Duras

April 23, 2019 | Author: aliciaman | Category: Colonization, French Indochina, Reading (Process), Novels
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Classe de Première ☛ Le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours

Un barrage contre contr e le Pacifi acifique que Marguerite Duras

Édition de Lucile Beillacou Indochine, années 1920. Ruinée après l’l’acquisition acquisition d’un terrain incultivable,

Un barrage contre le Pacifique

Arrêt sur lecture 1 p. 34-38 Pour comprendre l’e l’essentiel ssentiel p. 53-54 Un cadre historique : l’Indochine coloniale � Le roman se déroule en Indochine française. En vous aidant des indications géographiques données (p. 28-29), cherchez à quel(s) pays actuels ce pays correspond désormais et quelles en sont ses caractéristiques (climat, végétation). L’Indochine française était une colonie qui correspond aujourd’hui au Cambodge, au Vietnam et au Laos. Ram et Kam sont les abréviations de Réam et Kampot, deux villes situées dans l’actuel Cambodge. Le climat est tropical (chaud et humide) comme le laissent supposer les vêtements légers que portent les personnages et les activités qu’ils pratiquent (baignade dans l’étang). Le paysage est propre à cette région d’Asie du Sud-Est : une plaine désertique envahie annuellement par les eaux du Pacifique (ou plus exactement la « mer de Chine »), le marigot et le rac, où se baignent les personnages du roman. La faune et la flore sont également typiques : la mère plante des « cannas » (plantes tropicales), tandis que les paysans se protègent des fauves en allumant des « feux de bois vert ». ».

 .    d    r    a    m    i    l    l    a    G    s    n    o    i    t    i    d     É     /    n    i    l    e    B    s    n    o    i    t    i    d

� L’Indochine française n’existe plus aujourd’hui car ce pays est lié à une période révolue de notre histoire, la colonisation. Recherchez ce terme sur Internet et expliquez-en le principe en quelques lignes. Relevez ensuite des pages 13 à 52 tous les éléments du quotidien propre à cette époque. La époque. La colonisation est une pratique qui consiste, pour un pays, à occuper et exploiter un autre territoire que le sien en le plaçant sous tutelle politique. Annexée à la fin du XIXe siècle, l’Indochine est alors gouvernée par la France qui monopolise notamment le commerce de l’opium, du sel, puis du caoutchouc au XXe siècle. Cette colonie est divisée en de multiples parcelles appelées concessions concessions,, chacune étant vendue à des colons ou à des indigènes au prix fort. La mère de Joseph obtient de l’administration coloniale une de ces concessions, mais cette dernière se révèle incultivable. Le premier chapitre décrit le quotidien de cette famille de colons pauvres qui habite une maison sur pilotis pour se protéger de la montée annuelle des eaux. La mère tente en vain de cultiver sa parcelle tandis que Joseph s’adonne à la chasse la nuit et, le jou r, transporte des voyageurs

Arrêt sur lecture 1

dans sa carriole afin de gagner un peu d’argent. Le 2 e chapitre se déroule à « la cantine de Ram », le jour du courrier, qui est un des événements majeurs dans la région, puisqu’il marque l’arrivée souvent temporaire de nouvelles personnes : des officiers de marine, des fonctionnaires, des passagers, et cette fois-ci, M. Jo, un riche homme d’aff d’affaires. aires. � Même si le narrateur n’intervient pas directement, on devine ce qu’il pense de la période coloniale. Montrez qu’il la condamne et expliquez l’expression « vam pirismee colonial  pirism colonial » (p. 23). 23). Le  Le narrateur condamne le système colonial en mettant en scène les mésaventur mésaventures es de la mère, victime de la malhonnêteté des agents coloniaux. Il dénonce leur corruption, leur avidité et la logique de profit qui régit la colonie, ce qui conduit d’innombrables familles à la ruine, comme le souligne l’accumulation « ils avaient installé, installé, ruiné, chassé, réinstallé, et de nouveau ruiné et de nouveau chassé, peut-être une centaine de familles » (p. 24). En effet, les agents du cadastre vendent sciemment des concessions incultivables. Comme celles-ci ne sont « jamais accordées que conditionnellement » (p. 24), l’administration les récupère si elles ne sont pas mises en culture, et s’enrichit ainsi au détriment des colons floués. L’expre ’expression ssion « vampirisme colonial » traduit la cupidité et la corruption du système colonial qui dépouille sans scrupule des centaines de familles.

Un triangle familial � Le premier chapitre (p. 13-32) met en scène le triangle familial qui est au cœur de l’ensemble du roman. Identifiez les trois personnages de ce triangle et précisez leur nom s’il est donné. Analysez les relations qui unissent chacun des membres de la famille. Le famille. Le chapitre met en scène d’emblée Joseph, sa sœur Suzanne et leur mère, dont le nom ne sera jamais révélé. Joseph est un être frustre et grossier, qui s’exprime avec brutalité et familiarité. Il tient le rôle du chef de famille et semble être le seul à oser s’opposer à sa mère, comme lorsqu’il refuse de vendre le phonographe ou décide d’aller chasser la nuit. Suzanne est une jeune fille rêveuse et craintive, notamment face à sa mère qui la réprimande et la brutalise sans cesse : « La mère s’élança vers sa fille et essaya de la gifler » (p. 16). Elle est en admiration devant son frère dont elle guette le moindre signe ; elle l’attend par exemple pour aller se baigner et reste auprès de lui pour se protéger de leur mère : «Quand elle était avec lui, la mère criait moins » (p. 18). � Même s’il est peu décrit, le personnage de la mère est omniprésent au début de la première partie. Relevez et analysez ses caractéristiques. Le caractéristiques. Le portrait physique de la mère est à peine ébauché : on sait seulement qu’elle a « une mince natte de cheveux gris » et qu’elle porte une large « robe grenat, taillée dans un

Un barrage contre le Pacifique

pagne indigène » (p. 15). Son caractère est complexe et ambivalent. Le récit de sa vie, entre malheurs et échecs, explique en partie son humeur lunatique et ses « crises» : « Le docteur faisait remonter l’origine de ses crises à l’écroulement des barrages » (p. 20). Elle fait preuve d’une obstination maladive et irrationnelle : elle s’acharne à vouloir cultiver sa concession malgré ses multiples échecs. Son attitude vis-à-vis de ses enfants est tout aussi surprenante : tantôt brutale et agressive, tantôt maternelle et douce, à l’instar d’un animal avec ses petits : « Quand il s’agissait de les gaver, elle était toujours douce avec eux » (p. 30). Son comportement n’est pas le même avec ses deux enfants : tandis qu’elle semble craindre et respecter Joseph, elle n’hésite pas à s’en prendre à Suzanne et à se servir d’elle. Elle se montre ainsi aimable envers M. Jo, dont la richesse laisse entrevoir un espoir, et elle invite Suzanne à l’imiter. � Bien que le récit suive dans l’ensemble une progression linéaire, le narrateur opère à plusieurs endroits des retours en arrière. Relevez, des pages 13 à 52, ceux qui concernent le personnage de la mère et expliquez leur rôle. Le premier chapitre comporte un retour en arrière qui retrace rapidement l’histoire de la mère (enfance, mariage, départ de France, décès du mari) et évoque l’achat de la concession et le projet de construction de barrages. Dans le 2 e chapitre, une seconde analepse détaille l’échec de ces barrages érigés pour cultiver la concession. Ces analepses permettent de comprendre le parcours de la mère et d’expliquer en partie son attitude, pour le moins surprenante: « Depuis l’écroulement des barrages, elle ne pouvait presque rien essayer de dire sans se mettre à gueuler, à propos de n’importe quoi » (p. 20). Elles placent d’emblée le personnage au centre du roman.

Une rencontre déterminante

 .    d    r    a    m    i    l    l    a    G    s    n    o    i    t    i    d     É     /    n    i    l    e    B    s    n    o    i    t    i    d

� L’annonce de la rencontre avec M. Jo est faite au début du texte. Relevez-la et expliquez sa fonction. La rencontre avec M. Jo est annoncée de façon solennelle dès la première page : « Et c’est le lendemain à Ram qu’ils devaient faire la rencontre qui allait changer leur vie à tous ». Cette phrase suscite la curiosité du lecteur et crée un effet d’attente autour de cette mystérieuse rencontre. L’impatience du lecteur est accentuée par les déclarations répétées de Joseph relayées par celles de Suzanne : « demain on ira à Ram » (p. 27), « on ira demain, dit Joseph, et c’est pas à Ram que tu trouveras, ils sont tous mariés » (p. 30), « demain on va à Ram » (p. 32). � M. Jo se distingue immédiatement des autres personnages par sa position sociale. Montrez-le et analysez l’effet qu’il produit sur les autres personnages.

Arrêt sur lecture 1

M. Jo se distingue des autres personnages par sa richesse, comme le montre son automobile garée devant la cantine de Ram (« une magnifique limousine à sept places » avec un chauffeur « en livrée » (p. 33)) et le confirme par sa tenue vestimentaire : « un costume de tussor grège », « un feutre », mais surtout « un magnifique diamant » au doigt (p. 35). La mère est en admiration devant tous ces signes extérieurs de richesse et pense immédiatement au profit qu’elle pourrait tirer de M. Jo : elle incite sa fille à se montrer aimable afin d’obtenir les faveurs de ce riche planteur. Joseph, s’il salue la beauté de son automobile, éprouve pour lui un mépris immédiat : « Merde, quelle bagnole […]. Pour le reste, c’est un singe » (p. 35) � Pendant la soirée à la cantine de Ram, toute la famille se met à rire devant les remarques de Joseph. Dites ce qu’exprime ce rire. Analysez la façon dont se comporte M. Jo durant cette scène. Pendant la soirée, Joseph évoque sur un mode tragi-comique la misère de sa famille symbolisée par le mauvais état de leur véhicule ainsi que l’échec pitoyable du projet de construction des barrages. Suzanne et la mère rient en chœur à l’écoute de ce récit pathétique. Pourtant, ce rire nerveux et automatique traduit davantage la détresse et le désespoir de cette famille sans avenir que la gaieté. C’est également un moyen de mettre à distance leur malheur et donc de l’atténuer : « Les barrages de la mère dans la plaine, c’était le grand malheur et la grande rigolade à la fois, ça dépendait des jours » (p. 43). M. Jo ne peut comprendre leur hilarité et attend patiemment qu’elle cesse : « M. Jo les regardait avec l’air de quelqu’un qui se demande si ça va finir un jour. Mais il écoutait patiemment » (p. 42).

Vers l’oral du Bac p. 55-57 Analyse des lignes 1 à 30, p. 13-14 ☛ Montrer

que cet incipit est surprenant et déroutant

 Analyse du texte I. Une ouverture déconcertante a. Quelques précisions sont apportées sur le cadre spatio-temporel. Relevez ces informations et analysez les caractéristiques du cadre où se situe l’action. Les informations apportées sur le cadre spatio-temporel sont peu nombreuses. — Le lieu : le roman se déroule dans une plaine désertique et plusieurs expressions le rappellent : « leur coin de plaine saturé de sel », « un désert où rien ne

Un barrage contre le Pacifique

pousse », « sur leur coin de plaine, dans la solitude et la stérilité de toujours ». Cet endroit isolé et incultivable est relié au monde extérieur, et notamment à la ville de « Ram », grâce à une piste. Ces indications laissent supposer que le récit prend place dans une région chaude et exotique bordée par le Pacifique. — L’époque : aucune indication n’est donnée sur la période historique. En revanche, on sait que « huit jours» séparent l’achat du cheval de sa mort. b. Les personnages du cercle familial sont introduits mais ils sont à peine ébauchés. Analysez les rares informations données et montrez que les personnages sont volontairement présentés de façon collective, en étudiant notamment les  pronoms. Les trois personnages sont présentés de façon collective à travers les expressions « tous les trois », « à eux trois », « tous les trois ». Même si le nom de « Joseph » est mentionné et que « la mère » est évoquée, le triangle familial constitue dans cet incipit un tout inséparable. Le narrateur met en scène ses personnages comme s’ils faisaient partie d’une même entité qui pense et agit en chœur : l’emploi des pronoms « ils» et « eux», de l’indéfini « on » et du possessif « leur » le montre. L’achat et la mort du cheval touchent de la même façon les membres de la famille. c. L’incipit suscite l’attente du lecteur. Montrez de quelle façon. Tout d’abord, le cadre et les personnages ne sont qu’esquissés et le lecteur est incité à lire la suite du roman pour en apprendre davantage. De plus, le narrateur annonce un événement à travers la répétition de l’adverbe « le lendemain » : la curiosité du lecteur est ainsi aiguisée. Cette attente est renforcée par l’affirmation « une idée est toujours une bonne idée », qui laisse enfin présager un événement heureux au sein de cette famille dominée par la solitude et le désespoir.

II. Une voix narrative originale

 .    d    r    a    m    i    l    l    a    G    s    n    o    i    t    i    d     É     /    n    i    l    e    B    s    n    o    i    t    i    d

a. Dans la majeure partie de l’extrait, le narrateur adopte un point de vue i nterne. Montrez que ce choix permet de mettre en évidence la solitude et le désespoir absolus de la famille. Le narrateur décrit la scène en adoptant le point de vue de la famille comme le montre l’emploi du modalisateur « Il leur avait semblé » et des verbes « ils se sentaient » et « ils décidèrent ». Cette focalisation interne met en évidence la solitude et l’ennui des personnages soulignés par les expressions « ils se sentaient moins seuls », « jusqu’à eux trois saturés d’ennui et d’amertume ». Dans cette situation désespérée et sans issue, l’achat du cheval constitue un événement capital puisqu’il prouve que les personnages sont encore capables d’avoir des idées et d’« extraire quelque chose de ce monde ». Cette expression est répétée puis reprise (« faire sortir quelque chose »), ce qui souligne l’importance que

Arrêt sur lecture 1

revêt cet achat pourtant dérisoire. La mort du cheval n’en est que plus dramatique, comme l’indique la r épétition du terme « dégoûtés ». b. Le narrateur intervient au présent à la fin d e l’extrait pour commenter l’action. Analysez la vision qu’il offre de la vie à travers sa conception des bonnes ou mauvaises « idées ». L’affirmation du narrateur est la suivante : « une idée est toujours une bonne idée, du moment qu’elle fait faire quelque chose »; il démontre alors sa thèse grâce à un raisonnement logique et structuré. Il introduit deux concessions à travers la répétition de la conjonction de subordination « même si » : « même si tout est entrepris de travers », « même si tout échoue lamentablement ». Le narrateur anticipe ces deu x objections et les rejette en se justifiant : « parce qu’alors il arrive au moins qu’on finisse par devenir impatient. » Selon lui, l’immobilisme et la passivité ne peuvent conduire qu’à la mort, c’est pourquoi il faut absolument éviter cette tentation en s’activant, quelle que soit la manière. Toute idée, tout mouvement, toute initiative, peu importe leur nature, valent mieux que le néant car elles sont synonymes d’envie et donc de vie. c. La voix narrative s’appuie sur une écriture originale, qu i joue sur les contrastes (rythme, niveau de langue). Analysez-les et précisez leur fonction. Dans l’incipit, l’écriture est principalement fondée sur la répétition de mots et de structures, qui crée un rythme lancinant et donne l’impression qu’une force invisible est à l’œuvre et agit irrémédiablement. Le premier paragraphe procède ainsi par la répétition d’expressions successives : « c’était une bonne idée » / « c’était une idée », « même si » (répété trois fois), « d’en extraire quelque chose » (répété deux fois), « ce n’était pas grand-chose » / « c’était misérable », « jusque-là » / « jusqu’à » (deux fois), « à ceux qui vivent ailleurs » / « à ceux qui sont du monde ». La répétition est parfois identique, parfois légèrement différente, comme si l’écriture progressait par touches successives et par cycles, et devenait cohérente une fois le cycle achevé. Ce choix, bien que spécifique à l’écriture durassienne, traduit, dans la scène étudiée, l’ennui et l’enfermement mortifère que les personnages s’efforcent de fuir. Par ailleurs, l’écriture utilisée se distingue également par le mélange des niveaux de langue. Le vocabulaire présent est relativement simple, mais certaines expressions imagées et poétiques comme « jusqu’à eux trois saturés d’ennui et d’amertume » contraste avec l’emploi de termes familiers tels que le verbe « il creva ». Cette opposition déroute le lecteur en le confrontant à une écriture variée qui bouleverse les codes traditionnels.

Un barrage contre le Pacifique

III. Un incipit efficace a. L’incipit annonce de façon synthétique ce qui va se produire dans les cha pitres qui suivent. Montrez-le en vous appuyant notamment sur l’analyse des temps verbaux. L’incipit résume ce qui va se passer dans la suite du chapitre : de l’achat du cheval à sa mort et à la décision de partir pour Ram. L’achat du cheval est relaté au plus-que-parfait et à l’imparfait : « Il leur avait semblé que c’était une bonne idée d’acheter ce cheval. » Puis sa mort est évoquée à l’imparfait et au passé simple, qui sont les temps dominants du récit. Enfin, le conditionnel « ils iraient » annonce la décision de la famille de se rendre à la ville. L’incipit synthétise ainsi l’anecdote du cheval ; la suite du chapitre est une analepse et sera consacrée à la lente agonie de l’animal. b. Les thèmes de l’échec et de la mort sont omniprésents dans le passage. Montrez que cela laisse présager la suite du roman. L’échec et la mort sont exprimés par plusieurs termes : « misérable », « ennui », « amertume », « vieux », « vieillard centenaire », « creva », « dégoûtés », « moribonds ». Ces deux thèmes annoncent les échecs passés et futurs de cette famille misérable, mais surtout de la mère, désespérée en raison de l’écroulement des barrages et de l’impossibilité de cultiver sa concession. Néanmoins, la mort du cheval n’est pas uniquement source de désespoir puisqu’elle incite la famille à agir. c. L’extrait annonce l’arrivée d’un événement capital. Analysez la façon dont est faite cette prolepse. La prolepse est formulée de façon solennelle : « Et c’est le lendemain à Ram qu’ils devaient faire la rencontre qui allait changer leur vie à tous. » L’emploi de l’adjectif indéfini « tous » montre que le bouleversement à venir concernera les trois membres de la famille. Le développement du narrateur sur les bonnes idées ne fait que renforcer l’attente du lecteur, qui sait désormais que cette rencontre aura forcément un aspect positif puisqu’elle extrait enfin la famille de son ennui et de sa torpeur.

Les trois questions de l’examinateur  .    d    r    a    m    i    l    l    a    G    s    n    o    i    t    i    d     É     /    n    i    l    e    B    s    n    o    i    t    i    d

Question 1. L’incipit d’ Un Barrage contre le Pacifique est un incipit in medias res. Expliquez le sens de cette expression et dites pourquoi les écrivains y ont souvent recours. Un incipit in medias res place le lecteur dans une histoire déjà commencée sans explication préalable. L’un des plus célèbres de ces incipit est celui de La Condition humaine d’André Malraux, dans laquelle on découvre un personnage sur le point d’en assassiner un autre sans qu’aucune information ne soit donnée sur le contexte. Ce type d’incipit permet à l’auteur de surprendre son lecteur et de capter son attention dès les premières pages. Le but est bien entendu de susciter sa curiosité pour l’inciter à lire la suite de l’œuvre.

Arrêt sur lecture 1

Question 2. Dans l’incipit, la famille est présentée de façon collective et forme un tout indissociable. En sera-t-il de même dans la suite du roman ?  Le triangle familial est d’abord bouleversé par l’arrivée de M. Jo : la relation privilégiée qu’il entretient avec Suzanne instaure un nouvel ordre. La jeune fille est désormais responsable du destin de la famille, comme le lui rappelle sans cesse sa mère. Cependant, M. Jo ne parvient pas à remettre en cause le cercle familial, dont il est exclu par Joseph, et son départ paraît inévitable. C’est dans la deuxième partie du roman que le triangle familial est véritablement brisé avec le départ de Joseph et, à la fin du roman, la mort de la mère. Question 3. L’incipit accorde une place importante au cheval, qui devient  presque un personnage à part entière. À votre avis, que symbolise-t-il? Le cheval symbolise à la fois l’échec et l’espoir de la famille, et préfigure ainsi le cycle infernal qui animera celle-ci tout au long du roman. Lien infime qui relie la famille au monde extérieur, le cheval représente d’abord l’espoir d’une vie meilleure. Mais sa mort plonge à nouveau le trio dans le cycle infernal de l’échec et du désespoir. Cependant, il représente malgré tout « quelque chose » et ce « quelque chose », aussi dérisoire soit-il, est préférable au néant. L’achat du cheval est d’ailleurs à l’origine de la rencontre capitale avec M. Jo qui va bouleverser le quotidien de la famille. Néanmoins, le cheval demeure lié à la mort en raison du parallèle dressé entre l’agonie de cet animal, décrite dans le premier chapitre, et le déclin progressif de la mère : « Le caporal et sa femme la regardaient comme elle, un mois avant, avait regardé le cheval » (p. 245).

Un barrage contre le Pacifique

Arrêt sur lecture 2 p. 132-136 Pour comprendre l’essentiel p. 132-133 Le diamant, un objet de fascination � L’exhibition des diamants par M. Jo (p. 102) est précédée d’une description des enfants de la plaine. Analysez le message que cherche à faire passer l’auteur à travers ce contraste. Dans le 6e chapitre, le narrateur décrit longuement la misère des indigènes, dont les enfants meurent de faim sans que les autorités ne réagissent : « Et les bouches roses des enfants étaient toujours des bouches en plus, ouvertes sur la faim » (p. 97). L’emploi de la synecdoque symbolique de la « bouche » renforce la dénonciation en suscitant la pitié et l’indignation des lecteurs. La juxtaposition de cette description à la fois pathétique et polémique avec la scène des diamants met en évidence les profondes inégalités du système colonial : tandis que certains s’enrichissent grâce aux plantations et ne savent que faire de leur argent, d’autres n’ont même pas de quoi nourrir leurs enfants. La mise en regard de ces deux épisodes crée un contraste scandaleux. � Suzanne est fascinée par le diamant, cette « clé qui ouvrait l’avenir et scellait définitivement le passé » (p. 103). Expliquez cette expression. Suzanne le déclare clairement : le diamant ne vaut pas pour sa beauté ou son éclat, mais pour l’argent et les possibilités qu’il représente. Il scelle donc le passé, marqué jusque-là par la misère, l’échec et l’ennui, et ouvre l’avenir, dans la mesure où il rend tous les projets et les rêves possibles. La pauvreté dans laquelle Suzanne a grandi ne l’a pas habituée à manipuler des objets d’une si grande valeur ; le diamant constitue donc un véritable sésame qui finit par lui donner le vertige : « Elle se renversa sur le talus et ferma les yeux sur ce qu’elle venait d’apprendre » (p. 103).  .    d    r    a    m    i    l    l    a    G    s    n    o    i    t    i    d     É     /    n    i    l    e    B    s    n    o    i    t    i    d

� Joseph demande à sa sœur de rendre le diamant à M. Jo. Expliquez pour quelle raison. Joseph a toujours éprouvé un profond mépris pour M. Jo, mais il le tolérait tant que certaines limites n’étaient pas dépassées avec sa sœur. Or, M. Jo, en apportant les diamants dont il a déjà souvent parlé à Suzanne, cherche simplement à troquer la virginité de la jeune fille contre un de ces bijoux. Joseph s’en aperçoit et c’est pourquoi il ordonne à sa sœur de rendre le diamant. Il refuse qu’elle soit traitée comme une prostituée et il affirme d’ailleurs plus loin : « Elle peut avoir qui elle veut » (p. 130).

Arrêt sur lecture 2

La mère ou la folie du désespoir � Une fois le diamant en sa possession, la mère se met à battre sans relâche Suzanne. Expliquez, selon vous, ce que signifie cette violence inattendue et quels sentiments elle traduit. Avant même de frapper Suzanne, plusieurs signes avantcoureurs annoncent la folie qui s’empare soudainement de la mère : sa voix « mauvaise», ses joues rouges et la « raideur de tout son corps » (p. 109). Le personnage n’a jamais eu en sa possession un objet d’une telle valeur et cela la rend « saoule », « malade». Le narrateur s’interroge d’ailleurs: « Quelle jeunesse, quelle vieille ardeur refoulée, quel regain de quelle concupiscence jusque-là insoupçonnée s’étaient donc réveillés en elle à la vue de la bague ? » (p. 110). Le diamant exerce sur la mère une fascination mêlée de dégoût, et fait ressurgir tous ses échecs et ses malheurs passés. L’accusation qu’elle porte contre Suzanne (d’avoir couché avec M. Jo) n’est qu’un prétexte à ce déchaînement de violence incontrôlable : « En la battant, elle avait parlé des barrages, de la banque, de sa maladie, de la toiture, des leçons de piano, du cadastre, de sa vieillesse, de sa fatigue, de sa mort. » � La mère est obsédée par l’argent. Relevez dans son comportement les éléments qui le montrent. Tout d’abord, elle désire marier sa fille à M. Jo et elle l’invite à lui demander tous les jours s’il est prêt à l’épouser. Elle use même de stratagèmes pour attiser le désir de M. Jo en imposant un nouveau lieu de rencontre : « elle décida qu’ils ne devaient plus rester seuls à l’intérieur du bungalow […]. Sans doute trouvait-elle que ce n’était plus suffisant pour exaspérer l’impatience de M. Jo » (p. 93). La m ère sait que cette union avec un riche planteur mettrait fin aux problèmes d’argent de la famille et lui permettrait de réaliser son rêve : acheter et cultiver sa concession. Par ailleurs, quand Suzanne lui présente le diamant, sa première réaction est de le regarder de loin, puis de le prendre et de le cacher. Son obsession pour l’argent est soulignée par son incapacité à rendre la bague : « Car il lui était déjà impossible de la rendre, c’était sûr » (p. 110). Elle s’approprie l’objet et imagine tous les projets qu’elle va pouvoir réaliser. Cette attitude met en évidence sa cupidité. � En raison de sa personnalité complexe, il est difficile de juger la mère et de la condamner sans appel. Le narrateur la qualifie de « désespérée de l’espoir même » (p. 115). Expliquez cette expression et dites si elle correspond à l’image que vous vous faites de ce personnage. Cette expression paradoxale présente la mère comme un personnage avant tout pathétique. Durant sa vie, la mère a conçu des projets qui se sont tous soldés par des échecs : l’achat de la concession, la construction des barrages, les lettres aux agents, etc. Ses échecs répétés l’ont

Un barrage contre le Pacifique

conduite à renoncer à l’espoir même. À force d’espérance et de rêves, elle est devenue absolument désespérée. Ce sort cruel et ironique la rend donc digne de pitié.

Le départ de M. Jo � Quand M. Jo revient voir Suzanne, cette dernière lui demande de partir définitivement (p. 121). Analysez la réaction de M. Jo à cette annonce. La première réaction de M. Jo est l’incompréhension : il ne comprend pas pourquoi Suzanne lui demande de partir alors qu’il lui a donné le diamant la veille. Il croyait que cet objet de valeur permettrait d’« acheter » la famille et de résoudre tous les problèmes. Son malaise est perceptible à travers son attitude : il a l’« air égaré », sa voix est « assourdie » et il transpire. Il est partagé entre un sentiment de souffrance, dicté par son amour pour Suzanne, et un sentiment d’amertume, puisque celle-ci ne l’a  jamais aimé et ne désirait que son argent. Son « rire forcé» traduit cette prise de conscience : « Vous êtes profondément immoraux » (p. 123), affirme-t-il. � Le départ de M. Jo suscite des sentiments variés. Analysez l’état d’esprit de chacun des membres de la famille. Joseph est celui qui prend la décision de rompre avec M. Jo en se justifiant ainsi : « Même si elle [Suzanne] a rien, je veux pas que ce soit avec lui qu’elle couche » (p. 119). Il éprouve donc une profonde satisfaction à son départ comme l’indique sa remarque « C’est pas trop tôt… » (p. 123). Suzanne, quant à elle, obéit à son frère et semb le indifférente : « Mais il en était de sa souffrance [celle de M. Jo] comme de son auto, elle était plus encombrante et plus laide que d’habitude et aucun fil, si mince fût-il, ne pouvait vous retenir à elle » (p. 122). Elle n’a jamais éprouvé aucun amour pour M. Jo et l’avis de Joseph est bien plus important à ses yeux. Enfin, la mère est la seule à s’opposer à la décision de Joseph et est « crucifiée » par le départ de M. Jo. Sa tristesse s’explique « parce que le diamant qu’elle avait caché serait le seul de sa vie et que la source en était tarie » (p. 128). Ce n’est donc pas tant le départ du personnage qui la rend mélancolique que la disparition, pour elle, de tout espoir de richesse qu’il représentait.  .    d    r    a    m    i    l    l    a    G    s    n    o    i    t    i    d     É     /    n    i    l    e    B    s    n    o    i    t    i    d

� Le départ de M. Jo et l’acquisition du diamant ouvrent de nouvelles perspectives à la fin de la première partie. Détaillez-les. Le premier projet de la famille est de partir en ville pour vendre le diamant : l’argent qu’il représente laisse la mère songeuse. Elle espère rembourser ses dettes, racheter sa concession et commencer de nouvelles plantations. Le séjour en ville offre également un horizon infini de possibles à Joseph et Suzanne, qui quittent temporairement l’ennui stérile et la solitude de la plaine pour le foisonnement de la ville. Enfin, le départ de M. Jo libère Suzanne du projet de mariage imaginé par sa mère.

Arrêt sur lecture 2

Vers l’oral du Bac p. 134-136 Analyse des lignes 2402 à 2449, pages 96-97 ☛ Analysez

en quoi le ton volontairement neutre du narrateur est une arme de dénonciation I. Un ton volontairement neutre a. Le début de l’extrait énumère les étapes de la vie des enfants de la plaine. Montrez que cette description factuelle est organisée de façon méthodique et qu’elle met en avant le dénuement des enfants. Au début de l’extrait, plusieurs indications temporelles ou connecteurs scandent les étapes de la vie des enfants de la plaine : « Jusqu’à un an environ », « jusqu’à l’âge de douze ans », « Ensuite », « À un an ». Le narrateur décrit de façon objective et méthodique la misère de ces enfants: « on leur rasait la tête » pour éviter les poux, ils sont « nus » jusqu’à un an, puis sont confiés à « des enfants plus grands ». L’emploi de l’imparfait (« vivaient », « rasait », « couvraient », « lâchait ») montre que la situation évoquée est récurrente et banale : elle concerne tous les enfants de la plaine depuis des dizaines d’années. b. Le narrateur adopte un ton détaché en apparence et qui ne manifeste pas d’émotion particulière. Dans cette perspective, analysez la façon dont sont  présentés les enfants, assimilés tantôt à une masse indéfinie, tantôt à des animaux. Les enfants ne sont pas individualisés mais sont présentés comme une masse indéfinie, ce qui empêche toute identification et atténue, en apparence, le pathétique de la situation. Ils sont ainsi désignés par les expressions génériques « les enfants » ou « les enfants de la plaine », reprises ensuite par le pronom pluriel « ils » et l’indéfini « d’autres » répété à quatre reprises. Une comparaison les assimile explicitement à des animaux : « Les enfants retournaient simplement à la terre comme les mangues sauvages des hauteurs, comme les petits singes de l’embouchure du rac » (p. 97). Cette analogie est rappelée par l’attitude des enfants, « perchés sur les branches », et par le fait qu’ils se nourrissent « des mêmes vers que les chiens errants ». L’animalisation des enfants de la plaine participe de ce ton apparemment détaché du narrateur et permet de mieux dénon cer l’horreur de leur situation. b. La mort des enfants est présentée comme un événement triste mais sans importance, obéissant à un cycle naturel. En vous appuyant sur le temps des verbes et la structure des phrases, relevez les éléments qui le montrent dans l’attitude des parents et dans le discours du narrateur.  L’extrait est fondé sur la

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répétition du verbe mourir : « il en mourait tellement », « ils mouraient », « il fallait bien qu’il en meure ». La mort est omniprésente et présentée comme inévitable : l’emploi de l’imparfait montre qu’il s’agit d’un cycle naturel et constamment renouvelé. La mort des enfants de la plaine est si fréqu ente qu’elle en est devenue banale et ne suscite plus aucune réaction de la part des parents : « Il en mourait tellement qu’on ne les pleurait plus et depuis longtemps déjà on ne leur faisait pas de sépulture. » Ils sont « simplement » enterrés par leur père dans « un petit trou devant la case ». Cette indifférence est renforcée par le ton apparemment neutre du narrateur qui dresse un simple constat de la situation sans la dénoncer explicitement, ce qui donne encore plus de poids au récit et suscite chez le lecteur un sentiment de révolte.

II. Une dénonciation implicite mais virulente a. L’extrait comporte de nombreuses rép étitions ou anaphores. Montrez que ces figures de style traduisent la résignation du narrateur face à une situation présentée comme une fatalité, ou du moins comme l’accomplissement d’un cycle inévitable. L’ensemble du premier paragraphe est structuré par une succession de répétitions qui traduisent le caractère inévitable de la situation : « il en mourait tellement » (deux fois), « simplement » (deux fois), « mangues » (quatre fois). Ces répétitions instaurent un rythme lancinant et miment le cycle mortifère qui se reproduit irrémédiablement : les enfants retournent « à la terre » tout comme la faune et la flore. Les indications temporelles « Chaque année » et « l’année d’après » donnent l’impression qu’une fatalité est à l’œuvre et que les hommes ne peuvent lutter contre celle-ci. Les expressions « prenaient leur place » et « à leur tour » mettent en évidence l’existence de ce cycle infernal et incoercible. Quand l’absorption des mangues n’emporte pas les enfants, un autre élément s’en charge, ce que sou ligne l’emploi de l’anaphore « d’autres » : « D’autres se noyaient », « D’autres encore mouraient d’insolation », « D’autres […] mouraient étouffés ». Le narrateur se montre résigné devant cette situation tragique.

 .    d    r    a    m    i    l    l    a    G    s    n    o    i    t    i    d     É     /    n    i    l    e    B    s    n    o    i    t    i    d

b. Le détachement du narrateur n’est qu’apparent ; il éprouve en réalité de la compassion pour ces familles démunies. Analysez les éléments qui en témoignent. Montrez aussi qu’il critique l’attitude des « blancs », quand ils sont mentionnés dans le texte. Le narrateur ne fait jamais appel explicitement à la pitié de son lecteur mais certaines images ou expressions révèlent sa compassion. Tout d’abord, il ne cesse de rappeler la misère et la faim des enfants de la plaine comme le montre l’emploi à deux reprises du verbe « affamés» (p. 97). La synecdoque « et les bouches des enfants étaient toujours des bouches en plus, ouvertes sur leur faim » donne une image pathétique de ces êtres frappés par la famine. De même,

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le narrateur a souvent recours à des images poétiques pour mieux marquer l’esprit de ses lecteurs : « car l’impatience des enfants affamés devant les mangues vertes est éternelle.» Par ailleurs, l’attitude des blancs est critiquée au début de l’extrait : leur « dégoût» devant la façon dont les indigènes nourrissent leurs enfants paraît ridicule et déplacé au regard de la misère ambiante. La question rhétorique « Qu’est-ce ces dégoûts-là pouvaient bien représenter dans la plaine ?» souligne ce contraste. c. Dans le dernier paragraphe, le narrateur tend à démontrer que la mort des enfants est un mal nécessaire. Relevez les connecteurs logiques qui articulent son raisonnement et montrez que l’auteur reprend ici de façon ironique l’argumentation des colons pour mieux la dénoncer. Le second paragraphe commence par l’affirmation laconique suivante : « Il fallait bien qu ’il en meure », répétée quelques lignes plus loin. La nécessité exprimée par la forme impersonnelle « il fallait» et le fait de réduire les enfants à leur nombre en utilisant le pronom « en» révèlent tout le cynisme du propos. La justification de ces morts est introduite par le connecteur « car »: « car si […] les enfants de la plaine avaient cessé de mourir, la plaine en eût été à ce point infestée que sans doute, faute de pouvoir les nourrir, on les aurait donnés aux chiens […]. » D’où la conclusion logique : « Il en mourait donc […]. » Le terme « infestée» assimile les enfants à des parasites, des microbes, dont on voudrait se débarrasser. Cette vision est renforcée par la façon dont est présentée la naissance des enfants : un processus effrayant qu’on ne peut arrêter, ce qu’illustrent les propositions « les enfants, eux, naissaient toujours avec acharnement » ou « il en naissait toujours ». Le narrateur reprend ici avec ironie l’argumentation que l’on imagine être celle de l’administration coloniale pour ne pas agir contre ce fléau. Il dénonce l’immobilisme du gouvernement et le cynisme dont il fait preuve. Il fait clairement la distinction entre cette administration incompétente et insensible et les habitants de la plaine qui s’efforcent de cultiver leurs terres comme ils le peuvent : « Mais la plaine ne donnait toujours que ce qu’elle pouvait de riz, de poisson, de mangues, et la forêt, ce qu’elle pouvait aussi de m aïs, de sangliers, de poivre. » La répétition de « pouvait » indique que la nature et les hommes ne sont pas en cause ; c’est à l’administration d’agir.

Les trois questions de l’examinateur Question 1. Les enfants deviennent dans le roman le symbole de la pauvreté et incarnent les victimes du système colonial. À l’inverse, par quels personnages et quels objets la richesse et les gagnants de ce système sont-ils symbolisés ? Dans la première partie, les gagnants du système sont représentés par les agents du cadastre et M. Jo, fils d’un riche planteur du Nord. Le père de ce dernier s’est

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enrichi en spéculant sur des terrains limitrophes de la plus grande ville de la colonie, puis en rachetant des exploitations de caoutchouc en déclin. Tout comme l’administration coloniale, il a profité d’un système injuste et corrompu et est devenu prospère au détriment de gens qu’il a trompés et dépouillés. Dans la seconde partie, c’est Barner qui, en tant qu’homme d’affaires, a su tirer parti du système colonial. Les objets qui symbolisent cette richesse mal acquise sont principalement la limousine de M. Jo et le diamant tant convoité par la mère. Question 2. Le narrateur explique dans le dernier paragraphe que les enfants doivent mourir car la terre régulièrement inondée ne peut les nourrir tous. En quoi cette justification est-elle insupportable ? Cette justification est insupportable car elle présente la mort des enfants non seulement comme une fatalité mais surtout comme une nécessité. Elle révèle la profonde inégalité et inhumanité du système colonial : les indigènes sont considérés comme inférieurs et méprisés. Il n’est donc pas étonnant que l’administration ne se préoccupe pas de la mort des enfants de la plaine ; au contraire, le fait de maintenir les gens dans la misère lui permet d’asseoir son pouvoir et de continuer à les exploiter. La naïveté de la démonstration rend le propos encore plus cynique : en accusant la nature déficiente, incapable de subvenir aux besoins des enfants, l’administration lève toute responsabilité dans cette situation tragique.

 .    d    r    a    m    i    l    l    a    G    s    n    o    i    t    i    d     É     /    n    i    l    e    B    s    n    o    i    t    i    d

Question 3. Mettez en relation cet extrait avec les deux photographies reproduites au verso de la couverture, en début d’ouvrage. Quelle(s) image(s) de l’Indochine donnent-elles et dans quel but ? La description de la pauvreté des enfants de la plaine peut être associée à la photographie en noir et blanc représentant des paysans arrachant des plants de riz sous un soleil de plomb (comme l’indique la forte luminosité). L’extrait et l’image évoquent tous deux l’Indochine coloniale (même si la photographie est antérieure à l’action du roman) en insistant sur le sort misérable réservé aux indigènes. La seconde photographie — l’affiche du film de Rithy Panh — offre une image moins authentique et plus stéréotypée de l’Indochine coloniale, en s’appuyant sur les clichés propres à l’imaginaire occidental : un climat humide symbolisé par la blancheur du ciel et la brume, des rizières verdoyantes et, à l’arrière-plan, un palmier et des maisons sur pilotis. Cette image cherche à mettre l’héroïne (Isabelle Huppert) au premier plan et à attirer le spectateur. La visée de cette photographie est donc très différente et ne peut être rapprochée de l’extrait étudié.

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Arrêt sur lecture 3 p. 188-192 Pour comprendre l’essentiel p. 188-189 Un nouveau cadre spatial : la ville � La deuxième partie du roman se déroule dans la « grande ville ». La géographie de ce lieu est hiérarchisée avec soin en fonction du niveau social des habitants (p. 139-142). Montrez-le. La ville coloniale est scindée en trois comme l’annonce le narrateur : « […] il y avait deux villes dans cette ville ; la blanche et l’autre. Et dans la ville blanche il y avait encore des différences » (p. 139). Le haut quartier avec ses larges rues et ses parterres fleuris est habité par les riches colons qualifiés de « puissants au repos » ; le bas quartier, surpeuplé et encaissé, est occupé par les indigènes ; enfin, entre ces deux quartiers se trouvent relégués « les blancs qui n’avaient pas fait fortune, les coloniaux indignes » (p. 142). � Dans cette ville, une partie de l’action prend place à l’Hôtel Central tenu par Carmen. Retracez l’histoire de cette femme (p. 143-145) et dites à quel milieu elle appartient. L’Hôtel Central se situe dans la zone comprise entre le haut et le bas quartier : Carmen fait donc partie de la catégorie des « coloniaux indignes ». Fille de Madame Marthe, ancienne prostituée, elle a repris la gérance de l’hôtel qui compte plusieurs clients permanents tels que des représentants de commerce ou des prostituées. Âgée de trente-cinq ans, elle a renoncé à ses rêves de jeune fille et s’est résolue à rester dans cet hôtel, multipliant les amants.

Le triangle familial brisé � La disparition de Joseph brise le triangle familial. Donnez la raison de son départ. La raison du départ de Joseph est donnée par Carmen qui affirme l’avoir rencontré : il serait parti pour une femme rencontrée au cinéma avec laquelle il passerait tout son temps. Bien que Suzanne reste sceptique devant cette explication (« Mais comment savoir avec Carmen si elle disait la vérité ? », p. 160), on découvrira plus tard que Carmen avait raison. � La mère doit faire face à deux nouvelles déceptions : le « crapaud » que contient le diamant et le départ de Joseph. Montrez comment son comportement évolue selon une courbe descendante. En découvrant le crapaud, la mère

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ne se décourage pas et fait au contraire preuve d’un « acharnement curieux, qui augmentait en raison directe du nombre de ses échecs » (p. 148). Elle s’obstine à vouloir obtenir vingt mille francs pour le bijou et rend visite à d’innombrables diamantaires sans succès. Devant cet échec, elle décide de retrouver M. Jo pour lui soutirer un autre diamant avant de renoncer et de décliner peu à peu. La disparition de Joseph joue un rôle décisif dans ce renoncement soudain : « Ce ne fut que lorsque à son tour elle abandonna M . Jo que cette absence la désespéra tout à fait et la fit se coucher et dormir toute la journée comme elle avait fait après l’écroulement des barrages » (p. 150). La longue attente de Joseph commence alors : la mère passe son temps à consommer des pilules et à dormir. Même la rencontre de Barner, un riche homme d’affaires, la laisse indifférente : « au mot « placement » il passa dans ses yeux comme le reflet du diamant mais ce fut très fugitif et elle ne releva pas. Elle avait l’air fatiguée et rêveuse » (p. 173). Seule la vente du diamant par Joseph lui donne un regain temporaire d’énergie et d’enthousiasme. � Suzanne est également touchée par le départ de Joseph, même si elle le montre peu. Explicitez les sentiments qu’elle semble éprouver. Suzanne ressent tout d’abord de la colère et qualifie son frère de « menteur »: alors qu’il avait promis de rester à ses côtés, il l’abandonne à son sort sans un mot. Quand la jeune fille rencontre Joseph au volant de sa voiture et entouré de deux femmes, ce dernier lui parle à peine et ne dissimule pas son embarras. Suzanne éprouve une profonde rancœur pour son frère qui feint soudain l’indifférence à son égard. Elle est également attristée : « Suzanne comprenait qu’elle comptait de moins en moins dans la vie de Joseph » (p. 163). À son retour, sa fierté l’incite à dissimuler ses sentiments et à défier son frère : « Si je veux, je reste. Carmen me gardera, dit Suzanne. Je n’ai pas besoin qu’on me ramène » (p. 194).

L’émancipation de Suzanne

 .    d    r    a    m    i    l    l    a    G    s    n    o    i    t    i    d     É     /    n    i    l    e    B    s    n    o    i    t    i    d

� Livrée à elle-même, Suzanne est prise en charge par Carmen (p. 151-153). Relevez les conseils qu’elle lui donne et dites si la jeune fille les suit. Carmen s’efforce d’« éclairer » Suzanne sur les secrets rouages de la vie : la jeune fille doit avant tout se libérer de l’emprise de sa mère et de sa vision de la vie car « on pouvait gagner sa liberté, sa dignité, avec des armes différentes de celles qu’elle [la mère] avait crues bonnes » (p. 151). Il faut qu’elle gagne son indépendance en trouvant un homme riche et idiot, qu’elle pourra facilement manipuler. Carmen lui prête donc des robes et de l’argent et l’incite à se promener dans le haut quartier. La disparition de Joseph rend l’émancipation de Suzanne d’autant plus nécessaire selon Carmen : « Il fallait, répétait-elle, il était indispensable que Suzanne sache

Arrêt sur lecture 3

quitter la mère, surtout si Joseph ne revenait plus » (p. 164). Si la jeune fille se montre au début obéissante, elle abandonne rapidement ses promenades dans le haut quartier et prend ses distances par rapport aux conseils de Carmen : « Pour le reste, ce n’était sûrement pas le douanier du coin qu’il lui fallait mais pas non plus M. Jo. Là, Carmen simplifiait » (p. 152). � Suzanne se rend tous les jours au cinéma. Expliquez ce que représente cet endroit pour elle. Suzanne se réfugie au cinéma pour fuir le haut quartier où elle se sent « méprisable». Ce lieu est synonyme de liberté et de rêve : « C’était l’oasis, la salle noire de l’après-midi, la nuit des solitaires, la nuit artificielle et démocratique, la grande nuit égalitaire du cinéma […] » (p. 155). La jeune fille s’y sent chez elle et peut s’échapper un moment de son quotidien misérable et sans avenir. Le cinéma, par toutes les histoires qu’il met en scène, représente l’espoir et le bonheur, et ouvre de nouveaux horizons. Il joue un rôle non négligeable dans la décision de Suzanne de quitter sa mère : « Déjà, à force de voir tant de films, tant de gens s’aimer, tant de départs, tant d’enlacements, […] déjà ce que Suzanne aurait voulu c’était quitter la mère » (p. 166). � Durant son séjour à la ville, elle revoit M. Jo et rencontre un autre homme (p. 167). Montrez que ces rencontres sont stériles et n’aboutissent à aucun changement. Suzanne rencontre d’abord Barner, un riche homme d’affaires à la recherche d’une jeune Française de dix-huit ans, innocente et pure. Cependant, elle refuse de partir avec lui et cherche constamment à le scandaliser par son langage et son attitude volontairement vulgaires. Quant à M. Jo, elle le rencontre au détour d’une rue : ce dernier la désire toujours autant et la dévisage avec le mê me regard lubrique. Pourtant, leur rencontre se solde par un nouvel échec, puisqu’au moment où il l’embrasse, Suzanne s’échappe soudain en déclarant : « Je ne peux pas. C’est pas la peine, avec vous je ne pourrai jamais » (p. 184).

Vers l’oral du Bac p. 190-192 Analyse des lignes 1 à 46 , p. 139-140 ☛ Montrer

en quoi la description de la ville constitue une critique virulente du système colonial I. La ville coloniale : une dimension universelle a. L’extrait décrit avec précision la ville coloniale. Relevez les indices qui signalent que l’on a affaire à une description (temps verbal, présentatifs du type

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« c’est, il y a… »). Montrez ensuite que la description met en évidence une organisation reflétant la hiérarchie sociale. Plusieurs indices montrent que l’on a affaire à une description : — l’emploi de l’imparfait, temps de la description dans un récit au passé. — L’utilisation de présentatifs comme « C’était » ou « il y avait » qui permettent d’introduire les différents éléments décrits. — Des indications temporelles (« Dès qu’ils arrivaient », « Dès lors », « le soir », « Jusque tard dans la nuit ») ou spatiales (« La périphérie », « Le centre », « Dans le haut quartier », « dans les avenues ») qui permettent d’organiser le passage descriptif. L’extrait met en évidence l’organisation rigoureuse de la ville qui est scindée en deux : « la ville blanche » et « l’autre ». La première est elle-même hiérarchisée puisque « dans le haut quartier n’habitaient que les blancs qui avaient fait fortune ». La topographie de la ville reflète donc la discrimination sociale : les indigènes occupent les bas quartiers, tandis que les blancs fortunés habitent dans le haut quartier ; enfin, les colons pauvres vivent dans la zone intermédiaire. Le haut quartier est lui-même divisé entre un quartier périphérique résidentiel et un centre constitué de « buildings chaque année plus hauts » et abritant un « pouvoir profond », celui des financiers. b. Cette ville n’est jamais nommée. En vous appuyant sur divers indices, montrez que l’écrivain cherche à donner une dimension universelle à sa description. La ville n’est jamais nommée et sa présentation initiale demeure tr ès vague : « C’était une grande ville de cent mille habitants ». La comparaison « comme dans toutes les villes coloniales » et l’expression « les quartiers blancs de toutes les villes coloniales du monde » indiquent d’emblée que la description a une vocation universelle. Ses différentes parties sont désignées par des termes génériques tels que « la périphérie », « le centre » ou « le haut quartier ». Il en est de même pour ses habitants, qui ne sont pas individualisés mais évoqués par groupes : « les financiers », « les blancs », « les blancs qui avaient fait fortune », « les garçons de café ». L’emploi systématique de l’article défini souligne cette volonté de généralisation.  .    d    r    a    m    i    l    l    a    G    s    n    o    i    t    i    d     É     /    n    i    l    e    B    s    n    o    i    t    i    d

c. Différents aspects de la « ville blanche » sont mis en avant. Relevez ses principales caractéristiques en analysant les adjectifs et les images utilisés. La ville blanche se distingue d’abord par sa démesure comme en témoignent le superlatif « la plus large » et les expressions « les rues et les trottoirs du haut quartier étaient immenses », « Tout cela était […] large », « s’étalaient les immenses terrasses de leurs cafés ». Le lieu paraît surdimensionné et reflète la vanité de ses habitants, ce que confirme l’hyperbole « espace orgiaque ».

Arrêt sur lecture 3

Par ailleurs, le haut quartier est d’une « impeccable propreté » et les rues sont très bien « entretenues». Cette propreté est fondée su r un parfait équilibre entre l’artificiel et le naturel : d’un côté, les routes « asphalté[es] » avec les « autos caoutchoutées » et les « files rutilantes de taxis-torpédos » ; de l’autre, les « trottoirs plantés d’arbres rares », les r ues « vertes, fleuries » et « l’ombre des tamariniers ». Ce parfait agencement est en fait décrit de façon ironique et permet à l’auteur de dénoncer avec virulence le système colonial.

II. Une dénonciation virulente du système colonial a. En arrivant dans les « quartiers blancs », les colons sont soumis à une sorte de conversion. Mettez en évidence les étapes de cette conversion. La conversion commence immédiatement ainsi que le montre la subordonnée temporelle « Dès qu’ils arrivaient ». La transformation est progressive : de l’apprentissage (« ils apprenaient ») à sa conséquence (« la distance augmentait d’autant ») et à la prise de conscience finale (« aussi se découvraient-ils plus blancs que jamais »). La comparaison aux « petits enfants » assimile le processus à une sorte d’éducation. Le narrateur décrit avec ironie la conversion des habitants du haut quartier au dogme de la blancheur et donc implicitement au racisme. Le fait d’assimiler le blanc à une « couleur d’immunité et d’inno cence » met en évidence la vision discriminante des coloniaux fortunés. Cette formule est ironique car, pour le narrateur, les blancs n’ont rien d’innocent. b. La « ville blanche » est refermée sur elle-même et pratique la discrimination. Montrez-le et analysez la façon dont le narrateur rend sa description ironique, en étudiant notamment les comparaisons employées. L’isolement de la ville blanche est souligné par la négation restrictive dans la phrase « Dans le haut quartier n’habitaient que les blancs qui avaient fait fortune ». Le fait de comparer le centre du haut quartier à un « sanctuaire » assimile le lieu à un espace sacré réservé à une élite, en l’occurrence les blancs, ce que confirme la phrase « ils se retrouvaient entre eux ». Les rues sont comparées aux « allées d’un immense jardin zoologique », tandis que les blancs sont assimilés à des animaux à travers plusieurs métaphores : « grands fauves à la robe fragile », « puissants au repos », « les espèces rares des blancs ». Cette analogie, ironique, vise à dénoncer la discrimination pratiquée par les colons qui, tels des fauves régnant sur leur territoire, ont annexé une partie de la ville et en ont exclu tous les indigènes. Les seuls indigènes à être admis sont les garçons de café qui, tels les palmiers en pots, font partie du décor, comme le souligne la  juxtaposition «derrières les palmiers et les garçons en pots et en smokings».

Un barrage contre le Pacifique

c. Le narrateur insiste sur la blancheur de la ville et de ses habitants. Analysez cet effet d’insistance et expliquez ce qu’il signifie. Le terme « blanc(s) » est omniprésent dans l’ensemble du texte (15 occurrences), que ce soit pour désigner les colons (« les blancs ») ou pour qualifier un élément : la « ville », les « quartiers », le « costume» ou encore la « démarche ». Rien ne semble pouvoir échapper au dogme de la blancheur établi par le système colonial. De plus, plusieurs adjectifs ou expressions renvoient indirectement à cette couleur et à la propreté qui lui est associée : « baignés, neufs », « rutilantes », « Arrosées ». Même certains indigènes sont « déguisés en blanc » et « mis dans des smokings » afin de masquer leur différence. La blancheur est érigée en principe ce qui renvoie par défaut les indigènes à la saleté et à la misère, comme s’ils étaient responsables de leur état. À travers ce clivage, le narrateur dénonce le comportement hypocrite et raciste des colons.

Les trois questions de l’examinateur Question 1. À votre avis, quels sont les personnages qui incarnent cette « ville blanche » tout au long du roman ? Les personnages qui incarnent cette ville blanche sont avant tout Bar ner, les agents de l’administration coloniale, mais également Lina et son mari. Ils représentent les colons qui ont fait fortune, à l’inverse de la mère et de ses enfants qui, bien qu’appartenant à la même catégorie, ont toujours vécu dans la pauvreté. Question 2. Lorsque Suzanne se promène dans les beaux quartiers, comment les habitants réagissent-ils ? Quant à elle, que ressent-elle ? Les habitants du haut quartier l’observent avec curiosité et se retournent sur son passage, car une  jeune fille n’est pas censée se promener seule. Ils s’interrogent : « D’où sort-elle cette malheureuse égarée sur nos trottoirs ?» Suzanne se sent alors ridicule, honteuse et méprisable : « Elle se haïssait, haïssait tout, se fuyait, aurait voulu fuir tout, se défaire de tout. » Pour échapper enfin à ces regards inquisiteurs, elle se réfugie au cinéma, espace « démocratique» et libre.

 .    d    r    a    m    i    l    l    a    G    s    n    o    i    t    i    d     É     /    n    i    l    e    B    s    n    o    i    t    i    d

Question 3. Citez un autre passage du roman où le narrateur critique avec virulence le système colonial. Le narrateur critique l’injustice et la corruption du système colonial dans plusieurs autres passages du roman : — la description de la misère des enfants de la plaine aussi bien dans la première que dans la seconde partie de l’œuvre — le récit du parcours pitoyable du caporal — la lettre de la mère aux « chiens du cadastre ».

Arrêt sur lecture 4

Arrêt sur lecture 4 p. 290-294 Pour comprendre l’essentiel p. 290-291 Joseph : un absent très présent � Bien qu’absent physiquement, Joseph est omniprésent dans le récit ; Suzanne évoque notamment un événement passé, la visite de l’agent cadastral. Dites en quoi le récit de cet épisode donne à Joseph une « nouvelle importance » (p. 248). L’épisode se déroule deux ans plus tôt : pour la première fois, Joseph intervient dans une affaire concernant la concession. Sa grossièreté et sa brutalité intimident l’agent cadastral qui n’ose pas se confronter à lui. Joseph s’amuse à le ridiculiser et à remettre ainsi en cause son autorité : « il faisait voler en éclats son pouvoir si bien assuré pourtant et jusque-là, pour tous, si terrifiant » (p. 249). Il finit par l’effrayer et le faire partir en le visant avec son fusil. Après cette intervention, l’agent se contentera d’envoyer des « avertissements écrits ». Joseph revêt ainsi une « nouvelle importance » puisqu’il a su défier l’administration cadastrale qui terrifiait jusque-là toute la famille. � Plusieurs semaines après son départ, la mère et Suzanne reçoivent une lettre de Joseph (p. 260). Dites quelle est la première remarque faite par la mère au sujet de cette lettre et expliquez les raisons de cette réaction. La mère pointe immédiatement les fautes d’orthographe présentes dans la lettre de Joseph et déclare qu’il faut qu’elle lui apprenne à mieux écrire. Ces fautes constituent une nouvelle lubie qui occupe la mère et lui donne une raison de vivre : « Elle s’accrocha à la question des fautes d’orthographe et, au bout de quelques heures, elle parut y avoir trouvé un regain de vitalité. » Elle trouve ainsi un dérivatif qui lui permet de fuir temporairement ses problèmes et d’oublier un peu l’absence de Joseph. � Le fils Agosti évoque à son tour Joseph (p. 271-272). Relevez les principales caractéristiques du portrait qu’il dresse du frère de Suzanne. Le fils Agosti éprouve de l’admiration pour Joseph et met en avant l’intrépidité dont il a fait preuve lors d’une chasse de nuit. Il déclare que Joseph lui avait également confié son dégoût de vivre : il ne supportait plus le quotidien de la plaine et la « saloperie des agents de Kam ».

Un barrage contre le Pacifique

L’affirmation de Suzanne � Après le départ de Joseph, Suzanne passe son temps près du pont. Expliquez ce qu’elle attend. Comme dans la première partie du roman, Suzanne attend qu’une automobile s’arrête et que son propriétaire l’emmène vers de nouveaux horizons. Mais son attente est vaine car « maintenant c’était comme si le bungalow avait été invisible, comme si elle-même, près du pont, avait été invisible » (p. 255). � L’arrivée du fils Agosti bouleverse la vie de Suzanne. Montrez ce qu’elle découvre et de quoi elle prend conscience. Le fils Agosti fait découvrir à Suzanne les plaisirs charnels ; celle-ci se sent soudain « sereine, d’une intelligence nouvelle ». Elle prend son indépendance par rapport à Joseph et à sa mère, et se rend compte que ses rêves étaient jusque-là vides et absurdes : elle « désapprit enfin l’attente imbécile des autos des chasseurs, les rêves vides. » � Agosti sifflote l’air de la chanson Ramona. Expliquez ce que symbolise cette chanson. Quand Agosti rencontre Suzanne pour la première fois depuis le départ de Joseph, il siffle l’air de Ramona. De même, cette chanson revient à l’esprit de Suzanne après leur escapade amoureuse dans la forêt. Tout comme dans la première partie du roman, Ramona est synonyme d’espoir et de changement : « C’était l’hymne de l’avenir, des départs, du terme de l’impatience.» La rencontre d’Agosti permet à Suzanne de s’émanciper et d’envisager enfin l’avenir avec confiance et sérénité.

La mort de la mère

 .    d    r    a    m    i    l    l    a    G    s    n    o    i    t    i    d     É     /    n    i    l    e    B    s    n    o    i    t    i    d

� Après le départ de Joseph, la mère passe son temps à dormir et semble indifférente à tout. Analysez son comportement envers Suzanne et comparez-le à celui qu’elle a envers son fils. La mère renonce progressivement à la vie et passe ses journées à dormir. Elle n’adresse quasiment plus la parole à sa fille et néglige même de la regarder. Cette indifférence tranche avec le souci constant qu’elle se fait pour Joseph. Quand elle reçoit un mot de son fils, sa première réaction est de vouloir le rejoindre pour lui apprendre les rudiments de l’orthographe. Elle ne peut supporter que Joseph se trouve loin d’elle dans une situation qu’elle estime difficile et veut voler à son secours. � La mère demande pourtant à Agosti de faire une dernière chose pour elle. Dites laquelle. La mère confie à Agosti le diamant et lui demande de le vendre à un bon prix.

Arrêt sur lecture 4

� Après une ultime crise, la mère meurt. Décrivez et analysez la façon dont réagissent Suzanne, Joseph, le caporal et les paysans. Suzanne et Joseph sont dévastés par la mort de la mère et anéantis par le chagrin. Suzanne passe la nuit blottie contre le corps de la mère ; à son arrivée, Joseph fait de même. Le caporal part le lendemain matin afin de trouver du travail ailleurs. Enfin, les paysans se recueillent auprès du corps de la défunte comme s’il s’agissait de leur mère à tous.

Vers l’oral du Bac p. 292-294 Analyse des lignes 4091 à 4140, pages 283-285 ☛ Montrer

comment le récit détaillé de la mort de la mère suscite la compassion du lecteur I. Un récit détaillé a. Le récit détaille chaque phase de l’agonie de la mère. Montrez-le en vous appuyant sur l’analyse des connecteurs temporels et des temps verbaux. Chaque étape de l’agonie de la mère est décrite : des « cris sourds » à la perte de connaissance, de sa respiration faible à sa mort. Chacune est mise en évidence par un adverbe ou une subordonnée temporelle : « bientôt », « Tant qu’elle », « peu avant qu’elle», « peu après ». Le récit fait généralement alterner passé simple ou imparfait ; on relève un verbe au plus-que-parfait qui évoque la crise initiale dont l’extrait ne décrit que les conséquences funestes : « La grosse crise convulsive était déjà passée. » b. Le corps de la mère est décrit avec une grande précision. Montrez-le en an alysant cette description. Le corps est d’abord décrit de façon clinique : « elle avait le visage et les bras parsemés de taches violettes. » De même, le narrateur insiste sur les mouvements incontrôlés de ce corps victime d’une crise convulsive : « la mère ne remuait plus que par à-coups » et « des cris sourds sortaient tout seuls de sa gorge ». À la fin de l’extrait, alors que la mère est morte, son corps est à nouveau détaillé: ses « yeux fermés […] pleins d’une ombre violette », sa « bouche fermée » et « ses mains posées l’une sur l’autre ». Mais la description du corps de la mère est surtout transcendée par la vision pathétique du narrateur : la bouche est fermée « sur un silence qui donnait le vertige » et ses mains deviennent « des objets affreusement inutiles qui clamaient l’inanité de l’ardeur qu’elle avait mis à vivre ». c. Les expressions du visage agonisant de la mère évoluent et traduisent des sentiments contradictoires. Décrivez et analysez cette évolution en mettant en

Un barrage contre le Pacifique

évidence l’ambiguïté du personnage qui perdure jusqu’au seuil de sa mort. Des expressions contradictoires apparaissent sur le visage de la mère : — Son attitude traduit d’abord un sentiment de colère comme l’indique la métaphore « des sortes d’aboiements de colère et de haine de toute chose et d’elle-même ». — Son visage est ensuite « écartelé, partagé entre l’expression d’une lassitude extraordinaire, inhumaine et celle d’une jouissance non moins extraordinaire, non moins inhumaine. » Ces deux sentiments synthétisent l’état d’esprit du personnage à la fin de sa vie, à la fois las et épuisé, mais surtout soulagé de mettre un terme à ses tentatives désespérées. — Enfin, une « ironie à peine perceptible » apparaît sur son visage. Elle traduit sa satisfaction devant cet ultime triomphe, celui de se soustraire à son entourage et aux agents du cadastre en disparaissant à sa manière et au moment qu’elle souhaitait, mais peut-être aussi « la dérision de tout ce à quoi elle avait cru ». Ainsi, jusque dans la mort, le personnage de la mère demeure ambigu et partagé entre des sentiments divers.

II. Une scène pathétique a. Le caractère pathétique du destin de la mère est mis en avant. Montrez de quelle manière. Le personnage de la mère est pathétique dans la mesure où sa vie semble avoir été vaine puisque tous les projets qu’elle a entrepris se sont soldés par des échecs. Dans l’expression « du sérieux qu’elle avait mis à entreprendre toutes ses folies », l’antithèse met en évidence l’absurdité de l’acharnement du personnage. De même, à la fin de l’extrait, ses mains désormais immobiles reflètent la vanité de son existence (« des objets affreusement inutiles, qui clamaient l’inanité de l’ardeur qu’elle avait mise à vivre »). L’opposition entre son envie de vivre, son acharnement, et ses échecs successifs suscite la pitié du lecteur.

 .    d    r    a    m    i    l    l    a    G    s    n    o    i    t    i    d     É     /    n    i    l    e    B    s    n    o    i    t    i    d

b. Suzanne et Joseph éprouvent un profond chagrin face à la disparition de leur mère. Analysez leurs réactions et intéressez-vous particulièrement à leurs mouvements/déplacements et aux sentiments qu’ils traduisent. La première réaction de Suzanne et Joseph est de se précipiter sur le corps de leur mère, comme si ce contact pouvait la faire revivre : Suzanne « se blottit contre elle », telle une enfant, tandis que Joseph « était affalé sur le lit, sur le corps de la mère. » La jeune fille est terrassée par la douleur et sa prostration se prolonge comme en témoignent les indications temporelles « pendant des heures » et « au petit matin seu lement ». Sa souffrance est incontrôlable et la fait « retourner à l’intempérance désordonnée et tragique de l’enfance »; Agosti est alors obligé de l’arracher « de force au lit de la mère. » Par ailleurs, la course de Suzanne vers son frère, puis de Joseph vers

Arrêt sur lecture 4

la mère traduit leur angoisse et leur désespoir ; le verbe « courir » est ainsi répété trois fois en quelques lignes. c. La réaction de Joseph est particulièrement violente. Expliquez l’oxymore « tendresse terrifiante ». La souffrance de Joseph est traduite par ses pleurs et son attitude : « Il l’appelait. Il l’embrassait. » La brièveté de ces phrases accentue l’intensité de la scène : le jeune homme se conduit comme si sa mère était encore vivante et refuse d’accepter sa mort. L’oxymore « tendresse terrifiante » traduit toute la force des sentiments qui unissaient Joseph à sa mère. Il souligne l’immensité de sa douleur qui laisse présager un événement funeste : Joseph donne l’impression de ne pouvoir surmonter cette mort, dont il se sent responsable. Sa détresse est accentuée par sa culpabilité d’être « arrivé trop tard » et de n’avoir pu faire ses adieux à sa mère.

Les trois questions de l’examinateur Question 1. À quel événement du premier chapitre la mort de la mère fait-elle écho ? La mère de la mort fait écho à la mort du cheval dans le premier chapitre. Cet événement avait provoqué le voyage à Ram, où la famille avait rencontré M. Jo, « rencontre qui allait bouleverser leur vie à tous ». En effet, M. Jo introduit un changement dans le quotidien de la famille par sa richesse et surtout par le diamant qu’il donne à Suzanne à la fin de la première partie. La mort apparemment anodine du cheval déclenche en fait une série d’événements qui bouleversent la vie de tous les personnages. Le décès de la mère entraîne à son tour le départ des enfants et annonce le début d’un nouveau cycle. Question 2. Pourquoi le narrateur fait-il dire à la mère « Je les ai eus. Tous » (l. 4110-4111) ? Quel trait de caractère de la mè re cette phrase met-elle en avant ? La mère surprend son entourage par sa mort, qui était attendue mais dont le jour exact demeurait imprévisible. En effet, à bien des reprises, ses enfants avaient cru qu’elle ne survivrait pas à ses crises. En disparaissant, elle prend sa revanche sur les agents du cadastre, qui ne pourront plus la harceler, et sur ses enfants qui, bien que désirant la quitter, l’adoraient. Cette attitude renvoie au sentiment de colère permanent qui dominait la mère même à la fin de sa vie : « La colère perçait dans ses paroles, toujours aussi forte, plus forte qu’elle.» Question 3. Le dénouement d’ Un Barrage contre le Pacifique  met en scène la mort d’un des personnages principaux. Connaissez-vous d’autres dénouements de romans de même nature ? De nombreux dénouements de romans mettent en scène la mort d’un ou de plusieurs personnages principaux, car c’est le moyen le plus efficace de clore l’intrigue. Ce type de dénouement se retrouve à n’importe

Un barrage contre le Pacifique

quelle époque : mort de Don Quichotte ( XVIe  siècle), mort de Manon Lescaut (XVIIIe siècle), morts d’Emma Bovary, de Julien Sorel, de Thérèse Raquin et Laurent (XIXe siècle), mort de Tchen dans La Condition humaine, de Langlois dans Un Roi sans divertissement (XXe siècle).

Groupements de textes p. 312-328 n La rencontre amoureuse

 .    d    r    a    m    i    l    l    a    G    s    n    o    i    t    i    d     É     /    n    i    l    e    B    s    n    o    i    t    i    d

1. Dans ce groupement, chaque auteur met en scène une rencontre amoureuse. Le thème de la rencontre amoureuse constitue un topos romanesque, c’est-àdire un lieu commun. Comparez la façon do nt il est traité dans chacun des textes en mettant en évidence les points communs et les différences. Les auteurs de ces cinq textes ont traité le topos de la rencontre amoureuse de façon différente : — Chaque scène se déroule dans un lieu public ou un espace ouvert : un bal à la cour dans La Princesse de Clèves, les rues de Nancy dans Lucien Lewen, un bateau dans L’Éducation sentimentale et la rive d’un fleuve dans Le Grand Meaulnes. Aucune indication n’est donnée dans Aurélien. Dans les textes 2 et 4, le lieu de la rencontre est décrit de façon péjorative : « les murs écorchés et sales des maisons de Nancy » (Stendhal), « les grandes portes aux vitres poussiéreuses qui donnaient sur des pièces délabrées » (A. Fournier). Cette évocation permet, par contraste, de mettre en valeur la rencontre qui va se produire et l’enthousiasme qu’elle va susciter. La rencontre est parfois précédée d’un signe avant-coureur : « il se fit un assez grand bruit » (texte 1), « il entendit des pas grincer sur le sable » (texte 4). Ce signe, auditif et non visuel, ménage un certain suspens. — À l’exception de Mme de La Fayette, l’ensemble des auteurs ont adopté u n point de vue interne afin de faire partager aux lecteurs les sensations et les émotions de leur héros lors de la rencontre amoureuse. Celle-ci est d’abord visuelle et le regard  joue un rôle essentiel : « Elle se tourna et vit un homme » (texte 1), « lorsqu’il vit

 Groupements de textes

la persienne » (texte 2), « Ce fut comme une apparition » (texte 3), « La première fois qu’Aurélien vit Bérénice » (texte 5). Cette première vision suscite généralement la surprise et le trouble : pour la princesse de Clèves, « il était difficile de n’être pas surprise de le voir quand on ne l’avait jamais vu », pour Lucien Lewen, « son âme en fut ranimée » ; Frédéric Moreau contemple le panier de Mme Arnoux « avec ébahissement, comme une chose extraordinaire », de même que le Grand Meaulnes en regardant le costume de la jeune fille. Seul Aurélien ressent un profond dégoût pour Bérénice : « il la trouva franchement laide », « Elle lui déplut ». Cette aversion suscite d’ailleurs la curiosité du lecteur tant elle semble excessive, comme le remarque le héros lui-même : « Il se demanda même pourquoi. C’était disproportionné. » — La première rencontre donne généralement lieu à un portrait élogieux de la personne aimée : « l’air brillant qui était dans sa personne » (texte 1), « c’était une  jeune femme blonde qui avait des cheveux magnifiques» (texte 2), «cette splendeur de sa peau brune » (texte 3), « une jeune fille blonde, élancée » (texte 4). La description est parfois longue et détaillée comme chez Flaubert. À l’inverse, Aragon prend le contre-pied de ses prédécesseurs en insistant sur la laideur de la femme aperçue par Aurélien : une « étoffe » de mauvais goût, des cheveux « mal tenus », « petite, pâle ». — Le portrait de l’être aimé est souvent suivi d’une reconnaissance mutuelle : la  jeune femme derrière la persienne aperçoit Lucien grâce à sa chute de cheval (elle « souriait »), Mme Arnoux remercie Frédéric pour avoir sauvé son châle de l’eau (« leurs yeux se rencontrèrent »), la jeune fille s’adresse indirectement au Grand Meaulnes (« se tournant imperceptiblement vers lui »). Un lien s’établit donc très vite entre les deux protagonistes, ce qui n’est pas le cas dans l’extrait d’ Aurélien où aucune réaction de la part de Bérénice n’est mentionnée. — Enfin, la scène de première rencontre laisse augurer de la suite de la relation et introduit d’emblée certains obstacles. Dans La Princesse de Clèves, le coup de foudre est réciproque (« M. de Nemours fut tellement surpris de sa beauté »), mais la jeune femme est déjà mariée et leur amour semble impossible. Lucien Lewen se ridiculise devant la femme aimée et se heurte à son « air dédaigneux » et à son « ironie ». Dans L’Éducation sentimentale, l’irruption de « sieur Arnoux » met fin au rêve éveillé de Frédéric, tandis que la vieille dame accompagnant la jeune fille empêche le Grand Meaulnes de se rapprocher d’elle. Chez Aragon, l’obstacle est constitué par le héros lui-même ; cependant, son obsession à vouloir dénigrer Bérénice laisse présager un sentiment d’une autre nature. Chaque auteur s’approprie donc le topos romanesque de la rencontre amoureuse pour le mettre en scène à sa manière.

Un barrage contre le Pacifique

 2. Cherchez l’étymologie du mot « roman » et décrivez l’évolution de son sens. — Le terme roman vient du latin romanice qui désignait le « latin vulgaire », c’està-dire la langue parlée dans les pays annexés par les Romains, par opposition au latin proprement dit. — Le terme romans ou romanz apparaît au Moyen Âge pour désigner tous les textes écrits en langue romane, en prose ou en vers, contrairement aux textes officiels et sacrés qui, à l’époque, étaient rédigés en latin. Issu de la langue d’oïl, le roman était la langue parlée au nord de la France et finit par s’imposer dans tout le pays. À l’origine, le terme roman ne désigne donc pas un texte narratif. — Par extension, le roman désigne un long récit écrit en langue romane, d’abord en vers, puis en prose, qui relate les aventures fabuleuses de héros mythiques ou caricaturés. On parle ainsi de romans courtois, satiriques, allégoriques, etc. — De nos jours, l’acception du mot roman s’est encore élargie. Il désigne une œuvre littéraire en prose d’une certaine longueur, mêlant souvent le réel à l’imaginaire, et qui, dans sa forme traditionnelle, cherche à susciter le plaisir du lecteur en racontant les aventures d’un ou de plusieurs personnages. n La figure de la mère

 .    d    r    a    m    i    l    l    a    G    s    n    o    i    t    i    d     É     /    n    i    l    e    B    s    n    o    i    t    i    d

1. Quelle(s) image(s) de la figure maternelle ces extraits donnent-ils ? Les cinq textes du groupement évoquent la figure maternelle mais en brossent un portrait très différent. — Les cinq extraits appartiennent à des genres différents : un roman, un poème en prose, une pièce de théâtre, un roman autobiographique et une autobiographie. La visée des écrivains n’est donc pas la même. — Dans L’Étranger, Albert Camus adopte le point de vue de son héros, Meursault, qui vient de perdre sa mère : « Aujourd’hui, maman est morte ». Cet événement funeste ne provoque pourtant pas le chagrin attendu ; le héros ne semble se préoccuper que des détails matériels liés à l’enterrement. Il se montre bien plus sensible à la chaleur, à « l’odeur d’essence » et à « la réverbération de la route et du ciel » qu’à la mort de sa mère. Cette dernière est à peine évoquée. L’extrait du Livre de ma mère est en cela extrêmement différent. La mère est omniprésente dans le discours de l’auteur, qui en brosse un portrait pathétique comme le souligne l’accumulation « exposée, déconfite, misérable, vaincue, paria, si dépendante et obscure, un peu folle de malheur, un peu imbécile de malheur ». La mère est présentée comme un être tendre et dévoué à son fils, dont elle ne supporte pas l’absence, comme le traduit son attitude au moment de la séparation, dans ce train « qui allait l’emporter vers sa vie de solitude, qui l’emportait, impuissante et

 Groupements de textes

condamnée, loin de son fils. » À l’indifférence de Meursault s’oppose la culpabilité d’Albert Cohen qui ne se pardonnera jamais de ne pas avoir vu cette souffrance. — Le poème de Francis Ponge offre également une image méliorative de la figure maternelle mais il s’agit cette fois d’une jeune accouchée. Le portrait se veut universel, d’où le titre général du poème « La Jeune mère ». L’écrivain met en avant l’affaiblissement physique du personnage (les jambes « maigres », le « ventre ballonné, livide ») et l’oppose au sentiment de « confiance» qui s’empare d’elle et qui est représenté par le mouvement de ses bras berçant le nourrisson : « Les bras et les mains s’incurvent et se renforcent. » Francis Ponge fait ici l’éloge des jeunes mères en mettant en avant la force nouvelle et la sérénité qui les habitent. — À l’inverse, les extraits d’Électre et de Vipère au poing donnent une image très péjorative de la figure maternelle. Dans la pièce de Giraudoux, la mère est une meurtrière qui a commandité l’assassinat de son mari. Dans la scène, elle affronte sa fille qu’elle tente de culpabiliser en l’accusant d’avoir poussé son frère par terre : « Tu l’avais poussé », « Elle l’a poussé », « Mais elle l’a poussé ». Dans son roman autobiographique, Hervé Bazin écrit une véritable diatribe contre sa mère, dont il détaille l’influence néfaste. Folcoche est présentée comme un être autoritaire et sans cœur : « Je te prédis, moi, ta mère, un avenir dont tu n’auras pas le droit d’être fier. » Cette attitude conduit le héros à rejeter son éducation et ses principes hypocrites : « Je dois dire non à toute cette éducation, à tout ce qui m’a engagé sur une voie choisie par d’autres que moi et dont je ne puis que détester le sens, puisque je déteste les guides. » Les portraits de mère proposés sont donc extrêmement variés.  2. Vous devez illustrer un des extraits du groupement par une œuvre picturale représentant une figure maternelle. À l’aide d’un moteur de recherche, visualisez par exemple les œuvres de Picasso et de Klimt, et justifiez votre choix dans un paragraphe argumenté. — Le poème de Francis Ponge pourrait être rapproché de deux tableaux de Gustav Klimt (1862-1918) intitulés Espoir I et Espoir II. Le premier représente une femme enceinte dénudée (ce qui choqua la société de l’époque) dont le regard est heureux et serein. Elle n’est pas perturbée par les figures allégoriques funestes et menaçantes qui flottent au-dessus d’elle. Le second met également en scène une femme enceinte enveloppée dans un manteau coloré mais qui laisse apparaître la poitrine. La jeune femme a le visage penché vers son ventre rebondi. — Pablo Picasso (1881-1973) a représenté la figure maternelle à plusieurs reprises. Dans la peinture intitulée Mère et enfant au bord de la mer  (1902), une mère tient son nourrisson contre sa poitrine. À l’arrière-plan, le bleu de la mer et du ciel envahissent le tableau et instaurent une atmosphère paisible et mélancolique. Cette

Un barrage contre le Pacifique

 Vers l’écrit du Bac

œuvre pourrait être rapprochée du poème de Francis Ponge. À l’inverse, dans le tableau Mère et fils, qui date de la période dite « rose» de Picasso (1904-1906), les deux personnages regardent dans des directions opposées. La mère semble lasse et distante. Ce tableau serait plutôt à rapprocher des textes de Jean Giraudoux ou d’Hervé Bazin.

 Vers l’écrit du Bac p. 329-338 Sujet La description dans le roman ☛ Le

personnage de roman, du

n Questions

 .    d    r    a    m    i    l    l    a    G    s    n    o    i    t    i    d     É     /    n    i    l    e    B    s    n    o    i    t    i    d

XVII

 siècle à nos jours

e

sur le corpus

1. Quelles sont les fonctions de ces descriptions de lieux ? Vous vous demanderez notamment si ces quatre textes et si l’annexe 2 cherchent à représenter la réalité. Dans les quatre extraits du corpus et l’annexe 2, la description remplit des fonctions variées. — Le texte A et dans une moindre m esure le texte C s’attachent à représenter fidèlement et précisément un lieu qui paraît réel. Dans le premier chapitre du Père Goriot, Balzac détaille la pension Vauquer, un des lieux principaux du roman. Il décrit le « salon » puis la « salle à manger » et énumè re le mobilier qui s’y trouve : « un baromètre », « un cartel », « un poêle », « une long ue table », « des chaises ». Les adjectifs sont nombreux et permettent de peindre avec précision l’aspect misérable et repoussant de ces pièces : « buffets gluants », « gravures exécrables», « paillassons piteux » et « chaufferettes misérables ». Marguerite Duras décrit également sans concession une ville coloniale et son organisation. Cependant, contrairement à Balzac, son but n’est pas tant d’installer le cadre de l’action que de dénoncer le système colonial et la discrimination qu’il pratique : les blancs se pavanent dans le haut quartier tels de « grands fauves à la robe fragile », tandis que les indigènes sont « déguisés en blancs » et réduits à l’état de choses. La

 juxtaposition « derrière les palmiers et les garçons en pots et en smokings » le montre. Il s’agit donc d’une description engagée, plus subjective que réaliste. — La description revêt parfois une dimension symbolique : c’est le cas du texte de Victor Hugo, mais aussi de celui de Balzac. Le jardin abandonné évoqué dans l’extrait des Misérables devient le « symbole de la fraternité humaine » : des plantes diverses s’y mêlent et s’y épanouissent librement. Quant à la pension décrite par Balzac, elle représente la « misère sans poésie », qui ann once le caractère de sa propriétaire. — Dans le tableau du Douanier-Rousseau, la représentation de la jungle n’a rien de réaliste ; elle est stylisée comme le montrent le choix de couleurs franches et la forme particulière donnée à la végétation. Le peintre n’a d’ailleurs jamais voyagé et réalisait ses tableaux à partir de photographies et d’observations faites au jardin des plantes. Par son exubérance et sa densité, la jungle traduit notamment un sentiment d’angoisse de la part de l’artiste. — Enfin, le texte d’Alain Robbe-Grillet tient une place à part. En tant que théoricien du Nouveau Roman, il renouvelle la fonction traditionnelle de la description. Dans l’extrait, le narrateur décrit avec minutie l’agencement de quatre fauteuils sur une terrasse. Ce mobilier banal prend une nouvelle dimension : la description n’est plus destinée à faire voir, elle vaut pour elle-même. Les fonctions de la description dans le corpus sont donc diverses : elle installe le cadre de l’action, elle est symbolique, ou elle peut remplit une « fonction créatrice », comme l’affirme Alain Robbe-Grillet. 2. Comment les descriptions sont-elles organisées et quelle(s) image(s) donnent-elles du lieu décrit (mélioratif/péjoratif, effrayant, etc.) ? Les descriptions de Balzac, Hugo et Duras sont organisées selon une progression spatiale. Dans Le Père Goriot, le narrateur pénètre dans la pension Vauquer et décrit les pièces au fur et à mesure qu’il les découvre : le « salon » puis « la salle à manger ». Victor Hugo offre quant à lui une vision extérieure du jardin, afin de susciter la curiosité du lecteur (« sans se douter des secrets qu’il dérobait derrière ses épaisseurs fraîches et vertes »), avant d’en représenter l’intérieur. Enfin, Duras présente d’abord la ville dans son ensemble (« C’était une grande ville »), puis s’intéresse plus particulièrement au « haut quartier ». Le texte d’Alain Robbe-Grillet se distingue des trois autres dans la mesure où description et narration sont étroitement liées et se complètent. Les indications spatiales qui structurent la description sont précises et disséminées tout au long de l’extrait : « contre le mur de la maison », « à sa gauche, et sur sa droite », «de l’autre côté de cette table, davantage encore vers la droite », « entre le quatrième et la table ». Toutes ces descriptions donnent des images contrastées des lieux évoqués. Les textes A et C offrent chacun un tableau péjoratif. Balzac insiste sur la saleté de

Un barrage contre le Pacifique

la pension Vauquer gagnée par la pourriture, comme le souligne l’accumulation « elle sent le renfermé, le moisi, le rance ». La demeure est misérable et le mobilier est hors d’usage, ce que résume la personnification « ce mobilier est vieux, crevassé, pourri, tremblant, rongé, manchot, borgne, invalide, expirant ». De son côté, Duras met en avant la propreté et la démesure du haut quartier de la ville coloniale : « un espace orgiaque, inutile », « Tout cela était asphalté, large ». Sa description est ironique et dénonce la discrimination pratiquée par le système colonial et le racisme des colons, qui impose une sorte de dogme de la blancheur, « couleur d’immunité et d’innocence ». À l’inverse, le texte de Victor Hugo donne une image méliorative du jardin décrit, comme le soulignent les adjectifs « extraordinaire et charmant », « admirable », « splendide ». L’auteur célèbre l’exubérance et la luxuriance de la nature qui a retrouvé ses droits et a effacé toute trace de civilisation. L’« embrassement étroit et profond » de la végétation devient alors un symbole de fraternité. Pour finir, le dernier texte occupe une place singulière. En effet, le narrateur s’attache à décrire le plus précisément possible, de façon presque scientifique, l’agencement de quatre fauteuils sur une terrasse. La description est absolument objective et ne laisse transparaître aucun point de vue particulier. n Travaux

d’écriture

Commentaire (séries générales) Vous ferez le commentaire de l’extrait du Père Goriot de Balzac (texte A).

 .    d    r    a    m    i    l    l    a    G    s    n    o    i    t    i    d     É     /    n    i    l    e    B    s    n    o    i    t    i    d

I. Une description réaliste A. Une description détaillée — La syntaxe : les phrases sont généralement longues et construites selon le mode de la parataxe. Les propositions sont ainsi juxtaposées afin de décrire les différents éléments qui composent le lieu. La description procède par touches successives. — Les adjectifs sont très nombreux et permettent de préciser la description. — Le lexique : des termes techniques sont employés afin de rester le plus près possible de la réalité. On relève ainsi un champ lexical du mobilier : « un baromètre à capucin », « un cartel », « un poêle », « des quinquets d’Argand ». B. Une description organisée — Une progression logique : le narrateur pénètre dans les pièces de la pension et les décrit au fur et à mesure. Il commence par la « première pièce» qui correspond au « salon », puis poursuit avec la « salle à manger, qui lui est contiguë ».

 Vers l’écrit du Bac

— Cette progression spatiale coïncide avec un accroissement dans l’horreur : « malgré ces plates horreurs, si vous le compariez à la salle à manger, […] vous trouveriez ce salon élégant et parfumé comme doit l’être un boudoir. » Les adjectifs mélioratifs et la comparaison au boudoir accentuent le contraste. C. Une description animée — Le narrateur intervient indirectement à plusieurs reprises pour donner son avis sur le lieu décrit, mais surtout pour rendre sa description plus vivante. L’emploi du pronom indéfini « on » (« si l’on inventait») et de l’impersonnel « il faudrait » trahissent sa présence. Son intervention devient mêm e directe à travers l’interjection « Eh bien ! » qui traduit la surprise que doit ressentir le lecteur devant tant d’horreurs. — Le lecteur est d’ailleurs sollicité à travers le pronom « vous »: « vous trouveriez », « Vous y verriez ». Par sa description, le narrateur tente de faire voir et sentir le lieu aux lecteurs. Il fait d’ailleurs appel à ses sens : l’odorat (« une odeur sans nom »), le toucher (« elle donne froid »), le goût (« elle a le goût d’une salle où on a dîné »), la vue (« couleur indistincte »). II. Un lieu repoussant et misérable A. Un lieu humide gagné par la pourriture — Plusieurs procédés d’amplification mettent en évidence l’humidité de la pièce : les accumulations renforcées par le rythme ternaire comme « le renfermé, le moisi, le rance » ou « elle donne froid, elle est humide au nez, elle pénètre les vêtements ». — En raison de cette humidité, la pièce exhale une odeur nauséabonde, ce que soulignent plusieurs procédés : l’expression hyperbolique « une odeur sans nom dans la langue » et la gradation soulignée par l’hom éotéleute « elle pue le service, l’office, l’hospice ». B. Un lieu qui semble à l’abandon – Unlieu sale : la saleté a tendance à se mélanger à la graisse, ce qui accentue l’aspect repoussant du lieu. Champ lexical de la saleté : « crasse », « buffets gluants », « tachées ou vineuses », « où la pou ssière se combine à l’huile », « toile cirée assez grasse ». — Un mobilier hors d’usage : « carafes échan crées, ternies », « chaises estropiées », « petits paillassons piteux » (notez l’allitération en  p), « à trous cassés, à charnières défaites ». Le lieu semble véritablement laissé à l’abandon et le lecteur n’imagine pas qu’il est habité. Balzac ménage ainsi un effet de surprise. C. Un lieu transfiguré — Personnification de la pièce : au début de la description, l’emploi de verbes de sensation donne l’impression qu’on a affaire à une personne (« elle sent », « elle donne froid », « elle a le goût », « elle pue »).

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 .    d    r    a    m    i    l    l    a    G    s    n    o    i    t    i    d     É     /    n    i    l    e    B    s    n    o    i    t    i    d

 Vers l’écrit du Bac

— Les meubles semblent également s’animer : la « crasse » a dessiné « des figures bizarres », les « gravures […] ôtent l’appétit», tandis que les chaises sont « estropiées ». L’accumulation finale ne laisse plus de doute sur la personnification du mobilier : « ce mobilier est vieux, crevassé, pourri, tremblant, rongé, manchot, borgne, invalide, expirant ». — Le lieu est ainsi transfiguré. Ce procédé est appuyé par le rythme des phrases, qui s’enchaînent rapidement et rendent compte de cette métamorphose.

Commentaire (séries technologiques)

III. Un lieu symbolique A. Un lieu indescriptible — Aucun mot de la langue française ne semble pouvoir rendre compte de l’horreur et de la misère du lieu : « une odeur sans nom dans la langue », « Peut-être pourrait-elle se décrire si on inventait un procédé… » — De plus, Balzac prétend que la description de la pension Vauquer provoquerait l’ennui et déclare donc qu’il va s’abstenir : « il faudrait en faire une description qui retarderait trop l’intérêt de l’histoire, et que les gens pressés ne pardonneraient pas ». — Pourtant, il n’en est rien et, malgré tout, le narrateur se livre à une description détaillée du lieu. Ces deux effets d’annonce, appelés prétérition, cherchent uniquement à aiguiser la curiosité du lecteur. B. Un lieu marginal, à l’image de ses habitants — Les meubles sont qualifiés de « proscrits » et comparés aux « débris de la civilisation aux Incurables ». Ils appartiennent à un univers marginal et sont exclus de la société. — Ces meubles sont en fait le reflet des pensionnaires de la maison, qui sont évoqués à deux reprises : le narrateur souligne d’abord l’odeur nauséabonde qu’ils dégagent (« les atmosphères catarrhales »), puis décrit leurs serviettes, « tachées ou vineuses ». Comme souvent chez Balzac, le lieu est à l’image des habitants qu’il abrite. C. Un symbole de la misère — La pension Vauquer symbolise ce que Balzac nomme « la misère sans poésie », c’est-à-dire une « misère économe, concentrée, râpée ». L’accumulation d’adjectifs s’applique en fait à la propriétaire des lieux, Madame Vauquer, dont l’avarice est mise en avant. La misère est ici « sans poésie » car elle n’est relevée par aucun sentiment généreux. — Le parallélisme final insiste sur cet aspect misérable et corrompu : « fange », « taches », « trous», « haillons », « pourriture». Le pourrissement qui gagne le lieu et ses habitants est en effet aussi bien physique que moral.

I. La description d’un jardin abandonné A. Une découverte progressive — Une vision extérieure : dans le premier paragraphe, le narrateur adopte le point de vue des « passants » qui se promènent dans la rue et il décrit le jardin de l’extérieur, comme en témoigne l’indication « à travers les barreaux de l’antique grille cadenassée ». — Une curiosité aiguisée : le narrateur insiste sur la beauté apparente de ce jardin (« extraordinaire et charmant », « pour le contempler »), mais également sur les mystères qu’il renferme (ses « secrets» et ses « arabesques indéchiffrables »). Ces indications ménagent un certain suspens. — Une vision de l’intérieure : le second paragraphe introduit enfin la description tant attendue par le présentatif « il y avait ». Le point de vue adopté est désormais omniscient. B. Un jardin à l’abandon — Les indications temporelles montrent que le jardin est délaissé depuis de nombreuses années : « livré à lui-même depuis plus d’un demi-siècle », « d’il y a quarante ans ». L’adjectif « antique » le confirme. — Des constructions humaines à l’abandon : la grille est « tordue, branlante », les « statues moisies » et les « treillages décloués par le temps » pourrissent « sur le mur ». Seul un « banc de pierre » subsiste, mais il est relégué « dans un coin ». Toute trace de civilisation semble avoir disparu. — Les rares constructions humaines qui demeurent sont elles-mêmes envahies par la nature : « deux piliers verdis et moussus ». C. L’épanouissement de la nature — Le narrateur annonce la métamorphose radicale qui s’est produite à travers le parallélisme « le jardinage était parti, et la nature était revenue ». Le terme  jardinage renvoie à la nature domestiquée et entretenue par l’homme, qui a disparu comme l’indiquent les négations : « plus d’allées ni de gazon ». — Le jardin est redevenu sauvage et la nature est présente à l’état brut : « épaisseurs fraîches et vertes », « chiendent », « mauvaises herbes », « ronces ». L’accumulation « troncs, rameaux, feuilles, fibres, touffes, vrilles, sarments,

Vous ferez le commentaire de l’extrait des Misérables de Victor Hugo (texte B) en vous aidant du parcours de lecture suivant : — Vous montrerez que l’extrait est la description d’un jardin abandonné. — Vous analyserez la dimension symbolique de cette description en montrant que le jardin est un lieu de liberté et de fraternité.

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épines » et l’hyperbole « broussaille colossale » mettent en évidence l’épanouissement d’une nature libérée.

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II. Un espace symbolique A. Un espace vivant et libre — La nature est exubérante etabondante comme en témoignent les termes « partout » et « abondaient ». Dans le second paragraphe, la construction en parataxe traduit cet épanouissement sans fin de la nature. Pour le narrateur, ce désordre est réjouissant et libérateur : « aventure admirable », « splendide ». — Un espace en expansion : la nature prolifère librement comme l’indique l’affirmation « Rien dans ce jardin ne contrariait l’effort sacré des choses vers la vie ; la croissance vénérable était là chez elle. » B. Un espace fraternel — Une nature unie : les différents éléments qui composent la nature (« arbres », « ronces », « plante», « branche ») se mêlent et s’unissent dans un mouvement fraternel, ce que montrent les nombreux verbes de mouvement : « s’étaient baissés », « étaient montées », « avait grimpé », « avait fléchi », « s’était penché ». Le  jeu sur les oppositions («terre »/« air », « vent»/« mousse») et la construction en chiasme traduisent un entremêlement inextricable. — La nature semble en communion, ce qu’indiquent l’accumulation « mêlés, traversés, mariés, confondus » et l’expression « dans un embrassement étroit et profond ». C. Un espace sacré — Le narrateur insiste sur l’aspect modeste du jardin (« pauvre coin de terre », « cet enclos de trois cents pieds carrés »), ce qui contraste avec sa dimension symbolique universelle. — L’aspect sacré du jardin est souligné par la présence de Dieu : « sous l’œil satisfait du créateur ». Le jardin devient le « symbole de la fraternité humaine » et semble refléter le monde entier dont il est la synthèse. L’accumulation finale en témoigne : la comparaison du jardin à des choses aussi diverses qu’une « forêt», une « ville », un « nid », une « cathédrale », un « bouquet », une « tombe » ou une « foule» en fait une sorte de paradis terrestre, un microcosme de ce que devrait être le monde.

Dissertation Selon vous, la description constitue-t-elle un élément indispensable au roman ? Vous répondrez à cette question dans un développement organisé en vous appuyant sur les documents du corpus, les textes et œuvres vus en classe, ainsi que sur vos lectures personnelles.

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I. La description joue un rôle capital dans le roman A. Elle informe — La description installe le cadre spatio-temporel de l’intrigue et présente les personnages au fil des pages. Elle permet ainsi de faire découvrir le lieu de l’action et ses protagonistes, comme dans l’extrait du Père Goriot de Balzac. B. Elle donne la tonalité et livre le point de vue — La description est faite avec une focalisation particulière. Le narrateur adopte parfois le point de vue d’un personnage et le passage descriptif nous révèle son caractère et ses sentiments. — Elle permet également de créer une atmosphère particulière : la joie, l’angoisse, etc. — Enfin, elle revêt parfois une dimension symbolique : dans le texte de Victor Hugo, le jardin devient le symbole de la fraternité. Chez Duras, la description de la ville coloniale permet de dénon cer l’attitude raciste des colons. C. Elle rythme le récit et contribue à sa dimension esthétique — La description constitue une pause dans le roman, où tout le talent de l’écrivain peut s’exprimer. La description revêt alors une valeur esthétique et certains passages descriptifs sont restés célèbres, comme par exemple celle du bouclier d’Achille au chant XVIII de l’Iliade d’Homère. II. Mais elle ne doit pas prendre le pas sur la narration A. Une source d’ennui — La description constitue une pause dans la narration : cette absence d’action est souvent synonyme d’ennui pour le lecteur. Ainsi, on a souvent reproché à Émile Zola ses longs passages descriptifs. — Si les passages descriptifs sont trop nombreux, ils brident l’imagination du lecteur qui ne peut créer et imaginer son propre univers. B. Un ornement inutile ? — Plusieurs écrivains ont condamné la description. Paul Valéry la qualifie de « denrée qui se vend au kilo ». De même, les écrivains surréalistes comme André Breton la rejettent : « Et les descriptions ! Rien n’est comparable au néant de celles-ci ; ce n’est que superposition d’images de catalogue, l’auteur en prend de plus en plus à son aise, il saisit l’occasion de me glisser ses cartes postales, il cherche à me faire tomber d’accord avec lui sur des lieux communs ! » (Manifeste du surréalisme, 1929). Dans son œuvre Nadja, André Breton remplace ainsi les descriptions par des photographies insérées au fil des pages. — D’autres refusent la description traditionnelle et proposent un nouveau genre de description. C’est le cas du Nouveau Roman : il ne s’agit plus de faire voir et

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d’informer, mais de créer et d’animer le réel. La description possède désormais une fonction créatrice. C. Un juste équilibre — Malgré les critiques adressées à la description, celle-ci joue un rôle essentiel dans les romans. Il s’agit alors de trouver un juste équilibre entre narration et description.

Écriture d’invention Lors d’un débat littéraire, deux écrivains s’affrontent au sujet de la place que doit occuper la description dans un roman. L’un considère que les descriptions sont inutiles et sources d’ennui, l’autre revendique leur nécessité. Vous rédigerez ce débat en pensant à varier vos arguments et en employant une tonalité  polémique. — Le genre attendu est le débat : il s’agit d’un dialogue argumenté où deux interlocuteurs prennent position sur un sujet donné. Les élèves doivent donc respecter la forme et les codes du dialogue (guillemets, tirets, verbes de parole). Les deux interlocuteurs doivent être clairement identifiés et peuvent être présentés dans un court texte introductif précédant le débat. — Le sujet du débat est la description dans le roman. On demande à l’élève d’opposer deux thèses : ➜ Thèse 1 : les descriptions dans les romans sont inutiles et sources d’ennui pour le lecteur. ➜ Thèse 2 : les descriptions dans les romans sont nécessaires. Le débat doit être argumenté avec rigueur : on demande aux élèves de trouver des arguments variés et pertinents, et de les illustrer par des exemples littéraires précis. — Le registre polémique est attendu. Il faut donc bien revoir avec les élèves ses caractéristiques : forte opposition des adversaires avec une volonté de provocation de part et d’autre, dénigrement de l’adversaire, emploi de figures d’insistance (hyperbole, accumulation, etc.) et d’un lexique dépréciatif, recours à l’ironie.  .    d    r    a    m    i    l    l    a    G    s    n    o    i    t    i    d     É     /    n    i    l    e    B    s    n    o    i    t    i    d

Bibliographie et sitographie n Ouvrages

Biographies Alain Vircondelet, Duras, édition François Bourin, 1991. Laure Adler, Marguerite Duras, Gallimard, 1998.

Entretiens Les Parleuses, Marguerite Duras et Xavière Gauthier, les Éditions de Minuit, 1974. Les lieux de Marguerite Duras, Marguerite Duras et Michelle Porte, les Éditions de Minuit, 1977 (entretiens donnés au cours de deux émissions télévisées en mai 1976).  Apostrophes, entretien télévisé avec Bernard Pivot diffusé sur Antenne 2 le 28 septembre 1984.

Essais Jean Pierrot, Marguerite Duras, José Corti, 1986. Danièle Bajomée, Duras ou la douleur, Éditions Universitaires, 1990. Aliette Armel, Marguerite Duras et l’autobiographie, Le Castor astral, 1990. Frédérique Lebelley, Duras ou le poids d’une plume, Grasset, 1994. Aliette Armel, Marguerite Duras. Les trois lieux de l’écrit , Christian Pirot Éditeur, 1998. Joëlle Pagès-Pindon, Marguerite Duras, éditions Ellipses, 2001. Duras, sous la direction de Bernard Alazet et Christiane Blot-Labarrère, Cahiers de l’Herne, 2005.

Témoignages Yann Andréa, M.D., Les Éditions de Minuit, 1983. Michèle Manceaux, L’Amie, Albin Michel, 1997. Jean-Marc Turine, 5, rue Saint-Benoît, 3 e étage gauche, Marguerite Duras. Métropolis, 2006. n Ressources

sur Internet

La société Marguerite Duras : http://societeduras.free.fr L’Association Marguerite Duras : http://www.margueriteduras.org

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