J. Yoyotte, Le nom égyptien du ministre de l'économie - de Saïs à Méroé -

December 6, 2017 | Author: Gherghe Claudia | Category: Pharaoh, Achaemenid Empire, Ancient Egypt
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Monsieur Jean Yoyotte

Le nom égyptien du "ministre de I'économie" - de Saïs à Méroé In: Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 133e année, N. 1, 1989. pp. 7390.

Citer ce document / Cite this document : Yoyotte Jean. Le nom égyptien du "ministre de I'économie" - de Saïs à Méroé -. In: Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 133e année, N. 1, 1989. pp. 73-90. doi : 10.3406/crai.1989.14697 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_1989_num_133_1_14697

COMMUNICATION LE NOM ÉGYPTIEN DU « MINISTRE DE L'ÉCONOMIE » DE SAIS A MÉROÉ PAR M. JEAN YOYOTTE On sait ce que furent les compétences techniques et l'importance personnelle des dioecètes dans l'Egypte lagide, notamment grâce au célèbre cursus d'Apollonios, quand, sous Ptolémée II, se déve loppait l'expansion économique et politique du régime alexandrin. On comprend comment, sous Ptolémée Aulète, l'investiture comme dioecète du publicain romain Rabirius signale, pour l'Egypte hellé nistique, le commencement de sa fin. Le dioecète est, en effet, une sorte de contrôleur général des ressources et de la production, en matière de prévision comme de réalisation. Il se trouve qu'un signe démotique (1)* dont la lecture n'est pas évidente, sert dans le Papyrus Rylands IX (1,1-5,13) à écrire le titre d'un personnage qui siège à Memphis et qui, sous Darius I, est saisi en suprême instance d'un contentieux portant sur les biens et prébendes d'un temple provincial. Ce personnage semble si éminent que Griffith se demandait s'il ne s'agissait pas du satrape lui-même1. Grâce aux P. démot. Zenon 1 et 2 et au décret trilingue Caire CG 31089, Spielgeberg pouvait établir que le mot mystérieux était employé à l'époque ptolémaïque pour parler du SiooojTyjç2. En 1977, John W. Tait3 a réuni huit attestations de ce titre démot ique — que nous appellerons A — auxquelles Edda Bresciani permet d'en ajouter une neuvième confirmant l'équation A = « dioecète »4. En revanche, l'exemple que celle-ci pensa découvrir sur l'ostracon Karnak LS l5 est controuvé : il ne s'agit pas du diocète Phœnix, mais d'un Peftjaoukhons6, fils de Pah(?)yk — et dont le titre (mr s$w, * Les chiffres en gras font renvoi aux signes et groupes égyptiens, fig. 1. 1. Catalogue of the Démolie Papy ri in the John Rylands Library III, 1909, p. 61 et p. 68, n. 1. 2. Die demotischen Urkunden des Zenon- Archivs, Demot. Studien 8, 1929, p. 3, n. 3. 3. Papyri from Tebtunis in Egyptian and in Greek, Egypt Exploration Society, Texts from Excavations III, 1977, p. 30-32, note m. 4. L'archivio demotico del tempio di Soknopaiu Nesos, Testi e documenti per lo studio dell'antichità 49, 1975, p. 12-13 et 112, note à R° 5. 5. La spedizione di Tolomeo II in Siria, dans Das ptolemâische Âgypten, Akten Symposions Berlin, 1976, p. 31-37, voir p. 31-32. — Registrazione catastale e ideologia politica nell'Egitto tolemaico, dans Egitto e Vicino Oriente 6, 1983, p. 51-31, voir p. 18-20. 6. Lecture de K. T. Zauzich, Enchoria 12, 1984, p. 193-194.

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« chef des scribes » ?) est différent7. La transcription mr htm, soit « preposto al sigillo », qu'elle préconise est moins étayée encore que que les quatre autres qui avaient été antérieurement envisagées8. Il se trouve aussi que les inscriptions hiéroglyphiques privées font connaître sept personnages dont les titulatures incluent, comme leur principale dignité, un titre singulier et mal élucidé (2)9 que nous appellerons B (on trouvera la bibliographie des sources en appendice, p. 87) : A. Horoudja né de Tesnakht, sous Darius I (521-486), titulaire de fonctions religieuses dans le Delta occidental et à Héracléopolis. B. Hor fils d'Oudjahorresné, vers la fin du règne du même Darius, qui appartenait à une famille de comptables disposant de bénéfices sacerdotaux dans le Saïd, le Delta et surtout dans le nord de la Moyenne Egypte (Héracléopolis, Cynopolis, Akanthon). C. Thotirdis, un contemporain de Nectanébo II (360-343), qui fut inhumé dans le cimetière d'Hermopolis, sa ville d'origine. Ses charges de prophète et ses titres sacerdotaux spécifiques montrent que ce « gouverneur du Sud » exerçait son pouvoir de Cusae à Akôris, c'està-dire sur la région qui allait former le vaste nome hermopolite de l'époque grecque. D. Tjiharpto qui prospéra également au temps du même pharaon sébennytique. Originaire du Bas Delta central mais affecté très tôt en Haute Egypte, il termina sa carrière comme « gouverneur du Sud », opérant entre Philae et Antaepolis, couvrant ce qui sera la Thébaïde de l'administration hellénistique, mais il installa sa tombe à Saqqara, près du Sérapeum de Memphis. E. Hapimen, originaire de Mefky, sur les confins sud-ouest du Delta, qui, outre plusieurs fonctions palatines, eut rang de « gouver neur de la Basse Egypte », très probablement au cours du ive siècle avant J.-C. F. Harkhebi surnommé Archibios (Irkbys), connu par une statue venant de Mendès (Kansas City 47.12), sûrement d'époque ptolémaïque. Bienfaiteur du bélier sacré de Mendès, il se dit « directeur des champs » dans une région (dont le nom semble inscrit Tl-nw) où il faut reconnaître un surnom de l'Egypte (Tl-mrî). G. Harpa[-?-] fils de Djeho (?), attesté par une statue d'époque ptolémaïque (New Haven), titulaire d'une longue série de prêtrises 7. Je remercie Didier Devauchelle de m'avoir communiqué une photographie du document et ses précieuses observations. 8. J. G. Grifïith, op. cit., p. 430 : p'h qui serait l'araméen phh, « governor ». — W. Spiegelberg, Recueils de Travaux 33, 1911, p. 179 suggérant t'.ty, « vizir », puis Die demotische Urkunden des Zenon- Archivs, 1929, p. 3, n. 3 : sd',wty, « Schatzmeister ». — E. Bresciani, L'archivio demotico..., 1975, p. 112. 9. Le Wôrterbuch der âgyptische Sprache IV, 1930, p. 30, 17 y voyait un titre particulier de prêtre hermopolitain.

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réparties dans toute l'Egypte (notamment dans « la Maison du Roi », i.e. à Alexandrie, à Canope et à Héracléion). Au sujet de ces sept personnes qui portèrent notre étrange titre B comme ultime distinction, on doit retenir les points suivants : 1. Il s'agit de très hauts dignitaires, à en juger par leurs autres titres administratifs, principalement celui de « directeur des scribes du Conseil » (mr ssw dldU, B, C, D, E, G). Ils étaient très riches et influents, à en juger par la qualité artistique de leurs mémoriaux (statues, sarcophages, oushebtis) et par leurs collections de bénéf ices sacerdotaux acquis par tout le pays. 2. Le titre B est associé régulièrement (six de nos cas sur sept, A, B, C, D, F, G) à celui de mr Iht, « directeur des champs », une expression qui, depuis l'Ancien Empire, désignait, à divers niveaux, des agents chargés des informations d'ordre cadastral et de la fisca litéagraire. Dans deux cas, notre titre B est en connexion étroite avec un autre titre (3), susceptible d'être lu hry wdb(w) ou hry îdb(w). Or, ces deux titres-là sont couramment conférés, dans les tableaux légendes des temples ptolémaïques et romains, au dieu Shou, orga nisateur mythique des terroirs10, et au roi qui assume son rôle, prin cipalement dans le rite « offrir la sekhet », symbole de la campagne cultivée11. Le second est indifféremment compris par les hiérogrammates comme signifiant « le supérieur des rives inondables » (hry îdbw) ou « le supérieur des terrains riverains » (hry wdbw). Les contextes montrent à l'envi que mr Iht et hry îdbw /wdbw, pratique ment synonymes, définissent les activités de celui qui contrôle en haut lieu les limites des propriétés foncières et qui pourvoit au ser vice alimentaire des temples12. La fameuse Stèle de la Famine est explicite13. A Éléphantine, dit-elle, le dieu Khnoum « Est donc (?) là en tant que Shou ! " Supérieur des rives et directeur des champs " est son nom, parce que c'est lui qui dénombre les terres de Haute et Basse Egypte, pour que soit donnée à chaque dieu la part qui lui revient. Il conduit l'orge, le blé, le bétail les volailles, les poissons dont ils vivent ». « II y a là une corde d'arpentage, avec une palette de scribe. Il y a 10. Rôle du dieu notamment illustré par Naos Ismailîya 2248, dos, 1. 29 s., éd. G. Goyon, Kêmi 6, 1936, p. 19-21, pi. IV. 11. Quelques références chez D. Meeks, Le grand texte des donations au Temple d'Edfou, Bibliothèque d'Étude 59, 1972, p. 53-58. 12. On verra D. Bocquillon, Les titres hry-tdb et hry-wdb dans les inscriptions des temples gréco-romains, pour paraître dans Revue d' Égyptologie, 40, 1989. 13. Texte dans P. Barguet, La Stèle de la Famine à Séhel, Bibliothèque d'Étude 24, éd., 2e 1953, Bibliothèque pi. III-IV, d'Étude 1. 9-10. 90, — 1983, Cf. p.S.68-70. Sauneron, Villes et légendes d'Egypte,

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le piquet vertical et son groma de jonc pour son peson, au-dessus de (?) la rive (îdb), étant ce que place (?) Shou, fils de Rê, supérieur des rives ». Du même dieu dépendent encore, selon le même texte, les produits miniers des déserts adjacents de Nubie14. Mises à part quelques titulatures de prêtres éminents où le groupe hry-îdb (4) semble bien cacher l'expression homophone hrg-tp qui qualifie les experts en sciences sacrées15, ce groupe se rencontre seulement aux époques récentes pour qualifier nos « directeurs des champs » et, en sus, deux « gouverneurs du Sud » et « directeurs de la Porte des Pays étrangers du Sud », Ouahibrê sous Amasis16 et Psamétik au ive siècle17. On est en droit d'imaginer qu'il s'agit dans ces cas d'une réactivation archaïsante de la vieille appellation hry-wdb qui concernait le ritualiste préposé aux virements des offrandes (wdb) entre dieux et défunts18. Elle aura été appliquée sous les Saïtes à des officiers qui prélevaient les taxes douanières et les reversaient aux temples19. 3. Les possesseurs du titre B dirigent les « scribes du Roi qui comptent toutes choses » (ainsi A, C, D, E). Thotirdis (C) se dit « scribe comptant toutes choses de la Maison du Roi », formule reprenant la locution qui, à la même époque, dans le Décret de Naucratis définit les prélèvements fiscaux opérés sur les importations et les fabrications20. 4. Si ceux d'entre eux qui furent contemporains de Darius (A et sans doute B) et des Ptolémées (G et probablement F) exerçaient leur autorité sur l'Egypte entière, il arriva, semble-t-il, qu'au cours du ive siècle, le territoire soit partagé entre trois titulaires du 14. Barguet, ibid., 1. 11-12, pi. IV. 15. Le directeur des ouâb de Sekhmet Smatotefnakht, O. Perdu, Revue d'Égyptologie 36, 1985, p. 96-98, avec n. b. — Ahmosé, prêtre d'Hermopolis-Baqliyah, sarcophage basalte, cf. A. Zivie, Hermopolis et le Nome de l'Ibis, Bibliothèque d'Étude 66, 1975, p. 113-116, et couvercle de quartzite (inédit), Magasin de San el-Hagar. -' I'hmsw-mry-m- [...], son collègue, partie inférieure de statut age nouillée, inédite, Magasin de San el-Hagar. — Pour la lecture, J. Quaegebeur, ''ans Pharaonic Egypt. The Bible and Christianity, Coll. Hebrew University, Jérusalem 1985, p. 167-169. 16. Liste des monuments chez P.-M. Chevereau, Prosopographie des cadres militaires égyptiens de la Basse Époque, Antony, 1985, p. 107-109, doc. 142, et add. p. 387 (pour la date). 17. Éd. J.-J. Clère, Bulletin de l'Institut français d'Archéologie orientale 83, 1983, p. 85-100, pi. 9-12. — Pour la datation, H. De Meulenaere, Chronique d'Egypte 51, 1986, p. 203 s. 18. A. H. Gardiner, Journal of Egyptian Archaeology 24, 1938, p. 83-91. 19. Sur ce rôle des « directeurs des Portes », G. Posener, « Les douanes de la Méditerranée dans l'Egypte saïte », dans Revue de Philologie 73, 1947, p. 118-129. 20. Ed. Maspero, dans Le Musée égyptien [1900], pi. 45, col. 9-10. Cf. en dernier lieu M. Lichtheim, Ancient Egyptian Literature III The Late Period, 1980, p. 86-89.

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titre B : un à Hermonthis pour la Thébaïde (D) ; un à Hermopolis pour le vaste nome hermopolite (C) ; un, sans doute à Memphis, pour l'aval de la vallée et le Delta (E). Très hauts courtisans, personnellement très opulents, influents et intéressés dans les affaires des temples, ces gens sont de grands bureaucrates qui inventorient les ressources, contrôlent l'assiette des propriétés et la répartition des revenus divins et prébendes sacerdot ales, organisent la levée et l'affectation des taxes pour le compte de la Maison du Roi. Voilà qui ressemble, presque trait pour trait, au dioecète grec de l'économie royale des Lagides, à ces grands gestion nairesdont la fonction, généralement unique, paraît avoir été occa sionnellement divisée, vers la fin du me siècle, entre plusieurs dioecètes régionaux21. Posons par hypothèse que B = A ( = diocète) ! Du titre hiéroglyphique B, les graphies du ive siècle (2 b) jus tifient une interprétation sU-ntt, « celui qui sait ce qui est ». Les graphies plus anciennes, d'époque perse (2 a) sont purement phonét iques, soit s-n-ti. De toute manière, le mot, précédé de l'article défini p, dans la langue parlée, devait être prononcé p-senti. John Tait avait bien montré, d'autre part, que le mystérieux mot démotique A devait se terminer en ti et signalé que le déchiffrement de ce mot devrait nécessairement résoudre le problème que pose un vocable, matériellement identique au titre A et qui figure, quatre fois répété, dans la fable démotique « L'Hirondelle et la Mer »22. L'oiseau annonce à la mer comment il va l'anéantir : « Je vais te vider aujourd'hui même, je vais V emporter, je vais puiser au moyen de mon bec, je vais te porter le sable du dioecète ! ». Puis l'hiron dellepasse à exécution : « Elle emplit son bec du sable du dioecète et elle le répandit (sur> la mer. Elle emplit son bec de Veau de la mer et elle la répandit sur le sable ». De toute évidence, ce « sable du dioecète », tel que c'est écrit, donne un non-sens... Or, il existait un terme néo égyptien, pï-sly-fnj-tî (littéralement « la poutre de la terre ») qui désignait les cordons littoraux du Bas Delta23. Le Magical Demotic Papyrus2* et le Livre du Fayoum2* montrent qu'il est passé dans le 21. J. D. Thomas, Aspects of Ptolemaic Civil Service: The Dioiketes and the Nomarch, dans Das ptolemàische Âgypten, cité supra, n. 5, p. 187-192. 22. Spiegelberg, Demotische Texte auf Kriigen, Demotische Studien 5, 1912, p. 16-17 et 51-52 Krug A, 17-23. 23. A. H. Gardiner, Ancient Egyptian Onomastica, 1947, II, n° 416. 24. XXI, 35-36, Griffith et Thompson, The Demotic Magical Papyrus of London and Leiden I, 1904, p. 142-143. 25. Hiéroglyphique, Newberry, The Amherst Papyri, 1899, pi. 18 = hiératique, G. Botti, La glorificazione di Sobek e del Fayyum, Analecta Aegyptiaca 8, 1959, Texte A, VIII, 10 ; cf. aussi VI, 7-8 (transposition hiératique d'un texte démotique). 1989 6

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6. Fio. 1. — Le nom égyptien du « ministre de l'économie » : SNTI. démotique sous la forme p-sntj. Dans la fable, on doit tout simple mentcomprendre « le sable du rivage » ! Le quiproquo du scribe administre la preuve absolue que le nom égyptien du ministre de l'économie se prononçait p-senti et, par voie de conséquence, que nos titulaires du titre B, senti, furent effectivement des diocètes. Ce résultat entraîne un petit recoupement qui enrichit notre connaissance de l'historiographie égyptienne tardive. « Horoudja, le senti de l'Egypte » était cité dans un roman démotique, connu par un lambeau d'époque romaine, P. Tebt. Tait 6. On se rappellera qu'à cette époque, notre titre devait être encore compris du public, puisque son équivalent grec, Sioixtjttjç, désignait toujours le procurator aux affaires économiques26. Or, cet Horoudja, peut-être le même héros que nomme un fragment de roman en démotique archaïque trouvé à Saqqara27, est identifiable au senti Horoudja (A) qui avait servi Darius le Grand, un autre fragment littéraire de Saqqara prouvant que la littérature romanesque se souvenait de Darius et de la domination perse28. 26. H. G. Pflaum, Essai sur les procurateurs équestres sous le haut Empire romain, 1950, p. 73. — J. Lallemand, L'administration civile de l'Egypte de l'avènement de Dioctétien à la création du diocèse, Académie royale de Belgique. Classe des Lettres 57/2, 1964, p. 81-82. 27. P. Demot. Saq. I, Text 9, H. S. Smith et W. J. Tait, Saqqara Demotic Papyri I Texts from Excavations 7, 1983, p. 168-169. 28. P. Dem. Saq. I, Text 8, ibid., p. 166-167.

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Reste à expliquer en terme de paléographie l'écriture déconcer tante de ce mot senti (fig. 1), ce que je ferai ici rapidement : 1. Manifestement, le mystérieux signe démotique dérive du groupe hiératique s+nty (5), ligaturé et assorti d'une attaque initiale qui le discrimine de la ligature notant mr, vocable précisément fort courant au début de nombreux titres. On constate, d'ailleurs, que le texte lapidaire CG 31089 représentera notre titre, déligaturé si j'ose dire, pars+n/y démotiques superposés (6). 2. La graphie hiéroglyphique première est une création par décomposition de 1' « idéogramme » démotique (la trouvaille de graphies hiéroglyphiques inédites à partir des signes cursifs compt ant, comme on sait, parmi les jeux des hiérogrammates). Secondaire ment, le mot hiéroglyphique aura été glosé « celui qui sait ce qui en est », formule joliment trouvée, parlant du grand inquisiteur fiscal chargé par Pharaon de faire l'audit du royaume. 3. La complication du signe démotique, superfluité contre nature dans l'histoire naturelle de la cursive, suppose une invention délibérée de la chancellerie, produisant un signe unique et expressif pour noter le nom d'une fonction nouvelle et fondamentale. Néologisme qui paraît surgir vers 500 avant notre ère, senti semble un mot de la langue parlée, introduit brusquement pour désigner une institution qui n'existait pas auparavant. La seule racine à quoi le rattacher est snt, au propre « relever, reporter un plan au cordeau », d'où « fonder », « implanter (une population) », « organiser (le monde, le royaume) », « structurer (l'anatomie) » et même « planifier », « concevoir par avance »29. Rappelons en passant que le substantif snt, « plan », dans la langue des prêtres, servira d'intitulé aux monog raphies qui, véritables documents statistiques, dénombrent et classent les dieux, les sites, les prêtrises, les pratiques et les réalités naturelles de chaque métropole30. Au départ, on aurait appelé des senti des personnes chargées de réorganiser l'État et de gérer son économie. Cette façon de parler apparaît dans le Récit d'Ounamon (2, 35) : Smendès et Tebtamon, potentats de Tanis et mandataires commerciaux du dieu de Thèbes, y sont dits « les snt-t> (sento) — littéralement « les fondateurs » — qu'Amon a donnés au nord de sa terre »31. Comme titre administratif, le mot senti est inconnu dans le corpus assez fourni des monuments contemporains de la XXVIe dynastie 29. Wôrterbuch der âgyptische Sprache IV, 177-179. 30. Voir notamment Daumas, Bulletin de l'Institut français d'Archéologie orientale 52, 1953, p. 169 ; Gutbub, Textes fondamentaux de la théologie de Kom Ombo, Bibliothèque d'Étude 47, 1973, p. 505-510. 31. Snt-t',, à l'époque, se prononce d'ailleurs *sonti, en ce sens Cerny, Bulletin de l'Institut français d'Archéologie orientale 41, 1942, p. 132.

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saïte et, surtout, dans le P. Rylands IX, cette histoire de prébendes que le plaignant fait remonter jusqu'aux débuts de cette dynastie, un magistrat de ce nom est absent avant l'an 9 de Darius I (512 av. J.-C). Ainsi, selon toute apparence, le poste et son nom furent créés assez tard. A en croire la généalogie du senti Hor (B), le plus ancien senti de nous connu fut son trisaïeul, un nommé Hahrkébi qui aura été contemporain du roi Amasis (570-526). Or, celui-ci, usurpateur heureux mais aussi législateur mémorable selon la tradition, prit manifestement d'importantes mesures en matière économique. On sait qu'il aménagea statutairement le comptoir de Naucratis (Hérodote II, 178) et, comme le montra Georges Posener (supra, n. 19), c'est lui qui aurait instauré la taxation des importat ions grecques au profit du temple majeur de Sais. Bien mieux : Hérodote (II, 177) rapporte qu' Amasis promulgua le règlement suivant : « Chaque année, tout Égyptien doit déclarer au nomarque ses moyens d'existence. Celui qui n'obéit pas et ne peut justifier de revenus légitimes est puni de mort ». On éliminera, bien sûr, l'affirmation anachronique du Père de l'Histoire comme quoi cette loi aurait été imitée par Solon d'Athènes32. On fera des réserves sur la finalité moralisatrice qu'il prête à cette disposition (on peut toutef oisimaginer que le bilan ainsi obtenu des ressources des sujets entraînait de facto la vérification des titres, cette vérification que le plaideur du P. Rylands IX s'évertue à réclamer pour sa part). On peut retenir, de toute manière, que moins d'un siècle après Amasis, l'Egypte se souvenait que ce grand souverain avait innové en matière de fiscalité33. L'historien moderne entrevoit d'ailleurs que, dans la seconde moitié du vie siècle, la situation intérieure se prêtait à une restruc turation centralisante. L'opulence des magnats de Haute Egypte, grands sociétaires du domaine d'Amon, n'était plus qu'un souvenir. L'investiture de la propre fille de l'usurpateur comme Adoratrice présomptive ramenait le patrimoine de l'Épouse du Dieu dans la mouvance royale. On se rappellera, enfin, que sous Amasis l'usage de l'écriture et des formulaires démotiques s'impose en Thébaïde au détriment de l'hiératique anormal. A l'extérieur, la demande commerciale du monde grec et les rapports de force diplomatiques et militaires rendaient opportune une relance de l'économie du royaume saïte. On imaginera volontiers qu' Amasis, pour dynamiser 32. A. B. Lloyd, Herodotus. Book IL Introduction, EPRO 43, 1975, p. 55-56. 33. Tout en voyant dans l'anecdote un simple surgeon de la tradition selon laquelle Solon avait visité Amasis, A. B. Lloyd, op. cit., Commentary 99-182, 1988, p. 220-221, concède : « the most plausible explanation of the tradition of Amasis the lawgiver would be that it originated in a programme of reform and reorganization after his defeat of Apries ».

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la participation de l'Egypte aux échanges internationaux et pour solder les précieux auxiliaires grecs et cariens — qui, « clérouques » campagnards sous ses prédécesseurs, deviennent à son initiative des « prétoriens » urbains logés dans Memphis (Hérodote II, 154) — vou lut augmenter la production agricole en l'organisant d'en haut, en encadrant systématiquement la gestion des biens divins et privés, en améliorant l'évaluation et la perception des taxes34. Pour mettre en œuvre un service central de prévision et d'exploitation, il aura placé au dessus des trésoriers du Palais (mr htmt et mr pr-hd), des direc teurs des greniers (mr snwty), des gouverneurs de nomes et des administrateurs des temples, un senti, au sens propre, un « planificateur »35. Notre déchiffrement de l'appellation démotique de ce « ministre de l'économie » et l'identification dans les inscriptions hiérogly phiques de ce même titre snti dont l'équivalent grec était « dioecète » engendrent quelques conséquences pour l'histoire du monde hellé nistique et vont nous entraîner assez loin du pharaon saïte, dans l'espace comme dans le temps. 1) On dispose d'une solide donnée concrète dans le vieux débat de savoir si l'institution du dioecète fut ou non une invention des Grecs. Certes, l'introduction en Egypte de la monnaie et de tech niques bancaires vint sous les Lagides modifier les tâches des ser vices (encore que sous les Perses et les derniers pharaons indigènes, l'administration égyptienne ait déjà dû savoir compter et payer en termes monétaires). Certes, les Séleucides, en Asie, connurent très tôt l'institution du dioecète36. Il reste que les scribes égyptiens n'eurent pas à translitérer dans leur écriture, ni à paraphraser dans leur langue le terme Sionajryjç que le grec appliqua au grand ménager de la Maison Ptolémée et fils. Ils disposaient d'emblée du vocable spécifique par lequel était désigné depuis plus de deux siècles un ministre chargé du management suprême de « ce qui est compté pour la Maison du Roi ». La dioikèsis hellénistique trouve au moins sa préfiguration, voire son modèle général, dans l'Egypte des Perses et des derniers pharaons nationaux. 2) Nous pouvons sans doute mieux comprendre désormais le passage où Arrien (III, 5, 2) raconte comment Alexandre le Grand organisa l'Egypte nouvellement conquise. La responsabilité générale 34. Parmi les innovations du règne d'Amasis compte sans doute la définition d'un office de « directeur des flottes royales » de transport commercial (mr h'wwnsw), installé à Memphis. 35. Le « vizir » (t;ty) qui, au Nouvel Empire assurait la direction générale de l'agriculture et des levées d'impôts, paraît bien avoir vu, durant l'époque libyenne, ses attributions réduites à celle d'un juge suprême. 36. Louis Robert, La Carie II, 1954, p. 299-300.

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des finances fut confiée à Cléomène, un Grec de Naucratis, et deux « nomarques », 8\jo vo(xàpx
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