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April 16, 2017 | Author: aigorcillo | Category: N/A
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THEOLOGIE ÉTUDES PUBLIÉES SOUS LA DIRECTION DE LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE S. J. DE LYON-FOURVIÈRE

--------64-------HENRI DE LUBAC S.

J.

LE MYSTÈRE DU

SURNATUREL

AUBIER 1965

\

Imprimi Potest Lyon, le 7 juillet '964 B. Arminjon s.j. Provo

Nibil obstat Paris, le

20

novembre 1964

J. Gautier p.s.s.

ImprilJJottlr Paris le 24 décembre '964 J. Hottot, Vic. Gen.

Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays. © 1965 Éditions Montaigne.

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Au Révérend Père GÉRARD SMITH, S.I., de Marquette University, en signe de fraternelle gratitude.

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videntur, fide quaerimur.

PASCHASE RADDERT,

De fide, c.

14.

Accablée sous plus de cinq siècles d'alluvions, l'ignorance de soi est le mal le plus grave dont souffre la Scolastique. Pour la rendre à elle-même, écoutons le conseil de l'histoire: Retour à la théologie!

Étienne GILSON, Les recherches histoticocritiques et l'avenir de la Scolastique, dans Scholastica ratione historico-critica instauranda (Rome, '95'), p. '42.

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(( ... Nous en serions venu, par une excessive circonspection, à refuser de rien écouter ni de rien dire concernant la philosophie divine, si nous n'avions enfin compris qu'il ne convient pas de négliger cette sorte de connaissance des mysteres qui est à notre portée. Ce qui nous en a persuadé, ce n'est pas seulement la tendance naturelle de l'intelligence, qu'un perpétuel désir tient fixée à ce qu'il lui est permis de contempler des merveilles divines: c'est encore l'excellence des lois instituées par Dieu même, qui, tout en nous interdisant de nous mêler indiscrètement des dp.oses qui nous dépassent, nous prescrivent au contraire, pour cel.lis qui nous furent accordées en don, de les étudiel' sans relâche et de les transmettre à notre tour aux autres hommes. Persuadé par ces arguments, la quête des vérités divines, dans la mesure où elle nous est permise, ne nous a ni rebuté ni effray~... » Pseudo-DENYS, Noms divins, III, 3.

,,

PREFACE L'objet de ce travail n'est pas purement historique. Il est aussi théologique. Il ne dépasse guère pourtant les bornes d'une théologie positive. L'auteur n'y a tenté aucune sorte de transposition, ni même de prolongement des théories de l'École. Dans l'exposé des problèmes comme dans le choix des arguments, et jusque dans le vocabulaire, il a suivi de près la tradition qu'il avait à cœur de faire mieux connaître, en s'attachant à l'expression qu'en ont donnée les grands maîtres de la scolastique. Son ouvrage s'inscrit dans la série, déjà si longue, de ces « ennuyeux commentaires sur le désir, à la fois naturel et \ inefficace, de voir Dieu, selon saint Thomas », genre dont on a \ bien quelques raisons de se déclarer saturé '. Sans nier qu'un effort ultérieur puisse être légitime, voire en certains cas nécessaire, lui-même n'a :voulu ni ouvrir de nouvelles perspectives, ni s'inspirer d'une problématique plus actuelle, ni proposer l'emploi de catégories inédites. Il s'en est tenu délibérément à une tâche préalable, plus modeste. Prenant à sa base la question classique des rapports de la nature et du surnaturel, il a également maintenu la réflexion théologique sur le terrain d'ontologie formelle où elle s'est exercée d'ordinaire, sans chercher à lui apporter un contenu plus concret 2 : il n'a donc recouru ni au vocabulaire de «l'Alliance », ni à celui du « Mystère chrétien 3 ».11 s'est même interdit d'entrer dans le domaine qu'ouvre 1. Cf. Georges VAN RIET, Revue philosophique deLouvain, 6z, 1964, p. 370. peu de matières au sujet -desquelles se vérifierait davantage en notre siècle l'observation de saint BONAVENTURE, In 2 Sent., dist. 3, P. l, art. I, q.2:

n est

{{ Cirea banc quaeationem sapientes videntur contrariari sapiennbus. Nam magni et profundi cleri et in theologia et in philosoprua, qui magis fuerunt veritatis inquisitores, diversificati sunt. » Opera (Quaracchi). t. II, p. 96. 2. Cf. Karl RAHNHR, 1.11ission et grdce, l (trad. Ch. Muller, 1962), p. 228. 3. Cf. Henri BOUILLARD, L'idée de surnaturel et le Mystère chrétien, dans L'Homme devant Dieu, t. 3 (coll. «Théologie D,58, 1964), p. 153~I66.

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LE MYSTÈRE DU SURNATUREL

le don effectif de la grâce et l'intervention du libre arbitre : il n'a donc étudié ni les métamorphoses de l' « appétit de nature », ni l'extase de la béatitude. A plus forte raison n' a-t-il considéré ni le rôle médiateur du Verbe incarné" ni l'entrée de la créature adoptée dans les relations trinitaires. Tout ce qu'il a voulu montrer tient dans une seule idée. C'est à l'établir ou à l'illustrer que tendent toutes ses analyses, et il les abandonnerait aussitôt si elles venaient au contraire à la compromettre ou à l'obscurcir. Idée simple, qui exige seulement, pour être exactement saisie, qu'on veuille bien tenir sous un regard synoptique les lignes dont elle marque le point de convergence. Idée paradoxale, comme toutes celles qui touchent à la réalité de notre être devant Dieu. Idée concrète, qui traduit quelque chose d'essentiel à l'expérience humaine, mais qui se trouve fatalement tenue en échec ou mal interprétée en' dehors de la Révélation. Idée indépendante en ellemême de bien des systèmes particuliers et de bien des discussions dont nous proposons ici, en en donnant les motifs, de faire abstraction. Idée que n'ont jamais atteinte, mais qu'ont au contraire toujours protégée ou rectifiée, contre des négations ou des déviations fort diverses, les décisions et les rappels du Magistère. Idée si fondamentale, que tous les siècles chrétiens l'ont proclamée, d'une voix souvent unanime.

Au seuil de l'âge moderne, elle a paru quelque temps s'obscurcir. Plusieurs, en l'écartant, crurent simplement faire sa part légitime à l'autonomie de la nature et de la philosophie

naturelle. D'autres pensèrent ainsi militer pour une orthodoxie plus stricte. Voulant réagir avec juste raison contre des excès qui eussent retiré au Créateur quelque chose de sa liberté souveraine et à son Don quel, ou que sa méthode et son tour d'esprit le rendaient incapable d'un certain genre d'abstraction indispensable, ou que sa pensée, toute immergée dans l'ordre de l'existence actuelle, est impuissante à percer jusqu'à l'ordre éternel des essences. On ne lui rend pas justice quand on ne veut voir dans ses analyses de l'esprit humain ou de l'âme humaine que la mise en œuvre de ses dons de merveilleux psychologue. On ne lui rend pas justice quand on n'accorde qu'une portée tout empirique - à moins qu'on n'y dénonce quelque « romantisme II - à la phrase célèbre des Confessions : cc Fecisti nos ad te, Deus, et inquietum est cor nostrum, donee requiescat in te 1. II Les théologiens médiévaux luireconnaissaient une autre portée. Il est très vrai que lapensée de saint Augustin apparaît toujours « engagée dans la réalité de l'expérience vécue 2 »; mais cela ne signifie pas qu'il ne dépasse jamais l'empirisme. Prétendre, comme on l'a fait encore, qu'il ne traite jamais des problèmes relatifs à la fin dernière que « dans l'hypothèse d'une nature élevée~3 », dire avec Bannez: c( Loquitur de facto 4 ll, ou avec Bernard de Rubeis : « ex legibus divinae praesentis Providenti~e, Scripturarum revelatione manifestis 5 », «

1. Confessions, 1. l, C. x. M. Antoine GUILLAUMONT observe plus justement que « pour saint Augustin le mot cor est un équivalent lyrique du mot anima» et qu'il « apparaît spontanément lorsqu'à la langue philosophique se substitue le style poétique et biblique »; il cite le texte parallèle de Confessions, 1. 10, c. 10, n. 65 : li: Neque in bis omnibus, quae percurro consulens te, invenio totum locum animae meae nisi in te. » Les sens des noms du cœur dans l'antiquité, dans Le cœur, Etudes carmélitaines, 1950, p. 73. Un autre texte encore des Confessions, 1. 13, c. 8, n. 9, marque plus nettement l'intention métaphysique: « Nam et in ipsa misera inquietudine defiuentium spiritum et indicantium tenebras suas nudatas veste luminis tui, satis ostendis quam magnam creaturam rationalem feceris, cui nullo modo sufficit ad beatam requiem quidquid te minus est, ac per hoc nec ipsa sibi. » Cf. De natllra boni, c. 7; De civitat~ Dei,!. II, c. 13, n. 2. H.-I. MARROU, Saint Augustin et l'augustinisme (1955), p. 72. 3. Ainsi D. PALMIERI, Tractatus de ordine supernaturalis, 2 e éd. (19Û», p. 100 : « Responsio catholicorum theologorum est, loqui Augustinum in hypothesi naturae elevatae »; cf. supra, p. 89. 4. In Primam, q. 12, a. 1 (éd. de 1584, p. 452). 5. B. de RUBEIS, O.P.; De peccato originaU (1757), préface;t'bfd. :« exhypothcsil'. OU J, NAVARRO, s. j., Cursus tlzeologicus, t, Z (1766), p. 152: I( Loquitur

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c'est se tirer d'affaire à trop bon compte. Contre ces manières

d'esquiver son témoignage, M. Étienne Gilson a protesté dans un sourire: « Quoi qu'on en dise, écrit-il, Augustin n'était pas tout à fait indigne du titre de philosophe '. » Plus récemment, le R. P. C. Couturier a montré que,

«

contrairement à une opinion

passablement répandue, saint Augustin est en possession d'une métaphysique fort nette du monde », que ses principes, une fois dégagés, « donnent un relief singulier à de nombreux textes où l'on ne discerne souvent que des descriptions concrètes plus ou moins approximatives », et qu'il a sérieusement analysé

la « structure métaphysique de l'être créé 2». Saint Bonaventure prononçait déjà : " Augustinus ... , qui fuit altissimus metaphysicus 3. » Quant aux grands Scolastiques, malgré le tour indéniablement plus abstrait de leur pensée, et malgré leurs curiosités souvent plus subtiles, il en va au fond de même pour eux. Lorsqu'un ï-saintTho;x;.~s,\ notamment, s'occupe des problèmes concernant , iù,ire fin dernière, il le fait toujours à la fois en analysant l'esprit créé dans son essence et en se maintenant à l'intérieur de notre univers, de cet universdont la finalité est - il ne cesse de le dire - surnaturelle. D'où; "devant les passages où la chose .. ., est particulièrement manifeste, l'embarras de quelques-uns de ses commentateurs; embarras qu'ils cherchent à dissiper en esquissant une explication analogue à celle que nous avons vu donner à propos des Pères. D'après eux, Saint Thomas lui aussi n'aurait alors parlé qu'en se plaçant dans l'hypothèse de « l'ordre historique ». Si, par exemple, il dit dans le Contra Gentiles que les anges ne trouvent pas le repos dans leur connaissance naturelle de Dieu, c'est que, prononce-t-on, « loquitur "

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Augustinus de hominibus, prout ordinatis ad supemam felicitatem, quam ordinationem per fidem novimus. » En quel sens nous accepterions la chose, on le verra dans la suite. I. L'esprit de la philosophie 11lédiévale, 2 e éd. (1944), p. 434. 2. Structure métaphysique de l'être créé d'après saint Augusti1l, dans Recherches de philosophie,. 1 (1955), p. 83. q Ajoutons qu'une exégèse authentique de la pensée augustinienne, spécialement en ,ce qui concerne la nature de l'homme, ne peut être établie qu'à partir de ses cadres propres, etc. Il 3. In 2 Sent., d. 3. P. 1, a. 1, q. 2 (t. 2, p. 88). Cf. Sennones selecti, serma 4, n" '9 (t. 4, p. 572).

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de facto, quoniam creati sunt cum fide beatitudinis supernaturalis ' ». Ainsi encore Bannez. De nos jours, leP. Blaise Romeyer a généralisé cette remarque. Si saint Thomas, dit-il, n'a pas explicité l'idée d'une nature qui serait sans finalité surnaturelle, c'est qu'il se contentait « de répondre aux postulats immédiats du dogme étudié»; on devrait donc reconnaître que « son faible est de ne pas viser d'emblée à construire à partir d'une intuition centrale, un ensemble métaphysique 2 ». De telles explications, de telles critiques laissent un peu rêveur... Retenons-en du moins l'aveu que, sans avoir éprouvé

le besoin de recourir à l'idée chère à tant de modernes, saint Thomas réussissait à « répondre aux postulats immédiats du dogme ». L'embarras qu'elles traduisent nous confirme dans notre constatation: saint Thomas « ne s'occupe que de l'homme

réel» et en cela il est « plus près des penseurs modernes» que bien des thomistes d'aujourd'hui 3. Pas plus chez lui que chez les Pères on ne trouve cette séparation radicale entre l'essence abstraite et le monde existant qui caractérise une certaine spéculation scolastique moderne . .Itne raisonne pas sur une ,e.ssence hUI1!ain~

«

dés~stentia~s~e ~ ». Lorsqu'il écrit, l)'ar'

exemple : « Quia anima immediate facta est a Dea, ideo beata esse non poterit rusi immediate videat Deum 5 », quelle que soit la valeur que l'on reconnaisse à son argument, et quelle qu'en soit 1'.exacte signification, soutiendra-t-on que pour lui, dans un univers

«

purement naturel )), l'âme humaine n'aurait pas

été créée immédiatement par Dieu? Saint Thomas n'a pas rencontré à ce sujet un certain nombre de difficultés qui furent soulevées seulement dans la suite et dont nous devons tenir compte aujourd'hui; il ne traite donc pas dans tout son détail .. _._---. . --_... .. _. - -. "'-."""'---'---"-'

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I. BANNEZ. In Primam Secundae, q. 3, a. 8, dubium, à propos de Contra Gentiles, 1. 3, c. 2 : « Quod autem divus Thomas dicit, quod angeli non quiescunt in cognitione naturali, loquitur de facto, etc. »(P. 131). 2. La philosophie chrétienne jusqu'à Descartes, t. 3 (1937), p. 144. 3. Jacques LBCLBRCQ, La philosophie morale de saint Thomas devant la pensée contemporaine (19SS), p. 283. (Ch. VIII, Du désir naturel de voir Dieu). 4. On peut voir comme un signe de ce fait dans 1a continuité de sens qu'il marque entre les diverses acceptions du mot « natur_u_.», depuis (( naissance )) jusqu'à Cl essence»: De u1Jione Verbi incarnati, a:-i---·._" _. ....

s.

Quoëll.-{o~·art.

17.

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du problème de la gratuité : les philosophes ou les croyants hétérodoxe~-qu'iC~~~it à'combattre lui imposaient, nous l'avons vu, une autre tâche '. Il demeure vrai néanmoins que, lorsqu'il en traite, jamais il ne remet en question la finalité même". Il Y a donc tout lieu de penser que, mis plus vivement en face de ce problème, il aurait estimé verbale et sans portée toute solution obtenue seulement par reCOurs à l'hypothèse d'un ordre « purement naturel )), c'est-à-dire à l'hypothèse d'un autre homme placé dans un autre univers 3. Un système construit tout entier sur une telle pierre d'angle ne peut légitimement se recommander de lui. Cherchée dans cette voie d'une autre finalité, la solution au problème de la gratuité du surnaturel ne pourrait donc être apportée réellement que de la manière suivante. IUaud!:ait, g).E'lu~r_ dans le cours même de chaque exisJence r-,,!Olle e,t ~e~pn~ " ou âu moins, si l'on envisage moins les individus eux-mêmes que l'humanité dont ils font partie et qui les rend solidaires les uns des autres dans l'assignation de leur destinée, dans le cours même de l'existence réelle de notre race, dans le cours de l'histoire - u,!' instant particulier dans lequel Dieu interviendrait, soit pour m'àSsigner une fin jusque là laissée èn suspens; soit pour changer la fin qu'il m'aurait tout d'abord a~~ignée. Double hypothèse également absurde, si l'on y réfléchit.

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Supposition, dans l'un et l'autre cas, d'un extrinsécisme radical,

destructrice de l'idée de nature ou de l'idée de finalité, si ce n'est de l'une et de l'autre à la fois. Ni l'épopée de l'univers, ni le drame de ma destinée personnelle ne peuvent comporter une telle reprise. Pareille supposition est d'ailleurs - au moins . 1.

Cf. supra, ch.

II.

2. Cf. Dom M. CAPPUYNS. loc. cit., p. 252 : Pour saint Thomas, ~a fin de l'esprit créé« en toute hypothèse est Dieu même, c'est-à-dire le surnaturel 'J. 3. Peut-être n'est-ce pas simple coïncidence fortuite si, dans cette même période où nous avons montré en théologie l'envahissement du système de la «nature pure ", se déroule en philosophie le processus qui devait aboutir à ce que M. Gilson nomme une essence désexistentialisée, et s'il en résulte

ces scolastiques d'inspiration wolfienne, fort éloignées du thomisme authentique. Cf. Étienne GILSON, L'être et l'Essence, p. 176, note: Si Wolff« revendique le droit d'utiliser la tenninologie des scolastiques du moyen âge, les scolastiques modernes ne se font pas faute d'utiliser la sienne. L'influence de ""olff sur la scolastique moderne va d'ailleurs parfois plus avant, etc. »

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apparemment et en principe - repoussée par l'axiome, admis de tous, suivant lequel l'état dit de « pure nature» n'est posé

qu'à titre de cc futurible », comme n'ayant-J~~~i~_-~xi~t.é._~n. f~tJ',

fût-ce un seul~,nsiant. Impossible 11.éarî~oins d'y échapper, dès lors qu'on a posé" d'autre part en principe qu'une fin ne saurait être gratuite, pour un être déterminé, existant hic et nunc, que si une autre fin se trouvait d'abord pour lui objectivement, concrètement réalisable ; c'est-à-dire, dès lers qu'on a fait de la « nature pure» comprise à la manière moderne l'indispensable et unique garant de la gratuité du surnaturel. En fait, cette théorie moderne d'une nature spirituelle, angélique ou humaine, à finalité « purement naturelle », est née et . ~'est dév~loppée dans un milieu intellectuel où la notion de tfu1,~~it.é/ls' é.taitatténuée, Ce qu'elle supposait à ses premiers -debuts, quoique non toujours très explicitement, était quelque chose d'assez différent de ce que supposent aujourd'hui la plupart de ceux qui l'ont adoptée. C'était que tout homme, dans notre monde même, avant d'avoir reçu la grâce du baptême ou telle autre grâce suppléante, était - du moins si l'on fait abstraction du péché originel et de ses suites 1 - dans cet état de « pure nature ». La finalité n'était donc considérée que comme chose \\ assez extrinsèque : non pas destinée lns·c;it

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l, Voir aussi, à propos des dons surnaturels accordés au premier homme, dons qu'il compare à celui de la béatitude éternelle, sa manière naïve de dire : « Amplianda est quaestio ad totum tempus .. , Plus vel minus non mutat speciem. » De gratia, prolog., 4, C, l, n. 5 (Opera omnia, t, 7, 1857, p, 180). 2. The Gratuity of the beatific Vision .. , Theological Studies, I I (1950), p. 4°1-4°3. Une telle reprise à la lettre de la doctrine de Suarez est aujourd'hui chose rare. 3. SUAREZ, De Gratia (éd. Vivès, t. 7, p. 206 ss, et 216-221). 4. La théone suarézt'enne d'un état de nature pure, lac. cit. On remarquera au passage cette « conqu~e » de la possession de Dieu. 5. Cf. SUAREZ, De Gratia,'prolog. 4, c. l , n. 2 : Il Cajetanus et modemiores theologi tertium consideraverunt statum, quem pure naturalium appellarunt... II (Vivès, t. 7, p. 179). Voir infra, ch, VIII; H. de LUBAC, Augustinisme

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en tout cas le premier à l'avoir placée expressément sous le patronage de saint Thomas, dans son commentaire de la Somme théologique. On parle couramment à son sujet, nous le rappelions plus haut, de (c nature historique ». Or cette nature (c historique», avec le désir &-';;;;;rDiêU:'-qûLJ'aççpml'agne et la caractérise en contraste -;~:~~la-;'n;t~pure' ,», co~p~uiv;nt c-~j~t~'n, ne l'oublions pas, et la révélatiqnp9sitive et la connaissance. objective de c:eztainseffet;~;'tna~u'l:eIs observés dans le monde ' .. EIle~n'étâit pas du - tout cette nature institué~ dès l'abord dans un autre état, et participée par tous les hommes appartenant à la race humaine actueIle. On ne pouvait l'entendre de la sorte, tant que n'était pas constituée explicitement la théorie de la « pure nature ", et à l'époque de Cajetan ce n'était pas encore chose faite. Autrement dit, dans cette conception, que le P. GardeiI jugeait à bon droit « singulière 2 ", et qui est la conception historiquement première de la « nature historique ", aucnne place n'était faite à ce que M. Maurice Blondel devait appeler « l'état transnaturel 3 ". et théologie moderne (1965), ch. V; Juan ALFARO, s. j.) op. cit. (1952), très instructif sur les antécédents de la doctrine de Cajetan. 1. In Primam, q. 12, a. 1 : « ... Novit quosdam effectus, puta gratiae et gloriac, quorum causa est Deus ut Deus est in se absolutc, non ut universale agens. Notis autem effectibus, naturale est suilibet intellectui desiderare notitiam causae. Et propterea desiderirun visionis divinac, et si non sit naturale intellectui creato absolut;'-~t~-t~-e:;;l ~a~àie "ersüpposita revelatione taliurn effectuum. » (Quel contraste avec le simple' et prégnant .l."). ~'!'.!'! par son double objet ~,j?uble,}iberté diyine. 1 • Il y a là comme deux plans étagés, comme deux paliers sans communication de bas en haut. Car les deux ordres sont incommensurables. Double passag~ ontoÎogL~ doubi~m~nt-inffan­ ëliissiible à la créature sans la double initiative qui la suscite et qui l'appelle; qui, en fait, la suscite pour l'appeler. J'sse gratuitum est aiterius generis quam esse naturale 2. On ne peut feindre 'aucüiiêsoi'të-deriécessifémetaphyslqü-e-qui résulterait pour Dieu de la création de l'esprit. Pas plus que la création elle-même n'est une suite nécessaire de quelque chose qui l'aurait « précédée II en Dieu, le don - et déjà tout aussi bien, par conséquent, l'offre du don - surnaturel n'est donc une simple sequela creal'ionis. Si déjà la création peut être dite en un sens réel une «gtâc.e.l), -1 1. l'appel à voir Dlëll'enest une autre: « Etsi quadam non improbanda ratione gratia vocatur qua conditi sumus, ... alia est tamen qua ... vocamur 3 ••• » Si la .R~~.m;~.r:.~ grâce .. est con~~gente, nous -' , dirons que la seconde est « superccontingente 4 ll. Si on les .- \" 1. Ici nous ne souscrirons pas sans une légère réserve à la formule du R. P. Blaise ROMEYER, distinguant Cl la gratuité proprement élévatrice» de la « gratuité simplement créatrice Il (Archives de philosophie, vol. I7, c. 2, supplément biographique, p. 5); mais nous n'en tenons pas moins comme luimême à distinguer absolwnent la gratuité de l'élévation de la gratuité de la création. Seul ce langage. plus objectif, nous paraît exact en rigueur. Mais de part et d'autre l'idée est bien la même. 2. Saint BONAVENTURE, In 2 Sent., dist. 29. art. 2, q. 2. Cf. dist. 3, p. 2, art. 2, q. 2 : Cl Divina Lux, propter sui eminentiam, est inaccessibilis viribus omnis naturae creatae, et ideo, per quamdam benignitatis condescensionem facit se cognosci... » (Quaracchi, t. 2, p. 123 et p. 703). On ne peut, d'autre part, soutenir sérieusement que saint Bonaventure fasse une place quelconque à l'idée moderne d'une Cl pure nature ». 3. Saint AUGUSTIN, EPis, comme prétend l'être le« pneumatique» d'Héracléon; (( quels sacrilèges et quelles impiétés ne suivront-ils pas d'un tel discours sur Dieu! Il n'est pas sans danger seulement d'y penser! )J Et encore: « nous ne somm~_fi1_s.de Dieu,_,ni !pucret, ni xC('t'ci 17)',1 oùcrtCt'J ni XCt't'POVeLV, que condamne la sagesse antique: Édouard des PLACFS, Pindare et Platon (1949), p. 46 et 136. Cf. L. MÉRIDŒR, Euripide et l'orphisme, Bulletin ... Budé, janvier 1928. CLAUDEL, Jérémie (ms, p. 9) sur les religions et Paul philosophies-païennes : « Quand elles ne dissolvent pas le créateur dans le créé, on dirait qu'elles n'ont d'autre ressource que de l'en séparer par un abîme infranchissable et irréductible. D 2. Isth., 5, 14· Pythiques, 8, 99; 2, 50-52 : «Dieu qui atteint l'aigle dans sa course et devance le dauphin sur la mer, sait faire plier le mortel orgueilleux. )) 3. De natura remm, l, 3, v. 972-975 : « Regarde en arrière: quel néant fut pour nous la vieillesse du temps éternel, avant notre naissance. C'est le miroir où la nature nous présente la durée du temps qui suivra notre mort. » - Cf. CHATEAUBRIAND, Essai sur la littérature anglaise, introduction. On sait que le marxisme officiel a célébré Lucrèce, d'ailleurs assez arbitrairement interprété. 4. Gérard de NERVAL, Préface à la traduction de Faust (1828).

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de l'espérance l, » Le chrétien, lui aussi, reconnaît qu'il existe

une 6~p,ç, une démesure coupable, et même, au lieu de ne l'attribuer qu'à tel ou tel héros mythique sans rapport avec lui, il peut y voir, en lisant la Genèse, « l'essence du péché et le principe moteur de la dégénérescence de l'humanité que Dieu doit ramener par une sévère pédagogie au sentiment de ses limites naturelles 2 »; mais il sait autre chose aussi, que les anciens ne savaient pas. Si, à ces derniers, l'espérance manquait, c'est que tout d'abord l'idée même d'un sursum et d'un surcroît, l'idée d'un ordre incommensurable à celui de la nature, l'idée d'une nouveauté radicale et si l'on peut dire d'une invention dans l'être, l'idée d'un Don qui pourrait venir gratuitement d'en-haut pour exhausser cette nature indigente en exauçant son vœu tout en le transformant - une telle idée demeurait tout à fait étrangère à des esprits que l'unique Révélation n'avait point atteints de son feu. Pareillement leur devait donc être étrangère l'idée corrélative, sans laquelle serait instauré le règne de l'arbitraire et de l'inintelligibilité, destructeur à la fois des essences et des lois de la raison. Car l'idée du surcroît suppose ou entraîne l'idée d'une certaine « puissance )l, d'une certaine ouverture congénitale de l'être à ce surcroît; l'idée du don possible suppose ou entraîne l'idée d'une certaine aptitude radicale et secrète à recevoir ce don. Si Dieu doit un jour parler à sa créature afin de l'attirer à Lui, sans doute faut-il qu'il l'ait faite à l'avance « ouverte et interrogative 3 ». Sans doute, en d'autres termes, faut-il qu'il y ait

déjà, inscrit par Lui en creux dans la constitution même de cette créature, aussi vague et indéterminé qu'on voudra dans sa portée, et qui aurait pu demeurer à jamais caché, comme un x. Jacques PERRET, Virgile (1952), p. 157. On ne prendra évidemment pas pour une solution du problème humain « ces procédés qui, avec une extrême facilité, mais non sans beaucoup de convention, agrégeaient un homme, un souverain surtout, à la société olympienne» : Jean BAYET, L'immortalité astrale d'Auguste, Revue des études latines, 17, 1939;P. 163. 2. Paul HUMBERT, loc. cit., p. 71. Si l'on explique autrement le péché de l'homme, la chose restera vraie pour celui de l'ange. Cf. saint AUGUSTIN, In psalm. 58, senno 2, n. 5 (CCL, 39, 748-750); et In psalm. 70, serma 2, n. 6 : «Et unde abs te cecidi ? Cum quaero esse perverse similis tibi... etc. li (964). 3. Hans URS von BALTHASAR, Dieu et l'homme d'aujourd'hui (trad. R. Givord, '958), p. ,65.

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double appel : celui de l'initiative divine, et celui qui jaillit de la créature ainsi qu'une première réponse naturelle. Certes - pour le dire encore une fois - comme II a voulu se donner à l'homme, Dieu aurait pu se refuser. Comme II a voulu lui parler, II aurait pu se taire. Tout chrétien affirme à la fois l'un et l'autre, et l'affirmation de la possibilité du refus ou du silence est d'ailleurs impliquée par la reconnaissance du Don et de la Parole effective. Pas plus qu'II n'a pu être contraint par rien, ni au dehors ni au dedans de Lni, à donner l'être à ce monde, Dieu ne pouvait être contraint par rien à lui imprimer une finalité surnaturelle '. Mais nous n'en devons pas moins réfléchir sur cette création telle qu'eUe existe, avec l'unique finalité dernière qui est la sienne; sur cette création telle que Dieu l'a réalisée précisément en vue de se donner, teUe que l'éclaire définitivement, en fait, à nos regards, la Bonne Nouvelle annoncée aux hommes dans la nuit de Bethléem. De cette aptitude radicale, de cet appel de la nature, de cette réalité secrète mais agissante, il pouvait arriver aux anciens de percevoir déjà quelque effet ou, si l'on préfère, quelque expression, quelque signe. - On en a pu trouver une sorte d'attestation jusque dans le « vol magique » de certaines civilisations archaïques 2. - Mais ils n'avaient point encore de quoi l'interpréter correctement. Ils ne savaient ni ce qu'ils cherchaient,ni comment le chercher. Ils étaient impuissan~s à dégager dans

1. Cf. supra, et notre étude des Recherches de science religieuse, 36 (1949), p. 104 : « Si Dieu l'avait voulu, il aurait pu ne pas nous dOIUler l'être, et cet être qu'il nous a donné, il aurait pu ne point l'appeler à Le voir Il; Dieu Il ne peut être contraint par rien d'imprimer à mon être une finalité surnaturelle... Je dois distinguer soigneusement et maintenir toujours une double gratuité, un double don divin, donc, s'il est permis de parler de la sorte, une double liberté divine. Il y a là comme deux plans étagés, comme deux paliers sans communication de bas en haut. Double passage ontologique, doublement infranchissable à la créature sans la double initiative qui la suscite et qui rappelle, etc. II Par une fausse présentation de cette étude, le R. P. Angelo PEREao a soutenu récemment, dans un ouvrage collectif publié par Mgr PIOLANTI, qu'elle opérait non seulement une « déviation ll, mais une « corruption II de la doctrine catholique. Le R. P. ne semble pas avoir su bien lire notre étude, ni bien connaître la tradition théologique sur le sujet. 2. Mircea ELIADE, Le symbolisme des ténèbres dans les religions arcluziques, dans Polarité des symboles, Études carmélitaines, 27 (1960), p. 17.

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sa vraie signification « cette étincelle organique d'inquiétude, de désir et de mécontentement insérée au plus profond des entrailles de l'Humanité l )J. Lorsqu'ils ne réussissaient point à l'étouffer, elle les affolait, les égarait. Elle ne pouvait alors que susciter la révolte, avant de retomber en désespoir. Aussi ces hommes ne pouvaient-ils que trop élever ou trop rabaisser la nature. Parcelle divine ou boue sublunaire, ou mélange fortuit et instable des deux. Dès lors qu'ils ne jugeaient point être eux-mêmes « Vérité, Sagesse et Justice )l, ils ne pouvaient imaginer qu'ils fussent néanmoins « capables)J en quelque manière de ces choses divines, et qu'en cette « capacité » consistât leur grandeur. Il ne leur était pas possible de dire, comme dira saint Bernard, et avec la profondeur de sens que saint Bernard mettra dans ces mots : (~ Meum verbum nec sapientia, nec justitia est, sed tarnen utriusque capax '. )J Connaissant leur fragilité de naissance, ils ne pouvaient sérieusement se croire « faits pour l'éternité ». Ils n'auraient su comment unir sans présomption ridicule l'attente d'une « génération céleste )J à la perception de « l'exiguïté humaine 3 )J. Ils n'avaient donc de choix, leur semblait-il, qu'entre un orgueil insupportable et des pensées I. Paul CLAUDEL, L'esprit de prophétie, dans J'aime la Bible (1955), m. 4. C'est là une application de ce que ne cesse de répéter la tradition, canonisée par le premier concile du Vatican. Cf., entre cent autres, Fr. de VITORIA, O. P., commentant saint THOMAS, Prima, q. l, a. l : u: Et non est dubium quin sine doctrina revelata multos errores admisceat philosophus peritissimus, etc. » 2. Saint BERNARD, In feria quarta hebd. sanctae, n. 13 (PL, x83, 270 A). In Cantiea sermo 80, n. 2 : « Verbum est veritas, est sapientia, est justitia..• Harum rerum nihil est anima... Est tamen earumdem capax, appetensque, et inde fortassis ad imaginem. Celsa creatura, in capacitate quidem 1Y!ajestatis, in appetentia autem Rectitudinis insigne praeferens ... » (Opera, éd. J. Leclercq, t. 2, 1958, p. 278). Cf. saint THOMAS, Prima Secundae, q. 113, 3. 10 : « Naturaliter anima est gratiae capax; eo enim ipso quad facta est ad imaginem Dei, capax est Dei per gratiam, ut Augustinus ait. » 3. GUILLAUME de SAINT-THIERRY, Speculum fidei : « Menti siquidem ad aetemitatem creatae, ut ejus per intelligentiam. sit capax, per fruitianem particeps, quali (quasi?) naturali quadam. affinitate conjuncta videntur quae aeterna sunt ae divina, in tantum ut, etsi stolidior faeta forte fuerit ex vitia, numquam. tamen eorum privetur affectu ... »(PL, 180, 386 B). Cf. saint BERNARD, In oetava Pasehae senno l, n. 1 : K Potsquam. Unigenitus Dei ..• habitu inventus (est) ut homo, non immerito jam de caelesti generatione exiguitas humana praesumit li (PL, 183. 291 D).

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basses, et les meilleurs d'entre eux, les plus perspicaces, alliaient en fait ces deux choses sans parvenir à vraiment les unir. Car, ainsi que s'exprimera Bérulle, « ils croyaient avoir assez de puissance sur la nature pour l'obliger à la perfection par leurs discours, et toutefois ils ne proposaient rien de grand et d'élevé par dessus l'homme 1 )). L'héritage humain que ces anciens nous ont laissé est beau, - mais il est court. Leur esprit religieux fut souvent profond, et nous aurions tort aujourd'hui de mépriser leur message comme si nous étions devenus incapables d'y reconnaître, avec les Pères, tant de « préparations évangéliques )). Mais enfin, leur effort n'a point abouti. Saint Thomas d'Aquin le remarque à plusieurs reprises, avec un accent de pitié. Ils n'ont point trouvé le remède à ce que Jacques Maritain appelle si bien « la grande mélancolie païenne )J. C'est qu'ils n'avaient point entendu retentir en leur cœur mortel cette invitation permanente et douée d'efficace à « transcender l'équilibre prématuré où la

science, l'art, la philosophie tendraient à nous procurer une sorte d'harmonie décevante 2 )). Malgré la profondeur de leur expérience, à peine purent-ils quelquefois pressentir, « obscurément et souvent à travers un nuage », le sens de l'existence humaine 3. C'est qu'ils n'avaient pas la connaissance d'un Dieu,

seul ttre sans jalousie, suscitant de rien des êtres dans le temps, pour les associer à son éternité : vocans temporales, faciens aeternos. Ils n'avaient encore nulle intelligence d'un être qui, sans passé, serait ouvert cependant «( sur un bien éternel )) et ne concevaient point un esprit fini fait pour chercher la seule

1. BÉRULLE, opuse. 133. Du nouvel homme et de son nouvel ceuvre, c. 3 (éd. G. Rotureau, p. 397). Cf. saint AUGUSTIN, In psalmum 31, sermo 2, n. 1 : « Anceps erat animus hurnanus, et fluctuans inter confessionem infinnitatis et audaciam praesurnptionis, plerumque hinc atque inde contenditur, et ita impellitur ut ei in quamlibet partem cadere praecipitiurn sit )} (CCL, 38, 224)· 2. J. MARITAIN, La philosophie morale (1960), p. 10Z; cf. Les degrés du savoir (193Z), p. 565, sur Il' cette nostalgie d'Wle contemplation supérieure dont témoignent, dans de vastes régions' de l'histoire humaine, tant d'écoles philosophiques Il. M. BLONDEL, Vocabulaire de la société française de philosophie, s. v. Sublime. Cf. saint THOMAS, Contra Centiles, I. 3. c. 48, etc. 3. Cf. Robert AGRICOLA, cité par A. BOSSERT, De R. Agdcola (1865).

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fin digne de lui dans le seul Bien qui le dépasse '. Ils n'imaginaient rien qui fût comparable à ce merveilleux changement, que saint Augustin devait exprimer un jour dans ce merveilleux raccourci : mutabiles, commutati, participes facti Verbi incommutabilis 2. Retirés, loin du vulgaire, dans la méditation d'une éternité illusoire, occupés à faire « une sorte d'analyse spectrale de leur être pour y déchiffrer la composition de l'étoile d'où il est s!lrti comme un rayon 3 »; - ou bien au contraire, accablés avec l'ensemble du troupeau sous le fardeau du temps et de son perpétuel retour, ne recevant rien de la vie qui ne leur fût un gage de vieillissement et de mort, - ils ne pouvaient ni dans un cas ni dans l'autre participer d'avance à cette découverte radieuse faite par le disciple du Christ qui a reçu l'annonce d'un « héritage incorruptible» et qui s'écrie en conséquence, avec saint Augustin encore: Fit aliquid novi in tempore, quod finem non habet temporis 4!

Comment donc auraient-ils soupçonné que « le fil électrique de la ligne de mort », toujours tendu devant les entreprises titanesques, devait se rompre pour toujours devant la « via humilitatis » inaugurée par l'incarnation du Verbe de Dieu 5? Quand ils se croyaient pas, dans un vain rêve, établis par essence au-delà de tous les cercles fatals, ils ne pouvaient même rêver qu'un jour l'humanité pousserait le cri triomphal: « Circuitus illi

ne

1. G. de SAINT-THIERRY, Epistola ad Fratres de Monte Dei, c. go : « Menti vero vel anima ... nec dignius est aliquid ad quaerendum ... quam quod solum ipsam mentem supereminet, qui est solus Deus» (éd. M. M. Davy, p. 132). 2. Epist. 140, c. 4. n. 12. : « Nos itaque mutabiles, in melius commutati, participes efficimur Verbi, Verbum autem incommutabile... »(PL, 33. 542). Dans ce passage, Augustin oppose aux « faIsi circuitus » le « rectum iter » et montre l'âme surgissant de sa misère pour s'élever à la béatitude. Cf. De Trinitate, 1. 4, c. 18, n. 24 : « Tune mutabilitatem nosttam commutatam tenebit aetemitas » (Bibl. aug., 15. p. 398). De Civitate Dei, 1. 12, C. 21, n. 2-4: Il Sed absit ut vera sint, quae nobis minantur veram miseriam numquam finiendam ... His autem circuitibus evacuatis atque frustratis, ...ipsa certe liberatio nova fit... Possunt fieri nova... Circuiti illi jam explosi sunt! )1 (Bibl. aug.• 35, p. 222-226.) 3. H. URS von BALTHASAR, La théologie de l'histoire, p. 168. 4. 1 Petr., 1,4. De Civitate Dei, 1. 12, c. 13, n. 1 (PL, 41, 361), etc. Dans ce passage Augustin oppose à la doctrine des « faIsi circuitus » celle du «rectum iter », et il montre l'âme surgissant de sa misère pour s'élever à la béatitude. Cf. saint THOMAS, Contra Gentiles, 1. 3, C. 61 : Il Quod per visionem Dei aliquis sÎt particeps vitae aetemae. » 5. Cf. Karl BARTH, Romerbriej, 2e éd., p. 230.

17 2

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jam explosi sunt 1! ». Ils ne se savaient ni « créés de- rien 11, ni pouvant un jour «naître de Dieu 2 ». Bref, ne connaissant point le Verbe fait chair, par qui se réalise la merveille, n'ayant point entendu l'appel de sa lyre, ils ne se connaissaient point eux, 3 mernes ... A nous, la merveille a été dite. Hoc est verbum quod evangelizatum est in nos. Nous avons connu (c le Libérateur de notre mortalité 4 ». A quelque génération que nous appartenions de l'histoire chrétienne, nous avons reçu le témoignage de ceux qui ont vu, entendu, touché de leurs mains le Verbe de Vie. Nous savons - et il y a là de quoi « nous frapper de stupeur» - que Dieu s'est fait homme, pour que l'homme devienne Dieu 5. Nos I. De Civitate Dei, 1. 12, C. 21, fl. 4 (Bibl. aug., 35. p. 226). 4. jo., I, 13 et II, 5. Cf. Prima Petri, l, 23-25 : Il Renati non ex semine corruptibili, sed incorruptibili per verbum Dei vivi et permanentis in aeternum, quia omnis caro ut faenum, et mnnis gloria ejus tanquam fics faeni; exaruit faenum et fias ejus decidit; verbum autem Domini manet in aetemum. Hoc est verbum quod evangelizatum est in vos. » Cf. IRÉNÉE, Adv. Haereses 1. 3. c. II, n. 8. 3. CLÉMENT, Protreptique, l, 2 (Cl. Mondésert, S. C., p. 53-59). Encore l'angle sous lequel ce chapitre envisage les choses ne nous permet~il pas de mesurer toute la distance de la pensée antique à la foi chrétienne, toute la nouveauté de la révélation du Verbe fait chair. Notre vue demeure encore abstraite, parce que nou. de cette fin. Nous pouvons ici nous entendre avec Cajetan : « Finis ille nobis est naturaliter occultus, quia est supernaturalis finis animae nostrae 4.

»

C'est bien là ce que

nous avons essayé de montrer dans un précédent chapitre. Seulement, la raison de cette ignorance n'est pas pour nous, comme pour Cajetan, l'absence du désir: elle en est au contraire ) la profondeur. Aussi dirons-nous plutôt, avec le P. Rousselot : « Ce qui, en l'absence de l'offre divine, ne se fût traduit qu'en appétitif, dans une obscurité indéchiffrable, pourra, grâce aux lumières de la foi, se formuler en une claire série de syllogismes 6. » « Que sais-tu l>, disait Maître Eckhart, « des capacités que Dieu a prêtées à la nature humaine? Ceux qui ont écrit de la capacité de l'âme ne sont pas allés au delà du point où leur raison naturelle les a portés : ils ne sont jamais allés au fond; aussi beaucoup de choses leur devaient être cachées et leur sont restées inconnues 6». L'Épouse ne se connaît ellemême que dans sa réponse à l'invitation de l'Époux '. Bérulle avait raison : Le mouvement

«

imprimé par la puissance du

In 4 Sent., dist. 49. P. I, q. 2; ad 1-3· Le désir lui-même naissant, selon saint BONAVENTURE, de la connaissance « habituelle» de Dieu qui est au fond de l'âme raisonnable faite à son image: Quaestiones de Trinitate, q. 3 (Quaracchi, t. S. p. 49); q. l, fund. 7 : II: Si talis appetitus sine aliqua notitia esse non potest, necesse est quod notitia qua scitur summum bonum sive Deum esse, sît inserta ipsi animae Il (p. 46). Mais saint Thomas, on le sait, serait ici plus sobre encore. Cf. quelques explications dans L.-B. GILLON, O. P., Béatitude et dés.ir de voir Dieu au moyen 8ge, 2, dans Angelicum, vol. 26 (1949), pl 127-133. 3. Saint AUGUSTIN, In psalm. I09. n. 2 (CCL, 40, 1602). Aussi ne faut-il rien de moins que la foi en l'Incarnation, pour nous faire croire en cette Il immortalité ineffable Il qui nous est promise (1603). Voir supra, ch. VII. 4. In Primam, q. l, a. l, n. 7 (fol. 1 v.) Cf. JAVELLE, Expositio in Primum tractatum Primae Partis. q. l, a. 1 (fol. 1 r). S. Op. cit., p. 188. 6. De la naissance éternelle (dans Maître ECKHART, Œuvres, trad. Paul Petit, p. 43-44). Voir aussi le texte de BÉRULLE. cité supra, ch. IV, p. 84-85. 7. Cf. Paul CLAUDEL, L'Écriture sainte, dans J'aime la Bible (1955), p. S6 : ct Il l'instruira et il lui apprendra qui elle est, car elle l'ignore ... )1 1.

2.

LE DÉSIR INCONNU

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Créateur dans l'intime de sa créature », ce mouvement (c naturel à l'âme, lui est caché en cette vie, comme l'âme est cachée à elle-même... Elle ne voit ni son être, ni ce qui est au fond de son être 1 )); c'est cc Jésus-Christ qui nous révèle en nous-mêmes quelqu'un que nous ne connaissions pas », c'est Jésus-Christ cc qui nous dit notre âme 2 ». Nulle atteinte, on le voit, n'est portée au caractère mystérieux du dogme. Il demeure « le Secret du Roi» : Quamvis Deus sit ultÎmus finis in consecutione, et primum in intentione appetitus naturalis, non tamen oportet quod sit primum in cognitione mentis humanae, quae ordinatur in finem; sed in cognitione ordinantis : sieut et in alüs quae naturali appetitu tendunt in finem SUUffi. Cognoscitur tamen a principio et intenditur in quadam generalitate, prout mens appetit se bene esse et bene vivere,

quod tune solum est et eum Deum habet 3. On ne s'étonnera donc pas que la béatitude - l'unique béatitude - « transcende toute investigation rationnelle ». Saint Thomas lui-même, partant de son principe qu'un désir de nature ne saurait être vain, sait qu'il ne peut aboutir à une conclusion ferme que parce qu'il raisonne à l'intérieur de la foi 4. Comme nous l'avons vu pour saint Bonaventure, il sait que le cc desiderium inditum » ou « innatum » n'est pas explicite et conscient par lui-même, puisqu'il s'efforce précisément de l'expliciter en montrant que son terme ne peut être que la vision de Dieu, et il sait aussi que dans le désir conscient de la béatitude, Dieu n'est d'abord qu'implicitement désiré 5. Il y a beaucoup de vrai dans ce que disent Cajetan et Bannez, quoiqu'ils en tirent, chacun à sa manière, des conclusions Opuscules de piété, 27 (éd. G. Rotureau, 1943, p. 134). Mgr BLANCHET, Conférences de Notre-Dame, 1957, première conférence, p. 8. Cf. BALTHASAR, Dieu et l'homme d'aujourd'hui p. 149. 3. Saint THOMAS, In Boetium de Trinitate, q. l, a. 3, ad 4ffi. 4. Cf. In 3 Sent., distr. 27, q. 2, art. 2 : « Sed quia nabis promittitur quaedam felicitas.o. ». In 4 Sent., distr. 49, q. 2, art. 1 : « Sicut secundum E.dern ponimus finem ultimum humanae vitae esse visionem Dei... ll; etc. Cf. In l Sent., prol., q. l, art. l, ad tertium. 5. Cf. In 2 Cor., c. S, lectio 2 : « ... Non ergo movetur rationalis creatura ad hoc (= perfrui caelesti gloria et videre Deum per essentiam) desiderandum a natura, sed ab ipso Deo, qui in hoc ipsum efficit nos ... » (Ed. Vivès, t. 21, p. 94·) 1.

2.

'--

270

LE MYSTÈRE DU SURNATUREL

excessives : « Divus Thomas procedit ut theologus, quamvis utatur naturalibus rationibus quasi ancillis 1 ». C'est ce qui apparaît en particulier dans la Somme contre les Gentils, qui est aux yeux d'un de ses derniers historiens, M. Anton C. Pegis, « une œuvre théologique profondément mêlée à une entreprise théologique et non moins visiblement ordonnée par un dessein théologique précis 2 ». Tout un chapitre du deuxième livre n'est-il pas consacré à distinguer le point de vue du «philosophe» et celui du « théologien 3 »? C'est donc en théologien (comme Duns Scot) que saint Thomas s'apprête à développer toute une apologétique (sit venia verbo) hautement philosophique. II imitera, à sa manière à lui, les « saints» dont il nous dit ailleurs, à propos d'un autre sujet: « Rationes quae induéuntur a sanctis ad probandum ea quae sunt fidei non sunt demonstrationes sed persuasiones quaedam manifestantes non esse impossibile quod in fide proponitur 4 ». La chose pourrait s'entendre de pures raisons de convenances,

ou moins encore, lorsqu'il s'agit de vérités de pure foi, telles que l'Incarnation ou la Trinité; de ces vérités que saint Thomas, dans le Contra Gentiles, réserve pour le livre quatrième et dernier. Mais la question de la béatitude constitue pour lui une étape intermédiaire. Saint Thomas y procède bien par voie de démonstration rationnelle; seulement, celle-ci n'est que seconde : la démonstration se meut dans « la zone d'investigation de la raison à l'intérieur de la foi • »; et d'autre part « une démonstration rationnelle, quelque convaincante qu'elle soit pour la raison, tombe toujours trop court lorsque la vérité soi-disant démontrée est un mystère de foi ». C'est donc seulement « une ,fois admis par la foi » la possibilité en soi de la vision de Dieu qrie « l' argument basé sur l'impossibilité d'être vain du désir naturel s'avère être congruent avec cette vérité de foi, en sorte que nier cette 1. BANNEZ, In Primam Secundae (Comentarios ineditos ... , ed. V. Beltran de Heredia'it. l, 1942, p. 8r). 2. Qu'est-ce que la Summa contra Gentiles? dans L'Homme devant Dieu, t. 2- (1964), p. 172. 3. C. 4 : CI Quod aliter considerat de creaturis philosophus, et aliter theologus. » 4. Secunda Secundae, q. l, art. S. ad secundum. S. PEGIS, loc. cit., p. 176.

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27 I

possibilité ne serait pas seulement contredire une vérité de foi mais encore aller à l'encontre de la raison 1 ». I! semble qu'il y ait dans cette explication du R. P. Doel"" consonante à l'interprétation générale du Contra Gentilles

donnée par M. Anton C. Pegis, de quoi réconcilier entre elles des opinions divergentes, attentives chacune à une partie des textes ou à un aspect de la doctrine thomiste. Cette doctrine est d'ailleurs complexe, et nous ne prétendons pas ici la définir toute, mais seulement constater que saint Thomas n'a pas été sans voir le problème que ce chapitre envisage. Même si la raison peut « soupçonner l'existence » de cette béatitude, elle « ne peut en soupçonner la nature ». Aussi, dès qu'ils ont voulu en parler, « les Philosophes se sont grossièrement et fatalement trompés 2 ». Ces biens que Dieu nous réserve à la fin des temps sont « au dessus-de la raison» comme ils sont au-delà de tout dû~. « Les forces naturelles ne suffisent ni à les penser, ni à les désirer 4 » : Vita autem aeterna est quoddam bonum excedens proportionem naturae creatae, quia etiam excedit cognitionem et desiderium ejus 5.

C'est la première raison pourquoi nous avons besoin et de la révélation divine et de la grâce divine. Bien plus, même une fois que le désir naturel de la vision - qui n'est pas à confondre, rappelons-le, avec un désir élicite - a pu être reconnu, 1. S. DOCKX, O. P., De désir naturel de voir ['essence divine d'après saint Thomas, dans Archives de philosophie, 1964. p. 94 et 95. 2. R.~A. GAUTHIER, O. P., loc. Cil., p. 263. commentant In 2 Sent., dist. 18, q. 2, a. 2; dist. 19, q. l, a. I. 3. Contra Gentiles, 1. 4, c. l, in fine : « Ea quae supra rationem in ultimo hommwn fine exspectantur... D Cf. Tertia, q. l, a. 3 : « Ea enim quae ex sola Dei volWltate proveniWlt, supra omne debitum creaturae, nobis innotescere non pOSSWlt, rusi quatenus in sacra Scriptura tradWltur, per quaro divina volWltas innotescit D. Cf. PETRUS ThIGOSUS, loc. cit., p. 9 : « Ergo latebat in nobis a principio naturalis propensio ... D 4. De Veritate. q. 14. a. Z : « Aliud est bonum hominis naturae humanae proportionem excedens. quia ad ipswn obtinendwn vires naturaIes non suffi~ ciWlt nec ad cogitandwn nec ad desiderandum. D 5. Prima Secundae, q. II4. a. 2. Cf. GUXLLAUl\1E de SAINT~THIERRY. Speculum fidei : « In quibus (bonis aetemis) tametsi habet natura appetitum ex gratia creante. non tamen ea perfecte dignoscit nisi ex gratia illuminante, nec apprehendit nisi Deo donante D (PL, 180, 386 C).

27 2

LE MYSTÈRE DU SURNATUREL

cerné, analysé, son terme n'est jamais connu que ,c aliquo modo 1 ». Pas plus qu'il n'est jamais désiré vraiment « de façon suffisante », il n'est conçu de façon vraiment adéquate. Sous la lumière même qu'elle a reçue de Dieu, à quelque phase qu'on la prenne de sa vie intellectuelle ou de sa vie spirituelle, l'âme croyante et espérante est finalement laissée « devant un mystère intrinsèquement impénétrable 2 », quod oculus non vidit, nec auris audivit, nec in cor homz"nis ascendit 3. Sur ces mots de l'Apôtre, écoutons les réflexions conjuguées de saint Bernard, de saint Thomas d'Aquin et de saint Robert Bellarmin, qui tous trois sont témoins d'autre part du « désir de la nature» : Verba certe ineffabilia, etsi non profert ut audiam. offert tamen ut cupiam, et libeat odorare quae audire non licet 4. Nullus potest videre gloriam rusi qui est in gloria; superest enirn et desiderium et intellectum eorum qui non sunt in ea; hoc enim est manna absconditum et nomen novum scriptum in calcula, quod nemo novit nisi qui accipit 5. Visio Dei, in qua proprie vita aeterna consistit, res est non modo supernaturalis, sed usque adeo naturam omnem creatam excedit, ut nec agnosci, nec appeti, nec cogitari possit, nisi Dea ipso revelante: Ocu.lus non vidit, etc 6.

1. Saint BONAVENTURE, cité supra. A-R. MOTTE, dans Bulletin thomiste, t. 4, p. 579. 3. 1 Cor., II, 6-9. S. THOMAS, Prima Secundae, q. 62, a. 3. Cf. le commentaire par Georges DIDIER, s. j., Désintéressement du chrétien (1956), p. 46-47. AUGUSTIN, In Joannem, tract l, n. 4. 4. In Cant., s. 67, n. 7. (Opera, éd. J. Lec1ercq, t. 2, p. 193). GUILLAUME de 8AINT-THIERRY, Epist. ad Fratres de Monte Dei,!. 3, c. l, sur la heatitudo caelestis : « Tam magna est, tam insciabilis, ut eam nec ocuh{~ viderit, nec auris audierit, nec in cor hominis ascenderit » (PL, r84, 354). Voir aussi JEAN TINCTOR (t 1469), Lectura in Priman S. Thomae (dans J. ALFARO, op. cit., p. 236). 5. Quodi. 8, q. 7, art. 16. Cf. C. Gentiles, 1. 4, c. 54 : « ... Ad hoc autem homo deduci poterat quod rebus infra Deum existentibus inhaereret ut fini, ignorando suae naturae dignitatem Il (d'où la convenance de l'Incarnation). Tout en repoussant la thèse de Duns Scot (en fait, de tous les anciens), CAJETAN reconnaissait son accord avec lui quant à l'ignorance naturelle de la véritable fin. In Primam, q. l, a. 7 : IX Circa hanc partern advertendum est quod 8cotus ... nec a conc1usione nec a ratione discordat; sed a causa quare finis ille est nobis naturaliter occultus... Il. 6. De justijicatione, 1. 5, C. 12 (Opera, t. 6, 1873, p. 368). 2.

CHAPITRE

XII

L'APPEL DE L'AMOUR

Non pas qu'il s'agisse de nouveauté totale à tous égards, de nouveauté nullement pressentie ni préparée. On ne pourrait affirmer cela d'aucun ce nos mystères : ce serait les déclarer tout artificiels, sans nulle densité ontologique, ou nous rejeter nous-mêmes tout entiers dans un monde à part. Seuls des esprits systématiques, plus attentifs à leurs conceptions propres qu'aux faits à travers lesquels transparaît le dessein providentiel, ont pu s'imaginer pareille chose. Que de doctrines humaines, que de faits humains il serait aisé d'évoquer, tout au long de l'histoire humaine, témoignant en l'homme, plus ou moins obscurément, de l'universel désir de Dieu! Mais, en lui-même, ce désir n'en demeure pas moins caché « dans les profondeurs ontologiques 1 )), et seule la révélation chrétienne permettra d'en interpréter les signes, comme de l'interpréter lui-même correctement. C'est elle qui portera sur tous ces faits et toutes ces doctrines un jugement définitif. Elle en condamnera l' « hybris ll, elle en mesurera les écarts, elle en dégagera l'âme de vérité. Désir de voir Dieu, désir d'union à Dieu, désir d'être Dieu : tous ces termes, ou d'autres analogues, se rencontrent en dehors du christianisme, et indépendamment de lui. Mais que d'équivoques en chacun d'eux! Nous pouvons bien discerner, par exemple, dans les aspirations mystiques dont l'histoire nous offre tant de si curieux ou de si hauts modèles, un témoignage en faveur x. Nous empruntons encore cette expression au R. P. Joseph de

FINANCE,

op. cit., commentant saint Thomas. C'est là de façon plus nette encore, on vient de le voir, la position de Scot.

I~

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de cette destinée pour laquelle Dieu nous a faits; mais c'est à la condition de projeter sur eux la lumière de notre foi. En euxmêmes, à les prendre en rigueur, surtout dans les théories qui les commentent et les systématisent, nous serions aussi bien fondés à y dénoncer parfois la parfaite antithèse du salut chrétien. De la même manière, on a p~ légitimement prendre appui sur le passage fameux de l'Éthique à Nicomaque dans lequel Aristote, insatisfait d'un bonheur humain trop limité, évoque (c cette vie plus qu'humaine» et qu'il faut s'efforcer d'atteindre; on a pu y reconnaître, non sans raison, (c comme une pierre d'attente pour le surnaturel »; mais l'on a pu avec autant de raison, étant donné que pour le Philosophe « c'est l'acte de la

contemplation rationnelle qui constitne cette vie divine en l'homme, un acte qui a son origine et son terme en nous », y dénoncer « comme la candidatnre permanente de la philosophie pure au rang suprême, quelque haut qu'on le mette 1 ». Tout, dans de tels cas, est au moins ambigu. Ce qui pourra justement apparaître, après coup, une fois opérées les décantations et les refontes, comme une (c préparation évangélique »,

était aussi et bien plutât, tout d'abord, un obstacle. L'idée de Dieu, qui commande tout, n'est pas logée une fois pour toutes dans l'intelligence humaine comme « un monolithe rationnel 2 », et il serait insuffisant, croyons-nous, de dire que cette idée, « telle que l'ont admirée les Grecs, a été renouvelée par le christianisme », si l'on entendait par là que le christianisme n'aurait eu qu'à l'achever sans avoir d'aucune manière à la transformer

et sans se heurter de sa part à aucune contradiction". On peut x. Maurice BLONDEL, Lettre sur les exigences ... (x896), p. 49 (P'fhniers écrits, t. 2, X956, p. 56). Cf. saint THOMAS, Contra Gentiles, 1. x, c. 5; 1. 3, c. 48; Super h'brum de causis exposftt'o (éd. Saffrey, x954, p. 1~2.) 2. M. BLONDEL, La Pensée, t. 2 (1934), p. 527. Cf. saint THOMAS, Prima, q. 13, a. XO. GILLES de VITERBE: « Sed dissensionis fons est quod non inter crnnes constat quid per hoc nomen Deus significetur Il (cité par Eugenio MAssA, Egidio da Viterbo, la metodologia deI sapere, dans Pensée humaniste et tradition chrétienne aux xve et XVIe siècles, 1950, p. 196). 3. Cf. A.~D. SERTILLANGES, dans Revue thomiste, X904, p. 382 : cc La notion de Dieu... a été renouvelée par le christianisme. Certes 1 mais c'est, au point de vue proprement philosophique, par l'achèvement de la philosophie grecque, et non par sa contradiction. C'est, en second lieu, par l'adjonction du point de vue religieux, essentiellement pratique, aux résultats de la spéculation li;

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bien dire que par la révélation surnaturelle un ordre supérieur de vérité vient s'ajouter aux vérités qui relèvent de la raison naturelle, mais ce n'est là, tout au plus, qu'une épure abstraite, et dans la réalité les choses ne sont jamais aussi simples. « Il est bien de parler de Dieu », remarquait Newman, « mais ce mot contient toute une théologie, et il faut préciser de quel Dieu l'on parle '. » Sans méconnaître la valeur d'aucune anticipation, sans mépriser, comme on y est trop porté aujourd'hui, l'admirable effort, en particulier, de celui que saint Augustin saluait comme « le père de la théologie 2 », ni de son disciple indépendant, qui conçut « l'Acte pur », on peut avoir un sentiment plus fort de la nouveauté chrétienne. En réalité, « le Dieu chrétien est sans comparaison 3 ». Or, ne l'oublions pas, \ la « vie éternelle » annoncée par Jésus-Christ consiste dans la . vue de ce Dieu, le « secl Dieu véritable 4 ». Venant compléter et trànsformer notre idée de Dieu - et, malgré l'emploi continué des mêmes vocables, notre idée de la vision de Dieu 5 - il ne et p. 383. sur la« philosophie chrétienne »; «à supposer qu'il y en ait une et

qu'elle soit autre chose que la philosophie grecque terminée D. Le P. Sertillanges devait, dans la suite, infléchir sa pensée dans un sens qui nous paraît beaucoup plus satisfaisant. 1. Idea of a University, p. 35-36. Cf. M. NÉDONCELLE, La philosophie religieuse de Newman, p. 277. 2.

Cf. De civitate Dei,!. 8, c. 4 (PL,

41, 227-228). PLATON,

Resp., 1.

2,

379 a. 3. Maurice N ÉDONCELLE, Existe-t-il une philosophie chrétienne? p. 23 : Le message du Nouveau Testament II: est que Dieu nous aime : nouvelle bouleversante, qui éclate avec une intensité et une joie dont les pâles bienveillances d'une divinité philosophique sont entièrement dépourvues. Rien dans le monde antique et rien depuis lors dans le monde moderne n'approche de cet accent-là. On s'étonne que des historiens aient pu ergoter devant le fait et tenter encore quelque comparaison. Le Dieu chrétien est sans comparaison. Il fait irruption dans la conscience humaine conune une nouveauté absolue, à moins que nous ne confondions les quelques airs de flûte disséminés dans les siècles précédents avec cette symphonie déchirante et toutepuissante qui a résonné soudain aux: oreilles des honunes pour tous les siècles à venir. li 4. Jo., XVII, 3. 5. Chez Origène et chez Plotin, par exemple, c'est le même mot. Le vocabulaire de la u vision béatifique li dépend à la fois de l'Écriture et de la philosophie grecque (cf. PLATON, Phèdre, 247 c et 251 b : Il vision bienheureuse li). Cf. M. BLONDEL, La Pensée, t. 2, p. 409: « La vie suprême de la pensée ne se ramène pas à ÙIle u pure vision ».

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se peut que la Révélation ne complète et ne transforme du même coup notre idée de l'homme - et notre idée de son désir - et enfin, si du moins nous y consentons, ce désir même ... Alors nous comprenons qu'il nous faut attendre « pour la vie dans l'au-delà la possession du seul vrai bien qui puisse attirer celui dont les pensées sont les pensées de Dieu », et non pas « le bonheur que pourrait désirer celui qui considère la satisfaction de l'égoïsme comme un bien; car Dieu ne pense pas que la satisfaction de l'égoïsme soit un bien 1». Et nous sommes ainsi conduits à la pure idée de l'Agape. Cette Révélation nous force donc à « briser les catégories de notre intelligence naturelle 2 », et l'ébranlement qu'elle y produit, sans changer les lois éternelles de la raison, aboutit à constituer certaines catégories nouvelles, dont plusieurs paraîtront peut-être toutes naturelles au philosophe de l'aveuir. Bref, « c'est la foi chrétienne qui, plaçant au milieu de tout l'idée révélée de Dieu, la notion de l':Être infini et de nos rapports avec lui, nous fait comprendre notre nature, notre destinée, la nature du monde matériel, la morale, l'histoire de l'humanité 3. » Quand donc un saint Augustin, à la suite d'un Origène" nous dit que les philosophes platouiciens ont vu de loin la Patrie, c'est-à-dire qu'ils ont su concevoir la véritable fin de l'homme, qui est la vision de Dieu, et qu'ils se sont seulement trompés sur le chemin, c'est-à-dire qu'ils ont seulement méconnu le moyen d'atteindre à cette fin, à savoir la médiation du Verbe incarné 5, lui reprocherons-nous d'attribuer par là-même à la

raison naturelle la connaissance d'un mystère surnaturel? Lui ferons-nous grief d'avoir trop généreusement attribué à ses 1. Yves de MONTCHEUIL, s. j. z. La Sainte Trinité et la vie surnaturelle, par

Wl

Chartreux (1948), p. 33.

3. Louis FOUCHER, La philosophie catholique en France au XIXe siècle (1955), p. 2-22, résumant la pensée de Gratry, Cf. Paul CLAUDEL, L'Épée et

le Miroir, p. 256 : « La lance au bras de Longin est allée plus loin que le cœur du Christ. Elle a ouvert Dieu, elle a passé jusqu'au milieu même de la Trinité. D 4. ORIGÈNE, Contra Celsum, 1. 7. c. 44. S. Senno 141, n. 1 : (1 Ad tam magnam, ineffabilem et beatificam possessionem, qua via perveniretur, non invenerunt. D Confessions, 1. 7, c. 9, n. 1315; c. 21, n. 27 : (1 Aliud est, de silvestri cacumine videre patriam pacis et iter ad eam non invenire et frustra conari per viam... , et aliud tenere viam illue ducentem cursu caelestis imperatoris munitam. D

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auteurs, par une transposition qui n'était pas le fait d'un historien, quelques-unes des idées qu'il tenait de sa foi? Lui contesterons-nous le droit d'avoir lu les Ennéades en chrétien? Nous aurons plutôt égard à la situation concrète dans laquelle se trouvait l'Église en son temps, ainsi qu'à l'intention apostolique de ses réflexions 1, nous admirerons la puissance assimilatrice de la sève chrétienne qui se manifeste dans son attitude, et nous conclurons avec Mgr Régis Jolivet qu'à travers le langagel d'Augustin sur Platon « ce n'était pas Augustin qui devenait \ néo-platonicien, mais Platon qui devenait chrétien 2 )). Plus encore, nous serons sensibles à toutes les restrictions qu'implique, déjà quant au premier des deux termes contrastés, le contraste marqué d'un trait si ferme : cc Si inter eum qui tendit et illud quo tendit via media est, spes est perveniendi; si autem desit aut ignoretur qua eundum sit, quid prodest nosse quo eundum sit 3? )), et encore : cc Quid enim prodest habere intelligentiam veram de immutabili bono, ei qui non tenet per quem liberatur a malo 4? » Bref, ici comme ailleurs, nous constaterons que se vérifie l'observation d'Étienne Borne : cc Le platonisme chrétien est un fait historique; mais il a fallu, avec saint Augustin, affrontement et combat comme de Jacob avec l'ange, et d'où ; l'un des protagonistes, la philosophie, est sorti boiteux, portant \ la marque de son heureuse défaite 5 )). Il,} ~ Nous l'admettrons donc sans difficulté: il importait plus à \ " saint Augustin de dénoncer « la présomption platonicienne )) ~ que l'insuffisance intellectuelle de ses analyses; il lui importait plus d'amener le fidèle du Christ, par cc le changement de cœur 5 )), à suivre ici-bas dans l'humilité Jésus humble, que de spéculer profondément sur les différentes manières de concevoir la vue du Bien suprême. - Mais nous pouvons et nous devons

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1. De vera religione, c. 4, n. 7 : (( Si hanc vitam illi viri nobiscum agere potuissent... , paucis mutatis verbis atque sententiis, christiani fierent, sicut plerique recentiorum nostrorumque temporum Platonici fecerunt. lJ 2. Le problème du mal d'après saint Augustin (1936), p. 136. 3. De Civitate Dei,!. II, c. 2 (Bibl. august., 35, p. 36). 4. In Joanne1Jl, tractatus 98, n. 7 (PL, 35. 1884). Cf. De vera religione, c. 4. n. 7 (J. Pegon, Bibl. aug., 8, p. 34). 5. Passion de la Vérité (1962), p. 63. 6. Cf. J.-M. LE BLOND, Les conversiQnS de saint Augustin, p. 131-160.

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admettre aussi que, s'il avait davantage analysé réflexivement sa propre pensée, lui-même aurait sans doute convenu de ce qui nous apparaît en pleine clarté : cette connaissance de la fin dernière par les Platoniciens (ou par d'autres) n'était et ne pouvait être, par rapport à celle que les chrétiens ont reçue, que lontainement analogique. Il aurait été le premier à reconnaître que la connaissance de la voie rejaillit sur celle du terme, qu'on ne peut donc se tromper sur l'une sans errer sur l'autre. Il n'aurait pas eu

à chercher en dehors de ses propres principes de quoi comprendre qu'une « vie bienheureuse» qu'on veut se fabriquer soi-même ne

saurait être du même type que celle qu'on découvre comme une promesse et qu'on implore comme un don l, Il n'aurait pas manqué d'accueillir la nuance ou le correctif discrètement introduit par l'un de ses disciples, décrivant le « peregrinus amor de longe » qui fut celui des meilleurs parmi les anciens sages 2. N'a-t-il pas lui-même, et avec quelle insistance, parlé \ d'une humilitas Dei, exemplaire de l'indispensable humilitas Ilwminis? N'aime-t-il pas à définir la connaissance du vrai Dieu , 1 par l'expérience de la caritas, laquelle est bien étrangère, il ne ! l'ignore pas, à ses « philosophes », particulièrement à Plotin? Putas quid est Deus? Putas qualis est Deus? Quidquid finxeris, non est; quidquid cogitatione comprehenderis, non est. Sed ut aliquid gustu accipias, Deus caritas est; Caritas qua diligimus 3 .••

Ne dit-il pas encore que la merveille de la « vision béatifique », c'est d'y voir Celui qni nous voit: Videntem videre? Ce qui nous est promis, dit-il de même, c'est la vue du Dieu vivant et voyant: Nobis autem promittitur visio Dei viventis, et videntis 4!

1. Epist.' X55, n. 2 : (1 Beatam vitam ipsi sibi quodammodo fabricare voluerunt, potiusque patrandam quam impetrandarn putaverunt, cum ejus datar non sît rusi.Deus. » (PL, 33, 667). Cf. ÉtielUle GU.sON, Introduction d l'étude de saint Augustin, 2 8 éd. (1943), p. 141-146 et p. 309. 2. HUGUES de SAINT-VICTOR, In Ecclesiasten, homo 16 (PL, 175, 231 B). 3. Cf. De Trint"tate, 1. 8, c. 8, n. 12 (éd. P. Agaesse, Bibl. august., p. 64-66). Saint BERNARD, De consideratione, 1. S, C. 14, n. 30. Opera, éd. J. Leclercq. vol. 3, p. 492. GUILLAUME de SAINT-THIERRY, De natura et dignitate amoTis : « Ipsa caritas est oculus quo videtur Deus li (PL, 184. 390). 4. Sermo 69 (de verbis Domini, 10), c. 2, n. 3 (PL, 38, 441). Cf. GRtGOIRB de NySSE, De oratione domt'nica, 2 (PG, #, 1137 AB).

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Vue fade ad fadem 1, colloque os ad os', mise en présence de l'Époux 3, Vie bienheureuse bue à sa Source' : que cela nous met loin de Platon! Au terme de l'ascension à laquelle il nous convie, Platon nous montre « le Beau lui-même, ensoleillé, pur, sans mélange 5 », le Beau parfait; mais ce Beau parfait n'est pas le Beau complet! Cette vision qu'il nous promet, qu'est-elle auprès de la promesse de Jésus: « Je me manifesterai moi-même à lui 6 )), auprès de ces (( paroles d'abîme)) que nous lisons dans saint Paul : « Alors je connaîtrai comme je suis connu' »? « Il nous faut déchanter un peu de Platon », dit un de ses plus fidèles admirateurs 8 - de Platon, et de tant d'autres beaux génies, à commencer par Aristote, qui avait cependant ré~lisé un progrès sur la conception de son maître. Chez Aristote, en effet, le principe suprême n'est plus Idée objective mais Intelligence vivante, suprême Intelligence en même temps que suprême Intelligible, « Pensée de la Pensée » : « Nous appelons Dieu, dit-il, un vivant éternel et parfait 9 »; mais ce vivant éternel et parfait ignore éternellement les êtres imparfaits que nous sommes, aUCun mouvement d'amour ne lui fait abaisser sur nous même un regard, et par le fait même, réciproquement, «( seul un insensé pourrait dire qu'il aime Zeus 10)). Mais depuis le temps de Platon et d'Aristote, « une Lumière a brillé dans 1. De Trinitate, 1. 1. c. 13. n. 31 (éd. Mellet et Camelot. Bibl. august .• 15. 1955. p. 17S). Sllr cette expression paulinienne: Dom Jacques DUPONT. Gnosis, p. Il4. IlS. '146. 2. De Genesi ad litteram. 1. 12. c. 26. n. 54 (PL, 34. 476). 3. In epistolam Joannis, tract. : « Ostendam. inquit. meipsum i11i. Desideremus et amemus. flagremus si sponsae sumus. Sponsus absens est. sustineamus, veniet quem desideramus. » 4. De Cenesi ad litteram, ibid. : « Ibi enim beata Vita suo Fonte bibitur. J) Cf. saint Jean DAMAScÈNE, De fide orthodoxa. 1. 4, in fine (PC. 94, 1228 A). Saint GRÉGOIRE le GRAND. In evangelia, 1. 2, homo 37. n. 1 (PL, 76, 1275 AC). - Psalm. 35, V. 10 : « Quoni.am apud te est fons vitae, et in lumine tuo videbimus lumen. D 5. Banquet, 29. - Cf. Étienne BORNE, Pou'r une doctrine de l'intériorité, dans Intériorité et vie spirituelle (1954), p. 14-16. 6. Jo., XIV, 21, cité par saint THOMAS, Contra Centiles, 1. 3. C. 52. 7. 1 Cor., XIII, 12. Cf. Gal., IV, 9. 8. Auguste VALENSIN. S. j., Regards sur qUelques penseurs (1955), Platon, ch. VIII, p. 161. 9. Metaph., L, 7, 1072 b (Tricot, p. 175). 10. Eth., 2, II, 1208 b.

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