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ALICE ET LE TIGRE DE JADE par CAROLINE QUINE.
* Fantastique ! Chez Terry Kirkland, le peintre californien, qui vient d'être cambriolé pour la troisième fois, Alice va remplir un double rôle : baby-sitter et fin limier ! Mais la piste de la malle dérobée chez Terry la mène à un tigre de jade d'une valeur inestimable. Et qui dit valeur inestimable, dit risques réels. La vie d'Alice est menacée...
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CAROLINE QUINE
ALICE ET LE TIGRE DE JADE TEXTE FRANÇAIS SANDRINE COUPRIE ILLUSTRATIONS PHILIPPE DAURE
HACHETTE
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L'édition originale de ce roman a paru en langue anglaise chez Pocket Books (Simon & Schuster) New York sous le titre : THE MYSTERYOF THE JADE TIGER © Simon & Schuster Inc. © Hachette Livre, 1995. Hachette Livre, 43, quai de Grenelle, 75015 Paris
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CHAPITRE I. II. III. IV. V. VI. VII. VIII. IX. X. XI. XII. XIII. XIV. XV. XVI.
Un ami dans le besoin Jamais deux sans trois Alice tend un piège Le martin-pêcheur Une course-poursuite Le secret de la malle Un dragon très farouche Un revenant Des serrures... mais pas de clé Un tigre dans la nature Kidnappée ! Du côté de chez M L'ami d'Amy Éclaircissements dans une clairière Le feu aux trousses Le fin mot de l'histoire
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I Un ami dans le besoin « N'est-ce pas la plus ravissante robe de toute l'histoire de la mode ? » Étouffant un soupir, Bess Marvin souleva délicatement une petite robe rosé, courte et plissée, à fines bretelles. Puis, avec d'infinies précautions, elle l'étala sur le divan du salon des Roy. « Elle est un peu juste pour moi, confessa la jeune fille. Mais, d'ici le mariage, j'aurai perdu trois kilos. Qu'en penses-tu, Alice ? Une pure merveille, non ? » Alice Roy rejeta en arrière une mèche de ses cheveux dorés. Tout en observant « la pure merveille », elle retenait à grand-peine un sourire. Son amie Bess était incorrigible ! Combien de fois avait-elle projeté de perdre trois kilos... Chaque fois qu'elle se laissait séduire par une robe ravissante, mais un peu juste pour elle... Alice usa de tout son tact pour ne pas froisser son amie. « Très joli, en effet. Mais... » Comme elle hésitait, Marion Fayne, la cousine de Bess, exprima sa pensée. « Mais est-ce vraiment le genre de tenue qui convient à une demoiselle d'honneur ? 7
— Joanne a dit que chacun devait se sentir libre de porter ce qu'il souhaitait, répliqua Bess pour se justifier. — Je la reconnais bien là », approuva Alice. Joanne Koslow, de quelques années plus âgée que les trois amies, était une ancienne voisine de Bess, avec qui elle formait une paire inséparable. Et, dès sa plus tendre enfance, Joanne avait manifesté un goût pour les vêtements excentriques. Désormais, la jeune fille vivait dans le Nord de la Californie, où elle exerçait le métier de photographe. Elle allait épouser son petit ami, Keith, et avait invité les trois amies à la cérémonie. Alice se réjouissait à l'avance de ce mariage qui, à n'en pas douter, se révélerait aussi amusant qu'original. As-tu décidé ce que tu allais mettre ? » demandat-elle à Marion. Mais ce fut Bess qui répondit à la place de sa cousine : « Non, figure-toi. Je me tue à lui répéter qu'elle n'a plus que deux semaines avant le grand jour. Il faut absolument qu'on lui dégotte une tenue ! » Alice pouffa intérieurement. Bien que cousines germaines, ses deux amies étaient aussi dissemblables que le jour et la nuit. Tandis que Bess vouait un culte quasi religieux à la mode, Marion, sportive invétérée, sacrifiait volontiers l'élégance au confort. Leurs physiques ne faisaient qu'accentuer les différences de leurs caractères : Marion avait une 8
silhouette athlétique, des yeux noirs et des cheveux bruns coupés court. Bess, plus petite, avait les yeux bleus et de longs cheveux blonds. Après avoir soigneusement replié la robe dans sa boîte, Bess agrippa le poignet de sa cousine. « En route ! Je t'emmène dans les magasins. — Tout mais pas ça... » maugréa Marion. A cet instant, la porte du bureau de James Roy s'ouvrit et le père d'Alice s'avança vers les jeunes filles. « Un problème ? demanda-t-il, surpris par la mine déconfite de Marion. — Plutôt, oui, acquiesça celle-ci. Je suis réquisitionnée pour aller lécher les vitrines contre mon gré. — Je vois », fit M. Roy, rassuré. Se dégageant de l'étreinte de Bess, Marion passa une main dans sa chevelure à la garçonne. « N'existe-t-il pas une loi qui punit ce délit : le harcèlement pour cause de shopping ? » James Roy, avoué très réputé, tenta de garder son sérieux. « Pas à ma connaissance. Cela dit, je consulterai mes archives, si tu y tiens. Mais pour l'instant, c'est toi, Alice, que j'aimerais consulter. Te souviens-tu de Terry Kirkland ?
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— Tu veux parler de ton ami californien ? Cet artiste qui crée de si merveilleuses peintures sur verre? — Lui-même. Il vient de m'appeler, car il lui est arrivé une mésaventure. Tu sais que sa femme est morte il y a quelques années et qu'il élève seul sa fille, Amy. Il vient de se faire cambrioler à deux reprises, la semaine dernière. Sa gouvernante a eu si peur, qu'elle lui a donné sa démission. Or ses œuvres connaissent un succès croissant ; il a été sélectionné pour participer à plusieurs expositions, capitales pour son avenir. Malheureusement, il ne peut pas emmener Amy, qui doit aller à l'école. Et, naturellement, il répugne à la laisser seule dans leur grande maison. — Il n'a pas pu trouver une autre gouvernante ? s'enquit Marion. — S'il avait le temps de chercher, il trouverai sûrement quelqu'un, répondit l'avoué. Mais il y a urgence. Et je sais d'expérience qu'on ne confie pas sa fille unique à n'importe qui. Nous, nous avons eu beaucoup de chance de trouver Sarah... » Alice ne put qu'approuver. Sans connaître Amy, elle éprouvait une sympathie naturelle pour l'enfant. Elle aussi avait perdu très tôt sa maman. Sarah Green, sa gouvernante, était à ses yeux beaucoup plus qu'une simple employée ; elle faisait partie intégrante de la
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famille, et la jeune fille ne concevait plus un foyer sans Sarah. Alice croisa le regard de son père, bleu comme le sien. « On dirait que Terry a besoin d'un coup de main. — C'est aussi mon avis », acquiesça M. Roy. Marion afficha un large sourire espiègle. « J'y suis ! Alice incarne pour votre ami, l'oiseau rare : une baby-sitter doublée d'un fin limier... — Exactement, reconnut James Roy. Qu'en distu, ma chérie ? » Pour Alice, sa décision était déjà prise. Bien qu'elle n'eût que dix-huit ans, ses talents de détective lui avaient déjà permis de résoudre plusieurs dizaines d'affaires. L'idée de venir en aide à Amy — et de découvrir l'identité du cambrioleur — avait tout pour la séduire. « Demande à Terry quand il compte s'absenter, répondit-elle à son père. Et dis-lui qu'il peut compter sur moi. — Hmmm, toussota M. Roy d'un air embarrassé. J'espère que tu me le pardonneras... mais j'ai déjà pris la liberté de lui annoncer ton arrivée. — Quand m'attend-il ? — La semaine prochaine, il expose dans trois galeries. Toutes en Californie du Nord, si bien qu'il ne s'absentera jamais plus d'un jour ou deux d'affilée.
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— Mais... C'est la semaine qui précède le mariage de Joanne ! s'exclama Bess. Elle m'a proposé de venir quelques jours à l'avance. Tu la connais, Alice. Elle fait tout elle-même et les bonnes volontés seront les bienvenues... — J'ai offert mon concours pour le repas, renchérit Marion. Après tout, c'est une excellente occasion de mettre en pratique mon expérience de cuisinière. Mais quand nous avons appris que Joanne hébergeait chez elle la plupart de ses proches, nous avons compris que notre présence serait plus encombrante qu'utile. » James Roy réfléchit un instant. « Terry habite une belle et grande maison de trois étages. Je pense qu'il ne verrait aucun inconvénient à disposer de trois baby-sitters au lieu d'une seule ! » Fréquemment, les deux cousines accompagnaient Alice dans ses missions. Et pour la jeune détective, le soutien de ces deux complices était la garantie de passer un bon moment. Certes, Bess n'avait pas la témérité de Marion, mais elle avait appris à dominer ses craintes. Elle fut d'ailleurs la première à manifester son enthousiasme. « Fantastique ! Alice, nous partons avec toi. Pendant que tu mèneras l'enquête, nous aiderons aux préparatifs du mariage. » Mais Marion considérait les choses différemment. 12
« Personnellement, je préférerais me consacrer à l'enquête. » Alice coupa court à la querelle en s'interposant, un grand sourire éclairant son délicat visage. « Avant tout, appelons Terry pour nous assurer qu'il accepte de nous accueillir toutes les trois. S'il est d'accord, je suis sûre que nous ne manquerons pas d'occupations ! » Le vendredi suivant, dans l'après-midi, Alice et ses amies débarquaient à l'aéroport de San Francisco. Le chaud soleil de Californie leur fit l'effet d'une douce caresse. « Et dire que c'est l'hiver ! s'extasia Alice. Il doit faire au moins 20° C ! — Oui, vous avez de la chance. Vous arrivez au moment du redoux du mois de février. » Terry Kirkland était venu les chercher à l'aérogare, avec sa fille. Agé d'une quarantaine d'années, c'était un homme grand et mince, dont la chevelure grisonnante ondulait. La chaleur et la simplicité de son accueil séduisirent immédiatement Alice. « J'espère que vous aurez le temps de faire un peu de tourisme dans la région avant votre départ, dit-il. Mais si vous souhaitez voir San Francisco, il vous faudra un véhicule. Cherry Creek, où nous habitons, est à plus d'une heure et demie d'ici. »
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Alice accueillit la nouvelle sans remords ; lors de précédentes enquêtes, elle avait eu l'occasion de visiter la grande ville. Cette fois, elle aspirait davantage au calme de la campagne. « En fait, ça nous arrange, expliqua Bess. Votre maison n'est qu'à une demi-heure de celle de notre amie Joanne. — C'est vraiment très gentil de votre part de nous loger toutes les trois », ajouta Marion. Un sourire jovial illumina les traits de Terry. « Je suis heureux que tout le monde trouve son compte dans cet arrangement. Vous n'imaginez pas ma joie quand James m'a annoncé qu'il ne m'envoyait pas une, mais trois babysitters ! — Et moi alors ! enchaîna Amy. Depuis que notre gouvernante nous a quittés, papa se fait un sang d'encre à mon sujet. » Terry prit la main de sa fille et le petit groupe traversa le parc de stationnement. Avec ses longs cheveux noirs et raides, Amy avait le type vietnamien de sa mère. « Il y a souvent des cambriolages dans notre quartier, poursuivit-elle. Mais, franchement, ça ne m'empêche pas de dormir ! » Terry ouvrit la porte latérale de son Espace et commença à charger les valises de ses invitées.
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« Comme vous pouvez le constater, Amy est la sérénité incarnée ! Moi, je suis l'anxieux de la famille. » Les jeunes filles prirent place à l'arrière de l'Espace ; Amy insista pour s'asseoir à côté d'Alice. Dès que le véhicule eut démarré, Alice jugea bon d'entrer sans attendre dans le vif du sujet. « Ces cambriolages ont-ils été importants ? — Si on se fie à ce qui a été pris, rien de bien grave, répondit Terry. La première fois, seuls ont été dérobés la chaîne hi-fi et le téléviseur. » Alice hocha la tête. « Rien de surprenant à cela. Le matériel électronique est ce qui se revend le plus facilement. — Sans doute, admit Terry. D'autant que, la fois suivante, ils ont emporté mon ordinateur, le four à micro-ondes, le répondeur téléphonique et le magnétocassette d'Amy. Curieusement, ils n'ont pas touché à ce qui avait réellement de la valeur : mes œuvres de peinture sur verre. — Beaucoup trop difficile à écouler, expliqua Alice. Quelqu'un aurait pu reconnaître votre travail. En somme, nous avons affaire à des cambriolages assez classiques. — Pas tant que cela, objecta Terry. Après la première effraction, j'ai fait installer un système d'alarme très sophistiqué. Lors du deuxième
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cambriolage, l'intrus a réussi à le neutraliser avec une aisance déconcertante. — Ce voleur doit être un professionnel », en déduisit Marion. Les trois jeunes filles retinrent leur souffle lorsque le véhicule s'engagea sur le pont du Golden Gâte. En contrebas, la baie de San Francisco miroitait sous le soleil oblique de la fin d'après-midi. Et, de l'autre côté du pont, s'étalaient les collines verdoyantes et la côte venteuse des Marin Headlands. Amy pointa son doigt en direction de l'ouest. « Nous habitons par là-bas. Notre maison se situe de l'autre côté du mont Tamalpais, au-delà de la plage de Stinson. » Le regard d'Alice s'attarda un instant sur le somptueux panorama, mais son esprit restait obsédé par l'enquête. « Tout porte à croire que le voleur — ou la voleuse — avait prémédité son coup. La première fois, il s'est contenté de repérer les lieux ; sans doute pris par le temps, il n'a dérobé que deux objets. La seconde fois, en revanche, il a pu mener à bien son entreprise. — A moins qu'il ne se soit agi de deux cambrioleurs différents, suggéra Marion. — Pourquoi pas, en effet », reconnut Alice. Terry bifurqua pour emprunter une route sinueuse de montagne. 16
« Pour ma part, dit-il, je souhaite seulement qu'ils aient trouvé leur bonheur - et qu'ils ne reviennent plus! — Ne t'en fais pas, papa, lança Amy, très sûre d'elle. Alice et moi, on va découvrir le fin mot de toute l'histoire. » Mais son père gardait un air préoccupé. «Espérons que ce sera vite réglé. — Tu peux nous faire confiance, papa. » Alice répondit d'un sourire au clin d'œil complice que lui adressait la petite fille. « Eh bien, on dirait que j'ai trouvé une nouvelle associée ! Du renfort, c'est toujours bon à prendre. Mais il faut que tu me promettes une chose, Amy. Si ça tourne mal, tu devras suivre mes instructions à la lettre. — Résolument », approuva Terry. Amy roula de gros yeux à l'attention de son père, puis recouvra sa bonne humeur pour s'adresser à Alice. « Marché conclu ! » Il fallut encore une bonne heure avant qu'ils abordent la petite ville de Cherry Creek. Construite le long de l'océan Pacifique, la bourgade alignait ses boutiques pittoresques le long d'une plage de sable blanc, ombragée par des séquoias et des chênes. Terry ralentit pour engager l'Espace dans un étroit chemin de terre, bordé d'un côté par un ravin. 17
« Au bout de cette sente, c'est notre maison, annonça Amy. Par temps de pluie, c'est une véritable pataugeoire ! » Le nez collé à la vitre, Alice plissa les paupières mais ne distingua aucune habitation. L'Espace gravissait à grand-peine le rail terreux, gardé par de hautes sentinelles en forme d'eucalyptus. « J'aurai sans doute besoin de l'Espace pendant votre séjour, dit Terry. Mais je pourrai vous prêter ma voit... » La fin de sa phrase fut étouffée par une violente explosion. Puis l'Espace fit une embardée et vacilla sur l'arête du précipice. Après une seconde d'hésitation, le véhicule bascula sur le flanc et fit un tonneau. Guidée par un réflexe de survie, Alice se cala contre le siège avant. Quand donc allait cesser cette chute vertigineuse ?
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II Jamais deux sans trois Dans un froissement de tôle effroyable, l'Espace s'immobilisa enfin. Le flanc compressé contre la portière, Alice suffoquait sous le poids d'Amy, ellemême coincée par Bess et Marion. Sans leurs ceintures de sécurité, les quatre jeunes filles se seraient écrasées les unes les autres. La voix de Terry leur parvint, grave et inquiète. « L'une de vous est-elle blessée ? » Alice, Bess et Marion le rassurèrent immédiatement. « Moi non plus, je n'ai rien », ajouta Amy, cachant à grand-peine son émotion. Terry détacha sa ceinture de sécurité et parvint à s'extraire de sa prison de tôle par la portière côté passager. Puis, sans perdre un instant, il fit coulisser la porte latérale et aida les jeunes filles à sortir. Au moment où elle posait le pied à terre, Alice aperçut
une voiture une rouge sombre qui quittait la sente à vive allure. « Qui est-ce ? » demanda Bess d'une voix qui tremblait. Terry ne répondit pas. Le visage livide, il fit le tour de son véhicule ; Alice l'entendit étouffer une exclamation d'incrédulité et le rejoignit à l'avant de 19
l'Espace. Elle constata que le pneu avant droit avait éclaté. « C'est incompréhensible, fit Terry, consterné. J'ai fait monter des pneus neufs le mois dernier. J'ai dû heurter un objet contondant qui a entaillé le caoutchouc. — Mais cette automobile grenat... insista Alice. Savez-vous à qui elle appartient ? » Terry secoua la tête. « Aucune idée. Je ne l'avais jamais vue avant aujourd'hui. — Et malheureusement, je n'ai pas eu le temps de bien observer le conducteur. Mais il m'a semblé discerner un homme robuste, aux cheveux clairs. » Terry réfléchit un moment en silence. « Non, lâcha-t-il, je ne vois vraiment pas de qui il peut s'agir. Peut-être un étranger égaré... Mais remontons à la maison. Il faut que je contacte sans attendre une entreprise de dépannage et mon assureur. » Alice, Bess et Marion se chargèrent de leurs bagages et suivirent leurs hôtes jusqu'à chez eux. « Magnifique ! s'extasia Bess lorsque la résidence des Kirkland apparut enfin devant leurs yeux. On croirait une cabane comme les enfants en construisent dans la forêt. » Toute de bois et de verre, l'habitation élevait ses trois étages en volutes, parmi les branches des 20
séquoias. « C'était précisément mon intention, expliqua Terry. Petit, je raffolais des cabanes perchées dans les arbres. Au moment de faire bâtir ma maison, j'ai eu envie de réaliser ce rêve d'enfant. Heureusement, Lan, ma femme, a insisté pour y ajouter de vrais murs! » S'avançant sur le côté de la maison, il s'agenouilla et passa une main sur le sol. « On dirait que nous avons encore eu de la visite. — A quoi le voyez-vous ? » s'enquit Alice. Terry désigna un petit monticule de terre fraîchement retournée. A l'aide d'un caillou, il creusa et mit au jour un câble sectionné. « Voilà ce qui reste de mon système d'alarme, fitil avec un rictus amer. Mon second système d'alarme... Je parierais que les lignes téléphoniques ont été cisaillées, elles aussi. — Mais pourquoi ? interrogea Marion, consternée. — Lorsque l'alarme est débranchée ou sabotée, un message est envoyé automatiquement à la police. Si l'intrus a été en mesure de localiser les câbles, il devait également connaître l'existence de cette connexion téléphonique. » Soupirant pesamment, Terry se releva et frotta ses mains noircies de terre : 21
« Et maintenant, allons évaluer les dégâts commis à l'intérieur. » Toujours sur leurs gardes, ils entrèrent dans la maison. Alice fut tout de suite séduite par la décoration : partout, on reconnaissait la patte de l'artiste qu'était Terry. Tous les encadrements de fenêtres étaient ornés de délicats motifs peints sur verre : un enchevêtrement de vigne vierge dans la cuisine, des grappes de lilas autour de la vaste baie vitrée du salon... La jeune fille admira aussi les abatjour, coupes, vases et autres bibelots en verrerie. Ce déploiement d'objets d'art l'émerveilla tant qu'elle mit plusieurs minutes à réaliser que la maison avait été fouillée de fond en comble. Tous les fauteuils capitonnés de la salle de séjour avaient été lacérés au couteau ; des lambeaux de bourre blanche jonchaient les tapis. Les tableaux avaient été arrachés des murs et, sur le sol, était éparpillé le contenu d'un secrétaire en marqueterie dont la serrure avait été forcée. Devant ce chaos, Terry restait abasourdi. Il lui fallut de longs instants avant de recouvrer ses esprits. « Avant toute chose, assurons-nous que le vandale a quitté les lieux. Toi, Amy, ne bouge pas d'ici. » Aussitôt, la jeune détective se proposa pour escorter son hôte et, ensemble, ils inspectèrent les étages. 22
« II n'y a personne ici à part nous », annonça Alice lorsqu'ils regagnèrent le rez-de-chaussée. Sans attendre, Amy grimpa jusqu'à sa chambre. « Quel capharnaüm ! se lamenta Alice. Terry, avez-vous une idée de ce qui a été volé ? » L'homme haussa les épaules en signe d'impuissance. « Impossible de le dire, au milieu de ce désordre.» Puis il décrocha le téléphone. « Comme je m'en doutais, la ligne est coupée. Je file chez un voisin pour appeler la police et la compagnie de téléphone. » A peine avait-il atteint la porte qu'il fut arrêté par un cri plaintif. « Papa ! Viens vite ! » Terry gravit quatre à quatre les marches de l'escalier et les trois amies lui emboîtèrent le pas. Ils trouvèrent Amy debout au milieu de la pièce ; les larmes ruisselaient sur ses joues. « Ils... ils ont tout saccagé... » sanglota-t-elle. En effet, tous les tiroirs de la commode avaient été vidés de leur contenu ; vêtements et jouets étaient dispersés aux quatre coins de la chambre. Un paravent oriental, cassé en deux, gisait à terre. « Calme-toi, mon cœur, la rassura Terry en serrant sa petite fille contre lui. Nous allons prendre des dispositions pour que cela ne se reproduise pas. » 23
Amy sécha ses larmes. « C'est trop tard ! Le voleur a emporté ma malle. — Tu es certaine ? s'étonna son père. Je ne vois pas ce que quiconque pourrait y trouver d'intéressant!» Amy désigna du doigt un espace vide derrière le paravent : aux marques imprimées sur le tapis, on voyait nettement qu'une petite malle était d'ordinaire posée à cet endroit. « Que contenait ce coffre ? demanda Alice. — J'y rangeais mes pulls, répondit la petite fille. — Rien d'autre ? insista Marion. Rappelle-toi : tu n'y as rien entreposé de précieux ? » Amy secoua énergiquement la tête. « Des pulls, c'est tout. » De son œil averti, Alice scruta la pièce, à la recherche d'indices éventuels. Mais rien ne frappa son regard. Soudain, il lui vint une idée : « Quel genre de malle était-ce ? C'est peut-être elle, et non son contenu, qui avait de la valeur. — Pas du tout, la détrompa Terry. Ce n'est qu'une malle en bois ordinaire. Cela dit, son histoire n'est pas banale... Mais je cours appeler la police. Je vous raconterai cela après. » Bientôt, un agent de la compagnie du téléphone se présenta ; puis ce fut au tour de la police, en la personne d'un inspecteur, accompagné d'un spécialiste du laboratoire scientifique de la police. 24
L'inspecteur, un certain Brower, était un homme d'âge mûr aux cheveux bruns clairsemés et au teint rougeaud. Il ordonna au technicien de relever les empreintes digitales, prélever des échantillons de fibres, prendre des photos de la maison et, enfin, dresser la liste de tous les objets manquants ou détériorés. Entretemps, Terry avait découvert qu'un appareil photo et un coffret contenant des pièces anciennes avaient également été subtilisés. « Cet appareil photo avait-il de la valeur ? interrogea l'inspecteur. — C'était un modèle haut de gamme, mais sa valeur n'avait rien d'exceptionnel, estima Terry. — Contenait-il une pellicule ? renchérit Alice. Vous avez peut-être photographié une scène compromettante pour le cambrioleur... — Pardonnez-moi, mademoiselle, l'interrompit M. Brower d'un air sarcastique. Qui mène cette enquête, vous ou moi ? » Terry jugea opportun d'intervenir. « Inspecteur, permettez-moi de vous présenter Alice Roy, qui est justement... — Une amie de la famille », termina vivement la jeune fille. Son intuition lui recommandait de garder secret le motif de sa visite chez les Kirkland. Apparemment, l'inspecteur n'était pas homme à apprécier la
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concurrence d'un autre détective... encore moins d'une si jeune fille ! « Fort bien, acquiesça le policier. Mais, amie de la famille ou pas, apprenez que c'est moi qui pose les questions. » Puis il se tourna vers Terry et le dévisagea avec insistance. « Alors ? Oui ou non, cet appareil contenait-il une pellicule ? — Non, répondit Terry en dissimulant à grandpeine un sourire. Quant aux pièces de monnaie, je les ai récemment fait expertiser par un collectionneur. Il y en a pour quelques centaines de dollars tout au plus.» Brower referma son carnet dans un claquement sec et remercia Terry pour le temps qu'il lui avait consacré. « Déjà fini ? s'étonna l'artiste. Ma maison est visitée à trois reprises et c'est tout ce que vous avez à me demander ? » L'inspecteur ramassa son chapeau. « Qu'espériez-vous de plus, monsieur Kirkland ? — Par exemple, que vous m'annonciez que vous comptez faire surveiller ma maison. — Nous n'avons pas assez d'hommes pour cela, rétorqua le policier en entraînant son adjoint vers la porte. Nous vous tiendrons informé de l'évolution de l'enquête. » 26
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Indignée elle aussi par cette désinvolture, Bess se leva du fauteuil qu'elle occupait près de la fenêtre. « J'ai connu des policiers plus coopératifs ! — De véritables bons à rien, maugréa Terry. — Les deux premières fois, ils ont été encore plus nuls ! renchérit Amy. Personnellement, je ne leur fais pas confiance. Je parierais qu'Alice et moi, on aura résolu l'énigme avant eux ! » La jeune détective restait songeuse. Des policiers, elle en avait côtoyé beaucoup, au fil de ses nombreuses enquêtes. La plupart acceptaient volontiers son concours ; mais il arrivait aussi qu'elle se heurte à des fonctionnaires butés, comme cet inspecteur Brower. Avec lui, elle allait devoir jouer sur du velours... « Je me demande pourquoi cette affaire le laisse indifférent », pensa-t-elle tout haut. Terry haussa les épaules. « Les effectifs de police sont très maigres, pour un secteur plutôt vaste. Sans doute l'inspecteur a-t-il d'autres affaires plus urgentes à régler. A moins qu'il soit simplement blasé par son métier... — Ou incompétent ! suggéra Marion. — Peu importe, trancha Alice. Nous travaillerons sans lui. Et à propos de travail... si nous commencions par mettre de l'ordre dans cette pièce?» Lorsqu'ils eurent dîné et qu'Amy fut montée se coucher, Terry et les trois amies purent se détendre 28
dans le salon. Après une journée chaude, l'air s'était rafraîchi. Terry entreprit d'allumer un feu de cheminée. Tout en l'observant, Alice réfléchissait. Après quoi le voleur en avait-il vraiment ? L'appareil photo ? Les pièces anciennes ? Les pulls d'une enfant de neuf ans ? ou quelque chose d'entièrement différent ? « Terry, dit-elle, lors des deux premiers cambriolages, seul du matériel électronique a été emporté, n'est-ce pas ? — En effet. — Et si, malgré cela, l'électronique n'avait rien à voir dans l'histoire ? — Dans ce cas, objecta Bess, il ne s'en serait pas encombré. — Mais si ! Cela lui fournissait une couverture... Je m'explique : ces objets sont ceux qui partent en premier, d'ordinaire. En les dérobant, le voleur espérait faire croire à un cambriolage ordinaire. En réalité, il cherchait quelque chose de bien spécifique. Les pièces, l'appareil photo, ou la malle...» Terry secoua la tête d'un air dubitatif. « Ma chaîne stéréo à elle seule vaut bien plus que toutes ces babioles réunies. Alors, pourquoi a-t-il pris le risque de revenir, pour les emporter ? »
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L'objection n'arrêta pas Alice. Une idée prenait forme peu à peu dans son esprit. « Ce n'est qu'une supposition, reprit-elle. Imaginons qu'il n'y ait pas eu un, mais plusieurs voleurs. Ou bien encore que ces objets apparemment anodins aient eu une valeur que vous ignorez. Vous disiez tout à l'heure que la malle avait une histoire originale... — Je l'ai rapportée du Vietnam, raconta son hôte. J'ai servi là-bas comme soldat pendant la guerre. J'étais très jeune à l'époque et j'ai vécu cet épisode de ma vie comme un cauchemar. » II marqua une pause, bouleversé par ce souvenir, puis poursuivit son récit : « Six mois après mon enrôlement, mon unité a fusionné avec une autre. Je me suis lié d'amitié avec un soldat de cette unité, un certain Nick Finney. Ce qui nous a rapprochés, c'est que nous étions nés le même jour. Et nous avons reçu, à quelques jours d'intervalle, une lettre de notre petite amie nous annonçant qu'elle avait trouvé un nouveau fiancé. « Deux mois plus tard, l'unité de Nick a été envoyée en mission. Une de ces missions top secret, dont les troupes ne sont averties qu'une heure avant le départ. Nick a pourtant eu le temps, avant de s'en aller, de venir me trouver pour me confier cette petite malle en bois. Il m'a demandé d'en prendre grand soin. 30
— A quoi ressemblait cette malle ? demanda Marion. — C'est une caisse en bois d'environ 1 m sur 60 cm, cerclée de bandes de cuivre et ornée de serrures de cuivre également, en forme de dragons. Elle ne doit pas valoir plus de 30 dollars, mais Amy y est très attachée. Tout ce qui vient du Vietnam lui évoque sa maman. » Alice s'assit sur le tapis, juste devant l'âtre. « Nick n'a jamais réclamé sa malle ? — Il n'est pas revenu de la fameuse mission. On l'a porté disparu. Lorsque j'ai regagné les États-Unis, j'ai recherché sa famille, afin de restituer la malle. Mais il n'avait plus aucun parent. Il avait été élevé par son grand-père, mais celui-ci est mort pendant que Nick était au Vietnam. Voilà pourquoi j'ai conservé la malle — en espérant secrètement que Nick viendrait la récupérer un jour. — Contenait-elle quelque chose ? interrogea Alice. — Je vais vous montrer. » Terry ouvrit un des tiroirs du secrétaire placé derrière lui et en sortit une grande enveloppe qu'il vida sur le tapis devant les jeunes filles. « Un canif, un bandana rouge et un porte-clés — sans clé — de l'hôtel Saigon, inventoria Marion. — Et vous n'avez jamais plus eu de nouvelles de Nick ? reprit Alice. 31
— Une semaine après son départ en mission, nous avons appris que son unité avait été attaquée par les troupes nord-vietnamiennes. Onze hommes ont été tués, mais Nick ne figurait pas sur la liste. Des rumeurs ont couru, selon lesquelles les survivants étaient retenus prisonniers, mais on n'a jamais rien pu prouver. Après quelques recherches infructueuses, le commandement les a déclarés disparus. » Terry se frotta les yeux, soudain abattu. « Pourquoi ne reprendrions-nous pas cette discussion demain matin ? Excusez-moi, mais je crois que je vais m'effondrer si je ne dors pas quelques heures. — Moi aussi, répondit Marion. — Et moi, renchérit Bess, je ne tiens pas à avoir des cernes disgracieux sous les yeux ! — Bonne nuit à vous trois, fit Alice. Pour ma part, je vais encore veiller un peu pour mettre de l'ordre dans mes idées. » Bess et Marion se retirèrent à l'étage, où elles partageaient une chambre avec Alice. Restée seule, la jeune détective s'assit près de la cheminée, contemplant la danse des flammes. Elle repensa aux trois cambriolages et aux objets dérobés. Lequel d'entre eux avait motivé les visites à répétition du voleur ? Par intuition, elle penchait pour la malle. Cela dit, Terry prétendait que ce coffre n'avait aucune valeur... Son propriétaire s'était évaporé il y avait des 32
années, et maintenant c'était au tour de la malle de disparaître à son tour. Qui la détenait à présent ? Et pourquoi était-elle si précieuse ? Autant de mystères qu'il restait à éclaircir... Les premiers rayons du soleil éveillèrent Alice de bonne heure le lendemain matin. Elle paressa un peu dans son lit, admirant le verre ouvragé de l'œil-debœuf en face d'elle. A l'intérieur du cadre de bois était tressée une guirlande de myosotis bleus et jaunes peinte sur la vitre. A l'autre bout de la chambre, Bess et Marion dormaient encore. Pour ne pas les réveiller, la jeune fille se leva doucement et passa un Jean et un polo rayé mauve et blanc. Au rez-de-chaussée, elle trouva Terry et Amy attablés devant un appétissant petit déjeuner. « Bonjour ! lança-t-elle gaiement. Des nouvelles de la police ? —Je viens de les appeler, répondit Terry. Ils m'ont dit ce que je savais déjà : que ces effractions sont l'œuvre d'un professionnel, qui n'a pas laissé derrière lui la moindre empreinte ou le moindre indice. Quant à la voiture grenat que nous avons vue hier, son signalement ne correspond à aucun véhicule connu des services de police. — Et pour votre Espace ? — La camionnette de remorquage devrait arriver d'un instant à l'autre. 33
— Avant qu'on ne le remplace, j'aimerais jeter un œil sur le pneu qui a éclaté. » Terry acquiesça. « Je t'accompagne. » Tous deux sortirent afin d'examiner le véhicule. Dehors, Alice put, mieux que la veille, admirer la beauté du paysage environnant. Des bouquets de séquoias et d'eucalyptus formaient un écrin vert autour de la maison. Du jasmin sauvage et du houx grimpaient le long des murs et, au loin, on distinguait les vagues écumantes de l'océan Pacifique. « Quelle est l'étendue de votre terrain ? interrogea Alice. — Environ deux hectares et demi. Mais pourquoi cette question ? — Je me disais que pour surveiller les allées et venues autour de la maison, les postes d'observation ne manquent pas. — En effet », fit Terry d'un air maussade. Ils atteignirent la sente puis se frayèrent un chemin dans le ravin, jusqu'au véhicule. « Le pneu est bien endommagé, constata Terry. On croirait presque qu'il a explosé. » Alice se baissa et passa la main sur la surface du pneu. « En tout cas, ce n'est pas en roulant sur un objet pointu qu'il a crevé. »
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Soudain, son cœur fit un bond. Sous ses doigts, elle venait de sentir un petit objet métallique, incrusté dans le caoutchouc. « Je crois que nous tenons le responsable de cette crevaison, annonça-t-elle. Avez-vous un canif ? Je vais essayer de l'extraire. » Terry sortit de sa poche un petit couteau et le lui tendit. D'un geste sec, la jeune fille fit jaillir l'objet du caoutchouc et l'exhiba triomphalement devant son hôte, qui émit un petit sifflement de stupéfaction. « Une balle de pistolet... »
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III Alice tend un piège Terry prit la balle entre ses doigts et l'examina attentivement. « Voilà des années que je n'en ai pas vu de pareille. — Vous connaissez ce genre de balle ? fit Alice. — Et je ne suis pas près de l'oublier, répondit Terry d'une voix sombre. Elle provient d'un Coït 45 1911-A1, le calibre que nous utilisions au Vietnam. Le tireur a dû munir son arme d'un silencieux, car nous n'avons rien entendu, à part le pneu qui éclatait.» Une sueur froide parcourut l'échiné d'Alice. « On dirait que l'homme à la voiture grenat ne voulait pas être suivi. Ma question va vous paraître saugrenue, mais... Nick Finney a-t-il les cheveux clairs ? — Non, il avait une tignasse rousse reconnaissable entre mille. C'était un petit gabarit, de ta taille environ, mais il ne passait pas inaperçu. Au combat, il portait toujours un chapeau ou un bandana, pour dissimuler sa chevelure. En fait, il était devenu expert dans l'art du déguisement. »
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Alice repensa à l'homme blond entrevu au volant de la conduite intérieure. Bien sûr, rien de plus facile que de se teindre les cheveux, ou de porter une perruque. Mais le conducteur lui avait paru d'une carrure plus large. Si seulement elle avait eu le temps de l'observer davantage... En regagnant la maison, ils trouvèrent Bess et Marion dans la cuisine, prenant leur petit déjeuner en compagnie d'Amy. « Voilà ce qui a crevé notre pneu », déclara la jeune détective en présentant la pièce à conviction. Bess manqua s'étouffer en avalant une cuillerée de céréales. « Tu... tu veux dire qu'on nous a tiré dessus ? — Le coupable est certainement le cambrioleur, affirma Marion. Peut-être l'homme à la voiture grenat? — C'est aussi mon avis, approuva Alice. Mais cela ne nous dit pas ce qu'il cherchait — ni s'il l'a finalement trouvé. » Terry appela la police pour l'avertir de leur découverte puis joignit son assureur. Ensuite, il revint vers ses invitées. « Écoutez, leur dit-il, quand je vous ai conviées ici, ma maison avait subi deux effractions. Mais aucune arme, ni pistolet ni couteau, n'avait encore été évoquée. Depuis, la situation s'est aggravée. Il serait
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imprudent que vous restiez dans cette maison. Je vais essayer de vous trouver un autre hébergement. » Alice croisa le regard de ses amies. Pour Marion, l'affaire était entendue : elle n'avait pas froid aux yeux et n'accepterait jamais de renoncer à une enquête à peine entamée. Mais Bess était plus timorée, et Alice s'en serait voulu de contraindre son amie à rester dans un lieu peu sûr... Pourtant, contre toute attente, ce fut Bess qui prit l'initiative. « Pour moi — et je suis persuadée qu'Alice et Marion partagent mon opinion — pour moi, cette demeure est la plus belle que j'aie jamais vue. Et celui qui cherche à nous faire déguerpir ne m'intimide pas ! — Bravo, Bess ! applaudit Amy. — Entendu, se résigna Terry. Pour le moment, nous ne bougeons pas. Mais je n'aime pas l'idée que nous nous exposions comme des cibles. S'il arrive un nouvel incident, nous déménagerons tous vers un abri plus sûr. » Dans l'après-midi, tandis que Terry se rendait au commissariat pour montrer la balle aux policiers, les trois amies et Amy firent route vers la plage de Cherry Creek. Bess s'allongea pour prendre un bain de soleil, Marion et Amy ramassèrent des coquillages. Quant à Alice, les yeux rivés sur les vagues de l'océan, elle cogitait intensément. Une remarque d'Amy la fit sursaute. 38
« Je parie que tu penses encore aux cambriolages! — Comment as-tu deviné ? — Moi aussi, ça me tracasse. — Et alors ? fit Alice, intriguée. — J'ai réalisé que les effractions se sont toutes produites quand mon père et moi étions absents. — Encore heureux ! s'exclama Bess. — Ça valait peut-être mieux pour nous, concéda la petite fille, mais ça signifie que le voleur épiait nos allées et venues. — Et il continue peut-être encore... » ajouta Alice. Bess se redressa sur son séant. « Tu crois qu'il est au courant de notre présence ? — Il nous a vues dans l'Espace de Terry hier », lui fit remarquer sa cousine. Alice demeurait songeuse. « L'homme blond — si c'est bien lui qui a crevé le pneu de Terry — a dû entendre l'Espace approcher. Il s'est caché dans le sous-bois, a tiré un coup de pistolet puis a pris la fuite. Tout cela en un temps record... » Voyant la mine décomposée de Bess, elle esquissa un sourire rassurant : « Ne t'en fais pas. S'il monte encore le guet autour de la maison, nous trouverons un moyen de lui rendre la monnaie de sa pièce. » 39
De retour chez les Kirkland, les jeunes filles constatèrent que l'Espace avait été remonté du ravin et le pneu remplacé. « Parfait, se félicita Alice. Maintenant, si Terry accepte de coopérer, je crois que mon plan peut fonctionner. » Alice trouva leur hôte dans son atelier, occupé à modeler un cadre de plomb en forme de saule pleureur. « Comment as-tu trouvé la plage ? demanda-t-il. — Splendide ! Et ça aussi, ajouta-t-elle en désignant l'œuvre en train d'être créée. Pourrais-je vous distraire quelques instants de votre travail ? — Immédiatement ? — J'aimerais tendre un .piège au voleur, s'il est encore à son poste de surveillance. Mais j'ai besoin de votre aide. » Une heure plus tard, Terry, sa fille, Bess et Marion quittaient la maison en voiture. Sur le siège du passager, ils avaient installé un mannequin de couturier déniché dans le grenier. Coiffé d'une perruque blonde et vêtu du col roulé bleu pâle d'Alice, il faisait parfaitement illusion à distance. Alice attendit le départ de ses amis puis entra en action. Naturellement, elle savait qu'en restant dans la maison elle s'exposerait inutilement au danger. Aussi s'éclipsa-t-elle discrètement par l'atelier de Terry ; 40
puis elle se fraya un chemin à travers les arbres afin de trouver un poste d'observation. Perchée sur un rocher abrité par un majestueux séquoia, elle entama son guet. Les seuls sons qui lui parvenaient étaient le chuintement du vent et, au loin, le fracas des vagues contre la jetée. Attendre... c'était bien la partie la plus ennuyeuse du métier de détective ! songea-t-elle. Mais la patience était souvent récompensée. De temps à autre, une voiture passait sur la route, mais aucune ne bifurquait vers la sente menant chez Terry. Bientôt, le soleil commença à décliner et l'air se rafraîchit. Alice frissonna ; elle portait encore le short et le tee-shirt qu'elle avait mis pour aller à la plage. Et puis elle commençait à avoir faim. Elle remonta ses genoux contre sa poitrine pour se réchauffer. L'attente risquait de se prolonger... Soudain, elle tressaillit. Sur sa gauche, elle avait cru percevoir un mouvement. Était-ce un animal sauvage ou quelqu'un qui l'observait ? A part les chants des oiseaux, le bois était silencieux. Alice décida d'en avoir le cœur net. Prudemment, elle s'enfonça dans le sous-bois, tous ses sens en alerte, et atteignit l'endroit où elle avait cru déceler une présence. Rien d'anormal... Elle allait rebrousser chemin quand un détail attira son regard : un morceau d'étoffe déchirée accroché à une branche épineuse. 41
Elle saisit le lambeau de flanelle écossaise. Aucun doute : quelqu'un était passé par ici. Promenant son regard alentour, elle aperçut distinctement le rocher sur lequel elle avait été assise. Ainsi, le rôdeur l'avait épiée, elle qui se croyait bien cachée... Un véhicule s'engageant sur la sente la fit bondir. Son attente était-elle enfin récompensée ? Mais cet espoir fut vite déçu quand elle reconnut l'Espace de Terry. Il avait promis de revenir au bout de deux heures et, de fait, le temps avait passé. L'Espace s'arrêta devant la maison. « Alors ? » lança Terry. Alice lui présenta le lambeau de tissu et expliqua ce qui s'était passé. Terry afficha une moue contrariée. « Quelqu'un continue à espionner la maison... et nous ne l'avons pas vu ! — Que voulez-vous dire ? — Nous nous sommes garés à 500 m d'ici, expliqua Marion. Puis nous avons marché jusqu’à l'autre extrémité de la propriété pour te secourir en cas de besoin. — Comment ? fit Alice, interloquée. Vous n'avez pas bougé d'ici ? — Bien sûr ! s'exclama Amy. Tu ne nous croyais quand même pas assez fous pour t'abandonner, seule face aux rôdeurs ! » 42
Ce soir-là, Joanne Koslow et son fiancé, Keith, vinrent rendre une petite visite aux trois amies. Quand Bess l'avait appelée pour l'informer qu'elles séjournaient chez les Kirkland, Joanne avait immédiatement convié Terry et Amy à son mariage, puis s'était invitée à Cherry Creek. Alice reconnut à peine son amie : plus grande, plus élancée qu'autrefois, elle avait coupé ses cheveux blonds comme les blés. Quant à Keith, c'était un jeune homme paisible, aux cheveux châtains bouclés, qui portait des lunettes. « Le mariage se déroulera dans une grange, annonça Joanne. Nous avons loué une ferme perchée sur une colline surplombant l'océan. Il y aura environ trois cents invités. » Bess écarquilla les yeux. « Trois cents ? — Cela promet d'être une belle fête, apprécia Marion. — Je suis si heureuse que vous soyez venues toutes les trois, reprit Joanne. Le mariage est dans une semaine, mais les préparatifs sont loin d'être terminés. Il me reste à confectionner les plats chauds, les gâteaux, et à décorer la salle. Je compte accrocher des cloches en argent et des guirlandes de fleurs sauvages. Qu'en dis-tu, Bess ? » Avant qu'Alice ait pu protester, Bess promit de se charger de la décoration avec ses deux amies. 43
«Vraiment ? » murmura la jeune détective, se demandant où elle en trouverait le temps. Mais personne ne releva sa remarque. Keith se montrait si discret qu'Alice en fut intriguée. Lorsque la conversation, qui tournait exclusivement autour du mariage, connut un temps mort, elle en profita pour questionner le jeune homme. « Keith, es-tu photographe comme Joanne ? — Non, fit-il avec un petit sourire énigmatique. Je suis encore étudiant, en histoire de l'art asiatique. » « Intéressant, songea Alice. Peut-être pourra-t-il nous éclairer sur ce coffre vietnamien. » Mais elle n'eut pas l'occasion d'évoquer la question, car Joanne, intarissable, avait repris la parole. « Keith a une chance inouïe. Il travaille sur de merveilleux parchemins et peintures anciens. Il y a deux mois, nous sommes allés voir une exposition de kimonos en soie, et ça m'a donné une idée géniale. Devinez ce que je vais porter pour mon mariage ? — Un kimono en soie ? fit Bess, admirative. — Je ne vous dis rien, minauda Joanne, vous jugerez sur pièce. » Alice tenta de se représenter un mariage dans une grange, avec une mariée en kimono. Marion dut avoir la même idée, car elle cligna des yeux et secoua la tête en changeant de sujet : 44
« Et sinon, Joanne, quels sujets as-tu photographiés dernièrement ? — Un peu de tout. Cela va de la migration des baleines à un groupe du troisième âge pratiquant l'escalade ! Certains viennent d'ailleurs au mariage. — Par chance, les baleines ont décliné l'invitation ! » plaisanta Keith. En partant, Joanne dressa pour ses amies la liste des décorations à acheter. Alice était heureuse de rendre service à son amie, mais cela n'entamait en rien sa résolution : l'enquête passerait en priorité. Le lendemain, Alice, Bess et Marion se levèrent de bonne heure pour aller faire leurs courses. Terry, qui devait se rendre dans un salon où étaient exposées ses œuvres, prit l'Espace et leur laissa sa voiture. Quant à Amy, elle décida d'accompagner les jeunes filles. Les emplettes occupèrent la journée entière. Au fil des heures, le coffre s'emplissait de sacs gorgés de clochettes, rubans, bougies, nappes, serviettes, ballons et éventails orientaux. Quand, enfin, Bess raya la dernière ligne de sa liste, Marion poussa un soupir de soulagement. « J'ai cru que ça ne finirait jamais ! » Les amies prirent le chemin du retour ; bientôt, une averse se déclencha. « Cette pluie va faire du bien à la terre, après la sécheresse, estima Amy. Mais notre sente va être
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impraticable en voiture. Il faudra se garer sur la rue et marcher jusqu'à la maison. « Entendu », répondit Alice, qui conduisait. Mais elle avait compté sans le brouillard, particulièrement épais à Cherry Creek par temps de pluie. Les collines disparaissaient du paysage et même les immenses séquoias étaient engloutis par une brume blanche et compacte. Pour couronner le tout, la nuit tombait. Seul le ruban d'asphalte de la route, éclairé par les phares, se distinguait encore assez nettement. Enfin, Alice reconnut la sente menant chez les Kirkland et arrêta le moteur. Comme Amy l'avait prédit, le chemin n'était plus qu'un torrent de boue. La pluie, encore très drue, dissuada les jeunes filles de décharger immédiatement leurs achats. Courbant l'échiné pour se protéger du grain, elles entreprirent de gravir la côte, Marion et Amy en tête, suivies de Bess ; Alice fermait la marche. Les gouttelettes de pluie ruisselaient le long de ses cheveux, lui brouillant la vue. En quelques minutes, elle fut trempée jusqu'aux os. « Que ne donnerais-je pour ma robe de chambre et une bonne tasse de chocolat chaud ! » songea-t-elle. Toute à ces pensées réconfortantes, elle faillit ne pas remarquer un bruit inattendu — comme une course rapide à travers bois...
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Alice s'immobilisa. Qui pouvait bien faire son jogging par un temps pareil ? Devant elle, les trois autres poursuivaient leur chemin. Plissant les yeux, la jeune détective tenta de scruter l'obscurité qui nappait les arbres. Impossible de distinguer quoi que ce soit. En revanche, elle entendait maintenant nettement le bruit d'une respiration haletante. Toujours sur ses gardes, elle s'approcha de l'origine du bruit. Brusquement, un jeune garçon, de quinze ans tout au plus, jaillit du sous-bois et se lança dans une course effrénée sur la sente. « Stop ! » cria Alice en se lançant à sa poursuite. Ni l'un ni l'autre ne progressait bien vite, ralentis par la boue. Devant elle, Alice voyait le fuyard éviter la glissade à chaque foulée. Soudain, il s'enfonça dans la forêt et disparut de sa vue. Quittant à son tour le chemin, elle marqua un temps d'hésitation. La pluie battante ne cessait pas. Comment suivre la piste de l'inconnu, dans ces conditions ? Le vrombissement d'un moteur lui fit tourner la tête ; apercevant le faisceau d'une lampe-torche, elle prit son élan et rattrapa le garçon au moment où il enfourchait sa mobylette. « Attends ! »
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L'adolescent la dévisagea. Alice remarqua ses yeux bridés, ses cheveux de jais coupés court sur les tempes, plus long sur la nuque. Un petit dragon d'argent scintillait à l'une de ses oreilles. De près, il paraissait encore plus jeune. « Laissez-moi tranquille ! protesta-t-il avec hargne. — Dis-moi seulement pourquoi tu fuyais. Est-ce toi qui as cambriolé la maison ? » D'un mouvement d'épaule, il se dégagea de l'étreinte d'Alice et fit rugir le moteur de son deuxroues. « Qui es-tu ? insista la jeune fille. — Demandez au martin-pêcheur », ricana l'intrus, avant de disparaître dans la nuit.
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IV Le martin-pêcheur Quand les dernières pétarades du deux-roues se furent dissipées dans le lointain, Alice réalisa soudain qu'elle grelottait et se mit à courir pour rejoindre ses amies. Qui était ce garçon ? Et ce martin-pêcheur... de quoi s'agissait-il ? Après une rapide vérification pour s'assurer qu'un nouveau cambriolage n'avait pas été commis, la jeune détective retrouva Bess, Marion et Amy dans la cuisine. Une légère chamaille les opposait, au sujet du menu du dîner. Bess proposait de composer un plat en sauce élaboré, Marion préférait se contenter d'une soupe et de sandwiches ; quant à Amy, elle suggérait de faire livrer des plats chinois... Leur discussion cessa net dès qu'elles aperçurent Alice. « Tu viens seulement de rentrer ? s'étonna Bess. Je croyais que tu étais montée dans la chambre pour te changer. » Alice ôta son cardigan trempé et repoussa une mèche collée sur son front. « Le nom de martin-pêcheur évoque-t-il quelque chose pour vous ? demanda-t-elle.
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— C'est un oiseau, répondit Marion du tac-autac. Pourquoi ? Ne me dis pas que tu t'es attardée sous la pluie pour observer les animaux ! — Non, rassure-toi. Mais en gravissant la sente, j'ai entendu un bruit suspect. C'était un adolescent qui, apparemment, s'enfuyait de la maison. Je l'ai poursuivi et questionné sur ses intentions. Tout ce qu'il a daigné me dire, c'est de m'adresser au martinpêcheur. — Tu crois que c'est lui notre voleur ? demanda Bess. — Ça m'étonnerait. Il ne ressemble pas du tout à l'homme à la voiture grenat. D'ailleurs, il n'est pas en âge de conduire. Mais il y a peut-être plusieurs malfaiteurs... — Ce garçon... intervint Amy. Tu pourrais le décrire ? — Quatorze ans environ, de type asiatique. Il porte des cheveux mi-longs et une boucle d'oreille en forme de dragon. » Les yeux noirs d'Amy s'écarquillèrent sous l'effet de la stupeur. Mais la sonnerie du téléphone ne laissa pas à Alice le temps de lui demander si elle connaissait l'adolescent. « C'était mon père, annonça la petite fille en raccrochant. Il ne rentrera que tard dans la nuit. » Sans attendre, Alice revint à la charge. 50
« Amy, connais-tu quelqu'un qui corresponde à ma description ? » La petite fille secoua énergiquement la tête et jeta un regard furtif en direction de la pendule. « C'est l'heure de mon émission de télévision favorite. Vous voulez regarder avec moi ? » Bess considérait Alice d'un air préoccupé. « Tu devrais vite prendre une douche chaude et enfiler des vêtements secs. Tu grelottes ! — Oui, maman », répliqua la jeune fille en souriant. Elle monta à l'étage et suivit le conseil de son amie. Sous la douche, elle songeait encore à la tournure étrange que prenait l'enquête. Comment percer le mystère du martin-pêcheur ? Lorsque Amy fut allée se coucher, les trois jeunes filles s'installèrent au salon munies d'un annuaire, d'un journal local et d'un guide ornithologique. « Bien, commença Alice d'un ton solennel. Je vous confie pour mission de collecter le maximum d'informations sur les martins-pêcheurs. — Je confirme qu'il s'agit d'un oiseau, annonça Marion en feuilletant le guide ornithologique. Il possède un plumage aux couleurs vives, une queue courte et un bec long et pointu. Il plonge pour pêcher des poissons qu'il avale en commençant par la tête.
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— Berk ! grimaça Bess en levant le nez du journal. Que dois-je regarder, au juste ? La rubrique oiseaux ? — Dès que tu vois apparaître le mot martinpêcheur, tu le notes. C'est peut-être le surnom d'un homme politique, d'un gang de malfaiteurs... ou n'importe quoi d'autre. » Bess éplucha le journal de fond en comble : pas trace du moindre martin-pêcheur. Quant à Alice, elle s'était réservé l'examen de l'annuaire ; mais elle ne trouva ni particulier ni magasin portant ce nom. « Nous perdons notre temps, s'impatienta-t-elle. Dire que je tends un piège... et c'est moi qui tombe dedans ! Et maintenant, cet indice qui ne mène nulle part... Je ne suis même pas sûre que ce gamin ait quoi que ce soit à voir avec les cambriolages - et j'ignore toujours ce que cherchait le voleur. — Les pull-overs d'Amy? avança Marion sans conviction. — Qui sait ? fit Alice en souriant à la plaisanterie. En tout cas, mon petit doigt me dit que la malle est au cœur de toute l'affaire. » Le bruit d'une clé tournant dans une serrure fit dresser l'oreille aux trois amies. Terry apparut, les traits creusés par la fatigue. « Pas encore couchées ? s'étonna-t-il. J'y suis ! A en croire la lueur des yeux d'Alice, vous discutez de l'enquête. 52
— Nous avons découvert un nouvel indice, expliqua la jeune détective, mais pour l'instant nous ne l'avons pas déchiffré. » Elle lui raconta sa rencontre avec l'adolescent à mobylette. « Ce signalement vous dit-il quelque chose ? — Rien du tout. Et les camarades de ma fille sont tous beaucoup plus jeunes. — Et le martin-pêcheur, enchaîna Bess. Ça n'évoque rien pour vous ? — Je ne sais même pas si on trouve cet oiseau par ici. » II s'affala dans un fauteuil et ferma les yeux, comme pour se concentrer. « Martin-pêcheur... Attendez voir. Ça me rappelle vaguement quelque chose... » Soudain il rouvrit les yeux et se redressa. « Mais bien sûr ! C'est le nom que l'on donne au jade en Asie du Sud-Est. — Vous voulez dire au Vietnam ? s'enquit Alice, reprenant espoir. — Au Vietnam, en Thaïlande et en Birmanie. Làbas, le jade est surnommé "plume de martinpêcheur". Tu as bien dit que le jeune intrus était asiatique ? Il connaît sans doute la signification de ce terme. A votre place, j'enquêterais auprès des bijouteries qui vendent cette pierre.
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— Eh bien, se félicita Alice, voilà enfin une piste concrète. » Ragaillardie, elle se tourna vers Bess et Marion et prit un ton faussement autoritaire. « Au lit, tout le monde ! Une rude journée nous attend demain, si nous devons visiter toutes les bijouteries des environs. » « Cela fait vingt-sept joailliers qui vendent des bijoux en jade et dix-huit qui n'en ont pas, calcula Bess en raccrochant le téléphone. Aucun n'a compris de quoi je parlais quand j'ai mentionné le martinpêcheur. — Pas tout à fait, la taquina sa cousine. Tu oublies ce monsieur charmant qui t'a proposé une promenade pour aller observer les oiseaux... » Éclatant de rire, Bess lança un coussin à la tête de Marion. Alice consulta une dernière fois l'annuaire et relut la liste qu'elle avait dressée. Avec ses deux amies, elle avait passé une bonne partie de la matinée à contacter tout ce qui ressemblait de près ou de loin à une bijouterie en Californie du Nord. Pour un résultat nul... « Peut-être faisons-nous fausse route, soupira-telle, découragée. Ce garçon a pu dire la première ânerie qui lui traversait l'esprit, certain que j'allais me casser la tête sur cette énigme. » Bess étira ses jambes ankylosées. 54
« Moi, je crois que nous avons besoin de nous changer les idées. Je vais appeler Joanne pour savoir si nous pouvons passer déposer les décorations. » Mais Alice l'entendit à peine. Plus elle pensait à l'affaire, moins elle y voyait clair. Au lieu d'avancer, il lui semblait qu'elle reculait... « Alice ! s'écria soudain Bess. J'ai Keith au bout du fil. Je lui ai fait part de notre problème et il voudrait te parler. » Intriguée, la jeune fille saisit le combiné. « Bess m'a dit que tu t'intéressais au jade, commença-t-il. Je ne suis pas un expert, mais je sais que les plus beaux jades verts du monde proviennent de Birmanie. Depuis sept cents ans, ce commerce est florissant dans toute l'Asie du Sud-Est, aux mains notamment des Chinois et des Thaïs. Et Terry a dit vrai : là-bas, il porte le nom de "plume de martinpêcheur", ou "fe t'sui" si tu préfères. — Tu peux me l'épeler ? » Ils bavardèrent encore quelques minutes puis Alice raccrocha. De nouveau, elle consulta l'annuaire et, soudain, laissa échapper une exclamation. « Victoire ! Écoutez ça : galerie Fe T'sui, spécialiste de la sculpture sur jade, à Sausalito. » Marion échangea un clin d'œil complice avec sa cousine. « Je parierais qu'Alice va nous emmener à Sausalito cet après-midi... 55
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— Impossible, objecta Bess d'un air contrarié. J'ai promis à Joanne que nous lui donnerions un coup de main pour décorer la grange. — Ne t'en fais pas, la rassura Alice. Marion et toi pourrez aider Joanne. Je vous déposerai chez elle et elle vous ramènera quand vous aurez terminé. » La jeune détective appela Joanne pour la prévenir puis les trois amies se mirent en route. Après un crochet par la maison de Joanne, Alice mit le cap sur Sausalito. Elle connaissait la petite ville, perchée sur une colline dominant San Francisco, pour y avoir déjà mené une enquête. Comme la première fois, elle fut charmée par les maisons bâties au bord de la falaise et par les house-boats amarrés dans la baie. Comme la vie ici devait être paisible... songea-t-elle. Après un coup d'œil sur l'adresse qu'elle avait prise dans l'annuaire, elle s'engagea dans la rue principale puis poursuivit son chemin par une petite rue à flanc de coteau. Quand elle eut localisé la galerie Fe T'sui, elle gara sa voiture à bonne distance. Puis elle pénétra dans un bâtiment en stuc ; l'atmosphère feutrée dénotait un certain luxe. Au premier regard, elle comprit que les objets exposés là ne s'adressaient pas au premier touriste venu, mais bien à des collectionneurs avertis. Quelques visiteurs musardaient devant les vitrines et Alice les imita, prenant mentalement des notes sur les clients. Dans la 57
pièce principale, un homme de forte carrure, aux lunettes cerclées d'écaillé, observait minutieusement un ensemble de tablettes de jade gravées. De l'autre côté, un couple richement vêtu admirait des statuettes d'animaux. Une élégante jeune femme en tailleur de lin était assise derrière un bureau d'acajou. D'un signe de la tête, elle salua Alice. « Si vous souhaitez un renseignement, lui ditelle, je suis à votre disposition. » Puis elle se replongea dans la lecture de ses dossiers. Alice se lança dans un examen approfondi des pièces exposées. Ce qui la frappa tout d'abord, ce fut la grande variété des teintes du jade : vert clair, bien sûr, mais aussi blanc laiteux, vert piqueté de jaune, vert d'eau et vert sombre tirant sur le noir. La plupart des objets provenaient de la Chine ancienne. Il y avait des amulettes en forme de poissons ou de grenouilles, des statuettes d'éléphants et de dragons, et même une créature fantastique qui ressemblait à une licorne. Alice fut tout particulièrement attirée par les pièces les plus modernes, notamment un nécessaire de coiffure composé d'un miroir et d'une brosse datant du début du siècle. « Tout cela est splendide, songea-t-elle, mais en quoi cela concerne-t-il mon enquête ? » Elle revit le jeune garçon, furieux et arrogant sous la pluie. « 58
Demandez au martin-pêcheur... » Alice aurait juré que le martin-pêcheur était une personne. Si cette galerie était bien au cœur du mystère, l'oiseau ne devait pas être loin. Elle alla trouver la femme au tailleur de lin. « Excusez-moi... Etes-vous la propriétaire de la galerie ? — Non, c'est M. Mai. Mais je crains qu'il ne soit absent pour le moment. Puis-je vous être utile ? » Songeant à Keith, Alice prépara rapidement un petit mensonge. « J'étudie l'histoire de l'art asiatique et je dois rendre une étude sur les sculptures de jade. J'aurais aimé m'en entretenir avec M. Mai. » La femme lui tendit une feuille de papier. « Inscrivez vos nom et numéro de téléphone. M. Mai entrera en contact avec vous. » Bien qu'elle doutât fortement que le galeriste prenne la peine de l'appeler, la jeune fille s'exécuta. Puis elle remercia l'employée et prit congé. « J'aurais intérêt à effectuer quelques recherches en bibliothèque si je veux être crédible en étudiante... » se dit-elle. Mais le soleil nimbait la baie et elle ne résista pas au plaisir de flâner un peu dans les rues de Sausalito. Elle décida de descendre jusqu'aux quais afin d'admirer les house-boats. Contournant la galerie, elle se dirigea vers l'esplanade. En passant à l'arrière de la 59
boutique, elle stoppa net. Entre le front de mer et la galerie, s'ouvrait une petite allée au fond de laquelle elle remarqua l'enseigne d'un magasin d'antiquités. Poussée par la curiosité, Alice s'engagea dans la ruelle, jonchée de grosses poubelles en bois. Parmi les détritus, se trouvaient des cartons vides adressés à la galerie Fe T'sui. « Le métier de détective n'est pas toujours rosé... » songea-t-elle en envisageant de fouiller dans les ordures. Soudain, elle se figea. Non, elle ne rêvait pas ! Là, au milieu des emballages et des immondices... elle ne pouvait se tromper ! Là, épars, gisaient les débris d'une malle en bois... S'agissait-il de la malle de Nick Finney, comme elle le présumait ? Et pourquoi l'avait-on détruite ainsi ? Alice se pencha pour ramasser un éclat de bois. Alors qu'elle l'examinait, un grondement sourd la fit sursauter. Lâchant son butin, elle pivota sur ses talons. La vision qui s'offrait à elle la remplit d'effroi: du fond de la ruelle, un puissant doberman bondissait dans sa direction, sa gueule béante prête à mordre...
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V Une course-poursuite Alice couvrit son visage d'un bras et se jeta de côté pour esquiver l'attaque. La mâchoire acérée du molosse se referma sur sa manche. D'un geste vif, elle tenta de se libérer mais la bête, grognant toujours furieusement, ne semblait pas prête à lâcher prise. Par chance, la veste qu'elle portait était suffisamment ample et les crocs du doberman, plantés dans l'étoffe, n'avaient pas atteint sa chair. De nouveau, elle tenta de dégager son bras. Si seulement le tissu pouvait se déchirer... « Ly ! » cria une voix. Aussitôt, le chien cessa de grogner mais ne desserra pas son étreinte. Stupéfaite, Alice vit avancer vers elle le jeune Asiatique à la boucle d'oreille. L'air courroucé, il donna des ordres à l'animal dans une langue étrangère. Le doberman libéra Alice, et s'assit sur ses pattes arrière, dans l'attente du commandement suivant. L'adolescent prononça encore quelques mots et le chien s'éloigna d'un pas tranquille, comme si l'agression n'avait jamais eu lieu... « Etes-vous blessée ? demanda le garçon. — Je... je ne crois pas », répondit Alice, encore sous le choc. 61
Elle regarda sa veste, miraculeusement indemne. « Aucun dommage, confirma-t-elle. C'est ton chien ? — Oui. Maintenant, vous feriez mieux de déguerpir. Ly n'aime pas les inconnus et il est dressé pour attaquer. — C'est toi qui m'as fait venir ici, rétorqua la jeune fille. Tu m'as dit de m'adresser au martinpêcheur. — Oubliez ce que j'ai dit. » Mais Alice voulait connaître le fin mot de l'histoire. « Le martin-pêcheur... c'est bien M. Mai, n'est-ce pas ? » Le garçon grimaça un sourire. « Bien vu. Mais je vous le répète : ne traînez pas ici, sinon je rappelle mon chien. — Dis-moi simplement ce .que tu faisais chez les Kirkland et je m'en vais », insista Alice sans se démonter. Au lieu de répondre, le gamin émit un sifflement aigu. Voyant le doberman réapparaître, la détective obtempéra. « Très bien, je pars. » L'adolescent la fixait toujours de son regard noir. Escorté de son chien, il raccompagna Alice jusqu'au bout de l'impasse et prit un air menaçant. « Et ne vous avisez pas de revenir, sinon... » 62
Quelle situation ridicule ! songea Alice. Se laisser dicter sa conduite par un garnement de quatorze ans ! Mais il fallait avouer que les crocs du molosse valaient tous les arguments les plus persuasifs... Agacée d'avoir été tenue en échec, elle remonta vers le centre-ville. Là, elle acheta un sandwich et s'installa sur une pelouse, en face de l'eau, pour le déguster. Tout en admirant le ballet gracieux des voiliers dans la baie, elle essaya de faire le point. Un mystère était éclairci : M. Mai était bien le martin-pêcheur et son lien avec la malle ne faisait plus de doute. Mais l'adolescent était-il également mêlé au vol ? Et si oui, pourquoi avait-il mis Alice sur cette piste ? Et quelle relation entretenait-il avec le martin-pêcheur ? Plus Alice songeait au coffre, plus elle était convaincue que la malle était au centre de 4oute l'affaire. Les débris qu'elle avait vus autour de la poubelle s'y trouvaient-ils encore, ou le garçon les avait-il fait disparaître ? En avalant la dernière bouchée de son casse-croûte, elle en vint à cette conclusion peu réjouissante : si elle voulait ramasser quelques pièces à conviction, elle allait devoir ré affronter le molosse... Le cœur battant, elle se dirigea vers la ruelle. « Pourvu que le jeune Asiatique ne monte pas la garde avec son chien », pria-t-elle silencieusement. Au 63
cours de ses enquêtes, elle avait fait face à d'innombrables dangers... mais cette fois, elle n'en menait pas large ! Devant la boutique d'antiquités, elle hésita ; c'était de la pure folie que de se jeter ainsi dans la gueule du doberman. Elle se souvint alors d'avoir vu un vieux plaid dans la voiture de Terry et alla le chercher. Il était très usagé, et ses couleurs avaient passé, mais pour l'usage qu'elle comptait en faire, il conviendrait parfaitement. Elle retourna jusqu'à l'impasse en voiture et se gara. Puis elle emmaillota son bras dans le plaid et, à pas feutrés, avança vers les poubelles. En apercevant les débris de la malle, son sang ne fit qu'un tour. D'un geste vif, elle attrapa un premier fragment... Mais, soudain, un grognement menaçant la fit frémir... « N'y prête pas garde ! » s'encouragea-t-elle. La seconde d'après, le chien bondissait sur elle. Sous le choc, Alice s'écroula à terre. Toutefois, elle eut le réflexe d'avancer son bras protégé vers la gueule de la bête, dont les crocs s'enfoncèrent dans l'épais tissu. Tandis que le monstre tirait rageusement sur sa proie, elle parvint à se remettre sur pieds et, de sa main libre, à collecter plusieurs débris du coffre. Puis, elle fit glisser son bras prisonnier hors de la couverture et piqua le plus beau sprint de toute son existence...
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Quand elle eut claqué derrière elle la portière de la voiture, elle put enfin reprendre son souffle. Encore haletante après sa course effrénée, elle estima qu'elle l'avait échappé belle. Pris au dépourvu par le stratagème de la jeune fille, le molosse ne s'était pas lancé tout de suite à sa poursuite. Sans ces quelques secondes d'hésitation, il aurait réduit son bras en charpie... Alice consulta sa montre. Dix minutes déjà qu'elle était assise dans la voiture, et son cœur battait toujours la chamade. Elle examina les débris de bois qu'elle avait jetés pêle-mêle sur le siège du passager. « Espérons que le jeu en valait la chandelle », murmura-t-elle entre ses dents. De retour à Cherry Creek, elle trouva Terry dans son atelier, occupé à assembler un délicat mobile de verre. A l'entrée de la jeune détective, il releva la tête et rejeta en arrière une mèche qui lui barrait le front. « Le martin-pêcheur t'a-t-il porté chance ? — Je ne suis pas sûre que chance soit le mot qui convient », fit Alice, encore toute retournée par sa lutte avec le doberman. « Mais regardez plutôt ce que j'ai rapporté. » Terry prit dans ses mains les débris de bois. « On dirait que ça provient de la malle de Nick. — C'est ce que j'ai pensé, moi aussi. » Alice lui narra son aventure, que Terry écouta sans l'interrompre. 65
« J'aimerais bien savoir qui a réduit ce coffre en miettes et pourquoi, s'interrogea l'artiste quand elle eut achevé son récit. Et que viennent faire dans cette histoire le garçon et son chien ? » Avant d'exposer son point de vue, la jeune fille s'installa sur une chaise. « La première fois que je l'ai vu, je lui ai demandé s'il était le cambrioleur. Il m'a donné une réponse en forme d'énigme : "Demandez au martinpêcheur." Cette fois-ci, il a plus ou moins admis que M. Mai et l'oiseau ne faisaient qu'un. Et j'ai justement découvert ces débris derrière la galerie de M. Mai... » Terry fronça les sourcils. « Nous pouvons raisonnablement en conclure que le gamin connaît l'identité du voleur. Mais il y a quelque chose d'étrange dans l'histoire. Le gosse a tout fait pour attirer notre attention sur Mai. Or, d'ordinaire, un propriétaire de galerie prestigieuse a d'autres chats à fouetter que de s'amuser à dérober des malles sans valeur. — Mai a peut-être payé le garçon pour commettre le vol », suggéra Alice. Terry afficha une moue sceptique. « Cette malle a été produite en série dans une manufacture de Saigon... Je le répète, son prix est dérisoire. Personne ne prendrait le moindre risque pour s'en emparer — encore moins un marchand d'art
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réputé pour ne vendre que des objets de grande valeur. — Ce qui nous ramène à l'adolescent et à l'homme à la voiture grenat. Peut-être sont-ils de mèche... — Et ils auraient monté un coup contre M. Mai? — Je n'en sais rien, avoua Alice. Les éléments dont je dispose sont encore bien minces. Pensez-vous que ce coffre — ou ce qu'il en reste — puisse nous mettre sur la voie ? » Terry fit de la place sur sa table de travail et y étala les fragments de bois. Il y en avait de toutes tailles, mais pas suffisamment, hélas ! pour reconstituer l'intégralité de l'objet. « Dommage que tu n'aies pas retrouvé tous les morceaux, se désola Terry. Mais laisse-moi ces débris un moment, je vais les examiner minutieusement. » Alice acquiesça et se leva. « Quant à moi, je ferais mieux d'aller potasser l'histoire de l'art asiatique dans une bibliothèque. Sinon, je vais passer pour un imposteur auprès de M. Mai ! » La nuit tombait lorsque la jeune fille quitta la bibliothèque, son bloc-notes rempli d'informations sur le jade asiatique. Elle savait désormais qu'il existait deux types de cette pierre : la jadéite, souvent translucide, et la néphrite, d'aspect cireux. Les pièces les plus anciennes et les plus précieuses provenaient 67
généralement de Chine. Les Birmans, comme les Thaïs, les Vietnamiens et les Japonais, voyaient dans le jade un gage de bonheur et, chez tous ces peuples, la pierre verte avait inspiré les artistes et les bijoutiers les plus remarquables. Alice admira la boule de feu qui embrasait l'horizon et se félicita d'être sortie au bon moment. En Californie, il n'était pas rare de voir des conducteurs s'arrêter le long de la route le temps de contempler le coucher du soleil sur le Pacifique. Elle tomba d'accord avec Joanne, qui lui avait dit un jour que le crépuscule était le plus beau spectacle que la ville avait à offrir... Alice monta dans la voiture et prit la direction de la route n° 1. A l'aller, elle avait repéré une aire de stationnement d'où elle aurait une vue imprenable sur le ciel rougeoyant. La route serpentait à travers les forêts du mont Tamalpais, présentant par intermittence des points de vue superbes sur la côte déchiquetée. Bientôt, elle vit le panneau annonçant l'esplanade qu'elle guettait et mit son clignotant. En jetant un coup d'œil dans le rétroviseur, elle réprima un mouvement d'humeur. Un chauffard la serrait de près, au point que les deux voitures étaient quasiment pare-chocs contre pare-chocs. Un second coup d'œil la glaça d'effroi : le conducteur imprudent 68
était un individu blond, et son véhicule, une conduite intérieure grenat...
VI
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Le secret de la malle Dans le rétroviseur, Alice tenta de discerner les traits de son poursuivant. Malgré les lunettes noires qui dissimulaient une partie de son visage, elle était certaine qu'il s'agissait de l'homme qui avait tiré sur le pneu de Terry et probablement aussi mis à sac la maison. Un regard en direction de l'aire de stationnement et sa décision fut prise : il n'y avait qu'une voiture garée là, et Alice n'était pas sûre de pouvoir compter sur l'aide de ses occupants. En outre, l'esplanade n'était pas protégée par un parapet et se terminait par un à-pic vertigineux. Pas question d'offrir à l'homme blond une si belle occasion de la précipiter par-dessus la falaise ! Alice appuya sur la pédale d'accélérateur ;derrière elle, la voiture grenat augmenta également son allure. La jeune fille sentit son estomac se nouer. L'autre véhicule paraissait plus puissant que le sien et, si une course-poursuite s'engageait, elle n'avait aucune chance d'en sortir victorieuse. « Mais ne crois pas que je rende déjà les armes, murmura-t-elle à l'attention de son poursuivant. Je vais te prendre par la ruse... » Un plan avait germé dans son esprit ; mais, pour le mettre à exécution sans risquer de provoquer une collision, elle allait devoir attendre la fin des lacets de la route. 70
Les deux voitures franchirent à vive allure le col du mont Tamalpais. En abordant la descente, Alice s'alarma : la vitesse croissante qu'elle était contrainte d'observer rendait la course de plus en plus périlleuse. Heureusement, elle se souvenait qu'il y avait une bifurcation non loin de là. Vivement qu'elle l'atteigne ! Ensuite, elle pourrait expérimenter un vieux tour que lui avait enseigné son père... Lorsqu'elle arriva enfin à l'embranchement, elle tourna, aussitôt imitée par la voiture grenat. Alice pria pour que la route accède rapidement à une bourgade ; mais, devant elle, elle ne distinguait que des collines boisées à perte de vue... Un dilemme se posa lorsque la route se scinda en deux ; au hasard, elle prit à gauche et se maudit bien vite de son choix. Cette voie s'enfonçait dans un paysage désolé, que la nuit rendait lugubre. Pas la moindre habitation à l'horizon... Soudain, un choc à l'arrière la projeta en avant. Seule sa ceinture de sécurité l'empêcha d'avoir la cage thoracique écrasée par le volant. Son poursuivant s'amusait maintenant à emboutir son pare-chocs arrière ! Sans aucun doute, il cherchait à l'envoyer dans le fossé. Un second choc, plus violent encore, eut raison des derniers scrupules d'Alice. Appuyant à fond sur l'accélérateur, elle parvint à distancer la voiture grenat.
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Lancée à pleine vitesse, elle voyait les kilomètres défiler sans jamais arriver dans un village. Elle allait perdre tout espoir lorsque, dans le lointain, elle entrevit la fin de son cauchemar : des lumières ! Enfin, elle approchait d'un bourg. Pourvu seulement qu'elle l'atteigne avant que le fou dangereux derrière elle la rattrape... Bang ! Un nouveau choc déporta l'arrière de la voiture sur la gauche. Agrippée au volant, la jeune fille réussit à conserver le contrôle du véhicule. Elle mordit sur le bas-côté boueux mais, grâce à ses réflexes rapides, rétablit la direction juste avant d'aborder un virage. Puis elle s'engagea dans une ligne droite. Devant elle, l'éclairage public annonçait qu'elle était entrée en ville. Il ne lui restait plus désormais qu'à mettre à profit l'enseignement de son père : se garer sur le parking du commissariat de police ! Là, au moins, elle serait en sécurité. De fait, lorsqu'elle pila devant le bâtiment administratif, elle constata que son poursuivant, loin de l'imiter, accélérait pour disparaître au plus vite. « Ouf ! soupira-t-elle en descendant de voiture ; cette fois, j'ai vraiment frôlé la catastrophe... » Elle pénétra dans le commissariat afin d'y déposer une plainte. L'officier de police se montra bien mieux disposé à son égard que l'inspecteur Brower. Après avoir établi son rapport, il lança un 72
appel à toutes les voitures pour rechercher l'automobile grenat. Puis il escorta Alice jusqu'à Cherry Creek, afin de lui éviter une nouvelle rencontre avec le fou du volant. En arrivant chez Terry, la jeune détective était à bout de forces, autant physiquement que nerveusement. Elle trouva les deux cousines confortablement installées devant la télévision ; Marion remarqua tout de suite l'air exténué de son amie. « Ça n'a pas l'air d'aller... — En effet, concéda Alice. Je viens de vivre une course échevelée. Et l'après-midi avait été plutôt mouvementée, elle aussi. » La jeune fille s'étendit sur le moelleux tapis devant la cheminée et accepta volontiers la tasse de thé brûlant que Bess lui proposait. Puis elle fit à ses amies le récit de son aventure. A mesure qu'Alice racontait, la consternation de Bess augmentait. « Crois-tu que l'homme t'a également suivie à la bibliothèque ? — C'est la question que je me suis posée. Mais s'il était à mes trousses depuis le départ, je me demande où il s'est caché pendant ma visite à Sausalito, car je ne l'ai pas vu là-bas.
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— Il se peut que le garçon au chien soit de mèche avec lui, avança Marion. Cela expliquerait comment il a retrouvé ta piste. — C'est possible, admit Alice sans conviction. Mais je penche plutôt pour une coïncidence. A mon avis, il est passé devant la bibliothèque par hasard et a identifié le véhicule de Terry. — Et il t'a reconnue toi aussi ! renchérit Bess. Qui nous dit que ce n'est pas lui qui t'espionnait pendant que tu faisais le guet ? » Toutes ces suppositions... et pas la moindre preuve ! se lamenta intérieurement Alice. Un peu étourdie, la jeune fille détenait du moins une certitude: l'individu blond avait tenté de la tuer. Rien que d'y penser, elle en avait froid dans le dos... Pour se changer les idées, elle interrogea ses amies sur le déroulement de leur journée. « Les préparatifs ont avancé ? — Nous avons installé toutes les décorations, répondit Bess. Tu devrais voir la grange... elle est somptueuse ! — Toutes les décorations, vraiment ? fit Alice, incrédule. — Sans exception, soupira Marion. Mais je dois reconnaître que le résultat est à la hauteur de nos efforts. Le cadre est exceptionnel : au sommet d'une falaise, avec vue plongeante sur l'océan. »
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La porte de l'atelier de Terry s'entrouvrit et, dans l'entrebâillement, apparut la frimousse réjouie d'Amy. « Venez admirer ce qu'a fait mon père ! » lança fièrement la petite fille. Les trois amies entrèrent dans l'atelier de Terry ; là, au lieu de l'œuvre en verre qu'elle s'attendait à trouver, Alice aperçut sur l'établi une drôle de construction en bois, en équilibre instable sur un angle. La première surprise passée, le visage de la jeune détective s'illumina soudain. « Vous avez réussi à reconstituer la malle ! — En partie seulement, corrigea Terry. J'ai recollé les morceaux, mais l'ensemble n'est pas très solide. — Est-ce bien le coffre de Nick Finney ? demanda Bess. — Il manque les serrures de cuivre. Mais Amy et moi sommes formels : il s'agit de la malle de Nick — ou de ce qui en reste. — Mais ce n'est pas tout, ajouta sa fille d'un air mystérieux. » Son père lui adressa un clin d'œil complice. « Montre-leur, ma chérie. » Amy souleva délicatement le coffre et le coucha sur le côté afin d'offrir le fond à la vue des trois amies. Puis elle fit coulisser la planchette qui constituait le socle de l'objet. 75
Alice écarquilla les yeux de stupeur. « Un double fond ! — Eh oui, confirma Terry. Quand je pense que je détiens cette malle depuis des années... et je ne m'en suis jamais douté ! » Alice examina attentivement l'assemblage. « Habituellement, on utilise un double fond quand on cherche à transporter quelque chose discrètement. — Par exemple, un contrebandier qui veut passer une frontière ? suggéra Bess. — Par exemple, oui. Ce genre de compartiment secret est propre à recevoir des marchandises volées, ou illicites — ou encore des valeurs que le propriétaire tient à protéger. » Marion passa la main dans sa tignasse brune. « Crois-tu que ce coffre a servi de cachette depuis son départ du Vietnam ? » Alice acquiesça. « J'en mettrais ma main au feu. Et je suis sûre également que notre cambrioleur était au courant. Voilà pourquoi il s'est introduit dans la maison : pour récupérer ce bien mystérieux. — Pas si vite, objecta Terry. Rien ne prouve qu'il savait ce que contenait le coffre. D'ailleurs, qui nous dit qu'il y avait quelque chose dans ce double fond ? — Moi, je partage l'avis d'Alice, intervint Amy. 76
— Terry, reprit la jeune détective, vous ne soupçonniez vraiment pas l'existence de ce double fond ? — Pas le moins du monde. — Et toi, Amy ? » La petite fille secoua énergiquement la tête. « Moi non plus. Sinon, j'aurais utilisé cette cachette pour ranger mes bijoux ! — Dans ce cas, conclut Alice, la question est la suivante : qui savait que le coffre était équipé d'un double fond ? » Un silence perplexe s'abattit sur la pièce, finalement rompu par un soupir de Terry. « II y a au moins une personne qui le sait, ou le savait : Nick Finney. — Je suis arrivée à la même conclusion, ajouta Alice. Est-ce que Nick... » Mais la sonnerie du téléphone la coupa dans son élan. « Excusez-moi, fit Terry en décrochant. Puis il tendit le récepteur à Alice : Pour toi. M. Mai. » Surprise, la jeune fille attrapa le combiné. « Mademoiselle Roy, commença une voix distinguée, teintée d'un léger accent. Je suis Binh Mai, de la galerie Fe T'sui. Vous souhaitez me parler? — En effet. J'étudie l'histoire de l'art asiatique à l'université et je prépare une étude sur les sculptures de jade. J'aurais aimé vous interviewer. » 77
M. Mai parut hésiter. « Je suis désolé, mademoiselle, mais je suis un homme très occupé. Je crains de ne pas avoir le loisir de vous rencontrer. — Je me contenterais d'une brève entrevue, insista Alice. On m'a affirmé que votre galerie possédait l'une des plus intéressantes collections de la région et que vous-même étiez un expert hors de pair.» M. Mai soupira. « Fort bien. Dans ce cas, présentez-vous demain à 11 h 15 précises. Je pourrai vous octroyer quarante minutes, pas davantage. » II raccrocha sans laisser à son interlocutrice l'occasion de lui dire si le rendez-vous lui convenait. « Alors ? fit Bess en piaffant d'impatience. Tu vas le rencontrer ? — Demain matin. — L'un de nous devrait peut-être t'accompagner », suggéra Marion. La sollicitude de son amie fit sourire Alice. « C'est très gentil. Mais si M. Mai est bel et bien mouillé dans le cambriolage, mieux vaut ne pas attirer ses soupçons. J'irai seule. — Il risque de recevoir une autre visite, fit remarquer Terry. Celle de la police. J'ai prévenu Brower, au sujet du coffre. Il compte se rendre à la galerie demain matin avec l'un de ses experts, afin 78
d'inspecter les lieux. — Quelle chance pour M. Mai ! ironisa Bess. Une visite de l'inspecteur Brower de bon matin, voilà la façon la plus agréable de commencer une journée ! » Plus tard dans la soirée, Alice se pelotonna devant la cheminée avec un roman policier. Bess et Marion étaient sorties voir un film qu'elle avait déjà vu, Amy dormait et Terry, encore enfermé dans son atelier, achevait une pièce qu'il comptait prochainement exposer. Alice entamait son dernier chapitre lorsque Terry fit irruption dans le salon. «Je m'accorde une pause. Tu souhaitais que je te parle de Nick Finney, je crois. Veux-tu aller prendre l'air quelques minutes ? » La jeune fille enfila un pull-over et suivit Terry sur l'une des terrasses qui entouraient la maison. L'air embaumait la résine de sapin et, à travers le dais que formaient les frondaisons des acacias, on entrevoyait le ciel criblé d'étoiles. « Que c'est beau ! » murmura Alice. Terry sourit. « J'ai toujours aimé cet endroit. Et je m'étais imaginé que nous connaîtrions ici la paix et la sérénité. Les derniers événements semblent me donner tort.
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— Terry, si Nick connaissait l'existence du double fond, croyez-vous qu'il y aurait dissimulé quelque chose ? Ce serait l'explication à ces cambriolages à répétition, non ? — Peut-être, fit l'artiste, le regard perdu dans le lointain. — Ça peut paraître insensé, poursuivit la jeune détective, mais le voleur... il se pourrait qu'il s'agisse de Nick en personne ! Il aurait voulu récupérer son bien. — Non, trancha Terry d'un ton catégorique. Premièrement, Nick a disparu il y a plus de vingt ans. Nous avons toutes les raisons de penser qu'il est mort au combat. Et si, par miracle, il en avait réchappé, pourquoi aurait-il agi ainsi ? Sur sa simple demande, je lui aurais bien volontiers restitué la malle. » N'ayant rien à objecter à ces arguments, Alice préféra changer de sujet. « Que pouvez-vous encore me dire, à propos de votre ami ? — C'était un bon soldat. Particulièrement doué dans l'art du camouflage et de la filature. — Connaissez-vous les circonstances exactes de sa disparition ? — Je ne sais rien de plus que ce que je t'ai déjà raconté. Tu pourrais entrer en contact avec l'association locale des Anciens Combattants. Nick 80
était originaire du coin. Il est possible qu'ils disposent d'un rapport plus complet à son sujet. Je te donnerai leur numéro de téléphone. — Volontiers. Et je les appellerai dès demain matin. » Puis elle retourna vers la maison, laissant son hôte à sa méditation. « Bonne nuit, Terry — et merci. » Tôt le lendemain, avant même le départ d'Amy pour l'école, ils reçurent la visite de l'inspecteur Brower et de l'expert de la police. Terry conduisit les deux officiers dans son atelier et leur montra la reconstitution du coffre. Tandis que l'expert prenait quelques photos, l'inspecteur observait l'objet en silence. Puis il se tourna vers son collègue. « Relevez les empreintes digitales sur le bois. Ensuite, vous demanderez leurs empreintes à M. Kirkland, Mlle Roy et la petite. — Vous autres, ajouta-t-il à l'attention de Bess et Marion, vous n'avez pas touché le coffre ? » Les deux cousines répondirent par la négative, après quoi l'expert du laboratoire releva les empreintes des trois autres. « Bien, conclut Brower. J'emporte la malle, comme pièce à conviction. Nous vous ferons savoir quand vous pourrez la récupérer.
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— Comptez-vous enquêter à la galerie Fe T'sui?» s'enquit Alice. Mais l'inspecteur ignora ostensiblement la question et s'adressa à Terry : « Je vous tiendrai au courant de nos découvertes. Au plaisir. — Quel mufle ! s'indigna Bess quand les deux hommes furent partis. — On aurait envie de le coiffer au poteau, rien que pour lui donner une leçon », renchérit Marion. Alice leur sourit. « Si nous voulons résoudre cette enquête, mettons-nous à l'ouvrage sans attendre. Je vais déjà appeler l'association de vétérans. » Lorsqu'elle interrogea son interlocuteur sur Nick Finney, elle se vit répondre qu'aucune information n'était disponible. Mais on lui communiqua un autre numéro à appeler. Il ne fallut pas moins de cinq coups de téléphone pour qu'enfin quelqu'un lui réponde qu'il avait effectivement un dossier sur le soldat disparu. Alice demanda la date de naissance et la date de la disparition de Finney, puis se livra à une rapide soustraction. « II n'avait que dix-huit ans ! s'étonna-t-elle. — Exact, confirma l'homme. — Et ensuite ? fit la jeune fille avec espoir. A-t-il redonné signe de vie après cette fameuse attaque ? » 82
Elle entendit son interlocuteur pianoter sur le clavier d'un ordinateur. « II participait à une mission très spéciale. Onze hommes périrent, mais Finney ne figure pas sur la liste. Le commandement a émis l'hypothèse qu'il ait été fait prisonnier. Désolé, c'est tout ce que j'ai. » Mais Alice ne s'avoua pas vaincue pour autant. « Quand quelqu'un est porté disparu depuis si longtemps, quelles sont habituellement vos conclusions ? » Au bout du fil, l'homme hésita : « Vous connaissiez Finney personnellement ? — Non. — Ce n'était pas un de vos parents ? — Non plus. — Alors je vais vous répondre en toute franchise. Considérant le lieu et les circonstances de sa disparition, il y a fort à parier pour qu'il soit décédé depuis des années. »
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VII Un dragon très farouche Les yeux rivés sur le combiné du téléphone, Alice resta quelques instants sous le choc. Elle avait dix-huit ans, l'âge de Nick au moment de sa disparition. Quel enfer ils avaient dû vivre, ces jeunes soldats envoyés dans la jungle du Vietnam... Puis elle monta se changer pour l'entrevue avec M. Mai. Son choix se porta sur un chemisier blanc, une jupe et une veste en jean. « Ai-je l'air d'une étudiante en histoire de l'art asiatique ? » demanda-t-elle à Bess qui l'avait rejointe. Son amie la considéra d'un œil avisé. « Pas particulièrement. Mais, en tout cas, tu ressembles à une étudiante. Tu n'as pas un bijou oriental à porter ? — Non, malheureusement. Mais ceci fera l'affaire, répondit Alice en accrochant à ses oreilles des boucles en turquoise. Quel est votre programme pour aujourd'hui ? — Épluchage et mijotage ! plaisanta Bess. — Aubergines, crabe, pommes, épinards et dinde, précisa Marion qui venait d'entrer dans la pièce. Et ce ne sont que les entrées... Moi qui ne rêve que de louer un VIT pour aller explorer les environs ! 84
— Et moi de prendre un bain de boue à Calistoga ! » renchérit Bess d'un ton taquin. Alice fronça les sourcils. « Ce voyage n'est guère amusant pour vous. — Nous sommes ravies de revoir Jeanne, concéda Marion. Mais les préparatifs n'en finissent pas. Si je me marie un jour, ce sera en catimini ! — Tu ne nous ferais pas ça ! s'indigna sa cousine. Je tiens à être là le grand jour, ne serait-ce que pour te conseiller dans le choix de ta robe ! N'aije pas eu raison de te pousser à prendre la robe verte que tu porteras pour le mariage de Joanne ? » Marion leva les yeux au ciel, tandis qu'Alice éclatait de rire. « Je vous promets une récréation très prochainement. Demain, Terry doit se rendre à une exposition et Amy l'accompagne, car l'école offre une journée libre. Pourquoi ne partirions-nous pas nous aussi nous promener ? — Je persiste à penser que l'une de nous devrait t'accompagner à la galerie », insista Marion, ignorant la proposition de son amie. Mais Alice secoua vigoureusement la tête. « Non, je ne veux pas éveiller les soupçons de M. Mai. Il faut que je m'y rende seule. » Ail heures, Alice garait sa voiture devant la galerie Fe T'sui. 85
Après un dernier coup d'œil aux notes prises à la bibliothèque, elle se dirigea vers la galerie. Il était exactement 11 h 15 lorsqu'elle poussa la porte. Comme la fois précédente, elle fut accueillie par la jeune femme blonde derrière son bureau d'acajou. « M. Mai est-il là ? Nous avons rendez-vous. » L'employée releva son nom, décrocha son téléphone puis signala à Alice que M. Mai la rejoindrait d'ici quelques minutes. Profitant de ce répit, la jeune détective promena son regard sur les vitrines. Rien n'avait changé depuis la veille, si ce n'est que la galerie était déserte. Une statuette finement ouvragée, représentant un dragon toutes griffes dehors, attira son attention. « Vous aimez mon dragon ? » La voix, dans son dos, fît presque sursauter la jeune fille. L'homme, vêtu d'un complet gris perle d'une coupe parfaite, était grand et puissamment bâti. « M. Mai ? » interrogea-t-elle. Il confirma son identité d'un léger hochement de tête. « Vous aimez mon dragon ? répéta-t-il. — Magnifique, le complimenta-t-elle. — Dans le bouddhisme, le dragon représente le dieu de l'Est. C'est l'esprit du mouvement — certains disent l'esprit de la vie même, et la divinité de tous les êtres aquatiques. De même le tigre, le dieu de l'Ouest, représente le courage et préside à toutes les 86
créatures terrestres. L'objet que vous contemplez est une pièce japonaise du XVIIIe siècle. » Alice, qui avait observé son interlocuteur tandis qu'il parlait, eût été incapable de lui donner un âge. Avec ses pommettes saillantes et ses cheveux de jais, il aurait pu avoir trente ou cinquante ans. Une seule chose était certaine : il vivait confortablement. Tout, depuis son élégant costume jusqu'à sa bague ancienne, témoignait de son opulence. Du menton, l'homme désigna la vitrine où étaient exposées les tablettes de jade qu'Alice avait remarquées la veille. « Voilà ce qu'on appelle un livre de jade. Le texte qui y est gravé est un poème datant de la dynastie mandchoue. Les livres de jade étaient la marotte des empereurs chinois de cette époque... Mais je m'égare. A quelle période vous intéressez-vous, mademoiselle? » Bonne question ! songea Alice à part soi. Au cours de ses recherches à la bibliothèque, elle n'avait pas vraiment pris pour angle d'étude la classification chronologique. Car une seule chose la passionnait réellement : découvrir ce qu'avait contenu le coffre... « A vrai dire, commença-t-elle, je ne suis pas fixée sur une époque précise. Je travaille sur les gravures sur jade vietnamiennes. » Aussitôt, elle regretta de s'être tant avancée. Rien ne lui disait que la malle avait recelé un objet en jade! 87
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Et si même c'était le cas, la pierre pouvait provenir d'un autre pays de l'Asie du Sud-Est... « Je suis né au Vietnam, confia M. Mai. La plupart des œuvres en jade que l'on trouve dans mon pays datent de ces deux derniers siècles. Il s'agit surtout de statues destinées à des temples. — En avez-vous ici ? — Pas en ce moment. Je crains de ne pas pouvoir vous être de la moindre utilité. » Désemparée, Alice réalisa que son hôte venait courtoisement de mettre un terme à l'entretien — et qu'elle n'avait en rien avancé dans son enquête ! Le seul détail qu'elle avait appris concernait la nationalité du galeriste. Mais de là à imaginer qu'il avait un lien avec le coffre... Il y avait un fossé que rien ne l'autorisait à franchir. Elle jeta un regard furtif en direction de la lourde porte en bois derrière M. Mai. Si seulement elle pouvait s'introduire dans les coulisses de la galerie... C'était probablement là que l'on déballait les nouveaux arrivages et que l'on préparait les vitrines. « Monsieur Mai, fit-elle pour tenter de prolonger l'entretien, la gravure vietnamienne est-elle semblable à celle que l'on pratique en Chine ? — Parfois, oui. Lorsqu'il s'agit de statues destinées à des temples bouddhistes.
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— En avez-vous quelques exemplaires ? » Pendant les vingt minutes qui suivirent, l'homme offrit à sa visiteuse une complète visite guidée de ses trésors. Ses commentaires, rapides autant qu'érudits, apportèrent la preuve qu'il connaissait parfaitement son sujet. Afin de ne pas se trahir, la jeune fille prit consciencieusement des notes, comme toute bonne étudiante. Toutefois, elle fut vite débordée par la somme d'informations qui lui étaient livrées. Mais, dans ce discours-fleuve, elle guettait le moindre indice susceptible de l'éclairer sur la disparition de la malle. Bien vite, elle comprit que M. Mai n'avait accepté de la recevoir que parce que ses questions flattaient sa vanité. Il prenait un plaisir évident à étaler devant un auditoire ses connaissances et ses talents de collectionneur. Aussi Alice estima-t-elle que la meilleure tactique consistait à paraître extrêmement impressionnée : « Où trouvez-vous toutes ces pièces extraordinaires ? » Pour la première fois, M. Mai esquissa un sourire. « Chez des collectionneurs privés. Les amateurs de jade forment un cercle très restreint. Nous nous connaissons tous. » 90
A court de questions, la jeune fille cherchait désespérément un subterfuge pour visiter l'arrièresalle de la galerie quand, comme par miracle, elle entendit la porte du fond tourner lentement sur ses gonds. Négligemment, elle pivota sur elle-même dans l'espoir de jeter un coup d'œil dans l'entrebâillement. Ce qu'elle aperçut alors la stupéfia : dans l'encadrement de la porte, se tenait le jeune garçon à la boucle d'oreille en forme de dragon... L'apercevant à son tour, l'adolescent se retira précipitamment, sans un mot. « Stop ! » s'écria Alice en s'élançant à sa poursuite. Pas question, cette fois, de laisser échapper le garçon qui, apparemment, détenait une des clés du mystère. « Mademoiselle Roy ! » protesta M. Mai d'un ton courroucé. Mais elle ne l'écouta pas. Dans sa course, elle remarqua des classeurs et des vitrines en cours d'élaboration. De toute évidence, le jeune Asiatique évoluait en terrain familier, car il se faufilait comme une couleuvre dans la remise. Soudain, il disparut derrière une porte ouvrant sur la rue. Lui emboîtant le pas, la jeune détective constata que la sortie débouchait sur la ruelle où elle avait été 91
attaquée par le chien. Priant pour ne pas se retrouver encore une fois nez à nez avec le doberman, elle pourchassa l'adolescent jusque dans les rues de Sausalito. En atteignant la plaza Vina del Mar, la jeune fille avait le souffle court. Le garçon, lui, ne paraissait pas près de ralentir son rythme. Il esquiva la fontaine, manqua de renverser un vieil homme qui passait par là, puis fonça droit sur une des statues d'éléphants qui ornaient l'esplanade — et se volatilisa littéralement ! Interrompant sa course folle, Alice promena un regard perplexe tout autour d'elle. Où ce garnement avait-il bien pu se cacher ? Il ne pouvait pas s'être évaporé, tout de même ! Patiemment, elle inspecta chaque recoin de la place et poussa même ses recherches jusqu’au parc Gabrielson. Peine perdue : pas la moindre trace du Tshirt blanc et du Jean noir que portait le garçon à l'unique boucle d'oreille... « Je me demande qui il est... s'interrogea-t-elle, de plus en plus intriguée. Et quel est donc ce secret qu'il cherche à garder si farouchement ? »
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VIII Un revenant Poussant un soupir de découragement, Alice s'assit au pied d'un des pachydermes qui montaient la garde sur l'esplanade. Inutile de se leurrer : elle s'était bel et bien fait semer par le jeune Asiatique... A toutes les questions restées sans réponse, il venait maintenant s'en ajouter de nouvelles : que faisait ce garçon dans la galerie de M. Mai ? Pourquoi avait-il été troublé en apercevant Alice ? Travaillait-il pour le galeriste, ou se préparait-il à dérober une pièce exposée ? Alice tenta de récapituler tous les éléments dont elle disposait sur le compte de l'adolescent. Lors de leur première rencontre, près de chez Terry, il l'avait indirectement envoyée chez M. Mai. Ensuite, elle l'avait revu dans la ruelle, avec son chien, puis de nouveau dans la galerie. On pouvait sans trop de risque d'erreur en déduire qu'il demeurait à Sausalito. L'étape suivante allait donc consister à interroger les commerçants du quartier, afin d'en apprendre davantage sur l'étrange jeune garçon... Mais, en premier lieu, elle se devait de retourner à la galerie afin d'expliquer sa conduite à M. Mai. Il avait dû la prendre pour une folle, en la voyant 93
détaler de la sorte ! Qu'allait-elle pouvoir inventer pour se justifier ? En approchant de la boutique, elle aperçut à travers la baie vitrée le galeriste qui s'entretenait avec sa secrétaire. D'une main hésitante, elle poussa la porte. Au regard glacial que lui décocha M. Mai, elle comprit vite qu'elle allait devoir user de toute sa diplomatie pour l'amadouer. « Mademoiselle, fit l'homme d'un ton de reproche appuyé, votre départ fut plutôt grossier. — J'ai vu quelqu'un que je connaissais, avança-t-elle en guise d'excuse. — Et vous avez pour habitude de pourchasser vos connaissances ? » Le ton accusateur lui fit monter le rouge aux joues. « Non. Vous... vous savez qui est ce garçon ? — Jimmy est mon. neveu. Il loge avec moi dans l'appartement que je possède, au-dessus de la galerie. Je suis son tuteur légal. » La nouvelle fit sur Alice l'effet d'une bombe. Elle se laissa choir sur l'un des moelleux canapés et tenta de recouvrer ses esprits. « Je suis confuse. Dès qu'il m'a vue, il a pris ses jambes à son cou. J'en ai bêtement déduit qu'il n'avait pas la conscience tranquille. — Une conclusion un peu rapide — et peu charitable. » 94
Alice aurait voulu pouvoir disparaître sous les épais coussins du sofa. Quelle idée saugrenue elle avait eue de revenir à la galerie... « Je... j'aimerais lui présenter mes excuses, bredouilla-t-elle. — Il ne voudra pas vous parler, rétorqua M. Mai. Voyez-vous, mon neveu ignore certaines règles de politesse. Il est orphelin ; ses parents ont été tués au Vietnam, quand il avait sept ans. — Pendant la guerre ? — Juste après, mais à cause d'elle cependant. Ils ont roulé sur une mine enfouie dans le sol — une mine probablement posée là des années plut tôt. Comme vous pouvez vous en douter, cet accident mortel a grandement perturbé Jimmy. » Alice ne put que remarquer le ton légèrement détaché que prenait M. Mai pour évoquer le tragique destin de son neveu. « Depuis, poursuivit-il, Jimmy se montre rebelle à toute forme d'éducation. Il excelle surtout dans l'art de s'attirer des ennuis. Avant moi, il a épuisé ses trois précédents tuteurs. Le moins que l'on puisse dire est que ce n'est pas un enfant facile. » « Parce que personne ne s'intéresse vraiment à lui, jugea intérieurement Alice, gagnée par un élan de sympathie inattendue à l'égard de l'orphelin. Quelle chance elle avait eue, elle, d'être élevée par une
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gouvernante affectueuse, et non par un gardechiourme plein de mépris ! » M. Mai consulta sa montre et manifesta son impatience. « Je vous ai déjà consacré plus de temps que prévu, mademoiselle. Je regrette, mais mes affaires m'appellent. — Naturellement », consentit Alice en se levant. Mais elle savait d'ores et déjà qu'il lui faudrait revenir à la galerie. Maintenant qu'elle connaissait l'identité de Jimmy, elle était plus persuadée que jamais que le galeriste était mêlé, de près ou de loin, à l'affaire de la malle volée. « M'autoriserez-vous à repasser en fin de semaine ? J'aurais encore quelques questions à vous poser sur les gravures des temples. » M. Mai prit un air contrarié et, à contre-cœur, tendit la main vers sa secrétaire, qui lui présenta un grand agenda en cuir noir. « Après-demain, 10 heures précises, fit-il sèchement. — Merci infiniment, répondit Alice. Je serai ponctuelle. » Alice et ses deux amies étaient convenues de se retrouver chez Joanne. En entrant chez la future mariée, Alice fut affolée par la vision qui s'offrait à ses yeux : pas un centimètre carré d'espace n'était libre ! Partout des plateaux, des saladiers et des 96
marmites. Assises dans le salon, Joanne, Bess et Marion dressaient l'inventaire de leurs préparatifs. « Mission accomplie ! s'exclama fièrement Joanne en mettant un point final à sa liste. Nous avons de quoi nourrir trois cents personnes. — Toutes mes félicitations, la congratula Alice. Vous devriez ouvrir un restaurant. — L'idée serait à creuser, approuva Bess, tout en croquant dans un biscuit. — Il n'en est pas question ! » réfuta immédiatement sa cousine. Joanne ôta son tablier. «Je partage l'avis de Marion. Je ne ferais pas cela tous les jours... La semaine prochaine, je demande à Keith de m'emmener dîner dehors tous les soirs ! — Qu'as-tu fait de ta famille ? lui demanda Alice. J'espérais revoir tes parents. — Tu les verras tous le jour du mariage, la rassura son amie. Aujourd'hui, je les ai envoyés en ville visiter l'Exploratorium. Ils me couraient sur le haricot ! Ma mère ne cesse de se lamenter parce que je ne fais rien comme tout le monde. — Elle n'a pas changé... » observa malicieusement Alice. Lorsque Joanne n'était que lycéenne, sa mère la harcelait déjà à cause de ses tenues, qu'elle trouvait trop excentriques. « Maman ne changera jamais, confirma la jeune fille en riant. Tiens, je vais te montrer une photo. 97
— Bonne idée. D'ailleurs, je crois bien ne jamais avoir vu aucun de tes clichés. — Tu as raté quelque chose ! fit Marion. Joanne nous a sorti son portfolio, hier. Attends un peu de voir les photos des baleines... Tu vas tomber à la renverse ! » Joanne revint avec une grande enveloppe en kraft. Elle s'installa sur le divan puis tendit une pile de photographies à Alice. « Voilà. Je les ai prises l'été dernier, lors du séjour de ma mère et de mes sœurs. Il y a aussi quelques clichés de kimonos, que j'ai pris à l'exposition que nous avons visitée, Keith et moi.» Elle sortit du lot une photographie représentant un mannequin arborant un kimono de soie vert et jaune richement brodé. « Voilà la robe de mariée dont je rêvais ! Malheureusement, ce petit bijou vaut plus de 30 000 dollars et appartient à un musée japonais. » Les yeux rivés sur la photographie, Alice se concentrait sur une idée qui venait de germer dans son esprit. « Où cette photo a-t-elle été prise ? demanda-telle. — Dans une petite galerie de Berkeley. Dès que j'ai aperçu ces kimonos, j'ai décidé de m'en inspirer 98
pour ma robe de mariée. Alors je suis revenue le lendemain et j'ai mitraillé tant que j'ai pu. — Je croyais que les photos étaient interdites dans les galeries, s'étonna Bess. Personne n'a remarqué ton manège ? » Un sourire malicieux s'épanouit sur les lèvres de Joanne. «Je n'ai pas agi seule, j'avais un complice... Keith a bombardé le gardien de questions techniques pour créer une diversion. » Restée silencieuse, Alice n'avait pas perdu un mot de l'échange. Son plan prenait forme : si seulement elle pouvait obtenir des clichés aussi bons des statuettes de jade... « Joanne, hasarda-t-elle enfin, je sais que tu es très occupée par les préparatifs de ton mariage mais... crois-tu que tu pourrais te libérer une heure, aprèsdemain, pour prendre quelques photos ? — Jeudi... réfléchit la jeune fille. C'est le jour que je comptais consacrer à l'élaboration de la pièce montée. — Comment ? fit Alice, stupéfaite. Tu comptes réaliser toi-même le gâteau ? — Avec notre concours, précisa Bess, ravie de cette perspective. Nous allons confectionner une pièce montée en forme de château médiéval. Tu verras, ça va être fan-tas-tique !
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— Je pourrais y participer, si vous voulez. Mais j'ai rendez-vous avec M. Mai jeudi matin à 10 heures. Penses-tu pouvoir m'accompagner, Joanne ? » La jeune fille prit quelques secondes de réflexion avant de se prononcer ; puis elle afficha un large sourire. « Entendu. Je te donne un coup de main sur l'enquête et, en retour, tu nous aides à préparer le dessert. Le marché me semble équitable. Tu n'auras qu'à me dire à quelle heure je suis réquisitionnée... » Le mercredi matin, au lever du jour, les trois amies aidèrent Terry et Amy à charger les œuvres de Terry dans l'Espace. Puis, encore à demi endormis, tous les cinq prirent place dans le véhicule et mirent le cap vers le lieu de l'exposition, à l'extrémité nord de l'État, à la frontière de l'Oregon. Après plusieurs heures de route, Terry gara l'Espace devant un bâtiment octogonal couvert de lattes de séquoia ; un grand panneau indiquait Salon de la peinture sur verre - cinquante des plus grands artistes contemporains - réservé aux professionnels. « Tu te rends compte, papa ? jubila Amy. Tu fais partie des cinquante meilleurs... — En fait, plaisanta son père, je suis l'une des cinquante bonnes pâtes qui ont accepté de faire tout ce trajet en plein milieu de semaine ! » Ils descendirent de voiture et entamèrent la délicate entreprise consistant à décharger les 100
précieuses œuvres de l'artiste. Marion et Alice firent équipe pour transporter la planche et les tréteaux qui feraient office d'étal, tandis que Bess se chargeait d'une pile d'imprimés répertoriant les objets exposés et leur prix de vente. Amy prit le carnet de commandes et Terry s'acquitta seul de la manipulation de ses fragiles créations. L'emplacement qui lui avait été réservé était situé tout au fond d'une grande halle. Au vu de la quantité de fenêtres, lampes et mobiles à disposer, Alice aurait juré que l'installation allait prendre des heures. Mais Terry était rompu à ce genre de tâche fastidieuse et en trente minutes tout fut en place. Amy déballa une boîte de verre irisé et la tendit à son père. « Ton stand est magnifique, le félicita-t-elle. — Ma première et plus fidèle admiratrice, dit Terry avec un sourire. Espérons que les acheteurs partageront ton enthousiasme... — Toujours aussi modeste, Kirkland ! » Un homme aux cheveux gris, vêtu d'un complet bleu marine, s'était approché du petit groupe. Il serra la main de l'artiste. « Tu sais bien, poursuivit-il, que c'est ta seule présence qui a attiré la moitié des clients — moi y compris. » Terry fit les présentations : le visiteur, un certain Léon Isaacs, possédait une galerie à New York. Il 101
remarqua un mobile dont il voulut connaître le prix. « Ça va continuer comme ça toute la journée, prévint Amy, habituée à ce genre de manifestations. Vous venez faire un tour ? » Tous les stands étaient désormais installés. Le soleil, qui rayonnait à travers les larges baies vitrées du toit, faisait chatoyer le verre et les pierreries. Les rouges profonds, les bleu saphir, les turquoise et les lavande, les rosés pâles... C'était un festival de couleurs dans chaque travée. « Quelle beauté ! s'extasia Bess. Vous savez à quoi ça me fait penser ? A la salle du trésor, dans les contes de fées. Là où on entasse des montagnes de bijoux, de pierres précieuses, de vases... — Ce n'est que du verre ! lui rappela Amy. — Néanmoins, c'est fascinant », renchérit Marion. Elle s'arrêta pour admirer une statue de verre représentant une femme. « Elle a l'air si vivant... On a presque envie de poser la main sur sa poitrine pour sentir battre son cœur. — Normal. N'oublie pas que seuls les meilleurs maîtres-verriers sont exposés ici », rappela fièrement Amy. Les quatre jeunes filles déambulèrent dans la halle d'exposition jusqu'à l'heure du déjeuner. Puis, 102
comme Terry les avait autorisées à disposer de l'Espace, elles décidèrent d'aller se promener dans la forêt de séquoias alentour. « Mais d'abord, proposa Alice, nous devrions apporter à Terry de quoi se restaurer. » La foule de visiteurs avait grossi, et elles durent jouer des coudes pour se faufiler jusqu’au stand de Terry. Apercevant son père de dos, à l'extérieur du stand, Amy manifesta sa surprise. « Que fait-il là ? Il devrait être de l'autre côté de la table... » D'instinct, Alice comprit que quelque chose ne tournait pas rond. Approchant plus près, elle reçut la confirmation de son pressentiment : la ravissante boîte en verre irisé, qui trônait auparavant au centre de l'étal, sur un coussinet de velours bleu nuit, gisait maintenant sur le sol, en mille morceaux épars. « Oh non !... se lamenta Marion. Elle est tombée! — Pas exactement, rectifia Terry d'une voix sombre. On l'a fait tomber. Et je connais le coupable.» Au milieu des débris de verre, Alice remarqua une chaînette de métal agrémentée de deux plaquettes, métalliques elles aussi. « Une plaque d'identification pour chien ! s'étonna-t-elle. — Non, c'est la plaque que portent les soldats. » 103
En distinguant le nom inscrit sur le rectangle de métal, Alice sentit un frisson lui parcourir l'échiné. Elle se tourna vers Terry, dont le visage était devenu livide. Précautionneusement, pour ne pas se couper au contact des éclats de verre, Terry ramassa la plaque. La chaîne cliqueta doucement entre ses doigts. « Aussi incroyable que ça puisse paraître, murmura-t-il, Nick Finney est de retour. »
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IX Des serrures... mais pas de clé Alice jeta un regard circulaire sur la halle. « II n'a pas pu aller bien loin ! Un petit homme roux, sec et nerveux... c'est bien cela ? — Ne te fatigue pas, l'interrompit Terry, tout en rassemblant les débris de verre à l'aide d'un petit carton. Nick est capable de se fondre dans n'importe quelle foule. N'oublie pas qu'il a reçu une formation d'agent secret. Le camouflage a toujours été son fort. — Pourquoi a-t-il renversé ta boîte, papa ? interrogea Amy, la voix tremblante d'émotion. — Je n'en sais rien, ma puce. » Terry serra sa fille contre son cœur pour la consoler. « J'ai quitté mon stand quelques minutes pour aller saluer un ami. Quand je suis revenu, la boîte gisait à terre, en mille morceaux. — Ça ressemble à un avertissement », estima Alice. L'artiste se frotta le menton. « C'est ce que je me suis dit. Et d'ailleurs, je le prends très au sérieux : aidez-moi à tout remballer. — Un instant, fit Alice. Si Nick Finney est venu jusqu'ici, c'est qu'il nous a suivis. Qu'est-ce qui l'empêche de nous filer encore jusqu'à la maison ? 105
— Selon moi, il est déjà en route vers Cherry Creek. Voilà pourquoi je tiens à regagner au plus tôt la péninsule. — Oh non... gémit Amy. Ne dis pas que tu vas encore me laisser chez tante Marge. Elle m'oblige à avaler des œufs durs au petit déjeuner ! — Amy, riposta son père avec autorité, ne commence pas. Si je t'emmène là-bas, c'est parce que je sais que c'est le seul endroit où tu seras en sécurité.» La petite fille croisa les bras et tourna ostensiblement le dos à son père. « Si ça t'amuse de bouder, à ta guise, continua celui-ci. Mais je te préviens : cette fois, je ne céderai pas. » Et sans un mot de plus, il entreprit d'empaqueter ses œuvres. Alice, Bess et Marion lui donnèrent un coup de main. Puis ils sortirent, et Amy les suivit en rechignant. « Vous n'êtes qu'une bande de lâches, voilà ! lança-t-elle avec humeur. — Merci de nous faire partager tes impressions», répliqua Terry d'un ton sec, tout en faisant démarrer l'Espace. Mais la petite fille ne se démonta pas. « Et puis il y a quelque chose à laquelle aucun de vous n'a pensé.
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— Quoi donc ? s'enquit Alice, songeant que, malgré sa colère, Arny avait peut-être une idée intéressante à formuler. — Cette plaque... ça ne signifie pas forcément que Nick Finney est revenu. On a très bien pu lui voler sa plaque d'identité et la déposer ici pour l'accuser. — L'homme à la voiture grenat ! suggéra aussitôt Bess. — Exactement, souligna Amy d'un air victorieux. C'est lui qui nous a suivis jusqu'à l'expo, je suis prête à le parier. — Raison de plus pour te conduire chez tante Marge », répliqua Terry entre ses dents. Le trajet de retour se déroula dans le calme. Était-ce parce que tous pensaient à Nick Finney ? Ou à cause du différend entre Amy et son père ? La péninsule était située à plus de deux heures et demie au sud de Cherry Creek. Avec un arrêt pour le déjeuner, il leur fallut près de cinq heures pour l'atteindre. A l'exception d'Amy, tous furent soulagés lorsque Terry arrêta enfin le véhicule devant une maison blanche tout en longueur. « Je n'aime pas la cuisine de tante Marge », maugréa la petite fille en lançant un regard dégoûté en direction de la demeure. Sa patience à bout, Terry soupira pesamment : « Ça suffit, maintenant. Descends de voiture. » 107
Amy décocha à Alice un regard implorant. « Tu promets de me téléphoner s'il y a du nouveau ? — Promis. » Les trois amies virent les Kirkland gravir le perron et sonner à la porte. Un garçon, qui pouvait avoir l'âge d'Amy, vint leur ouvrir. « Nous aurions peut-être dû demander à Terry si sa sœur pouvait nous héberger également, s'inquiéta Bess. Ça ne me dit rien de retourner à Cherry Creek pour tomber nez à nez avec un revenant ! — Écoute, la rassura Alice, Terry a proposé de nous loger ailleurs. Si tu le souhaites, nous pouvons accepter son offre. — Pas si vite, s'interposa Marion. Regardez plutôt... » Sur le perron, Terry et Amy avaient réapparu. Le père paraissait contrarié, mais sa fille jubilait. « J'ai comme l'impression que nous allons encore jouer les baby-sitters un moment... — Que s'est-il passé ? s'empressa de demander Bess quand les Kirkland furent dans l'Espace. — Le petit dernier de ma sœur a la varicelle, fit Terry d'un air sombre. — Et moi, je ne l'ai jamais eue ! triompha Amy. Papa ne peut pas prendre le risque de m'exposer à la contagion. — A la place, je t'expose à un fou dangereux qui a déjà tiré sur ma voiture avec un Coït 45, pénétré 108
chez moi par effraction à trois reprises, failli tuer Alice sur la route et réduit en miettes une de mes œuvres ! Je dois être fou moi aussi. — Au moins, je n'attraperai pas la varicelle... — Nous devrions peut-être nous installer ailleurs, suggéra Marion. — Vous trois, certainement, approuva aussitôt Terry. Je serais heureux de vous offrir l'hôtel de votre choix. Mais combien de temps Amy et moi seronsnous obligés de fuir notre maison ? Hors de mon atelier, je ne peux pas travailler. — Nous pourrions prendre Amy avec nous, proposa Bess. — Pas question ! protesta la petite fille. Je reste avec mon papa ! — Et la police ? avança encore Marion. Ne pouvez-vous pas exiger qu'elle exerce une surveillance sur votre maison ? » Terry eut un sourire désabusé. « Avec cet incapable de Brower, qui ne rappelle jamais quand je laisse un message à son intention ? J'ai déjà demandé une protection et on m'a répondu qu'il n'y avait pas suffisamment d'effectifs. » Alice, qui avait pris sa décision depuis longtemps, ne voulait pourtant pas entraîner ses amies dans une situation périlleuse. « Moi, je reste à Cherry Creek avec Terry et Amy, leur annonça-t-elle. Mais pour vous, j'ai repéré 109
dans la ville voisine un petit Bed & Breakfast qui a l'air très agréable. Vous pourriez vous y installer pour un jour ou deux, le temps que les choses s'arrangent. — Ah non ! rétorqua Marion. Pas question que nous fassions bande à part. — Devant l'adversité, il faut se serrer les coudes», renchérit bravement Bess, en prenant sur elle. Amy ne cacha pas sa joie. « Génial ! Plus on est de fous, plus on rit ! » Mais Terry, de son côté, paraissait effondré. « Des fous, oui... Nous sommes tous de pauvres fous. » « Tu n'as pas oublié l'appareil-photo ? » Alice et Joanne s'étaient fixé rendez-vous dans un café de Sausalito pour y prendre ensemble leur petit déjeuner avant de se rendre à la galerie Fe T'sui. Joanne choisit une table sur la terrasse ensoleillée et, une fois installée, plongea la main dans sa poche. Elle en sortit un appareil-photo miniature, pas plus gros que son poing. Alice resta médusée. « Toutes tes magnifiques photos, tu les as prises avec ce... ce... — Ce gadget ? termina Joanne. Ne t'inquiète pas. Malgré sa taille microscopique, c'est un modèle très perfectionné. Il dispose même d'un silencieux, si
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bien que je peux mitrailler sans que personne s'en rende compte. — Du vrai matériel d'agent secret ! plaisanta Alice. Parfait, c'est exactement ce qu'il fallait. Je t'explique en deux mots ce que j'attends de toi : j'ai le sentiment que le coffre volé contenait quelque chose de précieux qui a atterri chez M. Mai. Mais je n'ai pas la moindre idée de la nature de cet objet... Il faudrait donc que tu prennes un maximum de photos — de tous les objets suffisamment petits pour avoir pu tenir dans un coffre d'un mètre sur soixante centimètres. Et pas exclusivement les pièces en jade : tout, y compris les cendriers, les dossiers, etc. — Pendant ce temps-là, tu créeras une diversion auprès de M. Mai ? — Je ferai de mon mieux. Heureusement, quand il se lance dans une explication, il est tout entier absorbé dans son sujet. Je me suis rendu compte qu'il s'écoutait un peu parler. La dernière fois, il n'a guère prêté attention à ma présence, sauf quand j'ai bondi dans sa réserve à la poursuite de son neveu ! » La serveuse leur apporta des muffins aux myrtilles et des jus de fruits. « En résumé, tu poses des questions et moi je mitraille discrètement. Et ensuite ? » Alice eut un petit haussement d'épaules fataliste. « Ensuite il ne restera plus qu'à développer la pellicule et à croiser les doigts. » 111
A dix heures moins dix, les deux amies poussaient la porte de la galerie Fe T'sui. « Bigre ! murmura Joanne, découvrant avec émerveillement la collection de jades. Je me demande si Keith est déjà venu ici. Sinon, il va blêmir en voyant mes photos... » Cette fois, Alice n'eut pas besoin d'être annoncée. A 10 heures très précises, le galeriste apparut par la porte de la remise. Il salua la jeune détective d'un hochement de tête puis fronça les sourcils en apercevant Joanne. « Vous êtes venue avec une amie? — Je vous présente Joanne Koslow, ma cousine, mentit Alice. C'est d'elle, à vrai dire, que je tiens ma passion pour l'Asie. — Et justement ce matin, enchaîna Joanne avec le plus grand naturelle passais chez Alice pour lui rapporter un livre quand elle m'a appris où elle se rendait. Je n'ai pas résisté au désir de l'accompagner. J'espère que vous me pardonnerez cet élan du cœur... — Vous étudiez également l'histoire de l'art asiatique ? » questionna M. Mai. Joanne lui adressa son plus beau sourire. « En réalité, je suis spécialisée dans les kimonos de soie anciens. » Intérieurement, Alice s'amusait de l'audace de sa camarade. Mais le galeriste ne parut pas déceler la supercherie.
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« Très bien, fit-il. Je crois, mademoiselle Roy, que vous aviez encore quelques questions à me poser? — C'est exact, confirma la jeune fille en sortant son bloc-notes et en approchant d'une vitrine où étaient exposées des statuettes. A quoi servaient les petites figurines comme celles-ci ? Les trouvait-on chez les particuliers, ou seulement dans les temples?» Une demi-heure plus tard, Alice avait épuisé toutes ses questions. Par malchance, M. Mai se montrait moins bavard que lors de sa première visite. Était-il contrarié par la présence de Joanne ? En tout cas, Alice avait bien pris soin de ne jamais tourner la tête vers son amie, de peur d'attirer l'attention de son hôte sur le manège de la photographe. Joanne, pour sa part, avait suivi de loin la petite conférence. A la stupeur d'Alice, elle avait même posé quelques questions fort pertinentes. A l'entendre citer dates et dynasties, avec une aisance égale à celle de M. Mai, on eût juré qu'elle étudiait réellement l'histoire de l'art asiatique. Le galeriste lui-même en avait paru impressionné. Lorsqu'ils eurent passé en revue toutes les vitrines, un lourd silence s'installa. Sentant que M. Mai allait incessamment mettre un terme à l'entrevue, Alice chercha avec angoisse un moyen de s'introduire dans la réserve. « D'autres questions, mademoiselle ? interrogea 113
M. Mai. — Euh... oui, fit-elle, un peu nerveuse. L'autre jour, en... comment dire... en poursuivant votre neveu, j'ai égaré une boucle d'oreille en turquoise. Pourrais-je retourner dans la remise afin de la chercher ? — Nous n'avons pas trouvé de boucle d'oreille, répondit le galeriste, laconique. — C'est un bijou très discret, insista Alice. On risque de ne pas le voir, si on ne le cherche pas intentionnellement. Me permettez-vous de jeter un rapide coup d'œil ? » L'homme consulta sa luxueuse montre en or. « J'attends une cliente d'ici cinq minutes. Vous comprendrez qu'il me faudra vous renvoyer dès son arrivée. — Je vais t'aider dans tes recherches, proposa Joanne avec entrain. Après tout, c'est moi qui t'ai offert ces boucles. » M. Mai les escorta jusqu'à la réserve et ne les quitta pas d'une semelle tandis qu'elles procédaient à leurs recherches. La pièce servait à la fois de bureau et d'entrepôt. Des caisses et des cartons étaient alignés le long du mur, prêts à l'expédition. Sur des tables, des figurines de jade et leur socle attendaient d'être assemblés et plus tard exposés. Un des coins de la remise était entièrement occupé par un large bureau, sur lequel s'amoncelaient les dossiers. 114
Alice passait consciencieusement la pièce au peigne fin, à l'affût d'un indice. Son regard fut attiré par une statuette vert pâle montée sur socle, oubliée dans un coin. Le jade finement sculpté avait la forme d'un tigre si bien réalisé qu'il paraissait sur le point de bondir. Alice ne se lassait pas de contempler l'objet, émerveillée par le travail de l'artiste qui avait si bien su donner vie à un bloc de pierre. « Quelle beauté ! s'extasia-t-elle. Pourquoi ne l'exposez-vous pas dans la galerie ? — Il vient juste de rentrer, expliqua M. Mai d'un ton pincé. En outre, il n'est pas à vendre. Un collectionneur l'a déjà réservé. Votre boucle d'oreille, mademoiselle ? — Oh, c'est vrai »... s'excusa-t-elle en rougissant légèrement. Portant son regard vers le sol, elle fit mine de chercher son bijou, qu'elle savait en réalité chez Terry... Mais soudain, alors qu'elle allait renoncer, elle sut que son opiniâtreté était récompensée : sous la table où était posé le tigre de jade, elle distingua deux serrures de cuivre en forme de dragons... Alice cligna des yeux pour s'assurer qu'elle ne rêvait pas. Mais aucun doute ne pouvait subsister : ces serrures étaient certainement celles du coffre de Nick Finney...
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X Un tigre dans la nature Alice croisa le regard de Joanne. « S'il te plaît, photographie le tigre et les serrures sous la table », imploraient ses yeux. Mais impossible de savoir si Joanne aurait compris sa supplique muette. Et, d'ailleurs, peut-être avait-elle achevé sa pellicule depuis belle lurette... Derrière, M. Mai s'impatientait. Il toussota de manière insistante. « Mademoiselle Roy, je regrette mais cette fois il faut vraiment que vous partiez. » Alice feignit la déception. « Quel dommage ! Ma boucle est bel et bien perdue. Tu ne l'as pas vue non plus, Joanne ? » La jeune photographe secoua négativement la tête, affichant le même air contrit. Les deux amies remercièrent le galeriste pour son amabilité et prirent congé. Alice attendit qu'elles fussent installées dans la voiture, à l'abri de toute oreille indiscrète, pour laisser éclater son enthousiasme. « Tu les as vues ? Dans la réserve, sous le tigre de jade... Les serrures du coffre de Nick Finney !
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— Non seulement je les ai vues... mais je les ai aussi photographiées, annonça Joanne, également très excitée par la tournure que prenaient les événements. Maintenant, il ne reste plus qu'à développer la pellicule et à montrer les photos à la police. Ils ne pourront plus nier que la malle ait atterri chez M. Mai. — Espérons-le, fit la jeune détective, moins optimiste que son amie. Tôt ce matin, Terry a appelé le commissariat pour connaître les conclusions du laboratoire après l'analyse des débris du coffre que j'avais trouvés derrière la galerie. Les seules empreintes qu'ils ont relevées appartiennent à Terry, Amy et moi. Et ils ont ajouté que ma découverte ne justifiait pas qu'ils aillent importuner un très respectable marchand d'art comme M. Mai. » Joanne tapota son appareil-photo miniature. « J'ai pris des clichés de tout ce que j'ai pu. — Dieu merci, M. Mai ne s'est pas douté une seconde qu'on mitraillait sans relâche ses trésors ! Mais, dis-moi, tu as été parfaite dans le rôle de l'étudiante en histoire de l'art. D'où tiens-tu toutes ces connaissances ? — A force de fréquenter Keith, j'ai retenu quelques données. J'ai toujours trouvé intéressant ce qu'il me racontait, mais je ne pensais pas que ça me servirait un jour ! »
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Alice répondit au sourire enjoué de son amie par un autre sourire. « En tout cas, chapeau ! Tu es aussi convaincante en détective qu'en étudiante. » Alice déposa Joanne devant sa voiture et les deux amies se séparèrent. Alice était convenue avec Bess et Marion qu'elle passerait les chercher et que toutes trois se rendraient chez Joanne pour achever les préparatifs de la fête — c'est-à-dire confectionner la pièce montée. En arrivant chez Terry, elle trouva Marion sur la terrasse ; vêtue d'un training rouge un peu passé et d'un bandeau assorti, la jeune fille faisait le pont, ses doigts touchant presque ses talons. « Tu t'entraînes pour un concours de gym ? » demanda Alice en plaisantant. Son amie se redressa avec une souplesse déconcertante. « Non, mais je commençais à me rouiller. On ne peut pas dire que j'aie fait beaucoup d'exercice cette semaine... — Où est Bess ? — A l'étage. Amy est à l'école et Terry travaille dans son atelier. » Tout en reprenant son échauffement, constitué maintenant de flexions latérales, Marion lança à son amie un regard énigmatique.
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« Réalises-tu bien ce à quoi nous nous sommes engagées ? » Alice frissonna. « Tu veux parler de cette pièce montée pour trois cents personnes ? » A ce moment, Bess apparut dans l'entrebâillement de la porte et se joignit à la conversation. « Nous ferions bien de nous mettre en route. » Après avoir salué Terry, les trois amies prirent place dans la voiture et mirent le cap sur la maison de Joanne. « J'espère qu'on pourra goûter le gâteau quand il sera prêt », lança Bess. Marion ne put s'empêcher de rire devant la lippe gourmande de sa cousine. « Sans doute pour t'assurer qu'il est réussi... — Parfaitement, riposta Bess, piquée au vif. C'est ma seule motivation... » Le trajet se déroula dans la bonne humeur. Les jeunes filles s'amusèrent à imaginer le gâteau qu'elles commanderaient si elles se mariaient. En arrivant chez Joanne, elles se dirigèrent directement vers la cuisine ; les hanches ceintes d'un grand tablier blanc, la future mariée entra sans attendre dans le vif du sujet. « Tiens, fit-elle en tendant à Alice un sac de trois kilos de cerneaux de noix. Tu peux commencer par
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les broyer. Je t'aurais bien prêté le robot, mais j'en ai besoin pour battre les blancs d'œufs en neige. — Je vais me débrouiller », assura Alice. Pourtant elle était un peu impressionnée par l'ampleur de la tâche qui lui revenait : broyer une montagne de fruits secs avec pour seuls outils un couteau de cuisine et une planche de bois... Elle se demanda si, toutes les quatre, elles n'avaient pas perdu la raison : confectionner un gâteau aux carottes et au chocolat pour trois cents convives n'était déjà pas une mince affaire... mais lui donner la forme d'un château médiéval, comme le souhaitait Joanne, c'était quasiment une mission impossible ! Marion, apparemment, partageait son scepticisme; mais puisque Joanne et Bess paraissaient très sûres d'elles, ni l'une ni l'autre ne voulut les décourager. S'armant de courage, Alice s'attaqua au sac de noix. Dans l'atmosphère chaleureuse de la cuisine, elle se surprit à apprécier ce répit qui lui était accordé au milieu d'une enquête très prenante. La conversation ne tarissait pas ; les quatre amies d'enfance se remémoraient leurs jeunes années à River Heights, pour en venir à la conclusion que la petite bourgade du Middle West n'avait guère changé depuis le départ de Joanne. Puis la discussion revint sur le présent. Alice et Joanne racontèrent leur matinée à la galerie. 120
« Quand verrons-nous ces photos ? s'impatienta Marion. — Très bientôt, promit Joanne. Je les ai déposées au magasin ce matin et Keith doit passer les reprendre cet après-midi après son dernier cours. — Alice, voulut savoir Bess, as-tu parlé à Terry des serrures ? — Pas encore, fit la jeune détective en achevant le broyage des dernières noix. J'attendais de voir les photos. » Peu de temps après, la sonnette retentit et Keith entra, portant une enveloppe de kraft. S'avançant vers sa fiancée, il lui tira sa révérence : « Votre serviteur, altesse, a rempli la mission que vous aviez eu la bonté de lui confier... Mais auriez-vous la grâce de lui expliquer la raison de cette urgence ? — Tu vas voir », répondit Joanne avec un clin d'œil énigmatique. « Pause photo pour tout le monde! Allons nous installer dans le salon pour regarder ça.» La jeune fille tendit l'enveloppe à Alice. Le cœur battant, celle-ci passa les clichés en revue. Joanne avait suivi ses instructions à la lettre. Tout d'abord, elle avait pris les objets courants susceptibles d'avoir été logés dans la malle : une pendule, un livre, un registre et d'autres pièces du même ordre. « Magnifique, ce cendrier ! ironisa Keith. Et le cadrage est excellent. 121
— Patience, rétorqua gentiment sa fiancée. Le meilleur reste à venir... » Vinrent ensuite les photos représentant les œuvres d'art exposées dans la galerie. Alice fut impressionnée par le nombre et la qualité des clichés, et ce en dépit des reflets du verre des vitrines. « Voici une pièce japonaise du xvme siècle, commenta Keith en identifiant un pendentif en jade vert sombre. Et cette amulette chinoise date probablement du début de notre siècle. » — Les voilà ! s'exclama Alice en tombant sur la photo des serrures de cuivre. D'après moi, nous tenons là la preuve que M. Mai est entré en possession de la malle de Terry. — Je n'arrive pas à comprendre, fit Bess. Cela signifie-t-il que le voleur a revendu le coffre au marchand d'art ? Ou que M. Mai a engagé quelqu'un pour le dérober ? — Et qui nous dit que le double fond contenait vraiment quelque chose ? renchérit Marion. — Je n'ai pas encore de réponses à ces questions, reconnut Alice. Mais je les obtiendrai, soyez-en sûres. — Oh !» Keith était tombé en arrêt devant la photo du tigre de jade. « Je n'ai jamais rien vu d'aussi finement ciselé, sauf dans les musées », s'extasia-t-il. 122
Alice hocha la tête. « Moi aussi, j'ai eu le coup de foudre pour ce tigre. Quand je pense que M. Mai ne l'expose même pas dans sa galerie... Il le garde dans un recoin de sa réserve. Il prétend que cette pièce vient de lui être expédiée et qu'il a déjà reçu un ordre d'achat. A ton avis, Keith, de quelle période date cette œuvre ? » Le jeune homme examina scrupuleusement le tirage avant de se prononcer. « Difficile d'évaluer l'âge d'un objet sans l'avoir eu sous les yeux. Mais je dirais que ce tigre n'est pas très ancien ; il a dû être sculpté au XIX e siècle. On trouve ce genre de statuettes dans les temples birmans édifiés à cette époque. » II s'approcha de la fenêtre, afin de bénéficier d'un meilleur éclairage, et étudia encore longuement l'objet. « Je peux me tromper, mais je pense qu'il s'agit de jade birman qui est, comme tout le monde vous le dira en Asie, le plus beau du monde. Et l'artiste était doué d'un talent exceptionnel. Cette pièce a probablement autant de valeur que toutes les autres réunies. — Je savais que tu avais bon goût, fit Bess pour complimenter Alice. — A propos de goût, enchaîna Joanne du tac au tac, notre chef-d'œuvre à nous est loin d'être terminé... Je vous rappelle que le mariage a lieu dans 123
trois jours. Aussi je déclare officiellement la clôture de la séance photo... » Keith se joignit à l'équipe et, bientôt, ils purent enfourner les premiers moules. La délicieuse odeur du chocolat et des carottes envahit la cuisine, tandis que les cinq amis rangeaient et nettoyaient avec entrain. La nuit tombait lorsque le dernier gâteau sortit du four et fut mis à refroidir sur une grille. « La première étape est terminée, annonça Joanne avec un soupir de satisfaction. Demain, deuxième phase : assemblage et glaçage. » Devant les mines découragées de ses camarades, elle ajouta en riant : « Rassurez-vous, je m'en débrouillerai très bien toute seule. » « Qu'est-ce que c'est que ça ? » Terry considérait d'un œil intrigué le paquet de photos que lui tendait Alice. « Joanne et moi sommes retournées à la galerie Fe T'sui, expliqua la jeune détective. Et Joanne a pris quelques photos. » Aussitôt, Terry baissa le volume de la télévision, qu'il regardait en compagnie de sa fille, et soupesa l'enveloppe, pour en évaluer le contenu. « M. Mai savait-il que vous preniez des photos ? __je ne le pense pas. L'appareil de Joanne est minuscule et elle s'est montrée très discrète. — C'est à souhaiter... 124
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__je crois que nous avons retrouvé les serrures du coffre de Nick Finney, annonça Alice sans plus attendre. Mais vous seul, avec Amy, pourrez le confirmer. » Perchée sur l'accoudoir du fauteuil de son père, Amy piaffait d'impatience. « Ouvre vite, papa ! » Terry sortit les photos de leur enveloppe et commença à les passer en revue. « Tu ne pourrais pas accélérer un peu ? le pressa sa fille. Je veux voir les serrures en forme de dragons. — Chut... » murmura l'artiste. S'arrêtant sur le tigre de jade, il émit un petit sifflement d'admiration. « De la belle ouvrage. » Puis il l'observa de plus près. « Cela me rappelle ce qu'on voyait au Vietnam. Je me souviens d'être passé devant un temple entièrement ouvert. Les moines priaient devant des statuettes comme celle-ci, posées dans des niches creusées dans la pierre. — Papa, gémit la petite fille, venons-en à la photo importante, d'accord ? — Du calme, Amy. Et d'abord, il va être l'heure d'aller te coucher. — Pas question ! » L'insolence d'Amy intrigua Alice. Depuis leur retour du salon, la veille, la petite fille s'était montrée très capricieuse. La réapparition de Nick Finney l'avait-elle à ce point bouleversée ?
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« Ah ! enfin... s'exclama Amy en apercevant la photo qui l'intéressait. — Pas de doute, confirma Terry. Ce sont bien les serrures de la malle de Nick. — Dans ce cas, déclara sa fille, l'énigme est résolue. Il ne reste plus qu'à aller trouver l'inspecteur Brower. » Terry prit un air soucieux pour s'adresser à Alice. « Je crains que ce ne soit pas une très bonne idée. Vu que vous n'aviez pas l'autorisation de M. Mai pour prendre ces clichés, il pourrait très bien vous poursuivre en justice. Vous vous êtes introduites dans sa galerie sous de faux prétextes. Or la police n'apprécie guère ce genre de méthodes entre particuliers. — Elles sont pourtant employées par tous les journalistes, argua Marion. — Mais ni Alice ni Joanne ne détient de carte de presse. Si nous avions affaire à des policiers moins bornés, ce serait différent. Mais connaissant l'inspecteur Brower, je ne suis pas sûre qu'il soit avisé de nous précipiter chez lui... — Que proposes-tu, alors ? s'indigna Amy. Renoncer à l'enquête ? » Terry ne releva pas la remarque de sa fille. « Je donnerais cher pour savoir ce que contenait le coffre, fit-il, songeur. Sans doute un objet qui se trouve désormais dans la galerie Fe T'sui... » 127
Alice ressortit la photo du tigre de jade. « Vous avez dit que ça ressemble à ce que vous avez vu au Vietnam ? » Terry acquiesça. « Les serrures gisaient à terre sous une table. Or, sur cette table, trônait justement... le tigre de jade. — Tu en déduis que le tigre était caché dans la malle ? s'enquit Amy. — Pas forcément. Mais c'est une éventualité. » Terry secoua la tête. « Si telle est la vérité, je me demande bien comment Nick a pu entrer en possession de cette œuvre d'art. Je n'y connais rien en jade, mais il me paraît évident que cette pièce vaut une fortune. Or Nick était pauvre comme Job. Et ce n'est pas le genre d'objet que l'on offre en cadeau, même à l'ami le plus cher. — Il ignorait peut-être la présence du tigre dans la malle, suggéra Bess. Il a peut-être cru vous confier un banal coffre en bois. » Terry se renversa en arrière dans son fauteuil et ferma les yeux. « C'est ce que j'ose espérer, Bess. Et, jusqu'à hier, cette explication me paraissait satisfaisante. Mais après l'incident du salon, il me faut malheureusement envisager une autre possibilité. » Il rouvrit les yeux, pour rencontrer ceux d'Alice.
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Il comprit alors qu'elle avait suivi le même raisonnement que lui. « Vous pensez que Nick a volé le tigre dans un temple vietnamien, dit-elle. — Gagné. » Terry consulta sa montre et se leva pour augmenter le volume de la télévision. « Excusez-moi, mais j'expose demain à Mendocino et j'ai besoin de connaître les prévisions météo. Hier, on annonçait de la pluie et du brouillard.» Le bulletin régional venait de débuter, mais le présentateur n'en était pas encore à la météo. Soudain, Marion bondit dans son fauteuil. « Ça alors ! Vous voyez ce que je vois ? » Sur l'écran se dessinait le profil du tigre de jade. Tous retinrent leur souffle pour écouter le commentaire du journaliste : « La galerie Fe T'sui, à Sausalito, a été victime d'un cambriolage ce soir. On a dérobé la statuette d'un tigre de jade dont la valeur est estimée à 70 000 dollars. —je vais me coucher », annonça subitement Amy. Son père la dévisagea avec stupéfaction. « Tu es souffrante ? » La petite fille répondit d'un froncement de nez, dit bonsoir et disparut dans l'escalier. 129
« II se passe vraiment des choses étranges... » murmura Terry. Alice partageait ce point de vue. Pourquoi Amy s'était-elle retirée si vite, alors que, l'instant précédent, elle était tout excitée par les photos des serrures ? La jeune détective se promit de tirer au clair ce mystère. Mais pour l'instant, un autre sujet la préoccupait. « Voici mon hypothèse, annonça-t-elle à ses amis. Supposons que le tigre de jade était bel et bien caché dans le coffre. Quelqu'un a pénétré ici par effraction et s'en est emparé. Par un truchement que nous ignorons encore, le tigre et le coffre ont abouti chez M. Mai. Et maintenant, voilà que le tigre disparaît de nouveau... » Un sourire de connivence éclaira le visage de Marion. « Et les suspects sont... — L'homme à la voiture grenat, Jimmy, le neveu de M. Mai... et peut-être le galeriste en personne. Il aurait très bien pu soudoyer un cambrioleur professionnel. Nous avons aussi un suspect fantôme : Nick Finney. Je crois... » Alice marqua une pause. « Je crois que plusieurs personnes s'intéressent à la statuette. — Tu as sans doute raison, admit Marion. Il ne reste plus qu'à apporter les preuves de ce que tu avances. 130
— Ce qui m'échappe, intervint Terry, c'est pourquoi on continue à nous traquer. Le coffre n'est plus en ma possession depuis plusieurs jours. Celui qui guignait le tigre devrait être satisfait à présent et nous devrions être à l'abri de tout danger. — Ce qui n'est pas le cas, observa Bess, prise d'un frisson. — Je ne vous le fais pas dire », approuva Alice. Le lendemain matin, Terry était parti pour Mendocino et Amy était en classe quand on sonna à la porte. « J'y vais ! » cria Alice à ses amies qui terminaient leur petit déjeuner. En ouvrant la porte, elle eut la surprise de tomber nez à nez avec l'inspecteur Brower, escorté d'un agent en uniforme. « Mademoiselle Roy, commença le policier, j'ai le regret de vous annoncer qu'il va falloir nous suivre. Nous allons devoir vous interroger à propos du vol du tigre de jade... »
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XI Kidnappée ! Abasourdie, la jeune détective ne trouva pas ses mots pour protester ; Marion vint à sa rescousse. « Une petite minute, inspecteur. Vous voulez dire qu'Alice est en état d'arrestation ? — Ne parlons pas d'arrestation — du moins, pas encore. Mais j'ai besoin que votre amie m'accompagne au commissariat pour subir un interrogatoire. — Dans ce cas, je viens également, rétorqua Marion. — Moi de même », renchérit Bess. L'inspecteur plissa le front. « Je ne peux pas vous l'interdire. Mais vous devrez utiliser votre propre véhicule. Mademoiselle Roy, suivez-nous. » Encore interloquée, Alice alla chercher sa veste. Que pouvait bien lui vouloir la police ? Ils ne comptaient tout de même pas la rendre responsable de la disparition du tigre ! A moins que... M. Mai avait peut-être découvert le véritable motif de ses visites à la galerie. Joanne allait-elle à son tour être convoquée au commissariat? Le trajet fut rapide — et silencieux. Aucun des deux policiers ne desserra les dents. Arrivée au poste, 132
Alice fut conduite dans une petite pièce sans fenêtre et entièrement vide, à l'exception d'une table nue et de trois chaises, sur lesquelles ils prirent place. « Mademoiselle Roy, commença Brower, nous allons vous poser quelques questions. Vous savez certainement qu'une statuette de jade d'une très grande valeur a été volée à la galerie Fe T'sui, à Sausalito... — J'ai appris la nouvelle en regardant le journal télévisé hier soir, répondit calmement Alice. — Mais vous aviez vu le tigre hier matin. __ M. Mai a eu la gentillesse de me faire faire un tour de la galerie. » La jeune détective restait sur ses gardes. Qu'avait dit exactement le galeriste à son sujet ? Avait-il mentionné qu'elle s'était prétendue étudiante en histoire de l'art ? Si Brower avait connaissance de ce mensonge, elle n'en était que plus suspecte à ses yeux. « Si seulement papa était là ! » songea-t-elle. Elle aurait bien eu besoin des conseils d'un juriste avisé... « M. Mai nous a indiqué que vous lui aviez rendu visite à deux reprises, continua l'inspecteur. La première, vous avez pris congé de façon cavalière, en vous précipitant dans sa réserve. La seconde, vous avez amené une amie et trouvé un prétexte pour
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retourner dans cette remise. Le galeriste affirme que vous tourniez autour de son tigre de jade. » Pour la centième fois, Alice regretta que Brower ne ressemble pas aux policiers avec lesquels elle avait collaboré précédemment. Avec eux, elle aurait simplement expliqué qu'elle enquêtait de son côté, elle aurait même pu rendre compte de l'avancée de ses découvertes. Mais face à Brower, toute tentative d'explication ne ferait qu'envenimer une situation déjà délicate... « Inspecteur, demanda-t-elle, j'aimerais savoir si vous me classez au rang des suspects dans cette affaire. — Je ne l'exclus pas, fit-il. Après tout, vous avez manifesté un intérêt tout à fait surprenant pour l'objet volé. — Pensez-vous vraiment que j'aurais pris si peu de précautions si j'avais voulu dérober la statuette ? Voici la vérité : cette sculpture m'a attirée par sa grande beauté. C'est sans doute la plus belle pièce de la galerie. N'importe qui l'aurait remarquée comme moi. » Mais l'inspecteur Brower ne parut pas convaincu. « Si je suis soupçonnée, reprit Alice, j'exige de m'entretenir avec un avocat. » A peine avait-elle terminé sa phrase qu'on frappa à la porte. Une jeune femme en tailleur gris apparut dans l'embrasure. 134
L'inspecteur ne cacha pas son mécontentement. « Sayers, grommela-t-il, que faites-vous ici ? » La jeune femme ne releva pas l'apostrophe et tendit la main à Alice. « Je me présente : Alison Sayers, avocate. Je viens de recevoir un appel de votre père, qui m'a priée d'assurer votre défense. — Co... comment a-t-il su que... bredouilla la jeune détective, stupéfiée. — Assez palabré ! » tonna Brower. Mais l'avocate ne se laissa pas démonter et, d'une voix ferme, s'adressa au policier : « Je souhaite m'entretenir quelques minutes en privé avec ma cliente. — Ça va, ça va, je connais la musique, maugréa Brower. Et maintenant, dès qu'on lui posera une question, elle va refuser de répondre. » Alison Sayers esquissa un sourire : « Vous ne détenez pas la moindre preuve contre Mlle Roy, n'estce pas ? — Pas encore », admit l'inspecteur. Il soupira et, d'un air excédé, quitta la pièce en faisant signe à son acolyte de le suivre. « Bien, commença la juriste quand elle fut seule avec Alice. Notre ligne de défense sera la suivante : vous n'avez pas dérobé le tigre de jade et n'avez rien à voir avec ce cambriolage. C'est tout ce que vous aurez à répondre lorsqu’'on vous interrogera. » 135
Alice suivit scrupuleusement les conseils de l'avocate, au grand dam de l'inspecteur Brower. « Ne perdons pas davantage de temps, conclut-il enfin. Vous êtes libre, mademoiselle. Mais avec une réserve toutefois : ne quittez pas la région avant que nous vous ayons recontactée. — Certainement », concéda Alice, soulagée. En sortant de la salle d'interrogatoire en compagnie de Mlle Sayers, elle aperçut Bess et Marion ; leurs visages inquiets s'éclairèrent en voyant leur amie. « Ah ! s'exclama Alice. Je comprends tout... c'est vous qui avez alerté mon père. — Nous l'avons appelé à la minute où tu as été emmenée par l'inspecteur, expliqua Bess. — Et il m'a appelée aussitôt après, ajouta l'avocate. — Quel soulagement ! soupira Alice. — Ne nous réjouissons pas trop vite, prévint Mlle Sayers d'un ton grave. Tel que je connais Brower, il n'a pas dit son dernier mot. Il ne capitulera pas avant qu'on ait retrouvé le tigre. — C'est juste, approuva la jeune détective. Nous ne devons plus seulement nous méfier de l'homme blond, du neveu de M. Mai et du fantôme de Nick Finney, il nous faut aussi nous méfier de la police, désormais ! »
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« Je ne rêve pas ? demanda Marion, assise sur son lit, dans la chambre que partageaient les trois amies. Une journée entière sans corvée de mariage ni enquête policière ? — Disons un après-midi, corrigea Alice. Tu oublies que ce matin vous avez dû me tirer des griffes d'un policier indélicat. Je crois que nous avons bien mérité un petit délassement — et nous avons intérêt à nous faire oublier de Brower... — Je suis candidate pour une partie de farniente, approuva Bess. Que diriez-vous d'aller tester les bains de boue de Calistoga ? J'en rêve depuis notre arrivée en Californie. Quel délice ce doit être de se plonger dans une piscine remplie de boue chaude, dynamisante... — Tu ne préférerais pas louer des VTT ? suggéra Marion. Rappelle-toi, tu as trois kilos à perdre... » Devant la mine déconfite de Bess, Alice chercha un moyen de trancher le différend qui opposait les deux cousines. « Tirons au sort avec une pièce de monnaie. Face, ce sont les bains de boue ; pile, les VTT. De toute façon, nous devrons être rentrées à 15 heures pour aller chercher Amy à l'école. » La pièce retomba côté pile et Marion, ravie, dégotta un loueur de VIT dans l'annuaire. Les jeunes filles se mirent en tenue 137
de sport : Alice revêtit un caleçon bleu marine et un sweat-shirt blanc, Marion un bermuda et un tee-shirt sous son coupe-vent bleu. Bess fit sensation en arborant une tenue de cycliste noire et vert pâle. « J'ignorais que tu pratiquais le vélo, s'étonna Alice. — Moi ? Tu plaisantes ! rétorqua joyeusement son amie. Mais j'estime qu'il faut avoir une tenue appropriée en toute occasion. » Ayant fait provision de bouteilles d'eau et d'encas, elles se rendirent chez le loueur. L'employée, une jeune femme aux longs cheveux couleur de miel, leur fournit des VIT à dix vitesses munis de cadres robustes et de larges pneus. « La région se prête très bien aux randonnées à vélo, leur expliqua-t-elle. Il y a des dizaines de pistes cyclables. » Elle s'approcha d'une grande carte punaisée au mur. « Quel niveau de difficulté souhaitez-vous ? Moyen ? — Moyen-débutant », corrigea Bess. La commerçante partit d'un grand éclat de rire. « Je connais l'itinéraire qu'il vous faut. » Elle suivit du doigt un tracé sinueux qui contournait le mont Tamalpais. « La boucle autour du lac Lagunitas est l'un des plus jolis parcours de la région. Et elle ne comporte 138
qu'une seule vraie côte, que vous pourrez gravir à pied si vous le préférez. — Ça me semble parfait », approuva Bess. De fait, les trois amies se félicitèrent très vite du choix de leur conseillère. La piste suivait le contour d'un lac aux eaux d'un bleu profond. A part quelques passages inondés et deux petits ponts de bois très étroits, le parcours se révéla effectivement aisé. A mi-course, elles s'installèrent dans l'herbe, sous un vieux chêne, pour pique-niquer. « On a passé un bon moment, dit Bess lorsqu'elles rendirent les vélos. A votre avis, j'ai perdu mes trois kilos ? » Ses deux amies échangèrent un regard complice mais ni l'une ni l'autre ne se prononça. Quand Marion annonça l'heure, Alice se mordit la lèvre : « Mon Dieu ! Déjà trois heures moins dix ? Amy sort de cours dans dix minutes... Et il nous en faut au moins vingt pour arriver jusqu’à l'école. — Pas de panique, la rasséréna Marion. Elle sait que nous passons la prendre ; elle nous attendra. » Il était 3 h 15 lorsqu'elles atteignirent l'école d'Amy. « C'est toujours quand on est pressé qu'il y a des embouteillages », grommela Alice en se garant devant le bâtiment en brique.
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Des enfants sortaient. Certains s'engouffraient dans un bus scolaire, d'autres se dirigeaient vers les véhicules qui les attendaient ; d'autres encore, par petits groupes de deux ou trois, rentraient à pied chez eux. Au bout de dix minutes, le flot des élèves se tarit. « Ce n'est pas normal, s'inquiéta Alice. Amy devrait être sortie depuis longtemps. — Elle ne nous a peut-être pas vues, avança Bess. — Nous nous sommes postées juste en face du portail. Et, en outre, elle aurait reconnu la voiture de son père, fît remarquer Marion. A mon avis, elle a pensé que nous l'avions oubliée et elle est rentrée à pied. » Alice sortit de la voiture. « Elle est peut-être encore dans l'école, à discuter avec un professeur ou un camarade. Attendez-moi ici, je vais m'informer. » En entrant dans le grand hall, le sentiment de malaise d'Alice ne fit que s'accroître. Le bâtiment était entièrement silencieux, toutes les salles de classe désertes. Les pas de la jeune fille résonnaient lugubrement sur le sol en carrelage. Apercevant de la lumière dans un bureau, elle reprit espoir. Poussant la porte entrouverte, elle trouva une dame penchée sur une photocopieuse. 140
« Pardon, madame... Je viens chercher Amy Kirkland. Savez-vous si elle est encore là ? — Amy ? Voyons... Elle est en CM 1, c'est bien cela ? — Oui. — Je vais téléphoner dans sa classe. L'institutrice n'est peut-être pas partie. » Quelques minutes plus tard, elles étaient rejointes par une femme d'âge mûr, vêtue d'une robe d'été. « Je suis Mme Shields, dit-elle, l'institutrice d'Amy. — Mon nom est Alice Roy, répondit la jeune détective. Je suis une amie des Kirkland. Je devais prendre Amy à 15 heures, mais je suis arrivée un peu en retard. Et maintenant, impossible de la trouver. L'avez-vous vue quitter l'établissement ? — Le cours s'est terminé tard aujourd'hui, fit l'enseignante. J'ai vu Amy patienter quelques minutes sur le trottoir, avant de s'éloigner à pied. Parfois son père vient la chercher, parfois elle rentre seule. Par conséquent, je ne me suis pas alarmée en la voyant partir. — Mais aujourd'hui, Amy devait m'attendre devant l'école, insista Alice, gagnée par une inquiétude de plus en plus vive. — Elle vous a bien attendue un moment, répéta poliment l'institutrice. Elle a dû imaginer qu'elle vous avait manquée... » La femme jeta un coup d'œil à sa 141
montre. « Il est maintenant quatre heures moins vingt. Amy devrait être rentrée chez elle. Pourquoi ne téléphonez-vous pas chez les Kirkland ? » Sans trop y croire, Alice composa le numéro de ses hôtes. Comme elle le redoutait, personne ne répondit. Le front de Mme Shields se barra d'une ride anxieuse. « J'ai une autre idée. Patricia, la meilleure camarade d'Amy, habite à quelques pâtés de maisons d'ici. Elle était malade ces jours derniers. Amy est peut-être passée lui rendre visite... » L'enseignante composa le numéro de Patricia puis tendit le combiné à Alice. A l'autre bout du fil, la mère de Patricia décrocha. « Désolée, répondit-elle à la question de la jeune fille, Amy n'est pas chez nous. Mais c'est étrange... vous me parlez d'elle, alors que je viens de l'apercevoir il y a quelques minutes seulement. — Où cela ? interrogea Alice, le cœur battant à tout rompre. __Je suis allée chez le pharmacien acheter des médicaments pour ma fille. Au retour, j'ai vu Amy sur Widmer Road. » Widmer Road, Alice s'en souvenait, était la grande artère parallèle à la rue des Kirkland. « Elle n'était pas seule », ajouta son interlocutrice.
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Alice blêmit. D'une voix tremblante, elle posa la question dont elle croyait déjà deviner la funeste réponse. « Qui était avec elle ? — Un grand homme blond. Elle est montée dans sa voiture, un véhicule rouge sombre. » La voix de la femme perdit de son assurance. « Maintenant que j'y repense, ça aurait dû me mettre la puce à l'oreille. Mais j'étais si inquiète pour ma fille malade que je n'ai guère prêté attention à Amy. J'espère qu'il ne lui est rien arrivé... — Merci, madame », fit Alice en raccrochant. Prise d'une soudaine nausée, elle suffoquait. « Qu'avez-vous ? demanda Mme Shields. Vous paraissez toute retournée. — Les nouvelles ne sont pas bonnes, articula-telle d'une voix blanche. Amy Kirkland a été kidnappée. »
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XII Du côté de chez M. Debout dans le bureau de l'école, Alice était tétanisée par l'angoisse. L'homme à la voiture grenat avait kidnappé Amy. Quel sort réservait-il à la pauvre petite fille ? Plutôt que de sombrer dans le désespoir, la jeune détective tenta de rassembler ses esprits. Il fallait agir vite et bien, afin de soustraire Amy des griffes de cet individu avant qu'il ne soit trop tard... « Appelons la police, conseilla-t-elle à Mme Shields. — Vous ne préférez pas alerter d'abord M. Kirkland ? » objecta l'institutrice. L'exposition de Mendocino avait lieu sur deux jours et Terry avait prévu de passer la nuit sur place, pour ne rentrer que le lendemain soir. « J'ai sur moi le numéro de son hôtel, indiqua Alice. J'appellerai aussitôt la police prévenue. » La jeune fille composa le numéro du commissariat et fut soulagée d'apprendre que l'inspecteur Brower était sorti. Son interlocuteur, l'agent Grant, pria Alice et Mme Shields de ne pas quitter l'établissement avant l'arrivée d'une voiture de police, afin que les policiers puissent recueillir leurs dépositions. 144
Puis elle appela l'hôtel de Terry. On lui répondit que l'artiste n'était pas rentré, aussi laissa-t-elle un message afin qu'il téléphone chez lui au plus tôt. « Mes deux amies Bess et Marion m'attendent dehors, expliqua-t-elle à l'institutrice. Je vais aller les mettre au courant et je reviens. » Elle trouva les deux cousines adossées au capot de la voiture. « Où est Amy ? » s'enquit vivement Bess. Mais, devant la mine décomposée de son amie, Marion avait déjà tout deviné. « Ne me dis pas que... — Amy a été enlevée par l'homme à la voiture grenat, annonça Alice d'une voix lugubre. Nous devons attendre la police ici. Mon Dieu, qu'allonsnous dire à Terry ? » II se passa deux heures avant que les jeunes filles puissent regagner la maison de leur hôte. « Cette maison vide... chuchota Bess. Ça nie rend malade de penser qu'Amy... — Moi aussi, confessa Alice en accrochant sa veste à une patère. Je vais de nouveau essayer de joindre Terry. » La standardiste de l'hôtel lui apprit que M. Kirkland n'était toujours pas rentré. « Dès que vous le verrez, la pressa Alice, demandez-lui de rappeler chez lui. C'est très urgent. » Quand elle eut raccroché, Marion la questionna : 145
« Alors ? — Il n'était pas là. Mais dans un sens, ça m'arrange, avoua la jeune détective. Je ne me vois pas lui annoncer que sa fille a été enlevée. Je m'en veux tellement d'être arrivée en retard... J'espère que la police nous aura apporté de bonnes nouvelles avant que Terry rappelle. — Ce que je ne comprends pas, remarqua Bess, c'est pourquoi Amy a suivi un inconnu. — Moi aussi, ça m'intrigue. La seule explication possible, c'est qu'il a dû la menacer. » Marion faisait les cent pas nerveusement. « Et nous ignorons tout de cet individu. — Nous savons qu'il est dangereux, fit Alice en frissonnant. Penser que cette pauvre petite est à sa merci... — Que faire ? interrogea Bess, toute retournée elle aussi. Il doit bien y avoir un moyen de... » Alice soupira en signe d'impuissance. « Hélas, j'ai beau me torturer les méninges, je ne trouve pas de solution. Il ne nous reste plus qu'à prendre notre mal en patience. — Je ne supporte pas d'attendre, se lamenta Marion. — Alors aide-moi à préparer le dîner, suggéra Bess. Autant s'occuper, pour tuer le temps. » Les deux cousines confectionnèrent un plat de pâtes ; au dîner, chacune s'efforça de manger, mais 146
l'appétit leur manquait. Puis elles briquèrent la cuisine, frottant et épongeant avec un zèle exagéré. Quand tout étincela comme un sou neuf, elles se retrouvèrent désemparées. « Regardons les nouvelles télévisées, proposa Marion. Je ne pense pas qu'ils parlent déjà de la disparition d'Amy, mais on ne sait jamais... » Installée devant le poste avec ses amies, Alice ne parvenait pas à porter son attention sur l'écran. Où le ravisseur avait-il emmené Amy ? Qui était cet individu et quel but inavouable poursuivait-il ? Ce kidnapping avait-il un rapport avec le vol de la statuette ? « Regardez ! » s'écria soudain Bess en apercevant une image du tigre de jade. Elles retinrent leur souffle mais le commentateur se contenta d'indiquer que l'enquête n'avait pas progressé. « Ça ne m'étonne pas », lança Alice. Son intuition la portait à croire que le tigre et l'homme blond étaient liés l'un à l'autre, mais il lui manquait une pièce essentielle pour que le puzzle prenne forme. La soirée leur parut interminable. Après avoir regardé la télévision, elles se lancèrent dans une partie de Monopoly, puis essayèrent les mots croisés. Mais leurs pensées revenaient invariablement à Amy.
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« Tout cela est ridicule ! soupira finalement Marion, Je ne vois pas pourquoi on s'escrime à faire comme si de rien n'était. Nous sommes toutes les trois mortes d'inquiétude, et rien ne pourra nous changer les idées. » La sonnerie du téléphone les fit tressaillir. Alice courut décrocher, priant le ciel que ce soit la police. Mais elle reconnut la voix de Terry — une voix étonnamment calme. « Je suis au courant de ce qui est arrivé. La police m'a contacté il y a cinq minutes. Je quitte Mendocino immédiatement et j'arrive au plus vite. » A minuit, Bess et Marion s'étaient assoupies sur le canapé du salon, pelotonnées sous des couvertures. Rentré une heure auparavant, Terry s'était enfermé dans son atelier après avoir rappelé la police et appris qu'il n'y avait rien de nouveau. Alice, seule, restait éveillée dans le salon ; malgré ses paupières lourdes, elle savait qu'elle ne pourrait trouver le sommeil avant d'être rassurée sur le sort de sa petite protégée. Un bruit provenant de la terrasse la fit sursauter. « Allons, tenta-t-elle de se rassurer, ce n'est que le vent qui joue avec les branches des arbres. » Mais elle écouta mieux : non, ce n'était pas le vent... quelqu'un se trouvait à quelques mètres de la maison! Collant son nez à la baie vitrée, elle ne distingua d'abord rien car l'obscurité était totale. Un frisson la parcourut : le rôdeur était-il de retour ? 148
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Au moment où elle allait se diriger vers l'atelier pour avertir Terry, une silhouette familière se profila derrière la vitre. « Amy ! s'écria Alice en faisant entrer la petite fille. — Qu... quoi ? » sursauta Bess, émergeant de son sommeil. La porte de l'atelier s'ouvrit brusquement et Terry se précipita vers sa fille pour la serrer contre son cœur. « Ma chérie... comment vas-tu ? » Amy s'accrochait à son père, secouée de sanglots hystériques. « L'une de vous peut-elle appeler la pédiatre ? lança l'artiste. Son numéro est inscrit sur le mur de la cuisine, près du téléphone. Insistez pour qu'elle vienne tout de suite. Ensuite, prévenez la police qu'Amy est revenue. » Marion déclara qu'elle se chargeait des appels. Quant à Amy, elle leva vers son père un visage ruisselant de larmes. « Ça va mieux, maintenant, dit-elle d'une voix qui tremblait encore. Il ne m'a pas fait de mal. Mais j'ai eu tellement peur... — Que s'est-il passé ? interrogea Terry. Pourquoi t'es-tu laissé embarquer dans cette voiture grenat ? » 150
Marion revint et annonça que le médecin était en route. Aussitôt, Amy se braqua. « Je veux aller me coucher... tout de suite. — Très bientôt, ma puce, fit Terry avec douceur. Je veux d'abord que la pédiatre t'examine. Et maintenant, raconte-nous ce qui s'est passé. » Les yeux fixés sur le sol, la petite fille secoua la tête avec obstination. « Je n'ai pas l'intention de me fâcher, insista gentiment son père, mais nous devons rassembler toutes les informations pour retrouver cet individu. Il ne faut pas qu'il puisse recommencer, tu comprends ? Allons, dis tout à ton petit papa... —Je... je ne peux pas », sanglota l'enfant, le corps de nouveau agité de soubresauts. Alice lui caressa tendrement la main. « Pourquoi, Amy ? » La petite fille leva les yeux vers son père. « II m'a dit que si je parlais, il se débarrasserait de toi. Il te tuerait, papa ! — Je vois », fit Terry d'un air sombre. Amy croisa ses bras sur sa poitrine. « Je ne dirai pas un mot de plus. Ni à toi, ni à la police. » Son père avança pourtant un ultime argument. « Amy, l'homme qui t'a enlevée est un criminel. Nous ne pouvons pas obéir à ses ordres, nous devons lutter contre ces méthodes d'intimidation. Et pour 151
cela, ton témoignage est capital. » La sonnerie de la porte retentit alors et la pédiatre entra. Sans attendre, elle emmena sa petite patiente à l'étage pour l'ausculter. La police arriva juste après et tous attendirent dans le salon le verdict du médecin. Celle-ci redescendit bientôt et annonça qu'Amy était en parfaite santé, mais avait absolument besoin de dormir. « Désolé, s'excusa l'agent Brown, mais je vais devoir l'interroger d'abord. » Le médecin hocha la tête. « Dans ce cas, faites au plus vite. Elle est encore très bouleversée par ce qui lui est arrivé. » Alice et Terry accompagnèrent les policiers dans la chambre d'Amy. Malgré tous les efforts de persuasion de l'agent Grant, la petite fille ne desserra pas les dents et finit par enfouir sa tête sous l'oreiller. Terry lança à Grant un regard d'impuissance. : « Je crois qu'elle a vraiment besoin de sommeil. Pouvez-vous repasser demain matin ? » L'agent se gratta la tête. « C'est bon, n'insistons pas pour ce soir. Nous parlerons demain. » Terry resta avec sa fille jusqu'à ce qu'elle s'endorme. Alice, pour sa part, escorta les policiers jusqu'au rez-de-chaussée. « Avez-vous interrogé la mère de Patricia ? — Oui, mais elle ne nous a rien dit de plus qu'à vous. » L'homme scruta Alice avec insistance. « C'est la 152
troisième fois que nous entendons parler de cet individu : vous avez reconnu sa voiture après l'explosion du pneu de Kirkland ; ensuite, selon l'agent Harlan, il a tenté de précipiter votre auto dans le ravin ; et maintenant, il kidnappe une enfant... » Alice acquiesça. « A mon avis, poursuivit le policier en remettant sa casquette, ce type cherche à intimider quelqu'un : peut-être Kirkland... ou bien vous, mademoiselle. — Je resterai sur mes gardes », promit Alice. En refermant la porte derrière les agents, elle sentit un nœud se former dans sa gorge. Ce policier avait raison : l'homme blond ne reculerait devant rien... Mais pourquoi se conduisait-il ainsi ? L'arrivée de Terry dans la pièce l'arracha à ses pensées, la faisant sursauter. « Amy s'est endormie, fit-il. Drôle de nuit, hein ? — Drôle, si l'on veut... corrigea Alice. Je suis soulagée que votre fille soit saine et sauve. C'est une enfant courageuse, elle est prête à tout pour vous protéger. — Et moi je déplore de l'avoir exposée ainsi au danger. » Il tendit à Alice une feuille de papier pliée en quatre. « J'ai trouvé ça dans la poche d'Amy. » Alice déplia le document et lut le message, imprimé en lettres capitales : 153
KlRKLAND, DÉBARRASSEZ-VOUS D'ALICE ROY. SINON, LA PROCHAINE FOIS, AMY IRA FAIRE UN TOUR DU CÔTÉ DE CHEZ M.
Deux initiales étaient griffonnées en bas de page, trop illisibles pour pouvoir être identifiées. « M... relut Alice, intriguée. Vous savez ce que cela signifie ? — Oh oui, soupira Terry, je ne le sais que trop. La première fois que M. a croisé mon chemin, c'était au Vietnam. Les soldats en parlaient comme de l'un de leurs compagnons. Et il l'était, en quelque sorte, puisque nous faisions la guerre. » Les yeux de Terry s'embuèrent, exprimant une douleur sincère. « M. est le surnom que nous donnions à la mort... »
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XIII L'ami d'Amy Alice relut le message anonyme et, sans hésiter, prit sa décision. « J'abandonne l'enquête. Je ne veux pas mettre en péril la vie de votre fille. » Mais Terry ne parut pas l'entendre. « Tu sais, j'ai un mal fou à oublier cette guerre abominable. Et chaque fois que je parviens à l'effacer de ma mémoire, un nouvel événement vient me la remémorer. — Demain, insista Alice, Bess, Marion et moi nous nous installerons dans un Bed &: Breakfast. Peut-être l'inconnu sera-t-il satisfait et renoncera-t-il à vous harceler. — C'est inutile, fit Terry, l'air absorbé. — Sauriez-vous déchiffrer ces initiales ? » demanda la jeune détective en tendant la feuille de papier. Terry n'y jeta qu'un rapide coup d'œil et répondit machinalement : « N.F. — N.F. ? répéta Alice, n'en croyant pas ses oreilles. N.F. comme... Nick Finney ! — En effet, admit Terry sans partager l'excitation de la jeune fille. 155
— Mais vous ne comprenez donc pas ? s'impatienta-t-elle. Nick ne correspond pas au signalement de l'homme à la voiture grenat... Mais s'il a rédigé cet avertissement, c'est qu'ils sont en cheville tous les deux ! — Nick n'a pas écrit ce texte. — Qu'est-ce qui vous permet d'en être aussi sûr? — Finney était le seul d'entre nous à ne jamais employer le terme M. Pour évoquer la mort, il disait "le Pilote". » Terry haussa les épaules d'un air désabusé. «Je me demande encore pourquoi... « Nick n'est pas le ravisseur d'Amy, poursuivit-il. C'est bel et bien ce qu'on essaie de me faire croire, mais le piège n'a pas fonctionné. » II adressa un léger sourire à Alice. « Ça me soulage de savoir ça. Vois-tu, Nick était mon ami. Imagine que tu aies un enfant. Crois-tu que Bess serait capable de le kidnapper ? » L'idée fit sourire la jeune fille malgré elle. « Pas vraiment. Mais je ne vois pas Bess enlever qui que ce soit d'autre non plus ! — C'est pareil pour Nick. Du moins, à l'époque où je le connaissais. — Donc, quelqu'un d'autre a des raisons de vous en vouloir. — Quelqu'un qui était avec moi au Vietnam... précisa Terry. 156
— Et qui veut causer du tort à Nick, termina Alice. — Ouais... grommela Terry. Tout cela ne nous avance pas beaucoup. J'ai connu un tas de gens au Vietnam. » II étouffa un bâillement. « Je vais me coucher. J'y verrai plus clair demain matin. Quant à ces menaces, ajouta-t-il en désignant la missive anonyme, elles commencent à m'exaspérer. Si vous préférez aller vous installer ailleurs, toutes les trois, n'hésitez pas. Mais, pour ma part, je ne vois pas d'inconvénient à ce que vous restiez ici. » Cette nuit-là, Alice eut du mal à trouver le sommeil. La clarté de la pleine lune inondait la chambre, tamisée par les teintes mauves du myosotis peint sur la vitre. Myosotis... songea-t-elle. Ces fleurs aussi appelées « Ne m'oubliez pas »... Fallait-il y voir un signe, un écho à la menace proférée par le kidnappeur ? Alice eut la vision de la boîte de Terry qui avait volé en éclats et de la plaque d'identité du soldat Finney. Peut-être Nick était-il totalement étranger au rapt... mais une question ne cessait de torturer la jeune fille : Nick Finney était-il encore en vie ? « Et moi, je veux aller au parc ! » En entrant dans la cuisine le lendemain matin, Alice surprit une altercation entre Amy et son père. « Je me sens en pleine forme, assura la petite fille. Je te le jure. 157
— Tant mieux, se réjouit son père, mais ça ne change rien. L'inspecteur Brower a appelé il y a une demi-heure et m'a demandé de t'amener au commissariat. — Ça ne servira à rien, soupira Amy d'un air buté. Je n'ai pas l'intention de lui dire quoi que ce soit. » Terry se leva et alla rincer sa tasse sous le robinet. « Si tu persistes à te taire, tu joues le jeu du criminel. Tu en as conscience, j'espère ? » Amy se croisa les bras et vint se planter devant la fenêtre, le nez collé contre la vitre. « Bonjour ! lança gaiement Alice, profitant de ce silence. — B'jour », répondit Terry d'un air absent. Puis il s'approcha de sa fille et lui caressa l'épaule. « Entendu. Tu ne veux parler ni à moi ni à l'inspecteur. Préfères-tu te confier à Alice ? — Je ne peux pas », fit la petite fille d'une voix grave. Alice plaça une tartine dans le grille-pain. « Même si je te promets de garder le secret ? » Sans un mot, Amy quitta la pièce. « Amy ! » gronda son père, d'un ton inhabituellement courroucé. A contrecœur, la petite fille s'arrêta et tourna son visage triste vers son père : 158
« Pardon, je ne voulais pas être impolie. Papa, pourrai-je aller au parc après avoir vu l'inspecteur Brower ? S'il te plaît... Je dois retrouver Jimmy. — Nous verrons cela plus tard. Pour l'instant, prépare-toi à partir. » Quand l'enfant eut quitté la pièce, Terry soupira : «Je ne reconnais plus ma petite fille... Mais je ne dois pas me montrer trop sévère à son égard. Son enlèvement a dû la choquer plus que nous ne pouvons le soupçonner. — C'est bien compréhensible », approuva Alice. Mais un détail, dans les paroles d'Amy, l'avait frappée. « Connaissez-vous ce Jimmy, Terry ? — Jimmy... répéta l'artiste. Je suppose qu'il s'agit de l'un de ses camarades de classe. Probablement ce garçon qui ne sait dessiner que des voitures de course !» Mais Alice gardait en mémoire le trouble de la petite fille, la première fois qu'elle lui avait dressé le portrait du neveu de M. Mai, prénommé Jimmy lui aussi. Il fallait qu'elle ait une discussion sérieuse à ce sujet avec l'enfant. La jeune détective monta à l'étage ; avant même qu'elle eût frappé, la porte de la chambre d'Amy s'entrouvrit. « Que veux-tu ? demanda la petite fille.
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— Tu as ma parole : pas de questions sur ton kidnapping. Mais il faut qu'on parle, toutes les deux.» Amy ne protesta pas et laissa entrer Alice. Celleci remarqua les peintures des vitres, certainement les plus belles de toute la maison. Chaque panneau était orné de guirlandes d'orchidées pourpres, entrelacées de feuilles de vigne vert sombre. « Tu as une chambre ravissante », la complimenta Alice. Mais Amy ne répondit pas. « Es-tu fâchée contre moi ? » reprit Alice. La petite fille soupira et se laissa tomber sur son lit. « Je ne veux pas qu'on fasse du mal à papa. — Moi non plus, la rassura Alice. Voilà pourquoi j'ai besoin que tu répondes à une question. Ce Jimmy que tu dois retrouver au parc... est-ce un élève de ta classe ? — Monsieur 24 heures du Mans ? pouffa Arny. Il n'y a pas de risque ! Non, je dois rencontrer Jimmy Thieu, le neveu de... » Elle s'interrompit, redevenant grave et impénétrable. Alice termina sa phrase à sa place : « Le neveu de M. Mai. » Comme l'enfant restait prostrée dans son mutisme, Alice l'encouragea à se confier. « Parle-moi un peu de ton ami. — Je m'entraîne à parler vietnamien avec lui, se décida enfin Amy. Ma mère m'avait appris à 160
m'exprimer dans sa langue, mais depuis sa mort, je n'avais plus personne avec qui pratiquer. Un dimanche, je suis allée à Sausalito avec mon amie Patricia et ses parents. Ils ont un bateau qui mouille là-bas et nous avons fait une petite promenade en mer. Au retour, Patricia et moi nous nous sommes baladées dans les docks, pendant que ses parents amarraient le voilier. Jimmy est venu vers nous et il s'est mis à me parler en vietnamien. Il m'a demandé ce que je faisais, si loin de chez moi. » Alice la dévisagea sans comprendre. « Si loin du Vietnam, explicita Amy. Il croyait que j'étais née là-bas, comme lui. Bref, nous avons discuté un moment. C'était agréable de pouvoir parler de nouveau vietnamien. Je me suis rendu compte que ça m'avait manqué. » Alice écoutait les confidences de la petite fille et, quand un silence s'installa, elle ne fit rien pour le rompre. Elle attendit qu'Amy poursuive son récit, car elle sentait que cela faisait du bien à la petite fille. « Une fois par mois, reprit celle-ci, il vient ici sur sa mobylette et nous discutons. Il me décrit le Vietnam. Son rêve, c'est d'y retourner un jour. — Le soir où je l'ai surpris sur le chemin... étaitil venu pour te voir ? » Amy secoua ses boucles brunes. « Franchement, j'ignore ce qu'il faisait là ce soir-là. — Lui avais-tu parlé des cambriolages ? 161
— Non. Mais je lui avais montré ma malle. Tu comprends, elle venait du Vietnam, alors ça lui rappelait des souvenirs. » Amy marqua encore un temps d'arrêt. « Tu sais, il est au courant de tout ce qui se passe dans la galerie de son oncle. Il a sûrement vu le coffre... » Alice s'assit sur le bord du lit et rassembla ses esprits pour tenter d'y voir clair. « Qui te dit que Jimmy n'est pas le complice du cambrioleur ? — Il ne m'aurait jamais joué un tour pareil ! s'indigna Amy. — Admettons, concéda la jeune détective avec diplomatie. Jimmy est ton ami, tu lui fais confiance. Mais alors, pourquoi n'as-tu jamais parlé de lui à ton père ? — Jimmy se méfie de tous les adultes. La première fois qu'il est venu ici, il m'a fait faire le serment de ne jamais évoquer nos rencontres devant aucun adulte. » La petite fille esquissa un sourire timide. « Toi, tu n'as que dix-huit ans. Tu n'es pas tout à fait une adulte... » Alice se remémora l'attitude étrange d'Amy, le soir où ils avaient appris la disparition du tigre de jade, au journal télévisé : elle qui, d'ordinaire, s'attardait volontiers au salon, elle avait manifesté un désir pressant de monter se coucher...
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« Amy, reprit Alice en pesant ses mots pour ne pas froisser l'enfant. Est-ce que Jimmy a quelque chose à voir avec le vol de la statuette ? » Pour éluder la question, Amy se mit à fouiller dans son armoire et en sortit une veste en jean, qu'elle enfila à la hâte. « Je n'ai pas le temps de discuter. Papa m'attend...» Assises sur la plage de Cherry Creek, Alice, Bess et Marion contemplaient les vagues qui déferlaient sous leurs yeux. L'heure était encore matinale et une brume légère flottait au-dessus de l'océan. « Je suis éreintée, soupira Bess en s'affalant sur le plaid avec un bâillement. — Moi aussi, renchérit Marion, abandonnée par son habituelle énergie. Cette histoire de rapt m'a lessivée. Dis-moi, Alice, je te trouve bien songeuse. Tu aimerais être une petite souris pour espionner ce qui se passe au commissariat, je parie... » Son amie haussa les épaules. « II ne s'y passe pas grand-chose, si tu veux mon avis. Terry a dû montrer le message du ravisseur à Brower, comme il comptait le faire. Mais, à part la signature, le texte était rédigé en majuscules. Je serais étonnée que la police parvienne à identifier son auteur. — Tu n'as donc pas renoncé à l'enquête, conclut Marion avec un sourire malicieux. 163
— On ne peut rien te cacher... J'ai parlé avec Amy ce matin ; j'ai découvert que Jimmy Thieu est l'un de ses amis. Mais il est aussi le neveu de M. Mai, et il a ses entrées dans la galerie Fe T'sui. Je mettrais ma main au feu qu'il sait ce que contenait le coffre et qui l'a dérobé. Si ça se trouve, il connaît aussi l'auteur du cambriolage de la galerie. » Marion fronça les sourcils. « C'est bien ce gamin qui a lâché sur toi son doberman ? — Pas véritablement lâché. Disons qu'il n'a rien fait pour retenir son chien. — Mouais, grommela Bess. Il ne me paraît pas très sympathique, ce jeune homme ! Comment comptes-tu t'y prendre pour le faire parler ? — Excellente question ! Il va déjà falloir que j'entre en contact avec lui sans que son oncle l'apprenne. — Il habite avec M. Mai, au-dessus de la galerie, c'est bien cela ? demanda Marion. On pourrait aller se poster dans la rue et guetter sa sortie... — Je te rappelle que nous sommes attendues pour la répétition du cortège ! » objecta sa cousine. Marion ferma les yeux et soupira. « Comment ai-je pu me laisser embarquer dans cette galère ? Joanne a insisté pour que je participe moi aussi au cortège et je n'ai pas su dire non... Bess 164
portera un bouquet de fleurs sauvages et moi, un gong ou une bizarrerie du même ordre ! — Des clochettes japonaises ! » la corrigea Bess en levant les yeux au ciel. Alice fut gagnée par le fou rire. « Merci de ton conseil, Marion. Je vais aller me poster à proximité de la galerie pour guetter Jimmy, en priant le ciel de ne pas me retrouver nez à nez avec M. Mai ! » Alice attendit que Keith fût venu chercher les deux cousines pour la répétition de la cérémonie puis se mit en route. A Sausalito, elle se gara à quelques pâtés de maisons de la galerie Fe T'sui. Sa montre indiquait presque 15 heures. A vrai dire, elle n'avait pas la moindre idée de ce à quoi pouvait s'occuper un garçon comme Jimmy, un samedi après-midi. Restait à trouver une cachette d'où surveiller l'entrée située à l'arrière de la galerie et à faire preuve de patience. Elle avisa la terrasse d'un café qui constituerait un poste d'observation idéal. S'installant à une table, elle commanda un thé glacé puis déploya un journal afin de dissimuler sa présence, pour le cas où M. Mai viendrait à passer. L'air s'était rafraîchi tandis que le brouillard du matin ne s'était que partiellement dissipé. Pourvu que ce petit jeu ne s'éternise pas... songea-t-elle.
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Sa prière dut être entendue car, au bout de quinze minutes à peine, elle reconnut la silhouette longiligne de Jimmy Thieu qui remontait de la plage. Sans perdre un instant, la jeune fille régla sa consommation et marcha vers le garçon, en rasant les murs. Elle voulait surprendre Jimmy, car s'il l'apercevait de loin, il prendrait à coup sûr ses jambes à son cou. Quand ils ne furent plus qu'à cent mètres l'un de l'autre, Alice vit que l'adolescent l'avait repérée. Aussitôt, il fit volte-face et reprit la direction de l'eau. « Jimmy ! s'écria-t-elle. Ne t'enfuis pas ! Il faut que je te parle. » Mais il ignora l'apostrophe. « Amy a été kidnappée ! » lança Alice, espérant le faire réagir. De fait, l'adolescent pila net et se retourna vers sa poursuivante. « Comment ? — Elle a été enlevée par un homme qui conduit une voiture grenat. Tout va bien, maintenant, elle est rentrée chez elle. Mais si tu connais cet individu, tu peux m'aider. » Jimmy dardait sur elle son œil noir insondable. Après un long silence, il se résolut à répondre : « Je ne peux rien dire ici. Rendez-vous dans une heure à l'anse de Tennessee Valley. »
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Alice se rappela avoir vu un panneau signalant cette petite crique. « D'accord, fit-elle, espérant qu'elle avait raison de placer sa confiance dans ce garçon. J'y serai dans une heure. » Tennessee Valley... songea Alice en garant son véhicule sur le parking de la petite plage. Quel drôle de nom pour une anse de Californie ! Un panneau, placé à l'entrée du sentier qui conduisait jusqu'à la mer, expliquait que l'endroit devait son nom à un navire, baptisé justement Tennessee, qui s'était échoué à quelques milles de la côte en 1853... La nuit tombait presque et, avec le brouillard persistant, l'air devenait de plus en plus humide et froid. Alice boutonna sa veste et s'engagea dans le sentier de la plage. Un cavalier la dépassa, le claquement des sabots de sa monture résonnant dans le silence. «J'ai eu raison de prévoir une marge », songea-telle en réalisant que le chemin faisait près de deux kilomètres. Jimmy l'attendait-il déjà sur la plage ? Plus elle approchait de l'eau, plus la brume s'épaississait. Lorsqu'elle atteignit enfin la crique, elle voyait à peine à trois mètres devant elle. « Brrr ! frissonna-t-elle. Ça me rappelle étrangement ma première rencontre avec Jimmy et la
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course folle à travers les séquoias... » Une ombre glissa le long d'un rocher, agile et silencieuse comme un chat. Alice reconnut la silhouette du jeune Asiatique. « Qu'est-il arrivé à Amy ? » demanda-t-il sans préambule. Alice lui narra l'épisode angoissant du kidnapping et lui retourna sa question. « Connais-tu l'homme à la voiture grenat ? » Le garçon haussa les épaules. « Je sais seulement que c'est lui qui a cambriolé la maison des Kirkland et qui a volé la malle. — Le tigre de jade se trouvait à l'intérieur ? — Je n'en ai pas la preuve. En tout cas, c'est lui qui a apporté le coffre chez mon oncle ; il le lui a sûrement vendu. — Que sais-tu d'autre ? » Jimmy ramassa un galet et le lança dans les vagues. « Cet homme blond, reprit-il d'un ton morne, il est très grand. Il doit mesurer au moins 1,80 m. Il s'appelle Malcolm Elgar. La première fois qu'il a contacté mon oncle, il téléphonait depuis la Thaïlande. Je le sais, parce que c'est moi qui ai décroché. » Alice, qui n'en attendait pas tant, assimilait toutes ces nouvelles données et tentait d'y voir clair quand une remarque de Jimmy la déstabilisa : 168
« II vous a dans le collimateur, n'est-ce pas ? — C'est aussi mon impression, reconnut la jeune fille en toute sincérité. J'ai l'impression qu'il a enlevé Amy dans le seul but de me faire renoncer à l'enquête. — Dans ce cas, fit Jimmy avec gravité, ce serait de la folie de vous obstiner. Le peu que je sais d'Elgar, c'est qu'il est très dangereux. Il suffît de l'avoir vu deux secondes pour l'avoir compris. » II secoua la tête, animé d'une rage intérieure, et la boucle argentée qui pendait à son oreille scintilla dans la lumière glauque. « Si tu es l'ami d'Amy, le questionna Alice, pourquoi ne lui as-tu pas avoué tout ce que tu savais ? Pourquoi ne l'as-tu pas mise en garde ? » Les yeux bridés du garçon se plissèrent, pour n'être plus que deux fentes étroites. « J'ai essayé, figurez-vous ! La nuit de l'orage, quand vous m'avez surpris, j'étais venu lui parler. Mais elle n'était pas chez elle. Ensuite, chaque fois que j'ai téléphoné, je suis tombé sur son père. » Alice soupira, sentant la colère la gagner à son tour. « Tu aurais pu te forcer un peu, et parler avec Terry. Il ne t'aurait pas mangé, tu sais ! — Non. — Pourquoi... »
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Avant qu'elle ait pu achever sa phrase, le gamin détala et disparut dans le brouillard. « Jimmy ! appela-t-elle. Jimmy, reviens ! » Mais son cri se perdit dans la brume. « Me voilà bien ! » ironisa-t-elle. Pour comble de malheur, une petite pluie fine et pénétrante se mettait à tomber. Comment allait-elle retrouver son chemin pour rejoindre sa voiture, au milieu de cette purée de pois ? Si seulement elle avait pensé à apporter une lampe-torche... Le retour jusqu'au parking lui sembla interminable. Quand, enfin, elle claqua la portière de la voiture derrière elle, elle poussa un soupir de soulagement. Elle actionna alors la manette des phares... Rien. Un peu inquiète, elle tourna la clé de contact : aucune réaction du moteur. Elle réessaya deux fois, trois fois, sans plus de succès. La batterie devait être morte, conclut-elle en luttant contre la panique qui l'assaillait. Elle allait devoir battre la campagne, en plein brouillard, pour dénicher une cabine téléphonique et appeler un dépanneur... Au moment où elle posait la main sur la poignée de la portière, elle entendit un clic. Sa portière venait d'être verrouillée... par quelqu’un qui se trouvait dans la voiture, juste derrière son dos.
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XIV Eclaircissements dans une clairière Alice tenta de garder son sang-froid. Qui était tapi dans son dos ? Jimmy ? S'il était remonté de la plage en même temps qu'elle, elle l'aurait entendu. Alors qui... « Restez tranquille et il ne vous arrivera rien, fit une voix caverneuse. Vous pensez que vous en êtes capable ? » Alice hocha la tête. A quoi servirait de crier ? Personne ne l'entendrait. « Je crois que vous m'avez cherché, poursuivit l'homme. — Vous êtes Malcolm Elgar ? — Mon nom est Nick Finney. » Lentement, Alice tourna la tête pour voir son interlocuteur. Nicholas Finney ne ressemblait en rien à l'individu blond qui conduisait la voiture grenat. En revanche, il était en tout point conforme à la description que Terry avait faite de lui : un homme mince, sec et nerveux, dont le visage anguleux était encadré d'une tignasse rousse. Ses traits paraissaient étonnamment jeunes. Sans les fines rides qui ourlaient ses yeux et sa bouche, on lui aurait donné vingt-cinq ans tout au plus. 171
Ils restèrent à se dévisager de longues minutes. « Qu'avez-vous fait à la voiture ? demanda enfin Alice, brisant un silence hostile. — J'ai débranché quelques fils. Je les remettrai bien volontiers en place... » II ménagea un suspens de quelques secondes. «... Si vous vous débrouillez pour m'obtenir une entrevue avec Kirkland. — Vous n'aviez pas besoin de moi pour ça, objecta la jeune fille. Terry vous considère toujours comme son ami. Il aurait été enchanté de recevoir votre visite. » Une expression fugitive, qu'Alice interpréta comme de la surprise, se lut sur le visage de l'ancien G.I. « Dans ce cas, tout est pour le mieux. Vous allez me conduire chez lui ce soir même. » Sa peur passée, Alice sentait grandir en elle la colère. « Est-ce vous qui avez suivi Terry jusqu'au salon d'exposition, qui avez détruit l'une de ses œuvres et laissé votre plaque de soldat en guise de carte de visite ? Après ça, j'ai du mal à voir en vous un ami de Terry ! Qui me dit que votre intention n'est pas de le tuer ? » Nick baissa les yeux. « Je ne compte tuer personne, et ce n'est pas moi qui ai saccagé son travail. Je n'ai pas revu ma plaque de soldat depuis le jour où j'ai été emmené comme 172
prisonnier de guerre. On me l'a volée à ce momentlà.» Alice restait pourtant sur ses gardes. « Si vous souhaitiez rencontrer Terry, pourquoi ne pas lui avoir téléphoné ? Cela vous aurait épargné ce petit numéro digne d'un mauvais film d'épouvanté. — Je craignais qu'il refuse de me voir, après tout ce qui s'était passé : les effractions, le kidnapping de sa fille, etc. — Vous prétendez toujours que vous n'êtes pas le coupable ? » II lui décocha une œillade furibonde. « Je vous répète que Terry était mon ami. — Alors, comment se fait-il que vous soyez si bien informé ? » L'expression du visage de Nick se rembrunit. « Je compte tout expliquer à Kirkland. Pour l'instant, je veux que vous trouviez une cabine téléphonique et que vous lui annonciez que je dois absolument lui parler. Pendant ce temps-là, je rebrancherai les fils du moteur. » Alice leva les bras, comme pour prendre le brouillard à témoin. « Comment voulez-vous que je déniche une cabine dans cette purée de pois ? » Finney tendit une lampe-torche à Alice et lui indiqua la direction de la cabine la plus proche, située selon lui à une distance raisonnable. 173
« Dites à Terry de me retrouver à Ross, ordonnat-il encore. Il comprendra. » Contrainte et forcée, Alice s'enfonça dans le brouillard. « Je dois avoir perdu la raison, maugréa-telle intérieurement. Voilà que je rentre dans le jeu de Nick Finney, un individu qui est peut-être extrêmement dangereux. Pire, je vais entraîner Terry dans cette embrouille... » Elle se demanda s'il ne serait pas plus avisé d'appeler la police. Ou encore de disparaître dans la nuit, en laissant Nick retrouver Terry par lui-même... Pourquoi ne le faisait-elle pas ? Par loyauté. L'ancien camarade de guerre de Terry lui avait témoigné sa confiance et, curieusement, elle ne voulait pas le trahir. Elle téléphona donc à Terry puis revint sur ses pas. En arrivant à la voiture, elle trouva Nick au volant, faisant tourner le moteur. « Montez », fit-il. Dès qu'elle fut assise, elle éprouva un sentiment de malaise. Et si Finney lui avait menti depuis le départ ? Et si son intention n'était pas de rencontrer Terry, mais qu'il nourrissait un autre projet, machiavélique celui-ci ? La jeune fille frissonna. En tout état de cause, elle devrait se montrer prudente. « Qu'a dit Kirkland ? demanda-t-il à brûlepourpoint.
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— Qu'il vous attendrait à l'entrée de Fort Ross, rapporta fidèlement Alice. Il y sera dans une heure environ. Il doit d'abord déposer Amy chez l'une de ses amies. — Excellente initiative, estima Nick, tout en se mettant à rouler. — Fort Ross est situé sur la rivière Russian, n'est-ce pas ? s'enquit Alice, dans le seul but d'alimenter la conversation. — Oui. C'est là que j'ai grandi, au pied du fort. — L'histoire de la côte est très passionnante, reprit la jeune détective. Tout comme l'histoire qui vous lie à Terry et dans laquelle, je crois, Malcolm Elgar joue un rôle... » II lui adressa un regard oblique, légèrement sarcastique. « Vous êtes perspicace, mademoiselle. Mais je ne suis pas d'humeur à me soumettre à un interrogatoire.» Alice ne s'avoua pas vaincue pour autant. Toutefois, elle eut beau multiplier les questions, Nick Finney, comme il l'avait annoncé, ne daigna satisfaire sa curiosité sur aucun point. Ils longèrent la côte en direction du nord contournèrent le mont Tamalpais, dépassèrent le large estuaire de la rivière Russian. Peu à peu, le brouillard se dissipait et, lorsqu'ils atteignirent l'entrée du fort, le ciel bleu nuit avait repris ses droits. 175
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Alice aperçut sa voiture puis reconnut Terry adossé à la carrosserie. Nick arrêta juste à côté et baissa sa vitre. « Suis-moi ! » lança-t-il à Terry. Avant même que l'interpellé ait eu le temps de répondre, il redémarra en direction de la route de la corniche, surplombant l'océan. Les pneus crissèrent lorsqu'il négocia un virage à plus de quatre-vingts kilomètres/heure. « Par pitié, ralentissez ! supplia Alice, cramponnée à la poignée de la porte. Qu'est-ce qui vous prend ? — On n'est jamais trop prudent... Si quelqu’un a suivi Terry jusqu'au fort, je compte bien le semer en chemin. » Pendant dix folles minutes, la jeune détective crut mourir à chaque tournant. Plus d'une fois elle ferma les yeux, certaine que la course échevelée allait s'achever au bas de la falaise... Enfin, Nick quitta la route goudronnée pour s'engager dans un chemin de traverse Se retournant, Alice fut soulagée de constater que Terry avait réchappé de cet exercice digne d'un cascadeur chevronné. Elle se détendit un peu plus en voyant Nick ralentir et, bientôt, stopper son véhicule sous un séquoia. L'Espace de Terry vint se ranger à côté et les deux hommes sortirent au même instant. A la lueur des lampes-torches, Alice observa avec émotion ces 177
retrouvailles entre deux amis de vingt ans. Chacun dévisageait l'autre, dans un silence tendu, comme s'il ne parvenait pas à croire à la réalité de la scène. « Kirkland... » murmura Nick. La voix de Terry, bouleversée, lui fit écho. « Je te croyais mort. » Nick secoua la tête et afficha un sourire de gamin effronté. « Moi aussi, j'ai cru plusieurs fois que j'allais y pester. Mais tu vois, le Pilote n'a pas encore réussi à avoir ma peau ! — J'en suis heureux », répondit Terry. De la voiture où elle était restée par discrétion, Alice suivait la scène, fascinée. « Ce n'est pas moi qui ai kidnappé ta fille, annonça soudain Nick. — Je sais. Rassure-toi, je ne t'ai pas soupçonné un instant. — Mais je connais le ravisseur », reprit Finney. Pour la première fois, l'ancien G.I. sembla se souvenir de la présence d'Alice. « Elle aussi est au courant... Mais nous serions mieux ailleurs pour discuter. » Alice descendit de voiture et suivit les deux hommes qui s'enfonçaient sous les frondaisons, à l'écart du chemin balisé. Le halo de leurs lampestorches pour seul repère, elle dut hâter le pas pour ne pas se laisser distancer. Habitués à la jungle vietnamienne, les deux anciens soldats progressaient 178
presque aussi aisément qu'en plein jour et en terrain découvert... « Quelle journée ! songea-t-elle. D'abord le brouillard, ensuite cette nuit plus noire qu'un four. Quel sera le plaisir suivant ? Des sables mouvants ? » Perdue dans ses pensées, elle sursauta au contact d'un bras. « Par ici », lui indiqua Terry. Ils débouchèrent sur une petite clairière où Nick s'assit sur une souche. « Désolé pour toute cette mise en scène, s'excusa-t-il auprès d'Alice. Mais, si je ne me trompe pas, Elgar est à nos trousses. — Malcolm Elgar ? fit Terry, surpris. Le type qui se prenait pour un ninja ? — Tu l'as dit, confirma Finney d'une voix sourde. Elgar a suivi une formation d'agent secret, précisa-t-il à l'attention d'Alice. Ce qui signifie que pendant qu'il servait sous les drapeaux, on lui a enseigné l'art de s'introduire dans des lieux et de les quitter sans se faire remarquer de personne. Il a également appris à commettre de sales méfaits... A ce que je sais, il s'est ensuite perfectionné par luimême.» Nick croisa le regard de Terry. « Cet homme est un tueur. — Il n'a pas tué Amy, tempéra Terry.
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— Parce qu'il concevait ce kidnapping comme un simple avertissement. La prochaine fois, crois-moi, il ne t'épargnera pas. — Pourquoi Elgar vous pourchasse-t-il ? » demanda Alice. Nick fourragea dans sa tignasse rousse. « Disons que nous nous pourchassons l'un l'autre. J'ai l'impression que je n'ai cessé de le traquer depuis que notre unité est tombée dans cette embuscade... — C'est-à-dire le jour où vous avez été porté disparu ? » interrogea Alice. Finney acquiesça. « Voilà ce qui s'est passé : ceux d'entre nous qui n'avaient pas été tués ont été emmenés en captivité. J'ai passé trois ans dans un camp de prisonniers. » Sa voix se durcit, comme pour se protéger de l'émotion trop forte que faisait naître l'évocation de ces souvenirs. « Je ne vais pas m'étendre sur ce que j'ai enduré. Disons simplement que trois ans plus tard, mon évasion fut providentielle. — Et ensuite ? demanda Terry à son tour. Où astu passé toutes ces années ? — En Thaïlande, surtout. Je ne sais pas si tu pourras comprendre ça, mais après trois ans comme prisonnier de guerre, je ne me voyais pas rentrer aux États-Unis et reprendre une petite vie ordinaire.
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— Alors, pourquoi êtes-vous finalement rentré?» insista Alice. Nick ramassa sur le sol une branche morte et la brisa rageusement en deux. « A cause de Malcolm Elgar. Je suis tombé sur lui par hasard à Bangkok, il y a quelques mois. Je n'en suis pas revenu... J'étais persuadé qu'il était mort au cours de l'attaque ennemie, étant donné qu'il ne faisait pas partie des captifs. Nous avons longuement discuté et, dans la conversation, il m'a fait part de son désir d'acquérir du jade birman, cette extraordinaire pierre translucide qui, selon lui, valait de l'or. C'est alors que m'est revenue en mémoire une chose que j'avais oubliée depuis des années... — Le tigre de jade ! s'exclamèrent Alice et Terry d'une même voix. — Exactement. J'ai commis l'erreur d'en parler à Elgar. Voici très précisément ce que je lui ai dit : Autrefois, je possédais une statuette en jade. J'ignorais qu'elle pouvait avoir une telle valeur. Je l'avais trouvée dans un temple vietnamien que nous avions mis à sac. » Interloquée, Alice voulut en avoir le cœur net. « Vous voulez dire que vous avez volé cette statuette ? » Nick haussa les épaules, légèrement embarrassé. « Le temple avait été abandonné. Il n'y avait plus aucun bonze aux alentours. Ça n'excuse rien, bien 181
sûr, mais la plupart des soldats de mon unité ont commis ce genre de rapines. Ce sont les erreurs de guerre, je suppose... Quoi qu'il en soit, j'ai avoué à Elgar que j'avais trouvé ce tigre et que je l'avais confié à Terry Kirkland. — Pourquoi lui avoir dit ça ? ne put s'empêcher de protester Alice. — Sans doute ai-je été entraîné par l'enthousiasme de retrouver un vieux compagnon d'armes. Je n'ai pas imaginé qu'Elgar pouvait nourrir des intentions malhonnêtes... jusqu'au lendemain. A ce moment-là, j'ai repensé à une phrase qu'il avait prononcée et qui m'avait paru bizarre. — Il avait manifesté trop d'intérêt pour le tigre ? avança Terry. — Non, ce n'est pas cela. Nous évoquions notre dernière et funeste mission, quand il a eu ces mots : 'Je savais dès le départ que cette colline nous porterait malheur. Les coordonnées n'étaient pas bonnes." » A son air surpris, Nick comprit qu'Alice ne mesurait pas l'importance de ces propos. Aussi jugeat-il utile de les expliquer. « Les coordonnées sont les repères inscrits sur la carte d'état-major et qui indiquent l'emplacement exact où doit se dérouler une mission. — Or cette mission-là était top secret, ajouta Terry, suivant le raisonnement de son ami. Ce qui
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signifie qu'Elgar n'aurait pas dû posséder ces informations. — Tu as tout compris, confirma Finney. Personne n'aurait dû être au courant du lieu de l'attaque, à l'exception de notre lieutenant et de notre sergent. Tous deux ont d'ailleurs été tués au combat. — Si je comprends bien, résuma Alice, Malcolm Elgar détenait des données stratégiques qu'il n'aurait pas dû connaître... — Non seulement Elgar, précisa Nick, mais l'ennemi également. C'est la raison pour laquelle cette mission s'est soldée par un échec. Voilà aussi pourquoi Elgar seul n'a été ni tué ni emmené en captivité... » La jeune détective voyait maintenant clairement où voulait en venir l'ancien G.I. « Vous pensez qu'Elgar a trahi votre unité. — Il a vendu des informations confidentielles aux Nord-Vietnamiens. Quand je pense que c'est à cause de lui que j'ai passé trois ans de ma vie à moisir dans un camp... Et encore, je peux m'estimer chanceux : d'autres ont été moins bien lotis. — En avez-vous parlé à quelqu'un d'autre ? voulut savoir Alice. — Non, car je n'ai aucune preuve. Le jour où j'ai réalisé ce qui s'était produit, j'ai essayé de retrouver Elgar à Bangkok. Mais il avait déjà pris un avion pour San Francisco. J'ai tout de suite deviné où il 183
comptait se rendre, et ce qu'il recherchait. » II regarda Terry d'un air coupable. « Désolé, vieux, je n'aurais pas dû mentionner ton nom. » Terry adressa à son ami un sourire morose. « Tu m'aurais évité pas mal d'ennuis, je ne peux le nier. Mais pourquoi ne m'as-tu pas au moins prévenu qu'Elgar était dans les parages ? — Quand je suis rentré aux États-Unis, le vol avait déjà été commis. Et je te jure que je n'imaginais pas qu'il irait jusqu'à enlever ta fille. Sans quoi, évidemment, je serais intervenu. » Alice n'écoutait plus la conversation que d'une oreille, car elle réfléchissait à l'assemblage du puzzle. « Admettons qu'Elgar soit votre cambrioleur, Terry. A la troisième effraction, il a finalement mis la main sur le tigre de jade. Ensuite, il l'a vendu à M. Mai. Mais nous ignorons toujours qui a volé la statuette à la galerie... » Alice et Terry fixaient tous deux Finney d'un regard interrogateur. Mais Nick n'eut pas le loisir de répondre. Un long sifflement déchira l'air, accompagné d'une lueur aveuglante. Terry serra le bras de la jeune fille. « Cours ! La forêt est en train de prendre feu... »
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XV Le feu aux trousses Horrifiée, Alice assistait à la progression du feu, paralysée par la panique. « Courez ! » cria Nick à son tour. Attrapant la main de la jeune fille, Terry l'entraîna dans une course effrénée pour échapper à l'incendie. Alors qu'ils atteignaient presque la route, Alice s'immobilisa soudain. « Attendez... Où est Nick ? » En se retournant, ils aperçurent, à quelques mètres seulement du rideau de flammes, une silhouette recroquevillée sur le sol. « C'est lui ! s'exclama la jeune détective. Il est blessé. » Sans hésiter, Terry s'élança en direction de ion ami. Comme Alice s'apprêtait à le suivre, il lui cria par-dessus son épaule : « Non, ne viens pas ! Retourne à la voiture et va chercher des secours ! — Je reste avec vous ! » hurla-t-elle en retour. Le sauvetage de Nick ne serait pas facile. Alice savait que Terry aurait besoin de son aide, et elle ne voulait pas l'abandonner dans un moment aussi critique.
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Plus ils avançaient, plus l'air était épaissi par une dense fumée noire. Prise de picotements à la gorge, Alice se mit à tousser. Pour ne pas suffoquer, elle ôta sa veste et la mit en écharpe devant sa bouche et son nez. Enfin ils arrivèrent auprès de Nick. « C'est mon genou... gémit celui-ci. Je ne peux pas marcher. Fuyez pendant qu'il en est encore temps ! Ne vous occupez pas de moi. — Pas question », répliqua Terry avec fermeté. Il passa un bras sous l'épaule de son ami et interrogea Alice du regard. « Crois-tu pouvoir le soulever avec moi ? » La jeune fille hocha la tête en guise d'assentiment et, en conjuguant leurs efforts, ils parvinrent à remettre le blessé sur pied. Fermement soutenu par Alice et Terry, Finney se mit lentement en route, en boitillant. Ils avançaient à pas comptés mais le feu, lui, progressait à vive allure. Alice sentait l'haleine brûlante du brasier dans son dos. La fumée, acre et dense, formait un écran devant leurs yeux. Ils évoluaient à l'aveuglette, heurtant au passage pierres ou bois morts. Tous trois avaient peine à respirer et l'angoisse rendait leur souffle plus court encore. Mettant mécaniquement un pied devant l'autre, Alice craignait de voir à tout instant les langues de feu les
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avaler. Mais, pour ne pas céder totalement à la panique, elle s'interdisait de regarder en arrière... C'est alors que, couvrant le rugissement des flammes, elle crut discerner un son réconfortant : non, elle ne rêvait pas ! Des sirènes... Quelques secondes plus tard, elle reconnut les gyrophares des véhicules de secours. « Sauvés ! » soupira-t-elle, laissant libre cours au soulagement. Tout se passa très vite : un pompier à la large carrure prit Nick sur son épaule et le transporta jusqu'à l'ambulance. Deux autres hommes aidèrent Alice et Terry, tandis que le reste de l'équipe activait les lances à incendie et tentait de maîtriser le feu. Alice et Terry passèrent près de trois heures en observation à l'hôpital du comté. Après avoir été traités pour inhalation de fumée, ils furent autorisés à rentrer chez eux. Quant à Nick, il fut gardé pour la nuit car les médecins voulaient radiographier et soigner son genou blessé. En se retrouvant sur le parking de l'hôpital, leurs vêtements noircis de fumée, ils se dévisagèrent, encore étourdis par leur mésaventure. « D'après vous, commença Alice, qui a allumé ce feu ? Car il s'agit bien d'un incendie criminel, n'est-ce pas ? — Quelqu'un a dû lancer une fusée éclairante sur la montagne. Du fait de la sécheresse, les arbres 187
sont comme des allumettes prêtes à s'embraser. Le feu a pris dès que la fusée a touché le sol. Il faudra sans doute toute la nuit aux pompiers pour en venir à bout. — Vous soupçonnez Malcolm Elgar ? — Oui, et Nick partage mon opinion. Nous l'avons d'ailleurs confié aux policiers qui étaient sur place. » Alice repensa à sa dernière rencontre houleuse avec l'inspecteur Brower. « Encore heureux qu'ils ne nous aient pas mis sous les verrous comme suspects... fit-elle d'un ton sarcastique. — Pour ce soir, nous sommes tranquilles. Mais il y aura certainement une enquête », lui prédit Terry. « Alice ! Debout ! » La jeune fille ouvrit un œil et vit Bess juchée sur son lit. En ouvrant le second, elle distingua des papillotes rosés dans la chevelure de son amie. « C'est aujourd'hui le grand jour ! reprit Bess, surexcitée. On t'a laissée faire la grasse matinée à cause de l'incendie d'hier, mais maintenant il faut vraiment que tu te prépares. » Alice se redressa sans enthousiasme. La journée de la veille l'avait épuisée, au point qu'elle en avait totalement oublié le mariage de Joanne. 188
« Le petit déjeuner de Madame est avancé ! annonça joyeusement Marion en entrant dans la chambre, les bras chargés d'un plateau de muffins, avec un verre de jus de fruit. — Puis-je t'offrir mes services de manucure ? » proposa Bess. Alice examina ses ongles en souriant. « Merci, ça ira. Je ne suis pas fâchée d'avoir récupéré des mains présentables... J'ai cru que je ne viendrais jamais à bout de ce noir de fumée ! » Marion s'assit sur le bord du lit de son amie. « Alors, ça y est... Le mystère est résolu. — En partie seulement, corrigea Alice en étouffant un bâillement. Nous savons qu'Elgar est l'homme qui a cambriolé la maison et kidnappé Amy. En outre, Jimmy Thieu est persuadé que c'est Elgar qui a vendu le tigre à son oncle. Mais j'ignore toujours qui a volé le tigre à la galerie. — Que fais-tu de la plaque de Nick Finney, apparue comme par enchantement lors du salon où exposait Terry ? — Nick nous a appris qu'on lui avait volé sa plaque le jour où il a été fait prisonnier. C'est sans doute Elgar qui la détenait. — Quelle est la prochaine étape de l'enquête ? interrogea Marion. — La police en sait aussi long que nous. Après deux forfaits aussi graves qu'un rapt et un incendie 189
criminel, ils veulent vraiment mettre la main sur Elgar. » D'un bond, la jeune détective se leva et alla décrocher de la penderie une robe bleu pâle. « Espérons qu'ils réussiront... car moi, je ne travaille pas aujourd'hui ! je me rends à un mariage ! » En passant la large porte à double battant de la grange, Alice sourit de ravissement. Certes, elle n'avait jamais douté que le mariage de Joanne serait en tout point exceptionnel. Mais la réalité dépassait ses rêves les plus fous. Des guirlandes de fleurs fraîches couraient le long des poutres ; des éventails japonais en soie semblaient virevolter comme des papillons sur les colombages des murs. Rubans, clochettes, nœuds, ballons... c'était un festival de couleurs qui enchantait l'œil. Un orchestre, installé dans une loggia, jouait tout à tour des airs de rock, de country et de jazz. Des buffets somptueux étalaient leur profusion de victuailles disposées avec art. Bien qu'il soit encore tôt, la fête battait déjà son plein. Alice sentit qu'on lui effleurait la main et reconnut Amy. « Bonjour ! » lança gaiement la jeune fille. Elle chercha Terry du regard. « Ton père n'est pas là ? — Il a retrouvé des artistes qu'il connaissait et ils discutent affaires. Mais dis-moi : où est le fabuleux gâteau ? 190
— Bonne question ! Essayons de le dénicher... » Toutes deux traversèrent la grange et découvrirent, tout au fond, une table où trônait la pièce montée. Alice n'en crut pas ses yeux : à partir des simples abaisses de gâteau au chocolat et aux carottes, Joanne avait édifié un magnifique château de conte de fées, nappé d'un glaçage rosé et blanc. « Impressionnant ! s'extasia Amy. — Et je suis sûre que c'est aussi bon que beau, repartit Alice en souriant. — Où sont Bess et Marion ? demanda la petite fille. — Sans doute en train de s'habiller pour le cortège. Alice avisa une rangé de chaises repliées contre le mur. « Viens, allons nous installer au premier rang. Je ne veux rien manquer du spectacle ! » Alice s'élança à travers la foule compacte ; en atteignant son but, elle se retourna et ouvrit la bouche pour s'adresser à Amy. Mais, à sa grande stupéfaction, la petite fille avait disparu ! Au même instant, la main de Terry se posa sur son épaule. « As-tu vu Amy ? — Justement ! Elle était avec moi il y a quelques secondes mais... » Le visage de l'artiste s'assombrit. « Ne me dis pas que ça recommence... » Alice fut prompte à réagir. 191
« Inspectez de ce côté-ci, je me charge de celuilà. Si nous ne la trouvons pas rapidement, nous appellerons la police. » D'un hochement de tête, Terry approuva le plan et tous deux partirent dans des directions opposées. « C'est ridicule ! Autant chercher une aiguille dans une botte de foin », soupira intérieurement Alice. Le cortège devait démarrer dans moins d'une demi-heure et la grange s'emplissait à vue d'œil. A croire que Joanne avait convié tous les habitants de la Californie! En apercevant une enfant aux cheveux noirs et raides, la jeune détective retint son souffle... Mais elle déchanta aussitôt : ce n'était pas Amy. Après avoir poussé ses recherches jusqu'aux loges des musiciens, Alice retrouva Terry à la porte. « Alors ? » interrogea celui-ci, le front barré par une ride soucieuse. Comme elle secouait la tête d'un air désolé, Terry prit rapidement sa décision : « Je saute dans l'Espace et j'appelle la police de la première cabine que je trouve. — Je continuerai les recherches pendant ce temps », promit Alice. Elle songea, sans trop y croire, qu'Amy avait peut-être décidé de sortir prendre l'air. En tout cas, elle ne perdrait rien à aller s'en assurer... Elle fit le tour de la grange puis marcha jusqu’au silo à céréales : nulle trace de la petite fille. Conformément à la description de Bess et de Marion, la ferme était bâtie au bord d'un à-pic vertigineux ; en 192
contrebas, l'océan rugissait dans toute sa majesté. Alice continua à avancer droit devant elle et arriva jusqu'à un petit bois de chênes. Les arbres, centenaires imposants, ployaient leurs branches presque jusqu'à terre. La jeune fille s'arrêta soudain, réalisant que cette végétation touffue constituerait une cachette idéale. Prudemment, elle approcha du bouquet d'arbres et tendit l'oreille. Des voix lui parvenaient, étouffées par l'écran de verdure. C'était des voix jeunes. Débarrassée de toute crainte, Alice s'enfonça sous les fourrés... pour découvrir Jimmy Thieu et Amy Kirkland, qui semblaient faire grand cas d'une pochette en papier kraft. « Eh bien, lança-t-elle vivement, à quoi jouezvous ? » Les deux enfants prirent des mines penaudes mais restèrent muets. « Amy, insista Alice, tu devrais avoir honte de jouer ce mauvais tour à ton père. Il est fou d'inquiétude et il vient même de contacter la police. — C'est malin... maugréa Jimmy. — Et toi, reprit Alice à l'attention du garçon, que fais-tu ici, pour commencer ? Ne me dis pas que Joanne t'a invité à son mariage... » Leurs yeux rivés sur un tronc d'arbre, Amy et le jeune Asiatique s'obstinaient à garder le silence. 193
Comprenant qu'elle n'obtiendrait rien par l'intimidation, la jeune détective reprit d'une voix plus posée : « Amy, sois gentille. Dis-moi ce qui se passe. Et que contient ce sac ? » Elle crut un instant que la petite fille allait se décider à parler, mais quelques mots prononcés en vietnamien par Jimmy l'en dissuadèrent. Pour toute réponse, Amy serra la pochette contre son cœur. « Je vais vous dire, moi, ce que contient ce sac. » La voix inconnue et caverneuse glaça la jeune détective d'effroi. « C'est l'objet que vous recherchez en vain depuis le début... » Alice fit volte-face pour voir qui était son mystérieux interlocuteur. Mais, plus prompt qu'elle, l'individu lui plaqua une main sur la bouche et, de l'autre, brandit un couteau à hauteur de sa gorge. « Amy est en possession du tigre de jade, annonça l'inquiétant personnage. Mais pas pour longtemps ! Elle va me le remettre immédiatement, sinon... adieu, Alice Roy ! »
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XVI Le fin mot de l'histoire Le contact glacé de la lame sur sa gorge paralysait Alice. Mais son esprit, lui, fonctionnait à cent à l'heure : l'identité de son agresseur n'était pas difficile à deviner. Ce ne pouvait être que Malcolm Elgar... « Amy, il ne plaisante pas, souffla Jimmy. Donne-lui le sac. » Alice vit les yeux de la petite fille s'agrandir sous l'effet de la terreur et ses membres furent pris d'un tremblement nerveux. La jeune détective ne fut pas longue à en comprendre la raison : Amy avait reconnu en Elgar l'homme qui l'avait kidnappée... « Alors, ça vient ? reprit la voix menaçante. — Amy ! implora Jimmy. Donne-le-lui tout de suite ! » D'un geste d'automate, la petite fille tendit le sac de papier. Aussitôt, une main gantée s'en empara. Mais Alice ne fut pas libérée pour autant. « Maintenant, voici ce qui va se passer, expliqua Elgar. Vous deux, les gamins, vous allez rejoindre les autres invités du mariage. Mais pas un mot à quiconque de ce qui vient de se passer, hein ? D'ailleurs, c'est bien simple : il ne s'est rien passé et vous ne m'avez jamais vu. Compris ? 195
— Non ! protesta bravement Amy. Ne comptez pas sur nous pour vous couvrir ! — Oh... mais si, je compte sur vous ! rétorqua finement l'ignoble individu. Car, voyez-vous, je garde Mlle Roy en otage. Si vous ouvrez la bouche, ou si je suspecte que la police est à mes trousses, c'en sera fini de votre jeune amie. Mais je suis sûr que tout se passera bien. Car vous souhaitez la revoir vivante, n'est-ce pas ? Ha, ha, ha ! » Comme les deux enfants restaient muets et pétrifiés, Malcolm Elgar accentua la pression du couteau contre la gorge d'Alice. « A vous de parler, mademoiselle. Faites-leur comprendre qu'ils ont tout intérêt à se taire. » Faisant mine de fléchir sous la menace, la jeune fille se composa une voix blême. « F... Faites comme il a dit. » Mais, dans le même temps, elle enfonça son talon dans le pied d'Elgar, lui arrachant un cri de douleur. Puis, profitant de l'effet de surprise, elle parvint à échapper à l'étreinte de son agresseur. « Fuyez ! » lança-t-elle à Jimmy et Amy. En écho, le jeune Asiatique prononça quelques mots de vietnamien et les deux enfants prirent leurs jambes à leur cou, chacun dans une direction opposée. Bon réflexe, songea Alice. Ainsi, Elgar aurait plus de mal à les neutraliser. 196
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Soulagée de savoir ses deux cadets hors de danger, elle se mit à courir elle aussi. Mais ses hauts talons, qui lui avaient permis d'écraser le pied d'Edgar, ralentissaient maintenant sa progression. Pour ne pas risquer de se tordre la cheville, elle ôta ses souliers. Par chance, Elgar n'avançait pas vite non plus. Son pied meurtri devait le faire souffrir, car il boitait lourdement. Pourtant, il gagnait peu à peu du terrain sur la jeune fille... Un caillou caché sous les herbes la déstabilisa ; elle chancela et tomba à terre. Affolée, elle vit son poursuivant s'avancer vers elle, la lame du couteau étincelant sous le soleil. « Vous allez regretter ce que vous avez fait », siffla-t-il entre ses dents. La gorge nouée par la peur, Alice parvint à se relever. Pour ne pas offrir son dos au dangereux criminel, elle avança à reculons en direction de la grange. « Pas par là ! gronda l'homme. Vers l'océan ! Quelque chose me dit que vous allez faire une chute accidentelle — et mortelle — par-dessus la falaise...» Lentement, Alice modifia son orientation, sans quitter Malcolm Elgar des yeux. « Terry a appelé la police il y a une demi-heure, lui dit-elle froidement. Vous serez déjà accusé d'incendie volontaire, de vol et de kidnapping. Vous 198
tenez vraiment à ajouter un meurtre à cette triste liste? » Alice lut dans le regard de l'homme la surprise, puis la fureur. Ses paroles l'avaient-elles impressionné à ce point... ou était-il perturbé par autre chose ? « Cela fait longtemps que le meurtre figure sur la liste de ses méfaits ! » Alice reconnut la voix de Nick Finney, puis sentit la main de l'ancien G.I. se poser sur son bras. Elle vit aussi qu'il portait une arme, dont le canon était pointé sur Elgar. « Retourne à la fête, lui conseilla Nick. Je veux régler cette affaire en tête à tête avec cette canaille. — Quelles sont vos intentions ? interrogea la jeune détective, un peu anxieuse. — Tant que mon vieux camarade ici présent se tiendra tranquille, il ne lui arrivera rien. Mais si... — Ne compte pas sur moi pour renoncer, le coupa Elgar avec un sang-froid étonnant. Je te préviens, Finney : tu vas devoir me tuer ! » Avisant le bandage au niveau du genou de Nick, il esquissa un sourire méprisant. « Tu te crois vraiment de taille à m'affronter ? » Entendant des bruits de pas derrière elle, Alice fit volte-face. Terry Kirkland accourait dans leur direction, escorté de trois policiers...
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Alice goûta une bouchée de la pièce montée. « Délicieux, fit-elle pour complimenter Joanne. — Merci à vous trois, répondit la jeune mariée à l'attention d'Alice, Bess et Marion. — La cérémonie vous a plu ? » demanda Keith. Alice afficha un large sourire. « C'est certainement le mariage le plus original auquel j'ai jamais assisté. » Elle admira le kimono blanc de son amie. « Et ta robe de mariée... une vraie splendeur ! » Joanne souleva un bras, déployant une ample manche brodée. « Tout a été conforme à mes rêves. A part l'épisode Malcolm Elgar... Tout est arrangé, maintenant ? — Je l'espère, répondit Alice. Il a été arrêté par la police. Nick aussi, d'ailleurs, car il était en possession d'une arme. Quand Terry a découvert que le sachet de kraft contenait le tigre de jade, il a remmené Amy et Jimmy chez lui pour éclaircir ce mystère. — Et où se trouve le tigre, actuellement ? — Au commissariat. Mais ne parlons plus de ça. Nous avons bien mérité de faire un peu la fête, qu'en dites-vous ? — Excellente idée ! approuva Bess. Allons danser ! » « C'est vraiment sympa de la part de Terry de nous avoir invitées à rester une semaine de plus, dit 200
Bess tandis que les trois amies remontaient de la plage. — Nous allons enfin pouvoir profiter de Cherry Creek, approuva Alice. Sans avoir à nous casser la tête sur une affaire inextricable. — C'est toi qui dis ça ? s'étonna Marion. Mais sans une enquête à te mettre sous la dent, tu dépéris!» La jeune détective éclata de rire. « Pour une semaine, je suis ravie de faire une exception. Un peu de randonnée, baignades et vélo. Voilà un programme qui me convient ! Et pourquoi pas quelques bains de boue ? ajouta-t-elle avec malice à l'attention de Bess. Cela dit, il nous reste certains petits points obscurs à éclaircir. » En arrivant à proximité de la maison, elles aperçurent une voiture blanche garée devant. « Voilà peut-être la lumière que j'attendais », murmura la jeune détective. Dans le salon, elles trouvèrent Terry en compagnie de Nick. « Asseyez-vous, offrit l'artiste aux trois arrivantes. J'allais justement servir de la limonade et des cookies pour fêter l'événement. — Quel événement ? s'enquit Bess. — La police renonce à toute poursuite à mon encontre, expliqua Nick en souriant. Et Elgar a été inculpé pour toutes les raisons que j'avais pressenties — plus le trafic d'armes. Voilà comment il a gagné sa 201
vie après la guerre : en vendant des fusils américains dans toute l'Asie du Sud-Est. — Quel charmant personnage ! ironisa Marion. — Pour ma part, poursuivit Finney, je me suis rendu compte en revenant ici que la Californie m'avait manqué. J'ai donc décidé de m'y installer de nouveau et je cherche un logement à louer. — Où habitez-vous depuis votre retour ? demanda Bess. — Dans un motel. — Et Elgar ? fit Marion. — Il campait dans les bois qui m'appartiennent, répondit Terry. — Pas gêné ! s'indigna Alice. C'est donc lui qui m'espionnait, quand j'ai monté la garde. — Comment se fait-il que nous ne l'ayons jamais vu ? s'étonna Marion. — N'oublie pas, fit Nick, que cet homme s'est caché dans la jungle vietnamienne pendant des années et a réussi à échapper à l'armée américaine ! Après cela, une petite forêt de séquoias, c'était du gâteau pour lui ! — Parlant de gâteau, ceux-ci sont exquis... fit Bess en mordant dans un cookie. Mais il reste un point que je n'arrive pas à m'expliquer. Pourquoi cet Elgar a-t-il continué à harceler Terry une fois qu'il avait volé la malle et revendu la statuette ? 202
— J'ai ma petite idée sur la question, répondit Nick. Il devait se douter que je suivrais sa piste et donc que j'aboutirais un jour ou l'autre chez Terry. Alors il m'a attendu. Mais il s'est rendu compte qu'il avait été repéré par Alice, alors il a tout fait pour la décourager. Comme ça ne fonctionnait pas, il a décidé d'intimider Terry. » Alice frissonna. « En tout cas, je suis bien contente de le savoir sous les verrous. Un instant, j'ai cru que ce serait moi! Quand l'inspecteur Brower a téléphoné pour m'annoncer qu'il n'aurait plus besoin de m'interroger, je l'aurais presque embrassé ! J'ai aussitôt appelé Alison Sayers pour la prévenir. — Tout cela ne nous dit pas qui a dérobé le tigre de jade à la galerie... » soupira Marion. Terry se leva. « Pour ça, il nous faudra attendre qu'Amy rentre de l'école. » Alice finissait de dresser la table lorsqu'elle reconnut le bruit d'un VTT. Intriguée, elle approcha de la fenêtre. « C'est Jimmy. » Amy, qui disposait des fleurs dans un vase, ne parut pas surprise. « Je sais. Mon père l'a invité. — Et il a accepté ? Je croyais que Jimmy se méfiait des adultes... » 203
Terry entra dans la pièce et déposa un lourd saladier sur la table. « C'est exact. Mais les événements d'hier l'ont secoué. Je crois qu'il veut éclaircir certains points avec nous. » On frappa trois coups à la porte et Terry alla ouvrir. Il revint escorté de Jimmy, qui salua timidement l'assemblée. « Détends-toi, lui fit Terry d'un air paternel. Nous allons dîner tranquillement et nous discuterons ensuite. » Nick, qui était sorti faire une course, revint quelques minutes plus tard et ils passèrent à table. D'abord tendu, Jimmy se décontracta peu à peu. Puis Terry alluma un feu et tous formèrent un cercle autour de la cheminée. « Amy, commença l'hôte des lieux, je crois que j'exprime l'opinion générale en te demandant comment tu es entrée en possession du tigre hier, au mariage. Parle, nous t'écoutons. » La petite fille inspira une grande bouffée d'air. « Voilà. Nous savons tous que Malcolm Elgar a volé le coffre et que le tigre était caché à l'intérieur. C'est Jimmy qui a compris le premier qu'Elgar était notre cambrioleur. — Qu'est-ce qui t'a mis sur la voie ? » demanda Bess à l'adolescent.
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Celui-ci haussa les épaules puis se décida à parler: « Ça fait un petit moment, maintenant, que je fréquente la galerie de mon oncle. Je sais reconnaître les vrais collectionneurs. Quand Elgar est venu, il m'a tout de suite semblé louche. Il ne s'est pas intéressé aux vitrines, mais paraissait sur des charbons ardents. Plus tard, j'ai évoqué sa visite devant mon oncle, mais celui-ci a vite changé de sujet. Il a quand même admis que la statuette provenait "sans doute" du pillage d'un temple. Naturellement, il n'aurait jamais avoué cela à un inconnu. Les galeries ne sont pas censées vendre de la marchandise volée... mais oncle Binh n'est pas toujours très pointilleux sur les origines des œuvres d'art qu'il expose. — Et puis, ajouta Amy, Jimmy savait que la malle avait été volée chez nous. » Pour la première fois, le jeune Asiatique afficha un grand sourire. « C'est vrai. Mais on en a parlé, avec Amy. Et, comme moi, elle pense que cette statue devrait retourner là d'où elle vient, c'est-à-dire au Vietnam. » Soudain, Alice comprit le fin mot de l'histoire. « C'est toi qui as volé le tigre à ton oncle ! — Ça n'a pas été très compliqué, expliqua le garçon. Je savais comment débrancher le système d'alarme de la galerie. » Amy se tourna vers Alice, un peu gênée. 205
« Je ne pouvais rien te dire... Je savais que c'était Jimmy qui détenait le tigre de jade, mais j'avais promis de garder le secret. Tu me pardonnes ? — Nous reparlerons de ça plus tard, rétorqua son père. Continue, Jimmy. — Quand mon oncle a alerté la police et que les recherches ont commencé, j'ai réalisé que je ne pouvais pas garder la statue. Alors j'ai appelé Arny et je lui ai demandé de la cacher quelque part, le temps que je trouve le moyen d'expédier le tigre dans un temple du Vietnam. — Malheureusement, enchaîna Terry, Jimmy n'a pu joindre Amy qu'avant-hier soir. Comme il était très pressé de lui confier la statuette, Amy a proposé qu'ils se retrouvent au mariage. Elle s'imaginait qu'elle pourrait s'éclipser de la cérémonie, récupérer le tigre et le cacher dans l'Espace sans que personne se rende compte de rien. — C'était compter sans Malcolm Elgar, poursuivit Alice. Et sans Terry et moi. » Jimmy devint rouge de confusion. « Notre plan n'était pas très au point, c'est vrai. Si j'avais su quel danger j'allais vous faire courir... — Que pense ton oncle de tout ça ? demanda Marion. — En apprenant que la police conservait le tigre comme preuve à conviction, il a été rudement secoué. Il a juré à l'inspecteur qu'il ignorait que la statuette 206
était une marchandise volée et il a immédiatement interrompu les négociations avec l'acheteur potentiel. Il a même proposé de verser une somme équivalant à la valeur du tigre au bénéfice d'une organisation humanitaire qui aide les réfugiés vietnamiens. — Et toi ? interrogea Alice. J'ai l'impression que tu n'es pas très heureux chez ton oncle. » Jimmy haussa les épaules. « C'est vrai. Mais la police l'a à l'œil, en ce moment. Il va faire tout son possible pour prouver qu'il est un citoyen honnête et respectable. Ça veut dire aussi qu'il va devoir mieux me traiter. — Et tu sais que tu peux toujours venir ici en cas de problème, le rassura Terry. — Je me demande si le tigre retournera un jour au Vietnam... fit Alice, songeuse. —Je n'en sais rien, admit Terry en souriant. Mais il a déjà beaucoup voyagé : d'un temple vietnamien à cette maison, d'une galerie d'art prestigieuse à une grange... Et maintenant dans un commissariat de police ! Laissons-lui un peu de temps et je suis sûr que cet animal saura retrouver le chemin de sa patrie. » Puis il se tourna vers sa fille et lui lança un regard énigmatique. « Alors... toujours décidée à devenir détective ? » Amy réfléchit longuement avant de répondre : « C'est un beau métier... mais, finalement, je ne crois pas que j'essaierai de détrôner Alice ! » 207
Alice Roy Alice Roy est l'héroïne des livres suivants : (ordre de sortie en Amérique) 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. 28. 29. 30. 31. 32. 33. 34. 35. 36. 37. 38. 39. 40. 41. 42. 43. 44. 45.
Alice détective Alice au manoir hanté Alice au camp des biches Alice et les diamants Alice au ranch Alice et les faux monnayeurs Alice et le carnet vert Quand Alice rencontre Alice Alice et le chandelier Alice et le pigeon voyageur Alice et le médaillon d'or Alice au Canada Alice et le talisman d'ivoire Alice et la statue qui parle Alice et les contrebandiers Alice et les chats persans Alice et la malle mystérieuse
(The secret of old dock) 1930 1959 (The hidden staircase) 1930 (The bungalow mystery) 1930 (The mystery at Lilac inn) 1930 (The secret at shadow ranch) 1931 (The secret of red gate farm) 1931 (The due in the diary) 1932 (Nancy's mysterious letter) 1932 (The sign of the twisted candle) 1933 (The password to larkspur Lane )1933 (The due of the broken locket) 1934 (The message in the hollow oak) 1935 (The mystery of the ivory charm) 1936 (The whispering statue) 1937 (The haunted bridge) 1937 (The due of the tapping heels) 1939 (Mystery of the brass bound trunk) 1940
Alice et l'ombre chinoise
(The mystery at the moss-covered mansion) 1941
Alice dans l'île au trésor Alice et le pickpocket Alice et le clavecin Alice et la pantoufle d'hermine Alice et le fantôme Alice et le violon tzigane Alice et l'esprit frappeur Alice et le vase de chine Alice et le corsaire Alice et les trois clefs Alice et le vison Alice au bal masqué Alice écuyère Alice et les chaussons rouges Alice et le tiroir secret Alice et les plumes de paon Alice et le flibustier Alice aux îles Hawaïf Alice et la diligence Alice et le dragon de feu Alice et les marionettes Alice et la pierre d'onyx Alice en Ecosse Alice et le diadème Alice à Paris Alice chez les Incas Alice en safari
(The Quest of the Missing Map) 1942 (The due in the jewel box) 1943 (The secret in the Old Attic) 1944 (The due in the crumbling wall) 1945 (The mystery of the tolling bell) 1946 (The due in the old album) 1947 (The ghost of blackwood hall) 1948 (The due of the leaning chimney) 1949 (The secret of the wooden lady) 1950 (The due of the black keys) 1951 (The mystery at the ski jump) 1952 (The due of the velvet mask) 1953 (The ringmaster's secret) 1953 (The scarlet slipper mystery) 1954 (The witch-tree symbol) 1955 (The hidden window mystery) 1956 (The haunted show boat) 1957 (The secret of golden pavilion) 1959 (The due in the old stage-coach) 1960 (The mystery of the fire dragon) 1961 (The due of the dancing puppet) 1962 (The moonstone castle mystery) 1963 (The due of the whistling bagpipes) 1964 (The phantom of pine hall) 1965 (The mystery of the 99 steps) 1966 (The due in the crossword cipher) 1967 (The spider sapphire mystery) 1968
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46. 47. 48. 49. 50. 51. 52. 53. 54. 55. 56. 57. 58. 59. 60. 61. 62. 63. 64. 65. 66. 67. 68. 69. 70. 71. 72. 73. 74. 75. 76. 77. 78. 79. 80. 81. 82. 83. 84. 85. 86. 87.
Alice et le mannequin Alice et la fusée spatiale Alice au concours hippique Alice et le robot Alice et la dame du lac Alice et l'œil électronique Alice à la réserve des oiseaux Alice et la rivière souterraine Alice et l'avion fantôme
(The mysterious mannequin) 1970 (Mystery of the moss-covered mansion) 1971 (The missing horse) 1971 (The crooked banister) 1971 (The secret of mirror bay) 1972 (Mystery of the glowing eye) 1974 (The double jinx mystery) 1973 (The secret of the forgotten city) 1975 (The sky phantom) 1976
Alice et le secret du parchemin
(The strange message in the parchment) 1977
Alice et les magiciens Alice et le secret de la vieille dentelle Alice et la soucoupe volante
(The triple hoax) 1979 (The secret in the old lace) 1980 (The flying saucer mystery) 1980
Alice et les Hardy Boys super-détectives
(Nancy Drew and Hardy Boys super sleuths)1980
Alice chez le grand couturier Alice et la bague du gourou Alice et la poupée indienne Alice et le symbole grec Alice et le témoin prisonnier Alice à Venise Alice et le mauvais présage Alice et le cheval volé Alice et l'ancre brisée Alice au canyon des brumes Alice et le valet de pique Alice chez les stars Alice et la mémoire perdue Alice et le fantôme de la crique Alice et les cerveaux en péril Alice et l'architecte diabolique Alice millionnaire Alice et les félins Alice à la tanière des ours Alice et le mystère du lac Tahoe Alice et le tigre de jade Alice et les collectionneurs Alice et les quatre tableaux Alice en Arizona Alice et les quatre mariages Alice et la gazelle verte Alice et les bébés pumas Alice et la dame à la lanterne
(The twin dilemma) 1981 (The swami's ring) 1981 (The kachina doll mystery) 1981 (The greek symbol mystery) 1981 (The captive witness) 1981 (Mystery of the winged lion) 1982 (The sinister omen) 1982 (Race against time) 1982 (The broken anchor) 1983 (The mystery of misty canyon) 1988 (The joker's revange) 1988 (The case of the rising stars) 1989 (The girl who couldn't remember) 1989 (The ghost of craven cove) 1989 (The search for Cindy Austin) 1989 (The silent suspect) 1990 (The mistery of missing millionaires) 1991 (The search for the silver persian) 1993 (The case of the twin teddy bears) 1993 (Trouble at Lake Tahoe) 1994 (The mystery of the jade tiger) 1995 (The riddle in the rare book) 1995 (The case of the artful crime) 1996 (The secret at solaire) 1996 (The wedding day mistery) 1997 (The riddle of ruby gazelle) 1997 (The wild cat crime) 1998 (The ghost of the lantern lady) 1998
3 Autres non classés La chambre secrète : les enquêtes de Nancy Drive 1985 Le fantôme de Venise : les enquêtes de Nancy Drive 1985 Sortilèges esquimaux : les enquêtes de Nancy Drive 1985 (tiré d'une série dérivée en France)*
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Noms originaux En version originale,
Alice Roy = Nancy Drew ; Bess Taylor = Bess Marvin ; Marion Webb = Georgia "George" Fayne ; Ned Nickerson = Ned Nickerson ; Daniel Evans = Dave Evans ; Bob Eddelton = Burt Eddelton ; James Roy = Carson Drew ; Sarah Berny = Hannah Gruen ; Cécile Roy = Eloise Drew. Commissaire Stevenson = Commissaire McGinnis
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Alice Roy Alice Roy est l'héroïne des livres suivants : (ordre alhabétique)
1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. 28. 29. 30. 31. 32. 33. 34. 35. 36. 37. 38. 39. 40. 41. 42. 43. 44.
Alice à la réserve des oiseaux Alice à la tanière des ours Alice à Paris Alice à Venise Alice au bal masqué Alice au camp des biches Alice au Canada Alice au canyon des brumes Alice au concours hippique Alice au manoir hanté Alice au ranch Alice aux îles Hawaï Alice chez le grand couturier Alice chez les Incas Alice chez les stars Alice dans l'île au trésor Alice détective Alice écuyère Alice en Arizona Alice en Ecosse Alice en safari Alice et la bague du gourou Alice et la dame à la lanterne Alice et la dame du lac Alice et la diligence Alice et la fusée spatiale Alice et la gazelle verte Alice et la malle mystérieuse Alice et la mémoire perdue Alice et la pantoufle d'hermine Alice et la pierre d'onyx Alice et la poupée indienne Alice et la rivière souterraine Alice et la soucoupe volante Alice et la statue qui parle Alice et l'ancre brisée Alice et l'architecte diabolique Alice et l'avion fantôme Alice et le carnet vert Alice et le chandelier Alice et le cheval volé Alice et le clavecin Alice et le corsaire Alice et le diadème
(The double jinx mystery) 1973 (The case of the twin teddy bears) 1993 (The mystery of the 99 steps) 1966 (Mystery of the winged lion) 1982 (The due of the velvet mask) 1953 (The bungalow mystery) 1930 (The message in the hollow oak) 1935 (The mystery of misty canyon) 1988 (The missing horse) 1971 (The hidden staircase) 1930 (The secret at shadow ranch) 1931 (The secret of golden pavilion) 1959 (The twin dilemma) 1981 (The due in the crossword cipher) 1967 (The case of the rising stars) 1989 (The Quest of the Missing Map) 1942 (The secret of old dock) 1930 1959 (The ringmaster's secret) 1953 (The secret at solaire) 1996 (The due of the whistling bagpipes) 1964 (The spider sapphire mystery) 1968 (The swami's ring) 1981 (The ghost of the lantern lady) 1998 (The secret of mirror bay) 1972 (The due in the old stage-coach) 1960 (Mystery of the moss-covered mansion) 1971 (The riddle of ruby gazelle) 1997 (Mystery of the brass bound trunk) 1940 (The girl who couldn't remember) 1989 (The due in the crumbling wall) 1945 (The moonstone castle mystery) 1963 (The kachina doll mystery) 1981 (The secret of the forgotten city) 1975 (The flying saucer mystery) 1980 (The whispering statue) 1937 (The broken anchor) 1983 (The silent suspect) 1990 (The sky phantom) 1976 (The due in the diary) 1932 (The sign of the twisted candle) 1933 (Race against time) 1982 (The secret in the Old Attic) 1944 (The secret of the wooden lady) 1950 (The phantom of pine hall) 1965
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45. 46. 47. 48. 49. 50. 51. 52. 53. 54. 55. 56.
Alice et le dragon de feu Alice et le fantôme Alice et le fantôme de la crique Alice et le flibustier Alice et le mannequin Alice et le mauvais présage Alice et le médaillon d'or Alice et le mystère du lac Tahoe Alice et le pickpocket Alice et le pigeon voyageur Alice et le robot Alice et le secret de la vieille dentelle
(The mystery of the fire dragon) 1961 (The mystery of the tolling bell) 1946 (The ghost of craven cove) 1989 (The haunted show boat) 1957 (The mysterious mannequin) 1970 (The sinister omen) 1982 (The due of the broken locket) 1934 (Trouble at Lake Tahoe) 1994 (The due in the jewel box) 1943 (The password to larkspur Lane )1933 (The crooked banister) 1971 (The secret in the old lace) 1980
57. Alice et le secret du parchemin
(The strange message in the parchment) 1977
58. 59. 60. 61. 62. 63. 64. 65. 66. 67. 68. 69. 70. 71. 72. 73. 74. 75.
(The greek symbol mystery) 1981 (The mystery of the ivory charm) 1936 (The captive witness) 1981 (The mystery of the jade tiger) 1995 (The witch-tree symbol) 1955 (The joker's revange) 1988 (The due of the leaning chimney) 1949 (The due in the old album) 1947 (The mystery at the ski jump) 1952 (The wild cat crime) 1998 (The search for Cindy Austin) 1989 (The due of the tapping heels) 1939 (The scarlet slipper mystery) 1954 (The riddle in the rare book) 1995 (The haunted bridge) 1937 (The mystery at Lilac inn) 1930 (The secret of red gate farm) 1931 (The search for the silver persian) 1993
Alice et le symbole grec Alice et le talisman d'ivoire Alice et le témoin prisonnier Alice et le tigre de jade Alice et le tiroir secret Alice et le valet de pique Alice et le vase de chine Alice et le violon tzigane Alice et le vison Alice et les bébés pumas Alice et les cerveaux en péril Alice et les chats persans Alice et les chaussons rouges Alice et les collectionneurs Alice et les contrebandiers Alice et les diamants Alice et les faux monnayeurs Alice et les félins
76. Alice et les Hardy Boys super-détectives
(Nancy Drew and Hardy Boys super sleuths)1980
77. 78. 79. 80. 81. 82. 83. 84.
(The triple hoax) 1979 (The due of the dancing puppet) 1962 (The hidden window mystery) 1956 (The wedding day mistery) 1997 (The case of the artful crime) 1996 (The due of the black keys) 1951 (The ghost of blackwood hall) 1948 (Mystery of the glowing eye) 1974
Alice et les magiciens Alice et les marionettes Alice et les plumes de paon Alice et les quatre mariages Alice et les quatre tableaux Alice et les trois clefs Alice et l'esprit frappeur Alice et l'œil électronique
85. Alice et l'ombre chinoise
(The mystery at the moss-covered mansion) 1941
86. Alice millionnaire 87. Quand Alice rencontre Alice
(The mistery of missing millionaires) 1991 (Nancy's mysterious letter) 1932
3 Autres non classés La chambre secrète : les enquêtes de Nancy Drive 1985 Le fantôme de Venise : les enquêtes de Nancy Drive 1985 Sortilèges esquimaux : les enquêtes de Nancy Drive 1985 (tiré d'une série dérivée en France)*
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Noms originaux En version originale,
Alice Roy = Nancy Drew ; Bess Taylor = Bess Marvin ; Marion Webb = Georgia "George" Fayne ; Ned Nickerson = Ned Nickerson ; Daniel Evans = Dave Evans ; Bob Eddelton = Burt Eddelton ; James Roy = Carson Drew ; Sarah Berny = Hannah Gruen ; Cécile Roy = Eloise Drew. Commissaire Stevenson = Commissaire McGinnis
213
Alice Roy IDEAL BIBLIOTHEQUE (ordre de sortie ) 1. 264. Alice et le dragon de feu 1964 2. 282. Alice et les plumes de paon 1965 3. 286. Alice au Canada 1965 4. 291. Alice au bal masqué 1965 5. 296. Alice en Ecosse 1966 6. 306. Alice et les chats persans 1966 7. 314. Alice écuyère 1966 8. 323. Alice et la statue qui parle 1967 9. 327. Alice au camp des biches 1967 10.340. Alice à Paris 1968 11.350. Quand Alice rencontre Alice 1969 12.355. Alice et le corsaire 1969 13.365. Alice et la pierre d'onyx 1970 14.357. Alice et le fantôme 1970 15.375. Alice au ranch 1971 16.Alice et le chandelier 1971 17.Alice aux Iles Hawaï 1972 18.Alice et les diamants 1972 19.Alice détective 1973 20.Alice et le médaillon d’or 1973 21.Alice et les contrebandiers 1973 22.Alice et les chaussons rouges 1975 23.Alice et les trois clefs 1975 24.Alice et le pickpocket 1976 25.Alice et le vison 1976 26.Alice et le flibustier 1977 27.Alice et le mannequin 1977 28.Alice et la pantoufle d’hermine 1978 29.Alice et le carnet vert 1978 30.Alice et le tiroir secret 1979 31.Alice dans l’ile au trésor 1979 32.Alice et le pigeon voyageur 1980 33.Alice et le talisman d'ivoire 1980 34.Alice au manoir hanté 1981 (liste à compléter) 214
Alice Roy IDEAL BIBLIOTHEQUE (ordre de sortie ) 1. 2. 3. 4. 5. 6.
Alice à Paris no 340 1968 Alice au bal masqué no 291 1965 Alice au camp des biches no 327 1967 Alice au Canada no 286 1965 Alice au manoir hanté 1981 Alice au ranch no 3751971 7. Alice aux Iles Hawaï 1972 8. Alice dans l’ile au trésor 1979 9. Alice détective 1973 10.Alice écuyère no 314 1966 11.Alice en Ecosse no 296 1966 12.Alice et la pantoufle d’hermine 1978 13.Alice et la pierre d'onyx no 365 1970 14.Alice et la statue qui parle no 323 1967 15.Alice et le carnet vert 1978 16.Alice et le chandelier 1971 17.Alice et le corsaire no 355 1969 18.Alice et le dragon de feu no 364 1964 19.Alice et le fantôme no 357 1970 20.Alice et le flibustier 1977 21.Alice et le mannequin 1977 22.Alice et le médaillon d’or 1973 23.Alice et le pickpocket 1976 24.Alice et le pigeon voyageur 1980 25.Alice et le talisman d'ivoire 1980 26.Alice et le tiroir secret 1979 27.Alice et le vison 1976 28.Alice et les chats persans no 306 1966 29.Alice et les chaussons rouges 1975 30.Alice et les contrebandiers 1973 31.Alice et les diamants 1972 32.Alice et les plumes de paon no 282 1965 33.Alice et les trois clefs 1975 34.Quand Alice rencontre Alice no 350 1969 (liste à compléter 215
216
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