Histoire 3e-6e. Jalons pour mieux comprendre
January 18, 2017 | Author: DeBoeckEducation | Category: N/A
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Bruno BOULANGÉ Marcella COLLE Cécile GRÉTRY Donatien JORISSENS Danielle LECLERCQ
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Histoire Jalons pour mieux comprendre
Histoire Jalons pour mieux comprendre
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Bruno BOULANGÉ Marcella COLLE Cécile GRÉTRY Donatien JORISSENS Danielle LECLERCQ
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Histoire Jalons pour mieux comprendre
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© De Boeck éducation s.a., 2013 Rue des Minimes, 39, B-1000 Bruxelles Même si la loi autorise, moyennant le paiement de redevances (via la société Reprobel, créée à cet effet), la photocopie de courts extraits dans certains contextes bien déterminés, il reste totalement interdit de reproduire, sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie, le présent ouvrage. (Loi du 30 juin 1994 relative au droit d’auteur et aux droits voisins, modifiée par la loi du 3 avril 1995, parue au Moniteur du 27 juillet 1994 et mise à jour au 30 août 2000.)
La reprographie sauvage cause un préjudice grave aux auteurs et aux éditeurs. Le « photocopillage » tue le livre ! Imprimé en Belgique Dépôt légal 2013/0074/151
ISBN 978-2-8041-7076-9
ANTIQUITE
PREHISTOIRE e
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GRAND ANGLE Panorama de l’histoire du Monde de la préhistoire à nos jours
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Des jalons pour mieux co
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MOYEN ÂGE
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TEMPS MODERNES
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EPOQUE CONTEMPORAINE
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2 FOCUS Zoom sur un moment clé, un tournant de l’histoire
1. Les mondes de la Préhistoire
1. La « révolution » néolithique
2. Le monde du Proche-Orient antique
2. La naissance de l’urbanisme
3. Le monde grec
3. L’émergence du citoyen
4. Le monde des Celtes
4. La conquête des Gaules
5. Le monde romain
5. Le début du christianisme
6. Les mondes nomades
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10. Le monde européen médiéval
6. La fin de l’Empire romain d’Occident La Route de la soie, échanges entre Orient et 7. Occident 8. Al Andalus, apogée de l’Espagne musulmane Le traité de Verdun, symbole 9. du morcellement féodal 10. L’impact des villes sur la société
11. Le monde amérindien
11. La conquête du Nouveau Monde
12. L’Europe de la Renaissance
12. Les réformes religieuses
13. L’Ancien Régime
13. La science moderne et l’art baroque au XVIIe s.
14. Les mondes orientaux
14. Chine et Japon : l’ouverture forcée à l’Occident
15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24.
15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24.
7. L’Empire romain d’Orient 8. Le monde islamique 9. Les mondes mérovingien et carolingien
Le temps des révolutions Les transformations économiques et sociales L’impérialisme européen Le monde russe La Première Guerre mondiale Fascismes et Seconde Guerre mondiale La Guerre froide Les décolonisations L’Europe en construction La mondialisation
Selon le réseau d’enseignement dans lequel vous étudiez, vous découvrirez une période ou un événement dans une année plutôt que l’autre
La révolution belge La révolution industrielle en Belgique Le Congo, terre d’exploration et de colonisation Les révolutions russes de 1917 La crise économique de 1929 La Shoah, un crime contre l’humanité Le mur de Berlin ou la division de l’Europe en deux blocs L’indépendance du Congo belge Une monnaie européenne unique Les États émergents, nouvelles puissances mondiales
Les parties GRAND ANGLE, FOCUS et PATRIMOINE donnent des informations de natures différentes sur une même période.
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PATRIMOINE Témoignage matériel ou immatériel, reflet d’une époque, d’une culture
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mprendre l’histoire 4 REGARDS RETROSPECTIFS Interroger le passé pour comprendre une situation d’aujourd’hui
• Les migrations, un phénomène nouveau ? • L’État-nation doit-il disparaître ? • Vers un gouvernement mondial ? • Révolutions ou Réformes ? • Suffit-il d’élire des individus pour parler de démocratie ? • La Belgique, une construction du XIXe s. sans avenir ? • Les progrès, scientifiques : avancées réelles pour l’humanité ? • La croissance à tout prix ? • Peut-on nourrir toute la planète ? • Le féminisme est-il encore nécessaire ? • L’art, reflet d’une société ? • Les religions sont-elles toujours des intégrismes ?
1. Lascaux, premières expressions artistiques
2. Les premières écritures 3. Le Parthénon à Athènes 4. La tombe princière de Vix 5. Le forum romain 6. Des murailles contre les incursions 7. L’église San Vitale à Ravenne 8. La grande mosquée de Cordoue 9. L’Évangéliaire de Charlemagne 10. La cathédrale de Tournai
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11. Le Templo Mayor à Mexico 12. La chambre des époux de Mantegna 13. Versailles, château et jardins
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CONCEPTS Définition et évolution de 12 concepts découverts au fil de l’histoire. À consulter sans modération
14. Le Taj Mahal en Inde 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24.
Épisodes des Journées des septembre 1830 de G. Wappers Un site industriel, le Grand-Hornu Les « arts premiers » africains Un film, Le cuirassé Potemkine d’Eisenstein Le Cri d’Edvard Munch Le fort de Breendonk Les affiches politiques Une chanson, Indépendance cha-cha Une caricature politique Le jeans, un vêtement universel
• Capitalisme • Citoyenneté • Colonisation et migration • Démocratie s développement • Développement et sous-développement • Fédéralisme R • Impérialisme ÉCRYPTE POUR D MATION • Libéralisme • Mondialisation L’INFOR • Nationalisme • Socialisme • Stratifications sociales
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Des repères graphiques Des lignes du temps dans la partie GRAND ANGLE
GRAND ANGLE
> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > La Guerre froide 1975
1980
1985
1990 1991
1964-1975 – Guerre du Vietnam
1. La partition de l’Europe Alors que la Seconde Guerre mondiale touche à sa fin, les Alliés (les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Union Soviétique) se réunissent à plusieurs reprises pour organiser la future Europe libérée, et notamment l’Allemagne ; celle-ci sera divisée en quatre zones, chacune administrée par un des Alliés, auxquels est ajoutée la France. Ce principe est également appliqué à Berlin, la capitale de l’Allemagne, qui est divisée en quatre secteurs. Il est aussi décidé de laisser la possibilité aux peuples libérés ou vaincus de choisir leur propre régime politique. Enfin, la création d’une organisation succédant à la SDN (Société des Nations) et dont le but sera le
16 novembre 1989 Destruction du Mur de Berlin
Dissolution de l’URSS
po on Portrait du général George indirectement lors de conflitssiti auxquels ils prennent géogra ANTIQ phique en Marshall. Photographie de tant UITÉ a fait le de peuple part. de 1953. lieu s et rm dév atr passage Alors qu’ava qu’avant la Seconde ast Guerre les ées, de GeorgedeMarshall ice mondiale,d’a reçoit tant de sou nues. Leu s, que peu de gude errlaespaix e s la conduite différentes nnations européennes rjouaient histoire un rôle traces noleusprix Nobel d’Abraha II millén nous est écrits des sontpour en 1953 son plan par air m important ddans l’organisation dupeu monde multiposurtout e la ville vequ’ils qu decon redressement ittèrent d’Our po rois assyrie ples voisins : nue par des pays pays de Ca au ur s’insta laire, la fin du conflit marque l’avènement les na ns, les tex d’unla Bible, les ller dans Les Phén annaleseuropéens. eux pénétrè an, en Palestin tes littéra le des monde bip bipolaire où la plupart desnspays icie ires grecs. e. Certa rent en n’ontdoivent XIII e s. Égypte, ins d’entr po ue jam d’o unifiée :ou celui e choisir leu leur camp : celui litiq des États-Unis deais forLeméPlan Marshall estdè sous la condu ils parta ite de Mo ù ils durent fuir langue s lors da une en geaientproposé commu au ns tité ïse l’URSS. à toutes les ce . Ils retou que ne sém cependa mise », fond cul rnèrent itique, ain nations nt une qu’ils con la Bible appelle turel rel européennes si ’un igieux et « qu pe l’agricultu artistiqu le qu mêmey com- uples antérieu irent après avo la Terre prore car 5 juin 1947, e. ir rem Ils tiq combattu Dès cette leur rég abonda ent établis ion leu prispra nce cér les ienl’Europe épo en sachant Deux modèles D opposés cellesuade l’Est, tout que . t r fourni éales, pro dode fruitiers uze tribus, que, les Hébre ssait en duits de l’URSS et olivier pas l’un de ses satellitesux étaient dontÉtats la vigne n’autoriserait la trib s. issu Excellents divisés en s les roi u de Jud , arbres s Da outre les Si cet antagonisme dans monde enà accepter l’offre. En et, lorsque, pays a ma rins,le ils du eff ems’exporte mot « juif vid et Salomon (de laquelle son pire ma ontnous t formé d’Europe occidentale, ritime etComme tier, le premier enjeu l’Europe. la Pologne ladoTchécoslo-) qui est ». et Les mo un en Méest à mentaném uze tribus com rcia l’origine véritable dit l’avon l’avons vu, l’URSS teerr deanla de sonl : ils vaquie se montrent Moscou ne furent ent réus’empresse éeprésence me etintéressées, à laprofi naviguèr subire nies recherche et même dans ent le jou s un seu que très armé armée dans lestoi pays d’Europe de l’Est pour insle Plan com et enjointntà ces deux pays dedan l’imil’océande rejeter l roy Atlan rs comme des métaux. Ils me les Égy g d’autres peu ue on rciauxcommunistes, taur taurer dans ceux-ci des régimes aut crééter. Partiqconséquent, les pays duples de la aume ptienseuropéens les Hitseuls , occide en les des me rég Ass tites… et ntale (Mou de coups r Égé yriens, pe, en Mébloc com mo moyen d’élections d’État. occidental bénéfi cient de enfi cette aide qui, de les Babyl ion, alt n les Plu jusqutruquées sieurs diterr Grecs et oniens, ’en Espagn e, Sardaigne, fois dépode dollars les Roma De leur côté, Car les États-Unis prennent conscience 1948 an à ée 1953, injecte 13 milliards dans Sic notamme rtés, ins. thage, en e d’où ils ramena ile, Baléares nt en équitablement ), qu que la pauvreté laquelle Pour répartir cet Afrse ient les leurs économies. Assyrie iqutrouvent au VIII e Tundans e du noles pays miner is, a d’a s. av. J.-C rd, bas. pays près de argent,aisles eu européens depuis fin debo lardguerre peut faire créent . et à Bal’Organisation bylbénéfi été un retoula one auciaires l’actuelle r. D’abo e étape e VI s. Économique (OECE). rd vas cculer certainsà d’entre côtésalcommunistesur (enleur Européenne de les Coopération J.-C., peu reneux du Hébreux av. e de Tyr route de due indépe , Cartha gardè FFrance, par exemple, communiste Via cette aide, Américains s’assurent le soutien néles colonies le Parti ge s’e anmo ndante français st ins intact rent deassise et a dofaut Méditpopulaire). bénéficie d’une des peu pays d’Europe es qui mi erranée Il leur religionoccidentale, leurs’ancrent plus grandlarge e puissa occidenta né toutes les et leurs donc trouver moyen nce de ,relever profondément dans le bloc capitaliste. le. le traditions. elle entrapidement Devenue sanun ce rom C’e ra un st en ain e riva po e. européennes. Lelité urquo niveau de vie des populations pré-avec Si la construction n’est la dispeeuropéenne Selon i, pas dirigée la puisl’historie rsion n grec Harry sident américain est contre les spo Soviétiques, besoin dia-d’association et Phénicie(1945-1953), ra) devin le (ou HérodTruman, ns aurai vis-à-vis ote (V e s.dont t un aspd’un point de vue particulièrement de l’URSS, de coopération, ent accom essentienotamment av. J.-C.), l’Afrique méfiant ect l du jud pli un pé . De les aïsmegrandissante il est persuadé pour d’étendre démontre face riplesaautoumilitaire, Au ces objectif de leurqu’ellesatra I er s. del’inquiétude . archéolo présence r de no giq tre ue domination à l’Europe entière, alors que son préau communisme. les s tém sur ère, pagne (no Hébreux e occidemoins oigne tamment lasecôt se rév décesseur, montrait l’Organisation du olt Traité l’Atlantique ntale de Ennt1949,rom I er miFranklin èrentdecon à Cadix aine. Va llénaire. Roosevelt, l’Esincus,plusieurs tre et du Po Le Mur la vindicatif. ainsi que s’établit la)doctrine TruNord (OTAN) regroupe pays d’Europe ven de domina NousC’est s milliers des lam dus com rtugal au leur devon tion entatio Seul ves me esclav d’e ns ntreune tige du s untoute De plules man, do quima vise l’aide nécessaire occidentale, États-Unis et es le Canada dans eux furen e inven temple de Jérusa ou chassé s, l’em ine àdeapporter t lem, le l’éc reur rom : tous s de Pa 70 ap. militairepedéfensive aux «sin pays qui ritu résistent à tio desn cap tentatives seles mur itale da organisation des lam re : alors s ne libres ain Titules États entatio J.-C., le tine. disposai qu ns fut s fit détru e les peou à ns ledoivent rebâti par templeen cas d’agression en leu d’asservissement des armées, assistance mutuelle de t enminorités pliqués de par r up vie cor le roi Hér ire, en de Jérusa les e que de religieuse au I s. l’écriture ode lem, cen s systèm le voi-l’un d’eux. av. J.-C (il n’en Mur des des pressions decun l’extérieur » (Truman, les Phén venues . et éifo tre dét es reste au Lamentat ruit par comrme hié de iciens cré joucomme ions). ces rd’hu da côté, 12 mars Cette conception à l’origine l’URSS prend mesures roglypdu dès le1947). en 70 ap. les Romains èrent l’al estou Ayant politiq hique, De sonnce XIII e s., J.-C. phabet perdu leu i que le ils pour , ils vécure américain monde d’un ue phonéti posai Plan Marshall butend’aider économiquetentant con r indépen sonnes, qui adis nt dispe romainimpérialisme que : des preuves t déjà de audemanderaient . xquels s dans Les bredomination 22 lettre tard, ment leslespays qui aux sur l’Europe.rséElle aussi les Gre des secours tout le s, les d’établirHésa voy s. ux se diff cs laajo du Proche Ce systèm par uteron éreson les alpha toutelle États-Unis, en permettant, même occases valeurs et modèle politique qui ncien t plus craint pour t des au e est à l’o -Orient bets occ par leu identaux. du modèlerig tresclasses Selon sion, l’extension progressive américain. la leu réussite collective etrl’abolition des ine de tou prône peuples rel r con igi s on mono ception, avec son Dieu (Ya théiste. pe Il a inspir uple à qui il a do hvé) a fait alli Les Héb ance é le livr nné 143 de › Atl la civilisati e sacré, la Bib la Terre promise. GRAND reux d’Histo asANGLE le, qui est ire on judéo Petit gro pl. 14 à l’origine -chrétien upe sém ne. Q ite lui au originair es de ssi, les Hébreux, Mésopota saient ave sont mie où c leurs > GR troupeau ils noma AND AN x. Selon GLE Le mo la Bible, dinde du > FOCU c’est Proch S
maintien de la paix est décidée. Suite à la conférence constitutive de San Francisco (avril-mai 1945), l’Organisation des Nations unies (ONU) est fondée le 26 juin 1945. Cependant, la rupture entre l’URSS et les États-Unis paralyse l’institution. En effet, tous deux sont membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU (au même titre que la Chine, la Grande-Bretagne et la France) et bénéficient donc d’un droit de veto. Cet échec n’est pas le seul que connaissent les Alliés. Contrairement à ce qui avait été admis à la Conférence de Yalta notamment (4-11 février 1945), l’URSS ne permet pas la tenue d’élections libres dans les pays qu’elle a libérés et qu’elle occupe. La Pologne, la Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie, ainsi que la zone allemande contrôlée par les Soviétiques vont progressivement adopter le modèle communiste et devenir des pays satellites de l’URSS. Face à cette réalité, Churchill, le Premier ministre britannique, énonce le 5 mars 1946 une métaphore : « De Stettin sur la Baltique à Trieste sur l’Adriatique, un “rideau de fer“ est tombé sur le continent ». Désormais, le monde est coupé en deux : d’un côté, le camp occidental, qui défend des valeurs libérales et une économie de marché ; et de l’autre, le camp oriental, imprégné de valeurs socialistes, qui prône le contrôle de l’économie par l’État. C’est le début de presque un demi-siècle d’affrontement entre ces deux blocs. À leurs têtes se trouvent les États-Unis et l’URSS, qui ne se déclareront jamais la guerre mais joueront sur l’intimidation et la menace du recours à l’arme atomique. Ces deux pays seront toutefois régulièrement opposés
après la Seconde Guerre mondiale
En marge, des renvois aux planches des Atlas
ÉPOQUE CONTEMPORAINE 1970
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La naissa e–Orien nce de l’ur t antiq banisme ue Les premiè res écritur es Page
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p tac o up occ r tta ité rat cessuss pa ppour oc uProce le entité ulttucul vellle t pole) nouuve quueess ett iiqu (la métro sooitt unnee i e (l s, gin é onnoomi ion éco ie, soi vi es, tiqquuuees,, e colonie, liti égionss vid d s rég lienss po onn fonder un ppar de ion tio d ns de lati d s lien fa t da p lat e fai l eur popu p le is tion sse d lleu métropo é s de ées colonisa a la vid , t e re n nt, cor c co ven en S uve rels. So les, ouu lles elle s ttel ées sée : po x iau sup nia lonni ou su colo ituuéé de stit èmes col sy tèm i e.. ial,l,l, con d sys rcia s, d’origine meerc paux de Greccs, c mm s Gre p nciipa iciens, mee et com tyypeess pri énici tim riti maari Deeuuxx typ f rttins (Ph for empire p r des S it un d ■ So téégés pa pr tég enus de rs pro ns ven on ptoirs olo col s ompt com de ggraanndddeess …)) meenntt où llem r de gr g iis… ple er up c cré p pe Portuga ur llllerr ppo oloonnie dde t s’in col staalle s’iinst Soir une ■ S iennnneennt n ress. le vvie ies miniè troppoole strrie ust d la métro i ind s dde tionnss et plantatio
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Colonisatio n et migratio n
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OLONISER, c’est d’abord installer compttoirs comm des erciaux et des entrepôts sur les côtes pour faire du commerce l’intérieur du pays. avec Comme l’ont fait, dès le IIe millénaire av. J.-C J.-C., les cités phén icienn er es lénaire, entre le e et au I milVIII et le VI e s. av. J.-C., les Grecs Péloponnèse ou du o d’Asie Mine ure. Ce type de nisation a enc coloencore été pratiq ué, à la fin du Âge, par les Répu Moyen Ré bliques-villes italiennes, comm Venis enisee ou Gênes. e
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Un schéma pour : • définir le concept • lister ses caractéristiques • lui associer et/ou lui opposer d’autres termes
ANGLE
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e ine, Afriqu érique lat lge, -Unis, Am s (ex. Congo be ne ons (États e des col né par des indigè la révolt me de te ion sui rat soit à la uvement de libé sation ndance, Décoloni ne colonie à l’indépene guerre ou d’un mo d’u d’u Accession t en conséquence soi du Sud), e). Ind Algérie, 364
Quelques balises pour découvrir l’évolution du concept au fil du temps
population autoc htone par une mino rité d’origine étrangère. Ce fut le cas pour l’emp ire maritime et commercial portu gais avec des posse ssions sur les côtes d’Afrique, en Inde, en Indon ésie et au Brésil, ainsi que pour l’empire colonial espagnol situé essentiellement en Amérique latine . Le même système s’appliqua aussi aux colon ies des ProvincesUnies, de la Franc e et de l’Angleterr e à partir du XVII e s., puis des autres pays européens au XIXe (Allemagne, Belgiq s. ue, Italie).
Colon onise iser, r, c’est aussi conqu érir, pour des raiso religiieuse eusess,, des territ ns Au XIXe s., la colon oires déjà peup isation fut étroit lés : ainsi, les armées arabes m musulmanes ont ement liée à l’industrialisatio conquis le sud du n ; elle constitua monde méditer terranéen depu un facteur de prestige politique is l’Espagne jusqu pour les États, Byzancee (y comp e auxquels elle apportait des atout ris le Moyen-Orie nt, la Perse et s économiques l’Inde) et à leur leu tour, les et des bases stratégiques. Elle chrétiens d’Occ s’appuya sur des entamèrent ident ent la Re Reconquista de motif logiq ues : « les races s idéol’Espagne, puis côtes du Maroc supérieures ont des (C a et Melill (Ceut parce qu’elles des droits, a) et par ailleurs ont des devoirs Caucase (Géorgie du : le devoir de civiliser les races inféri et Arménie) ; à la suite des Croieures » (discours sades, pendant ddeux siècles, de français Jules Ferry du ministre nouveaux États en 1885). Elle fi chrétiens s’installère t allè nt au Proch de centr l’Euro e de pe le gravité d’un mond e-Orient. e inégalitaire, auqu elle imposa une el division internation Coloniser, c’est ale du travail. encore étendre territorial : comm un empire La colonisation e les Turcs qui fait encore aujou détruit l’empire après avoir rd’hui l’objet arabe, se sont ara de débats quan emparés au XVe t à ses conséquen de l’Empire roma s. ces. Elle est associée, par exem in d’Orient. Ils maintiendront ple, au génocide leur dominatio n sur les Balka diens, à la traite des Amérinns (ex-Yougoslavie des Noirs, au trava Albanie ie, Roumanie , anie, Hongrie, il destruction des Bulgarie, Grèce sociétés traditionne forcé, à la jusqu’à la fin du e …) lles et à leur aliénation cultur XIX s. ou au début du XXe s. elle. Pour certa les régions. De leur selon ins, la colonisation est considérée côté, les Russes ont commencé comme la cause une expansion territoriale dès sous-développe majeure du le XIIe s., vers la Sibément économiqu rie d’abord, puis e des pays dits du « tiers-monde vers les régions occupées par les », mais aussi la Tatars et les Turcs source de leurs difficultés actue ensuite. lles. Pour d’aut res, elle est liée l’idée de civilisation à , de progrès, de À partir du XVIe s., lutte contre les maladies et l’igno la colonisation essentiellement rance, de const européenne a ruction de voies consisté à mettr ferrées… ce que le romancier britan e en place un système de domi nique Rudyard Kipling a appelé nation et d’exp « le fardeau de loitation d’une l’hom Le débat est loin me blanc ». d’être clos. ■
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CONCEPTS
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Des renvois d’un dossier à l’autre
utiles
Mode d’emploi • Repérez dans l’ouvrage les dossiers qui vous donneront l’information utile pour répondre à la question posée ; • Créez des ponts entre les informations ; • Consultez les fiches concepts qui vous permettront de décrypter ces informations ; • Consultez d’autres ressources complémentaires, comme un des atlas d’Histoire, par exemple.
Des codes couleurs ➜ pour les 5 parties de l’ouvrage GRAND ANGLE
FOCUS
Manipulez l’ouvrage, créez des liens… ES
EXEMPL
PATRIMOINE
GRAND ANGLE
Les transformations économiques et sociales au XIXe siècle
REGARDS rétrospectifs CONCEPTS
CONCEPTS
Socialisme
CONCEPTS
➜ pour les périodes de l’Histoire
Libéralisme
CONCEPTS
PRÉHISTOIRE
CONCEPTS
Stratifications sociales
Capitalisme
ANTIQUITÉ MOYEN ÂGE CONCEPTS
TEMPS MODERNES
CITOYENNETÉ
ÉPOQUE CONTEMPORAINE
GRAND ANGLE
LE MONDE ROMAIN
FOCUS
L’ÉMERGENCE DU CITOYEN
PATRIMOINE
LES AFFICHES POLITIQUES
REGARDS
rétrospectifs
SUFFIT-IL D’ÉLIRE DES INDIVIDUS POUR PARLER DE DÉMOCRATIE
Votre enquête vous amènera peut-être à consulter des dossiers qui ne sont pas au programme de l’année dans laquelle vous êtes. Une occasion de se rappeler certains faits ou découvrir des périodes que vous approfondirez plus tard… Mais surtout, une occasion de mieux comprendre l’HISTOIRE dans son ensemble.
9
GRAND ANGLE
Préhistoire Les mondes de la Préhistoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
Antiquité Le monde du Proche-Orient antique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18 Le monde grec . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24 Le monde des Celtes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 Le monde romain. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
Moyen Âge Les mondes nomades . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’Empire romain d’Orient . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le monde islamique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les mondes mérovingien et carolingien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le monde européen médiéval . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Temps modernes Le monde amérindien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74 L’Europe de la Renaissance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80 L’Ancien Régime. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86 Les mondes orientaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
Époque contemporaine Le temps des révolutions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102 Les transformations économiques et sociales au XIXe siècle . . . . . 110 L’impérialisme européen . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116 Le monde russe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122 La Première Guerre mondiale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128 Fascismes et Seconde Guerre mondiale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134 La Guerre froide . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142 Les décolonisations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148 L’Europe en construction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154 La mondialisation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160
GRAND ANGLE
GRAND ANGLE Prenons de la hauteur pour dégager les caractéristiques d’une civilisation et en comprendre les lignes directrices majeures. Quel cadre chronologique et géographique ? Quelle organisation sociale? Quelle économie ? Quelles croyances ? Quelle expression artistique ? Voici quelques questions qui permettent de dresser un panorama d’une civilisation dans son évolution sur le long terme.
GRAND ANGLE
> PRÉHISTOIRE > Les mondes de la Préhistoire
- 7 millions d’années
- 3,5 millions d’années
les premiers pré-humains (australopithèques)
homo habilis
Paléolithique
Les mondes de la Préhistoire › Atlas d’Histoire pl. 1 › Petit atlas d’Histoire pl. 1
1. Quel cadre
chasseurs collecteurs nomades. Sa durée est extrêmement longue. À l’échelle planétaire, elle s’étire sur plus de 4 millions d’années ! En Europe, elle dure au moins 1 million d’années. C’est au Paléolithique que l’évolution donna naissance aux premières formes d’espèces humaines. C’est aussi durant cette période qu’apparurent les premiers outils et les premiers habitats aménagés, les premières sépultures et les premières manifestations artistiques.
chronologique ?
Selon l’hypothèse la plus répandue parmi les scientifiques, l’Univers serait apparu il y a environ 15 milliards d’années à la suite d’une grande explosion, le big bang, suivie d’une expansion qui perdure encore aujourd’hui. Le système solaire et notre planète, la Terre, se seraient formés il y a un peu plus de 4 milliards d’années. Il est encore très difficile aujourd’hui de savoir quand et comment la vie est apparue sur la Terre. Depuis la publication de L’origine des espèces de Charles DARWIN, en 1859, l’évolution comme un fait biologique s’est peu à peu imposée dans le monde scientifique. Les êtres vivants, adaptés à leur environnement, sont le résultat d’une adaptation progressive, fruit d’une sélection naturelle.
1.2 Une période intermédiaire : le Mésolithique
L’avènement de cette période coïncide avec la fin des dernières glaciations. En Europe, le climat plus clément permit à la couverture forestière de s’étendre. De nouvelles espèces végétales apparurent et une faune adaptée se développa : cerfs, chevreuils… remplacèrent le renne qui s’est déplacé vers le nord. Les rivières regorgeaient de poissons. Grâce à ce climat plus doux et à l’abondance de nourriture, les hommes sont devenus moins dépendants de leur environnement. Ils pratiquaient la cueillette sélective de fruits et de céréales. Ils sont devenus semi-nomades. Au Proche-Orient, des groupes vont peu à peu se sédentariser et modifier la manière d’assurer leur subsistance, puis s’organiser en société d’agriculteurs éleveurs. La sédentarisation a donc précédé l’agriculture et l’élevage. C’est un phénomène culturel et non pas économique.
Pour les historiens, la « Préhistoire » désigne la période qui commence avec les premiers êtres humains et pour laquelle nous n’avons pas de documents écrits. Elle se termine Le Paléolithique avec l’usage de l’écriture et donc à des est la période la plus ancienne moments différents selon les cultures. On de la Préhistoire : elle comla subdivise en deux grandes étapes en mence avec les premiers êtres humains (il y a environ 6 milfonction du mode de vie des groupes étulions d’années) et se termine diés : le Paléolithique et le Néolithique. vers plus ou moins 10 000 av. J.-C. Au cours de cette période, les hommes étaient nomades et vivaient essentiellement de chasse, de pêche et de cueillette.
1.1 Le Paléolithique
La première période de la Préhistoire est celle des sociétés de prédateurs ou 12
PRÉHISTOIRE vers - 10000 ans
- 1 million d’années
- 200000 ans
homo erectus
Néandertaliens, puis les Hommes modernes
environ - 3500 ans
Néolithique Fin de la Préhistoire au Proche-Orient
animales. Il ne « descend pas du singe », comme on l’entend dire parfois, mais il Le Néolithique est partage avec lui des ancêtres communs. la période la plus récente de la Préhistoire : devenus L’être humain est l’un des aboutissesédentaires et vivant dans ments actuels de l’évolution de la famille des villages, les hommes des Primates... Il y a plusieurs millions sont passés à une économie d’années, la lignée humaine s’est sépade production ; l’agriculture rée de celles des grands singes, comme et l’élevage leur ont fourni l’essentiel. Cette période a les gorilles et les chimpanzés. débuté d’abord au ProcheDe nombreuses incertitudes demeurent Orient vers 10 000 av. J.-C. et aujourd’hui encore des découvertes Elle se termine avec les previennent régulièrement relancer le miers documents écrits. débat scientifique. Si l’origine africaine des hommes ne fait plus de doute, on connaît encore mal la façon dont les choses se sont passées et comment elles ont abouti à la survie d’une seule espèce d’êtres humains, la nôtre, l’Homme Moderne. Au départ, les premiers êtres humains n’avaient ni l’apparence physique, ni l’intelligence qui sont les
1.3 Le Néolithique
Cette période démarra il y a 10 000 ans au ProcheOrient, en Asie mineure, en Palestine et en Iraq. Elle est caractérisée non seulement par les débuts de la domestication des plantes et des animaux, mais aussi par ceux de l’artisanat, des villages et des villes et des échanges maritimes. C’est au Néolithique que la transformation fondamentale des sociétés humaines va peu à peu se répandre dans le monde entier.
2. L’Afrique, berceau de l’humanité
La longue évolution qui a conduit à notre espèce, l’Homme Moderne, est encore mal connue. Et pourtant, depuis le XIXe s., de multiples découvertes ont fait évoluer les connaissances, même si de nombreuses zones d’ombre demeurent. Pour les spécialistes, il n’y a aucun doute que, dans l’état actuel des savoirs, l’origine de l’Homme se trouve en Afrique. On connaît aujourd’hui plus d’une dizaine de « préhumains », tous retrouvés en Afrique. Citons, par exemple, Toumaï, dont le crâne – mais pas le squelette – a été retrouvé au Tchad en 2002. Ou encore Orrorin, découvert au Kenya en 2000, qui serait vieux de 6 millions d’années et était déjà capable de marcher sur deux pieds. Il annonce la grande famille des Australopithèques, dont fait partie Lucy découverte en Éthiopie en 1974.
Squelette d’une jeune australopithèque, exhumé en Éthiopie en 1974. Il date d’environ 3 200 000 ans. Baptisé « Lucy » par ses découvreurs, le squelette est en grande partie conservé (52 os). Sa taille ne dépasse guère 1,20 m. Son volume crânien est modeste, 400 cm³, à peine un tiers du nôtre. Lucy marchait debout, mais elle utilisait encore les mains et les pieds pour grimper aux arbres.
3. Les grandes étapes
de l’évolution humaine
L’homme n’est présent sur la terre que tardivement, à la suite d’une longue filiation d’espèces 13
GRAND ANGLE
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> PRÉHISTOIRE > Les mondes de la Préhistoire
Meuse. Dès 1829, un crâne d’enfant fut exhumé à Engis, près de Liège ; puis en 1886, à Spy, près de Namur. Au XXe s. encore, la mâchoire d’un enfant a été découverte dans la grotte de Sclayn, près d’Andenne. Mais c’est à Neandertal, près de Düsseldorf en Rhénanie que furent découverts en 1857 les ossements qui donneront son nom à cette espèce humaine. Vivant essentiellement en Europe et au ProcheOrient, il y a entre 200 000 et 30 000 ans avant notre ère, les Néandertaliens étaient proches de l’Homme Moderne sur le plan anatomique, même s’ils étaient plus petits et présentaient un aspect plus trapu et plus robuste. Les premières sépultures apparurent à cette époque.
nôtres aujourd’hui. Ils n’ont acquis la bipédie, la capacité à manipuler des objets, le langage articulé que très lentement. Ce processus d’évolution, à la fois anatomique et culturelle, se développa sur plusieurs millions d’années. Plusieurs espèces humaines se sont développées successivement, voire ont cohabité à certaines époques. Notre p espèce est issue de l’Homo sapiens ou Homme Mode Moderne, qui a émergé au Proche-Orient il y a 20 200 000 ans environ. 3.1 Les Australopithèques
Biface en silex taillé, retrouvé sur le site de la Belle-Roche à Sprimont (Liège). Il remonte à 500 000 ans.
Mâchoire d’un enfant âgé de 10 à 12 ans, découverte dans la grotte de Sclayn (près d’Andenne, Belgique) en 1993. Il y a 100 000 ans environ.
Voici approximativement 6 millions d’années, les premiers « hominidés » prennent une apparence nettement humaine. On leur donne le nom d’Australopithèques. Leurs restes fossiles ont été découverts dès 1925 en Afrique méridionale et orientale, région considérée actuellement comme le berceau de l’humanité. Ces Australopithèques n’étaient toutefois pas des humains à part entière. Certains individus paraissent très primitifs. D’autres individus, par contre, appelés Homo habilis, avaient une allure et un comportement humains. Tout à fait bipèdes, ils fabriquaient des outils et dressaient des abris sommaires. On est passé avec eux d’une espèce à une autre.
3.4 Les Hommes Modernes
Quant à notre ancêtre direct, il occupait depuis 200 000 ans environ le Proche-Orient ; il se répandit progressivement sur l’ensemble de la planète. Il se distingue de ses prédécesseurs par une vie sociale plus complexe, par de grands progrès techniques et par ses réalisations artistiques : c’est lui qui créa l’art pariétal. En Europe, l’Homo sapiens (parfois appelé CroMagnon, du nom de la vallée de la Dordogne où furent retrouvés les premiers fossiles en 1868) arrivé tardivement, il y a environ 50 000 ans, coexista avec les Néandertaliens. Puis, ces derniers disparurent peu à peu. Une seule espèce humaine peuple la terre aujourd’hui.
3.2 Les Homo erectus
4. Les conditions de vie
Il y a environ un million d’années, apparut une autre forme d’espèce humaine, l’Homo erectus qui coexista un certain temps avec les Australopithèques. Véritable migrant, l’Homo erectus quitta le « berceau africain » et se répandit en Europe et en Asie. Aussi grand que nous, parfaitement bipède, l’Homo erectus avait aussi un cerveau beaucoup plus grand. Il disposait sans doute d’un langage articulé rudimentaire, utilisait le feu, taillait les plus vieux bifaces connus, perfectionna les techniques de la chasse et améliora l’habitat.
au Paléolithique
Durant le Paléolithique, le climat se modifia à de nombreuses reprises. La terre connut une succession de cycles climatiques d’une durée d’environ 100 000 ans. Pour les désigner, les spécialistes parlent de glaciations et d’interglaciations. L’alternance entre phases froides et réchauffements a eu pour effet de modifier périodiquement le paysage. Les plantes et les animaux changèrent avec le climat. Les hommes et femmes du Paléolithique étaient semi-nomades : au fil des jours, ils circulaient à travers un territoire de chasse et de cueillette, mais
3.3 Les Néandertaliens
Plusieurs restes de cette espèce ont été découverts en Belgique au XIXe s. dans la vallée de la 14
PRÉHISTOIRE
5. Un rituel funéraire
au rythme des saisons, ils revenaient aux mêmes endroits. Ces campements de base étaient habituellement situés dans un vallon, près d’un point d’eau, en bordure d’une rivière, non loin d’un gisement de matières premières utiles à la fabrication des outils et des armes (par exemple le silex). Les habitations étaient disposées de manière à être protégées des vents et des risques de crues et à jouir d’une vue panoramique sur les alentours. Elles s’organisaient autour d’un ou de plusieurs foyers qui concentraient la vie collective et les activités domestiques ou artisanales. Contrairement à l’image qu’en donnent les vieux clichés, ces êtres humains n’étaient pas vêtus de lambeaux de peaux de bêtes et ne s’exposaient pas à moitié nus aux rigueurs du climat. Ils s’habillaient de vêtements de peau et de fourrure, soigneusement coupés et cousus, tenus ou fermés par des épingles en os, des ceintures, des boutons. Ils aimaient les parures et soignaient leur chevelure, comme le montrent les représentations sculptées, gravées ou peintes. Grâce à la domestication du feu survenue il y a environ 400 000 ans, ils purent non seulement cuire leur nourriture, mais aussi s’éclairer, se chauffer, éloigner les prédateurs ; le feu leur servait aussi à des usages techniques comme redresser le bois, fondre la résine pour fabriquer de la colle, durcir les pointes des pieux. Peut-être même le feu contribuait-t-il à les réunir pour parler, se raconter des histoires ou chanter. Cette maîtrise du feu a constitué une étape essentielle dans les progrès culturels et techniques de l’humanité : sans elle pas de peinture, de céramique ou de métallurgie. L’invention de l’outil marqua définitivement la différence entre l’homme et l’animal. Elle suppose le choix de certains matériaux, le transport de la matière première et des produits finis. La technique de la taille s’affina pour économiser la matière et produire des outils de plus en plus spécialisés (couteaux, scies, grattoirs, burins, perçoirs…). Puis, l’emmanchement permit de décupler la force et aussi d’utiliser des lames effilées et légères : il donnera naissance à de véritables projectiles, comme des sagaies ou des harpons lancés par un propulseur. À la fin du Paléolithique, apparut l’arc qui accompagna les chasseurs et les guerriers pendant très longtemps.
La présence de pratiques funéraires fut une autre étape culturelle importante. Apparue au ProcheOrient il y a environ 100 000 ans, elle se généralisa peu à peu. L’inhumation pouvait prendre des formes variées, qui allaient du simple dépôt du corps dans une cavité naturelle jusqu’à la construction d’un véritable tombeau. Selon les cas, la dépouille était couchée sur un sol tapissé d’ocre tandis que ce colorant était également saupoudré sur le corps ou sur la tête du défunt. Celui-ci était paré de bijoux. Des objets familiers, des armes, de la nourriture étaient placés près de lui. Les inhumations concernaient aussi bien les femmes que les hommes, les enfants que les adultes. Ces rituels signifient-ils que nos ancêtres avaient la conception d’un au-delà ? Difficile de répondre à cette question ! Rien ne nous permet d’émettre des hypothèses sur leurs croyances ou leur représentation du monde. Tout au plus, pouvons-nous voir là les débuts d’une pensée abstraite.
Squelettes de deux enfants retrouvés dans une grotte du nord-ouest de l’Italie, à Grimaldi. Ils sont vieux de près de 30 000 ans. Musée d’archéologie nationale, Saint-Germain-en-Laye. Les nombreux coquillages jonchant le sol devaient orner leurs vêtements.
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> PRÉHISTOIRE > Les mondes de la Préhistoire
6. Les premières
ou sculptés, dans l’ivoire, l’os, le bois de renne ou la pierre. Parmi cet art mobilier riche et varié, le plus extraordinaire est le millier de figurines féminines retrouvées d’un bout à l’autre de l’Europe : ces statuettes ont très souvent les hanches, le ventre et les seins très développés alors que leur visage et leurs membres sont à peine marqués. C’est pourquoi les chercheurs y ont vu des représentations symboliques de la fécondité.
expressions artistiques
Il y a 50 000 ans, l’humanité a peint ou sculpté pour la première fois les images qu’elle avait dans la tête. S’agit-il là des premiers messages ou des premières manifestations artistiques, ou les deux ? La question reste posée. Ce langage est universel : plus de 45 millions de peintures et gravures pariétales et rupestres ont été découvertes dans près de 160 pays. Les sujets sont semblables : ce sont les animaux qui sont le plus souvent représentés, mais on trouve quelques rares figures humaines schématisées et de nombreuses mains. Aucun décor n’est figuré. Cette schématisation et la présence de nombreux signes abstraits (points, tirets, cercles, rectangles…) font penser qu’il s’agit d’un art essentiellement symbolique. Si on se réfère aux populations qui le pratiquent encore, cet art a des motivations religieuses ou magiques : il communique des mythes et légendes. Il était aussi probablement lié à des rites chamaniques. Le souci esthétique existait aussi dans la vie quotidienne, comme en témoignent toutes sortes d’objets : statuettes, parures, armes et outils, gravés
Sculpture en bois de renne figurant un bison se léchant. Vers 14 000 av. J.-C. Ht. 10,4 cm. Musée d’archéologie nationale, Saint-Germain-en-Laye.
Peinture pariétale figurant un bison atteint par une flèche. Il y a de 15 000 ans. Grotte de Niaux (Ariège, France).
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PRÉHISTOIRE
Statuette féminine découverte en 1908 à Willendorf (Allemagne). Elle remonte à 23 000 ans. Ht. 10,4 cm. Musée d’histoire naturelle à Vienne.
Ces « Vénus » comme les ont appelées les archéologues, sont-elles des « déesses-mères » comme celles qui seront chargées, au néolithique, de veiller sur les troupeaux et les récoltes ? À côté de ces représentations stylisées, un autre art devait exister : ainsi celui qui a sculpté dans l’ivoire cette minuscule tête de jeune femme à la chevelure tressée devait avoir des préoccupations plus esthétiques et affectives que religieuses. À la fin du Paléolithique, l’humanité a accompli de grands progrès : moins dépendant des rythmes de la nature, l’esprit humain a acquis la capacité de prévoir, de conceptualiser, d’objectiver et d’abstraire. Cela va lui permettre d’aborder un nouveau tournant : l’invention de l’agriculture. ■
Statuette en ivoire de mammouth découverte à Brassempouy (Landes, France). Elle remonte à 21 000 av. J.-C. Ht. 3,5 cm. Musée des Antiquités nationales, Saint-Germain-en-Laye.
> GRAND ANGLE > FOCUS > PATRIMOINE
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Les mondes de la Préhistoire La « révolution » néolithique
Page 170
Lascaux, premières expressions artistiques
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GRAND ANGLE
GRAND ANGLE IV e
> ANTIQUITÉ > Le monde du Proche–Orient antique III e
millénaire av. J.-C.
II e
millénaire av. J.-C.
- 3300
millénaire av. J.-C.
- 2300
- 1792
- 1759
Les Sumériens En Mésopotamie Pharaon Ménès
Akkadiens
Abraham
Babyloniens
Cités (Tyr, Sidon, Byblos…)
Le monde du Proche–Orient antique 1. La Mésopotamie
L’émergence de grandes civilisations › Atlas d’Histoire pl. 13
Mésopotamie ou « pays entre deux fleuves » est le nom donné par les Grecs à la région située entre le Tigre et l’Euphrate, soit globalement l’Iraq et le Koweït actuels. Au fil des découvertes archéologiques menées depuis le XIXe s., ce nom englobe maintenant toute la partie du pays situé entre le Golfe Persique, l’Arménie, le plateau iranien et la Syrie. On y distingue deux grandes zones géographiques : au sud, une région de marais, surmontée par une plaine alluviale - la Basse Mésopotamie et, au nord, la Haute Mésopotamie constituée de vallées fluviales, de steppes et d’oasis. À chaque printemps, de mars à mai, la Mésopotamie était inondée par les crues : cela favorisa le développement des premières civilisations agricoles, qui durent endiguer les fleuves, drainer les terres et canaliser les eaux. Entourée de pays pauvres, la Mésopotamie suscita la convoitise des voisins, peuples montagnards ou nomades du désert. Par le nord, elle communiquait avec le couloir syro-palestinien et l’Égypte ; elle constitua ainsi une voie de passage pour les migrations. C’est au XIXe s. que cette civilisation sortit de l’oubli suite à la découverte de monuments et de documents enfouis depuis des millénaires. Le déchiffrement de milliers de tablettes d’argile, couvertes d’écriture cunéiforme ainsi que l’étude des vestiges archéologiques révélèrent que ce lieu était bien le berceau de notre civilisation : c’est là en effet que furent inventées la roue et la pratique de l’irrigation, que les premières villes ont surgi, que les plus anciennes bibliothèques ont été bâties,
Il y a environ 10 000 ans, des transformations profondes ont commencé à se produire dans différentes régions du monde, très éloignées les unes des autres : domestication des espèces vivantes, sédentarisation des groupes humains, essor démographique… puis naissance des villes, construction de temples et de palais, émergence des royautés et des États. Entre 11 000 et 6 000 ans av. J.-C., la population mondiale serait passée, selon les estimations, de 5 à 10 millions d’individus. Cause ou effet de la néolithisation ? On ne sait. Ce passage correspond à une période de réchauffement climatique. Les sociétés installées dans les vallées du Tigre et de l’Euphrate, ainsi que du Nil, ont peu à peu produit des surplus alimentaires qui ont permis de nourrir des groupes de non-producteurs, comme des artisans, des marchands, des guerriers, des prêtres. Des formes de vie urbaine sont apparues, de même que des nouvelles techniques comme l’écriture, l’architecture et le commerce. Les sociétés se sont hiérarchisées et organisées en États. Si l’écriture marque la césure (en tout cas pour les historiens), il est clair que le mouvement qui a mis en place ces nouvelles structures est antérieur à son invention.
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ANTIQUITÉ I er XIIIe av
J.-C.
millénaire av. J.-C. IXe
J.-C.
VIIIe
- 668
av J.-C.
VIe
1000 Ier
IVe
Dispersion dans le monde romain
Fin de l'Égypte pharaonique
av J.-C.
Phéniciens Égypte Hébreux Moïse Alphabet phénicien
Déportation en Assyrie Carthage
Déportation à Babylone
Assyriens Perses
les premiers calendriers conçus ; nous lui devons encore des rudiments de médecine, une astronomie développée, des calculs mathématiques sophistiqués (extractions de racines carrées ou cubiques, résolution d’équations du second ou troisième degré, un calcul algorithmique proche de l’informatique moderne) et des œuvres littéraires, comme l’épopée de Gilgamesh. La Mésopotamie a toujours été un pays ouvert : que ce soit par les fleuves, les steppes ou les cols de montagne, nomades, marchands ou envahisseurs y ont circulé aisément. Différents peuples l’ont occupée, parfois simultanément, parfois successivement : les Sumériens d’abord, puis les peuples sémites (Babyloniens, Akkadiens, Assyriens…) et enfin des peuples indo-européens (les Perses). Si on ne peut donc parler de « Mésopotamiens », il est clair cependant que ses différentes composantes ont formé un tout cohérent pendant une très longue durée. De plus, les techniques et la culture des premiers occupants se sont transmises et amplifiées avec les suivants : par exemple, l’écriture cunéiforme, mise au point par les Sumériens, a été utilisée par de nombreux autres peuples qui s’en sont servi pour transcrire leur propre langue.
Statue de Goudéa, roi de la cité de Lagash. XXIe s. av. J.-C. Musée du Louvre, Paris.
Au IIIe millénaire, les chefs de ces cités étendirent leur domination successive sur plusieurs de ces villes, formant ainsi les premiers royaumes. Les techniques inventées par les Sumériens, comme l’irrigation, l’usage du métal, la roue et l’écriture cunéiforme se répandirent dans toute la Mésopotamie. Le tour du potier permit la fabrication en série et la roue le développement des échanges. Les Sumériens étaient polythéistes : ils élevèrent des temples en brique à leurs dieux. C’est autour de ces temples que des prêtres, puis des artisans s’installèrent, formant ainsi le noyau des premières villes. Certaines, comme Uruk, possédaient des temples monumentaux, installés audessus d’une sorte de pyramide à degrés : on les appelle ziggourats. Monumentales, ces ziggourats ont donné naissance au mythe biblique de la tour de Babel.
Ziggourat (en partie restaurée) de Dour-Kourigalzu (Iraq). XIVe s. av. J.-C. Ceux qui l’ont découverte au XX e s. l’ont prise pour la tour de Babel de la Bible.
1.1 Les Sumériens
On ignore encore aujourd’hui l’origine des Sumériens et on sait peu de choses sur ce peuple ingénieux. Il serait venu de l’est (Iran ? Indus ? Turkestan ?), au plus tard au IVe millénaire. Les Sumériens vivaient dans de petits États, composés chacun d’une ville entourée de la campagne environnante qui les nourrissait : ces cités (Ur, Uruk, Lagash, Eridou…) se faisaient sans cesse la guerre entre elles et contre celles créées par des peuples sémites dans le nord du delta, comme celle d’Akkad. 19
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> ANTIQUITÉ > Le monde du Proche–Orient antique
Un nouvel empire, dont le nom est resté célèbre se mit en place au XVIIIe s. av. J.-C., lorsque le roi sémite de Babylone, Hammourabi, soumit toutes les cités mésopotamiennes ; bien que cet empire eut la vie courte, la ville de Babylone devint à ce moment le centre symbolique des peuples sémitiques du sud. Pour mieux assurer son autorité, Hammourabi centralisa le gouvernement et envoya des fonctionnaires dans toutes les provinces. Il rassembla les coutumes de toutes les cités dans un code, applicable à tout le territoire. Il fit de Babylone, une capitale religieuse, la résidence de Marduk, le roi des dieux mésopotamiens ; il l’imposa aussi comme capitale culturelle, siège de savants et de lettrés. Mais ce premier royaume babylonien fut éphémère, car toute la région fut bouleversée au IIe millénaire par un nouveau phénomène : les migrations indo-européennes. En Mésopotamie, ce furent les Hittites qui s’emparèrent de Babylone au XVIe s. av. J.-C. Au Ier millénaire, de nouveaux arrivants, les Assyriens, guerriers redoutables, vont créer un nouvel empire : attaquant par surprise, ils saccagèrent, pillèrent, massacrèrent prisonniers et populations ; ils déportèrent des peuples (comme les Hébreux) et régnèrent par la terreur. L’Empire
1.2 Les Sémites
Stèle en basalte reproduisant le code d’Hammourabi. XVIIIe s. av. J.-C. Ht. 2,25 m. Le roi de Babylone, Hammourabi, reçoit du dieu Shamash le sceptre et l’anneau du pouvoir. En dessous, se trouve le texte des lois qui se lit de droite à gauche et de haut en bas.
Le centre de la Mésopotamie, depuis le IIIe millénaire, était peuplé de Sémites (ou Akkadiens), dont la langue, proche de l’arabe ou de l’hébreu actuels, était fort différente du sumérien. Néanmoins, ces populations semblent s’être métissées avec les Sumériens. Vers 2300 avant J.-C., Sargon Ier, roi de la cité sémitique d’Akkad, conquit les villes sumériennes, créant ainsi le premier empire unifié qui s’étendait du golfe Persique jusqu’à la Méditerranée. Ce fut la première unification de la région. Des palais furent construits à côté des temples et l’écriture cunéiforme fut adaptée pour transcrire l’akkadien. Cette langue supplanta peu à peu le sumérien dans la vie quotidienne et le sumérien ne fut plus utilisé que pour la liturgie ou la diplomatie, un peu comme le latin dans l’Europe médiévale. La suprématie akkadienne ne dura que deux siècles, mais elle marqua le début d’une nouvelle civilisation métissée, mêlant des éléments sémites et sumériens. L’héritage sumérien continuera à marquer durablement la Mésopotamie tout entière. Dès lors, l’histoire de la Mésopotamie sera une suite de réunifications, suivies de morcellements.
Bas-relief du palais de Ninive représentant le roi Assurbanipal à la chasse au lion. VIIe s. av. J.-C. British Museum, Londres.
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ANTIQUITÉ
Le Nil constituait aussi une voie de communication : les bateaux le remontaient à la voile et se laissaient porter par le courant à la descente. Ils transportaient le bois, matériau de base pour la construction, dont l’Égypte manquait et qu’elle devait importer du Liban ; mais aussi, la pierre de construction, les minerais (turquoise, or…), les surplus agricoles, et même les grands obélisques en grès rose extraits de la montagne. Des populations se sont installées dans la vallée du Nil (Haute Égypte) et dans le delta (Basse Égypte) dès le IVe millénaire ; ils se rassemblèrent en villages et bourgades, à proximité de leurs champs, tout le long de la vallée. C’est pourquoi, on ne trouve pas en Égypte de grandes concentrations humaines formant des villes comme en Mésopotamie. L’État centralisé qui se mit en place, avec à sa tête un roi d’origine divine, le pharaon, va durer plus de 3000 ans. Vers 3300 avant J.-C., un pharaon nommé Ménès (ou Narmer) unifia la Haute Égypte (vallée du Nil) et la Basse Égypte (le delta) sous une seule autorité ; désormais, tous ses successeurs porteront la double couronne. C’est à la même époque que fut mise au point l’écriture hiéroglyphique. Pour gouverner un pays qui s’étire sur plus de 1000 kilomètres, il fallut très tôt donner à l’administration égyptienne une structure forte et centralisée. À sa tête, un pharaon : fils des dieux sur terre, il est placé sous leur protection et reçoit d’eux la force nécessaire à l’exercice de son pouvoir. Toutes les représentations du pharaon le montrent en relation avec les dieux. Ses attributs (barbe postiche, ureus, double couronne, sceptre, fouet et crosse…) rappellent à tout instant qu’il est un dieu parmi les hommes. Le souverain est là pour faire respecter Maât, déesse de la paix sociale, la justice, la vérité, l’ordre, la confiance
assyrien connut sa plus grande extension sous le règne d’Assurbanipal (de 668 à 627 av. J.-C.) : à ce moment, il englobait tout le Proche-Orient, de la Mésopotamie jusqu’à l’Égypte. Mais les excès de cruauté entraînèrent des révoltes. Au VIe s., la Mésopotamie tout entière tomba aux mains des Perses, un peuple montagnard qui conquit une grande partie de l’Orient ancien sous la conduite du roi Cyrus (qui règne de 559 à 530 avant J.-C.) : ce dernier l’engloba dans un vaste ensemble. Elle perdit à jamais son indépendance. Au IVe s., elle fut conquise par Alexandre le Grand et rattachée au monde grec. Dès lors, la langue akkadienne et l’écriture cunéiforme commencèrent à disparaître, remplacées peu à peu par l’araméen, langue sémitique, qui devint la langue commune de l’ensemble du Proche-Orient et l’usage de l’alphabet s’imposa.
2. L’Égypte Selon la formule de l’historien grec Hérodote, la civilisation égyptienne est un « don du Nil » : sans ses crues, elle n’aurait pas existé. Le Nil est un des plus longs fleuves du monde ; ses sources sont situées en Afrique centrale et il coule dans une vallée étroite et fertile sur plus de 800 kilomètres entre les déserts. À partir du mois de juillet, l’eau montait pendant trois mois puis, en se retirant, elle laissait les terres recouvertes d’un limon fertile ; les champs pouvaient alors être ensemencés et la récolte se faisait au printemps suivant. Des canaux et des digues permettaient d’augmenter les surfaces cultivées. Remarquons que depuis 1964, le barrage construit à Assouan retient les eaux dans le lac artificiel Nasser et a mis fin à l’inondation annuelle de la vallée. Les paysans récoltaient chaque année une quantité importante de céréales ; les surplus étaient stockés dans les magasins d’État, qui permettaient de nourrir les fonctionnaires, les artisans et les prêtres, mais aussi de constituer des réserves en cas de disette et d’alimenter le commerce extérieur.
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Palette sculptée en schiste (verso). 3000 av. J.-C. Ht. 74 cm. Musée égyptien, Le Caire. La palette est sculptée sur les deux faces. Sur cette face, le pharaon Narmer s’apprête à donner un coup de massue à l’ennemi qu’il tient par les cheveux.
Statue de Ramsès II (détail). XIIIe s. av. J.-C. Temple de Louxor (Égypte).
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Statue du ministre Amenhotep III en position de scribe. Nouvel Empire. Musée égyptien, Le Caire.
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> ANTIQUITÉ > Le monde du Proche–Orient antique
Empire (fin du IIe millénaire), et pour échapper au pillage, ils furent ensevelis dans des tombeaux creusés dans les rochers de la Vallée des Rois, à l’ouest de Thèbes, en Haute Égypte. Ces gigantesques travaux de construction étaient menés à bien par des paysans, réquisitionnés pendant la saison sèche. Les parois de ces tombes étaient polies, puis peintes et sculptées par des artisans spécialisés qui vivaient sur place, dans le village de Deir-el-Médineh. Cette organisation remarquablement stable va perdurer plus de trois mille ans. Ce n’est qu’au IVe s. ap. J.-C., lorsque la religion chrétienne s’imposera et que les temples païens furent fermés, que l’Égypte pharaonique s’éteindra.
et l’harmonie qui rendent le pays habitable. De nombreux bas-reliefs montrent le pharaon empoignant ses ennemis par les cheveux pour les massacrer : cette image symbolise la victoire de l’ordre sur le chaos. Il vit dans un palais spacieux et raffiné, aux pièces nombreuses. Les bureaux centralisent l’administration générale, à la tête de laquelle se tient le vizir. Le pays tout entier appartient au roi qui peut en octroyer une partie aux temples ou en confier l’exploitation à des administrateurs territoriaux. Une bureaucratie nombreuse était nécessaire : pour chaque acte, dossier ou projet, il fallait un document écrit, et donc un scribe pour le rédiger. Les scribes étaient recrutés dans les classes moyennes et recevaient une longue formation. Ils apprenaient non seulement à lire et écrire, mais devaient aussi connaître les mathématiques, les langues étrangères, les noms de lieux et les termes techniques… et pratiquer le sport et le maniement des armes. Le pharaon était réputé immortel : après avoir quitté son corps, son âme rejoignait les dieux et son tombeau devenait un lieu de culte. Les premières sépultures consistaient en simples mastabas (monument funéraire trapézoïdal), puis les souverains se firent construire des pyramides (entre 2675 et 1759 av. J.-C.) dans le désert, près de Memphis en Basse Égypte. À partir du Nouvel
3. Les Phéniciens Nous connaissons les Phéniciens depuis le IIe millénaire par le nom que les Grecs leur ont donné ; eux-mêmes se désignaient comme citoyens de la cité à laquelle ils appartenaient : Tyr, Sidon, Byblos, Arwad, Birut (l’actuelle Beyrouth), Ougarit… ou encore Cananéens, du nom du pays de Canaan. Ces cités étaient des villes côtières, installées sur une étroite bande de terre, dans des sites portuaires et séparées par de petites plaines ; deux chaînes de montagne traversent la région (le Liban et l’Anti-Liban) où croissent les cèdres dont ils feront commerce. Aujourd’hui encore, nous ne savons pas très bien où situer les limites nord et sud de cette civilisation. Sa
Vestiges de l’ancienne ville de Carthage (Tunisie actuelle).
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ANTIQUITÉ
position géographique en a fait le lieu de passage de tant de peuples et d’armées, de tant de guerres dévastatrices, que peu de traces nous sont parvenues. Leur histoire nous est surtout connue par les écrits des peuples voisins : la Bible, les annales des rois assyriens, les textes littéraires grecs. Les Phéniciens n’ont jamais formé une entité politique unifiée : ils partageaient cependant une langue commune sémitique, ainsi qu’un même fond culturel religieux et artistique. Ils pratiquaient l’agriculture car leur région leur fournissait en abondance céréales, produits de la vigne, arbres fruitiers et oliviers. Excellents marins, ils ont formé un véritable empire maritime et commercial : ils naviguèrent en Méditerranée et même dans l’océan Atlantique à la recherche des métaux. Ils ont créé des comptoirs commerciaux en mer Égée, en Méditerranée occidentale (Malte, Sardaigne, Sicile, Baléares), jusqu’en Espagne d’où ils ramenaient les minerais. Carthage, en Afrique du nord, près de l’actuelle Tunis, a d’abord été une étape sur leur route de retour. D’abord vassale de Tyr, Carthage s’est peu à peu rendue indépendante et a dominé toutes les colonies de Méditerranée occidentale. Devenue une grande puissance, elle entra en rivalité avec la puissance romaine. Selon l’historien grec Hérodote (Ve s. av. J.-C.), les Phéniciens auraient accompli un périple autour de l’Afrique. Des traces archéologiques témoignent de leur présence sur la côte occidentale de l’Espagne (notamment à Cadix) et du Portugal au Ier millénaire. Nous leur devons une invention capitale dans le domaine de l’écriture : alors que les peuples voisins ne disposaient encore que des systèmes compliqués de l’écriture cunéiforme ou hiéroglyphique, les Phéniciens créèrent l’alphabet phonétique : dès le XIIIe s., ils disposaient déjà de 22 lettres, les consonnes, auxquels les Grecs ajouteront plus tard, les voyelles. Ce système est à l’origine de tous les alphabets occidentaux.
sous la conduite d’Abraham qu’ils quittèrent au IIe millénaire la ville d’Our pour s’installer dans le pays de Canaan, en Palestine. Certains d’entre eux pénétrèrent en Égypte, d’où ils durent fuir au XIIIe s. sous la conduite de Moïse. Ils retournèrent dès lors dans ce que la Bible appelle « la Terre promise », qu’ils conquirent après avoir combattu les peuples antérieurement établis. Dès cette époque, les Hébreux étaient divisés en douze tribus, dont la tribu de Juda (de laquelle sont issus les rois David et Salomon) qui est à l’origine du mot « juif ». Les douze tribus ne furent que très momentanément réunies dans un seul royaume et subirent le joug d’autres peuples de la région, comme les Égyptiens, les Assyriens, les Babyloniens, les Hittites… et enfin les Grecs et les Romains. Plusieurs fois déportés, notamment en Assyrie au VIIIe s. av. J.-C. et à Babylone au VIe s. av. J.-C., les Hébreux gardèrent néanmoins intactes leur religion et leurs traditions. C’est pourquoi, la dispersion (ou diaspora) devint un aspect essentiel du judaïsme. Au Ier s. de notre ère, les Hébreux se révoltèrent contre la domination romaine. Vaincus, des milliers d’entre eux furent vendus comme esclaves ou chassés de Palestine. De plus, l’empereur romain Titus fit détruire, en 70 ap. J.-C., le temple de Jérusalem, centre de leur vie religieuse (il n’en reste aujourd’hui que le Mur des Lamentations). Ayant perdu leur indépendance politique, ils vécurent dispersés dans tout le monde romain. Les Hébreux se différencient des autres peuples du Proche-Orient par leur religion monothéiste. Selon leur conception, Dieu (Yahvé) a fait alliance avec son peuple à qui il a donné la Terre promise. Il a inspiré le livre sacré, la Bible, qui est à l’origine de la civilisation judéo-chrétienne. ■
Le Mur des lamentations Seul vestige du temple de Jérusalem, le mur des lamentations fut rebâti par le roi Hérode au Ier s. av. J.-C. et détruit par les Romains en 70 ap. J.-C.
› Atlas d’Histoire pl. 14
4. Les Hébreux > GRAND ANGLE
Petit groupe sémite lui aussi, les Hébreux, sont originaires de Mésopotamie où ils nomadisaient avec leurs troupeaux. Selon la Bible, c’est
> FOCUS > PATRIMOINE
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Le monde du Proche–Orient antique La naissance de l’urbanisme
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Les premières écritures
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GRAND ANGLE
GRAND ANGLE III e
> ANTIQUITÉ > Le monde grec II e
millénaire av. J.-C. - 2800
I er
millénaire av. J.-C. - 2100
- 1400
millénaire av. J.-C. - 776
- 1200 - 900
Civilisation cycladique
Civilisation minoenne ou crétoise
Civilisation mycénienne
- 750
- 800
« Siècles obscurs » Premiers jeux olympiques
Le monde grec › Atlas d’Histoire pl. 18, 20, 21, 25 › Petit atlas d’Histoire pl. 13 à 16
1. Les jalons de la Grèce
• La
période archaïque (750-490 av. J.-C.) est marquée par le développement des citésÉtats (polis) et la formation des grands traits politiques, sociaux, culturels et religieux du monde grec. Le monde grec s’étend grâce à la colonisation, de l’Espagne jusqu’aux rives de la mer Noire, en deux vagues. La première (entre 775 et 665 av. J.-C.) s’explique par la recherche de terres agricoles en raison de l’accroissement démographique. Elle se dirige vers l’ouest : mer Ionienne, Sicile, Italie du Sud (la « Grande Grèce »). Ensuite les colonies de Grèce continentale et d’Asie Mineure (Phocée, Milet) essaiment à leur tour en une seconde vague (entre 675 et 550 av. J.-C.), pour des raisons commerciales vers la Gaule (Marseille), l’Espagne, l’Afrique du Nord, la Thrace, la mer Noire… • Les guerres médiques contre l’Empire perse (Mède) marquent le début de la période classique (490-323 av. J.-C.). Elles ont pour origine le soulèvement des Grecs d’Asie Mineure en 499 av. J.-C. contre le roi des Perses, Darius Ier, qui les écrase en 493 av. J.-C. Les Athéniens prennent leur revanche à Marathon en 490. Dix ans plus tard, la seconde guerre médique (480-479) éclate sous la direction du fils de Darius, Xerxès, qui sera battu à Salamine (480 av. J.-C.) et à Platées (479 av. J.-C.). Athènes triomphante crée la Ligue de Délos, une alliance militaire des cités grecques qui devient un véritable empire à partir de 454 av. J.-C. En 431 av. J.-C., les cités grecques du Péloponnèse – Sparte en tête –, ne supportant plus leur soumission à l’hégémonie athénienne, se lancent dans une guerre de près de trente ans : la
antique
1.1 Les premiers Grecs
Les Grecs sont des Indo-Européens venus dans le courant du IVe millénaire av. J.-C. du sud de l’actuelle Russie. Les premières civilisations apparaissent au début du IIIe millénaire dans les Cyclades (civilisation cycladique) puis, entre 2100 et 1400 av. J.-C., en Crète (civilisation minoenne) avec ses nombreux palais (Cnossos). Ensuite, entre 1400 et 1200, la civilisation mycénienne, caractérisée par ses fortifications cyclopéennes, se diffuse dans le Péloponnèse (Mycènes, Tirynthe), en Grèce centrale et en Crète. Ces royaumes disparaissent définitivement vers 1200 av. J.-C. La période entre les XIIe et VIIIe s. av. J.-C. est qualifiée de « Siècles Obscurs ». Pour la décrire, nous possédons peu d’objets et quelques textes poétiques majeurs : l’Iliade et l’Odyssée d’Homère (écrits vers 800 av. J.-C.) ainsi que la Théogonie et Les Travaux et les jours d’Hésiode. Ils évoquent un monde dirigé par une aristocratie dont la préoccupation principale est la guerre. Ces récits forment la base de la mythologie grecque. 1.2 Les grandes périodes de la Grèce antique › Atlas d’Histoire pl. 18 › Petit atlas d’Histoire pl. 13
L’histoire proprement dite de la Grèce est découpée en trois périodes : archaïque, classique et hellénistique. 24
ANTIQUITÉ J.-C. - 490 - 480 - 700
- 600
- 431 - 404
- 300
Période classique
Période archaïque Naissance des Cités - Colonisation Guerres médiques
Guerre du Péloponnèse
- 146
- 336 - 323
- 500
- 200
- 31 - 100
Période hellénistique Alexandre le Grand
guerre du Péloponnèse. Athènes défaite, Sparte établit sa suprématie (404-371 av. J.-C.), suivie par celle de Thèbes (371-362 av. J.-C.). Finalement, ces luttes incessantes favorisent à partir de 357 av. J.-C. l’émergence du royaume de Philippe de Macédoine qui, à partir du nord de la Grèce, instaure sa domination sur l’ensemble des cités. Son successeur, Alexandre le Grand, étend considérablement le monde grec en y incluant l’Empire perse jusqu’à l’Indus. L’unification et l’hellénisation des territoires orientaux donnent naissance au monde hellénistique. • La période hellénistique (323-330 av. J.-C.) débute avec la mort d’Alexandre. Ses généraux se disputent le pouvoir durant plusieurs décennies jusqu’à ce que trois dynasties émergent : les Lagides en Égypte ; les Séleucides à l’est ; les Antigonides en Macédoine. Leur rivalité incessante facilita l’expansion de Rome. À l’ouest, les Romains font la conquête, au milieu du IIIe s., du sud de l’Italie et de la Sicile. La Grèce continentale devient une province romaine en 146 av. J.-C. et le dernier royaume hellénistique, l’Égypte, est intégré dans l’Empire romain en 31 av. J.-C. (bataille d’Actium). La civilisation grecque se maintient durant encore près d’un millénaire, dans le cadre de l’Empire romain d’Orient.
Grèce : province romaine
Bataille d’Actium
foncière et introduire une action en justice. Il participe aux fêtes religieuses et il peut être prêtre. Le citoyen a aussi des devoirs : proportionnellement à ses ressources, il doit payer un impôt extraordinaire levé en cas de besoin (eisphora) et, s’il en a les moyens, il doit prendre en charge les dépenses d’utilité publique (liturgies) pour financer les fêtes religieuses et les épreuves sportives ou pour payer l’équipement d’un navire de guerre. Avant 20 ans, le jeune citoyen doit faire un service militaire et il peut être appelé à la guerre de 20 à 49 ans. 2.2 Les libres non citoyens
À Athènes, le métèque (celui qui habite avec) est un étranger libre domicilié dans la cité mais il n’est pas citoyen. La loi fait de lui un justiciable à part : il est sous tutelle d’un patron qui agit pour lui en justice. Il doit payer des taxes mais il ne peut posséder un bien-fonds. Dans certaines limites, le métèque participe aux cérémonies religieuses sans pouvoir exercer de sacerdoce. Sur le territoire de Sparte, les libres non citoyens sont appelés périèques (ceux qui habitent autour). Ce sont majoritairement des paysans qui vivent regroupés dans des villages autour de Sparte, dans les régions de Laconie et de Messénie. Ils ne participent pas aux décisions politiques mais font la guerre au profit de Sparte. L’origine de cette catégorie sociale est inconnue.
2. Les strates de la société grecque
2.3 Les esclaves 2.1 Les libres citoyens
Il faut distinguer deux types d’esclaves ou non-libres : les esclaves-marchandises et les dépendants. Les premiers sont des prisonniers, considérés comme des objets de commerce achetés sur des marchés, ou des esclaves pour dettes. Ils sont exclus de la vie politique, de l’armée et de la vie religieuse. Théoriquement, ils sont considérés comme un bien, mais en réalité on leur reconnaît
À Athènes, pour être citoyen, il faut être un homme, avoir 18 ans, être libre et né de parents athéniens (depuis 451 av. J.-C.). Le citoyen possède des droits : siéger à l’assemblée du peuple ou dans les conseils ; exercer des magistratures ou des charges ; rendre la justice dans les tribunaux. Il peut posséder une propriété 25
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> ANTIQUITÉ > Le monde grec
l’infanterie lourde : le bouclier rond, les jambières, la cuirasse et le casque de bronze. Les citoyens moins fortunés servent dans l’infanterie légère ou la marine. La cité fait aussi appel (à partir du IVe s. av. J.-C.) aux mercenaires (grecs ou non) qui louent leurs services.
une certaine personnalité. La cité a conscience de l’utilité de l’esclavage car il s’agit de la principale force de travail, jugée indispensable aux hommes libres pour leur permettre de s’occuper des affaires politiques. Ils sont plus nombreux que les citoyens, mais ils ne forment pas une classe sociale solidaire susceptible de se révolter. L’affranchissement est rare et le plus souvent obtenu en versant une lourde rançon qui le libère mais ne lui confère que le statut d’étranger. Le second type d’esclaves est composé des « dépendants ». On les retrouve entre autres à Sparte sous le nom de Hilotes. Ce sont des esclaves provenant des conquêtes qui appartiennent à l’État. Ils cultivent le kléros des citoyens, c’est-à-dire le lot de terre que chaque citoyen a reçu de l’État, ce qui permet aux citoyens de se consacrer entièrement à leur métier de soldats. Les Spartiates s’en méfient et les méprisent car ce sont des populations qui ont été soumises par la force.
3. La vie économique 3.1 L’agriculture
La ressource principale est l’agriculture. Les outils sont rudimentaires (araire) ainsi que les pratiques culturales (assolement biennal avec jachère). L’agriculture est d’abord de subsistance, nécessaire à l’alimentation de la famille (orge, légumes, vignes, oliviers, élevage de quelques volailles, moutons et chèvres). Dans la plupart des régions, les petites et moyennes propriétés dominent (moins de 10 hectares). À partir du Ve s. av. J.-C., une agriculture nouvelle (huile et vin), tournée vers les marchés extérieurs progresse.
2.4 Les femmes
Le rôle de la femme dans la Grèce ancienne est d’être d’abord la mère qui assure la pérennité de la cité et de la famille. Elle exerce un pouvoir réel au sein de l’oikos (maisonnée) et il n’est pas exact d’imaginer la femme en permanence recluse dans la partie de la maison qui lui est réservée (le gynécée). À Athènes, la femme est toujours sous tutelle (de son père, du mari, du fils aîné ou d’un proche parent). Elle peut posséder des biens mais elle n’en a pas la gestion. Elle est écartée de la politique et n’a aucune part à la défense de la cité. Il y a des femmes prêtresses et leur rôle est essentiel lors des fêtes en l’honneur de Dionysos et de Déméter ainsi que lors des processions des Panathénées. Il semblerait – mais les sources manquent – que les femmes à Sparte aient été plus libres qu’ailleurs. En raison des activités militaires fréquentes de leurs maris, elles devaient prendre en leur absence des décisions notamment en ce qui concerne la surveillance des Hilotes.
3.2 L’artisanat
Le paysan construit sa maison lui-même, file et tisse ses vêtements et utilise le cuir pour ses chaussures. Des artisans sont spécialisés dans le travail du bronze ou du fer (armes, outils agricoles…) et dans les métiers de la céramique (potiers et peintres). Le travail en atelier s’effectue avec 5 à 6 personnes. Par contre, la concentration de travailleurs est beaucoup plus importante dans les mines (jusqu’à 30 000 esclaves dans les mines argentifères du Laurion en Attique). 3.3 Le commerce
Dans beaucoup de cas, le marché local suffit à satisfaire la demande. Mais la pauvreté de l’Attique, par exemple, exige l’importation de produits venant par voies maritimes. Les cités importent du blé ou du bois, des minerais (cuivre, fer) et des esclaves. Les exportations grecques sont essentiellement l’huile d’olive, le vin, la céramique et les armes. Le commerce est une des causes (avec la recherche de terres) de la colonisation. Des comptoirs seront créés ainsi que des colonies de « peuplement ».
2.5 Les soldats
La tâche de défendre la cité incombe en premier lieu aux citoyens capables de se procurer les armes de l’hoplite qui forme, à partir du VIIe s. av. J.-C., 26
ANTIQUITÉ
La métropole n’a pas l’exclusivité du commerce avec sa colonie qui reste indépendante économiquement et politiquement tout en maintenant des liens étroits avec elle (religion, traditions, lois…).
hommes, ils éprouvent des sentiments (crainte, haine, amour, dépit…).
4. La religion
La cité organise les fêtes, les sacrifices et les processions. Les prêtres sont des magistrats et non des personnes consacrées exclusivement à la vie religieuse. Le culte s’exerce dans des sanctuaires, lieux sacrés où les hommes cherchent un contact avec les dieux en accomplissant des sacrifices. Le temple abrite le plus souvent la statue du dieu et son trésor mais les fidèles n’y entrent pas. Les stades et les théâtres sont des édifices religieux et non profanes. Depuis 776 av. J.-C., des jeux sont organisés à Olympie en l’honneur de Zeus. Le culte de Dionysos est célébré dans les théâtres. Alors que la religion est avant tout un acte collectif, la consultation des oracles et les « cultes à mystères » (cultes réservés aux initiés) revêtent plus un caractère personnel. L’oracle de Delphes, par exemple, a pour but de répondre non seulement à des questions posées par des cités mais aussi par des individus soucieux de connaître la volonté des dieux. D’autre part, inquiet de savoir comment être sauvé après la mort, le Grec vénère dans le cadre de « cultes à mystères » le dieu Dionysos ou la déesse Déméter au sanctuaire d’Éleusis. Au Ve s. av. J.-C., de nouveaux dieux seront adoptés tel Asclepios, dieu guérisseur, qui connaît un succès croissant, en raison de la peste à Athènes (429 av. J.-C.).
4.2 Une religion civique
4.1 Une religion polythéiste
Pour parler de religion, les Grecs utilisent le terme eusebia (piété), ce qui prouve l’importance des rites dont le respect scrupuleux permet de maintenir les dieux à « bonne distance » ou d’obtenir leur protection. Ce sont les actes (prières, offrandes, sacrifices) qui importent, et non une croyance quelconque qui aurait été consignée dans un livre comme dans les religions monothéistes. Le Panthéon grec est commun à tous les Grecs mais les particularismes des cités conduisent à une grande diversité de dieux. Le polythéisme ne se résume pas aux douze dieux du mont Olympe : Zeus, Héra, Poséidon, Déméter, Apollon, Artémis, Arès, Aphrodite, Hermès, Athéna, Héphaïstos et Hestia. La personnalité de chaque dieu est multiple et recouvre des compétences variées exprimées par des épiclèses (épithètes divines) différentes. Ainsi Athéna est erganè (déesse des travaux manuels), promachos (déesse au combat), polias (protectrice de la cité). À côté des grands dieux, la religion grecque connaît une multitude de divinités collectives : les neuf Muses, les Néréides, les Nymphes… Les Grecs vénèrent aussi les héros comme Héraclès, Jason, Persée, Thésée… À l’origine, le héros est un homme que ses exploits ont rendu immortel et qui facilite ainsi l’intervention des dieux dans la vie des hommes. L’anthropomorphisme caractérise les dieux grecs : ils sont représentés sous forme humaine et interviennent constamment dans les affaires des hommes. Ils possèdent des pouvoirs extraordinaires (force, invulnérabilité, invisibilité) mais, comme les
Statue en marbre d’Athéna Vers 450 av. J.-C. Ht. 30 cm. Musée national, Athènes. La déesse est représentée en guerrière, portant le casque ; le bras gauche tendu portait le bouclier, la main droite levée tenait la lance. La statue, appelée aussi Athéna Promachos, ce qui signifie « qui combat en 1re ligne », fut trouvée sur l’Acropole.
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> ANTIQUITÉ > Le monde grec
Dans la seconde moitié du IVe s. av. J.-C., des dieux orientaux (par exemple Isis, déesse égyptienne) sont vénérés ainsi que de nombreuses abstractions divinisées comme Eirénè (Paix), Homonia (Concorde), Tychè (Destin), Thémis (Justice)… À partir de la période hellénistique naît le culte des souverains, véritables dieux vivants qui assurent la protection des hommes. Il semble néanmoins que la dévotion à leur égard n’était pas des plus sincères.
5. L’art La vie artistique est fortement liée à la religion et à la politique. Les constructions monumentales sont surtout des temples et les sculptures (frises ou statues) qui y sont attachées, représentent très souvent des scènes mythologiques et des dieux. 5.1 La sculpture
Kouros (statue d’un jeune homme) de Volomandra. Vers 550 av. J.-C., Ht. 179 cm, Musée archéologique, Athènes.
La Korè (statue d’une jeune femme) aux yeux d’amandes. Vers 500 av. J.-C. Ht. 92 cm. Musée de l’Acropole, Athènes. Courbe imperceptible du manteau, chevelure raffinée, lèvres charnues et yeux énigmatiques forment une composition expressive et séduisante.
Les statues de l’époque archaïque (VIIe-VIe s. av. J.-C.) traduisent une idéalisation du corps humain plutôt figé. Elles sont de deux types : le kouros, un jeune homme nu et la korè, une jeune femme debout et vêtue. Cette idéalisation est plus visible encore dans les sculptures de l’époque classique. Les modèles doivent être jeunes, bien proportionnés, musclés et refléter la vitalité et la force. Des canons de la beauté sont définis par Polyclète (ex. Le Doryphore) : la tête doit être comprise sept fois dans la hauteur totale de la statue. Ces statues sont cependant inexpressives et sans émotion (Le Discobole de Myron). Au IVe s. av. J.-C., les sculpteurs veulent rendre l’intériorité des personnages. Praxitèle et Lysippe sont les maîtres de la sensibilité et de la sensualité (Aphrodite de Cnide). Lysippe innove aussi en sculptant des portraits, un genre délaissé jusque-là (Portrait de Socrate). La période hellénistique se caractérise par une imitation des règles classiques. Mais il y a aussi des œuvres qui vont à l’encontre de cet idéal classique, lorsque le sculpteur représente des personnages avec leurs émotions et leurs défauts. L’artiste n’hésite pas à représenter l’effort brutal de l’athlète ou
la souffrance (le Laocoon). L’art se « laïcise » : la sculpture sort des sanctuaires et devient un élément du décor quotidien, de la maison privée aux bâtiments publics (agoras, gymnases) où les portraits se multiplient. 5.2 L’architecture
Le temple est l’édifice par excellence. À la période archaïque, les premiers temples de pierre sont bâtis le plus souvent sur un plan rectangulaire. Les dimensions sont à l’échelle humaine et respectent l’harmonie entre les parties. Les styles se précisent : ordre dorique en Grèce continentale et dans les colonies d’Occident ; ordre ionique en Asie Mineure et dans les îles. L’époque classique conserve les caractères de la période archaïque. En architecture civile, les théâtres sont des créations originales. Ils sont creusés sur le flanc d’une colline et épousent parfaitement le paysage. 28
ANTIQUITÉ
Discobole de Myron en marbre. Cette copie romaine dite « Discobole Lancelotti » remonte environ à 140 ap. J.-C. (l’original date du Ve s. av. J.-C.). Ht. 155 cm. Musée national romain Palazzo Massimo alle Terme. Le moment qui précède l’action est dynamique, mais le visage est inexpressif.
Laocoon, copie romaine en marbre d’après un original en bronze créé vers 150 av. J.-C. à Pergame (Turquie) par Agésandros, Athénodore et Polydore. Ier s. ap. J.-C. Musei Pio Clementino, Vatican. Elle représente le prêtre troyen Laocoon et ses deux fils attaqués par des serpents. C’est l’une des œuvres les plus représentatives de l’art hellénistique : pathos puissant et réalisme.
Parmi les nombreux temples, citons ceux d’Apollon à Delphes et de Zeus à Olympie. À Athènes, l’Acropole comporte de nombreux monuments qui datent de la seconde moitié du Ve s. av. J.-C. : les Propylées, le Parthénon, l’Érechthéion, le temple d’Athéna Nikè. En Italie, on en trouve à Paestum, Agrigente et Syracuse notamment. Lors de la période hellénistique, le monde grec renoue avec l’époque des palais (Pergame, Alexandrie) organisés autour de grandes cours péristyles. Des villas urbaines à étages sont construites sur le même plan à péristyle. Les temples imitent la structure classique avec un choix plus fréquent pour le style corinthien (chapiteau aux feuilles d’acanthe) et ionique temple d’Apollon à Didymes).
Aphrodite de Cnide, par Praxitèle pour la ville de Cnide, copie romaine. Vers 340 av. J.-C. Ht. 205 cm. Musée du Vatican, Rome. Ce premier nu féminin de la sculpture grecque est marqué par une sinuosité languide et un regard rêveur.
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> ANTIQUITÉ > Le monde grec
lors de la colonisation, les peintres représentent désormais des êtres vivants : animaux, hommes et dieux. La céramique orientalisante de Corinthe domine durant le VIIe s. av. J.-C. Puis les potiers athéniens s’imposent et développent une iconographie nouvelle où la mythologie est prépondérante. Vers 530 av. J.-C. se développent les figures rouges sur fond noir ce qui permet plus de finesse pour rendre l’anatomie humaine. Après 480 av. J.-C. se répandent parallèlement les vases funéraires polychromes à fond blanc : les lécythes. ■
5.3 La peinture
Vase grec en céramique à figures rouges. 515-510 av. J.-C. Metropolitan Museum of Art, New York.
Les peintures murales nous sont pratiquement inconnues faute de vestiges archéologiques. C’est pourquoi l’histoire de la peinture grecque se résume à celle des vases peints dont beaucoup sont bien conservés. La poterie vers 800 av. J.-C. est de type géométrique car les motifs étaient des lignes, des triangles, des losanges etc. Le décor est noir sur fond beige. Ensuite, sous l’influence des Orientaux qu’ils côtoient
Ordre dorique (à gauche), ordre ionique (au centre) et ordre corinthien (à droite). Le style dorique est assez lourd et se caractérise par des colonnes trapues et des chapiteaux simples. L’ordre ionique se distingue par des colonnes élancées et des chapiteaux à volutes. Il est moins rigide, plus léger et plus mouluré avec une frise continue. La colonne de style corinthien est cannelée et surmontée d’un chapiteau orné de rangées de feuilles d’acanthe.
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ANTIQUITÉ
Théâtre d’Epidaure. IIIe s. av. J.-C. Alliant une acoustique parfaite et une esthétique remarquable, le théâtre d’Épidaure pouvait compter jusqu’à 12 000 spectateurs.
Plan de l’acropole d’Athènes vue du Nord-Ouest. Musée Royal d’Ontario, Toronto.
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Le monde grec
> FOCUS
L’émergence du citoyen
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> PATRIMOINE
Le Parthénon à Athènes
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> ANTIQUITÉ > Le monde des Celtes
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- 480
- 390
1er âge du fer, Époque de Hallstatt
- 279
2e âge du fer, Époque de La Tène Prise de Rome par les Celtes
Pillage de Delphes
Le monde des Celtes › Atlas d'Histoire pl. 17 › Petit atlas d'Histoire pl. 12
1. Qui sont les Celtes ?
peu à peu qu’émergèrent une culture, une langue et un mode de vie communs.
Lorsque nous abordons la civilisation des Celtes, nous devons d’abord prendre conscience que leur image est troublée par des clichés qui circulent encore (« Nos ancêtres les Gaulois ! »), par la bande dessinée et la filmographie (en particulier la série des Astérix), voire par les traces de la culture celtique dans la musique, le folklore ou l’art. Les Celtes étaient-ils vraiment ces guerriers jouisseurs, bagarreurs et indisciplinés, banquetant dans une débauche de nourriture et de boisson ? Qu’ont-ils à voir avec ces personnages fantasques qu’on peut découvrir sur Internet ou dans les jeux vidéo ? Au
2. Comment
les connaissons-nous ?
Comme les Celtes n’ont pas laissé de tradition écrite de leur propre histoire, nous ne disposons que de vestiges archéologiques, de quelques textes écrits par des auteurs grecs et romains, de quelques inscriptions et de recherches linguistiques. Il faut dès lors confronter tous ces types de sources pour essayer de dégager une image cohérente. Les Celtes n’avaient pas d’écriture ; il leur était interdit d’enregistrer par écrit tout ce qui touchait au domaine du religieux : l’ensemble de leurs connaissances était donc transmis oralement par les druides. Nous devons donc recourir aux témoignages des auteurs grecs et romains : il s’agit de textes rares et peu fiables, véhiculant pas mal de préjugés. Les plus anciens remontent au VIIIe s. av. J.-C. et les plus récents au Ier s. : la plupart des auteurs expriment la peur de « barbares » susceptibles de pénétrer, voire d’agresser leurs cités. Ils connaissaient surtout les mercenaires celtes qui s’étaient mis au service de divers chefs de guerre. Leur opinion est influencée par deux faits rapportés par les historiens anciens et qui ont laissé des traces dans la mémoire collective de leurs peuples respectifs : la prise de Rome en 387 av. J.-C. par des Celtes venus d’Italie du Nord et le pillage en 278 av. J.-C. du sanctuaire de Delphes, un des lieux les plus sacrés du monde grec, par un autre groupe.
Ier millénaire
Celtes ou Gaulois ?
Nous ne savons pas exactement quels noms ils se donnaient, puisqu’ils formaient un ensemble de peuples ; c’est sous le terme de « Celtes » qu’ils se présentaient aux peuples méditerranéens. Mais on trouve aussi, sous la plume des auteurs grecs, le terme « Galates ». C’est de là que provient le nom de la Galatie, dans la Turquie actuelle, de la Galice en Espagne et encore de la Galicie en Pologne. Les Romains, eux, les appelaient « Galli » ou Gaulois, mais l’adjectif gaulois est bien synonyme de celtique.
av. J.-C., alors que les régions du Proche-Orient avaient mis au point plusieurs formes d’écriture et développé une civilisation urbaine, l’Europe vivait toujours à la période du néolithique. Une grande partie était occupée par des populations celtiques, dont l’origine est, aujourd’hui encore, mal connue. Ces peuples ont dû s’installer progressivement, par groupes, à des moments différents selon les régions. De vastes territoires étaient disponibles pour le défrichement et la culture : hier, comme aujourd’hui, les hommes bougeaient et les migrations étaient fréquentes. Ce n’est que 32
ANTIQUITÉ J.-C. - 57
476
Ve
s. ap. J.-C.
Empire romain d’Occident : Période gallo- romaine Fin de l’Empire romain d’Occident
La source documentaire la plus riche est constituée par des vestiges archéologiques : nécropoles ou sépultures isolées, habitats, fortifications, sanctuaires, armes, parures… éléments découverts par des fouilles systématiques ou mis au jour fortuitement lors de travaux de terrassement. En comparant leurs trouvailles, les archéologues ont subdivisé en deux phases l’évolution de cette civilisation.
3. Les jalons de la
civilisation des Celtes
3.1 Premier âge du fer ou époque de Hallstatt (de 800 à 480 av. J.-C.)
C’est à cette époque que la sidérurgie se répandit dans nos contrées. Le fer servait à fabriquer des objets de prestige (armes, harnachement des chevaux, parures) destinés à des privilégiés.
Tombe du « prince » de Hochdorf. VIe s. av. J.-C. Keltenmuseum (musée des Celtes), Hallein (Autriche).
Les différences sociales s’accentuèrent : une élite, que les archéologues appellent les « princes », s’enrichit en faisant du commerce avec les cités méditerranéennes, grecques et étrusques. Ces personnages se faisaient construire des sépultures somptueuses : comme celles du « Prince » de Hochdorf (en Allemagne) ou de la « Princesse » de Vix (en France). Enterrées sous un tumulus, ces tombes contenaient notamment un char d’apparat à quatre roues, des objets et bijoux en or (notamment des torques) et un service à boisson en bronze. Cette aristocratie organisait de grands festins pour assurer la cohésion sociale du groupe. Elle faisait aussi bâtir des résidences fortifiées, établies au sommet de collines ; centres politiques et sans doute aussi religieux, ces citadelles leur permettaient de contrôler les circuits économiques. Ces « princes » dominaient une population rurale, composée d’agriculteurs et d’éleveurs, vivant dans des hameaux ou des fermes dispersées, mais aussi d’artisans spécialisés (potiers, bronziers, tisserands) parmi lesquels les forgerons devaient occuper une place privilégiée.
Planches des premières fouilles du temple de Hallstatt conduites de 1846 à 1863 par Goerg Ramsauer. Dessin de Hengel Isidor. XIXe s. Musée d’archéologie nationale, Saint-Germain-en-Laye.
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GRAND ANGLE
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> ANTIQUITÉ > Le monde des Celtes
Hallstatt est le nom d’une
localité, située en Autriche, où furent découvertes au XIX e s. des mines de sel et une vaste
des territoires nouveaux. C’est durant cette période que leur réputation de bons guerriers les fit engager comme mercenaires dans les armées méditerranéennes. On comprend mieux comment l’ensemble de ces faits a influencé l’image que s’étaient forgée les auteurs grecs et romains. Le IIIe s. est celui de leur plus grande expansion : de la péninsule Ibérique à l’Anatolie, de la plaine du Pô aux îles Britanniques, la culture celte caractérise l’Europe. Bien que composés de groupes indépendants, ces peuples parlaient une langue commune, pratiquaient des techniques, un art, une religion, une économie, bref un mode de vie, similaire. Au cours des IIIe et IIe s. av. J.-C., les Celtes ont construit de véritables « villes », appelées généralement oppida (terme emprunté à Jules César) par les archéologues. Ces agglomérations étaient entourées de remparts monumentaux, percés de portes : les murailles jouaient un rôle à la fois défensif, symbolique et ostentatoire comme à Manching (en Bavière), Bibracte (en France), Titelburg (au Grand-Duché de Luxembourg), Zavist (en Tchéquie)… Ces centres urbains étaient situés dans un réseau de commerce à longue distance ; centres de ralliement de toute une contrée, ils exerçaient des fonctions économiques, religieuses et politiques. Leurs constructions parfois en pierre, mais surtout en bois et en terre, leur donnaient une forme différente des villes antiques du ProcheOrient ou du monde gréco-latin ; néanmoins, c’étaient de véritables villes. Chaque peuple avait son administration propre et sa capitale : ainsi,
3.2 Deuxième âge du fer
ou époque de La Tène (de 480 à J.-C.)
À la fin du VIe s. av. J.-C., des changements importants sont obsernécropole. La Tène est un site archéologique, situé en vés : le commerce avec les cités Suisse, près du lac de Neuchâgrecques est interrompu, les fortel, découvert en 1853 lors d’une teresses et les rites funéraires fasbaisse du niveau du lac. tueux de l’époque hallstattienne sont abandonnés. Que s’est-il passé ? Nous manquons de témoignages écrits et, une fois de plus, ce sont les observations des archéologues qui nous révèlent ces changements. Les « princes » de la période précédente disparaissent ; on trouve désormais la trace de petits « seigneurs » dont l’influence est plus restreinte sur Copie d’un char découvert le plan géographique. Les tombes de ces persondans une tombe nages sont moins riches, mais plus nombreuses. ardennaise. On y retrouve souvent un char de guerre à deux Musée des Celtes, Libramont. roues, des armes très caractéristiques. Les fibules, anneaux de cheville, bracelets sont d’une forme nouvelle et attestent une évolution technologique. Des peuples parfois très mobiles, une civilisation commune Dès le IVe s. av. J.-C., le monde celtique bouge. Nous sommes à l’époque de l’apogée de la civilisation hellénique, du déclin de la royauté étrusque et des débuts de la République romaine. Peut-être sous la pression d’une augmentation démographique, des populations celtiques entreprennent des migrations, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du monde celtique. Certains groupes se dirigèrent vers le nord de l’Italie, d’autres vers les régions danubiennes. C’est alors que se produisirent les événements dont nous avons parlé : prise de Rome en 386 av. J.-C. et pillage du sanctuaire de Delphes en 279 av. J.-C. D’autres groupes encore poussèrent jusqu’en Asie Mineure où ils fondèrent Ankara (ils sont connus sous le nom de Galates) et vers l’ouest dans les îles Britanniques. Les Celtibères, installés dans la péninsule ibérique, colonisèrent
La porte du Rebout à Bibracte. Dessin de Jean-Claude Golvin. L’archéologue Jean-Golvin a réalisé ce dessin sur base des fouilles archéologiques. Bibracte était la capitale celtique des Éduens.
34
ANTIQUITÉ
Reims était la capitale des Rèmes, Lutèce celle des Parisii, ou encore Trèves, celles des Trévires. 3.3 Fin de l’indépendance
Les richesses des Celtes attiraient la convoitise des peuples voisins. En Europe centrale, ils furent envahis par les Daces et les Germains. Mais ce sont surtout les Romains qui s’emparèrent peu à peu de la plus grande partie des territoires celtiques. En Europe, les Celtes ont perdu leur indépendance à la fin du Ier s. av. J.-C., à l’exception de ceux qui vivaient au nord des îles Britanniques. Le seul État celte existant encore aujourd’hui est l’Irlande.
Calendrier celtique en bronze. IIe s. apr. J.-C. Musée de la civilisation gallo-romaine, Lyon. Le calendrier fut découvert dans un champ en 1897 à Coligny (France). Le texte qui y figure est gravé en langue gauloise et écriture latine sur des plaques de bronze.
4. Des sociétés
bardes étaient chargés d’évoquer la mémoire des grands personnages, soit pour les louer soit pour s’en moquer : en fait, ils jugeaient les actions des hommes et leur mérite et les fixaient dans la mémoire collective. Le mot vates, commun au latin et au gaulois, désigne des personnages qui exerçaient les fonctions de sacrificateurs et de devins. Les druides formaient donc l’élite intellectuelle de la société celtique. L’autre classe sociale dominante est constituée par une aristocratie militaire et guerrière. Les sociétés celtiques avaient pour unité de base, la famille. Les familles étaient regroupées en clans et un certain nombre de clans constituaient un « peuple » : par exemple dans nos régions, les Éburons, les Condruses, les Nerviens, les Atrébates… ou encore les Rèmes, les Trévires, les Parisii. Les familles les plus puissantes formaient une aristocratie qui exerçait le pouvoir. À partir du IIIe s. av. J.-C., nous savons qu’il existait des rois, dont les noms sont mentionnés dans des textes et sur certaines monnaies : comme Ambiorix, roi des Éburons. Certains peuples étaient gouvernés par une assemblée représentant les grandes familles aristocratiques et des élections avaient lieu chaque année pour désigner les dirigeants.
hiérarchisées
Chaque peuple celte était autonome. L’organisation de la société et du pouvoir variait donc d’un peuple à l’autre, mais aussi d’une époque à l’autre. On peut cependant dégager de nombreux points communs. Comme celles des autres peuples de l’Antiquité, toutes ces sociétés étaient hiérarchisées et inégalitaires. Elles se composaient d’hommes libres et d’esclaves. Les hommes libres les plus importants étaient les druides et les « nobles ». Les druides exerçaient de multiples fonctions : c’étaient à la fois des prêtres, des juges, des conseillers politiques, des ambassadeurs et des éducateurs. Leur rôle religieux était de présider les cérémonies et de veiller à leur bon déroulement. Ils étaient les seuls à pratiquer l’écriture, ce qui leur permettait d’établir des calendriers et de noter les événements mémorables. Probablement, gardaient-ils trace des accords politiques, des contrats publics et privés. Leur apprentissage durait une vingtaine d’années. Ils jouissaient d’un mode de vie exceptionnel : ils ne payaient pas d’impôts et étaient dispensés de tout devoir militaire. Bien entendu, ils n’exerçaient pas de travail manuel et la communauté veillait à leur bien-être selon des modalités que nous ignorons. Mais, ce n’étaient pas les seuls « prêtres » : les auteurs anciens donnent aussi une place importante aux bardes et aux vates. Poètes lyriques, les
Le banquet jouait un rôle important dans ces sociétés : les sources littéraires et archéologiques confirment l’existence de festins réunissant de nombreux convives. Se déroulant selon un cérémonial codifié, ces banquets accompagnaient tous les moments importants de la vie sociale et marquaient 35
GRAND ANGLE
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> ANTIQUITÉ > Le monde des Celtes
l’appartenance à la communauté. Ils expliquent la présence de services à boire (grands cratères en bronze, cruches, gobelets, cornes à boire…) dans la tombe des personnages importants. Ces aristocrates dominaient une classe de producteurs, composée de paysans, d’artisans et de commerçants. Il semble que les femmes jouissaient de droits comparables à ceux des hommes. Elles pouvaient posséder des biens, exercer une profession, avoir des domestiques. Il arrivait même qu’elles occupent un statut élevé, comme la « Princesse », dont la tombe fut découverte à Vix en Bourgogne. Il y avait en outre un nombre important d’esclaves, dont les Celtes faisaient commerce. Autre caractéristique de la société celtique, en Gaule en tout cas : comme les Romains, les Celtes pratiquaient le système de la clientèle. Des hommes libres s’attachaient à la personne d’un noble et, en échange de sa protection, formaient à sa demande une milice privée, utilisée pour des razzias ou des expéditions punitives. Cela concernait tous les individus libres. Certains nobles pouvaient rassembler un nombre important de clients : par exemple, lorsque Vercingétorix, un chef guerrier des Arvernes, entra en rébellion contre César, il convoqua tous ses clients et les gagna à sa cause ; il put ainsi rassembler une véritable armée. Après sa rébellion contre César, il fut proclamé roi par ses partisans.
Ils croyaient en une vie après la mort – comme l’indiquent les nombreux objets déposés dans les tombes – et, selon les textes, à l’immortalité de l’âme. La tête serait le siège de l’âme et de l’énergie vitale : dans certains sanctuaires, des crânes d’ancêtres ou d’ennemis tués au combat étaient disposés de façon rituelle. De nombreux lieux de culte ont été découverts : soit des sites naturels (sources, rivières, lacs, bosquets ou grottes), mais aussi des espaces aménagés. Il s’agit alors de grands enclos, de forme quadrangulaire, entourés de fossés et de palissades pour séparer le monde sacré du monde profane. Un porche en marquait l’entrée. Ces sites révèlent des pratiques rituelles, mais ne nous apprennent rien sur leur signification ni sur les dieux auxquels elles s’adressaient. Le plus ancien témoignage écrit qui nous soit parvenu sur le panthéon celtique est celui de Jules César qui nous donne une liste de leurs dieux et définit leurs fonctions respectives. Malheureusement, il ne les désigne que par le nom de leurs équivalents romains : Mercure (peut-être Lug, Représentation de Cernunos sur un vase culturel découvert à Gundestrup au Danemark, en 1891. Ier s. av. J.-C. Musée national, Copenhague (Danemark). Le dieu, assis en tailleur, tient dans sa main droite un torque et dans la gauche un serpent à tête de bélier ; il porte sur la tête des bois de cerf. Il s’agit d’un des plus importants dieux celtiques.
5. Une religion
encore mystérieuse
Faute de textes, il est très difficile de comprendre la façon dont les Celtes se représentaient le monde. Les mentions des auteurs grecs et romains sont souvent anecdotiques, voire fantaisistes : aucun d’entre eux n’a jamais pu assister à une cérémonie. Quant à l’archéologie, elle ne peut nous informer que sur des éléments matériels : lieux de culte, objets rituels… L’univers spirituel des Celtes, très complexe, nous échappe en grande partie. En outre, leur religion a évolué au cours du temps. Comme dans tous les milieux ruraux traditionnels, les Celtes vouaient un culte aux forces de la nature et pratiquaient des rites magiques pour s’assurer la fertilité de leurs champs et de leurs troupeaux. 36
ANTIQUITÉ
7. L’art
le dieu multifonctionnel), Apollon « qui chasse les maladies », Minerve qui « transmet les principes des arts et métiers », Jupiter « qui règne sur les cieux », Mars qui « préside aux guerres ». Les spécialistes pensent que Taranis pourrait être celui que César appelle Jupiter, Teutates serait Mars, etc. Mais d’autres comme Cernunos, Esus ou Epona n’ont pas d’équivalent en latin.
Les productions des artisans, qu’il s’agisse d’objets de luxe ou de prestige ou d’objets de la vie courante, révèlent une qualité artistique caractéristique d’un bout à l’autre de l’espace celtique. Profondément original, l’art celte privilégie les formes géométriques, les créatures fantastiques, humaines ou animales, les motifs végétaux et abstraits qui s’enchevêtrent et s’entrecroisent. Il joue avec les formes et les volumes. Il est particulièrement remarquable dans les décors des objets en métal, or, bronze ou fer ou en émaux. De plus, un ornement offre plusieurs facettes : il peut en effet varier selon l’angle sous lequel on le regarde. Les bijoux sont de véritables chefs-d’œuvre d’orfèvrerie ; torques, bracelets, mais aussi casques d’apparat et pièces de monnaie en témoignent. ■
6. Une maîtrise technique Les pièces créées par les artisans révèlent une grande qualité artistique et technique qui rivalisait avec celles du monde grec. Passés maîtres dans le travail du fer, ils fabriquaient aussi des objets en bronze, en or, en argent. Les bijoux (torques, bracelets, fibules…), les statuettes, les pièces de harnachement et les monnaies, les outils et les objets de la vie quotidienne témoignent d’une grande ingéniosité et d’une remarquable créativité. On est frappé par le nombre et la forme de leurs outils qui ont perduré jusqu’à notre époque. Les Celtes excellaient aussi dans le travail du bois, des peaux et des fourrures, de l’os ainsi que dans le tissage, la vannerie, la verrerie... Pour le transport et le commerce existaient toutes sortes de véhicules. Ces véhicules étaient très perfectionnés et en avance sur ceux de leurs voisins, qui les copiaient ou les faisaient fabriquer par les charrons gaulois. Grâce à des techniques d’amélioration des sols, comme la fumure et le marnage, la rotation des cultures et la jachère, ainsi qu’à l’usage d’un outillage fonctionnel, ils pratiquaient une agriculture efficace et variée. La qualité de leurs productions leur permit de participer à un commerce international : ils exportaient des céréales, des salaisons, des étoffes, du cuir, des minerais, du sel… et des esclaves. Ils importaient de la céramique et surtout du vin. C’est pour répondre aux nécessités de ce commerce que, dès le IIIe s. av. J.-C., ils frappaient leur propre monnaie, en or et en argent.
Le bouclier de Battersea. s. British Museum, Londres. Ce bouclier celte, incrusté de pâte de verre et d’émail, fut retrouvé dans la Tamise, à Battersea, en 1857. Ier
> GRAND ANGLE > FOCUS > PATRIMOINE
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Le monde des Celtes La conquête des Gaules
Page 182
La tombe princière de Vix
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GRAND ANGLE
GRAND ANGLE
> ANTIQUITÉ > Le monde romain J.-C.
Phéniciens - 616
- 753
- 509 - 390
- 350
Royauté Domination étrusque Fondation légendaire de Rome
- 272 - 267 - 200 - 146
Conquête de l’Italie
Sac de Rome par les Gaulois
- 100
- 63 - 57 - 44 - 27
43
République Guerres puniques
Prise de Tarente par les armées romaines
Prise de Jérusalem Pompée
Assassinat de César
Début de la conquête de la Gaule par César
Conquête de la GrandeBretagne
Le monde romain › Atlas d’Histoire pl. 26, 31 › Petit atlas d’Histoire pl. 17 à 19
1. Les jalons du monde
imposent leurs rites et leurs croyances, leurs institutions qui sont à la base du système républicain. Grâce à leurs compétences en irrigation, ils dotent la ville d’un centre politique en asséchant le forum qui n’était jusque-là qu’un marais. En 509 av. J.-C., les familles les plus puissantes de Rome réussissent à se débarrasser de la monarchie, symbole pendant toute l’histoire de Rome, du pouvoir arbitraire.
romain
L’histoire du monde romain s’étend sur plus d’un millénaire allant du VIIIe s. av. J.-C. jusqu’au Ve s. après J.-C. Les historiens modernes divisent cette histoire en trois grandes périodes : la Royauté, la République et l’Empire. 1.1 Les origines de Rome : la Royauté (de 753 à 509 av. J.-C.)
1.2 La République (de 509 à 27 av. J.-C.)
Elles sont très mal connues. Au sujet des débuts de leur cité, les Romains devaient se contenter de récits plus ou moins légendaires. Selon la tradition la plus répandue, Rome fut fondée en 753 av. J.-C. par Romulus, fils de Mars, sur la colline du Palatin qui domine le Tibre. L’archéologie n’infirme pas cette version : des fondements de cabanes datant du VIIIe s. avant J.-C. ont bien été retrouvés sur le Palatin où selon la légende Romulus aurait été sacré roi de Rome. Cependant, selon les historiens modernes, de nombreux éléments de cette légende relèveraient plus de la mythologie que de l’histoire.
Autel représentant Romulus et Remus. IIe – Ier s. av. J.-C., env. Musée archéologique, Arezzo (Italie).
Les Romains ont appelé cette période libertas en référence, d’une part, à la libération de la domination étrusque et, d’autre part, à la fin du pouvoir royal. La Res publica désigne « la chose publique », elle marque la suprématie de l’organisation d’une politique commune à tous les citoyens sur la res privata, « la chose privée ».
• Les débuts de la République Les deux premiers siècles de la République (Ve et IVe s.) connurent l’affrontement entre patriciens et plébéiens. Les patriciens, descendants des plus anciennes familles de Rome, les « gentes », grands propriétaires terriens, dominent entièrement l’État depuis la chute de la royauté. Les plébéiens, beaucoup plus nombreux, comprennent surtout des paysans et des ouvriers. Ceux-ci vont, en usant spécialement de la grève, réussir à arracher l’égalité sociale, civile, politique et enfin l’égalité religieuse. Au IIIe s., la distinction entre plébéiens et patriciens n’a plus de sens institutionnel.
À l’origine, la constitution de Rome était monarchique. Une légende forgée sous la République raconte que Rome fut gouvernée par sept rois pendant plus de deux cents ans. Après une alternance de rois latins et sabins, se seraient succédé trois rois étrusques. Derrière ce récit se cache la prise de contrôle de Rome par les Étrusques qui en font une véritable cité. Ils 38
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ANTIQUITÉ
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Division de l’Empire romain en 2 entités
Fin de l’Empire romain d’Occident
Empire
Incendie de Rome
Entrée des Wisigoths dans l’Empire romain
Les institutions se sont formées et établies progressivement. Il n’existe pas de constitution écrite, la société jurisprudentielle s’adapte au cas par cas. Le pouvoir républicain repose sur trois organes complémentaires, censés se contrôler l’un l’autre : les Comices, les magistrats et le Sénat. Le peuple romain (l’ensemble des citoyens) groupé en assemblées ou Comices, vote les lois et nomme des magistrats élus pour un an qui se partagent les hautes fonctions de la République. L’organe permanent de la vie politique est le Sénat, recruté parmi les anciens magistrats ; il est chargé, à l’intérieur, de surveiller le culte et les finances, et, à l’extérieur, de diriger la diplomatie et d’organiser les conquêtes. La politique extérieure de cette période se décompose en deux phases : – la lente et progressive conquête de la péninsule italienne (à l’exclusion de la Gaule cisalpine) qui ne s’achève qu’en 272 av. J.-C. par la prise de la ville de Tarente ; – la conquête du bassin méditerranéen : la Méditerranée occidentale à la suite des Guerres puniques (267 à 146 av. J.-C.) opposant Rome à Carthage, et ensuite l’Orient méditerranéen après les victoires sur la Macédoine et la Syrie. Cette expansion engendre d’importants bouleversements tant politiques qu’économiques, sociaux et religieux.
classes inférieures, appauvries et dépendantes : les paysans, la plèbe urbaine (artisans, manouvriers) et les esclaves de plus en plus nombreux. Les dissensions internes conduisent à la violation des institutions et aux guerres civiles. Des généraux ambitieux, Marius, Sylla, Pompée, César, (100-44 av. J.-C.), Octave, convoitent le pouvoir et mènent la République à sa fin. Le dernier d’entre eux, Octave, assurera le passage de la république à l’Empire. 1.3 L’Empire (de 27 av. J.-C. à 476 ap. J.-C.)
Régime instauré par Auguste (nouveau nom d’Octave) en 27 av. J.-C. qui perdure jusqu’à la fin de l’histoire de Rome en 476 ap. J.-C. (prise de la ville par Odoacre). En apparence, Rome garde les mêmes institutions. Aucune magistrature nouvelle ne fut créée par Auguste, mais le Sénat lui confie, pour toute la durée de sa vie, des pouvoirs qui, légalement, auraient dû être exercés par plusieurs magistrats et pour un an seulement. En réalité Auguste cumule tous les pouvoirs comme le montrent ses titres : militaire (Imperator), politique (Caesar et princeps ou premier citoyen) et religieux (Augustus). Il a réorganisé l’Empire et assuré sa sécurité en lui donnant des frontières naturelles. Les Romains lui seront reconnaissants d’avoir rétabli la paix. Auguste a pour ambition de fonder une véritable dynastie. Cela s’avérera un échec puisque tous ses successeurs
• Le déclin de la République (du IIe s. à 27 av. J.-C.) Les guerres de conquêtes ont transformé la société romaine. Seules les classes dirigeantes en ont tiré profit : les nobles, grands propriétaires fonciers et les chevaliers, citoyens enrichis par le commerce et la banque, dominent l’État. À côté, la masse de la population est constituée des
Statue d’Auguste Prima Porta. 20-17 av. J.-C. Ht. 202 cm. Musée du Vatican, Rome. La statue tire son nom de la ville Prima Porta (Italie) où elle fut trouvée en 1863.
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GRAND ANGLE
Tête de Néron. Fragments d’une statue équestre en bronze. Fin du Ier s. Musée du Louvre, Paris.
> ANTIQUITÉ > Le monde romain
potentiels mourront avant lui. Il sera contraint d’adopter son beau-fils, Tibère, qui fondera la première dynastie, les « Julio-Claudiens » qui se prolongera jusqu’à la mort de Néron (en 68 ap. J.-C.). À partir de ce moment, les empereurs sont désignés par l’armée, véritable siège du pouvoir. Les différentes armées, cantonnées dans les provinces entreront en concurrence pour désigner leur général comme empereur. Le IIe s. est un siècle de prospérité, sous l’autorité des Antonins, empereurs provinciaux, originaires de l’Espagne et de la Gaule. Au IIIe s., une grave crise s’installe. Elle est marquée par une cascade d’empereurs nommés et renversés par l’armée. Les peuples installés aux portes de l’Empire créent une pression croissante et la sécurité des frontières est de plus en plus difficile à assurer. Le pouvoir romain connaît des périodes de troubles. Au IVe s., l’empereur Dioclétien arrive à la conclusion que l’Empire n’est plus gouvernable par un seul homme. Il décide la partition de l’Empire en deux entités. Son système échoua et son successeur, Constantin, réunifia l’Empire. En 330, il fait de Constantinople (anciennement Byzance) la capitale de son Empire. Le partage devient définitif en 395 à la mort de Théodose. On distinguera dès lors : l’Empire romain d’Orient avec Constantinople pour capitale et l’Empire romain d’Occident qui conserve l’antique capitale, Rome. En 476, Odoacre, roi germanique, déposa le dernier empereur. Cet acte marque la fin de l’Empire romain d’Occident.
Relief en marbre représentant des soldats et des officiers romains. 51-52 ap. J.-C. 162 x 128 cm. Musée du Louvre, Paris.
mercenaires reste limitée à l’embauche de « spécialistes », par exemple les archers. Avec les conquêtes, l’armée est ouverte à tous les citoyens, même aux prolétaires attirés par la solde et la promesse de butin. Sous l’Empire, Auguste met en place une armée permanente. C’est une armée de métier, composée d’engagés volontaires. Au IIe s., le recrutement se fait de plus en plus dans les provinces et à partir du IIIe s., les « Barbares », surtout des Germains, sont de plus en plus enrôlés dans l’armée. Malgré sa diversité de recrutement, l’armée trouve un facteur d’unité dans la langue de commandement : le latin. Elle acquiert de nouvelles fonctions : défendre les frontières de l’Empire, mais aussi aider à l’administration des provinces et à développer les infrastructures (ponts, routes, bornes…).
2. Le pouvoir militaire,
élément majeur de la puissance de Rome
2.2 La gestion des territoires conquis
2.1 L’organisation de l’armée
Il existe des inégalités de régime : Rome ne traite pas tous les peuples conquis de la même manière. Tous n’ont pas nécessairement le droit de cité.
Au départ, l’armée de la République se compose de citoyens légionnaires et de pérégrins (étrangers) auxiliaires. Les esclaves et les affranchis sont exclus sauf circonstances exceptionnelles. Tous les citoyens doivent le service militaire entre 17 et 60 ans mais ne sont mobilisables que les citoyens qui peuvent justifier une fortune permettant aux soldats de s’équiper à leurs frais. L’armée n’est pas permanente : la mobilisation ne dure que le temps de la campagne. L’utilisation de
• En Italie À l’égard des cités vaincues, Rome choisit deux régimes différents. Les unes sont annexées et leurs habitants ont les droits des citoyens romains. Les autres sont considérées comme alliées : elles sont gouvernées par leurs propres magistrats mais doivent reconnaître la souveraineté de Rome. 40
ANTIQUITÉ
(droit de vote, d’éligibilité aux magistratures) et des droits privés (droit de propriété, de contracter mariage et surtout de faire valoir ses droits en justice). Les citoyens romains se répartissent en quatre classes : – les patriciens : membres des anciennes familles de Rome, formant l’aristocratie terrienne – les plébéiens : formant la plèbe (foule), le peuple – les nobles : à partir du IIe s. : nouvelle aristocratie formée des propriétaires des grands domaines cultivés par de nombreux esclaves – les chevaliers : les aristocrates d’argent (commerçants, banquiers, hommes d’affaires).
Toutes ces cités doivent l’impôt et le service militaire.
• Les provinces (pays conquis hors de l’Italie) Sous la République, les provinces sont administrées par des magistrats désignés par le Sénat romain, qui commandent les troupes, lèvent les contributions, exercent la justice et se conduisent souvent en despotes. Sous l’Empire, les provinces passent sous l’administration directe de l’empereur et sont moins exploitées et mieux protégées. • La surveillance des conquêtes Elle s’opère au moyen de colonies et des voies romaines. Les colonies sont établies dans les sites importants au point de vue militaire et peuplées d’anciens soldats. Les voies romaines assurent la liaison entre Rome et ses colonies. Les routes partent toutes d’une borne haute de trois mètres : le milliaire d’or, planté sur le Forum, à Rome. L’Empire est une unité politique : les lois, les impôts, l’armée, l’administration couvrent tout le territoire. L’Empire est multiple, c’est une mosaïque de cités, de régions, dans lesquelles la vie économique, culturelle et religieuse garde sa spécificité.
• Les esclaves L’esclave appartient à son maître qui a droit de vie ou de mort sur lui. La condition d’esclave se transmet héréditairement. Un homme libre peut devenir esclave pour dettes ou comme prisonnier de guerre. À l’origine, les esclaves sont peu nombreux, mais, avec les conquêtes, des centaines de milliers d’esclaves sont jetés sur le marché. On distingue les esclaves publics, employés par l’État, et les esclaves privés. Les esclaves des villes sont employés comme domestiques, mais aussi comme secrétaires, précepteurs, médecins… Le plus grand nombre d’entre eux travaillent aux champs, dans les mines ou les carrières, dans des conditions atroces. Ces conditions provoquent plusieurs révoltes et même des guerres civiles (révolte de Spartacus). Leur sort s’est cependant amélioré sous l’Empire.
3. La société romaine Elle est, à chaque période, hiérarchisée. Chacun est considéré selon deux critères essentiels : la naissance et la richesse. Un homme est d’abord défini comme libre ou esclave.
4. Le polythéisme romain La religion romaine n’enseigne pas une doctrine et n’essaye pas de rendre les hommes meilleurs. Elle fait seulement connaître les gestes, les formules et les cérémonies à accomplir pour obtenir la faveur des nombreux dieux (polythéisme). La religion domestique (pratiquée dans la domus ou maison) coexiste avec la religion d’État. La religion conditionne donc chaque instant de l’existence. La religion romaine s’est sans cesse enrichie en adoptant les dieux étrangers, notamment étrusques et grecs (ainsi le Zeus grec devient Jupiter ; Poséidon, Neptune et Artémis, Diane…). Les divinités sont aussi nombreuses que les actes et les besoins humains. Les cultes officiels sont
• Les hommes libres Ils se subdivisent en affranchis, pérégrins (étrangers) et surtout citoyens romains. La citoyenneté romaine ne concerne que les hommes. Elle s’acquiert par naissance, naturalisation ou affranchissement. Peu fréquent au départ, le droit de cité est étendu à toute l’Italie sous Auguste et en 212, l’empereur Caracalla l’accorde à tous les hommes libres. En deux siècles, la citoyenneté romaine est devenue une citoyenneté d’empire. Quelles que soient leurs origines et leur résidence, tous les citoyens ont les mêmes droits et sont soumis aux mêmes obligations. Ils ont des droits publics 41
GRAND ANGLE
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Le Lararium, autel domestique. Fresque dans la maison des Vettii à Pompéi.
> ANTIQUITÉ > Le monde romain
célébrés par des prêtres, mais ils ne forment pas une classe sociale, ils continuent à mener une vie normale de citoyens et peuvent être magistrats. Ce sont plutôt des administrateurs religieux. Parmi eux, on distingue les flamines, les pontifes, les vestales, les augures (ceux-ci sont chargés d’interpréter les présages comme le vol des oiseaux ou l’aspect des entrailles des animaux sacrifiés).
IIIe
Mosaïque représentant Virgile et les muses s. 138 x 140 cm. Centre des Arts et traditions populaires, Tunis. Cette mosaïque romaine représente le poète Virgile tenant l’Énéide. Il est entouré de Clio, la muse de l’Histoire et de Melpomène, la muse de la tragédie.
5. La vie privée et la famille
6.1 La littérature
La famille est la base de la société. À l’origine, les Romains sont un peuple de paysans aux mœurs simples, voire rudes. La plupart sont de petits propriétaires fonciers. À l’époque, la famille était fortement structurée sous l’autorité du pater familias, le père de famille, prêtre de la religion domestique. Il avait le droit de vie et de mort sur ses enfants et disposait à sa guise de la propriété familiale. La femme conservait toute sa vie un statut de mineure, mais elle sortait librement et administrait la maison. Après les conquêtes, elle s’émancipera et deviendra maîtresse de son bien. L’éducation des enfants est confiée à la mère et à un précepteur, souvent un esclave instruit, puis l’usage de les envoyer dans une école s’établit dans les familles aisées.
Les écrivains célèbrent les antiques traditions et les héros de la patrie. Ils s’attachent à la glorification de la grandeur de Rome. L’histoire est illustrée par Tite-Live, Suétone et Tacite. La poésie brille avec Horace, Ovide et surtout Virgile. La philosophie est représentée par Sénèque et l’empereur Marc-Aurèle. 6.2 Le droit romain
Les Romains ont excellé dans le droit, c’est-à-dire dans l’élaboration des règles qui régissent les rapports des individus entre eux et avec l’État. Les empereurs ont fait appel à des jurisconsultes qui ont mis de l’ordre dans les milliers de textes, lois, édits, décrets… des empereurs. Leurs travaux constituèrent ce qu’on appelle le droit romain.
6. Civilisation et culture
6.3 Les arts
• Architecture
À la fin de la République, suite aux conquêtes, l’influence de l’hellénisme se fait fortement sentir. Les idées grecques sont colportées par une foule croissante d’immigrés (professeurs, philosophes, rhéteurs, etc.). Se développe dès lors à Rome une vie littéraire et artistique intense. Elle est surtout brillante sous les empereurs des Ier et IIe s. Les artistes bénéficient alors de la protection des princes, de la paix romaine et des ressources qui affluent dans la capitale.
Art majeur à Rome, l’architecture s’impose par sa grandeur, sa solidité et son caractère civil et utilitaire, mais elle témoigne aussi de la puissance du droit romain, non seulement à Rome mais aussi dans toutes les provinces de l’Empire. Les éléments caractéristiques sont la coupole, l’arc en plein cintre, la voûte et l’excellence des matériaux (pierre, brique et béton). Certains édifices, 42
ANTIQUITÉ
Le Panthéon à Rome. Photographie actuelle. Reconstruit sous le règne de l’empereur Hadrien au IIe s., le Panthéon est un temple dédié à tous les dieux.
• Peinture et sculpture Elles sont imitées de l’art hellénistique. La sculpture romaine se caractérise cependant par une spécialisation dans le portrait réaliste : celui des bustes ou des têtes, ce qui est une évolution de l’ancienne tradition des imagines que les familles nobles faisaient défiler lors des obsèques. • Mosaïque Importée de Grèce, elle est en noir et blanc dans les premiers temps et devient polychrome à partir du Ier s. Elle constitue un élément essentiel de la décoration des bâtiments. Au IVe s., suite à l’affaiblissement de Rome, les différentes formes artistiques s’inspirent de plus en plus des traditions de toutes les régions de l’Empire. ■
comme le Panthéon, sont construits en forme de rotonde. Autour des immenses forums se dressent des édifices très divers, à usage publique (thermes, cirques, amphithéâtres), purement décoratifs (arcs de triomphe, colonnes commémoratives) ou d’utilité publique (routes, chaussées, aqueducs…).
Le Pont du Gard. Photographie actuelle. Ier s. Languedoc-Roussillon. Cet aqueduc romain est composé de 3 rangées d’arches superposées et s’èlève à près de 49 m de hauteur.
> GRAND ANGLE > FOCUS > PATRIMOINE
43
Le monde romain Le début du christianisme
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Le forum romain
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GRAND ANGLE IV e
> MOYEN ÂGE > Les mondes nomades III e
millénaire av. J.-C.
millénaire av. J.-C.
II e
millénaire av. J.-C.
I er
J.-C.
millénaire av. J.-C.
Ier
Premières civilisations nomades en Asie centrale
Aryens, Scythes, Sarmates Début de la Civilisation chinoise
Les Xiongnu menacent la Chine, construction de la grande muraille
Les mondes nomades Certains historiens estiment que les civilisations anciennes sont nées avec la sédentarisation et ont jugé – voire jugent encore – que les peuples qui ont gardé très longtemps un mode de vie nomade sont « barbares ». C’est notamment le cas de peuples issus des steppes qui s’étendaient de la Mandchourie à la Hongrie. C’est l’immensité même de cet espace qui a permis à des populations de se déplacer à cheval dès les IVe et IIIe millénaires av. J.-C. Ces nomades à cheval suivaient le rythme des migrations qui les conduisaient à mener leurs troupeaux d’un pâturage à l’autre selon les saisons. Maîtrisant parfaitement l’art de l’équitation, ces nomades furent les inventeurs des rênes, du mors, de la selle, des étriers… Ils étaient de très bons chasseurs : c’est à cheval qu’ils poursuivaient leur proie et décochaient leurs flèches. Cette maîtrise faisait également d’eux des guerriers redoutables.
Yourtes mongoles. Photographie actuelle.
Ce mode de vie s’étendit vers l’est, au-delà de l’Altaï (un massif montagneux qui se situe au sud de la Sibérie) sur 2 000 km. Il y fut adopté par des populations de langues altaïques, comme les Turcs et les Mongols. Au IIe millénaire av. J.-C., au moment où, au Proche-Orient, des cités puis des royaumes s’étaient organisés (en Mésopotamie, en Égypte…), les populations nomades qui se déplaçaient dans les steppes d’Eurasie parlaient des langues indo-européennes. On y trouvait par exemple des Aryens, qui pénétrèrent dans le nord de l’Inde vers 1500 av. J.-C. et y créèrent la civilisation indienne. D’autres, comme les Sarmates, en Europe ou les Scythes ou les Parthes à l’est de l’Iran actuel, étaient de langue iranienne.
Tous vivaient à cheval : hommes, femmes et enfants. Leur demeure était une yourte, tente de feutre ou de peau facilement démontable et transportable ; c’est encore aujourd’hui l’habitation des noOn parle encore aujourd’hui de mades de Mongolie.
flèche du parthe
, la c’est- à- dire la tactique qui consiste pour un cavalier à fuir afin d’attirer l’ennemi sur ses traces, puis à surprendre ce même ennemi en se retournant brusquement pour le cribler de flèches.
Le groupe familial formait la base de la société. Des familles, selon les cas, se groupaient, se scindaient, se dispersaient… Des tribus entraient en conflit ou au contraire se fédéraient.
Remarquons que la civilisation aryenne était moins avancée que celle de l’Indus : cette dernière connaissait l’écriture et les cités, comme celle de 44
s.
MOYEN ÂGE
IVe IIe
s.
IIIe
s.
s.
Xe
451 Ve
s.
VIe
s.
VIIe
s.
VIIIe
s.
IXe
Les Huns menacent l’Empire romain, premier Empire turc Empire turc en Asie centrale en Asie centrale
XIe
1er Empire mongol en Chine
Défaite d’Attila contre une armée romaine et germanique
Mohenjo-Daro. Au contact de celle-ci, les Aryens abandonnèrent leur activité pastorale et se sédentarisèrent. Ils apportèrent le fer, ce qui améliora les outils de l’agriculture. Ils enrichirent la culture indienne en y introduisant leur religion (basée sur un processus de création se répétant indéfiniment) et leur organisation sociale, à l’origine du système des castes. C’est au IIIe s. av. J.-C. que les peuples nomades altaïques vont entrer dans l’histoire : groupés dans une grande fédération (que les Chinois appellent les « Xiongnu »), ces peuples commencèrent à menacer la Chine et entamèrent avec elle une longue lutte qui durera plus de deux millénaires. La Chine avait mis en place, depuis le IIe millénaire av. J.-C., dans le bassin du fleuve Jaune, vallée fertile grâce aux lœss (ou alluvions), une civilisation caractérisée par le char attelé, le bronze, l’écriture, le culte familial aux ancêtres et une organisation politique structurée centralisée. Au IIIe s. av. J.-C., une dynastie, les Quin, réussit à unifier tout le pays. L’Empereur entreprit une politique de grands travaux : routes, canaux d’irrigation, murailles défensives, mais aussi palais gigantesques et tombeaux. Ses successeurs, les Han, parvinrent à « siniser » toute l’Asie par étapes successives : envoi d’ambassades, établissement de liens commerciaux, organisation de colonies. Mais l’Empire chinois était menacé par les nomades des steppes : c’est pour tenter de les contenir que fut bâtie la Grande Muraille, construite sous le règne de Shi Huangdi (221-206 av. J.-C.).
XIIIe
s.
s.
s.
XIIe
s.
XIVe
XVIe
s. XVe
s.
Empire de Gengis Khan
s’élancèrent sur les provinces danubiennes de l’Empire romain. Au passage, ils terrorisèrent puis chassèrent devant eux divers peuples iraniens comme les Alains, ou germaniques comme les Ostrogoths, les Wisigoths… Au Ve s., un de leurs chefs, Attila, réussit à réunir sous son autorité toutes les tribus hunniques qui vivaient entre le Danube et le Dniepr. Il menaça dangereusement la partie occidentale de l’Empire romain : après avoir pillé la Gaule, il fut vaincu par une armée coalisée formée de Romains et de Germains (bataille des Champs catalauniques en 451), puis se retira en Italie. Après sa mort, ses fils se partagèrent son autorité et différents peuples qu’ils avaient soumis se révoltèrent. Dès la fin du Ve s., les Huns se dispersèrent.
Empire de Tamerlan
s.
s.
Conquête de la Sibérie par les Cosaques
Les linguistes nous ont appris que des langues aussi différentes que le latin, le grec, le celtique, les langues germaniques, slaves, iraniennes, mais aussi le sanscrit parlé en Inde ont une origine commune. Il y aurait eu, à la Préhistoire, un peuple « indoeuropéen » situé en Europe centrale et au sud de la Russie actuelle. Au III e millénaire,
les Indo-Européens
se sont dispersés et, après de grandes migrations, se sont installés en Europe et au Proche-Orient où ils fondèrent des empires. C’est là l’origine par exemple des Hittites (Turquie actuelle), des Perses (Iran actuel), des Hellènes (Grèce), des peuples italiques (Italie), des Celtes en Europe centrale et occidentale… Ces migrations indoeuropéennes se sont poursuivies jusqu’à l’arrivée des Germains en Europe occidentale (IVe s.) et des Slaves dans les Balkans (VIIIe s.).
Ruines de Mohenjo-Daro. Vue actuelle. Mohenjo-Daro, situé dans l’actuel Pakistan, était autrefois la plus grande ville de la civilisation de l’Indus.
› Atlas d'Histoire pl. 40 › Petit atlas d'Histoire pl. 23
1. Les Huns Au IVe s. ap. J.-C., la pression des nomades altaïques s’accentua : une partie d’entre eux déferla sur la Chine, tandis qu’une autre partie, connue sous le nom de Huns, quittait la Mongolie et se dirigeait vers l’ouest. Ils parcoururent le Turkestan, puis 45
GRAND ANGLE
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> MOYEN ÂGE > Les mondes nomades
2. Les Turcs
fondant ainsi le premier empire chinois composé à la fois de nomades (mongols) et de sédentaires (chinois). Quand naquit le mongol Temüdjin (futur Gengis Khan), les steppes de Mongolie étaient partagées entre diverses tribus mongoles et turques souvent en conflit. À la fin du XIIe s., Temüdjin réussit à regrouper plusieurs tribus mongoles, puis à soumettre et incorporer dans son armée des tribus turques. Proclamé Gengis Khan (« empereur universel »), il va se lancer dans une vaste entreprise de conquête. Ses fils et petit-fils continuèrent, s’emparant de la Chine, du Tibet, de l’Iran et du sud de la Russie (où ils créèrent le khanat de la Horde d’or). Mais, dès la mort de Gengis Khan en 1227, l’empire mongol fut divisé en plusieurs khanats. En Chine, son petit-fils, Kubilai se proclama empereur (1279) : c’est lui qui reçut les marchands vénitiens (dont Marco Polo) à sa Cour. Sa dynastie régnera sur la Chine jusqu’au XIVe s. Les Mongols gardèrent leur mode de vie nomade, ce qui n’exclut pas l’existence de certaines villes. Ils adoptèrent la langue turque et se convertirent à l’islam (fin du XIIIe s.). Mais, politiquement, chaque khanat était autonome.
Les peuples altaïques continuèrent à dominer les steppes. Ces nomades, qui se nommaient eux-mêmes les « Türük » (les Forts) fondèrent au VIe s. un empire qui s’étendait de l’actuelle Mongolie à la mer d’Aral. Ils étaient organisés en deux groupes : à l’est, ceux qui régnaient sur la Mongolie actuelle ; à l’ouest, ceux qui, au VIIIe s., entrèrent en contact avec les Arabes, eux aussi en expansion. (Voir dossier « Le monde islamique »). Pot à anse carénée provenant d’Iran. XIe- XIIIe s. Musée du Louvre, Paris. Réalisé pendant le règne de la dynastie Seldjoukide, le motif peint sur le pot représente une rangée de cavaliers.
L’empereur mongol Gengis Khan avec ses fils. Miniature persane. 1430 env. Bibliothèque nationale, Paris.
Certaines populations turques migrèrent encore plus à l’ouest, comme les Bulgares (qui adopteront la langue slave de la population locale) ou les Khazars, qui s’installèrent entre la mer Caspienne et la mer Noire et dont la Cour adoptera le judaïsme. D’autres, comme les Oghouz, qui nomadisaient près de la mer d’Aral, se convertirent à l’Islam et fondèrent au XIe s. le sultanat seldjoukide d’Iran (du nom de Seldjük, fondateur d’une dynastie) et celui de Roum (en Anatolie).
3. Les Mongols
D’autres conquérants vinrent encore : comme Timour-Lang (Tamerlan) au XIVe s., un Turc originaire de Samarkand ; Babur, descendant à la fois de Gengis Khan et de Tamerlan, qui devenu roi de Kaboul, fit la conquête de l’Inde et y fonda la dynastie des Grands Moghols ; ou encore Ismaïl Shah, dont la dynastie régnera sur la Perse.
Vivant à l’est des Turcs, des Mongols conquirent l’extrême nord de la Chine au début du Xe s.,
Au XVIe s., des Slaves adoptèrent la vie nomade à cheval : ce sont les fameux cosaques qui vont conquérir la Sibérie pour le compte des tsars de Russie. De même, les Kazaks et les Ouzbeks seront aussi soumis par les Russes aux XVIIIe et XIXe s. Au XVIIe s., les Mandchous, une ethnie du nord-est de la Chine, s’imposèrent à leur tour en Asie en fondant la dynastie chinoise Qing (1644-1911). Ils rallièrent les Mongols orientaux et soumirent la dynastie Ming. Les tribus mongoles occupant le territoire de l’actuelle Mongolie intérieure passèrent sous la domination de la dynastie Qing qui pratiqua une politique d’assimilation forcée. Le 46
MOYEN ÂGE
règne des Mandchous sur la Chine dura jusque vers 1800. Puis la corruption et le despotisme précipitèrent la chute de l’empire et la dynastie Qing disparut définitivement en 1911, à la suite de la Révolution chinoise. Au même moment, les Russes s’emparaient de la Mongolie extérieure. Le mode de vie nomade à cheval y persiste néanmoins toujours à l’heure actuelle. ■ Kubilai Khan donnant un permis de voyage à Marco Polo. Miniature du Livre des Merveilles 1299. BnF, département des manuscrits, Paris. Le Livre des Merveilles est l’un des plus célèbres récits de voyage du Moyen Âge. Le texte relate les aventures de Marco Polo et fut rédigé par Rustichello de Pise, sous la dictée de l’explorateur.
Mausolée de Tamerlan à Samarkand, Ouzbékistan. Construit au XVIe s. Vue actuelle.
> GRAND ANGLE > FOCUS > PATRIMOINE
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Les mondes nomades La fin de l’Empire romain d’Occident
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Des murailles contre les incursions
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> MOYEN ÂGE > L’Empire romain d’Orient 330 300
476
395 400
Constantinople, capitale de l’Empire romain
711 500
Règne de Justinien (527-565)
600
Disparition de l’Empire romain d’Occident
700
800
Armées arabes arrêtées devant Constantinople
Division de l’Empire romain en 2 parties
L’Empire romain d’Orient › Atlas d’Histoire pl. 41 › Petit atlas d’Histoire pl. 24
1. Mille ans d’empire
2. Un empire convoité
À la fin du IVe s., en 395, l’Empire romain fut divisé en deux parties : l’Empire romain d’Occident, qui sera remplacé par de nouveaux royaumes germaniques, et l’EmEmpire byzantin ? pire romain d’Orient. De langue et Pour ses habitants, l’Empire de culture grecques, ce dernier romain d’Orient était le seul et avait, depuis 324, une capitale : unique successeur de l’Empire Constantinople, fondée par l’emromain antique. Ce n’est qu’à pereur Constantin sur le site d’une partir de la Renaissance que les humanistes commencèrent ancienne colonie grecque, Byà parler de Byzance pour nomzance. Cette « nouvelle Rome » mer la ville, puis de la civilisaavait été créée pour mieux détion et de l’Empire byzantins. fendre les provinces prospères de Syrie, de Palestine et d’Égypte. Après l’effondrement de l’Empire La ville aux trois romain d’Occident, l’Empire noms . Située sur la rive d’Orient subsista seul, caractéeuropéenne du Bosphore, risé par une structure de gouByzance était une colovernement romaine, la langue nie grecque depuis le VII e s. grecque et la religion chrétienne. av. J.-C. L’empereur ConstanIl fut essentiellement la continuatin voulut en faire « une noution de l’Empire romain antique. velle Rome » parce qu’elle était L’idée d’un empire uni et universel un carrefour important entre subsistait dans la conscience des l’Europe et l’Asie. Inaugurée en 330, elle porta le nom de gouvernants et des peuples. Trait Constantinople d’union entre l’Orient et l’Occijusqu’à ce qu’elle tombe aux dent, il perdura jusqu’en 1453, mains des Turcs en 1453. Les lorsque les Turcs s’emparèrent sultans ottomans l’appelèrent de Constantinople. Il a laissé son Istanbul, d’après l’origine empreinte sur toute l’Europe. grecque de la ville, soit is ten
Alors que la partie occidentale s’effondrait, l’Empire d’Orient prospérait, grâce à une population nombreuse et une économie dynamique. Les routes commerciales vers la partie occidentale de la Méditerranée restèrent ouvertes grâce à la flotte de guerre. La ville de Constantinople était protégée par des remparts massifs, longs de 6,5 kilomètres et avec 192 tours. Cela lui permit de résister aux assauts de peuples germaniques, aux nomades des steppes et aux armées arabes. C’est au VIe s., sous le règne de l’empereur Justinien (527-565) que l’Empire romain d’Orient connaît son âge d’or. Justinien tenta de reconstituer l’ancien Empire romain. Il réussit à reconquérir l’Afrique du Nord, l’Italie et le sud de l’Espagne. Mais ce succès n’eut pas de lendemain. Après sa mort, les Lombards s’emparèrent de l’Italie, les Slaves et les Avars (peuple mongol de cavaliers nomades) s’installèrent dans les Balkans et les Perses mirent la main sur la Syrie, la Palestine et l’Égypte. La mort de Mahomet en 632 marqua le début de l’expansion musulmane : les armées arabes conquirent le Moyen-Orient, puis se lancèrent à l’assaut de Constantinople, mais elles échouèrent contre ses murailles. En même temps, les Byzantins durent faire face aux Bulgares, installés au sud du Danube. Ce n’est qu’au début du XIe s. que l’Empire d’Orient réussit à les repousser au-delà du Danube. Simultanément, il regagna des territoires en Italie du Sud et en Arménie.
polin en grec.
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MOYEN ÂGE 1204 900
1000
1100
1453 1300
Sac de Constantinople par les Croisés
1400
1500
Constantinople aux mains des Turcs ottomans
Croisés constituèrent une menace, et même, en 1204, ils mirent Constantinople à sac ; le pillage de ses trésors et de ses églises vint enrichir les églises et les villes d’Occident. Cet événement consacra la rupture entre les chrétiens d’Orient (les « orthodoxes ») et d’Occident. Le danger le plus grand vint des Turcs ottomans, établis au nord-ouest de l’Asie Mineure. Alors que, au cours du XIVe s., Constantinople connaissait des guerres civiles à répétition et souffrait de la peste noire (1347), les sultans ottomans conquirent l’Anatolie, puis les Balkans. L’Empire d’Orient était dès lors réduit à une ville : Constantinople, qui fut prise en 1453 et qui devint la capitale de l’Empire ottoman. Elle le restera, sous le nom d’Istanbul, jusqu’en 1918.
3. La fonction impériale Pendant un millénaire, les empereurs se considérèrent comme les héritiers d’Auguste et régnèrent sur des sujets se proclamant « romains ». Pendant des siècles, Sainte-Sophie, construite sous le règne de Justinien, fut la plus grande église chrétienne. Le pouvoir de l’empereur était absolu : celui-ci était un autocrate et tous les responsables
L’empereur Justinien. Détail de la mosaïque byzantine de l’Église San Vitale, Ravenne (Italie). VIe s.
Le mur de Théodose II constituait l’un des remparts défensifs des Murailles de Constantinople (Istanbul actuel), qui visaient à protéger la ville, capitale de l’empire d’Orient. Dès le XIe s. cependant, l’Empire s’effrita à nouveau. À l’ouest, les Normands (ou Vikings) s’emparèrent de la Sicile et de l’Italie du sud ; à l’est, les Turcs seldjoukides lui enlevèrent l’Anatolie. Le pire survint avec les Croisés, chrétiens d’Occident, envoyés par le pape pour reconquérir la Terre Sainte tombée aux mains des Turcs. Plutôt que de soutenir les chrétiens d’Orient, ces Vestiges du mur de Théodose II. Vue actuelle. La muraille fut construite par l’empereur Théodose II au début du V e s. pour défendre Constantinople (aujourd’hui Istanbul, en Turquie).
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> MOYEN ÂGE > L’Empire romain d’Orient
administratifs devaient lui rendre des comptes. Couronné par le patriarche de Constantinople (chef de l’Église), il était aussi le représentant de Dieu sur terre. Il était l’objet d’un culte quasi religieux, où se mêlaient des éléments romains traditionnels et des rites princiers orientaux : on se prosternait devant l’empereur, et on reconnaissait en lui le chef de l’Église ; de plus, les moAlphabet cyrillique ; saïques le représentaient avec Les deux frères Cyrille et Méune auréole. thode, pour traduire les Écritures et les livres liturgiques dans les langues slaves, mirent au point un alphabet, d’où est dérivé l’alphabet cyrillique toujours en usage. De nos jours, il est employé non seulement par les Russes, mais également par les Serbes, les Monténégrins, les Macédoniens, les Bulgares, les Biélorusses ainsi que par beaucoup d’autres peuples non slaves de l’ex-URSS, et par les Mongols : environ deux cents millions de personnes en tout. Depuis l’entrée de la Bulgarie dans l’Union Européenne en 2007, le cyrillique est devenu le 3e alphabet officiel de l’Union, avec l’alphabet latin et l’alphabet grec.
Vierge Hodigitria (« qui montre le chemin »). Icône byzantine orthodoxe. Fin du XIIe s. Galerie des icônes, Ohrid (République de Macédoine).
le culte de Dieu. Néanmoins, elles ont continué à faire l’objet d’une dévotion populaire et en 843, les icônes furent officiellement rétablies. L’Église orthodoxe commença à manifester ses traits distinctifs : culte de l’icône, dominance du monachisme, permanence de la liturgie. À partir du Xe s., des ermitages et des monastères vivant en autarcie s’établirent un peu partout et particulièrement dans les montagnes, dans des endroits particulièrement difficiles d’accès ; on peut encore en voir aujourd’hui au mont Athos, en Grèce, où résident des moines venus de tout le monde chrétien orthodoxe. Cette Église se révéla aussi missionnaire : dès le IXe s., le patriarche de Constantinople envoya deux moines grecs, Cyrille et Méthode, évangéliser les peuples slaves et étendre sa sphère d’influence en Europe orientale. À la même époque, d’autres évangélisateurs allèrent convertir les Russes.
4. Le
christianisme orthodoxe
Si l’Empire romain d’Orient était l’héritier en ligne directe de l’Empire romain, il était aussi le premier empire chrétien. Cependant, dès le IVe s., les traditions orthodoxe et catholique se sont éloignées l’une de l’autre. En Occident, le pape est à la tête de l’Église et les souverains exercent le pouvoir politique (même si des querelles ont surgi pour savoir qui des deux avait la primauté sur l’autre). Progressivement, l’Église d’Orient (dite orthodoxe) s’est éloignée : elle ne dépendait plus que de l’empereur et du patriarche, avait introduit le grec dans les cérémonies et adopté une liturgie propre. Au début, il y avait quatre patriarcats : Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem. Les trois derniers, se trouvant à partir du VIIe s. en terre d’Islam, perdirent le contact avec Constantinople et évoluèrent selon leur propre histoire. Au VIIIe s., une crise « iconoclaste » éclata. Les images codifiées du Christ, de la Vierge ou d’un saint (icônes) s’étaient multipliées et faisaient l’objet d’un culte fervent. Influencés par le judaïsme et l’islam, les empereurs du VIIIe s. ont voulu les interdire et même les détruire ; ils les assimilaient à des idoles qui pervertissaient
5. La splendeur
de Constantinople
Les émigrants grecs qui, au IIe millénaire av. J.-C., avaient créé une colonie à l’entrée du Bosphore avaient été séduits par ce site magnifique : ce chenal qui pendant 27 kilomètres serpente entre des collines avant de déboucher sur la mer Noire. Ils avaient vu les avantages commerciaux de ces défenses naturelles et de ce passage d’une mer à l’autre. L’empereur Constantin agrandit et embellit la cité, dont il voulait faire une nouvelle Rome : il la couvrit de monuments, de statues et d’œuvres d’art. Comme signes de la présence chrétienne, il fit bâtir des églises et placer de nombreuses croix et reliques de saints. La vie profane quotidienne était partout en contact avec le sacré. Il fit venir des membres de familles nobles, qu’il installa dans de somptueuses demeures. Une liste qui nous est parvenue, établit que, au Ve s., la ville comprenait deux théâtres, huit bains publics, cinquante-deux portiques, cinq entrepôts à blé, 16 palais et 4.388 demeures (suffisamment vastes pour être mentionnées). Pour la défendre, une triple ligne de remparts fut construite sur près de cinq kilomètres. Leurs restes sont toujours visibles. 50
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Au VIe s., l’empereur Justinien la fit reconstruire : sa magnificence était encore visible à l’arrivée des Turcs au XVe s. Au Moyen Âge, la cité attirait toujours marchands, pèlerins et voyageurs qui nous ont laissé des écrits vantant ses trésors. Carrefour entre l’Orient et l’Occident, elle importait des soieries et des épices de Chine, de l’or et des esclaves d’Afrique, du bois et des fourrures d’Europe du Nord. Ses réserves en métaux précieux lui permettaient d’acheter massivement des produits de luxe et d’en faire le commerce. Au VIe s., alors que les manufactures de tissus prospéraient, des espions de l’empereur Justinien réussirent à s’emparer de vers à soie et à percer le secret de la sériciculture. Les textiles de luxe étaient ensuite exportés en Occident avec les ivoires, les émaux et les verreries. Le port, abrité de tous côtés par la terre, fut appelé la Corne d’Or, non seulement pour sa forme, mais aussi en raison des richesses que le commerce international y accumulait dans ses entrepôts. La splendeur de la ville stupéfia les chevaliers chrétiens de la 4e Croisade, qui, en 1204, la pillèrent et emportèrent ses trésors : c’est ainsi, par exemple, que les Vénitiens s’emparèrent des quatre chevaux de bronze de l’Hippodrome, qui ornent aujourd’hui encore la basilique Saint-Marc.
Chevaux en cuivre. IVe- Ve s. av. J.-C. Basilique Saint-Marc, Venise. Ces chevaux ornaient l’hippodrome antique de Constantinople, jusqu’à leur enlèvement par les Vénitiens en 1204, pendant le sac de Constantinople.
5.2 La vie de la cité avait pour centre trois édifices ou ensembles de bâtiments
Le palais impérial, l’église Sainte-Sophie et l’Hippodrome. Ces trois pôles représentaient les trois forces principales : l’autorité impériale, l’Église et le peuple. Le palais impérial était constitué d’un ensemble d’édifices, somptueusement décorés et regorgeant de trésors, ainsi que de magnifiques jardins. Remontant à l’époque de Justinien, ils furent sans cesse agrandis et embellis. L’Empereur avait voulu aussi faire de l’église Sainte-Sophie, éblouissante de pierre, de marbres, de lumière, de couleurs et de volumes, un des sommets de l’art chrétien byzantin. Transformée en mosquée par les Turcs, comme en témoignent les minarets, elle sert aujourd’hui
5.1 Le caractère dominant de Constantinople était son cosmopolitisme
Église Sainte-Sophie, Istanbul. Vue actuelle. Construite en tant qu’église chrétienne au VI e s., Sainte-Sophie est reconvertie en mosquée en 1453, suite à la prise de Constantinople. En 1934, elle perd sa vocation religieuse et devient un musée.
La population était composée de personnes originaires de toutes les parties de l’Empire ; on y croisait des Bulgares, des Perses, des Juifs de Palestine, des Syriens, des Arméniens, des Phrygiens, des Goths… Pour être citoyen, il suffisait d’utiliser le grec comme langue courante et de faire partie de l’Église orthodoxe. La cité grouillait d’une foule pittoresque, bigarrée, vêtue de toutes les façons imaginables. Des nuées de commerçants, diplomates, marins et voyageurs, venus de Gaule, d’Espagne, de Grande-Bretagne, de Scandinavie, de Russie, de Perse, d’Arabie ou d’Afrique se mêlaient aux habitants.
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l’argent et de louer des bateaux aux marchands italiens établis dans la ville. Les guerres et la peste de 1347 avaient diminué la population comme dans le reste de l’Europe. La supériorité navale des cités italiennes leur avait permis de conquérir de nouveaux marchés non seulement dans l’est de la Méditerranée, mais aussi en mer Noire. Néanmoins, la position géographique de Constantinople attirait encore nombre de marchands génois et vénitiens. C’est pour ces raisons, ainsi que pour sauver leurs biens et défendre des chrétiens, qu’ils tentèrent de sauver la ville de l’attaque des Turcs au XVe s., en vain…
de musée. Quant à l’Hippodrome, il fut une première fois transformé par l’empereur romain Septime Sévère au début du IIIe s. Agrandi par Constantin, il pouvait accueillir 100 000 spectateurs. Les courses de char étaient la passion des habitants de Constantinople : les noms des conducteurs et de leurs équipes, ainsi que des chevaux, étaient connus de tous et des paris étaient organisés. Les spectateurs prenaient parti pour leur équipe et cela pouvait aller jusqu’à l’émeute.
6. Le déclin économique Après le sac de Constantinople en 1204, l’Empire se trouva éclaté en plusieurs entités ; même s’il réussit à certaines époques à refaire son unité, il ne retrouva jamais ni l’entièreté de son territoire, ni ses richesses, ni son pouvoir. Palais et églises étaient restés dans un état déplorable. Les habitants de Constantinople vivaient dans une cité partiellement en ruine. Lorsqu’ils voulaient se déplacer, les souverains étaient obligés d’emprunter de
7. L’héritage législatif : le droit romain
L’œuvre la plus importante et la plus durable entreprise par l’empereur Justinien est certainement la codification du droit romain. Il fit compiler toutes les ordonnances impériales depuis Hadrien, des extraits d’ouvrages et des consultations de
Hippodrome de Constantinople, photographie de 1956. Créé en 203 ap. J.-C. par l’empereur Septime Sévère et agrandi au siècle suivant par Constantin, il n’en reste aujourd’hui qu’une vaste esplanade, un obélisque et deux colonnes romaines.
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juristes romains et en fit faire un ensemble cohérent. Rédigé en latin, le corpus iuris civilis (Code de Droit civil) fut modifié et adapté à une société nouvelle, façonnée par le christianisme et le droit coutumier. En matière de droit civil, il marquait un progrès par rapport aux anciennes prescriptions romaines : par exemple, il facilitait l’affranchissement des esclaves, garantissait le droit à l’héritage des veuves et réduisait le pouvoir absolu du père de famille sur la vie de ses enfants. Par contre, en matière de droit pénal, il était beaucoup plus rigoureux : par exemple, l’hérésie et l’adultère étaient considérés comme des crimes et punis comme tels. Un hérétique était écarté des charges administratives et n’avait plus droit à l’héritage. Un séducteur était exécuté, de même que sa partenaire si elle avait été consentante. Cette œuvre juridique constitua la base des législations occidentales futures ; elle a inspiré le Code civil de Napoléon et servi de modèle à la plupart des nations européennes...
Dans ces domaines, l’Empire romain d’Orient se montra à la fois conservateur et innovateur. Les Byzantins préservèrent de nombreux chefsd’œuvre de la sculpture grecque ou romaine. Mais ils créèrent un style artistique propre qui influença tous les peuples avec lesquels ils furent en contact. Des villes, des églises et des palais furent édifiés sur ce modèle en Italie, en Bulgarie, en Serbie et en Russie... et jusqu’en Nubie, au sud de l’Égypte. Cette influence est particulièrement marquée dans les pays slaves de l’Europe orientale.
9. Constantinople,
limites de l’Europe ?
On se pose souvent la question aujourd’hui. Fautil rappeler que la ville fut fondée pour conjurer la fracture entre l’Europe et l’Asie ? L’Empire romain d’Orient, pendant toute son histoire, a été un assemblage entre sa partie occidentale et sa partie orientale. Pendant mille ans, l’Empire romain d’Orient a été le gardien de l’héritage antique et chrétien. Mais il a aussi innové : sur un fond gréco-romain, sa civilisation chrétienne s’est enrichie d’apports de l’Orient. Elle rayonna sur les peuples slaves, mais aussi sur le monde islamique. L’Occident a eu une grande part dans la disparition de cet empire : la 4e Croisade lui porta des coups dont il ne se remit jamais. Mais l’héritage byzantin ne fut pas perdu pour l’Occident : après la prise de Constantinople par les Turcs, des érudits se réfugièrent en Italie en y apportant leurs manuscrits, leur langue et leurs commentaires. Le mouvement de la Renaissance en bénéficia largement. ■
8. Art et architecture Dès le VIe s., des constructions grandioses, civiles et religieuses, ont été entreprises. Le christianisme s’imposa dans toutes les formes d’art. L’église de Sainte-Sophie devint le modèle des églises à coupole ; les manuscrits enluminés, les superbes mosaïques multicolores, les icônes, les œuvres d’orfèvrerie témoignèrent de la créativité des artistes et suscitèrent l’admiration. Ce rayonnement artistique s’étendit au-delà des frontières de l’Empire, jusqu’en Russie, Serbie, Arménie et Géorgie.
> GRAND ANGLE > FOCUS > PATRIMOINE
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L’Empire romain d’Orient La Route de la soie, échanges entre Orient et Occident
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L’église San Vitale à Ravenne
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> MOYEN ÂGE > Le monde islamique
570 500
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661
600
732
750 756
700
Mahomet
Conquêtes arabes entre 632 et 732
Hégire
Fondation du califat des Omeyyades (Damas)
Dynastie des Abbassides (Bagdad) Fondation du califat de Cordoue (Espagne)
Le monde islamique tribus nomades avaient commencé à perturber l’équilibre démographique de cette région en s’y installant. Ajoutons encore que les peuples qui occupaient cette région ne parlaient pas l’arabe, mais d’autres langues comme le sabéen et possédaient déjà un alphabet propre. Le reste de l’Arabie, qui correspond plus ou moins à l’Arabie saoudite contemporaine et aux États actuels du golfe Arabo-persique, se présentait comme une contrée désertique, habitée à la fois par des tribus sédentaires vivant dans les oasis et par des éleveurs nomades. Le passage d’un mode de vie à l’autre était fréquent. Ces tribus avaient chacune leur propre nom, leur langue, leur écriture, leurs dieux. Il faudra du temps pour que se forme progressivement une langue commune – l’arabe – dont l’élaboration fut sans doute la conséquence d’échanges intensifs. Ce n’est qu’au VIe s. qu’apparaîtra une écriture propre qui donna naissance à l’alphabet arabe encore usité aujourd’hui. À cette époque, La Mecque était devenue un centre caravanier important. De toute l’Arabie, des pèlerins s’y acheminaient pour rendre un culte aux multiples divinités abritées dans un temple unique. C’est là aussi que se situait la Kaaba, un édifice cubique au sein duquel était enchâssée une pierre noire sacrée, autour de laquelle se déroulaient les processions des pèlerins.
Aujourd’hui comme hier, l’islam est une réalité extraordinairement multiple qui a rayonné dans tous les continents, s’est greffée sur des cultures, des langues et des traditions variées. En tant que religion, l’islam est né en Arabie occidentale, au début du VIIe s. ap. J.-C. Comme tout autre fait humain, entre cette date et aujourd’hui, l’islam a évolué dans le temps et l’espace.
1. L’Arabie avant l’islam Depuis l’Antiquité, des royaumes comme ceux de Saba, Quataban, Hadramaout, Maïn, qui avaient construit des temples, des palais, des fortifications, prospéraient en Arabie du Sud. C’est le commerce des aromates qui a fait leur prospérité au Ier millénaire av. J.-C. Appréciés pour leurs usages aromatiques mais aussi médicinaux, l’aloès, la cinnamome, la cannelle… étaient importés en masse au Moyen-Orient, mais aussi par les Grecs et les Romains ; ces derniers appréciaient particulièrement la myrrhe et l’encens, ils s’en servaient pour embaumer et pour parfumer les temples. En outre, ces royaumes La Bible nous a laissé le souveavaient mis en place une agrinir de la visite de la culture irriguée reposant sur la reine de Saba au maîtrise des crues des torrents et roi Salomon : « elle sur la création d’ouvrages hydrauarriva à Jérusalem avec une liques. Cependant, cette prospégrande suite, des chameaux rité déclina peu à peu en raison de chargés d’aromates, d’or en la salinisation de certains sols, de énorme quantité et de pierres leur érosion et de la déforestation. précieuses » (Livre des Rois). D’autre part, au IIe s. av. J.-C., des
Cependant, certains Arabes avaient déjà adopté le monothéisme. Le judaïsme était implanté dans les grandes oasis, comme à Médine (actuellement Yatrib) depuis le IVe s., et le christianisme 54
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Dynastie des Fatimides (Le Caire)
Prise de Bagdad par les Turcs seldjoukides
Prise de Jérusalem par les Croisés
Prière collective devant la Kaaba à La Mecque (Arabie saoudite). Photographie actuelle.
À partir de 610, selon la tradition musulmane, il aurait reçu de Dieu la mission de transmettre la parole divine à sa tribu. Les membres de cette tribu étaient accusés par le Coran (nom du livre sacré inspiré à Mahomet par Allah) de manquer à leur devoir de solidarité et de ne pas rendre un culte au Dieu créateur. Mahomet finit par être banni Ibn Khaldoun est de son propre clan, il dut quitter l’un des plus grands historiens La Mecque et se réfugier à Médine : arabes et berbères. Né à Tunis cette date, 622, « l’Hégire », en 1332, il mourut au Caire en 1406. Sa famille, originaire de marque les débuts du calendrier l’Hadramaout (Yémen) était musulman. Là, il réussit à répandre d’abord venue s’installer en la nouvelle religion et à se faire Andalousie (à Séville), puis à reconnaître comme le chef de la Tunis. Ayant reçu une excellente communauté des croyants. Il devint éducation, il se mit au service des princes, passant de l’un aussi chef de guerre et organisa des à l’autre. On le retrouve ainsi razzias contre ses voisins. En 630, à Fès, à Grenade, au Caire, à il s’empara de La Mecque avec les Damas… comme ambassadeur tribus ralliées. Il y détruisit les idoles ou même Premier ministre. païennes et fit de La Mecque un
sur les côtes du golfe Arabo-persique depuis le Ve s. Quant à La Mecque, même si le polythéisme y était toujours pratiqué, une divinité, appelée simplement « le dieu » (Al lah en arabe) y avait pris une place prépondérante. C’est dans ce contexte que Mahomet va prêcher une nouvelle religion.
2. De la tribu à l’Empire Comme l’explique le grand historien arabe Ibn Khaldoun, un peuple constitué de multiples tribus bédouines fut unifié par sa conversion à l’islam sous l’égide de Mahomet ; il reçut la mission de propager la nouvelle religion jusqu’aux confins du monde. La vie de Mahomet est difficile à appréhender sur le plan historique ; les biographies qui lui sont consacrées sont toutes ultérieures. Il serait né à La Mecque, vers 570, dans une tribu puissante. 55
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L’archange Gabriel révèle la huitième Sourate à Mahomet. Miniature du Siyar-i Nabi (« vie du prophète »). XVIe s. Musée du Louvre, Paris. Le Siyar-i Nabi retrace la vie de Mahomet. Cependant, l’islam interdit de représenter le visage du prophète.
> MOYEN ÂGE > Le monde islamique
rayonner sous le nom de Al Andalus jusqu’au XVe s. Ce n’est qu’en 1492 que l’émirat de Cordoue, le dernier territoire musulman de la péninsule fut repris par les rois chrétiens d’Espagne. Un troisième califat avait été créé en Égypte au Xe s., par une dynastie chiite, les Fatimides. C’en était fini de l’unité politique et religieuse et de l’hégémonie arabe dans l’islam. La langue arabe resta – et reste encore – celle de la religion, mais dorénavant, ce furent des étrangers (Turcs, Mongols, Berbères) qui prirent la tête des forces musulmanes. Dès le XIe s., les Turcs seldjoukides venus d’Asie centrale conquirent l’Iran, l’Iraq, la Syrie et l’Asie Mineure ; puis au XVe s., les Ottomans s’emparèrent de l’ancien Empire romain d’Orient (ou Empire byzantin). À la fin du XVe s., le lien entre un peuple, une langue, une religion et un empire était définitivement rompu. Mais, si l’unité politique avait définitivement disparu, l’influence de l’islam ne cessa pas de se répandre : au IXe s., la présence de marchands musulmans est attestée à Canton (en Chine), puis à Java (Indonésie) et en Inde. La conversion des Mongols contribua à répandre l’islam en Asie. En Afrique, la pénétration opérée du Soudan au Niger au XIe s. se poursuivra encore du XIIe au XVIe s. Remarquons enfin que, aujourd’hui comme hier, tous les Arabes ne sont pas devenus musulmans. Dans les contrées du Proche-Orient conquises par les califes, notamment dans les pays appelés actuellement Syrie, Iraq, Égypte, Liban et Palestine, vivaient des populations de langue sémitique et de religion chrétienne. Ces populations ont été progressivement arabisées à partir du IXe s. Soumises à la dhimma (impôt payé par les juifs et les chrétiens), elles se sont mises au service du calife. Ces Arabes chrétiens représentent encore 40 % des Libanais, 12 % des Syriens, 10 % des Égyptiens et ils sont encore très nombreux en Iraq, en Jordanie, en Palestine.
sanctuaire musulman. La modération avec laquelle il traita ses anciens ennemis rallia rapidement la population à l’islam. À la mort du prophète, en 632, toute l’Arabie était devenue islamique. Ses successeurs, les califes, entreprirent la conquête des régions voisines. En un siècle, ils étendirent leur pouvoir sur la Palestine, la Syrie, l’Égypte (le Machrek), puis sur l’Afrique du Nord (le Maghreb) et l’Espagne. Ensuite, ils se tournèrent vers l’Empire perse (Iraq, Iran) jusqu’à l’Inde. Ces conquêtes, remarquables par leur rapidité et l’absence de massacres et de destructions urbaines, ont « arabisé » et « islamisé » de nombreuses populations. Ce fut une réussite au Proche-Orient, en Afrique du Nord et même en Espagne. Par contre, certains pays comme la Perse (Iran) adoptèrent l’islam mais gardèrent leur propre langue. En 732, une troupe musulmane, très éloignée de ses bases, fit retraite devant Poitiers, en France. D’autres armées arabes furent arrêtées devant Constantinople ; l’Empire romain d’Orient fut réduit aux Balkans et à l’Anatolie. La vague des conquêtes était stoppée. Néanmoins, au VIIIe s., cet immense empire musulman comptait de 30 à 35 millions d’habitants, soit un sixième de la population mondiale de l’époque.
3. Les califats À la mort de Mahomet en 632, l’un des siens fut élu « calife », c’est-à-dire successeur ; dorénavant, le choix du calife dans la famille de Mahomet devint la règle. Le premier calife fut le beau-père de Mahomet, Abu Bakr. Il eut pour successeurs Omar, Othman et Ali. C’est après la mort de ce dernier que l’Islam se divisa. Les Omeyyades de La Mecque s’emparèrent du califat, mais les « partisans d’Ali », les chiites, ne voulurent pas reconnaître cet état de fait, renversèrent les Omeyyades et donnèrent le califat à la famille des Abbassides qui régna à Bagdad à partir de 750. Cette dynastie bâtit un empire arabo-persan dont la civilisation rayonna de manière extraordinaire ; ce fut véritablement l’âge d’or de la civilisation islamique. À la même époque, en Espagne, un descendant des Omeyyades créa le califat de Cordoue, qui devait
4. Une civilisation urbaine Partis du désert et issus d’une société qui ignorait le phénomène urbain, les Arabes ont été de prodigieux fondateurs de villes. Progressivement, ils devinrent des propriétaires et des cultivateurs et leurs camps se transformèrent en nouvelles cités. 56
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Ces dernières ont servi de bases à leurs conquêtes et d’écrins pour le palais des califes. Les premières conquêtes ont d’abord soumis les vieilles cités du Proche-Orient, mais très vite, de nouvelles villes ont été fondées. Quels rôles jouaient ces villes ? Elles ont d’abord constitué des foyers d’immigration pour les combattants, puis des lieux où se concentraient l’impôt et sa redistribution aux troupes. Dès le VIIIe s., les califes durent recruter des soldats étrangers, mercenaires puis esclaves. Cette pluralité ethnique, religieuse et culturelle propre à ces sociétés urbaines va donner son caractère particulier à l’urbanisme musulman. Le Caire en est un bon exemple : cette ville fut fondée en 969 par un affranchi slave, à la tête de troupes berbères, pour le compte d’un calife chiite de la dynastie des Fatimides, dans une province où les musulmans étaient surtout sunnites et la majorité des habitants chrétiens ! La cohabitation ne tournait que rarement à l’affrontement. À condition de s’acquitter de la dhimma, les chrétiens et les juifs jouissaient de la liberté de culte et d’une protection pour leurs personnes et leurs biens. Certaines de ces villes étaient de véritables mégalopoles : vers l’an mil, Le Caire et Cordoue dépassaient les 200 000 habitants. C’est énorme pour l’époque ! La plus remarquable était certainement Bagdad : créée de toutes pièces au VIIIe s. par un calife abbasside, elle a compté un demimillion d’habitants. Elle tient une place à part dans l’histoire et l’imaginaire du monde arabe. C’était le type même de la ville-palais, incarnation d’un modèle politique et urbanistique. Le premier noyau de Bagdad présente une forme tout à fait particulière : c’était une immense cité palatiale ronde, au centre de laquelle le calife était protégé par des troupes recrutées aux confins de l’empire de l’époque. Les officiers et fonctionnaires occupaient les deux « anneaux » suivants. Tout le reste – habitations, marchés, ateliers et boutiques d’artisans – était rejeté à la périphérie. Désormais, un fossé séparait le souverain de ses sujets. On est loin du mode de vie bédouin ! Toutes les villes attiraient les marchands qui y déversaient des richesses venues de tous les continents : soie, encre, papier, porcelaine et épices de Chine ; pierres précieuses, teintures et épices de l’Inde, mais encore coton et céréales
Cour intérieure de la Mosquée Ak-Azhar au Caire en Égypte. Vue actuelle. Fondée en 970, elle est depuis longtemps le siège d’une des plus prestigieuses universités islamiques.
d’Égypte, parfums et perles d’Arabie, esclaves et or d’Afrique, cuir d’Espagne, fourrures, ambre et sabres de Russie… Ces échanges sont à l’origine d’un nouveau métier, celui de banquier : non seulement, ces banquiers changeaient les monnaies, mais ils pratiquaient des techniques bancaires encore inconnues en Occident à cette époque. De plus, un certain art de vivre caractérisait les villes islamiques : hammams (bains publics), mosquées, quartiers résidentiels, parcs et jardins, souks et médinas, ainsi que des bibliothèques et des hôpitaux, y attiraient les voyageurs. À partir du XIe s., lorsque les Turcs seldjoukides se furent emparés du pouvoir, les sultans se mirent à l’abri dans des forteresses, comme celle d’Alep en Syrie. Perçus comme des étrangers par la population locale, ils vivaient au sommet d’une colline, dans une citadelle défendue par de puissants remparts et une porte monumentale. Du haut de cette forteresse, les mamelouks (esclaves blancs
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Souk en Tunisie. Photographie actuelle.
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> MOYEN ÂGE > Le monde islamique
monde arabe pour enseigner. Des lettres et des manuscrits circulaient aussi grâce aux marchands. L’Orient médiéval vivait alors une période que nous pourrions comparer à celle de la Renaissance en Europe. Poètes, médecins, astronomes, encyclopédistes… rivalisaient, se rencontraient, s’enrichissaient mutuellement. Ce mouvement culturel a essaimé de l’Orient vers l’Occident, par l’intermédiaire de l’Espagne. Ce processus a connu son apogée à l’époque des croisades : des lettrés qui accompagnaient les croisés ont rapporté des livres arabes. Les marchands surtout se sont intéressés aux manuels de calcul, des savants ont pu voyager de plus en plus en Orient. Des villes ont véritablement servi de plaques tournantes pour ces échanges scientifiques : Tolède, Palerme, Bougie (aujourd’hui Bejaia en Algérie), Montpellier et Avignon. Les communautés juives ont aussi joué un rôle non négligeable d’intermédiaires. Enrichie par l’apport de la civilisation arabe, la pensée médiévale a connu à son tour un nouvel essor culturel. La culture arabe est principalement littéraire. À l’oral comme à l’écrit, la littérature est son mode d’expression de prédilection. Tous les genres furent abordés, en particulier l’art poétique. Les spectacles où musique et poésie s’épanouissaient, étaient particulièrement appréciés. Comme en sciences, la littérature fit preuve de syncrétisme : qui ne connaît les Contes des Mille et Une Nuits ? Il s’agit d’un recueil anonyme de contes populaires, d’origine persane et indienne, traduits en arabe aux IXe et Xe s. Ces récits contant l’histoire de Sindbad le marin, d’Aladin et la lampe merveilleuse ou encore d’Ali Baba et les 40 voleurs connurent un énorme succès tant en Orient qu’en Occident. La civilisation islamique s’exprime aussi dans l’unité de son inspiration artistique. D’un bout à l’autre de l’espace musulman, l’architecture présente bien des points communs, comme notamment l’iwan, un hall à haute voûte, généralement au centre d’un grand groupe de bâtiments et ouvert sur une cour intérieure. Ce type d’édifice peut contenir aussi bien une mosquée ou une madrasa (école coranique) qu’un palais, un caravansérail ou un hôpital. La décoration est riche, chatoyante, les couleurs éclatantes. Des faïences, bleues ou turquoises, des mosaïques éclatantes et variées
d’origine turque ou circassienne devenus soldats au service du sultan) pouvaient surveiller la ville autant qu’ils la défendaient.
5. La civilisation
arabo-islamique
Pendant cinq cents ans, entre le IXe et le XIIIe s., ce fut l’épanouissement de la science arabe : l’Occident lui doit les chiffres, l’algèbre, des connaissances renouvelées en médecine, en astronomie et en optique. Ces savants ont écrit, enseigné, publié en langue arabe, mais certains d’entre eux étaient persans, berbères, coptes ou turcs. L’arabe était la langue commune des savants, comme l’anglais l’est aujourd’hui. Les Arabes ont puisé leurs connaissances dans celles de l’Antiquité, notamment grecque. Ensuite, ils ont également assimilé des éléments de la science indienne (le fameux zéro !) et même de la science chinoise. Ils ont rassemblé tous ces éléments et ont eu le mérite d’en faire une synthèse critique : cela a pris plusieurs siècles… Pour que la science se développe, il faut des lieux de transmission, d’enseignement et des bibliothèques. Ce sont les califes Omeyyades qui ont créé les premières bibliothèques. Ce sont eux aussi qui furent les premiers à faire traduire des textes grecs, persans, syriaques. Mais c’est surtout à l’époque des Abbassides (à partir de 750), lorsqu’une véritable civilisation urbaine prit son essor, que se développa un véritable « âge d’or » intellectuel et artistique dans les métropoles comme Damas en Syrie, Bagdad en Iraq, Kairouan au Maghreb, Cordoue en Espagne, ou encore Ispahan en Perse, Samarkand en Asie centrale (actuel Ouzbékistan) et Le Caire en Égypte. Des califes jouèrent le rôle de mécènes en faisant bâtir écoles et bibliothèques et en prenant en charge les étudiants. Ils faisaient venir des savants qui se déplaçaient dans tout le
les chiffres
Qui a inventé ? Ces chiffres sont en fait nés en Inde où on utilisait déjà la numération décimale (9 chiffres et le zéro). Il s’agit d’une numération de position, c’est-àdire que la valeur est attribuée à un chiffre en fonction de sa position : 1 n’a pas la même position s’il est unité (1), dizaine (10), centaine (100), alors que chez les Romains I vaut toujours une unité et X, toujours 10 (pour écrire 32, il faut multiplier le X par trois et le I par deux et les juxtaposer : XXXII). L’invention des chiffres arabes révolutionna la façon d’écrire les nombres, limita le risque d’erreurs et facilita grandement les opérations de calcul élémentaire.
arabes
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recouvrent les murs. Des jardins, où l’eau joue un rôle important, rappellent les oasis et sont considérés comme un reflet du paradis. La religion est la base d’une autre forme artistique : la calligraphie. Dans l’islam, il s’agit de reproduire les sourates du Coran. La calligraphie et les entrelacs – les arabesques – prennent le pas sur l’art figuratif. En principe, créer des images est réservé à Dieu. Même si aucune condamnation explicite n’a jamais été prononcée contre l’art figuratif, les artistes lui préfèrent surtout des motifs végétaux et géométriques. Il ressort de certains passages du Coran que Mahomet assimilait les statues aux idoles païennes, ce qui explique la réticence à représenter Dieu et son prophète. Néanmoins, les superbes manuscrits arabes, et
surtout persans, ont eu recours à l’illustration ; les miniatures avaient d’abord pour fonction d’éclairer les textes scientifiques. Dans le domaine artisanal, la production de tapis et de tissus est partout présente. C’est le seul élément de décoration qu’on retrouve dans les mosquées. Les artisans excellaient aussi dans le travail du cuir, de la reliure, dans la céramique, la marqueterie, dans la fabrication de récipients en bronze et en cuivre, de soieries et cotonnades… Dans ce domaine aussi, le commerce a favorisé les échanges culturels et répandu ces traditions artistiques d’un bout à l’autre du monde islamique. ■
Céramique provenant d’Iznik en Turquie. XVIe s. British Museum, Londres.
Fragment de cénotaphe (tombeau) découvert en Égypte. IXe s. Musée du Louvre, Paris. Il est fait d’un assemblage de lamelles de sycomore et d’ivoire incrustés (marqueterie).
Extrait d’une page d’un Coran. IXe s. Bibliothèque nationale, Tunis (Tunisie).
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Le monde islamique Al Andalus, l’apogée de l’Espagne musulmane
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La grande mosquée de Cordoue
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> MOYEN ÂGE > Les mondes mérovingien et carolingien
476 481 496 511 300
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Début des migrations des Germains dans l’Empire romain
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Fin de l’Empire romain Baptême de Clovis à Reims et d’Occident début de l’expansion franque Mort de Childéric Ier, premier roi mérovingien Mort de Clovis et partage de son royaume Début du règne de son fils Clovis entre ses 4 fils
Les mondes mérovingien et carolingien › Atlas d’Histoire pl. 40 › Petit atlas d’Histoire pl. 23
La période qui s’étend de la fin du IVe s. à la fin du VIe s. fut marquée par l’effondrement de l’Empire romain d’Occident et par la naissance de royaumes germaniques. La mise en place de ces nouveaux États a été progressive.
1.2 Qui étaient ces Germains ?
Établis au-delà du Rhin et du Danube, les peuples germaniques occupent, au IVe s., de vastes territoires de forêts et de marécages, qui s’étendent du Rhin à la Vistule et du Danube à la mer Baltique. Ils ne constituent pas un état unifié, mais se composent de peuples distincts, souvent rivaux. Chacun de ces peuples était divisé en tribus que dirigeaient des chefs élus pour leurs qualités guerrières. Longtemps nomades, ils étaient devenus des agriculteurs sédentaires et pratiquaient l’élevage. Bons artisans, notamment dans le domaine de la métallurgie et de l’orfèvrerie, ils fabriquaient des armes remarquables (épées longues, haches…) et des bijoux de grande qualité. Ils ne connaissaient pas les villes et ne construisaient pas en matériaux durs.
1. La mise en place des royaumes germaniques
1.1 Les migrations pacifiques
Dès le IIIe s., les Germains pénètrent dans l’Empire romain. Celui ci connaît alors une grave crise politique qui débouche sur des guerres civiles. Celles-ci, aggravées par des épidémies, entraînent une importante chute démographique. Les Germains, profitant de ces circonstances, franchissent alors, à titres divers, les frontières de l’Empire.
1.3 Les grandes migrations du Ve s.
L’arrivée d’un peuple nomade venu d’Asie centrale provoque une série de migrations en cascade des peuples germaniques. Pour échapper à ces Huns, originaires de Mongolie, ces populations, traînant avec elles chariots et bétail, et où le nombre de non-combattants était de loin supérieur à celui des guerriers, franchissent les frontières de l’Empire. Ils n’en sortiront plus. Même après la défaite des Huns, sur la Marne, aux Champs catalauniques (en 451), les migrations se poursuivent, à des rythmes divers. En 476, toute l’Europe occidentale est aux mains des Germains :
Ainsi, pour combler le manque de main-d’œuvre dans l’agriculture, on fait appel à des étrangers et de nombreux Germains sont acceptés à titre de colons. De même, l’Empire ne compte plus assez de soldats : les Germains sont enrôlés, soit individuellement, soit par tribus entières, dites fédérées ; des terres sont concédées en échange du service militaire. L’armée a joué un rôle essentiel dans l’intégration. Certains Germains deviennent même des chefs dans l’armée romaine ou se voient conférer les plus hautes charges de l’administration. 60
MOYEN ÂGE 780
790
Naissance de la minuscule caroline, nouvelle typographie qui va s’imposer 600
700
751 771
Dynastie mérovingienne
781 783
843
800
987 900
Dynastie carolingienne Évangéliaire de Charlemagne est couronné Début du règne de Pépin Charlemagne le Bref, premier roi carolingien Empereur d’Occident Début du règne Traité de Verdun et début du morcellement de Charlemagne de l’Empire de Charlemagne
c’est la fin de l’Empire romain d’Occident. L’Empire romain d’Orient, avec sa capitale Constantinople, a pu résister à ces courants jusqu’en 1453, date à laquelle il tombe aux mains des Ottomans.
Vers 450, sous la direction du roi Childéric Ier, ils coloLe mot « mérovingien » vient nisent la région de Tournai du nom du roi Mérovée, l’ancêtre réel ou mythique de la dynastie. (le tombeau de Childéric a été retrouvé dans cette ville au XVIIe s.). Son fils, Clovis (481-511), après une série de campagnes militaires, est reconnu roi de toutes les tribus › Atlas d'Histoire pl. 42 franques et devient maître de la Gaule. › Petit atlas
1.4 Les conséquences
• Beaucoup moins nombreux que les populations au sein desquelles ils s’établirent, les Germains adoptèrent les coutumes locales, laissant les autochtones se plier aux anciennes lois romaines. • Les relations n’ont certes pas été faciles. Les rancœurs étaient vives : les Gallo-romains avaient été dépossédés d’une partie de leurs terres. Les différences étaient flagrantes : ils ne parlaient pas la même langue et n’avaient ni les mêmes coutumes, ni les mêmes lois. Les Germains se distinguaient par leur mode de vie essentiellement rural et leur culture militaire. • La persistance des structures de l’Église jouera un rôle essentiel dans la fusion des deux communautés. Nous le verrons dans l’étude de l’histoire des Francs.
d'Histoire pl. 25
2.2 La conversion de Clovis au catholicisme
Les Francs optent pour le christianisme catholique, religion implantée en Gaule par des missionnaires et adoptée par la population et par les dirigeants en place, notamment des évêques. Clovis se fait baptiser par l’évêque de Reims, entre 496 et 508 ; sa tribu ne peut que le suivre. Il devient ainsi protecteur officiel de l’Église catholique et peut compter, réciproquement, sur l’appui des évêques. 2.3 Le morcellement du royaume
2. Le royaume franc
Suivant la coutume franque, le royaume de Clovis est partagé entre ses fils, puis ses petits-fils. Ces partages et la fréquence des guerres entre les héritiers amènent son démembrement en quatre régions : l’Austrasie, la Neustrie, la région des Burgondes et l’Aquitaine. Cette coutume est l’une des causes de l’affaiblissement de l’autorité royale.
mérovingien
De tous les royaumes germaniques, le royaume franc est le seul à avoir créé une œuvre durable. 2.1 La construction et les conquêtes
territoriales 2.4 La frontière linguistique
Originaires du nord de l’Europe, près de l’embouchure du Rhin, les Francs, des guerriers organisés en tribus, s’installent en Gaule au Ve s. Chaque tribu est dirigée par un chef élu par les guerriers. Après plusieurs raids lancés contre l’Empire romain, ils sont, déjà au IVe s., engagés dans l’armée romaine, d’abord comme auxiliaires, puis comme fédérés de Rome, chargés de défendre les frontières de la Gaule.
Selon une des dernières hypothèses, la frontière linguistique serait née du contact entre populations gallo-romaines et germaniques. Elle s’est constituée de manière progressive et semble s’être stabilisée au Xe ou XIe s. Elle peut s’expliquer par le maintien du latin dans le centre de la Gaule romaine et l’affaiblissement de cette langue dans le nord, plus influencé par les langues germaniques. 61
Sarcophage mérovingien de Chrodoara. VIIe s. Collégiale Saint-Georges et Sainte-Ode, Amay. Découvert à Amay en 1977, le sarcophage est réalisé en pierre calcaire de la région. La silhouette de Chrodoara est gravée sur le couvercle.
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Chaque villa a des artisans qui fabriquent outils, ustensiles etc. Elle peut vivre en autarcie (économie fermée).
2.5 L’organisation politique
et sociale L’organisation politique est un mélange des institutions romaines et des coutumes germaniques. Le pouvoir royal est exercé par un chef de guerre, le roi, avec son insigne traditionnel : les cheveux longs. Comme celui des empereurs, son pouvoir est absolu et, de plus, il considère son royaume comme un bien personnel, sans se reconnaître d’obligations envers son peuple… Les conseillers du roi sont choisis dans les grandes familles. Le gouvernement devient itinérant et s’exerce selon les déplacements du roi et de sa cour, dans divers « palais » dispersés dans le royaume. Le royaume est divisé en comtés, gouvernés par des comtes, représentants du roi et son relais en matière militaire, fiscale, administrative et judiciaire. L’évêque, en plus de ses fonctions religieuses, endosse la responsabilité de l’enseignement. Il n’existe pas de loi commune à tous les habitants : les lois sont personnelles, chaque peuple a la sienne. La plupart des lois ne sont que des tarifs fixant les sommes dues pour la réparation d’un dommage, somme qui est proportionnelle non seulement à la nature et à la gravité du délit, mais aussi à l’importance de la victime. La société est composée d’hommes libres, à la tête desquels se trouvent les grands propriétaires qui occupent les fonctions importantes. Le reste des hommes libres est composé essentiellement de paysans. L’esclavage persiste chez les Mérovingiens.
2.7 Les arts
Ils sont essentiellement religieux. • Architecture : peu de constructions ont survécu, seulement quelques églises et baptistères. • Littérature : c’est le déclin. Le latin, devenu langue officielle de l’État, est, dans la pratique, peu utilisé. Le peuple emploie un latin populaire où se mêlent des termes empruntés aux Germains. Dans les monastères, les moines recopient les œuvres de l’Antiquité, ces manuscrits sont ornés de miniatures colorées : les enluminures. • Mais la primauté artistique va au travail des armes et aux pièces d’orfèvrerie, comme le prouvent les découvertes mises au jour dans les tombes. On y trouve en effet une profusion d’armes savamment façonnées, de boucles de ceinture, de fibules, de broches, d’ objets en or, en argent ou des verreries. 2.8 Rôle de l’Église
L’Église s’occupe de l’évangélisation des campagnes, surtout après la conversion de Clovis. Avec l’appui de la royauté et de l’aristocratie, des missionnaires sillonnent le pays. L’Église crée de plus en plus de paroisses desservies par un prêtre, délégué de l’évêque. C’est l’époque aussi de la fondation de nombreux monastères qui sont des centres d’évangélisation, mais aussi de production agricole et de culture.
2.6 L’activité économique
Elle est caractérisée par une perte d’importance des villes. La terre est la principale source de richesse. La plus grande partie du sol appartient à de grands propriétaires dont les domaines sont des « villae ». Chaque villa est divisée en deux parties. L’une est réservée au maître, laïc ou religieux, et comprend la maison d’habitation, les bâtiments d’exploitation et les terres. L’autre partie est concédée héréditairement à des paysans libres, mais astreints à exécuter des corvées dans la réserve et à acquitter des redevances.
Ve
62
Deux abeilles en or et grenats cloisonnés. s. BnF, département des Monnaies, médailles et antiques, Paris. 300 abeilles de ce type furent retrouvées en 1653 à Tournai dans la tombe de Childéric.
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contre les Lombards qui menacent Rome, combat les Arabes en Espagne et termine la conquête de la Germanie en soumettant les Saxons, restés païens. En plus de pacifier l’Europe, son but est d’établir le christianisme et de faire reconnaître l’autorité pontificale. En 800, le jour de Noël, dans la basilique Saint-Pierre, le pape Léon III le couronne « Empereur des Romains ». Ce nouvel empire ne correspond pas à l’ancien Empire romain, il n’est plus centré sur la Méditerranée, c’est un empire continental dans lequel le pays mosan occupe une position centrale. Pour faire respecter ce vaste empire, Charlemagne perfectionne les institutions franques traditionnelles.
Tumulus du Trou de Billemont, Antoing (Hainaut).
3. Le royaume carolingien
• Les institutions
3.1 Les origines des Carolingiens,
› Atlas d'Histoire pl. 44 › Petit atlas d'Histoire pl. 26
Le gouvernement central est constitué par le « palais » formé du souverain et de son entourage. Cette cour reste itinérante, elle se déplace de domaine en domaine, mais le séjour favori de Charlemagne devient, à la fin de son règne, Aix-la-Chapelle. Charlemagne tente de donner une unité législative à son Empire. Chaque année, en mai, il convoque les grands de l’Empire : laïques et ecclésiastiques. Les décisions arrêtées après délibération, sont alors publiées sous forme de capitulaires (série de chapitres).
l’ascension des Péppinides Après la mort de Clovis, les luttes entre les souverains affaiblissent la royauté. Accablés par les défaites militaires et le manque de ressources, les souverains mérovingiens voient leur autorité peu à peu spoliée par des maires du palais. De simples intendants des palais royaux, ceux-ci deviennent de grands propriétaires fonciers et surtout des chefs de guerre. C’est particulièrement le cas du maire d’Austrasie. Cette ascension est cependant progressive. Après la réunification du royaume de Clovis par Pépin de Herstal, les victoires de Charles Martel contre les Saxons et surtout contre une incursion arabe à Poitiers, Pépin le Bref détrône le roi mérovingien et se proclame roi, avec l’appui de l’Église ; il inaugure ainsi la dynastie carolingienne. Pépin est sacré par le pape et devient non seulement l’élu du peuple mais aussi de Dieu.
L’administration locale : l’État est divisé en comtés et en marches militaires aux frontières, administrés par un comte ou un marquis, choisi par l’empereur, mais révocable à merci. Les agents sont choisis parmi les grands propriétaires et sont aidés par les évêques. Ils y rendent la justice, lèvent les impôts et les perçoivent. Leur administration est surveillée par des « envoyés » de l’Empereur, les missi dominici. Ces inspecteurs, envoyés par groupes de deux (un laïque et un ecclésiastique), veillent à l’application des lois. De plus, Charlemagne exige de tous les hommes libres de lui prêter un serment de fidélité. Le service des armes est pour eux une obligation absolue. Charlemagne a voulu s’attacher ses fidèles par un lien spécial, le lien d’homme à homme. En échange de leurs loyaux services, il leur concède la jouissance de bénéfices (revenus).
3.2 Le règne de Charlemagne
Charles, fils de Pépin le Bref, devient roi en 771.
• Les conquêtes Depuis l’origine, l’expansion du royaume franc est faite par les armes et c’est par l’épée également que Charlemagne va considérablement repousser les limites de son royaume. Il continue la lutte 63
Statuette équestre de Charlemagne provenant de la cathédrale de Metz. IXe s. Ht. 25 cm. Musée du Louvre, Paris.
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Trône de Charlemagne, constitué de plaques de marbre blanc. VIIIe-IXe s. Il se situe dans la chapelle palatine de l’Empereur à Aix-la-Chapelle. Signature de Charlemagne (Karolus), au bas d’un document officiel. 744. Archives nationales, Paris.
coûteux (moulin à eau, pressoirs à huile et à vin), extension des surfaces cultivées, etc. L’essor agricole a pour conséquence un essor des échanges locaux et une relative reprise du grand commerce, favorisé par une circulation monétaire accrue. 3.4 La Renaissance carolingienne Coupole de la chapelle palatine de Charlemagne à Aix-la-Chapelle. VIIIe-IXe s.
Si on regarde la carte de l’Empire de Charlemagne, on voit qu’il règne sur un territoire cosmopolite, composé de peuples ayant des langues, des cultures et des traditions différentes. Comment unifier un tel royaume ? C’est le christianisme qui est le facteur principal d’unité de l’Empire carolingien. Christianiser est l’un des principaux buts des conquêtes du souverain et la religion le moyen d’encadrer toutes les populations de l’Empire. L’Église occupe donc une grande place dans la société à cause de sa richesse et du fait qu’elle détient l’instruction. Parmi les grands domaines, les biens d’Église, gérés par les avoués des abbés et des évêques, sont privilégiés. Jouissant de l’immunité, leurs propriétaires ne dépendent pas de l’administration comtale. À côté du rôle administratif des évêques, le clergé doit entretenir les écoles et s’occupe des malades et des pauvres.
C’est de cette époque que proviennent certaines coutumes qu’on appellera plus tard « féodales », la recommandation et le bénéfice. Par la recommandation, le faible se met sous la protection d’un plus fort ; en ce faisant, il devient l’homme, le vassal, de son protecteur, de son seigneur, il s’engage à le servir et est lié à lui par le serment de fidélité. Le bénéfice est un bien, en argent, en nature ou en terre, accordé au vassal par le suzerain pour lui permettre de subvenir à ses besoins. 3.3 L’économie carolingienne
La terre demeure la principale source de richesse. C’est une économie domaniale. Les structures agraires se caractérisent par la domination de la grande propriété, la « villa » comme à l’époque mérovingienne. Cette économie apparaît comme un système dynamique : nouvelles techniques de culture (assolement triennal), équipements
• Renaissance des lettres Soucieux de mener à bien le peuple chrétien qu’il a sous sa responsabilité, Charlemagne veut insuffler un renouveau intellectuel. Il est aidé et soutenu par Eginhard, homme de lettres et auteur, 64
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après la mort de Charlemagne, de la « Vita Caroli Magni » (vers 830-836). Ceci exige un effort général d’éducation et d’érudition impliquant un retour aux modèles de l’antiquité romaine. Charlemagne désire un retour à l’étude de la langue latine et des textes sacrés. Pour cela, il fait appel à des lettrés et artistes étrangers qui apportent avec eux des manuscrits qui seront copiés et permettront, entre autres, de sauver l’héritage littéraire de Rome. Des écoles destinées à la formation des clercs sont fondées auprès des églises cathédrales et dans les monastères. C’est la liturgie romaine qui est imposée à travers tout le royaume, et ce pour des raisons politiques de centralisation. Le latin restera d’ailleurs la langue officielle de l’Église catholique romaine jusqu’au Concile de Vatican II (1962). Se met donc en place un latin qui cesse d’être la langue parlée mais par contre devient la langue véhiculaire des savants à travers toute l’Europe. D’autre part, les moines en recopiant les textes de l’Antiquité, mettent au point, dans les années 780-790, un type de lettre appelé la minuscule
« caroline » (ronde et très lisible) qui va s’imposer peu à peu face à la multiplicité des écritures peu lisibles en usage dans le royaume franc. C’est ce type de lettre qui, bien plus tard, a servi de modèle en typographie, pour les caractères imprimés, et ce jusqu’à nos jours.
• Renaissance des arts De nombreuses églises sont construites mais la plupart ont été détruites au XIe s. Les modèles sont repris à l’Antiquité comme c’est le cas à Aix-la-Chapelle. Les artistes carolingiens prolongèrent aussi la spécificité germanique dans les productions nécessitant une maîtrise du métal (orfèvrerie). Les manuscrits sont ornés par de fines peintures colorées (les enluminures) tout à fait originales. Les couvertures des livres sont enrichies d’or, d’ivoire et de pierres précieuses. Le soin apporté à la fabrication du livre résume tout l’esprit de cette renaissance culturelle. ■
Reliure du psautier de Charles le Chauve, ornée d’une plaque d’ivoire sculpté et d’une bordure d’orfèvrerie. Il provient de la cathédrale de Metz. 869 env. BnF, département des Manuscrits occidentaux, Paris.
Prologue de Saint Jérôme. Extrait d’un manuscrit des Évangiles par le scribe Framegaud. 900 env. BnF, département des Manuscrits occidentaux, Paris. Le texte est rédigé en écriture caroline et comporte une initiale P ornée.
> GRAND ANGLE > FOCUS > PATRIMOINE
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Les mondes mérovingien et carolingien Le traité de Verdun...
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L’Évangéliaire de Charlemagne
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> MOYEN ÂGE > Le monde européen médiéval 1084 989 909 - 910 900 Fondation de l’abbaye de Cluny
v. 1000 962
987
1075
1027 v. 1050
Apparition des droits seigneuriaux
Otton le Grand couronné empereur
1066
1098 v.1130 1100 1122
Querelle des Investitures entre le pape et l’empereur
1180 v.1150
Dynastie capétienne dans le royaume de France Début de la « Trêve de Dieu »
Début du mouvement de la Paix de Dieu
Pontificat de Grégoire VII
Croisades
Fondation Assolement de l’abbaye Charrue triennal – Bataille d’Hastings, Fondation Moulins à vent conquête de l’Angleterre par de la Grande de Cîteaux Guillaume le Conquérant Chartreuse Développement de la chevalerie
Le monde européen médiéval › Atlas d’Histoire pl. 48, 49, 51 › Petit atlas d’Histoire pl. 29, 30, 34
1. Les changements
et intermittente. N’oublions pas également le typhus, le choléra et la coqueluche. La mortalité est effrayante : la peste tue 1/3 de la population. À cela s’ajoutent les guerres qui sévissent quasi sans interruption de la fin du XIIIe jusqu’au début du XVIe s. avec leurs conséquences : récoltes détruites, greniers pillés, chaumières brûlées...
démographiques
À partir du milieu du XIe s. jusqu’à la fin du XIIIe s., la population en Europe occidentale passe de 23 à 55 millions d’habitants. La période est caractérisée par une hausse de la fécondité (4 à 6 enfants par couple), un recul de la mortalité (recul des famines), une hausse de l’espérance de vie (35 ans en 1300) et une mortalité infantile importante. L’Europe connaît une période de réchauffement climatique durant cette période ce qui favorise par exemple la céréaliculture en Europe du Nord.
2. L’expansion économique 2.1 Les progrès en agriculture
Aux XIe-XIIIe s., les défrichements et déboisements se multiplient à l’initiative de grands propriétaires fonciers, princes, abbayes ou seigneurs, et les surfaces cultivées augmentent. Le rendement de la culture des céréales est meilleur et le bétail plus abondant. Des progrès techniques
Au début du XIVe s., la tendance s’inverse et la surmortalité due aux famines réapparaît. C’est une population mal nourrie que la peste décime entre 1347 et 1510. Elle tue de façon répétée
Extrait du Vieil rentier d’Audenarde. s. Bibliothèque royale de Bruxelles, Cabinet des Manuscrits. La supériorité de la charrue repose sur trois innovations : les roues, qui doublent l’efficacité de la traction ; le soc à versoir qui retourne la terre et le coutre, un couteau vertical placé devant le soc qui fend la terre. Le collier rigide n’étrangle plus l’animal qui ne s’essouffle plus. Le fer cloué aux sabots améliore la résistance XIIIe
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MOYEN ÂGE 1214 1215 1187
1280 1270 1285
1223 1226
Philippe Auguste, roi de France
Louis IX, roi de France (Saint Louis)
1328 1314
1347 1349
Philippe IV le Bel, roi de France
1400
1500
Essor des villes Grande peste (1095 - 1270) Apogée des foires de Champagne Apparition de la boussole en Occident Bataille de Bouvines
Premiers portulans
Grande Charte d’Angleterre
en sont la cause. L’assolement biennal (qui se maintient dans le midi) est progressivement remplacé par l’assolement triennal au nord de la Loire : un sol est semé en céréales d’hiver, un autre en céréales de printemps et le troisième reste en jachère (au repos). Cela permet deux récoltes par an ; la jachère est engraissée par les animaux en pâture ce qui accroît la fertilité du sol. Suivant les régions, l’araire fait place à la charrue qui réalise un labour plus profond. La traction animale est améliorée par la ferrure et par le collier d’épaule. Au XIIIe s., certaines régions commencent à passer d’une agriculture de subsistance à une exploitation de marché (le paysan dégage un surplus qu’il vend). Aux XIVe et XVe s., malgré le retournement de la conjoncture, cette évolution se confirme. 2.2 L’évolution de l’artisanat rural
Représentation d’une ville de foire. Enluminure du roman de Thomas III de Saluce, Le chevalier errant. Début du XVe s. BnF, département des Manuscrits occidentaux, Paris. Les foires se déroulent annuellement à une date fixe (une fête religieuse). À l’origine, ce sont de grands marchés ruraux qui durant deux ou trois jours. Puis certaines s’ouvrent aux produits venus de toute l’Europe et deviennent de véritables centres d’échanges internationaux. C’est le cas des foires de Champagne dont l’apogée se situe entre 1180 et 1280. Six foires annuelles se succèdent (Troyes, Bar-sur-Aube, Provins, Lagny).
Les moulins à eau, connus depuis l’Antiquité, se répandent au XIIIe s. La force hydraulique permet de moudre les farines, de presser les huiles, de fouler les draps et de forger le fer (hache, bêche, faucille, armes). Au XVe s., l’utilisation de hauts fourneaux et de marteaux hydrauliques se répand (Principauté de Liège). Le moulin à vent apparaît dans nos régions avant 1200, puis s’étend à l’Europe entière. À la campagne, pour satisfaire ses propres besoins ou la demande locale, le paysan est cultivateur mais aussi artisan. Il travaille la pierre, le bois, le verre, la poterie... Aux XIVe et XVe s., des paysans filent ou tissent la laine pour des marchands.
Au XIIIe s., on introduit en Méditerranée la kogge hanséatique (navire rond à voile et de grande capacité), plus maniable et plus grand que la galère et la nef. La boussole (1187) et les portulans (1270) sont connus, mais la navigation se fait en suivant son instinct et on suit les côtes.
2.3 Les voies commerciales
À partir du XIe s., le commerce se développe : des marchés réguliers ont lieu dans les villages ou dans les villes. S’y échangent des produits de l’agriculture et de l’artisanat rural. Le commerce international s’organise autour de deux grands axes maritimes : l’axe méditerranéen (jusqu’en mer Égée et en mer Noire) et l’axe nordique (de la Manche à
Le transport par voie terrestre est difficile et lent car les routes sont médiocres. Son coût est élevé et grevé de nombreux droits de passage. À partir du XIe s., le principal moyen de traction est le cheval, plus rapide et plus fort que le mulet. Le transport par eau domine pour les matières pondéreuses. 67
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> MOYEN ÂGE > Le monde européen médiéval
3. L’évolution de la société
la Baltique). Des routes terrestres, passant par les foires de Champagne, les raccordent jusqu’à ce que des liaisons maritimes relient l’Italie et la mer du Nord au XIVe s. (Gênes, Bruges, Londres, Barcelone, Cadix, Lisbonne). Les marchands de la Hanse (union de villes allemandes du Nord) viennent aussi s’approvisionner en produits exotiques à Bruges qui, au XIVe s., devient le centre du commerce d’Europe septentrionale.
rurale
3.1 Les cadres de la vie quotidienne
Vers 1100, les paysans vivent désormais dans des villages. Un village se définit comme un groupement d’hommes avec une organisation interne, une personnalité juridique, une mentalité commune et un terroir organisé. Le processus débute au milieu du Xe s. en Italie centrale : les populations se regroupent autour d’un castrum (= lieu fortifié) souvent perché, soumis au contrôle du maître du lieu qui vit là-haut avec ses soldats. Dans d’autres régions (Europe du Nord), le village se forme à l’endroit d’un cimetière – lieu de réunion et de passage, pas uniquement nécropole – ou d’un lieu de culte. Ces villages formeront un réseau appelé « seigneuries ». La seigneurie foncière est divisée en une réserve (1/4, parfois 1/2) exploitée directement pour le seigneur propriétaire et en parcelles, les tenures (manses), cultivées par les paysans. En échange de cette concession, ils doivent au seigneur le cens, loyer de la terre payé en part de récolte puis transformé au XIIe s. en argent. Au XIIIe s. se répand le bail à ferme : en échange d’un loyer, le propriétaire concède une terre pour trois, six ou neuf ans. Les paysans doivent aussi des corvées, c’est-àdire un travail sur la réserve ou au château. Elles seront progressivement converties en une rente en argent au XIIe s.
2.4 La monnaie au cœur des échanges commerciaux
Lentement, du Xe au XIIIe s., l’argent prend de plus en plus de poids dans les rapports sociaux. En relation avec l’expansion économique, la masse monétaire en circulation augmente à partir du XIe s. Les théologiens catholiques, qui ont pourtant condamné pendant longtemps le prêt à intérêt ou même le commerce, admettent, à partir du XIIIe s., le profit marchand, sous réserve qu’il soit limité et réinvesti dans l’activité économique. À partir de la fin du XVe s., les expéditions des Italiens et Espagnols en Afrique et, plus tard, en outre-Atlantique sont à l’origine de la forte croissance monétaire.
3.2 La diversification de la société
paysanne Le monde paysan vit médiocrement. Les prélèvements du seigneur peuvent atteindre les 2/3 ou les 3/4 de la récolte. Le serf, paysan non libre attaché à la terre, ne se distingue pas énormément du paysan libre. Le servage ne s’applique d’ailleurs qu’à une part réduite de la population paysanne (10 à 15 % de la population). Il se reconnaît néanmoins à trois taxes : le chevage (capitation), une taxe à caractère personnel, la mainmorte, saisie d’une part de l’héritage du serf et le formariage, redevance compensatoire en cas de mariage du serf hors de la seigneurie. La tendance (surtout au XIIIe s.) est au déclin du
« Les Heures de l’Année Liturgique : la Cananéenne ». Enluminure extraite des Très Riches Heures du duc de Berry, f°164r. Début du XVe s. Peinture sur papier. 29 x 21 cm. Musée Condé, Chantilly. Un village est représenté à l’arrière-plan de cette enluminure. Quelques maisons, avec leur jardin clos, y entourent l’église et le cimetière.
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fortifications : de nombreuses villes n’ont pas d’enceinte avant la seconde moitié du XIVe s. et des villages se fortifient également. Les libertés ? Des villes n’en auront jamais et de simples villages deviendront des communes avec des franchises. La densité de la population ? Des maisons de villages sont parfois sans jardin et bien serrées les unes contre les autres. En réalité, ce qui définit la ville c’est son organisation sociale complexe et son état d’esprit dynamique qui contrastent avec la campagne. L’homme de la ville considère que l’ascension sociale est liée aux succès des affaires et non à un droit quelconque. L’omniprésence de l’argent et la valorisation du travail (commerce et artisanat) définissent la ville. Alors que dans les villages l’artisan travaille seul comme il l’entend, en ville au contraire, il doit faire partie d’un métier (ou corporation) qui règlemente les conditions de travail (salaire, production, prix...). La spécificité urbaine tient aussi dans son rôle intellectuel lié au développement des universités au XIIIe s., des écoles cathédrales et des collèges. Même le temps de la ville se distingue de la campagne : le temps liturgique imprécis et approximatif fait place au temps des horloges publiques divisé en parties d’égales grandeurs (XIVe s.).
servage par affranchissement individuel ou collectif, sous forme de rachat ou abandon. La masse paysanne, assez homogène, se diversifie de plus en plus en raison de la poussée démographique et de la monétarisation progressive de l’économie au XIIIe s. La dissolution de la famille large provoque un éparpillement des parcelles ; plus petites, leur rendement diminue. La majorité des paysans vit d’un petit lopin, d’un jardin et d’une vache. Beaucoup de paysans n’ont pas de terres et louent leurs bras (manouvriers, brassiers). Pour échapper à la misère, d’autres quittent leurs tenures et deviennent salariés agricoles : ce sont les journaliers qui n’habitent plus le domaine. Par contre les paysans disposant de bonnes terres rachètent les corvées et convertissent divers impôts en rentes fixes ; ils vendent leurs excédents sur le marché voisin, s’achètent des outils et s’élèvent dans l’échelle sociale : ce sont les laboureurs. Ils constituent l’élite du village avec leurs grandes parcelles, plus productives, aidés de forts attelages, et jouent un rôle important dans la vie de la communauté. Cependant, il n’y aura pas de « question paysanne », même si des frictions avec le seigneur voient le jour à partir de la seconde moitié du XIIe s. concernant le montant du rachat des corvées, les nouvelles taxes du seigneur qui tente de contourner l’effet de la dévaluation monétaire et de contrôler le droit d’usage des biens communaux que les paysans ne veulent pas céder. Les paysans ne sont pas sans défense car ils s’organisent en communauté villageoise. Les villageois obtiennent, à partir de la seconde moitié du XIIe s., des chartes de franchises fixant les obligations du seigneur et des villageois. Ainsi, la collectivité se trouve plus unie, mais en même temps plus hiérarchisée.
5. Le fonctionnement du système féodal
À la fin du Xe s., les clercs divisent la société chrétienne en trois ordres spécialisés et solidaires : les oratores (ceux qui prient : le pape, les évêques, les moines) assurent le salut des autres, les bellatores (ceux qui combattent : le roi, les nobles, les chevaliers) qui maintiennent la paix et les laboratores (ceux qui travaillent : les marchands, les paysans, les artisans) qui nourrissent tout le monde. Ce schéma maintient chacun à sa place et vouloir en sortir met en péril l’ordre voulu par Dieu lors de la création. Cette vision de la société est néanmoins théorique. En effet, le rôle progressif de l’argent est à l’origine d’une évolution lente mais certaine vers une organisation de classes (définies par la fortune) plutôt que d’États ou d’ordres (définis par la fonction et les droits).
4. Le développement des villes
Après sept siècles d’assoupissement, les villes revivent à partir de 1050. Comment définir une ville au Moyen Âge ? Elle ne se distingue pas du village par le nombre d’habitants : il y a de gros villages et de petites villes ; ni par ses 69
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sacralisée par l’Église (l’épée est bénie) : le nobilis est devenu le miles, le chevalier. Outre la guerre qui est l’activité principale du chevalier, il participe à des tournois qui lui permettent de s’enrichir (le vaincu abandonne son cheval, ses armes et paie une rançon) et de se faire connaître. Enfin il pratique la chasse, signe de prestige. 5.2 Le château et la seigneurie banale
Le château constitue le symbole du pouvoir. Au XIe s., il s’agit d’une simple construction en bois, une tour à deux étages sur une motte (monticule artificiel de terre protégé par un fossé). Au XIIe s., le château est construit en pierre et la simple tour (donjon) se voit adjoindre des extensions (enceintes). Le rôle de son propriétaire est de protéger les habitants de la région et de maintenir la paix et la justice. Ce rôle est devenu, depuis la seconde moitié du XIIe s., celui du seigneur qui exerce le ban (commandement) et détient de ce fait des pouvoirs régaliens. Il fait construire un pressoir, un four et un moulin pour obliger les habitants à les utiliser en échange de taxes (les banalités). Il fait payer des tonlieux (péages) lors du passage sur sa seigneurie. Il perçoit la taille arbitraire et irrégulière qui deviendra fixe et annuelle au XIIe s. Il juge des questions foncières et même parfois s’arroge la haute justice (qui condamne à mort). Ainsi se forme la seigneurie banale, cellule politique fondamentale du Moyen Âge.
Cérémonie d’adoubement d’un chevalier. Enluminure extraite du Roman de Troie de Benoît de Sainte Maure. 1160. BnF, département des Manuscrits occidentaux, Paris. Le jeune adolescent, au terme d’une formation idéologique et militaire reçoit l’épée et les armes (haubert, baudrier, heaume, éperons) des mains d’un noble qui accomplit le geste de la « colée », coup (magique et fraternel) porté sur la nuque ou l’épaule avec la main ou le plat de l’épée. Au XIIIe s., la cérémonie est précédée d’une nuit de prière et l’épée posée sur l’autel reçoit une bénédiction.
Depuis le
IX e
s., le
ban royal
a été progressivement usurpé par les comtes. Le
ban comtal
est à son tour exercé par l’un ou l’autre membre de l’aristocratie, tantôt propriétaire de vastes domaines, tantôt châtelain comtal, représentant local du comte.
5.1 Les nobles, les chevaliers et leur goût pour les batailles
La noblesse ou aristocratie est née de la fusion des descendants des comtes carolingiens et des milites, guerriers à cheval initialement à leur service. Après 1100, ces guerriers se distinguent en formant un groupe social, la chevalerie, avec ses rituels (l’adoubement) et son éthique (prouesse, honneur, fidélité, largesse). L’aristocratie se prend d’un goût pour l’activité des armes, symbole de sa supériorité, et finit par s’identifier à la chevalerie réservée aux riches (le coût de l’armement est important) et
5.3 Les liens vassaliques
Dès le IXe s., les Carolingiens ont développé une pratique ancienne consistant parmi les hommes à se lier : un homme se « recommande » volontairement à un autre à qui il se dévoue en échange de sa protection. Les Carolingiens se sont servis de cette pratique pour renforcer leur emprise sur le royaume en s’attachant directement les plus influents des comtes. Ce lien d’homme à homme constitue le lien vassalique. Lors de la cérémonie de l’hommage, un seigneur s’unit à un vassal qui en échange de sa protection, de cadeaux et d’un fief doit à son maître
Donjon du château de Gisors (Eure, France) construit sur une motte. Vue actuelle.
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intégrés dans le système féodal. Mais la recherche de richesse et de puissance détourne le clergé de son action religieuse. Il confond pouvoir temporel et spirituel. Il achète les charges, vend les sacrements (simonie) et est souvent concubinaire voire marié (nicolaïsme). La première réaction de l’Église sera d’assurer la paix dans la société en instaurant la Paix de Le système féodal a Dieu et la Trêve de Dieu (milieu vite posé des problèmes. du Xe s.) afin de préserver les • Comment transmettre le fief ? faibles contre la violence des belLe seigneur fait réitérer l’homlatores. À partir du XIe s., l’Église mage à chaque transmission héréditaire du fief et réclame met l’accent sur la réforme modes droits de succession (droit rale du clergé dont les déviations de relief). s’expliquent par l’intervention Que devient le fief en cas de • des laïcs dans la nomination des félonie ? Le seigneur se réserve évêques et abbés. La réforme le droit de commise ou de confiscation en cas de faute grave. grégorienne, du nom du Pape Comment un vassal détenant • Grégoire VII (1073-1085), vise plusieurs fiefs de seigneurs difà réformer l’Église en imposant férents doit-il se comporter ? l’idée que le clergé doit contrôler En principe le vassal a prêté toutes les activités des hommes un hommage lige qui le lie par priorité à un seigneur particulier. y compris la politique. Le pape, • Qu’en est-il des fiefs en prindésormais élu par les cardinaux, cipe inaliénables ? L’évolution dispute à l’empereur la primautend vers l’autonomie des vasté dans la chrétienté. C’est la saux qui parviennent à aliéner le Querelle des Investitures qui se fief ou à le sous-inféoder. conclut provisoirement en 1122 par le Concordat de Worms : l’investiture spirituelle est réservée au pape et l’investiture temporelle à l’empereur.
L’hommage et l’investiture. Miniatures du Sachsenspiegel (« Miroir des Saxons »). XIVe s. Bibliothèque de l’Université, Heidelberg (Allemagne).
le conseil et l’aide. Les conseils fournis par les vassaux sont d’ordre judiciaire et politique. L’aide en argent (pour l’adoubement d’un fils, le mariage d’une sœur ou d’une fille, une rançon, le départ en croisade) se double de l’aide militaire en raison de la tenue du fief. Le fief, qui se généralise à la fin du IXe s., est le gage de l’accord et prend la forme le plus souvent d’une terre dont le vassal n’est pas propriétaire mais l’usufruitier ; il peut aussi consister en une taxe, une part de dîme ou un office. C’est une sorte de salaire qui permet de servir le seigneur. Il a pris une telle importance dans le contrat vassalique que la société sera qualifiée de féodale. Mais en réalité, cela ne concerne qu’une proportion infime de la population (2 %). Les fiefs se multiplient, mais ne dépasseront pas dans la plupart des régions le nombre d’alleux (terres libres possédées en toute propriété qui n’ont pas été concédées par un seigneur). En France, dans la seconde moitié du XIIIe s., la royauté s’impose de plus en plus et le système féodal s’affaiblit : le service militaire dû au roi est remplacé par une armée soldée et les aides des vassaux par l’impôt.
Cette réforme se double d’un renouveau monastique à partir de 909-910 avec la fondation de l’abbaye de Cluny. Les moines se consacrent à la prière et font exécuter les travaux manuels par du personnel salarié. Ils désignent eux-mêmes leurs abbés sans ingérence extérieure. Mais les clunisiens s’enrichissent considérablement et se détourneront de la règle de pauvreté. La réaction viendra des ermites qui cherchent à vivre dans la solitude et la pauvreté. Ils sont à l’origine de nouveaux ordres religieux comme les Chartreux (1084) et les Cisterciens (1098) qui imposent la rupture avec le monde, la pauvreté et le silence ainsi que l’obligation d’assurer eux-mêmes leur subsistance.
5.4 L’influence de l’Église
Chaque établissement ecclésiastique (évêché, chapitre cathédral, abbaye) organise ses domaines comme une seigneurie. Évêques et abbés sont 71
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en Europe où ils ont acquis, par achats et donations, une fortune considérable. Par ailleurs, en Orient, la culture des conquérants a évolué au contact des pays conquis : bon nombre ont adopté les coutumes et langues des Syriens, des Arméniens... Cependant, on n’observe pas la naissance d’une société mixte chrétiens-musulmans ; le souci de combattre l’autre ou de le convertir a largement prévalu.
6. L’évolution des pouvoirs monarchiques
6.1 La France : l’accaparement du pouvoir par le roi
En 987, Hugues Capet est élu roi par les grands seigneurs et les évêques du royaume. Son accession au pouvoir met fin à la dynastie des Carolingiens. Il ne règne en réalité que sur la région de Paris et Orléans. Le reste du pays est partagé entre des princes plus puissants que lui et dont beaucoup ne lui prêtent même pas l’hommage (duc de Normandie, duc d’Aquitaine, comte d’Anjou, comte de Flandre...). Le sacre à Reims lui confère un caractère sacré qui lui donne le pouvoir de guérir certaines maladies (les écrouelles : maladie de la peau). Le fils aîné est associé au pouvoir de son père de son vivant, ce qui permet de rendre la monarchie héréditaire. Les Capétiens renforcent leur autorité en s’efforçant d’exiger l’hommage (lige de préférence) et en triplant le domaine royal entre 987 et 1160. L’époque décisive est celle de Philippe Auguste qui parvient à récupérer les terres du roi d’Angleterre (moitié ouest de la France) à la victoire de Bouvines en 1214. Ensuite, Louis IX établit son autorité sur le sud de la France. La construction est parachevée par Philippe IV le Bel (1285-1314). Le domaine royal représente alors 4/5 du royaume. Parallèlement, une administration de plus en plus efficace assied le pouvoir du roi (finances, justice). Ainsi le pouvoir royal n’a cessé de progresser au détriment de l’autonomie des grands.
Reconquête de la ville d’Acre (Palestine) par les Croisés en 1191. Enluminure extraite du Miroir historial de Vincent de Beauvais. Tome III, f°359v. XVe s. Peinture sur papier. Musée Condé, Chantilly.
Enfin, le renouveau de l’Église se traduit par une volonté d’expansion et une forte affirmation face à l’Orient (Islam et Byzance). Le pape Urbain II à Clermont (1095) canalise la violence chevaleresque vers un objectif de paix : la croisade ou la libération de la terre chrétienne occupée par les Turcs. Entre 1095 et 1270, huit croisades se succédèrent et aboutirent à la création des États latins d’Orient qui survécurent tant bien que mal jusqu’en 1291. La croisade se conçoit d’une part comme une guerre juste ou sainte visant à délivrer les lieux saints et d’autre part comme un pèlerinage en armes à valeur pénitentielle. Les croisés sont des pèlerins qui, allant combattre les infidèles, accomplissent une œuvre méritoire. Les croisades auront des conséquences : l’amélioration de la connaissance de l’Islam par les Occidentaux (langue, architecture, iconographie) ; d’incessants mouvements de population entre Occident et Orient (croisés, migrants, marchands, moines-soldats) ; création d’ordres religieux militaires (Hospitaliers, 1113 ; Templiers, 1129) qui ont alimenté les croisades en armes et en hommes et qui ont essaimé
6.2 L’Angleterre : le partage du pouvoir
Guillaume le Conquérant est duc de Normandie depuis 1035. Il débarque en Angleterre pour 72
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défendre ses droits à la couronne. À la bataille de Hastings (1066), il bat le roi Harold et obtient le couronnement à Westminster. Il s’attribue une grande partie du territoire comme domaine personnel et distribue le reste à ses compagnons d’armes qui deviennent ses vassaux et lui prêtent serment de fidélité. Il prend soin de disperser ces domaines et se réserve le pouvoir de justice. Il contrôle le pays divisé en shires (comtés) que dirigent les shériffs, chargés de rendre la justice et de prélever hommes et taxes. Le royaume connaît une histoire politique mouvementée. Henri II Plantagenêt, qui a épousé Aliénor d’Aquitaine, monte sur le trône en 1154 et reçoit tout l’ouest du royaume de France. Vassal du roi de France, il ne lui rend cependant pas hommage pour les biens qu’il possède sur le continent. C’est aussi le cas de son fils, Richard Cœur de Lion. Son frère, Jean sans Terre, perd ses territoires face au roi Philippe Auguste en 1214. L’année suivante, les barons révoltés lui imposent la Grande Charte qui limite l’arbitraire royal : elle garantit les droits des hommes libres, les libertés de l’Église et la liberté de commerce. Aucun impôt ne peut être levé sans le consentement des barons et des évêques.
En 1258, par les Provisions d’Oxford, le roi est contraint de convoquer trois fois par an le Conseil prévu par la Grande Charte. Cette assemblée composée de représentants de la noblesse et des villes prend le nom de Parlement qui partage désormais le pouvoir (pas la justice) avec le roi. 6.3 Le Saint-Empire : l’émiettement du pouvoir
En 962, Otton le Grand recrée l’Empire disloqué depuis Charlemagne. L’empereur est élu par des princes laïques et ecclésiastiques (7 électeurs). Son pouvoir est faible car il doit se contenter des biens de son propre lignage et parce que son pouvoir n’est pas héréditaire. De plus, pour obtenir le titre d’empereur, il doit être couronné par le pape. Tous deux aspirent à la domination sur la chrétienté et se disputent sur la question de l’investiture (XIe s.). Ces difficultés incessantes profitent aux princes et aux villes qui confisquent à leur profit l’autorité de l’empereur. Celui-ci leur cède des droits : justice, armée, droit de lever l’impôt, de battre monnaie... L’Empire est devenu une mosaïque d’États plus ou moins indépendants. ■
> GRAND ANGLE > FOCUS > PATRIMOINE
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Le monde européen médiéval L’impact des villes sur la société
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La cathédrale de Tournai
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> TEMPS MODERNES > Le monde amérindien 1000
1100
1200
Incas Époque pré-impériale
Aztèques
1250 Arrivée des Mexica dans la vallée de Mexico
Le monde amérindien Lorsque Christophe Colomb arrive en Amérique en 1492, se croyant en Inde, il nomme les habitants « Indiens ». Les conquistadores (nom donné aux conquérants espagnols) au XVIe s. détruiront les deux civilisations encore puissantes à l’époque, celle des Aztèques et celle des Incas (la civilisation des Mayas a périclité vers le Xe s.). En parlant de monde amérindien, nous désignons ces deux peuples. › Atlas d’Histoire pl. 65 › Petit atlas d’Histoire pl. 37
et scelle définitivement le destin de l’Empire. Les Espagnols devront faire face à la résistance du peuple inca jusqu’à la décapitation en 1572 de son dernier empereur, Thupa Amaru, sur l’ordre du vice-roi Francisco de Toledo.
• Le pouvoir L’Inca est avant tout un guerrier qui a su s’imposer par la force. La mort de l’empereur provoque souvent des luttes fratricides car il n’y a pas de règle de succession au trône. L’Inca est regardé comme le fils d’Inti, le dieu soleil. Il est avant tout un roiprêtre au pouvoir magique, intermédiaire entre les hommes et les dieux. L’Inca a le privilège de fonder une lignée et de se constituer ainsi une importante propriété foncière. À sa mort, ses descendants mâles perpétuent sa mémoire et gardent sa momie. Quelques-unes de ses épouses et d’autres membres de son entourage qui avaient manifesté le désir de le suivre sont mis à mort. Le corps de l’Inca est embaumé avec une préparation aromatique et du bitume, le cœur et les viscères préalablement retirés. Le cœur est brûlé et ses cendres, mélangées avec une pâte d’or, remplissent le ventre d’une des trois statues du soleil dans le temple principal de Cuzco, le Coricancha. La momie réintégrait après quelque temps le palais comme si rien ne s’était passé. L’Inca « vivait » avec son lignage et conservait ses biens. Son autorité est fondée sur des liens personnels avec les caciques (seigneurs locaux) des peuples conquis auxquels il fait des dons réguliers (lamas, vêtements…). L’État inca n’est pas centralisé ni uniformisé. Les caciques sont pour la plupart
1. Les Incas 1.1 L’organisation politique
• L’Empire Après des luttes incessantes contre les peuples montagnards de la région de Cuzco (Pérou) entre 1000 et 1400, les Incas s’imposent finalement dans la seconde moitié du XVe s. et fondent un empire dans toute la vallée. L’histoire des Incas commence officiellement avec le 9e roi, Pachacutec (14381471). Ses successeurs poursuivent l’extension du territoire selon l’axe de la cordillère des Andes, sur quelque 4 000 kilomètres, du nord de l’Équateur au centre du Chili actuel. Il couvre une superficie de 950 000 km², soit trente fois la Belgique. Les Espagnols pénètrent dans l’Empire en 1532 avec à leur tête Francisco Pizarro (1475-1549) qui, avec sa petite troupe de 182 hommes, met en fuite l’armée impériale, terrorisée par les chevaux et les armes à feu. L’empereur souverain inca, Atahualpa, est exécuté en juin 1533 et, peu après, la troupe de Pizarro s’empare de la capitale, Cuzco, 74
TEMPS MODERNES 1300
1400
1500 1438
1471
Règne de Pachacutec, véritable fondateur de l’Empire Époque impériale Extension de l’Empire aztèque 1350 Fondation de Tenochtitlan
1428 Fondation de la Triple Alliance Début de l’Empire aztèque
1519 Arrivée des Espagnols
1600 1533 1572 Prise de Cuzco Décapitation du dernier par Pizarro roi Thupa Amaru
Conquête espagnole
1521 Chute de Tenochtitlan
1522 Cortès, gouverneur général de la Nouvelle Espagne
Le Machu Picchu, vestiges de l’ancienne cité inca. Vue actuelle.
laissés libres de gérer les affaires courantes de leurs villages. Il n’y a pas d’armée professionnelle. Ce sont les sujets du peuple incorporés à l’Empire qui doivent accomplir la corvée militaire. Pour éviter des insurrections contre cette servitude, l’Inca (le souverain) fournit aux soldats vêtements, couvertures, maïs et coca (plante originaire d’Amérique du Sud). Tout cela était entreposé dans les nombreux relais établis le long du vaste réseau routier qui couvrait tout l’Empire.
1.2 L’organisation sociale et économique
• La société La classe dominante est constituée par les lignages qui descendent des souverains incas. L’individu se définit par l’appartenance à un lignage (ayllu) constitué des descendants d’un ancêtre commun qui jadis a constitué un patrimoine foncier généralement par la guerre. Plusieurs ayllus pouvaient se fédérer et former ce que les Espagnols ont appelé 75
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des « nations » ou provinces. Au sein de chaque ayllu, le cacique représente le fondateur et exerce l’autorité (répartition des travaux collectifs et règlement des litiges). Les caciques de rang supérieur, ceux qui sont à la tête de nations ou provinces, forment une sorte de noblesse. À ces classes privilégiées s’ajoutent les classes populaires. Les artisans et pêcheurs forment un groupe important. Les artisans de la côte fournissent à l’État de nombreuses pièces manufacturées, des poteries et des sculptures. Les artisans de la sierra (chaîne de montagnes des pays hispaniques) sont spécialisés dans les tissus, le sel, la céramique. Le rang le plus humble de la société est occupé par les pina ou prisonniers de guerre. Vase inca à motifs géométriques. XVe – XVIe s., Musée de la Préhistoire et de l’ethnographie, Pigorini (Italie).
1.3 La religion et l’art
• La religion La religion inca est fondée sur le culte du soleil (Inti) représenté par une statue en or de forme humaine surmontée d’un disque. Elle est conservée dans le Coricancha, le temple du soleil de Cuzco. Inti est entouré d’un panthéon où se mêlent les dieux des tribus conquises. La déesse lune, Killa, est la sœur-épouse du soleil et les constellations sont des divinités. Les phénomènes naturels, comme l’éclair, la foudre et le tonnerre, ainsi que la terre nourricière, Pacha Mama sont aussi honorés comme des dieux. Des rochers ou des grottes font l’objet d’un culte car ils sont animés d’une sorte d’âme (huaca). Progressivement, notamment sous l’impulsion de l’Inca Pachacutec (début XVe s.), le dieu créateur, Viracocha, prend la place du dieu-soleil comme être suprême. Il se manifesta une première fois en créant le ciel et une terre plongée dans l’obscurité, dont les hommes furent changés en statues de pierre. Dans une seconde manifestation, Viracocha, sorti du lac Titicaca, inventa le soleil, la lumière, la lune et les étoiles puis s’éloigna en direction du soleil couchant. Chez les Incas, les offrandes de plantes (maïs, coca) sont quotidiennes. Lors d’occasions importantes, des animaux, comme les lamas, sont sacrifiés. À des périodes tragiques – mort de l’empereur, grands troubles –, des humains sont offerts aux dieux pour les apaiser. Être victime d’un sacrifice est un honneur réservé à des êtres purs et en bonne condition physique, d’où le choix d’enfants ou de jeunes filles. L’Inca est enterré par sa famille, entouré de ses instruments de travail, de talismans et de quelques offrandes alimentaires. Après la mort, le « double » continue de réclamer attentions et offrandes ; aussi chaque année apportait-on aux sépultures des ancêtres de la nourriture et divers objets, afin d’en maintenir l’intégrité.
• Le système économique La vie économique est double. D’une part, le travail s’effectue au sein des lignages pour en assurer la subsistance et, d’autre part, il s’exerce au profit de l’Inca afin de lui fournir des biens qu’il redistribue. Chaque ayllu se spécialise dans un domaine économique : agriculture, pêche, poterie, tissage… L’État perçoit de la plupart des sujets des journées de travail : construire des routes et des édifices, cultiver les terres de l’Inca, tisser des vêtements... Cette corvée, qui peut durer de trois mois à un an, s’appelle mita (tour, roulement). En échange du travail, chacun reçoit nourriture et boisson de l’État. Le commerce et la monnaie sont inexistants. Un troc des biens de première nécessité (laine, viande, piment, coca) a existé un peu partout. La coca est réservée à l’élite dominante ; elle sert de stimulant pour tromper la faim ou la fatigue, mais aussi d’offrande aux divinités ou d’instrument de divination. D’innombrables terrasses, disposées à flanc de montagne et irriguées à l’aide d’un vaste réseau de canaux, permettent de cultiver la moindre parcelle de terre arable. La pomme de terre est l’aliment de base et le maïs est la nourriture quotidienne des classes élevées. Il est aussi utilisé pour faire de la bière (chicha). On cultive également le haricot, la calebasse, la courge, l’avocat, le manioc et le coton. Les principaux aliments carnés sont le cochon d’Inde, le canard, le lama et l’alpaga.
• Les arts et le savoir La civilisation andine a mis au point un système d’écriture tridimensionnel : les quipus. Ce sont des cordes portant des nœuds. On a réussi à déchiffrer les signes indiquant des nombres, mais pas les mots. Le mode d’expression artistique principal des Incas est le textile en laine de lama ou d’alpaga aux motifs géométriques abstraits. L’architecture inca 76
TEMPS ANTIQUITÉ MODERNES
Homme comptant sur un quipu. Dessin extrait d’un livre de Felipe Guamán Poma de Ayala. Vers 1615.
Azteca (nom donné dans les travaux scientifiques des XVIIIe et XIXe s.), habitants de Aztlan, pays d’origine légendaire des Aztèques. En 1325, ils fondent leur capitale, Tenochtitlan (Mexico), à l’endroit où, selon la légende, ils virent un aigle perché sur un figuier de barbarie (nopal). Ils consolident leur position en soumettant les tribus voisines et en formant une triple alliance en 1428, coalition politico-militaire et économique (Tezcoco-Tlacopan-Tenochtitlan) qui deviendra « l’Empire aztèque ». Les Aztèques poursuivent l’extension du territoire avec Motecuhzoma Ier (14401469) et les souverains qui lui succèdent. L’Empire s’étendra du Mexique au Guatemala actuels. Cependant, les tensions entre les peuples soumis contribueront au succès des conquistadores, menés par Cortès, qui entrent à Tenochtitlan en 1521 et exécuteront le dernier souverain, Cuauhtémoc (1520-1524).
Détail d’un poncho inca. XVe s. Museum für Völkerkunde, Berlin (Allemagne).
• Le gouvernement de l’Empire
Mur inca à Sacsayhuamán (Pérou). Photographie actuelle.
Le chef de l’État (Tlatoani) exerce les pouvoirs politiques, militaires et religieux. Il est désigné au sein de sa parenté par le Conseil suprême avec l’accord des deux autres souverains de la Triple Alliance. D’autres nombreux fonctionnaires subalternes participent aux affaires de l’État. L’Empire est en réalité un ensemble de cités-États soumises à l’autorité des souverains de la Triple Alliance et dirigées par un seigneur local (calpullec). C’est un empire de type hégémonique à caractère essentiellement économique se procurant les produits dont il est dépourvu sous forme de tributs payés par les peuples soumis. Le tribut impérial est composé de marchandises ou de produits alimentaires (maïs, cacao, piment, sel, plumes, peaux, pierres précieuses, coton…), ainsi que de produits manufacturés (vêtements, boucliers, coiffes…) et d’esclaves. Le tribut sert à entretenir le souverain, sa famille, sa cour et tous ses employés. Il couvre aussi les dépenses militaires. Pour maintenir le système en place, les souverains tissent des liens de fidélité et matrimoniaux avec les seigneurs locaux. Mais l’hétérogénéité de l’Empire, due à son extension géographique et à la diversité des populations, le rendait fragile.
se distingue par des portes trapézoïdales et des murs en bossage (pierres taillées en forme de coussins), de manière à créer un jeu d’ombre. Les édifices les plus imposants sont formés de salles allongées avec un toit en double pente soutenu par des piliers plantés dans le sol selon un axe longitudinal. La céramique la plus caractéristique est l’aryballe, une jarre servant à transporter la bière de maïs sur le dos, au moyen d’une corde. Les lignes sont simples et les couleurs généralement réduites à deux : noir, jaune ou blanc sur fond rouge ou orangé. Les meilleures pièces d’orfèvrerie ont été fondues par les Espagnols.
2. Les Aztèques 2.1 L’organisation politique
• L’Empire Au XIe s. ap. J.-C., des peuples migrèrent du nordouest du Mexique vers la vallée de Mexico où ils parvinrent vers 1250. Ils s’appelaient Mexica ou 77
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Au bas de la pyramide sociale se trouvent ceux qui n’ont aucune autorité et ne bénéficient d’aucune charge, les maceualtin. Au sommet, les pochteca ou commerçants, forment une classe fermée et héréditaire. Ils servent d’espions sous couvert d’activités commerciales dans les régions lointaines et facilitent ainsi les conquêtes territoriales. Les artisans se divisent en fabricants de produits de luxe (orfèvrerie, plumes) et en métiers mineurs (vêtements, nattes, paniers). Au bas de l’échelle sociale, on dénombre des sortes de serfs attachés à la terre (tlatlacotin), des esclaves et des prisonniers de guerre.
Les soldats sont fournis par des cités et il n’y a pas d’armée permanente. La guerre est un moyen d’acquérir des territoires, mais aussi d’accomplir un devoir cosmique : alimenter le Soleil du sang des prisonniers sacrifiés. La justice est rendue par divers tribunaux en fonction de la nature des délits et du statut des inculpés (nobles, guerriers, commerçants, religieux). Les délits irréparables entraînent la peine de mort : pendaison de l’assassin, lapidation de l’adultère. Le voleur d’or ou d’argent est passible de la peine capitale. 2.2 L’organisation sociale et économique
• Le système économique Les ressources des Aztèques sont issues de l’agriculture et des nombreux tributs payés par les peuples conquis. Sans animaux de trait ni d’araire, les agriculteurs utilisent un simple bâton à fouir. Les aliments de base sont le maïs, les haricots, les piments et les courges. Les dignitaires consomment du cacao délayé dans de l’eau, additionné de miel et de vanille. Les Aztèques ne connaissent pas la volaille ni la viande de boucherie, à l’exception du dindon. Pour augmenter les surfaces cultivables, ils cultivent en terrasses, irriguent et aménagent des chinampas ou jardins flottants : sur un châssis de minces troncs d’arbres attachés par des cordes, des roseaux et des baguettes, on étale une couche de gravier, de terre et de vase dans laquelle on plante légumes, fleurs et arbustes. C’est sur un véritable archipel d’îlots naturels ou artificiels, que fut construit Tenochtitlan. Il existe aussi un commerce lointain fait à base de troc ou avec une monnaie constituée de fèves de cacao. Dans la vallée de Mexico, toutes les localités importantes ont un marché. Celui de Tenochtitlan, le plus important, présente l’avantage d’être accessible par de nombreuses voies terrestres et navigables.
• La société Au sommet de la pyramide sociale, le Tlatoani est aidé par l’aristocratie dirigeante et les prêtres. Les nobles du palais sont descendants de lignages prestigieux ou promus à cette dignité en raison de leurs exploits guerriers par le Tlatoani. Ils reçoivent de la nourriture, un logement, une solde et sont exempts d’impôts. Les prêtres les plus importants appartiennent à la classe de la noblesse. Ils sont voués au célibat et à une vie austère. Certains sont spécialement chargés des sacrifices humains, d’autres entretiennent les feux, offrent de la nourriture aux dieux et surveillent la construction des temples. Ils dirigent aussi les calmecac ou collèges religieux. Des prêtresses assurent le culte des déesses féminines.
2.3 La religion et la civilisation
• La religion La plupart des divinités aztèques sont empruntées aux peuples conquis. Les dieux aztèques sont perçus comme des « puissances » qui n’agissent pas en fonction de sentiments personnels comme
La ville de Tenochtitlan. Peinture de Miguel Covarrubias. 1 moitié du XXe s. Musée national d’anthropologie, Mexico. Il s’agit ici d’une reconstitution de Tenochtitlan au XV e s., avant la conquête espagnole. re
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TEMPS ANTIQUITÉ MODERNES
dans la mythologie grecque par exemple, mais en fonction de leur « compétence ». Parmi les dieux, citons : Tescatlipoca, le dieu omnipotent, redouté, protecteur des souverains ; Tlaloc, dieu de la pluie et son équivalent féminin Chachiuhtlicue, déesse de l’eau ; Centeol, dieu du maïs ; Xochipilli, dieu de la végétation. Le plus important est Huitzilopochtli, le soleil qui terrasse ses ennemis, dont le culte consiste en sacrifices humains, élément central de la religion aztèque. Les sacrifiés, généralement des prisonniers de guerre, ont le cœur arraché afin d’alimenter de leur sang le dieu soleil pour qu’il puisse se mouvoir dans le ciel. Quezalcoatl (« Serpent à plumes ») occupe une place à part car il est compétent dans les trois domaines : création, fertilité et guerre. La vie après la mort ne dépend pas de celle menée sur terre, mais de la manière de mourir et de la profession du défunt. Les guerriers morts au combat ou sur la pierre de sacrifice vont au paradis de l’est, « la maison du soleil ». Les femmes mortes en couches accèdent au paradis de l’ouest. Au sud parviennent ceux qui sont morts foudroyés ou d’une maladie associée au dieu de la pluie. Les autres défunts entrent dans l’empire des morts, au nord.
passer une balle dans un anneau placé en hauteur contre un mur, sans utiliser les pieds ni les mains. Le second est une sorte de jeu de l’oie. Ces jeux ont sans doute une signification religieuse en rapport avec la course du soleil. En architecture, les Aztèques s’inspirent des cultures antérieures (Toltèques) : la pyramide à degrés et le palais horizontal. L’originalité aztèque consiste à juxtaposer au sommet d’une pyramide unique des sanctuaires jumelés comme ceux de Tlaloc et de Huitzilopochtli en haut du Templo Mayor (« grand temple ») de Tenochtitlan. En ce qui concerne l’architecture civile, en particulier les palais, les bâtiments sont groupés autour de patios et de jardins. Les sculptures sont variées : la pierre de Tizoc (la pierre du Soleil) et de nombreuses figurines anthropomorphes ou zoomorphes. Les Aztèques confectionnent aussi des objets d’orfèvrerie et de plumes (éventails, costumes, coiffes…). Ils ignorent le tour du potier et recourent aux procédés du modelage et du moulage. ■
• La civilisation L’unité de base de la société est la famille nucléaire : père, mère et enfants. Après quinze ans, les fils de dignitaires entrent au calmecac (« monastère ») pour les préparer à la prêtrise ou aux fonctions de l’État. Les filles y apprennent à filer et tisser des vêtements pour les dieux. Les enfants de milieux modestes poursuivent des études axées sur la guerre et la réparation des temples dans les collèges de quartier (telpochcalli) gérés par d’anciens soldats. Le jeu de balle (tlchatli) et le jeu de dés (patolli) sont très en vogue chez les Aztèques. Le premier consiste à faire
Huitzilopochli, peinture extraite du Codex Borbonicus. Début du XVIe s. BnF, département des Manuscrits, Paris. Le Codex Borbonicus était un calendrier religieux et divinatoire mexicain.
L’un des anneaux du jeu de balle à Chichen Itza (Mexique), situé à un peu plus de 7 m au-dessus du sol. Photographie actuelle.
Vase en céramique à l’effigie de Tlatloc, dieu de la pluie. 1427-1440. Musée du Templo Mayor, Mexico.
> GRAND ANGLE > FOCUS > PATRIMOINE
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Le monde amérindien La conquête du Nouveau Monde
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Le Templo Mayor de Mexico
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GRAND ANGLE
GRAND ANGLE
> TEMPS MODERNES > L’Europe de la Renaissance
1200
1300
Débuts de la Renaissance en Italie Giotto : 1266-1337 Dante : 1307-1321
L’Europe de la Renaissance 1. Qu’est-ce que
fresques d’Assise sur la vie de Saint François avant 1300, ouvrirent la voie à la Renaissance et eurent une influence durable dans toute l’Europe. Dans les domaines technique et scientifique, l’Europe accusait depuis longtemps un retard certain par rapport à la Chine et au monde islamique. Elle connut à la Renaissance une accélération, un formidable bond en avant qui s’explique par plusieurs facteurs : la sécularisation de vastes domaines du savoir (en astronomie, anatomie…), la diffusion des connaissances grâce à l’imprimerie, la multiplication des écoles et des universités, l’essor de l’humanisme. L’expansion du
la Renaissance ?
La Renaissance est un mouvement intellectuel, artistique et scientifique qui débute en Italie et en Flandre au XIVe s. et s’étend au reste de l’Europe jusqu’au XVIe s. Il ne s’agit pas d’une période historique : la Renaissance se situe à la charnière entre la fin du Moyen Âge et le début des Temps modernes. Ce sont les intellectuels de cette époque qui ont créé l’idée d’un renouveau : bien sûr, ils se considéraient comme « modernes ». Admirateurs des anciens (ils avaient la passion de l’Antiquité), ils méprisaient le Moyen Âge considéré comme une période obscure, barbare. Ils avaient le sentiment de vivre une période exceptionnelle, où l’art et l’esprit l’emportaient sur les ténèbres. En fait, il n’y a pas eu de rupture entre le Moyen Âge et les Temps modernes : des écrivains comme Dante Alighieri (homme politique et poète florentin, 1307-1321), qui écrivit La Divine Comédie, et des peintres comme Giotto qui réalisa les
Lamentation devant le Christ mort. Fresque de Giotto di Bondone. 1305. 200 × 185 cm. Chapelle Scrovegni, Padoue (Italie).
80
TEMPS MODERNES Thomas More : 1478-1535 1500
1600 André Vésale : 1514-1564
1400
Expansion de la Renaisance en Europe Botticelli : 1444-1510 Léonard de Vinci : 1452-1519 Érasme : 1466-1536 Copernic : 1473-1543 Michel-Ange : 1475-1564 Rabelais : 1483-1553 Machiavel : 1469-1527
Mercator : 1512-1594 Montaigne : 1533-1592
statues et monuments, les riches mécènes se constituent des collections d’objets et de manuscrits.
commerce et les explorations, puis les conquêtes outre-mer ont encore amplifié le mouvement. L’accumulation des richesses a suscité le mécénat et permis un épanouissement artistique dont nous pouvons encore contempler les œuvres dans toute l’Europe.
3. La révolution
typographique
2. L’humanisme
ÉRASME, européen et humaniste
(1466-1536) Né à Rotterdam vers 1466, Érasme est le plus fameux des humanistes et intellectuels de cette époque. Ordonné prêtre en 1492, il devint secrétaire de l’archevêque de Cambrai ; il habita d’abord Bruxelles (on peut encore visiter la maison qu’il occupa à Anderlecht), puis se rendit à Paris pour étudier la théologie à l’université. Il voyagea ensuite en Angleterre, en Italie, en Allemagne, en France… Sa réputation grandit et tous les grands de l’époque voulaient le rencontrer. Il écrivit des satires, comme l’Éloge de la Folie, des ouvrages philosophiques et théologiques, traduisit les Pères de l’Église et la Bible. Il écrivit des milliers de lettres qui contiennent ses idées et expriment celles des humanistes.
Le papier est fabriqué en Europe depuis le XIVe s. à partir de chiffon. C’est l’imprimerie qui va permettre et révolutionner l’accès au savoir, grâce à l’invention des caractères mobiles en métal par Jean Gutenberg en 1434 à Mayence. La nouvelle technique se répand à une vitesse foudroyante dans toute l’Europe. Désormais, écrivains et savants vont pouvoir échanger idées et connaissances, les discuter, les enrichir. De plus, un nombre croissant de livres vont être imprimés non plus en latin, mais dans les différentes langues d’usage quotidien, comme l’italien, l’allemand, le français, l’espagnol et l’anglais. Ce qui aura pour conséquence de développer une conscience nationale. Les livres contiennent non seulement des textes, mais ils véhiculent aussi des images, religieuses d’abord, puis des reproductions qui ont modifié la géographie, l’astronomie, la botanique, l’anatomie… Si le premier livre européen imprimé a été la Bible, l’imprimerie fournit très vite des livres dans divers domaines. En 1298 déjà, le marchand vénitien Marco Polo avait relaté ses voyages à travers l’Asie dans le Devisement du monde, appelé aussi Le Livre des Merveilles : il y décrivait les richesses et l’étonnement
À lui seul, ce mot résume l’essentiel de l’esprit de la Renaissance. L’humaniste place l’homme au centre de l’univers, en rupture totale avec les gens du Moyen Âge pour qui le monde est avant tout une création voulue par Dieu. Les sujets d’intérêt sont avant tout l’homme et la nature et cela se répercute dans les sciences. C’est aussi la naissance de l’individualisme ; la dignité humaine prend une place importante, ainsi que la liberté individuelle. On retrouve là les sources intellectuelles de notre monde contemporain. Tous ces portraits, en peinture comme en sculpture, affirment une identité : ils ne sont plus un symbole, mais un être humain distinct avec un nom, des qualités ou des défauts physiques, un statut social et professionnel. Les artistes signent leurs œuvres. Les intellectuels entreprennent d’analyser, traduire, publier et enseigner les textes du passé pour mieux comprendre le présent. Une nouvelle discipline, la philologie, devient un instrument pour établir la vérité historique. Les auteurs antiques, et particulièrement les philosophes grecs comme Aristote et Platon sont mis à l’honneur. La Renaissance n’a pas redécouvert l’Antiquité : pendant tout le Moyen Âge, les auteurs grecs et latins avaient été lus et recopiés sans cesse par les érudits arabo-musulmans et chrétiens. Mais, seule une minorité urbaine avait accès à des bibliothèques dans les grands centres comme Bagdad, Constantinople, Rome et Venise. Au XVe s., l’intérêt pour l’Antiquité devient une passion. Les artistes observent les ruines, recherchent 81
Portrait d’Érasme. Peinture à l’huile de Hans Holbein le Jeune. 1525. Musée du Louvre, Paris.
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> TEMPS ANTIQUITÉ MODERNES > Le monde > L’Europe des Celtes de la Renaissance
suscité par les traditions asiatiques, en particulier par celles de la cour du Grand Khan en Chine. Traduit en plusieurs langues, recopié, puis imprimé, ce livre eut un succès retentissant. À la suite des nouvelles explorations et conquêtes, des missionnaires, des conquérants et des marchands décrivirent à leur tour les contrées d’Afrique et d’Amérique qu’ils ont parcourues contribuant à une meilleure connaissance du monde. Puis des auteurs comme l’italien Machiavel, dans le Prince (1513), l’anglais Thomas More dans L’Utopie (1516) proposent de nouveaux modèles de gouvernement aux souverains. La vie de cour prend une importance de plus en plus grande : une foule d’ouvrages sur la politesse et l’éducation sont au goût du jour, comme le Livre du Courtisan de Baldassarre Castiglione (1528) ou le manuel de Savoir-vivre à l’usage des enfants d’Érasme en 1530 ; l’éducation humaniste est prônée par Rabelais dans son roman Gargantua (1534) et par Montaigne dans ses Essais (1572-1592).
Coupole du dôme de Florence. Photographie actuelle.
recherches : le florentin Brunelleschi achève la coupole de la cathédrale de Florence en 1436 : elle deviendra un modèle. Outre l’aide qu’ils apportent aux ingénieurs, les progrès des mathématiciens (comme Luca Paoli) s’appliquent dans d’autres domaines. Par exemple, l’augmentation considérable des échanges, la difficulté à équilibrer les importations et les exportations poussent à développer des techniques financières pour calculer le crédit, le profit et les taux d’intérêt. Les transactions commerciales profitèrent de l’introduction des chiffres indo-arabes, de la multiplication et de la division, de l’usage de la virgule… qui en découlaient. La géométrie et les mathématiques ont aussi amené des perfectionnements dans la conception des navires et la cartographie. La science de la Renaissance a été stimulée par les échanges entre l’Orient et l’Occident. Des textes scientifiques grecs avaient pénétré en Europe à partir de l’Empire romain d’Orient. Ils avaient échappé à la destruction grâce à des traductions arabes, persanes et hébraïques, discutées et enrichies dans des centres intellectuels comme Bagdad ou Tolède. Par exemple, la traduction du livre de médecine d’Ibn Sinâ (Avicenne), écrit au Xe s., traduit en latin à Tolède au XIIe s., publié en Italie au XVe s., a été à la base des études de médecine dans toutes les universités européennes.
4. La recherche scientifique
Encore souvent marquée par l’héritage médiéval, la science va évoluer grâce à des hommes qui se dégagent peu à peu de l’influence de la religion. Le savoir se construit désormais à partir d’observations concrètes et d’expérimentations ; un premier discours de la méthode se met en place. Des artistes, comme Michel-Ange et Léonard de Vinci, s’intéressent au corps humain ; des savants et des médecins se penchent sur la circulation sanguine (Ambroise Paré pratique la ligature des artères qui sauvera de nombreux soldats blessés à la guerre) ; à l’université de Louvain, André Vésale fonde l’anatomie moderne. Les astronomes (Nicolas de Cues, Nicolas Copernic, Tsycho Brahé) placent le soleil au centre de l’univers, contrairement à la théorie d’Aristote : ce dernier exemple montre bien que l’humanisme, s’il s’est nourri du savoir antique, a su le dépasser. Des ingénieurs conjuguent leurs efforts pour inventer de nouvelles machines, de nouveaux Dessin anatomique d’André Vésale, tiré du traité À propos vernis et colorants, construire des ponts et des du corps humain. écluses, mais aussi de nouvelles armes et des 1543. Centre d’Études supérieures fortifications. L’architecture bénéficie de leurs de la Renaissance, Tours (France). 82
TEMPS ANTIQUITÉ MODERNES
5. Pouvoir et société
Médicis ou les Peruzzi à Florence. Ces familles sont avant tout des grands banquiers. Des techniques commerciales apparues en Italie aux XIIIe et XIVe s. (comme la lettre de change, la comptabilité, les assurances maritimes) et le crédit se répandent. La richesse et le prestige accumulés par les marchands, banquiers et armateurs seront la base du formidable essor artistique qui caractérise la Renaissance européenne.
Les premiers États centralisés se mettent en place mettant fin au morcellement médiéval : en Espagne, les rois catholiques Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon unifient le pays par leur mariage et achèvent de reconquérir le dernier royaume musulman d’Andalousie en 1492. Les rois de France étendent leurs pouvoirs au détriment de leurs vassaux et la reine d’Angleterre Élisabeth Ire (1558-1603) prépare l’union de l’Angleterre et de l’Écosse (qui sera réalisée au XVIIe s.). Par contre, en Italie et en Allemagne, la division persiste : villes-États et principautés indépendantes prospèrent. Certains souverains jettent les bases des États modernes : ils contrôlent la justice, créent des recettes fiscales, mettent en place une administration et imposent l’usage d’une langue « nationale ». Sur le plan social, le phénomène le plus marquant est l’affirmation de la bourgeoisie, à côté du clergé, de la noblesse et de la paysannerie ; bien que déjà très présente dans les villes médiévales, elle impose peu à peu ses conceptions, ses idées, sa vision du monde à l’ensemble de la société. Ses valeurs reposent sur l’épargne, le travail, le confort domestique, un regard nouveau sur l’enfant et la famille, comme en témoignent les peintures de cette époque.
7. Le renouvellement de l’art
C’est surtout dans le domaine des arts que l’Europe va connaître un épanouissement lié aux valeurs de l’individualisme et de l’humanisme. En 1450, un peintre toscan, Vasari, écrivit un livre appelé Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes : il s’agit de 142 biographies qui commencent avec le peintre florentin Cimabue en 1240 jusqu’à Michel-Ange au XVIe s. C’est lui qui utilisa pour la première fois l’expression italienne de Rinascita pour désigner ce bouleversement artistique. Les grandes caractéristiques de ce mouvement sont : la place accordée aux sujets profanes (mythologie païenne, la nature…), la passion pour une Antiquité mythifiée, la glorification du corps humain, l’approfondissement des lois de la perspective, l’autonomie de la statuaire par rapport à l’architecture, la suprématie de la peinture. Vasari décrivit essentiellement ce qui se passait en Italie et particulièrement à Florence. Les artistes travaillaient sur commande et se faisaient aider par divers artisans. Plusieurs personnes contribuaient à la même œuvre. Les images commandées devaient être peintes, moulées, sculptées, enluminées, tissées ou brodées sur différents supports. Les artistes étaient attachés à un atelier et faisaient appel à différents artisans spécialisés. C’est dans ces ateliers que les jeunes peintres, sculpteurs ou orfèvres apprenaient leur métier. Trois générations de peintres donnèrent leur élan à cet extraordinaire renouveau : • La première est dominée par Giotto (1266-1337) qui s’efforça de donner à l’espace un aspect réel et de représenter des visages humains qui exprimaient de véritables émotions.
6. La montée
du capitalisme commercial et banquier
C’est à ce moment que le monde va devenir un grand marché : on peut y voir les débuts de la mondialisation. Le renouveau économique et commercial profite d’abord de l’augmentation de la production des mines d’argent et de cuivre en Europe centrale au XVe s., puis de l’importation par les Portugais de l’or de Guinée. L’afflux des métaux précieux d’Amérique au XVIe s. permet à l’Europe de connaître une croissance sans précédent. Les pôles économiques se déplacent : les villes flamandes, italiennes et allemandes supplantent l’Espagne, les îles Britanniques et la France. De véritables empires commerciaux se créent autour de familles comme les Fugger à Augsbourg, les 83
GRAND ANGLE
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> TEMPS ANTIQUITÉ MODERNES > Le monde > L’Europe des Celtes de la Renaissance
• La deuxième génération, au début du XVe s., est
et à expérimenter le clair-obscur. Fra Angelico exprime sa foi profonde dans des sujets religieux, révélant une palette de couleurs très riche. Paolo Ucello et Piero della Francesca approfondirent ces recherches. À la fin du XVe s., avec Botticelli et Mantegna l’Antiquité s’insère dans la peinture. • La troisième est celle de Raphaël (1483-1520), Léonard de Vinci et Michel-Ange. Pour ces maîtres, l’art ne doit pas seulement copier la nature, mais donner aux êtres et aux choses un aspect idéal et personnel. L’art demeura cependant, en grande partie, un art religieux, même si le Christ, la Vierge ou les saints étaient peints ou sculptés comme des êtres mortels. On admettait même que les artistes introduisent des personnages contemporains dans des scènes bibliques ou qu’ils représentent la Vierge, comme F. Lippi, sous les traits de leur épouse idéalisée. Les sculpteurs furent influencés par ces peintres tout autant que par les œuvres antiques. Ghiberti sur les portes en bronze du baptistère de Florence s’efforça de donner un espace réel comme dans les peintures ; Donatello (1386-1466), bien qu’inspiré par les nus classiques grecs et les statues équestres romaines, sut leur donner un style personnel. Florence fut incontestablement le foyer de la Renaissance artistique ; celle-ci se répandit ensuite à Rome, puis dans le nord de l’Italie (Milan, Venise…). Le modèle italien se propage dans toute l’Europe, aux XVe et XVIe s. De nouveaux artistes inventèrent des techniques qui seront décisives dans l’histoire de l’art, comme l’eau-forte, inventée par des graveurs allemands, et surtout la peinture à l’huile, mise au point par les frères Hubert et Jean Van Eyck et utilisée par d’autres artistes de nos régions, comme Roger de la Pasture, Robert Campin ou Henri Blès. Le portrait du marchand italien installé à Bruges, Jean Arnolfini et de son épouse révèlent la maîtrise de Van Eyck, son attention aux détails de la vie domestique, l’usage d’huile de lin comme liant, le travail de la perspective qui renvoie notre regard vers le miroir du fond… Comme dans l’art médiéval, l’artiste de la Renaissance introduit dans son tableau des symboles : la bougie allumée symbolise le mariage, le chien la fidélité conjugale. L’expansion économique du XVe s. a créé les conditions du renouvellement de l’architecture. Les
celle de Masaccio (1401-1428) qui fut le premier à user de la perspective de manière scientifique, à marquer le corps humain sous les plis des draperies
LÉONARD DE VINCI
(1452-1519) Génie universel, à la fois peintre, inventeur, ingénieur, sculpteur et architecte, Léonard personnifie l’esprit de la Renaissance. Au service des Médicis à Florence, il travailla ensuite pour les Sforza à Milan, se rendit à Rome, Bologne et Venise et mourut à Amboise au service du roi de France, François Ier. Doué de multiples talents, il nous a laissé des peintures (La Joconde), des fresques (La Cène), mais aussi des manuscrits contenant des études sur l’architecture, l’ingénierie militaire et civile, la mécanique, l’optique, l’anatomie… et des centaines de dessins.
La naissance de Vénus. Tempera sur toile de Sandro Botticelli. 1845. 184 × 285,5 cm. Galerie des Offices, Florence.
MICHEL-ANGE
(1475-1564) Michel-Ange fut à la fois peintre, sculpteur, architecte et poète. Son talent incomparable eut une énorme influence dans l’histoire de l’art. Protégé par les Médicis, puis par les papes, il travailla d’abord à Florence puis à Rome. Plus prolifique que Léonard de Vinci, il laissa des œuvres monumentales, comme les sculptures de David et Moïse, le dôme de Saint-Pierre à Rome, les fresques de la Chapelle Sixtine. Ces œuvres glorifient l’homme avec une audace toute nouvelle et créent des mises en scène extraordinaires. Moïse. Sculpture en marbre de Michel-Ange. 1515. Ht. 235 cm. Église Saint-Pierre-aux-Liens, Rome.
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TEMPS ANTIQUITÉ MODERNES
Vierge à l’enfant. Tempera sur bois de Fra Filippo Lippi. 1465. 76,3 × 54,2 cm. Ancienne Pinacothèque, Munich (Allemagne).
de vie, apprécièrent les produits importés comme le sucre, le tabac, les parfums, les épices… et aussi l’usage de la fourchette, l’importance croissante des arts de la table et les débuts du voyage d’agrément. C’est alors que s’est mise en place une civilisation basée sur la richesse et le confort, dont nous avons hérité. ■
bâtisseurs ont conçu des églises, monastères et chapelles selon un plan nouveau, plus proche des temples antiques que des édifices gothiques. À Florence encore, Brunelleschi recouvre la cathédrale d’une coupole, adopte le plan carré et la symétrie. En Vénétie, Palladio (1508-1580) construit des villas influencées par le style antique. Des projets d’urbanisme ambitieux réorganisaient les espaces urbains : vastes places, bâtiments civiques, colonnes et arcades à l’antique. La décoration des palais jouait avec les trompe-l’œil et la perspective. Elle avait pour but de magnifier la puissance des princes qui les commandait. En France, les rois Charles VIII (1483-1498), Louis XII (1498-1515) et François Ier (1515-1547) conquis par ce qu’ils avaient vu en Italie se firent construire des châteaux dans le Val de Loire (Chambord, Amboise, Azay-le-Rideau…) et en Îlede-France (Écouen) agrémentés de jardins dans le style italien. Ils adoptèrent aussi le nouveau mode
Les Époux Arnolfini. Huile sur panneau de bois de Jean Van Eyck. 1434. 82 × 60 cm. Galerie Nationale, Londres.
Villa Cornaro, de l’architecte Andrea Palladio. Photographie actuelle. Seconde moitié du XVI e s. Piombino Dese (Italie).
> GRAND ANGLE > FOCUS > PATRIMOINE
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L’Europe de la Renaissance Les réformes religieuses
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La chambre des époux de Mantegna
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> TEMPS ANTIQUITÉ MODERNES > > L’Ancien Régime 1500
1600
1492-1789 : Avant 1750 : Économie et Société préindustrielles 1550-1720 – « Famine » 1492 Découverte de l’Amérique
1650 Recul de la peste
L’Ancien Régime › Atlas d’Histoire pl. 81, 86, 87 › Petit atlas d’Histoire pl. 46, 49, 50
(mariage entre individus issus du même milieu social) est très forte. La femme accouche tous les deux ans environ. La mortalité à la naissance étant importante, le nombre moyen d’enfants par couple est entre 4 et 5. Le taux de natalité (nombre de naissances annuelles divisé par le nombre d’habitants et multiplié par 1 000) est proche de 40 ‰ (il est aujourd’hui de 21 ‰). Cela peut varier en fonction des régions (ville/campagne) et des catégories sociales (pauvres/riches). Mais souvent la moitié de ces enfants meurent avant 20 ans. L’espérance de vie en France à la fin du XVIIIe s. est de 32 ans. Jusqu’au milieu du XVIIIe s., le taux de mortalité est de 40 ‰ (il avoisine aujourd’hui 9 ‰). Il est plus élevé dans les villes par manque d’hygiène, en raison de la promiscuité dans les maisons et à cause d’une alimentation carencée ou insuffisante.
L’Ancien Régime évoque en premier lieu un régime politique et social antérieur à la Révolution française de 1789, caractérisé par la montée de la monarchie absolue et une société basée sur les privilèges et l’inégalité. C’est aussi un régime démographique marqué par des taux de mortalité et de natalité élevés qui se modifient au moment de la « révolution démographique » de la fin du XVIIIe s. C’est enfin un système économique préindustriel qui prendra fin au moment de la « révolution industrielle » née en Angleterre vers 1750. L’Ancien Régime sera analysé dans le cadre de la France dont les structures sont représentatives de celles de l’ensemble de l’Europe occidentale.
1. La chute
de la démographie
1.1 Les taux élevés des mariages, de la natalité, de la mortalité
1.2 Les causes des crises démographiques
La France (à l’exception de la Russie) est l’État le plus peuplé d’Europe jusqu’au XIXe s. : environ vingt millions d’habitants avant 1750, soit au moins trois fois plus que les autres États. Dès le début du XVIIe s., pour des raisons économiques, l’âge au premier mariage est de plus en plus tardif (26-27 ans) et les célibataires sont rares. Les enfants illégitimes (nés hors mariage) sont de moins en moins nombreux. L’homogamie
Régulièrement la mortalité connaît des pics : pendant plusieurs mois, le taux reste très élevé (1/20e ou 1/10e de la population disparaît). Les crises démographiques entraînent une diminution des mariages et des naissances et une crise économique s’ensuit généralement. Trois causes expliquent ces crises : la guerre, la peste et la famine. La guerre en elle-même est meurtrière mais ses effets sont plus importants : 86
TEMPS ANTIQUITÉ MODERNES 1700
1800
1661-1715 – Règne de Louis XIV - Apogée de la monarchie absolue - Mercantilisme Période moderne monétaire 1750 Début de la révolution industrielle en Angleterre Recul des crises démographiques
1685 Révocation de l’Édit de Nantes
1682 Sédentarisation du pouvoir à Versailles
2. Les fragilités
les pillages et le saccage des cultures entraînent le manque de nourriture avec comme conséquence la maladie puis la mort. La peste, qui recule après 1650, frappe tout le monde sans distinction et fait perdre parfois la moitié de la population d’une région. Elle peut être relayée par d’autres épidémies (variole, diphtérie, typhus) plus courtes et moins dévastatrices. Enfin, la famine ou la disette sont fréquentes : une mauvaise récolte entraîne l’augmentation du prix du pain (x 3 ou 4) qui constitue l’aliment de base dans la plupart des régions. Pour éviter la famine, le peuple se tourne vers des aliments dangereux pour la santé (charognes, herbes…) avec pour conséquence une hausse de la mortalité qui frappe surtout les pauvres. Les crises démographiques les plus fortes sont celles qui conjuguent plusieurs causes selon le schéma suivant : disette/guerre → misère → épidémie → surmortalité. Ce schéma des crises démographiques s’atténue progressivement après 1750.
économiques
2.1 La médiocrité des modes de transports
Les moyens de transports sont lents : une lieue (4-5 km) par heure. On se déplace à pied, à dos de mule et de cheval. Le réseau routier est constitué de sentiers reliant les villages. Il existe, pour le trafic régional et international, des chemins de terre plus larges mais mal entretenus à l’exception des routes royales, le long desquelles sont établis les relais de Poste. Le transport des marchandises par voie terrestre est cher. C’est pourquoi la voie d’eau est préférée pour les matières pondéreuses : fleuves, rivières et canaux. La médiocrité des moyens de transports, est un frein au développement économique aggravé par les nombreux péages qui renchérissent considérablement les marchandises. 2.2 La prédominance de l’agriculture
En Europe, excepté en Italie du Nord et aux PaysBas, les paysans représentent les trois quarts de la population. Les blés constituent l’aliment de base. En Europe du Sud, l’assolement biennal avec jachère est pratiqué alors qu’ailleurs c’est l’assolement triennal : une « sole » reçoit les céréales d’hiver (froment ou seigle), une autre est semée au printemps (avoine) et la troisième reste en jachère. Sur les terres en jachère, le troupeau de la communauté villageoise est abandonné à la « vaine pâture » pour fertiliser le sol. Même si cela évite l’épuisement du sol, le rendement reste très faible : en France, en moyenne, un grain semé rapporte quatre ou cinq fois la semence (8 à 10 quintaux par ha, contre 100 quintaux par ha, aujourd’hui). La faible production s’explique aussi par l’utilisation d’outils rudimentaires en bois (bêche, houe, faucille…). Seuls les paysans aisés utilisent la charrue à versoir plutôt que l’araire.
1000 DÉCÈS
PRIX DU BLÉ (1) 100 Niveau du prix moyen 1674–1691
CONCEPTIONS
5 3
2
1692
1693
1694
1789 Révolution française
1695
10 J FMAM J J ASOND
Évolution des naissances et des décès entre 1692 et 1695. D’après P. LEON, Économies et sociétés préindustrielles. Tome 2 : 1650-1780, Paris, Colin, 1970, p. 50.
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> TEMPS ANTIQUITÉ MODERNES > > L’Ancien Régime
Le Syndic de la guilde des drapiers. Huile sur toile de Rembrandt. 1662. 191,5 × 279 cm. Rijksmuseum, Amsterdam.
La production du fer est dispersée en forêt et près des cours d’eau. La forêt produit le charbon de bois nécessaire aux fourneaux et le courant des rivières fait tourner des roues hydrauliques qui actionnent des soufflets et les marteaux des forges.
La Chute d’Icare. Huile sur toile de Pieter Bruegel l’Ancien. 1558. 73 × 112 cm, Musées royaux des Beaux-arts de Belgique, Bruxelles. Le tableau met en scène un paysan labourant son champ à l’aide d’une charrue à versoir.
Vu la prééminence de l’agriculture dans l’économie, c’est toujours une crise agricole qui entraîne une crise industrielle selon le processus suivant : la sous-production agricole → hausse des prix du pain → diminution du pouvoir d’achat → baisse de la demande de produits manufacturés → chute de la production manufacturière → chômage.
2.4 Le système monétaire rudimentaire
Malgré la volonté des souverains d’imposer une unité monétaire, de nombreuses monnaies (en or ou argent) circulent. En France, la masse populaire n’utilise la monnaie que rarement : la plupart du temps, les transactions s’effectuent sous la forme du troc, en nature ou en services. Contrairement à l’Italie, aux Pays-Bas et à l’Angleterre, la France est en retard dans les techniques financières : la monnaie fiduciaire (lettres de change, traites) est rare et il n’y a ni banques privées ni banque d’État.
2.3 L’industrie peu développée ou inexistante
Avant 1750, le terme « industrie » est rarement utilisé. On parle de manufactures et de métiers jurés (corporations). Il n’existe pas encore de concentration importante d’ouvriers dans un même lieu. Les ouvriers travaillant dans des centres commerciaux urbains sont beaucoup moins nombreux que les paysans restés à la campagne et qui produisent des fils et des draps pour des marchands entrepreneurs ou qui alimentent des forges et fourneaux à certaines périodes creuses de l’année.
Entre 1550 et 1720, on assiste à une véritable famine monétaire (manque de métaux précieux). Il n’y a pas assez de monnaie pour répondre aux besoins accrus du commerce. C’est pourquoi, en France, Colbert (contrôleur général des finances de Louis XIV entre 1665 et 1683), met en place le mercantilisme. Puisque l’or manque et que la richesse d’un État dépend de la quantité de métaux précieux qu’il possède, il faut permettre à cet or (dont la quantité qui circule est fixe) d’affluer dans le pays. Il faut conquérir – si nécessaire par la force – des marchés extérieurs et empêcher les produits étrangers d’entrer dans le pays en fixant des barrières douanières dissuasives. Afin de produire sur place ce que
Le secteur textile est, depuis le XIIIe s., la plus grande activité artisanale en Europe : draperie, soie, cotonnades. Le fil de laine est produit avec un rouet ou encore souvent avec la quenouille. Le tissage s’effectue avec un métier horizontal utilisant des pédales pour séparer les fils pairs et impairs afin d’y faire passer la navette à la main. 88
TEMPS ANTIQUITÉ MODERNES
comme salariés agricoles. Enfin viennent ceux qui n’ont pas de résidence fixe, le monde des errants dont le nombre n’est pas négligeable.
l’on achète à l’extérieur, le roi attire la main-d’œuvre étrangère spécialisée dans des manufactures protégées par un monopole et aidée financièrement par l’État. Le mercantilisme, par l’interventionnisme de l’État et le protectionnisme, est tout le contraire du libéralisme.
3.2 La bourgeoisie des villes
Les rois tentent de limiter les privilèges des villes qui, depuis le Moyen Âge, sont dotées de pouvoirs judiciaires, militaires et financiers. Le monde urbain se divise en différents corps ou groupes sociaux définis par un statut juridique : les corporations qui datent du Moyen Âge et les « corps constitués » tels les officiers du roi, avocats, notaires, médecins… Généralement, les habitants des villes sont qualifiés de bourgeois. Cette notion, définie par le lieu de résidence (habitant du « bourg ») par opposition à la campagne, a évolué depuis le Moyen Âge. Les bourgeois, ce sont
3. Les inégalités sociales 3.1 Le monde rural
• Les cadres de la société rurale Le terroir est composé de trois éléments : le manse qui comprend la maison et son enclos avec le bétail et le jardin ; les champs labourés selon les règles de l’organisation collective ; le saltus ou espaces non cultivés (herbes, forêts, landes) qui constituent les « biens communaux ». La seigneurie est une terre qui constitue la propriété éminente et la zone de juridiction d’un individu ou d’une collectivité appelé seigneur. En tant que propriétaire éminent, le seigneur, comme au Moyen Âge, prélève des droits sur les tenures des paysans : cens, banalités et parfois encore mainmorte et formariage. La paroisse se définit comme la « communauté des âmes » qui correspond au territoire où s’exerce le ministère d’un curé qui, à l’occasion, réunit les habitants dans son église pour y régler des questions matérielles (procès, règlements de cultures…). La cohésion du groupe est renforcée lors des nombreuses fêtes religieuses. Le village (l’église, le cimetière, la place et le cabaret) est l’espace public. La famille nucléaire (homme, femme, enfants) constitue l’espace privé dont le rôle essentiel est la transmission du savoir et du patrimoine.
BOURGEOIS ■
RICHES MARCHANDS
■
PROFESSIONS LIBÉRALES
■
BOURGEOIS D’OFFICES
LABOUREURS PETITS MARCHANDS ET BOUTIQUIERS PETITS PROPRIÉTAIRES ET ARTISANS DES CAMPAGNES
OUVRIERS ET ARTISANS
OUVRIERS AGRICOLES
• La hiérarchie de la société rurale Plusieurs types de paysans cohabitent. Au sommet, les laboureurs propriétaires et gros fermiers disposant de terres, d’outils et de bétail. À côté de ces riches, il y a des fermiers généraux, hommes d’argent qui afferment des terres qu’ils souslouent à des métayers. Les plus nombreux sont les paysans moyens et les manouvriers ou journaliers. Les premiers possèdent au maximum une dizaine d’hectares et les seconds travaillent
HA DES BITAN CAM TS PAG NES
DOMESTIQUES
LES VIL ES SD T AN BIT
MENDIANTS MENDIANTS
HA
Pas de glissement possible Glissement social possible Liens dus aux mariages Fonctionnement de la société d’Ancien Régime.
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> TEMPS ANTIQUITÉ MODERNES > > L’Ancien Régime
royale, se comportent encore comme à l’époque féodale et exercent des pouvoirs régaliens à l’abri de leur château.
de plus en plus les officiers (de robe) du roi dans les villes et provinces chargés des impôts ou de la justice, les ramasseurs de rente, les banquiers du roi, les grands marchands. Le bourgeois désigne aussi un mode de vie plus qu’un statut : c’est un propriétaire rentier avide de revenus garantis qu’il accumule ou qu’il prête à des taux usuraires ou qu’il utilise pour acheter des terres et des manoirs afin de ressembler à un noble.
La noblesse s’acquiert par la naissance et se transmet par l’homme et non par la femme. La noblesse peut aussi provenir d’un acte du roi par lettre ou par nomination à une charge anoblissante (conseiller, secrétaire du roi…). Cette noblesse « moderne » ou de robe s’oppose à la noblesse « ancienne » ou d’épée (ducs, pairs, princes de sang) qui la méprise. Cependant tous les nobles ont les mêmes privilèges : porter l’épée et être jugés différemment de la roture, avoir des postes réservés dans l’armée, à la cour et dans l’Église. À ces privilèges d’honneur et de services, s’ajoutent l’exemption de la plupart des impôts directs tout en s’acquittant de la taille (selon les régions) et d’une légère capitation (impôt établi selon la dignité, le pouvoir et la fortune depuis 1695). La noblesse se caractérise aussi par des obligations : servir le roi (à l’armée et dans ses Conseils) et ne pas se livrer à des activités roturières (activités artisanales ou industrielles,
3.3 Les trois ordres : clergé, noblesse, Tiers État
Dans l’Ancien Régime, seigneurs et nobles ne coïncident plus nécessairement, car une seigneurie peut s’acheter comme n’importe quel autre bien. Le noble est traditionnellement celui qui combat à cheval (chevalier) et son idéal est celui de servir militairement avec son épée. Même si cette fonction existe encore dans l’Ancien Régime, elle n’est plus l’exclusivité de la noblesse car il y a de plus en plus de roturiers qui combattent. Certains nobles, de moins en moins nombreux au fur et à mesure de l’augmentation de la puissance
Le Déjeuner d’huîtres. Huile sur toile de Jean-François de Troy. 1735. 126 × 180 cm, Musée Condé, Chantilly (France).
Le Repas des paysans. Huile sur toile d’Antoine Louis Le Nain. 1642. 97 × 122 cm, Musée du Louvre, Paris.
La juxtaposition de ces deux tableaux exprime parfaitement les inégalités inhérentes à la société d’Ancien Régime. À gauche, Le Déjeuner d’huîtres, fastueux, se déroule dans un milieu noble, tandis que le tableau de droite met en scène la frugalité d’un déjeuner paysan.
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TEMPS ANTIQUITÉ MODERNES
noblesses. Les ordres ne sont donc pas figés et la mobilité sociale existe.
commerciales et agricoles) sous peine de déroger (perte de sa qualité de noble et retour à l’état de roture). Le travail est considéré par la noblesse française, contrairement à l’Angleterre, comme ignoble ou « non noble ».
Même le premier Ordre, le clergé, est composé de nobles qui accèdent aux hautes charges (évêques, abbés), tandis que les curés sont issus du Tiers État. Mais qu’il soit du haut clergé ou du bas clergé, l’ecclésiastique jouit de privilèges comme le noble. Enfin, notons que si les privilèges sont le propre des deux premiers ordres, la bourgeoisie, dans certaines circonstances, peut aussi en obtenir.
Cela correspond à la vision traditionnelle de la société divisée en trois ordres : ceux qui prient (clergé), ceux qui combattent (noblesse) et ceux qui travaillent (Tiers État : paysans et bourgeois). Dans la société d’Ordres ou États, la hiérarchisation sociale est liée, non à la position dans l’économie mais à l’estime ou à la dignité attachée à la fonction. Ainsi il est plus honorable de prier et de combattre que de travailler.
4. La montée
de la monarchie absolue
Cependant, il ne faut pas croire que tous les nobles sont riches et que tous les membres du Tiers État sont pauvres. Il y a une haute noblesse aisée, mais aussi des nobles moyens ou pauvres dont les revenus réels fondent lors des crises. De même le monde paysan est diversifié ainsi que la bourgeoisie. Cette dernière a tendance d’ailleurs à s’enrichir (grands marchands, financiers membres de professions libérales…) et à acheter des titres de
La monarchie en France, durant l’Ancien Régime, est de plus en plus centralisée, mais a maintenu, faute d’arriver à les éliminer, de nombreux pouvoirs et particularismes : les villes et corps de métiers avec leurs privilèges et règlements propres, les nobles exempts d’impôts, le clergé désigné par le pape et exempt d’impôts, les seigneurs exerçant des pouvoirs régaliens, les États Généraux (représentant les trois États : clergé, noblesse, Tiers État) aux attributions essentiellement fiscales. La monarchie est aussi soumise aux lois coutumières et à la « loi fondamentale » qui règle la succession au trône selon le principe de la loi salique qui écarte les femmes du trône. Face à ces limites du pouvoir royal, comment les rois parviendront-ils à s’imposer et créer un régime absolu ? Ils vendent des offices (1604) et créent progressivement un véritable corps administratif. L’argent récolté par la vente servira au renforcement du pouvoir qui s’entoure de bourgeois plus riches et plus entreprenants que les nobles. La monarchie recourt aussi à des commissaires, les intendants, à qui le roi délègue, pour une durée limitée, le pouvoir de veiller à ses intérêts dans le royaume (police, justice, finances). Quant au clergé, le roi obtint la nomination des évêques et abbés (concordat de Bologne 1516) dans les sièges vacants. Le contrôle et l’unité de la religion sont un souci permanent qui conduira à l’interdiction de la religion protestante lors de la révocation de l’Édit
La société d’Ordres. Caricature anonyme. Gravure à l’eau-forte coloriée. 1789. BnF, département des Estampes et photographies, Paris. Un paysan (le Tiers État) porte le clergé et la noblesse sur son dos.
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> TEMPS ANTIQUITÉ MODERNES > > L’Ancien Régime
L’Apothéose de Louis XIV. Huile sur toile de Charles Le Brun. 1677. 109,5 × 78,3 cm, Musée des Beaux-arts, Budapest (Hongrie). Charles Le Brun fut le premier peintre officiel de Louis XIV. Il consacra son Œuvre et son talent à la glorification du pouvoir royal et fut, notamment, le décorateur du palais de Versailles.
remontrance par lequel ils pouvaient contester une décision royale. Au-dessus des justices seigneuriales, les baillages et sénéchaussées constituent les premières instances royales. Les lettres de cachets sont la manifestation de la justice personnelle du roi qui, par ce moyen rapide, fait
de Nantes (en 1598, Henri IV avait accordé la liberté de culte aux protestants) en 1685 par Louis XIV (1661-1715). En ce qui concerne les parlements (cours de justice), Louis XIV leur retire leur droit de 92
TEMPS ANTIQUITÉ MODERNES
remettre par un officier un ordre individuel d’exil ou d’emprisonnement. Les États Généraux dont le but était de consentir à l’instauration d’impôts nouveaux, ne seront plus convoqués à partir de 1614.
sa personne en créant de ce fait une sorte de culte royal. En conclusion, la monarchie sous Louis XIV est devenue absolue (littéralement « sans liens ») car le roi est seul souverain et ses décisions sont sans appel. Contrairement à la formule, « l’État c’est moi » que Louis XIV n’a d’ailleurs jamais prononcée, l’État ne se confond pas avec le roi. Il dira plutôt dans ses mémoires : « Nous sommes la tête d’un corps dont ils (nos sujets) sont membres » montrant par là qu’il se veut un souverain respectueux de son peuple. Enfin, sans être un régime assimilable à une tyrannie ou à un régime totalitaire, il n’en reste pas moins que la monarchie absolue reposait sur des fondements autoritaires et arbitraires. ■
La densification de l’appareil d’État et la présence des intendants dans le royaume rendent possible la sédentarisation du pouvoir à Versailles (1682) où Louis XIV organise sa cour pour en faire un instrument de gouvernement. Le roi veut apparaître comme différent des autres hommes. Par le sacre à Reims, il acquiert un caractère religieux. Tout pouvoir venant de Dieu, le roi est son représentant et lui désobéir devient un sacrilège : le roi est un monarque de « droit divin ». Il organise un rituel en instituant une codification des gestes autour de
> GRAND ANGLE > FOCUS > PATRIMOINE
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L’Ancien Régime La science moderne et l’art baroque au XVIIe s. Page 214 Versailles, château et jardins
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> TEMPS MODERNES > Les mondes orientaux Chine VIe
s.
551-479 av. J.-C. Confucius Ve
s.
221-206 V. 110 av. J.-C. Unification de la Chine Ouverture par l’empereur Qin de la Route de la soie 327-325 av. J.-C. e IV s. IIIe s. IIe s. Ier s.
J.-C.
v. 150 Introduction du bouddhisme en Chine Ier
V. 563-483 av. J.-C. Vie du Bouddha
Inde
s.
IIe
s.
IIIe
s.
IVe
s.
Ve
s.
Empire Gupta Empire maurya Expédition d’Alexandre le Grand
L’empire ottoman
Les mondes orientaux › Atlas d’Histoire pl. 89 › Petit atlas d’Histoire pl. 52
1. L’Empire ottoman
pays islamiques et faire de la Turquie ottomane une des grandes puissances méditerranéennes du XVIe s. L’Empire ottoman s’est constitué peu à peu à partir du XIVe s. : les Turcs commencèrent par dominer l’Anatolie (peuplée de musulmans et de chrétiens orthodoxes), puis des pays de l’Europe balkanique (Serbie, Bulgarie). Ayant ainsi contourné l’Empire byzantin, ils s’emparèrent de Constantinople en 1453. Le sultan Mehmet II manifesta dès le début la volonté de reconstituer l’ancien Empire romain d’Orient disparu. Ainsi, il fit de Constantinople (devenue Istanbul) sa capitale, la restaura, la couvrit de mosquées et de palais. Pour la repeupler, il fit venir des Turcs, mais aussi des Grecs, des Arméniens, des Juifs et des Arabes, et maintint la présence des marchands vénitiens et génois. Ainsi, le caractère cosmopolite, multiculturel et multireligieux de l’empire fut présent dès le début. Le pouvoir du sultan reposait à la fois sur le droit musulman et sur le droit coutumier, c’est-à-dire les usages des pays conquis. Une administration
Depuis les conquêtes arabes, et malgré la dissolution de l’unité politique et la décadence du califat, la zone géographique allant du Proche-Orient jusqu’à l’Hindu Kuch (chaîne de montagne séparant l’Inde du Pakistan actuels) était imprégnée d’une même culture : les institutions islamiques, sociales et culturelles, ont été durables. Et les nouveaux envahisseurs, les Turcs nomades, venus d’Asie centrale, s’y intégrèrent aisément. Convertis à l’islam, ils laissèrent le pouvoir local aux mains des oulémas, docteurs de la loi musulmane. Ces derniers légitimèrent le nouveau pouvoir politique en lui apportant son soutien. À la suite de conquêtes successives, les Turcs vont regrouper peu à peu tous les
Vue intérieure du palais de Topkapi.
Vue aérienne du palais de Topkapi, Istanbul (Turquie).
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VIe
s.
TEMPS MODERNES fin du XIIIe s. Conquête mongole 618-907 : Dynastie Tang VIIe
s.
VIIIe
s.
Arrivée de l’islam
1557 Les Portugais à Macao 1644-1912 : Dynastie Qing (mandchoue)
1366-1644 : Dynastie Ming IXe
s.
Xe
s.
XIe
s.
XIIe
1er empire mongol en Chine 1071 Asie Mineure aux mains des Turcs seldjoukides
XIVe
s.
s.
XVe
s.
XVIe
s.
XVIIe
s.
XVIIIe
s.1827
XIXe
s.
XXe
s.
Osman Ier fonde Expansion maximale la dynastie des Ottomans de l’Empire ottoman
Reine Victoria impératrice des Indes 1922 Contrôle par la Compagnie Naissance de la Turquie des Indes britannique
1453 Prise de Constantinople Empire moghol par les Turcs
centralisée, à la fois progressiste et autoritaire, fut mise en place avec des représentants dans les provinces. Le XVIe s. constitua véritablement l’âge d’or de l’Empire ottoman. Constantinople comptait désormais 700 000 habitants (contre 80 000 en 1453). Les conquêtes se poursuivirent tant vers l’Asie (Iraq, Yémen, Aden) que vers l’Europe centrale (Serbie, Bosnie, Albanie, Croatie) et vers l’Afrique du Nord (Libye, Algérie, Tunisie). L’empire ainsi formé était considérable sur le plan économique comme sur le plan humain ; il contrôlait la plus grande partie des rivages méditerranéens, l’Europe centrale et orientale, ainsi que l’isthme qui permettait le commerce de la Méditerranée vers l’océan Indien. Le sultan Suleyman (Soliman le Magnifique, 1494-1566), secondé par de grands vizirs souvent d’origine balkanique, s’efforça de mettre en place un pouvoir pacifique, réglementé, assurant aux populations une existence stable. Le sultan était à la tête d’un empire « ottoman » et non « turc », ce qui impliquait la juxtaposition de peuples de cultures et de mœurs différentes sous la bannière d’un souverain absolu : ce dernier nommait tous les dignitaires de l’administration civile et de l’armée. Des adolescents recrutés dans toutes les provinces étaient turquisés et islamisés : ils entraient alors dans l’armée (les janissaires) ou dans les services du palais et de l’administration. Totalement dévoués au sultan, ils constituaient un personnel qualifié. Aussi longtemps qu’ils acceptèrent de participer à la vie de l’empire, les juifs et les chrétiens étaient acceptés et ne faisaient l’objet d’aucune mesure de persécution. Tous les peuples soumis pouvaient garder leur langue, leur religion, leur culture, leurs coutumes et traditions et souvent leurs cadres sociaux. Ce système politique favorisa la stabilité et la continuité du régime. Au début du XVIIe s., les choses commencèrent à se dégrader. Les sultans n’avaient plus les mêmes qualités que leurs prédécesseurs. La fréquentation de nouvelles routes maritimes consécutives aux grandes découvertes, l’exploitation des ressources
de l’Amérique et de l’Asie bouleversèrent l’économie mondiale. L’importance économique de l’espace ottoman commença à décliner. Les États occidentaux, comme la France, l’Angleterre et les Pays-Bas, exportateurs de produits finis, notamment de textiles industriels, pénétrèrent peu à peu dans l’Empire et menacèrent son équilibre financier. Des gouverneurs ou chefs de clans locaux, notamment dans les provinces turques et arabes, s’entendirent directement avec les commerçants étrangers et fomentèrent des révoltes contre le pouvoir central. En Europe, la Russie prit prétexte de protéger les populations chrétiennes orthodoxes pour justifier ses visées expansionnistes vers les Balkans et la Méditerranée. Cette évolution s’accentua au XVIIIe s. et plus encore au XIXe s. : poussées au nationalisme par les Occidentaux, les populations balkaniques se révoltèrent et réclamèrent leur indépendance. L’Empire ottoman disparaît totalement en 1923, après la création de la Turquie par Mustapha Kemal Atäturk.
Portait du sultan Soliman le Magnifique. Huile sur panneau de bois de Titien. Vers 1530. Musée des Beaux-arts, Budapest (Hongrie).
Caricature politique montrant la Russie (symbolisée par l’ours) et l’Angleterre (représentée par le lion) qui menacent la Turquie/Empire ottoman (évoquée par la dinde). La caricature est sous-titrée : Difficile pour la Turquie – L’Angleterre et la Russie, ensemble : « Sois mon allié ou je te donne la pire raclée de ta vie ! ». Cette caricature de Bernhard Gillam fit la couverture du périodique américain satyrique, Puck, le 22 décembre 1885 – époque où l’Empire ottoman devenait vulnérable.
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> TEMPS ANTIQUITÉ MODERNES > > Les mondes orientaux
2. L’Extrême-Orient
plan des formes de pensée et des structures sociales, ces civilisations manifestèrent au contraire une remarquable continuité.
Les pays d’Extrême-Orient présentent en commun d’être des civilisations matérielles basées sur la culture du riz : cette dernière nécessite des systèmes d’irrigation complexes, qui exigent discipline et organisation stricte. D’autre part, contrairement au blé, le riz peut être cultivé d’année en année sur les mêmes sols sans les épuiser. Une petite partie seulement de ces immenses espaces est occupée par des agriculteurs sédentaires. Ces civilisations très anciennes, millénaires même, auraient pu vivre paisiblement, si elles n’avaient été en butte aux raids de cavaliers nomades venus des steppes et déserts comme les Turcs, les Kirghizes, les Mongols… La Muraille de Chine construite au IIIe s. av. J.-C. joua un rôle plus symbolique qu’efficace. Les dernières vagues d’invasions se produisirent aux XIIIe et XIVe s. (Gengis Khan, Tamerlan) et encore aux XVIe et XVIIe s. Ce n’est qu’à ce moment que le canon et la poudre furent en mesure de les arrêter. Néanmoins, ces intrusions furent de véritables catastrophes, entraînant massacres et destructions et constituèrent de véritables freins dans l’évolution de l’Inde et de la Chine, du moins sur le plan matériel. Car sur le
2.1 La Chine
La civilisation chinoise a connu une longévité et une indépendance tout à fait exceptionnelles. Les empires et dynasties qui se sont succédé ont bénéficié des services d’une élite administrative qui a maintenu le pays dans une seule et même voie. Cette élite a conservé des archives depuis les temps les plus reculés dans le but de maintenir la tradition. Mais ces documents reflètent surtout l’histoire officielle d’une minorité ; il est très difficile de connaître la vie de la grande majorité des Chinois. L’isolement géographique du pays explique en partie que l’empire ait subi très peu d’influence extérieure. La Route de la soie lui a permis d’écouler ses produits vers Constantinople, la Perse et la Méditerranée, mais sans réels contacts avec ces régions. Ce n’est qu’au IIIe s. av. J.-C. que le pays fut unifié en un vaste empire sous l’empereur Qin (221-206 av. J.-C.) ; depuis cette époque, la Chine est le siège d’une civilisation unique et consciente d’elle-même. Elle jouit d’un prestige énorme auprès des nomades d’Asie centrale, un peu comme Rome auprès des Germains. Extrêmement peuplée, elle est dominée par l’ethnie des Han, mais on y trouve d’importantes minorités non sinisées qui occupent des régions éloignées mais importantes en terme d’espaces occupés.
• Stabilité sociale et systèmes religieux À la base de cette civilisation, on trouve le système familial et le confucianisme. L’État, le clan et la famille patrilinéaire sont les sources de l’autorité. Les postes administratifs sont dévolus à des hommes instruits, les mandarins, maîtrisant une écriture complexe et connaissant parfaitement la doctrine confucéenne, ainsi qu’un savoir appris par cœur ; ils sont recrutés par concours et bénéficient de privilèges matériels et sociaux. Leur charge n’est pas héréditaire et est ouverte à tous les groupes sociaux. Cette élite cultivée est toute dévouée à l’empereur, à qui elle doit son statut social. Ce système du mandarinat a été maintenu jusqu’à l’avènement de la République en 1911.
Exemple de rizières en terrasses en Chine. Photographie actuelle.
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TEMPS ANTIQUITÉ MODERNES
à l’empire désordres et catastrophes. L’apparat qui accompagne cette monarchie est extraordinaire. Ce cérémonial quasi religieux a duré jusqu’au début du XXe s. ! Cette société à la fois patriarcale et paysanne est extraordinairement conservatrice. Les marchands et artisans, la plupart du temps itinérants, n’y jouent qu’un rôle secondaire.
confucianisme
Le . La doctrine établie par Confucius au VIe s. av. J.-C. met en place un mode de vie qui a perduré pendant deux millénaires. Elle vise à instaurer une société idéale, dirigée par une élite intellectuelle. L’individu doit adopter un comportement conforme à la vertu, l’intégrité et la bienveillance. Il faut respecter les relations entre supérieurs et inférieurs (souverain et sujets, père et fils, mari et femme, aîné et cadet…). Ces principes sont préservés grâce à l’observance d’un certain nombre de cérémonies et de rites, minutieusement détaillés.
• La
monarchie impériale, une succession de dynasties et une illustration de la continuité chinoise Il y aurait eu 22 dynasties au cours de plus de 4 000 ans d’histoire ; mais là comme ailleurs des troubles ont entraîné des interruptions. – Les Qin ont régné du IVe jusqu’au IIe s. av. J.-C. ; c’est sous leur règne en 221 que la Chine fut unifiée pour la première fois. – Les Han, du IIIe s. avant jusqu’au IIIe s. après J.-C. agrandirent encore l’Empire (Indochine, Corée) qui atteignit la taille de celui de l’Empire romain de la même époque. Ils ont réussi à repousser les menaces mongoles, grâce à la supériorité tactique de l’arbalète et se rendirent maîtres des routes caravanières d’Asie centrale. Mais, après avoir accepté l’installation de certaines tribus mongoles en deçà de la Muraille, ils perdirent leur autorité. – Les Tang, du VIe au Xe s. constituèrent l’apogée du pouvoir impérial et du prestige de la civilisation chinoise. Mais la pression démographique (fait majeur de l’histoire chinoise) qui pesait sur une masse de paysans pauvres diminua le nombre de terres à cultiver et provoqua des révoltes. L’arrivée de l’islam en Asie centrale diminua leur influence. – La dynastie suivante, les Song, Xe-XIIe s., fut balayée par l’irruption des Mongols emmenés par Gengis Khan. – Les Yuan : dynastie mongole fondée au XIIIe s. par Kubilaï, le petit-fils de Gengis Khan ; c’est lui qui
Au VIIe s. avant notre ère, Lao Tseu, « le maître », prêcha une religion basée sur une recherche mystique de l’absolu et de l’immortalité qui ne s’atteint que par l’ascèse et la méditation. Au Ier s. de notre ère, des missionnaires venus de l’Inde importèrent le bouddhisme en Chine, où il exercera une influence importante aussi bien auprès des élites que dans les masses populaires.
taoïsme
Le est une religion mystique prêchée par Lao Tseu, un personnage mythique du VIIe s. av. J.-C. Il s’agit d’atteindre l’absolu et l’immortalité, le tao, par l’ascèse et la méditation. Mais cette voie est réservée à quelques maîtres, la religion populaire taoïste se contente de faire pénitence, de multiplier les offrandes et de participer aux offices.
bouddhisme
Le a été fondé par un jeune prince indien au VIe s. av. J.-C. Son fondateur porte le titre de bouddha, c’est-à-dire l’éveillé, celui qui a pris conscience. Il enseigne que les hommes après la mort renaissent dans un autre corps pour une existence plus ou moins heureuse – suivant les actes accomplis dans les vies antérieures –, mais qui est toujours douleur. Pour sortir de ce cycle de réincarnation, il faut suivre la voie proposée par Bouddha afin d’atteindre le nirvana : cette voie passe par le détachement et le renoncement.
Statue de Bouddha. Photographie actuelle. VIIe s. (dynastie Tang). Ht. 17 m, Site des grottes de Longmen (Chine).
Le temple de Confucius à QuFu, ville natale du philosophe. Photographie actuelle. Le temple, érigé à la mémoire de Confucius en 478 av. J.-C., connut de nombreuses destructions et reconstructions au fil des siècles. Il compte aujourd’hui plus de cent bâtiments et constitue le plus grand et plus ancien temple confucéen.
Ainsi, confucianisme, taoïsme et bouddhisme sont présents dans la religion chinoise ; les temples et les offrandes s’adressent aux uns et aux autres. L’empereur est le garant de l’ordre surnaturel et de l’ordre naturel du monde ; s’il est vertueux, il évitera 97
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La Cité interdite, Pékin (Chine). Vue de la cour intérieure.
l’imprimerie dès le VIIe s., la poudre à canon, les caractères mobiles, le gouvernail… constituent autant un symptôme qu’une cause de l’intensité de l’activité économique. Le développement économique a même dépassé la croissance démographique, notamment grâce à la découverte et à l’adoption d’une variété de riz permettant deux récoltes par an, sur des terres bien irriguées. Aux alentours de l’an mil, la Chine produisait autant de fer que toute l’Europe au XVIe s. Pourquoi ce pays a-t-il alors manifesté une telle stagnation par la suite ? Pourquoi a-t-il ignoré la Révolution industrielle et s’est-il refermé sur lui-même ? Plusieurs facteurs sont à prendre en compte. Jusqu’à l’installation du régime communiste en 1949, les masses étaient restées illettrées (malgré l’invention précoce de l’imprimerie !). Seule une minorité participait à la vie culturelle et intellectuelle. Et cette élite privilégiée n’a jamais contesté l’ordre établi, comme ce fut le cas en Europe. L’objectif principal de la société chinoise sous les différents empereurs a bien été de maintenir la continuité et les traditions.
reçut Marco Polo à Pékin et l’éblouit par sa magnificence. Les Mongols rendirent à la Chine son statut de grande puissance et relancèrent le commerce maritime avec l’Inde, l’Arabie et le golfe Persique. – Les Ming (XIVe-XVIIe s.) arrivés au pouvoir à la suite de catastrophes naturelles et de révoltes paysannes, parvinrent à préserver l’unité de la Chine, mais ils renforcèrent le conservatisme et l’isolationnisme du pays. Un décret empêcha les navires de quitter le port et les marchands de voyager hors de Chine. C’est en 1557 que les premiers Européens, des Portugais, arrivèrent à Macao. La tradition de tolérance religieuse ne s’opposa pas à l’influence des missionnaires chrétiens. – Au début du XVIIe s., les Mandchous, un peuple venu du nord, s’empara du trône impérial et installa sa propre dynastie : les Qing. Admirant la culture chinoise, les nouveaux empereurs laissèrent en place la bureaucratie impériale sur laquelle ils s’appuyèrent ; ils respectèrent la tradition confucéenne et n’imposèrent rien de nouveau (si ce n’est le port de la natte pour les mandarins !). Sous leur règne, la civilisation chinoise s’épanouit à nouveau, mais dans la tradition : les manufactures et les arts atteignirent une sorte de perfection technique, sans chercher l’innovation ou l’originalité. – En 1911, une révolution menée par le Kouo-minTang (parti nationaliste chinois), mit fin au régime impérial : Sun-Yat-Sen devint président de la République.
2.2 Le Japon
Le Japon est un archipel que l’on pourrait comparer aux îles Britanniques ; mais, contrairement à celles-ci, il est beaucoup plus éloigné de la Chine que le Royaume-Uni de l’Europe. Son isolement a été une des grandes caractéristiques de son histoire jusqu’au XIXe siècle. Et pourtant, il a été le premier grand pays non occidental à s’être modernisé sans rupture culturelle majeure. Il a toujours su, au cours de l’histoire, s’adapter aux innovations venues de l’extérieur. Depuis le Ve millénaire av. J.-C. jusqu’au VIe s. de notre ère (à l’arrivée du bouddhisme), le Japon a élaboré progressivement une civilisation qui est très peu connue. Cette époque est marquée par l’arrivée de peuples venus du continent, comme les Ainos (époque du Jomon), puis d’autres venus
• Un décollage économique précoce Pendant plusieurs siècles, la Chine fit preuve d’un dynamisme économique remarquable. Elle abritait les plus grandes villes du monde : Shanghai, la capitale des Tang, aurait eu 2 millions d’habitants ; Pékin et Canton au XVIIIe s. étaient plus peuplées qu’aucune ville européenne de la même époque. Leurs commerçants créèrent le premier papier-monnaie en 650 ! Une série d’inventions, comme le papier (depuis le IIe s. avant notre ère), 98
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de Chine, qui ont apporté le riz, le métal et le tour du potier. Ensuite, une société de seigneurs dominant des paysans (serfs) et des artisans s’est mise en place, ainsi qu’une religion primitive divinisant les forces de la nature, appelée le shintoïsme. Progressivement, un empire s’organisa où coexistèrent les seigneurs féodaux et un empereur considéré comme d’origine divine. Dès le VIe s., le pays va adopter ce qui faisait la force de son grand voisin chinois : l’écriture, le confucianisme et le bouddhisme. L’influence de la Chine ne cessera de se manifester ; c’est elle qui lui donnera le nom de « Pays du soleil Levant » (je-pen en chinois ou nippon en japonais). Du Xe au XIIe s., d’autres éléments de la civilisation chinoise furent transposés au Japon, comme l’urbanisme, l’architecture, la peinture, la calligraphie, les institutions et le droit (celui des empereurs Tang). L’écriture se répandit, mais sous la forme d’un alphabet simplifié. Devenu religion d’État, le bouddhisme évoluera vers un système syncrétique intégrant le shintoïsme : les différentes divinités furent adorées comme des avatars du Bouddha. Mais, le système impérial japonais n’a pas su créer, comme en Chine, une bureaucratie au service de l’État. Il va céder la place pour longtemps au Shogunat (XIIe-XIXe s.) que l’on pourrait comparer avec notre Moyen Âge européen. Durant toute cette période, ce furent les chefs de clans seigneuriaux qui exercèrent le véritable pouvoir, sur l’empereur et sur le reste de la population. C’étaient des guerriers qui se taillèrent de vastes domaines dans les régions avoisinantes. L’un de ceux-ci, au XVIIe s., Hideyori, réussit à rendre la charge de Shogun héréditaire ; le pays passe pendant deux cent cinquante ans sous la dynastie des Tokugawa, qui restera en place jusqu’en 1868. Sous la direction du Shogun, les grands seigneurs, appelés daimyos (environ 270) avaient à leur service une multitude de serviteurs, les samouraïs ; contrairement au système féodal européen, les samouraïs étaient payés en argent ou en nature, mais pas par des terres. Cette société était extraordinairement hiérarchisée et disciplinée. Les daimyos étaient étroitement surveillés : ils vivaient alternativement à la cour du Shogun et sur leurs terres. Lorsqu’ils retournaient dans leurs domaines, leurs proches, « invités » par le Shogun, étaient retenus en otage à la cour de celui-ci. La société était d’une grande rigidité, mais
aussi d’une grande stabilité : le sens hiérarchique, la discipline, la régularité, la conscience professionnelle, l’endurance étaient des valeurs partagées. La grande décision prise au XVIIe s. fut de fermer le Japon aux étrangers : n’y pénétreront plus que les navires autorisés qui étaient soit chinois, soit hollandais (par l’enclave de Nagasaki). L’interdiction s’étendait aussi aux navires japonais. Cette détermination semble avoir pour origine la crainte à l’égard des Occidentaux aussi bien que la volonté de figer une société prête à évoluer. Étonnamment, les siècles qui suivirent furent prospères, aussi bien sur le plan matériel que sur les autres plans, – du moins pour les riches féodaux. Obligé de ne compter que sur lui-même, le pays sut mobiliser ses ressources. Sur le plan religieux, le bouddhisme évolua vers le Zen, détourné de son sens premier de religion de paix et d’amour. Les Jésuites, arrivés en 1549, entamèrent une mission d’évangélisation, mais les chrétiens furent durement réprimés au début du XVIIe s. Il existe encore une petite minorité de chrétiens, mais cette religion a toujours été perçue comme étrangère. Ce n’est qu’au XIXe s. que le Japon s’ouvrira aux influences extérieures ; il réussira alors une mutation profonde tout en conservant son identité culturelle. Toute l’histoire de ce pays est caractérisée par une suite d’emprunts culturels, d’appropriations et de réinventions d’apports étrangers, sans que le socle de base de la culture japonaise en soit altéré.
3. L’Inde
Le shogun Minamoto no Yoritomo, estampe sur bois d’Utagawa Kuniyoshi. 1845. The Print collector, Londres. Minamoto no Yorimoto fut le fondateur, en 1192, et le premier shogun du shogunat de Kamakura.
› Atlas d’Histoire pl. 90
L’Inde représente à elle seule un sous-continent riche d’une multitude d’ethnies, de langues et de croyances. Depuis des millénaires, ses habitants ont vénéré des milliers de divinités, parlé des milliers de dialectes et élaboré une structure sociale complexe. Ce n’est qu’au XXe s. qu’elle sera unifiée tout en préservant sa diversité. Une civilisation urbaine s’y était développée entre 2600 et 1700 av. J.-C. dans la vallée de l’Indus ; contemporaine de l’Égypte pharaonique et de la 99
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Au XVe s., l’Inde était une mosaïque d’États musulmans et indiens en lutte perpétuelle. Un descendant de Gengis Khan et Tamerlan, Babur, s’empara de Delhi et étendit progressivement sa domination. Son petit-fils, Akbar (1542-1605), établit l’empire des Grands Moghols sur toute l’Inde. Tolérant, il favorisa la réconciliation des musulmans et des hindous. Cet empire atteignit son apogée au XVIIe s., en mêlant harmonieusement traditions hindoues et persanes. Il constitua un des grands moments de la civilisation indienne, dont témoigne le mausolée du Taj Mahal.
Mésopotamie antique, elle a cependant disparu sans laisser de traces, sauf les vestiges archéologiques de Mohenjo-Daro et Harappa et une écriture, qui n’est toujours pas déchiffrée aujourd’hui. Vers 1500 avant notre ère, les Aryens, un peuple indo-européen, apparurent ; ils étaient porteurs d’une langue, le sanscrit, qui se répandit dans l’Inde entière. Pour préserver leur pureté raciale au milieu des populations conquises, les Aryens mirent en place le système des castes, lié à la religion védique, première forme de ce qui deviendra l’hindouisme ou le brahmanisme (et dont les Veda sont les textes sacrés). Né en Inde au VIe s. avant notre ère, le bouddhisme disparut peu à peu, sauf dans les hautes vallées de l’Himalaya.
Entre-temps, les Portugais, les Hollandais puis les Britanniques et les Français, avaient installé des comptoirs commerciaux et créé des Compagnies de commerce. Les Indiens ne réalisèrent pas que ces nouveaux venus, non seulement cherchaient à évincer les marchands musulmans, mais étaient en train de tisser un réseau maritime et commercial mondial. C’est le début de la « première mondialisation », dont les sociétés
Le système des castes. Division
sociale et religieuse d’origine divine. La société est divisée, selon la tradition brahmanique, en fonction de la participation des individus au sacré : les brahmanes ou prêtres, les guerriers, les agriculteurs et commerçants, le reste, réduit aux occupations serviles. Les Aryens formaient les trois premières castes, la dernière rassemblait les indigènes, soumis, mais exclus du culte brahmanique. Ce système qui perdure encore de nos jours a évolué en deux ou trois mille castes. Il n’a plus d’existence légale depuis Nehru, mais garde de l’importance dans la réalité indienne.
Au IVe s. av. J.-C., l’armée d’Alexandre le Grand (356323 av. J.-C.) atteignit l’Inde, mais n’y demeura pas. Des dynasties successives, les Maurya, puis les Goupta, constituèrent de vastes empires, mais ces derniers ne résistèrent pas aux raids dévastateurs des nomades, dont les Scythes, puis les Huns au Ve s. L’Inde se morcela en un grand nombre de royaumes. Le sous-continent indien (Pakistan et Bangladesh compris) représente aujourd’hui le quart des musulmans du monde. La pénétration de l’islam a commencé au VIIIe s. et a duré jusqu’au XVIIIe s. Les premiers musulmans furent des marchands arabes qui installèrent des comptoirs le long des côtes. Puis, entre le XIIe et le XIVe s., ce furent des guerriers conquérants, turcs et afghans, qui s’emparèrent de territoires entiers et y installèrent des dynasties. Des tentatives d’unification ne durèrent pas, notamment parce qu’elles furent incapables de résister aux Mongols de Tamerlan (1336-1405).
Akbar recevant des marchandises de la part d’Abdullah Khan, gouverneur ouzbek de Malwa. Miniature de Mahesh et Anant. Vers 1590. Musée Victoria et Albert, Londres.
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appelées Compagnies des Indes, étaient les acteurs. Ces compagnies commerciales étaient des sociétés par actions, qui étaient dotées, dans une aire géographique donnée, du monopole commercial et du pouvoir politique, du droit de lever une armée, de battre monnaie, de rendre la justice et d’organiser l’évangélisation. Elles avaient compris (déjà !) que la Chine, le Japon et l’Inde pouvaient produire des biens manufacturés, en grande quantité et de bonne qualité, à des prix défiant toute concurrence. Elles vendaient en Europe des textiles, d’abord rudes et solides (toiles de tente, voiles de navires…) puis de plus en plus raffinés. La richesse des motifs et la finesse des dessins répondaient au goût de la haute société d’Ancien Régime. Les profits qu’ils en retiraient permirent aux marchands d’acquérir des épices en Indonésie, du thé en Chine, des esclaves en Afrique. Le déclin de l’Empire moghol au début du XVIIIe s. encouragea les Compagnies à s’immiscer dans les affaires intérieures des princes indiens. En prenant
le contrôle de territoires de plus en plus vastes, elles cherchaient à contrôler leurs sources d’approvisionnement, mais aussi à s’approprier le produit des impôts. Leur rivalité tourna à l’avantage de la Compagnie anglaises des Indes orientales qui, en raison de ses liens privilégiés avec l’Empire moghol, devait l’emporter. Elle se transforma peu à peu en force militaire, avec un corps de soldats indigènes, les cipayes, commandés par des officiers européens. Elle conquit progressivement et annexa l’ensemble du sous-continent indien. En 1857, une révolte des cipayes, qui avait commencé comme une mutinerie, se transforma en une révolte contre la mainmise britannique. La rébellion fut écrasée, mais marqua un changement dans la colonisation de l’Inde : la Compagnie fut dissoute et ce fut désormais le gouvernement britannique qui reprit le contrôle de l’Inde, sous l’autorité directe de la Couronne. En 1827, la reine Victoria (1819-1901) fut proclamée Impératrice des Indes. ■
Cipayes en uniformes occidentaux. Lithographie datant de 1827-1835.
> GRAND ANGLE > FOCUS > PATRIMOINE
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Les mondes orientaux Chine et Japon : l’ouverture forcée à l’Occident Page 220 Le Taj Mahal en Inde
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Le temps des révolutions 1700
1750
+/- 1680 à 1825 : Classique/ baroque
1688-1689 Glorieuse révolution Déclaration des droits
Angleterre
Le temps des révolutions › Atlas d’Histoire 88, 93, 94 et 103 › Petit atlas d’Histoire 51, 55, 56 et 63
Au XVIIIe s., des tensions sociales et politiques secouent l’Europe. Un siècle après l’Angleterre, entre 1789 et 1815, la France traverse une période de changements profonds et l’Ancien Régime est balayé. Mais au-delà, l’Europe entière est touchée par cette onde de choc révolutionnaire qui effraye les uns et enthousiasme les autres. Libéralisme et nationalisme se répandent. On assiste aux balbutiements de la démocratie en Europe. Des penseurs propagent de nouveaux idéaux dans toutes les sphères de la société.
1.1 Les principaux penseurs
L’Angleterre est le premier foyer de cette pensée. Le physicien et mathématicien Newton et le philosophe Locke en sont les précurseurs et s’opposent au rationalisme cartésien, basé sur la raison seule. L’Angleterre s’illustre aussi par l’originalité de son régime politique très libéral. Ces idées se propagent en France : au nom de la Raison, les philosophes français revendiquent toutes les libertés et attaquent l’intolérance de la monarchie absolue. Montesquieu prône la séparation des pouvoirs et la souveraineté populaire partielle. Pour Voltaire, le pouvoir doit rester aux mains d’un seul : il est partisan d’une monarchie absolue, mais le souverain selon lui doit respecter les idées individuelles, c’est donc une forme de despotisme éclairé par la Raison qu’il propose. Cependant Voltaire se situe un peu à part car il développe un certain « déisme » (une admiration pour Dieu). Selon lui, Dieu intervient dans la Nature comme un horloger qui entretient sa machine. Diderot, célèbre pour sa gigantesque contribution à l’Encyclopédie, dictionnaire en 28 volumes, a la certitude que seul le savoir peut faire triompher la raison et ainsi faire progresser le monde. À la veille de la Révolution française, Rousseau est la figure la plus marquante de la philosophie des Lumières. Il cherche à construire une société démocratique. Il défend les idées d’égalité, de liberté et de souveraineté populaire. Les individus doivent négocier un contrat avec le souverain. Le peuple délègue le pouvoir à son souverain tout en assurant à chacun le respect
1. La philosophie des Lumières
Le XVIIIe s., appelé « siècle des Lumières », se caractérise par trois éléments : l’importance accordée à la Raison, à la Nature et au Progrès. La raison est opposée à l’obéissance aveugle à l’autorité. Jugement et liberté d’opinion se répandent. L’homme doit suivre la nature : les commandements de la religion doivent céder la place à la morale naturelle. Les progrès de la science relèguent Dieu au second plan. Le « mythe de l’âge d’or » cède la place au « mythe du progrès ». L’avancée scientifique ouvre la voie à un monde en pleine évolution, qui progresse positivement, un monde optimiste. Cette philosophie tend à démontrer tous les phénomènes avec clarté en employant le raisonnement des sciences exactes : les connaissances découlent de la confrontation entre la raison et l’expérience. 102
ÉPOQUE CONTEMPORAINE 1776 déclaration d’indépendance des États-Unis
1800
USA
1815 Congrès de Vienne
1820-1848 : révolutions politiques et sociales 1830 Révolution belge
1850
Europe
+/-1825 à 1850 : Socialisme et libéralisme
Les Lumières
Néo-classicisme/romantisme Monarchie parlementaire 1789-1799 1799-1804 1804-1815 révolution Consulat Empire 1799-1805 1789 Napoléon fin de la monarchie
1815-1830 Restauration
1830-1848 Monarchie de Juillet
France
absolue
François-Marie Arouet de Voltaire. Huile sur toile de Nicolas de Largillière. 1718. 79 x 64 cm. Châteaux de Versailles et de Trianon (France).
Denis Diderot. Huile sur toile de Louis-Michel Van Loo. 1767. 81 x 65 cm. Musée du Louvre, Paris.
Robinson Crusoé de Daniel Defoe. Page titre. 1719.
de ses droits naturels. Rousseau annonce aussi bien le romantisme que la démocratie. Il fait parfaitement le lien entre les Lumières et l’époque contemporaine. Les hommes de lettres critiquent la société et propagent les nouveaux idéaux à travers de nombreuses publications, souvent sous la forme de romans : Montesquieu, Lettres persanes (1721), Jonathan Swift, Les voyages de Gulliver (1726), Daniel Defoe, Robinson Crusoé (1719), Voltaire, Candide (1759), Diderot, Jacques le fataliste (1773), Rousseau, Nouvelle Héloïse (1761), Schiller, Les Brigands (1781), Goethe, Faust (1806). Le théâtre également critique l’ordre social et prône les idées nouvelles : Beaumarchais, Le mariage de Figaro (1784). Les salons, les cafés littéraires, les sociétés savantes et les cercles francs-maçons se multiplient. Ils réunissent des gens influents (noblesse, bourgeoisie et clergé) et des esprits cultivés (philosophes et écrivains). Ces rencontres permettent une large diffusion de la philosophie des Lumières. La franc-maçonnerie à l’origine est composée d’associations de maçons, architectes et ouvriers-bâtisseurs. Les francs-maçons se veulent les ouvriers du Grand Architecte de l’Univers (Dieu). Ils valorisent, si pas le travail manuel, du moins l’action pour la construction d’un monde nouveau. Ils contribuent à répandre les idées des Lumières car
Planche n° IX de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Lithographie représentant un carrosse. 1760. Musée de la voiture, Compiègne (France).
ils se placent au-dessus des doctrines religieuses traditionnelles. Les revues et les journaux, en publiant des articles littéraires et scientifiques, contribuent à la diffusion des idées nouvelles. Le projet d’une Encyclopédie est lancé par un libraire en 1745. Avec l’aide de d’Alembert, Diderot mène à bien cet ambitieux projet de rassembler et de classer toutes les connaissances humaines. 1.2 Le despotisme éclairé
Les idées des Lumières partent à la conquête de l’Europe où la langue française s’impose dans la haute société. Elles touchent donc principalement 103
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Le temps des révolutions
2. Un nouveau modèle
les élites, c’est-à-dire la noblesse et la bourgeoisie. Ces idées sont adoptées par des « souverains éclairés » dans la mesure où elles servent leur politique. Le despotisme éclairé s’oppose ainsi à la monarchie absolue de Louis XIV. Trois États expérimentent cette nouvelle forme de gouvernement : la Prusse de Frédéric-Guillaume Ier et de Frédéric II (1713-1786), l’Autriche de Marie-Thérèse et de Joseph II (1740-1790) et la Russie de Catherine II (1762-1796). La formule « tout pour le peuple, rien par le peuple » résume assez bien leur conception politique. Ces souverains entament des réformes guidées par la Raison. C’est ainsi que Joseph II proclame la tolérance religieuse, réorganise la justice et désire soumettre l’Église à l’État. Ces mesures déclenchent la Révolution brabançonne de 1789, car les habitants des Pays-Bas autrichiens y voient une atteinte à leurs coutumes. Celle-ci échoue. Parallèlement à la Révolution brabançonne, les Liégeois se révoltent contre leur prince-évêque, mais la révolution échoue aussi à cause de l’intervention de Joseph II qui ne tolère pas la constitution d’un État révolutionnaire à sa porte. Si le despotisme éclairé apporte des libertés (religieuses ou économiques) et contribue à la modernisation de certaines nations, l’absolutisme demeure.
politique
Le modèle anglais suscite une certaine admiration et beaucoup de débats en Europe. En effet, déjà à la fin du XVIIe s., en 1688, l’Angleterre est touchée par un conflit qui oppose le Parlement au monarque qui gouvernait de manière autoritaire. Il n’y a pas d’effusion de sang et le souverain doit s’incliner en faveur du Parlement, c’est la Glorieuse Révolution. Les rois doivent jurer de respecter la Déclaration des Droits (1689) avant d’être couronnés. Cette déclaration indique les droits et les devoirs du peuple et du roi, c’est un contrat passé entre le souverain et le Parlement. Le roi ne peut suspendre l’application des lois, percevoir des impôts, lever une armée sans le consentement du Parlement. Une nouvelle forme de gouvernement est installée : la monarchie constitutionnelle (c’est-à-dire limitée par une Constitution). C’est le triomphe de la souveraineté nationale. Les fondements de l’Ancien Régime sont remis directement en question.
3. La révolution américaine
L’Angleterre s’est constituée un immense empire colonial au XVIIIe s., mais elle a aussi épuisé les réserves de son trésor dans de longs conflits en Europe. Le Parlement de Londres désire lever de nouveaux impôts dans sa colonie d’Amérique. Mais les colons américains, qui n’ont pas été consultés, boycottent les marchandises soumises aux taxes. En décembre 1773, des colons déguisés en Indiens jettent une cargaison de thé anglais à la mer en signe de protestation (« tea-party » de Boston). Le gouvernement anglais réagit de manière très ferme, les incidents se multiplient et les colons s’organisent en milices armées. Après des émeutes sanglantes, un Congrès formé des représentants des 13 colonies, réunis à Philadelphie, vote le 4 juillet 1776, la Déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique. Les liens avec l’Angleterre sont rompus et la guerre éclate. Les Américains justifient cette décision au nom du droit à la liberté et à l’égalité de tous les hommes et du droit des peuples à choisir leur gouvernement ;
L’Empereur Joseph II et le Grand-duc Léopold de Toscane. Huile sur toile de Pompeo Batoni. 1769. 173 x 122 cm. Musée de l’Histoire de l’art, Vienne (Autriche).
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ÉPOQUE CONTEMPORAINE
dans les colonies espagnoles et portugaises, certains se décident à prendre les armes à leur tour. C’est le cas de Simon Bolivar, qui participe à l’indépendance des actuels Bolivie, Colombie, Pérou, etc. À partir de 1816, de nombreux pays colonisés latino-américains obtiennent leur indépendance.
4. La Révolution française 4.1 Les causes
La France connaît une période économique difficile à partir de 1775. Les activités industrielles et commerciales ralentissent. Les tensions sociales sont importantes. Le roi, monarque absolu de droit divin, détient tous les pouvoirs : il décide des lois, nomme et révoque les ministres, est chef de l’armée, dirige la justice et peut emprisonner quiconque par une simple lettre de cachet. La bourgeoisie, en pleine ascension, aspire à participer au pouvoir politique. La noblesse s’accroche à ses privilèges. Les paysans plient sous les taxes et droits seigneuriaux, en place depuis le Moyen Âge. Les mauvaises récoltes de 1787 et 1788 provoquent
Portrait de La Fayette. Estampe de Jean-Baptiste Le Paon. 1781. Musée franco-américain du château de Blérancourt (France).
ils empruntent donc beaucoup aux idées et aux valeurs des Lumières. L’Angleterre, modèle politique pour ses voisins européens par son libéralisme avancé, offre ici un beau paradoxe en refusant aux colons le droit d’être représentés au Parlement de Londres. L’indépendance nécessite une guerre longue et difficile. Les insurgés sont conduits par le général George Washington et par Benjamin Franklin, habile diplomate qui obtient l’aide de la France et de l’Espagne. Vaincue en 1781 à Yorktown grâce à l’intervention décisive des troupes françaises conduites par La Fayette, l’Angleterre reconnaît l’indépendance des ÉtatsUnis par le Traité de Versailles en 1783. La Révolution américaine a un impact très important en Europe où elle est saluée comme un exemple pour tous les pays vivant sous l’absolutisme. La Révolution française éclate quelques années plus tard. La Constitution américaine est adoptée en 1787. Les États-Unis forment un État fédéral, une république présidentielle. George Washington est élu président en 1789. Pour la première fois, les idées des Lumières sont adoptées par un pays : la Constitution américaine met notamment en application la séparation des pouvoirs. La Révolution américaine est aussi un exemple pour les autres colonies qui souhaitent se détacher de leur métropole. Ainsi,
Lettre de cachet tirée de l’Administration intérieure de la Bastille et de quelques autres prisons. 1675. Archives de la Bastille, BnF, département de l’Arsenal, Paris.
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Le temps des révolutions
l’augmentation du prix du pain et affament une population déjà fortement touchée par la crise économique. La philosophie des Lumières et la Révolution américaine influencent la société française par leurs idées nouvelles qui se propagent facilement. Les caisses de l’État sont vides, la politique dépensière de Louis XIV a malheureusement laissé des traces et peut être considérée comme une cause lointaine de la Révolution.
les députés du Tiers État (la bourgeoisie) se proclament Assemblée Nationale, seule représentante légitime du peuple français. Ils forment ensuite l’Assemblée Constituante et promettent de ne pas se quitter avant d’avoir donné à la France une nouvelle constitution (Serment du Jeu de paume). Le souverain cède devant la détermination du Tiers État, il invite la noblesse et le clergé à faire de même, mais ceux-ci s’y opposent farouchement. D’importantes manifestations et troubles populaires se déroulent à Paris. La révolution culmine le 14 juillet 1789, lors de la prise de la Bastille (prison, symbole de la monarchie absolue). Les événements de Paris suscitent de nombreux mouvements de révoltes des paysans contre les seigneurs locaux. Devant l’ampleur des troubles dans les campagnes, l’Assemblée Nationale décide, la nuit du 4 août, l’abolition des droits féodaux. L’Assemblée Nationale publie le 28 août 1789 la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Elle décide également de confisquer les biens du clergé. La nouvelle constitution entre en vigueur le 3 septembre 1791.
4.2 Le déclenchement : la prise de la Bastille
Le roi Louis XVI désire lever de nouveaux impôts et réformer ceux-ci en supprimant en partie les privilèges de la noblesse et du clergé ; il convoque donc les États Généraux, le 5 mai 1789. Mais il s’oppose aux représentants du Tiers État, qui veulent réformer le système de vote (le vote se faisait par « ordre » et non par « tête »), ainsi qu’à la noblesse et au clergé, qui refusent de perdre leurs privilèges. Devant le refus de Louis XVI, soutenu par la noblesse et le clergé, d’instaurer le vote par tête,
Prise de la Bastille, le 14 juillet 1789. Huile sur toile de Jean-Baptiste Lallemand. Vers 1790. 57 x 72,5 cm. Musée Carnavalet, Paris.
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ÉPOQUE CONTEMPORAINE
jeune république par une politique sévère, la Terreur, mais il se rend impopulaire et meurt guillotiné en 1794. En 1795, la République est alors dirigée par l’armée (le Directoire) mais ses dirigeants sont incapables de rétablir l’ordre et la paix malgré le retour à un régime plus autoritaire.
5. Napoléon, vers
une nouvelle révolution ?
Le général Bonaparte, fervent défenseur de la République et de la Révolution, qui s’est illustré par plusieurs campagnes victorieuses, profite de la situation chaotique en France pour s’emparer du pouvoir par un coup d’État en 1799. Commence alors un nouveau régime politique : le Consulat qui est un gouvernement provisoire de trois consuls (dont Napoléon Bonaparte), élus pour dix ans, qui a pour but de rédiger une nouvelle constitution et surtout de rétablir l’ordre. En 1801, Napoléon signe un Concordat avec le Pape, qui prévoit que les biens de l’Église confisqués par les révolutionnaires resteront à leur nouveau propriétaire mais qu’en contrepartie l’État versera un traitement au clergé séculier. Il cherche ainsi à refaire l’unité des Français et à s’attirer les bonnes grâces de l’Église. En 1802, Napoléon écarte les 2 autres consuls et se proclame consul à vie, puis se fait sacrer empereur par le pape en 1804, alors que sa popularité est en pleine ascension. En effet, il a réussi à réorganiser complètement la France : nouvelle administration centralisée, mise en place du Code civil, meilleure perception des impôts (cadastre), etc. Sur le plan extérieur, il signe la paix avec ses principaux adversaires européens. Mais une fois empereur, Napoléon diminue les libertés et augmente son pouvoir personnel. L’empereur impose le catéchisme impérial en 1806 : il contrôle la religion et légitime son pouvoir comme provenant de Dieu. C’est un retour à une forme d’absolutisme qui semblait avoir disparu en France. Les membres du clergé doivent prêter serment devant les autorités civiles, ils sont donc complètement soumis au nouvel État français mis en place par Napoléon. Celui-ci rêve de conquérir l’Europe et de l’unifier selon le modèle français. Son génie militaire et son audace l’entraînent vers de nombreux succès. Mais en tant qu’héritier de la Révolution française, il représente une menace
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. 1789. BnF, département des Estampes et photographies, Paris.
4.3 L’évolution
La Révolution française influencée par les idées des Lumières, est qualifiée de révolution libérale « bourgeoise » car elle profite essentiellement à la bourgeoise. Le régime politique mis en place est d’abord une monarchie constitutionnelle (suffrage censitaire et souveraineté populaire partielle) qui se termine en 1792 avec l’instauration de la Première République française. Si la révolution supprime la monarchie absolue de droit divin et les privilèges importants de la noblesse et du clergé, elle ne résout pas la crise économique, ni les troubles sociaux qui restent fort importants. La France traverse alors une longue période d’instabilité politique. La République est menacée de l’intérieur par les royalistes et à l’extérieur par les nations étrangères qui souhaitent profiter de l’instabilité française. Ces troubles précipitent la chute du roi et son exécution en 1793. Robespierre, souhaite sauver la 107
Maximilien de Robespierre. Dessin et aquarelle de JeanMichel Moreau le Jeune. 1758-1794. Musée Lambinet, Versailles.
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Le temps des révolutions
de vivres, de ravitaillement et de munitions, l’empereur ordonne la retraite. L’hiver très rude et précoce, la faim, la fatigue, la maladie et le harcèlement des Russes, finissent par anéantir l’armée française (la débâcle de Russie). Un an plus tard, les adversaires de la France obligent Napoléon à défendre Paris qui capitule devant les Autrichiens, Prussiens, Russes et Anglais. L’invasion victorieuse de la France par les grandes puissances coalisées, provoque l’abdication de Napoléon à Fontainebleau en 1814. Il est fait prisonnier et envoyé sur l’île d’Elbe. La monarchie des Bourbons est rétablie en France avec Louis XVIII, frère de Louis XVI (la Restauration). Napoléon s’échappe et décide de reprendre le pouvoir. C’est la campagne des Cents Jours (du 1er mars au 7 juillet 1815) qui commence. La bataille de Waterloo en 1815, inflige une dernière défaite à l’empereur face aux armées prussiennes et anglaises de Blücher et de Wellington. Napoléon est obligé d’abdiquer et se retrouve déporté sur l’île de Sainte-Hélène, au centre de l’Atlantique où il meurt en 1821. C’est la fin de l’Empire, une page se tourne en Europe.
Sacre de l’empereur Napoléon et couronnement de l’impératrice Joséphine à Notre-Dame, le 2 décembre 1804. Huile sur toile de Jean Louis David. 1805-1807. 6,21 x 9,79 m. Musée du Louvre, Paris.
6. Le Congrès de Vienne Le Congrès de Vienne se déroule de septembre 1814 à juin 1815 et réunit les représentants des quatre grandes puissances victorieuses de Napoléon pour décider du sort de l’Europe : l’Angleterre, la Russie, l’Autriche et la Prusse. Elles décident d’enlever à la France toutes ses conquêtes et de lui imposer un retour à ses frontières de 1789. La surveillance de la France est une priorité : création d’États « tampons » pour l’empêcher de s’étendre. Au nord, le Royaume des Pays Bas est placé sous la direction de Guillaume Ier d’Orange et unit Belges et Hollandais. Au sud, le Royaume de Piémont-Sardaigne est augmenté de Gênes et de la Savoie. Les puissances désirent également créer un nouvel équilibre européen avec la formation de zones d’influences : l’Angleterre domine les mers,
La bataille d’Iéna, Allemagne, le 14 octobre 1806. Gravure d’Edme Bovinet. Première moitié du XIXe s. Collection historique de Stapleton, Londres.
pour l’Europe, et ses régimes monarchiques. Les guerres reprennent : la France triomphe contre l’Autriche et la Russie à Austerlitz en 1805, et contre la Prusse en 1806 à Iéna. En 1812, une grande partie de l’Europe est dominée par Napoléon. La campagne de Russie met un terme à son rêve car elle tourne rapidement au désastre. Les Russes pratiquent la politique de la terre brûlée devant la « grande armée » et ils incendient Moscou. Privé 108
ÉPOQUE CONTEMPORAINE
la Prusse contrôle la Confédération germanique de 39 États (la future Allemagne) et une partie de la Pologne, l’Autriche a la mainmise principalement sur le nord de l’Italie et une partie de l’Allemagne actuelle, la Russie absorbe la plus grande partie de la Pologne et influence l’est de l’Europe. Les quatre nations s’engagent à maintenir la paix et la stabilité politique en intervenant contre ceux qui les menaceraient. C’est le principe d’intervention : en cas de troubles, les États peuvent demander l’intervention des grandes puissances. La Sainte Alliance qui regroupe Russie, Autriche et Prusse est aussi issue du Congrès de Vienne. Son but est d’empêcher les révolutions libérales, hostiles aux monarchies absolues. L’Angleterre, monarchie parlementaire et constitutionnelle, ne fait pas partie de cette alliance, contraire à ses convictions. On peut faire de nombreuses critiques aux décisions prises par le Congrès de Vienne : les nationalités ne sont pas respectées ; l’Allemagne, l’Italie et la Pologne sont des nations divisées entre plusieurs États voisins ; la Belgique et le Luxembourg se trouvent sous la domination des Pays-Bas. Depuis le XVIIIe s., les mentalités ont changé : les peuples ont pris conscience de leur droit à disposer d’euxmêmes. Mais le Congrès de Vienne marque malheureusement un retour à l’Ancien Régime en rétablissant l’absolutisme en Europe.
L’autodétermination des peuples et les droits de ceux-ci à se diriger eux-mêmes et à choisir leurs représentants occupent de plus en plus les esprits européens. Les sources de ces révolutions sont donc très nombreuses. L’Europe connaît trois vagues de mouvements révolutionnaires : 1820, 1830 et 1848. La première est un échec car les révolutions sont spontanées, mal préparées, pas organisées. La deuxième vague provoque des changements marquants. Elle débute en France, en juillet 1830 à Paris et provoque l’abdication du roi Charles X (1824-1830). La monarchie n’est pas renversée, elle est maintenue mais perd de son pouvoir et Louis-Philippe d’Orléans monte sur le trône comme « roi des Français » (1830-1848). La révolution se propage à Bruxelles. Les Belges, avec l’aide de la France, chassent les Hollandais et gagnent leur indépendance. C’est une révolution à caractère libéral, en réaction aux nombreuses inégalités et discriminations commises sous le gouvernement hollandais. La Constitution belge est promulguée en 1831 et marque le début d’une monarchie constitutionnelle particulièrement moderne pour son époque. Le suffrage reste néanmoins censitaire, profitant ainsi à la riche bourgeoisie. À l’exception de la Grèce, les autres révolutions de 1830 sont écrasées partout : Italie, Allemagne, Pologne, etc. L’intervention de la Sainte Alliance explique ces échecs. La troisième vague est poussée par une crise économique. Elle gagne d’abord l’Italie sans grandes conséquences, puis atteint Paris. La monarchie française est renversée en 1848 et la Deuxième République est proclamée. La révolution touche ensuite l’Europe centrale et de l’est, mais sans résultat. L’Europe est désormais coupée en deux, d’une part les monarchies absolues (Prusse, Autriche-Hongrie et Russie) et de l’autre, les monarchies parlementaires ou constitutionnelles (Angleterre, France, Belgique, Grèce, Pays-Bas, Norvège et Suède). ■
7. L’Europe
des révolutions : 1820-1848
Depuis 1815, la plupart des États européens possèdent des régimes autoritaires, excepté l’Angleterre où règne une monarchie parlementaire depuis 1689. Cependant les idées libérales se diffusent aux quatre coins de l’Europe. Entre 1820 et 1850, une nouvelle génération de révolutionnaires se lève. L’industrialisation (fin XVIIIe-début XIXe s.) bouleverse la société. La bourgeoisie est la principale bénéficiaire de cette évolution économique et sociale. Elle désire participer aux décisions politiques par l’instauration de régimes politiques libéraux où Parlement et Constitution occupent une place importante. Les idéaux de la Révolution française se propagent et les inégalités engendrées par le Congrès de Vienne entretiennent le nationalisme.
> GRAND ANGLE > FOCUS > PATRIMOINE
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Le temps des révolutions La Révolution belge
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Épisode des journées de septembre 1830…
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Les transformations économiques et sociales… 1725
1750 1733 Navette volante (tissage) de Kay
1775 1776 Libéralisme économique de Smith 1774 La mule-jenny (filage à énergie hydraulique) de Crompton
1800
1825
1789 Métier à tisser mécanique de Cartwright 1784 Machine à vapeur de Watt
Les transformations économiques et sociales au XIXe siècle › Atlas d’Histoire pl. 101, 104 › Petit atlas d’Histoire pl. 59, 62
Le milieu du XVIIIe s. voit apparaître un bouleversement des processus de production, la « Révolution industrielle », qui va créer un nouveau type de civilisation : la civilisation industrielle. À un mode de production artisanal se substitue un mode de production industriel. Les innovations techniques qui marquent cette révolution sont étroitement liées aux succès des recherches scientifiques, dont elles sont tributaires. Cette révolution est aussi le passage, avec toutes ses conséquences économiques, sociales, politiques et culturelles, d’une société traditionnellement agraire à une société basée principalement sur l’activité industrielle. Depuis 1750 déjà, s’est amorcé le déclin progressif du secteur primaire (agriculture) au profit du secteur secondaire (industrie) mais aussi du secteur tertiaire (commerce, services).
stabilité politique s’est établie après la dernière révolution de 1668 qui a instauré un régime parlementaire. D’autre part, la tolérance religieuse favorise la liberté intellectuelle, propice au développement des sciences et aux découvertes techniques. À cela s’ajoute la domination exercée par l’Angleterre sur le commerce maritime, et son corollaire, l’expansion coloniale qui lui a permis de créer un vaste empire sur les autres continents (Indes, Canada…) dont elle tire des matières premières pour son industrie et qu’elle inonde de ses surplus. Le reste de l’Europe occidentale disposait déjà d’une vitalité sociale et économique, basée sur la propriété privée et donc, la possibilité de développer les entreprises et le commerce. La Belgique, entrée très tôt après l’Angleterre dans le mouvement industriel, la France (un temps freinée par le protectionnisme et les guerres napoléoniennes) puis la Prusse, s’intègrent progressivement dans le système. La Russie devra faire sa révolution et sortir d’un monde féodal avant de rejoindre les autres pays dans la course aux profits industriels. Ainsi, grâce à sa supériorité technique, l’Europe a pu mener, tant sur le plan économique que colonial, une large politique d’expansion. Peu à peu, d’autres pays du monde – États-Unis en tête – sont également touchés par cette vague d’industrialisation.
1. Le démarrage en Angleterre
La Révolution industrielle débute en Angleterre et gagne ensuite tout le continent européen. L’Angleterre du XVIIIe s. avait écarté deux fléaux multiséculaires qui décimaient sa population : la famine et la peste. Elle connaît depuis la fin du XVIIe s. un accroissement démographique sensible, susceptible de créer une clientèle potentielle. La 110
ÉPOQUE CONTEMPORAINE 1850
1875 1864 Première Internationale ouvrière
1845 Manifeste du Parti communiste
1900
1925
1891 Encyclique Rerum Novarum du pape Léon XIII
1950
1921 Loi des 8 h pour les ouvriers
1850-1914 – Croissance quasi continue
1936 1 ers congés payés d’1 semaine 1911 1913 Taylor conçoit l’organisation 1 re ligne de montage scientifique du travail automobile pour le modèle Ford T
2. L’évolution
des techniques
2.1 L’apparition de procédés
mécaniques La Révolution industrielle correspond à l’apparition de nouveaux procédés techniques qui modifient les modes de production : les « mécaniques » vont se substituer au travail manuel, ou du moins le rendre plus rapide et plus productif. C’est d’abord la vapeur qui va être utilisée comme principale source d’énergie. La machine à vapeur de James Watt est l’aboutissement de nombreuses expériences, notamment le perfectionnement de la pompe à feu de Newcomen (d’abord destinée à l’exhaure dans les mines et les carrières) qui nécessitait de trop grandes quantités de charbon pour le travail fourni. Cette machine de Watt permet de faire tourner de nombreuses autres machines (par ex. les métiers à tisser mécaniques). D’abord utilisée dans l’industrie textile et dans la métallurgie, elle entraîne l’essor de l’industrie charbonnière en raison de sa forte consommation de houille. Constamment améliorée dans ses mécanismes, elle reste le moteur principal de l’industrie jusqu’en 1914 ; même si d’autres sources d’énergie, comme l’électricité produite par la dynamo de Zénobe Gramme et le gaz à combustion (moteur à explosion), offrent à l’industrie des forces motrices plus souples. D’autre part, appliquée à la locomotive, la vapeur permet l’essor du transport ferroviaire, si utile aux déplacements des ouvriers et des marchandises ; le bateau à vapeur, destiné d’abord à la navigation sur les fleuves et les canaux nouvellement aménagés, facilitera, après divers aménagements (coque en acier, hélice…) les voyages au long cours
vers les colonies. La machine à vapeur, l’essor des charbonnages et de la sidérurgie qui perfectionne la qualité de l’acier, vont être les tremplins du progrès.
Femmes travaillant dans une usine textile au XIXe s., Dessin de 1835.
2.2 Les progrès pour l’industrie textile
En Angleterre, dans le domaine textile, de nombreuses innovations (la navette volante de John Kay, 1733 ; la mule-jenny de Crompton, 1774 ; le métier à tisser mécanique de Cartwright, 1789) vont permettre d’accélérer la production et de baisser les prix de revient, mais aussi de diminuer le besoin en main-d’œuvre ce qui va entraîner d’importants mouvements de révolte parmi les ouvriers tisserands.
3. Les conséquences
de l’industrialisation
3.1 Le passage de l’atelier à l’usine
› Atlas d’Histoire pl. 104 › Petit atlas d’Histoire pl. 62
• De taille modeste, l’atelier, depuis des décennies, s’intégrait à l’habitat. Les différentes opérations de l’activité nécessitant des outils recouraient
Machine à vapeur de Watt. Brevet déposé en 1769. Maison de la métallurgie, Liège.
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Vue des établissements de John Cockerill à Seraing. Dessin de Grandsire. Vers la moitié du XIXe s.
> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Les transformations économiques et sociales…
les entreprises : les Sociétés Anonymes (S.A.) assurent leur prospérité. La concentration capitaliste va de pair avec la concentration industrielle. Les banques prennent dans ces sociétés des participations importantes, s’assurant ainsi le contrôle de nombreuses usines. À la fin du XIXe s., afin d’éviter une concurrence susceptible de provoquer surproduction et baisse des prix, les grandes entreprises multiplient les ententes. Ces pools ou cartels laissent à chaque membre son indépendance financière, mais fixent une production maximale, un prix minimal et organisent la vente (concentration horizontale). Ces groupes financiers détiennent dès lors un pouvoir économique considérable, capable d’orienter la politique d’un gouvernement. • Un nouveau paysage industriel s’installe. Avec l’utilisation de la vapeur, la sidérurgie rompt le lien qui unissait le fourneau à la forêt (où se fabriquait le charbon de bois) et au cours d’eau. Elle lie son destin au charbon minéral. Mais le transport de la houille est très coûteux. L’industrie lourde s’installe alors près des gisements de matières premières, généralement, la houille, plus rarement le minerai de fer. Peu à peu, les usines se regroupent dans un nombre restreint de territoires nationaux : ce sont les bassins industriels, espaces très peuplés. Parfois des villes anciennes ajoutent à leur centre commercial une banlieue industrielle ; parfois des cités nouvelles se développent autour des usines, en raison de l’afflux d’ouvriers, venus souvent des campagnes environnantes.
largement à la force de l’homme, assistée parfois par l’énergie animale ou hydraulique. Les établissements métallurgiques (forges, fonderies, clouteries…) s’égrenaient le long des cours d’eau. Les investissements, relativement modestes, pouvaient être assumés par l’entrepreneur seul. Ces patrons disposaient d’une fortune accumulée par des activités commerciales, ou de revenus de propriétés foncières. • L’usine elle, de dimension beaucoup plus importante, occupe parfois des centaines d’ouvriers. La machine à vapeur et les innovations techniques qui en bénéficient, trop coûteuses pour de petits entrepreneurs, imposent la concentration technique et humaine : on rassemble sur un même site les machines et les hommes. Les usines regroupent tout le nécessaire à leur fonctionnement, de l’extraction des matières premières ou du combustible à la réalisation des produits finis : c’est une concentration verticale.
Le travail à la chaîne,
dans l’industrie automobile, a pour but de supprimer les temps morts dans le montage d’une voiture. Les pièces à assembler sont amenées à l’ouvrier par la chaîne de montage ; l’ouvrier ne se déplace donc plus dans l’usine, exécute toujours la même tâche, la productivité s’en trouve accrue. L’homme fonctionne comme une machine, exécute un travail lassant car répétitif, ne voit pas le résultat de son travail et n’a aucune perspective de qualification.
3.2 Une nouvelle organisation du travail
Les industriels ne peuvent plus se satisfaire de leur fortune personnelle, maintenant qu’ils gèrent de très grandes usines. Ils doivent recourir à des capitaux extérieurs pour assurer la vie et le développement de leur activité. On fait alors appel aux épargnants, qui par l’achat d’actions et la promesse de dividendes calculés sur leur investissement, vont financer
Les énormes capitaux engagés exigent une production abondante et au plus bas prix. La maind’œuvre ouvrière est donc exploitée sans aucune limite. Le gain est l’unique objectif poursuivi. Des études menées en vue d’accroître le rendement de l’ouvrier débouchent sur la division du travail : à chacun la même tâche répétée continuellement. Ce procédé permet non seulement un gain de temps, mais aussi l’emploi de personnel peu qualifié. F.W. Taylor (1856-1925), un ingénieur américain, après des observations 112
ÉPOQUE CONTEMPORAINE
Jeunes garçons travaillant dans une filature de coton en Géorgie (États-Unis). Vers 1910. Photographie d’époque de Lewis Hine.
Chaîne d’assemblage de l’usine Ford. Photographie de 1913. La décomposition du travail des ouvriers (à chaque ouvrier correspond un seul geste), le déplacement des éléments sur un tapis roulant, ainsi que la standardisation des pièces vont considérablement augmenter la productivité de l’usine : le temps de montage de la Ford T (seul modèle, à l’époque) passe ainsi de plus de 12 h à 1 h 30.
Groupe de mineurs travaillant dans le bassin de Liège. Photographie de 1886.
minutieusement chronométrées, conclut qu’il faut éliminer les gestes et les déplacements inutiles et fixer un temps donné à chaque phase de travail (le taylorisme). Le travail à la chaîne sera d’abord appliqué dans l’industrie automobile, lui donnant son plein essor (usines de John Ford).
Le travail des femmes et des enfants, important dans plusieurs secteurs, n’est pas réglementé. Il est lucratif pour le patronat car cette maind’œuvre non qualifiée est sous-payée (de 1/2 à 1/4 du salaire d’un homme). • Les conditions de vie précaires Les salaires sont insuffisants pour l’entretien minimal d’un ménage. Dans certaines usines, les ouvriers sont même parfois payés en nature : c’est le « truck system ». Pain et pommes de terre constituent la base de l’alimentation (le lait est réservé aux nourrissons ; au mieux on mange une tranche de lard, une fois par semaine). De plus, le salaire varie avec la conjoncture. Le Le truck system consiste à chômage, la maladie, payer en nature une partie du salaire. l’accident sont la hantise Les marchandises de première nécesdes ouvriers car, jusqu’en sité sont vendues dans des commerces appartenant au patron et la facture est 1850, rien n’est prévu pour retenue sur le salaire de l’ouvrier. celui qui ne peut travailler, hormis quelques caisses de secours professionnelles. Les logements sont chers et insalubres. Au point de vue juridique, globalement l’ouvrier n’a aucun droit civil ni économique. La Révolution
3.3 Des conséquences néfastes
pour les ouvriers • Les conditions de travail pénibles L’impératif du rendement optimal commande les cadences de l’ouvrier. Les journées de travail sont longues (de 12 à 15 heures !), la semaine est de six jours, les congés payés n’existent pas. Les salaires, très bas, permettent à peine de survivre, les grèves sont interdites. L’augmentation des cadences dans la deuxième moitié du XIXe s. entraîne un accroissement des accidents de travail qui ne sont pas couverts par une assurance. Jusqu’à la fin du XIXe s., aucune réelle législation sociale n’est élaborée. En Belgique, la Loi des 8 heures, c’est-à-dire 8 heures de travail, 8 heures de loisirs et 8 heures de repos, est seulement adoptée en 1921 et les premiers congés payés d’une semaine sont accordés en 1936. 113
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Les transformations économiques et sociales…
française a supprimé les corporations laissant le traque doit posséder chaque ouvrier dans vailleur seul face aux palequel le patron inscrit ses remarques trons. D’autre part, le livret (par ex. : fait de grève…). Pour trouver de ouvrier, instauré sous Bonal’embauche, l’ouvrier doit prouver, livret à l’appui, qu’il est libre de toute obligaparte, tombé un moment en tion vis-à-vis de son ancien employeur. désuétude, est de nouveau En Belgique, le livret est aboli en 1883. rendu obligatoire. Dans la plupart des pays, dans des systèmes politiques fondés sur la richesse et la propriété, l’ouvrier n’a ni le droit de vote ni celui d’éligibilité.
de production, ni les matières premières qu’ils mettent en œuvre. • La bourgeoisie, classe dirigeante et classe moyenne L’aristocratie n’a pas disparu, elle conserve une partie de sa fortune foncière, ne détient plus le pouvoir économique mais garde une influence sur le plan politique. La bourgeoisie apparaît comme vainqueur dans le processus industriel. Elle n’est pas homogène : les activités, les positions sociales sont variées. Banquiers et chefs d’entreprises constituent des dynasties familiales : ex. les Rothschild, les Krupp… Ils représentent la haute bourgeoisie. La bourgeoisie comprend aussi ingénieurs, directeurs de banques, membres des professions libérales et de la haute administration. Entre les ouvriers et la haute bourgeoise, naît une classe moyenne ou « petite bourgeoisie » : les « cols blancs », salariés du secteur privé ou fonctionnaires, petits artisans et commerçants.
Le livret ouvrier est un carnet
3.4 L’évolution de la société
• Le monde rural en mutation L’agriculture, restée en retard du point de vue Le dumping est une pratique en mécanique, n’en a pas économie qui consiste à vendre sur les marmoins évolué. Elle perchés extérieurs à des prix inférieurs à ceux qui sont pratiqués sur le marché national (et fectionne les systèmes même parfois au prix de revient). d’assolement et devient plus intensive grâce à l’utilisation d’engrais artificiels. Une autre tendance a consisté dans la formation progressive de régions agricoles spécialisées. L’introduction de nouvelles cultures exige des capitaux que la petite propriété ne peut guère posséder. On assiste à des regroupements, ce mouvement est surtout sensible en Angleterre, où en 1854 les grandes propriétés occupent plus de la moitié du sol cultivé. La situation des paysans varie fort d’un pays à l’autre : propriété et taille des exploitations, types de cultures et d’élevage… L’exode rural, c’està-dire le départ vers les villes, est de plus en plus important. Les catégories les plus concernées sont les journaliers agricoles et les métayers. • L’apparition du prolétariat Si la révolution industrielle a provoqué un bouLe produit national brut leversement dans l’orgaou PNB consiste en la production nisation des entreprises, annuelle des richesses créées par un pays, la main-d’œuvre change que cette production se déroule sur le sol également et constitue un national ou à l’étranger. nouveau groupe social : le prolétariat. On appelle ainsi les travailleurs manuels regroupés dans de vastes usines, qui ne possèdent ni les moyens
4. Les crises, séquelles de la surproduction
De 1850 à 1914, avec l’industrialisation, on constate une croissance quasi continue, bien qu’irrégulière, faite de phases d’expansion et de dépressions (les crises). Avant 1850, les crises étaient dues aux mauvaises récoltes qui entraînent la cherté des vivres qui, elle-même, provoque la famine et une hausse de la mortalité. Elles se caractérisaient par une sous-production agricole. Après 1850, les crises proviennent surtout d’une surproduction qui engendre la chute des prix et le ralentissement des activités industrielles, ce qui conduit aux licenciements de personnel et parfois à des faillites. On recherche alors de nouveaux débouchés par le dumping, par la colonisation et parfois l’aide de l’État. Le produit national brut (PNB), de même que le produit par tête, augmente considérablement, mais les richesses sont très inégalement réparties entre les classes sociales. 114
ÉPOQUE CONTEMPORAINE
5. L’évolution des choix
regrouper ces unions ouvrières en fédérations nationales, par profession, puis se fédérer sur le plan international. En 1864 est créée à Londres la « Première Internationale ouvrière » qui a joué un rôle important dans l’organisation ouvrière jusqu’au XXe s.
économiques
5.1 Le libéralisme économique
En 1776, un professeur de l’Université de Glasgow, Adam Smith, prône l’importance de l’intérêt personnel qui, selon lui, sert la société tout entière. Il faut donc respecter et protéger liberté de travail, liberté de production, liberté des échanges et laisser jouer la loi de l’offre et de la demande. Il en est de même pour les salaires qui s’élèvent en période d’expansion économique et diminuent en période de régression. Ce libéralisme économique : « Laissez faire, laissez passer » coïncide avec le triomphe de la Révolution industrielle. Cette théorie limite le rôle de l’État qui doit uniquement garantir le droit de propriété, la libre circulation des produits et la libre création d’entreprises.
5.3 Le catholicisme
Maison du peuple à Saint-Gilles, Bruxelles (aujourd’hui détruit). Photographie de 1830.
social L’Église est d’abord restée indifférente aux problèmes des ouvriers. Elle condamne toutes les doctrines ou mouvements qui veulent bouleverser l’ordre politique et économique établi. Seuls certains patrons isolés (tant catholiques, que libéraux) vont tenter d’améliorer le sort de leurs travailleurs en se lançant dans la voie du paternalisme. Vers les années 1880, des chrétiens et des laïcs attirent l’attention sur l’urgence du problème social et demandent que l’Église prenne une position officielle. En 1891, le pape Léon XIII publie l’Encyclique Rerum Novarum qui condamne l’idéologie socialiste et la lutte des classes. Il revendique pour chacun le droit à la propriété privée. Il fait appel au patronat pour qu’il paie un salaire suffisant et octroie des conditions de travail décentes. Il rappelle à l’ouvrier que le travail est un mal nécessaire et l’exhorte à la patience et à l’honnêteté. Le pape reconnaît le bien-fondé de l’intervention de l’État, mais juge préférable l’action des organisations syndicales pour améliorer le sort des travailleurs. En Belgique, suite à la parution de cette encyclique, des syndicats et des partis démocrateschrétiens s’organisent pour faire face aux syndicats socialistes et au Parti Ouvrier Belge. ■
5.2 Les systèmes socialistes
Opposés à cette doctrine libérale, qui profite à une minorité, et particulièrement à la haute bourgeoisie, des penseurs vont réagir. Ils estiment qu’il faut reconstruire la société sur d’autres bases. Ce sont les socialistes. Pour organiser rationnellement la production des marchandises et distribuer à tous équitablement les bénéfices, ils imaginent différents systèmes basés sur la fraternité et l’égalité. Karl Marx (1818-1883) qualifiera cette forme de socialisme d’« utopique » et lui opposera un « socialisme scientifique ». Il insiste sur la nécessité de la lutte des classes. Les travailleurs doivent s’organiser et s’unir pour enlever le pouvoir politique à la bourgeoisie et procéder ensuite à l’appropriation collective des moyens de production (Manifeste du Parti communiste, 1845). Pour réaliser son programme, la classe ouvrière doit se mobiliser localement,
> GRAND ANGLE > FOCUS > PATRIMOINE
115
L’architecte Victor Horta conçut ce bâtiment, de style Art Nouveau, pour le Parti Ouvrier Belge, qui voulait disposer d’un vaste lieu de rassemblement. La construction s’étala de 1896 à 1898.
Les transformations économiques et sociales… La révolution industrielle en Belgique
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Un site industriel, le Grand-Hornu
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > L’impérialisme européen 1800
1810
1820
1830
1825-1875 : explorations de l’Afr 1854 1840 1842 1850 Ouverture des ports chinois aux Occidentaux
Ouverture japonais aux
1800-1867 : Canada : colonie (ANGL) 1830-1847 : Guerre d’Algérie (FR) 18501800-1901 : Australie : colonie 1810-1910 : 1800-1918 :
L’impérialisme européen › Atlas d’Histoire pl. 117 › Petit atlas d’Histoire pl. 71
L’impérialisme désigne une politique de domination d’un État tendant à placer d’autres États sous sa dépendance politique, économique voire culturelle. L’impérialisme n’est pas un phénomène contemporain, c’est une constante dans l’histoire du monde. Il s’est manifesté en Europe, mais aussi sur les autres continents.
aspirations des populations. Une alliance militaire se met en place en 1815 : ne supportant pas que leur modèle politique et idéologique puisse être remis en question au nom des idées véhiculées par la Révolution française, les souverains absolus envoient leurs troupes pour réprimer durement la plupart des révolutions libérales qui éclatent au XIXe s. en Europe.
1. La France
2. L’Europe, première
La France offre un premier exemple d’impérialisme moderne qui vise des buts politiques (conquête des frontières naturelles), économiques (blocus continental afin d’organiser un système économique autarcique) et camoufle sa volonté de puissance sous des idéaux universels : affranchissement des peuples, diffusion de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Lorsque les peuples découvrent le caractère impérialiste de l’idéologie révolutionnaire de Napoléon Ier, celui-ci doit rapidement faire face à des soulèvements généralisés, tant en Espagne, Italie, Tyrol qu’en Allemagne. L’impérialisme continental français se brise avec la défaite de Waterloo en 1815. Dès lors, réunis au Congrès de Vienne (octobre 1814 – juin 1815), les vainqueurs, dont l’Angleterre, l’Autriche, la Prusse et la Russie vont rétablir leur influence en Europe, créer de nouveaux États (Pays-Bas, Confédération germanique) et s’en répartir d’autres (Pologne divisée, PiémontVénétie rattachée à l’Autriche) sans tenir compte des
Dans la seconde moitié du XIXe s., le capitalisme industriel entraîne une transformation profonde des politiques coloniales. Il ne s’agit plus seulement comme du XVIe au XVIIIe s., de s’assurer des comptoirs ou de créer des colonies de peuplement, sources de métaux précieux et de matières premières, mais bien de créer de nouveaux marchés pour la production industrielle et de nouvelles terres de peuplement. Des grands pays européens comme l’Angleterre, l’Allemagne et l’Italie connaissent une véritable explosion démographique. L’essor démographique européen au XIXe s. explique, en partie, l’élargissement de son influence outre-mer, tant par l’émigration que par son expansion coloniale. De 1820 à 1914, plus de 40 millions de personnes quittent l’Europe pour les colonies. Au début du XXe s., l’économie mondiale est organisée au profit de l’Europe. En 1914, celleci réalise la moitié des exportations mondiales et absorbe les trois quarts des importations. Maîtresse des moyens de communication, l’Europe dispose de grands groupes commerciaux, des meilleurs techniciens et experts. Elle achète les denrées alimentaires
de la Révolution et de l’Empire (1789-1815)
puissance mondiale
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ÉPOQUE CONTEMPORAINE
rique noire 1860
1870 1867 des ports Canada : Dominion britannique Occidentaux 1869 canal de Suez (ANGL)
1885 1880 1890 conférence de Berlin : Afrique noire colonisée (FR, ANGL, BEL, ALL, PORT, ESP)
1901 Australie : Dominion britannique 1900 1910 1905 guerre russo1899-1902 japonaise guerre des Boers
1920
à partir de 1882 : occupation de l’Égypte (ANGL)
1875 : conquête d’Indochine (FR)
1885-1908 : État indépendant du Congo (Léopold II) – 1908-1960 : colonie belge
(ANGL) 1815-1918 : Inde : colonie (ANGL) Afrique du Sud : colonie (ANGL) Indes néerlandaises (Indonésie) 1860-1914 : interventions européennes au Maroc 1875-1914 : pénétration économique européenne en Amérique latine
et les matières premières qui lui manquent au reste du monde. Les puissances européennes dominent le marché des produits manufacturés : 75 % des importations de l’Afrique, 60 % de la Chine et de l’Amérique latine proviennent de l’Europe. On peut considérer le début du XXe s. comme l’âge d’or du capitalisme européen. L’Europe est devenue la première puissance mondiale.
les cotonnades britanniques fabriquées industriellement qui seront importées massivement en Inde. En Afrique, les Anglais détiennent le Ghana et le Nigéria sur les côtes de l’Atlantique. Ils contrôlent les rives du canal de Suez et les pays du Nil, avec le Soudan, l’Ouganda, le Kenya et l’Égypte occupée depuis 1882. La rude Guerre des Boers (1899-1902), menée contre les colons hollandais, permet à l’Angleterre de dominer l’Afrique du Sud à partir du Cap. L’Empire britannique compte aussi des colonies de peuplement : Canada, Australie et Nouvelle-Zélande. La formule du dominion donne aux colons une forme d’autonomie en les dotant d’un gouvernement et d’un parlement particulier tout en y maintenant la souveraineté de la couronne britannique, au sein du Commonwealth depuis 1926. Appliqué pour la première fois au Canada en 1867, ce statut de dominion est accordé à l’Australie en 1901, à la Nouvelle-Zélande en 1907 et enfin aux colonies du Cap (regroupées en Union sudafricaine) en 1910.
2.1 L’impérialisme britannique
Puissance coloniale par excellence, la GrandeBretagne contrôle le quart de la population mondiale en 1914, soit 450 millions de personnes sur 33 millions de kilomètres carrés. Les possessions britanniques recouvrent d’importants territoires. Des points d’escale assurent la protection des grandes routes maritimes (Gibraltar, Malte, Chypre en Méditerranée ; Zanzibar, Aden, Singapour sur l’océan Indien) et des comptoirs commerciaux comme Hong-Kong. Le fleuron en est cependant l’Empire des Indes, essentiel à la prospérité de l’économie britannique, et dont les Anglais contrôlent les abords (Birmanie). Après la révolte des cipayes en 1857, l’Inde est passée sous le contrôle direct de la Couronne britannique. La conséquence la plus importante pour les indigènes fut la disparition des fileuses et tisserands indiens : désormais, ce sont
2.2 L’impérialisme français
Affiche de l’Empire Tobacco, vers 1930. Son but était de promouvoir le commerce entre les pays au sein de l’Empire britannique et de convaincre les consommateurs d’acheter des produits britanniques.
La France est la deuxième puissance colonisatrice au XIXe s. Elle domine, au début du XXe s., environ 40 millions d’habitants pour 10 millions de kilomètres carrés. En dehors des « vieilles colonies » (Antilles, Guyane et Réunion), de quelques archipels, et de l’Indochine (Vietnam, Cambodge et Laos), l’Empire colonial français est essentiellement africain. À l’ouest de l’océan Indien, la France possède Madagascar. À partir de 1830, l’armée française a entrepris de conquérir l’Algérie et s’est heurtée à une résistance acharnée des tribus locales, menées par Abd el-Kader. De part et d’autre, pillages, destruction massive des récoltes, massacres atteignent les populations civiles. Les indigènes finirent par être vaincus et désarmés, leurs terres confisquées seront désormais exploitées par des colons arrivés massivement. Convaincus de la supériorité de leur civilisation, ces colons, souvent d’origine modeste, méprisent les indigènes et s’opposent à leur instruction en langue française.
Hindou servant le thé à une Européenne. Photographie de 1910-1930.
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > L’impérialisme européen
Troupe de soldats coloniaux réunis en Angleterre pour le jubilé de diamant de la reine Victoria. Photographie de 1897. Usine à Caoutchouc dans une colonie française d’Afrique centrale.
Profitant de la décadence du pouvoir ottoman, les Français imposent leur protectorat en Tunisie (1881) et au Maroc (1912) : laissant en place les autorités locales et respectant les traditions, ils soumettent néanmoins ces deux pays à leurs intérêts. Des immigrants français s’installent dans les villes, mais aussi des Espagnols et des Italiens, ce qui compliquera la tâche de l’administration française. Comme le Royaume-Uni, la France « entend porter, partout où elle peut, sa langue, ses mœurs, son drapeau, son génie » (Jules Ferry). C’est une mission de civilisation, il paraît juste que les colonisés en paient le prix. Mais, en dehors de ces considérations, il est évident que les colonies constituent un facteur de prestige politique, des bases stratégiques et des atouts économiques.
La photographie montre deux colons examinant le caoutchouc recueilli par les travailleurs d’une plantation.
La rivalité coloniale franco-anglaise est la plus évidente au début du XIXe s., mais, après 1870, d’autres puissances vont essayer de les imiter. L’hégémonie européenne l’emporte presque partout à la fin du siècle. 2.3 L’impérialisme allemand
Les conquêtes napoléoniennes ont eu pour conséquence la disparition du Saint-Empire, dominé par l’Autriche (1806). Déçue par le Congrès de Vienne, l’Allemagne reste divisée : une Confédération germanique est créée en 1815, mais les États qui la composent sont jaloux de leurs prérogatives. L’unification
Reddition d’Abd-el-Kader le 24 décembre 1847. Huile sur toile de Régis Augustin. Vers 1847. 41 x 56 cm. Musée Condé, Chantilly (France).
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ÉPOQUE CONTEMPORAINE
Tunis, c’est la France qui établit son protectorat sur la Tunisie. Une tentative de conquête de l’Éthiopie se solde par un désastre (1896) ; néanmoins, l’Italie peut créer les colonies de l’Érythrée et de la Somalie et commencer à les mettre en valeur. L’impérialisme italien se manifeste particulièrement pendant la période fasciste à partir de 1922. Mussolini le justifie par le désir de donner du travail à la population de la péninsule en pratiquant l’expansion coloniale. Il mobilise aussi les grands souvenirs de l’Empire romain au service de son impérialisme. • Les anciens empires coloniaux espagnol et portugais ne conservent plus que des vestiges. Leurs colonies en Amérique centrale et du sud sont devenues indépendantes dans la première moitié du XIXe s., entre 1810 et 1822, à la suite de la révolte des colons créoles (Simon Bolivar notamment). L’Espagne ne détient plus que quelques points d’appui sur les côtes africaines (Rif marocain, Sahara occidental). Le Portugal contrôle toujours les îles du Cap-Vert, la Guinée, l’Angola et le Mozambique. • Quant à la Belgique, c’est le roi Léopold II, qui finance des explorations en Afrique centrale et se fait reconnaître par les autres puissances européennes (conférence de Berlin en 1885) comme souverain de l’État indépendant du Congo ; il le cédera à la Belgique en 1908.
allemande va se faire autour de la Prusse, devenue l’incarnation du sentiment national, et par l’économie : abolition des frontières douanières (Zollverein) en 1834. Dans la seconde moitié du XIXe s., l’Allemagne devient à son tour une grande puissance industrielle. Sous l’impulsion du chancelier Bismarck, elle sera peu à peu unifiée : en 1871 fut fondé un nouvel empire allemand (2e Reich) sous l’autorité de Guillaume Ier (1871-1888). Entre-temps, l’idée de rassembler tous les pays de langue allemande (pangermanisme) et celle de la supériorité des peuples germaniques, ainsi que du droit à leur expansion se sont répandues. Sous le règne de l’empereur Guillaume II (18881918), ayant pris conscience à son tour de l’importance économique et stratégique des colonies, l’Allemagne s’efforce à son tour d’en acquérir. À la conférence de Berlin en 1885, le chancelier Bismarck s’était contenté de réclamer la liberté du commerce et de la libre entreprise en Afrique centrale, tactique politique qui se révèle payante par la suite. Possédant désormais une marine militaire, l’Allemagne s’installe dans le Sud-ouest africain (actuelle Namibie), coloniser le Cameroun, le Togo, puis une partie de l’Afrique orientale (devenue Tanganyika, actuelle Tanzanie) et le Ruanda-Urundi. En quelques mois, l’Allemagne se retrouve ainsi à la tête d’un empire colonial cinq fois plus grand que son territoire métropolitain, mais très peu peuplé. Vaincue par les Alliés lors de la Première Guerre mondiale, l’Allemagne doit renoncer à ses colonies : elles ont confiées par la Société des Nations à la GrandeBretagne (Togo et Cameroun, Tanganyika), à la France (autres parties du Togo et du Cameroun), à la Belgique (Ruanda-Urundi), et à l’Afrique du Sud (Sudouest africain) sous le statut du mandat.
2.5 Les autres puissances impériales
• La Russie progresse en Sibérie et dans le nordouest de la Chine où elle se heurte au Japon (Guerre russo-japonaise de 1905). En Europe, l’impérialisme russe vise Constantinople, l’accès aux Détroits et à la Méditerranée et se pose en rassembleur de tous les
2.4 Les autres impérialismes européens
• Les Pays-Bas possèdent d’importantes colonies en Indonésie (Indes néerlandaises), riches et peuplées de près de 40 millions d’habitants. Ces terres font des Pays-Bas la troisième puissance coloniale. • L’Italie, à l’instar de l’Allemagne, est encore divisée au début du XIXe s. et ne sera unifiée qu’en 1870. Dès lors, elle se tourne vers la conquête d’un empire colonial africain, mais elle arrive trop tard. Bien que de nombreux émigrants italiens se sont installés à
Le sultan d’Obbia souscrit au protectorat italien. Liebig Series : L’origine de diverses colonies, 1922, N° 3.
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > L’impérialisme européen
Slaves des Balkans et prend la forme du panslavisme (valorisation de l’identité commune des peuples slaves et désir d’union politique de ceux-ci). • Le Japon est présent à Formose, à Taiwan, en Corée et en Mandchourie. L’impérialisme japonais se manifeste dès les dernières années du XIXe s. Devenu rapidement une grande puissance industrielle, le Japon, surpeuplé dans son petit archipel, manque cruellement de matières premières et ne peut survivre que par la conquête de nouveaux marchés. • Nés d’une révolte des colons anglais contre leur métropole, les États-Unis n’ont officiellement pas de colonies ; néanmoins, leur expansion territoriale au XIXe s. se distingue mal d’une colonisation. Dès 1820, ils envoient une escadre en ExtrêmeOrient pour défendre leurs intérêts économiques. En 1823, le président américain James Monroe est le premier à déclarer que le Nouveau Monde constitue pour les États-Unis une zone de sécurité de première importance ; il en exclut tout autre influence, notamment européenne. Se tournant vers le Pacifique, les États-Unis forcent l’ouverture de la Chine et du Japon à leurs commerçants, installent une base navale à Samoa, puis à Hawaï. Ils aident les Cubains, puis les Philippins, à se soulever contre l’Espagne : des troupes américaines finissent par occuper ces îles, ainsi que celle de Porto Rico. Enfin, ils soutiennent la nouvelle République du Panama qui leur accorde des territoires et le droit d’intervenir dans ses affaires : le creusement du canal, achevé en 1914, est vital et devient la clé de la défense américaine dans l’hémisphère nord.
Sa maîtrise dans les domaines technique, scientifique et intellectuel est alors incontestée. Les écoles d’ingénieurs, les universités, les laboratoires européens attirent des étudiants du monde entier. De même, les grands foyers d’art, de littérature ou de mode sont en Europe. Certains intellectuels, comme l’anglais Joseph Chamberlain (1836-1914) ou le français Jules Ferry (1832-1893), justifient sur le plan moral et idéologique la domination de l’Europe sur le monde, tandis que pour l’écrivain anglais Rudyard Kipling (1865-1936), la mission de l’homme blanc consiste à imposer sa civilisation aux peuples indigènes considérés comme inférieurs. L’expansion et les conquêtes européennes sont donc présentées comme bénéfiques pour l’humanité tout entière. Il est exact que la colonisation a contribué au développement d’un effort sanitaire qui a donné une impulsion décisive à l’essor démographique des pays colonisés. Cependant, les belles idées exposées par les philosophes anglais et français au XVIIIe s. n’ont été suivies d’effets dans aucune des colonies. Les rapports entre colonisateurs et populations indigènes ne sont pas construits sur la notion d’égalité. Rares sont les administrateurs européens capables de se mettre à l’écoute des peuples dominés, et seule une minorité indigène européanisée participe à la gestion des affaires politiques ou économiques. En Afrique, le découpage des territoires par des frontières artificielles brise des ethnies ou d’anciens royaumes. Les colons imposent souvent leurs idées par la force. Aucune nation européenne n’est épargnée par ces accusations de mauvais traitements (travail forcé, torture, actes de mutilation et exploitation honteuse de la main-d’œuvre locale). Les pays colonisés sont soumis à une économie d’exploitation orientée vers la production de matières premières brutes et de denrées exotiques ; ils servent aussi de débouchés aux produits manufacturés des métropoles européennes. D’autres pays, tout en conservant leur indépendance politique, dépendent totalement des capitaux, des techniciens et du commerce européens. La Chine s’est vue imposer, par les Européens, des traités inégalitaires et a dû accepter que son commerce soit contrôlé par les Occidentaux fixant à leur avantage les tarifs douaniers et gérant les chemins de fer et les mines. De véritables enclaves étrangères sont présentes en terre chinoise.
3. L’hégémonie
européenne sur le monde
La fin du XIXe s. et les premières années du XXe s. voient l’apogée de la domination de l’Europe. C’est donc avec un sentiment d’orgueil que les Européens considèrent le monde. Le dynamisme de l’Europe repose sur l’avance acquise lors des étapes successives de la révolution industrielle dans le cadre d’une économie capitaliste. Modèle pour les élites des autres continents, l’Europe sert de référence à tous ceux qui veulent engager leur pays sur la voie du progrès et de la modernisation. Jules Ferry. Caricature d’André Gill. 1880.
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ÉPOQUE CONTEMPORAINE
court terme sur les marchés financiers ou de prêts aux États. Les créances de l’Europe sur le monde constituent un élément fondamental de son impérialisme économique.
4. L’impérialisme
européen, cause de la Première Guerre mondiale
Jusqu’à la fin du XIXe s., les puissances impérialistes s’affrontent principalement en dehors de l’Europe : la France et l’Angleterre à Fachoda (Sud-Soudan, bassin du Nil, 1898) ; l’Angleterre et la Russie en Asie centrale et en Extrême-Orient ; la France et l’Allemagne au Maroc. À partir de 1900, le point de friction des impérialismes se rapproche de plus en plus de l’Europe. Le partage de l’Afrique et de l’Asie est terminé et laisse deux grandes puissances frustrées : l’Allemagne et l’Italie. Vaincue en Extrême-Orient par le Japon (1905), la Russie retourne ses ambitions vers l’Europe mais se heurte à l’impérialisme austro-hongrois dans les Balkans. L’expansion navale et commerciale allemande concurrence de plus en plus l’Angleterre, celle-ci s’allie à la France et se rapproche de la Russie. Les alliances stratégiques et économiques des États impérialistes favorisent peu à peu le déclenchement de la Première Guerre mondiale. Le retard dans la colonisation, le manque cruel, tant de matières premières et de débouchés pour leurs industries, que de nouveaux territoires pour leurs populations en pleine croissance, font de la situation des Empires centraux (Allemagne, Autriche-Hongrie), une cause du terrible conflit qui éclate en 1914. ■
Colons posant près de la dépouille de l’éléphant qu’ils viennent d’abattre. Photographie du XIXe s.
L’Empire ottoman glisse lui aussi peu à peu sous l’influence de conseillers et techniciens européens, principalement allemands. Si les Allemands sont également actifs au Chili, l’ensemble de l’Amérique du Sud, notamment l’Argentine, constitue un véritable domaine réservé aux Britanniques. Le capitalisme européen perturbe l’économie des pays colonisés. La concurrence des produits importés ruine les artisanats locaux et fait disparaître l’agriculture vivrière, les profits réalisés par les sociétés européennes sont rarement réinvestis sur place, si ce n’est dans l’aménagement des ports et des voies indispensables de communication. Par ses exportations de capitaux, l’Europe exerce aussi sur l’économie mondiale une domination financière, assurée pour l’essentiel par les grandes banques européennes sous forme d’investissements directs dans l’industrie ou les infrastructures ferroviaires, portuaires ou minières, de prêts à
> GRAND ANGLE > FOCUS > PATRIMOINE
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L’impérialisme européen Le Congo, terre d’exploration et de colonisation Page 228 Les « arts premiers » africains
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Le monde russe 1800
1820
1840
1860
Jusque 1917 = Régime autocratique, monarchie absolue (Tsar)
Le monde russe › Atlas d’Histoire pl. 121, 122
1. La Russie tsariste
de russification des populations non russes (en Pologne, aux Pays Baltes et en Finlande). Son fils, Nicolas II (1894-1917), continue cette politique absolutiste. Aidé de ministres qu’il choisit lui-même, il gouverne seul et privilégie la noblesse. La plupart du temps, ses décisions subissent l’influence de l’Église orthodoxe et d’une bureaucratie corrompue et inefficace. La Russie est au bord de l’éclatement. Depuis le XIXe siècle, le gouvernement doit affronter des oppositions variées et souvent violentes. Les opposants sont divisés en deux courants : les réformistes et les révolutionnaires. • C’est la bourgeoisie et quelques nobles progressistes qui forment les libéraux réformistes. Ils exigent, sans recourir à la violence, une constitution et un régime parlementaire ainsi que le respect des droits de l’homme. • Les révolutionnaires sont divisés en socialistes révolutionnaires et marxistes. Les premiers désirent une révolution agraire, incontournable dans un pays tel que la Russie. Ils prônent la confiscation et la redistribution des terres. Les seconds s’inspirent de la doctrine marxiste et désirent créer une nouvelle société fondée sur la classe ouvrière. En 1898, se crée le Parti ouvrier social-démocrate. En 1903, les marxistes se divisent sur l’organisation du mouvement. Une faible majorité, dite « bolchevique » se rallie à Lénine qui propose une définition personnelle du parti-démocrate russe qui doit être formé de militants professionnels, disciplinés, entraînés à la clandestinité, dans un pays où la répression est violente et la conscience du prolétariat encore faible. Opposée aux théories de Lénine, une faible minorité, dite « menchevique », emmenée par
de 1881 à 1914
1.1 Une tentative de modernisation
Pays le plus peuplé d’Europe et comptant quelque 200 nationalités différentes, l’empire russe s’étend sur 20 millions de km2. Le pays entre dans le monde moderne en 1861 avec l’abolition du servage par le tsar Alexandre II (1855-1881) et souhaite combler son retard économique sur l’Occident. Bien que tardive, l’arrivée de la révolution industrielle remet en cause l’équilibre d’une société féodale et archaïque et le maintien de l’autocratie (régime politique où le souverain est maître absolu ; il est la loi et ne reconnaît aucune limite à son autorité). Grâce à l’apport massif de capitaux étrangers, l’industrialisation s’accélère à partir de 1870, mais l’agriculture demeure toutefois le secteur le plus important. Si paysans et ouvriers vivent encore dans la misère, la bourgeoisie, quant à elle, aspire aux changements et réclame le droit de participer à la vie politique du pays. 1.2 Le retour à l’absolutisme
Le tsar Nicolas II de Russie. Photographie de 1898.
Après la politique de réformes d’Alexandre II, Alexandre III (1881-1894) rétablit le régime absolutiste. Il impose la censure et le contrôle étatique et policier sur la presse et les universités. La toutepuissance de la bureaucratie tsariste s’exerce aussi contre les populations allogènes de l’empire, des minorités religieuses (luthériens et catholiques) ou nationales. Le pouvoir central impose une politique 122
1880
ÉPOQUE CONTEMPORAINE 1928-1937 = Plans quinquennaux 1905 1920 1940 Première révolution 1917-1921 : Guerre civile russe, dimanche rouge, 1921-1928 1937 1917 création de la Douma 1918 Nouvelle Politique Économique (NEP) 1939-1945 Deuxième Guerre mondiale mars 1918 février 1917 octobre 1917 Première révolution, Deuxième révolution, prise Traité de Brest-Litovsk abdication de Nicolas II de pouvoir par Lénine. 1924-1953 = Dictature de Staline Révolution bolchevique 1917-1924 Dictature de Lénine
1900
Trotsky, souhaite ouvrir le mouvement aux sympathisants et estime que l’industrialisation n’est pas encore suffisante pour déclencher une révolution ouvrière.
1960
qui se radicalisent en octobre 1905. Pour calmer la pression populaire, Nicolas II est obligé de concéder de nombreuses libertés publiques et surtout il instaure une nouvelle assemblée législative, dont les membres sont élus, la « Douma ». Mais progressivement, le tsar réinstalle un État policier où toute forme d’opposition est automatiquement traquée et réprimée. La Russie est de nouveau en proie à une forte agitation sociale. En 1914, l’entrée en guerre contre l’Allemagne accélère la décomposition du pays. La production, les transports et le ravitaillement sont désorganisés. Devant l’incapacité du gouvernement d’assurer la mobilisation économique du pays, le peuple doit apprendre à s’organiser seul. Les défaites et les lourdes pertes renforcent les oppositions au tsar.
1.3 Les conséquences socio-
économiques de la défaite contre le Japon La défaite, en 1905, dans la guerre contre le Japon, plonge la Russie dans de graves difficultés économiques. Une grève éclate à Saint-Pétersbourg, provoquant une manifestation populaire spontanée réclamant de nombreuses réformes. Le tsar réprime violemment les manifestants dans un bain de sang (le « dimanche rouge » du 22 janvier 1905) ce qui entraîne des soulèvements révolutionnaires
Lénine. Photographie de 1920.
Ouverture de la 1re Douma, assemblée législative de l’Empire russe, par le tsar Nicolas II, en 1906.
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Le monde russe
2. Les révolutions de 1917
quelques-uns (une quinzaine de membres du bureau politique). Le parti bolchevique devient parti unique et prend le nom de parti communiste. Pour consolider la révolution, une paix rapide avec l’Allemagne est nécessaire. Le déclenchement d’une nouvelle offensive allemande précipite la décision finale. Le 3 mars 1918, les bolcheviks sont obligés d’accepter les conditions humiliantes du désastreux Traité de Brest-Litovsk, imposé par l’Allemagne. La Russie perd la Finlande, la Pologne et les Pays Baltes, soit le quart de sa population et de son potentiel agricole, et les trois quarts des mines de fer et de charbon. Mais ce traité est considéré comme une trahison par les alliés de la Russie dans la guerre contre l’Allemagne. Ils craignent aussi la montée de mouvements révolutionnaires dans leurs pays. C’est pourquoi ils s’allient aux opposants au régime de Lénine dans le but de faire triompher la contre-révolution. Les armées « blanches » (tsaristes), aidées par la France, le Royaume-Uni, les États-Unis et le Japon, tentent de reconquérir le pays. Mais elles ne parviennent pas à s’organiser face à l’Armée rouge, bien encadrée, formée de volontaires déterminés, sous la direction énergique de Trotsky. Après deux années de luttes (1918-1920), l’Armée rouge triomphe.
La première révolution commence en février 1917 par de simples manifestations dans les rues de Saint-Pétersbourg (Petrograd), capitale de la Russie tsariste, pour réclamer une meilleure organisation du ravitaillement. L’armée se joint aux manifestants, ce qui aggrave la situation. Ils se rendent maîtres de Petrograd et réclament l’abdication du tsar. Abandonné par le haut commandement, Nicolas II abdique (mars 1917) : la République est proclamée. Le gouvernement provisoire s’efforce de maintenir la Russie dans la guerre aux côtés des Alliés. Cependant, pour concilier l’armée et les masses, Lénine réclame la signature immédiate de la paix. Disciple de Karl Marx, Lénine est le chef des Bolcheviks qui souhaitent la dictature du prolétariat et la mise en place d’un État communiste. Après avoir connu les camps de déportations en Sibérie et vécu l’exil, il revient en Russie en 1917 pour prendre la tête de la deuxième révolution. Celle-ci éclate à Petrograd, c’est la Révolution d’octobre qui assure la victoire des Bolcheviks et la naissance de l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS).
3. L’établissement
du pouvoir communiste
3.1 Le communisme de guerre (1918-1921)
Le gouvernement ou Conseil des commissaires du peuple appartient aux Soviets (conseils représentant les ouvriers et les soldats) et Lénine en assure la présidence. Cette période, appelée le communisme de guerre, est marquée par la guerre civile et la lutte contre les puissances extérieures hostiles à la révolution. Pour maintenir son pouvoir, le parti bolchevik se bureaucratise et devient un appareil répressif dirigé contre les « ennemis de classe ». Une police politique, la Tcheka, réprime toute forme d’opposition légale au régime ; les grèves sont interdites et la presse surveillée. Les premiers camps de travail sont créés. Le parti s’empare de tous les rouages de l’État désormais dirigé par l’élite bolchevique. La dictature du prolétariat est en réalité celle de
Affiche communiste chinoise rassemblant Karl Marx, Lénine et Mao Zedong. Vers 1968.
3.2 Vers un communisme
international ? Les bolcheviks considèrent la Révolution d’octobre comme une simple étape qui doit permettre l’extension du communisme, dans un premier temps en Europe, et ensuite, dans le monde entier. Afin d’atteindre ce but, une nouvelle Internationale ou Komintern voit le jour en 1919 pour coordonner 124
ÉPOQUE CONTEMPORAINE
Trotsky haranguant les soldats de l’Armée rouge. Photographie de 1918.
Lénine et Staline. Photographie du 1er août 1922.
la lutte des partis communistes. Mais la révolution russe est la seule qui a réussi. Les autres révolutions communistes (par ex. la Révolution spartakiste en Allemagne, 1919) se soldent par des échecs. Ailleurs, l’influence de la révolution russe aboutira à la création de partis communistes nés de la rupture au sein des partis socialistes entre ceux qui prônent la révolution pour aboutir à une société sans classes (communistes) et les partisans de réformes (sociaux-démocrates). Il faudra attendre 1949 pour qu’une révolution communiste triomphe à nouveau : la République populaire de Chine sous la direction de Mao Zedong.
À la mort de Lénine, en 1924, Staline lui succède à la tête de l’URSS, renforçant encore la politique dictatoriale de son prédécesseur.
Économique, la NEP, un retour momentané et limité au capitalisme. Les bolcheviks voient en cette nouvelle politique économique une période provisoire, un recul nécessaire pour mieux avancer. Cette politique nouvelle s’applique à la fois à l’agriculture et aux activités industrielles. La propriété privée des moyens de production est partiellement rétablie, de même que la liberté du commerce au détail. Les mesures contraignantes sont abolies : fin des réquisitions remplacées par un impôt et un allègement de l’impôt en nature. Les petites entreprises sont privatisées, le travail obligatoire supprimé, des primes proposées aux ouvriers afin de stimuler la productivité. Le pays fait aussi appel à des techniciens étrangers. La surveillance policière est relâchée. Les prix industriels augmentent, mais les prix agricoles restent bas. La « crise des ciseaux » (écart entre prix industriels élevés et prix agricoles bas) nuit à une bonne partie du monde agricole. Au point de vue social, la NEP provoque la naissance d’une nouvelle bourgeoisie (dans l’agriculture, les paysans riches sont appelés koulaks), ce qui est contraire au principe d’égalité de la doctrine socialiste.
3.3 Bilan du communisme de guerre
Le bilan de la guerre civile est lourd : 8 à 10 millions de personnes, pour la plupart des civils, sont victimes de la faim et des épidémies. L’économie du pays est catastrophique. Pour sortir de la misère, les grandes entreprises industrielles sont nationalisées et les surplus des récoltes sont réquisitionnés (pour l’armée et les villes) contre de faibles compensations. Mécontents, les paysans diminuent leur production, mais le gouvernement ne cède pas. La production industrielle s’effondre.
4. De Lénine à Staline,
le tournant économique
4.1 La NEP
4.2 L’URSS
Face au désastre du communisme de guerre, Lénine propose, en 1921, une Nouvelle Politique
Sur le plan politique, Lénine voudrait créer un État fédératif unique. Mais la maladie l’empêcha 125
GRAND ANGLE
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Le monde russe
d’en diriger personnellement la mise sur pied. C’est Staline, commissaire du peuple aux Nationalités, qui imposa l’absorption des républiques dans un nouvel État en 1922 qui devient l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS). Lénine meurt en 1924. La lutte pour sa succession oppose principalement Staline et Trotsky. Ce dernier considère que la révolution n’est possible que si elle est mondiale ; pour Staline, elle doit d’abord réussir à l’échelle nationale avant de se répandre dans le monde. Trotsky critique le monolithisme du parti et défend les tendances internes. Staline finit par s’imposer. Devenu secrétaire général du parti, il élimine ses rivaux par la violence et la terreur.
par le Bureau politique du parti, prévoit et organise à l’avance (pour cinq ans) les investissements en privilégiant l’industrie lourde au détriment des biens de consommation. Le premier plan (1928) impose la collectivisation des terres et des exploitations agricoles. Cependant, les paysans ne veulent pas s’intégrer dans ces fermes collectivisées (kolkhozes), car ils perdent leur propriété et leur liberté de production. Ils tentent de résister à la répression stalinienne qui fera au moins 3 millions de victimes. Les campagnes sont profondément désorganisées et la famine se répand (Ukraine 1932-1933). L’industrie lourde, qui reçoit 80 % des investissements, progresse. L’Occident est sceptique devant un tel projet, mais la crise économique, qui sévit dans le monde dans les années 1930, profite à la propagande russe. En effet, le spectacle d’un pays en chantier, où règnent croissance et plein emploi, semble démontrer la supériorité du socialisme sur le capitalisme. Cependant, ce succès quantitatif cache un retard technologique et une insuffisance des moyens de transport. De plus, la main-d’œuvre est peu qualifiée et soumise à une dure discipline de travail. Le deuxième plan (1932-1937) consolide l’industrie lourde et le secteur de l’industrie chimique. Il apporte deux correctifs : les enclos individuels sont autorisés dans les kolkhozes, ce qui permet aux paysans de vendre leur production personnelle ; dans l’industrie, la production des biens de consommation n’est plus négligée comme précédemment. Le troisième plan, élaboré en 1939, est réorienté avec rapidité, afin d’accélérer l’industrie militaire du pays. La Russie est devenue en une décennie, l’une des grandes puissances industrielles, le deuxième producteur de pétrole, le troisième pour le charbon et l’acier, mais au prix du travail de tout un peuple réduit au silence et à la peur et grâce à l’exploitation, par l’État, du monde agricole qui a financé le développement industriel par la collectivisation.
4.3 Le tournant économique de 1928
Pour des raisons idéologiques (la NEP s’éloigne de l’idéal communiste en faisant naître des inégalités sociales), Staline met fin à l’expérience capitaliste de la NEP et engage l’URSS dans une économie socialiste caractérisée par la collectivisation et la planification. Le développement économique est dorénavant rythmé par des plans quinquennaux successifs (trois de 1928 à 1941). Le plan, élaboré
Affiche de propagande soviétique intitulée « La victoire du plan quinquennal est une attaque contre le capitalisme ». Lithographie de N.V. Tsivchinskii, 1931.
5. Les grandes purges et l’établissement du stalinisme
On y voit un grand chiffre 5 rouge, saisi par un poing rouge et écrasant un homme riche.
Toute critique, réelle ou supposée, contre Staline est radicalement réprimée. À partir de 1930, ces grandes purges (épuration, élimination) touchent 126
ÉPOQUE CONTEMPORAINE
les opposants, qui sont alors emprisonnés, déportés dans des camps de travail ou exécutés. La répression se déroule en trois vagues successives. La première (1928-1931) s’en prend aux koulaks, aux commerçants enrichis par la NEP et à l’intelligentsia (élite intellectuelle et culturelle) bourgeoise. La deuxième vague (1932-1933) : les paysans et ouvriers qui refusent de se plier à la collectivisation et à la discipline de l’usine sont exécutés. Enfin, la troisième vague (1933-1938) touche les cadres du Parti, de l’administration, des universités et de l’armée. Staline voit des complots partout et explique les échecs du 1er plan quinquennal par l’incompétence des « bureaucrates incorrigibles » du parti et
des « ennemis du peuple, arrivistes, saboteurs hypocrites, indisciplinés, ivrognes, dégénérés », qu’il condamne à la suite de procès truqués. Peu nombreux jusqu’en 1930, les camps de travail sous la direction d’une administration spéciale, le goulag, comptent plusieurs millions de personnes à la veille de la Seconde Guerre mondiale. En réalité, Staline se débarrasse de ses rivaux supposés afin de se maintenir au pouvoir et de tout contrôler. La constitution de 1936, en apparence très démocratique dans ses textes, établit un régime totalitaire dirigé par un homme, Staline, qui a réussi à faire le vide autour de lui et à organiser un véritable culte de la personnalité (Stalinisme). ■
> GRAND ANGLE > FOCUS > PATRIMOINE
127
Le monde russe Les révolutions russes de 1917
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Un film, Le Cuirassé Potemkine d’Eisenstein
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > La Première Guerre mondiale 1875
1880
1885
1890
1881 Triplice (Empire allemand, Austro-hongrois et Italie)
1895
1894 Alliance franco-russe
La Première Guerre mondiale › Atlas d’Histoire pl. 117, 118, 119, 120, 121, 122 › Petit atlas d’Histoire pl. 71, 72 et 73
1. Les causes du conflit
1.2 La compétition économique
L’assassinat de l’archiduc héritier d’AutricheHongrie, François-Ferdinand, par un terroriste serbe, à Sarajevo le 28 juin 1914 est le déclencheur du conflit. Mais la Première Guerre mondiale a des causes bien plus lointaines ; elle est l’aboutissement des rivalités nationalistes et impérialistes qui déchirent l’Europe depuis la moitié du XIXe s. La constitution de deux blocs antagonistes et la course aux armements ont mené à l’affrontement. La compétition entre l’Allemagne, à la recherche de nouveaux débouchés pour son économie en forte croissance, et les autres puissances européennes est aussi pointée du doigt.
À l’aube du conflit, l’Europe est plongée dans la deuxième révolution industrielle et sort d’une période de surproduction. La conquête de nouveaux marchés apparaît plus que jamais comme une nécessité vitale pour certaines nations, dont l’Allemagne en pleine expansion économique qui souhaite amortir ses énormes investissements par une politique d’expansion commerciale. L’écart entre les nations industrielles se réduit. Les rivalités économiques de plus en plus acharnées, entre les vieilles puissances coloniales (France et Grande-Bretagne) et l’Allemagne, provoquent de nombreux conflits. Briser la concurrence et s’offrir de nouveaux territoires par la guerre est de plus en plus tentant. La course aux colonies en Afrique et le partage du Moyen-Orient et de la Chine en zones d’influence par les Occidentaux aggravent la situation. L’impérialisme économique des grandes puissances européennes serait donc la cause du conflit. Cette thèse alimente les arguments communistes qui le qualifient de guerre « capitaliste ». Mais cet aspect n’explique pas à lui seul le déclenchement des hostilités.
1.1 La responsabilité juridique et morale allemande ?
Cette idée a été mise en avant par le Traité de Versailles signé le 28 juin 1919. Pendant bien des années, les vainqueurs ont attribué la responsabilité de la guerre à l’Allemagne, mais l’opinion allemande, humiliée par ce traité, n’accepte pas ce jugement qu’elle qualifie rapidement de diktat. Aujourd’hui, personne ne songe plus à soutenir que la Première Guerre mondiale est exclusivement née de la volonté du gouvernement allemand. Il existe donc d’autres explications qui nous obligent à remonter le temps et à se demander pourquoi l’Allemagne a, ou aurait, voulu la guerre ?
1.3 La montée du nationalisme
Les sentiments nationaux s’exacerbent. Plusieurs États européens connaissent d’importantes difficultés internes et la tentation est grande de chercher des solutions par des succès extérieurs, afin de renforcer la cohésion nationale. C’est le cas de la Russie qui connaît une agitation révolutionnaire 128
ÉPOQUE CONTEMPORAINE 1900
1905
1910
1915 Stabilisation des fronts
1920
1914 Bataille de Italie : Verdun et bataille Allié incertain de la Somme 1918 1916
1904 Entente cordiale (France-Angleterre)
28 juin 1914 Attentat de Sarajevo
4 août 1914 1914 avril 1917 L’Allemagne franchit Triple entente Entrée en guerre (France, Angleterre les frontières belges des USA et Russie) mars 1918 11 novembre 1918 Traité de Brest-Litovsk Armistice
octobre 1917 Révolution russe
États européens qui obtiennent en retour un droit de regard dans son administration. Incapable d’assurer les services publics, il en cède la gestion à des sociétés européennes qui obtiennent également le droit d’exploiter les ressources, pétrolières notamment. Par ailleurs, les nationalistes s’agitent dans les Balkans, région composée de multiples nationalités, religions et peuples, auxquels l’occupant ottoman avait concédé des statuts d’autonomie au cours du XIXe s. Enfin, l’AutricheHongrie et la Russie profitent de ces troubles pour étendre leurs zones d’influence et se ménager un accès maritime au sud. Ces deux États connaissent d’importantes difficultés intérieures et cherchent à trouver une diversion en s’orientant vers une guerre profitable. L’expansionnisme de l’AutricheHongrie et les menaces contre la Serbie inquiètent la Russie qui convoite les mêmes régions et se présente comme le défenseur des Slaves du Sud.
depuis 1905 ou de l’Autriche-Hongrie, déchirée par des revendications des différentes nationalités qui la peuplent. La guerre de 1914 est donc l’aboutissement des révolutions libérales qui ont traversé l’Europe au XIXe s. La montée du nationalisme s’exprime de différentes manières : durcissement de la question des nationalités dans les empires multiethniques, aspiration à l’indépendance nationale, revendication de l’unité ou du séparatisme selon les situations. 1.4 La désintégration de l’Empire
ottoman L’Empire ottoman est touché par un processus de désintégration complexe. Le déficit des finances publiques l’oblige à conclure des prêts avec des
1.5 Le système d’alliances et la course aux armements
Les relations entre États ont évolué considérablement depuis le Congrès de Vienne de 1815. • La France sort de son isolement et participe à l’unification de l’Italie, elle obtient de nouveaux territoires dans le sud, mais perd l’Alsace et la Lorraine après la guerre franco-allemande de 1870-1871 ; ce qui suscite une certaine rancune envers l’Allemagne. Le rapprochement entre la France, le RoyaumeUni et la Russie crée pour l’Allemagne l’impression d’être encerclée et elle est tentée d’utiliser sa supériorité pour briser cet encerclement. L’impérialisme économique allemand et le pangermanisme qui revendique la création d’une grande Allemagne, provoquent dans les autres pays un sentiment similaire. Les relations entre États européens se cristallisent autour de deux systèmes diplomatiques : la Triple Alliance (ou Triplice) face à la Triple Entente. La première est l’œuvre du chancelier allemand Bismarck dans le but d’isoler la France et de lui
Caricature illustrant les divisions politiques qui entourent la Turquie au tournant du siècle. La Turquie est dépeinte comme un homme assis serrant des sacs d’argent. L’aigle à deux têtes représente l’Autriche au nord de la Turquie. À l’Est, l’ours de la Russie est encerclé par la mer Noire. La Grande-Bretagne est représentée comme un gros homme à cheval sur les îles de Corfou et à Malte ; il tient en laisse le lion qu’est l’Égypte au sud.
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Bulletin de conscrit « Ne nous oubliez pas ! La France n’oublie pas. Alsace Lorraine ». Lithographie. Début du XXe s., Musée de l’Armée, Paris.
> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > La Première Guerre mondiale
ôter tout désir de revanche. En 1914, elle réunit trois monarchies d’Europe centrale : l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’Italie. Elle s’est aussi élargie à l’Empire ottoman qui contrôle les Détroits, la Méditerranée orientale et tout le Proche-Orient où l’Allemagne cherche à s’implanter. De son côté, l’Autriche-Hongrie protège la Roumanie et la Bulgarie, pays qui se sentent menacés par les visées expansionnistes russes en direction des Détroits. La Triple Entente est le résultat des efforts de la France pour sortir de l’isolement dans lequel la diplomatie allemande cherche à l’enfermer. En 1904, menacé par les importants progrès économiques et commerciaux de l’Empire allemand et de la puissance acquise sur mer par la flotte allemande, le Royaume-Uni adhère à l’Entente cordiale nouée avec la France. Bientôt renforcée en 1907 par un accord anglo-russe, la Triple Entente oblige l’Allemagne à combattre sur deux fronts dans l’hypothèse d’un nouveau conflit. • Ce système d’alliances accélère la course aux armements. Les nouvelles armes, les budgets militaires de plus en plus importants, ainsi que l’allongement du service militaire dans de nombreux États européens augmentent la tension.
bosniaque qui semble avoir été aidé par des officiers serbes, à Sarajevo le 28 juin 1914 déclenche le conflit. Sans le climat international extrêmement tendu qui règne à cette époque, cet acte serait resté un fait divers. Mais cet attentat va déclencher le jeu des alliances. L’Autriche-Hongrie rend la Serbie responsable, y voit un prétexte pour l’envahir et lui déclare la guerre un mois plus tard. L’Allemagne soutient son allié car elle craint la montée du nationalisme qui menace les empires centraux. La Russie décrète la mobilisation de son armée, elle se considère comme protectrice des peuples slaves et donc de la Serbie menacée. La tension entre l’Allemagne et la Russie est forte, Guillaume II ordonne au tsar de faire marche arrière. Il refuse et l’Empire allemand déclare la guerre à la Russie, ainsi qu’à son allié français qui mobilise, à son tour, ses troupes. Le 2 août, après avoir envahi le Luxembourg, le gouvernement allemand remet un ultimatum au gouvernement belge afin de lui laisser traverser le pays pour attaquer la France. Le roi Albert Ier et son gouvernement refusent. Le 4 août, les troupes allemandes franchissent la frontière belge. L’invasion de la Belgique provoque l’entrée en guerre de l’Angleterre, alliée de la France et de la Russie, mais surtout
1.6 Facteurs « psychologiques »
Les facteurs psychologiques sont multiples : crainte de l’encerclement, volonté d’action préventive, amour-propre national, fierté patriotique, etc. Les futurs belligérants n’ont cependant aucune idée de l’ampleur des hostilités à venir : l’Europe n’a plus connu de conflit généralisé depuis les campagnes napoléoniennes. Les guerres du XIXe s. ont été limitées géographiquement, peu meurtrières et de courte durée. L’Europe est donc à la merci d’un incident qui déclencherait brusquement le conflit en mélangeant tous ces éléments dont l’accumulation forme, à la veille de 1914, une véritable bombe à retardement.
2. Le déclenchement du conflit
L’assassinat de l’archiduc héritier d’Autriche-Hongrie, François-Ferdinand, à Sarajevo le 28 juin 1914. Dessin d’Achille Beltrame.
L’assassinat de l’archiduc héritier d’AutricheHongrie, François-Ferdinand, par un étudiant 130
ÉPOQUE CONTEMPORAINE
alors ramener ses troupes de l’Est vers le front de l’Ouest. Les Alliés vivent la capitulation russe comme une véritable trahison. En avril 1917, les États-Unis se rangent du côté des Alliés : la guerre sous-marine déclarée par l’Allemagne menace de plus en plus les intérêts commerciaux américains en Europe. Ces nouvelles troupes compensent la perte de l’allié russe et remotivent les soldats français et britanniques, qui disposent à leurs côtés de la première puissance industrielle mondiale. Les Alliés remportent de nombreuses victoires à partir de l’été 1918. Après une offensive allemande manquée, les Alliés organisent une contre-offensive générale dirigée par le maréchal Foch qui reçoit le commandement unique des armées, et dopés par l’arrivée des Américains et de leurs nouveaux équipements (avions et chars de combat), ils remportent la victoire finale. Guillaume II abdique le 9 novembre 1918 et s’enfuit aux Pays-Bas. L’armistice est signé le 11 novembre 1918 par les représentants de la nouvelle République allemande.
heurtée par la violation de la neutralité belge. Le conflit se généralise rapidement mais il ne suscite pas l’enthousiasme décrit par certains. Cependant, le patriotisme, l’excessive confiance en son armée, l’esprit de revanche pour les uns ou la certitude d’un conflit qui ne peut qu’être profitable pour les autres, expliquent la naïveté qui règne cet été 1914. Personne n’imagine un conflit aussi long et aussi meurtrier que la Première Guerre mondiale.
3. Le déroulement du conflit
L’ensemble des belligérants espèrent une guerre courte et de mouvement. L’Allemagne désire mettre la France hors de combat en six semaines (Plan Schlieffen) en envahissant la Belgique, afin d’éviter la zone fortifiée française située près de sa frontière. L’armée belge s’illustre à Liège où elle freine l’avancée allemande et au bord de l’Yser où elle empêche totalement la progression des troupes allemandes vers les ports français. La victoire de la Marne (12 septembre 1914), menée par le général Joffre, contre-offensive française en région parisienne, arrête définitivement l’avance allemande et transforme le conflit en une guerre de positions. Le front de l’ouest s’étend de la mer du Nord à la Suisse. La guerre des tranchées commence. Pour déloger l’ennemi, les attaques se multiplient dans les deux camps, impliquant à chaque fois des centaines, voire des milliers de combattants, mais sans véritable résultat. Le front n’évolue pas ou peu, il se stabilise jusqu’en 1918. La plus célèbre bataille à Verdun, contre-offensive allemande qui se déroule entre février et juin 1916, échoue : on dénombre plus de 300 000 morts. La bataille de la Somme, lancée peu après par les Français en juillet 1916, échoue également. Il faut attendre l’année 1917 pour observer d’importants changements. Le moral des troupes baisse considérablement : l’ampleur des pertes et l’enlisement provoquent des mutineries et des désertions dans les deux camps. En octobre 1917, en Russie, Lénine renverse le tsar et signe quelques mois plus tard avec l’Allemagne le Traité de Brest-Litovsk (1918). La capitulation coûte cher à la Russie : elle doit céder la Finlande, les États baltes, une partie de la Pologne et de l’Ukraine à l’Allemagne, qui peut
Soldats britanniques dans les tranchées. Photographie d’époque.
De gauche à droite, le général Joseph Joffre, commandant en chef de l’armée française ; le président Raymond Poincaré ; le roi George V ; le général Ferdinand Foch, commandant de l’armée française ; le général Douglas Haig, commandant de la Force expéditionnaire britannique. Photographie de 1916, pendant la bataille de la Somme.
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > La Première Guerre mondiale
4. Les caractéristiques
• Une
guerre totale. L’évolution des armements par rapport à la fin du XIXe s. est spectaculaire : mitrailleuses, gaz asphyxiants, grenades, blindés, avions, sous-marins, etc. Les combats se déroulent sur tout type de terrain : dans les airs, sur les mers et sur terre. La guerre de positions et la difficulté de percer le front, poussent les belligérants à atteindre le moral de leurs adversaires par le biais de la propagande qui se développe. Censure, désinformation, fausses nouvelles, tracs, affiches et cartes patriotiques influencent les troupes sur le front, mais aussi à l’arrière.
de la guerre
Cavalerie indienne dans la Somme. Photographie de 1916.
Si l’Europe entière est dévastée par le conflit, cette guerre est aussi le premier conflit mondial. Il connaît une expansion géographique très importante. Les grandes puissances européennes possèdent de nombreuses colonies à travers le monde. Le conflit se généralise en raison du jeu des alliances, mais chaque pays impliqué va mobiliser ses propres colonies dans la bataille. Les fronts sont nombreux à travers le monde. En dehors de l’Europe, les Alliés occupent les colonies allemandes d’Océanie avec l’aide du Japon. Les troupes coloniales belges attaquent avec succès l’Est africain allemand. Les Britanniques s’opposent à l’Empire ottoman au Proche-Orient et s’emparent de Jérusalem et Bagdad. Les Alliés et les puissances centrales multiplient les promesses pour maintenir dans la guerre des pays qui sont tentés d’en sortir. C’est ainsi que l’Italie, faisant partie de la Triplice, entre en guerre en 1915, du côté des Alliés, en ouvrant un nouveau front au sud de l’Europe. Poussés par les promesses occidentales, la Chine et le Japon jugent avoir plus d’avantages à entrer dans la guerre qu’à rester neutre. Au total, une trentaine d’États participent au conflit. Tous les continents sont concernés. Des millions d’hommes y prennent part, de près ou de loin. Cet élargissement géographique entraîne la prolongation de la guerre.
Combat aérien entre des avions britanniques et allemands. Photographie d’époque.
Soldats belges dégageant leur canon de la boue. Photographie d’époque.
132
ÉPOQUE CONTEMPORAINE
• Une
• Les
guerre économique. La population civile est mobilisée, toutes les ressources humaines et matérielles doivent s’atteler à soutenir l’effort de guerre. Les civils sont invités à souscrire à des emprunts pour financer la guerre. Les États empruntent également de l’argent à leurs alliés, notamment aux États-Unis.
conséquences sur les nouvelles relations internationales sont importantes. Le démembrement des empires centraux (Allemagne et Autriche), de l’Empire ottoman (Turquie) et la capitulation russe provoquent la création de nouveaux États : Hongrie, Yougoslavie, Tchécoslovaquie, Pologne, Finlande, Estonie, Lettonie et Lituanie. Les pays vainqueurs imposent leurs décisions aux autres nations, réitérant certaines erreurs du Congrès de Vienne, un siècle plus tôt (la Russie et les pays vaincus sont exclus des débats). L’Angleterre, les États-Unis, la France et l’Italie cherchent à concilier des principes qui se révèlent rapidement contradictoires : affirmer le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et punir les perdants. La question des minorités est loin d’être réglée et les pays vaincus aspirent à la vengeance. Le Traité de Versailles de 1919, règle la question de l’Allemagne : il redéfinit ses frontières et lui impose un désarmement, ainsi que d’importantes réparations de guerre. Les conséquences de ce traité sont désastreuses : il est vécu par le peuple allemand comme une terrible humiliation. L’Allemagne n’accepte pas d’être considérée comme l’unique responsable de la guerre ; les dédommagements financiers plongent le pays dans une grave crise politique et économique. L’Italie est également frustrée à la sortie du conflit : sa participation aux côtés des Alliés ne lui a pas apporté tous les territoires promis. Désillusion nationale, frustrations, humiliations, incapacités politiques de sortir de la crise économique, sont autant de facteurs qui engendrent la formation de nouvelles dictatures qui conduiront à la Seconde Guerre mondiale. Le fascisme italien de Benito Mussolini et le régime nazi d’Adolphe Hitler trouvent leurs origines en grande partie dans les décisions prises au lendemain de la Première Guerre mondiale. ■
5. Le bilan
et les conséquences
• La victoire des Alliés est la victoire des démocraties. Les dynasties séculaires sont détrônées : partout les régimes absolutistes disparaissent au profit de républiques démocratiques. On assiste à la création de parlements, de nouvelles constitutions, à l’élargissement du suffrage universel. L’instauration de la Société des Nations (SDN) illustre cette tendance : c’est le triomphe du droit sur la force ; les solutions diplomatiques remplacent l’usage de la violence. Créée en 1920 à l’initiative du président américain Wilson (19131921), la SDN s’efforce de sauvegarder la paix et de régler les conflits entre les États membres. • La guerre a permis une véritable émancipation des femmes. Elles ont remplacé les hommes dans les usines, assumé de nouvelles responsabilités pendant la durée du conflit. Le statut des femmes évolue donc, réduisant petit à petit les inégalités entre les sexes. Elles obtiennent par exemple le droit de vote dans de nombreux pays. • Les conséquences démographiques sont catastrophiques. La Première Guerre mondiale a fait environ 10 millions de morts et des millions de blessés et d’infirmes. On dénombre presque autant de victimes du côté des civils : près de 15 millions de veuves et d’orphelins. Il faut aussi compter 2 millions de disparus lors du génocide arménien commis par la Turquie, acte longtemps nié mais aujourd’hui reconnu par la communauté internationale. Sur le plan économique, l’Europe sort très affaiblie et ruinée du conflit. La Première Guerre mondiale voit l’hégémonie européenne disparaître au profit des États-Unis, désormais première puissance mondiale. La fin de la guerre provoque des crises économiques et sociales dans de nombreux États européens, particulièrement, dans les pays vaincus, qui doivent payer de lourdes indemnités de guerre.
> GRAND ANGLE > FOCUS > PATRIMOINE
133
La Première Guerre mondiale La crise économique de 1929
Page 236
Le cri de Munch
Page 296
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Fascismes et Seconde Guerre mondiale 1915
Italie
1920
1922 marche sur Rome, Mussolini devient 1er ministre
1925
république de Weimar 1923 putsch de Munich
Allemagne
Fascismes et Seconde Guerre mondiale › Atlas d’Histoire pl. 124, 127, 128, 131 › Petit atlas d’Histoire pl. 75, 77, 78, 79
Portrait de Benito Mussolini. Photographie de 1938.
1. L’Italie fasciste
situation économique. Rancœur et frustrations se développent. De plus, le pays connaît un clivage géographique (opposition entre le nord, riche, industrialisé et le sud, pauvre, tourné vers l’agriculture) et idéologique (communistes et catholiques s’opposent également).
Victorieuse, mais déçue dans ses ambitions, l’Italie traverse après la guerre une crise qui débouche en 1922 sur la montée au pouvoir de Mussolini et l’instauration du régime fasciste. Dans un pays qui n’a pas trouvé son équilibre depuis l’unification, le fascisme apparaît comme une politique qui propose de nouvelles réponses à des problèmes permanents. Mussolini veut instaurer un État totalitaire dirigé par lui-même, le Duce, chef tout-puissant incarnant la volonté des masses et s’appuyant sur un parti unique. Mais ses ambitions l’entraînent vers une politique belliqueuse à laquelle l’Italie n’est pas préparée, moralement et matériellement.
1.2 La mise en place de l’État fasciste (1922-1925)
Benito Mussolini est né en 1883. Instituteur de formation, il se réfugie en Suisse pendant la Première Guerre mondiale pour échapper au service militaire. Il est de retour en Italie en 1919. En 1921, il fonde le PNF (Partito Nazionale Fascista), parti qui rassemble les mécontents. En 1922, Mussolini lance la célèbre marche sur Rome qui rassemble des milliers de fascistes afin de manifester son mécontentement face à la situation
1.1 Les circonstances favorables à la dictature
Au lendemain de la Première Guerre et d’une victoire qu’elle a chèrement payée, l’Italie traverse une grave crise économique. Comme ses voisins européens, elle connaît une forte augmentation du chômage, et doit rembourser d’importants emprunts de guerre. À cette crise économique et sociale s’ajoute une crise politique, les gouvernements se succèdent, incapables de trouver de solutions pour redresser le pays. Les partis démocratiques traditionnels n’ont plus la confiance des Italiens qui ne digèrent pas que les promesses des alliés européens restent lettre morte. L’Italie, alors en pleine croissance démographique, espérait de nouveaux territoires et une amélioration de sa
Fascistes brûlant des livres socialistes, lors de la marche sur Rome, le 1er novembre 1922.
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ÉPOQUE CONTEMPORAINE 1930
victoire de l’axe ( Rome-Berlin) 1943 : tournant de la guerre, 1940
1935
1939
défaite allemande en Russie, début des revers de l’axe 1944
1941
procès Nuremberg 1945
e
2 Guerre mondiale dictature fasciste e
dictature nazie, 3 Reich 1933 Hitler devient chancelier
premières lois raciales
1934 nuit des longs couteaux
– L’Allemagne envahit Entrée la Pologne (début en guerre de la guerre) des USA – Pacte de non-agression germano-soviétique
victoire des alliés – 6 juin 1944 : débarquement en Normandie – décembre 1944 : bataille des Ardennes
– 8 mai 1945 : capitulation allemande – août 1945 : Hiroshima et Nagasaki – septembre 1945 : capitulation japonaise
propagande est important : cinéma, radio, presse, défilés, etc. Tous les médias sont mobilisés et contrôlés par l’État totalitaire. L’économie joue un rôle important dans la reconstruction de l’Italie. Le pays pratique l’autarcie (la Bataille du blé est gagnée par les fascistes). Mussolini développe de nouvelles terres agricoles en asséchant des zones marécageuses. Certaines entreprises (pétrole : AGIP) sont nationalisées. Le Duce pratique une politique de grands travaux (construction d’autoroutes, gare de Rome, travaux d’urbanisation) pour diminuer le chômage et relancer l’économie. La Question romaine est résolue : un litige existait entre le Pape et l’État depuis 1871 suite à la confiscation des États pontificaux. Les Accords du Latran en 1929 ouvrent la voie à une réconciliation avec l’Église (création du Vatican, interdiction du divorce, mariage religieux obligatoire) qui se range dès lors aux côtés du régime fasciste.
politique et dans le but aussi d’impressionner par le nombre de ses partisans. La marche est un succès. Il devient Premier ministre du Roi Victor Emmanuel III. En 1924, des élections sont truquées par les sympathisants fascistes et dénoncées par Matteoti (chef du Parti socialiste italien, le PSI) qui est assassiné. Le PSI est rapidement interdit par Mussolini qui élimine progressivement tous les obstacles qui se dressent devant lui. En 1925, les syndicats sont remplacés par des corporations (regroupant ouvriers et patrons et donc contrôlées par le patronat italien, favorable à Mussolini). Les libertés sont abolies (liberté d’expression, d’association, etc.). Mussolini supprime ainsi toute forme d’opposition : communistes et adversaires politiques sont traqués par les fascistes. Les violences exercées par les Chemises noires contre les opposants sont monnaie courante. 1.3 La propagande fasciste
Mussolini s’inspire de l’empire romain pour légitimer son pouvoir. Sa propagande et la culture fasciste multiplient les références à l’Antiquité et à l’art antique (architecture, peinture, musique…). Il organise des défilés militaires à grande échelle et se présente lui-même comme le Duce, le chef, leader autoritaire à l’instar de certains empereurs. Le dictateur est un personnage démagogique. Il flatte les foules et présente la nation italienne comme le berceau de l’Humanité et de la civilisation occidentale.
Couverture de la revue Jeunesse fasciste datant de 1930. On y lit une citation de Mussolini : Le fascisme ne vous promet ni des honneurs, ni des emplois, ni des profits, mais le devoir et le combat.
1.5 Le déclin du fascisme (1935-1945)
Mussolini commet de nombreuses fautes : il encourage une politique nataliste, attitude irréaliste dans un pays connaissant d’importantes difficultés démographiques. L’armée italienne ne se montre rapidement plus à la hauteur des exigences fascistes (manque de modernité). La politique extérieure est trop ambitieuse (l’Italie se lance à la conquête de l’Éthiopie). Sa participation à la guerre d’Espagne entre 1936 et 1939, démontre les difficultés de l’armée italienne. Elle entre en guerre aux côtés de l’Allemagne, le 10 juin 1940. En 1943, le régime fasciste chute avec l’arrivée des troupes américaines dans la botte italienne. En 1945, Mussolini est arrêté, condamné et fusillé avec son épouse. Le corps du Duce est exposé dans les rues de Rome.
1.4 L’apogée du fascisme
(1925-1935) L’État contrôle totalement la vie politique, sociale, économique et culturelle de la population. L’éducation étant également prise en charge par l’État, les enfants sont embrigadés dès leur plus jeune âge dans des mouvements de jeunesse fascistes. Professeurs et directeurs d’école doivent être des partisans fascistes. Le recours à la 135
Hitler et Mussolini assistent à un défilé fasciste, lors d’une visite de Mussolini en Allemagne, le 4 octobre 1937.
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2. Le nazisme (1933-1945)
2.2 Une idéologie primaire
Il ne faut que 18 mois à Hitler pour anéantir les initiatives de la République de Weimar (créée en 1918) au profit d’un état totalitaire nazi dont il devient le chef. Les Allemands applaudissent, se taisent ou émigrent. À l’intérieur, le nouveau régime entreprend alors de jeter les bases d’un État national, raciste et populaire, et d’assurer le redressement économique par le dirigisme, l’autarcie et le réarmement. À l’extérieur, il se lance dans une politique aventureuse de coups de force qui vise la réunification totale du peuple allemand dans le cadre d’un Grand Reich à la conquête d’un lebensraum (espace vital) et la domination allemande sur l’Occident. Les ambitions hitlériennes finissent par déclencher la Seconde Guerre mondiale. Après quelques succès initiaux, surviennent les défaites et les épreuves qui n’entament que très lentement le régime nazi. Il faudra la prise de Berlin et le suicide d’Hitler pour que disparaisse le IIIe Reich (mai 1945).
La jeunesse pauvre de petit bourgeois marginal explique les convictions d’Hitler, à la fois anticapitalistes et antimarxistes. Le climat « héroïque » de la Première Guerre fortifie son nationalisme pangermaniste. Ce fond idéologique s’appuiera sur une culture autodidacte mal digérée : Darwin, Nietzsche, Gobineau, Chamberlain, etc. De ses lectures sortiront quelques idées simplistes qu’on retrouvera dans son livre Mein Kampf : – prédominance raciale des peuples aryens, dont les meilleurs représentants sont les Allemands qui ont tous les droits, notamment celui de conquérir un espace vital suffisant ; – nécessité d’un état totalitaire conduit par un chef tout-puissant, pour permettre au peuple allemand d’asseoir sa domination millénaire sur les peuples « inférieurs ». La nature grossière de l’idéologie hitlérienne en facilitera la propagation démagogique et l’adoption fanatique.
2.1 Les circonstances favorables à son action Carte de propagande nazie de 1938, intégrant dans le Reich, le sud de la Tchéquie, une partie de la France et l’Autriche. Elle porte le célèbre slogan : Un peuple, un Reich, un Führer.
2.3 La mise en place du nazisme en Allemagne
Hitler saura tirer parti du désarroi du peuple allemand traumatisé par les mutations convulsives du capitalisme, la crise économique, l’humiliation du Traité de Versailles (occupation de la Ruhr par les Alliés), l’impuissance politique des dirigeants de la République de Weimar.
L’histoire du IIIe Reich est inséparable de celle de son chef et fondateur. Fils d’un douanier autrichien, Adolf Hitler est né en 1889. Entre 1905 et 1912, il mène une vie de bohème à Vienne, puis à Munich où il est peintre en bâtiment. En 1914, il s’engage dans l’armée bavaroise. Il est blessé à deux reprises et sera décoré au terme de la guerre. En octobre 1919, il adhère au DAP (Deutsche Arbeiterpartei), parti ouvrier allemand. Devenu président du DAP en 1921, il le transforme en NSDAP (Parti national socialiste des travailleurs allemands). En 1923, il tente un coup d’État qui échoue, c’est le Putsch de Munich. Il est condamné à 5 ans de prison en 1924. Il y reste 9 mois, pendant lesquels il écrit Mein Kampf. Entre 1925 et 1930, il réorganise le parti. En 1932, Hitler est naturalisé allemand et se présente comme candidat à la présidence contre Hindenburg, il obtient 36,8 % des voix. Ce très beau score ne suffit pas pour battre son adversaire.
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Poignée de main entre Hitler et Hindenburg. Photographie de 1934.
2.4 La révolution légale
(février-juillet 1933) Hitler est nommé chancelier en 1933, mais son parti est minoritaire dans un gouvernement de coalition. Il entreprend immédiatement d’en sortir. En janvier 1933, il obtient d’Hindenburg la dissolution du Reichstag (le parlement allemand) et l’organisation de nouvelles élections pour le 5 mars ; une opération dont il espère la majorité parlementaire des deux tiers nécessaire au vote des pleins pouvoirs qui lui permettront d’étouffer la République de Weimar. Les nazis « préparent » les élections : limitation du droit d’expression, intimidations et épuration administrative. En février 1933, il organise l’incendie du Reichstag. Les communistes, accusés d’être responsables de l’attentat, sont pratiquement neutralisés. Les libertés individuelles et les garanties judiciaires sont suspendues. L’Allemagne connaît alors une vague d’arrestations. En mars 1933, les élections ne donnent que 44 % des voix aux nazis, tandis que la gauche totalise encore 30 % des suffrages. À l’issue de tortueuses négociations, Hitler obtient l’appui du parti catholique et donc les voix nécessaires à l’obtention des pleins pouvoirs. C’est la fin du parlementarisme en Allemagne. Hitler a désormais les mains libres.
fonctions de président et de chancelier du Reich (Führer). Entre 1934 et 1938, Hitler épure l’armée, l’administration et la diplomatie. 2.6 L’État totalitaire et la nazification
de l’Allemagne 2.5 L’établissement de la dictature
La grandeur et le triomphe du peuple allemand sera nécessairement l’œuvre d’un État totalitaire conduit par son chef. Ce totalitarisme implique la nazification absolue du « Volk » (communauté raciale) allemand. Quelles en sont les principales caractéristiques ? • La centralisation politique. Toute décision politique importante dépend d’Hitler et de la hiérarchie nazie. • La centralisation administrative. Le système fédéral et des autonomies locales sont supprimées. • L’État policier. S’ajoutant à la police officielle, la Gestapo et la SS (Himmler) quadrillent tout le pays. Surveillance, contrôle et traque atteignent des proportions, jamais vues jusqu’alors dans un État moderne. • La justice d’exception. La magistrature est épurée et nazifiée. On crée des tribunaux d’exception, des procédures accélérées, des procès rapides pour les délits politiques. La répression se généralise.
Dans un premier temps, Hitler entreprend d’anéantir la démocratie allemande et toutes les forces d’opposition. Il proclame l’interdiction pratique ou « autodissolution » des partis politiques et des syndicats. En juillet 1933, le NSDAP devient le seul parti légal d’Allemagne. Le dictateur entame une campagne de persécutions contre les opposants et les juifs (ouvertures des premiers camps de concentration à Dachau en mars 1933). Ces mesures provoquent un mouvement d’émigration. Dans un second temps, il écarte ses concurrents. En mai 1934, c’est la célèbre Nuit des longs couteaux, le massacre par la SS (escadron de protection) des SA (section d’assaut) et de leur état-major, proches d’Hitler. Les SA réclament une « seconde révolution » plus « socialiste », prétention qui inquiète les milieux d’affaires et l’armée, dont Hitler souhaite l’appui. Suite au décès d’Hindenburg (1934), Hitler cumule désormais les 137
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• La nazification de l’administration et des univer-
la collaboration avec une Allemagne qu’il connaît bien et qu’il admire. • L’antisémitisme. Qualifié par Hitler de « bacille dissolvant de l’Humanité », le juif sera la principale victime du régime nazi. Les années 1933-35 sont marquées par des campagnes d’intimidation, de boycott, d’épuration. Lois anti-juives, persécutions et arrestations se généralisent. Avec les lois de Nuremberg de 1935, les juifs perdent la nationalité allemande ; les unions entre juifs et aryens sont interdites. En 1938, la Nuit de cristal voit la destruction de 7 000 magasins tenus par des juifs et de synagogues. Dès 1939, la guerre aggrave les persécutions qui se transforment en génocide (solution
sités. En 1937, plus de 80 % des fonctionnaires centraux et des professeurs sont membres du NSDAP. • L’importance du parti nazi. Fort de 3 millions de membres en 1933, il comprend deux noyaux durs : la SS (500 000 membres) et la Jeunesse hitlérienne (7 millions de membres). • La militarisation des travailleurs. Les syndicats sont remplacés par des organisations de type corporatiste (comme en Italie). • L’endoctrinement de la jeunesse. Le régime exalte les valeurs familiales traditionnelles (KKK = Kuche, cuisine – Kind, enfant – Kirche, église) et le natalisme. L’éducation est prise en main par des associations nazies : les Jeunesses hitlériennes visent à former de futurs guerriers (sport, activités paramilitaires, vie communautaire), la Ligue des jeunes filles allemandes prépare à la vie familiale. • La culture et la propagande. Dès mars 1933, le régime se dote d’un Ministère de la Culture et de la Propagande (dirigé par Goebbels), chargé de « normaliser » la vie culturelle sous toutes ses formes et de contrôler les mass médias. On voit ainsi naître une littérature, des arts, une architecture nazis. La radio et le cinéma véhiculent une incessante propagande. De nombreux artistes émigrent. • Le ralliement des Églises. Tant les luthériens que les catholiques s’accommodent du régime. À partir de 1939, le pape Pie XII préconise officiellement
Vitrines de boutiques appartenant à des juifs, brisées pendant la Nuit de cristal, le 17 novembre 1938.
Une institutrice et ses jeunes élèves effectuant le salut nazi, selon les souhaits d’Hitler. Photographie de 1933.
Adolf Hitler et son ministre de la propagande Joseph Goebbels, recevant le salut nazi de leurs partisans, le 20 octobre 1933.
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finale – Auschwitz), et s’étendent à d’autres groupes dits « inférieurs » (comme les Tziganes). • L’eugénisme. Hitler veut également renforcer, purifier et améliorer la « race » aryenne allemande. S’ensuivent alors une politique nataliste et eugénique (mariage aryen), l’euthanasie des « dégénérés » et des « inutiles » (handicapés, vieillards, malades, homosexuels…) et l’organisation d’une « science de la race ». Si, dans son ensemble, la masse allemande accepte assez passivement l’écrasante tutelle et les pratiques inhumaines du régime hitlérien, c’est sans doute parce que ce dernier parvient plus ou moins à pallier les effets de la Grande Dépression de 1929, et parce que tous les opposants (communistes, socialistes, syndicalistes…) sont emprisonnés dès 1933. 2.7 L’économie nationale-socialiste
• Lutte contre la crise. Dès son arrivée au pouvoir, Hitler comprend que l’avenir du national-socialisme dépend de sa capacité à sortir l’économie allemande de la crise. Les moyens adoptés sont plus ou moins efficaces : le développement d’une politique autarcique, notamment. Elle est favorisée par l’annexion de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie.
Usine allemande fabriquant des tanks, pendant la Seconde Guerre mondiale.
• Lutte contre le chômage. Cette lutte se concrétise par de grands travaux, le réarmement, la militarisation des chômeurs et des femmes au foyer. Malgré un redressement économique, l’austérité généralisée pèse néanmoins sur les masses populaires. Les résultats sont donc positifs (hausse de la production industrielle de guerre et disparition « artificielle » du chômage à partir de 1936), mais aussi négatifs (endettement de l’État et appauvrissement global des masses allemandes).
• Capitalisme
et national-socialisme. Malgré l’interventionnisme économique constant et la lourde fiscalité de l’État hitlérien, le grand capital, débarrassé du socialisme (syndicats, etc.), multiplie ses profits par trente entre 1933 et 1940. De nombreux groupes économiques (Krupp, Bayer, etc.) pousseront à la guerre et participeront à la Solution finale, ainsi qu’à la redistribution des capitaux juifs.
Discours d’Hitler lors de la fondation de l’usine Volkswagen à Fallerleben, le 27 mai 1938.
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3. De la drôle de paix
la France. Mais Daladier, président du Conseil à Paris, ne pouvait pas intervenir sans l’accord de ses alliés britanniques. Or Chamberlain était contre toute intervention. Il tenta à deux reprises de modérer Hitler, dont les revendications et les exigences devenaient constamment plus fortes. Les Tchèques décident la mobilisation générale ; en France, on rappelle les réservistes. Sur proposition de Roosevelt se tient la Conférence de Munich les 29 et 30 septembre 1938. Hitler, Mussolini, Chamberlain et Daladier parviennent à un accord : l’Allemagne annexera tout le territoire des Sudètes. C’est la stupeur résignée à Prague. Pour l’opinion occidentale, le pire est évité. Chamberlain est aux anges : « la paix est sauvée pour une génération ». Daladier est plus réservé. Churchill, opposé à Chamberlain, prévoit que la Tchécoslovaquie ne gardera pas longtemps son indépendance. En effet, le 11 mars 1939, les troupes allemandes entrent à Prague. • Le couloir de Dantzig. Le Traité de Versailles avait coupé la Pologne en deux, avec le fameux couloir de Dantzig (une ville libre sous la garantie de la SDN). Hitler exige la ville et le couloir ; les Polonais refusent. L’Angleterre et la France protègent leurs frontières. Hitler négocie secrètement avec l’URSS afin d’avoir les mains libres dans sa politique de conquête. En France, on estime qu’une ville et un couloir si étroit ne justifient pas une guerre. • Le pacte germano-soviétique (23 août 1939). Hitler veut la neutralité russe avant d’attaquer la Pologne. Le monde stupéfait apprend que l’URSS et l’Allemagne ont signé un pacte de non-agression (pacte assorti d’un accord secret prévoyant le partage de la Pologne). Paris et Londres dénoncent la « duplicité » de Staline, qui s’est allié avec le bourreau des communistes allemands. Le 1er septembre 1939, les troupes allemandes attaquent la Pologne. L’Angleterre et la France réagissent et déclarent la guerre à l’Allemagne. C’est le début de la Seconde Guerre mondiale. En six semaines, l’armée allemande envahit la Pologne, c’est la guerreéclair (Blitzkrieg). Le 28 septembre, l’Allemagne et l’URSS se partagent la Pologne. À l’ouest, c’est la guerre des nerfs ou la drôle de guerre : pendant tout l’hiver 1939-40, les adversaires s’observent et se préparent. Les opérations commencent en avril 1940 : les Allemands, sans
à la drôle de guerre
En 1936, Hitler envahit la zone démilitarisée de la Rhénanie. La France ne voulant pas risquer une guerre, laisse faire. Hitler entreprend aussitôt la construction, en face de la ligne Maginot (ligne défensive, construite en France pour prévenir une éventuelle invasion allemande), de la ligne Siegfried (ligne offensive). En 1937, l’armée allemande est plus puissante que l’armée française. Hitler a mobilisé 1 500 000 hommes dotés d’un armement ultramoderne. Le 11 mars 1938, Hitler lance au chancelier d’Autriche un ultimatum exigeant le rattachement de l’Autriche à l’Allemagne (Anschluss). Les Autrichiens cèdent. Leur pays est envahi le 12 mars et rattaché à l’Allemagne. Londres s’indigne et Chamberlain, Premier ministre britannique, « condamne sévèrement ». Paris est plongé dans une crise ministérielle. Mussolini laisse faire. Hitler se tourne alors vers la Tchécoslovaquie. Trois millions d’Allemands vivaient dans la région des Sudètes, à l’intérieur des frontières tchèques. En avril 1938, le parti allemand des Sudètes, manipulé par Hitler, demande son autonomie. La Tchécoslovaquie avait demandé un traité d’alliance avec
Fortifications de la ligne Maginot (entrée des munitions) en Moselle (France). Photographie actuelle.
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préavis, envahissent le Danemark, et ensuite la Norvège (le fer suédois était acheminé vers l’Allemagne par le port norvégien de Narvik). Hitler installe en Norvège un gouvernement nazi.
4. La Seconde Guerre
mondiale (1939-1945)
Aucune puissance n’était préparée à faire face efficacement aux armées mécanisées et aux méthodes de guerre de l’Allemagne. La Pologne est écrasée en septembre 1939 et partagée avec l’URSS. Après le Danemark et la Norvège, les forces d’Hitler se tournent vers l’Ouest en mai 1940. Le barrage belgo-anglo-français est rompu par les blindés allemands. L’armée belge, isolée, capitule le 28 mai ; les Anglais réembarquent à Dunkerque et la France signe un armistice le 22 juin. L’Angleterre continue la lutte, seule. L’armée allemande, venue en renfort des forces mussoliniennes, domine ensuite les Balkans et menace l’Égypte. Les succès de la guerre-éclair prennent fin avec la campagne contre l’URSS en 1941. Les trois États totalitaires associés : Allemagne, Italie et Japon succombent tour à tour lorsque les États-Unis engagent toutes leurs ressources, après la destruction de leur flotte du Pacifique par l’aviation japonaise à Pearl Harbor (décembre 1941). Les blindés du général allemand, Rommel, sont anéantis en Afrique et les armées nazies capitulent à Stalingrad en février 1943. L’offensive aérienne anglo-américaine détruit les centres de l’industrie de guerre allemande. Les débarquements alliés en Afrique, puis en Sicile (1942) amènent la capitulation sans conditions de l’Italie (septembre 1943). S’ensuit le grand débarquement de Normandie (6 juin 1944) par lequel les Alliés américains libèrent successivement la France et la Belgique. Les Alliés franchissent le Rhin en mars 1945 : ils occupent désormais le Sud et l’Ouest de l’Allemagne, qui capitule le 8 mai 1945. Le Japon s’effondre à son tour après l’anéantissement d’Hiroshima et de Nagasaki par les bombes atomiques (août 1945). En février 1945 déjà, s’était tenue la Conférence de Yalta (en Crimée) entre Staline, Roosevelt et Churchill en vue de se partager les bénéfices de la victoire.
La Conférence de Yalta, en 1945, réunit (de gauche à droite) Le premier ministre britannique, Winston Churchill, le président des États-Unis, Franklin D. Roosevelt et le dirigeant de l’Union Soviétique, Joseph Staline.
5. Les autres fascismes Le terme « fasciste » désigne un modèle politique nouveau opposé tant à la démocratie libérale qu’au socialisme. Aucun pays n’échappe à la tentation fasciste. Au Portugal, Salazar (†1970) installe une dictature dès 1933 ; en Belgique, Léon Degrelle (†1994) conteste la démocratie à travers son parti rexiste ; en Espagne, Franco (le « Caudillo », †1975), appuyé par Hitler, renverse la République en 1939 et devient dictateur à vie… ■
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Fascismes et Seconde Guerre mondiale La Shoah, un crime contre l’humanité
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Le fort de Breendonk
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› Atlas d’Histoire pl. 134 Petit atlas d’Histoire pl. 81
> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > La Guerre froide 1945 26 juin 1945 Fondation de l’ONU Février 1945 Conférence de Yalta
1950
1955
1960
1965
1949 Fondation de l’O.T.A.N. 5 juin 1947 Signature du Plan Marshall
1950-1953 – Guerre de Corée
1955 Signature du Pacte de Varsovie
1961 Construction du Mur de Berlin
La Guerre froide 1. La partition de l’Europe
maintien de la paix est décidée. Suite à la conférence constitutive de San Francisco (avril-mai 1945), l’Organisation des Nations unies (ONU) est fondée le 26 juin 1945. Cependant, la rupture entre l’URSS et les États-Unis paralyse l’institution. En effet, tous deux sont membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU (au même titre que la Chine, la Grande-Bretagne et la France) et bénéficient donc d’un droit de veto. Cet échec n’est pas le seul que connaissent les Alliés. Contrairement à ce qui avait été admis à la Conférence de Yalta notamment (4-11 février 1945), l’URSS ne permet pas la tenue d’élections libres dans les pays qu’elle a libérés et qu’elle occupe. La Pologne, la Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie, ainsi que la zone allemande contrôlée par les Soviétiques vont progressivement adopter le modèle communiste et devenir des pays satellites de l’URSS. Face à cette réalité, Churchill, le Premier ministre britannique, énonce le 5 mars 1946 une métaphore : « De Stettin sur la Baltique à Trieste sur l’Adriatique, un “rideau de fer“ est tombé sur le continent ». Désormais, le monde est coupé en deux : d’un côté, le camp occidental, qui défend des valeurs libérales et une économie de marché ; et de l’autre, le camp oriental, imprégné de valeurs socialistes, qui prône le contrôle de l’économie par l’État. C’est le début de presque un demi-siècle d’affrontement entre ces deux blocs. À leurs têtes se trouvent les États-Unis et l’URSS, qui ne se déclareront jamais la guerre mais joueront sur l’intimidation et la menace du recours à l’arme atomique. Ces deux pays seront toutefois régulièrement opposés
après la Seconde Guerre mondiale
Alors que la Seconde Guerre mondiale touche à sa fin, les Alliés (les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Union Soviétique) se réunissent à plusieurs reprises pour organiser la future Europe libérée, et notamment l’Allemagne ; celle-ci sera divisée en quatre zones, chacune administrée par un des Alliés, auxquels est ajoutée la France. Ce principe est également appliqué à Berlin, la capitale de l’Allemagne, qui est divisée en quatre secteurs. Il est aussi décidé de laisser la possibilité aux peuples libérés ou vaincus de choisir leur propre régime politique. Enfin, la création d’une organisation succédant à la SDN (Société des Nations) et dont le but sera le
Winston Churchill (à gauche) et Joseph Staline (à droite) discutant pendant la conférence de Postdam en juillet 1945. Deux ans plus tard, les relations sont rompues.
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ÉPOQUE CONTEMPORAINE 1970
1975
1980
1985
1964-1975 – Guerre du Vietnam
1990 1991
16 novembre 1989 Destruction du Mur de Berlin
Dissolution de l’URSS
Portrait du général George Marshall. Photographie de 1953.
indirectement lors de conflits auxquels ils prennent part. Alors qu’avant la Seconde Guerre mondiale, les différentes nations européennes jouaient un rôle important dans l’organisation du monde multipolaire, la fin du conflit marque l’avènement d’un monde bipolaire où la plupart des pays doivent choisir leur camp : celui des États-Unis ou celui de l’URSS.
George Marshall reçoit le prix Nobel de la paix en 1953 pour son plan de redressement des pays européens.
Le Plan Marshall est proposé à toutes les nations européennes le 5 juin 1947, y compris celles de l’Europe de l’Est, tout en sachant que l’URSS n’autoriserait pas l’un de ses États satellites à accepter l’offre. En effet, lorsque, outre les pays d’Europe occidentale, la Pologne et la Tchécoslovaquie se montrent intéressées, Moscou s’empresse de rejeter le Plan et enjoint à ces deux pays de l’imiter. Par conséquent, seuls les pays européens du bloc occidental bénéficient de cette aide qui, de 1948 à 1953, injecte 13 milliards de dollars dans leurs économies. Pour répartir équitablement cet argent, les pays bénéficiaires créent l’Organisation Européenne de Coopération Économique (OECE). Via cette aide, les Américains s’assurent le soutien des pays d’Europe occidentale, qui s’ancrent plus profondément dans le bloc capitaliste. Si la construction européenne n’est pas dirigée contre les Soviétiques, le besoin d’association et de coopération, notamment d’un point de vue militaire, démontre l’inquiétude grandissante face au communisme. En 1949, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) regroupe plusieurs pays d’Europe occidentale, les États-Unis et le Canada dans une organisation militaire défensive : tous les États se doivent assistance mutuelle en cas d’agression de l’un d’eux. De son côté, l’URSS prend ces mesures comme des preuves d’un impérialisme américain tentant d’établir sa domination sur l’Europe. Elle aussi craint pour ses valeurs et son modèle politique qui prône la réussite collective et l’abolition des classes
2. Deux modèles opposés Si cet antagonisme s’exporte dans le monde entier, le premier enjeu est l’Europe. Comme nous l’avons vu, l’URSS profite de la présence de son armée dans les pays d’Europe de l’Est pour instaurer dans ceux-ci des régimes communistes, au moyen d’élections truquées ou de coups d’État. De leur côté, les États-Unis prennent conscience que la pauvreté dans laquelle se trouvent les pays européens depuis la fin de la guerre peut faire basculer certains d’entre eux du côté communiste (en France, par exemple, le Parti communiste français bénéficie d’une large assise populaire). Il leur faut donc trouver un moyen de relever rapidement le niveau de vie des populations européennes. Le président américain (1945-1953), Harry Truman, est particulièrement méfiant vis-à-vis de l’URSS, dont il est persuadé qu’elle a pour objectif d’étendre sa domination à l’Europe entière, alors que son prédécesseur, Franklin Roosevelt, se montrait moins vindicatif. C’est ainsi que s’établit la doctrine Truman, qui vise à apporter toute l’aide nécessaire aux « pays libres qui résistent à des tentatives d’asservissement par des minorités armées, ou à des pressions venues de l’extérieur » (Truman, le 12 mars 1947). Cette conception est à l’origine du Plan Marshall qui a pour but d’aider économiquement les pays qui demanderaient des secours aux États-Unis, tout en permettant, par la même occasion, l’extension progressive du modèle américain. 143
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Portrait du maréchal yougoslave Josef Tito. Photographie de 1959. La Yougoslavie communiste, sous l’impulsion de Tito, prend ses distances avec l’URSS, sans pour autant entrer dans le camp occidental.
> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > La Guerre froide
de rumeurs et d’incertitudes. Assez rapidement, les Soviétiques rattrapent leur retard par rapport aux Américains. Après la bombe atomique, c’est la bombe à hydrogène qui voit le jour. Beaucoup plus puissante que la précédente et plus facile à transporter, elle peut détruire entièrement une ville. Cette course effrénée à l’armement qui porte les deux camps à égalité, du moins en apparence, a l’avantage de permettre un statu quo. En effet, conscients de l’immense danger que constitue l’utilisation de la bombe, les dirigeants sont très réticents à l’idée d’y avoir recours. Ils ne passeront d’ailleurs jamais à l’acte, se contentant de s’en servir comme moyen d’intimidation. C’est l’« équilibre de la terreur ». Par la suite, des accords pour limiter l’armement sont conclus mais n’empêchent pas les deux camps de continuer à perfectionner et diversifier leurs armes.
sociales. Elle s’empresse donc d’éliminer les zones de résistance parmi ses États satellites en organisant, par exemple, un coup d’État en Tchécoslovaquie (1948), remplaçant le gouvernement de coalition en place par un gouvernement uniquement composé de communistes. Un peu partout dans les pays sous influence soviétique, les purges se multiplient pour éliminer les ennemis du communisme. L’URSS crée en 1947 le Kominform, un bureau d’information chargé d’établir le lien entre les différents partis communistes et de s’assurer qu’ils appliquent les principes édictés par Moscou. Sur le plan économique, Staline réagit à la mise en place de l’OECE en instaurant en 1949 le Conseil d’Assistance Économique Mutuelle, aussi appelé COMECON, qui doit faciliter les relations économiques entre les pays communistes, mais qui, dans les faits, permet surtout l’approvisionnement de l’URSS. Celle-ci conçoit aussi, d’un point de vue militaire, le Pacte de Varsovie en 1955, pendant soviétique de l’OTAN. Ces mesures d’embrigadement déplaisent au maréchal Tito, dirigeant de la Yougoslavie depuis 1945, qui veut garder une certaine indépendance. Tout en restant un régime communiste, la Yougoslavie rompt avec l’URSS en 1948. C’est la première défection dans le camp soviétique.
4. La Chine communiste La Chine est déchirée par une guerre civile qui est remportée en 1949 par les communistes de Mao Tsé-Toung. Ce dernier signe avec Staline un traité d’assistance et d’amitié mutuelle. Cependant, l’entente entre les deux géants communistes est de courte durée et rapidement un conflit idéologique vient séparer ces alliés. La Chine reproche à l’URSS de privilégier la paix au détriment de la révolution communiste et se montre plus radicale de ce point de vue. Le modèle chinois de développement économique basé sur l’agriculture s’oppose au système soviétique fondé sur l’industrie. Toutefois, ils tentent
3. La course aux armements et la Guerre froide
La fin de la Seconde Guerre mondiale est marquée par un événement de poids : les explosions de bombes atomiques à Hiroshima (le 6 août 1945) et à Nagasaki (le 9 août 1945) ont fait des centaines de milliers de morts et blessés et ont démontré la supériorité des Américains du point de vue de l’armement. Cette arme redoutable est un puissant moyen de pression envers ses ennemis. L’URSS comprend qu’elle doit aussi maîtriser le secret de sa fabrication pour rivaliser avec les États-Unis. Ainsi commence la course à l’armement et avec elle son lot
Femmes chinoises admirant le portrait de Joseph Staline. Photographie de 1950.
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ÉPOQUE CONTEMPORAINE
7. La coexistence
de préserver les apparences d’une entente cordiale face à l’ennemi commun : le camp occidental.
pacifique : la fin des conflits ?
5. Une guerre à distance
Le nouveau dirigeant de l’URSS modifie sa politique et porte la compétition essentiellement sur les terrains économique et idéologique. Il se sert de la conquête spatiale comme vitrine du communisme : les Soviétiques sont les premiers à envoyer un satellite dans l’espace en 1957 (Spoutnik) ainsi qu’un homme en 1961 (Youri Gagarine). Il s’agit là d’une véritable victoire, même si elle est contrebalancée par la suite, lorsque l’américain Neil Armstrong pose le premier le pied sur la lune (1969). Les tensions politiques restent pourtant toujours nombreuses. La crise de Berlin, par exemple, aboutit en 1961 à la construction du mur encerclant les secteurs occidentaux de la capitale. D’autres crises apparaissent ; celle de Cuba est la plus emblématique. L’ancienne possession espagnole, qui a retrouvé son indépendance en 1898, connaît une révolution menée par Fidel Castro, qui destitue en 1959 le dictateur Batista, alliés des États-Unis. Les Américains s’inquiètent de voir Castro, socialiste, installer un régime communiste aux portes de leur pays. Avec l’aide de réfugiés cubains, le gouvernement de John Fitzgerald Kennedy organise une intervention militaire mais le débarquement dans la Baie des Cochons en avril 1961 est un désastre. Castro demande alors de l’aide aux Soviétiques, qui lui proposent d’installer des missiles ayant une portée suffisante pour atteindre les USA. S’ensuit un bras de fer entre les États-Unis et l’URSS. La tension atteint son paroxysme en 1962
Sans jamais s’affronter directement, les États-Unis et l’URSS s’opposent par l’intermédiaire de plusieurs conflits un peu partout à travers le monde, conflits issus notamment de la décolonisation. Le premier d’entre eux est la Guerre de Corée, qui se déroule de 1950 à 1953. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Corée avait été divisée en deux zones d’occupation : l’une soviétique au nord, l’autre américaine au sud. Lorsque les États-Unis décident de retirer leurs troupes en 1949-1950, la Corée du Nord, avec l’accord des Soviétiques, envahit sa voisine du sud pour rétablir l’unité du pays. Le gouvernement américain redéploie alors ses troupes et entame la défense de la Corée du Sud avec l’appui de plusieurs pays européens. Après de nombreux mois de combat, l’armistice est signé en juillet 1953 et confirme la situation initiale : la Corée reste divisée en deux. Cette guerre a beaucoup inquiété les Européens qui craignent de voir le scénario se répéter sur le territoire allemand. Cependant, la mort de Staline en 1953 marque le début d’une légère détente dans les relations Est-Ouest. Ainsi, les pourparlers en Corée se trouvent facilités.
6. La déstalinisation
et ses conséquences
› Atlas d’Histoire pl. 142 › Petit atlas d’Histoire pl. 85
Caricature illustrant la tension entre les deux camps lors de la crise des missiles de Cuba. Le jeu d’intimidation entre Khrouchtchev et Kennedy est à son paroxysme.
Ce dégel est permis par la nouvelle personnalité à la tête de l’URSS depuis septembre 1953 : Nikita Khrouchtchev. Bien que proche de l’ancien dictateur, il prend ses distances par rapport à sa politique et entame la déstalinisation. Il reproche à son prédécesseur les nombreuses purges dont il est responsable et le culte de la personnalité qu’il avait mis en place. Certains États satellites de l’URSS espèrent profiter de cette déstalinisation pour acquérir davantage de liberté. Des révoltes éclatent notamment en Pologne et en Hongrie (1956), où la rébellion est matée dans le sang. Ces deux pays rentrent finalement dans le rang. Toutefois, cette situation montre bien les limites de la déstalinisation entamée par Khrouchtchev. 145
GRAND ANGLE
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > La Guerre froide
l’Afrique détient dans son sous-sol d’importantes sources de richesses (diamants, or, platine, uranium, etc.) qui intéressent les grandes puissances. Ainsi, Moscou et Cuba envoient des hommes et du matériel pour aider les révolutionnaires à s’emparer du pouvoir. • Le Moyen-Orient évolue lui aussi. Une révolution islamique s’empare de l’Iran en 1979 et stimule les mouvements islamistes à travers le monde. L’Iran se replie alors sur lui-même et s’éloigne des ÉtatsUnis et du camp occidental. En Afghanistan, un coup d’État organisé par le parti communiste place ce dernier au pouvoir (1979). Cependant, persuadés que ce nouveau gouvernement ne pourra faire face à la guérilla contrerévolutionnaire, les Soviétiques interviennent dans le pays, acte rapidement condamné par la communauté internationale. Si les Américains tardent à venir en aide aux insurgés, ceux-ci se débrouillent par eux-mêmes et les Soviétiques admettent finalement l’impossibilité de gagner cette guerre et quittent l’Afghanistan en 1989.
mais, le 26 octobre, après de nombreuses tractations secrètes entre les deux dirigeants, Khrouchtchev accepte de renoncer à son projet malgré les protestations cubaines. Cet épisode marque profondément les esprits car, de l’avis des experts, une nouvelle guerre mondiale a été évitée de justesse. Il démontre aussi que le dialogue entre les deux blocs est possible et que la guerre peut être évitée.
› Atlas d’Histoire pl. 143 › Petit atlas d’Histoire pl. 86
8. La décolonisation
et le Tiers-Monde s’invitent dans le conflit
La décolonisation, comme nous l’avons déjà remarqué, est souvent l’occasion pour les Soviétiques de soutenir la mise en place de régimes communistes. • La guerre du Vietnam en est un exemple. Elle est en fait le prolongement de la guerre d’Indochine (1946-1954), à la suite de laquelle la France perdit sa colonie et qui permit aux communistes vietnamiens de s’emparer du nord du pays. En 1963, les Américains décident de venir en aide aux Vietnamiens du Sud qui s’opposent aux communistes du nord. Ceuxci font appel à Moscou. Après de nombreuses années de combats, les Américains sont forcés de se retirer du Vietnam sous la pression populaire américaine, qui désapprouve le soutien apporté par les troupes de leur pays dans ce conflit qui ne les concerne pas. Ainsi dépourvu d’alliés, le sud est défait en 1975 et le communisme s’impose dans tout le pays. C’est ensuite au tour du Laos et du Cambodge, pays voisins, de rejoindre le communisme. • En Amérique latine, la situation est également instable. Cuba est devenue la première démocratie populaire d’inspiration communiste en Amérique et entend bien exporter sa révolution. La région est historiquement sous l’influence des États-Unis et nombreux sont les pays qui désirent s’émanciper. Le président Ronald Reagan (19801988) entreprend de contrer ces révolutions et de rétablir le leadership américain avec plus ou moins de succès. • L’Afrique est aussi concernée par la Guerre froide. Les colonies portugaises, qui ont tardé à obtenir leur indépendance (Angola, Mozambique, 1975), sont des cibles particulièrement intéressantes. En effet,
9. La chute de l’URSS Alors que le monde occidental connaît une nouvelle vague de croissance dans la seconde moitié des années 1980, notamment avec le développement de l’informatique et des nouvelles technologies, l’URSS connaît de graves problèmes. Le budget est grevé par le coût astronomique de l’armement. Le modèle économique soviétique montre ses limites. Conscient de la situation, le nouveau secrétaire général du Parti communiste soviétique depuis 1985, Mikhaïl Gorbatchev, entreprend des réformes. Avec la glasnost (« transparence »), il promet au peuple de renoncer aux hypocrisies et aux mensonges traditionnels du parti et de permettre une plus grande liberté d’expression. Via la perestroïka (« restructuration »), il tente de modifier les institutions socio-économiques en créant une économie de marché, mais toujours sous la direction du parti communiste. Gorbatchev ne parvient cependant pas à adapter suffisamment les institutions de son pays et la dose de démocratie insérée va avoir pour effet d’accélérer la contestation dans tous les pays 146
ÉPOQUE CONTEMPORAINE
Les tensions Est-Ouest s’achèvent avec la fin du système communiste qui s’effondre de l’intérieur. La Guerre froide est terminée. Cela ne signifie pas pour autant le retour à une paix générale. Au contraire, la fin de la Guerre froide a laissé place à une nouvelle organisation du monde. Pendant des années, cette guerre avait obligé les États à choisir leur camp et tous les conflits renvoyaient aux tensions Est-Ouest. Aujourd’hui, les sources des guerres sont plus variées et la montée des intégrismes religieux ou encore des nationalismes a transformé le monde bipolaire en un monde multipolaire. ■
Une femme ouestallemande offrant des fleurs aux soldats est-allemands lors de la chute du mur de Berlin. Photographie du 12 novembre 1989.
Rencontre entre Mikhaïl Gorbatchev et Ronald Reagan au Sommet de Genève en 1985. Elle marque le rétablissement du dialogue américano-soviétique et la fin de la course aux armements.
satellites de l’URSS auxquels il laisse une plus grande liberté. Si les prémices de fin de régime se font sentir en Pologne et en Hongrie au début de l’année 1989, c’est véritablement avec la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, que le monde soviétique s’écroule. Les États satellites se transforment en démocraties parlementaires et organisent des élections libres et multipartites. De son côté, l’URSS se disloque : les Pays Baltes, la Géorgie, la Moldavie, l’Ukraine, la Biélorussie, l’Azerbaïdjan, le Kirghizstan et l’Ouzbékistan obtiennent leur indépendance. En Russie, les dés sont jetés et la dernière tentative de coup d’État n’y change rien, le communisme est mort et Boris Eltsine est élu président en 1991.
> GRAND ANGLE > FOCUS > PATRIMOINE
147
La Guerre froide Le mur de Berlin…
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Les affiches politiques
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GRAND ANGLE
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Les décolonisations 1930
1935
1940
1945
1947 1950 Indépendance de l’Inde britannique, qui devient l’Inde et le Pakistan
1940-1945 – Seconde Guerre mondiale
1931 Création du Commonwealth britannique
1945-1954 – Guerre d’Indochine (Viêt Nam, Laos et mettant un terme à la domination française
1949 1948 Indépendance de la Malaisie – L’Indonésie se dégage et de la Birmanie par rapport de la tutelle des Pays-Bas – Conférence de New Delhi à la Grande-Bretagne
Les décolonisations › Atlas d’Histoire pl. 135 › Petit atlas d’Histoire pl. 82
1. Les premières
manifestations
Si les décolonisations se déroulent essentiellement après la Seconde Guerre mondiale, leurs origines sont bien antérieures. En 1776, les treize colonies anglaises d’Amérique obtiennent leur indépendance et deviennent les États-Unis. Au XXe s., des colonies espagnoles et portugaises de l’Amérique centrale et latine accèdent à l’indépendance politique. Cependant, avant 1914, ces mouvements sont rares. Au sortir de la Première Guerre mondiale, les relations internationales se trouvent modifiées. Les États-Unis deviennent la première puissance industrielle et commerciale mondiale. L’Allemagne perd ses colonies qui sont réparties sous forme de mandats aux vainqueurs européens et l’Empire ottoman se voit retirer ses territoires du Moyen-Orient (Iraq, Syrie, Liban…). Les mentalités évoluent aussi. Dans sa déclaration de janvier 1918, le président des États-Unis, Wilson, avait posé les bases de la paix fondée sur le droit des peuples de disposer d’eux-mêmes et donc opposé à la colonisation. Au contraire, l’Europe reste très attachée à ses colonies dont elle a besoin pour redresser son économie. Dans les colonies, les mouvements de protestation contre l’occupant se développent, mais ils sont fort variés et peu organisés. Ces mouvements nationalistes sont le fait d’une élite intellectuelle formée en Europe et d’une bourgeoisie indigène qui réclament l’égalité des droits entre Européens et indigènes plus que l’indépendance.
Portrait du Président américain Woodrow Wilson. Photographie de 1912.
2. La politique
des grandes puissances coloniales
Leurs objectifs, avant tout économiques, sont semblables, mais leurs politiques diffèrent. 2.1 La Grande-Bretagne
L’Empire britannique est de loin le plus important. Ses colonies sont avant tout des débouchés pour l’industrie, mais également des zones stratégiques. 148
ÉPOQUE CONTEMPORAINE 1955 Conférence de Bandung
Cambodge)
1960
1965
1965
1970
1956-1962 – La plupart des colonies d’Afrique obtiennent leur indépendance 1954-1962 – Guerre d’Algérie mettant un terme à la domination française
1975
Indépendance des colonies portugaises (Angola et Mozambique)
1956 1958 Indépendance de La Guinée la Tunisie et du Maroc se libère de la (par rapport à la France) tutelle française
la pression d’intellectuels, préoccupés par le sort des indigènes et de leur « éducation », et face à la présence de plus en plus importante d’entreprises européennes en Indonésie, que le gouvernement modifie son rapport à ses colonies et en fait des « territoires d’outre-mer ». Désormais partie intégrante des Pays-Bas, l’Indonésie est administrée et contrôlée par la métropole et le néerlandais devient la langue du pays.
La maîtrise des mers est assurée par des escales, comptoirs et positions stratégiques garantissant des communications constantes avec les diverses parties de l’Empire. Cet immense domaine est administré de façon souple : une large autonomie est accordée aux dominions (« colonies de peuplement blanc », création en 1931 du Commonwealth, la communauté britannique des nations). Pour l’Angleterre, les colonies doivent à long terme accéder à l’indépendance, donc il faut avant tout veiller à l’éducation des populations autochtones.
3. Le rôle de la Seconde Guerre mondiale
2.2 La France
En 1939, Britanniques, Français, Néerlandais… dominent le monde. La fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1945, laisse l’Europe ruinée et dévastée, au second rang derrière les deux grands vainqueurs : les États-Unis et l’URSS, qui s’accordent sur la nécessité de mettre fin à la colonisation européenne. La guerre, en révélant la vulnérabilité des puissances coloniales, sape leur autorité, leur prestige. En effet, elles ont été contraintes d’appeler leurs troupes coloniales en renfort et doivent donc en tenir compte à la fin des hostilités. En outre, l’appel des ÉtatsUnis et de l’URSS, puis de l’ONU, en 1948, en faveur des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes suscite l’essor des mouvements nationalistes.
Longtemps les Français hésitent entre assimilation et ségrégation pour régler le statut de leurs colonies, mais il est évident qu’ils accordent une attention toute particulière à ces possessions qui font partie intégrante de la France. Dans certaines colonies (comme l’Algérie), les Français se sont implantés de telle sorte qu’ils se sentent chez eux et ne se considèrent plus comme des métropolitains expatriés. La route vers l’indépendance ne leur apparaît pas comme étant une fin en soi, contrairement à leurs voisins anglais. L’administration des pays sous domination est contrôlée essentiellement par les Français, laissant peu de place aux indigènes. Les colonies sont les biens personnels de la métropole. Le retrait est donc difficilement acceptable pour la France, et il mènera d’ailleurs à des guerres longues et pénibles. 2.3 Les Pays-Bas
Dans un premier temps, les Pays-Bas considèrent leur colonie indonésienne comme un domaine d’exploitation, une sorte de comptoir intéressant pour leur développement économique, mais ils ne désirent pas s’impliquer dans le gouvernement du pays. Ce n’est qu’au début du XXe s., sous 149
Mohandas Gandhi
est né en 1869 et décédé le 30 janvier 1948, assassiné par un extrémiste hindou. Il joue un rôle particulièrement important dans l’accession à l’indépendance de l’Inde. Cultivé, ayant fait ses études en Grande-Bretagne, il prône la résistance par la désobéissance passive et donc non-violente pour forcer la métropole à accepter l’indépendance de son pays (notamment par la marche du sel en 1930).
Ho Chi Minh
(1890-1969) : il fait ses études à Londres et Paris, fonde le Parti communiste indochinois et est le leader des indépendantistes pendant la guerre d’Indochine. Il devient le premier président du Vietnam du Nord et continue la lutte pour la réunification du pays (effective en 1975).
Léopold Sédar Senghor
(1906-2001) : écrivain et homme politique sénégalais, il représente son pays à l’Assemblée nationale française du temps de la colonisation. Réclamant l’autonomie de son pays, il ne désire cependant pas couper tout contact avec la métropole et aimerait créer une sorte de fédération africaine étroitement liée à la France. Son projet est un échec, mais il devient le premier président de la République du Sénégal.
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Les décolonisations
Quand s’achève le conflit, l’ordre colonial est, bien qu’inégalement, unanimement contesté : le processus de décolonisation s’enclenche. L’indépendance des pays colonisés sera, tantôt le résultat de négociations avec la métropole (colonies britanniques), tantôt le résultat d’une lutte armée (Indochine, Indonésie).
tout en restant proche de la Grande-Bretagne via le Commonwealth. Cependant, la route vers l’indépendance n’est pas aussi aisée que prévu. Les Indiens sont alors divisés par la religion, entre hindous et musulmans (minoritaires). Peu familiers avec les partis politiques, les Indiens apportent généralement leurs voix au parti correspondant à leur sensibilité religieuse, à savoir le Congrès emmené par Nehru pour les hindous et la Ligue pour les musulmans. Ainsi, les tensions entre les deux communautés se ravivent dès le début du XXe s. et atteignent leur paroxysme au moment de régler la question de l’indépendance. Les pressions étant de plus en plus fortes, la partition de l’Inde est alors décrétée mais trop rapidement exécutée pour être effectuée correctement. Deux pays distincts émergent le 14 août 1947 : l’Inde, où une minorité de musulmans reste présente, et le Pakistan, lui-même divisé en deux régions séparées de 1 500 km : le Pakistan occidental (actuel Pakistan) et le Pakistan oriental (actuel Bangladesh). Le tracé précipité des frontières entraîne un inévitable mouvement de population ainsi que des épurations ethniques dont les conséquences sont encore tangibles aujourd’hui. Cependant les deux pays optent pour leur maintien dans le Commonwealth. C’est également le cas de Ceylan, qui obtient son indépendance le 19 décembre 1947 après des négociations, et de la Malaisie, qui connaît, après son émancipation en juillet 1948, d’importants troubles internes obligeant les Britanniques à rester présents encore pendant plusieurs années. La Birmanie, par contre, qui obtient son indépendance le 4 janvier 1948, choisit de prendre ses distances et se retire du Commonwealth.
4. L’émancipation de l’Asie 4.1 L’Inde et les autres colonies anglaises
D’une certaine manière, la Grande-Bretagne s’était préparée à la décolonisation. Même si elle ne devait pas survenir aussi rapidement, l’indépendance était un objectif avoué. Par conséquent, à l’inverse de ce qui se passe pour d’autres puissances coloniales, les Anglais ne donnent pas l’impression de fuir ou de vivre une défaite humiliante mais simplement de voir leurs efforts d’éducation dans leurs colonies couronnés de succès. De tous les pays coloniaux, l’Inde est alors le plus proche de l’indépendance car des institutions électives avec des représentants indiens existent depuis la fin du XIXe s. Plusieurs mouvements réclament l’autonomie, notamment celui de Gandhi, dont les actions se distinguent toujours par la nonviolence. Les Indiens tentent de profiter de l’implication des Britanniques dans la guerre pour s’émanciper, mais Londres réagit par la répression, consciente cependant que la situation doit évoluer dès la fin du conflit. Il est donc prévu de mettre sur pied un gouvernement indien qui, dans un premier temps, agirait de concert avec le vice-roi, agissant comme un guide, avant de détenir entièrement le pouvoir
4.2 L’Indonésie
Plus encore que les autres pays asiatiques, l’Indonésie est choquée du manque de résistance que les Néerlandais ont opposé aux Japonais. Les Indonésiens tirent alors profit des nouvelles institutions créées par l’envahisseur nippon. La langue indonésienne redevient officielle. Les Japonais font miroiter aux Indonésiens une émancipation prochaine. Cependant, l’évolution de la situation
Mohandas Karamchand Gandhi et ses petites filles, vers 1947 à New Dehli (Inde).
150
ÉPOQUE CONTEMPORAINE
Le président indonésien Soekarno lors d’une conférence de presse à Washington en 1956.
internationale oblige Soekarno, chef nationaliste indonésien, à proclamer l’indépendance de son pays le 17 août 1945 et ainsi créer une république. Les Britanniques, qui débarquent dans les îles après la défaite japonaise, se rendent rapidement compte de l’assise populaire dont bénéficie ce nouveau régime et refusent de soutenir les Néerlandais dans leur volonté de reconquête. Ainsi isolés, ceux-ci refusent pourtant d’abandonner leurs positions. Pour jouer un rôle de grande puissance, les Pays-Bas ont besoin de leurs colonies, c’est pourquoi ils lancent deux opérations de reconquête en juillet 1947 et décembre 1948. Elles ne parviennent cependant pas à vaincre les forces de la République indonésienne et doivent faire face à une opinion internationale désapprobatrice. Finalement, l’Indonésie obtient son indépendance le 27 décembre 1949.
Selon lui, l’échec à mettre fin au colonialisme en Asie et en Afrique pourrait signifier la dissolution des Nations unies et des autres organisations mondiales.
entière, les Français considèrent que l’autonomie se limite aux affaires intérieures, en dehors desquelles le pays reste sous leur domination. L’affrontement est inévitable. Alors que la France s’attend à un combat relativement aisé contre des forces sans grands moyens, elle se rend vite à l’évidence que les forces viêt-minh tirent avantage du terrain. De 1946 à 1949, les Français doivent faire face à une guérilla incessante en territoire hostile. Les Vietnamiens sont partout, apparaissent et disparaissent à volonté, choisissent précisément les moments d’attaque et de repli. Le conflit s’internationalise en 1950 : la Chine populaire vient au secours du Viêt-minh et la France doit demander l’aide des Américains. Alors que la France commence à envisager une sortie de crise honorable, elle connaît une grande défaite à Dien Bien Phu, en mai 1954. Même si l’armée française n’est pas complètement détruite, cette bataille est malgré tout un coup dur pour les Occidentaux. La question doit être réglée. Les Accords de Genève conclus le 21 juillet 1954 partagent le pays en deux : le nord, communiste, et le sud, acquis aux Occidentaux. Les Français reconnaissent aussi l’indépendance du Laos et du Cambodge. Cependant, la partition du Viêt-Nam déplaît à tout le monde et le conflit rebondit dans le cadre de la Guerre froide car les Américains redoutent une contagion du communisme dans la région. Les États-Unis interviennent militairement au début des années 1960. Ils se retirent en 1973 et en 1975. C’est la victoire des communistes vietnamiens.
4.3 L’indépendance de l’Indochine
La Seconde Guerre mondiale force les Français à concevoir leur politique coloniale d’une autre manière et à faire quelques concessions. L’idée d’une Union française fait son chemin, proclamant l’égalité des « races » et octroyant la nationalité française aux colonisés. Mais dans les faits, si les territoires d’outre-mer sont associés à la France, ils restent dominés par la métropole, et voient leurs prérogatives extrêmement limitées. Cela n’est évidemment pas suffisant pour l’Indochine. À l’image de l’Indonésie, le Viêt-minh, ligue de libération du Viêt-Nam de tendance communiste, proclame l’indépendance du pays le 2 septembre 1945. Les Français, eux, tiennent surtout à préserver la Cochinchine, région du Viêt-Nam où leurs intérêts économiques sont nombreux. Contrainte à faire des concessions, la France signe le 6 mars 1946 un accord avec Ho Chi Minh, président de la république vietnamienne autoproclamée. Ce traité reconnaît le Viêt-Nam (composé des provinces d’Annam et du Tonkin, la Cochinchine devant se prononcer sur son entrée éventuelle par référendum) comme un État indépendant faisant partie de la Fédération indochinoise et de l’Union française. Cependant, les deux parties n’ont pas la même conception de ce que représente l’Union française. Alors que les Vietnamiens espèrent une indépendance pleine et 151
Ho Chi Minh, leader communiste vietnamien.
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Les décolonisations
5. La décolonisation
5.1 Les colonies anglaises
en Afrique
La Grande-Bretagne considérait que ses colonies africaines étaient moins capables que celles d’Asie de s’assumer pleinement et elle n’avait donc pas pensé que la phase de décolonisation interviendrait si vite. Pourtant, avec les événements internationaux et l’évolution des rapports de force, le retrait anglais est envisagé. La décolonisation des possessions anglaises se fait sans grandes difficultés pour la métropole et les pays désormais indépendants intègrent le Commonwealth. Cependant, on note tout de même des tensions et des troubles entre les anciennes tribus africaines au Kenya, en Tanzanie, etc.
Les événements asiatiques ont une répercussion en Afrique. Des contacts se nouent entre les pays La Conférence de Bandung nouvellement autonomes s’ouvre le 18 avril 1955 et regroupe pluet le continent africain : sieurs pays du tiers-monde ayant acquis leur indépendance. Elle est organisée par conférence de New Delhi l’Inde, l’Indonésie, le Pakistan, la Birmanie en 1949, de Bandung en et Ceylan. Par cet acte, ces pays montrent 1955, où les pays présents qu’il existe bien une troisième force qui définissent leurs intése veut indépendante par rapport au bloc rêts communs (les pays occidental et au bloc soviétique et qui a, elle aussi, son mot à dire quant à l’organi« non-alignés »), ou ensation mondiale. Outre les thèmes généraux core celle d’Accra en 1958. comme le respect des droits de l’homme, la Pays asiatiques et africains conférence aborde la problématique de l’inse prononcent contre la dépendance et condamne la colonisation et colonisation. l’impérialisme. Elle s’achève le 24 avril 1955. Les colonies africaines sont alors de types assez variés : considérées comme partie intégrante du territoire de la puissance coloniale (l’Algérie pour la France, par exemple) ; simples protectorats qui ont gardé une certaine autonomie (Maroc et Tunisie) ; anciennes colonies allemandes attribuées aux pays européens après la Première Guerre mondiale (Cameroun, Togo, Ruanda-Urundi). La Reine Élisabeth II La situation se précipite à la fin des années 50. inspecte des hommes de son régiment nigérian Entre 1956 et 1964 (mais surtout en 1960), pendant sa visite des la plupart des pays africains obtiennent leur Commonwealth. indépendance. Photographie du 2 février
5.2 La France et ses colonies d’Afrique noire
Contrairement à l’idée reçue, l’indépendance des pays africains n’était pas une fatalité. Au départ, les colonies africaines désirent garder d’étroites relations avec la France, et envisagent de se réunir sous une forme de confédération, idée largement répandue par Léopold Sédar Senghor. Cependant, les aspirations indépendantistes sont plus fortes et cette option est abandonnée. Conscient que des modifications doivent être introduites, le général de Gaulle, nouveau président du Conseil, propose la création d’une Communauté au sein de laquelle les États seraient indépendants. Seule la Guinée refuse et accède donc à l’indépendance en 1958. Ainsi, les anciennes colonies restent dans le giron français : autonomes pour la politique intérieure, les pays délèguent à la Communauté les pouvoirs en matière de politique extérieure, défense, économie, etc. Le résultat ne répond toutefois pas aux espoirs des anciennes colonies : le président de la Communauté est le président de la République, ce qui maintient un déséquilibre entre la France et les autres membres. Confronté à des revendications plus importantes, de Gaulle accepte d’accorder l’indépendance aux colonies subsahariennes.
1956.
5.3 La guerre d’Algérie
Alors que la Tunisie et le Maroc, protectorats français, obtiennent facilement leur indépendance en 152
ÉPOQUE CONTEMPORAINE
6. L’après décolonisation
1956. Le cas de l’Algérie est un peu particulier : elle fait partie intégrante de la France et est d’ailleurs divisée en départements. Les colons français représentent environ 10 % de la population, mais détiennent la majorité des richesses. Des révoltes se produisent dès la fin du second conflit mondial. Mais ce n’est qu’en 1954 que la guerre éclate. Le FLN (Front de Libération nationale) mène des actions de guérilla pour faire partir les colons, qui campent sur leurs positions : l’Algérie doit rester française. Le conflit s’enlise mais les politiciens refusent de reconnaître le problème. C’est dans ces circonstances que de Gaulle est rappelé au pouvoir pour mettre fin à cette situation en 1958. Son voyage en Algérie lui fait prendre conscience que l’indépendance est inéluctable et, sans organiser de retrait, tente de faire évoluer les mentalités françaises. Mission peu aisée, car une partie de l’armée refuse d’abandonner l’Algérie. La guerre ne s’achève qu’en 1962 avec les Accords d’Évian. L’Algérie proclame son indépendance le 3 juillet.
Les Occidentaux ne peuvent malgré tout se résoudre à renoncer à leurs zones d’intérêt à travers leur monde, à l’image des Britanniques avec leur Commonwealth. Ainsi, sans plus désormais dominer institutionnellement les anciennes colonies, les pays d’Europe et les États-Unis ont développé un autre système : le néo-colonialisme très proche par certains aspects de l’impérialisme. Sous prétexte de maintien de démocratie ou de résolution d’un conflit, ou encore en imposant des accords commerciaux, ils perpétuent leur domination économique, politique et culturelle sur ces régions du monde. Beaucoup d’États, nés des anciennes colonies, n’ont pas su se dégager de la tutelle économique, ni repousser l’ingérence étrangère et ont rejoint le groupe du « Tiers-monde ». Des organisations officielles comme l’ONU et des associations humanitaires leur proposent des plans d’aide et de développement. ■
L’écrivain et homme politique Léopold Sédar Senghor, lors de son élection à l’Académie française, en 1983.
5.4 Les colonies portugaises
Le sort des colonies portugaises est un peu différent puisque la métropole est alors sous le régime dictatorial d’extrême droite de Salazar. Par conséquent, les peuples portugais et africains n’ont que peu de liberté. Cependant, l’accès à l’indépendance de leurs voisins, donne des idées aux colonies africaines et les premières révoltes éclatent en 1961 en Angola puis au Mozambique. Le conflit s’enlise et la répression est très dure, au point que le Portugal est condamné par l’ONU en 1968. La situation change en 1974 quand, le 25 avril, le régime portugais est renversé lors de la « Révolution des œillets ». Les négociations s’engagent et l’indépendance des colonies portugaises se réalise entre 1974 et 1975. Ainsi s’achève le processus de décolonisation africain, mais les problèmes du continent ne disparaissent pas pour autant : les épurations ethniques et les régimes dictatoriaux qui s’ensuivent démontrent que la décolonisation a été très mal préparée et que la phase coloniale a laissé des traces difficilement effaçables.
Le général de Gaulle lors d’une visite officielle en Algérie, en 1958.
> GRAND ANGLE > FOCUS > PATRIMOINE
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Les décolonisations L’indépendance du Congo belge
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Une chanson, Indépendance cha-cha
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > L’Europe en construction 1950
1955
1960
1965
1970
1951 Signature du traité instituant la CECA Déclaration Schuman
1954 Rejet de la CED
1957 Signature des traités de Rome
L’Europe en construction › Atlas d’Histoire pl. 159 › Petit atlas d’Histoire pl. 100
1. La naissance d’une idée
qui est à l’époque Commissaire général au Plan de modernisation et d’équipement. Ce poste lui avait permis de reconstruire l’industrie française après la Libération ; il avait acquis une très bonne réputation auprès des différentes sphères politiques et avait développé de nombreuses amitiés internationales. Toutefois, il ne faisait pas partie du gouvernement ce qui était un handicap dans l’optique de la proposition officielle de son idée aux autres pays. Il se tourne donc vers Schuman, qu’il sait particulièrement sensible aux relations franco-allemandes de par ses origines. En effet, né en 1886 et ayant grandi dans la Lorraine alors allemande, il ne devient français qu’après la Première Guerre mondiale. Car ce sont ces deux pays qui sont principalement visés par la déclaration. Si les objectifs exposés sont de mettre en commun les productions de charbon et d’acier de manière à soutenir la reprise économique en évitant une concurrence trop sévère entre les pays européens, l’objectif caché est bel et bien d’éviter une nouvelle guerre entre la France et l’Allemagne. De fait, le charbon et l’acier sont deux composantes de base pour l’armement ; une autorité supranationale aurait donc un œil sur la production allemande de manière à s’assurer qu’aucun réarmement n’était à l’ordre du jour. La construction européenne a donc pour premiers objectifs de rétablir une paix durable en Europe et de remettre sur pied l’économie européenne.
1.1 La déclaration de Robert Schuman
Déjà avant la Seconde Guerre mondiale, des mouvements européens, en faveur d’une coopération européenne, avaient vu le jour. Avec la fin du conflit et le déclin manifeste de l’Europe sur la scène mondiale au profit des États-Unis et de l’URSS, l’idée d’une alliance des pays européens se renforce. Toutefois, il faut trouver les modalités de cette collaboration. C’est dans ce contexte que le ministre français des affaires étrangères, Robert Schuman, fait une déclaration, le 9 mai 1950, proposant une coopération des pays européens – notamment de l’Allemagne et de la France – sur le plan économique, en particulier dans les secteurs du charbon et de l’acier. Cette idée n’est pas précisément de lui, mais a été mise au point par le français Jean Monnet
Jean Monnet, grand artisan de la construction européenne. Photographie du 28 août 1952.
1.2 Vers un premier traité
Très rapidement, l’Allemagne, dont le président Konrad Adenauer avait été interrogé juste avant 154
1975
ÉPOQUE CONTEMPORAINE 1980
1985
1990
1995
2000
2005
2001 Signature du Traité de Nice 1986 Signature de l’Acte Unique
1992 Signature du Traité de Maastricht
1997 Signature du Traité d’Amsterdam
Rejet du projet de Constitution européenne par les Français et les Néerlandais après consultation par référendum
2007 Signature du Traité de Lisbonne
2. Une première crise L’Europe est ainsi lancée ; elle a le soutien fervent de la Grande-Bretagne, même si celle-ci a refusé d’en faire partie, mais aussi celui des États-Unis qui voient ainsi l’Europe se renforcer. Par contre, l’URSS n’approuve pas la création de la CECA et se méfie encore plus d’une autre négociation, celle qui vise la mise sur pied d’une Communauté Européenne de Défense (CED). Les Américains faisant pression pour réarmer l’Allemagne, des voix s’élèvent pour créer une armée européenne. Cela permettrait d’éviter la résurgence d’une armée allemande autonome considérée comme menaçante par les populations européennes. Les contingents allemands seraient intégrés à ceux des autres pays sous un commandement européen. Malheureusement, le traité de la CED, longuement discuté par les représentants des gouvernements des six pays signataires de la CECA, n’est pas ratifié par la France. L’Assemblée nationale rejette la CED le 30 août 1954 par 319 voix (regroupant notamment celles des gaullistes et des communistes), contre 264. S’ouvre alors une grave crise au sein de cette Europe naissante : avec la CED, c’est le volet de l’intégration politique qui est abandonné. De même, c’est la supranationalité des institutions européennes qui est mise en cause. Si le problème du réarmement allemand est finalement réglé avec la création de l’Union de l’Europe Occidentale, intégrée directement à l’OTAN, la construction européenne subit un coup d’arrêt.
Poignée de main entre Konrad Adenauer et Robert Schuman illustrant le rapprochement franco-allemand. Photographie du 20 mars 1952.
la déclaration, répond positivement à la proposition de Schuman. D’autres réponses positives arrivent de l’Italie, de la Belgique, du Luxembourg et des Pays-Bas, mais pas de la Grande-Bretagne, le grand absent des négociations du traité. En effet, si l’Angleterre avait très tôt manifesté un intérêt pour la construction européenne, elle n’estime pas opportun de s’engager dans une organisation supranationale, élément indiscutable pour Robert Schuman. Le traité instituant la CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier) est signé à Paris le 18 avril 1951 après près d’un an de négociation. Une Haute Autorité ayant des pouvoirs dans les domaines de l’acier et du charbon est instaurée. C’est l’élément supranational du traité ; elle est indépendante vis-à-vis des gouvernements et les membres sont recrutés en fonction de leurs compétences. Pour contrebalancer le poids de la Haute Autorité, on met en place un Conseil spécial des ministres chargé de faire le lien entre les secteurs du charbon et de l’acier confiés à cette autorité et l’activité économique des différents pays gérée par les gouvernements. On crée également une Assemblée commune, composée de parlementaires pour instaurer un contrôle démocratique. Une Cour de Justice est également instituée. Le traité sera ensuite ratifié sans grandes difficultés avant d’être mis en œuvre.
3. La relance 3.1 La conférence de Messine (1955)
Jean Monnet, toujours profondément attaché à la construction européenne et désormais président de la Haute Autorité, s’active en coulisse 155
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Portrait de Paul-Henri Spaak, ministre belge des Affaires étrangères. Photographie de 1957.
> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > L’Europe en construction
pour redonner des couleurs à l’intégration européenne. Il envisage notamment une association dans le domaine du nucléaire. Cependant, cette fois, il estime que la proposition ne doit pas venir du gouvernement français, d’ailleurs plus réticent depuis l’arrivée de ministres gaullistes. Il s’adresse donc au ministre belge des Affaires étrangères Paul-Henri Spaak, qui s’est toujours montré très intéressé par l’intégration européenne. Ce dernier reprend les idées de Monnet et se charge de sonder ses partenaires. Il voit en ses collègues du Benelux des alliés de poids, notamment Johan Willem Beyen, diplomate néerlandais qui revient avec sa proposition de créer un Marché commun. Les ministres du Benelux s’accordent sur un mémorandum, qui est ensuite distribué aux autres membres de la CECA. Les réponses des Allemands et des Italiens sont encourageantes, alors que la position française est plus obscure. Toujours est-il que ces projets sont l’objet de l’attention des ministres qui se réunissent à Messine du 1er au 3 juin 1955. Le premier constat est que chacun est d’accord de poursuivre la construction européenne. Il faut ensuite trouver comment rebondir. Les propositions sont discutées et commentées, et sous l’impulsion d’un Paul-Henri Spaak volontaire, les travaux évoluent positivement.
Signature du traité de Rome instituant la CEE. Photographie du 25 mars 1957. Ce traité est signé par six hommes d’État européen. Sur la photographie, de gauche à droite, le ministre belge des Affaires étrangères, Paul-Henri Spaak, le ministre français des Affaires étrangères, Christian Pineau, le chancelier ouestallemand et ministre des Affaires étrangères, Konrad Adenauer, et son sous-secrétaire, Walter Hallstein, et le Premier ministre italien, Antonio Segni.
fois pas de Haute Autorité indépendante apte à prendre les décisions. Celles-ci sont prises par le Conseil des ministres qui apparaît comme l’organe essentiel. On retrouve par contre une Commission, dont les pouvoirs de décisions sont limités, mais qui peut faire des propositions au Conseil. C’est elle aussi qui se charge de veiller à l’application des traités dans les États membres. La crise liée à la non-ratification de la CED a laissé des traces : désormais l’élément d’intégration moteur est l’économie et toute dose de supranationalité est réduite à son strict minimum. Il en ira de même pour les traités suivants.
3.2 Les traités de Rome (1957)
Ces discussions aboutissent à la signature de deux traités à Rome le 25 mars 1957 et mettent sur pied la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom) et la Communauté économique européenne (CEE). L’Euratom a pour but de développer l’industrie nucléaire dans un but pacifiste et permettre la libre circulation des chercheurs, des capitaux et des matériels. La CEE met en place une Union douanière qui favorise la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes ainsi que des politiques communes en ce qui concerne le commerce, l’agriculture et les transports. Au niveau institutionnel, certains organismes de la CECA se chargent de l’administration des nouveaux traités, telles l’Assemblée ou la Cour de Justice. Cependant, une grosse différence se marque au niveau de la supranationalité : il n’y a cette
4. Un élargissement progressif
Le Marché commun va rapidement porter ses fruits et la bonne santé économique des Six (France, Allemagne, Belgique, Italie, Luxembourg, PaysBas) va donner des envies à leurs voisins, à commencer par la Grande-Bretagne. Cette dernière tente de fédérer les autres pays européens à ses côtés en fondant l’AELE (Association européenne de libre échange) en 1960, mais les résultats ne sont pas aussi concluants. Ainsi, le Royaume-Uni dépose officiellement sa candidature pour entrer dans le Marché commun 156
ÉPOQUE CONTEMPORAINE
5. Une intégration à travers différents traités
Depuis les traités de Rome en 1957, d’autres traités ont vu le jour. Chaque élargissement nécessite généralement une modification des institutions, pour permettre un équilibre de représentation entre tous les pays sans que cela ne passe automatiquement par un traité. Au cours des avancées lors des décennies suivantes, on peut remarquer que la tendance, déjà entamée avec les traités de Rome, de se distancier des projets d’inspiration fédérale s’accentue. En effet, cette dose de supranationalité instaurée par la CECA avec la Haute Autorité n’apparaît plus nécessaire aux yeux des gouvernements depuis l’échec de la CED. Ils sont même plutôt jaloux de leurs prérogatives et de leurs intérêts nationaux. Dans ce contexte, l’intégration politique devient plus délicate encore à réaliser et à nouveau, c’est l’intégration économique qui est privilégiée. Toutefois, en 1979, on assiste à une grande avancée européenne d’un point de vue politique : l’élection du parlement au suffrage universel direct. Désormais, les populations des différents pays peuvent choisir leurs représentants, selon les systèmes électoraux en vigueur dans chaque état membre. Cependant, malgré cette nouvelle légitimité démocratique, les pouvoirs du parlement restent limités : le contrôle budgétaire étant sa prérogative la plus importante.
L’élargissement progressif de l’Union Européenne permet un rapprochement des nations et abaisse les frontières. Dessin de Jean-François Allaux.
en 1962. Mais de Gaulle, le président de la République française, se montre franchement hostile. Ce n’est qu’en 1973 que le Royaume-Uni, accompagné de l’Irlande et du Danemark, entrent dans la communauté européenne. La Norvège, qui s’était portée candidate, décline finalement l’offre sous la pression populaire. D’autres pays posent également leur candidature, à commencer par la Grèce en 1975, après la fin de sa dictature militaire. Elle fait son entrée en 1981. Dans des situations semblables, le Portugal et l’Espagne profitent du retour de la démocratie dans leur pays pour poser leur candidature. Ils entrent en 1986. Un nouvel élargissement se produit en 1995 avec l’entrée de l’Autriche, de la Finlande et de la Suède qui ne sont plus forcées à la neutralité. La fin du communisme et du bloc de l’Est voit réapparaître des états qui, progressivement, se redressent économiquement et demandent l’aide de l’Union Européenne. C’est ainsi qu’un grand élargissement s’opère en 2004 permettant à de nombreux anciens membres et satellites de l’URSS d’entrer dans l’Union. Sont alors intégrées la Pologne, l’Estonie, la Lituanie, la Lettonie, la Tchéquie, la Slovaquie, la Hongrie, la Slovénie, ainsi que Chypre et Malte. Trois ans plus tard, en 2007, la Bulgarie et la Roumanie rejoignent à leur tour l’Union Européenne. Les derniers élargissements ont profondément modifié le visage de l’Europe. Il est plus difficile de s’entendre à 27 qu’à 6 ou même qu’à 15. L’Europe est à nouveau en crise, elle peine à se renouveler et à se fédérer derrière un projet commun. 157
Hémicycle du parlement européen à Strasbourg. Les parlementaires européens sont élus pour la première fois au suffrage direct en 1979. Avec les élargissements successifs, leur nombre ne cesse d’augmenter pour atteindre aujourd’hui 751 membres.
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > L’Europe en construction
que la mobilité des étudiants (Erasmus, Socrates, etc.), s’intéresse à la protection des consommateurs avec l’introduction de mesures d’étiquetage plus strictes, etc. • Le deuxième pilier revient sur l’intégration politique avec la PESC (Politique Étrangère et de Sécurité Commune) qui se donne quatre objectifs : maintenir la paix, promouvoir le rôle de l’Europe sur le plan international, renforcer la démocratie des états membres et faire respecter les droits de l’homme et les libertés fondamentales. • Le troisième pilier concerne la coopération en matière de police et de justice, devenue nécessaire depuis la suppression des frontières. Elle concerne donc la politique d’immigration, le droit d’asile, la lutte contre le trafic de drogue, le grand banditisme ou encore le terrorisme. Les institutions sont également modifiées, et si le Conseil des ministres reste l’organe principal, le Parlement voit ses prérogatives augmenter : la Commission et son président doivent obtenir son approbation avant d’être institués.
5.1 L’Acte unique (1986)
Dans les années 1980, on assiste à de nouveaux débats sur la meilleure manière de renforcer la communauté européenne. Différents rapports voient le jour, proposant, entre autres, une politique de sécurité commune renforcée, l’élargissement du marché commun à d’autres domaines, la suppression des frontières voire même la mise en place d’une monnaie commune à tous les États membres. Toutefois, ces propositions sont diversement appréciées dans les différents pays. Par conséquent, l’Acte unique européen signé en 1986 très attendu par de nombreux partisans de l’intégration déçoit. Les avancées sont limitées, même si elles sont tangibles : la mise en place d’un marché unique, la suppression des frontières dans la communauté, ou encore l’extension des compétences de la communauté économique à l’environnement, la recherche et le développement technologique. D’autres portes s’ouvrent, notamment concernant la sécurité commune ou une monnaie unique, mais rien de concret n’apparaît dans ces domaines.
5.3 Le Traité d’Amsterdam (1997)
Ce traité est signé le 2 octobre 1997, mais ne contient aucune grande avancée : il se contente essentiellement de réaffirmer les grands principes de l’Union et de peaufiner quelque peu certaines réformes entreprises par le traité précédent. Depuis le Traité de Maastricht, l’idée européenne est en recul. Les dirigeants des pays européens ne sont plus les mêmes et ils s’inquiètent davantage du coût que va représenter l’élargissement vers l’Est, déjà en préparation, que de l’orientation à donner à l’Europe.
5.2 Le Traité de Maastricht (1992)
Si l’Acte unique déçoit, les partisans de l’Europe ne désarment pas et planchent déjà sur un nouveau traité permettant d’aller plus loin. Deux directions sont prises : le renforcement de l’intégration économique avec la mise sur pied d’une monnaie commune, désormais acceptée par l’Allemagne qui montre ainsi son attachement à l’intégration européenne malgré sa prochaine réunification, et l’intégration politique dans des domaines comme la sécurité et la justice. Le duo franco-allemand mené par Mitterrand et Kohl dynamise la relance et c’est dans ce contexte qu’ont lieu les négociations du Traité de Maastricht qui est finalement signé le 7 février 1992. Ce traité institue l’Union Européenne, qui remplace la communauté, et donne un nouveau souffle à l’Europe. Il comporte trois piliers. • Le premier est celui qui a le plus marqué les esprits : il institue la communauté économique et monétaire. Toutefois, ce pilier ne se résume pas à cela. Il introduit aussi la notion de citoyen européen, s’engage à promouvoir la recherche ainsi
5.4 Le Traité de Nice (2001)
Le Traité de Nice, signé le 26 février 2001, n’est pas plus encourageant. Les discussions précédant sa signature se passent d’ailleurs dans une ambiance détestable, chaque représentant défendant avant tout les intérêts de son pays. Il est l’illustration du marchandage de plus en plus présent dans les négociations européennes. Ce traité est essentiellement institutionnel. Il fixe les règles de fonctionnement de l’Union à vingt-sept, déterminant par exemple le nombre de représentants pour chaque pays dans les différentes institutions. 158
ÉPOQUE CONTEMPORAINE
Toutefois, ces réformes ne sont pas assez abouties et un autre traité devra le compléter.
Or, pour fonctionner correctement à vingt-sept, il était impératif de réformer les institutions. C’est ainsi que le Traité de Lisbonne est conçu ; il doit permettre des réformes institutionnelles mais ne fait aucune avancée concrète dans les domaines de compétences européennes. En cela, il est décevant et ne reproduit pas l’effet des traités de Rome. Ainsi, bien que le traité signé le 13 décembre 2007 ait été ratifié par les 27 pays membres de l’Union Européenne, l’Europe n’est pas complètement sortie de la crise qu’elle traverse. ■
5.5 Le Traité de Lisbonne (2007)
La construction européenne alterne période de scepticisme et période de relance. En 2005, elle connaît une nouvelle crise, semblable à celle de 1954. En effet, la France et les Pays-Bas ont refusé le traité de Constitution européenne élaboré un an plus tôt et qui devait permettre des avancées institutionnelles et politiques.
NOMME
NAVETTE DES PROPOSITIONS DE LOIS
INVESTIT ET CONTRÔLE TRIANGLE DÉCISIONNEL
CODÉCIDE
Les institutions de l’Union Européenne.
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L’Europe en construction
> FOCUS
Une monnaie européenne unique
Page 250
Une caricature politique
Page 304
> PATRIMOINE
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > La mondialisation 1870
1880
1890
1900
1910
1920
1914-1945 – Recul 1870-1945 – Première mondialisation – Révolution industrielle – Colonisation – Accroissement démographique
La mondialisation 1. Aux origines
n’ont entre elles que des échanges extrêmement limités se partagent l’espace peuplé de la planète ». Ainsi peut-on affirmer l’existence d’une économiemonde avec la Phénicie, Carthage, la Grèce et Rome. Le monde arabo-musulman devient au XIIe s. une économie-monde. À partir du XIVe s., se mettent en place des « économies-monde » autour des cités-États marchandes boursières et bancaires de Venise, Gênes, Amsterdam et Anvers. Ce premier noyau d’une économie européenne relie l’espace compris entre la Méditerranée et la mer du Nord. La Chine des Ming, entre les XVIe et XVIIe s., ouvre des routes commerciales vers l’Insulinde et l’Afrique. L’espace devient véritablement mondial aux XVIe et XVIIe s., avec les empires ibériques (Espagne et Portugal). Après la découverte de l’Amérique en 1492, l’Europe étend son espace économique à une échelle exceptionnelle et en retire d’immenses ressources (or, argent, sucre, maïs…). Au XVIIIe s., la mondialisation se renforce encore avec les empires britanniques et français. Pour F. Braudel, c’est le dynamisme du capitalisme qui explique l’extension du marché au monde.
de la mondialisation
1.1 Des routes commerciales très anciennes
S’il est vrai que, dans le passé, les États vivaient en autarcie et que les populations avaient une vision du monde assez limitée, les échanges commerciaux entre les pays, voire entre les continents existaient déjà. Dès la Préhistoire, des traces archéologiques montrent qu’il existait des échanges commerciaux à long rayon d’action : la route de l’obsidienne avant 10000 av. J.-C, de la Méditerranée au Proche-Orient ; la route de l’ambre de la Baltique à la mer Noire au Ier millénaire av. J.-C. La Route de la soie reliant la Chine à l’Europe, en passant par le Moyen-Orient et l’Asie centrale, décrite par Marco Polo au XIIIe s., se met en place dès le Ier millénaire av. J.-C. Cette route connue des Romains est une route commerciale des épices, du papier et de la porcelaine ainsi que d’échanges intellectuels, techniques et religieux.
Économie mondiale, économie-monde
« L’économie mondiale s’étend à la terre entière […]. L’économie-monde ne met en cause qu’un fragment de l’univers, un morceau de la planète économiquement autonome, capable pour l’essentiel de se suffire à luimême et auquel ses liaisons et ses échanges intérieurs confèrent une certaine unité organique. » Fernand BRAUDEL, Le Temps du monde, A. Colin, Paris, 1979.
2. Les trois phases
1.2 Des économiesmonde
de la mondialisation
Selon l’historien Fernand Braudel (Civilisation matérielle, économie et capitalisme, 1979) des « économiesmonde » se mettent en place à partir du moment où « ces économies coexistantes qui
2.1 La première mondialisation (1870-1945)
La première mondialisation est européenne pour trois raisons : la révolution industrielle, la colonisation et l’accroissement de la population. 160
ÉPOQUE CONTEMPORAINE 1930
1940
1950
de la mondialisation – Guerres – Crises – Protectionnisme – « Étalon-or »
1960
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1945-1980 – Deuxième mondialisation – « Libre-échange » – FMI – Banque mondiale – GATT – « Étalon-dollar » 1950-1973 – Les « Trente Glorieuses » – OMC – OCDE
La révolution industrielle qui débute en Angleterre à la fin du XVIIIe s. et qui se développe sur le continent au XIXe s., favorise la multiplication des échanges. La baisse du coût des transports (chemins de fer, bateaux à vapeur) permet une augmentation des flux commerciaux interrégionaux, puis internationaux. Fin du XIXe s., la constitution des empires coloniaux par les Européens ouvre de nouveaux espaces (Afrique, Asie, Moyen-Orient) et la mondialisation s’organise autour du commerce entre colonies et métropoles. Les échanges se multiplient et l’Europe exporte en masse des capitaux dans le monde entier. L’Angleterre domine le commerce international en défendant le libre-échange, alors que le protectionnisme se répand en Europe dans les années 1880. Cette époque est aussi celle des fortes migrations dues à la grande famine irlandaise de 1845 et à l’attrait des colonies (États-Unis, Argentine, Brésil, dominions britanniques, Afrique du Nord) par la population européenne qui ne cesse de croître depuis la fin du XVIIIe s. La mondialisation recule entre 1914 et 1945 sous le coup des deux guerres mondiales, du désordre monétaire des années 20 et de la crise économique de 1929. Le centre de la mondialisation, l’Europe et les États-Unis, sont particulièrement
touchés. Cette période est celle de la montée des nationalismes qui conduisent les États à se replier sur eux-mêmes et à restaurer le protectionnisme. Les migrations diminuent, car les pays d’accueil ferment leurs frontières aux migrants (États-Unis, Canada, Brésil, Argentine, Australie) 2.2 La deuxième mondialisation
(1945-1980)
1980 → – Troisième mondialisation – Déréglementation financière – Changes flottants – Délocalisations
La femme au chariot Sculpture hyperréaliste de Duane Hanson. 1969. Musée des Beauxarts, Budapest (Hongrie). L’œuvre est une caricature cinglante de la société de consommation des années 1960.
Après 1945, on entre dans une deuxième phase de la mondialisation. Le principe du libre-échange est remis à l’honneur sous l’égide des États-Unis qui le défendent au sein d’organismes internationaux. Entre 1950 et 1973, la très forte croissance économique accélère l’ouverture des marchés (« Les Trente Glorieuses ») lorsque les produits de consommation se répandent dans de larges couches de la société. Les entreprises se mondialisent sous la forme de multinationales avec leurs filiales à travers le monde.
3000
Valeur du commerce mondial
2500 2000 1500 1000 500 0 1750
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161
1880
Dans les années 1880, l’Angleterre domine le commerce international.
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > La mondialisation
des dépenses de l’État et une diminution de la consommation. Son but est de limiter les importations et de favoriser les exportations pour permettre le retour à l’équilibre de la balance des paiements.
2.3 La troisième mondialisation
(à partir de 1980) À partir des années 1980, la mondialisation s’accélère à la suite de la déréglementation des marchés de l’argent : il n’y a plus de frontières pour les marchés financiers ni de contrôle des changes. Les coûts des transferts baissent considérablement grâce au développement de l’informatique qui permet une meilleure fluidité des capitaux et une transmission rapide de l’information. Cette troisième phase correspond à une unification progressive de l’espace économique mondial sous la forme de firmes organisées en réseau. Des pays émergents (Inde, Brésil) adoptent le libre-échange ainsi que des pays ex-communistes (Europe de l’Est) ou communistes (Chine, Viêt-Nam). La mondialisation n’est plus une simple connexion de marchés nationaux, mais un marché mondial concernant les biens et services, ainsi que les facteurs de production (travail, capital). Elle s’impose aux économies nationales qui perdent une part de leur indépendance.
3.2 La Banque mondiale
En 1944 est fondée la Banque mondiale qui devait alors aider à la reconstruction des économies après la Seconde Guerre mondiale. Dès les années 1960, elle se concentre surtout sur l’aide aux pays pauvres en leur prêtant avec ou sans intérêts. Comme le FMI, elle s’efforce, surtout depuis les années 1970 de conseiller les États sur la manière de mieux gérer leurs économies. La Banque mondiale ne prête généralement pas de fonds sans l’aval du FMI avec lequel elle collabore étroitement. La Banque mondiale et le FMI sont des acteurs déterminants dans la mondialisation. 3.3 L’Organisation Mondiale du Commerce (OMC)
Dans le domaine commercial, l’OMC est née en 1995 et regroupe 149 États. C’est un cadre de négociation, où les gouvernements membres tentent de résoudre des différends commerciaux. Cette organisation est issue des Accords du GATT datant de 1947 (General Agreement on Tariffs and Trade). Ce dernier accord signé en 1947 par 23 pays avait pour but principal de permettre une circulation des biens sans entrave de la part des pays membres et d’éviter tout protectionnisme ou toute subvention favorisant l’un ou l’autre produit. Le but est donc d’arriver à une suppression progressive des barrières douanières. Si, après la Deuxième Guerre mondiale, les droits de douane étaient encore de 40 %, ils ne sont plus que de 7 % en 1993. L’objectif est de descendre en dessous de 5 % au XXIe s. L’OMC se différencie du GATT, car il dispose d’une structure permanente (siège à Genève) et ne se contente pas de donner des conseils ; il est doté d’une cour de justice auprès de laquelle les pays qui s’estiment lésés peuvent porter plainte. Le « consensus de Washington » (mesures appliquées aux pays en difficulté), devient dans les années 1990 la base de la politique de ces
3. Mondialisation
et organisations internationales
La mondialisation a été favorisée par la mise sur pied d’organisations internationales qui favorisent l’accroissement des échanges commerciaux. 3.1 Le Fonds Monétaire International (FMI)
Sous l’impulsion des États-Unis, le FMI voit le jour à la conférence de Bretton Woods en 1944. Le FMI est chargé de veiller à la stabilité monétaire internationale basée alors sur un système de changes fixes. Après l’abandon de ce système (1976), le FMI vise essentiellement à soutenir les pays en difficultés (déficit de la balance des paiements) en octroyant des prêts. En contrepartie, le FMI exige un nombre de réformes, appelées « ajustements structurels » en imposant des programmes touchant les structures sociales et politiques qui impliquent souvent une réduction 162
ÉPOQUE CONTEMPORAINE
400 350 300 250 200 150 100
Volume des exploitations
Tendance (1990–2008)
espaces plus vastes pour permettre d’écouler plus facilement les produits. Ces zones favorisent l’harmonisation des règles de l’échange (douanes, législations…) et la mobilité des biens et services dans un espace qui dépasse les seuls espaces nationaux. C’est le but de l’Union européenne, de l’ALENA, du MERCOSUR, de l’ASEAN, de l’APEC…
organismes internationaux : réduction des déficits budgétaires, libéralisation des marchés financiers, abaissement des droits de douane, privatisation des entreprises publiques, dérégulation de la concurrence et respect du droit de propriété. 3.4 L’Organisation européenne
de Coopération et de Développement Économique (OCDE) À côté de l’OMC, l’OCDE (Organisation européenne de Coopération et de Développement Économique) réunit les 29 pays les plus riches du monde. Créé en 1948 sous le nom de OECE (Organisation européenne de Coopération Économique) pour distribuer l’aide du plan Marshall après la guerre, transformé en OCDE en 1960, cet organisme (siège à Paris) défend les droits de l’homme, la démocratie et l’économie de marché. L’OCDE analyse la situation des États et promeut l’idéologie du libre-échange. Elle est donc proche des objectifs de l’OMC tout en faisant respecter un « code de bonne conduite » en ce qui concerne la concurrence – afin d’éviter des tensions sociales et des inégalités entre pays membres.
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1992
1991
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Volume des exportations mondiales de marchandises, 1990-2011. Rapport sur le commerce mondial, OMC, 2012.
Exemples d’unions économiques régionales Depuis 1994, l’ALENA (Accord de LibreÉchange Nord-Américain) lie le Canada, les États-Unis et le Mexique ; le MERCOSUR (Mercado Comun del Sur) créé en 1991 entre l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay ; l’ASEAN (Association des Nations du Sud-Est Asiatique) regroupe depuis 1967 une dizaine de pays, dont la Birmanie, l’Indonésie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande, la Corée du Sud…
4. La mondialisation financière
La mondialisation se caractérise par une circulation des capitaux à travers le monde entier. Par conséquent, le système monétaire international a un rôle déterminant dans le fonctionnement de la mondialisation. 4.1 Le système de l’étalon-or
Jusqu’aux années 1930, les monnaies sont gagées sur les réserves d’or possédées par les États. C’est le système de l’étalon-or. Par exemple, pour chaque dollar en circulation, il y doit y avoir la valeur en or de ce dollar dans les réserves de la
3.5 L’intégration régionale
La constitution de zones d’échange régionales a aussi favorisé le libre-échange et a constitué des 163
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > La mondialisation
diminue. Jusqu’en 1958, le dollar est encore assez rare hors des États-Unis. Mais la guerre du Vietnam et la course à l’espace le répande massivement à l’étranger, afin d’importer des machines et ressources naturelles en Amérique. Les pays qui exportent le plus aux États-Unis amassent d’immenses réserves en dollars. Lingots d’or dans les caves de la banque de New York. Photographie de 1979.
4.3 Le système des changes flottants
Le 15 août 1971, lorsque la République fédérale d’Allemagne demande le remboursement de ses dollars en or, les États-Unis, qui ne veulent pas voir disparaître leurs réserves d’or, décident de suspendre la convertibilité du dollar. C’est le retour aux changes flottants de l’entre-deuxguerres. Le 8 janvier 1976, les Accords de Kingston mettent fin au rôle international de l’or en matière monétaire. Progressivement, entre 1971 et 1990, la plupart des pays industrialisés libéralisent les échanges en supprimant les contrôles. Il est possible, dès les années 1990, d’acheter des devises pour investir dans des actions ou des entreprises étrangères. Des centres importants du marché monétaire (places boursières) se développent : New York, Londres, Francfort, Tokyo. Cette évolution est inspirée par le courant néo-libéral, défendu par des économistes (Friedrich Von Hayeck, Milton Friedman), mais aussi par des acteurs politiques (la première ministre M. Thatcher, à partir de 1979 en Grande-Bretagne et le président Reagan, à partir de 1982 aux États-Unis). De leur côté, plusieurs pays européens lient leurs monnaies et finalement les suppriment pour donner naissance à une monnaie commune, l’Euro, entré en vigueur le 1er janvier 2002. Beaucoup d’économistes ont cru qu’un libre flux des capitaux bénéficierait aux pays pauvres, comme le commerce et l’investissement avaient aidé les pays riches à se développer au XIXe s. Mais cette libéralisation a eu un effet pervers : si les investissements peuvent dépasser les frontières nationales, désormais les placements sont très aléatoires et les investisseurs très versatiles. Une masse de capitaux est aussi déposé dans des paradis fiscaux (Bermudes, Bahamas, îles Caïmans…) qui sont des États ou des territoires
Banque centrale américaine. Si un pays importe plus qu’il n’exporte (déficit de la balance des paiements), l’or quitte le pays et le gouvernement est obligé de retirer de l’argent en circulation ; ce qui fait chuter la masse monétaire et par conséquent les prix. Comme la marchandise locale devient moins chère, les exportations reprennent et, en théorie, la balance des paiements se rééquilibre. Dans ce système, les capitaux doivent donc circuler librement, sinon l’or ne peut transiter d’un pays à l’autre. Mais les États-Unis abandonnent l’étalon-or à la suite de la crise de 1929. La récession ne permettait pas de maintenir le système. De nombreux pays suivirent cet exemple en espérant ainsi favoriser leurs exportations. Mais cela ne pouvait réussir puisque tous les pays se lançaient en même temps dans une politique commerciale d’exportation. Les monnaies s’affaiblirent et un contrôle des capitaux devait être imposé. Ce fut la fin du système de l’étalon-or après 1944. 4.2 Le système de l’étalon-dollar
Avec les accords de Bretton Woods de 1944 à 1973, de nombreux États acceptent de lier leur monnaie au dollar, lui même convertible en or. Un système de parité fixe des monnaies est mis en place : le dollar américain devient la monnaie de référence à laquelle toutes les autres devises se réfèrent. Elle est la seule devise à pouvoir être convertie en or (une once d’or = 35 dollars, à l’époque). Il s’agit en fait de la reconnaissance de l’étalon-dollar. Le dollar devient le seul moyen de paiement internationalement reconnu et deviendra la monnaie de réserve. Mais plus les dollars en circulation augmentent, plus sa valeur 164
ÉPOQUE CONTEMPORAINE
entreprises internationales avec les pays européens et le Japon. La majorité des IED (investissements directs à l’étranger : prises de participation des multinationales dans les sociétés locales avec ou sans prise de contrôle) ont considérablement augmenté depuis les années 1980. Ces investissements sont dirigés vers les pays développés (exemple : ouverture d’usines japonaises de voitures aux États-Unis ou au Royaume-Uni). Depuis les années 1990, les IED sont réalisés dans les pays en développement (Chine, Mexique, Brésil, Hong Kong…). Le nombre de FMN est passé de moins de 10 000 en 1970 à environ 40 000 au début du XXIe s. Un facteur déterminant qui explique la multiplication des FMN est la diminution du coût des transports et des communications qui ont permis de disperser les étapes successives d’une même production dans différents pays. En outre, les FMN sont attirées par les conditions locales souvent avantageuses : une main-d’œuvre bon marché et des exemptions fiscales ou des subventions de la part des États qui considèrent les FMN comme une source de revenus et d’emplois. Ce fut le cas de la
qui favorisent les mouvements de capitaux en garantissant le secret bancaire, en n’imposant pas aux banques de signaler à la justice tout mouvement suspect de capitaux (argent placé par des groupes criminels) et en taxant très peu les revenus.
5. Mondialisation
et multinationales
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, de nouveaux agents économiques émergent dans le commerce international, les multinationales. Le concept se retrouve déjà au XVIIe s. avec par exemple la Compagnie des Indes occidentales (1621). Selon la définition de l’ONU, une FMN (Firme Multinationale) est une « entreprise originaire d’un pays ayant des activités stables » contrôlant « des filiales dans au moins deux pays étrangers, où elle réalise plus de 10 % de son chiffre d’affaires ». Les FMN s’organisent sous la forme de filiales en acquérant une entreprise étrangère existante ou en créant une nouvelle entreprise. Ces filiales ont donc une relation de dépendance verticale avec la maison-mère. Depuis les années 1980, les FMN ne produisent plus seulement par l’intermédiaire de filiales. Le système a évolué vers la constitution d’un centre (la maison-mère) qui garde le contrôle (marketing, recherche-développement) et le financement, mais qui passe des contrats avec des entreprises indépendantes chargées d’une partie du travail. Dans ce cas, on parle de firme-réseau. Il s’agit donc à la fois d’une décentralisation de la production et en même temps d’une concentration des pouvoirs de décision. À la fin de la Première Guerre mondiale, les plus grandes FMN se situaient dans le secteur alimentaire, des textiles et des métaux. Elles étaient pour la plupart européennes (anglaises et allemandes). Après la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis dominent dans les secteurs de l’acier et de la construction mécanique. Entre 1945 et 1970, ils sont quasi les seuls dans le monde (73 % des plus grandes entreprises en 1960). Ensuite, ils se partagent la majorité des
Un client examinant des produits Kraft dans un supermarché chinois. Photographie de 2006.
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GRAND ANGLE
GRAND ANGLE
> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > La mondialisation
Flandre en Belgique qui doit une bonne partie de son développement économique dans les années 60 à l’installation de FMN américaines attirées dans les zonings industriels qui se multiplient à l’époque.
quasi inexistantes. Quand il s’agit de FMN installées dans des pays développés et qui décident de les quitter pour créer une usine ailleurs, on parle de « délocalisation ». La FMN va produire ailleurs pour revendre ensuite les produits sur le marché des pays qu’elles ont quittés. Le chômage en est la conséquence inévitable. Depuis que la Chine a adopté le système capitaliste dans les années 1990, elle se fait de plus en plus alléchante pour les entreprises attirées par une main-d’œuvre peu chère et une masse d’ouvriers impressionnante. Malgré le coût du transport, les produits reviennent tout de même moins chers que s’ils étaient fabriqués en Europe.
6. Mondialisation
et délocalisations
Dans cette optique du profit maximal se pose la question du travail et des délocalisations. Pour diminuer les coûts, la plupart des emplois sont créés dans des pays où les salaires sont faibles et les exigences en matière de conditions de travail
Jeune femme fabriquant des peluches Winnie l’Ourson dans une usine chinoise. Photographie de 2008.
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ÉPOQUE CONTEMPORAINE
À côté des avantages liés au coût de la maind’œuvre, les délocalisations s’expliquent aussi par l’abaissement des droits de douane et la fin des quotas d’importation. Auparavant, les frais d’importation pouvaient être dissuasifs, tout comme les quotas qui interdisaient aux produits fabriqués à l’étranger de déferler en masse sur les marchés occidentaux. Pour ne pas contrevenir à la libre concurrence, ces quotas et frais de douane ont été réduits au minimum.
a également un impact sur la vie culturelle. L’essor des moyens de communication (télévision, téléphonie, Internet) a permis de faire du monde un véritable « village global ». Mais c’est l’Occident qui impose sa culture par l’intermédiaire de ses produits (vêtements, aliments, meubles, technologie…), de ses marques (Coca, Mc Donald, H&M…), de ses films et séries télévisées. C’est pourquoi les altermondialistes s’inquiètent d’une certaine uniformisation du mode de vie aux dépens des particularismes locaux et des traditions. Ils voudraient une autre mondialisation qui n’imposerait pas un seul modèle culturel (occidental) et économique (capitalisme libéral déréglementé) et qui respecterait à la fois l’homme et la planète. ■
7. La mondialisation culturelle
L’économie n’est pas la seule concernée par la globalisation des échanges. La mondialisation
> GRAND ANGLE > FOCUS > PATRIMOINE
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La mondialisation Les États émergents…
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Le jeans, un vêtement universel
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GRAND ANGLE
FOCUS
Préhistoire La « révolution » néolithique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170
Antiquité La naissance de l’urbanisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 174 L’émergence du citoyen . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178 La conquête des Gaules . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182 Le début du christianisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186
Moyen âge La fin de l’Empire romain d’Occident . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188 La Route de la soie, échanges entre l’Orient et l’Occident . . . . . 194 Al Andalus, l’apogée de l’Espagne musulmane . . . . . . . . . . . . . . 198 Le traité de Verdun, symbole du morcellement féodal . . . . . . . . 202 L’impact des villes sur la société . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 204
Temps modernes La conquête du Nouveau Monde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .206 Les réformes religieuses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 210 La science moderne et l’art baroque au XVIIe siècle . . . . . . . . . . . . 214 Chine et Japon : l’ouverture forcée à l’Occident . . . . . . . . . . . . . . 220
Époque contemporaine La Révolution belge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 222 La révolution industrielle en Belgique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224 Le Congo, terre d’exploration et de colonisation . . . . . . . . . . . . . 228 Les révolutions russes de 1917. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232 La crise économique de 1929 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236 La Shoah, un crime contre l’humanité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 240 Le mur de Berlin ou la division de l’Europe en deux blocs . . . . . . 242 L’indépendance du Congo belge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 246 Une monnaie européenne unique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 250 Les États émergents, nouvelles puissances mondiales . . . . . . . . 254
FOCUS
FOCUS L’histoire n’est pas un long fleuve tranquille, elle est faite d’évolutions, mais aussi de révolutions ou de soubresauts qui changent parfois profondément le monde. Resserrons donc le cadre de notre étude. La partie Focus propose un zoom sur des tournants de l’histoire, moments – courts ou plus longs – qui ont fait basculer les choses, qui ont changé les habitudes des hommes ou les sociétés.
FOCUS
> PRÉHISTOIRE > La « révolution » néolithique
La « révolution » néolithique
Tour antique découverte à Jéricho. 7000 av. J.-C. Jéricho, en Palestine, est une des plus anciennes agglomérations fortifiées de la région. Vers 8000 av. J.-C., elle comptait déjà 1 500 habitants, qui vivaient dans des maisons circulaires en brique crue. Une muraille l’entourait, dont il reste cette tour de pierre de 10 m de diamètre et 8 m de hauteur. S’agissait-il d’une tour de guet ou avait-elle une autre fonction ?
Une transformation importante et complexe est à l’origine d’une nouvelle époque de la Préhistoire : le passage d’un mode de vie basé exclusivement sur la chasse, la pêche et la récolte à un mode de vie fondé principalement sur l’agriculture et l’élevage. D’une économie de prédation, les hommes sont passés à une économie de production. Cette étape a été franchie pour la première fois au Proche-Orient, il y a 10 000 ans environ. Il s’agit d’un bouleversement fondamental qui est à l’origine de tous les grands changements ultérieurs : naissance de l’écriture, invention de la roue, émergence des villes et des États…
1. Au Proche-Orient
de la Méditerranée orientale vers la Méditerranée occidentale et l’autre des Balkans vers l’Atlantique via les vallées du Danube et du Rhin. Dès le Ve millénaire av. J.-C., le nouveau mode de vie s’est répandu aussi par le Caucase dans les plaines russes, jusqu’au Turkestan et en Afghanistan, ainsi que dans la vallée de l’Indus. Par contre, on ne sait pas avec certitude si sa présence en Asie orientale a une origine locale ou s’il y a été diffusé depuis l’Occident.
d’abord…
C’est là que des chasseurs se sont sédentarisés et ont créé les premières habitations fixes. Il s’agit cette fois de vrais villages, où les hommes s’enracinent. La domestication des animaux se répand, moutons et chèvres d’abord, puis bœufs et porcs. Une véritable activité agropastorale se met en place en Turquie, en Iraq et dans l’Iran actuels. De là, elle se propage peu à peu jusqu’aux vallées du Tigre, de l’Euphrate et du Nil, puis s’étend aux rivages de la Méditerranée orientale et de la mer Noire. Au départ de ces deux régions, elle va gagner l’Europe vers 5500 av. J.-C. en suivant deux axes principaux. L’un conduit
2. Une « révolution » ? Peut-on parler d’une véritable « révolution » ? Oui, si on considère que ce mot révèle une cassure, un souffle nouveau qui rend archaïque le mode de vie des chasseurs-cueilleurs. Mais, il faut bien voir que ce mouvement est lent et dure plusieurs millénaires. Ces changements se sont d’abord manifestés dans des régions assez élevées, comme les plateaux humides du mont Zagros, de l’Anatolie et du couloir syro-palestinien. Les zones où les premiers villages 170
PRÉHISTOIRE
sociale : les sanctuaires, artistiquement décorés, sont très nombreux. Après quelques siècles d’occupation, ces deux sites furent abandonnés, probablement parce que les terres surexploitées étaient épuisées.
se sont installés correspondent à celles où paissaient les troupeaux sauvages de chèvres et moutons, de bovins et porcins, où l’orge, l’épeautre et le blé étaient présents. La présence à Jéricho, en bordure de la mer Morte, de citernes et de silos à grains indique qu’il s’agit bien d’agriculture, et peut-être même d’irrigation. Ces premiers agriculteurs sont aussi les premiers utilisateurs de la brique crue pour construire leurs maisons. À Çatal Höyük, en Anatolie, les fouilles ont mis au jour une agglomération remontant à 6500 av. J.-C., composée de maisons en brique crue, rectangulaires, mais sans portes ni rues : seules les ouvertures dans le toit permettaient aux habitants de circuler de l’une à l’autre. À l’extérieur, l’exploitation des champs et des troupeaux assurait la prospérité des habitants. Sa population, estimée à 6 000 habitants, en fait un des plus grands ensembles urbains connus du Néolithique. Cette urbanisation est probablement due à l’existence d’un commerce qui leur permettait d’importer, en échange de l’obsidienne (roche volcanique), toutes sortes de pierres et même des minerais de cuivre. Un artisanat spécialisé et raffiné s’exportait également. Ce qui est le plus surprenant, c’est la présence d’un culte lié à une déesse de la fécondité, généralement accouchant d’un taureau, dans un espace clos réservé. La religion était manifestement un facteur de cohésion
3. De nouvelles inventions
Céramique rubanée. Néolithique. Musée royal d’Art et d’Histoire, Bruxelles. Les premiers agriculteurs arrivés dans nos régions au VI e millénaire amènent avec eux leurs techniques, comme ces poteries retrouvées dans un habitat de Vaux-et-Borset (province de Liège).
Parmi les innovations apparues au Néolithique, la poterie, dont les fonctions de cuisson et de stockage se répandirent, permet aussi aux archéologues de relever les traces d’un commerce au long cours. En Europe, de nombreuses mines de silex fonctionnaient, comme celle de Spiennes près de Mons : il s’agit d’une activité faisant appel à une main-d’œuvre spécialisée, capable de creuser des puits profonds et des galeries souterraines, d’abattre les blocs de silex et de les remonter à la surface, puis de les débiter en lames ou en haches et d’en organiser l’exportation.
4. Des changements dans les rapports sociaux
Ces nouvelles conditions de vie ont entraîné des changements dans les rapports sociaux : la répartition des rôles semble s’être développée, de nouvelles règles ont dû organiser la vie collective et les distinctions sociales se sont marquées davantage. La présence dans les villages de bâtiments à usage collectif laisse supposer une vie sociale plus complexe et plus organisée qu’auparavant. Solidaires dans la mise en valeur des ressources naturelles, les hommes se dotent sans doute de règles de vie en commun plus élaborées, plus contraignantes, et acceptent que certains d’entre eux assument un rôle de chef, une tâche de guerrier, une fonction de prêtre. Un conflit millénaire surgit entre les nomades et les sédentaires. Ces derniers éprouvèrent le
Vestiges des maisons néolithiques de Çatal Höyük (actuelle Turquie).
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Minière du « camp à cayaux » à Spiennes (Province de Hainaut). Photographie actuelle. Le silex, plus foncé, apparaît clairement dans la craie. Les minières de Spiennes sont inscrites depuis 2000 au patrimoine mondial de l’UNESCO.
FOCUS
FOCUS
> PRÉHISTOIRE > La « révolution » néolithique
besoin de protéger les récoltes et les troupeaux contre les razzias. La chasse continuait néanmoi moins de jouer un rôle économique et social : dan certaines contrées, peut-être les chasdans s seurs ont-ils asservi les paysans cloués à leurs champs ?
5. Sculpture en terre cuite Environ 6250-5400 av. J.-C. Ht. 16,5 cm. Musée des Civilisations anatoliennes, Ankara (Turquie). Statuette féminine retrouvée à Çatal Höyük (Turquie) : s’agit-il d’une déesse-mère ?
de pierres levées, en cercle ou alignées, ces mégalithes suscitent toujours l’intérêt et engendrent de nombreuses hypothèses, mais leur mystère est encore loin d’être éclairci ! Les dolmens les plus anciens ont été élevés entre 4500 et 2000 environ sur tout le littoral européen. Il s’agit de sépultures collectives constituées le plus souvent d’une allée couverte menant vers une chambre funéraire. Les parois sont faites de gros blocs de pierre dressés verticalement ; le sol est dallé ; de lourdes pierres horizontales forment le plafond. À l’époque, un tertre de terre de plusieurs mètres de hauteur recouvrait le dolmen : on parle de tumulus ou encore de cairn, lorsque un parement en pierre le décore.
La religion
Ces premiers agriculteurs éleveurs vouaient u culte à une divinité féminine, symbole un de la fécondité de la terre, des animaux et des hommes. Le principe masculin est incarné par le taureau, très présent à Çatal Höyük et dont le culte s’étendra à toute la Méditerranée. Les nécropoles se multiplièrent à proximité des villages. Les inhumations dans des grottes ou des hypogées creusés à flanc de coteaux se multiplièrent ; les corps étaient déposés dans de simples coffres en bois ou en pierre, recouverts d’un monticule de terre.
La construction des monuments mégalithiques suppose une société bien organisée, soumise à une autorité civile et religieuse, disposant d’architectes compétents, d’une main-d’œuvre abondante et disciplinée et d’artistes doués pour assurer la décoration interne. Le caractère souvent très imposant du cairn ou du tumulus, de même que l’architecture et l’ornementation très soignées du tombeau, donnent à penser que celui-ci doit être vu par tous : il est le point de ralliement d’une communauté dont il marque symboliquement le centre du territoire ; il est aussi un lieu sacré, une sorte de temple dédié au culte des ancêtres.
6. Les mégalithes Les constructions mégalithiques constituent l’un des témoignages architecturaux les plus anciens de l’humanité. Qu’il s’agisse de tables de pierre ou
Dolmen de Wéris (Province du Luxembourg). Entre 3000 et 2800 av. J.-C.
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PRÉHISTOIRE
Les menhirs sont constitués de pierres levées mesurant de quelques centimètres à plusieurs mètres de hauteur. Le plus grand connu est situé à Locmariaquer en Bretagne : dressé, il mesurait 23 mètres et pesait plus de 350 tonnes !
et utilisé pendant près de deux mille ans, entre 3700 et 1600 environ. Cet ensemble est l’un des monuments néolithiques les plus impressionnants du monde, en raison de la taille des mégalithes, mais aussi de la complexité et de la précision de sa construction. ■
Les menhirs sont isolés ou groupés en nombre plus ou moins considérable, disposés en alignements ou en cercles - on parle alors de « cromlech » (en breton « pierre courbe »). L’ensemble le plus impressionnant est sans nul doute celui de Carnac en Bretagne où 4 000 menhirs sont dressés en trois rangées parallèles. La fonction des menhirs reste discutée. Leur érection est peut-être liée aux pratiques funéraires. Certains spécialistes pensent qu’il s’agit de bornes, de points de repères dans le paysage. D’autres y voient des objets de commémoration ou de culte. D’autres encore estiment que ce sont des instruments de visée astronomique. Leur relation avec les mouvements des astres est, en tout cas, incontestable. Il existe encore d’autres édifices, bâtis en blocs dressés, dont l’orientation se fonde sur de solides connaissances astronomiques et trahit des croyances attentives aux mécanismes cosmiques. C’est le cas de l’ensemble cérémoniel et funéraire édifié à Stonehenge,
Site de Stonehenge Comté du Wiltshire (Grande-Bretagne). Vue actuelle. Stonehenge est un monument constitué d’un ensemble de structures circulaires concentriques, bâti entre 2800 et 1100 av. J.-C. Le site est classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.
> FOCUS > GRAND ANGLE > PATRIMOINE
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La « révolution » néolithique Les mondes de la Préhistoire
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Lascaux, premières expressions artistiques
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FOCUS
FOCUS
> ANTIQUITÉ > La naissance de l’urbanisme
La naissance de l’urbanisme La création des premières villes du monde, en Mésopotamie, au Ve millénaire av. J.-C., constitue une étape importante dans l’histoire de l’humanité. Les fouilles archéologiques nous révèlent que ces cités s’organisaient autour d’un palais, centre du pouvoir politique, mais aussi centre économique et administratif. À côté de ce palais s’élevait un grand temple, centre religieux, consacré au dieu de la ville. Mais ce qui est véritablement nouveau, c’est l’apparition d’une architecture monumentale : temples et palais en briques, murailles autour de la ville, voiries imposantes.
Plan de la ville d’Uruk. Au III e millénaire av. J.-C., Uruk couvrait 400 ha et comptait 50 000 habitants environ. Elle était entourée d’un mur d’enceinte long de 10 km. Les fouilles ont privilégié les quartiers religieux : un ensemble consacré au dieu du ciel, An, et un autre consacré à Inanna, déesse de l’amour. C’est là qu’ont été découvertes les plus anciennes tablettes d’argiles recouvertes d’écriture cunéiforme. On sait peu de chose par contre des parties résidentielles. Le site était profondément enfoui sous les sables du désert quand les archéologues le découvrirent au début du XX e s.
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ANTIQUITÉ
1. Les premières
villes de l’humanité
C’est en Basse Mésopotamie que des communautés villageoises ont amorcé pour la première fois un processus d’urbanisation. Dans le delta du Tigre et de l’Euphrate, dans ce pays de Sumer dépourvu d’arbres et desséché, un archéologue allemand découvrit en 1928, les vestiges de la grande cité d’Uruk. À la fin du IVe millénaire av. J.-C., elle s’étendait sur 230 hectares et pouvait abriter jusqu’à 50 000 habitants. D’autres cités découvertes par la suite comme Ur, Lagash, Eridou, Habuba Kariba, présentaient le même type d’organisation : un centre monumental composé de deux zones, civile et religieuse, et tout autour les quartiers artisanaux et commerciaux. L’habitat commença à se différencier : chaque ville comptait au moins un grand palais, de vastes résidences, des maisons particulières de taille variable, ainsi que des entrepôts, des ateliers et des greniers. La société devint plus complexe et hiérarchisée, dirigée par une élite qui tenait à se démarquer. L’urbanisme reflète cette hiérarchie : les fouilles ont mis au jour des salles de stockage, dans lesquelles on trouvait des jarres contenant des céréales, de l’huile, de la bière, du vin… et des magasins pour les autres denrées. Ces surplus agricoles y étaient entreposés en vue de leur redistribution ou de leur échange vers l’extérieur. Des ateliers produisaient tout ce qui était nécessaire aux citadins : pains, tissus, céramiques… Tout cela était contrôlé par les fonctionnaires payés en nature. Chaque ville avait ses dieux de prédilection, pour lesquels elle élevait un temple majestueux. Dirigé par un grand-prêtre, ce temple possédait en outre des propriétés foncières et des paysans pour travailler les terres. En ville, il entretenait une foule de prêtres, de scribes, d’astrologues, d’artisans et de domestiques. La forme de ces temples à degrés, appelés ziggourats, surmontés d’un sanctuaire d’où on observait les astres, est caractéristique de la Mésopotamie. Véritables maisons pour les dieux descendus sur terre, les temples ne sont pas conçus pour que le peuple y fasse ses dévotions : seuls les prêtres sont autorisés à y pénétrer pour servir repas et boissons aux divinités, les divertir par de la musique, laver et habiller les statues…
Vestiges de la ville d’Uruk. IVe millénaire av. J.-C. Basse Mésopotamie (Iraq actuel). Le site est vaste et s’étend sur plus de 500 ha. Les fouilles, commencées en 1912, ont permis de mieux comprendre l’urbanisation de cette époque. Outre les vestiges des constructions, elles ont mis au jour des milliers de tablettes recouvertes d’écriture cunéiforme.
Nous connaissons moins bien les rues, marchés et places publiques, qui ont moins attiré l’attention des archéologues du passé au contraire des palais et des temples. Les rues étaient généralement en terre. Exceptionnellement, la Voie sacrée de Babylone était dallée.
Nous devons à Hérodote, historien grec du V e s. avant J.-C. une description détaillée et émerveillée de la capitale du royaume de Nabu
Babylone
chodonosor : à cette époque, était la ville la plus peuplée. Elle était à cheval sur l’Euphrate et ses deux rives étaient reliées par un pont reposant sur des briques cuites et des dalles de pierre, liées par du bitume en guise de mortier. Elle s’inscrivait dans un quadrilatère assez régulier de 2 500 mètres sur 1 500. Un double rempart bordé de fossés, long de 18 km, protégeait cet ensemble. Neuf portes perçaient cette muraille, dont la plus célèbre est la porte d’Ishtar, avec ses bastions et son mur de 25 mètres d’épaisseur : elle était décorée de briques émaillées figurant des animaux fabuleux. Au cœur de la ville se trouvait l’ensemble sacré dédié au dieu Marduk. Au nord, la ziggourat s’élevait au centre d’une vaste esplanade, accessible par une porte qui débouchait sur la Voie processionnelle. Cette voie était la véritable épine dorsale de la cité : partant de la porte d’Ishtar, elle formait un grand axe rectiligne qui reliait tous les éléments importants de la ville. En plus des rues, un réseau de canaux parcourait les différents quartiers et les reliait à l’Euphrate. Il y avait aussi 53 sanctuaires disséminés dans la ville.
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FOCUS
FOCUS
> ANTIQUITÉ > La naissance de l’urbanisme
Reconstitution d’une partie de la ville de Babylone. On peut y voir la porte d’Ishtar, décorée de taureaux et de dragons. On peut également admirer la voie processionnelle, la ziggourat dédiée au dieu Marduk (en haut à droite), le palais de Nabuchodonosor et les fameux jardins suspendus, une des 7 merveilles de l’Antiquité.
Ce qui caractérise une ville, outre la hiérarchie du bâti, c’est son vaste réseau de relations et d’échanges. Situées le long des fleuves, les villes font du commerce avec l’amont ; elles importent du sel (pour conserver les aliments), des bois précieux, de la pierre, des minerais, du bitume. Elles n’hésitent pas, grâce à l’essor de la batellerie, à aller chercher au loin les produits de luxe que leurs élites réclament : or, argent, cuivre, étain, pierres précieuses, ivoire… Bientôt, à la circulation fluviale par des navires à voile et à rames, s’ajouta le transport routier : par caravanes d’ânes de bât, puis par des chariots à quatre roues, attestés dès le IVe millénaire av. J.-C.
2. De nouvelles fonctions, une nouvelle hiérarchie sociale
Même si la plupart des habitants étaient des agriculteurs qui partaient chaque jour travailler leurs champs, ces villes abritèrent d’autres groupes sociaux. La production de céramique dans des manufactures, l’exploitation et la transformation de produits laitiers, la production de bière et de vin, la production textile… Toutes ces activités sont prises en charge par des artisans spécialisés. Ces artisans, tout comme les marchands, étaient des hommes libres. Ils avaient à leur service un nombre important d’esclaves, dont l’origine était multiple. Le plus souvent, il s’agissait de prisonniers de guerre ou de condamnés judiciaires. Les prêtres étaient instruits et aisés : ils étaient chargés de l’entretien du temple et de la pratique des rites. Ils exerçaient des rôles variés et hiérarchisés et étaient placés sous l’autorité d’un grandprêtre. Leur fonction était héréditaire. Ils suivaient de longues études pour acquérir une connaissance
D’autre part, les ports, éléments essentiels, par où transitaient les marchandises et les nouvelles, n’ont pas été retrouvés : situés au niveau de l’eau, ils ont toujours été les premiers touchés par les inondations. Les remparts sont des éléments essentiels de toutes les cités, car ils marquent une frontière symbolique entre le monde citadin et le monde des campagnes. La densité des populations exigeait de résoudre le problème de l’alimentation en eau, ce qui fut fait en creusant des puits et en construisant des citernes ; puis l’eau des fleuves fut détournée par des canaux et tuyaux en poterie, attestés dès le IIIe millénaire av. J.-C., en bois, en cuivre et même en plomb. Il fallait aussi évacuer les eaux usées par un système d’égouts et de canaux. Tout cela permit d’équiper les habitations, du moins les résidences des gens aisés, en salles d’eaux, baignoires et latrines.
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parfaite des rites et des sciences sacerdotales, dont font partie à cette époque l’astronomie, la médecine, l’interprétation des songes et la magie. Il existait un clergé féminin, composé de prêtresses vouées à des déesses particulières.
palais du pharaon constituaient le centre de la cité ; ils étaient entourés par les maisons et les ateliers des artisans. La ville a compté de 20 000 à 50 000 habitants, mais son occupation fut brève : abandonnée après la mort du pharaon, les temples furent rasés et les pierres réemployées pour d’autres constructions. Le sable a recouvert le site, grâce à quoi les vestiges ont échappé aux destructions et reconstructions qui furent le lot des autres villes habitées.
Toute l’organisation de la cité nécessitait la présence d’un grand nombre de scribes : nous connaissons le nom de plusieurs milliers d’entre eux, grâce au fait que les textes mentionnent le nom du rédacteur. Ils jouaient un rôle social différent selon leur degré de formation. Issus des classes aisées, ils servaient d’écrivains publics, de fonctionnaires et même de conseillers royaux. Certains apprenaient une ou plusieurs langues étrangères.
4. Les villes phéniciennes Toutes étaient des villes portuaires. Pour pallier le manque d’espace, elles occupaient l’une ou l’autre île, voire une péninsule ou un promontoire. Elles étaient protégées par une enceinte et peut-être couvertes de maisons à étage, comme le mentionne le géographe grec Strabon. Le passage fréquent des armées des peuples voisins ne nous en a laissé que peu de vestiges : seules des découvertes fortuites et quelques rares ruines nous permettent d’imaginer ce qu’elles furent. Les quelques sondages effectués à notre époque sur des sites densément peuplés nous ont révélé une occupation continue depuis l’Antiquité, mais ne nous permettent pas de connaître la structure de ces cités. ■
3. Les villes égyptiennes Alors que les temples et les tombeaux égyptiens ont été édifiés en pierre (pour l’éternité !), les villes furent construites en brique, c’est pourquoi il n’en reste que peu de traces. Les vestiges de Tell Amarna, bâtie par le pharaon Akhenaton au XVe s. av. J.-C. nous montrent que leur principe d’organisation était le même que celle des villes mésopotamiennes. Le grand temple d’Aton et le
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La naissance de l’urbanisme Le monde du Proche-Orient antique Les premières écritures
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> ANTIQUITÉ > L’émergence du citoyen
L’émergence du citoyen Le monde grec est divisé depuis le VIIe s. av. J.-C. en cités. La cité (polis) est un État souverain qui a son propre régime politique, ses lois, son armée et sa monnaie. Elle est constituée d’un espace urbain avec ses repères : l’agora (place publique), l’acropole, les sanctuaires et les remparts. Enfin, la cité est avant tout un groupe d’hommes qui se sentent unis par des liens divers : histoire, mythes, cultes et lois. Les cités ont adopté deux types de gouvernements : oligarchique (Sparte) et démocratique (Athènes). La tyrannie s’est aussi imposée à des époques diverses dans de nombreuses cités.
1. La tyrannie
populaires (Dionysos). Une politique de grands travaux peut aussi contribuer à la popularité du tyran (fontaines et aqueducs à Athènes sous Pisistrate). En étant attentif au peuple, le tyran entend lui plaire et se maintenir plus sûrement au pouvoir. Souvent, la tyrannie se termine par un retour de l’aristocratie sous la forme de régimes oligarchiques.
1.1 Époque archaïque (750-490 av. J.-C.)
Selon Aristote (385-322 av. J.-C.), le roi exerce l’autorité personnelle avec sagesse et modération tandis que le tyran le fait de façon excessive. De là vient la connotation péjorative du terme tyran (tyrannos) qui au départ signifie « pouvoir personnel ». La prise du pouvoir du tyran peut être légale ou violente. Une fois au pouvoir, le tyran respecte les formes habituelles du gouvernement, mais, en même temps, il décide arbitrairement de façon autocratique. Certains tyrans vont jusqu’à établir de véritables dynasties (ex. les Pisitratides à Athènes de 560 à 510 av. J.-C.). La tyrannie naît dans la plupart des cas après une longue période de domination de l’aristocratie. Pour mettre fin au déséquilibre social, le tyran s’en prend particulièrement à l’aristocratie en la soumettant à des mesures vexatoires : confiscation de terres ou de troupeaux, fiscalité élevée, interdiction d’acquérir des esclaves, faveurs au culte des dieux
1.2 Époque classique (490-323 av. J.-C.)
Durant cette période, la tyrannie ne disparaît pas. La Sicile, par exemple, a connu de longues périodes de tyrannies car le danger carthaginois exigeait le maintien d’armées fortes. Dans plusieurs cas, les tyrans s’imposent par élection en se présentant comme la seule force militaire capable de se protéger contre les ennemis (Denys de Syracuse en 405 av. J.-C.). 1.3 Époque hellénistique (323-30 av. J.-C.)
De nombreuses tyrannies se développent pendant cette période : à Sicyone, en Sicile, en Asie 178
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l’éducation militaire spartiate. Mais l’Assemblée n’a pas beaucoup d’influence.
Mineure… Dans l’Orient hellénistique, les tyrans sont des créatures de l’autorité souveraine séleucide qui servent de relais entre le roi et la cité. Dans d’autres cas, en Grèce continentale, les tyrans sont nés de l’imitation des rois hellénistiques qu’ils admirent.
• La Gérousia : rouage essentiel Ce conseil est composé de 30 membres. Les rois (héréditaires), issus de deux familles, commandent l’armée en campagne et leur fonction religieuse (prêtres de l’armée) était considérée comme une garantie d’efficacité militaire. L’étendue des compétences de la Gérousia est peu claire.
2. L’oligarchie : Sparte 2.1 Quelques-uns seulement…
• Les Éphores : principaux magistrats Tous les citoyens élisent par acclamation cinq magistrats pour un mandat d’un an non renouvelable. Leur pouvoir est très étendu et leur nom (« surveillants ») indiquent un contrôle sur l’ensemble des citoyens. L’éphorat est la principale magistrature qui, étant donné sa brièveté et son non-renouvellement, ne risquait pas d’être confisquée à son profit par l’un ou l’autre éphore.
L’oligarchie est un régime politique dans lequel la citoyenneté et l’exercice du pouvoir ne sont accessibles qu’à quelques-uns (oligoï). Pour accéder aux prérogatives politiques, il faut posséder une certaine fortune (terres). Durant les époques archaïque et classique, le système oligarchique s’est répandu dans des cités comme Marseille, Agrigente, Corinthe, Mégare, Milet, Naxos et Sparte. Cette dernière représente un modèle de cité oligarchique.
3. La démocratie : Athènes
2.2 Le système oligarchique
s’exprime dans ses institutions 3.1 La mise en place du régime démocratique
• L’Appela : Assemblée sans influence La souveraineté du peuple s’exerce à l’Assemblée (Appela) dont font partie les « Semblables » (homoioi), des hommes libres âgés de 30 ans au moins, nés de parents spartiates et ayant reçu
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Avant le VIe s. av. J.-C., Athènes est une cité oligarchique dominée par une aristocratie terrienne. À cette époque, le demos (le peuple
ÉLECTION POUR UN AN NON RENOUVELABLE
ÉLECTION À VIE
Le système oligarchique à Sparte.
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> ANTIQUITÉ > L’émergence du citoyen
Après la mort de Périclès, de nombreuses périodes plus ou moins longues vont interrompre la démocratie. Après avoir recouvré son indépendance en 229 av. J.-C., Athènes rétablit la démocratie, qu’elle conservera jusqu’à la conquête romaine au IIe av. J.-C.
– essentiellement des paysans libres) n’est pas associé au pouvoir. En 594 av. J.-C., l’archonte Solon établit une oligarchie avec participation du peuple. Les Athéniens sont répartis en quatre classes selon la fortune. Dans les trois premières sont choisis les magistrats. Les archontes sont tirés au sort et doivent rendre des comptes. Le peuple a le droit d’assister aux séances des tribunaux ordinaires. Le corps civique est élargi par la naturalisation d’étrangers, et l’esclavage pour dettes est interdit. Mais la réforme suscita le mécontentement des nobles, obligés de partager leur pouvoir, mais aussi du peuple qui revendiquait le partage des terres. S’ensuivit une période d’anarchie (580-561 av. J.-C.) puis la tyrannie des Pisitratides (561-510 av. J.-C.).
Buste de Périclès. 430 av. J.-C. Copie romaine en marbre réalisée d’après un original de Crésilas. Musée Pio Clementino, Vatican. Périclès a marqué la démocratie athénienne par la longévité de sa carrière politique. Il fut notamment élu stratège, chaque année, durant 15 ans.
3.2 Le poids du citoyen
Contrairement à l’oligarchie, la démocratie permet à tous les citoyens de jouer un rôle dans l’État. Pour accéder aux organes du pouvoir, il faut être citoyen c’est-à-dire avoir 18 ans, être libre et né de parents athéniens (depuis 451 av. J.-C.). Les femmes, étrangers et esclaves ne sont pas citoyens. Être un bon orateur est un atout pour exercer une influence sur la politique de la cité. Néanmoins tous les citoyens, sans distinction, ont le droit à la parole (= isegoria).
Progressivement des réformes démocratiques se mettent en place. Clisthène, archonte en 508 av. J.-C., jette les bases de la démocratie. L’Attique est divisée en trois grandes régions (la Côte, l’Intérieur et la Ville), divisées chacune en dix districts (les trittyes) qui regroupent chacun plusieurs dèmes (groupes de villages ou quartiers de ville). Les Athéniens sont répartis en dix tribus, chacune comprenant trois trittyes (une de la Côte, une de l’Intérieur et une de la Ville). C’est dans le cadre de la tribu que les charges sont réparties (par élection ou par tirage au sort). Ainsi les choix ne se feront plus en fonction des origines familiales (ce qui favorisait l’aristocratie) mais en fonction du dème auquel on appartient. La ville ne l’emporte plus sur la campagne et la possession de terres n’est plus la condition de la participation à la politique. Par cette réforme, Clisthène organise un espace civique qui favorise l’établissement de la démocratie car il facilite l’accès de tous de façon égale aux fonctions politiques (= isonomia). Éphialte, dont nous ne connaissons presque rien, décide en 462 av. J.-C. de réduire les pouvoirs judiciaires de l’Aréopage (archontes sortis de charge). Son assassinat (461 av. J.-C.) allait différer la mise en place de cette réforme par Périclès, élu quinze fois stratège entre 454 et 429 av. J.-C.. Il instaure, en 460 av. J.-C., les misthoi (indemnités) aux citoyens présents à l’Assemblée.
3.3 Le système démocratique s’exprime dans ses institutions
• L’Ecclesia Tous les citoyens peuvent participer à l’Assemblée (Ecclesia) : c’est une démocratie directe. Les séances de l’Ecclesia étaient suivies assez régulièrement par les citoyens (6 000), même si cela était plus difficile pour les gens des campagnes éloignées. Leur participation aux séances est cependant facilitée à partir de 460 av. J.-C. par des indemnités (misthoï). Les décrets votés à main levée concernent tous les domaines. • La Boulè Au Conseil (Boulè) se réunissent 500 citoyens d’au moins 30 ans, tirés au sort. Le mandat ne durait qu’un an et on ne pouvait être bouleute plus de deux fois dans sa vie. Le Conseil assure la permanence de l’État en se réunissant tous les jours de l’année. Pendant un dixième de l’année, tour à tour, chacune des dix tribus avec ses cinquante conseillers (les prytanes) assure le fonctionnement quotidien de la cité. • L’Héliée Les citoyens constituent l’Héliée composée de 6 000 juges d’au moins 30 ans, tirés au 180
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sort pour un an. Les cours se réunissent 150 à 200 jours par an avec de 201 à 2 501 participants suivant les affaires à juger. Les décisions sont prises à bulletin secret. Le tribunal a aussi des compétences politiques : il fait subir un examen (docimasie) à ceux qui prétendent exercer une charge publique.
• Les magistratures Le nombre de citoyens pouvant accéder aux magistratures était plus restreint. Excepté pour l’archontat, tiré au sort sans restriction, il fallait faire preuve de certaines compétences pour accéder à des responsabilités militaires (stratèges) ou financières (trésoriers). ■
TIRAGE AU SORT POUR UN AN
TIRAGE AU SORT POUR UN AN
TIRAGE AU SORT POUR UN AN
TIRAGE AU SORT POUR UN AN
Le système démocratique à Athènes.
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L’émergence du citoyen Le monde grec Le Parthénon à Athènes
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> ANTIQUITÉ > La conquête des Gaules
La conquête des Gaules Au Ier s. av. J.-C., un général romain ambitieux, Jules César (101-44 av. J.-C.), profite d’une opportunité pour intégrer peu à peu les Gaules au monde romain. Ces conquêtes vont accroître ses richesses personnelles, celles de l’État romain et agrandir considérablement le domaine public. Elles eurent pour conséquence la transformation du mode de vie des Gaulois et c’est ainsi qu’un métissage culturel est né, une civilisation gallo-romaine brillante dont nous sommes les héritiers.
Gaule
La n’a pas de réalité historique. Elle a été inventée par Jules César, qui, après la conquête, a voulu donner des limites précises et arbitraires au territoire administré par les Romains : la mer du Nord, le Rhin à l’est, les Pyrénées au sud-ouest et la Provincia romana (ou Gaule narbonnaise) au sud. La carte ci-jointe nous montre la situation au Ier s. av. J.-C., telle qu’elle est décrite par Jules César dans La Guerre des Gaules : 1. La partie appelée Gaule romaine est celle que les Romains avaient
conquise au IIe s. avant J.-C. : ils l’appelaient Gaule narbonnaise ou Gaule transalpine, par opposition à la Gaule cisalpine (nord de l’Italie) occupée par les Celtes depuis le IVe s.
Gaule aquitaine
compre2. La nait la moitié occidentale des Pyrénées et le territoire qui s’étendait jusqu’à la Garonne.
Gaule celtique
3. La , au centre, était la plus étendue et la plus peuplée.
Gaule belgique
s’étendait 4. La entre le Rhin, la Seine et la Marne. Elle était donc beaucoup plus vaste que la Belgique actuelle.
Les Gaules au Ier s. av. J.-C.
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Entre le VIe s. et le IIe s. av. J.-C., Rome avait peu à peu colonisé l’Italie, puis l’Afrique carthaginoise, la Grèce et l’Asie Mineure. Au Ier s. av. J.-C., l’armée romaine était devenue une armée de métier redoutable, au service d’un ambitieux cherchant à acquérir un pouvoir personnel. C’est dans ce but que César (après son combat en 59 av. J.-C.) entreprit une campagne qui l’amena à conquérir d’abord l’Italie du Nord (la Gaule cisalpine), puis à profiter d’opportunités fournies par les Gaulois eux-mêmes pour s’emparer peu à peu des autres riches provinces gauloises. Ce faisant, il offrit à Rome la maîtrise des Pyrénées et des Alpes et fixa pour un temps la nouvelle frontière sur le Rhin et le Danube.
fait alliance avec les Romains. Ceux-ci lui apprirent qu’un autre peuple celte, les Helvètes, menacés par les Germains, avaient décidé de quitter leurs terres pour aller s’installer dans le sud-ouest de la Gaule. César s’opposa à leur passage, les battit dans la vallée du Rhône et contraint les survivants à retourner chez eux. Les Éduens lui demandèrent ensuite d’intervenir contre les Germains d’Arioviste : César écrasa ces derniers près du Rhin, puis hiverna chez les Séquanes (région de Besançon).
Mais il est clair que ce sont d’abord les richesses des Celtes, en hommes et en biens, qui attiraient les conquérants et facilitèrent la conquête : partout, les légions romaines trouvèrent des routes, des cités, du ravitaillement. Selon César, l’armée romaine avait besoin chaque jour de cent tonnes de blé, à quoi s’ajoutait le fourrage pour les chevaux et les bêtes de somme. Et il n’eut aucun mal à les trouver.
En 57 av. J.-C., il entreprit une campagne contre les Belges et les Armoricains : il devint clair qu’il envisageait de s’emparer de toute la Gaule. Des tribus résistaient : les Nerviens, conduits par Boduognat, les Éburons d’Ambiorix, les Ménapiens, les Morins.
2. Conquêtes en Gaule belgique
À cette époque, les peuples de la Gaule belgique n’étaient pas encore entrés dans la zone d’influence romaine. À leur sujet, César a écrit : « de tous ces peuples, les plus braves sont les Belges parce qu’ils sont les plus éloignés de la civilisation [romaine] ; les marchands vont rarement jusque chez eux et ne leur apportent pas ces produits qui diminuent le courage. » (Jules CÉSAR, De Bello Gallico, I, 1, 1-3).
1. La Gaule ou les Gaules ? Les territoires occupés par les Celtes étaient partagés entre un nombre important de peuples. Ces peuples contractaient parfois des alliances, à d’autres moments ils se faisaient la guerre, mais ils étaient toujours autonomes et tenaient à leurs particularités. La Gaule ne formait donc pas une entité unifiée, un État au sens moderne du mot, mais une mosaïque de peuples dont on retrouve les noms dans celui de nos régions ou de nos villes (voir carte).
Remarquons que si les Belges sont les plus braves, c’est parce qu’ils sont les moins civilisés ! Certains de ces peuples étaient de souche celtique, d’autres étaient des Germains ; tous étaient venus d’au-delà du Rhin. Ils étaient solidaires et certains, comme les Nerviens, les Bellovaques, les Éburons, les Trévires, refusaient l’accès de leurs territoires aux marchands. C’est peut-être pour cela que les Romains entreprirent, par la conquête, de s’ouvrir de nouveaux marchés et de nouveaux espaces.
Au IIe s. av. J.-C., la Gaule méridionale (la Provincia romana) était passée sous le joug romain. En 59 av. J.-C., Jules César devenu proconsul (gouverneur) des Gaules, décida d’intervenir dans les affaires intérieures de la Gaule celtique. Il savait que les Gaulois étaient morcelés en peuples indépendants, incapables de s’unir de façon durable sous un commandement unifié. Il va donc les utiliser les uns contre les autres.
3. Insurrections César les vainquit une première fois, non sans difficultés. Puis il franchit la Manche pour une incursion en Bretagne (Angleterre) et le Rhin pour un premier raid en Germanie. Pendant ce temps,
L’occasion lui fut fournie par les Éduens, peuple celte établi entre la Saône et le Rhône, qui avaient 183
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> ANTIQUITÉ > La conquête des Gaules
race et son nom une nation si criminelle » (De Bello Gallico, VI, 34). Le massacre des Éburons s’apparente à un génocide. Mais Ambiorix s’échappa en s’enfonçant dans la forêt d’Ardenne et bien que César l’ait longtemps traqué, il demeura insaisissable. En 52 av. J.-C., à l’appel de Vercingétorix, qui avait pris la tête de plusieurs peuples, c’est toute la Gaule qui se souleva contre l’envahisseur. César se trouva alors en grande difficulté. Ses légions étaient peu habituées à lutter contre la tactique de la guérilla adoptée par les Gaulois : embuscades, incendies des centres de ravitaillement… De plus, il connut un échec cuisant sous les remparts de Gergovie, un oppidum où les Gaulois s’étaient retranchés, et dut se replier. Et puis, contre toute attente, la chance tourna en sa faveur et permit à son génie militaire de l’emporter. Il repoussa l’armée de Vercingétorix, qui avait voulu lancer une dernière charge de cavalerie dans l’oppidum d’Alésia (aujourd’hui Alise-Sainte-Reine en Bourgogne). Il organisa le siège de la ville : lignes de fortifications, fossés profonds, remparts, pieux acérés dissimulés sous des branchages. Le piège s’est refermé sur les Gaulois qui capitulèrent. Vercingétorix dut être livré à César : emmené à Rome, il fut finalement mis à mort dans sa cellule. En septembre 52 av. J.-C., la Gaule était virtuellement conquise.
Statue d’Ambiorix, par Jules Bertin. 1868. Grand-Place, Tongres.
ses légions restées en Gaule belgique subirent les attaques des peuples de la région mal soumis. En 53, les Éburons d’Ambiorix anéantirent une légion entre Rhin et Meuse. César dut faire appel à des renforts pour reprendre la situation en main. Les représailles furent terribles : tous les bourgs furent incendiés, les récoltes détruites, la population exterminée ; « il voulait […] détruire jusque dans sa
Plan de la ville d’Alésia, en 52 av. J.-C. Gravure du XIXe s.
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4. Une civilisation métissée
Le bilan immédiat de « la guerre des Gaules » est terrible : 600 000 à 700 000 morts selon les historiens, des campagnes dévastées, des prisonniers vendus comme esclaves (de 500 000 à 1 million selon les estimations), un butin considérable emmené à Rome. Le Rhin formait désormais une frontière entre la « civilisation » (romaine) et la « barbarie » (germanique).
Couple gallo-romain représenté sur un monument funéraire. IIe s. ap. J.-C. Grès sculpté. Musée archéologique luxembourgeois, Arlon.
Cependant, nous ressentons encore aujourd’hui les conséquences à plus long terme : la Gaule est devenue romaine, ou plus exactement galloromaine. L’État romain a reconnu l’existence des cités celtiques, dont il a fait des provinces autour d’un chef-lieu : ainsi Atuatuca devint la civitas Tungrorum (cité des Tongres) et Trèves, celle des Trévires. À la fin du IVe s. av. J.-C., Tournai devint le chef-lieu de la cité des Ménapiens.
La dame est habillée à la mode romaine, l’époux porte le manteau et la barbe caractéristiques des Celtes.
Les routes furent réorganisées, jalonnées de bornes milliaires, de relais (comme celui de Chameleux) et de bourgades (Arlon, Braives, Liberchies…).
Les villes se sont développées selon le modèle de l’urbanisme romain (constructions en pierre, grands monuments, aqueducs, amphithéâtres, cirques, temples) ; de nouvelles agglomérations furent créées de toutes pièces. Dans les campagnes, de grands domaines agricoles, les villas, se répandirent ; les habitations des maîtres étaient construites en pierre et dotées de pièces chauffées par hypocauste, ainsi que de thermes et de jardins.
La langue latine devint bien évidemment langue officielle ; on ne sait quand ni comment le gaulois a cessé d’être utilisé. De même, les dieux romains ont été introduits, mais ils ont parfois été assimilés aux divinités indigènes. La persistance de cultes régionaux est attestée pendant longtemps ; ainsi, au VIe s. ap. J.-C. encore, à Margut, dans la vallée de la Meuse, un évangélisateur, saint Walfroy, lançait des imprécations contre la déesse Arduina.
Une attitude nouvelle se développa par rapport à la mode, l’alimentation, les loisirs. Du vin, de l’huile, du garum (sauce obtenue par macération de poisson dans du sel et des herbes) furent importées dans des amphores. Les bas-reliefs nous montrent des couples, dont la femme est vêtue à la mode romaine et dont le mari a gardé le manteau et la barbe caractéristiques des Celtes.
L’intégration des Gaules au monde romain et la romanisation des populations locales se firent très progressivement. Cependant, les Gaulois ne renièrent pas leurs traditions propres. Ils restèrent particulièrement fidèles à leur mode de vie et à leur art. ■
> FOCUS > GRAND ANGLE > PATRIMOINE
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La conquête des Gaules Le monde des Celtes La tombe princière de Vix
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> ANTIQUITÉ > Le début du christianisme
Le début du christianisme En Judée, sous occupation romaine, peuplée de Juifs qui jouissent d’une certaine autonomie religieuse, un homme d’origine modeste, Jésus de Nazareth, se met à prêcher ; il se déclare le Messie attendu par les juifs, fils de Dieu, venu sauver le monde. La nouvelle se répand rapidement, les disciples se multiplient. Une nouvelle religion est née, qui va s’imposer, sous diverses formes, jusqu’à nos jours.
1. Un contexte religieux 1
2. Une religion nouvelle :
Le christianisme apparaît au sein d’un monde ro romain unifié, dirigé par un empereur divinisé et so soumis à une religion polythéiste très prégnante su sur la vie quotidienne des citoyens romains. Ce Cependant le panthéon romain est composite, m mêlant dès le début des apports indo-européens, ét étrusques et grecs. Il est ouvert aux dieux des au autres peuples qui sont considérés par les Romains co comme ayant aussi des pouvoirs. Il faut donc se les co concilier pour assurer la prospérité de l’État. La religio gion romaine ne donne aucune règle de conduite et n’essaie pas de rendre les hommes meilleurs. Ell Elle fait seulement connaître les moyens pratiques pour se rendre les dieux favorables, tant pour les particuliers que pour l’État.
Pourquoi le christianisme va-t-il poser à Rome des problèmes aigus, alors que dans le domaine religieux, Rome se montre très ouverte aux apports extérieurs ? Comment deviendra-t-il religion d’État ?
composite
Lampe pe au po poisson poisson. Ve-VIe s. Musée de l’Arles antique. Le poisson constitue l’un des principaux symboles chrétiens.
le christianisme
2.1 L’origine du christianisme
• Le christianisme est né en Palestine et est issu du judaïsme. Soumis depuis des siècles à des dominations étrangères, le peuple juif est toujours resté fidèle à un dieu unique, Jahvé, ce qui rend le judaïsme très différent de toutes les autres religions. À l’époque d’Auguste (27 av. J.-C. – 17 ap. J.-C.), la Palestine est divisée entre la province romaine de Judée et plusieurs royaumes vassaux, mais bien des Juifs vivent en exil et ont créé de nombreuses colonies sur les bords de la Méditerranée et ces communautés sont restées attachées à leur religion. Pour les Juifs, l’empereur ne peut être considéré comme un dieu, mais ils conservent cependant les avantages que leur avait accordés César : leur religion était autorisée et ils avaient le droit de vivre d’après leurs coutumes ancestrales. Le judaïsme est une religion radicalement ethnique
À la fin des années perturbées de la République (guerres civiles), les Romains sont attirés par les religions orientales venues d’Asie Mineure, d’Égypte, de Perse… Le mystère de leurs cérémonies exerce une grande séduction et les religions du salut sont de plus en plus en vogue.
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ANTIQUITÉ
et exclusive, c’est pourquoi elle inquiète peu Rome car elle ne cherche pas à convertir les « païens ». • Quant à la vie de Jésus, fondateur du christianisme, les sources que nous possédons sont toutes postérieures. Les Évangiles (« bonne nouvelle » en grec) rédigés en plusieurs phases entre 65 et 110, par la deuxième ou la troisième génération de disciples et attribués à quatre apôtres (Matthieu, Jean, Marc, Luc), demeurent cependant la source la plus consistante. Ils nous proposent quatre récits de la vie du Christ. Jésus est né en Judée, sous le règne d’Auguste, et passe la majeure partie de sa vie, jusqu’à la trentaine, en Galilée, à Nazareth. Il commence alors à parcourir la Galilée puis la Judée en prêchant une nouvelle doctrine. Mais les autorités religieuses juives qui s’accommodent du pouvoir romain s’opposent au message de Jésus et il est condamné à mort en tant que « roi des Juifs » et rebelle à l’autorité de l’empereur. Après sa crucifixion à Jérusalem alors sous l’autorité de Ponce Pilate, vers l’an 30, et sa « résurrection », ses disciples vont assurer la diffusion de son message. Les apôtres (au nombre de 12) parcourent l’Empire pour répandre la « bonne parole » et y fonder des communautés chrétiennes. Dans chaque ville, les chrétiens se groupent en une communauté ou « église » (du grec Ecclésia, assemblée). Chaque église est dirigée par un évêque (surveillant en grec) aidé des prêtres. • Jésus enseigne l’existence d’un seul dieu, immatériel, créateur de l’homme et de l’univers. Tous les hommes sont égaux devant Dieu, sans distinction entre citoyens et « barbares », hommes libres et esclaves. Les pratiques religieuses, les rites du culte, importent moins que la foi en Dieu. Il prêche l’amour du prochain et le pardon des injustices et des offenses.
recrute à peu près exclusivement dans les classes sociales inférieures, notamment parmi les esclaves, c’est pourquoi l’autorité romaine soupçonne les chrétiens de préparer une révolte sociale. • Les persécutions Aux Ier et IIe s., elles sont épisodiques et locales. Au IIIe s., face au danger extérieur, les empereurs ressentent le besoin de raffermir l’unité du monde romain et les persécutions deviennent plus systématiques. Les chrétiens, comme d’ailleurs les autres suppliciés de l’époque, sont livrés aux fauves, crucifiés, torturés en public. Les catacombes – ou cimetières souterrains – ont très probablement été alors utilisées comme lieux de refuge dans lesquels les païens, ayant une forte peur de la mort, n’osaient les poursuivre. En 303, l’empereur Dioclétien ordonne de détruire les églises et les livres saints. • Christianisme toléré, puis « religion d’État » Les persécutions cessent après l’Édit de Milan (313) de l’empereur Constantin qui proclame la liberté des cultes. Cependant Constantin, qui se convertit au christianisme, va favoriser les chrétiens. Les premières basiliques chrétiennes sont construites à Rome : Saint-Pierre (322), Saint-Laurent-horsles-murs et Sainte-Croix de Jérusalem. En 395, l’empereur Théodose fait un pas de plus en ordonnant la fermeture de tous les temples et en interdisant tous les anciens cultes païens. Le christianisme est devenu une religion d’État. Dès lors, le christianisme calque son organisation sur celle de l’Empire divisé en cités et provinces. Aux cités correspondent les diocèses administrés par un évêque, et les provinces sont dirigées par un archevêque. Dans les provinces, la stabilité en poste des évêques élus, à la différence de gouverneurs nommés, leur assure compétence et autorité. L’Église devient un instrument administratif efficace qui, après la disparition de l’Empire romain d’Occident, sera capable de remplacer le pouvoir défaillant. ■
2.2 L’attitude des empereurs
face au christianisme Pour Rome, le problème de la religion chrétienne se pose en d’autres termes qui dépassent ceux du judaïsme. Au départ, le christianisme ne touche que les communautés juives dispersées dans l’Empire, mais les difficultés apparaissent lorsque les communautés chrétiennes sont peu à peu composées d’anciens païens. Les Romains sont particulièrement sensibles au refus des chrétiens de participer au culte de Rome et de l’empereur et pour cela ils les jugent mauvais citoyens. De plus, le christianisme
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Monogramme du Christ. IVe s. ap. J.-C. Musée du Vatican, Rome.
Catacombe de Priscille, galerie centrale du 1er niveau. Seconde moitié du Ve s. Rome.
Le début du christianisme Le monde romain
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Le forum romain
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> MOYEN ÂGE > La fin de l’Empire romain d’Occident
La fin de l’Empire romain d’Occident Le monde romain a été, depuis ses origines, confronté à la menace de peuples étrangers. Rappelons-nous, au IVe s. av. J.-C., la prise de Rome par un groupe de Celtes ; au IIIe s., ce fut une armée carthaginoise sous les ordres d’Hannibal qui bouscula les légions et au IIe s., les Cimbres et les Teutons furent repoussés de justesse. Dès le IIIe s. ap. J.-C., d’autres peuples se pressèrent aux frontières de l’Europe occidentale et provoquèrent l’insécurité. Il ne s’agissait pas tant de s’enrichir par le pillage des terres et des villes, mais bien d’une question de survie. D’où venaient-ils ? Ont-ils voulu détruire l’Empire romain ?
Sarcophage en marbre. 260 ap. J.-C, Musée national du Palais Altemps, Rome. Ce bas-relief met en scène des soldats romains portant casque, cuirasse ou tunique de maille, épée courte et manteau militaire. Avec à leur tête leur jeune général, ils précipitent dans le chaos une horde de Germains, reconnaissables à leurs cheveux longs, leur barbe et leur pantalon. Le visage de ces derniers est empreint de souffrance et d’angoisse alors que celui des soldats reste impassible. Ces scènes de bataille entre Romains et Germains étaient conventionnelles : elles avaient pour but de glorifier les légionnaires romains morts au combat.
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MOYEN ÂGE
1. Les migrations des
À partir de ce moment, les Romains commencèrent à craindre les dangers venus d’au-delà du Rhin. Le consul Jules César franchit ce fleuve à deux reprises, mais il se garda de pénétrer profondément dans le pays. Contrairement à la Gaule, la Germanie n’avait pas de routes et la présence de forêts et de marais rendait la progression des légions très difficile. César se retira et fixa la frontière sur le Rhin.
peuples germaniques jusqu’au IVe s.
Divers peuples vivaient au nord de l’Empire romain : populations établies de longue date (Celtes, Italiques) ou d’origine iranienne (Sarmates, Alains), mais aussi « Germains » et Slaves en pleine expansion démographique. Des peuplades, originaires des bords de la Baltique (sud de la Scandinavie, Danemark, Allemagne du Nord), se répandirent sur une grande partie du continent européen, du Rhin à la mer Noire et jusqu’au Danube, à partir du milieu du Ier millénaire av. J.-C. La dégradation du climat et l’élévation du niveau des mers (recul des côtes) ont pu entraîner un phénomène de surpeuplement. Ils se mêlèrent à diverses populations autochtones qu’ils rencontrèrent au cours de leurs migrations : les Slaves, paisibles agriculteurs des plaines germano-polonaises, et les populations iraniennes du Danube et des steppes ukrainiennes. Ils ne formaient donc pas des peuples homogènes dans le sens ethnique du terme.
Les Romains entreprirent alors de construire une ligne de fortifications le long du Rhin, puis du Danube, appelée le « limes ». Par la suite, d’autres chefs romains tentèrent de pénétrer en Germanie : mais en 9 ap. J.-C., à la tête d’une coalition de tribus germaniques, le chef Arminius (ou Erman) leur infligea une telle défaite, massacrant trois légions dans la forêt de Teutoburg, que les empereurs Auguste, puis Tibère, décidèrent de revenir à la limite fixée par César. La nouvelle de ce désastre constitua un choc pour les Romains. Désormais, ils allaient vivre dans la crainte des « Barbares ».
Il faut cependant noter qu’il n’a jamais existé de peuple germain proprement dit. Ce sont les Romains qui appelaient « Germanie » toutes les régions – qu’ils connaissaient très mal – situées à l’est du Rhin et au nord du Danube. Aux IVe et Ve s. av. J.-C., ces régions étaient occupées par les Celtes. (voir dossier « Le monde des Celtes »).
Ces peuples « germaniques » nous sont mal connus, sinon par des descriptions d’auteurs latins, notamment l’historien Tacite (55-117 ap. J.-C.), qui opposait leur mode de vie au luxe et à la décadence des Romains de son époque. En fait, il n’existait pas de peuple germain, mais une multitude de groupes dont la religion, les techniques et les coutumes étaient proches. Ces peuples étaient semi-nomades : ils vivaient d’élevage et d’agriculture. Leurs terres étant peu fertiles, ils devaient pratiquer la jachère et déplacer tout le groupe après un certain temps. Ils n’avaient pas de ville. La famille, monogamique et de type patriarcal, formait la base de la société. Elle comprenait également des clients et des esclaves. Une grande solidarité unissait tous ses membres. L’autorité politique était exercée par l’assemblée des guerriers. Les conditions de vie de ces peuples étaient très dures ; dès le IIIe s., attirés par la prospérité de l’Empire romain, ils tentèrent d’y pénétrer. C’est alors que commencèrent de vastes migrations (les Goths, les Vandales, les Burgondes…).
Au IIIe s. av. J.-C., des peuplades venues de Scandinavie sont donc descendues vers le sud (à cause d’un refroidissement climatique ?) et ont refoulé peu à peu les Celtes. Des groupes commencèrent à franchir le Rhin et à s’installer dans ce que César appellera la Gaule : ce fut le cas des Nerviens établis dans la Belgique actuelle, des Trévires en Moselle, ou encore des Tongres. Peu à peu, ces peuples se fondirent dans la civilisation celtique et il est bien difficile de les distinguer des Celtes. Au IIe s. av. J.-C., les Cimbres et les Teutons descendirent eux aussi vers le sud, pénétrèrent en Gaule, infligèrent un désastre aux armées romaines à Orange (en Provence) avant d’être battus et définitivement repoussés par le consul Marius en 58 av. J.-C. 189
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> MOYEN ÂGE > La fin de l’Empire romain d’Occident
richesse tirée des razzias assuraient l’autorité politique. Plus généralement, les pillages constituaient une source de richesse rapide pour des communautés peu attirées par l’agriculture traditionnelle. Ces raids n’étaient donc pas des invasions, c’est-à-dire des opérations militaires ayant un objectif de conquête territoriale : les Germains ne remettaient pas en cause l’autorité politique des Romains sur les terres de l’Empire. Ils opéraient des razzias, pillaient les richesses locales et ramenaient des prisonniers comme main-d’œuvre.
1.1 Cohabitation pacifique ponctuée
de raids Depuis le Ier s. av. J.-C., des étrangers s’infiltraient pacifiquement dans l’Empire, où ils fournissaient une main-d’œuvre qualifiée appréciée par les Romains (en tant que paysans, artisans, mais aussi soldats). Déjà, à l’époque de l’empereur Auguste, la moitié des armées romaines était constituée de soldats étrangers. Loin de s’opposer à la civilisation romaine, les Germains restés au-delà du limes entretenaient d’intenses échanges commerciaux et culturels avec l’Empire romain. Des fils de rois germaniques étaient élevés à la Cour de l’empereur romain (ce fut le cas d’Arminius et même du chef hun, Attila, par exemple).
Fibule à tête d’aigle, en or et grenats cloisonnés. ve s. ap. J.-C. Musée national allemand, Nuremberg. Découverte en Italie, cette fibule est l’œuvre d’orfèvres ostrogoths. Son style est typiquement germanique.
Si leurs incursions étaient profondes, c’est qu’elles profitaient des insuffisances du système romain ; ce n’est qu’à partir du IIIe s. que les empereurs se soucièrent d’entourer les villes de murailles et d’assurer la protection des populations rurales. Le succès des incursions tenait aussi à la vigueur physique des Germains et à leur talent dans la métallurgie qui leur procurait des armes de grande qualité (épée longue, bouclier). Par ailleurs, ils avaient appris des populations iraniennes du Danube et des steppes ukrainiennes de redoutables techniques militaires, comme le harcèlement et la feinte avec une cavalerie légère munie d’arcs renforcés, ainsi que la charge avec une cavalerie munie de cuirasses métalliques, de lances et d’étriers.
Lorsqu’une seconde vague de peuples (Goths, Burgondes, Lombards, Gépides) menacèrent leur survie à partir du IIe s. et surtout du IIIe s., des Germains organisèrent même de vastes confédérations dotées d’une organisation militaire inspirée des Romains (Francs, Alamans, Saxons). Leurs incursions, terrestres et maritimes, se multiplièrent alors sur toute la frontière de l’Empire. Forts de leur nouvelle organisation militaire et profitant des faiblesses de l’Empire (luttes pour la succession de l’empereur, crise civique et démographique), ils multiplièrent des raids qui furent difficilement repoussés et provoquèrent d’importants ravages. Face à ces mouvements liés à la pression migratoire, les troupes romaines ne cédèrent aux Germains que deux maigres territoires à la périphérie de l’Empire : les Champs Décumates en 257 (actuel Bade-Wurtemberg en Allemagne) et la Dacie en 271 (actuelle Roumanie).
1.3 L’irruption des « peuples des steppes »
Des populations nomades, qui vivaient dans les steppes s’étendant de l’Europe orientale jusqu’à l’Asie centrale, s’étaient regroupées dans une confédération turco-mongole (les Huns) qui les conduisit vers les steppes russes à la fin du IVe s. Grâce à une redoutable organisation militaire, cette confédération de tribus diverses anéantit les peuples rencontrés qui ne se soumettaient pas. En Europe, les Huns entrèrent en contact avec les Goths : ils détruisirent le royaume des Ostrogoths en 375 et provoquèrent la fuite des Wisigoths (installés au nord du Danube) vers l’Empire romain un an plus tard.
1.2 Les raids des Germains : des invasions ?
Les peuples germaniques avaient une organisation politique instable : ces peuples étaient constitués de nombreuses tribus réunies autour d’un chef, dont les exploits guerriers et la
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MOYEN ÂGE
2. L’échec du système
2.3 Politique inconséquente de l’empereur d’Occident
romain en Occident à la fin du IVe s.
De leur côté, les troupes « fédérées » des Wisigoths proposèrent leur service à l’Empire d’Occident. Aveuglé par une politique « anti-barbare », l’empereur romain d’Occident, Arcadius (395408), refusa cette alliance et répondit par une politique d’élimination des soldats et officiers germains, qui composaient pourtant l’essentiel des armées romaines depuis longtemps (assassinat du chef de l’armée, Stilicon, et massacre de très nombreux soldats germains et de leurs familles). Ces mesures contribuèrent à affaiblir la défense de l’Italie elle-même et provoquèrent la colère des Wisigoths. En 410, la ville de Rome fut alors livrée au pillage de ces derniers, sans que l’empereur n’intervienne. À cette occasion, les habitants de Rome découvrirent à la fois l’incapacité de l’empereur à les protéger et la volonté du chef des Wisigoths de sauvegarder la civilisation romaine : Alaric s’efforça de limiter les destructions dans la « Ville éternelle ».
2.1 Les limites de l’intégration des peuples européens dans l’Empire romain
À partir du IIIe s., les Romains installèrent des peuples entiers le long du limes pour constituer un bouclier entre eux et les autres peuples étrangers et pour repeupler leurs territoires. Ces peuples vaincus par Rome et désireux d’échapper à la pression migratoire des peuples voisins, ne pouvaient refuser les conditions parfois humiliantes imposées par Rome. Au IVe s., les Wisigoths demandèrent à intégrer l’Empire pour éviter la domination tyrannique des Huns. Mais, face aux conditions d’installation imposées par Rome, ils se révoltèrent et, en 378, ils triomphèrent à Andrinople (Turquie actuelle) : l’empereur Valens (364-378) est tué et les deux tiers de son armée éliminés ! Un accord est signé entre les Romains et les Goths : en échange d’une participation militaire à la défense du limes, ces derniers obtinrent des terres avec le statut plus favorable de « fédérés » (commandement autonome, versement d’un tribut par Rome).
À propos de ces mouvements, il est préférable d’y voir des migrations plutôt que des invasions, car ces nombreux peuples germains (Vandales, Burgondes, Suèves, Alamans) et iraniens (Alains), s’installèrent avec femmes et enfants. On ne peut nier les violences commises (pillages, destructions), mais elles cessèrent bientôt et ces peuples se fixèrent sur des territoires qu’ils remirent en culture. D’autre part, ce sont les exactions commises à l’égard des soldats germains au service de l’Empire d’Occident qui provoquèrent la réaction des Wisigoths.
2.2 Un Occident romain abandonné par l’Orient
En 395, l’empereur Théodose (379-395) a partagé l’Empire romain entre ses deux fils. Suite à ce partage, le nouvel Empire d’Orient ne mit plus ses troupes à disposition pour défendre les vastes territoires européens de l’Empire d’Occident. C’est le début de grandes migrations vers l’intérieur de l’Empire d’Occident. Encouragés par la victoire militaire et les conditions d’installation favorables obtenues par les Wisigoths, plusieurs peuples, poussés par l’avancée des Huns, profitèrent de cet affaiblissement de l’Empire d’Occident pour y pénétrer. Les empereurs transférèrent alors le siège de l’Empire à Milan, puis Ravenne, et laissèrent Rome sans garnisons pour la défendre.
3. Une nouvelle carte
de l’Europe occidentale
› Atlas d’Histoire, pl. 40 › Petit atlas d’Histoire, pl. 23
3.1 La désorganisation de l’Occident romain
L’autorité de Rome en Occident s’effondra très vite. Certes, l’empereur avait sauvé les apparences en concédant de nouveaux traités de « fédérés »
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> MOYEN ÂGE > La fin de l’Empire romain d’Occident
de l’Empire, les Germains continuaient donc d’en respecter l’autorité.
avec un statut très favorable pour les peuples envahisseurs. Mais cette politique laissait quelques peuples errer à travers l’Occident : des Germains (les Vandales) mêlés à des tribus iraniennes (les Alains) atteignirent l’Afrique du Nord, s’emparèrent de Carthage en 439 puis prirent le contrôle de la Méditerranée. L’Empire romain d’Occident se trouvait alors privé du « grenier à blé » et des renforts militaires de l’Afrique romaine. En 451, le général romain Aetius, à la tête de quelques troupes isolées par ces événements, ne parvint à repousser les Huns, conduits par Attila, que grâce au soutien de la force coalisée des peuples fédérés de la Gaule. De plus, l’autorité de l’empereur était complètement discréditée à la suite de règlements de compte, d’assassinats, d’usurpations sans fin.
3.2 Fondation de royaumes germaniques
Au même moment, les Francs s’étaient installés dans le nord de la Gaule, les Wisigoths dans le sud et au-delà des Pyrénées en Espagne, les Angles et les Saxons en Angleterre. Au VIe s., le roi franc Clovis et ses descendants (appelés les « Mérovingiens », du nom de Mérovée, leur ancêtre commun) finirent par étendre leur royaume sur l’ensemble de la Gaule et à imposer un « protectorat » sur la quasi-totalité des peuples germaniques restés en Germanie. Au sud, les Wisigoths, rejetés de la Gaule par les Francs, se replièrent sur la péninsule ibérique.
La défense des différentes régions du monde occidental romain était alors assurée par de nombreux peuples, anciens « fédérés » ou nouveaux migrants. En 476, un coup d’État fomenté par Odoacre, un Germain chef d’armée romaine, destitue le tout jeune Romulus Augustule. Ayant perdu ses provinces, Rome avait perdu ses ressources financières et n’avait pu payer ses légions. Sa destitution se déroula dans une relative indifférence : les insignes impériaux furent respectueusement envoyés à l’empereur romain d’Orient. Au service
En Grande-Bretagne, aucun royaume germanique ne s’imposa aux autres. Les Angles et les Saxons créèrent sept royaumes germaniques. Menacés par ces Germains nombreux ainsi que par les Celtes irlandais (Scots), une partie des Britons migrèrent vers l’actuelle Bretagne. En Italie, un premier royaume avait été fondé par les Ostrogoths en 493. Mais, il fut ravagé lors de la reconquête menée par l’empereur romain
Parties de l’épée de Childéric Ier, en or et grenats cloisonnés. Vers 481. BnF, Cabinet des Monnaies, médailles et antiques, Paris. Ces éléments furent trouvés, avec de nombreux autres objets précieux dans le caveau de Childéric à Tournai, en 1653. Childéric, père de Clovis, fut le premier roi de la dynastie mérovingienne.
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d’Orient, Justinien, au VIe s. Reconquête par ailleurs éphémère puisque l’Empire d’Orient ne put se maintenir : un autre peuple germanique – les Lombards – chassé d’Europe centrale par l’arrivée d’un peuple des steppes (les Avars turcophones) s’y installa et fonda ainsi un nouveau royaume germanique (568-774).
toge et habitaient des villas. Par contre, ils devaient fournir un service militaire personnel : c’est là une tradition germanique qui va changer la société. Les enfants seront élevés pour devenir des guerriers et non plus des fonctionnaires. Bien que peu nombreux, les Germains introduisirent un nouveau mode de vie en Europe occidentale : ce métissage entre les traditions romaines et les coutumes germaniques fait partie de notre héritage. ■
Ces nouveaux royaumes fonctionnaient encore sur le modèle ancien. Les élites et les propriétaires terriens apprenaient encore le latin et portaient la
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La fin de l’Empire romain d’Occident Les mondes nomades Des murailles contre les incursions
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> MOYEN ÂGE > La Route de la soie, échanges entre Orient et Occident
La Route de la soie, échanges entre Orient et Occident La Route de la soie désigne la piste caravanière qui mettait la Chine en contact avec le monde occidental. Il s’agit en fait d’un réseau d’itinéraires transcontinentaux, de la Chine à la Méditerranée, soit par terre, via l’Asie centrale et l’Iran, soit par la voie maritime. Attestées dès le IIe s. av. J.-C., ces routes ont servi pendant des siècles aux marchands, ambassadeurs, soldats et religieux. Les caravanes transportaient surtout la soie, dont la Chine fut le seul exportateur pendant des siècles, mais ces itinéraires étaient aussi parcourus par des missions diplomatiques, dans le but d’entretenir des relations entre souverains… et c’est grâce à eux que se diffusèrent les religions et les idées.
› Atlas d’Histoire, pl. 59, 60 › Petit atlas d’Histoire, pl. 35
Le Régistan. Vue actuelle. Le Régistan est la place qui se trouve au cœur de la ville de Samarkand (Ouzbékistan actuel) ; datant du XIVe s., elle comprend des ensembles architecturaux caractéristiques de l’art islamique et notamment une mosquée et trois écoles (medersa) où l’on enseignait les mathématiques, l’astronomie, la philosophie.
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Les échanges et interactions entre les peuples sont depuis très longtemps des faits dominants. De l’époque des empires romain et chinois de la dynastie Han jusqu’aux années 1500, soit pendant dix-sept siècles, les peuples d’Europe, d’Asie et d’Afrique étaient engagés dans des processus d’échanges systématiques à grande échelle.
1. Trois périodes • Attestées à partir du IIe s. av. J.-C., les anciennes routes de la soie établissaient des liens commerciaux depuis les rivages de la mer de Chine jusqu’à ceux de la Méditerranée. Fleurissantes jusque qu’au IVe s. de notre ère, elles connurent une baisse d’activité à cause de l’irruption d’épidémies, des invasions de peuples nomades et de l’effondrement des empires antiques.
Marchand sogdien et son chameau. Époque Tang (618-907). Terre cuite. Musée Cernuschi, Paris. La Sogdiane est le nom donné dans l’Antiquité à la région d’Asie centrale qui englobait l’Ouzbékistan actuel.
ont été établis pour faciliter le déplacement des armées, mais aussi des administrateurs, collecteurs d’impôts et marchands.
• Après une longue période de troubles, les dynasties Tang, puis Song en Chine, les Abbassides en Perse et l’Empire romain d’Orient pacifièrent de larges régions d’Eurasie et organisèrent des économies productrices. De nouveaux échanges se développèrent, aussi bien à travers l’océan Indien que sur les routes continentales de la soie.
2.1 La soie, premier produit de luxe international
La première mention des Routes de la soie nous est fournie par un ambassadeur chinois, Zhang Qian, qui voyagea de 139 à 126 av. J.-C., depuis la Chine jusqu’en Bactriane (actuel Afghanistan). Envoyé en ambassade pour nouer des alliances contre les Xiongnus (un peuple nomade de culture turque qui opérait des razzias dans l’Empire chinois), Zhang Qian remarqua des textiles et des produits en bambous chinois en vente sur les marchés de Bactriane. Ces produits avaient été amenés par le sud de l’Himalaya ; il pensa qu’on pourrait aussi les acheminer par le nord et en fit la suggestion à l’empereur. Ce dernier, convaincu, entreprit de pacifier les steppes de l’Asie centrale et permit ainsi de créer un réseau de communications marchandes qui fonctionnera pendant des siècles.
• Après l’an mil, des peuples nomades, les Turcs et les Mongols bâtirent d’immenses empires transrégionaux et inaugurèrent à leur tour de nouveaux échanges commerciaux et culturels. Parce que leurs sociétés dépendaient largement du commerce, ces peuples accordaient une grande importance aux réseaux routiers, ainsi qu’aux marchands et ambassadeurs qui les parcouraient.
2. Échanges commerciaux, biologiques et culturels
Les archéologues ont retrouvé des traces d’un commerce sur longue distance depuis le Paléolithique. Ensuite, dès le Néolithique, de vastes réseaux d’échanges ont mis en connexion les vallées du Nil, de l’Euphrate et du Tigre avec celle de l’Indus. Lorsque des empires territoriaux ont émergé aux deux extrémités de l’Eurasie, des réseaux routiers
Ce sont les tissus soyeux, légers et robustes, produits par les Chinois qui firent le succès des marchands. Les élites des pays d’Eurasie et d’Afrique du Nord en raffolaient, d’autant plus que la technique des fabricants chinois était inconnue en Occident. La soie chinoise était tellement prisée qu’elle était 195
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> MOYEN ÂGE > La Route de la soie, échanges entre Orient et Occident
Toutes ces marchandises traversaient l’Asie à dos de chameaux qui transportaient des charges très volumineuses. Des connexions s’établirent rapidement entre les routes terrestres et le trafic maritime. Les voyages duraient des mois, parfois des années à travers les hautes montagnes et les déserts. Les caravansérails se trouvent tous les 25 à 40 km, distance que peut parcourir un chameau en un jour. Un caravansérail est un bâtiment accueillant les caravanes avec leurs marchandises et leurs animaux. Ils sont implantés tout le long de la Route de la soie. 2.3 Les échanges biologiques
Bien avant la mise en place des routes de la soie, plantes, animaux et micro-organismes ont circulé d’un continent à l’autre. Néanmoins, ce réseau facilita la diffusion de plantes cultivées à grande échelle de l’Asie orientale vers les pays islamiques entre le VIIIe et le XIIe s., comme les citrons, les bananes, les noix de coco, le riz et la canne à sucre, ou encore l’aubergine et le coton. Certaines plantes, comme le sorgho ou l’artichaut firent le chemin en sens inverse.
Tissage en soie datant du XIIIe-XIVe s.
même acceptée comme monnaie. Ce n’est qu’au que les artisans de l’Empire romain d’Orient furent capables d’en produire.
VIIe s.
De nombreux ingrédients de la cuisine méditerranéenne ont donc été importés à partir de cette époque. Ces nouvelles cultures permirent aux paysans des régions islamiques de cultiver toute l’année, alors que jusque-là, ils ne produisaient rien en été. La quantité de calories consommées augmenta considérablement, au point que les historiens parlent de « révolution verte islamique ».
2.2 Un brassage de marchandises
D’autres biens désirables transitaient par les caravanes de marchands, en particulier les épices : noix de muscade, clous de girofle, cardamome, gingembre, cannelle… provenaient d’Asie du Sud-Est et d’Indonésie. Le poivre noir arrivait de l’Inde, ainsi que des perles, du corail et des cotonnades fines. L’Asie centrale fournissait des chevaux et du jade, l’Arabie de l’huile de sésame, des dattes et des aromates. Arrivés près de la Méditerranée, les marchands acquéraient des verroteries, des bijoux, de la laine et du lin, des objets décoratifs, des lingots d’or et d’argent. À la soie et aux épices, les Chinois ajoutèrent, dès le VIIe s., un autre bien de luxe, la porcelaine.
Mais ce qui marqua le plus la mémoire collective fut la propagation rapide et massive de la peste bubonique au XIVe s. Bien qu’un premier épisode se soit produit au VIe s. à l’époque de l’empereur Justinien, la peste noire fut bien plus meurtrière encore. Partie du Yunnan (S.-O. de la Chine), l’épidémie se répandit rapidement vers l’ouest. Des marchands génois, contaminés dans les ports de la mer Noire, la transportèrent en Méditerranée. Entre 1347 et 1349, elle se propagea dans toute l’Europe. La mortalité fut énorme ; des villages entiers disparurent, parfois définitivement. Le continent européen aurait ainsi perdu la moitié de sa population en moins de trois ans.
L’Afrique aussi participait à ce commerce international : par ses ports situés sur l’Atlantique (ouest) et sur l’océan Indien (est), elle exportait de l’or, de l’ivoire et des peaux, ainsi que des esclaves. 196
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de Gengis-Khan, elle comptait de 300 000 à 400 000 habitants. Un siècle et demi plus tard, Tamerlan allait lui donner une seconde vie : il fit venir artisans et bâtisseurs et édifier palais, jardins, mausolées et mosquées. Son petit-fils et successeur, Ulug beg, y fit construire un gigantesque observatoire astronomique ainsi que des madrasa (écoles coraniques).
2.4 Les échanges culturels
En même temps que les produits commerciaux, la circulation des idées influençait les croyances, valeurs et coutumes de l’Eurasie. Déjà au IIe s., le manichéisme prêché par un prophète mésopotamien, Mani, connut un immense succès en Asie. Mais ce sont surtout les trois grandes religions missionnaires, le bouddhisme, le christianisme et l’islam qui se diffusèrent par l’intermédiaire des pèlerins et des prédicateurs.
La cité marchande attira dès lors un grand nombre de lettrés, de savants et d’artistes et devint au XVe s. le centre d’un empire et d’une Renaissance, à l’instar des cités italiennes. C’est de cette époque que datent les magnifiques monuments encore visibles aujourd’hui. Cet héritage fort dégradé au cours des siècles suivants fut restauré par l’administration russe à partir de 1868.
De même, les idées philosophiques et scientifiques grecques connurent une grande prospérité tant en Inde qu’en Chine.
3. Le rôle de Samarkand
4. Bénéfices pour l’Europe
Plusieurs fois millénaire, située dans l’actuel Ouzbékistan, Samarkand est une de ces cités mythiques d’Asie centrale où les marchands faisaient étape sur la Route de la soie. On peut y voir aujourd’hui encore les vestiges des plus anciennes civilisations. Ses ensembles architecturaux sont uniques au monde. L’origine de Samarkand remonte au milieu du Ier millénaire av. J.-C., mais son apogée commerciale se situe entre le Ve s. et la conquête arabe en 712. Mais, ensuite, elle subit le joug des peuples nomades qui dominaient la région. En 1220, lorsqu’elle fut dévastée par les Mongols
Même si les volumes de ces échanges ne peuvent rivaliser avec la globalisation contemporaine, la mondialisation pré-moderne constitue une étape cruciale dans le développement du monde. L’Europe sut profiter de l’avancée technique de la Chine, comme la métallurgie du fer ou la fabrication de la soie. Au moment où le mouvement de la Renaissance commençait à se développer, la fabrication du papier et la xylographie permirent un essor considérable des idées. ■
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La Route de la soie, échanges entre Orient et Occident L’Empire romain d’Orient LL’Église L’ Église Égl ise Sa SSan an V Vit Vitale italle ita le à Rave R Ravenne avenne ave nne
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> MOYEN ÂGE > Al Andalus, l’apogée de l’Espagne musulmane
Al Andalus, l’apogée de l’Espagne musulmane À partir du VIIIe s., une grande partie de l’Espagne fut occupée par les Arabes. Progressivement, les rois chrétiens reconquirent des territoires. Cette Reconquista se termina en 1492, lorsque le royaume de Grenade, dernier territoire musulman, fut repris. Pendant plusieurs siècles, une civilisation arabo-musulmane brillante s’y développa ; les villes actuelles de Cordoue, Grenade, Séville... en gardent encore les traces. La tolérance à l’Autre, juif ou chrétien, même si elle était encadrée, a joué un rôle important dans cet épanouissement. Cet héritage islamique exerce, aujourd’hui encore, une influence profonde sur le monde occidental.
L’Alhambra de Grenade est un ensemble de palais somptueux, comme celui-ci, et de jardins magnifiques. Sa construction fut entamée au XIIIe s., en pleine occupation arabo-islamique. Située sur une colline, elle formait une acropole en face de la ville arabe, l’Albaicin.
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L’Espagne avait été envahie au Ve s. par les Vandales (d’où viendrait le nom de Vandalousie), puis par les Wisigoths. C’est entre 711 et 714 que les conquérants arabes s’en sont emparés : le gouverneur de l’Ifriqia (partie orientale du Maghreb) avait confié à un affranchi berbère, du nom de Târiq ben Ziyâd, la mission de la conquérir. C’est lui qui donnera son nom au détroit de Gibraltar : Jabal Târiq signifiant « montagne de Târiq ».
de laquelle se trouve le palais des émirs, l’alcazar, entouré de magnifiques jardins. On y trouve la grande mosquée, un premier noyau urbain (qui sera suivi de plusieurs faubourgs développés par la suite), un quartier juif et sa synagogue, et une enceinte percée de superbes portes. La ville était structurée en quartiers qui correspondaient chacun à une activité, voire à une communauté professionnelle ou religieuse. Les commerces de luxe (étoffes, bijoux, passementeries, ouvrages en cuir...), regroupés, étaient protégés par une muraille particulière. Les activités polluantes, comme celles des tanneurs ou des potiers, étaient rejetées près de l’enceinte extérieure. Les chrétiens, qui n’avaient pas fui au moment de la conquête, avaient leurs églises. La ville comptait aussi des résidences princières élevées au milieu de jardins.
1. Le califat de Cordoue sous les Omeyyades
En 750, une révolution abbasside avait chassé les Omeyyades de Bagdad. Un de leurs descendants, Abd al-Rahman, se réfugia à Cordoue, où il se fit proclamer émir. Au Xe s., l’émir prit le titre de calife et devint complètement autonome. Le califat de Cordoue connut alors une ère extraordinaire de prospérité, tant matérielle qu’intellectuelle.
Les palais étaient somptueux, des tapis recouvraient le sol, les murs étaient tendus de riches tissus de soie, aux fenêtres pendaient des rideaux de brocart. La salle d’audience se voulait impressionnante pour les visiteurs : murs couverts de plaques de pierre sculptées, tapisseries florales dont les motifs prolongeaient ceux des jardins, portiques permettant d’admirer ces derniers.
C’est en Andalousie que l’urbanisme arabomusulman est encore aujourd’hui le plus visible. Des villes comme Cordoue et Séville ont gardé les traces de cet héritage. Toutes deux présentent le visage d’une ville antique, la medina, au centre
Salon des ambassadeurs dans le palais de l’Alcazar à Séville. Sa construction fut entamée au IXe s.
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> MOYEN ÂGE > Al Andalus, l’apogée de l’Espagne musulmane
Le plus remarquable était l’approvisionnement de ces villes en eau. La situation géographique de la ville dépend de celui-ci : certaines, comme Malaga ou Ségovie, étaient adossées à une montagne qui servait de château d’eau ; d’autres comme Cordoue, Tolède, Grenade ou Séville se sont développées sur les rives d’un fleuve. Héritiers des techniques et des installations hydrauliques romaines (comme l’aqueduc de Ségovie), les ingénieurs ont su les faire évoluer et ont mis au point de nouvelles techniques de captage. Ils ont prolongé les conduites sur des dizaines de kilomètres, créé de nouveaux aqueducs, dont certains étaient souterrains. Ils ont inventé les quanats : ce sont des galeries souterraines qui permettaient de capter l’eau des nappes phréatiques et de l’amener par une série de conduites à la surface du sol. Ces galeries étaient percées de puits destinés à alléger la pression mais aussi à les surveiller et à les entretenir.
Traité de chirurgie (pages 37 et 38) d’Al Zahrâwî. XVIe s. BnF, département des Manuscrits, Paris. Éminent chirurgien musulman, Al Zahrâwî est considéré comme un des fondateurs de la chirurgie moderne.
Noria à Hama (Syrie).
Ces villes possédaient aussi des bibliothèques, des madrasa (écoles coraniques), des hôpitaux, des souks et même, comme à Grenade, de véritables « centres commerciaux » tel l’alcaceria, quartier clos de 200 boutiques et de 4 200 m2, réservé au commerce de la soie et autres produits de luxe.
On mentionnera aussi les grandes roues hydrauliques, les norias, qui servaient à élever l’eau du fleuve ou des nappes phréatiques et à la déverser dans des canaux pour alimenter fontaines et bassins. Si elles ont disparu dans les villes, on peut encore en voir de nombreuses dans la campagne andalouse. Un bassin répartiteur distribuait dans les différents quartiers, au moyen de tuyaux en poterie, l’eau nécessaire aux usages de la vie religieuse, des bains publics et de la vie domestique.
L’Andalousie était, à cette époque, selon les historiens, le centre culturel le plus important. Les élites aimaient la poésie, la musique, les jeux de l’esprit ; ils cultivaient l’amour de la philosophie, de la science et des livres. De nombreux savants, ayant marqué leur époque, chacun dans sa spécialité, furent traduits et reconnus par les intellectuels européens. Citons, par exemple : • Ibn Khaldun (1332-1406), le plus célèbre des historiens arabes, a fixé dès le XIVe s. les règles de la démarche historienne : être impartial, ne pas vouloir plaire, multiplier ses sources, les vérifier, s’en tenir aux faits… • Al-Idrisi (1100-1165), géographe et grand voyageur, a laissé 70 cartes planes et des descriptions des villes connues de son temps, avec leurs coordonnées, longitude et latitude. Il a décrit des itinéraires, des richesses naturelles, ainsi que des productions agricoles et minières en se fondant sur une observation directe ou sur des témoignages. • Al Zahrâwi (936-1013) est connu en Occident sous le nom d’Alboucacis : son ouvrage de chirurgie, abondamment illustré de dessins montrant des instruments 200
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chirurgicaux qu’il avait conçus, fut une référence en Europe pendant près de 500 ans. • Le climat de tolérance religieuse et intellectuelle permettait les débats philosophiques, comme ceux qu’eurent au XIIe s. le musulman Averroès et le juif Maimonide. Né à Cordoue, Averroès (11261198) avait étudié la médecine, le droit, l’astronomie et la grammaire. Mais il est surtout connu pour ses commentaires de l’œuvre du philosophe grec Aristote. Il tenta de concilier la philosophie aristotélicienne et l’islam. Cela lui valut l’hostilité de certains religieux et il dut s’exiler. Maimonide, lui aussi philosophe, théologien et médecin juif (1135-1204) a laissé une œuvre critique où il tente de faire concorder la raison et la foi. Sous la menace des Almohades, fanatiques religieux, il dut s’exiler au Caire où il finit ses jours protégé par le sultan Saladin.
à la rescousse, freinèrent pour un temps l’avancée des chrétiens, mais mirent fin à l’existence des royaumes (taïfas). Ils gouvernèrent, depuis Marrakech, un empire englobant le Maroc actuel, le Sahara occidental et Al-Andalus. Les Almoravides reconnaissaient l’autorité du calife de Bagdad. Ils frappaient leur propre monnaie et développèrent le commerce. Au XIIe s., ils furent supplantés par d’autres berbères, les Almohades. Originaires du haut Atlas marocain, ces derniers se déclarèrent à leur tour califes et s’emparèrent des villes andalouses. Soucieux de marquer leur empreinte, ils construisirent de grands monuments (comme le minaret de la mosquée de Séville). En outre, ils firent évoluer l’islam, ce qui permit le développement de la pensée de grands philosophes comme Averroès. En même temps, ils continuèrent à lutter contre les chrétiens du nord, mais en vain.
Le livre faisait l’objet d’une vénération particulière, point de rencontre, de discussions et d’échanges. Il faisait vivre tout un monde de calligraphes (hommes ou femmes), d’enlumineurs, de relieurs, de bibliophiles collectionneurs de manuscrits. Les bibliothèques califales étaient à la fois des lieux de conservation des livres et de diffusion des idées.
Au XIIIe s., un nouvel émirat s’établit à Grenade, qui vit naître les somptueux palais de l’Alhambra. Mais l’avancée des Castillans et Aragonais se révéla inexorable. Les Andalous musulmans, peu militarisés, n’étaient pas de taille à résister aux chevaliers chrétiens, bien équipés et bien entraînés.
2. Le règne des Berbères
3. La chute de Grenade
Au XIe s., le pouvoir andalou se disloqua en une vingtaine de « royaumes » appelés « taïfas ». Le rapport de force bascula. Dorénavant, les chrétiens entreprirent la reconquête de l’Espagne en partant du nord (Castille, Aragon). Pour les contrer, les souverains musulmans firent appel aux Berbères du Sahara occidental, les Almoravides. Ceux-ci, excellents guerriers, vinrent
Pourtant, le dernier royaume islamique de Grenade dura encore deux siècles et demi, bénéficiant sans doute de la rivalité entre Castille et Aragon. L’émir, habile politique, jouait de cet antagonisme. En 1492, l’union d’Isabelle de Castille et de Ferdinand d’Aragon eut raison du dernier bastion musulman en terre hispanique. ■
en 1492
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Monnaie almoravide en or. XIe s. BnF, département des Monnaies, médailles et antiques, Paris.
Al Andalus, l’apogée de l’Espagne musulmane Le monde islamique La grande mosquée de Cordoue
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> MOYEN ÂGE > Le Traité de Verdun, symbole du morcellement féodal
Le Traité de Verdun, symbole du morcellement féodal La deuxième partie du IXe s. est caractérisée par le morcellement de l’Empire créé par Charlemagne, empire écartelé par des querelles de succession et ébranlé par des incursions de peuples étrangers. Ce morcellement s’effectuera en plusieurs étapes. › Atlas d’Histoire pl. 44, 46 › Petit atlas d’Histoire pl. 26, 27
1. La rupture de l’unité
L’effondrement de l’Empire carolingien sur le plan politique et territorial commence à la mort de Louis le Pieux, dernier fils survivant de Charlemagne et héritier de l’Empire. Toute une série de facteurs ont joué en faveur de cette dislocation. La cause la plus directe est l’application de la règle de succession des Francs, à savoir la règle du partage.
territoriale
1.1 Les Serments de Strasbourg (842)
Suivant la coutume franque du partage, Louis le Pieux (814-840) divise l’empire entre ses trois fils (Lothaire, Louis et Charles) tout en laissant l’aîné conserver la couronne impériale. Mais les fils se révoltent contre leur père et les alliances d’intérêt se font et se défont entre les trois successeurs désignés et leur père. Et, après la mort du souverain, les luttes fratricides continuent. Les deux cadets s’unissent par les Serments de Strasbourg en 842. Louis prête serment en langue romane pour être compris des soldats de son frère, Charles en langue germanique (tudesque). Ces serments sont les plus anciens textes conservés en langue française et de la langue allemande. 1.2 Le Traité de Verdun (843)
L’année suivante, ils obtiennent un nouveau partage de l’Empire, qui est signé à Verdun en 843.
Représentation de Lothaire Ier sur son trône et poème de dédicace à l’empereur. Extrait des Évangiles de Lothaire, par Saint-Martin de Tours. 849-851. BnF, département des Manuscrits occidentaux, Paris.
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• La naissance du monde féodal
L’Empire est divisé en trois royaumes : Louis le Germanique obtient la Francie orientale, c’est-à-dire les régions situées sur la rive droite du Rhin. Charles le Chauve reçoit la Francie occidentale, c’est-à-dire les territoires à l’ouest de l’Escaut, de la Meuse, de la Saône et du Rhône. La Francie médiane est attribuée à Lothaire, à savoir les territoires compris entre les deux premiers royaumes, de la mer du Nord à l’Italie centrale. Lothaire hérite aussi de la couronne impériale.
Devant la faiblesse des rois carolingiens, les grands propriétaires en profitent pour renforcer leur autorité sur leurs hommes et s’octroyer les droits régaliens. La royauté est soumise à l’élection par les grands du royaume, la souveraineté se morcelle. Cela a pour conséquence la multiplication des grandes principautés territoriales. Les pouvoirs locaux s’appuient sur un réseau de lieux fortifiés, édifiés entre 920 et 1000, dont l’archéologie a permis de retrouver et de conserver de nombreuses traces.
La partie de Charles, avec ses populations romanes, sera à l’origine de la France et la partie de Louis, avec ses populations germaniques sera à l’origine de l’Allemagne.
Sou d’or à l’effigie de Louis Ier le Pieux. Entre 814 et 840. BnF, département des Monnaies, médailles et antiques, Paris.
Par contre le territoire de Lothaire (Lotharingie) est beaucoup plus disparate : très étiré et difficile à contrôler, il se disloque à la mort de Lothaire (en 855) et devient pour de longs siècles l’enjeu des luttes entre les deux puissances voisines. 1.3 Quelles conséquences pour nos régions ?
Le Traité de Verdun scinde les territoires « belges » en deux, suivant le cours de l’Escaut. La partie au sud de l’Escaut (Flandre) dépend du roi de France, et la Lotharingie (avec la Wallonie actuelle), conquise dès le Xe s., fait partie de la Germanie et cette appartenance perdure jusqu’en 1795.
Bateau viking utilisé pour l’enterrement de la femme d’un chef de clan à Oseberg (Norvège). (À droite) Figure de proue du bateau. Bois sculpté représentant une tête de dragon. Vers 850. Musée des navires vikings, Oslo (Norvège).
Le pouvoir s’organise aussi en fonction des particularismes ethniques et régionaux. Les langues nationales s’affirment mais le latin reste la langue de l’Église, de la culture et de l’administration. ■
2. Les incursions
vikings et hongroises
Aux difficultés intérieures s’ajoutent des inquiétudes, des menaces extérieures qui pèsent sur les royaumes carolingiens au cours des IXe et Xe s., et sont le fait, au nord, des Vikings et des Hongrois et, au sud, des Sarrasins musulmans. Leurs incursions contribuent certainement à faire percevoir aux populations la faiblesse du pouvoir central. Elles les poussent à chercher protection sur place auprès des représentants du pouvoir local, la défense du pays échappant aux autorités centrales.
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droits régaliens
Les (ou en latin, les regalia, de rex, regis, le roi) sont les droits que possèdent les rois et qui découlent de leur souveraineté, tels que battre monnaie, entretenir une armée, lever les impôts ou rendre la haute justice. En Europe occidentale, ces regalia, dès les IXe, Xe s., sont peu à peu accaparés par les seigneurs locaux.
Le Traité de Verdun, symbole du morcellement féodal Les mondes mérovingien et carolingien L’Évangéliaire de Charlemagne
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> MOYEN ÂGE > L’impact des villes sur la société
L’impact des villes sur la société
› Atlas d’Histoire pl. 49 › Petit atlas d’Histoire pl. 34
Le renouveau et le développement des villes commencent au Xe s. en Italie et en Flandre, atteint la France, l’Angleterre, la péninsule Ibérique, l’Allemagne au cours du XIIe s. et des pays germaniques, puis gagne l’Europe orientale et nordique au XIIIe s. Elles naissent là où se concentrent spontanément artisans et marchands : près d’un évêché, d’un monastère ou d’un lieu de pèlerinage ; près d’un château, d’un débarcadère (portus) fluvial ou maritime ou au croisement de routes. Les campagnes participent au phénomène urbain car elles sont en mesure de dégager des surplus qui seront vendus sur les marchés.
La ville de Feurs (Loire) au Moyen Âge. Miniature de Guillaume Revel, dans Armorial d’Auvergne, Forez et Bourbonnais, Vers 1456. BnF, département des Manuscrits occidentaux, Paris. Malgré son caractère inachevé et incomplet, l’Armorial de Guillaume de Revel fournit des images irremplaçables des châteaux, villes et villages d’Auvergne à la fin du Moyen Âge. La localité de Feurs est qualifiée au Xe s. de burgus. La ville fut la première capitale de Forez jusqu’au XIIe s. La peinture illustre les caractères généraux des villes au Moyen Âge : au milieu de la campagne, près d’une rivière, construite sur une hauteur, entourée d’un fossé et de remparts. Elle est reliée à l’extérieur par une porte et un pont-levis. À l’intérieur, les maisons s’entassent près d’une église et d’un beffroi. La croissance de la population a entraîné la création d’un faubourg à l’extérieur des remparts.
1. Le cadre urbain
la densité de la population est élevée. La construction d’enceintes successives à partir du XIIe s. prouve la saturation du noyau primitif des villes. À la promiscuité, source d’insalubrité (pénurie d’eau et immondices dans les rues), s’ajoute l’insécurité
Au Moyen Âge, de très nombreuses villes ont moins de 1 000 habitants, mais certaines peuvent aller jusqu’à 200 000 (Paris, Florence...). Partout 204
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provoquée par les incendies et les ruelles mal éclairées. La plupart des villes se sont développées sans plan défini et conservent souvent un aspect campagnard (champs, jardins...). Elles possèdent un centre, la place publique avec l’hôtel de ville et le beffroi (symbole du pouvoir communal) et non loin les halles et les tavernes.
• La ville abrite un nombre important d’exclus comme les juifs et les lépreux.
3. Les
« libertés » urbaines
2. La société urbaine
Les bourgeois, ayant besoin de plus de libertés pour exercer leurs activités, vont exiger une plus grande autonomie auprès du seigneur du lieu. C’est pourquoi ils obtiennent des chartes de « franchises » (ex. Huy 1066). Les privilèges accordés sont généralement la liberté individuelle (inviolabilité du domicile), la limitation des taxes, des redevances et des droits seigneuriaux, le droit de gérer les finances et de veiller à l’ordre.
Le terme burgus (bourg) désigne l’agglomération urbaine et les habitants sont qualifiés de bourgeois, ce terme recouvrant une population peu homogène. • La noblesse possède l’essentiel du sol urbain. • Les marchands deviennent des hommes d’affaires qui se sédentarisent et traitent par correspondance et par l’intermédiaire d’agents associés. Certains se spécialisent dans la banque. Ils veillent à axer leur instruction sur des matières utiles (arithmétique, langues, écriture...) et adoptent une éthique individualiste (travailler sans relâche pour s’enrichir). La majorité des bourgeois sont des artisans groupés par métiers dans des associations, les « jurandes » ou corporations (le terme date du XVIIIe s.) qui règlementent les prix, les salaires, la production, le nombre d’ouvriers, dans le but d’éviter toute concurrence dans la ville. Le maître, propriétaire de l’atelier, embauche les apprentis qui deviennent ensuite compagnons. Ces derniers sont des salariés, payés en partie en nature, dont l’espoir est de devenir maître après la réalisation d’un chef-d’œuvre. Cependant, dès le XIVe s., les maîtres tendent à rendre leur fonction héréditaire. L’apprenti, dès l’âge de 10 ou 12 ans, entre dans la famille d’un maître et travaille généralement pendant trois à cinq ans sous sa protection mais sans recevoir de salaire. • Les ecclésiastiques assistent les pauvres et les malades et instruisent.
Dans nos régions, jusqu’à la fin du XIIe s., un tribunal d’échevins nommés à vie par le seigneur au sein de la riche bourgeoisie, gère la ville (administration et justice). Puis la ville organise une « commune » dans laquelle les bourgeois élisent pour un an un « conseil communal » présidé par deux « maîtres » ou « bourgmestres » ne laissant plus aux échevins que la fonction judiciaire. Jusqu’au XIIIe s., les riches marchands occupent les postes clés d’échevins, de jurés et de maîtres. Face à cette mainmise des « grands » sur les « affaires communales », les « petits » (artisans et boutiquiers) mènent aux XIIIe et XIVe s. de véritables luttes sociales parfois sanglantes qui aboutiront le plus souvent à un partage du pouvoir (exemple : Liège, 1312). ■
> FOCUS > GRAND ANGLE > PATRIMOINE
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Une rue et ses boutiques. Miniature de Gilles de Rome dans le Livre du gouvernement des Princes. Début du XVIe s. BnF, Bibliothèque de l’Arsenal, Paris.
L’impact des villes sur la société Le monde européen médiéval La cathédrale de Tournai
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> TEMPS MODERNES > La conquête du Nouveau Monde
La conquête du Nouveau Monde › Atlas d’Histoire pl. 69 › Petit atlas d’Histoire pl. 47
La découverte de l’Amérique par Christophe Colomb en 1492 s’inscrit dans ce qu’il est convenu d’appeler « les grandes découvertes » maritimes des XVe et XVIe s. Elle marque une nouvelle période de l’histoire : les « Temps Modernes ». L’Europe – l’Espagne et le Portugal les premiers – se lance dans une conquête expansionniste qui ouvre les horizons jusque-là limités, à un univers planétaire.
1. Les causes
océan reliait l’Europe occidentale et la côte orientale de l’Asie. En faisant voile vers l’Ouest, il était donc possible d’atteindre facilement l’Asie et de naviguer jusqu’à Cathay (Chine) révélée par les récits de Marco Polo (1254-1324). Déjà à partir du XIIIe s., des Européens s’étaient lancés dans l’Atlantique (Madère, Canaries…) et par la voie terrestre en Extrême-Orient. Le Portugal et l’Espagne cherchent de nouveaux itinéraires vers l’Orient pour concurrencer Venise et Gênes. Les portulans (cartes nautiques) se multiplient : ils indiquent la position des ports et les routes maritimes. Avec l’aide des rois du Portugal (Henri le Navigateur, 1394-1460, et Jean II, 1455-1495), les navigateurs s’embarquent sur de légères et rapides caravelles qui remplacent les galères et nefs. Ce sont de petits voiliers à trois mâts dotés de voiles carrées et d’une voile triangulaire dite latine qui permet de louvoyer grâce au gouvernail d’étambot à l’arrière. La boussole et l’astrolabe (pour déterminer la latitude en mesurant l’angle de l’étoile polaire, puis du soleil avec l’horizon) bientôt remplacée par le quadrant, permettent de faire le point et de s’éloigner des côtes. La recherche d’or et d’épices (poivre, gingembre, cannelle, noix de muscade, clou de girofle…) et la quête de métaux précieux incitent les princes et États à s’ouvrir au commerce lointain et à se lancer à la conquête de terres nouvelles. En effet,
Les grandes découvertes s’expliquent par des progrès technologiques, des causes politiques, économiques et religieuses et par une dynamique d’expansion commencée à partir du XIe s. La géographie de Ptolémée, astronome grec d’Alexandrie du IIe s., est publiée en 1482. Il considérait que la terre était ronde et qu’un même
Christophe Colomb arrivant à Hispaniola. Gravure de Théodore de Bry, datant de 1594. Colorisée pour De l’histoire narrative et critique de l’Amérique, 1886, Édition Charles Winsor, Londres. Théodore de Bry est un graveur liégeois (1528-1598) qui a installé ses ateliers à Liège, Strasbourg, Londres et Francfort. Hispaniola correspond à l’île d’Haïti, dans l’archipel des Antilles.
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Reproduction de la carte du monde réalisée par Ptolémée au IIe s. et imprimée au XVe s.
l’Équateur (1475), le cap de Bonne Espérance (Diaz, 1487). Après les côtes de l’Afrique, le Portugal se lance avec Vasco de Gama à la conquête de l’océan Indien (Calicut, 1498). Ensuite sont fondés les comptoirs de Zanzibar, Aden, Ormuz, Ceylan, Goa et Malacca. Tandis que les Portugais s’installent dans les Indes, les Espagnols prendront le chemin de l’Amérique grâce à un marin génois, Christophe Colomb (1451-1506). Il s’intéressait aux ouvrages de Marco Polo, de Pierre d’Ailly et de Ptolémée. Ses connaissances et pressentiments l’amenèrent à penser qu’il serait possible de rejoindre l’Asie par l’Ouest. N’obtenant pas l’aide du roi Jean II du Portugal, il obtient celle de Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille. Il part des Canaries pour être poussé par l’alizé est-ouest jusqu’à une île non loin d’Haïti (San Salvador) où il débarque le 12 octobre 1492. Il se croit sur les rives de l’Asie et recherche les souverains de Cipangu (Japon) et Cathay (Chine). Ensuite lors des voyages ultérieurs (1493, 1498, 1502, 1504), il reconnaît les rivages du continent américain (Venezuela, côte d’Amérique centrale).
le manque de pièces d’or et d’argent freine la production et les échanges. La bourgeoisie riche, qui depuis la fin du Moyen Âge pratique un commerce international (Venise, Gênes, Lyon, Munich, Bruges…), aspire à élargir ses marchés. Le désir d’évangélisation et la défense contre l’Islam poussent à la recherche du mythique royaume du Prêtre Jean (en réalité l’Éthiopie) avec lequel une alliance permettrait de prendre à revers les Turcs. La présence des Turcs dans le bassin oriental de la Méditerranée (prise de Constantinople en 1453) rend difficile, sans l’interrompre toutefois, le ravitaillement en épices depuis l’Orient. La reconquête de la péninsule ibérique, qui s’achève avec la prise de Grenade en 1492, s’inscrit dans cette même lutte contre les musulmans.
2. Christophe Colomb Les Portugais sont les premiers à se lancer à l’assaut des mers pour atteindre les Indes en contournant l’Afrique par le cap Bojador (1487), 207
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> TEMPS MODERNES > La conquête du Nouveau Monde
4. Les conséquences
En une dizaine d’années, Colomb a réalisé de nombreuses découvertes, mais il n’a trouvé ni or ni épices. Pour cette raison, il connaît la disgrâce et meurt presque oublié en 1506. C’est un marin florentin au service du Portugal, Amerigo Vespucci, qui, naviguant en 1501-1502 le long des côtes brésiliennes, comprend que les terres découvertes par Colomb sont en réalité un nouveau continent. En 1507, le géographe allemand Waldseemüller publie pour la première fois une édition de la Géographie de Ptolémée dans laquelle il mentionne les quatre parties du monde : Ameriga ou America, Asia, Africa et Europa. Aucun doute n’est plus permis après le voyage du portugais Magellan (1480-1521) qui, longeant la côte d’Amérique du Sud, franchit le détroit qui portera son nom pour atteindre l’océan qu’il appelle Pacifique. Son pilote, Del Cano, regagne l’Espagne par le cap de Bonne Espérance. C’est le premier tour du monde (1519-1522).
Les épidémies vont ravager l’Amérique jusque-là tenue à l’écart des brassages génétiques et microbiens fréquents en Eurasie : 80 à 90 % des Amérindiens disparaissent. Pour remédier au manque de travailleurs, décimés par le travail forcé et les maladies, des marchands négriers organisent à partir du milieu du XVIe s., la traite des Africains. Pendant trois siècles, un commerce triangulaire se met en place : les Européens échangent sur les côtes africaines de la pacotille (tissus, quincaillerie, alcool) contre des esclaves qui, aux Amériques, sont forcés de produire des denrées destinées au marché européen (sucre, indigo, tabac, coton). La population indienne se doublera donc de noirs africains. Contrairement aux colonies portugaises qui sont essentiellement des comptoirs, l’Empire espagnol est composé d’une population européenne qui émigre et se fixe. Durant le XVIe s., les Espagnols sont près de 300 000. Ils prennent des femmes indiennes, créant ainsi le métissage qui deviendra majoritaire dans le Nouveau Monde. Ils transportent sur place une institution médiévale : la seigneurie ou encomienda. Le seigneur perçoit en or ou en travail le tribut dû à la Couronne par les Indiens. En échange, ils les protègent. Prolongeant la reconquête de la péninsule ibérique sur les « Infidèles », des missionnaires (franciscains et dominicains) se lancent dans la conversion du peuple indien. La conquête de l’Amérique bouleverse donc le nouveau continent, mais elle transforme aussi
3. Les conquistadores Après les découvreurs viennent les conquistadores qui vont donner à l’Espagne son empire américain. Hernan Cortés (1485-1547) atteint l’Empire aztèque en 1519 dont la capitale est prise en 1521. La conquête de l’Empire inca sera effectuée en 1533 par deux aventuriers, Francisco Pizarro (1474-1541) et Diego de Almagro (1475-1538). Comment une poignée d’Européens ont-ils été à même de conquérir d’immenses étendues en partie contrôlées par des empires organisés ? La réponse tient à la capacité de se battre face à des peuples aux armées multiethniques peu cohésives ainsi qu’à la supériorité de l’armement (armes à feu, épées, cuirasses, chevaux face aux javelots, flèches, boucliers de bois). L’efficacité s’explique aussi par l’habile jeu diplomatique mené par Cortés notamment, qui s’allie à des rebelles voulant se débarrasser du joug aztèque. Ces alliés fournissent combattants mais aussi ravitaillement. Enfin, les Espagnols ont profité des prophéties qui annonçaient le retour de héros mythiques (Quetzalcoatl ou Viracocha), assimilés aux hommes blancs venus ravager leur pays et accomplir ainsi leurs attentes eschatologiques.
MARCHANDISES DE RETOUR (SUCRE, CAFÉ, CACAO…)
ESCLAVES NOIRS
Le commerce triangulaire.
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TISSUS, VERROTERIE, EAU DE VIE
TEMPS MODERNES
l’Europe. Elle déplace le centre du commerce de la méditerranée vers l’Atlantique et la mer du Nord (Anvers). L’Europe découvre le maïs, le haricot, la tomate, la pomme de terre, le tabac, le cacao… Elle les échange contre ses bœufs, moutons et chevaux. Avec l’arrivée des métaux précieux (or et argent) l’économie prend la forme du capitalisme commercial. La richesse n’est plus désormais uniquement foncière, mais aussi monétaire. La hausse des prix (inflation), conséquence de l’augmentation
de la masse monétaire et de la dévaluation, atteint 300 à 400 % à la fin du XVIe s. Les banques se multiplient et de grandes familles de financiers (Fugger, Médicis) soutiennent les monarques. De nouvelles formes de paiement et de crédit se développent comme les lettres de change. Dans certains pays (Angleterre, Italie), la noblesse participe au mouvement commercial. En France, par contre, celle-ci va perdre progressivement de son influence face à la montée de la bourgeoisie d’affaires. C’est un des traits fondamentaux de l’époque moderne. ■ Schéma montrant l’évolution des prix suite à la découverte du Nouveau Monde et à l’augmentation de la masse monétaire. La théorie de la liaison de la hausse des prix en Espagne avec l’arrivée de métaux précieux est aujourd’hui contestée. L’argent métal partait directement chez les créanciers et les banquiers italiens pour financer les campagnes militaires espagnoles contre les Provinces-Unies. Ce n’est qu’à partir de 1713 (traité d’Utrecht) que le métal américain est resté dans la péninsule. La hausse des prix s’expliquerait par l’essor démographique et les mauvaises récoltes (liées aux conditions climatiques).
> FOCUS > GRAND ANGLE > PATRIMOINE
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La conquête du Nouveau Monde Le monde amérindien Le Templo Mayor à Mexico
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> TEMPS MODERNES > Les réformes religieuses
Les réformes religieuses La Réforme protestante est un mouvement religieux qui a brisé l’unité de la chrétienté occidentale au XVIe s. Elle est à l’origine de la modification des structures religieuses et politiques de l’Europe. Au nord, le luthéranisme triomphe, tandis qu’au sud, le catholicisme se maintient, à l’exception de la Suisse, d’une partie de la France et des Pays-Bas. Le terme « protestant » provient de la protestation élevée en 1529 par des villes et des princes chrétiens de l’Empire, à la Diète de Spire contre Charles Quint (1519-1555) qui refusait d’accorder toute liberté en matière de religion. En réaction à la Réforme, l’Église catholique réaffirme son unité lors du concile de Trente (1545-1563) face aux protestants eux-mêmes divisés en de nombreux courants dont les plus importants sont le luthéranisme, le calvinisme et l’anglicanisme.
1. La Réforme protestante
de l’université de Wittenberg (1512). Il est avant tout préoccupé d’assurer son salut et il trouve la réponse dans saint Paul : « le juste vivra par la foi ». Il prend conscience que la foi est confiance avant d’être croyance. Grâce à l’imprimerie, il diffuse en 1517 dans tout l’Empire 95 thèses où il condamne la vente des indulgences. Il refuse cette assurance du salut donnée par ces « certificats » sans conversion intérieure car, pour Luther, le salut est un don de Dieu. En 1520, le Pape l’excommunie et en 1521, Charles Quint le met au ban de l’Empire craignant la division de ses États. Les écrits de Luther se multiplient et il traduit la Bible en allemand pour la rendre compréhensible au plus grand nombre. Il précise sa doctrine : seuls deux sacrements, qui se trouvent dans l’Écriture, sont conservés : le baptême et la cène (avec communion sous les deux espèces). Plus de
1.1 Les causes
Depuis la fin du Moyen Âge, l’intérêt pour une intériorisation individuelle plus grande de la religion annonce la Réforme particulièrement en Europe centrale et septentrionale (Jan Hus est brûlé pour hérésie en 1415 en Bohème). Les humanistes, tel Érasme (1469-1536), ouvrent la voie à la Réforme car ils veulent un retour au texte original de la Bible et une critique des sources. Cependant, l’Église catholique ne se renouvelle pas. Au contraire, les papes n’ont d’intérêt que pour l’argent ; le haut clergé cumule les bénéfices (biens ecclésiastiques) et le bas clergé manque de formation pour protéger les fidèles des superstitions. Ce sera un moine augustin, Martin Luther (14831546), qui déclenchera la rupture avec le Pape. 1.2 Le luthéranisme
Martin Luther. Huile sur toile de Lucas Cranach l’Ancien. 1529. Galerie des Offices, Florence (Italie).
Martin Luther est né en Saxe et, après ses études à l’université d’Erfurt, il entre au couvent des Augustins (1505). Il devient ensuite docteur en théologie 210
TEMPS MODERNES
prêtres ni de pape mais des pasteurs ou « ministres » de Dieu : il n’y a pas de différence entre les chrétiens. La Bible est seule source de la foi et tout ce que les conciles ont décidé n’a pas de valeur (ex. culte des saints, de la Vierge). La liturgie est essentiellement centrée sur la prédication et le chant. La liberté du chrétien ne signifie pas pour autant l’anarchie : il faut respecter les règles du gouvernement. C’est pourquoi Luther condamnera les dérives de la guerre des paysans (1522-1525) et des anabaptistes. Profitant de la liberté du chrétien enseignée par Luther, une partie de ses disciples mettent la Réforme au service de revendications religieuses et sociales : des paysans se soulèvent, irrités par les exactions seigneuriales, et seront durement réprimés. De leur côté, les anabaptistes (qui préconisent un second baptême), développent un radicalisme biblique : la Bible est la seule autorité sur la base de laquelle il faut rétablir l’Église comme au temps des apôtres, en s’unissant volontairement après le baptême reçu à l’âge adulte. Ils refusent le monde dans lequel ils vivent étant certains d’être élus et de détenir la vérité. Les anabaptistes seront persécutés dès 1521 en Allemagne ainsi qu’aux Pays-Bas où une fraction se maintiendra, les Mennonites, que l’on retrouvera aux États-Unis et au Canada. De nombreux princes allemands adoptent le luthéranisme et l’Allemagne se divise entre États catholiques et États protestants finalement reconnus par l’empereur en 1555 (Paix d’Augsbourg). Au Danemark et en Suède, les rois adoptent le luthéranisme. Mais ailleurs en Europe son implantation est plus difficile.
Ventes d’indulgences, caricature anonyme. 1517. Les indulgences sont la remise par l’Église de peines du Purgatoire à l’achat de « certificats » dont le pape, Léon X (1513-1520), se réserve une grande part des revenus pour la construction de SaintPierre de Rome.
L’originalité du calvinisme réside dans l’idée Jean Hus (1370-1415) apparaît comme le précurseur de Luther en particulier. Il de prédestination : Dieu meurt sur le bûcher des hérétiques. La « défechoisit ses élus de toute nestration » de notables catholiques à Prague éternité. Contrairement (1419) marque le début de l’insurrection des à Luther qui considère hussites qui, durant 18 ans tiennent tête aux que lors de la commucroisades de l’Europe envoyées par la papauté. La défaite de la « Montagne blanche » nion, le pain et le vin (1620) où les Tchèques furent écrasés par les subsistent et cohabitent troupes impériales de Ferdinand II, met fin avec le sang et le corps définitivement au mouvement hussite. du Christ (consubstantiation), Calvin, de son côté, défend l’intervention du Saint Esprit au moment où le fidèle reçoit le corps et le sang du Christ : il n’y a qu’une communion spirituelle avec le Christ. À la différence de Luther, qui intègre l’Église dans l’État, Calvin veut un État soumis à l’Église. Dans la cité de Genève, il impose une forme de théocratie. Le pouvoir est exercé par un Consistoire composé de pasteurs et de laïcs. Il condamne par l’exil ou la mort ceux qui ne sont pas favorables à la Réforme. L’Académie de Genève, fondée en 1559, forme des pasteurs qui vont créer un peu partout des communautés dont les plus prospères s’établiront en France, aux Pays-Bas et en Écosse. L’introduction du protestantisme en France provoquera les guerres de religion (15621598) où les protestants Jean Calvin. Huile sur bois (Huguenots) s’opposent aux de l’École flamande. partisans du roi. En 1598, XVI s. Bibliothèque l’Édit de Nantes accordé par publique et universitaire de Genève (Suisse). Henri IV (1553-1610) y met fin
1.3 Le calvinisme
La Réforme française se différencie de l’allemande. Elle naît une génération plus tard sous l’influence de Calvin (1509-1564) né à Noyon et qui étudie en France (Orléans, Bourges, Paris). Sa formation est celle d’un juriste et d’un humaniste. On ne sait comment sa conversion sera faite. Mais, fuyant les persécutions, il s’installe à Bâle où il publie sa doctrine dans son livre, l’Institution de la religion chrétienne (1536). Enfin, il s’établit à Genève (1541) où il instaure une sorte de théocratie. Comme Luther, il affirme le salut par la foi et par l’Écriture seules. Chacun est prêtre pour lui-même.
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> TEMPS MODERNES > Les réformes religieuses
2. La réforme catholique
en décrétant la liberté de culte accordée aux protestants. Mais en 1685, Louis XIV (1661-1715) révoque l’Édit de Nantes et provoque le départ d’une partie des réformés vers l’Angleterre et les Provinces-Unies. Aux Pays-Bas, les réformés se heurteront à Charles Quint puis à Philippe II (1556-1598) pendant plusieurs années (1572-1609) jusqu’à la scission des 17 Provinces en deux États : les sept Provinces du Nord adopteront le calvinisme et deviendront les Provinces-Unies, dont l’indépendance sera définitivement acquise en 1648. Le sud restera catholique, composé de 10 provinces, les Pays-Bas espagnols.
ou Contre-Réforme
Face à l’ampleur de la contestation, l’Église catholique réunit un concile à Trente (1545-1563), point de départ de l’histoire moderne de l’Église. Le concile réagit en réaffirmant les dogmes fondés sur la Bible et la tradition des Pères de l’Église et en renforçant la qualité du clergé par la création de séminaires. Il décrète que la Vulgate (traduction latine de la Bible par saint Jérôme au IVe s.) est la seule version de la Bible, maintient les sept sacrements, rappelle le dogme de la transsubstantiation, oblige les prêtres à une discipline (habit sacerdotal, rejet du cumul des bénéfices et du mariage des prêtres), impose aux prêtres de développer la catéchèse afin de mieux former les fidèles (catéchisme, Missel, index des livres prohibés), insiste sur le culte des saints et sur l’importance des œuvres pour obtenir le salut. Les ordres monastiques réguliers se réforment ou se créent. Les missions catholiques se développent et la foi catholique s’accompagne désormais d’une recherche de l’absolu par l’ascèse et la pénitence (mysticisme de Thérèse d’Avila 1515-1582 ou Jean de la Croix 1542-1591). Citons parmi les nombreuses congrégations du XVIe s. : les Capucins (pauvreté intégrale), les Carmélites (vie cloîtrée), les Oratoriens (rôle éducatif), les Ursulines (éducation des jeunes filles), etc. Les Jésuites forment le plus important des ordres créés à cette époque. Fondé en 1534 par Ignace de Loyola (1491-1556), le rôle de cet ordre est de former des élites (Collèges) et de diffuser le catholicisme en créant des missions à travers le monde (Amérique latine, Chine…). Le succès de la contre-réforme est progressif mais elle constitue un moment clé dans la diffusion en profondeur du christianisme en Europe. Au XVIe s., c’est l’Europe méridionale qui est touchée puis au XVIIe s, la France et l’Europe orientale. Malgré le succès de la Contre-Réforme, les croyances populaires sont encore souvent superstitieuses (sorcellerie). ■
1.4 L’anglicanisme
L’Angleterre adoptera le protestantisme sous le nom d’anglicanisme par la volonté de ses rois. Henri VIII (1509-1547) demande à Rome d’annuler son mariage avec Catherine d’Aragon car il n’a pas d’héritier mâle. Rome refuse le divorce et le roi décide alors de se faire proclamer chef de l’Église anglaise (1531). Il maintient le rituel catholique et considère que la Bible seule est la source du dogme. C’est pourquoi il rejette les sacrements, sauf le baptême, la pénitence et l’Eucharistie. Sous Édouard VI (1547-1553), le calvinisme s’introduit de plus en plus. Après une reprise des relations avec Rome sous Marie Tudor (1553-1558) qui persécuta les opposants au catholicisme, Élisabeth Ire (1558-1603) fonde définitivement l’anglicanisme en imposant en 1563 les 39 Articles. Il s’agit d’un mélange de calvinisme par le dogme (rejet de la transsubstantiation, du culte des saints, des sacrements – exceptés baptême et cène) et du maintien de la liturgie catholique avec son faste et sa hiérarchie. La reine est proclamée chef suprême de l’Église. Les rivalités religieuses aboutiront à la première révolution (1640-1649). Les puritains, protestants fervents, sont opposés à l’anglicanisme et au roi. La dictature de Cromwell (16491659) marque leur apogée politique. Les sectes dissidentes se multiplieront et finiront par s’installer en Amérique.
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Comparaison Catholicisme/Luthéranisme Catholicisme
Luthéranisme
Source de la foi : la Bible et les textes des Conciles (Assemblées d’évêques sous l’autorité du Pape)
Source de la foi : la Bible. Les Conciles et le Pape n’ont pas d’autorité
7 sacrements : Eucharistie, baptême, mariage, pénitence, confirmation, ordination (le fidèle se fait prêtre), extrême onction (dernière prière du mourant)
Il y a deux sacrements dont parle l’Écriture Sainte : l’Eucharistie (Cène) et le Baptême. La confession n’est pas obligatoire. Les autres sacrements sont de pures inventions
Les fidèles partagent l’hostie (le pain) : le Christ y est présent corporellement. (transsubstantiation)
Les fidèles partagent l’hostie qui représente le Christ mais n’y est pas corporellement présent (consubstantiation)
L’homme accède au salut par la foi, les sacrements, les œuvres (bonnes actions)
L’homme accède au salut par la foi seule
La Vierge et les Saints sont vénérés
Ni la Vierge, mère de Dieu, ni les Saints ne sont vénérés
L’Église est organisée sous l’autorité infaillible du Pape. Le clergé est hiérarchisé (du curé aux évêques)
Le Pape n’a aucune autorité. Il n’y a pas de clergé organisé
Les prêtres ont un caractère sacré ; ils sont les seuls à pouvoir administrer les sacrements et ne peuvent se marier
Tous les baptisés sont prêtres : c’est le « sacerdoce universel ». Les pasteurs sont élus par la Communauté, peuvent être un homme ou une femme et se marier
Les ordres monastiques sont utiles car ils prient pour le salut des hommes
Les ordres monastiques sont inutiles. Seule la prière individuelle compte
L’église est le lieu du culte dont le centre est l’autel et où abondent les images
Le temple comprend un autel mais sans apparat.
La messe est dite en latin et est centrée sur la communion
La messe est dite dans la langue du peuple et est centrée sur la communion
> FOCUS > GRAND ANGLE > PAT PATRIMOINE PATRIM RIMOIN RIM O E OIN
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Les réformes religieuses L’Europe de la Renaissance La chambre chamb ch ambre amb re des ép époux poux de Ma Mante Mantegna ntegna nte g gna
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> TEMPS MODERNES > La science moderne et l’art baroque au XVIIe siècle
La science moderne et l’art baroque au XVIIe siècle Au XVIIe s., un tournant dans l’histoire des sciences s’opère avec la naissance de l’esprit scientifique qui rompt avec les méthodes explicatives des phénomènes héritées d’Aristote (IVe s. av. J.-C.). Au Moyen Âge, saint Thomas d’Aquin (1225-1274) a recouru à Aristote pour donner une explication rationnelle du monde en conformité avec la pensée biblique. Par conséquent, tout qui s’écartera de la philosophie d’Aristote mettra du même coup en cause les lois de l’Église. C’est ce qui arrivera à partir du moment où l’expérience et les mathématiques deviennent le fondement de la nouvelle méthode scientifique. Alors que cette « révolution scientifique » se fait jour, le XVIIe s. connaît aussi une crise de la sensibilité qui s’exprime par un art nouveau, le baroque.
1. La naissance
le centre fixe de l’univers. Il est considéré, avec Galilée, comme le premier chercheur moderne : il n’accorde confiance qu’à l’observation continue et précise même si cela contredit les connaissances traditionnelles.
de la science moderne
Au début du XVIIe s., l’aristotélisme domine toujours. Cependant, l’exploration de l’Univers par des astronomes et des médecins va bouleverser les dogmes établis. Ce sont les travaux de Kepler, Harvey et Galilée.
1.2 La méthode de l’observation et de calcul pour connaître les phénomènes est aussi celle du médecin anglais, Harvey (1578-1658), qui en 1628, dans le De modu Cordis découvre la circulation du sang. Après avoir considéré que le cœur est un muscle qui se contracte et expulse le sang, il se mit à calculer le poids du sang mis en mouvement par le cœur, et trouva qu’en une heure, cette quantité (250 kg) est supérieure au poids du corps tout entier. Cela prouve que le cœur agit comme une pompe ; artères et veines forment une sorte de réseau de canalisations, comportant un système de valves
1.1 L’astronome et mathématicien allemand Kepler (1571-1630), dans son Astronomia nova (1609) confirme l’hypothèse de Copernic de l’héliocentrisme selon laquelle la terre tourne autour du soleil. En utilisant le télescope, inventé en 1608, il étudie l’orbite de la Terre et de Mars, et arrive à démontrer son mouvement elliptique et non circulaire autour du soleil comme le croyait Copernic. Il démontre que le Soleil occupe un des foyers de l’ellipse et que la terre n’était plus
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TEMPS MODERNES
destiné à orienter l’écoulement du fluide sanguin. Il confirme son hypothèse par la vivisection des animaux. En avance sur son temps, il se heurtera aux nombreux adeptes d’Aristote pour qui le sang est considéré comme stagnant.
d’apercevoir les taches du Soleil et les phases de la lune qui tourne autour du Soleil. Il déduit de ses expériences la double rotation de la terre sur ellemême et autour du soleil. Il publie ses découvertes en 1610 dans son Siderius Nincius.
1.3 Ces deux savants introduisent donc une méthode scientifique nouvelle (observation et calcul) que Galilée (1564-1642), mathématicien et astronome italien, va développer dans ses recherches en astronomie et en physique.
Par ses découvertes, il met en cause la posiAbjuration de Galilée tion de l’Église sur le (Extrait) « Moi, Galilée, fils de Vincent Galilée, de système du monde. Florence, en mon âge de 70 ans, cité personC’est pourquoi, en nellement en jugement et agenouillé devant 1633, il est traduit devous, très Éminents et très Révérends Carvant le tribunal de l’Indinaux, dans toute la République chrétienne quisition et condamné contre la dépravation hérétique Inquisiteurs généraux, ayant sous les yeux les très Saints comme « véhémenteÉvangiles, que je touche de mes propres ment suspect d’hérémains, je jure que j’ai toujours cru, que je sie ». Il dut se rétracter crois à présent et qu’avec l’aide de Dieu je et son œuvre fut mise croirai pour l’avenir tout ce que tient, prêche à l’Index (elles le sera et enseigne la très Sainte Église Catholique et Apostolique. Mais parce que par ce Saint jusqu’en… 1846 !). Le Office, pour avoir, après qu’il m’eût été intimé procès de Galilée pose par une prescription émanant de lui d’abanla question de savoir si donner totalement la fausse opinion selon la connaissance doit se laquelle le soleil serait le centre du monde, et conformer à l’autorité immobile, et la terre n’en serait pas le centre et serait mobile, et de ne tenir, défendre ni de l’Église fondée sur enseigner de quelque façon que ce fût, de la Bible. Pour Galilée bouche ni par écrit la dite fausse doctrine ». et d’autres savants de Franco LO CHIATTO et Sergio MARCONI, l’époque, il faut laisGalilée Entre le pouvoir et le savoir, Aix, ser une autonomie 1988, p. 152-153. totale à la recherche scientifique. C’est une véritable révolution des mentalités. Si le principe d’autorité est mis en cause, sur quoi se fonder pour connaître les lois de la Nature ? Le savant qui le premier propose une solution, est l’anglais Francis Bacon (1561-1626) dans son Novum Organum (1620). Il préconise une méthode basée sur l’observation et l’expérimentation : il considère comme certain ce qui tombe sous l’expérience sensible. Sa science repose donc sur l’empirisme mais, contrairement à Galilée, il n’entrevoit pas le rôle fondamental des mathématiques. Malgré ses lacunes, Bacon est un des fondateurs de la science moderne.
• Il fonde l’astronomie d’observation en perfectionnant le télescope qui lui permet en 1610 de découvrir les quatre satellites de Jupiter – la terre n’est pas l’unique centre de rotation circulaire des corps célestes, comme le pensait Aristote –, de constater que la lune ressemble à la Terre – elle n’est pas une sphère parfaite et est couverte de cratères –, d’observer les étoiles de la voie lactée,
La lunette de Galilée. 1609. Musée Galilée, Florence (Italie).
• Les
démonstrations mathématiques et l’expérimentation (notamment à l’aide d’instruments) seront les bases de la physique moderne que Galilée va fonder en se lançant dans des travaux sur le
La lunette ou télescope est constituée d’un tube en bois avec deux extrémités séparées pour l’objectif et l’oculaire. L’objectif, d’épaisseur 2 mm, a un diamètre de 37 mm et une ouverture de 15 mm, sa longueur focale est de 980 mm. Le grossissement était de 21.
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> TEMPS MODERNES > La science moderne et l’art baroque au XVIIe siècle
refuse l’équilibre et la mesure. C’est pourquoi il est mouvementé et tourmenté. Le terme « baroque » vient du portugais et désigne les rochers ou les perles de formes irrégulières, puis par extension, tout ce qui est extravagant. L’art baroque offre sa meilleure expression dans la peinture et l’architecture.
mouvement. Après s’être attaqué à la cosmologie d’Aristote pour qui le monde est immobile, ordonné et fermé, il s’en prend à la physique pour établir la notion d’inertie. Il substitue à la notion aristotélicienne du mouvement naturel, celle d’inertie qui combine l’influence de la pesanteur et de l’impulsion. Pour Aristote, le mouvement est lié à la nature du corps. Le corps n’est vivant que parce qu’il a une « âme » qui est le principe du mouvement, de l’accroissement et de l’altération. Parmi les causes d’un processus, Aristote considère que c’est la cause finale, c’est-à-dire ce vers quoi il tend, qui explique le mouvement. Le finalisme d’Aristote s’oppose dorénavant au mécanisme qui est le principe d’explication des phénomènes fondé sur la cause efficiente, autrement dit l’explication de ce qui suit par ce qui a immédiatement précédé. Ainsi, pour Galilée, le mouvement est lié aux conditions extrinsèques (les forces qui s’exercent sur les objets) dans lesquelles se trouve le corps et non un mouvement naturel intrinsèque. Il utilise des expériences (mouvements du pendule, de projectiles) et utilise les mesures fournies dans un lieu qui deviendra l’endroit privilégié des scientifiques, le laboratoire.
2.1 La peinture baroque
La peinture baroque trouve ses racines dans l’œuvre du peintre italien Caravage (vers 15711610) qui innove par le réalisme de ses sujets et de ses figures, l’utilisation des contrastes d’ombre et de lumière qui noient les contours des corps et des objets (Le Martyre de saint Matthieu). Il exercera une influence importante sur Velasquez en Espagne, Rubens, Rembrandt et Vermeer dans le nord de l’Europe. Le peintre le plus représentatif de l’art baroque est Rubens (1577-1640). Il a fait d’Anvers une capitale artistique de l’Europe. Son œuvre est monumentale, pleine de vie, de mouvement et d’énergie : kermesses (La Kermesse), batailles (Bataille des Amazones), chevaux cabrés (La Chasse au tigre), corps tourmentés et dénudés aux formes opulentes et voluptueuses (Diane et ses nymphes au bain surprise par des Satyres). Pour accentuer le lyrisme de l’expression, il crée des contrastes surprenants de couleurs et de lumière qui prennent le pas sur le dessin aux contours nets. La composition n’a rien de symétrique : ses personnages s’orientent dans le sens oblique (Montée au Calvaire) et sans cohésion. La profondeur est obtenue par des lignes diagonales. Le mouvement ainsi obtenu est accentué par des spirales et des courbes. Les formes se mélangent et l’œuvre tend à former un tout dont il est difficile d’isoler les parties. Rubens est le maître de tous les peintres flamands de l’époque comme Jan Brueghel (1568-1625) ou Antoine Van Dyck (1599-1641).
Isaac Newton (1642-1721), physicien et mathématicien anglais, prolonge la recherche en formulant les lois de la gravitation universelle (1682) établies grâce notamment au calcul infinitésimal.
2. L’art baroque L’art baroque est né vers 1600 en Italie puis se répand avec plus ou moins de succès dans les pays catholiques (Espagne, Amérique latine, Pays-Bas espagnols, Bavière, Autriche, France). Il est à mettre en relation avec la Contre-Réforme qui veut réaffirmer la grandeur de l’Église romaine face au protestantisme en réhabilitant la construction et la décoration des églises en s’adressant avant tout à la sensibilité plutôt qu’à la raison. Par conséquent, l’art baroque sera avant tout religieux. L’artiste baroque recherche l’émotion et la passion. Il ne s’embarrasse pas de règles contraignantes et
Alors que les Provinces-Unies protestantes n’adhèrent pas au baroque, il est un peintre qui échappe à la règle, Rembrandt (1606-1669). Par certains aspects, il s’apparente au baroque en peignant ses personnages qui se fondent dans les jeux d’ombre et de lumière. Plutôt que décrire les formes, il les 216
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Martyre de saint-Matthieu. Huile sur toile du Caravage. 1599-1600. 323 x 343 cm. Église Saint-Louis-des-Français, Rome.
suggèrent et les lignes disparaissent (La Ronde de nuit, 1642, Rijksmuseum, Amsterdam). 2.2 L’architecture baroque
L’architecture baroque s’affirme à partir de 1630 comme un art opulent et triomphal. Le Bernin (1598-1680) aménage la basilique Saint-Pierre de Rome : il surcharge l’édifice de marbres, de stucs d’or, de nombreuses statues immenses et de meubles énormes (chaire de saint Pierre). Il fait ériger un énorme baldaquin de bronze supporté par quatre colonnes torses. Par le mouvement et l’expression émotive de ses personnages, le Bernin est aussi le sculpteur baroque par excellence (Transverbération de sainte Thérèse ; Fontaine des Quatre Fleuves). Le goût de l’opulence et du décor se retrouve aussi en Espagne avec les Jésuites qui construisent sur le plan du « Gesu » (église construite par
La Chasse au tigre. Huile sur toile de Pierre-Paul Rubens. 1616. 253 x 319 cm. Musée des Beaux-arts, Rennes (France).
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> TEMPS MODERNES > La science moderne et l’art baroque au XVIIe siècle
à la France ? Il s’épanouit à l’époque de Louis XIV (1661-1715). Il se caractérise par la prédominance de la raison sur l’imagination et les passions. Il vise à représenter la nature de façon parfaite et ordonnée en respectant les règles de l’art enseignées dans les académies. Le peintre français, Nicolas Poussin (1594-1665) représente bien cet idéal. Même si ses peintures semblent proches de la sensibilité baroque, il est dit-il « contraint de chercher et aimer les choses bien ordonnées, fuyant la confusion qui m’est aussi contraire et ennemie comme la lumière des obscures ténèbres. » Les sujets sont représentés tels qu’ils existent jusque dans les détails. Il veut dégager les éléments fondamentaux et ordonne sa peinture après avoir étudié les
Vignole en 1567) de vastes églises (San Isidoro à Madrid, San Juan Batista à Tolède). En Belgique aussi l’influence des Jésuites est palpable avec la façade très théâtrale de l’église Saint-CharlesBorromée à Anvers et l’église Saint-Michel à Louvain. 2.3 La résistance au baroque : l’art classique
L’art baroque ne s’est pas imposé partout en Europe. On lui oppose l’art classique, particulièrement en France, où les rois préfèrent un art plus prompt à magnifier leur pouvoir et l’ordre plutôt que la liberté. Le classicisme type est français. Peut-être est-il lié à l’esprit cartésien propre
Baldaquin baroque de Le Bernin. Photographie actuelle. 1624-1633. Basilique Saint-Pierre, Rome.
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TEMPS MODERNES
Comparaison Classicisme/Baroque Architecture
Lignes droites, angles droits Symétrie et proportions mathématiques Sobriété des surfaces et des plans
Courbes Relations libres des dimensions Surcharge ornementale
Peinture
Baroque
Sujet noble, en général emprunté à l’Antiquité ou à la Fable Composition sobre, souvent à peu de personnages Prédominance du dessin aux contours nets Attitudes calmes
Sujet appartenant à la vie familiale voire populaire Composition souvent à nombreux personnages Fusion des contours dans la couleur et la lumière Attitudes mouvementées
Sculpture
Classicisme
Imitation de l’antique ; attitudes simples
Mouvement et expression
rapports entre les objets en éliminant tous ceux qui nuisent à l’unité de l’œuvre. Tout est raisonné (La Sainte Famille à l’escalier). Cependant il ne s’agit pas de réalisme car il cherche non pas la simple ressemblance mais, par les attitudes des personnages, il exprime des sentiments (calme, bonheur, crainte…). Les éléments du tableau (proportions, couleurs, jeu des lignes…) sont aussi organisés pour exprimer une idée et pas seulement pour raconter une histoire (Paysage avec les funérailles de Phocion, 1648, Liverpool, Walker Art Gallery). En architecture, le classicisme est représenté par la colonnade du Louvre et Versailles. Ce qui domine ici c’est le sens de la perfection caractérisée par l’harmonie et l’unité que l’on retrouve aussi dans les jardins de Versailles. ■
La Sainte Famille à l’escalier. Huile sur toile de Nicolas Poussin. 1648. 73,3 x 105,8 cm. Musée d’art, Cleveland (États-Unis).
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> TEMPS MODERNES > Chine et Japon : l’ouverture forcée à l’Occident
Chine et Japon : l’ouverture forcée à l’Occident Entre le XVIe et le XIXe s., les Européens ont mis en place un système qui leur donnait l’avantage exclusif de tout le commerce colonial. À la suite de la Révolution industrielle au XIXe s., l’impérialisme occidental connut son apogée car les États avaient besoin de débouchés et de nouvelles ressources (notamment en matières premières). Les pays asiatiques qui ont résisté furent contraints d’ouvrir leurs portes aux commerçants étrangers, puis de subir l’ingérence des Occidentaux dans leurs affaires intérieures. La Chine et le Japon en sont des exemples emblématiques.
la Compagnie des Indes orientales faisaient venir de l’Inde et écoulaient sur le marché de Canton en échange de thé et de soie. Inquiets des effets nocifs de la drogue sur la santé publique et sur les liens sociaux, les empereurs en interdisent la vente dès 1837, mais la contrebande continue. En 1839, des marchands, dont la cargaison avait été saisie et détruite, font appel au gouvernement britannique : les Anglais envoient des navires de guerre, puis un corps expéditionnaire de 100 000 hommes qui fit un véritable carnage dans les rangs chinois. Acculé à négocier, le gouvernement impérial signe le traité de Nankin en 1842 : les marchands sont admis à s’établir en Chine dans cinq ports, obtiennent le remboursement des caisses d’opium saisies et l’établissement d’un traité de commerce. L’île de Hong Kong est cédée à l’Angleterre (elle restera colonie britannique jusqu’en 1997). On voit bien que le véritable enjeu était l’ouverture de la Chine aux relations internationales. À la suite d’une seconde guerre (1858-1860), elle est contrainte d’ouvrir de nouveaux ports
Une fumerie d’opium. Photographie de la fin du XIXe s.
1. Les guerres de l’opium en Chine
Deux guerres opposent la Grande-Bretagne à la Chine. On les appelle « guerres de l’opium » (18391842 et 1858-1860). Le prétexte de ces conflits est la vente de l’opium que des marchands anglais de 220
TEMPS MODERNES
cadres de la féodalité ; celle-ci est officiellement abolie et les fiefs transformés en provinces. Mais l’empereur garde son caractère sacré et les parlementaires ne sont responsables que devant lui. Montrant une faculté d’adaptation étonnante, les Japonais mettent leur tradition de discipline au service de l’industrialisation du pays : ils ont imité les Occidentaux tout en restant eux-mêmes. En même temps, ils créent une armée nouvelle, dont les officiers sont issus de toutes les couches de la population. De nombreuses réformes, comme l’instruction obligatoire, l’adoption du système métrique, du calendrier occidental, d’une monnaie unique, d’une poste publique ainsi que la construction de chemins de fer et l’aménagement de ports en eau profonde ont fait du Japon un État à la fois moderne et autoritaire. Son règne (1867-1912) est semblable à l’époque des Lumières, dans l’Europe du XVIIe s. L’empereur mène une « politique éclairée » (Meiji) qui fait basculer le Japon dans la modernité. Le Japon devient une grande puissance asiatique, qui s’attaque à la Chine (1894), triomphe de la Russie (1905) et annexe la Corée (1910). ■
Le traité de Nankin, cosigné par les autorités britanniques et chinoises. 29 août 1842. Musée d’histoire, Hong Kong (Chine).
au commerce et de légaliser le commerce de l’opium. Cela entraîne d’abord l’augmentation des importations, puis une culture du pavot en Chine même.
2. L’ère Meiji au Japon (1868-1912)
Fermé au monde extérieur depuis le XVIIe s., le Japon doit lui aussi s’ouvrir au commerce et entame l’industrialisation intense du pays. Ce fut un phénomène brusque couronné par une réussite extraordinaire. Pourquoi le Japon souffrit-il beaucoup moins que ses voisins de la réouverture de ses ports sous la contrainte et du choc avec les puissances impérialistes ? Dès le XVIIIe s., la production agricole avait augmenté, des instruments monétaires (billets, lettres de change, etc.) s’étaient généralisés. Une classe de marchands et d’hommes d’affaires avait émergé. Des manufactures textiles étaient apparues. Ce sont les États-Unis qui en 1853 envoient quatre navires de guerre dans la baie d’Edo (aujourd’hui Tokyo) : les autorités japonaises acceptent de signer un traité de commerce, d’abord avec les États-Unis, ensuite avec les autres puissances européennes. L’empereur Mutsuhito (1852-1912, ère Meiji) restaure le pouvoir impérial, tout en mettant en place un État constitutionnel, débarrassé des vieux
Promulgation de la Constitution de l’Empire du Japon. Estampe de Toyohara Chikanibu. 1889. Collection privée.
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Chine et Japon : l’ouverture forcée à l’Occident Les mondes orientaux
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Le Taj Taj Mahal Maha ahall en en Inde Inde
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > La Révolution belge
La Révolution belge › Atlas d'Histoire pl. 98 › Petit atlas d'Histoire pl. 58
En 1830, la Belgique est devenue un royaume unitaire indépendant, sous l’influence des idées libérales et nationales de l’époque. Pourquoi nous sommes-nous révoltés contre les Hollandais ? Pourquoi l’union de nos territoires avec les Pays-Bas réclamée par l’Angleterre qui voulait une barrière assez forte pour contenir la France, n’a-t-elle pas tenu ? Quels sont les principaux événements de cette révolution ?
à elle, commence à exiger la liberté de presse et d’association. L’opposition entre Belges et Hollandais se manifeste aussi à propos de la langue officielle, le néerlandais, imposé comme langue exclusive de l’administration et de la justice. D’autres griefs alourdissent encore le climat : la répartition très inégale des emplois officiels et postes importants qui sont accordés aux Hollandais au détriment des Belges. Guillaume Ier impose de nouvelles taxes, très impopulaires dans nos provinces. Cependant, il ne faut pas oublier les nombreux progrès réalisés par Guillaume Ier dans le domaine économique, au profit de nos provinces. L’instruction est, elle aussi, valorisée durant cette période : des écoles primaires aux universités, l’enseignement officiel se révèle excellent.
La révolution belge de 1830 au Parc de Bruxelles. Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles.
2. La Révolution belge
1. Le royaume
Le 15 août 1830, la représentation de la Muette de Portici à Bruxelles est l’étincelle qui déclenche la Révolution. La révolution parisienne de juillet 1830 avait déjà fortement secoué la société belge. Un mois plus tard, le 25 août 1830, la révolte éclate à Bruxelles. Après plusieurs jours d’anarchie, les notables forment des milices pour rétablir l’ordre – les autorités hollandaises s’étant volatilisées. Le 23 septembre, Guillaume Ier envoie ses troupes, « libérer » Bruxelles de ses insurgés. Mais elles se heurtent à des barricades, la résistance improvisée des milices belges les surprend.
des Pays-Bas
En 1815, le Congrès de Vienne décide de réunir les provinces belges et hollandaises dans un seul État, le royaume des Pays-Bas, dont Guillaume Ier d’Orange-Nassau accepte d’être le souverain. Guillaume est protestant, et malgré la création d’une nouvelle Constitution qui garantit la liberté de conscience et de culte, la hiérarchie catholique belge marque une violente opposition au nouveau régime. L’élite intellectuelle belge, quant 222
ÉPOQUE CONTEMPORAINE
Ces mêmes troupes se réfugient dans le Parc de Bruxelles d’où elles sont contraintes de se retirer le 27 septembre (les insurgés bruxellois sont rejoints par des volontaires venus des autres provinces). Dans le même temps, la bourgeoisie belge forme, un gouvernement provisoire qui proclame l’indépendance de la Belgique le 4 octobre 1830. Les grandes puissances se réunissent à Londres. Elles reconnaissent et entérinent la séparation de la Belgique et de la Hollande, exigent la neutralité du nouvel État (Conférence de Londres, 1831). Une nouvelle Constitution, votée le 7 février 1831, établit une monarchie représentative avec Léopold de Saxe-Cobourg, prince allemand comme souverain.
Son règne est inauguré le 21 juillet 1831 ; la Belgique est désormais une monarchie constitutionnelle. Le début du règne de Léopold Ier est placé sous le signe de l’union des deux partis de l’époque, catholiques et libéraux (unionisme). Le système de vote choisi est le vote censitaire, c’est-à-dire que seuls sont autorisés à prendre part aux élections les citoyens payant le cens (ou impôt minimum). Guillaume Ier accepte de signer le Traité des XXIV articles (19 avril 1939), par lequel il reconnaît l’indépendance de la Belgique, mais qui la prive du Grand Duché du Luxembourg, du Limbourg hollandais et de la Flandre zélandaise, avec la rive gauche de l’Escaut. ■
Gouvernement provisoire de Belgique. 1830. Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles. De gauche à droite, on aperçoit au 1er rang : Vander Linden, de Merode, de Potter, de Coppin, Gendebien ; au 2e rang : Jolly, Rogier, Van de Weyer, Van der Linden d’Hooghvorst.
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Le duc de Saxe-Cobourg Gotha, Léopold Ier roi des Belges en 1831. Huile sur toile de Frank Xaver Winterhalter. 1840. 2,78 x 1,81 m. Châteaux de Versailles et de Trianon (France).
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > La révolution industrielle en Belgique
La révolution industrielle en Belgique La révolution industrielle, née en Angleterre à la fin du XVIIIe s., va se répandre sur le continent européen dans la première moitié du XIXe s., en commençant par la Belgique, principalement en Wallonie. C’est le résultat d’une longue évolution : depuis plusieurs siècles, nos régions avaient établi une solide tradition industrielle et disposaient d’une main-d’œuvre très qualifiée. Un exemple en témoigne : ce sont des ouvriers issus principalement de la région liégeoise qui ont développé l’industrie métallurgique en Suède.
amélioration des rendements céréaliers). La betterave et le blé occupent les sols riches ; laine, lin, houblon et peaux apportent des matières essentielles à l’industrie. Ajoutons une diversité de ressources naturelles comme des terrains houillers, des gisements de minerais, des terres à briques, des pierres calcaires, sans oublier les forêts. Différentes sources d’énergie, qu’elles soient caloriques (bois, charbon de bois, houille) ou hydrauliques, permettent d’actionner des machines et de transformer les minerais. Nos régions avaient développé un réseau de routes et de voies navigables complétées par plusieurs canaux. Fumées. Huile sur toile de Pierre Paulus. Vers 1930. Musée des Beaux-arts, Charleroi.
2. Le textile, le fer
et le charbon, moteurs de la révolution industrielle
1. Les prémices au XVIIIe s. › Atlas d’Histoire pl. 95
Dès le XVIIIe s., nos régions possédaient de nombreux atouts : une démographie en hausse, une agriculture intensive (défrichement des terres incultes, disparition de la jachère, introduction de plantes fourragères, amendement des sols,
2.1 Le rôle du textile
Au XVIIIe s. et durant la première moitié du XIXe s., l’industrie textile est, en termes d’emplois, la plus importante. Elle permet l’étalement des activités 224
ÉPOQUE CONTEMPORAINE
sur des territoires ruraux où s’exécutaient les tâches de finition et s’exerçait souvent dans des entreprises familiales intégrées, pratiquant filature et/ou tissage. • L’industrie du coton à Gand : L. Bauwens, tanneur gantois, introduit clandestinement en Flandre des métiers à filer provenant d’Angleterre. Avec l’aide d’ouvriers anglais, il installe, en 1801, la première filature mécanisée. • L’industrie de la laine débute dans la région verviétoise dès la fin du XVIIIe s. Les fabricants regroupent les étapes de la finition dans de vastes manufactures, tandis que la filature restait aux mains des travailleurs à domicile. Un ouvrier mécanicien anglais, William Cockerill, y importe les modèles de machines anglaises à carder et filer la laine. • Ces centres textiles sont des lieux d’accumulation de capitaux, parfois réinvestis dans d’autres entreprises prometteuses : charbonnages, ateliers de construction mécanique et de machines à vapeur.
Fourneau au charbon de bois au travail. Gravure du XVIIIe s.
proximité de la forêt (pour l’approvisionnement en charbon de bois) et près des gisements de minerai de fer. Le métal était utilisé par les armuriers, les cloutiers… ; tous ces artisans ont développé un savoir-faire indispensable aux fabriques de construction mécanique. L’utilisation intensive du charbon de bois aboutit rapidement à l’épuisement des forêts. Il devenait donc urgent d’utiliser les découvertes anglaises : utilisation de la houille (transformée en coke) et de Pour réduire les coûts de production, les usines se sont intégrées verticalement. la machine à vapeur. Celle-ci va supplanter la Prenons l’exemple de John Cockerill, fils de William, qui quitte Verviers pour roue hydraulique et, le fonder, à Liège, une fabrique de mécacourant d’eau n’étant niques. À Seraing, en 1817, John Cockerill plus nécessaire, modiconstruit avec son frère, sur l’ancien site du fier le choix du site des domaine des Princes-évêques, un ensemble usines : les fabriques industriel, passant alors de la construction mécanique à la sidérurgie. Ce complexe de fer s’installent près comprend un atelier de construction mécades charbonnages. Les nique, une fonderie, une fabrique de fer, un vallées de la Sambre haut fourneau au coke et des parts dans sept et de la Meuse se transcharbonnages. Ils maîtrisent ainsi tous les forment en de vastes stades de la production. complexes industriels.
2.2 Le rôle du charbon
Jusqu’au XVIIIe s., le charbon est utilisé comme combustible d’appoint dans les briqueteries, les verreries, les forges, les brasseries… La plupart des charbonnages ne sont que de modestes « fosses » exploitées par un ou plusieurs propriétaires, guère profondes et donc vite épuisées. Le transport se faisait par portage humain. L’utilisation de la machine à vapeur exige de nouvelles installations en surface et entraîne une concentration sur des puits plus profonds. L’exploitation du charbon s’exerce alors uniquement dans le sud du pays, notamment le long de l’axe Haine-Sambre-et-Meuse. Elle sera l’activité essentielle du Borinage et du Centre ; elle gagnera ensuite la région de Charleroi et le bassin liégeois.
2.4 Les autres industries
La mécanisation fait des progrès rapides dans la plupart des secteurs industriels : la verrerie localisée près des charbonnages et concentrée dans la région de Charleroi ; les cristalleries du Val Saint-Lambert créées à Seraing, en 1825 ; la métallurgie du zinc pratiquée par la Vieille Montagne, fondée en 1837 dans la région
2.3 La sidérurgie
Du XVe jusqu’au XVIIIe s., le plus souvent, le fer était extrait du minerai dans des fourneaux alimentés au charbon de bois. Avec le haut fourneau et l’énergie hydraulique, les forges et les fonderies se concentrent le long des ruisseaux à forte pente, à 225
FOCUS
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > La révolution industrielle en Belgique
utilisé en priorité au transport de marchandises. Sa construction a suivi des impératifs stricts : accéder aux frontières, adopter un tracé à travers les centres de production et en assurer la connexion. En 1875, le réseau ferroviaire belge est le plus dense d’Europe et du monde. Ce nouveau moyen de communication influence l’industrie : moins coûteux, plus régulier et plus rapide que la route, il convient bien pour les marchandises pondéreuses (houille, minerais…). Il ouvre un marché considérable pour les charbonnages et surtout la sidérurgie, par la fabrication de rails et de locomotives. Le train va aussi faciliter le transport des personnes par sa rapidité et son coût peu élevé. Il permettra une plus grande mobilité des travailleurs.
liégeoise ; la fabrication industrielle du carbonate de soude par la société Solvay en 1863 ; l’armurerie : en 1889, la Fabrique nationale d’armes de Herstal regroupe les artisans armuriers qui travaillaient à domicile et va, elle aussi, se mécaniser.
3. La concentration financière
Les particuliers ou les entreprises familiales ne peuvent plus couvrir seuls les investissements énormes en matériels et en bâtiments et se constituent en sociétés et principalement en sociétés anonymes (S.A.). Des sociétés de crédit se développent. La « Société Générale », fondée en 1822, les utilise pour créer des sociétés industrielles.
Après la Révolution de 1830, la Belgique connaît une grave crise économique, marquée par l’effondrement de ses industries et aggravée par une crise agricole. Le redressement de l’économie s’opère grâce au commerce qui est facilité par les nouveaux moyens de transport, et grâce aux subventions accordées par l’État aux entreprises en difficulté.
4. Un nouveau moyen
de communication : le chemin de fer
On connaissait la voie ferrée depuis longtemps, mais jusqu’en 1830, elle n’est utilisée qu’à des fins industrielles. Ainsi, au Grand-Hornu le charbon était transporté jusqu’au canal de Mons, par des wagonnets tractés par des chevaux. En 1834, l’État belge décide la création et l’exploitation d’un réseau de chemin de fer à vapeur. D’abord transport de voyageurs, il est vite
5. La situation sociale
de la classe ouvrière
La grande industrie nécessite une main-d’œuvre ouvrière nombreuse, issue d’abord des campagnes environnantes et de la bordure rurale des usines et ensuite de toute la Wallonie. Au milieu du XIXe s., des ouvriers flamands rejoignent aussi les usines wallonnes. Se posent alors les problèmes du logement et des transports. Le chemin de fer permettra à certains de faire le déplacement quotidien entre la maison familiale et l’usine. À la fin du siècle, les abonnements ouvriers leur seront d’un grand secours. Vivant au sein d’agglomérations de plus en plus denses, l’ouvrier est coupé de ses attaches rurales et des petits avantages liés à la campagne (jardin, petit élevage…) ; son sort dépend uniquement de son salaire et son salaire dépend uniquement de la volonté du patron. Aucun droit ne lui est reconnu : pas d’indemnité de chômage ni de maladie, réduction de salaire selon
Le Belge, première locomotive à vapeur. Elle est sortie des usines Cockerill à Seraing en 1835.
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ÉPOQUE CONTEMPORAINE
la conjoncture économique, licenciement sans préavis… En 1843, le gouvernement commande une enquête sur la condition des ouvriers et le travail des femmes et des enfants. Tous les témoignages concordent pour décrire l’extrême pauvreté des classes laborieuses. D’autres enquêtes suivront mais sans entraîner de changements notoires. L’ouvrier est victime d’un handicap juridique : le Code civil en vigueur en Belgique n’impose aucune obligation contractuelle aux employeurs. Les livrets ouvriers (voir le Grand Angle) et l’interdiction d’association ne permettent aux travailleurs aucune forme d’opposition. Il faut attendre 1867 pour que les grèves et les associations professionnelles soient autorisées. Diverses institutions, tant publiques que privées, se créent
en faveur de la classe ouvrière (caisses de secours, sociétés philanthropiques…) mais leurs actions restent insuffisantes. Malgré les interdits, des conflits surgissent et se manifestent par des grèves : la plus terrible par sa violence (pillage et incendies d’usines) et surtout par la répression sanglante qui s’ensuit est la « grande grève de 1886 » qui touche tout le pays. Cette date marque le début d’une première législation sociale, notamment la loi de 1889, réglementant le travail des femmes et des enfants. Le travailleur souffre aussi d’un autre handicap : il n’a ni le droit de vote ni celui d’éligibilité. Il faudra attendre le XXe s. pour que tous obtiennent l’égalité politique et juridique (1919, adoption du suffrage universel pur et simple, pour les hommes). ■
Épisodes des grèves du Pays de Liège, le 18 mars, du pays de Charleroi et des Bassins du Centre les 25. 26 et 27 mars 1886, dans le calendrier « 100 ans de luttes sociales », coll. Carhop.
> FOCUS > GRAND ANGLE > PAT PATRIMOINE PATRIM RIMOIN RIM OINE OIN E
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La révolution industrielle en Belgique Les transformations économiques et sociales… Page 110 Un site site ind indust industriel, ustrie ust riell,l, le Gra rie Grand Grand-Hornu nd Hor ndHornu nu
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Le Congo, terre d’exploration et de colonisation
Le Congo, terre d’exploration et de colonisation Le Congo belge est le nom porté par le territoire de l’actuelle République démocratique du Congo (RDC) entre la fin de l’État indépendant du Congo, propriété personnelle du roi Léopold II jusqu’en 1908, et l’accession à l’indépendance congolaise le 30 juin 1960. Au même titre que d’autres puissances européennes, les Belges sont confrontés aujourd’hui à la violence de leur passé colonial.
Villageois congolais rassemblés pour recevoir la vaccination contre la maladie du sommeil. Photographie de 1910-1925.
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1. L’État indépendant En 1865, dans son discours inaugural, Léopold II (1835-1909) roi des Belges promet de réaliser une Belgique plus grande et plus belle, ce qui résume parfaitement ses objectifs et ses ambitions. La Belgique est alors en pleine expansion économique, la révolution industrielle place notre pays aux premières places. Les États européens sont alors à la recherche de placements pour leurs capitaux, de nouveaux débouchés et de matières premières. Vers 1875, l’Europe commence à se tourner vers l’Afrique centrale, après les expéditions de Livingstone (1813-1873), missionnaire écossais et de Stanley (1841-1904), journaliste américain d’origine anglaise. En 1876, Léopold II réunit à Bruxelles une conférence internationale de savants et d’explorateurs. Le but annoncé est scientifique et humanitaire. On y décide la fondation d’une Association internationale africaine destinée à étudier le centre de l’Afrique et à envisager les moyens d’y faire disparaître la traite des noirs. Cependant, la véritable intention de Léopold II est de s’assurer la propriété du bassin du Congo. L’explorateur Stanley termine en 1877 la traversée du continent d’est en ouest, en longeant le fleuve Congo (ou Zaïre) jusqu’à son
embouchure, après un voyage de plusieurs années. Il ne trouve pas en Angleterre, le désir d’entreprendre la colonisation de ces régions qu’il vient de découvrir. Stanley accepte les propositions du roi des Belges et retourne mener d’autres expéditions afin de conclure et signer des traités avec les chefs indigènes. Après la création de multiples comités et associations internationales sur le Congo, financées exclusivement par le roi aidé de quelques banquiers, Léopold II cherche à faire reconnaître ses droits sur cet immense territoire que lui disputaient notamment les Français et les Portugais. Une conférence fut réunie à Berlin en 1885 à l’initiative du chancelier Bismarck : les puissances européennes s’engagent désormais à ne plus s’emparer de territoires en Afrique sans en informer les autres. Remarquons que les rois et peuples africains ne sont pas consultés ! La conférence reconnaît Léopold II comme souverain à titre personnel et non comme roi des Belges, d’un État indépendant du Congo. La neutralité de la Belgique, ses petites ambitions internationales ont joué face aux grandes nations présentes à la conférence, la décision respecte un certain équilibre entre les puissances européennes dans la course à la colonisation. Léopold II atteint donc son objectif. Le Parlement belge réagit sans grand enthousiasme
Portrait du roi Léopold II de Belgique.
L’explorateur et journaliste gallois, Sir Henry Morton Stanley (1841-1904), habillé pour son expédition de 1871. L'expédition a été commandée par le journal New York Herald, pour retrouver la trace du docteur Livingstone. Photographie d’époque.
du Congo
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Le Congo, terre d’exploration et de colonisation
d’annexer le Congo en 1901, mais à l’époque, une forte opposition de l’opinion publique contre la colonisation empêche la réalisation de ce projet. C’est en 1908 que le Parlement accepte le transfert du Congo à la Belgique. Cette ancienne possession du roi devient donc une colonie belge. La colonisation du Congo est un bel exemple d’impérialisme européen du XIXe siècle. En effet, depuis sa conquête jusqu’à son indépendance, la Belgique y impose son modèle économique, politique et culturel.
2. Du Congo belge
à la République Démocratique du Congo
L’État belge déploie un important effort de mise en valeur économique du Congo pendant près de 50 ans. L’exploitation des produits miniers tels que le cuivre et les diamants supplante la production de caoutchouc qui était la principale ressource au début de sa colonisation. La colonie fournit aussi du cobalt et de l’uranium. Les abus sur l’exploitation de la main-d’œuvre locale se poursuivent et sont condamnés par les autorités religieuses belges. Les écoles des missionnaires jouent un rôle important au niveau culturel, mais elles se limitent exclusivement à l’enseignement fondamental, les autorités coloniales ne désirant pas former une véritable élite indigène, capable de participer à la gestion du pays. L’analphabétisme touche 70 à 75 % de la population indigène à la fin de la période coloniale. La Belgique tente néanmoins de poursuivre l’œuvre humanitaire entamée : nos médecins luttent avec efficacité contre la maladie du sommeil et la malaria. Lors de la Première Guerre mondiale, les troupes du Congo belge participent à l’invasion des colonies allemandes situées en Afrique orientale. Après 1919, le Congo poursuit son développement industriel. Durant la Deuxième Guerre mondiale, la colonie participe à l’effort de guerre : les matières premières sont nécessaires aux alliés, en particulier les minerais, dont l’uranium. L’industrialisation accentue l’urbanisation de la population indigène. La période de l’après-guerre est marquée par un nouvel essor économique et par un important afflux de populations européennes.
Scène du quotidien à la mission de Yasa. Photographie de 1957.
à la nouvelle acquisition du souverain et lui impose de supporter tous les frais de la conquête sur sa fortune personnelle. Cartographes, géologues, ingénieurs des mines et agronomes dressent l’inventaire des ressources et délimitent les frontières. Léopold II décide de diviser cet important territoire en concessions qui lui rapportent beaucoup d’argent par l’exploitation des immenses richesses (caoutchouc, or, étain, cuivre, diamant et ivoire). Peu à peu, il associe l’État belge à ses ambitions, en proposant des emprunts contre une cession. Il s’emploie à lutter contre l’esclavagisme et poursuit la mise en valeur économique du Congo (construction de voies ferrées et de routes). Parallèlement à l’exploitation des ressources, des missionnaires entament l’évangélisation des populations locales. Cependant la colonisation se durcit, toutes les terres vacantes sont déclarées propriété d’État et les indigènes sont soumis à des corvées de plus en plus excessives. Les traitements inhumains qui leur sont infligés sont dénoncés à l’époque par un rapport du consul britannique qui mobilise l’opinion internationale et fragilise certaines sociétés belges implantées sur place. En 1895, Léopold II accorde par testament à la Belgique, la faculté 230
ÉPOQUE CONTEMPORAINE
En 1945, les puissances coloniales européennes sortent très affaiblies du conflit. Le mythe de la supériorité de la race blanche s’effondre chez les peuples colonisés. Les leaders de ces mouvements indépendantistes sont souvent des intellectuels formés dans les universités européennes et qui reprennent à leur compte les idées de liberté, de démocratie et d’égalité. En 20 ans, les puissances coloniales européennes perdent le contrôle de la quasi-totalité de leurs colonies acquises le plus souvent au XIXe siècle. La Belgique ne fait pas exception à la règle. L’indépendance de la République du Congo est officiellement proclamée par le roi Baudouin Ier, le 30 juin 1960. Le déficit de formation du personnel administratif, militaire et technique indigène, l’absence d’une élite formée dans les universités (pas de médecin, de juriste, d’officier, d’agronome ou d’économiste indigène), se fait cruellement sentir au moment où les pays voisins accédèrent à l’indépendance. L’impréparation politique et le manque de vision des autorités belges provoquent des dégâts : acquise dans la précipitation, l’autonomie du tout nouvel État tourne à la catastrophe. Après plusieurs années difficiles, le général Mobutu (1930-1997) réussit un coup d’État militaire en 1965 et s’empare du pouvoir. Il impose une dictature, en se basant sur un parti unique. Il nationalise de nombreuses entreprises et exploite les richesses du pays à son profit personnel. En 1972, le pays devient la République du Zaïre. Il faut attendre le milieu des années 1990, pour voir la fin du régime de Mobutu. Affaibli et malade, il abandonne le pouvoir au profit du clan Kabila qui avait mené une opposition armée, soutenu par
les États voisins, Burundi, Rwanda et Ouganda. Laurent-Désiré Kabila (1941-2001) s’autoproclame président de la République démocratique du Congo. Aujourd’hui, Joseph Kabila qui a succédé à son père assassiné en 2001, doit faire face à de nombreux mouvements rebelles qui continuent à sévir et provoquent l’insécurité. Guerre civile, corruption, pauvreté, absence de véritable démocratie, pillages des ressources naturelles, ingérences étrangères… Les défis sont nombreux. ■
Le président zaïrois Mobutu Sese Seko arrive à l’aéroport de Kinshasa en 1977.
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Le Congo, terre d’exploration et de colonisation L’impérialisme européen Less « arts Le arts pre ppremiers miers mie rs » afri aafricains fricai fri cains cai ns
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Les révolutions russes de 1917
Les révolutions russes de 1917 Au début du XXe s., la Russie connaît une période de crise profonde. De 1905 à 1920, le pays est confronté à différentes révolutions, traverse la Première Guerre mondiale et doit réprimer une guerre civile. Alors que les grandes nations européennes évoluent vers des démocraties, les Russes vivent sous un régime autocratique ne disposant pas d’assemblées représentatives et n’offrant aucune liberté. 1917 marque une rupture importante dans l’histoire de la Russie. Le régime impérial du tsar Nicolas II va disparaître au profit d’une société nouvelle encore en construction.
1. La révolution
points stratégiques de la ville et du palais du tsar. À la fin de février 1917, la révolution triomphe : les ministres sont arrêtés et le tsar Nicolas II (18681918) abdique en mars 1917. Les députés de la Douma forment un gouvernement provisoire composé principalement de bourgeois, qui n’ont pas contribué à la chute du tsar, mais sont désireux d’instaurer un régime parlementaire. Dans un même temps, à l’appel des mencheviks (faction du parti ouvrier social-démocrate, opposé à Lénine) et des socialistes révolutionnaires, un « Soviet » (ou Conseil), composé d’ouvriers et de soldats, est élu. Ce Soviet soutient le gouvernement provisoire en échange de la mise en place d’une constitution et du suffrage universel. Les aspirations divergentes des vainqueurs, la rivalité croissante du double pouvoir (Soviet et gouvernement), menacent d’engendrer de nouveaux conflits, alors que la révolution s’étend au pays tout entier. Le gouvernement souhaite poursuivre la guerre, alors que le Soviet entend bien répondre aux revendications des ouvriers et des paysans qui jugent cette guerre inutile.
de février 1917
Lors de la Première Guerre mondiale, une série d’événements vont précipiter la chute du tsar Nicolas II : les nombreux revers essuyés par l’armée russe, les lourdes pertes (près de 1,7 million de tués et 4,5 millions de blessés), les difficultés de ravitaillement entraînant le manque de pain et de charbon dans les grandes villes… La situation s’aggrave particulièrement au cours de l’hiver 1916-1917, lorsque les rationnements et les fermetures d’usines par manque de matières premières provoquent des vagues de protestations. C’est dans ce lourd climat que des émeutiers, réclamant la paix et la fin de l’autocratie, lancent les bases de la révolution de février 1917. S’ensuit une grève générale lancée et appuyée par les partis révolutionnaires. Le gouvernement dissout la Douma (assemblée législative), craignant qu’elle se rallie aux insurgés, et enjoint la police à dompter la rébellion – celle-ci s’y attelle, mais finit par rejoindre peu à peu les insurgés. Le peuple s’empare des 232
ÉPOQUE CONTEMPORAINE
Le comité exécutif provisoire du parlement russe, après la première révolution de 1917.
2. La révolution
le capital domine. Il souhaite collectiviser les moyens de production et supprimer les inégalités entre le capital et le travail. Marx estime que les ouvriers doivent se rassembler pour renverser la bourgeoisie au pouvoir, et passer ainsi de la dictature du capitalisme à la dictature du prolétariat. La Première Internationale (qui réunit les socialistes du monde entier) est créée en 1864. Son objectif est l’installation du communisme, c’est-à-dire une société collectivisée et dépourvue de classes sociales. Lénine préconise dans ses Thèses d’avril, une révolution prolétarienne immédiate. Mais il est soupçonné d’avoir été approché par les autorités allemandes afin de renverser le gouvernement. Il doit alors s’enfuir en Finlande. En octobre 1917, les masses, déçues par les socialistes révolutionnaires et les mencheviks, attendent une véritable révolution économique et sociale, que le gouvernement provisoire n’a pu mettre en œuvre. Entretemps, le Soviet s’ouvre de plus en plus aux bolcheviks, qui y deviennent majoritaires. Lénine rentre clandestinement en Russie le 7 octobre. Toutes les conditions semblent donc rassemblées pour une nouvelle révolution, bolchevique cette fois. En effet, Lénine semble être le seul capable de la mener à bien et d’obtenir
d’octobre 1917
Écartés du pouvoir, les bolcheviks n’approuvent pas la participation des bourgeois et des socialistes modérés au nouveau gouvernement, ils veulent une véritable révolution qui renverse la pyramide sociale en Russie. Les idées de Lénine (1870-1924), leader des bolcheviks, sont mal accueillies par les autorités russes, ce qui le contraint à s’exiler régulièrement à l’étranger. Après de longs séjours en Suisse, il rentre en Russie en avril 1917 et réclame la paix, une redistribution des terres aux paysans et le pouvoir aux Soviets (Thèses d’avril). Lénine s’inspire principalement de la doctrine de Karl Marx (1818-1883) qu’il a étudiée de manière approfondie dans sa jeunesse. Le célèbre Manifeste du parti communiste, publié pour la première fois en 1848, rassemble les thèses essentielles de la pensée marxiste (anticapitaliste et révolutionnaire) et ouvre la voie à différentes formes de socialisme et de communisme. L’Histoire, selon Marx, a toujours été parcourue par la lutte des classes. Cette lutte est provoquée par les inégalités sociales. Il explique qu’au XIXe s., ces inégalités sont provoquées par des rapports de production où 233
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Les révolutions russes de 1917
Un groupe de soldats soviétiques reconstitue la prise du Palais d’Hiver à Petrograd trois ans après les faits, le 7 novembre 1920.
la paix. Avec l’aide de l’armée dirigée par Trotsky (1879-1940), qui a rejoint son camp, il prépare minutieusement l’insurrection. Le 24 octobre, les bolcheviks prennent les points stratégiques de Pétrograd (anciennement SaintPétersbourg), ainsi que le Palais d’Hiver, siège du gouvernement provisoire. Les insurgés s’emparent ensuite de Moscou, où ils rencontrent une plus forte résistance. La révolution gagne lentement du terrain, secouant le pays tout entier. Le Congrès des Soviets ratifie le coup d’État et lui donne une légitimité révolutionnaire. Il forme alors un nouveau gouvernement composé exclusivement de bolcheviks, dirigés par Lénine. Trotsky est nommé aux affaires étrangères et Staline (1878-1953) a pour mission de nationaliser et collectiviser. De nouvelles décisions sont prises : les décrets sur la paix et sur la terre sont aussitôt approuvés. Si le premier prévoit l’armistice et l’ouverture de négociations, le second proclame l’abolition de la propriété foncière, sans indemnités et la confiscation des terres de la famille impériale, de l’aristocratie et du clergé. Ces décrets, si durs soient-il, répondent aux espérances du peuple russe. Les usines, les
mines et les transports passent sous le contrôle des ouvriers. Les banques sont mises dans les mains de l’État, elles sont donc nationalisées. Le travail devient obligatoire pour tous ; ainsi que le service militaire, pour les ouvriers et les paysans, afin d’assurer la défense du nouveau régime. Une république fédérative est constituée sur la base d’une union libre des peuples de la Russie ; ceux-ci jouissent (théoriquement) de l’égalité des droits et ils conservent leur langue, leurs mœurs et leur religion. Le but de ces réformes est clair : elles visent non seulement à s’assurer de l’appui des soldats, des paysans, des ouvriers et des minorités nationales, mais aussi à éliminer la propriété privée au profit de l’État. Les masses populaires, sans aucune expérience de la démocratie, ne se préoccupent pas de la concentration des pouvoirs aux mains d’un seul parti. Elles soutiennent le nouveau gouvernement. Cependant, cette révolution d’octobre contredit le schéma marxiste. En effet, la première révolution socialiste a triomphé dans un pays à l’économie encore principalement agraire et non dans un État bourgeois capitaliste comme annoncé par Marx. 234
ÉPOQUE CONTEMPORAINE
Si les défis sont énormes, à partir de 1921, la Russie soviétique tente néanmoins de développer son pays. Combattre la pauvreté, l’analphabétisme, les mentalités archaïques et les résistances des paysans aux changements sont les difficultés majeures qui freinent le mouvement. Après une courte pause et un bref retour au capitalisme (la NEP, nouvelle Politique Économique, de 1921 à 1928), l’URSS s’engage en 1928 dans la voie d’une
économie planifiée et collectivisée. En 10 ans, les bases d’une économie moderne sont jetées, mais le prix à payer est lourd : recours à la contrainte, au travail forcé, à la déportation, à l’écrasement des paysans et des opposants. Joseph Staline impose ses idées et sa vision du socialisme au sein du parti et de l’État qu’il dirige d’une main de fer. Cette dictature fondée sur le culte de la personnalité durera jusqu’à sa mort, en 1953. ■
Lénine haranguant les députés du 2e Congrès des Soviets, Saint-Pétersbourg, le 26 octobre 1917. Cette réunion a lieu au lendemain de la prise du Palais d’Hiver et voit la création du gouvernement soviétique dominé par Lénine et le parti bolchevique.
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Les révolutions russes de 1917 Le monde russe
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > La crise économique de 1929
La crise économique de 1929 La crise économique éclate brusquement dans le climat d’euphorie de la reconstruction d’après-guerre. Elle débute par un krach boursier à Wall Street en octobre 1929, gagne les États-Unis, puis le monde entier. Elle provoque l’effondrement de la production et des prix et de graves difficultés dans le secteur agricole. Le commerce international est désorganisé. Chômage, misère et conflits sociaux s’étendent. Le libéralisme économique est mis en cause et l’intervention de l’État dans l’économie s’impose. Cette crise provoque des tensions politiques, favorise la montée des régimes autoritaires et aggrave les tensions internationales.
1. De la crise boursière
à 1929, l’indice des valeurs cotées à Wall Street progresse deux fois plus vite que celui de la production industrielle. Or, celle-ci continue à augmenter alors que la consommation tend à se stabiliser provoquant un phénomène de surproduction.
à la crise générale
Toute l’économie de l’après-guerre, excepté celle de l’URSS, s’était développée sur le modèle libéral, capitaliste, qui avait fait la prospérité de l’Europe au XIXe s. Dix ans après 1918, la production mondiale et le commerce international atteignent des records.
• La crise financière de Wall Street. La crise débute aux États-Unis par une panique boursière. Vers le milieu d’octobre 1929, divers indices économiques inquiètent les milieux professionnels de Wall Street (particulièrement une baisse des bénéfices dans le milieu automobile considéré comme un secteur clé). Des spéculateurs avertis cherchent à vendre leurs titres au moment où les cours sont encore élevés, dès le 18 octobre 1929. Le 24 octobre, le « jeudi noir », c’est la panique. Près de 13 millions de titres sont jetés sur le marché, pour atteindre 16 millions le mardi suivant. Les titres ne trouvent pas de preneurs. En octobre, les actions industrielles perdent un tiers de leur valeur et en novembre, elles baissent de moitié.
• Spéculation
et surproduction : deux signes avant-coureurs aux États-Unis. Il existe des indices menaçants qui engendrent de nombreuses critiques, malheureusement peu écoutées. En effet, l’économie américaine dopée artificiellement par la reconstruction européenne de l’après-guerre s’essouffle progressivement à partir de 1927. La célèbre prospérité américaine des années 1920 provoque un formidable mouvement de spéculation boursière et un recours excessif au crédit. Les Américains commencent à vivre progressivement au-dessus leurs moyens, encouragés par des crédits à intérêts très bas, trop facilement accordés par les banques attirées par les bénéfices. De 1925
• La propagation de la crise financière. Les hommes d’affaires américains, qui ont besoin de 236
ÉPOQUE CONTEMPORAINE
Foule de traders paniqués. Wall Street, le « jeudi noir », 24 octobre 1929.
liquidités pour assumer leurs paiements, rapatrient de l’étranger leurs capitaux. Mais pour les banques qui servent d’intermédiaires dans ces investissements, ne pouvant trouver les fonds nécessaires pour faire face aux remboursements, c’est la faillite. Le retrait des capitaux américains et les nombreuses faillites bancaires accélèrent la crise.
• Le cycle infernal de la crise. Après une crise financière et boursière, la crise devient une crise économique et sociale qui touche l’ensemble des États-Unis. Les banques ne peuvent plus aider et soutenir les industriels, les agriculteurs ou les commerçants qui sont de plus en plus nombreux à mettre la clef sous la porte. La crise boursière accélère donc le ralentissement économique qui entraîne une diminution de la production et une augmentation du chômage. La baisse de la masse salariale et du pouvoir d’achat réduit la consommation, ce qui se répercute sur la production. Un cercle vicieux s’installe : « la crise nourrit la crise ».
Rassemblement d’hommes cherchant un emploi dans le New Jersey, le 17 octobre 1932.
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > La crise économique de 1929
2. Une catastrophe
Opposition parfois marquée entre les habitants des villes et ceux des campagnes qui s’estiment souvent oubliés par les aides publiques. Les étrangers trouvent difficilement de l’embauche et partout l’immigration s’arrête. Les tensions raciales et ethniques augmentent aux États-Unis et ailleurs. En Europe centrale réapparaît l’antisémitisme, thème essentiel de la propagande hitlérienne. En Allemagne, il trouve un écho profond parmi des populations souvent désespérées qui font du juif leur bouc émissaire.
à l’échelle mondiale
La reconstruction européenne de l’après-guerre s’était faite grâce à l’aide massive des États-Unis. Lorsque les industriels américains, durement touchés par la crise boursière, décident de rapatrier leurs capitaux investis en Europe, la crise économique s’étend à notre continent et ensuite progressivement au monde entier. L’Europe touchée par la crise, entre 1930 et 1932, cherche à son tour à rapatrier ses capitaux investis sur d’autres continents ou dans ses propres colonies à travers le monde. L’effondrement de la production industrielle mondiale provoque un ralentissement des échanges commerciaux internationaux. Partout, la demande de matières premières chute. Les pays dépendants des grandes puissances économiques sont touchés à leur tour par la crise économique. La crise devient mondiale.
• Désorganisation
du commerce international. La production industrielle décline brutalement et le commerce international se contracte. Partout apparaît l’instabilité monétaire, on constate de nombreuses dévaluations. Les pays pratiquent aussi le protectionnisme économique afin d’encourager les produits nationaux. Mais ces mesures ne font qu’aggraver la crise mondiale.
• Interventionnisme de l’État. Face à cette crise
3. Les conséquences
économique et sociale, on constate une intervention de l’État dans l’économie de plus en importante : nationalisation de certaines entreprises ou politique de grands travaux afin de créer du travail. Par exemple, le New Deal ou Nouvelle Donne (193338), développé aux États-Unis par le président Roosevelt, a pour but d’aider les populations les plus touchées à sortir de la « Grande dépression ».
de la crise
• Bouleversements sociaux. La crise économique entraîne une augmentation du chômage et de la pauvreté provoquant de nombreuses tensions.
• Remise en cause du capitalisme libéral. La crise économique mondiale de 1929 montre les limites du capitalisme. Staline profite de la situation pour vanter les mérites du modèle communiste et démontre que l’URSS est la seule nation épargnée par la crise. Les partis de gauche et d’extrême gauche gagnent beaucoup de popularité. Cependant, il faut souligner que si l’URSS n’est presque pas touchée par cette crise, l’explication se trouve surtout dans l’important retard industriel qu’elle possède face aux autres grandes nations. • Vers de nouvelles tensions internationales et la mise en place de régimes autoritaires. Les pays qui possèdent des réserves d’or et des colonies sortent plus facilement de la crise. L’Allemagne, l’Italie et le Japon connaissent d’importantes difficultés en raison de la diminution des crédits étrangers
Des centaines de personnes font la file à New York pour recevoir un repas de Noël, le 25 décembre 1931.
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et l’insuffisance de leurs ressources naturelles. La crise mène donc à des politiques d’expansion territoriale et de conquêtes. De plus, bien souvent, elle entraîne d’importantes crises politiques et, dans de nombreux États, la mise en place d’un régime autoritaire offre à court terme de biens meilleurs résultats que ce que tentent d’instaurer les partis démocratiques traditionnels pour sortir le pays du marasme. La crise économique, sociale et politique qui se propage au début des années 1930 est donc une cause de la Seconde Guerre mondiale, car elle produit les circonstances favorables à l’arrivée au pouvoir d’Adolphe Hitler en 1933. ■ Le président Roosevelt visite un camp du Corps Civil de Protection de l’Environnement, en 1930. Cet organisme offrira un emploi à des centaines de milliers d’Américains, dans les années 1930.
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > La Shoah, un crime contre l’humanité
La Shoah, un crime contre l’humanité La Shoah, mot hébreu, désigne la destruction méthodique, planifiée et organisée de tout un peuple. Ce terme est celui utilisé en Europe et en Israël pour nommer le génocide des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale ; les Américains parlent d’holocauste. Les nazis, eux, emploient l’euphémisme de « solution finale ». En janvier 1942, quelques officiels de haut rang du régime national-socialiste allemand (nazi) sont chargés par Hermann Goering, bras droit d’Hitler, d’une mission ultraconfidentielle : organiser l’extermination des juifs d’Europe.
Travailleurs du camp de concentration de Dachau s’apprêtant à transporter le corps d’un homme dans le four crématoire. Photographie d’Heinrich Weingand de 1945.
En 1935, les Lois de Nuremberg stipulent que les juifs sont exclus de la citoyenneté allemande et doivent être expulsés d’Allemagne. Mais, en 1938, un conseiller de l’ambassade d’Allemagne à Paris est assassiné par un jeune juif polonais C’est le prétexte attendu par les nazis pour lancer une campagne de violence systématique et organisée contre les juifs, avec notamment la « Nuit de cristal », nuit durant laquelle 7 500 magasins tenus par des juifs et près de 200 synagogues sont détruits et brûlés dans toute l’Allemagne. Dans les jours qui suivent, la persécution des juifs continue : 25 000 juifs sont envoyés dans des camps de concentration ; ils sont désormais contraints de porter l’étoile jaune de David, en signe distinctif ; ils sont spoliés et isolés dans les « ghettos » où ils sont affamés et utilisés comme force brute de travail. Certains juifs émigrent vers les ÉtatsUnis ou en Europe, avant qu’il ne soit trop tard. Mais si la moitié des 500 000 juifs d’Allemagne restent persuadés qu’ils survivront, d’autres sont simplement dans l’incapacité de partir. Après l’entrée des troupes allemandes en Pologne (septembre 1939), la persécution s’accélère, des
Arrivé au pouvoir, Adolf Hitler ne cache pas sa haine paranoïaque du peuple juif. Les premières mesures antisémites voient le jour en 1933 : les juifs sont écartés des postes dans l’enseignement, des professions libérales et de la fonction publique. 240
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millions de juifs polonais tombent aux mains des autorités nazies. En décembre 1941, l’utilisation de gaz à des fins d’extermination est testée dans un village polonais. L’expérience est une « réussite » et le gazage au Zyklon B est retenu comme solution pour les camps de la mort. Hitler, qui désire accélérer le règlement de la « question juive », passe à la vitesse supérieure en demandant la création de camps d’extermination en Pologne (Auschwitz, Treblinka, Belzec…). Si les juifs et d’autres détenus sont condamnés à mourir par le travail forcé dans les camps de concentration, dans les camps d’extermination, les déportés sont gazés dès leur arrivée. D’abord déshabillés et rasés (vêtements, cheveux, dents en or, lunettes… tout est « récupéré »), hommes, femmes et enfants sont ensuite gazés et leurs corps brûlés dans des fours crématoires. Plus tard, ils seront directement abattus au bord d’une fosse et brûlés sur place. Malgré les tentatives des SS de dissimuler leurs
actes monstrueux, la « solution finale » apparaît au grand jour, avec la libération progressive des différents camps par les Alliés. La solution finale a coûté la vie à près de 6 millions de juifs pendant la guerre. Cette politique d’annihilation vise, outre les juifs, les déficients mentaux, les francs-maçons, les résistants ou les opposants à l’idéologie nazie (comme les communistes), les homosexuels et les Tziganes. Face à cette horreur, la conscience humaine s’est réveillée et révoltée. Le procès de Nuremberg (1945-1946) ouvre la voie aux notions de crimes de guerre et de conspiration contre l’humanité en punissant des criminels de guerre et leurs organisations. ■
Procès de Nuremberg, novembre 1945 – octobre 1946. Les noms des accusés et la peine encourue par chacun d’eux sont indiqués sur cette photographie prise durant le procès.
Étiquette de boîte de Zyklon B. On peut y lire : « Poison gazeux, ne doit être ouvert que par des personnes expérimentées. »
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La Shoah, un crime contre l’humanité Fascismes et Seconde Guerre mondiale
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Le mur de Berlin, ou la division de l’Europe en deux blocs
Le mur de Berlin, ou la division de l’Europe en deux blocs Le mur de Berlin a toujours symbolisé, et symbolise aujourd’hui encore, la division de l’Europe durant la Guerre froide. Il est l’emblème de l’incompatibilité des valeurs défendues par l’Europe de l’Ouest et par l’Europe de l’Est, entre les démocraties libérales et le bloc soviétique. Érigé en 1961, il se maintient pendant 28 ans avant d’entraîner, dans sa démolition, la chute de l’URSS.
› Atlas d’Histoire pl. 137 › Petit atlas d’Histoire pl. 84
Berlin, novembre 1989 : la foule est en liesse. Le mur érigé en 1961 pour séparer la ville en deux est enfin ouvert. Photographie du 12 novembre 1989.
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1. Le blocus de Berlin
passer d’un secteur à l’autre. On estime à près de 3,5 millions le nombre de transferts opérés entre 1948 et 1961, date de construction du mur. Pour enrayer ces fuites et éliminer cette enclave occidentale, les autorités de la RDA décident d’ériger un mur autour de la zone Ouest de Berlin. Dans un premier temps, les Soviétiques, avec à leur tête Khrouchtchev, se montrent assez hésitants car ils ne veulent pas de conflit direct avec les Occidentaux. Ils se laissent finalement convaincre et, dans la nuit du 12 au 13 août 1961, les Allemands de l’Est installent des barbelés à la limite entre les deux secteurs. Ce n’est que dans les semaines qui suivent que le mur proprement dit est construit. Celui-ci sera d’ailleurs perfectionné au fil des ans afin de devenir, finalement, un couloir de sécurité d’une centaine de mètres entre les deux secteurs de Berlin. L’érection du mur stupéfie tant les Occidentaux, qui ne s’attendent pas à une telle offensive malgré le regain de tension entre l’Est et l’Ouest, que les Berlinois eux-mêmes, qui, pour la plupart, ne découvrent la situation qu’à leur réveil. Cette surprise totale peut expliquer le manque de réactivité du camp occidental. Konrad Adenauer, chancelier de la RFA (1949-1963), comme John Fitzgerald Kennedy, président des États-Unis (1961-1963), mettent plusieurs jours à réagir officiellement à la création de ce Mur.
Après la Seconde Guerre mondiale, les trois grandes puissances victorieuses (les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’URSS) s’accordent sur l’organisation de l’Europe. L’Allemagne, vaincue, est divisée et administrée par les vainqueurs. Alors que les États-Unis et la Grande-Bretagne désirent associer la France à leur gestion, la Russie refuse de céder la moindre parcelle du territoire allemand qu’elle occupe. Ainsi, si l’Allemagne est finalement divisée en quatre zones, la partie française est taillée à partir des zones anglaise et américaine, l’URSS contrôlant un tiers du territoire. Berlin, capitale allemande, est alors soumise au même morcellement que le reste du pays et est à son tour divisée en quatre zones. Le problème est que la ville se situe en zone soviétique. Lorsque les relations entre Occidentaux et Soviétiques s’enveniment en 1948, ces derniers entament le blocus de la ville. De cette façon, ils espèrent que, privés de tout ravitaillement et tout contact avec leurs alliés, les Berlinois de l’Ouest capituleront et que la ville sera à nouveau unifiée. Les Occidentaux n’abandonnent cependant pas Berlin, car cela représenterait un échec face aux communistes. Dès ce moment, Berlin devient un symbole. Les Américains et leurs alliés organisent un pont aérien afin de ravitailler la ville. Celui-ci se maintient durant près d’un an, avant que l’URSS ne lève le blocus, consciente de l’impossibilité de réussite de l’entreprise.
2. La construction du mur Le problème berlinois n’est pas pour autant réglé. Si la République Démocratique Allemande (RDA) est l’un des meilleurs élèves des pays satellites de l’URSS, le niveau de vie de sa population est moins élevé que celui de la République Fédérale Allemande (RFA). Or Berlin-Ouest représente une vitrine du capitalisme très attractive pour les Allemands de l’Est. À cela s’ajoute un climat de délation et de répression pesant. Par conséquent, nombreux sont les Allemands de l’Est, notamment les cerveaux, qui passent à l’Ouest. L’un des points de passage fréquemment utilisé par les réfugiés est Berlin, car il suffisait de prendre le métro pour
Le mur de Berlin. Photographie du 17 août 1961. En 1961, le mur est encore une construction assez élémentaire : le mur de pierre est simplement surplombé de fils barbelés. 10 ans plus tard, un couloir de quelques mètres de large est creusé du côté Est et longe le mur, constamment surveillé.
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Le mur de Berlin, ou la division de l’Europe en deux blocs
3. La vie en RDA
la RDA offre aussi de nombreux avantages, notamment dans les services publics : crèches nombreuses, cantines sur le lieu du travail, écoles gratuites, etc. Cependant, l’Ouest reste un eldorado pour de nombreuses familles est-allemandes qui écoutent régulièrement la radio ou regardent la télévision de la RFA. Certains n’abandonnent pas leur idée de passer de l’autre côté du mur, parfois au péril de leur vie, et rivalisent d’imagination pour franchir l’obstacle (tunnels, engins volants, etc.). Nombre d’Allemands de l’Est conservent l’espoir d’un jour être réunis à leurs voisins de l’Ouest.
Si la construction du mur ne met pas fin aux problèmes liés à la partition de l’Allemagne, il réduit nettement les fuites des Allemands de l’Est vers la RFA. La RDA incarne certainement la plus belle réussite du modèle économique communiste mais le fossé reste énorme en comparaison avec les économies des pays de l’Europe occidentale, et en particulier de l’Allemagne de l’Ouest. La collectivisation agraire entamée en 1952 désorganise la production ; la population est rationnée et les files s’allongent devant les magasins pour obtenir les produits alimentaires. La variété des aliments est très limitée et ce jusqu’à la chute du mur, les importations de l’Ouest étant très restreintes. Les logements sont vétustes, l’électroménager tarde à se généraliser ainsi que l’utilisation de la voiture personnelle, et le niveau de vie des habitants est médiocre. À cela s’ajoute une surveillance constante de la part des autorités. Les Allemands de l’Est comprennent vite qu’ils doivent garder pour eux leurs opinions, évitent de mélanger vie privée et vie publique et apprennent à composer avec le régime. Car
4. Le 9 novembre 1989 Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire que la chute du mur de Berlin a entraîné la fin de l’URSS. Toutefois, l’événement doit être envisagé dans un mouvement plus global. Depuis l’avènement de Gorbatchev, en 1985, et de sa politique (la glasnost et la perestroïka) l’URSS offre un nouveau visage. En RDA, la protestation se fait de plus en plus pressante, comme dans la plupart des autres pays communistes, et des réformes apparaissent alors comme inéluctables. Certains Allemands de l’Est profitent de l’ouverture partielle des frontières de la Hongrie avec l’Autriche pour rejoindre ensuite la RFA, sans rencontrer d’opposition de la part des autorités. Alors que le mécontentement s’amplifie en Allemagne orientale et que des manifestations sont organisées, Gorbatchev annonce qu’il ne compte pas envoyer de troupes pour rétablir la situation. L’URSS lâche la RDA et son président, Erich Honecker, qui est d’ailleurs contraint de démissionner le 18 octobre 1989 et est remplacé par le
Mirador sur Erna-Berger-Strasse, vers la Potsdamer Platz. Photographie actuelle. À l’est, un dispositif frontalier, comportant notamment des miradors fut mis en place afin d’empêcher les ressortissants de la RDA et les Berlinois de l’Est de passer à Berlin-Ouest. Un document de 1973, récemment retrouvé dans les archives de la Stasi, prouve que celle-ci avait pour ordre de tirer sur toute personne tentant de franchir le mur vers l’Ouest. Ce document stipule : « N’hésitez pas à faire usage de votre arme à feu, même en cas de violation des frontières par des femmes et des enfants, souvent utilisés par les traitres ». (« Les permis de tuer de la Stasi mis au grand jour », dans Le Figaro du 12 août 2007).
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ÉPOQUE CONTEMPORAINE
années plus tard, l’élan d’espoir et d’enthousiasme qu’a entraîné l’ouverture des frontières ce 9 novembre 1989 montre bien la frustration vécue par les Allemands durant ces décennies de Guerre froide. ■
chef de la Stasi (ministère de la Sécurité de l’État), Egon Krenz, communiste donc, mais plus ouvert aux réformes que son prédécesseur. La révolution est cependant toujours en marche et le nouveau président ne parvient pas à l’arrêter malgré des mesures conciliantes. À la surprise générale, le gouvernement annonce le 9 novembre qu’il modifie les conditions de voyage vers l’Ouest en ouvrant ses postes frontières, y compris à Berlin. En réalité, la RDA ne compte pas supprimer le mur, mais espère simplement montrer des signes de bonne volonté à sa population, ainsi qu’aux dirigeants de la RFA. En effet, Krenz compte sur ces derniers pour maintenir l’économie estallemande à flot depuis que Gorbatchev a abandonné les pays satellites de l’Union soviétique à leur propre sort. À Berlin, dans toute la ville, la foule est en liesse et les habitants du secteur Est passent à l’Ouest par milliers au point que toute tentative de contrôle est rapidement abandonnée. S’il faut attendre le 22 décembre pour que l’ouverture officielle du mur soit prononcée, les autorités de la RDA n’ont plus aucun contrôle sur la situation depuis le 9 novembre. Désormais maîtres de leur destin, les Allemands de l’Est optent pour la réunification de l’Allemagne, qui sera effective le 3 octobre 1990, moins d’un an après la chute du mur. Si par la suite les désillusions seront nombreuses du côté de l’ancienne RDA, que le coût de la réunification est beaucoup plus lourd qu’initialement calculé et qu’il continuera à se faire sentir des
Le violoncelliste russe Mstislav Rostropovich improvise un concert pour fêter l’ouverture du mur de Berlin, le 11 novembre 1989.
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Le mur de Berlin, ou la division de l’Europe… La Guerre froide
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > L’indépendance du Congo belge
L’indépendance du Congo belge Si la décolonisation du Congo n’est pas le résultat d’une lutte armée entre colons et indépendantistes comme ce fut le cas pour d’autres colonies, elle n’est pas non plus le fruit d’une progressive évolution des institutions vers l’émancipation. La situation se développe très rapidement et, le 30 juin 1960, le Congo devient un État indépendant. Cette précipitation est due, entre autres, au climat particulier qui touche l’Afrique de la fin des années 50 et qui voit les mouvements nationalistes et anticolonialistes se développer un peu partout sur le continent.
TKM Lumumba Indépendance. Peinture de Tshibumba Kanda Matulu, vers 1972. La peinture met en scène le discours de Patrice Lumumba, Premier ministre du Congo, lors de la proclamation de l’indépendance de son pays avec, en arrière plan, le roi Baudouin, incarnant l’ancienne puissance colonisatrice, la Belgique. La peinture nous décrit un roi au sourire figé, presque forcé, crispé, signe des tensions qui s’ensuivent entre les deux nations.
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ÉPOQUE CONTEMPORAINE
1. Un système paternaliste
Dans les campagnes, les autorités enjoignent de construire des routes et des ponts et d’augmenter la production. La fin de la guerre modifie le paysage politique mondial et accélère les revendications d’indépendance de la part des colonies. Le Congo, bien que très peu politisé, n’y fait pas exception. Progressivement, une classe moyenne commence à se distinguer, composée d’artisans, de commerçants, d’entrepreneurs, etc., et prend conscience de son identité. Une Association des Classes moyennes africaines est d’ailleurs créée en 1954. Des syndicats font leur apparition, les villes se développent, tandis que les anciennes organisations tribales sont en recul.
qui s’essouffle
La Belgique, qui, depuis 1908, administre le Congo et le legs octroyé par Léopold II à son pays, entretient vis-à-vis de sa colonie une politique paternaliste. En bon père de famille, l’État belge doit subvenir aux besoins du peuple congolais, dans une certaine mesure l’éduquer, en l’assistant plutôt qu’en le guidant vers l’autonomie. Ainsi, les colonisés n’ont pas accès aux postes à responsabilités et ne siègent dans aucune structure politique, du moins jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Si des écoles sont créées, l’enseignement est alors pratiquement entre les seules mains des missionnaires et les Africains ayant la possibilité de poursuivre leurs études au-delà du primaire sont très rares et se destinent généralement à entrer dans les ordres. Les Congolais ne sont donc pas du tout préparés à gérer la vie politique et économique de leur pays. Pourtant, l’économie congolaise se porte plutôt bien, notamment grâce aux investissements belges dans l’exploitation des matières premières. Le véritable point de friction réside cependant dans les inégalités très importantes entre Belges et Africains à tous les niveaux. Dans l’administration, le plus haut niveau auquel un Noir pouvait prétendre était un poste de secrétaire ou de dactylo. Même à travail identique, un Congolais est beaucoup moins payé qu’un Européen. Une ségrégation de fait régnait partout : les Blancs occupaient le centre des villes, les Noirs la périphérie. Les mouvements de jeunesse, les équipes de football, les magasins… étaient distincts. Les revendications commencent surtout à se faire entendre après la Seconde Guerre mondiale.
De nouvelles écoles sont créées. Jusqu’alors aux mains des missionnaires, l’enseignement officiel est désormais placé sous l’égide du ministre libéral des Colonies Auguste Buisseret (1954-1958). Ce dernier tente d’apporter diverses réformes, qui rencontrent souvent l’opposition des colons (entrée de quelques autochtones dans les Conseils, ou encore l’égalité des salaires entre Congolais et Européens pour un travail équivalent). Notons que ceux-ci ne sont pas très nombreux au Congo : l’État belge n’a jamais encouragé une émigration de masse de sa population privilégiant l’implantation d’une élite blanche, de tendance plutôt conservatrice. Quelques partis politiques font aussi leur apparition. Au départ, il s’agit surtout de sections coloniales des grands partis belges. Par la suite apparaissent des mouvements purement congolais : l’Union progressiste congolaise, le Mouvement national congolais (MNC) de Patrice Lumumba (1925-1961), ou encore le parti « ethnique » Abako de Joseph Kasa-Vubu (1913-1969). Les leaders politiques publient des écrits pour réclamer une plus grande autonomie du Congo.
2. Des réformes
nécessaires mais insuffisantes
3. Le chemin vers
l’indépendance
La colonie avait participé à l’effort de guerre ; les industries créées dans les années précédentes ont multiplié le nombre des travailleurs. Mais, les difficultés de transport consécutives au conflit provoquent une inflation des prix alors que les salaires restent stables.
Le gouvernement belge, conscient de l’évolution des mentalités, décide d’organiser des élections municipales dans les grandes villes. Celles-ci ont lieu en décembre 1957 et permettent aux 247
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > L’indépendance du Congo belge
Congolais d’élire leurs représentants pour la première fois. Cependant, les colonisés réclament toujours plus d’autonomie. Influencés en partie par les événements survenus dans les pays voisins et par l’idée défendue par de Gaulle d’une Communauté, sorte d’association entre la métropole française et les colonies, les Congolais imaginent une solution similaire pour eux. L’indépendance totale du Congo n’est pas encore envisagée au début de l’année 1958, la colonie entendant conserver des liens forts avec la Belgique. Toutefois, l’État belge, très divisé sur la question coloniale, se montre toujours réticent envers toutes les revendications des Congolais. Les hésitations du gouvernement ne font que renforcer les aspirations d’indépendance des autochtones. Des émeutes éclatent le 4 janvier 1959 à Léopoldville, à la suite d’un meeting tenu par l’Abako. Les manifestants réclament l’indépendance de leur pays. La répression est sanglante, l’Abako est dissoute et Kasa-Vubu, son leader, est emprisonné. Alors que le gouvernement belge s’apprête à répliquer en annonçant sa nouvelle politique coloniale, le roi Baudouin prend tout le monde de court
avec son discours du 13 janvier 1959, dans lequel il affirme que la Belgique doit mener le Congo vers l’indépendance. Seul le Premier ministre a été mis dans la confidence. Avec ce discours, le roi courtcircuite les milieux les plus conservateurs. Le problème n’est pas pour autant réglé. Les incidents se multiplient et le courant nationaliste se renforce au Congo. Les autorités belges envisagent un temps l’envoi de troupes militaires pour rétablir l’ordre et garder leur emprise sur la colonie, mais cette solution est rapidement écartée. Pour sortir de cette situation, le gouvernement belge décide d’organiser une Conférence de la Table ronde au début de 1960, réunissant tous les partis belges et congolais. Bien que n’ayant pas la même vision du futur du Congo, les partis africains se montrent très unis dans leurs revendications : l’indépendance doit intervenir très rapidement. Face à ce front uni, la Belgique, qui espérait pouvoir organiser une transition en douceur, est obligée de céder et la date de l’indépendance est fixée au 30 juin 1960. Il reste alors à discuter des futures institutions du pays et de la manière de les mettre en place. Finalement, les participants à la Table ronde se séparent sur un accord.
Revue des troupes par le président Joseph Kasa-Vubu et Joseph Mobutu, lors d’une cérémonie militaire au cours de laquelle Mobutu fut promu au rang de Général. Photographie de janvier 1961.
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ÉPOQUE CONTEMPORAINE
4. L’indépendance
a des conséquences désastreuses pour le Congo, en grande partie imputables au gouvernement belge. Celui-ci n’a pas pris conscience à temps du chemin parcouru par sa colonie vers l’indépendance et a trop longtemps refusé de voir qu’elle était inévitable, provoquant la radicalisation des positions des autochtones. La transition rapide qui en a suivi n’a pas permis d’installer des bases saines nécessaires à la bonne gestion d’un pays. L’absence de Congolais dans les organisations décisionnaires pendant la majorité de la période coloniale a également contribué aux dysfonctionnements rapidement observés dans le système politique du Congo indépendant. Par conséquent, on ne peut pas considérer que la Belgique a réussi sa décolonisation. ■
et ses conséquences
Les élections ont lieu en mai. Elles dévoilent un paysage politique contrasté. Certes, le MNC de Lumumba, qui défend l’unité du pays, l’emporte, mais, dans certaines régions, les mouvements indépendantistes obtiennent de très bons scores. Lumumba devient Premier ministre et Kasa-Vubu président. Les tendances divergentes apparues lors des élections sont la cause de nouveaux troubles au Congo après l’accession à l’indépendance qui a effectivement lieu le 30 juin dans un climat de tension. Quelques jours après cette date, certaines régions proclament à leur tour leur indépendance. L’ONU intervient mais ne règle pas le problème. La situation s’enlise et les relations entre Lumumba et les Nations unies s’enveniment. Ces dernières invitent Kasa-Vubu à démettre son Premier ministre, qui sera assassiné quelques mois plus tard (le 11 février 1961). Le chaos s’installe et la situation ne reviendra plus ou moins à la normale qu’en janvier 1963 après des opérations militaires de l’ONU. Parallèlement, les relations entre la Belgique et le Congo se dégradent à cause de l’envoi de troupes belges pour protéger les Européens présents sur place, ce que les Congolais considèrent comme une violation de leur souveraineté. Si la Belgique parvient à régler le sort de sa colonie, la précipitation dans laquelle celui-ci s’est joué
En décembre 1960, Patrice Lumumba est arrêté par les troupes congolaises de Mobutu. D’abord interné, il est finalement exécuté le 17 janvier 1961 à Élisabethville.
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L’indépendance du Congo belge Les décolonisations
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Une monnaie européenne unique
Une monnaie européenne unique L’euro est très certainement un des symboles les plus représentatifs de l’Union Européenne. C’est un élément concret de la vie des citoyens européens. Outre les facilités qu’elle apporte aux voyageurs européens, la monnaie unique marque une étape très importante dans l’intégration économique, mais aussi politique de l’Europe. Cependant, le chemin fut long et délicat. Aujourd’hui encore, certains pays préfèrent conserver leur monnaie nationale, car celle-ci représente l’un des piliers d’un État. Il n’est donc pas surprenant que les partisans de l’intégration européenne aient fait de l’euro leur cheval de bataille depuis des décennies.
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ÉPOQUE CONTEMPORAINE
1. Les origines
L’emballement n’englobe cependant pas tous les pays européens. La Grande-Bretagne et le Danemark préfèrent conserver leur monnaie, symbole de souveraineté nationale. La Suède, qui intègre l’UE en 1995 préfère elle aussi ne pas adhérer à la zone euro.
de la monnaie européenne
L’accord autour d’une monnaie unique pour les pays européens est entériné par le Traité de Maastricht en 1992, mais l’idée faisait son chemin depuis quelques années déjà. Tous les états membres n’étaient cependant pas favorables à cette mesure, la Grande-Bretagne et l’Allemagne en tête. Le débat avait déjà été lancé lors des négociations en vue de l’Acte unique – signé en 1986 – mais n’avaient abouti à rien de concret. Les choses changent au début des années 90 avec les bouleversements internationaux. La chute du mur de Berlin en 1989 a profondément bouleversé la géopolitique européenne, marquant la fin de la Guerre froide et par conséquent la fin de la séparation du continent. Avec l’éclatement de l’Union Soviétique, la Communauté Européenne voit ses perspectives d’élargissement sous un jour nouveau. La RDA (République Démocratique Allemande) est la première concernée, la réunification allemande étant ardemment désirée tant par la population que par les politiciens, le chancelier Helmut Kohl en tête. Dès la fin de l’année 1989, les ambitions de réunification sont affichées. Celle-ci est réalisée le 3 octobre 1990 avec l’aval des quatre puissances gérant l’Allemagne depuis 1945. Toutefois, cette réunification inquiète quelque peu les pays de la Communauté Européenne qui craignent de voir l’Allemagne jouer cavalier seul et pourquoi pas, tenter un rapprochement avec Moscou. Ils sont également inquiets de voir la population allemande ainsi augmenter ; il va falloir accroître le nombre de représentants allemands au Parlement européen. Pour la première fois, l’Allemagne et les autres grands pays européens n’ont plus le même nombre de parlementaires. Avec désormais 80 millions d’habitants, l’Allemagne est le pays qui pèse le plus lourd dans la communauté. Consciente des inquiétudes que leur situation provoque, les Allemands se montrent très conciliants quant à l’orientation à donner à l’intégration européenne. Helmut Kohl, très réticent sur l’idée d’une monnaie unique, accepte d’en discuter, en signe de bonne volonté. Une conférence intergouvernementale est ainsi programmée.
2. Le passage à l’euro La signature du Traité de Maastricht, en 1992, planifie différentes échéances au terme desquelles la monnaie unique entrera en vigueur. Il faut bien sûr que les états acceptent certaines règles, comme diminuer la dette publique de manière à ce qu’elle soit inférieure à 60 % du PIB (Produit Intérieur Brut), ce qui était loin d’être le cas de la plupart des pays européens. Ceux qui désirent adopter la monnaie européenne doivent répondre aux critères de Maastricht. Ces critères visent à faire converger les économies des pays membres (inflation, déficit public, taux d’intérêt, etc.) Il est aussi important de créer une Banque centrale européenne car elle seule aura le pouvoir de frapper monnaie et donc de jouer le rôle de régulateur. Dans un premier temps, la monnaie, encore à l’état de projet, est appelée « Ecu » (European Currency Unit). Ce nom est finalement abandonné et remplacé par « Euro ». Pendant les années qui suivent le Traité de Maastricht, les pays européens s’emploient à satisfaire les critères d’adhésion. Si l’euro est créé dès 1999 et utilisé dans douze pays européens – à savoir la France, l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, l’Irlande, la Grèce, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, l’Autriche et la Finlande –, seules les transactions bancaires peuvent se faire via cette nouvelle monnaie. Ce n’est qu’en 2002 que les pièces de monnaie et les billets font leur apparition. Si le côté pile est identique dans tous les pays européens, le côté face est laissé à l’imagination des états. Par la suite d’autres États se joignent à la zone euro : la Slovénie en 2007, Chypre et Malte en 2008, la Slovaquie en 2009 et l’Estonie en 2011. Le passage à l’euro ne s’effectue pas sans mal auprès de la population. Une augmentation des prix est constatée dans l’ensemble de la « zone 251
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Une monnaie européenne unique
Pièce d’un écu (pile et face) datant de 1987.
euro », les commerçants arrondissant bien souvent les centimes à l’euro supérieur. Si, dans un premier temps, les prix doivent impérativement être affichés en euro et dans l’ancienne devise du pays pour faciliter la conversion et pour une question de transparence, cette mesure ne dure pas. Notons cependant que l’inflation joue également un rôle dans la hausse des prix. Toutefois, l’euro apporte aussi quelques avantages tant pour l’UE que pour les particuliers.
un important outil dans l’intégration politique de l’Europe. • Deuxièmement, une monnaie commune permet de favoriser les échanges commerciaux au sein de l’UE. Il n’y a plus de problème de conversion, la versatilité des taux de change n’a plus d’incidence sur les transactions. Elle vient faciliter les mesures prises précédemment telles que la libéralisation des marchés, la libre circulation des biens, des personnes, des capitaux, etc. d’un pays à l’autre. Elle en est donc la suite logique. Elle permet également une certaine stabilité monétaire au sein de la zone euro. • Troisièmement, la monnaie unique permet une meilleure représentativité de l’Europe à travers le monde. Elle peut venir concurrencer le dollar américain, utilisé pour de nombreuses transactions internationales. Elle est même parvenue à le supplanter en quelques occasions : certains grands pays tels la Chine ou la Russie ont constitué une partie de leur réserve monétaire en euro. Cela renforce l’image des pays européens et de l’UE dans le monde entier. Pour les particuliers, les avantages sont aussi nombreux. La stabilité financière de leur pays a une incidence sur le quotidien de chacun, mais n’est pas vraiment perceptible par la population. Par contre, la grande révolution à l’avantage des ménages est la disparition des taux de changes entre les différents pays de la zone euro et donc la possibilité qui est donnée de voyager avec sa propre monnaie. Certains pays ne faisant
3. Pourquoi
une monnaie unique ?
Les différents gouvernements désiraient une monnaie unique pour plusieurs raisons. • Premièrement, cela représentait un pas supplémentaire dans l’intégration européenne. En effet, cela suppose que chaque pays abandonne une partie de ses prérogatives à un organe commun : la banque centrale européenne. Il faut toutefois noter que le SME (système monétaire européen) existait déjà depuis plusieurs années et avait pour objectif de réduire les fluctuations entre les monnaies européennes. Mais il n’empêchait pas la concurrence entre les états. L’entrée en vigueur de l’euro oblige les pays européens à avoir une cohésion importante des politiques économiques ; désormais il n’est plus question de dévaluer sa monnaie de son côté. La monnaie unique représente donc 252
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pas partie de la zone euro acceptent aussi cette monnaie de la part des vacanciers. Cela permet également une meilleure lisibilité des prix dans les différents états, ce qui est un avantage pour les consommateurs.
euro dont la dette publique dépasse les 60 % du PIB, pourtant un des critères à atteindre pour entrer dans la zone euro. Si la monnaie unique a des avantages évidents, elle apporte aussi ses contraintes. Les états n’étant plus maîtres des dévaluations de leur monnaie pour redresser la situation lorsqu’elle devient critique, les options pour régler le déficit ne sont pas légion. La zone euro a donc pour inconvénient majeur d’enfermer les pays européens dans un carcan et réduit le champ d’action des gouvernements. Toutefois, lorsqu’un pays connaît d’importantes difficultés, les autres pays faisant partie de la même sphère se doivent de lui venir en aide, sous peine de connaître eux aussi des difficultés. Reste à déterminer – et c’est bien là que se situe souvent le problème – comment aider ses voisins. ■
4. Les perspectives Aujourd’hui, l’euro est généralement considéré comme une monnaie forte, rivalisant avec le dollar. Il ne peut cependant pas empêcher à certains pays de connaître des problèmes économiques majeurs. En effet, la Banque centrale européenne ne contrôle pas les économies des pays européens et la crise financière de la fin des années 2000 a plongé certains états dans le rouge. Nombreux sont les états de la zone
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Une monnaie européenne unique
> GRAND ANGLE
L’Europe en construction
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Les États émergents, nouvelles puissances mondiales
Les États émergents, nouvelles puissances mondiales
Panneau publicitaire pour un cybercafé à Bhatia (Inde). Photographie de 2009.
Alors que l’économie et ses nombreux rouages semblaient être principalement l’apanage des Occidentaux, d’autres pays réclamaient, depuis plusieurs années, leur part du gâteau. Désormais, ces États sont devenus des acteurs incontournables de la finance et de l’économie mondiale, et leur croissance, déjà largement supérieure à celle de nos régions, est appelée à continuer de grandir. Parmi ces pays, trois retiennent ici notre attention : la Chine, l’Inde et le Brésil, dont la superficie et le nombre d’habitants leur donnent un atout supplémentaire dans leur quête de puissance.
bond en avant de ce pays asiatique s’est opéré très rapidement. En 1949, la Chine opte pour le communisme et porte au pouvoir Mao Zédong. Ainsi, proche de l’URSS, le pouvoir opte pour un système semblable, favorisant l’industrie lourde et délaissant les réseaux commerciaux. On observe un écart assez important entre les villes, où se concentrent la plupart des investissements, et les campagnes, où vivent pourtant près de 80 % de la population. Malgré plusieurs crises, notamment la révolution culturelle (1966-1976), et une malnutrition chronique, la démographie opère un boom très important, multipliant ainsi la main-d’œuvre. Cependant, à la mort de Mao (1976), malgré des progrès indiscutables dans certains domaines, le peuple chinois fait partie des plus pauvres de la planète. Pour relever leur pays, les successeurs de Mao entreprennent des réformes, introduisant une dose de libéralisme dans leur économie planifiée. Ainsi, les paysans ont le droit de vendre sur des marchés locaux le surplus de leur récolte (montant fixé par
1. La Chine La Chine est devenue, en 2010, la deuxième économie mondiale derrière les États-Unis et est en passe de les rattraper d’ici quelques années. Le 254
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de fermeture face au capitalisme financier malgré les importants capitaux dont il dispose. Si la Chine est devenue une puissance mondiale, elle reste toujours limitée par le manque d’entreprises nationales. Les biens qu’elle produit appartiennent à des entreprises occidentales et sont rarement destinés au marché national (qui d’ailleurs peine à se développer). Toutefois la tendance peut rapidement s’inverser, car les Occidentaux, en faisant fabriquer leurs biens en Chine, importent en même temps des techniques et des savoir-faire permettant aux Chinois de produire, à terme, des biens d’une qualité identique pour leur propre compte. De plus, la Chine investit maintenant ailleurs, ainsi par exemple, depuis les années 2000, elle accapare de plus en plus les marchés en Afrique.
l’État), ce qui leur permet de s’enrichir un petit peu. Parallèlement, les entreprises publiques se voient accorder plus d’autonomie : elles peuvent par exemple fixer les prix de leurs produits, sélectionner leurs fournisseurs, fabriquer de nouvelles gammes de biens en fonction de la demande, etc. Cependant, le moteur de la Chine reste son industrie où vont la majorité des financements. La puissance émergente s’ouvre aussi progressivement aux investissements étrangers. En 1978, le pays crée des ZES (zones économiques spéciales), ce qui permet à la Chine d’ouvrir ses frontières aux investissements des puissances occidentales en leur proposant des conditions avantageuses. Désormais, la plupart des entreprises industrielles dont les sièges sont basés dans les pays occidentaux font fabriquer leurs produits en Chine grâce à ces conditions particulièrement intéressantes et au faible coût de la main-d’œuvre. En effet, la démographie chinoise continue de croître malgré la tentative d’instaurer une politique de l’enfant unique. Ainsi, la masse de travailleurs potentiels étant très élevée, il y a toujours quelqu’un pour remplacer les mécontents. D’ailleurs, les syndicats autonomes et la grève n’existent pas en Chine. Par conséquent, les conditions de travail tardent à s’améliorer. Pour autant, l’État, même s’il opère un certain désengagement, reste très autoritaire (non-respect des droits de l’homme, travail des enfants autorisé, parti unique, etc.) et maintient une politique
2. L’Inde Après sa période coloniale, l’Inde, à nouveau maîtresse de sa destinée, opte pour un régime d’inspiration socialiste, sans pour autant entrer dans le communisme comme la Chine. Toutefois, l’État et l’administration interviennent dans de nombreux domaines, limitant fortement le libéralisme. Au début des années 1990, l’Inde est au bord de la crise et doit faire appel au FMI. Cette aide extérieure n’est permise qu’accompagnée d’une réforme structurelle profonde de l’État indien.
Usine textile en Chine. Photographie de 2010.
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Les États émergents, nouvelles puissances mondiales
croissance, qui le mène en 2010 à la dixième place des puissances économiques. Les premières années qui suivent la fin de la dictature sont difficiles pour l’économie brésilienne, mais les années 90 voient une nette amélioration de la situation par la prise de décisions radicales, notamment l’instauration d’une nouvelle unité monétaire qui permet de mettre fin à l’inflation galopante. Le Brésil s’ouvre progressivement au libéralisme et au capitalisme, même s’il tarde à abaisser ses tarifs douaniers. Il entreprend des privatisations dans tous les secteurs. Cela permet aux entreprises de se moderniser, entre autres grâce aux capitaux d’investisseurs étrangers. Ces réformes sont accompagnées de mesures sociales destinées à améliorer la qualité de vie des Brésiliens : accès aux soins de santé, allocations, programme de scolarisation, etc. Ces mesures permettent aux familles de détenir un meilleur pouvoir d’achat et de soutenir la croissance. Les entreprises brésiliennes se spécialisent dans plusieurs domaines : l’aéronautique, l’automobile, mais surtout l’agro-alimentaire, l’exportation de bois et les agro-carburants (les automobiles construites au Brésil sont généralement équipées de moteurs acceptant ces nouveaux carburants). Bénéficiant d’un espace cultivable énorme, le pays ne se prive pas de l’utiliser, même si cela signifie accroître la déforestation de l’Amazonie, considérée comme le poumon de la planète. Ce qui n’empêche en rien le Brésil de jouer sur les paradoxes et de s’investir dans les conférences environnementales (Rio de Janeiro, 1992). La redistribution des terres ainsi récupérées n’est pas équitablement distribuée et va dans les mains des grands propriétaires, qui augmentent ainsi leur superficie d’exploitation et donc leur bénéfice. Les petits propriétaires n’ont bien souvent pas une terre suffisamment grande pour être rentable et la revendent, ce qui accentue le fossé économique entre les grands propriétaires et les autres. Cependant, le Brésil se tourne résolument vers l’avenir en investissant dans la recherche et les nouvelles technologies, surtout celles qui concernent l’agriculture, pour rester à la pointe dans ce domaine. Se munissant ainsi des meilleures machines, des meilleurs pesticides et autres engrais, le Brésil mise avant tout sur sa ressource première : la terre, quitte à la mettre en péril. ■
Entreprise informatique en Inde. Photographie de 2004.
Ainsi, au cours de la décennie, le pays s’ouvre aux investisseurs étrangers en leur permettant, par exemple, de détenir jusqu’à 100 % du capital d’une entreprise basée sur son sol, pour autant que ses produits soient destinés à l’exportation. Il diminue aussi sensiblement les droits de douane et entreprend ses premières privatisations. Comme la Chine, l’Inde bénéficie d’une manne ouvrière très importante ce qui en fait une région très attractive pour les pays occidentaux qui emploient ainsi une main-d’œuvre à bas coût. L’Inde, comme son puissant voisin, se spécialise dans le textile et les productions en série, mais aussi dans l’informatique et autres technologies, développant un savoir-faire de pointe. Elle se montre également très prudente dans la libéralisation financière, limitant les mouvements de capitaux pour éviter les fluctuations liées à des placements à court terme. Une différence reste tout de même importante par rapport à la Chine : le principal moteur économique de l’Inde est son marché intérieur. La croissance de l’Inde semble devoir se maintenir. Elle parvient à tenir la dragée haute à la Chine grâce à quelques avantages : la langue anglaise est parfaitement maîtrisée par les élites ; elle encourage sa croissance démographique ; et elle a développé un régime démocratique bien que le système de caste se maintienne.
3. Le Brésil Comme plusieurs de ses voisins d’Amérique latine, le Brésil connaît un régime dictatorial et ne s’en débarrasse qu’en 1985. Ce n’est qu’à partir de ce moment que le pays commence véritablement sa 256
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Vue sur les favelas (habitats précaires), aux abords de la ville de Rio de Janeiro. Photographie de 2009.
La déforestation de la forêt amazonienne au Brésil. Photographie actuelle.
> FOCUS > GRAND ANGLE > PAT PATRIMOINE PATRIM RIMOIN RIM OINE OIN E
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Les États émergents, nouvelles puissances… La mondialisation
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FOCUS
PATRIMOINE
Préhistoire Lascaux, premières expressions artistiques. . . . . . . . . . . . . . . . . 260
Antiquité Les premières écritures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le Parthénon à Athènes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La tombe princière de Vix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le forum romain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Moyen âge Des murailles contre les incursions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 270 L’église San Vitale à Ravenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 272 La grande mosquée de Cordoue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 274 L’Évangéliaire de Charlemagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 276 La cathédrale de Tournai . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 278
Temps modernes Le Templo Mayor à Mexico . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La chambre des époux de Mantegna . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Versailles, château et jardins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le Taj Mahal en Inde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Époque contemporaine Épisode des journées de septembre 1830 de Wappers . . . . . . . Un site industriel, le Grand-Hornu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les « arts premiers » africains . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Un film, Le Cuirassé Potemkine d’Eisenstein . . . . . . . . . . . . . . . . Le Cri de Munch . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le fort de Breendonk . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les affiches politiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Une chanson, Indépendance cha-cha . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Une caricature politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le jeans, un vêtement universel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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PATRIMOINE
PATRIMOINE Héritage du passé, le patrimoine est une production – matérielle ou immatérielle – propre à une civilisation, une époque, parfois un artiste. L’œuvre ainsi créée est révélatrice d’une identité. Bien commun à toute l’humanité, le patrimoine nous offre un contact sensible avec le passé. Mais les traces qui sont arrivées jusqu’à nous sont innombrables. Seule une petite sélection est proposée ici, chaque œuvre constituant un reflet remarquable d’une époque. Cette partie, plus encore que d’autres, invite à poursuivre le voyage culturel.
PATRIMOINE
> PRÉHISTOIRE > Lascaux, premières expressions artistiques
Lascaux, premières expressions artistiques Le 12 septembre 1940, quatre jeunes gens découvrent sur un coteau du village de Montignac, en Dordogne, un boyau dans lequel ils se faufilent : ils viennent de découvrir l’extraordinaire grotte de Lascaux. À la lueur de leurs torches, ils contemplent médusés un fabuleux ensemble de peintures. Lascaux n’est pas la plus ancienne grotte ornée, ni la première retrouvée. Altamira en Espagne est connue depuis 1879 ; d’autres sont découvertes après, comme la grotte Cosquer en 1985 près de Marseille et la grotte Chauvet en Ardèche en 1994. Mais Lascaux est certainement l’une des plus importantes, tant par le nombre que par la qualité esthétique de ses peintures et gravures. L’Unesco l’a inscrite au patrimoine mondial de l’humanité en 1979.
L’art préhistorique apparaît au Paléolithique, entre 30 000 et 12 000 ans, période pendant laquelle l’homme moderne se répand en Europe. Les préhistoriens distinguent les peintures et gravures qui ornent les parois des grottes (art pariétal) et celles qui ont été retrouvées sur des rochers en plein air (art rupestre). Peintures et gravures se retrouvent dans le monde entier, mais pour le Paléolithique, c’est en Europe qu’elles sont numériquement prédominantes. On dénombre à ce jour près de 300 sites, pour la plupart situés dans le sud de la France (Aquitaine, Ardèche, Pyrénées) et le nord de l’Espagne (Cantabrie), et quelques-uns au Portugal et en Italie. Protégées des intempéries et des changements climatiques, les œuvres pariétales
Salle des Taureaux dans la Grotte de Lascaux, Périgord. Paléolithique.
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PRÉHISTOIRE
Homme à tête d’oiseau renversé par un bison, dans la Grotte de Lascaux. Paléolithique.
souterraines sont en général bien conservées ; à l’inverse, celles situées en plein air ont connu les phénomènes d’érosion. Les artistes ont utilisé les irrégularités de la paroi pour donner un relief au motif représenté ; cela est particulièrement visible à Lascaux. Les couleurs variées – noir, rouge, orange, brun, jaune, blanc – sont obtenues à partir de pigments minéraux (comme l’ocre, l’oxyde de manganèse ou le kaolin) ou de charbons d’origine végétale. Pour s’éclairer, les artistes ont utilisé des lampes, godets de pierre remplis de graisse animale et munis d’une mèche ; ils ont construit des échafaudages en bois pour atteindre le haut des parois.
Aucune de ces hypothèses ne peut être confirmée. De même, les nombreuses mains peintes ne répondent pas à nos interrogations : s’agit-il de signer un dessin ou de marquer une propriété ?
Partout, l’animal est le thème figuratif majoritaire : bisons, chevaux, mammouths, félins, capridés, cervidés, ours, rhinocéros, aurochs... Ils sont symboliques : pas de bête traquée, ni de troupeaux. Les représentations humaines sont rares en peinture, alors qu’elles abondent en sculpture. À Lascaux, une scène montre un homme stylisé à tête d’oiseau, renversé par un bison qui charge ; ce dernier, le ventre ouvert, perd ses entrailles.
Les signes abstraits abondent également : points, lignes, rectangles, cercles… Là encore, la signification nous échappe. Néanmoins, la répétition de ces dessins et leur organisation dans l’espace ne sont certainement pas le fruit du hasard et témoignent d’une pensée cohérente, dont le sens ne nous sera peut-être jamais donné. ■
La grotte des Mains en Patagonie. De 13000 à 9500 av. J.-C.
Les préhistoriens cherchent depuis longtemps à interpréter le sens de ces dessins. S’agit-il d’œuvres d’art pour l’art ? Mais alors, pourquoi avoir peint au fond de grottes sombres et inaccessibles ? S’agit-il d’un rituel magique pour obtenir une bonne chasse ? Mais les animaux représentés ne sont pas nécessairement ceux qui étaient le plus chassés ; à l’époque où furent réalisées les peintures de Lascaux, c’est le renne, le moins figuré, qui abondait. Ces peintures étaient-elles utilisées dans le cadre de cérémonies religieuses ou de rites chamaniques, au cours desquels des hommes tentaient d’entrer en contact avec le surnaturel ?
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Lascaux, premières expressions artistiques
> GRAND ANGLE
Les mondes de la Préhistoire
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> FOCUS
La « révolution » néolithique
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PATRIMOINE
> ANTIQUITÉ > Les premières écritures
Les premières écritures L’écriture est un moyen technique pour communiquer, mémoriser, archiver et ordonner. Au départ, elle servit à transcrire des actes effectués oralement pour en garder la trace. Puis, elle permit de faire des prévisions, des calculs… Ensuite, elle donna la possibilité aux sociétés de se situer dans la durée. Elle apparut en même temps que les premiers États, d’abord dans le pays de Sumer en Mésopotamie (Iraq), ensuite en Égypte, en Chine et en Amérique centrale. Elle est distincte de la langue : ainsi, l’écriture cunéiforme servit à noter non seulement le sumérien, mais aussi l’akkadien, le babylonien…
Sphère d’argile creuse et calculi provenant de Suse. Époque d’Uruk, vers 3000 av. J.-C. Musée du Louvre, Paris. Tablette d’argile provenant de Kish, Basse Mésopotamie. Vers 3000 av. J.-C. Musée du Louvre, Paris. Il s’agit d’un bordereau mentionnant les biens à livrer : bière, pain, bétail. Les signes étaient écrits sur l’argile molle à l’aide d’un roseau taillé (le calame) qui laissait des empreintes en forme de coin (cuneus en latin), d’où le nom d’écriture cunéiforme attribuée par les archéologues.
C’est à Uruk, au sud de Bagdad que furent découverts les plus anciens documents écrits connus, datant du IVe millénaire. D’abord, pour aider les marchands, les Sumériens inventèrent les calculi : il s’agit de petites billes ou de cônes en argile représentant la denrée échangée et contenus dans une bulle d’argile qu’il fallait casser pour en connaître le contenu. Puis, ils inventèrent les sceaux-cylindres : en pierre, en verre, en ivoire ou en métal, ils portaient des dessins gravés, qui roulés sur de l’argile molle, produisaient une image continue en relief. Ces sceaux furent utilisés depuis le IVe millénaire pour clore les portes des entrepôts, les jarres, les lettres.
Ensuite, à l’aide d’un roseau taillé en biseau, le calame, ils imprimèrent des signes sur des tablettes d’argile. Le calame laissait une trace en forme de coin, d’où le nom de cunéiforme donné à cette écriture. Les signes étaient d’abord des pictogrammes (dessins figuratifs), puis des idéogrammes (signes représentant une idée) et enfin des phonogrammes (exprimant le son de la langue). En fait, les trois sortes de signes étaient utilisées simultanément et combinées. La complexité de cette écriture exigeait un apprentissage de plusieurs années, ce qui entraîna l’apparition d’une caste spécialisée : les scribes. Les premiers écrits étaient économiques : registres d’exploitations agricoles, ventes de maisons… 262
ANTIQUITÉ
Sceau-cylindre en calcaire provenant de Khafadje (Mésopotamie antique). IVe millénaire av. J.-C. Musée national d’Iraq, Bagdad. Ce sceau-cylindre était roulé sur une tablette d’argile pour en reproduire le motif ; il garantissait ainsi l’authenticité de ce qui était scellé.
La pierre de Rosette. IIe s. av. J.-C. British Museum, Londres.
mais très vite, l’écriture cunéiforme permit d’évoquer des idées abstraites. C’est ainsi que parmi les milliers de tablettes mises au jour, on trouve des documents administratifs (actes d’état-civil, listes de donations, comptabilités), des documents juridiques (codes, compte rendu de procès), des documents scientifiques (cartes, problèmes de mathématique ou de géométrie), des documents religieux (hymnes, dédicaces…), mais aussi le plus ancien texte littéraire, L’épopée de Gilgamesh, roi d’Uruk, qui eut un énorme retentissement par la suite et dans lequel se trouve la plus ancienne version du Déluge dont parle la Bible. En Égypte, la première écriture fut hiéroglyphique : ce système très complexe utilisait près de 5 000 signes. Gravés ou peints, les hiéroglyphes étaient constitués de dessins, lourds et contraignants, inadaptés à la vie courante. Ils étaient réservés aux murs des temples et des tombes, ainsi qu’aux Livres des morts rédigés sur papyrus. Très rapidement, les scribes égyptiens mirent au point une forme d’écriture cursive, la hiératique, utilisée pour les textes administratifs, juridiques, commerciaux et littéraires. Ces deux types d’écriture combinent des phonogrammes, des idéogrammes et des déterminatifs. Simplement, l’écriture hiératique a remplacé les dessins par des signes cursifs plus aisés à tracer. À la fin du Ier millénaire, elles furent remplacées dans la vie quotidienne par l’écriture démotique, plus simple et plus rapide. Sur la pierre de Rosette, découverte en 1799 dans le delta du Nil, le même texte est écrit en hiéroglyphes et en démotique, ainsi qu’en grec : c’est ce qui permit au français Champollion de les déchiffrer pour la première fois (1822).
Vers 900 av. J.-C., l’alphabet de 22 lettres (des consonnes) utilisé par les Phéniciens se diffusa peu à peu dans toute la Méditerranée. Les Grecs y ajoutèrent les voyelles. Il se lisait de droite à gauche, comme l’arabe et l’hébreu. Il est à l’origine de tous les alphabets en usage à l’heure actuelle. ■
La pierre de Rosette est un bloc de basalte noir gravé découvert à El-Rachid (Égypte), en 1799, par un officier de l’armée napoléonienne. Un même texte y est rédigé en hiéroglyphes, en démotique et en grec.
Stèle phénicienne découverte à Marsala (Sicile). VIe s. av. J.-C. Musée archéologique régional Antonio Salinas, Palerme (Italie).
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Les premières écritures Le monde du Proche-Orient antique
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La naissance de l’urbanisme
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> ANTIQUITÉ > Le Parthénon à Athènes
Le Parthénon à Athènes Le Parthénon est un temple construit entre 447 et 438 av. J.-C. par les architectes Iktinos et Kallikratès sur l’Acropole d’Athènes à l’initiative de Périclès. Le temple est destiné à recevoir la statue chryséléphantine (en or et en ivoire) d’Athéna Parthenos (= Vierge) réalisée par Phidias. C’est un « temple-trésor » plutôt qu’un temple cultuel car sa fonction est d’abriter le trésor de la Ligue de Délos. Comme tous les bâtiments votifs, il est aussi abondamment sculpté. Il resta presque intact jusqu’au début du XIXe s. quand la plupart des sculptures ont été emportées et exposées au British Museum de Londres.
Le péristyle du Parthénon. Photographie actuelle.
Parthénon (vue du Nord-Ouest). Photographie actuelle.
Le Parthénon est un temple périptère (entouré de colonnes) rectangulaire aux proportions classiques (n = 2n + 1 ) : façade de 30,87 m (8 colonnes), sur 69,50 m de longueur (17 colonnes). Le péristyle était destiné à protéger les visiteurs des intempéries et du soleil mais aussi d’animer le bâtiment grâce aux jeux d’ombre et de lumière obtenu par les mouvements du soleil. Il
est assez étroit de manière à augmenter l’espace intérieur. La porte du temple était protégée par le pronaos à l’est, vestibule assez réduit qui donne accès au naos. Comme dans la plupart des temples grecs, la porte était coûteuse et fragile, fabriquée avec du bois précieux, marquetée d’ivoire, cloutée d’or avec des ornements de bronze ciselés et dorés. 264
ANTIQUITÉ
Croquis des corrections optiques. D’après Le Courrier de l’Unesco, juin 1968, p. 18. Commentaire : Ces croquis de la façade du Parthénon montrent les effets de la compensation visuelle appliquée à l’architecture : 1) Le temple tel qu’il apparaît aux yeux du visiteur ; les lignes semblent parfaitement horizontales ou verticales. 2) La même face du temple telle qu’on la verrait si elle avait été construite comme sur le croquis 1. 3) Le temple tel qu’il est construit en réalité : les colonnes sont inclinées vers l’intérieur, le soubassement, l’entablement, l’architrave et la corniche ont une courbe convexe.
Le naos est le « foyer » du temple. C’est là que se dressait la statue chryséléphantine de la Parthenos, haute de 12 m dressée sur un grand piédestal. Elle est entourée d’une colonnade intérieure qui détermine une nef centrale de 10,60 m. Le naos est éclairé par deux fenêtres qui enveloppent d’un halo de lumière la statue que l’on pouvait admirer par l’ouverture de la porte. La Parthenos est une offrande et ne fait pas l’objet d’un culte spécifique. Les sacrifices étaient célébrés à l’extérieur, sur un autel, vestige d’une construction antérieure. L’opisthodome à l’ouest est un porche donnant accès à la salle carrée aux quatre colonnes ioniques qui abritait derrière sa porte renforcée de barreaux de fer, le trésor d’Athéna fourni à Athènes par les alliés de la Ligue de Délos. C’est cette pièce qui à l’origine était appelée Parthénon, peut-être parce que s’y tenaient les vierges qui portaient le péplos (vêtement brodé) de la déesse. Exceptionnel par sa fonction et son plan, le Parthénon l’est aussi par son élévation. Pour corriger les illusions d’optique, le soubassement sur lequel repose l’édifice est convexe ainsi que l’entablement (6 cm de convexité sur les petits côtés et 12 cm sur les longs côtés). De plus, les colonnes présentent un renflement au 2/5 de leur hauteur et sont légèrement inclinées vers l’intérieur. Les colonnes d’angles sont plus grosses pour qu’elles n’apparaissent pas plus minces que les autres. La plupart des blocs, taillés dans le marbre du Pentélique, ne sont donc pas interchangeables car ils ont été taillés au millimètre près. Ces subtilités presque imperceptibles donnent l’illusion d’une verticalité et d’une horizontalité parfaites.
De tous les temples grecs, le Parthénon est l’un des plus ornés. Une frise dorique composée de 92 métopes (panneaux sculptés sur fond rouge compris entre deux triglyphes bleus) illustrent des thèmes mythologiques : les combats contre les Amazones (Ouest), les Centaures (Sud) et les Troyens (Nord), ainsi que les combats des Dieux et des Géants (Est). Une frise ionique de 160 m de longueur sur la face extérieure du mur de la cella évoque la procession des Panathénées en l’honneur d’Athéna, avec au centre du cortège, les cavaliers et les quadriges. Deux vastes frontons avec près d’une cinquantaine de figures colossales représentent à l’Ouest Athéna se disputant avec Poséidon pour la possession de l’Attique et en façade la naissance d’Athéna sortie en armes de la tête de Zeus. Le style sculptural des métopes est plutôt raide et sévère contrairement à celui de la longue frise ionique des Panathénées qui est empreinte de virtuosité. Cette même attitude recherchée se retrouve dans le style des frontons. ■
Plan du Parthénon.
Centaure combattant un Lapithe. Métope sur la frise extérieure située au sud du Parthénon. British Museum, Londres. Une métope est un panneau architectural rectangulaire décoré de reliefs. Les Lapithes sont les membres d’une tribu mythologique grecque.
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Le Parthénon à Athènes Le monde grec
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L’émergence du citoyen
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> ANTIQUITÉ > La tombe princière de Vix
La tombe princière de Vix En 1953, au pied du Mont Lassois, à Vix en Bourgogne, des archéologues fouillent le tumulus qui domine la Seine. Il mesurait à l’origine 40 m de diamètre sur une hauteur de 4 à 6 m. En dessous, les chercheurs découvrent alors une chambre funéraire d’environ 3 m sur 3, dont les murs et le toit sont cloisonnés de bois. La personne inhumée, une femme d’environ 35 ans, vêtue de ses plus beaux atours, est couchée dans le caisson d’un char orienté nord-sud. Les roues du char, démontées, sont posées contre la paroi. Un riche mobilier funéraire accompagne la défunte, notamment un torque d’or, véritable chef-d’œuvre d’orfèvrerie, et un énorme cratère en bronze, le plus grand récipient connu de l’Antiquité. Reconstitution de la tombe de la « princesse » de Vix en Bourgogne. VIe s. av. J.-C. Musée de Châtillon-sur-Seine, France.
Cette riche sépulture remonte aux dernières années du VIe s. av. J.-C., à la fin du premier Âge du Fer (époque de Hallstatt). À ce moment, le Mont Lassois occupait une place stratégique sur la route de l’étain qui relie les îles Britanniques à l’Étrurie et à la Grande Grèce (sud de l’Italie) ; les artisans grecs et étrusques utilisaient l’étain pour fabriquer leurs objets en bronze. Au grand étonnement des fouilleurs, la tombe, véritablement princière, était celle d’une femme et comprenait des pièces importantes importées d’Italie. La présence d’une tombe princière féminine n’était pourtant pas une exception dans le monde celtique. Et les tombes à char étaient la règle pour les personnages de haut rang. Le mobilier de la tombe comprenait au moins deux chefs-d’œuvre : tout d’abord le cratère à volutes en 266
ANTIQUITÉ
bronze, haut de 1,64 m, pesant 208 kg et pouvant contenir près de 900 litres ; ce vase est si grand qu’il fallut probablement le transporter en pièces détachées et le monter sur place. Il s’agit vraisemblablement d’un cadeau diplomatique, arrivé du sud de l’Italie soit par la route des Alpes, soit par le port de Marseille. Il a été fabriqué dans un atelier d’une colonie grecque d’Italie du Sud. La frise décorative, composée de huit chars de guerre alternant avec des hoplites (fantassins grecs), est caractéristique du style grec de l’époque. De plus, les deux anses sont ornées de gorgones grimaçantes. Dans la mythologie grecque, les gorgones étaient trois femmes monstrueuses, à la chevelure constituée de serpents et au regard pétrifiant.
En fait, c’est un véritable service à boire à la mode grecque ou étrusque qui accompagnait la dame dans sa tombe : • l’énorme cratère servait, lors du banquet, à mélanger le vin et l’eau ; • une œnochoé (une cruche) en bronze était utilisée pour verser la boisson ; • trois coupes pour boire ; la cruche et les coupes sont en bronze aussi, mais d’origine étrusque. Il y avait en outre une coupe en argent sans pied ni anse, de fabrication locale, des coupes en céramique peinte, à la mode grecque de l’Attique. Le char à quatre roues et tous les objets de parure (anneaux de bronze et de lignite, fibules, perles d’ambre et de pierre, un grand torque en bronze) proviennent d’ateliers celtiques.
Le deuxième objet remarquable était un torque, collier rigide, fait de 480 g d’or pur, dont les bouts étaient décorés de minuscules chevaux ailés, moulés selon la technique de la cire perdue. Ce torque est caractéristique de l’artisanat celtique.
Une telle profusion de richesses révèle le haut rang de cette Dame appartenant à l’aristocratie celtique : cette tombe peut être comparée à celle du « prince » de Hochdorf dans le Bade-Wurtemberg en Allemagne, datant de la même époque, qui elle non plus n’avait pas été pillée avant sa découverte. La Dame de Vix était-elle aussi une princesse dirigeante ? Faute de textes, on peut le supposer, mais non le prouver. Quoi qu’il en soit, la somptuosité de cette sépulture nous rappelle la considération dont jouissaient les femmes dans la société celtique. ■
Torque en or faisant partie du trésor funéraire de Vix. VIe s. av. J.-C. Musée de Châtillon-sur-Seine, France.
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Statuette en bronze ornant le couvercle du cratère retrouvé dans la tombe de Vix. VIe s. av. J.-C. Musée de Châtillon-sur-Seine, France.
La tombe princière de Vix Le monde des Celtes
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La conquête des Gaules
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> ANTIQUITÉ > Le forum romain
Le forum romain
Le forum romain. Vue actuelle.
Le forum de Rome est un vaste espace situé le long du Tibre, qui a accueilli dès son origine sous les rois étrusques, un grand nombre de constructions en tous genres : temples, bâtiments administratifs et judiciaires, sièges des assemblées, tombeaux, arcs de triomphes… Traversé d’est en ouest par la Via Sacra, il était orné de portiques et de colonnes. Ce fut le centre de la vie religieuse, politique et économique de la ville, mais aussi lieu de promenades et de rencontres, durant près de dix siècles. Il fut maintes fois transformé, détruit (notamment, par un incendie en 64) et reconstruit, agrandi et embelli.
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ANTIQUITÉ
les magistrats) sont logées au pied du Capitole. Les assemblées des citoyens se réunissent dans le Comitium, sous la direction de magistrats siégeant sur les rostres, tribune de laquelle ils s’adressent au peuple. La Curie est le siège des assemblées du Sénat. Les lois sont affichées au Comitium. Dès l’origine, le forum fut un lieu d’échanges et de rencontres. Il se situe à l’intersection des axes majeurs de la Cité. Se retrouvent là de multiples commerces, comme boulangeries, boucheries, boutiques des usuriers… À partir du IIe s. av. J.-C. apparaissent des sortes de marchés couverts où l’on rend aussi la justice, ce sont les basiliques. L’allure du forum est complètement transformée : il est régularisé et devient un espace fermé. Les habitations privées et les activités d’échanges sont repoussées en arrière du forum.
La maison des Vestales dans le forum romain. Vue actuelle.
Le forum de Rome s’est développé aux pieds des collines du Palatin et du Capitole, sur les rives du Tibre, dans une dépression étroite et marécageuse aux VIe et IIIe s. av. J.-C. Ce premier forum est étrusque. Excellents hydrauliciens, les Étrusques asséchèrent les marais et drainèrent les sols. Ils creusèrent au centre de la place un égout (le Cloaca maxima) qui permit d’assainir et de rendre l’emplacement constructible.
À la fin de la République, le forum sera le témoin de faits majeurs des guerres civiles (assassinat de Jules César en 44 av. J.-C.). Il est alors surchargé de monuments commémorant la grandeur de Rome. Jusqu’au début de l’Empire, le forum est aussi le lieu privilégié des loisirs populaires : pièces de théâtres et combats de gladiateurs.
Le site présente des avantages appréciables : c’était un des rares endroits où le Tibre pouvait être franchi et d’où il était navigable (les barques pouvaient le descendre jusqu’à la mer et le remonter) ce qui a permis à Rome de détenir la clé du commerce du sel. Les rois étrusques y situent leur demeure officielle, la Regia, puis y construisent le temple de Vesta et la maison des Vestales, garants de la protection de la ville. Dès l’origine, le forum est le centre politique et religieux de la ville.
Sous Auguste, le forum atteint une splendeur inégalée. L’empereur fait placer près des rostres le milliaire d’or, une pierre revêtue de bronze qui marque le point de départ de toutes les routes de l’Empire. Le centre de Rome devient le centre du monde. Mais le forum est devenu trop étroit et les empereurs, tous désireux de construire un espace à leur propre gloire, inaugurent de nouveaux forums impériaux. Le forum perd alors son importance politique et devient un lieu historique, un lieu de promenade. Finalement laissé à l’abandon dès le VIIe s., il est peu à peu enfoui sous les terres pour être progressivement remis au jour depuis le milieu du XIXe s. ■
La République conserva ces bâtiments en leur conférant un caractère strictement religieux. D’autres temples seront ajoutés – celui de Castor et Pollux, symbolisant le pouvoir des patriciens, celui de Saturne qui abrite le trésor public et enfin le temple de la Concorde, symbole de la réconciliation entre patriciens et plébéiens.
> PATRIMOINE
Le forum est aussi le siège de la politique romaine car les trois institutions politiques de la République romaine (les Comices, le Sénat et
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Le forum romain Le monde romain
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Le début du christianisme
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> MOYEN ÂGE > Des murailles contre des incursions
Des murailles contre des incursions Depuis le Néolithique, les sédentaires ont craint les populations nomades et ont cherché à s’en protéger. Les empereurs, chinois et romains, ont également eu le souci de mettre leur population et leur civilisation à l’abri derrière de grandes murailles, lorsqu’il n’y avait pas de défenses naturelles comme des montagnes ou des fleuves. Des vestiges de ces ouvrages militaires extraordinaires, longs de plusieurs centaines de kilomètres, sont encore visibles aujourd’hui.
La Grande muraille de Chine fut édifiée tout au long des siècles : commencée bien av. J.-C., elle fut ensuite sans cesse restaurée puis consolidée, dans le but d’arrêter les incursions des nomades venus du Nord.
Mur construit sous le règne de l’empereur romain Hadrien, dans la première moitié du IIe s. ap. J.-C., entre la mer du Nord et la mer d’Irlande : il servait à surveiller et contenir les tribus du nord de la Grande-Bretagne.
• La Grande muraille de Chine
de génie militaire du monde. La plus grande partie de ces extraordinaires fortifications remonte à la période Chunqiu (722-481 av. J.-C.) et à celle des Royaumes combattants (453-221 av. J.-C.).
Vers 220 av. J.-C., l’empereur Qin Shi Huangsi entreprit de réunir des tronçons de fortifications existants pour en faire un système défensif cohérent contre les invasions venues du nord. Poursuivis jusque sous les dynasties Ming (1368-1644), ces travaux ont produit le plus gigantesque ouvrage
Ces royaumes combattants avaient pour origine la distribution de terres et la création de provinces autonomes décidées par l’autorité centrale. 270
MOYEN ÂGE
À partir du Ve s. av. J.-C., les seigneurs à la tête de ces provinces étaient devenus politiquement et militairement autonomes et sans cesse en lutte les uns contre les autres. Le prince de Qin, en 221 av. J.-C., avait remporté une victoire décisive : il se fit proclamer Qin Huangdi Shi et devint ainsi le créateur du premier empire chinois centralisé.
route militaire, également pourvue de forts et de tours, qui formait le limes. Ce limes ou ligne frontière s’étendait sur 5 000 km depuis la côte Atlantique au nord de la GrandeBretagne, traversant l’Europe jusqu’à la mer Noire et, de là, jusqu’à la mer Rouge et l’Afrique du Nord, pour revenir à la côte Atlantique. Certains éléments de cette frontière ont été découverts lors de fouilles : soit ils avaient été détruits, soit parfois même reconstruits. Ainsi, en Allemagne, deux tronçons de 550 km relient le nord-ouest jusqu’au Danube, au sud du pays.
Il a laissé une trace impérissable dans l’histoire, surtout depuis la découverte en 1978 de son mausolée et de l’extraordinaire armée de terre cuite qui l’accompagnait. L’ensemble, qui a été construit par des centaines de milliers d’ouvriers et d’artisans, s’étend sur une étendue de plus de 50 km2.
En Angleterre, le mur, construit sur l’ordre de l’empereur Hadrien entre 130 et 140 après J.-C., courait sur 118 km et avait pour but de protéger la province romaine de Britannia contre les invasions ou les infiltrations venues du nord. Il fut abandonné par les légions dans les années 160. Dès lors, les populations locales ont réemployé les pierres pour leur usage et les restes des murs et fossés furent progressivement enfouis au cours des siècles, voire détruits selon les besoins. Il n’en reste que quelques vestiges ici et là… ■
• Le mur romain d’Hadrien À partir du IIe s., les empereurs romains ont dû donner la priorité à la défense des frontières. En Europe, le Rhin et le Danube formaient des frontières naturelles. Ils étaient jalonnés de tours de guet et de forts ; des patrouilles navales fréquentes complétaient le dispositif. Dans les déserts d’Afrique du Nord et du Proche-Orient, c’était une
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Armée de terre cuite (détail). Il y a plus de 2000 ans. Mausolée de l’empereur Qin Shi Huangdi, Xi’an (Chine). Une thèse affirme que le premier empereur aurait fait construire cette armée, afin qu’elle soit enterrée avec lui et le protège dans l’au-delà. À ce jour, plus de 8 000 guerriers grandeur nature, tous différents, une centaine de chars et leurs chevaux ont été découverts. L’édification de ce mausolée aurait occupé près de 700 000 artisans, pendant une trentaine d’années. Les fouilles continuent aujourd’hui encore.
Des murailles contre des incursions Les mondes nomades
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La fin de l’Empire romain d’Occident
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> MOYEN ÂGE > L’église San Vitale à Ravenne
L’église San Vitale à Ravenne Reconquise par l’empereur Justinien au VIe s., la ville de Ravenne joua un rôle politique important au début du Moyen Âge. Ce rôle politique explique la présence d’un ensemble de mosaïques et de monuments chrétiens construits au cours de ces deux siècles. Associant la tradition gréco-romaine et l’iconographie chrétienne, le style d’Orient et celui d’Occident, cet ensemble unique au monde a été classé par l’Unesco patrimoine mondial de l’humanité. L’impératrice Théodora, épouse de l’empereur Justinien, et sa suite. Mosaïque du panneau latéral de l’abside. VIe s. Église San Vitale, Ravenne (Italie).
l’empereur d’Orient, Justinien, elle devint aussi le centre du pouvoir byzantin en Italie. Huit bâtiments furent construits au cours des Ve et VIe s. : les mausolées de Théodoric, roi des Ostrogoths et de l’impératrice Galla Placidia, le baptistère des Ariens et celui de l’évêque Néon,
Pour prévenir la menace des invasions, l’empereur romain d’Occident, Honorius, avait fait de Ravenne (en Émilie-Romagne) sa capitale dès 404. Elle fut ensuite celle du royaume chrétien ostrogoth, sous les règnes d’Odoacre et de Théodoric. Au VIe s., après la reconquête de l’Italie par 272
MOYEN ÂGE
les églises de San Vitale, de Sant’Apollinare Nuovo, Sant’Apollinare in Classe et la chapelle de l’archevêché. Ces bâtiments, tous somptueusement décorés, témoignent d’une grande maîtrise artistique et de l’extraordinaire essor de l’art byzantin. Ce sont en particulier les mosaïques qui frappent par leur élégance et leur finesse, ainsi que par la variété de leurs coloris, le foisonnement des motifs géométriques, des animaux et des végétaux. Les mosaïques sont composées de petits cubes de verre ou de pierre, de préférence colorés, que l’on assemble sur une surface enduite de plâtre, pour former des dessins figuratifs ou abstraits. Cet art remonte à l’Antiquité : on a retrouvé sur les colonnes des temples d’Ur et d’Uruk en Mésopotamie de petits cônes de terre cuite enfoncés sur des gaines en argile et bitume. Cette technique fut perfectionnée par les Grecs et les Romains : travaillant sur un cadre au décor géométrique destiné à entourer un motif central, ils utilisaient des cubes en pierre ou en marbre très réguliers ; le motif central était exécuté par de véritables artistes, car il était souvent la reproduction d’une peinture. Les cubes étaient minuscules et de nature variée (marbre, porphyre, ivoire, verre, nacre, malachite, onyx, cornaline, lapis-lazuli) pour composer une riche palette de nuances. Les mosaïques byzantines, remarquables par leur polychromie et leur composition, mêlent une sobre influence chrétienne, des réminiscences romaines et une luxuriance toute orientale. Elles resplendissent particulièrement dans les églises et mausolées de Ravenne.
En plus des mosaïques, l’église est richement décorée de fresques, de marbres précieux et de chapiteaux finement ciselés. Comme toutes les églises byzantines, elle présente un plan en forme de croix grecque et elle est recouverte d’une coupole. Elle possède deux étages, l’étage supérieur entourant la coupole. L’abside, semi-circulaire à l’intérieur et polygonale à l’extérieur, est flanquée de deux petites salles rectangulaires terminées par des niches, et de deux sacristies semi-circulaires. L’usage de la voûte, de la coupole et du plan compact sont caractéristiques de ce style architectural et le resteront pendant des siècles. ■
Dans l’église San Vitale consacrée en 547, on peut voir sous l’immense ciel d’or couvrant la coupole de l’abside, un Christ jeune et souriant, assis entre San Vitale, à qui il offre la couronne du martyre et l’évêque Ecclesio, fondateur de la basilique. Sur les côtés et en avant du chœur, des mosaïques éclatantes de couleurs représentent des scènes de l’Ancien Testament, où figurent une végétation luxuriante et divers animaux. De part et d’autre des murs latéraux, deux groupes représentent Justinien et sa cour d’une part, l’impératrice Théodora et sa suite, de l’autre.
Église San Vitale, Ravenne. Vue extérieure actuelle.
Coupole de l’église San Vitale, Ravenne. Vue intérieure actuelle.
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L’église San Vitale à Ravenne L’Empire romain d’Orient
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La Route de la soie...
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> MOYEN ÂGE > La grande mosquée de Cordoue
La grande mosquée de Cordoue Avec l’expansion de l’islam, le masjid, qui était à l’origine un simple oratoire privé, s’est transformé en une grande mosquée rassemblant la communauté des fidèles. Dans le désert, il n’existait pas de tradition architecturale : ce sont les Omeyyades qui ont créé le Dôme du Rocher à Jérusalem en 687, puis la mosquée de Damas en 707. La grande mosquée de Cordoue est une œuvre particulièrement grandiose, un chef-d’œuvre de l’art islamique, qui témoigne de la richesse et de la puissance des califes.
La salle de prière de la grande mosquée de Cordoue en Espagne. Vue actuelle.
La première mosquée, mot qui signifie « le lieu où on se prosterne », était la maison de Mahomet à Médine, où se réunissaient les croyants pour écouter la parole du Prophète. C’était une cour en plein
air où des palmiers permettaient de se protéger du soleil. Les premiers califes, les Omeyyades, firent construire des mosquées partout où les conquêtes avaient répandu l’islam. Il y en a des milliers, 274
MOYEN ÂGE
présentant des formes et des caractéristiques différentes, selon les lieux et les époques. Quand Abd al Rahman Ier fut déposé par le calife de Damas en 756, il installa sa cour à Cordoue et voulut créer une structure dont l’éclat ferait paraître terne la mosquée de Damas. Les travaux se poursuivirent pendant les deux siècles suivants. Les différents califes omeyyades ont respecté la structure originale au cours des agrandissements successifs. Le plan adopté est devenu classique : on entre d’abord dans une cour, agrémentée d’orangers et de palmiers et bordée d’un portique ; c’est le lieu où s’effectuent les ablutions, le rite de purification avant la prière. Ensuite, une immense salle de prière, dont la toiture est supportée par 600 colonnes de marbre bleu et rose, s’étend à perte de vue sur plus d’un hectare. Les matériaux utilisés proviennent en partie d’anciens monuments romains et wisigothiques, notamment les bases, fûts et chapiteaux des colonnes ; les arcs en fer à cheval superposés, alternant briques et pierres, sont eux aussi empruntés à la tradition espagnole préislamique. Le génie de l’architecte fut de les avoir superposés pour créer un espace fortement élevé, alors que les dimensions des supports individuels étaient réduites. Ainsi construite, la salle devait évoquer chez les Arabes les palmeraies de leur pays d’origine. Le décor sobre des arcs, qui joue sur la polychromie entre les briques rouges et la pierre blanche, accentue cette impression de légèreté. Des mosaïques ont été réalisées par des artistes byzantins envoyés par l’empereur de Constantinople : elles reproduisent des sourates du Coran sur fond d’or. L’élément le plus important d’une mosquée est le mihrâb, une niche qui sert à indiquer la direction de La Mecque, vers laquelle se tourne le musulman pour faire sa prière. Le mihrâb symbolise une porte vers l’au-delà. À Cordoue, il se trouve dans une véritable petite pièce octogonale, couronnée d’une coupole semi-sphérique en forme de coquille. C’est la zone la plus richement décorée, car elle doit attirer le regard des croyants pour les orienter vers La Mecque. La décoration consiste en un jeu éblouissant de motifs végétaux (feuilles, calices, rosaces de fleurs, demi-palmettes, trèfles, grappes de raisin…) et géométriques sur fond bleu, rouge et doré ; dans l’encadrement de l’arc, des inscriptions coraniques se détachent sur un fond doré.
Arcatures ornant la façade de la grande mosquée de Cordoue. Vue actuelle.
Ces inscriptions sont des messages qui cherchent à inspirer les musulmans. Comme dans toutes les mosquées traditionnelles, un minaret de 48 mètres de haut fut construit pour permettre au muezzin d’appeler les croyants à la prière cinq fois par jour. La grande mosquée n’était pas la seule : à sa plus belle époque (VIIIe s.), la ville, dit-on, en possédait 300. De plus, d’innombrables palais et bâtiments publics rivalisaient de splendeur avec Constantinople, Damas et Bagdad. Lorsque les rois chrétiens reprirent Cordoue aux musulmans, ils démolirent une partie de la salle de prière pour y construire une cathédrale gothique, encore visible aujourd’hui. ■
Mihrâb de la grande mosquée de Cordoue. Photographie actuelle.
La grande mosquée de Cordoue. Vue aérienne actuelle.
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La grande mosquée de Cordoue Le monde islamique
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Al Andalus...
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> MOYEN ÂGE > L’Évangéliaire de Charlemagne
L’Évangéliaire de Charlemagne Fruit d’une commande de Charlemagne et de son épouse Hildegarde, l’Évangéliaire est un manuscrit richement enluminé, exécuté entre 781 et 783 par un scribe du nom de Godescalc. Cette œuvre constitue l’un des témoignages essentiels de la renaissance carolingienne.
La Fontaine de vie. Miniature de l’Évangéliaire de Charlemagne. 781-783. BnF, département des Manuscrits occidentaux, Paris. Le manuscrit est constitué de 121 feuillets de parchemin, mesurant 21 sur 31 cm et est conservé à la Bibliothèque nationale de France. Il contient des passages des Évangiles classés dans l’ordre de l’année liturgique et destinés à être lus ou chantés pendant la messe, un calendrier, un tableau de comput (qui permet de connaître la date de Pâques) pour les années 779 à 816 et un poème de dédicace expliquant les circonstances de la réalisation du manuscrit, dédicace qui est le tout premier exemple daté d’écriture « caroline ».
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En 780, Charlemagne part en Italie avec sa femme et ses deux fils, Pépin et Louis. Il parcourt la Lombardie et arrive à Rome au printemps 781. Le jour de Pâques, le pape baptise Pépin qui est couronné roi d’Italie et Louis, futur Louis le Pieux. C’est au retour de ce voyage, entre 781 et 783 que sera exécuté l’Évangéliaire, par Godescalc, « scribe franc ». Si nous connaissons son nom et sa qualité de serviteur du roi grâce à la dédicace, on ignore tout de sa carrière et de sa nationalité. Il aurait acquis sa formation artistique en Italie et aurait rejoint la cour franque à la suite de la conquête de la Lombardie, en même temps que de nombreux savants italiens qui furent parmi les premiers à faire partie de l’entourage intellectuel de Charlemagne.
évangélistes et leurs symboles, le Christ en majesté et la Fontaine de vie. Ces peintures sont regroupées en tête du manuscrit comme c’était l’usage dans les évangéliaires byzantins. Les portraits des évangélistes présentent des similitudes avec ceux qui sont figurés sur les mosaïques de l’église Saint-Vital de Ravenne (VIIe s.). Dans chacune des peintures, l’accent est mis sur l’activité d’écriture (livre ouvert sur les genoux, pupitre, plume et encrier), en hommage à la politique culturelle de Charlemagne. La Fontaine de vie (voir illustration en page de gauche), motif qui appartenait à l’art chrétien oriental, apparaît pour la première fois en Occident. Cette image allégorique qui renvoie au baptême, premier sacrement, qui permet au croyant d’accéder à la vie éternelle, est sans doute une allusion au baptême des fils de Charlemagne.
• Le texte Il regroupe 242 extraits des Évangiles qui relatent la vie de Jésus-Christ et son enseignement. Le texte est entièrement transcrit à l’encre d’or et d’argent sur du parchemin pourpré. La couleur pourpre revêt une forte connotation symbolique aux yeux des Carolingiens, dans la mesure où elle était réservée au pouvoir impérial romain et byzantin. Cette utilisation dénote donc une volonté de renouer avec les modèles du passé. Les extraits sont insérés dans un encadrement décoratif coloré, garni d’entrelacs et de motifs géométriques ou végétaux.
Saint Marc. Miniature de l’Évangéliaire de Charlemagne. 781-783. BnF, département des Manuscrits occidentaux, Paris.
• La transmission L’Évangéliaire de Charlemagne est le premier d’une série réalisée par l’école du palais ; les mêmes représentations seront traitées à de nombreuses reprises par la suite. Il est aussi, dans sa décoration, le premier témoin de la rencontre entre le monde franc, les apports insulaires et l’héritage romain et byzantin. Les évangéliaires, destinés à l’empereur, aux évêques et aux abbayes, sont avant tout des livres sacrés. C’est pourquoi ils reçoivent un décor somptueux, créé à partir de matériaux précieux, tels que l’or, l’argent et la pourpre. Ils sont protégés par des reliures exceptionnelles, ornées d’éléments d’orfèvrerie, de pierres précieuses, d’ivoire et d’émaux. Un petit nombre seulement a subsisté. L’Évangéliaire de Charlemagne a, lui, perdu sa reliure originale. ■
• Le calendrier Il occupe six pages. En plus des mois et des jours présentés en colonnes, on y trouve l’organisation des ides et des calendes suivant l’usage romain, ainsi que les fêtes de l’année liturgique. Sont aussi mentionnés l’équinoxe de printemps et le solstice d’été, comme dans le calendrier Julien imposé par Jules César. • La liste des saints Cette liste est très cosmopolite ; elle comprend des martyrs romains, des saints gallo-romains et mérovingiens, des pères de l’Église, des missionnaires. L’artiste a probablement voulu souligner les différents aspects de la politique religieuse du souverain et personnaliser le manuscrit.
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• L’illustration
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Six illustrations en pleine page, entourées d’un cadre richement décoré, représentent les quatre
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Texte liturgique extrait de l’Évangéliaire de Charlemagne. 781-783. BnF, département des Manuscrits occidentaux, Paris. Le texte en lettres d’or se détache sur un fond pourpre bordé d’un encadrement peint.
L’Évangéliaire de Charlemagne Les mondes mérovingien et carolingien
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Le traité de Verdun...
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> MOYEN ÂGE > La cathédrale de Tournai
La cathédrale de Tournai Tournai constitue le centre de la région de l’Escaut ; chaque année, depuis 1090, des milliers de fidèles viennent de partout pour la grande procession en l’honneur de la Vierge là où s’élèvera la cathédrale Notre-Dame consacrée en 1171. La cathédrale reflète les influences du nord de la France (Normandie) et de la vallée du Rhin. Le transept qui sépare la nef romane et le chœur gothique est surmonté d’une tour-lanterne flanquée de quatre tours d’angle achevées à l’époque gothique. La cathédrale a été inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2000.
1.
À l’intérieur
1.1 La nef romane
La nef et les cinq tours romanes de la cathédrale de Tournai. Vue extérieure actuelle.
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Longue de 48 m, la nef (vers 1120-1135) est divisée en neuf travées. Ses deux ailes latérales s’élèvent sur quatre étages : rez-de-chaussée, tribunes (pour les pèlerins en visite), triforium aveugle (série d’arcades décoratives ouvertes sur l’intérieur) et étage aux fenêtres hautes. Le plafond, à l’origine plat et en bois polychrome, a été remplacé en 1754 par des voûtes en briques. Seules les voûtes des bascôtés sont d’époque romane : voûtes d’arêtes avec arcs doubleaux. La décoration des nombreux chapiteaux est typiquement romane : les motifs représentent majoritairement une grande variété de feuillages ornementaux, plus rarement des animaux et des humains. Ils étaient au départ polychromés tout comme la nef.
MOYEN ÂGE
sculptures représentant des scènes de l’Ancien Testament, des épisodes de l’histoire de la ville et des figures de saints. Au-dessus d’une série de baies, on touve une grande rosace néo-romane. L’ensemble est couronné par un fronton flanqué de deux tourelles circulaires décorées de rangées de colonnes. ■
1.2 Le transept romano-gothique
Il est plus long que la nef (67 m) et donne à l’édifice sa forme en croix (typique du plan roman) dont les bras se terminent dans une perspective verticale grandiose par une abside semi-circulaire avec déambulatoire. Il est surmonté à la croisée par une tour-lanterne (pour faire entrer la lumière) carrée, entièrement romane (les fenêtres sont surmontées d’arcs en plein cintre) ; seules les voûtes qui sont gothiques (voûtes d’arêtes sur croisée d’ogives).
Nef centrale. Photographie intérieure actuelle.
1.3 Le chœur gothique
Le chœur est construit (1243-1255) dans le plus pur style gothique inspiré de l’Île-de-France et de Picardie. Si la région mosane est le berceau de l’art roman, Tournai est le foyer de l’art gothique en Belgique. Le gothique scaldien est caractérisé par des colonnes rondes et cannelées. La hauteur du chœur atteint 33 m sous la clé de voûte et il comporte une élévation à trois étages : grandes arcades au rez-de-chaussée, triforium où alternent colonnes simples et doubles et 19 fenêtres hautes au dernier étage qui assurent une grande luminosité. Sur sa longueur de 36 m, le chœur est divisé en six travées aux voûtes ogivales sur trois allées qui se terminent par une abside avec cinq chapelles et un déambulatoire. Le chœur est isolé du reste par un monument (ambon) qui remplace aujourd’hui le jubé primitif. Sa fonction est d’isoler le chœur, où se déroule l’office et où se trouve la chorale, de la nef où prient les fidèles. L’ambon est de style renaissance imitant un arc de triomphe romain.
2. À l’extérieur La vue extérieure de la cathédrale fait apparaître nettement les deux styles qui cohabitent : la nef est plus basse et les fenêtres étroites tandis que le chœur, séparé par les cinq tours, est plus haut, et ses murs sont évidés et remplacés par de grandes fenêtres. La poussée de la voûte est reportée à l’extérieur par les arcs-boutants qui permettent d’élever la hauteur du bâtiment et de donner à l’édifice son aspect de verticalité qui contraste avec l’horizontalité de la nef romane. Côté ouest, le porche gothique (narthex) abrite un double portail. La partie basse est décorée de
Plan de la cathédrale.
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Porche Ouest. Vue actuelle.
La cathédrale de Tournai Le monde européen médiéval
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L’impact des villes sur la société
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> TEMPS MODERNES > Le Templo Mayor à Mexico
Le Templo Mayor à Mexico
Centre cérémonial de Mexico, Tenochtitlan. Reconstitution sur base des plans de l’architecte Ignacio Marquina, dans Arquitectura Prehispánica, INEP, Mexico, 1951, p.197.
Le Templo Mayor fait partie d’un complexe architectural situé au centre de la capitale de l’empire aztèque, Tenochtitlan. Il a été décrit par Cortès et des chroniqueurs espagnols (Bernard Diaz del Castillo et Bernardino de Sahagun) et est mieux connu depuis 1978 à la suite de fouilles menées au centre de Mexico. L’enceinte du Grand Temple forme un carré de 500 mètres de côté. On y a découvert des temples dont un de forme circulaire dédié au dieu du vent Ehecatl, une école (Calmecac), un terrain de jeu de balle et d’autres bâtiments (palais, arsenaux, bassins rituels…).
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TEMPS MODERNES
rampes d’escaliers rappellent le lieu où la naissance et le combat se sont déroulés : sur le coatepec (la « montagne des serpents »). Quant à la pierre représentant Coyolxauhqui au bas de l’escalier, c’était sans doute un autel sacrificiel, « la table à manger » sur laquelle les corps des victimes sacrifiées dans le sanctuaire de Huitzilopochtli étaient lancés et démembrés, à l’instar de la déesse figurant sur la pierre. C’était là qu’avait lieu peutêtre la seconde « mise à mort » du sacrifié, celle en l’honneur de Tlaltecuhtli-Terre.
Le Templo Mayor était une pyramide tronquée de 80 x 90 m avec deux escaliers de 45 m qui accédaient aux deux temples de Tlaloc et de Huitzilopochtli. Le culte aztèque connaît deux dieux principaux de même rang, Huitzilopochtli, dieu du soleil et Tlaloc, dieu de la pluie et de la végétation. Deux temples sont construits sur la plate-forme supérieure de la pyramide avec chacun son propre escalier d’accès. Côté nord celui de Tlaloc peint en bleu et blanc, symbole de la pluie et de l’humidité, côté sud celui de Huitzilopochtli, peint en rouge et blanc, symbole de la guerre et des sacrifices humains. Dans chaque temple se trouvait la statue du dieu et devant chacun d’eux une pierre ronde Tecatl sur laquelle on sacrifiait des victimes.
Le temple est le lieu par excellence des sacrifices humains. D’après un mythe, tant que le monde était dans la pénombre, seule la Terre exigeait des sacrifices humains. Lorsque le Soleil se leva pour la première fois, il en réclama à son tour. L’équilibre de l’univers se maintiendrait si les humains alimentaient à la fois le Soleil et la Terre. Il est incontestable, d’après les sources écrites, que le cœur de la victime était destiné au Soleil. Il était arraché avec un couteau de silex. Le corps était ensuite décapité, ce qui est un rite typique d’un sacrifice en l’honneur des divinités de la Terre. ■
La forme des temples-pyramides est dictée par l’idée que l’on se faisait du ciel et de la terre. Le ciel était considéré comme le sommet d’une montagne et non comme une voûte au-dessus de la terre. En construisant une pyramide, on se rapprochait du ciel et elle devenait une « montagne sacrée ». Le nombre de gradins a peut-être une signification cosmogonique. Depuis sa création, sans doute lors de la fondation de Tenochtitlan en 1325, le temple fut sept fois agrandi jusqu’au règne de Moctezuma II (1466-1520). L’agrandissement consistait à recouvrir la pyramide initiale d’une nouvelle, plus large et plus haute. Le Templo Mayor peut être mis en relation avec le mythe de la naissance de Huitzilopochtli, le soleil. En tant que guerrier qui naît chaque matin, il doit triompher quotidiennement de ses frères, les étoiles, et de sa sœur Coyolxauhqui, la lune. Huitzilopochtli remporte le combat et trône au sommet, tandis que sa sœur vaincue gît au pied de la pyramide. Une dalle trouvée au bas de l’escalier conduisant au temple représente la déesse démembrée et décapitée. Selon le mythe, la déesse Terre Coatlicue fut miraculeusement fécondée par une boule de plumes sur la Montagne du Serpent. Sa fille, Coyolxauhqui, et ses quatre fils, honteux, résolurent de la tuer. Ils montèrent à l’assaut de la montagne, mais à ce moment, Huitzilopochtli naquit tout armé du ventre de sa mère et défit ses ennemis. Il décapita sa sœur, dont le corps roula au bas de la montagne. La pyramide de Mexico représentait la Montagne du Serpent. Les têtes de serpents au bas des
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Monolithe de Coyolxauhqui, déesse de la lune. XIVe – XVIe s. 325 cm. de diamètre. Musée du Templo Mayor, Mexico.
Templo Mayor, partie découverte en 1978. Photographie actuelle. La pyramide représente la « montagne des serpents » (coatepec). À l’avant-plan, sculpture polychrome en basalte d’une tête de serpent.
Le Templo Mayor à Mexico Le monde amérindien
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La conquête du Nouveau Monde
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> TEMPS MODERNES > La chambre des époux de Mantegna
La chambre des époux de Mantegna Figure incontournable de la peinture de la Renaissance en Italie du Nord, Andrea Mantegna (1431-1506) qui vécut entre Padoue et Mantoue, eut une réelle influence sur les peintres italiens de son temps. Comme ses amis humanistes, il était passionné par l’Antiquité ; les décors architecturaux qu’il peint s’en inspirent. Le peintre est particulièrement connu pour sa maîtrise de la perspective et du trompe-l’œil. Son œuvre révèle une très grande sensibilité, un sens poétique développé et un talent d’observation saisissants. En 1460, Mantegna entre au service du duc Louis de Gonzague, dont il devient le peintre en titre jusqu’à sa mort. La décoration de la chambre des époux, dans le palais ducal de Mantoue, le rendit célèbre.
Le retour à Mantoue. Fresque de la chambre des époux d’Andrea Mantegna. Entre 1465 et 1474. Palais ducal de Mantoue (Italie).
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TEMPS MODERNES
Entre le XIVe s. et le XVIe s., la famille de Gonzague se fit bâtir à Mantoue, dans le Piémont, un immense palais de 35 000 m2, comprenant 500 chambres, de nombreux couloirs agrémentés de loggias, et des jardins. À l’intérieur même, se trouve un ancien château, dont le donjon est constitué d’une pièce voûtée. Cette pièce faisait partie de l’étage réservé aux réceptions données pour les invités de marque. Elle abritait les archives des ducs de Gonzague. On l’appela plus tard la chambre des époux, parce qu’on y enregistrait les mariages. Pour la décorer, le prince fit appel à Andrea Mantegna, parce qu’il souhaitait que les peintures soient réalisées dans le nouveau style renaissant. Mantegna ne déçut pas son mécène : exécutées entre 1465 et 1474, ces fresques sont parmi les plus belles de son temps. Elles révèlent un art prodigieux du trompe-l’œil et de la perspective. Le dessin et la fraîcheur des couleurs sont étonnants. La pièce mesure 25 m2 et sa voûte s’élève à 7 m de haut. L’architecture en trompe-l’œil en a modifié l’aspect : en décorant tous les murs, y compris le plafond, l’artiste a créé un nouvel espace fictif dans un espace réel. Le peintre a voulu donner l’impression au visiteur qu’il était sur une terrasse, au sommet d’une tour. Cette terrasse est entourée d’une balustrade et de piliers surmontés d’arcades. Les piliers sont reliés par des tringles portant des tentures, fermées du côté est et sud. Par contre, au nord et à l’ouest, elles sont ouvertes et permettent d’observer deux scènes : – Au nord, on peut apercevoir Louis de Gonzague entouré de sa femme, de sa famille et de membres de sa Cour ; un messager arrive par la droite ; – Au centre, des angelots portent un panneau ; à l’arrière-plan une ville idéalisée. – À l’ouest, le prince rencontre deux de ses fils et ses petit-fils ; il accueille celui de ses fils qui porte une tenue de cardinal. Le paysage qui sert de fond à cette rencontre nous montre une cité entourée de murailles, qui évoque plutôt Rome que Mantoue. Des détails minuscules évoquent une vie quotidienne, comme cet ânier qui pousse sa bête chargée, ce berger qui emmène son troupeau ou encore un chasseur et ses chiens poursuivant un lapin, un gibet et son pendu, des tailleurs de pierre à l’entrée d’une grotte…
Des serviteurs s’occupent des chevaux (les Gonzague étaient très fiers de leur race de chevaux) et des chiens de chasse. La voûte offre une autre illusion : alors que nous pensons être sur une terrasse largement ouverte, nous découvrons qu’elle a un plafond ouvert vers le ciel (qu’on appelle oculus ou œil, en architecture). Tout autour de cet oculus, se trouve une balustrade : des anges (ou putti), des hommes, des femmes, un paon même, regardent en bas, dans la pièce. Nous avons l’impression, nous, les visiteurs, d’être dans un puits. Au plafond, de faux reliefs, dont des bustes de douze empereurs romains, des représentations de la vie de personnages mythologiques comme Hercule ou Orphée, nous regardent. Le sol, en terre cuite vernie, reprend le même quadrillage et la forme de l’oculus que le plafond. À l’exception de deux portes et d’une fenêtre, la chambre est entièrement fermée. Et pourtant, les différentes textures (tentures, marbres, reliefs), les personnages, la sensation d’être sur une terrasse ou quand on lève les yeux au plafond, d’être au fond d’un puits, nous confèrent des illusions dues seulement à la maîtrise des techniques picturales et au talent d’un artiste. Mantegna est maître dans l’art du trompe-l’œil. ■
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Oculus central. Fresque (détail du plafond) de la chambre des époux d’Andrea Mantegna. Entre 1465 et 1474. Palais ducal de Mantoue (Italie).
La chambre des époux de Mantegna L’Europe de la Renaissance
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Les réformes Les Le réf réf éforme éfo rmess rreligieuses rme eliligie gi uses
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> TEMPS MODERNES > Versailles, château et jardins
Versailles, château et jardins L’histoire de Versailles commence par l’aménagement, confié à l’architecte Le Nôtre, de jardins autour du pavillon de chasse qu’avait fait construire Louis XIII. C’est là que, dès 1666 et 1668, Louis XIV organise de grandes fêtes qui attestent de l’union du pouvoir et du divertissement propre à la société de cour. Entre 1667 et 1674, Le Vau remanie l’ancien château pour permettre au couple royal et à la cour d’y séjourner : il enveloppe le noyau initial de l’ancien pavillon de chasse de Louis XIII dans un nouvel édifice. En 1678, Louis XIV décide de faire de Versailles sa demeure principale et le siège du gouvernement, ouvrant ainsi une nouvelle phase dans la construction de l’ensemble.
Galerie des Glaces (ou Grande Galerie) du château de Versailles. Construite entre 1678 et 1684. Façade ouest du château de Versailles depuis l’un des deux parterres d’eau qui lui font face. Chacun de ces bassins est agrémenté de quatre statues de bronze (conçues par Le Brun) représentant les grands cours d’eau de France – ici, La Seine.
chantiers permanents. Puis les guerres reprennent en 1689 : la construction est suspendue jusqu’en 1699. À côté du château enserré entre les deux ailes qui sont le siège du gouvernement, de nombreuses annexes complètent l’ensemble : écuries, Orangerie, services, offices de bouche, salles de divertissements… La Chapelle sera achevée en 1710. Elle occupe la hauteur de deux étages : dans les tribunes, de plain-pied avec le Grand Appartement,
Les dix années de paix qui suivent le traité de Nimègue (1678) permettent la réalisation des plus importants travaux. Jules Hardouin-Mansart s’occupe de l’architecture et Charles Le Brun de la décoration intérieure : grands appartements du roi et de la reine, escalier dit des Ambassadeurs, Galerie des Glaces, salons de la Guerre et de la Paix. À partir de 1682, la cour s’installe à Versailles sous la double contrainte de l’étiquette et des 284
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prenait place le roi, tandis qu’au rez-de-chaussée se tenaient le reste de la Cour et le public. André Le Nôtre a aménagé les jardins grâce à d’énormes travaux de terrassement. Les parties basses accessibles par des rampes et escaliers sont décorées de parterres dessinés comme des broderies ; un réseau d’allées rectilignes tracées sur un plan géométrique quadrille l’ensemble créant une vaste perspective. Des bosquets dissimulés dans la futaie complètent l’ensemble. L’alimentation des nombreuses fontaines et bassins ne put se faire qu’au prix de travaux gigantesques comme la construction de la machine hydraulique de Marly et l’aménagement de la rivière d’Eure. Les jardins et les premiers aménagements du château sont placés sous le thème apollinien qui identifie le roi au dieu soleil associé aux dieux de la mythologie antique. Dans les jardins : les bassins de Latone (mère d’Apollon), d’Apollon et son char, de Bacchus et de Saturne… À l’intérieur : les salons d’Apollon, d’Hercule, de Vénus… Après 1678, les thèmes antiques sont relégués au second plan pour mettre en avant l’histoire du roi. Au plafond de la Galerie des Glaces, trente tableaux de Le Brun célèbrent les hauts faits de Louis XIV depuis le début de son règne (1661) jusqu’à la paix de Nimègue (1678). Dans le salon de la Guerre, Le Brun peint l’Empire, l’Espagne et la Hollande s’unissant contre la France. Dans le salon de la Paix, il représente la France accordant la paix aux trois puissances vaincues. Le rassemblement des grands seigneurs à Versailles poursuivait un but politique, celui de les asservir. Le premier étage du corps central du château est presque entièrement consacré au roi. Les agrandissements successifs (ailes du Nord et du Midi, écuries…)
Le bassin d’Apollon dans le parc du château de Versailles. Le char d’Apollon surgit du bassin face au soleil levant, tiré par 4 chevaux et entouré de 4 tritons soufflant dans des conques et de 4 poissons fantastiques.
répondent aux exigences d’une cour nombreuse composée de près de cinq mille nobles et, avec la domesticité, de près de dix mille personnes. Les plus favorisés jouissent d’un logement au château. Le roi a accordé cette faveur à plus de trois mille personnes. Le devoir des courtisans est de participer à tous les moments de l’existence ritualisée du roi : parcourir les jardins en sa compagnie, participer au grand lever ou au grand couvert le soir… Pour sa gloire, le roi a non seulement mobilisé les courtisans, mais aussi des ressources matérielles et humaines considérables. Le coût de Versailles comprend les bâtiments mais aussi la machine hydraulique de Marly et l’aménagement de la rivière d’Eure pour amener l’eau dans les bassins de Versailles (1/3 des investissements). Le tout (construction et entretien) revient au moins à 83 millions de livres entre 1662 et 1715. Somme énorme, mais impossible à comparer avec notre époque. Le coût humain n’est pas négligeable non plus : 36 000 hommes mobilisés et des milliers d’accidentés du travail. ■
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Parterre de Latone. Photographie actuelle prise de l’allée.
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Versailles, château et jardins L’Ancien Régime
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> TEMPS MODERNES > Le Taj Mahal en Inde
Le Taj Mahal en Inde Le Taj Mahal est l’un des monuments les plus enchanteurs du monde. Sa construction a été ordonnée entre 1631 et 1648 par l’empereur moghol Shah Djahan, pour servir de mémorial à son épouse favorite, Mumtaz Mahal, morte à 39 ans en donnant naissance à son quatorzième enfant. Universellement admiré, il constitue l’un des joyaux de l’art musulman en Inde et un des chefs-d’œuvre du patrimoine de l’humanité.
de 1 000 éléphants pour transporter du marbre blanc sur 300 km depuis la carrière de Makrana. Les matériaux nécessaires à sa construction ont été apportés de toute l’Inde et de l’Asie centrale, et le marbre blanc Makrana de Jodhpur. Les pierres précieuses utilisées pour les incrustations viennent de Bagdad, du Pendjab, d’Égypte, de Russie, de Golconda, de Chine, d’Afghanistan, du Sri Lanka, de l’océan Indien et d’Iran.
Si l’architecture du Taj Mahal est si célèbre c’est par la justesse des proportions de l’ensemble et la symétrie unique respectée dans sa construction. Cet imposant mausolée de marbre blanc a été construit à Agra, dans le nord de l’Inde, au sud de Delhi. La tradition rapporte qu’une équipe composée de plusieurs milliers de maçons, de marbriers, de mosaïstes et de décorateurs, travaillant tous sous les ordres de l’architecte de l’empereur, Ustad Ahmad Lahori, a été nécessaire ; qu’il a fallu plus
Le Taj Mahal est situé à l’intérieur d’un jardin moghol de près de 17 hectares, sur la rive droite d’une des rivières sacrées de l’Inde, la Yuamuna. Il est entouré par quatre minarets détachés. Sa masse octogonale, coiffée par un dôme en bulbe, domine un ensemble d’allées et de bassins. Le marbre blanc, principal matériau utilisé, fait ressortir les bandeaux décoratifs et les inscriptions calligraphiques marquetées en pierre polychrome. Le style architectural moghol, tout à fait spécifique, combine des éléments et des styles empruntés aux architectures de Perse, d’Asie centrale et du monde islamique. La majestueuse porte d’entrée, appelée la Darwaza, est une grande structure de grès rouge à trois niveaux : elle est constituée d’une salle octogonale voûtée et de petites pièces sur ses côtés. La porte proprement dite est formée d’une arche centrale ; de part et d’autre, se trouvent les ailes sur deux niveaux. Les murs portent des versets du Coran en calligraphie noire arabe. À l’origine, la
Le mausolée du Taj Mahal, Agra (Inde).
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La porte d’entrée du Taj Mahal.
porte était bordée d’argent (aujourd’hui remplacé par du cuivre) et décorée de 1 000 clous dont les têtes étaient des pièces de monnaie de l’époque. À l’arrière, on peut voir deux petits pavillons, coiffés de coupoles, ils sont de style hindou et soulignent le statut royal du mausolée.
corps ont été déposés dans des répliques exactes placées dans une chambre souterraine. Ces deux tombes sont également décorées de pierres précieuses. Déjà en déclin, l’Empire moghol n’était pas en état de supporter une entreprise de cette ampleur : le rêve du souverain mit l’État au bord de la banqueroute. Si aujourd’hui, ce magnifique édifice est mondialement connu et si souvent visité, c’est parce qu’il est un témoignage d’amour et qu’il symbolise la diversité religieuse indienne, puisque c’est un empereur musulman qui l’a fait bâtir sur les terres d’un peuple hindou. ■
Le jardin d’agrément traversé par les allées, est organisé dans le style classique moghol. Deux canaux en marbre, bordés de fontaines et de cyprès, partent du bassin surélevé en forme de croix situé au centre du jardin, ils partagent ainsi le jardin en quatre carrés égaux ; chacun de ces carrés comprend 16 parterres, soit un total de 64 parterres contenant chacun environ 400 plantes. Le jardin a été dessiné de manière à maintenir une symétrie parfaite. Les canaux, qui renvoient le reflet du Taj Mahal, étaient peuplés de poissons colorés, et les jardins d’oiseaux magnifiques. À l’intérieur du bâtiment, la chambre funéraire est octogonale et elle aussi surmontée d’une haute coupole. Cette chambre contient les tombes de Mumtaz et de Shah Djahan, tombes vides, car les
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Le Taj Mahal en Inde Les mondes orientaux
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Chine et Japon : l’ouverture forcée à l’Occident
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Épisode des journées de septembre 1830 de Wappers
Épisode des journées de septembre 1830 de Wappers L’Europe des XVIIIe et XIXe s. voit l’émergence d’un nouveau courant artistique, le romantisme, influencé par le libéralisme et le nationalisme ambiants. Le romantisme, émerge tout d’abord en Grande-Bretagne et en Allemagne, puis se développe en France au XIXe s. En Belgique, l’élan romantique, couplé à l’effervescence révolutionnaire de 1830, se révèle à travers le talent de Gustave Wappers dans son Épisode des journées de septembre.
Épisode des journées de septembre 1830. Huile sur toile de Gustave Wappers. 1835. 444 x 660 cm. Musées royaux des Beaux-arts de Belgique, Bruxelles.
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Représenté notamment par le peintre Delacroix, le poète Victor Hugo ou le musicien Berlioz en France, le romantisme se manifeste dans tous les arts. La volonté des artistes est de libérer l’imagination et de magnifier l’expression des émotions. Ils s’opposent en cela au rationalisme des Lumières et au courant néoclassique qui était asservi à la monarchie absolue. Qu’il soit peintre, écrivain ou musicien, l’artiste laisse désormais transparaître ses passions, ses peurs ou ses exaltations patriotiques.
aussi, et même un nourrisson. L’accumulation et la variété des personnages renforcent le sentiment d’une construction, d’une mise en scène de l’événement. Le ciel tourmenté est une autre manière encore de donner une dimension dramatique au tableau. Il est en accord avec l’émotion générée par l’œuvre et qui, au moment où le tableau a été peint, était encore très intense dans la population. Enfin la scène est représentée dans un espace qui évoque la Grand-Place de Bruxelles, lieu symbolique des rassemblements révolutionnaires.
En Belgique, Gustave Wappers (1803-1874), peintre formé à l’Académie d’Anvers, est le chef de file de cette nouvelle école qui se réclame du romantisme français. En 1830, la révolution gronde, les esprits s’échauffent et un vent nouveau souffle sur la Belgique. Sur commande du jeune gouvernement et du premier roi des Belges Léopold Ier, Wappers peint en 1835, une toile monumentale de 4,44 sur 6,60 m, fougueuse glorification de la Révolution et de l’indépendance belge, intitulée Épisode des journées de septembre. L’œuvre rassemble les caractéristiques du romantisme : la couleur et la lumière jouent un rôle majeur dans la perception de l’œuvre ; tandis que les couleurs du drapeau exaltent le sentiment patriotique, l’éclairage mène le regard sur l’homme décédé au premier plan et le petit groupe qui l’entoure ; des femmes manifestent leur douleur, d’autres leur compassion ou encore leur révolte. On sent chez certains de ces hommes une détermination à se battre. Au-dessus de ce groupe éclairé, un homme tend un feuillet, la déclaration d’indépendance. Mais il y a là un anachronisme (la déclaration est postérieure d’une semaine aux événements décrits dans le tableau) révélateur de ce que l’on pourrait appeler une technique de communication. Le tableau est en somme un concentré d’éléments (iconographiques ou esthétiques) au service d’une cause (l’émotion et la glorification), au nombre desquels on peut citer l’intégration de symboles (le drapeau, la déclaration d’indépendance, mais aussi les bâtiments à l’arrièreplan). La composition du tableau est, elle aussi, au service de cette cause. Cette composition pyramidale fait culminer le drapeau belge, au sommet d’un amoncellement de corps, blessés, mourants ou encore prêts à se battre contre les Hollandais, des femmes
En 1830, le peintre français Eugène Delacroix peint La Liberté guidant le peuple glorifiant trois journées de révolution à Paris (dites les Trois Glorieuses), qui ont abouti au renversement des Bourbon. On ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec le tableau que Wappers peindra 5 ans plus tard : les couleurs et le traitement de la lumière, la composition, l’utilisation de symboles forts (la personnification de la liberté brandissant le drapeau), et bien sûr le thème, font de ce tableau une œuvre incontournable de la peinture romantique française. ■
La Liberté guidant le peuple. Huile sur toile d’Eugène Delacroix. 1830. 260 x 625 cm. Musée du Louvre-Lens (France).
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Épisode des journées de septembre 1830 … Le temps des révolutions
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Un site industriel, le Grand-Hornu
Un site industriel, le Grand-Hornu Le Grand-Hornu est un ancien complexe industriel de charbonnage édifié à Hornu, dans la région du Borinage, près de Mons en Hainaut. C’est un ensemble en briques, de style néoclassique construit par un industriel lillois, Henri De Gorge, dans les années 1820. Le site du Grand-Hornu comprend les installations industrielles, la cité ouvrière, le château De Gorge et les puits d’extraction. L’exploitation du charbonnage a cessé en 1954. Depuis 2002, le complexe accueille le Musée des arts contemporains de la Fédération Wallonie-Bruxelles (MAC’S) et un centre de formation aux nouvelles technologies. Lorsque Henri De Gorge achète l’exploitation à Hornu, elle est peu rentable. Mais de 1816 à 1830, il fait creuser dix nouveaux puits et la production de charbon passe de 16 à 100 000 tonnes. Il lui faut davantage de mineurs de fond ; un tel recrutement n’est pas aisé dans une commune aussi peu peuplée qu’Hornu. De nombreux ouvriers viennent alors du Nord de la France. De Gorge qui souhaitait attirer la main-d’œuvre par l’appât d’un bien-être, fait donc construire une cité d’habitations ouvrières. L’ensemble industriel Un porche à trois arcades surmonté d’un fronton ouvre sur une grande cour ovale où se trouvent les ateliers et les bureaux. À gauche, l’atelier destiné à la construction des machines et différents ateliers et magasins. À droite, le bâtiment administratif, appelé « Maison des ingénieurs ». En 1854, la statue d’Henri De Gorge est érigée dans cette cour et en 1927, un mausolée y est aménagé pour lui et sa famille. Ces bâtiments ont été complètement restaurés.
Le site du Grand-Hornu. Vue aérienne actuelle.
Au XIXe s., les usines, souvent situées loin des agglomérations importantes, étaient confrontées au problème du logement des ouvriers. Amener une population ouvrière vers les lieux de production – et l’y fixer – représentait un difficile problème d’hébergement.
La cité ouvrière Construite entre 1826 et 1832, c’est un vaste ensemble de 425 maisons. Fait très rare : les maisons 290
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La cristallerie du Val Saint- Lambert a construit, en 1825, la première cité ouvrière dans la « Cour du Val » (les ouvriers verriers devaient être présents jour et nuit pour l’alimentation et le fonctionnement des fours). Les mêmes préoccupations ont inspiré les patrons de la Cité Dumont à Sclayn (usine à zinc) et de bien d’autres…
Le porche d’entrée. Photographie actuelle.
ont un étage. Elles sont installées le long de rues pavées, rectilignes, de 12 m de large. Elles enserrent presque complètement les bâtiments centraux. Chaque maison était dotée de trois pièces au rez-de-chaussée et trois à l’étage et d’un jardin. Les habitants disposaient d’un four à pains et d’un puits pour dix maisons. Les façades étaient de couleur jaune avec un soubassement noir (aujourd’hui, une seule maison a gardé ce décor). Les habitations des contremaîtres étaient plus spacieuses. Le loyer consistait en une retenue d’une journée sur le salaire de la semaine. La cité possédait en outre une école, obligatoire pour les filles et les garçons de moins de 12 ans, un dispensaire tenu par des religieuses, une salle de fêtes et des espaces verts abritant un kiosque. En 1830, on y recense 2 500 habitants.
Une maison ouvrière. Photographie actuelle.
Dans la région de Seraing, où rien n’a été prévu pour faire face à l’accueil des nouveaux arrivants dans le bassin sidérurgique des usines Cockerill, c’est la catastrophe. La population s’est accrue d’un tiers dans la seconde moitié du XIXe s. Des propriétaires peu scrupuleux offrent en guise de logements des caves, des greniers, des chambres exiguës, où s’entassent des travailleurs résignés, obligés de vivre près de leur lieu de travail. Ensuite, on se met à construire à la hâte des habitations de piètre qualité pour les ouvriers et leur famille. Dans ces corons, ruelles, impasses, courées, l’eau potable est tirée à la pompe publique. Aucun égout pour drainer les eaux usées, ni récolter les déchets. ■
Le château De Gorge Situé en retrait d’une rue de la cité, il est achevé après la mort du propriétaire et n’a jamais été habité. Il a surtout servi de lieu d’accueil. Les puits d’extraction Au nombre de 12, répartis tout autour de la cité, ils portaient pour la plupart, des noms de saintes ou les prénoms des femmes et des filles des patrons. Il ne reste aujourd’hui presque aucune trace de ces fosses. La problématique du logement concerne d’abord les charbonnages puis tous les nouveaux bassins industriels. Ainsi à Verviers, la Cité des Grandes Rames a été construite en 1808 par les industriels lainiers Simonis et Biolley. Dans la région du Centre, 200 logements ouvriers sont construits par la Société des Charbonnages du Bois-du-Luc.
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Un site industriel, le Grand-Hornu
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Les transformations économiques et sociales...
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Les « arts premiers » africains
Les « arts premiers » africains Le Musée royal d’Afrique centrale (MRAC), installé dans le parc de Tervuren près de Bruxelles, a célébré en 2010 le centenaire de sa création. Il abrite de superbes collections d’arts premiers, probablement les plus riches du monde pour l’Afrique centrale. Ses collections comportent près de 200 000 objets ethniques particulièrement diversifiés : masques, statuettes, instruments de musique, panneaux de lit, sceptres, parures, objets de culte… Masque anthropomorphe. Le masque Cihongo des CHOKWE (République démocratique du Congo, Kasaï). Bois et métal. 23,5 cm x 14,5 cm x 7,5 cm. Musée royal de l’Afrique centrale, Tervuren (acquis en 1946).
1. Art primitif ou art premier ?
Les expressions « art primitif » et « art premier » désignent les productions artistiques des sociétés dites traditionnelles, sans écriture ou primitives. Ces termes désignent communément la production artistique des cultures non-occidentales. L’expression « art primitif », liée au colonialisme, est aujourd’hui reçue de manière péjorative et délaissée au profit d’« art premier ». Cette appellation plus valorisante reste cependant fort critiquée par les amateurs d’art dans la mesure où elle suggère que les sociétés occidentales produisent un « art abouti », par opposition aux « arts premiers », œuvres de peuples considérés comme proches d’un état archaïque. Le débat reste ouvert et les spécialistes du sujet utilisent fréquemment des expressions différentes pour désigner cette forme d’art ; c’est ainsi qu’on entend parler d’« art sauvage », « art tribal », « art ethnographique », « art traditionnel », voire « art archaïque », aucune d’elles n’étant entièrement satisfaisante non plus.
Ce masque étant associé à la chefferie, seuls des danseurs de sang royal ont le droit de le porter.
2. Le masque africain La période coloniale a fait découvrir à l’Europe le masque africain. Les galeries et les musées se sont 292
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alors efforcés d’acquérir des œuvres « d’art premier », ne privilégiant au départ que la tête en bois sculpté, bien souvent au détriment de l’ensemble du costume. Détaché et séparé de son vêtement, de ses parures, de sa coiffure, des accessoires de danse qui l’accompagnent, le masque seul perd incontestablement sa signification profonde. Taillé dans des matériaux les plus divers, avec une prédominance pour le bois, le masque présente une profusion de formes dont on retient surtout trois tendances principales : le masque à forme humaine, le masque à forme zoomorphique et le masque alliant les deux. Le masque présente des caractéristiques stylistiques propres comme l’accentuation des traits, l’ajout d’attributs qui permettent d’identifier un personnage, et une grande économie des moyens d’expression (une bouche peut être figurée par un simple évidement rectangulaire p. ex.). De manière générale, il est marqué par la force qui s’en dégage. Chaque région d’Afrique, chaque tribu a en outre des caractéristiques qui lui sont propres. Ces œuvres ont inspiré les plus grands artistes occidentaux, comme le peintre Picasso.
pour l’État indépendant du Congo. Jusqu’en 1960, année de l’indépendance du Congo, les collections n’ont cessé de s’enrichir grâce aux envois d’objets et d’échantillons de toutes sortes par des militaires, missionnaires, administrateurs coloniaux, commerçants et scientifiques. Par la suite, la politique d’acquisition du musée s’est élargie à l’ensemble de l’Afrique. Aujourd’hui, le Musée royal de l’Afrique centrale s’impose comme un centre de référence moderne et dynamique dédié à l’Afrique, en particulier à l’Afrique centrale. Il est à la fois centre de recherche et d’archives et musée ethnographique, d’histoire naturelle et surtout d’« art premier ». ■
Les objets d’art africains sont créés dans un contexte bien particulier. Les masques sculptés, communs à l’ensemble de l’Afrique, n’ont pas été conçus pour être contemplés comme œuvres d’art (même s’ils le sont), mais pour accompagner des moments forts tels que les cérémonies rituelles, sociales ou religieuses, pour communier ou entrer en relation avec le divin et les puissances supérieures.
Masque zoomorphe. Masque de danse de la culture DOGON (Mali). Bois, pigments et fibres. 87 cm x 38 cm x 22 cm. Musée du quai Branly, Paris (acquis en 1931). D’après le mythe, le cervidé est tué par un cultivateur dont il a détruit la récolte. Le cultivateur encastre le crâne de l’animal dans son autel de chasseur pour se prémunir des attaques de l’esprit du cervidé.
La clé de compréhension de cet art implique de bien comprendre ses fonctions, au-delà de l’objet sculptural par ailleurs digne des plus grands artistes.
3. Le Musée royal
de Tervuren, un écrin pour un patrimoine d’ailleurs
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Les « arts premiers » africains L’impérialisme européen
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Construit en 1897, sous le règne du Roi Léopold II, pour l’Exposition Universelle, le musée avait pour objectif de susciter la curiosité du peuple belge 293
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La scène du landau dans Le Cuirassé Potemkine, 1925. Cet épisode dépeint le massacre de civils sur les marches de l’escalier d’Odessa. On y voit notamment une mère mourir et le landau qu’elle poussait dévaler l’escalier. La scène est filmée à l’aide d’un travelling (chariot permettant un déplacement de la caméra pendant la prise de vue), technique révolutionnaire pour l’époque.
> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Un film, Le Cuirassé Potemkine d’Eisenstein
Un film, Le Cuirassé Potemkine d’Eisenstein Le cinéma russe est resté longtemps l’un des plus importants et des plus innovants de la production européenne. La phrase de Lénine : Le cinéma est pour nous, de tous les arts, le plus important, a d’ailleurs fait le tour du monde. Un film figure toujours au premier rang du panthéon des historiens du septième art, Le Cuirassé Potemkine, réalisé en 1925 par Sergueï Eisenstein, et mettant en images la Révolution russe de 1905. Vu de l’extérieur et malgré la bonne volonté des cinéastes russes, il faut bien admettre que les films réalisés à l’époque sont encore aujourd’hui jugés soit comme « œuvres d’art » soit comme « œuvres de propagande ».
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En 1919, Lénine nationalise la production et la distribution cinématographiques et marque ainsi la naissance « officielle » du cinéma soviétique. Le contrôle presque constamment exercé par le pouvoir politique sur la création cinématographique a pour effet l’émigration de nombreux réalisateurs, producteurs et acteurs. La période de 1918 à 1923 est donc une période de réorganisation du septième art mais est aussi celle de l’explosion d’idées novatrices. La production passe de 12 films en 1921 à 68 en 1924.
l’histoire du cinéma russe – un landau dévalant les marches menant au port d’Odessa, au milieu de dizaines de corps abattus par les balles tsaristes. Cette version d’Eisenstein triomphe dans l’imaginaire du monde entier malgré les libertés prises par l’auteur sur la réalité : en effet les massacres de civils après la mutinerie du Potemkine ont été perpétrés ailleurs dans la ville. Il en est d’ailleurs de même pour la scène de la prise du Palais d’Hiver faussement spectaculaire qu’il nous montre dans un autre de ses films, Octobre. L’âge d’or du cinéma muet a bel et bien commencé et va durer jusqu’à l’apparition, très progressive en URSS, du cinéma parlant dans les années trente. ■
Chargé d’une mission tant politique qu’éducative essentielle, cet art populaire aux mains d’une élite enthousiaste crée dans les années suivantes des chefs-d’œuvre universellement reconnus. À partir de 1924, sortent des films qui vont donner au cinéma muet soviétique sa réputation internationale de cinéma révolutionnaire ou d’avantgarde. Le premier « grand » film : La Grève, réalisé par Sergueï Eisenstein en 1924, sort sur les écrans en 1925, suivi par Le Cuirassé Potemkine du même réalisateur, tourné en 1925 et sorti en 1926. C’est un succès international. Le retentissement de ce film à l’étranger est considérable, son interdiction dans certains pays, dont la France, atteste sans aucun doute de son efficacité révolutionnaire et de son succès notoire. Le sujet de ce film est la révolte des marins du Cuirassé Potemkine dans le port d’Odessa en juin 1905, au retour de la guerre contre le Japon. Mal nourris (ils reçoivent de la viande avariée), les marins se mutinent et, rejoints par une partie des officiers, jettent les autres par-dessus bord. La population de la ville, enthousiaste, se mobilise pour leur porter des vivres. Mais la répression tsariste est en marche… Commandé à Eisenstein par les autorités soviétiques pour le vingtième anniversaire de la Révolution de 1905, ce film va devenir l’un des plus fameux chefs-d’œuvre, mais aussi l’un des plus censurés dans son propre pays (un préambule écrit par Trotski, est évidemment soigneusement supprimé par ses successeurs), pour être parvenu à exalter la révolte des humbles avec trop de puissance. La version originale non censurée du film restitue avec splendeur un souffle révolutionnaire intact, notamment dans la séquence la plus célèbre de
Sergueï Eisenstein. Photographie de 1935.
Affiche du film Le Cuirassé Potemkine, 1926.
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Le Cri de Munch
Le Cri de Munch Courant artistique et littéraire né vers 1910 en Allemagne, inséparable d’une conception angoissée et révoltée du monde et de l’homme, l’expressionnisme se caractérise par un langage émotionnel violent et spontané. Le peintre, le dramaturge, le poète, le musicien et le cinéaste imposent leur sensibilité à leurs œuvres. La vie des artistes expressionnistes est souvent tourmentée ou tragique à l’image de leurs précurseurs de la fin du XIXe siècle (Van Gogh, Gauguin, Toulouse-Lautrec, Ensor ou Munch).
déformant la réalité pour atteindre la plus grande intensité expressive. Celles-ci sont le reflet de la vision pessimiste que les expressionnistes ont de leur époque, hantée par les affres de la Première Guerre mondiale. L’une des œuvres expressionnistes les plus universellement connues et reproduites est Le Cri d’Edvard Munch (1863-1944), peintre norvégien qui exprime régulièrement l’angoisse de la solitude humaine à travers ses peintures. Il existe une cinquantaine de variantes de ce tableau, la plus célèbre se trouvant à la Galerie nationale d’Oslo. Cette quatrième version a été dérobée en 1994, quelques heures avant l’ouverture des Jeux olympiques d’hiver de Lillehammer (sud-est de la Norvège) et retrouvée quelques mois plus tard. Cette œuvre symbolise le passage du XIXe s. au XXe s., car elle correspond à la découverte des profondeurs dans les études de la psychanalyse. L’artiste profondément marqué par la solitude, la mort et la maladie, s’exprime dans de nombreux tableaux, où le présent se confond avec le souvenir, dans une atmosphère particulièrement nostalgique.
Le Cri. Huile, pastel et tempera sur toile d’Edvard Munch. 1893. 91 x 73,5 cm. Galerie nationale, Oslo (Norvège).
1. Le contexte Les représentations expressionnistes sont très souvent fondées sur des visions terrifiantes, 296
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2. L’œuvre
personnage sont simplifiés à l’extrême. L’artiste s’est vraisemblablement inspiré d’une momie péruvienne : la similarité qui existe entre la manière dont les mains de ces momies soutiennent leur tête, et la position des mains du personnage peint par Munch est troublante. La peinture de Munch associe avec efficacité un dessin simple et une couleur irréelle, vive et forcée. Ces caractéristiques stylistiques originales jouent un rôle essentiel dans l’expressionnisme qui cherche à peindre les âmes plutôt qu’une réalité objective. Le mouvement s’épanouira pleinement dans les pays nordiques et en Allemagne jusqu’à l’arrivée du régime nazi. ■
La scène du Cri se déroule sur un pont, au moment d’un incroyable coucher de soleil qui modifie les tons naturels, le ciel est rougeoyant. Une ambiance dramatique, angoissante et même assourdissante est créée par ce violent jeu de couleurs. Selon une hypothèse émise en 2003 par le professeur Donald Olson de l’université d’État du Texas, le ciel rouge du tableau évoque l’éruption du volcan Perbuatan, sur l’île de Krakatoa en Indonésie, phénomène naturel particulièrement violent et meurtrier. Des particules de lave pulvérisées, en suspension dans l’air, s’éparpillent autour du globe. Des lueurs rougeoyantes sont observées jusqu’en Angleterre et aux États-Unis. Le phénomène dure environ trois mois et est souligné à plusieurs reprises dans la presse norvégienne. Munch a probablement vu le ciel s’embraser. Il existe donc un lien avec la nature objective et cruelle, mais aussi avec son état d’esprit. En effet, le peintre se révèle aussi dans ce tableau : Munch explique dans ses notes prises en 1892 alors qu’il était malade : « Je longeais le chemin avec deux amis, c’est alors que le soleil se coucha, le ciel devint tout à coup rouge couleur sang, je m’arrêtai, m’adossai épuisé à mort contre une barrière, le fjord d’un noir bleuté et la ville étaient inondés de sang et ravagés par des langues de feu, mes amis poursuivirent leur chemin, tandis que je tremblais encore d’angoisse et je sentis que la nature était traversée par un long cri infini ». La baie et ses petits voiliers suggérés par quelques traits et la rambarde du pont divisent le tableau par une diagonale. La figure de l’homme qui hurle en se bouchant les oreilles se réduit à une larve, les traits du
Momie inca retrouvée dans le temple du soleil au Pérou. Photographie de 1954.
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Le Cri de Munch
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La Première Guerre mondiale
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Le fort de Breendonk
Le fort de Breendonk Parce qu’il est le camp d’extermination nazi comptant le plus de victimes, Auschwitz est devenu le symbole de la « solution finale », et comme un synonyme de la Shoah. Aujourd’hui, ce camp est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO comme témoin de ce passé tragique. L’horreur nazie et ses camps de concentration n’ont cependant pas épargné la Belgique. Le Fort de Breendonk en est une preuve à la fois émouvante et parlante. Le site impressionne par sa majesté, son aspect dantesque, c’est le symbole perpétuant le souvenir des souffrances, des tortures, de la mort de tant de victimes.
Le fort de Breendonk. Vue aérienne actuelle.
Le fort de Breendonk est un ouvrage fortifié dont la construction remonte à 1909. Il fait partie de la ceinture défensive d’Anvers. Lors de l’invasion de la Belgique par l’Allemagne en 1914, le fort est bombardé : il ne peut riposter, car les canons allemands sont hors de portée de tir. Durant l’entre-deuxguerres, l’armée belge l’utilise occasionnellement comme casernement, ensuite il est choisi pour abriter le Grand Quartier-Général de l’armée en cas d’invasion. Lors de la Seconde Guerre mondiale, pendant l’occupation, la police politique allemande utilise le fort comme camp de concentration. Le 20 septembre 1940, le major SS Philipp Schmitt, arrive au Fort avec les premiers prisonniers et en devient le commandant. Officiellement Breendonk est un SS-Auffangslager ou « camp d’hébergement ». Le fort a été choisi pour sa localisation particulièrement favorable : situé entre Bruxelles et Anvers, à proximité de Malines et de son important nœud ferroviaire. Initialement, le camp est gardé uniquement par quelques SS allemands et un détachement de la Wehrmacht. En septembre 1941, la Wachtgruppe des SS arrive en renfort : cette fois, il ne s’agit pas de SS allemands mais belges et principalement flamands. Durant la
Le fort de Breendonk. Vue intérieure actuelle.
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ÉPOQUE CONTEMPORAINE
première année d’occupation, ce sont surtout des juifs qui y sont détenus, avant d’être transférés vers d’autres camps, mais, à partir de 1942, les juifs de Belgique sont regroupés à Malines, à la caserne Dossin, avant leur départ vers les camps d’extermination. De 1940 à 1942, le nombre de prisonniers politiques et de résistants augmente. Breendonk devient un camp de transit où l’on reste en moyenne trois mois avant d’être déporté vers les camps de concentration en Allemagne, en Pologne ou en Autriche. Le régime instauré par les nazis est cruel, il diffère à peine de celui d’un véritable camp de concentration. La sous-alimentation et les travaux forcés épuisent les corps et le moral des prisonniers et de nombreux sévices entraînent régulièrement la mort de détenus. Le travail forcé consiste à retirer les tonnes de terres qui couvrent en grande partie le fort à l’époque (« protection » remontant à la Première Guerre mondiale). Les prisonniers poussent des chariots, cassent des pierres, ou portent des sacs du matin au soir, sous les coups de fouet : un
travail lourd, humiliant et épuisant. Il existe aussi des travaux plus légers pour quelques « privilégiés » comme les tailleurs ou les infirmiers. Avant d’être transférés vers d’autres camps, les résistants sont interrogés, maltraités et torturés dans le « bunker » (l’ancienne réserve de munitions reconvertie en salle de supplices). Les exécutions, par balles ou pendaison, se font dans un enclos à l’arrière du bâtiment. À partir de novembre 1942, Breendonk fait office de « réserve » d’otages parmi lesquels l’administration militaire allemande peut choisir des victimes à fusiller. Ces exécutions se font en représailles à des attentats commis par la Résistance. Au total quelque 3 500 personnes, parmi lesquelles une trentaine de femmes, ont connu l’horreur de Breendonk. Environ la moitié d’entre eux ne sont pas revenus vivants des camps. Breendonk, quoique petit en comparaison avec d’autres, est néanmoins un camp où la barbarie nazie s’est particulièrement illustrée pendant l’occupation allemande. Actuellement, préservé, il accueille de très nombreux visiteurs. ■
Poteaux d’exécution du fort de Breendonk. Photographie actuelle.
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Le fort de Breendonk Fascismes et Seconde Guerre mondiale
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Les affiches politiques
Les affiches politiques Dans cette guerre idéologique qu’est la Guerre froide, l’affiche politique est un moyen d’expression très régulièrement utilisé. Elle est très appréciée par les gouvernements qui l’utilisent pour faire passer un message, promouvoir leur modèle économique et social ou dénigrer l’adversaire. L’affiche tient ici un rôle de propagande. C’est un bon moyen pour permettre à la population d’adhérer aux idées véhiculées par les dirigeants de manière plus ou moins subtile car relativement discrète.
« Les grands travaux du communisme ». Affiche politique. 1952. Allemagne de l’Est (côté soviétique). L’affiche met en scène Staline haranguant une foule admirative.
dans les campagnes politiques. En effet, les améliorations apportées aux techniques d’impression et le développement des partis politiques expliquent l’intérêt qu’elle suscite. Le bouleversement des régimes au XIXe s. voit se répandre le système de démocratie parlementaire, et donc la place du débat entre les partis prend beaucoup d’importance. Grâce aux affiches, ces partis peuvent faire passer leur message plus facilement. Au XXe s., le rôle de l’affiche s’élargit, celle-ci étant de plus en plus utilisée comme publicité pour des produits de consommation. Mais son rôle politique ne disparaît pas et s’étend encore avec l’apparition de mouvements citoyens ou associatifs. Elle trouve également un nouveau souffle avec la Guerre froide.
1. Le rôle des affiches politiques
2. Des affiches
de propagande
Avec la naissance de l’imprimerie à la fin du XVe s., on voit apparaître les premières affiches. Leur intérêt est rapidement démontré : il est aisé de diffuser un message de grande ampleur. À partir du XIXe s., elle devient un support particulièrement utilisé
En pleine guerre idéologique, les régimes se servent des affiches pour vanter leur modèle. La simplification et l’exagération sont souvent de 300
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rigueur. Bien que généralement accompagnée de mots, c’est davantage l’image qui doit marquer les esprits, parler d’elle-même. Dans le cas de la Russie soviétique, la référence au leader est récurrente, surtout à l’époque de Staline (qui avait recours au culte de la personnalité). Le peuple est aussi important car l’idéologie soviétique le place au centre de ses préoccupations : l’égalité de tous et le bonheur collectif. Les États-Unis, eux, mettent en avant le bonheur personnel, les valeurs familiales, la réussite économique et, bien sûr, la liberté individuelle. Les personnes posant pour illustrer les valeurs occidentales sont des anonymes, on ne voit pas le chef de l’État. Au final, il s’agit presque d’affiches publicitaires, vantant les mérites du libéralisme. Les deux camps utilisent aussi ce support pour critiquer le système opposé. Américains et Européens craignent de voir le communisme se répandre chez eux. Ils se servent donc de l’affiche
comme pamphlet, incitant leur population à se méfier des beaux discours aux idées communistes. Aux États-Unis, dans les années 1950, une véritable chasse aux sorcières est organisée à l’encontre de tous les sympathisants de la cause socialiste. L’URSS attaque aussi son adversaire au moyen des affiches de propagande, dénonçant un capitalisme sauvage et la corruption du régime.
3. Le rôle des symboles Les symboles sont très importants dans les affiches politiques car ils font partie intégrante du message. Dans l’affiche reproduite ici, on observe un ouvrier soviétique refusant l’aide américaine du plan Marshall car elle cache en réalité une volonté guerrière des États-Unis. Comme souvent dans les affiches soviétiques, les États-Unis sont représentés par un homme assez âgé et bedonnant avec un pantalon aux couleurs du drapeau américain. Il porte un chapeau haut-de-forme et un costume, symboles de la bourgeoisie alors que l’ouvrier est vêtu d’un béret et d’une salopette. Pour rendre la compréhension du message plus aisée, les affiches n’hésitent pas à emprunter les codes des caricaturistes. Depuis plusieurs années, on note un recul de l’affiche politique. Les nouveaux moyens de communications Affiche soviétique de 1949. (l’Internet et la télé- Elle met en scène l’hostilité du monde soviétique vis-à-vis du plan Marshall : un Américain offre de la nourriture et un pacte d’adhésion vision) sont privilé- à l’OTAN à un ouvrier de l’Est, qui les rejette. La légende dit : « Les peuples giés par les partis. ■ du monde ne veulent pas d’une nouvelle guerre désastreuse. J. Staline ».
« This is America ». Affiche américaine de 1950.
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La légende de l’affiche dit ceci : « Une nation avec plus de maisons, plus de voitures, plus de téléphones, plus de confort que n’importe quelle autre nation sur terre. Où des travailleurs libres et la libre entreprise bâtissent un monde meilleur pour tous. C’est votre Amérique… gardez-la libre ».
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Le mur de Berlin...
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Une chanson, Indépendance cha-cha
Une chanson, Indépendance cha-cha La décolonisation africaine des années 60 donnant l’indépendance et la liberté aux peuples soumis provoque une vague d’espoir très importante. Cet enthousiasme est souvent traduit en chansons, dont certaines ont fait l’objet d’une récente réédition à l’occasion des cinquante ans de l’indépendance. L’une d’entre elles marque profondément les esprits : Indépendance cha-cha. Cette chanson, fêtant l’indépendance du Congo, devient un tube international. Il faut dire que son histoire est un peu particulière car elle se confond justement avec l’Histoire.
cha-cha de Roger Izeidi et Table Ronde de Joseph Kabassele. La première, plus encore que la seconde, devient un tube international. Elle intègre dans son texte des paroles en lingala, tshiluba et kikongo, les langues principales du Congo. Elle est chantée pour la première fois en public au Congo, le 30 juin 1960, jour de l’accession à l’indépendance. Le destin de cette chanson étant étroitement lié à l’autonomie congolaise, elle célèbre parfaitement cet événement. Elle devient presque l’hymne de l’indépendance, est largement diffusée sur la radio congolaise et est reprise par la nation tout entière. Elle est répétée de générations en générations et représente une leçon d’histoire pour la jeunesse actuelle. Elle marque également profondément les artistes africains d’aujourd’hui. Cette chanson est aussi célèbre en dehors des frontières congolaises et devient le premier tube panafricain, mais elle est aussi diffusée en Europe, en Belgique en particulier. De nombreux chefs d’État des pays nouvellement indépendants n’hésitent pas à demander à leurs artistes locaux des titres honorant leur nouvelle autonomie. Cependant, le plus représentatif et marquant de tous reste l’hymne originel : « Indépendance cha-cha ».
La pochette du disque comprenant la chanson « Indépendance cha-cha » sur laquelle on peut découvrir l’ensemble des membres du groupe African Jazz.
1. Les origines d’un tube Alors que les négociations de la Table Ronde doivent débuter à Bruxelles au début de l’année 1960, un groupe de jazz congolais, l’African Jazz, est convié dans la capitale belge pour distraire les participants. C’est dans ce contexte que deux chansons voient le jour, célébrant la réussite de ces négociations : Indépendance 302
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2. Des tubes
internationaux
La chanson africaine dans son ensemble connaît ensuite une période faste et se diffuse dans le reste du monde. Certains artistes sont toujours animés de cette flamme liée à l’indépendance. C’est le cas, par exemple de Johnny Clegg et de sa chanson « Asimbonanga » en 1986, véritable hymne de la lutte contre l’apartheid (ségrégation raciale). Petite particularité : le chanteur sud-africain est blanc, mais il chante en zoulou. Autre figure marquante de la lutte anti-apartheid : Miriam Makeba, dont la chanson « Pata Pata », écrite en 1956 et enregistrée en 1962, la fit connaître à travers le monde. Ses prises de position contre l’apartheid incitent les autorités sud-africaines à lui retirer sa nationalité. Elle ne peut revenir dans son pays qu’en 1990 sur la demande de Nelson Mandela, qui devient président en 1991. Grande figure de la musique « afro-beat » nigériane, Fela est un artiste provocateur qui se sert de son art pour dénoncer les mœurs politiques de son pays. Il critique la dictature qu’a connue son pays mais aussi la corruption et les problèmes que rencontre le Nigeria post-colonial. En Angola, Bonga est une star internationale de la chanson.
Pochette du disque Pata Pata de Miriam Makeba. 1972.
Portrait de Cesária Évora datant de 2005.
Également athlète spécialiste du 400 mètres, il est contraint à l’exil au début des années 70 et devient l’un des leaders du Mouvement Populaire de Libération de l’Angola. Issue du même pays, Cesária Évora est une autre grande voix de la chanson africaine. Aujourd’hui, la musique africaine reste populaire en dehors des frontières du continent. Parmi les artistes actuels les plus célèbres, on retrouve entre autres Amadou et Mariam, duo malien, Geoffrey Oryema, originaire d’Ouganda ou encore Tiken Jah Fakoly (Côte d’Ivoire) qui joue du reggae pour « éveiller les consciences ». Trouvant sa place dans ce qu’on appelle la « World Music », la chanson africaine a un passé historique très important et montre qu’elle a encore de beaux jours devant elle. ■
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Une caricature politique
Une caricature politique Depuis de nombreuses années, voire de nombreux siècles, la caricature est régulièrement utilisée en politique. Sujet parfois complexe pour la population, l’intégration européenne est un thème particulièrement intéressant pour les caricaturistes.
Les 50 ans de l’Europe. Caricature de Pierre Kroll, dans Au pays des oranges bleues, Bruxelles, Éd. Luc Pire, 2007, p. 73.
1. La caricature,
encore les monarques absolus vont être des cibles de choix pour les caricaturistes. Toutefois, les lois restreignant la liberté de la presse sont les ennemies des dessins satiriques. Depuis que la censure est nettement moins présente dans les pays occidentaux, il n’est pas surprenant que ces dessins se fassent de plus en plus nombreux. Désormais, les caricatures font partie intégrante du paysage politique ; il est même parfois assez flatteur pour un homme politique d’être caricaturé car cela permet de se faire connaître plus largement et, donc, de toucher un public moins intéressé par le monde
des origines lointaines
On considère généralement que l’ancêtre des caricatures que l’on connaît aujourd’hui remonte à l’Antiquité. En effet, déjà à l’époque, on recourait au dessin satirique ou parodique – bien souvent sous forme de fresque – pour illustrer, dénoncer, s’amuser d’une situation, d’une personne ou autre. Cette forme de dénonciation artistique ne disparaît pas au Moyen Âge et le thème de la Danse macabre est souvent utilisé dans cette optique. Par la suite, les querelles religieuses ou 304
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politique. Ainsi, de nos jours, avoir sa marionnette aux Guignols de l’info démontre une certaine popularité. Comme l’illustre cette émission télévisée, la caricature a désormais une place à part entière dans les médias. On la retrouve dans les quotidiens, lors des débats dans les émissions télévisées, etc. Certains journaux se spécialisent dans la satire et offrent une place de choix aux caricatures, tel le Canard enchaîné en France.
cachent derrière les institutions de l’Union Européenne et des luttes qui s’y déroulent en coulisse. La caricature est donc ici particulièrement utile car elle sert non seulement à dénoncer ou illustrer la vie politique, comme elle le fait dans d’autres domaines, mais elle a aussi des vertus pédagogiques. En effet, elle transmet des clés de lecture sur la politique européenne et son organisation à l’ensemble de la population. Le dessin présenté ici, œuvre de Pierre Kroll, caricaturiste politique reconnu en Belgique, relève vraiment bien les difficultés rencontrées en Europe depuis les multiples et nombreux élargissements. Comment mettre d’accord tant de goûts et d’habitudes différents ? L’art du compromis, déjà difficile à exprimer avec six représentants, devient un jeu d’équilibriste lorsqu’il s’agit de contenter les exigences et points de vue de vingt-sept membres. Logiquement, les intérêts nationaux ne disparaissent pas à la table des négociations, et chaque pas concédé à l’un doit être contrebalancé par une faveur cédée à l’autre. Cette caricature illustre parfaitement les raisons des crises européennes récentes et les défis que l’Europe doit relever pour le futur. ■
2. La construction européenne et la caricature
La construction européenne est un sujet complexe où l’art du compromis est omniprésent. Les changements d’orientations, les objectifs de l’intégration ou encore le fonctionnement des institutions sont des éléments complexes dont il est parfois difficile de faire comprendre les nuances à la population. L’opinion publique des différents pays européens n’a qu’une vague idée des enjeux réels qui se
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> ÉPOQUE CONTEMPORAINE > Le jeans, un vêtement universel
Le jeans, un vêtement universel Lorsqu’on regarde aujourd’hui une foule se balader dans le centre-ville d’un pays industrialisé, un vêtement s’impose : le jeans. Anciennement habit de travail, il s’est répandu et son utilisation s’est généralisée. Porté dans le cadre d’une tenue de ville ou de détente, tout le monde a un jeans dans son armoire. Et si ce vêtement représente bien l’uniformisation vestimentaire à travers le globe, sa réalisation est en rapport direct avec le concept de mondialisation. En effet, avant d’arriver terminé dans un magasin, le jeans a réalisé une fois et demie le tour du monde.
souvent recours au travail des enfants pour récolter le coton, mais aussi, de la Corée du Sud, l’Inde, le Pakistan, l’Ouzbékistan, la Chine, le Brésil, ou encore des États-Unis. Une fois le coton récolté, des usines locales séparent les fibres de la graine. Ce coton doit ensuite être teinté. Pour cela, il quitte son pays d’origine, direction Milan bien souvent pour les jeans, mais parfois dans une autre région du monde. Ensuite, il doit être délavé, puisque la mode l’exige. Pour donner au vêtement cet aspect déjà usé, on utilise de la pierre ponce extraite d’un volcan éteint de Turquie. Bien évidemment, l’opération ne se fait pas nécessairement dans ce pays, elle peut aussi être réalisée ailleurs, où le jeans sera aussi assemblé. Mannequin portant un jeans Levi’s. Photographie de 1972.
Produits aux quatre coins du monde... Lorsqu’on regarde un jeans attentivement, on observe qu’il est composé de matériaux assez variés qui, pour la plupart, ne sont pas produits dans le même pays, bien au contraire. Prenons d’abord le tissu, le plus souvent composé de 100 % coton. Ce coton peut provenir de plusieurs régions du monde, pour autant qu’elles soient comprises entre le 37e parallèle nord et le 32e sud. De l’Afrique bien sûr, avec le Mali, le Bénin, le Burkina Faso, etc., pays qui ont bien
Travailleurs chinois délavant les jeans en y projetant du sable. Photographie de 2008. Le processus de délavage est très dangereux pour les travailleurs qui absorbent ainsi de la poudre de silice dans leurs poumons.
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Mais d’où vient le modèle de base, la coupe finale du jeans ? Elle est généralement dessinée dans les pays occidentaux (et surtout aux États-Unis), principaux marchés de consommation du jeans. Avant d’être assemblé, il manque encore plusieurs parties du vêtement. Le bouton de fermeture, par exemple, est fabriqué en laiton, alliage de cuivre et de zinc : ce mélange est réalisé par des entreprises européennes dont les usines sont souvent basées en Afrique. Cependant, les matières premières viennent parfois de bien plus loin : l’Australie est un important fournisseur de zinc et la Namibie de cuivre. Le laiton est aussi utilisé pour les dents de la fermeture éclair. Pour cette même fermeture, on a besoin d’une bande de polyester qui elle, est réalisée en France par une entreprise japonaise. On a aussi besoin de cette fibre polyester solide fabriquée au Japon, qui, associée au coton, est utilisée pour certains fils du jeans. Ceux-ci sont produits dans différentes régions du monde : en Irlande du Nord, en Turquie, ou encore en Hongrie. Ils sont ensuite teintés en Espagne et mis en bobine en Tunisie.
Une fois que tous les biens nécessaires à la réalisation d’un jeans sont prêts, ils sont acheminés en Tunisie ou dans d’autres pays où la phase d’assemblage débute dans des usines où travaillent essentiellement des femmes. Celles-ci se spécialisent dans des tâches très précises : l’ourlet, la poche, la fermeture éclair, etc. Et finalement les jeans peuvent être envoyés dans les magasins du monde entier et être vendus aux consommateurs. Nous avons présenté ici le parcours d’un jeans denim de la marque Lee Cooper, estimé à plus de 65 000 kilomètres, mais toutes les enseignes fonctionnent de la même manière, et pas uniquement pour les jeans. Par exemple, les vélos « Décathlon » sont aussi composés de différentes pièces produites dans une multitude de pays. ■
Usine d’assemblage de jeans au Brésil, employant exclusivement des femmes. Photographie de 1994.
denim
Quelle est l’origine du terme « »? Au départ, il s’agissait d’une méthode de tissage en diagonale, d’un mélange de laine et de soie, originaire de Nîmes. La contraction des termes a ensuite donné Denim, mais n’a désormais plus rien à voir avec la ville française.
Jeune garçon posant les garnitures en laiton sur des jeans au Bangladesh. Photographie de 2007.
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REGARDS
rétrospectifs
> Les migrations, un phénomène nouveau ?
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> L’État-nation doit-il disparaître ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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> Vers un gouvernement mondial ? . . . . . . . . .
318
> Révolutions ou Réformes ?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 322
> Suffit-il d’élire des individus pour parler de démocratie ? . . . . . . . . . . . . . . . . . 326 > La Belgique, une construction du XIXe siècle sans avenir ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 330 > Les progrès scientifiques : avancées réelles pour l’humanité ? . . . . . . 334 > La croissance à tout prix ?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 338
> Peut-on nourrir toute la planète ?
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> Le féminisme est-il encore nécessaire ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 346 > L’art, reflet d’une société ?
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> Les religions sont-elles toujours des intégrismes ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 354
REGARDS rétrospectifs
REGARDS rétrospectifs Notre société est celle du débat, des questions à la Une des journaux, des prises de position, des manifestations de tous ordres. À l’heure des réseaux sociaux, chacun a le pouvoir de participer, de s’exprimer. Or ces questions qui ont du sens pour le citoyen d’aujourd’hui sont souvent le signe d’un besoin de changement par rapport à un avant. Remontons le temps… Une mise en perspective historique peut éclairer nos questionnements d’aujourd’hui qu’ils soient d’ordre politique, économique ou sociétal.
REGARDS
> Les migrations, un phénomène nouveau ?
rétrospectifs
Les migrations, un phénomène nouveau ? « Le XXIe s. sera celui des peuples en mouvement » affirmait un Haut-commissaire aux réfugiés de l’ONU en 2008. En 2005, 3 % de la population mondiale vivait dans un pays autre que celui de sa naissance. S’agit-il vraiment d’un nouveau phénomène ? Pour quelles raisons les êtres humains quittent-ils leur pays d’origine ? Est-ce toujours un choix libre ?
1. Les migrations,
massive de populations germaniques dans la partie occidentale et finalement la disparition de celle-ci. Les incursions des Vikings peuvent-elles être considérées comme des migrations ? Après avoir raflé un important butin, la plupart repartait vers leur pays ; même si certains se fixèrent en Normandie ou en Sicile, il s’agit plutôt de raids que de véritables migrations. Au Moyen Âge, les migrations furent plutôt la conséquence de conquêtes, comme celles des Arabes musulmans ou des Croisés en Terre Sainte. Du XVIe au XVIIIe s., il faut distinguer des migrations volontaires, celles des colons partis peupler les terres conquises d’Amérique, d’Afrique ou d’Asie et les migrations forcées à grande échelle, comme la traite des Noirs qui aboutit à la déportation de millions d’Africains condamnés à travailler comme esclaves dans les plantations. Déjà victime de la traite pratiquée par les marchands arabes, l’Afrique va perdre une importante main-d’œuvre, ce qui aura des conséquences sur son développement. Des raisons religieuses vont encore forcer des groupes entiers à s’expatrier : ce fut le cas des Juifs d’Espagne expulsés en 1492 par les rois catholiques, des protestants français (les Huguenots) opprimés
une constante de l’histoire
Les hommes se sont toujours déplacés. Dès la Préhistoire, ils ont quitté le berceau africain pour peupler peu à peu l’ensemble de la planète. Dans l’Antiquité, la recherche de terres cultivables ou de nouveaux débouchés commerciaux, les disettes ou famines, les conflits politiques poussèrent Phéniciens et Grecs à s’implanter dans toute la Méditerranée. Venus du nord de l’Afrique, les Bantous migrent vers le bassin du Congo, puis dans le sud du continent, en y introduisant leur langue, la maîtrise de l’agriculture et de la métallurgie. L’Empire romain attira à lui des individus Les hommes se sont qui s’y intégrèrent en devenant soldats, toujours déplacés. commerçants, domestiques ou fonctionDès la Préhistoire, naires ; ayant acquis la citoyenneté, ils ils ont quitté le berceau purent même devenir évêques, comme saint Augustin, ou empereur, comme africain pour peupler Septime Sévère. Le déclin démographique peu à peu l’ensemble des Romains, la difficulté à gérer un terde la planète ritoire aussi vaste entraînera l’entrée
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Au XIXe s., en 1994. Le phénomène des migrations forcées, c’est aussi l’horreur des wagons les migrations blindés emmenant les juifs d’Europe vers devinrent plus Auschwitz ou les files interminables de véhicules quittant la nouvelle Orléans en individuelles 2005 pour échapper à l’ouragan Katrina. ou familiales Aux guerres et révolutions s’ajoutent les catastrophes climatiques, qui poussent sur la route de l’exil, de façon temporaire ou définitive, des milliers d’êtres humains. La Seconde Guerre mondiale déracina près de 40 millions de personnes en Europe, la partition de l’Inde en 1947, 15 millions, le conflit en Palestine, 4 millions. L’ONU a cherché à venir en aide à ces populations, notamment par la création du Haut-commissariat aux Réfugiés (HCR) en 1951 et l’adoption de la Convention de Genève : il s’agit de traités internationaux qui protègent les personnes qui ne participent pas aux hostilités (les civils, les membres du personnel sanitaire ou d’organisations humanitaires) ainsi que celles qui ne prennent plus part aux combats (les blessés, les malades, les naufragés et les prisonniers de guerre). Si ces traités ont été signés par la quasi-totalité des États du monde, cela ne s’est
par Louis XIV. Parfois, ce sont les communautés religieuses persécutées qui décident elles-mêmes de s’exiler : comme ce groupe de protestants qui débarquèrent du Mayflower en 1620 et fondèrent la colonie de Plymouth ; ils sont souvent considérés comme les pères fondateurs des États-Unis. Au XIXe s., les migrations devinrent plus individuelles ou familiales : 29 millions d’Européens traversèrent l’Atlantique pour fuir la famine et la misère consécutives à la Révolution industrielle. Certains parlent encore aujourd’hui le wallon dans le Wisconsin ! Au XXe s., les États industrialisés d’Europe occidentale ont fait appel à une main-d’œuvre venue du sud (Italie, Espagne, Portugal, puis Afrique du Nord et Turquie) pour faire tourner leurs usines.
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2. Droit d’asile
et déplacements forcés
Les raisons qui sont à l’origine d’un départ sont complexes. Le XXe s. a accentué le phénomène des personnes fuyant la guerre, comme ces milliers de Belges réfugiés pendant la Première Guerre mondiale ou ces Rwandais se sauvant vers le Congo
Réfugiés haïtiens fuyant l’oppression économique et politique de leur pays et cherchant asile aux États-Unis. Le bateau est suivi de près par les membres du bureau du shérif. Quand ils débarquent, les réfugiés sont placés en détention en attendant que le service de l’immigration décide de leur sort. Photographie de 1981.
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> Les migrations, un phénomène nouveau ?
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la « fuite des cerveaux » provenant de pays de l’OCDE, de Chine ou de l’Inde, où ils sont remplacés par une main-d’œuvre moins qualifiée. Parmi ces exilés, on trouve en nombre des médecins, des infirmières, des informaticiens, des chercheurs et des étudiants. Accueillir ces travailleurs qualifiés pour combler les pénuries dans ces domaines constitue un bienfait pour les pays d’accueil, mais un drame pour certaines régions du monde, comme l’Afrique noire qui n’arrive pas à couvrir les besoins de sa population. En Haïti, un des pays les plus pauvres du monde, 8 diplômés sur 10 vivent à l’étranger.
pas traduit par un système d’asile garantissant les droits de tous. Aujourd’hui encore, plus de 8 millions de personnes vivent dans des camps. Selon le HCR, un demandeur d’asile attend en moyenne 17 ans pour trouver une solution durable à son exil (intégration au pays d’accueil ou retour volontaire dans son pays d’origine).
3. La mondialisation
a changé les flux migratoires du XXIe s.
Si le nombre de migrants internationaux ne cesse de croître, leurs routes ne correspondent plus seulement aux anciens liens coloniaux et bilatéraux (comme les Congolais émigrant en Belgique). Contrairement à une idée répandue, seuls 2 migrants sur 5 s’installent dans les pays occidentaux. C’est dans les États du Golfe (Qatar, Émirats arabes unis, Arabie saoudite), Hong Kong ou Singapour que la proportion d’immigrés est la plus forte. Les « corridors » les plus fréquentés par les migrants relient le Mexique et les Contrairement États-Unis, la Russie et l’Ukraine, le Banà une idée répandue, gladesh et l’Inde, le Burkina et la Côte d’Ivoire. D’après la Banque mondiale, seuls 2 migrants près de 47 % des migrants des pays sur 5 s’installent dans pauvres vont vers d’autres pays pauvres et 80 % de ces migrations concernent les pays occidentaux des pays voisins. À qui profitent ces migrations ? L’argent gagné envoyé au pays d’origine représente plus de 300 milliards de dollars. C’est en Inde, en Chine, au Mexique et aux Philippines que ces transferts ont été les plus importants. Ils représentent une part non négligeable du PIB pour des pays pauvres (par exemple 21,6 % pour Haïti), mais aussi pour des États comme le Liban, dont le nombre d’émigrés est plus important que celui des habitants. Ces transferts En 1950, de fonds encouragent la consommaon comptait dans tion de biens manufacturés importés le monde 200 millions et entraînent ces pays dans une dépende personnes âgées dance accrue. Ils accroissent les inégalités entre les familles qui sont aidées par de plus de 60 ans, leurs émigrés et les autres. elles seront 2 milliards Dans un marché du travail globalisé, les en 2050 ! migrations ont un autre effet pervers :
4. Les migrations,
une nécessité démographique ?
La mondialisation a creusé encore davantage les écarts de richesse. Les inégalités existent entre les États, mais aussi au sein de chaque État. Cette situation a changé la donne : les migrations se font souvent au sein d’un même pays, de la campagne vers la ville. Depuis 2007, le monde compte plus de citadins que de ruraux. D’autre part, le vieillissement de la population mondiale, en particulier dans les pays de vieille industrialisation, devient un enjeu majeur. Le vieillissement est dû à deux facteurs : l’allongement de l’espérance de vie et la baisse de la natalité ; ainsi, l’âge moyen de la population mondiale qui était de 22 ans en 1970 atteindra 34 ans en 2034. En 1950, on comptait dans le monde 200 millions de personnes âgées de plus de 60 ans, elles seront 2 milliards en 2050 ! Ce phénomène est encore accentué en Europe : l’espérance de vie s’est allongée et la fécondité est tombée en dessous du seuil de 2 enfants par femme ; la population européenne non seulement vieillit, mais elle diminue. La population active n’est plus assez nombreuse pour financer la solidarité avec les générations précédentes (paiement des retraites, des maisons de soin et de repos…). D’autres problèmes commencent à se manifester : pénurie de main-d’œuvre, dépopulation des campagnes, baisse de la demande intérieure. Ainsi, c’est la croissance économique et la cohésion sociale qui risquent
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d’être touchées. Dès lors, des jeunes migrants venus de pays pauvres ou en guerre, tentent leur chance.
de regroupement familial ont permis aux femmes et aux enfants de rejoindre les travailleurs. Au XXIe s., la féminisation des migrations internationales est une réalité sur tous les continents. Désormais, ce sont des femmes seules (célibataires, divorcées ou parties sans leur conjoint) qui s’en vont ; elles constituent par exemple 50 % des Sri-lankaises, 80 % des Indonésiennes ou des Capverdiennes. Au total, un migrant sur deux est une femme. Cette situation leur permet d’acquérir une indépendance par rapport à leur entourage. L’autonomie ainsi acquise explique probablement que la Au total, majorité des demandeurs d’asile en Belgique sont des femmes, et des femmes un migrant sur deux est une femme diplômées. ■
5. Émigrer, une affaire d’hommes ?
Lorsque, au XXe s., les pays européens ont manqué de main-d’œuvre pour remettre en route l’industrie touchée par la guerre, ils ont fait appel à des hommes seuls. Les permis de séjour et de travail étaient octroyés à titre temporaire. En cas de crise économique, des mesures de rapatriement étaient prises. Au fil du temps, pour des raisons à la fois économiques et démographiques, des politiques
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Caricature de Heerk. 2007.
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> L’État-nation doit-il disparaître ?
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L’État-nation doit-il disparaître ? Aujourd’hui, les autorités régionales réclament davantage de pouvoir pour administrer au mieux les besoins locaux. Tiraillé entre une Union européenne de plus en plus prégnante sur nos vies et l’autonomie grandissante des régions, l’État centralisé et fort a-t-il encore sa place dans un monde globalisé ? Parallèlement, les pays européens ont choisi de s’allier, quitte à abandonner une partie de leurs prérogatives, pour maintenir une certaine influence auprès des institutions internationales et pour défendre leurs intérêts. Et dans tout cela, que deviennent les États nationaux ?
1. Vers une Europe
Communauté européenne de défense (CED), le climat a changé. Les hommes politiques à la tête des États concernés ne sont plus toujours les mêmes (de Gasperi est décédé et Robert Schuman n’est plus au pouvoir). Or, ce nouveau traité inquiète. Bien plus que le précédent, il confirme la tendance supranationale de l’Europe puisqu’il intègre directement les armées des pays européens sous un même commandement indépendant. De plus, un projet de Communauté politique est discuté en coulisse. Celui-ci représente un grand pas dans l’intégration européenne et dans l’abandon de souveraineté, ce qui inquiète, même au sein des partis europhiles au pouvoir. Ainsi, deux courants se distinguent : d’un côté les fédéralistes qui désirent la création d’un organisme centralisé aux pouvoirs de décision importants, de l’autre les confédéralistes qui privilégient la règle de la concertation intergouvernementale. Le débat n’aboutit pas : la CED est rejetée et le projet politique qui y était lié est abandonné. Ce premier coup de frein dans le processus d’unification européenne atteint assez durement le courant fédéraliste : il est manifeste que les
centralisée ?
Dès ses origines, l’intégration européenne oscille entre fédéralisme et confédéralisme. Après la Seconde Guerre mondiale, les gouvernements européens s’inquiètent de voir une nouvelle guerre éclater. C’est dans ce cadre que naît la construction européenne. Faite de la volonté et de l’engagement d’hommes politiques charismatiques et appréciés dans leur pays (comme Konrad Adenauer en Allemagne ou encore Alcide de Gasperi en Italie), l’intégration européenne du début des années 50 surfe sur une vague d’optimisme. Perles populations sonne ne veut faire échouer l’initiative. Par conséquent, aucune réelle objection ne sont pas prêtes ne survient lorsqu’il s’agit de confier une à ce que les États partie des pouvoirs de l’État à une Haute abandonnent Autorité en ce qui concerne la gestion une partie du charbon et de l’acier. Cette dose de supranationalité liée au traité de la CECA de leurs prérogatives n’est alors pas remise en cause. à une autorité Quelques années plus tard, alors qu’il supranationale est question de ratifier le traité de
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Le drapeau de l’Union Européenne entouré des drapeaux des pays qui la constituent.
d’une Union européenne accusée Le traité instituant d’être trop libérale, trop technocrate la Constitution ou trop loin des préoccupations réelles de ses habitants, leur position est liée à européenne est rejeté l’image que leur renvoient les gouver- en 2005 par la France nements de cette Europe. Souvent, les et les Pays-Bas ministres se cachent derrière la Commission européenne pour justifier la mise en place de telle ou telle mesure impopulaire. Certes, l’Union européenne est impliquée dans le processus de décision, surtout dans les domaines économiques, mais elle ne détient ce pouvoir de décision que parce que les gouvernements l’ont investie de cette mission. De plus, même si plusieurs mesures sont prises à la majorité au sein de l’Union, la recherche du compromis pour aboutir à un consensus est souvent privilégiée. Il est donc difficile d’imaginer une Europe fédérale. Pourtant, certains proposent parfois une union européenne des régions. En effet, la montée des régionalismes laisse penser à certains qu’un État central à la tête de pays dans lesquels les régions seraient largement autonomes peut être l’avenir du continent européen.
populations ne sont pas prêtes à ce que les États abandonnent une partie de leurs prérogatives à une autorité supranationale. Une cinquantaine d’années plus tard, les citoyens européens montrent qu’ils ne sont toujours pas prêts à accepter une intégration politique européenne poussée. Le traité instituant la Constitution européenne est rejeté en 2005 par la France et les Pays-Bas. Même s’il existe de nombreuses raisons justifiant le rejet de cette constitution, dont certaines ne concernaient pas le traité à proprement parler mais simplement un rejet de la politique gouvernementale de leur pays, il apparaît que les populations s’inquiètent beaucoup de donner des pouvoirs politiques trop importants à l’Union européenne. Malgré quelques soucis de ratification, le Traité de Lisbonne (13 décembre 2007) est accepté quelques années plus tard. Or celui-ci est très semblable au traité de Constitution, à ceci près qu’il est dépouillé de toutes ses références à un État centralisé (constitution, hymne officiel, etc.). Il faut sans doute pointer l’attitude ambiguë des hommes politiques en ce qui concerne l’Europe. Si les citoyens se méfient, parfois à juste titre,
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> L’État-nation doit-il disparaître ?
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2. Vers une plus grande
particulièrement visible en Belgique, avec la région flamande où l’on voit les partis indépendantistes ou du moins régionalistes trouver une large assise populaire. Ainsi, de multiples réformes de l’État dans les années 1970-80 aboutissent à la création de trois communautés (flamande, française et germanophone), et de trois régions (la Flandre, la Wallonie et Bruxelles). Avec le temps, ces entités voient leurs compétences s’accroître sous la pression des autonomistes, flamands essentiellement. Depuis 1994, la Belgique est un État fédéral. Pour autant, les revendications en faveur de plus d’autonomie se poursuivent. La Belgique n’est pas la seule à connaître une pression régionaliste importante. Cependant, si ces problématiques ont certes des dénominateurs communs, elles sont à chaque fois très différentes car ces démarches autonomistes sont largement
autonomie des régions ?
À la fin du XIXe s., on assiste à une montée des nationalismes qui atteignent leur apogée pendant l’Entre-deux guerres. La crise de 1929 provoque un repli des États et le retour au protectionnisme. Le deuxième conflit mondial modifie les rapports entre les nations, avec, comme on l’a vu, un rapprochement de celles-ci au sein d’organisations internationales. Depuis 1994, Aujourd’hui, on ne peut évidemment la Belgique est un État pas considérer que le nationalisme a disparu, bien au contraire. Cependant, fédéral il apparaît parfois sous une autre forme. Désormais, les partis nationalistes ne défendent plus automatiquement une nation, mais parfois une région bien spécifique. Cette situation est
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Pierre KROLL, Perceptions de la Belgique, in Télé Moustique, Sanoma Magazines Belgium N.V. / S.A., Diegem, 5 mai 2010.
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tributaires de l’histoire des régions concernées. En Espagne, par exemple, plusieurs régions tiennent à marquer leur différence par rapport à l’État central. C’est notamment le cas du Pays basque, ou encore de la Catalogne. Pourtant ces deux régions mènent leur combat de manière assez différente. La France connaît aussi des problèmes régionalistes, notamment avec la Corse. En Italie aussi, les tensions sont parfois vives entre le nord et le sud. Pour autant, se dirige-t-on vers des États fédéraux ou confédéraux, voire vers l’indépendance de certaines régions ? Chaque situation est différente, mais certains craignent que si une région revendicatrice obtient son indépendance, ce mouvement ait des répercussions dans les pays voisins. Dans un monde globalisé, les mouvements d’idées et les révoltes s’exportent rapidement, comme le montre l’exemple récent des révolutions arabes. Évidemment, un cas n’est pas l’autre. On peut cependant remarquer une même tendance : les citoyens, bien que soutenant les mouvements autonomistes, ne réclament pas pour autant l’autonomie totale, à quelques exceptions près. En effet, l’appartenance à une nation
internationalement reconnue a un côté rassurant et apporte la certitude d’une reconnaissance mondiale. Après tout, la cohabitation, certes perfectible, semble fonctionner et il ne paraît pas indispensable de changer.
certains craignent “ que si une région revendicatrice obtient son indépendance, ce mouvement ait des répercussions dans les pays voisins
Par conséquent, le fédéralisme est-il la voie à privilégier ? Il semble en effet que dans les États parcourus par des régionalismes importants, ce soit la solution la meilleure. Mais cela fonctionne plus facilement si les régions qui divisent l’État sont d’importance relativement similaire, tant par leur nombre que par la richesse apportée.
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Chaque nation ne doit-elle pas avoir la possibilité d’élaborer un système politique qui lui est propre et qui convient à ses particularités et ses besoins ? Une organisation administrale fédéralisme est-il tive et politique d’une nation ne peut la voie à privilégier ? jamais être appliquée à l’identique dans une autre. Chaque État a son histoire, sa culture et ses valeurs et doit trouver et cultiver le schéma qui lui convient. ■
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> Vers un gouvernement mondial ?
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Vers un gouvernement mondial ? Dans un monde où la globalisation est de mise, les États sont constamment en interaction les uns avec les autres. Les organisations internationales jouent un rôle important et tentent d’établir une certaine équité entre les États. Cependant, au regard des échecs que connaissent parfois les interventions de ces organisations, on peut légitimement se demander si le poids de ces institutions est réel et s’il est respecté par tous les membres qui les composent. Les États sont-ils prêts à s’en remettre aux organisations internationales ?
d’aucune force armée pour faire appliquer les sanctions qu’elle prend à l’encontre de certains pays (ces sanctions peuvent être économiques, financières ou militaires), et tous les États membres de la SDN n’appliquent pas toujours les mesures décidées. La grande faiblesse de la SDN est d’être tributaire du bon vouloir de ses membres. Et, justement, lorsque les mesures prises par l’organisation déplaisent, certains pays préfèrent se retirer. Par ailleurs, l’absence des États-Unis au sein de la SDN (ils n’ont pas ratifié le Traité de Versailles) est préjudiciable au pouvoir d’influence de l’organisation. N’ayant pas été capable d’intervenir lors des événements qui ont précédé la Seconde Guerre mondiale ni même lors du déclenchement de celle-ci, la SDN disparaît officiellement en 1946.
1. L’échec de la Société des Nations
La mondialisation n’est pas un fait récent, mais on peut considérer que la révolution industrielle a accéléré son processus. Au XIXe siècle, on assiste à une véritable augmentation des échanges internationaux, toutefois coupée dans son élan par la montée du nationalisme. Pourtant, bien que le repli des nations sur ellesmêmes soit manifeste, une organisation politique internationale se développe : la Société des Nations ou SDN. L’idée de cette institution est promue par le Président des États-Unis Woodrow Wilson à la fin de la Première Guerre mondiale. Elle est ensuite reprise par le Traité de Versailles et la SDN existe dès 1920. Le but de la Société des Nations est de les États ont maintenir la paix à travers le monde. conscience Sa mise en place crée un grand espoir. de l’importance Cependant, les résultats ne sont pas à des organisations la hauteur des attentes. Si la SDN parvient à aider plusieurs missions humaniinternationales taires, elle n’arrive pas à s’imposer dans pour maintenir les conflits plus sérieux par manque un certain équilibre de moyens. En effet, elle ne bénéficie
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2. Apprendre
de ses erreurs
Malgré l’échec de la SDN, les États ont conscience de l’importance des organisations internationales pour maintenir un certain équilibre. Mais il faut en modifier les modalités de fonctionnement
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Secrétaire général
Conseil de sécurité 5 membres permanents ayant droit de veto 10 membres élus pour 2 ans
x x x
exécute les décisions administre supervise les Casques bleus
x prend les décisions x veille au maintien de la paix (envoi de Casques bleus)
Élit pour 5 ans
Cour internationale de justice La Haye
Élit
Conseil de tutelle
Assemblée générale Élit pour 9 ans
Une voix par État membre
Élit
Administration des territoires confiés à l’ONU
Élit pour 3 ans
Conseil économique et social Services spécialisés
Institutions spécialisés
relevant de l’Assemblée générale
Organes autonomes qui travaillent avec l’ONU
x CNUDED : Conférence des Nations unies sur le Commerce et le Développement x UNICEF : Fonds des Nations unies pour l’Enfance x HCR : Haut commissariat des Nations unies pour les Réfugiés x etc.
x FAO : Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture x UNESCO : Organisation des Nations unies pour l’Éducation, la Science et la Culture x OMS : Organisation mondiale de la Santé x FMI : Fonds monétaire international x OMC : Organisation mondiale du Commerce x etc.
Organigramme simplifié de l’ONU.
Elle montre dès lors une efficacité plus grande que l’organisation précédente qui était souvent incapable d’agir concrètement. Mais l’ONU doit faire face à un risque de paralysie lié au fait que chaque membre permanent du Conseil de sécurité est doté d’un droit de veto. En pleine Guerre froide, les désaccords entre les ÉtatsUnis et l’URSS sont nombreux : on compte, durant cette période, plus de trois cent utilisations de ce droit par les Soviétiques. Pour contrer l’effet pervers du veto, l’Assemblée générale décide d’accorder à l’ONU le droit d’intervention en cas de conflit imminent ou de menace évidente à l’encontre de la paix, même si un des membres du Conseil de sécurité s’oppose à toute action de la part de l’organisation. L’ONU tente ainsi de ne pas reproduire les mêmes erreurs que la SDN et d’agir même s’il y a pression des grands États.
pour éviter de répéter les erreurs commises avec la SDN. C’est ainsi qu’après la Seconde Guerre mondiale, en 1945, une autre organisation vient remplacer la Société des Nations : l’Organisation des Nations unies ou ONU. Celle-ci est composée notamment d’une Assemblée générale, d’un Conseil de sécurité composé de quinze membres (cinq permanents : États-Unis, Chine, URSS, France et Royaume-Uni, et dix non permanents, élus pour deux ans), d’une Cour internationale de justice basée à La Haye, ainsi que d’un secrétaire général. L’ONU a le même objectif principal que la SDN : maintenir la paix. Pour cela, elle peut prendre des sanctions diplomatiques et économiques à l’encontre des États incriminés et s’appuyer sur une force armée fournie par les États membres pour faire appliquer ses décisions, les Casques bleus. 319
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> Vers un gouvernement mondial ?
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À cela s’ajoute une autre difficulté : alors qu’ils sont de plus en plus présents et nombreux au sein des organisations internationales, les pays en voie de développement peinent à se faire entendre, surtout si leurs revendications vont à l’encontre des intérêts des puissances. Même lorsque l’une ou l’autre des organisations tente de les soutenir, ils ne parviennent pas facilement à gagner leur bataille. Prenons l’exemple de l’agriculture. Aujourd’hui, le commerce équitable est devenu une référence mondiale de défense des petits producteurs locaux dans les pays pauvres et jouit d’une grande reconnaissance populaire. De nombreux ménages achètent régulièrement des produits estampillés « équitables » pour montrer leur soutien à plus de justice économique. Tout le monde connaît les difficultés liées à la production paysanne et il est de bon ton de la part du monde politique occidental de soutenir ces actions. Pourtant, ce sont ces mêmes politiques qui encouragent les subventions en faveur de l’agriculture locale. Aussi bien l’Union européenne avec la Politique agricole commune (PAC) que les États-Unis fournissent à leurs agriculteurs de nombreuses aides pour leur permettre une certaine rentabilité. Or, cette politique fausse la production et le système de libre concurrence, et se retourne contre les producteurs des pays pauvres. L’Organisation mondiale du Commerce (OMC) est donc entrée en guerre contre ce problème de subvention, mais rencontre une grande opposition de la part des pays occidentaux qui refusent de supprimer leurs subventions de peur de faire sombrer leurs agriculteurs dans la pauvreté et de voir leur nombre, déjà peu élevé, diminuer sensiblement au point de rendre l’État dépendant des importations. Cette bataille opposant les pays pauvres aux pays riches montrent la difficulté rencontrée par l’OMC pour s’imposer. Si la PAC est aujourd’hui remise en question en Europe, cela n’est pas uniquement dû à l’influence de l’OMC mais aussi au manque d’envie des gouvernements de financer une politique dont les retombées ne sont pas évidentes dans chacun des États membres. Ce n’est ici qu’une illustration des problèmes rencontrés par les organisations internationales pour se faire entendre et faire appliquer leurs résolutions.
Malgré cela, l’ONU reste limitée dans son action. En effet, lorsqu’elle doit intervenir dans un conflit dans lequel une grande puissance est impliquée, son action se révèle relativement inefficace car le pays membre concerné passe souvent outre ses recommandations et gère le conflit à sa l’ONU reste limitée manière. À titre d’exemples, l’organisation internationale ne put jouer un rôle dans son action décisif dans le cadre de la guerre du Vietnam (1964-1975), de l’insurrection tchécoslovaque de 1968, de la guerre d’Algérie (1954-1962), ou plus récemment de la guerre en Iraq (2003-2011). De même, lorsque les conflits n’impliquent pas de grandes puissances, l’ONU reste tributaire de leur soutien, notamment militaire. Or, généralement, ces pays se montrent plus enclins à intervenir lorsque leurs intérêts sont directement concernés. Si tel n’est pas le cas, l’ONU se retrouve souvent à court de moyens. Il faut bien le constater : les organisations internationales peinent à s’affranchir pleinement des États et à agir en toute indépendance. Si l’ONU se révèle plus compétente que la SDN, elle n’est pas parvenue à résorber toutes les faiblesses déjà pointées pendant l’Entre-deux-guerres.
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3. Les organisations
internationales parviennent-elles à se faire entendre ?
Il existe bien sûr aujourd’hui de nombreuses organisations internationales s’occupant de différents sujets. Beaucoup d’entre elles sont directement liée à l’ONU. C’est le cas, par exemple, de l’Organisation internationale du Travail (déjà fondée à l’époque de la SDN), de l’UNESCO (Organisation des Nations unies pour l’Éducation, la Science et la Culture), la Banque internationale pour la Reconstruction et le Développement, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) ou encore le Fond monétaire international (FMI). les pays en voie Chacune de ces organisations a pour but de gérer son domaine propre. Mais elles de développement rencontrent les mêmes problèmes d’aupeinent à se faire torité que l’ONU vis-à-vis des grandes entendre puissances.
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4. Un gouvernement
indépendance et leur permet de passer de nombreux postes outre les décisions prises par les orgaclés dans ces comités nismes internationaux. On peut d’ailleurs remarquer que de nombreux postes clés sont détenus par dans ces comités sont détenus par des des Occidentaux Occidentaux. Par conséquent, les organisations mondiales éprouvent des difficultés à garder leur indépendance. Pourtant, avec l’émergence de nouveaux États (Chine, Brésil, Inde…), le rapport de force pourrait bien évoluer dans les prochaines années. Reste à voir si cela se fera dans le cadre des organisations internationales. ■
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mondial impossible ?
Après l’analyse des difficultés rencontrées par les organisations mondiales, on s’aperçoit que les obstacles sont nombreux et que la tâche est immense. Il semble que les gouvernements acceptent volontiers de s’en remettre à ces organisations, tant que celles-ci abondent dans leur sens. Par contre, ils sont beaucoup plus circonspects lorsqu’il s’agit d’appliquer une mesure contraire à leurs intérêts. Actuellement, le statut de puissance économique assure aux pays occidentaux une certaine
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Caricature de Presto. Illustration d’un tract de l’association altermondialiste, ATTAC, en 2009.
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> Révolutions ou Réformes ?
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Révolutions ou Réformes ? Dans son acception politique, la révolution est une rupture nette avec une situation passée. Elle implique une destruction du pouvoir d’État existant et un changement profond des structures de la société. La révolution a un caractère massif et populaire. Elle s’oppose au réformisme qui transforme progressivement le système pacifiquement par la voie légale. Pourquoi et comment ?
1. Le processus
descendant dans la rue. Généralement, la révolution éclate à la suite d’un facteur déclenchant qui va mobiliser les masses populaires : un fait divers dramatique (l’immolation par le feu d’un jeune diplômé vendeur de rue en Tunisie, 2011), une décision injuste (ordonnance du 25 juillet 1830, en France, muselant la presse et la Chambre élue), un événement culturel (l’opéra, La muette de Portici, en 1830 en Belgique), un geste de mécontentement symbolique (Boston Tea Party dans les colonies anglaises d’Amérique en 1773), un impôt trop lourd, etc. Parfois un lieu symbolique (la Bastille à Paris en 1789, la place Tarhir au Caire en 2011) ou des expressions bien choisies (« la révolution du jasmin » en Tunisie en 2011, la « révolution des œillets » au Portugal en 1974) renforcent l’unité du mouvement révolutionnaire. Enfin, alors que la révolution semble terminée, une période d’oppression ou de contre-révolution refait parfois surface. Ce sera la dictature de Cromwell après le renversement de Charles Ier en Angleterre au XVIIe s. (1649-1658) ; la Terreur de Robespierre en France après 1790 ; la terreur stalinienne en Russie (1934-1940) ; le régime de Khomeiny en Iran (1979-1989)…
révolutionnaire
À la lumière de l’histoire, il est possible, sans verser dans le déterminisme, de distinguer plusieurs étapes dans le processus révolutionnaire. La révolution se distingue de la révolte qui est la révolution a été le fait de quelques individus réagissant brutalement à des circonstances submûrie et réfléchie jectives, alors que la révolution a été mûrie et réfléchie et qu’elle répond à un ensemble de conditions objectives (famine, inégalités sociales, oppression, manque de libertés…). Il faut d’abord une prise de conscience des problèmes par une élite intellectuelle qui va répandre des idées subversives dans la société. C’est le cas, par exemple, des philosophes des Lumières en France au XVIIIe s. qui mettent en cause l’Ancien Régime. Aujourd’hui, les révolutions arabes de 2011 (Tunisie, Égypte…) ont été lancées à travers des réseaux sociaux (Twitter, Facebook) par des jeunes instruits qui ont véhiculé des idées subversives contre le régime dictatorial. Après cette prise de conscience, le peuple mécontent, relaye ces idées subversives en
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Travail de la graphiste Mathilde Arnaud, rassemblant des captures de photos de profils tunisiens sur Facebook le 14 janvier 2011 et révélant la mobilisation massive de la population sur le réseau social.
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> Révolutions ou Réformes ?
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2. Réforme sociale
ou révolution ? », dans lequel elle défend la thèse de la révolution contre le réformisme de l’homme politique allemand, E. Bernstein (1850-1932). Ce dernier prétend que la vision marxiste de la fin du capitalisme ne se vérifie pas. En effet, pour Marx, l’évolution des sociétés industrielles capitalistes mènerait inéluctablement au renversement du système capitaliste en raison de la concentration croissante du capital dans les mains de quelques-uns et de l’exploitation de plus en plus grande de la masse ouvrière (le prolétariat). Or, Bernstein constate que le capitalisme résiste aux crises du capitalisme. Il faut donc procéder à une révision du marxisme dans le sens d’un socialisme non révolutionnaire et adopter des méthodes pacifiques et légales afin de socialiser les moyens de production et de mettre fin au capitalisme. L’adoption du suffrage universel doit être le moyen d’atteindre la démocratie politique qui mènera à la démocratie sociale. C’est le point de vue de ce qui s’appellera la social-démocratie qualifiée par ses détracteurs communistes de « doctrine libérale bourgeoise ». Rosa Luxembourg, mettra en pratique son idéal révolutionnaire et en mourra lors de la révolution spartakiste qui échouera en Allemagne après la Première Guerre (1919).
ou révolution ? La controverse marxiste
La révolution est au cœur de la théorie marxiste de la lutte des classes. Opposé à cette méthode violente visant à détruire le capitalisme, le réformisme s’est imposé au XIXe s. comme méthode pacifique pour atteindre le même but. L’origine de la révolution est liée à la plus ou moins grande résistance du corps social au changement. Lorsqu’une société ne parvient pas à modifier les conditions sociales, économiques ou politiques, alors la révolution devient la seule issue. Lénine écrit à ce propos : « C’est seulement lorsque ceux d’en bas ne veulent plus et que ceux d’en haut ne peuvent plus continuer à vivre à l’ancienne manière, c’est alors seulement que la révolution peut triompher. » (LÉNINE, La Maladie infantile du communisme, 1920). Marx et Lénine considèrent que les réformes ne servent à rien, sinon à maintenir en place la structure existante. C’est pourquoi les marxistes rejettent les mouvements syndicaux qui, C’est seulement selon eux, n’amènent pas à la révolution. lorsque ceux Marx écrit dans Le Capital (livre I, 1867) : « La violence est l’accoucheuse de toute d’en bas ne veulent vieille société grosse d’une société nouplus et que ceux velle ». Quant à Friedrich Engels : « Une d’en haut ne peuvent révolution est (…) l’acte par lequel une plus continuer à vivre partie de la population impose sa volonté à l’autre au moyen de fusils, de baïonà l’ancienne manière, nettes et de canons, moyens autoritaires c’est alors seulement s’il en est. » (« Théorie de la violence », que la révolution peut dans Anti-Dühring, 1878). La violence triompher. » (LÉNINE, permettra la prise du pouvoir des communistes en Russie lors de la révolution La Maladie infantile du d’octobre 1917. Le trotskisme défendra le communisme, 1920) concept de révolution mondiale.
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3. Le cas belge En Belgique, le mouvement ouvrier est divisé au XIXe s. en un courant révolutionnaire, pour qui la grève générale est le moyen d’effrayer la bourgeoisie au pouvoir et de mener à bien la révolution sociale. L’autre courant, réformiste, vise l’émancipation sociale en organisant un parti (le POB – Parti ouvrier belge – créé en 1885) dont le but est d’accéder au pouvoir par le moyen du suffrage universel. Pour y parvenir, les socialistes se rapprocheront des progressistes du parti libéral. Au sein du POB, le courant social-démocrate finira par triompher comme le montre le programme du POB lors du Congrès de Quaregnon en 1894. Ce qui reste de révolutionnaire dans ce texte, c’est l’acceptation du principe de la lutte des classes, de la société sans classes, du collectivisme, de la classe ouvrière comme moteur de la lutte des classes.
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Dès la naissance de la Première Internationale en 1864 (Association internationale des Travailleurs), on assiste à l’opposition au sein du mouvement ouvrier entre partisans et adversaires du socialisme révolutionnaire. L’affrontement sera particulièrement virulent en Allemagne à la suite de la parution en 1899 du livre de la militante et théoricienne marxiste, Rosa Luxembourg, « Réforme sociale
La lutte pour le suffrage universel sera menée, sous la pression de l’aile gauche du POB, sous la forme d’une 324
grève générale en 1893 qui aboutit (malgré une répression sévère) à l’instauration du suffrage universel plural. En 1902, par contre, la grève pour le suffrage universel pur et simple, mal préparée, n’aboutira pas. Enfin, celle de 1913 aura lieu de manière pacifique mais le processus de révision de la Constitution sera interrompu par la guerre. Après la guerre, le principe de la collaboration du mouvement ouvrier au système capitaliste libéral est désormais acquis et le suffrage universel pur et simple appliqué pour la première fois lors des élections de 1921.
respectant les institutions du système libéral-capitaliste. Cette référence va d’ailleurs disparaître progressivement après la Seconde Guerre mondiale. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le réformisme triomphe dans les pays industriellement développés. En Belgique, le POB devient le PSB (Parti socialiste belge) montrant qu’il ne s’agit plus uniquement de défendre la classe ouvrière. En participant au pouvoir, il parvient à mettre en application le principe de la socialisation des moyens de production (nationalisations d’entreprises) et tente, comme par le passé, de transformer le capitalisme de l’intérieur. La classe ouvrière s’intègre de plus en plus dans la société grâce à la mise en place de la sécurité sociale et au rôle accru des syndicats dans les négociations professionnelles (salaires, conditions de travail…). Après 1960, le PSB participe quasi de façon permanente au gouvernement. Il est devenu un parti de gestion intégré au système de concertation sociale. Les réformistes peuvent s’appuyer sur une théorie économique (La Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, 1936) de l’économiste britannique John Maynard Keynes qui prône la relance économique par le biais du financement public des investissements et de politiques budgétaires favorisant la demande. La social-démocratie est parvenue jusqu’aux années 1970 à faire accepter au patronat des politiques publiques qui ont permis de réduire les inégalités, sans remettre en cause la croissance économique ou la propriété privée.
La scission des sociaux-démocrates entre une « droite réformiste » et une « gauche révolutionnaire » sera provoquée par la révolution d’octobre, menée par les bolcheviks en Russie en 1917. Les partisans de la révolution formeront désormais le parti communiste belge (1921). La fracture est consommée en 1923 quand les courants sociaux démocrates (mencheviks) refusent d’adhérer à la IIIe internationale communiste. Les sociaux-démocrates continueront néanmoins à se référer au marxisme, mais en
À partir des années 1970, la crise éconole socialisme a perdu mique change la donne. Une « troisième voie » s’écartant de la social-démocratie depuis longtemps keynésienne se met en place. De plus en son caractère plus inspirée par le « blairisme » (T. Blair, révolutionnaire 1er ministre travailliste anglais de 1997 à 2007), le réformisme se rapproche du libéralisme : privatisations, dérèglement du marché, flexibilité du marché du travail, diminution des prestations sociales… Jusqu’aux années 1990, le réformisme socialiste s’opposait nettement à la droite libérale. Mais force est de constater que l’anticapitalisme n’est plus à l’ordre du jour et que le socialisme a perdu depuis longtemps son caractère révolutionnaire. À présent il perd l’élan égalitariste de ses débuts et s’éloigne des classes populaires. La social-démocratie est devenue social-libéralisme. ■
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« Ça c’est pour l’ennemi du dehors, pour le dedans, voici comme l’on combat loyalement les adversaires… », L’urne et le fusil, avril 1848, gravure de M.L. Bosredon, Bibliothèque nationale de France, Paris.
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> Suffit-il d’élire des individus pour parler de démocratie ?
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Suffit-il d’élire des individus pour parler de démocratie ? La démocratie est une procédure institutionnelle, basée sur les élections, qui donne le pouvoir au peuple (demos = peuple ; krateia = pouvoir). Pour que le système fonctionne démocratiquement, il faut une condition : le respect de la libre expression et la défense des intérêts de tous dans l’équité et la justice. La démocratie n’est rien si elle n’est pas fondée sur les élections dans le respect d’une culture démocratique.
Athènes, fondatrice au Ve s. de la démocratie, répond-elle à notre définition ? Sous l’angle de la procédure, Athènes apparaît comme démocratique. Il s’agit même d’une démocratie directe puisque tous les citoyens ont le droit de siéger à l’ecclesia (Assemblée législative). Quant aux fonctions dirigeantes, elles sont conférées par tirage au sort ou élections. Le tirage au sort permet à quiconque d’accéder au pouvoir. Quoi de plus démocratique ! Quant à l’élection, elle est réservée à des fonctions importantes (par exemple stratège). Apparemment, l’élection est une procédure démocratique. Cependant les Athéniens s’en méfient, considérant qu’elle favorise une élite aristocratique : les plus talentueux, les plus attentifs aux revendications popula démocratie laires et les plus riches. C’est pourquoi les athénienne réduit magistrats sont contrôlés sous peine de le peuple à quelques poursuites judiciaires (ostracisme).
gouvernent pour 400 000 habitants dont 180 000 Athéniens, 200 000 esclaves et quelques milliers de métèques (étrangers). De plus, Athènes n’a pas développé une véritable culture démocratique dans le sens où, malgré les élections libres, le pouvoir n’a aucun souci du bien commun. Il s’agit en fait d’une « tyrannie de la majorité » : la démocratie athénienne est le gouvernement de la majorité, mais la cité ne se soucie pas du respect des droits individuels et collectifs. La démocratie a bien fonctionné sous Périclès (ve s. av. J.-C.), mais est ensuite tombée, comme le prédisait Platon (427-348), aux mains d’une « populace envieuse, portée à suivre ses passions, se laissant abuser par l’habileté oratoire de dirigeants incompétents ». C’est ainsi que la démocratie athénienne disparaît après le Ve s. pour faire place aux ambitions personnelles de démagogues qui s’emparent du pouvoir.
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citoyens qui gouvernent pour 400 000 habitants
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Après la chute de la royauté à Rome, la République (509-27 av. J.-C.), au vu de son nom (res publica est res populi = la république est la « chose de tous »), semble une démocratie. En réalité, la
Mais la démocratie athénienne réduit le peuple (demos) à quelques citoyens (40 000 hommes – pas les femmes) qui 326
plus d’égalité et de liberté se sont solla participation dées par des échecs (réformes des frères des citoyens Gracchus). Malgré tout, le corps civique s’étend considérablement quand, à la romains au vote fin de la République, les Romains concè- n’est qu’une illusion dent la citoyenneté à leurs alliés italiens de démocratie (91-88), puis à tous les habitants libres de l’Empire (212). Cette intégration des étrangers, tout en préservant leurs coutumes, peut être considérée comme allant dans le sens de la démocratie : c’était reconnaître qu’il y avait plusieurs façons d’être romain.
participation des citoyens romains au vote dans les assemblées législatives (Comices) n’est qu’une illusion de démocratie. Le système de vote par centuries (cinq classes censitaires votent selon un ordre hiérarchique) empêche les classes pauvres d’influencer les résultats. Le pouvoir est détenu par une véritable classe politique aristocratique, le Sénat et les magistrats, dont l’appartenance à l’ordre équestre permet de suivre le « cursus honorum » (la « course aux honneurs » : l’accès aux principales magistratures). Les tentatives de renforcement du pouvoir par le peuple visant à
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Pierre Kroll, Mai 68 – Mai 08, in Télé Moustique, Sanoma Magazines Belgium N.V. / S.A., Diegem, 30 avril 2008.
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> Suffit-il d’élire des individus pour parler de démocratie ?
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communales ; 1980 : autres élections) et l’extension du droit de vote aux étrangers membres de l’Union européenne (1994 : élections communales et européennes) et à tous les étrangers (sous certaines conditions) en 2006 pour les élections communales. Notons enfin que le système électoral proportionnel, instauré en Belgique en 1892 pour remplacer le système majoritaire, apparaît comme plus démocratique puisque la pluralité des opinions est mieux représentée au parlement.
La société féodale et l’État moderne vont fonder le pouvoir sur la volonté absolue du monarque légitimé par Dieu dans une société d’ordres qui ignore les droits de l’individu. Dans ces conditions, l’émergence de pratiques démocratiques sera rendue difficile voire impossible. Le principe de nomination par le roi aux fonctions politiques importantes éclipse la procédure de l’élection et la dissociation entre l’État et la société rend problématique l’avènement de la démocratie. C’est la révolution des colonies anglaises d’Amérique (1776-1783) et la Révolution française de 1789 qui sont à l’origine de la démocratie contemporaine. L’idée est de conférer le pouvoir au peuple, de garantir les droits de l’individu et de séparer les trois pouvoirs de l’État (législatif, exécutif, judiciaire). Ainsi naît la démocratie représentative dans laquelle le peuple décide par l’intermédiaire de représentants élus. Cependant, les inventeurs de ce régime, tout en proclamant l’égalité comme fondement de leurs constitutions, ont privé du droit de vote et de candidature aux élections le peuple pauvre, la « classe dangereuse », celle des non-propriétaires. La souveraineté nationale – qui remplace la souveraineté du roi – s’est imposée comme impliquant la représentation et non la souveraineté populaire. C’est pourquoi le suffrage censitaire sera appliqué dans beaucoup de pays jusqu’à la Première Guerre mondiale : seuls les hommes (pas les femmes) qui paient un cens élevé auront le droit de vote.
Cependant, malgré l’élargissement du suffrage, la démocratie a suscité des critiques. Les marxistes prétendent que les démocraties occidentales sont des « démocraties bourgeoises » aux mains de la classe capitaliste et que la démocratie réelle est celle qui donne le pouvoir au prolétariat dans une société sans classes. Les pays de l’Est, devenus communistes après 1945, se sont même qualifiés de « démocraties populaires ». On a prouvé depuis que ces régimes avec un parti unique et non respectueux des droits de l’homme, n’avaient rien de démocratiques. La révolte de mai 68 en France a eu aussi pour objet la contestation de la démocratie, dont le processus électoral était considéré comme un piège empêchant une véritable alternative au pouvoir en place. Aujourd’hui, ces questionnements n’ont pas disparu. Le citoyen se sent éloigné de ceux qui le représentent : les élus forment une « classe politique » coupée de la « société civile » ; d’où l’absentéisme croissant aux élections. Elles apparaissent comme des compétitions dans lesquelles les programmes pèsent moins que les personnes. De plus, particulièrement aux États-Unis, seuls les candidats soutenus financièrement peuvent espérer être élus. Chez nous, la limitation des dépenses électorales des partis par l’État est un moyen d’empêcher cette dérive. Il n’en reste pas moins que les partis imposent souvent à leurs élus une discipline de vote au Parlement, ce qui dénature la démocratie en une particratie. Enfin, autre reproche fait à la démocratie : vu la complexité croissante des projets de lois, les gouvernements eux-mêmes sont de plus en plus influencés par des experts. Dans certaines circonstances – ce fut le cas en 2011 en Italie et en Grèce pour faire face à la
À partir de la seconde moitié du XIXe s., le combat pour le suffrage universel a pour but l’établissement d’une réelle démocratie : il s’agit de donner le droit de vote à tous sans distinction. Dans le cas de la Belgique par exemple, en 1894, le suffrage universel tempéré par le vote plural donne le droit de vote à tous les hommes mais certains ont jusqu’à trois voix en fonction de leur revenus ou capacités. Ce n’est qu’en Ce n’est qu’en 1921 que le suffrage universel pur et 1921 que le suffrage simple est appliqué pour les élections universel pur législatives (un homme = une voix), les femmes étant exclues jusqu’à 1948. et simple est appliqué Ensuite, l’élargissement du suffrage se pour les élections réalisera par l’abaissement de la majorité électorale à 18 ans (1970 : élections législatives
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crise économique – le gouvernement est confié à des techniciens non élus. En réplique à cette évolution de la démocratie représentative, une nouvelle forme de démocratie se développe : la démocratie participative. Les citoyens s’expriment directement dans les médias et à travers des sondages. Ils peuvent, lors de référendum ou dans des assemblées, décider d’investissements ou faire des propositions aux élus (droit d'interpellation). Alors que les citoyens jouent un rôle nouveau dans la décision politique, les politiciens eux-mêmes évoluent. Ils ne s’expriment plus uniquement par la voie parlementaire car ils ont compris que pour exister ils doivent être présents dans les médias. Cette « démocratie du public » (B. Manin) est une démocratie en temps réel qui oblige les politiciens à se plier à cette nouvelle forme de démocratie directe qui introduit une personnalisation accrue du jeu politique. Enfin, un lieu incontournable du débat démocratique aujourd’hui est l’Internet qui permet une auto-organisation des citoyens, des délibérations transnationales et l’ouverture de la politique à de nouveaux citoyens. Les réseaux sociaux (Twitter, Facebook) ont même facilité, lors des « Printemps arabes » en 2011, la chute de régimes qui bafouaient la démocratie (Tunisie, Égypte, Libye…).
démocratique selon laquelle le pouvoir prend en compte l’ensemble des intérêts de tous les acteurs sociaux en respectant les droits fondamentaux comme le droit de tous les citoyens à la critique, la possibilité de remise en question des gouvernants et le contrôle du processus de décision. ■
En conclusion, un véritable régime démocratique est celui dans lequel le peuple intervient directement dans le processus de désignation du gouvernement tout en gardant un pouvoir d’influence réel sur les décisions à prendre. En outre, cette procédure doit se doubler d’une culture
une nouvelle “ forme de démocratie se développe : la démocratie participative
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Moins de 21 ans voici votre bulletin de vote, affiche de mai 68 incitant les mineurs à s’exprimer avec des pavés.
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> La Belgique, une construction du XIXe s. sans avenir ?
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La Belgique, une construction du XIXe s. sans avenir ? La Belgique a-t-elle un avenir ? Cette question est de plus en plus souvent posée ces dernières années, particulièrement au nord du pays où les partis séparatistes et nationalistes revendiquent davantage d’autonomie. Les difficultés qui empoisonnent les débats politiques sont nombreuses. BHV en est un exemple emblématique.
1. Un arrondissement
découper l’ancienne province du Brabant en trois arrondissements électoraux : le Brabant wallon, le Brabant flamand et la ville de Bruxelles, limitée aux 19 communes. Les six communes « à facilités linguistiques » situées dans l’arrondissement du Brabant flamand sont réunies dans un même canton électoral, où les électeurs peuvent voter pour des listes de Bruxelles ou de la province du Brabant flamand. Le problème de la scission de BHV a créé une crise politique profonde entre Flamands et Francophones pendant de très longues années. Bruxelles, ville à majorité francophone, capitale du pays et de la Flandre est l’objet de toutes les convoitises et de toutes les tensions ; le poumon économique de la Belgique est enclavé en territoire flamand.
électoral source de tensions
La sixième réforme de l’État belge débute avec la scission de l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV), votée au Sénat en juin 2012. Fondé en 1963, cet arrondissement électoral regroupait 19 communes de la Région Bruxelles-Capitale et 35 communes de la Région flamande. Considéré comme bilingue, il permettait aux Francophones des communes situées en Région flamande de voter pour des listes francophones et aux Flamands résidant à Bruxelles de voter pour des listes flamandes. Mais, depuis 2002, dans tout le pays, les députés ne sont plus élus par arrondissement, mais par provinces, BHV restant l’exception. En 2003, la Cour d’arbitrage estime que cette situation est contraire au principe d’égalité des Belges. Certains partis néerlandophones et certains Flamands proBruxelles, fitent de l’occasion, pour revendiquer objet de toutes la scission de BHV, qui doit empêcher les Francophones vivant en Région flales convoitises et de mande de voter pour des listes frantoutes les tensions cophones. Il est finalement décidé de
2. Deux réalités Depuis les années 1950, la Wallonie connaît un déclin économique incontestable. Grande puissance industrielle au XIXe s., elle ne réussit pas à se reconvertir après la fermeture des charbonnages et autres entreprises sidérurgiques. Malgré la rédaction d’un « Contrat d’Avenir pour la
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Wallonie » rédigé en 2000 par le gouvernement wallon, véritable « plan Marshall » pour un redressement économique, l’idée d’une Belgique à deux vitesses est ancrée dans les mentalités. Les indicateurs économiques de ces dernières années qui comparent les revenus, la rentabilité des entreprises ou le taux de chômage sont incontestablement favorables à la Flandre. Depuis de nombreuses années, les déclarations politiques au nord du pays inquiètent. La Flandre réclame une meilleure répartition des compétences politiques, une autonomie fiscale et financière, une scission des soins de santé et des allocations familiales (50 % de la sécurité sociale), plus de compétences en matière de développement, de communication, de technologie ou en matière judicaire. Certains économistes et politiques francophones posent dès lors la question : que va-t-il rester de la Belgique, si ces réformes aboutissent ?
Et aujourd’hui ? Les récents sondages l’idée d’une Belgique révèlent une réalité bien différente. En à deux vitesses 2007, les journaux Le Soir et De Stanest ancrée dans daard s’interrogent sur l’image de la Belgique qu’ont Francophones et Fla- les mentalités mands. Plus de 70 % des Wallons et des Bruxellois ne souhaitent pas que la monarchie soit remplacée par une république dirigée par un président, alors que près de 65 % de Flamands l’envisagent.
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› Atlas d’Histoire pl. 63 › Petit atlas d’Histoire pl. 33
4. La Belgique,
un État artificiel ?
Je m'excuse de la liberté que je prends de Vous écrire, Sire […] Mais il est une preuve plus caractéristique et plus décisive encore de la dualité foncière de Votre royaume, plus incontestable que celles qui se peuvent déduite du sol, des paysages, des activités, des tempéraments et des croyances, c’est la langue. […] Vous régnez sur deux peuples. Il y a, en Belgique, des Wallons et des Flamands ; il n’y a pas de Belges. […] Une Belgique faite de l’union de deux peuples indépendants et libres, accordés précisément à cause de cette indépendance réciproque, ne serait-elle pas un État infiniment plus robuste qu’une Belgique dont la moitié se croirait opprimée par l’autre moitié ?
3. Et la monarchie ? Symbole d’unité, la monarchie est aussi touchée par les différentes querelles communautaires qui traversent notre histoire. La question royale divise le pays dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. Certains reprochent au roi Léopold III ses prises de position en faveur du retour de la neutralité du pays, sa rupture avec le gouvernement en exil, son entrevue avec Hitler, et surtout son mariage et ses conditions de détention jugées choquantes par une partie du peuple belge durement touché par plusieurs années d’occupation. En 1949, le gouvernement belge choisit d’organiser une consultation populaire. Plus de 57 % des Belges sont favorables au retour du roi, à raison de 72 % en Flandre, alors qu’à Bruxelles et en Wallonie, le non l’emporte à 52 et 58 %. Ces chiffres s’expliquent par les tendances de l’époque : la Flandre est alors étiquetée « catholique » et « conservatrice », alors que Bruxelles et la Wallonie sont marqués par les succès électoraux des libéraux, des socialistes et des communistes. La question royale est réglée par l’abdication de Léopold III et la prestation de serment de Baudouin Ier en 1951, mais elle est surtout le révélateur d’un profond clivage entre le Nord et le Sud du pays.
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Extraits de la Lettre au roi sur la séparation de la Wallonie et de la Flandre, adressée en 1912 à Albert Ier par Jules Destrée.
Dès sa création en 1830, la Belgique met en place un État centralisé dominé par la bourgeoisie francophone. Mais très vite, des mouvements flamands réclament une reconnaissance linguistique et culturelle (1847, Manifeste du mouvement flamand) qu’ils obtiennent entre 1873 et 1898, par le vote au Parlement de lois qui donnent progressivement au flamand son rang de langue 331
Symbole d’unité, “ la monarchie est aussi touchée par les différentes querelles communautaires qui traversent notre histoire
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> La Belgique, une construction du XIXe s. sans avenir ?
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plus importante que la Belgique actuelle. Le terme « Belges » désigne alors une fédération de peuples occupant un espace déterminé et non, une nation au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Beaucoup plus tard, de nombreuses principautés situées entre la future France et la future Allemagne sont rassemblées en un seul État par les ducs de Bourgogne. L’unification commence en 1384 et prend fin en 1443. Ces territoires sont nommés Pays-Bas (Belgica en latin). Mais il faut souligner que la population de ces régions ne partage pas le sentiment d’être Belges ; l’idée de patrie n’existe que dans la mesure où tous obéissent à un même souverain et partagent une communauté politique. C’est donc la révolution de 1830 qui semble être le point d’émergence d’une identité nationale. Cette révolution bourgeoise vise l’octroi de libertés et de droits, et surtout le renversement du régime hollandais, l’ennemi commun. L’État belge est bien une création du XIXe s.
officielle. Au sud du pays, des mouvements régionalistes voient le jour, manifestation des craintes des Wallons face aux acquis flamands. En 1912, Jules Destrée, homme politique libéral francophone, rédige sa célèbre Lettre au roi sur la séparation de la Wallonie et de la Flandre, l’un des textes fondateurs de la prise de conscience de l’identité wallonne. Selon lui, la Belgique est un État politique artificiellement composé, et non une nation. Le roi des Belges règne sur deux peuples : les Wallons et les Flamands, les Belges n’existant pas. Le clivage linguistique en est la meilleure preuve, de même que C’est donc les deux territoires géographiques bien la révolution de 1830 distincts qui composent le pays : une qui semble être le point Flandre plate située le long de la côte et d’émergence d’une une Wallonie vallonnée au sud du pays. J. Destrée en appelle aussi à la donne identité nationale religieuse : une Flandre catholique s’oppose à une Wallonie anticléricale. Ces deux peuples ne vivent donc pas en harmonie ; au lendemain de l’Indépendance, l’équilibre est déjà rompu au détriment des Flamands. Jules Destrée ajoute qu’au moment où il rédige cette lettre, le mouvement flamand est victorieux, et menace la Wallonie. L’auteur termine en s’inquiétant pour l’avenir des FranLa fierté nationale cophones : la Wallonie est vaincue par n’est pas un sentiment une Flandre mieux peuplée et qui imdominant chez pose ses points de vue sur l’ensemble de la politique du pays. les Belges au XIXe s La Lettre au roi de Jules Destrée pose une question très intéressante. La Belgique est née de la volonté des grandes puissances victorieuses de Napoléon de restaurer rapidement l’équilibre européen et de ceinturer la France par la création d’un nouveau territoire. Wallons et Flamands sont contraints de vivre ensemble au sein d’un État créé artificiellement et qui fait l’impasse sur leurs histoires respectives. Existe-t-il une Belgique avant 1830 ? Pour certains, les écrits de Jules César forment le début de notre histoire. « De tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves ». Cette citation est toujours présente dans nos esprits, mais malheureusement souvent mal interprétée (« braves » signifie « éloignés de toute civilisation », donc « barbares »). De plus, la Gallia belgica, cette province impériale dont César parle est beaucoup
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5. Et le sentiment national ?
La fierté nationale n’est pas un sentiment dominant chez les Belges au XIXe s. Il existe bien un sentiment national, mais celui-ci s’accompagne d’une modestie qui rend le terme de fierté inapproprié. L’indépendance de la Belgique est reconnue par les grandes puissances de l’époque, mais la neutralité lui est imposée (faisant ainsi jouer à la Belgique un rôle mineur sur la scène internationale). Sur le plan intellectuel, la Belgique ne vit alors qu’au diapason des puissances voisines (surtout la France). Il faut attendre le début du XXe s. pour que la Belgique trouve un certain sens de la grandeur comme de l’honneur. Ce nationalisme, populaire, collectif, atteint son apogée sous le règne du roi Albert Ier au cours de la Première Guerre mondiale.
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6. Bye, bye Belgium ? Depuis sa naissance, la Belgique a traversé plusieurs réformes institutionnelles. Un État fédéral voit peu à peu le jour, pressé en cela par les 332
clivages et querelles communautaires. Cela veut-il dire que la création en 1831 d’une Constitution jetant les bases d’un nouvel État composé de deux peuples différents est un malentendu de l’histoire ? ou bien cette Constitution permet-elle la création d’une véritable nation ? La Belgique, un État artificiel ou naturel ? Et surtout, la Belgique a-t-elle encore un avenir ? La question reste ouverte.
L’émission spéciale Bye Bye Belgium, diffusée par la RTBF dans le prolongement du J.T. de 19 h 30, le 13 décembre 2006, annonçait l’indépendance de la Flandre et, donc, la séparation La Belgique, un État de la Belgique. S’il s’agissait d’un docufic- artificiel ou naturel ? tion (comme le laissaient penser quelques Et surtout, la Belgique indices), il n’a pas tout de suite été perçu comme tel par les téléspectateurs et a sus- a-t-elle encore cité de vives réactions dans tout le pays. ■ un avenir ?
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RTBF, 13 décembre 2006.
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> Les progrès scientifiques : avancées réelles pour l’humanité ?
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Les progrès scientifiques : avancées réelles pour l’humanité? On parle de progrès pour qualifier les améliorations de nos conditions de vie ou les inventions qui y contribuent. Le progrès ne se limite pas à des domaines particuliers (les sciences, par exemple) ou à des moments précis de l’histoire. Mais le progrès est-il toujours positif pour tous ? Quels sont les réels enjeux du progrès ?
philosophes “deslesLumières ont
Au cours du XIXe s., le libéralisme qui se répand dans toute l’Europe transforme les sociétés et leur mode de gouvernement. Dans le domaine économique, la Révolution industrielle provoque l’émergence de la notion de croissance (quantitative) et de développement (qualitatif) de la société. Le progrès industriel est illustré et acclamé dans le cadre d’expositions universelles (comme celle de Paris en 1889, pour laquelle Gustave Eiffel construit la tour qui porte son nom) ou nationales (à Bruxelles en 1897), dans les titres de journaux et des magazines, dans les réalisations artistiques. On pensait alors que le progrès social suivrait le progrès économique : mais, il fallut de nombreuses luttes pour que le monde ouvrier accède à plus de bien-être, à l’amélioration de ses conditions de vie et de travail, au droit de vote. Si l’organisation scientifique du travail introduite par l’ingénieur américain Taylor (1856-1915), puis par le constructeur de voitures Henry Ford en 1898 accroît la production de masse et le pouvoir d’achat des travailleurs, elle détériore les conditions de travail ; les tâches répétitives ont des conséquences négatives sur la motivation et la santé des ouvriers. La Première Guerre mondiale remet en question la notion de progrès : les inventions se retournent contre l’Homme (les chemins de fer ont conduit
Depuis la Préhistoire, les hommes n’ont pas cessé d’inventer et d’améliorer leurs conditions de vie. Les civilisations qui se clairement défini sont succédé ont apporté chacune une le progrès comme pierre à l’édifice. Mais l’humanité avaitun perfectionnement elle le sentiment de progresser ? Dans la vie quotidienne, pendant des milléglobal de l’humanité naires, les hommes ont refait les gestes de leurs ancêtres pour subvenir à leurs besoins, même si pour cela ils ont eu à leur disposition des outils de plus en plus perfectionnés. Quelques individus éclairés, comme par exemple Léonard de Vinci à la Renaissance, avaient conscience d’une avancée qualitative ; mais ils étaient loin de refléter l’état d’esprit collectif. Au XVIIIe s., les philosophes des Lumières ont clairement défini le progrès comme un perfectionnement global de l’humanité : la société connaît un développement, caractérisé par l’augmentation des richesses, des progrès scientifiques et techniques, mais aussi une amélioration des institutions, des mœurs et de l’esprit humain en général. Dans son Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, Condorcet imagine un avenir progressivement éclairé par la raison, l’éducation et le savoir, de nouvelles découvertes scientifiques et techniques.
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Étude de Léonard de Vinci sur l’embryon humain, 1510-1513.
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> Les progrès scientifiques : avancées réelles pour l’humanité ?
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Guerre “ La Première mondiale remet
meurtrières comme la peste, la lèpre ou la tuberculose. Mais, notre civilisation industrielle a engendré également des maladies comme l’obésité, les allergies ou les cancers. D’autre part, la recherche médicale avancée pose des problèmes moraux : où commence la vie ? Qu’a-t-on le droit de faire au nom de la science ? Où est la liberté de chacun ? Dans les domaines de l’euthanasie, du clonage, de la congélation des embryons, de la conception in vitro…, les débats éthiques sont posés et la responsabilité de chacun engagée. L’agriculture a connu également de nombreux progrès qui ont augmenté la production, mais… au détriment de la qualité des sols et de l’environnement, ainsi que de la santé des producteurs. L’introduction massive de pesticides et d’engrais chimiques, le recours à des OGM (organismes génétiquement modifiés), par l’agriculture industrielle, menacent la biodiversité. De plus, ces produits coûteux endettent les petits paysans et épuisent les réserves en eau. L’industrie, quant à elle, a entraîné le développement des sociétés de consommation : la multiplication de produits à bas prix a permis à un grand nombre de gens de bénéficier du confort (eau courante, électroménager, électricité, etc.). En même temps, elle a posé le problème épineux de l’élimination des déchets. Aujourd’hui, une « mer de plastique » dérive dans l’océan et mettra des milliers d’années à se dégrader. L’amélioration des voies de communication et des moyens de transport a accru les possibilités de déplacement et de tourisme. Mais, elle a aussi augmenté les gaz à effet de serre et l’épuisement des ressources naturelles. L’invention des premiers ordinateurs programmables en 1940 et celle du microprocesseur au début des années 1970, permettent aujourd’hui de mémoriser nombre d’informations incalculables et ont favorisé l’apparition des ordinateurs personnels, des smartphones et autres tablettes interactives indispensables de nos jours. La Toile (Internet) nous offre la possibilité de communiquer en direct avec des interlocuteurs du monde entier. Nous possédons désormais une fenêtre ouverte sur le monde grâce à notre écran d’ordinateur. Le développement de ce nouveau média a changé radicalement notre quotidien et nos rapports humains. Et pourtant, la communication entre les hommes, et surtout entre les générations, ne semble pas plus facile. La possibilité pour
hommes et matériel plus rapidement sur les fronts, l’aviation a augmenté la capacité des bombardements, les progrès de la en question la notion chimie ont engendré les gaz de combat, de progrès : etc.). On évoque désormais le mauvais les inventions côté des innovations jusqu’alors toujours se retournent présentées comme positives. Ce fut encore le cas après la Seconde Guerre moncontre l’Homme diale : les recherches nucléaires ont fait faire des avancées extraordinaires dans le domaine de l’imagerie médicale, mais elles sont aussi à l’origine de la bombe atomique. Le débarquement d’êtres humains sur la Lune, en 1969, marque une rupture certaine dans l’évolution humaine, mais s’inscrit en même temps dans une longue continuité. Il s’appuie sur la croyance dans la capacité humaine à dominer le monde naturel, non plus en faisant appel à la prière et à la magie, mais en s’appuyant sur la science et la technologie. C’est, dans l’histoire de l’humanité, un jalon au moins aussi important que la maîtrise du feu, l’invention de l’agriculture ou la découverte de l’énergie nucléaire. Cet exemple nous montre l’accélération du temps entre les découvertes : il a fallu des millions d’années pour passer d’une économie de chasseursles recherches cueilleurs à une économie agro-pastorale, nucléaires ont fait il a fallu près d’un siècle aux Portugais pour faire des avancées explorer l’Afrique avant de la contourner pour arriver en Inde ; par contre, huit anextraordinaires nées seulement séparent la première mise dans le domaine en orbite d’un homme et les premiers pas de l’imagerie médicale, sur la Lune ! Les marins du xve s. couraient mais elles sont aussi plus de risques de mourir au cours de leurs expéditions que les spationautes du xxe s. à l’origine de la bombe Aujourd’hui, l’esprit humain est convaincu atomique que plus de choses sont possibles que ce qui existe et qu’il en ira toujours ainsi. Mais, l’histoire nous rappelle qu’innovation et inertie vont de pair. Ainsi, si les satellites spatiaux nous permettent aujourd’hui d’utiliser GSM et GPS, les conflits au Proche-Orient ou dans les Balkans nous rappellent sans cesse que les guerres du XIXe s. ne sont toujours pas finies… Le progrès scientifique, une véritable avancée sur le plan humain ? Le débat est lancé et les réponses à cette question sont complexes. Nous repoussons sans cesse les limites de l’espérance de vie ; les progrès médicaux et biologiques ont éradiqué des épidémies jadis
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chacun de s’exprimer peut être un véritable outil citoyen (pensons aux rôles qu’ont joués les nouveaux médias dans les révolutions arabes), mais aussi un danger pour autrui, comme le montre le cas de ces adolescents victimes de harcèlement. Les très nombreuses inventions et innovations, construites par l’Homme pour l’Homme, ont procuré une augmentation de la productivité, un gain de temps, d’énergie et une diversité de produits et de services. Mais, ils ont aussi développé l’individualisme et l’illusion de la liberté. De nouveaux besoins sont sans cesse créés, notamment par la publicité, et le consommateur est amené à les combler. La loi du profit et de la seule rentabilité tue la solidarité au profit de la politique du chacun pour soi. Le désintérêt croissant pour la politique dans certains pays, les crises économiques et sociales actuelles nourrissent les partis d’extrême droite et mettent la démocratie en danger. Des rapports comme celui du professeur Tim Jackson au gouvernement britannique, défendent l’idée que la croissance de la consommation non seulement n’augmente pas le bonheur, mais peut même lui nuire et certains, dont l’ONU, tentent de remplacer la
notion de PIB (produit intérieur brut) par des indicateurs alternatifs qui mesureraient autant la qualité du niveau de vie que la quantité des productions. Aujourd’hui, l’idée d’une croissance sans limites et d’un progrès continu est remise en cause par le constat que nous vivons dans un mode fini. Plus fondamentalement, c’est l’avenir de la L’humanité gémit, planète qui est en jeu : le mode de vie des mieux nantis met en danger l’avenir à demi écrasée de l’humanité par l’épuisement des ressous le poids des sources et la destruction du cadre de vie. C’est pourquoi les scientifiques donnent progrès qu’elle a faits. l’alerte et appellent au développement Elle ne sait pas assez durable : il s’agit d’améliorer la qualité que son avenir dépend de vie de tous les hommes sans épuiser d’elle. À elle de voir les capacités des générations futures à répondre à leurs propres besoins. Cela d’abord si elle veut entraîne un changement de nos sociétés continuer à vivre dans tous ses aspects et une évolution vers Henri Bergson, plus de justice sociale, de solidarité entre philosophe. les hommes, d’équilibres écologiques, de choix démocratiques… Le défi est grand, mais soutenable : l’avenir sera ce que les générations futures en feront. ■
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Campagne de mise en garde contre les OGM par l’association France Nature Environnement.
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REGARDS
rétrospectifs
REGARDS
> La croissance à tout prix ?
rétrospectifs
La croissance à tout prix ? Depuis les années 1970, les conséquences néfastes de la croissance économique sur les plans humain et environnemental conduisent à penser que « croissance » ne signifie pas nécessairement « développement ». Faut-il pour autant limiter la croissance, prôner la « croissance zéro » ou la « décroissance » ?
“ le modèle de croissance des pays
Depuis le début du XIXe s., la croissance s’est accrue considérablement particulièrement lors des « Trente Glorieuses » capitalistes occidentaux (1945-1974) et le modèle de croissance semblait être celui des pays capitalistes occidentaux semblait que toute société être celui que toute société devait adopdevait adopter ter pour se développer. En 1960, l’économiste américain Rostow décrit la croispour se développer sance comme un processus linéaire en cinq étapes : – la société traditionnelle où domine l’agriculture ; – les conditions préalables au décollage, qui correspondent à une modernisation de l’agriculture et à une transformation des mentalités avec l’apparition de l’esprit d’entreprise ; – le décollage (take off) marqué par l’apparition d’industries motrices jouant un rôle d’entraînement ; – la marche vers la maturité, caractérisée par la diffusion à l’ensemble de la société du progrès technique ; – l’ère de la consommation de masse. Cette vision déterministe de la croissance accrédite la thèse selon laquelle un % de PIB (produit intérieur brut) élevé signifie élévation du niveau de vie.
progressant d’environ 50 % ; l’essentiel de la croissance a été consacré à satisfaire les besoins d’une population multipliée par quatre. À partir de 1820, le rythme s’accélère mais de façon irrégulière, dans le temps comme dans l’espace. Une première phase de 1820 à 1913 est marquée par une croissance mondiale de 0,3 % par an. L’Angleterre domine cette période sur le plan technologique (chemins de fer, sidérurgie) et joue un rôle déterminant dans les investissements internationaux qui sont très élevés. À la fin du XIXe s., on assiste à un flux migratoire intense de l’Europe vers les USA et vers les colonies. À l’époque, les taux de change sont fixes et la monnaie de référence est l’or. La croissance résulte essentiellement d’une augmentation des facteurs de production (capital et travail) plutôt que de gains de productivité.
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La seconde phase de 1913 à 1950 est une période perturbée et conflictuelle : deux guerres mondiales, révolution communiste de 1917, crise de 1929. L’abandon de l’étalon-or entraîne des dévaluations compétitives et le protectionnisme réapparaît. Les interventions de l’État sont renforcées pour soutenir l’économie. La croissance est médiocre (sauf aux USA où elle est plus rapide qu’ailleurs : 2,5 % par an) et s’explique cette fois par une productivité forte (progrès technique, amélioration de l’organisation du
1. Les phases
de la croissance dans l’histoire
De l’an 1000 à 1820, la croissance du revenu par habitant a été très lente, la moyenne mondiale 338
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La stabilité stagnation et inflation). À la fin des années 1980, la croissance revient et monétaire est obtenue l’effondrement du mur de Berlin laisse grâce aux accords espérer une relance des investissements. L’inflation diminue, mais le chômage de Bretton Woods poursuit sa progression. On parle de en 1944 : le dollar « croissance molle » (Fitoussi). Ensuite, la devient la monnaie croissance se ralentit de façon nettement de référence perceptible dans la décennie 2000 : chômage en forte progression, ralentissement de la productivité et instabilité financière. La croissance mondiale est néanmoins soutenue par celle des pays émergents (Brésil, Inde, Chine) qui enregistrent les taux de croissance les plus élevés.
travail) plus que par une augmentation du capital et de l’emploi. L’« âge d’or » de la croissance est la période 1950-1973. Le PIB mondial s’accroît de 2,9 % par an (trois fois plus que durant la période précédente) et les exportations mondiales progressent de 7 % par an. Des institutions internationales créent un ordre international (OECE, OCDE, FMI, Banque mondiale). La stabilité monétaire est obtenue grâce aux accords de Bretton Woods en 1944 : le dollar devient la monnaie de référence. La politique keynésienne des États soutient la demande et assure un emploi élevé. Les progrès techniques s’accélèrent aux États-Unis et se diffusent. Durant cette période, la croissance résulte à la fois des gains des facteurs de production (capital et travail) et de productivité.
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2. Les limites
de la croissance
Dans les années 1970, l’accroissement des inégalités dans le monde, les dégâts dans le domaine de l’environnement et l’enchérissement du prix du pétrole amenèrent à s’interroger sur les modèles de développement et la poursuite de la croissance. En 1968, le Club de Rome (universitaires, chercheurs, économistes et industriels de 53 pays réunis à Rome) réclame un ralentissement immédiat de la croissance, sans quoi
La croissance en question : 1973-2011. Jusqu’à 1990, la croissance mondiale (1,2 % par an) est perturbée par les chocs pétroliers et l’effritement de l’ordre monétaire international (fin de la convertibilité du dollar en or en 1971, flottement généralisé des monnaies dès 1973). Le dysfonctionnement majeur est l’inflation de 1970 à 1985 (16 % au début 80) qui coexiste avec une croissance extrêmement faible et un chômage élevé (stagflation :
Caricatures de Plantu.
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rétrospectifs
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> La croissance à tout prix ?
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les ressources en pétrole manqueront, la pollution va ravager forêts et cours d’eau, la planète s’épuisera, incapable de nourrir une population qui consomme trop et croît sans cesse. En 1972, sur base de ces réflexions, la rapport Meadows est publié : « The Limits of Growth » traduit en français par « Halte à la croissance ! ». Ce rapport provoque une prise de conscience et ouvre un débat à l’échelle mondiale en proposant que les instances internationales s’emparent de la question.
ÉCONOMIE
ÉQUITABLE
démocratique à la prise de décisions ; le respect des systèmes naturels afin de vivre dans un environnement sain et préservé. Cependant, malgré les conférences internationales, la situation ne s’améliore guère. Le réchauffement climatique provoqué par les émissions de gaz carbonique provoque la fonte des glaciers, des inondations et sécheresses accrues, des tempêtes et cyclones plus fréquents et intenses ; la déforestation s’accroît ; la biodiversité diminue ; on observe une pénurie d’eau dans certains pays et une pollution atmosphérique urbaine dans d’autres ; la gestion et le transport des déchets dangereux ainsi que la présence de substances chimiques dans l’environnement et les produits menacent la santé… Du point de vue social, la pauvreté s’aggrave dans le monde ainsi que les inégalités.
durable
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approches “du deux développement durable s’opposent : l’une pragmatique, la croissance verte, l’autre plus radicale, la décroissance
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VIVABLE
SOCIAL
3. Le développement
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ENVIRONNEMENT
DURABLE
Le sommet de la Terre qui a lieu à Stockholm en 1972 est la première conférence de l’ONU sur l’homme et son milieu. Elle débouche sur la décision de créer au sein de l’ONU un organe spécifique en charge des questions d’environnement : le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). L’espoir d’une action concertée pour protéger la planète sera renouvelé lors des conférences successives de Nairobi (1982), Rio (1992), Johannesburg (2002) et Rio (2012).
C’est à la conférence de Rio en 1992 que le concept de « développement durable » est véritablement reconnu
VIABLE
C’est à la conférence de Rio en 1992 que le concept de « développement durable » est véritablement reconnu. Il reprend la définition établie en 1987 par le rapport de la Commission mondiale de l’ONU sur l’environnement et le développement (rapport Brundtland) officiellement intitulé Notre avenir à tous (Our Common Future) : c’est « le développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Le processus repose sur trois piliers : la croissance économique soutenue et durable basée sur la stabilité financière, une inflation basse, des capacités d’investissements et d’innovation ; l’équité sociale fondée sur un niveau élevé d’emploi, sur la capacité d’adaptation des systèmes de protection sociale à l’évolution démographique et sur la participation
4. Les modèles
de développement durable
Parmi les solutions, deux approches du développement durable s’opposent : l’une pragmatique, la croissance verte, l’autre plus radicale, la décroissance. La croissance verte vise à maintenir le système économique et à poursuivre la croissance mais en investissant dans des technologies qui favorisent le respect de l’environnement. Des incitations économiques (taxes, subventions) permettront des progrès en matière d’économie d’énergie, de dépollution, etc. Cette conception s’appuie sur cinq principes fondamentaux : le principe 340
5. Conclusion
de précaution (N’attendons pas l’irréparable), le principe de prévention (Mieux vaut prévenir que guérir), le principe d’économie et de gestion (Qui veut voyager loin ménage sa monture), le principe de responsabilité (Qui dégrade doit réparer) et le principe de solidarité (Contribuons à un monde plus équitable et léguons à nos enfants un monde plus viable). Les partisans de la prospérité sans croissance (décroissance) défendent « le mieux être » plutôt que « le bien avoir ». Ce rejet radical de la croissance fait penser au rejet de la société de consommation de l’époque de mai 68… Il s’agit néanmoins d’une décroissance matérielle et énergétique qui doit se différencier selon les espaces économiques. La diminution de l’empreinte écologique est requise pour les pays du Nord, pour permettre éventuellement son augmentation dans les pays du Sud.
Plusieurs obstacles liés au processus de décisions et à la structure de l’économie empêchent la mise en œuvre de solutions. En effet, les modes de production et de consommation ne changent pas et les gouvernements n’intègrent pas suffisamment la question de l’environnement dans leurs programmes. Au niveau international, l’absence de gouvernance mondiale n’incite pas les États à s’engager dans l’écodéveloppeles problèmes ment. La valorisation du futur exige des investissements à long terme (la nature risquent de s’aggraver évolue lentement), or les entreprises avec les pays visent la rentabilité maximum à court émergents dont terme. Enfin, les problèmes risquent de la population croissante s’aggraver avec les pays émergents dont la population croissante va consommer va consommer de plus en plus. ■ de plus en plus
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rétrospectifs
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> Peut-on nourrir toute la planète ?
rétrospectifs
Peut-on nourrir toute la planète ? Notre planète comptera près de 9 milliards d’êtres humains d’ici 2050. Aujourd’hui, près d’une personne sur 7 souffre de faim ou de malnutrition. Le modèle de croissance qui a permis de doubler la population mondiale au siècle dernier a atteint ses limites ; l’enjeu aujourd’hui est de mettre en place un système alimentaire durable et de qualité, capable de nourrir tous les habitants sans détruire les ressources de la planète.
Aujourd’hui, près “ d’une personne sur 7
Il y a moins de dix mille ans, les premiers systèmes de culture et d’élevage sont apparus dans quelques endroits de la souffre de faim planète ; ils se sont ensuite répandus à ou de malnutrition travers le monde, soit sous la forme d’un élevage pastoral, soit sous la forme de culture sur brûlis. L’augmentation de la population a conduit à la déforestation et même, dans certains endroits, à la désertification.
Dans les régions tropicales humides, comme la Chine, le Vietnam, l’Inde, l’Indonésie… c’est la riziculture dans l’eau qui s’est développée par aménagements successifs et augmentation des récoltes annuelles. Dans les régions intertropicales peu arrosées, le déboisement a mis en place la savane, où la culture à la houe a coexisté (et coexiste encore) avec des formes d’élevage.
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Les régions tempérées d’Europe ont connu un défrichement massif dès le IIIe millénaire av. J.-C. Mais, ne connaissant pas le système de la jachère, lorsque le sol s’épuisait, les villageois abandonnaient les lieux et s’installaient plus loin. Ils pratiquaient ainsi une sorte de nomadisme agricole. Le rendement des céréales était encore peu élevé, l’élevage de moutons, porcs et quelques bovins peu répandu. Pour éviter la disette, les paysans pratiquaient encore la chasse et la cueillette. Le Moyen Âge connaîtra une première révolution agricole à partir du XIe s. : la charrue donne la possibilité de faire des labours plus profonds dans les terres lourdes, l’assolement triennal permet de limiter la jachère. Les terres en jachère sont systématiquement utilisées comme pacages pour le bétail. Les rendements et les surfaces cultivées augmentent, la population connaît un réel essor. Au XVIIIe s. se produit une 2e révolution agricole : les jachères
Dans les régions arides, des systèmes d’irrigation se sont mis en place, comme dans les vallées alluviales du Nil, du Tigre, de l’Euphrate et de l’Indus, ou dans certaines vallées de l’empire Inca. Les champs y étaient irrigués par tout un réseau de canaux, parfois souterrains (comme les Les régions quanats, en Perse). Les Arabes répandront ce système dans tout le bassin tempérées d’Europe méditerranéen. Les Grecs et les Romains ont connu pratiquaient aussi une agriculture non un défrichement massif irriguée, ce qui ne posait pas de prodès le IIIe millénaire blèmes pour la vigne, les figuiers ou les oliviers. Les récoltes de céréales étaient av. J.-C limitées à une par an. S’étant vite rendu compte qu’un sol s’épuisait s’il était cultivé de manière intensive, les agriculteurs pratiquaient l’assolement biennal, qui fait alterner culture et jachère.
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Le passage du mode croissance démographique. Et l’explosion démographique actuelle n’est ren- de vie des chasseursdue possible qu’en raison de l’accroiscueilleurs à celui sement des possibilités de production, découlant de l’expansion et du perfec- de l’agriculture tionnement de la riziculture et de la mé- et de l’élevage a eu canisation de l’agriculture industrielle. pour conséquence Malgré cela, la sous-nutrition et la malune augmentation nutrition sont bien réelles : un milliard d’êtres humains sont sous-alimentés, deux importante milliards connaissent des carences en pro- de la population téines, fer, iode et vitamines. La majorité sont des femmes et des filles. Alors que par ailleurs, 1,6 milliard d’êtres humains sont en surcharge pondérale ; l’obésité s’accroît dans les pays riches et dans les pays émergents. Tout naturellement, l’amélioration des conditions de vie dans les pays du Sud entraîne une aspiration à disposer d’une nourriture plus abondante et plus diversifiée. Si nous ne réduisons pas la consommation actuelle, il faudra produire 70 % de nourriture en plus.
disparaissent remplacées par des cultures fourragères (trèfle, luzerne…) ou sarclées (betteraves et les nouvelles plantes venues d’Amérique : pommes de terre et maïs). Les sols sont enrichis et le bétail mieux nourri. Enfin, l’industrie chimique naissante développe des engrais artificiels qui augmentent les rendements et évitent l’épuisement des sols. En même temps, les premières machines agricoles font leur apparition. Ces systèmes agraires se sont répandus dans les colonies de peuplement à climat tempéré en Amérique, en Australie, en NouvelleZélande et en Afrique du Sud.
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Dans les régions tropicales, les colonisateurs ont mis en place de grandes plantations exportatrices de cacao, café, bananes, canne à sucre, huile de palme… qui ont parfois pris la place des cultures vivrières. Le passage du mode de vie des chasseurs-cueilleurs à celui de l’agriculture et de l’élevage a eu pour conséquence une augmentation importante de la population : celle-ci a décuplé entre 10 000 et 5 000 ans avant notre ère. Chaque nouvelle « révolution » agricole a permis une nouvelle
Entre 1960 et 2000, on a pu nourrir trois milliards d’habitants en plus, en augmentant la productivité
Enfants somaliens.
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REGARDS
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> Peut-on nourrir toute la planète ?
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soja, le tournesol ou l’huile de palme). De plus, l’amélioration du pouvoir d’achat dans les pays émergents a augmenté la consommation de viande : or, il faut 2 kg de grains pour produire 1 kg de viande de poulet et presque 4 kg de grains pour produire 1 kg de viande porcine. Plus du tiers des céréales produites dans le monde sont désormais destinées à la consommation des animaux d’élevage. Ajoutons encore que des États qui ne disposent pas suffisamment de terres cultivables – comme le Qatar, le Koweït ou Abu Dabi – ou qui craignent de manquer de ressources (Chine, Japon…) achètent des terres agricoles dans d’autres pays, principalement en Afrique subsaharienne (Congo, Ouganda, Tanzanie, Mali…) ou en Amérique latine (Brésil). Depuis 2001, 227 millions d’hectares ont changé de propriétaire dans des transactions à grande échelle. Ces transactions foncières laissent les populations locales sans habitations, ni terres à cultiver. Des paysans se sont soulevés contre cette situation, par exemple, en Ouganda ou au Mali.
par hectare. Mais encore faut-il que cette augmentation de productivité assure l’augmentation de la production alimentaire. Une part de plus en plus importante des terres est consacrée aux agro-carburants ; cette culture a pour objectifs de diminuer la dépendance aux énergies fossiles et donc de diminuer les émissions de gaz à effet de serre tout en soutenant le développement agricole. Que constate-t-on ? La superficie des surfaces cultivées dans le monde ne progresse presque plus, parce qu’on défriche moins de forêts et que certaines terres deviennent impropres à la culture à cause de l’érosion des sols, de leur épuisement ou de la salinisation de ceux qui sont irrigués. En outre, la part des terres il faut 2 kg de grains consacrées à la production alimentaire pour produire 1 kg diminue, parce que des investissements de viande de poulet et à grande échelle y sont consacrés à la production de bioéthanol (obtenu à parpresque 4 kg de grains tir de canne à sucre, de betterave ou de pour produire 1 kg céréales) et de biodiesel (obtenu à parde viande porcine tir de plantes oléagineuses, comme le
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L’agriculture environnementales que, dans nos pays aussi, certains se tournent vers de nou- industrielle et l’élevage veaux modes de production, plus duintensif ont de telles rables, comme l’agriculture biologique conséquences ou l’agriculture raisonnée. Comment assurer la sécurité alimentaire environnementales pour tous ? Cela ne pourra se faire qu’en que, dans nos pays affrontant une série de défis majeurs : aussi, certains • Comment faire face à la raréfaction des ressources en eau, quand on sait que se tournent vers 40 % de la production agricole provient de nouveaux modes de surfaces irriguées ? de production, • Comment préserver la biodiversité et plus durables les ressources naturelles réduites par la surexploitation et la destruction des écosystèmes, des sols, des forêts… ? • Comment contrer les effets du changement climatique : sécheresse, incendies, désertification, tempêtes tropicales, inondations, invasions d’insectes ravageurs… ? • Comment éviter la spéculation sur les céréales qui a provoqué le doublement voire le triplement de leur prix et déclenché les émeutes de la faim en 2008 ? • Comment éviter que la production alimentaire soit détournée à d’autres fins, comme les agrocarburants, les agro-plastiques, les produits pharmaceutiques et cosmétiques… C’est bien là tout l’enjeu d’un développement durable, c’est-à-dire qui ne compromet pas les besoins des générations futures. ■
Que peuvent faire les petits paysans ? Augmenter la productivité à l’hectare ? Ce fut l’objectif de ce qu’on a appelé la « Révolution verte » de la fin du XXe s. : des sociétés agro-alimentaires leur ont fourni des semences améliorées, des engrais minéraux et des engrais chimiques. À cela s’ajoutèrent des pesticides et des OGM (plantes génétiquement modifiées). Mais tous ces produits coûtent cher et pour pouvoir les payer, les paysans sont obligés de réduire leur consommation et leurs dépenses en soins de santé ou en éducation, puis de vendre des biens essentiels (bétail, terres…) ou de s’endetter. Ils subissent aussi la concurrence des produits moins chers vendus par les industries agro-alimentaires : le riz importé aux Philippines venu de Thaïlande ou du Vietnam, le poulet européen vendu en Afrique ou la viande de bœuf d’Argentine que l’on trouve en Belgique, ruinent peu à peu les producteurs locaux.
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Ainsi, dans nos pays occidentaux, les agriculteurs ne représentent plus aujourd’hui que 1 à 3 % de la population. Un seul homme suffit pour cultiver 200 ha et produire 2 millions de tonnes de blé par an. Par contre, dans l’ensemble de la population mondiale, 43 % sont encore des paysans. Et, dans les pays en développement, il subsiste encore 500 millions de petites exploitations qui pratiquent une agriculture paysanne, sans mécanisation, ni recours aux engrais chimiques et pesticides. L’agriculture industrielle et l’élevage intensif ont de telles conséquences
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> Le féminisme est-il encore nécessaire ?
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Le féminisme est-il encore nécessaire ? L’idée de l’égalité entre les sexes est ancienne, mais le mot « féminisme » qui la signifie n’est entré dans le langage qu’au XIXe s. Partie de France, sa diffusion sera lente en Europe et ne se généralisera qu’au début du XXe s. aux États-Unis. Le féminisme désigne l’ensemble des tentatives menées par les femmes pour leur reconnaissance, leur autodétermination, leur participation politique et le respect de leurs droits. L’objectif visé est double : d’une part, la liberté de chaque femme en tant qu’individu et, d’autre part, la transformation de la société. Le féminisme s’inscrit sur le long terme, mais son évolution connut des temps d’arrêt notamment lors des deux guerres mondiales. Ce mouvement a-t-il atteint son but ?
1. Les prémices :
2. La naissance
du féminisme au XIXe s.
la Révolution française
La fin du XVIIIe s. qui inaugure, avec la Révolution française, une aube d’espérances égalitaires pour les peuples, écarte la femme de ce projet. Pourtant, les femmes sont présentes sur les places publiques, dans les clubs, dans les tribunes. Leur activité se manifeste dans tous les espaces de la cité, mais la révolution ne leur reconnaît que leur statut d’épouses et de mères de citoyens. Le XIXe s. est aussi Le Code civil napoléonien de 1804 allait ensuite consacrer l’infériorité juridique de le siècle qui voit la femme qui n’a désormais plus aucune naître le mouvement autonomie : elle n’aura ni la propriété de féministe sa personne, ni la disposition de ses biens.
Le XIXe s., époque des révolutions (1830 et 1848) qui ont vu le triomphe du sexisme et la victoire du libéralisme politique et économique en Europe, est aussi le siècle qui voit naître le mouvement féministe. Si le féminisme a poursuivi dans tous les États les mêmes objectifs, il varie cependant sur les manières de les atteindre et sur le rythme des étapes de l’émancipation. Leur marge de manœuvre dépend à chaque fois, de conditions politiques spécifiques.
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En Belgique, la revendication donne priorité à l’égalité juridique et civile.
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juriste diplômée de l’ULB, à qui on refusa, en 1892, l’inscription au Barreau, en raison de son sexe. Il fallait donc lutter pour obtenir l’accès à toutes les professions et donc la reconnaissance des droits civils.
• L’égalité par l’éducation Après l’Indépendance, la femme mariée belge se trouve toujours dans un état de totale dépendance (le code Napoléon reste d’application) et est exclue de la vie publique. C’est le moment où les sciences modernes triomphent, où le savant s’affirme comme une autorité, morale et sociale, qui définit aussi la spécificité de l’éducation destinée aux femmes ; celle-ci repose sur une conception naturaliste qui accepte d’évidence le rôle naturel des femmes dicté par leur physiologie : L’assujettissement des femmes sera nécessairement indéfini parce qu’il repose sur une infériorité naturelle que rien ne saurait détruire. (Auguste Comte)
l’activité “ économique des femmes s’accroît, mais le manque de préparation professionnelle et intellectuelle les maintient dans des emplois non qualifiés
• La Ligue du Droit des Femmes et la reconnaissance des droits civils En 1892, le mouvement féministe belge se structure avec la création, par Marie Popelin, de la Ligue belge du Droit des Femmes, qui affirme que l’émancipation ne résulte pas d’une réforme de la Constitution, réglant le droit de vote, mais bien de la conquête d’un « suffrage professionnel ». La Ligue milite donc pour le droit au travail et le droit de disposer librement des produits de son travail ; certains de ces droits leur seront reconnus dans les premières années du XXe s. : droit d’épargne, d’encaisser son propre salaire… Mais la Ligue, rapidement, implose en raison, notamment, de l’ingérence des partis politiques. Désormais, il existe des féminismes : bourgeois, laïc, en majorité libéral, un féminisme chrétien, un féminisme socialiste, et ouvrier avec une nouvelle revendication qui ne fait pas l’unanimité : l’établissement du suffrage universel pour les hommes et les femmes.
Avec la Révolution industrielle, l’activité économique des femmes s’accroît, mais le manque de préparation professionnelle et intellectuelle les maintient dans des emplois non qualifiés, argument invoqué pour justifier leur salaire. Le féminisme belge n’a pas accordé de priorité à la conquête des droits politiques, mais il est vrai que le régime censitaire privait alors également la majorité des hommes du droit de vote. Les premières revendications féministes portent donc sur les injustices les plus criantes : leurs conditions de travail et leur minorisation juridique. L’accès à l’éducation est au cœur du programme : les femmes sont convaincues que l’éducation des filles doit précéder l’émancipation politique. Issues de la petite et moyenne bourgeoisie, les pionnières du féminisme (Zoé puis Isabelle Gatti de Gamond) sont persuadées que la filière la plus sûre pour s’élever socialement, c’est l’instruction. De 1890 à 1914, l’égalité par l’éducation est-elle atteinte ? Malgré des avancées – enseignement primaire assuré pour les filles, fondation d’une école moyenne pour filles par Isabelle Gatti de Gamond en 1864, création d’un enseignement normalien en 1897… –, les féministes belges se rendent compte, avec l’affaire Marie Popelin, que l’instruction ne suffit pas à ébranler les inégalités. Quand les filles eurent accès à l’université (en 1880, à l’Université libre de Bruxelles), la société politique usa de diverses tactiques pour les empêcher d’accéder aux professions correspondant aux diplômes obtenus. Ce fut le cas de Marie Popelin, première femme
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Suffragettes londoniennes en 1912.
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rétrospectifs
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> Le féminisme est-il encore nécessaire ?
rétrospectifs
féminisme de la femme et de son rôle dans la famille. Au plan international, le CIF (Comité international des femmes) fait adopter par la Société des Nations, la « Déclaration des Droits de l’Enfant » ; les féministes empruntent la voie de la « maternité sociale » : comment concilier travail domestique et travail à l’extérieur ?
En 1913, un premier front suffragiste est jugulé par de nombreuses réticences : l’important pour les mouvements féministes reste avant tout la conquête des droits civils, le droit de vote n’apparaissant que comme un moyen d’obtenir ces droits.
3. De la Première
Avec la Seconde Guerre mondiale, comme en 1914, les activités féministes sont mises entre parenthèses, si les organisations féministes sont absentes des réseaux de résistance, des femmes vont y jouer un rôle déterminant. De 1940 à 1946, le taux d’activités des femmes a augmenté, en partie parce qu’elles ont remplacé les hommes. Après la Libération, en 1944, vient le temps de la reconstruction. Comme en 1918, l’État mène une politique familiale, favorisant la croissance démographique, en améliorant, notamment le régime des allocations familiales.
à la Seconde Guerre mondiale, une certaine mise en veilleuse
1920, les femmes “ Enobtiennent le droit
Dès le début de la Première Guerre, l’ensemble des femmes belges parle d’une de vote aux élections même voix. Leurs organisations renoncent à leurs actions revendicatrices, encommunales ; terrent leurs différends et se regroupent elles deviennent au sein d’une Union patriotique des éligibles à la Chambre femmes belges. Elles s’engagent dans la et au Sénat, mais sans défense nationale et rivalisent d’activités de bienfaisance : elles sont infirmières, avoir le droit de voter ambulancières, animatrices de foyers de aux législatives soldats… Elles sont aussi résistantes, à l’image d’Édith Cavell et Gabrielle Petit. En Belgique, à l’inverse d’autres pays, les industries sont paralysées par l’Occupation. Il s’ensuit un chômage spectaculaire : les progrès obtenus avant-guerre dans les conditions de travail sont stoppés, la guerre oblitère les acquis précédents et rejette les femmes dans les tâches traditionnelles, tandis que dans les autres États belligérants, les femmes remplacent les hommes dans les villes et les campagnes.
4. Le réveil
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de l’Après-guerre
La guerre terminée, la Belgique connaît une période de prospérité et donc une hausse généralisée du niveau de vie. Le système de sécurité sociale, profondément modifié en 1944, assure obligatoirement les travailleurs. Si les femmes acquièrent la citoyenneté politique en 1948, si la Belgique signe en 1957 le Traité de Rome, dont l’article 119 prévoit l’égalité des rémunérations entre les sexes, la réalité ne s’adapte pas toujours à la situation légale ; ainsi, le salaire des femmes reste inférieur à celui des hommes. En février 1966, les « Trois mille femmes-machines » de la Fabrique d’armes de Herstal (F.N.) se mettent spontanément en grève, revendiquant l’application de clauses du Traité de Rome : « À travail égal, salaire égal ». Le mouvement durera 12 semaines. Cette première grève, exclusivement féminine, a eu des répercussions nationales et internationales. Un comité est créé par un groupe d’intellectuelles qui prennent conscience de la problématique de l’inégalité des salaires et réagissent contre l’indifférence qui domine encore les organisations féminines liées aux partis traditionnels.
Dans l’Entre-deux-guerres, en raison du déficit démographique dû à la guerre, toute la législation se focalise sur une politique nataliste. En 1919, est fondée l’Œuvre nationale de l’Enfance, suivie par la Ligue des Familles. Le travail des femmes est considéré comme un des principaux obstacles aux familles Avec la Seconde nombreuses. En 1920, les femmes obGuerre mondiale, tiennent le droit de vote aux élections comme en 1914, communales ; elles deviennent éligibles à la Chambre et au Sénat, mais les activités féministes sans avoir le droit de voter aux légissont mises entre latives. Le féminisme glisse peu à peu de la revendication de droits vers un parenthèses
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5. Le néo-féminisme :
l’avortement qui sera le cheval de bataille des féministes pendant de longues années. Il fallut attendre 1990 (loi Lallemand) pour surmonter les Le droit préjugés culturels et religieux et que soit dépénalisé l’avortement. Parallèlement à pour les femmes ces luttes pour l’autonomie sexuelle, les de disposer librement féministes s’attaquent à la problématique de la violence conjugale qui prend une de leur corps fut place de plus en plus importante dans leur une des préoccupations combat ; dès 1975, un réseau de maisons centrales du nouveau de refuge accueille les femmes victimes féminisme de violences. L’État devient promoteur des droits de la femme en instituant, entre autres, le Conseil pour l’égalité des chances entre hommes et femmes.
de 1970 à 1990
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Une fois de plus, l’histoire insurrectionnelle de mai ‘68 se répète. La présence des femmes est visible dans les mouvements, mais leur cause est à nouveau oubliée. Cette nouvelle vague du féminisme s’intègre dans un mouvement international qui aboutira à la fondation de ce qu’on appellera le Mouvement de libération des femmes (MLF) qui revendique « des droits égaux, des devoirs différents » concernant les régimes matrimoniaux, le droit successoral, l’égalité parentale… à travers de nouvelles associations. Le droit pour les femmes de disposer librement de leur corps fut une des préoccupations centrales du nouveau féminisme. La Première Journée de la Femme, en novembre 1972, se focalisera sur la légalisation de la contraception et de
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6. Une législation internationale
Le féminisme prend alors une dimension internationale, notamment à l’ONU qui produit certains textes sur toutes formes de discrimination à l’égard des femmes (par exemple La Convention de 1979) qui influenceront les législations nationales. À l’aube du XXIe s., le militantisme est devenu planétaire.
7. Quel avenir
pour le féminisme ?
Les mouvements féministes ont sorti les femmes de l’anonymat. Si le cas de la Belgique peut servir d’exemple pour le monde occidental, il faut se souvenir que dans bien des régions du globe l’émancipation de la femme en est à ses balbutiements. « Le féminisme n’est pas une idéologie, dans bien mais un agir ; il suppose des actrices dis- des régions du globe posées à prolonger la dynamique amorl’émancipation cée. Si acquis il y a, il revient aux jeunes de le déterminer et de l’assumer » (Fran- de la femme en est çoise Collin et Véronique De Graef). ■ à ses balbutiements
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Campagne de sensibilisation contre les violences faites aux femmes, par l’association Ni pute, ni soumise en 2012.
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> L’art, reflet d’une société ?
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L’art, reflet d’une société ? Georges Duby déclarait : « Je suis persuadé que l’art est l’expression d’une organisation sociale, de la société dans son ensemble, de ses croyances, de l’image qu’elle se fait d’elle-même et du monde ». Claude Lévi-Strauss et d’autres s’accordent à le dire aussi. Les passions humaines ne varient pas au cours du temps, mais l’expression artistique oui. Certaines œuvres sont liées à la connaissance, d’autres au plaisir, d’autres encore servent un pouvoir, une société ou en revanche la dénoncent. Les arts plastiques sont, plus que toute autre forme d’art, un miroir de la société. Tentons de le montrer à travers quelques exemples.
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pour but d’embellir la cité et de célébrer la puissance de ses dirigeants.
Dans l’Antiquité, l’art est essentiellement religieux. En Égypte, comme en Mésopotamie, les demeures des dieux et des morts étaient construits en pierre, parce qu’ils étaient bâtis pour l’éternité. Les fresques murales et les statues, ainsi que les textes hiéroglyphiques, sont réalisés dans un souci de perfection : c’est ce souci qui engendre la beauté. Les corps et les visages ne représentent pas des individus, mais leur essence même. Les conventions, comme ces personnages représentés à la fois de face et de profil, les pharaons reconnaissables à leurs attributs, se sont imposées à tous les artistes pendant près de trente siècles. Cette conception d’un ordre statique, immuable, est caractéristique de la civilisation égyptienne.
Au Moyen Âge, l’art est lié au sacré et a pour but essentiel de plaire à Dieu et d’enseigner au peuple illettré la voie à suivre vers le salut
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Au Moyen Âge, l’art est lié au sacré et a pour but essentiel de plaire à Dieu et d’enseigner au peuple illettré la voie à suivre vers le salut. Les peintures murales des églises et cathédrales sont l’expression de l’enseignement de l’Église, un art essentiellement symbolique révélateur, non pas de la réalité sociale, mais de la conception du rapport de l’Homme à Dieu. À partir du XIVe s., l’art tend à se libérer de son caractère sacré et s’écarte du symbolisme religieux. La peinture sort des églises pour devenir l’objet d’une appropriation individuelle. Elle est plus attentive au réel, à la ressemblance. L’œuvre d’art est aussi de plus en plus soumise aux intentions et aux goûts du mécène.
Dans le monde gréco-romain, l’art reste au service des dieux : temples et statues leur sont dédiés. Mais peu à peu, se développe un art urbain au service de la citoyenneté : monuments, théâtres, cirques, arcs de triomphe, thermes ont
Avec l’humanisme et la Renaissance, le rapport individualiste à l’œuvre se renforce. Les riches marchands veulent exprimer leur fierté en se faisant peindre avec les qualités et attributs de leur statut. L’essor du portrait et la recherche de la 350
famille royale, de la noblesse flamande, française, espagnole et anglaise.
vraisemblance (corps humain) révèlent l’intérêt pour la représentation de la société humaine dans son cadre naturel. Pour y parvenir, la perspective est progressivement mise au point (Paolo Ucello, Andrea Mantegna). On abandonne le fond doré qui était l’expression symbolique et spirituelle de la lumière divine au profit de la nature. Néanmoins, les artistes imprègnent toujours leurs œuvres de religiosité tout en y ajoutant des références à l’Antiquité et sans pour autant délaisser leur propre sensibilité (Jan Van Eyck, Roger Van der Weyden). Si l’influence italienne n’a pas touché le grand peintre flamand Pierre Breughel l’ancien, celui-ci, dans de nombreuses œuvres, décrit des scènes populaires avec un réalisme mêlé d’une imagination débordante.
“d’artAuest le s.,refll’œuvre et de l’absolutisme ” XVIIe
À côté de la peinture de cour, il existe une peinture de genre qui illustre des scènes de la vie quotidienne, de professions ou de catégories sociales. Elles sont particulièrement nombreuses dans les Pays-Bas des XVIe et XVIIe s. Les riches bourgeois acquièrent des œuvres pour décorer leur intérieur et investir. Elles témoignent de l’épanouissement de la bourgeoisie, satisfaite d’elle-même et qui, ayant conquis le pouvoir, se contemple dans le miroir que lui fournit l’art. Les œuvres donnent à voir la réalité tangible des choses à l’image de cette société à vocation commerciale imprégnée d’une morale austère calviniste. La peinture hollandaise est plus un miroir qu’une création proprement dite : disparition de l’inspiration religieuse et mythologique, résistance à l’exubérance baroque. Citons Frans Hals, Johannes Vermeer et Rembrandt…
Au XVIIe s., des mécènes commandent des peintures de cour et d’histoire qui les glorifient. Rubens, par exemple, répond aux nombreuses demandes de la bourgeoisie de l’Europe entière et des cours espagnoles et françaises. Sa série sur Henri IV peut être considérée comme une véritable propagande en faveur de la monarchie. En 1648, est fondée en France l’Académie royale de peinture afin de témoigner de la grandeur de Louis XIV. L’œuvre d’art est le reflet de l’absolutisme. La société de cour trouve sa plus haute expression dans les tableaux de Watteau. Antoon Van Dyck, devient le peintre favori de la cour d’Angleterre et fait de nombreux portraits de Charles Ier et de la
Quant aux scènes paysannes, elles se multiplient après 1620 en Hollande mais aussi en France avec les frères Le Nain dont les œuvres nous montrent l’austérité et la pauvreté. Après deux siècles d’oubli d’un art reflet de la société paysanne, Jean-François Millet (XIXe s.) exprime à son tour, dans sa peinture naturaliste, le lien de l’homme à la nature saisi dans les gestes simples qui expriment la dureté de la vie paysanne.
L’Apothéose d’Henri IV et la proclamation de la régence. Huile sur toile de Pierre-Paul Rubens. 1622-1625. 394 x 727 cm. Musée du Louvre, Paris.
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rétrospectifs
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> L’art, reflet d’une société ?
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“ Aux et s., des peintres illustrent XIXe
XXe
Depuis la fin du XVIIIe s., jusqu’à l’abstraction des années 1930, des artistes ont réalisé des œuvres à la gloire du monde de façon figurative industriel. À la fin du XVIIIe s., le peintre les bienfaits liégeois, Léonard Defrance, s’intéresse de la modernité, à l’essor des techniques dans les manuet ils puisent factures qu’il décrit de façon minutieuse, constituant des témoignages sur la dans la machine société pré-industrielle. Aux XIXe et XXe s., leur vocabulaire des peintres illustrent de façon figurative les bienfaits de la modernité (transports, esthétique électricité), et ils puisent dans la machine leur vocabulaire esthétique. Ainsi Fernand Léger peint les objets et les hommes en utilisant des formes géométriques (tubes, bielles, roues…). Plus tôt, le chemin de fer a inspiré Claude Monet qui veut être considéré à l’instar de Manet, Degas et Caillebotte comme un peintre de la vie moderne. William Turner et Raoul Dufy s’écartent d’une vision réaliste du monde moderne en désintégrant les formes dans la vapeur de la locomotive ; ils annoncent par là le tournant vers l’abstraction.
moulin de la galette de Renoir (1876), représente la rencontre des gens aisés qui peuvent avoir des loisirs, avec de modestes travailleurs. Une des premières représentations du prolétariat urbain, est l’œuvre de Caillebotte, Les Raboteurs de parquet (1875), qui, contrairement à Courbet ou Millet, n’introduit aucun discours social, moralisateur ou politique dans son œuvre. L’étude documentaire (gestes, outils, accessoires) place Gustave Caillebotte parmi les peintres réalistes les plus chevronnés. Les revendications sociales du monde ouvrier de la fin du XIXe s. sont évoquées notamment par le peintre bruxellois Léon Frédéric (Les âges de l’ouvrier, 1895-1897) où il met en scène des hommes et des travaux de force, des femmes dans leurs fonctions maternelles et des enfants qui quittent l’école, l’atelier ou le chantier.
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Les peintres expressionnistes du début du XXe s. (Ernst Ludwig Kirchner, Edvard Munch, James Ensor…) « expriment » leur désarroi social et politique, leur angoisse et leur rancœur à l’égard de la bourgeoisie et de son conformisme dans une forme esthétique totalement en rupture avec le passé. Leur peinture n’est plus le reflet de la société mais celui de leur propre sentiment face à cette société. L’absurdité du monde est l’objet de la contestation radicale du mouvement Dada, né au moment de la Première Guerre mondiale, et des surréalistes (Max Ernst, Salvador Dalí, René Magritte…) qui glorifient l’irrationnel contre toute représentation. L’art cesse de parler du réel. Mais avec Marcel Duchamp (qui rejoint le groupe Dada en 1918), le réel et non plus sa représentation, entre dans le champ de l’art, afin de donner une vision critique de la société. C’est le ready-made, théorie selon laquelle les objets du quotidien qui ne sont pas fondamentalement de l’art, le deviennent si on le décide, si on en modifie le contexte, si on se détache de leur fonction.
La révolution industrielle du XIXe s. a divisé la société : d’un côté, la bourgeoisie riche et oisive, de l’autre, le monde ouvrier au travail. Le Bal du
Les années 1930 sont l’époque de l’art totalitaire. Mussolini encourage les artistes qui veulent servir la glorification du pays. Hitler ordonne l’exécution de sujets qui glorifient le travail, l’héroïsme et la force. L’art doit susciter une émotion visant à renforcer le sentiment d’appartenance au Volk. Staline impose le « réalisme socialiste » qui donne
Les Constructeurs, état définitif. Huile sur toile de Fernand Léger. 1950. 300 x 228 cm. Musée national Fernand Léger, Biot (France).
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une vision idyllique de la société en mettant en scène les héros du régime : soldats, ouvriers et paysans kolkhoziens. Dans les régimes totalitaires, l’art n’est plus le reflet de la société mais celui d’une idéologie. Il donne une image déformée de la réalité.
gigantesques dans la nature par des artistes comme Christo et Jeanne-Claude… n’auraient pu voir le jour sans l’apport des scientifiques et des ingénieurs. Les progrès de la science et des techniques entrent de plain-pied dans l’art. Autre reflet de notre société.
Enfin, la société de consommation jugée aliénante, sera critiquée dans les années 1960 notamment par Andy Warhol, représentant du Pop Art, qui démultiplie et juxtapose des images de produits de consommation (Coca-Cola, soupe Campbell…) et de portraits de stars de cinéma (Marilyn Monroe, Liz Taylor) en utilisant la photographie sérigraphiée reportée sur la toile. Il métamorphose ainsi le statut de l’œuvre d’art qui devient un produit consommable et reproductible. Pour lui, tous les hommes sont des artistes et peuvent produire des œuvres d’art. Il est partisan de l’art pour tous et par tous.
L’art est donc un concept aux contours changeants – œuvre liée à la connaissance (longtemps la peinture a décrit) ou œuvre liée au plaisir (seul ce que l’on éprouve est important et cela peut passer par des lignes, des formes, des couleurs, des matières qui seules deviennent porteuses du ressenti), œuvre déterminée socialement ou en opposition par rapport à la société… –, l’art marche avec son temps. Mais ce qui fait qu’une œuvre, au-delà des siècles, parvient à toucher le spectateur est non seulement sa dimension esthétique, mais aussi le fait que l’art est le miroir de l’homme universel qui recherche l’immortalité dans la création. ■
Au XXe s., de nouvelles techniques d’expression sont entrées dans le champ de la création artistique : l’art vidéo (Nam June Paik), l’art cinétique (Pol Bury, Jean Tinguely), les installations
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Mussolini encourage “ les artistes qui veulent servir la glorification du pays
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Andy Warhol “ métamorphose ainsi le statut de l’œuvre d’art qui devient un produit consommable et reproductible
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L’art est donc un concept aux contours changeants, l’art marche avec son temps
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rétrospectifs
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> Les religions sont-elles toujours des intégrismes ?
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Les religions sont-elles toujours des intégrismes ? Depuis la fin des années 1970, on assiste à un retour de l’intégrisme. Les religions monothéistes, judaïsme, christianisme et islam ne reconnaissent qu’un seul Dieu et se fondent sur des traditions écrites et orales. Ces éléments constituent un risque de radicalisation caractérisée par l’hostilité à la modernité, l’observance stricte des règles religieuses, l’affirmation d’une identité forte et la volonté d’installer un ordre nouveau.
1. Le christianisme
l’Église. Les intégristes s’y opposent fermement car ils entendent rester fidèles aux références du Concile de Trente (XVIe s.). Ils rompent avec Rome en 1988 et fondent « la Fraternité sacerdotale saint Pie X » dirigée par Mgr Lefèbvre. En 2007 cependant, le pape Benoît XVI autorisera la tenue de messes selon l’ancien rite de saint Pie X puis, en 2009, lèvera l’excommunication des évêques lefèbvristes.
1.1 Les catholiques
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L’intégrisme catholique trouve son origine dans la montée du libéralisme au XIXe s. Pour s’en prémunir, le pape Pie IX rédige en 1864 le Syllabus de 80 propositions, « recueil renfermant les principales erreurs de notre temps », un texte très rigide sur le plan doctrinal et ecclésial qui s’oppose à la société moderne. Face aux catholiques libéraux qui estiment qu’il faut adapter le catholicisme aux idées libérales, les intégristes se considèrent comme les « vrais catholiques » ou « catholiques intégraux ». Ils s’en tiennent à l’intégrité du dogme. Pour eux, le catholicisme n’est pas qu’une affaire privée et de conscience, il doit intervenir dans toutes les sphères de la société pour la protéger contre les maux du temps : le libéralisme et le socialisme.
L’intégrisme catholique se manifeste au sein de deux mouvements : l’Opus Dei et le « Renouveau charismatique »
L’intégrisme catholique se manifeste au sein de deux mouvements : l’Opus Dei et le « Renouveau charismatique ». L’Opus Dei a été créé en 1928 par un prêtre espagnol, José María Escrivá de Balaguer y Albas (1902-1975). L’endoctrinement (en investissant l’enseignement et les milieux d’affaires), le caractère conservateur et secret de l’organisation s’apparentent à une forme d’intégrisme. La papauté soutient l’organisation considérée comme une voie nouvelle pour « une spiritualité laïque », ni « progressiste », ni « traditionaliste ».
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À partir de 1967, aux États-Unis se développe le « Renouveau charismatique ». Ce mouvement veut donner vigueur, comme au temps des premiers chrétiens,
En 1962, le pape Jean XXIII, lors du Concile de Vatican II (1962-1965), propose un renouveau de 354
aux charismes personnels. Le charismatique bénéficie d’un don (châris, grâce) reçu du Saint Esprit pour servir la communauté. Le pouvoir de guérir, d’opérer des miracles et de parler en langues (glossolalie) se manifeste lors de cérémonies collectives. La papauté tolère ce mouvement, même s’il s’écarte du rituel de l’Église, car il participe à l’évangélisation. 1.1 Les protestants
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À la suite de la montée d’un certain libéralisme théologique aux États-Unis au début du XXe s., des protestants se sont manifestés au nom de la préservation des « fondamentaux » de la foi. À partir des années 1970, le fondamentalisme protestant se montre hostile à la science, à la démocratie et à la modernité. Son but est de « sauver » l’Amérique du matérialisme et de la dépravation (toxicomanie, prostitution, délinquance, homosexualité…) et de refuser la contraception, l’avortement et l’égalité des droits pour les femmes. Plusieurs Églises protestantes défendent le créationnisme contre le darwinisme : Dieu a créé l’homme dans la forme qu’il a aujourd’hui, il y a environ 6 000 ans.
le fondamentalisme protestant se montre hostile à la science, à la démocratie et à la modernité
Caricature de Plantu.
règle les relations personnelles, sociales, nationales et internationales ainsi que toutes les autres pratiques et observances du judaïsme. Les juifs intégristes veulent l’appliquer à la lettre.
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Pour les juifs, “ la rédemption ne peut être obtenue que par le respect absolu de la Loi
2.1 Les ultra-orthodoxes
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On distingue dans la société israélienne les juifs laïques, les traditionalistes (pratique religieuse partielle), les orthodoxes (pratique religieuse stricte, mais immersion dans le monde moderne) et les ultra-orthodoxes, appelés haredim. Les haredim (les « craignant Dieu ») se caractérisent par une pratique religieuse stricte, un refus de la modernité et un séparatisme social fort. Ils ont bâti une ville dans la ville de Jérusalem, sur le modèle des ghettos. Ils se replient sur euxmêmes convaincus d’être les descendants d’Abraham et entretiennent le fantasme de la pureté. Ils vivent habillés de long manteau noir, portant des papillotes et des phylactères (sortes d’amulettes renfermant des passages de la Torah), la tête recouverte du chapeau de fourrure à bord plat. Ils consacrent la plupart de leur temps aux yeshivot (académies talmudiques). Depuis 1996, les haredim ont participé à la victoire de la droite israélienne et sont au gouvernement. Ils veulent règlementer le shabbat, décider qui est juif, ce qui est permis ou interdit de manger, qui on a le droit d’épouser, selon quel procédé un mari peut répudier sa femme… Les religieux se battent pour ne pas abandonner le dogme selon lequel la religion
C’est ce discours que tiennent les télé-évangélistes et les politiciens de la droite chrétienne comme le pasteur Jerry Falwell (1933-2007), fondateur de la Moral Majority, qui a contribué à l’élection de Ronald Reagan en 1980 et du pasteur Pat Robertson, né en 1930, fondateur de la Christian Coalition, qui s’est présenté à l’élection présidentielle de 1988.
2. Le judaïsme Le judaïsme distingue la tradition écrite de la tradition orale. La première est constituée de la Torah (5 livres de Moïse), les Neviim (les prophètes) et les Ktovim (les écrits) ; la seconde, le Talmud, est un commentaire de la Bible écrit par environ 2 000 maîtres. Pour les juifs, la rédemption ne peut être obtenue que par le respect absolu de la Loi (la Halakha). Elle 355
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> Les religions sont-elles toujours des intégrismes ?
rétrospectifs
conduit la vie civile. Ils ont aussi une position politique intransigeante en ce qui concerne la question de l’État d’Israël.
3.1 Le wahhabisme
Des quatre écoles juridiques reconnues par l’orthodoxie sunnite, celle d’Ibn Hanbal, (855), affirme qu’après le Prophète il ne peut rien y avoir de nouveau. Il limite donc le droit islamique au seul Coran et à la seule Sunna, soit à des commandements datant des VIIe et VIIIe s. Il est le dernier et le plus rigoriste des imams fondateurs des écoles juridiques sunnites qui a inspiré deux mouvements : le wahhabisme, datant du XVIIIe s. et la confrérie des Frères musulmans, créée en 1928 en Égypte.
2.1 Sionisme et intégrisme
Lors de la fondation d’Israël en 1948, les religieux se tinrent à l’écart du sionisme politique car, pour eux, Dieu seul est en mesure de ramener son peuple dans la Terre promise. Après la naissance d’Israël (1948), le P.N.R. (Parti national religieux) et le mouvement Agoudat Israël (« le faisceau d’Israël ») parviennent à infléchir l’État pour qu’il adopte d’anciennes lois. Les victoires de la « guerre des Six Jours » (1967) et du Kippour (1973) contre les Arabes renforcent l’idée que la récupération des terres bibliques (Judée, Samarie, vieille ville de Jérusalem) est l’œuvre de Dieu. Pour le mouvement sioniste (Goush Emounim, « bloc de la foi »), la Terre d’Israël est sainte et est un don inaliénable de Dieu à son peuple. C’est pourquoi nul étranger ne peut en disposer et il est impératif de la peupler en créant des colonies. Le pouvoir doit être une théocratie fondée sur la Torah. Ce sont ces intégristes qui ont assassiné Rabin en novembre 1995, considéré comme « traître » parce qu’il avait accepté d’échanger la paix contre des territoires (Accords d’Oslo, 1993). Ils ont aussi menacé le pays de guerre civile quand Ariel Sharon a retiré les troupes israéliennes de Gaza.
Depuis 1932, la famille Saoud d’Arabie saoudite s’appuie sur le wahhabisme pour justifier son autorité et imposer un régime qui a pour seule constitution le Coran et pour loi, la Shari’a. La discrimination à l’égard des femmes est largement appliquée (mariage, éducation, travail) dans ce pays. Grâce à l’argent du pétrole, le wahhabisme s’est exporté dans tout le monde musulman. 3.2 Les Frères musulmans
L’association des Frères musulmans a pour but d’établir le règne de Dieu par l’action politique. Les islamistes instrumentalisent la notion de djihad en considérant ce terme dans son sens étroit de « guerre sainte ». La devise de la confrérie des Frères musulmans est : « Allah est notre loi. Le djihad est notre voie. Mourir dans notre quête d’Allah est notre espoir le plus cher ».
3. L’islam
3.3 L’activisme islamique
Mahomet instaure “ un système dans lequel
L’islamisme – ou fondamentalisme musulman – est une idéologie politico-religieuse qui vise à instaurer un État régi par la loi religieuse est la Shari’a (« voie prescrite »). Dès le début, aussi la loi politique : Mahomet instaure un système dans lequel la shari’a ou loi la loi religieuse est aussi la loi politique : la religieuse, doit shari’a ou loi religieuse, doit s’appliquer dans la vie de tous les jours. Les interprés’appliquer dans la vie tateurs (fuqaha’) chargés de produire les de tous les jours règles juridiques, s’inspirent de quatre sources : le Coran (paroles de Dieu révélées au Prophète entre 610 et 632), la sunna (paroles et gestes du Prophète ou hadiths), le consensus (ou l’ijma) et le raisonnement par analogie.
Les cibles des Frères musulmans sont l’Occident, le nationalisme et la laïcisation de l’État (Turquie, Iraq, Égypte, Tunisie…) ; ils veulent reconstituer l’oumma islamiyya, la communauté des croyants sans frontières. La confrérie rejette aussi le panarabisme (oumma arabiyya) de Nasser (président égyptien de 1954 à 1970). Malgré la répression, ils ne cesseront d’agir « par le bas » auprès de la population en s’emparant patiemment des rouages de la société civile : organisations professionnelles, éducation, santé, crédit. C’est une stratégie de conquête non violente mais probablement plus efficace à terme.
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Les cibles le Hezbollah libanais, le Hamas palestinien… Le terrorisme est l’arme de l’or- des Frères musulmans ganisation d’Oussama Ben Laden (Alsont l’Occident, Qaïda) et des Talibans d’Afghanistan. Depuis 2011, on observe une montée de le nationalisme et l’islamisme par la voie de la démocratie la laïcisation de l’État électorale dans l’ensemble des pays qui ont renversé la dictature lors du printemps arabe (Tunisie, Égypte, Libye…). ■
L’activisme des islamistes « par le haut », prendra la forme de la révolution, du terrorisme et de la participation aux élections. Toutes les tentatives pour renverser le pouvoir ont échoué sauf en Iran en 1979 où les chiites, qui jusque-là avaient été marginalisés et rejetés par la majorité sunnite, prennent le pouvoir pour établir une « République islamique ». La violence inspire le FIS (Front islamique du Salut) algérien,
”
Caricature de Pancho.
357
REGARDS
rétrospectifs
CONCEPTS
Capitalisme
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 361
Citoyenneté
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 363
Colonisation et migration Démocratie
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 365
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 367
Développement et sous-développement
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 369
Fédéralisme
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 371
Impérialisme
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 373
Libéralisme
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 375
Mondialisation Nationalisme Socialisme
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 377
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 379
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 381
Stratifications sociales
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 383
CONCEPTS
CONCEPTS Comprendre la société c’est aussi pouvoir utiliser des outils conceptuels qui permettent de décrypter des informations et d’en mesurer les enjeux. Il y a donc un nécessaire effort de généralisation des idées et de structuration des concepts. Les 12 fiches qui suivent serviront de référence tout au long du cours. Elles seront utilisées dans des situations variées pour en favoriser petit à petit la maîtrise.
CONCEPTS
> Capitalisme
Caractéristiques
Socialisme ou communisme Système dans lequel le pouvoir économique appartient à l’État dont le but est la recherche de l’intérêt général dans le cadre d’une planification impérative et globale de l’activité économique.
360
Capitalisme
D
u XVIe au XVIIIe s., le capitalisme est commercial car les capitaux sont essentiellement investis par des négociants (grands marchands) dans des entreprises de transport maritimes et coloniales (ex. les Compagnies des Indes anglaises, néerlandaises…). C’est un capitalisme de logique mercantiliste et réglementaire. À partir de la moitié du XVIIIe jusqu’au XXe s., le capitalisme devient industriel et bancaire. La transition se réalise lors de la révolution industrielle, entre 1760 et 1850, en Angleterre d’abord, puis en Europe occidentale. Le capitalisme industriel est caractérisé par la création d’usines où travaille une maind’œuvre nombreuse, des moyens techniques de production (machines) et des capitaux rassemblés par des sociétés. Ce capitalisme, progressivement libéré des entraves réglementaires, est de plus en plus concurrentiel et modifie le rapport salarial entre une bourgeoisie devenue industrielle et une main-d’œuvre salariée rendue disponible par la révolution agricole.
Alors qu’à l’origine, le capitalisme sépare nettement compétences de l’État et secteur privé, à la suite de la crise de 1929 et surtout après la Seconde Guerre mondiale, on a vu se développer un capitalisme d’État. Par le biais d’entreprises publiques ou semi-publiques, l’État devient un producteur et employeur de premier plan. L’intervention de l’État par le biais d’une politique keynésienne de relance (investissements publics, régulation de l’économie, redistribution de la richesse) s’est imposée dans les pays capitalistes. Cela explique la croissance extraordinaire des années, appelées les « Trente Glorieuses » entre 1945 et 1973. Ce nouveau régime de croissance est aussi qualifié de « capitalisme fordiste » (Henry Ford créa une usine automobile en 1905 à Detroit sur base du travail à la chaîne) car il organise les gains de productivité issus des principes tayloristes de l’organisation scientifique du travail sur base d’un compromis entre patrons et syndicats, ce qui a permis une hausse rapide des salaires.
Après 1850, le capitalisme entre dans sa phase de maturité à la suite d’une seconde révolution industrielle (électricité, pétrole, chimie) qui accentue la concentration du capital et s’accompagne d’une concurrence plus forte avec l’émergence de nouveaux États industriels (Allemagne, Japon, États-Unis). À partir de ce moment, le capitalisme est secoué régulièrement par des crises cycliques spécifiques. Alors que dans les économies précapitalistes les crises étaient causées par une sous-production agricole qui se répercutait sur l’ensemble de l’économie, les crises capitalistes sont d’origine financière et industrielle (crise boursière et crise de surproduction). Sur le plan politique, l’émergence du mouvement ouvrier à partir de 1848 met en avant la « question sociale » qui défend un autre système : le socialisme.
Mais à partir des années 1970, le « capitalisme fordiste » renoue avec des crises régulières et se transforme progressivement en capitalisme « actionnarial ». Sous l’effet de la globalisation financière et de la révolution technologique, émerge un nouveau capitalisme caractérisé par une « économie de la connaissance » fondée sur une nouvelle révolution technologique (Internet…) qui consacre le rôle dominant de la logique boursière. Le rôle des marchés financiers devient central et les crises financières à répétition (krach Internet de 2000, crise des subprimes de 2007, crise de la zone euro en 2011) se sont transformées en une crise globale aux multiples facettes, financière, économique, sociale, écologique et géopolitique. Se pose dès lors la question d’une crise systémique qui remettrait en cause le capitalisme comme ce fut le cas à la suite de la grande crise de 1929. ■
361
CONCEPTS
CONCEPTS
> Citoyenneté
Caractéristiques
362
Citoyenneté
L
a notion de citoyenneté est née dans la Grèce antique, en particulier dans la cité d’Athènes. Elle était liée à l’esclavage : déchargés de toutes les tâches matérielles, les citoyens pouvaient exercer leur droit et leurs devoirs de citoyen, comme participer aux assemblées et aux tribunaux. Selon la conception athénienne, était citoyen l’homme (mâle) qui n’était ni esclave, ni étranger résidant dans la cité (métèque). La citoyenneté n’était pas liée à la démocratie : dans les cités oligarchiques ou monarchiques, il existait une classe d’hommes distincte, appelée citoyens. Les conditions d’accès au statut de citoyen variaient d’une cité à l’autre.
Les échevins, élus par les habitants, administraient la ville et exerçaient le pouvoir judiciaire. Mais, dans la plupart des pays européens, les habitants étaient des « sujets » de l’empereur ou du roi et non des citoyens. C’est la Révolution française qui, en abolissant la royauté, a fait des habitants du royaume des citoyens : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (27 août 1789) définissait les droits civils (égalité devant la loi, droit de propriété, liberté d’expression…), les droits politiques (droit de vote et d’éligibilité) et des droits sociaux (protection assurée par l’État). Au XIXe s., la citoyenneté fut d’abord limitée, par le suffrage censitaire et/ou capacitaire, mais des luttes très dures éclatèrent pour l’obtention du suffrage universel. En Belgique, il ne fut accordé qu’en 1919. Les femmes durent attendre 1948 pour pouvoir l’exercer entièrement. Mais, la citoyenneté ne se limite pas au droit de vote. Elle implique une participation active à la vie publique, comme le militantisme politique, la création ou l’adhésion à un parti, le droit de pétition, la possibilité d’agir au sein et avec de multiples associations. Manifester son opinion, signer une pétition, participer à une enquête publique, à des forums citoyens, des comités de quartiers, faire du bénévolat,… sont des actions qui permettent à chacun d’exercer une activité citoyenne.
À Rome, le citoyen jouissait de droits personnels, économiques et politiques. Il devait le service militaire, le paiement de l’impôt, la participation à différentes assemblées et la possibilité d’exercer différentes charges politiques et religieuses. Réservés au début de la République aux patriciens, ces droits furent progressivement conquis par les plébéiens après de longues luttes. Au fur et à mesure de la conquête de l’Italie, Rome accorda la citoyenneté aux habitants des villes conquises : c’était devenu un moyen d’intégration dans la Res publica. Sous l’Empire, les droits politiques des citoyens devinrent peu importants, mais la qualité de citoyen permettait de jouir de droits civils étendus. En 212, l’empereur Caracalla accorda le droit de cité à tous les hommes libres de l’Empire. Comme à Athènes, les femmes étaient exclues de la citoyenneté.
La citoyenneté ne se confond pas avec la nationalité : par exemple, les étrangers issus d’un État membre de l’Union européenne jouissent du droit de vote et d’éligibilité au niveau communal, de la faculté de s’affilier à un parti ou un syndicat, ou à toute autre association de la société civile. ■
Au Moyen Âge, à partir du XIe s. certaines villes obtinrent une charte de libertés (celle de la ville de Huy en 1066 est la plus ancienne connue en Europe) accordant aux bourgeois un statut particulier, dont celui de se gouverner eux-mêmes.
363
CONCEPTS
CONCEPTS
> Colonisation et migration
Caractéristiques
Décolonisation Accession d’une colonie à l’indépendance, soit à la suite de la révolte des colons (États-Unis, Amérique latine, Afrique du Sud), soit en conséquence d’une guerre ou d’un mouvement de libération mené par des indigènes (ex. Congo belge, Algérie, Inde).
364
Colonisation et migration
C
OLONISER, c’est d’abord installer des comptoirs commerciaux et des entrepôts sur les côtes pour faire du commerce avec l’intérieur du pays. Comme l’ont fait, dès le IIe millénaire av. J.-C., les cités phéniciennes et au Ier millénaire, entre le VIIIe et le VIe s. av. J.-C., les Grecs du Péloponnèse ou d’Asie Mineure. Ce type de colonisation a encore été pratiqué, à la fin du Moyen Âge, par les Républiques-villes italiennes, comme Venise ou Gênes.
population autochtone par une minorité d’origine étrangère. Ce fut le cas pour l’empire maritime et commercial portugais avec des possessions sur les côtes d’Afrique, en Inde, en Indonésie et au Brésil, ainsi que pour l’empire colonial espagnol situé essentiellement en Amérique latine. Le même système s’appliqua aussi aux colonies des ProvincesUnies, de la France et de l’Angleterre à partir du XVIIe s., puis des autres pays européens au XIXe s. (Allemagne, Belgique, Italie).
Coloniser, c’est aussi conquérir, pour des raisons religieuses, des territoires déjà peuplés : ainsi, les armées arabes musulmanes ont conquis le sud du monde méditerranéen depuis l’Espagne jusque Byzance (y compris le Moyen-Orient, la Perse et l’Inde) et à leur tour, les chrétiens d’Occident entamèrent la Reconquista de l’Espagne, puis des côtes du Maroc (Ceuta et Melilla) et par ailleurs du Caucase (Géorgie et Arménie) ; à la suite des Croisades, pendant deux siècles, de nouveaux États chrétiens s’installèrent au Proche-Orient.
Au XIXe s., la colonisation fut étroitement liée à l’industrialisation ; elle constitua un facteur de prestige politique pour les États, auxquels elle apportait des atouts économiques et des bases stratégiques. Elle s’appuya sur des motifs idéologiques : « les races supérieures ont des droits, parce qu’elles ont des devoirs : le devoir de civiliser les races inférieures » (discours du ministre français Jules Ferry en 1885). Elle fit de l’Europe le centre de gravité d’un monde inégalitaire, auquel elle imposa une division internationale du travail.
Coloniser, c’est encore étendre un empire territorial : comme les Turcs qui après avoir détruit l’empire arabe, se sont emparés au XVe s. de l’Empire romain d’Orient. Ils maintiendront leur domination sur les Balkans (ex-Yougoslavie, Albanie, Roumanie, Hongrie, Bulgarie, Grèce…) jusqu’à la fin du XIXe s. ou au début du XXe s. selon les régions. De leur côté, les Russes ont commencé une expansion territoriale dès le XIIe s., vers la Sibérie d’abord, puis vers les régions occupées par les Tatars et les Turcs ensuite.
La colonisation fait encore aujourd’hui l’objet de débats quant à ses conséquences. Elle est associée, par exemple, au génocide des Amérindiens, à la traite des Noirs, au travail forcé, à la destruction des sociétés traditionnelles et à leur aliénation culturelle. Pour certains, la colonisation est considérée comme la cause majeure du sous-développement économique des pays dits du « tiers-monde », mais aussi la source de leurs difficultés actuelles. Pour d’autres, elle est liée à l’idée de civilisation, de progrès, de lutte contre les maladies et l’ignorance, de construction de voies ferrées… ce que le romancier britannique Rudyard Kipling a appelé « le fardeau de l’homme blanc ». Le débat est loin d’être clos. ■
À partir du XVIe s., la colonisation essentiellement européenne a consisté à mettre en place un système de domination et d’exploitation d’une 365
CONCEPTS
CONCEPTS
> Démocratie
Caractéristiques
Dictature
Monarchie absolue
Oligarchie
Régime politique dans lequel les pouvoirs sont détenus par une personne ou un groupe de personnes (ex. parti, armée) qui ne garantit pas les libertés individuelles et réprime les opposants.
Régime politique dans lequel le pouvoir est détenu par un seul (le roi), qui exerce les trois pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire et qui ne les partage pas.
Dérivé du grec oligos (petit nombre) et arkhè (pouvoir), ce terme désigne l’autorité d’un petit nombre de personnes faisant partie d’une élite (par la richesse, par le statut social), non désignée par la population et qui visent à satisfaire leurs intérêts personnels.
366
Démocratie
L
a démocratie s’instaure à Athènes au Ve s. av. J.-C. sous la forme d’une démocratie directe et égalitaire. Dans l’esprit des Athéniens, il n’y a démocratie que si les responsables font partie du peuple ou demos. Cependant celuici s’entend comme l’ensemble des citoyens en excluant métèques, esclaves et femmes. Les Athéniens considèrent l’élection comme un mécanisme non démocratique car, selon eux, la procédure élective tend à favoriser l’aristocratie au détriment des plus humbles.
qui progressivement s’est élargie aux femmes (Belgique, 1948), reste avant tout un dispositif institutionnel qui contribue à la liberté et à l’égalité juridique, mais qui, en fait, n’a pas résorbé les inégalités sociales. Pour tenter d’y parvenir, l’ÉtatProvidence se généralise après 1945 en Europe de l’Ouest et du Nord : la démocratie formelle se mue en démocratie réelle ou sociale. Après 1970, se met en place une « démocratie du public » dans laquelle les nouvelles technologies de la communication transforment les relations entre les responsables politiques et les électeurs. Et depuis les années 1980, s’affirme la démocratie participative qui implique les citoyens dans la décision politique sous des formes diverses : budget participatif (la population d’une commune par exemple décide du budget), jurys citoyens (consultation d’une partie de la population pour orienter certaines décisions politiques), débats publics…
C’est pourtant le principe électif qui va être la base de nos démocraties à partir du XVIIIe s., époque de la restauration de la démocratie qui avait disparu depuis le IVe s. av. J.-C. Au cours du XVIIIe s., les critiques adressées à l’absolutisme royal préparent l’émergence de la démocratie moderne. Mais l’acte fondateur est révolutionnaire : la révolution anglaise de 1688, la révolte des colonies américaines en 1776 et la Révolution française de 1789. Il ne s’agit plus de fonder la démocratie sur la ressemblance entre gouvernants et gouvernés mais sur la souveraineté du peuple qui s’exprime par des représentants. C’est l’avènement du régime représentatif. Cependant, le vote censitaire réserve le pouvoir à la bourgeoisie considérée comme seule capable de parler au nom du peuple. L’autorité de l’État de son côté sera limitée par la séparation des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire), le respect des règles qu’il édicte (État de droit) et les droits de l’Homme.
Après 1989 et la chute du mur de Berlin, la victoire de la démocratie sur les régimes autoritaires semblait inéluctable. En 1974 et 1975, les dictatures avaient disparu en Grèce, au Portugal et en Espagne. Les années 1980 annoncent la fin des régimes militaires en Amérique du Sud et dix ans plus tard, en Afrique noire, déferlent des revendications pluripartistes et démocratiques. La démocratisation tente de s’instaurer, lors du « printemps arabe » en 2011 au Moyen-Orient (Égypte, Tunisie, Libye…). Mais la « transition démocratique » ne peut se réaliser uniquement par la mise en place d’institutions démocratiques. Il faut un système de partis viable pour résoudre les problèmes qui font obstacle à la démocratisation. Avec ces démocraties nouvelles se pose la question du modèle occidental de la démocratie et de son exportation ainsi que du rôle de la mondialisation dans le développement de la démocratie de par le monde. ■
Le suffrage universel, qui se répand en Europe occidentale à la suite de la guerre 1914-1918, est la base d’une véritable démocratie représentative. Ce régime supprime toute distinction entre les citoyens (masculins) appelés à s’unir dans l’État-Nation, le cadre dans lequel doit se développer la démocratie. À ce stade, la démocratie
367
CONCEPTS
CONCEPTS
> Développement et sous-développement
Sous-développement
Mal-développement
État d’un pays qui a atteint un faible niveau économique et assure à ses habitants un bien-être rudimentaire. Les deux termes se définissent l’un par l’autre.
Situation d’un État où la production des richesses a augmenté mais ne profite qu’à certaines catégories de la population.
368
Développement et sous-développement
L
e concept de développement a été évoqué pour la première fois après la Seconde Guerre mondiale lorsque les États occidentaux ont pris conscience que les trois quarts de l’humanité vivaient dans une situation de misère, de faim, d’analphabétisme et de maladie. Ces États ont estimé que les pays dits « sous-développés » devraient être aidés pour parvenir à leur tour à un niveau socio-économique satisfaisant. Pendant la majeure partie de leur histoire, les sociétés humaines ont connu un développement économique très lent. Le niveau de vie de la majorité des gens se situait aux alentours du minimum vital. Elles n’étaient pas figées sur le plan économique, mais la productivité du travail humain n’a progressé que très lentement, en raison d’une amélioration des techniques très faible. Si la production agricole a augmenté à partir du XIIIe s. tant en Europe qu’en Asie, c’est la Révolution industrielle qui, au XVIIIe s., va permettre aux pays occidentaux (Angleterre, Belgique, France, Allemagne, États-Unis) de connaître un véritable décollage technologique, économique et social. Le mode de production capitaliste modifie dès lors la hiérarchie des développements mondiaux : il y aura désormais les pays qui ont connu cette mutation, ceux qui l’ont ignorée et ceux qui en sont empêchés. Les pays colonisés n’ont le choix que de vendre leurs matières premières à bon marché et d’acheter plus cher les produits finis à la métropole. C’est ce troisième groupe, celui des pays sous-développés, qui sera appelé le « tiersmonde » à partir de la Conférence de Bandung (1955). Sous l’égide du PNUD (Programme des Nations unies pour le développement), ces États vont lutter pour obtenir leur indépendance politique et économique et obtenir une amélioration des termes des échanges.
Par la suite, le tiers-monde s’est largement diversifié : alors que certains États, en Asie et en Amérique latine, s’industrialisaient et connaissaient une croissance économique rapide, que les pays de l’OPEP (Organisation des Pays exportateurs de Pétrole – 1960) s’enrichissaient par la vente du pétrole, d’autres stagnaient et accumulaient les records négatifs. Les pays riches ont conservé leur avance économique. Même s’ils ont été rejoints progressivement, à partir des années 1980, par des pays dits « émergents » comme la Corée du Sud, Taiwan, Singapour, le Brésil, l’Inde et la Chine, les écarts n’ont jamais été aussi importants. L’écart entre les pays industrialisés et les autres s’est creusé, mais surtout l’écart entre les habitants les plus riches de la planète et les habitants les plus pauvres, au nord comme au sud. La mondialisation a-t-elle enrichi les États ou davantage accentué les inégalités ? La croissance de la production n’est pas synonyme d’évolution du bien-être : d’abord parce que l’inégalité de revenus, au sein de chaque pays, ne fait qu’augmenter, mais aussi parce que la croissance a entraîné une dégradation de l’environnement (épuisement des ressources, détérioration des sols, de l’eau, de l’air, etc.). Les Nations unies, en 1990, ont alors élaboré un nouvel indicateur de développement humain, l’IDH, qui classe les États selon la façon dont ils répondent aux besoins essentiels de leurs habitants. Cet indicateur prend ainsi en compte non seulement le niveau de vie, la santé et l’éducation, mais encore la liberté politique, la jouissance des Droits humains… Le problème qui se pose maintenant à l’humanité est celui du développement durable : la consommation actuelle des Occidentaux, si elle était étendue aux autres parties du monde, compromettrait la capacité des générations futures à subvenir à leurs propres besoins. ■ 369
CONCEPTS
CONCEPTS
> Fédéralisme
Caractéristiques
370
Fédéralisme
D
epuis la réforme constitutionnelle de 1970, la Belgique est passée progressivement d’un État unitaire à un État fédéral en 1993 dans le but de mettre fin aux tensions communautaires et de répondre aux demandes d’autonomie venant du nord et du sud du pays. Au départ, les Flamands revendiquaient une autonomie culturelle et les Wallons une autonomie économique. De cette double logique fédéraliste va naître un État dont le pouvoir va diminuer au profit d’entités fédérées mieux adaptées aux spécificités des trois communautés (flamande, francophone et germanophone) et des trois régions (flamande, wallonne et bruxelloise).
central en Belgique conserve quelques compétences : police, armée, justice, sécurité sociale... Dans le cas où chaque entité fédérée accepte le maintien d’un pouvoir central, il s’agit bien de fédéralisme. Mais si des États indépendants se contentent de coordonner certaines politiques communes (ex. union douanière), alors le système est confédéral plutôt que fédéral. C’est le cas de la Confédération helvétique. Le fédéralisme est l’option choisie dans le cas d’États dont le caractère unitaire ne peut être créé ou maintenu. L’Allemagne, après la Seconde Guerre mondiale, la Belgique, l’Inde, l’Australie, le Canada, le Brésil, le Nigeria, la Malaisie, la Fédération de Russie... Le fédéralisme permet de rapprocher des États jusque-là souverains (Malaisie, Tanzanie), d’assurer la transition vers un État unitaire (République d’Afrique du Sud en 1960, Cameroun en 1972).
Le fédéralisme est donc un pacte, une forme d’État complexe et différent de l’État unitaire dont la création ne peut se concevoir que par un accord négocié entre les territoires concernés. C’est le cas des États-Unis considérés comme le premier État fédéral (1787). C’est aussi le cas de la Belgique. Mais, contrairement à la Belgique, les États-Unis se sont constitués à partir d’États existants, les treize colonies (fédéralisme par fusion), alors que l’État fédéral belge est né de la désagrégation d’un État centralisé en plusieurs entités séparées (fédéralisme par scission) qui possèdent désormais leur propre parlement et gouvernement. Les communautés s’occupent de l’enseignement, la santé, la culture... Les régions sont compétentes dans les matières liées au logement, à l’agriculture, à l’environnement... Comme dans tout État fédéral, le gouvernement
Les États fédéraux sont toutefois fréquemment victimes de tendances centrifuges : dissolution de la Fédération de Grande Colombie (1821-1830), de la République fédérale du Pakistan (1947-1971), éclatement de l’URSS et de la Yougoslavie après 1991, séparation de la République tchèque et de la Slovaquie en 1993. La structure fédérale est diverse, mais en imposant des compromis elle tend à favoriser le maintien de l’association d’entités étatiques qui sans cela se sépareraient. ■
371
CONCEPTS
CONCEPTS
> Impérialisme
Caractéristiques
Objectifs
372
Impérialisme
L’
Mais c’est surtout dans la seconde moitié du XIXe s. que l’impérialisme prit son essor. Le développement du capitalisme industriel et commercial transforma les politiques coloniales ; il ne s’agissait plus seulement de mettre la main sur les métaux précieux et les matières premières des colonies, mais encore de s’assurer de nouveaux débouchés pour les produits manufacturés et de nouvelles terres de peuplement. Convaincus de la supériorité absolue de leur civilisation, les Occidentaux étaient persuadés d’avoir un devoir moral et donc déterminés à faire le bonheur des colonisés en leur apportant les bienfaits du progrès.
impérialisme est une constante de l’histoire du monde. Il s’est manifesté dans tous les continents, comme nous l’avons vu en Chine, en Inde et en Amérique. L’Afrique noire aussi a connu les empires du Ghana, du Mali, des Zoulous… Les plus anciens empires sont apparus en Mésopotamie au IIIe millénaire : Les Sumériens, puis les Babyloniens et les Assyriens cherchèrent à s’étendre du golfe Persique jusqu’à la Méditerranée. L’Égypte pharaonique, d’abord fermée sur elle-même, ne se lancera dans des conquêtes qu’à partir du Nouvel Empire (XVIe s. av. J.-C.) sous les règnes de Thoutmosis III et Ramsès II. Ils se heurteront aux Hittites, puis aux Perses. Tous ces empires exigeaient des peuples conquis un tribut en nature, mais respectaient leurs coutumes et leurs dieux. Ce qui fut aussi le cas de l’Empire romain : son étendue ne lui permettait pas de ne compter que sur ses propres soldats et ses fonctionnaires pour encadrer tout son territoire ; il dut pour cela intégrer les élites locales et embaucher des soldats issus des populations conquises. Les Carthaginois et les Grecs pratiquaient plutôt un impérialisme commercial. Seule, la cité athénienne prétendait exporter la démocratie dans toutes les cités.
L’impérialisme russe, à la même époque, visait, par la mise en valeur de la Sibérie et la conquête de l’Asie centrale, ainsi que par sa politique d’accès aux Détroits et à la Méditerranée, à s’affirmer comme une grande puissance ; l’Union soviétique poursuivra cette politique et l’amplifiera. L’idéologie de la « Grande Allemagne » qui tendait à rassembler tous les pays de langue allemande ou même germanique, est une autre forme d’impérialisme. Elle se prolongera par le pangermanisme, qui exaltait le droit supérieur de la « race » allemande de dominer les slaves « barbares » et les latins « décadents » et d’élargir son espace vital.
Au Moyen Âge, l’impérialisme se fit religieux, comme le montrent les cas de l’Islam et des Croisades. La naissance au XVe s. des premiers grands États nationaux européens est à l’origine d’un impérialisme mercantile : les colonies n’étaient considérées par leur métropole que comme des sources de métaux précieux et de matières premières. À la fin du XVIIIe s., la France révolutionnaire puis napoléonienne camoufla sous des idéaux universels (liberté, égalité, fraternité) sa volonté d’étendre son territoire (théorie des frontières naturelles) et de dominer économiquement le continent européen.
Les États-Unis, de leur côté, considéraient le Nouveau Monde comme leur « chasse gardée ». Au XXe s., devenus la première puissance économique et commerciale du monde, ils intervinrent dans le monde entier, soit par des investissements, soit en favorisant la subversion intérieure (Chili en 1973, Nicaragua en 1985), soit militairement (Guerre du Golfe en 1991, Iraq en 2003, Afghanistan en 2001). Leur impérialisme est tout à la fois économique, financier et idéologique : ils se veulent les champions de la démocratie et de la croissance dans une économie de marché. ■ 373
CONCEPTS
CONCEPTS
> Libéralisme
Caractéristiques
Socialisme ■ ■
Intervention de l’État afin de limiter les inégalités sociales Attrait pour une démocratie sociale.
Communisme (Étatisme) Mainmise de l’État sur l’ensemble de l’économie ■ Rejet de la démocratie libérale afin de construire une société sans classe. ■
374
Anarchisme Conception politique et sociale qui rejette tout pouvoir contraignant pour l’individu.
Libéralisme
P
ar leurs écrits contre les oppressions religieuses, morales et politiques, les philosophes des Lumières au XVIIIe s. sont les initiateurs de la pensée libérale qui comprend deux aspects : le libéralisme politique et le libéralisme économique. Le libéralisme économique est apparu à partir du milieu du XVIIIe s., en opposition à certaines contraintes imposées à la production et au commerce. La Déclaration des droits de l’homme de 1789 peut être considérée comme l’acte de naissance du libéralisme politique.
Le deuxième aspect du libéralisme, le libéralisme économique, est fondé sur deux principes (F. Quesnay, 1694-1774) : la liberté de production et de commerce (« laisser faire, laisser passer ») et le respect de la propriété individuelle. Les lois de l’économie obéissent aux « lois naturelles ». Une fois les libertés économiques garanties (propriété privée, libre circulation, liberté du travail…), chacun poursuit son propre intérêt et, par ce fait même, agit dans l’intérêt général. L’État doit se soumettre à l’ordre économique naturel (A. Smith, 1723-1790) car sur les marchés libres, les agents économiques sont comme mus par une « main invisible » qui fait en sorte que chacun agit pour le plus grand bien de la collectivité, même sans le savoir. L’État doit donc s’abstenir de toute intervention. L’économie de marché est le système économique le plus efficace, car les prix, résultant du jeu de l’offre et de la demande, sont des signaux pertinents qui indiquent vers quel type d’activité les agents économiques doivent se diriger.
Les penseurs du libéralisme politique s’accordent sur le principe que l’État n’a pas le droit de tout faire et ne doit jamais faire ce que d’autres pourraient réaliser à sa place. Le libéralisme s’oppose donc à l’étatisme. Le libéralisme n’a pas pour but d’établir l’égalité des classes mais il reconnaît que la liberté individuelle doit permettre à chacun de s’élever dans la société. C’est pourquoi, le libéralisme au XIXe s. s’oppose à l’établissement de lois sociales (grève, syndicats…). Les ouvriers sont considérés comme une « classe dangereuse » risquant, si elle accède au pouvoir, de mettre en péril les libertés fondamentales et la propriété (fondement de la liberté). Par conséquent, le libéralisme s’oppose au suffrage universel. Au XIXe s., en Belgique par exemple, il se divise en une aile conservatrice, les doctrinaires, hostiles à tout changement, et une aile progressiste favorable à l’élargissement du suffrage. À la suite des deux guerres mondiales qui ont mis en avant la notion de solidarité au sein de la nation, le libéralisme accepte le suffrage universel pur et simple (1921) et l’État-Providence (1945). Quant à l’anticléricalisme exprimé depuis le XIXe s. au nom de la liberté de pensée, le parti libéral belge l’abandonne après 1960.
À la suite de la crise de 1929, ce libéralisme « classique » est mis en veilleuse par la pensée keynésienne qui s’impose : l’État a un rôle à jouer dans le système économique. À partir des années 80, le libéralisme revient en force sous la forme du néo-libéralisme : la menace principale réside dans le rôle croissant de l’État (Hayek, 1899-1992) ; l’entrepreneur et l’innovation sont la base du dynamisme économique (Schumpeter, 1883-1950) ; l’économie doit se développer dans le cadre d’une « concurrence pure et parfaite » (Walras, 18341910) : parfaite mobilité des biens, des services et des facteurs de production. La mondialisation est fondée sur cette idéologie de la déréglementation, considérée comme responsable de la crise économique qui débute en 2008. ■
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CONCEPTS
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Volonté d’une régulation des marchés selon des impératifs sociaux, environnementaux et de justice économique.
Altermondialisme
■
■
Protectionnisme européen, écologique, social et international (taxes douanières modulées selon le coût écologique et social des marchandises et de la reterritorialisation de la production) Interdiction de certaines pratiques spéculatives.
Démondialisation
Caractéristiques
Fermeture des frontières pour se protéger de la concurrence.
Protectionnisme
Exportation sans importation pour amasser l’argent qui circule.
Mercantilisme (Colbertisme – XVIIe s.)
CONCEPTS > Mondialisation
Mondialisation
L
a première étape de la mondialisation se caractérise par une croissance du commerce international. Il devient mondial au XVIe s. après la conquête de l’Amérique puis s’accroît dans la seconde moitié du XIXe s., stimulé par l’adoption du libre-échange par l’Angleterre et la colonisation européenne. Les deux guerres mondiales et la crise de 1929 ralentissent le mouvement qui reprend après 1945. Le Gatt (General Agreement on Tariffs and Trade) en 1947, remplacé par l’OMC (Organisation mondiale du Commerce) en 1995, fixe des règles commerciales en vue de libérer le commerce mondial et d’abaisser les barrières douanières. L’OCDE à partir de 1960 promeut l’idéologie du libre-échange tout en veillant à discipliner la concurrence.
notamment des services financiers ; l’accroissement de la concurrence internationale par la libération accrue du commerce et des investissements ; le rôle primordial des nouvelles technologies de l’information et de la communication. La fin des économies planifiées en Europe de l’Est après 1989 a accéléré le processus de libéralisation. Plutôt que de créer une entreprise ex nihilo, comme dans la période précédente, les FMN prennent désormais la forme de réseaux composés d’un centre, la maison-mère, et d’une nébuleuse de sociétés aux statuts variés (coopération, alliances stratégiques, fusions, acquisitions). La firme-réseau disperse dans des pays différents, la production, la conception, le financement et la commercialisation.
À l’internationalisation des marchés s’ajoute la deuxième étape, la mondialisation des investissements directs à l’étranger (IDE), dans le secteur des matières premières dès 1950, puis dans le secteur industriel après 1960. Les pays industriels font fabriquer une part de leur production à l’étranger : ce sont des multinationales qui délocalisent. Les plus puissantes sociétés pétrolières américaines et anglaises sont les principales firmes multinationales (FMN) jusqu’aux années 1970, relayées ensuite par les FMN européennes et japonaises.
Cependant, depuis les années 1990, une opposition à cette évolution de la mondialisation se fait jour. À Rio, en 1992, année du Sommet de la Terre, la notion de développement durable est mise en avant : les objectifs économiques actuels ne peuvent hypothéquer les choix des générations futures. Fortes de cette idée, des ONG (Organisations non gouvernementales : ex. Oxfam, Amnesty International, Médecins sans frontières…) profitent de la conférence de Seattle en 1999 pour critiquer l’OMC qui, par ses règlementations, sape les législations nationales et nuit à l’environnement, à la santé publique et à la diversité culturelle car « le monde n’est pas une marchandise ». Le terme « altermondialisation » s’impose alors pour désigner une autre mondialisation dont les revendications sont diverses mais avec un dénominateur commun : le rejet d’une société organisée sur la base d’une économie libérale de marché. Ce mouvement s’est amplifié à la suite de la crise financière de 2008. ■
Enfin, depuis les années 1980, le processus connaît une troisième étape significative, sous la forme de la « globalisation » ou mondialisation proprement dite. Elle se caractérise par une plus grande mobilité des ressources nationales à l’échelle internationale et une interdépendance de plus en plus grande des États. Le processus de mondialisation a été favorisé par la libération des mouvements de capitaux et la déréglementation,
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CONCEPTS
> Nationalisme
Caractéristiques
CONCEPTS
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Nationalisme
L
e nationalisme est une doctrine considérant l’intérêt de la nation comme plus important que celui des particuliers qui la composent (nation = groupe social établi sur un territoire défini, présentant une unité historique, politique et culturelle). Cette notion est une idée moderne qui n’apparaît qu’à la fin du XVIIIe s. En effet, patriotisme et nationalisme sont des notions étrangères dans l’esprit de la plupart de nos ancêtres européens. De l’Antiquité au Moyen Âge, les hommes n’ont guère le sentiment d’appartenir à une communauté nationale : ils sont liés à une cité, à une dynastie royale ou seigneuriale, à l’Église, à une communauté religieuse ou même professionnelle.
de l’Europe. Entre 1820 et 1848, de nouvelles révolutions éclatent. Les idées tant de la Révolution française que de la philosophie des Lumières se propagent, et les inégalités engendrées par le Congrès de Vienne entretiennent le nationalisme. Deux grands États dominent l’Europe vers 1850 : l’Autriche-Hongrie et l’Empire ottoman. Tchèques, Serbes, Slovènes, Croates, Bosniaques, Polonais, Italiens, Bulgares, Roumains, etc. réclament leur indépendance. Il faut souligner aussi le morcellement de l’Allemagne et de l’Italie dans des États différents, notamment sous la domination autrichienne. En Belgique, le nationalisme flamand se manifeste dès 1830.
Jusqu’au Moyen Âge, aucun principe ne repose sur la nation mais bien sur la notion d’un Empire chrétien universel hérité de Constantin Ier (entre 270 et 288-337) et de Charlemagne (entre 800-814). Le Saint Empire romain germanique, né en 962, est fondé sur le même principe : il s'étend sur plusieurs pays européens actuels et ne disparaît qu'en 1806 (victoire de Napoléon). Les guerres, les rivalités économiques, politiques ou religieuses entre royaumes et principautés d’Europe ont cependant nourri, au fil des siècles, ce que nous appelons le nationalisme.
La montée du nationalisme va provoquer la Première Guerre mondiale. L’origine du nationalisme est variée. La propagation du libéralisme en Europe occidentale alimente les sentiments nationaux. Certains peuples revendiquent le droit à disposer d’eux-mêmes, poussés par la défense de la liberté et de la souveraineté populaire. C’est le cas des Belges en 1830 qui se séparent de l’occupant hollandais. Le nationalisme trouve aussi son origine dans des idées conservatrices, c’est le droit des princes, des rois, etc. qui souhaitent souligner les spécificités culturelles, religieuses ou linguistiques de la nation et s’opposent ainsi à la domination des Empires autrichien ou ottoman. ■
En 1815, la plupart des États européens possèdent des régimes absolutistes, excepté l’Angleterre où règne une monarchie parlementaire depuis 1689. Les idées libérales se diffusent aux quatre coins
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CONCEPTS
CONCEPTS
> Socialisme
Caractéristiques
Caractéristiques
Capitalisme Système dans lequel le pouvoir économique appartient à des propriétaires privés qui détiennent les moyens de production et dont le but est la recherche du profit dans le cadre d’une économie de marché.
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Socialisme
L’
idéologie socialiste se forme pendant la première moitié du XIXe s. à la suite de la prise de conscience des antagonismes sociaux qui s’aggravent en Europe. La révolution industrielle et l’essor du capitalisme sont à l’origine de la misère ouvrière qui pose un problème nouveau : celui de la croissance rapide des richesses matérielles en opposition avec l’appauvrissement croissant de ceux qui les produisent. Ainsi la « question sociale » suscite des courants de pensée divers. Les théories « sociales » (le terme socialisme n’est guère employé avant 1848) tentent de concilier production de biens et meilleure répartition de ceux-ci. Saint-Simon (1760-1825), Fourier (1772-1838), Owen (1771-1858), Proudhon (1809-1865) construisent des utopies, de vastes constructions sociétales qui seront condamnées par Marx (1818-1894) qui leur oppose un socialisme « scientifique ».
toutefois parvenir au communisme véritable, est la Russie lors de la Révolution d’octobre 1917.
Marx propose de mettre fin aux rapports d’exploitation d’une classe (prolétariat) par une autre (bourgeoisie), en supprimant la propriété privée des moyens de production. Pour y parvenir le socialisme doit être révolutionnaire : la concentration plus poussée des moyens de production dans les mains d’une classe sociale de plus en plus réduite permettra facilement au prolétariat nombreux et exploité, de renverser par la force le système capitaliste. Une fois détruit, le système socialiste peut s’édifier. Après une phase de dictature du prolétariat menée sous la direction d’un parti d’avant-garde de la classe ouvrière, la disparition des classes sociales permettra de passer à la phase du dépérissement de l’État et au communisme caractérisé par une répartition des revenus obéissant au principe : de « chacun selon ses capacités » à « chacun selon ses besoins ». Le premier pays à s’engager dans cette voie, sans
Aujourd’hui le terme social-démocratie désigne le socialisme réformiste non marxiste et ne se confond plus avec le communisme. En matière économique, le socialisme défend la doctrine keynésienne (du nom de l’économiste Keynes)alliant initiative privée et intervention de l’État qui est considéré comme garant de la cohésion sociale par son action redistributive. La société sans classe n’est plus un objectif mais les inégalités sociales doivent être combattues contre les excès du capitalisme. Le socialisme n’est plus une idéologie défendant une seule classe (les ouvriers), mais l’ensemble des travailleurs dont les conditions de travail et de vie doivent être améliorées (réduction des heures de travail, congés payés, droit à la retraite…). La social-démocratie considère que le capitalisme est le meilleur système économique (le communisme a montré sa faillite après 1989) mais il faut l’aménager plutôt que de chercher à le remplacer. ■
Face à cette vision marxiste du socialisme, le socialisme réformiste à la fin du XIXe s., revendique la possibilité d’une transformation pacifique du capitalisme par la réforme, appuyée par l’alliance entre les prolétaires et les « classes moyennes » que la dynamique du capitalisme ne fait pas disparaître. Ce socialisme renonce donc à la vision matérialiste de l’histoire, à l’idée d’un effondrement inéluctable du capitalisme et affirme que la conquête pacifique du pouvoir est possible. Le POB (Parti ouvrier belge), par exemple, fondé en 1885 et devenu PSB (Parti socialiste belge) en 1945, précisera qu’il luttera contre le capitalisme par tous les moyens qui sont en son pouvoir et notamment par l’action politique, économique, syndicale, coopérative, mutuelliste et éducative.
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CONCEPTS
CONCEPTS
> Stratifications sociales
Caractéristiques
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Stratifications sociales
U
ne stratification sociale est une division de la société en groupes sociaux distincts. Il existe une inégalité de conditions et une hiérarchie entre ces différents groupes. Les différentes stratifications que l’on peut observer au cours de l’histoire se distinguent entre elles par les critères qui les ont déterminées : la naissance, le patrimoine, les revenus, le type de profession, la fonction, le mode de vie, l’éducation, les idées, les valeurs, etc. La hiérarchie marquée entre les strates est due à une inégale répartition au sein d’une société sur le plan de la fortune ou du patrimoine, des privilèges et des droits, du prestige, ou encore du pouvoir. Les critères déterminant une hiérarchie sociale permettent d’identifier trois principaux types de sociétés : la société d’ordre, la société de classe et la société de caste. Dans la Grèce antique, la société est divisée en trois catégories principales déterminées par les droits : les esclaves, hommes, femmes et enfants non libres, n’ont aucun droit ; les métèques, qui sont des hommes libres étrangers, jouissent de certains droits, mais n’ont pas accès aux fonctions politiques, et les citoyens…
la Révolution de 1789 qui abolira les ordres et proclamera l’égalité des droits. Dans une perspective de société de classes, la différenciation sociale se fait selon la fortune des individus et leurs capacités de consommation. La notion de classe sociale trouve son origine dans le bouleversement provoqué par la révolution industrielle en Grande-Bretagne dans le dernier tiers du XVIIIe siècle et tout au long du XIXe siècle en Europe et aux ÉtatsUnis. Marx (1818 – 1883) distingue la bourgeoisie, ou classe capitaliste, propriétaire des moyens de production et le prolétariat, ou classe ouvrière, qui n’a que sa seule force de travail à vendre. Si les relations entre ces deux classes sont, en principe, égalitaires, car fondées sur le contrat passé entre des individus libres et égaux, dans la réalité elles sont fondées, dit Marx, sur l’exploitation de la classe ouvrière par la bourgeoisie. Il en résulte un conflit de classes qui est, selon lui, le moteur de l’histoire en ce sens que la victoire de la classe dominée sur la classe dominante est source de transformation sociale. Un style de vie identique, des intérêts communs et quelquefois une conscience d’appartenir à un même groupe, unifie chaque classe. Il a existé aussi des sociétés organisées en castes, c’est-à-dire constituées de groupes sociaux fermés, basés sur des critères religieux. La société indienne en est un bon exemple. Les castes, d’origine divine selon la tradition brahmanique, étaient fondées non sur la richesse ou les privilèges politiques, mais sur la participation des groupes au sacré. Elle comptait quatre castes : les brahmanes ou prêtres, les guerriers, les agriculteurs et commerçants, tous ceux qui s’adonnaient aux occupations serviles. Il existait aussi des « hors-caste », les Intouchables, méprisés par tous. Bien que l’État indien ait supprimé légalement le système des castes à l’époque de Nehru, cette division reste vivante dans la société indienne. On continue à naître ou à se marier au sein d’une caste. ■
Dans l’Ancien Régime, on distingue trois ordres ou états : le clergé, la noblesse et le tiers état. C’est la naissance qui détermine l’appartenance à un ordre. Les membres du haut clergé sont tous issus de la noblesse, ceux du bas clergé, du tiers état. À chaque ordre sont attachés des droits et des devoirs. Par exemple, seuls les nobles ont le droit de porter l’épée, d’avoir des armoiries et d’être officiers dans l’armée du roi. En échange, ils doivent servir le roi à leurs frais et ne peuvent travailler ou exercer une activité commerciale. Clergé et noblesse sont exempts d’impôts. Le tiers état est constitué de tout le reste : bourgeoisie financière et marchande, fonctionnaires du roi, artisans, paysans… travaillent et paient l’impôt. En France, c’est 383
CONCEPTS
Index Les mots repris dans l’index peuvent renvoyer à des pages présentant d’autres formes du mot sélectionné. Ex. « Anarchisme » peut renvoyer aussi à « anarchie » ou « anarchique ».
A
Absolutisme 104-105, 107, 109, 122, 351, 367, 378 Acropole 29, 31, 178, 198, 264 Adoubement 70-71, 289 Albert I 130, 331-332 Alphabet 19, 21, 23, 50, 54, 99, 263 Altermondialisme 167, 376-377 Anarchisme 180, 211, 222, 374 Ancien Régime 102, 104, 109, 219, 322, 383 Anglicanisme 210, 212 Anthropomorphisme 27, 79, 292 Antisémitisme 138, 238, 240 Aristote 81-82, 178, 201, 214-216 Armistice 129, 131, 141, 145, 234 Assolement biennal 26, 67, 87, 342 Assolement triennal 64, 66-67, 87, 342 Athènes 24-26, 29, 31, 178-181, 264-265, 326, 363, 367 Aztèque 74-79, 208, 280-281
B
Babylone 19-20, 23, 175-176 Bagdad 56-58, 81-82, 132, 199, 201, 262-263, 275, 286 Ban 70 Bandung 149, 152, 369 Baroque 102, 214, 216-219, 351 Baudouin 231, 246, 248, 331 Blocus 116, 243 Bombe atomique 141, 144, 336 Bouddha 94, 97, 99 Bouddhisme 94, 97-100, 197 Bourgeois 89-91, 103-107, 114-115, 122, 205, 232-234, 301, 324, 328, 331-332, 351-352, 361, 363, 367, 381, 383 Breendonk 141, 241, 298-299 Byzance 40, 48, 72, 365
C
Califat 54, 56-58, 199, 201, 274275 Calvin 211 Calvinisme 210-212 Capitalisme 83, 116-117, 121, 125-126, 136, 139, 160, 167, 209, 233, 235, 238, 243, 255-256, 301, 324-325, 360-361, 373, 380-381 Carolingien 60-65, 70, 72, 202-203, 276-277 Caste 45, 100, 256, 262, 382-383 CECA 154-157, 314 Charlemagne 63-65, 73, 202-203, 276-277, 379 Château 68, 70, 85, 90, 204, 284-285, 290-291 Chevaliers 39, 41, 51, 69-70, 90, 201 Childéric 61-62, 192 Chine 46-47, 51, 56-57, 80, 82, 94-99, 101, 117, 119-120, 128, 132, 142, 144, 151, 160, 162, 165-166, 194-197, 206-207, 212, 220-221, 254-256, 262, 270-271, 306, 342, 344, 369, 373 Christianisme 48-54, 61-64, 186187, 198-201, 210-212, 272, 354, 365 Cité 24-27, 32-34, 38, 40-41, 44, 77, 160, 174-180, 290-291, 326, 362-363, 373 Citoyen 25-26, 38-42, 106, 158, 178-181, 186-187, 269, 315, 317, 326-329, 346, 363, 367 Citoyenneté 41, 179, 240, 310, 327, 348, 350, 362-363 Clergé 64, 71, 83, 89-91, 103, 106-107, 177, 210-213, 234, 383 Clovis 61-63, 192 Code 20, 53, 107, 227, 263, 346-347 Colbert 88, 376 Colomb, Christophe 74, 206-208
Colonie 26-28, 41, 48, 104-105, 116-121, 128, 132, 146, 148-153, 161, 186, 208, 220, 228-231, 238, 246-249, 328, 364-365, 373 Colonisation 24, 26, 101, 114, 120-121, 148-149, 152, 160, 228-231, 364-365, 372, 377 Commerce triangulaire 208 Commonwealth 117, 148-150, 152-153 Communisme 115, 124-126, 134-135, 142-147, 149, 151, 157, 233-235, 238, 243-245, 254-255, 300-301, 324-325, 328, 360, 374, 380-381 Concile de Trente 210, 212, 354 Confédéralisme 314, 370-371 Confucianisme 96-97, 99 Confucius 97 Congo belge 153, 228, 230, 246, 364 Congrès de Vienne 103, 108-109, 116, 118, 129, 133, 222, 379 Conquistadores 74, 77, 208 Consommation 126, 161-162, 236-237, 307, 312, 336-338, 341, 343-345, 353, 369, 382-383 Constantinople 40, 48-53, 56, 61, 81, 94-96, 119, 207, 275 Constitution 39, 104-107, 109, 122, 127, 155, 159, 221-223, 232, 315, 325, 333, 347, 371, 378 Contre-Réforme 212, 216 Copernic, Nicolas 81-82, 214 Cordoue 56-58, 198-201, 274-275 Corporation 69, 88-89, 114, 135, 205 Cortés 75, 77, 208, 280 Cour 46, 58, 62-63, 77, 82, 90, 93, 155-156, 162, 190, 273-275, 277, 283-285, 290-291, 319, 330, 351, 359 Crise agricole 88, 226
Crise économique 86, 106-107, 109, 126, 133-134, 136, 161, 226, 236-239, 313, 316, 325, 329, 337, 375 Crise industrielle 88 Croisade 51, 53, 58, 66, 71-72, 211, 365, 373 Croissance 68, 83, 111, 114, 126, 128, 134, 146, 161, 254, 256, 312, 334, 337-343, 348, 361, 368-369, 373, 377, 381
D
Décolonisation 145-146, 148, 153, 246-249, 302, 364 Décroissance 338, 340-341 Défrichement 32, 66, 224, 342 Délocalisation 161, 166-167, 377 Démocratie 102-103, 133, 137, 141, 146-147, 153, 157-158, 163, 178181, 231-232, 234, 242, 256, 300, 324, 326-329, 337, 354-355, 357, 362-363, 366-367, 373-374 Despotisme éclairé 102-104 Développement durable 337, 340, 345, 368-369, 377 Dictature 123-124, 133-135, 137, 141, 153, 157, 212, 231, 233, 235, 256, 303, 322, 357, 366-367, 381 Dominion 117, 149, 161 Droits régaliens 70, 90-91, 203 Dumping 114
E
Échanges commerciaux 68, 160, 162, 190, 195, 238, 252 Économie de marché 163, 360, 373, 375, 380 Économie planifiée 235, 254 Économie-monde 160 Écriture 12, 18-21, 23, 32, 35, 44-45, 54, 65, 76, 99, 100, 170, 177, 205, 262-263, 276-277, 292 Encomienda 208, 363 Épuration 126, 137-138, 150, 153 Érasme 81-82, 210 Esclavage 26, 62, 180, 230, 363
Esclave 25-26, 35-37, 39-42, 51, 53, 57, 77-78, 176, 178, 180, 185, 187, 189, 196, 208, 310, 326, 363, 367, 383 Étalon-or 161, 163-164, 338 État-providence 367, 375 Égalité 38, 102, 104, 115, 116, 120, 125, 144, 148, 151, 227, 231-235, 247, 327-328, 330, 346-349, 355, 363, 367, 373, 375, 383 Eugénisme 139 Euro 250-253, 361 Évangélisation 50, 62, 99, 101, 207, 230, 355 Évolution 11-14, 33-34, 43, 67-69, 71-72, 87, 95-96, 102, 107, 109, 224, 246-247, 336-337, 340, 346, 377 Expansion coloniale 110, 116, 119 Expressionisme 296-297, 352
F
Famine 66, 87-88, 110, 114, 126, 161, 310-311, 322 Fascisme 133-135, 141, 241 Fédéralisme 314-317, 370-371 Féminisme 346-349 Féodalité 64, 69-71, 203, 221, 328 Fief 70-71, 221 FMI 161-162, 255, 320, 339 Foires 67-68 Fondamentalisme 354-356 Franchise 69, 205
G
Galilée 187, 214-216 Gandhi 149-150 GATT 161-162, 377 Génocide 133, 138, 184, 240, 365 Gothique 85, 275, 278-279 Grande Charte 67, 73 Grèce 24-26, 28, 43, 50, 109, 157, 179, 183, 251, 266, 328, 363, 365, 367, 383 Guerre Mondiale 119, 121, 123, 127, 128, 131, 133-136, 139-146, 148-149, 151-152, 154, 162, 165, 230, 232, 239-241, 243, 247, 296,
298-299, 311, 314, 318-319, 325, 328, 331-332, 334, 336, 338, 346, 348, 352, 361, 369, 371, 375, 377, 379 Guerres de religion 211
H
Harvey 214 Henri VIII 212 Hitler 133, 135-141, 239-241, 331, 352 Ho Chi Minh 149, 151 Hommage 70-73 Huguenots 211, 310 Humanisme 80-83, 350 Humaniste 48, 81-82, 210-211, 282
I
Impérialisme 116-121, 128-129, 143, 152-153, 220-221, 230, 372-373, 378 Imprimerie 80-81, 98, 210, 300 Incas 74-76, 208, 342 Indépendance 21, 23, 35, 95-96, 105, 109, 112, 120, 140, 144-153, 162, 180, 212, 223, 228, 230-231, 246-249, 289, 293, 302-303, 313, 317, 320-321, 331-333, 347, 364, 369, 379 Indo-européen 19-20, 24, 44-45, 100, 186 Inflation 209, 247, 251-252, 256, 339 Institutions européennes 154-159, 305 Intégrisme 354-356 Investiture 66, 71, 73 Islam 46, 50, 54-59, 72, 94-95, 100, 197, 198, 201, 207, 274-275, 286, 354, 356, 373 Islamisme 356-357 Istanbul 48-49, 51, 94
J
Jachère 37, 67, 189, 224, 342 Jésuites 99, 212, 217-218 Judaïsme 46, 50, 54, 186-187, 354-355
K
Kepler 214 Keynes 325, 339, 361, 375, 381
L
Laboureurs 69, 89 Le Brun 284-285 Le Nôtre 284-285 Lénine 122-126, 131, 232-235, 294-295, 324 Léonard de Vinci 81-82, 84, 334-335 Léopold I 223, 289 Léopold II 117, 119, 228-230, 247, 293 Léopold III 331 Lettre de cachet 92, 105 Libéralisme 89, 102-103, 105, 110, 115, 236, 254-256, 288, 301, 325, 334, 346, 354-355, 360, 374-375, 378-379 Libre-échange 161-163, 377 Livret ouvrier 114, 227 Louis XIV 88, 92-93, 104, 106, 212, 218, 284-285, 311, 351 Luther 210-211 Luthéranisme 210-211, 213
M
Mahomet 48, 55-56, 59, 274, 356 Mainmorte 68, 89 Mansart 284 Marché commun 156, 158 Marco Polo 81, 98, 160, 206-207 Marx, Karl 115, 122, 124, 233-234, 324-325, 328, 381, 383 Mercantilisme 88, 376 Mérovingien 60-63, 192, 203, 277 Métayers 114 Métèque 25, 326, 363, 367, 383 Mexico 74, 77-78, 209, 280-281 Michel-Ange 81-84 Migration 18, 32, 34, 44-45, 189, 191, 310-313, 365 Mode de vie 12, 32, 34-35, 44, 46-47, 54, 57, 167, 170, 182, 185, 189, 193, 337, 343, 383 Monarchie 38, 72, 86-87, 91, 93, 97, 103-104, 107-109, 223, 331, 351, 379
Monarchie absolue 102-104, 106-107, 122, 289, 366 Monde bipolaire 143, 147 Mondialisation 83, 100, 160-163, 165-167, 197, 257, 306, 312, 318, 367, 369, 375-377 Mongols 44, 46, 48, 50, 56, 95-98, 100, 195, 197 Monnet, Jean 154-156 Monothéisme 23, 27, 54, 354 Mouvement indépendantiste 149, 152, 231, 246, 249, 316 Mouvement nationaliste 149, 246-247 Multinationale 161, 165, 377 Mussolini 119, 133-135, 140, 352-353
N
Napoléon 53, 103, 107-108, 116, 332, 347, 379 Nationalisme 95, 102, 109, 128130, 136, 147, 148, 161, 246, 248, 288, 316, 318, 330, 332, 356, 378-379 Nazi 133, 136-138, 141, 240-241, 297-299 Nazisme 136 Néo-colonialisme 153, 364 Néolithique 12-13, 17, 32, 170-171, 173, 195, 261, 270 Noblesse 70, 73, 76, 78, 83, 89-91, 103-107, 122, 205, 209, 351, 383 Nomade 12, 14, 18-19, 23, 44-48, 54, 60, 94, 96, 100, 171 189-190, 195, 197, 270, 342 Nuremberg 135, 138, 190, 240-241
O
OCDE 161, 163, 312, 339, 377 Oligarchie 178-180, 363, 366 OMC 161-163, 320, 377 ONU 142, 249, 310-311, 319-320, 337, 340, 349 Oracle 27 Ordre 28, 30, 69, 71-72, 90-91, 106, 212-213, 327-328, 382-383 Ottoman 48-49, 56, 61, 94-95, 118, 121, 129-130, 132-133, 148, 379
P
Paléolithique 12, 14-15, 17, 195, 260-261 Pangermanisme 119, 129, 373 Parthénon 29, 181, 264-265 Périclès 180, 264, 326 Peste 27, 49, 52, 66, 86-87, 110, 196, 336 Philippe Auguste 67, 72-73 Philosophie des Lumières 102-103, 105-107, 221, 289, 322, 334, 375, 379 Pizarro 74-75, 208 Plan Marshal 301, 331 Polythéisme 19, 27, 41, 55, 186 Portulan 67, 206 Privilèges 86, 89-91, 96, 105-107, 205, 383 Proche-Orient 12-15, 18, 21, 23, 32, 34, 45, 56-57, 94, 130, 132, 160, 170, 177, 263, 271, 336, 365 Produit National Brut (PNB) 114 Prolétariat 114, 122, 124, 233, 324, 328, 352, 381, 383 Protectionnisme 89, 110, 161-162, 238, 316, 338, 376 Protectorat 118-119, 192 Protestant 91-92, 210-212, 216, 222, 310-311, 355 Ptolémée 206-208 Pyramide 19, 78-79, 233, 281
Q
Question royale 331
R
Réforme 71, 159, 180, 210-213, 221, 244-245, 247, 254-256, 316, 322, 324, 327, 330-332, 347, 371, 381 Réformisme 322, 324-325 Religion 22-23, 27-28, 34, 36, 41-42, 45, 48, 54-56, 59, 61, 64, 76, 78-79, 82, 91, 95, 97, 99, 100, 102, 107, 150, 171-172, 186-187, 189, 194, 197, 210-211, 234, 354-355 Rembrandt 216, 351 Renaissance 48, 53, 58, 64-65, 80-84, 197, 213, 276, 279, 282, 334, 350
Révolution 47, 81, 86-87, 98, 102-104, 106-107, 109-110, 116, 122-126, 129, 137, 144-146, 153, 169-170, 173, 196, 199, 212, 214-215, 222, 226, 232-235, 245, 252, 254, 261, 289, 294-295, 311, 317, 322, 324-325, 332, 337-338, 342-343, 345-346, 357, 361, 367, 379, 381, 383 Révolution américaine 104-106, 328 Révolution belge 103, 109, 222-223, 324 Révolution française 102, 105, 107, 109, 113, 116, 328, 346, 363, 367, 379 Révolution industrielle 86-87, 98, 110-111, 114-115, 120, 122, 128, 160-161, 220, 224, 227, 229, 311, 318, 334, 347, 352, 361, 369, 381, 383 Rideau de fer 142 Roman 82, 202-203, 278-279 Romantisme 103, 288-289 Rome 25, 32, 34, 38-43, 48, 50, 61, 63, 65, 81, 84, 96, 134-135, 154, 156-157, 159-160, 183-188, 191-192, 205, 211-212, 217, 268-269, 277, 283, 326, 339, 348, 354, 363 Route de la soie 160, 194-197, 273 Rubens 216-217, 351
S
Sacrifice 27, 6, 78-79, 265, 281
Samarkand 46-47, 58, 194, 197 Scribe 22, 175, 177, 262-263, 276-277 Sédentarisation 12, 18, 44, 87, 93 Ségrégation 149, 247 Seigneurie 66, 68-71, 89-92, 105, 205, 208 Senghor 149, 152-153 Shoah 141, 240-241, 298 Sionisme 356 Social-démocratie 125, 324-325, 381 Socialisme 115, 122, 125-126, 135137, 139, 141, 142, 232-235, 255, 301, 324-325, 331, 347, 352, 354, 360-361, 374, 380-381 Société de castes 45, 100, 256, 382-383 Société des Nation (SDN) 119, 133, 140, 142, 318-320 Société d‘ordres 91, 328, 382-383 Souveraineté 40, 102, 104, 107, 117, 179, 203, 249, 251, 303, 314, 328, 367, 378-379 Sparte 25-26, 178-179 Staline 123, 125-127, 140-142, 144-145, 234-235, 238, 300-301, 322, 352 Stratification sociale 382-383 Suffrage censitaire 107, 109, 223, 327, 328, 347, 363, 367 Suffrage universel 133, 157, 227, 232, 324-325, 328, 347, 363, 367, 375
Supranationalité 154-157, 314-315
T Table Ronde 248 Taoïsme 97 Templo Mayor 79, 209, 280-281 Tenochtitlan 75, 77-79, 280-281 Tiers État 89-91, 106, 383 Totalitarisme 93, 127, 134-137, 141, 352-353 Tournai 61-62, 185, 205, 278-279 Trente Glorieuses 161, 338, 361 Turcs 44, 46, 48-49, 51-53, 56-58, 72, 94-96, 195, 207, 365 Tyrannie 93, 178-180, 326
U Urbanisme 85, 99, 174-177, 185, 199
V Vassal 64, 70-71, 73, 83, 186 Versailles 103, 105, 128, 133, 136, 140, 219, 223, 284-285, 318 Ville 18-23, 34, 38-39, 41, 48-53, 56-58, 60-62, 67-69, 73, 83, 86, 89-91, 98, 112, 114, 170, 174-177, 180, 183-185, 187-191, 198-201, 204-205, 247, 268-269, 275, 279, 283, 312, 348, 363, 365
W Wahhabisme 355-356
Table des matières GRAND ANGLE Préhistoire Les mondes de la Préhistoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
Antiquité Le monde du Proche-Orient antique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le monde grec . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le monde des Celtes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le monde romain. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
18 24 32 38
Moyen Âge Les mondes nomades . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’Empire romain d’Orient . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le monde islamique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les mondes mérovingien et carolingien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le monde européen médiéval . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
44 48 54 60 66
Temps modernes Le monde amérindien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’Europe de la Renaissance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’Ancien Régime. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les mondes orientaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
74 80 86 94
Époque contemporaine Le temps des révolutions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102 Les transformations économiques et sociales au XIXe siècle . . . . . 110 L’impérialisme européen . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116 Le monde russe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122 La Première Guerre mondiale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128 Fascismes et Seconde Guerre mondiale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134 La Guerre froide . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142 Les décolonisations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148 L’Europe en construction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154 La mondialisation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160
388
FOCUS Préhistoire La « révolution » néolithique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170
Antiquité La naissance de l’urbanisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’émergence du citoyen . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La conquête des Gaules . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le début du christianisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
174 178 182 186
Moyen âge La fin de l’Empire romain d’Occident . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La Route de la soie, échanges entre l’Orient et l’Occident . . . . Al Andalus, l’apogée de l’Espagne musulmane . . . . . . . . . . . . . Le traité de Verdun, symbole du morcellement féodal . . . . . . . L’impact des villes sur la société . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
188 194 198 202 204
Temps modernes La conquête du Nouveau Monde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les réformes religieuses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La science moderne et l’art baroque au XVIIe siècle . . . . . . . . . . . Chine et Japon : l’ouverture forcée à l’Occident . . . . . . . . . . . . .
206 210 214 220
Époque contemporaine La Révolution belge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La révolution industrielle en Belgique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le Congo, terre d’exploration et de colonisation . . . . . . . . . . . . Les révolutions russes de 1917. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La crise économique de 1929 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La Shoah, un crime contre l’humanité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le mur de Berlin ou la division de l’Europe en deux blocs . . . . . L’indépendance du Congo belge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Une monnaie européenne unique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les États émergents, nouvelles puissances mondiales . . . . . . .
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222 224 228 232 236 240 242 246 250 254
PATRIMOINE Préhistoire Lascaux, premières expressions artistiques . . . . . . . . . . . . . . . . 260
Antiquité Les premières écritures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le Parthénon à Athènes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La tombe princière de Vix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le forum romain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Moyen âge Des murailles contre les incursions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’église de San Vitale à Ravenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La grande mosquée de Cordoue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’Évangéliaire de Charlemagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La cathédrale de Tournai . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
270 272 274 276 278
Temps modernes Le Templo Mayor à Mexico . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La chambre des époux de Mantegna . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Versailles, château et jardins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le Taj Mahal en Inde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
280 282 284 286
Époque contemporaine Épisode des journées de septembre 1830 de Wappers . . . . . . . Un site industriel, le Grand-Hornu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les « arts premiers » africains . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Un film, Le Cuirassé Potemkine d’Eisenstein . . . . . . . . . . . . . . . . Le Cri de Munch . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le fort de Breendonk . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les affiches politiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Une chanson, Indépendance cha-cha . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Une caricature politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le jeans, un vêtement universel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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288 290 292 294 296 298 300 302 304 306
REGARDS rétrospectifs
Les migrations, un phénomène nouveau ? . . . . . . . . . . . . . . . . L’État-nation doit-il disparaître ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Vers un gouvernement mondial ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Révolutions ou Réformes ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Suffit-il d’élire des individus pour parler de démocratie ? . . . . La Belgique, une construction du XIXe siècle sans avenir ? . . . . . Les progrès scientifiques : avancées réelles pour l’humanité ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La croissance à tout prix ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Peut-on nourrir toute la planète ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le féminisme, est-il encore nécessaire ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’art, reflet de la société ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les religions sont-elles toujours des intégrismes ? . . . . . . . . . .
310 314 318 322 326 330 334 338 342 346 350 354
CONCEPTS Capitalisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Citoyenneté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Colonisation et migration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Démocratie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Développement et sous-développement . . . . . . . . . . . . . . . . . . Fédéralisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Impérialisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Libéralisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Mondialisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Nationalisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Socialisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Stratifications sociales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Crédits iconographiques Note : h = haut, b = bas, m = milieu (en hauteur), d = droite, g = gauche, c = centre (en largeur). © Adam Woolfitt/Corbis p. 19 : h ; © Alain Nogues/Sygma/Corbis p. 13 ; © Anaïs Martane/Corbis p. 166 ; © Andrew Holbrooke/Corbis p. 307 : g ; © Araldo de Luca/Corbis p. 29 : h d, p. 39 ; © Archéologie Ardennaise p. 14 : b ; © Atlantide Phototravel/Corbis p. 254 ; © Bettmann/Corbis p. 95 : b, p. 103 : h d, p. 111 : h, p. 113 : h g, p. 129, p. 132 : m d, p. 134 : b g, p. 135 : b, p. 138 : b d, p. 139 : h, p. 144 : h, p. 150, p. 151 : h, p. 154, p. 155, p. 156 : d, p. 170, p. 234, p. 237 : h et b, p. 238, p. 240, p. 243, p. 248, p. 249 ; © BnF p. 62, p. 65 : g et d, p. 67, p. 70 : h, p. 79 : h d, p. 91, p. 105, p. 107 : g, p. 192, p. 200 : b, p. 201, p. 202, p. 203 : h d, p. 204, p. 276, p. 277 : h et m, p. 325 ; © Breendonk Mémorial, p. 298 : h et b, p. 299 ; © Brian Lee/Corbis p. 256 ; © Brian Snelson p. 51 : b ; © British Museum, Londres, p. 20 : b, p. 59 : h d ; © Cameraphoto/Scala, Florence p. 51 : h ; © Cat’s Collection/Corbis p. 294 ; © Christel Gerstenberg/Corbis p. 49 : h ; © Christie’s Images/Corbis p. 95 : h ; © Christophe Finot p. 184 : h ; © Condé Nast Archive/Corbis p. 306 : m g ; © Corbis p. 88 : d, p. 126, p. 132 : b d, p. 233, p. 239 ; © David Lees/Corbis p. 52 ; © DeAgostini Picture Library/Scala, Florence p. 17 : d, p. 27, p. 130 : b, p. 279 : h ; © DUfoto/Foto Scala, Florence p. 241 : d ; © EmDee p. 274, p. 275 : h d ; © Galerie nationale d’Oslo p. 296, © Galpha p. 275 : m d ; © Gianni Dagli Orti/Corbis p. 17 : g, p. 77 : h g, p. 188 ; © GrandHornu/photo Philippe De Gobert p. 290, p. 291 : g et d ; © Guido Baviera/Grand Tour/Corbis p. 272 ; © Hao Wei p. 270 : g ; © Henri Bureau/Sygma/Corbis p. 231 ; © Heritage Images/Corbis p. 36, p. 117 : h, p. 221 : h g, p. 235 ; © Holger Weinandt p. 64 : g ; © Hulton-Deutsch Collection/Corbis p. 118 : h g et h d, p. 122 : b, p. 125 : b d, p. 142, p. 152, p. 225, p. 229 : d, p. 297 ; © Icelight p. 75 ; © Images. com/Corbis p. 157 : h ; © Imaginechina/ Corbis p. 165 ; © Institut archéologique du Luxembourg p. 185 ; © Jean-Christophe Benoist p. 284 : g ; © JeanDaniel Sudres p. 260 ; © Jean-Marc Charles/Sygma/Corbis p. 16 : h ; © Jean-Pol Grandmont p. 171 : m d, p. 172 : b, p. 278 ; © Josep Renalias p. 173 ; © Kanegen p. 97 ; © KBR p. 66, p. 222, p. 223 : g ; © Keltenmuseum p. 33 : h d ; © Kroll p. 304, p. 316, p. 327 ; © Lebrecht/Lebrecht Music & Arts/Corbis p. 119 ; © Leemage/Josse p. 195 ; © Leonard de Selva/Corbis p. 120 ; © LPLT p. 273 : h ; © LuxTonnerre p. 98 ; © Manuel Litran/Corbis p. 153 : b ; © Marie Mauzy/Scala, Florence p. 28 : h ; © matpaperart. com p. 323 ; © Michael Nicholson/Corbis p. 136, p. 144 : b, p. 151 : b ; © Michael Norcia/Sygma/Corbis p. 164 ; © Morton Beebe/Corbis p. 79 : b d ; © MRBAB p. 171 : h d, p. 288 ; © Musée des Beaux-arts de Budapest p. 92, p. 161 : m d ; © Musée des Beaux-arts de Charleroi p. 224 ; © Musée des Celtes de Libramont p. 34 ; © Musée du Pays Châtillonnais p. 266, p. 267 : g et d ; © Musée du quai Branly, photo Thierry Ollivier/Michel Urtado/Scala, Florence p. 293 ; © Musée gallo-romain de Lyon/photo C. Thioc p. 35 : h ; © Musée royal de l’Afrique centrale, Tervuren p. 292 ; © Myrabella p. 284 : d ; © Nathan Benn/Corbis p. 311 ; © Nik Wheeler/Corbis p. 19 : b ; © Nitot p. 70 : b ; © Okapi07 p. 61 ; © Paris - Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Emilie Cambier p. 130 : h ; © Peter Turnley/Corbis p. 147 : b d, p. 242 ; © Photo Art Media/Heritage Images/Scala, Florence p. 47 : h ; © Photo Art Resource/Bob Schalkwijk/ Scala, Florence p. 78 ; © Photo Austrian Archives/Scala, Florence p. 138 : b g ; © Photo Fine Art Images/Heritage Images/Scala, Florence p. 217 : b ; © Photo Scala, Florence/Heritage Images p. 108 : h ; © Photo Scala, Florence p. 29 : h g et b, p. 50, p. 79 : b g, p. 90 : d, p. 180, p. 187 : h d et m d, p. 215 ; © Photo Scala, Florence - courtesy of the Ministero Beni e Att. Culturali p. 38, p. 76, p. 282, p. 283 ; © Photo Stapleton Historical Collection/Heritage Images/Scala, Florence p. 131 : b ; © Photo The Print Collector/Heritage-Images/Scala, Florence p. 132 : b g ; © Photo Werner Forman Archive/Scala, Florence p. 21 : g, p. 22 : h, p. 264 : d ; © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Agence Bulloz p. 285 : h ; © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Droits réservés p. 223 : d, p. 285 : b ; © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Franck Raux p. 103 : h g ; © RMNGrand Palais (Domaine de Chantilly) / Harry Bréjat p. 90 : g ; © RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly) / René-Gabriel Ojéda p. 68, p. 72, p. 118 : b ; © RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) / Christian Larrieu p. 263 : h c ; © RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) / Franck Raux p. 46 : h, p. 262 : g ; © RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) / Gérard Blot p. 262 : d ; © RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) / Hervé Lewandowski p. 40 : d, p. 56, p. 59 : m d, p. 108 : b, p. 186 ; © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi p. 63 : b d ; © RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) / Les frères Chuzeville p. 40 : g ; © RMN-Grand Palais (Musée du Louvre)
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L’éditeur remercie ceux qui ont accepté de lui accorder l’autorisation de publier, dans le présent ouvrage, les extraits dont ils détiennent les droits. En dépit de ses recherches et sollicitations, l’éditeur n’a pas réussi à joindre certains ayants droits. Qu’ils soient avertis ici qu’il reste à leur disposition pour satisfaire, le cas échéant, à la législation sur le droit d’auteur.
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