communiqué. Les di-voirs de l'État ne permettent pas de prononcer un mot de travers: il luut savoir supporter la critique, au besoin en se taisant. Que voudrait-on que nous fassions? Va-t-on convoquer l'ambassadeur (d'Algérie) et lui due que quand la France était là, le maintien de l'ordre se passait mieux? Mien sûr, il n'est pas supportable qu'on tire sur la foule. Pas plus que de • 'iiltaquer aux mechtas au lance-flammes [...] Il n'est pas supportable qu'un pouvoir frappe ainsi son peuple, mais nul ne sait si Chadli partait quel pouvoir lui succéderait. Comme en Iran, le régime du Shah n'était pus supportable. La révolution (islamique) ne l'était pas plus, même si ses objectifs sont plus sympathiques. » I 0

.'fin A N S D ' I N A V O I I A I t l I

Si l'allocution magistrale permet d'évacuer en douce un sujet qui mérilo de meilleurs développements, elle met en évidence, en pointillés, que le peuple algérien est aux prises avec une colonisation pire « q u e quand h France était là». Et que le spectre de l'islamisme permet de faire passci les pires capitulations par pertes et profits. « L a circonspection des autorités françaises, qui choque nombre de consciences [dont celle de Jean-François Deniau], se comprend mieux à la lumière des rapports confidentiels de ses "services". En effet, tant le SGDN [secrétariat national à la Défense nationale] que la DGSE révèlent que les émeutes populaires et leur brutale répression sont en grande partie le résultat d'une "manipulation" des "instances conservatrices" du FLN, qui, à quelques semaines de leur congrès, se sentent menacées par les projets de réforme du Président Chadli. [...] Selon les officiers du renseignement français, les événements ont été "encouragés, voire générés" par les adversaires politiques de Chadli au sein du parti unique. Ils assurent que "des véhicules de police banalisés transportaient les jeunes manifestants à travers Alger pour y répandre les troubles", que la police avait "disparu" aux premiers jours des émeutes et que "de nombreux provocateurs ont délibérément ouvert le feu sur la foule pour susciter la réaction des émeutiers et celle des forces de l'ordre" confiées au général Belhouchet "connu pour sa brutalité". Ils relèvent également "l'apparente passivité des forces de l'ordre devant les éléments intégristes", et signalent qu'"un imam a pu se hisser, avec leur assentiment, sur le toit d'un véhicule militaire pour haranguer les manifestants." » "

Bref, autant de signaux qui auraient dû conduire François Mitterrand aux conclusions inverses de celles qu'il présente à ses ministres, à savoir que l'intégrisme est un peu chez les islamistes et b e a u c o u p dans ce que veut bien en faire la haute hiérarchie militaire. En fait, les services français ont parfaitement analysé le premier étage de la manipulation: les «conservateurs du F L N » ont en effet voulu suscitei une révolte « d e la s e m o u l e » pour déstabiliser Chadli Bendjedid qui, « m a n i p u l é » par le « c l a n français» (ami de Mitterrand), avait été poussé ¡1 entreprendre des « r é f o r m e s » pour sortir du carcan socialiste (les conseillers de l'Elysée, devenus ceux de Chadli et amis de Larbi Belkheir, ne sont pas étrangers au projet); l'objectif était de faire sortir leurs richesses (fruit de près deux décennies de détournement à grande échelle) de la clandestinité, d'accaparer dans une plus grande mesure la m a n n e pétrolière; et d'éliminei les « c o n s e r v a t e u r s » qui s'obstinent à contrarier la signature de contrats ruineux, notamment avec les envoyés spéciaux de François Mitterrand. l!t c'est avisé des plans de ces conservateurs que le « c l a n français» a décidé d'ajouter un second étage à la «manipulation».

Mil II KKAND. Sl'Ul/OI'IIKÎNi; OU llf l.OYAI ?

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I idée est de laisser l ' é m e u t e se produire et d e la faire déraper, au ïmuil que l ' a r m é e doive intervenir, prendre le pouvoir via une sorte d e 4 ou M U- de salut public semblable à celui de M a s s u en 1956: les pouvoirs «l»'i iniix conférés à l'armée, avec tous les leviers du pouvoir. Ce n ' e s t rien 111• • 111s q u ' u n e nouvelle «bataille d ' A l g e r » , avec un N e z z a r enthousiaste, iluir. son rôle seyant de parachutiste. M a i s ses espoirs tournent vite au IIIMI ii, car les j e u n e s émeutiers ont beau voir que les forces de l'ordre ont ili»li.iru, le d é c h a î n e m e n t de violence attendu d ' e u x ne survient pas. Et ilf. que les premiers u n i f o r m e s apparaissent, les rues d ' A l g e r se vident Mu nie des plus téméraires pillards. Il n ' y a plus l ' o m b r e d ' u n e révolution A iniiler. Q u ' à cela ne t i e n n e ! Il faut ressusciter la révolte éteinte; c ' e s t lit que les islamistes vont s ' a v é r e r utiles: rien de m i e u x q u ' u n e foule d e ••musulmans en kamis b l a n c » sortant en ruche de la prière du vendredi, iiiiimpulables à m e r c i . . . sur laquelle il fait tirer à la mitrailleuse lourde. L a é v o l u t i o n a eu lieu, quand bien m ê m e elle n'aurait j a m a i s existé.

UN DISCOURS PEUT EN CACHER UN AUTRE MUR» un troisième volet de manipulation va se mettre en place, sur lequel 11 M il reste à écrire (ce qui serait aisé, puisque les acteurs sont e n c o r e invunls, et pour la plupart d a n s l'opposition). Face au d é c h a î n e m e n t d e violence de l'armée, Chadli sombre dans la dépression, disparaît, avant d e mi leprendre, décidé à se débarrasser définitivement de celui qui constitue lu nicud du problème algérien : Larbi Belkheir, son propre chef de cabinet, h marionnettiste en chef responsable de tous les malheurs des Algériens •l> puis 10 ans. Son discours d e 10 octobre, qui doit sonner la victoire du « c l a n liuii(,'»is», n ' a rien à voir a v e c celui q u e son m e n t o r B e l k h e i r lui a pieparc. Dans une aile a n n e x e de la présidence, deux h o m m e s , M o u l o u d lliimrouche, secondé par Ghazi Hidouci, ont décidé de j o u e r les troubleli'lc : Ils poussent Chadli à prononcer une allocution préparée à l'insu de h M il le monde, préconisant des « r é f o r m e s politiques». Lorsque les caméras * ullument sur le visage grave du Président, il est impossible d'arrêter le Uni de sa p a r o l e ; et les généraux « c o n t r e - c o n t r e - p u t s c h i s t e s » m a n q u e n t î Vliangler en l'entendant promettre l'inconcevable : la démocratie ! Dés lors, ses j o u r s sont c o m p t é s au s o m m e t de l'État. Un a f f r o n t e m e n t •i couteaux tirés v a s ' e n g a g e r , arbitré par Paris. Il connaît un tournant lui IM|UC les généraux putschistes contraignent H a m r o u c h e à démissionner

en j u i n 1991. D é s i g n é P r e m i e r ministre, Sid A h m e d G h o z a l i s ' e n g a g e à o r g a n i s e r d e s élections « p r o p r e s et h o n n ê t e s » d a n s m o i n s de 6 moi». P o u r la seule f o i s de son r è g n e de 30 ans, Larbi B e l k h e i r o c c u p e uno f o n c t i o n de p r e m i e r rang, et n o n la m o i n d r e : m i n i s t r e de l'Intérieur C ' e s t dire qu'il n ' a pas décidé de sortir du bois pour le plaisir: il s'agil ni plus ni m o i n s q u e de c o n d u i r e les a f f a i r e s de sorte à faire gagni'i les i s l a m i s t e s a u x p r o c h a i n e s élections, un « d é r a p a g e du processiu d é m o c r a t i q u e » qui j u s t i f i e r a son interruption. La question qui demeuic est de savoir d a n s quelle m e s u r e la France participe à ce qui va suivre. /A l'été 1991, Mitterrand se garde bien d ' e n parler, s ' e n tirant de nouveau par un renvoi dos à dos d e s interlocuteurs d ' u n sérail aux m œ u r s réputéci indéchiffrables. U n e lâcheté qui causera, directement ou non, la mort de plus de 2 0 0 0 0 0 innocents. U n e dérive que l ' o n mettra sur le c o m p t e dea islamistes, dont le principal i m a m a eu besoin d ' u n e courte échelle pom s ' a d r e s s e r à la f o u l e de ses fidèles du haut d ' u n c h a r . . . complaisammen! m i s à disposition par K h a l e d Nezzar.

VIVE LA VACANCE... DE POUVOIR D ' o c t o b r e 1989 à l ' é t é 1991, le pouvoir militaire a tout fait pour plonger le pays d a n s le c h a o s islamique. Q u e les religieux, m a n i p u l é s ou pas, aient j o u é un j e u malsain est u n e évidence. La v a c a n c e de p o u v o i r incite les pires instincts à s ' e x p r i m e r et les raisons de craindre le pire sont bien réelles. D e p u i s Alger, Jean A u d i b e r t , a m b a s s a d e u r de F r a n c e , suit avec u n e certaine s y m p a t h i e les b a l b u t i e m e n t s de la d é m o c r a t i e ; m a i s il n'est pas naïf : « Une société civile condamnée au silence pendant 27 ans ne se mue pas en une démocratie policée par le seul fait de l'annonce d'une réforme constitutionnelle. Face à ces multiples explosions de rancœurs accumulées, l'appareil d'État est inhibé. Les préfets jouent les pompiers à la mesure de leurs talents personnels, les forces policières hésitent à intervenir, les autorités politiques locales, souvent totalement déconsidérées, se terrent. Il y a donc partout comme une vacance de pouvoir. »' 2 L e s islamistes se structurent et se d é v e l o p p e n t ; ils j o u i s s e n t d ' u n préjugé favorable : leur volonté de mettre fin au règne du F L N est partagée par une large frange de la population. L e s dérapages sont multiples, et la volonté d e certains de lancer un d j i h a d pour restaurer des m œ u r s antédiluviennes existe hélas bel et bien. M a i s le basculement dans le c h a o s ou la talibanisation annoncés n ' o n t pas eu lieu.



M I I T I R R A N I ) . SI l l l / . O I M I R Í ' N I - O U D É L O Y A L ?

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•'|Mcmc] à Paris, on a [...] le sentiment que l'Algérie est sur la bonne voie. Les 6 et 8 mars 1990, Edgard Pisani et Hubert Védrine rapportent au l'iésident les mêmes impressions de leurs voyages en Algérie: "La pratique ili'iuocratique s'installe" et "le mouvement islamique est plutôt en recul", noie l'ancien ministre du général de Gaulle qui a encore à l'oreille les |impos que lui a tenus Chadli Bendjedid: "Les intégristes ne se développent |miinis mieux que dans la clandestinité. La répression policière fait des iniiilyrs. Nous avons pris le risque calculé de légaliser leur parti. Obligés ili- s'exprimer à visage découvert et de répondre à des questions précises, il. montrent qu'ils n'ont aucune réponse précise à apporter aux problèmes concrets des Algériens et plus encore des Algériennes." Pisani ajoute : "( liadli est optimiste. On a tendance à lui donner raison." >>13 l liiidli a l ' o p t i m i s m e q u ' o n lui souffle à l'oreille. I ,es élections municipales du 12 juin 1990 donnent une majorité absolue •un islamistes, qui les place en position de responsabilité. Cela p r o v o q u e une douche froide. M a i s q u e l q u e s m o i s plus tard, c ' e s t la désillusion: I iiinnteurisme de ces h o m m e s qui promettaient la lune est f l a g r a n t ; les |niniques déplorables perdurent et le quotidien des Algériens reste aussi i iilnniiteux. Point de logements, pas de travail, aucun pouvoir d'achat, nul ii minnissement des c o m p o r t e m e n t s ; il est significatif que c ' e s t ce m o m e n t que choisissent les richesses, fruit de deux décennies de spoliations, pour « exhiber; les 4 x 4 rutilants envahissent les rues bondées des villes et les édifices rivalisent de hauteur. M i e u x encore, des dissensions naissent au •«•in des instances dirigeantes du FIS, les j e u n e s Algérianistes contestant lu gestion autoritaire d ' A b a s s i Madani (il s ' a v è r e de plus en plus évident qu'il agit pour le compte, et sous les ordres, des généraux).* Plusieurs facteurs concourent à convaincre les électeurs que ce ne sont pus les islamistes, malgré leur bonne volonté affichée, qui sortiront le pays île l'ornière. D ' a u t a n t que, sous la baguette d ' A b d e l h a m i d Mehri, le F L N a .'ii- rénové, ses branches pourries élaguées. Le retour d ' e x i l d ' A ï t - A h m e d i permis au FFS, aidé par les militants du m o u v e m e n t culturel berbère I I'ÎSU des é v é n e m e n t s d'avril 1980), u n e formation au discours m o d e r n e ci à vocation démocratique, de prendre une dimension nationale, par-delà les régions berbérophones. Et, n o u s l ' a v o n s vu, les r é f o r m e s é c o n o m i q u e s du gouvernement H a m r o u c h e c o m m e n c e n t à porter leurs fruits. Le r e f u s de la France d ' a i d e r les f i n a n c e s du p a y s n ' a p a s eu l ' e f f e t dévastateur i'Ncompté par B é r é g o v o y : sitôt r e v e n u à Alger, en s e p t e m b r e 1990, il profite d ' u n e envolée spectaculaire des cours du pétrole qui apportent au

* Ceux qui pourraient en témoigner, (eux aussi exilés et encore dans l'opposition), et s'en «lisiiennent portent une lourde responsabilité devant l'Histoire.

•IIAIANS D'INAVOIIAIII I

Trésor les f o n d s permettant au g o u v e r n e m e n t d ' a c q u é r i r les d e n r é e s do première nécessité qui manquaient depuis des années. M o u l o u d H a m r o u c h e n ' i g n o r e pas que son gouvernement est menacé, moins p a r les islamistes que par les généraux : il le dit sans a m b a g e s au j o u r n a l i s t e du Monde qui l ' i n t e r r o g e : « L ' A l g é r i e est sur le point de basculer d ' u n système à un autre, démocratique. La seule force capable de contrarier cette ambition est l'armée. [...] D e toute façon, si l'expérience du multipartisme réussit, l ' a r m é e va perdre son pouvoir politique, l'influence qu'elle aura sur le système va obligatoirement diminuer. [ . . . ] Les réformes ont atteint un point de non-retour". »' 4 La démocratie à portée de m a i n ? Lu dictature à portée de f u s i l ? D e quel côté la balance va-t-elle p e n c h e r ? Le 3 j u i n , Khaled N e z z a r envoie ses t r o u p e s sur les places d'Algei occupées par les agents du D R S maquillés en durs des Hijra wa Takfïr\ armée et D R S simulent à grand bruit une révolution qui n ' a j a m a i s existé, forçant Chadli à mettre fin au processus électoral. Sid A h m e d Ghozali est n o m m é P r e m i e r ministre, avec les conséquences q u e l ' o n sait.

GUERRE CIVILE OU GUERRE DE L'ARMÉE CONTRE SON PEUPLE Six mois plus tard, Larbi Belkheir peut feindre l'effondrement en dévoilant les résultats de l'élection législative du 26 décembre 1991. Depuis juin, il a m e n é une campagne infatigable pour permettre au FIS de se restructurer, lui donner les m o y e n s d'organiser ses rassemblements et le pousser à participer aux élections quand ses dirigeants ont m o n t r é une réticence à le faire. Parallèlement, il s'est échiné à e m p ê c h e r les formations démocratiques de faire c a m p a g n e . P e r s o n n e ne conteste les résultats q u ' i l présente; ils sont pourtant une pure invention de sa part. Il a voulu une victoire incontestable des islamistes, de manière à justifier la fin de l'aventure démocratique algérienne qui ne pouvait déboucher que sur une régression (des escouades entières de journalistes s'emploieront depuis à ressasser cette « d é m o n s t r a t i o n » ) . Les islamistes n ' o n t aucune raison de contester des résultats inespérés ; pourtant, ils savent que les chiffres sont totalement faux. Un haut cadre du FIS, vivant aujourd'hui en Suisse, est catégorique: dans le bureau de vote où il a été délégué par son parti, les chiffres officiels sont très en deçà de la réalité (si les islamistes devaient, dans les calculs de Belkheir, gagner, il ne s'agissait pas de leur offrir une victoire au premier tour, ce qui aurait compliqué le déroulement d u coup d'État). En fait, le scrutin est irrecevable dans son ensemble du fait d'irrégularités flagrantes

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M i l II K K A N I ) , S C I I I / O I ' I I K I - N I ' . O l l l ) U OYAI.V

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H n i nombre, et les partis en lice n ' o n t j a m a i s bénéficié des conditions i1'iS|iiité; mais qu'importe, le fait que les islamistes soient vainqueurs atteste île l'intégrité de l'élection ; et cela suffit au « b o n h e u r » de tout le monde. L e « i ninio proposé, imposant un d e u x i è m e tour, laisse du temps à l ' a r m é e |«iuii mener à bien son c o u p d'État. I ' e n g r e n a g e de la guerre civile est enclenché. M a i s s'agit-il réellement il une guerre c i v i l e ? Jamais u n e f r a n g e de la population civile algérienne ne ;'cn est prise à u n e autre, m a l g r é tous les efforts du D R S pour susciter île h Iles c o n f r o n t a t i o n s . En r e v a n c h e , l ' a r m é e a l g é r i e n n e dirigée par nui' dizaine de g é n é r a u x , et les services secrets du D R S , ont élaboré la iimchine i n f e r n a l e qui broiera u n e p o p u l a t i o n d é s a r m é e . L e s v i c t i m e s ignorent q u e l l e s a c c e p t i o n s les institutions internationales d o n n e n t au mot « g é n o c i d e » : u n e c h o s e est certaine, d e s d i z a i n e s d e milliers de p u sonnes seront s a u v a g e m e n t a s s a s s i n é e s c h a q u e a n n é e , d u r a n t p r è s •li- 10 ans, au seul motif d ' a v o i r eu d e s sympathies p o u r le FIS, un parti lrHiil, qui s ' e s t p r é s e n t é le plus o f f i c i e l l e m e n t du m o n d e à u n e élection nuiorisée. A u x côtés de ces s y m p a t h i s a n t s du F I S , tous les intellectuels li » plus critiques à l ' é g a r d du r é g i m e militaire, les plus crédibles et les plus honnêtes, ont été liquidés par les « e s c a d r o n s de la m o r t » du D R S . t ela ne prête plus d é s o r m a i s à a u c u n e contestation. Pourtant, les m ê m e s llénéraux criminels continuent d ' o c c u p e r les plus hautes sphères d e l'État l i b é r i e n ; ils sont r e ç u s a v e c les h o n n e u r s d a n s t o u t e s les r e n c o n t r e s miernationales, courtisés par les p u i s s a n c e s occidentales à qui ils o f f r e n t 1rs ressources dont ils privent leur peuple. S'agit-il d ' u n e guerre civile ou d'un g é n o c i d e ? A c h a c u n d e se faire son opinion.

B o u d i a f , OU LA MORT EN DIRECT l'our faire taire les critiques qui n'auraient j a m a i s dû cesser sur le coup d ' É t a t de janvier 1992, les généraux parviennent à convaincre M o h a m e d Boudiaf de sortir de 30 ans d ' e x i l pour chapeauter un organisme censé pallier la vncance de pouvoir, le H C E . Il jouera le jeu, lancera une répression sauvage i outre les islamistes et cautionnera l'ouverture de c a m p s de concentration iluns le Sahara. Quelques m o i s après avoir imposé « l ' o r d r e » totalitaire q u e lui ont dicté les généraux, il décide de réaliser son propre projet, remettre le pays sur les rails de la légalité constitutionnelle. Il c o m m e n c e par le plus uulii: mettre fin à la corruption. Est-il à ce point inconscient qu'il se croit rnpable, seul, d'arracher aux militaires leur proie, un pouvoir absolu sur le peuple algérien, son sol et, surtout, son sous-sol?

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2IMIANS U'INAVOUAHI I

Q u e l l e m o u c h e l ' a p i q u é de faire u n e c o n f i a n c e a v e u g l e à Bérégovoy p o u r m e n e r à bien son a c t i o n ? Aurait-il été aussi n a ï f si G h a z i H i d o m i ou M o u l o u d H a m r o u c h e l ' a v a i e n t avisé d e leurs p r o p r e s d é b o i r e s ? Satin d o u t e pas. E n tout état de c a u s e , c o m m e e u x d e u x a n s a u p a r a v a n t , el c o m m e A b d e s s e l l a m du t e m p s d e B o u m e d i e n e , c ' e s t en a v e u g l e qu'il m i s s i o n n e trois o f f i c i e r s i n t è g r e s p o u r se r e n s e i g n e r a u p r è s des services du m i n i s t r e d e s F i n a n c e s Pierre B é r é g o v o y sur les d é t o u r n e m e n t s dont il aurait c o n n a i s s a n c e . B é r é g o v o y les reçoit. Ils repartent bredouilles. Dans la s e m a i n e qui suit, t o u s trois m e u r e n t criblés d e balles. « L e 2 9 j u i n 1992, cinq m o i s après sa n o m i n a t i o n , [ . . . ] le Président algérien M o h a m m e d Boudiaf est assassiné au cours d ' u n déplacement à Constantine. Cet attentat accentue la crise algérienne. [ . . . ] Quelques mois plus tard, François Mitterrand confie à Hosni Moubarak : "Boudiaf a été tué par ses amis parce qu'il voulait lutter contre la corruption." L'Égyptien acquiesce précisant t o u t e f o i s : "Il a été tué par ses e n n e m i s utilisés par ses amis. Son erreur a été d ' a v o i r ouvert tous les fronts sans identifier ceux qu'il avait à combattre. A u j o u r d ' h u i , seul le ministre de la Défense, Khaled Nezzar, a l'influence avec son équipe."» 1 5

O n sait d o n c qui est le c o m m a n d i t a i r e d e l ' a s s a s s i n : K h a l e d N e z z a r et son équipe, Larbi Belkheir, S m a ï n L a m a r i , etc. M a i s certaines z o n e s d ' o m b r e s d e m e u r e n t : le r ô l e j o u é p a r la F r a n c e . « Q u e l q u e s j o u r s a u p a r a v a n t , u n e r e n c o n t r e o f f i c i e l l e M i t t e r r a n d - B o u d i a f à P a r i s avait été d é c i d é e d a n s le p l u s g r a n d secret p o u r la p r e m i è r e s e m a i n e du m o i s d e juillet. » A-t-on é l i m i n é B o u d i a f p o u r e m p ê c h e r u n e r e n c o n t r e a v e c le Président M i t t e r r a n d a u c o u r s de laquelle ils auraient p u d é c i d e r d ' u n e orientation positive des relations entre les d e u x p a y s ? O u bien Mitterrand, a p r è s avoir feint d ' a c c e p t e r cette r e n c o n t r e p a r d i p l o m a t i e , a-t-il m a n d é a u x g é n é r a u x d ' A l g e r d e f a i r e en sorte q u e la r e n c o n t r e n e p u i s s e j a m a i s a v o i r l i e u ? D a n s les d e u x cas, son c o m p o r t e m e n t est i n d i g n e . C o m p l i c e ou lâche, voilà le seul c h o i x qui lui reste. D a n s le p r e m i e r cas, il aurait dû réagir a v e c f e r m e t é f a c e à ce é n i è m e m a n q u e m e n t a u x règles d e la c o m m u n a u t é h u m a i n e . D a n s le s e c o n d , il est le c o m m a n d i t a i r e , direct ou indirect, de l ' a s s a s s i n a t d ' u n c h e f d ' É t a t a f r i c a i n , selon la b o n n e vieille tradition de la F r a n ç a f r i q u e , des r é s e a u x F o c c a r t . Q u i peut croire q u ' i l é p r o u v e r a i t le m o i n d r e s c r u p u l e à la c h o s e ?

D a n s l ' h y p o t h è s e o ù il a u r a i t été a c c a b l é p a r c e t t e é l i m i n a t i o n , on l ' i m a g i n e r a i t ulcéré à l ' é g a r d des g é n é r a u x . . . « A u m o i s de février 1993, le P r e m i e r m i n i s t r e a l g é r i e n , B e l a ï d A b d e s s e l a m , est r e ç u à Paris p o u r concrétiser u n a c c o r d bilatéral de c o o p é r a t i o n financière. "Le t e r r o r i s m e va durer, n o u s ne n o u s f a i s o n s a u c u n e illusion", déclare-t-il à F r a n ç o i s

MITTERRAND, SCMIZOPHRÈNH OU

DÉLOYAL?

4JV

Mitterrand, qui lui réitère le soutien de la F r a n c e . » 1 6 L ' h y p o t h è s e d ' u n Milterrand j o u a n t au M o n o p o l y grandeur nature avec l ' A f r i q u e est-elle difficile à a d m e t t r e ? L ' o n se souvient des « d i a m a n t s de B o k a s s a » , qui ont conduit à la défaite de Valéry Giscard d ' E s t a i n g en 1981. Et de l'opération « B a r r a c u d a » , la nuit du 19 au 20 septembre 1979, qui voit les « paras du colonel D e g r e n n e atterrissant en Centrafrique, officiellement pour "assurer la sécurité des populations" qui les ont appelés. En fait, sur ordre du pouvoir, ils viennent renverser Bokassa, ce jour-là en v o y a g e en I ybie. Ses palais sont investis par les militaires. Les paras, a c c o m p a g n é s d'agents du S D E C E , font main basse sur les archives. Au palais impérial de Berengo, ils entassent des caisses de documents et un hélicoptère P u m a est chargé de les transporter dans la capitale. Plusieurs témoins, dont des journalistes, verront un c a m i o n D o d g e faire le tour des ministères et t r a n s b o r d e r les a r c h i v e s j u s q u ' à l ' a m b a s s a d e de F r a n c e . » 1 7 Voilà Bokassa en exil, en A f r i q u e d ' a b o r d . Et puis la gauche revient au pouvoir. Bokassa s'installe en France, dans l ' u n de ses palais, à Hardricourt, près de Melun. L'agent des R G Patrick Rougelet est chargé de sa surveillance. Une position qui lui permet d ' a p p r o c h e r 1 ' « e m p e r e u r » déchu et de se lier d ' « a m i t i é » avec lui. « J ' a v a i s observé, confie-t-il, depuis plusieurs m o i s q u e d e u x clans rivaux gravitaient a u t o u r de "papy". L e premier, les F r a n ç a i s , est e m m e n é p a r Roger Delpey et un ami antiquaire, Bernard de Souzy, ainsi q u ' u n e de leurs relations, A n d r é L e m e i g n e n . P o u r eux, l'intérêt d ' u n r e t o u r sur le t r ô n e est é v i d e m m e n t financier. Le s e c o n d c e r c l e tournait a u t o u r de G e o r g e s B o k a s s a , le fils aîné du vieux m o n a r q u e , p r o c h e d ' u n h o m m e d ' a f f a i r e s libanais, M o h a m e d Ali Hajizi. Leur intérêt? R e p r e n d r e le p o u v o i r politique en C e n t r a f r i q u e . [ . . . ] U n j o u r , le 3 0 m a r s 1984, [ . . . ] R o g e r D e l p e y d e m a n d e à m e voir. L e soir m ê m e , j e rédige un blanc "confidentiel" de 5 p a g e s à l ' a t t e n t i o n d u directeur central d e s r e n s e i g n e m e n t s g é n é r a u x [ . . . ] "Mitterrand m ' a reçu le 6 m a r s 1983 [ . . . ] à l ' E l y s é e " [ . . . ] raconte Delpey. " L e Président m ' a e x p l i q u é q u ' à l ' e x c e p t i o n de H o u p h o u ë t - B o i g n y , il n ' a v a i t pas g r a n d e illusion sur la plupart des c h e f s d ' É t a t du continent noir, m a i s q u ' i l fallait faire œ u v r e de réalisme parce que l ' A f r i q u e présentait un e s p a c e stratégique de p r e m i è r e i m p o r t a n c e p o u r la France, au m ê m e titre que la Sibérie p o u r l ' U R S S ou l ' A m é r i q u e centrale p o u r les États-Unis." [ . . . ] D e l p e y assure q u e Mitterrand, tout en soulignant les erreurs de son p r é d é c e s s e u r , "ne s ' o p p o s e p a s au retour de B o k a s s a en C e n t r a f r i q u e si une partie de la population et de l ' a n n é e le demandait". Toutefois, t o u j o u r s selon Delpey, le Président indique aussi q u e ce retour ne pourrait pas avoir lieu à partir du territoire français, p o u r q u e l ' o n ne puisse pas a c c u s e r la F r a n c e de tirer les ficelles. "François Mitterrand a ensuite fait venir G u y Penne, son conseiller p o u r les A f f a i r e s a f r i c a i n e s et n o u s a d e m a n d é de rester en relation, a j o u t e Delpey.» 1 8

¿(H) A N S

D'INAVOLIAIU.I'

Si Mitterrand est réaliste sur la qualité des chefs d ' É t a t s d ' A f r i q u e noire, et s'il considère le continent stratégique, que dire de l ' A l g é r i e ? C o m m e Hidouci en 1990 (qui en r e v a n c h e eu la c h a n c e d ' e n sortii vivant), B o u d i a f aurait-il été victime du c o u p de Jarnac, p o i g n a r d é pai c e u x en qui ils firent, tous deux, a v e u g l é m e n t c o n f i a n c e ? Mitterrand est né à Jarnac m ê m e , c o m m e l ' e x p l i q u e malicieusement Marie-Joseph Chalvin, qui se d e m a n d e si cela n ' a pas « e u une influence décisive sui sa personnalité. » Un h o m m e en tout cas en est persuadé, pour avoir subi en direct ce trait de caractère. J a c q u e s Chirac est certain de bénéficier de la grande estime du Président: « S ' i l y a de la haine entre nous, c'est que le chef de l'État est un m o n s t r e d ' h y p o c r i s i e et moi u n m o n s t r e de naïveté. »' 9 Un an après avoir tenu ces propos, il est cueilli à froid : « P o u r moi, tout s'est éclairé lors du face-à-face télévisé entre les deux tours de l'élection présidentielle, c ' e s t là que j ' a i compris que, pendant tous ces m o i s il avait dû éprouver une sorte de haine contre m o i . . . Je l'ai sûrement humilié sans m ' e n rendre compte et il souffrait en son for intérieur sans en rien laisser paraître. » 20 A p r è s la mort de B o u d i a f , la v i o l e n c e ira c r e s c e n d o ; m a i s cela ne s e m b l e pas affecter les relations é c o n o m i q u e s f r a n c o - a l g é r i e n n e s , bien au contraire. Mitterrand s ' e m p r e s s e d ' a i l l e u r s d e rappeler l ' a m b a s s a d e u r J e a n A u d i b e r t et le r e m p l a c e p a r un b o u t e f e u x é r a d i c a t e u r n o m m é B e r n a r d K e s s e d j i a n . En 1993, celui-ci é c r i t : « L a terreur s ' i n s t a l l e partout, l ' A l g é r i e s ' e n f o n c e dans la guerre avec u n e centaine de morts par s e m a i n e . » Q u a n d L i a m i n e Z é r o u a l , un « d i a l o g u i s t e » , prend la tête de l ' É t a t , K e s s e d j a n a c c u e i l l e la n o u v e l l e a v e c s c e p t i c i s m e : « U n m o i s après la p r i s e de p o u v o i r par L i a m i n e Z é r o u a l , le bilan est c a t a s t r o p h i q u e . » Puis, u n e s e m a i n e plus t a r d : « T o u t e solution politique paraît s u s p e n d u e à l ' é c r a s e m e n t p r é a l a b l e de la rébellion a n n é e , et du G I A en particulier. » 21 É c r a s e r u n e rébellion a n n é e , cela nécessite b e a u c o u p d ' a r m e m e n t , que la F r a n c e ne se fait pas prier de f o u r n i r : les Algériens qui m e u r e n t , après tout, c ' e s t u n e a f f a i r e strictement algéroalgérienne. Q u ' e n est-il du volet p u r e m e n t f r a n ç a i s du d o s s i e r ? N o u s a v o n s vu c o m m e n t t o u t e la carrière p o l i t i q u e d e F r a n ç o i s Mitterrand a r e p o s é sur sa rivalité a v e c de G a u l l e . En a c c é d a n t à la fonction présidentielle en 1981, il s'est e f f o r c é de réécrire l ' H i s t o i r e de sorte à substituer son empreinte à celle laissée par la mémoire, imposante, du général ; il reste p e r s u a d é q u e si les circonstances lui avaient souri

MITTERRAND, SCHIZOPHRÈNE OU DÉLOYAL?

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i ii l l )58, il aurait conclu le dossier algérien de façon plus « h e u r e u s e » . Il est rare q u e la vie o f f r e la p o s s i b i l i t é d ' u n e r e v a n c h e . F r a n ç o i s Mitterrand eut cette c h a n c e . M a i s il é c h o u e r a de n o u v e a u , tout aussi I entablement. En 1965, j u s t e avant le second tour de la présidentielle, (icorges P o m p i d o u dressait ce portrait de lui: « C ' e s t q u e l q u ' u n qui a m cessivement vraiment couru toutes les chances, pris tous les risques il'amener la F r a n c e à la faillite. Il a un t e m p é r a m e n t d ' a v e n t u r i e r . Homme de la IVe République, il est l ' h o m m e de l'incapacité, l ' h o m m e do la contradiction. » 22 C o n c e r n a n t l'Algérie, on aura du mal à ne pas être d'accord avec P o m p i d o u .

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CHAPITRE 1 6

La revanche perdue de François Mitterrand % I DUS savons de quelle façon de Gaulle a résolu le p r o b l è m e algérien I I X I pur la politique du « d é g a g e m e n t » . Si tout le m o n d e a d m e t q u e la I , 1 solution a eu les c o n s é q u e n c e s désastreuses a m p l e m e n t détaillées ilwi ' i*i o u v r a g e , p e r s o n n e n e m e t en doute le c o u r a g e du général, ses .ÎIMIIII". ile dirigeant et l ' i d é e q u ' i l se faisait de la g r a n d e u r de la France. • niilionté aux généraux d ' A l g e r , de Gaulle usa de toutes les ficelles, iii'iiiiipris les p l u s illégales, p o u r les r é d u i r e à son autorité. F r a n ç o i s Muii iiiuid sera c o n f r o n t é au m ê m e p r o b l è m e tout au long de ses d e u x miáis; m a i s les g é n é r a u x a l g é r i e n s lui i m p o s e r o n t c h a q u e f o i s leurs sTiilniilus. L ' h o n n e u r perdu de François Mitterrand le suivra j u s q u e d a n s sa ti ititi H*. Quant à la g r a n d e u r de la F r a n c e . . . I M trois ans, « d e p u i s son élection en m a i 1981, Mitterrand s'est [ . . . ] • •MIIII irois fois en Algérie, m a i s u n e seule fois au M a r o c . » Tel le p o l y g a m e ¡iM'i MI favorite, il m e t un point d ' h o n n e u r à afficher sa p r é f é r e n c e pour Chinili. Et lorsque, en août 1984 il projette de se rendre au M a r o c , il c o n f i e AI iiinçois de G r o s s o u v r e u n e mission délicate : » l )htenir des garanties du souverain sur le caractère non seulement "privé", milis surtout "secret" du voyage: en agissant ainsi, Mitterrand espère limiter les dégâts avec les Algériens. [...] La fuite révélant la présence de M illerrand sur le sol marocain [... tomba] sur les téléscripteurs au moment où Cheysson arrivait au palais présidentiel pour transmettre à Chadli un message verbal de Mitterrand. [...] L'accueil fait à Cheysson fut des plus froids. Au cours d'un second entretien avec Chadli, Cheysson, qui, entrelemps avait eu une longue communication téléphonique avec Mitterrand, Ininsmettait un second message verbal. Mitterrand devait se rendre au Hurundi à la fin novembre pour assister au sommet franco-africain. Il se proposait de faire escale à Alger afin de dîner avec Chadli. »'

ABS I» INAVOHAIII I

Si d a n s le « h a r e m » africain d e Mitterrand, Chadli a droit à tant d'égard c ' e s t q u e cette « f a v o r i t e » a plus d e c h a r m e s secrets à o f f r i r q u e sel c o n c u r r e n t e s . U n a s s u j e t t i s s e m e n t qui atteint d e s p r o p o r t i o n s telle que l ' o n serait bien en p e i n e d ' e n cerner t o u t e s les r a m i f i c a t i o n s et le motivations. Les crimes c o m m u n s q u e nous a v o n s dévoilés ici n e sont qui la partie é m e r g é e d e s relations inavouables entre la France et l'Algérie. L e pacte de sang (l'assassinat de Mécili) contracté par la droite avei le D R S en 1987 tient j u s q u ' e n 1995. La « p o l i t i q u e des p o l t r o n s » n'e^i cependant efficace que dans la m e s u r e où le poltron reste obéissant. 1) qu'il fait m i n e de lever la tête, les coups se mettent à pleuvoir de plus belle C e t t e règle-là, les A l g é r i e n s la c o n n a i s s e n t p o u r u n e raison simple ¡ elle est leur r é g i m e q u o t i d i e n d e p u i s près d e d e u x siècles. Q u a n t à lu France, le clan i n f e c t i e u x q u ' e l l e a c o u v é d a n s son a n c i e n n e colonie esl p a r v e n u au s t a d e d e la m a t u r i t é : s u f f i s a m m e n t p o u r q u ' i l se retourni! c o n t r e elle et lui i n f l i g e q u e l q u e s - u n s d e s c o u p s t o r d u s q u ' e l l e lui n inculqués. O r la f a c t u r e de la lâcheté est lourde, et r e n o u v e l a b l e par tácito r e c o n d u c t i o n , à l ' i n f i n i . L e s a t t e n t a t s r e p r e n n e n t d o n c en 1995, sitôt q u e le p o u v o i r f r a n ç a i s e s q u i s s e un m o u v e m e n t d e d é f i a n c e à l'égard du « c l a n f r a n ç a i s » . Q u e l q u e s r e s p o n s a b l e s v e u l e n t a c c o r d e r v o i x au chapitre au p e u p l e algérien : rien d e bien m é c h a n t , en s o m m e ; m a i s c'est d é j à trop. N o r m a l q u a n d on sait q u e la plus petite révélation officielle d e la F r a n c e sur l ' A l g é r i e peut p l o n g e r le r é g i m e d e s g é n é r a u x d a n s un tourbillon j u d i c i a i r e qui ferait passer les g é n o c i d a i r e s du R w a n d a ou les c r i m i n e l s de l ' e x - Y o u g o s l a v i e p o u r d e s e n f a n t s d e c h œ u r ( m a i s dans ce c a s d e figure, ils p a r t a g e r a i e n t leurs g e ô l e s a v e c c e r t a i n s h o m m e s politiques f r a n ç a i s de p r e m i e r rang, dont c e r t a i n s aspirent a u j o u r d ' h u i e n c o r e a u x p l u s h a u t e s f o n c t i o n s ou d i s p e n s e n t q u o t i d i e n n e m e n t lein « e x p e r t i s e » à la télévision).

\JK NON-INGÉRENCE, C'EST L'INGÉRENCE Le sursaut d ' o r g u e i l de la F r a n c e intervient au m o m e n t où le terrorisme dans c e pays atteint un p a r o x y s m e , les généraux s'obstinant dans leur folie meurtrière et d a n s leur r e f u s psychotique d ' e n v i s a g e r un retour à la paix avant d ' a v o i r « é r a d i q u é le m a l » ; étant e n t e n d u q u e p o u r eux, le peuple algérien l u i - m ê m e incarne « l e m a l » .

LA RI VAN< III CI-.RDUI-: 1)1 I RAN(,()IS MI1TI RRANI)

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l'ourlant, le p o u v o i r algérien est alors aux abois. Le p a y s « c o n n a î t en rl 1993 une croissance nulle, avec un quart de la population active ||i i honiage, dont 8 0 % de jeunes, et des r e m b o u r s e m e n t s de la dette qui iiviiii'nt 7 8 % d e s recettes des exportations pétrolières et gazières. » 2 llynr du « r e n o u v e a u p o l i t i q u e » (si l ' o n peut dire !), c ' e s t le ministre des Alluues étrangères R é d h a Malek, l ' h o m m e des accords d ' É v i a n , qui vient RIMUII I la cause du r é g i m e et d e m a n d e r l ' a u m ô n e . Il tient un discours Astiint- à satisfaire tous ses interlocuteurs, un p o u v o i r entré en seconde ••tliiihilation ; le gouvernement français est lui-même bicéphale : d ' u n côté, lit n-|)iiblicains autour de Juppé et Léotard, et de l'autre, Charles Pasqua, I '•*«*• • des généraux algériens. Pour seule politique, R h é d a M a l e k propose (l'indication du terrorisme d ' a b o r d , suivi du rétablissement de l'autorité il» l'f lat, et enfin l'organisation des élections. En attendant, l ' A l g é r i e R lu-min d ' a r g e n t ; la routine. Ce discours est r e n f o r c é p a r les rapports «luinustes de l ' a m b a s s a d e u r de France à Alger, Bernard Kessedjian, un tiiiiliniteur en béton a r m é : « T o u t e solution politique paraît suspendue à I'IM u s e i n e n t préalable de la rébellion armée, et du G I A en particulier.» I in projet qui fait peu de cas du fait que le GIA, c ' e s t essentiellement le l»l(S, ce qui rend son « é c r a s e m e n t » tributaire de la b o n n e volonté de ce »IN mer. Kessedjian inscrit la politique algérienne de la France dans une |ii i »|)cctive géopolitique s o m m a i r e : «"La position américaine conforte les terroristes et entretient donc lu guerre", observe l'ambassadeur de France à Alger, qui suggère au Hiiuvernement d'oeuvrer auprès des Douze pour qu'ils affichent une position tranchée par rapport à l'administration Clinton. "Il ne faut mirtout pas que les dirigeants algériens puissent avoir l'impression que la i ommunauté internationale bascule du côté de l'opinion islamiste", ajoute Kessedjian dans un télégramme "secret Défense" du 23 mai 1994.» 3 l u Imit état de cause, c ' e s t à cette é p o q u e que le pouvoir français décide île ronditionner son a i d e ; hélas, il ne s ' e x p r i m e pas d ' u n e voix unanime. M Seule l'initiative, p r o p o s é e p a r F r a n ç o i s Mitterrand en février 1995, il'inie aide à la r e c o n s t r u c t i o n de l ' A l g é r i e , d o n t le v e r s e m e n t ferait InUTvenir des acteurs algériens f a v o r a b l e s à un retour à la d é m o c r a t i e iliins ce pays, avait eu le mérite de poser, p o u r la première fois, la question (l'une conditionnalité de l ' a i d e , en lui donnant un caractère positif et en le «iluant à l'échelon européen. [ . . . ] Le p o u v o i r algérien ne s ' y est d'ailleurs |t«iM trompé en dénonçant cette "ingérence inadmissible". [ . . . ] Lorsque le l'iesident [Chirac] a accepté de rompre, de nouveau, le tabou en octobre l')')5, en affirmant que l ' a i d e française serait désormais conditionnée aux Ovolutions d e la démocratie, il s ' e s t e n g a g é dans une d é m a r c h e autrement

.: véi ilubles déclarations d'agression contre la F r a n c e » , 7 il fait étalage de •H li'imcté en organisant de spectaculaires arrestations massives. Vingt-six «unpnlhisants islamistes sont tirés du lit, et certains sont expulsés vers le liuikinn Faso, « a v a n t de revenir en France après l'annulation de la décision |irii le tribunal administratif.» M a i s q u ' i m p o r t e , puisque l ' i m p o r t a n t est il , les images qui, durant des jours, ont o c c u p é l'essentiel des j o u r n a u x j*li \ més de France, et du m o n d e entier: le terrorisme islamiste algérien a «lum nnngrené la France. I i- ( ¡ I A - D R S a un allié certain au sein de l'État français, C h a r l e s |im ; il peut donc envisager de retourner la situation en sa faveur. Quant *u i("virement de François Mitterrand, il laisse dubitatif.

« IL N'Y A PAS DE HASARD DANS LA COMMUNICATION» feà partir de l'été 1994, le patron des services algériens [Smaïn Lamari] ©n n. prévient que des attentats du G I A sont à craindre sur le sol français. $1111* alertons le g o u v e r n e m e n t , d ' a u t a n t q u ' o u t r e le G I A , la b r a n c h e Rîuiee du FIS se radicalise et m e n a c e à son tour directement la F r a n c e » , 8 mile Philippe Rondot. « U n m o i s plus tard, à la suite de son dernier

têlte-à-tcte a v e c Helmut Kohi, François Mitterrand tente d ' a m e n e r ^ p a r t e n a i r e s e u r o p é e n s à prendre une initiative c o m m u n e p o u r aider A l g é r i e n s à sortir de l ' i m p a s s e : une aide financière massive de l'Uni e u r o p é e n n e serait versée en contrepartie d ' u n accord politique enii» touis les protagonistes du conflit. "Et l ' A l g é r i e , q u ' e n pensez-vmi'. d e m a n d e rituellement le chancelier. "Nous s o m m e s en présence d' f a n a t i s m e des intégristes auquel s ' o p p o s e celui des éradicateurs. Il y a . u n e tentative d ' a c c o r d à R o m e , avec des partis qui se voulaient modei. Les; militaires l'ont trop rapidement rejetée. La France est naturelleniefii h o r s d ' é t a t d ' i n t e r v e n i r en raison de son passé. C ' e s t la crise s o n m qui alimente le fanatisme et si l ' o n veut traiter le p r o b l è m e à sa ratini il faïut s ' a t t a q u e r à la misère. C ' e s t ça, la seule politique véritable. lil s u p p o s e r a i t que l ' U n i o n e u r o p é e n n e et les É t a t s - U n i s apportent lin. aide puissante à l'Algérie. La C o m m u n a u t é pourrait donner l'exemple i condition d'assortir cette aide d ' u n accord préalable entre toutes les parli, a l g é r i e n n e s . " Kohi ne se p r o n o n c e pas. Et Mitterrand insiste : "Si non v o u s , les Italiens, les Suédois, enfin les 15 reprenaient les proposition de R o m e , cela impressionnerait les Algériens." A u sortir de l'entretien, I porte-parole de l'Élysée, Jean Musitelli, indique que le Président a j u | p . n é c e s s a i r e que l ' U n i o n européenne prenne une initiative sur l'Algérie < en a fait part au chancelier Kohi. Dès le lendemain, A l g e r réagit vivement à ce q u ' i l considère c o m m e une "ingérence" dans les affaires intéricniei et rappelle son a m b a s s a d e u r à Paris en consultation. L ' a g e n c e officiellr de presse A P S accuse Mitterrand de "nourrir une haine viscérale à l'égan d ' u n e Algérie indépendante".» 9 M i t t e r r a n d a-t-il c o n s c i e n c e q u ' i l tient l ' o c c a s i o n de sa revanche sur le général de G a u l l e ? A c c a b l é par la m a l a d i e , c o n f r o n t é à une crise é c o n o m i q u e sans précédent, aux prises a v e c une c a m p a g n e médiatique f o r c e n é e eu égard à son p a s s é v i c h y s t e , e m p ê t r é d a n s les affaires, d é m o r a l i s é par le suicide d ' u n de ses collaborateurs à quelques mètres d e son bureau, il tient là le dossier idéal p o u r redorer son blason. Le pan serait risqué (mais bien m o i n s que l'obéissance aveugle), et il a la facullé et l ' i n f l u e n c e p o u r f o r c e r les généraux à c é d e r le pouvoir. 11 permettrai! aux A l g é r i e n s de retrouver le c h e m i n de la liberté, de la démocratie, bref, de l ' I n d é p e n d a n c e ; c ' e s t - à - d i r e q u ' i l a à cette occasion la possibilité île r é p a r e r les d é g â t s p r o v o q u é s d a n s ce p a y s p a r la politique inavouable du g é n é r a l de Gaulle, la décolonisation piégée. Ce qui aurait p e r m i s aux d e u x p a y s d ' e n v i s a g e r une c o n c o r d e à long t e r m e , u n e collaboration saine et d u r a b l e .

I.A KUVANtïll l'I KDIIIÎI>••: I KANI/OIS MITTIÎKKANI)

l'ifil.

1994, d e u x é v é n e m e n t s s e m b l a b l e s , d e s g é n é r a u x

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d'Alger

i»i u . m ) une p r e s s i o n i n s u p p o r t a b l e sur le p o u v o i r à Paris, et q u i ont MiiftinoiiL'lusion d i a m é t r a l e m e n t o p p o s é e . L à où C h a r l e s de G a u l l e , seul, •iinpli-ment fort de son aura, de sa crédibilité et du soutien q u e lui o f f r e Mu|iinmn, e n g a g e un bras de fer et l ' e m p o r t e , F r a n ç o i s Mitterrand lui se Nli> m u

volontés d ' A l g e r . P o m p i d o u avait d é c i d é m e n t r a i s o n : « M i t t e r r a n d ,

l ' h o m m e de la IV6 R é p u b l i q u e » , de ses faiblesses, de ses turpitudes. M,us il ne se c o n t e n t e pas de laisser filer sa r e v a n c h e . Il boit le calice tiiM|ii ¡1 la lie (à m o i n s d ' i m a g i n e r q u e ses g e s t i c u l a t i o n s o f f i c i e l l e s n e tnU'iii d e s t i n é e s q u ' à m a s q u e r u n e p o l i t i q u e d e c o l l a b o r a t i o n h o n t e u s e , Mil V u h y - b i s à A l g e r , ce q u i serait d a n s l ' o r d r e d e s c h o s e s ) : le « c l a n h u i o n s » recevra toute l'aide financière qu'il réclamera, de

même

ijni" l'aide m i l i t a i r e , j u d i c i a i r e , m é d i a t i q u e et p o l i t i q u e , s a n s c é d e r à la »»«unitile c o n d i t i o n f r a n ç a i s e . A l g e r o b t i e n t m ê m e en p r i m e les e x c u s e s ilt Mitterrand, q u i s ' e m p r e s s e de m i n i m i s e r la p o r t é e d e son initiative nu iiilnmant q u ' i l n e s ' a g i s s a i t n u l l e m e n t d ' u n e i n j o n c t i o n , m a i s d ' u n e l e . ipi'iance». « L e g o u v e r n e m e n t a l g é r i e n fait r a p i d e m e n t s a v o i r par la NUI' d i p l o m a t i q u e q u e " l ' i n c i d e n t est clos". Il se r é s u m e à une erreur de riiiiiinunication d e la part d e l ' E l y s é e : bien q u e M i t t e r r a n d ait pris soin ilo

IIUL-

à Kohi q u e cette initiative n e devait surtout pas apparaître c o m m e

• " • ' m i n i de la F r a n c e , c ' e s t la p r é s i d e n c e f r a n ç a i s e qui l ' a r e n d u e p u b l i q u e , Illuni dans l ' œ u f tout e s p o i r d e la voir a v a n c e r . » 1 0 E r r e u r ou acte d é l i b é r é |iniii torpiller la seule tentative s u s c e p t i b l e d ' a f f a i b l i r le p o u v o i r d u « c l a n Il mit, ¡us » à A l g e r ? Tout le m o n d e r e c o n n a î t les talents m a c h i a v é l i q u e s il»' l ' h o m m e : e x p r i m e r la seule issue c o n c e v a b l e d a n s des t e r m e s qui la h-iulnit ensuite i m p o s s i b l e à r é a l i s e r ? P o u r r e p r e n d r e les m o t s de B r u n o l'nipput, « i l n ' y a pas de h a s a r d d a n s la c o m m u n i c a t i o n . » l'our autant, la F r a n c e est plurielle et u n e f r a n g e de sa classe politique ml n i train de s ' e n h a r d i r . U n e telle initiative r i s q u e de se renouveler, l'uni les g é n é r a u x algériens, il faut y m e t t r e le holà, en m o n t r a n t à leurs Immologues français j u s q u ' o ù v a leur détermination.

MITTERRAND, PASQUA ET LE «CLAN FRANÇAIS» hi'puis l ' E u r o p e , M i t t e r r a n d , b i e n q u ' a f f a i b l i par la m a l a d i e , c o n t i n u e ilmic de c a u t i o n n e r le p o u v o i r a l g é r i e n . L a d r o i t e r e v i e n t a u x a f f a i r e s t>n 1993 et C h a r l e s P a s q u a r e t r o u v e le m i n i s t è r e d e l ' I n t é r i e u r . Il f a u t ifiiouveler les alliances. L ' A l g é r i e a b e s o i n d ' u n bras a r m é en F r a n c e p o u r

I.A KI.VANH1I-. PI KIHJIi DU I K A N l / O I S Ml I I I K K A N I )

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GUERRE DES CLANS ENTRE PASQUA « LE MENTEUR » ET JUPPÉ LE RÉPUBLICAIN | M vrille de Noël 1994, un Airbus d ' A i r France est l'objet d ' u n e prise en IHIICI1 ,I Alger. Q u i peut dire quel était le scénario prévu initialement? Un iWiiniirinent « h e u r e u x » , après assaut des forces de l ' o r d r e à Alger, et la llln'i iilion des otages, le D R S s'ofïrant une publicité planétaire sur l'efficacité il** ii police et sa détermination à lutter contre « le terrorisme international », h i i | i n . . i M l aux Occidentaux de lui accorder un soutien inconditionnel? Le lk|ini| île cette b o m b e volante vers Paris, dans l'intention - au demeurant pim lamée - de la catapulter sur le Tour Eiffel ou sur quelque quartier il linlutations? C e qui forcerait l ' a r m é e française à abattre l'avion en plein ml. nvec tous ses passagers, propulsant de façon spectaculaire la France i l i i i i ' . une « s a l e g u e r r e » à laquelle, si elle n ' e s t pas totalement étrangère, (•11>> ne souhaite pas participer o u v e r t e m e n t ? Qui peut savoir quels projets • i i i n i ' t l i n e u x peuvent naître dans le cerveau d ' h o m m e s qui, depuis plus de lll mis. imposent à leur peuple une vie indigne? Muer et P a r i s m a r c h e n t m a i n d a n s la m a i n , on le sait. P o u r t a n t , i|iii'lt|iie c h o s e va foirer. Et, u n e f o i s n ' e s t p a s c o u t u m e , les autorités Huileuses p r e n n e n t leur c o u r a g e à d e u x m a i n s et d i s e n t « N o n , v o u s H m / p a s p l u s l o i n » . C e l a i n t e r v i e n t au m o m e n t o ù d a n s les d e u x ».Hulules le p o u v o i r est en b a l l o t a g e entre des c l a n s qui se m è n e n t u n e Ifiii'iic farouche. Par p e u p l e algérien interposé, c ' e s t e n t e n d u ; les loups HiiVnitredévorent pas. Mais, l ' e n j e u dépassant les frontières algériennes, It-a m leurs rivaux décident d ' a j o u t e r un ingrédient au m e n u : d e s victimes Il m it, .uses. En lice, côté français, P a s q u a et J u p p é s ' o p p o s e n t v i o l e m m e n t •m lu façon de gérer le p r o b l è m e ( P a s q u a veut d é p ê c h e r un c o m m a n d o lin ( il( iN à A l g e r p o u r assister ses h o m o l o g u e s du D R S ) ; leur rivalité en Himi|iie une autre, celle entre Balladur et Chirac, d a n s la p e r s p e c t i v e des |iii inlciitielles prochaines. I.r duo Balladur-Pasqua a l'initiative, soutenu par le g r o u p e qui se liinive provisoirement en difficulté en Algérie, le « c l a n f r a n ç a i s » . Et le l'ifiiilent algérien Zéroual se retrouve objectivement d a n s le m ê m e c a m p i|iir le couple Juppé-Chirac. L ' a f f r o n t e m e n t entre clans en France se double ilnuc guerre entre Paris et Alger. L'histoire n ' e s t pas sans en évoquer une miiir, en 1958, quand des factieux à Alger ont m e n é un putsch à Alger dont If ili-iiouement fut la « r é s u r r e c t i o n » du général de Gaulle. Sous couvert ili' l'nllaire de l'Airbus, et de la vie des otages, se m è n e d o n c un bras de |H i-ntre Balladur et Z é r o u a l (tous d e u x f u t u r s candidats aux élections

.•«I ANS D INAVOIIAUI I

présidentielles); bataille qui en m a s q u e une autre, visant à faire triomphn en Algérie le « c l a n f r a n ç a i s » et en France leur ami « l e terrible monsicm Pasqua». Il faut ajouter que les choses se compliquent du fait que Pasqim. l ' h o m m e du secret, ne dit pas tout à son ami Balladur. E d o u a r d B a l l a d u r , u n i v e r s e l l e m e n t c o n n u s o u s le sobriquel « B a l l a m o u » , se d é c o u v r e alors une autorité et une f o r c e d e caractère toute C h a r l e s - d e - g a u l l i e n n e s : « Il avait fallu p r a t i q u e m e n t r o m p r e le» relations d i p l o m a t i q u e s entre la F r a n c e et l ' A l g é r i e p o u r obtenir lo décollage d e l ' a v i o n d ' A l g e r . » 1 3 Voici les é v é n e m e n t s tels que raconte» rétrospectivement par le très policé Édouard Balladur : « L e 24 décembre, alors que j'étais à Chamonix, je fus informé de l'immobilisation d'un Airbus d'Air France sur l'aéroport d'Alger [...]. Le lendemain [...] je suis immédiatement rentré à Paris et j'ai convoqué, à 15 heures, une réunion avec le ministre de l'Intérieur et le ministre des Affaires étrangers. Malgré l'assassinat de trois otages, le gouvernement algérien nous avait affirmé [...] qu'il avait la situation en main. [...] Au cours de l'après-midi, j'ai demandé à parler au Premier ministre puis, la situation se dégradant encore, au Président Liamine Zéroual. Tous deux voulaient régler l'affaire en Algérie. Les forces spéciales algériennes allaient donner l'assaut. On redoutait un bain de sang. Le langage que je leur ai tenu, à l'un comme à l'autre, était sans ambiguïté: "Je n'accepterai pas que la vie de l'équipage, celle des passagers puisse être mise en danger plus qu'elle ne l'est par des décisions que je n'approuverais pas. Je vous rends responsable de ce qui se passerait alors. Je vous demande d'autoriser l'Airbus à décoller pour la France." Le temps n'était pas aux précautions du langage diplomatique. Il était extrêmement urgent d'obtenir satisfaction. [...] Quels que soient les risques personnels que j'encourrais en prenant cette décision, il me paraissait de plus en plus évident que l'avion devait rentrer en France pour que nous puissions agir. Les autorités algériennes redoutaient, en l'acceptant, de perdre la face. Il m'a fallu rappeler le Président algérien puis le Premier ministre, pour leur redire ce que je présentais désormais comme l'exigence de la France. L'avion devait rentrer. A nous alors de prendre toutes nos responsabilités; dès la soirée du 25 décembre, j ' y étais résolu. «J'avais réfléchi aux conséquences du retour de l'avion. Nous devions avant tout éviter qu'il se pose à Paris comme le demandaient les terroristes; le ministre de l'Intérieur craignait en effet un chantage qui pèserait, cette fois, non plus sur la vie de plusieurs centaines d'otages, mais sur celle de plusieurs milliers de Parisiens. L'appareil devait donc se poser à Marignane. Tout fut préparé dans l'intervalle pour que l'assaut du GIGN, auquel j'étais résolu dès le début, puisse être donné. [...] La suite, on la connaît. Le GIGN et les hommes du commandant Favier se sont montrés à la fois d'un héroïsme exemplaire et d'une

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KI VANIM-: RIHIHÍLÍ I

« a n c h i s MITTIHKAND

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rlliiiicité stupéfiante. [...] Les quatre terroristes furent abattus en linéiques minutes. [...] Le calme revenu Charles Pasqua m ' a rejoint à 1 liotel Matignon. J'ai fait une courte déclaration devant la presse, pour i liquer ma détermination, les raisons qui la motivaient, l'engagement i|iir nous prenions de ne jamais céder au chantage du terrorisme. Le lendemain matin, après avoir tenu un comité interministériel consacré mit mesures d'urgence à prendre pour éviter que de tels actes ne se n'|iioduisent, j e me suis rendu à Marseille pour voir les blessés du GIGN i'l «le l'équipage, sans faire de déclaration. De là, je suis retourné à i luimonix, le cœur apaisé. | J'ai pris toutes mes décisions seul, celle de faire rentrer l'avion en I niiice comme celle de faire donner l'assaut par le GIGN. C'est une très lniiule responsabilité [...] Laisser faire le gouvernement algérien aurait été l i n e lâcheté, commode peut-être, mais une lâcheté. Je n'ai pas hésité un •••ni instant. Les choses étaient très claires pour moi. Si j'osais, j e dirais qu'elles étaient simples. »14 M

uii>eire t r o p « s i m p l e » p o u r ê t r e h o n n ê t e s . C e q u e laisse d ' a i l l e u r s liiiirmcnt e n t e n d r e Alain J u p p é : II « se considère comme écarté des bénéfices politiques de cet épisode, iilms qu'il juge en avoir été l'un des principaux acteurs. Deux semaines pliin tard, Juppé, plein de rancœur, confie [...]: "Pasqua est un menteur, il -'arroge le succès de l'opération alors qu'il voulait que le GIGN miervienne à Alger. C'était une folie. Si on l'avait écouté, on allait au innssiicre. C'est moi qui ai convaincu Balladur de ne pas le suivre et de nimener l'avion. Et ils ont eu le culot de me tenir à l'écart, parce que je M m pas lâché Chirac.» 15

lin leimeté d ' A l a i n J u p p é a conduit au départ d e l ' a v i o n vers la France, ce t|iii n'était pas prévu d a n s le scénario initial, Pasqua et les services algériens

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Hi'leiunt voir l'affaire se d é n o u e r à Alger, via une collaboration G l G N - D R S . n\ ion ayant décollé, le D R S est obligé d e sacrifier q u e l q u e s - u n s d e ses

NtcuiN maquillés en «terroristes i s l a m i s t e s » ; car il n e doit pas d e m e u r e r d e Wniiuns susceptibles d e dévoiler les dessous d e l ' a f f a i r e et Charles P a s q u a («mu voira à l'élimination rapide des terroristes. Alnin J u p p é a c o n t r a r i é le s c é n a r i o v o u l u p a r P a s q u a , m a i s l ' a f f a i r e f uii tout d e m ê m e b i e n d é r o u l é e . Il n e r e s t e p l u s q u ' à tirer la c o u v e r t u r e A un et laisser les c a m é r a s d e t é l é v i s i o n f a i r e le reste. D a n s Deux ans à mttllxnon, E d o u a r d B a l l a d u r c o n f e s s e q u e ce s u c c è s n ' e s t p a s é t r a n g e r A un décision d e b r i g u e r le m a n d a t d e P r é s i d e n t , et d e t r a h i r son « a m i •Ir II) u n s » . Il a v o u e q u e d e s « d e u x c o h a b i t a t i o n s » , c e l l e qui l ' o p p o s e A i limic était p l u s d i f f i c i l e q u e c e l l e q u ' i l g è r e a v e c M i t t e r r a n d . « P e u A lieu, u n e c e r t a i n e g ê n e s ' e s t i n s i n u é e [entre C h i r a c et moi]. J ' a i été

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Irnn-Louis D c b r é , ministre de l'Intérieur, n ' h é s i t e pas, d a n s d e s HiHiik's avec les journalistes, à accuser « l a sécurité militaire algérienne il«' m a n i p u l a t i o n » , avant d e rendre p u b l i q u e m e n t « r e s p o n s a b l e Khaled feHkal, après q u ' i l a été abattu, de l ' e n s e m b l e des attentats c o m m i s sur li' »ni français.» 1 8 D a n s l'opposition, Lionel Jospin va j u s q u ' à mettre en ilniiii' la version officielle sur LCI. Jacques Chirac ne s ' e n c o m b r e pas de I I H I I mires dans un message qu'il aurait fait transmettre à Liamine Zéroual : I ii I rance n'acceptera j a m a i s à l'avenir que la Sécurité Militaire organise il'! attentats en France.» 1 9 Car police, politiciens, journalistes, juges, tout lu monde se doute q u e le D R S est derrière cette violence mais, c o m m e lnii|oiirs, rien n ' e n transpirera et l ' o p i n i o n p u b l i q u e sera c o n f r o n t é e iiiinliilicnnement à une propagande médiatique attribuant la responsabilité • l>1 In terreur aux «islamistes». I i-s g é n é r a u x algériens connaissent leur ascendant sur les autorités lnin(,'iiises ; qui d e v r o n t r a p i d e m e n t faire profil b a s et a d o p t e r u n e ••politique des p o l t r o n s » , garante de la quiétude de leur population. Les implosions cesseront sitôt C h i r a c rentré d a n s le r a n g ; o f f i c i e l l e m e n t , Ir plan Vigipirate et l ' o b t u r a t i o n des p o u b e l l e s ont rendu tout attentat Impossible sur le sol français. I e « c l a n f r a n ç a i s » a gagné. La violence peut reprendre en Algérie, » M I H « i n g é r e n c e » f r a n ç a i s e p u i s q u ' e l l e y est impliquée j u s q u ' a u cou. Mnis il est évident p o u r tout le m o n d e q u e la solution Zéroual n ' e s t plu», viable. P e n d a n t q u ' i l e x p é d i e les affaires courantes, l ' é r a d i c a t i o n • Ir . s y m p a t h i s a n t s islamistes, d e l ' o p p o s i t i o n , d e l ' i n t e l l i g e n c e , d e lu tlcmocratie, de la liberté, il faut t r o u v e r u n e solution politique d e niilislitution, q u e l q u ' u n de m i e u x disposé à couvrir la nouvelle « c o l o n i e Ihinçaise en A l g é r i e » . Un h o m m e attend cette heure d e p u i s près d e 20 •tir : Abdelaziz Bouteflika. M a i s la F r a n c e n ' e n veut pas, à m o i n s q u ' i l montre patte blanche. C ' e s t à cela q u e quelques h o m m e s influents vont .'iinployer p e n d a n t d e s m o i s . M é t a m o r p h o s e r B o u t e f l i k a , l ' u n des hommes qui ont s a b o r d é l ' I n d é p e n d a n c e d e l ' A l g é r i e ; r e d é f i n i r son miiiKC, le t r a n s f o r m e r en cocktail réunissant u n e part d ' i s l a m i s m e , u n e pmt île m o d e r n i s m e , une part d e nationalisme, u n e part d e francophilie, uni' part d ' a r a b i s m e forcené, une part d ' a f f a i r i s m e invétéré, un agent au n'ivice de toutes les prédations ennemies. En faire un h o m m e susceptible ih' plaire à t o u s les partenaires étrangers des généraux.

2IMI A N S D INAVOUAIll I

LES EXCUSES DE LIONEL JOSPIN ET L'ÉTERNEL RECOMMENCEMENT Entre-temps, en France, les affaires continuent. Juppé est Premier minislic durant d e u x ans, j u s q u ' à ce que, conseillé par D o m i n i q u e de Villepm, Jacques Chirac décide de dissoudre l ' A s s e m b l é e nationale. Alain Juppó le souhaitait en 1995, j u s t e après la présidentielle, mais Jacques Chir;u ne l'entreprendra que lorsque le g o u v e r n e m e n t est au plus mal dans le» sondages. La dissolution s ' a v è r e fatale pour la droite. Alors qu'il est encore dans l'opposition, Lionel Jospin a une opinion bien tranchée sur l'Algérie. « L e 27 janvier 1997, par exemple, quatre mois avant d'être nommé Premier ministre, il hausse le ton: "La France doit briser le silence. Personne ne bouge en Europe parce que la France ne bouge pas. Le gouvernement et les hommes politiques français doivent dire qu'il n'y a pas d'issue pour une politique uniquement répressive en Algérie." Puis, après les massacres de l'été 1997, et cette fois depuis l'Hôtel Matignon, Jospin émet des réserves sur le comportement des militaires et sur "la violence de l'Etat algérien". Ce qui lui vaut, à cette occasion comme au mois de janvier précédent, d'être violemment pris à partie à Alger par une presse disciplinée. Reste que, malgré ses propos acides, le Premier ministre a choisi de jouer profil bas. Autant dire que la politique de la France, de droite comme de gauche, demeure frileuse, complexée et dénuée de prestige à l'égard d'une Algérie en guerre civile. L'un des conseillers influents de Chirac en livre sans doute la clé : "Il ne faut pas bouger. Toute déclaration est aussitôt comparée là-bas à une immixtion qui peut réjouir l'un des clans opposés de l'armée algérienne, déplaire au clan opposé ou déclencher la fureur des islamistes. Nous n'avons rien à gagner, de quelque côté que ce soit. En Algérie, on ne sait pas où sont les bons et où sont les méchants."» 20

Jospin croyait vraiment à la grandeur d e la France, à sa puissance, à son influence. D a n s une interview à Libération, il ne mâchait pas ses mots : « J ' a i condamné, alors que j'étais au gouvernement, l'interruption du processus électoral. [...] J'ai approuvé la démarche et l'esprit de la déclaration de Rome. J'ai manifesté mes interrogations lors de la présidentielle [qui confirma Zéroual au pouvoir] alors que tout le monde semblait euphorique et que certains ont confondu l'aspiration du peuple algérien à la démocratie et à la paix et les intentions du pouvoir. [...] Ce qui est essentiel dans la question algérienne, ce n'est pas tellement le rapport du pouvoir avec le terrorisme, même s'il est parfois dans son action d'une brutalité et d'une ambiguïté qui posent problème, mais sa relation au peuple algérien. [...] Nous devons dire que nous ne sommes pas prêts [...] à soutenir le pouvoir algérien quoi qu'il fasse. [...] Un gouvernement,

I A Kl VAN( I I I l'I K D I I I DI I K A N ( , ( ) I S M I Ï T I K K A N I )

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i|ii'il soit de gauche ou de droite en France, peut se demander si certains, ii i nu là, ne pourraient pas être tentés de frapper si nous nous exprimions |iln» nettement. [...] On peut certes espérer qu'en ne disant rien on sera munis touché. Mais on peut aussi se dire que, si le conflit ne trouve pas de »nliilion, l'accumulation de ces violences est lourde de conséquences pour li- Intur.» 21 lu«'1 parviendra r a p i d e m e n t à le r a m e n e r à la « r a i s o n » du « p o l t r o n » et i nussi se r é s o u d r a , à c o n t r e c œ u r m a i s r é s o l u m e n t , à o f f r i r a u p o u v o i r •l|iiiiien rien de m o i n s q u ' « u n a p p u i s a n s faille quoi q u ' i l f a s s e . » La tvliilion d ' a s s u j e t t i s s e m e n t d u p o l i t i q u e f r a n ç a i s a u r é g i m e

d'Alger

lliniinurée d u t e m p s de la c o l o n i s a t i o n est e n c o r e à l ' o r d r e d u jour. Si 1 1 AIn6ric a o f f i c i e l l e m e n t acquis son I n d é p e n d a n c e à l ' é g a r d de la F r a n c e lu I'>62, le t e m p s n e s e m b l e p a s e n c o r e v e n u de l ' i n d é p e n d a n c e d e la 11iiiIL c vis-à-vis d e l'Algérie. C ' e s t cette prise de c o n s c i e n c e sans d o u t e qm p o u s s e L i o n e l J o s p i n à v o u l o i r e x p r i m e r a u s s i o u v e r t e m e n t son ilini ement. La raison d ' É t a t va r a p i d e m e n t é t o u f f e r ses scrupules. « D e u x Unir, après la publication de cette interview, interrogé par des j o u r n a l i s t e s limitais sur les d a n g e r s d ' u n e prise de p o s i t i o n a u s s i t r a n c h é e et les 11ii1111os d'attentats q u e l ' o n prête au D R S algérien en France, Lionel Jospin il»i lare : "Cela v o u d r a i t dire q u e n o u s s o m m e s tenus, c ' e s t insupportable. I in n q u a n d m ê m e q u e l q u e s m o y e n s de rétorsion."» 2 2 A v o i r ! lîn Algérie, l ' é t é 1997 connaît u n e e x a c e r b a t i o n inouïe d e la violence. Itmi villages entiers sont d é c i m é s , d a n s les périmètres les plus sécurisés du pays. M a i s L i o n e l J o s p i n s e m b l e a v o i r e n t r e - t e m p s m i s b e a u c o u p il inu dans son v i n : « M ê m e si n o u s r e s s e n t o n s u n s e n t i m e n t d ' h o r r e u r fi iIl- c o m p a s s i o n , [ . . . ] a v o n s - n o u s t o u j o u r s à n o u s sentir c o u p a b l e s ? La I n i n c e n ' e s t pas r e s p o n s a b l e de ce qui m e u r t r i t l ' A l g é r i e a u j o u r d ' h u i . Au plan o f f i c i e l , le g o u v e r n e m e n t f r a n ç a i s est c o n t r a i n t d a n s s o n ^ p r e s s i o n . Prendrait-il des initiatives q u ' e l l e s n e seraient p a s r e ç u e s , Huns le savons. » 23 II tiendra ensuite les m ê m e s p r o p o s lénifiants au J T de 'il I leures sur T F 1 . E n tous cas, les g é n é r a u x algériens savent p r é c i s é m e n t t uniment réveiller le poltron qui s o m m e i l l e en c h a q u e h o m m e de p o u v o i r «n I rance, surtout les résidents d e M a t i g n o n . . . l e d é m e n t i d u P r e m i e r m i n i s t r e q u e la F r a n c e ait la m o i n d r e M «ponsabilité « d a n s ce qui meurtrit l ' A l g é r i e a u j o u r d ' h u i » m o n t r e bien i|iu' la q u e s t i o n se pose. M a i s a u - d e l à de ce qui f r a p p e les A l g é r i e n s , mu' année n e s'est pas e n c o r e é c o u l é e d e p u i s le m a s s a c r e de 7 m o i n e s linppistes d a n s la forêt de M é d é a , un c r i m e dont le D R S algérien est sans nmlcste à l ' o r i g i n e et qui mériterait a s s u r é m e n t q u ' u n P r e m i e r ministre

.'(KL ANS LL'INAVI MIAMI I

s ' e n o f f u s q u e . Mais Lionel Jospin n'est-il p a s en train de se forger mi* stature p r é s i d e n t i e l l e ? Et des b o m b e s e x p l o s a n t d e n o u v e a u à l'.nn seraient du plus m a u v a i s effet, n ' e s t - c e pas ? P o u r t a n t . . . « L e 17 avril [1998], une cinquantaine de j e u n e s ont investi u n e gramltf surface près d ' A r g e n t e u i l . Au m ê m e m o m e n t , u n e autre bande saccagemi une agence d e la B N P à Bobigny. D e p u i s des semaines, les mises NUH de c o m m e r c e s et aussi d ' A N P E sont quotidiennes à Aubervilliers, Sain! Denis, Nanterre, E p i n a y sur S e i n e . . . Ces j e u n e s ne discutent pas de leun p r o b l è m e s ; ils agissent. Ils hurlent plus q u ' i l s n ' e x p r i m e n t . » 2 4 C'csl le coup d ' e n v o i d ' u n m o i s d ' é m e u t e s c o m m e la F r a n c e n ' e n a j a m a i s connu Certes, le p o u v o i r algérien n ' e s t p a s d i r e c t e m e n t r e s p o n s a b l e de celle flambée. Mais la gestion du dossier, et les déclarations de quelques- mi des plus hauts dirigeants du pays, permettent d e c o m p r e n d r e l'incroyable frilosité de l'État français et les f a n t a s m e s qui guident l'action du pouvini dès lors qu'il s'agit de l'Algérie.

PASQUA, SON AVATAR CHEVÈNEMENT, LES «DAMNÉS DE LA TERRE» ET LES BOMBES Si les g é n é r a u x algériens regrettent l ' a m i P a s q u a , ils p e r d e n t peu nu c h a n g e avec Jean-Pierre C h e v è n e m e n t et Hubert V é d r i n e , les meilleur; a m b a s s a d e u r s q u e la j u n t e a l g é r i e n n e p o u v a i t e s p é r e r t r o u v e r à Paris M a i s Jospin veille. Son aversion p o u r les dictateurs a f r i c a i n s est réelle ce qui d o n n e lieu d a n s la cohabitation avec Chirac à certains grincemenli» de dents.* L e s émeutes de banlieues surviennent à la veille d ' u n e des plu* fortes mobilisations sociales de la décennie. « L e s socialistes ont fernn' Vilvorde, privatisé l'Aérospatiale, T h o m s o n et F r a n c e Télécom, licencié le tiers des salariés des arsenaux navals et terrestres, étouffé les P M E qui sont les seules à créer des e m p l o i s , tout en prétendant q u ' i l s feraient fli', contraire. » En fait, m ê m e les syndicats sont d é b o r d é s par leur base : El «"si tous les leaders syndicaux sont là, c'est qu'ils ont la trouille. Ils sonl dépassés. Pour sauver des emplois, ils acceptent n'importe quoi. Nous, on ne marche plus", s'exclame une jeune femme au micro de RTL. "Le compromis 'baisse des salaires contre des emplois', hé bien on dit non!

* « Par exemple, sur l'Afrique et les réseaux gaullistes. Ou à propos du sort de Mobiiin Celui-ci, après sa destitution, devait subir une dialyse dans un hôpital de Monaco. L'Élysi1. donna son feu vert. Le ministère de l'Intérieur aussi. Matignon refusa.» L'Explosion 21 avril - 16 mai, (L'Archipel, 1997), p.27.

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KAN^OIS MlITI

KRANI)

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IJIIHIHI c'est le feu d'artifice à la Bourse, nous aussi on veut profiter du «vaille. On est de plus en plus pauvres, on est les nouveaux prolos. On •ni venu dire à Chirac comme à Jospin, à la droite comme à la gauche : I.N N I I I R I T ! ' " » 2 5

IL*' » iiniiiil'du 23 avril 1998 est une réussite sans précédent. Mais, « s o u d a i n , Vu « IK heures, c o m m e le cortège arrive derrière l'Opéra, à la hauteur du Himirnips et des Galeries Lafayette, des centaines de loubards ont déboulé rf» lu me Saint-Georges, de la C h a u s s é e d ' A n t i n , et de la rue Mogador. ¡In. vi.ritable horde. En quelques minutes, boutiques et m a g a s i n s étaient Mti» h sac. Le service d ' o r d r e de la manifestation semblait débordé. L e s M-'i''iirs, jetant pierres, pavés, boulons, hurlaient: "Mort aux k e u f s ! " . Les I H", cl les g e n d a r m e s mobiles, rangés au carrefour A u b e r - H a u s s m a n n , l»l I R A N ( , O I S M I T T E R R A N D

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iJniT.»! Iiih|nn à Matignon a incité, malgré tout, le gouvernement d'Alger à fii |»t m h in e. Le Premier ministre socialiste ne va-t-il pas, un jour, sortir de ^ pi.un niio ambigu? En tout cas, Xavier de Villepin a parlé sans détour: i f l Vi ni île Militaire algérienne a sans doute des contacts privilégiés qui iîAiiniii'ul nous être utiles. Si le recteur de la grande Mosquée de Paris, Dalil irmi H I M U I . est très coopératif, vous n'ignorez pas qu'il n'a plus l'influence FTfrl. iiiiiiiiinte qui était la sienne il y a une quinzaine d'années. C'est dire ifr.ninlmi'ii voire aide serait précieuse." Sans se découvrir, Zéroual lui aurait t mie qu'il en parlerait au général [Smaïn] Lamari. "Bien entendu, Monsieur I," l'ir mlenl, a ajouté Xavier de Villepin, nous saurons nous montrer s i min.lissants pour votre coopération." Le message était clair. Depuis des Miiili le gouvernement algérien réclame des armements sophistiqués à la hum r pour éradiquer les derniers maquis du GIA. [...] Pourquoi Chirac swiii il envoyé ses missi dominici à Rabat et Alger? D'après Jean-Pierre I ii'iu». qui se posait la même question, le Président aurait déclaré : "Je ne sais |INI «i cela servira à quelque chose, mais il faut le faire."» 30

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fil lu téponse du berger à la bergère ne m a n q u e pas de s e l : Zéroual |teiiniii ri l'émissaire de la France que lui, le chef de l'État algérien, allait jiÎMiniuder à « l ' e s p i o n f r a n ç a i s » de tenter de mettre fin aux m e n é e s d ' u n e •Millilitre « c i n q u i è m e c o l o n n e » algérienne, en F r a n c e . . . i.luelqucs j o u r s plus tard, deux voitures piégées explosent, dont l ' u n e 4 quelques pas de l'Élysée. Voilà sans doute la première contribution ilu yfnéral Lamari à la d é m a r c h e chiraquienne. D ' a i l l e u r s , lorsque ¡Miir, sollicite Alger, Pasqua ne tarde pas à en être avisé. A l'Élysée, il «nul même à peine de r a c c r o c h e r : « C h a r l e s , raconte Jacques Chirac, in i mplique qu'il faut dresser un plan détaillé des banlieues qui sont en i ini île siège. Ensuite, sur la base des rapports établis depuis au moins 12 un H s par les commissariats concernés et par les R G , rédiger la liste de mir. les habitants qui ont eu maille à partir avec la police ou la justice. I ni m interpeller toutes les p e r s o n n e s figurant sur cette liste. A p r è s linéiques minutes de silence, il a continué, imitant l'accent de P a s q u a : Il (nul que tout cela soit fait, sans hésiter, sans m a u v a i s e conscience, iiiinme Bigeard avait nettoyé la Casbah d'Alger."» 3 1 Si les manières du Iniiilefeux Pasqua amusent Chirac, elles éveillent en lui des souvenirs de li'iinesse et il n ' e s t pas loin de partager son diagnostic: « I l faut à tout pi'ix que les renseignements généraux, la DST et la D G S E collectent le iimximum de noms. Il faut des listes précises, afin de procéder, l ' h e u r e W T I U C , à des arrestations. La D S T et la D G S E ont-elles pris contact avec lein s correspondants au Maghreb ? » demande-t-il, ce qui a le don d ' a g a c e r lnspiu: « L e s relations entre la D S T et les services algériens m ' o n t toujours paru très suspectes. Je ne veux pas que la crise soit l'occasion

I.A Kl VAN< III l ' I K I H l l

IH I l < A N ( , l ) I S M i l I I K K A N I )

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•< Monsieur le Premier ministre, on a pu dire, à votre arrivée à Matignon, I|UL- vous souhaitiez que la France ait une politique claire à l'égard du Mnghreb. Cela a-t-il pu avoir une conséquence sur les événements?» Il me semble, répond Lionel Jospin, dangereux et absurde d'analyser nos dillicultés actuelles au travers du seul prisme de la question islamiste. Il y a lucn d'autres causes qui se télescopent et notamment le malaise social que |r n'ai jamais sous-estimé. Mais, puisque vous m'avez posé la question, |i- voudrais ajouter ceci. Comme vous le savez, le poids d'un passé douloureux pèse sur la politique de la France en Afrique du Nord. Il faudra lout de même un jour se libérer du complexe de la colonisation. J'observe i|u'avec Charles Pasqua et Alain Juppé, deux approches s'opposaient sur l'Algérie - du moins en apparence. La première, le soutien affiché aux cradicateurs. La seconde, basée sur la non-ingérence mais comportant une s o r t e de statu quo inavoué. Certes, la France n'a pas à s'immiscer dans lu politique intérieure d'un État souverain. Il n'empêche, quand on a des principes, mieux vaut les affirmer. Mais je n'en dirai pas plus sur ce point, pour des raisons que vous pouvez imaginer. »34

< eux qui auront raté ce n u m é r o spécial d ' E n v o y é spécial retrouveront des linges extraits dans le journal de la nuit de Philippe Lefait. B r u n o M a z u r e 11 Daniel Bilalian préféreront quant à eux ignorer ce grand m o m e n t de télévision où leur P r e m i e r ministre invite les Français à avoir u n p e u il'imagination. E n tout cas, « l e s dirigeants algériens seraient f u r i e u x » des ucsticulations de Lionel Jospin, aurait raconté Laurent Fabius, ajoutant : ••Il ne faut pas j o u e r avec le f e u ; surtout avec les militaires qui régnent ii A l g e r ! » O n a la stature d ' h o m m e d ' É t a t que l ' o n se prête et Laurent I ubius, éternel candidat à la candidature à la présidence française, m o n t r e l.i une hauteur de v u e peu vertigineuse. Deux j o u r s plus tard, le dimanche 10 mai, « e n fin d'après-midi, deux iillentats à la voiture piégée ont fait, en plein centre de Paris, neuf morts. I c premier a eu lieu à 18 heures à l ' a n g l e de la rue de Vaugirard et du boulevard Pasteur. L e second, u n e d e m i - h e u r e plus tard, p l a c e Saintl'hilippe-du-Roule, à deux pas de l ' E l y s é e . » Et pour brouiller les pistes, i|iii de m i e u x q u e les « s p é c i a l i s t e s » du terrorisme, Roland J a c q u a r d et Xavier Raufer, qui sautent sur tous les plateaux qui s'improvisent. Pendant i e temps, «Chevènement a vu le Premier ministre après avoir réuni l'UCLAT [Unité de coordination de la lutte antiterroriste] dans la soirée. En fait, ils hésitent entre plusieurs hypothèses. Soit le coup vient des militaires algériens, qui veulent envoyer un signal à Jospin au moment où celui-ci tente d'infléchir le soutien inavoué que nous leur avons toujours donné. Après la visite de Xavier de Villepin à Zéroual, ça me semblerait

2IN) ANS D'INAVOUAIII I'

particulièrement gonflé! Encore qu'on ne sait plus qui fait quoi, dans l'armée algérienne... Soit il s'agit d'actes isolés de jeunes des banlieues, qui profitent de l'atmosphère ambiante en pensant que l'heure du "djihad" a sonné. Cela étant, des voitures piégées, ça demande une certaine logistique. Depuis la mort de Khaled Kelkal, y a-t-il des réseaux dormants dans l'Hexagone? C'est une vraie question, à laquelle la DST est infoutue de répondre. Elle est trop maquée avec les services algériens pour avoir une appréciation sereine de la situation. Ils passent leur temps à se manipuler les uns les autres» avoue «une personnalité politique très médiatique dont l'auteur [de l'ouvrage L'Explosion d'où sont tirées ces révélations] ne souhaite pas livrer l'identité». Le directeur de la DGSE, Dewastre, avec lequel il a dîné, lui a «expliqué que, depuis Pasqua, les militaires algériens nous tenaient par les couilles. L'équipe Juppé a compris à ses dépens qu'il ne fallait pas trop prendre ses distances avec nos amis d'Alger. Or, Jospin n'est pas décidé à se laisser faire. Il a interdit toute livraison d'armes, alors que ses prédécesseurs avaient été plus... compréhensifs. [...] Quant aux militaires algériens, ils comptent sur Chevènement pour raisonner Jospin. D'ailleurs, à les entendre, la messe est dite: ils auraient éradiqué les islamistes. Mais à quel prix! J'ajoute que Lionel est très soucieux de ne pas accréditer l'idée d'une cinquième colonne dans les banlieues. » 35

Encore un qui explique q u ' a v e c Alger, la non-ingérence, c'est l'ingérence.

BLGEARD RESSUSCITÉ T o u j o u r s est-il que J a c q u e s Chirac, entendant les conseils de Charli-* Pasqua, persifle, m a i s signe le décret d ' é t a t d ' u r g e n c e le 13 mai. Le» rafles commencent. La bataille des banlieues se m è n e contre des jeune* désœuvrés, qui n ' o n t m a n i f e s t é leur colère que pour crier leur désarroi et leur peur de l'avenir. 1 2 0 0 0 arrestations et 7 décès plus tard, le calme revient. Toutes les analyses ultérieures montreront que les islamistes n'onl j a m a i s j o u é le moindre rôle. Q u a n d à la « c i n q u i è m e c o l o n n e » , s'il n ' y en avait pas dans les banlieues, il y en a une, certaine, au sein de la D S T cl des R G , qui comptent dans leurs rangs plus de 200 agents recrutés sous l ' è r e Pasqua, sous la généreuse dictée de l ' a m b a s s a d e d ' A l g é r i e à Paris. Pas étonnant dès lors q u e les terroristes puissent accomplir leurs forfails j u s q u e devant les grilles de l'Elysée. Et les nostalgiques de la ratonnade d e s ' e n donner à cœur j o i e d a n s les médias. Q u e sont d e v e n u e s les m o b i l i s a t i o n s s o c i a l e s ? P l u s rien, tout csl o u b l i é ! L ' é c o n o m i e p o s t m o d e r n e est déjà à l ' œ u v r e , celle des traders cl d e l ' é c o n o m i e dématérialisée, des prédateurs financiers, d e la corruption

I A Ri:VAN(ÏH:. l i RIHIK i)l: l-RANCOIS MITTI-RRANI)

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b l i n d é e m a q u i l l é e en « p r a g m a t i s m e é c o n o m i q u e » . P o s s é d e r u n e limin- i-st devenu ringard, honteux, quand, pour un trader, « u n clic vaut I Mi000 e u r o s » . i.o 1)RS sort un peu f r u s t r é de cette c a m p a g n e q u ' i l n ' a p a s été nipiihle d ' e x p l o i t e r à sa j u s t e m e s u r e ; d e u x petites b o m b e s et puis • Vu va. Mais l ' a r m é e algérienne se calmera les nerfs sur les Algériens, |!inii lesquels ce sera un été dramatique. L'opinion française c o m m e n c e •r -imlir de sa torpeur. Des intellectuels s ' o r g a n i s e n t en c o m i t é s p o u r • ••* l.nner la « v é r i t é » sur les massacres. Dix a n s d ' e f f o r t s de la part de •|iu'h|ucs p e r s o n n e s de b o n n e volonté vont-ils parvenir à faire b o u g e r li -i l i g n e s ? Saura-t-on enfin la v é r i t é ? N o n , à cause de l ' i n f l u e n c e d ' u n humilie, Bernard-Henri Lévy, et d ' u n e brochette d'intellectuels négatifs, I André G l u c k s m a n n , D e n i s J e a m b a r , Daniel L e c o n t e , etc.), b i e n i oiulés par q u e l q u e s h o m m e s politiques influents, (Jack Lang, Hubert Vi-ili ine, Jean-Pierre C h e v è n e m e n t , etc.) À la f a v e u r du sursaut de dignité de Lionel Jospin, a p r è s celui il Aluin J u p p é , qui d é f i e n t les m i l i t a i r e s algériens, il y a p o u r t a n t inulit>re à révélations. L e s p r o p o s q u e n o u s v e n o n s d ' é v o q u e r sont |iuiii la plupart relatés d a n s L'Explosion, l'ouvrage anonyme d'une |ournaliste bien introduite d a n s les cercles du p o u v o i r français. Il y a lrt de quoi d é c l e n c h e r d ' é n o r m e s e n q u ê t e s , et dévoiler d e s s c a n d a l e s il l luts. Indirectement, l ' o n s ' a p e r ç o i t que les h o m m e s politiques ne m* privent p a s de c o n f i e r a u x j o u r n a l i s t e s leur sentiment sur la réalité ilu pouvoir algérien et du t e r r o r i s m e qui a f r a p p é la F r a n c e , q u ' i l s nilnbiient en grande partie a u x a g e n t s du D R S . Pourtant, rien de tout relu ne filtre dans les médias, h o r m i s quelques courageuses tentatives de limier le silence qui finissent souvent par valoir de sérieux déboires aux importuns. L ' o m e r t a est d o n c bien d a v a n t a g e l ' œ u v r e des j o u r n a l i s t e s i|iu* des h o m m e s p o l i t i q u e s ; les j o u r n a l i s t e s dont la mission est de tirer le. vers du nez des h o m m e s politiques et qui en fait ne répercutent m ê m e îles p r o p o s que ceux-ci leur c o m m u n i q u e n t volontiers. Il reste Xavier Raufer, Roland Jacquard, A n t o i n e Sfeir, et consorts, i|iu auront bientôt le renfort de Louis Caprioli, M o h a m e d Sifaoui, etc., loimant a v e c q u e l q u e s autres u n e sorte d ' i n c o n t o u r n a b l e secte du mensonge proclamé sans vergogne, pour forger l ' o p i n i o n des Français, l u France des Lumières, de la Déclaration universelle des droits de l'homme, a indubitablement enregistré une régression abyssale. Est-ce la leimeté de Lionel Jospin qui conduit le D R S algérien à cesser les attentats

I.A Kl V A N C I I I i l ' I . R D I J i ; IMi IKAN(.'IS M I T H i R R A N I )

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I ii icnlitc, c ' e s t Larbi Belkheir qui a identifié en Bouteflika la »(iHMiicite idéale. Pour obtenir l'assentiment français, il a dû lui aussi iiic luiis ses réseaux à l'œuvre : « A u mieux avec les proches de Charles n«t111.i. c o m m e avec l'entourage de François Mitterrand, n o t a m m e n t tlliln 11 Védrine et Jack Lang, Belkheir peut aussi compter sur l'aide lit i|iu'l(|iies h o m m e s d ' a f f a i r e s algériens. Le plus proche, Abdelkader Hiiinl|rlii, [ . . . ] f r a n c o p h o n e séduisant, qui a conservé de nombreuses Itl.ti s chez Thomson et Total, n ' a pas son pareil pour vanter l'amitié hum ii nigérienne autour d ' u n alcool fort dans son hôtel particulier du 16e iihindissement» 3 7 révèle Le Canard enchaîné dans un article j o l i m e n t liiillnlr : «Abdelaziz Bouteflika, l ' h o m m e des casernes. » Mais si le visa d'exploitation est parisien, Bouteflika arrive avec Htiiiu diip de m o n d e dans ses bagages. Durant les 20 ans de sa traversée lin di sert, il a beaucoup bourlingué, au Moyen-Orient, dans les pays du I iiil id. fréquenté tous les milieux interlopes envisageables où il s'est fait ili nombreux amis, parmi les plus grands prédateurs économiques de la tOiHoii. Il leur offrira les plus amples facilités financières et les aidera à • n|i|iroprier les meilleures parts de l ' é c o n o m i e algérienne et, aussi ses tt ites les plus précieuses. Si des prédateurs, des m a f i e u x , n ' o n t aucun scrupule à écraser h i Inihles et à piller les richesses, le régime qui s'installe et la meute il> rnpaces qui l'entoure bénéficieront d ' u n e conjoncture inouïe: toutes le:, insistances ont été anéanties, le peuple est à genoux, é r e i n t é ; des inilliiirds vont subitement se déverser sur les comptes algériens, fruit d ' u n inu hérissement subit des prix des hydrocarbures. C o m m e si tout cela ne «iillisnit pas, un cataclysme mondial va survenir, le 11-Septembre, qui va Inuileverser l'échelle des valeurs et conduire les puissances occidentales A considérer les dictateurs c o m m e les partenaires idéaux, et tous les l'il.nuophobes de la planète c o m m e les tenants de la vertu. Jamais dans lt'in longue et tumultueuse histoire, les Algériens ne se sont trouvés dans niu- telle position de faiblesse et avec si peu de marges de manœuvre pour .' ipcrer nourrir la moindre résistance. La razzia peut r e c o m m e n c e r . . .

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CHAPITRE 1 7

Le «coup d'éventail» permanent

" L o r s q u ' o n soutient que l ' U k r a i n e est dévastée par la f a m i n e , J J permettez-moi de hausser les épaules", déclara, catégorique, Edouard \ \ I Icrriot après son voyage en U R S S à la fin de l'année 1933. L'ancien l* lii'inla (l'éradicatrice amie de l'éradicatrice Khalida Messaoudi-Toumi), yliiK lii/iz Bouteflika justifie cet engrenage en quelques mots : -Vous connaissez la réputation de l'armée algérienne: dictatoriale, i ni rompue, avec des généraux qui ont mis le pays en coupe réglée», lui dit elle. ••Vous citez avec beaucoup d'aisance les généraux. Mais la plupart de ceux qui se livrent à tous ces trafics sont des riens du tout, pas des ycnéraux! [...] Les importateurs privés, face à leurs concurrents publics, ont en effet contraints d'utiliser les mêmes armes pour rafler les marchés. Ils se mettent en cheville avec qui il faut, y compris avec des colonels, i'i paient ceux qu'il faut rémunérer pour les financements bancaires, de même pour les Douanes. Celles-ci sont aujourd'hui l'un des plus grands obstacles au développement économique de l'Algérie. 8 0 % du port d'Alger, par exemple, fonctionnent avec les importations. Les Douanes, c'est une oligarchie qui fait racket sur le moindre paquet. »14 ( est le Président qui d o n n e cette réponse de café du c o m m e r c e ; tout lr inonde sait q u ' i l s'agit d ' u n z o m b i e ne tenant debout que grâce à une nu médication qui permet aux spoliateurs de poursuivre leur œ u v r e sous ii couverture. D e p u i s qu'il a tenu ces propos, la corruption a pris u n e iimplcur effarante. Ainsi donc, il m i n i m i s e la corruption, la dictature et In mise sous coupe réglée du pays par les généraux en i n v o q u a n t . . . la i (irruption bien réelle des D o u a n e s et des colonels, et celle, bien plus vénielle, « d e s riens du t o u t » . Il est déjà au p o u v o i r depuis l o n g t e m p s quand certains préconisent •le placer des caméras dans le port d ' A l g e r pour freiner les trafics aux dimensions ahurissantes qui s ' y opèrent. Ali Tounsi,* le chef de la police niitionale, oppose son véto à l'initiative. Pour cause, ceux qui viennent lu nuit extraire des containers entiers q u ' i l s soustraient au fisc sont ses pmpres amis, les généraux, les colonels, les douaniers e u x - m ê m e s , les nendarmes, ses relations affairistes, toute la pègre qui gangrène le pays et i|u'on n o m m e État algérien, « l ' E l d o r a d o » . Ces marchandises exonérées

* Ancien membre des commandos Georges, inamovible chef de la police algérienne lusqu'à son assassinat par balles, en février 2010 par l'un de ses hommes, dans son bureau > 1>• ki Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN).

11 ««'(MII'IVÍ V I N T A I I « L'I HMANKNT

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í-Jmi* venons de voir ces mécanismes à l ' œ u v r e dans le démantèlement ïiii'iue productif algérien. C ' e s t cependant cet État à mettre au ban A minons que Florence Beaugé célèbre dans ses chroniques du Monde t " ( m u r un h a v r e de prospérité. Pourtant, cette a n a l y s e synthétique m William Byrd occulte de larges pans de la réalité d ' u n pays ravagé, nu- ilcpouille sur laquelle s'acharnent, telle une m e u t e de vautours, les Miuliliiiilionales et les mafias politico-militaro-médiatico-affairistes. i m le vol est devenu le sport favori des parvenus. On pourrait penser HH IIM secteur aussi sensible que la banque échapperait peut-être à cette ittHi I oin s'en faut ; on se sert dans la caisse en toute impunité. Evoquons iHicnt l ' i m m e n s e scandale Khalifa - cette caisse noire des réseaux tluiif I .irbi Belkheir, «conseiller à la présidence», est le réel propriétaire li i l'épilogue n'est pas pour demain, les mis en examen comptant dans li-iit . rangs: •i Ten-ministre des Finances Mohamed Terbèche, [...] Abdelmadjid h'hhoune et Abdelmadjid Attar, respectivement ex-ministres de l'Habitat »•I «les Ressources en eau, l'ancien gouverneur de la Banque d'Algérie, Muldwahab Keramane [...] l'actuel gouverneur de la Banque d'Algérie (HA), Mohamed Laksaci. et le premier vite-gouverneur, Ali Touati, [...] ru leur qualité, pour le premier, de gouverneur de la Banque d'Algérie durant la période 2003 et, pour le second, d'ancien responsable du contrôle îles changes.»"* I »••. responsables d e ces organismes ont a f f i r m é lors de l'instruction •ivnir pris la décision de retirer une grande partie de leur trésorerie des l'iiiiqiies publiques pour les mettre dans les caisses d'El-Khalifa Bank à |.i unte d " ' u n e instruction verbale" du ministre de l'Habitat, Abdelmadjid IcMimine. [...] "En contrepartie des dépôts, les responsables d ' E l - K h a l i f a Miink versaient des dessous-de-table aux dirigeants."» Ces f o n d s ont |irinus n o t a m m e n t à K h a l i f a T V d ' a r r o s e r g é n é r e u s e m e n t le p a y s a g e •iiiiliovisuel français et d'acquérir la villa « l a plus c h è r e » de Cannes pour •titiller d e fabuleuses soirées où était convié le gratin du show-business Humiliai. 19 « L a plus g r a n d e e s c r o q u e r i e que le p a y s ait c o n n u e et I)UI a causé au Trésor public une perte sèche de près de 7 milliards de •lullurs» égrène l'inventaire des délits financiers imaginables: «transferts illégaux d'importantes s o m m e s en devises [...] au profit d ' a u m o i n s une i mquuntaine de personnalités politiques, sportives et culturelles, [.. .] «•mines énormes en devises offertes à travers les cartes Gold à de hautes (imonnalités de l ' É t a t , [dont] des patrons d ' i m p o r t a n t e s institutions |iiililiques ainsi que le frère du Président [ B o u t e f l i k a ] » . Les transferts

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200 ANS D'INAVOUABLE

illicites d ' E l - K h a l i f a p e n n e t t e n t aussi aux frères B o u t e f l i k a d'acheter « l ' a p p a r t e m e n t du 182 faubourg Saint-Honoré (Paris 8 e ) » et au Président de se distraire « g r â c e aux dollars tirés illégalement d ' E l - K h a l i f a ¡\ lu d e m a n d e de Khalida [Messaoudi] T o u m i » . L ' a r n a q u e K h a l i f a n ' e s t q u ' u n e e s c r o q u e r i e p y r a m i d a l e classique, m a i s de d i m e n s i o n s p r o p r e m e n t p h a r a o n i q u e s , qui p r é f i g u r e le scandai^ M a d o f f . À peine le dossier clos - sur d e m a n d e d e J a c q u e s Chirac i|in craignait les é c l a b o u s s u r e s (le g r o u p e Khalifa p o u r s u i v a n t n o m b r e dises activités en France) - une autre série de scandales éclate. L'un d'eu* concerne la B a n q u e c o m m e r c i a l e et industrielle d ' A l g é r i e (BCIA). l'Ile est prise en flagrant délit d ' e s c r o q u e r i e - les voleurs ne se donnant mêni* pas la peine de dissimuler leur actes - aux d é p e n s d ' u n e succursale de lit b a n q u e publique B E A pour un m o n t a n t de quelque 45 millions d'euro* (en une seule transaction). Toutes les « i n s t i t u t i o n s » contrôlées par lu présidence (donc de Larbi Belkheir), Brigade é c o n o m i q u e et financière, I G F et Présidence, se coalisent p o u r la d i s s o u d r e en un t e m p s record (un m o i s ) et soustraire ses c o m p t e s aux regards. L e s b é n é f i c i a i r e s de l ' a r n a q u e ont é v i d e m m e n t eu le t e m p s de m i g r e r avec leur butin veri l ' E u r o p e , tandis que les principaux actionnaires de la banque, « l a famille K h e r r o u b i » , se seraient r é f u g i é s en E s p a g n e , à l ' a b r i des poursuites. Dossier clos ! La Banque m o n d i a l e publie en septembre 2004 un rapport selon lequel « 7 5 % des entreprises algériennes versent des p o t s - d e - v i n » . M a i s ce chiffre qui laisse pantois occulte une réalité plus dramatique. Car il faut c o m p r e n d r e que toutes les entreprises intervenant sur un m ê m e dossier, d o n n e n t lieu c h a q u e f o i s à u n e p o n c t i o n : au final, p o u r c o n c r é t i s a le projet, il ne subsiste q u ' u n e part infime des m o n t a n t s investis. Mais tout cela n ' e s t - i l pas la r a n ç o n d ' u n e é c o n o m i e qui se d é v e l o p p e et d ' u n p a y s « q u i se d é m o c r a t i s e » - dixit Florence B e a u g é - et, ajoute David Pujadas, 2 0 le fait d ' u n « m a n q u e de c o m p é t e n c e s » en Algérie, qui peut dès lors c o m p t e r sur la « c o l l a b o r a t i o n » - maquillée en œuvre humanitaire (après tout, ne bravent-ils pas les terroristes islamistes?) des entrepreneurs français invités à participer à l ' E l d o r a d o algérien. Tels sont quelques-uns des ingrédients du « l i b é r a l i s m e » financier algérien. Pas un secteur n ' é c h a p p e à cette insatiable razzia. Il faut avoir lu les manchettes des j o u r n a u x vantant l ' a f f l u x d ' a c t e u r s économiques étrangers pour mesurer l'intimité de la presse avec les réseaux m a f i e u x en Algérie. Le mythe de « l a colonie bâtisseuse» renaît de ses cendres.

LE « C O U P D'ÉVENTAIL» PERMANENT

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Pendant ce temps, privés de toutes instances protectrices ou de recours, v Ivnnt dans un pays digne des colonisations les plus brutales, appauvris et lépourvus de couverture sociale, les Algériens meurent inexplicablement, o m m e du fait de la fatalité, d ' u n e « m a l é d i c t i o n » p r o c l a m e n t , telles les diseuses de b o n n e aventure, les Y a s m i n a K h a d r a et autres élites médiatiques algériennes. Qui sait quels déchets toxiques ou nucléaires les nociétés américaines, européennes, chinoises ou d'ailleurs sont capables I rn Ibuir dans le désert algérien où les généraux - avec la complicité de I ïiukib Khelil, leur ont offert des concessions territoriales illimitées. Les méfaits des explosions nucléaires françaises des années 1960 c o m m e n c e n t i peine à livrer leurs secrets que déjà p e u v e n t se créer d ' a u t r e s f o y e r s délétères pour les générations à v e n i r . . .

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CHAPITRE 1 8

Le retour de manivelle

O

n r e p r o c h e - à r a i s o n - à la f i n a n c e i n t e r n a t i o n a l e d ' a v o i r littéralement cannibalisé l ' é c o n o m i e , et aux traders de spolier les richesses d e s pauvres qui ont, bien obligés par l'État* d'ailleurs, hhlt« syndicat UGTA, qui, devant l'énormité du sacrifice q u ' o n espère lui lnii# cautionner, se b r a q u e : « L a démarche entreprise par les autorités du p.iv«, afin de confier la gestion du secteur des hydrocarbures aux multinational" ' étrangères, est dictée exclusivement de l'étranger». Il décrit « l a tentaliv de vendre les richesses pétrolières du pays c o m m e un acte de hanii» trahison envers la n a t i o n » et a f f i r m e que « s i nous s o m m e s dans ccll» situation, c'est parce que nos gouvernants sont v e n d u s » . 6 Lors de son passage à Alger, fin 2002, le secrétaire d ' É t a t américain au C o m m e r c e , Marc Bodman a donné le ton : « Il faut que cette loi | Mît les hydrocarbures] soit a d o p t é e » . Face a u x résistances, Chakib Khelil fait mine de renoncer au projet, pour m i e u x revenir à la charge septembre 2004, une fois Bouteflika réélu, et constater « q u ' i l n'est put normal, du point de vue économique, de continuer d ' o b l i g e r le groupi Sonatrach à s ' o c c u p e r de projets qu'il estime non rentables comme le transport par canalisations.» 7 Il parvient ainsi à convaincre le Parlement au prix d ' u n e c a m p a g n e de p r e s s e p a y é e par le contribuable nui1, « d u point de vue é c o n o m i q u e » , il faut céder a u x investisseurs privé»

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200 ANS D'INAVOUABI I

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révélations sur l ' i n c r o y a b l e corruption qui sévit à ciel ouvert au |>lu* haut s o m m e t de l ' É t a t , « l e c l a n » riposte en faisant taire la critic|iif • par le d é m a n t è l e m e n t pour l ' e x e m p l e du Matin. La j o i n t - v e n t u r e algérol a m é r i c a i n e , B r o w n & R o o t - C o n d o r (filiale de l ' h y p e r c o n t r o v e r s é « multinationale U S Halliburton) ayant trop d é f r a y é la chronique, se voit sacrifiée lorsque la prévarication atteint des proportions impossibles A assumer. U n « g r o u p e i s l a m i s t e » s ' é t a n t introduit dans une des zone* les plus sécurisées d ' A l g é r i e , en plein c œ u r du C l u b des Pins, poul mitrailler le bus qui transportait les e m p l o y é s de B R C , o f f r e l'occasion de d é m a n t e l e r le g r o u p e , et d ' e n t e r r e r l ' a f f a i r e . L ' é p i l o g u e est ausxl expéditif que l ' é c l o s i o n et la réussite furent spectaculaires. Partie de rien, sinon la position dominante que lui o f f r e le mini si u< de l'Énergie et des Mines Chakib Khelil, Brown & Root-Condor (BRC) société de services spécialisée d a n s l ' i n g é n i e r i e pétrolière, dirigen par A b d e l m o u m e n O u l d - K a d d o u r , « a u capital de 368,99 millions de dinars», (soit moins de 4 millions d'euros), brasse des chiffres d'affaire* de plusieurs milliards d ' e u r o s par an sur le sol algérien. Le secret de sa réussite: prendre les marchés que lui octroie généreusement Chakib Khelil, surfacturés j u s q u ' à plus soif, puis en sous-traiter la réalisation d'autres, en empochant un bénéfice net dépassant parfois le coût du projet, à se partager entre amis. Ses clients, « le ministère de la Défense nationale ainsi que Sonatrach, ont a n o r m a l e m e n t érigé en règle la procédure exceptionnelle de passation de contrat de gré à gré. » 9 De fait, B R C croule sous les contrats tous plus douteux les uns que los autres. Elle s'installe en Algérie « a v e c la bénédiction de Chakib Khelil, qui lui a offert le premier contrat, avec une participation de Sonatrach 5 0 % , pour financer un projet de construction de logements C N E P qui n'ti [jamais] vu le j o u r . » Parmi les innombrables arnaques où la Sonatrach est chargée en bout de course de régler la facture, celle de « d e u x tourelles construites par l'entrepreneur Chabani, ami de Belkheir, en difficulté de paiement, [et qui] a offert de les vendre.» Des opérateurs, telle la CAAR, compagnie algérienne d'assurances, ont refusé le prix fixé par Chabani à 2,5millions d ' e u r o s ; elles seront finalement acquises le double par hi Sonatrach, transaction opérée avec Chakib Khelil, dans l'illégalité la plus absolue. « A c h e t é e s en l'état à 4 2 0 0 0 0 dinars le m 2 , elles nécessiteront 3 2 0 0 0 0 dinars le m 2 pour leur finition (contrat confié à BRC, évidemment), pour un coût total de 7 4 0 0 0 0 dinars le m 2 , soit plus de 10 fois le prix r é e l » ; 1 0 l'équivalent de 7 4 0 0 euros le m 2 , pour des édifices cumulant grossières erreurs architecturales, malfaçons, et défauts multiples.

BOUTEFLIKA,

HAÏ

I

IHURTON

ET C H A K I B

KHELIL, «L'AtiENT A M É R I C A I N »

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URC a construit pour le c o m p t e du ministère de la D é f e n s e « d e u x hôpitaux militaires à O r a n et à Constantine, ainsi q u e d e u x e n s e m b l e s «portifs et des l o g e m e n t s . » C ' e s t aussi B R C qui réalise l ' e x t e n s i o n il' la piste de l ' a é r o p o r t de Tamanrasset pour permettre l'atterrissage • I ' gros-porteurs américains. Spécialisée d a n s l ' e n g i n e e r i n g , B R C est Mpidement devenue en Algérie une société qui fait t o u t : pétrole, béton, limisport aérien, services. Et si B R C peut saigner à ce point la Sonatrach, t'est q u ' e l l e sait redistribuer ses p r é b e n d e s : « B R C , c ' e s t une poule aux mufs d ' o r autour de laquelle tourne b e a u c o u p de m o n d e : les a m i s de i liakib Khelil, bien sûr, le clan du Président [Bouteflika], é v i d e m m e n t , iniiis aussi u n e société a é r i e n n e p r i v é e , d e s dirigeants de l ' U G T A , il'honorables r e s p o n s a b l e s militaires, des pontes du F L N , le fils de /erliouni, des ministres. [ . . . ] M o u m è n e O u l d - K a d d o u r [patron de B R C ] mène une vie de Pacha, [ . . . ] et passe ses soirées et ses w e e k - e n d s au sheraton [...], en famille avec Chakib Khelil et Réda H e m c h e » , directeur de la cellule sponsoring de Sonatrach et consultant à la B R C . Les factures du Sheraton seraient effrayantes, « m a i s c ' e s t Sonatrach qui paye». 1 1 Le budget « s p o n s o r i n g » de la Sonatrach est colossal. S'il sert pour l'essentiel à payer les factures laissées par les ministres dans les hôtels tic luxe parisiens, à seconder le groupe Khalifa pour arroser les m é d i a s français et le m o n d e du show-business dans le cadre de l'année de l'Algérie en France, etc., les journaux algériens ne sont pas délaissés. Et lorsque la Sonatrach y achète à répétition des doubles pages, 1 2 c'est pour vanter les mérites... de la loi sur les hydrocarbures! Les arguments de Chakib Khelil sont entendus: «Préserver l'intérêt de la nation», jure-t-il, « L e seul objectif sera de créer de la richesse pour la collectivité nationale dont l'État est l'émanation, et il n'est question ni de privatisation, ni de restructuration, ni de démembrement de Sonatrach dans la nouvelle loi des hydrocarbures. Non seulement les acquis des travailleurs seront maintenus, mais nous travaillons toujours à améliorer leurs conditions de travail et à créer de nouveaux postes. Je d e m a n d e à tous les travailleurs [ . . . ] de redoubler d'effort et de m'aider à atteindre cet objectif pour le bien-être de tous les citoyens de notre cher pays. » En guise de bien-être, il y a, selon Inès Chahinez,* celui de « C h a k i b Khelil et Réda H e m c h e par exemple, [occupés à] dilapider 10 milliards par mois en pots-de-vin politiques; ou, plus grossier mais plus gracieux, c o m m e Khalida Toumi qui distribue individuellement aux artistes des chèques de 5 0 0 0 0 0 dinars» pour les convertir en V R P de Bouteflika. * Pseudonyme sous lequel s'exprimera la rédaction du Matin pour égrener la corruption à grande échelle qui sévissait. « E l l e » se taira une fois le journal démantelé.

.'(III ANS D'INAVOIIAIII I

SONATRACH, LA POULE AUX ŒUFS D'OR P o m p e à fric au profit d'intérêts privés, B R C ne rechigne devanl ¡nu m besogne, raflant des contrats d a n s des d o m a i n e s d ' a c t i v i t é totak-mi; étrangers à sa v o c a t i o n . L o r s q u ' u n appel d ' o f f r e public d o n n e lien des d é p ô t s d e c a n d i d a t u r e s qui contrarient ses visées, les décideii savent contourner les handicaps, c o m m e en 2006, lorsqu'intervienl un« c o n c u r r e n c e entre un « g r o u p e m e n t a m é r i c a n o - j a p o n a i s K B R - J G C el c o m p a g n i e française T e c h n i p . » R é p o n d a n t initialement à un cahiei i charges imposant la propriété d ' « u n e usine existante dans le monde m u n e capacité de 4 millions d e tonnes par a n ; [ . . . ] les deux sociétés n été avisées [au dernier m o m e n t ] de la nécessité de changer de capm iti et de présenter une o f f r e technique de 5 millions de tonnes. Or, la socu K B R - J G C avait f o r m u l é pour sa préqualification une o f f r e de 5 milium de tonnes, d é j à construite d a n s un autre pays, tandis que Technip .i\ml fait une o f f r e de 4 millions d e tonnes. Ce qui disqualifie de facto Teclinl|i ou rend impossible la poursuite d e sa participation à l'appel d ' o f f r e s Exit donc T e c h n i p ; et K B R - J G C , qui avait mystérieusement «anticipa.! le changement de cahier des charges, rafle le contrat pour un montant « i 3,5 milliards de dollars, bien que le coût d ' u n e usine pareille, de I'.IVTI d'experts, ne doive pas dépasser 1,8 milliard de dollars.» 1 3 Ce n ' e s t pas l | contribuable algérien qui ira vérifier. Quelles résistances ce projet a-t-il rencontrées qui torpille finalenienl sa c o n c r é t i s a t i o n ? On ne le saura pas. M a i s cette pratique qui perniaj d e cibler un gagnant dans u n e compétition censée loyale est loin d ' é l u la plus aberrante. Car, d'ordinaire, les corruptions de la Sonatrach et dtf C h a k i b Khelil ne prennent pas des c h e m i n s d e traverse. El-Watanu cfli revenu en 2010 sur ces activités frauduleuses qui rappellent étrangenieni le duo Busnach et Bacri.* «Le projet de réalisation d'un parking-restaurant pour Sonatrach d'un montant de 3,5 milliards de dinars, [a été] sous-traité "clés en main" par le groupe libanais Consolidated Contractors International Company pour un montant de 1,2 milliard de dinars. Soit un écart de 2,2 milliards de dinars [22 millions d'euros]. Le réaménagement de l'immeuble Relex, situé à Ghermoul, a également coûté 491 millions de dinars à Sonatrach. De quoi construire un nouveau siège. [...] Le nettoyage de l'hôpital militaire * IL ne faut pas voir dans ces révélations la moindre liberté de presse, mais seulemeni l'expression de coups de boutoirs d'un clan contre un autre, par presse privée interposée Néanmoins, toute vérité est bonne à prendre.

M O U T I I l I K A . MAI I I I U I R I O N I I C I I A K I U K l l l l . l l . . « l . ' A C i I N T A M É R I C A I N »

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il'Oran, facturé au ministère de la Défense nationale au prix fort de 347 millions de dinars, a été effectué [pour moitié moins] par l'entreprise Sari K lielef, qui aujourd'hui n'existe plus. » I ii vulse des chiffres d o n n e le tournis dans ces transactions où B R C j o u e »lni|ilcment un rôle d'intermédiaire. « UKC a "décoré une salle de conférence pour un montant total de '.•1 millions d'euros". [...] La pose et la fourniture d'un plancher et d'une estrade [ont coûté] la somme de 164275 euros. Le cas le plus étrange et MKnificatif est celui de la réalisation des 300 logements de l'hôpital de ( onstantine attribuée à BRC, qui l'a sous-traitée chez Batigec. Qui, à son lour, l'a sous-traitée "dans des conditions non réglementaires du contrat |.i| la société Coffor Algérie, qui n'a ni statut de droit algérien, ni registre de commerce, ni siège social". [...] Cette dernière a encore sous-traité le projet à la société égyptienne Egypt Speed Construction "qui a ramené il'lîgypte 80 ouvriers et deux ingénieurs, ces ouvriers n'étant en réalité i|iie des cultivateurs sans aucune formation". Concernant l'achèvement îles deux tours du ministère de l'Énergie et des Mines, les inspecteurs ont constaté que le montant contractuel de 3 milliards de dinars a été revu la hausse. Son coût définitif: plus de 6 milliards de dinars, soit 100% île majoration. Le comité de suivi de ce projet, notamment concernant le contrôle de conformité et de l'exécution des travaux en matière de qualité et de coût, s'est déclaré dans l'impossibilité d'assumer sa tâche. » I n 2006, note le quotidien Le Soir, B R C aurait « d o n n é en sous-traitance | | un important contrat d ' e n g i n e e r i n g sur le gisement de R h o u r d e - N o u s s pour la s o m m e d e 4 7 millions, bien q u e cette étude ait été d é j à faite par une autre société p o u r seulement 5 millions de dollars. » L a pratique est •nindaleuse, mais, explique le journaliste, « a u - d e l à de cette surévaluation, | il | est remarquable [ . . . ] que la société de sous-traitance, B a t e m a n Litwin, •.oit c o n s i d é r é e c o m m e la p r o p r i é t é d ' u n milliardaire israélien, B e n n y Sk-inmetz. » L ' o n pourrait m ê m e se d e m a n d e r à cette lecture ce qui, du vol ou de cette intrusion « j u i v e » en sol algérien, est, aux y e u x du journaliste, 11- plus intolérable. Tout cela intervient à un m o m e n t où C h a k i b Khelil e f f e c t u e un lorcing sans précédent pour faire adopter par le Parlement la « loi sur les hydrocarbures» qui n ' e s t rien d ' a u t r e q u ' u n chèque en blanc offert aux •ociétés étrangères - américaines surtout - pour s'approprier les ressources nigériennes, sans l ' o m b r e d ' u n e contrepartie. La loi stipulait que les acteurs ¿1 rangers détiendraient d ' e m b l é e un m i n i m u m de 7 0 % des gisements qu'ils exploiteraient, les 3 0 % restants étant laissés à l'appréciation d e l'Algérie, qui pourrait éventuellement y r e n o n c e r si elle se j u g e a i t incapable de

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2(H) A N S D ' I N A V O I J A

réunir rapidement les fonds requis. Or, c'est à Chakib Khelil, à la têli' iT5 Sonatrach, de décider si l'Algérie souhaite récupérer ces 3 0 % , à défaut lia quoi le gisement reviendra intégralement à la compagnie étrangère. ( clin loi que nul n'aurait imaginée dans les heures les plus sombres de rhislimt» coloniale, ni dans aucun autre pays, a été votée en 2006 par le Parlenuiil algérien (une sorte de collège de bachaghas grassement payés, constitue d ' « i s l a m i s t e s » , de députés du R C D , du FLN, du R N D et de divers auh> mystérieuse maladie qui frappe Bouteflika. De retour d e soins au Val-de-Grâce, en France, celui-ci décide m dénoncer cette loi (pour laquelle l'Algérie a dépensé plusieurs centan de millions de dollars, en frais d ' é t u d e s ; études réalisées par des bureau» américains proches du c o m p l e x e pétro-militaro-industriel américain duu» le but de mettre le sous-sol algérien sous leur contrôle absolu). A u gra d a m de son « a m i » C h a k i b Khelil et surtout des m a g n a t s du pétrole, légende veut que ce soit suite à u n e crise de mysticisme q u ' u n e voix lui i d e m a n d é de surseoir à cette loi ; la réalité est que Dieu portait sans doute le c o s t u m e gris de J a c q u e s Chirac, ou de q u e l q u e officier des service» de sécurité français. C a r si la France est la première bénéficiaire de celle colonie française en Algérie, elle serait la première à en payer les frais si j a m a i s une révolution éclatait dans ce pays. Quels m o y e n s de pression lu France a-t-elle pour imposer ses raisons au Président algérien? C e que lu France dissimule d a n s les archives sur les dirigeants actuels (dont non» avons parlé au début de ce livre) est assez grave pour que cela constitue une arme de dissuasion e f f i c a c e ; que le pouvoir français gère c o m m e un fonds de c o m m e r c e (une m a n n e sur le point de se tarir, d'ailleurs, comme nous le verrons dans la conclusion). En tout cas, l ' E l d o r a d o et le havre de démocratie que décrivait avec tant d ' e n t h o u s i a s m e Florence B e a u g é a l ' a p p a r e n c e d ' u n véritable enlei pour le peuple algérien. Mais, un pas supplémentaire restait à accomplir.

LE RÊVE RÉALISÉ DE LA « PARTITION » Selon un rapport du C N E S , « o n assiste d e p u i s d e s d é c e n n i e s à une dilapidation effrénée des terres à haut potentiel économique, notamment d a n s les régions du N o r d . [ . . . ] Les prix de cession du d o m a i n e public procèdent le plus souvent de m e s u r e s a c c o m m o d a n t e s et de transactions privées qui gardent un caractère confidentiel.» Principaux foyers de celle

I H M I I I I - I I K A , MAI I.IIIURION I.ICMAKHI KLLL.LLL, «L.'ALIKNT AMÉRICAIN»

SIS

•#1111 ii nigic, la Présidence et le ministère de l ' A g r i c u l t u r e , c e dernier •triiiii bénéficié en juillet 2 0 0 0 d ' u n b u d g e t spécial d e modernisation, fl|«|n Ir Plan N a t i o n a l d e D é v e l o p p e m e n t A g r i c o l e ( P N D A ) , d ' u n N H I I I milliard d ' e u r o s annuel. Selon Le Soir d'Algérie, cet argent n ' a • v i « 11• '« à enrichir une m e u t e de rentiers », dont des proches du ministre l'Agriculture, Saïd Barkat. C a r la p r i n c i p a l e activité à laquelle tt-liii 11 se consacre consiste à « p r i v a t i s e r » les terres agricoles, pourtant fhii'iulérccs par la Constitution c o m m e inaliénables. D a n s l'Algérois, les »••liunions s ' o p è r e n t à grande échelle, parfois en massacrant des villages Hihfi • Personnage emblématique de cette frénésie, M. Melzi, directeur ili Mil (Société d ' I n v e s t i s s e m e n t Hôtelier), SSDVA et C l u b des Pins, Uni', sociétés immobilières d é p e n d a n t de la présidence (donc de Larbi iMkhcir). Le d o m a i n e Bouchaoui, ex-Borgeaud, est livré à une véritable •• m cie » dilapidatrice. Djillali Mehri, propriétaire de Pepsi-Cola Algérie, VluUlinalek N o u r a n i (wali - préfet - d ' A l g e r ) , B r a h i m H a d j a s , P - D G il l linon Agro, filiale d ' U n i o n Bank, et combien d'autres h o m m e s derrière |i n|iicls œuvrent dans une sorte d ' a n o n y m a t ostentatoire Larbi Belkheir et •iiilu-s généraux, se disputant les ultimes lambeaux des terres agricoles le ImiK du littoral. I es rapaces qui fondent ainsi sur les meilleures terres algériennes ne MU il pas tous du c r u : «Les investisseurs du Moyen-Orient et du Golfe s'intéressent de près au secteur du tourisme en Algérie. Plusieurs de leurs projets ont été retenus par l.i Société d'Investissement Hôtelier (SIH), une société par actions basée uu Club des Pins et rattachée directement à la Présidence de la République. Pour les investissements lourds, "les hommes d'affaires étrangers peuvent directement négocier avec la SIH", affirme M. Wardi, responsable [...] au ministère du Tourisme. Une démarche suivie par les investisseurs arabes, le ministère de tutelle étant tenu quasiment à l'écart. Pour preuve, alors |qu'il] attend les conclusions de l'étude devant déterminer la nature de l'investissement approprié à la plage Les Dunes [à l'ouest d'Alger], les terres ont déjà été clôturées pour accueillir un gigantesque complexe de l'homme d'affaires libanais Mustapha Hariri, cousin du Premier ministre Rafik 1 lariri. [...] Pas loin des Dunes, à Sidi Fredj, le milliardaire émirati Cheikh I lammed prévoit de construire un hôtel cinq étoiles. [...] Un autre Émirati, avons-nous appris, ambitionne d'investir près du complexe de Zéralda. [...] Les Saoudiens ne sont pas en reste. Un important complexe touristique, avec centre commercial, est prévu dans la région de Boumerdès. » Le choix des investisseurs du G o l f e n ' e s t pas fortuit. Il est plus habile île faire p a s s e r p o u r u n e t r a n s a c t i o n c o m m e r c i a l e d ' i n t é r ê t public l'abandon des j o y a u x rares d e la côte algérienne en cédant ces terres à

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200 ANS D'INAVODAMI I

des investisseurs é t r a n g e r s ; u n e mondialisation assaisonnée à la s a i n t algérienne, en s o m m e . L e s g é n é r a u x auront bien le t e m p s plus luni lorsque les regards se seront détournés, d e les reprendre à leur compte SI. à l'origine, les décideurs font p r e u v e d ' u n e certaine prudence, la liu'ilfjï avec laquelle s ' o p è r e n t ces spoliations fait q u e la m a c h i n e s'cmh.ill rapidement. Il faut u n e colonisation de « p e u p l e m e n t é c o n o m i q u e » , don» étrangère; or, à ce stade, les Occidentaux ne se bousculent pas au portillon (cela surviendra d a n s un s e c o n d t e m p s , après l ' a n n é e de l'Algérie ni France). C ' e s t ce qui e x p l i q u e l ' a f f l u x d ' i n v e s t i s s e u r s du Golfe, de connaissances de B o u t e f l i k a e n g r a n g é e s durant ses 20 ans d'erreincnti et de débauche. A u t r e avantage, ces amis du Président comptant painii eux des escrocs notoires, il sera aisé le m o m e n t venu de s ' e n débarrassci Qui peut d'ailleurs dire si le contrat de ces rétrocessions n ' e s t pas signé . l'avance, devant notaire, dans quelque cabinet de D u b a ï ? Pour l'heure, le « investisseurs » sont là, la razzia peut c o m m e n c e r : «Des haies de tôle et de parpaings ont délimité 20 hectares des EAC sur arrêté du wali d'Alger, Abdelmalek Nourani, signé le 19 octobre 2002. Des agents de la résidence Sahel veillent sur la surface reprise, désormais interdite à la production agricole. Melouk Rabah, agriculteur de père en fils, assiste impuissant au grignotage de 3 hectares sur les 12 que compte l'EAC N°59 dont il fait partie [...]. "Il y a deux mois, des agents de la sécurité au Club des Pins, en compagnie d'ouvriers chinois," et assistés par la gendarmerie, sont venus dresser une clôture", témoignet-il. Les agriculteurs ignorent tout de l'instruction interministérielle et de l'investissement prévu. Ils ignorent tout de leur avenir, espérant un "retour à la raison" du wali d'Alger. 74 familles sont priées de plier bagage, après indemnisation. Les haies dressées sillonnent les EAC et courent le long de la RN11. L'EAC N°37 a été amputée des cinq sixièmes de sa superficie (5 ha sur 6). À terme, toutes les exploitations disparaîtront pour céder place à un projet d'investissement touristique, qualifié par l'État d'"utilité publique". "Seuls les routes, écoles, hôpitaux, aéroports peuvent être d'utilité publique", estime un expert. "On m'a pris la quasi-totalité des terres", [...] se plaint un vieil agriculteur. Mais ni le plan directeur d'aménagement et d'urbanisme, classant ces assiettes foncières en "zone non urbanisable", ni la loi 87-19 [...] ne peuvent lui être d'un quelconque secours. Dans la cacophonie des textes, le wali délégué de Chéraga, M. Benmansour, a adressé, le 25 décembre 2002, un arrêté à toutes les autorités locales, notamment à la gendarmerie, afin "d'engager les actions nécessaires pour [faire cesser] immédiatement les travaux, et [procéder à] la remise en l'état initial des lieux". En vain. M.

* C'est de là que date le premier afflux de Chinois en Algérie. Ils ont conquis une part substantielle des marchés algériens depuis. Ils constituent en effet des partenaires de choix, enclins à toutes les spoliations et à toutes les basses besognes.

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l l O i n i H . I K A , 11Al.1 I I I I J R I D N I I ( I I A K I I I K l l l l II . « l ' / f i l N T A M E R I C A I N »

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Mi iiNiaiisour q u a l i f i e la clôture d ' " i l l é g a l e " . "Ap'ès la vente des villas il. Muretti à des particuliers, n o t a m m e n t à des dignitaires du régime, la i. piise du C l u b des Pins par l ' É t a t et sa fermetire au public, voici le li.'lnn m e n a ç a n t les 76 hectares qui ont pu jusque-λ lui résister"» déplore un nuriculteur d é p o s s é d é de ses terres.

pourrait p r é t e n d r e q u e tout i n v e s t i s s e m e n t fst bon à p r e n d r e . M a i s i n g r è v e n t p l u s q u ' i l s n e s o u l a g e n t les fïnarces algériennes. Il en va il de cet É m i r a t i , a m i d ' A b d e l a z i z Boutefliki, Al-Shorafa, u n e s c r o c n u e , i m p l i q u é d a n s les p l u s g r a n d s s c a n d é e s d e ces 10 d e r n i è r e s

l»n L ' a m b i t i o n q u ' a f f i c h a i t sa s o c i é t é U n i c d Easter G r o u p ( U E G ) fluii pourtant d i g n e d ' u n petit plan M a r s h a l l : « F o c é d e r à la c o n s t r u c t i o n •l'une n o u v e l l e a é r o g a r e à A l g e r et r e s t r u c t u r e r l'aéroport international, •Ouover les p o r t s d ' A l g e r et d e D j e n d j e n , construire des l o g e m e n t s en iinp r a t i o n a v e c la C N E P , r é n o v e r le réseaJ de r a c c o r d e m e n t d e s mi«, a m é l i o r e r la q u a l i t é d e c o u v e r t u r e en électricité, p r o c é d e r à I M» l i c m i n e m e n t d e s p r o d u i t s d é r i v é s du pétrol-'»- A u final, ses r e l e v é s ils c o m p t e m o n t r e n t q u e « t r o i s a n s a p r è s l ' o i v e r t u r e de ses b u r e a u x • n Algérie, A l - S h o r a f a p o s s é d a i t m o i n s d e 100 dollars en b a n q u e . » Et liusque les b a n q u e s p u b l i q u e s r e f u s e n t d e lui accorder des p r ê t s , « d e s m lires v e n u s d i r e c t e m e n t de la p r é s i d e n c e [les] contraignent à d é b o u r s e r I m u e n t d e m a n d é » , f o n d s qui « n ' a i d e n t m ê m e î a s au d é m a r r a g e du p l u s iimple p r o j e t » . ( i r â c e a u x « i n v e s t i s s e u r s » du G o l f e , 1» m a c h i n e d i l a p i d a t r i c e fMl a m o r c é e ; il n ' y a p l u s q u ' à g r a i s s e r la jatte à q u e l q u e s f a i s e u r s d ' o p i n i o n en F r a n c e p o u r i n c i t e r d e s « c o l o n s b l a n c s » à se j o i n d r e a u x n^apes. C ' e s t c e à q u o i s ' a t t e l l e r a a v e c tant de talent le c h a n t e u r d e mi C h e b M a m i , q u e c e r t a i n s n ' y r é s i s t e n t pas. D ' a u t a n t q u ' A b d e l a z i z H o u t e f l i k a n ' y v a p a s p a r 4 c h e m i n s : il offre 50 m i l l i a r d s d ' e u r o s . . . nux e n t r e p r e n e u r s et e x p o r t a t e u r s é t r a n g e r s intéressés. C o m m i s s i o n s comprises, bien entendu. La p a r t i t i o n q u e r é c l a m a i e n t c e r t a i n s gouverneurs de la c o n q u ê t e coloniale dessinait d e u x territoires, l ' u n p o u r 'a colonie, l ' a u t r e à laisser aux A l g é r i e n s . Le p r e m i e r était c o n s t i t u é du littoral allant d e l ' e s t d ' A l g e r j u s q u ' à la r é g i o n d e M o s t a g a n e m , incluant toute la p l a i n e d e la M i t i d j a ; les A l g é r i e n s a u r a i e n t le r e s t e (le Sihara dont on ignorait tout des r i c h e s s e s q u ' i l recelait n ' é t a i t p a s convoité à cette é p o q u e ) . C ' e s t e x a c t e m e n t cette c o n t r é e q u e le « c l a n f r a n ç a i s » a réussi à a c c a p a r e r et où les « A r a b e s » sont e x c l u s . M a i s la viabilité de cet é m i r a t qui n e dit pas son n o m tient d é s o r m a i s à la m a n n e pétrolière. G r â c e au t e r r o r i s m e ,

I I O I I Ï Ï i l l . l K A , MAI I I I I I I K Ï O N I I ( I I A K I I I K l l l i l . i l . , « l . ' A O l i N T A M E R I C A I N »

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IL NE MANQUE QUE LES ENFUMADES llnii't le Quotidien d'Oran, c'est A b e d Charef qui lance un cri d ' a l a r m e , |ti m o m e n t où, le terrorisme étant réduit à un n i v e a u « r é s i d u e l » le t*|iliiu- organise des colloques sur le terrorisme où est réunie l'aristocratie llinudialc de « l ' é r a d i c a t i o n » : » l es débats sur le terrorisme sont devenus plus importants que... le trirorisme. C'est normal, tant qu'on débat au Club-des-Pins et... qu'on meurt à Sidi Akacha, écrit le journaliste. Sidi Akacha. Sidi Abed. Ilnrchoun. Des noms à la résonance dure, rude. Des noms venant de l.i campagne ou de la montagne. Des noms dont la seule prononciation icvùle une forte connotation arabe, bien que les habitants soient un peu berbères, ces Berbères de l'Ouarsenis et du Dahra, restés dans un état semi sauvage. [...] Des villages disposés en cercle autour de ( ' h l c f . Au sud, Harchoun, Sendjès, Beni Ouattab, Hadjadj. Au nord, S u l i Akacha, El-Marsa, Chaârir, Ouled Ben Ali et Ouled Ben Abd-elKailer, et autres lieux à la résonance insupportable. [...] C'est là, dans ccs contrées oubliées de Dieu et du Club des Pins, que le terrorisme a décidé de sévir. Ici, on ne tue pas, on massacre. On ne se dérange pas pour éliminer une personne, on préfère des nombres à deux chiffres. ON ne choisit pas ses victimes, elles sont toutes pareilles. Des ruraux, pauvres, sans armes, sans âme. Ils n'ont pas de vie, pas d'histoire, pas île destin autre que celui d'être une statistique dans les états-majors et île servir d'argument pour une attaque d'un clan contre un autre. [...] « C e s victimes sans identité ne soulèvent même plus l'indignation. Kncore moins la colère. Elles sont comme les accidents de la route. C'est un simple prix à payer à la modernité. Des dommages collatéraux, en somme, sans incidence sur le prix du pétrole ni sur les prochaines présidentielles. La presse ne se déplace même plus pour l'événement. [...] Les prochaines victimes tomberont donc sans même pouvoir prendre connaissance de la pensée lumineuse du cartel du Club des Pins, cette organisation qui se dépense tant à les sauver. Pensez donc! Glucksman, Bencheikh, l'ancien patron des services spéciaux français Yves Bonnet, "El-Mokh" [Mohamed Touati], Ali Tounsi, des officiers supérieurs et des intellectuels, qui passent des jours et des jours à établir la différence entre terrorisme et résistance ! Et tout ceci est rapporté par une presse, ce prolongement du cartel ! » 15 Dans les grandes villes, (à Mascara, 1 6 à Blida 17 , etc.) fuyant le terrorisme, des l'amilles s'entassent dans des bidonvilles dans des conditions effroyables.

ANNÉE 2 0 0 4 , LA PAIX DES CIMETIÈRES En 2004, l ' a r m é e exulte et se m o n t r e e x u b é r a n t e : le général Mohinnoil Touati,* alias e l - M o k h (le cerveau - quel cerveau faut-il p o u r des pn»|t n m e u r t r i e r s ? ) l ' u n des architectes (avec les généraux Belkheir, Ne//,M Taghit) de la création des G I A selon l ' e x - c o l o n e l M o h a m e d Samriniufl a c c o r d e u n e l o n g u e interview au quotidien La Tribune où il annom» q u e : « l e r é g i m e n ' e s t ni dictatorial, ni démocratique. Ni présidentiel, ni parlementaire. N o u s ne s o m m e s certes pas u n e monarchie m a i s sommet nous tout à fait une république pour a u t a n t ? » , se demande-t-il. Il reste lu système m a f i e u x q u ' i l se garde d ' é v o q u e r , ajoutant m ê m e que l ' a n n é e nii s ' i m m i s c e pas dans les élections présidentielles prochaines q u ' i l espom voir déboucher « sur la promotion des valeurs citoyennes. [ . . . ] En un mni. il s'agit désormais de réaliser au profit du citoyen algérien ce que touien les Constitutions précédentes ont prévu sans j a m a i s y parvenir réellemeni Je parle, bien sûr, des droits et libertés f o n d a m e n t a u x inaliénables et de lu participation populaire à la gestion des affaires publiques. » ' 8 Les obstacles à cette aspiration? « S a c h e z , dit-il, que l'Algérie, commit j e l'ai déjà affirmé, a vécu une véritable guerre terroriste qui n ' a reculs d e v a n t aucun acte d ' a b o m i n a t i o n ou de dévastation. Le pays a résiMigrâce au rempart qui a été bâti autour de l ' A N P et des forces de sécun par les populations et la société civile. [ . . . ] La question se pose. Tant i|in< subsiste un courant d ' o p i n i o n pour soutenir que le terrorisme qui sévil en Algérie relève du djihad, tant que des tueries passent aux yeux de certain* milieux politiques c o m m e actes de résistance à une dictature, la violein terroriste n'est pas près de se tarir. » " L a faute aux médias étrangers. C'exl classique. Mais pas tous, q u ' o n se r a s s u r e ! Seulement, tant qu'il restent un opposant qui accuse les généraux, le terrorisme se p o u r s u i v r a . . . Alors que la Ligue algérienne pour la d é f e n s e des droits de l ' H o m m e ( L A D D H ) d ' A l i Yahia Abdenour m è n e vainement une é n i è m e « campagne internationale p o u r la levée de l'état d ' u r g e n c e » , 2 0 se tient la deuxième édition de la s e m a i n e de l ' É n e r g i e à Alger, où l ' o n a p p r e n d que « 2 l u f i r m e s pétrolières prospectent le m a r c h é . » 21 Le tissu é c o n o m i q u e e*t e n t i è r e m e n t d é m a n t e l é . La société civile est à g e n o u x . « L a paix des c i m e t i è r e s » est revenue. Le pillage à grande échelle peut enregistrer dramatique crescendo.

* Ce DAF chassait du fellagha en Kabylie quelques mois à peine avant l'Indépendant dans la forêt de Tamgout, près d'Azzefoun, (ex-Port Gueydon).

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Alors que le préjudice de son groupe s ' é l è v e à 7 milliards d ' e u r o s , »Miiuinéne Khalifa, le patron du groupe Khalifa, a été c o n d a m n é [en Hmi . .'004] à 5 ans de prison ferme par contumace et à une a m e n d e de ¥il millions de dinars [moins d ' u n million d ' e u r o s ] par le tribunal de iilili M'Iiamed pour transferts illégaux et fuite de capitaux. » U n e condam(tiilinn extrêmement clémente dont l'intéressé se rit depuis Londres où il IIM I le pouvoir au défi de lui intenter un procès dans un pays jouissant •I uni' iiistice libre. Il se sait intouchable puisque les premiers bénéficiaires i mcsponsables de la spoliation à laquelle il n ' a servi que de prête-nom noiil autres que le Président Boutelika et ses frères, C h a k i b Khelil, du Mclkheir, Yazid Zerhouni, et tout le gotha politico-mafieux algérien. ii|K'iil a tellement coulé que beaucoup ont en profité.

S

I n dictature profite à beaucoup de m o n d e . A beaucoup d ' « i s l a m i s t e s » liiiiiiiunient, dont certains terroristes avérés, de ceux qui, quelques années R I I | I . M a v a n t , écrasaient les crânes des nourrissons contre les poutres des iii.ir .iiis avant de les incendier, ou jetaient vivants des bébés dans des llnu . avant d ' a l l u m e r le f e u ; les t e m p s ont changé, ils sont maintenant ¡•lu'» que fréquentables, ils forment 1'«élite» algérienne: il leur a suffi de e> i onvertir aux nécessités de l ' é c o n o m i e de marché. « Ils ont prospéré pendant la "sale guerre" des années 1990, en marge d'un îvstème dévasté. Ils profitent aujourd'hui des vides de la loi pour "faire des affaires". Et affichent leurs millions sans complexes. Bienvenue chez les nouveaux riches algériens. » I Vu ainsi que c o m m e n c e un long article de Florence A u b e n a s dans hbsiation du 6 avril 2 0 0 4 qui rend bien compte de l'accélération de la liiillitc de l'État algérien. La suite apparaîtrait peu crédible pour un être finiinal, mais s o m m e s - n o u s dans un pays n o r m a l ? «(,'a y est, c'est parti. Omar vient de sortir une liasse de billets qu'il agite en cadence dans l'air épais d'une musique de raï saturée. Il est boucher. On le surnomme Pentagone. Pendant le ramadan, il a vendu des ânes pour du mouton. Là, à minuit dans un cabaret d'Alger, alors que la sono fait trembler les canettes de bière et les bouteilles de Chivas, il crie au chanteur: "Dédie ta chanson à ma mère." Et lance 10000 dinars ( 100 euros). Un mois de Smic en Algérie. À la table d'à côté, 20000 dinars sont jetés par un type en bras île chemise, qui éclate en sanglots. Les larmes se mêlent à la sueur, à la brillantine, au whisky qui coule sur son menton. Il voudrait un mouchoir, louille dans sa poche. Sort un téléphone portable. Puis un autre portable, lit des billets de banque, par paquets énormes, innombrables. Il cherche à nouveau. Encore un portable. Mais toujours pas de mouchoir. L'argent tombe sur le sol. Une fille très décolletée lui donne à la becquée une crevette

.MXIANS rVINAVOUAIIl I

étant d ' a v o i r s a c r i f i é leur idéologie religieuse au p r o f i t d e celki t!•• j u n t e au pouvoir, nihiliste. P r é f e t s , s o u s - p r é f e t s , h a u t s fonctionijmi d i p l o m a t e s , u n e b a n d e de g r e d i n s sans foi ni loi. Et c o m m e intfMl intermédiaire, c ' e s t la petite t o u c h e par laquelle A b d e l a z i z Bouk-llik contribué à l ' e s s o r de ce s y s t è m e abominable, des associations de voy d a n s toutes les villes, constituées à l ' o c c a s i o n des c a m p a g n e s élecirtffl au p r o f i t de la c a n d i d a t u r e de leur maître, et catapultées ensuite comiM « s y n d i c a t s » sociaux. Pour obtenir un d o c u m e n t administratif, un partlil de construire, de conduire, un prêt, un d i p l ô m e , une f o r m a t i o n , un pni de travail, une affectation, un passeport, n ' i m p o r t e quoi de légalnn inaccessible, il s u f f i t d e v o u s adresser à lui ; le v o y o u en chef. Q u a n t à la société, la vraie, elle f o u r m i l l e d ' a u t a n t plus qu'elle inexistante. Par une sorte de r é f l e x e suicidaire d i g n e de ce que l it. observe dans les sectes apocalyptiques, les mariages se multiplienl, (m. pour objectif d ' a v o i r une n o m b r e u s e progéniture. Si bien q u ' i l y a luull p a r t o u t : les intérieurs sont bondés, les cafés sont bondés, les rues sfljt bondées, les routes, les autoroutes, les gares, les ports et les aéroports MIIÎI bondés. Les écoles sont é v i d e m m e n t b o n d é e s . D a n s cet établissenu'nj p r i m a i r e , on a f f i c h e les résultats à l ' e x a m e n de s i x i è m e ; tous I n visages sont r a y o n n a n t s ; et pour cause, il y a eu 1 0 0 % de réussite. Mm l'explication n ' e s t pas à chercher dans l ' e x c e l l e n c e de r é t a b l i s s e m e n i j un peu à part, des parents se content l'histoire : le directeur de l'ccolc est passé s y s t é m a t i q u e m e n t après la distribution des sujets pour écn au tableau toutes les b o n n e s réponses. L ' a v a n c e m e n t se m e s u r e depin q u e l q u e t e m p s au taux de réussite et les m e i l l e u r s b é n é f i c i e n t d'uni« formation à l'étranger. D a n s le m a r c h é , on trouve tout, y compris le épreuves de concours nationaux. Des profs vendent leurs propres sii|ol» p o u r j o i n d r e les deux bouts. Pour 500 euros, un notaire v o u s signernij le titre de toute propriété que vous voudrez et, m o y e n n a n t arrangement, les banquiers qui n ' i g n o r e n t rien de la falsification v o u s attribueront Ion» les prêts q u e vous désirerez, sur la base de l ' h y p o t h è q u e d ' u n bien qu(J vous ne possédez pas. Ainsi, avec quelques audaces, v o u s p o u v e z devenir milliardaire, faire faillite, et r e c o m m e n c e r dans le pâté de maison suivant Le but de cet État noir est d ' é l a r g i r le cercle des c o m p r o m i s , si bien que s'il fallait se révolter, c ' e s t déjà au voisin, au cousin, au frère, qu'il faudrait s ' e n prendre, ceux qui prennent leur r e v a n c h e sur leurs échecs scolaires en narguant du haut de leurs 4 x 4 ceux qui ont réussi leurs étude* et qui vivotent d ' e x p é d i e n t s à 100 euros par mois.

HOU M I I IK A, MAI.1 I I U I K I O N I I ( I I A K I I I K i l t I II., « I A f i l i N T A M E R I C A I N »

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UNE ÉCONOMIE KLEENEX I iiiiiison, les cocottes minutes m a d e in C h i n a explosent r é g u l i è r e m e n t ; f»ji(i|i ipc de sécurité ne fonctionne pas toujours très b i e n ; alors, c ' e s t un il lu roulette russe q u e l ' o n j o u e en préparant le dîner. D a n s les rues iilir. une voiture ne b o u g e (un barrage de g e n d a r m e r i e a c h è v e de geler ; i m ulution d é j à a m p l e m e n t congestionnée), une a m b u l a n c e p o u s s e ses îljt'l • inutiles. À l'intérieur, ce peut être un m o u r a n t . Par c h a n c e , ce i | u ' u n e f e m m e enceinte de cinq m o i s saisie de contractions. C ' e s t Œ pu-mier e n f a n t ; il a peu d e chances d ' a r r i v e r à terme sain de c o r p s fflvsprit. La r a i s o n ? Nul n e c o m p r e n d toutes les m a l a d i e s bizarres fti iilloctent tout le m o n d e . Le pain se vend à m ê m e la rue, l o n g t e m p s ftfs que toutes les particules de poussières et d ' h y d r o c a r b u r e s se sont ifeuniulées d a n s les rugosités de la croûte. Si la v i a n d e r o u g e vient d e > « aux origines indétectables (les g é n é r a u x importateurs s ' e n mettent m les p o c h e s d u r a n t les p é r i o d e s d ' é p i z o o t i e s ) , le p o u l e t , lui, est i i- sur place, d a n s des batteries aux conditions sanitaires e f f r o y a b l e s ; ailleurs nul n e sait d ' o ù proviennent les aliments dont les volailles sont muues, un surplus d ' u n pays aux antipodes, ou peut-être d e c h a m p s de n'aies avoisinant la centrale de Tchernobyl. Qui sait ce q u e contiennent feus ces produits d ' i m p o r t a t i o n frelatés, ces m é d i c a m e n t s dont les dates Si* péremption sont trafiquées, ces a l i m e n t s q u e nul ne contrôle et q u e r u n doit p o u r t a n t bien se r é s o u d r e à i n g u r g i t e r p o u r v i v r e ? F a u t e M Iravail, faute d e tout, on n e vit pas p o u r m a n g e r , on m a n g e à d o s e s Rmiiiéopathiques p o u r éviter de mourir. O n s ' e n remet à Dieu, et Dieu a le pi Dde de général en Algérie. Dans le bouchon plus q u e j a m a i s vitrifié, les plus c h a n c e u x s ' a v i s e n t il'un espace libre où ils p e u v e n t garer leur véhicule. Ils finiront le trajet i* pied; ça va plus vite. Tandis q u ' i l s m a n œ u v r e n t un créneau, un j e u n e » a p p r o c h e ; c ' e s t le g a r d i e n , autant dire le p r o p r i é t a i r e a u t o d é c l a r é , il«' la rue, et q u i c o n q u e y stationne doit s ' a c q u i t t e r d ' u n e taxe (on p e u t refuser, m a i s gare aux p n e u s qui éclatent et au pare-brise si fragile q u ' u n lien peut zébrer). A i n s i , toutes les r u e s d e toutes les villes d ' A l g é r i e •ont autant de c o n c e s s i o n s q u e s ' a d j u g e n t les v o y o u s les p l u s f u t é s : une bénédiction p o u r la police, qui en fait autant d ' i n d i c s sur lesquels elle peut c o m p t e r p o u r e x e r c e r u n e s u r v e i l l a n c e p e r m a n e n t e sur la population; u n e surveillance f i n a n c é e par le surveillé, en q u e l q u e sorte. Dans l ' a m b u l a n c e , l ' i n f i r m i e r o b s e r v e un m o m e n t la j e u n e f e m m e qui se lord de d o u l e u r ; u n e v a g u e d ' a t t e n d r i s s e m e n t s ' e m p a r e d e lui. Il ouvre un liroir et saisit ce qui constitue un véritable trésor d a n s le milieu médical

J(H> ANS D INAVOIIAHI I

public : un gant chirurgical. Il sait que le médecin qui la recevra n'en .n«._ pas à sa disposition et c ' e s t à m a i n s nues q u ' i l ira fouiller ses entr.nllid Autant le dire, l ' E l d o r a d o a des relents d ' e n f e r pour quelque 35millirîiJ d ' A l g é r i e n s . L o r s q u e le c o m m a n d a n t de gendarmerie s ' e s t assez .unir A il o r d o n n e la levée du barrage, et les c o n v o i s s ' é b r a n l e n t . Main précipitation e n g e n d r e d'inextricables b o u c h o n s à tous les carrefouii ce sont les automobilistes e u x - m ê m e s qui devront s ' e m p l o y e r à dt'jMytfi le passage du rond-point et permettre petit à petit que le caillot de lri|fl qui l ' e n c o m b r e se résorbe. Si v o u s avez un r e n d e z - v o u s à Alger lui l | matin, mieux vaut v o u s y rendre la veille. Les autoroutes sont j a l o n m V d e barrages, et l ' o n roule à 5 k m à l ' h e u r e . Quelle raison pousse lu militaires à soumettre ainsi leurs automobilistes à de tels traitement«? Peut-être l ' e n v i e d ' u s e r p r é m a t u r é m e n t les mécaniques, car ce sonl rit qui importent et distribuent les véhicules, quelles que soient les m a r q u é 1 La F r a n c e vient, en l ' e s p a c e d ' u n e a n n é e , de p e r d r e ses doua principaux alliés, Smaïn Lamari, « l ' e s p i o n f r a n ç a i s » , et Larbi Belkholf, celui qui sous des airs de faux imbécile possédait l'Algérie et en Inis.ill un havre pour ses amis français des services secrets, des affairistes. >li prédateurs économiques. De quelle façon ces deuils vont-ils affecter I. relations entre les deux pays ?

200 ANS D'INAVOLLALU.I:

m a c h i n e a besoin d ' « e x p e r t s » , * qui sont plutôt des agents d'inlluiTrtW (ayant fait carrière dans les services), d e désinformation, dont l'état d'ciijM est celui de procureurs serviles. Le cercle est aussi vicieux que parfait

DES LUMIÈRES AUX ÉLITES « ÉCLAIRÉES » Un d e nos grands éditorialistes a, sans le savoir (nous ne s o m m e s pas A if paradoxe près), mis quelques m o t s j u s t e s sur la réalité du d r a m e algciijfl En 1992, écrit-il, l ' a r m é e n ' « a pas [organisé un coup d'État] pour libérer un peuple mis dans l'incapacité de se libérer lui-même [d'une tutelle islamiste], mais toul au contraire, le peuple a été systématiquement empêché de se libcrc» lui-même de ceux qui ont [réalisé ce putsch] : et c'est précisément I parce que [ce coup d'État] était programmé que la libération fut rendue impossible. Si insurrection, pas d'occupation. On contribua donc à l'échec des insurrections, afin d'ouvrir la voie à [une nouvelle colonisation]. Le peuple [algérien] dut donc subir par deux fois : l'oppression intérieure, l'oppression étrangère. [...] Aujourd'hui, on voit le vertigineux reflux de* courants démocratiques. Un tel échec inciterait-il les apprentis sorciers i\ un début d'autocritique? Point! [...] En quelque sorte, [on prétend que le régime algérien] aurait fait [...] contre [la menace intégriste] ce qu'on aurait dû faire en 1926 contre l'Allemagne de Hitler. [...] Remarquable exercice de prestidigitation : on prend la conséquence, on la frappe d'un coup de baguette magique en criant "Abracadabra !", on la métamorphose en cause, et le tour est joué. [...] La rigidité même de cette mécanique deux temps, véritable traban de la pensée, exclut tout processus correcteur impliquant la reconnaissance de l'erreur. D'où, face à l'ampleur du fiasco provoqué par l'aventure [militaire] et malgré le quasi-effondrement de tous les raisonnements ou affirmations qui en avaient constitué le préalable, cette fermeture à l'autocritique. D'où, également, cette quasi-momification de

* Alain Bauer et Xavier Raufer, deux spécimens de cette nouvelle classe d ' e x p e r t qui cumulent leur rôle de conseillers avec celui de vendeurs de très lucratives solutions lia sécurité - préconisent par exemple, dans un ouvrage très docte, dans cette guerre cotiirfi l'insécurité, d'«effectuer deux distinctions cruciales. Comment retrouver le réel, décela le futur intelligible? En fondant sa réflexion stratégique sur deux distinguos essentiel* - l'habituel n'est pas le proche, mais son contraire, - le passé n'est pas l'initial, mnîS son inverse.» La Guerre ne fait que commencer Réseaux, financements, attentats... Irt scénarios de demain, (Lattès, 2002), pp. 212-213. De telles recettes ont été factuiicg jusqu'à 100000 euros à des municipalités que nos deux lascars ont d'abord sensibilisi« à la peur de la «jungle urbaine», version aseptisée des traditionnels «bougnoulcs», «ratons» et autres «bicots». Autant dire que les sauvages de la «jungle» ont eux-mêmes financé les « é t u d e s » pour lesquelles les deux entrepreneurs se contentent souvenl ï j j changer l'adresse du destinataire dans l'en-tête d'un document passc-partout ; et qui il n, du reste, jamais rien enrayé du tout.

M: MI:NS()N(i! . c i S I I'INIOKMAIION.OIILISIÍI.ITIÍS»FII.RRFIKS

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lu léllexion, complètement enveloppée dans ses bandelettes de certitudes, i rile utilisation, envoûtante tel un leitmotiv wagnérien, de la réaffirmation InHoniachique, intensément tambourinée, comme une technique de plombage du sarcophage. [...] Alliance à revers avec le peu ragoûtant Infinie des généraux, la France] n'est pas en train d'écrire une de ses pages If« plus glorieuses. [...] On évoque toujours les combats de Voltaire, de i ondorcet, de Lamartine ou de Zola, éclaireurs d'un peuple qui se mobilisa il.uis leurs sillages. Mais faut-il rappeler que lorsque Mussolini, dans les .innées 1930, agressa et occupa l'Ethiopie, près de 200 intellectuels, parmi 1rs plus emblématiques du temps, signèrent une pétition qui célébrait ce i ombat de "la civilisation contre la barbarie". En 1940, hélas !, parmi ceux i|ui incarnaient l'intelligence française, il ne s'en trouva quasiment aucun lus Gide, pas Valéry, pas Claudel, pas Giraudoux, pas Céline évidemment pour brandir l'étendard de la résistance. II fallut qu'une nouvelle génération - Vercors, Pierre Emmanuel, Seghers, Jean Prévost, Cavaillès, Albert Camus - ramassât le drapeau flétri. En fait, l'intelligence française lui [du côté du peuple algérien, avec Pierre Bourdieu, Pierre Vidal-Naquet, I rançois Burgat et d'autres]. Mais notre intelligentsia d'en haut fut plus |lavorable à la dictature] qu'ailleurs. On oublie, mais Gabriel Marcel était un intellectuel d"'en haut", quand Boris Vian n'était qu'un intellectuel d"'en bas". [...] Avoir tort ou avoir raison? Le vrai ou le faux? [Qui tue qui?] La qualité du raisonnement, l'efficacité d'un discours? Peu importe quand il s'agit de l'intellectuel d'en haut. Devenu [apôtre de criminels de guerre et de génocidaires], même de façon délirante, il s'inscrit dans le bon camp: [celui des puissants et] c'est le principal. Cette perversion intellomédiatique, les débats qui ont précédé et suivi la [sale guerre d'Algérie] l'ont révélée. [...]» Concernant l'Algérie, le progrès n ' a pas fait illusion un quart d ' h e u r e . M I I I S « c ' e s t a p r è s c o u p q u e le recul historique fait apparaître non ii-ulement j u s t e , m a i s a v a n t - g a r d i s t e , le choix de l ' i n t r a n s i g e a n c e [démocratique]. [ . . . ] C e sont ces q u e s t i o n s , toutes ces questions, que la guerre [sale en Algérie] a placées de nouveau au c œ u r de nos i ontroverses. La démocratie - ou, plus exactement, l'idée démocratique a subi une défaite. Grave. Preuve en est, hélas!, l'angoissante montée des intégrismes, des fanatismes religieux, des ethnicismes identitaires, des nalionaux-populismes. Et l'émergence de nouvelles f o r m e s de "fascismes" dont on a peine à souligner q u ' i l s sont "de notre t e m p s " . » A la lecture de ce texte admirable, à peine remanié,* nul ne peut imaginer qu'il émane d ' u n e plume qui écrit, dans le m ê m e ouvrage: «En février 2002, nous avons publié un reportage du journaliste algérien

* Les ajustements introduits ont simplement consisté à substituer « a l g é r i e n » à «irakien» et «généraux algériens »h «néoconservateurs américains».

Mohammed Sifaoui qui, au péril de sa vie, avait réussi à s'infiltrer • lui» les milieux islamistes d'al-Qaïda.»' Or, M o h a m m e d Sifaoui est l'un ili>« plus zélés supplétifs de la cause des généraux algériens, l ' u n e des plut monumentales impostures des 20 dernières années (l'Algérie en a pom util produit beaucoup !), dont le travail est une succession de bidonnagcs, ilu manipulations, en un m o t : un concentré de faux. C o m m e n t Jean-Fran^iii Kahn, l'auteur de ce texte peut-il revêtir, sans transition, l'habit de ioui qu'il brocarde sur 280 pages de son Camp de la guerre - Chronique ,I la déraison impure.' La question est pertinente... Pourquoi un homiuS qui consacre son existence à défendre la veuve et l'orphelin, le pauvi le proscrit, le damné de la terre, l'humilié, abandonne-t-il soudainenuni toute lucidité, toute logique, tout raisonnement scientifique, la finesse ili> son intelligence, pour se mettre du côté des bourreaux, de ceux d'«en h a u t » , dès lors qu'il s'agit des A l g é r i e n s ? Serait-ce le ressentiment il l'Algérie française perdue, fréquent chez les gens de sa génération? Psi i simplement n a ï f ? Résolument consensuel lorsqu'il s'agit de terrorism fabriqué, sous faux pavillon, de peur de passer depuis le 11-Septembre poui un «conspirationniste», voire un sympathisant des « islamo-fascistes » Est-il lié par des intérêts économiques pour que survive son magazine 1 Sert-il à son insu la soi-disant «civilisation contre la b a r b a r i e » ? I i d ' ê t r e confronté aux conséquences désastreuses de cette compromission «inciterait-il l'apprenti-sorcier [qui est en lui] à un début d'autocritique'.' O n peut en douter: il poursuivra la litanie « e n v o û t a n t e , ... intensément tambourinée, c o m m e une technique de plombage du sarcophage ».

Un pays, un sous-sol parmi les plus riches du m o n d e , un peuple hospitalier, des ressources humaines pléthoriques ; un potentiel immense annihilé. A qui faut-il imputer la f a u t e : aux Algériens, aux Français' Il suffit de détourner le regard pour que le mal s'occulte, tout seul. Se laver les m a i n s de la question, p o u r les intellectuels français, c'est se priver de la possibilité de réparer les erreurs qui augurent des lendemains terrifiants. A f o r c e de silences coupables, de complicités actives ou passives, de m e n s o n g e s volontaires ou fruit d ' i g n o r a n c e s cultivées, île précautions oratoires insupportables, de d e m i - m o t s et de sous-entendus, à force de manipulations, de vols et de viols, d ' i m p o s t u r e s travesties en œuvres littéraires ou artistiques, de massacres, suivis de non-dits calculés, un g o u f f r e insondable s'est creusé entre les deux pays c o m m e entre les peuples et leurs «élites». A u j o u r d ' h u i , l'Indépendance de l'Algérie et de la France, l'une vis-à-vis de l'autre m a i s aussi leur capacité respective à se libérer des tutelles prédatrices nationales et internationales, relèveni quasiment de l ' i m p o s s i b l e ; en raison de la nécessité de préserver la

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•H

H mu d ' h o m m e s qui ont contribué à un degré ou à un autre à cette

fjiiniiim sordide. Un abysse tel que rien ne p e u t être dit sans risquer il niviiyer non pas seulement les g é n é r a u x algériens d e v a n t le tribunal Mi'mil international, mais aussi devant la justice des h o m m e s politiques ÏMIIVIUN qui occupent encore le devant de la scène et ne désespèrent pas il in i ctler demain aux plus hautes f o n c t i o n s . . . Nous a v o n s cité q u e l q u e s - u n s des p r é d a t e u r s qui c a n n i b a l i s e n t I H iivilé é c o n o m i q u e des deux pays, mais leur œ u v r e a été soutenue par il> Immmes politiques, des intellectuels, des journalistes, des experts. A Itiir. les noms cités au long de cet ouvrage, on peut ajouter Jack L a n g , li un I .ouis Bianco, Hubert Védrine, Jacques Attali, Jean-Louis Bruguière, I lunk'I L e c o n t e , A n t o i n e Sfeir, F r a n t z - O l i v i e r G i e s b e r t , G u i l l a u m e Ihuiiiul, Yves Calvi, M o h a m e d Sifaoui, Yasmina K h a d r a (ou M o h a m m e d Monlessehoul, si tel est son vrai nom), etc. La liste est trop longue pour n u ' exhaustive. Si deux peuples sont voués aux g é m o n i e s ( l ' u n plus que I nulle, m a i s on peut c o m p t e r sur la détermination des puissants p o u r •h i omplir l'unification des deux, par le bas), c ' e s t parce que les « l o u p s » •nul aux c o m m a n d e s de tous les pouvoirs. La France a-t-elle à ce point lombré q u ' e l l e ne puisse présenter m i e u x en termes de j o u r n a l i s m e et il'intelligentsia que cette cohorte n u i s i b l e ?

f

Avec Nicolas Sarkozy au pouvoir, l ' a v e n i r apparaît d e plus en plus nombre. Un b r a q u e u r d e casino défraie-t-il l'actualité q u ' i l m o n t e au i i r n e a u : d a n s un d i s c o u r s (30 juillet 2010), le voilà qui m a n i e tous les a m a l g a m e s , non pas contre des m a l f r a t s pour lesquels il a d e p u i s longtemps m o n t r é une i m p u i s s a n c e notoire, mais contre des p e r s o n n e s totalement é t r a n g è r e s à l ' a f f a i r e . 11 m ê l e « a l l o c a t i o n s f a m i l i a l e s » , "prestations s o c i a l e s » , « r e s p o n s a b i l i t é p a r e n t a l e » , « r é c i d i v i s t e s » , « 5 0 iins d ' i n t é g r a t i o n r a t é e » ( c o m p r e n d r e depuis 1962), et « d é c h é a n c e de In citoyenneté pour des Français d ' o r i g i n e é t r a n g è r e » (dont le tort serait donc plus d ' ê t r e « é t r a n g e r s » que malfrats), avec p o u r cible principale lu population d ' o r i g i n e m a g h r é b i n e ( q u ' i l noie o p p o r t u n é m e n t sous un déluge d ' a u t r e s m e s u r e s contre les R o m s qui apparaissent d a n s ses discours c o m m e autant d'indésirables.) Une victime n ' a pas le temps de s'appesantir pour théoriser sur son malheur. Pourtant, entre d e u x a g r e s s i o n s , elle ne m a n q u e pas d e se demander ce qui p e u t p o u s s e r un être h u m a i n à se faire le bourreau de ses s e m b l a b l e s ; un h o m m e i m m e n s é m e n t riche à p o u r s u i v r e l ' œ u v r e destructrice qui l'enrichirait d a v a n t a g e ; un «intellectuel», fut-il n é g a t i f

à t r o u v e r t o l é r a b l e q u e se p o u r s u i v e le c r i m e d o n t il est a v i s é ; un

IK>MIU M*

p o l i t i q u e élu p a r le p e u p l e p o u r g o u v e r n e r au m i e u x d e s intérêts ilo la N a t i o n et qui s ' a c h a r n e s y s t é m a t i q u e m e n t à s e m e r la h a i n e p o u r d i v i j S les citoyens, et à courtiser les p l u s r i c h e s p o u r s ' a s s u r e r d e sa réélection, M a i s les réalités lui i n t i m e n t d ' i n t e r r o m p r e ses r é f l e x i o n s p o u r p a r a n o u v e a u x c o u p s qui p l e u v e n t sur elle. « P o u r q u o i c e r t a i n s h o m m e s c o n s a c r e n t - i l s u n e p a r t essentielle il* leur é n e r g i e à o c c u p e r d e s p o s i t i o n s d e p o u v o i r d o n t ils f o n t un usngl d i s c u t a b l e ? » , 3 s ' i n t e r r o g e M a u r i c e B e r g e r . « D a n s sa f o r m e la pluï spectaculaire, cette interrogation p o u r r a i t ê t r e : p o u r q u o i tant d'individui veulent-ils être P r é s i d e n t d e la R é p u b l i q u e ? P o u r q u o i , l o r s q u ' i l s postulent à la f o n c t i o n s u p r ê m e , se m e t t e n t - i l s en p o s i t i o n a u s s i d i f f i c i l e face A d e s p r o b l è m e s tels la C o r s e , les viticulteurs, le c h ô m a g e , l ' I r a k , l'Inijfl le t e r r o r i s m e , l ' i n s é c u r i t é , l ' E u r o p e , e t c . ? P o u r q u o i p r e n d r e u n e li-llv c h a r g e d e soucis, p u i s q u e cette a m b i t i o n n ' e s t la p l u p a r t d u t e m p s pm s o u s - t e n d u e par v é r i t a b l e p r é o c c u p a t i o n h u m a n i s t e ? » Vaste q u e s t i o n e n e f f e t , d o n t la r é p o n s e é c h a p p e à s o n

légilinn

propriétaire, le p e u p l e . M a u r i c e B e r g e r en é b a u c h e une, q u ' i l empruniî à Platon:

elle tient en d e u x p r o f i l s qui r e l è v e n t

d'établissement

psychiatriques: l'oligarque, caractérisé par « l ' e s t i m a t i o n des revenus, |.

|

tourne les lois, cessant d e leur obéir. [ . . . ] Le tyran n e se p r é o c c u p e [quani à lui] pas d a v a n t a g e des lois écrites, afin q u e p e r s o n n e n e soit pour lui un maître. Les p r e m i e r s j o u r s , cet h o m m e a, pour qui il rencontre, sourires ci embrassements. M a i s il vit d a n s l'incapacité d e goûter à l'amitié authentique S ' i l veut c o n s e r v e r son pouvoir, il a u n e obligation, s u p p r i m e r tous ses a m i s et ennemis, j u s q u ' à ce q u ' i l n e reste p e r s o n n e autour d e lui qui vaille q u e l q u e chose. U n parricide, voilà ce q u e c ' e s t q u ' u n tyran.» 4 N ' e s t - c e p;ii là le spectacle quotidien des œ u v r e s d e n o s élites « éclairées » ?

L'ÉTAT CRIMINEL ET SES ROUAGES Les m é c a n i s m e s qui p r é s i d e n t au c r i m e , q u ' i l soit p e r p é t r é au niveau individuel o u à celui d ' u n p a y s , p r o c è d e n t d ' u n e « r a t i o n a l i t é a m o r a l e » Cette capacité q u ' o n t les acteurs d e la colonie en Algérie, avant ou après l ' I n d é p e n d a n c e , à s ' a b s t r a i r e d e t o u t e e m p a t h i e à l ' é g a r d d u peuple, déconcerte. Il suffit pour cela, explique Yves T h e r n o n d a n s L'État criminel, les génocides du XXe siècle, d ' o u b l i e r ce q u e l ' o n fait et d e se concentrer sui la f a ç o n dont o n le fait, p o u r être le plus e f f i c a c e possible. O n ne s o n g e pas

Mi Ml NSONÍili, ( " I SI r i N I O H M A T I O N . O U M i s

ftlJTHS

Dftl.lTfittS

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r

, nu spolie les Algériens, on réfléchit à la façon de préserver les richesses l'emprise américaine ou de la convoitise chinoise. On ne se dit pas •il un lue des innocents, on se demande comment éradiquer le terrorisme ((1>HIIIS|C, en d ' a u t r e s mots combien d'islamistes il faut tuer avant que la »imii e soit tarie. Le reste est bavardage, à la charge des « e x p e r t s » . 1

i es généraux algériens sont identifiés, leurs crimes avérés, et leurs HIHINICS

évidents.

I e tyran impose son besoin de certitudes, [...] qui s'exprime dans ses ihéories les plus folles. Il ne supporte pas l'intelligence, sauf si elle est nu service de sa force. La pensée, qui éloigne des solutions simplistes et eine le doute, le replonge dans les souffrances anciennes de [la] période mi il n'a[vait] pas encore bascuié dans la solution délirante de la tyrannie pour mettre fin à ses tourments. Ainsi, tout intellectuel est à supprimer (el. Pol Pot au Cambodge, ou un nazi déclarant: "Quand j'entends le mot culture, je sors mon révolver.") [...] On connaît le plaisir sadique pris par les dictateurs à faire souffrir leurs victimes. Mais [il a bien été] souligné que dans certaines situations, le tyran est insensible à la douleur d'autrui. loutes les craintes et pensées meurtrières qu'il a en lui sont projetées à l'extérieur, sur des supposés persécuteurs qu'il faut exterminer de manière mécanique. La cruauté s'efface alors devant l'efficacité du rendement, ce qui fut un des aspects des camps de concentration nazis.» 5 toutefois, les généraux n e sont q u ' u n e poignée et le système politique qui leur permet de sévir ne peut fonctionner en autonomie. « Les exécutants sont des militants, des soldats ou des bureaucrates : ils vont de l'avant et incitent au meurtre ou bien ils s'adaptent en se réfugiant derrière les ordres. Les complices, eux, ne se salissent pas les mains. Mais, dans un environnement criminel, ils contribuent à développer la mentalité |adéquate], c'est-à-dire [...] à s'engager dans le meurtre collectif. [...] Par leur consentement, ces complices favorisent l'escalade d'une violence qui commence par la formulation d'une idéologie de victimisation pour s'achever par la mise en pratique d'une politique d'extermination. Les membres de certaines disciplines sont plus directement impliqués: philosophes, éducateurs, sociologues, juristes fournissent le support idéologique. [...] La peur - la crainte de perdre son emploi, sa liberté ou même sa vie - peut expliquer cette résignation, mais la distinction entre complices et exécutants n'est que relative, et un complice, selon les circonstances, devient acteur. [...] Raul Hilberg ne voit pas d'intermédiaire entre l'exécuteur [...] et le témoin. [...] Si infime que soit sa contribution à l'entreprise de destruction, le complice est un rouage : puisqu'il fonctionne, il exécute ; s'il refuse d'agir, il bloque la machine, même un court moment. »6 Au rang des complices, tous les militaires et tous les responsables, à un ilcgré ou à un autre de la h a u t e administration, de la bureaucratie, les

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2niphiques et consommatrices m a j e u r e s du m o n d e . » Un ensemble fiinu-iL'risé par « u n retard technologique et [une] incapacité à sortir de la munie du sous-développement et de l'archaïsme qu'impliquent le rapport IIIIK de natalité/taux de croissance et le cercle vicieux fondamentalisme/ Ignorance/explosion d é m o g r a p h i q u e . » 5 En Algérie, u n e p o i g n é e de lli'iii'iaux permet de la sorte à ces intérêts américains d'accaparer l'ensemble il> . irssources du pays. Ce n'est pas par a m o u r des Yankees ni par haine des I nuiçais: simplement par « p r a g m a t i s m e » politique. Le pouvoir politique II mis ais tombe dans le travers des m ê m e s naïvetés que celles des élites nigériennes qui se méprirent jadis sur les motivations des envahisseurs lnmçais. Les g é n é r a u x algériens i n s t r u m e n t a l i s e n t les p r é d a t e u r s iiinn icains au m ê m e titre qu'ils l'ont fait avec les islamistes. Par ce m ê m e pingmatisme» qu'invoquait Christophe Barbier, (nous étions au début de lu crise financière), pour justifier que son Président cherche le « p o i n t de • missance» qui manquait à l'économie française en Algérie et en C h i n e . . . C ' e s t p o u r c o n t r e c a r r e r cette m a i n m i s e U S q u e N i c o l a s S a r k o z y ferraille depuis deux ans, en secret, avec ses h o m o l o g u e s algériens (les itcuéraux détenteurs du vrai pouvoir). En réalité, c ' e s t quasiment l'état île « g u e r r e » ; et les journalistes n ' o n t pas j u g é opportun d ' e n aviser le public. Le voudraient-ils d'ailleurs q u ' i l s n ' y arriveraient pas, tant le vide n eombler est abyssal entre la description q u ' i l s font des relations entre les deux pays et la réalité qu'il conviendrait de révéler a u j o u r d ' h u i . Certes, les « e x p e r t s » ressassent leur petite leçon à base d ' A Q M I , d ' i m m i g r a t i o n non contrôlée génératrice de délinquance, de culture m u s u l m a n e insoluble dans l.i République, de laïcité fondée sur « l a civilisation j u d é o - c h r é t i e n n e » , de •• l'échec de l'intégration à la française», etc. M a i s l'explication est peu convaincante. La vérité, si elle devait se faire jour, pourrait «torpiller la République». En attendant, q u a n d le Président français sort de ses gonds, i: est un pétard m o u i l l é qui explose : il brandit un arsenal dérisoire de «représailles», en m e n a ç a n t de déchoir les criminels d ' o r i g i n e étrangère île leur nationalité, de s u p p r i m e r les allocations familiales à des parents dépassés par leur progéniture et de réduire à la portion congrue le n o m b r e île visas touristiques accordés aux Algériens. Le secret de Polichinelle qui unit h o m m e s politiques et journalistes devient décidément intenable. Sarkozy croit-il ébranler ses adversaires en o f f r a n t son c o n c o u r s à l'avilissement de la c o m m u n a u t é algérienne en F r a n c e ? Ignore-t-il q u ' i l s tiennent à c e point la classe politique française q u ' i l s font exploser des bombes en France q u a n d ils le décident, où ils v e u l e n t ? Les discours de Claude Guéant sont-ils si soporifiques q u ' i l se soit endormi en les lisant?

.MX) ANS IVINAVOIIAIII I

L e s acteurs n o r d - a m é r i c a i n s p a r t a g e n t u n e qualité a v e c les voyou» qui h a n t e n t les s p h è r e s du p o u v o i r algérien : ils j o u e n t cartes sur tahlo Voyous étrangers et m a f i e u x nationaux travaillent main d a n s la main, lui* des r a p a c e s se p a r t a g e a n t leur proie par l a m b e a u x . La France, consciaitt» des répercussions possibles sur son sol, évitait q u e l ' h é m o r r a g i e terrassa la proie. L ' A l g é r i e mourait, m a i s à petit feu, d ' u n e lente agonie. Or, ¡m; les A m é r i c a i n s , elle saigne trop. Les c o u p s se sont tant multipliés quVIlu risque d e succomber.

2 0 1 0 : LE TROU NOIR L ' a n n é e 2 0 0 9 se termine un peu c o m m e dans un cauchemar. Les scandak'n éclatent l ' u n après l'autre, énormes. D e d i m e n s i o n s planétaires, avec di-N projections en Chine, en Suisse, en Autriche, en France, au C a n a d a . . . I ru rapaces sont d e v e n u s trop n o m b r e u x . La presse algérienne, équitablemi'iii partagée entre clans, n o t a m m e n t celui de Bouteflika et celui de Médicni\ révèle b e a u c o u p et le lecteur désireux d ' e n savoir plus pourra la consulk-i sur Internet. Il y a c o m m e u n e fin de règne d a n s l ' a i r . . . «En janvier, un séisme a secoué le pouvoir algérien. La destitution et la mise sous contrôle judiciaire de Mohamed Meziane, président de la Sonatrach, et de 4 vice-présidents de la société, sont sans précédent. [...] Personne ne songeait, jusqu'à aujourd'hui, à intervenir dans ce sanctuaire pétrolier. Pas même les barbus, pendant la décennie noire. A travers le président de la Sonatrach, c'est le ministre du Pétrole, proche de Bouteflika, Chakib Khelil, qui est désormais dans le collimateur. À la manœuvre contre Khelil, se trouve le puissant général Médiène, surnommé "Toufik", le chef du DRS depuis 1990, et véritable patron de l'Algérie. Longtemps, le ministre des Hydrocarbures aura été intouchable. En effet, Khelil entretenait les meilleures relations avec l'administration Bush, et notamment Dick Cheney. Avec l'arrivée d'Obama, tout a changé. La secrétaire d'État américaine, Hillary Clinton, n'a-t-elle pas déclaré que les remugles au sein de la Sonatrach étaient "une affaire purement algérienne" ? »6 Et q u a n d en Algérie, les a f f a i r e s sont « p u r e m e n t algériennes », sous la dictée du DRS, cela finit inévitablement dans un bain de sang. Puis survient u n e autre a f f a i r e , liée à la c o n s t r u c t i o n p a r les Chinois d ' u n e a u t o r o u t e t r a v e r s a n t le p a y s d ' E s t en O u e s t . « O ù l ' o n voit Pierre F a l c o n e , e m p r i s o n n é en F r a n c e d a n s l ' a f f a i r e de l ' A n g o l a g a t c , se faire [sic] l ' i n t e n n é d i a i r e d ' u n e société c h i n o i s e a u p r è s du ministre d e s A f f a i r e s é t r a n g è r e s a l g é r i e n , u n a n c i e n d e l ' U n e s c o c o m m e lui, M o h a m e d B e j a o u i . Tandis q u ' à Paris, un certain " S a c h a " , fidèle agent

CONCLUSION l.l'.SdAKDII'NS DR I.A HOlTIiDK PANDORK

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ilu moine F a l e o n e , a d é s o r m a i s disparu. Et où l ' o n d é c o u v r e plusieurs in 1111 ii i res rackettant les Chinois, j u s q u ' à ce que ces derniers b a l a n c e n t lout sur la p l a c e publique. » I)e quoi s ' a g i t - i l ? « L e s enquêteurs du D R S se sont autosaisis [sic] du ii« . explosif dossier du projet de l'autoroute Est-Ouest d ' u n e valeur de |tii . île 13 milliards de dollars dans lequel un bataillon de hauts cadres >i il'anciens m i n i s t r e s sont a c c u s é s d ' a v o i r , m o y e n n a n t d ' i m p o r t a n t e s • (munissions, aidé une c o m p a g n i e chinoise à rafler u n e part du marché. » 7 i h.ikib Khelil, le ministre en charge du dossier Sonatrach, et A h m e d i llioul, celui en charge de l'autoroute, premier responsables de ces méfaits, > «pérent s'éviter le pire en « l â c h a n t » leurs seconds : M o h a m e d Meziane et i h.iwki Rahal. « C i n q autres cadres ont été placés sous m a n d a t de dépôt. Il Vagit des vice-présidents B o u m e d i e n e Belkacem [et] B e n a m a r Zenasni, i'i |trois] autres directeurs. [ . . . ] » 8 Etc. S o m m é de s ' e x p l i q u e r , C h a k i b Khelil r é p o n d : « Je n ' a i pas plus d'éléments que ceux rapportés par la p r e s s e » . Circulez. Son autorité de lutelle n'est-elle pas à Langley (siège de la C I A ) ? Q u a n d tant de secousses ic produisent, il convient de s'interroger sur les signes précurseurs. Car en Algérie, le j o u r n a l i s m e s ' a p p a r e n t e à enregistrer puis analyser les •ccousses telluriques, et l ' o n parvient toujours à expliquer, après coup, les données collectées avant le choc. Tout cela coïncide avec la disparition à l'été 2009 de Smaïn Lamari, suivie début 2010, de celle de Larbi Belkheir, l ' h o m m e par qui était préservé un certain équilibre pro-français. L'actuelle administration et ses m e m b r e s dans leur quasi-intégralité lui doivent tout. Lui mort, ils ne sont plus pour les clans rivaux que des obstacles qu'il faut éliminer. La disparition de ces deux éminents m e m b r e s de « l a colonie française en A l g é r i e » en m o i n s d ' u n an, rompt les équilibres. La France cesserait-elle d'être en odeur de sainteté? Survient alors, début mars 2010, un meurtre au plus haut sommet de l'État. Le chef suprême de la police, le colonel Tounsi, est assassiné par son subordonné dans son bureau. Le «colonel Oultache [ . . . ] a pris son arme et tué Ali Tounsi. Oultache n'aurait peut-être j a m a i s agi de la sorte si les services de la D G S N avaient géré cette affaire en respectant la réglementation interne», 9 explique Salima Tlemçani, la « j o u r n a l i s t e » autorisée à refléter la version du D R S qui semble en l'occurrence trouver des circonstances atténuantes au tueur et admettre que la victime a été éliminée en raison de son refus de se soumettre à la loi du milieu, présentée ici sous l'affable vocable de «réglementation interne».

.»m A n » Il INAVOUAIII I

Q u e l q u e s j o u r s plus tard, un « i n c e n d i e à la sûreté de la wilaya d ' A l ^ t f détruit 3 000 dossiers de corruption». Et quels dossiers! Ils « c o n c e r n a i ] des affaires q u ' A l i Tounsi avait soumises aux enquêtes ces 10 dernii H>I années. » C o m m e n ç o n s d é j à p a r écarter l ' i d é e que c e s dossiers ila corruption aient été m o n t é s dans un but l o u a b l e ; il s'agit seulement m o y e n s de coercition, de chantage, des flèches à décocher à l'ennemi. (|in à cet instant semble être le ministre de l'Intérieur Yazid Zerhouni. «Selon des sources bien informées, vu la sensibilité des dossiers détruits ainsi (|u* ceux sauvés, le site touché par cet incendie représente la boîte noire île« cercles d e la corruption en Algérie, étant d o n n é que toutes les preuves cl les d o c u m e n t s qui impliquent les personnes dans ces affaires se trouvaient au service des archives de la sûreté d ' A l g e r . [ . . . ] Cet incendie survient quelques j o u r s après l'assassinat du colonel Ali Tounsi pour des raisoni encore i n c o n n u e s . » 1 0 A l o r s que la guerre des clans fait rage, on noient la perte « d é p l o r a b l e » de certains documents, tandis que d ' a u t r e s furent « m i r a c u l e u s e m e n t » épargnés par les f l a m m e s . Est-ce la fin du système ? Probablement le début d ' u n autre, qui augun pour les Algériens les m ê m e s douloureux lendemains. Mais quel est le rôle de la France dans l ' a f f a i r e ? Se peut-il que le meurtre d ' A l i Tounsi soit un épisode sanglant d ' u n e tentaculaire lutte d ' i n f l u e n c e ? Le colonel, ancien du c o m m a n d o Georges, aurait-il décidé, de sa propre initiative ou poussé par des « a m i s » désireux de maintenir la présence française en Algérie, di devenir général à la place du calife « T o u f i k » ? Mal lui en a pris. A f f a i r e T o u n s i , A f f a i r e C a m a t t e , A f f a i r e G e r m a n e a u . . . Celle a v a l a n c h e d ' a f f a i r e s toutes plus é n i g m a t i q u e s les u n e s que les autre» est-elle i m p u t a b l e à u n m a l h e u r e u x c o n c o u r s de c i r c o n s t a n c e s ? l u décidant de faire vibrer la fibre du néocolonialisme, en misant tout sui des dictateurs, Nicolas Sarkozy c o n s u m e peu à peu les ultimes bribes île crédibilité de la France dans le m o n d e . « L ' a f f a i r e G e r m a n e a u » - qui n'en sera cependant u n e que si, à l'instar de l'affaire Woerth, des journalistes n'attendent pas que « d e s preuves viennent étayer des t h è s e s » m a i s vont les c h e r c h e r - n ' e s t , en fait, q u ' u n « j u s t e » retour de b o o m e r a n g . Quels dividendes peut-on espérer l o r s q u ' o n investit tout sur des individus tels que les généraux c r i m i n e l s ? S o u s les é c h a n g e s feutrés entre A l g e r cl Paris, réduits p a r f o i s à des clauses inintelligibles, la guerre est en tout cas ouverte. L ' « A Q M I » ne vient-il pas d ' a p p e l e r à « p u n i r les F r a n ç a i s » ? Un anthropologue britannique, J e r e m y Keenan, a d o n n é à Al-Jazira (l'article a été traduit et publié par le site R u e 8 9 ) , n un début d'explication qui se rapproche b e a u c o u p de la vérité...

CONCI UNION I I SIIAKDII NS III I A ll( >tïl 1)1' l'ANDOKIi

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« A u CŒUR D'AL-QAÏDA AU MAGHREB ISLAMIQUE, » IL Y A LE D R S »

I i s deux services, français et algérien, ont des relations suivies, et on ..ni i|ue le secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, a rencontré le ycnéral Mohamed (Toufik) Médiène, le chef du DRS, le 20 juin à Alger. I

I

« I ii zone frontalière juste au nord de Tigharghar est survolée quotidiennement par les hélicoptères de l'armée algérienne, et n'Hulièrement par deux Beechcraft 1900 de l'armée de l'air algérienne, équipés de matériel de surveillance. De plus, il existe des contacts étroits entre la cellule d'Abdelhamid Abou Zaïd d'AQMI et le DRS, Zaïd étant lui-même considéré comme un agent du DRS. Pour cette raison, les habitants de la région, de plus en plus remontés contre les soi-disant m. tivités d'Al-Qaïda, se réfèrent souvent à l'AQMI comme "AQMI-DRS". Ainsi, les derniers mots attribués au colonel Lamana Ould-Bou, du service malien de la sécurité d'État, peu avant son assassinat à Tombouctou le Kljuin 2009, étaient : "Au cœur d'AQMI, il y a le DRS." [...] ••Quelles sont les conséquences ? Tout indique que le DRS algérien a conduit Sarkozy et la France au désastre. L'opération n'a pas seulement été un échec militaire dans la mesure où elle n'a pas permis de trouver, et encore moins de libérer, Germaneau, mais elle aura des conséquences à long terme pour la France, pour l'Algérie, et pour le Sahel. [...] «Ce qui est encore plus dur pour la France, c'est que ses relations particulières avec l'Algérie, et leur niveau actuel particulièrement bas, sont telles qu'elle n'est pas en mesure de répondre. Si l'information devient connue, en particulier en Algérie, que les militaires français et algériens ont collaboré pour tuer des musulmans, et dans un pays tiers, les conséquences politiques pourraient être sérieuses. Pour le moment, l'Algérie et le DRS tiennent la France. « La perception d'une France se comportant comme un cowboy néocolonial endommagerait sa stature dans la région. Pour Sarkozy, dont la décision de choisir cette option à haut risque était sans doute une manière de contrer l'impact de l'affaire Bettencourt-Woerth, il y a désormais le danger que cette opération puisse être comparée à la tentative de Jimmy Carter en 1980 de libérer les otages en Iran, ou pire, au fiasco de l'opération des services français contre le Rainbow Warrior en 1985. » I es langues pourraient-elles se délier un j o u r en F r a n c e ? Il faudrait un vrai séisme et les révélations « d é r a n g e a n t e s » de ce scientifique sont, à ce |our, restées lettres m o r t e s . . . C o m m e l'ont été les témoignages, multiples, de dissidents algériens, de religieux, d ' é m i n e n t s intellectuels, de cadres de l ' a r m é e française, d ' u n diplomate italien, sur le meurtre des m o i n e s de I ibhirine par le D R S .

ZINIANS r V I N A V O l l A I I I I

ÉPILOGUE PROVISOIRE : LE RÊVE IMPOSSIBLE D'UNE VRAIE RÉPUBLIQUE Le 2 6 j u i l l e t , est a n n o n c é e l'exécution de Michel G e n n a n e a u p a r 1'A(.)MI La veille, l ' a r m é e f r a n ç a i s e avait, selon la version officielle, « a p p u y é » u n e o p é r a t i o n d e l ' a r m é e m a l i e n n e visant à le faire libérer. La mission au c o u r s d e laquelle 6 insurgés sont é l i m i n é s t o u r n e au « f i a s c o » Ineti q u e les f o r c e s i m p l i q u é e s n ' a i e n t eu à d é p l o r e r a u c u n e perte. L'ail.m» illustre p a r f a i t e m e n t le secret de Polichinelle. Ils sont n o m b r e u x , acleun p o l i t i q u e s , m é d i a t i q u e s , policiers, qui, c o m m a n d a n t p e u ou prou mit destinées d e la F r a n c e , é v o q u a n t les c i r c o n s t a n c e s de ce piteux ratai» s ' a c c o r d e n t sur un p o i n t : trop de z o n e s d ' o m b r e l'entourent. Ils ont loin s e m b l é sur le point d e s ' e x p r i m e r ; m a i s se sont ravisés. D ' a b o r d mui4 d a n s le silence, le Président réagit enfin, en promettant que le « c r i m e n»i restera p a s impuni ». Q u e v e u t - i l d i r e p r é c i s é m e n t ? Va-t-il l a n c e r u n e o p é r a t i o n pntti é l i m i n e r les r a v i s s e u r s ? C o m b i e n d e m o r t s , s a c h a n t q u ' i l y en a déjS eu d é j à six, faut-il p o u r q u e le c r i m e soit s u f f i s a m m e n t p u n i ? Combien d e f o i s la F r a n c e devra-t-elle lancer d e telles o p é r a t i o n s punitives, si c o m m a n d i t a i r e principal est t o u j o u r s libre de r e c o n s t i t u e r ses troupe!*' L a m e n a c e v i s e - t - e l l e é g a l e m e n t le c o m m a n d i t a i r e o u s e u l e m e n t le* p e t i t e s m a i n s d e l ' A Q M I ? Car, à ce stade, tout le m o n d e sait que c e r v e a u se t r o u v e à la P r é s i d e n c e a l g é r i e n n e , bien d i s s i m u l é derrièi le f a n t ô m e d e B o u t e f l i k a , et a p o u r n o m T o u f i k M é d i è n e . Si l ' o n se d é b a r r a s s e d e ses œ i l l è r e s et fait a b s t r a c t i o n d e s p r é c a u t i o n s oratoire* qui siéent en d i p l o m a t i e , ce que p r o m e t Sarkozy, ce sont d e s représailles c o n t r e le c o m m a n d i t a i r e . * La question est d e s a v o i r s ' i l est en mesure d e m e n e r à bien ce projet et si la m o r t d e M i c h e l G e r m a n e a u p e u t avou p o u r S a r k o z y d e s c o n s é q u e n c e s a n a l o g u e s au c o u p d ' é v e n t a i l du dey d ' A l g e r d u t e m p s de C h a r l e s X .

* En vérité, il y aurait une alternative, c'est de contribuer à ce que ces généraux algérien* - qui rompent le contrat «moral» qui les lie à la France en renonçant à leur mission di défendre ses intérêts - soient confrontés à leurs crimes. De fait, les «rumeurs» - c'est aiun qu'on appelle les bruits que font circuler les services secrets, d'un bord comme de l'auim - prétendent que Nicolas Sarkozy aurait posé ce deal aux Algériens: «Ou vous expulse/ les Américains du Sahara ou un juge antiterroriste du TPI risque de trouver recevable une plainte pour crime contre l'humanité contre vous.» La réponse aurait alors été de la même veine: « D'abord voudrions-nous expulser les Américains que nous n'y parviendrions pa* Concernant la plainte au TPI, chiche! Si vous voulez que Paris explose, vous pouvez voui y risquer.» C'est cela qui pousse sans doute Brice Hortefeux à affirmer que «la menace terroriste sur la France est réelle et que le plan Vigipirate est au rouge».

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I « . choses évoluent très rapidement en Algérie et d é j à l ' o n a oublié | i', depuis 2001, ce p a y s a été « à la p o i n t e » du combat planétaire contre I i.tiiïda, offrant aux services secrets et aux velléités militaires du m o n d e M U i d'être le navire de proue d e leurs opérations. Officiellement, p o u r »mpeeher q u e le stratégique bassin p é t r o l i f è r e s a h é l o - s a h a r i e n t o m b e mu • la coupe des terroristes; n o u s savons q u e cet alibi sert à spolier la |iu|iiilution de ses richesses. Or, cette opération ratée, contre une b a n d e il« désœuvrés, d a n s une zone où, à m o i n s de jouir de larges protections ni lu: ici les, p e r s o n n e n e peut survivre u n e s e m a i n e , a m i s en lice les lui i es m a l i e n n e s , nigériennes et m a u r i t a n i e n n e s , des a r m é e s d e papier (luiimis les g a r d e s prétoriennes qui protègent les dictateurs, lesquelles mml sévèrement disciplinées par les instructeurs f r a n ç a i s ) et les f o r c e s •pi-ciales françaises. M a i s pas l'Algérie ! lit p e r s o n n e , ni les h o m m e s politiques, ni les j o u r n a l i s t e s , ni les iiiuinateurs d e débats, ni les « e x p e r t s » professionnels, ni m ê m e a u c u n membre d e l ' o p p o s i t i o n , n e trouve curieux que l ' A l g é r i e d ' o r d i n a i r e lellement z é l é e en m a t i è r e d e t e r r o r i s m e soit t o t a l e m e n t a b s e n t e d e l'opération. Le secret de Polichinelle atteint son p a r o x y s m e ! C o m m e n t •impliquer, a p r è s a v o i r m e n t i a v e c u n e telle c o n s t a n c e p e n d a n t tant • Cannées, que les g u e u x qui ont tenu les f o r c e s spéciales françaises en échec étaient « u n p e u » des g u e u x et « b e a u c o u p » les services secrets nigériens du D R S ? Nul pourtant n ' i g n o r e que depuis des m o i s le torchon brûle entre Alger el Paris. Plus précisément depuis la disparition de Larbi Belkheir et Smaïn 1 -amari, les deux agents français du triumvirat qui détenait le pouvoir. N e reste que Toufïk Médiène, qui s e m b l e dorénavant enclin à j o u e r la carte ninéricaine. Et l'élimination de M i c h e l G e r m a n e a u n ' e s t q u ' u n épisode douloureux et visible d ' u n e guerre souterraine que se m è n e n t les deux pays, visant à contraindre Alger à r e d o n n e r primauté à la France d a n s le rapt d e ses ressources. La guerre est m ê m e à tous les échelons. Politique d ' a b o r d : enterrés les p r o j e t s de « p a r t e n a r i a t d ' e x c e p t i o n » avec l ' A l g é r i e et d ' U n i o n d e la M é d i t e r r a n é e . Le Parlement algérien va j u s q u ' à m e n a c e r d ' i n t e r d i r e quasiment la p r é s e n c e française en Algérie, p a r l'intermédiaire d ' u n e loi criminalisant la colonisation. D e son côté, la France a considérablement durci les c o n d i t i o n s d ' a t t r i b u t i o n d e s v i s a s de m a n i è r e r e n d r e quasi impossible toute perspective de v o y a g e en France (à m o i n s d ' a p p a r t e n i r au cercle des privilégiés de la « m a f i a politico-financière»). É v i d e m m e n t ,

. . » / M I N L> LLNAVNLIAIII I

les g é n é r a u x n ' e n pâtiront pas. Mais la presse en profite p o u r niellie < il U n e les « n o s t a l g i q u e s de la c o l o n i s a t i o n » et faire de la F r a n c e le SUM principal de ses critiques. C ' e s t le volet m é d i a t i q u e . A u rang des «eini|t» de p i e d de l ' â n e » , il y a la p r i m a u t é d o n n é e p a r S a r k o z y à l'Êgvpltj d ' H o s n i M o u b a r a k au d é t r i m e n t de l ' A l g é r i e de B o u t e f l i k a dans uni p r o j e t de d é s i g n e r un p a y s a f r i c a i n c o m m e m e m b r e p e r m a n e n t .un N a t i o n s U n i e s (ce n ' e s t p a s d e m a i n la veille, m a i s ça fait t o u j o u r s plumii à l ' h e u r e u x t y r a n / f u t u r élu). A u t r e signe de ce d é s a m o u r , l ' a b s e n c e il» B o u t e f l i k a à la p a r a d e des d i c t a t e u r s a f r i c a i n s le 14 juillet 2 0 1 0 MU plus belle a v e n u e du m o n d e , le privant d ' ê t r e le centre de l'attention, lui qui a i m e tant cela. M a i s l ' a f f a i r e a aussi sa d i m e n s i o n j u r i d i q u e , ¡ivei l'arrestation en 2 0 0 8 du c o m m a n d i t a i r e de l'assassinat d ' A l i Mécili, sun i d ' u n feuilleton qui a duré p r è s d ' u n an. Etc. Toutefois, ce volet mililiun terroriste est le p l u s s u r p r e n a n t a v e u de f a i b l e s s e de la F r a n c e depui« peut-être le c a m o u f l e t du C a n a l de Suez. Un p r e m i e r épisode avait déjà o p p o s é les d e u x pays, l o r s q u ' u n auln otage d ' A Q M I , Pierre C a m a t t e f u t é c h a n g é contre des terroristes (agcnl du D R S ) d é t e n u s au M a l i . . . La guerre s ' e s t p o u r s u i v i e avec un second e n l è v e m e n t et l ' a t t a q u e des f o r c e s spéciales. Sarkozy est-il à ce point ninl r e n s e i g n é ? Ignore-t-il q u e toute la région est sous le contrôle absolu îles A l g é r i e n s ? C e serait u n e f a u t e professionnelle grave !

LA VÉRITÉ, TOUTE LA VÉRITÉ, RIEN QUE LA VÉRITÉ N o u s s o m m e s , écrivait Philippe G u i l l a u m e en 1994, d a n s les mêmes conditions de crise généralisée q u ' a v a n t la Révolution de 1789. La crise est plus grave a u j o u r d ' h u i qu'hier. Et puis le « c o u p de c h a s s e - m o u c h e » Puis le blocus d e s v i s a s . . . À q u a n d l ' i n v a s i o n ? Bien sûr, n o u s ne sommes p a s en 1830, A l g e r n ' e s t p a s la C a s b a h à p e i n e p r o t é g é e et Paris n'csl q u ' à deux heures d ' a v i o n d ' u n d é b a r q u e m e n t de «terroristes islamistes». D'ailleurs, la F r a n c e n ' e s t p l u s en m e s u r e d ' e n v a h i r qui q u e ce soit. Il reste la possibilité d ' é l i m i n e r p h y s i q u e m e n t le responsable en chef de celle brouille, Toufik M é d i è n e . Il n ' e s t au d e m e u r a n t p a s exclu q u e d a n s ce nul de « c o r s a i r e s » q u e constitue le C l u b des Pins, des candidats existent poui tenter de devenir l'agent f r a n ç a i s à la place de l ' a g e n t français. O n pcul m ê m e penser q u e l ' u n d ' e u x s ' y est d é j à e s s a y é : l ' a n c i e n m e m b r e des « c o m m a n d o s G e o r g e s » . O n connaît sa fin tragique.

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Il ne s ' a g i t p a s de savoir si cela est souhaitable ou r e g r e t t a b l e : les tUriii-ments ont fait que le destin de l ' A l g é r i e et de la F r a n c e sont 144«, d é f i n i t i v e m e n t . Le salut de l ' u n passe par le salut de l ' a u t r e . Et I ii|iiation est s i m p l e : l'intérêt de c h a q u e p a y s passe par la fin de ce ultime qui tient u n i q u e m e n t grâce à l'appui que lui accorde la France. I nul il sacrifier le devenir d e s deux p e u p l e s pour préserver la réputation ¡If quelques h o m m e s politiques et une p o i g n é e d'intellectuels f r a n ç a i s indélicats? « Nous s o m m e s à la croisée d e s c h e m i n s . L ' u n d ' e u x m è n e à I ni cablement et au désespoir, l'autre à l'anéantissement total. Prions le i ici que n o u s a y o n s la sagesse de choisir correctement. »* Ainsi parlait Woody Allen avec h u m o u r il y a plus de 30 ans. L e s options se sont pour iiuisi dire rétrécies depuis. D e m a i n paraît sombre et l ' h u m a n i t é avance t'ii ayant l ' i m p r e s s i o n de regarder d a n s le rétroviseur. L e s « j u i f s » sont u inplacés par les « m u s u l m a n s » , et les « T z i g a n e s » par les « R o m s » , l'our le reste, le discours est similaire. « P o u r que le désespoir [ . . . ] se vende, il ne reste q u ' à en trouver la formule. Tout est prêt, les capitaux, In publicité, la clientèle; qui donc inventera le d é s e s p o i r ? » , chantait un nuire artiste, L é o Ferré. Quant au prétexte, qui peut douter que, dans ce inonde de spin doctors, de storytellers, l ' o n ne trouvera pas l'écervelé à In barbe longue qui violera une fillette aux doigts v e r n i s ? La pente est ilouce vers l ' a b î m e . Autant en être c o n s c i e n t : il n ' y aura plus de 14Juillet. Trop de Mastilles à prendre, trop d ' e m p i r e s usurpés à renverser. Pourtant, l ' h o m m e ledeviendra-t-il h o m m e sans une r é v o l u t i o n ? Cela paraît improbable. Il faudrait plus d ' e m p l o i s et m o i n s de prisons, plus de dialogue et m o i n s de baston. Il faudrait la justice. Q u e l ' h u m a n i t é cesse de m a r c h e r sur la tête. Q u e chacun retrouve la place q u ' i l mérite, Philippe Val c o m m e comique troupier de droite ou livreur de pizzas, et un vrai journaliste il la tête de France Inter. Un Président de tous les Français (le p e u p l e travailleur qui fait tourner la société) à la tête du pays. Être m o i n s « d a n s l ' a i r » et plus dans le fond. Q u e les h o m m e s partagent le travail et le fruit de leur labeur et que nul ne puisse toucher 1 000 fois le salaire d ' u n autre au prétexte q u ' i l est m i e u x introduit dans les cercles m a f i e u x du

* «More than any time in history, mankind faces a crossroads. One path leads to despair and utter hopelessness. The other, to total extinction. Let us pray, we have the wisdom to choose correctly. » Woody Allen, Side Effects (Ballantine Books, New York, 1981), p.81.

558

200 ANS D'INAVOUABLE

pouvoir. En u n mot, q u e cessent toutes les prévarications. Un combat A portée de v o l o n t é ; à condition de vouloir le mener, et de se donner poui objectif d ' e x i g e r la vérité, par des recettes simples : cesser de regarde) le j o u r n a l de T F 1 et de F r a n c e 2 q u a n d on a c o m p r i s q u ' i l s m e n t e n t . cesser de p r e n d r e les c o m m u n i q u é s o f f i c i e l s pour Paroles d ' É v a n g i l e , imposer q u a n d on est représentant du peuple que la vérité soit décrétée « P a t r i m o i n e de l ' h u m a n i t é » et se battre inlassablement contre le «secret d é f e n s e » et la trop c o m m o d e « r a i s o n d ' É t a t » . . . En s o m m e , cesser de servir de caution aux menteurs, et de receleur à leurs m e n s o n g e s . C'est cela, la vraie révolution à mener.

Annexes

NOTES & SOURCES

NOTES DE L'INTRODUCTION. I I Iri'vò Hamon et Patrick Rotman, I l l/cl Rocard, (Stock, 1980), pp.53-58. l'imi Kauffer, dans l'ouvrage collectif I Histoire secrète de la V République, il ii Découverte, 2006).

7. Patrick Rotman, Ibid. pp.l50-151. 8. Paul Teitgen cité par Patrick Rotman, op. cit., p. 138. 9. Ibid., p.137. 10. Pierre Lemarchand, op. cit. p.95. 11. Patrick Rotman, op. cit., p. 162.

I l'nymond Aron, Mémoires - 50 ans iIr réflexion politique, (Julliard, 1983), p 161.

12. Ibid., p. 162.

I loin Lacouture, De Gaulle - 2. le politique, (Seuil, 1985), pp.582-587.

14. Pierre Vallaud, op. cit., p.214.

• I lervé Bourges, Une chaîne sur les bras, (Seuil, 1987), p.343. fi Yves Reyre, Le Monde, 9 janvier 1989. i l ucile Provost, La Seconde Guerre ti Algérie - Le quiproquo francoalgérien, (Flammarion, 1996), p.35. N Mohammed Harbi, Le 20 mai 2010.

Monde,

13. Roselyne Chenu, Paul Delouvrier ou la passion d'agir, (Seuil, 1994), p.207.

15. François Mauriac, « G u y Mollet tourne casaque», va L'Express, l'aventure du vrai..., (Albin Michel, 1979), p.127. 16. François Mauriac, « La Torture », in L'Express, l'aventure du vrai..., op. cit., p.133. 17. Emmanuel Faux, Thomas Legrand, Gilles Perez, La Main droite de Dieu, enquête sur François Mitterrand et l'extrême droite, (Seuil, 1994), p.214. 18. Ibid., pp.215-216.

NOTES DU CHAPITRE 1. 1. Mahfoud Kaddache, L'Algérie des Algériens, de la préhistoire à 1954, (Paris-Méditerranée, 2003), p.690. 2. Pierre Vallaud, La Guerre d 'Algérie, de la Conquête à l'Indépendance, 18301962, (Éditions Acropole, 2006), p.32-34.

19. Ibid., pp.220-221. 20. Ibid., p.224. 21. Déclaration d ' u n groupe de policiers républicains, citée par Omar Boudaoud, in Du PPA au FLN Mémoires d'un combattant, (Casbah, Alger, 2007), pp.258-261.

4. Ibid., p.137.

22. Daniel Mennet, Là-bas sij y suis - Carnets de route, (La Découverte France Inter, 1999), p.91.

5. Pierre Lemarchand, Barbouze du général, (Le Cherche Midi, 2005), p.63.

23. Jean-Luc Einaudi, La Bataille de Paris: le 17 octobre 1961, (Seuil, 1991).

6. Destins : Général Bollardière, film d'André Gazut, RTBF, 1974, cité par Patrick Rotman, in L'Ennemi intime, (Seuil, 2002), p.150.

24. Alain Dewerpe, Charonne - 8 février. Anthropologie historique d'un massacre d'Etat, (Gallimard, folio-histoire, 2006).

.V Ibid., p.39.

I I ANS D'INAVO

25. Lucile Provost, La Seconde Guerre d 'Algérie, le quiproquo francoalgérien, (Flammarion, 1996). 26. Roger Faligot, Pascal Krop, DSTPolice secrète, (Flammarion, 1999), p.448. 27. Lounis Aggoun, Jean-Baptiste Rivoire, Françalgèrie, Crimes et mensonges d'États, (La Découverte, 2004), pp.340-342. 28. Alexis de Tocqueville, De la colonie en Algérie, (Complexe, 1988), p.42.

AMI I

15. Pierre Serval, op.cit., p.49. 16. Ibid., p.43. 17. Pierre Serval, op. cit., pp.11-15. 18. Pierre Péan, op.cit., pp.75-76. 19. Pierre Serval, op. cit., p. 178. 20. Ibid., p.73. 21. Pierre Péan, op. cit., p. 100. 22. Ibid., pp.64-66. 23. Ibid., p.22. 24. Ibid,

pp.144-148.

29. Jean Audibert, Je n 'ai jamais cessé d'apprendre l'Afrique, (Karthala, 2006). p. 134.

26. Ibid., pp. 120-121.

30. Ibid., p.135-136.

27. Ibid., p.22.

31. Hubert Védrine, Colloque à l'Assemblée nationale, 2006.

28. Ibid., pp. 158-159.

25. Ibid., p. 122.

29. Ibid., p.227. 30. Dominique Schneidre, Fortune de mère, (Fayard, 2001), pp. 136-137

NOTES DU CHAPITRE 2. 1. Pierre Serval, La Ténébreuse Histoire de la prise d'Alger, (Éditions de la Table ronde, 1980), pp.28-29. 2. Mahfoud Kaddache, L 'Algérie des Algériens, de la préhistoire à 1954, (Paris-Méditerranée, 2003), p.543. 3. Pierre Serval, op. cit., p.29.

31. François Maspéro, L'Honneur de Saint-Arnaud, (Pion, 1993), pp.80-Nl 32. Pierre Péan, op. cit., p. 127. 33. Ibid., pp. 127-128. 34. Ibid., p. 129. 35. Ibid., p.209. 36. Ibid., pp.207-208. 37. Ibid., p. 187.

4. Ibid., p.38.

6. Jean Orieux, Talleyrand, ou le sphinx incompris, (Flammarion, 1970), p.393.

38. Alain-Gérard Slama, cité par Oliviei Le Cour Grandmaison, in Coloniser Exterminer. Sur la guerre et l'Etat colonial, (Fayard, 2005), p. 168.

7. Pierre Serval, op.cit., p.28.

39. Pierre Péan, op. cit., pp.94-96.

8. Jean Orieux, op. cit., p.393.

40. Pierre Vallaud, La Guerre d'Algérie, de la Conquête à l'Indépendance, 1830-1962, (Acropole, 2006), p.27.

5. Mahfoud Kaddache, op. cit., p.438.

9. Pierre Serval, op.cit., p.37. 10. Mahfoud Kaddache, op.cit., p. 566-567. 11. Pierre Péan, Main basse sur Alger. Enquête sur un pillage - Juillet 1830, (Pion, 2004), p.33. 12. Jean Orieux, op. cit., p.647. 13. Mahfoud Kaddache, L'Algérie durant la période ottomane, (Office des publications universitaires, Alger, 1992), p.226. 14. Mahfoud Kaddache, L'Algérie Algériens, op. cit., p.568.

des

41. François Maspéro, L'Honneur de Saint-Arnaud, (Pion, 1993), p.212. 42. Michel Levallois, lsmayl Urbain. Une autre conquête de l'Algérie, (Maisonneuve et Larose, 2001), p.220 43. Pierre Serval, op. cit., p.178. 44. Baudricourt, cité par Maspéro, op. cil, p.312. 45. O. Le Cour Grandmaison, op. cit., p.24 46. Pierre Serval, op. cit., p.177.

563

il

1111111,01» Muspcro, op. cit., p.172. M I I I I I Mnhé, Histoire de la Grande A if/'W/i\ xnC-xiC siècles, Il ilnions Bouchène, 2001), p.284. Miililouil Kaddache, L'Algérie des llurricns. op. cit., p.641-643.

i I iiinçois Maspero, I Honneur de Saint-Arnaud, (Si'iiil, coll. Points, 1995), p.86. I l I"ii."ric Vallaud, La Guerre d'Algérie, • />• lu Conquête à l'Indépendance, IN 10-1962, (Acropole, 2006), p.52. \> Nicolas Sarkozy, cité par Oliver le I inir Grandmaison, in revue Lignes, N"25, mars 2008, pp. 150-159. < I Muhfoud Kaddache, L'Algérie des libériens, op. cit., p.644. «I //>«/., p.577. Olivier Le Cour Grandmaison, op. cit., p.98. Irançois Maspéro, L'Honneur Saint-Arnaud,

de

(Pion, 1993), p. 178.

M Ihid., p. 196. W Ihid., p.200. Mahfoud Kaddache, L'Algérie

des

Algériens, op. cit., p.573.

NOTES DU CHAPITRE 3. 1. Jacques Chirac, in Quand ils faisaient la guerre de Sophie Huet, (Pion, 1993), p.335. 2. Jean-Pierre Soisson, in Quand ils faisaient la guerre, op. cit., p.341. 3. Roselyne Chenu, Paul Delouvrirer ou la passion d'agir, (Seuil, 1994), p.195. 4. Jean-Pierre Chevènement, in Quand ils faisaient la guerre, op. cit., p.353. 5. Jean Daniel, «Défense des Français d'Algérie», in L'Express, l'aventure du vrai, (Albin Michel, 1979), p.120. 6. Ibid., pp.120-123. 7. François Maspéro, L'Honneur Arnaud, (Pion, 1993), p.301.

de Saint-

8. Pierre Vallaud, La Guerre d'Algérie, de la Conquête à l'Indépendance, 18301962, (Acropole, 2006), p.52. 9. Pierre Montagnon, La France coloniale, (Pygmalion/Gérard Watelet, 1988), p. 104. 10. Michel Levallois, Ismayl Urbain. Une autre conquête de l'Algérie, (Maisonneuve et Larose, 2001), p.62-3. 11. François Maspéro, op. cit., p.220.

fil) Alexis de Tocqueville, De la colonie M. François Maspéro, op. cit., p.209.

12. Mahfoud Kaddache, L'Algérie des Algériens, de la préhistoire à 1954, (Paris-Méditerranée, 2003), p.574.

6.'. Eugène Bodichon, cité par Olivier Le

13. François Maspéro, op. cit., p.89.

en Algérie, (Complexe, 1988) p.61.

Cour Grandmaison, in op. cit., p. 120-1. M. 1 lannah Arendt, citée par Olivier Le Cour Grandmaison, in op. cit., p. 136. 64 Mahfoud Kaddache, L'Algérie Algériens, op. cit., p.572.

des

65. François Maspéro, op. cit., p.252. 66. Bernard-Henri Lévy, « Choses vues en Algérie », Le Monde, 8 et 9 janvier 1998. 67. Yasmina Khadra, Le 13 mars 2001.

Monde,

68. Mahfoud Kaddache, L'Algérie des Algériens, op. cit., p.623-624.

14. Aïssa Chenouf, Les Juifs d'Algérie, (Éditions El-Maarifa, 2004), p. 110. 15. Pierre Vallaud, op. cit., p.73. 16. Michel Levallois, op. cit., p.61. 17. Bernard Henry-Levy, Peut-on débattre en France ?, (Pion - Le Figaro, 2001), p. 149. 18. Pierre Montagnon, op. cit., p.121. 19. Alain Mahé, Histoire de la Grande Kabylie, xix c -xx e siècles, (Bouchène, 2001), pp.218-219. 20. Ibid., p.223. 21. Ibid., p.240. 22. Ibid., p.212. .Ibid.,

p. 9 .

ZUO ANS IVINAVI MIAMI I

24. Mahfoud Kaddache, L'Algérie Algériens, op. cit., p.676.

des

25. Ibid., p.678. 26. Alain Mahé, op. cit., p.205. 27. François Maspéro,op. cit., p.268. 28. Alain Mahé, Histoire de la Grande Kabylie, XIX'-XX* siècles, (Bouchène, 2001), p.214. 29. Mahfoud Kaddache, L'Algérie Algériens,op. cit., p.679.

des

52. Pierre Vallaud, La Guerre d 'Alun mit de la Conquête à l'Indépendant H'I 58. Georgette Elgey et Jean-Marie Colombani, La Cinquième ou la République des phratries, (Fayard, 1999), p.212. 59. Jean de la Guérivière, op. cit., p..VI'J 60. Olivia Recasens, Jean-Michel Décuunt et Christophe Labbé, op. cit., p.85 61. Bernard Langlois, Résistances 198 \ 1986, (La Découverte, 1986), p.22. 62. Jacques Chirac, cité par Bernard Langlois, in op. cit., p. 13. 63. Philippe Boggio et Alain Rollat, op. cit., pp.249-251. 64. Ibid., p.253. 65. Charles Pasqua, op. cit., p.201.

41. Patrick Rougelet, R.G. - La machine à scandales, (Albin Michel, 1997), p.l 1.

66. Jacques Attali, C'était François Mitterrand, (Éditions de Noyelles, 2005), p. 175.

42. Olivia Recasens, Jean-Michel Décugis et Christophe Labbé, Pop. cit., p.75.

67. Philippe Boggio et Alain Rollat, op. cit., p.291.

43. Ibid., p.77.

68. Ibid., p.293.

44. Ibid., p.79.

69. Ibid., p.82.

45. Ibid., p.85.

70. Ibid., p. 108.

46. Eric Merlen et Frédéric Ploquin, op. cit., p.288.

72. Ibid., p.25.

47. Ibid., p.234.

73. Ibid., p. 104.

48. Roger Faligot et Pascal Krop, op. cit., p. 147.

74. Pierre Lemarchand, Barbouze du général, (Le Cherche Midi, 2005), p. 102.

49. Olivia Recasens, Jean-Michel Décugis et Christophe Labbé, op. cit., p.87.

71. Ibid., pp.233-235.

50. Ibid., p.99.

75. Olivia Recasens, Jean-Michel Décugis et Christophe Labbé, op. cit., p.87.

51. Jean de la Guérivière, Les Fous d'Afrique - Histoire d'une passion française, (Seuil, 2001), p.216.

76. Françoise Gaspard et Claude ServanSchreiber, La Fin des immigrés, (Seuil, 1984), pp.38-43.

52. Daniel Burdan, DST - Neuf ans à la division antiterroriste, (Robert Laffont, 1990), pp.74-76.

573 NOTES DU CHAPITRE 10. | l i n Merlen et Frédéric Ploquin, I ,II nets intimes de la DST, 30 ans au i n iir du contre-espionnage français, Il iiyard, 2003), p.286. I li iiii Audibert, Je n 'ai jamais il apprendre l'Afrique, Ikmlhala, 2006), p.138.

cessé

t I iimiel Burdan, DST - Neuf ans à la division antiterroriste, (Hubert Laffont, 1992), pp.88-89. 4 Koner Faligot et Pascal Krop, I >ST Police secrète, (1 lummarion, 1999), pp. 299-300. < /W,pp.301-304. li Ibid, pp.301,306-307. ' Iniques Vergés, Le Salaud lumineux, conversations avec Jean-Louis Hemilleux, (Michel Lafon, 1990), p.197. N ( Ivid Demaris, L'Internationale terroriste, (Olivier Orban, 1977), p.30.

23. Laurent Gaily, L'Agent noir, une taupe dans l'affaire Abdallah, (Robert Laffont, 1987), pp.24-27. 24. Ibid., p.27. 25. Ibid., p.27. 26. Ibid., p.43. 27. Charles Villeneuve, Jean-Pierre Péret, op. cit., p.265. 28. Ibid., p.273. 29. Ibid., p.274. 30. Yves Bonnet, op. cit., pp.317-318. 31. Ibid., p.387. 32. Ch. Villeneuve, Jean-Pierre Péret, op. cit.,pp.274-276. 33. Ibid., pp.280-281. 34. Yves Bonnet, op. cit., p.327. 35. Jean de la Guérivière, Les Fous d'Afrique - Histoire d'une passion française, (Seuil, 2001), p.214. 36. Yves Bonnet, op. cit., p.327.

W Ibid., p.28.

37. Laurent Gally, op. cit., p.80.

III Charles Villeneuve, Jean-Pieire Péret, Histoire secrète du terrorisme - Les juges de l'impossible, (Pion, 1986), p.172.

38. Yves Bonnet, op. cit., p.329.

II René Char, cité par Dominique Lorentz, Une guerre, (Éditions des Arènes, 1997), p.211.

40. Ibid., p.346.

39. Philippe Boggio et Alain Rollat, Ce terrible monsieur Pasqua, (Olivier Orban, 1988), p.343.

41. Ibid., pp.347-349.

I.'. Daniel Burdan, op. cit., pp. 100-101.

42. Ch. Villeneuve, Jean-Pierre Péret, op. cit., p.285.

I V Ibid., p. 119.

43. Ibid., p.287.

14. Ibid., p. 120.

44. Patrice de Méritens et Charles Villeneuve, Les Masques du terrorisme, (Fixot, 1991), p.70.

15. Ibid., p. 124. 16. Ibid., pp. 120-121. 17. Ibid., p.124. 18. Yves Bonnet, Mémoires d'un patron de la DST, (Calmann-Lévy, 2000), p.320. 19. Ch. Villeneuve, Jean-Pierre Péret, op. cit., p.247.

45. Ch. Villeneuve, Jean-Pierre Péret, op. cit., p.291. 46. Patrice de Méritens et Ch. Villeneuve, op. cit., p.69. 47. Laurent Gally, op. cit., p.234.

20. Éric Merlen, Frédéric Ploquin, op. cit., p.353.

48. Philippe Boggio, Alain Rollat, op. cit., pp.318-320.

21. Ch. Villeneuve, Jean-Pierre Péret, op. cit., p.248.

49. Patrice de Méritens et Ch. Villeneuve, op. cit., p.76.

. Ibid., p.

3.

50. Pierre Favier, Michel Martin-Roland, La Décennie Mitterrand 2. Les épreuves, (Seuil, 1991), pp.589-590.

jininrci WINAVOWABII

51. Ch. Villeneuve et Jean-Pierre Péret, op. cit., p.294.

6. Ibid., p. 173.

52. Daniel Burdan, op. cit., p.317.

8. Ibid., p. 163.

53. Ibid., pp.283-287.

9. Ibid., p. 187.

54. Patrice de Méritens et Ch. Villeneuve, op. cit., p.95.

10. Ibid., p. 156.

55. Patrice de Méritens et Ch. Villeneuve, op. cit., p.78.

7. Ibid., p. 187.

11. Alain Peyrefitte, C 'était de Gaulle Tome 2, (Fallois-Fayard, 1997), p IM

56. Ibid., p.93.

12. Hocine Aït-Ahmed, L'Affaire Mei ili, (La Découverte, 1989), p.9.

57. Charles Villeneuve, Jean-Pierre Péret, op. cit., p.286.

13. Ibid., pp.22-24.

58. Patrice de Méritens et Ch. Villeneuve, op. cit., p.68.

15. Ibid., p. 198.

14. Ibid., p. 179.

59. Ch. Villeneuve et Jean-Pierre Péret, op. cit., p.300.

16. Ibid., p.205.

60. Jacques Vergés, op. cit., p.211.

18. Pierre Favier et Michel Martin-Rol.md, La Décennie Mitterrand - 2. Les épreuves, (Seuil, 1991), p.352

61. Pierre Favier, Michel Martin-Roland, La Décennie Mitterrand - 2. op. cit., pp.590-591. 62. Patrice de Méritens et Ch. Villeneuve, op. cit., p. 122. 63. Ibid., p.60. 64. Ibid., p.97. 65. Le Figaro, 30 janvier 1990, cité par Patrice de Méritens et Ch. Villeneuve, op. cit., p.62.

17. Hocine Aït-Ahmed, op. cit., p.200

19. Patrice de Méritens et Ch. Villeneuve, op. cit., p.75. 20. Jacques Attali, C'était François Mitterrand, (de Noyelles, 2005), p.l /H 21. Daniel Burdan, DST- Neuf ans à lu division antiterroriste, (Robert Laffont, 1992), p.305.

66. Daniel Burdan, op. cit., p.310.

22. Philippe Boggio et Alain Rollat, op. cit., p.355.

67. Ibid., p.254.

23. Ibid., p.363.

68. Ibid., p.314.

24. Ibid., pp.363-364.

69. Patrice de Méritens et Ch. Villeneuve, op. cit., p.74.

25. Ibid., p.366.

NOTES DU CHAPITRE 11.

26. Patrick Rougelet, R.G. - La machine à scandales, (Albin Michel, 1997), pp.89-90. 27. Ibid., pp.90-91.

1. Philippe Boggio et Alain Rollat, Ce terrible monsieur Pasqua, (Olivier Orban, 1988), p.305.

28. Olivia Recasens, Jean-Michel Décunm et Christophe Labbé, Place Beauvau. la face cachée de la police, (Robert Laffont, 2006), p. 108.

2. François Mitterrand et Elie Wiesel, Mémoire à deux voix, (Odile Jacob, 1995), p. 125.

29. Daniel Burdan, op. cit., p.348.

3. Patrice de Méritens, Charles Villeneuve, Les Masques du terrorisme, (Fixot, 1991), p. 151.

30. Yves Bonnet, Contre-espionnage. Mémoires d'un patron de la DST, (Calmann-Lévy, 2000), p.341. 31. Daniel Burdan, op. cit., p.246.

4. Ibid., p. 151.

32. Ibid., Annexes.

5. Ibid., p. 167.

. Ibid., p.335.

575

NOTI-S DI'SCllAlMTRIiS I! & 12

17. Le Matin, 19 janvier 1987, cité par D. Lorentz, dans op. cit., p.192.

Ihid, p.338. Ihltl., p.340. I r li.mid Burdan, op. cit., p.375.

18. Dominique Lorentz, op. cit., p. 192.

» Ibid., p.376.

19. Ibid., pp.207-208.

Il //>«/., p.379.

20. Ibid., p.213-214.

U //«,/., pp.383-384.

21. Ibid., p.97.

I M.irie Seurat, Les Corbeaux

d'Alep,

(iullimard, 1988, 1989, citée par l'nirice de Méritens et Ch. Villeneuve, l.cs Masques du

terrorisme,

(l'ïxot, 1991), p.37. '2-

Achevé d'imprimer sur les presses de l'imprimerie Jouve 53100 Mayenne N° d'impression : 546983E Dépôt légal : septembre 2010 Imprimé en France

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RENVERSANT En 1962, une nouvelle forme de colonisation commence en Algérie, qui conserve les aspects les plus sombres de la précédente. La révolution à peine née, débute l'élimination des dirigeants de valeur, compétents et intègres : une petite clique d'officiers profite de la confusion de la guerre pour s'emparer graduellement du pouvoir. D'éliminations politiques en assassinats, se concentre au sommet de l'État ce que le pays nourrit de plus néfaste. Aux deux bouts de la chaîne, en amont et en aval de la spoliation à grande échelle, émerge un homme, Larbi Belkheir, l'un des architectes de la confiscation du pouvoir en 1962, et le promoteur en 1999 du régime présidé par Bouteflika. En décidant d'envahir l'Algérie, la France a-t-elle apporté Les Lumières ou l'incendie ? La colonisation a-t-elle eu un caractère positif ou génocidaire ? De Gaulle a-t-il offert l'Indépendance ou bien plongé le pays dans un cauchemar dont celui-ci n'arrive pas à sortir ? Boumediene a-t-il succombé à une mort naturelle ou fut-il empoisonné ? Le pouvoir qui lui succéda était-il souverain ou contrôlé en sous-main par un « clan français » derrière Chadli ? L'assassinat d'Ali Mécili s'est-il accompli en dépit des forces de l'ordre dirigées par Charles Pasqua ? Quel rôle la France a-t-elle joué lors de la descente aux enfers de l'Algérie des années 1990 ? Le terrorisme islamiste est-il, comme le présentent les médias, un fléau menaçant l'Algérie de talibanisation ? Qui sont les véritables maîtres de l'Algérie ? Voilà quelques-unes des nombreuses questions auxquelles l'auteur répond sans peur de briser les tabous, en dévoilant certains des aspects les plus noirs de la relation entre les deux pays. Au fil des pages, les mythes implosent. De Napoléon à Sarkozy, deTalleyrand à Pasqua, du dey d'Alger à Larbi Belkheir, ce livre retrace près de deux siècles d'une histoire complexe et tumultueuse. En revisitant l'histoire récente de manière factuelle et très documentée, il ambitionne de faire la lumière sur les « pages glorieuses de la colonisation française », sur les « drames » de la guerre d'Algérie, tout comme sur la situation économique actuelle d un pays tout entier dévoré par la prévarication. COLONIE FRANCHISE D ALGERIE 2 0 8 ANS MGGOUN L

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