Derrida, Jacques. La Voix et le Phénomène

April 16, 2017 | Author: jose gaviria | Category: N/A
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Jacques Derrida La voix et le phénomène INTRODUCTION AU PROBLÈME DU SIGNE DANS LA PHÉNOMÉNOLOGIE DE HUSSERL

QUADRIGE/ PUF

ISBN Z 13 04470% 3 ISSN OZ91-o489

Dépôt légal - 1,. édition : 1967 1 •• édition • Quadrige • : 1993. juin Presses Univenitaires de France, 1967 Epimèthèe 108, boulevard Saint-Germain, 7Soo6 Paris



1 Quand nous lisons œ mot • je • sans savoir qui l'a écrit, nous avons un mot, sinon dépourvu de signification, du moins étranger à sa signification normale. • Recherches logiques. 1 Un nom prononcé devant nous nous fait penser à la galerie de Dresde et à la dernière visite que nous y avons faite : nous errons à travers les salles et nous arrêtons devant un tableau de Téniers qui représente une galerie de tableaWI:. Supposons en outre que les tableaWI: de cette galerie représentent à leur tour des tableaux, qui de leur côté feraient voir des inscriptions qu'on peut déchiffrer, etc. • /tUes ... 1. 1 J'ai parlé à la fois de son et de voix. Je veux dire que le son était d'une syllabisation distincte, et même terriblement, effroyablement distincte. M. Valdemar parlait, évidemment pour répondre à la question ... Il disait maintenant : • - Oui, -non, - j'ai dormi, -et maintenant,- maintenant, ;e suis mort. • Histoires e:draordinaires.

TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •

I

Le .rigne et le.r .rigne.r. . • • • • • • • . • . • •

17

La rldnction de l'indice. • • • • • • • • . • . . . . . .

2.8

III. -

Le 11011loir-dire comme

•••. ••••••

34

IV. -

Le 11o11loir-dire et la reprl.rentation • • . . • • .

53

V. -

Le .rigne et le clin d'œil • • • • . • • . . . • . • . .

67

VI. -

La voix q11i garde le silence. . . . . . . . . . . . .

78

VII. -

Le .r11ppllment d'origine • . . . . • . • . . . . . . . .

98

CHAPITRE PREMIER. -

II. -

.roliloqt~e

Imprimé ~n France Imprimerie des Presses L' niversitaircs de France j3, avenue Ronsard ..p 100 Vendôme Juin 1993 - :-;o 39 303

INTRODUCTION Les Reçherchu logiqms (1900-1901) ont ouvert un chemin dans lequel, on le sait, toute la phénoménologie s'est enfoncée. Jusqu'à la 4e édition (192.8), aucun déplacement fondamental, aucune remise en question décisive. Des remaniements, certes, et un puissant travail d'explicitation : Idées ... I et Logique formelle el logique transcendantale déploient sans rupture les concepts de sens intentionnel ou noématique, la différence entre les deux strates de l'analytique au sens fort (morphologie pure des jugements et logique de la conséquence) et lèvent la limitation déductiviste ou nomologique affectant jusqu'ici le concept de science en général (1). Dans la Krisis et les textes annexes, en particulier dans l'Origine de la glométrie, les prémisses conceptuelles des Recherches sont encore à l'œuvre, notamment quand elles concernent tous les problèmes de la signification et du langage en général. Dans ce domaine plus qu'ailleurs, une lecture patiente ferait apparaître dans les Recherches la structure germinale de toute la pensée husserlienne. A chaque page se laisse lire la nécessité - ou la pratique implicite - des réductions éidétiques et phénoménologiques, la présence repérable de tout ce à quoi elles donneront accès. Or la première des Reçhmhes ( Ausdruck und Bedeutung) (z.) (1) Logique formeUe et logique transcendantale, § 35 b, tr. Suzanne BACHELAtu>, Presses Universitaires de France, p. 137. (2) A l'aception de quelques ouvertures ou anticipations indispensables, le présent essai analyse la doctrine de la signification telle qu'elle se constitue dès la première des Recherches logiques. Pour en mieux suivre l'itinéraire difficile et tor·

2.

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s'ouvre par un chapitre consacré à des« distinctions essentielles» qui commandent rigoureusement toutes les analyses ultérieures. Et la cohérence de ce chapitre doit tout à une distinction proposée dès le premier paragraphe : le mot« signe» (Zeichen) aurait un« double sens » ( ein Doppel.rin;J). Le signe « signe» peut signifier« expression» ( Arudruck) ou « indice » ( Anzeichen). Depuis quelle question recevrons-nous et lirons-nous cette distinction dont l'enjeu paraît ainsi très lourd ? Avant de proposer cette distinction purement « phénoménologique » entre les deux sens du mot « signe », ou plutôt avant de la reconnaître, de la relever dans ce qui veut être une simple description, Husserl procède à une sorte de réduction phénoménologique avant la lettre : il met hors circuit tout savoir constitué, il insiste sur la nécessaire absence de présuppositions ( Voraus.retzungslosigkeit), qu'elles viennent de la métaphysique, de la psychologie ou des sciences de la nature. Le point de départ dans le « Faktum » de la langue n'est pas une présupposition pourvu qu'on soit attentif à la contingence de l'exemple. Les analyses ainsi conduites gardent leur « sens » et leur « valeur épistémologique » - leur valeur dans l'ordre de la théorie de la connaissance (erkenntnistheoretischen Wert) -"qu'il existe ou non des langues, que des êtres tels que les hommes s'en servent effectivement ou non, que des hommes ou une nature existent réellement ou seulement « dans l'imagination et sur le mode de la possibilité ». La forme la plus générale de notre question est ainsi prescrite : est-ce que la nécessité phénoménologique, la rigueur et la subtilité de tueux, nous nous sommes généralement abstenu des comparaisons, rapprochements ou oppositions qui semblaient ici ou là s'imposer entre la phénoménologie husserlienne et d'autres théories, classiques ou modernes, de la signification. Chaque fois que nous débordons le texte des Reclurches logiques 1, c'est pour indiquer le principe d'une interprétation générale de la pensée de Husserl et pour esquisser cette lecture systématique que nous espérons tenter un jour.

INTRODUCTION l'analyse husserlienne, les exigences auxquelles elle répond et auxquelles nous devons d'abord faire droit, ne dissimulent pas néanmoins une présupposition métaphysique ? Ne cachent-elles pas une adhérence dogmatique ou spéculative qui, certes, ne retiendrait pas la critique phénoménologique hors d'elle-même, ne serait pas un résidu de naïveté inaperçue, mais constituerait la phénoménologie en son dedans, dans son projet critique et dans la valeur institutrice de ses propres prémisses : précisément dans ce qu'elle reconnaîtra bientôt comme la source et le garant de toute valeur, le « principe des principes », à savoir l'évidence donatrice originaire, le prisent ou la présence du sens à une intuition pleine et originaire. En d'autres termes, nous ne nous demanderons pas si tel ou tel héritage métaphysique a pu, ici ou là, limiter la vigilance d'un phénoménologue, mais si la forme phénoménologique de cette vigilance n'est pas déjà commandée par la métaphysique elle-même. Dans les quelques lignes évoquées à l'instant, la méfiance à l'égard de la présupposition métaphysique se donnait déjà comme la condition d'une authentique «.théorie de la connaissance », comme si le projet d'une théorie de la connaissance, même lorsqu'il s'est affranchi par la« critique» de tel ou tel système spéculatif, n'appartenait pas d'entrée de jeu à l'histoire de la métaphysique. L'idée de la connaissance et de la théorie de la connaissance n'est-elle pas en soi métaphysique ? Il s'agirait donc, sur l'exemple privilégié du concept de signe, de voir s'annoncer la critique phénoménologique de la métaphysique comme moment à l'intérieur de l'assurance métaphysique. Mieux : de commencer à vérifiet que la ressource de la critique phénoménologique est le projet métaphysique lui-même, dans son achèvement historique et dans la pureté seulement restaurée de son origine. Nous avons tenté de suivre ailleurs (1) le mouvement par (r) La phénomenolol!ie et la cMtuYe de la métaphysique, in EITOXE:E, Athènes, févr. 1966.

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lequel Husserl, critiquant sans cesse la spéculation métaphysique, ne visait en vérité que la perversion ou la dégénérescence de ce qu'il continue à penser et à vouloir restaurer comme métaphysique authentique ou phi/osophia protè. Concluant ses Méditations cartésiennes, Husserl oppose encore la métaphysique authentique (celle qui devra son accomplissement à la phénoménologie) à la métaphysique au sens habitueL Les résultats qu'il présente alors sont, dit-il, « métaphysiques, s'il est vrai que la connaissance ultime de l'être doit être appelée métaphysique. Mais ils ne sont rien moins que de la métaphysique au sens habituel du terme ; cette métaphysique dégénérée au cours de son histoire, n'est pas du tout conforme à l'esprit dans lequel elle a été originellement fondée en tant que philosophie première. La méthode intuitive concrète, mais aussi apodictique, de la phénoménologie, exclut toute « aventure métaphysique», tous les excès spéculatifs»(§ 6o). On pourrait faire apparaître le motif unique et permanent de toutes les fautes et de toutes les perversions que Husserl dénonce dans la métaphysique« dégénérée», à travers une multiplicité de domaines, de thèmes et d'arguments : c'est toujours une cécité devant le mode authentique de l'idéalité, celle qui est, qui peut être répétée indéfiniment dans l'identité qe sa présence pour cela même qu'elle n'existe pas, n'est pas réelle, est irréelle non pas au sens de la fiction mais en un autre sens qui pourra recevoir plusieurs noms, dont la possibilité permettra de parler de la nonréalité et de la nécessité de l'essence, du noème, de l'objet intelligible et de la non-mondanité en général. Cette non-mondanité n'étant pas une autre mondanité, cette idéalité n'étant pas un existant tombé du ciel, l'origine en sera toujours la possibilité de la répétition d'un acte producteur. Pour que la possibilité de cette répétition puisse s'ouvrir idea/iter à l'infini, il faut qu'une forme idéale assure cette unité de l'indéfiniment et de l'idea/iter : c'est le présent ou plutôt la présence du présent vivant. La forme ultime de l'idéalité, celle dans laquelle en dernière instance on peut anticiper ou rappeler toute

INTRODUCTION répétition, l'idéalité de l'idéalité est le présmt vùant, la présence à soi de la vie transcendantale. La présence a toujours été et sera toujours, à l'infini, la forme dans laquelle, on peut le dire apodictiquement, se produira la diversité infinie des contenus. L'opposition- inaugurale de la métaphysique - entre forme et matière, trouve dans l'idéalité concrète du présent vivant son ultime et radicale justification. Nous reviendrons sur l'énigme du concept de vie dans les expressions de présent vivant et de vie transcendantale. Notons seulement, pour préciser ici notre intention, que la phénoménologie nous paraît tourmentée sinon contestée de l'intérieur par ses propres descriptions du mouvement de la temporalisation et de la constitution de l'intersubjectivité. Au plus profond de ce qui lie ensemble ces deux moments décisifs de la description, une non-présence irréductible se voit reconnaître une valeur constituante, et avec elle une non-vie ou une non-présence ou non-appartenance à soi du présent vivant, une indéracinable non-originarité. Les noms qu'elle reçoit n'en rendent que plus vive la résistance à la forme de la présence : en deux mols, il s'agit : 1. du passage nécessaire de la rétention à la re-présentation (Vergegenwii.rligung) dans la constitution de la présence d'un objet (Gegen.rfand) temporel dont l'identité puisse être répétée ; z.. du passage nécessaire par l'appré.renlalion dans le rapport à l'aller ego, c'est-à-dire dans le rapport à ce qui rend possible aussi une objectivité idéale en général, l'intersubjectivité étant la condition de l'objectivité et celle-ci n'étant absolue que dans le cas des objets idéaux. Dans les deux cas, ce qui se nomme comme modification de la présentation (re-présentation, op-présentation), ( VergegefiWii.rligung ou Apprii.senlalion) ne survient pas à la présentation, mais la conditionne en la fissurant a priori. Cela ne met pas en cause l'apodicticité de la description phénoménologique-transcendantale, n'entame pas la valeur fondatrice de la présence. « Valeur fondatrice de la présence » est d'ailleurs une expression pléonastique. Il s'agit seulement de faire apparaître l'espace original et non empirique de

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non-fondement sur le vide irréductible duquel se décide et s'enlève la sécurité de la présence dans la forme métaphysique de l'idéalité. C'est dans cet horizon que nous interrogeons ici le concept phénoménologique de signe. Le concept de métaphysique avec lequel nous opérons devra être déterminé et la trop grande généralité de cette question doit ici se resserrer. En l'espèce : comment justifier d'abord la décision qui soumet une réflexion sur le signe à une logique ? Et si le concept de signe précède la réflexion logique, iui est donné, est livré à sa critique, d'où vient-il ? D'où vient l'essence de signe sur laquelle se règle ce concept ? Qu'est-ce qui donne autorité à une théorie de la connaissance pour déterminer l'essence et l'origine du langage ? Une telle décision, nous ne la prêtons pas à Husserl, il l'assume expressément ; ou plutôt il en assume expressément l'héritage et la validité. Les conséquences en sont illimitées. D'une part, Husserl a dû différer, d'un bout à l'autre de son itinéraire, toute méditation explicite sur l'essence du langage en général. Il la met encore« hors circuit» dans Logique formel e et logique transcendantale (Considérations préliminaires, § z). Et, Pink l'a bien montré, Husserl n'a jamais posé la question du logos transcendantal, du langage hérité dans lequc;l la phénoménologie produit et exhibe les résultats de ses opérations de réduction. Entre le langage ordinaire (ou le langage de la métaphysique traditionnelle) et le langage de la phénoménologie, l'unité n'est jamais rompue malgré des précautions, des guillemets, des rénovations ou des innovations. Transformer un concept traditionnel en concept indicatif ou métaphorique, cela n'absout pas de l'héritage et impose des questions auxquelles Husserl n'a jamais tenté de répondre. Cela tient à ce que, d'autre part, en ne s'intéressant au langage que dans l'horizon de la rationalité, en déterminant le logos à partir de la logique, Husserl a en fait, et de manière traditionnelle, déterminé l'essence du langage à partir de la logicité comme de la normalité de son telos. Que ce telos soit celui de

INTRODUCTION

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l'être comme présence, c'est ce que nous voudrions ici suggérer. Ainsi, par exemple, lorsqu'il s'agit de re-définir le rapport entre le grammatical pur et le logique pur (rapport que la logique traditionnelle aurait manqué, pervertie qu'elle était par des présuppositions métaphysiques), lorsqu'il s'agit donc de constituer une morphologie pure des Bedeut11ngen (nous ne traduisons pas ce mot pour des raisons qui apparaîtront dans un instant), de ressaisir la grammaticalité pure, le système des règles permettant de reconnaître si un discours en général est bien un discours, s'il a du sens, si la fausseté, l'absurdité de contradiction (Widersinnigkeit) ne le rendent pas inintelligible, ne le privent pas de la qualité de discours sensé, ne le rendent pas sinn/os, alors la pure généralité de cette grammaire métempirique ne couvre pas tout le champ de possibilité du langage en général, n'épuise pas toute l'étendue de son apriori. Elle ne concerne que l'apriori logiq11e du langage, elle est grammaire p11re logiq11e. Cette restriction est opérée dès le début, bien que Husserl n'y ait pas insisté dans la première édition des Recherches : « Dans la première édition, j'ai parlé de« grammaire pure», nom qui était conçu par analogie avec la « science p11re de la nat11re » chez Kant, et expressément désigné comme tel. Mais, dans la mesure où il ne peut nullement être affirmé que la morphologie pure des Bede11t11ngen englobe tout l'apriori grammatical dans son universalité, puisque par exemple les relations de communication entre sujets psychiques, si importantes pour la grammaire, comportent un a priori propre, l'expression de grammaire pt~re logiq11e mérite la préférence... » ( 1 ). Le découpage de l'a priori logique à l'intérieur de l'a priori général du langage ne prélève pas une région, il désigne, nous allons le voir, la dignité d'un telos, la pureté d'une norme et l'essence d'une desti(1) Trad. fr. H. ELIE, L. KELKEL, R. SCHÉRER, t. II, 2° part., p. 136. Chaque fois que nous citerons cette traduction, nous le signalerons par les signes • tr. fr. •. Ici nous avons remplacé dans cette traduction le mot • significations • par Bedeutungen.

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nation. Que ce geste où s'engage déjà le tout de la phénoménologie répète l'intention originelle de la métaphysique elle-même, c'est donc ce que nous voudrions montrer ici en repérant dans la première des Recherches des racines que le discours ultérieur de Husserl ne fera plus jamais trembler. La valeur de prl.rence, ultime instance juridique de tout ce discours, se modifie elle-même sans se perdre chaque fois qu'il s'agit (aux deux sens connexes de la proximité de ce qui est exposé comme objet d'une intuition et de la proximité du présent temporel qui donne sa forme à l'intuition claire et actuelle de i'objet) de la présence d'un objet quelconque à la conscience dans l'évidence claire d'une intuition remplie ou de la présence à soi dans la conscience, « conscience » ne voulant rien dire d'autre que la possibilité de la présence à soi du présent dans le présent vivant. Chaque fois que cette valeur de présence sera menacée, Husserl la réveillera, la rappellera, la fera revenir à elle dans la forme du telos ; c'est-à-dire de l'Idée au sens kantien. Il n'y a pas d'idlalité sans qu'une Idée au sens kantien ne soit à l'œuvre, ouvrant la possibilité d'un indéfini, infinité d'un progrès prescrit ou infinité des répétitions permises. Cette idéalité est la forme même dans laquelle la présence d'un objet en général peut indéfiniment être répétée comme la m~me. La non-réalité de la Bedeutung, la non-réalité de l'objet idéal, la nonréalité de l'inclusion du sens ou du noème dans la conscience (Husserl dira que le noème n'appartient pas réellement- reel/- à la conscience) donneront donc l'assurance que la présence à la conscience pourra indéfiniment être répétée. Présence idéale à une conscience idéale ou transcendantale. L'idéalité est le salut ou la maîtrise de la présence dans la répétition. Dans sa pureté, cette présence n'est présence de rien qui exi.rte dans le monde, elle est en corrélation avec des actes de répétition eux-mêmes idéaux. Est-ce à dire que ce qui ouvre la répétition à l'infini ou s'y ouvre quand s'assure le mouvement de l'idéalisation, c'e.rt un certain rapport d'un « existant » à sa mort ? Et que la « vie transcendantale » est la scène

INTRODUCTION

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de ce rapport ? Il est trop tôt pour le dire. Il faut d'abord passer par le problème du langage. On ne s'en étonnera pas : le langage est bien le médium de ce jeu de la présence et de l'absence. N'y a-t-il pas dans le langage, le langage n'est-il pas d'abord cela même en quoi pourraient sembler s'unir la vie et l'idlalitl ? Or nous devons considérer d'une part que l'élément de la signification - ou la substance de l'expression - qui semble le mieux préserver à la fois l'idéalité et la présence vivante sous toutes ses formes est la parole vivante, la spiritualité du souffle comme phonè; et que, d'autre part, la phénoménologie, métaphysique de la présence dans la forme de l'idéalité, est aussi une philosophie de la vie. Philosophie de la vie, non seulement parce qu'en son centre la mort ne se voit reconnaitre qu'une signification empirique et extrinsèque d'accident mondain, mais parce que la source du sens en général est toujours déterminée comme l'acte d'un vivre, comme l'acte d'être vivant, comme Lebendigleeit. Or l'unité du vivre, le foyer de la Lebendigleeit qui diffracte sa lumière dans tous les concepts fondamentaux de la phénoménologie (Leben, Erlebni.r, lebendige Gegenwart, Gei.rtigleeit, etc.) échappe à la réduction transcendantale et, comme unité de la vie mondaine et de la vie transcendantale, lui fraie même le passage. Quand la vie empirique ou même la région du psychique pur sont mises entre parenthèses, c'est encore une vie transcendantale ou en dernière instance la transcendantalité d'un présent vivant que découvre Husserl. Et qu'il thématise sans poser pour autant la question de cette unité du concept de vie. La « conscience sans âme » ( seelenloses), dont la possibilité essentielle est dégagée dans Idle.r I (§ 54), est pourtant une conscience transcendantalement vivante. Si l'on concluait, selon un geste en effet très husserlien dans son style, que les concepts de vie empirique (ou en général mondaine) et de vie transcendantale sont radicalement hétérogènes et que les deux noms entretiennent entre eux un rapport purement indicatif ou métaphorique, alors c'est la possibilité de ce

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rapport qui porte tout le poids de la question. La racine commune rendant possibles toutes ces métaphores nous paraît encore être le concept de vie. En dernière instance, entre le psychique pur- région du monde opposée à la conscience transcendantale et découverte par la réduction de la totalité du monde naturel et transcendant - et la vie transcendantale pure, il y a, dit Husserl, un rapport de para/11/ité. La psychologie phénoménologique devra, en effet, rappeler à toute psychologie au travail son fonds de présuppositions éidétiques et les conditions de son propre langage. C'est à elle qu'il reviendra de fixer le sens des concepts de la psychologie, et d'abord le sens de ce qu'on appelle la psychè. Mais qu'est-ce qui va permettre de distinguer cette psychologie phénoménologique, science descriptive, éidétique et apriorique, de la phénoménologie transcendantale elle-même ? Qu'est-ce qui va distinguer l'épochè découvrant le domaine immanent du psychique pur et l'épochè transcendantale elle-même ? Car le champ ouvert par cette psychologie pure a un privilège au regard de toutes les autres régions et sa généralité les domine toutes. Tous les vécus en relèvent nécessairement et le sens de toute région ou de tout objet déterminé s'annonce à travers elle. Aussi la dépendance du pur psychique à l'égard de la conscience transcendantale comme archi-région est-elle absolument singulière. Le domaine de l'expérience psychologique pure recouvre, en effet, la totalité du domaine de ce que Husserl appelle l'expérience transcendantale. Et pourtant, malgré ce reco11vre11Jent parfait, une différence radicale demeure, qui n'a rien de commun avec aucune autre différence ; différence qui ne distingue rien en fait, différence qui ne sépare aucun étant, aucun vécu, aucune signification déterminée ; différence pourtant qui, sans rien altérer, change tous les signes et en laquelle seulement se tient la possibilité d'une question transcendantale. C'est-à-dire de la liberté elle-même. Différence fondamentale, donc, sans laquelle aucune autre différence au monde n'aurait de sens ni de chance d'apparaître comme telle. Sans la possibilité et sans la

INTRODUCTION

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reconnaissance d'une telle duplication ( Verdoppelung), dont la rigueur ne tolère aucune duplicité, sans cette invisible distance tendue entre les deux actes d'épochè, la phénoménologie transcendantale serait détruite en sa racine. La difficulté tient à ce que cette duplication du sens ne doit correspondre à aucun double ontologique. Par exemple et en bref, mon je transcendantal est radicalement différent, précise Husserl, de mon Je naturel et humain (x) ; et pourtant il ne s'en distingue en rien, en rien qui puisse être déterminé au sens naturel de la distinction. Je (transcendantal) n'est pas un autre. Il n'est surtout pas le fantôme métaphysique ou formel du moi empirique. Ce qui conduirait à dénoncer l'image théorétique et la métaphore du Je spectateur absolu de son propre moi psychique, tout ce langage analogique dont on doit parfois se servir pour annoncer la réduction transcendantale et pour décrire cet « objet » insolite qu'est le moi psychique face à l'ego transcendantal absolu. Aucun langage, en vérité, ne peut se mesurer à cette opération par laquelle l'ego transcendantal constitue et s'oppose son moi mondain, c'est-à-dire son âme, en se réfléchissant lui-même, en une venveltlichende Selbstapperzeption (z). L'âme pure est cette étrange objectivation de soi (Selbstobjektivierung) de la monade par et en elle-même (3). Là aussi l'Ame procède de l'Un (ego monadique) et peut se convertir librement vers lui dans une Réduction. Toutes ces difficultés se concentrent dans le concept énigmatique de « parallélisme ». Husserl évoque (4) l'étonnante, l'admirable « parallélité » et même, « si l'on peut dire, le recouvrement » de la psychologie phénoménologique et de la phénoménologie transcendantale, « toutes deux comprises comme disciplines éidétiques ». « L'une (1) Phtï.nomenologische Psychologie, Vorlcsungen Sommersemester, 1925, Husscrliana IX, p. 342. (2) Méditations cartésimnes, § 45· (3) 1 bid., § 57· (4) Phtinomeno/ngische Psychnlo~:ie, p. 14 ~-

LA VOIX ET LE PH8NOMi?..NE habite l'autre, si l'on peut dire, implicitement. » Ce rien qui distingue des parallèles, ce rien sans lequel justement aucune explicitation, c'est-à-dire aucun langage ne pourrait se déployer librement dans la vérité sans être déformé par quelque milieu réel, ce rien sans lequel aucune question transcendantale, c'est-à-dire philosophique, ne pourrait prendre son souffle, ce rien surgit, si l'on peut dire, lorsque la totalité du monde est neutralisée dans son existence et réduite à son phénomène. Cette opération est celle de la réduction transcendantale, elle ne pert/ être en aucun cas celle de la réduction psychophénoménologique. L'éidétique pure du vécu psychique ne concerne sans doute aucune existence déterminée, aucune factualité empirique; elle ne fait appel à aucune signification transcendante à la conscience. Mais les essences qu'elle fixe présupposent intrinsèquement l'existence du monde sous l'espèce de cette région mondaine appelée psychè. Il est d'ailleurs remarquable que ce parallélisme fasse plus que libérer l'éther transcendantal : il rend plus mystérieux encore (et il est seul capable de le faire) le sens du psychique et de la vie psychique, c'est-à-dire d'une mondanité capable de porter ou de nourrir en quelque sorte la transcendantalité, d'y égaler l'étendue de son domaine sans pourtant se confondre avec elle en quelque adéquation totale. Conclure de ce parallélisme à une adéquation, c'est -la plus tentante, la plus subtile mais aussi la plus obscurcissante des confusions : le psychologisme transcendantal. C'est contre lui qu'il faut maintenir la distance précaire et menacée entre les parallèles et contre lui qu'il faut interroger sans cesse. Or, puisque la conscience transcendantale n'est pas entamée dans son sens par l'hypothèse d'une destruction du monde (Idées I, § 49), «il est certain qu'on peut penser une conscience sans corps et, aussi paradoxal que cela paraisse, sans âme ( seelenloses) » (z). Et pourtant la conscience transcendantale n'est rien de plus ou d'autre que la conscience psychologique. Le psycho(1) Idées 1, § 54, tr. P. RICŒUR, p. 182.

INTRODUCTION logisme transcendantal méconnaît ceci : que si le monde a besoin d'un supplément d'âme, l'âme, qui est dans le monde, a besoin de ce rien 111ppléme11taire qu'est le transcendantal et sans lequel aucun monde n'apparaîtrait. Mais on doit à l'opposé, si l'on est attentif au renouvellement husserlien de la notion de « transcendantal », se garder de prêter quelque réalité à cette distance, de substantialiser cette inconsistance ou d'en faire, fût-ce par simple analogie, quelque chose ou quelque moment du monde. Ce serait geler la lumière en sa source. Si le langage n'échappe jamais à l'analogie, si même il est analogie de part en part, il doit, parvenu à ce point, à cette pointe, assumer librement sa propre destruction et lancer les métaphores contre les métaphores ; ce qui est obéir au plus traditionnel des impératifs, qui a reçu sa forme la plus expresse, mais non la plus originelle dans les Ennéades et n'a jamais cessé d'être fidèlement transmis jusqu'à l'Introduction à la Métaphysique (surtout de Bergson). C'est au prix de cette guerre du langage contre lui-même que seront pensés le sens et la question de son origine. On voit que cette guerre n'est pas une guerre parmi d'autres. Polémique pour la possibilité du sens et du monde, elle a son lieu dans cette différence dont nous avons vu qu'elle ne peut habiter le monde, mais seulement le langage, en son inquiétude transcendantale. En vérité, loin de l'habiter seulement, elle en est aussi l'origine et la demeure. Le langage garde la différence qui garde le langage. Plus tard, dans son Nachwort zu meinen Ideen ... (1930) et dans les Méditations cartésiennes(§§ 14 et 57), Husserl évoquera de nouveau, brièvement, ce « parallélisme exact » entre la « psychologie pure de la conscience» et la« phénoménologie transcendantale de la conscience». Et, dira-t-il alors, pour récuser le psychologisme transcendantal qui «rend impossible une philosophie authentique» (M.C., § 14), il nous faut à tout prix pratiquer la Nuanderung (Nachwort ... , p. 557) qui distingue des parallèles dont l'une est dans le monde et l'autre hors du monde sans être dans un autre monde, c'est-à-dire sans cesser

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d'être, comme toute parallèle, à côté, au plus proche de l'autre. Il nous faut à tout prix recueillir et abriter en notre discours ces « nuances apparemment futiles», frivoles, subtiles (gering(iigigen), qui« déterminent de façon décisive les voies et dévoiements ( Wege und Abwege) de la philosophie» (M.C., § 14). Notre discours doit mettre en lui ces nuances à l'abri et à la fois, par là même, rassurer en elles sa possibilité et sa rigueur. Mais l'étrange unité de ces deux parallèles, ce qui les rapporte l'une à l'autre, ne se laisse pas partager par elles et, se divisant soi-même, soude finalement le transcendantal à son autre, c'est la vie. On s'aperçoit en effet très vite que le seul noyau du concept de psychè est la vie comme rapport à soi, qu'il se fasse ou non dans la forme de la conscience. Le « vivre » est donc le nom de ce qui précède la réduction et échappe finalement à tous les partages que celle-ci fait apparaître. Mais c'est qu'il est son propre partage et sa propre opposition à son autre. En déterminant ainsi le « vivre », nous venons donc de nommer la ressource d'insécurité du discours, le point où précisément il ne peut plus rassurer dans la nuance sa possibilité et sa rigueur. Ce concept de vie est alors ressaisi en une instance qui n'est plus celle de la naïveté pré-transcendantale, dans le langage de la vie courante ou de la science biologique. Mais ce concept ultra-transcendantal de la vie, s'il permet de penser la vie (au sens courant ou au sens de la biologie) et s'il n'a jamais été inscrit dans la langue, appelle peut-être un autre nom. On s'étonnera moins devant l'effort tenace, oblique et laborieux de la phénoménologie pour garder la parole, pour affirmer un lien d'essence entre le logos et la phonè, le privilège de la conscience (dont Husserl ne s'est au fond jamais demandé ce que c'était malgré la méditation admirable, interminable et à tant d'égards révolutionnaire qu'il lui a consacrée) n'étant que la possibilité de la vive voix. La conscience de soi n'apparaissant que dans son rapport à un objet dont elle peut garder et répéter la présence, elle n'est jamais parfaitement étrangère ou antérieure à la possibilité du langage. Husserl

INTRODUCTION a sans doute voulu maintenir, nous le verrons, une couche originairement silencieuse, « pré-expressive », du vécu. Mais la possibilité de constituer des objets idéaux appartenant à l'essence de la conscience, et ces objets idéaux étant des produits historiques, n'apparaissant que grâce à des actes de création ou de visée, l'élément de la conscience et l'élément du langage seront de plus en plus difficiles à discerner. Or leur indiscernabilité n'introduira-t-elle pas la non-présence et la différence (la médiateté, le signe, le renvoi, etc.) au cœur de la présence à soi ? Cette difficulté appelle une réponse. Cette réponse s'appelle la voix. L'énigme de la voix est riche et profonde de tout ce à quoi elle semble ici répondre. Que la voix simule la garde de la présence et que l'histoire du langage parlé soit l'archive de cette simulation, cela nous empêche d'ores et déjà de considérer la « difficulté » à laquelle répond la voix, dans la phénoménologie husserlienne, comme une difficulté de système ou une contradiction qui lui serait propre. Cela nous empêche aussi de décrire cette simulation, dont la structure est d'une infinie complexité, comme une illusion, un fantasme ou une hallucination. Ces derniers concepts renvoient au contraire à la simulation de langage comme à leur racine commune. n reste que cette (( difficulté» structure tout le discours husserlien et que nous devons en reconnaitre le travail. Le privilège nécessaire de la phonè qui est impliqué par toute l'histoire de la métaphysique, Husserl le radicalisera en en exploitant toutes les ressources avec le plus grand raffinement critique. Car ce n'est pas à la substance sonore ou à la voix physique, au corps de la voix dans le monde qu'il reconnaitra une affinité d'origine avec le logos en général, mais à la voix phénoménologique, à la voix dans sa chair transcendantale, au souffle, à l'animation intentionnelle qui transforme le corps du mot en chair, qui fait du Korper un Leib, une geistige Leiblichkeit. La voix phénoménologique serait cette chair spirituelle qui continue de parler et d'être présente à soi - de s'entendre - en l'absence du

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monde. Bien entendu, ce qu'on accorde à la voix est accordé au langage de mots, à un langage constitué d'unités - qu'on a pu croire irréductibles, indécomposables - soudant le concept signifié « au complexe phonique » signifiant. Malgré la vigilance de la description, un traitement peut-être naïf du concept de « mot » a sans doute laissée irrésolue dans la phénoménologie la tension de ses deux motifs majeurs : la pureté du formalisme et la radicalité de l'intuitionnisme. Que le privilège de la présence comme conscience ne puisse s'établir - c'est-à-dire se constituer historiquement aussi bien que se démontrer- que par l'excellence de la voix, c'est là une évidence qui n'a jamais occupé dans la phénoménologie le devant de la scène. Selon un mode qui n'est ni simplement opératoire ni directement thématique, en un lieu qui n'est ni central ni latéral, la nécessité de cette évidence semble s'être assurée, sur le tout de la phénoménologie, une sorte de « prise ». La nature de cette « prise » se laisse mal penser dans les concepts habituellement consacrés à la philosophie de l'histoire de la philosophie. Mais notre propos n'est pas ici de méditer directement la forme de cette « prise ». Seulement de la montrer à l'œuvre déjà- et puissamment- à l'entrée de la première des Recherches logiq11es.

CHAPITRE PREMIER

LE SIGNE ET LES SIGNES Husserl commence par dénoncer une confusion : le mot « signe » (Zeichen) recouvre, toujours dans le langage ordinaire et parfois dans le langage philosophique, deux concepts hétérogènes : celui d'expression ( Ausdruck), qu'on tient souvent à tort pour synonyme de signe en général, et celui d'indice ( Anzeichen). Or, selon Husserl, il est des signes qui n'expriment rien parce qu'ils ne transportent - nous devons encore le dire en allemand - rien qu'on puisse appeler Bedeulllng ou Sinn. Tel est l'indice. Certes, l'indice est un signe, comme l'expression. Mais, à la différence de cette dernière, il est, en tant qu'indice, privé de Bedeulung ou de Sinn : bedeulllngslos, sinn/os. Ce n'est pas pour autant un signe sans signification. Il ne peut par essence y avoir de signe sans signification, de.signifiant sans signifié. C'est pourquoi la traduction traditionnelle de Bedeulung par signification, bien qu'elle soit consacrée et presque inévitable, risque de brouiller tout le texte de Husserl et de le rendre inintelligible en son intention axiale, de rendre par suite inintelligible tout ce qui dépendra de ces premières « distinctions essentielles ». On peut avec Husserl dire en allemand, sans absurdité, qu'un signe (Zeichen) est privé de Bedeulllng (est bedeutungslos, n'est pas bedeutsam), on ne peut dire en français, sans contradiction, qu'un signe est privé de signification. On peut en allemand parler de l'expression ( Ausdruck) comme bedeutsame Zeichen, ce que fait Husserl ; on ne peut sans redondance

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traduire bedeutsame Zeichen par signe signifiant, ce qui laisse imaginer, contre l'évidence et contre l'intention de Husserl, qu'il pourrait y avoir des signes non signifiants. Tout en suspectant ainsi les traductions françaises consacrées, nous devons bien avouer qu'il sera toujours difficile de les remplacer. C'est pourquoi nos remarques ne sont rien moins que des critiques à l'endroit de traductions existantes et précieuses. Nous essaierons néanmoins de proposer des solutions qui se tiendront à mi-chemin entre le commentaire et la traduction. Aussi ne vaudront-elles que dans la limite des textes husserliens. Le plus souvent, devant la difficulté, selon un procédé dont la valeur est parfois contestable, nous conserverons le mot allemand en tentant de l'éclairer par l'analyse. Il se confirmera ainsi très vite que, pour Husserl, l'expressivité de l'expression- qui suppose toujours l'idéalité d'une Bedeutung- a un lien irréductible à la possibilité du discours parlé (Rede). L'expression est un signe purement linguistique et c'est précisément ce qui la distingue en première analyse de l'indice. Bien que le discours parlé soit une structure fort complexe, comportant toujours, en fait, une couche indicative qu'on aura, nous le verrons, la plus grande peine à contenir dans ses limites, Husserl lui réserve l'exclusivité du droit à l'expression. Et donc de la logicité pure. On pourrait donc peut-être, sans forcer l'intention de Husserl, définir, sinon traduire, betleuten par vouloir-dire à la fois au sens où un sujet parlant, « s'exprimant», comme dit Husserl, « sur quelque chose», veut dire, et où une expression veut dire ( 1); et être assuré que la Beder1tung est toujours ce que quelqu'un ou un discours veulent dire: toujours un sens de discours, un contenu discursif. On sait que, à la différence de Frege, Husserl ne distingue pas, dans les Recherches, entre Sinn et Bedeutung : « En outre, pour nous, (1) To mean, meaning, sont, pour bedeulen, Bedeutung, ces heureux équivalents dont nous ne disposons pas en français.

LE SIGNE ET LES SIGNES Bede111t1ng veut dire la même chose que Sinn (gilt ais gleithbede11tend mit Sinn). D'une part, il est très commode, précisément dans le cas de ce concept, de disposer de termes parallèles, utilisables en alternance; et surtout dans des recherches de ce type où l'on doit justement pénétrer le sens du terme Bede111t1ng. Mais il est autre chose qu'on doit prendre encore davantage en considération : l'habitude solidement enracinée d'utiliser les deux mots comme voulant dire la même chose. Dans ces conditions, il ne paraît pas qu'il soit sans risque de distinguer entre leurs deux Bede11lllngen, et (comme l'a proposé Frege), d'utiliser l'une pour la Bede11111ng en notre sens et l'autre pour les objets exprimés » (§ 1 ~). Dans Idées I, la dissociation qui intervient entre les deux notions n'a pas du tout la même fonction que chez Frege, et elle confirme notre lecture : Bede11tung est réservé au contenu de sens idéal de l'expression verbale, du discours parlé, alors que le sens (Sinn) couvre toute la sphère noématique jusque dans sa couche non-expressive : « Nous adoptons pour point de départ la distinction bien connue entre la face sensible et pour ainsi dire charnelle de l'expression, et sa face non sensible,« spirituelle». Nous n'avons pas à nous engager dans une discussion très serrée de la première, ni de la façon dont les deux faces s'unissent. Il va de soi que par là même nous avons désigné les titres de problèmes phénoménologiques qui ne sont pas sans importance. Nous envisageons exclusivement le « vouloir-dire » ( bede11ten) et la « Bede11t1111g ». A l' origine, ces mots ne se rapportent qu'à la sphère linguistique ( sprathlithe Sphiire}, à celle de l'« exprimer» (des A11sdriitleens). Mais on ne peut guère éviter, et c'est en même temps un pas important dans l'ordre de la connaissance, d'élargir la Bede11tung de ces mots et de leur faire subir une modification convenable qui leur permet de s'appliquer d'une certaine façon à toute la sphère noético-noématique : donc à tous les actes, qu'ils soient ou non entrelacés (verjlothten) avec des actes d'expression. Ainsi nous avons même sans cesse parlé, dans le cas de tous les vécus intentionnels, de« sens» (Sinn), mot qui pour-

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tant est en général équivalent à BedeHIJmg. Par souci de précision, nous réservons de préférence le mot de Bede11t11ng pour l'ancienne notion, en particulier dans la tournure complexe de « Bede11t11ng logitp1e » ou « expressive ». Quant au mot « sens », nous continuons à l'employer dans son extension la plus large.» Et après avoir, dans un passage sur lequel nous devrons revenir, affirmé qu'il existait, notamment dans la perception, une couche pré-expressive du vécu ou du sens, puis que cette couche de sens pouvait toujours recevoir expression et BedeHtHng, Husserl pose que « la Bede11111ng logique est une expression» (Idées I, § 124). La différence entre l'indice et l'expression apparaît très vite, au cours de la description, comme une différence plus fontlionnelle que s11bstatzlielle. L'indice et l'expression sont des fonctions ou des relations signifiantes, non des termes. Un seul et même phénomène peut être appréhendé comme expression ou comme indice, comme signe discursif ou non discursif. Cela dépend du vécu intentionnel qui l'anime. Le caractère fonctionnel de la description donne aussitôt la mesure de la difficulté et nous fait accéder à son centre. Deux fonctions peuvent s'entrelacer, s'enchevêtrer dans le même enchaînement de signes, dans la même signification. Husserl parle d'abord de l'addition ou de la juxtaposition d'une fonction à une autre : « ... les· signes au sens de l'indite ( Anzeùhen) (signes distinctifs, marques, etc.) n'expriment rien, à moins qu'ils ne remplissent o11tre la fonction d'indiquer [neben, à côté de; Husserl souligne], une fonction de Bede11t11ng ». Mais quelques lignes plus loin, il parlera d'intrication intime, d'enchevêtrement ( VerjlethiHng). Ce mot réapparaîtra souvent, à des moments décisifs, et ce ne sera pas fortuit. Dans le premier paragraphe, déjà : « Le vouloir-dire ( bede11ten) - dans le discours communicatif (in mitteilender Rede) - est toujours entrelacé (verf/othten) dans un rapport avec cet être-indice ... » Nous savons donc déjà que, en fait, le signe discursif et par suite le vouloir-dire est toll}olfrs enchevêtré, pris dans un système indicatif.

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Pris, c'est-à-dire contaminé : c'est la pureté expressive et logique de la Bedeu/ung que Husserl veut ressaisir comme possibilité du Logos. En fait ettolljour.r ( allzeil verjlothten i.rt) dans la mesure où la Bedeutung est prise dans un discours communicatif. Certes, nous le verrons, la communication elle-même est pour Husserl une couche extrinsèque de l'expression. Mais chaque fois qu'elle se produit en fait, une expression comporte une valeur de communication, même si elle ne s'y épuise pas ou si cette valeur lui est simplement associée. Il faudra préciser les modalités de cet entrelacement. Mais il est d'ores et déjà évident que cette nécessité factuelle de l'enchevêtrement associant intimement l'expression et l'indice, ne doit pas, aux yeux de Husserl, entamer la possibilité d'une rigoureuse distinction d'essence. Cette possibilité est purement juridique et phénoménologique. Toute l'analyse s'avancera donc dans cet écart entre le fait et le droit, l'existence et l'essence, la réalité et la fonction intentionnelle. En sautant par-dessus bien des médiations et en inversant l'ordre apparent, nous serions tenté de dire que cet écart, qui définit l'espace même de la phénoménologie, ne préexiste pas à la question du langage, ne s'y introduit pas comme à l'intérieur d'un domaine ou d'un problème parmi d'autres. Il ne s'ouvre, au contraire, que dans et par la possibilité du langage. Et sa valeur juridique, le droit à un(! distinction entre le fait et le droit intentionnel, dépend toute entière du langage et, en lui, de la validité d'une distinction radicale entre l'indice et l'expression. Poursuivons notre lecture. Toute expression serait donc prise, comme malgré elle, dans un processus indicatif. Mais le contraire, reconnaît Husserl, n'est pas vrai. On pourrait donc être tenté de faire du signe expressif une espèce du genre « indice ». Dans ce cas, on devrait finir par dire de la parole, quelque dignité ou quelque originalité qu'on lui accorde encore, qu'elle n'est qu'une forme de geste. En son centre essentiel et non seulement par ce que Husserl considère comme ses accidents (sa face physique, sa fonction de communi-

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cation), elle appartient, sans l'excéder, au système général de la signification. Ce dernier se confondrait avec le système de l'indication. C'est précisément ce que conteste Husserl. Pour le faire, il doit donc démontrer que l'expression n'est pas une espèce de l'indication bien que toutes les expressions soient mêlées d'indication, l'inverse n'étant pas vrai.« Si nous nous limitons d'abord, comme nous avons coutume de le faire involontairement quand il est question d'expression, aux expressions qui fontionnent dans la collocution vivante, le concept d'indice apparaît alors, comparé à celui d'expression, comme le concept dont l'extension est le plus large. Du point de vue du contenu, il n'est nullement pour autant le genre. Le vouloir-dire (bedeuten) n'est pas une espèce de l'être-signe (Zeichenseins) au sens de l'indication (Anzeige). Si son extension est plus étroite, c'est seulement parce que le vouloir-dire (bedeuten) est toujours - dans le discours communicatif - enchevêtré ( verflochten) dans un rapport avec cet être-indice ( Anzeichensein), et que celui-ci en revanche fonde un concept plus large puisqu'il peut, précisément, se présenter aussi hors de cet enchevêtrement(§ r). » Pour prouver la rupture du rapport genre/espèce, il faut donc retrouver, s'il en est, une situation phénoménologique en laquelle l'expression ne soit plus embarrassée dans cet enchevêtrement, ne soit plus entrelacée avec l'indice. Comme cette contamination se produit toujours dans la collocution réelle (à la fois parce que l'expression y indique un contenu à tout jamais dérobé à l'intuition, à savoir le vécu d'autrui, et parce que le contenu idéal de la Bedeufllng et la face spirituelle de l'expression s'y unissent à la face sensible), c'est dans un langage sans communication, dans un discours monologué, dans la voix absolument basse de la « vie solitaire de l'âme » (im einsamen Seelenleben) qu'il faut traquer la pureté inentamée de l'expression. Par un étrange paradoxe, le vouloir-dire n'isolerait la pureté concentrée de son ex-pressivitl qu'au moment où serait suspendu le rapport à un certain dehors. A un certain dehors seulement, car cette

LE SIGNE ET LES SIGNES réduction n'effacera pas, révélera au contraire dans la pure expressivité, un rapport à l'objet, la visée d'une idéalité objective, faisant face à l'intention du vouloir-dire, à la Bedeutungsintention. Ce que nous venons d'appeler paradoxe n'est en vérité que le projet phénoménologique en son essence. Par-delà l'opposition de l' « idéalisme » ou du « réalisme», du« subjectivisme» et de l' « objectivisme», etc., l'idéalisme transcendantal phénoménologique répond à la nécessité de décrire l'objectivité de l'objet ( Gegenstand) et la prlsence du présent (Gegenwart) - et l'objectivité dans la présence - à partir d'une « intériorité», ou plutôt d'une proximité à soi, d'un propre ( Eigenheit) qui n'est pas un simple dedans, mais l'intime possibilité du rapport à un là-bas et à un dehors en général. C'est pourquoi l'essence de la conscience intentionnelle ne se révélera (par exemple dans Idées I, § 49) que dans la réduction de la totalité du monde existant en général. Ce geste est déjà esquissé dans la première des Recherches à propos de l'expression et du vouloir-dire comme rapport à l'objet.« Mais les expressions déploient aussi leur fonction de vouloir-dire (Bedeuhlngsintention) dans la vie solitaire de J'âme où elles ne fonctionnent plus en tant t]ll'indices. En vérité, les deux concepts de signe ne se rapportent donc absolument pas l'un à l'autre comme des concepts plus larges ou plus étroits (§ 1). » Avant d'ouvrir le champ de cette vie solitaire de l'âme pour y ressaisir l'expressivité, il faut donc déterminer et réduire le domaine de l'indication. C'est ce que commence par faire Husserl. Mais avant de le suivre dans cette analyse, marquons une pause. Le mouvement que nous venons de commenter s'offre en effet à deux lectures possibles. D'une part, Husserl semble réprimer, avec une hâte dogmatique, une question sur la struchlre du signe en glnlraJ. En proposant d'entrée de jeu une dissociation radicale entre deux types hltlrogènes de signe, entre l'indice et l'expression, il ne se demande pas ce qu'est le signe en glnlral. Le concept de signe en général, qu'il lui faut bien utiliser

LA VOIX ET LE PHÉNOMÈNE au commencement, auquel il faut bien reconnaître un foyer de sens, ne peut recevoir son unité que d'une essence ; il ne peut se régler que sur elle. Et celle-ci doit être reconnue dans une structure essentielle de l'expérience et dans la fanùliarité d'un horizon. Pour entendre le mot «signe» à l'ouverture de la problématique, nous devons avoir déjà un rapport de pré-compréhension avec l'essence, la fonction ou la structure essentielle du signe en général. C'est seulement ensuite que nous pourrons éventuellement distinguer entre le signe comme indice et le signe comme expression, même si ces deux types de signe ne s'ordonnent pas selon des rapports de genre et d'espèce. Selon une distinction elle-même husserlienne (cf. § 13), on peut dire que la catégorie de signe en général n'est pas un genre mais une forme. Q11'est-ce donc q11'nn sig118 en général? Cette question, nous n'avons pas l'ambition d'y répondre, pour plusieurs sortes de raisons. Nous voulons seulement suggérer en quel sens Husserl peut sembler l'éluder. « Tout signe est signe de quelque chose ... », pour quelque chose (fiir etwas), tels sont les prenùers mots de Husserl qui introduit alors immédiatement la dissociation : « ... mais tout signe n'a pas une « Bedent11ng »,un« sens» (Sinn) qui soit« exprimé» avec le signe». Cela suppose que nous sachions implicitement ce que « être-pour » veut dire, dans le sens de « être-à-la-place-de »; nous devons comprendre familièrement cette structure de substitution ou de renvoi pour qu'en elle devienne ensuite intelligible, voire démontrée, l'hétérogénéité entre le renvoi indicatif et le renvoi expressif ; et même pour que l'évidence de leurs rapports nous soit accessible, fût-ce dans le sens où l'entend Husserl. Un peu plus loin, en effet(§ 8), Husserl démontrera que le renvoi expressif (Hinzulenken, Hinzeigen) n'est pas le renvoi indicatif ( Allzeigen). Mais sur le sens du Zeigen en général qui, montrant ainsi l'invisible du doigt, peut ensuite se modifier en Hinzeigen ou en Anzeigen, aucune question originale n'est posée. Pourtant, on peut déjà deviner - et peut-être le vérifierons-nous plus loin - que ce « Zeigen » est le lieu où s'annonce la racine et la

LE SIGNE ET LES SIGNES nécessité de tout « enchevêtrement » entre indice ct expression. Lieu où toutes les oppositions ct les différences qui sillonneront désormais l'analyse husserlienne (et qui seront toutes informées dans des concepts de la métaphysique traditionnelle) ne se sont pas encore dessinées. Mais Husserl, choisissant pour thème la logicité de la signification, croyant déjà pouvoir isoler l'a priori logiq11e de la grammaire pure dans l'a priori général de la grammaire, s'engage résolument dans l'une des modifications de la structure générale du Zeigen : Hinzeigen et non Anzeigen. Cette absence de question sur le point de départ et sur la précompréhension d'un concept opératoire traduit-elle nécessairement un dogmatisme ? Ne peut-on l'interpréter d'aNtre part comme vigilance critique ? Ne s'agit-il pas précisément de refuser ou d'effacer la précompréhension comme point de départ apparent, voire comme préjugé ou présomption ? De quel droit présumer l'unité d'essence de quelque chose comme le signe ? Et si Husserl voulait disloquer l'unité du signe, en démonter l'apparence, la réduire à une verbalité sans concept ? Et s'il n'y avait pas 11n concept de signe et des types de signe, mais deux concepts irréductibles auxquels on a abusivement attaché un seul mot ? Husserl parle précisément, au début du deuxième paragraphe, des « deux concepts attachés au mot « signe» ». En lui .reprochant de ne pas commencer par s'interroger sur l'être-signe du signe en général, ne fait-on pas une confiance précipitée à l'unité d'un mot ? Plus gravement : en demandant « tjll'esl-te que le signe en général ? », on soumet la question du signe à un dessein ontologique, on prétend assigner à la signification une place, fondamentale ou régionale, dans une ontologie. Ce serait là une démarche classique. On soumettrait le signe à la vérité, le langage à l'être, la parole à la pensée et l'écriture à la parole. Dire qu'il peut y avoir une vérité du signe en général, n'est-ce pas supposer que le signe n'est pas la possibilité de la vérité, ne la constitue pas, se contente de la signifier ?

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de la reproduire, de l'incarner, de l'inscrire secondairement ou d'y renvoyer ? Car si le signe précédait de quelque façon ce qu'on appelle la vérité ou l'essence, il n'y aurait aucun sens à parler de la vérité ou de l'essence du signe. Ne peut-on penser- et Husserl l'a sans doute fait - que le signe, par exemple si on le considère comme structure d'un mouvement intentionnel, ne tombe pas sous la catégorie de chose en général (Saçhe), n'est pas un « étant » sur l'être duquel on viendrait à poser une question? Le signe n'est-il pas autre chose qu'un étant, n'est-il pas la seule« chose» qui, n'étant pas une chose, ne tombe pas sous la question« qu'est-ce que» ? La produit au contraire à l'occasion ? Produit ainsi la « philosophie » comme empire du ti esli ? En affirmant que « la Bedeutung logique est une expression », qu'il n'y a de vérité théorique que dans un énoncé (1), en s'engageant résolument dans une question sur l'expression linguistique comme possibilité de la vérité, en ne présupposant pas l'unité d'essence du signe, Husserl pourrait paraître renverser le sens de la démarche traditionnelle et respecter dans l'activité de la signification ce qui, n'ayant pas en soi de vérité, conditionne le mouvement et le concept de la vérité. Et de fait, tout au long d'un itinéraire qui aboutit à l'Origine de la glomltrie, Husserl accordera une attention croissante à ce qui, dans la signification, dans le langage et dans l'inscription consignant l'objectivité idéale, produit la vérité ou l'idéalité plutôt qu'il ne l'enregistre. Mais ce dernier mouvement n'est pas simple. C'est ici notre problème et nous devrons y revenir. La destinée historique de la phénoménologie semble en tout cas comprise entre ces deux motifs : d'un côté, la phénoménologie est la réduction de l'ontologie naïve, le retour à une constitution active du sens et de la valeur, à l'activité (1) Affi.rmatlon très fréquente, depuis les Recherches logiques (cf. par ex. Intro· ductlon, § 2) jusqu'à l'Origine de la géom/trie.

LE SIGNE ET LES SIGNES d'une vie produisant la vérité et la valeur en général à travers ses signes. Mais en même temps, sans sc juxtaposer simplement à ce mouvement (x), une autre nécessité confirme aussi la métaphysique classique de la présence et marque l'appartenance de la phénoménologie à l'ontologie classique. C'est à cette appartenance que nous avons choisi de nous intéresser. ( 1) Mouvement dont on peut diversement interpréter le rapport à la métaphysique ou à l'ontologie classiques. Critique qui aurait des affinités déterminées, limitées mais certaines, avec celle de Nietzsche ou celle de llergson. Elle appartient en tout cas à l'unité d'une configuration historique. Ce qui, dans la configuration historique de ces renversements, continue la métaphysique, tel est un des thèmes les plus permanents de la méditation de Heidegger. Aussi, sur ces problèmes (point de départ dans la pré-compréhension du sens d'un mol, privilège de la question • qu'est-ce que •, rapports entre langage et être ou vérité; appartenance à l'ontologie classique, etc.), c'est seulement d'une lecture superficielle des textes de Heidegger qu'on pourrait conclure que ces derniers tombent sons le coup de ces objections. Nous pensons, au contraire, sans pouvoir nous y étendre ici, qu'on n'y avait jamais mieux échappé avant eu:r. Ce qui ne veut pas dire, bien entendu, qu'on y échappe souvP.nt après eux .

.J, IJERIIIIIA

CHAPITRE

II

LA RÉDUCTION DE L'INDICE L'appartenance métaphysique se révèle sans doute dans le thème auquel nous revenons maintenant: l'extériorité Je l'indice à l'expression. Husserl consacre seulement trois paragraphes à « l'euence de l'ilrdication» et, dans le même chapitre, onze paragraphes à l'expreuion. Comme il s'agit, selon un propos logique et épistémologique, de serrer l'originalité d:! l'expression comme« vouloir dire» et comme rapport à l'objet idéal, le traitement de l'indication doit être bref, préliminaire et « réducteur ». Il faut écarter, abstraire, « réduire » l'indication comme phénomène extrinsèque et empirique, même si une relation étroite l'unit en fait à l'expression, l'entrelace empiriquement avec elle. Mais une telle réduction est difficile. C'est seulement en apparence qu'elle est accomplie à la fin du troisième paragraphe. Des adhérences indicatives, parfois d'un autre type, ne cesseront de reparaître plus loin et leur effacement sera une tâche infinie. Toute l'entreprise de Husserl - et bien au-delà des Recherchu - serait menacée si la Verflechlrmg accouplant l'indice à l'expression était absolum;!nt irréductible, inextricable au principe, si l'indication ne s'ajoutait pas à l'expression comme 1.tne adhérence plus ou moins tenace, mais habitait l'intimité essentielle de son mouvement. Qu'est-ce qu'un signe indicatif ? Il peut d'abord être naturel (les canaux de Mars indiq11enl b présence possible d'êtres intelligents) aussi

LB VOULOIR-DIRE COMME SOLILOQUE bien qu'artificiel (la marque à la craie, l'inscription du stigmate, tous les intruments de désignation conventionnelle) (1). L'opposition de la nature et de l'institution n'a ici aucune pertinence et ne divise pas l'unité de la fonction indicative. Quelle est cette unité ? Husserl la décrit comme celle d'une certaine « motivation » ( Motivierung) : ce qui donne le mouvement à quelque chose comme un « être pensant» pour passer par la pensée de quelque chose à quelque chose. Pour le moment, œtte définition doit rester aussi générale. Ce passage peut être de conviction ( 0 berzeugung) ou de présomption ( Vermulung) et il lie toujours une connaissance actuelle à une connaissance inactuelle. Dans la motivation considérée à ce degré de généralité, cette connaissance peut concerner tout objet (Gegensland) ou état-de-choses (Sachverhalt) et non nécessairement des existants empiriques, c'est-àdire individuels. Pour désigner la catégorie du connu (actuel ou inactuel), Husserl se sert donc à dessein de concepts très généraux (Sein, Bestand) qui peuvent couvrir l'être ou la consistance, la structure des objets idéaux aussi bien que des existants empiriques. Sein, bestehen, Besland - mots fréquents et fondamentaux dans ce début de paragraphe - ne se réduisent pas à Dasein, exislieren, Rea/ital et cette différence importe beaucoup à Husserl, nous allons le vérifier à l'instant. Husserl définit ainsi la communauté d'essence la plus générale (1) Dans la logique de ses exemples cl de son analyse, Husserl aurait pu citer la graphie en général. Bien que l'écriture soit pour lui, à n'en pas douter, i11dicative en sa couche propre, elle pose un problème redoutable qui explique probablement ici le silence prudent de Husserl. C'est que, à supposer qu'eUe soit indicative au sens qu'il ùnnne à ce mot, elle a un privilège étrange qui risque de désorganiser toutes ces distinctions essentielles : écriture phonétique (ou mieux : dans la partie purement phonétique de l'écriture dite abusivement ct globalement phonétique), ce qu'elle • indiquerait • serait wte • expression •; écriture non phonétique, eUe se substituerait au discours expressif ùans cc qui !"unit immédiatement au • vouloir-dire • ( bedeute11). Nous n'insistons pa.o; id snr ce problème : il appartient à l'ultime horizon de cet essai.

LA VOIX ET LE PHÉNOMÈNE qui rassemble toutes les fonctions indicatives :«(dans ces cas) nous trouvons alors, au titre de cette communauté, la situation suivante : des objets ou des états-de-choses quelconques de la consistance (Bestand) desquels quelqu'un a une connaissance actuelle lui indiquent ( anzeigen) la consistance de certains autres objets ou états-de-choses en ce sens que la conviction de l'être (Sein) des uns est vécue par lui comme nJotif (et ce en tant que motif non-évident) déternlinant la conviction ou la présomption de l'être des autres » (§ 2). Mais cette communauté d'essence est encore si générale qu'elle couvre tout le champ de l'indication et autre chose encore. Ou plutôt, puisque c'est bien un Anzeigen qui est ici décrit, disons que cette communauté d'essence déborde l'indication au sens strict, qu'il va maintenant falloir approcher. Et nous voyons alors pourquoi il était important de distinguer entre Sein ou Bestand d'une part, et Existenz, Dasein ou Realitàt d'autre part : la motivation générale ainsi définie est celle d'un « parce que » qui peut aussi bien avoir le sens de l'allusion indicative (Hinweis) que de la démonstration (Beweis) déductive, évidente, apodictique. Dans ce dernier cas, le «parce que » enchaîne des nécessités évidentes et idéales, permanentes, persistant au-delà de tout hic et nunc empiriques. « Ici se révèle une légalité idéale qui s'étend au-delà des jugements enchaînés par motivation hic et nunc et qui embrasse comme tels dans une généralité métempirique tous les jugements de même contenu, et plus encore, tous les jugements de même « forme » ( Form). » Les motivations enchaînant les vécus, les acles visant les idéalités nécessaires et évidentes, idéal-objectives, peuvent être de l'ordre de l'indication contingente et empirique, « non-évidente » ; mais les relations unissant les contenus des objets idéaux, dans la démonstration évidente, ne relèvent pas de l'indication. Toute l'analyse du paragraphe 3 démontre: 1. que même si A indique B avec une certitude empirique entière (avec la plus haute probabilité), cette indication ne sera jamais une démonstration de nécessités apodictiques, et, pour retrouver ici le schéma classique,

LA REDUCTION DE L'INDICE de « vérités de raison», par opposition aux « vérités de fait » ; z. que même si l'indication semble en revanche intervenir dans une démonstration, elle sera toujours du côté des motivations psychiques, des actes, des convictions, etc., jamais du côté du contenu des vérités enchaînées. Cette indispensable distinction entre Hinweis et Beweis, indication et démonstration, ne pose pas seulement un problème de forme analogue à celui que nous ouvrions plus haut à propos du Zeigen. Qu'est-ce que la monstration (Weisen) en général avant de se distribuer en indication montrant du doigt (Hinweis) le non-vu et en démonstration (Beweis) donnant à voir dans l'évidence de la preuve? Cette distinction aiguise aussi la difficulté déjà signalée de l' « enchevetrement ». On sait en effet maintenant que, dans l'ordre de la signification en général, tout le vécu psychique, sous la face de ses acles, même lorsqu'ils visent des idéalités et des nécessités objectives, ne connaît que des enchaînements indicatifs. L'indice tombe hors du contenu de l'objectivité absolument idéale, c'est-à-dire de la vérité. Ici encore, cette extériorité, ou plutôt ce caractère extrinsèque de l'indice est inséparable, dans sa possibilité, de la possibilité de toutes les réductions à venir, qu'elles soient éidétiques ou transcendantales. Ayant son« origine » dans les phénomènes d'association (t), (r) Cf. § 4 : • Les faits psychiques, dans lesquels le concept de l'indice a son • origine •, c'est-à-dire dans lesquels on peut le saisir par abstraction, appartiennent au groupe plus large des faits qu'il faut comprendre sous le titre historique de •l'association des idées • •, etc. On sail que, tout en le renouvelant ct en l'utilisant dans le champ de l'expérience transcendantale, Husserl n'a jamais cessé d'opérer avec ce concept d' • association •. Ici, ce qui est exclu de l'expressivité pure, c'est l'indication et par là l'association au sens de la psychologie empirique. Ce sont les v~ psychiques empiriques qu'on doit mettre entre parenthèses pour reconnaltre l'idéalité de la Btdeulung commandant l'expression. La distinction entre Indice et expression apparalt donc d'abord dans la phase nécessairement et provisoirement • Objectiviste • de la phénoménologie, quand il faut neutraliser la subjectivité empirique. Gardera-t-elle toute sa valeur quand la thématique transcendantale appro-

LA VOIX ET LE PHÉNOMÈNE liant toujours des existants empiriques dans le monde, la a;ignification indicative couvrira, dans le langage, tout cc qui tombe sous le coup des « réductions » : la factualité, l'existence mondaine, la non-nécessité essentielle, la non-évidence, etc. Ne serait-on pas déjà en droit de dire que toute la problématique future de la réduction et toutes les différences conceptuelles dans lesquelles elle se prononce (fait/essence, transcendantalitéfmondanité, et toutes les oppositions qui font système avec elle) se déploient dans un écart entre deux types de signes ? En même temps que lui, sinon en lui et grâce à lui ? Est-ce que le concept de parallélité qui définit les rapports entre le , psychique pur - qui est dans le monde - et le transcendantal pur - qui n'y est pas - et rassemble ainsi toute l'énigme de la phénoménologie husserlienne, ne s'annonce pas ici sous la forme d'un rapport entre deux modes de signification ? Et pourtant Husserl, qui n'a jamais voulu assimiler expérience en général (empirique ou transcendantale) et langage, va sans cesse s'efforcer de contenir la signification hors de la présence à soi de la vie transcendantale. La question que nous venons en effet de poser nous ferait passer du commentaire à l'interprétation. Si nous pouvions y répondre par l'affirmative, il faudrait en conclure, contre l'intention expresse de Husserl, que la « réduction », avant même de devenir méthode, se confondrait avec l'acte le plus spontané du discours parlé, la simple pratique de la parole, le pouvoir de l'expression. Cette conclusion, bien qu'elle doive constituer à nos yeux, en un certain sens, la « vérité » de la phénoménologie, contredirait à un certain niveau l'intention expresse de Husserl pour deux sortes de raison. fondira !"analyse ? et quand on reviendra à la subjectivité constituante ? Telle est la question. Husserl ne ra ensuite jamais ouverte. Il a continué à se servir des • distinctions essentielles • de la première des Recherches. Il n'a pourtant jamais recommencé, répété à leur sujet ce travail de thématisalion par lequel tous ses autres concepts ont inlassablement été repris, vérifiés, contirm~s. réapparai11sant sans œsse au centre d'une description.

LA RP.DUCTION DE L'INDICE D'une part, nous le rappelions plus haut, parce que Husserl croit à l'existence d'une couche pré-expressive et pré-linguistique du sens, que la réduction devra parfois dévoiler en excluant la couche du langage. D'autre part, s'il n'y a pas d'expression ct de vouloir-dire sans discours, tout le discours n'est pas « expressif». Bien qu'il n'y ait pas de discours possible sans noyau expressif, on pourrait presque dire que la totalité du discours est prise dans une trame indicative.

CHAPITRE

III

LE VOULOIR-DIRE COMME SOLILOQUE Supposons que l'indication soit exclue. Reste l'expression. Qu'est-ce que l'expression? C'est un signe chargé de Bedeutung. Husserl en entreprend la définition dans le cinquième paragraphe : Ausdriicke ais bedeutsame Zeichen. Les expressions sont des signes qui « veulent-dire ».

A) Sans doute la Bedeutung n'advient-elle au signe et ne le transforme-t-elle en expression qu'avec la parole, le discours oral : « Des signes indicatifs nous distinguons les signes voulant-dire, les expressions. » Mais pourquoi « expressions » et pourquoi signes «voulant dire» ? On ne peut l'expliquer qu'en nouant dans l'unité profonde d'une même intention tout un faisceau de raisons. x. L'ex-pression est extériorisation. Elle imprime dans un certain dehors un sens qui se trouve d'abord dans un certain dedans. Nous avons plus haut suggéré que ce dehors et ce dedans étaient absolument originaux : le dehors n'est ni la nature, ni le monde, ni une extériorité réelle par rapport à la conscience. C'est ici le lieu de préciser. Le bedeuten vise un dehors qui est celui d'un ob-jet idéal. Ce dehors est alors ex-primé, passe hors de soi dans un autre dehors, qui est toujours « dans » la conscience : le discours expressif, nous allons le voir, n'a pas besoin, en tant que tel et dans son essence, d'être effectivement proféré dans le monde. L'expression comme signe

LB VOULOIR-DIRE COMME SOLILOQUE voulant-dire est donc une double sortie hors de soi du sens (Sinn) en soi, dans la conscience, dans l'avec-soi ou l'auprès-de-soi que Husserl commence par déterminer comme« vie solitaire de l'âme». Plus tard, après la découverte de la réduction transcendantale, il la décrira comme sphère noético-noématique de la conscience. Si nous nous référons par anticipation et pour plus de clarté aux paragraphes correspondants de Idées I, nous voyons comment la couche «improductive» de l'expression vient refléter, « réfléchir» en miroir (widerzuspiegeln) toute autre intentionnalité quant à sa forme et à son contenu. Le rapport à l'objectivité marque donc une intentionnalité « pré-expressive » ( vor-ausdriicklich) visant un sens qui sera ensuite transformé en Bedeutung et en expression. Que cette « sortie » répétée, réfléchie, vers le sens noématique puis vers l'expression, soit un redoublement improductif, voilà qui ne va pas de soi, surtout si l'on considère que par« improductivité» Husserl entend alors « productivité qui s'épuise dans l'exprimer el dans la forme du conceptuel qui s'introduit avec cette fonction» (1). Nous aurons donc à y revenir. Nous voulions seulement marquer ici ce que signifie « expression » selon Husserl : sortie hors de soi d'un acte, puis d'un sens qui ne peut alors rester en soi que dans la voix, et dans la voix « phénoménologique ». 2.. Dans les Recherches, le mot « expression » s'impose déjà pour une autre raison. L'expression est une extériorisation volontaire, décidée, consciente de part en part, intentionnelle. Il n'y a pas d'expression sans l'intention d'un sujet animant le signe, lui prêtant une Geistigleeit. Dans l'indication, l'animation a deux limites : le corps du signe, qui n'est pas un souffle, et l'indiqué, qui est une existence dans le monde. Dans l'expression, l'intention est absolument expresse (I) § 124, tr. P. RICŒUR, p. 421. Nous analysons ailleurs plus directement la Problématique du vouloir-dire et de l'expression dans /dies 1, cf. • La forme et le ;o~oir·dire, Note sur la phénoménologie du langage • in Revue internationale de hslosophie, sept. 1967.

LA VOIX ET LE PH:t!NOMÈNE parce qu'elle anime une voix qui peut rester tout intérieure et que l'exprimé est une Bedeulung, c'est-à-dire une idéalité n' « existant » pas dans le monde. 3· Qu'il n'y ait pas d'expression sans intention volontaire, cela se confirme d'un autre point de vue. En effet, si l'expression est toujours habitée, animée par un bedeuten, comme vouloir-dire, c'est que pour Husserl la Deutung, disons l'interprétation, l'entente, l'intelligence de la Bedeulllng ne peut jamais avoir lieu hors du discours oral (Rede). Seul un tel discours peut s'offrir à une Deutung. Celle-ci n'est jamais essentiellement lecture mais écoute. Ce qui« veut dire», çe que le vouloir-dire veut dire, la Betleutung, est réservé à ce qui parle et qui parle en tant qu'il dit ce qu'il veut dire : expressément, explicitement et consciemment. Vérifions-le. Husserl reconnaît que son usage du mot« expression»« contraint» un peu la langue. Mais la contrainte ainsi exercée purifie son intention et à la fois révèle un fonds commun d'implications métaphysiques. « ... établissons que tout discours (Rede) et toute partie de discours (Redeteil), aussi bien que tout signe de nature essentiellement semblable est une expression, sans tenir compte du fait que le discours soit ou non effectivement prononcé (wir/r./jçh geredet}, donc qu'il soit ou non adressé à une personne quelconque dans une intention de communication. » Ainsi, tout cc qui constitue l'effectivité du prononcé, l'incarnation physique de la Bedeutung, le corps de la parole, ce qui dans son idéalité appartient à une langue empiriquement déterminée, est, sinon hors discours, du moins étranger à l'expressivité comme telle, à cette intention pure sans laquelle il ne saurait y avoir de discours. Toute la couche de l'effectivité empirique, c'est-à-dire la totalité factuelle du discours, appartient à cette indication dont nous n'avons pas fini de reconnaître l'étendue. L'effectivité, la totalité des événements du discours est indicative non seulement parce qu'elle est dans le monde, abandonnée au monde, mais aussi, corrélativement, parce que, en tant

LB VOULOIR-DIRE COMME SOLILOQUE que telle, elle garde en elle quelque chose de l'association im·olo11taire. Car si intentionnalité n'a jamais voulu dire simplement volonté, il semble bien que dans l'ordre des vécus d'expression (à supposer qu'il ait des limites) conscience intentionnelle et conscience volontaire soient synomyncs aux yeux de Husserl. Et si l'on en venait à penser - comme Husserl nous y autorisera dans Ideen I - que tout vécu intentionnel peut au principe être repris dans un vécu d'expression, on devrait peut-être conclure que malgré tous les thèmes de l'intentionnalité réceptrice ou intuitive et de la genèse passive, le concept d'intentionnalité reste pris dans la tradition d'une métaphysique volontariste, c'est-à-dire peut-être simplement dans la métaphysique. La téléologie explicite qui commande toute la phénoménologie transcendantale ne serait au fond qu'un volontarisme transcendantal. Le sens veut se signifier, il ne s'exprime que dans un vouloir-dire qui n'est qu'un vouloir-se-dire de la présence du sens. Cela explique que tout ce qui échappe à la pure intention spirituelle, à la pure animation par le Geist qui est volonté, tout cela est exclu du bedeuJen et donc de l'expression : par exemple, le jeu de physionomie, le geste, la totalité du corps et de l'inscription mondaine, en un mot la totalité du visible et du spatial comme tels. Comme tels, c'est-à-dire en tant qu'ils ne sont pas travaillés par le GeisJ, par la volonté, par la Geistigkeit qui, dans le mot aussi bien que dans le corps humain, transforme le Korper en Leib (en chair). L'opposition du corps et de l'âme n'est pas seulement au centre de cette doctrine de la signification, elle est confirmée par elle et, comme elle l'a au fond toujours fait dans la philosophie, dépend d'une interprétation du langage. La visibilité, la spatialité comme telles ne pourraient que perdre la présence à soi ie la volonté et de l'animation spirituelle qui ouvre le discours. Elles en sont liJtéralemenl la tJJorJ. Ainsi : « En revanche, nous excluons (de l'expression) le jeu de physionomie et les gestes dont nous accompagnons notre

LA VOIX ET LE PHt!.NOM'E.NE discours sans le vouloir ( 11nwillleiirlith) et en tout cas sans intention de communication, ou dans lesquels, même sans la coopération du discours, l'état d'âme d'une personne devient « expression » intelligible pour son entourage. De telles extériorisations ( A.11sser11ngen) ne sont nullement des expressions au sens du discours (Retie); à la différence de ces dernières, elles n'ont pas d'unité phénoménale, dans la conscience de celui qui s'extériorise, avec les vécus extériorisés; par elles, un individu ne communique rien à un autre, il lui manque dans l'extériorisation de ces vécus l'intention d'exposer quelque « pensée » de manière expresse (in allsdriklelither Weise), que ce soit pour un autre ou pour lui-même, s'il est seul avec luimême. Bref, des « expressions » de ce type n'ont à proprement parler aucune Bede11t11ng ». Elles ne veulent rien dire parce qu'elles ne tJelllent rien dire. Dans l'ordre de la signification, l'intention expresse est une intention d'exprimer. L'implicite n'appartient pas à l'essence du discours. Ce que Husserl affirme ici des gestes et des jeux de physionomie vaudrait bien sûr a fortiori du langage préconscient ou inconscient. Qu'on puisse éventuellement « interpréter » le geste, le jeu de physionomie, le non-conscient, l'involontaire, l'indication en général, qu'on puisse parfois les reprendre et les expliciter dans un commentaire discursif et exprès, cela ne fait que confirmer, aux yeux de Husserl, les distinctions précédentes. Cette interprétation (De11111ng) fait alors entendre une expression latente, un vouloir-dire (bede11ten) qui se réservait encore. Les signes non expressifs ne veulent dire (bede11ten) que dans la mesure où on peut leur faire dire ce qui se murmurait en eux, ce qui se voulait dans une sorte de bredouillement. Les gestes ne veulent dire que dans la mesure où on peut les écouter, les interpréter ( de11ten). Tant qu'on identifie Sinn et Bede11t11ng, tout ce qui résiste à la De11t11ng n'a aucun sens et n'est pas langage au sens strict. L'essence du langage est son telos et son telos est la conscience volontaire comme vouloir-dire. La sphère indicative qui reste hors

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de l'expressivité ainsi définie délimite l'échec de ce telos. Elle représente tout ce qui, s'entrelaçant pourtant à l'expression, ne peut être repris dans un discours délibéré et transi de vouloir-dire. Pour toutes ces raisons, on n'a pas le droit de distinguer entre indice et expression comme entre signe non-linguistique et signe linguistique. Husserl trace une frontière qui ne passe pas entre la langue et la non-langue, mais, dans le langage en général, entre l'exprès et le non-exprès (avec toutes leurs connotations). Car il serait difficile- et en fait impossible- d'exclure de la langue toutes les formes indicatives. On peut donc tout au plus distinguer avec Husserl entre signes linguistiques « au sens strict » et signes linguistiques au sens large. Justifiant son exclusion des gestes et jeux de physionomie, Husserl conclut en effet : « Rien de cela n'est changé par le fait qu'une deuxième personne puisse interpréter ( deuten) nos extériorisations involontaires ( N11'111illkiirlichen Auuerungen) (par exemple, les« mouvements expressifs») et apprendre ainsi beaucoup sur nos pensées intimes et les mouvements de notre âme. Elles (ces extériorisations) «veulent dire» (bedeuten) pour l'autre en tant précisément qu'il les interprète (deule/), mais même pour lui, elles n'ont pas de Bedeulllngen au sens strict de signe linguistique ( im priignanten Sinne .rprachlicher Zeichen), mais seulement au sens d'indice(§ 5). » Cela nous conduit à chercher encore plus loin la limite du champ indicatif. En effet, même pour celui qui restitue la discursivité dans le geste d'autrui, les manifestations indicatives d'autrui ne se transforment pas en expressions. C'est lui, l'interprète, qui s'exprime à leur sujet. C'est qu'il y a peut-être dans le rapport à autrui quelque chose qui rend l'indication irréductible. B) Il ne suffit pas, en effet, de reconnaître le discours oral comme milieu de l'expressivité. Une fois qu'on a exclu tous les signes non discursifs qui se donnent immédiatement comme extérieurs à la parole (geste, jeux de physionomie, etc.), il reste encore,

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cette fois à l'intérieur de la parole, une non-expressivité dont l'ampleur est considérable. Cette non-expressivité ne tient pas seulement à la face physique de l'expression (« le signe sensible, le complexe phonique articulé, le signe écrit sur le papier»).« La simple distinction entre le signe physique et en général les vécus qui confèrent le sens n'est pas suffisante, surtout si l'on est guidé par des fins logiques. » Considérant maintenant la face non physique du discours, Husserl en exclut donc, toujours sous le titre de l'indication, tout ce qui relève de la communication ou de la manifestation des vécus psychiques. Le mouvement qui justifie cette exclusion doit nous apprendre beaucoup sur la teneur métaphysique de cette phénoménologie. Les thèmes qui s'y présentent ne seront jamais remis en question par Husserl. Ils se laisseront au contraire sans cesse confirmer. Ils vont nous donner à penser que ce qui, en dernière analyse, sépare l'expression de l'indice, c'est ce qu'on pourrait appeler la non-présence immédiate à soi du présent vivant. Les valeurs d'existence mondaine, de naturalité, de sensibilité, d'empiricité, d'association, etc., qui déterminaient le concept d'indice, vont peut-être, à travers, certes, bien des médiations que nous anticipons, trouver dans cette nonprésence leur unité dernière. Et cette non-présence à soi du présent vivant qualifiera simultanément le rapport à autrui en général et le rapport à soi de la temporalisation. Cela s'esquisse lentement, discrètement mait rigoureusement dans les Recherches. Nous avons vu que la différence entre indice et expres:sion était fonctionnelle ou intentionnelle, non substantielle. Husserl peut donc considérer que des éléments d'ordre substantiellement discursif (des mots, des parties de discours en général) fonctionnent dans certains cas comme des indices. Et cette fonction indicative du discours est massivement à l'œuvre. Toul discot1rs, en tant qu'il est engagl dans une communication el qu'il manifeste des v/eus, opère comme indication. Dans ce cas, les mots agissent comme des gestes. Ou

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plutôt, le concept même de geste devrait être déterminé à partir de l'indication comme non-expressivité. Husserl admet certes que la fonction à laquelle est« originairement appelée» l'expression est la communication(§ 7). Et pourtant l'expression n'est jamais purement elle-même tant qu'elle remplit cette fonction d'origine. C'est seulement quand la communication est suspendue que la pure expressivité peut apparaître. Que se passe-t-il en effet dans la communication ? Des phénomènes sensibles (audibles ou visibles, etc.) sont animés par les actes d'un sujet qui leur donne sens et dont un autre sujet doit comprendre simultanément l'intention. Or l' « animation » ne peut être pure et totale, elle doit traverser la non-diaphanéité d'un corps et d'une certaine manière s'y perdre : « Mais cette communication ne devient possible que si l'auditeur alors comprend aussi l'intention de celui qui parle. Et ille fait en tant qu'il saisit celui qui parle comme une personne qui n'émet pas de simples sons mais qui lui parle, qui donc avec les sons accomplit simultanément certains actes conférant le sens, actes qu'elle veut lui rendre manifestes, ou dont elle veut lui communiquer le sens. Ce qui, avant tout, rend possible l'échange spirituel et fait un discours du discours qui met en relation, réside dans cette corrélation- médiatisée par la face physique du discours entre les vécus physiques et psychiques correspondants des personnes qui communiquent entre elles. » Tout ce qui, dans mon discours, est destiné à manifester un vécu à autrui, doit passer par la médiation de la face physique. Cette médiation irréductible engage toute expression dans une opération indicative. La fonction de manifestation ( lellndgebende Funletion) est une fonction indicative. On s'approche ici de la racine de l'indication : il y a indication chaque fois que l'acte conférant le sens, l'intention animatrice, la spiritualité vivante du vouloir-dire, n'est pas pleinement présente. En effet quand j'écoute autrui, son vécu ne m'est pas présent « en personne », originairement. Je peux avoir,

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pense Husserl, une intuition originaire, c'est-à-dire une perception immédiate de ce qui en lui est exposé dans le monde, de la visibilité de son corps, de ses gestes, de ce qui se laisse entendre des sons qu'il profère. Mais la face subjective de son expérience, sa conscience, les actes par lesquels en particulier il donne sens à ses signes, ne me sont pas immédiatement et originairement présents comme ils le sont pour lui et comme les miens le sont pour moi. Il y a là une limite irréductible et définitive. Le vécu d'autrui ne me devient manifeste qu'en tant qu'il est médiatement indiqué par des signes comportant une face physique. L'idée même de « physique », de «face physique» n'est pensable dans sa différence propre qu'à partir de ce mouvement de l'indication. Pour expliquer le caractère irréductiblement indicatif de la manifestation, même dans le discours, Husserl propose déjà des motifs dont la cinquième des Mlditations çartlsiennes développera minutieusement le système : hors de la sphère monadique transcendantale de mon propre (mir eigenes), de la propriété de mon propre (Eigenheit), de ma présence à moi, je n'ai avec le propre d'autrui, avec la présence à soi d'autrui que des rapports d' apprlsenlation analogique, d'intentionnalitl mldiate et potentielle. La présentation originaire m'est interdite. Ce qui sera alors décrit sous la surveillance d'une réduction transcendantale différenciée, audacieuse et rigoureuse, est ici, dans les Ruherçhes, esquissé dans la dimension « parallèle » du psychique. « L'auditeur perçoit la manifestation dans le même sens où il perçoit la personne même qui manifeste - bien que; pourtant les phénomènes psychiques qui en font une personne ne puissent tomber, comme ce qu'ils sont, sous l'intuition d'un autre. Le langage courant nous attribue aussi une perception des vécus psychiques de personnes étrangères, nous « voyons » leur colère, leur douleur, etc. Ce langage est parfaitement juste tant qu'on admet aussi comme perçues les choses corporelles extérieures et tant que, d'une manière générale, on ne restreint pas le concept de

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perception à celui de perception adéquate, à l'intuition au sens le plus strict. Si le caractère essentiel de la perception consiste dans la visée (Vermeinen) intuitive prétendant saisir une chose ou un événement en tant qu'ils sont eux-mêmes présents (gegenwiirtigen) -et une telle visée est possible, elle est même donnée dans l'immense majorité des cas, sans aucune formulation conceptuelle ni expresse - alors la saisie de la manifestation ( Kundnahme) est une simple perception de la manifestation (Kundgabe) ••. L'auditeur perçoit le fait que celui qui parle extériorise certains vécus psychiques, et dans cette mesure il perçoit aussi ces vécus; mais il ne les vit pas lui-même, il n'en a aucune perception « interne », seulement une perception « externe ». C'est la grande différence entre la saisie effective d'un être dans une intuition adéquate et la saisie visée ( vermeintlithen) d'un tel être sur . le fondement d'une représentation intuitive mais inadéquate. Dans le premier cas, un être est vécu ; dans le dernier cas, un être est " supposé ( supponierte.r) auquel en général ne correspond pas la vérité. La compréhension réciproque requiert précisément une certaine corrélation des actes psychiques qui se déploient des deux côtés dans la manifestation et dans la saisie de la manifestation, mais nullement leur pleine identité. » La notion de prlsence est le nerf de cette démonstration. Si la communication ou la manifestation (Kundgabe) est d'essence indicative, c'est parce que la présence du vécu d'autrui est refusée à notre intuition originaire. Chaque fois que la présence immédiate et pleine du signifié sera dérobée, 1.:: signifiant sera de nature indicative. (C'est pourquoi la Kundgabe, que l'on traduit un peu lâchement par manifestation, ne manifeste pas, ne rend rien manifeste, si manifeste veut dire évident, ouvert, offert « en personne ». La Kundgabe annonce et dérobe en même temps ce dont elle informe.) Tout discours, ou plutôt tout ce qui, dans le discours, ne restitue pas la présence immédiate du contenu signifié, est in-expressif. L'expressivité pure sera la pure intention active (esprit, psychè, vie, volonté) d'un

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bede11len animant un discours dont le contenu ( Bede11/11ng) sera présent. Présent non pas dans la nature, puisque seule l'indication a lieu dans la nature et dans l'espace, mais dans la conscience. Donc présent à une intuition ou à une perception « internes ». Mais présent à une intuition qui ne peut être celle d'autrui dans une communication, nous venons de comprendre pourquoi. Donc présent à .roi dans la vie d'un présent qui n'est pas encore sorti de soi dans le monde, dans l'espace, dans la nature. Toutes ces « sorties » exilant dans l'indice cette vie de la présence à soi, on peut être assuré que l'indication, qui couvre jusqu'ici presque toute la surface du langage, est le processus de la mort à l'œuvre dans les signes. Et dès qu'autrui apparaît, le langage indicatif- autre nom du rapport à la mort - ne se laisse plus effacer. Le rapport à l'autre comme non-présence est donc l'impureté de l'expression. Pour réduire l'indication dans le langage et regagner enfin la pure expressivité, il faut donc suspendre le rapport à autrui. Je n'aurai plus alors à passer par la médiation de la face physique ou de toute apprésentation en général. Le paragraphe 8, « Le.r expressions dan.r la vie solitaire de l'âme», suit donc une voie qui est, à deux points de vue, parallèle à celle de la réduction à la sphère monadique de l' Eigenheit dans les Méditations çartl.rienne.r : parallèle du psychique et du transcendantal, parallèle de la couche des vécus expressifs et de la couche des vécus en général. « Jusqu'ici, nous avons considéré les expressions dans la fonction communicative. Celle-ci repose essentiellement sur le fait que les expressions opèrent comme indices. Mais un grand rôle est aussi assigné aux expressions dans la vie de l'âme en tant qu'elle n'est pas engagée dans un rapport de communication. Il est clair que cette modification de la fonction ne touche pas à ce qui fait que les expressions sont des expressions. Elles ont, comme auparavant, leurs Bede11t11ngen et les mêmes Bede11t11ngen que dans la collocution. Le mot ne cesse d'être mot que si notre intérêt se dirige exclusivement vers

LA REDUCTION DE L'INDICE le sensible, vers le mot en tant que simple formation phonique. Mais, quand nous vivons dans la compréhension du mot, alors celui-ci exprime et il exprime la même chose, qu'il soit ou non adressé à quelqu'un. D'où il apparaît clairement que la Bedeutung de l'expression, ct ce qui lui appartient encore essentiellement, ne peut coïncider avec son activité de manifestation. » Le premier avantage de cette réduction au monologue intérieur, c'est donc que l'événement physique du langage y paraît en effet absent. Dans la mesure où l'unité du mot - ce qui le fait reconnaître comme mot, le 1nême mot, unité d'un complexe phonique et d'un sens - ne peut pas se confondre avec la multiplicité des événements sensibles de son utilisation, ni donc en dépendre, le même du mot est idéal, il est la possibilité idéale de la répétition et il ne perd rien à la réduction d'aucun, donc de tout événement empirique marqué par son apparition. Alors que « ce qui doit nous servir d'indice (signe distinctif) doit être perçu par nous comme existant », l'unité d'un mot ne doit rien à son existence (Da sein, Existenz). Son expressivité, qui n'a pas besoin du corps empirique, mais seulement de la forme idéale et identique de ce corps en tant qu'elle est animée par un vouloir-dire, ne doit rien à aucune existence mondaine, empirique, etc. Dans la« vie solitaire de l'âme», l'unité pure de l'expression en tant que telle devrait donc m'être enfin restituée. Est-ce à dire qu'en me parlant à moi-même, je ne me communique rien à moi-même ? Est-ce qu'alors la« Kllndgabe »et la« Kundnahme » sont suspendues ? Est-ce que la non-présence est réduite et avec elle l'indication, le détour analogique, etc.? Est-ce qu'alors je ne me modifie pas ? Est-ce que je ne m'apprends rien sur moi-même ? Husserl considère l'objection, puis l'écarte. « Devons-nous dire que celui qui parle dans la solitude se parle à lui-même, que les mots lui servent à lui aussi de signes (Zeichen), à savoir d'indices ( Anzeichen) de ses propres vécus psychiques ? Je ne crois pas qu'une telle conception doive être soutenue. »

LA VOIX ET LE PHE.NOM'SNE L'argumentation de Husserl est ici décisive et nous devons la suivre de près. Toute la théorie de la signification qui s'annonce dans ce premier chapitre de distinctions essentielles s'effondrerait si une fonction de l>. Car à la surface de son texte, Husserl continue de respecter pour le moment la distinction initiale entre deux sortes de signes. Pour démontrer que l'indication ne fonctionne plus dans la vie solitaire de l'âme, Husserl commence par marquer la différence entre deux sortes de« renvoi>> : le renvoi comme Hinzeigen (qu'il faut se garder de traduire par indication, au moins pour des raisons conventionnelles et si l'on veut ne pas détruire la cohérence du texte; disons arbitrairement« monstration ») et le renvoi comme Anzeigen (indication). Or, dit Husserl, si dans le monologue silencieux « comme partout les mots fonctionnent comme signes », et si « nous pouvons partout parler simplement d'un acte de monstration (Hinzeigen) »,la transgression de l'expression vers le sens, du signifiant vers le signifié, n'est plus ici une indication. Le Hinzeigen n'est pas un Anzeigen. Car cette transgression ou, si l'on veut, ce renvoi,

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se passe ici de toute existence ( Dasein, Bxistenz). Dans l'indication au contraire, un signe existant, un événement empirique renvoie à un contenu dont l'existence est au moins présumée, il motive notre anticipation ou notre conviction de l'existence de ce qui est indiqué. On ne peut penser l'indice sans faire intervenir la catégorie de l'existence empirique, c'est-à-dire seulement probable, ce qui sera aussi la définition de l'existence mondaine, pour Husserl, par opposition à l'existence de l'ego cogito. La réduction au monologue est bien une mise entre parenthèses de l'existence mondaine empirique. Dans la « vie solitaire de l'âme », nous ne nous servons plus de mots réels (wirklich), mais seulement de mots représentés (vorgestellt). Et le vécu - dont on se demandait s'il n'était pas« indiqué» par lui-même au sujet parlant - n'a pas à être ainsi indiqué, il est immédiatement certain et présent à soi. Alors que dans la communication réelle, des signes existants indiqnent d'autres existants qui ne sont que probables et médiatement évoqués, dans le monologue, quand l'expression est pleine (1), des signes non existants montrent (r) Pour ne pas mêler et multiplier les difficultés, nous ne considmns en cet endroit précis que l'expression parfaite, celle dont la 1 Bedeutungsinlmtion 1 est 1 remplie •· Nous y sommes autorisés dans la mesure où cette plénitude, nous le verrons, est le telos et l'accomplissement de ce que Husserl veut ici Isoler sous le nom de vouloir-dire et d'expression. I.e non-remplissement fera surgir des problœes originaux que nous rencontrerons plus loin. Citons id le passage sur lequel nous venons de nous appuyer : 1 Quand nous réfléchissons sur le rapport entre l'expression et la Bedeutung et que, à cette fin, nous démembrons le vécu complexe et en outre intimement uni de l'expression remplie de sens en Isolant les deux facteurs, le mot et le sens, alors le mot lui-mœe nous apparaît comme indifférent en soi, mais le sens nous apparaît comme ce qu'on a 1 en vue • avec le mot, comme ce qui est visé au moyen de ce signe; l'expression semble ainsi dévier l'intérêt de soi vers le sens (von sich ab und au/ den Sinn hinJulenken), elle semble renvoyer (hinJuzeigen) à ce dernier. Mais ce renvoi (HinJeigen) n'est pas l'indication ( das A nzeigen) au sens où nous en avons débattu. L'existence (Dasein) du signe ne motive pas l'existence, ou plus exactement, notre conviction de l'existence de la Bedeutung. Ce qui doit nous servir d'indice (de signe distinctif) doit être perçu par nous comme existant ( als daseiend). Cela est aussi le cas des expressions dans le discours communicatif mais non des expressions dans le discours solitaire. 1

LA VOIX ET LE PHP.NOM!i.NE des signifiés ( Bedeutrmgen) idéaux, donc non existants, ct certains, car présents à l'intuition. Quant à la certitude de l'existence intérieure, elle n'a pas besoin, pense Husserl, d'être signifiée. Elle est immédiatement présente à soi. Elle est la conscience vivante. Dans le monologue intérieur, le mot serait donc seulement représenté. Son lieu peut être l'imaginaire (Phantasie). Nous nous contentons d'imaginer le mot dont l'existence est ainsi neutralisée. Dans cette imagination du mot, dans cette représentation imaginaire du mot (Phantasievorstellung), nous n'avons plus besoin de l'événement empirique du mot. Son existence ou sa non-existence nous sont indifférentes. Car si nous avons alors besoin de l'imagina/ion du mot, du même coup nous nous passons du mol imaginé. L'imagination du mot, l'imaginé, l'être-imaginé du mot, son « image » n'est pas le mot (imaginé). De même que dans la perception du mot, le mot (perçu ou apparaissant) qui est « dans le monde » appartient à un ordre radicalement différent de celui de la perception ou de l'apparaître du mot, de l'être-perçu du mot, de même le mot(imaginé) est d'un ordre radicalement hétérogène à celui de l'imagination du mot. Cette différence, à la fois simple et subtile, fait apparaître la spécificité irréductible de la phénoménalité et l'on ne peut rien entendre à la phénoménologie si l'on n'y prête une attention constante et vigilante. Mais pourquoi Husserl ne se contente-t-il pas de la différence entre le mot existant (perçu) et la perception ou l'être perçu, le phénomène du mot ? C'est que dans le phénomène de la perception, une référence est inscrite, dans la phénoménalité même, à l'existence du mot. Le sens « existence » appartient alors au phénomène. Ce n'est plus le cas dans le phénomène de l'imagination. Dans l'imagination, l'existence du mot n'est pas impliquée, fût-ce à titre de sens intentionnel. N'existe alors que l'imagination du mot, qui, elle, est absolument certaine et présente à soi en tant que vécu. C'est déjà là une réduction phénoménologique isolant le vécu subjectif comme

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sphère de certitude absolue et d'existence absolue. Cet absolu d'existence n'apparaît que dans la réduction de l'existence relative du monde transcendant. Et c'est déjà l'imagination, « élément vital de la phénoménologie» (Idée.r I) qui procure à ce mouvement son médium privilégié. « Ici (dans le discours solitaire), nous nous contentons en effet normalement de mots représentés au lieu de mots réels. Un signe verbal, parlé ou imprimé, est évoqué dans notre imagination, en vérité il n'existe pas du tout. Toutefois nous ne devrons pas confondre les représentations de l'imagination (Phanla.rievorstellungen) ou encore moins les contenus de l'imagination qui en sont le fondement, avec les objets imaginés. Ce n'est pas la sonorité du mot imaginé ou le caractère d'imprimerie imaginé qui existent, mais leur représentation dans l'imagination. La différence est la même qu'entre le centaure imaginé et la représentation du centaure dans l'imagination. La non-existence ( Nicht-Exi.rtenz) du mot ne nous gêne pas. Mais elle ne nous intéresse pas davantage. Car cela n'intervient pas dans la fonction de l'expression comme expression.» Cette argumentation serait très fragile si elle ne faisait appel qu'à une psychologie classique de l'imagination. Et il serait bien imprudent de l'entendre ainsi. Pour une telle psychologie, l'image est un signe-portrait dont la rlalitl (qu'elle soit physique ou psychique) indique l'objet imaginé. Husserl montrera dans Idée.r I à quelles apories conduit une telle conception (t). En tant que sens inten(1) Cf. § 90 et tout le chap. IV de la III• Section, en particulier les § 99, 109, 1 1 1 et surtout 112 : • La difficulté ne sera levée que quand la pratique de l'analyse phénoménologique authentique sera plus étendue qu'elle ne l'est encore à présent.

Aussi longtemps qu'on traitera les vécus comme des • contenus 1 ou des 1 éléments 1 psychiques et que, en dépit de toutes les polémiques à la mode dirigée contre la psychologie atomiste ou chosiste, on continuera de les considérer comme des sortes de choses en miniature (Silcllelchen), aussi longtemps qu'on croira trouver la différence entre les • contenus de sensation • et les • contenus d'imagination 1 correspondants, dans des critères matériels tels que 1 l'intensité 1, la • plénitude 1, etc., on ne peut entrevoir aucun progrès. Il faudrait qu'on s'avisât pour commencer

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tionnel ou noème, et bien qu'elle appartienne à la sphère d'existence et de certitude absolue de la conscience, l'image n'est pas une réalité doublant une autre réalité. Non seulement parce qu'elle n'est pas une réalité (Realiliil} dans la nature, mais parce que le noème est une composante non réelle (reel/) de la conscience. Saussure fut aussi soucieux de distinguer entre le mot réel et son image. C'est seulement à la forme de l' « image acoustique >> qu'il reconnaissait, lui aussi, valeur expressive de« signifiant>> (x).« Signiqu'il s'agit Ici d'une différence qui concerne la conscienct' ..• • (tr. P. RICŒUR, p. 374). L'originalité phénoménologique que Husserl veut ainsi respecter le conduit à poser une hétérogénéité absolue entre la perception ou présentation originaire (Gegenwtlrtigung, Prâsentalion) et la re-présentation ou re-production représen· tative, qu'on traduit aussi par présentification (Vergegenwllrtigung). Le souvenir, l'image, le signe sont des re-présentations en ce sens. A vrai dire, Husserl n'est pas conduit à recounaJtre cette hétérogénéité : celle-ci constitue toute la possibilité de la phénoménologie qui n'a de sens que si une présentation pure et originaire est possible et originale. Une telle distinction (à laquelle il faut ajouter, au moins, celle entre la re-présentation positionnelle (setzende) qui pose l'ayant-été-présent dans le souvenir, et la re-présentation imaginaire ( Phantasie· Vergegenwtlrtigung) qui est neutre à cet égard), dont nous ne pouvons ici étudier directement tout le système complexe et fondamental, est donc l'instrument indispensable pour une critique de la psychologie classique, en particulier de la psychologie classique de l'imagination et du signe. Mais ne peut-on assumer la nécessité de cette critique de la psychologie naive seulement jusqu'à un certain point ? Et montrer finalement que le thème ou la valeur de 1 présentation pure •, de perception pure et originaire, de présence pleine et simple, etc., constituent la complicité de la phénoménologie et de la psychologie classique, leur commune présupposition métaphysique ? En affirmant que la perception n'existe pas ou que ce qu'ou appelle perception n'est pas originaire, et que d'une certaine manière tout 1 commence • par la 1 re-présentation • (proposition qui ne peut évidemment se soutenir que dans la rature de ces deux derniers concepts : elle signifie qu'il n'y a pas de 1 commencement • et la 1re-présentation • dont nou5 parlons n'est pas la modification d'un • re· • survenue à une présentation originaire), en réintroduisant la différence du 1 signe • au cœur de l' 1 originaire •, il ne s'agit pas de revenir en deçà de la phénoménologie transcendantale, que ce soit vers un 1 empirisme • ou vers une critique 1 kantienne • de la prétention à l'intuition originaire. Nous venons ainsi de désigner l'intention première- et l'horizon lointain- du présent essai. ( 1) Il faut rapprocher du texte des Recherches logiques ce passage du Cours de linguistique génJrale : 1 Le signe linguistique unit non une chose et un nom,

LE VOULOIR-DIRE COMME SOLILOQUE fiant» veut dire « image acoustique». Mais Saussure ne prenant pas la précaution « phénoménologique », il fait de l'image acoustique, du signifiant comme « impression psychique », une réalité dont la seule originalité est d'être intérieure, ce qui ne fait que déplacer le problème. Or, si Husserl, dans les Recherches, conduit sa description dans une zone psychique et non transcendantale, il n'en discerne pas moins alors les composantes essentielles d'une structure qu'il dessinera dans Idées I: le vécu phénoménal n'appartient pas à la réalité (Reali/iii). En lui, certains éléments appartiennent réellement (reel/) à la conscience (hylè, morphè et noèse) mais le contenu noématique, le mais un concept et une image acoustique. Cette dernière n'est pas le son matériel, chose purement physique, mais l'empreinte psychique de ce son, la représentation que nous en donne le témoignage de nos sens ; elle est sensorielle, et s'il nous arrive de l'appeler • matérielle •, c'est seulement dans ce sens et par opposition à l'autre terme de l'association,le concept, généralement plus abstrait. Le caractère psychique de nos images acoustiques apparait bien quand nous observons notre propre langage. Sans remuer les lèvres ni la langue, nous pouvons nous parler à nous-mimes ou nous réciter mentalement une pièce de vers • (p. 98. Nous soulignons). Et cette mise en garde qu'on a bien vite oubliée : 1 C'est parce que les mots de la langue sont pour nous des images acoustiques qu'il faut éviter de parler des 1 phonèmes • dont ils sont composés. Ce terme, impliquant une idée d'action vocale, ne peut convenir qu'au mot parlé, à la réalisation de l'image intérieure dans le discours. • Mise en garde oubliée, mais sans doute parce que la proposition de remplacement avancée par Saussure ne faisait qu'aggraver le risque : 1 En parlant de sons et des syllabes d'un mot, on évite ce malentendu, pourvu qu'on se souvienne qu'il s'agit de l'image acoustique. • Il faut bien reconnaltre qu'on a plus de facilité à s'en souvenir en parlant de phonème qu'en parlant de son. Ce dernier ne se pense hors de l'action vocale réelle que dans la mesure où on le situe plus facilement que le phonème comme un objet dans la nature. Pour éviter d'autres malentendus, Saussure conclut ainsi : 1 L'ambiguïté disparaîtrait si l'on désignait les trois notions ici en présence par des noms qui s'appellent les uns les autres tout en s'opposant. Nous proposons de conserver le mot signe pour désigner le total, ct de remplacer concept et image acoustique respectivement par signifié et signifiant • (p. 99). On pourrait poser J'équivalence signifiant/expres· sion, signitiéJBedeutung, si la structure bedeuten/BedeutungJsens/objet n'était pas beaucoup plus complexe chez Husserl que chez Saussure. Il faudrait aussi comparer systématiquement l'opération à laquelle procède Husserl dans la première des Recherches et la délimitation par Saussure du 1 système interne • de la langue.

LA VOIX ET LE PH:SNOMP.NE sens est une composante non réelle (reel/) du vécu (x). L'irréalité du discours intérieur est donc une structure très différenciée. Husserl écrit très précisément, quoique sans insistance : « Un signe verbal, parlé ou imprimé, est évoqué dans notre imagination, en vérité il n'existe pas du tout. Toutefois, nous ne devrons pas confondre les représentations de l'imagination ( Phanlasievorstellungen) el encore moins [nous soulignons) les contenus de l'imagination qui en sont le fondement, avec les objets imaginés. » Donc, non seulement l'imagination du mot, qui n'est pas le mot imaginé, n'existe pas, mais le contenu (le noème) de cette imagination existe encore moins que l'acte. (1) Sur la non-rédlité du noème dans le cas de l'image ct du signe, cf. en particulier Idées 1, § 102

CHAPITRE

IV

LE VOULOIR-DIRE ET LA REPRÉSENTATION Rappelons-nous l'objet et le nerf de cette démonstration : la fonction pure de l'expression et du vouloir-dire n'est pas de communiquer, d'informer, de manifester, c'est-à-dire d'indiquer. Or, la « vie solitaire de l'âme » prouverait qu'une telle expression sans indication est possible. Dans le discours solitaire, le sujet n'apprend rien sur lui-même, ne se manifeste rien à lui-même. Pour soutenir cette démonstration, dont les conséquences seront sans limite dans la phénoménologie, Husserl fait appel à deux types d'arguments. I. Dans le discours intérieur, je ne me communique rien à moi-même. Je ne m'indique rien. Je peux tout au plus m'imaginer le faisant, je peux seulement me représenter moi-même comme me manifestant quelque chose à moi-même. Ce n'est là qu'une représentation et une imagination. z. Dans le discours intérieur, je ne me communique rien à moimême et je peux seulement le feindre parce que je n'en ai pas besoin. Une telle opération - la communication de soi à soi - ne peut avoir lieu parce qu'elle n'aurait aucun sens ; et elle n'aurait aucun sens parce qu'elle n'aurait aucune finalité. L'existence des actes psychiques n'a pas à être indiquée (rappelons-nous que seule une existence peut être en général indiquée) parce qu'elle est immédiatement présente au sujet dans l'instant présent.

LA VOIX ET LB PHt!.NOM'l!.NB Lisons d'abord le paragraphe qui noue les tkux arguments : « En un certain sens, on parle aussi, il est vrai, dans le discours solitaire, et par là il est assurément possible de se saisir soi-même comme parlant, voire éventuellement comme se parlant à soi-même. Comme, par exemple, quand quelqu'un se dit à lui-même : tu as mal agi, tu ne peux plus continuer à te conduire ainsi. Mais dans ces cas on ne parle pas au sens propre, au sens de la communication, on ne se communique rien à soi-même, on se représente seulement (man llellt sich vor) soi-même comme parlant et communiquant. Dans le monologue, les mots ne peuvent toutefois nous servir dans la fonction d'indices de l'existence (Dasein) d'actes psychiques, car une telle indication n'aurait ici aucune finalité (ganz zwecklos ware). Les actes en question sont en effet vécus par nous-mêmes dans le même instant (im se/ben Augenblick). » Ces affirmations posent des questions très diverses. Mais elles concernent toutes le statut de la reprlsentalion dans le langage. De la représentation au sens général de V orstellung, mais aussi au sens de la re-présentation comme répétition ou reproduction de la présentation, comme Vergegenwarlig1111g modifiant la Prasentalion ou Gegenwartigung ; enfin au sens de représentant tenant lieu, occupant la place d'une autre Vorstellung (Reprasenlalion, Reprasentant, Ste/1verslreter) (1). Considérons d'abord le premier argument. Dans le monologue, on ne se communique rien, on se représente (man slellt sich vor) soi-même comme sujet parlant et communiquant. Husserl semble donc appliquer ici au langage la distinction fondamentale entre la réalité et la représentation. Entre la communication (l'indication) effective et la communication « représentée », il y aurait une différence d'essence, une extériorité simple. De plus, pour accéder au (1) Cf. à ce sujet la note des traducteurs des Recherches (t. 11, 1, p. 276) et celle des traducteurs des Leçons (p. 26).

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langage intérieur (au sens de la communication) comme pure représentation (Vor.rlellung), il faudrait passer par la fiction, c'est-à-dire par un type particulier de représentation : la représentation imaginaire que Husserl définira plus tard comme représentation ( Vergegenwarligung) neutralisante. Peut-on appliquer au langage ce système de distinctions ? Il faudrait d'abord supposer que dans la communication, dans la pratique dite« effective» du langage, la représentation (à tous les sens de ce mot) ne soit pas essentielle et constituante, qu'elle ne soit qu'un accident s'adjoignant éventuellement à la pratique du discours. Or, il y a tout lieu de croire que dans le langage la représentation et la réalité ne s'ajoutent pas ici ou là pour la simple raison qu'il est impossible au principe de les distinguer rigoureusement. Et l'on n'a sans doute pas à dire que cela se produit dan.r le langage. Le langage en général e.rl cela. Lui seul. Husserl lui-même nous donne les moyens de le penser contre lui-même. En effet, quand je me sers, effeclivemenl, comme on dit, de mots, que je le fasse ou non à des fins communicatives (plaçonsnous ici avant cette distinction et dans l'instance du signe en général), je dois d'entrée de jeu opérer (dans) une structure de répétition dont l'élément ne peut être que représentatif. Un signe n'est jamais un événement si événement veut dire unicité empirique irremplaçable et irréversible. Un signe qui n'aurait lieu qu' « une fois » ne serait pas un signe. Un signe purement idiomatique ne serait pas un signe. Un signifiant (en général) doit être reconnaissable dans sa forme malgré et à travers la diversité des caractères empiriques qui peuvent le modifier. Il doit rester le même et pouvoir être répété comme tel malgré et à travers les déformations que ce qu'on appelle l'événement empirique lui fait nécessairement subir. Un phonème ou un graphème est nécessairement toujours autre, dans une certaine mesure, chaque fois qu'il se présente dans une opération ou une perception, mais il ne peut fonctionner comme signe et langage en général que

LA VOIX ET LE PHÉNOM~NE si une identité formelle permet de le rééditer et de le reconnaître. Cette identité est nécessairement idéale. Elle implique donc nécessairement une représentation : comme Vor.rlellrmg, lieu de l'idéalité en général, comme Vergegemvàrlig11ng, possibilité de la répétition reproductive en général, comme Reprà.renlalion, en tant que chaque événement signifiant est substitut (du signifié aussi bien que de la forme idéale du signifiant). Cette structure représentative étant la signification elle-même, je ne peux pas entamer un discours « effectif» sans être originairement engagé dans une représentativité indéfinie. On nous objectera peut-être que c'est ce caractère exclusivement représentatif de l'expressivité que Husserl veut précisément faire apparaître par son hypothèse d'un discours solitaire qui répondrait à l'essence du discours en laissant tomber son écorce communicative et indicative. Et que précisément nous avons formulé notre question avec des concepts husserliens. Certes. Mais c'est seulement de l'expression et non de la signification en général que Husserl veut décrire l'appartenance à l'ordre de la représentation comme Vor.rleiJgng. Or nous venons de suggérer que celle-ci - et ses autres modifications représentatives - sont impliquées par tout signe en général. D'autre part et surtout, dès lors qu'on a admis que le discours appartenait essentiellement à l'ordre de la représentation, la distinction entre discours « effectif » et représentation de discours devient suspecte, que le discours soit purement « expressif » ou engagé dans une « communication ». En raison de la structure originairement répétitive du signe en général, il y a toutes les chances pour que le langage « effectif» soit aussi imaginaire que le discours imaginaire; et pour que le discours imaginaire soit aussi effectif que le discours effectif. Qu'il s'agisse d'expression ou de communication indicative, la différence entre la réalité et la représentation, entre le vrai et l'imaginaire, entre la présence simple et la répétition a toujours déjà commencé à s'effacer. Le maintien de cette différence - dans l'histoire de la métaphysique et encore chez Husserl - ne répond-il

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pas au désir obstiné de sauver la présence et de réduire ou de dériver le signe ? Et avec lui toutes les puissances de répétition ? Ce qui est aussi bien vivre dans l'effet -assuré, rassuré, constitué -de la répétition, de la représentation, de la différence qui dérobe la présence. Affirmer, comme nous venons de le faire, que dans le signe, la différence n'a pas lieu entre la réalité et la représentation, etc., cela revient donc à dire que le geste confirmant cette différence est l'effacement même du signe. Mais il y a deux manières d'effacer l'originalité du signe et c'est à l'instabilité de tous ces mouvements qu'il faut être attentif. Ils passent en effet très vite et très subtilement l'un dans l'autre. On peut effacer le signe à la manière classique d'une philosophie de l'intuition et de la présence. Celle-ci efface le signe en le dérivant, annule la reproduction et la représentation en en faisant la modification survenant à une présence simple. Mais comme c'est une telle philosophie -et en vérité la philosophie et l'histoire de l'Occident - qui a ainsi constitué et établi le concept même de signe, celui-ci est, dès son origine et au cœur de son sens, marqué par cette volonté de dérivation ou d'effacement. Par conséquent, restaurer l'originalité et le caractère non dérivé du signe contre la métaphysique classique, c'est aussi bien, par un paradoxe apparent, effacer un concept de signe dont toute l'histoire et tout le sens appartiennent à l'aventure de la métaphysique de la présence. Ce schéma vaut aussi bien pour les concepts de représentation, de répétition, de différence, etc., ainsi que pour tout leur système. Le mouvement de ce schéma ne pourra, pour le moment et pour longtemps, que travailler de l'intérieur, d'un certain dedans, le langage de la métaphysique. Ce travail a sans doute toujours déjà commencé. Il faudrait ressaisir ce qui se passe dans ce dedans quand la clôture de la métaphysique vient à être nommée. Avec la différence entre la présence réelle et la présence dans la représentation comme Vorstellung, c'est ainsi, par le langage, tout un système de différences qui se trouve entraîné dans la même décons-

LA VOIX ET LE PHF!.NOMI!.NE truction : entre le représenté et le représentant en général, le signifié et le signifiant, la présence simple et sa reproduction, la présentation comme Vor.rtellung et la re-présentation comme Vergegenwàrtigung; car la re-présentation a pour représenté une présentation (Prà.rentation) comme Vor.rtellung. On en vient ainsi - contre l'intention expresse de Husserl - à faire dépendre la Vor.rtellung elle-même, et en tant que telle, de la possibilité de la répétition, et la Vor.rtellung la plus simple, la présentation (Gegenwàrtigung}, de la possibilité de la re-présentation ( Vergegenwàrtigung). On dérive la présence-du-présent de la répétition et non l'inverse. Contre l'intention expresse de Husserl mais non sans tenir compte, cela apparaitra peut-être plus loin, de ce qui se trouve impliqué dans sa description du mouvement de la temporalisation et du rapport à autrui. Le concept d'idéalitl doit être naturellement au centre d'une telle problématique. La structure du discours ne peut être décrite, selon Husserl, que comme idéalité : idéalité de la forme sensible du signifiant (par exemple du mot) qui doit rester la même et ne le peut qu•en tant qu'idéalité ; idéalité du signifié (de la Bedeutung) ou du sens visé, qui ne se confond ni avec l'acte de visée ni avec l'objet, ces deux derniers pouvant éventuellement n'être pas idéaux; idéalité enfin, dans certains cas, de l'objet lui-même qui assure alors (c'est ce qui se passe dans les sciences exactes) la transparence idéale et l'univocité parfaite du langage (1). Mais cette idéalité, qui n'est que le nom de la permanence du même et la possibilité de sa répétition, n'existe pas dans le monde et elle ne vient pas d'un autre monde. Elle dépend tout entière de la possibilité des actes de répétition. Elle est constituée par elle. Son « être » est à la mesure du pouvoir de répétition. L'idéalité absolue est le corrélat d'une possibilité de répétition indéfinie. On peut donc dire que l'être est déterminé par Husserl comme idéalité, c'est-à-dire comme répétition. Le progrès (I) Cf. à

ce sujet L'Origine de la géométrie et l'Introduction à la tr. fr., p. 60-69.

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historique a toujours pour forme essentielle, selon Husserl, la constitution d'idéalités dont la répétition, et donc la tradition, sera assurée à l'infini : la répétition et la tradition, c'est-à-dire la transmission et la réactivation de l'origine. Et cette détermination de l'être comme idéalité est bien une estimation, un acte éthico-théorique qui réveille la décision originaire de la philosophie dans sa forme platonicienne. Husserl l'admet parfois: c'est à un platonisme conventionnel qu'il s'est toujours opposé. Quand il affirme la non-existence ou la non-réalité de l'idéalité, c'est toujours pour reconnaître que l'idéalité est selon un mode qui est irréductible à l'existence sensible ou à la réalité empirique, voire à leur fiction (z). En déterminant 1'ont4s on comme eidos, Platon ne faisait pas autre chose. Or - et ici de nouveau il faut bien articuler le commentaire sur l'interprétation - cette détermination de l'être comme idéalité se confond de manière paradoxale avec la détermination de l'être comme présence. Non seulement parce que l'idéalité pure est toujours celle d'un« ob-jet» idéal, faisant face, étant pré-sent devant l'acte de la répétition, la Vor-stell11ng étant la forme générale de la présence comme proximité à un regard ; mais aussi parce que seule une temporalité déterminée à partir du présent vivant comme de sa source, du maintenant comme « point-source », peut assurer la pureté de l'idéalité, c'est-à-dire l'ouverture de la répétition du même à l'infini. Que signifie en effet le « principe des principes » de la (1) L'affirmation impliquée par toute la phénoménologie est celle de 1'1hre (Sein} comme non-réalité, non-existence, de !'Idéal. Cette prédétermination est le premier mot de la phénoménologie. Dien qu'elle n'existe pas, l'idéalité n'est rien moins qu'un non-être. • Manifestement toute tentative pour réinterpréter l'être de l'idéal (das Sein des Idealen) comme être possible du réel (in ein mogliches Sein von Realem} doit en général échouer, puisque les possibilités elles-mêmes sont à leur tour des objets idéaux. Dans le monde réel, on trouve aussi peu de possibilités que de nombres en général ou de triangles en général • (Recherches, 2, 1, § 4, p. 115). • Naturellement, il n'est pas dans notre intention de placer l'itre de l'idéal sur le même plan que !'ltre-pensé du fictif ou de l'absurde (Widersinnigen) • (ibid., tr. fr., p. 150). J. DERRIDA

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phénoménologie ? Que signifie la valeur de présence originaire à l'intuition comme source de sens et d'évidence, comme a priori des apriori? Elle signifie d'abord la certitude, elle-même idéale et absolue, que la forme universelle de toute expérience ( Er/ebnis) et donc de toute vie, a toujours été et sera toujours le présmt. Il n'y a et il n'y aura jamais que du présent. L'être est présence ou modification de présence. Le rapport à la présence du présent comme forme ultime de l'être et de l'idéalité est le mouvement par lequel je transgresse l'existence empirique, la factualité, la contingence, la mondanité, etc. Et d'abord la mienne. Penser la présence comme forme universelle de la vie transcendantale, c'est m'ouvrir au savoir qu'en won absence, au-delà de mon existence empirique, avant ma naissance et après ma mort, le présent est. Je peux faire le vide de tout contenu empirique, imaginer un bouleversement absolu du contenu de toute expérience possible, une transformation radicale du monde : la forme universelle de la présence, j'en ai une certitude étrange et unique puisqu'elle ne concerne aucun étant déterminé, n'en sera pas affectée. C'est donc le rapport à fila 1nort (à ma disparition en général) qui se cache dans cette détermination de l'être comme présence, idéalité, possibilité absolue de répétition. La possibilité du signe est ce rapport à la mort. La détermination ct l'effacement du signe dans la métaphysique est la dissimulation de ce rapport à la mort qui produisait pourtant la signification. Si la possibilité de ma disparition en général doit être d'une certaine manière vécue pour qu'un rapport à la présence en général puisse s'instituer, on ne peut plus dire que l'expérience de la possibilité de ma disparition absolue (de ma mort) vient m'affecter, survient à un je mis et modifie un sujet. Le je sHis n'étant vécu que comme un je s11is présent, il suppose en lui-même le rapport à la présence en général, à l'être comme présence. L'apparaître du je à lui-même dans le je suis est donc originairement rapport à sa propre disparition possible. Je s11is veut donc dire originairement je suis

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mortel. Je mi.r imi!Jorlei est une proposition impossible (1). On peut donc aller plus loin : en tant que langage, « Je suis celui qui suis» est l'aveu d'un mortel. Le mouvement qui conduit du Je mi.r à la détermination de mon être comme re.r çogilan.r (donc comme immortalité) est le mouvement par lequel l'origine de la présence et de l'idéalité se dérobe dans la présence et l'idéalité qu'elle rend possibles. L'effacement (ou la dérivation) du signe s'est confondu par là avec la réduction de l'imagination. La situation de Hussetl au regard de la tradition est ici ambiguë. Sans doute Husserl a-t-il renouvelé profondément la problématique de l'imagination. Et le rôle qu'il réserve à la fiction dans la méthode phénoménologique marque bien que l'imagination n'est pas à ses yeux une faculté parmi d'autres. Toutefois, sans négliger la nouveauté et la rigueur des descriptions phénoménologiques de l'image, on doit bien y repérer l'héritage. Qu'à la différence du souvenir, l'image soit re-présentation « neutralisante » et non « positionnelle », que Husserl le souligne sans cesse, que ce caractère lui donne un privilège dans la pratique « phénoménologique », cela ne remet pas en cause le concept général sous lequel l'image est classée avec le souvenir : la « re-présentation » (Vergegenwllrligung), c'est-à-dire la reproduction d'une présence, même si le produit en est un objet purement fictif. Il s'ensuit que l'imagination n'est pas une simple « modification de neutralité », même si elle est neutralisante (« Il faut se garder d'une confusion (1) Pour sc servir des distinctions de la • grammaire pure logique • ct de l.ogique formelle et logique transcendantale, il faut spécifier ainsi cette impossibilité : cette proposition a certes un sens, elle constitue un discours intelligible, elle n'est pas sinn/os. Mais à J'intérieur de cette intelligibilité, et pour la raison que nous venons d'indiquer, cette proposition est • absurde • (de l'absurdité de contradiction Widersinnigkeit) et a fortiori • fausse •. Mais comme l'idée classique de vérité, qui guide ces distinctions, est elle-même issue d'un tel dérobement du rapport à la mort, cette 1 fausseté • est la vérité même de la vérité. C'est donc à travers d'autres, de tout autres 1 catégories • (si l'on peut encore appeler ainsi de telles pensées) qu'il faudrait interpréter ces mouvements.

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très facile entre la modification de neutralité et l'imagination», Idéu 1, Ill, tr. P. Ricœur, p. 370) ; et que son opération neutralisante vient modifier une re-présentation ( Vergegenwartigrmg) positionnelle, à savoir celle du souvenir (« Plus exactement, l'imagination en général est la modification de neutra/ill appliqttle à la prlsentifitation (Vergegenwartigung) « positionne/le », donc au souvenir au sens le plus large qu'on puisse concevoir » (ibid., p. 371). Par conséquent, si elle est un bon instrument auxiliaire de la neutralisation phénoménologique, l'image n'est pas pure neutralisation. Elle garde en elle la référence première à une présentation originaire, c'est-à-dire à une perception et à une position d'existence, à une croyance en général. C'est pourquoi l'idéalité pure, à laquelle la neutralisation donne accès, n'est pas le fictif. Ce thème apparait très tôt (x) et il nourrira sans cesse la polémique contre Hume. Mais ce n'est pas un hasard si la pensée humienne a de plus en plus fasciné Husserl. Le pouvoir de pure répétition qui ouvre l'idéalité et celui qui libère la reproduction imaginative de la perception empirique ne peuvent pas être étrangers l'un à l'autre. Leurs produits non plus. Aussi, sur plus d'un point, la première des Recherches reste-t-elle à cet égard fort déconcertante : x. C'est d'abord en tant que représentations de l'imagination (Phantasievorstellungen) que sont considérés les phénomènes expressifs dans leur pureté expressive ; z. Dans la sphère de l'intériorité ainsi dégagée par cette fiction, on appelle fictif le discours communicatif qu'un sujet peut éventuellement s'adresser (« tu as mal agi »), ce qui laisse penser qu'un discours non-communicatif, purement expressif, peut avoir effectivement lieu dans la «vie solitaire de l'âme »; 3· On suppose par là même que dans la communication, où les mêmes mots, les mêmes noyaux expressifs sont à l'œuvre, où (1) C1. en particulier Ru;herches logiques, 2• Recherche, chap. 2.

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par conséquent de pures idéalités sont indispensables, une distinction rigoureuse puisse être faite entre le fictif et l'effectif, puis entre l'idéal et le réel ; et que par conséquent l'effectivité survienne comme un vêtement empirique et extérieur à l'expression, comme un corps à une âme. Et c'est bien de ces notions que se sert Husserl, même quand il souligne l'unité de l'âme et du corps dans l'animation intentionnelle. Cette unité n'entame pas la distinction d'essence, elle reste toujours unité de composition ; 4· A l'intérieur de la pure « représentativité » intérieure, dans la « vie solitaire de l'âme », certains types de discours pourraient être effectivement tenus, comme effectivement représentatifs (ce serait le cas du langage expressif et, disons-le déjà, purement objectif, théoritico-logique), alors que certains autres restent purement fictifs (ces fictions repérées dans la fiction seraient les actes de communication indicative entre soi et soi, soi comme un autre et soi comme soi, etc.). Or si l'on admet, comme nous avons tenté de le montrer, que tout signe en général est de structure originairement répétitive, la distinction générale entre usage fictif et usage effectif d'un signe est menacée. Le signe est originairement travaillé par la fiction. Dès lors, que ce soit à propos de communication indicative ou d'expression, il n'y a aucun critère sûr pour distinguer entre un langage extérieur et un langage intérieur, ni dans l'hypothèse concédée d'un langage intérieur, entre un langage effectif et un langage fictif. Une telle distinction est pourtant indispensable à Husserl pour prouver l'extériorité de l'indication à l'expression, avec tout ce qu'elle commande. A déclarer cette distinction illégitime, on prévoit toute une chaîne de conséquences redoutables pour la phénoménologie. Ce que nous venons de dire du signe vaut du même coup pour l'acte du sujet parlant. « Mais dans ces cas, disait donc Husserl, on ne parle pas au sens propre, au sens de la communication, on ne se communique rien à soi-même, on se représente seulement (man stellt sich vor) soi-même comme parlant et communiquant. » Cela

LA VOIX ET LE PHÉNOMtf.NE nous conduit au denxiènJe argn111ent annoncé. Husserl doit donc supposer entre la communication effective et la représentation de soi comme sujet parlant une différence telle que la représentation de soi ne puisse venir que s'adjoindre éventuellement et de l'extérieur à l'acte de communication. Or la structure de répétition originaire que nous venons d'évoquer à propos du signe doit commander la totalité des actes de signification. Le sujet ne peut parler sans s'en donner la représentation; et celle-ci n'est pas un accident. On ne peut donc pas plus imaginer un discours effectif sans représentation de soi qu'une représentation de discours sans discours effectif. Sans doute cette représentativité peut-elle se modifier, se compliquer, se réfléchir selon des modes originaux que le linguiste, le sémiologue, le psychologue, le théoricien de la littérature ou de l'art, le philosophe même pourront étudier. Ils peuvent être très originaux. Mais ils supposent tous l'unité originaire du discours et de la représentation de discours. Le discours se représente, est sa représentation. Mieux, le discours est la représentation de soi (1 ). D'une manière plus générale, Husserl semble admettre qu'entre le sujet tel qu'il est dans son expérience effective et ce qu'il se représente vivre, il puisse y avoir une extériorité simple. Le sujet croirait se parler et se communiquer quelque chose; en vérité, il n'en serait rien. On pourrait être tenté d'en conclure que, la conscience étant alors tout entière envahie par la croyance ou l'illusion du se-parler, tout entière fausse conscience, la vérité de l'expérience serait de (1) Mais si le re- de cette re-présentation ne dit pas le simple redoublement - repétitif ou réflexif- survenu à une présence simple (ce qu'a toujours voulu dire le mot de représentation), ce que nous approchons ou avançons ici du rapport entre présence et représentation doit s'ouvrir à d'autres noms. Ce que nous décrivons comme représentation originaire ne peut être provisoirement désigné sous ce tit~e qu'à l'intérieur de la clôture que nous tentons ici de transgresser, y déposant, y démontrant des propositions Cl)ntradictoires ou intenables, tentant d'y produire sllrement l'insécurité, l'ouvrant à son dehors, ce qui ne peut se faire que d'un certain dedans.

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l'ordre de la non-conscience. C'est le contraire : la conscience est la présence à soi du vivre, de l'Er/eben, de l'expérience. Celle-ci est simple et n'est jamais, par essence, affectée par l'illusion puisqu'elle ne se rapporte qu'à soi dans une proximité absolue. L'illusion du se-parler flotterait à sa surface comme une conscience vide, périphérique et secondaire. Le langage et sa représentation viendraient s'ajouter à une conscience simple et simplement présente à soi, à un vécu, en tout cas, qui peut réfléchir en silence sa propre présence. Comme Husserl le dira dans Idées I, « chaque vécu en général (chaque vécu effectivement vivant, si l'on peut dire) est un vécu sur le mode de l' « étant présent ». Appartient à son essence la possibilité de la réflexion sur cela même en quoi il est nécessairement caractérisé comme étant certain et présent» (§ 111). Le signe serait étranger à cette présence à soi, fondement de la présence en général. C'est parce que le signe est étranger à la présence à soi du présent vivant qu'on peut le dire étranger à la présence en général, dans ce qu'on croit pouvoir reconnaître sous le nom d'intuition ou de perception. Car - et telle est l'ultime ressource de l'argumentation dans ce paragraphe des Recherches - si la représentation de discours indicatif est fausse, dans le monologue, c'est qu'elle est inutile. Si le sujet ne s'indique rien à lui-même, c'est qu'il ne peut le faire et il ne le peut parce qu'il n'en a pas besoin. Le vécu étant immédiatement présent à soi sur le mode de la certitude et de la nécessité absolue, la manifestation de soi à soi par la délégation ou la représentation d'un indice est impossible parce que superflue. Elle serait, à tous les sens de ce mot, sans raison. Donc sans cause. Sans cause parce que sans fin : zwecklos, dit Husserl. Cette Zwecklosigkeit de la communication intérieure, c'est la non-altérité, la non-différence dans l'identité de la présence comme présence à soi. Bien entendu, ce concept de présence ne comporte pas seulement l'énigme de l'apparaître d'un étant dans la proximité absolue à soi-même, il désigne aussi l'essence temporelle de cette

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proximité, ce qui n'est pas pour dissiper l'énigme. La présence à soi du vécu doit se produire dans le présent comme maintenant. Et c'est bien ce que dit Husserl : si les « actes psychiques » ne s'annoncent pas eux-mêmes par l'intermédiaire d'une« Kungabe », s'ils n'ont pas à être informés sur eux-mêmes par l'intermédiaire d'indices, c'est qu'ils sont « vécus par nous dans le même instant » (im se/ben Augenblick). Le présent de la présence à soi serait aussi indivisible qu'un clit1 d'ail.

CHAPITRE

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LE SIGNE ET LE CLIN D'ŒIL La pointe de l'instant, l'identité du vécu présent à soi dans le même instant porte donc toute la charge de cette démonstration. La présence à soi doit se produire dans l'unité indivise d'un présent temporel pour n'avoir rien à se faire savoir par procuration de signe. Une telle perception ou intuition de soi par soi dans la présence serait non seulement l'instance dans laquelle la « signification » en général ne saurait avoir lieu, elle assurerait également la possibilité d'une perception ou d'une intuition originaire en général, c'est-à-dire la non-signification comme « principe des principes ». Et plus tard, chaque fois que Husserl voudra marquer le sens de l'intuition originaire, il rappellera qu'elle est l'expérience de l'absence et de l'inutilité du signe (x). (I) Par exemple toute la sixième Recherche ne cesse de démontrer qu'entre les actes et les contenus intuitifs d'une part, les actes ct les contenus signilifs d'autre part, la différence phénoménologique est • irréductible • ; cf. surtout le § 26. Et pourtant la possibilité d'un • mixte • y est admise, qui souléverait plus d'une question. Toutes les Leçons pour une phénoménologie de la conscience itllime du temps reposent sur la discontinuité radicale entre la présentation intuitive et la • représentation symbolique qui non seulement représente l'objet à vide, mais le représente • à travers • des signes ou des images • (tr. fr., p. I33). Dans Idées 1, on peut lire que • entre la perception d'un côté et la représentation symbolique par image t>U par signe de l'autre, il existe une différence éidétique infranchissable • (• ... on verse dans l'absurdité quand on brouille, comme on le fait d'ordinaire, ces modes de représentations dont la structure diffère essentiellement, etc. • ( § 43, tr. fr., p. I39-I4o). Et Husserl pensait de la perception en général ce qu'il dit de la percep-

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La démonstration qui nous occupe survient à un moment antérieur aux Leçons sur la conscience intime du temps. Et pour des raisons systématiques autant qu'historiques, la temporalité du vécu n'est pas un thème des Recherches logiques. On ne peut pourtant éviter, au point où nous en sommes, de constater qu'un certain concept du « maintenant », du présent comme ponctualité de l'instant, autorise discrètement, mais de manière décisive, tout le système des « distinctions essentielles » : si la ponctualité de l'instant est un mythe, une métaphore spatiale ou mécanique, un concept métaphysique hérité ou tout cela à la fois, si le présent de la présence à soi n'est pas simple, s'il se constitue dans une synthèse originaire et irréductible, alors toute l'argumentation de Husserl est menacée en son principe. Nous ne pouvons serrer ici les admirables analyses des Leçons dont Heidegger dit dans Sein Utld Zeit qu'elles sont les premières, dans l'histoire de la philosophie, à rompre avec un concept du temps hérité de la Physique d'Aristote et déterminé à partir des notions de « maintenant », de « point », de « limite » et de « cercle ». Essayons pourtant d'y prendre quelques repères du point de vue qui est ici le nôtre. I. Le concept de la ponctualité, du maintenant comme sligmè, qu'il soit ou non une présupposition métaphysique, y joue un rôle encore majeur. Sans doute aucun maintenant ne peut-il être isolé comme instant et ponctualité pure. Non seulement Husserl le reconnaît (« ... il appartient à l'essence des vécus de devoir être étalés de telle sorte qu'il ne puisse jamais y avoir de phase ponctuelle isolée »,

tion de la chose corporelle sensible, à savoir que, s'y donnant en personne dans le présence, elle est 1 signe pour elle-même • (Idées 1, § 52, tr. fr., p. 174). :l;;tre signa de soi (inde:& sui), ou n'être pas un signe, n'est-ce pas la même chose? C'est en ce sens que, 1 dans le même instant • où il est perçu, le vécu est signe de soi, présent à soi sans détour indicatif.

LE SIGNE ET LE CLIN D'ŒIL tr. fr., p. 65), mais toute sa description s'adapte avec une souplesse et une finesse incomparables aux modifications originales de cet étalement irréductible. Cet étalement reste néanmoins pensé et décrit à partir de l'identité à soi du maintenant comme point. Comme « point-source ». L'idée de présence originaire et en général de « commencement », le « commencement absolu », le principium (x) renvoie toujours, dans la phénoménologie, à ce « point-source ». Bien que l'écoulement du temps soit« indivisible en fragments qui pourraient être par eux-mêmes, et indivisible en phases qui pourraient être par elles-mêmes, en points de la continuité », les « modes d'écoulement d'un objet temporel immanent ont un commencement, un point-source pour ainsi dire. C'est le mode d'écoulement par lequel l'objet immanent commence à être. Il est caractérisé comme présent» (tr. fr., p. 42). Malgré toute la complexité de sa structure, la temporalité a un centre indéplaçable, un œil ou un noyau vivant, et c'est la ponctualité du maintenant actuel. L' « appréhension-demaintenant est comme le noyau vis-à-vis d'une queue de comète de rétentions» (p. 45), et« il n'y a chaque fois qu'une phase ponctuelle à être maintenant présente, tandis que les autres s'y raccrochent comme queue rétentionnelle » (p. 55). « Le maintenant actuel est nécessairement et demeure quelque chose de ponctuel ( ein Punie(1) Il est peut-être opportun de relire ici la définition du 1 principe des principes • : 1 Mais finissons-en avec les théories absurdes! Avec le principe des principes, nulle théorie imaginable ne peut nous induire en erreur : à savoir que toute intuition donatrice originaire est une source de droit pour la connaissance ; tout ce qui s'offre à nous dans 1 rintuition • de façon originaire {dans sa réalité corporelle pour ainsi dire) doit être simplement reçu pour ce qu'il se donne, mais sans non plus outrepasser les limites dans lesquelles il se donne alors. Il faut bien voir qu'une théorie ne pourrait, à son tour, tirer sa vérité que des données originaires. Tout énoncé qui se borne à conférer une expression à ces données par le moyen d'une simple explicitation et de significations qui leur soient exactement ajustées, est donc réellement, comme nous l'avons dit dans les lignes d'introduction de ce chapitre, un commencement absolu appelé au sens propre du mot à servir de fondement, bref un principium • (Idées 1, § 24, tr. fr., p. 78).

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tuelle.r), une forme qui demeure poliT' une matière toll}ours nouvelle» (Idées I, § 81). C'est à cette identité à soi-même du maintenant actuel que se réfère Husserl dans le « im se/ben Augenblick » dont nous sommes partis. Et il n'y a d'ailleurs aucune objection possible, à l'intérieur de la philosophie, à l'égard de ce privilège du maintenant-présent. Ce privilège définit l'élément même de la pensée philosophique, il est l'évidence même, la pensée consciente elle-même, il commande tout concept possible de la vérité et du sens. On ne peut le suspecter sans commencer à énucléer la conscience elle-même depuis un ailleurs de la philosophie qui ôte toute sécurité et tout fondement possibles au discours. Et c'est bien autour du privilège du présent actuel, du maintenant, que se joue, en dernière instance, ce débat, qui ne peut ressembler à aucun autre, entre la philosophie, qui est toujours philosophie de la présence, et une pensée de la non-présence, qui n'est pas forcément son contraire, ni nécessairement une méditation de l'absence négative, voire une théorie de la non-présence comme inconscient. La dominance du maintenant ne fait pas seulement système avec l'opposition fondatrice de la métaphysique, à savoir celle de laforme (ou de l'eidos ou de l'idée) et de la matière comme opposition de l'acte et de 1a puiuance («Le maintenant actuel est nécessairement et demeure quelque chose de ponctuel : c'est une forme qui persiste ( Verharrende) alors que la matière esttorgour s nottz•elle ») ( I ). Elle assure la tradition qui continue la métaphysique grecque de la présence en métaphysique « moderne » de la présence comme conscience de soi, métaphysique de l'idée comme représentation (Vorstellung). Elle prescrit donc le lieu d'une problématique confrontant la phénoménologie à toute pensée de la non-conscience qui saurait s'approcher du véritable enjeu et de l'instance profonde de la décision : le concept du temps. Ce n'est pas un hasard si les Leçons sur la conscience intime (1) Idies 1, § 81,

tr. fr., p. 276.

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du temps confirment la dominance du présent et rejettent à la fois l' « après-coup » du devenir-conscient d'un « contenu inconscient », c'est-à-dire la structure de la temporalité impliquée par tous les textes de Freud (r). Husserl écrit en effet : « C'est une véritable absurdité que de parler d'un contenu« inconscient» qui ne deviendrait conscient qu'après coup ( nachtrii.glich). La conscience ( Bewusstsein) est nécessairement être-conscient ( bewusstsein) en chacune de ses phases. De même que la phase rétentionnelle a conscience de la précédente, sans en faire un objet, de même aussi la donnée originaire est déjà consciente - et sous la forme spécifique du « maintenant » - sans être objective ... » ( ... ) « la rétention d'un contenu inconscient est impossible ... » (...)«si chaque« contenu» est en lui-même et nécessairement «inconscient», il devient absurde de s'interroger sur une conscience ultérieure qui le donnerait» (z).

z. Malgré ce motif du maintenant ponctuel comme « archiforme » (Urform) (Ideen I) de la conscience, le contenu de la description, dans les Leçons et ailleurs, interdit de parler d'une simple identité à soi du présent. Par là se trouve ébranlée non seulement ce qu'on pourrait appeler l'assurance métaphysique par excellence, mais, plus localement, l'argument du « im se/ben Augenblick » dans les Recherches. Toutes les Leçons, dans leur travail critique aussi bien que descriptif, démontrent, certes, et confirment l'irréductibilité de la re-présentation ( Vergegenwiirtigung, Repriisentation) à la perception présentative ( Gegenwiirtigen, Priisentieren), du souvenir secondaire et reproductif à la rétention, de l'imagination à l'impression originaire, du maintenant re-produit au maintenant actuel, perçu ou retenu, etc. Sans pouvoir suivre ici le rigoureux déroulement de ces Leçons et sans qu'il soit (1) Cf. à ce sujet notre essai, • Freud et la scène de l'écriture •, in L'écriture et la différence. (2) Supplément IX, tr. fr., p. I6o-I6I.

LA VOIX ET LE PHP.NOJI.IÈNE nécessaire pour cela de mettre en cause leur valeur démonstrative, on peut encore s'interroger sur leur sol d'évidence et sur le milieu de ces distinctions, sur ce qui rapporte l'un à l'autre les termes distingués et constitue la possibilité même de la comparaison. On s'aperçoit alors très vite que la présence du présent perçu ne peut apparaître comme telle que dans la mesure où elle compose contintÎn;ent avec une non-présence et une non-perception, à savoir le souvenir et l'attente primaires (rétention et protention). Ces non-perceptions ne s'ajoutent pas, n'accompagnent pas éventueJJement le maintenant actuellement perçu, elles participent indispensablement et essentiellement à sa possibilité. Sans doute Husserl dit-il de la rétention qu'elle est encore une perception. Mais c'est le cas absolument unique- Husserl n'en a jamais reconnu d'autre d'une perception dont le perçu soit non pas un présent mais un passé comme modification du présent : « ... si nous nommons perception l'acte en qui réside toute origine, J'acte qui constitue originairement, alors le souvenir primaire est perception. Car c'est seulement dans Je souvenir primaire que nous voyons Je passé, c'est seulement en lui que se constitue le passé, et ce non pas de façon re-présentative, mais au contraire présentative » (tr. fr., p. 58, § 17). Ainsi, dans la rétention, la présentation qui donne à voir, livre un non-présent, un présent-passé et inactuel. On peut donc soupçonner que si Husserl l'appelle néanmoins perception, c'est parce qu'il tient à ce que la discontinuité radicale passe entre la rétention et la reproduction, entre la perception et l'imagination, etc., non entre la perception et la rétention. C'est le nervus demons/rondi de sa critique de Brentano. Husserl tient absolument à ce qu'il ne soit« absolument pas question ici d'une conciliation continue de la perception avec son contraire» (ibid.). Et pourtant, dans le paragraphe précédent, n'en avait-il pas été question de manière fort explicite ? « Si nous mettons à présent en rapport le terme de perception avec les différences dans les façons de se donner qu'ont les objets temporels, l'opposé de la perception est alors

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le so1111enir primaire et /"a/lente primaire (rétention et pretention) qui entrent ici en scène, en sorte que perçeption et non-perception passent tontinli1111nt 1•une dans 1•autre. » Et plus loin : « Au sens idéal, la perception (l'impression) serait alors la phase de la conscience qui constitue le pur maintenant et le souvenir, toute autre phase de la continuité. Mais ce n•est là précisément qu•une limite idéale, quelque chose d•abstrait qui ne peut rien être en lui-même. Il reste au demeurant que même ce maintenant idéal n•est pas quelque chose de différent toto çaelo du non-maintenant, mais au contraire en commerce continuel avec lui. Et à cela correspond le passage continuel de la perception au souvenir primaire. » Dès lors qu•on admet cette continuité du maintenant et du non-maintenant, de la perception et de la non-perception dans la zone d•originarité commune à l'impression originaire et à la rétention, on accueille l'autre dans l'identité à soi de l'A11genb/ick : la nonprésence et l'inévidence dans le ç/in d'eeil de J•ins/ant. Il y a une durée du clin d'œil; et elle ferme l'œil. Cette altérité est même la condition de la présence, de la présentation et donc de la Vorstell11ng en général, avant toutes les dissociations qui pourraient s'y produire. La différence entre la rétention et la reproduction, entre le souvenir primaire et le souvenir secondaire, n'est pas la différence, que Husserl voudrait radicale, entre la perception et la non-perception, mais entre deux modifications de la non-perception. Quelle que soit la différence phénoménologique entre ces deux modifications, malgré les immenses problèmes qu•ene pose et la nécessité d•en tenir compte, elle ne sépare que deux manières de se rapporter à la non-présence irréductible d•un autre maintenant. Ce rapport à la non-présence, encore une fois, ne vient pas surprendre, entourer, voire dissimuler la présence de t•impression originaire, il en permet le surgissement et la virginité toujours renaissante. Mais il détruit radicalement toute possibilité d,identité à soir~ ,._ ;.,. licité. Et cela vaut pour le flux constituant lui-même e ~M\'J ·~ ~ e pro07 v·' "'~_,# . .· '{;

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fondeur : « Si nous comparons maintenant à ces unités constituées les phénomènes constituants, nous trouvons un flux, et chaque phase de ce flux est une continuité de dégradés. Mais par principe il est impossible d'étaler aucune phase de ce flux en une succession continue, et de transformer donc en pensée le flux à tel point que cette phase s'étende en identité avec elle-même » (§ 36, tr. fr., p. 98). Cette intimité de la non-présence et de l'altérité à la présence entame en sa racine l'argument de l'inutilité du signe dans le rapport à soi. 3· Sans doute Husserl refuserait-il d'assimiler la nécessité de la rétention et la nécessité du signe, ce dernier appartenant seul, comme l'image, au genre de la re-présentation et du symbole. Et Husserl ne peut pas renoncer à cette distinction rigoureuse sans remettre en cause le prindpium axiomatique de la phénoménologie. La vigueur avec laquelle il soutient que la rétention et la protention appartiennent à la sphère de l'originarité pourvu qu'on l'entende« au sens large», l'insistance avec laquelle il oppose la validité absolue du souvenir primaire à la validité relative du souvenir secondaire (x), manifestent (1) Cf. par exemple, entre beaucoup d'autres textes analogues,le Supplément III aux Leçons : • Nous avons donc, comme modes essentiels de la conscience du temps : 1) la • sensation • comme présentation, et la rétention et la protention, enlacées (ver{locillenl!} par essence avec elle, mais qui peuvent aussi devenir indépendantes (la sphère originaire au sens large); 2) la re-présentation thétique (le souvenir), la re-présentation thétique de ce qui peut accompagner ou revenir (l'attente); 3) la re-présentation imaginaire, comme pure imagination, en qui se trouvent tous ces mêmes modes, dans une conscience qui imagine • (tr. fr., p. 141·142.) Ici encore, on l'aura remarqué, le nœud du problème a la forme de l'entrelacement (Ver/lechtung) de fils que la phénoménologie délie rigoureusement en leur essence. Cette extension de la sphère d'originarité est ce qui permet de distinguer entre la certitude absolue attachée à la rétention et la certitude relative dépendant du souvenir secondaire ou ressouvenir (Wiedererinnerung) dans la forme de la re-présentation. Parlant des perceptions comme archi-vécus (Urerlebnisse), HUSSERL écrit dans Idées 1 : • En effet, à les considérer exactement, elles n'ont dans leur plénitude concrète qu'une seule phase qui soit absolument originaire, mais qui également ne cesse de s'écouler continûment : c'est le moment du maintenant vivant... • • Ainsi nous saisissons, par exemple, la validité absolue de la réflexion en tant que

LE SIGNE ET LE CLIN D'ŒIL bien son intention et son inquiétude. Son inquiétude parce qu'il s'agit de sauver ensemble deux possibilités apparemment inconciliables : a) le maintenant vivant ne se constitue comme source perceptive absolue qu'en continuité avec la rétention comme nonperception. La fidélité à l'expérience et aux« choses mêmes» interdit qu'il en soit autrement ; b) la source de la certitude en général étant l'originarité du maintenant vivant, il faut maintenir la rétention dans la sphère de la certitude originaire et déplacer la frontière entre l'originarité et la non-originarité, faire qu'elle passe non pas entre le présent pur et le non-présent, entre l'actualité et l'inactualité d'un maintenant vivant, mais entre deux formes de re-tour ou de re-stitution du présent, la ré-tention et la re-présentation. Sans réduire l'abime qui peut en effet séparer la rétention de la re-présentation, sans se cacher que le problème de leurs rapports n'est autre que celui de l'histoire de la« vie» et du devenir-conscient de la vie, on doit pouvoir dire a priori que leur racine commune, la possibilité de la ré-pétition sous sa forme la plus générale, la trace au sens le plus universel, est une possibilité qui doit non seulement habiter la pure actualité du maintenant, mais la constituer par le mouvement même de la différance qu'elle y introduit. Une telle trace est, si on peut tenir ce langage sans le contredire et le raturer aussitôt, plus « originaire » que l'originarité phénoménologique elle-même. L'idéalité de la forme (Form) de la présence elle-même implique en effet qu'elle puisse à l'infini se ré-péter, que son re-tour, comme retour du même, soit à l'infini nécessaire et inscrit dans la perception immanente, c'est-à-dire de la perception immanente pure et simple; cette validité, bien entendu, est fonction des éléments que cette perception am~ne dans son flux au rang de donnée réellement originaire ; nous saisissons de même la validité absolue de la rétention immanente par rapport à ce qui, à sa faveur, aceède à la conscience avec le caractère du • encore • vivant et du • venant justement • d'exister ; cette validité, il est vrai, ne subsiste pas plus loin que ne s'étend le contenu même de ce qui est ainsi caractérisé ... De même, nous saisissons la validité relative du ressouvenir immanent... • ( § 78, tr. fr., p. 255, 256, 257).

LA VOIX ET LE PHÉNOMf:.NE présence comme telle; que le re-tour soit retour d'un présent qui se retiendra dans un mouvementjilli de rétention; qu'il n'y ait de vérité originaire, au sens phénoménologique, qu'enracinée dans la finitude de cette rétention; que le rapport à l'infini ne puisse enfin s'instaurer que dans l'ouverture à l'idéalité de la forme de présence, comme possibilité de re-tour à l'infini. Sans cette non-identité à soi de la présence dite originaire, comment expliquer que la possibilité de la réflexion et de la re-présentation appartienne à l'essence de tout vécu? Qu'elle appartienne comme une liberté idéale et pure à l'essence de la conscience ? Husserl le souligne sans cesse, pour la réflexion surtout dans Idées I (1), et pour la re-présentation déjà dans les Lefons (.t). Dans toutes ces directions, la présence du présent est pensée à partir du pli du retour, du mouvement de la répétition et non l'inverse. Que ce pli soit irréductible dans la présence ou dans la présence à soi, que cette trace ou cette différance soit toujours plus vieille que la présence et lui procure son ouverture, est-ce que cela n'interdit pas de parler d'une simple identité à soi « im se/ben Augenblick » ? Est-ce que cela ne compromet pas l'usage que Husserl veut faire du concept de « vie solitaire de l'âme » et par suite le partage rigoureux entre l'indication et l'expression? Est-ce que l'indication et tous les concepts à partir desquels on a tenté jusqu'ici de la penser (existence, nature, médiation, empiricité, etc.) n'ont pas dans le mouvement de la temporalisation transcendantale une origine indéracinable? Est-ce que, du même coup, tout ce qui s'annonce dans cette réduction à la« vie solitaire de l'âme» (la réduction transcendantale à toutes ses étapes et notamment la réduction à la sphère monadologique du« propre » - Eigenheit- etc.) n'est pas comme fissuré ( 1) En particulier, dans le § 77, où le problème est pos~ de la différence et des rapports entre réllexion et re-présentation, par exemple dans le souvenir secondaire. (2) Cf. par exemple § 42 : • Mais à toute conscience présente, et qui présente, correspond la possibilité idéale d'une re-présentation de cette conscience qui lui corresponde exactement • (tr. fr., p. us).

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dans sa possibilité par ce qui se nomme le temps ? Par ce qui se nomme le temps et à quoi il faudrait donner un autre titre, le« temps» ayant toujours désigné un mouvement pensé à partir du présent et ne pouvant pas dire autre chose. Est-ce que le c.oncept de solitude pure- et de monade au sens phénoménologique- n'est pas entan;é par sa propre origine, par la condition même de sa présence à soi : le «temps» repensé à partir de la différance dans l'auto-affection ? à partir de l'identité de l'identité et de la non-identité dans le « même » du im .re/ben Augenblick ? Husserl a lui-même évoqué l'analogie entre le rapport à l'alter ego tel qu'il se constitue à l'intérieur de la monade absolue de l'ego et le rapport à l'autre présent (passé) tel qu'il se constitue dans l'actualité absolue du présent vivant (Méditation.r cartésienne.r, § 52.). Est-ce que cette « dialectique » - à tous les sens de ce mot et avant toute reprise spéculative de ce concept - n'ouvre pas le vivre à la différance, constituant dans l'immanence pure du vécu l'écart de la communication indicative et même de la signification en général ? Nous disons bien l'écart de la communication indicative et de la .rigniftcation en génlral.. Car Husserl n'entend pas seulement exclure l'indication de la « vie solitaire de l'âme ». Il considérera le langage en général, l'élément du logos, sous sa forme expressive elle-même, comme événement secondaire, et surajouté à une couche originaire et pré-expressive de sens. Le langage expressif lui-même devrait survenir au silence absolu du rapport à soi.

CHAPITRE

VI

LA VOIX QUI GARDE LE SILENCE Le « silence » phénoménologique ne peut donc se reconstituer que par une double exclusion ou une double réduction : celle du rapport à l'autre en moi dans la communication indicative, celle de l'expression comme couche ultérieure, supérieure et extérieure à celle du sens. C'est dans le rapport entre ces deux exclusions que l'instance de la voix fera entendre son étrange autorité. Considérons d'abord la première réduction, sous la forme où elle s'annonce dans ces « distinctions essentielles » auxquelles nous avons pris pour règle de nous tenir ici. Il faut bien reconnaître que le critère de distinction entre l'expression et l'indication est finalement confié à une description fort sommaire de la « vie intérieure » : dans cette vie intérieure, il n'y aurait pas d'indication parce qu'il n'y a pas de communication ; il n'y aurait pas de communication parce qu'il n'y a pas d'alter ego. Et quand la deuxième personne surgit dans le langage intérieur, c'est une fiction et la fiction n'est que la fiction. « Tu as mal agi, tu ne peux plus continuer à te conduire ainsi », ce n'est là qu'une fausse communication, une feinte. Ne formulons pas de J'extérie11r les questions qui s'imposent sur la possibilité et le statut de telles feintes ou fictions, ni sur le lieu d'où peut surgir ce « tu » dans le monologue. Ne posons pas encore ces questions : leur nécessité sera encore plus vive quand Husserl devra bien constater que, outre le 111, le pronom personnel en général, et singulièrement le Je, sont des expressions « essentiellement occasionnelles», dépourvues de « sens objectif», et fonctionnant toujours

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comme indices dans le discours effectif. Seul le Je accomplit son vouloir-dire dans le discours solitaire et fonctionne hors de lui comme un « indice universellement efficient » (chap. III). Demandons-nous pour le moment dans quel sens et en vue de quoi la structure de la vie intérieure est ici « simplifiée >> et en quoi le choix des exemples est révélateur du projet de Husserl. Il l'est au moins par deux traits. I. Ces exemples sont d'ordre pratique. Dans les propositions choisies, le sujet s'adresse à lui-même comme à une deuxième personne qu'il blâme, exhorte, invite à une décision ou à un remords. Cela prouve sans doute qu'on n'a pas affaire ici à des« indications». Rien n'est montré, directement ou indirectement, le sujet ne s'apprend rien sur lui-même, son langage ne renvoie à rien qui « existe >>. Le sujet ne s'informe pas lui-même, n'opère ni l et que ce sont de faux langages. On pourrait en effet être tenté de conclure de ces exemples, à supposer qu'on n'en puisse pas trouver d'un autre genre, que le discours intérieur est toujours d'essence pratique, axiologique ou axiopoiétique. Même quand on se dit, « tu es ainsi )), est-ce que la prédication n'enveloppe pas un acte valorisant ou producteur ? Mais c'est précisément cette tentation que Husserl veut avant tout et à tout prix éviter. Il a toujours déterminé le modèle du langage en génlral- indicatif aussi bien qu'expressif- à partir du theorein. Quelque soin qu'il ait apporté par la suite à respecter l'originalité de la couche pratique du sens et de l'expression, quels qu'aient alors été le succès et la rigueur de ses analyses, il n'a jamais cessé d'affirmer la réductibilité de l'axiologique à son noyau logico-théorique (x). (l) Cf. notammentlechap. IV et surtout les§§ 114 à 127des Idées 1 (III• Section). Nous les étudierons ailleurs de plus p~ et pour eux·mêmes. Cf. • I.a forme et le vouloir·dire •, déjà cité.

So

LA VOIX ET LE PHÉNOMÈNE

On retrouve ici la nécessité qui l'a poussé à étudier le langage d'un point de vue logique et épistémologique, la grammaire pure comme grammaire pure logique commandée plus ou moins immédiatement par la possibilité d'un rapport à l'objet. Un discours faux n'est un discours, un discours contradictoire (wider.rinnig) n'échappe au non-sens (Unsinnigkeit) que si sa grammaticalité n'interdit pas un vouloir-dire ou une intention-de-Bedeutung qui ne peut être elle-même déterminée que comme visée d'un objet. Il est donc remarquable que la logicité théorique, le theorein en général, ne commande pas seulement la détermination de l'expression, de la signification logique, mais déjà ce qui en est exclu, à savoir l'indication, la monstration comme Weisen ou Zeigen dans l'Hinweis ou l' Anzeigen. Et que Husserl doive, à une çertaine profondeur, se réflrer à un noyau d'essençe théorique de /'indkation pour po11Voir l'exdure d'une expressivitl eile-1Hême purement théorique. C'est peut-être qu'à cette profondeur la détermination de l'expression est contaminée par cela même qu'elle semble exclure : le Zeigen, le rapport à l'objet comme monstration indicative, montrant du doigt ce qui est devant les yeux ou doit toujours pouvoir apparaître à une intuition dans sa visibilité, n'est invisible que par provision. Le Zeigen est toujours une visée (Mein en) qui pré-détermine l'unité d'essence profonde entre l' Anzeigen de l'indication et le Hinzeigen de l'expression. Et le signe (Zekhen) renverrait toujours, en dernière instance, au Zeigen, à l'espace, à la visibilité, au champ et à l'horizon de ce qui est ob-jecté et pro-jeté, à la phénoménalité comme vis-à-vis et surface, évidence ou intuition, et d'abord comme lumière. Qu'en est-il alors de la voix et du temps? Si la monstration est l'unité du geste et de la perception dans le signe, si la signification est assignée au doigt et à l'œil, si cette assignation est prescrite à tout signe, qu'il soit indicatif ou expressif, discursif ou non discursif, qu'en est-il de la voix et du temps? Si l'invisible est le pro-visoire, qu'en est-il de la voix et du temps? Et pourquoi Husserl s'acharne-t-il

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SI

à séparer l'indice de l'expression? Prononcer ou entendre un signe, est-ce réduire la spatialité ou la médiateté indicatives ? Patientons un peu. 2. L'exemple choisi par Husserl(« Tu as mal agi, tu ne peux pas continuer à te conduire ainsi ») doit donc prouver deux choses à la fois: que cette proposition n'est pas indicative (et donc qu'elle est une communication fictive) et qu'elle ne donne rien à connaître du sujet à lui-même. Paradoxalement, elle n'est pas indicative parce que, en tant que non théorique, non logique, non cognitive, elle n'est pas davantage expressive. C'est pourquoi elle serait un phénomène de signification parfaitement fictif. Par là se vérifie l'unité du Zeigen avant sa diffraction en indice et en expression. Or la nJodalittl temporelle de ces propositions n'est pas indifférente. Si ces propositions ne sont pas des propositions de connaissance, c'est qu'elles ne sont pas immédiatement dans la forme de la prédication : elles n'utilisent pas immédiatement le verbe être et leur sens, sinon leur forme grammaticale, n'est pas au présent: constat d'un passé en forme de reproche, exhortation au remords et à l'amendement. C'est que l'indkatif prisent du verbe être est la forme pure et téléologique de la logicité de l'expression. Mieux: l'indicatif présent du verbe être à la troisième personne. Plutôt encore: proposition du type« S est P» dans laquelle S ne soit pas une personne qu'on puisse remplacer par un pronom personnel, celui-ci ayant dans tout discours réel une valeur seulement indicative (x). Le sujetS doit être un nom et un nom d'objet. Et l'on

(1) Cf. Recherches 1, chap. III, § 26 : • Toute expression contenant un pronom personnel est déjà dépourvue d'un sens objectif. Le mot je nomme, suivant le cas, une personne différente ... c'est plutôt une fonction indicative qui sert en lui de médiation et avertit pour ainsi dire l'auditeur : celui qui est en face de toi se vise lui-même • (tr. fr., p. 96, 97). Tout le problème est de savoir si, dans le discours solitaire où, dit Husserl, la Bedeutung du Je se remplit et s'accomplit, l'élément de l'universalité propre à l'expressivité comme telle n'interdit pas ce remplissement et ne dépossède pas le sujet de l'intuition pleine de la Bedeutung Je ; et si le discours

LA VOIX ET LE PHENOMÈNE sait que pour Husserl S est P est la forme fondamentale et primitive, l'opération apophantique originaire dont toute proposition logique doit pouvoir être dérivée par simple complication (1). Si l'on pose l'identité de l'expression et de la Bede11t11ng logique (Idées 1, § 114), on doit donc reconnaître que la troisième « personne » de l'indicatif présent du verbe être est le noyau irréductible et pur de l'expression. D'une expression dont Husserl disait, on s'en souvient, qu'elle n'était pas primitivement un « s'exprimer », mais d'entrée de jeu un « s'exprimer sur quelque chose » {iiber etwas skh a11szern, § 7). Le « se parler » que Husserl veut ici restaurer n'est pas un « separler-de-soi-à-soi », sauf si celui-ci peut prendre la forme d'un « se-dire que S est P ». C'est ici qu'il faut parler. Le sens du verbe« être » (dont Heidegger nous dit que sa forme infinitive a été énigmatiquement déterminée par la philosophie à partir de la troisième personne de l'indicatif présent) entretient avec le mot, c'est-à-dire avec l'unité de la phonè et du sens, un rapport tout à fait singulier. Sans doute n'est-il pas un« simple mot», puisqu'on peut le traduire dans des langues différentes. Il n'est pas davantage une généralité conceptuelle (2.). Mais solitaire interrompt ou intériorise seulement la situation de dialogue dans laquelle, dit Husserl, • comme toute personne, quand elle parle d'elle-même, dit je, ce mot possède le caractère d'un indiceuniversellementefficient pour désigner cette situation •· On comprend mieux ainsi la différence entre le manifesté qui est toujours subjectif et l'exprimé comme nommé. Chaque fois que le Je apparalt, il s'agit d'une proposition de manifestation indicative. Le manifesté et le nommé peuvent parfois se recouvrir partiellement (• un verre d'eau, je vous prie •, nomme la chose et manifeste le désir), mais sont en droit parfaitement disjoints, comme dans l'exemple suivant où ils sont parfaitement disjoints : 2 x 2 = 4· • Cette proposition ne veut nullement dire la même chose que celle-ci : je juge que 2 x 2 = 4· Qui plus est, ces deux propositions ne sont même pas équivalentes ; l'une peut être vraie, et l'autre fausse • (§ 25, tr. fr., p. 93). (l) Cf. en particulier Logique formelle et logique lranscendanlale, I, x, § 13, trad. S. BACHELARD, p. 75· (2) Qu'on le démontre seJt)n le mode aristotélicien ou selon le mode heldeg· gerien, le sens de l'être doit précéder le concept général d'être. Sur la singularité

LA VOIX QUI GARDE LE SILENCE comme son sens ne désigne rien, aucune chose, aucun étant ni détermination antique, comme on ne le rencontre nulle part hors du mot, son irréductibilité est celle du verbum ou du /egein, de l'unité de la pensée et de la voix dans le logos. Le privilège de l'être ne peut pas résister à la déconstruction du mot. E.tre est le premier ou le dernier mot à résister à la déconstruction d'un langage de mots. Mais pourquoi la verbalité se confond-elle avec la détermination de l'être en général comme présence ? Et pourquoi le privilège de l'indicatif présent? Pourquoi l'époque de la phonè est-elle l'époque de l'être dans la forme de la présence? C'est-à-dire de l'idéalité? C'est ici qu'il faut s'entendre. Revenons à Husserl. L'expression pure, l'expression logique doit être pour lui un« médium»« improductif» qui vient « refléter » (wiederzuspiegeln) la couche de sens pré-expressif. Sa seule productivité consiste à faire passer le sens dans l'idéalité de la forme conceptuelle et universelle (1). Bien qu'il y ait des raisons essentielles pour que tout le sens ne soit pas complètement répété dans l'expression, et que celle-ci comporte des significations dépendantes et incomplètes (syncatégorèmes, etc.), le tdos de l'expression intégrale est la restitution, dans la forme de la présence, de la totalité d'un sens donné actuellement à l'intuition. Ce sens étant déterminé à partir d'un rapport à l'objet, le médium de l'expression doit protéger, respecter, restituer la prlsence du sens à la fois comme être-devant de l'objet disponible pour un regard et comn;e proximitl à soi dans l'intériorité. Le prl de l'objet prisent maintenant-devant est un con/re (Gegenwart, Gegenstand) à la fois du rapport entre le mot et le sens de l'être, comme sur le problème de l'indicatif présent, nous renvoyons à Sein und Zeit et à l'Introduction à la métaphysique. Peut-être apparait·il déjà que, tout en nous appuyant, en des points décisifs, sur des motifs heideggeriens, nous voudrions surtout nous demander si, quant aux rapports entre logos et phonè et quant à la prétendue irrèductibilité de certaines unités de mots (du mot lire ou d'autres • mots radicaux •), la pensée de Heidegger n'appelle pas parfois les mêmes questions que la métaphysique de la présence. (1) ldeen 1, § 124.

LA VOIX ET LE PHÉNOMP.NE au sens du tout-contre de la proximité et de l'encontre de l'op-posé. Or entre l'idéalisation et la voix, la complicité est ici indéfectible. Un objet idéal est un objet dont la monstration peut être indéfiniment répétée, dont la présence au Zeigen est indéfiniment réitérable précisément parce que, délivré de toute spatialité mondaine, il est un pur noème que je peux exprimer sans devoir, au moins en apparence, passer par le monde. En ce sens, la voix phénoménologique, qui semble accomplir cette opération « dans le temps », ne rompt pas avec l'ordre du Zeigen, elle appartient au même système et en parachève la fonction. Le passage à l'infini dans l'idéalisation de l'objet ne fait qu'un avec l'avènement historiai de la phonè. Cela ne veut pas dire que nous puissions enfin comprendre ce qu'est le mouvement de l'idéalisation à partir d'une « fonction » ou « faculté » déterminée, dont nous saurions, grâce à la familiarité de l'expérience, la « phénoménologie du corps propre » ou une science objective (phonétique, phonologie ou physiologie de la phonation), ce qu'elle est. Bien au contraire. Que l'histoire de l'idéalisation, c'est-àdire l' « histoire de l'esprit » ou l'histoire tout court, ne soit pas séparable de l'histoire de la phonè, cela restitue à cette dernière toute sa puissance d'énigme. Pour bien comprendre en quoi réside le pouvoir de la voix et en quoi la métaphysique, la philosophie, la détermination de l'être comme présence sont l'époque de la voix comme maîtrise technique de l'être-objet, pour bien comprendre l'unité de la technè et de la phonè, il faut penser l'objectivité de l'objet. L'objet idéal est le plus objectif des objets : indépendant du hic et nunc des événements et des actes de la subjectivité empirique qui le vise, il peut à l'infini être répété tout en restant le même. Sa présence à l'intuition, son êtredevant le regard ne dépendant essentiellement d'aucune synthèse mondaine ou empirique, la restitution de son sens dans la forme de la présence devient une possibilité universelle et illimitée. Mais son etre-idéal n'étant rien hors du monde, il doit être constitué, répété

LA VOIX QUI GARDE LE SILENCE et exprimé dans un médium qui n'entame pas la présence et la présence à soi des actes qui le visent : un médium qui préserve à la fois la prlsençe de l'objet devant l'intuition et la prlsence à soi, la proximité absolue des actes à eux-mêmes. L'idéalité de l'objet n'étant que son être-pour une conscience non empirique, elle ne peut être exprimée que dans un élément dont la phénoménalité n'ait pas la forme de la mondanité. La voix est le nom de cet/liment. La voix s'entend. Les signes phoniques (les « images acoustiques » au sens de Saussure, la voix phénoménologique) sont« entendus» du sujet qui les profère dans la proximité absolue de leur présent. Le sujet n'a pas à passer hors de soi pour être immédiatement affecté par son activité d'expression. Mes paroles sont« vives» parce qu'elles semblent ne pas me quitter : ne pas tomber hors de moi, hors de mon soufRe, dans un éloignement visible; ne pas cesser de m'appartenir, d'être à ma disposition,« sans accessoire». Ainsi en tout cas se donne le phénomène de la voix, la voix phénoménologique. On objectera peut-être que cette intériorité appartient à la face phénoménologique et idéale de tout signifiant. Par exemple, la forme idéale d'un signifiant écrit n'est pas dans le monde, et la distinction entre le graphème et le corps empirique du signe graphique correspondant sépare un dedans de la conscience phénoménologique et un dehors du monde. Et cela est vrai de tout signifiant visible ou spatial. Certes. Il reste que tout signifiant non phonique comporte, à l'intérieur même de son« phénomène», dans la sphère phénoménologique (non mondaine) de l'expérience où il se donne, une référence spatiale ; le sens « dehors », « dans le monde », est une composante essentielle de son phénomène. Rien de tel, en apparence, dans le phénomène de la voix. Dans l'intériorité phénoménologique, s'entendre et se voir sont deux ordres de rapport à soi radicalement différents. Avant même qu'une description de cette différence soit esquissée, nous comprenons pourquoi l'hypothèse du « monologue )) ne pouvait autoriser la distinction entre indice et expression qu'à supposer un lien essentiel entre l'expression et la

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Entre l'élément phonique (au sens phénoménologique et non au sens de sonorité intra-mondaine) et l'expressivité, c'est-à-dire la logicité d'un signifiant animl en vue de la présence idéale d'une Bedeulllng (elle-même rapportée à un objet), il y aurait un lien nécessaire; Husserl ne peut mettre entre parenthèses ce que les glossématiciens appellent la« substance d'expression» sans menacer toute son entreprise. L'appel à cette substance joue donc un rôle philosophique majeur. Essayons donc d'interroger la valeur phénoménologique de la voix, la transcendance de sa dignité par rapport à toute autre substance signifiante. Cette transcendance, nous pensons et nous tenterons de montrer qu'elle n'est qu'apparente. Mais cette« apparence» est l'essence même de la conscience et de son histoire, et elle détermine une époque à laquelle appartient l'idée philosophique de la vérité, l'opposition de la vérité et de l'apparence, telle qu'elle fonctionne encore dans la phénoménologie. On ne peut donc l'appeler « apparence» ni la nommer à l'intérieur de la conceptualité métaphysique. On ne peut tenter de déconstruire cette transcendance sans s'enfoncer, en tâtonnant à travers les concepts hérités, vers l'innommable. La « transcendance apparente », donc, de la voix tient à ce que le signifié, qui est toujours d'essence idéale, la Bedeulllng « exprimée» est immédiatement présente à l'acte d'expression. Cette présence immédiate tient à ce que le « corps » phénoménologique du signifiant semble s'effacer dans le moment même où il est produit. Il semble appartenir d'ores et déjà à l'élément de l'idéalité. Il se réduit phénoménologiquement lui-même, transforme en pure diaphanéité l'opacité mondaine de son corps. Cet effacement du corps sensible et de son extériorité est po/11' la çonsâençe la forme même de la présence immédiate du signifié. Pourquoi le phonème est-ille plus« idéal» des signes ? D'où vient cette complicité entre le son et l'idéalité, ou plutôt entre la voix et l'idéalité ? (Hegel y avait été plus attentif qu'un autre et du point de

phon~.

LA VOIX QUI GARDE LE SILENCE vue de l'histoire de la métaphysique, c'est là un fait remarquable que nous interrogerons ailleurs.) Quand je parle, il appartient à l'essence phénoménologique de cette opération que je m'ententk dans le temps que je parle. Le signifiant animé par mon souffie et par l'intention de signification (en langage husserlien l'expression animée par la Betk11t11ng.rintention) est absolument proche de moi. L'acte vivant, l'acte qui donne vie, la Lebendigkeit qui anime le corps du signifiant et le transforme en expression voulant-dire, l'âme du langage semble ne pas se séparer d'elle-même, de sa présence à soi. Elle ne risque pas la mort dans le corps d'un signifiant abandonné au monde et à la visibilité de l'espace. Elle peut montrer l'objet idéal ou la Betk11t1111g idéale qui s'y rapporte sans s'aventurer hors de l'idéalité, hors de l'intériorité de la vie présente à soi. Le système du Zeigen, les mouvements du doigt et de l'œil (dont nous nous demandions plus haut s'ils n'étaient pas inséparables de la phénoménalité) ne sont pas ici absents, ils sont intériorisés. Le phénomène ne cesse pas d'être objet pour la voix. Au contraire, dans la mesure où l'idéalité de l'objet semble dépendre de la voix et devenir ainsi ab.rol11ment disponible en elle, le système qui lie la phénoménalité à la possibilité du Zeigen fonctionne mieux que jamais dans la voix. Le phonème .re donne çomme l'idéalité maîtrisée till phénomène. Cette présence à soi de l'acte animateur dans la spiritualité transparente de ce qu'il anime, cette intimité de la vie à elle-même, ce qui a toujours fait dire que la parole est vive, tout cela suppose donc que le sujet parlant s'entende au présent. Telle est l'essence ou la normalité de la parole. Il est impliqué dans la structure même de la parole que le parleur .r'ententk : à la fois perçoive la forme sensible des phonèmes et comprenne sa propre intention d'expression. Si des accidents surgissent, qui semblent contredire cette nécessité téléologique, ou bien ils seront surmontés par quelque opération ~e suppléance, ou bien il n'y aura pas de parole. Le mutisme et la s~rdité vont de pair. Le sourd ne peut participer au colloque qu'en glissant

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ses actes dans la forme de mots dont le lelo.r comporte qu'ils soient entendus de celui qui les profère. Considéré d'un point de vue purement phénoménologique, à l'intérieur de la réduction, le processus de la parole a l'originalité de se livrer déjà comme pur phénomène, ayant déjà suspendu l'attitude naturelle et la thèse d'existence du monde. L'opération du« s'entendreparler » est une auto-affection d'un type absolument unique. D'une part, elle opère dans le médium de l'universalité ; les signifiés qui y apparaissent doivent être des idéalités qu'on doit idealiter pouvoir répéter ou transmettre indéfiniment comme les mêmes. D'autre part, le sujet peut s'entendre ou se parler, se laisser affecter par le signifiant qu'il produit sans aucun détour par l'instance de l'extériorité, du monde, ou du non-propre en général. Toute autre forme d'auto-affection doit ou bien passer par le non-propre ou bien renoncer à l'universalité. Lorsque je me vois, que ce soit parce qu'une région limitée de mon corps se donne à mon regard ou que ce soit par la réflexion spéculaire, le non-propre est déjà entré dans le champ de cette auto-affection qui dès lors n'est plus pure. Dans l'expérience du touchant-touché, il en va de même. Dans les deux cas, la surface de mon corps, comme rapport à l'extériorité, doit commencer par s'exposer dans le monde. N'y-a-t-il pas, dira-t-on, des formes d'auto-affection pure qui, dans l'intériorité du corps propre, ne requièrent l'intervention d'aucune surface d'exposition mondaine et pourtant ne sont pas de l'ordre de la voix? Mais ces formes restent alors purement empiriques, ne peuvent appartenir à un médium de signification universelle. Il faut donc, pour rendre compte du pouvoir phénoménologique de la voix, préciser encore ce concept d'autoaffection pure et décrire ce qui en lui le rend propre à l'universalité. En tant qu'auto-affection pure, l'opération du s'entendre-parler semble réduire jusqu'à la surface intérieure du corps propre, elle semble, dans son phénomène, pouvoir se dispenser de cette extériorité dans l'intériorité, de cet espace intérieur dans lequel est tendue

LA VOIX QUI GARDE LE SILENCE notre expérience ou notre image du corps propre. C'est pourquoi elle est vécue comme auto-affection absolument pure, dans une proximité à soi qui ne serait autre que la réduction absolue de l'espace en général. C'est cette pureté qui la rend apte à l'universalité. N'exigeant l'intervention d'aucune surface déterminée dans le monde, se produisant dans le monde comme auto-affection pure, elle est une substance signifiante absolument disponible. Car la voix ne rencontre aucun obstacle à son émission dans le monde précisément en tant qu'elle s'y produit comme auto-affection pure. Cette auto-affection est sans doute la possibilité de ce qu'on appelle la subjectivité ou le pollf'-soi; mais sans elle aucun monde n'apparaîtrait comme tel. Car elle suppose dans sa profondeur l'unité du son (qui est dans le monde) et de la phonè (au sens phénoménologique). Une science « mondaine » objective ne peut certes rien nous apprendre sur l'essence de la voix. Mais l'unité du son et de la voix, ce qui permet à celle-ci de se produire dans le monde comme auto-affection pure, est l'unique instance qui échappe à la distinction entre l'intra-mondanité et la transcendantalité ; et qui du même coup la rend possible. C'est cette universalité qui fait que, structurellement et en droit, aucune conscience n'est possible sans la voix. La voix est l'être auprès de soi dans la forme de l'universalité, comme con-science. La voix est la conscience. Dans le colloque, la propagation des signifiants sen1ble ne rencontrer aucun obstacle parce qu'elle met en rapport deux origines phénoménologiques de l'auto-affection pure. Parler à quelqu'un, c'est sans doute s'entendre parler, être entendu de soi, mais aussi et du même coup, si l'on est entendu de l'autre, faire que celui-ci répète immédiaten1ent en soi le s'entendre-parler dans la forme même où je l'ai produit. Le répète immédiatement, c'est-à-dire reproduise l'auto-affection pure sans le secours d'aucune extériorité. Cette possibilité de reproduction, dont la structure est absolument unique, se donne comme le phénomène d'une maîtrise ou d'un pouvoir sans limite sur le signifiant, puisque celui-ci a la forme de la non-exté-

LA VOIX ET LE PHÉNOMP.NE riorité elle-même. Idéalement, dans l'essence téléologique de la parole, il serait donc possible que le signifiant soit absolument proche du signifié visé par l'intuition et guidant le vouloir-dire. Le signifiant deviendrait parfaitement diaphane en raison même de la proximité absolue du signifié. Cette proximité est rompue lorsque, au lieu de m'entendre parler, je me vois écrire ou signifier par gestes. C'est à la condition de cette proximité absolue du signifiant au signifié, et de son effacement dans la présence immédiate que Husserl pourra précisément considérer le médium de l'expression comme «improductif» et« réfléchissant». C'est aussi à cette condition qu'il pourra, paradoxalement, le réduire sans dommage et affirmer qu'il existe une couche pré-expressive du sens. C'est à cette condition que Husserl se donnera le droit de réduire la totalité du langage, qu'il soit indicatif ou expressif, pour ressaisir l'originarité du sens. Comment comprendre cette réduction du langage alors que Husserl, depuis les Recherches logiques jusqu'à l'Origine de la géométrie, n'a cessé de considérer qu'il n'y avait de vérité scientifique, c'est-àdire d'objets absolument idéaux, que dans des« énoncés»? que non seulement le langage parlé mais l'inscription étaient indispensables à la constitution d'objets idéaux, c'est-à-dire d'objets pouvant être transmis et répétés comme les mêmes ? Tout d'abord, il faut bien le reconnaître, le mouvement qui, depuis longtemps amorcé, aboutit à l'Origine de la géométrie, confirme, par sa face la plus évidente, la limitation profonde du langage à une couche secondaire de l'expérience, et, dans la considération de cette couche secondaire, le phonologisme traditionnel de la métaphysique. Si l'écriture achève la constitution des objets idéaux, elle le fait en tant qu'écriture phonétique (1) : elle vient fixer, inscrire, consigner, (1) Il est étrange que, malgré le motif formaliste et la fidélité leibnizienne qui s'affirment d'un bout à l'autre de son œuvre, HusSERL n'ait jamais placé le problème de l'écriture au centre de sa réflexion ni, dans l'Origine de la géométrie, tenu compte de la différence entre l'écriture phonétique et l'écriture non phonétique.

LA VOIX QUI GARDE LE SILENCE incarner une parole déjà prête. Et réactiver l'écriture, c'est toujours réveiller une expression dans une indication, un mot dans le corps d'une lettre qui portait en elle, en tant que symbole qui peut toujours rester vide, la menace de la crise. La parole déjà jouait le même rôle à l'égard de l'identité de sens telle qu'elle se constitue d'abord dans la pensée. Par exemple, le « proto-géomètre » doit produire en pensée, par passage à la limite, la pure idéalité de l'objet géométrique pur, en assurer la transmissibilité par la parole et enfin la confier à une écriture au moyen de laquelle on pourra toujours répéter le sens d'origine, c'est-à-dire l'acte de pensée pure qui a créé l'idéalité du sens. Avec la possibilité de progrès qu'une telle incarnation autorise, le risque de l' « oubli» et de la perte du sens s'accroît sans cesse. Il est de plus en plus difficile de reconstituer la présence de l'acte enfoui sous les sédimentations historiques. Le moment de la crise est toujours celui du signe. De plus, c'est toujours dans la conceptualité métaphysique que Husserl, malgré la minutie, la rigueur et la nouveauté absolue de ses analyses, décrit tous ces mouvements. La différence absolue entre l'âme et le corps commande. L'écriture est un corps qui n'exprime que si on prononce actuellement l'expression verbale qui l'anime, si son espace est temporalisé. Le mot est un corps qui ne veut dire quelque chose que si une intention actuelle l'anime et le fait passer de l'état de sonorité inerte ( Kiirper) à l'état de corps animé (Leib). Ce corps propre du mot n'exprime que s'il est animé ( sinnbelebt) par l'acte d'un vouloir-dire ( bedeulen) qui le transforme en chair spirituelle (geislige Leiblichkeil). Mais seule la Gei.rligkeil ou la Lebendigkeil est indépendante et originaire (1). En tant que telle, elle n'a besoin d'aucun signifiant pour être présente à elle-même. C'est autant contre ses signifiants que grâce à eux qu'elle se réveille ou se maintient en vie. Telle est la face traditionnelle du discours husserlien. (1) Cf. Introduction à L'Origine de la géométrie (p. 83·100). J. DERRIDA

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LA VOIX ET LE PH:f:.NOMÈNE Mais si Husserl a dû reconnaître, fût-ce comme de salutaires menaces, la nécessité de ces« incarnations», c'est qu'un motif profond tourmentait et contestait de l'intérieur la sécurité de ces distinctions traditionnelles. Et que la possibilité de l'écriture habitait le dedans de la parole qui, elle-même, était au travail dans l'intimité de la pensée. Et nous retrouvons ici toutes les ressources de non-présence originaire dont nous avons déjà, à plusieurs reprises, repéré l'affleurement. Tout en refoulant la différence dans l'extériorité du signifiant, Husserl ne pouvait manquer d'en reconnaître l'œuvre à l'origine du sens et de la présence. L'auto-affection comme opération de la voix supposait qu'une différence pure vînt diviser la présence à soi. C'est dans cette différence pure que s'enracine la possibilité de tout ce qu'on croit pouvoir exclure de l'auto-affection: l'espace, le dehors, le monde, le corps, etc. Dès qu'on admet que l'auto-affection est la condition de la présence à soi, aucune réduction transcendantale pure n'est possible. Mais il faut passer par elle pour ressaisir la différence au plus proche d'elle-même : non pas de son identité, ni de sa pureté, ni de son origine. Elle n'en a pas. Mais du mouvement de la différance. Ce mouvement de la différance ne survient pas à un sujet transcendantal. Ille produit. L'auto-affection n'est pas une modalité d'expérience caractérisant un étant qui serait déjà lui-même ( auto.r). Elle produit le même comme rapport à soi dans la différence d'avec soi, le même comme le non-identique. Dira-t-on que l'auto-affection dont nous avons parlé jusqu'ici ne concerne que l'opération de la voix? que la différence concerne l'ordre du « signifiant » phonique ou la « couche secondaire » de l'expression ? Et qu'on peut toujours réserver la possibilité d'une identité pure et purement présente à soi au niveau que Husserl a voulu dégager comme celui du vécu pré-expressif? au niveau du sens, en tant qu'il précéderait la Bedeutung et l'expression?

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Mais il serait facile de montrer qu'une telle possibilité est exclue à la racine même de l'expérience transcendantale. Pourquoi en effet le concept d'auto-affection s'est-il imposé à nous? Ce qui fait l'originalité de la parole, ce par quoi elle se distingue de tout autre milieu de signification, c'est que son étoffe semble être purement temporelle. Et cette temporalité ne déroule pas un sens qui lui-même serait intemporel. Le sens, avant même · d'être exprimé, est temporel de part en part. L'omnitemporalité des objets idéaux, selon Husserl, n'est qu'un mode de la temporalité. Et quand Husserl décrit un sens qui semble échapper à la temporalité, il s'empresse de préciser qu'il s'agit là d'une étape provisoire de l'analyse et qu'il considère alors une temporalité constituée. Or dès qu'on tient compte du mouvement de la temporalisation, tel qu'il est déjà analysé dans les Leçons, il faut bien utiliser le concept d'autoaffection pure, concept dont se sert Heidegger, on le sait, dans KanJ et le problème de la métaphysique, précisément au sujet du temps. Le « point-source », l' « impressio.p. originaire », ce à partir de quoi se produit le mouvement de la temporalisation est déjà auto-affection pure. C'est d'abord une production pure puisque la temporalité n'est jamais le prédicat réel d'un étant. L'intuition du temps lui-même ne peut être empirique, c'est une réception qui ne reçoit rien. La nouveauté absolue de chaque maintenant n'est donc engendrée par rien. Elle consiste en une impression originaire qui s'engendre elle-même : « L'impression originaire est le commencement absolu de cette production, la source originaire, ce à partir de quoi se produit continûment tout le reste. Mais elle n'est pas elle-même produite, elle ne naît pas comme quelque chose de produit, mais par gene.ris spontanea, elle est génération originaire » (Leçons, Supplément x, tr. fr., 13 1 ). Cette pure spontanéité est une impression, elle ne crée rien. Le nouveau maintenant n'est pas un étant, n'est pas un objet produit et tout langage échoue à décrire ce pur mouvement, autrement que par métaphore, c'est-à-dire en empruntant ses concepts à

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l'ordre des objets de l'expérience que cette temporalisation rend possible. Husserl nous met sans cesse en garde contre ces métaphores (x). Le processus par lequel le maintenant vivant, se pro(1) Cf. par exemple l'admirable paragraphe 36 des Leçons qui démontre l'absence de nom propre à cet étrange • mouvement • qui, d'ailleurs, n'est pas un mouvement. • Pour tout cela, conclut Husserl, les noms nous font défaut. • Il faudrait encore radicaliser dans une direction déterminée cette intention de Husserl. Car ce n'est pas un hasard s'il désigne encore cel innommable comme • subjectivité absolue •, c'est-à-dire comme un étant pensé à partir de la présence comme substance, ousia, upokeimenon : étant identique à soi dans la présence à soi qui fait de la substance un sujet. Ce qui est dit innommable, dans ce paragraphe, ce n'est pas à la lettre quelque chose dont on sait que c'est un étant présent dans la forme de la présence à soi, une substance modifiée en sujet, en sujet absolu, dont la présence à soi est pure et ne dépend d'aucune affection extérieure, d'aucun dehors. Tout cela est présent et nous pouvons le nommer, la preuve en est qu'on ne met pas en question son ltre de subjectivité absolue. Ce qui est innommable, selon Husserl, ce sont seulement les • propriétés absolues • de ce sujet qui est donc bien désigné selon le schème métaphysique classique distinguant la substance (étant présent) de ses attributs. Autre schème retenant l'incomparable profondeur de l'analyse dans la clôture de la métaphysique de la présence : l'opposition sujet-objet. Cet étant dont les • propriétés absolues • sont indescriptibles n'est présent comme subjectivité abs(l[ue, n'est un étant absolument présent et absolument présent à soi que dans son opposition à l'objet. L'objet est relatif, l'absolu est sujet : • Nous ne pouvons nous exprimer autrement qu'en disant : ce flu,; est quelque chose que nous nom>nons ainsi d'après ce qui est constitué, mais il n'est rien de temporellement • objectif •. C'est la subjectivité absolue, ct il a les propriétés absolues de quelque chose qu'il faut désigner métaphoriquement comme • flux •, quelque chose qui jaillit • maintenant •, en un point d'actualité, un point-source originaire, etc. Dans le vécu de l'actualité nous avons le point-source originaire et une continuité de moments de retentissements. Pour tout cela, les noms nous font défaut • (tr. fr., p. 99· Nous soulignons). C'est donc la détermination de • subjectivité absolue • qui devrait aussi être raturée dès lors qu'on pense le présent à partir de la différance et non l'inverse. Le concept de subjectivité appartient a priori et en général à l'ordre du constitué. Cela vaut a fortiori pour l'apprésentation analogique constituant l'intersubjectivité. Celle-ci est inséparable de la temporalisation comme ouverture du présent à un hors-de-soi, à un autre présent absolu. Cet hors-de-soi du temps est son espacement : une archi-sâne. Cette scène, comme rapport d'un présent à un autre présent comme tel, c'est-à-dire comme re-présentation (Vergegenwtfrtigung ou Repriisentation) non dérivée, produit la structure du sigue en général comme • renvoi •, comme être-pour-quelque-chose (für etwas sein) et en interdit radicalement la réduction. Il n'y a pas de subjectivité constituante. Et il faut déconstruire jusqu'au concept de constitution.

LA VOIX QUI GARDE LE SILENCE duisant par génération spontanée, doit, pour être un maintenant, se retenir dans un autre maintenant, s'affecter lui-même, sans recours empirique, d'une nouvelle actualité originaire dans laquelle il deviendra non-maintenant comme maintenant passé, etc., un tel processus est bien une auto-affection pure dans laquelle le même n'est le même qu'en s'affectant de l'autre, en devenant l'autre du même. Cette auto-affection doit être pure puisque l'impression originaire n'y est affectée par rien d'autre que par elle-même, par la« nouveauté » absolue d'une autre impression originaire qui est un autre maintenant. Dès qu'on introduit un étant déterminé dans la description de ce « mouvement », on parle par métaphore, on dit le « mouvement» dans les termes de ce qu'il rend possible. Mais on a toujours déjà dérivé dans la métaphore ontique. La temporalisation est la racine d'une métaphore qui ne peut être qu'originaire. Le mot « temps » lui-même, tel qu'il a toujours été entendu dans l'histoire de la métaphysique, est une métaphore, indiquant et dissimulant en même temps le « mouvement » de cette auto-affection. Tous les concepts de la métaphysique - en particulier ceux d'activité et de passivité, de volonté et de non-volonté et donc ceux d'affection ou d'auto-affection, de pureté et d'impureté, etc. - recouvrent l'étrange « mouvement » de cette différence. Mais cette différence pure, qui constitue la présence à soi du présent vivant, y réintroduit originairement toute l'impureté qu'on a cru pouvoir en exclure. Le présent vivant jaillit à partir de sa nonidentité à soi, et de la possibilité de la trace rétentionnelle. Il est toujours déjà une trace. Cette trace est impensable à partir de la simplicité d'un présent dont la vie serait intérieure à soi. Le soi du présent vivant est originairement une trace. La trace n'est pas un attribut dont on pourrait dire que le soi du présent vivant l' « est originairement». Il faut penser l'être-originaire depuis la trace et non l'inverse. Cette archi-écriture est à l'œuvre à l'origine du sens. Celui-ci étant, Husserl l'a reconnu, de nature temporelle, il n'est jamais simplement

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présent, il est toujours déjà engagé dans le « mouvement » de la trace, c'est-à-dire dans l'ordre de la « signification ». Il est toujours déjà sorti de soi dans la « couche expressive » du vécu. Comme la trace est le rapport de l'intimité du présent vivant à son dehors, l'ouverture à l'extériorité en général, au non-propre, etc., la temporalisation du sens est d'entrée de jeu « espacement ». Dès qu'on , admet l'espacement à la fois comme « intervalle » ou différence et comme ouverture au dehors, il n'y a plus d'intériorité absolue, le « dehors» s'est insinué dans le mouvement par lequel le dedans du non-espace, ce qui a nom le « temps » s'apparaît, se constitue, se « présente». L'espace est« dans» le temps, il est la pure sortie hors de soi du temps, il est le hors-de-soi comme rapport à soi du temps. L'extériorité de l'espace, l'extériorité comme espace, ne surprend pas le temps, elle s'ouvre comme pur« dehors»« dans» le mouvement de la temporalisation. Si l'on se souvient maintenant que la pure intériorité de l'auto-affection phonique supposait la nature purement temporelle du processus « expressif», on voit que le thème d'une pure intériorité de la parole ou du « s'entendre-parler » est radicalement contredit par le « temps » lui-même. La sortie « dans le monde » est, elle aussi, originairement impliquée par le mouvement de la temporalisation. Le « temps » ne peut être une « subjectivité absolue » précisément parce qu'on ne peut le penser à partir du présent et de la présence à soi d'un étant présent. Comme tout ce qui est pensé sous ce titre et comme tout ce qui est exclu par la réduction transcendantale la plus rigoureuse, le « monde » est originairement impliqué par le mouvement de la temporalisation. Comme rapport entre un dedans et un dehors en général, un existant et un non-existant en général, un constituant et un constitué en général, la temporalisation est à la fois le pouvoir et la limite mêmes de la réduction phénoménologique. Le s'entendre-parler n'est pas l'intériorité d'un dedans clos sur soi, il est l'ouverture irréductible dans le dedans, l'œil et le monde dans la parole. La réductionphénoménologiq11e estune scène.

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Aussi, de même que l'expression ne vient pas s'ajouter comme une« couche» (x) à la présence d'un sens pré-expressif, de même, le dehors de l'indication ne vient pas affecter accidentellement le dedans de l'expression. Leur entrelacement (Verftechtung) est originaire, il n'est pas l'association contingente qu'une attention méthodique et une réduction patiente pourraient défaire. Si nécessaire qu'elle soit, l'analyse rencontre là une limite absolue. Si l'indication ne s'ajoute pas à l'expression qui ne s'ajoute pas au sens, on peut néanmoins parler à leur sujet de « supplément » originaire : leur addition vient supplier un manque, une non-présence à soi originaire. Et si l'indication, par exemple l'écriture au sens courant, doit nécessairement «s'ajouter» à la parole pour achever la constitution de l'objet idéal, si la parole devait « s'ajouter » à l'identité pensée de l'objet, c'est que la« présence» du sens et de la parole avait déjà commencé à se manquer à elle-même. (1) Dans les importants paragraphes 124 à 127 de Idées 1 que nous suivrons ailleurs pas à pas, HussERL nous invite du r~te, tout en parlant sans cesse de couche sous-jacente du vécu pré-expressif, à • ne pas trop présumer de cette image de stratification 1 (Schichtung). • L'expression n'est pas une sorte de vernis plaqué ou de vêtement surajouté ; c'est une formation spirituelle qui exerce sur la couche intentionnelle sous-jacente (Unterscllicht) de nouvelles fonctions intentionnelles. 1

CHAPITRE

VII

LE SUPPLÉMENT D'ORIGINE Ainsi entendue, la supplémentarité est bien la dif!érance, l'opération du différer qui, à la fois, fissure et retarde la présence, la soumettant du même coup à la division et au délai originaires. La différance est à penser avant la séparation entre le différer comme délai et le différer comme travail actif de la différence. Bien entendu, cela est impensable à partir de la conscience, c'est-à-dire de la présence, ou simplement de son contraire, l'absence ou la non-conscience. Impensable aussi comme la simple complication homogène d'un diagramme ou d'une ligne du temps, comme « succession » complexe. La différence supplémentaire vicarie la présence dans son manque originaire à elle-même. Il nous faut maintenant vérifier, à travers la première Recherche, en quoi ces concepts respectent les rapports entre le signe en général (indicatif autant qu'expressif) et la présence en général. A travers le texte de Husserl, c'est-à-dire dans une lecture qui ne peut être simplement ni celle du commentaire ni celle de l'interprétation. Notons d'abord que ce concept de supplémentarité originaire n'implique pas seulement la non-plénitude de la présence (ou en langage husserlien le non-remplissement d'une intuition), il désigne cette fonction de suppléance substitutive en général, la structure du « à la place de » (fiir etwas) qui appartient à tout signe en général et dont nous nous étonnions en commençant que Husserl n'en soumît

LB SUPPLÉMENT D'ORIGINE

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la possibilité à aucune question critique, se la donnant comme allant

de soi au moment de distinguer entre le signe indicatif et le signe expressif. Ce que nous voudrions finalement donner à penser, c'est que le pour-soi de la présence à soi (fiir-sich), traditionnellement déterminé dans sa dimension dative, comme auto-donation phénoménologique, réflexive ou pré-réflexive, surgit dans le mouvement de la supplémentarité comme substitution originaire, dans la forme du« à la place de» (fiir elwas) c'est-à-dire, nous l'avons vu, dans l'opération même de la signification en général. Le pour-soi serait un à-la-place-de-soi : mis pour soi, au lieu de soi. La structure étrange du supplément apparaît ici : une possibilité produit à retardement ce à quoi elle est dite s'ajouter. Cette structure de supplémentarité est très complexe. En tant que supplément, le signifiant ne re-présente pas d'abord et seulement le signifié absent, il se substitue à un autre signifiant, à un autre ordre de signifiant entretenant avec la présence manquante un autre rapport, plus valorisé par le jeu de la différence. Plus valorisé parce que le jeu de la différence est le mouvement de l'idéalisation et que plus le signifiant est idéal, plus il augmente la puissance de répétition de la présence, plus il garde, réserve et capitalise le sens. C'est ainsi que l'indice n'est pas seulement le substitut suppléant l'absence ou l'invisibilité de l'indiqué. Celui-ci, on s'en souvient, est toujours un existant. L'indice remplace aussi un autre type de signifiant : le signe expressif, c'est-à-dire un signifiant dont le signifié (la Bedeutrmg) est idéal. En effet, dans le discours réel, communicatif, etc., l' expression cède la place à l'indice parce que, l'on s'en souvient, le sens visé par autrui et, d'une manière générale, le vécu d'autrui ne me sont pas présents en personne et ne peuvent jamais l'être. C'est pourquoi, Husserl le dit, l'expression fonctionne alors « comme indice ». Il reste maintenant à savoir- et c'est le plus important- en quoi l'expression elle-même implique, dans sa structure, une non-plénitude. Elle se connaît pourtant comme plus pleine que l'indication

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puisque le détour apprésentatif n'y serait plus nécessaire et qu'elle pourrait fonctionner comme telle dans la prétendue présence à soi du discours solitaire. Il importe en effet de bien mesurer à quelle distance - quelle distance articulée - une théorie intuitionniste de la connaissance commande le concept husserlien de langage. Toute l'originalité de ce concept tient à ce que son assujettissement final à l'intuitionnisme n'opprime pas ce qu'on pourrait appeler la liberté de langage, le franc-parler d'un discours, même s'il est faux et contradictoire. On peut parler sans savoir: c'est contre toute la tradition philosophique que Husserl démontre que la parole alors est encore parole de plein droit pourvu qu'elle obéisse à certaines règles qui ne se donnent pas immédiatement comme règles de connaissance. La grammaire pure logique, la morphologie pure des significations doit nous dire a priori à quelles conditions un discours peut être un discours, même s'il ne rend possible aucune connaissance. Nous devons ici considérer la dernière exclusion - ou réduction - à laquelle Husserl nous invite pour isoler la pureté spécifique de l'expression. C'est la plus audacieuse. Elle consiste à mettre hors jeu, comme« composantes inessentielles »de l'expression, les actes de connaissance intuitive« remplissant» le vouloir-dire. On sait que l'acte du vouloir-dire, celui qui donne la Bedeutung (Bedeutung.rintention) est toujours la visée d'un rapport à l'objet. Mais il suffit que cette intention anime le corps d'un signifiant pour que le discours ait lieu. Le remplissement de la visée par une intuition n'est pas indispensable. Il appartient à la structure originale de l'expression de pouvoir se passer de la présence pleine de l'objet visé à l'intuition. Évoquant une fois de plus la confusion qui naît de l'enchevêtrement (Verftechtung) des relations, Husserl écrit (§ 9) : « Si nous nous tenons sur le sol de la pure description, le phénomène concret de l'expression animée d'un sens ( .rinnebelebten) s'articule d'une part en phlnomène physique dans lequel l'expression

LE SUPPLEMENT D'ORIGINE

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se constitue selon sa face physique, et d'autre part en acles qui lui donnent la Bedeutung et éventuellement la plénitude intuitive, et dans lesquels se constitue le rapport à l'objectité exprimée. C'est grâce à ces derniers actes que l'expression est plus qu'un simple jlattu vocis. Elle vise quelque chose, et en tant qu'elle le vise, elle se rapporte à quelque chose d'objectif.» La plénitude est donc seulement éventuelle. L'absence de l'objet visé ne compromet pas le vouloir-dire, ne réduit pas l'expression à sa face physique inanimée et en soi insignifiante.« Ce quelque chose d'objectif [auquel se rapporte la visée] peut ou bien apparaître comme actuellement présent ( aklue/1 gegenwarlig) grâce aux intuitions conjointes ou du moins re-présenté (vergegenwarligl} (par exemple dans une forme imaginative). Dans le cas où cela a lieu, le rapport à l'objectité est réalisé. Ou bien ce n'est pas le cas ; l'expression fonctionne avec sa charge de sens (fungierl Jinnvoll), elle reste toujours plus qu'un simple jlalus vocis, bien qu'elle soit privée de l'intuition qui la fonde, qui lui donne l'objet.» L'intuition « remplissante » n'est donc pas essentielle à l'expression, à la v!sée du vouloir-dire. Toute la fin de ce chapitre accumule les preuves de cette différence entre l'intention et l'intuition. Toutes les théories classiques du langage y étant aveugles (x), elles n'ont pu éviter des apories ou des absurdités. Husserl, chemin faisant, les repère. Au cours d'analyses subtiles et décisives que nous ne pouvons suivre ici, la démonstration est faite de l'idéalité de la Bedeu11111g et de la non-coïncidence entre l'expression, la Bedtulllng (toutes deux en tant qu'unités idéales) et l'objet. Deux expressions identiques peuvent avoir la même Bedeutung, vouloir dire la même chose et avoir pourtant un objet différent (par exemple dans les deux propositions « Bucéphale est un cheval» et « cette rosse est un cheval). Deux expressions {1) Selon Husserl, bien entendu. Cela est sans doute plus vrai des théories modernes qu'il réfute que, par exemple, de certaines tentatives médiévales auxquelles il ne se réfère presque jamais, à l'exception d'une brève allusion à la Grammatica speculativa de Thomas d'ERFURT dans Logique formelle et lcgique transcendantale.

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différentes peuvent avoir des Bedeufllngen différentes, mais viser le même objet (par exemple dans les deux expressions : « Le vainqueur d'Iéna», et« le vaincu de Waterloo»). Enfin deux expressions différentes peuvent avoir le même Bedeutung et le même objet (Londres, London, zwei, deux, duo, etc.). Sans de telles distinctions, aucune grammaire pure logique ne serait possible. Par suite, la morphologie pure des jugements serait interdite dont la possibilité soutient toute la structure de Logique formelle et logique transcendantale. On sait en effet que la grammaire pure logique dépend tout entière de la distinction entre Widersinnigkeit et Sinnlosigkeit. Si elle obéit à certaines règles, une expression peut être widersinnig (contradictoire, fausse, absurde selon un certain type d'absurdité) sans cesser d'avoir un sens intelligible donnant lieu à un discours normal, sans devenir un non-sens (Unsinn). Elle peut n'avoir aucun objet possible pour des raisons empiriques (une montagne d'or) ou pour des raisons aprioriques (un cercle carré) sans cesser d'avoir un sens intelligible, sans être sinn/os. L'absence d'objet (Gegenstandslosigkeit) n'est donc pas l'absence de vouloir-dire (Bedeutungslosigkeit). La grammaire pure logique n'exclut donc de la normalité du discours que le non-sens au sens de l'Un sinn ( Abracadabra, vert est ou). Si nous ne pouvions pas comprendre ce que vent dire« cercle carré» ou« montagne d'or», comment pourrionsnous conclure à l'absence d'objet possible? C'est ce minimum de compréhension qui nous est refusé dans l'Unsinn, dans l'a-grammaticalité du non-sens. Suivant la logique et la nécessité de ces distinctions, on pourrait être tenté de soutenir que non seulement le vouloir-dire n'implique pas essentiellement l'intuition de l'objet, mais qu'il l'exclut essentiellement. L'originalité structurelle du vouloir-dire, ce serait la Gegenstandslosiglzeit, l'absence d'objet donné à l'intuition. Dans la plénitude de présence qui vient combler la visée du vouloir-dire, l'intuition et l'intention se fondent, « forment une unité d'intime

LE SUPPLÉMENT D'ORIGINE confusion (eine innig verschmolzene Einheit) d'un caractère original» (1). C'est dire que le langage qui parle en présence de son objet efface ou laisse fondre son originalité propre, cette structure qui n'appartient qu'à lui et qui lui permet de fonctionner tout seul, quand son intention est sevrée d'intuition. C'est ici qu'au lieu de soupçonner Husserl de commencer trop tôt l'analyse et la dissociation, on pourrait se demander s'il n'unifie pas trop et trop tôt. Est-ce qu'il n'est pas exclu, pour des raisons d'essence et de structure - celles-là même que rappelle Husserl - que l'unité de l'intuition et de l'intention soit jamais homogène et que le vouloir-dire se fonde dans l'intuition sans disparaître? Est-ce qu'il n'est pas au principe exclu qu'on puisse jamais, pour reprendre le langage de Husserl,« honorer», dans l'expression, la« traite tirée sur l'intuition»? Considérons le cas extrême d'un « énoncé de perception ». Supposons qu'il soit produit dans le moment même de l'intuition perceptive. Je dis : « Je vois maintenant telle personne par la fenêtre» au moment où je la vois effectivement. Il est impliqué structurellement dans mon opération que le contenu de cette expression soit idéal et que son unité ne soit pas entamée par l'absence de perception hic et nunc (z). Celui qui, à côté de moi ou à une distance infinie dans le temps ou dans l'espace, entend cette proposition doit, en droit, comprendre ce que j'entends dire. Cette possibilité étant la possibilité du discours, elle doit structurer l'acte même de celui qui parle (I) • Dans le rapport réalisé de l'expression à son objectité, l'expression animée de sens s'unit (eint sich) aux actes de remplisscmcnt de la Bedeutung. La sonorité phonique du mot, tout d'abord, fait un avec (ist einst mit) l'intention de Bedeutung, et celle·ci s'unit à son tour (de la même manière qu'en général les intentions avec leurs remplissements) avec le rcmplissement de Bedeutung correspondant • (§ 9). C'est au début du § ro que Husserl précisera encore que cette unité n'est pas un simple • être-ensemble • dans la • simultanéité •, mais • une unité d'intime confusion •. (2) • Dans l'énoncé d'une perception, nous distinguons, comme pour tout énoncé, entre contenu et objet, et cela de telle manière que par contenu l'on comprendra la Bedeutung identique que même celui qui écoute peut appréhender correctement, bien qu'il ne perçoive pas lui-même • (§ 14).

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en percevant. Ma non-perception, ma non-intuition, mon absence hic et nunc sont dits par cela même que je dis, par ce que je dis et parce que je dis. Jamais cette structure ne pourra faire avec l'intuition une « unité d'intime confusion ». L'absence de l'intuition - et donc du sujet de l'intuition - n'est pas seulement tolérée par le discours, elle est requise par la structure de la signification en général, pour peu qu'on la considère en elle-nJénu. Elle est radicalement requise : l'absence totale du sujet et de l'objet d'un énoncé - la mort de l'écrivain oufet la disparition des objets qu'il a pu décrire - n'empêche pas un texte de « vouloir-dire ». Cette possibilité au contraire fait naître le vouloir-dire comme tel, le donne à entendre et à lire. Allons plus loin. En quoi l'écriture - nom courant de signes qui fonctionnent malgré l'absence totale du sujet, par (delà) sa mort - est-elle impliquée dans le mouvement même de la signification en général, en particulier de la parole dite« vive»? En quoi inaugure-t-elle et achève-t-elle l'idéalisation, n'étant elle-même ni réelle ni idéale? En quoi enfin la mort, l'idéalisation, la répétition, la signification ne sont-elles pensables, en leur pure possibilité, qu'à partir d'une,seule et même ouverture? Prenons cette fois l'exemple du pronom personnel Je. Husserl le classe parmi les expressions« essentiellement occasionnelles». Il partage ce caractère avec tout un« groupe présentant une unité conceptuelle de Bedeut111rgen possibles, de telle sorte qu'il soit essentiel pour cette expression d'orienter chaque fois sa Bedeutung actuelle suivant l'occasion, suivant la personne qui parle ou sa situation ». Ce groupe se distingue à la fois du groupe des expressions dont la plurivocité est contingente et réductible par une convention (le mot « règle », par exemple, veut dire à la fois un instrument en bois et une prescription) et du groupe des expressions « objectives » dont les circonstances du discours, le contexte, la situation du sujet parlant n'affectent pas l'univocité (par exemple, « toutes les expressions théoriques, par conséquent celles sur lesquelles s'édifient les principes et les théorèmes, les démonstrations

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et les théories des sciences « abstraites »». L'expression mathématique en est le modèle). Ces dernières seules sont des expressions absolument pures de toute contamination indicative. Une expression essentiellement occasionnelle se reconnaît à ce qu'on ne peut par principe la remplacer dans le discours par une représentation conceptuelle objective permanente sans déformer la Bedeulung de l'énoncé. Si, par exemple, j'essayais de substituer au mot Je tel qu'il apparaît dans un énoncé, ce que je crois être son contenu conceptuel objectif (« toute personne qui, en parlant, se désigne elle-même »), j'aboutirais à des absurdités. Au lieu de « je suis content », j'aurais « toute personne qui, en parlant, se désigne elle-même est contente ». Chaque fois qu'une telle substitution déforme l'énoncé, nous avons affaire à une expression essentiellement subjective et occasionnelle dont le fonctionnement reste indicatif. L'indication pénètre ainsi partout où dans le discours une référence à la situation du sujet ne se laisse pas réduire, partout où celle-ci se laisse signaler par un pronom personnel, un pronom démonstratif, un adverbe « subjectif » du type ici, là-ba.r, en haut, en ba.r, maintenant, hier, demain, avant, aprè.r, etc. Cette rentrée en masse de l'indication dans l'expression oblige Husserl à conclure : « Ce caractère essentiellement occasionnel se transpose naturellement à toutes les expressions dont ces représentations ou des représentations analogues constituent des parties, ce qui embrasse toutes les multiples formes du discours dans lesquelles celui qui parle exprime normalement quelque chose qui le concerne lui-même ou qui est pensé par rapport à lui-même. Il en est ainsi de toutes les expressions de perceptions, de convictions, de doutes, de vœux, d'espérance, de craintes, d'ordre, etc. » (Tr. fr., p. 100.) La racine de toutes ces expressions, on le voit très vite, c'est . le point-zéro de l'origine subjective.. leje, le ici, le maintenant. La Bedeutung de ces expressions est déportée dans l'indication chaque fois qu'elle anime pour autrui un discours réel. Mais Husserl semble penser que pour çeJui qui parle cette Bedeuhmg, comme rapport à

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l'objet (Je, ici, maintenant) est « réalisée » (1). « Dans le discours solitaire, la Bedeutung du Je se réalise essentiellement dans la représentation immédiate de notre propre personnalité ... » Est-ce sûr ? A supposer même qu'une telle représentation immédiate soit possible et actuellement donnée, est-ce que l'apparition du mot Je dans le discours solitaire (supplément dont on ne voit pas en outre la raison d'être si la représentation immédiate est possible) ne fonctionne pas déjà comme une idéalité? Est-ce que, par conséquent, elle ne se donne pas comme pouvant rester la même pour un je-ici-maintenant en général, gardant son sens même si ma présence empirique s'efface ou se modifie radicalement? Est-ce que, lorsque je dis Je, fût-ce dans le discours solitaire, je peux donner sens à mon énoncé autrement qu'en y impliquant, comme toujours, l'absence possible de l'objet du discours, ici de moi-même? Lorsque je me dis à moi-même « je suis », cette expression, comme toute expression selon Husserl, n'a le statut de discours que si elle est intelligible en l'absence de l'objet, de la présence intuitive, donc ici de moi-même. C'est d'ailleurs ainsi que l'ergo sum s'introduit dans la tradition philosophique et qu'un discours sur l'ego transcendantal est possible. Que j'aie ou non l'intuition actuelle de moi-même, « je » exprime ; que je sois ou non vivant, je suis « veut dire ». Ici non plus l'intuition remplissante n'est pas une « composante essentielle » de l'expression. Que Je fonctionne ou non dans le discours solitaire, avec ou sans présence à soi de l'être parlant, il est sinnvo/1. Et l'on n'a ( 1) • Dans le discours solitaire, la Bedeut1mg du je se réalise essentiellement dans la représentation imm(diate de notre propre personnalité, et c'est là que réside donc aussi la Bedeutung de ce mot dans le discours communicatif. Chaque interlocuteur a sa représentation du moi (ct par suite sou concept individuel de je) et c'est pourquoi la Bedeutung de ce mot diffère avec chaque individu. • On ne manquera pas de s'étonner devant ce concept individuel et cette c Bedeutung • qui diffère avec chaque individu. Et l'étonnement ici s'encourage des prémisses husserliennes elles·mêmes. Husserl poursuit : • Mais comme toute personne, quand elle parle d'elle·même, dit je, ce mot possède le caractère d'un indice universellement efficient... •, etc.

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pas besoin de savoir qui parle pour le comprendre, ni même pour l'émettre. Une fois de plus, la frontière paraît peu sûre entre le discours solitaire et la communication, entre la réalité et la représentation du discours. Est-ce que Husserl ne contredit pas ce qu'il a établi quant à la différence entre la Gegenstands/osikeit et la Bedeutungs/osigkeit lorsqu'il écrit : « Le mot Je nomme, suivant les cas, une personne différente, et ille fait au moyen d'une Bedeutung toujours ! nouvelle» ? Est-ce que le discours et la nature idéale de toute Bedeutung, n'excluent pas qu'une Bedeutung soit « toujours nouvelle »? Est-ce que Husserl ne contredit pas ce qu'il affirmait de l'indépendance de l'intention et de l'intuition remplissante en écrivant : « Ce qui constitue chaque fois sa Bedeutung (celle du mot Je) ne peut être tiré que du discours vivant et des données intuitives qui en font partie. Quand nous lisons ce mot sans savoir qui l'a écrit, nous avons un mot, sinon dépourvu de Bedeutung, du moins étranger à sa Bedeutung normale. » Les prémisses de Husserl devraient nous autoriser à dire exactement le contraire. De même que je n'ai pas besoin de percevoir pour comprendre un énoncé de perception, je n'ai pas besoin de l'i1!tuitionde l'objet Je pour comprendre le mot Je. La possibilité de cette non-intuition constitue la Bedeutung comme telle, la Bedeutung normale en tant que telle. Quand le mot Je apparaît, l'idéalité de sa Bedeutung, en tant qu'elle est distincte de son« objet», nous met dans la situation que Husserl décrit comme anormale : comme si Je était écrit par un inconnu. Cela seul permet de rendre compte du fait que nous comprenons le mot Je non seulement quand son « auteur» est inconnu mais quand il est parfaitement fictif. Et quand il est mort. L'idéalité de la Bedeutung a ici une valeur structurellement testamentaire. Et de même que la valeur d'un énoncé de perception ne dépendait pas de l'actualité ni même de la possibilité de la perception, de même la valeur signifiante du Je ne dépend pas de la vie du sujet parlant. Que la perception accompagne ou non l'énoncé de perception, que la vie comme présence à soi accompagne ou non l'énoncé

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du Je, cela est parfaitement indifférent au fonctionnement du vouloirdire. Ma mort est structurellement nécessaire au prononcé du Je. Que je sois aussi« vivant» et que j'en aie la certitude, cela vient pardessus le marché du vouloir-dire. Et cette structure est active, elle garde son efficience originale même quand je dis « je suis vivant » au moment précis où, si cela est possible, j'en ai l'intuition pleine et actuelle. La Bedeutung « je suis » ou « je suis vivant », ou encore « mon présent vivant est» n'est ce qu'elle est, elle n'a l'identité idéale propre à toute Bedeutung que si elle ne se laisse pas entamer par la fausseté, c'est-à-dire si je puis être mort au moment où elle fonctionne. Sans doute sera-t-elle différente de la Bedeut11ng « je suis mort », mais non nécessairement du fait que« je suis mort». L'énoncé « je suis vivant» s'accompagne de mon être-mort et sa possibilité requiert la possibilité que je sois mort; et inversement. Ce n'est pas là une histoire extraordinaire de Poe, mais l'histoire ordinaire du langage. Plus haut, nous accédions au« je suis mortel» à partir du« je suis». Ici nous entendons le « je suis » à partir du« je suis mort». L'anonyme du Je écrit, l'impropriété duj'lcris est, contrairement à ce que dit Husserl, la« situation normale». L'autonomie du vouloir-dire au regard de la connaissance intuitive, celle-là même que démontre Husserl et que nous appelions plus haut la liberté du langage, le « franc-parler », a sa norme dans l'écriture et le rapport à la mort. Cette écriture ne peut venir s'ajouter à la parole parce qu'elle l'a doublée en l'animant dès son éveil. Ici l'indication ne dégrade ni ne dévoie l'expression, elle la dicte. Cette conclusion, nous la tirons donc de l'idée de grammaire pure logique : de la distinction rigoureuse entre l'intention du vouloir-dire (BedellfNngsintention) qui peut toujours fonctionner« à vide» et son remplissement «éventuel» par l'intuition de l'objet. Cette conclusion est encore renforcée par la distinction supplémentaire, elle aussi rigoureuse, entre le remplissement par le « sens » et le remplissement par l'« objet». Celui-là n'exige pas nécessairement celui-ci, et l'on pourrait tirer la même leçon d'une lecture attentive du § 14 (Le çontenu

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en la111 qu'oijel, en /ani qHe sens remplissant el en lan/ que simple sens 011 Bedeutung). Pourquoi des mêmes prémisses Husserl refuse-t-il de tirer ces conséquences? C'est que le motif de la « présence» pleine, l'impératif intuitionniste et le projet de connaissance continuent de commander - à distance, disions-nous - l'ensemble de la description. Dans un seul et même mouvement, Husserl décrit et efface l'émancipation du discours comme non-savoir. L'originalité du vouloir-dire comme visée est limitée par le telos de la vision. La différence qui sépare l'intention de l'intuition, pour être radicale, n'en serait pas moins prc-visoire. Et cette pro-vision constituerait malgré tout l'essence du vouloir-dire. L'eidos est déterminé en profondeur par le le/os. Le « symbole » fait toujours signe vers la « vérité » dont il se constitue comme le manque : « Si la « possibilité » ou la « vérité » viennent à manquer, l'intention de 1•énoncé n'est évidemment accomplie que « symboliquement » ; elle ne peut puiser dans l•intuition et dans les fonctions catégoriales qui doivent s•exercer sur son fondement la plénitude qui constitue sa valeur de connaissance. Il lui manque alors, comme on a coutume de dire, la Bedeultmg «vraie»,« authentique»»(§ 11). Autrement dit, le vrai et authentique vouloir-dire est le vouloir dire-vrai. Ce subtil déplacement est la reprise de l'eidos dans le /e/oset du langage dans le savoir. Un discours avait beau être déjà conforme à son essence de discours quand il était faux. Il n•en atteint pas moins son entéléchie lorsqu•il est vrai. On peut bien parler en disant « le cercle est carré », on parle bien en \ disant qu'il ne l'est pas. Il y a déjà du sens dans la première proposition.. Mais on aurait tort d'en induire que le sens n'al/end pas la vérité. Il n'attend pas la vérité en tant qu'il l'attend, il ne la précède que comme son anticipation. En vlrill, le telos qui annonce l'accomplissement promis pour « après » avait déjà, auparavant, ouvert le sens comme rapport à l'objet. C'est ce que veut dire le concept de norma/ill chaque fois qu'il intervient dans la description de Husserl. La

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norme est la connaissance, l'intuition adéquate à son objet, l'évidence non seulement distincte mais « claire » : la présence pleine du sens à une conscience elle-même présente à soi dans la plénitude de sa vie, de son présent vivant. Aussi, sans méconnaître la rigueur et l'audace de la« grammaire pure logique», sans oublier les avantages qu'elle peut présenter si on la compare aux projets classiques de grammaire rationnelle, il faut bien reconnaître que sa « formalité » est limitée. On pourrait en dire autant de la morphologie pure des jugements qui, dans Logiqtte formelle et logique transcendantale, vient déterminer la grammaire pure logique ou morphologie pure des significations. La purification du formel se règle sur un concept de sens lui-même déterminé à partir d'un rapport à l'objet. La forme est toujours la forme d'un senS-et le sens ne s'ouvre que dans l'intentionnalité connaissante du rapport à l'objet. La forme n'est que le vide et l'intention pure de cette intentionnalité. Peut-être aucun projet de grammaire pure n'y échappe-t-il, peut-être le telos de la rationalité connaissante est-il l'origine irréductible de l'idée de grammaire pure, peut-être le thème sémantique, si « vide » soit-il, , limite-t-il toujours le projet formaliste. Toujours est-il que chez Husserl l'intuitionnisme transcendantal pèse encore très lourdement sur le thème formaliste. Apparemment indépendantes des intuitions remplissantes, les formes « pures » de la signification sont toujours, en tant que sens « vide » ou barré, réglées par le critère épistémologique d'un rapport à l'objet. La différence entre« le cercle est carré» et« vert est ou» ou« abracadabra» (et Husserl rapproche un peu vite ces deux derniers exemples, n'est peut-être pas assez attentif à leur différence), c'est que la forme d'un rapport à l'objet et d'une intuition unitaire n'apparaît que dans le premier exemple. Cette visée sera ici toujours déçue, mais cette proposition n'a de sens que parce qu'un autre contenu, se glissant dans cette forme (S est P), pourrait nous donner à connaître et à voir un objet. Le« cercle est carré», expression douée de sens ( sinnvo/1), n'a pas d'objet possible, mais elle n'a de

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sens que dans la mesure où sa forme grammaticale tolère la possibilité d'un rapport à l'objet. L'efficience et la forme de signes n'obéissant pas à ces règles, c'est-à-dire ne promettant aucune connaissance, ne peuvent être déterminées comme non-sens (Unsinn) que si l'on a préalablement, selon le geste philosophique le plus traditionnel, défini le sens en général à partir de la vérité comme objectivité. Sans quoi il faudrait rejeter dans le non-sens absolu tout langage poétique transgressant les lois de cette grammaire de la connaissance et ne s'y laissant jamais réduire. Il y a dans les formes de signification non discursives (musique, arts non littéraires en général), aussi bien que dans des discours du type « abracadabra » ou « vert est ou », des ressources de sens qui ne font pas signe vers l'objet possible. Husserl ne nierait pas la force de signification de telles formations, il leur refuserait simplement la qualité formelle d'expressions douées de sens, c'est-à-dire de logique comme rapport à un objet. Ce qui est reconnaître la limitation initiale du sens au savoir, du logos à l'objectivité, du langage à la raison.

***

Nous avons éprouvé la solidarité systématique des concepts de sens, d'idéalité, d'objectivité, de vérité, d'intuition, de perception, d'expression. Leur matrice commune est l'être comme présence : proximité absolue de l'identité à soi, être-devant de l'objet disponible pour la répétition, maintenance du présent temporel dont la forme idéale est la présence à soi de la vie transcendantale dont l'identité idéale permet idea/iter la répétition à l'infini. Le présentvivant, concept indécomposable en un sujet et un attribut, est donc le concept fondateur de la phénoménologie comme métaphysique. Pourtant, tout ce qui est purement pensé sous ce concept étant du même coup déterminé comme idéalité, le présent-vivant est en fait, réellement, effectivement, etc., différé à l'infini. Cette différance est

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la différence entre l'idéalité et la non-idéalité. Proposition qu'on peut déjà contrôler au début des Recherches logiques, du point de vue qui nous occupe. Ainsi, après avoir proposé une distinction d'essence entre les expressions objectives et les expressions essentiellement subjectives, Husserl montre que l'idéalité absolue ne peut être que du côté des expressions objectives. Rien de surprenant à cela. Mais c'est pour ajouter aussitôt que même dans les expressions essentiellement subjectives, la fluctuation n'est pas dans le contenu objectif de l'expression (la Beàeut1111g), mais seulement dans l'acte du vouloirdire ( beàeuten). Ce qui lui permet de conclure, en apparence contre sa démonstration antérieure, que dans une expression subjective, le contenu peut toujours être remplacé par un contenu objectif donc idéal; seul l'acte est alors perdu pour l'idéalité. Mais cette substitution (qui, notons-le au passage, confirmerait encore ce que nous disions du jeu de la vie et de la mort dans le Je) est idéale. Comme l'idéal est toujours pensé par Husserl sous la forme de l'Idée au sens kantien, cette substitution de l'idéalité à la non-idéalité, de l'objectivité à la non-objectivité, est différée à l'infini. Assignant à la fluctuation une origine subjective, contestant la théorie selon laquelle elle appartiendrait au contenu objectif de la Beàeutung et entamerait ainsi son idéalité, Husserl écrit : « On sera bien obligé de reconnaître qu'une telle conception ne serait pas valable. Le contenu que vise dans un cas déterminé l'expression subjective orientant sa Beàeutung d'après la situation est une unité de Beàeutung idéale dans le même sens que le contenu d'une expression stable; c'est ce que montre clairement le fait que, iàlalemenl parlant, toute expression subjective, si l'on maintient identique l'intention de Beàeutung qui lui est dévolue à un moment donné, peut être remplacée par des expressions objectives. A vrai dire, 11ou.r devons id reconnaÎtre que ce n'est pas seulement pour des raisons de nécessité pratique, par exemple à cause de .ra complication, que celle substitution ne peul être effectuée, mais que, dans une très large mesure, elle n'est pas réalisable en fait el que même elle à~meurera

LE SUPPLÉMENT D'ORIGINE toujours irréalisable. En effet, il est clair que, quand nous affirmons que toute expression subjective peut être remplacée par une expression objective, nous ne faisons, au fond, qu'énoncer ainsi l'absence de limites ( Schranleenlosigleeit) de la raison objective. Tout ce qui est, est connaissable « en soi » et son être est un être déterminé quant à son contenu, un être qui s'appuie sur telles et telles « vérités en soi »... Mais ce qui est nettement déterminé en soi doit pouvoir être déterminé objectivement et ce qui peut être déterminé objectivement peut, idéalement parlant, être exprimé dans les Bedeulllngen verbales nettement déterminées ... Mais nous sommes infiniment éloignés de cet idJal.•. Que l'on retranche de notre langue les mots essentiellement ouasionnels, et qu'on essaie de décrire d'une faron univoque et objectivement fixe une expérience subjective qnekonque : tonte tentative de ce genre est manifestement vaine » (§ 28) (x). L'Origine de la géométrie reprendra sous une forme littéralement identique ces propositions sur l'univocité de l'expression objective comme idéal inaccessible. Dans sa valellf' idJale, toni le système des « distinctions essentielles » est donc une strnclllf'e pllf'emenl téléologique. Du même coup, la possibilité de distinguer entre signe et non-signe, signe linguistique et signe non linguistique, expression et indication, idéalité et nonidéalité, sujet et objet, grammaticalité et non-grammaticalité, grammaticalité pure et grammaticalité empirique, grammaticalité pure générale et grammaticalité pure logique, intention et intuition, etc., cette pure possibilité est différée à l'infini. Dès lors, ces « distinctions essentielles » sont prises dans l'aporie suivante : en fait, realiter, elles ne sont jamais respectées, Husserl le reconnaît. En droit el idealiter, elles s'effacent puisqu'elles ne vivent, comme distinctions, que de la différence entre le droit et le fait, l'idéalité et la réalité. Leur possibilité est leur impossibilité. (1) Pp. 106-7 de la traduction française, dans laquelle nous avons fait apparaftre te mot Bedelllung et souligné deux phrases.

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Mais comment cette différence se donne-t-elle à penser ? Que veut dire ici « à l'infini » ? Que veut dire la présence comme diflërance à l'infini ? Que veut dire la vie du présent vivant comme différance à l'infini? Que Husserl ait toujours pensé l'infinité comme Idée au sens kantien, comme l'indéfinité d'un « à l'infini », cela donne à croire qu'il n'a jamais dlrivé la différence de la plénitude d'une parousie, de la présence pleine d'un infini positif; qu'il n'a jamais cru à l'accomplissement d'un « savoir absolu » comme présence auprès de soi, dans le Logos, d'un concept infini. Et ce qu'il nous montre du mouvement de la temporalisation ne laisse aucun doute à ce sujet : bien qu'il , n'ait pas fait un thème de l' « articulation », du travail « diacritique» de la différence dans la constitution du sens et du signe, il en a reconnu en profondeur la nécessité. Et pourtant, tout le discours phénoménologique est pris, nous l'avons assez vu, dans le schème d'une métaphysique de la présence qui s'essouffle inlassablement à faire dériver la différence. A l'intérieur de ce schème, le hegelianisme -semble plus radical : par excellence au point où il fait apparaître que l'infini positif doit être pensé (ce qui n'est possible que s'il se pense lui-même) pour que l'indéfinité de la différance apparaisse comme telle. La critique de Kant par Hegel vaudrait sans doute aussi contre Husserl. Mais cet apparaître de l'Idéal comme différance infinie ne peut se produire que dans un rapport à la mort en général. Seul un rapport à ma-mort peut faire apparaître la différance infinie de la présence. Du même coup, comparé à l'idéalité de l'infini positif, ce rapport à ma-mort devient accident de l'empiricité finie. L'apparaître de la différance infinie est lui-même fini. Dès lors, la différance qui n'est rien hors de ce rapport, devient la finitude de la vie comme rapport essentiel à soi comme à sa mort. La dif!érance infinie est finie. On ne peut donc plus la penser dans l'opposition de la finité et de l'infinité, de l'absence et de la présence, de la négation et de 1'affirmation. 1

LE SUPPLÉMENT D'ORIGINE En ce sens, à i'intlriellf' de la métaphysique de la présence, de la philosophie comme savoir de la présence de l'objet, comme êtreauprès-de-soi du savoir dans la conscience, nous croyons tout simplement au savoir absolu comme clôture sinon comme fin de l'histoire. Nous y croyons littéralement. Et qt~'une telle clôtllf'e a eu lieu. L'histoire de l'être comme présence, comme présence à soi dans le savoir absolu, comme conscience (de) soi dans l'infinité de la parousie, cette histoire est close. L'histoire de la présence est close, car « histoire» n'a jamais voulu dire que cela : présentation (Gegenwartigung) de l'être, production et recueillement de l'étant dans la présence, comme savoir et maîtrise. Puisque la présence pleine a vocation d'infinité comme présence absolue à soi-même dans la con-science, l'accomplissement du savoir absolu est la fin de l'infini qui ne peut être que l'unité du concept, du logos et de la conscience dans une voix sans différance. L'histoire de la métaphysique est le vouloir-s'entendre-parler absolu. Cette histoire est close quand cet absolu infini s'apparaît comme sa propre mort. Une voix sans différance, une voix sans écriture est à la fois absolument vive el absolument morte. Pour ce qui« commence» alors,« au-delà» du savoir absolu, des pensées inouïes sont réclamées qui se cherchent à travers la mémoire des vieux signes. Tant que la différance reste un concept dont on se demande s'il doit être pensé à partir de la présence ou avant elle, elle reste un de ces vieux signes ; et il nous dit qu'il faut continuer indéfiniment à interroger la présence dans la clôture du savoir. Il faut l'entendre ainsi et autrement. Autrement, c'est-à-dire dans l'ouverture d'une question inouïe n'ouvrant ni sur un savoir ni sur un non-savoir comme savoir à venir. Dans l'ouverture de cette question, nous ne savons plus. Ce qui ne veut pas dire que nous ne savons rien, mais que nous sommes au-delà du savoir absolu (et de son système éthique, esthétique ou religieux) vers ce à partir de quoi sa clôture s'annonce et se décide. Une telle question sera légitimement entendue

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LA VOIX ET LE PHÉNOMÈNE

comme ne voulant rien dire, comme n'appartenant plus au système du vouloir-dire. Nous ne savons donc plus si ce qui s'est toujours présenté comme re-présentation dérivée et modifiée de la simple présentation, comme « supplément », « signe », « écriture », « trace », n' « est » pas, en un sens nécessairement mais nouvellement an-historique, plus « vieux » que la présence et que le système de la vérité, plus vieux que l' « histoire». Plus « vieux» que ~e ~e~s et les sens : que l'intuition donatrice originaire, que la perception actuelle et pleine de la « chose même », que le voir, l'entendre, le toucher, avant même qu'on distingue entre leur littéralité « sensible » et leur mise en scène métaphorique dans toute l'histoire de la philosophie. Nous ne savons donc plus si ce qui a toujours été réduit et abaissé comme accident, modification et re-tour, sous les vieux noms de « signe » et de « re-présentation», n'a pas r~ ce qui rapportait la vérité à sa propre mort comme à son origine ; si la force de la Vergegenwartigtmg dans laquelle la Gegenvartigung se dé-présente pour se re-présenter comme telle, si la force de répétition du présent vivant qui se re-présente dans un supplément parce qu'il n'a jamais été présent à lui-même; si ce que nous appelons des vieux noms de force et de différance n'est pas plus « ancien » que l' « originaire ». Pour penser cet -~e, pour en « parler», il faudrait d'autres noms que ceux de signe ou de re-présentation. Et penser comme« normale» et pré-originaire ce que Husserl croit pouvoir isoler comme une expérience particulière, accidentelle, dépendante et seconde : celle de la dérive indéfinie des signes comme errance et changement de scènes (Verwandlung), enchaînant les re-présentations (Vergegenwartigungen) les unes aux autres, sans commencement ni fin. Il n'y a jamais eu de perception, et la « présentation » est une représentation de la représentation qui s'y désire comme sa naissance ou sa mort. Tout.,!..~S doute commencé ainsi:« Un nom prononcé devant nou~o\li!~f:I>enser à la galerie de Dresde ... Nous errons à tra-

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LE SUPPLÉMENT D'ORIGINE

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vers les salles ... Un tableau de Téniers ... représente une galerie de tableaux... Les tableaux de cette galerie représentent à leur tour des tableaux, qui de leur côté feraient voir des inscriptions qu'on peut déchiffrer, etc. ». Rien n'a sans doute précédé cette situation. Rien assurément ne la suspendra. Elle n'est pas tomprise, comme le voudrait Husserl, entre des intuitions ou des présentations. Du plein jour de la présence, hors de la galerie, aucune perception ne nous est donnée ni assurément promise. La galerie est le labyrinthe qui comprend en lui ses issues : on n'y est jamais tombé comme dans un tas particulier de l'expérience, celui que croit alors décrire Husserl. Il reste alors à parler, à faire rlsonner la voix dans les couloirs pour suppléer l'éclat de la présence. Le phonème, l'akoumène est le phénomène du labyrinthe. Tel est le tas de la phonè. S'élevant vers le soleil de la présence, elle est la voie d'Icare. Et contrairement à ce que la phénoménologie - qui est toujours phénoménologie de la perception - a tenté de nous faire croire, contrairement à ce que notre désir ne peut pas ne pas ~tre tenté de croire, la chose même se dérobe toujours. Contrairement à l'assurance que nous en donne Husserl un peu plus loin, « le regard » ne peut pas « demeurer ».

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