Discours Du Recit

May 6, 2018 | Author: abaye2013 | Category: Narration, Novels, Narrative, Time, Plato
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DISCOURS DU RECIT Introduction Premier sens du mot récit  : l’énoncé narratif, le discours oral qui rapporte une série d’événements. C’est le discours narratif ou narratif ou texte narratif . Deuxième sens du mot récit : récit  : la succession d’événements elle-même, elle-même, réels ou fictifs, et leurs relations d’enchaînement ou de répétition. C’est l’histoire l’ histoire.. Troisième sens du mot récit : récit  : l’acte de narrer pris en lui-même, lui-même, considéré comme une action au même titre que massacrer les prétendants de sa femme (Ulysse). Le récit au sens premier, en tant qu’énoncé, est le produit de cet acte d’énonciation. C’est la narration. narration. Le récit (premier sens) comme narratif , vit de son rapport à l’histoire qu’il raconte. Comme discours, discours, il vit de son rapport à la narration qui le profère. Temps et mode jouent tous les deux au niveau des rapports entre histoire et récit. La voix désigne à la fois les rapports entre narration et récit et entre narration et histoire. 1. Ordre Il y a le temps de la chose racontée et le temps du récit. Il existe donc une dualité temporelle. Le récit littéraire ne peut être consommé (temps qu’il faut pour le parcourir ou le tr averser averser à la manière d’un champ) champ) ou actualisé que dans un temps qui ne peut être que celui de la lecture. C’est un faux temps qui vaut pour un vrai, un pseudo -temps. Etudier les rapports entre temps de l’histoire et temps du récit revient à étudier les rapports entre l’ordre l’ordre temporel de succession des événements dans la diégèse et l’ordre pseudo-temporel pseudo -temporel de leur disposition dans le récit. Les rapports entre la durée variable de ces événements, ou segments diégétiques, diégétiques, et la pseudo-durée de leur relation dans le récit sont des rapports de vitesse. vitesse. Les relations entre les capacités de répétition de l’histoire l’histoire et celles du récit sont des rapports de fréquence. fréquence. 

 Anachronies

Confrontation de l’ordre de disposition des segments temporels dans le récit à l’ordre de ces mêmes segments dans l’histoire. Si je dis : " Trois mois plus tôt ", il faut tenir compte que cette scène vient après dans le récit, mais avant dans avant dans la diégèse. Ce rapport de contraste ou de discordance est ce qu’on appelle une anachronie narrative. narrative. La mesure et le repérage de ces anachronies postulent pour une sorte de degré zéro où il y aurait une parfaite coïncidence temporelle entre récit et histoire. L’anachronie est une des ressources traditionnelles de la narration littéraire. Soit A B C D E F G H I, l’ordre d’apparition dans le récit des événements et 1 (autrefois (autrefois)) et 2 (maintenant  (maintenant ) leur position chronologique, et soit ce texte tiré de la recherche : Quelquefois en passant devant l’hôtel il se rappelait  (A) (2) les jours de pluie où il emmenait   jusque-là sa s a bonne en pèlerinage p èlerinage (B )(1). Mais )(1).  Mais il se les rappelait sans (C) (2) la mélancolie qu’il pensait qu’il  pensait alors (D) (1) devoir goûter un jour dans le sentiment de ne plus l’aimer  (E) (2). Car cette mélancolie, ce qui la projetait ainsi d’avance (F) (1)  sur son indifférence à venir  (G) (2), c’était son amour (H amour (H )(1). Et )(1). Et cet amour n’était plus (I) (2)

La formule des positions temporelles est donc ici : A2 B1 C2 D1 E2 F1 G2 H1 I2, soit un  parfait zigzag. Quand A est autonome, B se définit comme rétrospectif par rapport à A et lui est donc subordonné. C procède d’un simple retour à la position initiale sans subordination. D fait de nouveau rétrospection, mais assumée par le narrateur du récit. E nous ramène au présent, mais du point de vue de ce passé, comme une anticipation du présent dans le passé ; E est donc subordonné à D. F nous ramène à la position passée par-dessus l’anticipation. G est de nouveau une anticipation, mais objective. H est un retour au passé. I est un retour à la position de départ. Les termes d’ anticipation ou de rétrospection sont à éliminer au profit des mots prolepse, toute manœuvre consistant à raconter ou évoquer  d’avance un événement ultérieur, et analepse, toute évocation après coup d’un événement antérieur au point de l’histoire où l’on se trouve, auxquels on attribue le terme général d’anachronie. Voici le schéma qui rend compte de ces procédés. A  ŔŔŔŔŔŔ A ŔŔŔŔŔŔŔ  A2 [B1] C2 [D1 (E2) F1 (G2) H1] I2 PP 

 Portée, amplitude

Une anachronie peut se porter dans un point du passé ou de l’avenir plus ou moins éloigné du moment de l’histoire ou le récit s’est interrompu : cette distance temporelle s’appelle portée. Celle-ci peut couvrir une durée d’histoire plus ou moins longue : c’est ce qu’on appelle l’amplitude. Soit le schéma :  ŔŔŔŔŔŔŔ  Portée ŔŔŔŔŔŔ 



Evénement passé.......................................Présent (interruption diégétique)  ŔŔ  Amplitude ŔŔ 





 Analepses

Toute anachronie constitue un récit temporellement second par rapport au récit dans lequel elle s’insère et que nous appellerons récit premier. Une analepse externe est qualifiée de cette sorte parce que son amplitude reste extérieure à celle du récit premier. Il n’y a donc aucune interférence. Inversement, nous qualifierons d’interne une analepse dont le champs temporel est compris dans celui du récit premier. Il existe également des analepses mixtes, dont le point de portée est antérieur au début du récit premier mais dont l’amplitude interfère avec celle de ce dernier. Au sein des analepses internes, il existe des analepses hétérodiégétiques : la ligne d’histoire, et donc le contenu diégétique, est différente de celle du récit premier. Pas de risque d’interférences. Bien différentes est la situation des analepses internes homodiégétiques lesquelles portent sur la même ligne d’action que le récit premier. Il faut distinguer, dans ce dernier cas, encore deux catégories : Les analepses complétives qui viennent après coup combler une lacune antérieure du récit. Ces lacunes antérieures peuvent être de pures ellipses, c’est à dire des failles dans la continuité spatio-temporelle ; elles peuvent être également des paralipses, c’est à dire l’omission volontaire d’une donnée appartenant à un segment narratif déjà raconté. Les

 parali pses se prête très bien, comme l’ellipse, au comblement rétrospectif. Enfin, une analepse itérative peut rendre compte, dans un récit second rédigé à l’imparfait de répétition, d’un événement type s’étant déroulé plusieurs fois et dont l’auteur a " oublié " de faire la mention. La seconde catégorie d’analepses homodiégétiques peuvent être nommées répétitives ou de " rappels ". Ce sont là des rappels à l’état pur où s’esquisse une comparaison du présent au passé qui vient modifier par conséquent la nature du souvenir par cette association : " Je reconnus que ce qui me paraissait si agréable était la même rangée d’arbres que j’avais trouvée ennuyeuse à observer et à décrire. " Les analepses mixtes sont en fait des analepses externes qui se prolongent jusqu’à r ejoindre et dépasser le point de départ du récit premier. Dans le cas des analepses externes, l’amplitude est très inférieure à la portée. Le retour en arrière est donc suivi d’un bond en avant, c’est à dire d’une ellipse qui laisse dans l’ombre la fraction d’histoire séparant le dernier événement de l’analepse et le point de départ du récit premier. C’est ce qu’on appelle une analepse partielle. Dans un autre cas d’analepse mixte ou externe, le récit second rejoint le récit  premier et relie ainsi, sans ellipse, les deux segments : c’est une analepse complète. L’analepse mixte rejoint le récit premier non pas en son début (externe), mais en un endroit  précis du récit. Par définition, les analepses partielles ne posent aucun problème de jointure ou de raccord narratif : le récit analeptique s’interrompt franchement sur une ellipse, et le récit  premier reprend là où il s’était arrêté. 

 Prolepses

Le récit à la première personne se prête mieux qu’aucun autre à l’anticipation, ou  prolepse temporelle, du fait même de son caractère rétrospectif déclaré, qui autorise le narrateur à des allusions à l’avenir. On distingue également les prolepses internes et externes. En fait, on retrouve les mêmes caractéristiques pour les prolepses que pour les analepses. Il existe des prolepses itératives qui, comme les analepses du même genre, nous renvoient à la question de la fréquence narrative. Les prolepses généralisantes explicitent en quelque sorte cette fonction paradigmatique en amorçant une perspective sur la série ultérieure : " fenêtre à laquelle je devais ensuite me mettre chaque matin ". Les prolepses répétitives  jouent un rôle d’annonce. La formule canonique en est généralement " nous verrons ", " on verra plus tard ". On ne confondra pas ces annonces avec ce que l’on doit plutôt appeler des amorces, simples pierres d’attente sans anticipation (par exemple, faire apparaître dès le début un personnage qui n’interviendra vraiment que beaucoup plus tard, comme le marquis de la Môle au troisième chapitre du  Rouge et le Noir . ). Il existe une distinction possible entre prolepses partielles et complètes, si l’on veut bien accorder cette dernière qualité à celles qui se prolongent dans le temps de l’histoire jusqu’au " dénouement " (pour les prolepses internes) ou jusqu’au moment narratif lui -même (pour les prolepses externes ou mixtes). 2. Durée 

 Anisochronies

Confronter la durée d’un récit à celle de l’histoire qu’il raconte est une opération scabreuse.  La durée d’un récit ne peut être que le temps qu’il faut pour le lire et rien ne permet justement  de fixer une vitesse " normale " d’exécution. Le point de référence, ou degré zéro, qui est la coïncidence entre succession diégétique et succession narrative (isochronie) fait défaut, même s’il est vrai qu’une scène de dialogue nous donne une espèce d’égalité entre segments

narratifs et segments fictifs. Mais il n’y a dans le dialogue qu’une sorte d’égalité conventionnelle, puisque même si le segment narratif rapporte tout ce qui a été dit, il ne restitue pas la vitesse à laquelle ont été prononcées les paroles, ni les temps morts de la conversation. Il faut donc renoncer à mesurer les var iations de durée entre récit et histoire, mais l’isochronisme d’un récit peut aussi se mesurer, non relativement, mais d’une manière absolue et autonome, comme constance de vitesse. La vitesse du récit se définira par le rapport entre une durée, celle de l’histoire mesurée en secondes, minutes, heures, jours, mois et années, et une longueur, celle du texte mesurée en lignes et en pages. Le récit isochrone, notre hypothétique degré zéro de référence, serait donc ici un récit à vitesse égale, sans accélérations ni ralentissements, où le rapport durée d’histoire/longueur de récit resterait toujours constant. Un tel récit n’existe pas, qui ne peut aller sans anisochronies, c’est à dir e sans effets de rythmes, même si un récit peut se passer d’anachronies. Pour ce genre d’étude, il faut tout d’abord déterminer ce que l’on considère comme grandes articulations narratives, et ensuite disposer, pour la mesure de leur temps d’histoire, d’un e chronologie interne approximativement claire et cohérente (124). Théoriquement, il existe une gradation continue depuis cette vitesse infinie qui est celle de l’ellipse, où un segment nul de récit correspond à une durée quelconque de l’histoire,  jusqu’à cette lenteur absolue qui est celle de la pause descriptive, où un segment quelconque du discours narratif correspond à une durée diégétique nulle. Il existe quatre rapports fondamentaux qui sont les quatre formes canoniques du tempo romanesque. Ces quatre mouvements narratifs sont les deux extrêmes évoqués plus bas et deux intermédiaires : la scène, le plus souvent dialoguée, qui réalise l’égalité de temps entre récit et histoire, et le récit sommaire, forme à mouvement variable, qui couvre avec une grande souplesse de régime le champs compris entre la scène et l’ellipse. Pause : TR = n, TH = 0. Donc, TR   > TH Scène : TR = TH Sommaire : TR < TH Ellipse : TR = 0, TH = n. Donc : TR < TH



Sommaire Récit sommaire, c’est à dire la narration en quelques pages de plusieurs journées, est quasiment absent de la Recherche. Il faut ajouter que la plupart des segments rétrospectifs, et  particulièrement les analepses complètes, ressortissent à t ype de narration. Il ne faut pas les confondre avec les ellipses pures et simples qui, elles, éludent purement et simplement une  partie du récit.  Pause Bien que Proust passe pour un auteur prodigue en description, les pauses sont rares et la plupart sont de type itératif ; loin de contribuer à ralentir le récit synthétise plusieurs occurrence du même spectacle. De plus, cet arrêt contemplatif de l’auteur s’inscrit réellement dans la temporalité de l’histoire, au contraire de la pause réelle. Balzac a, pour sa part, créé un canon descriptif où le narrateur, abandonnant le cours de son histoire, s e charge en son propre nom et pour l’information de son lecteur de décrire un spectacle que personne ne regarde ( La Vieille Fille : description de l’hôtel Cormon). Stendhal s’est toujours soustrait à ce canon en

 pulvérisant les descriptions et en les intégrant presque systématiquement dans les perspectives d’action des ses personnages ou de leur rêverie. Si l’on veut trouver un précurseur de la description proustienne, c’est à Flaubert qu’il faut penser : le mouvement général du texte est commandé par la démarche ou le regard de plusieurs personnages. Mais pour revenir à ces stations contemplative de l’écrivain de la Recherche, il faut convenir qu’elles relèvent en  partie du récit auquel elles empruntent l’analyse de l’activité des personnages, des  perspectives ou des changements e distance. La description chez Proust se résorbe en narration.  Ellipse Il s’agit évidemment des ellipses temporelles. La plupart d’entre elles procèdent par  indication du laps de temps écoulés (ellipse temporelle) : " Quelques années passèrent... " : cette indication constitue alors l’ellipse en tant que segment textuel non tout à fait égal à zéro. Elle peut encore se constituer comme suit : " Après quelques années de bonheur... ". Ce sont alors des ellipses qual ifié es  . Enfin, il existe des ellipses implicites dont la présence n’est pas déclarée dans le texte et que le lecteur peut seulement inférer de quelques lacunes chronologiques, et l’ellipse hypothétique, impossible à localiser que relève après coup une analepse. Scène La totalité du texte proustien peut être considéré comme une vaste scène. Dans la littérature  plus traditionnelle, le canon correspondait à une alternance de la scène, temps forts de l’histoire, avec le sommaire qui correspondait aux temps faibles. La scène proustienne joue le rôle de foyer temporel ou de pôle magnétique auquel vient s’attacher tout un faisceau d’événements, de digressions ou de descriptions. 3. Fréquence 

Singulatif/itératif 

Relation de fréquence entre récit et diégèse. C’est l’un des aspects essentiels de la temporalité narrative. Il est connu des grammairiens sous le terme d’aspect . Un événement n’est pas seulement capable de se produire : il peut se répéter. L’identité de ces multiples occurrences est bien sûr contestable, la répétition n’étant qu’une construction de l’esprit . Des événements semblables ne sont considérés que dans leur ressemblance et non dans leurs différences. Entre ces capacités de " répétition " des événements narrés et des énoncés narratifs s’établit un système de relation que l’on peut a priori ramener à quatre type virtuels : événements répétés ou non, énoncés répétés ou non. 

 Raconter une fois ce qui s’est passé une fois

C’est le récit singulatif. Scène singulative ou singulière. 

 Raconter n fois ce qui s’est passé n fois

" Lundi je me suis couché de bonne heure, Mardi je me s uis couché de bonne heure etc...Relation de fréquence entre récit et histoire : puisque le nombre des occurrences de la narration et celle des événements est la même, ce type se ramène au précédent. 

 Raconter n fois ce qui s’est passé une fois

" Hier je me suis couché de bonne heure, hier je me suis couché de bonne heure etc... " Le même événement peut être raconté avec des variantes stylistiques et avec des variantes de  point de vue. C’est ce qu’on appelle le r é cit ré pé ti tif . 

 Raconter une seule fois ce qui s’est passé n fois.

L’on a recours dans ce cas à une formule sylleptique du genre " tous les jours ". C’est ce qu’on appellera le récit ité ratif . Dans le récit classique, et jusque chez Balzac, les segments itératifs sont presque toujours en état de subordination par rapport aux scènes singulatives, afin de construire une sorte d’arrière-plan. Le récit itératif est au service du récit. Le premier qui ait entrepris de l’émanciper de cette tendance est Flaubert dans  Madame  Bovary (les jeudis à Rouen). L’itératif ouvre en quelques sortes une fenêtre sur la durée extérieure : itération généralisante ou itération externe. Un autre type consiste à traiter partiellement de façon itérative une scène singulière, par une sorte de classement   paradigmatique des événements qui la composent. " Chaque fois que M. de Charlus regardait Jupien, il s’arrangeait pour que son regard fut accompagné d’une parole...Telle toutes les deux minutes, la même question semblait intensément posée à Jupien. " Ce type d’itération peut être qualifiée d’interne ou synthétisante car elle porte sur la durée de la scène elle-même et non sur la durée extérieure. Enfin, certaines scènes sont présentées, en particulier par leur  rédaction à l’imparfait, comme itératives, alors que la richesse des détails fait que le lecteur ne  peut penser qu’elles se sont reproduites : c’est le pseudo-ité r atif . Cela suppose une grande complaisance de la part du lecteur, ou une " suspension volontaire de l’incrédulité " (Coleridge). Ce type de récit constitue une figure de rhétorique narrative, et vise à démontrer  qu’il se passait tous les jours une chose de ce genre, et non similaire. 

 Détermination, spécification, extension

Tout récit itératif est une narration synthétique des événements produits et reproduits au cours d’une série itérative, laquelle est elle-même composée d’un certain nombre d’unités singulières. Soit la série : les dimanches de l’été 1890. Elle se compose d’une douzaine d’unités réelles. La série est d’abord définie par ses limites diachr oniques (entre fin Juin et fin Septembre de l’année 1890) : c’est ce qu’on appelle la détermination (limites de la série). Elle est ensuite définie par le rythme de récurrence de ses unités constitutives : c’est ce qu’on appelle la spécification (distance séparant chaque unité). Enfin, l’amplitude diachronique de ces unités constitutives sera appelée extension (la durée de chaque unité). 

 Détermination

L’indication des limites diachroniques peut rester implicite, comme par exemple s’il s’agit d’une récurrence sans limites : Le soleil se lève chaque matin. Elle peut être aussi indéfinie :  A partir d’une certaine année... Elle peut être également définie par une date absolue : Quand le printemps approcha 

Spécification

Elle peut être également indéfinie, c’est à dire marquée par un adverbe du type : parfois,  souvent, certains jours... ou définie de manière absolue : tous les jours, tous les dimanches etc... Les spécifications complexes, sont celles qui font se conjuguer deux spécifications simples : Tous les samedis + tous les mois de Mai = Tous les samedis du mois de Mai. 

 Extension

Une unité itérative peut être d’une durée si faible qu’elle ne donne lieu à aucune expansion narrative. Exemple : Tous les matins, mon réveil  sonne à sept heures. Il s’agit là d’itérations en quelque sorte ponctuelles. 

 Diachronie interne et diachronie externe

Une unité itérative est comme enfermée dans sa propre durée synthétique, la diachronie réelle n’intervenant que pour marquer les limites de la série constituée par la somme de cette même unité, ou pour diversifier le contenu de l’unité constituée. Cela dit, une unité itérative telle que nuit d’insomnie, constituée à partir d’une série s’étendant sur plusieurs années, peut   fort bien être racontée dans sa successivité propre, c’est à dire du soir au matin, sans fai re  intervenir l’écoulement de la durée externe, c’est à dire des jours et des années qui se sont écoulées depuis la première nuit d’insomnie, jusqu'à la dernière : la nuit typique restera semblable à elle-même, sans évoluer. Cependant, le récit itératif peut, par le jeu des déterminations internes (c’est à dire des sous-déterminations), tenir compte de la diachronie réelle et l’intégrer à sa propre progression temporelle, en faisant état des modifications apportées à son déroulement par le temps écoulé : modifications non plus considérées comme des variations interchangeables donnant naissance à des sous-spécifications, mais comme des transformations irréversibles : morts, ruptures, maturations du héros (cf. p. 168-169) 4. Conclusion sur la catégorie du temps narratif dans L a Recherche  " Nous avons pu constater plus d’une fois , en effet , l’étroite solidarité de fait des divers  phénomènes que nous avions dû séparer pour des motifs d’exposition. Ainsi, dans le récit traditionnel, l’analepse (fait d’ ordre ) prend le plus souvent la forme du récit sommaire (fait de durée ou de vitesse ), le sommaire recourt volontiers aux services de l’itératif (fait de fréquence ) ; la description est presque toujours à la fois ponctuelle, durative et itérative, sans  jamais s’interdire des amorces de mouvement diachronique : et nous avons vu chez Proust  comment cette tendance va jusqu'à résorber le descriptif en narratif ; il existe des formes  fréquentatives de l’ellipse (ainsi, tous les hivers parisiens de Marcel à l’époque de Combray) ; la syllepse itérative n’est pas seulement un fait de fréquence : elle touche aussi à l’ordre (puisque en synthétisant des événements semblables elle abolit leur succession) et à la durée (puisqu’elle élimine en même temps leurs intervalles). 5. Mode On pourrait dire que, puisque la fonction du récit est simplement de raconter une histoire, que le seul mode possible ne peut être que l’indicatif . Cela dit, on peut objecter qu’il n’y a  pas seulement une différence entre ordonner, affirmer ou souhaiter : il y a aussi des degrés de différence dans l’affirmation, exprimés par l’infinitif, le subjonctif du discours indirect ou le conditionnel. On peut en effet raconter plus ou moins ce que l’on raconte, et le raconter selon tel ou tel point de vue : c’est ce qu’on appelle la régulation de l’information narrative, constituée par les deux modalités essentielles que sont la distance et la perspective (comme la vision que l’on a d’un tableau dépend de la distance à laquelle je le vois ainsi que l’angle sous lequel je le vois).  Distance Le r é cit pur   , selon Platon, est celui dont le poète endosse entièrement la responsabilité sans essayer de nous faire croire que c’est un autre que lui qui parle. L’imitation ou mimé si s au contraire le récit fait par le poète, lequel s’efforce de donner l’illusion que ce n’est pas lui qui  parle. Henry James a dénommé ces deux possibilités de récit par le terme de showing et de

telling  . Mais comment faire pour que le récit se raconte lui-même sans que personne ait à  parler pour lui ? Platon se garde bien de répondre à cette quest ion, comme si son étude n’était consacrée qu’aux paroles et n’opposait comme diégésis et mimésis qu’un dialogue au style indirect (diégésis ou récit pur) et un dialogue au style direct (mimésis : le narrateur fait comme s’il ne racontait pas). Nous avons en fait plusieurs degré s de dié gé sis . Il faut distinguer entre récit d’événements et ré ci ts de parol es  . 

 Récits d’événements

Le récit d’événements, quel qu’en soit le mode, est toujours récit, c’est-à-dire transcription du (supposé) non-verbal en verbal : sa mimésis ne sera donc jamais qu’une illusion de mimésis, dépendant comme toute illusion d’une relation éminemment variable entre le récepteur et l’émetteur. Il faut faire la part de cette variation selon les individus, les groupes et les époques. Quoi qu’il en soit, la mimésis se définit par un maximum d’information et un minimum d’informateur (ou présence minimale), la diégésis par le rapport inverse. (Cf. la traduction que nous propose Platon dans la République d’un passage de L’Illiade). " Montrer ", ce ne peut être qu’une façon de raconter, et cette façon consiste à en dire le plus  possible, et ce plus à le dire le moins possible. Showing : dominance de la scène et la transparence flaubertienne du narrateur : feindre de montrer, c’est feindre de se taire. Comme on le voit, cette définition nous renvoie d’une part à la détermination temporelle de la vitesse narrative (la quantité d’information en raison inverse de la vitesse du récit), et d’autre part à un fait de voix : le degré de présence de l’instance narrative. En ce point, la  Recherche consiste en un démenti : prolifération de scènes (forme la plus mimétique) mais présence constante du narrateur. Proust est donc à l’extrême du showing et du telling ; paradoxalement, cette distance temporelle entre l’histoire et l’instance narrative n’entraîne aucune perdition de la qualité mimétique. 

 Récits de paroles

Réponse d’Agamemnon aux supplications de Chrysès, L’Iliade (I, v.26-32) : " Prends garde, vieux, que je ne te rencontre encore près des ne fs creuses, soit à y traîner aujourd’hui, ou à y revenir demain. Ton bâton, la parure même du dieu pourraient alors ne te servir de rien. Celle que tu veux, je ne te la rendrai pas. La vieillesse l’atteindra auparavant dans mon palais, en Argos, loin de sa patrie, allant et venant devant l e métier et, quand je l’y appelle, accourant à mon lit. Va, et plus ne m’irrite, si tu veux partir dans dommages. " Voici maintenant ce que devient de discours chez Platon : " Agamemnon se fâcha et lui intima l’ordre de s’en aller et de ne plus reparaître ; car son sceptre et les bandelettes du dieu ne lui seraient d’aucun secours ; puis il ajouta que sa fille ne serait pas délivrée avant d’avoi r vieilli avec lui à Argos ; il lui enjoignit l’ordre de se retirer et de ne pas l’irriter, s’il voulait rentrer chez lui sain et sauf. "  Nous avons donc deux types de récits possibles : un discours imité  , celui d’Homère, c’est à dire fictivement rapporté, et un discours narrativisé   , celui de Platon, traité comme une événement parmi d’autres et assumé comme tel par le narrateur. Dans le denier cas, rien ne distingue extérieurement ce qui vient ce qui vient de la réplique prêtée par Homère à son héros (il lui intima l’ordre de s’en aller ) et ce qui est emprunté aux vers narratifs qui précède (il se fâcha). C’est un réduction du discours à l’événement. De là, on peut déduire trois sortes de discours : 1. Le discours narrativisé ou raconté, c’est l’état le plus distant et le plus général et, comme on vient de le voir, le plus réducteur. Ainsi, l’on peut supposer que le héros de la Recherche, au lieu de reproduire son dialogue avec sa mère, écrive simplement à la fin de Sodome : " J’informai ma mère de ma décision d’épouser Albertine. "

2. Le discours transposé au style indirect : " Je dis à ma mère qu’il me fallait absolument épouser Albertine. " (discours prononcé) ou " Je pensai qu’il me fallait absolument épouser Albertine. ". Dans cette forme, la présence du narrateur (diégésis) est encore trop sensible, et ne donne au lecteur aucune assurance de fidélité littérale. Il n’en va de même de ce que l’on a appelé le discours indirect libre ou l’absence de subordination laisse une plus grande liberté au discours. Mais l’absence du verbe déclaratif peut entraîner une double confusion. En premier lieu, celle entre discours prononcé et discours intérieur : " J’allai trouver ma mère : il me fallait absolument épouser Albertine. " Ensuite et surtout, une confusion entre le discours du personnage et celui du narrateur : " Il alla trouver sa mère : il lui fallait absolument épouser Albertine. " 3. La forme la plus mimé tiqu e est évidemment celle où le narrateur feint de laisser la parole à son personnage : " Je dis à ma mère : il faut absolument que j’épouse Albertine. "Ce discours rapporté de type dramati que est adopté, dès Homère, par le genre narratif mixte qu’est l’épopée — et que sera à sa suite le roman ŕ  comme forme fondamentale du dialogue (et du monologue) et le plaidoyer de Platon  pour le narratif pur aura d’autant moins d’effet qu’Aristote ne tarde pas la supériorité du mimétique pur avec le succès que l’on sait. Cela ne se traduit pas seulement par la canonisation de la tragédie comme genre suprême dans toute la tradition classique, mais aussi par cette sorte de tutelle exercée sur le narratif par le modèle dramatique qui se traduit bien dans l’emploi du mot scène pour désigner la forme fondamentale de la narration romanesque. Jusqu’au XIXème siècle, le scène romanesque se conçoit comme une pâle copie de la scène dramatique : mimésis à deux degrés, imitation de l’imitation. 4. Paradoxalement, une des grandes voies de l’émancipation du discours aura consisté à pousser à l’extrême cette mimésis du discours, en effaçant les dernières marques de l’instance narrative. " Le lecteur se trouverait installé dès les premières lignes dans les pensées du personnage principal, et c’est le déroulement ininterrompu de cette pensée qui, se substituant complètement à la forme usuelle du récit, nous apprendrait ce que fait le personnage et ce qui lui arrive. "On a ici reconnu le description faite par Joyce des Lauriers sont coupés, que l’on a appelé le monologue intérieur et qu’il vaudrait mieux nommé discours immédiat, puisque l’important n’est  pas que ce discours soit intérieur, mais qu’il soit d’emblée émancipé de tout patronage narratif , qu’il occupe immédiatement le devant de la scène. Il faut noter le rapport généralement méconnu entre le discours immédiat et le discours rapporté, lesquels ne se distinguent que par la présence ou l’absence d’une introduction déclarative. Le monologue n’a pas besoin d’être extensif à toute l’œuvre pour être reçu comme " immédiate ". Il suffit qu’il se présente de lui-même, sans le truchement d’une instance narrative réduite au silence. D’où la différence capitale entre discours immédiat et discours indirect libre : dans ce dernier, le narrateur assume le discours du personnage, ou si l’on préfère, le personnage parle par la voix du narrateur et les deux instances sont alors confondues. Dans le discours immédiat, le narrateur s’efface et le personnage se substitue à lui. Proust ne présente à peu près rien dans son œuvre que l’on puisse rapprocher du monologue intérieur. Le soliloque du héros est ici fortement pris en charge par le narrateur à des fins évidentes de démonstration, et il est très éloigné de l’esprit du monologue intérieur moderne, lequel enferme le personnage dans la subjectivité d’un vécu sans transcendance ni communication. Le seul exemple de discours immédiat se présente dans cette forme de récit : " Même, les tous premiers jours de l’arrivée, je n’avais pas connu sa présence à Balbec. Par qui donc l’avais-je apprise ? Ah ! oui, par Aimé. Il faisait un beau soleil comme celui-ci. Brave Aimé ! Il était content de me revoir. Mais il n’aime pas

 Albertine. Tout le monde ne peut pas l’aimer. Oui, c’est lui qui m’a annonce qu’elle était à Balbec. "  Il reste à dire que chez Proust, le discours " stylisé " est la forme extrême de la mimésis du discours. Chacun des personnages semble assumer un idiolecte qui lui est particulier. Aussi Legrandin ou Charlus donnent-ils toujours l’impression de s’imiter, et finalement de s’imiter eux-mêmes. L’effet mimétique est donc ici à son comble. Jamais Proust n’a été si  proche du modèle balzacien. 

 Perspective

, entre les Il y a toujours une fâcheuse confusion entre ce que l’on appelle le mode et la voix  questions qui voit ? et qui parl e ? Il est certes légitime d’envisager une typologie des " situations narratives " qui tienne compte à la fois des données de mode et de voix ; ce qui ne l’est pas, c’est de présenter une classification sous la seule catégorie du point de vue. Aussi convient-il ici de ne considérer que les déterminations purement modales, c’est -à-dire celles qui concernent le point de vue ou la vision ou encore l’aspect. Cette réduction admise, le consensus s’établit sans grandes difficultés sur une typologie à trois termes : 1.  Narrateur > personnage, le narrateur en sait plus que le personnage : vision par  derrière. 2.  Narrateur = Personnage, le narrateur ne dit que ce que sait le personnage, récit " à  point de vue " 3.  Narrateur< Personnage, le narrateur en dit moins que ce que ne sait le personnage, c’est le récit " objectif " ou vision du dehors. 

 Focalisations

 Nous rebaptiserons le premier type de récit non-focalisé  ou à focalisati on zé r o , le second type à focali sation i ntern e  , qu’elle soit fixe, variable (comme dans Madame Bovary, où le  personnage focal est d’abord Charles, puis Emma) ou multiple (comme dans les romans par  lettres, ou le même événement peut être évoqué plusieurs fois selon le point de vue de  plusieurs personnages-épistoliers.) Le troisième type sera le récit à focali sation externe  , où le héros agit devant nous sans que nous soyons admis à connaître la moindre de ses pensées (exemple : la fameuse scène du fiacre dans Madame Bovary). Il faut noter que ce que nous appelons focalisation interne n’est jamais appliqué de manière rigoureuse : en effet le principe même de ce mode narratif implique que le  personnage focal ne soit jamais décrit, ni même désigné de l’extérieur, et que ses pensée ne soient jamais analysées objectivement de l’extérieur. La focalisation n’est jamais mieux réalisée que dans le monologue intérieur ou discours immédiat. 

 Altérations

Les variations de point de vue qui se produisent au cours d’un récit peuvent être analysés comme des changements de focalisation. L’on nomme al té r ations les variations ou infractions isolées, quand la cohérence d’ensemble demeure cependant assez forte pour que la notion de mode dominant reste pertinente. Les deux types d’altérations consistent soit à donner moins d’information qu’il n’est en principe nécessaire, soit à en donner plus qu’il n’est en principe autorisé dans le code de focalisation qui régit l’ensemble. Le premier type s’appelle une paralipse, ou omission latérale. Le second, on peut l’appeler paralepse. Le type classique de la paralipse est, dans le code de la focalisation interne, l’omission de telle ou telle

 pensée importante du héros focal que ni le héros, ni le lecteur ne peuvent ignorer, mais que la narrateur choisit de dissimuler. Exemple massif : la dissimulation dans Armance, à travers tant de pseudo-monologues du héros, de sa pensée centrale qui ne peut pas le quitt er un instant : son impuissance sexuelle. La paralepse peut, elle consister en une incursion dans la conscience d’un personnage au cours d’un récit conduit en focalisation externe : " il affecta l’air d’un anglais ". Ce peut être aussi, en focalisation interne, une information incidente sur  les pensées d’un autre personnage que le personnage focal, ou sur un spectacle que ce dernier  ne peut pas voir. 

 Polymodalité

L’emploi de la " première personne ", autrement dit, l’identité du héros avec le narrateur n’implique nullement une focalisation du récit sur le héros. Bien au contraire, du fait de son identité avec le héros, le narrateur de type autobiographique est plus naturellement autorisé à parler en son propre nom. Quand le récit impersonnel tend à la focalisation interne, par la simple pente de la discrétion et du respect de la liberté des  personnages (Sartre), c’est-à-dire l’ignorance, la seule focalisation que doive s’imposer le narrateur autobiographique se définit par rapport à son information présente de narrateur et non par rapport à son information passée de héros. Ainsi, le narrateur peut s’imposer la simple information du héros passé, mode la focalisation interne, mais il n’y est nullement tenu (p. 214). Ainsi, lorsqu’on dit de la scène de Montjouvain qu’elle exercera plus tard une influence sur la vie du héros, cet avertissement ne peut être le fait du héros, mais bien du narrateur, comme toutes les autres formes de prolepses. C’est bien par anticipation que  procèdent les informations complémentaires introduites par des locutions du type j’ai appris depuis que..., qui relèvent de l’expérience ultérieure du héros, autrement dit de celle du narrateur. Il n’est donc pas juste de mettre de telles interventions au compte de romancier (par opposition au narrateur) omniscient : entre l’information du héros, et l’omniscience du romancier, il y a l’information du narrateur, qui en dispose ici comme il l’entend, et qui ne la retient que lorsqu’il y voit une raison précise (donc à ce niveau, pas de changement de focalisation interne > zéro). La scène de Montjouvain, où Marcel observe à la dérobée Mlle de Vinteuil, est en fait basée sur une double focalisation : tout se passe comme si le témoin ne pouvait ni tout voir, ni tout entendre, mais devinait en revanche toutes les pensées. Cette coexistence à peine pensable de deux codes concurrents est en fait une représentation de la pratique narrative proustienne :  passer à volonté de la conscience de son héros à celle de son narrateur, et venant habiter tour à tour celle de ses héros les plus divers. C’est sans doute un état typique, on peut même dire inaugural, de polymodalité. 6. Voix 

 L’instance narrative

Comme nous l’avons déjà remarqué, on réduit les questions de l’énonciation narrative à celles du point de vue ; de l’autre, on identifie l’instance narrative à l’instance d’écriture, le narrateur à l’auteur, et le destinataire du récit au lecteur de l’œuvre. Le narrateur du Pè r e  Goriot n’est pas Balzac, même s’il exprime ça ou là les opinions de celui-ci, car ce narrateur-auteur est quelqu’un qui " connaît " la pension Vauquier et ses pensionnaires, alors que Balzac ne fait que les imaginer : et en ce sens, bien sûr, la situation narrative d’un récit de fiction ne se ramène jamais à sa situation d’écriture. Cette instance ne demeure pas nécessairement identique et invariable au cours d’une même œuvre

narrative : l’essentiel de Manon Lescault est raconté par des Grieux, mais quelques pages reviennent à M. de Renoncour. Pour obtenir une bonne définition, il faudra recourir, pour l’essentiel, aux catégories du temps de la narration, du niveau narratif et de la " personne ", c’est-à-dire des relations entre le narrateur, et éventuellement son ou ses narrataires, à l’histoire qu’il raconte. 

Temps de la narration

La principale dé ter mination temporelle de l’instance narrative est évidemment sa position relative par rapport à l’histoire (puisque qu’il est impossible de ne pas employer  un des temps de la conjugaison). Il semble aller de soi que la narration ne peut être que  postérieure à ce qu’elle raconte, mais cette évidence est démentie depuis bien des siècles par  l’existence du récit " prédictif " sous ses diverses formes. Il y a donc quatre type de narrations : 1. Intercalée : il s’agit d’une narration à plusieurs instances. L’histoire et la narration  peuvent s’y enchevêtrer de telle sorte que la seconde réagisse sur la première : c’est ce qui se passe notamment dans le récit épistolaire à plusieurs correspondants où, comme on le sait, la lettre est à la fois le médium du récit et l’élément de l’intrigue. On remarquera que la très grande proximité entre histoire et narration  produit ici, le plus souvent, un effet très subtil de frottement (cf. L’étranger ). Le  journal et la confidence épistolaire allient constamment ce que l’on appelle en langage radiophonique le direct et le di ffé r é  . Le narrateur est tout à la fois le héros et déjà quelqu’un d’autre : les événements de la journée sont déjà du passé et le point de vue  peut s’être déjà modifié. Cécile Volanges écrit à Mme de Mer teuil pour lui raconter  comment elle a été séduite, la nuit dernière, par Valmont, et lui confier ses remords ; la scène de séduction est passée, et avec elle, le trouble que Cécile n’éprouve plus, et ne peut même plus concevoir. Reste la honte, et une sorte de stupeur qui est à la fois incompréhension et découverte de soi : il y a à la fois focalisation sur le narrateur et sur le héros. 2. Simultanée : C’est en principe le plus simple système de narration : narration et histoire coïncident et toute espèce d’interférence est éliminée. On doit noter  cependant que la confusion des instances peut fonctionner ici en deux directions opposées, selon que l’accent est mis sur l’histoire ou sur le discours narratif. Un récit au présent et purement événementiel (type behaviouriste) peut apparaître comme le comble de l’objectivité, puisque la marque de distance temporelle entre histoire et narration que comporte inévitablement le prétérit disparaît dans une transparence totale du récit (Cf. le Nouveau Roman). Si par contre l’accent porte sur la narration elle-même, comme dans les récits en " monologue intérieur ", la coïncidence joue en faveur du discours et c’est alors l’action qui semble se réduire à l’état de simple prétexte. 3. Antérieure : Même les récits d’anticipation de Wells ou de Bradbury postdatent presque toujours leur instance narrative, implicitement postérieure à leur histoire. Le récit prédictif n’apparaît guère dans le corpus littéraire, qu’au niveau second : dans le Moyse sauvé de Saint-Amant, le récit prophétique d’Aaron. 4. Ultérieure : C’est l’immense majorité des récits produits à ce jour. Il existe donc une sorte de distance temporelle qui sépare le moment de la narration de celui de l’histoire. Dans le récit classique à la " troisième personne ", cette distance est comme indéterminée, le prétérit marquant une sorte de passé sans âge : comme chez Balzac, l’histoire peut être datée sans que la narration le soit. Il arrive pourtant qu’une certaine contemporanéité de l’action soit révélée par l’emploi du présent

comme dans le Pè r e Gor iot : " Madame Vauquer, née de Confians, est une vieille femme qui, depuis quarante ans, tient à Paris une pension bourgeoise. "Des effets de convergence finale, les plus saisissants, jouent sur le fait que la durée même de l’histoire diminue progressivement la distance qui la sépare du moment de la narration (Cf. 235-236-237 : Proust et le fossé permanent séparant présent de narration et  présent de l’histoir e) 

 Niveaux narratifs

Quand des Grieux, parvenu à la fin de son récit, déclare qu’il vient de faire voile de la  Nouvelle-Orléans au Havre-de-Grâce, puis du Havre à Calais pour retrouver son frère qui l’attend à quelques lieues, la distance temporelle s’amenuise progressivement au point de finalement se réduire à zéro. Il subsiste pourtant, entre ces deux épisodes des amours du chevalier et la salle du Lion d’or avec ses occupants, une distance qui n’est ni dans le temps, ni dans l’espace, mais dans la diff érence entre les relations que les uns et les autres entretiennent avec le récit de des Grieux. Il y a une différence de niveau . Le Lion d’or , le marquis, le chevalier en fonction de narrateur sont pour nous dans un certain récit, non pas celui de des Grieux, mais celui du marquis, Mémoires d’un homme de qualité. Nous définirons cette différence de niveau en disant que tout é vé nement r aconté par un r é ci t est à  un niveau diégétique immédiatement supérieur à celui où se situe l’acte narratif producteur  de ce r é cit . La rédaction par M. de Renoncour de ses M é moires fictifs est un acte littéraire accompli à un premier niveau que l’on dira extradiégétique ; les événements racontés dans ces Mémoires (dont l’acte narratif de des Grieux) sont dans ce premier récit, on les qualifiera donc de diégétiques ou d’intradiégétiques ; les événements racontés dans le récit de des Grieux seront dits métadiégétiques. L’instance narrative d’un récit premier est  cit second  donc par définition extradiégétique, comme l’instance narrative d’un r é (mé tadié gé tique) est par dé finition dié gé tique . M. de Renoncour n’est pas un " personnage " dans un récit assumé par l’abbé Prévost, il est l’ auteur f ictif de Mémoires dont nous savons d’autre part que l’auteur réel est Prévost, tout comme Robinson Crusoé est l’auteur fictif du roman de Defoe qui porte son nom. Ni Prévost, ni Defoe n’entrent dans l’espace de notre question, qui porte sur l’instance narrative et non sur l’instance littéraire. M. de Renoncour et Crusoe sont des narrateurs-auteurs, et comme tels ils sont au même niveau narratif que leur public c’est à dire vous et moi. Ce n’est le cas de des Grieux qui ne s’adresse jamais à nous mais seulement au marquis. Il faut encore noter que toute narration extradiégétique n’est pas nécessairement assumée comme œuvre littéraire. Un roman en forme de journal intime ne vise aucun public, sinon aucun lecteur et il en va de même du roman par lettres. Inversement, le récit second peut être ni oral, ni écrit et se donner ouvertement ou non, comme un récit intérieur : ainsi le rêve de Jocabel dans  Moyse  sauvé. 

 Le récit métadiégétique

Le récit au second degré est une forme qui remonte aux origines mêmes de la narration épique (Homère : les chants XI et XII de l’Odyssée sont consacrés au récit fait par Ulysse devant l’assemblée des Phéaciens). Il y a trois types de relations qui peuvent unir le récit métadiégétique au récit premier dans lequel il s’insère. 1. Le premier type est une causalité directe entre les événements de la diégèse et ceux de la métadiégèse qui confère au récit second une fonction explicative. Quels événements ont conduit à la situation présente. Il s’agit d’une simple variante de l’analepse explicative.

2. Le deuxième type consiste en une relation purement thématique, n’impliquant aucune continuité spatio-temporelle entre métadiégèse et diégèse : relation de contraste (malheur d’Ariane abandonnée au milieu des joyeuses noces de Thétis) ou d’analogie (Amram raconte à Jacobel hésitant l’histoire du sacrifice d’Abraham) 3. Le troisième type ne comporte aucune relation explicite entre les deux niveaux d’histoire : c’est l’acte de narration lui-même qui remplit une fonction dans la diégèse, distraction ou obstruction : l’exemple le plus frappant est celui de Schéhérazade repoussant la mort à coup de récits dans les Mille et une nuits. 

 Métalepses

Le passage d’un niveau narratif à l’autre ne peut en principe être assuré que par la narration, acte qui consiste précisément à introduire dans une situation, par le moyen d’un discours, la connaissance d’une autre situation. La métalepse de l’auteur, inversement, consiste à feindre que le poète " opère lui-même les effets qu’il chante ". Dans Jacques le  fataliste, Diderot écrit : " Qu’est-ce qui m’empêcherait de marier le Maître et de le faire cocu ? " Toute intrusion du narrateur ou du narrataire extradiégétique dans l’univers diégétique, ou inversement provoque un effet de bizarrerie soit bouffonne, soit fantasque. C’est ce qu’on appelle les métalepses narratives. Ainsi Balzac ( Illusions perdues) : " Pendant que le vénérable ecclésiastique monte les rampes d’Angoulême, il n’est pas inutile d’expliquer... ", comme si la narration était contemporaine de l’histoire. Une figure moins audacieuse, mais que l’on peut rapprocher de la métal epse, consiste à raconter comme diégétique un récit que l’on a pourtant présenté comme métadiégétique. Ainsi en va-t-il du Thé é thè te, conversation entre Socrate, Théodore et Théétète rapportée par Socrate lui-même à Euclide qui le rapporte à Terpsion. Mais  pour éviter , dit Euclide, " l’ennui de ces formules intercalées dans le discours quand, par  exemple, Socrate dit, en parlant de lui-même : ‘et moi, je dis’, ou ‘moi, je répondis’, et en  parlant de son interlocuteur : ‘il en tomba d’accord’ ou ‘il n’en convînt pas’ ", l’entretien a été rédigé sous la forme d’un dialogue de Socrate avec ses interlocuteurs. Le relais métadiégétique est évincé ici au profit du narrateur premier, ce qui fait en quelque sorte l’économie d’un niveau narratif : c’est ce qu’on appelle le mé tadié gé tique ré duit (sousgé tique . La Recherche est de nouveau un exemple de entendu : au diégétique) ou pseu do-dié ce degré de narration, en tant qu’elle élimine systématiquement le relais métadiégétique. Elle est une narration directe où le narrateur présente ouvertement son récit comme œuvre littéraire et assume donc le rôle d’auteur fictif  , comme Robinson en contact direct avec son  public ; car Marcel n’est pas vraiment Proust, le narrateur n’est pas exactement l’auteur de la Recherche : quelle qu’en soit la source, tout récit second est en effet pris en charge par le héros-narrateur. Soit le retour analeptique à 1914, durant le séjour à Paris en 1916 : "  Je songeais que (diégétique)je n’avais pas revu depuis bien longtemps aucune des personnes dont il a été question dans cet ouvrage. En 1914, seulement (normalement métadiégétique)... " : suit un récit direct de ce premier retour, comme si ce n’était pas là un souvenir évoqué  pendant le second, ou comme si ce souvenir n’était qu’un prétexte narratif. Toute la Recherche est en fait une vaste analepse pseudo-diégétique au titre des souvenirs du " sujet intermédiaire ", aussitôt revendiqués et assumés comme récit par le narrateur final. Du second type relèvent tous ces épisodes qui ont eu lieu hors de la présence du héros et dont le narrateur n’a pu être informé que par un récit intermédiaire. Le dernier exemple, sans doute le plus clair (et qui le sera certainement davantage pour Christine) est celui d’Œdipe. Si ce dernier peut faire ce que chacun, dit-on, ne fait que désirer, c’est parce qu’un oracle a raconté d’avance qu’il tuerait un jour son père et épouserait sa mère : sans oracle, pas d’exil, donc pas d’incognito, donc pas de parricide et pas d’inceste. L’oracle d’Œdipe-Roi est un

récit métadiégétique au futur, dont la seule énonciation va déclencher la machine infer nale capable de l’accomplir. 

 Personne

On a pu remarquer jusqu’ici que nous n’employions les termes de " r écit à la première ŕ ou à la troisième ŕ  personne " qu’assortis de guillemets de protestation. Il s’agissait de mettre l’accent sur l’élément en fait invariant de la situation narrative, à savoir la présence, explicite ou implicite, de la " personne " du narrateur qui ne peut être dans son récit qu’à la première personne. La présence de verbes à la première personne dans un texte narratif  peut donc renvoyer à deux situations très différentes : la dé signation du nar rateur en tant  que tel  par lui-même : " Arma virumque cano " (Virgile : " Je chante les combats des hommes ") ou l’identité de personne entre le narrateur et l’un des personnages : " En 1632, je naquis à naquis à York " ( Robinson Crusoé). Le terme de récit à la première personne ne se réfère évidemment qu’au second cas. La vraie question est donc de savoir si le narrateur a ou non l’occasion d’employer la première personne pour désigner l’un de ses pers onnages. On distinguera donc ici deux types de récits : l’un à narrateur absent de l’histoire qu’il raconte (Homère dans l’ Illiade), l’autre à narrateur présent comme personnage dans l’histoire qu’il raconte (Gil Blas). L’on nommera le premier type, pour des raisons évidentes, hétérodiégétique (du grec hétéros, autre), et le second homodiégétique. Mais il faudra encore au moins distinguer à l’intérieur du type homodiégétique deux variétés : l’une ou le narrateur est le héros de son récit  (Gil Blas), et l’autre où il ne joue qu’un rôle secondaire qui se trouve être, pour ainsi dire toujours, un rôle d’observateur  et de témoin, comme Ismahel dans Moby Dick. Nous réserverons pour la première variété (qui représente en quelque sorte le degré fort de l’homodiégétique) le terme d’autodiégétique. La  Recherche est fondamentalement un récit autodiégétique où le héros-narrateur ne cède pour  ainsi dire jamais à quiconque, nous l’avons vu, le privilège de la fonction narrative. Soit le tableau ci-dessous :  Extradiégétique

 Intradiégétique (diégétique)

 Hétérodiégétique

Homère

Schéhérazade

 Homodiégétique

Gil Blas ou Marcel

Ulysse

Relation

Niveau

1. Homère, narrateur extradiégétique-hétérodiégétique, est en effet celui qui, au premier  degré, raconte une histoire d’où il est absent. 2. Gil Blas, narrateur extradiégétique-homodiégétique, est celui qui, au premier degré, raconte sa propre histoire. 3. Schéhérazade, narratrice intradiégétique-hétérodiégétique, est celle qui, au second degré, raconte des histoires d’où elle est absente. 4. Ulysse, narrateur intradiégétique-homodiégétique, est celui qui, au second degré, raconte sa propre histoire lorsqu’il s’adresse aux Phéaciens.

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