Je Lis Les Hieroglyphes

November 29, 2017 | Author: menjeperre | Category: Egyptian Hieroglyphs, Alphabet, Hebrew Language, Writing, Greek Alphabet
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C(}.f,LEClIelN.J -LEBÈGUE JEAN

CAPART

Directeur de la Fondation Égyptologlque Reine Élisabeth Conservateur en chef honoraire des Musées Royaux d'Art et d'HJstolre

A Monsieur M. de Zayas en témoignage de mon amitié reconnaissante

JE LIS LES HIÉROGLYPHES

7 me Série -

N0 74

OFFICE DE PUBLICITÉ, S. C. ANO. ÉTAJlL.J. LEBÈGUE & CIO, ÉDITEURS

36. rue Neuve. Bruxelles

1946

l

Hiéroglyphes, notation de la langue égyptienne. Littré nous dit : « Ce sont des hiéroglyphes· pour moi,· c'est-à-dire c'est une chose à laquelle je ne comprends rien 1» Et cependant, une longue familiarité avec les hiéroglyphes, familiarité qui remonte presque à mon enfance, me donne l'illusion de croire que les hiéroglyphes n'ont plus de secrets et que je pourrais en donner une explication même aux personnes qui ne savent pas un mot de la langue DU M1tME AUTEUR:

Le MM8G{1ede la Viei& Él11IPte (Collection Lebèll"Oe. n· 1) La BeauU. él11lPlienne (CollectIon Lobègue. nO 10)

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égyptien~e.

« Hiéroglyphe (du grec hiéros, sacré, et gluphein, graver): nom donné par les Grecs aux caractères qu'ils voyaient gravés sur les murs des monuments de l'Égypte et qui servaient aux Égyptiens à écrire les mots de leur langue. » (Larousse). J'ai soutigné : écrire les mots de leur langue, car il est essentiel que dès le début le lecteur puisse se convaincre que les hiéroglyphes sont étroitement liés à la langue égyptienne et non pas, comme on le croit volontiers, à des idées qui pourraient se traduire en n'importe quelle langue. Si je vois au-dessus de la porte d'une auberge un tableau représentant. un cheval blanc, je puis lire cette inscription: « Au Cheval Blanc» ou « In het Witte Paard », ou « In the White Borse », etc. Si les hiéroglyphes égyptiens, à une époque très lointaine, que nous n'atteindrons jamais sans doute, ont été une pictographie de l'espèce, ils avaient de bonne heure subi une complète évolution dans laquelle seules des traces de ce stade primitif se sont maintenues, à côté des innombrables signes phonétiques.

Écriture sans voyelles. Tous droits réservés pour lous pays

Mais il faut dès maintenant aussi que je marque un caractère surprenant de cette écriture des mots de la langue égyptienne; jamais on n'y trouve la notation des voyelles,

1

l

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c'est-à-dire de ces sons qui donnent aux langues leur couleur la plus caractéristique : les hiéroglyphes sont pour nous sans vocalisation, et c'est bien fâcheux. Qu'arriverait-il si, par miracle, on ressuscitait une momie? Les paroles qu'elle prononcerait auraient toutes chances de n'être pas comprises même par l'égyptologue le plus savant en philologie pharaonique. Et vraiment celui-ci serait bien embarrassé de dire quelque chose à notre Égyptien vivant. Ils se trouveraient l'un en face de l'autre, un peu comme des sourds, incapables de donner un sens aux sons prononcés; mais ils auraient la ressource immédiate de recourir à l'écriture et je crois qu'alors la communication pourrait être aisément rétablie. On peut imaginer ce qu'aurait de pittoresque cette reprise dans l'échange des idées après dix-huit cents ans d'interruption dans l'emploi du système. En effet, les hiéroglyphes égyptiens ont cessé d'être pratiquement en usage au me siècle de notre ère. Mais pourquoi, dira-t-on, les Égyptiens n'écrivaient-ils que les articulations consonantiques de leur langue, sans tenir compte des voyelles? Celles-ci sont essentielles dans nos langues indo-européennes. Si j'écris P .1. r cela ne peut éveiller en mon esprit aucune idée précise parce que le même squelette s'adapte à des mots multiples qui n'ont rien de commun comme idées: pâlir, polir,. peler, piler, épeler, épiler, plier, pâleur, et bien d'autres. Si dans une transcription rapide, quasi sténographique, j'ai noté seulement p.l.r, le contexte seul peut me permettre de rétablir les voyelles en devinant le mot exact. Il n'en va pas de même dans des langues appartenant à d'autres familles, en hébreu,en arabe, en égyptien, etc. Tout le monde a vu des exemplaires de la bible hébraïque. Les lettres sont accompagnées, au-dessus et en dessous, de petits points, de petites lignes : ce sont les voyelles. Nous avons là le résultat des longs travaux des savants juifs appelés massorètes, « maîtres de la tradition J) et

dont le point culminant est le texte du Rabbi Aaron ben Asher qui vivait. au xe sièCle de notre ère. Le travail des massorètes avait pour objet de conserver, de transmettre le texte consonantique des livres sacrés, ma,is aussi d'en assurer l'exacte prononciation. Sans les massorètes noU3 serions, devant un texte hébraïque, dans la même situatioI\. que devant des hiéroglyphes, ces signes reproduisant uniquement la structure consonantiqùe des mots.

Radicaux consonantiques. Quelle est la raison de cet état de choses bizarre à première vue? C'est que les« squelettes» de mots représentent des radicaux, très souvent trilittères, c'est-à-dire à trois consonnes et qui expriment chacun une idée fondamentale, dont toutes les variations possibles se marqueront précisément par les vocalisations différentes. Soit un radical verbal comme q. LI en hébreu; celui-ci va pouvoir par un jeu des voyelles, par la réduplication des consonnes, par l'adjonction d'affixes et de. suffixes exprimer tous les temps, tous les modes d'une extrême richesse du verbe tuer. Si je prends le radical k. t. b en arabe, celui-ci me donne l'idée fondamentale d'écrire, katab, et je dirai: yiktib, j'écris; kitdb, livre et koutoub, livres; koutlJi, libraire; kateb, scribe; koutab, école; maktoub, inscription, etc. En égyptien, le radical qui s'écrit par le signe fidlsignifiera: la palette du scribe, le verbe écrire, l'écrit, le document, la peinture, la lettre, le livre, le scribe, le papier à écrire, le bâtonnet d'encre...

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Consonnes et voyelles. Il est bon que je dise, dès maintenant, puisque je me suis lancé dans ces arcanes philologiques, au risque d'effrayer le lecteur auquel je demande un peu de patience, que la distinction qui vient d'être faite ici entre les consonn'es et les voyelles n'est pas aussi tranchée qu'on pourrait le croire.

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Il Y a un petit nombre de sons qui, suivant les circonstances, peuvent être considérés soit comme des consonnes, soit comme des voyelles; on les appelle des semi-voyelles ou aussi des consonnes faibles. On va les rencontrer constamment dans les hiéroglyphes et leur existence a donné lieu pendant longtemps à de savantes controverses entre ceux qui affirmaient· que l'écriture égyptienne ne contenait que des consonnes et ceux qui, au contraire, déclaraient avec force arguments, qu'elle notait également les voyelles a, i et u. On est généralement d'accord pour admettre la base consonantique du système mais à condition d'adopter pour ces consonnes qui ressemblent parfois à des voyelles, des signes particuliers qu'il est indispensable de retenir. ~ est transcrit 1 et correspond à une « occlusive laryngale » (l'attaque dure d'une voyelle); en pratique nous lisons le plus souvent a léger. Q est transcrit i ou 1'. Pensez au prénom Jean, en flamand Jan, qui présente à l'attaque un i ou un i. - l i est transcrit r. C'est un son guttural très particulier (une spirante laryngale sonore) inconnu à nos langues, correspondant au raiin arabe. On le transcrit souvent par a, un a long. .} (un oiseau d'espèce indéterminée, appelé parfois le « POtlSsin» des hiéroglyphes) est transcrit w. Pensez au mot ouate et demandez-vous si le son d'attaque est un w consonne ou une voyelle u qui doit être pourtant prononcée ou comme en latin et en italien. Voilà un point des plus important déblayé et le lecteur ne s'effraiera pas, j'espère, lorsque je devrai transcrire des mots égyptiens avec ces signes: par exemple imn pour Amon, ou même rI pour le mot égyptien qui signifie grand. Un autre mot pour grand est wr qui est prononcé en pratique our.

Alphabet.

a,

Mais, dira-t-on, quelle chose étrange que ces signes, représentant des hommes, des animaux, des objets de toute espèce, et qui cependant se bornent, le plus souvent, à figurer les sons de la langue. Nous nous servons pour écrire d'un petit nombre de signes qui sont nos lettres et que nous appelons, dans leur ensemble, l'alphabet. Qu'est.:ce que cela signifie? Ouvrons Larousse. Alphabet: Réunion de toutes les lettres d'une langue, disposées dans un ordre conventionnel. Petit livre contenant les lettres et les éléments de la lecture: Mettre un Alphabet entrfJJles mains d'un enfant. c( Disposées dans un ordre conventionnel », n'est peut-être pas très exact et il faudrait dire plutôt « traditionnel », car là où l'alphabet hébreu dit Yod, Khaf, Lamed, Mem, Noun, nous disons encore 1 et J, K, L, M, N. Il ya eu entre les deux Iota, Kappa, Lambda, Mu, Nu... Mais tout le monde sait aussi que le mot alphabet est la combinaison des deux premières lettres de l'alphabet grec Alpha et Bêta. Oui; mais Alpha ni Bêta n'ont de sens dans la langue grecque, sinon comme désignation de ces deux lettres. Alors il nous faut remonter plus haut et nous rappeler le héros légendaire Cadmus qui fut l'auteur de cette écriture qu'on appelait lettres cadméennes ou phéniciennes, parce qu'elle avait été empruntée au· peuple maritime et commerçant des cÔtes de Syrie. Or en phénicien Alpha veut dire un bœuf et Bêtha une maison. Sans entrer dans le détail, je puis me borner à dire que certains auteurs ont cru pouvoir retni.cer toute la succession entre la tête de bœuf des hiéroglyphes égyptiens jusqu'au A de nos alphabets. La stèle de Mesha, roi de Moab, une des plus vieilles inscriptions hébraïques, les plus vieux textes araméens de Sendjirli dans le nord de la Syrie montraient toujours le mufle du taureau qui se dégage encore clairement des

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formes archaïques grecques. Ainsi donc lorsqu'on dit à un enfant « Apporte ton alphabet J) on lui dit « Apporte ton bœuf et ta maison )J. n convient cependant d'ajouter que des découvertes complémentaires ont permis de remettre en question le passage des hiéroglyphes aux lettres phéniciennes. Est-ce que déjà les hiéroglyphes ne commencent pas à prendre une autre apparence à votre esprit? On les devine comme faisant partie d'un vaste ensemble, auquel nous nous rattachons par des liens qui, s'ils avaient été oubliés, n'en sont pas moins solides.

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De l'image au son. Comment des images, comme la tête de bœuf, peuventelles aboutir à l'expression de sons? Pour le dire sommairement, c'est par le procédé du rébus. Prenons un exemple concret. Pour exprimer l'idée du chapeau, à la porte d'un chapelier, peut-être mettra-t-on un chapeau réel ou l'image d'un chapeau et tous ceux qui y porteront le regard diront, dans leur langue, cc chapeau )J. L'image d'un chapeau de forme particulière pourra servir, en certains cas, pour suggérer une fonction caractérisée par cette coiffure. Nous disons d'un dignitaire ecclésiastique: (c Il a reçu le chapeau )J pour dire qu'il est devenu cardinal. Mais on pourrait cc écrire )J chapeau en représentant un chat et une peau; de même, au lieu de dessiner une orange, on figurera un louis d'or et un ange. Est-ce compris? Au point de départ il y a une image; ensuite on attache tout naturellement à cette image le mot qui l'exprime ou plutôt les mots évoqués par elle. Si je dessine un récipient avec pied, je pourrai lire coupe, verre, calice, etc., et cette image introduite dans un système de rébus sera considérée comme polyphone (à sons multiples). Dès lors, l'image va passer à l'arrière-plan, aussi bien que les mots et ce seront les sons qui importeront.

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Nous pouvons inscrire cette succession: 1° image; 20 image plus mot; 30 image plus son du mot; 4° son. Ce mot peut comprendre plusieurs articulations comme c( calice )J, et on parlera de tri-consonantiques ou trilittères ; ou deux articulations (bilittères) ; et enfin une seule (littera... ou lettre).

Signes alphabétiques. Un signe qui a commencé par être une image et 'qui finit par exprimer une lettre, c'est ce que nous appelons des signes alphabétiques. Il a fallu le plus souvent, pour qu'ils aboutissent à cette simplicité, un lent procédé d'usure: Passus latin est devenu pas, et dans la prononciation nous laissons tomber le dernier s et disons pa (à moins qu'il s'agisse de pas à pas) ; dorsum a fait dossum et dosse avant d'aboutir à dos que nous prononçons do (voir dos à dos). C'est ici que les consonnes faibles vont surtout témoigner de leur manque de résistance et l'on comprendra sans beaucoup plus d'explications comment "! qui avait la valeur WJ4 (la déesse de la Basse-Égypte, incorporée dans le serpent vert s'appelle Ouadiit) a donné la lettre 4 (di) Le signe de la bouche c:> se disait rJ (en copte, qui est l'égyptien de l'époque chrétienne et dans lequel on écrit les voyelles, on a ra ou ra " et sans accent rë) et donne naissance à l'articulation r, disons à la lettre r. Alphabet égyptien. De très bonne heure, l'écriture égyptienne dispose de la sorte de vingt-quatre lettres (dont plusieurs ont des variantes) et qui représentent dans leur ensemble toutes les articulations consonantiques de la langue; c'est en fait un alphabet. Cependant les Égyptiens ne l'ont jamais perçu comme tel, au point de se contenter de ces vingtquatre lettres, comme le feront les Phéniciens, puis les Grecs, et de laisser tomber tout le reste. Même à l'époque gréco-romaine, lorsqu'on se servira en Égypte de l'alphabet

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grec, les noms des rois et des empereurs ne seront pas transcrits par des hiéroglyphes purement alphabétiques. On dirait assez exactement que les Égyptiens ont créé un alphabet, mais qu'ils ne s'en sont jamais rendu compte.

Sons particuliers. Nous devons nous arrêter encore quelques instants au sujet de ces lettres de l'alphabet des hiéroglyphes. Celui-ci comporte des articulations qui ne répondent pas exacte~ ment à nos lettres; nous l'avons déjà vu en parlant des semi-voyelles et des autres consonnes faibles. Il a fallu adopter, pour les transcriptions, des signes plus ou moins conventionnels qu'il est indispensable de connaître avant d'aborder les hiéroglyphes mêmes. Notons d'abord les labiales: b, p et j. Aux liquides nous avons n et r, celui-ci se confondant avec l. Aux aspirées on distingue h et J;, qui sont à rapprocher de notre h muet (encore accentué dans certains de nos dialectes); le 7;, souvent transcrit kh et qui a la valeur d'un ch tandis que le!J, a un son proche de ch (dur) - il tend à se confondre avec le 7; ou avec le s. Aux sifflantes notons deux variétés de s (originairement z et s)qui se confondent s.ouvent : s et s et la chuintante (comme dans chat,. nous écrivons souvent sh). Aux gutturales on retiendra que 1J se rapproche de q,. k est notre lettre k, tandis que g marque un g dur comme dans gamin. Il y a quatre dentales (deux en t et deux en d). On les transcrit t et t (environ tsh comme dans le cheese anglais), d et 4, ce derriier ayant la valeur de di ou même z. Grâce à ces remarques je pourrai bientôt présenter des transcriptions de mots égyptiens et habituer petit à petit le lecteur à ce système de notations françaises des vocables égyptiens.

s

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Un premier exemple de lecture. Mais je crois que je. puis maintenant faire comme le maître de natation qui jette l'élève à l'eau pour lui apprendre à nager. J'écris donc ~ ~ ~ i ce qui se transcrit sd.i mdw ntr et signifie tout simplement: « Je lis les hiéroglyphes. »Voyons la chose de près et en détail. ~ représente une outre et se disait sdw,. comme phonétique c'est la valeur Sd (shed). On a écrit ensuite la main, qui a la valeur phonétique de d(le vieux mot sémitique est yad). On voit que ce d complète ou renforce la lecture du signe sd. On l'appelle complément phonétique. Ici aucune confusion n'était possible et oU aurait pu se dispenser de ce signe d, sinon pour des raisons de calligraphie qui ont grande importance et sur lesquelles j'aurai à revenir. Mais le dictionnaire égyptien nous apprend qu'il y a plusieurs verbes Sd dont l'un signifie: prendre, enlever, et l'autre: lire (en latin legere veut dire choisir et lire). P()ur marquer celui des deux qui est ici visé on a recours au signe ~, un petit homme assis, une main tombante et l'autre portée à la bouche, ce qui est ce qu'on appelle le déterminatif. Ce signe indique une action qui se fait par la bouche et nous devrions peut-être traduire d'une manière plus serrée : Je récite. Le déterminatif ne se tr·anscrit pas et en somme il est déjà transcrit par les deux éléments s et d qui signifient le mot de l'action visée. J'ai écrit plus haut non pas simplement sd mais sd. j. Ce est le pronom suffixe de la première personne du masculin singulier j rendu par le petit homme assis ~ (remarquez qu'il n'a pas la main tombante). Aussi je lis « je lis»; comme on dira :::; ~ ~ mr .j, je veux ou j'aime. Maintenant nous arrivons à un point subtil : 1 ~ !' à suivre seulement l'ordre des signes, devrait se transcrire ntr mdw et cependant j'ai écrit, plus haut, mdw n~r. Le signe 1 représente une sorte de drapeau fixé au sommet

::!

1

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Sd.i

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d'une hampe, comme on en trouvait à l'entrée des sanctuaires, d'où on en avait fait l'emblème de la divinité. N ir 1 signifie donc dieu, divin. Par signe de respect cet hiéroglyphe, de même que les noms spécifiques des divinités, s'écrit avant le mot auquel il se rapporte. On écrira par conséquence ~ : : C( imn pr au lieu de C( ~ :: pr imn « maison d'Amon" temple d'Amon ll. Il en sera de même lorsqu'on parlera du roi qui est dieu et l'on écrira ~ Roi scribe au lieu de Scribe du Roi. Enfin nous abordons le signe ~ qui se lit mdw et qui est suivi de trois' traits comme marque du pluriel. M dw (M edou) signifie paroles, le signe ~ représentant la langue, comme l'affinne d'ailleurs le Papyrus des Signes de Tanis. Nt" mdw, qu'on lira mdw nir signifie les paroles divines; et c'est ainsi que les textes anciens appellent les hiéroglyphes. Peut-être serait-il plus exact de dire les paroles du dieu, puisque les Égyptiens attribuaient l'invention de l'écriture au dieu Thot qui est le patron des scribes. Thot est figuré souvent avec la palette du scribe en main et, lorsqu'un hymne explique le mécanisme de l'action divine sur la terre, il fait descendre du ciel à Héliopolis chez Harmakhis, l'ordre qui, répété à Memphis chez Ptah, est transmis en écritl,lre de Thot, à Thèbes au dieu Amon le grand maître de l'action. Voilà comment, dès le début, je puis présenter au lecteur une courte phrase en hiéroglyphes et faire au moins entrevoir le mécanisme de sa lecture et de sa traduction. Il faut maintenant que nous recommencions, à peu près comme si je n'avais rien dit, à exàminer pas à pas le mécanisme de cette écriture divine. Je vais vous faire connaître maintenant quelques mots simples qui auront l'avantage de passer en revue tous les signes alphabétiques.

t

Exercices sur les signes alphabétiques.

j ~;: b-i-n = méchant. Le petit oiseau, servant -de déterminatif, exprime les idées de méchanceté et de petitesse. = ~ ~ s-r-i = petit; où l'oiseau a la même valeur qu~i-dessus. S'il s'agit d'un petit enfant, on écrit : : ~ '}t. ~ ~ r-J = grand. Le signe ....... qui peut s'écrire aussi verticalement ! possède la valeur des deux_ consonnes -n r et ~ J. Rappelons qu'on peut lire aa. Le rouleau de papyrus qui termine le mot est le déterminatif des idées abstraites. } ~ ~~. w-i-J = bateau, avec le déterminatif du bateau même. On peut lire ouia (wia). ~ -; } ~ i-n-p-w = nom du dieu chacal Anubis, dont l'image est placée sur un sanctuaire. -- ~ ~ f-J-k = être chauve, avec le déterminatif de la chevelure. S'il s'agit d'un homme chauve, on ajoutera le déterminatif de l'homme c::::> ~~ r-m = poisson. Il y a un mot c::::> ~ "R?'" rn: qui signifie pleurer. On voit bien ici le rôle du détemunatif empêchant la confusion entre les deux sens. ~} 0 h-r-w = jour, avec le signe qui représent~ le soleil' comme nous le faisons encore dans nos calendriers, d'ap:ès le vieux mythe égyptien suivant lequel le dieu du ciel a deux yeux, le soleil et la lune; le soleil est la pupille de l'œil qui fait le jour. l ~ ~ !t-~-r = avoir faim; avec l'homme qui porte la main à la bouche. e ':? lJ-n = voltiger, se poser, avec ,l'oiseau qui va se po;;. Pour l'idée de voler on dessinera l'oiseau en plein vol: ')){ . .-. ~ h-s = être misérable; de nouveau avec le petit oiseau. n ~t CCl s-fj-j = nourrir, avec un pain comme déterl' ........ III

=

it.

-

.

-

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minatif ct les trois traits qui marquent le pluriel et généralisent l'idée. On remarquera qu'il faudrait strictement s-~-l-J car il s'agit du verbe causatif avec préfixe ~. S de ~ ~ = ~-j-J = aliment. 'Ill l-j = papyrus, avec la plante comme déterminatif. ~ ~ ~ s-g-r = faire silence, avec l'homme portànt la main à la bouche; c'est de nouveau un causatif en Celui quise tait, découragé, se dit grw. "=" J :- ~ k-b-n.t = bateau de mer. ~ ~-d = dire. L'ordre habituel des dictionnaires actuels est le suivant: ~ J; ~ i. - l i r. } w. J b. 0 p. l b - f. ~ m. -- n. r. ru h.

=:

ilM sb-t = champ; fi tb-n = obélisque ; sceptre, régner; 9 mnb- = maillet ; ~ srt = épine; etc. Je ne puis m'arrêter ici pour vous expliquer comment le scarabée signifi.~ devenir; comment l'abeille exprimera le roi de Basse-Égypte; comment de l'idée de maille. on passera à celle d'exactitude, d'excellence. Il faudra que nous y revenions en temps voulu. ~

bit

r f:tlp =

= abeille;

s.

~ b-. ~ b-. -=-!J. = d. "\~.

-

s. ~

s. =

S.

1J

~.

"="

k.

Tl>

g.

0

t.

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Signes de mots. J)en viens maintenant à ce qu'on appelle les signes de mots, les signes exprimant des radicaux et de qui, nouS le savons, sont sortis petit à petit tous ces signes dits alphabétiques ayant à nos yeux surtout la valeur d'une simple lettre. Nous allons voir tout de suite que beaucoup de ces signes de mots sont susceptibles de plusieurs lectures, en vertu même de l'abondance des mots qui peuvent se rattacher à l'image primitive. Toutes les figures de style, toutes les subtilités de la sémantique (étude des mots d'après leur sens) peuvent être invoquées ici. On pratiquera par exemple, et presque à l'infini, le procédé de la partie pour le tout: la tête de bœuf ~ pour le bœuf~, le bras armé qui frappe ~ pour l'homme qui frappe 111, etc.; le contenant pour le contenu, etc. Un grand nombre de mots égyptiens sont des radicaux à trois consonnes, ce qu'on appelle des trilittères. En voici quelques-uns pour commencer : njr = bon; ~ b-pr = devenir; ~ b-tp = table d'offrande; 5f rn~ = vivre;

*

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Compléments phonétiques. Ce qu'il faut observer, maintenaht, c'est que ces signes de mots, qui peuvent s'écrire seuls, sont le plus souvent accompagnés des compléments phonétiques qui, nous l'avons vu, en précisent la prononciation. On écrira donc le plus souvent njr, donc le signe de mot njr, plus le j et le r .. !. b-pr .. ~ f:ttp .. 5f ';rnb- .. etc. On trouvera parfois tous les éléments phonétiques ~ ~ ~ = être puissant, .où nous avons le sceptre ou casse-tête sb-m et ses trOIS éléments consonantiques. Mais voilà justement un exemple bien typique de la polyphonie d'un signe de mot. Ce sceptre peut se lire de diverses manières, avec des modifications de sens qui ne peuvent être marquées que grâce aux compléments phonétiqu~s. Si je dois lire le nom du sceptre même, ce sera - l i j)r. t rbl où le signe )r. bl ~t un dissyllabique équivalent à j et ~, ce qu'on appelle Improprement un syllabique. Je dis improprement un syllabique parce. que les deux lettres peuvent, dans le mot vocalisé, appartenir à deux syllabes (à notre manière de déco~poser les mots). Quand sb-m signifie être puissant, on 1écrira souvent ~ \.-JI avec un seul complément phonétique et comme déterminatif le bras armé, qui signifie toutes les actions exigeant force ou violence. C'est le même déterminatif qui est employé lorsque le sceptre doit être lu b-rp !- \.-JI signifiant être à la tête de, contrôler.

*:::

t

t

t

2

t

t

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Sens multiples d'un

si~ne

de mot.

Je crois que je dois laisser à mon lecteur un peu de répit avant de pousser plus avant. Examinons donc ensemble un~gne particulier, un signe de mot, dans ses emplois les plus usuels. Mais peut-être sera-t-il sage de prendre d'abord un exemple dans la langue française pour montrer tous les détours de la· pensée dans l'usage d'un seul et même mot. Les Égyptiens feront ainsi, en suivant des lois d'as?ociations d'idées qui, n'étant pas toujours les nôtres, seront de nature à nous déconcerter. Un peu plus de recherches dans le domaine de la vie des anciens permettrait peut-être de rétablir les liens, là où les siècles les ont rompus. « Bureau )) en français.

Examinons le mot français bureau, pour lequel je n'ai qu'à transcrire la notice du prodigieux Littré :- 1° BUREAU, grosse étoffe de laine. Mais qui n'étant vêtu que de simple bureau - Passait l'été sans linge et l'hiver sans manteau (BOILEAU, Sato 1). 20 BUREAU, tapis qu'on mettait sur une table, et de là la table même. »- «BUREAU Il 1° Table sur laquelle on écrit, on compte de l'argent, etc. Payer à bureau ouvert. Il 2° Grande table à tiroirs et à tablettes. Il Cette affaire est sur le bureau, on commence à s'en occuper. Il 3° Endroit où travaillent habituellement des employés, des commis, etc. Les bureaux du ministère. Le bureau d'un courtier. Les bureaux de l'administration d'un chemin de fer. Il Garçon de bureau, domestique attaché au service d'un bureau. Il 4° Les employés mêmes qui travaillent dans un bureau. Le travail des bureaux. Il Fig. et familièrement. L'air du bureau, les dispositions des personnes chargées d'une affaire. Prendre l'air du bureau, s'informer de l'état d'une affaire. Je proposai à M. le prince de Conti de venir au parlement et de demeurer simplement dans les termes

qui se pourraient expliquer plus ou moins favorablement, selon qu'il trouverait l'air du bureau dans la grand' chambre (RETZ, II, 204). Si on nous rogne les ongles, il nous sera impossible de marcher; d'ailleurs le vent du bureau n'est pas pour nous, VOLT., Lettr. d'Argental, 24 novembre 1772. Il Connaître l'air du bureau, pressentir l'issue d'une affaire. Il 5° Établissement détaché où s'exécute quelque service d'une administration publique. Bureau des hypothèques, Bureau des longitudes, Bureau de tabac, de poste, etc. Il Bureaux arabes en Algérie, administration confiée à des militaires, de certains districts occupés par les indigènes. Il 6° Bureau des messageries, lieu où l'on retient sa place dans une voiture publique. " Bureau restant, s'écrit sur une lettre, sur un paquet, pour indiquer qu'ils doivent rester au bureau de la poste, au bureau des voitures, jusqu'à ce qu'ils soient réclamés. Il Les bureaux d'un théâtre, les endroits où se distribuent les billets pour assister à la représentation. Bureau des suppléments, bureau où l'on paye un supplément pour prendre une meilleure place. " 7° Bureau de charité, lieu où se font des distributions de secours aux indigents. Il Bureau de bienfaisance, la réunion des administrateurs chargés de la direction des bureaux de charité. Il 8° Bureau de placement, établissement où l'on se charge de placer des employés, des domestiques. Il Bureau des nourrices, établissement où l'on se charge de placer des nourrices. Il gO Bureau d'adresse, lieu où l'on se charge de procurer divers renseignements. Il Familièrement. C'est un vrai bureau d'adresse, c'est-à-dire une maison où l'on dit beaucoup de nouvelles, c'est une personne qui a toujours beaucoup de nouvelles à dire. Il 10°' Bureau d'esprit, en parlant des choses littéraires, société où l'on s'occupe ordinairement de littérature; cela se dit ordinairement par dénigrement. Là du faux bel esprit se tiennent les bureaux (BOIL., Sat., X). Une histoire du prince de Condé

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sortie de ces mêmes bureaux d'ignorance (VOLT., Louis XIV, 27). L'autre jour la cour du Parnasse fit assembler tous ses bureaux (J.-B. Rouss., Sonnet à la Fare). Il nO Membres d'une assemblée que leurs collègues désignent pour diriger les travaux. Le bureau se compose d'un président, d'un vice-président et des secrétaires. Il La réunion du président, du vice-président et du secrétaire ou des secrétaires soit dans une assemblée législative, soit dans une académie, soit dans tout autre corps. » La notice est un peu longue, mais elle est instructive. Le mot bureau a suivi un développement dont il est aisé de suivre les détours. Et remarquez que la notice du Littré pourrait être enrichie vraisemblablement de quelques acceptions supplémentaires. En voici une que j'ai trouvée dans la Grammaire historique de la langue française du professeur Kr. NYROP (t. III. Copenhague, 1908) : on dit «B~eau, bureautin, d'un pupille du bureau de l'Assistance publique, placé dans les familles, chez des nourriciers. » Ainsi nous sommes partis d'une étoffe·et nous aboutissons à un nourrisson. De l'étoffe de bureau nous avons gardé « la robe de bure ». Imaginez que nous en profitions pour aller chercher les mots de bure qui est un puits profond dans une mine et qui vient de l'allemand bohren, percer; de burette qui est un petit vase et qui est un diminutif de buire ;de bourre, qui est d'abord un amas de poils détachés de la peau de certains animaux à poil ras et vient du latin burra; sans parler de bure, qui est la partie supérieure d'un fourneau de forge. Imaginez qu'il y ait un hiéroglyphe pour l'idée fondamentale de l'étoffe « bureau »et qu'on l'applique à toutes les acceptions, puis par homophonie aux autres bure, bourre, burette, etc., et vous ne vous étonnerez plus trop si un signe de mot hiéroglyphique va faire défiler sous nos yeux une variété déconcertante de sons où seule la structure consonantique nous est conservée, soit pour bureau le b et le r, ou b-r et w.

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Le signe NEFER et ses sens divers. Le signe ~, que j'ai cité déjà avec la valeur njr, écrit le plus souvent ~::> représente, dans les exemples les plus soigneusement dessinés, non pas un instrument de musique, comme on l'a prétendu à tort, mais la trachée et le cœur (d'autres disent les poumons, ce qui est plus vraisemblable). Horapollon, grammairien grec qui vivait en Égypte au IVe siècle de notre ère, a laissé un écrit intitulé Hieroglyphica qui prétend garder le sens de nombreux hiéroglyphes, à un moment où leur tradition se perdait pour toujours. Il fait allusion à njr dans le passage suivant: « Le cœur de l'homme suspendu à la trachée signifie la bouche d'un homme de bien» (II, 4). Et de fait le sens de n/r, pour une cause inconnue, est « bon» et « beau» et tous les mots apparentés. On devine que njr va se dire de tous les êtres, de toutes les choses que l'on trouve.beaux et bons, êtres humains, animaux, plantes, fruits, pierres, etc., sans parler des couronnes royales ou des attributs de divinités ; n~r njr va devenir la désignation à tel point que courante du roi : le dieu bon. Relevons dans le grand dictionnaire d'A. ERMAN et H. GRAPOW, Worterbuch der aegyptischen Sprache (t. II), quelques exemples typiques du mot njr : ~}. '" i njrw (le west la désinence du pluriel) veut dire les (beaux) jeunes gens et se dit spécialement des recrues militaires; ~ ~ njr.t (le c> t est la désinence du fémin~n) veut dire la jeune fille nubile; ~ ~ njr est une partie de la maison; ~ ~ LJ njrw (la répétition du signe exprime le pluriel) signifie la fondation d'un édifice et aussi la chambre intérieure de la tombe royale au Nouvel Empire; ~ ::: T njr est un vêtement, un vêtement divin ; ~ (~I njr est une désignation poétique du grain; ~ 1 ~ 1 njr est une désignation du vin ou de la bière; c=; njr~ignifie la tombe du dieu Osiris ou d'un autre mort; ~ njr.t

1*

*

*

*:::

*

-

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est un nom de la région des morts; ~ ~ 'Yi="il! nfr-(w).t désigne les vaches ; ~ ~ ! nfr-(w) les chevaux; ~ ~ ~ ~ ~ ! ntrij (w) (le j est une désinence adjective) les singes. On dit aussi ~ ~ è ntr pour le feu; ~ ntr pour l'éclat du soleil; ~ ~ nfr.t pour les plumes du diadème; d ntr pour la couronne de Haute-Égypte et aussi ~:: ~ nfr. t pour le câble de remorque d'un bateau et ntry.t ~ ~ ~ ~ ~ pour la corde au moyen de laquelle le timonier manœuvre la rame gouvernail. Ce dernier mot s'emploiera au sens figuré. Déterminatifs.

m

*

Je vous fais grâce d'encore plus d'une demi-douzaine d'acceptions, celles-ci étant suffisantes pour vous montrer la richesse de ce rayonnement d'idées autour d'un seul signe de mot et pour faire saisir l'importance que jouent dans le déchiffrement les déterminatifs servant, par un simple coup d'œil, à marquer dans quelle catégorie de sens se place le mot. Je dois cependant faire observer qu'il n'est pas tout à fait logique d'appeler de tels signes des déterminatifs, car chacun d'entre eux est bien plutôt un signe de mot qui a besoin d'être précisé, ce qui se fait par les hiéroglyphes qui précèdent, ici toujours *~. Si je prends l'hiéroglyphe de l'homme assis 1ft, c'est incontestablement un signe de mot au sens le plus vague et qu'il importera grandement de préciser si l'on veut faire entendre qu'il s'agit par exemple d'un scribe ou d'un soldat. Si c'est simplement homme que l'on entend dire, on écrira ~ s,. pour scribe WJ 1ft sS; pour soldat ~ 1ft msr,. etc.

Signes de mots à sens très général. Il sera donc indispensable pour ces signes de mots, à sens très général, de les « déterminer» par les signes phonétiques dont on les fera précéder; et cela sera d'autant plus néces-

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saire s'il s'agit de textes rituels, à réciter, et où la littéralité ne permet pas de choisir parmi les multiples synonymes. Dans les textes religieux des Pyramides le signe 1fI exige, suivant les cas, les lectures n!Jn, J;,o, J;,wn, !Jrd,' auxquelles on ajoutera rnpi, sri, nmJ;, (orphelin), etc. Nous avons rencontré plusieurs fois l'hiéroglyphe de l'homme qui porte la main à la bouche. Rien que dans les textes des Pyramides, il apparaît avec les valeurs suivantes exprimées par des signes phonétiques: ib, avoir soif; rm, avaler; wnm, manger et droite opposé à gauche, (ce qui montre qu'on mangeait de la main droite) ; wsb, autre mot pour manger; wgi, mâcher; w~J;" sevrer; brJ;" avoir en abondance; psJ;" mordre; niS, appeler; nhm crier' ndb boire' hkr avoir faim; SI, se rassasier; sbJ;,,'crier; 'snm~, nour;it~re'; sn!J, élever, nourrir; sbw, aliment; snt. t, dispute; ~sw, se lamenter. On voit ainsi que le signe ~ est susceptible d'un très grand nombre de lectures qui se répartissent à travers toutes les lettres de l'alphabet.

La palette du scribe. Veut-on encore un exemple curieux d'un signe de mot dont le sens évolue et qui réclamera par conséquent des « déterminatifs» divers? Revenons au :signe ~. Si on l'écrit ~ l , avec un trait qui marque qu'il s'agit bien d'un exemplaire de l'objet représenté, le sens sera l'écritoire, la palette du scribe: Cette écritoire comprend l'étui dans lequel on garde les roseaux secs qui servent de pinceau, le sachet qui contenait peut-être la gomme destinée à donner du mordant à l'encre (on le dessine souvent comme un petit vase) et la planchette sur laquelle sont fixés les deux pains de couleur noire et rouge. Le noir sert pour les textes courants, le rouge pour ce que nous appelons encore des rubriques.

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signifiant rouge et aussi dans 6m} ~~, ~msw, chose mauvaise et malfaisante; parce que le rouge est la couleur du dieu mauvais Seth. Mais voici encore ~ dans le mot ::::J: f6i!J ~ n ~ qui signifie polir, !:::oudre finement avec, :on causatif r:::::;: ~ snrr. Enfin ~ ~ nrr a le sens d et~e coloré, de plusieurs couleurs, soit par la nature, SOlt par l'art. D'où l'on écrira fij ~ pour des vêtements multicolores ou I=l ~ nb nrr pour une variété d'or. Le terme sera employé au sens figuré pour une bonne qualité, et l'on dira d'un homme qu'il a le cœur n rr ::jl ~ ~

Rubriques. On ne m'en voudra pas, j'espère, si je m'arrête quelques instants sur ce mot de rubrique en résumant l'article que lui consacre Littré: « RUBRIQUE Il r O Terre rouge dont les chirurgiens se servaient autrefois pour étancher le sang Il 2° Sorte de craie rouge dont les charpentiers frottent la corde avec laquelle ils marquent ce qu'il faut ôter des pièces de bois à équarrir. Il Ocre rouge artificielle. 1130 Titres des livres de droit civil et canon, qu'autrefois on écrivait en rouge... Il 4° Dans t'Église, les rubriques, les règles selon lesquelles on doit célébrer la liturgie et l'office divin, parce que; dans les missels, les rituels, les bréviaires, etc., on les a communément écrites en lettres rouges... Il Petites règles, imprimées ordinairement en rouge dans le corps du bréviaire, et enseignant ce qu'il faut dire dans les divers temps de l'année à chacune des heures canoniales. Il 5° Par extension. Titre, date qui, dans les journaux, indique le lieu d'où une nouvelle est venue... Il Indication fausse du lieu de la publication d'un livre... Il 60 Familièrement. Méthodes, règles, pratiques anciennes... Il 70 Fig. et familièrement. Ruses, finesses ... » En voilà assez pour que les diverses acceptions et lectures de l'hiéroglyphe ne paraissent plus trop hiéroglyphiques dans le sens péjoratif du mot.

J'

=

nrr ib. Je voulais laisser à mon lecteur un peu de répit avant de pousser plus avant l'examen du système d'écrit~re et je ne vois pas sans terreur que je me suis laissé entraîner de telle façon que le problème lui paraîtra plus compliqué que jamais. Ce n'est pas la faute des Égyptiens, mais bien celle des étranges détours que fait la pensée humaine, dans tous les temps, chez toutes les races et dans toutes les langues.

Signes improprement appelés (( syllabiques n.

m,

Extension de sens du signe. de la palette.

m,

L'Égyptien écrit:: sS, écritoire, et de même pour l'action, c'est-à-dire: écrire, dessiner; ~ ~ S5 signifie un écrit, un livre, du papier; ~ 1ft S5 veut dire l'agent : le scribe. Si l'on veut parler d'un peintre on dira 1S5 ~d ce qui signifie littéralement scribe de contours. Le bâtonnet d'encre s'appelle S5W ~}- 1 ~ 1 avec le déterminatif du petit cercle marquant les matières pulvérulentes. Mais notre signe apparaît encore dans le mot =' ~ ~ ~ ~ms

m,

2S-

.

!

Voici une nouvelle étape à franchir qui exige un effort de mémoire afin dé marcher plus sûrement. Il y a beaucoup de signes bilittères (à deux articulations) qui sont d'un emploi fréquent. J'ai déjà dit qu'on les appelait improprement des syllabiques. En voici terminés en 1 : ~ 0, -f\ WI, ~ bl, ~ Pl, ..> ml, 1bl, ~ SI, ~ 51, U kl; En i: 6 tf~' En w: '" IW, mw, 0 nw, t sw, M if:w. Ce sont les pl~ usuels et ils peuvent suffire pour le moment. En voici avec d'autres consonnes : ~ in, & wn, ~ wr, LJ pr, ~ mn, ""- mr, "\ m!z" mms, 'C7 nb, 9 !z,r, ~ !z,S, bt, ~ sn, ~ gm, p tm, a 4r, etc.

gmi,

V>-

=

-

-

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r. s-rlt r,

Une phrase d'un texte historique. J'ai bien envie de donner dès maintenant une vraie phrase en hiéroglyphes, empruntée à une inscription historique de la XVIIIe dynastie, dans laquelle la grande reine Hatshepsout se vante de l'érection de ses obélisques de Karnak. La voici, et il suffira de suivre pas à pas les explications, à accepter telles quelles, pour en saisir la structure:

:: ~ ~ -

~~

==

Ç7

~~



=- nn~





Faisons-en l'analyse: =-- ir du verbe iri, faire; ici à la forme du passé marquée par le - n,o ~ s est le pronom suffixe de la troisième personne, du féminin singulier, puisqu'il s'agit de la reine. le pronom suffixe de la Si c'était un roi on aurait troisième personne du masculin singulier: ir-n-s, elle a fait; ir-n-f, il a fait. ~ m, préposition: en qualité de, en, comme. ~ mn, signe syllabique accompagné du signe 0 nw, répété trois fois, peut-être par raison calligraphique. Le mot mnw signifie monument. ~ s, de nouveau le suffixe féminin: le monument d'elle, ou son monument. - n, préposition: a l'avantage de, pour. ..:- il, c'est le mot père où le -- est signe de mot. - s, pronom suffixe: au père d'elle, à son père. ~ imn, nom du dieu Amon. Ç 7 nb, signifie maître, seigneur. ID ID ID nswt ID nS.t signifie un trône; le signe est répété trois fois pour marquer le pluriel à désinence non écrite W. Le signe ==- tl veut dire terre; au duel tl .wj, les deux terres, c'est-à-dire la Haute et la Basse Égypte. Les trônes des deux terres est le nom du grand temple d'Amon à Karnak.

==

=

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s

est une forme causative en du verbe' rlt r qui signifie se tenir debout; donc dresser, ériger. - n, préposition: à, pour. - f, pronom suffixe masculin singulier se rapportant à Amon. (Elle) a érigé pour lui. nntlJn.wi· Le mot tlJn veut dire obélisque; en le répétant deux fois, on exprime le duel et je transcris tlJn.wj parce que wj est la désinence du duel masculin (ici non écrite). ~ wr.wj, c'est de nouveau le duel, de l'adjectif ~ wr, grand. Donc : deux grands obélisques. r, préposition: près, auprès. sblJ·t " il faudrait, en toutes lettres qui veut dire une porte monumentale. (On pourrait lire aussi

n sbl rJ* ~ n)·

rJ! n

La phrase tout entière signifie donc : Elle (la reine) a fait comme monument d'elle-même à son père Amon maître de Karnak; elle lui a érigé deux grands obélisques près de la porte (dont le texte complet donne le nom).

Faible proportion des signes figuratifs. Regardez bien cette phrase, examinez-en les hiéroglyphes les uns après les autres et vous serez frappés du petit nombre d'éléments pictographiques qui s'y trouvent. On comprend que les voyageurs grecs et latins, qui parcouraient l'Égypte dans les premiers siècles avant et après le début de notre ère, ne pouvaient pas comprendre les explications des guides au sujet des hiéroglyphes. Que comprendraient, dans les mêmes conditions, des touristes du Tour du Monde, à!' écriture chinoise! Dans notre phrase, les signes pris un à un représentent, à leur origine il est vrai, un œil, une ligne en zigzag (l'eau), un verrou de porte, une chouette, une table à jouer, trois petits vases, un verrou, l'eau, un pain, une vipère cornue, un verrou, une

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-28fleur de roseau, une table "à jouer, l'eau, une corbeille, trois tabourets, deux bandes de terre, une bandelette, une échelle, l'eau, la vipère, deux obélisques, deux hirondelles, une bouche et une porte.

Échec des premières téntatives de dechiffremènt. Comment déchiffrer, à force d'imagination, ce pêle-mêle d'images où l'on devinerait seulement qu'il doit y être question de deux obélisques? On comprend comment le pauvre savant Athanase Kircher, au XVIIe siècle, n'a réussi qu'à se rendre ridicule en traduisant symboliquement des textes hiéroglyphiques. Mais souvenons-nous que Kircher, en publiant la première grammaire copte, a sauvé le sens des mots égyptiens écrits à l'époque chrétienne au moyen d'un alphabet dont presque toutes les lettres étaient, empruntées au grec. A quoi nous servirait-il de déchiffrer les deux mots 1 ~ n!r ntr si le copte n'avait gardé NOUTE NOUFE qui signifie dieu bon. Les lettres des inscriptions étrusques se rattachent à nos alphabets et nous pouvons donc les lire; mais la tradition a été rompue et le sens de la plupart des mots risque de nous échapper pour toujours. Le texte grec de la Pierre de Rosette qui servit de point de départ à la lecture des hiéroglyphes, disait du roi Ptolémée V qu'il était né du dieu Ptah. On avait pu deviner les trois éléments du nom divin: ;; l ptJ;, .. il y avait ensuite un signe que je viens de donner dans les syllabiques : m avec "la valeur Cette valeur a été déduite du mot engendrer, donner naissance, en copte : MICE. Quand Champollion a reconnu, parmi des noms royaux, ceux de Thoutmès et de Ramsès, c'est qu'il connaissait cette valeur les noms signifiant: né du dieu Thot et né du dieu Râ. Ce fut en quelque sorte l'éclair qui fit jaillir la lumière" au milieu des ténèbres.

ms.

ms,

L'hiéro~lyphe

de l'œil. "Le premier signe de la phrase qui vient d'être analysée était =-- c'est-à-dire un œil, et j'ai dit que c'était le verbe faire avec la lecture ir. Y a-t-il donc un rapport entre l'œil et l'idée de faire, de créer? J'ai déjà parlé précédemment de l'œil céleste. Les textes religieux sont remplis des assimilations de toutes les offrandes à l'œil d'Horus. Un texte mythologique explique que les hommes sont nés des larmes du dieu. Il pouvait donc y avoir pour l'Égyptien un rapport logique entre l'idée d'œil et celle de créer, de faire. Pour désigner l'œil on écrit id avec le t du féminin. On dira '?: ir.t nb.t, tout œil, pour signifier tout homme et on ajoutera volontiers le , déterminatif ~ ~ i soit l'homme, la femme et les traits du " pluriel. Voici divers mots égyptiens qui signifient voir, regarder et même le contraire : ~ f =-- ptr (avec un syllabique f tr); -:ri:. :h. ~ mu ; ~ ~ l =-- gmJ;" regarder avec attention, ou ~ =-- dgi, même sens; ~ ) =-- rS (syllabique ~ ys) veut dire veiller, être éveillé, garder, surveiller; c::= ~ =-- rm, pleurer (ou souvent "ffl'" avec des larmes); et enfin =-- sp, être aveugle (parfois sans la pupille).

:1

:1

c:;

La ~rammaire égyptienne. Tout cela n'est-il pas absolument logique et d'une compréhension qui ne demande qu'un peu d'attention, si l'on veut aller au delà? Il est bien entendu que je n'ai pas la tâche de vous apprendre la langue égyptienne et de vous conduire au milieu des dédales de la grammaire, ni de la syntaxe. On ne doit pas s'imaginer que les Égyptiens alignaient leurs mots, les uns à la suite des autres, en laissant au lecteur le soin d'en deviner la coordination. L'écriture, une fois inventée et menée à un certain degré "de perfection, devait permettre de suivre les détours et le raffinement de la pensée avec une grande souplesse. Ce

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-

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fut un long travail, au cours du XIXe siècle et depuis le début du xxe, pour progresser dans cette reconstitution de la grammaire égyptienne ou plutôt des grammaires, car la langue, au cours de plus de quarante siècles, a subi des modifications profondes justifiant l'élaboration de grammaires pour les diverses périodes. Sans entrer dans cette question, je dois marquer cependant qu'au cours des âges l'égyptien a fait une évolution d'une langue synthétique à une langue analytique; à tel' point que nous avons des textes religieux de basse époque qui donnent le même rituel, en langue, mettons classique, et en traduction dans l'idiome évolué. Certains diraient que cet idiome, dont le copte est un résultat, présentait l'avantage d'une analyse plus précise des nuances de la pensée. Ceux qui sont curieux de ces questions se reporteront aux grammaires d'Adolf ERMAN, JEgyptische Grammatik, 4 e édition, Berlin, 1928; du même sa Neuiigyptische Grammatik, 2 e édition, Leipzig, 1933 ; d'Alan H. GARDINER, E gyptian Grammar, being an Introduction to the Study 0/ Hieroglyphs, Oxford, 1927; de G. LEFEBVRE, Grammaire de l'égyptien classique, Le Caire, 1940; ou encore du Dr A. DE BUCK, Egyptische Grammatica, Leyde, 1944. On trouvera chez ces auteurs de nombreuses indications bibliographiques sur des travaux de détail, comme le grand traité de K. SETHE, Das JEgyptische Verbum, Leipzig, 1899-1902, en trois volumes, ou B. GUNN, Studies in Egyptian Syntax, Paris, 1924. Soyez· bien tranquilles, je ne vais pas essayer de vous résumer la grammaire égyptienne; mais il faut cependant que je vous en montre le jeu régulier par l'un ou l'autre exemple.

La place des mots dans la phrase. Occupons-nous de la place des mots dans la phrase, dont on a pu déjà deviner quelque chose par le texte de l'obélisque de la reine Hatshepsout.

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j'emprunte à la grammaire d'Adolf Erman les phrases suivantes: ~

t ::-. ~ - )r. =-:it "'- rdj.n

nswt nb n blk,f.

le bras qui présente un pain est le verbe dj ou rdj donner. Il est ici à la forme en - n qui, nous l'avons vu, marque souvent le passé. Après le verbe vient le sujet; t ::-. nj-swt ou nswt veut dire le roi. Ce mot a donné bien du mal aux égyptologues avant qu'ils s'aperçoivent qu'il ne fallait pas le lire swtn, comme il est écrit, mais le décomposer en deux éléments: « celui qui appartient à Il ni - et la plante sacrée de Haute-Égypte t swt. C'est par respect qu'on l'écrit en tête, et comme en toutes choses, le roi de Haute-Égypte a la prédominance sur le roi de BasseÉgypte bUj ~, celui de l'abeille, le mot nswt signifie le roi par excellence, le roi tout court. Traduisons: A donné le roi. Quoi? c'est le complément direct: JW'I nb (un collier d'or) de l'or. Puis la préposition - n avec le sens de : à; et enfin le complément indirect: ~ qui se décompose en blk serviteur, avec le déterminatif:it et le pronom suffixe masculin singulier "'- f son. Donc l'ensemble signifiant : Le roi a donné de l'or à son serviteur, présente l'ordre suivant: verbe, sujet, complément direct et complément indirect (datif). On remarquera que ces trois derniers éléments sont des substantifs. Mais lorsque les substantifs et les pronoms se partagent la phrase, ces derniers auront la priorité : ô t ::-. ~ rdj.n n.i nswt nb a donné à moi le roi 1:0r. Donc: verbe, pronom suffixe, sujet et complément direct; ~ t ~ t ::-. -)r. rdj.n sw nswt n blk a donné cela (sw pronom absolu) le roi au serviteur; : : : : 'i~ rdj.n.f n.i nb il a donné à moi l'or. Lorsque le complément direct et l'indirect sont tous deux des pronoms, alors l'indirect avec son suffixe a le pas sur L.JI

C>

=-:it "'-

'i

=-:it

-

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-

'i

le complément direct qui est un pronom absolu : ~ t} rdi. n n.i sw nswt a donné à moi .cela, le roi; t } rdi·n.j n.i sw il a donné à mOl cela.

t::-

:: :::. 'i

Souplesse de la phrase narrative. J'ai voulu montrer par ces exemples les aspects d'une même idée, avec un petit nombre d'éléments ~ramma­ ticaux mis en jeu dans la régularité de constructIOn de la phrase égyptienne. Oserai-je faire un pas de plus et emprunter à la grammaire de Gardiner un remarquable exemple de la souplesse de la langue narrative pour exprimer cette simple idée: « ·le roi sort»? Il Y faudra un peu d'a:tention et la volonté de ne pas s'effrayer des termes techmqu~s inventés par nos grammairiens. Mais~on verra sur le faIt ce procédé, auquel j'ai fait allusion plus haut, d'une langue à caractère synthétique qui devient de plus en plus analytique. Voici maintenant la traduction du § 460 de la Grammaire: « Sous l'Ancien Empire on constate les débuts d'un procédé dont l'aboutissement a été la disparition compl~te de la conjugaison avec suffixes, sauf quelques restes ~o~slles de la forme sdmt.j remplacée désormais par une sene de temps basés s~r la construction pseudo-verbale. Le résultat final n'est atteint que par le copte dont les temps. r.essemblent à ceux du français et de l'anglais par la préCISIon avec laquelle ils marquent les distinction: du, temps. La première étape semble avoir été l'emplOI de ~ze: pour introduire la construction pseudo-verbale et prodmre des formes verbales composées du type de iw sq,m.n.j impliquant encore une conjugaison avec su~xes. Bientôt, :orp.me suite d'un tel développement, on vit des composes avec wnn. A la XIe dynastie ou plus tôt encore' -;; rJ:z,r se tenir debout, surgir, devint à la mode comme auxiliaire. Nous passons sous silence dans cet examen préliminaire quelques

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autres auxiliaires moins importants. Environ vers les temps Hyksos, le composé pronominal ~ 1ft devient en usage dans la langue parlée comme sujet d'attributs (ou prédicats) adverbiaux ou pseudo-verbaux, et déjà les inscriptions de la XVIIIe dynastie laissent apparaître çà et là la popularité de cette tournure. Pendant le Nouvel Empire on invente encore quelques formes verbales composées, mais le procédé se révélera surtout sous l'aspect d'une élimination ou d'une spécialisation; les formes verbales' composées qui contenaient les formes sq,m.j ou sq,m.n.j cèdent la place à celles qui renferment l'ancien perfectif ou une préposition avef l'infinitif. Chacune des formes survivantes reçoit son rang exclusif pour rendre une certaine nuance temporelle. » Si l'on se souvient que le moyen égyptien ne possède pas moins de sept formes narratives de la conjugaison avec suffixes et que le récit peut s'exprimer non seulement grâce à elles, mais encore par des verbes « nominaux » ou des parties du verbe employées nominalement, on ne peut s'empêcher de trouver que la richesse des constructions narratives dans les propositions majeures, issues du développement de nouvelles formes verbales composées, est tout à fait extraordinaire. ») Dix-huit manières de dire : le roi sort. Et l'auteur nous donne dix-huit manières de dire: « le roi sort », en ajoutant qu'il y en a encore d'autres. Je me contente d'en retenir quelques-unes qui éclaireront ce qui vient d'être dit:

~ A ~ ~ pr J:z,m.j, sort Sa Majesté (~A pr avec le déterminatif des jambes est le verbe sortir qui est en réalité pri, c'est-à-dire un verbe tertiœ infirmœ, dont la troisième consonne est faible. On verra que ces verbes ont un infinitif féminin). 3

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-

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~ ~;;. ~ i}m./ pr./, Sa Majesté, il sort (je laisse le

genre égyptien).

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~ .:: ~ ~ pr.n i}m./, est sorti Sa Majesté.

Q} ;;. ~ ~ ~ iw pr.n i}m./, est sorti Sa Majesté (av~c l'auxiliaire iw mis en tête. ~ ,.L ~ ~ i ~ ~ wn.în i}m./ i}r pr.t littéralement: est (auxiliaire wn) de la part de (in) Sa Majesté à (préposition i}r) sortir (infinitif féminin avec", t). , ~ :;. ~ i ~ r!tr.n pr.n !tm.j. L'auxiliaire- r!tr est à la forme en n, le verbe pr de même. En donnant à l'auxiliaire son sens primaire de se tenir debout, on pourrait traduire: Se leva et sortit Sa Majesté. Mais en voilà assez pour édifier mes lecteurs sur les raffinements de la grammaire égyptienne, sur l'extraordinaire ingéniosité et la patience qu'il a fallu aux égyptologues pour découvrir ces subtilités dans une langue dont toute tradition avait été rompue pendant tant de siècles. J'espère cependant que ces explications, qui me paraissent utiles à la juste compréhension du mécanisme de l'écriture égyptienne, n'auront pas été arides au point de décourager les bonnes volontés et que je puis poursuivre sans crainte de me voir abandonné par les lecteurs.

Pronoms-suffixes, absolus et indépendants. Encore un petit effort cependant. J'ai invoqué à plusieurs reprises les pronoms suffixes ou personnels et l'on désirera sans doute les connaître sous leurs formes les plus usuelles: Ire personne singulier : i ~ remplacé le plus souvent . par jt, ~ ou ~ suivant qu'il s'agit d'un homme, d'une femme ou d'un dieu. ze personne masculin CO" k, féminin = 3e personne masculin __ j, féminin r s. Le pluriel qui est commun aux deux genres ·est : Ire personne :7', n, 2 e personne ~ ou ITI tn ou tn , 3e personne ~I ou ~ sn ou sn. On remarque la confusion des deux t et des deux s.

r

r

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Rien de plus simple maintenant que de comprendre = pr.t, ta maison, s'il s'agit d'un homme ou d'une femme; ~ ' - pr./ ou ~ ~ pr..s, sa maison; ~ ~I pr.n, notre maison, etc. Et ce sera la même chose pour le temps du verbe que Gardiner appelait, suivant l'usage, la forme sdm.f. tIJ ~ sdm veut dire entendre, avec l'image de l'oreille de . vache; et l'on conjuguera ilJ ~ 'i §dm.i, j'entends; ilJ ~ = ' sdm.k, tu entends; ilJ ~ - - sdm.j, il entend, etc. A côté de ces pronoms suffixes ou personnels il y a aussi des pronoms absolus qui, au pluriel, ont les mêmes formes, et qui, au singulier, sont surtout en usage à la première personne commune } i- ou } wi ou w,o à la troisième qui est masculine t } sw et à la troisième féminine devenu une sorte de neutre. Il y a enfin des pronoms personnels indépendants, de formation plus récente, placés au début de la phrase avec une valeur emphatique et dont la plupart ne sont autres que les anciens suffixes précédés de ':' nt. La première personne est ,g. ink, moi. Ici j'abandonne décidément la grammaire. Quand on y met le doigt, on risque d'y passer tout entier; et ce n'est pas ce que je vous ai promis et ce que vous attendez de moi. ~ 'iPr.i, ma maison; ~pr.k ou ~

rs

Amon et son cycle. Je vous ai fait côtoyer de la sorte le purgatoire de la grammaire, sans trop de dommages, j'espère, et je puis vous proposer, par contraste, d'aller visiter les dieux de l'Olympe égyptien. A tout seigneur, tout honneur. Amon, dont je vous ai déjà donné le nom sous la forme ~:: imn, est le plus souvent appelé Amon-Râ, par identification avec le grand dieu solaire Râ:: ~ ~ ou ençore : : ü.. r r. Amon est 111 nswt n tr . w. Le sens du appelé le roi des dieux

+.:

mot Amon est probablement « le caché, le secret )) ~ : : ~,

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-36avec le petit homme qui se dissimule. Mais imn est aussi la région de l'Ouest, où se couche le soleil et aussi le côté droit pour les Égyptiens qui s'orientent sur le sud. Le nom divin est composé, nous le savons, de trois consonnes, la première i étant faible. Quelles en étaient les voyelles? A et 0 dirait-on, puisque nous appelons le dieu· Amon. Mais la chose n'est pas aussi simple et nous lUons constater que la prononciation égyptienne n'est pas restée stable au cours des siècles. Si les hiéroglyphes ne nous donnent à cet égard aucune indication, nous avonsheureusement des transcriptions dans d'autres langues où les voyelles étaient écrites. Les Babyloniens, entre le xv e et le XIIIe siècle avant notre ère, ont entendu et noté Amiina, Amiinu; en composition Aman,. les Assyriens aux vm e et VIle siècles, et les néo-babyloniens du VIe siècle notaient Amunu; enfin les Grecs (Hérodote au v e siècle) écrivaient 'A(J.ou\I Amoun et, sans accent, Amon. C'est cette vocalisation récente qui s'est imposée aux modernes. Mais voilà donc le fait à constater, que la prononciation se modifiait par le temps ou aussi d'après les dialectes locaux qui devaient différer, entre la Haute et la Basse"Ëgypte en tout cas. Un texte littéraire parle de la confusion qui existe entre deux hommes qui ne se comprennent pas plus qu'un homme d'Éléphantine, à la première cataracte, s'entretenant avec un habitant du Delta. Quand les Babyloniens du xve siècle entendaient parler d'Amana, c'est de Thèbes qui était alors la capitale; pour les Assyriens et les néo-babyloniens qui entendait Amünu, ce devait être de Basse-Égypte où résidaient les dynasties. La « coloration >l particulière des voyelles est caractéristique des dialectes, comme on peut le constater rien que par la manière cie prononcer man en Angleterre : man, men, mon. Acceptons par conséquent, sans chercher davantage, la prononciation des Grecs et disons Amon. A Thèbes les grandes divinités qui forment une triade

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sont Amon, le père, Mout, la mère et Khonsou le fils. On écrit Mout par l'image du vautour ~ ~ accompagné du t du féminin et de l'œuf qui est 'le déterminatif du sexe féminin. Mout veut dire généralement la mère et je pense que l'on désignait la mère par excellence, la grande mère céleste par l'image du vautour blanc, l'oiseau sacré de la déesse J ~ ~ n1Jb.t protectrice de la Haute-Égypte et dame d'El Kab. Nous la retrouverons en examinant la titulature des rois. Le dieu fils s'appelle ~ t } )ft 1Jnsw, dont le nom dérive peut-être du verbe • j) avec le sens de traverser, voyager. C'est une désignation de la lune. Un mois du calendrier copte s'appelle Pakhons, celui de Khonsou.

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Dieux de Memphis.

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Passons de Thèbes, la capitale du Moyen et du Nouvel Empire, à Memphis, la capitale de l'Ancien. Ici nous trouvons la triade de Ptah, Sekhmet et Nefertoum. Le nom de Ptah ~ l ~ pt/:t, avec le déterminatif du personnage divin avec la barbe et la chevelure longue, se rattache peut-être aux deux mots ~ l pt/:t qui signifient l'un " former >l et l'autre « ouvrir· >l, bien qu'on ne connaisse d'exemple de ces deux mots que dans des textes tardifs. Cependant, dès le Nouvel Empire, on parle de dieux Ptah ~ l!l i qui sont créateurs. Les transcriptions babyloniennes et grecques nous assurent de la voyelle a, bien que l'assyrien nous indique plutôt un i. La déesse bien-aimée de Ptah est t ~ S1Jm. t, à tête de lionne, dont le nom signifie la toute-puissante. C'est d'eUe que l'on possède de nombreuses statues de granit montrant une femme debout ou assise, à tête de lionne~ qui comptent parmi les chefsd'œuvre de la statuaire antique. . Le fils est Nefertoum ~::: ~ ~ n/r tm dont le nom signifie littéralement le beau tout. Tourn est le vieux démiurge d'Héliopolis, représentant la totalité de l'univers,

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tout ce qui est achevé, complet; et l'on dira;'" ~ } 1ft ~ tm. w pour toute l'humanité créée. Les néo-babyloniens ont entendu le nom de Nefertoum comme niptemu; les Grecs Nephthèmis. Ainsi notre nfr des transcriptions donne nip ou nep. Nous connaissons plusieurs notations vocaliques : en moyen babylonien nap ou nap; en néo-babylonien nip; en grec nouph et naph, en copte noufe et nab. On s'aperçoit que la troisième radicale r a fait preuve de peu de résistance; il s'est amui, comme disent les philologues qui ont gardé ce vieux mot français; il est devenu muet. Mais on voit aussi que le f a passé au b dans nab. Il n'y a pas que les consonnes faibles qui manquent de vigueur et l'étude du dictionnaire égyptien montre une hécatombe de consonnes et un tourbillon de lettres qui s'échangent ou qui s'altèrent. C'est ainsi que les s, les t et les d perdent de bonne heure leurs sons spécifiques.

Imhotep devenu fils de Ptah. Mais j'en oublierais bien, pour l'amour de la linguistique, que je vous parlais de mythologie en faisant l'examen des noms de dieux. Le fils de Ptah et de Sekhmet a eu une étrange aventure. Il a vu sa place usurpée, au moins à la basse époque, par un nouveau venu qui s'appelle ~ ~.~ Imhotep, ce qui d'ailleurs pourrait se traduire par bienvenu : ~ ~ .l':J 1\ ~ if m (i,tp. Il s'agit du grand ministre, savant, architecte, écrivain, médecin de la Ille dynastie sbus le règne du roi Djeser et qui avait laissé un tel renom que des milliers d'années] plus tard, il était devenu le dieu de la médecine, fils de Ptah, que les Grecs assimilèrent à leur Asclépios (Esculape).

. L'EXPLICIT égyptien. A propos de cette expression if m f:ttp, on apprendra avec intérêt que les auteurs ou les copistes écrivaient volontiers à la fin de leurs ouvrages la formule : .l':J} - - 0 } ~ ~

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iw./ pw m (i,tp « Cela (pw) est bien arrivé, sous entendu à bonnefin.))On a aussi la variante .l':J } - - D}~ -- ~ ~ iw./pw (i,/ .t.lr ff:twf .fi, cela est bien arrivé, son commencement jusqu'à sa fin. On reconnaît l'image -2) de l'avanttrain du lion pour le signe de mot (i,/.t commencement, et ~ p(i, pour l'arrière-train; mais on écrit au duel, exprimé par la désinence \\ y en disant, ses deux « arrière-train) puisque celui-ci est en deux « parties ). Quelle écriture subtile que ces hiéroglyphes ! Osiri,s. Et maintenant j'hésite un peu à entreprendre l'explication du nom le plus connu des dieux de l'Égypte, celui d'Osiris. Voici comment on l'écrit le plus souvent: .rl ~ ~, . un siège, un œil et le déterminatif du dieu. Les Assyriens l'ont entendu Usïru, les Araméens Usiri, les Grecs Usiris et Osiris et les Coptes Ousire. Alors nous pouvons bien garder Osiris. Nous avons quelques orthographes hiéroglyphiques alphabétiques, par exemple } ~ wsr, mais nous en avons beaucoup d'autres assez surprenantes : ~ ou :4 qui se lit wSir. Le .4. un lit de repos, est une . variante du siège .rl et l'un et l'autre se lisent st. Cependant on accepte pour les deux la lecture ws pour Osiris. Mais voici la variante tardive 1~ avec le sceptre divin 1 w/s au lieu du siège; et celle J ~ avec 1, le support de balance qui se lit wts avec le sens général de porter, supporter. Nous cMrcherons la signification du nom divin dans un support, trône, lit, etc., de l'œil sacré, ici vraisemblablement la lune plutôt que le soleil. Il existe d'ailleurs une forme d'Osiris-lunaire. La variante jj0 montre que c'est la pupille que l'on vise plutôt que l'œil entier.

Isis. La fidèle épouse d'Osiris, celle qui vient à son secours dans toutes ses tribulations, celle qui pleurera son cher époux, élèvera dans la douleur son fils Horus qui le venge~a,

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c'est la grande déesse Isis, dont la fortune fut presque universelle dans le monde romain. Son nom s'écrit ~imple­ ment par le siège ~ ~ aveç le t du féminin et l'œuf./Notons une variante alphabétique ~} ~ ~ îwst et les transcriptions grecques Esis' et Isis.

avec une flèche fichéè dans son arrière-train en guise de queue et dont la tête n'a jamais pu être déterminée avec certitud
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