Houari Boumediene : le règne de tous les pouvoirs (1965-1978)
January 25, 2017 | Author: Lyes Akram | Category: N/A
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Supplément du journal El Watan, sorti spécialement au 30e anniversaire de la mort du président alg&...
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El Watan
numéro spécial
SUPPLÉMENT GRATUIT - 27 DÉCEMBRE 2008
houari boumediène
Le règne de tous les pouvoirs 1 9 6 5
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El Watan - Samedi 27 décembre 2008 - 2
1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS
UN PRÉDATEUR POLITIQUE LES DATES CLÉS DE LA VIE DE BOUMEDIÈNE 1932 (23 août) : naissance de Houari Boumediène (de son vrai nom Mohamed Boukherouba), à Aïn Hassaïnia, dans une famille de paysans pauvres, originaire de la Petite Kabylie.
1957-1958 : avec le grade de commandant, Boumediène devient l'adjoint de A. Boussouf lorsque ce dernier succède à Larbi Ben M'hidi à la tête de la Wilaya V, puis en prendra les rênes après que Boussouf soit entré au Comité de coordination et d'exécution (CCE), qui deviendra le GPRA en septembre 1958.
1958-1960 : Houari Boumediène prend d'abord la direction du COM Ouest (Oujda), puis la tête de l'étatmajor général (EMG), instance créée par le CNRA de Tripoli 1 en janvier 1960 ; ceci lui permettra de diriger de façon coordonnée toutes les troupes de l'ALN stationnées aux frontières.
1962 (juillet) : Boumediène entre à Alger, à la tête de ses troupes, et installe Ben Bella au pouvoir après avoir réduit l'opposition des Wilayas III et IV et neutralisé le groupe de Tizi Ouzou (composé essentiellement de K. Belkacem, H. Aït Ahmed et M. Boudiaf).
1963 (15 septembre) : élection de Ahmed Ben Bella à la magistrature suprême qui devient le premier président de la République algérienne indépendante.
1965 (19 juin) : Ahmed Ben Bella est renversé par un coup d'Etat («sursaut révolutionnaire») conduit par Boumediène et ses alliés du Groupe d'Oujda et de l'EMG. Un Conseil de la révolution, élargi quasi immédiatement à certains colonels de l'ALN, est créé, dont Boumediène devient le président. 1967 (14 décembre) : tentative de coup d'Etat fomentée par le chef d'état-major de l'ANP, le colonel T. Zbiri à laquelle s'associe, de façon ambiguë, le chef de la 1re Région militaire, le colonel Saïd Abid qui trouvera la mort dans des conditions mystérieuses.
1971 (24 février) : nationalisation des intérêts pétroliers étrangers.
1971 (novembre) : promulgation de l'ordonnance portant Gestion socialiste des entreprises et de l'ordonnance portant Révolution agraire. 1976 (22 novembre) : promulgation de la Constitution, adoptée par voie référendaire le 19 novembre.
1976 (10 décembre) : élection de Houari Boumediène à la magistrature suprême. 1977 (avril) : remaniement profond des structures du Gouvernement par lequel Boumediène revient sur le modèle de développement économique (cruel désaveu infligé à B. Abdesslam) et qui constitue le prélude à une véritable rupture avec le système précédent. 1978 (août) : de retour de Khartoum où il vient d'assister au 15e sommet de l'OUA, Boumediène tombe gravement malade. Des semaines durant, les médecins algériens et soviétiques se montrent incapables de procéder à un diagnostic précis de son état.
1978 (novembre) : Boumediène tombe dans un coma dépassé. Appelé à son chevet, le professeur Waldenström confirme que le chef de l'Etat est effectivement atteint d'une leucémie lymphoïde chronique et que son état est désespéré. 1978 (27 décembre) : décès du président Boumediène après 40 jours de coma. Son successeur qui n'a eu de cesse de prétendre avoir été désigné par Boumediène sur son lit de mort pour lui succéder, et ceci au mépris de tous les témoignages historiques, devait en réalité prendre sa retraite, à l'occasion du IVe Congrès du FLN.
☛«Tout pouvoir humain est un composé de patience et de temps. Les gens puissants veulent et veillent.» (Honoré de Balzac) Par Boukhalfa Amazit es quelques Algériens qui possédaient un poste de télévision avaient impatiemment attendu le 20H le jour durant, pour mettre enfin un visage sur la voix métallique qui lisait sur les ondes, d'un ton monocorde, le communiqué militaire n° 1. Ils se demandaient qui était donc ce putschiste qui tenait un discours si martial que la radio avait seriné la journée entière du 19 juin 1965. Cet homme au visage émacié, le regard fixe et perçant était presque inconnu des Algériens qui vivaient leurs premières pénuries et découvraient le sucre de canne de Cuba dans les «magasins pilotes socialistes», ancêtres lointains des «souks el fellah». Bien sûr, on avait déjà vu cette silhouette inquiétante du vice-Président, dans l'ombre de l'inflammable président Ahmed Ben Bella. Ils étaient même arrivés ensemble de Tlemcen, presque la main dans la main, lors de l'été pourri de 1962. On les croyait comme larrons en foire, une photo très célèbre depuis, prise au stade du 20 Août à Alger, les représentait complices et hilares et donnait cette impression qu'ils étaient les meilleurs alliés du monde. Mais ne voilà-t-il pas que la marmite se renversait sur le couscoussier, comme à l'époque des janissaires, et que le tout nouveau locataire du 20H traitait la politique du déjà ancien Président de tous les noms. «Intrigues tramées dans l'ombre», «calculs sordides», «narcissisme politique», «amour morbide du pouvoir», bref, rien ne fut épargné au Président élu deux ans à peine auparavant à 99% des suffrages, plus quelques casernes, qui cumulait une dizaine de portefeuilles de ministres, sauf… celui de la Défense. Le communiqué de la junte, qui deviendra très vite la «Proclamation du Conseil de la révolution», aussi vitement érigé par totémisme en texte fondateur lui aussi, nous faisait découvrir que «le-déjàprédécesseur», qui allait croupir une quinzaine d'années dans les oubliettes (au Château Holden sur la route Douéra Boufarik) était «un tyran» et un dangereux déviationniste. Le mystérieux quarteron, était composé de 13 officiers de l'ANP, 11 colonels ou commandants de l'ALN et de 2 civils. Tout ce petit train volaient au secours du pauvre peuple, dont on disait, il n'y avait pas très longtemps, qu'il était Le Seul Héros, en le rassurant : «Ton silence n'est pas lâcheté», lui ont-ils dit. Les hommes qui, aujourd'hui, ont décidé de répondre à ton appel angoissé [(tiens, tiens), persuadés en cela de traduire ton vœu le plus cher, ont pris sur eux de te faire recouvrer ta «liberté usurpée et ta dignité bafouée» et beaucoup d'autres boniments du même registre. Les années qui suivront sont seules juges de toutes leurs promesses, lesquelles n'engageaient que leurs auteurs et évidemment tous ceux qui voulaient bien y croire, (ils seront malgré tout nombreux). Des auteurs qui nous donnaient du «tu" en veux, en voilà». Mais, à moins d'être frappé d'amnésie, les flamboiements de la démocratie n'ont pas embrasé le ciel de l'Algérie, le 20 juin 1965 ni tous les jours d'après, d'ailleurs… Quant à l'homme du 19 juin, qui colonisera les tréteaux treize ans durant (1965-1978), s'il n'occupait pas le proscénium de la guerre de Libération nationale, il n'en était pas pour autant un absent comme ses détracteurs seraient tentés de le soutenir ou de le faire croire. Il est encore adolescent et fréquente la medersa El Kittaniya quand il «milite anonymement au sein du PPA MTLD», nous dit Paul Balta dans un livre que son épouse et lui ont consacré au champion du Tiers-mondisme des années 1970. Il n'est pas dit qu'il y a adhéré ou qu'il se soit engagé dans le militantisme politique à cette
L
époque. Mais, afin d'éviter la conscription dans l'armée française, il quitte assez tôt le pays pour la Tunisie où il poursuivra son cycle d'études à la Zitouna avant qu'on ne le signale au Caire, plus précisément à El Azhar en 1951, c'est-à-dire loin de la débâcle de l'Organisation spéciale et des déchirements naissants entre «centralistes et messalistes» au sein du principal courant du mouvement d'émancipation nationale. Houari Boumediène est au Caire quand Gamal Abdenasser et les «Officiers libres» renversent et exilent le roi Farouk, un khédive noceur amateur des belles stars du fabuleux cinéma égyptien des années 1940 et 1950. Le jeune Boukharouba prend toute la mesure de l'événement, qui aura sur lui une influence considérable. C'est également dans la capitale égyptienne qu'il s'éveille au panarabisme nassérien. Houari Boumediène est le produit de la culture politique arabe des années 1950 mâtiné de fanonisme. Paul Balta, ancien correspondant du quotidien français Le Monde à Alger (1973-1978), écrit : «Quand éclate l'insurrection armée du 1er novembre 1954, il interrompt ses études et prend contact avec le vieux chef de guerre du Rif, qui dirige alors le bureau du Maghreb arabe, Abd El-Krim, qui a organisé une préparation militaire accélérée pour les jeunes Maghrébins, l'oriente vers un centre de Hélouân ou d'Inchass près du Caire, où il subit un entraînement.»
SOUS LA FÉRULE DE BOUSSOUF Après l'épisode du yacht de la princesse de Jordanie «gracieusement offert», selon les uns et «audacieusement piraté», selon d'autres, il est en Oranie où il se met à la disposition de Larbi Ben M'hidi, lequel le place sous les ordres de Abdelhafidh Boussouf. Il deviendra très vite son lieutenant principal. Le chef déteindra sur le subordonné, mais le second avait en plus du premier un certain nombre de qualités qui feront que le disciple finira par surclasser le maître. Houari Boumediene n'a pas été un chef de guerre, il n'a pas conduit ses hommes au combat et lui en tête. Il n'a pas échafaudé de plans de campagnes décisives. Il n'a pas tendu d'embuscades à l'ennemi, tapis dans un fourré, allongé dans la boue, le nez planté dans le sol, le stress à mille volts, le doigt tremblant sur la gâchette de son arme. Boumediène n'a pas été un homme de la poudre. Son corps ne portait pas de blessures, sinon celle qui lui aurait été infligée lors de la tentative de putsch du 26 avril 1968 à la sortie du Palais du gouvernement. Boumediène a commencé à servir au sein de l'ALN en Wilaya V et à la différence du colonel Lotfi son successeur, et tout comme Abdelhafidh Boussouf son prédécesseur, qui avait remplacé Larbi Ben M'hidi, il avaient établi son poste de commandement au-delà de la frontière algéro-marocaine. Sans être l'ombre de quiconque, plutôt homme de contre-jour, il a assimilé toutes les techniques du judoka politique. Comme ces sportifs de haut niveau qui savent avec un rare talent maîtriser et canaliser leur énergie, il a, avec habileté tiré avantage de l'impéritie, des défaillances et de l'incompétence de ses concurrents ou de ses adversaires. Servi par une intelligence vive et une disponibilité permanente, il a porté jusqu'au raffinement la stratégie de la guêpe : provoquer, aiguillonner, disparaître sans laisser d'autre trace qu'une ardente douleur. Tout ce squelette de prédateur politique était enrobé dans une esprit d'apparence conciliant et des rondeurs langagières populistes qui contrastaient avec son physique have et anguleux. Mais d'apparence seulement. Certains témoignages pas toujours vérifiés, il est vrai, lui attribuent des actes d'une violence remarquable lors de son passage en Wilaya V. Les historiens, particulièrement
les Français, le présentent souvent comme «un client» de Boussouf. Mais si ce dernier se singularisait au sein de la direction politique par son esprit plutôt inquisiteur et «barbouzard», Boumediène était prévoyant et se fiait à une connaissance aigue des hommes et de leurs réactions. Chef du COM-Ouest, (Comité d'organisation militaire pour la zone Ouest), il s'ingéniera à réunir autour de lui des jeunes qu'il formera à l'exercice non de la guerre, mais du pouvoir. Comparé à lui, son homologue du COM-Est, Mohammedi Saïd, ancien colonel de la Wilaya III très proche de Krim Belkacem, apparaissait comme un bulldozer dans une galerie de cristal. Face à la puissance des «Trois B» (Belkacem, Ben Tobbal et Boussouf) qui finiront par le coopter dans le cadre du Comité interministériel de guerre (CIG) pour lui confier l'état-major général (EMG), il déploiera des trésors de stratégie pour endormir leur confiance et réagir au moment opportun pour les neutraliser. A en croire Ferhat Abbas, qui rapporte ces propos dans son livre Autopsie d'une guerre Frantz Fanon parlant des Trois B, lui aurait confié un jour : «Un colonel leur réglera un par un leur compte. C'est le colonel Boumediène. Pour celui-ci, le goût du pouvoir et du commandement relève de la pathologie.» A la réunion du CNRA au Caire, en août 1957, il entrera comme membre du conseil à la faveur de l'élargissement de cette structure qui passait de 17 membres titulaires à 34. Mais c'est incontestablement son rôle lors de la réunion des 10 colonels dite «Réunion des 100 jours» à la veille de la réunion du CNRA (décembre 1959-janvier 1960), qui verra la création de l'EMG que Boumediène, qui se veut l'incarnation de la rigueur et de la pureté révolutionnaires, donnera la pleine mesure de ses talents d'homme d'appareil (voir El Watan du 27 janvier 2008 pp.22-23). Dès lors qu'il a pris place aux leviers de commande de l'armée et profitant de la rivalité entre les Trois B, assisté des commandants Azzedine (militaire), Kaïd Ahmed (politique), Ali Mendjeli (Renseignements et liaisons), il s'appliquera à mettre sur pied une armée moderne, d'une trentaine de milliers d'hommes, entraînée, disciplinée, bien équipée, en vue de … la prise du pouvoir. Il réalisera en très peu de temps ce que Krim Belkacem n'a pas pu faire quelques années auparavant. Mettant à profit l'expérience et les connaissances de ceux qu'on désignait sous le nom de DAF (déserteurs de l'armée française), qui avaient répondu à l'appel du FLN lancé par le congrès de la Soummam et sans cesse amplifié depuis, Boumediène va créer une armée de pouvoir, qu'il qualifiait lui-même de militants politiques en armes. Une institution à laquelle il inculquera une certaine idée de l'armée populaire et une doctrine qui tient à la fois de celle de la Yougoslavie de Tito et de la Turquie kémaliste. En 1962, il s'opposera violemment, adossé à cette armée des frontières, au GPRA qui n'avait pour lui que sa légitimité et la légalité des institutions que s'était donné la Révolution algérienne. Force est revenue à B. A. la force. La légitimité attendra… Sources : - Houari Boumediène. Du sang à la Sueur. Ministère de l'Information et de la Culture. Alger 1979. - Discours du président Houari Boumediène. T1. Ministère de l'Information et de la Culture. Alger. 1970. - Paul Balta et Claudine Rulleau. La Stratégie de Boumediène. Sindbad. Paris-1973. - Ferhat Abbas. Autopsie d'une Guerre. Garnier. Paris - 1980. - Gilbert Meynier. Histoire intérieure du FLN 19541962. Arthème Fayard. Paris 2002. - Meynier - Harbi. Le FLN Documents et Histoire.1954 - 1962. Casbah Ed. Alger. 2004.
El Watan - 27 décembre 2008 - 3
1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS
SOMMAIRE
Edito
Un prédateur politique
P.2
PAR BOUKHALFA AMAZIT
Boumediène est-il définitivement mort ?
Un itinéraire nuancé
P.4
PAR AMINE LOTFI
Par Mustapha Benfodil
19 juin 1965 : le pouvoir militaire se dévoile P.5
PAR NADJIA BOUARICHA rente ans auront passé ce samedi depuis le décès du président Houari Boumediène, un certain 27 décembre 1978. A la rédaction d'El Watan, et par-delà l'élégance des chiffres ronds et le conventionnel des commémorations, il nous a semblé utile de méditer ce trentenaire. D'où cette édition spéciale qui se propose d'évoquer l'homme et son œuvre et de disséquer le règne d'un président dont on se plaît à dire qu'il était la personnification de l'Etat au point d’incarner le pouvoir personnel, le pouvoir absolu, pour dire les choses sans fioriture. Oui, plus que de le démystifier, il s'agit d'analyser avec lucidité ce que fut le «moment Boumediène» et son legs. Si, en effet, l'approche biographique de l'homme Boumediène est pertinente à plus PAR ALI MABROUKINE d'un titre, elle nous offre aussi, il faut bien le dire, le prétexte de penser, interroger, remettre en question, le système Boumediène et le boumediénisme. Dans l'affect des Algériens, le président Houari Boumediène est l'archétype d'un «âge d'or» mythique comme nos compatriotes savent s'en inventer pour éluder un présent difficile et peu glorieux. Immanquablement, on se complaît à regarder dans le rétroviseur en convoquant les réminiscences d'une Algérie des années 1970 respectée et prospère et figurant PAR A. BOUMAZA en bonne place dans le concert des nations. Une Algérie lyrique, juste et égalitaire, qui n'existe sans doute que dans notre inconscient chimérique. Si les survivants de cette Algérie romantique n'auront de cesse d'encenser le «temps de Boumediène», l'artisan incontesté de leurs gloires passées, songent-ils, sorte de père protecteur et bienveillant ayant l'Algérie au cœur, les opposants à sa politique de fer ne sauraient omettre de pardonner à l'homme fort du clan d'Oujda ses dérives totalitaires, son goût de l'intrigue et sa conception régalienne de l'Etat, qui le poussera à s'adjuger, par le glaive et le sang, le monopole de l'autorité et l'exercice solitaire du pouvoir. Que de cadavres jalonnent, en effet, le parcours de l'ancien chef de l'Etat-major général avant et après l'indépendance dans sa course au «koursi», avant d'instaurer un PAR NADJIA BOUARICHA ordre spartiate et sans partage, qui sera sa marque de fabrique et son style de gouvernance durant treize ans de règne. Trente ans après sa disparition, quid de l'héritage de Boumediène ? L'Algérie de 2008, l’Algérie des kamikazes et des harraga, de la Maruti et du Hammer, de «tag âla men tag», n'a sans doute plus rien - ou si peu - à voir avec l'Algérie des années 1970. Finis le paradigme de l'industrie industrialisante, les villages socialistes, la «thawra ziraîya» (Révolution agraire) et autres mots-clés du dictionnaire de Boumediène. Un fait troublant, pourtant : cette pure (et entêtante) survivance du passé que représente le ministre des AE de l’époque et actuel président. Au yeux de nombreux observateurs, M. Bouteflika est revenu dans le burnous de Boumediène, vêtu des oripeaux de son auguste mentor, lui qui n'a pas manqué de jouer sur la fibre affecPAR HASSAN MOALI tive et la résonance avec cette mémoire-là pour s'attirer la sympathie des «masses populaires» nostalgiques d'El Houari et orphelines d'un «père de la nation», dont elles se croyaient inconsolables. Mais par-delà le folklore du burnous, on retiendra surtout les séquelles du boumediénisme et la logique des colonels (des généraux, dirions-nous aujourd'hui), une malédiction qui nous poursuit depuis l'assassinat de Abane et le renversement du GPRA, avant de conduire fatalement au pronunciamiento du 19 juin 1965. L'épigone du Zaïm ne semble pas être près de rompre avec cette longue tradition d'intrigues et de coups tordus, lui qui prend goût au pouvoir jusqu'à l’ivresse, jusqu'à la démence, dans la pure lignée des présidents-dictateurs. Bref, PAR MOHAND AZIRI nous ne nous sommes guère affranchis de l'emprise du pouvoir personnel et, à ce titre, Boumediène est loin d'être «définitivement» mort. Le chemin reste encore long, très long, faut-il craindre, avant que l'on en finisse avec les démons de la Guerre de Libération et les fantômes de l'été 62. Depuis le 27 décembre 1978, les supputations sont allées bon train quant à l'étrange maladie qui emporta Boumediène à l'âge de 46 ans. C'est une maladie rare, nous dit-on, mais, à bien y voir, la maladie qui eut raison de lui est, somme toute, si commune en nos contrées : c'est la malaPAR NADJIA BOUARICHA die du pouvoir. Et toute cette agitation autour d'un troisième mandat au profit de Abdelaziz Bouteflika participe de cette même pathologie, dont semble souffrir le régime algérien comme d'une tare congénitale. Mais le pouvoir comme la maladie, aimerions-nous croire, ne sont pas une fatalité. Puisse cette édition contribuer à esquisser une autopsie juste des événements pour conjurer le sort et exorciser le passé. Et puisse l'Algérie guérir un jour de la malédicPAR RABAH BELDJENNA tion du pouvoir et du joug de ses dirigeants...
T
Revisiter la mémoire de Houari Boumediène P.6-7 L’enfance d’un chef P. 8 L’expression d’un pouvoir sans partage P.9
Les assassinats politiques en mode de gouvernance P. 10
Les hommes du Président : les fidèles et les autres P.11
Le colonel Boumediène et le groupe d’Oujda P. 12
Le soutien «Dhalima am madhlouma» de Boumediène
Le mythe et la réalité
P. 25 P. 26
PAR M. AÏT OUARABI
Quand Boumediène confisque le balon
P. 27
PAR OMAR KHAROUM
Les dernier jours de Boumediène
P. 28-29
PAR SAMY OUSI-ALI
Ce qu’ils en pensent PAR SAÏD RABIA
P. 32
El Watan - Samedi 27 décembre 2008 - 4
1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS
UN ITINÉRAIRE NUANCÉ
PHOTO : D. R.
☛Trente ans après sa disparition, Houari Boumediène incarne un contexte historique, celui des années soixante-dix en dehors duquel son action ne peut pas être expliquée.
La dépouille du défunt Boumediène exposée pour un dernier recueillement
Par Amine Lotfi
C
ette période charnière avait été marquée par la radicalisation d’un mouvement de décolonisation qui, sur le continent africain, avait déja abouti à l’indépendance de nombre de pays sans pour autant les soustraire à l’influence de l’ancienne puissance dominante. L’Algérie, qui avait arraché sa propre indépendance au prix d’une longue guerre de libération, avait fait d’entrée le choix stratégique d’aider à l’émancipation des peuples africains encore asservis. Et il s’en trouvait encore beaucoup dans ces années soixante-dix où les foyers de tension étaient à vif en Palestine occupée et au VietNam qui était en guerre avec la plus grande puissance économique, industrielle et militaire du moment, les Etats-Unis d’Amérique. Alger, devenue «la Mecque des révolutionnaires», était alors la capitale qui offrait aux opprimés l’alternative d’une expression et d’une action qui n’était possible nulle part ailleurs dans le monde à un tel niveau de solidarité. Cette démarche, pour ne pas dire cette philosophie, était fortement légitimée par le fait que l’Algérie n’était subordonnée ni à l’URSS ni aux USA, mais qu’au contraire, l’Algérie s’appuyait dans un tel engagement sur un non-alignement dont Houari Boumediène avait pu s’imposer comme l’une des grandes figures emblématiques. C’est aussi au sein de cet espace que Houari Boumediène a forgé son image d’homme d’Etat d’abord reconnu par des pairs de la stature de Nehru, Nasser, Tito, Chou En Lai ou Fidel Castro qui étaient ses ainés dans le combat politique. C’est une dimension essentielle de l’évolution de cette personnalité qui martelait le crédo selon lequel la politique étrangère de l’Algérie était le reflet de sa politique intérieure. Houari Boumediène, après le 19 juin 1965 et le renversement du président Ben
Bella, avait mis un certain temps avant de s’affirmer sur la scène internationale comme un interlocuteur crédible au regard de capitales qui ne voyaient en lui que l’artisan d’un pronunciamento. Sa conception du pouvoir tranchait de façon visible avec les démonstrations du discours populiste qui avait caractérisé les courtes années Ben Bella. En 1965, les vieux contentieux nés de la guerre de Libération, et notamment les querelles de leadership, ne pouvaient être vidés que dans la violence de l’histoire en train de se faire. La séquence du 19 juin 1965 aura été à cet égard une variante des luttes d’influence rémanentes dès la première émergence du mouvement national et Houari Boumediène avait été dans une large mesure l’héritier de Messali Hadj et de sa conception de Zaïm, le chef omipotent devant lequel tous les autres s’effacent. Houari Boumediène s’est approprié cette aura du Zaïm omniscient presque naturellement parce que dans le contexte de cette époque, ce n’étaient pas les arbitrages démocratiques qui faisaient la part des choses. Le procédé peut paraitre injustifiable mais ils ont imprégné profondément et durablement une société politique algérienne articulée autour de la figure du chef suprême. Houari Boumediène aura été dans un tel emploi dès le 19 juin 1965. Investi des pleins pouvoirs, il se trouvait à la tête d’un pays certes indépendant mais encore fragile en raison des dégâts terribles provoqués par 132 ans de colonialisme. Houari Boumediène, dont le nationalisme était manifeste, s’était érigé en tuteur, au sens protecteur du mot, d’un peuple mis à mal par un taux d’analphabétisme effroyable, mais dont la détermination avait été assez forte pour faire rempart à l’occupant français. Houari Boumediène était venu au pouvoir avec cette vision d’une justice sociale qu’il s’attachera à affiner dans une démarche plus globale avec l’institutionnalisation du trytique révolution agraire, industrielle et culturelle. Il avait aussi la volonté
de reconfigurer économiquement le pays à la faveur d’une politique d’équilibre régional qui atténuerait les disparités entre pôles dévelloppés et démunis. Des projets grandioses comme le barrage vert ou le périmètre de l’Attouta ne devaient pas seulement, dans l’énoncé de leur mise en oeuvre, préserver le pays des dangers de la désertification, mais lui assurer une large part d’auto-suffisance alimentaire. La philosophie économique résidait alors dans le choix de la planifacation et dans le recours aux plans quadriennaux. De même que la médecine gratuite devait mettre une politique de soins au service de tous les Algériens. Au-delà de leur dimension romantique, de telles entreprises se heurtaient à l’épreuve du terrain. Ainsi les citoyens, tous statuts sociaux confondus, allaient faire leurs emplettes dans les mêmes Galeries algériennes et dans les Souk El Fellh, magasins d’Etat où riches et pauvres payaient leurs produits -quand il n’étaient pas sous pénurie- au même prix. Idem pour la médecine de proximité qui bénéficiait à toutes les classes indistinctement du revenu des uns et des autres. La question ne pouvait que se poser par ailleurs de savoir si la décision d’octroyer des salaires aux travailleurs de la terre était une option judicieuse.
PENSÉE UNIQUE ET GRANDS CHANTIERS Dès lors que les paysans étaient assurés d’une ressource constante, pourquoi iraientils déployer des efforts surhumains au travail de la terre et des champs? Dans son essence, l’idée était généreuse mais elle se heurtait aux dysfonctionnements du terrain. La justice sociale ne profitait pas dans tous les cas à ceux auxquels elle était destinée. L’agriculture, bien que valorisée par le projet des mille villages socialistes, ne donnait pas le rendement escompté, au moment où les produits de large consommation, importés pour la plupart, étaient sous tension. Le monopole de l’Etat, dans une logique diri-
giste, s’étendait jusqu’aux oeufs. Le quotidien des Algériens n’était pas brillant en dépit de la volonté avérée du pouvoir de financer la paix sociale. A telle enseigne que le mot de grève était proscrit du vocabulaire. C’est à ce niveau que se sont exercés les ravages de la pensée unique et de son corollaire repressif. Houari Boumediène, qui avait lancé une série de grands chantiers, dont la normalisation avec les pays voisins à travers la sécurisation des frontières et l’établissement de rapports de bon voisinage, qui avait atteint à une réelle stature internationale confortée par ses célèbres discours à l’ONU et au sommet de Lahore, n’avait pas pu aboutir à des équilibres comparables en interne. La nationalisation des hydrocarbures, décision éminemment politique, aurait par exemple dû aider à asseoir une activité industrielle plus induite et moins directement liée aux rendements exclusifs de la sidérurgie. Dans sa vision d’homme d’Etat, Houari Boumediène envisageait que l’Algérie puisse être, dans le cadre du Maghreb, l’égale de la Belgique dans le cadre de l’Europe alors naissante. Une vision qui ne pouvait pas aller sans la prise en compte des attentes des citoyens dont nul ne peut faire le bonheur contre leur gré. C’est en cela que le regard sur l’action de Houari Boumediène ne peut être que nuancé tant il est vrai que la part de réussite au plan international, qui est incontestable, n’a pas eu son pendant au plan national où les libertés, les droits politiques, n’ont pas constitué des priorités que laissaient espérer, enfin, les grands débats sur la charte nationale qui laissaient entrevoir chez Houari Boumediène une évolution significative. Il n’avait pas eu le temps de capitaliser cette posture politique en élargissant au droit d’expression la sphère des conquêtes démocratiques. C’est à l’aune de ces nuances que son itinéraire, certainement inachevé, peut être apprécié. A. L.
El Watan - Samedi 27 décembre 2008 - 5
1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS
RÉCIT D’UN PRONUNCIAMENTO APPELÉ “REDRESSEMENT RÉVOLUTIONNAIRE”
19 JUIN 1965 : LE POUVOIR MILITAIRE SE DÉVOILE
PHOTO : D. R.
■La matinée du 19 juin 1965 aurait pu être annonciatrice d'un jour parmi tant d'autres sous le ciel bleu et clair d'Alger. Mais l'histoire a voulu marquer cette journée comme celle ayant vu déchoir un pouvoir personnel à l'arrière-fond militaire au profit d'un pouvoir franchement militaire. Houari Boumediene vient d'accéder à la plus haute fonction de l'Etat en opérant un coup d'Etat nocturne contre ce même Ahmed Ben Bella qu'il aida à s'emparer du pouvoir trois ans auparavant.
Boumediène accède au pouvoir avec le même procédé qui avait hissé Ben Bella en 1962
Par Nadjia Bouaricha oumediène et son groupe de putschistes ont baptisé ce jour “Le redressement révolutionnaire”. Le pronunciamiento de Boumediène avait pour objectif affiché de mettre un terme “aux intrigues et à l'affrontement des tendances et des clans”, et de dénoncer “le narcissisme politique”, “le socialisme publicitaire” de Ben Bella, comme souligné dans son communiqué-programme annoncé par la radio le 19 juin. Mais l'ouvrage cachait bien plus qu'un geste de sursaut patriotique émanant du ministre de la Défense. La raison du clan l'avait emporté sur la raison d'Etat déjà en ce fameux été 1962, et le coup de force de 1965 n'a fait que confirmer la volonté de l'armée d'avoir la manivelle du pouvoir en main.
B
BEN BELLA : HISSÉ PAR LES BLINDÉS, DÉCHU PAR LES BLINDÉS A peine sortie du joug colonial, l'Algérie est passée d'un Césarisme à un autre, fardée de slogans aussi ambigus que dénués d'assise populaire. Le jeu se passait en haut lieu et le peuple exhiba un silence indifférent face à ce changement qui n'en n'était pas réellement un. La raison qui a lié Ben Bella à l'état-
major général de l'ALN et le groupe d'Oujda en 1962, est la même raison qui a justifié le coup d'Etat de 1965, c'est-à-dire le pouvoir. Après s'être assuré mainmise sur l'appareil de l'Etat, et comptant sur son aura et ses amitiés trop affichées avec Gamel Abdelnasser, Ben Bella se complaisait dans son rôle de chef et il comptait le rester encore longtemps. Le clan d'Oujda sur lequel il s'est appuyé pour accéder au pouvoir commençait à devenir une source de gêne pour son ambition de tout contrôler dans les affaires de l'Etat. Il s'en prit alors à ses ministres du groupe d'Oujda, en les destituant de leurs postes. Il pousse Medeghri à quitter son poste de
ministre de l'Intérieur, ainsi que Kaïd Ahmed à renoncer au ministère du Tourisme. Prochaine cible de Ben Bella, Cherif Belkacem, qu'il limogera de son rang de ministre de l'Orientation regroupant sous son aile l'Information, l'Education nationale et la Jeunesse. Ben Bella qui était président de la République, chef de gouvernement, et secrétaire général du FLN, élargit ses prérogatives en décembre 1964 en s'appropriant les portefeuilles de l'Intérieur, de l'Information et des Finances. Le 28 mai 1965, Ahmed Ben Bella s'attaque à l'autre membre du clan d'Oujda, Abdelaziz Bouteflika, à qui il ôta le portefeuille des Affaires étrangères à
la veille de la Conférence Afro-asiatique qui devait se tenir à Alger fin juin de la même année. Bouteflika alerta Boumediène. Ce dernier qui était ministre de la Défense et viceprésident de la République accuse, à son tour, la nomination à son insu de Tahar Zbiri comme chef de l'étatmajor. Sentant la menace de Ben Bella s'agrandir et se confirmer, Boumediène décide de passer à l'action. Il convoque ses compagnons du groupe d'Oujda ainsi que ceux du groupe de Constantine qui étaient Tahar Zbiri, Saïd Abid, Ahmed Draïa, Salah Soufi et Abdelaziz Zerdani. Le consensus pour le renversement de Ben Bella est atteint. Au-delà de la menace sur le groupe d'Oujda, ce que ce dernier craignait, c'était le rapprochement opéré entre Ben Bella et le Front des forces socialistes (FFS) à travers l'accord signé le 16 juin 1965. Hocine Aït Ahmed est arrêté le 17 octobre 1964 suite au mouvement insurrectionnel initié en 1963 en Kabylie contre le pouvoir de Ben Bella. Le procès d'Aït Ahmed se déroule du 7 au 10 avril 1965, il est condamné à mort, puis gracié le 12, mais demeure en prison. Boumediène voit dans la signature du communiqué commun Ben Bella-Aït Ahmed, une possible alliance de Ben Bella avec les Kabyles au détriment de son clan. Ceci précipita le passage à l'acte.
«NE PERDONS PAS DE TEMPS, TU ES ARRÊTÉ PAR LE CONSEIL DE LA RÉVOLUTION» C'est le chef d'état-major fraîchement désigné par Ben Bella, Tahar Zbiri, qui mit à exécution l'ordre de destitution du premier président de la République, accompagné d'Ahmed Draïa, directeur de la Sûreté et choisi aussi par Ben Bella pour commander sa garde prétorienne des compagnies nationales de sécurité, et de Saïd Abid, commandant la 1re Région Militaire du Grand-Alger. “Ecoute, ne perdons pas de temps, habille-toi. Tu es arrêté par le Conseil de la Révolution.” C'est cette petite phrase sortie de la bouche
EXTRAIT DU DISCOURS DU PUTSCH “ Quelle que soit l'importance de sa mission, nul ne peut prétendre incarner, seul à la fois, l'Algérie, la Révolution et le Socialisme. Quelle que soit la forme que peut prendre la confusion des pouvoirs, elle ne peut permettre de disposer du pays et des affaires publiques dont on a la charge comme d'une propriété personnelle et privée. Une mauvaise gestion du patrimoine national, la dilapidation des deniers publics, l'instabilité, la démagogie, l'anarchie, le mensonge et l'improvisation se sont imposés comme procédés de gouvernement. Par la menace, le chantage, le viol des libertés individuelles et l'incertitude du lendemain, l'on s'est proposé de réduire les uns à la docilité, les autres à la peur, au silence et à la résignation. Le pouvoir personnel aujourd'hui consacré,
toutes les institutions nationales et régionales du parti et de l'Etat se trouvent à la merci d'un seul homme qui confère les responsabilités à sa guise, fait et défait selon une tactique malsaine et improvisée les organismes dirigeants, impose les options et les hommes selon l'humeur du moment, les caprices et le bon plaisir…la mystification, l'aventurisme et le charlatanisme politique ainsi démasqués, Ben Bella, en subissant le sort réservé par l'histoire à tous les despotes, aura compris que nul n'a le droit d'humilier la nation, de prendre la générosité de notre peuple pour de l'inconscience, ni d'usurper d'une façon indécente la caution politique de ses hôtes illustres pour faire avaliser son inqualifiable forfait et sa haute trahison.”
de Zbiri qui signa la fin du règne de Ben Bella. Le même Zbiri qui tenta un coup d'Etat en 1967 contre Boumediène l'accusant d'avoir adopté les mêmes travers de gouvernance de Ben Bella. C'était le 19 juin à 1h30 du matin, la nuit se préparait à céder à un lendemain incertain. Ben Bella est sorti du lit par le cri de sa servante. Il s'attendait à tout sauf à un coup d'Etat, il avait tout prévu pour s'en prémunir. Lorsque Zbiri lui intime l'ordre de s'habiller, Ben Bella tente de faire appel à leur amitié passée : “Je t'ai toujours fait confiance”, lui dit-il. Tahar Zbiri réplique sèchement : “Dépêche-toi, la comédie est terminée.” Ben Bella regarde tour à tour son chef d'état-major et son chef de la sécurité, en se demandant où il a bien pu faillir. Des tirs se font entendre à quelques encablures de la villa Joly. L'installation de la police judicaire à Hydra est attaquée, une compagnie de la Garde nationale faisait de la résistance. Zbiri se presse d'embarquer son prisonnier qui lui dit : “je suis prêt”. En quelques minutes, Ben Bella n'est plus Président. Le convoi prend sa direction vers une caserne à El Harrach, Tahar Zbiri, lui, se dirige vers le ministère de la Défense pour informer Boumediène que “la mission est accomplie”. Boumediène est entouré de ses fidèles, Medeghri, Bouteflika et Chérif Belkacem. A 3h du matin, Boumediène décide de prévenir tout le monde : Bachir Boumaza et Ali Mahsas, Omar Oussedik, le Commandant Azzedine, Mohand Ouelhadj, Ferhat Abbas, Khider, Boussouf et Boudiaf. Le nouveau Conseil de la Révolution en appelle aux ralliements, à commencer par les ambassadeurs en exercice. Outre Ben Bella, la “mission” comportait aussi l'arrestation de ses proches. Ainsi, le ministre de la Santé, M. Nekkache, est arrêté après avoir reçu trois balles dans la poitrine. L'autre fidèle de Ben Bella, Hadj Ben Allah, est mis aux arrêts, ainsi que le directeur de la police judiciaire Hamadache et enfin le ministre des Affaires arabes et ancien chef de cabinet de Ben Bella, Abdelahram Chérif. Les mêmes blindés qui ont porté Ben Bella à la tête du pouvoir, viennent de l'emporter en prison. Ces mêmes blindés ont envahi la capitale. Les Algérois pensaient qu'il s'agissait du tournage du film La Bataille d'Alger, de Gillo Pontecorvo. A 12h05, la radio fait l'annonce du “redressement révolutionnaire” et la création du Conseil de la Révolution. Boumediène apparaît à la télévision pour jeter l'invective sur Ben Bella et promettre d'en finir avec le pouvoir personnel et la privatisation de l'Etat. Treize années durant, Boumediène se confondra à son tour avec l'Etat. N. B.
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1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS
REPÈRES
REVISITER LA MÉMOIRE ☛Il y a trente ans, le 27 décembre 1978, disparaissait Houari Boumediène (ci-après HB). C'est à la faveur du coup d'Etat du 19 juin 1965, qui met fin à trois années de pouvoir exercé par Ahmed Ben Par Ali Mabroukine
L'ÉVEIL À LA CONSCIENCE NATIONALE 1. Né le 23 août 1932 à Aïn Hasseinia, près de Guelma, mais originaire de la petite Kabylie, issu d'une famille de paysans pauvres, HB (de son vrai nom Mohammed Boukherouba) ne fait partie ni des historiques (ceux qui ont déclenché l'insurrection armée du 1er Novembre 1954) ni du PPA/MTLD qui avait pensé et élaboré le projet nationaliste de conquête de l'indépendance. Mais les événements de Mai 1945, (il n'avait alors que 13 ans), qui marquèrent de façon tragique la localité où il est né, avaient ancré en lui l'esprit d'une résistance au colonialisme qui ne pouvait emprunter que la voie des armes. C'est de cette période que naquit son engagement à la fois sentimental et intellectuel pour l'indépendance de l'Algérie. comme adulte, il l'accomplit au Caire dans des conditions matérielles très précaires. Tout en nouant des liens avec les membres de la délégation extérieure (Ahmed Ben Bella, Mohamed Khider), il poursuit des études supérieures à l'université d'El Ezhar et reçoit une formation militaire approfondie afin de se préparer à encadrer les djounoud qui ont rejoint le maquis à partir du 1er Novembre 1954. Sous l'autorité de Larbi Ben M'hidi puis de Abdelhafid Boussouf, dont il sera l'adjoint à la tête de la Wilaya V, à partir de 1957, HB fait montre d'une aptitude au commandement, d'un sens de l'organisation et d'une proximité avec ses hommes qui lui valent d'être désigné, d'abord, en 1959, à la tête du commandement ouest (localisé à Oujda) puis, à partir de janvier 1960, comme chef de l'état-major général (EMG).
3. A la différence de la plupart des chefs politico-militaires algériens (responsables du GPRA, membres de CNRA, chefs des wilayas de l'intérieur), HB était le seul à incarner une vision de l'Etat algérien post-indépendance. Il était le seul sur qui la logique des clans n'avait pas de prise, alors qu'elle était dominante au sein du GPRA et particulièrement aiguisée entre les trois membres du Comité interministériel de la guerre (A. Boussouf, K. Belkacem, L. Bentobbal, tous trois candidats à l'exercice du pouvoir suprême dans l'Algérie indépendante). HB avait réfléchi, depuis le Caire, à l'organisation d'un Etat algérien viable, doté d'institutions stables et pérennes et capables de satisfaire les aspirations des Algériens à la justice sociale, à l'éducation et au bien-être. De ce point de vue, il n'y a aucune différence entre la conception jacobine et unificatrice de l'Etat conçue par Abane au Congrès de la Soummam et celle que HB s'efforcera d'expérimenter entre 1965 et 1978. 4. La crise de l'été 1962, qui met aux prises les différentes factions du FLN /ALN, ambitionnant la prise du pouvoir, la conforte dans sa conviction que les élites politiques sont en décalage profond avec les populations algériennes auxquelles déjà tant de sacrifices ont été exigés. HB contribue à l'installation de Ahmed Ben Bella (ci-après ABB) au pouvoir contre les prétentions du groupe de Tizi Ouzou, constitué, entre autres, de Hocine Aït Ahmed, Krim Belkacem et Mohamed Boudiaf. 5. De 1962 à 1965, Ahmed Ben Bella aura les coudées franches pour appliquer les recommandations de Tripoli (1962) et celles de la charte d'Alger (1964). Personnage fantasque, imprévisible, autoritaire, dépourvu de vision, ABB multiplia les décisions arbitraires, mit
Houari Boumediène commençait à entretenir une méfiance à l’égard de certaines personnalités sur lesquelles il s’était appuyé
entre parenthèses la Constitution de septembre 1963, un mois seulement après sa promulgation et légiféra par voie d'ordonnances 20 mois durant. Son socialisme qui s'inspirait d'une sorte de stalinisme oriental désorganisa la société, sa politique d'arabisation, qui fut déjà le premier prodrome de la clochardisation de l'enseignement et sa conception du fonctionnement de l'Etat, conduisait tout droit l'Algérie vers le mur.
LE VRAI RÉTABLISSEMENT DE L'ÉTAT LE 19 JUIN 1965 6. HB ne pouvait accepter le fait accompli. Selon certains témoignages, il n'était pas favorable au renversement de ABB dès 1965. Mais c'est l'affaire Bouteflika, autrement dit le limogeage programmé du ministre des Affaires étrangères de l'époque, la veille de la tenue de la 2e Conférence afro-asiatique qui précipita les événements. Il fallait destituer ABB pour redonner à l'Algérie ses chances de se développer et à l'appareil d'Etat de se construire enfin.
7. Entre 1965 et 1977, HB s'efforce de mettre en application les principes contenus dans les textes fondamentaux de la Révolution. L'option socialiste y figurait en bonne place, si même son modus operandi demeurait ambigu. La nationalisation des moyens de production et d'échanges, la récupération des richesses naturelles, la création de grandes entreprises publiques, la construction d'infrastructures socioculturelles en grand nombre, l'accès à l'enseignement pour toutes les catégories de la population sont parmi les principaux moyens que se donne HB pour affronter les défis du développement.
8. A partir de 1966-1967, un modèle de déve-
loppement de type industrialiste se met en place à base d'installation d'usines clés en main et produits en main. En 1971, c'est la révolution agraire qui est décrétée avec l'objectif de transformer durablement et profondément les campagnes et la condition du fellah, tout en visant, à terme, l'autosatisfaction alimentaire du pays et la modernisation de l'agriculture grâce aux progrès réalisés dans l'industrie. La nationalisation des intérêts pétroliers, en février 1971, parachève l'indépendance de l'Algérie dotant l'Etat des instruments de contrôle de la production des richesses du sous-sol et lui conférant la capacité d'en affecter le produit à la satisfaction des besoins sociaux.
UNE POLITIQUE ÉTRANGÈRE AVANTGARDISTE DANS TOUS LES DOMAINES 9. Sur le plan international, l'Algérie ne pouvait qu'opter, au lendemain de son indépendance, pour le non-alignement. Certes, son choix en faveur du socialisme l'amenait à entretenir des relations privilégiés avec Moscou et les capitales des pays de l'Europe de l'Est, en plus de la Chine, du Vietnam et de la Corée du Nord. La coopération technique et économique a été également intense avec ses pays. Mais pour l'intérêt de l'Algérie, HB n'entendait pas se couper des Etats occidentaux avec lesquels de très denses projets culturels, économiques et scientifiques ont été mis en œuvre, dès lors que ces Etats reconnaissaient la pleine souveraineté de l'Algérie et respectaient les options qu'elle avait arrêtées pour son développement. La cause palestinienne, le principe de l'autodétermination des peuples, la construction du Maghreb et l'élaboration d'un nouvel ordre économique international constituaient les principaux défis que HB ambitionnait de rele-
ver. S'agissant de la cause palestinienne, jamais, à la différence des autres chefs d'Etat arabes, HB n' a pas cherché à instrumentaliser la cause palestinienne, nonobstant son fort engagement au cours de la 2e et de la 3e guerres israélo-arabe (1967 puis 1973) aux côtés de l'Egypte et de la Syrie. Il est vrai qu'à partir de 1976-1977, il se lasse des atermoiements et même des palinodies de Y. Arafat qu'il tenait pour un grand chef de guerre, mais il est pour un stratège politique assez insaisissable. Le principe de l'autodétermination des peuples constituait pour HB la clé de voûte des relations internationales. Il s'était beaucoup impliqué pour que la Mauritanie restât indépendante du Maroc. Il ne se résignait pas à l'idée que le Sahara occidental (naguère possession espagnole) pût devenir marocain. Et les assurances que lui prodigua le roi Hassan II en 1975 quant à la possibilité pour l'Algérie d'obtenir un débouché sur l'Atlantique, en contrepartie de sa reconnaissance du fait marocain sur le SO, n’atténuait pas ses inquiétudes à propos des revendications marocaines sur la région de Tindouf, qui auraient pu, à leur tour, être le prélude à de nouvelles exigences territoriales fondées sur la configuration des frontières algéro-marocaines avant le début de la colonisation française. Quant à la construction du Maghreb, elle constituait pour HB un objectif à long terme, à condition pour ses responsables d'y associer les masses populaires dans le cadre d'un projet global de société auquel, aux yeux de HB, le roi Hassan II était totalement hostile et les présidents Bourguiba et Ould Dadah plus que réservés. Cette vision que HB nourrissait du développement de la région était inséparable de sa conception des relations économiques internationales. ● ● ●
PHOTO : D. R.
2. Son initiation au combat révolutionnaire
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1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS
BIOGRAPHIQUES
DE HOUARI BOUMEDIÈNE Bella, que le colonel HB prend en main les destinées de l'Algérie, et ce, jusqu'à sa mort, après une maladie restée mystérieuse à ce jour. Waldenström a lui-même confirmé ce diagnostic avant que le Pr Montsallier (hôpital Cochin) ne vienne, à son tour, le réitérer. Selon le Pr Jean Bernard, un des plus grands hématologues de son époque, les chefs d'Etat sont plus exposés que la moyenne de la population aux leucémies. La très forte pression nerveuse et psychologique qu'ils subissent au quotidien, la lourdeur de leur charge de travail, le poids des responsabilités et la solitude de la fonction s'unissent pour altérer les centres de régulation des globules blancs, ce qui déclenche leur prolifération qui se répand dans le sang. A priori, HB est peut-être décédé de cette maladie. Deux ans avant sa mort, mais particulièrement à partir de 1977, il ne cessait de rencontrer des obstacles sur son chemin et de subir contrariété sur contrariété sans pouvoir cependant identifier les facteurs de blocage malgré l'omniscience supposée de la Sécurité militaire, dont il ne contrôle plus, il est vrai, que quelques secteurs.
PHOTOS : D. R.
Boumediène misait beaucoup sur le rôle de la diplomatie algérienne
14. Il est rare cependant que la maladie de
La nature du régime qu’il instaura le poussait à se méfier de tout le monde
●●● Le dialogue Nord-Sud, lancé par le président français, Valéry Giscard d'Estaing, en 1974, n'était pour lui qu'un ersatz à une stratégie de recomposition des relations entre Etats développés et Etats en développement, laquelle supposait l'instauration d'une nouvelle division internationale du travail, la réappropriation de leurs richesses par les EVD, la démocratisation des institutions internationales (ONU, Banque mondiale, FMI, etc.). Le discours qu'il prononça, lors de la session spéciale de l'Assemblée générale des Nations unies sur les matières premières d'avril 1974, était un modèle du genre. Il est permis de se demander 35 ans après si HB n'a pas été l'inspirateur posthume du courant alter-mondialiste actuel qui dénonce aujourd'hui les excès du système capitaliste et les dérives de la financiarisation de l'économie internationale.
UN PRÉSIDENT CIRCONVENU PAR SON ENTOURAGE 10. Fin 1976, quelques semaines avant l'élection que devait faire de lui le 2e président de la République algérienne élu, HB reçoit un rapport ultra-secret commis par quelques experts à l'honnêteté insoupçonnable qu'il avait luimême commandé. C'était l'époque où HB commençait d'entretenir une méfiance à l'égard de certaines personnalités sur lesquelles il s'était appuyé pour évincer ABB. Il n'ajoutait pas foi dans les déclarations de son ministre de l'Industrie et de l'Energie, Belaïd Abdeslam, qu'il accusera plus tard de l'avoir circonvenu sur les vertus supposées des usines clés en main et produites en main qui n'ont guère permis l'industrialisation du pays. Il ne supportait plus les impérities et l'impuissance de son ministre de l'Agriculture, Mohamed Taïbi Larbi, devant les dévoiements répétés de la lettre autant que de l'esprit de la révolution agraire. Il n'accordait que du bout des doigts sa confiance au ministre de l'Intérieur, Ahmed Benahmed Abdelghani. Quant au ministre de la Construction, le colonel Abdelmadjid Aouchiche, il avait juré sa perte, tant les trafics auxquels se livrait ce dernier et les malversations dont il s'était rendu coupable insultaient par trop à l'austéri-
té que HB avait imposé à l'ensemble des Algériens. S'agissant de l'arabisation, elle constituait indéniablement un échec cuisant et la segmentation des élites qu'elle portait en germe une menace pour la cohésion culturelle de la société. Last but not least, certains secteurs de la Sécurité militaire commençaient à lui échapper. Le commandant de la 2e Région militaire, qui lui succédera en 1979 à la tête de l'Etat, lui donne du souci et il tente vainement de le faire surveiller par le colonel A. Guenaïzia qui deviendra beaucoup plus tard le chef de l'état-major de l'ANP et est aujourd'hui ministre délégué à la Défense.
11. La trop forte croissance démographique, le manque cruel de logements sociaux, les pénuries alimentaires et d'eau potable récurrentes, l'embourgeoisement de certaines élites dirigeantes le contraignent à changer d'équipes et aussi de politique. Lorsqu'en avril 1977 il met fin à trois citadelles jusqu'alors imprenables, celle de B. Abdeslam à l'Industrie et l'Energie, celle de A. Draïa à la Sûreté nationale et celle de A. Bencherif à la Gendarmerie, il retrouve un peu de marge de manœuvre. En même temps, il abjure la politique d'arabisation instaurée avec force démagogie par le Premier ministre en charge du secteur, le Dr Ahmed Taleb Ibrahimi et poursuivie à son corps défendant par son successeur A. Benmahmoud. Il décide d'instaurer un numerus clausus a minima à l'entrée de l'université pour prévenir sa clochardisation en confiant cette délicate charge au sage et irréprochable A. Rahal. Enfin, à la différence de ce que soutiennent certains spécialistes autoproclamés de l'histoire contemporaine de l'Algérie, HB s'apprêtait à enclencher un processus vertueux de démocratisation du régime, tout en le contrôlant certes, restaurer l'ensemble des libertés individuelles et collectives et in fine faire participer le secteur privé national au redémarrage de l'économie, à condition que celui-ci s'engage à créer des emplois et des richesses et investisse dans les zones à fort taux de chômage en contrepartie d'une prise en charge par l'Etat des infrastructures de base. HB s'était donné dix ans pour redresser la situation du pays, grâce notamment à l'élargissement de la base sociale du
pouvoir. Sur la scène politique arabe, alors qu'il avait pu retourner à sa cause le roi Fayçal qui le paya de sa vie en 1975, le président HB est à nouveau seul à partir de 1977 lorsque l'Egypte décide de conclure une paix séparée avec Israël. Il prend la tête d'une croisade contre la trahison arabe en constituant avec la Syrie, la Libye, le Yémen du Sud et l'OLP un «front de refus» dans le dessein de s'ériger en nouveau directeur de conscience du monde arabe. Mais il ne peut entraîner ni le Maroc ni la Tunisie et s'aliène rapidement les Etats du Golfe, le Liban et la Jordanie dont il ne cesse d'instruire le procès, les accusant de faire le jeu de l'impérialisme US et de cautionner l'abandon des Palestiniens en acceptant de facto l'expansionnisme hébreu. Dans certains de ses discours à diffusion restreinte qui seront par la suite divulgués à son insu auprès de chancelleries étrangères en Algérie, il voue aux gémonies quasiment tous les dirigeants arabes, s'en prend avec violence et dérision aux monarchies du Golfe, auxquelles il dénie même la qualité d'Etats. Il laisse éclater son chagrin à propos de la trahison de «Ould Daddah» dont l'ingratitude, alors que la Mauritanie vivait quasiment aux crochets de l'Algérie, lui semblait inacceptable. Il assez rapidement «ostracisé» par ses pairs arabes et même africains qui vitupèrent contre son «arrogance» et son «outrecuidance» au regard des moyens limités, selon eux, dont dispose l'Algérie pour prétendre s'imposer comme puissance régionale et prendre la place de l'Egypte.
12. Il devient l'homme à abattre. Il est lâché par tout le monde. Sa solitude est d'autant plus impressionnante que la population algérienne ressent en cette fatidique année 1978 le plus fort sentiment de frustration qu'elle n'a jamais éprouvé depuis l'indépendance. UN PRÉSIDENT AMER PUIS TRAHI 13. L'accumulation de tant d'épreuves de déception est suffisante pour provoquer une grave maladie. Selon le diagnostic médical entériné par les autorités officielles, HB serait décédé des suites d'une leucémie lymphoïde chronique d'un type particulier, plus connue sous le nom de maladie de Waldenström. Le Pr
Waldenström, qui est réputée frapper des sujets plus âgés (HB n'avait pas encore 47 ans le jour de sa mort), évolue de façon aussi rapide et aussi foudroyante, alors qu'il s'agit fondamentalement d'une pathologie très lentement progressive. A cet égard, personne ne comprend que des médecins spécialistes algériens et soviétiques aient pu confondre la symptomatologie d'un cancer de la vessie avec celle d'une leucémie lymphoïde chronique en raison du seul fait que le patient présentait une hématurie. La présence, aux côtés de HB, du Dr Ahmed Taleb, qui avait préparé jadis l'agrégation d'hématologie, n'a strictement servi à rien. On ne peut dès lors exclure l'hypothèse qu'il a été empoisonné au cours d'un de ses déplacements à l'étranger, probablement en terre arabe. Certains services de sécurité disposent en effet des techniques permettant de subvertir un empoisonnement en pathologie connue et identifiée. Déjà, alors qu'il était conscient, HB présentait certains symptômes fugaces (paralysie partielle du visage, inappétence, diarrhées) qui cadraient davantage avec le scénario de l'empoisonnement qu'avec une pathologie maligne répertoriée. Le poison a pu être inoculé en juillet 1978, au cours du 15e sommet de l'OUA qui s'était tenu à Khartoum. De surcroît, le lent et pathétique processus de désagrégation physique de HB, sitôt qu'il fut entré dans un coma dépassé, conforte cette hypothèse. Si tel était le cas, HB aura payé, au prix fort, sa vision du conflit israélo-arabe qu'il considérait comme un problème de décolonisation et aussi sa détermination à rendre gorge aux clans et aux factions internes que sa volonté de changement effarouchait au plus haut point.
15. Reste aux Algériens à cultiver le souvenir de cet homme exceptionnel qui n'était certes pas infaillible, le reconnaissant lui-même, lorsqu'il disait qu'il n'y avait que ceux qui n'entreprenaient pas qui ne se trompaient jamais. Son ambition était d'élever l'Algérie au rang de nation développée (le Japon de l'Afrique) avec une dose sans doute excessive de volontarisme. Il restera probablement dans l'histoire celui qui aura cherché inlassablement à restituer aux Algériens et aux Algériennes une dignité et une fierté dont 130 ans de colonialisme les avaient dépouillés. L'Etat qu'il a construit et dont il s'apprêtait à renforcer la cohésion et la stabilité n'était ni extérieur par rapport à son champ social ni, comme continuent de le soutenir avec frivolité certains historiens, un Etat militaro-bureaucratique. Il s'agissait d'un Etat au service des populations et des forces de progrès. A. M.
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1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS LA RIGUEUR DU RELIEF A FORGÉ SON CARACTÈRE
UNE ENFANCE FAITE DE PRIVATIONS ☛Il s'appelle Mohamed Boukharouba, son père Brahim Ben Abdallah et sa mère Touness Bouhzila Bent Mohamed. Par A. Boumaza
d'Alembert s'est transformée en
l est né le 23 août 1932 dans la mechta de Beni Addi, à 15 km à l'est de Guelma, à quelques encablures de la route menant à Constantine, en face du lieudit El Batouma, en face aussi du Djebel Debagh, non loin du village Medjez Amar, de Aïn Hassaïnia (ex-Clauzel, qui porte aujourd'hui le nom de Houari Boumediène, car il y est inscrit sur l'état civil). A 4 ans, il fréquentait déjà l'école coranique, le «djemaâ», dans la tribu des Khrarba ; à 6 ans, c'était l'école française à Guelma, soit en 1938, dans une classe ouverte en 1936 pour les enfants indigènes à l'école d'Alembert (aujourd'hui CEM Mohamed Abdou). Son père l'avait emmené à Guelma chez Abdelkader Bensmaïn, un ami à lui qui travaillait comme secrétaire chez le notaire «Bouracine», à la rue du Fondouk (aujourd'hui, rue Malika Bouzit). Brahim, qui était un petit propriétaire terrien, (propriétaire, c'est trop dire, il avait trois ou quatre hectares), devait, comme c'était l'usage à cette époque, aider de temps en temps la famille qui accueillait son fils, en lui ramenant du douar des pots de beurre, des légumes, etc. Une sorte de pension indirecte, en somme. Deux ans après, Brahim fut, à la demande de Abdelkader Bensmaïn, obligé de reprendre son fils, qui sera placé chez un vieil homme surnommé Lekbaïli, de son vrai nom BaMessaoud, un tailleur qui confectionnait spécialement des burnous, (on peut comprendre pourquoi il avait une prédilection pour ce vêtement), et qui habitait dans la grande maison située à la rue Mohamed Debabi (exMogador). Une chambre, la deuxième en entrant, de 14 m2 environ, où vivaient 8 personnes, Mohamed y compris, et qui faisait off ice de chambre à coucher, de cuisine, etc., car le couturier avait 4 filles et un garçon, Mohamed. Après une année ou une année et demie, selon notre interlocuteur Ali Bouhzila, oncle maternel du défunt Houari Bou-
sions byzantines, il ne se bagarrait pas. C'est
PHOTOS : EL WATAN
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mediène, de six ans son aîné, on dira à Brahim qu'il fallait l'emmener chez une autre famille. Qu'à cela ne tienne, les amis de Dieu sont nombreux, ce sera chez Kherchiche L'hocine, dans la même rue, près de la porte de Skikda, dans la grande maison dite de «l'Allemani». Puis, un bout de temps après, il fut casé chez un cheminot, Rabah Bendoghmane. Mohamed vivra donc dans la Cité des indigènes ou «Boumarché arabe», appelée ainsi pour la différencier avec l'autre cité des villas somptueuses «Boumarché francisse», qui se trouve à quelques centaines de mètres en face. Le fils de son hôte, Saci Bendoghmane, sera son copain et ami, voire un frère. En 1946, il quittera la cité, l'école et la ville. Il aura donc fréquenté l'école française durant huit ans, soit de 1938 à 1946. Il ne faut pas oublier de mentionner une chose, nous dit-on, c'est qu'en 1941-42, l'école
• Vue de la maison où grandit le petit Mohamed Boukharouba à l’est de Guelma • Boumediène au Caire en 1954
hôpital militaire jusqu'en 1946, ce qui fera disperser les élèves dans des classes aménagées à travers la ville, dans des caves, des hangars, etc. Des choses horribles, ce petit rouquin en a vues lors du carnage du 8 Mai 45, il en sera marqué à jamais, affecté pour le restant de sa vie. Certains avancent même qu'il était parmi les manifestants, nous dira Ali Bouhzila. D'ailleurs, ajoute-t-il, il fut même blessé au genou, mais il ne l'a dit à personne, bien que ses parents étaient au fait ; il ne disait d'ailleurs jamais rien à personne. A le voir en ce temps-là, on pourrait dire que c'était un enfant tranquille, timide ; il n'avait pas le rire facile, il ne jouait pas avec les enfants, il évitait la polémique et les discus-
tout perclus de nationalisme qu'il partit en 1949 à Constantine, à la medersa El Kettania. Du haut de ses 82 ans, mais toujours bon pied bon œil, Ali Bouhzila poursuit : «Un vieux taleb, proche parent de Mohamed, El Hadj Tayeb Benamar Boukharouba, qui était allé en pèlerinage à pied avec un groupe de gens, lui racontait souvent ses péripéties, et lui les enregistrait. Finalement, le voyant intéressé par le voyage, El Hadj Tayeb lui donnera un carnet dans lequel était consigné tout l'itinéraire menant à La Mecque. Mohamed, qui était admis pour le service militaire par le conseil de révision, en profitera pour partir en 1951 à El Azhar, au Caire en passant par la Tunisie…» A. B.
SLIMANE BENABADA EN PARLE
L’ÉCOLIER… ☛Mohamed Boukharouba, l'écolier qu'il fut, mérite amplement une halte. Un camarade de classe en parle Par Karim Dadci
limane Benabada, instituteur de français à la retraite, camarade de classe, assis sur le même banc que le défunt Mohamed Boukharouba, à l'école d'Alembert à Guelma entre 1940 et 1945, a écrit un récit intitulé La jeunesse d'un Héros édité par Dar El Fadjr en 2006. Il en parle comme suit : «Nous étions (Mohamed Boukharouba et moi), en classe primaire et, dans le primaire, il y avait des classes dites françaises et des classes indigènes. Les classes françaises étaient réservées aux fils de colons et aux enfants des notables, des riches commerçants, fonctionnaires... Nous étions dans une classe de CP2 (cours préparatoire) avec M. Ségala qui au milieu de l'année fut appelé au service militaire et fut remplacé par M. Leroy qui continuait à nous faire classe jusqu'au mois de juin. Notre salle de classe était au rez-de-chaussée à l'école d'Alembert, actuellement CEM Mohamed Abdou.» La situation était telle, raconte-t-il, que «la majeure partie des Algériens ne mangeaient pas à leur faim». «Un grand nombre de nos cama-
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L’école où Boumediene a fait ses premières classes
rades de classe marchaient pieds nus et leurs vêtements étaient rapiécés. Mohamed portait une djellaba de laine de couleur marron, tissée par sa mère au douar. Elle lui allait bien. Son visage était ovale, un rougeaud, il était bien portant. Comme il était plus grand de taille que nous, le jour où le photographe venait comme chaque année pour faire des photos collectives de chaque classe, le maître le mettait en arrièreplan.» Et de poursuivre : «Je ne l'avais jamais entendu se plaindre du froid, de la faim ou de la fatigue. Il avait une fierté et une dignité remarquables malgré son jeune âge et je me souviens, comme si cela datait d'hier, qu'il n'avait jamais mis les pieds à la cantine scolaire faite pour les nécessiteux et les élèves qui n'habitaient pas la ville. Au début de chaque année scolaire, on enregistrait les noms des élèves, dont les parents sont pauvres et les élèves qui habitaient loin de la ville. Mohamed n'avait jamais levé le doigt pour se faire inscrire et pourtant ses parents et sa maison étaient à Beni Addi… Son père lui apportait de quoi se nourrir (blé, huile...) de la parcelle de terre qu'il avait à Beni Addi. C'était K. D. en période de guerre…»
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1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS
13 ANS D’UNE VAINE QUÊTE DE LÉGITIMITÉ
L’EXPRESSION D’UN POUVOIR SANS PARTAGE ■ «Notre Algérie va échouer entre les mains des colonels, autant dire analphabètes. J'ai observé chez le plus grand nombre d'entre eux une tendance aux méthodes fascistes. Ils rêvent tous d'être des sultans au pouvoir absolu. Derrière leurs querelles, j'aperçois un grave danger à l’encontre de l'Algérie indépendante. Ils n'ont aucune notion de la Démocratie, de la Liberté, de l'Egalité entre citoyens. Ils conserveront du commandement qu'ils exercent le goût du pouvoir et de l'autoritarisme. Que deviendra l'Algérie entre leurs mains ? "(1). Par Nadjia Bouaricha ette réflexion prémonitoire du colonel Lotfi peut aisément décrire ce que l'Algérie postindépendance a subi comme gestion autoritaire et modèle de gouvernance similaires au pouvoir absolu et sans partage. Si depuis l'indépendance, le pouvoir a incarné l'image du père fouettard qui est là, menaçant et matant toute désobéissance, Boumediène a été le reflet même de ce pouvoir autocratique. Il a incarné plus, que tout autre président de l'Algérie indépendante, l'expression vivante du pouvoir militaire appliquant la politique de la main de fer. Mohamed Brahim Boukharouba, ce f ils d'Héliopolis, va marquer son passage à la tête de la République algérienne en instaurant les fondements d'un régime basé sur la suprématie du militaire sur le politique. Un régime en totale contradiction avec les recommandations du congrès de la Soummam, qui plaça la logique du clan et de la force comme moyen de maintien du pouvoir. Le coup d'Etat de 1965 a été le premier pas engagé de Boumediène pour sortir de l'ombre de la “légitimité historique” personnifiée par Ben Bella. Au-delà du coup de force que cet acte avait constitué, il s'agissait sur le plan personnel pour Boumediène d'une éclosion, le début d'une nouvelle ère pour ce fils de paysan qui avait toujours évolué dans les coulisses du pouvoir personnel de Ben Bella. Il entendait bien profiter de cette opportunité qu'il s'est offert pour se mettre au-devant d'une scène dont il serait seul à diriger les actes. Ce fut donc la fin du "pouvoir personnel institutionnalisé" et le début "du pouvoir militaire personnalisé". S'appuyant sur la police politique, Boumediène réprime toute velléité d'opposition, Mohamed Khider et Krim Belkacem sont assassinés, et Mohamed Boudiaf et Hocine Aït Ahmed organisent des mouvements d'opposition en exil. "Le président du Conseil de la révolution, ministre de la Défense, chef de gouvernement, Boumediène, s'était imposé comme chef d'Etat et cumulait de ce fait, comme son prédécesseur, tous les postes importants de décision. A ce titre, il se confondait avec l'Etat, le parti – tout comme Ben Bella –- mais avait en plus de ce dernier, et pour lui seul, l'armée”, note Abdelkader Yafsah dans son livre La question du pouvoir en Algérie. La cumulation de tous les pouvoirs, a conforté l'image auprès de son entourage et du peuple d'un chef d'Etat puissant et redouté. Le personnage d'homme austère et secret a permis de fabriquer le mythe Boumediène, cet homme qui avait l'œil sur tout et contrôlait tout grâce à la “bienveillance" de la sécurité militaire. L'Etat-armée sous Boumediène a marqué sa primauté sur le parti FLN et mit en place les mécanismes de cette prépotence à travers un mode de gestion baptisé boumediénisme.
EMBRIGADEMENT Boumediène voulait être "l'autorité, le pouvoir, et le régime". Eprouvés par un Ben Bella personnifiant l'homme-Etat, les masses ne pouvaient contester ce prolongement de la concentration des pouvoirs entre les mains d'une seule personne. Boumediène usa de tous les moyens pour construire cette image de chef. “Les moyens d'information, sans
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A la tête de la République algérienne, Boumediène a instauré les fondements de la suprématie du militaire sur le politique
exception, les officines publiques, les mosquées jouent, à cet effet, un rôle considérable. Ils créent un phénomène de polarisation systématique sur l'activité du chef de l'Etat. Tout y est apporté, le moindre geste applaudi, encensé, chanté et glorifié", écrit encore Abdelkader Yafsah. La sacralisation du chef a été l'aboutissement d'un processus de légitimation d'un règne qui aura servi à planter le décor d'un système politique qui est la négation même du partage. On assiste alors à l'encadrement de la vie politique, sociale et économique sous le même chapiteau appelé “pouvoir révolutionnaire". Ce pouvoir sera traduit selon la volonté du Conseil de la révolution sous la présidence de Boumediène, à travers une première étape de “décentralisation" administrative. Ainsi se firent jour la charte communale de 196, puis la charte de la wilaya en 1969 qui conféraient des rôles d'autonomisation de la gestion des structures locales. Toutefois, dans la pratique, les assemblées locales n'avaient point de poids devant l'autorité du maire et du wali. Le pouvoir local reproduit les mêmes pratiques du pouvoir central et il avait pour rôle d'asseoir la légitimité institutionnelle devant apporter la contradiction à la Constitution décriée de 1963, faisant croire au citoyen qu'il participe à la vie politique et sociale. Au lieu d'être le socle de la vie démocratique, le pouvoir local a été l'appendice dont se servait le CR pour mobiliser les masses et les mener à applaudir ses décisions. Il en était de même pour les organisations dites de masses comme l'UGTA, l'UNFA, l'UNPA et l'UNJA. Une ordonnance datée du 12 février 1971 est d'ailleurs venue donner aux permanents du FLN et des organisations annexes un statut comparable à celui des fonctionnaires, en précisant les avantages dont ils peuvent être bénéficiaires en échange de leur soutien inconditionnel à la politique du pouvoir. Ces
organisations fabriquent de l'unanimisme à coups de slogans creux et de phraséologie visant à anéantir toute autre pensée contraire à la volonté du régime. La gestion socialiste des entreprises a été l'autre versant de cette politique du tout contrôle et où parti, syndicat, et administration constituaient un seul et même bloc d'allégeance au pouvoir en place. Entre ces mouvements d'encadrement et la phobie instaurée de l'espionnite, le régime ne pouvait espérer meilleur contrôle et embrigadement de la société.
LE CR FAIT SA RÉVOLUTION Après le putsch de 1965, Boumediène promet de donner un coup de pied dans la fourmilière pour en finir avec "l'immobilisme" instauré par Ben Bella. Il lance alors en grande pompe ses révolutions industrielle, agraire et culturelle. Le deuxième président de la République algérienne, qui était toujours en quête de légitimation, misait sur ces trois axes pour mener à bout sa politique de développement. C'est en 1971 que l'orientation socialiste a trouvé son chemin dans la politique économique du pays. Les nationalisations des richesses naturelles, la révolution agraire, l'industrie industrialisante, la planification de l'économie étaient les maîtres mots de la politique de développement à la Boumediène. Leur mise en œuvre connut toutefois un échec, puisqu'elle a été victime de la bureaucratie et des passe-droits. Au socialisme vendu au peuple, faisait face un capitalisme d'Etat et l'apparition d'une bourgeoisie privée qui fleurissait dans l'ombre des nationalisations. La contradiction des discours de Boumediène venait de l'antre même du pouvoir. La culture n'a pas échappé à la vision centraliste que prônait le Boumediénisme. La "révolution culturelle" a quant à elle été basée sur l'instauration d'un monolithisme culturel niant la diversité de l'identité algérienne.
L'arabisation selon les préceptes du baathisme n'a pas été sans conséquences sur cette union du peuple tant clamée dans les discours de l'époque. L'identité berbère a été niée par les adeptes du panarabisme, poussant l'affront jusqu'à dire que le berbère est une invention française et accuser leurs contradicteurs de "réactionnaires et de contre révolutionnaires". Encore une fois, le pouvoir cherchait un autre mode de légitimation en ne faisant qu'un de “l'Islam et l'arabité" la politique culturelle de l'Algérie indépendante n'a fait que suivre la logique de la politique culturelle française en Algérie. L'une se propose d'arabiser, l'autre de franciser. Toutes les deux se proposent l'assimilation du peuple… L'Algérie bascula de "nos ancêtres les Gaulois" à "nos ancêtres les Arabes", écrit A.Yafsah. Le boumediénisme portait en lui les germes de son déclin, puisqu'il valsait entre socialisme débridé et capitalisme d'Etat face à une population de plus en plus lasse d'attendre la réalisation des promesses du chef du Conseil de la révolution. Sous ses airs d'une union nationale placée sous l'étendard de Boumediène, se cachaient des divisions qui ont même eu raison du tout puissant clan d'Oujda. Boumediène continue, jusqu'à la dernière année de son pouvoir, à tenter de donner une légitimité au coup de force dont il usa pour défoncer les portes de l'histoire de l'Algérie indépendante. Mais au lieu de divorcer avec la force, il en fit un N. B. mode de gouvernance. Références : 1- Rapportée par F. Abbas in Autopsie d'une guerre. 2- Abdelkader Yafsah : La question du pouvoir en Algérie. 3- Benjamin Stora : Histoire de l'Algérie depuis l'indépendance. 4- Benjamin Stora : Algérie, histoire contemporaine 1830-1988.
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1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS
LES ASSASSINATS POLITIQUES EN MODE DE GOUVERNANCE
DE KHIDER À... MEDEGHRI ■ Houari Boumediène, un nom dont la seule prononciation fait frémir de peur beaucoup d'Algériens. Le deuxième président de l'Algérie indépendante n’a pas ménagé des dizaines d’opposants à son régime.
PHOTOS : D. R.
Krim Belkacem assassiné le 18 octobre 1970 à Francfort
Ahmed Medeghri se suicide le 10 décembre 1974 à Alger
Par Hassan Moali out au long de son long règne de 13 années, Boumediène a fait gicler le sang de tous ceux qui lui contestaient sa mainmise sur l'Algérie. Qu'ils soient des héros de l'indépendance, des cadres du jeune Etat algérien, des berbéristes, des militants politiques ou des acteurs associatifs, l'omnipotent Président les a fait exécuter ou «suicider» sans état d'âme par son bras armé : la puissante Sécurité Militaire. Et à tout seigneur tout «honneur», ce fut son «ami» Ahmed Ben Bella qui fit connaissance avec la «méthode» Boumediène juste après l'avoir renversé le 19 juin 1965. Un coup d'Etat qui ne fut pas aussi blanc que cela dans la mesure où près de 40 personnes, qui avaient osé manifester à Annaba, furent froidement canardées. Quant à Ben Bella, il sera la première victime politique et psychologique du système Boumediène. Séquestré durant 14 années sans jugement, le Premier président ne sera même pas autorisé à assister à l'enterrement de sa vieille mère. Commence alors la longue série noire des années Boumediène durant laquelle la liquidation physique tenait lieu de pratique politique. Première cible : Mohamed Khider. Ce dirigeant de la révolution, qui s'était pourtant allié à Ben Bella à la prise du pouvoir en 62, est tué le 4 janvier 1967 à Madrid, où il s'était exilé en 1963. Son péché ? Avoir dénoncé le coup d'Etat du 19 juin 1965 et le pouvoir autocratique de Boumediène. Hocine Aït Ahmed désigne Youssef Dakhmouche comme étant l'exécutant du forfait. Le 14 décembre 1967, le coup d'Etat avorté du colonel Zbiri contre le pouvoir de Boumediène est réprimé dans le sang. Des Mig pilotés par des soviétiques bombardent les blindés de Tahar Zbiri, faisant près d'un millier de morts, dont de très nombreux civils, notamment à El Affroun, selon plusieurs témoignages.
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ACCIDENTS DOMESTIQUES, SUICIDES… Le 16 décembre 1967, le colonel Saïd Abid, évoqué récemment par l'ex-président Chadli, est déclaré «suicidé» dans son quartier général de Blida. En janvier 1968, le régime de Boumediène «innove» dans son entreprise criminelle en inau-
gurant les «disparitions». C'est ainsi que le colonel Abbès meurt mystérieusement sur la route Cherchell-Alger. Personne ne saura s'il a été enlevé chemin faisant ou s'il a été tout simplement «accidenté». Mais avec le meurtre de cet homme soupçonné d'avoir soutenu le putsh de Zbiri, il était clair que l'heure des règlements de comptes avec les opposants politiques a sonné. Le 7 avril 1969, la Cour dite «révolutionnaire» d'Oran (tribunal d'exception) condamne à mort par contumace une icône de la révolution, Krim Belkacem. Le «Lion des djebels» et négociateur en chef des accords d'Evian, que la France coloniale n'a pu tuer, est étranglé dans sa chambre à l'hôtel Intercontinental de Francfort (Allemagne). Des tueurs à gage de la sinistre Police politique de Boumediène ont exécuté la sale besogne le 18 octobre 1970. Là aussi, Hocine Aït Ahmed, l'un des rares opposants de Boumediène encore en vie, désigne un coupable : le commandant H'mida Aït Mesbah, chef du service opérationnel de la SM (actuelle DRSA). Quatre ans plus tard, Boumediène se débarrasse de l'un des plus brillants cadres de l'Algérie indépendante, Ahmed Medeghri. Ce ministre de l'Intérieur auteur des premiers découpages territoriaux de l'après-indépendance et fondateur de l'Ecole nationale d'administration, a été liquidé par un «décès accidentel» chez lui, à El Biar, selon la formule tragicomique de l'agence APS. Avec Boumediène, on peut en effet être victime d'un accident, y compris chez soi… Mais en réalité, Ahmed Medeghri, dont la mort hante encore ses bourreaux à ce jour, a payé son opposition à la première charte nationale des années 1970, lui préférant une constitution démocratique. Hocine Aït Ahmed rapporte, en effet, dans sa nouvelle préface pour la réédition de son livre L'Affaire Mecili la teneur d'une discussion qu'il a eue avec Claude Julien, l'ancien directeur du Monde Diplomatique. Il raconte que quelques jours avant sa disparition tragique le 10 décembre 1974, Ahmed Medeghri l’avait appelé pour annuler un rendez-vous déjà convenu entre les deux hommes à Alger.
CRIME DE «LÈSE-BOUMEDIÈNE» Motif ? Selon Aït Ahmed, le ministre Medeghri aurait précisé à son interlocuteur au bout du fil qu'il se sentait «vraiment
Mohamed Khider assassiné le 4 janvier 1967 à Madrid
menacé». Et avec Boumediène, la menace était systématiquement suivie de l'acte. Ce crime politique n'est bien sûr jamais assumé, tout comme les autres assassinats d'opposants. Seul le nom de cet illustre personnage, trônant sur le fronton de l'hôpital de Aïn Témouchent, rafraîchit un peu la mémoire. Le meurtre de Medeghri est le dernier de la longue liste noire des victimes très connues de Boumediène. Mais ce n'est pas fini. Il a juste changé de mode opératoire pour corriger ses adversaires. Ferhat Abbas, Benyoucef Benkhedda, Hocine Lahouel et Mohamed Kheireddine, les dernières brebis galeuses résiduelles de la Révolution, l'ont vérifié à leurs dépens. Ils ont été placés en résidence surveillée et leurs biens confisqués pour avoir osé un crime de «lèse-Boumediène» en publiant un manifeste dénonçant son pouvoir personnel. Que retenir donc de Boumediène sinon qu'il avait la gâchette particulièrement facile pour éliminer physiquement tous ceux qui bougent dans le sens opposé au sien. L'histoire retiendra que le président Houari Boumediène a érigé l'assassinat politique en mode de gouvernance dans la pure tradition du chef du clan de Oujda qu'il fut. H. M
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1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS
LES HOMMES DU PRÉSIDENT
LES FIDÈLES ET LES AUTRES Par Mohand aziri
Kasdi Merbah, patron de la Sécurité militaire (1962 -1979) De son vrai nom Abdallah Khalef, il est né le 16 avril 1938 à Béni Yenni (Tizi-Ouzou). Militant nationaliste, il rejoint l'ALN en 1956 en Wilaya V (Oranie). Il y navigue dans le sillage de fortes personnalités : Abdelhafid Boussouf, père des services de renseignements et du contre-espionnage du FLN et Houari Boumediene, sorte de maréchal de l'ALN. Affecté au Ministère de l'Armement et des Lisons Générales (MALG) dirigé par Boussouf, il fait partie de la jeune garde surnommée " Boussouf Boys ". Il appartient également à la première promotion de cadres militaires formés à Moscou, appelée " Tapis rouge ". Chef du service de renseignement du MALG auprès de l'état-major général en février 1960, il participe en tant qu'expert militaire au négociations de Rousses. Il se range dès l'éclatement de la crise de l'été 62 dans le camp de Boumediene. Patron incontesté de la " S.M " de 1962 à 1979, proche et fidèle collaborateur de Boumediène, il participe activement au coup d'Etat de juin 1965. Au moment de l'agonie de Boumediene, il était responsable de tous les services de sécurité, ce qui explique son rôle déterminant dans le processus de transition. En janvier 1979, il apporte son soutien au colonel Chadli qui l'emporte sur ses principaux concurrents. Il abandonne ses fonctions à la tête de la " S.M ", pour devenir le 5 mai 1979, SG du ministère de la Défense jusqu'au remaniement gouvernemental de juillet 1980, où il a été " mis à la touche ". Il est successivement vice ministre de la Défense, ministre de l'industrie lourde( janvier 1982), ministre de l'agriculture et de la pêche (janvier 1984), ministre de la santé (février 1988), Chef du gouvernement (de novembre 1988 au 9 septembre 1989). Il crée en 1990 le parti MAJD. Véritable pilier du régime, il sera assassiné le 21 août 1993.
Ahmed Draia, membre du Conseil de la révolution (1965-1979), directeur de la Sûreté nationale (1965-1979) Né le 10 mai 1929 à Souk Ahras. Officier de la Base de l'Est, il est arrêté en 1958 pour complot contre le GPRA et envoyé à la frontière malienne en 1960. Il dirigera en 1963 les compagnies nationales de sécurité et désigné le 1 juin 1965 à la tête de la DGSN qu'il ne quittera pas jusqu'à la mort de Boumediene, date de sa nomination à la tête du ministère des transport, puis ambassadeur au Portugal de 1980 jusqu'à sa mort en février 1988.
Ahmed Bencherif, commandant de la Gendarmerie nationale et membre du Conseil de la révolution (1962-1978), Né en avril 1927 à Djelfa, Ahmed Bencherif est un militaire de carrière dans l'armée française. En juillet 1957, il déserte le 1 er régiment des artilleurs algériens pour rejoindre l'ALN (wilaya VI) avec une partie de sa compagnie. Membre du CNRA en janvier 1960, il est nommé à la tête de la wilaya IV en juillet de la même année. Capturé en 1960, il est remis en liberté en avril 1962 et rejoint l'Etatmajor général de Boumediene. En septembre 1962, l'Exécutif provisoire le place à la tête de la gendarmerie. Il sera maintenu à ce poste jusqu'à avril 1977, date à laquelle il sera nommé ministre de l'Environnement, de la Bonification des terres et de l'Hydraulique. Une mise à l'écart déguisée. Membre du Conseil de la Révolution, il fait partie de ceux qui ont géré l'Algérie de 1965 à 1978 et du groupe restreint des huit titulaires restant sur 26 qui ont assumé la direction des affaires du pays durant la maladie de Boumediène. A la mort de celui-ci, il s'opposera résolument à la
candidature de Abdelaziz Bouteflika. Il est écarté du pouvoir à partir de février 1979, exclu du Comité central, puis accusé par la Cour des comptes de détournements de fonds. Il ne revient en politique, au Comité central du FLN, qu'en 1989.
Abdelaziz Bouteflika, ministre des Affaires étrangères (1963-1979), membre du Conseil de la révolution (1965-1978) Issu d'une famille originaire de Tlemcen, il est né le 2 mars 1937 à Oujda (Maroc) où ses parents tenaient un bain maure. Il rejoint l'ALN à la frontière algéro-marocaine en 1956 en wilaya V (…). En 1960, le commandant Si Abdelkader est chargé d'ouvrir le front malien. Proche collaborateur de Boumediene, il effectue en 1961, une mission de prospection pour le compte de ce dernier auprès des leaders du FLN détenus à Aulnoy en vue de s'assurer leur alliance dans la course au pouvoir à l'approche de l'indépendance. C'est donc Bouteflika qui jette des ponts entre Ben Bella et Boumediene pour s'opposer au GPRA. Député de Tlemcen à l'Assemblée constituante, il est nommé ministre de la jeunesse, des sports et du tourisme en septembre 1962. Après l'assassinat de Mohamed Khemisti, il assurera pendant quatre mois l'intérim au ministère des affaires étrangères. Il sera confirmé à ce poste en septembre 1963 et le gardera 16 ans de suite. Faisant partie du cercle restreint des intimes de Boumediene, Bouteflika est à l'origine directe du processus ayant achoppé du coup d'Etat contre le président Ben Bella. En voulant le limoger, Ben Bella a en effet précipité sa propre chute le 19 juin 1965. Durant toute la période où il dirige les AE, son nom sera associé à l'intense activité de la diplomatie algérienne. Ne partageant pas tous les choix politico-économiques de Boumediene, il plaide, à l'intérieur des instances dirigeantes, pour une plus grande souplesse du système. Ce qui lui vaudra d'être présenté comme l'homme de l'Occident, un " libéral ". Candidat malheureux à la succession, il est éjecté, graduellement, du cercle du pouvoir. Il est évincé du gouvernement et du BP le 2 juillet 1981. Sa disgrâce est confirmée en 1983. La Cour des comptes le condamne a rembourser 6 milliards de centimes. Il lui est reproché des irrégularités dans la gestion d'une " régie occulte " ouverte, au nom de son ministère, dans une banque à Genève. Deux ans plus tard, il est disculpé par la Cour d'Alger. En avril 1999, il deviendra le septième président de la République algérienne démocratique et populaire.
Cherif Belkacem, membre du Conseil de la révolution (1965-1975) Né le 10 juillet 1930 à Ain Beida, militant de l'UGEMA et du FLN au Maroc, il rejoint l'ALN et devient commandant de la zone I de Tlemcen jusqu'à la fin 1959, date a laquelle il rejoint le P.C de la wilaya V, à la frontière algéro-marocaine où va se constituer le fameux " groupe de Oujda ". Député de Tlemcen à l'Assemblée constituante (septembre), le compagnon de jeunesse de Boumediene devient ministre de l'Orientation nationale dans le gouvernement Ben Bella, Partisan du coup d'Etat de juin 1965, il est chargé du département Information en plus de celui de l'Orientation nationale. Membre du Conseil de la Révolution, " coordonnateur du secrétariat du Parti " (juillet 1965 - décembre 1967), il est nommé en mars 1968 ministre d'Etat chargé des Finances et du Plan. C'est sous autorité qu'est élaboré le premier plan quadriennal 1970-1973, qui lance l'industrialisation de l'Algérie. Il quitte ce ministère en mars 1970 pour présider le Conseil national économique et social. Après la mise à l'écart de Kaid Ahmed en décembre 1972, premier maillon du " groupe d'Oujda " à céder, c'est à Cherif Belkacem que Boumediene confie la mission
de reprendre en main le FLN. Ministre d'Etat sans portefeuille, il apparaît alors comme le " numéro deux " du régime. Il anime les Commissions nationales de la Révolution agraire et de la Gestion socialiste des entreprises, mais son étoile ne cesse de décliner. En 1975, des rumeurs insistantes attribuent à l'épouse de Chérif Belkacem la publication d'un livre à scandales intitulé Les Folles Nuits d'Alger. Boumediene en profite pour évincer son compagnon du Conseil de la Révolution, puis pour supprimer son ministère d'Etat en juillet 1975. Jugé indésirable, il quitte subrepticement le pays pour s'installer en Europe. Il réapparaît au lendemain des événements d'Octobre et signe le " Manifeste des 18 " et se présente aux élections présidentielles de 1999.
(1964-1966), et l'inamovible ministre de l'industrie et de l'énergie de Boumediene (19651977), puis des Industries légères (19771979). Il a la haute main sur toute la politiques et projets industriels. En 1982, Belaid Abdeslam est accusé de " corruption ". Il sera vite innocenté. Il sera écarté du pouvoir peu après l'élection de Chadli. Il revient en politique en 1988 en signant le " manifeste des 18 ". Il est nommé chef du gouvernement juillet 1992 jusqu'à août 1993.
Kaïd Ahmed, membre du Conseil de la révolution (1965-1972), responsable du FLN (1968-1972)
Né à Barika (Batna), Mohamed Salah Yahiaoui est instituteur avant de rejoindre le maquis en 1956, où il devient membre de l'état-major général dirigé par Boumediène. Membre du Conseil de la Révolution lors du coup d'Etat de juin 1965, le colonel Yahiaoui est placé à la tête de l'Ecole interarmes de Cherchell1968 à 1977. En novembre 1977, il est chargé par Boumediene de reprendre en main le Parti. Candidat potentiel à la succession, il est écarté par l'armée au profit de Chadli Bendjedid.
Né le 17 mai à Tiaret. Militant de l'UDEMA de Ferhat Abbas et secrétaire général du parti dans sa ville natale, en 1951, Kaid Ahmed est élu conseiller municipale et adjoint au maire de Tiaret. Membre du Comité central de l'UDEMA, il rejoint le maquis fin 1955. Il est d'abord Commissaire politique et capitaine de la zone VIII de la wilaya V, puis devient adjoint du colonel Boumediène. Nommé au CNRA en 1959, le commandant Slimane (nom de guerre) assurera par la suite le secrétariat pour l'Ouest de l'état-major général de l'ALN (…) il participe à la première conférence d'Evian, devient commandant de la Base Ouest-Oujda. 2lu député de Tiaret(septembre 1962), nommé ministre du Tourisme, il démissionne et rejoint son siège à l'Assemblée (juillet 1964). C'est lui qui annoncera à la radio la destitution de Ben Bella et promu ministre des Finances et du Plan (juillet 1965). Nommé responsable du Parti (mars 1968), il quittera les affaires publiques suite à de profondes divergences avec Boumediene notamment sur les grandes orientations politico-économiques. Kaid Ahmed meurt en exil au Maroc le 5 mars 1978.
Ahmed Medgheri, ministre de l'Intérieur (1963) (1965-1975), membre du Conseil de la révolution Né le 23 juillet 1934 à Oran, Ahmed Medgheri a grandi à Saida. Il obtient le baccalauréat " série mathématiques élémentaires) en 1953 mais dut interrompre ses études universitaires à Grenoble suite à des difficultés matérielles. Medgheri retourne au pays et se fait instituteur Militant à l'UDEMA, il rejoint l'ALN en juillet 1957 à la wilaya V où il devient l'un des plus proches adjoint de Boumediene. Il contribuera à rédiger le volet militaire des Accords d'Evian, à l'indépendance, il deviendra premier wali de Tlemcen, puis ministre de l'intérieur Pour marquer son désaccord avec Ben Bella, il démissionne en 1964. Il reprend son poste après le coup d'Etat et y restera jusqu'à sa mort tragique (" accident " par balle chez lui)le 10 décembre 1974.
Belaïd Abdeslam, ministre de l’Industrie et de l'Energie (1965-1977) Issu d'une famille aisée originaire de Grande Kabylie, Belaid Abdeslam est né en 1928 à Ain Kebira (Sétif). Militant du P.P.A, président de l'UGEMA (1951-1953), membre du Comité central du PPA/MTLD, tendance centraliste, Belaid Abdeslam rejoint le FLN en mai 1955. en 1958, il est appelé auprès du ministre de la culture du GPRA, Tewfik El Madani, puis de Abdelhamid Mehri aux Affaires sociales. Au lendemain du cessez le feu, il est chargé par le FLN des questions économiques à l'Exécutif provisoire. Après l'indépendance, il sera écarté des responsabilités, jusqu'à sa désignation pour conduire la délégation algérienne dans les négociations pétrolières avec la France. Il devient le premier président de Sonatrach
Mohamed Salah Yahiaoui, membre du Conseil de la révolution (19651979) et coordinateur du Parti (19771979)
Ahmed Taleb El Ibrahimi, ministre de l'Education nationale (19651970), ministre de l'Information et de la Culture (1970-1977), ministre conseiller auprès du président de la République (1977-1980). Né le 5 janvier 1932 à Sétif, fit ses études primaires à Tlemcen où son père Cheikh Bachir Ibrahimi s'était installé en 1933 comme responsable de l'association des oulémas algériens pour l'Ouest du pays. En 1949, il entreprend des études à la Faculté de Médecine d'Alger, puis de Paris. Il milite d'abord au sein de l'Udema. Elu président de l'Union générale des étudiants musulmans (UGEMA) en juillet 1955, il développe un discours arabo-islamique. En mars 1956, il accède au Comité fédéral de la Fédération de France du FLN, il est fait prisonnier en février 1975 et détenu à la prison de Fresnes puis à la Santé jusqu'à septembre 1961. Remis en liberté (provisoire) il quitte la France pour la Tunisie et rejoint le GPRA. A l'indépendance, il est mis à l'écart par Ben Bella, soupçonneux à l'égard des oulémas. Docteur en médecine, proche de l'opposition de (1963-1965), Taleb Ibrahimi est arrêté en juin 1964 car soupçonné d'être en contact avec la " contre-révolution ", le CNDR de Moussa Hassani, mais bénéficie d'un non lieu et libéré en janvier 1964. Après un court séjour au Moyen-Orient, il rentre au bercail pour pratiquer au service hématologie de l'hôpital Mustapha. Le 10 juillet, il est appelé par Boumediène pour être son ministre de l'Education nationale. Moins d'un an après son département publie un plan décennal d'enseignement axé sur trois points : " démocratisation, arabisation, orientation scientifique et technique ". Confronté à la contestation estudiantine, il décide la fermeture de l'Université d'Alger le 7 février 1968 pendant trois semaines. En juillet 1970, il devient ministre de l'Information et de la Culture jusqu'au 27 avril 1977, date à laquelle il devient ministre conseiller auprès du président Boumediène, poste qu'il gardera dans le premier gouvernement de Chadli. Il est quelque temps après président de la Cour des comptes. Source : D'après Achour Cheurfi, La classe politique algérienne de 1900 à nos jours, Dictionnaire biographique, Casbah Editions, Alger, 2001 M. A.
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1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS
CEUX PAR QUI TOUT ARRIVA
LE COLONEL BOUMEDIÈNE ET LE GROUPE D'OUJDA ■ Evoquer Boumediène revient aussi à parler de son entourage. Il est impensable de se rappeler Houari Boumediène sans mentionner le clan d'Oujda, ce groupe de personnes dont il a été le mentor et le chef et sur lequel il s'est appuyé pour asseoir son pouvoir. Par Nadjia Bouaricha
C
'est ce noyau d'Algériens nés au Maroc, qui compte à son actif deux putschs, qui a permis à Boumediène de parvenir à ce destin de chef d'Etat de l'Algérie indépendante. Houari Boumediène était chef de la Wilaya 5 et installa son QG dans la ville marocaine frontalière avec l'ouest du pays, Oujda. Tout comme Boussouf pour le MALG, Boumediène recruta des alliés parmi ces Algériens du Maroc pour l'état-major général de l'ALN. Le premier s'en servit pour porter le premier coup de l'armée contre les politiques en assassinant Abane Ramdane, et le second y trouva un appui pour porter le deuxième coup de force de l'armée contre le FLN en s'attaquant au Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA). Le groupe d'Oujda est entré de la sorte par effraction dans l'histoire de l'Algérie et il signera, avec Boumediène à sa tête, l'acte de naissance du régime algérien.
PHOTO : AFP
CES ALGÉRIENS DU MAROC NOMMÉS WASTI Les membres du groupe ou clan d'Oujda sont désignés comme ceux qui sont nés ou ayant vécu au Maroc avant 1962. Les "wasti", en référence à la position géographique de l'Algérie au centre du Maghreb, ou encore "deuxième francis, français de seconde catégorie", comme aimaient à les qualifier les Marocains, sont des Algériens qui sont nés au Maroc avant le déclenchement de la guerre de libération. Après la soumission de l'Emir Abdelkader en 1848, puis la défaite des soulèvements des Ouled Sidi Echeikh puis de Bouamama, une communauté algérienne s'est installée dans le pays voisin de l'Ouest. Une autre communauté enrôlée quant à elle dans l'armée française pour imposer le protectorat au Maroc y a aussi trouvé asile. Une troisième migration d'Algériens a quant à elle rejoint le Maroc, après 1954 par fuite des représailles de l'armée française. Le clan d'Oujda s'est bâti toutefois sur la première communauté d'Algériens au Maroc, qui était une communauté de petite bourgeoisie francophone composée soit de propriétaires terriens ou d'auxiliaires de l'administration marocaine. Cette dernière communauté trouva sa place dans les rangs de l'armée, de la sécurité militaire et du FLN. Le colonel Bencherif estime le nombre d'Algériens rentrés du Maroc en 1962 à pas moins de 10000 hommes. Le travail commencé par le MALG de Boussouf au milieu des années 1950 a connu une suite avec Boumediène qui introduisit la logique des clans pour accéder au pouvoir. Entouré d'Ahmed Medeghri, Kaid Ahmed, Cherif Belkacem, Abedlaziz Bouteflika, Boumediène créa le groupe d'Oujda. Les "malgaches" de Boussouf se fondèrent dans ce qui est devenu plus tard le clan d'Oujda. Le régionalisme s'est érigé en règle d'appartenance à ce clan. "Mohamed Boukharouba s'affubla d'un nom de guerre qu'il emprunta au saint légendaire Boumediène, très connu dans l'Oranie, et du prénom de Houari, très répandu dans cette même région… dans le régionalisme qui sévissait dans l'armée des frontières, être à la fois, saint et oranais, c'était avoir toutes les chances avec soi"(1). Le groupe d'Oujda, sous les commandes de Boumediène et toute l'armée des frontières, attendait la fin de la guerre de libération qui avait éprouvé les moudjahidines de l'intérieur du pays dans la lutte contre l'armée coloniale pour pouvoir entrer en jeu. Laissant les politiques se charger des négociations d'Evian, et après la sortie des cinq historiques de prison, l'état-major général sous Boumediène trouve le moment propice pour actionner le coup d'Etat contre le GPRA. Pour donner du poids à ce coup de force, il fallait une couverture politique via un des historiques. Seul Ben Bella, animé aussi par l'amour du pouvoir, accepta l'offre de l'EMG. En légalistes, Aït Ahmed et Boudiaf refusèrent de cautionner le putsch. "L'armée de Boumediène avait un double atout considérable : sa force et son unité favorisées par un long travail d'endoctrinement. Mais elle n'avait que peu de répondants dans la société algérienne et son leadership était rejeté par plusieurs wilayas. Il fallait à Boumediène de bien faire jouer le prestige de Ben Bella pour s'implanter politiquement "(2). Afin de donner du crédit aux putschistes, un autre groupe baptisé “groupe de Tlemcen”, en opposition au groupe de Tizi Ouzou qui était sous la coupe de Krim Belkacem, fut créé et mit au point la naissance du Bureau politique, un instrument politique pour le dénigrement du GPRA. Le groupe de Tlemcen regroupant Ben Bella, Khider, Mohammedi, Ferhat Abbas, Ahmed Boumendjel et Ahmed Francis a formé un duo avec le groupe d'Oujda pour mettre au pas les commandements des wilayas historiques notamment la III et la IV. Ben Bella était tout désigné pour devenir le premier président de l'Algérie indépendante sous la bénédiction de l'EMG de l'ALN qui marcha sur Alger pour accéder au "trône". La Zone autonome d'Alger sous Yacef Saâdi ouvrit grandes les portes de la capitale à la coalition Boumediène-Ben Bella au prix de plusieurs morts du fait d'affrontements avec les troupes de la Wilaya IV qui étaient ralliées au GPRA. Le cri "sept ans ça suffit" des populations a fini par mettre fin aux hostilités. L'armée des frontières réussit son coup et pénétra d'un pied ferme dans ce qui est devenu le pouvoir algérien, sur des centaines de cadavres. Dans la nuit du 28 au 29 septembre, Ben Bella, candidat
Le groupe d’Oujda signera, avec Boumediène à sa tête, l’acte de naissance du régime algérien unique, fut élu par l'Assemblée, chef d'un gouvernement de 19 portefeuilles. Boumediène qui s’adjugea l'important poste de ministre de la Défense, proposa 4 postes : deux pour ses compagnons de l'armée des frontières d'Oujda, à savoir Bouteflika et Medeghri et deux autres pour l'armée des frontières de l'Est, à savoir Moussa Hassani et le docteur Nekkache. Le putsch servit l'armée qui, depuis l'indépendance, a joué la carte de l'unité face aux divisions politiques. "Le clan d'Oujda s'était ouvert au recrutement intensif de "soldats" venus des rangs de l'ALN, tout comme les "marsiens" de tout bord avaient pris d'assaut les administrations, étaient avant tous des éléments opportunistes sans aucune conviction politique ou idéologique. Ils étaient recrutés non pas pour faire la guerre mais pour construire le nouvel Etat "(3). Avec les recrues du MALG de Boussouf devenu Sécurité militaire, et à leur tête Kasdi Merbah, et les tacticiens politiques de son groupe d'Oujda, Boumediène n'avait plus qu'à laisser mijoter son accession à la tête de l'Etat.
LA FIN D'UNE COLLÉGIALITÉ Dans le deuxième gouvernement de Ben Bella, Cherif Belkacem et Kaïd Ahmed sont nommés ministres et Boumediène fut nommé 1er vice-président de la République. En sus de leurs responsabilités gouvernementales, respectivement la Défense nationale, l'Intérieur et les Affaires étrangères, Boumediène, Medeghri et Bouteflika firent leur entrée au Bureau politique. A l'heure où Kaïd Ahmed et Cherif Belkacem étaient désignés respectivement, ministres du Tourisme et de l'Orientation nationale et membres du Comité central. Sentant son pouvoir personnel menacé par les ambitions grandissantes du clan d'Oujda, Ben Bella œuvra à la mise à l'écart de ses anciens compagnons de la course au pouvoir. "Président de la République, chef du gouvernement, secrétaire général du FLN, il s'attribue les portefeuilles de l'Intérieur, des Finances, de l'Information". Après Kaïd Ahmed, Medeghri, puis Belkacem Chérif, le tour du ministre des Affaires étrangères, Abdelaziz Bouteflika, arriva pour se voir retirer son poste. Le groupe d'Oujda se réfère à son chef, Houari Boumediène afin de mettre un terme aux attaques de Ben Bella. Le coup d'Etat du 19 Juin 1965 a été la réponse de celui qui devint le deuxième président de l'Algérie. Mais la logique du clan ne durera pas face à la logique de l'intérêt personnel. La fin de l'union du groupe d'Oujda sous Boumediène ne tardera pas à se manifester. En pleine campagne des nationalisations, le divorce de Boumediène d'avec ses anciens compagnons d'Oujda ne tarde pas à être prononcé. "Les raisons ne manquaient pas : choc des caractères, rivalités incontrôlables, apparition de nouveaux cadres politiques, radicalisation des réformes, domination écrasante de Boumediène et bien d'autres encore ont fini par entamer le pacte de fer qui liait les membres du groupe d'Oujda"(4). L'histoire n'a pas encore tout dit sur cette dislocation du groupe d'Oujda, mais des supputations sont émises. La révolution agraire avait entamé la relation privilégiée des membres du groupe d'Oujda avec leur mentor. "Pour l'opinion publique algérienne, ni
Bouteflika, ni Cherif Belkacem, ni Medeghri ne faisaient figure de socialistes. Boumediène, porté par le consensus populaire et voulant suivre le processus de la mise en application de la révolution agraire, a rogné les prérogatives du ministre de l'Intérieur Medeghri. Sur le conflit du Sahara occidental, il semblerait que la solution de Bouteflika ne procédait pas de la même démarche de Boumediène. Quant à Cherif Belkacem, on ne sait pas si sa disgrâce lui est venue de sa santé fragile ou bien de la soi-disant publication par sa femme étrangère d'un livre intitulé "Les folles nuits d'Alger" dans lequel plusieurs personnalités auraient été mises en cause. Toutefois, ce qui est certain est que cette affaire du livre dont tout le monde parlait mais que personne ne pouvait exhiber relevait de l'intox à l'encontre d'un homme qu'on voulait éloigner du pouvoir", note Abdelkader Yafsah. Pour sa part, Khalfa Mameri confirme la désapprobation par les membres du clan d'Oujda de la révolution agraire et évoque la crise de l'été 1974. Kaïd Ahmed, propriétaire terrien et de Haras, a été le premier à être éliminé par Boumediène en 1972 en lui ôtant son poste de ministre. "Trois faits sont bien établis. Un grave incident entre Medeghri ministre de l'Intérieur et Mahroug ministre des Finances. Celui-ci cherche sur ordre de Boumediène à rapatrier les reliquats de crédit que les ambassades viraient habituellement sur un compte bancaire suisse. S'est-il senti personnellement visé ou non, Bouteflika aura plus tard quelques démêlées avec la Cour des comptes. Medeghri qui semble faire équipe avec Bouteflika pour éliminer Cherif Belkacem s'en mêle. Il convoque manu militari Mahroug, et l'aurait menacé d'un pistolet et d'un dossier intime compromettant "(4). Le deuxième fait cité oppose Medeghri au ministre de la Culture, Taleb El Ibrahimi un reportage télévisé sur une villa somptueuse qui appartiendrait à la mère de Medeghri. A-t-on voulu salir ce dernier, le discréditer, le déstabiliser au moment où le populisme battait son plein en Algérie ? Une chose est sûre : le journaliste est tabassé et Taleb couvert de mots peu aimables". Le troisième fait concerne la réunion de deux membres du clan d'Oujda à Annaba "ces deux membres séjournent à Annaba avec Draïa, directeur général de la Sûreté nationale. Qu'avaient-ils à y faire ? Quel était le rôle du chef de la Sûreté nationale ? Etait-il informateur de Boumediène ou jouait-il pour son compte ? De ces questionnements sont parties des supputations sur une tentative de déstabilisation de Boumediène". Le "suicide" de Medeghri en 1974 signera la fin du groupe d'Oujda. "Après l'exil extérieur de Kaïd Ahmed, intérieur de Chérif Belkacem et la mort de Medeghri, il ne restait plus que Bouteflika et Boumediène". N. B. Références : 1- 3. Abdelkader Yafsah. La question du pouvoir en Algérie. 2-Gilbert Meynier. Histoire intérieure du FLN 1954-1962. 4- Khalfa Mameri. Les Constitutions algériennes.
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1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS
ADOPTION DE LA CHARTE NATIONALE EN JUIN 1976
ENFIN LA «LÉGITIMITÉ CONSTITUTIONNELLE» ! ■C'est à l'occasion du dixième anniversaire du coup d'Etat militaire de juin 1965 que fut annoncé le projet d’élaboration d'une charte nationale. Par Nadir Idir ans son discours aux cadres de la nation, le chef de l'Etat, Houari Boumediène, a annoncé une série de mesures tendant à instaurer un «système socialiste» tout en prévoyant une nouvelle Constitution, des élections présidentielles et législatives. Des discussions devaient intervenir, mais des événements ont en retardé la tenue. La crise avec le Maroc et l'initiative tapageuse du quarteron AbbasBenkhedda-Kheirddine-Lahouel ont fait que les «débats publics» prévus n'ont été lancés que quelques mois plus tard. Le ministre de l'Industrie de l'époque, B. Abdessalem, relèvera que la rédaction de la charte fut confiée au début à un comité restreint qui «s'est trouvé un temps en plein sommeil». «Le défoulement national», dont a parlé Abdelkader Yefsah dans son livre sur le processus de légitimation du pouvoir militaire, n'a pu avoir lieu. Mais pourquoi un tel texte dans un contexte aussi trouble ? Yefsah parlera de «la dernière étape du processus de légitimation entamé par le régime qui ne s'appuyait auparavant que sur la légitimité révolutionnaire», Khalfa Mameri, politologue, et plusieurs fois ambassadeur, s'étonnera pour sa part du retard pris par Boumediène pour adopter une nouvelle Constitution, alors que celle de 1963 a été gelée bien avant son accession au pouvoir. Eludant la question de la charte nationale, primordiale pour comprendre le texte constitutionnel, Mameri reléve dans son dernier livre consacré aux Constituions algériennes, édité chez Thala, que l'homme fort du moment qui a déposé Ben Bella pouvait bien garder le gouvernement et la Constitution de 1963 et en changer, s'il le faut, quelques aspects. Mameri parlera des facteurs qui ont décidé l'«homme au caroubier» à adopter «sa» Constitution et par extension, peut-on ajouter, la charte nationale : le conflit avec le Maroc, mais surtout l'éclatement prévisible depuis l'adoption de la révolution agraire, du clan de Oujda. De ce clan d'ailleurs, il ne restait que le chef, les trois autres membres qui le constituait étaient écartés ou bien ne prenaient pas part, du fait des déplacements à l'extérieur, à la prise de décision. Ainsi, Medeghri, Kaïd Ahmed, et plus tard Cherif Belkacem ont été «écartés», tandis que le «fringuant» ministre des Affaires étrangères, comme le rappelle Abdessalem dans ses entretiens avec Ali El Kenz et M. Benoune, se tenait à l'écart. Tout en adoptant cette posture, Bouteflika ne voyait pas l'utilité d'un tel texte décidé à la hâte et supposé élargir les prérogatives du raïs. «Une blague, du bla-bla», aurait dit le ministre des AE de Boumediène, qui aurait voulu, poursuit Abdessalem, «arriver à faire une Constitution et réduire les pouvoirs
PHOTO : D. R.
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La charte de 76 a donné lieu à une chasse aux «anciens» du régime qui ne plaisaient plus
de Boumediène». Un comité improvisé de rédacteurs a été installé au lendemain du discours du 19 juin 1975. Des personnalités choisies expressément par Boumediène y ont pris part. En plus du «papier» sur le modèle économique de l'Algérie, conf ié à B. Abdessalem, Boumediène fera écrire celui touchant aux options politiques par M.S. Benyahia, alors que la partie traitant de la politique culturelle est confiée à M. Lacheref et R. Malek. Une nouvelle donne s'est toutefois manifestée, une fois lancés, en mai 1976, les débats pour l'«enrichissement» de la charte nationale : les discussions publiques étaient d'une «franchise» peu commune dans une république qui ne s'y est pas habituée. Mais la censure off icielle veillait toujours au grain puisque plusieurs passages furent coupés lors des retransmissions à la télévision nationale.
LE RÉGIME SOURD À LA REVENDICATION BERBÈRE Les théoriciens du régime, regroupés plus tard dans une commission, ontils pris en compte les propositions faites ? Rien n'est moins sûr lorsque l'on sait que les «propositions» des étudiants berbérophones de la faculté d'Alger, qui ont participé aux débats consignés dans des procès-verbaux, n’ont été prises en compte que partiellement. Le régime n'a daigné ajouter la composante berbère du peuple algérien que pour mieux l'escamoter. Du pur saupoudrage destiné, relève Abdessalem, à plaire à une partie de la population. L'initiateur de cette option n'est autre
que Taleb Ibrahimi, le promoteur zélé de la politique d'arabisation tous azimuts de l'Algérie, poursuit encore Abdessalem qui n'est pas toujours doux avec son collègue du gouvernement. La charte nationale est enfin approuvée le 27 juin 1976 par référendum et la Constitution le 27 novembre. Des élections s'en sont suivies et Boumediène, unique candidat en lice, est élu, comme il fallait s'y attendre, en décembre, par 99,38% des votants. La charte a donné le coup d'envoi à une chasse aux «anciens» du régime qui défendaient des idées qui ne plaisaient plus. Le promoteur de la politique économique, de l'industrialisation, quelque peu lésé après cette période, essaiera, a posteriori, de battre en brèche les accusations qui lui sont portées sur le fait d'avoir «fait virer l'Algérie au rouge», tout en ne manquant pas d'affirmer que cette charte était «le summum de la politique de gauche de Boumediène». Mais ce qui fera réagir le plus les détracteurs de Boumediène de l'époque sont les options politiques et identitaires mentionnées dans la charte promulguée le 5 juillet 1976. Les critiques sur le texte n'ont d'ailleurs pas manqué, lors des discussions publiques mais surtout après. Donnant le premier l'estocade, le président du FFS, en exil, a averti, début juin 1976, sur les dérives que permettra l'adoption du texte. «Rien ni personne n'a empêché Boumediène de donner une base légitime à son pouvoir, tout lui commandait de faire singulièrement, le fait qu'il ait renversé l'homme qui lui a confié à lui et à ses amis les res-
ponsabilités les plus importantes, qu'il ait mis en vacance la Constitution alors en vigueur», affirmera dans une déclaration Aït Ahmed, qui assure que le président «détient la totalité de la puissance publique, concentre tous les pouvoirs en vertu d'un attribut intrinsèque à sa personne». Et de citer les méfaits de ce régime : «Sans aucun titre, il séquestre Ben Bella qui attend d'être jugé ou même inculpé depuis plus d'une décennie, il met "en résidence" deux autres présidents, Abbas et Ben Khadda, pour délit d'opinion et emprisonne pour délit culturel des dizaines de jeunes de Kabylie», assure-t-il. L'opposant indiquera avec un verbe bien senti que «seul un processus de démocratisation pourra enrayer le processus de déréalisation et de violence».
LE MYTHE D’UN PEUPLE HOMOGÈNE Avec l'adoption du texte, tout espoir de changement est aboli. Un disciple de Hocine Aït Ahmed reviendra à la charge plusieurs années plus tard. Djamel Zenati parlera dans une contribution sur «le mythe du peuple algérien homogène, sans particularisme». Pour lui, tous les textes fondamentaux de la République algérienne assument une volonté d'uniformisation et laissent à l'état de tabou toute référence aux peuples, aux langues et aux cultures berbères. Le monisme à caractère jacobin, doublé d'une référence à l'Islam, va être conforté, soutient-il, par la charte nationale de 1976. «Pour Abdelkader Yafsah, la charte était un appel au soutien politique du régime en ce sens qu'elle
visait sa légitimation.» Le pouvoir révolutionnaire, poursuit-il, recherchait sa consécration juridique par le biais d'une approbation, populaire/alibi. «Rien de plus. Dans une Algérie, un système politique militarisé, le juriste Madjid Bencheik parlera pour sa part de cette volonté du régime de l'époque d'édifier un Etat «sérieux, stable et fort» capable de se débarrasser de «l'anarchie qui caractérise les premières années de l'indépendance.» Mais le politologue n'y croit pas trop : «Il ne suffit pas de vouloir un Etat fort pour le construire et des institutions crédibles pour obtenir l'adhésion réelle des populations. Ce qui intrigue le plus les constitutionnalistes, c'est le fait de bousculer ce que l'école normativiste appelle le sacro-saint principe de la pyramide des normes.» La Constitution, adoptée le 27 décembre 1976, devant être la loi d'où découlent toutes les autres, est biaisée. Le système n'en a pas tenu compte et, avec le soutien de quelques juristes du sérail, concoctera des textes sans grande rigueur juridique. L'énoncé de l'article 6 de la Constitution est pour le moins étonnant : «La charte nationale est la source fondamentale de la politique de la nation et des lois de l'Etat. Elle est la source de référence idéologique et politique pour les institutions du parti et de l'Etat à tous les niveaux.» Ne s'en tenant pas à un juridisme longtemps dénoncé, les concepteurs n'ont voulu qu'une chose : renforcer les pouvoirs de Boumediène et lui permettre de se débarrasser de ses adversaires, avant même le congrès du FLN prévu pour décembre de l'année 1978 ou début 1979. N. I.
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1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS
PAUL BALTA, ANCIEN
«BOUMEDIÈNE ENVISAGEAIT
1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS
CORRESPONDANT DU JOURNAL LE MONDE À ALGER
DE LIBÉRALISER LE RÉGIME»
■Véritable homme frontière comme on n’en trouve plus de nos jours, Paul Balta a séjourné à Alger durant les années 1970. Sous-chef du service Proche-Orient au journal Le Monde, il a été correspondant au Maghreb, avec résidence à Alger de 1973 à 1978. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, ce passeur entre les cultures et amoureux de la Méditerranée reviendra sur le parcours de l’homme fort d’Alger qu’il a connu et dont il a apprécié les qualités, indéniables, soutient-il. D'ailleurs, le journaliste ne s’est jamais départi de la sympathie qu’il a pour le président algérien. L’écrivain le fait toujours savoir dans ses entretiens avec les mêmes mots, toujours bien sentis. Paul Balta a écrit, entre autres ouvrages, La Stratégie Boumediène, Sindbad, 1979 ; La Vision nassérienne, Sindbad, 1982 ; ou encore L’Algérie, éditions Milan, Toulouse, 2000.
Comment s’est déroulée votre première rencontre avec le président Houari Boumediène ? Les appréhensions que vous ne manquiez pas d’avoir ont-elles disparu depuis ? Correspondant du journal Le Monde au Maghreb, de la Libye à la Mauritanie, résidant en Algérie de 1973 à 1978, j’ai rencontré Houari Boumediène avant la IV e Conférence des chefs d’État des pays non alignés (Alger, 5-9 septembre 1973). Ce premier contact, déterminant pour la suite de nos relations, nous éclaire sur sa personnalité. Je venais de publier La politique arabe de la France et des articles sur l’enseignement de l’arabe. Ils étaient sur son bureau. Après un tour d’horizon, en français, au cours duquel il m’avait interrogé sur mes entretiens avec De Gaulle, Pompidou et Nasser, je lui avais dit : «Monsieur le Président, je crois que vous accordez vos interviews officielles en arabe.» Il avait approuvé d’un signe de la tête. «Cela ne me dérange pas. Toutefois, au Collège Saint Marc, à Alexandrie, mes professeurs égyptiens m’ont enseigné un arabe classique, un peu archaïque.» Il a poursuivi : «Hélas, hélas ! Et cela n’a pas changé !» D’une extrême courtoisie, il avait eu un geste d’excuse pour m’avoir interrompu et m’a invité à poursuivre. Je lui ai alors expliqué que j’avais acquis seul mon vocabulaire économique et politique et demandé de me parler plus lentement en abordant ces thèmes. En grand seigneur, il a répondu : «Monsieur Balta, vous avez beaucoup fait dans vos écrits pour la culture des Arabes et leur dignité. Nous avons commencé en français, nous continuerons donc en français !» Et il en fut ainsi pendant quelque cinquante heures d’entretiens en tête-à-tête qu’il m’a accordés en cinq ans et qui furent d’une grande liberté de ton. Si j’avais des appréhensions avant l’entretien, elles se sont vite dissipées lorsqu’il m’a dit : «Vous appartenez au monde arabe par votre mère. C’est important, car chez nous la mère compte plus. Vous expliquez le monde arabe de l’intérieur. C’est pourquoi j’ai souhaité vous voir nommé correspondant à Alger. Voilà, maintenant, vous êtes des nôtres.» On disait que l’homme discret ne menait pas la grande vie. D’où lui est venu ce trait de caractère qui le distingue des présidents qui ont accédé à la magistrature suprême depuis l’Indépendance du pays ? Discret mais eff icace, timide mais f ier, réservé mais volontaire, autoritaire mais humain, généreux mais exigeant, prudent dans l’audace, voilà comment m’est apparu Boumediène. Pourquoi ? Né dans une famille de paysans pauvres, de père arabophone et de mère berbérophone, il estimait qu’il incarnait les deux grandes ethnies de l’Algérie. En outre, il a passé son enfance parmi les fellahs dont il a conservé la rusticité dans sa vie personnelle. Une fois au pouvoir, il considérait que l’argent de l’État appartenait à la nation et ne devait pas être dilapidé. Par exemple, contrairement à plusieurs chefs d’État arabes, il ne s’est pas fait construire un ou même plusieurs palais luxueux en Algérie ou à l’étranger. De même, pour ses déplace-
Paul Balta correspondant du journal Le Monde à Alger de 1973-1978
ments à Alger et dans les wilayas voisines, il disposait de voitures confortables, sans plus. À ses yeux, avoir des autos de luxe du genre Rolls Royce ou Mercedes, c’était du gaspillage. Il m’avait raconté qu’un émir du Golfe lui avait offert une de ces voitures de luxe qu’il a aussitôt fait mettre dans un garage. Après sa mort, on l’y a retrouvée rouillée et pratiquement inutilisable. Je signale aussi qu’à la suite de son mariage avec Anissa El-Mensali, jeune avocate au Barreau d’Alger, début 1973, période où l’Algérie reçoit de nombreux chefs d’État et s’aff irme sur la scène internationale, on remarque plus de recherche dans le choix de ses costumes, il change souvent de cravate et remplace son traditionnel burnous marron assez rugueux par un superbe burnous noir en poil de chameau, dont deux oasis sahariennes ont la spécificité. La meilleure preuve de son intégrité : à sa mort, il n’y avait que 6000 dinars sur son compte CCP et c’était le seul qu’il avait. Homme intègre, Boumediène a certes fermé les yeux sur les abus (détournements de fonds ou de terres agricoles, abus de pouvoir, etc.) commis par des chefs militaires. Interrogé sur ce point, il m’avait répondu : «J’aurais voulu m’en séparer, mais je n’ai pas trouvé des gestionnaires aussi capables pour les remplacer.» Il a néanmoins veillé à limiter au maximum le phénomène de la corruption. C’est sous Chadli Bendjedid qu’elle prendra une forme quasi institutionnelle. La liberté de ton et l’ouverture d’esprit qu’il avait en privé avec ses interlocuteurs, surtout étrangers, ne contrastent–elles pas avec l’ambiance générale des libertés personnelles et collectives? Des opposants au régime en place ont été contraints à l’exil, alors que d’autres furent malmenés pour «menées subversives». Comment expliquer ce contraste ? Certes, on peut citer plusieurs exemples. Ainsi jugeait-il sévèrement les responsables du FLN qui avaient profité de leur position pour s’adjuger des biens ou de l’argent. On peut citer aussi le cas de Kaid Ahmed, qui l’avait rejoint en 1965 et qu’il avait nommé membre du Conseil de la Révolution et
ministre des Finances. En 1969, il deviendra numéro deux du système et sera nommé au poste de responsable de l’appareil du FLN. En désaccord avec Boumediène au sujet de l’application de la Révolution agraire, il démissionne en 1974 et s’exile en France, puis en Libye et, enfin, au Maroc. Toutefois, des cas comme celui-ci sont peu nombreux en comparaison avec la plupart des pays arabes où les chefs d’État sont impitoyables avec les opposants. Je rappelle que Boumediène avait trois cercles de collaborateurs : 1- le noyau dur, très proche de lui, 2- ceux de la présidence, choisis en fonction de leurs compétences et de leur disponibilité, 3- ceux auxquels il déléguait ses pouvoirs. J’ai pu constater quand j’allais à la présidence ou lorsque je couvrais un de ses voyages dans le pays, qu’il avait un rapport de courtoisie avec ses collaborateurs, qu’il s’agisse des ministres, de ses conseillers et aussi de ses secrétaires, de ses chauffeurs et de ses gardes du corps. Néanmoins, il était aussi très ferme et exigeant, comme il l’était avec lui-même. Je souligne qu’il l’était aussi, sauf en de rares exceptions, avec ses interlocuteurs étrangers. Le président Boumediène comptait faire de «grandes choses» et surprendre ses proches collaborateurs en engageant des réformes... Malheureusement la maladie l’a pris de court. Qu’en est-il exactement ? Ses réflexions, au cours de notre dernier entretien, m’avaient donné à penser qu’il envisageait de libéraliser le régime. Le Monde ayant décidé de m’envoyer en Iran couvrir la Révolution islamique de l’ayatollah Khomeyni, j’ai rencontré Boumediène à la fin août 1978 pour l’en informer et lui faire mes adieux. Il m’a dit être consterné et a insisté pour que je reste : «Vous avez vécu la mise en place des institutions, il faut aller jusqu’au bout. Il va y avoir des changements importants. J’envisage, pour la fin de l’année ou le début de 1979, un grand congrès du parti. Nous devons dresser le bilan, passer en revue ce qui est positif mais surtout examiner les raisons de nos échecs, rectifier nos erreurs et définir les nouvelles options. Témoin de notre expérience, vous êtes le mieux placé pour juger ces évolutions.» Je lui ai alors posé ces questions : «Envisagez-vous d’ouvrir la porte au multipartisme ?» «Allez-vous accorder plus de place au secteur privé ?» «Pensez-vous libéraliser la presse et faciliter l’organisation du mouvement associatif ?» La façon dont il avait souri allait dans le sens d’une approbation. Il avait conclu : «Vous êtes le premier à qui j’en parle. Je ne peux être plus explicite pour le moment. Faites-moi confiance, vous ne serez pas déçu !» Par la suite, Ahmed Taleb Ibrahimi m’avait dit que le Président l’avait informé de cet échange et confirmé sa volonté de changement. Le Monde avait maintenu mon rappel et Boumediène, mort le 28 décembre, n’a pu mettre en oeuvre ses réformes. Boumediène s’était entouré d’hommes qui lui sont restés f idèles jusqu’à la f in. Comment s’est fait son choix ? Ces hommes se sont-ils imposés à lui au gré des rencontres et des crises qu’a connues le FLN durant la guerre de Libération ? Cette garde prétorienne pouvait-elle lui échapper ?
Dès les années 1950, Boumediène se méfiait des hommes politiques. Il reprochait à nombre d’entre eux de s’être embourgeoisés dans les capitales arabes et autres et de se livrer à des intrigues pour satisfaire leurs ambitions personnelles. En outre, le FLN dont il reconnaissait le rôle déterminant dans la mobilisation contre la colonisation lui apparaissait comme un mouvement déchiré entre tendances divergentes. Voyant loin, il s’appliqua alors à faire de l’ALN une force organisée et disciplinée, garante une fois l’Indépendance acquise de l’unité nationale et territoriale au nom de l’idéal révolutionnaire. Dès lors, l’armée est devenue sa véritable famille. Parmi les collaborateurs qui étaient les plus proches de lui et qui étaient souvent ses conf idents, je citerai ceux que j’ai bien connus. Ahmed Taleb Ibrahimi, médecin de formation, ministre de l’Information et de la Culture, à mon arrivée. C’est un homme d’une très grande culture arabe et française. Abdelaziz Bouteflika, qui a eu le privilège d’être à l’échelle internationale le benjamin puis le doyen des ministres des Affaires étrangères (1963-1979) et le président de l’Assemblée générale de l’ONU en 1974, lui aussi m’avait souvent reçu en tête-à-tête et fait des confidences qui m’avaient beaucoup aidé dans mon travail. Il y avait aussi le Dr Mahieddine Amimour, chargé des relations avec la presse à la présidence. Anissa Boumediène m’avait expliqué que Boumediène respectait le principe de la collégialité. Exemple : lorsqu’un ministre proposait un projet ou une directive en contradiction avec son point de vue, il lui disait : «J’accepte. Si ça marche, c’est toi qui en bénéficieras. Si ça ne marche pas, c’est le Président qui en assumera la responsabilité.» De toute façon, sa garde prétorienne n’avait aucune raison de lui échapper. Pourquoi Boumediène est-il resté plus de dix ans après sa prise du pouvoir avant de se résoudre à initier des textes valant «code de gouvernance» (Charte et Constitution de 1976), alors qu’il s’est toujours efforcé de donner de lui-même l’image de quelqu’un qui incarnait l’Etat, qui avait «cette passion d’Etat» dont vousmême vous aviez parlé ? Effectivement, Boumediène avait la «passion de l’État» et n’a cessé de le prouver. Il voulait tout d’abord édifier l’État centralisé que l’Algérie n’avait pas eu dans le passé, contrairement au Maroc et à la Tunisie et il a réussi. Il était également très fier d’avoir institué les Assemblées populaires communales (APC) en 1967, puis les Assemblées populaires de wilaya (APW) en 1969. Au cours d’un entretien début 1975, il m’avait dit : «Pour ce qui est de la démocratie, mes prédécesseurs ont fait les choses à l’envers en commençant par l’Assemblée nationale, c’est comme s’ils avaient placé la pyramide sur la pointe. Moi, j’ai commencé par la base.» Je lui avais alors fait observer que APC et APW auraient bientôt dix ans. Dès lors, ne fallait-il pas envisager la mise en place d’une Assemblée nationale ? Il m’avait répondu : «Je crois que nous ne sommes pas mûrs.» Je lui ai demandé : «Qui, nous ?» Et
PHOTOS : D. R.
Propos recueillis par Nadir Iddir
Boumediène avait la «passion de l’Etat»
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il m’a répondu : «Le peuple algérien.» Je n’ai pas hésité à exprimer mon étonnement, en soulignant que ce peuple avait donné la preuve de sa maturité politique au cours des huit ans de la guerre de Libération, mais aussi depuis l’Indépendance et, surtout, depuis son accession au pouvoir en acceptant bien des sacrifices pour favoriser le développement à marche forcée. Il fronça les sourcils et prit le temps de la réflexion avant de s’exclamer : «Non, nous ne sommes pas mûrs. En effet, contrairement aux APC et aux APW, l’Assemblée nationale sera une vitrine intérieure et extérieure. Je ne voudrais pas qu’elle soit la vitrine de nos divisions et de nos régionalismes.» Néanmoins, réflexion faite, il ne tardera pas à mettre en œuvre une série de réformes : l’adoption en 1976 de la Charte nationale, puis celle de la Constitution et l’élection du président de la République au suffrage universel. En 1977, l’Assemblée nationale sera enfin mise en place afin que «la légitimité révolutionnaire soit couronnée par la légitimité constitutionnelle». Les relations avec la France de De Gaulle et par la suite de Giscard et avec d’autres pays étaient empreintes d’une certaine constance. La diplomatie, soutient-on toujours, n’a jamais connu autant de prestige que durant son règne. A quoi attribuezvous cela ? Peut-être aux relations qu’auraient tissées, pendant la guerre, les réseaux du FLN… Le général de Gaulle voulait préserver l’avenir de la coopération malgré les passions suscitées par le conflit au Sud et au Nord. Il m’avait dit, en 1967, avoir de la considération pour Boumediène qui venait d’accéder au pouvoir. D’ailleurs, vers la fin de la guerre, un de ses collaborateurs avait établi et commenté une liste des chefs de l’ALN.
Devant «Boumediène», il avait écrit : «Obscur colonel qui ne semble pas voué à un grand avenir.». Le général avait ajouté : «Je pense exactement le contraire.» L’homme du 18 juin 1940 avait compris les motivations de celui qui est devenu l’homme du 19 juin 1965. Les deux communiquaient à travers leurs ambassadeurs. En 1967, invité par De Gaulle à Paris pour une visite de travail, Boumediène avait décliné l’offre, car il souhaitait une visite d’État avec cortège sur les Champs-Élysées et dépôt d’une gerbe de fleurs à l’Arc de Triomphe. Mais un tel cérémonial était prématuré, compte tenu des blessures non encore cicatrisées. Georges Pompidou (1969-1974) renouvela l’invitation, mais la nationalisation des hydrocarbures (février 1971) entraîna l’ajournement du projet. Finalement, c’est Gaiscard d’Estaing qui proposera de faire la visite d’État en Algérie, en 1975. Dans son discours d’accueil officiel, Boumediène avait affirmé vouloir «tourner la page, sans la déchirer» et proposé une importante coopération entre l’Algérie et la France. Hélas, selon ce que m’avait confié notre ambassadeur, M. Soutou, «Giscard l’avait considéré comme un bougnoul et n’avait guère pris en considération ses multiples propositions». Boumediène ne m’avait pas caché sa déception. Il avait alors souligné son admiration pour De Gaulle : «Ce visionnaire, rénovateur de la politique arabe de la France.» Il confirmera sa position dans son message de condoléances, à la mort du général en 1970 : «Je m’incline devant le patriote exceptionnel qui a su concevoir dans une vision noble et généreuse (...) l’avenir des peuples algérien et français.» Quoi qu’il en soit, certains de ses conseillers avaient suggéré à Boumediène de «banaliser» les rapports entre Alger et Paris. Il avait répondu : «On ne peut ignorer le poids de l’histoire. Les relations entre la France et l’Algérie peuvent
être bonnes ou mauvaises. En aucun cas, elles ne peuvent être banales !» Le système Boumediène s’est-il perpétué après sa disparition ou bien ses successeurs ont dilapidé l’héritage qu’il a laissé ? À ma connaissance, c’est Abdelaziz Bouteflika qui aurait dû lui succéder. En fait, c’est sous Chadli Bendjedid que la corruption, dont il a été le premier bénéficiaire, s’est institutionnalisée. En outre, le développement économique s’est dégradé, le chômage a atteint des proportions inquiétantes et le fossé s’est creusé gravement entre riches et pauvres. De même, la dégringolade s’est produite dans le domaine de la culture et sur le plan international. Cette évolution a favorisé la montée des mouvements islamistes qui ont acquis de la popularité en dénonçant ces erreurs. Ces mouvements dont l’idéologie et les actions sont contraires à l’islam sont à l’origine du terrorisme des années noires qui ont fait plus de 150 000 morts. Oui, dans l’ensemble, ses successeurs – à part Mohamed Boudiaf, assassiné le 29 juin 1992, six mois après son accession au pouvoir - ont dilapidé l’héritage de Boumediène. Abdelaziz Bouteflika, élu président en 1999, a amorcé le redressement. D’aucuns font le rapprochement entre la personnalité de Boumediène et celle de Bouteflika, alors que des frictions sont apparues durant le règne du premier. Estce de nouveau la «boumediénisation» à outrance de la vie politique après un intermède de plus de vingt ans ? Certes, il y a eu quelques points de désaccord et des frictions entre Boumediène et Bouteflika. Par exemple, ce dernier avait fait observer que, selon les règles diplomatiques, il revenait à Giscard d’Estaing de recevoir Boumediène à Paris, puisque la France avait lancé la première invitation dès 1947. Finalement, Boumediène avait tranché en
faveur de la visite estimant que Giscard d’Estaing avait fait un geste de «bonne volonté» en proposant d’aller en Algérie, alors qu’il était surtout ami du roi Hassan II. Ces divergences faisaient partie du jeu et ne portaient pas sur l’essentiel. En effet, la politique étrangère très dynamique a été mise en oeuvre par Boumediène et Bouteflika. Elle a permis à Alger, pour la première fois de son histoire, de nouer des liens jusqu’en Asie, en Amérique latine et au Canada et d’occuper sur la scène internationale une place qui allait bien au-delà de son poids réel. Elle a perdu cette place à la présidence de Chadli Bendjedid et n’a commencé à la retrouver qu’après l’élection de Bouteflika à la présidence en 1999. Boumediène peut-il encore servir de modèle pour la génération actuelle lorsque l’on sait que le personnel politique qui a servi sous son règne est toujours aux commandes ? Même s’il a commis des erreurs - quel chef d’État n’en a jamais commis ? -, je crois personnellement que Houari Boumediène peut encore servir de modèle sur de nombreux plans, comme nous l’avons vu. Que des membres du personnel politique qui a servi sous son règne soient toujours aux commandes n’enlève rien à son apport. Je retiens en particulier son amour pour l’Algérie et pour le peuple algérien, sa passion de l’État, son intégrité, son côté visionnaire. N’oublions pas qu’en avril 1974, il a participé à la Session spéciale de l’Assemblée générale de l’ONU où il a lancé les grandes lignes du Nouvel ordre économique international et proposé un Nouvel ordre politique et un Nouvel ordre culturel, prenant en compte les apports et les besoins des pays en développement. Ces problèmes sont toujours d’actualité ! N. I.
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El Watan - Samedi 27 décembre 2008 - 16
1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS
LE PUTSH DE BOUMEDIÈNE RACONTÉ PAR JEAN DANIEL
ALGER : HISTOIRE D’UN COMPLOT ■ Cet article que nous reproduisons intergéralement a été publié
dans Le Nouvel Observateur n°32 du 24 juin 1965.
Par Jean Daniel
reuses et qui les fait tressaillir chaque fois qu'elles le voient à la télévision. C'est la fin du rictus énergique et du geste vengeur que les gosses, tous les gavroches et les sciuscias d'Alger idolâtrent lorsque Ben Bella arrive dans un un stade. Précisément, ce fut une semaine où la passion sportive des Algériens s'est accordée avec celle extraordinaire du chef de l'Etat.
LE RÊVE DE BEN BELLA biri, tu sais que j'ai toujours eu confiance en toi… - Ecoute, ne perdons pas de temps, habille-toi. Tu es arrêté par le conseil de la Révolution.» Il est 2h25 du matin, dans la nuit du 18 au 19 juin lorsque Ahmed Ben Bella, que l'on vient de réveiller en sursaut, entend cette phrase de celui qu'il a lui-même nommé chef d'état-major de l'armée. Le président algérien ne comprend pas. A côté de Tahar Zbiri, se tient le commandant Draïa, qu'il vient de nommer directeur de la Sûreté et qui fut commandant des compagnies nationales de sécurité, c'est-à-dire de la garde prétorienne de Ben Bella. Il y a aussi Saïd Abid, qui commande la première région militaire du Grand-Alger et avec lequel il a eu quelques jours avant un très amical entretien. Ben Bella les regarde tous les trois comme pour tenter un rappel au loyalisme. En vain. D'ailleurs, il n'est pas en forme. Il ne réalise pas vraiment ce qui se passe. Il s'est couché tard, et lorsqu'un cri de la fidèle servante l'a brusquement réveillé, il a cru qu'on venait lui annoncer une nouvelle importante. Il s'est endormi fort de trois convictions. A la veille de la conférence afro-asiatique, lui, Ben Bella, peut tout se permettre et il va le montrer dès samedi matin. Ensuite, il a divisé ses principaux ennemis, les hommes du ministre de la Défense nationale, Houari Boumediène, et vient de conclure un accord qui lui procure le soutien kabyle. Enfin, un certain nombre de points vitaux de la capitale sont depuis six mois gardés par les compagnies nationales de sécurité, dont on lui a assuré tous les jours qu'elles ne comprennent que des hommes prêts à mourir pour lui. C'est pourquoi, maintenant, il s'attarde sur Draïa, le créateur de ces compagnies. Tahar Zbiri répète sèchement : «Dépêche-toi, la comédie est terminée.» On entend des tirs, qui donnent aux propos du chef d'état-major un poids décisif. C'est plus qu'une fusillade. A Hydra, une colline située, à vol d'oiseau, à un kilomètre à peine de la villa Joly, siège de la police judiciaire, est attaquée au bazooka. Pour faire leur rapport, les membres de l'ambassade des Etats-Unis décèleront le lendemain 221 traces de projectiles. Une compagnie de la garde nationale refusait de se rendre. Il y a eu huit morts. Ben Bella s'habille et descend du sixième étage, encadré par le colonel et les deux commandants. Il se souvient que Tahar Zbiri est sentimental ; il tente un dernier appel. Il profère un juron arabe, où figure le mot «diable» et qui signifie qu'une malédiction pèse sur la révolution algérienne. Devant le regard dur de Tahar Zbiri, il affiche une attitude digne. Il déclare : «D'accord, je suis prêt.» Avant de monter dans la voiture qui le mènera dans une caserne de Maison-Carrée, à 20 km d'Alger, il regarde les sentinelles. Ce ne sont plus ses hommes. Ce sont des paras, en uniformes bariolés, les fameux «commandos de la mort», le régiment d'élite du colonel Boumediène. Tout a duré cinq minutes au plus. Alger a une fois de plus son visage de complot et de putsch. La nuit y est somptueuse. Les étoiles au-dessus des cyprès, des pins et des acacias brillent comme au cœur du désert. La clarté bleue de la baie, l'une des plus admirables du monde, annonce un petit matin précoce et impétueux. C'est une description que l'on retrouve, à un terme près, dans tous les récits des complots qui jalonnent l'histoire de cette capitale singulière. Dans la voiture, Ben Bella ne dit plus un mot. C'est la fin de ce sourire un peu grimaçant, un peu poupin, aussi, dont les femmes algériennes sont amou-
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Depuis sa prison française, Ben Bella rêvait de voir jouer Pelé, le fameux héros du football brésilien. Non seulement, son rêve s'est réalisé, mais c'est en tant que président de la République que Ben Bella a pu inviter, chez lui, sur ses stades, l'équipe brésilienne. Pelé est là. Sans doute, à Oran, jeudi soir, il a un peu déçu. Il a marqué ses trois buts avec un rien de dédain. Sans doute, aussi, Pelé a-t-il blessé la susceptibilité sportive des Algériens en répondant à un journaliste de Révolution africaine, qui lui demandait ce qu'il craignait le plus dans l'équipe algérienne : «Le terrain…» Mais le dimanche suivant, le match de revanche devait avoir lieu et des dizaines de milliers d'adolescents s'apprêtaient à communier dans la plus déchaînée des joies avec Ben Bella. C'est la fin aussi de ce véritable triomphe romain que se préparait à lui-même Ben Bella pour la conférence afro-asiatique. Il se souvenait de l'ivresse qu'il avait connue pendant les succès, il y a deux ans, de la conférence d'Addis-Abeba. Il avait eu l'impression d'éclipser tous les grands. Nasser, N'Krumah, Nehru, il les avait tous eus : comme au football. La veille, le vendredi après-midi 18 juin, il se faisait longuement photographier au Club des Pins, parmi les installations qu'il avait lui-même fait construire pour la conférence du Tiers Monde et dont il surveillait personnellement l'avancement tous les jours. Les photographes de Paris-Match ne revenaient pas de la juvénilité de sa complaisance. Ce n'est pourtant pas le dernier contact qu'il eut avec des journalistes. Il reçut ensuite les collaborateurs de Newsweek. Au cours de cet entretien, il devait se séparer de la modération nassérienne à propos d'Israël. «Je veux la disparition de cet Etat, par la négociation si l'on veut, mais la disparition.» A 3h du matin, la célèbre, l'exceptionnelle, la fulgurante «baraka» de Ben Bella s'enfouissait dans le néant. A 49 ans (il lui arrivait de cacher son âge et de dire qu'il n'en avait que 47), il perdait un destin et conservait à peine une existence. Tandis que la voiture se dirige vers Maison-Carrée, le colonel Tahar Zbiri se rend, lui, au ministère de la Défense nationale. Quelques passants se rappelleront, le lendemain, avoir vu à toutes les heures de la nuit de la lumière à travers les vitres des bureaux du ministère. C'est une veillée d'armes. Lorsque Tahar Zbiri déclare à Houari Boumediène que la mission est accomplie, ce dernier est entouré de ses fidèles : les seuls qu'il ait mis au courant de l'opération. Il y a d'abord et avant tout, Abdelaziz Bouteflika, ministre des Affaires étrangères, ancien officier que Ben Bella prévoyait de remplacer, précisément, le samedi matin. Il y a Ahmed Medeghri, ancien ministre de l'Intérieur, ancien officier. Il y a Chérif Belkacem, ministre de l'Education nationale, ancien officier. Enfin, il y a l'état-major de Boumediène, cinq officiers pour qui le colonel, c'est le «patron». Ils mènent la même vie que le ministre : une vie d'ascète. Ils sont, comme lui, patriotes au sens à la fois le plus étroit et le plus intense du mot. Ils ont même entre eux une étrange ressemblance physique : maigres, secs et noueux, du genre qui vieillit vite et qui reste longtemps vieux. Houari Boumediène est le type parfait de ce genre d'Algérien peu connu à l'étranger et répandu dans les Hauts-Plateaux. Ses pommettes saillantes lui donnent un mystère asiatique qu'il accentue par un silence opiniâtre, des gestes rares. Un témoin raconte : lorsqu'il apprend que la mission est accomplie, il fume sa première cigarette. Depuis un an, il s'était arrêté de fumer.
Lui, Boumediène, avec la simplicité déconcertante de ceux qui se croient élus, se considérait comme le «gardien de la patrie»
Evidemment, il ne boit pas d'alcool. On ne lui connaît qu'une compagne discrète et intermittente. Il laisse dire qu'il comprend mal le français et qu'il s'exprime difficilement. Cela sert sa timidité relative. En fait, plusieurs officiers français ont eu avec lui des conversations longues, précises et approfondies. Il a peur de la foule, n'aime pas le contact avec le public, n'arrive pas à regarder en face l'objectif de la télévision. Il paraît à la fois possédé et ennuyé. Cette nuit, il est calme. Il attend d'autres rapports dans une gravité à peine souriante.
L'HOMME DES EGYPTIENS Les rapports arrivent. Dans tous les coins de la ville, dans toutes les régions du pays, le plan a été appliqué avec une minutie et une efficacité totales. Le plan comportait des arrestations : elles sont faites. Le premier arrêté a été Nakkache, ministre de la Santé, ancien officier de Boumediène, rallié à Ben Bella. Pour l'armée : un traître. Pour les médecins : un homme incompétent. Pour un certain nombre d'autres : un homme au redoutable courage physique. Il vient de le prouver. Il a résisté, il a reçu trois balles dans la poitrine. On pense qu'il s'en sortira tout de même, mais en prison. Le second, c'est Hadj Ben Allah, le plus fidèle des benbellistes. Après un moment de résistance, il s'est laissé arrêter. Le troisième, Hamadache, directeur de la Police judiciaire, a fait, disent ses ennemis (au nombre desquels tous les avocats), torturer de nombreux prisonniers politiques de quelque bord que ce soit d'ailleurs ; s'il est arrêté, ce n'est pas comme tortionnaire, c'est comme corrupteur. Il y a enfin Abdelahram Chérif, ministre des Affaires arabes et ancien chef de cabinet de Ben Bella. Lui, c'est un cas particulier. Il est accusé d'être «l'homme des Egyptiens». De tout procurer aux services secrets de la R.A.U. au point que l'ambassadeur d'Algérie au Caire s'aperçoit que le gouvernement égyptien est bien mieux informé que lui sur ce qui se passe en Algérie. Or, dans aucun pays arabe, la R.A.U. n'est aussi impopulaire que sur l'ensemble du territoire algérien. Cela veut-il dire qu'aux yeux de Houari Boumediène, Ben Bella est lui aussi inféodé à l'Egypte ? C'est plus complexe. Pour le ministre de la Défense nationale, Ben Bella joue un jeu personnel avec les Egyptiens comme avec les Russes et les Chinois. La patrie algérienne est absente dans la stratégie du chef de l'Etat. Abdelahram Chérif, d'origine tunisienne, qui connut Ben Bella en Libye, est aussi celui qui selon Boumediène - poussa à la guerre contre le Maroc pour servir les intérêts égyptiens. Lorsque les Marocains le trouvèrent, il y a 18 mois, dans un hélicoptère égyptien, accompagnant des militaires de la R.A.U. en uniforme, ils le torturèrent. Ben Bella obtint sa libération avec l'aide des Egyptiens.
Il est aujourd'hui en prison. complot du 19 juin est né. Mais, auparavant, la proA 3h du matin, Boumediène déclare : «Maintenant, gression avait été continue et déterminante. Pour il faut prévenir les autres. De qui s'agit-il ? Il faut ses propres amis, pour son habituelle «clientèle remonter trois jours avant pour le comprendre.»Les politique», Ben Bella était devenu une sorte de trois jours de réunion des cinquante membres du Caligula. Et ce, en même temps que sa popularité à Comité central du F.L.N. Les 14, 15 et 16 juin». l'intérieur comme à l'extérieur atteignait son apoDepuis plus de trois mois deux hommes, Abdelaziz gée. Bouteflika et Ahmed Medeghri, tentaient de per- C'est la raison du divorce, que l'on a pu observer suader «le patron» que l'heure était venue de desti- après l'arrestation de Ben Bella, entre l'inertie ou le tuer Ben Bella. Boumediène n'en était nullement ralliement des cadres et les manifestations hostiles convaincu. A chaque preuve que ses deux fidèles de la jeunesse et des femmes. En réalité, non seulelui apportaient de la duplicité ou des égarements ment Boumediène ne sous-estimait pas la popularisupposés du président de la République, té intérieure et le prestige extérieur de Ben Bella, Boumediène répondait qu'on ne pouvait courir le mais, au contraire, c’est dans cette popularité et ce risque de faire subir à nouveau au peuple algérien prestige qu'il voyait le mal absolu : l'illusion traune guerre civile comme celle de juillet 1962. Ceux gique, le gigantesque rideau de fumée qui voilait le qui sont bien informés savent que cette guerre civi- chômage, la désorganisation, la corruption, bref la faillite nationale. le n'a pas fait moins Lui, Boumediène, de 3 000 morts. La avec la simplicité guerre avec le Maroc Lorsque Tahar Zbiri déconcertante de sur les frontières en a déclare à Houari ceux qui se croient fait presque autant. Boumediène que la misélus, se considérait Boumediène était comme le «gardien conscient de deux sion est accomplie, ce de la patrie». Le jour choses : que son dernier est entouré de où ce «gardien» était armée constituait ses fidèles : Abdelaziz Bouteflika, menacé, d'abord son dans la nation une cercle amical, ensuisociété exemplaire, Ahmed Medeghri et te sa personne, alors mille fois plus pure, Chérif Belkacem, ministre la patrie était en plus idéaliste, et plus danger. C'est une efficace que les autres de l'Education nationale, attitude qui fait soit ; et qu'elle n'était pas ancien officier. les Pancho Villa, populaire alors que soit les De Gaulle, Ben Bella savait entretenir son mythe et soigner sa légende. Il n'était soit aussi les Hitler. Rien n'est joué. pas, jusqu'au désordre, inséparable de sa nature, En tout cas, pendant toutes ces semaines, comment dont Ben Bella n'arrivait pas à tirer parti. Un jour, réagit la «clientèle» de Ben Bella ? L'un déclare déjeunant aux côtés de l'épouse d'un ambassadeur aujourd'hui que le président de la RépublIque algéoccidental, Ben Bella déclarait : «On reproche à rienne avait toujours dans son coffre-fort de quoi Fidel Castro son désordre, mais moi, chère corrompre le moindre opposant. Un autre assure Madame, j'aime ce désordre et je m'y sens à l'aise.» que chaque fois qu'un ami était reçu à la présidenIl voulait dire, bien sûr, qu'il préférait le romantis- ce, on ne pouvait savoir s'il sortirait libre ou les me de la révolte à l'organisation de la révolution, et menottes aux mains. Peu à peu, Ben Bella prétenqu'il craignait le moment où l'élan révolutionnaire dait concentrer entre ses mains tous les porteserait maté par des structures sans âme. Pour l'aus- feuilles ministériels importants dans un pays à qui tère ministre de la Défense nationale, il fallait 130 ans de démocratie française, même fausse, ont attendre. Attendre que le personnage se démasque. donné le goût de la liberté, de la fronde et de la responsabilité. Dans les ambassades, on l'appelait «Sidi Ahmed le bien-aimé». Dans aucune autre «COMBIEN VEUX-TU ?» capitale arabe, cette expression ne pourrait appaEn fait, et comme en 1962, il fallut attendre que raître injurieuse. Au respect de la Constitution, Ben Boumediène lui-même fût menacé. C'est de la déci- Bella opposait la «démocratie de la rue», la plébission du gouvernement provisoire de la République cite des meetings populaires, à la Castro. C'est préalgérienne, présidé par Ben Khedda, de destituer cisément ce qui déplut à Boumediène lors de son Boumediène que naquit la coalition avec Ben Bella, voyage à Cuba. «C'est un homme de Boumediène, qui aboutit à une guerre civile dont l'Algérie paie le seul ambassadeur juif de la République algéencore aujourd'hui la note. C'est de la décision prise rienne, qui représente l'Algérie à La Havane.» par Ben Bella de remplacer Boumediène que le On raconte l'histoire du fameux commandant
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Azzeddine. Ben Bella traverse le désert pour rencontrer le président du Niger, Hamahi Diori. A son retour, il s'arrête à Tamanrasset où Azzeddine est en résidence forcée. Il lui dit : «Je te libère, soyons amis. De combien d'argent as-tu besoin pour vivre ?» Azzeddine répond qu'il ne peut pas être ami, qu'il n'a pas besoin d'argent et qu'il veut être libéré, à la condition que deux de ses amis injustement accusés soient libérés. Lui, Azzeddine, considère avoir été justement accusé. Ben Bella accepte, prend Azzeddine dans son avion. Une semaine plus tard, il n'a pas encore libéré ses amis, mais il offre leur libération en échange du soutien politique d'Azzeddine. Il propose encore de l'argent, comme à tout le monde. Il a fini par croire que tout est à vendre, que tout peut être acheté, le pouvoir l'a rendu cynique. Il veut plaire à tout prix. Et il méprise tout le monde. C'est ce que disent, aujourd'hui seulement, il est vrai, la majorité des cadres. Ben Bella avait des complices. Il n'avait pas de partisans, sauf dans cette masse dont il a passionnément recherché et obtenu le soutien.
«FAISONS COMME LES CUBAINS» Jusqu'aux jours des réunions historiques du Comité central, le 16 juin, les cinquante membres se réunissent au complet. Le FLN a trois instances : le bureau politique au sommet, ensuite le comité central et enfin le congrès. A la dernière réunion des dix-sept membres du bureau politique, Ben Bella avait exaspéré la plupart en adoptant les mêmes méthodes qu'en Conseil des ministres. Il a l'habitude, après un exposé, de demander : «Qui n'est pas d'accord ?» Si quelqu'un lève la main, au lieu de lui donner la parole, il dit : «Dans ces conditions, le projet est adopté à l'unanimité moins une voix.» Cette fois, certains membres du Comité central sont décidés à ne pas se laisser faire. Ben Bella commence par attaquer d'une façon violente son protégé de toujours, son disciple de la veille, Ali Mahsas, ministre de la Réforme agraire. «Rien ne marche dans ton ministère, le peuple se plaint, les comités de gestion sont un échec, cela ne peut plus durer.» Ali Mahsas s'irrite. Il rappelle que, le mois précédent, il a offert sa démission à la condition qu'elle soit accompagnée d'une autocritique par le gouvernement tout entier. «Puisqu'on se réfère à Cuba, faisons comme les Cubains. Dénonçons nos propres méthodes.» Ben Bella est furieux. Pour prouver que ce n'est pas le gouvernement qui est en cause, mais seulement la gestion d'Ali Mahsas, il donne la parole à Zahouane, un jeune Algérien, honnête et sérieux qui, avec Mohamed Harbi, alimente l'inspiration socialiste des discours de Ben Bella. Sereinement, Zahouane fait une critique savante de la gestion sans d'ailleurs faire aucunement le procès de Mahsas. Ce dernier a, d'ailleurs,
de l'estime pour Zahouane. Mais Mahsas pense que Ben Bella n'accepte totalement ni sa conception, ni celle de Zahouane, et déclare en avoir eu maintes preuves. Il dit à Ben Bella : «Tu as déjà la présidence, l'Intérieur, l'Information, une partie des Affaires étrangères ; si tu veux un autre ministère, je te donne volontiers le mien.» Boumaza, un autre ancien fidèle de Ben Bella - qui a l'impression, lui aussi, d'être sur le point d'être remplacé -, vient au secours de Mahsas. Ben Bella est hors de lui. Pendant ce temps, Boumediène et ses partisans n'ont rien dit. Pour la première fois, ils viennent d'assister à l'éclatement du groupe Ben Bella. Ils en tireront les conséquences. L'explication, ils la connaissent. Ben Bella a besoin de places vides pour faire entrer dans son gouvernement des hommes à lui, qui ne seront pas des ministres mais des secrétaires d'Etat. Il veut prendre pour lui le ministère des Affaires étrangères, car Bouteflika est devenu un ennemi à éliminer, ainsi que le ministère de la Défense nationale, car il s'est juré depuis toujours de ne pas tolérer un si dangereux rival. Pour cela, il a besoin de nouveaux soutiens. C'est en Kabylie qu'il ira les chercher. Il a signé un accord avec des représentants du Front des forces socialistes. Dans son discours d'Oran, il déclare : «Maintenant que les choses sont redevenues normales, nous n'hésiterons pas à prendre des mesures de générosité. A notre révolution, nous avons voulu donner dès le début un style marqué du sceau de l'humanisme.» Boumediène ne dit rien, mais il n'accepte pas cet accord. Au mieux, il aurait accepté d'y être associé. Sur ordre de Ben Bella, il a fait en Kabylie un quadrillage qui équivaut à une occupation. Il a augmenté l'impopularité de son armée. Voici que Ben Bella, en se mettant d'accord avec les Kabyles, ces derniers le désignent à leur vindicte. Il reste que cet «humanisme», s'il coïncide avec sa stratégie personnelle, n'est cependant pas dénué de sens dans la bouche de Ben Bella. Le pouvoir l'a peut-être rendu sceptique, mégalomane et, dans un certain sens, candide. Il ne l'a pas rendu cruel. Aucune exécution durant son règne, à l'exception de celle du colonel Chabani. Pour le moment, seule la stratégie compte.
LE TOUT POUR LE TOUT C'est une course de vitesse. Le fait décisif : maintenant que les deux adversaires savent à quoi s'en tenir l'un à propos de l'autre, ils ont décidé de se détruire ; c'est la conférence afro-asiatique. Il y a aussi, sans doute, le Festival de la jeunesse et le voyage à Paris pour rencontrer De Gaulle, mais la conférence du Tiers Monde domine tout. Houari Boumediène sait que Ben Bella estime qu'il peut tout se permettre, à huit jours de la conférence. Il sait que Ben Bella spécule sur les événements internationaux. Si Boumediène se laisse éliminer, il lui sera difficile de tenter quelque chose contre un Ben Bella qui aurait présidé une assemblée qui comprend Chou En-lai et Nasser, un Ben Bella plébiscité par la jeunesse de tous les pays et valorisé par un entretien avec De Gaulle. C'est donc avant la conférence qu'il faut jouer le tout pour le tout. Bouteflika joue alors un rôle déterminant. Il est ministre des Affaires étrangères. Il est mieux placé que quiconque pour savoir les incalculables conséquences d'un putsch à un moment pareil. Toute la politique échafaudée par Ben Bella - au nom de l'Algérie, tout de même - va s'effondrer. C'en est fait de la «nation-pilote», de la «capitale des révolutions africaines», peut-être même du prestige de la résistance algérienne. Illusion, le benbellisme ? Admettons. Au nom de cette illusion, les réfugiés politiques viennent chercher asile dans les ambassades algériennes. Précisément, trois jours avant le putsch, l'ancien gouverneur brésilien Miguel Araïs proclame en arrivant à Alger : «Ce n'est pas un hasard si j'ai choisi cette terre de liberté !» A quoi les intellectuels qui se rallient à Bouteflika répondent : cette illusion, de toute façon, ne peut durer. On va bien vite s'apercevoir que nous qui promettons des soldats à l'Angola, au Congo, et en Palestine, nous ne trouvons pas de volontaires. On va s'apercevoir qu'il y a un chômeur sur deux habitant en Algérie et que le rêve d'un travailleur du bled
c'est d'aller en France. On va s'apercevoir que les dépenses de prestige sont sans aucun rapport avec les possibilités de reconstruire le pays. Ce sont les pensées de Boumediène que Bouteflika exprime. Rien n'est pire que l'installation durable du benbellisme. Si on laisse passer l'occasion, nous sommes fichus, donc l'Algérie est fichue. C'est le moment ou jamais. Il y a cependant un obstacle : le pays a horreur de la dictature militaire. Mais en dehors de nous, l'armée, le groupe de Boumediène, personne n'osera tenter quoi que ce soit. Il y a donc un gigantesque pari : il faut que nous prenions le pouvoir sans le dire à ceux que nous espérons rallier et il faut que les ralliements soient immédiats après la réussite du putsch. C'est pourquoi à 3h moins le quart, en cette nuit du 19 juin, Houari Boumediène déclare : «Il faut prévenir les autres.» Alors, aussitôt, on prévient Boumaza et Ali Mahsas, le commandant Azzeddine et Mohand Oul Hadj, le vieux Kabyle rebelle, Ferhat Abbas, le bourgeois, et Boudiaf, le progressiste, Boussouf et Khider, les ennemis jadis irréductibles. On prévient aussi tous ces jeunes ambassadeurs désorientés par le fait qu'avant la conférence du Tiers Monde, Ben Bella dans sa passion de séduire a promis les mêmes choses aux Russes et aux Chinois, aux Indonésiens et aux Malaisiens, aux Maliens et aux Sénégalais. Les ralliements vont arriver, un à un, dans la journée du samedi. Ils sont plus ou moins conditionnels. Plus ou moins méfiants. Personne n'ose regretter Ben Bella. Personne, non plus, ne s'enthousiasme pour Boumediène. Le petit peuple des adolescents, des femmes et des paysans attendra deux jours pour se manifester. César, pour le moment du moins, est abandonné de tous. En même temps, chacun se méfie de Brutus. P. S. J'ai essayé d'établir par une enquête sur place comment des clans qui viennent, en Algérie, de régler leurs comptes voient et ont vu eux-mêmes, de l'intérieur, leur action. Cela dit, je voudrais faire état de quelques conclusions personnelles : 1. - Les causes intérieures du complot sont suffisantes pour qu'on néglige le rôle d'une puissance étrangère. Cela dit, les réserves à l'égard du communisme du groupe de Boumediène incitent les Etats-Unis à exploiter la situation, d'une façon déjà grossière et compromettante. 2. - La personnalité de Ben Bella apparaît plus complexe que le portrait que font de lui ses détracteurs et ses partisans. En tout cas, certains procès paraissent bien tardifs. 3. - Un incident qui m'est personnellement arrivé fait craindre l'installation d'une police politique employant les méthodes habituelles de «l'interrogatoire poussé». J'ai été pris pour un autre journaliste, conduit les yeux bandés en voiture dans une villa «aménagée», et le spectacle de cette villa m'a conduit à me féliciter de ce que mes hôtes se soient aimablement rendu compte de leur erreur «avant» plutôt qu'«après». Grâce à l'admirable Germaine Tillion, la Constitution algérienne est la seule au monde qui condamne expressément la torture : ni sous Ben Bella ni, je le crains, après Ben Bella, cette clause de la Constitution n'est appliquée. 4. - Le danger de la dictature militaire ne peut être surmonté que dans la mesure où les ralliements seront moins inconditionnels, et où certaines exigences seront mieux formulées maintenant et non plus tard. 5. - Enfin, je ne pense pas que les rapports avec la France, non plus que les accords pétroliers puissent être affectés par le putsch. Quant aux rapports avec l'opposition française, ils dépendront de la façon dont nous saurons apprécier les échecs du socialisme algérien. L'Algérie n'est pas une terre d'expérience pour les doctrinaires parisiens, ni un tremplin pour la stratégie des partis étrangers. Elle est composée d'hommes qui ont souffert mille morts et qui désirent rapidement une vie décente. N'oublions pas que les Chinois eux-mêmes ont, à plusieurs reprises, donné des conseils de modération aux Algériens à propos du collectivisme. J. D.
El Watan - Samedi 27 décembre 2008 - 18
1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS
GRAND TÉMOIN DES ANNÉES BOUMEDIÈNE
LES VÉRITÉS DE AHMED TALEB IBRAHIMI ■Ministre de l'Education en 1965, ministre de la Culture et de l'Information en 1970, puis conseiller auprès du président Chadli Bendjedid jusqu'en 1984 avant de devenir le chef de la diplomatie algérienne de 1984 à 1988, Ahmed Taleb Ibrahimi a côtoyé de près les centres de décision sous Boumediène et sous Chadli, ayant même établi avec le premier une relation de confident et d'ami. Par Adlène Meddi lus qu'un collaborateur, TalebIbrahimi était une sorte de confident pour le défunt Houari Boumediène. Ce dernier admirait cet homme lettré qui a payé son intransigeance face à Ben Bella qui l'a fait emprisonner», rapporte un ancien journaliste. Est-ce que l'inimitié entre Ahmed Ben Bella et Taleb Ibrahimi a rapproché ce dernier de Boumediène ? Rappel historique : le 16 avril 1964, jour anniversaire de la disparition de Abdelhamid Ben Badis, cheikh Ibrahimi, le père de Taleb Ibrahimi, attaque dans un discours le système de pouvoir de Ahmed Ben Bella. Le même constat est partagé à l'époque par le jeune médecin Ahmed Taleb Ibrahimi (32 ans alors) qui dénonce la concentration des pouvoirs, le système d'allégeance, la bureaucratie et la politique économique improvisée ainsi que l'intervention d'aventuriers venant de différents pays et s'érigeant en théoriciens de l'économie. La suite que Ben Bella lui réserve est terrible : le 12 juillet 1964, M. Taleb Ibrahimi est arrêté, torturé et, alors qu'il a passé quatre ans et demi dans les prisons françaises, il sera «l'hôte» des geôles de l'Algérie indépendante, jusqu'à février 1965. En relatant ces années de plomb, on retrouve cette vieille pratique du pouvoir et de ses satellites qui semble avoir survécu : l'allégeance. Déjà, lors de son emprisonnement en France, témoin des déchirements internes entre les dirigeants de la révolution et la montée en puissance du discret et ascète colonel Boukharouba, alias Boumediène, ce «père» que les militaires regrettent toujours, M. Taleb Ibrahimi s'est dit dans ses mémoires «fort peiné d'apprendre que certains de nos intellectuels (ou plutôt nos diplômés) sont très satisfaits de jouer les porteserviettes serviles de responsables analphabètes, comme si le fait d'avoir pris les armes, à lui seul, conférait le droit de diriger l'Algérie». Cette déclaration qu'a faite M. Taleb-Ibrahimi à Ahmed Toufik Madani, ancien secrétaire général de l'association des oulémas, que l'auteur critique pour s'être déclaré «soldat exécutant», est appuyée par le constat du jeune médecin de l'époque : «L'anti-intellectualisme caractérise déjà notre révolution et en constitue même un des points noirs.» Ahmed Taleb Ibrahimi, alors médecin à l'hôpital Mustapha Bacha, à Alger, désire s'éloigner de la politique, mais le coup d'Etat du colonel Boumediène le rattrape. Boumediène, c'est l'homme qui lit la Fatiha devant la dépouille du cheikh Ibrahimi, décédé le 20 mai 1965, alors que Ben Bella prolongera sa tournée à l'Est pour ne pas assister aux obsèques. Cherif Belkacem, ministre de l'Orientation de l'époque, lui propose d'intégrer le gouvernement. M. Taleb Ibrahimi réfléchit, puis dit «oui» : «En prononçant ce oui, pouvais-je deviner que j'allais m'engouffrer dans une nouvelle ‘’prison’’ qui allait durer plus d'un quart de siècle ?», s'interroge-t-il dans le premier tome de ses mémoires. «La conviction que cette date (le coup d'Etat du 19 juin 1965, ndlr.) va marquer le début d'une ère nouvelle, qui mettra fin à une gestion anarchique du pays, miné par les luttes de clans, le désordre et les graves dérives en matière de respect des droits de l'homme (…) cette conviction a constitué, en fait, une grande motivation dans mon acceptation de faire partie du premier gouvernement constitué après le 19 juin 1965.» Puis, il vécut ce qu'il décrit comme une sorte de mélange
PHOTO : H. LYES
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entre une aventure intellectuelle et une mission qui lui tient à cœur, aux côtés de Houari Boumediène.
LE COLONEL ÉCLAIRÉ Le colonel Boukharouba était pour Taleb Ibrahimi «cet homme qui avait l'Algérie dans les tripes et un sens aigu de la justice sociale, qui a vécu sobrement, était d'une parfaite intégrité. Il n'a jamais accepté que ses proches profitent du pouvoir et il a quitté ce monde subitement, sans postérité et sans prospérités». Dans le deuxième tome des ses mémoires publiées en avril dernier chez Casbah éditions, Taleb Ibrahimi revient sur cette période de sa vie de la fin des années 1960 à la fin des années 1970. Taleb Ibrahimi évoque en détail cette période qu'il place sous le générique de «la passion de bâtir». Ses orientations idéologiques en matière d'arabisation et d'attachement à la dimension musulmane de l'Algérie lui vaudront des décennies de critiques. Il y répond en remettant sa logique - et les critiques - dans leur contexte : «La politique d'arabisation a suscité une polémique et de nombreuses critiques. J'ai l'impression de travailler sur le fil du rasoir, entre un courant qui trouve que cette politique se caractérise par une lenteur décevante qui cache sans doute, selon lui, un penchant pour la langue française et un courant qui ne ménage pas ses critiques». Pour ce dernier, il lui est reproché, en particulier, de provoquer une baisse du niveau des élèves, au motif que la langue arabe ne peut assurer un enseignement de qualité, notamment dans les disciplines scientifiques et techniques. De manière générale, elle comporte le risque de freiner la modernisation de la société, car elle serait porteuse de valeurs passéistes et rétrogrades ! Des clivages potentiellement dangereux pour la cohésion nationale apparaissent et opposent arabisants et francisants. Ces derniers, au lendemain de l'indépendance, et pour des raisons historiques évidentes, ont pris en main l'encadrement des activités économiques, administratives et techniques, etc., du pays. Ils perçoivent donc le processus d'arabisation comme une menace pour leurs acquis et leur avenir, à plus ou moins long terme. Résolu, Taleb Ibrahimi assume jusqu'au bout face à ses détracteurs passés et actuels : «Ceux qui m'accusent d'être à l'origine de l'arabisation en
Algérie m'attribuent un honneur que j'aurais souhaité mériter. Ils oublient, en effet, que l'arabisation fait partie des options politiques principales de la révolution algérienne, consacrées par les textes fondamentaux du FLN, notamment le programme de Tripoli (juin 1962) et la Charte d'Alger (avril 1964)». Mais il se défend d'avoir poussé vers des choix fermés sur l'arabité et l'Islam uniquement. Il évoque la nomination de Mouloud Mammeri à la tête du CRAPE (Centre de recherches anthropologiques, préhistoriques et ethnographiques) : «Pour revenir au débat qui agitait le mouvement national au sujet de la dimension berbère de notre identité, je constate malheureusement qu'au lendemain de l'indépendance, nous avons commis l'erreur de perpétuer le discours nationaliste basé sur le binôme arabité-islamité au lieu de revenir à notre trilogie identitaire. «Des regrets ? Au lieu de rectifier ce que lui-même (le président Houari Boumediène, ndlr.) aurait fait s'il était resté vivant, on a glissé vers une remise en cause globale de sa politique», écrit Taleb Ibrahimi qui aura à défendre ses positions idéologiques devant ses confrères du FLN des années 1990. Avec parfois des discussions houleuses et des tensions extrêmes lors des réunions internes du parti», témoigne un membre de la direction de l'ex-parti unique. Passé et présent se télescopent.
BOUMEDIÈNE : «BOUTEFLIKA M'EN VEUT…» De flash-back en analyses, Taleb Ibrahimi éclaire sur les choix et les biographies des hommes politiques. Attardons-nous sur le cas de l'actuel président Abdelaziz Bouteflika, présenté à l'époque comme un intime de Boumediène, un «dauphin» même…Taleb Ibrahimi, lors d'une veillée dans la nuit froide de Moscou aux côtés de Boumediène, hospitalisé dans l'ex-URSS, se souvient. «De 22h à 4h du matin», précise l'ancien ministre, la nuit du 14 octobre 1978, le Président, qui n'a que quelques semaines encore à vivre, brosse à son confident et ami un tableau exhaustif des membres du Conseil de la révolution. Boumediène considère qu'il a fait don de sa personne à son pays au point de s'identifier totalement à lui ; en conséquence, qui le trahit, trahit l'Algérie. Il se plaint des vilenies des uns, des faiblesses des autres et reconnaît les qualités de certains. Le Président malade parle avec amertume de la tentative de putsch par Tahar Zbiri, regrette la disparition de Saïd Abid et se déclare ulcéré par les rumeurs qui ont entouré le suicide de Ahmed Medeghri. Mais c'est autour de Abdelaziz Bouteflika que les révélations de Boumediène sont les plus surprenantes : «On a beaucoup épilogué sur mes relations avec Bouteflika. La vérité, c'est que Abdelaziz était un jeune homme inexpérimenté qui avait besoin d'un mentor, j'ai joué ce rôle. Sans doute m'en veut-il de ne l'avoir pas désigné comme ‘’prince héritier’’» ainsi qu'il le désirait. En effet, lorsqu'en 1976, j'ai chargé Bedjaoui de préparer un projet de Constitution, ce dernier est venu m'informer d'une demande de Bouteflika relative à l'introduction d'une disposition portant création d'un poste de vice-président, élu en même temps que le Président, sur le même «ticket», à la manière américaine. A Bedjaoui qui voulait savoir si cette proposition avait mon agrément, j'ai répondu qu'en tant que juriste, il pourrait proposer autre chose sauf introduire un tel article. Taleb Ibrahimi, candi-
dat à la présidentielle de 1999 et qui s'est alors retiré avec les autres postulants face à Bouteflika, candidat du «consensus», remet l'horloge de l'histoire à l'heure en dévoilant l'archéologie des ambitions de l'actuel chef de l'Etat. Une révélation en rapport direct avec la polémique déclenchée récemment par les déclarations de l'ancien président Chadli Bendjedid (1979-1992) concernant la succession à Boumediène.
MYSTÈRES Cette période de la fin du règne de Houari Boumediène revient fréquemment alimenter débats et témoignages. Non seulement à cause de tous ces drames shakespeariens autour de la succession, mais aussi autour de la maladie et du décès du Président ce 28 décembre 1978. Grand connaisseur de l'Algérie de Boumediène, le journaliste français du Monde, Paul Balta, déclarait dans un entretien à Mohamed Chafik Mesbah que Taleb Ibrahim «est la personne la plus qualifiée pour donner son témoignage sur la maladie de Houari Boumediène». «Médecin de formation, il est spécialiste d'hématologie. C'est lui, en particulier, qui a accompagné Houari Boumediène à Moscou pendant ses soins. Il était chargé enfin d'informer le Conseil de la révolution sur l'évolution de la maladie du président de la République», indiquait Paul Balta. Mais que dira Ahmed Taleb Ibrahimi dans ses mémoires sur cette mort qui nourrit encore théories et mystères ? Pas grand-chose malheureusement. «Vingt-neuf ans maintenant nous séparent de ce triste événement. Durant toute cette période, de nombreux compatriotes n'ont cessé de me poser cette question lancinante : est-il mort de maladie, comme on le prétend, ou bien n'a-t-il pas été plutôt victime d'un empoisonnement lent, œuvre des services secrets étrangers, notamment américains et israéliens ? Dans l'état actuel de mes connaissances, il est difficile de confirmer telle ou telle hypothèse, surtout que dans les pays du tiers-monde, on a tendance à refuser l'idée que certains leaders charismatiques soient des hommes comme les autres, exposés aux mêmes vicissitudes de la vie, telles que la maladie, les accidents. Par ailleurs, d'autres morts de leaders restent mystérieuses. Ainsi, de sérieux soupçons pèsent sur les services secrets israéliens qui seraient certainement responsables de l'empoisonnement de Yasser Arafat, après avoir vainement tenté, quelques années plus tôt, une opération similaire à Amman contre le chef du mouvement palestinien Hamas, Khaled Machaâl. Autres exemples : le roi Fayçal (d'Arabie Saoudite, ndlr.) a été assassiné au moment où il défendait la thèse de l'embargo pétrolier à destination des pays occidentaux qui soutiennent Israël, et les présidents Nasser et Assad aux positions antiimpérialistes et antisionistes notoires ont été terrassés par des crises cardiaques... Toujours est-il que j'ai quitté, à Moscou, le 17 octobre, un Boumediène en forme et avec un moral de fer alors que 28 jours après, je l'ai retrouvé à Alger fort diminué. Espérons que d'autres témoignages pourront un jour éclairer l'histoire dans un sens ou dans l'autre». Espérons toujours. A. M. Sources : Mémoires d'un Algérien, Tome 1 : Rêves et épreuves (1932-1965) et Tome 2 : La passion de bâtir (1965-1978), aux éditions Casbah.
El Watan - Samedi 27 décembre 2008 - 19
1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS
BOUMEDIÈNE ET LA DÉCOLONISATION LINGUISTIQUE
L’ARABISATION AU PAS DE CHARGE A MENÉ LE PAYS À LA CATASTROPHE ■ Fervent partisan d'un socialisme autoritaire, Houari Boumediène mit en place un pouvoir autocratique.
PHOTO : B. SOUHIL
La politique d’arabisation a été menée à contrecourant de la réalité sociale algérienne
Par Nabila Amir 'est sous son régime que commencèrent les premières campagnes d'arabisation. Aux yeux de tout le monde, le but avoué de cette politique linguistique, était d'appliquer la notion d'indépendance en remplaçant la langue officielle du colonisateur, le français, par une langue officielle et «nationale», l'arabe, restaurant ainsi la situation d'avant 1830 où la seule langue écrite était l'arabe (littéral). Mais la réalité a été que cette politique linguistique n'a pas été pensée en soi, mais utilisée comme un atout dans la lutte entre couches sociales opposées, pour la conquête de positions de pouvoir. L'enseignement en particulier a représenté un champ clos de luttes entre traditionalistes et modernistes dans un premier temps, puis il a été pris en otage par les islamistes dans leur lutte contre «l'Etat impie et corrompu». Il faut rappeler dans ce contexte une autre vérité : Boumediène n'a jamais pu se libérer de l'emprise de la religion et de l'arabe coranique. Il avait reçu son instruction presque exclusivement en arabe classique dans les écoles coraniques de la région de Guelma, la médersa El Kettani (Constantine), et dans les universités théologiques de la Zitouna (Tunisie) et d'Al-Azhar (Égypte), un haut lieu du fondamentalisme musulman. C’était un arabisant et il voulait dans ce sillage plaire à ses adeptes. En tout état de cause, cette nouvelle politique, imposée au peuple, s'est davantage appuyée sur l'effet de «pouvoir» que sur l'adhésion «des couches sociales intéressées». A été assujetti à l'arabisation ce qui était sous l'influence directe de l'Etat: l'enseignement, l'administration et l'environnement général, notamment les médias. En outre, les conditions de mise en oeuvre de cette option linguistique se sont faites dans un contexte d'improvisation, les mesures d'arabisation étant généralement prises
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dans une optique politique. Elles se sont donc traduites par un abaissement du niveau des études, par une carence pédagogique grave, une baisse de rendement dans les secteurs de l'administration, sans que le bénéfice en paraisse évident. C'est ce qui a entraîné sa perception comme une pression politique, et une régression technique. Elle s'est de plus accompagnée de l'imposition, par le biais de l'arabe, d'une islamisation souvent primaire et oppressive, parce qu'insérée dans un enjeu de pouvoir. La légitimité, que le pouvoir de Boumediène avait voulu obtenir à travers sa politique d'arabisation, a été en fait détournée au profit d'une manipulation de ces valeurs de fond que sont pour les Algériens l'Islam et la langue arabe. L'ère Boumediène avait permis en somme à la couche «arabisante» de la population de «profiter» de la politique d'arabisation af in de prendre le contrôle de leviers importants en Algérie tels que l'éducation nationale et une partie de l'administration. En effet, dès les premiers jours de l'indépendance, en 1962, le groupe partisan de l'arabisation a mobilisé les Algériens de culture arabe dominante, qui voulaient faire leur percée au sein d’un encadrement massivement francophone. Etudiants issus des écoles coraniques, intellectuels provenant des universités arabes, de formation souvent religieuse ou littéraire, ils définissaient ainsi leur dogme : «N'est "arabisant" qu'un Algérien formé dans un pays arabe.»
HARO SUR LE BILINGUISME Sous le règne de Boumediène, l'arabisation a été menée à coups de commissions, campagnes et autres décrets multiples. De l’avis de nombreux acteurs politiques, Boumediène mène le pays avec son système d’arabisation «à la catastrophe». Il ira même plus loin dans sa logique destructrice. En 1967, il interdit les écoles privées, rendant la tâche difficile à l'élite sociale qui voulait maintenir ses enfants dans le
bilinguisme. L'arabisation a d'abord commencé dans l'enseignement : La langue arabe a été introduite progressivement, jusqu'à y être généralisée; l'enseignement du français y a toutefois été maintenu à partir de la quatrième année, mais dans des conditions pédagogiques défectueuses. L'enseignement secondaire a été arabisé matière par matière, à partir de 1966, jusqu'à aboutir à une version uniquement arabe du baccalauréat. L'enseignement supérieur a d'abord été arabisé dans les sciences humaines. Finalement pressé par l'arrivée de bacheliers exclusivement arabophones, il est passé lui aussi à l'arabisation jusque dans les disciplines scientifiques. Par contre, les instituts de formation supérieure dépendant des ministères autres que l'Education nationale ont généralement poursuivi leur formation en français, parfois en anglais. En revanche, dans le primaire et le secondaire, faute de professeurs qualifiés, l'arabisation se traduisit par une régression de la qualité de l'enseignement. Le drame était tel que les bacheliers arabophones passaient leur première année de faculté à décrypter les polycopiés et étaient contraints de redoubler lorsqu'ils commençaient à peine à maîtriser le vocabulaire français. Pour ce qui est de l'enseignement de l'arabe, et pour remédier aux manques en matière d’enseignants, l'Algérie a fait appel aux «pays frères», notamment l'Egypte, la Syrie et l'Irak. Ceux-ci expédiaient en masse des instituteurs militants, souvent proches des Frères musulmans. De l'aveu même du défunt Mahfoud Nahnah, c'est sous leur influence que la jeunesse algérienne a pu s'imprégner des valeurs islamiques. Plus tard, et ce n’est pas un secret, le FIS récoltera ce qu'ils ont semé dans les écoles. En 1976, ce fut l'arabisation de l'affichage avec les noms de rues et des plaques d'immatriculation. Puis, le vendredi fut déclaré «jour de repos hebdomadaire» à la place du dimanche. Le 10 décembre 1976, Houari Boumediene, candidat unique à la présidence, fut réélu avec 99 % des voix et durant cette même année, il confisquera le fichier amazigh qui contenait un ensemble de publications sur des recherches amazighes écrites en alphabet latin. Dans l'administration, une ordonnance de 1968 a contraint les fonctionnaires à apprendre l'arabe dans un délai de trois ans. Cependant, les hauts fonctionnaires s'en firent dispenser par décret. Dans les médias, c'est surtout la radio et la télévision qui ont été marquées par l'arabisation. Le résultat, selon de nombreux témoignages, en fut que leur message devint incompréhensible pour une grande partie de l'opinion algérienne non préparée à cette nouvelle donne. L'arabisation devint donc l'option fondamentale de l'éducation nationale et Boumediène avait été très clair et intransigeant à ce sujet en déclarant que l'enseignement, même de haut niveau, ne peut être réel que lorsqu'il est national, et que la formation, fût-elle supérieure, demeure incomplète si elle n'est pas acquise dans la langue du pays qui est l'arabe. Cela peut même constituer, renchérit-il, un danger pour l'équilibre de la nation et l'épanouissement de sa personnalité. Il peut également engendrer des déviations qui ris-
quent d'entraver une saine et valable orientation.
UNE MESURE «DÉMAGOGIQUE» En novembre 1968, Boumediene affirme que «l'arabisation ne peut être réalisée avec le seul concours de l'État. D'autres efforts doivent émaner également de l'élite arabisée [...]. Les mosquées sont à la disposition de ces élites pour alphabétiser et inculquer l'arabe aux adultes». A l'unanimité, les observateurs feront le constat que la politique d'arabisation prônée par Boumediène, et qui s'est poursuivie inlassablement, a eu un impact négatif sur la vie des Algériens, suscitant une double résistance et de profondes tensions dans la population. Une hostilité est venue en premier lieu des milieux francophones. Ne pouvant s'exprimer ouvertement sans être taxée de «hizb frança» (parti français), cette tendance a souligné la baisse de niveau scolaire et l'inadaptation de l'appareil technique et administratif à l'expression en langue arabe. Ces tensions aboutirent également à des heurts parfois violents entre les étudiants, comme en mai 1975, à Alger et à Constantine. La décision d'instaurer l'arabisation a été qualifiée par certains d'aberrante, de dangereuse et de démagogique. Selon certains analystes, elle était un moyen habile de couper 30 millions de langues algériennes tout en tentant de s'attacher la sympathie des islamistes. C'était aussi une mesure efficace pour essayer d'étouffer les revendications linguistiques berbères (tamazight pour le Nord, tamasheq pour le Sud, chaoui pour l'Est) et de marginaliser une population de cadres francophones. Cependant, vu les résultats négatifs de sa politique d’arabisation, Boumediene fait une petite pause et tente vainement de sauver l'école algérienne en faisant appel à Mostefa Lacheraf pour réformer le système éducatif, et ce, en faisant du bilinguisme l'axe autour duquel devra s'articuler cette adaptation. De culture à la fois arabe et française, cet historien de formation s'était souvent opposé à Ben Bella. En 1977, Lacheraf, soulignait que «ce n'est pas la langue arabe qui est en retard, ce sont ceux qui l'ont rétrogradée, maintenue parfois dans l'infantilisme et en ont fait un objet de chantage inadmissible». A la mort de Boumediène, en 1978, Lacheraf est démissionné, et le bilinguisme enterré. Le successeur de Boumediène, Chadli Benjedid, plus enclin à subir les pressions des islamo-conservateurs du FLN, cherche à évincer le français. Mais triste a été le constat ! L'université algérienne, considérée jusqu'alors comme la meilleure du continent africain, voit partir pour d'autres cieux ses meilleurs diplômés. Ce sont, en effet, quelque 10 000 enseignants et chercheurs qui, depuis 1980, ont quitté l'Algérie pour la France, le Canada ou les Etats-Unis. L’école algérienne ne sait plus sur quel pied danser. La politique linguistique en Algérie obéit depuis toujours à des objectifs idéologiques et politiques. En revanche, les autorités n'ont jamais manifesté aucune préoccupation pédagogique, aucune recherche ou réflexion en profondeur sur le sujet. Le résultat est là aujourd’hui : l’Algérie souffre de tous les maux. N. A.
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1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS
1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS
LE PROCESSUS ÉTAIT L’ABOUTISSEMENT
D’UN ÉCHEC DES NÉGOCIATIONS AVEC LA FRANCE
LE 24 FÉVRIER 1971, LES HYDROCARBURES
BOUMEDIÈNE NATIONALISE ET MET FIN AU «RÊVE SAHARIEN»
■ 1971 fut l’année du début actif de «la révolution socialiste» du colonel Houari Boumediène. Le 24 février de la même année, il annonçait «la nationalisation» des hydrocarbures. Huit mois plus tard, il décidait le lancement de «la révolution agraire» et la gestion socialiste des entreprises (GSE). Par Faycal Métaoui evant les cadres de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), syndicat unique créé le 24 février 1956, il proclamait, au nom du Conseil de la Révolution, né après le coup d’Etat militaire contre Ahmed Ben Bella six ans auparavant, une série de décisions : «la participation algérienne dans toutes les sociétés pétrolières françaises est portée à 51%, de façon à en assurer le contrôle effectif ; la nationalisation des gisements de gaz naturel ; la nationalisation du transport terrestre, l´ensemble des canalisations se trouvant sur le territoire national». Les décisions étaient applicables le jour-même. Houari Boumediène entendait mettre fin aux pourparlers menés avec la France sur les questions énergétiques. Les accords d’Evian de mars 1962 avaient, en partie, ligoté les mains de l’Etat indépendant au nom de la poursuite de l’application du Code pétrolier saharien, promulgué en 1958. Deux ans auparavant, les premiers puits de brut furent découvert à Edjeleh, dans la région de In Amenas, et à Hassi Messaoud, dans le Sud-Est du pays. Plusieurs entreprises françaises procédaient à des explorations depuis 1953 à l’image de la Compagnie des Pétroles d’Algérie (CPA), la Compagnie de recherche et d'exploitation du pétrole au Sahara (CREPS) et de la Société Nationale de Recherche et d’Exploitation des Pétroles en Algérie (SN REPAL). Cette dernière fut créée en 1946 à l’initiative du gouvernement général d’Algérie, une année après l’installation à Hydra, sur les hauteurs d’Alger, du Bureau de recherches pétrolières (BRP). Curieusement, Sonatrach a actuellement son siège à Hydra ! Le BRP était établissement public en charge de la coordination et du financement des recherches pétrolières. Ce bureau avait un rayon d’action large en Afrique puisqu’il procédait à plusieurs prospections au Tchad, au Gabon et ailleurs. A la fin des années 1940, la SN REPAL avait échoué dans des recherches menées dans le Touat et à In Salah. Pas de trace de pétrole et de gaz. C’était bien entendu une erreur ! Dans un premier temps, le pétrole gabonais avait permis à la France d’avoir au milieu des années 1950 «l’autonomie énergétique». L’exploitation des premiers puits à Hassi Messaoud, à partir de juin 1956, était la réalisation du «rêve saharien» pour les Français. «Cette immensité pourrait être une source fantastique de prospérité. Un jour, nous y trouverons de grandes quantités de pétrole», prévoyait le géographe Émile Félix Gautier. Une immensité estimée à 7,7 millions de km2 qui s’étend à partir du Tchad jusqu’au en Mauritanie. Certains considéraient déjà le Sahara comme «le Texas français». Les Américains étaient, eux, sceptiques à l’idée de trouver de l’or noir dans le désert. C’était, entre autres l’avis du géologue Hallis Heldberg qui estimait qu’aucune zone intérieure de l'Afrique «ne présente d'intérêt pour les
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recherches». On comprend mieux pourquoi les Américains ne s’étaient intéressés à l’Afrique pétrolière que tardivement, lui préférant l’Alaska et le Moyen-Orient. Les nostalgiques considéraient les découvertes de In Amenas et de Hassi Messaoud comme «une véritable épopée française». Vers 1958, Hassi Messaoud, qui était baptisée «Maison verte», ressemblait à l’Ouest américain à l’époque de la recherche de l’or. Elle attirait des centaines d’ingénieurs, d’explorateurs, de chercheurs et autres. Il était évident que l’intérêt pour la France n’était pas de perdre cette manne tombée du ciel en pleine guerre de Libération nationale. Surtout qu’un immense champ gazier venait d’être découvert à Hassi R’mel. Hassi R’mel d’où l’on pouvait extraire les condensats également. La France dépendait à l’époque à 90% des hydrocarbures acheminées du Moyen-Orient. Grâce aux découvertes du Sahara, elle pouvait assurer 50% de ses besoins en énergie et améliorer d’une manière sensible sa balance commerciale. Il fallait donc réfléchir rapidement à une solution pour séparer le Sahara du reste de l’Algérie en cas d’indépendance.
LES OASIS ET LA SAOURA SANS L’ALGÉRIE ! Plusieurs responsables français, dont Guy Mollet, Félix Gaillard et le général de Gaulle, avaient fait des propositions (certaines faites secrètement) au FLN puis au GPRA allant de l’autonomie à l’indépendance de l’Algérie.
Aucune de ces offres n’incluait le Sahara comme partie du territoire algérien. Après débats et hésitations, un projet fut retenu, celui de faire du Sahara une entité autonome sous souveraineté française. Ministre d’Etat dans le gouvernement socialiste de Guy Mollet, Houphouët Boigny, devenu président de la Côte d’Ivoire indépendante, était chargé d’élaborer le projet adopté par le Parlement en décembre 1956. En vertu de ce texte fut créée l’Organisation commune des régions sahariennes (OCRS). Son objectif ? «Mettre en valeur l’expansion économique et la promotion sociale des zones sahariennes de la République française et à la gestion de laquelle participent l’Algérie, la Mauritanie, le Niger et le Tchad». Ces quatre pays n’étaient donc plus «souverains» sur leurs territoires. Fait inexplicable : le Mali, qui possède d’immenses étendues désertiques, n’était pas concerné par cette nouvelle organisation. Après la création d’un ministère du Sahara, la séparation de l’Algérie de ses territoires du Sud fut officiellement proclamée le 7 août 1957. Ainsi, les départements des Oasis et de la Saoura furent intégrés à l’OCRS. Le reste du pays était désormais appelé «l’Algérie du Nord» (à l’image de la Corée du Nord). Il fallait attendre le 5 septembre 1961 pour que le général de Gaulle annonce au cours d’une conférence de presse que les départements des Oasis et de la Saoura faisaient partie intégrante de l’Algérie. Cinq années auparavant, Djamel
Abdelnasser ordonnait la nationalisation du Canal de Suez. Cela avait, d’une certaine manière, contribué à accélérer le projet de division de l’Algérie puisque la France avait des craintes sur ses approvisionnements pétroliers du MoyenOrient. Houari Boumediène, qui était au Caire en 1956, avait assisté aux festivités marquant cette nationalisation, largement accueillie par la population égyptienne. Une autre nationalisation allait suivre, celle du domaine minier de l'Irak Petroleum Company (IPC) en 1961. A cette époque, les groupes tels que Shell et BP avaient le monopole des activités de distribution et de raffinage sur le territoire française. En 1960, la même année de la création de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) à Baghdad, la France regroupait les entreprises sous l’égide de l’Union générale des pétroles (UGP) pour les activités de raffinage et l'Union générale de distribution (UGD). La société néerlandaise Shell avait vivement protesté contre la création de cette Union. Progressivement, l’UGP construisait ou louait des raffineries partout (Allemagne, Sénégal, Belgique, Madagascar...) mais pas en Algérie. Sur le plan économique, cela aurait été fort rentable pour l’Etat français de raffiner le brut en Algérie et de le transporter compte tenu de la distance. Mais, les perspectives d’indépendance de l’Algérie changeaint tout. En 1966, le BRP lançait l'Entreprise de recherches et d'activités pétrolières (ERAP) dont la mission était de mettre en place une industrie pétrolière sans aide
financière ou technique de l'Etat. L’ERAP était chargée de coordonner et superviser toutes les activités recherche, exploration, production, raffinage et distribution en France métropolitaine et dans les colonies. L’ERAP, qui était présente en Algérie, s’était adaptée aux nouvelles règles du marketing pour devenir ELF-ERAP, ElfMatra puis Elf-Aquitaine. Cette entreprise est restée publique jusqu’à 1994 avant de fusionner avec Total. Total était également présente en Algérie après l’indépendance. En décembre 1963, le jeune Etat se dotait de sa propre société, la Sonatrach, pour transporter les produits pétroliers. Elle devait ensuite élargir ses activités à l’exploration, la production et la pétrochimie. Ce qu’elle avait fait des années après sa création. Mais, des clauses dans les Accords d’Evian donnaient un large monopole aux entreprises françaises. «l’Algérie confirme l’intégralité des droits attachés aux titres miniers et de transport accordés par la République française, en application du Code pétrolier saharien (…) et s’engage à respecter le droit pour le détenteur de titres miniers et ses associés de transporter ou faire transporter sa production d’hydrocarbures liquides ou gazeux et le droit du concessionnaire et de ses associés de vendre et de disposer librement de sa production», était-il écrit dans ces accords. L’Algérie indépendante acceptait donc de ne pas toucher au Code pétrolier saharien. Paris avait tout fait pour empêcher tout autre société française de venir explorer dans le sahara algérien.
En 1962, il n’y avait que deux compagnies américaines et une entreprise allemande en Algérie dont les activités étaient fortement limitées. «La partie française avait imposé la création d’un organisme mixte algéro-français de gestion et de contrôle de l’industrie pétrolière algérienne, dénommé Organisme saharien et au sein duquel les deux pays étaient représentés par un nombre égal d’administrateurs. C’est donc à une structure administrative échappant complètement à la souveraineté nationale qu’était dévolue la tutelle du secteur pétrolier», a relevé, dans une analyse, Hocine Malti, ancien vice-président de Sonatrach, l’un des fondateurs de cette entreprise, consultant pétrolier actuellement.
REMISE EN CAUSE PARTIELLE DES ACCORD D’EVIAN Deux ans après la signature des Accords d’Evian, la nécessité de revoir les volets énergétiques était apparue évidente. Les négociations devaient durer plusieurs mois. Les accords complémentaires étaient signés en 1965, quarante jours après le coup d’Etat militaire contre Ahmed Ben Bella. Les accords du 29 juillet 1965 avaient permis à l’Algérie, selon Hocine Malti, de cesser d’être un simple percepteur d’impôts, de remettre en cause le système de concessions et de se lancer dans l’aventure industrielle en prenant en main, sur le terrain, les opérations d’exploration et de production. «Cette dernière mesure était de loin la plus importante puisque c’est grâce à ce rôle d’opé-
rateur que le pays finira par exercer une souveraineté totale sur les richesses de son sous sol», a-t-il estimé. «Les accords pétroliers algérofrançais définissaient avec plus de précision le cadre de l’exercice des activités pétrolières par les sociétés françaises en Algérie et les mesures particulières dont elles pouvaient bénéficier et décidaient (parmi d’autres décisions relatives au prix posté, au régime fiscal applicable et à la coopération dans le secteur pétrochimique) de la création d’une société en participation (50%50%) chargée de la recherche et de la production appelée Association-Coopérative (Ascoop) et dans laquelle Sonatrach représentait l’Algérie et était opératrice sur un certain nombre de périmètres et le Groupe ERAP représentait la France avec la société Sopefal comme opérateur sur un certain autre nombre de périmètres», ont, de leur côté, précisé, dans une étude publiée par la presse, Abdelmadjid Attar et Zerrouk Djerroumi, deux anciens cadres de Sonatrach. Selon eux, cette Association-Coopérative, dotée de périmètres de recherche d’une superficie de 200 000 km2 , a activé pendant quelques années. Au cours de cette période, 35 forages ont été réalisés qui se sont traduits par quatre découvertes avec des efforts réduits de recherche. «Ce comportement inattendu de cette structure a conduit le partenaire algérien à demander, au cours des rounds de révision des clauses fiscales tenus de fin 1969 à début 1971, à son partenaire de se conformer aux engagements pris, mais ce dernier est resté sourd à ces demandes et son attitude a conduit les autorités à penser sérieusement au scénario de la nationalisation», ont indiqué les cadres de Sonatrach. Selon Hocine Malti, la guerre du Moyen-Orient de juin 1967 fournissait au régime de Houari Boumediène l’occasion de créer la première brèche dans le front des compagnies concessionnaires, en vue de la reprise en main des réserves pétrolières. «Par solidarité avec les pays arabes engagés dans le conflit, le gouvernement décidait de mettre sous contrôle de l’Etat les compagnies pétrolières américaines présentes dans le pays. La levée de la mesure, quelques mois plus tard, aboutissait à la cession par Getty Oil à Sonatrach de 51% de ses intérêts sur le champ de Rhourde El Baguel», a-t-il noté. Les difficultés liées à l’Ascoop avaient donné lieu à des négociations qui devaient aboutir à un échec. «Les négociations commencèrent en novembre 1969, dans l’espoir qu’elles aboutiraient à la date anniversaire de juillet 1970. Abdelaziz Bouteflika, ministre des Affaires étrangères, effectua de très nombreux va-et-vient entre Alger et Paris pour y rencontrer le ministre français de l’Industrie Xavier Ortoli, en charge du dossier. Une année après, aucune avancée n’ayant été constatée, le président Boumediène décida finalement, en novembre 1970, de mettre fin à la tentative de règlement par voie diplomatique, dessaisit le ministère des Affaires étrangères du dossier et donna pour instruction au secteur de l’énergie de se préparer à prendre en main l’exploitation pétrolière du pays», a expliqué Hocine Malti. L’échec des pourparlers amenait donc Houari Boumediène, en quête grandissante de popularité, à annoncer la nationalisation, partielle pour certaines sociétés, des hydrocarbures. Les entreprises gazières ont été nationalisées à 100%. CFP-TOTAL JOUE LE JEU Par conséquent, Elf-ERAP et la Compagnie française des pétroles (CFP, l’ancêtre de Total) ne pouvaient enlever que 5 millions de tonnes de brut en Algérie. Fortement touchée, ElfERAP décidait de quitter l’Algérie. Elle ne trouvait son équilibre que vers 1975. La CFP, qui avait déjà beaucoup perdu après la nationalisation de l’IPC en Irak dans laquelle elle détenait
des parts, restait et était obligée de négocier avec les autorités algériennes et signer des accords entrés en application à partir de juin 1971. Elle arrivait même à augmenter ses parts dans le gisement de Hassi Messaoud ! Le congrès du FLN de Tripoli en 1962 avait retenu le principe de la nationalisation des installations pétrolières mais sans préciser de date de mise en application. La CFP en était informée et s’était bien préparée à cette nouvelle politique en adoptant un plan de protection de ses actifs et en transférant son siège social d’Alger vers Paris. L’Etat algérien procédait courant 1971 à une révision en profondeur des textes régissant les activités liées aux hydrocarbures dont le fameux Code pétrolier saharien qui accordait des avantages en matière fiscale aux sociétés françaises. «En vue de corriger les dysfonctionnements créés par ces textes qui s’étaient montrés inadaptés à la nouvelle situation du pays (statut administratif particulier, statuts des concessionnaires, avantages fiscaux, mesures protectrices des concessionnaires, limitation des pouvoirs de l’administration algérienne, etc.) et qui n’étaient plus en ligne également ni avec la situation courante de l’industrie pétrolière internationale ni avec les acquis réalisés par les autres pays producteurs, et étant donné que ces dysfonctionnements n’ont pu être réglés par des dispositions intérimaires comme la création d’institutions mixtes du genre Organisme saharien ou Organisme de coopération industrielle, vu leur lourd co-management, les autorités algériennes ont promulgué une série d’ordonnances et de décrets le 12 avril 1971», ont souligné Abdelmadjid Attar et Zerrouk Djerroumi. D’autres pays ont suivi l’exemple algérien, comme l’Angola et l’Indonésie qui nationalisèrent leurs ressources pétrolières. L’Iran, lui, avait échoué dans sa tentative de le faire. Le 12 avril 1971, Boumediène prenait la décision de charger Sonatrach de mener seule les opérations sur les champs pétroliers et gaziers. «A partir de ce moment, l’Algérie contrôlait, au travers de sa compagnie pétrolière nationale, 4 milliards de tonnes de réserves pétrolières sur un total estimé de 5, des réserves de gaz de 4000 milliards de mètres cubes, toutes les réserves de condensat, estimées à l’époque à 600 millions de tonnes et un réseau de 8 gazoducs et oléoducs d’une longueur totale de 3500 kilomètres. La part de Sonatrach, qui avait été jusque-là de 30% de la production, passait à 77%», relevait Hocine Malti. Les nouvelles lois restaient en vigueur jusqu’à 1986. Après cette date, marquée par un effondrement des cours mondiaux du pétrole, un autre schéma fut adopté pour le patrimoine minier. La nationalisation en Algérie avait suscité la méfiance des grandes compagnies pétrolières internationales. Situation entretenue par l’embargo, décidé en 1973 par les pays arabes membres de l’OPEP réunis au Koweït après la Guerre d’Octobre, à l’encontre des Etats occidentaux qui soutenaient Israël. Le sommet d’Alger de novembre 1973 devait conforter cette position. Une année plus tard, Boumediène prône, dans un discours aux Nations unies, l’instauration d’un nouvel ordre économique international. Pour certains historiens, Houari Boumediène avait marché sur les traces de Djamel Abdennaser et s’en était inspiré pour la prise de plusieurs décisions dont la reconquête de la souveraineté sur les hydrocarbures, «la révolution agraire», le barrage vert et l’utilisation du FLN comme simple appareil politique. A titre d’exemple, le colonel Djamel Abdennaser avait fait de El Ittihad Al Ichtiraki (l’union socialiste) un instrument politique au service des ses visions et avait lancé le fameux «El Islah aziraï» (la réforme agricole). F. M.
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1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS
ILS SONT DEVENUS DES GOURBIS SANS VIE
LES 1000 VILLAGES SOCIALISTES : LA FIN D’UNE ÉPOQUE ■ Parmi les plus grands projets engagés par le défunt Houari Boumediène, il y avait le fameux programme des 1000 vil-
lages socialistes agricoles.
Par M. Aït Ouarabi n projet qui fut l'élément clé de la «Révolution agraire», est lancé en 1973 dans le but d'améliorer les conditions de vie dans les zones rurales. En effet, le président Houari Boumediène, dans le cadre de sa réforme du secteur de l'agriculture, condamne l'esprit de gourbi régnant dans les campagnes et lève les fonds nécessaires pour concrétiser l'opération historique de 1000 villages socialistes. Par ce projet, Boumediène visait surtout à rompre avec le romantisme révolutionnaire et la confusion idéologique de cette époque-là. La construction de ces villages avait effectivement permis aux paysans pauvres et sans terre de réaliser leurs rêves : celui d'accéder à une vie décente, avec un minimum de ressources. Ce programme a également aidé - toute proportion gardée - à sédentariser les populations rurales et à relancer un tant soi peu la machine agricole. Les campagnes se verraient ainsi dotées d'écoles, de dispensaires, de maison modernes, de salles de cinéma, de bibliothèques, de maisons de jeunes, de terrains de football et de marchés (Souk El Fellah). Elles verraient également la disparition de quelques gourbis sans vie, hérités de l'époque coloniale. Pour nombre d'observateurs, ce projet est inspiré du fameux "Plan de la mise en valeur agricole et industriel", lancé en octobre 1958 par le général Charles de Gaule. Si l'idée ressemble à celle du général de Gaulle, l'objectif est bien différent, d'autant plus que les visées colonialistes n'étaient guère pour permettre aux Algériens d'accéder à une vie meilleure mais plutôt de s'assurer la pérennité du système colonial. L'ambitieux projet de Boumediène a suivi un chemin sinueux. Comme le barrage vert, ce projet colossal fut abandonné à la mort du président Boumediène. Et au fur et à mesure que les
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Ce qui était censé améliorer la vie de milliers de paysans s’est avéré n’être que des taches au beau milieu des plaines
années passaient, les villages construits perdirent leur visage et se transformèrent en cités ternes et sans attrait dont les maisons se vendaient aux plus offrants. Les infrastructures collectives furent privatisées et cessèrent de jouer le rôle qui leur était dévolu, à savoir faciliter la vie aux habitants. Ainsi, au fil du temps, ces villages, dont le but était de remplacer les gourbis et de les faire disparaître à jamais, deviennent
des hameaux, des bourgs. Aujourd'hui, certains d'entre eux sont des nids de délinquance et des plaques tournantes des trafiquants de drogue. Cela au point qu'un village socialiste au nord de Tizi Ouzou, plus exactement dans la commune de Timizart, a été surnommé par les habitants des localités environnantes : "la Colombie". Fierté de la région à son ouverture dans les années 1970, ce village agricole, qui a été érigé
au milieu des plaines, abritait jusqu'à un passé récent des familles de Fellah. Mais au début de la décennie 1990, il connut de terribles transformations humaines et matérielles. Une bonne partie de ses véritables habitants le quittèrent, laissant la place à des arrivistes aux pratiques sociales peu catholiques. Gagnées par l'usure du temps et victimes du manque d'entretien, les infrastructures urbaines se dégradèrent. Le même décor se répète ailleurs, dans d'autres villages agricoles. Pas tous peut-être. Mais la grande partie de ces villages se trouve dans la même situation. Parce que complètement défigurés et déviés de leur vocation initiale, certains villages sont désignés par "ex". C'est le cas du village socialiste de Beni Chougrane, à Mouzaïa. Erigé au milieu d'une terre fertile pleine d'agrumes, cet ex-village agricole, inauguré en 1974, est devenu le "foyer" de tous les vices. Infesté par les voyous et les trafiquants de drogue, il est devenu invivable pour ses habitants au nombre de 2000. Outre le chômage et la promiscuité, il manque de tout. Même constat au village socialiste de Chaâbet El Ameur, à quelque 40 km à l'est de Boumerdès. Eternel chantier, ce village se distingue par ses constructions inachevées depuis trente années pour certaines. Il compte actuellement près de 300 familles. Les infrastructures collectives sont en ruine. Les édifices qui devaient servir de bureau de poste, de siège de l'APC, de Souk El Fellah…n'ont pas vu et ne verront probablement jamais le jour. Ils sont au stade de chantier - abandonné - depuis plus de deux décennies. Pour les habitants, ces cadavres en béton représentent bien la fin de l'épopée socialiste ; illustrent l'échec d'une politique lancée tambour battant et pour laquelle de colossales ressources financières ont été allouées. Une sorte de cimetière où reposent "les idéaux de Boumediène". M.A.O.
LA MORT DE BOUMEDIÈNE A ÉTÉ UN «CHOC» POUR UN GRAND NOMBRE D’ALGÉRIENS
«NOUS VOYIONS EN LUI UN HÉROS» ■ Bien qu'il ait été l'un des présidents algériens les plus populaires, Boumediène suscitait des sentiments contradictoires : il faisait peur autant qu'il fascinait. Il avait donné l'habitude d'une certaine manière de faire, pétrie de secret et de déni. Par Amel Blidi a mort de Boumediène sonnait, pour certains, le "début de la fin". "Nous savions que plus rien ne serait comme avant. Qu'on l'aime ou qu'on le déteste, nous étions persuadés qu'il y avait un pilote dans l'avion", raconte Chérif, aujourd'hui cadre dans une entreprise privée. Pour certains, Boumediène a peut-être fait les mauvais choix économiques mais au moins a-t-il essayé de changer les choses. Rares sont les politiques qui n'ont pas péché par trop d'optimisme. "A cette époque, au moins, les gens avaient l'espoir d'une vie meilleure. Cette période leur avait permis de faire des études, de se construire. Il pouvaient enfin rêver d'une vie meilleure", estime Dalila, 41 ans. Aujourd'hui, dit-elle, les espoirs nés dans les années 1970 semblent avoir été rangés au rayon des illusions perdues. Tout ceux qui ont vécu la mort de Boumediène se rappellent de ce "sentiment de peur" qui s'est propagé immédiatement après l'annonce du décès. "Nous sentions qu'un pilier s'est effondré. Je me souviens avoir pleuré ce jour-là. J'avais 9 ans, je ne connaissais pas grand-chose à la politique mais il y avait cette peur des lendemains incertains. J'ai connu cette même sensation en avril 1980 lorsqu'on entendait ces bruits de Tizi Ouzou annonçant la guerre", confie Saâdane, qui a aujourd'hui la quarantaine.
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Ces larmes versées sur le "Zaïm" le font aujourd'hui bien rire. "J'étais trop jeune à l'époque, ce n'est qu'après que j'ai découvert son visage de dictateur", dit-il dans un grand sourire. En fait, explique Mustapha, 40 ans, les Algériens ne se rendaient pas réellement compte de la dictature de Boumediène. "Nous avons été complices d'un système totalitaire. Comme aux dessins animés, nous nous inventions un héro. Il y avait cette mythologie du père fondateur. Nous avons été bernés par l'école. Nous vivions dans le mythe que nous étions une nation respectée", analyse-t-il. De la mort du "Nasser algérien", il garde le souvenir des larmes de sa mère. "Boumediène était censé être immortel. J'étais doublement peiné dans la mesure où j'avais perdu mon père deux ans auparavant. Et là, le peuple algérien était soudainement orphelin. C'était un véritable choc émotionnel. Les gens paraissaient inconsolables. Pour eux, le pays s'est effondré", se rappelle-t-il. La transition vers la présidence de Chadli Benjedid ne fut pas sans ambages. "A l'époque, je ne savais pas trop ce qui se tramait en politique, mais on avait l'impression que c'était la grande débâcle. Nous sentions un grand vide. De la gestion de Boumediène, on garde ses discours aux accents populistes transmis par la télévision", raconte encore Mustapha. Pour Ali, qui avait 9 ans à la mort de Boumediène, le changement était difficile à accepter. "Je n'arrivais pas à m'habituer au portrait de Chadli à l'école. Il y avait
une cassure dans l'image, comme une rupture dans mes souvenirs d'enfant. Cela ne me semblait pas être un passage naturel, il n'y avait pas de continuité. Le portrait de Chadli m'était inaccessible. Il y avait un vide. Boumediène me semblait plus proche", confiet-il. Pour l'enfant qu'il était, le pouvoir de Boumediène se cristallisait dans les "DS" noires que tout le monde craignait et dans l'interdiction formelle de "parler kabyle à Alger ". Immédiatement après l'arrivée du colonel Chadli Bendjedid au pouvoir, quelques changements commençaient à se faire sentir. Le marché était inondé de bananes. Les Algériens en achetaient des cageots entiers. "Il y avait une sorte de boom commercial. Chadli a mis en place une liberté commerciale au forceps. Une liberté qui jurait avec ces queues interminables devant les coopératives socialistes et les Souks El Fellah", raconte Ali. Malgré ses efforts, Chadli n'a jamais pu rivaliser avec son prédécesseur. "Chadli, on l'a tout de suite détesté. Nous voyions en lui un pantin ridicule. Alors nous racontions des blagues sur lui pour nous venger", souligne Mustapha. Il fera remarquer que les blagues sur Boumediène n'étaient pas nombreuses. Les rares histoires qui existaient lui taillaient le costume de "héros". Pour une bonne partie des Algériens, le "Zaim" était parti en laissant un navire sans cap ni capitaine. Le paquebot "Algérie" devait louvoyer au gré des vents et des marées. A. B.
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1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS
POLITIQUE ÉTRANGÈRE
UN DYNAMISME PORTÉ PAR LE 1er NOVEMBRE ■ Plus que n’importe quel chef d’Etat algérien, Houari Boumediene a marqué de façon indélébile la politique étrangère de l’Algérie. Lorsqu’il s’empara du pouvoir le 19 juin 1965, le pays venait de sortir d’une longue et douloureuse guerre de libération qui lui a valu respect et admiration à travers le monde entier, une guerre qui a obligé le colonialisme français à accorder l’indépendance à la quasi totalité de ses colonies d’Afrique. Par Tayeb Belghiche elle-ci était devenue reconnaissante à la Révolution algérienne à laquelle s’identif iaient tous les peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine et surtout les Arabes qui considéraient que le combat des Algériens a redonné sa dignité à tout le monde arabe longtemps méprisé et humilié par le monde occidental. C’est dans un climat aussi prestigieux, avec cette crise unique, que le fils d’Héliopolis a pris les rênes du pays. II a su exploiter la situation et en a tiré profit avec une rare intelligence. Bien connu sur la scène internationale en ses débuts, il a su s’imposer avec le temps pour devenir un véritable leader charismatique. Dénoncé à l’étranger le 19 juin 1965 comme un putschiste et un homme de droite, il trompera tous ses détracteurs en s'interposant comme un homme progressiste très proche du tiers-monde et ennemi juré de l’expansionnisme capitaliste. A partir de là, il révélera les fondements de sa politique. II va alors devenir le défenseur acharné du non-alignement, seul moyen à ses yeux de permette aux pays pauvres de garantir leur indépendance et de se prémunir contre la voracité de l’impérialisme. II annonce la couleur le 5 juillet 1965. «Notre action sur le plan international, dit-il dans son premier discours de chef d’Etat, sera dégagée de toute complaisance et n’admettra aucune ingérence directe ou indirecte. Fondée sur des principes clairs, fidèle à nos options fondamentales, elle sera débarrassée de tout chauvinisme et de vaines considérations de pression pour s’adapter à nos responsabilités réelles». Partant des principes ainsi énoncés, Boumedienne s’attelle à faire de l’Algérie, l’exemple à suivre par le tiersmonde. C’est ainsi qu’il oblige les Français à quitter avant terme les bases de Reggane et de Béchar. En 1971, il nationalise le pétrole, réussissant là où ont échoué les Iraniens, entraînant dans son sillage la Lybie, l’Irak d’abord et d’autres pays producteurs d’or noir.
A L’AVANT-GARDE DU TIERS-MONDE A partir de ce moment là, il va s’imposer comme une grande figure du tiers-mondisme et un président qui, désormais, compte sur la scène internationale. Alger devient La Mecque des révolutionnaires, pour reprendre une qualification faite en 1973 par le défunt Amiral Cabral ; leader du PAIGC, (Parti africain pour l’indépendance de la Guinée-Bissau) assassiné la même année à Conacry, dit-on, par la PLDE, la police politique portugaise. Effectivement, tous les mouvements de libération d’Afrique, d’Asie, tous les partis d’opposition progressistes d’Amérique latine, d’Europe (ceux-là de façon plutôt discrète), et bien entendu les Palestiniens trouvent asile en Algérie où ils sont pris en charge par une direction des mouvements de libération. L’Algérie «ne peut s’abstenir d’aider ces mouvements, car elle trahira sa mission et son histoire, affirme l’homme fort du pays le 19 juin 1966. Son aide à ces mouvements révolutionnaires est une aide naturelle qui se poursuivra». Mais c’est surtout le sommet des non-alignés, réuni à Alger en septembre 1973, qui va propulser Boumedienne sur le-devant de la scène internationale et faire de lui un leader incontournable pour toutes les questions du tiers-monde. C’est à cette occasion que vont être posés les
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Boumediène va s’imposer comme une grande figure du tiers-mondisme et un président qui compte sur la scène internationale
jalons pour un nouvel ordre économique international et son corollaire, le dialogue NordSud. Il militait alors avec acharnement pour imposer les résolutions de ce sommet au reste de la communauté internationale. II réussit à convoquer une assemblée générale extraordinaire en avril 1974 à New York. «Le non-alignement, explique-t-il à cette occasion, trouve sa raison d’être dans la défense des causes justes contre toute forme d’hégémonie politique et de domination économique». Ajoutant plus loin que «si les débats et les discussions de cette assemblée pouvaient donner l’espoir d’atteindre un tel résultat, alors le développement des peuples du tiers-monde et les succès à emporter sur la misère, la maladie, l’analphabétisme et l’insécurité ne seraient non pour la revanche des pays pauvres sur les pays nantis, mais la victoire de l’humanité tout entière». Pour atteindre ces objectifs, il préconise, entre autres, la «prise en main par les pays en voie de développement de leurs ressources naturelles, ce qui implique au premier chef la nationalisation de l’exportation de ces ressources et la maîtrise des mécanismes régissant la fixation des prix» et proposant sur sa lancée «la rénovation démocratique du systè-
me monétaire international qui annihile tous les efforts des pays en voie de développement». Le monde entier considère cette assemblée générale comme «historique». Boumediene est grisé par le succès. II convoque à Alger la même année un sommet, une première, des pays membres de l’OPEP. Tous les chefs d’Etat sont présents. En marge de cette rencontre, il joue le médiateur entre le Shah d’Iran et le vice-président irakien de l’époque Saddam Hossein, ce qui aboutit à la conclusion d’un accord sur le tracé des frontières entre les deux frères ennemis mettant fin à un conflit séculaire mais que revivra plus tard le dictateur irakien en envahissant inutilement son voisin en 1980 dans le but de détruire la révolution khomeiniste. Toujours à l’initiative de Boumediene, une conférence sur le dialogue Nord-Sud se tient la même année à Paris. II y avait d’un côté les pays occidentaux riches et de l’autre, les pays pauvres.
DE NOUVEAUX RAPPORTS NORD-SUD Toute la réunion a tourné autour d’un débat entre les Etats-Unis pour les nantis et l’Algérie pour les damnés de la terre. Et toute l’attention internationale s’était focalisée sur la position de l’un ou de l’autre des deux pays pour souli-
gner l’échec ou le succès des travaux. A partir de cette époque, le Nord développé s’est mis à voir le Sud avec un autre regard et à dialoguer avec lui avec respect. Les jalons de nouvelles relations entre les deux parties venaient d’être posés. Toujours la même année, Boumediene est la vedette du sommet de l’organisation de la Conférence islamique qui se tient à Lahore (Pakistan). Cherchant sans doute à bousculer un monde musulman vivant dans une totale léthargie, il prononce un discours qui restera dans les annales et qui lui a sans doute attiré la haine des intégristes. En effet, sans fioriture, il déclare à ses pairs que «l’ont ne va pas au paradis le ventre creux», ajoutant : «L’Islam que je connais depuis l’âge de dix ans, n’a jamais nourri son homme!» C’était l’une de ses grandes sorties et l’un de ses discours les plus médiatisés sur le plan international. Il faut dire que l’ancien chef d’état-major de l’ALN a toujours réussi à tétaniser son auditoire et à se faire respecter. L’audience de l’Algérie d’alors était sans commune mesure avec son poids économique et militaire, ce qui à fait dire à Henry Kissinger, à l’époque secrétaire d’Etat américain, à son interlocuteur algérien, lors d’une escale à l’aéroport d’Alger : «Heureusement que vous ne produisez que 50 millions de tonnes de pétrole/an». Mohamed Boukharrouba de son vrai nom, terminera son mandat de trois ans à la tête des mouvements des non-alignés, auxquels il a donné incontestablement un souffle nouveau, en beauté et avec succès. Son combat diplomatique ne s’arrêtera pas pour autant. D’autres épreuves l’attendent cette fois-ci sur la scène arabe. A la surprise générale, et sans consulter ses pairs arabes, le président égyptien débarque à Jérusalem. C’est la consternation. Le geste est vu comme une grande trahison de la cause des peuples arabes en général et palestinien en particulier. II faut agir vite. C’est Boumediene qui organise la riposte. Ce qui était considéré à l’époque comme l’élite progressiste du monde arabe, c’est-à-dire l’Algérie, la Syrie, l’OLP, le Yémen du Sud et la Libye crée un front de la résistance et de la fierté. Les leaders des quatre pays et Yasser Arafat tiennent un sommet à Alger. Saddam Hossein, déja soupçonné d’être un agent de la CIA, refuse d’y participer ainsi que les autres pays arabes. Faute de soutiens conséquents, le front ne réussira certes pas à provoquer un isolement de l’Egypte et un transfert du siège de la Ligue arabe du Caire à Tunis. Un autre sommet du genre se tient en juillet 1978 à Damas. Boumediene impose des résolutions très dures contre les Egyptiens, résolutions qui seront adoptées presque intégralement par le sommet arabe tenu à Baghdad en novembre de la même année. Le président algérien n’était pas à cette réunion. Et pour cause, il était à Moscou où il se soignait pour une maladie qui allait l’emporter le 27 décembre. Depuis, l’aura de l’Algérie a commencé doucement et sûrement à se dissiper. Sa voix ne porte plus sur la scène internationale où elle ne pèse pas plus que des pays au passé nettement moins prestigieux. Les grands de ce monde ne l’invitent plus aux conférences où se décide l’avenir du monde. Aujourd’hui, elle ne réussit même pas à faire rapatrier un de ses diplomates, Mohamed Ziane Hasseni, retenu en otage à Paris par la justice française malgré son innocence. T. B.
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1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS
BOUMEDIÈNE A L’ONU
PLAIDOYER POUR UN NOUVEL ORDRE INTERNATIONAL ■Le discours du défunt président Houari Boumediène devant la session extraordinaire de l'ONU d'avril 1974 avait fait date dans les relations internationales de l'époque. Par Omar Berbiche our la première fois de façon frontale, sans user de la langue de bois et de détours, un président du tiersmonde, en l'occurrence le président Houari Boumediène, avait, au nom de ses pairs des pays en développement, plaidé devant les instances onusiennes et en présence des pays riches pour une refondation des relations internationales et un partage équitable des richesses de la planète et de la prospérité. Un nouveau concept naquit à l'initiative du mouvement des non-alignés et sous les conseils avisés de l'Algérie qui se posait alors en porte-drapeau pour la défense des idéaux de développement, de récupération des richesses nationales, de soutien et de solidarité avec les peuples en lutte pour leur indépendance, émancipation et dignité : l'instauration d'un nouvel ordre économique mondial. Le président Boumediène s'était présenté à la tribune des Nations unies fort des convictions de l'Algérie pour un monde plus juste, mais aussi fort des résolutions de la quatrième conférence des chefs d'Etat et de gouvernement des pays non-alignés réunis à Alger quelques mois plus tôt en septembre 1973. Boumediène avait donc une feuille de route toute tracée à défendre devant la session extraordinaire de l'ONU. Il l'avait fait avec sa verve légendaire et surtout son ton direct et percutant forgé à l'ombre de son parcours révolutionnaire n'hésitant pas à appeler un chat un chat, alternant les appels à une coopération internationale mutuellement avantageuse entre le Nord riche et le Sud pauvre et le discours ultra-nationaliste comme le principe du compter sur soi en tant que doctrine de développement des pays du tiers-monde et la promotion de la coopération Sud-Sud en vue de contourner l'hégémonisme des grandes puissances. Quand on relit ce discours, on prend tout de suite la mesure de l'enjeu du combat dans lequel il avait investi toute son énergie. Un combat qui était décliné
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comme le prolongement naturel du recouvrement de l'indépendance nationale qui demeurait inachevée, ne cessait-il de répéter tant que les peuples qui se sont affranchis du joug colonial n'étaient pas maîtres de leur destin et de leurs richesses nationales. Trente-quatre ans après ce discours historique, on se rend compte que les présupposés, qui fondent les relations internationales d'aujourd'hui, n'ont pas beaucoup changé. Le capitalisme, qui était présenté comme la voie de salut et de l'émancipation des peuples face au dirigisme de l'Etat incarné par le système socialiste adopté par les pays qui avaient recouvré leur indépendance, montre aujourd'hui toutes ses limites et son visage hideux avec la crise financière qui a affecté les pays industrialisés avant de se transformer en récession économique se répandant à la vitesse de la lumière, n'épargnant directement ou indirectement aucun pays. Le mot d'ordre : sans développement, il n' y a pas de paix et de sécurité internationales (Boumediène disait que «la sécurité véritable implique une participation équitable du tiers-monde à la vie internationale») est toujours d'actualité. «Les visées impérialistes semblent prendre le pas sur les exigences d'une démocratisation réelles des relations internationales», avait martelé Boumediène devant l'Assemblée générale des Nations unies. Le doigt est posé sur la délicate question du désarmement qui constitue, selon Boumediène, «une illustration de cette façon restrictive d'aborder les problèmes qui concernent l'humanité dans son ensemble, à travers des schémas qui ne visent qu'au réaménagement des rapports de forces entre grandes puissances». Un appel pressant fut lancé quant à la tenue d'une conférence mondiale pour un désarmement général et complet qui implique, outre l'interdiction des essais et la destruction des stocks nucléaires, le démantèlement des bases militaires et le retrait des troupes étrangères de toutes les régions du monde. Soutien aux peuples en lutte pour leur émancipation et la
défense de leur souveraineté et richesses nationales en Afrique, en Asie et en Amérique latine (au Vietnam, au Cambodge, au Moyen-Orient, au Chili, en Afrique du Sud où le système de l'apartheid vivait ses heures «de gloire»). Aujourd'hui, les guerres coloniales classiques en tant que doctrine sont passées de mode, même s'il existe encore des survivances et qu'elles prennent de nouvelles formes sous le fallacieux prétexte de défense des libertés et de la démocratie menacée par certains régimes dans le monde, comme ce fut le cas pour justifier l'invasion de l'Irak et de l'Afghanistan.
UN VISIONNAIRE Mais les convoitises des richesses naturelles des pays en développement de la part des pays nantis sont demeurées toujours aussi vives. La politique de la canonnière a laissé la place à la manipulation sordide du système économique et financier mondial où l'accumulation rapide et facile des rentes sans contrepartie productive a pris le pas sur l'économie réelle, seul source véritable de création de richesse. L'appel de Boumediène au nom des pays producteurs de l'OPEC pour une juste rémunération des prix des hydrocarbures qui intervient après le choc pétrolier de 1973 dans le sillage de la guerre d'octobre remet au goût du jour, trente-quatre ans plus tard, la problématique de la maîtrise des cours du marché pétrolier par les pays producteurs lesquels assistent depuis l'apparition de la crise financière à une baisse drastique et continue des prix de l'or noir. A cette différence que Boumediène avait de la suite dans les idées et envisageait le combat pour le recouvrement de la souveraineté nationale, non pas seulement dans son sens restrictif, sous l'angle mercantile du marché, à travers une revalorisation des seuls prix des hydrocarbures, mais une maîtrise de tous les leviers économiques et financiers qui font les attributs de la souveraineté d'un pays. C'est le sens de l'appel lancé à la même tribune des
Nations unies par Boumediène pour la généralisation de la revendication d'une juste rémunération des hydrocarbures à «toutes les matières premières de base des pays en voie de développement. La conquête ou reconquête de la souveraineté nationale passe, avait fait remarquer Boumediène, par les nationalisations des richesses naturelles comme l'Algérie, qui avait donné l'exemple en reprenant possession de ses richesses énergétiques, agricoles, minières…» Il avait énoncé cinq lignes d'action pour soutenir le développement dans les pays du tiers-monde. La première condition qui détermine tout le reste est un appel à la nationalisation des richesses naturelles perçue comme un droit souverain des pays en développement. Le second défi devrait porter, selon Boumediène, sur la mise en place «d'un processus de développement cohérent et intégré (…) à travers une politique de développement de l'agriculture et industrielle permettant la transformation sur place des ressources naturelles d'origine minière ou agricole». Les pays en développement furent appelés, de leur côté, à promouvoir la solidarité, tout comme un appel est lancé à la communauté internationale en vue de la mise en œuvre d'un programme spécial destiné à aider les pays les plus défavorisés de la planète. Boumediène était-il en avance sur son temps ? C'est ce que l'on serait tenté de croire lorsque l'on revisite son discours devant la tribune des Nations unies. Lorsqu'il appelle à la nécessité de «rénover le système monétaire international sur une base démocratique , à l'ouverture des marchés des pays développés aux produits des pays en voie de développement», on peut reprocher beaucoup de choses à Boumediène, notamment sa conception des libertés individuelles et publiques, sauf d'être un témoin passif des évènements qu'il a toujours cherché à anticiper pour mieux les maîtriser au lieu de les subir impuissants. Boumediène qui rêvait de bâtir un «Etat qui survive aux hommes et aux évènements» était-il un utopiste ? O. B.
MACHAÂL CHAHID COMMÉMORE LE 30E ANNIVERSAIRE DE LA MORT DE BOUMEDIÈNE
QUAND ALGER ÉTAIT LA «MECQUE DES RÉVOLUTIONNAIRES…» e soutien constant et «sans réserve» apporté par le défunt président Houari Boumediène à l'autodétermination des peuples en lutte pour le recouvrement de leur liberté avait fait qu'Alger était qualifiée de «la Mecque des révolutionnaires», ont souligné jeudi d'anciens proches de Boumediène. Lors d'une conférence sur le thème «Boumediène et l'autodétermination des peuples», organisée au centre de presse d'El Moudjahid, par l'association Machaâl Chahid, l'ancien haut responsable du FLN, M. Djelloul Melaïka, a apporté une somme de témoignages sur le soutien «sans réserve» apporté par Boumediène aux mouvements de libération à travers le monde. La défense des causes justes des peuples en lutte pour leur autodétermination et leur indépendance, notamment en Afrique, qui était un principe sacré du président Boumediène, avait fait dire à l'ancien militant indépendantiste bissau-guinéen, le défunt Amical Cabral, que “si les musulmans font leur prière dans les Lieux saints, les chrétiens au Vatican, les révolutionnaires la font en Algérie’’. D'où le qualificatif «Alger, Mecque des révolutionnaires», donnée par Cabral dans les années 1960, alors en déplacement en Algérie», a expliqué M. Melaïka. Il a, d'autre part, évoqué des faits relatifs à l'engagement du président Boumediène pour les causes des peuples colonisés, surtout en Afrique, en citant le cas
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du Mozambique, de la Guinée-Bissau, du Cap vert, alors sousoccupation portugaise, rappelant que Boumediène avait refusé de nouer des relations diplomatiques avec le Portugal du dictateur Salazar. Le soutien aux militants anti-apartheid avait conduit Boumediène, selon M. Melaïka, à recevoir Nelson Mandela et ses compagnons à la frontière algéro-marocaine avant l'indépendance de l'Algérie, ce qui avait été la cause de l'arrestation du leader de l'ANC à son retour en Afrique du Sud. «Non seulement, Boumediène soutenait les mouvements de libération dans le continent noir, le Monde arabe et l'Amérique latine, mais il accueillait les leaders indépendantistes en Algérie, où ils étaient formés politiquement et militairement», a-t-il ajouté. S'agissant de la lutte du peuple palestinien, le président Boumediène avait laissé sa fameuses expression : «L'Algérie est avec la Palestine à tort ou à raison», a-t-il encore rappelé. Boumediène a également fait du soutien à l'indépendance du peuple sahraoui sous domination marocaine, un principe puisé de l'expérience de l'Algérie en tant qu'ancien pays colonisé, a dit M. Melaïka, ajoutant qu'il a même convaincu le général Franco de reconnaître que la question sahraouie est un problème de décolonisation. Sur le même sujet, M. Abderrazak Bouhara, vice-président du Conseil de la nation, a apporté son témoignage notamment sur le cas du Vietnam, où il était ambassa-
deur, en soulignant que Boumediène soutenait «sans réserve» la lutte du peuple vietnamien pour son indépendance dans les années 1960 et 1970. «La position de l'Algérie vis-à-vis de la lutte du peuple vietnamien avait amené les leaders vietnamiens à demander à Boumediène de nouer des relations diplomatiques avec les Vietminhs formant le gouvernement du Laos pour, selon eux, aider la cause du Vietnam, en étant en contact avec les ambassades occidentales sur place», a-t-il dit. M. Bouhara a expliqué que la défense du droit des peuples colonisés à l'autodétermination a été héritée par Boumediène du mouvement national, mais aussi de sa formation politique en Egypte auprès des étudiants qui militaient pour l'indépendance des pays du Maghreb. L'engagement de Boumediène aux côtés des causes justes de par le monde a été également réaffirmé par les représentants de l'Autorité palestinienne et du Front Polisario, qui ont souligné l'aide apportée par l'Algérie à ces causes encore aujourd'hui, sans issue. Mme Anissa Boumediène, l'épouse du défunt, a quant à elle a affirmé que le Président était «pragmatique» dans ses positions de soutien aux peuples en lutte pour leur liberté, «privilégiant les faits aux paroles». Mme Boumediène a appelé, à cette occasion, les anciens collaborateurs ayant côtoyé le président défunt de transmettre aux générations actuelles et à venir leurs témoignages. (APS)
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1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS
Sahara occidental et question palestinienne
LE SOUTIEN «DHALIMA AM MADHLOUMA» DE BOUMEDIÈNE ■ La position de l'Algérie vis-à-vis des causes sahraouie et palestinienne a été depuis son indépendance toujours constante et invariable. L'Algérie soutient la Palestine «dhalima am madhlouma» (coupable ou victime), telle est la formule qui résume la position du défunt président Houari Boumediène et de l'Algérie par rapport à la cause palestinienne. Par Rabah Beldjenna urant son règne, la diplomatie algérienne avait joué un grand rôle dans cette cause. «Je ne peux vous répondre que ce que j'ai déjà dit aux leaders de la Résistance palestinienne. L'Algérie ne pratique pas la surenchère. Elle ne peut qu'appuyer les décisions des Palestiniens. Exiger plus qu'eux, c'est de la démagogie ; moins, c'est de la trahison», avait répondu Boumediène à Henry Kissinger, secrétaire d'Etat du gouvernement républicain de Richard Nixon, lors de sa 2e grande tournée au Moyen-Orient, en décembre 1973. Georges Habbache, fondateur du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) ne tarissait pas d'éloges sur le rapport de l'Algérie aux Palestiniens. «Depuis son indépendance, l'Algérie a toujours soutenu le camp palestinien. Alger est même l'un des rares pays à s'être rangés d'une façon claire aux côtés du peuple palestinien», avait-il raconté dans ses mémoires qu'a publiés le journaliste Georges Malbrunot. C'est à Alger, lors d'un sommet arabe extraordinaire, que l'Organisation de la libération de la Palestine (OLP) avait gagné le statut de «représentant unique et légitime du peuple palestinien», dont le Conseil national palestinien avait adopté les décisions les plus décisives. C’est à Alger que l'acte de naissance de l'Etat palestinien a été délivré. Selon Habbache, c'est à partir de 1975 que Boumediène «a renforcé les relations» entre Alger et le FPLP. Datée de 1975, la première rencontre entre les deux hommes avait tourné autour d'une révélation. Boumediène «se montra très clair avec moi». Pour la circonstance, il «avoua avoir jadis conseillé à Arafat de liquider les dirigeants de toutes les autres factions palestiniennes, y compris ceux du FPLP», selon George Habbache. Pour quelles raisons le chef du Conseil de la révolution avait-il «vendu» au chef de l'OLP l'idée de liquidation physique ? Réponse de Habbache : «Pour Boumediène, en effet, la lutte ne pouvait aboutir s'il existait des divisions entre nous. A l'image de la guerre d'Algérie et du FLN, il recommandait le parti unique, dirigé par une seule tête. Boumediène avait donc conseillé à Arafat de me liquider», rappelle le leader du FPLP sur le ton de l'exclamation. «Il changea ensuite de point de vue quand il comprit mieux ma position à la tête du Front populaire. Je n'oublierai pas non plus son voyage à Moscou en 1973, lorsqu'il demanda aux Soviétiques d'aider les armées
Indépendante grâce au sacrifice de plus d’un million de martyrs, l’Algérie ne pouvait que soutenir les mouvements de libération
arabes - en premier lieu l'Egypte - à affronter Israël», a noté Habbache, en précisant son témoignage. «Boumediène me répétait souvent que Arafat devait clarifier sa position sur Sadate, car elle était ambiguë.» Selon lui, les Algériens «se montrèrent présents dans les moments politiquement difficiles» pour le FPLP et les Palestiniens. A un journaliste d'Afrique-Asie, qui lui demanda, lors de son premier entretien en 1971, comment il analysait la situation face à l'agression israélienne, le président Boumediène répondra : «L'Algérie a entrepris sa révolution armée, alors que tant d'autres ne l'ont jamais fait. Nous ne recherchons pas le majd (la gloire) ni les ‘’victoires’’ de propagande. Nous disons simplement que nous sommes disposés à tous les sacrifices nécessaires pour soutenir et faire triompher la cause palestinienne. La nation arabe est aujourd'hui à un carrefour. Ou bien elle choisit la lutte, avec tout ce que celleci comporte de sacrifices et de privations ou, alors, elle remet en question son existence même…» Il s'aliène, en 1977, les pays arabes du Golfe auxquels il dénie la qualité même d'Etat nominal et assène de virulentes critiques aux autres pays arabes, qui cherchent à instrumentaliser la cause palestinienne à des fins strictement
partisanes. Ainsi, pour Boumediène, les Palestiniens, pour recouvrer leurs droits légitimes, devaient suivre l'exemple de l'Algérie et s’engager pleinement dans la lutte armée.
L’AUTODÉTERMINATION, UN PRINCIPE SACRÉ Pour ce qui est de la question sahraouie, le président Houari Boumediène se montra intraitable sur le chapitre des droits des peuples à disposer d'eux-mêmes. C'est ainsi qu’il avait soutenu le droit des Sahraouis à l'autodétermination et contribua même à la création de la République arabe sahraouie démocratique (RASD). C'était sous sa houlette que la cause sahraouie était inscrite aux Nations unies. Dans son étude Houari Boumediène où l'histoire d'un destin contrarié, l'universitaire Ali Mebroukine écrivait : «Au Maghreb, le président Boumediène se montre intraitable sur le chapitre du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, contribuant à la création de la RASD après avoir fait une interprétation a maxima de l'avis consultatif de la CIJ du 16 octobre 1975 qui avait considéré qu'il n'existait pas de liens de souveraineté territoriale entre le Sahara occidental et le royaume du Maroc, d'une part,
l'ensemble mauritanien, d'autre part.» C’est ainsi que les relations entre Alger et Rabah sombrèrent assez tôt dans l'état de belligérance (Amgala I et Amgala II) et devinrent foncièrement conflictuelles avec la Mauritanie (après les menaces personnelles adressées par Boumediène au président Ouled Daddah auquel il rappelle l'appui de l'Algérie à l'indépendance de la Mauritanie et l'aide multiforme qu'elle n'eut de cesse d'apporter au peuple mauritanien). Alors qu'il répondait à Hassan II qui le sommait de choisir «entre une guerre loyalement et ouvertement déclarée et une paix internationalement garantie», le président Boumediène estimait que «ce qui est en cause, c'est le droit à l'autodétermination, principe sacré, intangible, reconnu par toutes les instances internationales, un droit qui, dans le cas du Sahara occidental, a été bafoué». Dès le lendemain de l'accord de Madrid, le ministère algérien des Affaires étrangères avait publié un communiqué exprimant sa position sur ce point. «Le moment est venu, dit ce texte, de redire, avec toute la clarté nécessaire, que l'Algérie ne saurait renier l'acquisition la plus chère des peuples et le principe cardinal des
Nations unies que représente le droit à l'autodétermination. Alger ne saurait entériner quelque solution que ce soit à l'élaboration et à la mise en œuvre desquelles elle n'aurait pas été associée au titre de partie concernée et intéressée.» Ce droit à l'autodétermination, Alger rappelle qu'il a été proclamé en ce qui concerne le Sahara occidental par les Nations unies dans de multiples résolutions, par l'Organisation de l'Unité africaine mais aussi par plusieurs «sommets maghrébins auxquels participaient le roi Hassan II et le président Ould Daddah». Paul Balta, journaliste correspondant du Monde de 1973 à 1978 à Alger et qui avait couvert les conflits israélo-arabes (1967-1973), ceux du Kurdistan et du Sahara occidental et la guerre Irak-Iran (19801988), avait témoigné que Boumediène lui avait confié, dans leurs conversations sur le Polisario, que l'éclatement du conflit du Sahara occidental lui avait fait prendre conscience de la nécessité du renforcement du potentiel opérationnel de l'armée et, donc, de la consolidation du budget d'équipement militaire. Et que, simultanément, il avait renforcé, de manière déterminante, la formation spécialisée des cadres militaires supérieurs, y compris en les dépêchant à l'étranger. R. Bel.
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1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS
POPULARITÉ DE BOUMEDIÈNE
LE MYTHE ET LA RÉALITÉ ■ Le fait est bien réel: Boumediène est au bout des lèvres de nombre d'Algériens, jeunes et vieux. Il revient assidûment aussi bien dans des discussions entre amis, dans les cafés ou dans la rue que dans les rencontresdébats les plus passionnées. Par Mokrane Aït Ouarabi u détour d'une phrase, au bout d'un constat, au coeur d'une diatribe, le nom de l'homme qui a régné sur l'Algérie avec une poignée de fer treize années durant, se trouve mêlé à toutes les sauces. Il est cité tantôt pour sa politique économique socialiste et socialisante, tantôt pour sa démagogie et son populisme. On entend certains l'évoquer en bien. D'autres en mal. De son vrai nom Mohamed Ben Brahim Boukharouba, Houari Boumediene aura marqué son époque d'une empreinte indélébile, laissant des séquelles par-ci et bonne impression par-là. Trente années après sa mort, l'architecte de la "Révolution agraire" et l'auteur de "l'Industrie industrialisante" demeure gravé dans la mémoire de plus d'un. Comme une légende ou comme un chef autoritaire. C'est selon le vécu, le passé et le présent de chacun. Une chose est sûre: L'homme, de son vivant comme après son décès à un jeune âge (46 ans), ne laisse guère indifférent. Souvent, l'on établit des parallèles et l'on fait des analyses comparatives entre son époque et celle d'aujourd'hui. Aussi bien au pouvoir que dans l'opposition, des voix s'élèvent soit pour critiquer ses "choix" notamment économiques soit pour louer les bienfaits du socialisme instauré comme mode de gouvernance à son époque. On entend par exemple des personnes, noyées dans le désespoir ambiant, évoquer d'un air nostalgique "l'ère boumedieniste". D'autres personnes se rappellent encore de la puissante Sécurité militaire qui étouffait la moindre voix discordante, mais aussi des emprisonnements et des tortures infligés à des opposants. Peu connu au lendemain de l'Indépendance, Boumediene a pu en quelques années se forger une image, bonne chez certains, mauvaise et effrayante même, chez d'autres. Cela après avoir bien entendu renversé Ahmed Ben Bella en juin 1965. Un coup d'état qui a été qualifié par l'historiographie officielle de "sursaut révolutionnaire". Boumediene disait qu'en déposant Ben Bella, il allait mettre de l'ordre, stopper la dilapidation des deniers publics et lutter contre l'instabilité, la démagogie, l'anarchie et l'improvisation dans la gestion des affaires de l'Etat. Beaucoup sont ceux qui y ont cru et ont fini par apprécier son volontarisme et engagement patriotique. Selon certains spécialistes, Houari Boumediene, après sa prise de pouvoir, avait jeté les bases d'une nouvelle organisation des pouvoirs publics. Il misait surtout sur les masses populaires qui étaient marginalisées durant les trois années de règne de Ahmed Ben Bella. Et surtout, comme le soulignait l'universitaire Ali Mebroukine dans son étude intitulée "Boumediene où l'histoire d'un destin contrarié" publiée en 2006 à El Watan, il avait fait appel aux prolétaires et à tous ceux qui n'avaient pas pu participer au changement institutionnel de juin 1965, pour les mettre à contribution dans les choix nouveaux et les décisions réformatrices de l'Etat et de l'économie qu'il avait eu à entreprendre.
Adulé comme un chef par les uns, redouté comme un dictateur par les autres, Boumediène a donné une image bicéphale à son règne
forum d'El Watan. "Ceux qui, parmi nos concitoyens, parlent de dictature quand ils évoquent Boumediene, je leur demande et " l'Algérie Française " était-elle une démocratie pour vos aînés ? Quand en 1962, on comptait 95% d'analphabètes, un pays sciemment ruiné, détruit et meurtri par l'armée coloniale, c'était la démocratie pour la génération Boumediene ? Réveillez-vous ? Ce n'est pas l'excès de confort qui a conduit la glorieuse révolution algérienne et qui a arraché au prix du sang la liberté pour le peuple algérien. A ce titre, chacun d'entre nous doit s'incliner devant un résistant algérien. Et c'est grâce à des hommes comme Boumediene que nous avons arraché notre liberté. Ne l'oubliez jamais! La critique est facile, la construction de l'Etat ne semble pas convenir à tous… ", tonne un internaute en réaction à un article sur feu Boumediene. D'autres commentateurs se montrent plutôt prudents quant aux réformes qu'il avait engagées durant son règne. "Le défunt Président Boumediene a fait ce qu'il pensait être le mieux pour son pays. Mais à contrecourant de la réalité. Le peuple n'était pas socialiste idéologiquement. Cette génération docile, on ne la trouve pas aujourd'hui. Nous avions à l'époque le moyen de partir à l'étranger avec juste la carte nationale. Cependant seul un nombre infime s'en est allé ", relève un autre " forumiste ".
des moindres- et qui a surtout permis au président Boumediene de gagner la foule, à savoir celle de la nationalisation des hydrocarbures, prise le 24 février 1971 au grand dam de la France. Cette nationalisation réussie, outre le fait d'avoir grossi les rangs de ses supporters, lui conféra une importante dimension internationale. En effet, Boumediene venait de réussir là où l'Iranien Mossadegh avait échoué. L'année 1973 lui donna une nouvelle fois l'occasion d'affirmer son influence sur le plan international en organisant avec succès le sommet des non-alignés auquel les plus grands dirigeants du Tiers Monde de l'époque ont assisté. Il s'en suivit dès lors une période durant laquelle l'Algérie de Boumediene offrit un soutien très actif aux différents mouvements de libération d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine, et c'est en véritable leader du Tiers Monde qu'il se déplaça en 1974 à New York, pour prendre part à une réunion spéciale de l'Assemblée générale de l'ONU sur les matières premières qu'il a lui-même convoquée au nom des non-alignés. Il prononça à cette occasion un discours par lequel il exposa une nouvelle doctrine économique, appelant entre autres à l'établissement d'un nouvel ordre économique international plus juste, qui prendrait en compte les intérêts du Tiers Monde. C'est ce côte-là aussi qui a marqué à jamais les Algériens, avides d'un grand chef politique. Sur le plan économique, il opte pour le modèle socialiste, il construisit sur la base de ce choix beaucoup d'usines et d'écoles. En 1975, il accueille le premier sommet de l'OPEP par le biais duquel les membres du cartel ont pu définir une politique pétrolière concertée. Dans le sillage de cette même réunion, il parvint à sceller la paix entre l'Iran du Chah et l'Irak de Saddam Hussein. Sur le plan intérieur, il fit voter en 1976 une charte en vertu de laquelle il promulgua la constitution d'une Assemblée législative ainsi que la création du poste de président de la République, soumis au suffrage universel. Le contexte régional et international aidant, Houari Boumediene devint célèbre. Son poids et surtout son audace et sa présence sur la scène internationale l'avaient beaucoup aidé à s'imposer au plan interne comme la " solution " incontournable aux multiples problèmes et surtout comme le chef-messie qui
«MAUVAIS CHOIX» Mais bien évidemment, Boumediene n'avait pas ou n'a pas que des admirateurs. En instaurant un régime fermé qui reposait sur sa seule personne, il a fini par être détesté par les opprimés et les damnés de l'Algérie post-indépendante. Les militants berbéristes et de gauche retenaient plus de lui le côté négatif et autoritaire que celui de nationaliste révolutionnaire et réformateur de l'Etat. C'est le cas par exemple de cette personne qui, s’exprimant sous le saut de l'anonymat, affirmait que "le développement économique de l'Algérie et l'émancipation du peuple sont incompatibles avec la dictature. Les maux qui frappent le pays aujourd'hui découlent de la politique menée par le Conseil de la révolution au lendemain du coup d'état du 19 juin 1965 et jusqu'à la mort du président Boumediene... ". Dans ce sillage, d'autres personnes disent ne pouvoir jamais oublier la mauvaise gestion de son système politique et soulignent que la révolution agraire, la révolution culturelle et surtout la révolution industrielle ont été un fiasco pour le pays. " L'on ne peut jamais mettre un propriétaire terrien et un métayer sur le même pied d'égalité ", fait remarquer un autre internaute pour lequel " il est inconcevable de confisquer l'identité d'un citoyen et de reconnaître tous les droits à un autre citoyen de la même cité ". Il y a également sur différents forums de discussions ceux qui trouvent " anormal " qu'on continue à encenser un homme comme Boumediene " qui a piégé ce pays sur le plan économique, social, culturel et ce pour des décennies ". " Trente ans après, je trouve que les politologues, sociologues et historiens algériens restent très craintifs et n'osent pas parler de la gestion catastrophique du pays par Boumediene. Soyez honnêtes et dites la vérité. Ne serait-ce que par respect aux générations futures. A vos enfants donc ", écrit un internaute qui se présente comme un ex-Algérien vivant au Canada. Il est ainsi clair que Boumediene est bien loin d'être, aux yeux d'une bonne partie d'Algériens, " le président parfait " que l'Algérie n'a jamais connu. Pour certains, il est le digne président de l’Algérie indépendante. Pour d’autres, ce n'est qu'un dictateur comme les autres. M. A. O.
PATRIOTISME ARDENT Se présentant comme le "redresseur" d'un Etat dévié de ses objectifs novembristes, Boumediene signa son premier "acte patriotique " en 1968 en réussissant à faire évacuer la dernière base militaire occupée par la France à Mers el Kébir (Oran). Une décision qui a été applaudie et beaucoup appréciée par les Algériens jaloux de la souveraineté nationale chèrement payée. C'est surtout à partir de là qu'a commencé " l'épopée de Boumediene ". A l'évacuation des derniers soldats français sur le sol algérien s'ajoute une autre décision -non
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dispose de la thérapie nécessaire pour vaincre le mal qui rongeait le pays moins d'une décennie après son indépendance. Ainsi, au bout de quelques années, il réussit à faire oublier à plus d’un le putsch de 1965 et asseoir son pouvoir, régnant sans partage sur le pays.
LE SOCIALISME SPÉCIFIQUE Jouant sur la f ibre nationaliste, Houari Boumediene draina des populations derrière ses grands projets politiques et économiques. Au plan politique, il fait adopter par référendum, en juin 1976, une "Charte nationale" qui consacre à la fois le " socialisme spécifique " à l'algérienne et l'islam comme " religion d'Etat", créant ainsi un " islam officiel " dans le but de s'assurer le soutien de la population. Au plan économique, il lance en 1977 une opération " mains propres " visant à sanctionner les " hauts responsables " ayant bénéficié d'enrichissement illicite. Mais il meurt avant que celle-ci n'aboutisse. Les avis positifs quant à l'époque boumedieniste sont nombreux et abondants notamment sur les forums de discussions sur la Toile. "Houari Boumediene, voilà un nom qui fait honneur à l'Algérie. C'est le seul homme qui a compris ce qu'il fallait pour ce peuple .Il restera le seul homme d'Etat algérien qui a pu gérer un pays comme l'Algérie et l'unifier avec des valeurs que, malheureusement, on a perdu aujourd'hui. A son époque, on était fier de dire qu'on est algérien. Aujourd'hui, on en a honte, car on est devenu la risée de tout le monde, avec une jeunesse qui n'a plus de repères et qui n'a plus la notion de l'échelle des valeurs que nous avions à son époque. Beaucoup parlent de dictature quand on parle de Boumediene. Je leur demande si on est mieux aujourd'hui avec la prétendue démocratie. Hélas ! ", souligne un médecin de Médéa sur un forum Internet. Un autre affirme : " La période de Si Boumediene est exaltante par l'esprit constructif, la vision d'avenir d'une Algérie plus juste, plus développée et dont les enfants auraient la tête haute avec un avenir de dignité, un bel avenir dans leur propre pays ". Pour certains, il n'y a pas l'ombre d'un doute que Boumediene était le meilleur de son époque. " Je ne crois pas qu'un Algérien puisse oublier Boumediene qui a marqué l'histoire de notre Algérie moderne ", exprime-t-on sur le
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1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS
LA RÉFORME SPORTIVE (1977)
QUAND BOUMEDIÈNE CONFISQUE LE BALLON
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■ Un des grands chantiers du défunt Houari Boumediène, même s’il a été quelque peu éclipsé par les autres grandes tâches d’édification, a été sans conteste la réforme sportive, initiée en 1977.
• Houari Boumediène saluant les joueurs lors de la finale l’USMAnnaba-l’USMAlger en 1972 • La grande équipe nationale de 1982 au Mondial espagnol, fruit de la réforme initiée en 1977 par le défunt Houari Boumediène
Par Omar Kharoum Au milieu des années 1970, le sport en Algérie battait largement de l’aile et les résultats internationaux de différentes sélections étaient très aléatoires, souvent médiocres. Les clubs dits “civil” étaient structurellement défaillants et les moyens manquaient largement. Toute l’organisation du sport en Algérie était interpellée sans que l’autorité politique ne trouve le moyen de pallier l’obsolescence qui frappait la plupart des disiciplines. Nos équipes nationales mal équipées et mal préparées ne parvenaient pas à atteindre le niveau international et étaient souvent éliminées prématurément des grandes compétitions, ce qui portait un coup sévère au moral national. Malgré la vigueur d’une jeunesse talentueuse qui a eu à le démontrer deux années auparavant lors des Jeux méditerranéens d’Alger 1975, la pratique sportive dite de masse, et donc tout à fait amateure si chère au modèle socialiste, déclinait à telle enseigne qu’elle n’avait plus aucun attrait dans la vie quotidienne des Algériens. Un fait spectaculaire intervenu au milieu de l’année 1977 allait toutefois remettre en cause les choses et pousser le pouvoir politique à précipiter la réorganisation du sport national. Le 19 Juin 1977, au stade du 5 Juillet d’ Alger, à la finale de la coupe d’Algérie entre la JS Kabylie et le NA Hussein Dey, l’hymne national est copieusement sifflé par les supporters kabyles en présence du président Houari Boumediène et des membres de son gouvernement. Dès les jours
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suivants, le défunt président, sans doute marqué par cet incident qui risquait, selon l’une de ses confidences, de mettre à mal la cohésion nationale, sollicitera un collège d’experts pour analyser la situation et proposer des solutions pour dépassionner l'atmosphère sportive et remettre le sport sur les rails du progrès. Une expérience originale et tout à fait inédite se concoctera en été dans des bureaux de la présidence de la République, avant que ne soit effectué un large remaniement ministériel dès la rentrée de septembre, qui verra l’inamovible ministre de la Jeunesse et des Sports de l’époque Abdellah Fadhel (19651977) céder sa place à un jeune diplomate du nom de Djamel Houhou. Au premier Conseil des ministres de septembre, le ton est donné : le sport algérien connaîtra une réforme en profondeur. Cette décision vient à point nommé pour bouleverser complètement des structures surannées, une pratique à bout de souffle atteinte partiellement par le chauvinisme, la manipulation et les calculs clubards étriqués. Un communiqué fleuve du Conseil des ministres indiquait les mesures suivantes : Les associations auront une nature statutaire. Elles seront scindées en deux parties : l’Association sportive communale dite de type amateur (A.S.C.) et l’Association sportive de performance (A.S.P.) qui intéressera les clubs de l’élite. Les associations sportives communales formeront la composante du sport dit de masse. Elles seront prises en charge par les APC ou, pour certaines d’entres elles, par des structures étatiques de différents secteurs (santé, justice, douane, université,
entreprises publiques moyennes, etc.). Les autres clubs huppées de la division une participeront à une compétition d’élite et se pareront du statut d’association de performance formées d'athlètes dits de performance. Les sportifs qui s’y affirmeront, (notamment au niveau des équipes nationales) se verront décerner le statut d'athlètes de haute performance et se verront leurs émoluments relevés. Les ASP seront ainsi parraînées par les plus grandes sociétés nationales, telles que Sonatrach, la Société nationale de sidérurgie (SNS), la Société électronique Sonacat, la CNAN, etc. Comme il n’existait pas en ce tempslà de primes à la signature de la licence et que les effectifs des clubs étaient assez correctement stabilisés, les athlètes étaient intégrés à l’entreprise et y bénéficiaient d’une formation professionnelle adéquate, afin de jouir d’un profil de carrière en vue de les rassurer sur leur avenir. Il est évident qu’avec la force financière colossale dont se caractérisaient les grandes sociétés nationales, monopolistiques de leur secteur d’activité, les budgets des clubs devenaient conséquents et étaient gérés par des cadres de l’entreprise, nouveaux dirigeants à la compétence incontestable. Le plus douloureux dans cette opération d’envergure fut le changement partiel de sigle de tous les clubs dits civils. Sous la houlette d’une centralisation du pouvoir au sein du ministère de la Jeunesse et des Sports, celui-ci allait d’autorité dénaturer le siglage et le rendre conforme avec son nouveau “logeur”, à savoir la société nationale de parrainage. Il y était notamment fait interdiction de se déclarer ou de
faire référence à une région donnée. Des dénominations franchement à la limite du farfelu allaient naître comme la jeunesse sportive Kawkabi (JSK), Mouloudia des pétroliers d’Alger (MPA, ex MCA), Raed Solb de Kouba (RSK, ex RCK), Jil Sakakine Bordj Menaiel (JSBM), Milaha Athletic d’hussein Dey (Mahd, ex Nahd ), union sportive de la kahraba d’Alger (USKA, ex USMA) et on en passe ... Une nette désaffection du public se fait immédiatement ressentir, ce qui a pour effet de dépassionner la compétition et de permettre aux clubs de mieux être en phase avec des actions de formation puisqu’il était fait obligation aux ASP d’ouvrir des écoles de sport (chaque association de performance avait en charge plusieurs disciplines) et de consentir un meilleur investissement aux jeunes catégories. Une saison plus tard, à la faveur des résultats encourageants que commençait à générer cette politique, le public reprendra le chemin des enceintes sportives. C’était le début de la période dorée du sport national. En 1978, l’Algérie survolera des Jeux africains relevés qu’elle a eu a organiser sur son sol. Des performances qu’elle confirmera un an plus tard aux Jeux méditerranéens de Split. Le football en a été l’hirondelle (troisième place après avoir fait sensation en demi-finale face à la Yougoslavie). Puis nos footballeurs à la légende naissante s’en iront étriller la redoutable équipe du Maroc à Casablanca (5 buts à 1 puis 3 à 0 à Alger) dans un match mémorable qui intervenait dans un contexte particulier (absence de relations diplomatiques suite à l’affaire du Sahara occi-
dental). Du jamais-vu jusque-là. Le football fort d’un amalgame de joueurs jeunes et talentueux et de moins jeunes ira de victoire en victoire (Coupes d’Afrique, bonne tenue en Coupe du monde 1982 et 1986 ). Les autres disciplines n’étaient pas en reste puisque tant le handball (cinq couronnes africaines consécutives) que la boxe ou l'athlétisme pour ne citer que ceux-là connaîtront leurs heures de gloire. Entre-temps, Houari Boumediene n’était plus là pour récolter les fruits d’une révolution sportive qui a redonné sa fierté au peuple algérien, que ce soit au niveau continental qu'international. Les jeunes journalistes que nous étions à l’époque se transformaient en conférenciers d’occasion, lors des manifestations internationales ou dans des centres de presse à l’étranger, assaillis par la curiosité des confrères maghrébins et africains qui voulaient connaître la clé de la réussite du sport algérien. Déchargé des pesanteurs négatives, fort d’une volonté politique à toute épreuve et de la couverture des moyens de l’Etat, la reforme sportive a donné des fruits délicieux durant la décennie 80. Cette politique sera malheureusement abandonnée au lendemain des émeutes d’Octobre à cause d’une réorientation de la politique économique nationale sous Chadli Bendjedid sonnant du coup le déclin du sport national. Les sociétés déstructurées et en pleine difficulté allaient se séparer progressivement des clubs les abandonnant à leur sort. Le sport algérien rentrera dès lors dans un long tunnel duquel il n’est pas sorti à ce jour. O. K.
El Watan - Samedi 27 décembre 2008 - 28
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1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS
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IL A REGNÉ SUR
LES DERNIERS JOURS ■Jeudi 5 octobre 1978. Le temps est couvert sur Alger. Les rares passagers du vol régulier Alger-Moscou, prévu à 9h15, attendent tranquillement dans la salle d’embarquement lorsqu’ils aperçoivent trois limousines noires s’immobiliser devant la passerelle de l’avion.
BOUMEDIÈNE INCAPABLE DE GOUVERNER De retour de Yougoslavie, Boumediène reprend ses activités. Le 19 septembre, il reçoit le leader cubain, Fidel Castro, de passage à Alger avant de s’envoler à la fin du mois en Syrie pour prendre part au sommet des chefs d’Etat arabes. Malgré son état de fatigue, faisant fi des recommandations de son médecin, Boumediène ne veut, pour rien au monde, manquer cette importante réunion qui se tiendra à Damas. « Je tiens à être présent à ce moment. Rien ne pourra me faire changer d’avis », affirmera-t-il, en substance, à ceux qui lui demandent de ménager ses forces. Comme prévu, la conférence sera éreintante. Des heures interminables de discussions, de palabres, de débats et de rencontres en aparté épuisent Boumediène qui, pourtant, jouit d’une solide corpulence et dont les capacités de résistance au travail sont
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Le 27 décembre 1978, Boumediène décède et lègue un pays aux lendemains incertains
énormes. Une fois de plus, Boumediène se plaindra de temps à autre de ces satanés maux de tête qui l’empêchent de dormir. Sitôt la conférence achevée, Boumediène regagne Alger le 24 septembre. A l’aéroport, une délégation de hauts responsables l’attend au pied de l’avion. Curieusement, ni la télévision ni les journaux, d’habitude si prompts à rendre compte des moindres cérémonies officielles, se gardent de diffuser des images de cette cérémonie. L’absence d’images officielles ne soulève pas davantage d’interrogations, mais cela intrigue tout de même. Les jours passent et les douleurs deviennent de plus en plus insistantes, si bien que Boumediène est contraint de limiter les visites sur le terrain, les audiences ainsi que les entretiens avec les membres du gouvernement. Depuis l’été 1978, pas moins de quatre Conseils des ministres ont dû être successivement annulés sans que l’on en connaisse les raisons. De hauts dirigeants étrangers débarquent à Alger sans qu’ils puissent rencontrer Boumediène. Ami de longue date de Boumediène, le vice-Président du Vietnam, Nguyên Huu Tho, séjourne à Alger sans qu’il soit en mesure d’obtenir une entrevue avec le Président. Le mystère entoure le raïs. Bien sûr, tout cela intrigue tant que les chancelleries occidentales finissent par ébruiter l’information : Boumediène est dans l’incapacité de gouverner. Dans la capitale, les rumeurs se propagent et agrémentent les discussions du microcosme politico-médiatique. Chacun va de sa supputation. Boumediène aurait fait l’objet d’un empoisonnement lors de son séjour en Syrie. Le Mossad, services secrets israéliens, aurait intoxiqué le Président à l’aide de rayons déclenchés par le flash d’un appareil photo. Boumediène aurait fait l’objet d’une tentative d’un putsch, dont il serait sorti blessé. L’hebdomadaire britannique Sunday Express s’en fera l’écho le 14 octobre, en affirmant, grâce à une gorge chaude française, que le président algérien a fait l’objet d’un coup d’Etat fomenté par de jeunes officiers. Tout cela expliquerait-il donc sa disparition de la scène
publique ? En réalité, Boumediène souffre d’une mystérieuse maladie. Après maintes analyses, ses médecins détectent enfin des traces de sang dans son urine et concluent à une hématurie, une infection qui se caractérise par la présence de sang dans les urines. Infection des reins ? Cancer du sang ? Les médecins demeurent perplexes. Pis, ils sont impuissants face au mal qui ronge Boumediène. Devant la persistance des douleurs, ses proches décident donc d’évacuer Boumediène vers Moscou. Pourquoi l’URSS plutôt que la France ou la Suisse, pourtant réputées pour leurs hôpitaux ultramodernes ? Le gouvernement algérien ne souhaite nullement que la maladie du Président soit rendue publique tellement il est vrai qu’une telle éventualité aurait des conséquences néfastes pour la stabilité de l’Algérie. Décision est ainsi prise de recourir à des soins dans un pays ami. Une fois l’accord des Soviétiques acquis, les vrais motifs du voyage devront rester dans la stricte confidentialité. Ce jeudi 5 octobre donc, Boumediène s’envole vers Moscou. Ce voyage sera l’ultime déplacement vers l’étranger. Contrairement aux usages, Boumediène refuse de se faire admettre dans une clinique spécialisée, où se font régulièrement soigner les apparatchiks soviétiques ainsi que les dirigeants des pays du tiers-monde, amis ou alliés de l’URSS. Il refuse même de recevoir les visites de ses collaborateurs. Les seules personnes qui ont le droit de l’approcher se comptent sur les doigts de la main. C’est le cas, notamment, d’Ahmed Taleb Ibrahimi. On ne saura jamais les raisons d’une telle prudence de la part de Boumediène. Sans doute l’explication se justifierait par sa légendaire méfiance acquise durant les années de guerre et cultivée plus tard lors de son exercice du pouvoir.
UN SÉJOUR ET DES INTERROGATIONS Le 15 octobre, soit dix jours après son évacuation, un communiqué officiel de l’Agence de presse algérienne rompt enfin le silence. Une dépêche de l’agence officielle, APS, expédie la nouvelle en quatre lignes : « Le
président Boumediène a quitté Alger à destination de Moscou pour une visite de travail. » On l’aura bien compris : la diffusion de cette information est destinée à couper court aux rumeurs et aux spéculations qui n’ont pas manqué d’alimenter la gazette du palais. Le lendemain, lundi 16 octobre, Alger donne davantage d’explications sur le voyage du Président ainsi que sur ses prétendues activités. On évoquera alors des entretiens entre Boumediène, Leonid Brejnev, président de l’URSS, et Alekseï Kossyguine, son chef de la diplomatie. Tant à Alger qu’à Moscou, tout nage dans une parfaite quiétude. Les Russes pousseront même leur sens de l’hospitalité jusqu’à annoncer, le 19 octobre, que le président Boumediène accepte de prolonger son séjour en URSS. Décidément, ce séjour moscovite de Boumediène devient de plus en plus suspicieux. Les différentes analyses effectuées par les médecins russes donnent les premiers résultats : Boumediène serait atteint d’une cryoglobulinémie, c’est-à-dire une affection qui se caractérise par la présence dans le sang d’une protéine anormale. Hélas, les médecins évoqueront également une autre pathologie, nettement plus grave. Pour la première fois, le diagnostic sera encore plus précis. Boumediène souffre de la maladie de Waldenström, une infection très rare du sang, découverte par un chercheur suédois qui lui attribua son nom. Le mois d’octobre approche de sa fin. L’état de santé de Boumediène s’améliore. Il réclame auprès de lui son ministre des Affaires étrangères, Abdelaziz Bouteflika. Les deux hommes doivent se concerter avant la tenue d’un important sommet arabe prévu dans la capitale irakienne. Fidèle parmi les fidèles de Boumediène, Bouteflika se rend donc à Moscou. L’ambassade d’Algérie à Moscou est assiégée par les reporters, tous venus à la pêche aux nouvelles. Mais alors qu’officiellement tout est fait pour accréditer la thèse d’un voyage d’affaires, un diplomate de la représentation algérienne va commettre la bourde de déflorer ce secret. ● ● ●
DE BOUMEDIÈNE ● ● ●
Par Samy Ousi-Ali e l’intérieur d’une des voitures s’extrait un homme emmitouflé dans son burnous brun avant de s’engouffrer dans l’appareil. Devant le cockpit, l’on a spécialement aménagé un petit coin pour permettre à cet homme de voyager confortablement. L’homme emmitouflé dans son burnous n’est autre que le président Houari Boumediène. Curieusement, on a dérogé au protocole qui sied à ce genre de cérémonie. Aucun ministre, aucun haut gradé de l’armée n’est venu saluer le départ du chef de l’Etat algérien. Hormis son entourage et une poignée d’officiels, personne ne devait savoir que Boumediène doit se rendre en URSS. Le secret doit être si bien gardé que les passagers qui devaient effectuer le voyage vers Moscou sont priés de rentrer chez eux. Seul un membre du gouvernement, Ahmed Taleb Ibrahimi, ministre conseiller auprès de la présidence de la République, médecin lui-même, fera partie de la délégation qui accompagnera le Président. Pourquoi s’entourer d’un maximum de prudence ? Pourquoi cultiver tant de cachotteries autour d’un voyage d’ordinaire plutôt banal ? A vrai dire, Houari Boumediène est malade. Depuis quelques semaines, son état de santé est devenu si préoccupant que les médecins du Président ont pris la décision de l’évacuer vers un hôpital russe. Pourtant, l’été 1978 s’annonce plutôt radieux pour Boumediène. Au cours du mois de juillet, il se rend avec son épouse Anissa en Yougoslavie pour y passer ses premières vraies vacances. Depuis son accession au pouvoir en juin 1965, le raïs ne s’est jamais vraiment offert une grande plage de repos. Certes, ce célibataire endurci, ce casanier qui adore la compagnie de ses amis et f idèles, notamment Chérif Belkacem, Ahmed Medeghri et Abdelaziz Bouteflika, s’est marié avec une avocate de père algérien et de mère suissesse, mais il a rarement pu profiter des joies de la vie conjugale tant il est pris par ses fonctions. Ami intime du chef de l’Etat yougoslave, Josip Broz Tito, Boumediène peut donc disposer en Yougoslavie des meilleures commodités qu’offre une luxueuse demeure dans une station balnéaire de la mer Méditerranée. La lecture, la baignade, le repos, la compagnie de son épouse, quoi de mieux pour remettre Boumediène d’aplomb. Mais voilà, en dépit du grand faste et des considérables égards dont il bénéficie lors de son séjour, le Président se sent mal. Il ressent de fortes douleurs au niveau de la tête, mais son entourage ne s’en inquiète pas outre mesure.
L’ALGÉRIE DE 1965 À 1978
Pressé par les journalistes de fournir de plus amples indications sur la présence de Boumediène en URSS, cet honorable diplomate lâchera devant les journalistes cette phrase : « L’état de santé du Président s’est beaucoup amélioré. » Jusqu’ici tenue secrète, la maladie de Boumediène devient un fait reconnu, une nouvelle admise officiellement. N’étant pas en mesure de prolonger longuement son séjour à Moscou, Bouteflika se rend directement à Baghdad pour assister à la conférence des chefs d’Etat arabes. Jusqu’à la dernière minute, les organisateurs ont attendu et espéré la présence de Boumediène, farouche défenseur des causes arabes, mais le raïs ne sera pas présent. Ce sera donc son ministre des Affaires étrangères qui présidera la délégation algérienne. Assailli de questions sur l’état de santé de Boumediène, Bouteflika est dès lors contraint d’admettre la réalité des faits avec des termes diplomatiques. «Le Président a seulement éprouvé le besoin de prendre du repos, car il était complètement exténué. Il n’avait pas pris un seul jour de congé depuis le 1er novembre 1954. Les médecins lui ont imposé un temps d’arrêt. Il reprendra incessamment ses activités », affirme-t-il. Des vacances en URSS en plein mois d’octobre ? Drôle d’endroit et encore plus, drôle de période pour des vacances. Bien sûr, à Baghdad, personne n’est dupe. Les diplomates arabes ont vite compris que Boumediène était malade. C’est d’autant plus vrai que quelques officiels syriens, ceux-là mêmes qui avaient accueilli le président algérien quelques jours plus tôt à Damas, ont perfidement laissé entendre, dans les couloirs des palaces de Baghdad, que Boumediène souffrait d’une maladie mystérieuse.
DE GRANDS FRAIS POUR SOULAGER LE PRÉSIDENT A Moscou, le séjour de Boumediène commence à s’étirer. Devant l’incapacité des médecins russes à procurer des soins adéquats à l’illustre patient, l’entourage de Boumediène décide de rapatrier le Président. C’est ainsi que le 14 novembre, le quotidien El Moudjahid peut annoncer en grosse manchette : « Le président Boumediène est de retour à Alger ». Finis les ennuis de santé ? Loin de là… Affaibli et considérablement amaigri, Boumediène est contraint à un repos total. Malgré les soins intensifs qui lui seront prodigués, les douleurs persistent encore et encore. Elles seront tellement insupportables que ses apparitions publiques lui seront désormais prescrites. A l’aube du samedi 18 novembre, patatras ! Le Président est évacué d’urgence à l’hôpital Mustapha Bacha. Son cas est jugé grave. Très grave même. Boumediène plonge dans le coma. Aussitôt, l’hôpital d’Alger sera transformé en bunker. Les services de sécurité quadrillent les alentours et chaque entrée sera désormais filtrée et soumise à l’autorisation des cerbères de la sécurité militaire. Tout un quartier du vaste hôpital sera même entièrement réquisitionné. Sur une pancarte scotchée devant l’entrée de l’enceinte hospitalière, on peut lire « entrée interdite » et hormis les médecins et quelques officiels, nul n’est admis à y mettre les pieds. Progressivement, le gouvernement algérien met en branle une gigantesque opération médicale internationale. Rien ne sera trop beau ni trop cher pour soulager Boumediène de son mal. Des professeurs venus d’Europe, d’Amérique, d’Asie et d’Afrique débarquent dans la capitale algérienne pour se mettre au chevet du malade. Des appareils médicaux sophistiqués, au demeurant introuvables en Algérie, sont-ils nécessaires ? On les fera venir à grands frais. Les médecins éprouventils des difficultés à embarquer vers Alger ? On affrétera l’avion présidentiel, un Mystère 20, pour les acheminer au chevet du Prési-
Boumediène à l’aéroport de Moscou le 14 novembre 1978 entouré de Bouteflika et de Kossiguine
dent. Des places manquent-elles pour loger tout cet aréopage de médecins ? Ils seront installés dans de luxueuses et confortables villas situées dans les quartiers chics de la capitale. Qu’importe le prix, des millions de dollars seront dépensés, pourvu que le Président puisse trouver une voie de guérison. Dans le pavillon réservé au patient, des dizaines de médecins de différentes nationalités se relayent aux côtés des professeurs algériens pour tenter de soulager Boumediène de son mal. Non loin de la salle où gît inconscient le Président, l’on a aménagé une chambre pour son épouse Anissa qui ne quittera presque plus l’hôpital. La fidèle, mais effacée, épouse veillera sur son mari comme une sorte d’ange gardien. Des journées durant, les médecins improvisent de véritables congrès médicaux internationaux dont l’objectif est aussi simple, tragique qu’impossible : faire revenir à la vie le président algérien. A quelques encablures de ces conclaves médicaux, se tiennent d’autres réunions, encore plus secrètes, moins informelles mais davantage décisives. Non loin de cet hôpital où agonise Boumediène, les membres du Conseil de la révolution algérienne, instance mise en place par Boumediène au lendemain du coup d’Etat de 1965, se concertent, se consultent et échafaudent des scénarios. Bien sûr, rien ne filtrera de ces conclaves secrets. Rien ne sera rendu public jusqu’à ce lundi 20 novembre où le Conseil de la révolution annonce publiquement « sa volonté d’assurer la direction du pays ». Bien que la vacance du pouvoir soit de fait assumée, personne n’osera prétendre officiellement à la succession de Boumediène. Mieux, personne n’osera admettre publiquement que le moment est venu pour parler de l’après-Boumediène. Les médias et les officiels appellent le peuple à la « vigilance ».
LES RUMEURS CIRCULENT SUR LA MORT DE BOUMEDIÈNE La population algérienne est invitée à se «montrer digne de l’épreuve que cruellement le destin lui a imposée, à faire montre de civisme et à faire confiance aux autorités du pays». Les journaux ressassent inlassablement la même antienne : la mobilisation contre la réaction interne manipulée de l’étranger. Jeudi 23 novembre. Une semaine est déjà passée depuis son admission à l’hôpital. Boumediène est toujours dans le coma : «Paralysie des autres membres, inconscience totale, lésion possible à la base du cerveau». Bien que le bulletin de santé soit plutôt cri-
tique, le gouvernement algérien refuse de s’avouer vaincu par la fatalité. D’éminents spécialistes continuent d’arriver à Alger. Le professeur Adams, neurologue américain de renommée mondiale, ainsi que le neurochirurgien anglais Crockart arrivent à la rescousse. Désormais, Alger devient la capitale de la médecine mondiale, dévouée à une seule cause, à un seul impératif : tout faire pour ramener Boumediène à la vie. Miracle. Le vendredi 24 novembre, celui-ci sort de son coma. Il est même en mesure d’esquisser quelques gestes. Il répond aux injonctions des médecins, ouvre les yeux et la bouche. Dès lors, l’espoir est permis. Le Président peut être sauvé, mais il faut faire encore plus. Quelqu’un suggère le nom du professeur Jan Gosta Waldenström. Le professeur Waldenström, médecin chef de l’hôpital de Malmö en Suède, est reconnu par ses pairs pour être le spécialiste le mieux habilité pour traiter les infections liées au sang. N’est-ce pas lui qui a découvert cette terrible maladie dont on en sort rarement vivant ? Contacté par les officiels algériens, Waldenström accepte de se rendre en Algérie. Il fera le voyage à Alger à bord de l’avion particulier du Président, ce fameux Mystère 20. La venue de Waldenström laisse présager un bon espoir. Arrivé à Alger, le professeur suédois est aussitôt conduit à l’hôpital où il s’entretient avec l’équipe médicale installée depuis quelques jours. Après de longs entretiens, il peut enfin regagner sa résidence, mise à sa disposition au niveau du Palais du gouvernement, une somptueuse demeure mauresque nichée au cœur d’Alger. Ce n’est que le lendemain que Waldenström peut enfin consulter son illustre patient. Son diagnostic ne tarde pas à tomber : Boumediène est atteint d’une très grave maladie, pour tout dire, incurable. Cette vérité, Waldentröm se garde de la divulguer aux journalistes étrangers. Secret médical, dit-il. Mais, cette vérité, il ne le cache pas aux rares officiels algériens qui seront autorisés à s’entretenir avec lui. Parmi les confidents du médecin suédois, le ministre des Affaires étrangères, Abdelaziz Bouteflika, ainsi que l’épouse du Président, Anissa. A Bouteflika, Waldenström tiendra le langage de la franchise et de la vérité. « Il n’y a rien à faire. Il faut attendre la mort », aurait-il déclaré. Le médecin de la dernière chance a donc délivré l’ultime message. Houari Boumediène n’a plus aucune chance de survie. Après avoir livré son diagnostic, Waldenström émet le vœu de repartir chez lui, en Suède. Plus rien ne pourra sauver ce patient que les officiels
veulent absolument ramener à la vie. Mais les officiels algériens refusent de désespérer. Le diagnostic du professeur Waldenström n’étant pas une vérité absolue, il faudra donc tout tenter pour que le miracle puisse avoir lieu. Aussi, on fait appel à l’expertise et à la logistique des Américains. Aussitôt sollicité, le président Jimmy Carter fait montre de sa disponibilité et met à la disposition de l’Algérie un scanner dépêché directement de Californie. Le précieux matériel arrivera à l’aéroport d’Alger au moment même où le Mystère 20 de la Présidence algérienne s’apprête à décoller avec à son bord le professeur Waldenström. Impuissant devant l’inéluctabilité de la mort, celui-ci avouera plus tard à un journaliste de Paris Match les raisons de son départ précipité. «Je n’ai plus rien à faire», dira-t-il. Le 28 novembre, Boumediène sombre de nouveau dans un coma irréversible. Il n’y a presque plus d’espoir parmi la cinquantaine de médecins qui se relayent jour et nuit autour du corps inanimé de Boumediène. En dépit des renforts de matériel sophistiqué, malgré les multiples soins prodigués au patient, son état demeure désespérément critique. Il perd du poids à vue d’œil. Cet homme longiligne et légèrement grassouillet ne pèse aujourd’hui qu’une quarantaine de kilos. Dernière semaine de décembre. Les officiels décident de préparer l’opinion au pire. La presse évoque « la fatalité », comme pour signifier que Boumediène ne sortira plus jamais vivant de la salle d’hôpital où il gît depuis le 18 novembre. Mercredi 27 décembre, l’information tombe comme un couperet. Le président Houari Boumediène est mort. Le Conseil de la révolution entre en réunion permanente. Objectif : organiser les obsèques de Houari Boumediène dans le calme et la sérénité. Avant de passer aux choses sérieuses. Vendredi 29 décembre. Au cimetière d’El Alia, une brochette de ministres, de hauts gradés de l’armée et de grands dirigeants du pays est alignée en rangs d’oignons face au cercueil du défunt. Dans un silence de cathédrale, tous arborent des visages de cire. Habillé d’un manteau noir, Abdelaziz Bouteflika, le ministre des Affaires étrangères, fidèle parmi les fidèles, fait la lecture de l’oraison funèbre. Moins de deux heures plus tard, la cérémonie s’achèvera tandis que commencera la vraie bataille pour la succession de Houari Boumediène. S.O.A. NB : Le présent article a été publié dans El Watan du 9 décembre 2007.
El Watan - Samedi 27 décembre 2008 - 30
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1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS
1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS
LE COLONEL EST MORT,
PHOTOS : D. R.
■ Le 27 décembre 1978, le colonel Houari Boumediène, président de la République depuis le 11 décembre 1976 et chef de l'Etat depuis le putsch de juin 1965, tira sa révérence.
La rivalité féroce entre Abdelaziz Bouteflika (ph. droite) et Mohamed Salah Yahiaoui (ph. centre) va profiter à un outsider tout à fait inattendu : Chadli Bendjedid (pho. gauche)
Par Mohand Aziri e colonel est mort, vive le colonel !(1) Le 27 décembre 1978, le colonel Houari Boumediène, président de la République depuis le 11 décembre 1976 et chef de l'Etat depuis le putsch de juin 1965, tira sa révérence. La mort prématurée du «père fouettard» plongera le pays dans l'incertitude. Mais pas pour longtemps. 45 jours après, un autre colonel, Chadli Bendjedid, lui succédera, créant presque la surprise. Coopté par les militaires, le chef de la 2e Région militaire (l'Oranie), celui en fait que personne n'attendait deviendra officiellement et à l'issue d’une élection sans choix président de la République le 7 février 1979. 13 ans de pouvoir monolithique ont été largement suffisants à Boumediène pour créer le vide autour de lui. Ses opposants, assassinés comme Krim et Khider, morts dans des circonstances troubles (Medegheri, Saïd Abid, les colonels Chabou, Abbès), exilés (Boudiaf, Aït Ahmed), emprisonnés ou placés en résidence surveillée (Ben Bella, Ben Kheda, Ferhat Abbès…) sont à mille lieues de constituer l'alternative au régime. La liquidation de l'opposition prof itera au «troisième homme», celui faisant déséspérément office de «solution médiane» entre les deux autres prétendants «naturels» à la succession : le coordinateur du FLN, l'ancien colonel Mohamed Salah Yahiaoui et Abdelaziz Bouteflika alors ministre des Affaires étrangères. Tous les deux sont écartés par l'armée qui leur préféra Chadli, le primus interpares, l'«officier le plus ancien dans le grade le plus élevé».
L
RETOUR SUR UN «COUP D'ÉTAT À BLANC» Vendredi 29 décembre 1978. Jour des funérailles officielles du défunt président, la guerre de succession au pouvoir, que se
livraient jusque-là en sourdine les dauphins quitta la scène, sa disparition ne fut pas et épigones de Boumediène et les caudillos saluée par le soulagement général que ses du régime qui les parrainent, éclate au grand adversaires espéraient. En haut, les dirijour. Sur le parvis même du cimetière d'El geants connurent le vertige du vide. En bas, Alia (Alger). Quelques heures avant l'enter- le sentiment confus d'avoir perdu un père rement, les «héritiers» potentiels du «messie nourricier fait place à la douleur.» Le au cigare», Bouteflika et Yahiaoui dispu- «boumediénisme» a pu produire, d'après taient âprement qui des deux prononcera l'historien, des «héritiers apparemment l'oraison funèbre. Bouteflika aura finale- étrangers à lui-même». Quatre groupes ment le dernier mot. Sans doute après que composaient, selon lui, la couche dirigeante Abdelmadjid Allahoume, secrétaire général de l'époque : la direction de l'armée qui de la Présidence, lui ait apporté son soutien. avait nommé comme coordinateur le chef de Vêtu d'un manteau noir, Bouteflika donnera la région militaire de l'Oranie, Chadli la mesure de ses talents d'orateur funéraire Bendjedid ; le FLN avec M.S.Yahiaoui ; les et prof itera de industrialistes l'occasion pour avec Bélaïd marquer solenAbdeslam ; la 45 jours après, un autre colonel, nellement ce qui haute adminisChadli Bendjedid, lui succédera, lui paraissait être tration qui se créant presque la surprise. Coopté son «territoire». reconnaissait par les militaires, le chef de la 2e Les événements dans A. Région militaire (l'Oranie), celui en évolueront Bouteflika, seul q u e l q u e s rescapé du groufait que personne n'attendait semaines après à deviendra officiellement et à l'issue pe d'Oujda. la défaveur du Le Conseil de la d’une élection sans choix président fringant ministre révolution (CR), de la République le 7 février 1979. des Affaires note le politoétrangères. Le l o g u e discours du derAbdelkader nier représentant Yafsah (3), aurait du «groupe d'Oujda» à être encore dans les pu naturellement désigner l'un de ses starting-blocks du pouvoir, aussi émouvant membres. Mais les frictions et ambitions de fut-il, prononcé devant un aréopage de chefs présidentiable de chacun de ses membres d'Etat, ambassadeurs, officiels nationaux et ont fait capoter ce scénario. A la veille de la étrangers et retransmis en direct à la télévi- disparition de Boumediène, le CR n'était sion pour des millions d'Algériens, était plus déjà à même d'assurer la succession cependant loin de trancher la question de la même s'il avait vainement tenté de le faire. succession. «Orphelins d'un père sévère, Sur les 26 membres qui le composaient, il les dirigeants de l'Etat-FLN, confrontés à la n'en demeure que huit. De 1965 à 1978, les redistribution des pouvoirs sans y être pré- deux tiers du CR ont fait les frais de purge parés, se demandaient comment les luttes ordonnée par Boumediène. Le conseil ne âpres et violentes entre eux pouvaient être tardera pas à disparaître complètement avec évitées. La peur d'une intervention populai- la tenue du 4e congrès du FLN, du 27 au 31 re maintenait leur unité», écrit Mohamed janvier 1979, qui sonnera le glas de cette Harbi (2). «Quand le colonel Boumediène structure née du coup d'Etat de 1965. Avant
sa mort, Boumediène a qualifié le CR de «corps inanimé».
YAHIAOUI, BOUTEFLIKA : DEUX PRÉTENDANTS, DEUX TENDANCES Dès le 31 décembre, le président par intérim Rabah Bitat réunit au MDN les cadres militaires. Bitat rendra effective la tenue d'un congrès du FLN. Une commission de 37 membres chargée de la préparer a été rapidement mise en place. La composition de cette commission révèle, selon Yefsah, un dosage assez subtil de toutes les tendances politiques au pouvoir. «Bien qu'on ne sache pas par qui elle fut désignée, il est clair qu'elle fut le résultat d'un marchandage entre notamment les tendances Yahiaoui et Bouteflika», écrit-il. En plus des représentants de l'armée, le lieutenant-colonel Kasdi Merbah et le colonel Hadjerès entre autres. Le 4 janvier, devant les membres de cette commission, Yahiaoui n'hésitera pas lui non plus à marquer son territoire et à se parer des habits du successeur désigné et du «continuateur» de l'œuvre de Boumediène. Yahiaoui déclare que le congrès du FLN «ne pourra choisir qu'une direction qui a foi en le socialisme». L'attaque, est on ne peut plus claire, dirigée contre son sérieux rival : Bouteflika. Mais les tractations secrètes pour introniser le nouveau chef n'ont pas attendu la mort de Boumediène. Le 18 novembre. 1 heure du matin, Boumediène entre dans un coma profond. Il est de nouveau hospitalisé au CHU Mustapha. Prétendant timide à la succession, le D r Ahmed Taleb Ibrahim, alors ministre conseiller du président, témoigne (4) à propos de ces tractations. «Le 20 novembre, K. Merbah me rend visite à l'hôpital. Très lucide, il pense que le moment est venu de penser à l'avenir. (…) Deux candidatures s'aff ichent me dit-il, celles de Bouteflika et de Yahiaoui. ● ● ●
LIBÈRE LES PRÉTENDANTS À LA SUCCESSION
VIVE LE COLONEL ! régions militaires (…)». Harbi parle par ailleurs d'un «accord entre Bitat, Yahiaoui et Il ne cache pas sa préférence pour le premier, Chadli pour gouverner le pays. Mais la formutout en ajoutant : «Pourquoi ne pas songer à le d'un triumvirat fut écartée par la direction de d'autres noms ?» Deux «tendances politiques» l'armée, au profit de celui qu'elle avait désis'affrontaient d'après Yafsah dans ce duel sans gné.» merci que se livraient le ministre des Affaires «Le principal artisan du choix du colonel étrangères et le coordinateur du FLN. La pre- Chadli fut incontestablement Kasdi Merbah, mière «tendance qui contrôlait les appareils chef de la sécurité militaire (de 1962 à 1979)», d'encadrement existants avait le soutien du a souligné pour sa part A. Yefsah. Un choix PAGS, des Frères musulmans, baâthistes (…)» «appuyé par le colonel Belhouchet et d'autres et la seconde incarnée par Bouteflika appuyé dirigeants de l'armée». Citant des témoipar la «bourgeoisie privée» et «une partie non gnages, Yefsah affirme que Merbah -assassiné en 1993 - aurait menacé les opposants à Chadli négligeable de la bourde rendre public des geoisie d'Etat» et qui «dossiers compromet«promettait dans les tants les concernant». Prétendant timide à la allées du pouvoir une Yahiaoui comme succession, le Dr Ahmed certaine ouverture poliBouteflika et tous les tique et économique». Taleb Ibrahim, alors autres soupirants Le 27 janvier 1979. Le ministre conseiller du (Taleb Ibrahimi, congrès du FLN se président, témoigne (4) à Belaïd Abdeslam, réunit… enfin ! Bencherif, etc.) paspropos de ces tractations. «L'appareil du parti ne sent gentiment à la «Le 20 novembre, K. s'était pas réuni depuis trappe. Bouteflika qui avril 1964. B. Merbah me rend visite à ne quittera pas le pouBenhamouda, A. Kafi et l'hôpital. Très lucide, il voir avant 1981 parle K. Merbah composent pense que le moment est d'un «coup d'Etat à avec Laïdi et L. Soufi le blanc» et revendique venu de penser à l'avenir. bureau du congrès. Trois comme Chadli son (…) Deux candidatures commissions sont instaldroit naturel à la suclées dont celle chargée s'affichent me dit-il, celles cession. Sur les ondes d'étudier les «candidade Bouteflika et de d'Europe1, il déclare tures» au poste de SG du Yahiaoui. en 1999 : «J'aurais pu FLN et de président de la prétendre au pouvoir République. Les conciliaà la mort de bules et négociations Boumediène, mais la réalité est qu'il y a eu un secrètes ont duré 5 jours au bout desquels les coup d'Etat à blanc et l'armée a imposé un 3290 congressistes du FLN - exclus pendant les débats des commission par les huis clos candidat.» En octobre 1999, Bouteflika interimposés - ont vu s'échapper de la cheminée roge le général Nezzar : «Boumediène m'a Algérie une fumée blanche. Le génie est enfin désigné comme son successeur par une lettre sorti de sa bouteille. Bon ou mauvais génie, testament qu'il a laissée avant sa mort. Cette Chadli campera 13 ans durant le pouvoir lettre se trouvait à un moment donné aux mains suprême. «Je jure que durant toute cette pério- d' A. Allahoum. Qu'est devenue cette lettre ? Je de, je n'ai jamais cherché à être chef. Toutes les voudrais(7) bien le savoir parce que j'ai vu cette responsabilités que j'ai exercées m'ont été lettre» . «En disparaissant, Boumediène n'a imposées», déclarait le 27 novembre passé laissé absolument aucun signe, aucune recomChadli Bendjedid (5). S'il est devenu président à mandation sur ce que devait être sa succesla place du président, c'est parce que sion. Bouteflika voulait se présenter un peu Boumediène le désirait. L'armée aussi. Chadli comme le continuateur, comme le successeur : «Sur son lit de mort en Russie, Houari désigné ; mais il n'y avait rien, Boumediène Boumediène a délégué une personne, dont je n'a absolument rien fait pour marquer, par un ne citerais pas le nom, pour me dire ‘’Chadli geste quelconque, que quelqu'un (8)pouvait être doit me remplacer à la tête de l'Etat", mais ce son prétendant à la succession» , a affirmé délégué est allé voir d'autres personnes avant pour sa part Belaïd Abdeslam, le puissant de venir m'apporter le message. Il y a eu 7 pos- ministre de l'Industrie et de l'Energie de tulants à la succession de Houari Boumediène, Boumediène et un des plus farouches adverdont quatre du Conseil de la révolution. Je n'ai saires de Bouteflika. jamais dit aux militaires de me porter à la Présidence. Je sais cependant qu'il y a eu une réunion dans une école et les militaires en sont sortis pour dire : vous avez le choix entre Chadli et Bendjedid.» L'armée a fait donc son choix. Il sera entériné sans résistance par le gongrès et 7 millions de votants algériens. Larbi Belkheïr évoque le «conclave» des militaires, faiseurs de rois (6) ● ● ●
LE CONGRÈS DU FLN, LE CONCLAVE DES MILITAIRES Le conclave, qui s'est tenu à l'Ecole militaire d'ingénieurs Enita (La Pérouse) dont il était le commandant, a été convoqué par le commandement de l'armée. «A l'époque, je n'en faisais pas partie.» Celui qui était pendant plusieurs années le chef d'état-major de Chadli au commandement de la 2e RM et son éminence grise cite «K. Merbah, Rachid Benyellès, Mohamed rouget (général Attaïliya), Mohamed Belhouchet» comme ayant participé à cette réunion secrète et décisive. «Dans ce choix, écrit Harbi, la Sécurité militaire avait joué le premier rôle. Ses chefs (Merbah, Yazid Zerhouni, Ferhat Zerhouni et Tounsi) connaissaient bien le pays et le personnel dirigeant, mais n'avaient pas le poids des chefs des
jet de la nouvelle Constitution, ndlr)». De Chadli, il en parle en bien : «Le seul membre du Conseil de la révolution dont je n'ai pas eu à me plaindre est Chadli.» Un homme qui «a UN TESTAMENT, DEUX HÉRITIERS beaucoup de bon sens». A la mort de Après les premiers incidents d'Amgala, Boumediène, l'armée a cherché, d'après le Boumediène s'était rendu à Moscou pour des sociologue Lahouari Addi(9), à acquérir plus consultations. «Avant de partir, il a laissé une d'autonomie vis-à-vis de la Présidence devant enveloppe cachetée (…) et a avisé les membres laquelle elle estimait s'être trop effacée. Le du CR : ‘’Je m'en vais à Moscou et s'il m'arri- choix de Chadli était motivé par le fait que ve quelque chose, j'ai laissé une enveloppe celui-ci n'était pas ambitieux et n'avait pas la chez Amir Mohamed (SG de la présidence)’’. passion du pouvoir. L'armée voulait un présiOn n’a jamais su ce qu'il y avait dans cette dent qui n'a pas d'ascendant sur elle pour qu'elenveloppe, mais les gens disaient qu'il donnait le puisse intervenir dans les affaires du pays. mandat pour Bouteflika, dans le cas où il dis- Chadli est choisi par ses pairs pour écarter et paraîtrait», se rappelle Belaïd Abdeslam. Il S.Yahiaoui dont l'autoritarisme supposé suscijustifie le geste du président : «A l'époque, il tait la méfiance, et A. Bouteflika perçu comme n'y avait ni Constitution ni charte. Par la suite, un libéral dont les positions faisaient craindre il y a eu la Constitution qui définissait une pro- un revirement idéologique trop brutal. Cette cédure de succession. Dans le premier projet lutte en sourdine pour le pouvoir confirme aux de cette Constitution yeux de Yefsah, «la préfurent inclus, sur insispondérance des militaires tance de Bouteflika, des dans la vie politique algéChadli est choisi par ses rienne. Loin de se ‘‘civiliarticles prévoyant la pairs pour écarter et fonction de premier viceser’’, le pouvoir politique président de la est demeuré le monopole S.Yahiaoui dont République (qui) semblait l'autoritarisme supposé des militaires. Un colonel ouvrir la voie à la successuccède à un autre. Le suscitait la méfiance, et clientélisme, la cooptation sion pour Bouteflika (…) A. Bouteflika perçu mais Boumediène a hésisont confirmés comme comme un libéral dont té et fait marche arrièméthodes de gouverneles positions faisaient ment. Quant au régionalisre.» Boumediène optera pour une autre formule de me que l'on croyait émouscraindre un revirement succession qu'il trouve sé, dépassé, il réapparaît idéologique trop brutal. «meilleure» : «Quand j'ai de nouveau». vu Boumediène pour la M. A. mise au point finale du Références texte, il m'avait dit : ‘’Oui, c'est la meilleure (1) Ahmed Bencherif, interview El Khabar, formule. Le président de l'APN assure l'inté- 11 février 2008. rim ; lui, il se tient hors jeu. Il ne doit pas se (2) Mohamed Harbi, L'Algérie et son destin, présenter pour laisser aux autres le soin de se croyants ou citoyens, Médias Associés, Paris, débrouiller et de régler le problème entre eux.’’ 1994, pp. 196 et 197. C'est ce qui s'est passé.» Belaïd Abdeslam (3)Abdelkader Yafsah, La question du pouvoir s'opposera frontalement à Bouteflika. Dans en Algérie, ENAP éditions, Alger 1991, pp. une lettre qu'il a adressée à la commission 311, 314 et 320. chargée de préparer le congrès du FLN, il (4) Ahmed Taleb Ibrahimi, Mémoires d'un dénoncera la «menace de la sadatisation de Algérien, Tome II, Casbah éditions, Alger, l'Algérie» qui se profile à travers Bouteflika. 2008, pp. 434, 440. Taleb recueille le 14 octobre 1978 les «pré- (5)El Watan du 27 novembre 2008. cieuses confidences» de Boumediène lorsque (6)Jeune Afrique, 29 avril 2002. celui-ci était à Moscou pour les premiers soins (7) Mohamed Benchicou, Bouteflika, une : «On a beaucoup épilogué sur mes relations imposture algérienne, p. 123. avec Bouteflika. La vérité, c'est que Abdelaziz (8) Mahfoud Benoune, Ali El Kenz, Le Bouteflika était un jeune homme inexpérimen- hasard et l'histoire, entretien avec Belaïd té, qui avait besoin d'un mentor. J'ai joué ce Abdeslam, tome II, Enag éditions, Alger, rôle. Sans doute m'en veut-il de ne l'avoir pas 1990, pp. 285 et 295. désigné comme «prince héritier» ainsi qu'il le (9)Lahouari Addi, L'Algérie et la démocratie, désirait (en 1976 lors de la préparation du pro- éditions La Découverte, Paris, 1995, p. 62.
Evoquant la mystérieuse lettre testament, Belaïd Abdeslam rappelle que celle-ci datait de la crise du Sahara occidental de l'été 1976.
Dans un pouvoirr martial, seul un militaire peut succéder à un autre militaire
PHOTOS : D. R.
LA DISPARITION DE BOUMEDIÈNE
El Watan
S U P P L É M E N T G R AT U I T - 2 7 D É C E M B R E 2 0 0 8
LA MORT MYSTÉRIEUSE DE BOUMEDIENE
CE QU’ILS EN PENSENT… PHOTO S : DR
■30 ans après la disparition du président Houari Boumediene, sa mort continue à susciter beaucoup d'interrogations. Est-il mort d'une mort naturelle, ou a-t-il été empoisonné ? Tous ceux qui l'ont approché, travaillé avec lui, ou ceux parmi ses proches collaborateurs qui l'ont accompagné à Moscou pour se faire soigner, n'arrivent pas à expliquer les circonstances de sa disparition. Mais tous ceux qui ont eu à s'exprimer sur le sujet penchent plutôt pour la thèse de l'empoisonnement. Le mystère demeure entier. Comment a-t-on enterré un chef d'Etat sans savoir les raisons de sa mort, d'autant plus qu'elle fut suspecte ? C'est l'autre grande question qu'il faut absolument poser. Par: Said Rabia
CHADLI BENDJEDID ancien président de la République (1979-1992)
«Je ne peux pas trancher sur cette question. Est-il mort de façon naturelle ou bien a-t-il été empoisonné ? Cependant, j'ai le sentiment que sa mort ressemble à la mort de Yasser Arafat. Durant les dernières années de sa vie, il me rendait visite à Oran, au siège de la deuxième région militaire, et je remarquais des marques d'épuisement sur son visage, il ressentait certaines douleurs mais il ne s'en plaignait pas. A son retour de Damas, après la réunion du Front de résistance et de défi, Boumediene n'apparaissait plus en public. Ensuite il a été transféré à Moscou pour y être soigné, mais sa maladie s'est aggravée, et après son retour, il est mort le 27 décembre 1978.»
chiens de race danoise, ils sont morts empoisonnés. Mais ce qui est étonnant, c'est que les médecins russes ont trouvé chez les deux chiens les mêmes symptômes que chez le défunt Boumediene.»
AHMED TALEB IBRAHIMI
dans “Mémoires d'un Algérien-La passion de bâtir”
"Le président Houari Boumediene est mort empoisonné. Le poison était à très long effet et ne pouvait être détecté qu'au stade final. Les autorités soviétiques ont informé un membre du Conseil de la révolution de ce fait. Son cas est similaire à celui du président palestinien Yasser Arafat. L'empoisonnement a été arrangé par les services de renseignement israéliens sous l'égide de Sharon. Arafat consommait des aliments et des médicaments contaminés pendant une longue période".
«Vingt neuf ans nous séparent de ce triste événement. Durant toute cette période, de nombreux compatriotes n'ont cessé de me poser cette question lancinante: est-il mort de maladie, comme on le prétend, ou bien n'a-t-il pas été plutôt victime d'un empoisonnement lent, œuvre des services secrets étrangers, notamment américains et israéliens ? Dans l'état actuel de mes connaissances, il est difficile de confirmer telle ou telle hypothèse, surtout que dans les pays du Tiers-monde, on a tendance à refuser que certains leaders charismatiques soient des hommes comme les autres, exposés aux mêmes vicissitudes de la vie tels que la maladie, les accidents. Par ailleurs, d'autres morts de leaders restent mystérieuses. Ainsi, de sérieux soupçons pèsent sur les services secrets israéliens qui seraient certainement responsables de l'empoisonnement de Yasser Arafat, après avoir vainement tenté, quelques années plus tôt, une opération similaire à Amman contre le chef du mouvement palestinien Hamas, Khaled Machaal. Autres exemples : le Roi Fayçal a été assassiné au moment où il défendait la thèse de l'embargo pétrolier à destination des pays occidentaux qui soutiennent Israël, et les Présidents Nasser et Assad aux positions anti-impérialistes et anti-sionistes notoires ont été terrassés par des crises cardiaques…Toujours est-il que j'ai quitté à Moscou le 17 octobre un Boumediene en forme et avec un moral de fer alors que 28 jours après, je l'ai retrouvé à Alger fort diminué. Espérons que d'autres témoignages pourront un jour éclairer l'Histoire dans un sens ou dans un autre.»
AHMED BENCHÉRIF
BELAÏD ABDESLAM
«J'ai été le seul à avoir pris connaissance de son ordonnance qui dit qu'il est atteint dans l'appareil urinaire ; il urinait du sang. Personnellement, j’estime que les médecins russes n'étaient pas d’un bon niveau. Si on l'avait transféré dans un pays européen, on aurait diagnostiqué sa maladie de manière précise. On aurait pu le soigner et lui sauver la vie. La mort de Boumediene est identique à la mort de Yasser Arafat. J'ai offert au Président deux
«Pour la maladie, je n'ai pas grandchose à dire. Ça a été une surprise. J'étais, je crois, le dernier ministre qu'il a reçu en audience. Je ne rentre pas dans les détails de cette discussion. Je l'avais vu le 10 ou le 12 septembre. Il était fatigué. Mais il avait l'habitude d'être toujours malade, en cette période de l'année. En été, il était souvent grippé. Je pensais que c'était une grippe, un peu plus prolongée. Mais je ne soupçonnais pas autre chose. Ce jour-là, j'avais demandé à le voir parce que je devais partir en mission en Allemagne. Il était malade. Le lendemain
NAÏF HAWATMA
secrétaire général du Front démocratique de libération de la Palestine (FDLP)
ancien commandant en chef de la Gendarmerie Nationale
dans “Le hasard et l'histoire”
même de ma demande d'audience, il m'a appelé. Je suis allé dans son bureau. Je ne devais pas rester longtemps avec lui. Mais il m'a retenu assez longuement comme toujours. On a discuté un peu de ma prochaine mission. Surtout - et c'était la première fois que je l'apprenais-, il m'a parlé des contacts qu'il avait avec le roi Hassan II et de la rencontre qu'ils allaient avoir à Bruxelles. Il m'avait demandé mon avis. Je lui ai suggéré de la reporter… Le rendez-vous était fixé pour le 20 septembre. Mais il m'avait parlé d'une chose qui m'avait frappé, et dont je n'avais pas saisi la portée sur le coup. Il m'avait dit : "Le roi m'a dit que si on ne se voit pas cette fois-ci, on risque de ne se voir jamais ! Pourquoi le roi m'a-t-il dit cela ?"(...) De quel indice ou de quelle information disposait, alors, Hassan II que, passé le mois de septembre 1978, il n'avait plus de chance de rencontrer Boumediene ? C'est l'une des énigmes qui, pour moi, entourent les circonstances de la disparition de ce dernier. (..) Il est mort des complications d'une maladie qu'on présente comme très rare, et d'une forme encore plus rare de cette maladie. En fait, tout semble indiquer que le diagnostic du mal qui a emporté Boumediene n'a pas été établi clairement. La cause de sa mort demeure encore un mystère, sauf, peut-être, pour ceux qui l'auraient préméditée et perpétrée.»
ANISSA BOUMEDIÈNE au quotidien El Khabar
«Personne ne sait si Boumediene est mort empoissonné ou non, y compris Chadli, mais je peux dire aujourd'hui que lui-même et d'autres responsables ont décidé de débrancher les appareils de réanimation lorsque Boumediene était dans le coma, et ils ont décidé de sa mort.»
HAMED EL DJABOURI
ex-ministre des affaires présidentielles et étrangères irakiennes à la Chaîne Al-Djazira, dans l'émission Chahed El Aasr (témoin du siècle) «Le président Houari Boumédiene est mort empoisonné suite à sa visite dans la capitale syrienne Damas ou il a assisté à son dernier sommet arabe. Boumediene a commencé à maigrir jusqu'à ressembler à un fantôme. Je savais de quoi souffrait Boumediene, il a été empoisonné avec un type de poison ravageur : le lithium, et j'ai eu à voir un cas similaire ici en Irak et l'issue est la mort certaine pour quiconque qui en consommerait". Je me tenais constamment au courant de l'état du défunt président, étant donné la place de l'Algérie dans le cœur des Irakiens. Le docteur Ahmed Taleb El Ibrahimi me renseignait sur l'évolution de la santé du président Boumediene -dieu ait son âme- et il m' a confié, lors des derniers jours du président, que le "siège" s'est durci en ce qui concerne les visites quotidiennes de sorte qu'il était le seul à le voir ainsi que quelques personnes très proches car Boumediene avait réellement l'air d'un spectre».
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