Correspondances d'intellectuels
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6/05/04
CORRESPONDANCES D'INTELLECTUELS Le cas des lettres d'Henri Lefebvre à Norbert Guterman (1935-1947) Michel TREBITSCH Conservées dans les archives de Norbert Guterman, les 59 lettres que lui a envoyées Henri Lefebvre de 1935 à 1947 sont une source majeure sur une amitié intellectuelle et [1] sur le cas assez rare d'une oeuvre à quatre mains . Elles sont aussi un document politique et un témoignage d'autant plus aigu sur les réseaux de sociabilité qu'il provient d'intellect d'intellectuels uels marginalis marginalisés és par l'instance l'instance académiqu académique e comme par l'instance l'instance politique politique pour leur tentative d'élaborer un marxisme critique. Ce corpus est néanmoins incomplet et hétérogène : malgré nos recherches, nous ne disposons pas, sauf rares exceptions, des réponses de Norbert Guterman et sans doute pas non plus de la totalité des lettres d'Henri Lefebvre. Celles antérieures à 1935 ont disparu et une lacune de deux ans et demi sépare le premier ensemble, - 35 lettres d'octobre 1935 à mai 1936, soit plus de la moitié du total -, d'une lettre isolée de l'automne 1938 et de dix lettres d'avril à la fin août 1939. La collaboration directe entre les deux hommes s'arrête à cette date, mais si nous poursuivons l'analyse jusqu'en 1947, c'est parce que l'immédiat après-guerre et l'avantguerre s'éclairent mutuellement. Perturbée, puis interrompue par la guerre (cinq cartes ou lettres de 1940 à 1942), la correspondance reprend en septembre 1944 et Lefebvre tentera jusqu'en 1947 (huit lettres) de rétablir cette collaboration. A partir de la guerre froi froide de en reva revanc nche he,, les les deux deux itin itinér érai aire res s dive diverg rgen entt de plus plus en plus plus,, même même si la correspondance amicale se poursuit jusqu'à la mort de Norbert Guterman en 1984. La correspondance comme laboratoire Ce n'est pas par dérive psychologisante qu'on évoque leur amitié, mais bien parce qu'elle conditionne le travail commun et la lecture de la situation idéologique et politique. Elle se constr construit uit,, d'une d'une certai certaine ne manièr manière, e, à mesure mesure que progre progresse sse leur leur collab collabora oratio tion, n, parce parce qu'elle se fonde elle-même sur des choix intellectuels. Une amitié intellectuelle "Que "Quell tris triste te temp temps s gâch gâché é ! De 1924 1924 à 1930 1930.. Nom Nom de Dieu Dieu.. Et sans sans plai plaisi sirr. Qu'e Qu'en n reste-t-il ? Une certaine expérience. Notre amitié, bien qu'elle-même soit postérieure", écrit Henri Lefebvre le 21 octobre 1935 dans une de ses premières lettres à Norbert Guterman. Si leur rencontre remonte aux couloirs de la Sorbonne et à la fondation du groupe Philosophies en 1924, c'est le rejet partagé de l'expérience avant-gardiste qui va les rapprocher. De ce petit groupe, où ils côtoyèrent Pierre Morhange, Georges Politzer, Geor George ges s Frie Friedm dman ann, n, Paul Paul Niza Nizan, n, on a cont conté é aille ailleur urs s la quêt quête e d'un d'une e "rév "révol olut utio ion n philosophique", le rapprochement avec les surréalistes en 1925, puis, après un repli
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spiritualiste momentané, l'adhésion au Parti communiste et l'éclatement en 1929, à la [2] suite de la tragi-comique "affaire de La Revue marxiste" marxiste" . Dans une phase de reprise en mains mains par le PCF de ses intell intellect ectuel uels, s, cette cette affai affaire, re, qui entraî entraîne ne l'excl l'exclusi usion on de Morh Morhan ange ge et de Gute Guterm rman an,, a redi redist stri ribu bué é les les memb membre res s du grou groupe pe en deux deux clan clans s irréconciliables : celui des intellectuels qui, comme Politzer et Nizan, se sont mis "au service" du parti et celui des marxistes marginaux, auquel Lefebvre se ralliera. C'est avec les exclus Morhange et Guterman qu'il lance en 1933, en marge des organes officiels du PCF, la petite revue Avant-Poste qu'on peut considérer comme la matrice de toute son [3] oeuvre ultérieure . Paradoxalement, la collaboration avec Guterman qui s'engage alors sera sera cons consol olid idée ée par par la dist distan ance ce : depu depuis is sept septem embr bre e 1933 1933,, celu celui-c i-cii s'es s'estt exil exilé é aux aux Etats-Unis où il poursuivra une carrière de traducteur et contribuera à plusieurs revues de gauche, notamment New Republic et Partisan Review . La correspondance conservée s'ouvre d'ailleurs, en octobre 1935, sur le retour de Lefebvre, parti à New York travailler tout l'été avec lui ; ils ne se reverront plus avant les années 1950. Lefebvre, quant à lui, partage son temps entre Montargis, où il enseigne depuis 1932 ("l'abjecte boîte de Montargis") et où il sera même élu conseiller municipal communiste en mai 1935, et Paris, où il vit avec Henriette Valet, employée des téléphones devenue romancière populiste, et où se concentrent ses activités d'intellectuel. Ce va-et-vient hebdomadaire entre Montargis et Paris, dont il se plaint souvent, et l'attente des navires en partance pour l'Amérique déterminent un espace, mais aussi un rythme épistolaire intense, avec près de cinq lettres par mois en 1935-1936 et encore plus de deux par mois en 1939. L'amitié se manifeste par une série de petits gestes, envois de livres ou de foie foies s gras gras,, des des conf confid iden ence ces s sur sur les les femm femmes es ou sur sur les les diff diffic icul ulté tés s pers person onne nelle lles s et familiales de Lefebvre, et même des moments de fâcherie. Les problèmes d'argent, souvent mentionnés, expliquent certains projets purement alimentaires et se traduisent par maints maints échang échanges es de servic services, es, Guterm Guterman an finanç finançant ant par exempl exemple e le voyage voyage de Lefebvre aux Etats-Unis en été 1935, tandis que Lefebvre lui envoie la majorité de leurs maigres droits d'auteurs. L'approche de la guerre rendra cette amitié plus poignante encore encore.. Hanté Hanté depuis depuis le printe printemps mps 1936 1936 par l'envi l'envie e de quitte quitterr la France France,, Lefebv Lefebvre re envisage à plusieurs reprises de partir aux Etats-Unis et, dès Munich, il fait de Guterman en quelque sorte son légataire. Le 28 août 1939, dans sa dernière lettre d'avant-guerre, indi indiqu quan antt où il a répa répart rtii ses ses manu manusc scri rits ts,, il lui lui conf confie ie,, "en "en prév prévis isio ion n du coup coup dur dur doublement possible pour moi", non seulement la poursuite de leur oeuvre commune, mais aussi la protection de ses enfants : "Ceci n'est pas un testament ! Je prends toutes mes précautions pratiques. (Je ne ferai pas de testament. Ce que j'aurais pu léguer n'est pas encore né) ... Je ne pense pas à la postérité en t'écrivant, mais à notre travail, à notre fraternité, à notre véritable amitié". Par-delà la dimension affective, on peut se demander si ne pèse pas sur leur relation, implicitement au moins, un double modèle, celui des correspondances philosophiques, qui ont joué un si grand rôle notamment dans la tradition philosophique française depuis [4] le XVIIe siècle , mais aussi, peut-être plus consciemment, le modèle de la relation et de la corr corres espo pond ndan ance ce entr entre e Marx Marx et Enge Engels ls,, sur sur lesq lesque uels ls port porten entt préc précis isém émen entt leur leurs s recherches. Lefebvre définira très bien cette relation d'avant-guerre dans une lettre du 4 septembre 1947 : "Je sais bien que ce qu'il faudrait, c'est non pas que je t'envoie des nouvelles de temps en temps, mais que nous rétablissions - comme il y a 10 ans - un courant continu d'échanges et d'informations". Ce sont cette continuité et cette intensité
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qui font de leur correspondance un véritable laboratoire où se prépare et s'expérimente leur oeuvre commune. "Le boulot coopératif" Comment travaille-t-on et pense-t-on à deux ? Au coeur de ce que Lefebvre appelle dans une de ses lettres "le boulot coopératif", il y a les quatre livres qu'ils ont publiés en commun, tous à la NRF : les Morceaux Morceaux choisis choisis de Marx en 1934, La Conscienc Conscience e mystifiée en 1936, les Morceaux choisis de Hegel et les Cahiers sur la dialectique de Hegel de Hegel de Lénine en 1938. Les lettres de Lefebvre sont un observatoire privilégié sur la genèse des deux derniers ouvrages, dont la rédaction est mise en route dès 1936. On pourrait croire qu'existe une sorte de répartition des tâches selon laquelle Guterman (qui, à la différence de Lefebvre, n'a jamais publié de livre seul) serait l'érudit, notamment le traducteur de textes allemands, et Lefebvre le penseur. C'est en partie le cas, et cela depuis Avant-Poste et même La Revue marxiste où avaient paru, notamment grâce à Guterm Guterman, an, des inédit inédits s du jeune jeune Marx. Marx. Ainsi Ainsi Lefebv Lefebvre re demand demande-t e-t-il -il plusie plusieurs urs fois fois à Guterman citations et références pour alimenter leur appareil critique. Mais il y a surtout un va-et-vient de l'écriture, les manuscrits transitant de l'un à l'autre à mesure de leur rédaction. Ils se corrigent mutuellement, avancent par plans successifs et remarques réciproques. Ainsi, par exemple, pour les Cahiers sur la dialectique de Hegel , Lefebvre écrit-il le 31 mars 1936 : "Veux-tu réécrire la préface Hegel-Lénine ou me donner des indications pour modifications de détail ?" Ou encore, aussi tard que le 19 juin 1939, en envoyant à Guterman le "plan provisoire" d'un projet sur la "conscience privée" qui ne verra jamais le jour : "A toi maintenant de l'élaborer, transformer, améliorer, etc., en le gardant comme base de discussion". C'est ce qui nous vaut, signalons-le au passage, d'avoir retrouvé dans les archives Guterman d'assez nombreux inédits de Lefebvre. Il semble d'ailleurs que, même pour les livres signés par Lefebvre seul, notamment son Nietzsche et son Matérialisme dialectique, dialectique, parus tous deux en 1939, la part de Guterman ne soit pas négligeable. Oeuvre commune, cette posture théorique et politique est fondée sur l'idée centrale que le marx marxis isme me ne cons consti titu tue e pas pas un syst systèm ème e clos clos,, mais mais qu'i qu'ill en est est à une une phas phase e "axiomatique", comme l'écrit Lefebvre, exigeant la mise au point ou la réévaluation de conc concep epts ts-c -clé lés s comm comme e ceux eux d'al d'alié ién natio ation n et de mysti ystifi fic catio ation n. C'es C'estt ce proje rojett d'"éla d'"élargi rgisse ssemen mentt du marxis marxisme" me" (21 avril avril 1936) 1936) qui permet permet de parler parler d'un d'un marxis marxisme me [5] critiq critique ue ou margin marginal, al, en ruptur rupture e dès les années années 1930 1930 avec avec l'orth l'orthodo odoxie xie . Et c'est pourquoi les lettres de Lefebvre ne cessent, à propos de leurs ouvrages publiés ou projetés, d'évoquer les difficultés, les retards, l'isolement dans lequel ils ont l'impression de produire leur oeuvre. La Conscience mystifiée, mystifiée, pourtant achevée depuis 1934, ne paraîtra finalement qu'en février 1936 et ne rencontrera qu'un faible écho, notamment aupr auprès ès du Part Partii comm commun unis iste te.. Ironi Ironie e du sort, sort, le jour jour même même de la vict victoi oire re du Fron Frontt populaire, Lefebvre écrit à Guterman (5 mai 1936) que le livre a été retourné d'URSS avec la mention : "Interdit à l'entrée par la commission de presse" ... Ce sont ces difficultés et cette impression d'hostilité à leur encontre qui expliquent aussi l'avortement de multiples projets destinés à prolonger leur exploration du marxisme, comme celui de s'atteler à une traduction de la Phénoménologie de l'esprit de l'esprit de Hegel ou encore de réunir, à côté de ceux de Marx et de Hegel, des Morceaux Morceaux choisis choisis d'Engels. d'Engels. Surtout, Surtout, ils comptaient poursuivre leur réflexion sur le thème de la mystification dans deux ouvrages, l'un intitulé Le Temps des dupes dupes,, tiré de leurs observations de la conjoncture politique, et
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surtout un autre, La Conscience privée, privée, dont il reste d'importants manuscrits, qui partait d'une théorie critique de l'"individu", contemporaine mais fondamentalement différente de la démarche personnaliste. L'objectif stratégique est explicite : "Nous pouvons en conjuguant nos efforts établir une circulation des idées, devenir des 'autorités' " (14 janvier 1936). Mais l'isolement dans lequ lequel el ils ils se trouv trouven ent, t, sans sans parl parler er de la fragi fragili lité té de leur leur situ situat atio ion n maté matérie rielle lle,, les les contraignent aussi à imaginer des projets d'infiltration, ce que Lefebvre appelle "politique de présen présence" ce" et même même des projet projets s strict stricteme ement nt alimen alimentai taires res.. Ainsi Ainsi cherch cherchent ent-il -ils s à collaborer à La NRF , où Lefebvre avait publié un article assez bien reçu, "Qu'est-ce que la dialectique ?" (septembre et octobre 1935), ou encore à Vendredi , lancé fin 1935, auquel participe Henriette Valet. Pendant plusieurs mois, encouragé par Léon PierreQuint, Quint, Lefebv Lefebvre re s'affa s'affaire ire vainem vainement ent au lancem lancement ent,, aux éditio éditions ns du Sagitta Sagittaire ire,, d'une d'une collec collectio tion n de petits petits traité traités s critiq critiques ues,, écriva écrivant nt fièrem fièrement ent à Guterm Guterman an : "Je "Je n'acce n'accepte pte qu'avec toi comme co-directeur". Il y a bien une tentation de faire feu de tout bois pour s'imposer, s'imposer, qui explique aussi la l a relative dispersion de leur activité. D'autant que Lefebvre, attiré attiré par des formes formes divers diverses es d'écri d'écritur ture e (il écrira écrira,, en partic particuli ulier er pendan pendantt la guerre guerre,, plusieurs pièces de théâtre), semble avoir pris, si l'on en croit ses lettres, une part fort active au roman d'Henriette Valet, Valet, Le Temps des méprises, méprises, paru en 1937 chez Grasset. Le regard politique Le projet philosophique commun va de pair avec une lecture critique de l'événement politique d'autant plus intéressante que Lefebvre envoie en 1935-1936 des interviews d'hommes politiques (Malraux, Marceau Pivert, Frot, Thorez, Daladier) et de véritables "notes de conjoncture" pour alimenter les articles de Guterman dans New Republic . Un pessim pessimism isme e profon profond d marque marque cette cette corres correspon pondan dance ce : "Le "Le moment moment de la catast catastrop rophe he approc approche" he",, répète répète-t-i -t-ill à partir partir de janvie janvierr 1936, 1936, persua persuadé dé très très tôt que la guerre guerre est inévitable. Cueilli à son retour des Etats-Unis par l'affaire d'Ethiopie, il imagine dès 1935 la format formation ion d'un d'un "bloc "bloc fascis fasciste te europé européen" en" dirigé dirigé par Hitler Hitler,, admira admirant nt l'habi l'habilet leté é de Mussolini à capter la vague pacifiste pour faire échouer les sanctions de la SDN puis, lors de l'occupation de la Rhénanie en mars 1936, la "diplomatie formidable" de Hitler, qui joue de la surprise et de l'affolement et s'adresse aux peuples par-dessus les gouvernements. En face, l' "imbroglio de politique externe-interne" désarme et démobilise les démocr démocrati aties es.. "La France France fout fout le camp" camp",, observ observe e Lefebv Lefebvre re en octobr octobre e 1935 1935 en attribuant la profonde démoralisation "à la fatigue, à l'anxiété, à l'effarement des masses françaises, qui veulent qu'on leur foute la paix à tout prix", et il ne cesse d'évoquer, à partir de la crise rhénane, "une frousse qui empêche les gens de penser et de vivre". Entret Entretenu enues es par les manoeu manoeuvre vres s politiq politiques ues,, en partic particuli ulier er celles celles des radica radicaux, ux, les équivoques du pacifisme sont pour lui à la base de cette faiblesse de réaction qui ajoute à la menace fasciste extérieure une menace fasciste intérieure, dont l'idée le hante constamment. Après avoir cru à un putsch des Croix-de-feu, il analyse longuement la crise parlementaire de décembre 1935 qui aboutit à la dissolution des ligues, aussitôt reconverties en groupements politiques, et conclut : "le but devenait : l'accession légale au pouvoir, comme Hitler". Traitant Laval d' "espoir du fascisme mondial", il voit une nouvel nouvelle le menace menace dans dans le rappro rapproche chemen mentt "entre "entre l'extr l'extrémi émisme sme fascis fasciste te et la gauche gauche pacifiste et froussarde" et écrit, commentant l'interview de Frot qu'il envoie à Guterman le 10 février 1936 : "Lis bien ce texte. N'entends-tu pas je ne sais quel son louche et quel espoir du fascisme par la gauche ?" A aucun moment, il ne partage l'enthousiasme
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unitaire du Front populaire et il ne commence à envisager une victoire électorale de la gauche qu'après l'agression contre Blum, le 13 février, février, qui entraîne la dissolution effective des ligues. Cette réserve envers le Front populaire s'étend à la politique de son propre parti : "Le légalisme du PC dépasse les limites permises", écrit-il dès le 21 octobre 1935 et il lui reprochera en décembre de jouer le jeu de l' "union sacrée" pour ne pas effrayer les les radi radica caux ux,, puis puis de ne pas pas prés présen ente terr, à côté côté de l'acc l'accor ord d de Fron Frontt popu popula lair ire, e, un programme de transition révolutionnaire. Dans ses lettres du printemps 1936, qui ne comportent aucune allusion aux grèves, rien ne reflète un quelconque enthousiasme à la perspective d'une victoire électorale de la gauche. Le 2 mai, il décrit des élections calmes, sans lame de fond mais avec une redistribution au profit des communistes ; et le 5 mai, au lendemain du second tour, il note seulement : "J'ai une envie croissante de foutre le camp". La lettre isolée de l'automne 1938 qui suit ce premier ensemble fournit une réaction immédiatement postérieure à Munich. Pour Lefebvre, "le pacifisme conjugué, de droite et de gauche gauche"" tient tient à "l'éco "l'écoeur eurant ante e frouss frousse e physiq physique ue de tous", tous", mais mais aussi, aussi, à gauche gauche spécialement, à "l'idée curieuse : que le fascisme mourra de ses victoires et laissera la place au socialisme" et même que l'hitlérisme, en supprimant les frontières, est un "internationalisme véritable". Lefebvre, alors en contact avec Gabriel Péri (notamment [6] par leur maîtresse commune, Sofia Jancu, alias "Etienne Constant" ), demeure très critique envers le PCF, qui a joué la carte unique de la guerre, "pour ensuite adopter exagérément la théorie du bluff et de la comédie montée à l'avance". Toujours hanté par l'envie de partir aux Etats-Unis "en cas de camps de concentration" (pour les militants), il continue de croire à la catastrophe : Hitler n'ira vers l'Est qu'avec un "régime sûr" en France et la seule chance des communistes est qu'il attaque d'abord l'Ouest. Les dix lettres de 1939 font en quelque sorte monter la tension : "On vit dans un drôle d'état intermédiaire entre la paix et la guerre", écrit-il dès le 30 avril. A partir de juin, s'attendant déjà déjà à une attaqu attaque e contre contre la Pologn Pologne, e, il suit suit les négoci négociati ations ons angloanglo-sov soviét iétiqu iques es en pron pronos osti tiqu quan antt un "2e "2e Muni Munich ch"" et dema demand nde e des des expl explic icat atio ions ns à Gute Guterm rman an : "J'a "J'aii l'impre l'impressi ssion on que tu peux peux voir voir beauco beaucoup up mieux, mieux, de loin, loin, les événem événement ents". s". En juille juillet, t, observant qu'"on rejette l'échec des pourparlers anglo-soviétiques sur la Russie, ses exigences, ses desseins secrets et dangereux", il souligne l'isolement croissant du PC, avec lequel la SFIO a refusé de défiler le 14 juillet et s'attend à une arrivée au pouvoir de Déat, La Rocque, Doriot, accompagnée d'une "mise hors la loi du PC avec camps de concen concentra tratio tion, n, d'un d'un pacte pacte anti-s anti-sovi oviéti étique que,, etc." etc." Le 27 août, août, quelqu quelques es jours jours avant avant la guerre, guerre, la veille veille de sa dernière dernière lettre-testamen lettre-testamentt du 28, une "lettre politique" politique" nous donne sa lecture du pacte germano-soviétique. Le premier jour, écrit-il, on n'y croit pas, L'Ordre parle d'un "formidable canard" ; le jour suivant, c'est la consternation, même et surtout à droite, le désarroi absolu des munichois qui parlent d'immoralité politique ou de collusion naturelle des idéologies nazie et marxiste ; le troisième jour, on en prend son parti, on devient subitement très ferme envers l'Allemagne, on commence la mobilisation et on se retourne contre les communistes en répandant le bruit de démissions sensationnelles. Pour Lefebvre, qui voit dans le pacte une provocation des munichois pour favoriser "la guerre impérialiste" et pronostique une "guerre des nerfs, guerre blanche", c'est un "coup dur", le "sacrifice au moins momentané des marxistes français", mais en même temps, "à l'échelle l'échelle historique historique,, coup formidable. formidable. Mais bougrement bougrement emmerdant emmerdant pour le présent". présent". Vision machiavélienne d'un communiste marginal qui salue en même temps, malgré les fautes, insuffisances, lenteurs, le "grand courage politique des communistes".
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Une position marginale dans le champ intellectuel Intellectuelle et politique, la marginalité de Lefebvre et Guterman fait aussi de cette corres correspon pondan dance ce une source source majeur majeure e sur les réseau réseaux x intell intellect ectuel uels s dans dans lesque lesquels ls ils tentent, la plupart du temps vainement, de s'insérer. S'ils connaissent tout le monde, du moins beaucoup de monde, et ne sont reconnus par personne, c'est qu'ils se trouvent à cheval, ou plutôt à l'écart, des deux réseaux de légitimité possibles, d'une part le réseau communiste, d'autre part le réseau éditorial, et que c'est du côté de la non-légitimité qu'ils ont des relations étroites et confiantes avec les milieux périphériques du marxisme, de la philosophie ou de la littérature. Compagnons de route Avec les intellectuels communistes, les relations sont faibles et souvent tendues. Les colla collabo bora rati tion ons s obte obtenu nues es par par Lefe Lefebv bvre re sont sont le fait fait,, soit soit d'op d'oppo port rtun unit ités és,, soit soit plus plus généralement de la ligne d'ouverture du PCF au temps du Front populaire, c'est-à-dire qu'il est traité beaucoup plus en compagnon de route qu'en communiste à part entière. Cette situation paradoxale est en grande partie la conséquence de l'"affaire" de La Revue marxiste, marxiste, puis de l'expérience d' Avant-Poste, Avant-Poste, un moment considéré par le parti comme un concurrent de Commune. Commune. Lefebvre manifeste une rancune tenace contre Politzer et Nizan, qu'il accuse de vouloir saboter leur oeuvre commune. Ainsi, dans une lettre du 14 janvier 1936 : "Nizan est devenu un très grand personnage bourgeoiso-révolutionnaire. Il est rédacteur diplomatique de l'Huma, sacré grand écrivain depuis son dernier volume, lecteur à la NRF et dirigeant occulte de Vendredi". Plus largement, les lettres de Lefebvre fourmillent d'attaques contre ceux qu'il appelle les "marxistes officiels", non seulement des apparatchiks comme Jean Fréville mais aussi René Maublanc, responsable des questi questions ons de philos philosoph ophie, ie, Vladim Vladimir ir Pozner Pozner,, Aragon Aragon ou Friedm Friedmann ann,, alors alors lui-mê lui-même me compagnon de route. Lefebvre se plaint du faible écho de leurs ouvrages dans la presse communiste et, commentant le 5 mai 1936 le renvoi d'URSS de La Conscience mystifiée, mystifiée, il a ce mot terrible dans la bouche d'un communiste, le jour même de la victoire du Front populaire : "Le PC au pouvoir ? Nous n'aurions plus d'éditeur". Les collaborations, assez rares, rares, existent existent pourtant : c'est Nizan qui, en 1934, avait avait préfacé préfacé leurs Morceaux choisis de Marx , Lefebvre publie quelques textes dans Commune et, grâce à Friedmann, il fait en 1936 une conférence au Cercle de la Russie neuve et publie son Nietzsche dans la collection "Socialisme et culture" des Editions sociales internationales. Mais, de fait, en dehors de ce livre et d'une brochure sur l'hitlérisme, aucun de ses ouvrages ne paraît aux éditi édition ons s du part parti. i. Cette Cette excl exclus usiv ive e s'ét s'éten end d même même aux aux orga organi nism smes es périp périphé hériq rique ues, s, notamment aux périodiques comme Vendredi ("On Vendredi ("On ne m'a pas demandé d'y collaborer", 6 octobre 1935), Europe, Europe, où il publie quelques articles, puis, en 1939, La Pensée, Pensée, dont Politzer est, selon lui, "le Führer". Ainsi Lefebvre et Guterman, lui-même alors lié aux "New York intellectuals" marxisants de la Partisan Review et aux émigrés de l'école de Francfort, ne se retrouvent-ils en relations confiantes qu'avec des marxistes eux-mêmes assez assez margin marginaux aux comme comme l'exil l'exilé é allema allemand nd Max Raphaë Raphaël, l, l'érud l'érudit it social socialisa isant nt August Auguste e Cornu, spécialiste du jeune Marx, et surtout Charles Hainchelin, avec lequel Lefebvre entre entretie tient nt une une corr corres espo pond ndan ance ce chal chaleu eure reus use e et semb semble le avoi avoirr eu des des proj projet ets s de collaboration. Même situation du côté de la légitimité intellectuelle : cas révélateur, les rapports avec le monde monde univer universit sitair aire e sont sont presqu presque e inexis inexistan tants. ts. Lefebv Lefebvre re imagin imagine e bien bien un temps temps de déposer un sujet de thèse (sur la philosophie américaine !), rêve de postes à l'étranger et 6 sur 11
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s'ap s'appr prêt ête e à reno renoue uerr cont contac actt avec avec le vieu vieux x Léon Léon Brun Brunsc schv hvic icg, g, son son prof profes esse seur ur à la Sorbonne qu'il vilipendait dans les années 1920. Il évoque le monde universitaire avec un certain mépris, au détour d'une allusion à Alexandre Koyré "le sorbonnard" ou à Lucien Febvre. Dans ses lettres de 1939, il craint beaucoup que son livre Le Matérialisme dialectique commandé par Alcan ne soit en définitive refusé par le directeur de collection Henri Henri Delacr Delacroix oix parce parce qu'il qu'il n'est n'est pas agrégé. agrégé. En vérité vérité,, du moins moins jusqu' jusqu'à à la thèse thèse d'Auguste Cornu sur le jeune Marx, le marxisme n'a guère droit de cité à l'Université et Hegel lui-même, on le sait, commence à peine à y retrouver un statut. Quant aux réseaux éditoriaux, si Lefebvre et Guterman ont leurs entrées à la NRF, où seront publiés leurs quatre livres, ils le doivent à l'appui fidèle et constant d'André Malraux, ce qui n'est pas sans éclairer l'attitude même de Malraux envers les communistes dans cette période d'unité antifasciste. Dès 1932, il avait rendu possible la publication du recueil poétique de Morhange La Vie est unique, unique, puis, en 1933, financé en partie Avant-Poste partie Avant-Poste par un prêt qui ne sera remboursé qu'en 1936. En tout cas, c'est à son obstination qu'on doit, comme le démontrent les lettres de Lefebvre, la publication de tous les livres comme des deux articles de la NRF . Les relations avec les autres dirigeants Gallimard sont plus heurtées, notamment avec Hirsch, le directeur commercial, accusé de retarder la sortie de La Conscienc Conscience e mystifiée mystifiée,, mais mais le dial dialog ogue ue,, souv souven entt cont contra radi dict ctoi oire re,, se pour poursu suit it avec avec Groethuysen, Benda, Parain, Paulhan lui-même, qui accepte un papier de Guterman pour les "Airs du mois" et envisage un moment leur collaboration à la revue Mesures (13 octobre 1935). En revanche, les contacts avec d'autres éditeurs débouchent rarement, malgré malgré les échang échanges es très très amicau amicaux x avec avec Léon Léon Pierre Pierre-Qu -Quint int,, pour pour lequel lequel ils passen passentt plusieurs semaines à envisager le lancement d'une collection assez commerciale de "petit "petits s traité traités" s" aux éditio éditions ns du Sagitta Sagittaire ire.. Autrem Autrement ent dit, dit, leurs leurs relati relations ons au champ champ intell intellect ectuel uel sont sont elles elles aussi aussi périph périphéri érique ques s et atypiq atypiques ues.. Le meille meilleur ur exempl exemple e en est peut-être leurs liens, via Henriette Valet, avec le groupe Poulaille (donc avec Grasset) et avec une veine populiste, incarnée aussi par Henri Calet et surtout Louis Guilloux, dont Lefebvre commente longuement Le Sang noir ("Mieux que Céline, mieux que Malraux", 19 novemb novembre re 1935). 1935). Ce choix choix littér littérair aire e n'est n'est pas sans signif significa icatio tion n politi politique que : il fait fait pendant à ses attaques contre le sectarisme des romans de Nizan et indique un refus assez caractérisé des positions du réalisme socialiste, que confirment ses deux articles [7] sur la théorie du roman parus dans Commune . Leurs autres relations, remontant là aussi aux années 1920, proviennent d'une nébuleuse allant de Jean Grenier à Jean Wahl ("J'ai fait la paix avec lui", 1er novembre 1935) qui assure le contact, et en fait le débat, avec les milieux personnalistes. "La revue Esprit est Esprit est la meilleure des revues françaises", écrit par exemple Lefebvre le 21 octobre 1935. Nous avons tenté de montrer ailleurs que les milieux chrétiens, notamment personnalistes, ont été les seuls, dans les années 1930, à prendre au sérieux l'idée d'une philosophie marxiste et donc la démarche de [8] Lefebvre et Guterman . La guerre et l'après-guerre Dans une lettre du 15 avril 1936, Lefebvre tente de s'expliquer leur isolement : "C'est un peu peu de ma faut faute e (pol (politi itiqu que e d'ab d'abse senc nce, e, buts buts trop trop "éle "élevé vés" s")) et auss aussii la faut faute e des des circonstances. Ces messieurs sont tous riches, titrés, avec des relations". On ne peut en effet écarter les explications d'ordre sociologique : fragilité de sa situation professionnelle (non agrégé, il est enseignant non titulaire dans un collège privé), alternance ParisMontargis vécue comme un facteur d'exclusion par rapport aux cercles parisiens. Cette
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correspondance confirme la pertinence des concepts de position dans le champ, de relations relations dominant/d dominant/dominé ominé,, légitime/ill légitime/illégitim égitime, e, élaborés élaborés par Bourdieu. Bourdieu. Il faut pourtant pourtant éviter une lecture aussi caricaturale que celle d'Anna Boschetti dans Sartre et Les et Les Temps modernes, à propos de la querelle sur l'existentialisme dans laquelle Lefebvre s'engage en 1945, lorsqu'elle évoque "le cas de Lefebvre, sorbonnard d'origine provinciale, contraint de se mesurer sa vie durant à l'élite normalienne de sa génération. Son acharnement contre Sartre, Nizan, Friedmann, tous parisiens et normaliens, peut se lire comme la rivalité hargneuse d'un camarade moins chanceux ; sa longue obéissance au parti comme la recherche d'une autorité compensatoire ; l'incapacité d'obtenir la reconnaissance et la confiance du parti malgré malgré les démons démonstra tratio tions ns réitér réitérées ées de zèle zèle dans dans l'auto l'autocri critiq tique ue et la dénonc dénonciat iation ion d'anciens camarades comme Nizan et Friedmann - comme l'effet de la méfiance qu'il [9] suscite par l'affinité profonde qui le lie à ses anciens condisciples" . C'est en grande partie pour démentir une lecture aussi sommaire que nous poursuivons jusqu'à l'après-guerre l'analyse des lettres de Lefebvre, même si celles-ci fourmillent aussi aussi de plusie plusieurs urs autres autres inform informati ations ons.. De 1940 1940 à 1942, 1942, les cinq cartes cartes ou lettre lettres s conser conservée vées, s, écrite écrites s prudem prudemmen mentt à cause cause de la censur censure, e, permet permetten tentt néanmo néanmoins ins de [10] reconstituer l'itinéraire assez mal connu de Lefebvre . Non mobilisable, à cause de ses nombreux enfants, il enseigne à Montargis jusqu'à sa révocation le 11 mars 1941 ("J'ai perdu ma situation", écrit-il le 27 de Lyon), travaille un peu dans la région lyonnaise, avant de descendre dans le Midi où, vivant dans une grande "solitude spirituelle", dans la misère et la maladie, il maintient pourtant des contacts, notamment par les éditions du Sagittaire repliées à Marseille, grâce auxquelles ses lettres parviennent à Guterman, à qui il transmet en octobre 1941 "des nouvelles relativement bonnes de Georges, de Pierre Pierre,, de leurs leurs famille familles" s" (Politz (Politzer er et Morhan Morhange) ge),, puis puis en 1942 1942 de "très "très mauvai mauvaises ses nouv nouvel elle les s de Geor George ges s P." Inte Interr rrom ompu pue e quan quand d il entr entre e dans dans la clan clande dest stin init ité, é, la correspondance ne permet pas de savoir dans quelles conditions il se retrouve le 30 septembre 1944 capitaine à l'état-major FFI de Tarbes, comme le précise sa première lettre d'après-guerre à Guterman. Après la misère et la solitude de la guerre, il ne songe, comme il l'écrit plusieurs fois en 1945, 1945, qu'à reprendre reprendre la collaboration collaboration avec Guterman et il évoque évoque les recherche recherches s qu'il a tenté de poursuivre sur la question agraire et surtout sur le problème de l'individu. Mais, passé l'enthousiasme de la Libération, le pessimisme domine à tous points de vue. Souvent malade, sans argent dans un pays au bord de la disette, éloigné de sa famille, il est engagé grâce à Tzara à Radio-Toulouse, mais, écarté en 1947 pour cause de guerre froide, il devra se résoudre à demander sa réintégration dans l'enseignement et sera nommé à Toulouse, Toulouse, avant d'entrer au CNRS, grâce à Gurvitch, en 1949. De 1945 à 1947, il publie publie pourta pourtant nt de nombre nombreux ux ouvrag ouvrages, es, parmi parmi lesque lesquels ls L'Existentialisme en 1946, 1946, Critique de la vie quotidienne en 1947 ou son "Que sais-je ?" sur Le Marxisme en 1948. Cette activité fébrile, qui lui vaudra d'être considéré "comme le meilleur "philosophe" et "théoricien" français actuel" (lettre du 4 septembre 1947), ne le fait pas sortir de sa marginalité. Dès 1945, il se plaint du manque de soutien de "nos amis", en particulier d'Ar d'Arag agon on,, même même s'il s'il semb semble le que que le PCF PCF lui lui ait ait prop propos osé é un mome moment nt un post poste e de permanent, qu'il refusera, à la section centrale d'éducation. Il est réservé sur la politique d'union nationale et, au moment où sont progressivement évincés les résistants, sur la fabrication fabrication du mythe de la Résistance Résistance : "Il y a un ridicule ridicule contraste contraste entre la place place fictive fictive 8 sur 11
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de la résistance dans le monde intellectuel et littéraire et sa place réelle dans le pays. Cons Conséq éque uenc nce e : plus plus de pens pensée ée crit critiq ique ue ; il n'es n'estt plus plus ques questio tion n de maté matéri rial alis isme me dialectique" (7 juin 1945). Pourtant, selon lui, quelque chose a changé par rapport à l'avant-guerre, et le prestige de leurs livres des années 1930 serait très grand auprès d'"un certain nombre d'éléments jeunes et actifs", venus de la Résistance : "Si j'avais beauco beaucoup up de santé, santé, beauco beaucoup up d'acti d'activit vité, é, et un poste poste offic officiel iel à Paris, Paris, je pourra pourrais is en prendre la tête". Or, c'est cette jeune génération militante (Pierre Hervé, Edgar Morin, Dionys Mascolo) qui dialogue avec Sartre dans Action dans Action alors que pour Lefebvre le danger idéologique principal est précisément l'existentialisme. Les lettres de Lefebvre montrent que son acharnement contre Sartre dans Action puis dans son livre L'Existentialisme [11] n'es n'estt pas, pas, comm comme e le croi croitt Anna Anna Bosc Bosche hett tti, i, pure pure et simp simple le rival rivalit ité é . Sign Signal alan antt à Guterman que son article d' Action, Action, d'abord d'abord refusé, puis édulcoré, vient de paraître, paraître, il lui écrit le 31 juillet 1945 : "Le danger idéologique est d'autant plus grand que Sartre passe pour un génie - qu'il flirte avec nos amis - qu'il introduit sa philosophie par la littérature, etc., et enfin qu'il se croit et que ses amis le croient un rénovateur de la France". Annonçant qu'il veut lancer une "véritable offensive" contre Sartre, il explique : "Sais-tu pourquoi Sartre m'empêche de dormir ? parce que toute sa philosophie représente le déve dévelo lopp ppem emen entt de mon mon 'man 'manife ifest ste' e' paru paru il y a 20 ans ans dans dans Phil Philos osop ophi hies es.. Et j'ai j'ai parfaitement vu, à cette époque, tout ce que ça pouvait rendre. J'en ai pondu des centaines de pages. Et j'ai abandonné ça, avec le succès et la gloire, et l'argent et les femm femmes es,, pour pour la vie vie dure dure et médi médioc ocre re,, pour pour la pens pensée ée mili milita tant nte e trav travai aill llan antt sur sur les les problèmes réels. Alors, ce type, je le hais mortellement". L'équivoque épistolaire : quelques usages des correspondances correspondances intellectuelles Il paraîtra peut-être téméraire de conclure, à partir d'un corpus limité et d'un "work in prog progre ress ss", ", luilui-mê même me prép prépar arat atoi oire re à une une éditi édition on de la corre corresp spon onda danc nce e Lefe Lefebv bvre re-Guterman, par une réflexion sur les correspondances intellectuelles. Mais le cas de l'affrontement Lefebvre-Sartre, ou plutôt de la lecture dogmatique qui en est proposée, rend rend néce nécess ssai aire re une une inte interr rrog ogat atio ion n plus plus géné généra rale le d'au d'auta tant nt plus plus diff diffic icil ile e que que les les correspondances d'intellectuels n'ont guère fait l'objet d'études méthodologiques de la part des historiens, si l'on excepte un numéro récent assez disparate de la revue Mil neuf cent . L'ouvrage collectif que vient de diriger Roger Chartier sur les correspondances au XIXe siècle insiste certes sur les usages sociaux d'une pratique, mais il ne concerne pas les intellectuels en particulier. Aussi faut-il faire son miel des recherches menées par les littéraires dans plusieurs unités du CNRS (Bernard Duchatelet, Béatrice Didier) et lors de [12] colloques sur les correspondances comme "genre littéraire" . Et plus encore faut-il élaborer soi-même ses propres instruments d'investigation. Les correspondances peuvent être un instrument majeur d'approche des sociabilités intellectuelles pour au moins trois raisons. En premier lieu, elles sont une des rares sources écrites sur un mode de relations sociales dominé par la parole et l'oralité. En second lieu, elles ont un statut de récit personnel, proche de l'autobiographie ou du journal intime et différent des textes destinés à la publication, ce qui leur confère un contrat d'authenticité en vertu duquel l'arrière-texte a pour fonction d'expliquer ce qui est à l'avan l'avant-s t-scèn cène, e, l'intim l'intime e de rendre rendre compte compte de l'expr l'exprimé imé.. Enfin, Enfin, elles elles consti constitue tuent nt par elles-mêmes un lieu de sociabilité, lieu "privé" certes, par opposition à des lieux "publics" comme les revues, les colloques ou les manifestes, mais aussi lieu d'échange, non seulement entre des personnes, mais entre des comportements individuels et des règles 9 sur 11
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imposées de l'extérieur, codes sociaux ou normes d'écriture. Ce double statut de source et d'objet d'étude est d'ailleurs une difficulté. Dans la mesure où la correspondance est par elle-même acte de sociabilité, elle entre, comme le montre Roger Chartier, dans une pratique sociale plus vaste et, loin d'être du seul ordre du privé, elle tend au contraire à faire s'interpénétrer la sphère privée et la sphère publique. En même temps, ce qu'il y a de propre à une correspondance intellectuelle, c'est qu'elle entre dans une pratique text textue uell lle e glob global ale, e, c'es c'estt qu'e qu'ell lle e est, est, avec avec son son nive niveau au de lang langue ue et sa rhét rhétor oriq ique ue spécif spécifiqu iques, es, un type type de texte texte parmi parmi d'autr d'autres es textes textes.. Comme Comme texte, texte, elle elle entre entre dans dans l'histoire d'un genre littéraire complexe, avec ses usages et ses évolutions, héritier de la tradition du "commerce des esprits" des grands épistoliers du XVIIe siècle (Mme de Maintenon, Mme de Sévigné), qui le rapproche, par sa dimension "féminine", descriptive et intime, du récit personnel (autobiographie, mémoires, journaux, carnets) et du genre romanesque, surtout à ses débuts (roman par lettres : Laclos), mais aussi héritier de l'écrit public ou politique, "Lettres philosophiques" (Montesquieu, Voltaire), voire lettres à la pres presse se ou lett lettre res s ouve ouvert rtes es,, asse assez z proc proche hes s dans dans leur leur form forme e et leur leur fonc foncti tion on du manifeste ou de la pétition. Ce va-et-vient entre texte privé et texte public caractérise ce que, dans un stimulant essai, Vincent Kaufmann appelle L'Equivoque épistolaire. épistolaire. La correspondance intellectuelle apparaît comme un "espace paradoxal" : elle est cette "zone énigmatique" entre la vie et le texte, véritable "chaînon manquant entre l'homme et l'oeuvre", où l'écrivain tient soigneusement à distance son interlocuteur, convoque autrui pour mieux le révoquer, ce qui donne du même coup une "valeur d'initiation" à l'écriture [13] proprement dite . Peut-o Peut-on, n, à partir partir de ces remarq remarques ues générale générales, s, aller aller jusqu' jusqu'à à propos proposer er un essai essai de typologie ? Les données matérielles, les méthodes traditionnelles de critique externe du document ne sont pas sans utilité. Ainsi, les précisions de date et de lieu ne sont pas simplement des instruments de classement mais permettent de définir, comme on l'a vu pour pour les lettre lettres s d'Henr d'Henrii Lefebv Lefebvre, re, un rythme rythme et un espace espace épisto épistolai laires res spécif spécifiqu iques es (l'exclusion provinciale). De même, l'élaboration d'un index préalable permet, sinon de caractériser le type de relations à l'épistolier, du moins leur intensité et leur durée. Cet ensemble de remarques rend assez aléatoire la distinction usuelle des inventaires entre une correspondance professio professionnell nnelle e et une correspon correspondanc dance e personnel personnelle, le, notamment notamment familiale. Un critère plus convaincant tient à la position du ou des correspondants dans le champ intellectuel. La correspondance peut en effet avoir une fonction stratégique : chercher à percer ou au contraire aider un débutant, contrôler un milieu, organiser des servic services es mutuel mutuels. s. Ainsi Ainsi propos proposera era-t-o -t-on n de distin distingue guerr deux deux grande grandes s catégo catégorie ries s de correspondances. La première est la correspondance-réseau correspondance-réseau,, dont l'archétype pourrait être la correspondance d'Einstein : souvent moins intéressante par son contenu que par sa fonction, elle est identifiable à un bulletin de liaison entre membres d'un groupe organisés autour d'une ou plusieurs figures centrales, avec un objectif commun, de caract caractère ère esthét esthétiqu ique, e, scient scientifi ifique que ou idéolo idéologiq gique. ue. Et l'on l'on pourra pourrait it même même affin affiner er la distinction distinction entre réseaux réseaux formels, formels, comme comme une partie de la correspon correspondanc dance e politique politique d'Einstein ou surtout l'exemple plus ancien de la correspondance de Loyola, et réseaux info inform rmel els, s, comm comme e la corr corres espo pond ndan ance ce de Jean Jean-R -Ric icha hard rd Bloc Bloch, h, l'un l'une e des des plus plus monumentales du XXe siècle. On proposera, pour la seconde catégorie, la notion de correspondance-laboratoire.. Ce type de correspondance, auquel appartiennent les lettres correspondance-laboratoire de Lefebvre à Guterman, fonctionne sur le modèle de l'amitié intellectuelle : on a ici affaire à des intellectuels de même position, souvent de même génération, liés par des préoc préoccup cupati ations ons commun communes es d'ordr d'ordre e esthét esthétiqu ique e ou idéolo idéologiq gique, ue, qui poursu poursuive ivent nt une
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relati relation on profon profonde de et durabl durable, e, comme comme Roger Roger Martin Martin du Gard Gard et Romain Romain Rollan Rolland, d, ou forment parfois au contraire des couples détonnants, comme Mauriac et Claudel. L'amitié intellectuelle est ici à la fois la condition et le produit du travail mené en commun et la corres correspon pondan dance, ce, en scanda scandant nt les étapes étapes d'un d'un itinéra itinéraire ire intell intellect ectuel uel,, a pour pour foncti fonction on d'expérimenter concepts et sujets et d'en tester la réception par l'ensemble du milieu. Autrement dit, en tout état de cause, les correspondances, correspondances, pas plus que toute autre form forme e de soci sociab abil ilité ité inte intelle llect ctue uell lle, e, ne peuv peuven entt se pens penser er hors hors de leur leurs s cont conten enus us idéologiques ou esthétiques.
[1]
Les Guterman Papers sont déposés à la Butler Library (University of Columbia, New York). Nous tenons à remercier le conservateur de la Butler Library, M. Bernard Crystal, ainsi que les familles de Norbert Guterman et d'Henri Lefebvre, qui ont permis la mise en oeuvre de ce travail.
[2]
Michel Trebitsch, "Les mésaventures du groupe Philosophies (1924-1933)", La Revue des revues, 3, printemps 1987, pp. 6-9 ; "Le groupe Philosophies, de Max Jacob aux surréalistes", Cahiers Cahiers de l'IHTP , 6, novembre 1987, pp. 29-38 ; "Le groupe Philosophies et les surréalistes (1924-1925)",Mélusine, XI, 1990, pp. 63‑86.
[3]
Michel Michel Trebitsc Trebitsch, h, "Henri "Henri Lefebvre Lefebvre et la revue revue Avant-Poste : une analyse analyse marxiste marxiste marginale du fascisme fascisme", ", Lendemains, 57, 1990, pp. 77-87.
[4]
Voir l'introduction de Barbara de Negroni à son édition de la correspondance Rousseau-Malesherbes, Paris, Flammarion, 1991.
[5
Michel Trebitsch, "Philosophie et marxisme dans les années trente : le marxisme critique d'Henri Lefebvre", Actes du colloque L'engagement des intellectuels dans la France des années trente (Montréal, mai 1989), Université du Québec à Montréal, 1990, pp.13-44.
[6
Sur ce personnage assez mystérieux, voir Claude Pennetier, "La vérité sur la mort de Gabriel Péri", L'Histoire, 86, Dictionnaire biographique biographique du mouvement mouvement ouvrier ouvrier français français, 4e partie : février 1986, pp. 68-77 ; et sa notice dans le Dictionnaire 1914-1939, tome 23,.Paris, Editions ouvrières, pp. 144-146.
[7] Henri Lefebvre, "Essai sur les rapports de la critique et du roman", Commune, 48, août 1937 ; et "Stendhal ou le problème moderne de l'individu", Commune, 69, mai 1939.
[8] Art. cit., note 1 p. 73. [9 Anna Boschetti, Sartre et Les Temps Temps modernes, Paris, Minuit, 1985, p. 218. [10 Voir Rémi Hess, Henri Lefebvre et l'aventure du siècle , Paris, A.‑M. Métailié, 1988, pp. 108-116. [11] Jean-Paul Sartre, "A propos de l'existentialisme, mise au point", Action, 17, 29 décembre 1944 ; Henri Lefebvre, "Existentialisme et marxisme marxisme : réponse à une mise au point", Action, 40, 8 juin 1945.
[12] Voir bibliographie en fin de ce volume, pp. 213-214. [13] Vincent Kaufmann, L'Equivoque épistolaire, Paris, Minuit, 1990.
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