Commentaire arrêt Manoukian

September 24, 2017 | Author: Alice Rateau | Category: N/A
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Commentaire arrêt rendu le 26 novembre 2003 par la Cour de cassation L’offre, en vue de la conclusion d’un contrat, est souvent précédée d’une phase de discussion qui mène donc vers la formation du contrat, ce sont les pourparlers. Les pourparlers peuvent être rompus, puisque les parties ne sont pas encore liées par un contrat. Cependant, la rupture fautive des pourparlers peut engager la responsabilité de celui qui la commet. C’est ce qu’illustre l’arrêt rendu le 26 novembre 2003 par la Cour de cassation. La société A. Manoukian a engagé des négociations avec les actionnaires de la société Stuck qui exploite un fonds de commerce dans un centre commercial en vue de la cession des actions composant le capital de la société Stuck. Les pourparlers sont engagés au printemps 1997, après plusieurs rencontres à l’automne 1997, un projet d’accord, comportant des conditions suspensives devant être réalisées fin octobre 1997 est arrêté. A la demande des actionnaires cédants, A. Manoukian a accepté des modifications dans le projet de contrat et a repoussé la date de levée des conditions suspensives au 15 novembre 1997. A. Manoukian adresse un nouveau projet de cession au vendeur le 13 novembre sans avoir de réponse de la part des cédant. Fin novembre, A. Manoukian apprend que les actionnaires de la société Stuck avaient signé une promesse de cession d’actions de leur société à la société Les complices, le 10 novembre 1997. A. Manoukian saisit la justice afin que les actionnaires de la société Stuck et la société Les complices soient condamnés à réparer le préjudice résultant de la rupture fautive des pourparlers. Les juges du fond condamnent les actionnaires cédants pour rupture fautive des pourparlers et au versement d’une somme de 400 000 francs de dommages-intérêts. La société Les complices est mise hors de cause. Les actionnaires cessionnaires critiquent la cour d’appel de les avoir condamnés pour rupture fautive des pourparlers et à verser 400 000 francs de dommages-intérêts. Leurs arguments reposent sur la liberté contractuelle et la seule limite à cette liberté en matière de pourparlers, est l’abus de droit de rompre qui repose sur une faute caractérisée par la volonté de tromper son partenaire. Ils estiment avoir été de bonne foi pendant la négociation ne voulant jamais tromper la société Manoukian.

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Par conséquent, ils estiment ne pas avoir commis de faute en rompant les pourparlers. La société Manoukian, quant à elle, ne critique pas la décision de la cour d’appel en ce qu’elle a reconnu la rupture fautive des pourparlers. Elle lui reproche d’avoir sous-évalué le montant des dommages-intérêts. La cour d’appel n’a tenu compte que de l’absence d’accord définitif, elle aurait dû tenir compte de la perte d’une chance d’obtenir les gains que la société Manoukian escomptait de l’exploitation du fonds de commerce. On constate que le problème principal est celui de la rupture des pourparlers. Il se décompose en différents sous problèmes. Le premier est relatif aux conditions de rupture fautive des pourparlers par les négociateurs. Le deuxième concerne l’évaluation des dommages-intérêts dus en réparation du préjudice subi par le négociateur trahi. Le troisième concerne la mise en cause ou pas du tiers, c’est-à-dire du complice avec qui le contrat est finalement conclu. L’analyse des différentes thèses confirme cela. La Cour de cassation répond à chaque pourvoi pour les rejeter tous. En ce qui concerne le pourvoi des actionnaires de la société Stuck, elle le rejette en estimant que la mauvaise foi des cessionnaires était établie par le fait qu’ils avaient mené des négociations parallèles alors que le projet d’accord avait réglé toutes les difficultés et en laissant croire que les retards pris étaient le fait de l’absence de l’expert comptable. En ce qui concerne le pourvoi d’A. Manoukian, il est également rejeté. Elle énonce que le préjudice subi par la société A. Manoukian n’incluait que les frais occasionnés par la négociation et les études préalables auxquelles elle avait fait procéder et non les gains qu’elle pouvait espérer tirer de l’exploitation du fonds de commerce ni même la perte d’une chance d’obtenir ces gains. Pour comprendre le raisonnement suivi par la Cour de cassation, il convient d’étudier la rupture fautive des pourparlers (I), avant d’envisager la réparation du préjudice (II). I. La rupture fautive des pourparlers La Cour de cassation, en ce qui concerne la rupture fautive des pourparlers, confirme la jurisprudence antérieure (A), mais elle innove en réglant le sort du tiers contractant (B). A. La possible faute dans la rupture

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La Cour de cassation, en précisant que la rupture de pourparlers peut être fautive en raison du comportement de l’une des parties et qu’en ce cas elle engage la responsabilité délictuelle du fautif, ne fait que confirmer la décision rendue le 3 octobre 1972. Elle écarte l’argument du pourvoi qui reposait sur la liberté contractuelle. Le sérieux avec lequel elle caractérise la mauvaise foi des actionnaires de la société Stuck, dans la rupture unilatérale des pourparlers, montre que la Cour de cassation entend ne pas remettre en cause la liberté de contracter, mais d’en sanctionner les abus. La Cour de cassation conclut que les consorts X avaient rompu unilatéralement et avec mauvaise foi des pourparlers, après avoir vérifié les conditions de la rupture. Elle en vient à cette conclusion pour différentes raisons. La première est que les parties étaient parvenues à un projet d’accord aplanissant la plupart des difficultés et que la société A. Manoukian était en droit de penser que les consorts X étaient toujours disposés à lui céder leurs actions. La faute reprochée dans la rupture des pourparlers repose sur le fait que son auteur a laissé croire à son partenaire qu’il voulait encore signer le contrat définitif. En l’espèce, il est clair qu’en aplanissant les difficultés, et en poursuivant de manière sérieuse les négociations, les vendeurs ont laissé croire à Manoukian qu’ils étaient encore intéressés. Les négociations parallèles ne sont pas interdites au nom de la liberté de contracter. Cependant, elles constituent un indice pour prouver la faute de déloyauté. B. La mise hors de cause du tiers contractant A. Manoukian estimait que le fait de contracter en sachant que le contrat conclu implique une rupture fautive de pourparlers, est une faute et que le tiers contractant doit réparer. La Cour de cassation rejette le pourvoi en posant un principe général, « le simple fait de contracter, même en connaissance de cause, avec une personne ayant engagé des pourparlers avec un tiers ne constitue pas, en lui-même et sauf s’il est dicté par l’intention de nuire ou s’accompagne de manœuvres frauduleuses, une faute de nature à engager la responsabilité de son auteur. La solution de la Cour de cassation sous-entend que la société Les complices ne savait peut-être pas que d’autres négociations étaient en cours. 3

Cependant, elle précise que même si elle le savait, elle devait rester hors de cause. En revanche, elle introduit des exceptions, d’abord l’intention de nuire, et ensuite, les manœuvres frauduleuses. Si l’une de ces deux limites est franchie, la faute du tiers contractant peut être établie et sa responsabilité délictuelle engagée. La Cour de cassation pose une règle équilibrée qui respecte le droit de la concurrence, la liberté de contracter tout en permettant la sanction de comportements abusifs. En l’espèce, elle estime que la société Les complices n’a pas dépassé les bornes, c’est donc à juste titre que la cour d’appel l’a mise hors de cause. Après avoir constaté que la Cour de cassation suit un raisonnement par le passé déjà suivi, il faut comprendre que l’arrêt innove en précisant les conditions de réparation du préjudice en cas de rupture fautive des pourparlers. II. La réparation du préjudice La Cour de cassation précise quelle est l’étendue du préjudice réparé (A). Elle confirme implicitement, en statuant sur l’évaluation des dommagesintérêts, une solution plusieurs fois reconnue, l’impossibilité de contraindre à la signature du contrat négocié. Le préjudice réparé est celui des frais de négociation, à l’exclusion de la perte d’une chance que représente l’absence de signature du contrat (B). A. Le préjudice réparé « Le préjudice subi par la société A. Manoukian n’incluait que les frais occasionnés par la négociation et les études préalables auxquelles elle avait fait procéder ». Pour évaluer l’étendue du préjudice subi, la Cour tient d’abord compte du passé. Les frais engagés l’ont été à pure perte. Parmi eux, il convient sans doute de prendre en considération l’atteinte à l »image de la société Manoukian par la société Les complices. Il est possible de prendre en considération l’acte de concurrence déloyale commis par les actionnaires de la société Stuck.

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En posant des limites précises à la réparation du préjudice, la Cour de cassation rompt avec la jurisprudence précédente qui indemnisait en fonction des circonstances. La logique de l’article 1382 du Code civil est scrupuleusement respectée. Dans un arrêt du 13 novembre 2003, il était précisé que seul peut être réparé le préjudice trouvant sa cause dans le fait qui donne lieu à responsabilité. Il n’est donc possible de réparer que les conséquences de la faute, l’absence de conclusion d’un accord définitif, et pas la perte d’une chance de gain. B. La perte d’une chance écartée L’arrêt considère que l’absence d’accord ferme et définitif n’implique pas la réparation du préjudice de la perte d’une chance. Cette solution semble justifiée par le fait que la société Manoukian était très exigeante. Elle avait reçu 400 000 francs pour être indemnisée de l’échec des négociations et des frais inutilement engagés. Les négociations portaient sur le rachat des actions d’une société et pas directement sur l’exploitation du fonds de commerce. Cette exploitation même si elle était liée à l’activité de la société dont Manoukian prenait le contrôle, n’entrait pas directement dans l’objet du contrat. La société Manoukian ne convainc pas réellement la Cour, quand elle demande, en raison de la rupture fautive des pourparlers, à être indemnisée de la perte d’une chance d’exploitation du fonds de commerce dont les bénéfices sont difficiles à évaluer. L’indemnisation de la perte d’une chance de négocier avec un autre cocontractant ne devrait pas être remise en cause. La Cour de cassation, en présence d’une rupture d’une promesse de vente, avait accepté d’indemniser l’acquéreur déçu, pour la perte de chance de faire un bénéfice.

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