Caroline Quine Alice Roy 43 IB Alice à Paris 1965.doc

August 11, 2017 | Author: SaurinYanick | Category: Nancy Drew
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ALICE A PARIS par CAROLINE QUINE. * «C’EST trop beau pour être vrai! Voir Paris! » Marion et Bess n'en croient pas leurs oreilles : Alice, la jeune détective américaine, veut les emmener en France pour y chercher la clef de deux mystères. Jamais les trois amies ne s'étaient lancées dans une pareille aventure. Perdues dans le labyrinthe des rues parisiennes, arpentant les routes du val de Loire, elles se savent menacées par des ennemis invisibles, mais toujours présents. Rien, cependant, ne peut décourager Alice. Une femme qui souffre, un homme terrorisé ont besoin de son aide. Un nouvel obstacle se dresse, un danger imprévisible sur le chemin des trois jeunes filles. Marion tremble. « Alice! implore Bess. Je t'en supplie, n'allons pas plus loin! »

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ALICE A PARIS

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CAROLINE QUINE

ALICE A PARIS TEXTE FRANÇAIS D'ANNE JOBA ILLUSTRATIONS D'ALBERT CHAZELLE

HACHETTE

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L'ÉDITION ORIGINALE DE CET OUVRAGE A PARU EN LANGUE ANGLAISE CHEZ GROSSET & DUNLAP, NEW YORK, SOUS LE TITRE

:

THE MYSTERY OF THE 99 STEPS

©GROSSET & DUNLAP, INC, 1966, © Librairie Hachette, 1967. Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.

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TABLE I. II. III. IV. V. VI. VII. VIII. IX. X. XI. XII. XIII. XIV. XV. XVI. XVII. XVIII. XIX. XX.

UN PILOTE IMPRUDENT A L'AERODROME LE LION VERT UNE NUIT MOUVEMENTEE CURIEUSES EMPREINTES ! DOUBLE PRISE POURSUITE DANS UNE VILLE INCONNUE DETECTIVES EN ROBE DU SOIR ATTAQJJE NOCTURNE UN DEPLAISANT PERSONNAGE UN PEU DE TOURISME L'AVERTISSEMENT DU LION ROUGE UNE GOUVERNANTE SUSPECTE L'ETONNANT NOMBRE 9 L'OR VOLE! SUIVIES CHEVALIER EN ARMURE LE LABORATOIRE SECRET STRATEGIE AUDACIEUSE DES AVEUX IMPREVUS

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CHAPITRE PREMIER UN PILOTE IMPRUDENT ALICE! C'est trop beau pour être vrai! s'écria Marion au téléphone. Ton père propose de nous emmener, Bess et moi, en France avec vous? » La grande amie d'Alice Roy, la sportive, l'intrépide Marion, ne parvenait pas à en croire ses oreilles. Voir Paris ! « Mais oui! affirma Alice. Calme-toi, je t'en prie : ce voyage ne sera pas de tout repos. Papa espère que vous nous aiderez à élucider deux mystères. — Deux mystères ? — Oui. Venez donc dîner à la maison ce soir, je vous donnerai de plus amples détails. — Oh ! Impossible d'attendre aussi longtemps. La curiosité me ronge. Sois gentille, mets-moi au moins sur la voie. » Alice ROY, la jeune détective aux boucles d'or, éclata de rire.

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« Le mystère dont je m'occupe débute par un cauchemar. — Un cauchemar! Bah! avec toi, rien ne m'étonne. Et celui que ton père est, je suppose, chargé d'élucider? — Ultra-confidentiel. Interdit d'en parler au téléphone, répondit Alice. Soyez ici, toutes les deux, à cinq heures. Nous discuterons de cela avant de nous mettre à table. Au revoir, je vais téléphoner tout de suite à Bess. » Bess Taylor et Marion Webb étaient cousines. Elles avaient dixhuit ans, comme Alice avec qui elles formaient depuis l'enfance un trio inséparable. Bess était blonde, rosé, très féminine, un peu trop replète à son gré et, quand elle souriait, deux: fossettes creusaient ses joues pleines. Marion, elle, était brune, mince et musclée; elle portait les cheveux coupés très court et affectait des allures garçonnières. Elles arrivèrent ponctuellement à cinq heures. « Nous avons la permission de partir pour la France, Alice, annonça aussitôt Bess. Mais, s'il te plaît, ne m'entraîne pas dans des situations aussi périlleuses que les autres fois. » Alice lui fit une grimace et la prit affectueusement par la. taille. « Je ne promets rien, mais... — Il est évident que tu ne peux pas t'y engager, intervint Marion. D'ailleurs, n'est-ce pas le risque qui donne tout son piment à ton métier? Maintenant, raconte-nous ce qu'il en est. » Les trois amies entrèrent au salon où flambait un bon feu de sarments. Le mois de juin était très froid cette année-là. Bess et Marion prirent place dans de confortables fauteuils, tandis qu'Alice restait debout, le dos à la cheminée. Ses jolis yeux bleus pétillaient de joie. « Allons, commence! insista Marion. A en juger d'après ton expression, il ne faudra pas perdre une minute pour résoudre ces énigmes. — Comment l'as-tu deviné? dit Alice. Tu as raison. Papa est déjà au travail, à Paris. Nous devons le retrouver à son hôtel, ensuite nous nous rendrons toutes les trois dans un grand château, situé en pleine campagne.

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— Un vrai château! s'exclama Bess éberluée. — Ce n'est pas tout, poursuivit Alice avec le sourire. Ce soir, nous recevons à dîner deux jeunes filles qui, d'ordinaire, vivent dans ce château. — C'est elles qui nous y accueilleront? demanda Bess. — Non. Elles vont séjourner quelques semaines dans notre pays et habiteront ici même. En échange, vous et moi, nous serons reçues par leurs parents. — Comment s'appellent-elles? voulut savoir Marion. — Catherine et Monique Tardy. » Alice expliqua à ses amies que l'arrangement avait été conclu entre son père et une tante des Tardy, Mme Blair. M. James Roy était un avoué en renom à qui l'on confiait souvent des cas très difficiles à résoudre. Une grande affection l'unissait à sa fille, orpheline de mère depuis l'âge de trois ans et que, très tôt, il avait initiée à ses affaires. a La tante de Catherine et Monique Tardy, sœur aînée de leur mère, habite à River City, reprit Alice. Elles sont descendues chez elle. Mais son appartement est trop petit pour recevoir des invitées. Mme Blair est le personnage central de mon « mystère ». C'est-à-dire qu'elle m'a confié le soin de trouver l'origine d'un cauchemar qui la trouble depuis quelque temps. » Alice s'écarta de la cheminée. « Vous connaissez toutes les deux Mme Josette Blair, n'est-ce pas? — Bien sûr! fit Bess. Comment ne connaîtrais-je pas cette femme délicieuse qui habite l'immeuble voisin de notre maison? Ne va pas me dire qu'elle a de nouveaux ennuis. Elle a assez souffert, la pauvre! Récemment, elle a perdu son mari et son fils, tués dans un accident d'automobile. » Le visage expressif de Bess s'était voilé de tristesse. « II s'agit d'une chose tout à fait différente qui me laisse perplexe, reprit Alice. Toutes les nuits, Mme Blair fait un affreux cauchemar, dont elle se réveille le cœur battant. Elle rêve qu'un bandeau sur les yeux, elle bascule, la tête la

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première, dans un grand escalier, tandis qu'une voix chuchote : « Quatre-vingt-dix-neuf marches. » — C'est horrible! murmura Bess. — Mais ce n'est qu'un cauchemar, intervint Marion avec son esprit pratique. Je ne vois pas où est le mystère? — Le mystère des 99 marches, répondit Alice. Mme Blair est d'origine française, toute son enfance s'est écoulée dans son pays natal. Toutefois, elle a souvent changé de domicile. Or, elle a bel et bien vécu ce pénible épisode, sans pouvoir se rappeler où ni dans quelles circonstances. Pendant de nombreuses années, elle n'y a plus songé, et voilà que, depuis peu, ce cauchemar a repris forme dans son sommeil. En outre, un incident survenu cette semaine l'a effrayée. — Lequel? demanda Marion. — Mme Blair a reçu une lettre de Paris, écrite en français. Malheureusement, dans un geste impulsif, elle l'a déchirée en mille morceaux. La missive ne comportait d'ailleurs que cette seule phrase : « Ne parlez à personne des « 99 marches. — Monsieur Neuf. » — Monsieur Neuf? fit Bess déconcertée. — Oui. Notre tâche consistera donc à découvrir ce Monsieur Neuf, à retrouver les 99 marches et, ainsi, à rendre la paix et le sommeil à cette malheureuse Mme Blair. » Alice se pencha pour tisonner le feu et ajouter une bûche. Bess grommela : « Ce mystérieux Monsieur Neuf m'inquiète. » A ce moment un vrombissement se fit entendre, très proche. « Un hélicoptère! s'écria Marion. On dirait qu'il rase le toit. » Les jeunes filles écoutèrent, inquiètes. Elles n'ignoraient pas qu'il était rigoureusement ' interdit aux aviateurs de survoler à faible altitude les quartiers résidentiels de la ville. Le moteur aurait-il une avarie;3 Un instant plus tard, un violent courant d'air descendant par le conduit de la cheminée faisait voler dans la pièce et sur Alice braises, suie et cendre. 11

« Alice! » hurla Bess.

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Toutes les nuits, Mme Blair fait un affreux cauchemar.

Marion et elle se précipitèrent au secours de leur amie et firent tomber la poussière incandescente qui parsemait ses cheveux et son chandail. Puis, Marion piétina les braises qui commençaient à brûler le tapis. Le cri poussé par Bess avait attiré Mme Berny. C'était une femme douce et bonne qui, depuis la mort de Mme Roy, avait élevé Alice. Très aimée de tous, elle se faisait appeler simplement par son prénom : Sarah. « Seigneur! Que s'est-il passé? fit-elle en voyant Alice, le visage gris de cendre. — C'est la faute de ce maudit hélicoptère! » dit Marion outrée. Tandis que Bess racontait à Sarah l'incident, Alice monta, se laver dans sa chambre et Marion sortit de la maison. Elle aperçut dans le lointain l'appareil qui, selon toute apparence, s'apprêtait à atterrir sur une piste de l'aéroport. « Il faut porter plainte contre le pilote! » maugréa la jeune fille. Quand Alice redescendit, propre et habillée d'une robe claire, Marion lui fit part de son intention. Alice l'approuva : « Demain matin, j'irai à l'aéroport et je demanderai à être reçue par le directeur. — En attendant, mademoiselle la détective, parlez-nous encore de l'énigme qui est confiée à votre sagacité, demanda Bess, taquine. Selon toi, comment M. Neuf a-t-il découvert l'adresse de Mme Blair? — Je suppose qu'il l'a obtenue auprès de sa famille française. Nous le demanderons à Catherine et à Monique quand elles arriveront. Elles nous donneront peut-être d'autres renseignements. » Comme elle achevait ces mots, un taxi s'arrêta devant la porte d'entrée et deux charmantes jeunes filles brunes en descendirent. Chacune d'elles portait deux valises, une grande et une petite. Alice alla leur ouvrir. « Alice Roy? » interrogea l'une des visiteuses avec un sourire.

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Elle avait une voix très musicale et un accent délicieux. « Oui, répondit Alice, et vous êtes Catherine Tardy, n'est-ce pas?» Se tournant vers la seconde qui paraissait un peu plus jeune que sa sœur, elle ajouta : « Et vous, Monique? Bonjour, soyez les bienvenues. Entre?,, s'il vous plaît. » Dans le vestibule, Alice présenta les nouvelles arrivantes à Sarah, Bess et Marion, puis, aidée de ses deux amies, elle monta les bagages des' voyageuses dans les chambres qu'elles allaient occuper. « Comme c'est joli chez vous ! s'extasia Monique, lorsque les cinq jeunes filles eurent pris place au salon, autour de la cheminée. Vous êtes trop gentille, Alice, de nous avoir invitées ! Mais nous ne voudrions pas être une charge. Il faut que Mme Berny nous donne un peu de travail à faire. » La conversation se porta sur Mme Blair et sur le mystère qui la troublait. Les deux sœurs déclarèrent fermement qu'aucun membre de leur famille n'avait donné à qui que ce soit l'adresse de leur tante en Amérique. L'incident de la lettre les préoccupait beaucoup. « Cela m'ennuie qu'elle reste seule chez elle en ce moment, murmura Catherine. — Sarah serait heureuse de l'accueillir ici, j'en suis sûre, répondit Alice. En votre compagnie, Mme Blair aurait moins peur. —Je vous remercie beaucoup, dit Monique soulagée. Si vous le permettez, nous lui téléphonerons pour lui transmettre votre aimable invitation. » Sur ces entrefaites, Sarah vint annoncer que le dîner était servi. A table, les jeunes filles continuèrent à parler du mystère des 99 marches. Les deux Françaises ne purent apporter aucune lumière sur ce sujet, au grand dépit d'Alice. Celle-ci ne fit aucune allusion à l'objet du voyage de son père en France. Malgré leur déception, Bess et sa cousine comprirent qu'elle leur en parlerait à un autre moment. Elles ne se trompaient pas, car Alice songeait justement: «Je reconduirai Bess et Marion chez elles et, en chemin, je leur raconterai ce que je 14

sais de l'affaire dont papa s'occupe en ce moment même. » Sarah venait d'apporter une appétissante tarte au citron meringuée, lorsque la sonnette de l'entrée tinta. « Je vais ouvrir, dit Alice. Veuillez m'excuser. » Sur le seuil, elle eut un mouvement de recul. Devant elle, se dressait un homme au visage à demi caché par un loup. « C'est bien ici qu'habitent les Roy? demanda-t-il avec un fort accent Français. — Ou...ou...i », balbutia Alice. De crainte qu'il ne voulût entrer de force, elle coinça son pied sous la porte, contre laquelle elle s'appuya. L'homme masqué ne tenta pas de pénétrer dans la maison. Il était grand, et ce qui frappait surtout chez lui c'était la longueur démesurée de ses bras et de ses pieds. D'épais gants de cuir dissimulaient ses mains. Sans mot dire, il tendit à Alice une enveloppe fermée, pivota sur les talons et s'éloigna en boitant. Sa claudication est-elle naturelle ou feinte? se demanda la jeune fille. Il disparut au tournant de l'allée du jardin et Alice referma la porte. Sur l'enveloppe, elle lut, écrit à la machine : « Monsieur et Mademoiselle Roy. » « Pourquoi cet homme portait-il d'épais gants de cuir, en juin? se demanda-t-elle. Je crains un piège. » Son instinct de détective lui conseillait d'être prudente. Par crainte de quelque contamination, elle se lava soigneusement les mains, puis enfila des gants de caoutchouc. A l'aide d'un coupe-papier, elle ouvrit enfin l'enveloppe et sortit une feuille contenant ces quelques mots dactylographiés : Ne venez pas en France! MONSIEUR NEUF.

« Monsieur Neuf? soupira la jeune fille désemparée. Est-ce lui qui m'a remis cette lettre? » 15

CHAPITRE II A L'AÉRODROME courut aussitôt à la chambre de son père et appela Mme Blair au téléphone. Elle la mit au courant de ce qui venait d'arriver et lui demanda si le message qu'elle-même avait reçu de Monsieur Neuf était dactylographié. a Oui, sur une machine française. Vous n'ignorez sans doute pas que les machines à écrire ont des caractères différents selon les langues. — Oui. Et l'avertissement que je viens de vous lire a été tapé sur une machine américaine. Monsieur Neuf doit avoir un complice aux Etats-Unis. A propos, madame, pourquoi ne viendriez-vous pas ALICE

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habiter chez nous pendant notre absence? Vos nièces et Sarah en seraient heureuses. — Vous êtes très gentille de me le proposer, répondit Mme Blair. Permettez-moi de ne pas vous répondre tout de suite. J'aimerais réfléchir un peu. Mais c'est à votre sujet que je m'inquiète — beaucoup plus qu'au mien. Je vous supplie de ne pas prendre des risques inutiles dans cette affaire. — Ne vous tourmentez pas, madame, je serai prudente, répondit Alice d'un ton léger. — Hélas! je ne crois guère en votre prudence, reprit Mme Blair. Tout le monde connaît votre audace et votre courage. En tout cas, je penserai à vous. » Alice retourna à la salle à manger et raconta à ses amies l'incident de l'homme masqué et de la lettre. « Alice, je ne veux pas que notre présence ici vous mette en danger, dit impulsivement Catherine. Nous allons partir tout de suite. — Il ne saurait en être question, répondit Alice avec fermeté. Je ne vois pas la relation qu'il y aurait entre votre arrivée ici et Monsieur Neuf. Celui-ci cherche à m'empêcher d'aller en France. Pourquoi? Je suis bien incapable de répondre. Quoi qu'il en soit, il n'y réussira pas. Mon père a besoin de moi. En outre, je dois élucider le mystère du cauchemar qui trouble votre tante. Tout ce que je souhaite, c'est qu'après mon départ vous ne soyez plus importunées.» Catherine et Monique échangèrent un regard incrédule, puis sourirent. « Alice, vous êtes aussi brave que bonne. Nous resterons. » Avec ensemble, les jeunes filles remercièrent Sarah du délicieux repas qu'elle leur avait préparé et l'obligèrent à regarder la télévision pendant qu'elles-mêmes desservaient la table et lavaient la vaisselle. Peu après, les deux sœurs prièrent Alice de les excuser un quart d'heure : elles désiraient défaire leurs valises. Bess et Marion se préparèrent à partir. Alice proposa de les raccompagner chez elles en voiture.

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« Maintenant, parle-nous un peu de l'affaire dont ton père s'occupe, dit Marion aussitôt qu'elles furent assises toutes les trois dans le cabriolet d'Alice. — Papa l'appelle le cas du «financier affolé», répondit Alice en riant.

— Qui est cet homme? demanda Bess. Et de quoi a-t-il peur? D'une chute de la Bourse? — Il s'appelle Charles Leblanc-Dujey. Quant à te dire ce qui l'effraie, c'est autre chose. Papa s'efforce en ce moment même, sans doute, de le découvrir. — Charles Leblanc-Dujey, dis-tu? Alors, c'est un Français? — Oui. Il habite un château quelque part dans la vallée de la Loire. Plutôt qu'un financier, c'est un industriel mais il brasse des sommes considérables. Ses bureaux se trouvent à Paris. Il est très riche et très influent dans les milieux d'affaires. Dernièrement, son caractère a beaucoup changé. Il est devenu renfermé, secret... Il retire des banques, dont il est client, de grosses sommes en espèces, et menace de fermer les diverses usines qu'il possède dans la banlieue parisienne. — Ce qui entraînerait le licenciement et, par suite, le chômage de centaines d'ouvriers? intervint Marion. — Oui. Il a également vendu un grand nombre d'actions, ce qui est dangereux pour l'économie de son pays. — Je comprends mal, Alice, ce que vient faire ton père dans tout cela, dit Bess. — Les associés de M. Leblanc-Dujey ont demandé à papa de procéder à une enquête. Ils voudraient connaître la cause de cette frayeur qui pousse le « financier » à se livrer à des actes que rien, à première vue, ne justifie. Selon eux, un avoué américain, en voyage d'agrément, n'éveillera pas sa suspicion. » Alice ralentit et freina devant la maison des Webb. Marion descendit, souhaita le bonsoir à ses amies, qui repartirent aussitôt. Un peu plus loin, Alice déposa Bess à la porte de son jardin. « A propos, quand partons-nous? s'informa Bess. 18

— Quelle sotte je suis! Comment ai-je pu oublier de vous le dire- Après-demain. Préviens Marion et soyez toutes deux à l'aéroport à 8 h 30 exactement. Bonsoir. » Tout en regagnant sa maison, Alice songeait au mystère des 99 marches. Dans une ruelle déserte, un homme déboucha

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Tout à coup, il tomba tout de son long.

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d'un tournant, au milieu de la chaussée. Il boitait.' Tout à coup, il tomba tout de son long. Alice freina brutalement, passa la tête par la portière et constata qu'elle ne l'avait pas heurté. Tremblant de frayeur rétrospective, elle resta figée sur son siège. « Au secours! cria l'homme avec un fort accent français. Je me sens mal. » Le premier mouvement d'Alice fut de se porter à son aide. Se ravisant, elle ferma en toute hâte les verrous de sûreté des portières. L'homme qui gisait devant sa voiture n'était autre que le messager au masque! Sa chute était un piège. Il avait suivi Alice et deviné par quel chemin elle reviendrait. Alice passa la marche arrière, recula de quelques mètres, enclencha la première, monta sur le trottoir pour éviter l'homme et partit à toute allure. Dans le rétroviseur, elle vit l'inconnu se relever et s'éloigner en boitant dans la direction opposée. De crainte d'avoir porté un jugement téméraire, Alice arrêta une voiture de police qui patrouillait dans le quartier et raconta son histoire. « Nous allons vérifier tout de suite, mademoiselle », promit le conducteur. Rentrée chez elle, Alice alla dans le bureau de son père, feuilleta un livre d'art et, au bout de dix minutes, téléphona au commissariat de police pour s'informer du suspect. On lui répondit que celui-ci avait disparu. De plus en plus convaincue que l'homme n'était qu'un simulateur, Alice se rendit au salon où elle raconta l'incident à Sarah et aux jeunes Françaises qui lui tenaient compagnie. « Quel bonheur que tu te sois méfiée! » murmura Sarah, tout émue à la pensée du danger auquel Alice avait échappé. Catherine et Monique parurent troublées mais ne dirent rien. Peut-être se demandaient-elles si dans toutes les familles américaines la vie était aussi agitée que chez les Roy. La conversation changea de sujet et les Françaises offrirent de chanter en duo. Alice et Sarah les écoutèrent avec un très vif plaisir. Elles avaient de jolies voix et chantaient avec beaucoup de goût.

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« Ce sont d'anciens madrigaux, originaires de la vallée de la Loire. Quand vous serez chez nous, il vous arrivera souvent de les entendre. . — Ces airs sont ravissants », dit Alice encore sous le charme. Sarah applaudit vigoureusement. « Ce n'est pas tous les jours que j'ai la chance d'assister, sans même me déplacer, à un aussi beau récital », dit-elle. Sur ces paroles flatteuses, Sarah, Alice, Monique et Catherine, montèrent se coucher. Le lendemain matin, Alice invita les deux sœurs à l'accompagner à l'aéroport. Les trois jeunes filles montèrent dans le cabriolet et, durant le trajet, Alice raconta l'incident de l'hélicoptère. Il était dix heures environ lorsqu'elles arrivèrent devant le hall de départ. Alice s'adressa au guichet des renseignements, d'où on l'envoya au bureau d'une compagnie privée spécialisée dans la location d'hélicoptères. Assis derrière un comptoir, un jeune homme ouvrit de grands yeux et promena un regard admiratif de Catherine à Monique. Agacée, Alice dut répéter deux fois sa question avant qu'il consentît à répondre. « Oui, oui, je me souviens. J'ai emmené hier un client (aire un tour dans le secteur dont vous parlez. C'est lui qui doit construire une aire d'atterrissage pour hélicoptère sur votre toit. » Alice resta bouche bée. « Vous plaisantez », dit-elle enfin au jeune pilote. Il sourit aux Françaises, haussa les épaules et grommela : a Je ne plaisante pas du tout. » Alice comprit alors que le pilote avait été dupe d'un mensonge inventé, peut-être, par ce mystérieux Monsieur Neuf qui, depuis la veille, ne cessait de se manifester. « Qui vous a raconté cette histoire? demanda-t-elle au pilote. - L'homme que j'ai emmené, voyons! Vous le connaissez sûrement : Jim Stick.

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- Il vous a dit avoir été chargé de transformer notre toit en piste d'atterrissage? reprit Alice. — Oui. Il m'a même montré une lettre signée du président directeur général de la Société clé construction des héliports, dans laquelle il m'était demandé de survoler votre maison à basse altitude. J'ai reçu l'autorisation de le faire. - La prochaine fois, tâchez d'être plus prudent, dit Alice. Des bûches flambaient dans la cheminée du salon et le courant d'air que vous avez provoqué aurait pu causer un incendie. - Oh! Pardon! Je suis désolé. — Je ne connais pas ce Jim Stick, reprit Alice. A quoi ressemble-t-il? — C'est une drôle de carcasse, fit en riant le pilote. Il doit avoir dans les cinquante-cinq ans et il a des bras, des pieds et un visage qui n'en finissent plus. J'ai remarqué aussi qu'il boitait. — Pas d'autre signe particulier? — Ah! si. Il parle avec un accent Français. » Alice remercia le pilote de son obligeance et elle repartit avec Catherine et Monique. Dès qu'elles lurent assez éloignées du bureau pour n'être pas entendues, Alice murmura : « Ce Jim Stick est l'homme masqué d'hier soir. » Catherine et sa sœur échangèrent un regard étonné. « Alice, dit Catherine, nous croyons le connaître. Il ne s'appelle pas Jim Stick. »

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CHAPITRE III LE LION VERT -Vous savez qui est l'homme masqué? s'écria Alice stupéfaite. - Ce n'est pas un de nos amis, s'empressa de répondre Catherine. Mais je suis sûre qu'il était jardinier chez des amis de nos parents. Il a été renvoyé à la 'suite de plusieurs larcins. Par la suite, on lui a attribué.des vols plus importants commis dans le voisinage. - Nous nous souvenons de lui a cause de son apparence bizarre, intervint Monique. Nous étions aussi très intriguées parce qu'il semblait très bien comprendre l'anglais. Cependant, je ne crois pas qu'il boitait. Son prénom est Claude. Nous ignorons son nom de famille. - C'est peut-être lui Monsieur Neuf, cet inconnu qui cherche à empêcher qu'on ne s'approche des 99 marches. Mais pourquoi aurait-il quitté la France? En tout cas, vous m'avez,

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donné un indice précieux. Puisque Claude est, selon vous, malhonnête, qu'il se sert d'un faux nom et qu'il nous a adressé, à mon père et à moi, un avertissement anonyme, je pense que le plus sage est d'alerter la police. Quelques instants plus tard, Alice s'arrêtait devant le commissariat. Elle pria les deux sœurs de l'accompagner chez/ M. Stevenson. Le commissaire était un vieil ami des Roy, il accueillit Alice avec un sourire chaleureux. « Je suis enchanté de faire la connaissance de vos invitées françaises, Alice, dit-il. — Vous serez encore plus content lorsqu'elles vous auront dit ce qu'elles savent sur l'homme qui veut m'empêcher d'aller à Paris. » Après avoir écouté toute l'histoire, le commissaire hocha la tête d'un air grave et dit aux jeunes Tardy : « Pourriez-vous, mesdemoiselles, composer un télégramme destiné à vos amis, en leur demandant le nom complet de Claude ainsi que son adresse en France. Je me chargerai de l'envoyer, mais c'est vous, Alice, qui recevrez la réponse. » M. Stevenson cligna de l'œil malicieusement et ajouta : « Je rie voudrais pas que les amis de ces demoiselles s'imaginent qu'elles ont des démêlés avec la police de River City! — Oh! non, non! » dit Catherine, et elle éclata de rire. La réponse arriva de France plus vite que tous ne s'y attendaient. En revenant d'une excursion sur les rives du Muskoka, les trois jeunes filles furent accueillies par Sarah qui leur tendit un télégramme. « NOM : CLAUDE AUBERT. ADRESSE INCONNUE», lurent-elles ensemble. Alice réfléchit une seconde, puis déclara : « Ce sont à la fois de bonnes et de mauvaises nouvelles. Le jardinier Claude semble avoir disparu de la région où il habitait auparavant. Ne serait-ce pas une surprise, pour lui comme pour nous, s'il était arrêté par la police de River City? » Elle téléphona aussitôt à M. Stevenson. « Je vais me mettre en rapport avec les autorités du Service

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d'immigration, à Washington, dit le commissaire après avoir écouté Alice sans l'interrompre, et m'informer si Aubert est entré aux États-Unis légalement. Il est déjà cinq heures, les bureaux vont fermer, mais je tenterai ma chance. » Il se tut un instant. « Mes hommes sont à la recherche de ce Français. Quand partezvous, Alice? — A huit heures demain matin. — C'est bon! Si j'ai des nouvelles d'ici là, je vous appellerai au téléphone. Au revoir. — Au revoir et merci ! » Catherine regarda Alice avec inquiétude. « Pourvu que la police réussisse à mettre la main sur Claude! Je crains qu'il ne s'attaque à vous avant votre départ. » La sonnerie du téléphone se fit entendre. Alice alla répondre. « Tiens! C'est toi, Bess! Que veux-tu? — Que tu nous aides ce soir. — Ce soir? Tu as perdu la tête, nous partons demain! — Oui, mais notre club de jeunes reçoit celui de Medlar, comme tu le sais. Tu t'étais décommandée à cause de ton voyage en France, nous ne pouvions en faire autant. — Je suis navrée, Bess, il m'est impossible de venir. Je n'ai pas encore préparé mes valises et j'ai promis à Mme Blair de passer la voir. Elle relit les cahiers dans lesquels sa mère consignait les menus détails de sa vie quotidienne et elle espère y trouver un indice qui me serait utile. — Alice, je t'en supplie. Moira est tombée malade, or elle devait donner un récital de chansons folkloriques pendant une demi-heure. Toi seule est capable de la remplacer au pied levé. — Je te répète que cela m'est impossible. Mais j'ai une idée, Catherine et Monique consentiraient peut être à chanter de vieilles romances françaises. Elles ont des voix ravissantes. — Bravo! s'écria Bess. Alice, tu es un ange! Va vite le leur demander. »

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« Vous allez avoir un très grand succès », dit Sarah.

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Au début, les Françaises refusèrent avec la dernière énergie, arguant qu'elles étaient trop timides pour s'exhiber en public. Sarah joignit ses instances à celles d'Alice et se montra si convaincante que Catherine et Monique finirent par accepter. « Nous allons mettre les costumes que portaient jadis les femmes du val de Loire, dit Monique. Au dernier moment, nous les avons pris, pensant que tante Josette serait contente de les revoir. — Vous allez être le clou du spectacle », approuva Alice toute contente. Elle courut annoncer la bonne nouvelle à Bess qui poussa un cri tel qu'Alice en eut mal à l'oreille. « Je viendrai les chercher à sept heures trente », dit Bess. Alice la pria de faire passer les sœurs en dernier. « Comme cela, je pourrai les entendre en sortant de chez Mme Blair. » Un peu plus tard, lorsque Catherine et Monique apparurent costumées, Alice et Sarah ne leur ménagèrent pas les compliments. Les jupes bouffantes descendaient à la cheville, les blouses à manches longues étaient en soie rayée, rosé et blanc pour Catherine, bleu et blanc pour Monique. Un corselet de velours noir, bien ajusté, et un petit col de dentelle complétaient l'ensemble. Les deux jeunes filles avaient remonté leurs cheveux sur le sommet de la tête et les avaient poudrés comme le faisaient les élégantes du XVIIIe siècle. Avec un crayon gras, elles s'étaient dessiné des mouches noires sur la joue un peu au-dessus des lèvres, ainsi que le voulait la mode du temps. « Vous allez avoir un très grand succès, dit Sarah. — Merci beaucoup, répondit Monique en rougissant de plaisir. Vous venez, n'est-ce pas, madame? — Je ne comptais pas aller au spectacle puisque Alice n'y participait pas. » Les deux Françaises la supplièrent gentiment de les accompagner.

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Tout heureuse de leur insistance, Sarah déclara qu'elle montait se changer. Elle courut à sa chambre et en revint cinq minutes plus tard habillée d'une robe bleu marine qui lui seyait à merveille. Sur ces entrefaites, Bess arriva et les emmena. Après leur départ Alice s'installa au volant de son cabriolet et se rendit chez Mme Blair. Ce fut Mme Blair elle-même qui répondit à son coup de sonnette. C'était une charmante femme d'environ cinquante ans. « J'ai trouvé dans le journal de ma mère un ou deux passages qui vous intéresseront », annonça-t-elle. Elle s'assit à côté d'Alice sur un divan bas, dans la salle de séjour, et ouvrit un petit cahier relié en velours rouge. L'écriture, encore qu'un peu effacée, était très claire. « Ma mère raconte surtout les voyages qu'elle faisait avec mon père; parfois, dit-elle, je les accompagnais, mais le plus souvent je restais à la maison avec ma gouvernante. — Donc, l'incident qui revient dans vos rêves se serait vraisemblablement produit alors que vous étiez avec votre gouvernante. Auriez-vous par hasard son adresse? - Non. Je ne la connaissais que sous le nom de Mademoiselle. Et c'est ainsi que ma mère la désigne dans son journal. Elle était très gentille, c'est tout ce que je me rappelle. Voyez-vous, à cette époque, je ne devais guère avoir plus de trois ou quatre ans. » Mme Blair cita quelques châteaux où, selon ce qu'elle avait lu dans les cahiers rouges de sa mère, elle aurait résidé en l'absence de ses parents. Un de ces châteaux était celui des Tardy, dont sa sœur, de sept ans sa cadette, devait épouser le fils aîné. « Eh bien, dit Alice, le regard brillant, nous avons un plan de travail tout tracé. Nous visiterons chacun de ces châteaux et nous chercherons un escalier de 99 marches. — Ma mère parle également d'un château en ruine, reprit Mme Blair. Le château des Soupirs. On racontait que le fantôme d'un alchimiste le hantait. Vous n'ignorez pas, Alice,

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que, jadis, un grand nombre de superstitions s'attachaient aux chimistes et à leurs expériences. Il leur était même interdit par la loi de se livrer à leurs activités. — Ils continuaient cependant à travailler en cachette? - Bien entendu. Ils se reconnaissaient entre eux à certains signes ou symboles, ou encore à l'aide de mots de passe. Ils avaient également recours à un langage secret pour se communiquer leurs découvertes. — Quel courage ils avaient! » fit Alice. Mme Blair se leva, prit un livre sur une étagère et le montra à Alice. Il était écrit en français. « Un groupe de symboles comprend : un roi rouge, une reine blanche, un loup gris, un corbeau noir, un lion vert. Le roi rouge représente l'or; la reine blanche, l'argent. Je ne connais pas la signification du corbeau, mais celle du lion vert est mauvaise. Il dévore le soleil — ou, en d'autres termes, c'est un acide qui donne à l'argent ou à l'or une teinte verte. — C'est passionnant! s'exclama Alice. - En effet. Et on a peine à admettre que cet art de l'alchimie, jadis considéré comme criminel, est la base de notre chimie moderne. Au XVIe siècle, les alchimistes croyaient que les minéraux étaient sujets à la croissance, comme les végétaux, aussi fermaientils certaines mines pour permettre aux métaux de se développer.» Alice écoutait attentivement. « Longtemps, on s'est moqué de cette idée, continua Mme Blair. Or, les chimistes de notre temps ont constaté que les métaux croissent et se modifient bel et bien, encore que très lentement. Mais nous nous sommes éloignées de notre sujet, Alice. Il est vrai que je n'ai rien d'autre à vous dire qui puisse vous éclairer sur l'incident des 99 marches. Ah ! si je pouvais me souvenir de tout cela, je suis sûre que cet horrible cauchemar ne troublerait plus mes nuits! » Alice jeta un regard à son bracelet-montre, Elle n'avait aucune envie de partir, mais elle désirait assister au numéro de Catherine et de Monique. Elle invita Mme Blair à l'accompagner.

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La charmante femme déclina l'invitation, disant qu'elle se sentait un peu fatiguée. Alice se leva et prit congé. « J'espère vous délivrer de ce cauchemar, madame, dit-elle. Dès que je saurai quelque chose, je vous écrirai. » Elle gagna vite sa voiture et prit la direction du club des jeunes. Lorsqu'elle y arriva, on annonçait le récital des deux Françaises. Alice s'assit au dernier rang des fauteuils d'orchestre. Catherine et Monique chantèrent, têtes rapprochées, avec beaucoup de gentillesse et de simplicité. Elles furent l'objet d'une véritable ovation et durent bisser. Comme elles entonnaient les premières notes d'un madrigal, Alice retint sa respiration. Sur le bas-côté, au milieu d'un rang, Claude Aubert était assis! « Il faut que je prévienne la police avant qu'il ne parte! » se dit Alice. Sans bruit, en se baissant, elle gagna la sortie.

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CHAPITRE IV UNE NUIT MOUVEMENTEE Alice se retrouva dans la rue, elle jeta un coup d'œil par-dessus son épaule pour s'assurer que Claude Aubert ne l'avait pas suivie. Il semblait ne pas avoir remarqué sa présence dans la salle. Rassurée, elle courut jusqu'au prochain téléphone public et forma sur le cadran le numéro du commissariat. L'inspecteur de service lui promit d'envoyer sur-le-champ deux hommes en civil et la pria de les attendre dans le hall d'entrée. Elle se hâta de regagner l'école où avait lieu le spectacle. Comme elle y arrivait, elle entendit des applaudissements frénétiques et en conclut que Catherine et Monique venaient de terminer enfin leur tour de chant. « Pourvu que Claude ne sorte pas avant que les inspecteurs ne viennent », se dit Alice anxieuse. Elle jeta un regard dans la salle. Claude était toujours QUAND

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assis à la même place. Se retournant, elle vit l'inspecteur Panzer et l'inspecteur Killy franchir le seuil du vestibule. Aussitôt, elle les conduisit dans la salle et leur désigna l'homme qu'elle soupçonnait être Monsieur Neuf. Averti sans doute par un cinquième sens, Claude Aubert se leva comme mû par un ressort et descendit, sans boiter, l'allée conduisant à une sortie de secours qui donnait sur un parking. Quand ses poursuivants atteignirent la porte, le suspect avait disparu. a Où est-il passé? » demanda Alice, déçue et inquiète. L'inspecteur Panzer poussa le battant et regarda. « Je ne le vois nulle part », dit-il. Et, suivi de son collègue, il se précipita dehors. L'instant d'après, un hurlement retentit dans les coulisses. Alice gravit en courant les marches qui y conduisaient. Autour de la scène une foule de curieux s'agitaient. « Qu'cst-il arrivé? » demandaient les uns et les autres. Un sanglot dominait le tumulte. Alice se fraya un chemin à travers les badauds et trouva Monique en pleurs. Agenouillée à côté d'elle, Catherine s'efforçait de la consoler. A la vue d'Alice, elles s'écrièrent en chœur : « II nous a menacées! - Claude Aubert? — Oui, dit Monique. Il m'a serré le bras si fort que j'ai poussé un cri, puis, en français, il a murmuré : « Si vous « laissez Alice Roy partir pour la France, vous le paierez très « cher et elle aussi ! » - C'est lui, Monsieur Neuf, n'est-ce pas? ajouta Catherine, la voix tremblante. — Par où s'est-il enfui? » demanda Alice. Catherine montra du doigt la sortie de la scène opposée à celle par laquelle Alice était entrée. Cette sortie conduisait à une allée qui courait derrière le bâtiment et aboutissait au parking. Alice poussa un soupir de soulagement. Monsieur Neuf était pris au piège! Les inspecteurs devaient l'avoir arrêté! Alice suivit l'allée, bordée d'un côté par le mur de l'école,

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de l'autre par un haut mur de ciment et, parvenue aux voitures, elle regarda autour d'elle. Les spectateurs regagnaient leurs automobiles, certains même démarraient. Où étaient Panzer et Killy? Et Claude Aubert? « Seigneur! s'exclama Alice dépitée. Ils l'ont manqué! » Puis elle reprit courage : peut-être l'ancien jardinier était-il déjà en route vers la prison. Par mesure de prudence, elle inspecta discrètement les voitures, les contourna, sans voir ni Claude Aubert ni les inspecteurs. Ne sachant quoi faire, elle retourna auprès de ses nouvelles amies. Monique s'était calmée et, le sourire aux lèvres, recevait les félicitations chaleureuses des organisateurs du spectacle. « Quel succès! dit Bess en les rejoignant avec Marion et Sarah. "- Merci, répondirent les deux sœurs. — Il paraît qu'un grossier personnage vous a importunées ? Qui était-ce? demanda Marion, prête à aller dire son fait à ce triste sire. — C'est un Français qui nous a conseillé, menaces à l'appui, d'empêcher Alice Roy de se rendre en France. - Quel toupet! s'écria Marion. Comment s'appelle-t-il? » Alice le lui dit à voix basse, puis, emmenant Bess et Marion à l'écart, elle les mit au courant de ce qu'elle avait appris et de l'hypothèse selon laquelle Aubert ne serait autre que Monsieur Neuf. « Pourquoi, diable, ce Monsieur Neuf a-t-il si peur que tu élucides le mystère des 99 marches? — Si nous le savions, nous serions déjà très avancées. Maintenant, le mieux est de rentrer chacune chez nous. Je téléphonerai de la maison au commissariat pour m'informer de ce que sont devenus les inspecteurs. » Après avoir dit au revoir à Bess et à Marion, Alice monta dans le cabriolet avec les jeunes Françaises et Sarah. « Toutes ces histoires m'inquiètent, dit cette dernière, aussi vaisje brancher le signal d'alarme. Quelle chance que nous l'ayons fait installer!

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— Attention! Catherine et Monique. Ne rentrez pas à l'improviste à partir d'aujourd'hui, sinon vous feriez une peur bleue à Sarah, plaisanta Alice. — Moque-toi autant que tu voudras, vilaine, dit Sarah. Il n'empêche que je me tourmente beaucoup. Ne serait-il pas prudent que tu renonces à ce voyage, du moins momentanément? - C'est impossible, répondit Alice. Papa et Mme Blair comptent sur moi. D'ailleurs, Claude Aubert est peut-être hors d'état de nuire. » Dès qu'elle eut rangé le cabriolet au garage, Alice téléphona au commissariat. L'inspecteur de service lui apprit que ses collègues n'étaient pas revenus et n'avaient pas donné signe de vie. « Nous pensons qu'ils sont encore à la poursuite de Claude Aubert. » Alice raccrocha. Quelle malchance! Comment cet individu s'était-il échappé? Où ferait-il sa réapparition?

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« Ici même, je parie, se dit-elle. Sarah a eu raison de brancher le signal d'alarme. » Après avoir pris un repas léger, Sarah et les jeunes Françaises montèrent se coucher. Alice termina ses valises et, enfin, s'étendit sur son lit. Elle venait à peine de s'endormir quand elle fut réveillée par une sonnerie retentissante. L'alarme ! En une seconde, la jeune fille eut enfilé robe de chambre et pantoufles. Elle courut à une fenêtre, se pencha au-dehors, espérant apercevoir l'intrus. Ne voyant rien, elle alla dans la chambre de son père, qui donnait sur la façade, et regarda dans le jardin. « Ils l'ont attrapé! » s'exclama-t-elle, tout heureuse. A la lueur d'une torche, un inspecteur examinait un homme grand, au visage long, que son collègue maintenait solidement. Aubert? Sarah, Catherine et Monique accoururent auprès d'Alice. « Les policiers l'ont arrêté! Vite, descendons! » cria celle-ci. Elle prit les devants, alluma les lampes sur son passage et ouvrit toute grande la porte d'entrée. Les inspecteurs poussèrent dans le vestibule leur prisonnier qui, de nouveau, boitait. C'était Claude Aubert! « Bonsoir, mademoiselle Roy, dit en souriant l'inspecteur Killy. Nous avons vu vos lumières s'allumer et nous avons pensé que vous seriez contente d'apprendre que nous tenons cet individu. - Il peut se vanter de nous avoir donné du fil à retordre, ajouta l'inspecteur Panzer. Au cours de notre chasse, nous avons souvent été remis sur sa voie par des passants intrigués par son allure louche, mais nous arrivions toujours trop tard. Soudain, l'idée nous est venue qu'il chercherait peut-être à s'introduire chez vous. Mon camarade et moi, nous avons donc décidé de surveiller votre maison. Cachés derrière la haie du jardin, nous l'avons vu arriver. Comme nous voulions le prendre sur le fait, nous l’avons

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laissé briser une vitre et nous nous sommes jetés sur lui. » Le prisonnier, menottes aux poignets, fut poussé dans le salon. Il fusillait littéralement du regard les crois jeunes filles et remuait les lèvres sans proférer un son. Killy fouilla ses poches, mais n'y trouva ni passeport ni autres pièces d'identité. Sarah, Catherine, Monique et Alice s'assirent tandis que l'inspecteur Panzer ordonnait : « C'est bon, Aubert, parlez! Racontez-nous tout depuis le commencement. Et tout d'abord dites-nous pourquoi et comment vous vous êtes introduit aux États-Unis sous un faux nom? » Silence. Alice prit la parole. « Messieurs les inspecteurs, je ne vous ai pas présenté mes amies françaises : Catherine et Monique Tardy. Si M. Aubert ne connaît pas assez bien notre langue, elles pourraient lui servir d'interprètes. — Excellente idée », approuva l'inspecteur Killy. Ce fut Catherine qui traduisit les questions qu'Alice et les inspecteurs posaient au prisonnier à propos des lettres de menaces adressées à Mme Blair et aux Roy, du vol en hélicoptère au-dessus du toit, du malaise simulé devant la voiture d'Alice et de la claudication curieusement intermittente. Aubert refusa de répondre. Devant l'inanité de leurs efforts conjugués, les deux inspecteurs décidèrent d'interrompre l'interrogatoire. « Nous n'allons pas vous déranger plus longtemps, mademoiselle Roy. Une nuit derrière les barreaux réussira peut-être à délier la langue de ce coquin. Il apprendra qu'on n'a pas le droit de menacer les gens. » Après leur départ, Sarah déclara, très détendue : « Je suis bien contente que cet homme soit sous bonne garde. Tu peux partir pour la France en toute tranquillité. » Alice sourit imperceptiblement. Elle n'en était pas aussi sûre que cela ! Chacune monta se coucher. Mais le sommeil d'Alice fut

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troublé par des cauchemars. Elle courait éperdument après un homme qui portait sur le dos une large affiche : « MÉFIEZ-VOUS DE MONSIEUR NEUF. » Puis une foule de gens, en costume d'autrefois, sortaient des ruines d'un château, agitant sans trêve ni relâche de grosses clochettes. Tout à coup, le cauchemar prit fin. Alice se redressa sur son lit. La sonnerie d'alarme! Encore!

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CHAPITRE V CURIEUSES EMPREINTES! Alice parvint sur le palier, Sarah s'y trouvait déjà. Quelques secondes plus tard, Catherine et Monique les rejoignaient. Ensemble, elles descendirent vivement l'escalier et inspectèrent le rez-de-chaussée. Pas la moindre trace d'un voleur. « Divisons-nous, proposa Alice. Catherine et Monique, examinez les fenêtres, voulez-vous? Toi, Sarah, vérifie les portes, s'il te plaît. Quant à moi, je vais inspecter recoins et placards. » Elles se séparèrent. Un lourd silence régna pendant quelques minutes. Alice regarda derrière les rideaux, sous les meubles, dans les armoires. Personne. « L'intrus aura pris peur en entendant la sonnerie, pensa-t-elle. En tout cas, ce n'était pas Claude Aubert ! » A ce moment, Catherine appela de la salle à manger. QUAND

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« Venez vite ! » Toutes accoururent auprès d'elle. Elle leur montra une petite fenêtre basse dont la vitre et le loquet étaient brisés. Le rôdeur n'avait pas eu le temps de poursuivre son dessein. « Allons dans le jardin, nous y découvrirons sûrement des empreintes, dit Sarah. — Tu as raison », approuva Alice. Elle se munit d'une lampe électrique et, suivie des deux Françaises et de Sarah, elle sortit par la porte de la cuisine. A quelques pas de là, elles s'arrêtèrent et Alice promena le faisceau de sa lampe par terre. « Pas d'empreintes! s'exclama Sarah. Serait-ce un fantôme qui cherchait à s'introduire ici? » Alice continuait à examiner le sol. Enfin, elle poussa un cri de joie. « Regardez! Les empreintes sont à peine visibles, elles ont été faites par des pieds très petits et chaussés d'espadrilles à semelles de corde. — Voilà qui est singulier, dit Catherine. Les espadrilles ne sont pas courantes dans votre pays, et puis, un voleur a des pieds d'adulte et non d'enfant. — Hélas! Il y a des hommes sans scrupules qui se servent de jeunes garçons pour se faufiler à l'intérieur des maisons. — Celui-ci serait donc venu dans l'intention de voler? » demanda Monique. Alice réfléchissait. Elle rentra et alla dans le bureau de son père téléphoner au commissariat. L'inspecteur de service lut stupéfait d'apprendre ce nouvel incident. « Deux effractions en une seule nuit, c'est beaucoup, dit-il. N'avez-vous aucun soupçon sur l'identité du rôdeur? — Aucun. A moins que ce ne soit un complice de Claude Aubert? » L'inspecteur laissa entendre un petit sifflement. « Je vais demander à mon chef l'autorisation de mettre votre maison sous surveillance jusqu'à ce que nous ayons éclairci ce mystère.

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— Merci. De mon côté, je vais examiner les massifs et les pelouses à la recherche du moindre indice. » Tandis que, sur les instances d'Alice, les deux Françaises allaient se recoucher, elle se mit à l'ouvrage avec Sarah. Une série d'empreintes venaient de la rue, suivaient l'allée centrale du jardin jusqu'à la façade, ensuite obliquaient pour longer le mur jusqu'à la petite fenêtre basse, celle dont la vitre avait été brisée. « II devrait y avoir deux séries d'empreintes, l'une qui monterait vers la maison, l'autre qui en repartirait », dit Alice songeuse. Elle pria Sarah d'allumer les lanternes éclairant l'entrée de la cuisine ainsi que celles du garage. Cela fait, Alice éteignit sa lampe de poche et examina le terrain avec une extrême attention. Les branches supérieures d'un buisson proche de la fenêtre basse attirèrent son attention. Elles étaient cassées. Un peu plus loin, elle vit des empreintes qui, traversant la pelouse devant la cuisine, allaient en direction du garage. En compagnie de Sarah, qui l'avait rejointe, Alice suivit les traces de pas; elles aboutissaient au garage. La portière gauche du cabriolet était ouverte. A l'intérieur, contre la vitre arrière, était placée une grande pancarte sur laquelle étaient inscrits au crayon vert ces mots : ATTENTION AU LION VERT! « Qu'est-ce que cela veut dire? » murmura Sarah éberluée. Comme elle achevait sa phrase, une voiture-pie franchissait le portail du jardin et s'arrêtait à quelques mètres du garage. Un policier en sortit, s'avança vers Alice et se présenta : « Sergent Bergmann. Vous êtes bien mademoiselle Roy? — Oui. Et voici Mme Berny qui habite avec moi », dit Alice en désignant Sarah. Les phares de la voiture-pie éclairaient la pancarte. « Que signifie cet avertissement? demanda le policier. — Nous aimerions bien le savoir, répondit Alice. Selon moi, la personne qui a tenté de s'introduire chez nous avait l'intention de le

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laisser dans une pièce quelconque. Obligée de s'enfuir, elle l'aura posé là. — Vous avez sans doute raison, mais cela n'explique pas qui est ce lion vert. — Il se peut que le message ait un rapport avec un mystère que je cherche à élucider. » Alice résuma ce que Mme Blair lui avait appris à propos des codes que les alchimistes utilisaient autrefois. « Le lion vert aurait été un symbole représentant une formule chimique qui permettait de donner à l'or une nuance verte. — Hum! Hum! il ne s'agit pas ici d'une farce de gamin, ni d'une vengeance de rôdeur déçu. — C'est bien ce qui m'inquiète, approuva Sarah. Alice part demain matin, de très bonne heure, pour la France, et je crains qu'elle n'aille au-devant de sérieux dangers. »

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Voyant le pli soucieux qui barrait le front de Sarah, Alice s'efforça de plaisanter. « Pas demain, Sarah! Aujourd'hui! L'aube pointe. Dans quatre heures, je te quitterai. — Oh! tu as raison! Quelle nuit nous avons passée! Et toi qui aurais tellement eu besoin de repos ! » Le sergent Bergman déclara qu'il allait emporter la pancarte, et faire examiner les empreintes que le rôdeur pourrait y avoir laissées. « Bonsoir, dit Alice, et merci beaucoup. » A huit heures, elle s'installait au volant du cabriolet. Sarah et les Tardy l'accompagnèrent à l'aéroport. Sarah, excellente conductrice, ramènerait la voiture. Non sans regret, Monique et Catherine dirent au revoir à leur nouvelle amie. « Je désire de tout mon cœur que tante Josette retrouve la paix et le sommeil, dit Catherine, je vous en supplie, ne vous précipitez pas dans des dangers terribles. — Et oubliez de temps à autre que vous êtes détective. La France est un beau pays, profitez de votre séjour, ajouta Monique. — Promis », répondit Alice aux deux Françaises. Mais que faisaient donc Bess et Marion? Pourquoi n'étaient-elles pas encore là? Il ne restait plus que cinq minutes avant le décollage. Inquiète, Alice n'écoutait plus que d'une oreille distraite les recommandations de Sarah. Enfin ! Les deux cousines arrivèrent avec leurs parents. Elles coururent rejoindre Alice, dirent rapidement adieu à tous et se dirigèrent vers le quadrimoteur qui allait les emporter à New York, où elles changeraient d'avion. Alice poussa gentiment Bess jusqu'à un siège proche d'un hublot, s'assit près d'elle, tandis que Marion prenait place dans un fauteuil, de l'autre côté de l'allée centrale. Elles attachèrent leurs ceintures de sécurité et, une minute plus tard, l'appareil roulait sur la piste. Dès que les jeunes filles purent détacher leurs ceintures, Alice dit à Marion :

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« Viens t'asseoir sur le bras de mon fauteuil. J'ai des choses passionnantes à vous raconter, à Bess et à toi. » Quand elle eut terminé le récit de ses mésaventures nocturnes, elle ne put retenir un fou rire devant la mine ahurie que faisaient ses deux amies. « Un lion vert! Voilà qui ne m'enchante pas du tout, fit Bess dégoûtée. — Cela frise le grotesque, grommela Marion. Les alchimistes qui utilisaient ce code sont morts depuis des centaines d'années. Quelqu'un a dû tomber par hasard sur ces mots et s'en servir pour t'effrayer, Alice. — Je dois reconnaître que je ne comprends rien à tout cela, répondit Alice. J'ai l'impression de me trouver devant les pièces mélangées d'un puzzle et même de plusieurs puzzles. » Comme elle achevait de parler, Alice retint à grand-peine un bâillement. Elle tombait de sommeil et dormit jusqu'à New York où les voyageuses montèrent à bord d'un jet qui les déposait, quelques heures plus tard, à Paris. A la sortie de la douane, elles virent M. Roy, venu les accueillir. C'était un grand et bel homme, au regard droit, au visage empreint de bonté. « Quelle joie de te revoir! ma chérie, dit-il à sa fille. Je m'ennuyais sans toi et brûlais d'impatience de te montrer cette ville splendide. Que devient l'énigme qui te préoccupe? » Alice éclata de rire. « J'ai déjà fait arrêter un suspect. » M. Roy leva les sourcils, étonné. Alice lui raconta tout ce qui s'était passé depuis son départ. « J'ai peine à te croire, dit l'avoué. Bravo! Alice. Tu es beaucoup plus avancée que moi. » Sur un ton plus bas, M. Roy poursuivit : « Je ne sais pas encore pourquoi M. Leblanc-Dujey se comporte d'une manière aussi étrange. Chaque fois que je le rencontre, il me semble être un homme très agréable, très courtois, mais peu travailleur, encore qu'il se rende chaque jour à son bureau. Il n'a pas laissé échapper un seul mot qui

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puisse me mettre sur la voie et me permettre de découvrir pourquoi il vend ses actions à un rythme aussi alarmant. » M. Roy fit monter les jeunes filles dans un taxi. Il restait songeur. « Sais-tu que cette histoire de lion vert m'intrigue? dit-il en regardant Alice. — J'avais d'abord pensé que l'avertissement était lié au mystère des 99 marches, répondit-elle. A présent, je me demande s'il ne t'était pas destiné, à toi aussi. Somme toute, la première lettre de menaces signée « Monsieur Neuf » s'adressait à nous deux. — Il se peut que tu aies raison. » Le taxi roulait maintenant au cœur de Paris. Les voyageuses ouvraient de grands yeux devant les larges boulevards que bordaient de beaux immeubles. La tout Eiffel, tant vantée, leur arracha des cris d'admiration. 45

« Qu'aimeriez-vous visiter d'abord? demanda M. Roy. — Notre-Dame, répondit aussitôt Marion. Je veux voir ces affreuses gargouilles dont j'ai vu de nombreuses reproductions. » L'avoué se mit à rire. « C'est bon. Nous commencerons par Notre-Dame dès que vous aurez admiré la belle chambre à trois lits que j'ai retenue pour vous au Floraly, rue de la Paix, et que vous aurez défait vos valises. » Une heure plus tard, les jeunes filles rejoignaient dans le hall de l'hôtel M. Roy, très étonné de leur rapidité. Il commanda un taxi et donna l'ordre au chauffeur de les conduire sur le parvis de la cathédrale. Bess écarquilla les yeux en descendant de voiture. « Quelle splendeur! Regardez toutes ces sculptures, ces statues ! Il y en a des centaines ! — C'est exact, convint M. Roy. Aimeriez-vous grimper au haut d'une de ces tours? Vous pourrez contempler à loisir quelques gargouilles et vous aurez une vue splendide sur Paris. — Montons vite! » s'écria Marion qui aurait déjà voulu être au sommet de la tour. M. Roy conduisit les jeunes filles dans une rue longeant le côté gauche de la cathédrale et où, sur le trottoir opposé, s'alignaient de petits cafés. Une porte étroite s'ouvrait sur un escalier en colimaçon encore plus étroit et dont les marches de pierre se terminaient en angle si aigu qu'on pouvait à peine y poser la pointe du pied. « J'espère que nous ne croiserons personne », dit Bess, la mine inquiète. Alice monta la première, suivie de Bess. Venaient ensuite Marion et M. Roy. Il faisait assez sombre, la lumière du jour ne filtrant que par de petites ouvertures carrées, très espacées les unes des autres. Alice comptait silencieusement les marches. « Autant vaut commencer tout de suite mon enquête et m'assurer qu'il n'y en pas 99 », se disait-elle. Lentement, le petit groupe montait. Alice venait de compter 99 sans avoir rien remarqué d'intéressant, lorsqu'elle

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arriva à un tournant encore plus accentué que les autres. Une femme très corpulente venait à sa rencontre, bloquant l'escalier. Sans se soucier le moins du monde de ceux qui étaient, audessous d'elle, elle ne s'arrêta pas. Désemparée, la jeune fille se posa sur la pointe des pieds et se plaqua contre le mur, cherchant, en vain, une prise. « S'il vous plaît... » commença Alice. La grosse femme n'entendit pas ou ne daigna pas accorder d'attention à cette requête. Elle continua d'avancer et poussa Alice si fort que celle-ci perdit l'équilibre et tomba sur Bess qui, à son tour, lâcha pied et battit l'air de ses bras. Allaient-elles dégringoler ainsi jusqu'en bas?

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CHAPITRE VI DOUBLE PRISE les trois jeunes filles culbuter dans l'escalier en colimaçon, M. Roy se prépara à les recevoir. S'appuyant d'une main contre le mur, il se pencha en avant. Sous le choc, il vacilla, mais tint bon. Alice, Bess et Marion l'aidèrent en se pressant, elles aussi, contre le mur, ce qui ralentit leur chute. « Oh! merci! s'écria Bess. Quelle peur j'ai eue! » Elles se relevèrent. La grosse femme qui avait causé l'accident ne s'arrêta qu'une seconde. Avec un bref « pardon », elle poursuivit sa descente. Les jeunes Américaines furent prises d'un fou rire et, leur émotion apaisée, elles recommencèrent leur ascension — en espérant, toutefois, ne plus faire de rencontres aussi volumineuses! « Est-ce encore très haut? demanda Bess, le souffle court. VOYANT

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— Les tours ont soixante-neuf mètres, dit en riant M. Roy. — C'est une église très célèbre, n'est-ce pas? questionna Alice. — Oui. Et elle a joué un rôle important dans l'histoire de France. Elle a été le théâtre de cérémonies marquantes qui s'y sont déroulées en grande pompe. » Sur ces entrefaites, Alice avait atteint la plate-forme, entourée d'une balustrade de pierre arrivant à hauteur d'épaule. A quelques mètres d'elle, une gargouille massive saillait d'une corniche. On aurait dit quelque étrange oiseau préhistorique contemplant la Seine qui coulait tout en bas. Bess, qui avait rejoint Alice, était littéralement fascinée. « Cette gargouille et les autres qui l'entourent sont d'une telle laideur qu'elles en deviennent belles! — Qui a inventé de pareils motifs d'ornement et que signifie le nom de gargouille? voulut savoir Marion. — D'après ce que j'ai cru comprendre, expliqua l'avoué, ces gargouilles sont en fait des dégorgeoirs par lesquels s'écoulent les eaux de pluie recueillies dans un chéneau. Le mot serait une combinaison de garg = gorge et de goule qui est une forme dialectale de gueule ou gosier. Mais on n'en est pas sûr du tout. Quant à savoir pourquoi on leur a donné cette apparence grotesque, je ne saurais le dire. Sans doute est-ce dû à la fantaisie des architectes et des sculpteurs. — J'ai lu quelque part, intervint Alice, que saint Romain, évêque de Rouen, avait délivré la contrée d'un serpent hideux qui la désolait. On l'appelait la gargouille et on voyait en elle le symbole du paganisme. On en promenait l'image au cours des processions. Peut-être est-ce l'origine des gargouilles de NotreDame. — En tout cas, cette légende me plaît », dit M. Roy. L'avoué et les jeunes filles se promenèrent sur la plateforme, s'efforçant « d'absorber » Paris, qui se déployait à leurs yeux. Après avoir longtemps contemplé le merveilleux panorama, M. Roy, Alice et les deux cousines redescendirent tout en

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On aurait dit quelque étrange oiseau préhistorique.

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bavardant. A mi-chemin, Alice s'approcha d'une ouverture et jeta un regard sur la rue par laquelle ils avaient accédé à la tour. Tout à coup, elle saisit la main de son père. a Papa! Regarde cet homme en bas, sur le trottoir! Il ressemble à Claude Aubert ! » Surpris, M. Roy, Bess et Marion tournèrent la tête dans la direction qu'indiquait Alice et aperçurent un homme, qui tête levée, semblait les surveiller. « Vraiment, Alice, tu exagères! protesta M. Roy légèrement agacé. Le métier te déforme l'esprit. Tu vas finir par découvrir des suspects partout. Ne m'as-tu pas dit que Claude Aubert était enfermé dans la prison de River City? » Comme s'il avait deviné qu'on l'observait, l'homme pivota sur les talons et s'éloigna vivement. « II ne boite pas! remarqua Bess. — Ton père a raison, Alice, intervint Marion. Aubert ne peut s'être évadé et avoir débarqué à Paris en un espace de temps aussi court! — Il est visible que nous ne réussirons pas à te convaincre, reprit M. Roy s'adressant à sa fille. Alors, expose-nous un peu ta théorie? — Vous allez me croire folle, dit Alice en souriant, mais je me demande si cet homme ne serait pas le frère de Claude Aubert, peut-être même son jumeau. — En ce cas, lequel serait le vrai Monsieur Neuf? — Gomment veux-tu que je te réponde, je ne fais que des suppositions. Il se pourrait que les deux frères travaillent ensemble — Claude aux États-Unis, son jumeau ici. Averti par des complices, celui-ci nous aura pris en filature dès notre arrivée. » Bess eut une expression effrayée. « Ne me dis pas que nous sommes en danger. Moi qui me réjouissais tellement de vivre en touriste! Mais, Alice, si ces hommes sont frères, l'un d'eux ne s'appellerait-il pas le Lion Vert? — C'est possible qu'il ait adopté ce surnom. Quoi qu'il en soit, j'ai bonne envie de téléphoner à M. Stevenson

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pour lui demander si Claude Aubert est toujours en prison. » M. Roy y consentit et ils terminèrent rapidement la descente de l'escalier en colimaçon. Quand ils se retrouvèrent dans la rue, Alice suggéra à Bess et à Marion de visiter la cathédrale pendant qu'ellemême et son père iraient à la poste pour téléphoner. « II y a un ravissant petit jardin derrière Notre-Dame. Nous vous y rejoindrons dans une demi-heure, promit M. Roy. » Les deux cousines contournèrent la cathédrale pour entrer par le portail, tandis qu'Alice et son père gagnaient le bureau de poste le plus proche. L'employé à qui ils s'adressèrent les prévint qu'il y aurait un quart d'heure d'attente environ. « Nous reviendrons », dit Alice en français. Son père l'emmena boire un chocolat et manger un gâteau dans une pâtisserie voisine. Dix minutes plus tard, ils pénétraient de nouveau dans le bureau de poste. La téléphoniste leur passa la communication. « Monsieur Stevenson? demanda Alice. — Oui. Vous m'appelez de Paris? - Oui. — Cela doit donc être très important. Je vous écoute. — Claude Aubert est-il toujours en prison? — Bien sûr. Pourquoi? » Alice lui parla aussitôt de l'homme qui semblait les surveiller et dont la ressemblance avec Aubert était frappante. « Pourriez-vous faire dire à Aubert s'il a un frère jumeau? — Restez à l'appareil un instant! » Alice attendit plusieurs minutes. Enfin la voix du commissaire résonna à son oreille : « Aubert a refusé de répondre, ce qui me donne à croire que vous avez deviné juste. Vous aviez également raison sur un point : il ne boite pas. Je vais me mettre en rapport avec la police de Paris. S'il y a du nouveau, tenez-moi au courant. » Alice le remercia, lui donna l'adresse de leur hôtel et demanda également si on avait mis la main sur la personne qui, après avoir tenté de s'introduire chez eux, avait placé un avertissement dans le cabriolet.

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« Non. » Comme Alice sortait de la cabine téléphonique, son expression radieuse frappa son père. « Inutile de me raconter, dit-il en riant. Je vois à ton visage que tu es sur la bonne piste. - Mauvais point pour moi! répondit Alice. Un bon détective ne doit pas laisser transparaître ses pensées, n'est-ce pas, monsieur mon père? — En effet. — Si cet homme est bien le frère de Claude Aubert, pourquoi n'inverserions-nous pas les rôles : au lieu de nous laisser suivre, suivons-le. — Ce serait un excellent, tour à lui jouer, si nous y parvenons. Gardons l'œil ouvert. » Les Roy visitèrent l'intérieur de la cathédrale, dont la 53

beauté les émut profondément. Alice ne se lassait pas d'admirer les vitraux, les colonnes, la voûte, les statues. Elle s'arrêta devant une Vierge dont le gracieux visage était baissé sur ses bras qui auraient dû bercer l'Enfant. « La statue de l'Enfant Jésus a été mystérieusement emportée, expliqua M. Roy. Volée sans doute. — Comme c'est dommage! » s'exclama Alice, attristée. En sortant de la cathédrale, ils longèrent la façade et pénétrèrent dans le petit jardin, d'où ils contemplèrent le chevet de Notre-Dame, la Seine et les jolis parterres de fleurs où les pigeons picoraient. Bess et Marion les rejoignirent et tous les quatre s'assirent sur un banc. Alice raconta aux deux cousines sa conversation avec M. Stevenson et les pria d'être vigilantes. Partout où elles iraient, elles guetteraient l'homme qui était sans doute le frère de Claude. Au bout de quelques minutes, M. Roy suggéra de rentrer déjeuner à l'hôtel. « Voilà une idée qui me séduit! fit Bess en se levant. Je meurs de faim. » Elle se leva, et, avant de se diriger vers la sortie, elle pivota lentement sur elle-même pour s'assurer que le suspect n'était pas en vue. Tout à coup, son regard se fixa sur un réverbère qui se profilait sur de hauts buissons, au fond du jardin. Elle avait aperçu une forme embusquée derrière. « Alice, murmura-t-elle vivement. Je crois que c'est Monsieur Neuf! »

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CHAPITRE VII POURSUITE DANS UNE VILLE INCONNUE Bess tendre le doigt vers le réverbère, l'homme comprit qu'il était découvert. Il bondit en avant, plongea entre les arbustes et disparut. « Poursuivons-le! » hurla Alice. Ils s'élancèrent tous vers l'épais massif, « Je le vois, cria Marion. Il court vers la rue. » Quand ils arrivèrent rue du Cloître-Notre-Dame, l'homme s'éloignait en direction du sud. « Il ne faut pas le laisser échapper, dit M. Roy. Continuez seules. Je ne peux plus courir aussi vite qu'autrefois. » Alice rattrapa bientôt Marion. Mais à l'angle sud du quai de l'Archevêché, un agent de police les arrêta. « Quelle est la raison de cette hâte? » démancha-t-il sévère. Alice montra le fugitif qui accélérait sa course. EN VOYANT

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« Poursuivons - le ! » cria Alice.

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« C'est un suspect qui cherche à nous échapper! », répondit-elle en français. L'agent de police leva les sourcils. « Suspect de quoi? » Alice resta bouche bée. De quoi l'homme était-il suspect? D'être le frère de Claude Aubert? Ce n'était pas un délit. Enfin, elle balbutia : « II nous suit et nous voulons savoir pourquoi. » Sur ces entrefaites, M. Roy et Bess les avaient rejoints. L'avoué se présenta et montra ses papiers d'identité. « Je vous demande pardon », dit l'agent de police et il leur fit signe de partir. Alice hocha la tête, dépitée. « Trop tard. Regardez! » L'homme tout en jambes et en bras s'engouffrait dans un taxi. Voyant la mine déçue des Américains, l'agent de police voulut les réconforter. « Bah! Si cet individu vous suivait, il recommencera tôt ou tard. Comment s'appelle-t-il? — Nous l'ignorons, répliqua Alice. Toutefois, nous pensons qu'il se nomme Aubert. Auriez-vous par hasard entendu parler d'un certain Claude Aubert? » L'agent de police la regarda avec étonnement. « Mais oui, mademoiselle! Claude Aubert est un escroc très connu de la police judiciaire. Les inspecteurs ne parviennent pas à mettre la main sur lui. — Il est en prison aux États-Unis depuis vingt-quatre heures, reprit Alice, et le commissaire de police de notre ville va se mettre en rapport à son sujet avec la Sûreté. — Serait-ce pour avoir, comme ici, imité une signature sur un chèque portant une somme considérable? — Non... » Alice se tut et, prise d'une intuition soudaine, demanda quelle était la signature imitée par Aubert. La réponse de l'agent de police les laissa tous pantois : c'était celle de Charles LeblancDujey! le « financier affolé »!

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Y aurait- il un lien entre l'affaire qui avait amené M. Roy à Paris et celle dont s'occupait Alice? M. Roy se posait la question. Avec tout le calme dont elle était capable, Alice pria l'agent de lui dire où Claude Aubert demeurait avant sa disparition. Par bonheur, l'escroc ayant eu les honneurs des journaux, l'agent de police se rappelait ce détail et il nomma une petite rue de la rive gauche. Les Roy le remercièrent du renseignement et reprirent le chemin de Notre-Dame. M. Roy proposa aux jeunes filles de déjeuner dans un . petit café-restaurant au lieu de retourner à l'hôtel. De là, ils se rendraient à l'appartement d'Aubert. « Oui, ce sera amusant, approuva Bess. Et puis, après un bon repas français, ma matière grise fonctionnera mieux. Voilà qui te ferait plaisir, n'est-ce pas, Alice? — Certes, répondit en riant celle-ci. Ce mystère devient si embrouillé que j'ai besoin de toute l'aide possible. » M. Roy choisit un café à l'aspect accueillant et ils prirent place autour d'une petite table. En attendant que le soufflé au fromage commandé par M. Roy leur fût servi, ils se mirent à parler à voix basse. « Ce qu'il y a d'étrange dans ce que nous venons d'apprendre, c'est que les bureaux de M. Leblanc-Dujey se trouvent dans la même rue que l'immeuble habité par Aubert, remarqua M. Roy. — Croyez- vous que cela ait une signification quelconque? demanda Marion. Autrement dit, serait-ce Aubert qui terrorise M. Leblanc-Dujey? — Je l'ignore, mais la coïncidence est singulière. » Quand ils eurent terminé le repas, M. Roy offrit aux trois amies de les emmener d'abord au Louvre voir quelques-unes des admirables œuvres d'art qui y sont exposées. Elles acceptèrent avec enthousiasme. Un taxi déposa le groupe devant ce musée qui, jadis, servait de demeure aux rois de France. Bess poussa un soupir. « Une semaine nous suffirait à peine pour tout voir !

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Mais oui, mademoiselle ! Claude Aubert est un escroc très connu de la police judiciaire. »

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— C'est vrai, fit en souriant M. Roy, mais allons au moins contempler la célèbre Victoire de Samothrace. — Celle qui représente une femme avec des ailes mais pas de tête? — Oui, approuva M. Roy. — La Vénus de Milo se trouve ici également », dit Alice. Marion se mit à rire. « La belle femme sans bras? Où ont-elles perdu tête et bras? — Si je le savais, j'irais les chercher, riposta Alice du tac au tac. — Oh! Marion, tes plaisanteries ne sont pas drôles! Grommela Bess, qui avait un sens artistique plus développé que sa cousine. Et je m'étonne qu'Alice ait relevé ta remarque stupide. J'aimerais beaucoup voir la Joconde, de Léonard de Vinci. » M. Roy lui expliqua que ce tableau était considéré comme le trésor le plus précieux du Louvre et qu'il faisait l'objet d'une surveillance constante. Deux gardiens se tenaient en effet de chaque côté du célèbre portrait de Mona Lisa. « Comme elle est belle! fk Alice. Elle respire le calme, la paix. » Le petit groupe resta plus d'une heure au Louvre. Puis, las de marcher, M. Roy appela un taxi. Après avoir traversé la Seine par le pont du Carrousel, la voiture suivit des rues étroites et tortueuses et arriva à l'adresse indiquée par l'agent de police. Le concierge, un gros homme rébarbatif d'environ cinquante ans, se montra tout d'abord réticent. « J'en ai assez de m'entendre poser des questions sur ce Claude Aubert! Tout à l'heure la police, maintenant vous? Et puis d'abord, qui êtes-vous? Pas des Français en tout cas. » Alice lui fit un sourire désarmant et décida de brusquer les choses. « Quel est le prénom du frère jumeau de Claude? » demanda-telle. Sans hésitation, le concierge répondit : « Louis. » Si Alice eut peine à retenir un cri de joie, M. Roy, Bess et Marion eurent également du mal à se composer un visage inexpressif.

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« Ah! C'est vrai, dit Alice. Où habite-t-il donc? » L'homme se tut un moment. Enfin, il marmonna : « Quelque part à la campagne. Je ne me rappelle plus le nom de l'endroit. » Mis en confiance, il poursuivit : a Vous savez, Louis, il est rudement intelligent. Claude, lui, on ne peut pas dire qu'il soit très, très malin. Il ne fait qu'obéir à son frère.» Sur un ton naturel, M. Roy intervint dans la conversation : « Louis est très occupé, cela ne fait aucun doute. Nous l'avons aperçu de loin aujourd'hui. Que fait-il en ce moment? — C'est une sorte de savant. Il avait une chambre à côté de celle de son frère et elle était encombrée de cornues et de papiers couverts de drôles de signes — il appelait cela des formules. » L'intuition d'Alice l'avertissait qu'ils étaient sur le point de découvrir un indice précieux. Elle sourit de nouveau au concierge. « Pourrions-nous visiter l'appartement que Claude Aubert occupait? » A vrai dire, Alice ne pensait pas que cet indice se trouverait dans l'appartement, mais elle voulait compter le nombre de marches qui y menaient. Si, par hasard, il y en avait 99... « Je peux vous conduire jusqu'à la porte, mais je ne peux pas vous le faire visiter. Il a été loué à un jeune ménage. » Lentement, il commença de monter l'escalier, suivi de M. Roy et des deux cousines. Alice formait l'arrière-garde et, mentalement, comptait les marches. Quand elle arriva au palier où donnait l'appartement des Aubert, elle en était à 99. « Que dois-je en déduire? songea-t-elle. Ce nombre serait-il un signe de ralliement entre Louis et Claude, ou encore entre Claude et d'éventuels complices, auxquels il donnait rendez-vous à son appartement. Oui, mais que vient faire le cauchemar de Mme Blair dans tout cela? » Le concierge s'arrêta devant une porte :

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« C'est ici que MM. Aubert habitaient, dit-il. L'appartement est coquet. Dommage qu'il soit loué, cela vous aurait peut-être intéressés de le visiter, car des fenêtres du salon on a une très jolie vue sur un vieux jardin. » Sur ces mots, il entreprit la descente, assez intrigué par l'attitude de ces étrangers que la contemplation d'une porte palière semblait avoir satisfaits. Arrivé au bas de l'escalier, M. Roy remercia le concierge et lui remit un généreux pourboire, puis le peut groupe sortit de l'immeuble. Les jeunes filles commençaient à se sentir très lasses, aussi M. Roy arrêta-t-il un taxi qui les ramena à leur hôtel. « J'ai une surprise pour vous, dit l'avoué en chemin. Nous sommes tous invités à une soirée. Elle a été organisée par un de mes amis, M. Trémaine, dans le dessein de vous faire rencontrer M. Charles Leblanc-Dujey. Nous espérons que votre curiosité naturelle et votre flair vous aiguilleront sur la bonne voie, car, quant à moi, je suis un peu découragé. — Une soirée chez des Français! fit Bess tout heureuse. — Oui, et tu sais, Alice, si tu réussis à soutirer autant de renseignements de M. Leblanc-Dujey que tu en as obtenu de l'agent de police et du concierge, je t'offrirai un beau souvenir de Paris. — Voilà qui va me donner des ailes... et de l'intelligence! » répondit Alice en riant. Après s'être reposés, M. Roy et les jeunes filles prirent un bain et se mirent en tenue de soirée. Un taxi les déposa devant un ravissant hôtel particulier, proche du bois de Boulogne. De larges marches conduisaient à un perron sur lequel s'ouvrait une lourde porte à double battait en lois sculpté. Par les fenêtres brillamment éclairées s'échappaient des flots de musique. « Cela va être divin! » murmura Bess. M. Roy descendit le premier. Il aidait Alice à sortir de voiture quand une automobile, venant par-derrière, emboutit le taxi. Malgré tous ses efforts, M. Roy ne put retenir Alice qui, déséquilibrée par le choc, fut projetée sur le trottoir.

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CHAPITRE VIII DÉTECTIVES EN ROBES DU SOIR et Marion furent brutalement projetées contre la banquette avant et retombèrent sur le plancher du taxi. Le chauffeur heurta de la tête le pare-brise mais, par chance, il s'en tira avec une légère contusion. A peine remis de sa surprise, il sauta à terre, les poings serrés et l'insulte à la bouche. Hélas! La voiture responsable de l'accident avait reculé vivement et s'éloignait. Déjà, l'on ne distinguait plus son numéro. M. Roy avait doucement relevé Alice, le chauffeur de taxi aida Bess et Marion à sortir de la voiture. Le premier souci des deux cousines fut pour Alice. « Es-tu blessée? » demandèrent-elles. Alice ne put d'abord répondre. Elle ne parvenait pas à BESS

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reprendre son souffle, et son épaule gauche la faisait cruellement souffrir. « Rassurez-vous, dit-elle enfin. Je n'ai rien de cassé. Dans quelques minutes, la douleur passera. Et vous? — Cela va », répondit Marion avec une grimace involontaire en se frottant la nuque. M. Roy semblait inquiet. « Nous ferions mieux de renoncer à cette soirée et de rentrer à l'hôtel. — Oh! non! protesta Alice. Je veux retrouver la personne qui nous a heurtés. C'était certainement voulu. » Le visage sombre, son père lui montra la rue vide. a Trop tard, ma chérie. Le ou la coupable est loin. » Entre-temps, la porte de l'hôtel particulier s'était ouverte, et un portier accourait, attiré par le bruit. « Je vais vous conduire à une chambre où vous pourrez vous remettre un peu », dit-il après avoir appris la mésaventure survenue aux invités de son patron. Voyant qu'Alice se frottait une épaule, il lui dit qu'il allait discrètement chercher un médecin, invité de M. Trémaine. Il escorta les Américains jusqu'à une chambre meublée avec un goût raffiné. Aux murs, de ravissantes tapisseries reproduisaient une chasse à courre. Les costumes des amazones firent sourire les trois amies qui, en Amérique, n'en avaient jamais vus de semblables. « Regardez ces longues robes serrées à la taille, ces grands chapeaux à plumes! Les femmes d'autrefois montaient-elles vraiment à cheval ou se contentaient-elles de poser quelques instants pour la postérité? » demanda Bess. Cinq minutes plus tard, le portier revenait avec un médecin. Celui-ci était un homme grand et mince, très élégant et courtois. Il parut enchanté d'apprendre que M. Roy et les jeunes filles parlaient le français à la perfection, car lui-même ne connaissait que quelques mots d'anglais. Après avoir soigneusement examiné l'épaule d'Alice, il la rassura :

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« Il n'y a ni fracture ni luxation. Mais vous risquez d'avoir un gros hématome; je vous conseille de vous reposer un peu et d'appliquer de la glace pendant une demi-heure. » Il regarda également les contusions dont souffraient les deux cousines et leur prescrivit la même chose. M. Roy sonna une femme de chambre qui, sans tarder, apporta des cubes de glace, des serviettes et des morceaux de flanelle avec lesquels les jeunes filles purent exécuter les ordres du médecin. Au bout d'une demi-heure, Alice se déclara tout à fait remise. « Allons rejoindre les invités », dit-elle en se levant du sofa où elle se reposait. Bess l'aida à se recoiffer, Marion épousseta sa robe et, à l'aide d'un chiffon mouillé, enleva quelques taches. « Prête! » déclara Alice en se mettant au garde-à-vous devant son père. Avec un sourire, M. Roy lui offrit le bras et le petit groupe descendit l'escalier. La nouvelle de l'accident s'était répandue, et plusieurs personnes s'étaient assemblées dans le vestibule pour accueillir les étrangers. Les jeunes filles aperçurent des salons éclairés par de très beaux lustres de cristal. M. et Mme Trémaine se montrèrent pleins de sollicitude. Alice, Bess et Marion les assurèrent qu'elles ne souffraient plus du tout. « Nous vous remercions vivement, madame, de nous avoir invitées ce soir, dit Alice. — Venez avec moi, répondit Mme Trémaine avec un gracieux sourire, j'aimerais vous présenter à quelques amis. » Après leur avoir fait faire la connaissance de plusieurs personnes, elle conduisit les trois jeunes filles dans la salle de bal où se trouvait M. Leblanc-Dujey et fit les présentations. L'industriel était "un bel homme aux cheveux et à la moustache poivre et sel. Il s'exprimait en un anglais parfait. « Comme il est beau et quel charmant sourire il a! » pensa Bess.

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« Cher monsieur, dit l'industriel à M. Roy, je vous félicite d'avoir une fille aussi jolie. » Une lueur d'admiration brillait dans ses yeux tandis qu'il contemplait Alice. Puis, se tournant vers Bess et Marion, il ajouta : « Dire que nous autres Français, nous nous vantons d'avoir les plus jolies femmes du monde! Si votre fille et ses amies représentent les femmes de votre pays, je crains bien que les Françaises ne viennent qu'au second rang. » Les quatre Américains répondirent sur le même ton enjoué. Au bout de quelques minutes, Alice amena adroitement la conversation sur un sujet plus en rapport avec l'objet de son enquête. « Vous êtes venu seul, ce soir, monsieur? — Malheureusement, oui, répondit-il. Ma femme est à la campagne, dans notre propriété. Elle est un peu souffrante. — Comme je suis désolée! fit Alice. J'aurais été heureuse de faire sa connaissance.

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Elle espérait que cette phrase inciterait l'industriel à les inviter mais, à ce moment, le silence se fit dans la salle et une cantatrice monta sur la petite estrade disposée pour l'orchestre de danse. Elle chanta deux airs d'opéra d'une voix cristalline. Les applaudissements qui saluèrent les dernières notes étaient mérités. Le vacarme apaisé, M. Leblanc-Dujey murmura : « Pardon » et s'éloigna vivement. L'orchestre se remit à jouer des airs de danse. « II semblait écouter attentivement la musique, dit Alice à son père, mais j'ai remarqué qu'il avait un regard traqué. » Avec son sens du tragique développé, Bess intervint : « II est peut-être hypnotisé! — Une chose est certaine, décréta Marion, ce ne sera pas commode de le faire parler. — Je n'ai pas été long à m'en apercevoir! approuva M. Roy. Toutefois, je suis convaincu que vous réussirez mieux que moi. »

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Les invités auxquels les jeunes filles avaient été présentées ne tardèrent pas à former un groupe joyeux autour d'elles. Deux jeunes gens invitèrent Bess et Marion à danser. Comme un troisième se dirigeait vers Alice, M. Leblanc-Dujey revint. S'inclinant très bas, il lui dit : « Mademoiselle, me ferez-vous l'honneur de m'accorder cette danse? » Alice n'avait vraiment pas envie de danser — son épaule lui faisait mal — mais, d'un autre côté, elle se refusait à laisser échapper cette occasion de s'entretenir avec l'industriel. Tandis qu'ils tournoyaient au rythme d'une valse, M. Leblanc-Dujey commença de questionner Alice sur les raisons qui l'amenaient en France. « Se doute-t-il de quelque chose ? se demanda la jeune fille. Il n'en laisse pourtant rien transparaître ! » « J'accompagne presque toujours mon père dans ses voyages, répondit-elle. Bess et Marion, mes meilleures amies, sont souvent de la partie.

— J'aurais beaucoup aimé, reprit l'homme d'affaires, avoir le plaisir de vous promener un peu dans Paris et aux environs. Malheureusement, je suis un homme très occupé. Mon temps est compté. » Quand l'orchestre s'arrêta, le Français accompagna Alice à une chaise et la pria de l'excuser. Deux minutes plus tard, Marion venait la rejoindre. « J'ai quelque chose de très important à t'apprendre, murmura-telle. Tu vois cet homme en costume arabe, là-bas, appuyé au chambranle. — Oui. Et alors? — Tout à l'heure, je me trouvais avec mon danseur près de l'orangerie et j'ai entendu M. Leblanc-Dujey dire à l'Arabe : « Je vous avais prié de ne pas venir ici, ni ailleurs, à moins « que je ne sois seul!» 69

— Continue!

fit

Alice

en

se

redressant,

l'esprit en

éveil. — L'Arabe a répondu : « Mais Neuf arrive. Il faut que je a vous parle ». — Et ensuite? « Bien, a répliqué M. Leblanc-Dujey. A demain... 99. » Puis les deux hommes se sont séparés. — Quatre-vingt-dix-neuf, répéta Alice entre ses dents. Je voudrais suivre cet Arabe ! » Sur ces entrefaites, M. Roy rejoignit les jeunes filles, et Alice lui répéta ce qu'elle venait d'apprendre. Bien que vivement intéressé, il interdit à Alice de poursuivre son enquête ce soir-là. « N'oublie pas que tu as reçu un choc. Nous allons rentrer à l'hôtel et tu te coucheras aussitôt. Toutefois, je consens à te faire une promesse : demain nous prendrons M. Leblanc-Dujey en filature. — Accorde-moi une autre faveur, s'il te plaît. — Laquelle? demanda M. Roy en souriant. — Permets-moi de surveiller les faits et gestes de cet Arabe pendant quelques minutes... si du moins je parviens à le retrouver. Je t'en prie! »

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M. Roy consentit à lui accorder vingt minutes de sursis. Ce délai passé, il emmènerait les trois jeunes filles. « Toutefois, garde-toi d'éveiller les soupçons de cet homme. Cela compromettrait tout le succès de notre entreprise. » Un jeune étudiant français, Henri Durant, s'avançait à et moment pour inviter Alice. Elle accepta, ravie, et il la conduisit vers la piste. En dansant, elle regardait autour d'elle sans en avoir l'air. Tout à coup, elle aperçut l'Arabe au fond de la salle, près de la porte qui ouvrait sur un jardin planté de palmiers et de (leurs exotiques. Une idée traversa l'esprit d'Alice. « Pourvu que ça marche! » se dit-elle. L'orchestre jouait un air vif, Henri fit des compliments à Alice sur la façon dont elle dansait. « Vous conduisez à merveille, répondit Alice. Je me contente de vous suivre. » Quelques secondes plus tard, elle reprit : 71

« Cela vous ennuierait-il si nous allions nous asseoir dans le jardin sans attendre la fin de la danse? Mon épaule me fait souffrir. » Plein de sollicitude, Henri la conduisit à un banc installé sous une charmille. D'abord, elle ne vit pas l'Arabe. Puis, soudain, elle le surprit qui la regardait fixement entre les feuillages. La connaissait-il? Avait-il deviné qu'elle essayait de percer le mystère des 99 marches? L'homme était-il un ennemi? Se tournant vers son compagnon, Alice lui demanda : « Savez-vous qui est cet Arabe? — Non, mais si vous le désirez, je vais m'en informer. » Henri se leva et se dirigea vers l'homme. Aussitôt, celui-ci s'éloigna rapidement vers l'autre extrémité du jardin, par où l'on pouvait également accéder à la salle de bal. Alice rejoignit Henri. « Cet Arabe est suspect, songeait-elle. Il ne faut pas que je le laisse échapper avant d'avoir découvert son identité. » Avec un sourire naturel, elle dit à Henri : « Je désirais parler à cet homme et je craignais qu'il ne parte. » L'explication parut satisfaire Henri qui ramena Alice dans la salle de bal. Du seuil, la jeune fille vit le turban disparaître dans le vestibule. Suivie d'Henri, elle se fraya un chemin à travers la foule des danseurs. Mais quand ils parvinrent dans l'entrée, l'Arabe sortait par la grande porte. Selon toute apparence, il ne s'était pas inquiété de prendre congé des Trémaine. Alice s'approcha du portier et lui demanda qui était cet étranger. « Je l'ignore, mademoiselle, répondit-il. Il m'a présenté une carte d'invitation, aussi l'ai-je introduit. — Il faut que je lui parle », dit Alice. Le serviteur lui ouvrit aussitôt le battant. Elle courut sur le perron. L'Arabe allait à grands pas vers une petite voiture noire, garée dans la rue. Un homme était au volant, le moteur tournait et une portière était ouverte. « Vite, Henri ! » cria Alice.

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CHAPITRE IX ATTAQUE NOCTURNE et Henri descendirent en courant les marches du perron. Hélas! Quand ils mirent le pied sur le trottoir, le mystérieux Arabe sautait dans la voiture dont le conducteur opérait un démarrage foudroyant. Mais en claquant la portière l'homme coinça son turban qui bascula, entraînant une perruque. Les réverbères éclairaient l'intérieur de l'automobile. Alice poussa un cri de surprise. Elle avait reconnu Louis Aubert ! « Qu'avez-vous? demanda Henri. — Cet homme était déguisé. Je suis persuadée qu'il s'est introduit en fraude chez les Trémaine. — Croyez-vous que ce soit un voleur? interrogea Henri perplexe. Est-ce pour cela que vous vouliez l'arrêter?» Alice hésita, puis répondit franchement : « Non. J'avais d'autres raisons. » Henri accepta cette réponse sans discuter. La politesse le lui commandait. ALICE

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Quand les deux jeunes gens rentrèrent dans l'hôtel particulier, quelques invités prenaient congé de leurs hôtes. Alice attendit, puis, profitant d'une, minute où M. et Mme Trémaine étaient seuls, elle s'avança vers eux et leur demanda qui était l'Arabe. Un peu étonné, M. Trémaine répondit : « Nous n'avons pas saisi son nom. Il s'est présenté comme un ami de M. Leblanc-Dujey. Désirez-vous que je m'en informe? — Il vient de partir à l'instant même et semblait très pressé », répondit Alice. Les Trémaine froncèrent les sourcils. Cet homme manquait de manières! Comment avait-il pu partir sans les remercier! M. Roy, Bess et Marion évitèrent à Alice la peine de donner les raisons de sa curiosité, peut-être excessive, en venant l'avertir qu'il était temps de rentrer. Henri prit congé d'Alice et exprima le désir de la revoir. M. Leblanc-Dujey s'approcha du petit groupe et sur un ton parfaitement naturel déclara qu'il espérait les rencontrer de nouveau sans tarder. Alice réfléchissait. Le financier projetait-il de rester à Paris et de voir Louis Aubert de bonne heure dans la matinée? Avec un sourire, elle demanda : « Regagnez-vous votre propriété ce soir? — Oh! oui. Je m'y plais beaucoup. Certes, le trajet est fastidieux, mais je dors infiniment mieux à la campagne qu'en ville. » Marion avait compris où son amie cherchait à en venir. « Allezvous tous les jours à votre bureau, monsieur? intervint-elle. — Oui. Chaque matin, à neuf heures, je me mets au travail », répondit-il. Alice en conclut que, sans doute, il retrouverait Louis Aubert soit à Paris au cours de la journée, soit à la campagne dans la soirée du lendemain. « Comme je voudrais pouvoir le suivre tout de suite! » se disaitelle, impatiente. Les jeunes filles allèrent chercher leurs manteaux au

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vestiaire et remercièrent vivement les Trémaine de la charmante soirée qu'elles avaient passée chez eux. M. Roy, qui avait déjà pris congé de ses hôtes, les attendait sur le perron. Dans le taxi qui ramenait le groupe à l'hôtel, Alice refrénait avec peine l'envie de parler qui la démangeait. Mais elle jugeait plus prudent d'attendre qu'ils fussent tous les quatre. En descendant de voiture, elle pria son père de venir dans la chambre qu'elle partageait avec Bess et Marion. Là, elle lui parla du faux Arabe et ajouta que Louis Aubert était allé chez les Trémaine sans y avoir été invité. A son tour, Marion répéta la conversation qu'elle avait surprise entre Louis et Leblanc-Dujey. « Vous avez fait de l'excellent travail toutes les deux, mes félicitations, dit M. Roy. De son côté, M. Trémaine — qui, je peux vous le dire maintenant, est une des personnes que l'attitude de Leblanc-Dujey intrigue — m'a appris qu'aujourd’hui même celui-ci avait vendu des actions pour une somme considérable et qu'il en a exigé le paiement en espèces. Or, il s'agit de plusieurs milliers de francs et je crains qu'il ne les ait eus sur lui ce soir. » Les yeux de Bess brillèrent d'excitation. « Cela voudrait dire que Louis Aubert exerce un chantage sur M. Leblanc-Dujey. » L'avoué eut un sourire las. « Je ne peux encore l'affirmer : néanmoins en rapprochant ce que chacun de nous a vu et entendu ce soir, il y a fort à parier qu'il existe entre ces deux hommes des tractations secrètes. » Les jeunes filles et M. Roy continuèrent à discuter pendant près d'une heure. Leur conclusion fut assez décevante : le puzzle était loin d'être reconstitué. « C'est drôle, dit Alice, je ne vois pas encore que] lien le cauchemar de Mme Blair peut avoir avec la panique de ton financier et, pourtant, je suis persuadée qu'il y en a un. » L'une après l'autre, les trois amies se mirent à bâiller. M. Roy se leva et déclara qu'il allait se coucher.

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« A demain matin. Petit déjeuner à huit heures en bas », dit-il. Et il embrassa chacune des jeunes filles à tour de rôle. Une fois déshabillée, Alice jeta un regard morne à son épaule contusionnée. Elle était enflée et commençait à noircir. Bess lui proposa d'aller chercher de la glace. Alice refusa. « Non, ce n'est pas la peine. Le médecin a dit que ce n'était pas grave. Une bonne nuit de sommeil et il n'y paraîtra plus. » En effet, en se réveillant, elle souffrait à peine. « Un petit souvenir de Paris », dit-elle en souriant. Les trois amies descendirent rejoindre M. Roy dans la salle à manger de l'hôtel. Il était plongé dans la lecture d'un journal français. Comme il le posait pour leur dire bonjour, un titre frappa Alice. Elle poussa une exclamation et lut rapidement l'article. « M. Leblanc-Dujey a été attaqué et volé cette nuit! dit-elle. Et on parle de milliers de francs! Ce doit être le produit de la vente de ses actions ! — Je le crains, dit l'avoué. — Avez-vous lu tout l'article? demanda Marion à M. Roy. — Oui. Revolver au poing, deux hommes ont obligé la voiture de M. Leblanc-Dujey à s'arrêter. Ils n'ont molesté ni son chauffeur ni lui-même, mais ils se sont emparés de tout l'argent qu'ils ont trouvé sur eux. L'agression a eu lieu sur une petite route déserte, très proche de la propriété de notre financier. — C'est terrible! fit Bess apitoyée. A-t-on attrapé les voleurs? » M. Roy répondit que la police aurait de grandes difficultés à les retrouver, car il pleuvait et toutes les empreintes avaient disparu. « Un des agresseurs ne serait-il pas Louis Aubert? interrogea Bess. — Cela m'étonnerait. Si ce faux Arabe exerce un chantage sur Leblanc-Dujey, comme nous le supposons, et s'il devait le rencontrer aujourd'hui, pourquoi le voler en pleine nuit? Certes, il a pu craindre que Lebîanc-Dujey ne change d'idées et, en ce cas, il aura préféré s'assurer tout de suite la possession de l'argent.

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— Il y a une chose à laquelle nous n'avons pas assez prêté attention, intervint Alice, c'est que Louis Aubert est un scientifique. Sans doute un chimiste d'après les explications du concierge. » Bess poussa un soupir. « Comment veux-tu que nous sachions exactement ce qu'il fait, si personne ne peut ou ne veut nous dire où il habite? Si M. LeblancDujey connaît son adresse, je parie qu'il se gardera de nous la donner.» Les autres acquiescèrent et convinrent qu'il était inutile de s'attacher à cela pour le moment. « J'aimerais bien savoir si M. Leblanc-Dujey a l'intention de rester chez lui aujourd'hui à la suite de l'agression dont il a été victime, murmura Alice, songeuse.

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— Tu n'as qu'à lui téléphoner et le lui demander carrément, suggéra Bess. Prends un ton apitoyé, dis-lui combien tu as été bouleversée par la nouvelle que tu viens d'apprendre en lisant les journaux. — C'est une très bonne idée, approuva Alice. Je vais téléphoner à son bureau. » Peu après neuf heures, Alice monta dans sa chambre et pria la standardiste de l'hôtel d'appeler M. Leblanc-Dujey. On lui passa la secrétaire du financier. Celle-ci répondit que M. Leblanc-Dujey était arrivé et qu'il ne semblait pas se ressentir de l'incident. « Je ne peux pas le déranger en ce moment, ajouta-t-elle, parce qu'il est en conférence. Désirez-vous que je lui transmette un message? — Non, je vous remercie. Je voulais seulement prendre de ses nouvelles. » Et Alice raccrocha avant que la secrétaire ait pu lui demander son nom. En apprenant que M. Leblanc-Dujey se portait comme d'habitude, M. Roy prit un air soupçonneux et partit téléphoner à M. Trémaine. Il lui conseilla de s'assurer les services d'un détective qui surveillerait toute la journée les allées et venues de l'homme d'affaires. M. Trémaine y consentit. « Et ce soir? demanda-t-il. — Inutile. Ma fille, ses amies et moi-même, nous assurerons la relève. » Si grande que fût son envie de poursuivre l'enquête, Alice se résigna de bonne grâce à faire connaissance avec Paris. Ses amies, son père et elle, remontèrent la Seine à bord d'un bateau de plaisance, puis ils firent quelques achats dans des magasins de souvenirs. « Regardez cette cafetière musicale, dit la jeune détective aux deux cousines. Je vais l'acheter pour Sarah! Cela l'amusera beaucoup!» Vers la fin de l'après-midi, M. Roy, Alice, Bess et Marion prirent place dans une automobile que M. Roy avait louée et

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Ils remontèrent la Seine à bord d'un bateau de plaisance.

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ils se rendirent au bureau de M. Leblanc-Dujey. L'avoué se gara le long du trottoir, à quelques mènes de l'immeuble. Aussitôt un homme en civil s'approcha de lui, sourit et enleva son chapeau. « Monsieur Roy, n'est-ce pas? » Comme Bess interrogeait du regard Alice, celle-ci lui murmura à voix basse que M. Trémaine avait pris soin de décrire son père au détective qu'il avait engagé. M. Roy tendit son passeport, l'homme lui montra sa carte professionnelle et, s'étant ainsi assurés de leurs identités respectives, ils se mirent à parler. « M. Leblanc-Dujey n'est pas sorti de la journée, annonça le détective. Désirez-vous que je continue la surveillance? — Non! C'est inutile, répondit M. Roy. Vous pouvez partir. » Peu après le départ du détective, le financier apparaissait sur le seuil de l'immeuble. Son chauffeur se porta aussitôt à sa rencontre, lui prit des mains un porte-documents, ouvrit la portière d'une voiture noire, garée devant la porte, s'effaça

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pour laisser monter son patron, referma la portière, prit sa place au volant et démarra. M. Roy, qui faisait tourner son moteur depuis quelques minutes, le suivit sans peine pendant une centaine de mètres. Mais à cette heure, la circulation était intense et il ne tarda pas à perdre de vue la voiture noire. Alice poussa un soupir navré. Quelle déception! « Dire qu'il va peut-être à un rendez-vous avec Aubert aux 99 marches, et que nous n'y serons pas! » murmura-t-elle. Le petit groupe des quatre se mit à discuter de ce qu'il fallait faire. A la fin, Bess étouffa un bâillement provoqué par la faim. « Dînons d'abord, proposa-t-elle. Ensuite nous nous mettrons à la recherche de M. Leblanc-Dujey. — Non, protesta Alice. Allons à l'ancien appartement de Claude Aubert. — Pourquoi ? fit M. Roy. — Qui sait si M. Leblanc-Dujey ne s'y rend pas pour y rencontrer Louis? »

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M. Roy le suivit sans peine pendant une centaine de métra.

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CHAPITRE X UN DÉPLAISANT PERSONNAGE M. ROY se rangea à l'avis d'Alice. Il se pouvait que M. LeblancDujey ignorât le changement d'adresse de Claude et de Louis. En tout cas, mieux valait ne pas laisser échapper cette chance, si minime fûtelle. Quand ils arrivèrent près de l'immeuble, les voyageurs scrutèrent longuement la chaussée. La voiture de l'homme d'affaires n'était pas en vue. « II n'est pas ici », dit l'avoué. Toutefois, avant de quitter le quartier, M. Roy roula doucement dans les rues avoisinantes. Pas la moindre trace du financier. « II sera rentré chez lui, déclara Bess. Ne croyez-vous pas que nous pourrions aller dîner? » Sa mine implorante fit sourire M. Roy. « Tout de suite », répondit-il.

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Peu après, il arrêtait la voiture devant un petit restaurant où l'on consentit à les servir bien qu'il fût encore un peu tôt. La salle était gaie et accueillante. Bess parcourut le menu avec inquiétude. « Des escargots! Fi! Quelle horreur!» s'exclama-t-elle. Malicieusement, Alice lui montra un autre plat. « Peut-être préférerais-tu un steak tartare? C'est très à la mode : il s'agit de bifteck haché avec des oignons et un œuf cru. — Pouah! fit Bess horrifiée. Tu me donnes la nausée! » Ses amies et M. Roy éclatèrent de rire. « Voyons, Bess Taylor! Moi qui te croyais une grande connaisseuse en matière de bonne cuisine ! — Désolée de te décevoir, ma chère, répliqua Bess en minaudant. Si tu n'y vois pas d'inconvénient, je m'en tiendrai à un potage à la tomate, une tranche de rôti cuit à point, des pommes de terre à la vapeur, des asperges, de la salade verte, du fromage et, pour finir, des fraises à la crème. — J'aime beaucoup ce «je m'en tiendrai à... » qui semblait annoncer un menu léger, dit Marion en dardant sur sa cousine un regard réprobateur. Si tu continues dans cette triste voie, tu vas éclater dans toutes tes robes, pourtant déjà amples. » Bess consentit à renoncer au potage. La nourriture était délicieuse et chacun la savoura avec plaisir. Vers sept heures, ils quittèrent tous les quatre le restaurant. « A quelle distance de Paris M. Leblanc-Dujey habite-t-il? demanda Alice. — Une trentaine de kilomètres », répondit M. Roy. Durant le trajet, Alice ne parla guère. Elle tournait et retournait dans sa tête les diverses données du problème, du moins celles qu'elle connaissait — et elles étaient peu nombreuses. « Si seulement je pouvais découvrir un nouvel indice qui me mènerait aux véritables 99 marches! » se disait-elle. La voiture roulait maintenant sur une route bordée de belles

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propriétés. La grâce des maisons, la beauté des arbres et des parterres arrachaient des cris d'admiration aux jeunes filles. Enfin M. Roy longea un haut mur de pierres entourant un parc dont l'entrée était presque dissimulée par un bosquet de sycomores. M. Roy ralentit et se gara à l'abri des arbres. « Voilà le domaine de M. Leblanc-Dujey. Nous allons laisser la voiture ici, où nous pourrons aisément la retrouver et suivre mon « financier affolé » si besoin est. - Et s'il ne ressort pas? demanda Alice. Nous approcherons-nous de la maison à la faveur de l'obscurité? — Nous n'aurons pas le choix. » En bavardant, ils attendirent dans la voiture plus d'un quart d'heure. Puis Marion commença de s'agiter. « J'ai besoin de prendre un peu d'exercice! Faisons quelques pas.» Bess et Alice l'approuvèrent. « D'ailleurs pourquoi ne pas poursuivre notre enquête?» ajouta Alice.

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M. Roy y consentit. Il verrouilla les portières, mit la clef dans sa poche et se dirigea vers l'entrée, suivi des jeunes filles, ravies de se dégourdir les jambes. Au passage, ils remarquèrent une grille à deux battants fixés par des gonds, solides mais rouilles, à des piliers de pierre. « On dirait que ces grilles ne sont là que pour la décoration, dit M. Roy. Elles ne doivent pas souvent être fermées. » Alice proposa à son père et à ses amies de constituer deux groupes. « Bess et Marion pourraient prendre l'allée de droite qui monte vers la maison, tandis que toi et moi nous suivrions celle de gauche. — Ce n'est pas une mauvaise idée, concéda l'avoué. Si vous voyez M. Leblanc-Dujey partir, imitez le cri de la chouette et courez aussi vite que vous pourrez vers la voiture où, alertés par votre appel, nous vous rejoindrons. Même consigne pour nous. » Bess et Marion disparurent entre les arbres qui bordaient l'avenue intérieure. Il faisait sombre sous l'épais feuillage et elles butaient contre des racines. « Je regrette de ne pas m'être munie d'une lampe électrique, gémit Bess. — Elle ne nous aurait servi à rien, répliqua Marion, si ce n'est à dénoncer notre présence. » Elles marchèrent quelques minutes en silence. « J'ai peur, chuchota enfin Bess : s'il y avait des chiens de garde! — Oh! ne sois donc pas si timorée! » grommela Marion en pressant le pas malgré elle. Tout à coup, Bess poussa un cri. Marion revint en courant vers elle. « Que se passe-t-il? » Les lèvres contractées de Bess ne laissaient échapper aucun son. Agacée, Marion la secoua. « Là! Regarde! Un pendu! » bégaya la malheureuse jeune fille. Marion leva les yeux, hésita, puis, courageusement, s'avança, tâta l'objet suspendu à une branche et éclata de rire.

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« C'est un sac bourré de son, pauvre sotte! - Mais pourquoi a-t-il été placé là? demanda Bess, toujours tremblante. Ce doit être un avertissement! Je refuse d'avancer davantage. Retournons à la voiture. — Et laissons tomber Alice? Rien à faire, répondit Marion d'un ton ferme. Ce n'est pas un sac de son qui va me faire reculer. — Tu veux dire ces sacs ou ces gros ballons dont les athlètes se servent pour s'entraîner? reprit Bess. — Oui. » Non sans protester encore quelque peu, Bess finit par céder et, de mauvaise grâce, suivit sa cousine jusqu'à l'extrémité de l'allée. De l'autre côté d'une vaste étendue de gravier se dressait un manoir imposant. Allaient-elles, oui ou non, traverser cette cour? Était-ce prudent? Longtemps, elles observèrent la haute façade.

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ALICE A PARIS

Les fenêtres étaient éclairées, mais aucun bruit ne venait de l'intérieur. « Je me demande si M. Leblanc-Dujey est chez lui? » fit Marion, songeuse. Comme elles tergiversaient encore, la porte d'entrée s'ouvrit. Une femme, grande et mince, sortit tenant un dogue en laisse. Elle descendit les marches du perron. Vivement, les deux cousines plongèrent sous les arbres. L'inconnue avait-elle entendu le cri poussé par Bess? « Je t'avais bien dit qu'ils auraient un chien de garde! gémit Bess. Partons avant qu'elle ne le lâche sur nous. » Marion ne discuta pas longtemps et les deux jeunes filles s'enfoncèrent dans l'allée bordée d'arbres au feuillage épais. Pendant ce temps, Alice et son père avaient prudemment contourné la grande demeure. Derrière, ils virent un garage rempli d'automobiles. Ils reconnurent celle dans laquelle Leblanc-Dujey était monté devant son bureau. « II est donc chez lui », remarqua Alice. Derrière la maison s'étendait un beau jardin fleuriste. Les Roy y entrèrent et suivirent un sentier. La nuit était presque tombée et on ne pouvait entrevoir que leurs silhouettes. Ils s'approchèrent de la maison, passèrent devant une cuisine, une salle à manger et arrivèrent près d'une pièce brillamment éclairée ouvrant sur l'extérieur par une large baie entrebâillée. Le long des parois s'alignaient des étagères de livres. Au centre de cette pièce, confortablement meublée, une table-secrétaire en acajou semblait attendre quelqu'un. A ce moment le téléphone posé sur le bureau fit entendre sa sonnerie. La porte du fond s'ouvrit et un homme de haute taille entra. « M. Leblanc-Dujey! chuchota Alice. Il est là! S'il s'en va, nous allons pouvoir le suivre! Quelle chance! — Du calme! ma chérie, répondit son père. N'oublie pas qu'il a peut-être déjà rencontré Louis Aubert. Attendons et voyons ce qu'il fera. » L'homme d'affaires ne baissa pas la voix et les Roy entendirent clairement ce qu'il disait. 88

« Je vous répète que cet argent a été volé! Puisque je ne l'avais plus, à quoi bon aller vous voir? » Silence. Puis Leblanc-Dujey reprit fermement : « Écoutez-moi bien! Mon entourage commence à avoir des soupçons. Je vais être obligé de me montrer plus prudent. » Un silence plus long. « Ce n'est pas mon avis, dit le financier. Tenons-nous tranquilles pendant quelques jours. » Alice respirait à peine. Elle ne voulait pas perdre un mot de ce que disait l'énigmatique homme d'affaires. La voix de celui-ci monta d'un ton. « Pourquoi ne pouvez-vous pas attendre? Oui, je le sais, Neuf arrive, mais cette nouvelle m'a apporté la malchance. Tout ce que je possédais m'a été pris. » Le silence fut cette fois si long que M. Roy et Alice se demandèrent si, à l'autre bout du fil, l'interlocuteur n'avait pas raccroché. Enfin, ils entendirent M. Leblanc-Dujey dire d'un ton résigné: « C'est bon. A l'orangerie. » Et il reposa l'appareil.

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CHAPITRE XI UN PEU DE TOURISME serra le bras de son père et lui murmura à l'oreille: « L'orangerie! Serait-ce ici? » M. Roy hocha la tête. « Non, je connais assez bien ce domaine, il n'y a pas d'orangerie.» Ils se turent et surveillèrent M. Leblanc-Dujey, dans l'espoir qu'il irait immédiatement à ce rendez-vous. Mais il ne quitta pas la bibliothèque. Au contraire, il retira son veston, enfila un vêtement d'intérieur, s'assit à son bureau et se mit à écrire. « On ne dirait pas qu'il a l'intention de sortir ce soir », remarqua Alice. Ayant sans doute terminé son courrier, l'industriel prit un livre sur une étagère et s'installa dans un gros fauteuil de cuir. ALICE

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« Voilà qui règle la question, dit M. Roy à voix basse. Allonsnous-en. » Alice s'attardait. « Attendons encore un peu. Il est possible qu'il se ravise et sorte plus tard. » M. Roy sourit. « Non. Il me paraît plus vraisemblable qu'il s'arrête à cette mystérieuse orangerie dans la matinée de demain ou après-demain. Sois raisonnable, ma chérie, nous ne pouvons pas rester ici toute la nuit. Et puis n'oublie pas que vous partez de bonne heure demain. Les Tardy vous attendent. » A regret, Alice se rendit aux raisons de son père. A pas de loup, ils reprirent le chemin en sens inverse. Tout à coup, des aboiements furieux s'élevèrent. « Le chien de garde, fit M. Roy, inquiet. — Seigneur! Pourvu qu'il ne soit pas à la poursuite de Bess et de Marion! Allons vite à leur secours! » En courant, ils sortirent du jardin et s'engagèrent dans la grande avenue du château. Les aboiements continuaient à déchirer le silence. Quand Alice et son père arrivèrent à la grille, ils poussèrent une exclamation de dépit; elle était fermée. « Quelle malchance! s'exclama M. Roy. Dépêche-toi, Alice, je vais te faire la courte échelle. Sur le mur, tu seras à l'abri des crocs. — Et toi? protesta Alice. Et Bess et Marion? Où sont- :elles? Au même instant, les deux cousines apparurent haletantes. Les aboiements se rapprochaient. « Vite! Montez sur le mur! » dit Alice. Sans prononcer un mot, Bess et Marion se laissèrent hisser sur le sommet du mur par M. Roy qui, ensuite, fit la courte échelle à Alice. Puis, Alice et Marion tendirent les mains à l'avoué. Hélas! le chien bondit. Les deux jeunes filles raidirent leurs muscles, et, dans un effort, parvinrent à soulever M. Roy. Un bruit de tissu déchiré leur apprit que le molosse avait gardé dans ses crocs un morceau du pantalon de M. Roy. A bout de souffle, les quatre coupables de « violation de domicile » se laissèrent choir à terre et gagnèrent la voiture. Tout en

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roulant vers Paris, M. Roy dit en souriant . « Reconnaissons que nous avons eu ce que nous méritions. — Félicitons-nous d'en être quittes à si bon compte, soupira Bess. Deux peurs dans la même soirée, c'est vraiment trop pour moi.» Incapable de laisser échapper une bonne occasion de taquiner sa cousine, Marion s'empressa de raconter l'incident du sac rempli de son qui, selon elle, devait servir à un candidat athlète. Cette idée amusa l'avoué. « Moi qui appelais M. Leblanc-Dujey le « financier affolé », je me demande si je ne devrais pas plutôt le surnommer le « boxeur ! » Les jeunes filles éclatèrent de rire, heureuses de se détendre après leurs émotions. Quand elle eut repris son sérieux, Marion demanda à Alice ce que son père et elle avaient découvert. En apprenant que l'homme d'affaires avait parlé d'une orangerie, elle poussa un petit sifflement : « Voilà qui pourrait être un indice. — Envisages-tu de pousser ton enquête de ce côté? demanda Bess. — Pas tout de suite. Mais je tâcherai de trouver cette fameuse orangerie. Dans toute cette affaire, une chose surtout m'intrigue : comment se fait-il que Louis Aubert tienne sous sa coupe M. Leblanc-Dujey, victime de son propre frère, Claude? — Je confesse que cela me semble étrange, à moi aussi, renchérit M. Roy, et j'aimerais bien pouvoir te répondre, Alice. Malheureusement, il nous faudra attendre d'avoir des informations plus précises sur la nature de leurs relations. » Le lendemain matin, quand les jeunes filles rejoignirent M. Roy dans la salle à manger de l'hôtel, elles apprirent qu'il avait loué une voiture. « Vous pourrez ainsi visiter la vallée de la Loire, dit-il. — Oh! papa, comme tu es gentil! Tu penses à tout, s'exclama Alice qui l'embrassa avec fougue. — J'ai encore une autre surprise pour toi. » . 92

Alice et Manon parvinrent à soulever M. Roy

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Il sortit une enveloppe de sa poche. « Une lettre de Sarah. » Après avoir prié son père et les deux cousines de l'excuser, Alice la déplia et la lut. Sarah racontait que Catherine et Monique semblaient se plaire beaucoup à River City. Elles s'étaient fait des amies et sortaient très souvent. Le commissaire de police, M. Stevenson, avait téléphoné pour dire que ses hommes avaient mis la main sur l'intrus aux petits pieds! C'était un jeune voyou d'une quinzaine d'années mais qui n'en paraissait guère plus de douze tant il était fluet. Il avait confessé avoir agi à l'instigation d'un certain Jim Stick — autrement dit Claude Aubert — et être bien payé par lui. « Encore et toujours ce Claude Aubert! » murmura Alice. Elle poursuivit sa lecture puis, tout à coup, s'écria très agitée : « Ecoutez tous ce que m'écrit Sarah : Peu après ton « départ, Mme Blair a téléphoné disant qu'elle avait encore rêvé aux 99 marches. Mais cette fois, le cauchemar avait été plus précis. Elle s'était revue enfant, jouant avec sa gouvernante. Celle-ci lui avait noué un foulard autour de la tête pour jouer à colin-maillard. En se réveillant, Mme Blair avait de nouveau parcouru le journal intime de sa mère et avait trouvé le nom de la gouvernante : Lucile a Manon. » Alice remit la lettre dans l'enveloppe. « Qu'en dites-vous? N'est-ce pas merveilleux? » demanda-t-elle. M. Roy, Bess et Marion se réjouirent avec elle de ces renseignements qui lui seraient très utiles. Avant de descendre, les jeunes filles avaient bouclé leurs valises. Un chasseur alla les chercher et les installa dans le coffre de la voiture retenue par M. Roy. Vers neuf heures, Bess et Marion montaient sur le siège avant, à côté d'Alice, qui prit le volant et démarra lentement dans le flot de la circulation matinale. Elles avançaient mètre par mètre, sans cesse arrêtées par les feux rouges.

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Enfin, elles s'engagèrent sur la route de Versailles. Lorsqu'elles furent en vue du château, Alice ralentit pour permettre à ses amies de contempler le magnifique édifice. « N'est-ce pas Louis XIV qui a bâti Versailles? demanda Bess. — Oui, dit Alice. Et l'histoire en est passionnante. Autre-lois ce n'était qu'un petit rendez-vous de chasse où Louis XIII aimait à se réfugier. Tout autour s'étendaient des marais, des landes et des bois. Il a fallu assécher le terrain, détourner le cours des ruisseaux ou les combler pour créer le Grand Canal et les admirables jardins au milieu desquels se dressent le château lui-même, les Trianons, et le Hameau.» Toujours intéressée par les détails de toilette, Bess dit en riant : « Moi, la seule chose dont je me souvienne, c'est que le Roi Soleil ne possédait pas moins de cent perruques et qu'il ne permettait à personne de poser le regard sur lui avant qu'il ne fût coiffé.

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— Allons! Allons! Ce n'est plus là de l'histoire mais des ragots, ma douce cousine », protesta Mari on. Voulant éviter que la discussion ne dégénérât en querelle, Alice accéléra et, contournant le château, reprit la route qui, deux heures plus tard, à travers un fort beau paysage, les amenait chez M. et Mme Tardy. La demeure de leurs hôtes, construite à la fin du XVIIIe siècle, avait grande allure avec son toit d'ardoises, sa façade simple et harmonieuse, coupée par un escalier de pierre à double révolution qui aboutissait à un large perron. « Comme c'est joli! » fit Bess en promenant un regard enchanté sur les vertes pelouses, les parterres multicolores, les ifs taillés, et les arbres aux amples frondaisons. Comme Alice arrêtait la voiture sur les graviers de la cour d'honneur, la porte du perron s'ouvrit et un homme et une femme, élégants et distingués, s'avancèrent à leur rencontre. Les jeunes filles les identifièrent tout de suite. Catherine ressemblait à son père tandis que Monique était

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tout le portrait de sa mère. M. et Mme Tardy souhaitèrent la bienvenue à leurs jeunes invitées avec beaucoup de gentillesse et les firent entrer. L'ameublement était simple mais de très bon goût, l'ensemble accueillant. Sur les tables et les guéridons, de jolis bouquets jetaient une note claire. M. et Mme Tardy s'exprimaient dans un anglais parfait; cependant, lorsqu'ils eurent appris que les trois amies parlaient français, ils insistèrent pour qu'elles se perfectionnent dans cette langue et leur conseillèrent même de toujours le parler entre elles. « Cela vous aidera dans votre enquête », ajouta M. Tardy. Ce fut la seule allusion au mystère des 99 marches, momentanément du moins, car des aboiements joyeux retentirent et un caniche nain bondit dans la pièce. Il avait l'air d'un jouet en peluche. Agitant la queue, il sauta sur les jeunes filles. « Karime! A bas! ordonna Mme Tardy. — Oh! ne le grondez pas, madame, dit Alice. Il est tellement joli. » A tour de rôle, les trois amies caressèrent le caniche. « Monique m'a dit que Karime dormait dans une niche ancienne, dit Alice. — Ce serait plutôt un lit qu'une niche, répondit en souriant Mme Tardy, parce que Karime dort dans la maison. Si cela vous amuse, je vais vous montrer son coin. » Elle conduisit les trois amies dans une vaste pièce, servant de salle de billard et de bibliothèque. Dans un angle de la pièce, elles virent la niche, qui les surprit beaucoup. Des colonnes de bois doré et sculpté soutenaient un baldaquin de velours bleu et d'où retombaient des rideaux de satin à rayures bleues et blanches. Un coussin de satin bleu servait de matelas. « Ce lit miniature date du début du XVIIIe siècle, expliqua Mme Tardy. — C'est ravissant! s'exclama Bess. Mais votre chien dort-il vraiment dedans ? Tout est si propre ! » M. Tardy se mit à rire et son regard pétilla de malice.

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« Chaque fois que Karime pénètre dans la maison, ma femme le brosse et lui lave les pattes ! » Feignant d'être vexée de la plaisanterie, Mme Tardy pinça les lèvres puis, incapable de se retenir, joignit son rire à celui de son mari... et de ses invitées. Un domestique monta les bagages des jeunes filles dans leurs chambres. Bess et Marion partageaient la même. Une porte de communication la reliait à celle d'Alice. Les lits à baldaquin, les meubles blancs à fines moulures dorées, les enchantèrent. Au cours du déjeuner, la conversation porta surtout sur Catherine et Monique. Alice raconta le succès remporté par les deux sœurs lors du spectacle organisé par le club des jeunes de River City. Les Tardy rayonnaient de fierté. Quand le repas fut terminé, Mme Tardy se leva. « II fait trop beau pour rester à l'intérieur, allons prendre le café dans le parc. »

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Elle conduisit les jeunes filles sur un vaste terre-plein qui s'étendait derrière le château. Au-delà, un jardin rempli de rosés, d'œillets et de lis, embaumait. » Hôtes et invitées s'installèrent dans de confortables fauteuils de rotin autour d'une table ronde, peinte en blanc. Mme Tardy se pencha vers Alice. « Et maintenant, racontez-moi où vous en êtes avec le mystère qui trouble ma pauvre Josette? » Alice avait pris la précaution d'avertir ses amies de ne pas faire allusion au cas dont M. Roy s'occupait. Elle jugeait plus prudent de se taire sur ce point. Mais elle n'avait pas le droit d'observer la même discrétion en ce qui concernait Mme Blair, aussi parla-t-elle des divers avertissements qu'elle avait reçus. Elle raconta également l'incident de l'hélicoptère et ses démêlés avec les jumeaux Aubert. « Nous croyions avoir découvert les quatre-vingt-dix-neuf marches, intervint Marion, mais nous nous trompions. — A ce propos, dit Alice, y aurait-il une orangerie dans les environs, ou près de Versailles? » Après une seconde de réflexion, M. Tardy déclara : « A Versailles, un grand escalier conduit à une Orangerie très célèbre. — A-t-il quatre-vingt-dix-neuf marches? demanda Alice qui poursuivait son idée. — Non, il en compte cent trois, répondit en souriant M. Tardy, pourtant on les appelle les Cent Marches. Et il s'agit en fait de deux escaliers. — Les cent marches ! répéta Alice. Cela vaut la peine d'y aller.» Elle voulait s'y rendre le jour même, mais Mme Tardy fit observer que le trajet aller et retour leur prendrait au moins quatre heures. Certes, pour de jeunes Américaines habituées à rouler à travers un pays très vaste, cela ne paraissait pas grand-chose, mais la politesse exigeait qu'Alice respectât les horaires de ses 'hôtes. Il fut donc décidé que les trois amies partiraient de bonne heure le lendemain. « Nous vous aurions accompagnées avec plaisir, dit

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«Racontez-moi où vous en êtes avec le mystère qui trouble ma pauvre Josette.» 100

M. Tardy, mais nous avons promis de nous rendre chez des voisins. » Le reste de la journée se passa très agréablement, et, après un dîner qui permit à Bess de faire honneur à la cuisine française, les jeunes filles montèrent se coucher. Le lendemain, vers neuf heures, elles prirent la route de Versailles, où elles arrivèrent à onze heures. Alice trouva facilement une place pour la voiture dans un grand parking et en compagnie de Marion et de Bess, se dirigea vers le château. Elles passèrent sous une voûte et débouchèrent sur la terrasse qui offre une admirable perspective des jardins dessinés par Le Nôtre. Elles s'extasièrent devant la beauté des palmiers, des orangers, de l'herbe veloutée et des parterres de broderie qui lont le charme du parc, côté sud. Si Bess se serait volontiers attardée, Alice, elle, ne voyait que les deux escaliers qui entouraient l'Orangerie. Elle courut et descendit celui de droite, qu'elle remonta en comptant les marches. Bess, qui l'avait suivie, appela tout à coup : « Regarde ! » Sur la quatre-vingt-dix-neuvième marche, elles lurent une inscription au fusain : M 9. « Monsieur Neuf ! fit Marion accourue au cri de Bess. — Mais alors, Alice, reprit-elle, la réponse faite par M. Leblanc-Dujey à son interlocuteur invisible n'était pas un propos en l'air pour s'en débarrasser! Louis a dû venir ici. Quand? Et pourquoi? — Ne sautons pas si vite aux conclusions, intervint Bess. Rien ne nous dit que ce M 9 ne soit pas un signe de piste, inscrit par des scouts. » Alice secoua la tête : elle n'était pas d'accord. « C'est Aubert qui a tracé cela pour indiquer l'endroit où M. Leblanc-Dujey devait déposer quelque chose — de l'argent sans doute. — Enfin! protesta Bess, mettre une somme importante aussi en vue serait insensé ! — Possible, mais je persiste dans mon idée. Allons faire

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un tour à l'intérieur du palais, ensuite nous reviendrons. » Les jeunes filles traversèrent la terrasse et entrèrent dans le château. Si les proportions grandioses des vestibules, des escaliers et des salles, si la beauté des murs et des plafonds richement ornés, forcèrent leur admiration, ce qui les surprit le plus, ce fut la chambre à coucher de Louis XIV. Elles ne se lassaient pas de contempler le décor de pilastres dorés, les portraits de Van Dyck, les Amours égayant les garnitures des glaces et des portes, et regrettaient que le mobilier d'origine eût été, hélas! dispersé sous la Révolution. « C'est magnifique! s'exclama enfin Manon. Mais on ne peut croire que c'était la chambre d'un homme. — Pas d'un homme moderne! répliqua Alice en riant. N'oublie pas qu'au XVIIe et au XVIIIe siècle, les grands de ce monde, hommes

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aussi bien que femmes, aimaient à vivre au milieu d'objets précieux, dans un luxe dont on n'a qu'une faible idée de nos jours. » Quand elles traversèrent la Galerie des Glaces, le guide qui les pilotait leur apprit que c'était là que le traité de Versailles avait été signé entre la France, l'Angleterre, les États-Unis et leurs alliés, d'une part, l'Allemagne d'autre part, à la fin de la guerre de 1914-1918. « On n'aurait pas pu choisir un plus beau décor! » murmura Bess. En sortant du château, Alice jeta un coup d'œil à son braceletmontre. « Allons voir si, par hasard, M. Leblanc-Dujey est passé. Je sais bien que ce n'est guère vraisemblable, mais je veux m'en assurer. — Allez-y si le cœur vous en dit, déclara Marion, moi je reste sur la terrasse à contempler le parc. C'est trop beau. » Alice et Bess se dirigèrent vers l'escalier de l'Orangerie. A leur grande surprise, elles constatèrent que le signe noir avait été effacé. Pendant ce temps-là, Marion longeait la façade côté jardin, regardant à travers les vitres les appartements du Dauphin. Soudain, elle vit une porte-fenêtre s'ouvrir. Personne ne sortit. Quelqu'un les épierait-il? Intriguée, elle s'avança sur le seuil. Un bras jaillit, une main l'agrippa au poignet et la tira brutalement à l'intérieur, tandis qu'une autre main se plaquait sur sa bouche pour l'empêcher de crier.

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CHAPITRE XII L'AVERTISSEMENT DU LION ROUGE DE LOIN,

Bess avait vu la scène. Elle prévint Alice et toutes les deux se mirent à courir vers la terrasse. Marion était prisonnière! De qui? Pourquoi? « C'est Monsieur Neuf qui l'a enlevée! cria Bess, affolée. Que faire ? » Alice voulut ouvrir la porte-fenêtre. Elle était fermée de l'intérieur. « II faut que nous entrions ! dit Alice, désespérée. Reste ici, Bess, et surveille les alentours. Je vais aller chercher un gardien. » Elle trouva les portes d'entrée fermées, elles aussi. Folle d'angoisse, Alice frappa de ses poings les épais vantaux. Au bout de quelques minutes enfin, un gardien apparut. 104

« Inutile de faire tout ce bruit, mademoiselle, dit-il d'une voix sévère. Le musée est fermé, il est midi passé, et cet après-midi nous n'ouvrons pas. — Une de mes amies a été emmenée de force à l'intérieur. Quelqu'un l'a tirée par une des portes qui donnent sur la terrasse. » Le gardien prit un air sceptique. Alice devina qu'il la croyait folle. « Je vous en supplie, dit-elle, je ne plaisante pas et j'ai toute ma tête. Mon amie est en danger. » Tout à coup, l'homme parut comprendre que la jeune fille disait la vérité. Il la fit entrer et, ensemble, ils coururent par l'intérieur vers la salle en question. Personne cri vue. Furieux, le gardien regarda Alice avec mépris. « Je n'aime pas qu'on s'amuse à mes dépens, dit-il. Partez, et plus vite que cela. » Alice ne savait plus quoi faire. Comment convaincre cet homme? se demandait-elle. Soudain, elle aperçut à terre un bouton bleu arraché au chemisier de Marion. Elle le ramassa. « Tenez, voici la preuve de l'enlèvement. » Et elle expliqua au gardien d'où provenait ce bouton. « Où est-elle passée alors? dit-il, inquiet à son tour. — Il faut la chercher. » Le gardien et elle parcoururent les salles, les vestibules, les salons, les cabinets privés, les chambres, sans succès. Pas la moindre trace de Marion ni de son ravisseur. Alice et le gardien s'arrêtèrent, hésitants, au milieu d'une galerie. A ce moment, un homme en uniforme sortit en courant d'une chambre et se précipita dans l'escalier de martre. « Curieux! murmura le gardien. Je ne le connais pas. — Rattrapons-le, c'est un faux gardien », cria Alice. Ils se précipitèrent, dévalèrent l'escalier. Hélas ! quand ils parvinrent en bas, une porte claqua. « Inutile de continuer la poursuite, dit le gardien. C'est impossible de le rattraper dans ce dédale. Pourvu qu'il n'ait rien volé!» Alice, elle, ne pensait qu'à Marion. 105

CHAPITRE XII L'AVERTISSEMENT DU LION ROUGE DE LOIN,

Bess avait vu la scène. Elle prévint Alice et toutes les deux se mirent à courir vers la terrasse. Marion était prisonnière! De qui? Pourquoi? « C'est Monsieur Neuf qui l'a enlevée! cria Bess, Affol2e . Que faire? » Alice voulut ouvrir la porte-fenêtre. Elle était fermée de l'intérieur. « II faut que nous entrions ! dit Alice, désespérée. Reste ici, Bess, et surveille les alentours. Je vais aller chercher un gardien. » Elle trouva les portes d'entrée fermées, elles aussi. Folle d'angoisse, Alice frappa de ses poings les épais vantaux. Au bout de quelques minutes enfin, un gardien apparut. 106

« Inutile de faire tout ce bruit, mademoiselle, dit-il

d'une voix sévère. Le musée est fermé, il est midi passé, et cet après-midi nous n'ouvrons pas. — Une de mes amies a été emmenée de force à l'intérieur. Quelqu'un l'a tirée par une des portes qui donnent sur la terrasse. » Le gardien prit un air sceptique. Alice devina qu'il la croyait folle. « Je vous en supplie, dit-elle, je ne plaisante pas et j'ai toute ma tête. Mon amie est en danger. » Tout à coup, l'homme parut comprendre que la jeune fille disait la vérité. Il la fit entrer et, ensemble, ils coururent par l'intérieur vers la salle en question. Personne cri vue. Furieux, le gardien regarda Alice avec mépris. « Je n'aime pas qu'on s'amuse à mes dépens, dit-il. Partez, et plus vite que cela. » Alice ne savait plus quoi faire. Comment convaincre cet homme? se demandait-elle. Soudain, elle aperçut à terre un bouton bleu arraché au chemisier de Marion. Elle le ramassa. « Tenez, voici la preuve de l'enlèvement. » Et elle expliqua au gardien d'où provenait ce bouton. « Où est-elle passée alors? dit-il, inquiet à son tour. — Il faut la chercher. » Le gardien et elle parcoururent les salles, les vestibules, les salons, les cabinets privés, les chambres, sans succès. Pas la moindre trace de Marion ni de son ravisseur. Alice et le gardien s'arrêtèrent, hésitants, au milieu d'une galerie. A ce moment, un homme en uniforme sortit en courant d'une chambre et se précipita dans l'escalier de martre. « Curieux! murmura le gardien. Je ne le connais pas. — Rattrapons-le, c'est un faux gardien », cria Alice. Ils se précipitèrent, dévalèrent l'escalier. Hélas ! quand ils parvinrent en bas, une porte claqua. « Inutile de continuer la poursuite, dit le gardien. C'est impossible de le rattraper dans ce dédale. Pourvu qu'il n'ait rien volé!» 107

Alice, elle, ne pensait qu'à Marion.

« Reprenons nos recherches, nous finirons bien par retrouver mon amie. » Ils inspectèrent de nouveau toutes les pièces» Enfin, ils retournèrent dans la chambre du Dauphin, et que virent-ils sur le lit de satin cramoisi, brodé d'or et de soie de couleurs, où le petit-fils de Louis XIV passait ses nuits? Manon Webb profondément endormie ! Du moins, Alice espéra que son amie dormait. Le cœur battant, elle s'approcha et lui toucha le bras. Marion ouvrit les yeux, promena autour d'elle un regard égaré et murmura : « Où suis-je? — Dieu soit loué! Tu es saine et sauve! » s'écria Alice en l'embrassant. Comment ne l'avait-elle pas vue en traversant la pièce quelques minutes plus tôt? A cette question deux réponses étaient possibles : le ravisseur n'avait déposé Marion là qu'après le passage du gardien et d'Alice, ou ceux-ci dans leur hâte n'avaient pas jeté un regard sur le lit. Le gardien écarquillait les yeux, ouvrait la bouche sans pouvoir proférer un son. On aurait dit qu'il prenait Marion pour un fantôme. « Tu ne souffres pas? s'inquiéta Alice. — Non, je suis seulement un peu ahurie, répondit Marion, la voix mal assurée. Quelqu'un m'a empoignée, m'a appliqué un tampon sur le visage et j'ai perdu conscience. » Elle ébaucha un mouvement pour se redresser. « Non, non, ne bougez pas! dit le gardien, alarmé. Je vais appeler un médecin et prévenir le commissariat de police. » Et il quitta vivement la pièce. Marion voulut protester, mais Alice l'obligea à rester allongée. Au bout d'un temps qui leur parut à toutes deux interminable, le gardien revint en compagnie d'un médecin et de deux inspecteurs. Après l'avoir examinée, le docteur déclara que Marion souffrait d'une légère commotion et lui conseilla de se reposer un peu. 108

Tout à coup, la victime partit d'un fou rire inextinguible. « C'est trop ridicule! balbutia-t-elle entre deux hoquets. Moi, une Américaine, un garçon manqué, étendue sur le lit du petit-fils du Roi Soleil ! »

Emportée par la drôlerie de la chose, Alice, le gardien, les policiers éclatèrent de rire à leur tour. Des larmes coulaient des yeux de Marion. Elle voulut les essuyer et sortit un mouchoir de sa poche. Un morceau de papier vola sur le plancher. Alice le ramassa et le tendit à Marion qui le déplia : une curieuse expression sur son visage. « Qu'y a-t-il? demanda Alice. — C'est mon agresseur qui m'a glissé ce mot dans la poche! Un nouvel avertissement! » Les deux policiers voulurent connaître la teneur du message. Occupez-vous de vos propres affaires ou il vous en coûtera cher. 109

LE LION ROUGE

« Le Lion Rouge? répéta un des policiers. Qu'est-ce que cela signifie? — Bah ! Voilà un lion qui change souvent • de couleur, répondit Alice. Nous avons déjà reçu des lettres de menace signées : Le Lion Vert et Monsieur Neuf. » Elle résuma brièvement aux deux inspecteurs de police ce qui l'avait amenée en France, se bornant, bien entendu, à ce qui concernait Mme Blair. Les deux policiers se regardaient, interloqués. C'était la première fois qu'ils entendaient parler d'un Lion Vert ou Rouge et de Monsieur Neuf. « En arrivant, ce matin, dit Alice, nous avons remarqué sur la quatre-vingt-dix-neuvième marche de l'escalier, à droite de l'Orangerie, le signe M 9 écrit au fusain. » Elle raconta ce qui s'était passé ensuite. Les policiers ne cachèrent pas leur admiration pour ces jolies Américaines qui n'hésitaient pas à courir des risques sérieux afin de venir en aide à leurs semblables. « Ne connaîtriez-vous pas un certain Louis Aubert? » leur demanda Alice. Ils secouèrent négativement la tête. « Habite-t-il Versailles? interrogea un inspecteur. — J'ignore son adresse actuelle. Nous l'avons rencontré deux fois à Paris, une fois il était déguisé en Arabe. J'ai la... conviction qu'il est mêlé à ce nouvel incident et que c'est lui qui, vêtu d'un uniforme de gardien — volé sans doute — a dévalé le grand escalier il y a quelques instants. — Nous allons mener une enquête », promirent les policiers. Ils prièrent Marion de leur remettre la feuille de papier trouvée dans sa poche, afin de relever les empreintes digitales que son ravisseur pourrait y avoir laissées.

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« Nous vous convoquerons au commissariat si nous avons besoin de votre déposition, dit l'un d'eux. Auriez-vous l'obligeance de nous donner votre adresse à Paris? » Alice s'empressa de le faire et leur dit au revoir avec un gracieux sourire. Tout à fait remise de ses émotions, l'héroïne de cet épisode tragicomique voulut se lever. « Allons retrouver Bess, dit-elle. Comment avons-nous pu l'oublier ainsi? Elle doit se ronger d'inquiétude. » Alice et Marion se hâtèrent de rejoindre leur compagne qui poussa un cri de joie à la vue de sa cousine, saine et sauve. Toutefois, le récit de l'aventure qu'elle avait vécue la fit trembler rétrospectivement. Il était grand temps de regagner la demeure des Tardy. Profitant de la réglementation plus souple en France qu'en Amérique, où la vitesse est limitée, Alice dévora les kilomètres. En apprenant les péripéties de la visite à Versailles de leurs invitées, les Tardy prirent un air soucieux. « II est évident que ce fameux Monsieur Neuf se sent traqué, dit M. Tardy. La peur est mauvaise conseillère, elle risque de lui faire commettre des actes désespérés. Je vous en prie, redoublez de prudence. »

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Bess rie fut pas la dernière à le lui promettre. Cette aventure commençait à l'inquiéter. Le soir, après le dîner, Alice demanda à Mme Tardy où sa sœur, Mme Blair, avait vécu enfant. « A quelques kilomètres d'ici, répondit Mme Tardy. Aimeriezvous visiter l'endroit? Si cela vous amuse je vous y conduirai demain dimanche, après la messe. — Oh! merci beaucoup, madame. » Le lendemain, vers dix heures, Mme Tardy emmenait ses jeunes invitées. Le trajet fut un véritable enchantement. La voiture roulait à travers de vertes prairies, côtoyait de grandes fermes entourées de jardins potagers, égayés de bordures de fleurs. A la fin de la matinée, elles arrivèrent à un ravissant château, qui se dressait au milieu d'un parc où se mêlaient les essences d'arbres et les parterres multicolores. Au milieu d'un jardin à la française, un homme et une femme coupaient des rosés fanées. Mme Tardy s'engagea dans l'avenue

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intérieure et leur demanda s'ils étaient les actuels propriétaires du château. « Oui, répondit la femme avec une grande amabilité. Je m'appelle Mme de la Tudière. Et voici mon mari. Que pouvons-nous faire pour vous? » Mme Tardy et les jeunes filles se présentèrent. Puis Alice expliqua à la châtelaine que Mme Blair, née Josette Lhorme, une amie de sa famille, avait vécu dans ce domaine quand elle était enfant. Elle raconta ensuite l'étrange cauchemar qui hantait les nuits de Mme Blair. « En effet, je me souviens que Josette Lhorme a habité ici, mes parents connaissaient les siens. Mais je ne saurais vous éclairer sur l'origine de ce cauchemar. Il n'y a dans la propriété aucun escalier comportant un aussi grand nombre de marches. — Auriez-vous par hasard, madame, connu la gouvernante de Mme Blair? Elle s'appelait Mlle Manon. — Vous savez, tout cela est très lointain, intervint M. de la Tudière. Cependant, une femme est venue un jour, il y a cinq ans environ, et elle nous a raconté qu'elle avait vécu quelque temps ici, comme gouvernante d'une petite fille dont elle avait perdu la trace. — Voilà qui est intéressant! dit Bess. Pourriez-vous nous dire où cette personne habite? Mme Blair serait heureuse de le savoir. — Hélas! Je suis désolé de ne pouvoir vous aider. Elle nous a demandé l'adresse de Mlle Lhorme; nous avons tout juste été en mesure de lui dire qu'elle était partie pour les États-Unis. - Ne vous a-t-elle pas dit où elle se rendait? Ou encore d'où elle venait? demanda Alice. — Non. Au cours de la conversation, elle nous a précisé qu'elle s'était mariée et s'appelait Mme Louis Aubert. »

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CHAPITRE XIII UNE GOUVERNANTE SUSPECTE AHURIES,

les jeunes filles restaient sans voix. Se pouvait-il que la gouvernante de Josette Blair fût la femme de Louis Aubert! Sur ces entrefaites, une femme de chambre en robe noire et tablier blanc s'avança vers le petit groupe. « Pardonnez-moi, madame, dit-elle à Mme de la Tudière, mais je balayais le salon, fenêtres ouvertes, et je vous ai entendue prononcer le nom d'Aubert, qui m'est bien connu. » Une lueur d'espoir dans les yeux, Alice se tourna vers elle. « Vous l'avez vu récemment? — J'habite Orléans, et l'instituteur de mon jeune frère s'appelle Louis Aubert. » Cette information avait de quoi agiter Alice. Était-elle sur le point de faire une découverte d'importance? « Parlez-moi de cet homme, s'il vous plaît. Aurait-il dans la cinquantaine? demanda-1-elle. - Oui. — Pourriez-vous, Estelle, le décrire? » intervint Mme de la Tudière. Pleine de bonne volonté, la femme de chambre en fit un portrait qui correspondait plus ou moins à celui du Louis Aubert qu'Alice recherchait. « Connaissez-vous son adresse? dit Alice. — Hélas! non. Mais à l'Inspection d'académie on vous renseignera sûrement. — Avez-vous vu sa femme? demanda encore Alice. — Non, j'ignorais même qu'il fût marié. » Alice remercia Estelle qui s'éloigna. Apres avoir bavardé encore un moment avec les châtelains, Mme Tardy elles jeunes filles prirent 115

congé, non sans avoir exprimé leur gratitude à M. et Mme de la Tudière pour leur aimable accueil. Il va de soi que durant le trajet du retour, il ne fut question que de Louis Aubert et de sa femme. « Crois-tu possible, Alice, dit Bess, que cet homme mène une double vie : celle d'un respectable instituteur et celle d'un escroc? — J'ai peine à le croire, mais nous ne pouvons négliger aucun indice, répondit Marion. — J'ai bonne envie d'aller à Orléans m'informer à ce sujet», déclara Alice. Cette idée rencontra l'approbation générale. Aussi, le lendemain matin, après le petit déjeuner, les trois jeunes filles se mirent en route. Elles emportaient de légers bagages, pour le cas où elles devraient passer la nuit à Orléans. Mme Tardy les avait priées de lui donner de leurs nouvelles au cours de la journée. Tout en roulant, les trois amies parlaient de la ville d'Orléans et de la place qu'elle tenait dans l'histoire de la France. « Jeanne d'Arc, surnommée la Pucelle d'Orléans, a toujours été une de mes héroïnes favorites, dit Bess.

— J'étais, moi aussi, très attirée par l'idée de cette jeune fille devenue capitaine de guerre. Quel courage! déclara Marion. J'ai lu avec passion de nombreux ouvrages inspirés par elle. — Elle n'avait que dix-sept ans quand elle a demandé un cheval, une armure et une escorte pour aller combattre les envahisseurs anglais, dit Alice. — Le chevalier auquel elle s'est adressée en premier s'est mis à rire, reprit Bess, puis il a consenti à l'aider. Jeanne voulait aussi faire sacrer Charles VII à Reims. C'était un roi faible et très pauvre. — Et malgré cela, il tenait à être roi? s'étonna Marion. — Oui, parce qu'il ne voulait pas que les Anglais gouvernent la France, répondit Alice. Lorsque Jeanne arriva au château où le dauphin Charles s'était réfugié, celui-ci décida de la mettre à l'épreuve. 116

— Comment s'y prit-il? J'ai oublié cet épisode, dit Marion. — Il se glissa parmi les courtisans et invita l'un d'eux à s'asseoir sur le trône. Mais Jeanne déjoua la ruse et, après un bref regard sur l'homme qui jouait le rôle du dauphin, elle alla droit vers Charles et mit un genou à terre. Chacun fut saisi car, jamais auparavant, elle n'avait vu le dauphin. — Oui, je me rappelle cette scène, coupa Bess vivement. Charles lui remit une épée et un étendard, lui confia des troupes et, en 1429, elle chassait les Anglais d'Orléans. Peu après, le roi était couronné à Reims. — Et dire qu'ensuite il la laissa brûler vive! fit tristement Marion. On l'accusait d'hérésie. » Les jeunes filles se turent, songeant à cette jeune et courageuse bergère. Devant elles se déroulait un paysage verdoyant. Les fruits et les fleurs embaumaient l'air. Un peu plus tard, elles entraient dans la ville d'Orléans. Bess insista pour aller tout de suite à la grande place du Martroi, au centre de laquelle se dresse la statue équestre de Jeanne d'Arc. Alice gara la voiture dans une petite rue adjacente et, à pied, les trois amies allèrent contempler la sainte en armure.

A ce moment, elles entendirent une musique. « Tiens! On dirait une marche... Serait-ce un jour de fête? » dit Bess. Une foule commençait à se masser sur la place. Alice demanda à son voisin ce qui se passait. Il lui répondit qu'un cortège allait défiler. Prise d'une brusque inspiration, la jeune fille voulut savoir si son aimable interlocuteur connaissait un instituteur nommé M. Louis Aubert. « Mais oui. C'est lui qui dirige la fanfare. » Les trois amies en croyaient à peine leurs oreilles. D'ici quelques instants, celui qu'elles cherchaient allait apparaître. La musique approchait; les jeunes filles écarquillaient les yeux pour apercevoir la tête du défilé. Tout à coup, un petit garçon escalada 117

le massif de fleurs qui entourait le socle de la statue et grimpa dessus avec l'agilité d'un singe. « Ne fais pas cela ! s'écria Bess. Tu vas tomber. »

L'enfant parvenait au sommet quand Alice vit une de ses mains lâcher prise. Elle se précipita et reçut le petit garçon dans ses bras. Sous le choc, elle tomba et. tous deux roulèrent dans les fleurs. « Merci, mademoiselle », dit l'enfant. Il se releva d'un bond, tout rouge de confusion. Autour d'Alice les gens applaudirent. La mère du petit imprudent serra la main de la jeune fille et la remercia avec volubilité. Alice se libéra avec peine et s'empressa de rejoindre Bess et Marion. « Bravo pour le sauvetage, Alice! dit Marion. Mais avec tout cela, nous avons manqué le début de la parade. La fanfare a tourné dans une autre rue. »

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Navrée, Alice voulut courir après les musiciens. Elle n'y put parvenir. Des policiers, arrivés sur ces entrefaites, contenaient la foule en attendant la dispersion du cortège. « Quel dommage! déclara Marion. Bah! Console-toi! Nous rattraperons peut-être Louis Aubert ailleurs. — Espérons-le. » L'homme à qui Alice avait parlé quelques minutes plus tôt se tourna vers elle : « Pardon, mademoiselle, j'ai entendu ce que vous veniez de dire. Vous regrettez de n'avoir pu voir votre ami. Aimeriez-vous parler à sa femme? — Oh! oui, fit Alice. — Elle est là-bas, en face, debout sur le seuil de cette grande maison en briques. » Alice aperçut la femme, mais quand ses amies et elle réussirent à traverser la place, Mme Aubert avait disparu. « Décidément, c'est notre jour de déveine! soupira Bess. Il va nous arriver des ennuis. — Oh! Ne sois pas si défaitiste », protesta Marion. Alice pressa ses amies de rattraper la fanfare. Elles coururent en direction de la musique.. Comble de malchance! Quand elles arrivèrent, les musiciens se dispersaient. Alice demanda à un joueur de tambour où elle pourrait trouver M. Aubert. « II vient de partir, mademoiselle. — Pourriez-vous me dire où il demeure? » L'homme lui donna volontiers l'adresse des Aubert. « Toutefois, ils ne rentreront qu'assez tard dans la soirée », ajouta-t-il aimablement. Alice le remercia, puis, se tournant vers Bess et Marion, elle leur proposa de passer la nuit à Orléans. « Volontiers, répondit Bess. Orléans est une ville qui m'intéresse beaucoup. Allons déjeuner et ensuite nous ferons un peu de tourisme. — J'aimerais voir en premier la cathédrale Sainte-Croix où l'on peut admirer une très belle statue de Jeanne d'Arc, dit Alice. Voulez-vous que nous y allions quand la faim de Bess sera apaisée et sa gourmandise satisfaite? » 119

Les deux cousines acquiescèrent en riant. Après avoir marché un peu, elles entrèrent dans un petit restaurant, décoré avec goût. Elles commandèrent des escalopes de veau à la milanaise, du fromage et une tarte aux prunes. Le patron vint bavarder avec elles pendant qu'elles mangeaient. « De nos jours, on n'a plus les solides appétits d'autre-lois, dit-il avec regret. Où sont les banquets de jadis. Tenez, je vais vous montrer à titre d'exemple ce que commandait au XVIe siècle un gentilhomme campagnard pour un repas de noces. » II alla chercher un parchemin et lut : 9 bœufs, 120 pigeons, 8 moutons, 80 oies, 18 veaux, 280 ortolans, 80 cochons de lait,

60 perdreaux, 100 chapons, 70 coqs de bruyère, 200 poulardes, 200 pièces de gibiers divers, 3 000 œufs. »

« Quelle horreur ! » fit Marion. La gourmande Bess, elle-même, déclara que l'idée de toute cette nourriture lui donnait la nausée. Après avoir réglé leur addition, les jeunes filles quittèrent le restaurant pour aller visiter la cathédrale. Moins belle, certes, que

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Notre-Dame de Paris, elle ne leur en parut pas moins grandiose. Mais c'est la statue de Jeanne d'Arc qui retint le plus longtemps leur attention. Le sculpteur l'avait représentée en sainte plutôt qu'en soldat. Au lieu d'une armure, elle portait une longue robe blanche. Ses cheveux étaient coupés courts et elle avait les mains croisées sur la garde d'une épée. « Quelle expression admirable ! dit Bess. — Oui, son visage reflète la sérénité et une haute spiritualité ». Comme Alice achevait ces mots, une voix retentit à ses oreilles». « Bonjour, Alice. J'espérais bien vous retrouver ici. — Henri ! s'exclama la jeune fille en se retournant. D'où venezvous? » Henri Durant sourit et serra la main des trois amies.

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« J'ai téléphoné à l'hôtel Florali. Votre père m'a répondu que vous étiez en séjour chez M. et Mme Tardy. Je leur ai aussitôt téléphoné et ils m'ont appris que vous étiez à Orléans pour la journée. Comme je devais m'y rendre un de ces jours, j'ai sauté sur l'occasion. Mon père m'a confié sa voiture et me voici. J'espère que vous consentirez à faire une promenade avec moi. » Bess et Marion déclinèrent l'invitation, mais pressèrent Alice de l'accepter. « Vous êtes bien sûres de ne pas avoir envie de nous accompagner? dit Alice. — Non. Nous allons retenir une chambre à l'hôtel que les Tardy nous ont recommandé et nous nous reposerons un peu », déclara Bess Alice remit à Marion les clefs de la voiture et s'éloigna en compagnie d'Henri. « Avez-vous retrouvé le faux Arabe? demanda-t-il. — Non, hélas ! — Ce matin, en arrivant, je me suis rendu au bureau de poste central et j'ai cru apercevoir un homme qui lui ressemblait vaguement. — Vêtu d'une gandoura et coiffé d'un turban? — Non. En costume européen. Il quittait le guichet des timbres. » Serait-ce, contre toute vraisemblance, Louis Aubert, l'instituteur? se demanda Alice. En tout cas, c'était possible. Elle décida de n'y plus songer jusqu'au soir. Pourquoi gâcher un après-midi qui s'annonçait plaisant? Henri la conduisit à Olivet au bord du Loiret, à un embarcadère où il loua un canot. Ils longèrent la rive, admirant les petites anses sablonneuses, contemplant les prairies et les forêts. Alice écouta son compagnon lui parler de sa vie d'étudiant à Paris. Il suivait les cours de la Faculté de droit et espérait un jour s'inscrire au Barreau. « Et je vous confierai quelques énigmes à éclaircir, dit-il, avec un clin d'œil malicieux. M. et Mme Trémaine m'ont appris que vous étiez détective-amateur. »

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Le temps passait rapidement, le soleil baissant à l'horizon rappela aux jeunes gens qu'il fallait rentrer. Quand Henri accosta, le loueur de bateaux lui dit : « Vous êtes bien M. Henri Durant, n'est-ce pas? — Oui. — Votre père a téléphoné. Il demande que vous l'appeliez tout de suite. » Henri se mit à rire. « Bravo pour mon père! Il a deviné où je serais! Il connaît mes goûts. Soyez gentille, Alice, attendez-moi ici une minute, je reviens. » A peine venait-il de s'éloigner qu'une embarcation à rames surgit et heurta le canot. Surprise, Alice se retourna et vit un homme à la barbe épaisse. Son instinct l'avertit de fuir. Elle voulut sauter à terre. « Oh! non pas! ma belle! ricana l'homme. Vous prétendez découvrir l'origine d'un cauchemar? Eh bien, je vais vous en offrir un autre ! » Alice voulut crier, mais l'inconnu bondit et plaqua une main sur sa bouche. De l'autre, il la gifla si fort que, déséquilibrée, elle tomba à l'eau.

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CHAPITRE XIV L'ÉTONNANT NOMBRE 9 D'ABORD

assommée, Alice reprit conscience au contact de l'eau froide. Elle retint sa respiration et, remontant à la surface, elle essaya de nager : en vain, elle était sans forces. « Il faut que je fasse la planche », se dit-elle. Une somnolence la prit. « Non, non, si je m'endors, je suis perdue », songea-t-elle avec désespoir. Henri revenait. Voyant Alice flotter sur l'eau, il courut à la pointe de l'embarcadère et plongea. « Alice! cria-t-il. - Je... je...» Elle ne put achever. Le jeune homme lui passa la main sous le menton et, doucement, la tira vers le rivage. Puis, la soutenant par la taille, il la conduisit jusqu'au bureau du

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loueur. Celui-ci ne posa pas de questions. Il prit sur un poêle de fonte une cafetière et remplit une tasse du liquide brûlant. Après avoir bu quelques gorgées, Alice se sentit mieux. Elle raconta sa mésaventure. Le loueur de bateaux téléphona aussitôt au commissariat et transmit une description approximative de l'inconnu à la barbe noire. Un pli soucieux barrait le front d'Henri. « Mon père ne m'avait pas appelé, dit-il. C'est un coup monté contre vous, Alice. Je n'aurais jamais dû vous laisser seule. — Ne vous reprochez rien. Si vous étiez gentil, vous nie conduiriez à l'hôtel, j'aimerais changer mes vêtements et me reposer. Auparavant, pourriez-vous aller me chercher mon sac dans le canot... du moins, s'il y est encore! » Par chance, il y était. Quelques minutes plus tard, Henri déposait Alice devant l'hôtel. « Je vous téléphonerai demain matin pour avoir de vos nouvelles, dit-il. — Merci beaucoup », répondit Alice. Quand elle entra dans la chambre de ses amies, elle fut accueillie par des plaisanteries. « Pauvre Henri! Tu l'as tellement agacé qu'il t'a jetée à l'eau », dit Marion. Les deux cousines prirent un air grave quand Alice leur eut narré l'agression dont elle avait été victime. « Tu n'es en sûreté nulle part, remarqua Bess. Cela devient terrible. Et que voulait dire cet homme à propos de cauchemar? — Il aura découvert que je m'occupais de celui qui hante les nuits de Mme Blair. Mais qui est cet inconnu? Tout s'est déroulé si vite que je n'ai guère fait attention qu'à sa barbe. — Je parierais qu'elle est fausse! » déclara Marion. Après avoir pris un bon bain chaud et revêtu des vêtements secs, Alice se sentit toute revigorée. Elle voulut se rendre chez les Aubert. Après un léger dîner, les jeunes

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Henri la conduisit jusqu'au bureau du loueur.

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filles se mirent en route. Dans cette ville inconnue, Alice éprouva quelque peine à se diriger. Enfin, elle s'arrêta devant la porte d'une petite villa sans prétention, entourée d'un jardinet fleuri. En descendant de voiture, les jeunes filles se demandaient avec: une? certaine angoisse si elles allaient affronter leur ennemi : Louis Aubert. Alice sonna. Un homme qui ne ressemblait en rien au suspect lui ouvrit. Poliment, elle demanda M. Aubert. « C'est moi-même, mademoiselle. Que puis-je faire pour vous? — J'aimerais m'entretenir avec vous et avec votre femme, si vous avez l'obligeance de m'accorder quelques minutes. » Un peu intrigué sous son air courtois, M. Aubert les fit entrer dans un salon clair et confortable. Puis, il alla chercher sa femme au premier étage. En attendant s'approcher les pas, les jeunes filles se raidirent. Si elles n'avaient pas rencontré l'homme qu'elles cherchaient, son épouse serait-elle l'ancienne gouvernante de Mme Blair? Allaient-elles enfin découvrir l'origine du cauchemar? L'instituteur laissa passer sa femme et la présenta aux trois amies. Mme Aubert était mince, douce, et ses yeux noirs exprimaient l'étonnement. « Vous désirez me voir, mademoiselle? dit-elle. — Oui, répondit Alice. C'est la sœur d'un élève de votre mari qui nous a communiqué votre adresse. Veuillez nous pardonner une démarche qui peut, à prime abord, vous paraître surprenante. » La jeune femme sourit gentiment. « Ne vous excusez pas, je vous en prie. A vrai dire, je suis très flattée que vous ayez souhaité me voir. En général, les visiteurs réclament mon mari. » Alice raconta ce que leur avait appris la femme de chambre des Tudière. « Madame, ne vous appeliez-vous pas Lucile Manon avant votre mariage? »

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A la vive déception d'Alice et de ses amies, Mme Aubert secoua la tête. « Non. Serait-il indiscret de vous demander pourquoi cela vous intéresse? » Alice lui expliqua que la gouvernante de Mme Blair, dont elle venait de parler, s'appelait Lucile Manon. « Nous voudrions la retrouver et l'interroger sur l'enfance de Mme Blair, à la demande de celle-ci. » L'instituteur et sa femme se montrèrent très compréhensifs et promirent d'alerter les jeunes filles dans le cas où ils apprendraient quoi que ce soit concernant cette autre Mme Aubert. « Ne vous est-il jamais arrivé, monsieur, de rencontrer un homonyme? questionna Marion. — C'est-à-dire que je ne l'ai jamais rencontré en personne, mais il m'est arrivé de recevoir du courrier adressé à un Aubert... qui n'était pas moi. » Alice se rappela ce qu'Henri lui avait dit à propos de l'homme croisé au bureau de poste. « Cela s'est-il produit souvent? Une erreur de ce genre n'est-elle pas surprenante? » L'instituteur eut un sourire. « On me connaît au bureau de poste, aussi lorsqu'une lettre destinée à M. Louis Aubert arrive à Orléans sans indication de la rue, on me l'envoie. Elles émanent d'ailleurs toutes de la même personne. — Et au dos des enveloppes l'expéditeur écrit-il son adresse? — Non, fit M. Aubert. A l'intérieur non plus. Aussi, après avoir constaté qu'elles ne me concernaient pas, les ai-je retournées au bureau de poste. — Etaient-elles signées? — Non. Au bas, une simple initiale : C. » Les jeunes filles échangèrent un regard : « C » pour Claude? Le frère de Louis! Contenant avec peine son agitation, Alice poursuivit l'interrogatoire. 128

« Puis-je vous demander quel était le contenu de ces lettres?

— Je m'en souviens, parce qu'il sortait de l'ordinaire. Les feuilles ne comportaient que des nombres et des symboles. On y retrouvait principalement le chiffre 9. » Les trois jeunes filles rayonnèrent de joie. Allaient-elles reconstituer le puzzle? En tout cas, une pièce importante se mettait en place. « Y a-t-il longtemps que vous avez reçu la dernière lettre, monsieur? s'enquit Bess. — Un peu plus de deux semaines, je crois. » Au cours de la conversation qui suivit, il apparut que l'instituteur s'intéressait beaucoup aux alchimistes. Alice voulut savoir s'il connaissait le symbole du lion vert. Cette question lança M. Aubert dans un long monologue — passionnant d'ailleurs — sur la science au Moyen Age. Il alla même

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chercher dans la pièce voisine un tableau noir portatif et, à l'aide d'une craie, il y traça un cercle au centre duquel il mit un point. « Voilà le symbole du soleil », dit-il. Puis, il dessina une demi-lune sur la gauche et, au-dessous, le symbole par lequel les alchimistes la désignait : des guillemets. « Jadis, alchimistes et astrologues travaillaient la main dans la main. La position des planètes revêtait une importance très grande. Métaux et substances chimiques portaient les noms de corps célestes. Par exemple, le mercure que nous employons en laboratoire de nos jours a été appelé d'après la planète Mercure. » II esquissa le symbole et Bess éclata de rire. « On croirait voir un épouvantail coiffé d'un chapeau aplati par un coup de poing! » Son rire gagna le petit groupe. Quand tous eurent repris leur sérieux, l'instituteur poursuivit : « Je me suis amusé à traduire une des lettres adressées à mon homonyme : « Changez l'or en argent le plus vite possible à l'aide du mercure. » Ne trouvez-vous pas étrange cette manière de correspondre? L'expéditeur devait, lui aussi, s'intéresser à l'alchimie! » Alice partageait cette opinion. Elle se disait que non seulement le mystérieux alchimiste n'était autre que Monsieur Neuf, mais que son frère pouvait bien être, lui aussi, versé en chimie. Mais quelle relation établir entre l'un ou l'autre frère — ou les deux — et le secret de M. Leblanc-Dujey? L'homme d'affaires ne donnerait-il pas une fortune pour le droit d'exploiter quelque formule découverte par les jumeaux? Tandis qu'Alice réfléchissait, l'instituteur avait repris sa craie : « L'histoire des nombres est passionnante, dit-il. Prenez par exemple le chiffre 9 qui revient si souvent dans les lettres adressées à mon homonyme. C'est celui qui désigne l'immortalité. » Sur le tableau il écrivit 9 = 9, puis le nombre 18 et, comme s'il s'adressait à des élèves, il poursuivit : « La somme des chiffres composant les dix premiers multiples de 9 est constante. Prenons par exemple 18 qui équivaut à deux fois 9: si nous additionnons 1 et 8, nous obtenons 9.»

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Il sourit. « Qui peut me donner le prochain multiple de 9? » En plaisantant, Marion leva la main. « Oh! pardon, je me croyais à l'école, dit-elle. Le troisième multiplie de 9 est 27. Or 2 + 7 = 9. — Très bien, approuva l'instituteur. Et vous, mademoiselle, pourriez-vous me dire le suivant? » Bess, vers qui il s'était tourné, gloussa de rire. « Je n'ai jamais été très calée en mathématiques. Toutefois, je crois me rappeler que 4 multiplié par 9 égale 36. En additionnant 3 et 6 on obtient 9 ! — Exactement, dit M. Aubert. Et l'on peut continuer lejeu... » Les jeunes filles étaient littéralement passionnées et auraient

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aimé en entendre davantage. Mais Alice craignit d'abuser de la gentillesse des Aubert. Elle se leva, aussitôt imitée par ses amies.

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« Qui peut donner le prochain multiple de 9 ? »

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« Nous vous remercions beaucoup, dit-elle à M. et à Mme Aubert. Vous nous avez fait passer une délicieuse soirée. » Vingt minutes plus tard, elles étaient de retour à l'hôtel. Tout en se déshabillant, Bess dit, songeuse : « Une chose me paraît incompréhensible : si nos suppositions sont justes, comment Claude a-t-il pu ne pas mettre l'adresse exacte sur les lettres adressées à son frère? — Oh! Je ne crois pas que nous devions nous attardera ce détail, répondit Alice. Il m'a paru un peu bizarre, et une étourderie de ce genre est vite commise. — Possible, fit Bess. En tout cas, je persiste à penser que Louis Aubert, alias Monsieur Neuf, a jeté un charme sur M. Leblanc-Dujey. Toutes ces histoires d'alchimie me paraissent bien proches de la magie noire. » Marion haussa les épaules. « Moi, je suis convaincue que Monsieur Neuf n'est qu'un vulgaire escroc qui exploite honteusement la naïveté de M. LeblancDujey. Et c'est ce qu'il nous faut prouver. — Objectif difficile à atteindre! fit Alice, les sourcils froncés. La première chose à faire maintenant est de retrouver Lucile Manon Aubert. Quelque chose me dit qu'elle détient sinon la clef du mystère du « financier affolé » du moins celle de l'énigme des 99 marches. » Le lendemain matin, les jeunes filles prenaient la direction de la propriété des Tardy. Deux heures plus tard, elles descendaient de voiture au bas du perron. Mme Tardy vint à leur rencontre dans le vestibule. Son expression soucieuse inquiéta les amies. « Auriez-vous un ennui, madame? demanda vivement Alice. — Karine a disparu! répondit la charmante femme, navrée. Oh! Il s'est enfui? — Non. Il était enfermé dans la maison et, l'eût-il voulu, il n'aurait pu sortir. Et pourtant, nous ne l'avons pas trouvé ce matin. »

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CHAPITRE XV L'OR VOLÉ PAUVRE KARIME ! s'écria Bess. Il a dû être volé. — C'est impossible, répondit Mme Tardy. Au rez-dechaussée, toutes les portes et fenêtres étaient fermées. Pour qu'un voleur s'introduise, il aurait fallu qu'il ait une clef. Comment se la serait-il procurée? - Nous permettez-vous de visiter la maison? demanda Alice. — Je vous en prie. N'importe quoi, pourvu que l'on retrouve mon malheureux chien. » A la mine navrée de Mme Tardy, il était visible qu'elle tenait beaucoup à son petit compagnon. Guidée par elle, les trois jeunes filles inspectèrent vestibules, pièces, placards et jusqu'au moindre recoin. Sans succès. Encore qu'elle n'en vît pas la moindre trace, Alice restait persuadée qu'un intrus avait pénétré dans la maison. Sans la moindre conviction, les jeunes filles montèrent au

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grenier. Comme elle pénétrait dans une petite mansarde carrée, Alice poussa un cri. Au centre du parquet, Karime gisait sur un tapis élimé. Voyant que le chien ne bougeait pas, la jeune fille crut tout d'abord qu'il était mort. Mais elle s'aperçut presque aussitôt qu'il respirait. Une forte odeur douceâtre lui apprit que l'animal avait été chloroformé, sans doute pour l'empêcher de donner l'alarme. Qui avait pu commettre une action aussi lâche? se demandait Alice. Ce n'était pas le moment de se préoccuper de cela. Elle descendit l'escalier en courant et pria Mme Tardy de monter. « Vous avez retrouvé Karime? Où est-il? — Au grenier! Il a été endormi. Pourriez-vous appeler un vétérinaire? » Sur ces entrefaites, M. Tardy avait rejoint Alice. Il proposa de téléphoner au vétérinaire et à la police. Sa femme alla chercher le caniche. Peu après, le vétérinaire arrivait. Après avoir examiné le chien, il confirma qu'il avait respiré une forte dose de chloroforme. « Ne vous inquiétez pas. Laissez-le dormir, dit-il. Cette mésaventure n'aura aucune conséquence. » Comme il s'en allait, deux inspecteurs de police arrivèrent. Ils s'entretinrent brièvement avec lui, puis interrogèrent les Tardy. « Nous n'avons pas grand-chose à vous dire, répondit M. Tardy. Ni ma femme ni moi n'avons entendu de bruits suspects la nuit dernière. » Il présenta les jeunes Américaines et, désignant Alice du regard, il ajouta : « Mlle Roy est venue en France pour élucider un mystère, peutêtre sera-t-elle en mesure de vous aider. » Les deux policiers froncèrent le sourcil et leur mine rébarbative apprit à Alice qu'ils n'appréciaient pas du tout la suggestion! Aussi s'empressa-t-elle de dire : « Je suis sûre, messieurs, que vous n'avez nullement besoin

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de mes faibles lumières. Cependant, si vous le permettez, j'aimerais vous suivre pendant que vous inspectez la maison. » Les inspecteurs s'inclinèrent avec une certaine raideur, puis demandèrent à voir l'endroit où le caniche avait été découvert. Les Tardy les conduisirent au grenier. Alice, qui avait estimé plus diplomatique de les laisser un peu seuls, consulta Marion du regard. « Je te mets au défi d'élucider ce nouveau mystère avant le retour des policiers! dit celle-ci. Bess et moi, nous nous tenons à ta disposition. Vite, mettons-nous en quête d'indices. — Entendu! » répondit Alice avec un sourire amusé. Et elles reprirent les recherches depuis le début. « As-tu remarqué, Alice, dit Bess à l'improviste, que presque toutes les maisons — ou édifices — où tu es allée récemment ont reçu la visite d'intrus? — C'est exact, répondit Alice. Mais cette fois-ci, je ne crois pas qu'on ait cherché à m'attaquer ni à me subtiliser quoi que ce soit. — D'ailleurs, nous avions emporté nos passeports, notre argent et nos bijoux! » Alice examinait la porte extérieure de la cuisine, qui était munie d'un verrou de sûreté. Quand elle voulut faire tourner la ciel dans la serrure, elle rencontra une légère résistance. « Ce doit être par ici que le rôdeur s'est introduit, conclut-elle. Après avoir essayé diverses clefs, il aura trouvé la bonne, non sans avoir quelque peu abîmé les crans. — Alors, il ne s'agirait que d'un voleur ordinaire, déclara Marion. Il s'est certainement emparé d'argenterie ou de bibelots précieux. » Les policiers et les Tardy descendaient à ce moment. Marion leur cria, très agitée. « Alice a découvert par où le ou les voleurs se sont introduits ! » Elle expliqua ce que son amie avait constaté sur la porte de la cuisine, puis ajouta : « Le malfaiteur aura chloroformé Karime pour l'empêcher

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d'aboyer. Ensuite, afin d'éviter que M. et Mme Tardy ne préviennent la police tout de suite, il aura caché le chien pour qu'ils le cherchent avant de songer à téléphoner. » Les deux policiers regardèrent, incrédules, les jeunes filles. Enfin, l'un d'eux sourit et déclara : « Vous possédez en effet toutes les qualités d'un bon détective, mademoiselle Roy, et votre amie aussi. » Désireuse de mériter à son tour des éloges, Bess crut bon d'intervenir. « Si nous voulons savoir ce que venait faire ici l'intrus, ne seraitil pas opportun que M. et Mme Tardy vérifient s'il leur manque des bijoux, de l'argent ou des objets précieux? — Excellente idée », approuvèrent les deux inspecteurs. Ne pensant qu'à leur caniche, ni M. Tardy ni sa femme n'avaient songé à s'inquiéter de ce qui avait pu leur être volé. M. Tardy alla ouvrir un tiroir de son secrétaire et poussa un soupir de soulagement.

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« En tout cas, on ne m'a pas dérobé d'argent », dit-il. Mme Tardy, elle, s'était hâtée de gagner sa chambre. On l'entendit crier : « On me les a pris! » Les policiers, les jeunes filles et M. Tardy montèrent quatre à quatre l'escalier et se pressèrent autour d'elle. « Tous mes bijoux! dit-elle à son mari. Tous! Ceux que tu m'avais offerts et ceux qui venaient de nos familles. » Le coup était trop rude. La malheureuse femme se laissa choir sur un fauteuil et se mit à pleurer. Son mari s'approcha d'elle pour la consoler. « Allons ! allons ! ma chérie, ne te désespère pas. Tu les portais si rarement! Songe à ce qui aurait pu nous arriver si nous nous étions réveillés ! Quelle peur, nous aurions eue ! » Mme Tardy se sécha les yeux et s'efforça de sourire. Les policiers lui demandèrent une description détaillée • des bijoux volés et en prirent note. Puis ils la prièrent de vérifier s'il ne lui manquait rien d'autre. Hélas! Elle constata la disparition de six tasses et de six soucoupes d'or ainsi que d'une douzaine de cuillers à café, en or également, provenant d'une collection royale. « C'étaient des pièces uniques », s'écria-t-elle, navrée. Rien d'autre n'avait été emporté. Pourtant, les armoires de la salle à manger contenaient de très belles pièces d'argenterie. Alice s'étonna de la préférence marquée du voleur pour les objets d'or. Et tout à coup, elle songea au Lion Vert et à Monsieur Neuf. « Serait-ce lui qui s'est introduit ici? » se demanda-t-elle. Tentée une seconde de faire part de ses soupçons aux inspecteurs, Alice préféra s'en abstenir. Elle voulait d'abord discuter de tout cela avec son père. Aussitôt après le départ des inspecteurs, elle demanda la permission de téléphoner à M. Roy. Par chance, il était à son hôtel. Il écouta sans l'interrompre le récit que lui fit Alice des journées mouvementées qu'elle venait de vivre,

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« On me les a pris.' »

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puis il se déclara d'accord avec la théorie selon laquelle Louis Aubert serait le voleur. « II aura appris que les Tardy possédaient de l'or massif, fit-il. Espérons que la police va bientôt l'arrêter. » Ensuite, M. Roy annonça qu'il avait également des nouvelles à communiquer aux jeunes filles. « M. Leblanc-Dujey s'est récemment rendu acquéreur de diamants bruts. Je n'en comprends pas bien la raison. Il me semble impossible qu'il puisse faire tailler un aussi grand nombre de pierres. Ces diamants, dans leur état, ne présentent aucun intérêt commercial pour lui — ses ouvriers ne s'en servent pas pour couper le verre ou pour d'autres usages du même genre. » M. Roy ajouta que Leblanc-Dujey avait annoncé son intention de fermer ses usines dans un mois. « Les employés et les ouvriers sont au désespoir! -C'est terrible! s'exclama Alice. Que vas-tu faire, papa? » M. Roy soupira. « II me semble que je marque le pas dans cette affaire. Je commence à me décourager. Néanmoins, j'ai invité M. Leblanc-Dujey à déjeuner aujourd'hui. Ah! si seulement, il pouvait laisser échapper quelques mots qui me mettent sur la voie... ! Mais il me faudra prendre garde à ne pas éveiller ses soupçons. - Tiens-moi au courant, s'il te plaît, papa. De mon côté, je t'avertirai s'il y a du nouveau. Bonne chance. Au revoir. » Les heures avaient passé et la femme de chambre vint annoncer que le déjeuner était servi. Chacun s'efforça d'oublier ses inquiétudes. Cependant la conversation languissait. Soudain, Mme Tardy s'exclama: « Avec toute cette agitation, j'ai complètement oublié de vous dire que j'ai reçu une lettre de Catherine et de Monique. Elles s'amusent beaucoup, apprécient vivement le charme et le confort de votre maison ainsi que les soins dont les entoure Mme Berny. Il y a un passage de leur lettre qui vous intéressera beaucoup, Alice. Attendez une minute, je vais la chercher. »

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Mme Tardy se leva, passa dans le salon et en revint presque aussitôt, tenant plusieurs feuilles pliées en quatre. « Écoutez, dit-elle : « Hier, la garde auprès de Claude « Aubert était assurée par un policier qui comprenait le français. Il a entendu son prisonnier marmonner dans son sommeil : colline... bois... ruines... va à cham... » — Qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire? fit Marion. — Cham... pourrait signifier Chambord, répondit M. Tardy. C'est un des plus beaux châteaux de la Loire. — Nous irons la visiter », dit Alice. Elle se rappelait le passage du journal de Mme Blair où il était fait allusion à des ruines hantées. « Y a-t-il des escaliers très hauts à Chambord? — De 99 marches, n'est-ce pas? fit en souriant. M. Tardy. Je ne saurais vous le dire. Il y a un escalier à double révolution très célèbre par sa conception architecturale et sa décoration, un peu chargée à mon goût. » Le repas terminé, Alice proposa aux deux cousines de l'accompagner à Chambord. Proposition qui fut acceptée d'emblée. Par précaution, elles se munirent d'une valise légère, pour le cas où elles devraient passer la nuit à Chambord ou en chemin. Elles montèrent dans l'automobile louée, et Alice s'engagea dans l'avenue qui conduisait à la sortie du parc. Comme elle approchait de la route, elle entendit une voiture klaxonner, et appuya aussitôt sur le frein. A son grand effroi, la pédale s'enfonça dans le vide. Vivement, Alice tira sur le frein à main. Il ne fonctionna pas davantage. Terrorisée, elle perdit la tête et ne songea pas à passer la première en double débrayage. La voiture poursuivit sa course droit vers celle qui arrivait.

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CHAPITRE XVI SUIVIES étaient comme pétrifiées. La collision paraissait inévitable. L'autre voiture était trop proche. Mais son conducteur freina brutalement, donna un coup de volant à droite et parvint à éviter le choc. La voiture d'Alice alla buter contre une petite levée qui bordait la route. Tandis que les jeunes filles remerciaient la Providence de les avoir protégées, le conducteur de l'autre voiture faisait marche arrière. « Êtes-vous folles? » cria-t-il, le visage rouge de colère. Puis après avoir prononcé une longue tirade d'un ton furieux, il repartit à vive allure. Pas plus Alice que les deux cousines n'avaient compris grand-chose à ce flot de paroles, si ce n'est que le conducteur menaçait de les faire arrêter. LES TROIS AMIES

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Encore tremblante, Alice se tourna vers ses amies. « Vous rendez-vous compte du danger auquel nous venons d'échapper? ditelle. — Certes!, fit Bess avec conviction. Que s'est-il passé? — Les freins n'ont pas répondu, dit Alice. Mais je ferais mieux de ne pas rester sur la route. » En marche arrière, elle recula sur la chaussée, passa la première, tourna sur sa gauche et remonta l'avenue intérieure du parc. Très étonnés de les voir revenir, les Tardy leur en demandèrent la raison. Alice leur raconta l'accident dont elles avaient failli être victimes. « Pourtant vos freins fonctionnaient ce matin, dit M. Tardy. — Oui. A merveille. Je me demande si on ne les a pas sabotés. — Mais quand? s'enquit Bess. — Pendant que nous inspections la maison, répondit Alice. Selon moi, quelqu'un cherche à m'empêcher d'aller visiter les ruines près de Chambord, peut-être même le château des Soupirs dont parlait Mme Blair. — Qui soupçonnes-tu? Louis Aubert? demanda Marion. — Oui. Il sera revenu ici après le départ de la police et aura surpris notre conversation. En entendant ce que son frère avait murmuré dans son sommeil et en apprenant que nous avions l'intention de nous rendre à Chambord, Louis aura décidé d'agir. — Il doit être bon mécanicien pour savoir comment mettre des freins hors d'usage! » fit Bess, admirative. Alice lui rappela que c'était un a scientifique » et que sans doute il possédait quelque connaissance en mécanique. « S'il s'était contenté de dégonfler les pneus, cela ne nous aurait pas longtemps retardées, aussi a-t-il eu recours à un moyen plus efficace. » M. Tardy téléphona à un garagiste. Il revint déçu. « Un homme viendra chercher la voiture avec une dépanneuse, mais elle ne sera prête que demain. Si les mécaniciens constatent qu'il y a eu sabotage, il faudra prévenir la police. »

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Alice le remercia, mais il était visible qu'elle s'efforçait de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Ses hôtes s'en aperçurent et, comprenant sa déception, lui proposèrent de prendre leur propre voiture. « Non. Je ne peux accepter, protesta-t-elle. Vous pourriez en avoir besoin. — Rassurez-vous. En cas d'urgence, il y a le téléphone et des amis viendraient à notre secours, répondit Mme Tardy avec le sourire. Vous êtes sur le point de faire des découvertes importantes. Allez à Chambord. Qui sait si vous n'y trouverez pas la clef du mystère qui trouble ma pauvre sœur. » Alice finit par accepter. Les jeunes filles transportèrent leur valise dans la Peugeot des Tardy et prirent la route de Chambord. Le ravissant paysage qui défilait autour d'elles leur fit bien vite oublier le danger qu'elles venaient de courir et ceux qui les attendaient peut-être. Le printemps s'achevait. Le chaud soleil de juin faisait fleurir les coquelicots et les boutons d'or. Arrivées à Chambord, elles descendirent de voiture et restèrent silencieuses, émerveillées. L'imposante façade, avec en son milieu le donjon, les tours d'angle reliées par des galeries à deux étages soutenues par des arcades, la lanterne haute de trente-deux mètres, qui domine la terrasse, retenaient tour à tour leurs regards. De chaque côté de l'entrée principale, une immense tour ronde s'élevait au-dessus des toits. « Allons visiter l'intérieur », dit enfin Bess, impatiente de voir s'il était aussi beau que l'extérieur. Hélas! Un gardien les arrêta au passage. « Désolé, mesdemoiselles. Les visites sont terminées. » Alice consulta son bracelet-montre. Il était plus tard qu'elle ne se l'était imaginé. Avec un sourire navré, elle demanda la permission de faire un petit tour en attendant que les derniers visiteurs fussent revenus. Le gardien s'adoucit. « Il m'est interdit de vous laisser entrer seules, cependant je peux vous montrer une ou deux salles. »

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Il ouvrit une porte, s'effaça pour les laisser passer, puis les guida. A la vue de l'admirable escalier à deux hélices dont le centre est ajouré de telle sorte que l'on puisse se voir de l'une à l'autre, elles manifestèrent une telle admiration que le gardien, très fier, leur dit que le dessin en était unique. « A quelle période a-t-il été construit? demanda Bess. — Au cours de la Renaissance. L'escalier et la plus grande partie du château constituent un des plus beaux exemples du style de cette période. C'est au roi François Ier que l'on doit cette œuvre d'art. Il était grand chasseur et les bois de cette région étaient très giboyeux. Cerfs et sangliers les peuplaient. Le monarque s'entoura d'architectes, de sculpteurs, de peintres renommés et éleva l'art à un degré de perfection encore jamais atteint en France. » Les jeunes filles n'étaient pas à même de juger la valeur de cette

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opinion, mais l'enthousiasme de leur guide les gagna. Elles ne se lassaient pas d'admirer l'ornementation. « Ne regrettez pas de ne voir qu'une partie de ce château, dit le gardien en souriant. Il ne comporte pas moins de quatre cent quarante pièces, treize escaliers, une écurie pouvant contenir mille deux cents chevaux... et j'en passe. — Seigneur! Combien de serviteurs, de jardiniers, de valets d'écurie employait le roi de France? — Le personnel était très nombreux, mademoiselle, ce n'était pas une petite affaire que de tenir en état cette gigantesque demeure. Mais à cette époque un roi était un roi, il devait entretenir une cour importante, en imposer par son faste aux rois des autres pays. » A regret, les trois- amies rebroussèrent chemin à la suite de leur guide. Au moment de le quitter, Alice le remercia vivement de son obligeance et lui demanda s'il y avait des ruines sur le domaine. « Oh! non, mademoiselle. Comme vous avez pu le constater, le château et son parc sont admirablement entretenus. Cependant, il y en a dans les environs, dispersées dans la campagne et les bois. » Les trois amies décidèrent de se promener dans le village voisin. Elles s'y rendirent aussitôt. A peine s'étaient-elles éloignées de la voiture, que Bess murmura : « J'ai l'impression désagréable qu'on nous surveille. Cela me rend nerveuse. » Alice n'avait rien remarqué. Elle était trop absorbée par ce qui l'entourait. Toutefois promenant son regard autour d'elle, elle vit deux jeunes garçons qui, longeant les murs, semblaient les suivre. A voix basse, elle dit quelques mots à ses amies; d'un même mouvement, les trois jeunes filles exécutèrent une volte-face et repartirent dans la direction opposée. Les deux garçons s'arrêtèrent et après avoir discuté entre eux, ils firent, eux aussi, demi-tour et réglèrent leur allure sur celle d'Alice et des deux cousines. « Ce sont des pickpockets, dit Bess. Tenez bien vos sacs. » Alice obéit, sans cesser de réfléchir. Chercher les ruines auxquelles Claude Aubert avait fait allusion reviendrait à chercher une 148

aiguille dans une meule de foin, aussi décida-t-elle de s'informer s'il n'y aurait pas un chimiste dans les parages. Certes, il faudrait une chance incroyable pour que ce chimiste, s'il existait, fût Louis Aubert! Mais elle était résolue à tout tenter. Priant ses amies de l'excuser un moment, elle entra dans une pharmacie. Les deux garçons lui emboîtèrent le pas! A voix basse, elle formula sa question à l'homme en blouse blanche qui s'avança vers elle. Hélas! la réponse fut prononcée d'une voix forte. « Non, je rie connais pas de chimiste par ici. Pourquoi voulezvous le savoir? » Alice réfléchit rapidement. Il fallait trouver une bonne raison. « Je m'intéresse beaucoup à la chimie et on m'avait dit qu'un éminent professeur habitait dans le voisinage », répliqua-t-elle. Un regard jeté à la dérobée au jeune garçon lui apprit qu'ils n'écoutaient plus. « Désolé de ne pouvoir vous aider », dit le pharmacien. Alice acheta un tube d'aspirine et sortit du magasin. Lorsqu'elle se retrouva sur le trottoir, elle vit les garçons qui, à quelques mètres de là, semblaient discuter s'ils allaient continuer, oui ou non, à suivre les jeunes filles. Sans doute optèrent-ils pour la négative, car ils s'éloignèrent dans la direction opposée. Alice fut tentée un moment de courir après eux et de leur demander pourquoi ils les avaient suivies, elle et ses amies. Puis elle y renonça. A quoi bon attirer leur attention, leur donner à croire, s'ils avaient été engagés par Aubert ou ses complices, qu'elle redoutait quelque chose? Alice, Bess et Marion regagnèrent la rue centrale. Au passage, la jeune détective demanda à une vieille femme assise au soleil, sur le pas de sa porte, s'il y avait des ruines intéressantes aux alentours. « Oui, mademoiselle répondit la vieille femme. Celles du château des Soupirs. Toutefois, je ne vous conseille pas d'y aller seules. Emmenez des garçons avec vous. Les ruines sont à l'écart de la

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route et d'un accès difficile. On raconte, en outre, que des vagabonds y ont élu domicile.

— Je refuse d'y aller, s'empressa de dire Bess. Et je te défends de t'y aventurer, Alice. Oui, inutile de faire cette tête! J'ai le droit de te le défendre au nom de ton père. Jamais il ne nous pardonnerait à Marion ni à moi de t'avoir laissé courir des risques inutiles. » La vieille femme sourit : « Voilà une jeune demoiselle raisonnable! et respectueuse de l'autorité de ses parents. » Alice remercia la femme de son obligeance et de ses conseils et, en compagnie de Bess et de Marion, regagna la voiture prêtée par les Tardy. Comme elle mettait le contact, une automobile de sport blanche passa en trombe. Les jeunes filles entrevirent le conducteur. 150

« Monsieur Leblanc-Dujcy! s'exclama Alice. — Vite! Suivons-le! » dit Marion.

CHAPITRE XVII CHEVALIER EN ARMURE démarra aussitôt et appuya à fond sur l'accélérateur. Hélas! M. Leblanc-Dujey roulait à vive allure et Alice avait grandpeine à se maintenir à courte distance de lui. « Plus vite! Plus vite! insistait Marion. — C'est cela! Et si un pneu éclate? Adieu les trois amies! » protesta Bess. Par chance, la route était étroite et Alice parvint à garder la voiture blanche en vue. « Il a remarqué que nous le suivions, tu ne crois pas? dit Marion. ALICE

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— Probablement, répondit Alice. En ce cas, il changera ses plans, à moins qu'il n'ait rien à cacher sur l'endroit où il se rend. » La poursuite épuisante se continua pendant plusieurs kilomètres. Soudain, Alice vit que la route faisait un coude à une centaine de mètres plus loin. M. Leblanc-Dujey ne ralentit pas. Plus prudente, Alice amorça le virage en douceur. Comme elles sortaient du tournant, Marion poussa un cri de dépit. « II a disparu! » Alice appuya à fond sur l'accélérateur, et parcourut encore quelques kilomètres. La voiture poursuivie s'était volatilisée! « Inutile de s'entêter, dit-elle enfin. Nous avons perdu la partie! — Mais où est-il passé? demanda Marion, qui ne se résignait pas à cet échec. — Il a dû quitter la route peu après le virage en épingle à cheveux, répondit Alice. Retournons en arrière et regardons bien des deux côtés. » Elle conduisit lentement. Bientôt, Bess lui signala un étroit chemin de terre qui s'enfonçait dans les bois. Alice s'arrêta, descendit et examina soigneusement le sol. On y distinguait des traces de pneus. « Tu n'as pas l'intention de prendre ce sentier, j'espère, grommela Bess. Que ferais-tu si nous nous trouvions face à face avec une voiture venant en sens inverse? — Tu as raison ! » Alice alla garer la voiture sur le bas-côté, et les jeunes filles suivirent à pied le chemin caillouteux. Bess gémissait, se plaignant d'avoir mal aux pieds. « II n'y a que les charrettes de bûcherons qui peuvent passer là. Où t'imagines-tu que nous allons aboutir? — A des ruines, j'espère. Celles dont Claude Aubert parlait dans son sommeil. » Les traces de pneus semblaient continuer indéfiniment. Enfin, les trois amies s'arrêtèrent. Devant elles se dressait une masse de pierres et de mortier. Des ruines! Celles, cela se voyait encore, d'un petit château; sans doute quelque gracieux rendez-vous de chasse. Une partie en était à peu près intacte, le reste avait subi les ravages des intempéries. 152

Les traces de pneus se terminaient là. Pourtant, aucune voiture n'était visible alentour. « Ce n'est pas ici que M. Leblanc-Dujey se rendait», dit Bess. Elle regardait autour d'elle avec inquiétude. Les conseils de la vieille femme lui revenaient à l'esprit. Alice rie répondit pas. Elle ne quittait pas des yeux les marches de mousse qui descendaient sous terre. Où conduisaient-elles? A un souterrain? « Comptons-les », proposa-t-elle en sortant de son sac la lampe électrique dont elle ne se séparait guère. Marion la suivit, Bess, tremblante, fit de même. Tout, se disaitelle, plutôt que de rester seule! Alice comptait à haute voix. Comme elle prononçait « trentetrois », elle s'immobilisa et poussa un cri de frayeur. A dix marches plus bas, un chevalier en armure lui barrait le passage avec son épée! Marion recula. Bess hurla. Mais Alice s'était déjà ressaisie et continuait à descendre. Tout à coup, une voix caverneuse s'éleva, menaçante : « Halte! Ou je vous pourfends! » Bess fit demi-tour et remonta quatre à quatre l'escalier. Alice et Marion attendirent de pied ferme le mystérieux chevalier. Celui-ci n'avança pas. Il se contenta de leur interdire de bouger. Toutefois, sa voix semblait moins assurée. Il n'en fallut pas davantage pour éveiller les soupçons d'Alice. « Monsieur le chevalier, dit-elle, très calme, levez votre heaume! Vous n'êtes qu'un farceur. » Le bras qui brandissait l'épée retomba. Le chevalier dansa d'un pied sur l'autre. « Allons! Obéissez! » ordonna Alice, qui avait beaucoup de peine à ne pas rire. Le chevalier releva la visière de son casque, et les deux amies virent apparaître le visage d'un garçon d'environ douze ans. « Comment vous appelez-vous? demanda Alice. 153

— Pierre, mademoiselle. Je voulais m'amuser un peu. Je n'avais pas vraiment l'intention de vous effrayer. »

Son expression penaude attendrit les jeunes Mies qui s'empressèrent de le rassurer : elles comprenaient parfaitement la plaisanterie et n'étaient pas le moins du monde fâchées. « Mais, dit Alice, où t'es-tu procuré cette armure? Elle est très belle. - Elle appartient à mon père. Il me permet déjouer avec; chez nous, la salle d'armes en est pleine. J'avais entendu parler de ces ruines et je me suis dit que ce serait amusant de m'y promener comme si j'étais un vrai chevalier du temps jadis. » Bess, légèrement vexée, redescendait les marches. « Et je m'y suis laissée prendre, misérable! » Alice éclata de rire. « Tu ne t'attendais pas à accueillir des visiteuses? — Oh! non. Je croyais être seul. » 154

Marion lui posa alors des questions concernant l'histoire de ces ruines. Il leur raconta qu'elles dataient du XV e siècle et que c'étaient celles du château du Cerf, Quelle déception pour Alice! Elle avait tant espéré qu'il s'agissait du château des Soupirs. « Y a-t-il d'autres ruines tout près d'ici? demanda-t-elle. — Oui, de l'autre côté de la route, très loin dans les bois. C'est tout ce qui reste du château des Soupirs. Mais, ne vous en approchez pas! Il s'y passe des drôles de choses, à ce qu'on dit. — Par exemple? - Eh bien! On entend des explosions et on voit de la fumée " s'élever. Parfois aussi, il paraît que quelqu'un chante. — Une voix de femme ou d'homme? - De femme. Tout le monde pense que c'est une dame morte il y a des siècles et qui revient hanter les lieux où elle vécut. — Tout le monde? s'étonna Alice. Qui est-ce, tout le inonde? — Heu! Les personnes qui s'y promènent, celles qui les explorent. Mes camarades et moi, nous nous sommes approchés des ruines aussi près que nous l'avons osé, mais chaque fois il s'est passé quelque chose d'étrange. Cela fait longtemps que nous ne nous y sommes plus risqués. Nos parents nous l'ont interdit. » Très intriguée, Alice demanda au jeune garçon de lui en indiquer le plus clairement possible le chemin. « Prenez la route en direction de Chambord, suivez-la pendant deux kilomètres. Si vous ouvrez bien les yeux, vous verrez un étroit sentier qui conduit à cet ancien château. — Merci, Pierre. Amuse-toi bien, dit-elle en faisant un clin d'œil au jeune chevalier. Attention à ne pas croiser le 1er avec des adversaires trop nombreux. » Les jeunes filles laissèrent le petit Français qui riait de bon cœur, et remontèrent en voiture. Alice conduisit lentement; à la distance indiquée, elle 155

aperçut l'étroit sentier que cachaient des branches basses. Elle se gara sur le bas-côté et, à pied, les jeunes filles suivirent ce qui n'était guère qu'une piste barrée de ronces et de lianes. « M. Leblanc-Dujey n'a pas pu prendre ce chemin avec sa belle voiture blanche, dit Marion, sinon il aurait sérieusement éraflé la carrosserie. — Je ne pense pas qu'il se soit arrêté par ici, répondit Alice. On ne voit aucune trace de pneus. » Tout à coup, une idée lui traversa l'esprit. « Quelle date sommes-nous? demanda-t-elle. Le 17. Pourquoi? s'étonna Marion. — Je parie que demain il se passera des choses importantes dans ces ruines. Ce sera le 18. Or 1 plus 8 égale 9. Le nombre magique. » Bess ouvrit des yeux effarés. « Je vous en prie, partons au plus vite! Nous reviendrons demain matin avec des policiers. »

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Hélas! Ni Alice ni Marion ne voulurent écouter ce qui était peutêtre la voix de la raison. « Nous avons besoin de preuves, Bess, avant d'avoir recours à la police. Nous ne connaissons même pas le repaire de Monsieur Neuf. » Pâle d'angoisse, Bess se résigna à leur emboîter le pas. Quelques minutes plus tard, Alice s'arrêta de nouveau. « Écoutez! » Les deux cousines tendirent l'oreille. Au loin, devant elles, une femme chantait ! « C'est un des madrigaux que Catherine et Monique ont fait applaudir à la soirée du club. Vous allez croire que j'ai perdu' la tête, mais je me demande si ce n'est pas Lucile Manon-Aubert, la gouvernante que nous recherchons. Elle chante pour distraire son mari, tandis qu'il se livre à des expériences de chimie. » Très agitée, Alice se mit à courir en direction de la voix. Marion et Bess suivirent. « Nous approchons! » dit Alice, haletante d'émotion.

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CHAPITRE XVIII LE LABORATOIRE SECRET cessa brusquement. Quelqu'un aurait-il entendu les jeunes filles? Une minute plus tard, toujours figées sur place, elles perçurent un bruit de brindilles froissées, un peu plus loin devant elles. Malheureusement, le sous-bois, très touffu, les empêcha de distinguer si c'était un être humain ou un animal qui bougeait. « Vraiment, Alice, tu rêves! chuchota Bess, nerveuse et agacée. Pourquoi voudrais-tu que ce soit Lucile Aubert qui hante ces ruines? — En tout cas, répliqua Marion, la personne qui chantait n'a pas la conscience pure, sinon elle ne se serait pas enfuie. — Qui te dit encore que ce soit elle qui ait igité les branchages? — Cessez de vous quereller, je vous en prie, dit Alice, les LE CHANT

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traits tendus. Ce qui m'étonne c'est que l'ancienne gouvernante de Mme Blair ait pu épouser un escroc comme Louis Aubert. » Elle achevait à peine ces mots que Marion lui saisit le poignet. « Regarde! » Elle tendait le bras un peu vers la droite. A travers un espace resserré entre les arbres, elles virent, adossé à une colline peu élevée, les restes d'un ancien château. Une femme courait dans cette direction. Elle était grande, mince, avait des cheveux blonds tirant sur le gris et on lui aurait donné dans les soixante ans. « Serait-ce Mme Aubert? demanda Bess. — Comment veux-tu que je le sache ? répondit Alice. Toutefois, son âge correspondrait à celui de la gouvernante de Mme Blair. Rattrapons-la! » Les trois jeunes filles s'élancèrent, gravirent le flanc de la colline, mais quand elles parvinrent près du château, la femme avait disparu. S'était-elle cachée dans quelque renfoncement ou de l'autre côté du bois? « Nous n'aurions pas dû nous montrer. Elle est peut-être allée avertir quelqu'un que nous étions là. Cachons-nous. Ce sera plus prudent. — Oh ! oui ! approuva Bess, qui claquait des dents. Je n'ai aucune envie de me trouver face à face avec cet horrible Louis Aubert. » Les jeunes filles plongèrent sous l'épais feuillage d'un bosquet et attendirent. Dix minutes s'écoulèrent. Personne ne se manifesta. Seuls des pépiements d'oiseaux brisaient le silence. « Je crois que nous pouvons nous risquer à explorer ce château, dit enfin Alice, n'en déplaise aux fantômes qui s'y promènent. — Je t'accompagne », déclara Marion. Pauvre Bess! Force lui fut de suivre, sous peine de rester sans défenseur. Elles regardèrent d'abord tout autour d'elles afin de

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s'assurer que la femme ne les épiait pas. Puis, elles s'approchèrent des ruines. A la grande joie d'Alice, elle découvrit des marches qui s'enfonçaient sous terre. L'escalier lui parut très abrupt. Comme elle se penchait, elle perçut un faible grondement montant des profondeurs. Très agitée à la pensée que, sans doute, elle se trouvait devant les fameuses 99 marches, elle murmura à ses amies : « II faut que je descende! — Certainement pas seule! » protesta Marion. Cette fois, Bess refusa de les suivre. « Non, je ne participerai pas à l'aventure. Tu prends un risque terrible, Alice. N'oublie pas ce que tu as promis à ton père. J'ai peur : je sens qu'un danger menace. — Oh! Tais-toi, gronda Marion. Tu gâches tout. Alice ne va pas laisser échapper cette chance unique, peut-être, d'élucider le mystère des 99 marches parce que Mlle Taylor est une mauviette ! — Marion, ne sois pas méchante, intervint Alice. Bess n'a pas tout à fait tort, et elle a fait toujours preuve de courage quand il le fallait. Écoute, Bess, sois gentille. Reste de garde au sommet des marches. Si tu vois apparaître quelqu'un, siffle sur la modulation convenue entre nous. — Entendu, mais n'allez pas trop loin, sinon vous n'entendriez pas le signal. » Alice commença de descendre en comptant les marches. Marion la suivait de près. La lumière du jour arrivait à peine Tout à coup, à leur grande surprise, les jeunes filles virent deux lanternes allumées, accrochées aux parois. Quelqu'un était en bas ! Quand Alice atteignit la dernière marche, elle eut peine à retenir une exclamation de joie! Elle venait d'en compte 99... Devant elle, un étroit passage conduisait à une porte de bois très ancienne. Dans la partie supérieure, une ouverture carrée était munie de barreaux de fer. « Ce devait être un cachot ! » se dit Alice. Prudemment, Marion et elle se dressèrent sur la pointe des

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pieds et regardèrent à travers les barreaux. Alice eut un petit hoquet de surprise. Un laboratoire moyenâgeux! Peut-être un alchimiste avait-il été emprisonné de longues années dans ce souterrain? Le laboratoire était bien équipé. Il comportait un four ouvert dans lequel un feu rougeoyait, de nombreuses étagères garnies de cornues de toutes dimensions, des mortiers, des balances, des flacons, des creusets, des pilons. Au fond, sur de longs bancs, des bonbonnes de tailles diverses contenaient des liquides colorés. Debout, devant un de ces bancs, un homme en blouse blanche, la tête enveloppée d'une sorte de turban, se tenait de profil. Était-ce Louis Aubert? Il en avait la silhouette mais pas les traits. Serait-il masqué? Elles le regardèrent avec la plus grande attention. A la main, il tenait un bâton noir, sans doute un morceau de charbon de bois, et il y creusait un trou à l'aide d'un canif.

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Puis il prit sur le banc une grosse pépite d'or et l'introduisit dans le trou ainsi foré. Cela fait, il ouvrit un pot en terre et, avec l'index, prit un peu de substance blanche et pâteuse dont il recouvrit l'or. Était-ce de l'or pur? se demanda Alice qui se rappelait les expériences tentées par les alchimistes sur les métaux. Elle entendit l'homme pousser un soupir de satisfaction. Il reposa le charbon de bois sur le banc, alla au fond du laboratoire et sortit par une autre porte. Avant qu'il l'ait refermée, Alice et Marion eurent le temps d'apercevoir un second couloir. Les jeunes filles discutaient sur la décision à prendre lorsqu'elles entendirent Bess siffler. Le son leur parvint très clair. C'était le signal les avertissant qu'il fallait se cacher aussitôt. Oui, mais où? Bess siffla de nouveau. « Où aller? » chuchota Marion. Sans hésitation, Alice ouvrit la porte du laboratoire et fit signe à son amie de la suivre. Elles traversèrent la pièce et s'accroupirent derrière de grandes caisses contenant des bûches et du charbon de bois. Elles entendirent un bruit de pas dans l'escalier et, un moment plus tard, M. Leblanc-Dujey entrait dans le laboratoire! Il tira une corde placée contre le chambranle et une petite sonnette tinta. Quelques secondes après, l'homme en blouse blanche réapparut par la porte du fond. Il s'inclina et, d'une voix de basse, dit : « Bonjour, monsieur. N'êtes-vous pas en avance d'un jour? C'est demain que le nombre nous sera bénéfique. Enfin! peu importe, je suis heureux de vous voir. » Son attitude changea brusquement et se fit agressive. a Je ne pouvais pas attendre plus longtemps. » Une expression de frayeur se fit jour sur le visage de M. Leblanc-Dujey. « Que voulez-vous dire? — J'ai terminé ma dernière expérience! Je peux changer n'importe quel métal vil en or pur! — N'importe lequel? fit l'industriel en pâlissant.

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— Oui. Oseriez-vous douter de mon pouvoir? N'ai-je pas, sous vos yeux, changé de l'argent en or? » M. Leblanc-Dujey fit un pas en avant et posa une main sur le bras du chimiste. « Je vous supplie d'attendre avant de rendre publique votre grande découverte. Sinon, ce sera la ruine pour moi. L'étalon-or perdra toute valeur. — Quelle importance cela a-t-il? répliqua l'homme, dont les yeux lançaient des éclairs. De l'or! De l'or! Entendez-vous ! Tout se changera en or. Le Roi Rouge dominera le monde! Et lorsque n'importe quel vil métal pourra être translorrné en or, cette précieuse matière perdra son prix. Il ne vaudra plus rien. » II éclata d'un rire démoniaque. M. Leblanc-Dujey semblait hors de lui. « Accordez-moi quelque temps encore. Je vendrai tout et achèterai des pierres précieuses — elles ne perdront jamais leur valeur. » L'homme en blouse blanche arpenta le laboratoire quelques instants. Enfin, il se tourna vers l'industriel. « Monsieur Leblanc-Dujey, dit-il, la confiance que vous m'avez accordée sera récompensée. Je vais refaire devant vous ma dernière expérience. » II prit une bouteille remplie d'un liquide argenté. Du mercure, devina Marion. Il en versa une petite quantité dans un grand creuset. « Et maintenant, je vais le chauffer », dit le chimiste. Il alla vers le feu, posa le creuset sur la grille qui le recouvrait. Puis il attendit. Quand le liquide eut atteint la température requise, il s'empara du morceau de charbon de bois qu'il avait préparé peu avant et le fit rougir, ensuite il le jeta dans le creuset. Alice et Marion suivaient l'opération en retenant leur souffle. Marion sortit même la tête de sa cachette tant elle était intéressée. Vivement, Alice la tira en arrière. Des flammes bleues s'élevèrent du creuset. Le chimiste posa une casserole sur un banc, près du fourneau, prit le

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creuset à l'aide de pincettes et versa son contenu dans la casserole. Le morceau de charbon avait disparu, et du mercure coula la pépite d'or! « De l'or! » s'écria M. Leblanc-Dujey. Marion éprouvait un dégoût tel qu'elle en avait la nausée. Quant à Alice, elle ne parvenait pas à comprendre comment l'industriel pouvait être naïf à ce point! Ne voyait-il vraiment pas que l'autre se jouait de lui! La ruse était grossière ! Une folle envie de bondir hors de leur cachette et de dénoncer l'imposture s'empara des deux amies. Mais Alice craignit que l'homme ne leur échappe et elle décida que le plus sage serait d'avertir la police française. M. Leblanc-Dujey semblait en transes. Enfin, il sortit de sa poche une imposante liasse de billets et les tendit à l'homme en blouse blanche. « Prenez cela. Et je vous en prie, je vous en supplie, ne parlez de votre découverte à personne. Je reviendrai à la même heure demain avec la somme que vous m'avez indiquée. — Je vous accorde vingt-quatre heures, pas une minute de plus. Cette fois-ci le prix de mon silence sera de cinq mille dollars. » L'industriel ne parut pas surpris par l'énormité de cette exigence. Au contraire, il semblait soulagé. Après un bief au revoir, il repartit par le chemin qu'il avait suivi en venant. De son côté, l'homme en blouse blanche sortit par le fond de la salle. Enfin, les jeunes filles purent détendre leurs membres engourdis. Sans perdre une minute, elles quittèrent le laboratoire et remontèrent les 99 marches. Au sommet, Bess les attendait avec inquiétude. « Vite, courons! lui dit Alice. Il faut prévenir tout de suite papa que M. Leblanc-Dujey est victime d'un escroc! »

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CHAPITRE XIX STRATÉGIE AUDACIEUSE VERS DIX HEURES DU SOIR,

Alice, Bess et Marion arrivèrent chez les Tardy. Deux fois, en cours de route, Alice avait essayé, sans succès, de joindre son père par téléphone. M. et Mme Tardy virent tout de suite que la journée ne s'était pas passée sans incident. Ils interrogèrent Alice. Elle leur raconta d'un seul jet toute l'histoire, car elle estimait qu'il n'y avait plus aucune raison de garder le secret sur le mystère qui avait amené son père en France. « Et vous croyez que ce chimiste n'est autre que Louis Aubert? demanda Mme Tardy. — J'en suis convaincue. Il faut faire tout de suite quelque chose. Cependant, je voudrais parler à mon père avant d'alerter la police. » Avec la permission de ses hôtes, elle appela encore M. Roy.

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Il n'était pas à l'hôtel, mais avait confié à la standardiste un message pour sa fille. « Votre père m'a priée de vous dire qu'il passerait la nuit chez M. Leblanc-Dujey. — Merci », dit Alice. Après avoir raccroché, elle resta un moment perplexe. Son père avait-il découvert quelque chose de son côté? Et quoi? « II faut que je lui parle coûte que coûte », décida-t-elle. Elle demanda le numéro de M. Leblanc-Dujey. Un domestique lui répondit que son père et « Monsieur » étaient sortis et ne seraient de retour que très tard. « Voulez-vous prier M. Roy d'appeler sa fille chez M. Tardy. — Je ferai la commission sans faute, mademoiselle », répondit le serviteur. En apprenant cela, Marion et Bess se regardèrent, désemparées. Elles comprenaient qu'Alice s'inquiétait — et «Iles partageaient son inquiétude. Pourvu que M. Roy ne fût pas en danger! Ce Louis Aubert n'était pas homme à s'embarrasser de scrupules. Il est vrai que M. Roy savait se défendre et se montrer prudent quand il le fallait. Après un léger dîner, les trois amies se couchèrent, épuisées par leur longue journée, et s'endormirent aussitôt. Le lendemain matin, de bonne heure, M. Roy téléphona à Alice. Sa voix semblait lasse. « Je pars tout de suite, dit-il, brièvement. Je viens TOUS retrouver. » Alice eut une idée. « Pourquoi n'amènerais-tu pas M. Leblanc-Dujey avec toi? J'ai à te communiquer des renseignements qui ne manqueront pas de l'intéresser. » Elle n'osa pas en dire davantage de crainte qu'un domestique ne fût complice d'Aubert et n'entendît la conversation. « Je vais le proposer à M. Leblanc-Dujey», répondit l'avoué. Une minute plus tard, il revenait disant que son hôte s'était déclaré enchanté à la perspective de revoir Alice.

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« II prendra une journée de repos. » Quand les deux hommes arrivèrent, Alice accueillit l'industriel avec le sourire. Puis, le confiant à ses deux amies, elle emmena son père, sous un vague prétexte, dans sa chambre. « Raconte-moi ton histoire d'abord », demanda-t-elle. L'avoué lui dit qu'il avait essayé avec diplomatie de mettre M. Leblanc-Dujey en garde contre les répercussions graves que ses mouvements de titres auraient sur la vie économique de son pays. Il l'avait également placé devant ses responsabilités : avait-il le droit de réduire au chômage plusieurs centaines d'ouvriers, sans parler des cadres? L'industriel l'avait écouté poliment — mais avec la plus parfaite indifférence. « Je vais t'en donner la raison », s'empressa de dire Alice. Et elle entreprit le récit de leurs dernières aventures. M. Roy ouvrait de grands yeux et en croyait à peine ses oreilles. « Il convient de faire arrêter tout de suite ce chimiste et de dénoncer ses activités. Comment le faire sans éveiller ses soupçons? C'est à quoi il faut réfléchir. Une chose est certaine : il ne faut pas qu'il arrive quoi que ce soit à M. Leblanc-Dujey. » Alice suggéra à son père de révéler toute la machination à l'industriel et de le prier de se rendre au rendez-vous convenu avec le chimiste. « Il lui remettra l'argent promis. Pendant ce temps, Bess, Marion, toi et moi, nous irons nous cacher près des 99 marches avec quelques policiers. Au moment propice, nous nous emparerons de l'escroc : Louis Aubert, ou un autre. Car peut-être ai-je tort de m'imaginer que le chimiste et Louis Aubert ne font qu'un. » M. Roy sourit avec tendresse à sa fille et passa un bras autour de ses épaules. « Ton idée me plaît beaucoup, Alice. Je t'ai promis un joli souvenir de Paris. Il me semble que tu as déjà droit à la moitié de ce que je compte t'offrir. — A la moitié seulement? » plaisanta la jeune fille.

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M. Roy et Alice rejoignirent M. Leblanc-Dujey et les deux cousines au salon où M. et Mme Tardy bavardaient avec eux. « Monsieur, dit M. Roy à l'industriel, ma fille a une histoire surprenante à vous raconter. Veuillez l'écouter sans l'interrompre. Votre fortune et peut-être votre vie sont en jeu. » M. Leblanc-Dujey leva les sourcils. « Comment une aussi charmante jeune fille pourrait-elle m'annoncer quelque chose de sinistre? dit-il ironiquement. — Alice est une des plus grandes détectives du monde, intervint Bess sans crainte d'exagérer. — Une détective! s'exclama l'industriel. Prétendriez-vous, mademoiselle, avoir découvert pourquoi je vends mes actions? — Mais oui, monsieur », répondit Alice sans se laisser décontenancer par l'accent railleur de l'homme d'affaires. Et elle raconta l'histoire de Claude et de Louis Aubert. M. Leblanc-Dujey l'écoutait avec stupeur. Toute envie de se moquer de la jeune fille l'avait abandonné. Son visage était grave. Quand elle en vint au récit de son équipée et de celle de Marion dans le laboratoire, il s'exclama : « Vous m'avez vu, dites-vous! Mais où étiez-vous donc? » Alice lui répondit qu'elles étaient cachées derrière les caisses de bois et lui fournit un si grand nombre de détails, qu'il comprit qu'elle n'inventait rien. Lorsque Alice eut terminé, il demeura silencieux un long moment, la tête enfouie dans les mains. Enfin, il la releva : « Comment ai-je pu me laisser ainsi duper! Vous avez mérité de tout savoir. Je ne vous cacherai rien. Le chimiste en question s'appellet-il Louis Aubert? Cela je l'ignore. Je ne le connais que sous le nom de Pedro Ramos. Souvent, il s'habille en arabe, prétendant qu'il se sent plus à l'aise dans une gandoura depuis qu'il a vécu en Afrique. Il y a quelques mois, il est venu me trouver à mon bureau de Paris et m'a montré des lettres émanant de Français, aussi bien que de personnalités arabes, lesquels ne tarissaient pas d'éloges sur lui et sur l'intérêt que présentaient ses expériences de chimie.» 168

Alice pensa aussitôt que Claude Aubert avait pu forger ces lettres de recommandation. « Pedro Ramos, si tel est bien le nom de cet individu, m'a demandé de lui avancer de l'argent pour construire un vaste laboratoire. Les lettres de recommandation m'avaient favorablement impressionné. Par la suite, il procéda devant moi à des expériences qui achevèrent de me convaincre. Je ne mettais pas en doute qu'il pût changer certains matériaux en or, comme ce charbon de bois, hier... » M. Leblanc-Dujey n'acheva pas sa phrase. Il prit une mine contrite et ajouta : « Comment ai-je pu être aussi crédule! » Il reconnut ensuite avoir eu l'intention de vendre toutes ses actions et d'acheter des pierres précieuses. « Je craignais que l'invention de Ramos ne bouleverse l'économie mondiale et n'entraîne de ce fait ma ruine.

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— C'est pourquoi vous vous êtes rendu acquéreur d'importantes quantités de diamants bruts », dit M. Roy. Le Français parut surpris par cette remarque mais ne fit aucun commentaire. « Vous pensiez que le diamant remplacerait l'étalon-or? voulut savoir Alice. — En effet. Je comprends maintenant combien je me suis montré égoïste, ne me préoccupant que de mon propre intérêt, sans égard pour celui de mon pays et de mes semblables. Ma rapacité est impardonnable. J'en ai honte. — Monsieur, intervint Marion, pourriez-vous nous expliquer la signification du nombre 9 dans cette affaire? — Ramos est très versé en astrologie et en magie des nombres. Il m'a fait croire que le 9, le 18 et le 27 de chaque mois, de nouveaux secrets lui étaient dévoilés. » Marion pria également le financier de dire s'il avait déposé une somme d'argent sur la quatre-vingt-dix-neuvième marche du château de Versailles, à l'endroit où était tracé au fusain M 9 ? « Oui, je n'ai pas vu Ramos ce jour-là, mais j'ai mis la somme à l'emplacement qu'il m'avait indiqué. » En apprenant la mésaventure dont Marion avait été victime, l'industriel pâlit. « Quel ignoble individu! Comment a-t-il osé s'attaquer à vous? — Est-il marié? questionna à son tour Bess. — Je ne l'ai jamais entendu parler de sa femme Je ne pense pas qu'il le soit. » Comprenant que M. Leblanc-Dujey ne demandait qu'à coopérer à l'arrestation de Louis Aubert, Alice lui présenta son plan, qui reçut l'entière approbation de M. Roy. « C'est parfait, mademoiselle. Je suivrai vos consignes », dit M. Leblanc-Dujey quand elle eut achevé son exposé Le même jour, en fin d'après-midi, trois voitures se dirigeaient vers les ruines. Dans l'une avaient pris place M. Roy et les trois jeunes filles, dans l'autre deux inspecteurs de police, Beaumont et Careau. La troisième était conduite par

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M. Leblanc-Dujey. Les deux premières se garèrent à l'abri des regards, sous d'épaisses frondaisons et les passagers partirent sans bruit à travers bois. » A une courte distance des ruines, ils s'arrêtèrent afin de s'assurer que personne n'était dans les parages, puis ils s'élancèrent vers les marches. Les lanternes étaient allumées. Le groupe descendit à pas de loup. Alice jeta un regard entre les barreaux de la porte. Rien ne semblait avoir bougé depuis la veille, le feu brillait dans le fourneau. Sans doute Ramos projetait-il de procéder à une autre expérience devant le financier. Doucement, Alice ouvrit la porte et un à un les autres entrèrent et s'accroupirent derrière les caisses. Dix minutes s'écoulèrent. M. Leblanc-Dujey pénétra dans le laboratoire. Il tira le cordon de la sonnette. Quelques secondes après, Ramos, toujours en blouse blanche et coiffé d'un turban, faisait son apparition. « Je vois que vous êtes à l'heure, monsieur », dit-il en s'inclinant. L'industriel sortit de sa poche une liasse de billets et lui dit : « Consentiriez-vous à m'accorder un nouveau délai en échange de ceci? — N'ai-je pas toujours tenu mes promesses? » répliqua Ramos avec hauteur. Leblanc-Dujey posa les billets sur un banc et aussitôt Ramos les prit et les enfouit au fond d'une poche. « Quand pourrai-je révéler au monde entier mon étonnante découverte? demanda-1-il. — Accordez-moi une semaine au moins, répondit l'industriel. J'ai encore quelques transactions difficiles à opérer. — Une semaine? » répéta Ramos, et il se mit à arpenter la pièce. Il s'arrêta devant la porte qui donnait accès aux 99 marches. Ceux qui étaient cachés entendirent un déclic. Avec angoisse Alice se demanda s'il avait verrouillé la porte et pourquoi? Couraient-ils tous un danger?

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«Monsieur, cria-l-il, vous m'avez dupé!

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Elle surveilla les gestes de l'alchimiste tandis qu'il s'approchait du fourneau. Il regarda intensément les braises, puis d'un mouvement brusque il se retourna, prit un petit sac sur un banc, courut à la porte du fond, l'ouvrit et, pivotant sur lui-même, s'adressa au financier. Ses yeux lançaient des éclairs menaçants. « Monsieur, cria-t-il, vous m'avez dupé! Des espions se cachent dans cette pièce, je le sais, parce que je vous ai suivi chez les Tardy. Détrompez-vous, je n'irai pas en prison. Vous allez tous périr! » Et il lança le sac sur les charbons incandescents; avant que personne ait pu esquisser un mouvement, il claqua la porte et la verrouilla de l'extérieur.

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CHAPITRE XX DES AVEUX IMPRÉVUS et ses compagnons comprirent en un éclair que leur vie était menacée. D'une seconde à l'autre, le sac pouvait exploser. Avec une remarquable présence d'esprit, l'inspecteur Beaumont bondit vers le fourneau et saisit le sac par un coin. Il ne brûlait pas encore. Par mesure de prudence toutefois, l'inspecteur le plongea dans un baquet d'eau qui se trouvait sous un banc. Entre-temps, tous étaient sortis de derrière les caisses. « Il ne faut pas laisser cet horrible Ramos s'échapper », dit Alice. Elle se précipita vers la porte par laquelle le misérable s'était enfui, mais, à mi-chemin, elle se rappela qu'il l'avait fermée de l'extérieur. Ils étaient prisonniers. « Il va falloir briser cette porte si nous voulons rattraper ce fou», grommela Beaumont, que M. Roy venait de féliciter pour son acte courageux. ALICE

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Tout à coup, Alice vit M. Leblanc-Dujey s'effondrer. Couché par terre, il resta sans mouvement. Bess courut plonger son mouchoir dans le seau d'eau et en humecta le front et la nuque du malheureux. Alice lui souleva la tête, lui frotta les mains. Enfin, M. Leblanc-Dujey reprit conscience. Pendant cet incident, M. Roy et les deux policiers ne restaient pas inactifs. Ils s'appuyaient de tout leur poids sur le battant de la porte, la heurtaient de l'épaule. Bientôt, un craquement se fit entendre et la porte céda. Aussitôt les inspecteurs se ruèrent dans le couloir. Alice s'apprêtait à les suivre lorsque son père la retint. « Non, ma chérie. Laisse-les. Beaumont n'a pas eu tort de traiter cet homme de fou. Nul ne peut prévoir ce qu'il fera. » L'attente parut longue à tous, enfin des pas et des voix résonnèrent dans le souterrain. Les inspecteurs revenaient. Ils encadraient la femme aux cheveux blonds grisonnants et Louis Aubert en blouse blanche, sans turban. « Notre chimiste est bien changé, ne trouvez-vous pas? » railla l'inspecteur Beaumont. Et comme Alice le regardait sans comprendre, il expliqua : « Au moment où nous mettions la main sur ce triste individu, il s'est débattu, son turban s'est pris dans les ronces et, avec lui, s'est envolé un masque, fort bien fait nia foi. Je ne me serais pas douté qu'il en portait un. » Alice se tourna vers la femme. « C'est vous qui chantiez dans les bois, hier? » Dans le laboratoire, tous entendirent la femme murmurer : « Mon mari est un grand savant! Il n'a rien fait déniai. Pourquoi l'arrêtez-vous? — Nous en parlerons plus tard, répondit l'inspecteur Beaumont. Un homme qui se déguise pour mieux tromper les gens et leur soutire de l'argent en prétendant changer n'importe quoi en or mérite un châtiment. Il s'expliquera devant les juges. » Mme Aubert se tut. Tout d'abord son mari refusa de répondre aux questions

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que lui posaient les inspecteurs et M. Roy. Enfin, il reconnut tous les chefs d'accusation qui pesaient sur lui. .Bess était très fière de son amie. « II a tout avoué, tout ce dont tu le soupçonnais — y compris l'incident du canoë et le sabotage de la voiture. Il a confessé aussi avoir payé deux jeunes garçons pour nous suivre et le renseigner sur nos faits et gestes. » Alice était enchantée, elle aussi. Quelle joie d'avoir aidé son père! Mais elle désirait encore poser quelques questions au prisonnier. « C'est votre frère Claude, n'est-ce pas, qui a écrit les fausses lettres de recommandation que vous avez montrées à M. LeblancDujey? — Oui. » Il reconnut également que le même Claude avait écrit la lettre à propos de l'aire d'atterrissage devant être aménagée sur le toit des Roy. Somme toute, Claude agissait à River City et Louis en France. « Puisque vous le saurez tôt ou tard, dit-il à Alice, autant vous dire tout de suite que j'étais au courant de vos projets par un serviteur des Trémaine, qui est mon complice — il n'est d'ailleurs pas le seul. Il m'a prévenu que son maître avait l'intention de faire venir votre père à Paris. C'est pourquoi j'ai aussitôt fait partir Claude aux États-Unis. Très habile à forger n'importe quel document, il pouvait m'être précieux. Il n'a eu aucune difficulté à s'introduire dans votre pays sous un autre nom. Malheureusement, votre père était déjà parti. Mais il a appris que vous comptiez le rejoindre en France et il s'est employé à vous en empêcher. — Vous utilisez un nombre de faux noms assez considérable, dit Marion : Monsieur Neuf, le Lion Vert, le Lion Rouge... » Aubert précisa que Claude s'était également servi de ces noms à River City. « Je suis très fort en astrologie, en chimie, fanfaronnale prisonnier, et j'ai étudié les coutumes des anciens alchimistes. C'est ce qui m'a donné l'idée de feindre de transformer les métaux en or et d'utiliser les symboles anciens. L'or... j'aime l'or... un jour... »

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II se tut, le visage illuminé. Oui cet homme était fou, se disait Bess. Au cours de l'interrogatoire, Mme Aubert était restée assise sur un banc, pâle et bouleversée. Elle ne cessait de se tamponner les yeux avec un mouchoir et de murmurer : « Je ne savais rien, rien... » Alice alla vers elle et prit place sur le banc. Elle n'oubliait pas qu'elle avait un mystère à élucider, elle aussi! Avec une grande douceur, elle demanda : « Êtes-vous Lucile Manon? — Ou... oui, pourquoi? — Je suis une amie de Mme Josette Blair, née Lhorme. Vous avez été sa gouvernante autrefois. Or, un cauchemar hante ses nuits, l'empêchant de dormir. Nous avons pensé que, peut-être, vous sauriez l'expliquer, et ainsi, le chasser. » La femme la regarda sans comprendre. « Que voulez-vous dire? Oui, je me souviens de la petite Josette. Elle avait quatre ans quand je m'en suis occupée. — Son cauchemar remonte à cette époque. » Et Alice lui en raconta le déroulement. Comme elle achevait son récit, Mme Aubert se mit à pleurer « Oui, oui, je vois. D'une certaine manière, c'est Louis qui en porte la responsabilité. Il m'a bernée depuis le début, comme il a berné M. Leblanc-Dujey. L'année dont vous parlez, je gardais Josette dans un château appartenant à des amis de ses parents. J'étais seule avec elle. Son père et sa mère voyageaient. Louis et moi nous étions fiancés secrètement. Il occupait je ne sais plus quel emploi dans une ville voisine. Je le voyais en cachette, pour éviter les bavardages des domestiques du château. Il avait découvert les ruines et cet ancien laboratoire installé par un alchimiste. Cela devint notre lieu de rencontre. Il travaillait, je chantais pour le distraire. Un jour, j'ai amené Josette. Mais il ne voulait pas qu'elle pût le reconnaître, ou parler aux autres de ce laboratoire. Il voulait que cela restât un secret entre nous jusqu'à" ce qu'il pût prouver à la face du monde qu'il était un grand savant. »

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L'ancienne gouvernante se tut, reprenant son souffle, puis elle poursuivit. « Alors j'ai eu l'idée de jouer à colin-maillard avec la petite. Je l'ai emmenée dans les bois et lui ai noué un mouchoir autour de la tête. Nous avons joué un peu et je l'ai entraînée près des ruines en lui disant que nous allions des-1 cendre un escalier très abrupt. Elle a pris peur. J'ai serré sa petite main pour la rassurer et lui ai dit de compter. Elle ne savait pas compter très loin, aussi ai-je continué. — Et le total se montait à 99. — Oui, répondit Lucile Aubert. Louis pense que l'alchimiste qui a construit ce château a choisi ce nombre de marches parce que c'est un multiple de 9, chiffre magique. Le château remonte au xv e siècle. »

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Mme Aubert s'interrompit encore un moment et reprit : « Louis et moi nous avons regardé le laboratoire et ce qu'il y avait apporté puis, comme la petite se plaignait, nous sommes remontés. Josette avait toujours le bandeau sur les yeux. En arrivant à la dernière marche, elle a perdu l'équilibre et elle est tombée. Louis l'a rattrapée, mais par la suite elle criait de peur dans son sommeil. — Je comprends que cette aventure l'ai fortement impressionnée, dit Alice. — Peu après, Louis et moi, nous nous sommes mariés et j'ai quitté les parents de Josette. » La pauvre femme baissa la tête et se tut. Ce fut son mari qui acheva d'éclairer Alice. « Quand j'ai découvert que les Tardy — amis des Trémaine — se rendaient à River City chez vous, j'ai soudoyé un de leurs domestiques. Celui-ci a entendu Mme Tardy lire une lettre dans laquelle Mme Blair parlait de son cauchemar et disait qu'elle vous avait demandé, à l'occasion de votre voyage en

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France, d'en découvrir l'origine. J'ai aussitôt envoyé à Mme Blair une lettre de menaces, puis j'ai laissé Claude agir. Ma femme a tout ignoré. » Alice ressentait une vive compassion pour la malheureuse Mme Aubert et lui exprima sa sympathie. A ce moment, l'inspecteur Beaumont s'approcha et dit à Mme Aubert. « Je suis désolé, madame, mais il faut que vous veniez/ avec nous. Le commissaire aura des questions à vous poser. » Les joues ruisselantes de larmes, elle se leva. Se tour nant vers Alice, elle lui dit : « Transmettez mon souvenir et tous mes regrets à Mme Blair. J'avais une grande affection pour elle. » Très émue, Alice murmura, les yeux humides : « Je vous promets de le faire. » Les inspecteurs ordonnèrent à Louis Aubert d'ouvrir le verrou secret de la porte qui conduisait aux 99 marches. El, tout à coup, Alice se rappela qu'une partie du mystère n'était pas élucidée. « Avez-vous fouillé le laboratoire? demanda-t-elle aux inspecteurs. — Non. » Laissant son camarade garder Aubert, il retourna en arrière et inspecta les placards, retourna les caisses avec l'aide d'Alice, de Marion, de Bess et de M. Roy. Et sous les bûches, ils virent briller les bijoux, les tasses, les soucoupes et les cuillers à café en or de Mme Tardy. « Bravo, mademoiselle! s'écria Beaumont. Vous êtes merveilleuse! » Les inspecteurs emmenèrent les Aubert. Alice fit signe à tous les autres de passer devant elle. En souriant, ils obtempérèrent, non sans échanger entre eux des regards entendus. Alice tenait à refermer ellemême la porte sur le mystère des 99 marches!

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TABLE I. II. III. IV. V. VI. VII. VIII. IX. X. XI. XII. XIII. XIV. XV. XVI. XVII. XVIII. XIX. XX.

UN PILOTE IMPRUDENT A L'AERODROME LE LION VERT UNE NUIT MOUVEMENTEE CURIEUSES EMPREINTES ! DOUBLE PRISE POURSUITE DANS UNE VILLE INCONNUE DETECTIVES EN ROBE DU SOIR ATTAQJJE NOCTURNE UN DEPLAISANT PERSONNAGE UN PEU DE TOURISME L'AVERTISSEMENT DU LION ROUGE UNE GOUVERNANTE SUSPECTE L'ETONNANT NOMBRE 9 L'OR VOLE! SUIVIES CHEVALIER EN ARMURE LE LABORATOIRE SECRET STRATEGIE AUDACIEUSE DES AVEUX IMPREVUS

8 16 22 31 38 47 54 63 71 81 88 102 112 121 132 140 147 154 161 170

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Alice Roy Alice Roy est l'héroïne des livres suivants : (ordre de sortie en Amérique) 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. 28. 29. 30. 31. 32. 33. 34. 35. 36. 37. 38. 39. 40. 41. 42. 43.

Alice détective Alice au manoir hanté Alice au camp des biches Alice et les diamants Alice au ranch Alice et les faux monnayeurs Alice et le carnet vert Quand Alice rencontre Alice Alice et le chandelier Alice et le pigeon voyageur Alice et le médaillon d'or Alice au Canada Alice et le talisman d'ivoire Alice et la statue qui parle Alice et les contrebandiers Alice et les chats persans Alice et la malle mystérieuse

(The secret of old dock) 1930 1959 (The hidden staircase) 1930 (The bungalow mystery) 1930 (The mystery at Lilac inn) 1930 (The secret at shadow ranch) 1931 (The secret of red gate farm) 1931 (The due in the diary) 1932 (Nancy's mysterious letter) 1932 (The sign of the twisted candle) 1933 (The password to larkspur Lane )1933 (The due of the broken locket) 1934 (The message in the hollow oak) 1935 (The mystery of the ivory charm) 1936 (The whispering statue) 1937 (The haunted bridge) 1937 (The due of the tapping heels) 1939 (Mystery of the brass bound trunk) 1940

Alice et l'ombre chinoise

(The mystery at the moss-covered mansion) 1941

Alice dans l'île au trésor Alice et le pickpocket Alice et le clavecin Alice et la pantoufle d'hermine Alice et le fantôme Alice et le violon tzigane Alice et l'esprit frappeur Alice et le vase de chine Alice et le corsaire Alice et les trois clefs Alice et le vison Alice au bal masqué Alice écuyère Alice et les chaussons rouges Alice et le tiroir secret Alice et les plumes de paon Alice et le flibustier Alice aux îles Hawaïf Alice et la diligence Alice et le dragon de feu Alice et les marionettes Alice et la pierre d'onyx Alice en Ecosse Alice et le diadème Alice à Paris

(The Quest of the Missing Map) 1942 (The due in the jewel box) 1943 (The secret in the Old Attic) 1944 (The due in the crumbling wall) 1945 (The mystery of the tolling bell) 1946 (The due in the old album) 1947 (The ghost of blackwood hall) 1948 (The due of the leaning chimney) 1949 (The secret of the wooden lady) 1950 (The due of the black keys) 1951 (The mystery at the ski jump) 1952 (The due of the velvet mask) 1953 (The ringmaster's secret) 1953 (The scarlet slipper mystery) 1954 (The witch-tree symbol) 1955 (The hidden window mystery) 1956 (The haunted show boat) 1957 (The secret of golden pavilion) 1959 (The due in the old stage-coach) 1960 (The mystery of the fire dragon) 1961 (The due of the dancing puppet) 1962 (The moonstone castle mystery) 1963 (The due of the whistling bagpipes) 1964 (The phantom of pine hall) 1965 (The mystery of the 99 steps) 1966

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44. 45. 46. 47. 48. 49. 50. 51. 52. 53. 54. 55. 56. 57. 58. 59. 60. 61. 62. 63. 64. 65. 66. 67. 68. 69. 70. 71. 72. 73. 74. 75. 76. 77. 78. 79. 80. 81. 82. 83. 84. 85. 86. 87.

Alice chez les Incas Alice en safari Alice et le mannequin Alice et la fusée spatiale Alice au concours hippique Alice et le robot Alice et la dame du lac Alice et l'œil électronique Alice à la réserve des oiseaux Alice et la rivière souterraine Alice et l'avion fantôme

(The due in the crossword cipher) 1967 (The spider sapphire mystery) 1968 (The mysterious mannequin) 1970 (Mystery of the moss-covered mansion) 1971 (The missing horse) 1971 (The crooked banister) 1971 (The secret of mirror bay) 1972 (Mystery of the glowing eye) 1974 (The double jinx mystery) 1973 (The secret of the forgotten city) 1975 (The sky phantom) 1976

Alice et le secret du parchemin

(The strange message in the parchment) 1977

Alice elles magiciens Alice et le secret de la vieille dentelle Alice et la soucoupe volante

(The triple hoax) 1979 (The secret in the old lace) 1980 (The flying saucer mystery) 1980

Alice et les Hardy Boys super-détectives

(Nancy Drew and Hardy Boys super sleuths)1980

Alice chez le grand couturier Alice et la bague du gourou Alice et la poupée indienne Alice et le symbole grec Alice et le témoin prisonnier Alice à Venise Alice et le mauvais présage Alice et le cheval volé Alice et l'ancre brisée Alice au canyon des brumes Alice et le valet de pique Alice chez les stars Alice et la mémoire perdue Alice et le fantôme de la crique Alice et les cerveaux en péril Alice et l'architecte diabolique Alice millionnaire Alice et les félins Alice à la tanière des ours Alice et le mystère du lac Tahoe Alice et le tigre de jade Alice et les collectionneurs Alice et les quatre tableaux Alice en Arizona Alice et les quatre mariages Alice et la gazelle verte Alice et les bébés pumas Alice et la dame à la lanterne

(The twin dilemma) 1981 (The swami's ring) 1981 (The kachina doll mystery) 1981 (The greek symbol mystery) 1981 (The captive witness) 1981 (Mystery of the winged lion) 1982 (The sinister omen) 1982 (Race against time) 1982 (The broken anchor) 1983 (The mystery of misty canyon) 1988 (The joker's revange) 1988 (The case of the rising stars) 1989 (The girl who couldn't remember) 1989 (The ghost of craven cove) 1989 (The search for Cindy Austin) 1989 (The silent suspect) 1990 (The mistery of missing millionaires) 1991 (The search for the silver persian) 1993 (The case of the twin teddy bears) 1993 (Trouble at Lake Tahoe) 1994 (The mystery of the jade tiger) 1995 (The riddle in the rare book) 1995 (The case of the artful crime) 1996 (The secret at solaire) 1996 (The wedding day mistery) 1997 (The riddle of ruby gazelle) 1997 (The wild cat crime) 1998 (The ghost of the lantern lady) 1998

3 Autres non classés La chambre secrète : les enquêtes de Nancy Drive 1985 Le fantôme de Venise : les enquêtes de Nancy Drive 1985 Sortilèges esquimaux : les enquêtes de Nancy Drive 1985 (tiré d'une série dérivée en France)*

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Noms originaux En version originale,          

Alice Roy = Nancy Drew ; Bess Taylor = Bess Marvin ; Marion Webb = Georgia "George" Fayne ; Ned Nickerson = Ned Nickerson ; Daniel Evans = Dave Evans ; Bob Eddelton = Burt Eddelton ; James Roy = Carson Drew ; Sarah Berny = Hannah Gruen ; Cécile Roy = Eloise Drew. Commissaire Stevenson = Commissaire McGinnis

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Alice Roy Alice Roy est l'héroïne des livres suivants : (ordre alhabétique)

1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. 28. 29. 30. 31. 32. 33. 34. 35. 36. 37. 38. 39.

Alice à la réserve des oiseaux Alice à la tanière des ours Alice à Paris Alice à Venise Alice au bal masqué Alice au camp des biches Alice au Canada Alice au canyon des brumes Alice au concours hippique Alice au manoir hanté Alice au ranch Alice aux îles Hawaï Alice chez le grand couturier Alice chez les Incas Alice chez les stars Alice dans l'île au trésor Alice détective Alice écuyère Alice elles magiciens Alice en Arizona Alice en Ecosse Alice en safari Alice et la bague du gourou Alice et la dame à la lanterne Alice et la dame du lac Alice et la diligence Alice et la fusée spatiale Alice et la gazelle verte Alice et la malle mystérieuse Alice et la mémoire perdue Alice et la pantoufle d'hermine Alice et la pierre d'onyx Alice et la poupée indienne Alice et la rivière souterraine Alice et la soucoupe volante Alice et la statue qui parle Alice et l'ancre brisée Alice et l'architecte diabolique Alice et l'avion fantôme

(The double jinx mystery) 1973 (The case of the twin teddy bears) 1993 (The mystery of the 99 steps) 1966 (Mystery of the winged lion) 1982 (The due of the velvet mask) 1953 (The bungalow mystery) 1930 (The message in the hollow oak) 1935 (The mystery of misty canyon) 1988 (The missing horse) 1971 (The hidden staircase) 1930 (The secret at shadow ranch) 1931 (The secret of golden pavilion) 1959 (The twin dilemma) 1981 (The due in the crossword cipher) 1967 (The case of the rising stars) 1989 (The Quest of the Missing Map) 1942 (The secret of old dock) 1930 1959 (The ringmaster's secret) 1953 (The triple hoax) 1979 (The secret at solaire) 1996 (The due of the whistling bagpipes) 1964 (The spider sapphire mystery) 1968 (The swami's ring) 1981 (The ghost of the lantern lady) 1998 (The secret of mirror bay) 1972 (The due in the old stage-coach) 1960 (Mystery of the moss-covered mansion) 1971 (The riddle of ruby gazelle) 1997 (Mystery of the brass bound trunk) 1940 (The girl who couldn't remember) 1989 (The due in the crumbling wall) 1945 (The moonstone castle mystery) 1963 (The kachina doll mystery) 1981 (The secret of the forgotten city) 1975 (The flying saucer mystery) 1980 (The whispering statue) 1937 (The broken anchor) 1983 (The silent suspect) 1990 (The sky phantom) 1976

186

40. 41. 42. 43. 44. 45. 46. 47. 48. 49. 50. 51. 52. 53. 54. 55. 56. 57.

Alice et le carnet vert Alice et le chandelier Alice et le cheval volé Alice et le clavecin Alice et le corsaire Alice et le diadème Alice et le dragon de feu Alice et le fantôme Alice et le fantôme de la crique Alice et le flibustier Alice et le mannequin Alice et le mauvais présage Alice et le médaillon d'or Alice et le mystère du lac Tahoe Alice et le pickpocket Alice et le pigeon voyageur Alice et le robot Alice et le secret de la vieille dentelle

(The due in the diary) 1932 (The sign of the twisted candle) 1933 (Race against time) 1982 (The secret in the Old Attic) 1944 (The secret of the wooden lady) 1950 (The phantom of pine hall) 1965 (The mystery of the fire dragon) 1961 (The mystery of the tolling bell) 1946 (The ghost of craven cove) 1989 (The haunted show boat) 1957 (The mysterious mannequin) 1970 (The sinister omen) 1982 (The due of the broken locket) 1934 (Trouble at Lake Tahoe) 1994 (The due in the jewel box) 1943 (The password to larkspur Lane )1933 (The crooked banister) 1971 (The secret in the old lace) 1980

58. Alice et le secret du parchemin

(The strange message in the parchment) 1977

59. 60. 61. 62. 63. 64. 65. 66. 67. 68. 69. 70. 71. 72. 73. 74. 75. 76.

(The greek symbol mystery) 1981 (The mystery of the ivory charm) 1936 (The captive witness) 1981 (The mystery of the jade tiger) 1995 (The witch-tree symbol) 1955 (The joker's revange) 1988 (The due of the leaning chimney) 1949 (The due in the old album) 1947 (The mystery at the ski jump) 1952 (The wild cat crime) 1998 (The search for Cindy Austin) 1989 (The due of the tapping heels) 1939 (The scarlet slipper mystery) 1954 (The riddle in the rare book) 1995 (The haunted bridge) 1937 (The mystery at Lilac inn) 1930 (The secret of red gate farm) 1931 (The search for the silver persian) 1993

Alice et le symbole grec Alice et le talisman d'ivoire Alice et le témoin prisonnier Alice et le tigre de jade Alice et le tiroir secret Alice et le valet de pique Alice et le vase de chine Alice et le violon tzigane Alice et le vison Alice et les bébés pumas Alice et les cerveaux en péril Alice et les chats persans Alice et les chaussons rouges Alice et les collectionneurs Alice et les contrebandiers Alice et les diamants Alice et les faux monnayeurs Alice et les félins

77. Alice et les Hardy Boys super-détectives

(Nancy Drew and Hardy Boys super sleuths)1980

78. 79. 80. 81. 82. 83. 84.

(The due of the dancing puppet) 1962 (The hidden window mystery) 1956 (The wedding day mistery) 1997 (The case of the artful crime) 1996 (The due of the black keys) 1951 (The ghost of blackwood hall) 1948 (Mystery of the glowing eye) 1974

Alice et les marionettes Alice et les plumes de paon Alice et les quatre mariages Alice et les quatre tableaux Alice et les trois clefs Alice et l'esprit frappeur Alice et l'œil électronique

85. Alice et l'ombre chinoise

(The mystery at the moss-covered mansion) 1941

86. Alice millionnaire 87. Quand Alice rencontre Alice

(The mistery of missing millionaires) 1991 (Nancy's mysterious letter) 1932

3 Autres non classés La chambre secrète : les enquêtes de Nancy Drive 1985 Le fantôme de Venise : les enquêtes de Nancy Drive 1985

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Sortilèges esquimaux : les enquêtes de Nancy Drive 1985 (tiré d'une série dérivée en France)*

Noms originaux En version originale,          

Alice Roy = Nancy Drew ; Bess Taylor = Bess Marvin ; Marion Webb = Georgia "George" Fayne ; Ned Nickerson = Ned Nickerson ; Daniel Evans = Dave Evans ; Bob Eddelton = Burt Eddelton ; James Roy = Carson Drew ; Sarah Berny = Hannah Gruen ; Cécile Roy = Eloise Drew. Commissaire Stevenson = Commissaire McGinnis

188

Alice Roy IDEAL BIBLIOTHEQUE (ordre de sortie ) 1. 264. Alice et le dragon de feu 1964 2. 282. Alice et les plumes de paon 1965 3. 286. Alice au Canada 1965 4. 291. Alice au bal masqué 1965 5. 296. Alice en Ecosse 1966 6. 306. Alice et les chats persans 1966 7. 314. Alice écuyère 1966 8. 323. Alice et la statue qui parle 1967 9. 327. Alice au camp des biches 1967 10.340. Alice à Paris 1968 11.350. Quand Alice rencontre Alice 1969 12.355. Alice et le corsaire 1969 13.365. Alice et la pierre d'onyx 1970 14.357. Alice et le fantôme 1970 15.375. Alice au ranch 1971 16.Alice et le chandelier 1971 17.Alice aux Iles Hawaï 1972 18.Alice et les diamants 1972 19.Alice détective 1973 20.Alice et le médaillon d’or 1973 21.Alice et les contrebandiers 1973 22.Alice et les chaussons rouges 1975 23.Alice et les trois clefs 1975 24.Alice et le pickpocket 1976 25.Alice et le vison 1976 26.Alice et le flibustier 1977 27.Alice et le mannequin 1977 28.Alice et la pantoufle d’hermine 1978 29.Alice et le carnet vert 1978 30.Alice et le tiroir secret 1979 31.Alice dans l’ile au trésor 1979 32.Alice et le pigeon voyageur 1980 33.Alice et le talisman d'ivoire 1980 34.Alice au manoir hanté 1981 189

(liste à compléter)

Alice Roy IDEAL BIBLIOTHEQUE (ordre de sortie ) 1. 2. 3. 4. 5. 6.

Alice à Paris no 340 1968 Alice au bal masqué no 291 1965 Alice au camp des biches no 327 1967 Alice au Canada no 286 1965 Alice au manoir hanté 1981 Alice au ranch no 3751971 7. Alice aux Iles Hawaï 1972 8. Alice dans l’ile au trésor 1979 9. Alice détective 1973 10.Alice écuyère no 314 1966 11.Alice en Ecosse no 296 1966 12.Alice et la pantoufle d’hermine 1978 13.Alice et la pierre d'onyx no 365 1970 14.Alice et la statue qui parle no 323 1967 15.Alice et le carnet vert 1978 16.Alice et le chandelier 1971 17.Alice et le corsaire no 355 1969 18.Alice et le dragon de feu no 364 1964 19.Alice et le fantôme no 357 1970 20.Alice et le flibustier 1977 21.Alice et le mannequin 1977 22.Alice et le médaillon d’or 1973 23.Alice et le pickpocket 1976 24.Alice et le pigeon voyageur 1980 25.Alice et le talisman d'ivoire 1980 26.Alice et le tiroir secret 1979 27.Alice et le vison 1976 28.Alice et les chats persans no 306 1966 29.Alice et les chaussons rouges 1975 30.Alice et les contrebandiers 1973 31.Alice et les diamants 1972 32.Alice et les plumes de paon no 282 1965 33.Alice et les trois clefs 1975 34.Quand Alice rencontre Alice no 350 1969 190

(liste à compléter

191

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