Guilhou_2009

January 5, 2018 | Author: Angelo_Colonna | Category: Osiris, Horus, Religion And Belief
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Guilhou_N_2009...

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Nadine GUILHOU, chercheur associé à l’Institut d’Égyptologie François-Daumas, Université Paul-Valéry Montpellier 3, IVe Rencontres archéozoologiques de Lattes, UMR 5140 - CNRS, Université Paul-Valéry Montpellier 3, 26 juin 2009.

Lézards et geckos dans l’Égypte ancienne

Le lézard ou gecko fait partie des signes hiéroglyphique. C’est un idéogramme, répertorié I 1 dans la liste Gardiner (ci-dessus). L’animal y est vu de dessus. En l’absence de compléments phonétiques, il est susceptible de plusieurs lectures : aSA (âcha), HntAsw (hentasou), les deux vocables ne semblant pas se rapporter à des animaux différents 1. Outre la désignation de l’animal, aSA sert à écrire le mot « beaucoup, nombreux », ce qui se conçoit aisément. Malgré ce, paradoxalement, les lézards restent rares dans l’iconographie et la littérature funéraire et magique par rapport à l’omniprésence des serpents.

1 Désignation et identification 1.1 Désignation Le vocabulaire ne semble pas distinguer entre lézard et gecko. La seule mention sûre du gecko est « lézard blanc », dans le papyrus Brooklyn 47.218.48, expression utilisée lors de la description d’un serpent : « Quant au serpent henep, il est tout entier blanc, comme un lézard blanc » 2. La mention de « lézard noir » 3, pourrait s’appliquer au lézard gris – on ne connaît pas d’expression de la couleur grise en égyptien –, mais aussi à certains geckos ou scinques, la couleur étant très variable selon les espèces et l’habitat.

1.2 Emploi en médecine L’animal intervient à plusieurs reprises dans les papyrus médicaux, qui emploient pour le désigner le terme hentasou 4. Le papyrus Ebers (98, 9-11) fournit l’exemple le plus intéressant, bien qu’obscur, puisque le lézard y est utilisé contre des animaux non identifiés, 1

Pour les noms démotiques et coptes, voir P. VERNUS, dans P. VERNUS, J. YOYOTTE, Bestiaire des Pharaons, A. Viénot, Perrin, Paris, 2005, p. 334-336 et 764, en particulier p. 334 et références p. 764, Noms du lézard. 2 Serge SAUNERON, Un traité égyptien d’ophiologie, papyrus du Brooklyn Museum N°s 47.218.48 et 85, BiGen XI, Ifao, Le Caire, 1989, § 23, p. 17-18. 3 Papyrus Ebers 66, 18 ; voir le commentaire de S. Sauneron, ibidem. 4 Pour un aperçu commode des textes médicaux, voir Th. BARDINET, Les papyrus médicaux de l’Égypte pharaonique, 1995, p. 362. L’emploi de HntAsw dans le contexte médical, à l’exclusion de aSA, pourrait indiquer une préparation spécifique : lézards séchés ? Le terme est cependant utilisé dans d’autres contextes. Pour une utilisation possible de lézards/geckos séchés, voir infra p. 16.

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appelé smt, ceux-ci étant à leur tour utilisés pour détruire le lézard, les deux sortes d’animaux se trouvant ainsi unis dans un rapport de réciprocité : « Autre prescription pour tuer les animaux semet : un lézard (hentasou), placé sur la flamme, de telle sorte qu’ils meurent. Prescription pour tuer le lézard : des animaux semet, placés sur la flamme, de telle sorte qu’il meure ». Une telle prescription illustre bien l’ambiguïté de l’animal, supposé efficace pour éliminer un animal dont on souhaite se débarrasser, et lui-même nuisible, sans que soit précisé à quoi 5. Lézard (Bln III, 2 ; VIII, 8) et lézard noir (Eb. 66, 18), sang de lézard (Eb. 63, 13 ; 63, 14-18), excréments de lézard (Eb. 59, 13-14), font partie des ingrédients entrant dans la fabrication de potions destinées respectivement à favoriser la repousse des cheveux, chasser un cil tordu dans l’œil, éliminer une formation dans l’œil 6. Ces diverses indications se retrouvent chez Pline 7.

1.3 Aspect et identification Il n’est pas toujours aisé, lorsque le signe ou la représentation sont stylisés et en l’absence d’échelle, de distinguer entre lézard, gecko ou varan. Voire crocodile, dans les exemples modelés qui surmontent le couvercle de sarcophages miniatures, tous de Basse Époque, tels ceux conservés à l’Université de Tübingen, au Musée d’Aix-les-Bains, au Petrie Museum ou à Copenhague 8. Selon S. Schoske et D. Wieldung, le lézard pourrait renvoyer à 5

Il faut peut-être prendre en compte dans cette prescription d’une part le rapport pluriel (des animaux semet) / singulier (le lézard), d’autre part un jeu possible sur le nom semet (« qui font mourir ? » ou « qu’on doit faire mourir » ?) et le verbe « tuer » (sema). Pour le texte, voir Grundriss V, 528 (Eb. 850 et 851) ; pour la lecture smt et non smr, voir Grundriss VII/2, p. 754. La recette fait partie d’un groupe de préparations destinées à la protection de la maison. On sait que le gecko vit dans les maisons. Selon le Papyrus des Jours fastes et néfastes (voir Chr. LEITZ, Tagewählerei : Das Buch HAtnHH-pH.wy-Dt und verwandte Texte, ÄgAb 55, Wiesbaden, 1994, p. 86-89), les lézards gagnent les buttes et les demeures des hommes les II akhet 26 et 27, chassés par la montée des eaux de la crue, constituant un danger pour les hommes. Aujourd’hui encore en Égypte, le gecko n’y est pas le bienvenu, accusé d’abîmer le sel, voire d’empoisonner les aliments. Voir par exemple N.B. HANSEN, « Leaping Lizards ! Poisonous geckos in ancient and modern Egypt », in Z. HAWASS, L. PINCH BROCK (ed.), Egyptology at the Dawn of the Twenty-first Century: Proceedings of the Eight International Congress of Egyptologists 2, Le Caire, 2003, p. 290-297. L’histoire de la façon dont ces animaux ont été perçus demanderait un long développement, qui dépasse le cadre de cet article. 6 BARDINET, op.cit., p. 319, 313, 307. 7 PLINE, Histoire naturelle XXIX, par A. ERNOUT, Les Belles Lettres, Paris, 1962, respectivement 108 (alopécie), 116 (élimination d'un cil gênant) et 129-130 (affections oculaires). Pour ces dernières, il n'est pas encore question dans les papyrus médicaux égyptiens des recettes cruelles supposées les guérir, comme le rapportent Pline, puis Marcello, et attestées sur les gemmes magiques (par exemple S. MICHEL, Bunte Steine – Dunkle Bilder; „Magische Gemmen“, Munich, 2001, n° 92, p. 85-86 et pl. XV, avec bibliographie). 8 E. BRUNNER-TRAUT, H. TRAUT, Die Ägyptische Sammlung der Universitat Tübingen, Mainz, 1981, pl. 107, n° 1683 a et b, et vol. Texte p. 236 et 253. Ce petit sarcophage contenait une momie de musaraigne. L’animal sur le couvercle est qualifié dans le catalogue de « reptile ». La longueur du museau évoquerait plutôt la tête d’un crocodile. Pour le sarcophage 051.5 d’Aix-les-Bains, cité p. 131 (n° 280), très proche, voir S. RATIE in Annecy, musée-château, Chambéry, musées d’art et d’histoire, Aix-les-Bains, musée archéologique, collections égyptiennes, Paris, 1984, p. 280, n° 200, en bronze, identifié comme un gecko. Voir aussi, également en bronze, W.M. Flinders PETRIE, Amulets, Londres, 1914, réimpr. Warminster, 1972, n° 101 a, b, c, pl. XIII et p. 26. Enfin M. MOGENSEN, La Glyptothèque Ny Carlsberg, la collection égyptienne, Copenhague, 1930, pl. LVIII, A 440 et A 441. Le premier document, plus effilé, est qualifié de « lézard », le second, comportant trois animaux côte à côte, de « crocodile », dans le vol. Texte p. 191. Voir enfin S. SCHOSKE, D. WILDUNG, Gott und Götterin im

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l’aspect masculin d’Atoum, tandis que le serpent évoquerait son aspect féminin, les deux animaux pouvant être représentés conjointement. Comme le « fils de la terre » (une désignation du serpent), le lézard se déplace au ras du sol, caractère qui a conduit à son utilisation comme déterminatif dans la graphie du verbe dmj, « toucher, être en contact avec » et du substantif dmj, au sens de « quai, bordure » (Wb V, 453, 6-456, 7). C'est sans doute ce trait qui les a fait associer tous deux à Atoum 9. La couleur dans les représentations peintes n’est pas non plus forcément un critère : les serpents peuvent, aussi bien que les lézards, être colorés en vert clair ou en bleu 10. Le vert, couleur de la renaissance, peut être utilisé pour sa valeur symbolique indépendamment de toute représentation réaliste [fig. 1]. Sur les sarcophages, les geckos peuvent être aussi dessinés au trait, avec remplissage éventuel. Ainsi, A. Moret décrit les lézards du treizième génie du sarcophage Caire CG 41001 bis comme « mouchetés de points noirs » 11, transcription possible de l’aspect écailleux, des rugosités ou des ocelles. Pour une identification plus certaine, mieux vaut se fier à des représentations en bas-relief très détaillées, comme Chapelle blanche [fig. 2] et chapelle d’Amenemhotep Ier [fig. 3], qui ont permis d’identifier certains genres, voire espèces 12. D’un point de vue zoologique, les différentes familles de reptiles qui nous intéressent (Lacertidae, Gekkonidae, Agamidae, Scincidae) sont représentées en Égypte. Les genres Hemidactylus, Ptyodactylus et Tarentola pour les Gekkonidae, Uromastyx pour les Agamidae, sont probablement les plus fréquemment figurés 13.

2 Iconographie En dehors de son utilisation dans l’écriture hiéroglyphique, le lézard peut être représenté en tant qu’animal. On le trouve à l’occasion parmi les animaux du désert, dans les scènes de chasse, comme sur le relief Berlin 14593 14. Ces représentations restent rares, en particulier sur ostracon : un seul exemple, « hâtif et sommaire (…), tracé d’un trait lourd à l’encre noire », est signalé parmi les ostraca de Deir el-Medineh 15. Alten Ägypten, Mainz am Rhein, 1992, pour le lézard de bronze n° 53, p. 80, d’époque romaine, qui pourrait provenir également du couvercle d’un sarcophage miniature. Pour les ossements et momies de lézards, voir les références données par H. BONNET, Reallexikon des aegyptischen Religionsgeschichte, Berlin, 1952, s.v. Eidechse, p. 164-165 et E. BRUNNER-TRAUT, LÄ I, col. 1204-1205, s.v. Eidechse. 9 Pour le rapport des serpents et des lézards, êtres primitifs, avec la création et Atoum, voir l’article de Bonnet, RÄRG. 10 Ces deux couleurs appartiennent en Égypte à la même gamme chromatique, qui associe bleu clair et vert d’une part, bleu foncé et noir d’autre part. Les descriptions des publications des sarcophages tardifs donnent souvent le bleu ou le vert comme couleur pour ces animaux. 11 Treizième génie, p. 25. Les références aux publications des sarcophages sont données note 39. 12 Genre uromastyx pour le premier, en raison de ses longs doigts et de sa queue barbelée ; peut-être ptyodactylus pour le second. Voir aussi de beaux exemples dans N.M. DAVIES, Picture Writing in Ancient Egypt, Londres, 1958, pl. V, 1 et p. 30 ; Beni Hasan I, pl. 17 ; III, fig. 24, p. 13. 13 J. ANDERSON, Zoology of Egypt, vol. I, Reptilia and Batrachia, Londres, 1898, réimpr. 1965, pl. IV à 11 et p. 35 à 125. P. VERNUS, op.cit., p. 764. 14 Relief provenant d’une tombe de la XIIe dynastie ; voir H. SCHÄFER, Principles of Egyptian Art, traduction de John BAINES, Oxford, Griffith Institute, 1986 (éd. revue; 1e éd. Clarendon Press, 1974), fig. 150, p. 163. On peut voir une bonne reproduction couleur sur le site du Poznán Archaeological Museum, http://www.muzarp.poznan.pl/muzeum_new/muz_eng/wystawy_stale/egipt/zycie_codz/zycie_codz.html. 15 J. VANDIER D'ABBADIE, Catalogue des ostraca figurés de Deir el-Medineh n° 2001 à 2255, Le Caire 1936, 1° fasc., p. 62, n° 2239.

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2.1 Vases, sceaux, bijoux Le lézard est épisodiquement présent sur la poterie dès la période de Nagada 16. Selon l’expression de J. Vandier, le lézard du vase du British Museum (BM 53885) « est un véritable chef-d’œuvre ». Deux lézards constituent les anses d’un vase en serpentine du musée du Louvre 17. Il apparaît ensuite isolément sur des sceaux à l’Ancien Empire. W.M.Fl. Petrie en mentionne deux, provenant de Qau et datés de la IVe dynastie 18. Il fait partie des sujets qui semblent disparaître sur ce site dès la VIe dynastie et pourraient selon lui avoir pour origine les tribus libyennes 19. D’autres exemples regroupent plusieurs lézards ou l’associent à d’autres figures : singe, scorpion (?), figure humaine 20. On peut aussi le voir au-dessous d'un hippopotame dans un fourré de papyrus, devant un signe de vie, au-dessous d'une abeille 21. Si l'on considère que des scarabées contemporains montrent l'abeille au-dessus d'un ennemi stylisé ou maîtrisant deux gazelles 22, et si l'on peut penser, avec les auteurs de l'ouvrage, que l'abeille représente le roi, le lézard pourrait être une figuration de l'ennemi. Cependant, il est aussi nettement en rapport avec le signe de vie, et ces documents soulignent donc son ambivalence. Sur un exceptionnel collier d’or de la XVIIIe dynastie, conservé au British Museum, de petits lézards alternent avec des fleurs en bouton dont ils sont séparés par des perles de cornaline (fig. 4) 23. Si le lézard est supposé être un symbole de régénération 24, selon le commentaire de l'image citée, on peut aussi penser que l'une des fonctions essentielles de ce bijou était d'écarter certains ennemis (c'est d'ailleurs la valeur de la cornaline) et d'assurer un rôle de protection. ,

Nous avons déjà noté les exemples modelés sur les sarcophages miniatures. C’est cependant essentiellement dans le domaine funéraire qu’il faudra chercher des mentions et des représentations du lézard.

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J. VANDIER, Manuel d’archéologie égyptienne I/1, p. 270, 276 (n. 3) = A. SCHARFF, « Some prehistoric vases in the British Museum and remarks on egyptian prehistory », JEA XIV, 1928, p. 261-276, en particulier p. 263 et pl. XXV, 4. 17 Ibidem, p. 372, n. 3. 18 W.M. Flinders PETRIE, Buttons and design Scarabs, BSAE 38, Londres, 1925, pl. V, n° 293 et 294 et p. 2. 19 L’animal n’apparaît cependant pas sur les gravures rupestres; voir J.-L. LE QUELLEC, P. et Ph. DE FLERS, peintures et gravures d’avant les pharaons du sahara au Nil, Études d’égyptologie n° 7, Collège de France, Paris, 2005. 20 PETRIE, ibidem. Pour plusieurs lézards ou l’animal associé à d’autres figures, voir pl. I, n° 38 et 40 ; pl. II, n° 102 à 108 ; pl. III, n° 163 à 172 ; pl. V, n° 303, 321, 333 ; p. 2, 5 et 8 pour les commentaires correspondants ; pl. XVII et p. 25 pour l’exemplaire de la XVIIIe dynastie ; voir aussi, de la même époque, les exemples donnés par G. FRASER, A catalogue of the scarabs belonging to George Fraser, Londres, 1900, n° 207 ; Fouad S. MATOUK, Corpus du scarabée égyptien, I, Les Scarabées royaux, Beyrouth, 1971, n° 354 et 355, p. 68 et 185. Sur ces deux exemples, le lézard est utilisé pour écrire le mot aSA, « nombreux » (soldats en l’occurrence). 21 O. KEEL, Chr. UEHLINGER, Altorientalische Miniaturkunst, Mainz am Rhein, 1990, XXIe-XXIIe dyn., fig. 107 l, p. 81. 22 Ibidem, fig. 102a et c, p. 78. Les différents scarabées sont en couleur sur la pl. 12. Selon les auteurs, le lézard peut être mis pour ‘š3. 23 BM EA 3081; voir C. ANDREWS, Ancient Egyptian Jewellery, British Museum publications, Londres, 1990, p. 174, 160 b. 24 Les Égyptiens ne semblent pas avoir exploité en ce sens la capacité du lézard à régénérer sa queue, non plus que la mue du serpent, à la différence de ce qu’on peut voir en Mésopotamie, avec le mythe de Gilgamesh pour ce dernier aspect, par exemple.

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2.2 Lézards et geckos dans le domaine funéraire : les génies gardiens, schéma iconographique 2.2.1

Textes des Sarcophages

Le Livre des Deux Chemins, recueil qui orne la paroi de fond de certains cercueils de cette époque, est illustré de quelques vignettes où apparaît pour la première fois le type iconographique du génie gardien tenant en mains des geckos. Anthropomorphe, parfois doté d’une tête d’animal, il peut être accroupi, voire debout, mais est le plus souvent assis sans siège. Le plus ancien exemple de ce schéma est fourni par ce Livre des Deux Chemins où des génies à tête d’animal (félin, bélier, scarabée), assis dans le vide, brandissent serpents et/ou geckos [fig. 5]. Ces êtres à multiples apparences, dont les chapitres 1076 et 1077 donnent les noms, sont chargés de garder le chemin, jalonnant le cheminement du défunt dans les ténèbres comme ils le font pour celui de la barque du soleil nocturne, selon les chapitres 1069 et 1179 analysés infra. Du point de vue iconographique, on remarquera que les génies funéraires tiennent presque toujours les animaux à la racine de la queue, juste derrière les pattes, plus rarement plus bas sur la queue, ce qui a conduit à penser qu’il pouvait s’agir d’animaux desséchés ou de simulacres, ou encore de scinques 25. C’est peut-être une méthode sûre pour bien maintenir l’animal et l’empêcher de s’échapper, à condition que celui-ci soit de grande taille, et surtout pour éviter que la queue ne se casse. Elle n’est en effet pas fragile à cet endroit. Il s’agit avant tout, cependant, de montrer l’animal bien visible, dressé, dans une pose dynamique, ce qui va à l’encontre des représentations d’Horus (ou Bès) maîtrisant les animaux sur les cippes magiques, où les différents animaux – également maintenus par la queue, même pour le lion ! – sont souvent tête en bas 26. 2.2.2

Reliefs / tombes royales

Le même schéma iconographique est repris à la XIXe dynastie dans le temple funéraire de Séthy Ier à Abydos 27, où trois génies protègent le réveil d’Osiris, comme l’indique très clairement leur légende respective : « Il donne la vie à Osiris Merenptah » ; « il donne la vaillance à Menmaâtrê » ; et « il donne la victoire à Osiris Merenptah ». Le premier, à tête de bélier, brandit deux geckos [fig. 6] ; le second, à tête humaine, un gecko et un serpent ; le troisième, également à visage humain, deux serpents. Des divinités semblables protégeaient l’entrée dans l’antichambre de la tombe de Ramsès III, décor aujourd’hui détruit (voir note 55). On en trouve également dans l’antichambre de la tombe de Psousennès, à Tanis 28. 2.2.3

Groupes statuaires

Ces exemples, en particulier ceux du temple funéraire de Séthy Ier, permettent d’identifier des statues de bois, dont les plus anciennes proviennent de la tombe de Thoutmosis III. L’une d’elles, un peu plus tardive, figure un dieu à tête de bélier, assis, bras 25

Ce détail a frappé certains auditeurs lors de la présentation de cette communication. Cette remarque se fait l’écho de leurs réflexions. 26 C’est le cas en particulier du lion, du scorpion et plus largement des animaux à longue queue, tandis que les animaux à longues cornes, tel l’oryx, sont tenus par les cornes, et donc tête en haut et pattes pendant dans le vide. Queue et cornes sont les éléments de préhension. Il n’en reste pas moins que l’attitude victorieuse des geckos tenus par les génies funéraires s’oppose à la position de vaincus des animaux maîtrisés par Horus ou Bès. 27 Chapelle de Sokar, paroi gauche = PM VI, p. 24 (220-221). 28 Représentations commentées infra.

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levés 29. Les attributs, aujourd’hui disparus, qu’il brandissait ainsi étaient probablement des serpents ou des geckos [fig. 7], comme en témoigne un gecko fragmentaire en bois conservé au British Museum 30. Le caractère chthonien du bélier est souligné par la couleur : la statue, comme l’ensemble du groupe auquel elle appartient, est en effet recouverte d’un vernis résineux noir. Cette représentation en 3D est reprise à la période saïte dans les groupes statuaires de la tombe de Montouemhat. Les statues, en pierre sombre, de trente à cinquante centimètres de haut, associant deux, parfois trois, divinités, y étaient placées dans la chambre funéraire, dans dix-huit niches. Entourant le sarcophage, elles veillaient sur lui. L’une d’entre elles représente un génie anthropomorphe en position demi assise, tenant un gros lézard de son bras replié. La légende donne son nom, Irourenefdjesef, « Celui qui a fait son nom luimême » 31. Une autre regroupe deux des Enfants d’Horus, Hâpy et Imséti. Ce dernier porte un lézard dans chaque main 32. Un dernier groupe associe Sekhem-her, « Celui au visage triomphant », Haqou, « le Pillard », tenant tous deux des lézards, et un troisième génie mal conservé 33. Les différentes divinités montant la garde autour du corps momifié d’Osiris, sur la vignette du chapitre 182 du Livre des Morts de Mouthetepet [fig. 8], analysée infra, assurent la même fonction, de même que celles qui se déploient sur les parois extérieures du naos d’Amasis qui, selon J. Yoyotte, a pu contenir une statue d’Osiris Hemag 34. Dans le premier cas, les génies occupent les registres supérieur et inférieur pour signifier qu’ils entourent la momie. Dans le second, ils sont figurés en bas-relief tout autour du naos renfermant la statue, et donc là encore selon les trois dimensions, comme ils le feront sur les sarcophages tardifs. 2.2.4

Sarcophages des XXIe et XXIIe dynasties

On retrouve ensuite nos gardiens brandissant geckos et serpents à l’intérieur des sarcophages des XXIe et XXIIe dynasties, sur les côtés, de part et d’autre de la momie, l’entourant [fig. 9], ou encore sur le fond, de part et d’autre de la figure centrale, donc toujours garantissant sa protection 35. Ils y voisinent avec d’autres divinités maîtrisant des serpents ou munies de couteaux. Souvent peints de couleurs vives, ils revêtent là des apparences très diverses, en conformité avec la richesse iconographique de ce type de cercueils. Momiformes, le plus souvent accroupis mais parfois debout, ils sont généralement 29

BM EA 50702, provenant de la tombe de Ramsès IX. C’est le plus probable, même si des couteaux ne sont pas à exclure. Même si la représentation du temple funéraire de Séthy Ier à Abydos associe des geckos à une divinité criocéphale, la confrontation avec les génies des sarcophages d’époque tardive va plutôt dans le sens de serpents ou de couteaux. Pour ce document, voir en dernier lieu, le commentaire de Marc Étienne dans le Catalogue de l’exposition Les Portes du Ciel, Visions du monde dans l’Égypte ancienne, Paris, Musée du Louvre, 6 mars-29 juin 2009, Paris, 2009, cat. 120, p. 154-155. On trouvera une photographie du gecko du British Museum EA 2018 dans le catalogue de l’exposition Journey through the afterlife. Ancient Egyptian Booh of the Dead, J.H. Taylor (éd.), Londres, 2010, p. 200, n° 99. 31 J.-.J. CLERE, « Deux groupe inédits de génies-gardiens du quatrième prophète d’Amon Mentemhat », BIFAO 86, Le Caire, 1986, p. 99-106 et pl. III, en particulier B, C et D ; J. LECLANT, Montouemhat : quatrième prophète d’Amon, prince de la ville, BiblEtud XXXV, Le Caire, 1961, p. 113-115. 32 R. FAZZINI, Images for Eternity, Egyptian Art from Berkeley and Brooklyn, The Fine Art Museum of San Francisco and the Brooklyn Museum, 1975, p. 113, cat. 95. 33 Musée d’archéologie et des Beaux Arts de Besançon, 37 ; cité par LECLANT, op.cit. Bonne reproduction dans Les Portes du ciel, cat. 124, p. 157. 34 J. YOYOTTE, « Le grand Kôm el-Ahmar de Menûfiyeh et deux Naos du Pharaon Amasis », BSFE 151, p. 5483. Pour une analyse de ces différents naoi, voir N. Spencer, A Naos of Nekhthorheb, Religious Iconography in the 30th Dynasty, Trustees of the British Museum, Londres, 2006, consultable en ligne, http://www.britishmuseum.org/pdf/156 Bubastis 0prelims-all chapts-Append-Bibliog-Index of Mus objects.pdf 35 Le fond de ces sarcophages est souvent occupé par une grande figure en pied de la déesse de l’Occident. 30

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dotés d’une tête d’animal, le plus souvent chacal, faucon ou serpent, mais aussi vautour ou sarcelle : on peut véritablement les qualifier d’êtres aux multiples visages 36. Les exemples abondent. Les papyrus contemporains, dits « mythologiques » font également état d’une grande variété. On mentionnera des exemples aussi divers que la divinité anonyme portant une plume de Maât en guise de tête, demi assise, comme esquissant un pas de danse, qui combine gecko, serpent et couteaux [fig. 10] et le génie momiforme accroupi à tête de chacal ou d’âne 37, un gecko dressé sur ses genoux [fig. 11] 38. 2.2.5

Compagnies de génies gardiens d’époque tardive (Basse-Époque, époque ptolémaïque et romaine)

Ils passent enfin à l’extérieur des sarcophages (cuve, comme BM 29779, mais aussi couvercle, comme CG 41001 bis) de Basse Époque. Les exemples sont nombreux 39. L’un des plus remarquables, qui est aussi le plus ancien, puisque appartenant à l’origine à Merenptah, est celui de Psousennès, à Tanis [fig. 12]. Il a lui-même servi de modèle au décor de la paroi ouest du vestibule de sa tombe, déjà mentionné [fig. 13]. Nos divinités appartiennent alors à 36

CG 6044 pour le vautour, 6048 pour la sarcelle. Voir A. NIWINSKI, La seconde trouvaille de Deir el-Bahari, I/2 (CG 6029-6068), Le Caire, 1995, p. 8 et pl. III, 1 pour le premier, p. 35 et pl. V, 1 pour le second. Voir aussi infra note 47 pour d’éventuels génies à tête d’âne (sarcophage Leyde AMM 16). 37 Voir ci-dessous 2.2.6.3 pour une discussion sur ce type de génie. 38 La première provient du papyrus de Baou-Mout-er-Nekhtou, Louvre 3069, A. PIANKOFF, N. RAMBOVA, Egyptian religious Texts and Representations 3, Mythological Papyri I-II, Pantheon Books, Bollingen Series 40, New-York, 1957, n° 13, p. 128-129 ; le second du papyrus de Djed-Khonsou-iouef-ânkh II, Caire 166, ibidem, n° 22, p. 171-176. 39 – Sarcophage de Psousennès : P. MONTET, La nécropole royale de Tanis II, Les constructions et le tombeau de Psousennès à Tanis, Paris, 1951, p. 115-117 et pl. LXXXIV-LXXXV (côté 3) et LXXXVI-LXXXVII (côté 4) ; pour la paroi est du vestibule, ibidem, p. 33-34 et pl. XIV. – British Museum 6666A = EA 29779, Thèbes, XXIIe-XXVIe dynasties [fig. 1]. – Caire CG 41001bis, A. MORET, Catalogue général des antiquités égyptiennes du Musée du Caire : Nos 4100141041, Sarcophages de l’époque bubastite à l’époque saïte, Le Caire, 1913, p. 23-29, plus particulièrement 25 et 27. – Caire CG 29301, G. MASPERO, Catalogue général des antiquités égyptiennes du Musée du Caire. Sarcophages des époques persane et ptolémaïque I, Le Caire, 1914, p. 42 et pl. IV (côté est) et V (côté ouest). – CG 29303, ibidem, p. 99-100 (ouest) et 107 (est), pl. XII (paroi est) et XIII (paroi ouest). – CG 29304, ibidem, p. 132 (côté ouest) et 137 (côté est), respectivement pl. XVII et XVIII. – CG 29610, ibidem, II, p. 42-55 et pl. XV, bas. – Sarcophage de Khaïf, G. DARESSY, « Fragments de deux cercueils de Saqqarah. B- Cercueil de Khaïf », ASAE 17, 1917, p. 5-24, en particulier p. 8 et 11. – Sarcophage Ermitage n° 766, LD III, 276g. – Sarcophage Copenhague, Glyptothèque Ny-Carlsberg ÆIN 299 ; O. KŒFŒD-PETERSEN, Catalogue des sarcophages et cercueils égyptiens, Copenhague, 1951, pl. XCIX. Il s’agit d’un génie isolé, anonyme, en tête d’une file qui se déploie, de façon originale, sur deux registres séparés par un registre d’inscription. Les autres génies portent pour la plupart des couteaux. Ils entourent la momie, installée sur la barque solaire tirée par des chacals, illuminée par le disque ailé à tête de faucon. – Naos d’Amasis, Leyde AM 107 = C9 ; P.A.A. BOESER, Beschreibung der aegyptischen Sammlung, Die Denkmaler der saitischen, griechisch-römischen, und koptischen Zeit, Milan, 1915, pl. V, dos, côté e, droit (par rapport au fond du naos, dit « gauche » dans la publication. Le nom du deuxième génie n’est pas lisible. Peutêtre y a-t-il un autre porteur de geckos sur le côté gauche (d), pl. IV. – Dendara, chapelle osirienne est n° 3 ; voir S. CAUVILLE, Dendara, Les chapelles osiriennes, Le Caire, Ifao, 1997, X/1, p. 194, nos 11 et 12 ; 195, n° 27 ; 197, n° 28 ; X/2, pl. dessin 94 et 95, planches photographique 123 et 124. La référence à la chapelle osirienne est n° 2 (= Dendara X, 134, 4 ; 135, 5 ; 145, 6 ; 146, 2) est donnée à titre de comparaison, car située dans le cadre des veillées horaires (voir infra). Les génies n’y sont pas porteurs de lézards.

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une théorie de génies gardiens qui s’est peu à peu constituée et codifiée, révélant différentes strates. Elle réunit certains gardiens des corridors d’Osiris tels qu’il figurent dans les chapitres 144 à 147 du Livre des Morts 40 ; de nouveaux venus, apparaissant au Nouvel Empire dans les tombes royales (Taousert et Sethnakht), de reines (Titi) et de princes (Amonherkhepechef et Khâemouaset) sur les reliefs et peintures, éventuellement complétés de statues du type de celles mentionnées plus haut ; des divinités provenant de divers recueils funéraires ; enfin des dieux protecteurs plus connus et directement préposés à la garde du cadavre, comme les Enfants d’Horus, présents sur les parois extérieures de la cuve des sarcophages royaux du début de la XVIIIe dynastie et sur les cuves à canopes. Ces compagnies, comportant quelque soixante à soixante-dix membres, se déploient parallèlement sur les deux longs côtés de la cuve ou du couvercle. Elles peuvent également être ordonnées en registres superposés sur le dessus du couvercle (CG 29310). Les personnages se font alors face de part et d’autre de l’axe central. Chaque dieu y est généralement accompagné d’une courte colonne, portant son nom (voir infra). Une ligne horizontale, courant en haut de la cuve, sert parfois de titre cadre, faisant d’eux et de leur fonction une présentation globale. Les porteurs de geckos, le plus souvent anthropomorphes, répondent à deux schémas iconographiques : assis sans siège, bras relevés, brandissant un animal de chaque main, selon le motif établi dès le Moyen Empire ; debout, jambes légèrement fléchies, bras ballants, les lézards restant dressés, toujours tenus juste au-dessous des pattes arrière, à la base de la queue (par exemple CG 29303). Avant de nous intéresser à leur identité et à leur rôle, il nous reste à présenter quelques figures singulières. 2.2.6

Autres divinités : génies à tête d’âne ; dissimulation et mise en scène

Nous avons retenu ici trois exemples sur papyrus qui présentent un certain nombre de particularités. 2.2.6.1

Papyrus de Nesipaherân 41

Sur ce bel exemplaire de papyrus « mythologique », daté des XXIe-XXIIe dynasties, donc contemporain des sarcophages évoqués précédemment et appartenant comme eux au milieu de prêtres et de lettrés thébains, l’âme ba du défunt, perchée sur sa tombe, se présente devant une file de vingt-trois divinités auxquelles elle adresse des louanges. La plupart d’entre elles sont debout, momiformes. Certains sont des formes du soleil nocturne telles qu’elles apparaissent dans les Litanies de Rê, ayant pour fonction d’assurer la justification, d’empêcher le corps de se putréfier, d’écarter les ennemis et êtres hostiles et de le conduire vers le ciel et la lumière. Nous ne retiendrons ici que la dix-septième figure [fig. 14]. Debout, de profil, il tient entre ses mains un gecko, ne s’écartant guère en cela du schéma défini plus haut, sinon que, ses bras étant emmaillotés, seules dépassent ses mains. Il ne peut donc montrer l’animal de façon ostentatoire comme de coutume. Il est doté d’une tête d’âne, soigneusement représentée. Le défunt l’invoque en ces termes : 40

Tel Wnm-HwAAt, « Celui qui mange les déjections », gardien du troisième corridor, à tête de tortue, que l’on retrouve parmi les statues provenant des tombes royales (BM 61416, tombe de Thoutmosis III, et 50704, tombe d’Horemheb). Voir à ce sujet l’article de L. PANTALACCI, « WNM-@WAA& : Genèse et carrière d’un génie funéraire », BIFAO 83, 1983, p. 297-311. 41 Il s’agit du papyrus Skrine 2, à la Bodleian Library, Oxford, qui a fait l’objet d’un article de A.M. BLACKMANN, « The funerary papyrus of Nespehera’an », JEA V, 1918, p. 24-35 et pl. V ; plus récemment, B. MATHIEU, « Le voyage dans l’au-delà, un papyrus funéraire illustré », Egypte. Afrique & Orient 5, juin 1997, p. 19-25, en a proposé une traduction et un commentaire.

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« Ô, Celui aux apparences mystérieuses (^tA-xpr.w), issu de (la salle) des Deux Maât, tu permettras à l’âme ba de l’Osiris (…) Nesipaherhân de monter au ciel, de traverser le firmament et de fraterniser avec les astres du ciel » 42. Il assume donc un rôle de passeur. La tête d’âne est surprenante. En effet, cet animal n’apparaît guère, en contexte funéraire, sinon pour figurer l’ennemi. Il en est ainsi sur la vignette du chapitre 40 du Livre des Morts, où il est lui-même avalé par un serpent. Deux ânes remplacent cependant les lions de l’horizon dans la tombe de Nakthamon à Deir el-Medîna (TT 335), ce qui leur confère là aussi un rôle positif de gardiens de l’accès à l’espace céleste dans l’au-delà 43. On connaît d’autre part des génies gardiens à tête de gazelle (sur ce même papyrus) ou de tortue (gardien du troisième corridor d’Osiris), faisant également partie des êtres hostiles. L’apparence de ce génie est donc tout aussi ambiguë que le gecko qu’il tient. 2.2.6.2

Papyrus de Mouthétepet (BM 10010) 44

Atypique également, la vignette du chapitre 182 du Livre des Morts de Mouthetepet, datant du Nouvel Empire. Au centre, le corps momifié d’Osiris est veillé par Isis, Nephthys et les quatre Enfants d’Horus. De part et d’autre, sur les registres supérieur et inférieur, des génies brandissent couteaux, serpents ou geckos [fig. 8]. Parmi les quatre porteurs de geckos du registre supérieur, à côté des traditionnelles divinités assises à tête de bélier et de chacal, prend place une divinité, également assise, à tête d’hippopotame semble-t-il. Un dieu serpent au sein pendant, debout, un gecko dans la main droite, ferme la marche. Tous les reptiles sont colorés en noir. Au registre inférieur, les génies portent serpents et couteaux. Parmi eux se distingue un dieu à tête de canidé. Debout, de face, dans une posture théâtrale, il tient en mains deux couteaux 45. Le papyrus de Nesykhonsou, à Deir el-Bahari (maintenant Louqsor J 25) propose une version simplifiée de cette vignette. 2.2.6.3

Papyrus de Ta-Ched-Khonsou (Caire 531 et 40016) 46

Une vignette étonnante de ce document qui fait partie des papyrus dits « mythologiques » montre la chanteuse d’Amon Ta-ched-Khonsou et son âme ba devant un dieu momiforme assis sur un siège cubique. Tourné face au spectateur, il tient à deux mains un gecko [fig. 15]. La légende au-dessus l’identifie comme Khentamentyou, très ancienne divinité absorbée par Osiris. Devant lui est posée la nébride, attribut d’Osiris ou d’Anubis. Cette attitude frontale, qui rappelle celle du personnage du registre inférieur de la vignette du chapitre 182, ci-dessus, est destinée à effrayer. La présence du gecko, vigoureusement empoigné par la queue, comme de coutume, renforce cette impression. Le visage, également de canidé, parfois identifié comme une tête d’âne 47, ressemble à un masque, dissimulant la nature du dieu. La vignette suivante dépeint le réveil d’Osiris. 42

J ^tA-xpr.w pr(w) m MAa.ty d=k pr bA n(y) Wsjr (…) NsypAHran r p.t DA=f bjA snsn=f mm sbA.w n(y).w p.t. PM I1, p. 403 (19). La représentation, qui prend place dans le passage entre les salles A et C de l’appartement funéraire, fait face à celle du défunt et de son épouse ouvrant les portes de l’au-delà et de l’éternité. 44 É. NAVILLE, Das aegyptischeTodtenbuch der XVIII, bis XX Dynastie : aus verschiedenen Urkunden I, Text und Vignetten, Berlin, 1886, I, pl. CCVIII. Voir aussi la belle photographie couleur de cette vignette chez R.O. FAULKNER, The Ancient Egyptian Book of the Dead, The Trustees of the British Museum, Londres, éd. revue 1985, p. 178-179. 45 Ou peut-être à nouveau d’âne. Pour une analyse de cette vignette, voir N. GUILHOU, « Rites de protection du corps : la vignette du chapitre 182 du papyrus de Mouthetepet », à paraître. 46 PIANKOFF - RAMBOVA, op.cit., n° 18, scène 6. 47 Ainsi Piankoff dans son commentaire. L’ambiguïté tête d’âne / de chacal a déjà été soulignée par G. DARESSY, « L’animal séthien à tête d’âne », ASAE 20, 1920, p. 165-166. La même hésitation est possible pour un génie 43

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Ces trois documents ont en commun de présenter des schémas iconographiques nouveaux (génie debout momiforme du papyrus de Nésipaherhân, génie passant de celui de Mouthetepet), des situations et des divinités originales. Les génies du papyrus de Nesipaherân sont en fait autant de formes du créateur, comme l’indique d’ailleurs le nom de notre porteur de gecko. Le Khentamentyou du papyrus de Ta-Ched-Khonsou, avec son masque effrayant, est celui qui écarte les ennemis du mort parvenu en son royaume, permettant ainsi sa renaissance. La vignette du papyrus de Mouthetepet met en scène la veillée funèbre au terme de la momification. Tous trois, dans des espaces et sur des modes différents, évoquent le moment prélude à la renaissance. Nous verrons en quoi les geckos peuvent y jouer un rôle.

3 Identité Les noms des porteurs de geckos ne sont pas mentionnés avant le Nouvel Empire. En effet, les listes des chapitres 1076 et 1077 des Textes des Sarcophages 48 sont indépendantes des figures et ne constituent pas des légendes. Il est donc impossible de savoir à quelle divinité se rapporte un nom donné. Par la suite, ils peuvent rester anonymes (c’est le cas pour la plupart des génies à l’intérieur des sarcophages des XXIe et XXIIe dynastie, sur la vignette du Livre des Morts de Mouthetepet, le sarcophage BM 29779), ou être désignés par leur fonction, comme à Abydos. Parmi les plus anciens documents, les chapitres 1069 et 1179 des Textes des Sarcophages mentionnent nommément le lézard.

3.1 « Je suis le lézard … » ou la multiplicité des apparences Le chapitre 1069 des Textes des Sarcophages, qui fait partie du Livre des Deux Chemins, comme les chapitres 1076 et 1077 cités ci-dessus, est complété par la représentation d’un cours d’eau sinueux, gardé par deux génies, devant lequel se présente un serpent. Le texte accompagnant la vignette est le suivant : « Grosse tête 49 qui repousse les agresseurs (a) et les garde dans sa maison, c’est celui qui pénètre sous ce méandre (b), Serqet, afin que je sois dans l’étendue de l’éternité (djet). C’est le préposé à ce méandre. L’Agressif (?) (c), dont la mère est appelée Miou-chefet (?) (d), c’est le préposé à ce méandre, c’est le gardien à l’intérieur de son sanctuaire. Formule pour passer au-delà de lui, ce qui est devant lui :

comme celui du sarcophage d’Amenhotep (Leyde AMM 16), XXI-XXIIe dynastie, intérieur, côté gauche : debout, de profil, momiforme, un gecko entre les mains, avec son visage de face, il combine les apparences de ¥tA-xpr.w, du papyrus de Nesipaherân, et de Khentamentyou, du papyrus de Ta-ched-Khonsou ; voir P.A.A. BOESER, Beschreibung der aegyptischen Sammlung des Niederländischer Reichsmuseum der Altertümer in Leiden, Mumiensärge des Neuen Reiches, IX, 2e série, Milan, 1917, pl. X, 12b. Voir également le génie du papyrus de Djed-Khonsou-iouef-ânkh, Caire 166, n° 22 de PIANKOFF - RAMBOVA, op.cit., mentionné ci-dessus, n. 35 et fig. 11. L’attitude frontale, rare en Égypte, est réservée aux êtres hors norme, comme les ennemis, ou à des divinités comme Bès, précisément chargé de mettre en fuite les puissances mauvaises qui menacent la (re)naissance. Voir Y. VOLOKHINE, La frontalité dans l’iconographie de l’Égypte ancienne, Genève, Société d’égyptologie, 2000. 48 Voir BARGUET, Textes des Sarcophages, p. 639 ; L.H. LESKO, The ancient egyptian Book of the Two Ways, University of California Publications, Near Eastern Studies 17, Berkeley-Los Angeles-Londres, 1972, p. 83. 49 En rouge dans l’original, comme le sont les titres, rubriques et début de paragraphes.

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“Je suis le Lézard (e), qui a produit la voix au/du ciel (f), qui fait monter Maât vers Rê et chasse (la puissance d’)Apophis, qui ouvre le firmament, repousse la tempête et fait vivre l’équipage de Rê. J’ai mis mon vêtement séchepty (g) et pris mon bâton iaat. J’ai fait monter l’offrande/Hotep en tant que celui qui y est préposé. J’ai permis que la barque fasse bon voyage. Faites-moi un chemin, que je passe !” » 50. Notes de traduction : (a) Nom du génie lion dressé sur ses pattes arrière selon Barguet, op.cit., n. 69, p. 635 ; cf dessin p. 631. Voir Chr. LEITZ et alii, Lexikon der ägyptischen Götter und Götterbezeichnungen II, OLA 111, 2002, p. 35-36, s.v. aA-Hr-xsf-Adw. (b) Je reprends ici la traduction de Barguet, selon lequel le Livre des Deux Chemins comporte un chemin de terre et un chemin d’eau. Les méandres sont bien visibles sur le dessin. Le génie lion est à l’intérieur du méandre, l’hippopotame derrière lui. (c) Khenfa-irou, nom du génie hippopotame, debout, brandissant un couteau, selon Barguet, ibidem, n. 70, p. 636 ; cf dessin p. 631. Voir Chr. LEITZ et alii, LGG V, OLA 114, p. 751. « Agressif » selon Barguet et Meeks (AnLex 783040), « Celui à l’aspect velu » (?) selon Leitz. C’était la traduction proposée par J. VANDIER, Le papyrus Jumilhac, Éditions du CNRS, Paris, 1962, n. 523, p. 194-195, par référence au déterminatif de la mèche de cheveux déterminant le verbe xnf. Pour ce verbe, voir ci-dessous, n. 71. (d) Lecture non assurée en raison des graphies divergentes. Pour cette divinité chatte, dont le nom évoque peut-être le visage velu, qui n’est connue que par ces deux chapitres des Textes des Sarcophages, voir LGG III, OLA 112, p. 242. (e) aSA est écrit en signes alphabétiques (B1C, B2L) ou à l’aide de l’idéogramme (B3L). Sur B1L, lacunaire, ne reste que le déterminatif du gecko, accompagné du déterminatif du pluriel. B1C est doté du déterminatif divin. Le texte parallèle (TS 1179, CT VII, 517a) porte aSA Hr.w, « Celui aux nombreux visages », connu par d’autres mentions dans les TS (CT II, 62e, 90c ; V, 244c, 303b, 344h ; VII, 476h). Les graphies de aSA sont identiques : signes alphabétiques (B1P, B1Be) ou idéogramme (B5C, B4L), le mot composé aSA-Hr.w étant déterminé à trois reprises par le déterminatif du dieu (B1P, B5C, B4L). Pour cette divinité, voir LGG II, OLA 111, p. 218-219. Voir aussi « Celui qui est nombreux », ibidem, p. 213, s.v. aSA. Dans la représentation accompagnant le chapitre 1069, cette divinité, à laquelle le défunt s’identifie, est figurée comme un serpent (dessin déjà cité). On pourrait aussi comprendre « le Multiple ». Pour l’interprétation comme « Lézard », voir Chr. JACQ, Le voyage dans l’autre monde selon l’Égypte ancienne, éd. du Rocher, Monaco, 1986, § 388, p. 214 et n. 2912, p. 396. (f) C’est sans doute une évocation du tonnerre, dont c’est la désignation habituelle.. (g) Ce vêtement, peut-être « vêtement brillant », n’est attesté que dans les deux chapitres 1069 et 1179. Le bâton iaat, présent dès les Textes des Pyramides, est un attribut permettant au mort de contrôler ceux qui l’entourent, et en particulier les étoiles. L’association des deux met en évidence le devenir lumineux du défunt.

Le texte parallèle (chapitre 1179) ne rapporte que le discours de l’arrivant :

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CT VII, 331c-333e : aA-Hr xsf(w) aA.wt sAA(w) s.t m pr=f ao Xr oAb pw pw ¤ro.t wnn=j m Aw.t D.t jr(y) oAb pw pw ¢nfA-jrw Dd(w) mw.t=f Mjw.t-Sf.t (?) jr(y) oAb pw pw sAA(w) pw{pw}m-Xnw xm=f r(A) n(y) swA Hr=f nw nty tpa.wy=f N/jnk aSA jr(w) xrw p.t sar(w) mAa.t n Ra dr(w) (pHty) aApp wbA(w) bjA xsf(w) nSn sanx(w) jsw.t Ra rd~n=j sSpty=j jAA.t=j sar~n=j Htp.w m jr(y)=f rd~n=j jr wjA Sm.t nfr.t jr(w) n=j wA.t swA=j (r=j).

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« “Je suis Celui aux nombreux visages, qui a produit la voix au/du ciel, qui fait monter vers Rê et chasse la puissance d’Apophis, qui ouvre le firmament, repousse la tempête et fait vivre l’équipage de Rê. Il m’a été donné mon vêtement séchepty et mon bâton iaat. J’ai fait croître Hotep (personnification de l’offrande) en tant que celui qui est préposé à lui. J’ai permis que la barque fasse bon voyage. Fais-moi un chemin !” C’est celui qui le garde, à l’intérieur de son sanctuaire. Formule pour passer au-delà de lui 51, ce qui est devant lui » 52. En d’autres termes, le défunt devra, pour franchir ce passage, revêtir l’apparence, ou l’apparence multiple, ou les multiples visages, d’un être chthonien, le serpent / lézard 53. L’animal apparaît ici dans toute son ambiguïté : il a des caractères séthiens, en particulier sa « voix » (le tonnerre), d’où sa capacité, précisément, à maîtriser la tempête et à combattre Apophis, promouvant ainsi Maât et ouvrant le chemin à la lumière 54, permettant donc la réalité de l’offrande alimentaire, c'est-à-dire la perpétuation de la vie. Selon que l’on interprète le nom du génie comme « le Lézard » ou « Celui aux multiples visages », voire « le Multiple », celui-ci apparaît sous deux formes complémentaires et équivalentes du dieu masqué dont les nombreux visages dissimulent la vraie nature. Le papyrus de Nesipaherân, revient sur cet aspect inconnaissable en faisant de lui « Celui aux apparences mystérieuses ».

3.2 Vers une identité précise Les compagnies de génies qui se développent sur les sarcophages d’époque tardive ou leur transposition en ronde-bosse dans la tombe de Montouemhat, ont au contraire pour la plupart une identité précise. Nous avons mentionné sur l’un de ces groupes l’un des Enfants d’Horus, Imséti. Il y était accompagné de Hâpy, un autre des Enfants d’Horus, non muni de geckos. Imséti était déjà présent dans l’antichambre de la tombe de Ramsès III, à côté de deux génies anonymes 55. On le retrouve régulièrement sur les sarcophages tardifs. Il y forme souvent paire avec Khenfa (#nfA) 56. Tous deux sont opposés à Sekhem-her, « Celui au visage triomphant » et Haqou, « le Pillard » 57, comme on peut le voir sur le tableau ci-dessous 58. 51

« d’elle », par erreur. CT VII, 517a-j : Jnk aSA Hr.w jr(w) xrw p.t sar(w) n Ra dr(w) pHty aApp wbA(w) bjA xsf(w) nSn sanx(w) jsw.t Ra rd~n=j sSpty=j jAA.t=j saA~n=j ¡tp m jr(y)=f rd~n n=j jr wjA Sm.t nfr.t jr n=j wA.t swA=j r=j (sAA sw pw m-Xnw xm=f) r(A) n(y) swA Hr=s nw nty tp-a.wy=f. 53 Le fait que le génie serpent se présente dans son discours comme un lézard devant les gardiens de deux méandres souligne la parenté des deux animaux notée infra (note 78). 54 C’est le rôle de Seth dans le chapitre 160 des Textes des Sarcophages, repris par le chapitre 108 du Livre des Morts, où il apparaît comme protecteur de la barque solaire. 55 Selon PM I2, p. 525 hall U (46) : au registre 1, Imséti tenant des lézards et un petit dieu, faisant face à l’extérieur ; au registre 3 : trois divinités assises, respectivement à tête de taureau, tortue et crocodile. Entre les deux : confessions négatives. En face (47), registre 1 : Ima à tête de chacal face à l’extérieur ; registre 2 : roi conduit par Horus, Anubis et Atoum ; registre 3 : deux figures assises tenant lézard et serpents, faisant face à l’intérieur. J.-Fr. Champollion notait simplement : « Paroi de gauche (à partir de la porte) ; 1e (jusques à l’angle) c’est le dieu assis et tenant un lézard vert dans chaque main. Derrière son trône est un petit personnage debout sans légende (…). De l’angle à la porte de la grande salle, autre édicule avec deux divinités, l’une assise, noire, tenant un serpent et un lézard, l’autre est un criocéphale tenant un serpent et … (très endommagé) » (Monuments de l’Egypte et de la Nubie, Notices descriptives I, Paris, 1844, p. 418 et 419). 56 Pour ce génie, voir LEITZ LGG V, OLA 114, 2002, p. 751, qui suggère « le Velu » (der Behaarten ?). On a aussi proposé « l’Agressif » (Meeks, AnLex 783040), ou « le Glouton » (Montet, op.cit.). Voir supra Khenfairou, chapitre 1069 des Textes des Sarcophages, note de traduction (c). 57 Pour Sekhem-her, voir LEITZ, LGG VI, OLA 115, p. 538-539 ; pour Haqou, LGG V, OLA 114, p. 26-27. 52

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Sur le couvercle de CG 293310 et sur le sarcophage de Ounennefer (CG 29301), on peut se demander si Fendji, qui pourrait signifier « Celui au (long) nez, le Nasique », n’est pas le fruit d’une confusion avec Khenfa. Sur les deux exemples, en effet, la graphie, qui utilise les mêmes signes dans un ordre différent, comporte un A 59. Tous deux sont cependant présents sur CG 29301. Sur ce même sarcophage, il a pu y avoir d’autre part un glissement de légende. En effet, le génie précédant immédiatement Ânkhher est Irourenefdjesef (n° 18 dans la description de Maspero). Or Ânkhher, « Celui dont le visage est vivant », est inhabituel avec ces attributs, de même que Iroumaât, « Celui qui a accompli la justice », qui l’accompagne ici, tandis que Irourenefdjesef fait partie des porteurs de geckos sur un certain nombre de documents. D’autres combinaisons sont en effet possibles. Sur les documents les plus anciens, Hâpy et Imséti sont mis en parallèle avec Irourenefdjesef (« Celui qui a fait son nom luimême / ou : son propre nom ») et Maa-itef (« Celui qui regarde son père ») 60. Si cette dernière dénomination peut renvoyer à la vigilance, la première évoque plutôt l’action du démiurge qui se génère lui-même en se nommant. Les deux divinités sont bien connues. Elles font partie des Enfants de Khenty-khety 61, nommés à la suite des Enfants d’Horus dans différents contextes. Ils paraissent ainsi ensemble comme éléments constitutifs de la carcasse de la barque divine (car constituée de dieux) empruntée par le mort dans les chapitres 404 et 405 des Textes des Sarcophages, repris par le chapitre 99 du Livre des Morts. On les retrouve en compagnie d’autres êtres divins dans un contexte astronomique, dès la XVIIIe dynastie, parmi les divinités encadrant les constellations du nord 62. Dans ce cadre, leur iconographie est sensiblement différente, et si leurs postures sont variées, ils n’ont comme attribut qu’un disque sur la tête. Dans le Livre du Jour, ils constituent l’un des groupes du ciel du sud. Ils sont associés à certains jours lunaires à Edfou et à Dendara 63. Ils sont enfin affectés, ce qui est particulièrement intéressant pour notre propos, à certaines heures du jour et de la nuit. Ainsi, dans la chapelle osirienne est n° 2, Maa-itef garde les septièmes heures du jour et de la 58

Comme indiqué dans la description des sarcophages tardifs, les génies formant paire se succèdent, une autre paire leur correspondant sur le long côté opposé. Plus rarement, comme sur le couvercle de CG 29310, où il faut considérer comme un tout les deux derniers registres (en fait un et demi, puisque le dixième ne comporte pas de figures à gauche), les paires se font face de part et d’autre de l’axe longitudinal. Dans tous les cas, l’ordre de lecture est probablement alternatif, au premier du côté gauche correspondant le premier du côté droit, et ainsi de suite, comme semblent le suggérer des listes telle celle de la chapelle osirienne est n° 2 de Dendara. L’ordre des génies est relativement régulier. Cependant, ils ne sont pas tous présents systématiquement, leur évocation se limitant parfois à leur seul nom, ce qui fait qu’il y a parfois des glissements dans la position de la légende par rapport à la représentation figurée. Ces compagnies sont extrêmement complexes, et nous nous limitons ici aux porteurs de geckos. 59 Pour Fendji, voir LEITZ, LGG III, OLA 112, p. 193-194. 60 Respectivement LEITZ, LGG I, OLA 110, p. 471-472 et LGG III, OLA 112, p. 199-200. 61 LEITZ, LGG III, OLA 112, p. 427. 62 Ces divinités suivent l’Hippopotame maintenant en place Mesekhtyou (notre Grande Ourse). Voir O. NEUGEBAUER, R.A. PARKER, Egyptian Astronomical Texts III Decans, Planets, Constellations and Zodiacs, Brown Egyptological Studies 6, Providence, 1969, p. 194-197. Il s’agit selon leur nomenclature des documents Senmut, Seti IA, Ramses II A (Ramesseum), Tausert A, Ramses III A, Pedamenope, Nekhtnebef, Hermopolis A et Harendotes. Maa-itef seul est nommé parmi les sept divinités qui suivent Mesekhtyou selon une glose du chapitre 17 du Livre des Morts. 63 Respectivement 4e (Hâpy), 6e (Imséti), 8e (Maa-itef) et 10e (Irourenefdjesef) jour, sur la frise du pronaos d’Edfou (procession des trente jours lunaires ; voir R.A. PARKER, The Calendars of Ancient Egypt, The University of Chicago Press, Chicago, 1950, pl. V) ; il s’agit à Dendara du caisson interne ouest du plafond du pronaos (jours lunaires nommés sous l’escalier des divinités la lune ascendante) : voir S. CAUVILLE, Dendara XV, 32, 10 (Imséti), 11 (Hâpy), 14 (Maa-itef), 15 (Irourenefdjesef), en ligne.

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nuit, tandis que Irourenefdjesef est préposé aux huitièmes 64. Hâpy et Imséty ont respectivement la garde des première et deuxième heures du jour et de la nuit 65. Haqou, qui fait également partie des Enfants de Khenty-khety, y apparaît comme gardien de la cinquième heure du jour et de la nuit 66. Comme de coutume dans les temples tardifs, l’iconographie tend à se conceptualiser et à devenir plus abstraite, ce qui fait que les attributs spécifiques disparaissent au profit d’attributs standard. Dans le cas qui nous occupe, les couteaux remplacent serpents et lézards 67, alors que l’iconographie traditionnelle des génies est conservée sur le soubassement de la chapelle osirienne est n° 3, qui présente un regroupement tenant à la fois des groupes statuaires de Montouemhat et des sarcophages d’époque tardive : sur la paroi nord-est, Haqou (n° 11), y est suivi de Irourenefdjesef (n ° 12), portant un couteau, Hâpy et Imséti y occupant respectivement la vingt-septième et la vingt-huitième place, sur les parois est et ouest 68. En conclusion, le gecko est un attribut peu fréquent. Il y a au maximum quatre porteurs de lézards, deux de chaque côté, parmi les files de génies qui se déploient sur les sarcophages ou les monuments. Parmi eux, seuls quelques-uns sont habilités à recevoir cet attribut. Rares sont les noms, comme Ânkhher et Iroumaât, qui n’apparaissent que sur un exemple, en l’occurrence le sarcophage CG 29301. D’autres troquent à l’occasion leurs lézards pour un serpent, comme Hâpy sur le groupe de Berkeley, ou un couteau, comme Maaitef sur le groupe Clère 2 ou Irourenefdjesef sur la chapelle osirienne est n° 3. Imséti et Hâpy forment une équipe stable. Les autres Enfants d’Horus ne disposent pas de cet attribut. Face à eux, trois combinaisons sont possibles : celle qui associe Irourenefdjesef et Maa-itef, la plus anciennement attestée ; Haqou et Sekhemher, ou encore Haqou et Irourenefdjesef, en quelque sorte intermédiaire entre les deux précédentes. Ces différentes représentations prenant place sur des œuvres sensiblement contemporaines, on peut penser qu’il s’agit là de traditions différentes, de la même façon que les chapelles osiriennes de Dendara nous présentent un catalogue des Osiris gisant selon les traditions religieuses des différents nomes. Pour l’analyse des regroupements de génies funéraires et leur position respective, il est fort regrettable de ne pas disposer de l’ensemble des groupes statuaires de la tombe de Montouemhat : Hâpy est aux côtés de Imséti, Maa-itef, accroupi, portant un couteau, est en compagnie de Our-nérou (groupe Clère 1), et Irourenfedjesef forme paire avec Nérou, non porteur de geckos, bien connu par les compagnies des sarcophages. Khenfa manque. Le découpage par groupe de deux ou trois pourrait aider à l’analyse des compagnies des documents plus tardifs et constituer un jalon entre les documents de Tanis et les sarcophages d’époque ptolémaïque. 64

Dendara X, 145, 6 (jour) et 134, 4 (nuit) pour Maa-itef, 146, 2 (jour) et 135, 7 (nuit) pour Irourenefdjesef. Tous deux interviennent également dans le cadre de la momification, apportant des onguents (Dendara X, 414, 7 et 147, 2). 65 Dendara X, 128, 4 (jour) et 140, 7 (nuit) pour Hâpy, 128, 10 (jour) et 141, 5 (nuit) pour Imséti. 66 Dendara X, 132, 5 (nuit) et 143, 11 (en lacune pour la cinquième heure du jour). Le quatrième enfant de Khenty-khéti, Iremâouay, gardien de la sixième heure, figure aussi parmi la cohorte de génies des sarcophages tardifs mais n’y porte pas de geckos. 67 La même remarque vaut pour d’autres domaines. Ainsi, on note dans l’iconographie des génies du grain « un appauvrissement certain par rapport à la richesse des représentations antérieures » (N. GUILHOU, « Présentation et offrande des épis dans l’Égypte ancienne (II). Le temple d’Edfou », dans S.H. AUFRERE (éd.), Encyclopédie religieuse de l’Univers végétal. Croyances phytoreligieuses de l’Égypte ancienne (ERUV II), Orientalia Monspeliensia XI, Montpellier, 2001, p. 91-138, en particulier p. 117, Conclusion sur l’iconographie). 68 Dendara X/1, p. 194, 11 et 12; 195, 27 ; 197, 28 ; X/2, pl. dessin 94 et 95, planches photographique 123 et 124, références données note 39.

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Tableau 1 : Les génies porteurs de geckos sur les documents d’époque tardive

Documents

Série droite (ouest) →

Série gauche (est)



Sarcophage Psousennès

Irourenefdjesef

Maa-itef

Vestibule Psousennès

Irourenefdjesef

Maa-itef

Groupe Besançon 37

Ha(qou)

Sekhem-her

Groupe Berkeley 5-363





Imséti

Hâpy

Imséti

(Hâpy)

Groupe Clère 1

(Our-Nérou)

(Maa-itef)

Groupe Clère 2

Irourenefdjesef

(Nérou)

Sarcophage BM 6666A = 29779

Anonyme

Anonyme

Anonyme

Anonyme

Sarcophage CG 41001bis

Imséti ?

Khenfa

Sekhem-her

Haqou

Sarcophage CG 29301

Irou-Maât

Ânkh-her

Fendji ?

Imséti

Sarcophage CG 29303

Sekhem-her

Irourenefdjesef

Khenfa

Imséti

Sarcophage CG 29304

Ha(qou)

Sekhem-her

Khenfa

Imséti

Sarcophage CG 29310 9e reg.

Imséti

(Doun-Hat)

Khenfa-Her

(Châbti) (Sekhem-Her)

(Qebehsenouef) Fendji ?





Sarcophage de Khâef

Haqou

Sekhem-her

Khenfa

Imséti

Sarcophage Ermitage 766

[…]

[…]

Khenfa

Imséti

[…] ?

10e reg.

Sarcophage 299

Copenhague ÆIN Anonyme

Naos d’Amasis

Irourenefdjesef

[…]

Dendara, chapelle os. est n° 3

Haqou (11)

(Irourenefdjesef) Hâpy (27) (12)

Imséti (28)

Dendara, chapelle os. est n° 2

(Hâpy) (1)

(Imséti) (2)

(Irourenefdjesef) (8)

(Maa-itef)(7)

Note : - Les mentions série droite / série gauche / ouest et est ne concernent bien sûr que les sarcophages. Elles sont à relativiser, étant donné les différentes règles utilisées dans la description de la mise en place du décor. Le propos était ici de définir les groupements des génies par paires et les uns par rapport aux autres. Pour Dendara, on a conservé la numérotation de S. Cauville. - Les génies dont les noms sont entre parenthèses ne portent pas des geckos mais des serpents ou des couteaux.

4 Fonction Leur fonction est claire : entourer, protéger, et faire progresser ; garder les portes et les ouvrir à celui qui a le droit de les franchir, permettant ainsi sa renaissance : ainsi octroient-ils vie, victoire et vaillance chez Séthy Ier. Ils permettront in fine à l’âme ba du mort de « monter au ciel, de traverser le firmament et de fraterniser avec les astres du ciel », selon la formulation du papyrus de Nesipaherân. Selon la légende de CG 29304, ce sont « les dieux 15

responsables de la protection autour d’Osiris » 69 et ils sont désignés collectivement sur le sarcophage d’Ânkhhâpy (CG 29301) comme « les dieux qui sont les gardiens des portes de la Douat » 70. On comprend dès lors que certains d’entre eux soient associés à des heures de la nuit, voire à des jours lunaires, dans un contexte temporel de protection et de devenir, qui fait correspondre le devenir astral aux étapes de la momification. Tandis que leur présence lors d’une heure du jour et de la nuit est l’expression d’une garde et d’une protection permanentes. Le sarcophage de Khâfi (Daressy) attribue à chaque génie une action spécifique à partir d’un jeu de mots sur son nom, selon le procédé bien connu dans les textes religieux égyptiens. Ainsi, Khenfa déclare : « J’ai brouillé (khenef) la vue de celui qui est dans les ténèbres » 71 ; Imséti : « J’empoigne (im) les serpents venus contre toi » 72 ; Sekhem-her : « Dispose (sekhem) donc de ton visage (her) » 73 ; enfin, Haqou : « Je me suis emparé pour toi (haq) pour toi des cœurs » (les cœurs / esprits des ennemis, d’après le texte parallèle chez Montouemhat) 74. Des légendes semblables accompagnent les génies des groupes statuaires de Montouemhat : Irourenefdjesef est celui « qui repousse les ennemis et effraie les adversaires ». Hâpy et Imséti doivent « rester à veiller le quatrième prophète d’Amon Montouemhat, la nuit comme le jour ». Enfin, Sekhem-her et Haqou ont pour fonction respective de de montrer « un visage triomphant à l’encontre de tous les ennemis de (…) Montouemhat » et de « s’emparer des cœurs de tous les ennemis de (…) Montouemhat ». Quant à Irourenefdjesef, il est celui qui « subjugue les adversaires et terrorise les ennemis de (…) Montouemhat » 75. Ces génies sont des auxiliaires du mort. Ils peuvent l’aider de deux façons : soit en anéantissant ses ennemis, soit en lui procurant un bienfait ou une qualité 76. Mais pourquoi des serpents et des geckos, à côté de couteaux ? Faut-il voir en eux des êtres menaçants ? Tel est l’avis de nombre d’analyses 77, et l’association de l’animal à des serpents et des couteaux entre les mains du génie du papyrus Louvre 3069 va dans ce sens [fig. 10]. En effet, le lézard fait partie des animaux considérés comme néfastes, au même titre que le serpent et la tortue. Il est comme eux un des ces êtres chthoniens indéfinissables, appartenant au milieu de la terre ou de l’eau, peut-être également en raison de sa ressemblance avec le crocodile, animal ambigu lui aussi 78. À ce titre on le retrouve, avec la tortue, dans le cintre de la stèle de 69

NTr.w r sA xA Wsjr. C'est-à-dire de l’au-delà ; nTr.w wnn(w) m sAw.w sbA.w _wA.t. 71 xnf~n=j Hr jmy kkw. Le sens de ce verbe n’est pas précisé. Il apparaît dans le rituel d’offrande en jeu avec la présentation du gâteau khenfou (Wb III, 291, 9) ou, avec déterminatif de la mèche de cheveux (notre exemple), en rapport avec le visage (Wb III, 291, 11). Il pourrait avoir le sens d’aveugler, brouiller la vue (autre sens de Hr), en mettant les cheveux sur le visage (Hr), d’où la traduction proposée ici. 72 Am=j (écrit jm pour la circonstance) HfA.w tkn(w).t r=k. 73 sxm tw m Hr=k. 74 HAo~n(j) n=k jb.w. Ce verbe évoque une action violente. On peut aussi comprendre HoA~n(j) …, « j’ai régné pour toi sur les cœurs ». 75 Hâpy et Imséti : wnn=sn rs r Hm-nTr … ; Sekhem-her : sxm Hr=f r xft(y).w nb n(y) … ; Haqou : HAo~n=f jb.w n(y.w) xft(y).w nb n(y) … ; Irourenefdjesef : sHr(w) sbj.w nr(w) xft(y).w ... 76 Il en est ainsi des génies munis d’un signe de vie ou portant des épis de blé. Voir N. GUILHOU, « Génies funéraires, croque-mitaines ou anges gardiens », dans S.H. Aufrère (éd.), Encyclopédie religieuse de l’Univers végétal. Croyances phytoreligieuses de l’Égypte ancienne (ERUV 1), OrMonsp 10, Montpellier, 1999, p. 365417. 77 Positions résumées par Chr. LEITZ, Tagewählerei, p. 87-89. 78 Dans l’ensemble de la documentation, le lézard est cependant nettement rapproché du serpent, plutôt que du crocodile, comme le soulignent H. BONNET, Reallexikon des aegyptischen Religionsgeschichte, Berlin, 1952, s.v. Eidechse, p. 164-165 et J. QUAEGEBEUR, « Divinités égyptiennes sur des animaux dangereux », Les Cahiers du 70

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Hanovre, aux côtés de Seth enchaîné dans la place d’abattage [fig. 16] 79. Dans les chapitres 1069 et 1179 des Textes des Sarcophages, précédemment cités, le génie gardien, désigné comme « celui qui a produit la voix au ciel », apparaissait également comme une sorte de contrepartie de Seth, divinité responsable de la foudre et de la pluie d’orage, éloignant comme lui Apophis 80 et capable comme lui de repousser la tempête. Ce rapprochement a sans doute pour origine le comportement de certains geckos, comme le « gecko aux doigts en spatule » (Ptyodactylus hasselquistii), plus nerveux et agité, et dont le mâle émet la nuit des sons semblables à des claquement, pouvant évoquer la foudre 81. Ils doivent peut-être à l’animal de figurer, indépendamment de sa valeur sémantique, dans les mots « bavard » (aSA r(A)) et « bruyant » (aSA xrw) 82. Le schéma iconographique des divers génies brandissant lézards et serpents témoigne de la même ambiguïté. Il rappelle en effet celui d’Horus debout sur les crocodiles et tenant en main des animaux néfastes, parmi lesquels des lézards/geckos et des serpents, tel qu’il apparaît sur les cippes magiques, selon le modèle du maître des animaux. À la différence que les animaux qu’il rassemble dans ses mains n’ont pas une position dynamique mais celle de vaincus (voir réflexions supra p. 5). De même que, sur les marchés du Caire ou du Proche-Orient, certains animaux séchés continuent aujourd’hui d’être utilisé dans la pharmacopée ou, plus largement, dans un cadre prophylactique, les geckos pourraient servir de protection, voire de menace, comme le suggère Marc Étienne commentant le groupe statuaire de Besançon dans le catalogue de l’exposition « Les Portes du Ciel » : « La signification de ce geste reste mal connue : il peut tout aussi bien indiquer la capture de ces reptiles – a priori non venimeux en Égypte –que leur emploi, après qu’on les a fait sécher, comme baguette magique » 83. La question reste posée : protéger des lézards ou grâce à eux ? 84 Cependant, le chapitre 49 des Textes des Sarcophages nous oriente vers une interprétation plus précise et plus spécifique. On y évoque en effet la veillée funèbre qui rassemble dans l’ouryt, autour du corps d’Osiris, plusieurs divinités : « Un frémissement tombe à l’horizon oriental à la voix plaintive qui vient de l’ouryt. Isis se lamente grandement, Nephtys pleure sur ce dieu (ancien), maître des dieux. En le voyant dans l'ouryt, de mauvais desseins sont conçus par Celui qui voudrait sévir contre lui, après s'être transformé en puce qui se faufilera sous ses flancs Soyez vigilants, vous qui êtes dans la

CEPOA 2, Leuven, 1985, p. 131-143. Tous deux entrent dans la catégorie des « reptiles » (Ddf.t) qui désigne plus largement tout être dangereux se déplaçant au ras du sol, dont les scorpions. Pour les rapports du lézard et du serpent, certains ont suggéré que les serpents dotés de pattes dans les recueils funéraires royaux du Nouvel Empire, comme l’Amdouat, représentaient des lézards. Mais qu’en est-il alors des serpents ailés ? 79 Kestner Museum 1935.200.445. Voir Ph. DERCHAIN, « À propos d’une stèle magique du Musée Kestner, à Hanovre », RdE 16, 1964, p. 19-23. 80 Voir supra la traduction et le commentaire des chapitres 1069 et 1179 des Textes des Sarcophages et la note 54. 81 Voir le commentaire sur le site http://www.batraciens-reptiles.com/index.html, entrée www.batraciensreptiles.com/ptyodactylus_hasselquisti.html, illustré par de belles photographies. 82 Wb I, 228, 17-18 ; voir L. EVANS, « Poisonous geckos : the validity of an ancient egyptian belief », Bulletin of the Australian Centre for Egyptology 13, 2002, p. 47-55, plus particulièrement p. 48. Article consultable en ligne : http://galliform.bhs.mq.edu.au/~bugs/Profile_files/Gecko.pdf, p. 47-54, en particulier p. 48. 83 Op ; cit., cat. 124, p. 158. 84 Question posée en dernier lieu par Chr. LEITZ, Tagewählerei, et par P. VERNUS, op.cit.

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ouâbet, (attardez-vous), vous qui êtes dans l'ouryt Voyez ce dieu, dont le corps est dans la crainte à cause de ceux qui se sont dissimulés, qui ont accompli (leurs) transformations 85 ! Éclairez les torches, préposés à la chambre ! Dieux qui êtes dans l'obscurité, (voyez le dieu et son corps), mettez en place votre protection au-dessus de votre maître, répartissez-vous le service horaire pour le maître de la couronne blanche, jusqu'à ce que revienne d'Héliopolis Horus à qui ont été données les grandes couronnes atef. » 86

Quelles que soient les fonctions respectives de l’ouryt et de la ouâbet, toutes deux se réfèrent au processus de momification 87. On y effectue une veillée horaire dans l’attente du jour, cette traversée de la nuit représentant le passage de la mort à la vie nouvelle mis en image, dans l’au-delà, comme la traversée des corridors d’Osiris. C’est aussi le moment où s’effectue la transmission du pouvoir au fils et successeur, Horus, parti recevoir à Héliopolis les couronnes qui feront de lui l’héritier de son père. L’accent est mis en outre ici, de façon inhabituelle, sur l’aspect concret et technique du rituel. Il s’agit de protéger le corps du dieu de la destruction. Voilà pourquoi Seth, l’éternel opposant, nommé Nebedj, « le Dissimulé » ou « le Ténébreux », a revêtu l’apparence minuscule et difficilement décelable d’une « puce », c'est-à-dire un être très petit, mais dont la présence à ce moment crucial de la momification peut compromettre gravement la conservation du corps : l’insecte nécrophage sous ses diverses formes 88. Cette crainte est clairement exprimée dans le chapitre 50 : « Voici que Seth est venu dans ses transformations. Il a dit qu'il mettrait en péril le corps du dieu » 89. Or il se trouve que tandis que le Dissimulé et ses acolytes 90 se cachent sous la forme de l’insecte nécrophage, Horus lui-même se transforme en lézard afin d’inspecter la ouâbet. Cela s’est produit, selon le Papyrus des Jours fastes et néfastes, le II akhet 18, jour totalement néfaste : « Tu ne dois rien faire en ce jour de l’inspection de la ouâbet (S : par Horus) (a), qui s’était changé en lézard pour voir Celui qui avait été confié aux bras d’Anubis. Il l’a trouvée (la ouâbet) préparée, (la) vérifiant pour le moment des funérailles (b). Alors il fit offrande (c), en pleurs (S : Alors il proféra ses paroles en larmes. Puis les dieux sortirent). Alors il rapporta ce qui correspondait à ce qu’il avait vu. Alors ils firent offrande en grands pleurs et ils mirent leurs bras sur leur tête (geste de deuil), les dieux hommes et femmes pareillement » 91.

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Litt. : « qui ont agi pour les transformations » ; ou « qu’ont produit les transformations » (jr(w)~n xpr.w). CT I, 215a-217b, d’après les versions de B10C (quelques variantes sont notées entre parenthèses) ; xr sdA m Ax.t jAbt(y).t Hr xrw jAkb m wry.t jw As.t Hr jmw aA Nb.t-¡w.t Hr rmy Hr nTr pn (smsw) nb nTr.w wA m mA(w) n=f m wry.t jn jr(w) x.t r=f jr~n=f xpr.w r=f m py nfAfA Xr Dr.wy=f rs Hr=Tn jmy.w wab.t (sAA=Tn) ntr.w jmy.w wry.t mTn nTr Xa.w=f snD(w) n nbD.w jr(w) n xpr.w sHD tkA.w jr.w a.t nTr.w jmy.w snk.t (mTn nTr Ha.w=f) dy sA=Tn Hr nb=Tn psS wn.wt Hr nb HD.t r jj.t ¡r m Jwnw rd(w) n=f Atf.w aA.w. 87 Pour une proposition d’identification de l’ouryt avec la tente de purification (ibou), où se déroulerait la dessiccation du corps, première partie du processus, tandis que l’emmaillotage aurait lieu dans la ouâbet, avec entre les deux un rinçage rapide du corps destiné à le débarrasser du natron, voir N. GUILHOU, « L'ouryt et la lutte contre les insectes nécrophages », BCLE 8, Lyon, 1994, p. 25-34. 88 Pour les différentes représentations de l’insecte nécrophage, voir N. GUILHOU, « La protection du cadavre dans le Livre des Morts : gestes rituels et devenir de l’être Egypte Afrique et Orient 43, 2006, p. 27-34. 89 CT I, 227f-g : mk ¤tS jw(=w) m xpr.w=f Dd~n=f ssnd.f haw nTrm. 90 Le mot est au pluriel dans le TS 49. 91 Chaque jour est en effet affecté d’un triple qualificatif, pouvant aller du totalement néfaste (trois « néfaste ») au tout à fait faste (trois « faste »), avec tous les intermédiaires possibles. Il s’agit du papyrus Caire 86637. Publié par A.M. BAKIR, The Cairo Calendar n° 86637, Le Caire, 1966, il a fait l’objet d’une traduction et d’un commentaire par Chr. LEITZ, Tagewählerei. Les variantes entre parenthèses proviennent d’un parallèle. 86

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Notes de traduction : (a) Précision donnée seulement dans la version S. De même plus loin. (b) Litt. : « Il l’a trouvée étant venue, examinant son moment (à elle) des funérailles. Ou, comme a compris P. Vernus (op.cit.) : « il constata qu’elle avait été remise-en-service |lit. : venue] et ses élémentsvérifiés-un-à-un [lit. : inspectée] au moment des soins funéraires », ce qui suppose de faire de ptr un participe passé, alors qu’on attendrait un parfait, sur le modèle de jy=tj. (c) J’adopte pour le verbe la traduction de Chr. Leitz..

Cette transformation d’Horus en lézard du Papyrus des Jours fastes et néfastes a souvent été interprétée, en dépit de la syntaxe, comme une manifestation de Seth, en raison du caractère négatif de l’animal (voir supra). Mais le texte est clair : il s’agit bien d’Horus, dont la présence ne doit pas étonner ici, puisque au titre d’héritier, il doit organiser les funérailles de son père. Les liens entre Horus et Anubis sont d’ailleurs très largement développés 92. La fonction du lézard, bien qu’implicite, apparaît ici clairement : il a pour tâche de s’attaquer aux insectes nécrophages en tant qu’insectivore. C’est en quelque sorte un nouvel épisode des transformations d’Horus et de Seth et de leur lutte incessante : le lézard répond à l’insecte nécrophage, la lutte se poursuivant dans les ténèbres, avant le lever du jour. Si elle se situe très concrètement dans le domaine rituel dans l’une ou l’autre des parties de l’officine d’embaumement, elle a sa contrepartie symbolique théologique.

5 Conclusion Le lever du soleil sonne le glas des ténèbres propices aux multiples attaques de l’ennemi. Il s’agit très concrètement de la fin de la veillée funèbre, fin de la première partie ou de l’ensemble du processus de momification, qui s’accompagne de différentes cérémonies, mais c’est parallèlement, dans l’autre monde, l’arrivée du mort dans l’espace céleste, espace de son devenir astral. Comme les serpents, dont la présence dans ce contexte mériterait une attention particulière 93, les geckos ou lézards jouent un rôle très précis. Même si une utilisation rituelle d’animaux séchés n’est pas à exclure, leur présence dans les mains des génies gardiens semble plutôt d’ordre symbolique. Ils sont destinés à effrayer les adversaires du mort, et plus particulièrement ceux qui se manifestent sournoisement sous la forme des insectes nécrophages et sont capables de mettre le cadavre en péril. Lézards et geckos apparaissent comme des auxiliaires du mort, participant à son cheminement vers la lumière. Les gardiens des portes de l’au-delà qui les tiennent en mains ne se contentent pas de laisser passer le défunt au bénéfice de qui a été exécuté le rituel, mais ouvrent à sa forme mobile et immatérielle, le ba, la voie vers le ciel, lui permettant, selon le papyrus de Nesipaherhân, « de monter au ciel, de traverser le firmament et de fraterniser avec Jm=k jr.t xr.t nb.t m hrw pwy n(y) sjp wab.t (jn ¡r) jw=f xprw=f m Hn[tA]sw r mAA / n=k / rdw / m a.wy Jnpw gm~n=f s.t / gm=tw=s / jy=tj ptr nw=s n(y) smA tA.wy aHa~n wd~n=f s.t mj mAA~n=f aHa wdn=sn m rmy oA rd~n=sn a.wy Hr tp=sn (j)n nTr.w TAy.w Hm.wt m mjt.t. 92 Ainsi sur la représentation d’Abydos et à maintes reprises dans le papyrus Jumilhac. 93 Une étude spécifique reste à faire. Dans le cadre des génies funéraires, on remarque que les deux sortes de reptiles semblent utilisés de façon complémentaire. Ils sont d’ailleurs à l’occasion interchangeables dans les mains de certains génies comme les Enfants d’Horus. L’apparence des génies serait également à prendre en compte : une préférence pour les divinités anthropomorphes à visage de chacal ou de bélier semble se dessiner. Il est intéressant, enfin, de considérer l’utilisation des serpents dans un contexte parallèle, celui de la naissance / renaissance sur les couteaux magiques du Moyen Empire.

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les astres du ciel ». Ce gardien-là n’étant, en fin de compte, que l’une des formes du soleil nocturne ou d’Osiris Khentamentyou, selon le papyrus de Ta-ched-Khonsou, deux apparences du Grand Dieu. Le lézard sert peut-être en outre de graphie venant renforcer, dans le cas du papyrus de Nesipaherân, les aspects multiples de Celui aux apparences secrètes, tout comme il incarne Celui aux nombreux visages, ou le Multiple, des Textes des Sarcophages. Nombreux visages, nombreuses palabres ou nombreuses voix, au point d’en être qualifié de bavard ou de bruyant, il est un être remuant 94, attaché à la fois au milieu de la terre, parent en cela des êtres des origines, comme serpents ou tortue, et à celui du désert, d’où ses traits séthiens. De Seth il possède, et c’est particulièrement intéressant, le caractère ambigu : tumultueux comme lui, le claquement qu’il émet évoque celui de la foudre, et c’est à ce titre qu’il est capable de rétablir l’ordre dans le ciel. Il intervient dans la navigation de la barque du défunt comme dans celle de la barque de Rê, repoussant Apophis et chassant la tempête, reprenant son rôle positif tel qu’il est exposé dans le chapitre 160 des Textes des Sarcophages, devenu chapitre 108 du Livre des Morts. Il est ainsi tantôt du côté d’Horus contre Seth, dans l’ouryt et la ouâbet, mais aussi expression des faces opposées de Seth, tour à tour positif et négatif. Même si l’étude détaillée reste à faire, il n’en est pas moins évident, enfin, que chacun des génies porteurs de couteaux, serpents ou lézards est attaché à un lieu et/ou à un moment particulier : l’un des porches des corridors d’Osiris 95, une heure du jour et de la nuit, voire un jour du mois lunaire. Il contribue donc à protéger le défunt à tous les moments de son devenir post mortem : pendant la momification (symboliquement passage des corridors d’Osiris), puis quotidiennement, nuit et jour, voire de mois en mois. Ceux qui ont pour attribut le gecko, plus particulièrement protecteurs de l’officine d’embaumement et de la veillée funèbre, prennent alors place parmi les autres, tout autour du sarcophage, de la tombe ou de l’espace sacré qui la représente 96, afin de continuer à veiller sur le défunt pour l’éternité, contre tout danger qui viendrait à le menacer. Cette analyse du motif du lézard / gecko, essentiellement utilisé dans le contexte funéraire, montre une fois de plus combien l’imagerie égyptienne et la construction mentale du monde religieux puisent leurs sources dans une observation fine et une connaissance intime du milieu qui les a vu naître.

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La documentation égyptienne ne fait pas état, on l’a vu, du fait que lézard et geckos perdent l’extrémité de leur queue lorsque quelqu’un veut s’emparer d’eux et n’exploitent pas ce caractère dans une symbolique de régénération, même si l’on peut raisonnablement penser qu’ils ont remarqué ce phénomène, si spectaculaire pour le gecko qu’il est pour lui un moyen d’échapper à ses prédateurs : il utiliserait sa queue pour détourner leur attention, celle-ci étant capable de mobilité et de déplacements pendant une demi-heure. Voir l’information donnée par V. BURON, Sciences et Vie 1106, nov. 2009, p. 15. Je remercie M. Morfin pour cette information. 95 Par exemple Ounem-houaat, à tête de tortue, préposé à la troisième porte selon les chapitres 144 à 147 du Livre des Morts, et donc situé au début du processus de momification. 96 Antichambre de la tombe de Ramsès III, vestibule de celle de Psousennès, groupes statuaires des tombes royales du Nouvel Empire et de Montouemhat, peut-être placés autour du sarcophage, naos d’Amasis, chapelle de Sokar à Abydos, chapelles osiriennes à Dendara.

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Liste des figures Fig. 1 : Génies tenant des lézards, sarcophage BM 29779 ; cliché N. Guilhou. Fig. 2 : Lézard, détail, Chapelle blanche, Karnak, musée de plein air ; cliché N. Guilhou. Fig. 3 : Gecko, détail, bloc d’Amenhotep Ier, Karnak, musée de plein air ; cliché N. Guilhou. Fig. 4 : Collier BM EA 3081 ; d’après C. ANDREWS, Ancient Egyptian Jewellery, British Museum Publications, Londres, 1990, p. 174, 160 b. Fig. 5 : Génies gardiens avec lézards et serpents, Textes des Sarcophages, Livre des Deux Chemins ; d’après P. BARGUET, Les Textes des Sarcophages, p. 637. Fig. 6 : Génie criocéphale brandissant deux geckos, Chapelle de Sokar, paroi gauche ; cliché N. Guilhou. Fig. 7 : Génie criocéphale qui tenait dans ses mains deux animaux ou couteaux aujourd’hui disparus, provenant de la tombe de Ramsès IX, BM EA 50702 ; cliché N. Guilhou. Fig. 8 : Génies protecteurs de la vignette du chapitre 182 du Livre des Morts de Mouthetepet, BM 10010, d’après É. Naville, Totenbuch I, pl. CCVIII. Fig. 9 : Double génie à têtes de serpents brandissant des geckos, sarcophage Caire CG 6086 ; A. NIWINSKI, La seconde trouvaille de Deir el-Bahari, I/2 (CG 6029-6068), Le Caire, 1995, fig. 102, p. 122. Fig. 10 : Génie à tête de plume tenant des geckos, papyrus de Baou-Mout-er-Nekhtou, Louvre 3069, d’après A. PIANKOFF, N. RAMBOVA, Egyptian religious Texts and Representations 3, Mythological Papyri I-II, Pantheon Books, Bollingen Series 40, New-York, 1957, n° 13. Fig. 11 : Génie à tête de canidé ou d’âne, papyrus de Djed-Khonsou-iouef-ânkh II, Caire 166, d’après A. PIANKOFF, N. RAMBOVA, ibidem, n° 22. Fig. 12 : frise de génies funéraires du sarcophage de Merenptah usurpé par Psousennès, dessin N. Guilhou d’après P. MONTET, La nécropole royale de Tanis II, Les constructions et le tombeau de Psousennès à Tanis, Paris, 1951, pl. LXXXVI. Fig. 13 : Vestibule de la tombe de Psousennès à Tanis, paroi est, dessin N. Guilhou d’après P. MONTET, ibidem, pl. XIV. Fig. 14 : Génie à tête d’âne, papyrus de Nesipaherân, Skrine 2, Bodleian Library, d’après A.M. BLACKMANN, « The funerary papyrus of Nespehera’an », JEA V, 1918, pl. V. Fig. 15 : Khentamentyou à tête de canidé, brandissant des lézards, Caire 40016, cliché N. Guilhou. Fig. 16 : Lézard parmi les acolytes de Seth, dans la place d’abattage ; cintre de la stèle Hanovre, Kenstner Museum 1935.200.445, cliché N. Guilhou.

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Figures

Figure 1 : génies funéraires porteurs de geckos, sarcophage BM 29779

Figure 2 : Karnak, Chapelle blanche ; genre uromastyx

Figure 3 : Karnak, Chapelle d’Amenhotep Ier ; genre ptyodactylus

Figure 4 : Collier BM EA 3081

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Figure 5 : Vignette du Livre des Deux Chemins

Figure 6 : Génie criocéphale, Chapelle de Sokar, Abydos

Figure 7 : Génie criocéphale, tombe de Ramsès IX

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Figure 8 : Génies protecteurs encadrant la momie, détail de la vignette du chapitre 182 du Livre des Morts de Mouthetepet

Figure 9 : Détail du sarcophage CG 6086, XXIe dynastie

Figures 10, 11 : Génies, papyri mythologiques Louvre 3069 et Caire 166

Figure 12 : Sarcophage de Psousennès

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Figure 13 : Porteurs de geckos de la tombe de Psousennès

Figure 14 : Celui aux apparences mystérieuses, génie à tête d’âne du papyrus de Nesipaherân

Figure 15 : Khentamentyou, papyrus Caire 40016

Figure 16 : Cintre de la stèle de Hanovre, lézard et tortue parmi les ennemis

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