Giorgio Agamben Enfance Et Histoire PDF

January 27, 2023 | Author: Anonymous | Category: N/A
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e Temp Te mpss qu quii res restte, Paris Rivages 2000. Ce qui reste d Auschwitz, Paris Rivages 1999. l

MoRivages Moye yens ns sans fins fi ns.. Notes sur politique, Paris 1995. Stanze. Parole et fantasme dans l culture occidentale, Paris Rivages 1994; rééd rééd.. co coll ll.. «Rivages poche/P poch e/Petit etitee Bibl Bibliot iothèq hèque» ue» 1998.

 

· Gio Giorgi rgio o Agamben Aga mben

nfance et histoire Destru ction de l expérience Destruction et ori origine gine de de l his histoi toire re Traduit de l italien par ves Hersant

Peti Pe tite te

ibliot ibl iothèq hèque ue Pay Payot ot

 

L a première édition d e ce livre a été publiée chez Payot dans la collection «Critique d e la politique » dirigée par Miguel Abensour

© 1J78, Giorgio Agamben © 1989, Editions Payot , pour l'édition ~ langue franç française. aise. © 20 2000 00,, Editio Edi tion n Payot Rivages, pou, po u,rr l'édit l'é dition ion d e poche , © 2002, Editions Payot Rivages,

poür la prés e nte: éclii.ion

106, boul boulevard evard Saint-Germ Saint-Germain, ain, 7500 75006 6 Paris. Paris .

 

PRÉFACE PRÉFA CE

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L ÉDI ÉDITIO TION N FRAN FRANÇAISE ÇAISE

RIM

N T U M LINGUI

Toute Tou te œuvre écrite peut êtr ê tree considérée considérée comme comme à cire plutôt, le et à n perdue) dleune uprologue ne œuvr œuvree (ou, jamais jamais rédigée emoule t destinée jamais l êt être re,, parce que le less œuvres ultérieures, elle elles s mêmes préludes ou moulages d autres œuvres absentes, ne représentent que des esquisses ou des masques masques mortuaires. mortuaires. L œuv œuvre re absente, bien b ien qu on ne puisse la situer exactement dans une chronologie, constitue ainsi les œuvres écrites e n prolegomen ou en p r lipomen d un texte

bien , devent manière pl us génér pinexistant; rerg qu quiou i nebien, trouvent trou leur plus vrai vr ai générale, sens ale, sens q u en regardd d un ergon illisible regar illisible.. Selon la belle image

de Montaigne, elles sont les grotesques enca drant un portrait jamais peint; ou, suivant l in tention tent ion d une let lettre tre pseudo-pla pseudo-platonicienne tonicienne,, les contrefaçons d un u n écrit écr it impossib impossible. le. Pour présenter ce livre, soumis au public fran çais dix ans après la première édition italienne,

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le meilleur moyen serait donc d'esquisser les traits de l'œuvre non écrite dont il forme le pré ambule; puis, le cas échéant, de renvoyer aux livres ultérieurs, ultérieurs , qui forment autant de post ludes. D e fait, entre Enfance et histoire (1977) l

e t Il Linguaggio e de Morte feuillets ont été rédigés qui (1982), attestentnombre le projet d une œuvre obstinément restée dans un tiroir. L'œuvre a pour titre a Voce umana (La Voix humaine) ou, selon d'autres notes, Etica, ovvero della voce (Éthique, essai sur l voix). L ' un des feuillets propose cet incipit : «Existe-t-il une voix humaine, une voix qui soit la voix de l'homme comme la stridulation est la

voix cigale ciga le,,le le braime bra iment nt ce la tte voix de ?l âne? E t si de ellelaexiste, exist e, leou langage est-il cett e voix voix? Quel Qu el est le le rapport rappor t entre voix et langage langage,, entre phoné peutt parler de quelque quelque chose chose e t logos? Si l'on ne peu comme une voix humaine humaine,, en e n quel sens sens l'homme est-il encore définissable comme être vivant doté de langage? Les questions que nous avons formulées délimitent une interrogation philoso phique. phiqu e. Selo Selon n une ancienne traditi tradition, on, en effet, effet, le problème par de excellence. la voix étaitDeunvocis problème sophique nemo philo magis traitee des des voix q u am philos philosophi ophi tr trac acta tant nt ( Nul ne trait plus que les les philosophes philosophes ), li litt -on chez Servius; Servius; et pour les stoïciens, qui ont donné une impulsion décisive à la réflexion occidentale occident ale sur s ur le langage, langage, la voix voix était étai t l arkhé de la dialecti dialectique. que. Pourtant, Pourt ant, la nhiln Narrateur>> > in Poésie et Révolution, Paris, Denoël, 1971 (et reproduite n Rastelli raconte . .. , Paris,

Seuil , 1987). Seuil, Le traducteur du présent ouvrage s est efforc efforcéé de donner qu   ill a pu pu,, les références des ouvrages e n note, chaque fois qu cités par l auteur sans autre indication. D e même ont été tradüitëS d i v r ~ s citation iatines ou termes grecs que Giorgio Agamben donne dans la lan lang gue originale Nd. T. . 4

 

centre-ville; pas davanta davantage ge les les rafales d ar arme mess

automatiques qui éclatent écla tent on ne sait où; ni la l a file d atte at tent ntee qui s allonge devant de vant les les guichets guichets d une administration; ni la visite au supermarché, ce nouveau pays de cocagne; ni les instants d ét éter erni nité té passés avec des inconnus, e n ascen seur ou en autobus, dans une muette promis cuité. L  L   homme moderne rentre chez lu le soir épu puiisé par par un fat fatrras d év évén énem emen ents ts - dive verrtis sants ou ennuyeux, insolites ou ordinaires, agrréa ag éabl bles es ou atr atroc oces es - sans qu auc aucun un d eux se se soit mué en e n expérience. C   est bien cette c ette impossibil impossibilité ité où nous sommes somm es de la traduire e n expérience qui rend notre vie quotidienne insupportable, insupportable , plus qu elle n e l a jamais été; ce n est nullement une bai baisse sse d e qualité, ni une prétendue insignifiance de la vie contempor cont emporaine aine Uama mais is,, peutpeut-être, être, l exis existence tence quotidienne n a été au auss ssii ri riche che qu auj aujour ourd d   hui en événemen év énements ts signif signific icat atif ifs) s).. S il faut faut at atte tend ndre re l e XIxe siècle pour rencontrer les premières mani festations festa tions littéraires de cette cett e oppression d u q u o  tidien, e t s il est vrai que les célèbres pages d e ein und Zeit sur la «banalité» - e n quoi l a société européenne de l  l   entre-deux entre-deux--guerres n a été que trop por portée tée se reconn reconnaître aître - n auraient pas e u le moindre sens une centaine d années plus tôt, c est que le quotidien, préci sément, et non pas l extraordinahe, constituait jadis jad is la matière premi première ère de l expérience que chaque génération transmettait à la suivante. (D où l impossibilité d ajouter foi aux récits d e 25

 

voyage e t aux bestiaires médiévaux; sans rien

comporter de «fantastique», ils montrent sim plem pl emen entt qu en auc aucun un cas l extraordinaire ne pouvai pou vaitt se se traduire en expérienc expérience.) e.) Tout Tou t événe événe ment, si banal et insignifiant qu il fût, devenait ainsi l a minuscule impureté autour de laquelle se cristallisaitCar comme une perle l  autorité l  de l expérience. l expérience trouve so n né néces ces saire corrélat moins dans la connaissance que dans l autorité, c  est-à-dire dans la paroleparole -et le récit. Auj Aujour ourd d hui hui,, nul ne semble plus_détenir plus_détenir assez d autorité pour garantir une exp§ exp§_rience; la déti d étientent-on, on, c est alors alors sans sans être êt re effleuré par l idée idé e d étab ét abli lirr sur sur une expérien expérience ce le fondement fondement d e cette autorité. Ce qui caractérise le temps présent, c est autorité se fonde sur ce au quicontraire ne peut que être toute expérimenté; à une autorité que seule légitimerait une expé rience, perso personne nne n accorderait le moindre moindr e cré cré dit. (En refus refusant ant les les arguments d expérience, le less mouvements de jeunes le prouvent éloquem ment.) D où la disparition de la maxime et du pro verbe, en ta tant nt qu quee fo form rmes es où l expérience se e n autorité. Le slogan, qui les a rempla posait cés, cé s, est le proverbe d une humanit humanitéé qui a perdu l expérience. Ce qui ne veut pas dire qu il n y ait plus d expériences auj aujour ourd d hui hui;; mai maiss el elle less s effectue effe ctuent nt en e n dehors dehors de l homm homme. e. E t l homme, curieusement, se contente de regarder; avec

gculagement. La visite d un

u sé e

ou d un lieu

de pèlerinage touristique est particulièrement 6

 

instructive

cet égard. Placée deva devant nt les plus

grandes merveilles de la terre (disons, par exemple, le atio de los leones à l Alhambra), une écrasante majorité de nos contemporains se refuse en faire l expérience: elle préfère lais ser ce soin à l appa apparei reill photographique. photo graphique. ne sattitude, agit naturellemen agit naturellement pas i i deacte. déplorer unerefus, telle, mais d ent prendre Car ce refus apparemment dément, contient peut-être un grain de sagesse, où se laisserait deviner le germe d un unee expér expérience ience future en att attente ente du prin temps. E n re repr pren enan antt le programme - hér ériité de B e n j a m i n de la «philoso «philosophie phie venir» venir»,, on se propose dans cet écrit de préparer le terrain logiqu log iquee qui per permet mettra trait it à un tel germe de parve parv e nir à maturité.

 

  lose

Un récit de Tieck, intitulé Le Superflu met en scène un couple cou ple d amants désargentés qu quii renon renon centt progre cen progressive ssivement ment à tous leur leurss bi bien ens, s, c om omme me à toute tou te act activi ivité téleur extérieure, et finissent pa r se par se plus claque claq ue murer dans chambre. Ne trouvant de quoi se chauffer, ils en viennent à mettre le feu à l escalier de bois qu quii reliait reliait cette pièce au reste de la ma mais ison on;; av avec leur leur am amou ourr pour unique richesse et pour seule occupation, ils s isolent complète ment d u monde extérieur extérieur.. Cet escalier, no nous us sug sug gère Tieck, est l expéri expérience, ence, qu ils sacrifient aux au x flammes de la «connaissance pure». Quand, à le raisons son retour, propriétaire de la maison (repré sentant ici les de l expérience) cherche le vieil escalier qui conduisait à l ét étag agee occupé par pa r les deux jeunes locataires, Enrico le protago niste) n a pour lui que dérision: « Il veut prendre appui sur la vieille expérience, en homme qui cherche à s élever lentement lentemen t et pa parr degr degrés és du ras du sol au plus haut niveau de compréhension; mais ma is jamais il ne pourra rej rejoin oindre dre l intuitio intuition n a, comme immédiatetriviaux de qui de nous,etaboli ces moments l expérience succes de latous sion pour les sacrifier, suivant l antique loi des

Parsis, à la fl flamm ammee puri purifica ficatric tricee et vivifiante de la connaissance pur pure. e. L a suppression de l esca escalier lier,, c est-à-di est-à-dire re de l expéïience, se trüuv trüu ve justifiée pat Tieck cumme une « philosophie de la pauvreté que le destin 8

 

leur a imposée» imposée».. Une telle «philosophie de la pauvreté» peut expliquer aujourd hui le refus de

l expérience chez les jeun es (mais pas seulement chez les jeunes: touristes et «Indiens métropoli métropoli tains», pères de famille et hippies sont son t tous appa appa  rent re ntés és,, bien plu p luss qu ils ne seraient disposés disposés à lCar admettre, parr une ces pa même mê me pertee d expér pert expérience ience). ). ils ressemblent personnages des dessins animés de notre enfance, qui peuvent marcher dans le vide tant qu ils ne s en aperçoivent pas: s ils s en ape aperçoi rçoiven vent, t, s ils en fo font nt l  expérience, leur chu chute te est inéluctable. inéluctable. Sa condition a beau être objectivement terrible, o n n a jamais vu spectacle plus répugnant que celui d un unee génération d adultes qu qui, i, apr après ès avoir détruit toute possibilité d expérience exàpérience authentique, impute sa propre misère une jeunesse désor mais incapable d expér expériment imenter. er. Qu Quan and d à une humanité effectivement dépossédée de son expé rience o n prétend imposer, comme aux rats pri pri  sonniers du labyrinthe, une expérience manipulée et di dire rect ctiv ive, e, au autr trem emen entt dit qua qu a n d il il n y a d expé rience possible que dans l  l  horreur ou le mensonge, alors le refus de l expéri expérience ence p eu eutt consti constituer tuer - pL r o actuelle v i s o i r e toxicomanie m e n t - une défense légitime. de masse doit être considérée, elle aussi, dans la perspective ouverte par ce cett ttee destruction des truction de l expérience. Ca Carr entre les nouveaux drogués et les intellectuels qui décou vraient la drogue au x xe siècle, la différence est que ceux-ci en tout cas les moins lucides) pouvaient encore nourrir l illusion de vivre une 9

 

experzence in inédi édite te,, alo alors rs qu il n e s  agit plus p ur ceux-là que de se débarrasser de toute expé

rience.

 

 

un sens sens,, l expropriation expropri ation de l expérience se trouvait impliquée dans dans le le projet fondamental de la science moderne. «L expérience, lorsqu elle se présente spontanément, s appelle hasard, et expérimentation lorsqu lorsqu   elle est expressément recherchée. Ma Mais is l expérience commune est comme un balai aux crins déliés; elle procède à tâtons, comme celui qui erre nuitamment de-ci de-là, en espérant trouver le bon chemin, alors qu il serait bien plus utile et plus prudent d at tendre le jour et d allumer une lampe avant de s engager. engager. Sui Suivre vre l or ordr dree véritable de l expé expé rience, c est commencer par allumer la lampe; puis pu is tenter tente r d aller de l avant, en par partan tantt de de l expé rience bien ordonnée et bien mûre, au lieu de suiv su ivre re à rebours l expérienc expériencee déso désordon rdonnée; née; l s agit de déduire les axiomes avant de procéder à de nouvelles expérimentations. expérimentations . » Dans ces quelques phrases de Franc Francis is Bacon, l exp expé é rience au sens t radi t i onnel cell cellee qui se tradu tra duit it en maximes et proverbes - se tr trouve déjà déjà En

3

 

cond co ndam amné néee san sanss appel appel.. Par la suite, la distinction distincti on fait e t vé rité de raison (formulée entre vérité de fait e n ces termes terme s par pa r Leibniz: « S' attendre à voir le

soleil se lever le lendemain parce qu'il en a tou  jours été ainsi, c'est se comporter en empiriste. Seule l'astr l' astrono onomie mie juge ave avecc raison ») a entérin entérinéé cette condamnation. Car la science moderne, cü ntrai ntraireme rement nt à une opin opinion ion souvent reçue, naît d'une méfiance sans précédent envers l' l' expé rience telle que la conçoit la tradition (Bacon la définit comme une « forêt » comme un « laby rinthe», où il se propose de mettre bon ordre). Le regard appliqué au perspicillum de Galilée n'a suscité aucune confiance en l'expérience, ni aucune assurance, mais bien plutôt le doute de Descartes e t sa célèbre hypothèse d'un démon exclusivemen exclus ivementt occupé occupé à abuser abu ser nos sens sens.. Caution scientifique d e l'expérience, l'expéri m e n t a t i o n - qui permet le passage logique des impressions sensi sensible bless à d'exactes détermi détermination nationss quantitatives, et par conséquent la prévision de futures futur es impre impression ssionss - répon répond d à cette perte de certitude e n transportant l'expérience autant que possible hors de l' l ' homme : dans les ins truments e t dans les nombres. D u même coup, l'expérience trad traditio itionnel nnelle le perd per d e n réalité toute valeur.. Comm valeur Commee le le montre mont re bien la la dernière derniè re œuvre d e l a culture européenne qui s'appuie encore e n t i è r e m e n t sur elle - les ssais de Mon t a ign gnee - , l'expérience est en effet incompatible ~

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son autorité.

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Impossible de de formuler une maxime maxime et e t de racon ter une histoire sous l empire d une loi scienti fique. L expérience dont traite Montaigne avait

si peu de rapport à la science qu il en définit la matière comme un « sujet informe, qui ne peut rentrer ren trer en production production ouvragère »  e t qui ne peut pe ut asseoir aucun jugement assuré («il n y a aucune constante existence, ny de notre estre, ny de celui des abjects [ .. ]. Ainsin il ne se se peut pe ut estab es tablir lir rien de certain certain de l un à l autre [ . .] » . Nous avons aujourd hui oublié - tant l idée d un unee expér expérience ience séparée s éparée de la connaissance connaissance nous est devenue étrangère - que jusqu à la naissance de la scien science ce mod modern erne, e, science science et e t expé expé  rience non seulement occupaient des lieux dis tincts, mais dépendaient de sujets différents. Le sujet de l expérience était le sens commun pré sentt en chaque sen ch aque individu individu (il (il s agit du «pr «princ incipe ipe quii jug qu juge» e» d Aristo Aristote, te, ou de la vis aestimativa de la psychologie psycho logie médiévale, médiévale, qui ne se se confo con fonde ndent nt pas encore avec ce que nous appelons le bon sens), tandis que le sujet de la science est le noûs o u l intellect intellect agent, agent, séparé de l expérience, expérience, «impa «impas s sible» e t «divin» (pour être précis, il faudrait plutôt plu tôt dire que la connaissa connaissance nce n avait pas même de sujet, au sens moderne d un ego; l individu singulier était le sub-jectum en qui l intellec intellectt agent, unique et séparé, actualisait la connais sance). Cette séparation entre expérience et science doit do it don donner ner à no nos ye yeux tout leu leurr se sens - nu null lle e ment abstrus, mais extrêmement c o n c r e t - aux 33  

déba ts qui opposèrent les débats les interprètes int erprètes de l aristo aristo télisme, dans l Antiquité tardive et au Moyen Âge, sur l intellect unique et séparé, comme sur

sa relation aux sujets de l expérience. D e fait, l intelligence (noûs) et l âme (psyché) ne sont pas la même chose pour la pensée antique (ni pour po ur la pensée médi médiévale évale,, du moins moins jusq ju squu à saint Thomas); et contrairement à ce que nous pensons d ordinaire, l intell intellect ect n est pas une «facu «fa cult lté» é» de l âme. Il ne lui appartient nu null lle e ment; «séparé, sans mélange et impassible», selonn la célèbre formu selo formule le arist aristotéli otélicienn cienne, e, il com munique avec elle pour actualiser la connais sance. Par suite, le problème central de la connaissance n est pas, pour l Antiquité, celui du rapport entre un sujet et un objet, mais celui du rap rappor portt entre e ntre l un et e t le mult multip iple le.. \(oilà pour quoi qu oi la pensé penséee n igy e _ne connaît pas de pro blème blè me de l expérience com comme me telle te lle;; ce qui se pose po pour ur no nous us comme problème de l expé rience lui apparaît naturellement comme pro blème du rapport («participation», mais aussi «différence», comme dira Platon) entt:e Lintellect séparé et les individus singuliers _entre l..J _n et le multiple, entre l intelligib. intelligib.le le et le s ~ n s i b l e e nt ntre re l humain hum ain et e t le div divin in.. Telle est ladifférence la différence quee souligne le qu le chœur de l Orestie d Eschyl Eschyle, e, en définissant c o n t r e la violente hybris d Aga memnon mem non - le savoir hum umai ainn co comme un un pathei mathos un apprentissage dans et par pa r l épreuve épreuve,, excluant toute

de

de prévoir, c est-à-dire

œ ~ i b i l i t é

connaître quoi que ce soit avec certitude. 4

 

L expérience traditionnelle (d (dis ison ons, s, pour pou r être êt re clair, celle qui intéresse Montaigne) maintient fidèlement cette séparation entre science t

expérience, entre savoir humain et savoir divin. Elle est, précisément, expérie ex périence nce de la limite limite qui sépare l une u ne et e t l autre autr e sphères. sphères. Cette Ce tte limi limite te est la mort.. Voi mort Voilà là pourquoi l approch approchee de la mo mort rt apparaît à Montaigne comme la fin dernière de l expérience : l homme parvient à maturité n anticipant anticipa nt sa mort, mort, en ta tant nt que li limi mite te extrême de l expérience. Limite qui ne peut être qu appro chée, et non pas éprouvée («si nous ne pou vons le joindre, nous le pouvons approcher»); au momen momentt mêm mêmee où il recommande re commande l accou tumance à la mort mo rt (« («os ostt on onss luy l estrangeté, estra ngeté, pra pra tiquons le le,, accoustumons le le,, n ayon ayonss rie rien n si souvent en teste que la mort»), Montaigne moque ces philosophes «si excellens mesnagers du temps temps,, qu ils ont on t essay essayéé en la mort mor t mesme de la gouster et savourer, et ont bandé leur esprit pourvo pou rvoir ir que c estoit estoit ce pass passage age;; mais mais ils ne sont pas revenus nous en dire le less nouvelles   ». Dans sa recherche de la certitude, la science moderne abolit cette séparation sépara tion;; de l expérience, elle fait le le lieu - la «méthode», c est-à-dire le chem emiin - de la la co connaissance. À cette fin, il lui faut procéder à une refonte de l expérience n même temps qu à une réforme de l intelligence, en commençant par en expulser les sujets, pour 1. Montaigne, Essais Paris, Gallimard (Pléiade), 1961 1 20.

35  

les remplacer par un sujet unique et nouveau. Carr la grande révolution de la scie Ca scienc ncee moderne mode rne a moins consisté à faire valoir l expérience contre

l autorité (l argumentum ex r contre l argumenex verbo : ils ne sont, en réalité, nullement tu inconciliab inconc iliables) les) qu q u à référe réf érerr connaiss connaissance ance et expéexpérience rien ce à un unique su sujet jet.. Leque Lequell n est aut autre re que leur coïncidence en un point archimédique abstrait: l ego cogito carté cartésien, sien, la conscience. conscience. ainsi in inte terf rfér érer er expérience expérien ce et scienc sciencee E n faisant ainsi e n u n sujet unique (qui, éta é tant nt universel et impas impas-sible, tout en étant un ego, réunit les propriétés de l intellec intellectt séparé et du sujet de l expérience), l a science moderne libère derechef du pathei mathos et allie de nouveau le savoir humain au savoir savo ir divin: divin : libération et e t allian alliance ce qui caractéri caractéri-saient l expérience des mystères et qui avaient trou tr ouvé vé dans l astrologie astrologie,, dans l alch alchimie imie,, dans la spéculation néoplatonicienne leur expression préscientifique. Car ce n est es t pas dans la philosophie antique, mais dans la sphère des mystères religieux religie ux de l Anti Antiqui quité té tardive que la limite limite entt r e humain et divi en divin, n, entre ent re le pathei mathos et la science pure (limite qui, selon Montaigne, ne peut être qu approchée, jamais atteinte), avait pour la première premi ère fo fois trouvé trou vé son dépassement dépasseme nt en l idée d un pathema indicible, donnant à l initié l expé expérien rience ce de sa propr pr opree mort mo rt («il a con connai naisssance de la fin de la vie», dit Pindare) et lui permettant ainsi d « envisager plus sereinement la _

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L a conception aristotélicienne des sphères

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célestes ho homo moce cen ntr triiqu ques es - pu pure ress et et div divines «intelligences», à l abr abrii du changement changement e t de la corruption, séparées du monde terrestre sub lunaire où tout change et se corrompt - ne

retrouve son sens originel que replacée dans une culture qui conçoit expérience et connais sance comme deux sphères autonomes. La mise en relation des «cieux» de l intelli intelligence gence pure pu re e t de la «terre» de l expérience individuelle, telle est la grande découverte qui fait de l astrologie non plus une adversaire, mais une condition nécessaire de la science moderne. i la science a pu unifier en un nouvel go science et expé rience, qui jusqu alors relevaient de deux sujets distincts, c est seulement parce que l astrologie (comme solidairement l alchimie, dans le grand œuvre) avait lié ciel et terre, divin et humain, e n un sujet unique. t s il a été possible de fonder sur un sujet unique la «science expérimentale», c est seulement parce que la mystique néoplato nicienn nici ennee e t hermé hermétique tique avai avaitt co comb mblé lé l éc écar artt creusé par Aristote entre noûs et psy hé - de même qu q u elie avait gommé la différe différence nce mar mar quée par Platon entr entree l un et le mu mult ltip iple le grâce au système des émanations : suivant une hiérarchie ininterrompue, les intelligences, les anges, les démons et les âmes (qu on songe aùx anges-i ang es-intel ntellige ligences nces d Avice Avicenne nne et de D a n t e ) communiquaient le lo long ng d un une« e« grand grandee chaîne», chaîne» , qui partie de l Un ramenait l Un. Que dan danss la spéculation de l Antiquité tardive et du Moyen Age cette union ineffable entre intelligible et 37  

sensible, entre corporel et incorporel, entre divin div in e t humain ait eu e u pour po ur médiateu médi ateurr unive univers rsel el u n pneuma un «esprit», voilà qui n est certes pas sans importance : car cet « esprit subtil» (le

spiritus phantasticus de la mystique médiévale)

devait offrir bien plus que son nom au nouveau sujet d e la science, qui chez Descartes se pré-

sente précisément comme esprit. Toute l hi hisstoire de la philosophie moderne est enclose, tel un chapitre cha pitre de ce que Spitzer appelai a ppelaitt « séman séman-tique historique», dans la contiguïté sémantique des termes pneuma-spiritus-esprit-Geist; et c est précisément parce que le sujet moderne de l expérience et de la connaissance s enracine dans une mysti mystique, que, comme le le concept même d expérience, que toute explicitation du rapport entre expérience et connaissance dans la culture moderne est condamnée à affronter des difficultés presque insurmontables. a r l   intermédiaire de la science, ce sont en fait la mystique néoplatonicienne et l  l   astrologie qui font leur entrée dans la culture moderne, moderne , cont co ntre re l inte intellig lligence ence séparée e t le cosmos incorruptible d Aristote. i l astrolog astrologie ie a été abandonnée par la suite (et non d  d   emblée: on se gardera d oublier que Tycho Brahé, Brahé , Kepler e t Copernic pratiquaient aussi l  l  astrologie; Roger Bacon comptait aussi parmi ses fervents partid   égards de la sans, quoique précurseur à tant d  science expérimentale), c est e st parce que qu e son principe esse-ntiel, l üniûn de e p é r i o n c ~ t de l connaissance, avait été si bien assimilé comme

38  

principe de d e la science science nouvelle, lors de la consti tution d un sujet nouveau, nouveau, que l apparei ap pareill mythic mythico o divinatoire était devenu superflu. L opposition rationalisme/irrationalisme, qùi appartient si

irréductiblement à notre irréductiblement no tre cultur culturee , se fonde secrè tement teme nt sur cette c ette implicat implication ion réciproque de d e l as trologie, de la mystique e t de la science, dont le astrologique parmi les intellectuels de la Renaissance est le symptôme le plus manifeste. Fondation qui coïncide historiquement avec le désormais mais,, pa p a r la philo f i t solidement établi, désor logie de l In Inst stit itut ut Warb Warbur urg g - qu quee l Ant Antiqu iquité ité restaurée pa parr l humanis humanisme me n est pas celle celle du clas cl assi sici cism smee antique, ma mais is bien l Ant Antiq iquit uitéé ta tar r dive; et e t en particulier celle celle du néoplatonisme e t de l hermétisme. Aussi une critique de la mys reviv l

tique , de l astrologie e t de l alchimie doit-elle tique, nécessairement impliquer une critique d e l science ; e t seul le retour à une bipartition de la science et de l  l   expérience, rendant à chacune son lieu lieu d origine, perme pe rmettr ttrait ait de dépasser dé défi fi nitivement nitive ment l opposition rationalisme/irra rationalisme/irrationa tiona lisme. Dans les mystères, la coïncidence de l expé rience et de la connaissance constituait un évé nement neme nt ineffable ineffable,, qui se se traduisait par p ar la mo morr t e t la renaissance de l adepte frappé de mutisme; dans l alchimi alchimie, e, elle s effectu effectuait ait au cours d u grand œuvre, œuvre, dont elle marquait le point d abo a bou u tissement. Mais dans le nouveau sujet de la scienc sci ence, e, loin de d e dev deveni enirr quelq qu elque ue chose d ind indi i cibl ci ble, e, elle elle apparaî appa raîtt comme ce ce qui a toujours déj d éjàà

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été dit en toute pensée et en toute phrase : non pas un pathema, mais un mathema au sens origi nel du mot, c est-à-dire quelque quelqu e chos chosee qui est toujours touj ours déjà connu immédiatement e n tou toutt acte

cognitif, le fondement e t le sujet de tout cognitif, to utee pensée. Nous oublions facilement, tant nous sommes habitués à nous représenter le sujet comme une réalité psychique substantielle, c est-à-dire commee une comm u ne co cons nsci cien ence ce où se déroulen dérou lentt des pro pro  cessus psychiques, que lorsque le nouveau suje sujett est apparu, son caractère «psychique» et sub stantiell n avait certainement rien d obvi stantie obvie. e. e fait, fai t, au moment où la formulatio formulation n cartésienne le le met en pleine évidence, l n est pas une réalité psychique (ni la psyché d Aris Aristot totee ni l anima de la tradition médiévale), mais un simple point nisi si punc pu nctum tum petebat Archid Archimède « nihil ni

medes, quod esset firmum ac immobile [ .. jl» ,

effet d une réduction presque mystique de tout contenu psychique autre que le le pur pu r acte de pen ser « Quid vero ex iis quae animae tribuebam?

Nutriri veZ incedere? Quandoquidem jam corpus habeo, o, hae haecc quo quoque que nihil sunt nisi figmenta. non habe Sen tire? Nem N empe pe et etia iam m hoc h oc non fit sine corpore, et perm pe rmul ulta ta sentire sentire visu visuss sum su m in somni som niss qua quae deinde animadve anim adverti rti me non no n sen sensi siss sse. e. Cogitare? Hic in inve ve-2 nio: cogitatio est; haec sola a m e divelli nequit » . «Archimède ne demandait rien qu un point qui fû fûtt fixe e t assuré >> Descartes, Méditations métaphysiques, II. 2 Ibid. chose se qui 2 « ne chose qui pense. Qu est-ce qu une cho pense? C est-à-dire une chose qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent.» Ibid.

42

 

tant l âme de la psychologie chrétienne que le noûs de la métaphysique grecque. Cette transformation de son sujet n a pu qu alt altére érerr l expér expérience ience trad tradition itionnell nelle. e. Dans la mesure où elle avait pour fin de permettre à

l homme de mûrir, c est-à-dire d anticiper une mort conçue comme achèvement et totalisation de l expérience, el elle le étai était t en effet quelque chos chose e d essentiellement fini: quelque chose que l on pouvait non seulement faire, mais avoir. Or, dès lorss que l expér lor expérience ience es estt rapp rapport ortée ée au sujet de la science, qui ne peut mûrir mais seule ment accroître ses connaissances, elle devient au contra contraire ire quelque cho chose se d essentiellemen essentiellementt infini inf ini;; un conc c oncept ept« « asymptotiqu asymptotique», e», comme comme dira dir a Kant, c est-à-dire quelque chose que l on peut faire sans jamais l avoir: la connaissance, préci

sément, en tant que procès infini. D où la situation paradoxale de qui se propo serait de retrouver l expér expérience ience traditionnelle; tradi tionnelle; car l lui faudrait d ab abord ord reno renoncer ncer au aux x expé riences et suspendre la connaissance. Mais ce n est pas pour autant aut ant que lui serait rendue l expé rience que l on peut tout à la fois avoir et faire. D e fa fait, it, l ancien sujet de l expér expérience ience n exi existe ste

plus; l s est dédoublé. sa place, on tro trouve uve désormais désorm ais deux sujets sujets,, qu q u au débu d ébutt du xvne siècle (c est-à-dire au moment même où Kepler e t Galilée publient leurs découvertes) un roman nous représente cheminant côte à côte, insépa rablement unis par une recherche aussi aventu reuse qu inutile. 4

 

  o nQuic Quichot hotte, te,

l an anci cien en sujet de la connaissance, a été victime d  d   un sortilège : l peut faire l  exp expéri érience ence,, ma mais is san sanss l   avoir jamais. jamais . ses côtés, Sa Sanche Pança, l ancien suje sujett de l expé expé-rience,, ne peut qu  rience qu   avoi avoirr l expérien ex périence ce san sa ns jamais

la faire.

 

  loses

1

IMAGINATION ET EXPÉRIENCE

C e qui permet le mieux de mesurer le change

e st le retournement ment de sens de l expérience, c est qu il a produit produ it dans dans le statut de l imagination. Car l imagination, à laquelle laquelle son so n «irréalité» vau vautt aujour auj ourd d hui h ui d êtr êtree expulsée de la connaiss connaissance, ance, en était au contraire pour les anciens le medium par excellence. n tant que médiatrice entre sens et intellect, permettant dans le fantasme l unio union n entre la fo form rmee sensible et l intellect possible, el elle le occupe occu pe dans la culture antique et e t médiévale le lieu notree culture assigne à l expérience. même que notr Loin d être qu quel elqu quee chose d irr irréel éel,, le mundus imaginabilis a sa propre et réelle plénitude entre le mundus sensibilis et le mu munn dus intelligib intelligibilis; ilis; il conditionne même leur mise en communica tion, c est-à-dire la connaissance. t com comme me c est l ima imagin ginati ation on qu qui, i, sel selon on le less anciens anciens,, fo form rmee le less images des rêves o n comprend que dans le monde antique le rêve ait entretenu un rapport particulier particuli er av avec ec la vérité (comme c est le cas dans ainsi qu un rapport la divination p r somnia , particulier particuli er avec la connaissance efficace (comme c est le cas dans la thérapie médicale pa parr incubaincubation). Il en va de même, aujourd hui encore, dans les cultures primitives. Devereux rapporte que selon les Mojaves Mojaves (nu (nulle llemen mentt différents à cet cet égard d autres cultures chamaniques), chamaniques), les pouvoirs du

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ch aman chama n s acquièr acquièrent ent en rêve, ains ainsii que la connaissance des mythes, des techniques et des chants qui s y rapportent rapportent.. Mieux: si ces savoirs étaient acquis en état de veille, veille, ils resteraient stériles et inefficaces tant qu  qu  ils n  auraient pas été rêvés: «Ainsi un chaman, qui m avait permis de noter

e t d apprendre ses chants thérapeutiques rituels, pour autant m expliqu que jeérir je nir, ,obtiendrais pas do le expliqua p o u v o i ra dqu e egu guér faute fau te d avoir donn nnéé ses chants une puissance active par un apprentissage onirique. Dans la formul formulee d o n t se sert l ari aristo stotél télism ismee médiéval pour résumer cette fonction médiatrice nihill po test homo intelligere de l imagination ( « nihi sine phantasmate » : « sans imagination, point e compréhension po possi ssibl blee pou pourr l homme homme»), »),

l hom h omol olog ogie ie en entr tree imagination imagina tion et expérie expérience nce res ret este te la parfaitement évidente. Mais avec Descartes naissance naissan ce de la sci scienc encee moderne, mode rne, le rôle de l imagination se trouve dévolu au nouveau sujet de la connaissance : l ego cogito (on remarquera que cogitare, dans le vocabulai vocabulaire re technique tec hnique de la philosophie médiévale, médiévale, d ésignait plutôt le discours de l  imagination que l  l  acte de l intellig intelligence). ence). Entre le nouvel ego et le monde des corps, entre n  est besoin res cogitans etD  res de médiation. où lextensa, expulsionpoint de l imagination, qui se manifeste dans la nouvelle manière de caractériser sa nature : dans le passé, elle ne relevait pas du « subjectif », elle se définissait plutôt comme ia coi nciàence à u subject subjectîîf et de l  l  objectif, ti f, de l int intérie érieur ur et de l extérieur, du sensible sens ible et de 6

 

l intelligible; désor désormais, mais, c est so son n ca cara ract ctèr èree co com m binatoire et hallucinatoire, jadis relégué à l ar rière-plan, qui occupe le devant de la scène. L e fantasme n est plus dès lors sujet de l expérience, mais suje sujett de l aliénation mental mentale, e, des visions et des phénomènes magiques : autrement dit, de

tout ce qu quii re rest stee exclu de l expérience authen au then tique.

Il.

CAVALCANTI ET SADE L E DÉSIR ET LE BESOIN)

L expulsion de l imagination hors des limites de l expérience ne laisse pas de jeter une ombre surr cet su cette te dern dernièr ière. e. Cett Cettee omb om bre est le désir: autr autre e ment dit l idée que l expérience est inépuisable et échappe échappe à toute toute appropria appropriation. tion. Car selon u n e intuition intui tion dé déjà jà à l œuvre dans la psychologie antique, et dont la culture médiévale devait tirer toutess les toute les conséquences conséquences,, imagination et désir s o n t étroitement liés. Plus précisément: le fantasme, qui es estt la véritable origine du désir «phantasia e a est, qure tatu tatum m parit p arit desiderium desiderium , est a u s s i - en tant que médiateur entre l homme et l objet perme t l appropr appropriation iation de l objet du dési désir; r; ce qui permet la

et par conséquent, analyse, telsatis faction de celui-ci. enL dernière amour médiéval, que l ont découvert les poètes provençaux et le dolce stil o v o c est-à-dire le princip principal al courant poé poé  tique italien des X l l f et xive siècles-, n a pa pass po pour ur objet direct la chose sensible, mais le fantasme; en d autres termes, le Moyen Age a simplement

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découvert le caractère fantasmatique de l amour. Mais cela signifie, étant donné la nature média trice de l imagination, que le fanta fantasme sme est auss aussii le sujet, suje t, et non no n seuleme seu lement nt l obje objett de de l ér éros os.. Dans la mesure, en effet, o ù l amour trouve dans l ima gination son lieu unique, le dés désir ir n es estt jamais confro con fronté nté à l objet dan danss sa corporéité (d où l ap

de parent «platonisme» l éros des image troubadours et du dolce stil novo), mais à une à un «ange», au sens sens technique technique que prend pre nd ce mot dans la philosophie arabe et la poésie amoureuse: imagination pure et séparée du corps, substantia separa a qui par son dé déssir met me t en en mouv mouvemen ementt les sphères célestes), à une «nova persona», littéra. lement faite de désir (Cavalcanti: formando di desio nova persona»), en qui s abolissent les

limites entredé subjectif et corporel eti incorporel, incorpo rel, dési sir r et obje objet. t. Lobjectif, o i n d apparaî apparaître tre ic ici omme oppositi opposition on d un sujet désirant et d un objet d u dé dési sir, r, l am amou ourr trouv trouve, e, si l on pe p e u t dire, son sujet-objet dans le fantasme: voilà ce qui perm pe rmet et aux poètes poètes de le définir en contra contraste ste av avec ec un fol amour qui peut tout au plus consommer son objet, sans jamais vraiment s unir à lui, sans jamais en faire l expérience) comme un «amour la

accompli» dont est (finche amors), sans fin « gioi mai non fina »jouissance . Voilà ce qui les autorise, en liaison avec la théorie averroïste qui voit dans le fantasme le lieu o ù s unissent l indi in divi vidu du singulier et l intellect age agent nt,, à transfor transfor mer t amour en expérience sotérioiogique. Mais quand au contraire l imagi imaginatio nation n se . 8

 

trouve exclue de l expérience, pour cause d irréalité, et quand elle cède sa place l ego cogito (devenu sujet du désir, «ens percipiens ac appetens » comme dit Leibniz), alors le désir change radicalement de statut; l échappe par essence toute satisfaction, tandis que le fantasme, jadis médiateur garantissant une possible appropria-

tion de l objet du désir (autrement dit, la possibilité d en fai faire re l expérience), en vient à marquer l impossibilité même de se se l appropr approprier ier (d (dee l « exp expéri éri-menter»). C est pourquo pourquoi,i, chez Sade Sade (qu ( qu on peut opposer à Cavalcanti), le je désirant embrasé p r le fantasme («il faut monter un peu son imagination», répètent les personnages sadiens) ne trouve face lui q u u n cor corps, ps, un objectum qu il ne peut pe ut que q ue cons c onsom ommer mer et détr détrui uire re sans sans jamais se satisfaire, parce que le fantasme lui échappe et se dissimule à l infini. Couper Cou per l imag imaginat ination ion de l expéri expérience, ence, c est de fait scinder ce qu Éros avait uni en sa personne, en tant que fils de Poros et de Péni Pénia: a: d une part le désir (lié à l imagination, insatiable et incommensurable), mensurabl e), d autre autre par partt le besoin lié la réalité corporelle, mesurable et théoriquement susceptible d être satisfait), de sorte qu ils ne puissent jamais coïncider dans le même sujet. Ce que l homme de Sade trouve devant lui, en tant que sujet du désir, est toujours un homme autre, en tant que sujet du besoin l e beso besoin in n étant que la forme inversée du désir et le chiffre de son essentielle altérité. Telle est la scission de l éros que Juliette exprime en une formule des plus 49

 

denses, q u a n d elle denses, elle s excl exclame ame (devant le désir inhabituel du chevalier, qui exige pour se satis faire le caput mortu mortuum um de sa digestion) : Tene Tenez, z, à l instant, si vous le désirez; vous en avez l envie, moi j en ai le besoin.» D e là, dans l univers sadien, la nécessité de la perversion, qui en faisa faisant nt coïncider dés désir ir et besoin transforme transf orme en jouissance la frustration essentielle

désir.. Ce que désir qu e reconnaît le le per perver vers, s, c est que s on prop pr opre re désir désir en tant qu il ne lui appartient pas) se présente, ch chez ez l au autr tre, e, c o mm mmee besoi besoin. n. À l affirma tion de Juliette, il pourrait répondre: « e que tu ressens comme intimement étranger dans ton besoin corporel, c est ce que je ressens comme étrangeme étra ngement nt intime da dans ns mon désir : ton bes besoin, oin, c est mon envie; mon envie, c est ton besoin.» S il a malgré tout chez Sade de la jouissa jouissance nce et de la joie, en dépit de cette expulsion de l expé rience qu il traduit si prophétiquement dans le délire ré répé péti titi tiff de ses ses personnages personnages,, et si ses ses roma r omans ns gardent gard ent encore une trace, mala malaisém isément ent reconnais reconnais sable, d u pur proje projett édénique des des troubadours troubadour s et des stilnovistes, c est bien grâce à la perversion: dans l éros sadien, elle joue précisément le rôle que le dolce stil novo confiait au au fantasme et à la femme-ange. La perversion est l archange salvateur qui, s envolant du théâtr théâtree ensan ensanglant glantéé d Éros, emp empor orte te au cie ciel l homme homm e sadien. sadien. entree dési désirr et beso besoin, in, do dont nt o n parle L a scission entr tant aujourd hui, n est pas quelque chose que la du

onne volonté gujFfirait à répart ?r; et moins encore

une difficulté que pourrait trancher, d un geste,

50  

une praxis politique de plus plu s en pl plus us ave aveug ugle le.. C est es t ce que de devr vrai aitt montrer éloquem él oquemment ment la situation du désir dans dans la Phénoménologie de l esprit esp rit (et ce qu avec son habituell habituellee pénétration Lacan L acan a s u en tirer: objet a et désir de l Autre). Autre ). Ca Carr chez Hegel le désir (qui apparaît, de manière significative, comme premier moment de la conscience de soi) quee chercher chercher à nier so son n propre pro pre ob obje jet, t, sans ne peut qu

jam ais se satisfaire sur jamais su r lui. lui. e je désirant n e par vient, de fait, à la certitude de soi qu en suppri mant 1 autre : « Certain de la nulli nullité té de cet Autr Autre, e, l pose pour soi cette nullité comme vérité propre, anéantit anéan tit l objet indépendant et se donne don ne par là la certi ce rtitu tude de de so soii-mê même me[. [. .. .. ] Mais dans cette satis faction fac tion,, la conscience de soi fait l expérience de de l indépendance de son objet: en effet, la satisfac tion a lieu par la suppression de cet autre. Pour quee cette qu cette suppres supp ressio sion n soit soit,, cet autre aussi doi do i t êtr êtree. a conscie conscience nce de soi ne peut donc pas pas supprimer l objet par son rap rappor portt négatif à lui; par là elle le reproduit plutô plutôt, t, comme elle reproduit le désir  • » a jouissance qui chez Sade est est rendue poss possible ible par la perversion, est mise en œuvre chez Hegel parr l esc pa escla lave ve,, qu quii médiatise la jouis jouissance sance du maître. maître. « e maître se rapporte médiatement à la chose p a r l intermédiai intermé diaire re de l esclave; l esc esclav lave, e, comme conscience de soi en général, se comporte négati vement veme nt à l égard de la chose et la la supprim sup prime; e; mais ma is elle est en même temps indépendante pour lui, il 1. G.W.F. Hegel, La Phénoménologie de l esprit, trad. J. Hyppolite, Paris, Aubier, 1977, t 1 p. 152.

51

 

n e peut donc pa parr son acte de nier venir à bout de

chos e et l anéantir; chose anéant ir; l esclav esclavee la trans transforme forme donc seulemen seul ementt par son so n tra vail Inversement, par cette médiation, le rapport immédiat devient pour le maître la pur puree néga négation tion de ce cett ttee m ê m e chose, chose, o u la jouissance; ce qui n  n  est pas exé exécut cutéé par pa r le désir est exécuté exéc uté par la jouis jouisssance du maître ; en finir avec la chose: l assouvissement dans la jouissance. la

Cela n es Cela estt pas exé exécut cutéé par le désir à cause de l in dépendance de la chose; mais le maître, qui a interposé l l  esclave entre la chose et lui, se relie ainsi seulement à la dépendance de la chose, et purement en jouit. I l abandonne le côté de l indé pendance pend ance de la chose à l esclave, qui l élabore  • » L homme de Sade n en continue pas moins, par-delà le fracas d une machine dialectique qui renvoie indéfiniment la réponse au processus global,, de pos global poser er précisé pré cisément ment ce cett ttee questio questionn : «Qu en est-il de la jouissance de l esclave? E t comment fa fair iree coïncider à nouv nouveau eau les deux moi tiés d Éros?»

III.

EXPÉRIE EXP ÉRIENCE NCE QUÊTE AVEN VENTUR TURE E

Dans les quêtes médiévales, le problème de l expérience se présente de manière particulière. L e rap rappor porttleentre entr e expérience science nce estÂge, en eff epar ffet et régi, dans monde chrétienetduscie Moyen un principe dont Honoré d Autun a donné une formulation exemplaire : «Avant le péché origi1. G .W .F. Hegel op cit,

t. 1

p. 162.

52

 

nel, l homme connaissait le bien et le mal le bien par expérience per experientiam), le mal par science per scientiam). scientiam) . Mais depuis le péché, l homme connaît le mal par expérience, le bien par science seulement. seulement. L a quête, par quoi l homme te tent ntee defair def airee l expérience d un bien bien qu il n e peut connaître que per scientiam, exprime l impossibilité de réunir science et expérience en

un sujet uniqu unique. e. C est po pour urqu quoi oi Per ercceval, qui voi v oitt le Graal mais omet d en faire expérience, est un personnage emblématique de l quête - au même titre que Galaad, dont l  l  expérience du Graal som sombre bre dans l ineffable ineffable.. D e ce po poin intt de vue vue,, est-à -dire l impossible point de fuite le Graal (c est-àconnaissance,, o ù o ù se ressoude l fracture de l connaissance se rejo rejoigne ignent nt le less deux de ux parallèles de l science et de l expérience) n est rien d autre que ce qui consti tue l juste expérien expérience ce huma hu main inee en aporie (au sens littéral d absence absen ce de voie voie,, a -poria) poria).. Aussi l quête est-elle exactement le contraire, mais aussi, aussi, du même co coup up,, l annonce prop prophétiq hétique ue de cette scien tia experimentalis do dont nt rêv rêvee déj déjà à Rog Roger er Bacon, à l fin du Moyen  g e, et que Francis Bacon codi fiera par l suite. Si l expérience scient scientifique ifique consiste à constr construire uire une route sûre (une méthodos voie ie)) qu quii mè mène ne méthodos,, une vo à l connaissance, l quête con c ondu duit it au au contraire à reconnaître que l absence de voie (l aporie) est l seule expérience offerte à l homme. homme. Mais pour l même raison, l quête est aussi le contraire de l aventure, qui à l époque moderne se pré sente comme le dernier refuge de l expérience. 5

 

Car l aventure présuppose qu une voie puisse cond co ndui uire re à l expérienc expérience, e, et qu quee cett cettee voie passe pa parr l extraordinaire et l exotique (opp (opposés osés au familier familier e t au commun); alors que, dans l univers de la quête, l exotique et l extra extraordi ordinaire naire n e font que symb sy mbol olis iser er l ess essent entiel ielle le aporie de toute expé expé rien ri ence ce.. C est po pour urqu quoi oi Don D on Qui Quicho chotte, tte, qu quii vit vit le quotidien et le familier la Manche, son paysage,

ses habitants) sur le mode de l extraordinaire, est le sujet d une quête parfaitement semblable à celles d u Moy Moyen en Âge. IV

L

«NUIT

OBSCURE»

DE

DESCARTES

L exp expéri érienc encee cartés cartésien ienne ne de l ego cogito et l ex périence mystique son s ontt concrètem concrètement ent plus proches qu on n e l imagine. Descartes nou n ouss a laissé laissé des le titre d Olympiques, o ù notes, connues sous l raconte comment il avait commencé à com prendre le fondement d une merveilleuse décou verte (cepi intelligere fundamentum inventi mirabilis). Baillet, le premier biographe de Des cartes, a transcrit ces notes en style indirect: «Le dixiéme de Novembre mil six cent dix-neuf, dix-neuf, s ét étant ant couc couché hé tout rempli de son enthous enthousias iasme, me, et tout to ut occupé de la pensée d avoir trouvé ce jour là l eut troi de la science admirabl lsonges es fon fondem demens ens admirable, e, trois s consécutifs consécu tifs en une seule nui nuit,t, qu il i l s ima gina n e po pouv uvoi oirr être venus que d enhaut [. .. ] (suit le récit des trois rê rêve ves) s).. Tout en rêv rêvan ant,t, Descartes

poursu pou rsuiv ivit it l inte interpr rpréta étatio tionn «sans émotion é motion

et[

54

 

les yeux ouverts».« ouver ts».« L épouvante dont il fut frappé dans le se secon cond d song songe, e, marquait, à so son n sen sens, s, sa s y n  dérèse, c est-à-dire, les remords de sa conscience touchant les péchez qu il pouvait avoi avoirr commi c ommiss pendant le cours de de sa sa vie vie jusqu alors. L a fo foud udre re dont do nt il entendit l éclat éclat etoit le signal de de l Espr E sprit it de vérité qui descendait jusqu à luy pour le possé der1. Contrairement à ce que semble croire

.. ]

Baillet, la syndé syndérèse rèse n es estt pas ic icii un si simpl mplee remords de conscience; ce terme technique de la mystique néoplatonicienne du Moyen Âge e t de la Renaissance désigne la partie la plus haute e t la plus subtile subtile de de l âm âme, e, qu quii est en communica commu nica tion directe avec le suprasensible et n a pas été corrompue par le péché originel. PeutPeut-être estest-il permis de voir dans ces pages une annonce de la futuree exp futur expérie érience nce de l ego cogito ainsi qu une nouvelle preuve de l étro étroite ite proximité proxim ité en entr tree de deux ux pôles de notre culture que nous avons trop sou vent tendance à concevoir comme antithétiques. L e cogito o n l a vu, vu, est de même que la syndérèse mystique ce qui reste de l âme, quand elle s est dépouillé dépo uilléee au au terme terme d une sorte de« d e« nui n uitt obsc obscure» ure» de tout attribut et de tout contenu. U n mystique arabe, Al-Hallaj, a exemplairement désigné le cœur de cette expérience transcendantale du Je: «Jee su «J suis is j et l n y a plus d attributs; je sui suiss j et il n y a plus de qualifications [. . .]. Je suis le pur suje su jett du ve verb rbe. e.

1

A

Baillet Vie de M. Descartes Paris 1691.

 

 

Tel est le cadre dans lequel i l faut replacer la formulation formulati on kantienn kantiennee du problème de l expé rience. Tout en identifiant à la science de son temps (c est-à-dire à la physique newtonienne) le contenu de l expérience possible, Kant pose avec une rigueur nouvelle la question de son sujet; contre la substantivation du sujet en un moi psychique unique, i l com commen mence ce en effet par pa r distinguer «très soigneusement» le je pense sujet transcendantal qui ne saurait en aucune manière être substantivé ni psychologisé, de la conscience psychologique ou je empirique. L ancien sujet de l expérien expérience ce revie revient nt ici se présenter présen ter comm commee un je empirique qui, étant « n soi dispersé et sans relation à l identité du du sujet», ne saurait comme tel fonder une vraie connais sance. côtéé de lui se tient, comme condition côt de toute connaissance, le je pense : la conscience transcendantale, c est-à-dire l unité synthétique originaire de la conscience, «qui seule me per met d attribue attribuerr à un identique moi-même la 57

 

multiplicité de mes représentations», e t sans laquelle laqu elle l expérience ne serait jamais connai connais s sance, mais une simple «rhapsodie de percep tions». L a composition de ces deux je en un sujet unique est explicitement réfutée par Kant, qui procède d une part à l exclu exclusion sion de l intui intuition tion intellectue intel lectuelle, lle, d autre a utre part à la critiqu critiquee du« para logisme psychologique» sur quoi repose la psy

chologie rationnelle. Selon Kant en effet, de même que le sujet transcendantal ne peut connaître un objet (étant en soi incapable d in tuition, pou p ourr connaîtr connaîtree il lu luii faut l intuiti intu ition on four nie par l  expérience sensible), mais seulement le penser, de même il ne peut se connaître lui même comme réalité substantielle, susceptible objet jet d un unee psy psycho cholog logie ie rationnelle. d e faire l ob Psychologie laquelle- écrit écrit-il -il dans un passage o ù la réalité pureme purement nt transcendantale transcendantale du suj sujet et trouve une vi vigo gour ureu eusse con confi firm rmat atio ion n - «nous ne ne pouvons donner do nner d aut autre re fondement fondement que la repré sentation simple e t par elle-même totalement vide de contenu : Je, dont on ne peut même pass dire pa d ire qu ell ellee soit un conce concept, pt, mais qui est une simple conscience accompagnant tous les concepts. Par ce Je, par cet Il Il ou par pa r ce Cela Es, la chose) qui pense, pense, on ne se se représen rep résente te rien de plus qu un suje sujett transcend transcendantal antal des des pens pe nsée ées= s= x, lequel lequ el n est es t connu que par p ar les les pensées, pensées, qui sont ses prédicats : pris isolément, isolément , nous ne pouvons jam.ttis e n av oir le moindre conœpt. Noüs toür nons no ns donc, en ce qui le concerne, concerne, dans un cer cercle cle 8

 

perpétuel puisque à chaque fois nous sommes obligés de nous servir d  d   abord de sa représenta tion pour porter un jugement quelconque à son sujet :inconvénie :inc onvénient nt qui en est insépa inséparable, rable, car la conscience en elle-même n  n   est pas tant une représentation qui distingue un objet particulier qu un unee forme forme de la la représentation en e n général général,, e n tantt qu elle doit êt tan être re nommée con connai naissa ssance nce.. Représenta Repré sentation tion dont je peux seulement dire, dire, e n

effet, que par elle je pense que quelqu lquee cho chose se [ .. . . ]. O n voit par tout cela que la psychologie ration nelle nel le ne tire son orig origine ine que que d un pur p ur malentendu. L unité de la conscience, qui est au fondement des catégories, est prise ici pou pourr une intuition intuition d u sujet en tant qu objet, et la catégorie de la sub stance y est appliqu appliquée. ée. Ma Mais is cette ce tte unité n es estt autre aut re que l unité dan danss la pensé pensée, e, qui par elle seule ne donne point d objet, et à laquelle par conséquent ne s applique pas la catégorie de la substance,, qui présuppose toujours une intuitio substance intu ition n donn do nnée ée;; de telle sorte qu ici ce ce sujet ne ne peut pe ut pas du tout être connu » Ainsi la formulation la plus rigoureuse d u problème probl ème de l expérience finitfinit-ell ellee pa parr recourir, pour en fonder la possibilité, possibilité , à ce qui ne peut être expérimenté. Mais Kant le montre bien, par la ténacité avec laquelle l défendait le dédoublement du je contre toute confusion e t tout débordement : pour lui lui , la possibilité d une et

1

F

E. Kant, Critiqu trad. d. A. A. Delamarr Dela marree Critiquee de l r ison pure tra Marty, Paris, Ga G allimard (Plé (Pl é iade), 1980, p. 1050 1050..

59  

connaissance étai connaissance étaitt conditionnée précisément par ce minutieux travail d arpenteur, délimitant de tous côtés cette dimension transcendantale, «ainsi nommée parce qu elle confine au trans cendant, e t risque par conséquent de tomber non seulement dans le suprasensible, mais dans ce qui n a pas du tout de sens». L a Critique de l raison pure est le dernier lieu o ù le problèm problèmee de l expérience, dans la

métaphysi méta physique que occide occidentale, ntale, s offre so sous us sa forme pure: c est-àest-à -dire sans qu en soient dissimulées less contradictions le contradicti ons.. Le péché ori origi ginel nel,, qui marque mar que le début de la pensée postkantienne, consiste à réunifier le :sujet transcendantal e t la conscience empirique e n un unique sujet absolu. pré sente te ai ains nsii la Dans son Ent yclopédie, Hegel présen philosop phil osophie hie kaiitienne kaiit ienne comme celle celle qui qui n a conçu l esprit que comme co consCience - o p p o sa sant nt consciencee de so conscienc soii et consci conscience ence empirique-, sans pouvoir par conséquent parvenir au «concept d esprit tel qu il est e n soi e t pour soi, c est-à dire e n tant qu unité de la conscience e t de la conscience de soi». Quel concept d expérience découle de cette unité, c est ce qu on peut saisir dans l introduction à la Phénoménologie de l es avait ait initialement initialement pour titre Science de prit (qui av l expérience de l conscience). Car l expérienc expérience, e, dans ce texte, texte , cesse cesse d être simplement un moyen, un instrument ou une limite de la conscience, pour devenir l essence même d u nouveau sujet absoiu: c·est-à-àire sa structure à e procès dialëë tique, e n mouvement. «Ce mouvement dialec-

6  

tique que la conscience exerce en elle-même, en tantt que son savoir aussi aussi bien qu en e n son objet, en tan devant elle l no nouv uvel el objet vrai vrai en jaillit, est pro prement ce qu on nomme expérience [ . . ] L a conscience sait quelque chose, cet objet est l es sence sen ce ou l en-soi; mais il est aussi l en-s en-soi oi pour pou r la

conscience; avec cela entre en jeu l ambiguïté de main  ce vrai. Nous voyons que la conscience a main

te nant tena nt deux objet objets, s, l un, le premier-en-soi, le second, l être-pour-elle de cet en-soi. Ce dernier

paraît être seulement d abord la réflexion de la conscience en soi-mê soi-même, me, une représentation non d un u n objet, ob jet, mais mais seulement de son savoir du pre mier objet. Mai aiss comm commee on o n l a montré précé demment, le premier objet se change; il cesse d êtr ê tree l en-soi en-soi et devient devient à la conscience un objet tel qu il est l en-soi seulement p ur elle. Mais ainsi, l être-pour-elle de cet en-soi est ensuite le vrai; c est-à-dire qu il est l essence ou son objet. Ce nouvel objet contient l anéantissement du premier, il est l expérie expérience nce faite sur lui ... ] Les choses se présentent donc ainsi : quand ce qui paraissait d abo a bord rd à la consc conscienc iencee comme comme l objet obj et s abaiss abaissee dans cette consci conscience ence à un savoir de celui-ci, e t quand l en-soi devient un être-pour-la conscience de l en-soi, c est là alors le nouvel objet par le moyen duquel surgit encore une nouvelle figure figure de la conscience; et cette figure figure a une essence différente de l essence de la figure précéden préc édente. te. Cette Ce tte circonstance circonstance est ce qui accom pagne la succession entière des figures de la conscien cons cience ce dans sa néce n écessi ssité[ té[ .. .... ] C est par cette 61

 

nécessi té qu un tel chemin vers la scien nécessité science ce est lui lui même déjà science, et, selon son contenu, est la science de l expérience de la conscience 1  » Heidegger observe justement que, dans l ex pression «Science de l expérienc expériencee de la conscience», le génitif n es estt pas objectif mais subjectif. «Science de l expérienc expériencee de la conscience» signifie que la conscience, le nou veau sujet absolu, est en son essence un che minement vers la science, une expérience

(ex-per-ientia, «provenir-de et aller-à travers») qui elle-même est déjà science. Autrement dit, expérience désigne simplement ici le trait fon damental de la conscience : sa négativité .essen tielle, qui la l a fait fait êt être re toujours déjà ce qu elle n e s t pas enco encore. re. Auss Aussii la dialect dialectique ique n est elle pas quelque chose qui viendrait du dehors

s ajo ajoute uterr à la conn connaissa aissance: nce: el elle le permet au contra con traire ire de vo voir ir jusqu jus qu à quel point, dan danss le nouveau sujet absolu (bien plus que dans le je cartésien) carté sien),, l essence de la con connais naissan sance ce s est désormaiss ident désormai identifiée ifiée à celle celle de l expérience. expérience. Que Qu e la conscience ait une structure dialectique, cela veut ve ut dire qu elle ne peu p eutt jamais jamais se posséder comme un tout, mais qu elle n est entière que dans le procès global de son devenir, dans son «calvaire». Le caractère négatif, qui était déjà dé jà impl implicit icitee dan danss l expérience traditionnelle - celle-ci, comme on l a vu, étant toujours 1

Hegel,, La Phénoménologie de l  esprit, op. cit t. I, Hegel

p. 75-77.

62

 

expérience de la m o r t - , devient ic ici la structu stru cture re même de l êtr ê tree hu humai main. n. Aussi Aus si l expér expérience ience est-e est-elle lle destinée, désormais, à demeurer quelque chose qu on ne peut avoir, mais seulement faire. Elle ne se donne jamais comm co mmee totali totalité, té, el elle le n es estt jamais entière entièr e que dans l approximation infinie du procès global : comme une« écu écume me de l infini», infini», pour repre re prendre ndre l image par pa r laquelle laquelle Hegel décrit, en citant cita nt Schil Schil ler à la fin de la Phénoménologie, l union de la

science e t de l histoire hist oire dans le le Savoir absolu : «Du calice de ce royaume des esprits écume jusqu jusq u à lui lui sa propre pro pre infin infinité ité • » La dialectique contemporaine, qui a étendu son domaine bien bie n au-delà au-de là des limit limites es du système pa r la la dialectique dialectique de la la hégélien- à commencer par nature, telle que Engels a tenté de l édifier-, s enracine dans cette conce conception ption d une expé expé rience marquée par le négatif, et échappant à l appr appropri opriatio ation: n: exp expéri érienc encee expro expropriée priée qui aujourd hui encore caract caractérise érise notre not re vi viee et à laquelle la dialectique (dia-légesthai, rassembler et dialoguer en traversant) a précisément pour miss mi ssio ion n de conférer une apparence appare nce d unité. C es estt pourquoi la critique de la dialectique compte parmi les les tâches les les plus urgentes urgente s qui inc incomb ombent ent à une exégèse marxienne soucieuse de s affran chir vraiment de l hégélianisme, s il est v r i e t 1

Hegel, La Phénoménologie

p. 313.

e

l esprit, op. cit., t. II,

63

 

il est vrai - q u on ne n e peut peut sa s a ns c o n t r a d i c  tion proclamer l aboli abolition tion d u sujet hégélien, la conscience, e n confiant ensuite à la dialectique le soin d en conserver la str st r ucture e t le contenu essentiel. Dépassement de l  l   opposition kantienne entre j e transcendantal et j e empirique, substantiva tion tio n du suje sujett en une une « psyché », voilà ce qui per met aussi à la psychologie du

xrxe

siècle constru ire le myt construire mythe he central de l épo époque que : de le mythe d un je psycho-somatique, réalisant e n

chair e t e n os cette union mystique de noûs e t d e psyché sur laquelle la métaphysique antique avait fait naufrage. La psychologie dite scienti fique, de Fechner à Weber et à Wundt, Wundt, s efforce de co cont ntou ourn rner er l impo impossib ssibilit ilitéé où se trouvait trouv ait la psychologie rationnelle de substantiver le sujet l e paralogisme psychologique de Kant), (voir comme com me l impos impossibil sibilité ité où se trouvait la psycho logie empirique de dépasser les limites d  d   une physiologie; elle tente de rejoindre le sujet, e n se construisant comme science des faits de conscience résul résultant tant d une un e mis misee en parallèle des phénomènes psychiques et des phénomènes · physiologiques concomitants (par exemple, u n cérébral, al, ou un unee sensa sensa état psychique et un état cérébr

tion e t une excitation). Mais c est précisément son hypothèse d un parallélisme psycho psycho-physio -physio logique qui trahit la filiation métaphysique de l a psychologie scientifique (justement ramenée par Bergson à i   opposition cartésienne entre res cogitans et r s extensa communiquant e n 6

 

l homm homme), e), ai ains nsii que l impossib impossibilité ilité où elle se trouve de saisir le fait de conscience, qu  qu   elle a scindé en deux : à la fois comme processus phy siologique e t comme conscience. Impossibilité, du reste, déjà affirmée par Leibniz, à propos de l explication de la percepti perception on en term termes es mécanistes (c est-à-dire « par figures et mouve ments») : «Fe «Feigna ignant nt qu il y ait une machine , dont la structure fasse penser, penser , sentir, avoir per ception : on pour po urra ra la concevoi concevoirr agrandie en conservant les mêmes proportions, en sorte

qu on y puisse entrer, comme dans un moulin. t cela posé, on ne trouvera en la visitant au au  dedans que des pièces qui se poussent les unes les autres, et jamais de quoi expliquer une per ception • » Tel est le cercle cercle dont do nt ne n e peut p eut sortir sort ir la psyc psycho ho p hysiologie du xrxe et dans lequel s est installée auss au ssii la psychiatrie psychiatrie moderne. moder ne. Ble Bleule ulerr en souligne naïvement le paradoxe fondamental, au début de son Traité de psychiatrie en déclarant que nous ne saurions définir définir la la conscie conscience nce au autr trem emen entt que comm commee « la qualité qualit é subjective d  d   un processus psychique », qualité qui ne peut toutefois être saisie directement que « dans notre intériorité ». C est sur une critique de la psychopsycho -physiolo physiolo gie du xrxe que s appuient Dilthey et Bergson (comme (co mme,, plus plus tard, Husserl et e t Scheler Scheler)) po pour ur tenLeibnizz, Dis 1. G . W . Leibni Discco u   s de m étaph taphysi ysiqu quee e t

logie é d . sous la dire dir ection de de p.49.

A

nadoRobinet,, Paris Robinet Paris,, Vrin , 1974 1974,,

65

 

ter d e saisir l a «vie» en une «expérience pure». Aux faits d e consc conscience ience que qu e la psych psychologi ologiee s ef

forçait de constr construire uire en leur conférant une sub stance sta nce psychophysique psychophysique,, il ils oppose op posent nt le caractère carac tère non substantiel e t purement qualitatif de l a conscience, conscien ce, tel que le révèle l expérience immé diate : la «pure durée» de Bergson, l Erlebnis d e Dilthey. Toute la «philosophie d e la vie», comme une lar large ge part de la culture de la fin d u siècle, poésie comprise, comprise , se consacr consacree à la captur cap turee d e cette expérience vécue, telle que la révèle l introspecti intro spection on dans son immédiateté préconcep préconcep

tuelle. tuell e. Le L e sens interne, qui qui pour pou r Kant était dénué dé nué d e toute valeur cognitive e t n   exprimait rien d autre, avec sa « rhapsodie de perceptions», que l impossibilité où se trou trouve ve le j e trans cendantal de se connaître lui-même, devient désormais l a source de l expérience la plus authe ntique. authentiqu e. Ma Mais is c est précisément précisément dans dan s l idée d Erlebnis, Erlebnis , d « expérience vécue » (comme dans les idées de «pure duré e » e t de « temp tempss vécu vécu ») que l a philosophie de la vie trahit ses contra dictions. Dans l  Erlebnis Erlebnis,, e n effet effet,, l expérience inté rieure se révèle comme un « courant de conscience » qui n a ni début ni fin e t qui, étant purement qualitatif, ne saurait être ni arrêté ni mesuré. C est pourquoi mesuré. pourq uoi Dilthey Dilthey compare notre être, tel que le révèle l expérience inté intérieu rieure re (innere (inne re Erfahrung) Erf ahrung) , une plante pl ante dont do nt les racines racines sont enfo enfouies uies dans le le sol e t do dont nt seul se dresse le feuillage; tandis que Bergson, pour expliquer

 

l acte par lequel nous accédons au flux des états de con consci scienc encee et e t à la durée dans sa pureté origi naire, doit recourir à une intuition, qu qu  il ne peut définir aut autrem rement ent que dans les les termes dont do nt usait la mystique néoplatonicienne pour caractériser l union à l Un:« C est e st la vis visio ion n directe de l esp esprit rit parr l esprit pa espri t [ .. ]conscience immédiate, visi vision on qui se distingue à peine de de l objet obj et vu.» À moin moinss qu il ne la compare à l inspir inspiration ation qui projette l écri vain «au cœur même du sujet suj et» » et e t qui ne se laiss laissee en aucune manière capter, parce que «si l on se retourne reto urne brusquem brusquement ent ve vers rs l imp impuls ulsion ion qu on

sent derrière soi pour la saisir, elle se dérobe » . Ainsi la philosophie de la vie finit-elle par déléguer à la poés poésie ie (qui recueille l hérit héritage age sous bénéfice d inventaire, quand elle ne s en ferme pas dans une impasse) ou à la mystique (qui l accepte accep te av avec ec enthousiasme, dans le revival de la théosophie fin de siècle) le soin de saisir l Erlebnis, c est-àest-à-di dire re l expérience pure sur quoi elle devrait se fonder fonder.. Ce n est pas un hasard si Dilth Dilthey, ey, ne considéran considérantt pl plus us l expé rience vécue que dans la mesure où elle cesse d être «muette» et «obscure» pour devenir «expression» dans la poésie et la littérature, e n est venu à transformer sa «philosophie d e l a à il finit vie» herméneutique; quant d une Bergson, dans da ns enl attente prophétique prophét ique «intuition 1. H. Bergson, Essai sur les données immédiates de l conscience, in Œuvres, t. 1 Paris, PUF, 1959.

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mystique diffuse» et d'une « vision de 1 au-delà dans une expérience scientifique élargie». Tel est le cadre où i l faut situer la tenta tive husserlienne : rétablir dans le «courant des Erlebnisse » une ex expérience transcendantale d u j e cartésien. Mais Husserl se heurte à une contradiction, particulièrement perceptible dans un passage p assage de la seconde Méditation cartésienne. cartésienne. Contestant à la psychologie empirique la possi bilité de fournir à i' i'eexp é rien encce de la conscience un donné originaire, i l écrit : «Partir des sensa tions, en effet, implique une interprétation- qui

semble à tor tortt toute na natu ture rell llee - de la vie ps psy chique comme un complexus de données du à la r i g u e u r -   interne , sens externe t données pour l'unification desquelles on fera intervenir ensuite les qualités de forme Gestaltqualitiiten). On ajoute encore, pour réfuter l ' atomisme , que les formes

Gestalten) sont

nécessairement impliquées dans ces données, donc que q ue les les touts sont so nt en soi ant antéérieurs aux par ties. Mais la théorie descriptive de la conscience, si elle procède avec un radicalisme absolu, ne connaît pas de données et de touts de ce genre genre,, sauf à titre d'idées préconçues. Le début, c' c' est l'expérience pure et, et , pour ainsi dire, muette encore, qu'il s'agit d'amener à l' l ' expression pure de son pr prop opre re sen sens. s. Or O r l'expression véritablement première, c'est celle du je sui suiss cartésien 1  » E. H u sser sserii, Médirat Médiratiions cartésie cartésien n nes, ira raccL G. Pei ff ë ï etE. Levinas, Pari Par is, Vrin Vrin,, 198 0, p . 33. l

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Ce concept d expérience muette (dans un pas sage des Leçons p ur une phénoménologie de l conscience consci ence intime du temps, t emps, à propos du du coura cou rant nt originaire de la temporalité intérieure et de son rapport au sujet, on peut lire : «pour tout cela nouss manquons de mots» nou mot s»)) a permis permis à Husser Husserll de s approcher au plus près de l idée d une expé rience rie nce pure pure,, c est-àest-à-dire dire antérieure tan tantt à la subjectivité qu à une réalité psychologique sup posée; il est curieux qu ensuite il ait pu l iden tifier à son «expression» dans l  ego cogito, autrement dit à son passage du mutisme à la parole. Que dans ce texte le sujet transcendantal

soit immédiatement saisi comme expression, c est-à-dire comme que quelqu lquee chos chosee de ling linguis uis tique, n est peutpeut -être pas un hasard; cela nous permet de mettre en question tant le geste de Descartes, fondant sur un pronuntiatum la certi tude de l ego cogito, que l identification op opé é rée par Dilthey de l Erlebnis à son expression. une théorie de l expérience qui voudrait, de manière vraiment radicale, poser le problème de son donné originaire, force serait de chercher un point de départ, en deçà de l « expression expression pr pre e mière», dans l expérience «encore muette pour ainsi dire». n d autres termes, force lui serait de demander: y a-t-il une expérience muette , y a-t-il une enfance de l expérience (in-fantia) ? Et, dans l affirm affirmative ative,, quel es estt son rappo rap port rt au langage?

9

 

  loses

1

L ET

CHUTE

D E M O N T AIGNE

L   INCONSCIENT

Dans le chapitre V I du second livre des Essais - qui contient, comme le suggère le titre D e l exercitation, un petit traité sur l expérience-, Montaigneune raconte un accident auquel il accorder importance particulière. U nsemble jour, dit-il, je m e promenais non loin de chez moi sur « un cheval bien aisé mais non guiere ferme», ferme» ,

qu and quan d un de mes ge gens ns,, grand et fo fort rt,, mon monté té su surr un puissant roussin qui avoit une bouche deses pcrée, frais au demeurant et vigoureux, pour faire le ha hard rdyy et devan devancer cer ses compaignon compai gnonss vint à le pousser à toute bride droict dans m a route, et fon dre co fondre comm mmee un un colos colosse se sur le petit homme et le peti pe titt ch chev eval al,, et le fo foudr udroie oierr de sa sa roideur ro ideur et de sa sa pesanteur, nous envoyant l  l  u n et e t l autre autre le les pieds pie ds contremont, contre mont, si que voil voilà à le chev cheval al abbatu et cou douz uzee pas au del delà, ché to tout ut es estou tourdy rdy,, moy dix o u do mort, estendu à la renverse, le visage tout meur try et tout escorché, mon espée que j avoy à la main, à plus de dix pas au-delà, ma ceinture en pieces, n ayant ni mouvement ni sentiment, non pl us qu un plus unee souch souche». e». Dans la description de son so n retour progressif à la conscience, Montaigne fait preuve d une incompara incomparable ble maîtri maît rise: se:« « Quand je co com m m er.çay à y voir, ce fut u u  ve veu ue si trouble, troub le, si foible et si morte, morte, qu quee je ne n e discern discernais ais 70

 

encores rien que la lumiere [. .. ]. Quant aux JuneJunetians de l ame, ame, elles naissaie naissaien t avec mesme progrez que celles du corps. corps. Je m e vy tout sanglant, sanglant, car mon pou pourpo rpoin inct ct esta estait it tac taché hé par tout du d u sang que j avoy rendu[ .. ]. Il m e semblait que m a vie ne m e ten tenait ait plus q u  au bout des lévres: je fermois les yeux pour ayder ayder,, ce m e sembloyt sembloyt,, la pousser pouss er hor hors, s, et preno prenois is plaisir m  alanguir et aller. C estoit une imagination qui ne m e laisser aller. faisait que nager supe sup erfici rficieellement en mon ame, aussi tendre et aussi faible que tout le reste mais la verité non seulement exempte de desplaisir, ains meslée à ce cett ttee douceur que sentent ceux qui q ui

se laissent glisser au sommeil. C e souvenir fournit le prétexte d une série de digressions: pour Monta Montaigne, igne, un état crépusculaire devient le modèle d  d  une forme d  expérience certes particulière, particulière, mais qui représente aussi en quel que façon l expér quelque expérience ience extrême et la plus authentique, au point de résumer emblématiquement me nt to tout utee la recherche des Essais. Car son état d inconscienc inconsciencee lui paraît êt être re le même « o ù se trouvent ceux q u  on voit défaillans de faiblesse en l agonie de la mo mort rt;; et ti tien enss que nous les plaignons gno ns sans caus cause, e, estimans qu ils soient soie nt agitez de griéves douleurs, douleurs, o u avoir l  l  ame pressée de cogitations penibles ». « J ay tousjour jourss pensé, ajoutet-il qu ils avaient et l ame et le corps enseveli et endormy : Vivit Vivit   t est vitae vita e nescius ipse suae. t ne pouva po uvais is cro croire ire que, que, à un si gran grand d estonnem est onnement ent

des membres et si grande dé défaillance des sens, l ame peu p eutt maintenir aucune force force au dedans 7

 

pour se reconnoistre.

Quelque chose de fort semblable se produit quand nous sommes sur le point de nous endormir, au premier « beguaye beguaye ment »du so somm mmei eil: l: av avan antt qu il ne s empare entiè entiè rement rem ent de de nous, nous, quan quand d nous sentons sentons «comme en songe ce qui se faict autour auto ur de nous, et (suivons) less vo le voix ix d une ouy ouyee troub trouble le et incerta incertaine ine qui qu i semble ne donner qu aux bords de l ame; et fai sons des responses, responses, à la suitte des dernieres »

paroles qu on nous n ous a di dites, qui ont o nt plus de for tune que de sens». « J avoy, reprendreprend -il mon estomac pressé de ce sang sa ng cail caillé lé,, me mess mains y cour c ouraie aient nt d elles elles mesmes,

comme elles font souvent où i l nous demange,

contre l advis de nostre volonté. Il y a plusieurs animaux, et des ho homm mmes es mes mesme mes, s, apre apress qu ils sont trespassez, ausquels on voit resserrer et remuer dess muscles. Chacun sçait de sçait pa parr experience experience qu il y a des parties qui se branslent, dressent et couchent so uven souv entt sans so son n cong congé. é. Or ces passions qui ne n o u s touch touchent ent que par l es esco cors rse, e, ne se peu peuven ventt dire nostres. Pour les faire nostres, i l faut que l homme y soit engagé tout entier; et les douleurs que le pi pied ed ou o u la main sentent sentent pen pendan dantt que nous n ous dormons, ne sont pa pass à nous nous.. » I l y a donc des expériences qui ne nous appar tiennentt pa tiennen pas, s, qui ne sont pas pas « nostres » mais qui pour cette raison même p a r c e qu elles sont expériences de ce qui échappe à l expérience  constituent la limite ultime que peut approcher notre expérie. expérie.n ce dans s..t t e f . s i n l vers l mort mort.. «Ce co cont ntee d un u n éve évenem nement ent si legier legier est assez va vain in,,

72

 

conclu t Montai conclut Montaigne gne,, n estai estaitt l instruction que q ue j en ay tirée pour moy: car à la verité po pour ur s apr apri i voiser à la mort, je trouve qu il n y a que de s en avoisiner[ .. }. Ce n est e st pa pass ici m a doctrine, c est mon estude; et n est pas la leçon d  d  autruy, c est la mienne  • Deux siècles plus tard dans les Rêveries u promeneur solitq.ire, Rousseau rapporte un épi sode tellement semblable que, s il ne témoignait témo ignait de cette sensualité exténuée généralement attri buée à Jean-Jacques, o n serait tenté de le croire directement inspiré de Mont Montaign aigne. e. «J étais su s ur les six heures à la descente de Menilmontant presque vis-à-vis du Galant jardinier, quand des

personnes qu quii marchaient devant devant moi s étant tout à coup brusquement écartées je vis fondre sur moi un gros chien danois qui, s élançant à toutes jambess devan jambe devantt un ca carr rros osse se,, n e ut pas m ê m e le tems de retenir sa course ou de se détourner qua nd il m apperçut [ .. }.Je ne sentis ni le coup, quand ni la chute, ni rien de ce qui s ensui ensuivit vit jusqu au moment où je revins à moi [. . .]. L état auquel je m e trouvai dans cet instant e.st trop singulier pour n en pas fai faire re ic icii la description. L a nuit s avança avançait. it. J apperçus le ciel quelques étoiles, et un peu de ver verdur dure. e. Ce Cett ttee pré prémié miére re sensation fut un m o m e n t dé déli lici cieu eux. x. Je ne m e sentais encor que par là. Je naissais dans cet instant à la vie et l m e semblait que je remplissais de ma legere Montaigne , Essais Pari Montaigne, Paris, s, Galli Gallimard mard Pléiade) Pléiade),, 19 1961 61,, p. 409 et suiv. 1

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existence tous les objets que j appe apperce rcevoi vois. s. To Tout ut entier ent ier au mo mome ment nt présent je ne m souvenais de rien;; je rien j e n avais nulle not notion ion di disti stinc ncte te de mon individu, pas la moindre idée de ce qui venait de m arriver; je ne savais ni qui j étais ni o ù jétois; je ne sentais ni mal, ni crainte, ni inquietude. Je voyais couler mon sang comme j aurais vu couler un ruisseau, sans songer ~ u l m n t que ce sang m appartint en aucune sorte. Je sentais dans mon être un calme ravissant auquel chaque tout fois que je m le rappelle je ne trouve rien de comp co mpar arab able le dan danss toute l acti activité vité des plaisirs connus  • » Ici aussi, aussi, un état crépusculaire et inconscient

devient le modèle d une expérience particulière; il ne n e s agit pourtant pas pas co comme mme chez Mon Montai taigne gne d une anticipation de la mo mort rt,, mais plutôt d une expérience de la naissance (« (« je naissais dans cet la vie»), instant est en même temps le récit chiffré dà un plaisirqui incomparable. Ces épisodes, comme deux messagers isolés, annoncent la naissance et le développement du concept d  d  inconscient au XIJC siècle, de Schelling et Schopenhau Schopenhauer er jusqu à la nouvelle et originale formulation qu en a donnée l œuvre de Freud. U n tel concept ne nous intéresse ici que par cercertaines de ses implications : en tant qu il concerne

unee théorie de l expé un expérienc rience, e, en tant qu q u il est le J.-J. Rousseau, Rê Rêvveri es du prome prom eneur solitaire solitaire, «Deuxièmee pr9m «Deuxièm pr9menad enadee >> in Œuvres compieces, Paris, Gaiii mard ma rd Pléiad Pléiade), e), 1959, p . 1004-1005. 1

7

 

sym sympt ôme e d un udninconsci mal alai aise se.ent . Nul que danssptôm dan l idée inconscient la doute, crise en du effet, concept moderne d expérience- entendons: de l expérience fondée sur le sujet cartésien- n atteigne son pl plus us ha haut ut de degr gréé d évi éviden dence. ce. Co Comm mmee le montre mont re clairem clairement ent so son n attribution une tro troiisième instance, à un Es, l expérience inconsciente n est nullement une expérience subjective, une expérience du Je. D u point de vue kantiei J., on n e saurait même l appeler expérience, faute de cette unité synthétique de la conscience (la conscience de soi) qui fonde et garantit toute expérience. L a psychanalyse nous montre, toutefois, que les expériences les plus importantes sont celles qui

appartiennent non au sujet, mais au «ça» (Es). «Ça» n est plus la mort, comme dans la chute de Montaign Mont aigne, e, car l expérien expérience ce a diamé diamétrale tralement ment changé de term terme: e: elle ne point po intee plus vers la mort, mais régresse vers l enfance. C est dans ce retournement, comme dans le passage de la première la troisième personne, qu il nous faut déchiffrer les traits d une expérience nouvelle. Il

L

POÉSIE MODERNE ET L EXPÉRIENCE

Cette crise de l expérience est le cadre général dans lequel la poésie mo mode dern rnee se si situ tue. e. Ca Carr bi bien en la

yneregarder, poésie moderne depuis Baudelaire se fonde nullement sur une nouvelle expérien ri ence ce,, mais sur un ma manq nqu u e d expérience sans san s précédent. D où la désinvolture avec laquelle Baudelaire peut placer le «choc» au centre de 7

 

son travail artistique. Car l   expérienc expérience e sert palement à mettre à l abri ldes surpr ises; surprises; et princi la pro

ductio duc tion n d un choc impliqu impliquee toujours toujours que s ouvre une br brèc èche he dans da ns l expérience. Fa Fair iree l expérie expérience nce d une chose signifie la priver de sa nouveauté, neutraliser son pouvoir de choc. Ainsi s explique la fascination exercée sur Baudelaire par la mar chandise chandi se et le « maquillage », autre a utrement ment dit pa parr ce ce qui éch échapp appee exempl e xemplairem airement ent à l exp expéri érienc ence. e.

homme qui a été dépos Avec sédé de Baudelaire, l expé expérien rience ceuns expose au choc sans la moindre protection. l expropriation de l expé rience, la poésie répo r épond nd en faisant de cett cettee expro priation une raison de survivre, transformant ën norme de vie ce qui ne peut être expérimenté.

Dans cett cettee perspective, la recherche d u nou veau » n apparaît plus comme la recherche d un nouvel o b et d expé expérien rience; ce; ell ellee impliqu implique, e, au

contraire, éclipselaetchose un suspens de ne l expé rience rie nce.. Es Esttune nouvelle dont on peut faire l expérience, expérience, parce qu elle gît « au fond de l inconnu » : la chose en soi kantienne kantienne,, l inexpéri mentable comme tel. Une telle recherche prend alors chez Baudelaire (on mesure par là sa luci dité) une forme paradoxale: le poète aspire à créer u n « lieu commun » (« cr crée éerr un poncif, ponci f, c  est le génie » ; que l on songe aussi au rythme parti culier de la poési poésiee baudelairienne, à ce cett ttee manière qui avait tellement frappé Pro Proust ust de côtoyer subi tement la banalit banalitéé  . Un lieu co comm mmun un,, c es est-à t-à-di -dire re quelque -h o sê qui ne n e p o uv ait êtr tree cré crééé que pûr une accum accumulat ulation ion séculair séculairee d  expériences, et non 7

 

inventé par Mais édans une situation o ù l ho homm mmeeunaindividu. été déposséd dépossédé de l expérience, la création d un tel« lieu commun » passe nécesnéces sairement par une destruction de l expérience quii, au moment même o ù elle en contrefait qu l autorité, révèle soudain qu en réalité cette desdes truction est la nouvelle demeure de l  homme  homme.. L étrangeté conférée aux objets les plus communs,, pour les faire échapper à l expérience, muns la

p o édevient ainsià faire caractéristique d un projet le noutique visant de l Inexpérimentable Inexpérimentable veau « lieu commun», la nouvelle expérience de l humanité. Les Fleurs du mal en sens, sont des proverbes de l  inexpérimentable. C est dans l œuvre de Prous Proustt qu a été soulevée

l objection la plus péremptoire contre le concept moderne d expérien expérience. ce. Car la Recherche n a pas pour objet une expérience vécue, mais quelque chose au et contraire qui n a étésoudain ni vécu dans ni expéexpé rimenté; son affleurement les«intermittences du cœu cœur» r» ne constitue constitue pas dav davan an-tage une expérience, dès lors que cet affleurement dépend précisément de la vacillation des conditions kantiennes de l expérience: le temps et l espace.. t avec les conditions de l expérience, c  est pace aussi le suj sujet et qu quii se trouve révoqué en doute. doute. Car l ne s agit certainement certainement pas du sujet moder mod erne ne de la

connaissance (Proust semble avoir plutôt à l esprit certains états crépusculaires, comme le rêve éveillé et la perte de conscience : «   e n e sava sa vais is pas au premie prem ierr instant qui j étais étais », telle est sa formule typique, dont Poulet a recensé les 77

 

innombrables variations); mais il dont ne s la agit pas davantage ici du sujet bergsonien, réalité ultime est accessible pa parr l intuition. De fa fait it,, ce que l intuition ré révè vèle le n es estt ri rien en d autr autree qu quee la pure succession des états de conscience, c est-à dire quelque chose d encore subjectif (et même, si l on peut dire, le subjectif à l état pur); alors que chez Proust il n y a proprement plus aucu aucun n sujet, mais seulement - suivant un singulier matérialisme - leune infinie dérive et une Cren con contre tre accid accidentel entelle d objets et de sensations. est le sujet dépossédé de l expérience qui vient ici faire valoir ce qui, du point de vue de la science, ne peut apparaître que comme la plus radicale négation de l expérience: une expérience sans sujet n i objet, absolue. L inexpérience, dont

Proust est mort selon Rivière « [ .. ] il est mor m ortt de n e pas savoir comment on allume un feu, o nlittéral comment ouvre :une fenêtre») être enten due au sens comme refusdoit et négation de l expérience. L a conscience d un unee atr atroc ocee dépossession de l expér expérience, ience, d un «vide d expérience» sans pré cédent, se trouve aussi au centre de la poésie de Rilke. Mais à la différence de Baudelaire et de de Rimbaud, qui confient résolument à l inexpéri mentable la nouvelle expérience de l humanité,

Ri Rilk e os osci cill llee l entre deux mondes D lke une part, mont mo ntre re dans l ange ange,, contradictoires. dans la marion nette, dans le saltim saltimbanque banque,, dan danss l enfa enfant nt les figures d:un Dasein quis esi totaleme-n.i libéré de toute expérience; de l autre, l évoqu évoquee avec nostal 8

 

gie les choses en quoi les hommes « accumulaient l humain » (dans l lett lettre re H ulevicz, ce processus d accumulation accumulati on es estt identifi identifiéé à cela même mê me qui permet de faire l expérience des choses); ce qui les rendait « vivables » erlebbaren) et dicibles » saglichen),, contrairement aux « apparences de saglichen) choses» dont « l Amérique nous bombarde» et dont do nt l existenc existencee ne dépend plus plu s que qu e de l « vibration de l  l  argent ». Cette situation de « déshérité » suspen sus pendu du ent entre re deux mondes mond es (to (toute ute époque, époque, écritélégie, « a ses déshérités, tels  l dans l septième élégie, que ce qu quii était était ne leu leurr appartient plu plus, s, et pa pass encore ce qui s approch approchee ») constitue l expérience centrale de i l ke ; co comme mme nom n ombr bree d œuvres œuvres rép répuutées ésotériques, ésotériques, sa poésie n a pas pour contenu une mystique quelconque, quelconque, mais l  l  expérience q u o -

tidienne d un citadin du

xx e siècle.

 

IV

Poser rigoureusement le problème de l expé rience, c est donc fatalement rencontrer le pro blème du langage. Ici prend tout son poids la critique que Hamann adressait à Kant une rai son pure « élevée au rang de sujet transcendan tal» tal » et af affi firm rmée ée indépendammen indépen dammentt du langa langage ge est

un non-sens, car« non seulement seule ment toute la faculté de penser réside dans le langage, mais le langage est aussi au cœur du différend de la raison avec elle--même». juste titre, ce elle cett auteu auteurr objecta objectait it à Kant que le langage étant immanent à tout acte de pensée, même a priori il aurait fallu conce voir une «Métacritique du purisme de la raison pure pu re» » : c est-à est-à-dire -dire une épuration du lan langage gage,, impossible toutefois à présenter dans les termes de la Critique puisque son problème ultime ne pouvait se formuler que comme une identité de la raison et de la langue : «La raison est langue : logos. Tel est l os à moelle que je ronge e t ronge rai jusqu à en mourir.» C est pou pourr avo avoir ir orienté o rienté le problème de la 8

 

connaissance sur le modèle de la mathématique que Kant, pas plus que Husserl, n a pu décou vrir dans le langage la situation originale de la subjectivité transcendantale, ni par suite tracer clairement les limites qui séparent transcendan tal e t linguistique. D e cette omission, il résulte dans la Critique que l apercepti aperception on transc transcendan endan tale se présente, présente , comme si c  était naturel, naturel, en ta tant nt que «je pens pense», e», en e n tant que sujet ling linguis uistiq tique ue et même, dans un passage extr ext r êmement signifi catif, e n tant que que «texte» «te xte» («Je pense, voilà donc l unique texte de la psychologie rationnelle, celui d où elle doit tirer toute sa science  .»). C est cette configuration «textuelle» de la sphère transcendantale qui, faute d avoir posé spécifi quement le problème du langage, situe le «je pense» dans une zone où transcendantal et lin

guistique semblent se confondre, autoris autorisant ant ai ains nsii Hamann à fai faire re valoir valoir le «prim «pr imat at généalogique» du langage sur la raison raison pure. Il est significatif que Husserl, dans un passage d e L Ori Origin ginee de de l géométrie où il s interroge interroge sur su r l objectivité idéale des objets géométriques, soit amené à poser le problème du langage comme condition condit ion de cette objecti objectivit vitéé : «Comme «Comment nt l idéa lité géométrique (aussi bien que celle de toutes les sciences) en vient-elle vient-elle à son so n objectivité idéale à partir de son surgissement originaire intra personnel dans lequel elle se présente comme formation dans l espace de conscience de l âme 1

Kant, Critique

de l

raison pure, op. cit., cit. , p. 1048.

82

 

du premier inventeur? Nous le le voyons par avance : c;est par pa r la médiation du langage qui lui 1 procure,, po procure pour ur ain ainsi si dire, sa chair linguistique linguistique » Seule la persistante domination du modèle géométrico-mathématique sur la théorie de l a connaissance permet de comprendre pourquoi Husserl - affirmant ici que « l  humanité se connaît d abo a bord rd comme communauté de de langage immédiate e t médiate », que « les hommes e n tantt qu hommes, la co-humanité, tan co-humanité, le le mond m ondee ooo] 0

0

0

et, d autre part, le langage, sont indissociable ment entrelacés et toujours déjà certains dans l  un unit itéé in indissociable de leu leurr corré corréla lati tion» on» - ai aitt alors évité de poser le problème de l origine du langage dans ses rapports à tout horizon trans cendantal: « Naturellement, bien qu  qu   il s  annonce égalemen égal ementt ic ici, nous ne nous engagerons engageron s pas dans

le problème problè me général de l  l  origine du langage oo o]o » Mais si nous renonçons, renonçons , suivant la suggestion de Hamann, au modèle d une évidence mathé matique transcendantale (qu (quii depuis depuis l Antiqui Anti quité té s enracine profondément dans la métaphysique de l Occident), et si nous subordonnons toute théorie de la connaissance à l élucidation élucidation de se sess rapports au langage, alors nous constatons que ce dernier donne au sujet tant son origine que son lieu propre ce n est que q ue dans e t par le lan gage ga ge qu il est pos possib sible le de rep représ résent enter er l  l   apercep tion transcendantale comme un « je pense » E. Husserl, L   Origine de la géom Derrida,, géoméétr triie trad . J oDerrida Paris, P U F, 1974, p. 180 1

83

 

Les études de Benveniste sur «la nature des pronoms» et sur «la subjectivité dans le langage» ga ge» le montrent montr ent bien, bien, en confirmant confirmant l'intuition hamannienne et la nécessité d'une métacritique du sujet transcendantal: c'est dans le langage et p a r le langage langage que l'hom l' homme me se se constitue en e n sujet sujet.. L a subjectivité n'est rien d'autre que l'aptitude du locuteur à se poser comme un ego; elle n'est nullement définissable par un sentiment muet que chacun éprouverait en son for intérieur, ni par le renvoi à une expérience psychique ineffable de l ego, mais seulement par un je linguistique transcendant toute possible expérience. «Cette subjectivité , qu'on la pose en phénoménologie ou en psychologie, comme on voudra, n'est que l'émergence dans ·l'être d'une propr pr opriét iétéé fondame fondamentale ntale du la lang ngag age. e. Es Estt ego

qui dit ego . Nou Nouss trouvons là là le fond fondemen ementt de la subjectivité , qui se détermine par le statut linguistique linguistiq ue de la per person sonne ne [ .. ] Le langage est ainsi ain si organisé organisé qu'il perm p ermet et à chaque locuteur locute ur de s approprier la langue entière en se désignant comme je . » Seule cette instance exclusive du sujet dans le langage lang age permet per met d'expliquer d' expliquer la nature particulièr particulièree du pronom je, ,à laquelle Husserl s'était heurté sans pouvoir vraiment la saisir : il croyait pouvoir en rendre compte en affirmant que «dans le discours solitaire solitaire,, le signifié (Bedeutung) de je 1 E Benveniste, Probièmes à iinguisrique généraie, Paris, Gallimard, 1972, p 260 e t 262

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se

réalise essentiellement dans

la

représentation

immédiate de notre propre immédiate propr e pers personna onnalité, lité, et c'est là que réside aussi le signifié de ce mot dans le discours de communication. Chaque interlocu teur a sa représentation du je (et par consé quent son concept individuel de je ; ainsi le signifié de ce mot change-t-il avec chaque indi vidu». Mais sur ce point encore, Benveniste montre qu'il est en réalité impossible de recou rir à une «représentation immédiate» et à un «conc ept individuel» «concept individuel» que chaque indiv individ idu u aura a urait it de lui-même. «Il n'y a pas de concept j englo bant tous les je qui s'énoncent à tout instant dans les bouches de tous les locuteurs, au sens où il y a un conce concept pt ar arbr bree auquel se ramènent tous les emplois individuels individuels de d e arbre Le je ne dénomme donc aucune entité lexicale. Peut-on

dire alors que j se réfère à un individu particu lier? Si cela était, ce serait une contradiction permanente admise dans le langage, et l'anar chie dans la pratique : comment le même terme pourrait-il se rapporter indifféremment à n'im porte quel individu et en même temps l'identi fier dan danss sa particul particularité arité ? n est en présence d'un d' unee cl clas asse se de mot mots, s, le less pro pronoms noms person personnels nels , qui échappent au statut de tous les autres signes sign es du langage. quoi donc j se réfère-t-il? quelque chose de très singulier, qui est exclu sivement linguistique : j se réfère à l'acte de discours individuel où l est prononcé, et il en désigne le locuteur. C'est un terme qui ne peut être êt re identifié que dans ce ce que nous avons avons appelé appe lé 8

 

ailleurs une instance de discours [ .. ] La réalité à laquelle

il renvoie est la réalité du discours • » Si cela est vrai, si le sujet a une «réalité de discours» au sens que l on a vu, s il n est rien d autre que l  ombre projetée sur l homme par p ar le système de dess indicateurs de l élocutio élocution n (compre nant non seulement les pronoms personnels, mais tous les autres termes qui organisent les relations rela tions spatiale spatialess et e t temporelles du sujet : ce ceci ci,, ça,, ici, maintenant, hier, demain, etc.), on com ça prend alors comment la représentation de la sphère transcendantale comme subjectivité, comme «je pense», se fonde en réalité sur une permutation entre le transcendantal et le lin guistique. e suje sujett transcenda transcendantal ntal n es estt autre que e «locuteur», et l pensée moderne s est construite sur su r l idée non expli explicité citéee que q ue e suje sujett du langage est e fondement de l expérience comme

de

l

connaissance.

t

c est une telle telle permutatio permu tation n

qui a permis à la psychol psychologi ogiee postkan po stkantienn tiennee d at at  tribuer à la co conscience tran transc scen enda dan nta tale le - dès lors qu elle se présentait, au même titre que la conscience empirique, comme un je je,, comme un «sujet» «suje t» - un unee su subs bsta tanc ncee ps psychologique. P a r conséquent, conséquent , s il faut rep repren rendre dre une fois encore la rigoureuse distinction kantienne de la sphère transcendantale, il faut lui adjoindre en même temps un unee métacritique capable capable de tracer tr acer résolument les limites qui la séparent de la sphère d u langage langage,, e t capable de placer le trans1. E. Benveniste, Benveniste, op cit cit.., p. 261

86

 

cendantal au-delà du « texte » j e pense, c est-à dire au-delà du suj sujet et.. Le L e transcendantal ne peu p eutt être êt re le subject subjectif if : à moins moins que q ue transc transcendan endantal tal n e signifie simplement : linguistique. n ne saurait sur d  d   autre base que celle-là poser en termes non équivoques le problè problème me de l expérie expérience. nce. Car C ar s le sujet n  n   est que le locuteu locuteur, r, contrairement à ce que croyait Husserl nous n att attein eindro drons ns jamais dans dans le sujet le sta statut tut ori origi gi nel de l  l   expérience, «l expérience pure et, pour ainsi dire, encore muette ». La constitution du sujet dans et par le langage est bien plutôt l ex pulsion même de cette expérience «muette» : autrement dit, elle est toujours déjà «parole». Loin d  d   être quelque chose de subjectif, une expérience originaire ne pourrait être alors que ce qui, chez l homme, se trouve avant le sujet, c est-à est-à-dire -dire avant le lan langag gage: e: une expérience

«muette»

au sens littéral du terme, une en en

l   homme, dont do nt le langage devrait préci fance de l  sémentt marqu sémen mar quer er la lim limit ite. e. Unee théorie de l expérience ne pourrai Un pourrait, t, en ce se sens ns,, qu êt être re une théo théorie rie de l en-fance; e t son problème central devrait se formuler ainsi : y a-t-il quelque chose comme une en-fance de l homme? Comment l en-fance est-elle possible en tant que fait huma humain in ? E t si elle est pos sibl si ble, e, quel est est son lieu lieu? ? Mais on voit aisément qu une telle en-fance n est pas quelq quelque ue ch chos osee qu on pourrait aller chercher, avant le langage e t indépendamment de lui, dans une quelconque réalité psychique

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dont le langage constituerait l  l   expression. Il

n ex exis iste te pas de d e faits psychiques subjectifs, subjectifs, pas pa s «de faits de conscience » qu une science de la psyché puisse prétendre atteindre indépendam ment et en deçà du sujet, pour la simple raison quee la conscie qu conscience nce n est que le sujet du lang langage age et n e peut être d é f i n i e - pou pourr reprendre repr endre l exp expres res sio si on de de Bl Bleuler - au autr trem emen entt qu que co comme «la qualité subjective des processus psychiques ». O n peut certes tenter de substantiver une en fance, un «silence» du sujet, en recourant à l idée d un «flux de conscience» insaisissable et ininterrompu, qui serait le phénomène psychique originaire; mais lorsqu on a voulu ensuite cap ter ce courant originaire des Erlebnisse et lui donner réalité, la seule solution a consisté à le faire parler dans le «monologue» intérieur. La lucidité de Joyce, Joyce, c  c  est précisément précis ément d avoir co com m

pris que le flux de conscience n a d autre au tre réa réalit litéé qu e « monolog que monologique ique » c est-à-dire langa langagière gière : aussi le monologue intérieu intér ieurr peut-il, peut-il, dans Pinne gans Wake, céde céderr la place place au mythe d un u n langage langage absolu, au-delà de toute «expérience vécue» e t de toute réalité psychique censée le précé der. Sans doute estest -il possible d  d   identifier cette enfance de l  l  homme à l  l   inconscient freudien, qui occupe la partie engloutie de la terre psy chique chi que;; mai maiss en tant que Es, en tant que« tiers», comme le montre cette fois encore Benveniste, il est en réalité une non-personne, un non-sujet (al-ya ihu, l abse abs e nt, selon l  l ex pr preession des gram gram mairiens arabes), qui n e prend sens que dans

 

son opposition à la personne; rien d étonnant, donc, si Lacan nous montre que cet Es n a lui non plus plus d autre aut re réalité que langagi langagière ère,, qu il est e st lui-même langage langage.. (Pa (Parr pare parenthè nthèse se : l inclusion du Moi e t d e l Es dans le langage exclut nette ment d e la psy psycho cholog logie ie l int interp erprét rétati ation on laca nienne d u freudisme freudisme..) Ains Ai nsii l idée id ée d une un e enfance enfance qui serait« serai t« substance psychique» apparaît-elle comme un mythe, a u même titre ti tre que celle celle d un suj sujet et prélinguistique; e t lang enfance langage age sem semblent blent renvoyer circulaire circulaire  ment l un à l autre, l enfan enfance ce étant l ori origin ginee d u langage e t le langage langage l origine de l enfance. Mais Ma is c est peutpe ut-êtr êtree dans ce cerc cercle, le, précisément, qu il nouss faut cherch nou chercher er le le lieu de l expérience e n tant qu enfance de l homme. Car l expérie expérience, nce, l en fance dont l s agit ici, ne peut être simplement quelque chose qui précède chronologique ment me nt le langage et qui cesse cesse d exi existe sterr à u n

pour accéder à la parole; l n e moment donné s agit agit pas d un paradis que nou nouss quitterions quitteri ons défi défi nitivement un jour pour nous mettre à parler; elle coexiste originellement avec le langage, ou plutôt elle se constitue dans le mouvement même d u lan langag gagee qui l expuls expulsee pour po ur produ pr oduir iree à chaque cha que fois fois l homm h ommee comme sujet. sujet. Si cela est vrai, si nous ne pouvons accéder à l enfance e nfance sans nou nouss heu h eurt rter er au a u lang langag agee qui semble

à en garder l accès comme l ange l épée flam boyante sur le seuil de l Éden, le problème d e l expérience comme patr patrie ie origine originelle lle de de l homm ho mmee devient alors celui de l origine du langage, dans 9

 

sa double réalité de langue et de parole. Pour pouvoir prétendre que nous avons saisi une «expérience pure et muette», une enfance humaine e t indép indépenda endante nte du lang langage age,, il faudrait pouvoi pou voirr atteind att eindre re un moment où l homme existe existe sans que le langage existe encore. Mais une telle conception de l origine du langage, comme l a démontré la linguistique à partir de Humboldt déjà, est parfaitement illusoire : «Nous sommes toujours portés à imaginer naïvement un temps originel au cours duquel un homme complet aura au rait it renc r encont ontré ré son sembl semblable able,, également égale ment com com plet; ple t; entre e ntre eux se serait progressivement formé le langage. C est là pure rêverie. Nous ne trou vons jamais l homme homm e séparé sép aré du langage, langage, ni ne le voyons jamais en train de l inventer [ .. ] C est u homme doué de parole que nous trouvons dans le monde, un homme qui parle à un autre homme, et c est le langage qui permet de défi

  •

nir l homme » C est donc par le langage que l homme, tel que nous le connaissons, se consti tue com comme me homme; et si lo loin in qu elle elle remonte r emonte en arri ar rièr ère, e, la lin lingu guist istiqu iquee n at atte tein intt jamais ce ce qui serait ser ait un commencement chronologiqu chronologiquee du lan lan gage, u «a «ava vant nt» » du langa langage ge.. Cela Ce la sig signi nifie fie-t-t-il il que l hum humain ain e t le li ling ngui uis s tiquee s identifient sa tiqu sans ns res reste, te, qu il faut pa parr conséquent laisser de côté le problème de l oriœuvre sur su r l Kavi. · 1 W von Humboldt, Introduction à l œuvre Une traduction française de P Caussat a été publiée en

1974 19 74 (Paris, (Paris , Seuil).

90

 

gine gi ne du langage langage,, parce qu q u étranger étran ger à la science sci ence?? Ou

il

bien n cela signif sig nifieie-ttmêm - plutôt que celaproblème est bie l Inco Incontour ntournable nable même, e, auquel scienc sci encee doit s affronter pour po ur trouver sa sa situat situation ion prop pr opre re e t sa rigueur? Nous faut-il vraiment renoncer à la possibilité d  d   atteindre, grâce à la science d u langag lan gage, e, cet Incontournable ou cette enfance qui seule permettrait d établir un nouveau concept d   expérience, libéré libéré du conditio co nditionnemen nnementt subjec tif? E n réalité, nous ne devons renoncer à rien d autre qu qu  un sciences concept ddeorigine forgé sur un modèle que  à les la nature ont elles mêmes mêm es abandonné et q u définit l origine origine comme un point poin t dans une chronologie, comme comme une cause initiale séparant sépar ant dans le temps un avant-soi d   u n après-soi. U n tel concept est inutilisable e n sciences humaines chaque fois que ce dont il s agit ne présuppose pas l humain déjà consti tué,, mais le consti tué constitue tue au contraire. contraire. L origine d un un

tel« être>>

ne peut être historicisée parce qu   elle est elleelle-même historicisante c est elle quiqu  qui fonde la possibilité de quelque chose comme une «his toire». Voilà pourquoi, face à toute théorie qui voit dans le langage une «invention des hommes», se dresse toujours celle qui voit en lui un «don des dieux». L affrontement de ces deux thèses, puis le progressif dépassement de leur opposi et de

tion dans la la ont pensée pensée de Hamann, Halamann, de Her H erde derla r lin Humboldt, marqué naissance de guistique moderne. e fa fait it,, le problème p roblème n es estt pas de savoir si la langue est une menschliche 9

 

Erfindung ou une gottliche Gabe car

: __

du

point de vue des sciences humaines - les deux hypothèses confinent au mythe; mais de com prendre que l origine d u langage est à situer nécessairement en un point où se brise la conti nuelle opposition entre diachronique e t syn chronique, entre historique e t structurel, et où se laisse saisir - comme Urfaktum ou archi événement - l unité-différence de l invention e t d u don, de l humain e t du nonnon -humain, de la parole e t de l enfance. (Allégoriquement, mais résolument, résol ument, c est bien b ien ce que fait Hamann, e n définissant la langue des hommes comme « tra duction» de la langue des dieux : ainsi l origine d u langage e t de la connaissance est-elle pour lui une communicatio idiomatum entre l humain e t le divin.) U n tel concept d origine n a rien d abstrait, ni de pure pu reme ment nt hypothétique; hypothét ique; c est quelque quelque chos chose, e,

au contraire, dont la science du langage langage peut pro pr o duiree des exemp duir exemples les concrets concrets.. Qu est-ce e n effet que la racine indo-européenne, telle que la resti tuee la compara tu co mparaison ison philologique des langues langues his his toriques, sinon une origine? Une origine qui n est pas simplement repoussée en amon amontt dans le temps, mais qui vaut comme instance également présente e t opérante dans les langues histo riques. Située au point où coïncident coïncident diachronie diachronie e t synchronie, elle est un état de la langue non

attesté atte sté historiq historiquement, uement, une «langue jamais par par lée» mais quî n  n   e n est pas moms réelle, et à ce titre elle garant garantit it tan t antt l intell intelligib igibilit ilitéé de l histoire 9

 

linguistique que la cohérence synchroniq synchroniqu ue is

du

système. Une telle origine sera ama rement réductible à des «ne f a it its», s», jqu qu   o n entiè pour rait supposer historiquement historiquem ent advenus; elle est quelque chose qui n a pas encore cessé d adve nir. Cette dimension, dimension , nous pourrions la défi nir comme celle d  une histoire transcendantale, constituant e n un sens la limit limitee et la structure a priori de tout toutee connaiss connaissance ance historique. historique. Voilà le modèle modèl e selon lequel le quel nous devons devons nous nou s représenter, dans son rapport au langage, une expérience pure et transcendantale qui, en tant qu enfance de l  l   homme, soit libérée aussi bi biee n du sujet que de de tout t out substrat psychologique. Elle n est e st pas un simple fait, dont on pourrait isoler le lieu chronologique, chronologi que, ni quelque chose comme un état psychosomatiq psychosomatique ue qu un unee psycho psycholog logie ie infan infa n tile (sur le le plan de la la parole par ole)) e t un unee paléoanthro paléoant hro pologie (sur le plan de la langue) pourraient construire comme fait humain indépendant d u

langage . Mais elle n  es t pas non plus quelque langage. chose qui soit susceptible de se résoudre entière ment dans le langage, sinon en tant qu origine transcendantale de celui-ci, ou archilimite a u sens défini plus haut. n tan tantt qu enfa enfance nce de l ho homm mme, e, l expérie expérience nce es estt sim simple plemen mentt l différence entre l humain et le linguistique. Que l homme n e soit pas toujou toujours rs déjà parlant, q u  i l ait été et soit encore en-fant, voilà qui constitue l expérience. expérience . Mais qu il y ait e n ce sens une enfance d e l homme, qu il y ait une différence entre l h u  main et le linguistique, linguistique , cela ne constitue pas u n 9

 

évén év énem emen entt parmi d autres dan danss le cours cours de l his his ni

toire des hommes, une homo mo caractéristique sapie sa piens. ns. D e fai d aut res autre s de l esp espèce èce ho fait, t,parmi l en en fance agit principalement principalem ent sur le le langage, langage, qu ell ellee constitue et conditionne de manière essen tielle. a r l existence même d une telle enfance, c est-à-dire de l expérien expérience ce en tan tantt que li limi mite te transcendantale du langage, langage , exclut que le lan gage puisse en soi se présenter comme totalité e t véri vérité. té. San Sanss l expérience expérience,, sans enfance de l homme, homme la langue langue serait sera it certainement un jeu et sa vé ritéé ,coïnciderait vérit avec avec son usage usage correct, sui vant va nt des règles logiq logiques ues.. Mais dès lors qu q u un unee expérience existe, dès lors qu il y a une enfance d e l homme dont l  l   expropriation est le sujet du langage, le langage apparaît comme le lieu où l expérience doit devenir vérité. Autrement dit, l instance de l  l   enfance, comme archilimite dans le langage, se manifeste en le constituant consti tuant en e n lieu lieu e

de la véri vérité. té. du que Wittgenstein en limite «mystique» langage, à la fin pose du Tractatus,

n est es t pas une u ne réalité psych psychiqu iquee située en deçà o u au-del audelàà du langa langage ge dans dans les les nuées d une préten p réten due «expérience mystique»; c est précisément l origine transcendantale du langage, c est sim plement l enfance de l homme. L ineffable est en réalité, enfance. L expé expérie rience nce est le mystérion qu institue tout homme du fait qu il a une enfance.niCe mystère n engage pas l homme à une silence mystique de l ineffable, mais au le voue au contraire à la parole et a la vérité. D e même mê me que l enfance destine le langage langage à la 94  

vérité, de même le langage constitue la vér vérité ité e n destin de l expérience. Aussi la vérité n est-elle définissable, ni à l int intérie érieur ur ni même à l extérieur du langage, comme un état de fait ou comme une «adéquation» entre celui-ci et le langage : enfance, vérité et langage se limitent et se consti tuent tue nt mutuellement, selon une relation originale et historico-transcendantale au sens défini plus haut. Mais Ma is de l enfan enfance ce résulte rés ulte au auss ssi, i, pou p ourr le lan gage, une autre conséquence plus décisive : car elle provoque en lui cette scission entre langue e t discours qui caractérise le langage humain, de manière fondamentale et exclusive. Le fait qu existe une différence entre langue et parole et qu il soi soitt possible possible de passer p asser de l une un e à l autre - l e fa fait it que q ue tout to ut homme parlant p arlant soit le le lieu d e cette différence et de ce passage - n a rien de naturel n d évident, pou pourr ai ains nsii di dire; re; c es estt dans le langa langage ge de l hom homme me un phénom phé nomène ène cen cen  tral, dont nous commençons à peine - grâce

notamment aux études de Benveniste -   découvrir découvr ir la diffi difficu culté lté et l impo i mportan rtance; ce; l reste le problème essentiel auquel devra se mesurer tout to utee future futu re scie science nce du langage. langage. Ce n es estt pas p as la langue en général, suivant la tradition de la métaphysique oc occidentale - qui voit e n l homme un zôon l6gon échon un animal doué de parole - qui ~ r c t é r i s e l homme parmi les autres êtres vivants, mais la scission entre langue e t parole, entre sémiotique et séman tique (au ( au sens sens de Benveniste), Benveniste), entre entr e système système de 9

 

signes et discours. Les animaux, de fait, ne sont pas dépourvus de langa lang age; au contraire, ils sont toujours et absolument langue; chez eux, point d interruption ni de fracture dans « la voix sacrée de la terre ingénue », que Mallarmé ente en tend nd dans le chant d un grill grillon on et qu  qu   il oppose à la voix humaine comme « une e non-décompo sée» sé e».. Les animaux n acc accèden èdentt pas à la langue, langue, ils sont toujours déjà en elle. L  L   homme au contraire, en tant qu  il a une enfance, enfance , en tant qu il n es estt pas toujour toujourss déjà parlant parlant,, sci scind ndee l unité de cette langue et apparaît comme celui qui, pour parler, doit se constituer en sujet du langage et doit dire . Si donc la langue est vrai mentt la nature de l h o m m e - « nature », à bien men y réfléchir, ne pouvant signifier que langue sans parole, génesis synechés « origine con-tinue», suivant la la définition définition d Ari Aristo stote te;; et e t « être nature» signifiant être toujours déjà dans la langue alors la nat nature ure de l homme e st scindée de manière originale, parce que l enfance introduit en elle la discontinuité et la différence entre

langue et discours. discours . cettee dif différ férenc ence, e, sur cet cette te dis is E t c est sur cett continuité continui té que se fonde l historicité de l êt être re humain. humai n. S il a une histoi histoire, re, si l homme est un être historique, c est seulement parce qu il a une enfance de l homme, parce que le langage ne s identifie pa pass à l humain, parce qu il y a une différence ee-ntr ntree langue et discour discours, s, entr en tree sémio sémio tique e t sémantique. À la considérer absolument, la langue est purement purem ent nature, par parce ce qu elle est 9

 

en so soii an-historique; el elle le n appe appelle lle nulle nullement ment une histoire. Qu on o n imagine imagine un homme qui vien drait au a u monde déjà doté du langag langage, e, un homme homm e toujours déjà parlant: pour un tel homme sans enfance, le langage ne serait pas quelque chose de préexistant qu il devrait devrait s approprier, et il n y aurait pour lui ni fracture entre langue et parole, ni devenir historique de la langue. Mais pour cette raison même, un tel homme serait immédiatement uni à sa nature, il serait tou jours déjà nature, il ne trouverait nulle part en elle de discontinuité ni de différence permettant l avènement de quelque chose comme une his toire. Telle la bête, dont Marx dit qu
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