Fixations Somatique Et Fonctionnement Mental

June 13, 2018 | Author: austro224511 | Category: Psychoanalysis, Sigmund Freud, Neurosis, Evolution, Psychological Trauma
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Fixations somatiques et fonctionnement mental par Jacques PRESS f r ançaise de psychos psychosomat omat i que  | Presses Universitaires de France | Revue fr 2003/1 - N° 23 ISSN 1164-4796 | ISBN 2-1305-3871-1 | pages 145 à 162

Pour citer cet article : — Press J., Fixations somatiques et fonctionnement mental, Revue française de psychosomatique psychosomatique 2003/1, N° 23, p. 145-162.

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Point de vue

JACQ JA CQUE UESS PR PRES ESSS

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« Un important problème problème subsiste donc, lequel réside réside sans doute, pour une part, dans notre impossibilité humaine de concevoir l’inorganisation ganis ation » (Marty (Marty, 1976, p. 126), écrit écrit Pierre Pierre Marty Marty à propos propos de l’évolution individuelle. La cohérence extrême de sa construction théorique n’en est que plus frappante, donnant sans doute la mesure de son effort pour rendre compte des degrés d’inorganisation qu’il a été amené à côtoyer. Il m’est souvent arrivé de penser qu’une part non négligeable de notre travail consistait à déconstruire son modèle, non seulement pour en faire travailler les jointures, mais aussi pour que nous puissions, adossés à lui, régresser et nous approcher de plus près, de cet inorganisé, à l’intérieur de nous comme chez nos patients, dans notre parcours personnel comme dans notre travail clinique et notre effort de théorisation, ces trois temps me paraissant étroitement liés. Le présent article participe de cette réflexion. Je commencerai par rappeler quelques points de la théorie de Pierre Marty sur la question des fixations. J’aborderai ensuite un aspect plus spécifique et relierai l’extension de la notion de fixation et de régression chez Marty à celle à laquelle procède un autre grand théoricien des états non névrotiques, D.W.. Winnicott. Ceci me conduira à reprendre brièvement la question D.W du clivage du moi et de sa relation à ce que Marty nomme les fixations somatiques. Enfin et de manière liée, je ferai quelques remarques sur la question du sens de la manifestation somatique dans les maladies qui, selon la classification psychosomatique, correspondent à de telles fixations. Rev. franç. Psychosom., 23/2003

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LA PLACE DE DESS FIX IXA ATI TIO ONS SOM OMA ATI TIQ QUES DANS L’ÉDIF ÉDIFICE ICE THÉO THÉORIQU RIQUE E DE PI PIE ERR RRE E MARTY

La notion de fixation somatique occupe une place singulière et complexe dans l’édifice théorique construit par Pierre Marty. Elle est indissolublement liée à celle de régression. Comme on le sait, c’est, dans la pensée de Marty, la régression qui est première, s’installant à la suite de périodes limitées de désorganisation au cours du développement psychosomatique de l’être humain. Autour de ce noyau, s’établit une fixation, l’ensemble ainsi formé constituant un système de fixationrégression. « Nous comprenons ainsi le phénomène de fixation dans dans sa liaison avec une régression qui en constitue le cœur» (Marty, 1976, p. 12 121) 1).. Ces systèmes s’établissent tout au long du développement psychosomatique de l’être humain. L’hérédité L’hérédité elle-même est, es t, selon Marty, à concevoir en termes de fixations phylogénétiquement phylogénétiquement établies. Ce point de vue le conduit à considérer qu’une partie des fixations somatiques «engage des fonctions psychosomatiques psychosomatiques non relationnelles » (Marty, (Marty, 1980, p. 157), ce qui ne ne veut pas nécessairement dire qu’elles se construisent en dehors de tout système relationnel mais qu’elles échappent par conséquent aux modalités habituelles de traitement psychanalytique. Les systèmes de fixation-régression constituent les bases d’un narcissisme conçu comme étant psychosomatique dans son essence, ils en assurent la solidité, qui permettra au sujet d’éviter les désorganisations. Il en découle que, si la qualité du fonctionnement mental est la meilleure garante de l’équilibre psychosomatique, elle n’est pas seule en cause : il convient de prendre en compte, à l’autre bout de la chaîne, de l’influence déterminante qu’exerce l’héritage phylogénétique du sujet comme ses toutes premières interrelations avec l’environnement. De manière liée, les systèmes de fixation se constituent pour Marty en une chaîne successive dont les différents éléments interagissent, d’une façon qui représente, selon ses propres termes, une extension de la notion d’après-coup. C’est ainsi qu’il faut supposer, dans le cas de l’allergie, qu’il qu’il prend pour exemple exemple : 1) «des fixations immunologiques chez le fœtus»; 2) «des fixations de fonctions prenant pour la plupart valeur nouvelle autour de la naissance» qui «préciseront ultérieurement la pathologie des régressions somatiques»;

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3) « des fixations d’ordre sensori-moteur dont dont nous connaissons mal la nature» et qui vont instituer «un sentiment particulier, atypique, du corps propre (et) … perturber l’organisation habituelle des représentations successives successives de de l’espace et du temps temps » (Marty, (Marty, 1980, p. 151). Marty différencie de manière très nette fixations et régressions. Les premières traduisent ce qui s’est passé à un moment donné de l’évolution (Marty,, 1976, p. (Marty p. 136 et 161), mais mais sont sont en revanche revanche noyées dans dans le flot flot évolutif ultérieur et sont par conséquent souvent difficiles à retrouver (Marty,, 1980, p. 137), sauf dans (Marty dans des moments de désorgani désorganisation sation partielle, touchant le niveau évolutif situé au-dessus d’elles. Les secondes sont grosses de tous les enrichissements et déformations de l’évolution ultérieure;; elles disent par conséquent moins de ce qu’on pourrait appeultérieure ler la vérité historique du moment, mais plus du parcours et de la construction psychosomatique d’un individu, ce qui explique aussi que Marty leur ait consacré tout un chapitre de L’ordre psychosomatique . Par ailleurs, fixations et régressions sont, pour Marty, dans une relation équivalente à celle d’un couple vulnérabilité-défense (Marty, 1976, p. 134-135), les fixations reflétant reflétant plus l’élément l’élément traumatique, traumatique, les régressions l’aspect défensif. Il convient enfin de rappeler que c’est à l’occasion des développements concernant les fixations et les régressions que Marty introduit sa notion de chaînes latérales et de dynamismes parallèles, qui constitue un approfondissement et un renouvellement de la notion de clivage. Ce fait ne relève pas du hasard, mais donne sa cohérence théorique à son point de vue selon lequel «au début était le morcellement»: inconscient parcellaire, psychosomatique dans son essence, qui doit être unifié grâce à la gérance assurée par la fonction maternelle. Son point de vue strictement génétique le conduit à sous-entendre que ces modalités de clivage seraient plus l’effet d’une non-intégration de différentes modalités fonctionnelles qu’un véritable mécanisme de défense. C’est de ce dernier point que je partirai pour la suite de ma réflexion, car il revêt une valeur heuristique considérable pour notre théorie et notre pratique. D’abord, le clivage dont il est ici question est non seulement un clivage du moi, mais un clivage engageant l’être humain dans sa globalité psychosomatique: Marty élargit donc la notion freudienne telle qu’elle était habituellement en usage: les clivages dont il s’agit ici semblent pouvoir se produire «sans contrepartie économique positive». Ce point de vue évoque des aspects développés, dans des contextes variables selon des optiques diverses, par différents auteurs, de Ferenczi avec sa notion

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de clivage traumatique à de M’Uzan (le moi en archipel), en passant par certains aspects des travaux winnicottiens (la dissociation, le faux self). Ensuite, la perspective génétique offre effectivement une nouvelle profondeur1, un nouvel élargissement des points de vue, puisque ce qui peut sembler avoir été intégré au niveau de la pointe évolutive peut se désorganiser sous l’effet d’événements traumatisants, et, dans le cours de cette désorganisation, révéler un clivage surmonté, mais non complètement résolu dans le développement de l’individu. Enfin et comme je l’ai relevé plus haut, si certaines des fixations somatiques engagent des fonctions non relationnelles, cela ne signifie pas pour autant que ces fonctions se construisent indépendamment de tout engagement relationnel, mais qu’il importe de tenir compte de ce que Pierre Marty aurait, dans sa terminologie, appelé le niveau évolutif  considéré. Dans une de ces notes de bas de page dont il a le secret, il écrit: «La neutralité du psychanalyste est nécessaire. Elle n’est pas indifférence mais, au contraire, intérêt maximum pour l’autre. Appliquée à autre chose qu’à l’analyse des névrosés classiques, la neutralité rejoint l’ind l’indifféren ifférence ce » (Marty, (Marty, 1976, p. p. 131).

RÉGR RÉ GRES ESSI SION ON À LA DÉ DÉPE PEND NDAN ANCE CE ET FIX IXA ATI TION ONSS

Cette remarque évoque la réflexion d’un autre grand découvreur, je veux parler de Winnicott, Winnicott, lorsqu’il écrit qu’« avec le patient régressé, le terme de désir n’est pas exact; il faut utiliser à la place celui de besoin». Et Winnicott d’ajouter: «Si on ne répond pas à ce besoin, il n’en résulte pas de la colère; on reproduit la situation de carence de l’environnement qui a arrêté les processus de croissance du self . La capacité de l’individu de “désirer” s’est trouvée entravée et nous assistons à la réapparition de la cause originaire originaire du sentimen sentimentt de futilité» futilité » (Winnicot (Winnicott, t, 1955, p. 261, italiques de Winnicott). Le rapprochement me paraît éclairant entre un analyste qui, d’avoir trop voulu voulu être un vrai analyste, analyste, ne serait pas « vrai » pour son patient, patient, 1. « Cette latéralité latéralité évolutive rend rend compte de ce que l’on considère souvent plus tard comme comme des “clivages” en des niveaux déterminés déterminés»» (Marty, (Marty, 1976, p. 127). Et encore encore : « Le concept de dynamismes dynamismes parallèles éclaire le problème classique du clivage au sens freudien du mot. Le clivage, peut-être trop habituellement considéré sous un angle topique étroit, nous paraît ici pouvoir retrouver un sens génétique profond, riche riche de perspectives perspectives » (Marty, (Marty, 1976, p. 155).

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et « l’indi l’indifféren fférence ce » dont parle Marty Marty dans le passage dont il vient vient d’être question : si le patient ressent l’attention flottante de l’analyste comme indifférence, c’est bien qu’on se trouve dans une problématique où désir et besoin sont encore indistincts ou confondus, ou que le désir n’a pu encore advenir comme tel; c’est bien aussi qu’être analyste dans ces situations implique des modifications techniques, soit à l’intérieur du cadre classique divan-fauteuil, soit une modification du cadre lui-même, à laquelle Marty comme Winnicott ne se sont pas privés de recourir, bien que l’un l’ait systématisée et l’autre non. En d’autres termes, aussi bien Winnicott que Marty se situent sur le plan non des défenses et de leur interprétation, mais des fonctions et de leur maintien1. C’est dire que, par-delà les horizons théoriques différents (encore que Winnicott Winnicott cite Fain et Marty), il y a une parenté souterraine entre les deux auteurs, y compris dans les aménagements techniques auxquels ils sont entraînés. À l’évidence, il y a aussi des différences importantes. Je n’en relèverai qu’une : Winnicott Winnicott s’occupe au premier chef de la survie psychique psychique de ses patients, alors que Marty s’intéresse à leur survie physique et construit son modèle en fonction de cette préoccupation. Ce modèle l’amène à se demander ce qui manque au patient pour parvenir à la pointe évolutive œdipienne. La position de Winnicott est inverse, la question qu’il qu’il se pose constamment constamment étant: étant : « Qu’est Qu’est-ce -ce qui a manqué manqué dans l’histoire de cette personne, qui se rejoue avec moi maintenant et va me conduire à répéter, dans le transfert, la défaillance originelle de l’environnement ? » Il est illusoire de penser penser qu’on puisse puisse échapper à la répétition de cette défaillance ; la question est beaucoup plus ce que l’analyste et l’analysant pourront en faire pour créer une situation nouvelle. En d’autres termes, l’analyste n’est dès lors plus seulement utilisé pour ses capacités, mais tout autant pour ses failles. On aura par ailleurs reconnu dans le texte que je viens de citer un extrait d’un article de 1955, « Les aspects métapsychologiques et cliniques de la régression au sein de la situation analytique», dans lequel Winnicott Win nicott décrit une autre modalité régressive, celle de la régression à la dépendance absolue dans la relation analytique: article fondamental parce que fondateur d’une métapsychologie de la régression, comme d’ailleurs de la non-régression, envisagée – et théorisée – dans la relation 1. La psychosomatique psychosomatique s’intéresse s’intéresse «à « à la fonction elle-mêm elle-mêmee », alors que la psychanalyse psychanalyse s’attache s’attache au «témoignage repris et remanié par l’évolution ultérieure… de la prépondérance d’une fonction somatique évolutivement évolutivement “en pointe” à une époque déterminée déterminée » (Marty, (Marty, 1976, p. 117).

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analytique et non plus comme un

mouvement concernant l’individu seulement : dans sa description en effet, c’est à l’analyste l’analyste qu’est attribuée la tâche d’assurer le maintien (le holding) de son patient au cours des épisodes de régression. Pour le dire autrement: avec sa notion de régression à la dépendance absolue, Winnicott étudie l’arrière-plan, le cadre, nécessaire à ce que les modalités régressives classiques – temporelles, formelles et topiques – prennent place. Cet arrière-plan est habituellement silencieux chez les patients névrotiques – je préfère dire: dans les moments où le jeu transfert-contre-transfert se déroule à un niveau névrotique. Il me paraîtrait intéressant, bien que cela dépasse le cadre de cet article, d’articuler théoriquement l’extension que donne Winnicott à la notion de régression avec les développements de Marty. Marty. Lui aussi donne, en effet, au terme de régression une extension nouvelle en introduisant les concepts de régressions fonctionnelles (c’est-à-dire « s’étendant […] en deçà du champ de la vie mentale […] pour rejoindre jusqu’à des événements somatiques prénataux, prénataux, d’ordre immunologique immunologique par exemple » (Marty,, 1980, p. 138), de régressions (Marty régressions intrasystémiques intrasystémiques (de la programmation à l’automation) et de régressions «dans l’organisation même du noyau de l’inconscient» (ibid.) de la programmation à l’automation, dans la vie opératoire par exemple. Par ailleurs, les situations où se pose la question de la régression – entendue ici comme régression à la dépendance absolue – impliquent, écrit Winnicott, une défense organisée (le faux self) visant à geler une situation de carence, dans l’espoir que se présente une fois une occasion de la dégeler. «Pour que le progrès soit inversé, il faut que l’individu dispose d’une organisation permettant à la régression de se produire» (Winnicott, 1955, 1955, p. 253), ce qui qui suppose suppose « une capacité capacité latente latente de régresser régresser […] et une organisation organisation du moi complexe complexe » (ibid., p. 254 254). ). Et Et plus plus loin loin:: « Lorsque nous parlons de régression en psychanalyse, nous nous sous-entendons l’existence d’une organisation du moi et la menace d’un chaos. » C’est donc bien que ce gel de la situation de carence est lui-même à rapprocher d’un point de fixation, comme Winnicott le souligne («j’y vois une relation avec le concept du point de fixation», ibid., p. p. 25 255) 5).. En d’autres termes – à mon avis c’est un point que la clinique corrobore et qui rejoint les observations psychosomatiques –, le moment où cède le faux self est aussi le moment de tous les dangers, y compris somatiques. On pourrait dire que, dans ces situations, c’est l’analyste, qui pendant tout un temps est le garant des fixations du patient, qui parie sur leurs potentialités.

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Le fonctionnement opératoire me paraît ressortir à un autre registre. Ce que les psychosomaticiens ont appelé fonctionnement progrédient ou incapacité à régresser – qu’on pense à l’article de Michel Fain, «Régres« Régression ou distorsion » (Fain, 1995) – trouve d’ailleurs aussi son équivalent dans les descriptions winicottiennes, d’abord dans l’article précité, lorsque Winnicott écrit qu’«il faut beaucoup de courage pour avoir un effondrement, mais [qu’] il est possible que l’autre terme de l’alternative soit la fuite dans la santé, condition qui est comparable à la défense maniaque devant le dépression» (ibid. p. 261, italiqu italiques es de Wi Winnico nnicott), tt), puis dans ses deux articles «La crainte de la folie» (Winnicott, 1965) et «La crainte de l’effondrement» (Winnicott, 1971). On pourrait dire que les développements de Pierre Marty se sont concentrés sur ces patients fuyant dans la «guérison» psychique, mais tombant malades somatiquement de cette fuite.

FIXA FI XATI TION ONSS SO SOMA MATI TIQU QUES ES ET CL CLIV IVAG AGE E DU MO MOII

Mais il nous faut élargir la description winnicottienne. Comme cela a souvent été relevé, la notion de faux self prête à de nombreuses discussions. Je préfère utiliser deux termes: celui de noyau pulsionnel, noyau qui peut être d’une violence et d’une brutalité inouïes, mais qui, effectivement – je rejoins ici Winnicott –, est vrai; et celui de clivage du moi, pris dans une conception élargie. Rappelons que le clivage freudien se caractérise par le maintien de deux positions simultanées et incompatibles quant à la question de la possession du pénis par la femme. Les deux positions – «la femme a conservé conser vé son pénis pénis » et « elle a été châtrée châtrée » – sont inconscien inconscientes. tes. La ruse ruse qui permet à la fois de reconnaître la réalité de la castration et de la dénier est une solution qui apparaît au premier abord extrêmement ingénieuse et rend ces patients insaisissables, puisqu’il leur est toujours possible de mettre en échec une interprétation en ressortant l’autre côté : « Vous dites que je ne ne reconnais pas la différence différence des sexes sexes ; mais voyons, ça n’est pas vrai, vous le voyez bien: c’est vous qui vous trompez.» Je crois que cette ambiguïté, cette insaisissabilité, constituent un caractère commun à la plupart des types de clivage du moi, qu’il s’agisse d’un clivage freudien ou de cas de clivage traumatique au sens de Ferenczi (Ferenczi, 1931). Cela me paraît également vrai dans beaucoup

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de cas de «clivage évolutif» au sens des chaînes latérales de Pierre Marty.. C’est ce qui fait leur force et les rend si résistants au traitement : Marty que cette insaisissabilité soit primaire ou secondaire, une fois qu’on a goûté à ses délices, il paraît bien difficile d’y renoncer. Bien difficile et aussi bien dangereuse: la mise en échec des modalités de clivage, quelles qu’elles soient, qui réactualise toujours les conditions traumatiques qui ont présidé à leur mise en œuvre et sont donc, comme  je l’ai déjà dit, des moments à haut risque du point de vue psychosomatique. Car c’est le clivage lui-même qui a dès lors valeur de fixation, valeur antitraumatique qui évite un effondrement au sens winnicottien du terme. Il serait plus exact de dire qu’il a à la fois valeur de fixation au trauma et de défense contre lui, témoignant de ses effets premiers comme de la modalité défensive mise alors en place. Malgré ces «avantages», la solution du clivage a un prix élevé: appauvrissement du moi; confusion qui prend le moi à son propre piège : à force de défendre deux positions positions simultanées et incompatibles, incompatibles, le pauvre s’y perd. Par ailleurs, le déni de réalité, quelle que soit son intensité, s’accompagne toujours d’un mouvement vers la création d’une néoréalité. Ce mouvement peut prendre différentes formes et aller de l’hallucination psychotique à des formes plus complexes telles certaines formes de rêverie diurne compulsive, ce que Winnicott a décrit par le terme de  fantasying  (Winnicott, 1975) et que j’ai fréquemment rencontrées chez des patients allergiques ou migraineux. Je peux maintenant énoncer mon hypothèse centrale, qui comporte deux propositions. La première est que les patients souffrant de maladies renvoyant à des fixations somatiques présentent une forme particulière de clivage, qui ne se joue plus – en tout cas plus seulement – entre deux positions par rapport à la question de la castration féminine, mais entre une partie «adaptée» et une partie que j’appellerai «sauvage», le noyau pulsionnel. Là où les choses se compliquent, c’est qu’il est inexact, à mon avis, de soutenir que la partie dite adaptée n’apporte aucune satisfaction pulsionnelle. Bien au contraire, cette partie, qui rappelle souvent aussi certains aspects des descriptions psychosomatiques touchant le développement prématuré du moi, est investie d’une énergie pulsionnelle considérable et permet souvent au sujet des réalisations, pulsionnelles, elles aussi, de grande qualité. Un autre caractère de ces modalités de clivage est qu’ils ne séparent pas deux parties du moi présentant un niveau de développement com-

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parable, comme le fait le clivage du moi classique. Au contraire, nous avons d’un côté une partie développée plus ou moins selon la forme d’une névrose de caractère, par exemple anal, où prédominent les qualités de maîtrise et de contrôle de l’excitation. Cette partie sert d’enveloppe, de contenant à l’autre partie, celle que Winnicott aurait appelée le vrai self, et qui est caractérisée par un chaos qui, selon les cas, paraît surtout pulsionnel ou dans lequel domine, d’autres fois, un vécu de détresse. En d’autres termes, la partie clivée n’est pas du tout du même niveau évolutif que la partie dominante : au contraire, elle est caractérisée par un défaut de représentation, c’est un noyau brut, mélange inchoatif de pulsion à l’état brut et de souffrance agonique. Ce point de vue pourrait amener à reconsidérer les relations entre névrose de caractère au sens de Pierre Marty et une manifestation allergique, asthmatique par exemple. Dans son schéma théorique, Marty oppose une lignée allergique évoluant parallèlement à une autre lignée, par exemple exemple de type type anal anal (Marty (Marty, 1976, p. p. 145). À l’oppo l’opposé, sé, Joyce McDougall interprète le rôle de l’analité dans ces cas comme traduisant les modalités relationnelles précoces de ces patients à leurs premiers objets et étant de ce fait directement reliées à leur symptomatologie somatique (McDougall, 1996). Je m’engagerai dans une voie un peu différente différente:: les manifestations de maîtrise et de caractère (rappelons-nous que le trait de caractère constitue une sorte de psychose privée, ainsi que le notait déjà Ferenczi) sont à la fois clivées du noyau pulsionnel fondamental et lui servent d’enveloppe. Elles n’ont donc pas de lien symbolique avec les manifestations somatiques, elles ne renvoient pas à une hystérie, même archaïque. En revanche, leur valeur de contenant au sens d’une sorte de moi-peau autogénéré et auto-entretenu, comme aussi dans leurs aspects répressifs, est considérable. Cette remarque remarque m’amène à ma deuxième proposition proposition : ce qui se révèle comme noyau pulsionnel dans ces cas est un noyau psychotique enclavé,  je serais tenté d’écrire une psychose actuelle limitée, si le terme de psychose actuelle actuelle n’avait déjà déjà été utilisé par M. de M’Uzan dans dans un autre contexte pour décrire le fonctionnement opératoire (de M’Uzan, 1998). C’est un tableau fréquemment rencontré dans les maladies régressives (migraines, épilepsie, allergie, auxquelles j’adjoindrai certains cas de recto-colites et de maladies de Crohn, ce qui laisse supposer dans ces cas un point de fixation précocissime jouant comme attracteur). Joyce McDougall a défendu une hypothèse assez proche à propos de ses patients somatisants, dont la majorité présente des maladies à caractère critique.

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Elle défend l’idée que le conflit dans ces cas se joue moins autour de la sexualité que des racines de l’identité subjective, je dirai volontiers des fondements du narcissisme primaire (McDougall, 1996). Une double question de pose dès lors : celle du maniement clinique de ce type de situations d’une part ; et celle du rapport entre cette enclave psychotique et la manifestation somatique. Je suis, je dois l’avouer, bien moins assuré de la réponse qu’il y a quelques années et me propose d’illustrer la complexité des choses par un exemple clinique. Je l’ai choisi parce qu’à côté de traits particuliers, il me paraît présenter certains caractères ayant une valeur plus générale dans les affections classées par Marty comme correspondant à des fixations somatiques.

UN EX EXEM EMPL PLE E CL CLIN INIQ IQUE UE

Cela fait quelques quelques années années que la cure de B. s’est terminée terminée après sept sept ans d’analyse. D’origine maghrébine, âgée à l’époque de trente-huit ans, elle était venue me demander de l’aide pour une affection douloureuse à caractère critique qui lui empoisonnait la vie, mais aussi pour des craintes hypocondriaques quant au fait que cette symptomatologie soit d’origine tumorale. Et encore d’une absence de désir sexuel, ainsi que du sentiment de ne pas être ancrée dans la vie. Issue d’une famille modeste, elle avait fait, seule de sa famille, des études secondaires et supérieures à l’étranger avant de s’installer à Genève où elle poursuivait une brillante carrière. Elle mettait en relation ses angoisses avec le fait que sa mère avait perdu toute petite sa propre mère et qu’elle n’avait cessé de l’entendre dès sa première enfance répéter qu’elle allait mourir jeune elle aussi, en laissant ses enfants seuls. Il régnait dans cette famille une atmosphère de violence verbale et physique exercée principalement par le père. Le conflit culminera à l’adolescence par une rupture radicale avec eux. Lorsqu’elle est venue me consulter, son parcours professionnel lui avait permis d’occuper un poste de cadre dans une grande entreprise, mais sa vie affective était inexistante et elle avait pour but affiché de se débarrasser définitivement de sa famille d’origine. Très tôt dans sa cure apparut la conviction que j’allais, tôt ou tard, la rejeter et mettre fin à son traitement parce que je ne pourrais plus la supporter. Comme on pouvait s’y attendre, elle fera tout pour provoquer

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ce rejet : absences inopinées et répétées, souvent liées à sa symptomatologie somatique ; sentiment inlassablement inlassablement exprimé que cette analyse représentait un poids insupportable et qu’elle ferait mieux d’y mettre fin; contre-transfert marqué par une irritation et une lassitude telles que   j’accueillais j’accueillais ses absences absences par un « ouf » de soulagement. soulagement. En d’autres d’autres termes, j’avais pris la place de la famille honnie. Après quelque temps, elle engagea une épreuve de force autour du cadre. Je cédai la rage au cœur, ne voulant pas lui donner une si belle occasion de rompre. Puis elle me lança un ultimatum. Même si elle avait maintenant une relation affective stable, rien n’avait bougé au fond: tou jours autant de douleurs, toujours aussi peu de désir. En conséquence, si quelque chose ne se passait pas dans les prochains mois, elle arrêterait les frais. Or c’est précisément dans ces mois-là que «quelque chose» se mit en mouvement, d’où sans doute la menace de rupture. La symptomatologie somatique commença à s’atténuer pour disparaître à peu près complètement, le désir sexuel refit surface. J’avais, au cours des mois précédents, noté un frémissement dans l’atmosphère des séances : moins d’absences, plus d’ouverture à mon égard. Ce changement se confirma, la carapace caractérielle s’atténuant s’a tténuant quelque peu. Elle commença à me parler de son monde de rêveries qui fonctionnait comme un véritable cocon et qu’elle utilisait dans une sorte d’autobercement lui permettant de s’endormir. Le clivage apparut plus clairement et put s’élaborer : clivage entre le monde monde des rêveries et la réalité quotidienne ; entre la réussite professionnelle et l’investissement intellectuel d’une part, le marasme affectif de l’autre; entre le monde extérieur et l’analyse. Un schéma répétitif se mit en place; quand une séance avait, de mon point de vue, «bien marché», la suivante était à coup sûr marquée par un retrait ou elle ne venait pas. Lorsqu’à son tour ce schéma s’atténua, elle passa par une période où les angoisses hypocondriaques hypocondriaques flambèrent. Puis ce furent furent ses « fantôm fantômes es » qui surgirent surgirent dans le transfert transfert à la place de l’hypocondrie. Il y avait bien sûr le fantôme de la grand-mère maternelle. Mais il y avait aussi un jeu de fantômes dans la relation au père. La relation analytique devenant plus libre, elle put me dire que les séances, avec leur côté calme et mon attitude non retaliative, lui apparaissaient irréelles. Ce qui était vrai, c’était l’expression méchante qu’elle voyait dans mes yeux dans le court moment où elle croisait mon regard en entrant et en sortant de mon bureau: bureau : en d’autres termes, les aspects psychotiques étaient déposés dans le cadre (Bleger, 1974). Je qualifierai ces fantômes – le père

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violent, la grand-mère violent, grand-mère malade malade – de « positi positifs fs » : tout fantômes fantômes qu’ils qu’ils fussent, ils avaient trop de réalité, trop de présence, trop de concrétude. Mais il y avait aussi des fantômes fantômes qui qui étaient des « négati négatifs fs » au sens photographique du terme. Le père violent avait en effet aussi un fantôme, celui d’un pauvre type, méprisé par sa femme et ses enfants, brutalisé par ses propres parents, inexistant comme tiers – ou n’existant que comme un fantôme de tiers. Et il y avait un dernier fantôme qui put être abordé plus tard dans sa cure et dont l’existence se révélait dans ses difficultés d’endormissement, dans l’activité de rêveries qui allait de pair avec elles comme aussi dans ses tentatives forcenées d’automaintien : ce fantôme-là, c’était celui d’une mère prise dans le deuil impossible de sa propre mère mère et son identification identification mélancolique mélancolique à celle-ci. celle-ci. Quand B. me disait que je n’étais pas réel, cela condensait ces deux courants transféraux, celui du fantôme du père et celui de la mère fantomatique. Si j’ai rapporté cette vignette clinique, c’est qu’elle me paraît bien illustrer à la fois mes développements précédents sur les rapports entre organisation caractérielle et somatisations à manifestations critiques, comme aussi la complexité des rapports entre sens et force dans ces problématiques. De plus, elle introduit un autre élément dans la discussion de leur pathogenèse: à travers les fantômes occupant l’espace psychique de B., c’est en particuli particulier er la question des des effets somatiques somatiques de probléproblématiques transgénérationnelles qui est soulevée.

LES TROIS NIVEAUX D’OR ORGA GANI NISA SATI TION ON DE L’ENCL ENCLA AVE PSYC PSYCHOTI HOTIQUE QUE

J’ai parlé tout à l’heure de noyau psychotique enclavé. L’exemple de B., comme celui celui d’autres patients patients du même même genre, conduit conduit à relever plusieurs éléments constitutifs constitutifs de cette enclave, présente d’abord à l’état naissant et qui se déploie ensuite dans la cure. Comme dans d’autres cas, il me semble y avoir une organisation sur trois niveaux. Il y a d’abord celui de l’organisation de caractère, ici anal. Cet élément, clivé du reste du fonctionnement psychique, fonctionne en même temps comme contenant pulsionnel et défend un vécu psychotique. Son importance est considérable, car, sans lui, ces patients ne pourraient pas entrer dans un cadre analytique. En contrepartie, sa valence de résistance devient prédominante au cours de la cure et exige un travail contre-transférentiel intense.

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Ensuite vient la symptomatologie d’allure psychotique (la conviction que je la mettrai dehors, mes yeux méchants), qui m’apparaît comme une défense contre le dernier niveau, celui d’un vécu agonique en relation avec l’objet maternel, vécu qui renvoie aux descriptions winnicottiennes que je rappelais tout à l’heure. Car, quelle qu’ait été la réalité de la violence paternelle, elle ne jouait un rôle si important que dans la mesure où elle défendait B. B. d’un vécu d’effondremen d’effondrementt dans la relation à sa mère. Il est par ailleurs évident que le père avait échoué à remplir efficacement un rôle de tiers qui puisse la dégager de la dépression maternelle. maternelle. Par ailleurs, ailleurs, il faut relever un mode mode relationnel relationnel particulier particulier de B. à ses objets : elle procédait à une sorte de captation de l’objet, qu’il qu’il soit paternel ou maternel, dans un mouvement évoquant la mélancolie : convaincue d’être destinée à mourir tôt comme sa mère l’était, convaincue que je la rejetterai à cause de sa violence, qui est d’essence paternelle. De façon liée, j’ai longtemps et à tort considéré l’attente d’un rejet violent de ma part comme l’expression d’une relation sadomasochiste avec un scénario fantasmatique sous-jacent qu’il faudrait interpréter. Puis, je me suis rendu compte que je faisais fausse route. Cette violence dont elle était possédée – le mot n’est pas trop fort – n’était pas que la sienne, c’était aussi un fantôme fantôme : la violence du père l’habitait l’habitait comme un corps étranger et empêchait la constitution d’un scénario œdipien viable et organisateur. Entrer dans un scénario œdipien sur la scène du transfert débouchait sur une impasse dans la mesure où cela la mettait immédiatement en contact avec cette imago et avec le caractère incestuel de cette violence, dans le sens d’une confusion des langues et d’une identification à l’agresseur (Ferenczi, 1932). De façon caractéristique, il m’a fallu beaucoup de temps pour laisser venir au jour en moi le sentiment que la violence rôdant dans sa cure ne lui appartenait pas en propre, qu’il y avait confusion sur le fait de savoir qui en était le détenteur. Je le lui ai alors dit. Ce moment a constitué un tournant, qui lui a ensuite permis, pour la première fois de sa vie me semble-t-il, de prendre cette violence à son compte et de s’en sentir actrice. Ainsi donc, le colmatage du noyau de détresse primitif passe par une double captation: captation de l’objet de type mélancolique; captation  par l’objet au sens de la confusion des langues. Sur cette base se construit ensuite une tentative projective de guérison, et c’est contre cette dernière et les éléments délirants qu’elle implique que se met en place l’organisation de caractère.

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IMP IM PAS ASSE SE PS PSYC YCHI HIQU QUE E ET FI FIXA XATI TION ON SO SOMA MATI TIQU QUE E

C’est dans l’impasse entre le trop d’excitation entretenue dans la relation à l’imago paternelle et le vécu intolérable de détresse dans la relation à la mère psychiquement absente que me paraît naître la symptomatologie somatique, qui est double, celle de l’hypocondrie et celle des crises douloureuses. La symptomatologie hypocondriaque ressortit à une incorporation (Abraham et Torok, 1985), mais elle a encore une valeur positive avec une potentialité d’hystérisation. Le fait que les angoisses hypocondriaques s’exacerbent dans le temps même où disparaissent les crises douloureuses va dans le même sens. En revanche, ces dernières m’apparaissent, au niveau psychique, comme résultant à la fois de l’impasse elle-même et de l’effort de contention que la symptomatologie de caractère représente. Elles constitueraient une tentative d’autoguérison par rapport aux failles de l’investissement maternel précoce en même temps qu’elles portent la trace de sa nature, celle d’une préoccupation, probablement déjà prénatale, pour cette partie du corps de sa fille aînée, lieu de tous les dangers (y compris celui de la rivalité œdipienne) et de toutes les pertes. Les rapports entre sens et force s’y trouvent déjà présents, non pas en tant qu’investissement par le sujet lui-même, mais en tant que traces du jeu des modalités d’investissement – désinvestissement du sujet par son premier objet et, dans le même mouvement, du sens de ces modalités pour l’objet. Il y a un sens, mais il est chez l’objet – donc, dans le transfert, chez l’analyste –, il ne pouvait pouvait être appréhendé appréhendé par B. ellemême, du moins pendant un très long temps. Je serai tenté de penser que

c’est cette double trace – investissement-désinvestissement d’une part, sens de ces mouvements pour l’objet de l’autre – remontant à une époque reculée, qui ferait lit de la fixation somatique. La crise douloureuse survient à l’extrême de l’effort de contention en même temps qu’elle signale signale son échec : c’est seulement pendant pendant leurs crises que ces personnes peuvent se laisser aller et se mettent à l’abri, dans une sorte de cocon douloureux, qui forme le pendant négatif du cocon autogénéré autogénéré de B. chez elle (les rêveries). Ce double caractère – survenue à la place d’un moment d’effondrement des défenses et régression possible dans et à travers la symptomatologie

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somatique – a été noté par les auteurs psychosomaticiens depuis longtemps et paraît revêtir une valeur générale dans toutes les affections à caractère critique. Simultanément, la crise somatique éponge en quelque sorte l’effondrement psychique qui devrait alors apparaître. Il me semble qu’on assiste dans la crise à la transformation du mode de relation du sujet à lui-même d’une manière qui n’est pas sans évoquer la transformation d’une relation objectale en une relation narcissique sous l’effet d’un trauma (Ferenczi, 1931), mais avec une complication supplémentaire: il y aurait non pas deux niveaux, comme dans ce que Ferenczi décrit, mais il s’agirait, ainsi que je le disais il y a peu, d’une structure à trois étages que je retrouve maintenant dans les modes de relation d’objet. Le premier niveau, le plus superficiel, se manifeste dans la relation objectale où dominent la maîtrise et la captation. À l’abri de cette coque, il y a une relation de nature narcissique entre le sujet et son monde de rêveries, entre la partie caractérielle et le noyau pulsionnel. Enfin, lorsque cet équilibre est mis en danger, survient la crise somatique, qui représente en même temps le troisième niveau, que je vois comme la reprise au niveau du corps propre des aléas de la relation narcissique narcissiq ue primitive : investiss investissement, ement, désinvestissement, désinvestissement, détresse, tentative de maîtrise douloureuse par captation. De façon réciproque, la symptomatologie somatique disparaît progressivement au fur et à mesure que la contention par la carapace caractérielle s’atténue et que la relation, de narcissique, devient objectale, en d’autres termes que s’établit un lien transféral objectal. Ainsi, la crise a-t-elle un statut ambigu, signant l’échec de la défense identitaire, mais en même temps la reprise de cette problématique à un niveau narcissique élémentaire, celui du soma. Pour conclure, quelques brèves remarques sur les conséquences d’une telle façon de voir, qui me paraissent de la plus grande importance pour l’analyste. Car il est le dépositaire d’un sens qui n’apparaît pas comme énigme au sujet, mais comme non-sens alors même qu’il est inscrit dans son corps propre. Dès lors, ce n’est pas tellement de la nature imprévisible de son investissement par l’analyste que la personne doit se défendre ; tous ses efforts visent bien plutôt à se prémunir de ce qui qui pourrait apparaître, si on lui en laissait l’espace, comme un défaut ou une perte de sens dans la relation. La relation violente au père faisait sens. En revanche, le risque lié aux mouvements particuliers d’investissement et de désinvestissement maternel, pour chargé de sens qu’il fût, ne ne pouvait être vécu par B. que

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comme une perte de sens, d’autant plus redoutable qu’elle n’avait jamais été nommée comme telle (en même temps, se cantonnant dans la relation violente au père, prenant le parti de sa mère et évitant la dépression de transfert, elle épargnait celle-ci). C’est dans cette impasse que naît la symptomatologie somatique. Cela implique que ces cures ne trouvent leur issue que lorsqu’a pu se vivre dans le transfert l’écho des conditions ayant présidé à sa survenue, donc que l’analyste soit prêt à vivre une dépression de transfert. Pendant très longtemps, le travail est chez l’analyste, qui commence par faire fausse route et ne peut que faire fausse route. La question n’est pas en effet qu’il se trompe, mais bien comment la relation et le cadre analytiques vont survivre. survivre. Avec Avec B., j’avais commencé commencé par considérer considérer sa provocation à me mettre en échec comme l’expression d’un sadisme à mon égard et à l’interpréter comme tel. C’était vrai, mais comme l’aurait dit Winnicott, c’était six ans trop tôt. Car c’était aussi de ma part agir contre-transférentiellement une violence paternelle donnant prématurément forme à l’informe de son noyau pulsionnel et favoriser ainsi le mode relationnel qu’elle connaissait bien, l’automaintien par le refus de relation avec moi dans les séances d’une part, les rêveries dans le cocon de son chez-soi de l’autre. Le point important est le suivant suivant : avant qu’elle puisse reprendre reprendre ce sadisme à son compte, ce qui a été le mouvement ultérieur ultérieur de sa cure et a finalement permis que celle-ci se termine dans de bonnes conditions, il a d’abord fallu que je reconnaisse le poids de réalité de son histoire, « le noyau de vérité historiqu historiquee » dont Freud parle parle dans ses derniers derniers travaux, de L’homme Moïse à « Constr Construction uctionss » (Freud, (Freud, 1939, 1937). 1937). Prendre en considération ce noyau de vérité, c’est à mon sens ressentir et vivre pleinement dans le jeu transfert-contre-transfert le fait que la question fondamentale à ce stade réside dans la réponse de l’objet, en l’occurrence l’analyste. Comme je l’ai déjà relevé, c’est dans ce mouvement, allant d’une relation intranarcissique entre les deux éléments clivés à une relation objectale, que se résout la symptomatologie somatique. La question des fixations en psychosomatique nous fait ainsi aborder deux questions fondamentales de la psychanalyse contemporaine, celle de l’articulation théorique et clinique entre pulsionnalité et réponse de l’objet d’une part, et de son rôle dans l’éclosion des somatisations de l’autre, le soma devenant bruyant dans la faille entre ces deux éléments premiers. Si nos théories ne rendent compte que de manière très insatisfaisante de la compréhension des processus de

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somatisation, au moins ai-je l’espoir que mes réflexions auront fait toucher du doigt la nécessité de cette articulation dans le domaine qui est le nôtre. JACQUES PRESS 62, quai Gustave-Ador 1207 Genève

Bibliographie

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RÉSUMÉ

— Après avoir rappelé les lignes de force de la théorie des fixations chez

P. Marty Marty,, l’auteur la met en relation avec l’extension de la notion de régression dans l’œuvre de Winnicott. Il émet ensuite l’hypothèse que les maladies correspondant à des fixations somatiques dans la théorie martyienne correspondent à des enclaves psychotiques dans le soma. MOTS MO TS CL CLÉS ÉS

— Fixations somatiques. Régression. Régression à la dépendance absolue.

Maladies à crise.

SUMMARY

— The author reviews and links the main lines in the theory of fixation accor-

ding to P. P. Marty to the extension of the notion of regression in the work of Winnicott. Winnicott. He

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then hypothesizes that those illnesses corresponding to somatic fixations in Marty’s theory correspond to psychotic barriers in the soma. KEY-WORDS

— Somatic fixations. Regression. Regression to absolute dependence. Crisis

illnesses.

ZUSAMMENFASSUNG

— Nach einer Darstellung der Hauptzüge der Fixierungstheorie von

Pierre Marty, stellt der Autor diese Theorie in Beziehung zum Begriff der Regression im Werk Winnicotts. Er wirft danach die Hypothese auf, dass Krankheiten, die in der martyschen Theorie den somatischen Fixierungen entsprechen, den psychischen Enklaven im Soma gleichzustellen sind. STICHWÖRTER

— Somatische Fixierungen. Regression. Regression bis zur absoluten

Abhängigkeit. Krisenkrankheiten.

RESUMEN

— Tras haber recordado las lineas de fuerza de la teoría de las fijaciones de

P.Marty, el autor la relaciona con la extensión de la noción de regresión en la obra de WInnicott.Propone la hipótesis que las enfermedades correspondientes a las fijaciones somáticas en la teoría martyniana corresponden a terrenos psicóticos en el soma. PALABRA PA LABRASS CLA CLAVES VES

— Fijaciones somáticas. Regresión a la dependencia absoluta. absoluta. Enfer-

medades con crisis.

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