GEO_Extra_-_Mai_Juillet_2015.pdf

December 20, 2017 | Author: lcarlosbrito | Category: Cocoa Solids, Coffee, Maize, Organic Farming, Wheat
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EXTRA

NOUVEAU

FRUITS ET LÉGUMES Vive les fermes verticales !

NO 2

Japon, Indonésie, Norvège, France… Les idées pour (enfin) combattre le fléau de la malbouffe et nourrir la planète

BIO Ces Bretons qui défendent le terroir BON ET SAIN Des insectes dans nos assiettes

GASTRONOMIE Les nouveaux chefs viennent de Scandinavie

ALGUES Les ressources savoureuses de l’océan

ENTRETIEN Vers la fin de la faim dans le monde ?

GUIDE Notre sélection des saveurs du monde

ET AUSSI… BELGIQUE : À LA DÉCOUVERTE DES FOLLES FÊTES DE LA FLANDRE

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Ce que les cuisines du monde nous apprennent

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L’ALIMENTATION

BEL : 7,50 € – CH : 13 CHF – CAN : 14 CAD – D : 11€ – ESP : 8 € – GR : 8 € – LUX : 7,50 € – ITA : 8 € – Port.Cont. : 8 € – DOM Avion : 11 € – Bateau : 7,50 € – MAY : 11 € – Maroc : 85 DH – Tunisie : 9 TND – Zone CFA Bateau : 6 000 XAF – Zone CFP Avion : 2 000 XPF. Bateau : 1 100 XPF.

EXTRA

PETIT DEJ’ Istanbul, Tokyo, Reykjavík… Le top des menus

L’alimentation

MAI-JUILLET 2015

Derek Hudson

ÉDITO

Xinhua/Zuma/REA

Espoir. Notre reporter raconte comment, à Java, les paysans se battent pour préserver un riz durable. Voir p. 38.

Folie. Les Chinois adorent manger du porc. Mais cette fièvre de consommation a des effets néfastes… Voir p. 64.

Aline Gérard / Cook and Shoot

U

ne récolte de révoltes. Nous aurions pu consacrer un magazine entier à la colère que provoquent en chacun de nous les informations alarmantes qui nous parviennent de la «planète Alimentation» : les chiffres de l’obésité et du surpoids (46 % en France, la moitié de l’humanité en 2030), les photos écœurantes de bovins entassés dans des enclos, de poissons raclés en masse dans les océans, les projets de loi stupides comme celui qui, il y a quelques mois, visait à réglementer les semences dans les potagers privés. L’article sur la passion (dévorante) des Chinois pour la consommation de porc et les dégâts qu’elle occasionne (jusqu’en Argentine !) suffit à illustrer le tableau absurde d’un monde qui, désormais, ne souffre plus tant de ne pas manger à sa faim que de manger trop et mal. Nous avons voulu nous intéresser aux signes d’espoir. Ceux qui montrent que la planète Terre peut ambitionner de nourrir 9 milliards d’hommes en 2050 sans les empoisonner. Le chantier est vaste, mais les solutions sont nombreuses : dans l’éducation, la logistique (rapprocher la production de la consommation), le comportement individuel (moins gaspiller, moins manger de viande…), le rétablissement des savoirs et des techniques traditionnels. Sans négliger la confiance dans l’innovation technologique : l’agriculture urbaine, la transformation des algues… La malbouffe est un dangereux tsunami, mais nos reportages montrent que le monde n’attend pas, ignorant et indolent, la vague qui pourrait l’emporter. �

Ian Teh/Agence Vu

Ce n’est pas la faim du monde

ERIC MEYER, RÉDACTEUR EN CHEF

Alternative à la viande ? Et si les insectes devenaient une source importante de protéines ? Voir p. 72.

GEO EXTRA 3

www.geo.fr

SOMMAIRE 6 20

Hanna Whitaker

26

Petit déj’ équilibré ? D’Istanbul (ci-dessus) à Reykjavík, comment mange-t-on le matin ? Voir p. 82.

38 52 62 64 72 82 94

Vincent Callebaud Architecture-www.vinvent.callebaud.point.org

96

Fermes verticales. Absurde ? Non : une solution pour nourrir notre planète désormais largement urbaine. Voir p. 52.

106 107 116 122 133

PANORAMA Les aliments phares de l’humanité. Café, riz, blé… Notre alimentation se mondialise pour le meilleur… ou pour le pire. SCANDINAVIE La grande leçon des chefs vikings. Fraîche comme la Baltique, leur cuisine a su renouer avec la nature. FRANCE Ces Bretons qui ont du goût. Avec leurs produits du terroir, ils redorent l’image de la région. INDONÉSIE 600 villages de Java résistent à l’industrialisation de la production de riz. AGRICULTURE URBAINE Bientôt des fermes gratteciel ? Une solution pour nourrir, en 2050, 9 milliards d’êtres humains. FOCUS L’agroforesterie. Mariant plantes et arbres, cette pratique pollue moins. CHINE Sous l’empire du cochon. Son élevage à grande échelle fait des dégâts dans le pays mais aussi ailleurs… TENDANCE Des insectes dans nos assiettes ? Consommés déjà dans une grande partie du monde, ils commencent à séduire les chefs occidentaux. MODES DE VIE Quel est le petit déjeuner idéal ? Tour d’horizon planétaire commenté par Paule Neyrat, diététicienne. FOCUS La vogue des algues. Leur production mondiale est en pleine croissance. ART 20 000 ans de festins. L’histoire de l’art en dit long sur nos goûts. À LIRE, À VOIR Des livres, une expo, un DVD… Pour en savoir plus sur l’alimentation. GUIDE Le tour du monde des saveurs. Huit délices à découvrir. ENTRETIEN «A quand la fin de la faim ?» Rencontre avec Bruno Parmentier, spécialiste de l’alimentation dans le monde.

Photo de couverture : Kiefer Hartmut/ Corbis. Abonnement : ce numéro comporte un encart «Linvosges» en quatrième de couverture pour les abonnés, une carte jetée abonnement en Belgique et une carte jetée abonnement

BELGIQUE Fêtes folles en Flandre. Le regard émouvant du photographe Nick Hannes sur sa région et ses traditions. CHRONIQUE

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NOURRIR L’HUMANITÉ Blé, maïs, pomme de terre, sucre… Depuis des millénaires, ces denrées accompagnent les hommes au quotidien. Mais aujourd’hui, beaucoup d’entre elles sont devenues des enjeux industriels. D’autres, des symboles de résistance. PAR CLÉMENT IMBERT (TEXTE)

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PANORAMA

Longtemps connu des seules peuplades de l’altiplano péruvien, qui l’ont domestiqué il y a 10 000 ans, ce tubercule a, depuis, conquis le monde. Et s’est banalisé. Mais, en 1997, pour tenter de préserver ce cadeau des Andes à l’humanité, une aire de sauvegarde spéciale, le Parque de la Papa (parc de la pomme de terre), lui fut dédiée près de Cuzco. Sur 12 000 hectares s’échelonnant le long de l’ancienne vallée sacrée des Incas, le sanctuaire abrite 400 variétés indigènes, placées sous la surveillance des Indiens quechuas. A l’image de ces deux paysans, protégeant dans des nids de paille leur récolte d’ocas (une plante locale, proche cousine de la pomme de terre).

Biosphoto / Jim Richardson / National Geographic Society

LE SANCTUAIRE ANDIN DE LA POMME DE TERRE

C. Cecil / The Image Works /ASK

Le cacao

RUÉE SUR L’OR BRUN IVOIRIEN Reconnaissable à sa cabosse virant au jaune lorsqu’elle est mûre, le forastero est l’une des trois variétés de cacaoyers cultivées dans le monde. Grâce à sa résistance aux maladies et sa croissance vigoureuse, le forastero s’est imposé dans 80 % des plantations. Originaire des forêts d’Amazonie, il a essaimé dans toute Afrique de l’Ouest, notamment ici, en Côte d’Ivoire, où les premiers plants débarquèrent en 1880. La fièvre du cacao n’a depuis plus lâché le pays. Malgré une superficie égale à celle de l’Italie, il est devenu, depuis 1970, le premier producteur de fèves, assurant plus du tiers de la consommation mondiale. Aujourd’hui, c’est 700 000 petits planteurs qui vivent de la culture du cacao. Ils sont rémunérés 30 % du prix d’achat de cette denrée sur le marché international. Une aubaine lorsque sa valeur flambe : en dessous de 1 000 dollars la tonne dans les années 1990, elle a passé la barre symbolique des 3 000 dollars à la fin de l’année dernière.

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PANORAMA

Le blé

En juillet, le ballet des moissonneuses-batteuses dans les immenses champs des Grandes Plaines marque le début de la récolte. Parmi les Etats de la Grain Belt (la «ceinture du grain», qui regroupe les régions céréalières du Midwest), le Kansas est devenu, en 2014, le premier grenier à blé des Etats-Unis, avec une production de 11 millions de tonnes. Depuis le XIXe siècle, on y cultive une variété de cette graminée introduite par des colons russes, qui a la particularité de rester en phase végétative tout l’hiver – d’où son nom, winter wheat. Elle a permis d’augmenter les rendements, et les Etats-Unis occupent ainsi la quatrième place parmi les pays producteurs de blé.

National Geographic Creative

UNE GRAINE RUSSE ENRICHIT LE KANSAS

PANORAMA

AU MEXIQUE, LA BIODIVERSITÉ EN DANGER

Le maïs

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Stringer Mexico / Reuters

Dans ce pays, le maïs est un trésor national. Domestiquée par les Indiens d’Amérique centrale il y a 6 000 ans, divinisée par les civilisations précolombiennes, la graminée constitue le socle de l’alimentation locale. Au fil des siècles, les paysans ont sélectionné les semences les plus vigoureuses et se les sont échangées, créant ainsi des milliers de variétés. Devenus les garants de cette biodiversité unique, ils protestent régulièrement contre les tentatives des grands semenciers de leur imposer leurs plants de maïs génétiquement modifiés. Comme cet activiste, le corps enduit de farine, photographié à Mexico en 2011, lors d’une manifestation contre Monsanto.

Volodymyr Goinyk / Alamy / Hemis.fr

Le thé

CETTE FEUILLE CHINOISE A CONQUIS LA PLANÈTE Le théier, un arbre au feuillage persistant de la même famille que le magnolia, poussait à l’origine – et à l’état sauvage – au flanc des montagnes du sud-ouest chinois. A l’échelle de l’humanité, sa culture est relativement récente, et commença probablement aux alentours du IIe siècle avant J.-C., sous la dynastie Han. Depuis, la plante a colonisé les régions montagneuses d’une quarantaine de pays tropicaux et semi-tropicaux, et fournit chaque année 5 millions de tonnes de feuilles. Quatre Etats réalisent plus des deux tiers de sa production : la Chine, qui est le berceau historique de la boisson et aujourd’hui leader mondial, l’Inde et le Sri Lanka, où les plantations furent massivement développées par l’administration coloniale britannique, et le Kenya, qui a découvert la plante au début du XXe siècle et en a fait le fleuron de son agriculture (25 % de la valeur de ses exportations est assurée par le thé).

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LE SYMBOLE DU COMMERCE ÉQUITABLE

PANORAMA

Multipliée par 100 depuis 1850, la production de cette graine rouge originaire d’Ethiopie a aujourd’hui franchi la barre des 100 millions de sacs (7 millions de tonnes). Le café stimule un marché de 15 milliards de dollars encadré par des cotations à la Bourse de New York (pour l’arabica) et de Londres (pour le robusta). Cultivé exclusivement dans les pays du Sud – ici au Kenya, mais les premiers producteurs sont le Brésil, le Vietnam et la Colombie –, il est consommé surtout au Nord. De ce fait, il est devenu le produit phare du commerce équitable. Dans notre pays, le café représente même la moitié des denrées vendues sous le label «équitable».

Frédéric Courbet / Panos - REA

Le café

PANORAMA

Le poisson

Ce banc de maquereaux se débat dans le chalut du Fiskeskjer, un bateau de gros tonnage battant pavillon norvégien. Le pays, qui possède l’une des flottes les plus puissantes d’Europe, négocie chaque année âprement avec Bruxelles ses quotas de prises pour l’année à venir. Car les stocks de maquereaux s’épuisent et ils ne sont pas les seuls. Selon la FAO, sept des dix plus importantes espèces de poissons sont au bord du dépeuplement total. Et si les premiers fautifs de la surpêche avaient la solution ? Les Norvégiens, par exemple, misent dorénavant sur le développement de l’aquaculture. Un secteur qui est déjà la source d’un quart de leur production nationale.

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Jean Gaumy / Magnum Photos

EN MER DU NORD, DANS LES FILETS DE LA SURPÊCHE

Peter Menzel / Cosmos

PANORAMA

L’USINE À VIANDE AMÉRICAINE Exit les cow-boys et les troupeaux paissant en liberté dans les grands espaces de l’Ouest américain. Au cours des années 1950, les EtatsUnis ont rationalisé leur élevage en inventant et en généralisant les feed lots, d’immenses parcs où des milliers de bœufs sont engraissés sans jamais brouter un seul brin d’herbe. Ici, dans l’Idaho, la compagnie J.R. Simplot, qui fabrique les produits à base de pomme de terre pour McDonald’s, rentabilise ses rebuts agricoles en les donnant à manger aux bêtes. Rationnel ? C’est faire fi de l’impact écologique dévastateur de l’élevage bovin, hyperconsommateur en eau, et responsable d’émissions de gaz à effet de serre.

Le bœuf

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PANORAMA

La canne à sucre

Rupak de Chowdhury / Reuters

LA PLANTE LA PLUS CULTIVÉE AU MONDE

Au Bengale occidental, la canne est récoltée à la main, dans la fournaise de la saison sèche, lorsque la tige est gorgée de saccharose. Cette graminée a été, jusqu’au XIXe siècle, quasiment l’unique source de sucre transformé. Aujourd’hui, elle compte pour 80 % de la production, malgré la concurrence de la betterave sucrière. Avec 2,2 milliards de tonnes récoltées chaque année, elle est la plante la plus cultivée au monde. Reconnue pour son intérêt environnemental – elle réduit l’érosion des sols et enrichit la terre où elle pousse – elle est aussi utilisée pour la production de bioéthanol. Au Brésil, premier producteur de canne à sucre, ce carburant remplace l’essence dans 20 % des réservoirs.

Xavier Cervera / Panos - REA

Les graines

SOUS LA GLACE, L’ARCHE DE NOÉ DU VÉGÉTAL Voici la plus grande banque de semences au monde dans l’île norvégienne du Spitzberg. Sous le permafrost, à l’abri d’une chambre forte créée en 2008, ont été stockées graines de tournesol, de millet, de sorgho ou de tomates sauvages. En tout, 860 000 échantillons de cultures vivrières, dont 200 000 variétés de riz venues du monde entier, ainsi que des milliers de blés différents originaires d’une banque de graines syrienne, et rapatriés en catastrophe après le début de la guerre civile. Cette biodiversité, fruit de millénaires d’évolution naturelle et de sélection agricole, est menacée par la standardisation des cultures. Selon Marie Haga, la directrice de ce programme de sauvegarde, la Chine aurait abandonné près de 90 % des variétés qu’elle plantait dans les années 1950. Face au réchauffement climatique, à l’apparition de maladies ou à l’appauvrissement génétique de notre agriculture, ces graines enfouies sous la neige seront un jour précieuses.

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SCANDINAVIE

La grande leçon des chefs vikings

Fraîche comme la Baltique, la cuisine scandinave fait sensation dans la restauration. Une gastronomie qui a su renouer avec la nature. Reportage.

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Erik Refner / The New York Times - Redux - REA

L

a tête de poisson est arrivée à peine cuite des cuisines : un cabillaud pêché en Atlantique Nord, gueule béante posée sur une planche de bois, deux morceaux de pain noir plantés dans les dents, une fourchette et un couteau de dînette dépassant des branchies, une lampée de sauce gribiche pour souligner le rond d’un œil encore vif. «Bon appétit !» a ajouté un serveur aussi tatoué que décoiffé. Ce n’était qu’un début. Après, il y eut la gorge dudit cabillaud préparée en vinaigrette, escortée d’œufs de lump. Puis, un tartare de bœuf emmitouflé dans un duvet d’herbes et de fleurs sauvages, suivi de quelques rognons planqués sous un chou vert passé au chalumeau. Il fallut enfin s’attaquer à une autre tête, de mouton cette fois, qu’un cuistot goguenard vint présenter entière en soulevant le couvercle fumant de sa casserole Ikea. Promptement découpé, le crâne fut servi de trois façons : crème de cervelle avec chutney de pomme, en persillade, et sur une crêpe avec des pickles de légumes. Ce restaurant du centre de Copenhague se nomme Bror, «frère» en vieux norrois, mais le mangeur en quête d’émotions gustatives inédites retiendra que cela se prononce «brrr», comme l’onomatopée qui désigne le frisson. Ou le souffle puissant d’une cuisine venue du froid. Musique rock tonitruante, vaisselle savamment dépareillée, fourneaux ouverts

Bientôt au menu du restaurant Noma, ces herbes que René Redzepi cueille sur les rives du Lammefjord, au Danemark. Sa table, quatre fois élue meilleure au monde, a initié un spectaculaire renouveau culinaire.

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Chris Leschinsky / Plainpicture

Jean-Daniel Sudres / Voyage Gourmand

sur une salle à la décoration déglinguée, l’adresse – 45 couverts – vient d’entrer au Michelin (avec un Bib gourmand) et se revendique volontiers comme le dernier avatar d’une cuisine nordique en ébullition. Depuis une dizaine d’années, c’est une singulière renaissance qui agite les marmites scandinaves. Un mouvement sans chichis ni diktats, aussi percutant qu’un débarquement viking par un matin de brume. La recette ? Des préparations à la rudesse paléolithique et des sensations frontales. Une tambouille en version brute, nature, résolument locavore. Une inspiration qui renoue avec la terre et puise sa force dans les paysages du grand Nord. Cette révolution culinaire a débuté à quelques tours de pédales de là, dans le quartier de Christianshavn. C’était en 2004, au rez-de-chaussée d’un entrepôt de brique rose des anciens docks de la capitale danoise. Une auberge modeste ouvrait ses portes, avec ses peaux de moutons jetées sur des chaises design, ses tables en bois dénuées de nappe, mais surtout un nom programmatique : Noma, contraction du danois nordisk (nordique) et mad (nourriture). Depuis, son chef,

DES RIVAGES TRÈS IODÉS Huîtres plates, oursins, crevettes, poissons à foison, moutons des prés-salés en pleine mer, dans les fjords et sur les rives que les aventuriers de la cuisine viking font maintenant leur marché.

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Oscar Bjarnason / Plainpicture

des îles Féroé… C’est

le trentenaire René Redzepi, est devenu une star planétaire. Son restaurant, qui n’affiche encore «que» deux étoiles au Michelin, a remporté le titre de meilleure table du monde à quatre reprises (en 2010, 2011, 2012, 2014). Et l’affaire d’intoxication alimentaire qui l’a secoué en 2013 n’a rien changé : il faut compter six mois pour décrocher une table. Leur mantra : raconter en cuisine la pureté, la fraîcheur, les espaces infinis et glacés

Dans son sillage, Copenhague s’est changée en une bouillonnante gastro-cité. Quant aux toqués de chez Bror, Samuel Nutter et Victor Wagman, ils savent d’autant mieux ce qu’ils doivent à la réussite fulgurante du Noma qu’ils y ont fait leurs armes, comme la plupart des nouveaux talents de la région. Car, effet boule de neige, une nuée d’étoiles s’est répandue sur les grandes capitales du Nord. Dans l’édition 2015 du guide Michelin, le Danemark, épicentre du phénomène, en affiche 21 (contre 7 en 2000), la Suède tout autant (contre 10). En Finlande, Helsinki sort de l’hibernation avec cinq macarons au compteur (zéro en 2000) et en Norvège, Oslo en compte déjà 6 (contre 4). Même la petite Islande (320 000 habitants), réputée pour être un no man’s land gastronomique, tire son épingle du jeu. Sur la route des geysers et des volcans, arrêt indispensable au Dill. Dans cette cantine chic, ouverte en 2009 à Reykjavík, le chef Gunnar Karl Gislason applique une règle qui résume bien l’esprit de la nouvelle vague scandinave : «Pas de foie gras, pas d’huile d’olive, pas de truffes d’importation, mais des assiettes qui, en toute saison, racontent notre environnement, aussi hostile soit-il.» Proposer des plats qui révèlent soudain un terroir que tout le monde croyait rayé de

SCANDINAVIE

la carte depuis la dernière glaciation. Explorer les contrastes entre hiver et été. Raconter en cuisine la pureté, la fraîcheur, les espaces infinis et givrés de cette terra borealis d’1,2 million de kilomètres carrés où vivent 26 millions d’habitants. «Renouer avec nos instincts de chasseurs-cueilleurs», ose même le Finlandais Sami Tallberg, l’un des cuistots les plus radicaux. Et enfin, inciter les consommateurs à privilégier les circuits courts. Au départ, quand le Noma édicta ces préceptes, en publiant un Manifeste pour une nouvelle cuisine nordique que signèrent, en 2004, une dizaine d’autres chefs de la région, tout le monde crut à une blague. «Avec René Redzepi, notre projet était d’abord d’utiliser le restaurant comme un laboratoire, se souvient l’homme d’affaires danois Claus Meyer, 51 ans, cofondateur du Noma et grand manitou de ce réveil des consciences. Nous voulions prouver qu’il était possible de proposer une gastronomie qui se satisferait de produits locaux. Le tout sans être condamné à ne servir que des patates, du chou, des saucisses ou des boulettes de viande arrosées de sauce brune…» Bref, sans tomber dans l’ordinaire dépressif du repas nordique.

TOUT EST PUISÉ DANS CETTE TERRA BOREALIS Pour relever ce défi, les deux trublions partirent en mission de reconnaissance. Direction les rivages de l’Atlantique Nord, jusqu’au Groenland. Dix-sept jours, fourchettes aux aguets, palais en alerte et estomac en mode tout-terrain pour un voyage d’étude aux contours encore flous. Il s’agissait d’investiguer un territoire où le puritanisme avait de longue date éradiqué le plaisir du bien manger. Contre toute attente, le périple révéla l’existence d’un continent de saveurs. Fasciné, Redzepi décida qu’il réitérerait ce genre d’exploration à raison d’au moins une fois par an. Surtout, il nota chaque détail de ses découvertes dans ses carnets. Une belle moisson d’ingrédients oubliés ! Là, des lichens mousseux et bons à frire. Ici, des algues au goût de chlorophylle. Ailleurs, l’équipée savoura la chair tendre et gorgée d’iode des moutons élevés nez au

vent dans les prés-salés d’Islande et des îles Féroé. Quant aux immenses forêts de Norvège, de Suède ou de Finlande, l’hiver avait beau les déplumer, elles regorgeaient dès le printemps de racines juteuses, de baies acidulées, d’herbes aromatiques et de champignons rares que seuls certains anciens savaient encore repérer. Les bourgeons des pins se révélèrent, eux, magiques pour aromatiser des bouillons. Dans les clairières, nos aventuriers redécouvrirent l’ail des ours (ail sauvage), ingrédient totémique de la culture viking dont les sagas du Moyen Age parlaient déjà, et qui aujourd’hui constitue à nouveau, avec l’incontournable raifort, l’un des piliers du goût nordique. Autre trouvaille : les pêches miraculeuses, entre fjords protégés et chocs des courants froids et chauds propices au rassemblement des bancs de poissons. Il y eut la rencontre avec cette divine petite crevette grise, frétillante au sortir des flots glacés, qui donna l’une des recettes phares du Noma, sans doute la plus osée, où il s’agit de croquer le crustacé cru, avec carapace, pattes et antennes. A quoi s’ajoutèrent les moules géantes, les huîtres plates, les homards bleus, et aussi le hareng, poisson qui fit autrefois la fortune du royaume danois, les écrevisses du golf de Botnie, le flétan du Groenland, le turbot de la Baltique ou encore le skrei, ce cabillaud à la chair nacrée et ferme, connu pour se bonifier en migrant chaque hiver de la mer de Barents à la côte nord de la Norvège. Comment tout cela avait-il pu être oublié, rayé des menus, dégagé des fourneaux domestiques ? «Pour le poisson, la raison est simple : c’est une question de standing, répond Trina Hahnemann, auteur du livre référence La Cuisine scandinave (éd. Solar). Parce qu’ils étaient abondants et peu coûteux, les produits de la mer, les huîtres en tête, ont longtemps été considérés comme les denrées du pauvre. Les gens de bonne famille n’en mangeaient pas.» Une posture que l’on doit aussi à l’hégémonie française sur les fourneaux de l’aristocratie et de la bourgeoisie marchande à partir de la fin du XVIIIe siècle. Jusqu’aux rivages lointains de la Baltique, cette gastronomie de cour, avec sa préciosité et ses évolutions techniques permanentes, fascinait l’élite scandinave. L’importation, aussi coûteuse que prestigieuse, de nourritures exotiques sous ces latitudes devint donc la norme. Et c’est ainsi que du côté de Stockholm et de Copenhague, les meilleures maisons s’entichèrent des maîtres queux français que la Révolution avait libérés de leurs employeurs. A l’instar de la cuisinière Babette, le personnage de la romancière Karen Blixen, qui dépense tout l’argent qu’elle a gagné à la loterie afin de préparer un festin pour les humbles habitants d’une paroisse norvé-

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LA FORÊT GARDE-MANGER Champignons ouail des ours, lichens, baies acidulées… la nouvelle cuisine nordique fait feu de tout bois. Logique : les forêts regorgent de

Julia Sander / Stockfood

Martin Richardson / Plainpicture

ressources.

Okko Oinonen / Plainpicture / Gallery Stock

bliés, emblématique

gienne, les dîners d’exception comprenaient essentiellement des denrées venues d’ailleurs et se devaient d’être mitonnés à la mode de Paris. Pour ne rien arranger, dès le milieu du XIXe siècle, les paysans scandinaves se mirent à travailler de plus en plus pour l’export. «Ce chassé-croisé a porté préjudice à notre patrimoine alimentaire, analyse Claus Meyer. Ici, beaucoup de producteurs et d’éleveurs sont devenus des auxiliaires de l’industrie agroalimentaire.» Au Danemark, où l’on compte encore cinq porcs par habitant, cela fait par exemple plus d’un siècle et demi que les meilleures parties de l’animal sont exportées vers l’Angleterre, pendant que les Danois se contentent majoritairement du second choix, le plus souvent haché dans des préparations industrielles (boulettes, saucisses, etc.). Idem pour le beurre. Onctueux à souhait, réputé sur les tables du monde entier, il s’exporte encore si bien que beaucoup de Danois ont appris à se contenter de margarine pour tartiner leur pain noir. De quoi ruiner les appétits. «La révolution industrielle, avec son cortège de nourritures à emporter, a accentué le naufrage, insiste l’historienne Kristine Munkgård Pedersen, qui propose une passionnante visite guidée à travers Copenhague sur le thème de la révolution culinaire actuelle. Chez nous, le hot

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LES NORDIQUES ONT ENFIN UNE CUISINE À LEUR IMAGE dog, servi avec des oignons frits, des pickels et sous des litres de ketchup s’imposa comme l’emblème national de la modernité dès 1920 !» Pis, pour s’opposer aux classes supérieures, et par chauvinisme aussi, la middle class prit, à cette époque, le parti de la sobriété en s’accrochant aux fondamentaux du protestantisme le plus rigoureux. Manger simple et fonctionnel. Sans apparat. Passer à table dans le but de se nourrir et non pour y prendre du plaisir. «Cette tournure d’esprit prévalait encore dans mon enfance, soupire Claus Meyer. Dans les années 1960, le repas type d’une famille scandinave se composait d’un plat unique et peu coûteux. Il s’agissait de l’avaler le plus vite possible pour vaquer à des occupations utiles.» Ce rapport complexé avec les plaisirs de la table tient aussi à la position des femmes dans les sociétés nordiques. Trina Hahnemann l’énonce comme une évidence : «Il est faux de penser qu’ici, de toute éternité, personne ne savait cuisiner. Comme partout, les grandes recettes traditionnelles, tels le canard rôti de Noël et le jambon braisé à la suédoise, se sont transmises d’une génération à l’autre. Mais il y a eu une cassure après 1968, avec le mouvement hippie. Toute une génération de ménagères a rendu son tablier, et il est devenu ringard de passer des heures à préparer un bon plat familial.»

SCANDINAVIE

Après le régime crétois, c’est le scandinave qui a les faveurs des nutritionnistes

Mieux : d’un point de vue diététique, le régime nordique n’a rien à envier à son équivalent crétois. Marquées par l’utilisation d’antioxydants (baies, aromates, légumes verts), d’oméga-3 (poissons gras, graines), d’oligoéléments (crustacés, coquillages, œufs de poisson) et de fibres (légumes, racines), les recettes insistent sur la saisonnalité, se concentrent sur la texture du produit frais et se passent de sauces compliquées. Selon des travaux de l’université de Copenhague, cette diète-là serait aussi bénéfique pour la santé que sa concurrente méditerranéenne. Du coup, les politiques publiques ont accompagné le mouvement. Dès 2005, dans la foulée du Manifeste pour une nouvelle cuisine nordique lancé par Claus Meyer et René Redzepi, le Conseil nordique des ministres a revu sa stratégie agricole. Sur le modèle de ce qui avait été entrepris dans les années 1990 pour doper l’agriculture biologique, les gouvernements du Nord ont subventionné des exploitations à taille humaine qui s’attachaient à remettre en selle des produits du terroir. Et ça marche ! Du côté du Jutland, on revoit la robe acajou des danish red, race de vache laitière menacée d’extinction au Danemark. Dans le Lammefjord, à une heure de route de Copenhague ou sur l’île suédoise de Gotland, la multiplication des potagers et des vergers bio favorise le retour de la truffe sauvage. Quant aux pêcheurs d’oursins de Bodo, en Norvège, au nord du cercle polaire, ils vivent enfin de leur activité. Les pépites qu’ils remontent à la main, entre novembre et février, en plongeant dans l’Arctique comme le faisaient les anciens, sont réclamées par les meilleures brigades. Au Noma, on sert cet oursin posé sur un iceberg de lait congelé, avec un granité d’aneth. Un régal. Et déjà un voyage. � SÉBASTIEN DESURMONT

� COPENHAGUE

Le bon tour. Pour découvrir la nouvelle scène culinaire danoise, une balade passionnante en compagnie de l’historienne Kristine Munkgård Pedersen (2 h, 45 €). Départ de l’ancien port aux harengs, puis dégustation de fromages, de bières issues des microbrasseries locales et de bon pain danois au marché couvert de Torvehallerne.

BROR

N O T R E C H O I X D’ A D R E S S E S

Cph Cool. www.cphcool.dk

L’aventure. A partir de 53 €, Bror offre des trouvailles culinaires bourrées d’humour, qui ne font pas dans la dentelle, avec des produits du cru. Manger ici est une aventure. Bror. www.restaurantbror.dk

Le coup de cœur. Huile d’ail des ours, miel, vinaigre de pomme, viande, fromages… L’île danoise de Bornholm, un confetti de la Baltique, est réputée pour la qualité de ses produits. Et Koefoed est son ambassade. Koefoed. www.restaurantkoefoed.dk

L’éruption. Dans la Nordic House construite en 1968 par l’architecte Alvar Aalto, vue imprenable sur le grand vide volcanique. Puis la tempête gustative débute. Gunnar Karl Gislason concentre dans ses assiettes toute la substance de l’Islande : moutons et herbes décoiffées par les vents, poissons des îles Westmann. Le tout, arrosé de bière issue des micro-brasseries locales. A partir de 61 €. Dill. http://dillrestaurant.is � STOCKHOLM

Le virevoltant. «La pomme de terre est aussi bonne que la truffe», estiment Jacob Holmström et Anton Bjuhr, les deux chefs de cette table pur Nord. Inventivité et respect des saisons : le menu (140 €) change en fonction des arrivages. Gastrologik. www.gastrologik.se

Le saumon façon Dill, en Islande.

Victor Wagman et Samuel Nutter, les chefs du Bror. La halle aux trésors. Un de nos endroits favoris pour découvrir la richesse du patrimoine culinaire suédois et déjeuner sur le pouce. Depuis 1888, ce beau bâtiment de brique rouge contient le meilleur du pays : charcuterie, fromages, huîtres et poisson. Marché couvert d’Östermalm. www.ostermalmshallen.se/ � GÖTEBORG

� REYKJAVÍK

Christian Kerber / LAIF - REA

De tout ça, les pays du Nord sont en train de faire table rase. «Pour la première fois, nous sommes devenus fiers de notre cuisine, et cela parce qu’elle nous ressemble enfin», reconnaît le Finlandais Sami Tallberg. Sans doute aussi parce que la touche nordique est mieux reconnue. Cette année, la Norvège a remporté le trophée des Bocuse d’or, le plus prestigieux concours mondial de technique culinaire, et la Suède est repartie avec le trophée de bronze. Tout un symbole. Celui d’une culture du restaurant qui s’installe pour de bon dans des contrées où, le soir, lorsque l’hiver s’abattait comme un linceul, on préférait jusqu’alors rester chez soi au coin du feu. «Comme pour le design, le repas scandinave devient peu à peu un élément de notre art de vivre», se réjouit Trina Hahnemann.

Le marin. Elu restaurant de l’année 2014 en Suède, Koka reflète la richesse de la côte ouest : huîtres, cabillaud, calmar. Koka. www.restaurangkoka.se � OSLO

Le littéraire. La table la plus étonnante de Norvège tient son nom de l’héroïne du roman La Faim de Knut Hamsun. Car le repas composé par Even Ramsvik, chef charismatique (et très barbu), est une forme d’exercice littéraire. Oursin, porridge de champignons, turbot cuit au foin, huître géante au grill… Les vingt petits plats forment un livre : prologue, quatre chapitres, épilogue. Pour dévorer ce roman culinaire, comptez trois bonnes heures et 180 €. Ylajali. www.ylajali.no

HELSINKI

Le rénovateur. Chère le soir (100 €), abordable à midi (45 €), l’adresse la plus courue de la capitale ne désemplit pas. Une cuisine qui revisite en les rénovant les saveurs grillées, fermentées ou fumées typiquement finlandaises. Olo. olo-ravintola.fi

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FRANCE

Benoît Le Piolet, cidrier, p. 28.

Sébastien Jardy, maraîcher, p. 32.

CES BRETONS Avec leurs produits du terroir, ils redorent l’image d’une région décriée

A la Conserverie bretonne de poissons, p. 36.

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Les Geffray, paysans-boulangers, p. 30.

Jacques Richard, ostréiculteur p. 33.

Cédric Briand, éleveur de bovins, p. 34.

ONT DU GOÛT pour son agriculture industrielle.

PAR CATHERINE LE GALL (TEXTES) ET STÉPHANE LAVOUÉ/PASCO (PHOTOS)

Gwen Pennarum, artisan pêcheur, p. 29.

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FRANCE

CAP SUR LE BIO !

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lle revient de loin la Bretagne rurale. A la sortie de la Seconde Guerre mondiale, elle était à la traîne alors que la France se lançait dans une «révolution verte» destinée à reconstruire et moderniser son secteur alimentaire. Mobilisés en un vaste mouvement, les paysans armoricains ont alors comblé leur retard en fondant ce qui fut appelé le «modèle breton». Ses principes : création de structures coopératives, développement de l’élevage intensif hors sol associé à des cultures fourragères, et une étroite alliance avec la grande distribution et l’industrie agroalimentaire. En trente ans, la Bretagne est ainsi devenue la première région agricole de l’Hexagone. Elle fournit 57 % de nos porcs, 33 % de nos poulets, 85 % de nos artichauts et chouxfleurs… Mais à quel prix ? Engrais chimiques et pesticides lessivent les sols, les déjections animales polluent ses eaux, émettent des gaz à effet de serre et font proliférer des algues nocives sur ses plages. Face à ce désastre, de plus en plus d’exploitants bretons se tournent vers le bio et le travail artisanal des produits du terroir. Certes, ils ne représentent encore que 5 % des fermes locales. Mais selon le ministère de l’Agriculture, la Bretagne est déjà la première région de France en surfaces cultivées de légumes «verts» (16 % du total national) et en production d’œufs bio (32 % des poules pondeuses). Et la deuxième en nombre de vaches laitières et de truies bio (21 % chaque). Du Trégor au pays de Redon, les paysans écolos ont ainsi le vent en poupe. Eleveur, maraîcher, ostréiculteur… voici quelquesuns de ces Bretons qui affirment haut et fort que leur contrée peut être exemplaire et avoir du goût.

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L

’œil de Benoît Le Piolet est à l’image de ses boissons : pétillant ! Après avoir œuvré dans l’élevage industriel de porcs, ce trentenaire s’est reconverti dans une activité plus écolo. Un détour par l’institut cidricole de SaintPierre-sur-Dives, en Normandie… Et le voilà de retour, en 2009, à Rochefort-en-Terre (Morbihan), «pour y faire du cidre comme mon grand-père». Depuis, son Atelier de la Pépie reçoit une centaine de tonnes de pommes par an, issues des vergers bio environnants. Benoît en tire des jus purs fruits et trois variétés de cidres : demi-sec, brut et extra brut. «Je les compose comme un œnologue, en assemblant

des jus de saveurs différentes : doux, doux amer, amer et acidulé», confiet-il. Pas de gaz ajouté, la prise de mousse est ici naturelle, «pour que les arômes se développent, et que les bulles soient fines». Non sans risque : «J’embouteille tout mon cidre en même temps, et je le laisse fermenter sans plus intervenir, si bien que je joue ma production de l’année en quelques jours.» Benoît fabrique aussi du vinaigre de cidre, et La Lutine, une limonade unique en son genre en Bretagne, à base d’eau filtrée, de jus de citron et de sucre de canne bio. Quelque 75 000 bouteilles sortent ainsi tous les ans de son atelier artisanal. A déguster avec modération !

BENOÎT LE PIOLET

Un cidrier qui pétille

GWEN PENNARUN

Le héraut des petits pêcheurs

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n 2013, le New York Times mettait sous les projecteurs ce loup de mer de 52 ans basé à Sainte-Marine, dans le Finistère. L’homme venait de cofonder l’organisation européenne Life, qui regroupe aujourd’hui 3 000 pêcheurs artisanaux respectueux de l’environnement. Depuis trente ans, il se bat pour défendre son métier, la prise du bar à la ligne, contre les chalutiers pélagiques, dont les gigantesques filets raflent tout sur leur passage. «Ils capturent les bars de janvier à avril, lorsqu’ils se reproduisent, ce qui empêche leur stock de se reconstituer», s’insurge-t-il. Lui les remonte un à un, à l’hameçon, en dehors de la période du frai, et sans les congeler. Résultat : «des poissons lisses, brillants et à l’œil vif, alors que les filets les écrasent et les abîment.» En janvier 2015, Gwen Pennarun a remporté une première victoire : la Commission européenne a interdit le chalutage du bar jusqu’au 20 avril. De quoi laisser le temps à ses protégés de «faire des bébés».

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R É M I E T C O R E N T I N G E F F R AY

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e premier est le père, le second le fils. Le saint-esprit, lui, est apparu à Rémi en 2006, lorsque cet ancien informaticien d’Allaire, près de Redon, s’est lancé à 47 ans dans la fabrication de pains rustiques. Sans rien y connaître. «Je me suis formé auprès de paysans boulangers de la région», explique-t-il. Car le papa et son fiston cultivent leur propre blé sur 5 hectares de terres certifiées bio. Des variétés anciennes désormais introuvables dans le commerce, comme le «rouge de Bordeaux» ou le «blé de Redon». «J’ai récupéré leurs semences auprès d’un chercheur qui les avait gardées après avoir recensé les espèces locales dans les années 1950», révèle Rémi. Un miracle ! Les Geffray travaillent leur farine à la main et au levain pour façonner des boules qu’ils cuisent ensuite au feu de bois, avant de les écouler sur les marchés ou via le réseau des Amap. Du champ aux consommateurs, ils restent ainsi leurs seuls maîtres… après Dieu.

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Quatre mains pour multiplier les

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pains

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DA M I E N H E RV É

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29 ans, Damien Hervé eut une révélation lors d’un cours du soir sur la pédologie (science des sols). Le jeune homme vivait alors à Brest, loin de la ferme de Fraux que ses parents exploitaient à Pipriac, dans le Morbihan. «Soudain, j’ai compris que l’on pouvait nourrir les hommes sans utiliser de produits chimiques», se souvient-il. En 2008, il reprenait le domaine familial et s’associait avec son voisin, Philippe Brière. Les deux amis élèvent aujourd’hui 50 vaches laitières et font pousser une cinquantaine de variétés de légumes en pleins champs et sous serres. Avec un principe de base : faire vivre le sol. La rotation des cultures évite ainsi de l’épuiser, et le fumier du bétail lui sert d’engrais. Et ça marche : endives, choux, laitues et autres courgettes ont l’air de bijoux végétaux, et un salarié, Sébastien Jardy, a été embauché. Damien, maintenant âgé de 35 ans, vend ses légumes sur place, par Internet ou aux Fermiers du coin, à Rennes, un «supermarché du bio» qui regroupe 40 producteurs locaux. Car comme il le dit : «Si tu ne vas pas au paysan, le paysan ira à toi…»

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Un artiste du légume vert

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JACQUES RICHARD

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uand on lui parle d’écloseries, Jacques Richard se fâche tout rouge : «Les huîtres y sont génétiquement modifiées pour qu’elles puissent être produites quelles que soient les conditions climatiques», peste-t-il. L’ostréiculteur de 53 ans, lui, élève les siennes au rythme de la nature dans son parc ancré à la presqu’île de Séné, au fond du golfe du Morbihan. «Je fixe d’abord sur des tuiles des larves de la taille d’un grain de poivre, explique-til. Quand elles ont fait assez de coquille, je les place dans des poches grillagées où elles grossissent. Au bout

Au rythme du vent et des marées

de trois ans, je les transfère dans des bassins d’affinage pour qu’elles prennent le goût du golfe du Morbihan.» Car pour Jacques Richard, cette mer intérieure, qu’un étroit goulet sépare de la baie de Quiberon, est comme un terroir aquatique. «Ses vents changeants et ses forts courants de marée oxygènent l’eau, et ses marais produisent en abondance le plancton végétal dont se nourrissent les mollusques», énumèret-il. Toutes choses qui confèrent à ses huîtres, plates ou creuses, qu’il vend sur les marchés, leur chair dodue et leur saveur iodée. Le contraire des «coques en stock» qui le font tant vitupérer.

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CÉDRIC BRIAND

Le gardien des vaches en péril

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édric Briand le martèle : «Je n’avais pas envie d’avoir, comme mon père, des usines à lait sur pattes.» L’«usine», c’est la holstein, une vache du nord de l’Europe, introduite en Bretagne dans les années 1960, et qui a failli éliminer la pie noir (dont le nom vient de la couleur de sa robe, noire et blanche), une race locale deux fois moins productive. «A l’époque, il n’en restait plus que 310, aujourd’hui, il y en a 1 600», dénombre l’éleveur de 40 ans (photo en bas, à gauche). Un renouveau dû au plan de sauvegarde de cette variété lancé en 1976 et que poursuivent Cédric et ses deux associés, Hervé Mérand et Mathieu Hamon (en haut, à gauche). «La pie noir fait partie de notre patrimoine, disent-ils. L’industrie biscuitière bretonne est née grâce au beurre issu de son lait.» En 2005, les trois compères ont donc créé le GAEC des Sept Chemins près du Dresny, en LoireAtlantique. Leurs 40 petites vaches y paissent en plein air et donnent 80 000 litres de lait par an. «C’est peu, convient Cédric, mais sa richesse en matières grasses nous permet de le transformer en produits du terroir très typés.» Du beurre, bien sûr, mais aussi une crème onctueuse, des tommes et des fromages de type saint-marcellin. Sans oublier la spécialité du cru : le gwell, une sorte de yaourt au lait fermenté… exclusivement extrait des mamelles de la pie noir.

L’EXPO EN PLEIN AIR

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es clichés font partie d’une série de portraits de producteurs bretons que Stéphane Lavoué a réalisés en mars et avril 2015. Un travail commandé par le Conseil général du Morbihan pour le festival photographique «Peuples et Nature» de La Gacilly, le plus grand en plein air de France, situé à 60 kilomètres au sud-est de Rennes. Les portraits y seront exposés du 5 juin au 30 septembre. www.festivalphoto-lagacilly.com

Vous avez dit bio ? STEN FURIC

Le roi de la sardine millésimée

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ans la famille Furic, on a la conserve dans le sang. Alain, l’aïeul, s’est lancé dans l’activité en 1923. Aujourd’hui, son petit-fils Sten dirige la Compagnie bretonne du poisson, basée sur le port de Saint Guénolé, dans le Finistère Sud. Forte de 35 salariés, l’entreprise se revendique artisanale. «Une condition pour maintenir la qualité gustative de nos produits», souligne le jeune PDG de 41 ans. Ici, les sardines et les foies de lotte sont emboîtés à la main, et les

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filets de maquereaux découpés avec des ciseaux spéciaux, selon un savoirfaire ancestral qui requiert trois mois de formation. Le poisson se décline aussi en soupes, rillettes et en délicieux plats cuisinés, comme ces raviolis au coulis de langoustines farcis au thon. Mais les sardines restent les stars de la Compagnie. Telles les bouteilles d’un grand cru, chacune de leurs boîtes porte le nom du bateau qui a pêché les poissons, celui du port de débarquement et l’année du millésime.

Que veut dire au juste ce terme ? Il désigne des denrées alimentaires issues de l’agriculture biologique, définie par trois critères principaux : � Non chimique : exclusion de tout engrais, pesticide, herbicide et hormone de synthèse, y compris les OGM. � Ecologique : respect des cycles naturels des plantes et des animaux. � Durable : respect de l’environnement et de la biodiversité animale et végétale. Les produits qui remplissent ces conditions portent sur leurs étiquettes le label AB au niveau français (depuis 1985). Dans le cadre de l’Europe, ils se reconnaissent à une feuille formée de douze étoiles sur un fond vert.

que e r i d i u l de t n e i v N O

r elpaso.f www.old

Pour votre santé, mangez au moins cinq fruits et légumes par jour. www.mangerbouger.fr

INDONÉSIE

Engrais chimiques, pesticides, paysans endettés… La riziculture industrielle a fait des ravages en Indonésie. Mais sur l’île de Java, 600 villages résistent toujours, grâce à des pratiques ancestrales qui font école dans tout le pays.

LES DU RIZ NAT PAR ÉLISABETH D. INANDIAK (TEXTE) ET IAN TEH/AGENCE VU (PHOTOS)

Vivant en autarcie, les paysans du mont Halimun, à l’ouest de Java, cultivent depuis des siècles des espèces locales de riz, avec un savoir-faire écologique.

COMBATTANTS UREL GEO EXTRA 39

INDONÉSIE

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n simple rideau ferme l’entrée, mais le tabou énoncé par le droit coutumier est plus efficace qu’une porte blindée. «Vous pouvez aller dans toutes les pièces, sauf dans celle-ci, sinon, je ne réponds pas de vous», prévient Abah Asep, le chef du village de Sinar Resmi. Sa maison de bois et de bambou s’accroche aux flancs du mont Halimun, «la montagne des mille brumes», à l’ouest de l’île indonésienne de Java. Dehors, le petit matin résonne déjà des coups de pilons et des rires de femmes. Vêtues de sarongs multicolores, elles écrasent les grains de riz avec de longs pieux qu’elles frappent en alternance au fond d’un imposant mortier en bois. Le riz devient ainsi musique, et la musique se fait

farine et gâteaux pour célébrer la pleine lune qui se lèvera cette nuit. La pièce interdite est sombre, car l’électricité y est également bannie. Seule Ambu, l’épouse d’Abah Asep, a le droit d’y pénétrer. C’est là qu’elle entrepose le riz fraîchement décortiqué à côté d’un miroir, d’un peigne et de produits de maquillage. «Pour que Pohaci se fasse belle», expliquet-elle. Pohaci est la forme nubile de Dewi Sri, la déesse des rizières. Le mythe dit qu’elle est née d’une larme d’Antaboga, le dieu des serpents. Batara Guru, le maître des cieux, l’éleva comme sa fille, mais s’éprit d’elle. Pohaci se laissa mourir de faim plutôt que de céder à ses avances. Alors, la terre se referma sur son corps. Jusqu’au jour où il en sortit une créature merveilleuse, avec pour tête une noix de coco, pour bras des bambous, pour pieds du manioc, pour ventre du sagou, pour seins des

papayes, pour vagin un palmier aren, et pour nombril un grain de riz. Depuis, Dewi Sri est la déesse la plus vénérée à Java, Bali et Sumatra, les trois plus anciens greniers à riz de l’archipel. Dès l’indépendance de 1949, la Banque d’Indonésie a émis un billet de 10 000 roupies à son effigie : une statue de style hindo-bouddhique assise en lotus, les seins nus, tenant dans sa main gauche une gerbe de riz tandis que sa main droite, ouverte vers le bas, prenait la terre à témoin. Le riz, ici, mérite bien une déesse. Avec près de 71 millions de tonnes récoltées annuellement, l’Indonésie en est le troisième producteur au monde, derrière la Chine et l’Inde. Pourtant, elle doit en importer plus d’un million de tonnes chaque année. C’est que ses 247 millions d’habitants sont d’énormes consommateurs de riz : 139,15 kilos par per-

Le chef coutumier de Sinar Resmi, Abah Asep, et son épouse Ambu posent devant le grenier à riz communautaire du village (photo à gauche). Ce «conservatoire sur pilotis» préserve des échantillons de semences locales (ci-dessous). Plus haut, sur le mont Halimun, le village de Cipta Gelar entrepose le fruit de ses récoltes dans ces réserves aux toits de chaume, alignées côte à côte (à droite).

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sonne et par an, selon le ministère de l’Agriculture, contre une moyenne mondiale de 58 kilos ! Cette surconsommation est le résultat de la «révolution verte», lancée par le général Suharto au début des années 1970. Issu d’un milieu rural de Java Centre, où un adage dit «ana dina ana upo» («voici le jour, voici le riz»), le dictateur fit de cette céréale l’aliment de base de tout le pays, y compris dans des régions qui n’en cultivaient pas traditionnellement. Sous la dictature, on plantait en cachette les semences locales

Les paysans furent forcés d’acheter des semences hybrides standardisées, des engrais chimiques et des pesticides, en majorité importés par des multinationales. Beaucoup d’entre eux s’endettèrent et finirent par vendre leurs parcelles. Malgré l’augmentation spectaculaire de

la production nationale de riz jusqu’au début des années 1980, ils se sont ainsi appauvris, tout comme leurs rizières. «Aujourd’hui, à Java, plus de 50 % des fermiers n’ont pas de terre, contre seulement 3 % dans les années 1950», constate Imam, le coordinateur de Sahani, une coopérative d’agriculteurs bio basée à Yogyakarta, au centre de l’île. Lui a participé aux premiers mouvements de résistance en faveur de variétés de riz locales, cultivées sans pesticides et à l’aide d’engrais naturels. «C’était au début des années 1990, se souvient-il. Nous dissimulions les semences dans nos cuisines, sur des poutres au-dessus du foyer. Puis nous les plantions en cachette. Si les autorités l’apprenaient, elles faisaient tout arracher, parce qu’à l’époque de l’Ordre nouveau [la dictature], les riziculteurs bio étaient considérés comme des communistes, le pire

des crimes !» En 1998, à laCHINE chute de Suharto, ces francs-tireurs sortirent de l’ombre. A Yogyakarta, ils firent campagne, soutenus par un INDONÉSIE groupe d’artistes militants, Taring AUSTRALIE Padi («les crocs du riz») qui dessinaient des affiches de «propagande» percutantes. Mais il était presque trop tard : aujourd’hui, seuls les vieux se souviennent du «temps d’avant». Pour eux, la terre est une mère, et la rizière une femme enceinte qui a des goûts capricieux pour les feuilles de tamarin. Mais ils ne déposent plus ces herbes aromatiques le long des canaux d’irrigation. Et dans leur maison, il n’y a plus de chambre réservée à la déesse et son amant, comme le voulaient les rites de fertilité teintés d’érotisme des grands royaumes hindo-bouddhistes, puis musulmans de Java Centre. Certes, Dewi Sri survit à Bali, où les villageois continuent à lui faire des offrandes dans les temples des subaks, ces organisations d’agriculteurs pour le juste usage de l’eau des rizières. Mais ces dernières disparaissent désormais de «l’île des Dieux», au rythme de 1 000 hectares par an, dévorées par l’industrie touristique… «Les communautés rizicoles des montagnes de Java Ouest sont les seules à ne pas avoir été contaminées par la révolution verte, révèle le sociologue Nurul Hayat, qui étudie l’organisation paysanne du village de Sinar Resmi. C’est parce qu’elles ont préservé l’adat, la loi coutumière ancestrale qui leur interdit de faire commerce du riz.» La population de cette région, appelée Kasepuhan («le royaume des Anciens»), descendrait des survivants d’une armée royale vaincue qui se seraient

Jakarta Mt Halimun 50 km

Bogor

JAVA

CHINE

Mt Ha INDONÉSIE AUSTRALIE

70 ESPÈCES DIFFÉRENTES COMPOSENT CE TERROIR GEO EXTRA 41

50 km

Les femmes de Sinar Resmi pilent le riz dans un grand mortier de bois. La farine ainsi obtenue est tamisée, puis dosée pour en faire des gâteaux.

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Chaque matin, la cuisine de la maison commune déborde d’activité : la coutume veut que les hôtes de passage puissent y manger à toute heure de la journée.

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regroupés au XVI siècle pour préserver leur système de riziculture. Elle compte aujourd’hui 30 000 individus répartis dans quelque 600 villages sur les flancs du mont Halimun. La règle des Anciens, toujours en vigueur, y veut que le riz soit produit en autarcie, sans aucune transaction financière. Si bien que Sinar Resmi a beau disposer de l’électricité et de la télévision, ses rizières sont encore labourées par les buffles, plantées de variétés locales, les épis battus et décortiqués à la main, et le riz cuit au feu de bois sur un foyer creusé dans la terre. «Il y a même une banque de grains, une première en Indonésie», s’étonne Nurul Hayat. Quand on demande au chef Abah Asep où se trouve cette banque, il répond en riant : «Dans les rizières !» Celles-ci s’élèvent en terrasses tout autour du village. Chacune est plantée d’une semence différente, dont le nom est inscrit sur une pancarte. «Celleci s’appelle “Damping”, explique Kang Purnama, un jeune agronome chargé de mettre en place le projet avec le soutien financier de Dompet Dhuafa, une grande ONG indonésienne. Ses épis ont de longs fils blancs qui leur permettent de résister aux vents violents de la mousson. On la plante comme un rempart autour des rizières plus fragiles pour les protéger.» A ce jour, 70 espèces locales de riz ont été recensées, mais seules 38 sont ainsi répertoriées. Toutes portent des noms poétiques ou rieurs. Kang Purnama raconte que plus haut sur la montagne, à Cipta Gelar, le véritable fief des Anciens, une nouvelle variété née d’une hybridation naturelle a été baptisée Inul, du nom

d’une célèbre chanteuse pop, parce que son épi était charnu et se cabrait dans le vent… A l’Institut d’agronomie de Bogor, situé à 80 kilomètres au nord du mont Halinum, on entre dans un autre monde. Les espèces de riz y ont des noms aux allures de sigles : IPB3S, IPB43, IR-64… C’est d’ici que fut lancé en 1970 le Mouvement d’éducation de masse pour le riz (BIMAS), quand professeurs et étudiants descendirent dans les rizières pour inculquer aux paysans les principes de la révolution verte. Aujourd’hui, les mots d’ordre portent sur le changement climatique et la souveraineté alimentaire nationale. Le professeur Ahma Junaedi observe ainsi la résistance de nouvelles semences à divers scénarios catastrophes. «L’Inpari-30, la dernière que nous avons élaborée, peut être submergée pendant sept jours, s’enthousiasme-t-il. Dès

que l’eau se retire, elle repousse !» L’Institut étudie aussi des formules d’irrigation partielle ou intermittente pour réduire les énormes quantités de méthane – un gaz à effet de serre – que dégagent les rizières inondées. Le syndicat des paysans indonésiens promeut le riz bio

«Les chercheurs feraient mieux de soutenir nos pratiques par leurs savoirs, ironise Henry Saragih, le président du syndicat des paysans indonésiens (SPI) qui regroupe 700 000 membres, essentiellement des riziculteurs. Qu’ils quittent leur institut et leurs laboratoires et viennent voir sur le terrain. Par exemple à Sumatra Ouest, d’où j’arrive : qu’ils nous disent quels micro-organismes se trouvent dans cette terre pour que ses rizières produisent 8 tonnes par hectare, sans poison, sans irrigation, juste avec l’eau de pluie

LA DÉESSE DU RIZ EST FÊTÉE À LA PLEINE LUNE 46 GEO EXTRA

et du bon fumier ? Alors que le rendement moyen national avec des engrais chimiques et des systèmes d’irrigation coûteux n’est que de 5,2 tonnes par hectare…» Le siège du SPI se trouve au nord de Bogor, dans une modeste maison au cœur de la jungle urbaine de Jakarta, la capitale indonésienne. Son entrée est gardée par un coq et deux poules. «C’est pour me rappeler les bruits de la campagne», plaisante Henry Saragih. Pour ce combattant très pragmatique, le «tout riz» est un mythe construit de toutes pièces : «La révolution verte a été un piège alimentaire, dénonce-t-il. S’il y avait un problème de faim, la solution n’était pas d’industrialiser les rizières, ni de pousser tous les habitants à manger du riz trois fois par jour. A cause de cette surconsommation, nous souffrons à présent de l’un des plus forts taux de diabète au monde. Il faut que nous

nous remettions à cultiver et à manger des tubercules, des haricots, du sagou, des papayes…» Le militant sait de quoi il parle. Il se souvient très bien qu’en 1974, ses parents furent obligés d’utiliser des engrais chimiques et des pesticides : tous les poissons qui vivaient dans leurs rizières furent tués, alors qu’ils étaient la principale source de protéines de la famille. «Il faut aussi qu’il y ait un changement de paradigme, poursuit-il. Les rizières bio sont la seule alternative logique, durable et équitable, car aucun apport extérieur n’est nécessaire. Le gouvernement le reconnaît, mais joue un double jeu : d’un côté, il soutient les initiatives bio qui marchent, de l’autre, il reste à la botte de l’industrie alimentaire et des grandes plantations. Mais il va bien être obligé de nous suivre s’il veut parvenir à la souveraineté alimentaire nationale.»

Afin de promouvoir le «tout bio», le syndicat a créé en 2005 un centre de formation près de Bogor. Ses cadres y apprennent les techniques de l’agroécologie avant de les transmettre aux paysans de leurs régions respectives. Ainsi, peu à peu, les rizières naturelles essaiment à travers l’immense réseau des antennes locales du SPI et de ses organisations alliées. Depuis Aceh, au nord de Sumatra, jusqu’à Kupang, au Timor occidental, tout à l’est de l’archipel. Le syndicat possède en outre une banque de semences à Kediri (Java Est). «Elle sert à sauvegarder les espèces locales, mais aussi à les partager entre le plus grand nombre», précise Henry Saragih. Selon Nunung, l’une des fondatrices de l’Alliance bio indonésienne (AOI), le gouvernement n’a pour l’instant homologué que 2 500 hectares de rizières bio.

Une fois par mois, les paysans rendent hommage à Dewi Sri, la divinité du riz. L’anklung, une sorte d’orgue en bambou, retentit alors pour chasser les esprits nuisibles hors des rizières (photo à gauche), tandis qu’un marionnettiste relate l’histoire mythique du village (ci-dessous). Les femmes, elles, préparent dans la maison commune les mets qui serviront d’offrandes à la déesse (à droite).

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Ces gâteaux de farine de riz, parfois enrobés d’une feuille de pandanus, sont fourrés de poudre de noix de coco, de banane ou de sucre de palme.

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«IL NOUS FAUT DES PAYSANS DURABLES» Gregorio Borgia/AP/Sipa

Pour Henry Saragih, seuls les agriculteurs associant développement et écologie peuvent garantir la souveraineté alimentaire des pays.

Un leader syndical mondial Président du Syndicat des paysans indonésiens (SPI), Henry Saragih est un ancien saigneur d’hévéas. Agé de 51 ans, il a également été, de 2004 à 2012, le coordinateur mondial de La Via Campesina. Ce mouvement rassemble plus de 200 millions de paysannes et paysans dans 73 pays.

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enry Saragih est né à Medan (Sumatra) dans une famille de riziculteurs. Son combat sur le terrain et dans les instances internationales pour la souveraineté alimentaire, l’agroécologie, le droit à la terre et aux semences, lui a valu d’être élu en 2008 par le quotidien britannique The Guardian parmi les «50 personnalités pouvant sauver la planète». Et par l’hebdomadaire The Observer comme l’un des «20 héros de l’environnement» en 2011. L’un de vos principaux objectifs est de faire adopter par l’ONU une Déclaration sur les droits des paysans. Quelle est la genèse de ce projet, et où en est-il aujourd’hui ? Tout a commencé ici, en Indonésie, dans les années 1980, sous «l’Ordre nouveau» [la dictature] de Suharto, où les violations des droits de l’homme étaient généralisées. A l’époque, les syndicats étaient interdits. Lors des réunions clandestines que le SPI [Syndicat des paysans indonésiens] tenait sur les différentes îles du pays, nous demandions aux agriculteurs : «C’est quoi, pour vous, les droits des paysans ?» Puis nous avons dressé des listes à partir de leurs réponses. Il est apparu que, dans tout l’archipel, les gens voulaient les mêmes choses : une terre, des semences, du compost,

de l’eau, plus d’éducation, la liberté de vendre leurs récoltes à un prix juste et de se rassembler en organisation. En 2001, trois ans après la chute de Suharto, le SPI a organisé à Jakarta un congrès avec la Commission indonésienne des droits de l’homme et diverses ONG. C’est à cette occasion qu’est né le projet de déclaration des droits des paysans en treize points, que le mouvement La Via Campesina a aussitôt repris au niveau international. Dès lors, nous l’avons régulièrement présenté à l’ONU, mais pendant des années, les pays occidentaux, notamment, s’y sont opposés pour défendre les intérêts de leurs multinationales agroalimentaires. La crise alimentaire mondiale de 2008 a soudain révélé l’importance du rôle des petits fermiers, si bien que l’ONU a formé un comité pour élaborer une déclaration sur les droits des paysans. Aujourd’hui, nous en sommes au niveau des discussions substantielles, et je pense que ce texte sera adopté dans les trois ans à venir. Parmi ces droits, vous mettez l’accent sur l’accès à la terre. Pourquoi ? Parce que depuis son indépendance, l’Indonésie n’a pas fait de réforme agraire. Et la «révolution verte» a aggravé le problème : trop

endettés par l’achat de semences, d’engrais et de pesticides, les fermiers ont dû vendre leurs champs et leurs rizières. En l’absence de statistiques officielles, nous estimons qu’aujourd’hui, au moins la moitié des paysans de l’archipel sont sans terre ou possèdent moins de 0,5 hectare. Depuis quelque temps, notre gouvernement a donné des signes encourageants en faveur d’une solution. En 2013, le parlement indonésien a voté une loi très proche de notre projet de droits des paysans. Notre nouveau président, Joko Widodo [élu en octobre 2014], a également promis de redistribuer 9 millions d’hectares qui seront prélevés sur des terres appartenant à l’Etat ou sur des forêts abusivement transformées en plantations d’hévéas et de palmiers à huile. Mais le problème n’est pas qu’indonésien : de puissants mouvements de paysans sans terre existent en Inde, en Afrique du Sud, au Brésil et même en Europe. Votre syndicat soutient l’agriculture bio pour atteindre la souveraineté alimentaire. N’est-ce pas une utopie ? Plus précisément, nous promouvons l’agroécologie, c’est-àdire l’association du développement agricole et de la protection de l’environnement. Le recours au bio en fait partie. La logique est

très simple : cela n’exige aucun ajout extérieur. Pas de poison chimique, pas de semences à acheter. Et à long terme, la production augmente. L’enjeu n’est pas de viser tel ou tel marché mais de créer des «paysans durables». Une rééducation en profondeur est nécessaire, car les jeunes fermiers indonésiens n’ont connu que les engrais de synthèse. Mais ce changement de paradigme doit avoir lieu partout dans le monde. Parce que pratiquement toute la planète a été victime de la «révolution verte». Le riz, le maïs, le soja… toutes ces cultures l’ont subie. Quand j’étais jeune, je pensais que les injustices ne frappaient que les pays du Sud. Dans mon imaginaire, les paysans européens et américains n’avaient pas de problème. Au fil des conférences internationales, j’ai découvert que, en fait, ils étaient comme nous. Après la Seconde Guerre mondiale, les nouvelles technologies ont d’abord détruit l’agriculture occidentale, c’est pour cette raison qu’il est si difficile aujourd’hui de trouver en Europe des semences locales. Puis les nouvelles technologies se sont étendues aux autres pays. Le système agricole que nous avons construit est totalement erroné, nous ne pouvons pas continuer ainsi, sinon c’est la fin du monde. C’est pourquoi il faut développer le concept de souveraineté alimentaire : les Français doivent pouvoir produire leur propre nourriture, les Japonais aussi. Les villes doivent également développer des espaces agricoles, car il faudra des paysans urbains. Le principe est de se nourrir de ce qui nous entoure. Et puis, il faut se remettre à manger selon nos besoins vitaux et non selon nos caprices. � PROPOS RECUEILLIS PAR ÉLISABETH D. INANDIAK

L’agronome Kang Purnama examine les rizières de Sinar Resmi.

«Le certificat coûte très cher, entre 400 et 700 euros par hectare, et n’est valable que trois ans, explique-t-elle. Les agriculteurs ne peuvent se l’offrir que si les autorités locales le subventionnent, comme c’est le cas à Karangasam, sur l’île de Bali.» A Padang, au centre-ouest de Sumatra, le Département de l’agriculture a décidé d’émettre un certificat parallèle et gratuit pour vendre le «riz naturel» de cette région très fertile. Et l’AOI vient de lancer le label «Pamor» qui garantit l’origine bio du riz produit par les paysans de son réseau. Ce mode de culture commence même à gagner certaines pesantren (pensionnats musulmans installés à la campagne), qui se mettent à pratiquer le «jihad vert». Retour au mont Halimun. A son sommet, la pleine lune dessine un grand halo au-dessus du village de Cipta Gelar. Dans la cuisine communautaire enfumée, hommes et femmes venus à pied de hameaux éloignés échangent nouvelles et semences locales. «Nous en avons plus de 160 espèces, affirme le chef des rituels des greniers à riz. Mais contrairement à Sinar Resmi, le village situé en bas, nous ne les étiquetons pas, car nous sommes une société orale et voulons le rester.» Dehors, on entend le son des angklung, ces «orgues» en bambou qui accompagnent toutes les fêtes rythmant le cycle du riz, et la voix d’un marionnettiste qui raconte les mythes des origines. A l’écart,

Chacune est plantée d’une semence différente, dont le nom est inscrit sur une pancarte.

sous un autre pavillon, les jeunes, eux, chantent des tubes de leur idole… Inul. Dans sa salle d’audience en bois et bambou, Abah Ugi, le très jeune chef coutumier, confirme ce qui se dit déjà ici et là dans les villages de l’antique Kasepuhan : «Oui, nous utilisons de l’engrais de la ville. Juste de quoi donner un coup de pouce à la croissance du riz. Nous ne savons pas encore si c’est du poison ou pas. Tant que ça marche !» La révolution verte aurait-elle gagné à retardement les rizières du mont Halimun ? Non, en cette nuit de pleine lune, l’empreinte des Anciens est encore vivace. Leurs pratiques agricoles essaiment même aujourd’hui dans les plaines et vallées de Sumatra, de Java, de Bali et au-delà. Eux qui n’ont eu de cesse d’accorder la saison des semences aux mouvements des étoiles ne devraientils pas inciter leurs descendants à rejoindre cet élan du riz durable et de la diversité alimentaire en Indonésie ? Car, ne l’oublions pas, seul le nombril de Pohaci est un grain de riz. Les autres éléments de son corps sont des tiges de bambou, du sagou, du manioc ou encore une noix de coco… � ÉLISABETH D. INANDIAK

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Paris DES JARDINS SUSPENDUS

Vincent Callebaud Architectures-www.vincent.callebaud.org

Dans le XIIIe arrondissement, les tours de l’ensemble Massena pourraient se mettre au vert. L’architecte belge Vincent Callebaut a imaginé de les envelopper d’une résille de bambous tressés qui supporterait des balcons potagers individuels et des vergers communautaires.

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AGRICULTURE URBAINE

Développer les cultures maraîchères dans des tours géantes : telle serait la solution pour nourrir, en 2050, les 9 milliards d’êtres humains, à 80 % citadins.

BIENTÔT FERMES GRATTE-CIEL?

Shenzhen DES SERRES SUPERPOSÉES

Vincent Callebaud Architectures-www.vincent.callebaud.org

Autre projet de Vincent Callebaut : doter la cité jumelle de Hong Kong d’empilements de «galets de verre» abritant des vergers publics et des champs d’agriculture bio. Ces enclos s’enrouleraient autour de buildings qui réuniraient logements, bureaux et commerces.

AGRICULTURE URBAINE

Une seule de ces «haciendas» verticales pourrait approvisionner 150 000 habitants

New York UN CENTRAL PARK AGRICOLE

le nt Cal Vinve

chitectures baud Ar

www.vincent.callebaud.org

Toujours imaginé par Vincent Callebaut, ce prototype en forme de libellule s’ancre à Manhattan. Le bâtiment mixte (logements, bureaux, jardins) étage en son cœur des fermes d’élevage et des cultures maraîchères, céréalières et fruitières. Il nourrirait 150 000 personnes.

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AGRICULTURE URBAINE

Dubai Studiomobile. Architectes : Cristiana Favretto et Antonio Girardi

UNE PLANTE NOURRICIÈRE

C’est l’idée de l’agence italienne Studiomobile. L’eau de mer dessalée refroidit et humidifie l’air de ces «feuilles-serres». Cet air est ensuite récupéré dans la «tige» où il se condense en eau. Celleci est alors stockée avant d’aller irriguer les cultures dans les serres.

Studiomobile. Architectes : Cristiana Favretto et Antonio Girardi

Fin 2015, la première tour maraîchère sortira de terre à 200 kilomètres au sud de Stockholm

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Linköping DES LÉGUMES SOUS LE CIEL

Plantagon/Illustration Sweco

Bâtie par la société Plantagon en Suède, ce sera la première ferme gratte-ciel de la planète. Sa façade de 60 mètres de haut abritera seize étages de jardins légumiers. L’édifice servira de modèle d’agriculture urbaine pour le monde entier. Mise en chantier prévue fin 2015.

L’AVENIR DE L’AGRICULTURE VERTICALE EN 5 QUESTIONS

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ew York, 2050 : un gigantesque building en forme de libellule s’arrime à la pointe sud de Roosevelt Island, au milieu de l’East River. Hautes de 600 mètres, ses deux ailes de verre dévoilent des vergers, des potagers, des rizières, des champs de blé et des prairies où paissent des vaches. Imaginé en 2009 par l’architecte belge Vincent Callebaut, cet édifice de science-fiction est le plus spectaculaire des projets de fermes verticales présentés au cours de cette dernière décennie. La plupart resteront dans les cartons car ces visions futuristes sont surtout destinées à sensibiliser les autorités et le public à un concept susceptible de relever l’un des grands défis du XXI siècle : doubler la production alimentaire d’ici à quarante ans pour nourrir 9 milliards d’humains.

Q     ’    Elle a été théorisée à partir de 1999 par le microbiologiste américain Dickson Despommier, professeur de santé publique et environnementale à l’université Columbia de New York. Le chercheur s’est basé sur les prévisions de l’ONU : en 2050, la planète comptera 3 milliards d’habitants en plus, et 80 % de la population mondiale vivra dans des villes. Pour nourrir celle-ci, Despommier a calculé qu’avec les techniques agricoles actuelles, il faudrait 1 milliard d’hectares de cultures supplémentaires, soit environ la superficie du Canada. Or, explique-t-il, 80 % des terres arables sont déjà exploitées, ce qui obligerait à raser des forêts pour les remplacer par des champs, avec des effets catastrophiques sur l’environnement et la biodiversité. D’autant que l’expansion des villes réduirait la surface des sols cultivables. C’est pourquoi l’ONU encourage le développement de l’agricul-

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ture urbaine. Une pratique qui s’est diffusée, depuis le début des années 2000, sous diverses formes : plantations sur les toits et terrasses, dans les friches industrielles, jardins partagés ou collectifs… Mais selon Despommier, la superficie totale de ces parcelles ne sera jamais suffisante pour couvrir les futurs besoins alimentaires. D’où son idée de superposer sur plusieurs étages des cultures et des élevages au cœur des villes. Q’- ’  ,        Il s’agit d’un immeuble où des fruits et légumes sont cultivés à grande échelle selon des techniques similaires à celles employées pour les serres. Les végétaux y poussent par hydroponie (hors sol), sur un substrat – sable, billes d’argile, laine de roche, etc. – irrigué au goutte à goutte par une solution composée d’eau distillée et de nutriments. Selon Despommier, la part de ce mélange non absorbée par les plantes pourrait être recyclée, ce qui réduirait de 70 % leur consommation d’eau. Le chercheur souligne que ces serres géantes n’auraient pas besoin de pesticides, les cultures étant à l’abri des insectes et des bactéries, autant que des aléas climatiques. Leur éclairage artificiel, qui renforce la lumière solaire, maintiendrait une température constante, accélérerait la pousse des plantes et assurerait des récoltes toute l’année. Avec un rendement de quatre à six fois supérieur à celui de l’agriculture «terrestre». Plus largement, les partisans des fermes verticales affirment qu’elles supprimeraient les effets néfastes de l’expansion urbaine. A savoir : l’augmentation de la distance entre les lieux de production et nos assiettes, et donc celle du coût du transport, des gaspillages et des risques sanitaires. Inversement, les produits frais et bio des fermes gratte-ciel seraient vendus sur place, ce qui éviterait les émissions de gaz carbonique (CO2) dues, actuelle-

ment, à leur acheminement et à leur réfrigération. La multiplication de ces édifices permettrait de faire retourner de nombreuses terres cultivées à leur état naturel et de réduire la déforestation liée à leur extension. Toujours d’après leurs défenseurs, les tours agricoles seraient un outil de développement durable grâce à l’utilisation d’énergies renouvelables (éoliennes, panneaux solaires) et le recyclage des eaux usées et des déchets, après méthanisation ou compostage. Despommier estime ainsi qu’une seule ferme de trente étages pourrait alimenter 50 000 personnes. O     ,      En l’état actuel, les technologies nécessaires à la réalisation d’une ferme urbaine géante sont disponibles. En témoigne le pionnier en la matière : The Plant, installé depuis 2010 dans une ancienne usine de Chicago de 24 000 mètres carrés. Elle recrée sur ses trois étages un écosystème où les différentes productions fonctionnent en symbiose. Par exemple, la fabrication de «kombucha», une boisson acidulée à base de thé, produit du CO2 qui nourrit les végétaux cultivés. Ces derniers filtrent l’eau qui alimente un élevage de tilapias, dont les déjections servent en retour d’engrais aux plantes. Les déchets de la ferme et ceux de son voisinage servent de compost, converti en gaz méthane puis en électricité. Ses promoteurs affirment ainsi qu’à terme, The Plant devrait produire plus d’énergie qu’elle n’en utilise. Une quinzaine d’exploitations ont depuis été créées au Etats-Unis sur ce modèle. L’Asie n’est pas en reste. Le Japon, dont les terres arables ne représentent que 12 % de sa superficie, doit importer la quasi-totalité de ses céréales et la moitié de sa consommation de viande. Aussi l’Etat nippon a-t-il financé, depuis 2011, l’implantation de quelque 300 fermes verticales dans d’anciens entrepôts

AGRICULTURE URBAINE

Tokyo

Nigel Dickinson

DES EMPLOYÉS À LA MAIN VERTE

Depuis 2010, la société Pasona a disséminé dans ses bureaux des plants bio, en terre ou hors sol, sur une surface totale de 4 000 m2. Les salariés peuvent ainsi participer à la culture d’une vingtaine d’espèces de fruits et légumes qui alimentent le restaurant d’entreprise.

Nigel Dickinson

Ces Japonais choyent leurs légumes entre deux réunions

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Singapour DES SEMIS SUR ASCENSEUR

Nigel Dickinson

C’est la première serre géante au monde, créée en 2012 par Sky Greens. Elle abrite de longs bacs de cultures fixés à des rails verticaux de 9 mètres de haut. Des poulies hydrauliques les font monter vers la lumière du soleil, puis redescendre pour être alimentés en nutriments.

Futur UNE VISION PHARAONIQUE

C   -     Aucune analyse détaillée n’a encore été réalisée pour démontrer qu’elles seraient plus rentables que les cultures conventionnelles en raison des économies faites sur le transport des denrées et le nonusage de pesticides. «Ces fermes produisent aujourd’hui en trop petites quantités pour être compétitives», souligne André Torre, directeur de recherche à l’Inra AgroParisTech. Leur coût de construction pourrait en outre se révéler prohibitif à cause du prix du foncier très élevé dans des villes telles que Tokyo, Dubai ou New York. Une étude du ministère canadien de l’Agriculture datée de 2010 chiffre à plus de 100 millions de dollars (75 millions d’euros) la réalisation d’une ferme verticale de 60 hectares. De surcroît, les ampoules LED à basse consommation utilisées pour éclairer les cultures hors sol dégagent une chaleur considérable qui augmente énormément la facture énergétique et le coût final des aliments. Par exemple, les légumes produits par Sky Greens, à Singapour, sont deux fois plus chers que ceux importés dans l’île, et de 5 à 10 % plus onéreux que ceux cultivés dans les champs. La solution consisterait en des bâtiments mixtes, qui hébergeraient à la fois des potagers, des logements et des bureaux. Les promoteurs immobiliers bénéficieraient ainsi d’un meilleur retour

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Cette «Ferme Pyramide» a été imaginée par l’Américain Dickson Despommier, le théoricien de l’agriculture verticale urbaine. Elle comprendrait un système de pressurisation qui transformerait les liquides usés en eau et en carbone pour faire fonctionner les machines et les éclairages.

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urbains. De son côté, la Chine, dont la dépendance alimentaire vis-à-vis de l’étranger ne cesse de croître, a déjà créé près de 80 exploitations géantes de ce type. Mais c’est à Singapour que les premières véritables «tours» maraîchères stricto sensu sont nées en 2012. L’îleEtat, qui ne compte que 1,1 % de surfaces cultivables et affiche l’une des plus fortes densités de population au monde (7 126 habitants au kilomètre carré), importe 97 % de son alimentation. La société Sky Greens y a inventé des serres de 9 mètres de haut, soit l’équivalent de trois étages, qui abritent des plateaux de semis superposés. Grâce à leur surface au sol d’à peine 6 mètres carrés, elles s’insèrent aisément dans l’espace urbain et peuvent même être érigées sur les toits. Selon Daniel Chea, son directeur, les 550 tours construites à ce jour par Sky Greens produiraient 1 tonne de légumes par jour, soit 1 % des besoins locaux.

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Un prototype français à bas coût a été inauguré en 2013 à Dubai sur investissements. C’est le choix du groupe Plantagon qui débutera à la fin de 2015 la construction de la première vraie ferme gratte-ciel au monde dans la ville suédoise de Linköping. Une tour de 60 mètres de haut, dont la serre de 4 335 mètres carrés s’élèvera sur toute sa façade sud, mais n’occupera qu’un tiers de l’édifice, le reste étant loué à des sociétés. Hans Hassle, le cofondateur de Plantagon, prévoit que 1 500 tonnes de fruits et légumes en sortiront chaque année. A , -    Dans une serre verticale, l’éclairage artificiel permet de multiplier par deux le taux de photosynthèse du CO2 par les plantes, et d’accélérer ainsi leur croissance. L’exploitation produit donc bien plus de ce gaz à effet de serre qu’une ferme traditionnelle. De même, les cultures hors sol nécessitent un changement régulier de la solution nutritive qui les irrigue. Il est donc essentiel que le CO2 et les eaux usées soient recyclés pour éviter leurs rejets en pleine ville. «Créer un écosystème artificiel en circuit fermé est très difficile, doute André Torre. Et assez contradictoire avec une approche écologiste.» A moins, comme la tour maraîchère de Linpöking,

de s’insérer dans un système environnemental intégré. La ville a ouvert en 1995 une usine de transformation des déchets en biogaz, qui sert de carburant à ses bus et alimente des immeubles en eau chaude. L’excédent de chaleur et le CO2 qu’elle produit seront transférés à la serre de Plantagon. Celle-ci redistribuera la chaleur que dégageront ses lampes LED pour chauffer les habitations alentour. «Des fermes verticales pourraient être utiles dans les pays en voie de développement ou en proie à la désertification, concède André Torre. A condition d’inventer des systèmes simples et bon marché.» C’est ce qu’a conçu en 2011 le Haut-Savoyard Jean-Claude Rey. Sa société, Courtirey, propose des tours cubiques maraîchères de 12 mètres de haut et de 144 mètres carrés de surface au sol, alimentées en énergie par un toit de panneaux solaires, et en eau par un circuit fermé. Construite en matériaux recyclés, chaque tour totaliserait 450 mètres carrés de cultures, pour un rendement équivalent à un jardin de 1 500 mètres carrés. Et surtout, sa construction ne coûterait que 100 euros au mètre carré. Un prototype de 6 mètres de haut a été inauguré en 2013 à Dubai. Affaire à suivre… � FRÉDÉRIC BRILLET

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Focus

DES CHAMPS SO L’agroforesterie associe des plantes et des arbres sur la même parcelle.

Leurs racines, en compétition avec celles des cultures, s’enfoncent plus loin sous terre. Elles font donc remonter plus de nutriments, aèrent mieux les sols et limitent l’érosion. Elles réduisent aussi la contamination des nappes phréatiques en fixant l’azote et les nitrates contenus dans les engrais chimiques. A l’inverse, leur décomposition produit des fertilisants naturels. Tout cela améliore la qualité des denrées cultivées. «Les céréales qui poussent sous les feuillages sont plus riches en protéines», affirme Christian Dupraz. Les arbres favorisent enfin la biodiversité : ils abritent des chauves-souris et des oiseaux friands d’insectes nuisibles, ainsi que des abeilles et autres espèces pollinisatrices… Comparée à la monoculture, l’agroforesterie s’avère donc plus rentable, moins polluante et génératrice de meilleurs aliments. Or, cette méthode n’est pas nou-

Cette technique ancestrale existe

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Frans Lemmens/HH-REA

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Restinclières, dans l’Hérault, l’arbre ne cache pas la forêt… mais des champs. Christian Dupraz, ingénieur à l’Inra (Institut national de la recherche agronomique), passe en revue la quarantaine d’essences alignées sur les 50 hectares de ce site expérimental : «Des frênes, des érables, des micocouliers, des aulnes de Corse… Dessous, nous faisons pousser du blé, des vignes et du colza.» Car dans ce lieu unique en Europe, on étudie les avantages de l’agroforesterie. A savoir l’association, sur une même parcelle, d’arbres, de cultures et/ou de pâturages. Et les bénéfices se révèlent nombreux. Réunir plusieurs activités sur un seul lopin augmente d’abord la productivité. «Un hectare agroforestier a un rendement supérieur de 40 % en moyenne à celui d’un hectare de monoculture, souligne Christian Dupraz. Les paysans gagnent plus à court terme avec leurs récoltes, et à long terme avec la coupe du bois.» En outre, les arbres embellissent les paysages, réduisent l’impact du vent, des pluies et des grêles sur les plantes, et stockent le carbone, ce gaz à effet de serre.

velle. En Europe, elle remonte au moins à l’Antiquité : les Grecs plantaient des céréales ou des légumineuses entre des rangs de vignes et d’oliviers. De nos jours, elle reste une pratique ancestrale dans de nombreux pays. L’ethnobotaniste Geneviève Michon en a recensé les exemples dans son livre Agriculteurs à l’ombre des forêts du monde (éd. Actes Sud/IRD, 2015). Telles la pousse du café arabica sous couvert boisé en Ethiopie, l’alliance des rizières et des jardins d’arbres en Indonésie, et les oasis sahariennes, où s’étagent potagers, arbres fruitiers et palmiersdattiers. Ou encore la dehesa espagnole, un mode de production qui conjugue chênes-lièges et chênes verts, céréaliculture et élevage de porcs. Ces animaux qui vivent en liberté et se nourrissent de glands donnent l’une des charcuteries les plus goûteuses au monde. Geneviève Michon étudie aussi au Maroc les exploita-

US LES ARBRES Une pratique plus rentable et moins polluante que la monoculture.

Cet écosystème complexe ne fait qu’imiter la nature

Pourtant, l’agroforesterie est presque partout en recul. A partir des années 1950, l’Europe a instauré une agriculture intensive et mécanisée. Pour cela, on a coupé les haies, agrandi les parcelles en les remembrant, multiplié pesticides et engrais de synthèse. Les premiers tracteurs furent d’ailleurs achetés grâce à la vente du bois. Les pays en voie de développement nous emboîtent désormais le pas et abandonnent peu à peu leurs pratiques agrosylvestres séculaires. «Au Cameroun, depuis quelques années, des citadins aisés reviennent dans leur village et plantent des cacaoyers en sousbois, témoigne l’agroéconomiste Patrice Levang. Mais comme ils veulent que ces arbres poussent vite, ils coupent la forêt pour leur donner plus de lumière !» Les chercheurs de l’Inra s’alarment de cette régression : «Nous avons tort de trop simplifier nos

systèmes agricoles, regrette Christian Dupraz. La nature est subtile et complexe. L’agriculture du futur devra l’imiter en associant arbres et plantes.» C’est pourquoi la France, plus que tout autre pays en Europe, favorise le redéploiement d’une agroforesterie compatible avec la mécanisation. Et donne l’exemple : «Dans les congrès internationaux, nos confrères du Sud nous regardent avec des yeux ronds quand on leur dit que nous relançons ce mode de culture mixte, sourit l’ingénieur de l’Inra. On leur explique qu’ils ne doivent pas détruire leurs

ZOOM

tions traditionnelles qui associent les arganiers au blé, à l’orge et aux pâturages. «Toutes ces pratiques sont loin d’être des cultures de subsistance, souligne-t-elle. Elles produisent souvent pour l’international : l’huile d’argan et le café éthiopien se retrouvent dans les grandes surfaces.»

systèmes ancestraux, mais les adapter à leurs nouveaux besoins.» Certes, pour l’instant, l’agroforesterie représente en France moins de 1 % des surfaces cultivées. Mais depuis 2006, les exploitants qui la pratiquent ont droit aux primes de la PAC (Politique agricole commune). Et l’Inra estime que 40 % des terres arables européennes pourraient être convertis à ce mode d’exploitation. Pour sauver la planète et assurer une alimentation de qualité aux générations futures, il faut donc planter des arbres… sur le champ ! � EMMANUELLE JARRY

PÉROU : LE MARIAGE DES TOMATES ET DES CÈDRES

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’est l’un des exemples phares de l’agroforesterie dans le monde. Depuis 2010, l’ONG locale Latitud Sur et l’association française Arutam développent cette activité au sein de quatre communautés rurales de l’Amazonie péruvienne. Jusque-là, les villageois vivaient de la vente du charbon de bois et des seules cultures du manioc et de la banane, qui entraînaient des carences dans leur alimentation et appauvrissaient les sols. En outre, la technique de «l’abattis sur brûlis» qu’ils employaient pour exploiter de nouvelles parcelles empêchait la forêt de se régénérer. En cinq ans, les habitants ont planté 90 000 arbres fruitiers (caramboliers, avocatiers…), à bois (cèdres, acajous…) et médicinaux (Sangre de Grado, griffes de chat…). A leurs pieds poussent des cultures maraîchères : poivrons, pastèques, piments, tomates… Des poulets, cochons d’Inde et lapins sont aussi élevés sous leur ombrage, et leurs déjections récupérées comme fertilisants. Ce projet, qui fait vivre aujourd’hui 58 familles, a ainsi permis la mise en place d’un modèle agricole durable et écologique. �

dans beaucoup de pays. Comme ici, dans l’oasis de Taghit, en Algérie, où sont associés le blé, les légumes et les palmiers-dattiers.

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ASIE

SOUS L’EMPIRE DU COCHON CHINOIS e verrat n° 5422 entre nonchalamment dans l’enclos et grimpe sur une petite estrade. Un ouvrier agricole nettoie le bas-ventre de l’animal, cherche à tâtons… et commence à masser son sexe rose long d’une trentaine de centimètres. Bientôt, le gobelet qu’il tient dans l’autre main se remplit de plus de 60 milliards de sper-

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matozoïdes ; de quoi engendrer, par insémination artificielle, quelque 150 gorets. Voilà une scène quotidienne à la ferme de Fuxin, dans la province du Jiangxi, en Chine méridionale : 10 hectares de champs et de granges en béton où engraissent près de 2 000 porcins. Ouyang Kuanxue a monté l’exploitation en

Eric Michael Johnson/Redux-REA

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Quand le porc va, tout va ! Toutefois, son élevage à grande échelle en Chine fait beaucoup de dégâts, et a un impact direct sur la planète.

UNE ICÔNE DE LA CULTURE POPULAIRE

Emblème de la prospérité, cet animal est adulé en Chine. Témoins, ces porcelets en caoutchouc vendus comme jouets de bain pour les enfants.

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2010. Ses amis disent que c’était son destin : n’est-il pas né voici trente et un ans sous le signe zodiacal chinois du Cochon ? L’éleveur avance une raison plus terre à terre : «J’ai suivi des études de gestion à l’université de Pékin, raconte-t-il. Quand, en 2003, je suis revenu à Pingxiang, ma ville natale, je ne savais pas quoi faire. Mon grand-père, qui travaillait dans les mines de charbon, possédait quelques porcs. Après lui, mon père en a eu une centaine. Alors, j’ai décidé de développer cette activité.» Désormais, toute la famille Ouyang y est impliquée. Le frère cadet s’occupe de la production, la belle-sœur des tâches administratives. Ensemble, ils détiennent trois fermes qui abritent environ 5 000 bêtes. «2013 a été difficile pour la profession, dit Kuanxue. Le prix du porc était bas, et celui de sa nourriture élevé.» Mais cette année de «cochons maigres» fut précédée d’une longue période d’abondance. Résultat : l’éleveur conduit un SUV Volkswagen et reçoit sur son smartphone les informations de la filière porcine. Sa femme,

En mandarin, le même mot sert à dire «viande» et «porc»

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elle, a une Audi dernier cri, arbore un bracelet Cartier et tient deux salons de manucure. Le couple est propriétaire d’un appartement dans un immeuble neuf de la ville voisine. Une réussite emblématique de l’essor fulgurant du marché national du porc. Depuis la libéralisation de l’agriculture à la fin des années 1970, la consommation de cet animal a presque été multipliée par sept. Aujourd’hui, les Chinois élèvent et ingurgitent près de 500 millions de ces suidés par an, soit la moitié de leur population mondiale ! Il faut dire que les Fils du Ciel cohabitent depuis longtemps avec ce quadrupède. Selon les historiens, les paysans du sud du pays furent les premiers sur Terre à apprivoiser des sangliers sauvages, il y a dix mille ans. Depuis, leurs descendants sont au cœur de la culture chinoise. En mandarin, le même mot est utilisé pour dire «viande» et «porc», et l’idéogramme qui signifie «famille» représente un cochon sous un toit. Cet animal est, en outre, l’un des douze signes du zodiaque chinois : ceux qui sont nés sous ses auspices son réputés consciencieux, sympathiques et généreux. Il est aussi symbole de prospérité, de virilité et de fécondité. D’où les nombreux poèmes, chansons et contes composés en son honneur. Des figurines en argile à son effigie ont même été trouvées dans des tombeaux datant de la dynastie des Han (de 206 avant J.-C. à 220). Pendant des siècles, les sacrifices de porcs et la consommation de leur chair ont marqué les cérémonies et les fêtes. En automne, lors de celle du DoubleNeuf (le 9 jour du 9 mois lunaire), les aînés de la famille abattaient un cochon sur la tombe de leurs aïeuls afin qu’ils continuent de leur accorder protection. «S’ils ne le faisaient pas, les esprits de

Xinhua/Zuma/REA

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POMPONNÉ COMME UN TOP-MODÈLE

Guanshan, dans la province de Guangdong, est connu pour son concours de porcs. Le public déguste la viande après l’élection du plus beau spécimen.

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leurs ancêtres disparaissaient définitivement dans d’atroces souffrances, explique James Watson, anthropologue à l’université d’Harvard. Voilà pourquoi les fermiers qui avaient des problèmes d’argent ne se séparaient des porcs qu’en dernier.» Plus tard, sous l’ère communiste, presque tous les foyers ru-

«COACHÉ» COMME UN CHAMPION

Dans le Hunan, les bêtes sont entraînées à la nage pour être plus grasses. Leur maître les vend ainsi trois fois plus cher sur le marché.

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raux possédaient au moins un pourceau. Ces omnivores faisaient partie du système de recyclage des déchets ménagers : d’un côté, ils se régalaient de détritus non comestibles, de l’autre, ils produisaient un fumier très prisé – Mao Zedong était lui-même un fan de ces «usines à engrais sur pattes». Rien d’étonnant, donc, si le porc se retrouve au centre de la gastronomie chinoise. Du groin à la queue, tout est bon chez lui pour les gourmets. Sa tête est servie entière tel un mets de

choix : «La cervelle est onctueuse comme de la crème», s’extasie la chef britannique Fuchsia Dunlop, spécialiste de cette cuisine. L’attrait a aussi des raisons thérapeutiques : les viscères du cochon sont censées posséder des vertus médicinales… Pourtant, en Chine, le porc a été longtemps un produit de luxe. Même avant la révolution de 1949, il ne fournissait à la plupart des Chinois que 3 % de leur apport calorique annuel. De 1958 à 1960, la famine qu’a engendrée le «Grand

Guo Quan/Feature China/Ropi-REA

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Bond en avant» a provoqué entre 30 et 55 millions de morts. Ensuite, et pendant des décennies, les paysans enduisirent leur wok de gras de porc pour donner à leurs légumes un goût de viande, avant de récupérer ce gras et de le réutiliser au repas suivant. Au début des années 1990, l’alimentation de nombreux habitants était encore principalement composée de légumes achetés sur des marchés. Pour beaucoup d’entre eux, le souvenir de ces années de privation demeure vivace. Si bien que le fait de manger de la viande est devenu un symbole du triomphe sur l’adversité, autant que de la transformation du pays. Les grandsparents qui, jadis, avaient faim, gavent leurs petits-enfants des meilleures choses dont ils ont manqué. Et le porc figure tout en haut de la liste. Les Chinois en consomment aujourd’hui 39 kilos en moyenne par personne et par an (environ le tiers d’un cochon), soit cinq fois plus qu’en 1979. Ces suidés sont les premières victimes de leur popularité. Jusque dans les années 1980, les grandes fermes comme celle de Ouyang Kuanxue n’existaient pas : 95 % des pourceaux chinois provenaient de petits élevages familiaux de moins de cinq animaux. Mais aujourd’hui, ces derniers ne représentent plus que 20 % des exploitations, comme le rapporte Mindi Schneider, de l’Institut international d’études sociales (ISS) de La Haye. Parmi les 80 % restant, nombre sont élevés dans des unités industrielles, souvent détenues par l’Etat ou des multinationales qui en produisent jusqu’à 100 000 par an… Ces malheureux animaux passent leur courte vie sur des litières garnies de lattes métalliques. La plupart ne voient jamais la lumière du jour ; très peu se reproduisent. Notons que 95 % d’entre eux sont

issus de trois races étrangères, et que les 5 % restant sont des races locales. C’est pourquoi le gouvernement a instauré une banque nationale de gênes et un réseau de «ménageries». Néanmoins, ces variétés anciennes pourraient, à terme, disparaître. En 2007, 45 millions de cochons sont morts de «l’oreille bleue»

Mais il y a pire. La demande en viande de porc inquiète le Parti communiste, car elle pourrait menacer la stabilité économique et sociale du pays. Ses habitants avalent tant de viande de porc que lorsque son prix est à la hausse, celui des autres produits grimpe aussi. Pour Pékin, il est donc essentiel de maintenir cet aliment à un coût abordable. En 2007, par exemple, près de 45 millions de cochons moururent en Chine de la maladie infectieuse de «l’oreille bleue». Le cours du porc monta alors en flèche, et l’indice des prix à la consommation connut son plus fort taux d’augmentation enregistré depuis dix ans. Paniqués, les Chinois prirent d’assaut les étals. Dans un supermarché de

Manger sa chair est devenu le symbole du formidable essor du pays

Guangzhou (Canton), des clients furent blessés dans une bousculade alors qu’ils se ruaient pour acheter du porc réfrigéré bon marché. Conséquence directe : les importations de cette viande ont dû être doublées. Pour contrôler les prix, l’Etat a créé la première réserve au monde de gorets, à la fois sous forme d’animaux vivants et de carcasses congelées. Lorsque ces quadrupèdes deviennent trop chers, le gouvernement met une partie de ses stocks sur le marché. Inversement, quand leur coût baisse trop, il achète des bêtes supplémentaires aux agriculteurs afin que ceux-ci ne soient pas lésés. Pékin a également pris des mesures visant à encourager l’élevage intensif des porcs, et à s’assurer de la sorte qu’il y en aura toujours dans les assiettes : subventions, incitations fiscales, prêts à taux préférentiel, vaccination gratuite… Selon Chatham House, un think tank basé à Londres, le gouvernement chinois a ainsi subventionné ce secteur à hauteur de 22 milliards de dollars (16,8 millions d’euros) en 2012. Soit environ 47 dollars (36 euros) par Chinois. Cela dit, même le Parti communiste n’arrive plus à maîtriser tous les aspects de cette vaste industrie. Les dirigeants attachent une importance vitale à l’autosuffisance alimentaire du pays. De fait, la plupart des porcs qui y sont consommés sont élevés sur place. Mais chaque kilo de leur viande nécessite 6 kilos de fourrage, en général du soja ou du maïs. Or, la Chine ne dispose pas d’assez d’eau et de terres pour nourrir à la fois ses cochons et ses habitants. D’autant que ces derniers veulent toujours plus des premiers ! Résultat : les suidés chinois dépendent de plus en plus d’une nourriture venue de l’étranger. Mindi Schneider estime que

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plus de la moitié des cultures fourragères de la planète seront bientôt dévorées par les pourceaux de l’empire du Milieu. En 2010 déjà, les importations de soja en Chine représentaient plus de 50 % du marché mondial de cette légumineuse. Celles de céréales augmentent également rapidement. L’US Grains Council, un organisme américain chargé de la promotion de ce secteur, prévoit qu’en 2022 la Chine devra importer entre 19 et 32 millions de tonnes de maïs. L’équivalent du cinquième, voire du tiers, de la production totale actuelle de cette graminée. Ces besoins colossaux bouleversent les paysages et l’économie de certains pays. Au Brésil, plus de 25 millions d’hectares de terres (l’équivalent du RoyaumeUni) sont désormais utilisés pour produire du soja. Beaucoup ont été conquis sur la jungle amazonienne, au détriment de nombreuses espèces d’arbres et de plantes endémiques. Car les importateurs chinois n’ont pas adhéré à la «Table ronde pour le soja responsable» (RTRS), une association internationale pour le développement durable dont les membres acceptent de ne pas acheter cet aliment s’il est cultivé sur des zones récemment déboisées. L’Argentine, elle aussi, a rasé des milliers d’hectares de forêt et transféré ses élevages traditionnels de bétail dans des contrées reculées, pour faire place à l’exploitation du soja. Depuis 1990, le pays a quadruplé la superficie consacrée à cette culture et en exporte la quasi-totalité (environ 8 millions de tonnes) vers la Chine. Dans certaines régions, les agriculteurs argentins font jusqu’à deux ou trois récoltes par an, en utilisant des herbicides qui ont provoqué malformations congénitales et augmentation du nombre de cancers dans la population.

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Le Brésil rase l’Amazonie pour nourrir en soja les gorets chinois Ces importations ont rendu la Chine de plus en plus vulnérable face à l’évolution des cours mondiaux des produits de base. Pékin a réagi en achetant de nouvelles terres à l’étranger. Une partie est utilisée pour cultiver des plantes fourragères ou élever des cochons qui sont ensuite vendus sur le marché intérieur à des prix préférentiels. Le pays est discret sur le sujet. Mais selon l’Institut international du développement durable, un think tank canadien, il aurait acquis 5 millions d’hectares dans des pays en voie de développement.Une stratégie qui ne se limite pas à ces derniers. Lorsqu’en 2013, Shuanghui, le plus grand producteur chinois de porcs, a racheté l’entreprise américaine Smithfield Foods, il a fait main basse sur de vastes étendues de terres au Missouri et au Texas. Nourrir leur bétail n’est pas la seule préoccupation des éleveurs chinois. Leur plus grande crainte est la maladie qui ralentit la croissance de leurs protégés. Pire : dans les fermes modernes, les cochons ont tendance à posséder

les mêmes gênes. Beaucoup d’animaux sont demi-frères et demisœurs. Quand l’un d’eux succombe à une infection, les autres risquent de suivre. On ajoute donc à leur nourriture de petites doses d’antibiotiques. En Europe et en Amérique, cette pratique a conduit à l’émergence de «superbactéries» qui résistent à la plupart des médicaments. En 2009, l’une d’elles a été détectée sur des porcs chinois exportés vers Hongkong. Pékin a reconnu le problème, mais n’a guère réglementé, depuis, l’utilisation d’antibiotiques et d’hormones de croissance. Pourtant, ces produits passent dans la chaîne alimentaire et s’y concentrent, d’une part dans les assiettes, de l’autre dans les 5 kilos de fumier que chaque cochon produit en moyenne dans la journée. Les milliards de tonnes de fumier polluent eaux et terres

Cet engrais naturel jadis si prisé pose aujourd’hui un énorme défi environnemental. D’immenses terrains ont certes été réservés pour le stocker, mais ils sont mal gérés. Ainsi, selon le ministère chinois de l’Agriculture, les milliards de tonnes de déchets qui sont produits chaque année par le cheptel national constituent l’une des sources de pollution majeure des eaux et des sols du pays. Les 16 000 cadavres de porcs victimes d’une épidémie qui ont été déversés en 2013 dans les affluents du Huangpu, la rivière qui alimente en eau Shanghai, n’étaient que la face visible du problème… Les déjections porcines contribuent également aux émissions de méthane et d’oxyde nitreux, un gaz à effet de serre trois cents fois plus puissant que le dioxyde de carbone. Les cochons de l’Empire céleste participent ainsi au réchauffement de la planète tout en faisant disparaître ces refroidis-

IL SYMBOLISE LA RÉUSSITE

Hirogi Kubota/Magnum Photos

Dans la province du Guangdong, on célèbre les «porcs géants». L’occasion pour les jeunes éleveurs méritants de montrer, lors d’une cérémonie, qu’ils feront un bon parti pour le mariage.

seurs naturels que sont les forêts tropicales. Rien qu’entre 1994 et 2005, les émissions de gaz à effet de serre provenant de l’agriculture chinoise ont augmenté de 35 %. Or, d’après Tony Weis, de l’université canadienne Western Ontario, «l’expansion de la production de bétail dans le monde est l’une des principales causes du changement climatique et est à l’origine de près d’un cinquième des émissions produites par l’activité humaine». Ainsi, la prolifération de ses porcs a beau être un signe de la prospérité

de la Chine, elle n’en représente pas moins un grave danger. Bien peu d’habitants se posent la question de savoir s’il est bon de manger toujours plus de cochon. La consommation de viande commence à se stabiliser chez les plus aisés. Les crises sanitaires ont favorisé les ventes d’aliments issus de l’agriculture biologique, bien que celle-ci soit encore très peu développée. Le végétarisme progresse, mais il est en général considéré comme une excentricité. L’ambition de la majorité des

Chinois reste de dévorer la plus grosse part possible du gâteau (de porc). Dans la plupart des pays riches, la demande en viande stagne ou baisse, mais, dans l’empire du Milieu, elle grimpe en flèche et sans retenue. Oubliez les autres signes du zodiaque : dans la Chine d’aujourd’hui, c’est tous � les ans l’année du Cochon. Texte paru dans The Economist du 20 décembre 2014. Traduction d’Amélie Rousseaux, adaptation de Jean-Yves Durand.

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Aline Gérard / Cook and Shoot x 2

Les vers de farine

DES INSECTES DANS NOS Pour deux milliards d’humains, manger des insectes n’a

rien d’exotique. Nourrissant et écologique,

ASSIETTES ?

ce «minibétail»incarne-t-il le futur de nos repas ?

Petits pois et gros asticots A la carte de l’Aphrodite, à Nice, cette appétissante mousse de petits pois est agrémentée de surprenants tortillons : des vers de farine.

TENDANCE Les grillons Des élytres dans le whisky Un dessert du chef niçois David Faure. Du pain perdu aux poires avec une surprise croquante : des grillons sertis dans une bulle au whisky.

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TENDANCE

La protéine du futur Près de Toulouse, Micronutris produit chaque mois une tonne d’insectes destinés à l’alimentation humaine. Grillons et vers de farine nécessitent encore beaucoup de manipulations et coûtent cher. Mais demain…

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S

Graphiques et diététiques Riches en protéines et pauvres en lipides, ces insectes ont inspiré à David Faure ce foie gras poêlé avec un croustillant de grillons au sarrasin.

Aline Gérard / Cook and Shoot

Micronutris

ur une mousse de petits pois est plantée une poignée de brindilles brunâtres. Ces tortillons ridés sont en fait des vers de farine, ou Tenebrio molitor, des rampants qui se nichent d’habitude dans les placards de cuisine. Mais ceux-ci ne risquent plus de bouger : ils sont cuits, tout comme les grillons qui suivent au menu du restaurant niçois Aphrodite. L’établissement est l’un des très rares en France à proposer des insectes à sa carte. Incrustés dans un crémeux de maïs, pattes repliées, les orthoptères semblent défier les gourmands de leurs gros yeux noirs : «Oserez-vous m’avaler ?» Au final, les gastronomes les plus téméraires les croquent, découvrant sous leur palais des notes de fruits secs, de noisette et de pop-corn. A l’origine de cette rencontre improbable entre gastronomie et entomologie, un chef étoilé, David Faure, mû par un désir d’innover et de provoquer. Son menu insectes, intitulé Alternative food, ne constitue qu’une petite partie de son chiffre d’affaires. Mais il ne laisse personne indifférent. «Certains adorent, mais d’autres ne veulent plus revenir depuis qu’il est à la carte. J’ai même reçu des lettres d’insultes et des menaces, déplore-t-il. Pour moi ça ne change rien, je suis convaincu que

Lydie Lecarpentier / Micronutris

Comme des bijoux Conçues par Micronutris et le chocolatier de Mazamet, Guy Roux, ces improbables gourmandises marient le moelleux du chocolat ou du biscuit avec le croquant du grillon.

les insectes sont le futur de nos assiettes.» Propos d’un allumé des fourneaux ? Pas du tout, estiment les biologistes, entomologistes et industriels que nous avons rencontrés. Ni anecdotique ni nouvelle, l’entomophagie (la consommation d’insectes) a, au contraire, un bel avenir devant elle. Elle constitue même l’une des clés pour subvenir aux besoins en protéines du genre humain, et ce de façon écologique. Les insectes vont-ils glisser une patte dans nos gamelles européennes ? La question serait plutôt quand et comment. Dans son lumineux bureau parisien, face à un sachet entamé de sablés aux insectes, le biologiste, auteur d’ouvrages pédagogiques et documentariste Jean-Baptiste de Panafieu confirme le pronostic. «Pour l’heure, la consommation de ces petites bêtes est anecdotique, mais dans dix ans, il y en aura dans les croquettes de nos chats et de nos chiens. Et dans une petite vingtaine d’années, nous en mangerons régulièrement.» Le scientifique a publié récemment Les insectes nourrirontils la planète ? (éd. du Rouergue), un ouvrage qui fait tomber beaucoup d’a priori sur le sujet. D’abord, l’entomophagie a une longue histoire, même en Europe. Nos ancêtres préhistoriques collectaient déjà des chenilles, des termites et de grosses larves afin de se rassasier. Dans l’Antiquité, les Grecs salivaient devant des plats de larves de cigales et le philosophe Aristote a vanté leur exquise saveur dans ses écrits. Quant aux Romains, ils se régalaient de vers de chêne. «Même si la Bible interdit de manger des bêtes rampantes, on a continué partout en Europe à manger des insectes jusqu’à aujourd’hui», poursuit Jean-Baptiste de Panafieu. Même vous, lecteur, en avez déjà savouré ! «On estime en effet qu’un Européen absorbe chaque année, à son insu, 300 grammes de bestioles diverses, cachées dans les fruits, broyées dans les farines, les confitures… Sans compter le colorant rouge E120, extrait de la cochenille.» Dans le

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TENDANCE

EN POUDRE OU TOUT ENTIERS ? VOUS FINIREZ PAR LES APPRÉCIER…

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Aline Gérard / Cook and Shoot

L’art du camouflage Si, si, il y a bien de l’insecte avec ce dos de cabillaud pané. Ruse du chef David Faure : les vers de farine ont été réduits en poudre (à gauche). Pour les rendre plus appétissants ?

TENDANCE

monde, c’est beaucoup plus, et au grand jour. Selon la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), les insectes font partie de la consommation de 2 milliards d’individus. Le taxonomiste hollandais Yde Jongema, du laboratoire d’entomologie de l’université de Wageningen, a établi une liste de 1 900 bestioles comestibles à travers le monde. «Certes, ils ne constituent parfois qu’un plat occasionnel, et, dans des sociétés qui se sont enrichies, la consommation de volaille et de poisson a tendance à s’y substituer, tempère Jean-Baptiste de Panafieu. Mais les insectes font partie intégrante de l’alimentation “normale” en dehors des frontières européennes.» Et le phénomène va s’amplifier car la consommation d’insectes est une réponse à l’accroissement des besoins alimentaires. D’ici à 2050, la FAO estime que la planète devrait compter 9 milliards d’habitants, et que la demande en protéines animales pourrait doubler. «Si tous les humains adoptaient notre type de consommation occidental, dans quelques dizaines d’années l’ensemble des terres cultivées ne suffirait plus à l’élevage des volailles et des bovins», alerte Jean-Baptiste de Panafieu. Le «minibétail» permettrait de sortir de l’impasse. D’abord parce qu’il présente un profil nutritionnel presque parfait. Le taux en protéines des insectes peut atteindre 75 %, pourcentage bien supérieur à celui de la plupart des viandes, œufs et volailles. Ils contiennent aussi des acides gras bénéfiques (oméga-3 et oméga-6), des vitamines, des fibres, des minéraux, et sont dépourvus de cholestérol. D’autre part, ces animaux à sang froid ont un très bon taux de conversion alimentaire. Ainsi, il faut seulement deux kilos de nourriture pour produire un kilo d’insectes contre huit pour produire un kilo de bœuf, d’après la FAO. Cerise sur le sablé ? Nourrissants, les insectes ont, en plus, le bon goût d’être écolos. Les chercheurs de l’université de Wageningen ont montré qu’ils généraient beaucoup moins de gaz polluants comme le méthane et l’oxyde de nitrate. Produire un kilo de vers de farine engendrerait l’émission de 10 à 100 fois moins de gaz à effet de serre qu’un kilo de porc.

CE QUI BLOQUE L’ESSOR DU «MINIBÉTAIL» ? UNE LÉGISLATION DÉFAVORABLE 78 GEO EXTRA

Conséquence : des industriels ont compris l’intérêt de ces petites bêtes comestibles. A SaintOrens-de-Gameville, aux portes de Toulouse, de discrets hangars de 650 mètres carrés accueillent l’une des plus grandes sociétés européennes de production d’insectes destinés à l’alimentation humaine (et la seule française), Micronutris. A l’intérieur, si l’on ferme les yeux, on se croirait dans un champ en Provence. Dans de grandes caisses, des dizaines de millions de grillons stridulent en frottant leurs élytres. Dans une pièce à part, des cagettes empilées contiennent un petit peuple blanchâtre et grouillant : des vers de farine, l’autre production de Micronutris. Au total, l’entreprise peut livrer chaque mois plus d’une tonne de bestioles à croquer. Dans un an, elle aura multiplié par dix sa capacité de production. Produire de l’insecte coûte encore cher : sept fois plus que les veaux, vaches, cochons…

A la tête de cette entreprise créée en 2011, un trentenaire visionnaire, Cédric Auriol, convaincu du bel avenir de l’entomophagie. «Lorsque nous avons commencé, nous avons réalisé des études montrant que seuls 0,5 % des sondés en France avaient ingéré des insectes. Moins de quatre ans après, ce chiffre a été multiplié par dix !» Et ceux qui n’ont pas encore croqué d’insecte ne sont plus aussi méfiants. L’année dernière, un sondage réalisé par Micronutris a prouvé que 40 % des 5 000 personnes interviewées avaient un a priori positif sur les insectes comestibles. Pour l’heure, l’entrepreneur vend surtout à des professionnels. Par exemple, le chef niçois David Faure ou le maître chocolatier de Mazamet, Guy Roux, qui pose, comme des bijoux, des orthoptères et des coléoptères colorés sur ses macarons ou ses bouchées au chocolat. Via Internet, sa société a déjà livré 20 000 particuliers. Sous la forme de biscuits au fromage, à l’oignon, au citron, au caramel ou «natures», déshydratés et aromatisés pour l’apéritif, les insectes commencent à trouver leur clientèle. Malgré des tarifs salés. Comptez 12,50 euros pour un sachet de 10 grammes (soit 1 250 euros le kilo, la moitié du prix du caviar !) ou 7,50 euros pour un paquet de sablés de 160 grammes. Ces tarifs se répercutent chez les restaurateurs. Il faut débourser 63 euros pour le menu insectes de David Faure. «Nos coûts de production sont encore colossaux, justifie Cédric Auriol. Aujourd’hui, ils sont sept fois supérieurs à ceux des “autres” viandes bio. Il y a encore beaucoup de manipulations humaines pour nourrir, abattre, conditionner nos produits.» L’enjeu pour Micronutris est donc d’automatiser son activité. Il y a deux ans, il fallait 60 heures de main-d’œuvre

Libellules, blattes, mouches…

QUELS INSECTES SE MET-ON SOUS LA DENT ?

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Si on en mange 100 g, cela équivaut en steak à…



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Sources : Yde Jongema. Liste des insectes consommés dans le monde (2012) FAO. Insectes comestibles : perspectives pour la sécurité alimentaire et l’alimentation animale (2014).

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O r th o

Recensées par le taxonomiste hollandais Yde Jongema, les 1 900 espèces mangées dans le monde sont, pour moitié, des coléoptères (31 %) et des chenilles de papillons (18 %). Leur apport en protéines est loin d’être négligeable : 100 g de larves de fourmis tisserandes en contiennent autant que 31 g de bœuf, et 100 g de chapuline (criquet du Mexique) équivalent à un steak de 184 g.

Scarabées, coccinelles, hannetons

Termites

18%

14% Papillons

Abeilles, guêpes, fourmis

pour obtenir un kilo de vers de farine, aujourd’hui 20 heures suffisent, et la société mise sur 20 minutes prochainement. Pour établir ce business sans équivalent dans l’Hexagone et être bien placée lorsque le marché décollera, la société doit également investir lourdement en recherche et développement. Elle n’est pas la seule. Bipro, une start-up créée par trois entomologistes angevins, Delphine Calas, Fabienne Dupuy et Olivier List, ambitionne de commercialiser des insectes jusque dans les grandes surfaces. Mais les trois associés savent qu’il faut commencer par les rendre acceptables… donc invisibles. Leur plan ? Les introduire dans des barres énergétiques, les vendre sous forme de farine, de plats préparés… «L’idée est de faire entrer progressivement leur consommation dans les mœurs, explique Fabienne Dupuy. La plupart des gens nous disent être d’accord pour ingérer ces petites bêtes s’ils ne les voient pas.» Mais pour l’heure, les chercheurs d’Angers n’ont pas ouvert d’élevage. «Nous attendons que

la législation se mette en place», disent-ils. C’est là le dernier et le plus sérieux frein à la production de ces croquantes créatures : un règlement européen du 15 mai 1997 «soumet tout nouvel aliment à autorisation communautaire avant mise sur le marché». Le texte ne mentionne pas spécifiquement les insectes. C’est pourtant sur lui que se sont appuyés, l’année dernière, des fonctionnaires de la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) pour interdire à un restaurant cambodgien d’Amiens de vendre vers, grillons et scarabées. La Commission européenne devrait donner son feu vert, mais cet assouplissement législatif ne prendra pas effet avant 2016. En attendant, les pionniers de ces micro-aliments se font tout petits car leur business est seulement toléré. Sur un coup de zèle de l’administration, plus de grillon grillé, de macaron d’insecte ou de mousse de petits pois truffée de vers de farine. Dommage ! � LÉO PAJON

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TENDANCE

Croustillantes recettes VENEZUELA

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La mygale de Leblond (Theraphosa blondi) est l’une des plus grosses araignées au monde (jusqu’à 30 cm d’envergure et 170 g). Elle constitue l’un des ingrédients de la cuisine amérindienne, et est souvent au menu des restaurants de Caracas.

C O LO M B I E

C A M E RO U N

Fourmis, libellules, vers… Ce pays est friand d’insectes. Le plat national ? Peut-être la jumile, une petite punaise à la saveur mentholée, que l’on utilise pour concocter certaines sauces ou encore garnir des tacos.

Thierry Berrod / Monalisa / Lookatsciences

MEXIQUE

Partout sur la planète, les hommes se régalent déjà de punaises d’eau, de termites ou de frelons… Tour du monde d’une gastronomie surprenante.

On grignote ici la hormiga culona (fourmi à gros cul) depuis plusieurs siècles. Seules les reines sont ramassées. Sans leurs pattes et leurs ailes, elles sont trempées dans l’eau salée, puis rôties.

En Afrique, croquer un termite (grillé, salé, avec oignons et herbes) est d’un commun… Il faut dire qu’il est nourrissant : 100 g de termites couvriraient 21,5 % des besoins caloriques journaliers.

Kurt Henseler / REA - LAIF

En Asie, on se régale fréquemment de scorpion grillé. A Pékin, par exemple, on en trouve dans des petites gargotes de rue, présenté en brochette. Le scorpion est servi entier, avec son dard, le poison étant neutralisé par la cuisson.

A Bali, dans les années 1950, la libellule était consommée à tous les repas. Aujourd’hui, c’est un plat de fête, comme le premier anniversaire des enfants. Elle est rôtie à la flamme ou bien bouillie et saupoudrée d’épices.

Cartographe : Hugues Piolet

Les Aborigènes dégustent grillé ce gros ver blanc, le witchetty. Il est tellement riche en protéines, en oméga-9 et en matières grasses qu’une dizaine suffit à se nourrir pour la journée.

INDONÉSIE

Claro Cortes / Reuters

CHINE

JAPON Juste retour des choses : fléau des récoltes, le criquet migrateur constitue une nourriture riche en protéines et saine… à condition qu’il n’ait pas été contaminé par des insecticides. Il est le plus souvent frit dans l’huile et simplement salé.

Le ver mopane, la chenille du papillon empereur, est un mets courant dans le sud du continent africain, notamment au Botswana où l’on estime que près de 10 000 personnes travaillent à sa récolte. Riche en protéines, il se mange bouilli, fumé ou grillé.

AU S T R A L I E

B OTS WA N A M A DAG A S C A R

THAïLANDE

On attrape dans les rizières cette punaise d’eau, qui peut atteindre 8 cm. Elle est très appréciée dans ce pays qui compte parmi les nations les plus friandes d’insectes. Elle peut être frite ou broyée, puis mélangée à du piment pour agrémenter les plats.

Importé depuis la Chine ou la Corée, le frelon est très goûté : la boîte d’un kilo est vendue l’équivalent de 200 €. Des chefs japonais conseillent aussi de savourer ses larves, douces et crémeuses, accompagnées de sauce soja et de wasabi (la moutarde locale).

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MODES DE VIE

JAPON

Quel est le petit déjeuner idéal ? Morgunverðu à Reykjavík, chōshoku à Tokyo, «petit déjeuner» à Paris… D’un pays à l’autre, ces repas sont aussi différents que leur nom. Tour d’horizon, commenté par la diététicienne Paule Neyrat. PAR CAROLE SATURNO (TEXTE) ET HANNAH WHITAKER (PHOTOS)

Saki, 3 ans, Tokyo Sa maman lui cuisine une soupe miso, du riz, de la courge à la sauce soja, du saumon grillé, de l’omelette roulée et des concombres aigres-doux… que la fillette n’aime pas. Ce qu’elle préfère ? Le bol de haricots gluants, qu’elle avale avec gourmandise.

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L’AVIS DE NOTRE EXPERTE Si Saki picore quelques bouchées dans chaque petit bol, ce petit déjeuner japonais est bien équilibré. Sauf qu’il est quand même trop copieux pour une fillette de 3 ans et correspond plutôt à un déjeuner. Il n’est pas trop gras et ne contient aucun sucre rapide. Les glucides (haricots secs, riz) sont assimilés lentement par l’organisme et diffusent leur capital d’énergie tout au long de la matinée, ce qui est parfait. L’absence de fruit frais n’est pas choquante, cela correspond tout simplement aux habitudes culinaires des Japonais.

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FRANCE Nathanaël, 6 ans, Paris En semaine, tous les jours, il prend un kiwi, une orange pressée, une tartine beurre-confiture et un bol de céréales arrosées de lait froid. Le week-end, place aux croissants ou aux gâteaux faits maison, que le petit garçon concocte avec son grand-père pâtissier.

L’AVIS DE NOTRE EXPERTE Cocorico ! C’est presque un sans-faute pour ce petit déjeuner à la française. Oui au pain, en favorisant le pain complet, surtout s’il est à base de bonnes farines qui ont échappé aux pesticides et autres conservateurs. Oui aussi au lait et aux fruits… mais un mauvais point pour les céréales. Trop grasses, trop sucrées, elles se digèrent trop rapidement. Elles créent ainsi un effet coup de pompe vers 10 heures 30. Et oui, encore, aux gâteaux du dimanche : le plaisir est un facteur essentiel pour initier les enfants au goût des bonnes choses. Donc, interdit de se priver !

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MODES DE VIE

MODES DE VIE

L’AVIS DE NOTRE EXPERTE Avant tout, on peut se réjouir de l’abondance de ce premier repas de la journée, dans un pays où la moitié des enfants souffrent de dénutrition. Sans connaître les ressources dont dispose la famille, il est difficile de juger, mais force est de constater que ce petit déjeuner est déséquilibré : trop de glucides, pas de fruits frais ni de laitage. Il faut aussi tenir compte des habitudes au Malawi, ce qui explique que les enfants boivent du thé ou parfois du bissap, une infusion sucrée de fleurs d’hibiscus, au lieu de lait ou de jus de fruit.

MALAWI Phillip et Shelleen, 6 et 5 ans, Lilongwe Typique du Malawi, ce pain de maïs sucré appelé chikondamoyo («pain de vie») est préparé par la grand-mère des deux enfants. On leur propose aussi des pommes de terre cuites à l’eau. Ils boivent une tasse de thé noir copieusement sucré.

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ISLANDE Birta, 3 ans, Reykjavik Tous les matins : un bol de porridge (bouillie d’avoine) préparé avec de l’eau ou du lait, du sucre de canne ou du sirop d’érable, des fruits secs, du beurre et un verre de jus de fruit. Puis la fillette avale sans sourciller une cuillerée de lysi, de l’huile de foie de morue.

L’AVIS DE NOTRE EXPERTE Bravo l’Islande ! Petit déjeuner parfait. A la fois parce qu’il est équilibré (laitage, sucres lent et rapide du porridge, vitamines du jus…) mais aussi parce qu’il est adapté aux hivers rudes et au manque de lumière. D’où l’huile de foie de morue, pour faire le plein de vitamine D. Si Birta l’avale sans faire d’histoire, cela prouve qu’on s’habitue même à des goûts forts et réputés difficiles. Bon point aussi pour le beurre, nécessaire pour lutter contre le froid, et pour l’utilisation de sucres non raffinés : le sucre de canne, le sirop d’érable ou le miel contiennent beaucoup plus de vitamines et de sels minéraux.

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MODES DE VIE

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L’AVIS DE NOTRE EXPERTE Je le répète : haro sur les céréales ! Alors que l’obésité est un fléau au Brésil (30 % des enfants sont en surpoids), il faut absolument bannir ces produits des petits déjeuners des enfants ! De mauvaise qualité, les céréales industrielles nourrissent mal. En effet, elles se transforment en sucre pur, donnent une impression de satiété, mais sont absorbées trop vite par l’organisme. On garde donc le lait et une part de gâteau à la banane, qui devraient suffire, ou le pain au lait avec le fromage frais. Il faudrait un fruit (et ce pays n’en manque pas), au moins en jus, pour que ce repas soit bien équilibré.

BRÉSIL Tiago, 3 ans, São Paulo Au réveil, Tiago prend des céréales avec du lait froid, une part de gâteau à la banane et un petit pain au lait, parfois accompagné d’une part de fromage frais. Plus un biberon de lait chocolaté, le seul aliment qui éveille sa gourmandise et sa bonne humeur le matin.

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Doga, 8 ans, Istanbul Un vrai mezze du matin. Olives, œufs frits à la saucisse, tahini (crème de sésame) sucré, fromages, confitures de coing et de mûres, crudités (tomates, concombres, radis blancs…), sans compter les gâteaux, le halva à la noisette (sorte de nougat), le pain, le lait et le jus d’orange… Quel festin !

TURQUIE

L’AVIS DE NOTRE EXPERTE On se doute qu’il s’agit là d’un petit déjeuner exceptionnel (le weekend) ou particulièrement sophistiqué. Bien qu’il représente les traditions culinaires turques, où l’on picore à loisir sucré et salé, il est bien sûr beaucoup trop riche pour une enfant de cet âge – et même pour un adulte ! Si Doga goûte une bouchée de chaque chose, cela sera suffisant, bien qu’un peu trop gras et trop sucré. En fait, ce petit déjeuner turc ressemble au brunch en vogue dans notre pays, petit déjeuner amélioré qui sert aussi de déjeuner.

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NOTRE EXPERTE Petite-fille de cuisinier, Paule Neyrat est une diététicienne nutritionniste. Mais elle n’oublie pas pour autant la gastronomie ! Elle a signé, avec Alain Ducasse, Nature - Simple, sain et bon (éd. A. Ducasse), un recueil de recettes qui conjuguent plaisir et santé. Elle a créé et dirigé les Stages Escoffier, où les cuisiniers s’initient au savoir-faire des grands chefs.

Focus

LA GRANDE VOG La production mondiale est en pleine croissance. Et, en Europe, ces

aquatiques chlorophylliens reste minoritaire. Pourtant, sans le savoir, vous en avez certainement déjà mangé, tout au moins des extraits, tel l’agar-agar, un additif qui depuis quarante ans remplace la gélatine dans la charcuterie, les bonbons ou les gâteaux. Dans le monde, 145 espèces sont régulièrement dégustées

En Asie, en revanche, 83 % des algues récoltées servent à l’alimentation humaine. Symbolisées par le rouleau violacé qui enveloppe les makis, elles sont omniprésentes dans la cuisine nippone. Mais c’est la Corée du Sud qui, avec 14 kilos par an et par habitant, détient le record de leur consommation, devant la Chine et le Japon. Ailleurs, le Chili figure en bonne place parmi les pays producteurs et exportateurs. En Europe, le marché est, en majorité, réservé aux usages extra-alimentaires. La Norvège, célèbre

L’algue carragheen (ici cultivée aux

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Patrick Aventurier / Getty Images

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ue diriez-vous d’une fricassée de wakame et de c h a m p i g n o n s, d’un gratin de goémon au curry, ou d’un plat de spaghettis de mer au parmesan ? L’idée peut faire sourire mais elle ne relève plus du fantasme. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la production mondiale d’algues est passée de 2 millions de tonnes en 1970 à près de 25 millions en 2012. Environ 90 % sont cultivées, le solde étant composé d’espèces sauvages récoltées. Aujourd’hui, 40 % de la production totale se retrouvent dans les assiettes : soit fraîches, sous la forme de condiments ou d’haricots de mer, soit séchées ou congelées pour être incorporées dans des préparations culinaires (terrines, soupes, sushis…). «Les 60 % restants sont utilisés dans la pharmacopée, la cosmétologie, comme engrais ou nourriture pour les animaux…», énumère Hélène Marfaing, chef de projet agroalimentaire au Centre d’étude et de valorisation des algues (CEVA) situé à Pleubian, dans les Côtes-d’Armor. En Occident, la consommation de ces végétaux

pour son beurre noir à base d’algues bouillies, en est le leader. Derrière elle vient la France où les laitues de la mer commencent à attirer des chefs et des particuliers. «Tous les pays qui disposent d’une façade maritime développent leur production», note la FAO. Il faut dire que les algues constituent une réserve alimentaire phénoménale. Ascophylle, goémon, chlorelle… Les océans et les eaux douces en recèlent plus de 100 000 espèces. Aujourd’hui, seules 145 sont régulièrement mangées dans le monde (dont 24 autorisées en France). Mais leur volume consommé pourrait croître rapidement en raison de leurs qualités médicinales et nutritionnelles. Ce n’est pas pour rien que le kombu royal – aussi appelé chou de mer – signifie «bonheur» en japonais. Des recherches préliminaires suggèrent ainsi que certaines variétés comestibles ont des effets anti-

UE DES ALGUES ?

plantes riches en protéines et en sels minéraux s’invitent dans les cuisines.

si peu consommées en Occident ? Pour le sociologue de l’alimentation Eric Birlouez, elles souffrent d’un déficit d’image, renforcé par les catastrophes environnementales : «On imagine des amas verdâtres malodorants envahissant les plages, ce qui empêche leur identification comme aliment.» Il faudra aussi lever d’autres verrous : gestion des ressources, protection de la biodiversité, conflits d’usage avec les activités halieutique et touristique… Et surtout, éviter que l’eau de mer soit polluée dans les zones de récolte. Car les algues concentrent les pesti-

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cancéreux, anti-inflammatoires et antioxydants. Les fibres que contiennent les algues favorisent également le transit intestinal. Avec une teneur en protéines comprise entre 8 et 40 % de leur poids sec, elles rivalisent avec les céréales complètes ou des légumineuses telles que le soja. Elles sont aussi riches en vitamines (A, C, E, B12…), en oligoéléments et en sels minéraux. Elles contiennent, par exemple, plus de fer que les haricots blancs secs, et quatorze fois plus de calcium que le lait. «L’alimentation de demain aura un rôle fondamental à jouer en matière de santé préventive, souligne le CEVA. Or, les algues puisent dans la mer une quantité incomparable d’éléments minéraux, dont certains font l’objet de carences importantes au sein de la population mondiale.» Certaines espèces sont tellement riches en protéines que les chercheurs y voient une arme contre la faim. Ainsi, dans l’est de l’Afrique et notamment à Madagascar, la spiruline est donnée comme complément alimentaire aux enfants souffrant de malnutrition. Cette algue microscopique en forme de ver contient entre 55 et 70 % de son poids en protéines, ce qui lui vaut le surnom de «superaliment». Pourquoi, dès lors, ces plantes aquatiques sont-elles

cides et les métaux lourds, comme le cadmium ou l’arsenic. Mais l’exploitation de l’or vert n’en est qu’à ses balbutiements. Notre planète est couverte à plus de 70 % de mers et d’océans, alors que les terres arables sont menacées par l’urbanisation galopante. Sans compter, ajoute Eric Birlouez, «que l’on peut observer chez les consommateurs un besoin grandissant de naturalité». Perçue comme une alternative saine à la malbouffe et les scandales alimentaires, l’algue a un bel avenir � dans nos assiettes. FRÉDÉRIQUE JOSSE

LA BRETAGNE MISE SUR SES «LÉGUMES DE LA MER»

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ur les 80 000 tonnes d’algues récoltées chaque année dans l’Hexagone, seules 1 % sont aujourd’hui dédiées à l’alimentation humaine. Pourtant, les Français en consomment de plus en plus. Une étude de l’Agrocampus de Rennes montre que 58 % d’entre eux en avaient mangé en 2012, deux fois plus qu’en 2000. La Bretagne, qui fournit 90 % de la production nationale, est la locomotive de ce mouvement. Elle s’appuie sur 2 500 kilomètres d’un littoral riche de 600 espèces d’algues, dont une quinzaine sont comestibles. D’après le CEVA, la Bretagne est ainsi «l’un des rares lieux au monde propices à la culture d’espèces nobles à vocation alimentaire». En 2012, la région a lancé le projet Breizh’Alg visant à créer une filière complète d’algoculture. Celle-ci inclut des restaurateurs, comme en témoigne le livre Algues et Gastronomie de Christine Le Tennier (éd. du Palémon), qui réunit des recettes de 26 toques blanches bretonnes. Loïc Le Bail, chef du Yachtman de Roscoff, y pré� sente, par exemple, un carré de porc rôti en croûte d’algues.

Philippines) peut se manger crue, en ajout à des salades, ou cuite, mélangée à des soupes, purées ou desserts.

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Salle des Taureaux. Grotte de Lascaux. Vers 17 000 av. J.-C.

DE FESTINS

Grotte de Lascaux, Montignac / Ministère de la Culture - Médiathèque du Patrimoine, distribution RMN - Grand Palais

Comment l’homme, depuis Cro-Magnon, se nourrit-il ? L’histoire de l’art nous en dit long sur nos usages et sur nos goûts. Voyage temporel en images, commenté par l’historien Eric Birlouez.

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LASCAUX, TOUT SAUF UN TABLEAU DE CHASSE Grand amateur de viande, Homo sapiens calquait ses déplacements sur ceux des troupeaux de bêtes sauvages. Mais, contrairement à ce que pourrait laisser croire cette fresque, l’auroch et le cheval n’étaient pas au menu comme l’ont prouvé les reliefs de nourriture trouvés à proximité des parois. En l’occurrence des os de renne, animal peu représenté à Lascaux. Alors, s’il ne s’agit pas d’un tableau de chasse, que signifient ces peintures rupestres ? Les hypothèses abondent, mais aucune ne s’est imposée.»

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Christian Decamps / Musée du Louvre / Grand Palais / RMN

L’ÉGYPTE, UN EMPIRE BÂTI SUR LE NIL… ET LE BLÉ

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L’agriculture, instaurée il y a 12 000 ans, est la clé de voûte des premières civilisations. En témoigne cette fresque dans le tombeau d’un scribe du Nouvel Empire qui détaille les différentes étapes de la culture du blé : préparation des semis (en bas), moisson à la faucille (au centre), séparation des grains de l’épi sous les sabots de vaches (en haut). Lors de sa réalisation, cela fait déjà un millénaire et demi que, pour se nourrir, les Egyptiens savent tirer parti de la crue du Nil et du limon fertile qu’il dépose sur les champs. Au moins autant que les pyramides, l’aménagement du fleuve et l’organisation sociale qu’il nécessite représentent la plus belle réussite de la civilisation pharaonique.»

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NOUVEAU MONDE, NOUVELLES SAVEURS En 1519, Moctezuma II offre au conquistador Hernán Cortés un breuvage réservé aux élites aztèques : le xocoatl. Il est obtenu en torréfiant les graines du cacaoyer, auxquelles les Indiens attribuent des vertus magiques et aphrodisiaques. C’est le chocolat. Le Nouveau Monde cultive aussi des légumes (tomates, haricots, citrouilles), des céréales (maïs, quinoa), des tubercules (pommes de terre, manioc), des fruits (ananas, avocats, fruits de la passion…). Mais l’Occident chrétien se méfiera longtemps de cette nourriture de «sauvages» et de païens. Ce n’est qu’en 1660, quand Louis XIV épouse une infante espagnole, que le chocolat devient une boisson à la mode.»

Aztèque tenant une cabosse de cacao, 1440-1521.

Brooklyn Museum of Arts, NY / bridgemanart.com

Fresque de la tombe d’Ounsou, vallée des Rois, Egypte, vers 1500 avant notre ère.

Kunsthistorisches Museum Autriche, Vienne / BPK, Berlin, image BSTGS / Grand Palais / RMN

LA NOURRITURE, UNE AFFAIRE DE CLASSE

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Un festin princier, ci-dessus ; son équivalent paysan, ci-dessous. Hormis l’époque (la fin du Moyen Age et le début de la Renaissance), rien de commun entre ces deux tables. A celle des puissants, paons, cygnes, hérons, grues et faisans. Parce qu’ils volent haut dans le ciel, ces grands oiseaux sont proches de Dieu, et ils dominent les autres créatures. Ils conviennent donc à ceux qui sont socialement élevés, et se mitonnent avec des épices «à grand foison» (et à prix d’or) : poivre, gingembre, cannelle, muscade, girofle. Un choix non pas gustatif, mais symbolique. Tout ce qui pousse dans la terre est, en revanche, réservé aux gens de peu. Les légumes et céréales, sous forme de bouillies, pains et galettes constituent l’ordinaire des paysans. Même les jours de fête, comme le montre ce tableau de Bruegel, la viande est rarement au menu.»

Le Mariage paysan, Pieter Bruegel l’Ancien, 1568.

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SOUS L’ANCIEN RÉGIME, L’ÉGLISE DICTE LE MENU

bridgemanart.com

Pas de viande dans cette nature morte d’Henri-Horace Roland Delaporte. Elle illustre en effet l’un des jours maigres du calendrier chrétien. La viande peut conduire au péché de chair tandis que le poisson, froid et humide, ne risque pas «d’échauffer les sens». Mais, au début du XVI° siècle, la Réforme dénonce l’hypocrisie des princes de l’Eglise qui, ces jours-là, savourent des poissons coûteux, préparés avec un raffinement culinaire extrême. Les protestants ont donc l’autorisation de manger de tout, toute l’année, mais à la condition expresse de ne pas y prendre de plaisir !»

R. Gabriel Ojéda / RMN - Grand Palais

Histoire d’Alexandre le Grand, manuscrit enluminé (détail), XVe siècle.

Le Panier d’œufs, Henri-Horace Roland Delaporte, 1788.

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UN CONCEPT NOUVEAU : LA GASTRONOMIE

LE REPAS PRIS EN COMMUN DEVIENT UN ACTE SOCIAL

Repas de noces à Yport, Albert-Auguste Fourrié, 1886.

Musée des Beaux-Arts de Rouen / Josse / Leemage

Du champagne (une nouveauté hors de prix en ce début de XVIIIe siècle), des huîtres… Les convives de ce retour de chasse peint par Jean-François de Troy sont des gourmets. Mais pas encore des gastronomes puisque ce n’est qu’en 1801 qu’apparaît le terme de gastronomie, littéralement «les règles de l’estomac». Il ne s’agit plus seulement de manger des aliments raffinés et de boire des vins délicats, il faut codifier avec précision l’art de la bonne chère. C’est ce à quoi vont s’atteler avec brio deux des pères fondateurs de cet art nouveau : Alexandre Grimod de la Reynière (17581837) et Jean-Anthelme Brillat-Savarin (1755-1826).»

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Volaille, tarte aux pommes, cidre… le terroir normand est réuni sur cette table dressée dans le pays de Caux à la fin du XIXe siècle. Mais le propos du peintre est ailleurs. C’est la fonction sociale et la convivialité d’un repas de fête qu’il illustre ici. Manger, ce n’est pas seulement se nourrir, c’est aussi se réunir et se réjouir. Support d’échanges et de plaisirs partagés, le repas est le reflet de la culture et des traditions locales, des croyances et des valeurs. Il renforce les liens sociaux, qu’il s’agisse des relations familiales ou amicales, des rapports de voisinage ou professionnels. Le repas de famille ou de communauté accompagne les fêtes religieuses ainsi que la célébration des grands événements de la vie (baptême, anniversaire, fiançailles, noces, obsèques). Les alliances politiques et la signature de contrats se concluent souvent autour d’une table.»

Le Déjeuner d’huîtres, Jean-François de Troy, 1735. Musée Condé de Chantilly / René-Gabriel Ojeda / Grand Palais / RMN

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L’ÈRE DE L’ABONDANCE ET DU GASPILLAGE

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Ce cliché du photographe allemand Andreas Gursky évoque la société de consommation née au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Trois grandes mutations la symbolisent : la modernisation de l’agriculture (mécanisation, sélection des variétés et des races, engrais chimiques et produits phytosanitaires), l’essor des usines agroalimentaires et l’apparition, en France au début des années 1960, de la grande distribution. L’hypermarché donne accès à une offre considérable de produits, alimentaires ou non, à des prix imbattables. L’impact sur notre mode de vie est considérable. Les courses deviennent hebdomadaires, les milliers de produits au packaging attractif font l’objet d’un marketing élaboré et sont disposés selon les règles du merchandising… Progrès ou cauchemar ?»

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Centre Pompidou MNAM-CCI / RMN - Grand Palais - Philippe Migeat - ©Andreas Gursky / ADAGP, Paris 2015 / Courtesy Sprüth Magers, Berlin London

99 cents, Andreas Gursky, 1999.

NOTRE EXPERT Eric Birlouez est ingénieur agronome et sociologue. Il enseigne l’histoire et la sociologie de l’alimentation, sujets sur lesquels il est également consultant et conférencier. Il a publié une dizaine d’ouvrages sur les dimensions culturelles, sociales, historiques et symboliques de l’alimentation et des aliments, comme Histoire de la cuisine et de la nourriture (éd. Ouest France).

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À LIRE, À VOIR

LA SÉLECTION DE CLÉMENT IMBERT

ESSAIS

ENQUÊTES

Le plus facile

50 idées reçues sur l’agriculture et l’alimentation, de Marc Dufumier, éd. Poche Marabout, 5,99 €.

Le plus original Fréquente dans de nombreuses régions du globe, l’entomophagie (c’est-àdire la consommation d’insectes) reste marginale en Occident. Tout en traitant de cet aspect culturel, ce petit ouvrage s’intéresse surtout aux facettes économique et écologique de cette pratique. Selon son auteur, la production en masse d’insectes serait peu coûteuse et aurait un très faible impact sur l’environnement. Grillons et autres sauterelles constitueraient ainsi une source de protéines idéale pour répondre aux besoins alimentaires humains tout en préservant la planète. Face à de tels enjeux, notre aversion à les croquer est un obstacle bien mineur ! Les insectes nourriront-ils la planète ?, de Jean-Baptiste de Panafieu, éd. Rouergue, 15 €.

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Service de presse

A l’heure de faire leurs courses, les consommateurs se trouvent pris entre deux feux : d’une part, le marketing bien rodé de l’industrie agro-alimentaire ; de l’autre, le discours alarmiste des écologistes sur la qualité dégradée de ce que nous mangeons. Pour nous permettre d’y voir plus clair, ce livre passe au crible 50 préjugés sur notre alimentation. Boire beaucoup de lait est-il vraiment bon pour la santé ? La meilleure qualité de nos aliments augmente-t-elle notre espérance de vie ?… A chaque question succède une réponse tranchée et scientifiquement étayée.

Le pavillon français à l’Exposition universelle de Milan.

RENDEZ-VOUS

LE PLUS PLANÉTAIRE

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ent trente-cinq pays représentés, 30 millions de visiteurs attendus, des milliers d’animations : l’Exposition universelle de Milan, intitulée «Nourrir la planète, énergie pour la vie», s’annonce comme un événement majeur de 2015. Mais au-delà de la «grande foire» habituelle, ses organisateurs veulent en faire une force de propositions. Ils ont ainsi recensé plus de 750 «bonnes pratiques» dans le monde visant à une alimentation sûre et durable, dont 18 seront présentées sous forme de films ou de reportages

photo. Pendant les six mois que durera la manifestation, se tiendront en outre des dizaines de tables rondes réunissant Etats, chercheurs, entreprises, ONG et institutions internationales. Elles devraient aboutir à l’élaboration d’une charte contenant des recommandations susceptibles de résoudre les grands enjeux liés à l’alimentation. Ce document serait présenté à Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations unies, lors de sa venue à Milan, le 16 octobre 2015. Du 1 mai au 31 octobre. Site Internet : www.expo2015.org

DVD

LE PLUS IDÉALISTE

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e film retrace le destin d’un homme : Pierre Rabhi, modeste agriculteur d’origine algérienne, qui s’installa dans les Cévennes au début des années 1960 et devint l’une des figures de proue de l’agroécologie. Il narre aussi son combat en faveur d’une nouvelle forme de société fondée sur la «sobriété heureuse».

Contre la surconsommation, Rabhi appelle à la frugalité. Contre l’agriculture intensive, il prône un mode de production inspiré du bon sens et respectueux de la nature. Avec, en toile de fond, un message simple : l’avenir de l’homme passe par celui de la terre qui le nourrit. «Pierre Rabhi, Au nom de la terre», de M.-D. Dhelsing, Les Films du Paradoxe, 20 €.

Le plus historique Avant de mourir dans une prison stalinienne en 1943, Nikolaï Vavilov fut un botaniste visionnaire, et l’un des pionniers du concept de biodiversité. Au cours de ses voyages, il collecta des centaines de milliers de semences, qu’il rassembla à Saint-Petersbourg, dans la première banque de graines au monde. Quelque soixantedix ans plus tard, le journaliste américain Gary Paul Naubhan a suivi ses pas, avec une question en tête : que reste-t-il, aujourd’hui, de la variété alimentaire que le chercheur russe a décrite en son temps ? La réponse n’est guère encourageante. A moins, espère l’auteur, qu’il y ait un sursaut planétaire. Aux sources de notre nourriture, de Gary Paul Naubhan, éd. Nevicata, 23,95 €.

Le plus documenté Alors qu’un milliard d’êtres humains souffrent de la faim, un tiers de la production mondiale de nourriture n’est pas utilisé. Le romancier et historien britannique Tristram Stuart a enquêté pendant plus de dix ans pour comprendre les raisons de ce gaspillage. Résultat : une critique radicale de nos modes de consommation. D’un côté, les Occidentaux jettent des millions de tonnes de denrées à la poubelle. De l’autre, les pays en voie de développement manquent souvent de moyens pour conserver, transporter et vendre leurs produits. Un système, nous dit l’auteur, «moralement condamnable et économiquement suicidaire». Global Gâchis, de Tristram Stuart, éd. Rue de l’Echiquier, 25 €.

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Fromage frais de Campanie, baies d’Amazonie, «thé» d’Afrique du Sud, épice de Chine… Voici huit délices de tous les continents, à découvrir. Ainsi que nos conseils pour les dénicher en France et bien les choisir. PAR CAROLE SATURNO (TEXTE)

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Michael Short / Age Fotostock

LA MORUE

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L’amie fidèle des navigateurs portugais

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epuis 2013, une soixantaine de cabillauds originaires des eaux froides de Norvège et d’Islande ont élu domicile au musée maritime d’Ilhavo, une petite bourgade sur la Costa de Prata, la côte d’argent. En inaugurant cet aquarium, les Portugais ont voulu rendre hommage au poisson qui règne sur leur gastronomie depuis plus de 500 ans. On a coutume de dire qu’il existe dans ce pays 365 manières d’apprêter sa chair délicate, une pour chaque jour. En réalité, le nombre de recettes à base de bacalhau avoisinerait le millier. Une créativité indispensable, tant les habitants en consomment : 6 kilos par personne chaque année ! Mais d’où vient cet attachement pour celui que l’on surnomme là-bas le fiel amigo, l’ami fidèle ? Quand on le voit sur les étals des marchés, tout desséché et rabougri, on ne peut pas prétendre que son allure est flatteuse. Chez nous, le cabillaud sous sa forme séchée et salée, appelée «morue», a d’ailleurs plutôt vilaine réputation. Mais là-bas, l’animal a joué un rôle fondamental dans l’histoire nationale. Car le bacalhau, c’est le pão do mar, le «pain de la mer». Parce qu’il possède une grande richesse nutritionnelle, avec ses protéines, vitamines et minéraux. Mais surtout parce

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qu’il s’est révélé l'allié des grandes expéditions maritimes. Ce sont les Vikings qui, à la fin du premier millénaire, devinèrent le secret de ce poisson : séché à l’air libre, il perd la moitié de son poids et ne craint plus les longs voyages. Puis les Basques ajoutèrent leur grain de sel, et inventèrent cette morue, qui se conserve une année. En embarquant du bacalhau à bord de leurs caravelles, les Portugais étaient parés pour sillonner les océans sans presque jamais toucher terre. Du XV au XVI siècle, ce peuple de navigateurs est parti à la conquête du monde, et l’on peut penser que leurs découvertes n’auraient pas eu lieu sans le fameux poisson. En 1474, ils jetèrent l’ancre devant Terre-Neuve, où les cabillauds pullulaient. Pendant les décennies surnommées faina maior, «le grand labeur», les pêcheurs de la région d’Ilhavo voguèrent vers cette Terra Nova dos bacalhaus pour nourrir le pays natal. Cette ferveur des Portugais pour la morue s’explique également par leur foi catholique. Autrefois, l’Eglise mettait ses fidèles à la diète quasiment la moitié de l’année. Lors des jours maigres que sont le Carême, le vendredi ou la période de l’Avent, quoi de mieux qu’un poisson savoureux mais très peu gras ? Le bacal� hau, à lui seul, est une fête.

EN PRATIQUE N’achetez, si possible, que de la morue provenant de Norvège, pour ne pas épuiser les stocks malmenés des mers du Royaume-Uni, d’Irlande, d’Islande… LE DESSALAGE C’est une opération capitale. Plongez le poisson dans de l’eau froide (8 °C), que vous renouvellerez toutes les six heures. Au bout d’un ou deux jours, il aura retrouvé sa consistance. LA CUISSON N’hésitez pas à le faire mijoter deux bonnes heures et laissez parler votre imagination. Le cabillaud s’accommode avec presque tout, pommes de terre, olives noires, oignons, œufs durs, persil, poivrons, tomates… LA DÉGUSTATION Outre sa chair douce, on consomme son foie, et surtout l’huile de son foie, très riche en oméga-3 et en vitamines A et D. Elle est un fabuleux reconstituant qui a dopé – et traumatisé – bien des générations d’écoliers ! Cette huile existe aussi en gélules.

GUIDE LE ROOIBOS

EN PRATIQUE Matthias et Gervanne Leridon, passionnés d’Afrique, ont sélectionné, avec l’aide du sommelier du George V, des crus d’exception auprès de petits producteurs afin de les vendre en ligne (capeandcape.com). Ils dévoilent le rituel à respecter pour apprécier les subtilités du rooibos. LE CHOISIR Notes de mûre et de cassis, arômes de fruits secs et de miel, tonalités boisées… Les petites feuilles roussâtres offrent de multiples nuances, qui varient selon le lieu de culture, la durée et la technique de fermentation. Toujours se renseigner auprès d’un initié. LE FAIRE INFUSER Pour qu’elle libèrent tout leur parfum, les feuilles de rooibos doivent être plongées pendant cinq minutes dans une eau presque bouillante. Le liquide se teintera alors d’une belle couleur allant de l’ambre au pourpre selon les variétés. Humer les arômes avant de savourer.

Le précieux nectar du bush sud-africain

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n patchwork insolite colore les montagnes du Cederberg : des parcelles couleur acajou parsèment le paysage aux abords de Clanwilliam, une bourgade du sud-ouest de l’Afrique du Sud. Ce sont les champs de séchage du rooibos, une plante sauvage dont le nom signifie «buisson rouge» en afrikaans et qui permet de concocter une délicieuse infusion vanillée. Les Khoïsan, des bergers nomades, consomment depuis des siècles ce breuvage, lui prêtant mille vertus bienfaisantes. Mais c’est seulement en 1773 que l’arbuste fut répertorié par le botaniste suédois Carl Peter Thunberg. Pourtant, le rooibos tomba aussitôt dans l’oubli. Jusqu’aux années 1930, quand un certain Benjamin Ginsberg flaira son potentiel de plante miraculeuse. Mais cet aristocrate russe émigré dans le Cederberg peina à la mettre en culture : impossible de récupérer les graines. Une fois la floraison passée, elles disparaissaient. Les autochtones vinrent à la rescousse de l’entrepreneur et lui montrèrent où les retrouver : dans les fourmilières, où les ouvrières les avaient patiemment amassées ! Dès lors, les plantations de rooibos se multiplièrent dans la région, sous la férule d’Afrikaners. Les ouvriers agricoles, noirs

Mèche, Hilde / Stockfood

AFRIQUE DU SUD

ou métis pour la plupart, sélectionnaient et fauchaient brindilles et feuilles avec minutie, avant de les faire sécher. Puis passaient à l’étape cruciale : la fermentation, qui permet de sublimer la récolte. Dans le pays, le succès de l’infusion fut foudroyant. Et aujourd’hui, le rooibos fait vivre 20 000 personnes. Trois cents fermes en produisent 12 000 tonnes par an, la moitié pour l’export. L’Allemagne en est friande, ainsi que la Grande-Bretagne, le Japon et les Etats-Unis. D’autant que la science a confirmé l’intuition des Khoïsan quant aux propriétés médicinales de la plante du bush : bourrée d’antioxydants, efficace contre l’asthme, les coliques, l’insomnie, les allergies ou l’eczéma, elle préviendrait même les cancers, selon le South African Roobois Council. Autre atout : ce «thé rouge» ne contient ni théine ni tanins, ce qui lui évite toute amertume. Les enfants peuvent donc la consommer à loisir. Pour les Sud-Africains, le rooibos fait désormais partie du patrimoine national. Car l’arbuste ne s’épanouit nulle part ailleurs que sur leur terre. Une terre pauvre, et même acide. Mais le climat chaud et sec du Cederberg fait toute la différence : le buisson rouge, c’est l’un des nombreux prodiges de la � nation arc-en-ciel.

Philippe Renault / hemis.fr

LE SIROP D'ÉRABLE

CANADA

La sève du printemps indien

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es Québécois, qui ne manquent pas d’humour, ont coutume de se moquer de leur climat en disant qu’il n’y a que deux saisons chez eux : l’hiver dernier et l’hiver prochain ! Entre les deux, il y a le «temps des sucres». Un répit de quelques semaines, de la mi-mars à la fin avril, période bénie pour la fabrication du sirop d’érable. Bénie, car cette recette tient du miracle. En effet, comment, de l’écorce d’un arbre, peut s’écouler un nectar si doux ? Comment, dans des contrées aussi rudes, la nature peut-elle prodiguer ce suc aux bienfaits toniques, un cocktail de minéraux et d’antioxydants ? C’est le thermomètre qui donne le signal de la récolte : quand le mercure se met à faire le yoyo, à descendre sous le zéro la nuit et à grimper le jour, la sève brute remonte des racines de l’arbre pour relancer son métabolisme. C’est l’heure d’inciser les troncs d’un diamètre supérieur à 20 centimètres, en général des spécimens qui affichent au moins 45 ans au compteur. Qu’ils appartiennent à l’espèce des érables noirs ou à celle des érables à sucre, ils peuvent vivre jusqu’à trois siècles. Etendues sur 145 000 hectares, les érablières québécoises génèrent 74 % de la production mondiale du sirop. Ce

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rendement est obtenu grâce à la méthode d’extraction mise au point par les Amérindiens : on entaille l’écorce pour extraire le suc, qui est ensuite porté à ébullition pour en augmenter la concentration. Les premiers témoignages des colons européens, écrits vers 1540, évoquaient une eau sucrée dont la saveur rappelait le vin. Plus tard, les naturalistes répertorièrent les légendes entourant cette découverte. L’une d’elles affirme que les autochtones auraient tout simplement imité les écureuils, qu’ils voyaient siroter la sève des arbres après avoir cassé une branche. Aujourd’hui, un réseau de tuyaux collecteurs court dans les denses forêts du Québec pour relier les troncs aux «cabanes à sucre» : c’est là que l’eau est chauffée pour atteindre précisément 104 °C, la température idéale pour obtenir la densité parfaite du sirop, ni trop épais – au risque de cristalliser – ni trop liquide – sous peine de fermenter. Quant à la couleur, elle dépend de la saison : très claire au début, puis plus foncée et caramélisée en fin de récolte. D’additif, jamais ! Le véritable sirop d’érable ne cache aucun autre ingrédient. Si de la mélasse ou des arômes s’affichent sur l’étiquette, méfiance : il s’agit d'un vulgaire «sirop de poteau», � comme disent les Québécois.

EN PRATIQUE Chez nous, le sirop d’érable est cantonné à son rôle d’accompagnement, des pancakes par exemple. Alors que les Québécois le marient avec presque tout. Suivez leur exemple. LE CHOISIR Fiez-vous aux étiquettes. Depuis 2015, l’ancienne classification du sirop par des lettres (AA, A, B…) est remplacée par quatre catégories décrivant sa couleur et sa saveur : doré au goût délicat, ambré au goût riche, foncé au goût robuste, très foncé au goût prononcé. Regardez si le nom du producteur est précisé, garantie minimale de traçabilité. AU QUOTIDIEN Les Québécois l’utilisent en marinade sur de la viande au barbecue ou en vinaigrette sucrée-salée pour relever des épis de maïs grillés ou révéler la douceur de légumes oubliés, navets, cardons ou panais. EN PÂTISSERIE Il rehausse la saveur des scones, des moelleux aux pommes, des cookies aux flocons d’avoine…

GUIDE LE DURIAN

THAÏLANDE

MALAISIE

Infernal pour le nez, divin pour le palais

V

oici un fruit ovale, comme un gros ballon de rugby, à la carapace verdâtre hérissée de piquants, une armure qui cache des quartiers de pulpe jaune crème. Le durian, qui peut peser jusqu’à 7 kilos, multiplie les armes fatales : outre ses épines, il est célèbre pour son odeur pestilentielle. Relents de cadavre, d’égout, de putois, de pourriture… les comparaisons répugnantes ne manquent pas pour qualifier son étrange parfum qui, de plus, se propage loin. Les animaux sont capables de flairer cette énorme baie un kilomètre à la ronde, pour leur plus grand bonheur. Les écureuils ou les orangsoutans et même de grands carnivores comme le tigre en raffolent. C’est là tout le paradoxe du durian, qui, malgré une apparence peu flatteuse, déchaîne les passions. Les amateurs vantent sa singularité, ses arômes complexes, son goût puissant, sa texture fondante, ses notes mêlées d’abricot, de banane caramélisée et d’amande… En Asie du Sud-Est, d’où il est originaire (le mot «épine» se dit duri en malais), on le considère comme le «roi des fruits». En Thaïlande, Indonésie et Malaisie, on en cultive et on en consomme à volonté. En Chine et à Singapour, les connaisseurs attendent

Pour une première, il faut se préparer psychologiquement et observer quelques règles de base. S'INITIER En Asie, on peut découvrir le durian dans une glace ou un milk-shake. En France, dans les supermarchés asiatiques, on trouve des morceaux de pulpe au rayon surgelés. SE MODÉRER Bourré de vitamines, minéraux et magnésium, mais aussi gras et riche en sucre, il s’avère très nourrissant et assez difficile à digérer. SE MÉFIER Chaque année, la presse relate plusieurs décès par overdose de durian ! Sa pulpe ferait grimper la pression sanguine. Elle est donc déconseillée aux personnes qui souffrent d’hypertension ainsi qu’aux femmes enceintes. Ne pas, non plus, en déguster quand on boit de la bière ou du vin : le soufre qu’elle contient empêche d’éliminer les toxines de l’alcool.

Laurent Lhoté / Biosphoto

EN PRATIQUE

la pleine saison, entre mai et novembre, pour en acheter au meilleur prix. Dans tous ces pays, on l’adule – même si, puanteur oblige, le durian est banni des lieux publics, des transports en commun, voire des hôtels. Cette adoration est telle qu’à Singapour, en 2002, la coque épineuse de ce fruit a servi de modèle au dôme de l’opéra. Rares sont les Occidentaux à comprendre cette ferveur. L'hiver 2013, Thomas Fuller, correspondant en Asie du Sud-Est pour le New York Times, a rédigé une tribune enflammée afin de défendre ce mal-aimé. Dans ce texte, il cite un ami, comme lui expatrié et mordu du durian, qui le compare à l’œuvre du compositeur Olivier Messiaen : «Complexe, dissonant, mais qui laisse une impression diffuse de douceur.» Or, atteindre ce nirvana gustatif est simple : le fruit se déguste frais et nature. Et il n’est jamais meilleur que lorsqu’il vient de tomber de l’arbre, tel un don du ciel. Contrairement à la Thaïlande, où le durian est coupé sur branche, en Malaisie, on attend, tête casquée, que le végétal veuille bien céder sous le poids de la baie, signe d’une maturité optimale. Un dicton local évoque même de prétendues vertus aphrodisiaques, en affirmant malicieusement : «Quand le durian � tombe, le sarong se lève.»

Nicolas Leser / Stockfood

LE POIVRE DU SICHUAN

CHINE

SICHUAN

En Asie, cette petite baie affole les sens

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uiconque a déjà croqué dans l’un de ces grains ne peut être resté indifférent à sa saveur puissante, citronnée, qui engourdit légèrement la langue. Pourtant, ce poivre n’est pas du poivre : c’est le fruit du Zanthoxylum piperitum, un arbuste épineux de la même famille que les agrumes. Depuis l’Antiquité, les habitants du Sichuan, une province du centre de la Chine, cultivent dans les collines cette petite boule pourpre. A l’automne, ils la récoltent délicatement et retirent la graine noire pour ne garder que la coque. Son nom local, ma la, signifie «anesthésiant et épicé». En effet, la minuscule baie était jadis recherchée par les médecins pour ses propriétés antalgiques et par les religieux, qui la considéraient comme une offrande. Sous la dynastie des Han (III siècle après J.-C.), ce poivre, mélangé à un enduit, recouvrait les murs des palais et y diffusait ainsi sa fragrance envoûtante. Surtout, les Chinois l’ont très tôt utilisé séché et moulu pour assaisonner viandes, soupes et boissons, notamment le thé. Ils l’ont marié aussi avec l’anis étoilé, la cannelle, le clou de girofle et le fenouil pour donner naissance au fameux «cinq épices», qui a fait la gloire de l’empire du Milieu. Et

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même si la baie du Sichuan est la marque de fabrique de la cuisine chinoise, d’autres contrées, le Tibet, le Bhoutan, l’Indonésie ou le Japon, l’ont vite adoptée. Grâce à Marco Polo, l’Occident la découvrit au XIII siècle. Cette trouvaille fit le bonheur de la gastronomie vénitienne au temps des doges. Puis elle disparut d’Europe jusqu’au XIX siècle, quand le Zanthoxylum piperitum éveilla la curiosité des botanistes. Il fallut pourtant attendre la fin du XX siècle pour que nos grands chefs l’apprivoisent enfin. Ils s’en servent pour relever des spécialités bien de chez nous, comme le foie gras. Et osent aussi des alliances plus étonnantes, par exemple avec du chocolat ou des sorbets, dont ce fruit exotique exhale les infinies nuances. Aujourd’hui, les connaisseurs s’émerveillent toujours des sensations – engourdissement et picotements – que ce «faux poivre» provoque dans le palais. En 2013, les neuroscientifiques du University College de Londres ont démontré qu’à la différence de la capsaïcine, qui enflamme la bouche quand on croque un piment, le composant du poivre du Sichuan (alpha hydroxy sanshool) se contente de troubler les récepteurs du toucher et de faire vibrer la langue. Une décharge élec� trique inoffensive et savoureuse.

EN PRATIQUE En France, ce poivre se vend de 5 à 8 € les 20 g dans les épiceries fines ou sur Internet, par exemple chez Thiercelin (www. thiercelin1809.com). LE PRÉPARER Pour exhaler son parfum, l’idéal est de le torréfier quelques minutes dans une poêle sèche. L’UTILISER Bien sûr, il accompagne idéalement les recettes chinoises, comme le poulet ou le canard à la sichuanaise. Plus généralement, il donne une pointe d’acidité et de parfum floral aux marinades de viande ou de poisson. A découvrir, aussi, mêlé à des salades de fruits, comme des pêches (blanches, jaunes) ou des fraises. Et encore dans des bouchées au chocolat. LE DÉGUSTER Cette épice se consomme moulue. Attention à ne jamais utiliser un moulin classique. La concasser à la main, au mortier, avec un rouleau à pâtisserie ou sous la tranche d’un couteau.

GUIDE LES RĀMEN

EN PRATIQUE Les rāmen déshydratées sont faciles à se procurer, mais rien ne vaut une préparation maison. Dans Nouilles japonaises : soba, rāmen, udon, somen (éd. Mango, 2013), Laure Kié livre tous ses secrets. FORME Varier l’aspect et l’épaisseur des pâtes permet de jouer sur l’esthétique du plat et également sur son goût. ACCOMPAGNEMENT Pour faire pétiller le bouillon, il y a les grands classiques : œufs mollets, poitrine de porc, crevettes, chou, pousses de soja… Mais les rāmen se marient facilement et aiment tout ce qui a du piquant. On peut les accommoder avec du porc sauté au gingembre et au saké, des calmars, des pois gourmands ou encore une purée de sésame sauce pimentée. RITUEL On caresse d’abord le bol fumant avec les baguettes. Puis on respecte la pratique du tsuru-tsuru en aspirant ses nouilles en faisant du bruit avec sa bouche. Une façon de dire à son hôte que l’on se régale.

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’est par un film que le monde a découvert ce plat. Quand Tampopo est sorti en salles, en 1985, le réalisateur Jūzō Itami l’a présenté comme le premier «western nouilles», en écho aux westerns spaghetti de Sergio Leone. Tout le film est bâti sur une obsession : trouver la recette parfaite des rāmen, ces pâtes qui baignent dans un bouillon brûlant. Le long-métrage a ainsi contribué à donner ses lettres de noblesse à un plat très populaire, consommé à toute heure, aussi bien sur le quai d’une gare que dans une galerie marchande. On dénombre 40 000 restaurants spécialisés (souvent des bouis-bouis) dans le pays. Ce sont des migrants chinois qui, à l’aube du XXe siècle, ont fait découvrir aux Nippons leurs pâtes, appelées lā-miàn, littéralement «nouilles tirées». A base de farine de blé, œufs, sel et kansui (une eau minérale alcaline agissant comme exhausteur de goût), elles ont été adoptées par les Japonais, au point qu’ils ont aujourd'hui oublié leur origine. En quelques décennies, ce minestrone à la chinoise a été revisité à l’aide de produits typiques de chaque région. A Tokyo, les pâtes sont fines et torsadées, le bouillon est clair, à base de poulet ou de porc, parfois rehaussé de dashi (court-bouil-

Ramen / Sucré Salé

JAPON

Les Japonais sous l’emprise des nouilles lon de poisson et d’algue konbu). Au nord, à Sapporo, où les hivers sont rudes, on concocte un mets plus riche, plus gras et plus fort en arômes : plongées dans un potage brûlant à base de miso (pâte de soja fermenté) et agrémentées de saindoux, les nouilles, très fermes, rivalisent avec le croquant du maïs et des germes de soja, auxquels on ajoute parfois de la viande de porc hachée menu, voire des fruits de mer… Quelle que soit la variante, le plat est toujours roboratif. Après-guerre, il est devenu le dénominateur commun des terroirs japonais grâce à son prix imbattable (de 3 à 5 euros la portion) et à une invention qui, en 1958, a révolutionné le quotidien des Nippons : les rāmen déshydratées. Un peu d’eau bouillante, et c’est prêt à déguster. Chaque année, 150 millions de paquets de nouilles instantanées sont écoulés dans le monde, et Nissin, la marque qui a mis au point ce procédé, continue d’innover. Sa dernière folie ? Une version à l’américaine, avec steak haché et tranche de fromage fondu. Tandis qu’à New York, c’est un rāmen burger qui a provoqué l’engouement : un chef américano-nippon a eu l’idée de remplacer le pain par des galettes de nouilles… et sa recette a fait le tour du monde. �

Scenics Design / Stockfood

L A M O Z Z A R E L L A D I B U FA L A

ITALIE

La perle chérie de la Campanie

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ar un matin de printemps, en 1787, Goethe, lors d’un périple italien, cheminait vers les temples grecs de Paestum, à une centaine de kilomètres au sud de Naples. Soudain surgit sous ses yeux un troupeau de buffles paissant sur les terres vaseuses de Campanie. Etonné, le poète allemand écrivit : «Ces bovins mystérieux qui bougent, imposants dans les eaux immobiles. Ils sont là comme des hippopotames avec leurs yeux rouges et sauvages.» Il ne fut pas le seul à avoir été fasciné par ces bestiaux originaires d’Inde, dont on ne sait pas avec certitude comment ils ont débarqué sur la péninsule. Les premiers documents attestant leur présence datent du XIIe siècle. Mais une hypothèse avance que leur arrivée fut plus précoce : des buffles asiatiques auraient remonté la botte depuis la Sicile où ils auraient été conduits par les Arabes au moment des invasions du Xe siècle. Comme la Campanie était, à l’époque, une province largement marécageuse, ces bêtes de trait dont les larges sabots ne s’enfoncent pas dans la boue ont vite été adoptées par les paysans du coin. Les marais ont depuis été asséchés, mais les troupeaux sont restés. Et le lait de bufflonne (bufala) est une manne pour

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la région : c’est grâce à lui que l’on concocte la célèbre mozzarella. Un fromage rond comme un sein, à la peau douce, à la blancheur de porcelaine, et à l’incomparable saveur, à la fois aigrelette et crémeuse. Au Moyen Age déjà, les reclus du monastère San Lorenzo de Capoue offraient aux pèlerins la précieuse boule. Et depuis 1996, les mozzarelle toujours fabriquées selon la tradition sont récompensées par l’appellation européenne DOP (dénomination d’origine protégée). Premier commandement : pas de lait de vache. Et seules méritent d’être adoubées les 280 000 bufflonnes qui pâturent sur les meilleures terres, en Campanie, bien sûr, mais aussi dans le Latium et dans les environs de Foggia, dans les Pouilles. Deuxième précepte : après avoir été pasteurisé, le lait doit coaguler, entre 33 °C et 36 °C. Le caillé est ensuite séparé en morceaux, mozzato, («coupé») dans de l’eau très chaude, puis filé et façonné en boule ou en tresse, avant d’être mis à refroidir. Huit heures de patience suffisent, sans affinage ni conservateur. Car le grand secret de la mozzarella, c’est sa fraîcheur. Rien ne sert de l’apprêter. Un filet d'huile d’olive, une bonne tranche de pain, et voilà le régal. Une mozza se déguste dans le � plus simple appareil.

EN PRATIQUE Chez nous, on la trouve partout, des frigos des grandes surfaces à ceux des meilleures épiceries fines. Le luxe est de la savourer à peine filée, et avant même qu’elle soit réfrigérée, dans sa région d’origine, donc à Naples, Salerne ou dans leurs environs. Se fier à son blanc immaculé, à sa fine pellicule et à son cœur fondant. LA CHOISIR Son emballage doit porter le label de qualité STG (Specialità tradizionale garantita) qui certifie son appellation contrôlée de mozzarella di Bufala Campana. LA CONSOMMER Dégustez-la le plus tôt possible après sa date de fabrication pour éviter que son goût ne gagne en acidité. La sortir du réfrigérateur une heure avant de la savourer afin qu’elle retrouve sa texture idéale. Et la préférer crue pour apprécier sa saveur délicate, qui fleure bon le lait frais. Même si elle bonifie les lasagnes ou les gratins de pâtes !

GUIDE L ' AÇ A I

EN PRATIQUE L’açai est réputé pour soigner les troubles digestifs et les maladies de la peau. C’est aussi un antioxydant, un excellent anticholestérol, un activateur d’énergie et un fortifiant immunitaire. Comme il est difficile de le conserver, il est compliqué de l’exporter. En France, on le trouve sous des formes diverses : EN JUS Associé à d’autres fruits (framboises, raisin…) au rayon frais des grandes surfaces. Ou bien nature, dans les magasins bio. EN POUDRE S’utilise comme un complément alimentaire, mélangé à un yaourt, un smoothie, un dessert, ou saupoudré sur une salade. Disponible sur le site de Sol Semilla (www. sol-semilla.fr) ou auprès de ses diffuseurs, et dans leur boutique à Paris. EN GÉLULES Une forme à éviter : il y a eu trop de contrefaçons, et l’on ne profite pas, alors, des vertus gustatives de la baie.

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elém, capitale de l’Etat brésilien du Pará, dans le delta de l’Amazone. A sept heures du matin, il fait déjà chaud au Ver-o-Peso, l’un des plus grands marchés à ciel ouvert d’Amérique latine. Sur les quais, des barques déchargent des paniers d’une quinzaine de kilos remplis d’açais, des petites baies violet foncé. Rivalisant de force, les porteurs, en maillot de bain, chargent trois, quatre, voire cinq couffins sur leur tête. Chaque jour, 50 tonnes de ce fruit sont ainsi écoulées dans la fièvre. Car il suscite toutes les convoitises, au point d’être surnommé «l’or noir du Pará», et Belém, «La Mecque de l’açai». C’est en effet ici qu’est fixé son cours quotidien. Les plus gros acheteurs du pays se disputent les meilleures récoltes, assurant ainsi des revenus réguliers à des dizaines de communautés de Caboclos. Ces métis se chargent de cueillir les grappes sur les palmiers, en se balançant à 15 mètres du sol, d’un tronc à l’autre. Mais ce sont les Indiens, dont elle est un aliment de base, qui ont donné son nom à la baie : içà-çai, «le fruit qui pleure». Pour Belém, le boom de l’açai tient du miracle. La ville ronronnait depuis que sa fortune, bâtie sur le caoutchouc, avait fondu au début du XX siècle, lorsque l’hé-

Food Collection / Photononstop

BRÉSIL

Il est devenu «l’or noir» de l’Amazonie véa asiatique avait inondé la planète. Or, depuis une décennie, l’açai est devenu le superfruit amazonien dont le monde raffole. Les surfeurs des plages de Rio, en quête d’une boisson rafraîchissante et énergétique, seraient à l’origine de cet engouement soudain. Si bien que la capitale du Brésil compte désormais des dizaines de bars spécialisés, où le fruit se décline en jus, smoothies, sorbets, sucettes ou bonbons. La mode a depuis gagné la Californie, l’Australie, et même la France, où l’açai est maintenant prisé au même titre que les baies de gogi, la grenade ou la myrtille, autres pépites antivieillissement. Doté de multiples vertus médicinales, c’est pourtant un fruit d’aspect plutôt ingrat : il ressemble à une petite olive avec un gros noyau. Surtout, il ne se consomme pas tel quel, mais doit être traité dans les vingt-quatre heures qui suivent sa cueillette. Sa saveur peut d’abord décontenancer. Comme l’a écrit le grand romancier brésilien Mário de Andrade, en 1927 : «L’açai s’incruste dans la bouche, il a un goût de bois écrasé, pas un goût moelleux de fruit, un goût de feuille. Et il devient tout mou, prénostalgique, une amertume lointaine qui n’arrive pas à être amère � et finit par plaire…»

ENTRETIEN

À QUAND LA FIN DE LA FAIM ? PAR JEAN-CLAUDE MOSCHETTI / REA (PHOTOS)

Aujourd’hui, 800 millions d’êtres humains souffrent de ce fléau. La faute à qui ? A l’homme, principalement, estime Bruno Parmentier. Pas de catastrophisme ni d’angélisme : les solutions existent, mais il faut les mettre en place au plus vite. 116 GEO EXTRA

Notre expert

Ingénieur et économiste, il a dirigé pendant neuf ans l’Ecole d’agriculture d’Angers. Auteur d’ouvrages pédagogiques (Nourrir l’humanité, 2009 ; Faim zéro, 2014, éd. La Découverte), il est aussi administrateur de plusieurs ONG.

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ENTRETIEN

’est l’un des rares en France à avoir une vision panoramique du problème de la faim. Bruno Parmentier, aujourd’hui conférencier et administrateur d’Action contre la faim et de l’Association pour une agriculture écologiquement intensive, nous a reçus chez lui, à Angers, pour en décortiquer les mécanismes et évoquer les solutions.

Quelle est, dans le monde, l’ampleur de ce problème ? C’est un fléau qui n’est pas toujours identifié à sa juste valeur. Au total, 1,8 milliard de personnes souffrent d’insuffisance alimentaire selon la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Parmi elles, 1 milliard de malnutris, c’est-àdire qui ne mangent qu’un seul aliment (riz, manioc…), ce qui occasionne de graves carences. Et 805 millions de personnes qui souffrent réellement de sous-nutrition : ils n’absorbent pas suffisamment de calories pour se développer ou rester en vie. Tous les individus ne sont pas égaux devant la faim. Elle tue ainsi un enfant toutes les dix secondes. Comme leur corps n’a pas de réserves, leur développement s’en trouve ralenti, et ils deviennent plus sensibles aux maladies. Toutes les régions non plus ne sont pas égales. La faim frappe d’abord l’Asie, avec 500 millions de victimes, principalement dans la péninsule indo-pakistanaise. L’Inde est le pays de la faim. L’autre zone, c’est l’Afrique, avec 270 millions d’affamés. Et comme la population africaine va considérablement augmenter au XXIe siècle, on peut d’ores et déjà dire que si l’Asie est l’actualité de

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la faim, l’Afrique est son avenir. Ailleurs, la bataille a été gagnée, comme en Europe, ou est en passe de l’être, comme en Amérique (hors Haïti) et en Chine.

Malgré les progrès immenses que l’agr iculture a fait ces dernières décennies, on ne parvient donc pas à nourrir la planète ? Attention : les progrès de l’agriculture, la «révolution verte», ont permis de nourrir plusieurs milliards d’humains supplémentaires. Le chiffre de 800 millions d’affamés n’a pas bougé depuis 1900, mais la population mondiale, elle, a beaucoup augmenté. Par conséquent, la proportion d’habitants de la planète qui souffrent de la faim est passée de 50 % à 12 % . Mais on n’arrive pas à réduire davantage le nombre d’affamés. En 2000, les objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), adoptés par l’ONU, visaient à le diviser par deux en quinze ans. Il est resté stable. Cela peut étonner, mais la faim est surtout un phénomène rural. La moitié de ceux qui en souffrent sont des paysans, qui possèdent une petite terre mais n’ont plus les moyens de la cultiver efficacement. Ensuite, 20 % sont des agriculteurs qui ont vendu leur lopin et travaillent comme journaliers sous-payés. 10 % sont des reChez Bruno Parmentier, cette mappemonde rappelle que la faim est un enjeu global.

présentants du «monde d’avant», chasseurs, pêcheurs, nomades, condamnés par la modernité. Seuls 20 % sont des urbains.

Cela signifie que ces paysans pauvres ne profitent pas du système agroalimentaire, voire qu’ils en sont les victimes ? A partir des années 1950, la révolution verte a consisté, pour les pays qui l’ont pratiquée, à investir fortement pour augmenter la productivité, tout en protégeant leur marché intérieur et leurs agriculteurs. Cela a si bien fonctionné en Europe, en Amérique, en Chine… qu’ensuite, ces pays ont dit : «Ouvrons les marchés, nous pouvons nourrir le reste du monde.» Construisons, par exemple, un port à Dakar, pour y faire venir le blé européen, le riz thaïlandais et le maïs américain. Problème : le blé français est tellement plus compétitif que celui produit au Sénégal que chaque cargo venu de chez nous précipite 500 paysans désespérés vers les bidonvilles de Dakar. Ce système a contribué à détruire les économies agricoles locales. De plus, le commerce agroalimentaire mondial ne facilite pas l’accès de ces populations à la nourriture. Il est dirigé par des multinationales, qui ont vocation à nourrir des gens solvables et proches des voies de communication, mais pas à alimenter ceux qui sont pauvres et vivent dans

les endroits où le transport est cher. Ce système très organisé laisse donc des gens à l’écart.

Mais pourquoi ? Notre système de production n’arrive-t-il pas à suivre la demande ? Non, pour deux raisons. D’abord, les rendements ne progressent plus dans les grands pays producteurs (Chine, Amérique du Nord, Europe…). En même temps, la demande de céréales explose. La faute à l’augmentation de la population et des classes moyennes. Ces dernières veulent de la viande, du lait, et démultiplient ainsi la demande de céréales, car le bétail en est gourmand : il faut 4 kilos de céréales pour produire un kilo de poulet, 11 pour un kilo de bœuf… Quand un humain devient carnivore, il passe donc de 250 à 800 kilos de céréales englouties par an ! Au final, la production mondiale de céréales n’arrive plus à suivre la demande : depuis 2000, la majorité des années sont déficitaires en céréales. En 2007, les stocks étaient au plus bas, les prix ont triplé, et trente-six pays ont connu des émeutes de la faim. En 2050, on comptera 9 à 10 milliards d’individus, et ces crises pourraient être bien pires.

Que faudrait-il changer pour que ces crises cessent ?

Pour qu’à l’avenir chacun mange à sa faim, il va falloir augmenter de 70 % la production mondiale d’ici à 2050. Il faudra ensuite produire partout. Pour s’assurer que la nourriture soit disponible pour tous, il faut qu’elle soit produite à moins de 500 kilomètres du consommateur. Les Africains doivent manger de la nourriture produite en Afrique, les Asiatiques en Asie, etc. Donc, dans trente-cinq ans, l’Asie devra avoir doublé sa production agricole, et l’Afrique

l’avoir triplée. Enfin, il faudra produire autrement. L’agriculture moderne s’est développée en pillant les richesses de la planète. Or, celles-ci s’amenuisent, et le réchauffement climatique va aggraver les choses, en réduisant par exemple les ressources en eau. La péninsule indo-pakistanaise comptera 2,2 milliards d’individus en 2050, et d’ici là, les fleuves descendant des glaciers de l’Himalaya qui les irriguent vont peu à peu se tarir. En résumé, on sait aujourd’hui produire beaucoup avec beaucoup, il va falloir, demain, produire encore plus avec moins.

Cultiver plus avec moins de ressources… Comment est-ce possible ? Pour simplifier, il y a deux voies. Les OGM sont la première. En 2014, le monde comptait déjà neuf fois la surface agricole de la France en cultures OGM. Et nous n’en sommes qu’aux balbutiements. Il n’existe pour l’heure que deux OGM, l’un insecticide, l’autre compatible avec un herbicide. Dans cinquante ans, il y en aura des dizaines, capables de pousser sur des terrains secs, dopés aux vitamines ou aux protéines. Il est donc encore difficile de se prononcer sur ce sujet polémique. Même si mettre des ingénieurs dans les champs à la place des paysans n’aidera sans doute pas le cultivateur burki-

nabé à exploiter son lopin. L’autre voie est celle de l’agriculture «écologiquement intensive». Elle vise à intensifier les processus naturels, comme nous l’avons déjà fait avec les processus chimiques. Cela passe par des pratiques comme l’arrêt du labour (qui tasse le sol et détruit les précieux auxiliaires de la nature qui y vivent : vers de terre, champignons…) et la culture des terres toute l’année, l’utilisation d’arbres pour puiser des éléments nutritifs en profondeur… Mais également la bio-imitation, par exemple imiter les molécules qu’une plante d’un champ émet, lorsqu’un insecte la grignote, pour prévenir les autres. L’insecticide de demain sera peut-être un petit pot de parfum posé au milieu du champ. En matière d’agriculture écologique, de nombreuses découvertes restent à faire.

Entre deux conférences, Bruno Parmentier, a reçu les journalistes de GEO Extra dans sa demeure angevine.

Cette agriculture écologiquement intensive semble complexe. N’est-elle pas réservée aux pays riches ? Elle revêt, c’est vrai, une importante dimension scientifique. Mais au fond, il s’agit ni plus ni moins de formaliser le savoirfaire de nos grands-parents, qui n’ignoraient rien du fonctionnement et de l’historique de leurs champs. Et cette méthode est peut-être plus facile à apporter dans un village reculé que les

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ENTRETIEN

OGM. En Afrique tropicale, les forces de la nature sont si fortes, et la productivité si faible, qu’il est envisageable d’augmenter celle-ci par des méthodes agroécologiques simples. Chez nous, l’objectif serait plutôt de maintenir la productivité, mais avec beaucoup moins d’intrants (pétrole, engrais, pesticides…). L’idée fait son chemin.

Et du côté du consommateur, notamment sous nos latitudes, comment pouvons-nous agir ? Nous pouvons commencer par réduire notre consommation de viande. Aujourd’hui, un Français engloutit 80 à 90 kilos de viande par an. C’est intenable à l’échelle de l’humanité. Si, d’ici à 2050, la population africaine décidait de manger de la viande et des laitages tous les jours, comme en Europe, il faudrait que l’Afrique multiplie par cinq sa production agricole. On sait que de la viande quatre fois par semaine, du poisson une fois, un menu végétarien deux fois, c’est bien suffisant pour l’équilibre alimentaire. A terme, nous mangerons moins de viande, mais de la bonne, un peu comme nous l’avons déjà fait avec le vin. Nous irons aussi vers l’élevage d’animaux à sang froid, d’insectes, qui consomment entre deux et sept fois moins de végétaux que le bétail classique, à apport nutritionnel égal. C’est un tort de croire, qu’en 2050, on se nourrira comme aujourd’hui.

Peut-on aussi réussir à moins gaspiller ? Il le faudrait. Le gâchis alimentaire représente un tiers de la récolte mondiale ! Il existe au Nord, bien sûr. Mais il fait aussi beaucoup de dégâts au Sud, où des progrès rapides pourraient être réalisés. Sous le climat tropical humide de l’Afrique subsaharienne, la récolte se dégrade en quelques jours. L’une des mesures les plus urgentes serait de fournir à cette région des silos et des citernes à lait réfrigérées.

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Vous disiez qu’un affamé sur cinq est un citadin. Quelles sont les réponses à la faim urbaine ? Le maraîchage dans les villes est une piste intéressante. Lorsque les importations russes se sont arrêtées à Cuba au début des années 1990, la Havane s’est couverte de jardins potagers sur les toits, dans les cours, les parcs… Les deux tiers des fruits et des légumes sont produits sur place. A Paris, où l’habitat est ultradense, cela semble moins pertinent, mais même avec peu de place, des solutions existent. A Nairobi, en 2008, une ONG a apporté des sacs de jute remplis de terre dans un bidonville. Maintenant, les habitants y cultivent leurs légumes. Plus globalement, il faut rapprocher l’agriculture des villes. Plus on produit près des gens, plus il y a de chances qu’ils mangent. Pour nourrir une ville entière, il faut cinq à six fois sa surface en terres agricoles cultivées à sa périphérie. Cela suppose de contrôler le foncier. Il faut aussi constituer des stocks de précaution. Malheureusement, tous les Etats ne se préoccupent pas de ces aspects.

Les Etats où l’on a faim ont donc une part de responsabilité ? Bien sûr, car la faim n’est pas une fatalité, c’est un problème politique. Quand la terre a tremblé en 2010 en Haïti, on a trouvé normal qu’une famine s’ensuive. L’année suivante, le Japon subit un séisme encore plus terrible, mais nul ne se pose la question… Certains pays n’ont pas d’Etat assez fort pour réformer leur agriculture. D’autres préfèrent exporter les ressources de leur sous-sol pour importer leur nourriture. La République démocratique du Congo pourrait produire autant

que le Brésil, mais il y a des mines, des guerres civiles, pas d’agriculture… et de la famine.

A l’inverse, la Chine et le Brésil ont combattu efficacement la faim. Comment ? La Chine, premier producteur de denrées au monde, a combiné un cadre (légal, économique…) très organisé et un tissu d’innombrables petites exploitations. On voit qu’en agriculture, big is beautiful n’est pas toujours vrai. Le résultat ? Alors qu’il y a quelques décennies, la Chine était synonyme de famine, le fléau est aujourd’hui en voie d’éradication. Au Brésil, grand pays agricole, très exportateur, 70 % des gens souffraient de malnutrition. Lula, avec son programme Faim zéro, a donné aux mères 40 dollars par personne du foyer et par mois pour qu’elles puissent nourrir leurs enfants. Afin d’éviter les détournements, l’argent est versé sur une carte bancaire spéciale. Et cette allocation est assortie de conditions, comme la présence des enfants à l’école. Ce programme a eu d’excellents résultats, il a réduit la mortalité infantile, favorisé la consommation de produits locaux…

Il y a donc des raisons d’être optimiste ? On pourra nourrir 10 milliards de personnes en 2050. A condition de moins gâcher, moins ponctionner les ressources naturelles… Et de confier aussi l’alimentation mondiale aux agronomes (la FAO) plutôt qu’aux commerçants (l’OMC), comme aujourd’hui. Dans une version pessimiste, nous continuerons à épuiser les ressources, à subir le réchauffement, et la faim deviendra un énorme problème géopolitique, susceptible de mettre beaucoup de régions à feu et à sang. L’alimentation est un enjeu majeur du XXIe siècle : il est plus � que temps de s’en occuper. PROPOS RECUEILLIS PAR ADRIEN GUILLEMINOT ET VOLKER SAUX

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R E P O R TAG E / C H R O N I Q U E / L I V R E

La procession de Ros Beiaard, à Termonde, qui a lieu tous les dix ans (ici en 2010) réunit des dizaines de milliers de spectateurs.

Nick Annes/Cosmos

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CAHIER DE VOYAGES BELGIQUE A la découverte des folles fêtes de la Flandre p. 122 FRANCE Que pensent de nous les touristes étrangers ? p. 133

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Notre mer «Chaque lundi de Pentecôte, depuis deux cents ans, les eaux, les bateaux et les pêcheurs de Wenduine, la “princesse des plages”, sont bénis lors d’une

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Fêtes folles en Flandre Pendant un an, le photographe Nick Hannes a observé une centaine de fêtes de sa région natale. Oscillant entre ironie et tendresse, il dévoile et raconte ce patrimoine vivant, parfois insolite, mais toujours ouvert sur le monde. PAR FRÉDÉRIQUE JOSSE (TEXTE) ET NICK HANNES/COSMOS (PHOTOS)

procession catholique. Tous les villages côtiers flamands le font, mais cette cérémonie est la plus ancienne.»

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Trafic béni «Ce rituel catholique, à Temse, me semble si étrange ! Après avoir béni les deux cyclistes, ce prêtre s’est posté au bord d’une route et a commencé à asperger d’eau bénite les voitures qui passaient… Sans demander leur accord aux conducteurs ! Leur réaction était très amusante.»

Exotisme familier «Réaliser ce reportage m’a parfois donné l’impression de voyager en terre étrangère, comme ici, à Ingooigem. Je n’avais jamais entendu parler de la célébration de saint Antoine, où les cochons sont exhibés devant l’autel. Cela m’a semblé presque surréaliste.»

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Baroque «Cette scène de la procession de Saint-Evermaire, à Rutten, m’amuse car ces hommes habillés de feuilles se prennent très au sérieux. Chaque 1er mai, ils commémorent l’atroce massacre du saint et de sept autres pèlerins par des bandits de grand chemin, en 699.»

Miss Œuf «Miss Belgique et Miss Monde n’ont qu’à bien se tenir ! Ici, nous avons le concours de la reine des Œufs, qui se déroule à Kruishoutem, en Flandre-Orientale, à l’occasion de Pâques. Pour célébrer sa victoire, la gagnante est conduite dans une poêle à frire géante.»

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Le bain de Ganesh «A la fin de l’été, la divinité aux quatre bras et à tête d’éléphant transforme Anvers en Bollywood. La fête hindoue se termine par l’immersion d’une statuette de ce dieu du savoir et de la vertu, qui emporte avec elle les problèmes du monde. J’ai pris cette photo juste avant que la statue ne soit plongée, faute de Gange, dans l’Escaut.»

«On m’avait indiqué une liste d’une cinquantaine

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n bien étrange spectacle que cette messe, photographiée en un plan large, aux perspectives quasi parfaites. Au centre, juste en dessous de la croix, le prêtre, fixant l’objectif, lève les mains pour bénir… des cochons ! Coquettement parés de petits nœuds bleus, deux porcs au groin barré d’une rondelle d’orange trônent fièrement devant l’autel. Nous sommes le 17 janvier, et l’on fête saint Antoine, protecteur des paysans et des animaux domestiques. Dans l’église d’Ingooigem, en Flandre-Occidentale, pèlerins et bêtes sont bénis à cette occasion. Après la célébration, la viande

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des animaux est vendue aux enchères et les recettes sont reversées à une organisation caritative. Cette scène n’est qu’un exemple, parmi tant d’autres, de l’incroyable moisson que le photographe anversois Nick Hannes a récoltée, de 2010 à 2011. Ce quadra, ancien photojournaliste qui avait couvert pour divers médias belges et allemands les conflits dans les Balkans ou au MoyenOrient, avait été chargé par le Centre d’expertise sur la culture de la vie quotidienne (le Leca, une ONG soutenue par le ministère de la Culture flamand) de sillonner la Flandre pour immortaliser ses us et coutumes. De ses pérégrinations est né Tradities («traditions»), un ouvrage qui témoigne de la vivacité culturelle de cette moitié néerlan-

Chevauchée géante «La procession de Ros Beiaard (alias Bayard, le cheval-fée de légende), à Termonde, est classée chef-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité par l’Unesco depuis 2005. La dernière, en 2010, a réuni 40 000 spectateurs. Comme elle se déroule tous les dix ans, les Belges l’attendent avec impatience.»

d’événements… J’en ai photographié le double !» dophone de Belgique. Depuis que le pays a ratifié, en 2008, la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’ Unesco (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture ), le Leca œuvre à documenter ce patrimoine. L’objectif ? Sauvegarder et promouvoir tous les rituels et pratiques sociales en Flandre. Et montrer que la culture ne se résume pas aux monuments et aux paysages grandioses, qui sont protégés, eux, depuis bien longtemps. Il a fallu un an au photographe flamand pour réaliser ce livre (publié chez l’éditeur belge Davidsfonds). Car le patrimoine de la région est d’une richesse insoupçonnée. Carnavals, défilés de géants, festivals de la bière artisanale, bénédic-

tions de la mer… En Flandre, pas un week-end ne passe sans qu’une fête traditionnelle, locale ou nationale soit célébrée. «On m’avait donné une liste d’une cinquantaine d’événements… Et j’en ai photographié le double !» s’amuse ce professeur à l’Académie des beaux-arts de Gand, reconverti dans la photographie documentaire. Il aurait pu continuer encore longtemps : le Leca a, pour l’heure, répertorié 599 fêtes. 39 % d’entre elles sont des événements religieux, notamment des processions ou des pèlerinages, 16 % concernent le carnaval et 20 % des fêtes de village. «Loin d’être accessoires, ces rendez-vous constituent l’un des pivots de la vie sociale, explique Emmie Segers, coresponsable de l’institut. Ils

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Nouvelle apnée «A Ostende, comme tous les premiers samedis de l’année, 5 500 courageux ont plongé dans la mer du Nord à 7 °C. Bien ancrée, cette réfrigérante tradition est pourtant assez récente : elle remonte à 1960, lorsque quelques personnes se sont lancé ce défi.»

Dents de loup «Pendant la procession de Ros Beiaard, les knaptanden, personnages déguisés en loups, effraient le public en claquant leurs dents de bois. Pour tenter de saisir les scènes, toutes plus extravagantes les unes que les autres, j’ai passé la journée à courir dans tous les sens.»

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Tête d’oie «Lillo est un village tranquille près d’Anvers. Sauf le jour du festival des Oies. L’objectif est, pour les chevaliers, d’arracher la tête d’une oie morte qui pend au bout d’une corde, un jeu qui date du Moyen Age. Ils s’y reprennent une centaine de fois. Quel spectacle étonnant !»

Désir de fanfare «C’est l’un de mes clichés préférés. J’aime l’opposition entre le rouge et le vert, les enceintes anciennes devant, le village typiquement flamand en arrière-plan. Cette fanfare, à Rutten, s’appelle Ons Verlangen, ce qui signifie “notre désir”. Le désir de faire de la musique, c’est crucial.»

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R EGARD structurent la vie quotidienne et contribuent à renforcer l’identité des individus.» La preuve de l’intérêt nouveau qu’on porte à ces rites ? Rien qu’en Belgique, 90 d’entre eux ont été inscrits au patrimoine mondial immatériel de l’Unesco. Parmi eux, la procession du Saint-Sang de Bruges, fête médiévale rappelant chaque année, à l’Ascension, la passion et la résurrection du Christ, illustre à merveille la popularité des traditions en Flandre. Le 29 mai 2014, 1 700 participants, entre 2 mois et 86 ans, sont costumés en personnages de la Bible, devant 35 000 spectateurs. Mais la Flandre ne se résume pas à ces grands raouts touristiques. «Parmi les événements que j’ai couverts, confie Nick Hannes, ce sont les fêtes de village organisées par

des petites associations que j’ai préféré, parce qu’elles sont authentiques. Il y en a partout, chaque semaine, même dans des endroits très isolés.» Ce patrimoine immatériel, déjà varié, a été vivifié par l’arrivée d’autres populations. Nouvel An chinois, Aïd-el-Kébir, fête de Ganesh… Nick Hannes a photographié les fêtes traditionnelles de ces nouveaux Flamands. «Les pratiques culturelles évoluent continuellement, au gré des changements de la société. Suite au vaste mouvement de migration qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, la Belgique n’est plus aujourd’hui un groupe homogène mais se compose désormais de quelque 160 nationalités, qui perpétuent leurs propres traditions, souligne Emmie Segers. Et c’est justement

Ce patrimoine immatériel, déjà varié, a été vivifié

Défouloir «Grâce à ce reportage, j’ai pu m’introduire dans la très secrète communauté juive orthodoxe. Ce jour-là, à Edegem, elle célébrait Pourim, une de ses plus importantes fêtes. Les participants de cette journée carnavalesque, où règnent désordre et fantaisie, étaient déchaînés, à l’opposé de l’attitude austère qu’ils affichent au quotidien.»

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de cette enrichissante diversité que ces photographies témoignent. Nick Hannes a dressé un portrait contemporain et réaliste de la Belgique.» Points communs à ces pratiques sociales : la fête et le plaisir, copieusement arrosés de houblon. Blondes, blanches, trappistes ou gueuzes… Dans un pays où la bière se décline en 1 500 variétés, on ne compte pas les pintes. «C’est la culture belge, on ne peut pas imaginer une fête sans alcool !» reconnaît Nick Hannes, qui se moque gentiment de ces libations. A travers des clichés truculents, il capture des mises en scène frisant le burlesque, comme lors de Pourim, où un rabbin hilare semble mimer Les Dents de la mer. Pour Hannes, leur convivialité et leur truculence expliquent aussi la

subsistance et la popularité de ces coutumes. «J’ai été frappé par ce que je voyais dans certaines églises, raconte-t-il. Quasi vides lors de la messe, elles se remplissaient dès la fin du service religieux pour que les communautés festoient.» Au-delà du folklore, ce sont les paysages, l’art de vivre et l’ambiance chaleureuse, conviviale et joyeusement fantasque, propres à son pays natal, que Nick Hannes a saisis. «Il aurait été vain de constituer une encyclopédie de traditions. Mon but était de montrer la Flandre telle qu’elle est. Avec ses paysages bucoliques, son architecture pas toujours harmonieuse, bref ses petits défauts.» Le patrimoine loin des cartes postales, en somme. � FRÉDÉRIQUE JOSSE

par la fête de Ganesh, le Nouvel An chinois…

Dragons d’Anvers «La coutume, pendant le Nouvel An chinois, c’est de faire exploser des pétards. Le bruit était assourdissant et j’avais oublié de me boucher les oreilles. Cet événement est devenu une attraction touristique, et beaucoup de Belges viennent admirer la danse des dragons dans les rues de la Chinatown d’Anvers, près de la gare centrale.»

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L A

C A R T E

P O S T A L E

Les Français n’ont pas toujours bonne presse Les guides de voyage étrangers ont du mal à nous cerner. Les auteurs chinois nous trouvent romantiques, les allemands nombrilistes, les anglo-saxons à la fois sexy et malpolis…

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ésumer en quelques lignes ce qui constitue la personnalité des Français – c’est-à-dire, la plupart du temps, des Parisiens –, c’est le défi que tentent de relever de nombreux guides de voyage étrangers. A ce jeu, ils oscillent souvent entre lieux communs et réalité. Pour les auteurs chinois, la France est un pays romantique, donc ses habitants le sont aussi. «Ils assimilent ce caractère à une attitude gaie, légère, spontanée et de bons vivants», précise Renlai Zhu dans son bureau des ChampsElysées. Le directeur des éditions Pacifica a publié le guide youParis en mandarin à l’intention de ses compatriotes. Mais ce poncif «fleur bleue» est parfois employé de façon inattendue. Ainsi, le rédacteur du guide taïwanais ToGo attribue-t-il au «tempérament romantique des Parisiens» le fait qu’ils puissent prendre gratuitement le métro en cas de grève des guichetiers ! Moins sentimental, youParis conseille à ses lecteurs «d’être vigilants en visitant le quartier du Moulin Rouge et le marché aux puces de Saint-Ouen». Il est vrai que les pickpockets ciblent particulièrement les Asiatiques, censés transporter sur eux beaucoup d’argent liquide pour régler leurs achats en magasin. Toutefois, le guide ne va pas jusqu’à comparer notre capitale à Naples, comme l’ont fait certains journaux chinois. Klaus Simon, qui a abondamment publié sur l’Hexagone chez DuMont Reise pour les touristes germanophones, s’efforce, à son tour, de coller à la réalité, ce qui n’est pas le cas de tous

les auteurs d’outre-Rhin, en dépit de la proximité géographique. «Certains guides en allemand expliquent encore que les Français prennent tous les jours deux heures pour aller déjeuner et qu’ils partent en vacances pendant tout le mois d’août», s’étonne t-il. Pour sa part, Klaus Simon relève un certain nombrilisme chez

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C HRONIQUE R É C I T les Français, moins ouverts au monde et moins universalistes qu’ils le prétendent. «Ne vous attendez pas à ce qu’ils parlent anglais, encore moins allemand, écritil. Et ne vous étonnez pas qu’ils connaissent aussi peu notre pays et ne s’y intéressent pas.» Les ouvrages anglophones sur la France se montrent toutefois un peu plus nuancés sur notre identité. Celui du britannique DK Eyewitness Travel souligne, sans davantage de précisions, que les Parisiens «sont réputés pour leurs manières rudes». Et d’enchaîner sur les féministes françaises qui, «contrairement à leurs consœurs anglo-saxonnes, refusent de renoncer au sex-appeal frivole» (sic). Critique ou louange, encouragement ou avertissement aux dragueurs d’outreManche, on n’en saura pas plus. Quelques lignes plus loin, le lecteur apprend que les Français s’habillent bien. Mais comparés à qui ? Autre caractéristique relevée par Eyewitness («témoin oculaire») : nous considérons que les lois et règlements sont faits pour être contournés. «Le sport national, écrit l’auteur, consiste à éviter une bureaucratie pesante ; cela s’appelle “le système D”, et vous devez prononcer ce mot avec un sourire grimaçant.» Bien vu ! Mais par la suite, les choses se gâtent. «Toute la France ferme au mois d’août», assène le rédacteur. Avant de présenter les escargots de Bourgogne comme la quintessence de la gastronomie tricolore, alors qu’en réalité nous en consommons peu, et principalement lors des fêtes de fin d’année. De son côté, le guide que nous dédie l’Américain Lonely Planet nous crédite, en vrac, d’être «sexy, charmants, élégants, arrogants, impolis, et… bureaucratiques». Avant de conclure que nous véhiculons «plus de stéréotypes et de mythes que n’importe quelle autre nationalité». «Mais, à l’évidence, précise-t-il, ils ne portent plus le béret, ne fument pas seulement des Gitanes, et ne jurent plus par le désuet “sacrebleu”». Désormais, notre expression préférée serait «m…» parce que nous n’arrêtons pas de mettre les pieds dedans, sachant que «faire crotter son chien sur le trottoir est un hobby pratiqué depuis le plus jeune âge en France». Une mauvaise habitude qui tend à disparaître puisque les maîtres des chiens peuvent être maintenant taxés d’une amende de 35 euros. Ce regard anglo-saxon sur notre supposée personnalité est en passe de s’imposer. Traduites en de multiples langues, les éditions internationales anglaises ou américaines prennent en effet le pas sur les ouvrages publiés dans les pays d’où sont originaires les touristes. D’un autre côté, mondialisation oblige, les mœurs, modes de vie et comportements des Français, tout comme ceux de leurs visiteurs, tendent à s’uniformiser. Serait-ce la fin des clichés nationaux ? � FRÉDÉRIC BRILLET

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Vers l’ExtrêmeOrient russe

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uir l’hiver. Ne pas sentir son haleine glacée. Cédric Gras, qui vit en Russie et en Ukraine, a une préférence pour l’automne, saison «furtive et incendiaire». Au point de la chercher partout. Fidèle à son addiction qui sert de fil conducteur au livre, notre géographe court d’ouest en est, avant de descendre, tel un oiseau migrateur, dans l’ExtrêmeOrient russe, en quête de ce «pur éclat» que quelques latitudes de moins font perdurer. Dans la symphonie des feuilles d’or qui l’envoûte, il grimpe dans des camions, saute dans des avions Antonov, s’endort dans le Transsibérien, avale à pied, s’il le faut, les kilomètres manquants pour poursuivre ce voyage qui est comme un rêve. Heureusement, l’auteur ne craint ni la solitude ni les haltes dans des districts où il n’y a rien sinon le vent, les bouleaux, la rouille des âmes, un fond de vodka. Et encore et toujours ce fleuve Amour qui déroule ses méandres sous un ciel carminé. Finalement, entre puits de pétrole et rivières à saumons, grizzlis et cabanes à ermites, surgissent les cités espérées de Komsomolsk-sur-Amour, de Rybnovsk et de Khabarovsk, et, sur la mer du Japon, Vladivostok, fardé du sang de l’automne. Ne lui reste plus alors, au bout des terres, quelques heures avant la neige, qu’à s’emmitoufler à son tour «dans son manteau mordoré»… Avec cet exercice d’admiration, Cédric Gras signe une quête somnambulique, comme une fugue hantée, traversée de fulgurances : «La seule piste existante était celle tracée par les phares.» Ou : «Il faut douze jours et deux tonnes de carburant pour convoyer du � sucre.» Chapka, l’artiste ! JEAN-LUC COATALEM

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éalisés par des auteursvoyageurs, les GEOGuides offrent un panorama complet d’un pays, d’une région ou d’une ville, avec des centaines d’adresses pratiques, des conseils de visites et des informations culturelles. Ils vous proposent aussi des séjours à la carte, selon vos centres d’intérêt (en solo, en couple, avec des enfants…) et en fonction de votre budget et de vos envies.

R E C E T T E S

Le voyage des papilles

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avez-vous que la pizza Margherita a été baptisée en l’honneur de la reine Margherita de Savoie, en 1889 ? Un pizzaïolo lui dédia une pizza aux couleurs du drapeau italien : rouge (avec la tomate), blanc (avec la mozzarella) et vert (avec le basilic). C’est l’une des nombreuses et savoureuses anecdotes qui accompagnent les 60 recettes mondiales de ce livre, à préparer en famille. Découvrez la cuisine du monde en famille, éd. Prisma/ GEO, 144 pages, 19,95 €. En librairie et grande surface.

138 GEO EXTRA

RÉDACTION DE GEO EXTRA

Des plans précis vous aideront à repérer facilement et immédiatement les bonnes adresses et les lieux incontournables. Cette collection ravira ainsi tous les voyageurs en quête de découverte et de détente, pour de courts comme de longs séjours Parmi les 48 titres disponibles, viennent de paraître Alpes du Sud et Sardaigne. GEOGuides, éd. Prisma/Gallimard,

13, rue Henri-Barbusse, 92624 Gennevilliers Cedex Standard : 01 73 05 45 45. Fax : 01 47 92 66 75. (Pour joindre directement votre correspondant, composez le 01 73 05 + les 4 chiffres suivant son nom.) Rédacteur en chef : Eric Meyer Secrétariat : Claire Brossillon (6076), Corinne Barougier (6061) Rédacteur en chef adjoint : Jean-Luc Coatalem (6073) Directeur artistique : Pascal Comte (6068) Chef de service : Jean-Yves Durand (6086) Premier secrétaire de rédaction : François Chauvin (6162), avec Laurence Maunoury (5776) Chef de studio : Daniel Musch (6173) Première rédactrice graphiste : Béatrice Gaulier (5943) Service photo : Agnès Dessuant, chef de service (6021), Christine Laviolette, chef de rubrique (6075), Fay Torres-Yap (E-U) Cartographe-géographe : Emmanuel Vire (6110) Ont contribué à la réalisation de ce numéro : Eric Birlouez, Frédéric Brillet, Sébastien Desurmont, Elisabeth D. Inandiak, Clément Imbert, Emmanuelle Jary, Frédérique Josse, Stéphane Lavoué, Catherine Le Gall, Léo Pajon, Amélie Rousseaux, Carole Saturno, Volker Saux. Chef de service : Adrien Guilleminot. Rédactrices graphistes : Claudie Devaucoux, Patricia Lavaquerie. Cartographe : Hugues Piolet. Fabrication : Stéphane Roussiès (6340), Anne-Kathrin Fischer (6286), Gauthier Cousergue (4784).

Magazine édité par

A P P L I

6 000 idées pour partir

A

adapté de l’édition papier, l’appli GEOBook permet à chacun de choisir sa prochaine destination en fonction de ses goûts, de ses activités favorites, de la distance, du climat, etc. Cent dix fiches «pays» sont disponibles, avec, pour chacune, des photos et des infos pratiques région par région. Avec le moteur de recherche multicritères, la réponse apportée est immédiate. Disponible sur Iphone et Ipad au prix de 6,99 €.

13, rue Henri-Barbusse, 92624 Gennevilliers Cedex. Société en nom collectif au capital de 3 000 000 €, d’une durée de 99 ans, ayant pour gérant Gruner + Jahr Communication GmbH. Les principaux associés sont Média Communication S.A.S. et Gruner und Jahr Communication GmbH. Directeur de la publication : Rolf Heinz Editeur : Martin Trautmann Directrice marketing : Delphine Schapira Chef de groupe : Hélène Coin (Pour joindre directement votre correspondant, composez le 01 73 05 + les 4 chiffres suivant son nom.) Directeur exécutif de Prisma Pub : Philipp Schmidt (5188). Directrice commerciale : Virginie Lubot (6450). Directrice commerciale (opérations spéciales) : Géraldine Pangrazzi (4749). Directeur de publicité : Arnaud Maillard. Responsables de clientèle : Evelyne Allain Tholy (6424), Karine Azoulay (69 80), Sabine Zimmermann (6469). Directrice de publicité, secteur automobile et luxe : Dominique Bellanger (4528) Responsable back office : Céline Baude (6467). Responsable exécution : Sandra Ozenda (4639). Assistante commerciale : Corinne Prod’homme (64 50). Directrice des études éditoriales : Isabelle Demailly Engelsen (5338). Directeur marketing client : Laurent Grolée (6025). Directeur commercialisation réseau : Serge Hayek (6471). Direction des ventes : Bruno Recurt (5676). Secrétariat (5674). Directrice marketing opérationnel et études diffusion : Béatrice Vannière (5342). Photogravure et impression : MOHN Media Mohndruck GmbH, Carl-Bertelsmann-Straße 161 M, 33311 Gütersloh, Allemagne. © Prisma Média 2015. Dépôt légal : mai 2015. Diffusion Presstalis ISSN : demande de numéro en cours. Création : janvier 2015. Numéro de Commission paritaire : 0317 K 92662.

Suggestion de présentation.

Une autre idée du légume

““Légumes pour couscous lentement cuisinés aux épices douces…

Une extraordinaire palette de saveurs ! ”

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