Caroline Quine Alice Roy 34 IB Alice Et Les Plumes de Paon 1956

August 11, 2017 | Author: joseramatis | Category: Nature, Transport, Business
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Caroline

QUINE *

ALICE ET LES PLUMES DE PAON * lettre égarée, une annonce bizarre lue dans un journal : il n'en faut pas plus pour lancer Alice sur une nouvelle piste. UNE

La voilà partie à la chasse... au paon! Un paon d'un genre particulier, fort différent de ceux qu'on admire dans les parcs lorsqu'ils veulent bien faire la roue... Un paon qui va mener la jeune et intrépide Américaine vers des dangers insoupçonnés, en compagnie de ses fidèles amies Bess et Marion, bien entendu !

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F. au-delà de 10 ans

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ALICE ET LES PLUMES DE PAON

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DU MÊME AUTEUR dans la Bibliothèque Verte ALICE DÉTECTIVE ALICE AU BAL MASQUÉ ALICE ET LE CHANDELIER ALICE AU CAMP DES BICHES ALICE AU CANADA ALICE ET LE CORSAIRE ALICE ÉCUYÈRE ALICE ET LE FANTOME ALICE ET LE MÉDAILLON D'OR ALICE ET LES CHAUSSONS ROUGES ALICE ET LE PIGEON VOYAGEUR ALICE ET LE TALISMAN D'IVOIRE ALICE ET LE VISON ALICE ET LES TROIS CLEFS ALICE ET LES DIAMANTS ALICE ET LE PICKPOCKET ALICE AU MANOIR HANTÉ ALICE ET LE FLIBUSTIER ALICE ET LE CARNET VERT ALICE ET LA PANTOUFLE D'HERMINE Dans l'Idéal Bibliothèque ALICE ET LE DRAGON DE FEU

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CAROLINE QUINE

ALICE Et les plumes de paon TEXTE FRANÇAIS DE CLAUDE VOILIER ILLUSTRATIONS D'ALBERT CHAZELLE

HACHETTE 282

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L'édition originale de ce roman a paru en langue anglaise chez Grosset & Dunlap, New York, sous le titre :

THE HIDDEN WINDOW MYSTERY © Librairie Hachette, 1965. Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.

Imprimé en France par BOUCHY - Paris

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TABLE

I. II. III. IV. V. VI. VII. VIII. IX. X. XI. XII. XIII. XIV. XV. XVI. XVII. XVIII. XIX. XX. XXI. XXII. XXIII. XXIV. XXV.

La lettre disparue Une voisine désagréable Un appel à l'aide Un curieux télégramme Le chauffeur masqué Un ennemi dans l'ombre Les mystères s'accumulent Une main dans l'ombre Le mystérieux Alfred Un suspect qui a mauvais caractère Visiteurs inattendus Alice en danger La maison hantée Les esprits se manifestent Etrange disparition L'aventure d'Alice et de Marion Découverte au grenier Poursuite nocturne L'homme au canoë Un drôle de cadeau L'histoire de maman Johnson Les aveux du fantôme Le vitrail retrouvé Prises au piège! Le secret d'Ivy hall.

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CHAPITRE PREMIER LA LETTRE DISPARUE à sortir, Alice Roy se tourna vers Sarah et lui plaqua un baiser sonore sur la joue. « A tout de suite, dit-elle. J'expédie cette course et je reviens. » Sarah était une femme d'âge mûr, depuis longtemps au service des Roy. Alice n'avait que trois ans lorsque, quinze années plus tôt, elle avait perdu sa mère. Sarah avait pratiquement élevé l'orpheline et faisait en quelque sorte partie de la famille. Elle enveloppa d'un regard affectueux la jolie fille blonde qui se dirigeait vers la porte, et l'avertit : « Attention aux branches mortes qui risquent de tomber des arbres! Le vent souffle en tempête. On ne se croirait guère au mois d'avril. » PRÊTE

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Dehors, le vent furieux mugit plus fort, comme pour lui répondre. Soudain, un bruit sourd, venant du porche, fut suivi par un craquement de la porte d'entrée. « Qu'est-ce que c'est? » s'exclama Sarah, inquiète. Alice tira le battant d'un geste vif. « Oh! » s'écria-t-elle aussitôt. Sarah la rejoignit et la trouva penchée sur le corps inanimé de M. Ritter, le facteur. Le pauvre homme gisait contre la marche du seuil. Son sac s'était détaché et avait dégringolé jusqu'au bas du perron. Lettres et journaux s'éparpillaient sur le sol. Alice et Sarah unirent leurs efforts pour relever le malheureux et le transporter sur le divan de la pièce de séjour. M. Ritter avait dû heurter la porte en tombant. Sa tempe droite portait une meurtrissure bien visible. « Peut-être ferions-nous bien d'appeler le docteur? » suggéra Alice. Au même instant le facteur ouvrit les yeux. C'était un homme très vigoureux pour ses soixante ans, et il refusa l'aide d'un médecin. « Merci, merci, murmura-t-il. Inutile de déranger personne. J'irai tout à fait bien dans un instant. Mais vous seriez gentille, mademoiselle Alice, d'aller ramasser ma sacoche... D'ailleurs, elle contient quelquechose qui vous intéressera sans doute. » Alice se précipita dehors. Elle se dépêcha de boucler le volumineux sac dé cuir contenant le courrier pour limiter les dégâts, puis elle entreprit de faire la chasse aux enveloppes qui tourbillonnaient au gré du vent sur la pelouse du jardin. Cela lui prit au moins dix minutes. Certaines lettres s'étaient accrochées aux buissons d'alentour, et il ne fut pas facile de les en déloger. Lorsque Alice rentra avec la pesante sacoche suspendue à son épaule, elle eut la satisfaction de trouver M. Ritter apparemment remis. Assis sur une chaise, il dégustait une tasse de café bien chaud. « Merci mille fois, mademoiselle Alice! dit-il à la jeune fille. Quelle chute stupide, croyez-vous! Je me suis assommé

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contre votre porte en tombant. C'est que je n'y voyais rien. Le vent m'avait envoyé de la poussière dans les yeux et je ne savais plus où j'étais. — Comment vous sentez-vous maintenant? — Presque d'aplomb. Si vous le permettez, je vais me reposer encore un instant et je reprendrai ma distribution. — Voulez-vous que je vous aide à reclasser les lettres? proposa Alice. Et puis... que désiriez-vous me montrer? » Prenant un air mystérieux, M. Ritter se mit à fouiller dans sa sacoche. « J'ai lu un article où l'on parle d'une grosse récompense pour la personne qui réussira à mettre la main sur certain vitrail ancien... Une histoire peu banale... Et comme je connais vos talents de détective... » Alice se sentit tout de suite intriguée. « Dans quel journal? » commença-t-elle. Le facteur lui coupa la parole et, sortant de son sac un exemplaire du Continental tout maculé de boue : « Tenez, dit-il. Voici un numéro du magazine que j'ai lu ce matin. Celui-ci est adressé à votre nouvelle voisine, Mme Brown. » Alice déclara qu'elle n'avait pas encore eu l'occasion de rencontrer cette personne. « Oh! je suis certain qu'elle ne verrait aucun inconvénient à ce que vous jetiez un coup d'œil sur sa revue. Vous avez le don de résoudre les énigmes policières et je ne serais pas étonné si vous trouviez la solution de ce problème. Lisez donc cet article, mademoiselle Alice ! » La jeune fille sourit, touchée par la confiance que lui témoignait le brave homme. Puis elle lut... Un noble anglais, Sir Richard Greystone, désirait retrouver la trace d'un vitrail médiéval de grande valeur, que sa famille avait acquis au XIV e siècle. Sir Richard savait que le vitrail avait été emporté aux États-Unis vers 1850, mais, à partir de cette date, personne ne semblait capable de dire ce que le précieux objet d'art était devenu. Sir Richard offrait une forte récompense à qui lui permettrait de retrouver ce bien de famille. 11

L'article donnait une description détaillée du vitrail. Celui-ci représentait un chevalier prêt à partir au combat, et dont le bouclier, aux armes de sa noble famille, offrait l'image d'un paon faisant la roue. Les yeux d'Alice se mirent à briller. La jeune fille se sentait fort intéressée par les nouvelles communiquées par M. Ritter. Cette histoire de vitrail disparu éveillait en elle ses instincts de détective. « Merci, monsieur Ritter, de m'avoir montré cet article! s'écriat-elle avec reconnaissance. Écoute, Sarah... Je vais te le lire... — Je l'espère bien, répondit Sarah en souriant. Vas-y! Je t'écoute... » Alice fit donc à haute voix la lecture des paragraphes les plus importants. Quand elle en fut à la description de l'écu du chevalier, Sarah hocha la tête. « Tiens, tiens! s'exclama-t-elle. Un paon qui fait la roue! Voilà qui est peu banal. Savez-vous que bien des gens s'imaginent que les plumes de paon, et en particulier celles provenant de la queue, attirent la malchance? — En tout cas, tu n'y crois pas et moi non plus, fit remarquer Alice au passage. — Bien sûr que non! Il est ridicule d'être superstitieux. N'empêche que l'on prétend que les taches arrondies des plumes de paon sont autant de mauvais œils ! » acheva Sarah en riant. Le facteur se leva en déclarant qu'il se sentait maintenant assez bien pour reprendre sa tournée. « Les gens, ajouta-t-il, doivent se demander ce qui est arrivé à leur courrier. Allons, au revoir et merci encore de toutes vos bontés.» Il se dirigeait vers la porte, suivi d'Alice et de la servante, lorsque la sonnette de l'entrée retentit... Sur le seuil se tenait une femme courtaude, au teint jaune, dont les cheveux grisonnants étaient tout dépeignés par le vent. Ses yeux noirs brillaient de colère. « Tiens! Mme Brown! murmura le facteur, étonné. Comment allez-vous? »

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Le vitrail représentait un chevalier prêt à partir au combat.

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La femme ignora délibérément Alice et Sarah. Elle apostropha M. Ritter d'un air furieux. « Ainsi, voilà où vous êtes ! Je n'ai jamais connu de facteur moins consciencieux que vous ! Perdre votre temps à bavarder avec des voisines! Et pendant ce temps, votre travail ne se fait pas tout seul, j'imagine! » Alice et ses deux compagnons, interloqués par cette algarade à laquelle ils étaient loin de s'attendre, demeurèrent bouche bée. La femme en profita pour continuer : « J'attends du courrier et j'exige que vous me le remettiez surle-champ... Il y a entre autres à mon adresse une lettre importante que je suis impatiente d'avoir. Donnez-la moi... » Et, avec un parfait sans-gêne, elle entra dans le hall et empoigna la sacoche de M. Ritter. Elle s'apprêtait à la fouiller mais le facteur l'en empêcha et passa lui-même la revue des lettres destinées au voisinage. Puis il hocha la tête. a Aucune lettre pour vous, madame Brown, déclara-t-il. Rien d'autre que ce magazine », ajouta-t-il en lui tendant le numéro du Continental. « Cette revue est tachée de boue! s'écria Mme Brown, de plus en plus furieuse. Vous n'êtes qu'un sans-soin. Et ne me dites pas qu'il n'y a pas de lettre pour moi. Je suis sûre qu'il y en avait une dans votre sac avant que vous ne le renversiez dans l'allée. J'ai bien vu que le vent a dispersé une partie du courrier. Retrouvez au plus vite cette enveloppe. Elle contenait cent dollars et j'entends bien ne pas les perdre ! — Cent dollars! répéta M. Ritter dont le visage rond prit une expression désolée. — Oui. Cent dollars! répéta Mme Brown. Et si vous avez égaré cette lettre, eh bien,, vous me rembourserez de votre poche!»

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CHAPITRE II UNE VOISINE DÉSAGRÉABLE

eut l'impression que M. Ritter allait s'évanouir pour la seconde fois. Il avait l'air tellement bouleversé! Elle se tourna vers Mme Brown. « Êtes-vous certaine, demanda-t-elle, que la lettre attendue se trouvait parmi le courrier de cette distribution? — Vous, ne vous mêlez pas de ça! lança Mme Brown en foudroyant la jeune fille du regard. Cette affaire ne regarde que moi! — Je doute que vous puissiez intenter aucune réclamation, insista Alice sans s'arrêter à la rebuffade. — Je ferai la preuve de ce que j'avance et j'exigerai d'être remboursée! glapit la mégère. J'irai me plaindre au receveur des postes! » Sarah fit un pas en avant. ALICE

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En voilà assez! déclara-t-elle d'une voix ferme. Je vous prie de sortir, madame ! » La peu aimable voisine des Roy eut une grimace de dépit, mais tourna les talons et s'en alla. Alice demanda alors au facteur où habitait cette désagréable Mme Brown. a Dans la villa qui est juste au coin, là-bas! » indiqua-t-il. La jeune fille proposa alors de chercher encore dans le jardin les enveloppes que le vent pouvait avoir dispersées ça et là et qui, peut-être, avaient échappé à ses premières investigations. En différentes occasions déjà, Alice était venue en aide à des personnes aux prises avec diverses difficultés. Plus d'une fois, même, en essayant de trouver la solution de problèmes policiers, elle avait couru de graves dangers. « J'ai habitué mon petit fox-terrier Togo à chercher des objets, expliqua-t-elle au facteur. Il va m'aider. En attendant, continuez votre tournée et ne vous faites pas de souci. L'accusation de Mme Brown semble ne reposer sur aucune preuve. » M. Ritter était néanmoins très ennuyé. Même s'il n'était pas obligé de rembourser Mme Brown, il suffisait que celle-ci l'accuse de négligence auprès du receveur des postes pour qu'il soit mal noté. « Dire que je suis à la veille de prendre ma retraite! soupira-til. Avoir un mauvais rapport, à mon âge! Je vous distribue le courrier depuis bien des années, mademoiselle Alice. Quand je vous ai vue pour la première fois vous étiez haute comme trois pommes. — Oui, je sais », murmura Alice avec un bon sourire. Lorsque M. Ritter fut parti, la jeune détective alla chercher Togo qui dormait à la cuisine. « Avant que j'aille faire des courses, mon vieux, lui dit-elle, nous avons un petit travail à effectuer ensemble. Suis-moi. » Le chien, dont les yeux pétillaient d'intelligence, suivit sa maîtresse dans le vestibule. Alice lui montrait une enveloppe blanche lorsque le téléphone sonna soudain, Bess Taylor, l'une des deux meilleures amies d'Alice, était à l'autre bout du fil.

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« Bonjour, Alice! Quoi de neuf en ce moment? — Tu tombes bien! J'ai précisément deux mystères à éclaircir. Sais-tu ce que tu devrais faire, Bess? Prends Marion au passage et venez me voir toutes les deux. Nous discuterons de mes problèmes. — Ça me semble alléchant. D'accord. Nous arrivons. » Marion Webb et Bess Taylor étaient cousines. Marion, avec ses cheveux noirs coupés très court et ses tailleurs stricts, avait une allure un peu garçonnière. Bess, tout au contraire, était très féminine et portait des toilettes froufroutantes. Elle était blonde, potelée... et adorait les friandises. Toutes deux arrivèrent chez Alice dix minutes plus tard. « Eh bien! s'écria Marion d'emblée. On ne peut pas dire que tu chômes! A peine un mystère résolu, un autre se présente. Voyons, de quoi s'agit-il cette fois? » En quelques mots, Alice expliqua à ses amies les raisons qui la poussaient à entreprendre une recherche minutieuse dans le jardin : il fallait retrouver la lettre de Mme Brown... si tant est qu'elle existât. « Mme Brown! s'exclama Bess. J'ai déjà entendu parler d'elle. Il paraît que c'est une faiseuse d'histoires. Tu feras bien de te méfier, Alice. — Une faiseuse d'histoires! répéta Alice. Qu'entends-tu par là, Bess? — Elle cherche noise à tout le monde. Maman m'a dit qu'elle venait de la Virginie. Elle est partie de là-bas après s'être fâchée avec ses voisins. — A quoi ressemble-t-elle? demanda Marion qui ne connaissait pas le personnage. — C'est quelqu'un de très ordinaire, expliqua Bess, et d'assez déplaisant. Elle est fort différente des gens de ce quartier. Je me demande pourquoi elle est venue s'y fixer. » Pendant que les trois amies parlaient ensemble, Togo n'était pas resté inactif. Il avait exploré tous les buissons et

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toutes les haies des environs, en quête d'une enveloppe semblable à celle que sa jeune maîtresse lui avait montrée. Alice, Bess et Marion allèrent le rejoindre et se mirent en quête de la lettre disparue. Une heure durant, elles fouillèrent les moindres recoins du jardin, hélas! en vain. Bess finit par soupirer : « Si le vent a emporté cette enveloppe, elle a dû tomber dans la rue et quelque passant l'aura ramassée. — C'est possible, en effet, admit Alice. Mais les gens d'ici sont honnêtes : s'ils l'ont trouvée, ils l'auront portée à son adresse, c'est sûr. — Dans ce cas, Mme Brown a peut-être récupéré son bien à l'heure qu'il est, dit Marion. Allons la voir. — C'est ça, approuva Alice. De toute façon, je désire lui parler et la dissuader de se plaindre auprès du receveur des postes. Je ne voudrais pas que M. Ritter soit accusé de négligence. » Les trois amies se dirigèrent donc vers la maison de Mine Brown. Avant même d'être arrivées devant la porte, elles entendirent des éclats de voix. Deux personnes se querellaient sans souci de la fenêtre ouverte sur la rue. Un homme, que l'on pouvait supposer être M. Brown, réprimandait sa femme. « Voilà bien un tour qui te ressemble! disait-il. Tenter d'extorquer de l'argent à ce pauvre facteur! — C'est ça! Accuse-moi! glapit Mme Brown, furieuse. Et d'abord, tu ne sais rien de cette affaire. — Ce que je sais, répliqua la voix masculine, c'est que ton frère, ce bon à rien d'Alfred, ne t'aurait jamais envoyé cent dollars. — Dis du mal d'Alfred à présent! hurla Mme Brown déchaînée. Tu n'as jamais pu le souffrir. — C'est exact. Je ne l'aime pas, et pour une bonne raison. Ce garçon est un vaurien. Et s'il t'a raconté qu'il t'envoyait une grosse somme d'argent, c'est qu'il s'est moqué de toi, voilà tout. » Mme Brown refusa d'envisager cette éventualité offensante. Son mari déclara alors :

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« Écoute, j'ai beau ne pas apprécier mon beau-frère, je reconnais cependant qu'il n'est pas idiot. Or, il faudrait l'être pour fourrer cent dollars dans une simple enveloppe. Il est si simple d'expédier un mandat ou un chèque! » Alice, Bess et Marion se regardèrent en souriant. D'un commun accord, elles firent demi-tour. Cette conversation entre les deux époux, qu'elles venaient de surprendre bien par hasard, avait suffi à les édifier. Elles revinrent à la villa des Roy. « C'est égal, murmura Bess en hochant la tête, Mme Brown peut encore chercher à nuire à M. Ritter. — Qu'elle essaie! bougonna Marion, écœurée. Dis donc, Alice, tu as parlé d'un second mystère à Bess. Qu'est-ce que c'est? » Alice sourit. « Nous allons toutes les trois nous mettre à la recherche d'un vitrail disparu! » Puis, devant l'air effaré des deux

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cousines, elle leur parla de l'article du Continental et de son espoir de gagner la récompense promise. « Si je réussis, expliqua-t-elle, je destine cet argent à l'hôpital des Enfants. On parle de construire une annexe, mais les fonds manquent. Je serais si heureuse de contribuer à une bonne œuvre. Voulez-vous m'aider? En cas de succès, nous ferons cette donation en commun ! » Marion .accepta avec enthousiasme mais Bess se montra plus réticente. « C'est cette histoire de paon qui me chiffonne, avoua-t-elle. — Voyons, protesta Alice. Tu n'es pas superstitieuse, j'espère! La seule chose qui pourrait te rebuter, c'est que nous ne savons pas grand-chose de l'objet que nous allons rechercher. Peut-être le vitrail a-t-il été détruit au cours des âges. Le mieux que nous puissions espérer, c'est que le « chevalier au paon » soit encore intact... et qu'il n'ait pas trop souvent changé de mains... — Peut-être ses derniers propriétaires l'ont-ils caché pour conjurer la guigne », émit Bess timidement. Soudain, elle s'interrompit et poussa un cri d'effroi. Le vent, s'engouffrant par la porte ouverte, venait de déposer à ses pieds une offrande inattendue et dont elle se serait bien passé : une magnifique plume de paon.

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CHAPITRE III UN APPEL A L'AIDE amies restèrent comme pétrifiées l'espace d'une minute : Bess apeurée, Alice et Marion stupéfaites. Puis Alice bondit de son siège et courut jusqu'à la porte, qui faisait communiquer le vestibule avec la pièce où se trouvaient les jeunes filles. Arrivée sur le seuil, elle s'aperçut que la porte d'entrée, ouverte, provoquait un courant d'air assez violent. Soudain, descendant des étages, Sarah parut, un bouquet de plumes de paon à la main. Bess et Marion, qui avaient rejoint Alice, s'exclamèrent. « Comme vous nous avez fait peur, Sarah! s'écria Bess. Le vent a balayé l'une de ces plumes jusqu'à nos pieds... Mais je suis en partie coupable. C'est moi qui suis entrée la dernière et j'ai dû mal refermer. Où avez-vous trouvé ces plumes? — Ma foi, après avoir parlé du chevalier au paon avec LES TROIS

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Alice, je me suis rappelé que nous avions ces plumes au grenier dans une malle. Regardez comme elles sont belles. — C'est vrai, constata Alice, admirative. Pas étonnant que l'oiseau en soit si fier. Ne dit-on pas « vaniteux comme « un paon?» Au même instant, la porte d'entrée s'ouvrit, livrant passage à M. Roy. Le père d'Alice était un grand et bel homme. Il passait pour le meilleur avoué de River City. Il embrassa tendrement sa fille et salua ses amies. Alice le mit sans attendre au courant des ennuis de M. Ritter et de l'accusation de Mme Brown. « Notre pauvre facteur n'a pas de chance! fit remarquer M. Roy en s'installant dans son fauteuil préféré. Mais comme tes yeux sont brillants, ma petite fille! Je parie que tu as autre chose à me raconter encore? » Une fois de plus, Alice parla du vitrail perdu et de ses espoirs. M. Roy fit la grimace. « Hum! Il ne doit pas être facile de retrouver la trace d'un vitrail disparu depuis 1850. — As-tu une idée qui puisse nous aider, papa? » M. Roy réfléchit un instant, puis déclara qu'un de ses clients M. Atwill, était une autorité en matière de vitraux. Il en avait fait luimême jadis pour différentes églises. « Peut-être pourrait-il t'être utile, Alice. Il habite à huit kilomètres d'ici environ. Il est à la retraite à présent et sa santé n'est pas fameuse, mais il aime parler de son art. Veux-tu que je lui téléphone pour prendre rendez-vous? Je vais lui demander de te recevoir dès demain. — J'aimerais bien aller avec toi, Alice, murmura Bess. — Et moi aussi, ajouta Marion. — Entendu, vous m'accompagnerez. » Après avoir téléphoné, M. Roy revint auprès des trois jeunes filles pour leur annoncer que M. Atwill les attendrait le lendemain matin à dix heures. Le jour suivant, vingt minutes avant le rendez-vous fixé par le vieil artiste, Alice passa prendre Bess et Marion dans son cabriolet.

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M. Atwill habitait une assez vaste propriété, flanquée d'un bâtiment de forme allongée qui lui servait d'atelier et où il passait de longues heures pour son seul plaisir quand l'inspiration venait le visiter. C'était un homme d'aspect fragile, aux cheveux blancs. Il accueillit les visiteuses avec un bon sourire. « Entrez, entrez, jeunes filles! Admirez mon repaire! » Le repaire en question, d'une propreté méticuleuse, était meublé d'une table de travail, de bancs, et d'une étonnante profusion d'outils suspendus à portée de la main. « Je vous reçois ici, expliqua l'artiste à Alice, car votre père m'a laissé entendre que ce que vous aviez à me demander avait un certain rapport avec le travail du verre. — C'est exact », répondit la jeune détective. Et, une fois de plus, elle parla de l'article du Continental et de la récompense qu'elle espérait gagner pour en faire don à l'hôpital des Enfants. Le vieil homme sourit. « Si ma santé l'avait permis, dit-il, j'aurais aimé participer activement à vos recherches. N'importe! Je vous aiderai autant qu'il me sera possible. » Alice le remercia et commença par lui poser quelques questions sur le vitrail qui l'intéressait. — Si cette pièce ancienne existe encore, je suppose que les couleurs doivent en être ravissantes. Je crois que les vitraux modernes ont des tons moins profonds que ceux du Moyen Age? — C'est certain. Les vitraux de l'ancien temps comportaient des imperfections : des bulles d'air, par exemple. Mais cela même leur conférait un aspect particulier, du plus heureux effet. — Comment fabrique-t-on un vitrail, de nos jours? demanda Marion avec curiosité. — Je vais essayer de vous l'expliquer le plus brièvement possible. Pour commencer, on prend les mesures de la fenêtre et l'on étudie la qualité de la lumière qui doit passer à travers, et qui varie selon l'exposition, bien entendu. — C'est ce qui permettra de foncer plus ou moins la couleur, je suppose? émit Alice.

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«Je ne me figurais pas qu'un vitrail demandât tant (le préparation..

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— Oui. Ensuite, on dessine le motif destiné à composer le vitrail, puis on le colorie. Cela, en format réduit. Si l'effet est jugé satisfaisant, alors on agrandit le motif aux dimensions réelles. On trace soigneusement sur un carton la forme de chaque morceau de verre et on indique sa couleur. — Et ensuite? — On découpe le carton. Autrement dit, on relève le « patron » de chaque morceau de verre qui constituera le vitrail. Il faut alors couper les verres de couleur d'après ces patrons. Lorsque c'est fait, on dispose toutes les pièces sur une grande plaque de verre et on les assemble à l'aide de cire fondue. — Je croyais qu'on les assemblait à l'aide de plomb, fit remarquer Marion, intriguée. — Oui, mais pas tout de suite, dit M. Atwill. Nous n'en sommes pas encore à la phase finale. Il faut encore « essayer » le vitrail en le mettant en place provisoirement et en ajoutant à la main les détails de peinture qui manquent encore. — Tout cela semble, bien long et bien compliqué ! soupira Bess. — Oui, admit Alice. Je ne me figurais pas qu'un vitrail demandât tant de préparation. — Oh! mais ce n'est pas encore fini! déclara le vieil artiste en riant. Il y a encore de nombreuses manipulations ! » Bien qu'il parlât avec enjouement, Alice s'aperçut qu’il semblait soudain fatigué. « Je crains, dit-elle avec douceur, que nous soyons restées trop longtemps. Nous allons vous quitter maintenant. » M. Atwill reconnut qu'il se sentait un peu las, mais insista pour que les trois amies reviennent lui rendre visite à bref délai. Elles le remercièrent et se disposèrent à partir. Comme Marion atteignait la porte de l'atelier, elle glissa, perdit l'équilibre et, pour ne pas tomber, se retint à une petite table sur laquelle se trouvait un simple morceau de verre. « Aie! » s'écria-t-elle aussitôt. Elle s'était profondément coupée et sa main saignait. M. Atwill se précipita. 25

« C'est ma faute, dit-il. J'ai dû répandre un peu de cire sur le sol sans m'en apercevoir. Attendez, je vais désinfecter la plaie. » Avec habileté, il pansa la petite blessure de Marion qui se sentait encore plus désolée pour lui que pour elle-même. L'incident l'avait visiblement affecté. « Nous vous avons causé des émotions, monsieur, murmura Alice, et nous vous prions de nous en excuser. Vous voilà tout bouleversé. Si vous alliez vous reposer un peu? — Oui, oui,... je vais m'étendre un moment. Mais attendez un peu. Il ne faut pas que votre visite ait été vaine. Tenez,, prenez ce catalogue. Il contient la liste de tous les artistes qui font des vitraux. Peut-être vous sera-1-il utile dans vos recherches. » Les jeunes filles remercièrent et prirent congé. De retour à River City, elles se séparèrent. Après le déjeuner, Alice s'enfonça dans un fauteuil et commença à éplucher le catalogue. Aucun des noms qui y figuraient ne retint son attention. « Alors, lui demanda Sarah en entrant dans la pièce au t bout d'un moment. As-tu découvert un indice quelconque? — Pas encore », marmonna Alice un peu découragée. Et soudain, presque à la même seconde, son visage s'éclaira. « Sarah! s'écria-t-elle. Tu m'as porté chance. Écoute ça : Marc Bradshow, maître verrier, « Fen House », à Charlottesville. Charlottesville, tu entends ! Cette ville se trouve dans une région où se sont principalement installés des Anglais. Cet endroit va me servir de point de départ pour mon enquête. Qui sait si le fameux vitrail des Greystone ne s'y trouve pas? — Tu penses que ce M. Bradshow pourra te renseigner? — Je l'espère, répondit Alice. De plus, c'est à Charlottesville que demeure ma cousine Suzanne Carr. Elle m'a souvent invitée à aller la voir avec Bess et Marion. — Voilà l'occasion idéale de faire un saut là-bas, déclara la gouvernante. Le temps est au beau. Profites-en! » Alice se mit en devoir de téléphoner sur-le-champ à sa cousine. Ce fut Suzanne elle-même qui répondit. Elle se déclara

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enchantée qu'Alice et ses amies se décident enfin à venir les voir, son mari et elle. « Cliff sera heureux de vous faire les honneurs de sa ville, assura-t-elle en riant,... et aussi de notre maison et du jardin. Toutes les fleurs sont en boutons. Et nous ouvrirons nos grilles au public pendant la Semaine de l'Horticulture. — Si je comprends bien, nous arriverons au bon moment! » plaisanta Alice. Puis elle parla à Suzanne du mystère du vitrail perdu. « Qui sait, murmura la jeune femme. Tu trouveras peut-être ici des indications utiles. Viens vite, nous t'attendons. » Avant de raccrocher, elle ajouta qu'elle donnerait une petite réception en l'honneur de ses trois visiteuses. Elle désirait les présenter à ses relations. — N'oublie pas d'emporter une robe habillée! recommanda-telle. Préviens Bess et Marion. — Entendu! Merci encore! A bientôt, Suzanne! » Alice venait à peine de quitter le téléphone quand la sonnerie de l'appareil l'obligea à revenir sur ses pas. « Allô! — Allô! C'est vous, mademoiselle Alice?... Ici, Ritter! » La voix du facteur trahissait un profond désarroi. Alice devina qu'il faisait effort pour l'empêcher de trembler. « Quelque chose de terrible est arrivé. Je vous en prie, venez à mon secours ! »

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CHAPITRE IV UN CURIEUX TÉLÉGRAMME entendu, je vous aiderai si je le peux, assura Alice à M. Ritter. S'agit-il encore de Mme Brown? — Hélas! oui, répondit le facteur. Lorsque je suis passé chez elle ce matin, elle m'a montré une lettre de son frère annonçant qu'il lui avait envoyé cent dollars dans une enveloppe. Il supposait qu'elle les avait déjà reçus. Mme Brown m'accuse maintenant d'avoir volé cette enveloppe et menace de porter plainte contre moi.» Alice fut consternée. Même si Mme Brown ne pouvait prouver la culpabilité de M. Ritter, elle risquait de ternir sa réputation d'honnête homme. « Écoutez, proposa la jeune détective. Nous allons lui rendre visite et tenter de la faire revenir sur sa décision. Venez me rejoindre, voulez-vous? — Entendu. J'arrive tout de suite. » BIEN

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Ensemble M. Ritter et Alice se dirigèrent vers la demeure de Mme Brown. Ce fut elle-même qui leur ouvrit. « Tiens, vous avez amené du renfort avec vous! dit-elle au facteur. Ça ne m'ennuie pas le moins du monde, vous savez. Puisqu'il paraît que cette jeune fille a des dons de policier, elle se rendra à l'évidence quand je lui aurai montré la lettre de mon frère. » Elle conduisit ses deux visiteurs jusqu'à un secrétaire qui se trouvait dans la salle de séjour. Elle ouvrit un tiroir et en sortit une enveloppe qu'elle tendit à Alice. « Tenez! Lisez donc ça! marmonna-t-elle. Vous serez convaincue. Et j'espère qu'ensuite vous ne me mettrez plus de bâtons dans les roues. » Sans répondre, Alice examina tout d'abord le cachet de la poste. Elle faillit pousser une exclamation en s'apercevant que le message avait été expédié de Charlottesville, en Virginie, la veille même. Elle déchiffra ensuite le nom de l'expéditeur écrit au verso : Alfred Rugby. Chose curieuse, ce nom n'était suivi d'aucune adresse. Le contenu de la lettre confirmait l'histoire de Mme Brown : « Chère Margaret, Ainsi que tu me l'as demandé par téléphone, je t'adresse ce mot pour te répéter que je t'ai bien envoyé les cent dollars dans une précédente lettre, que tu aurais dû recevoir vendredi. Je t'embrasse affectueusement. Alfred. Alice leva les yeux et rencontra le regard dur de Mme Brown posé sur elle. « Eh bien! Vous êtes fixée maintenant, je suppose! Et si vous croyez que je vais laisser M. Ritter filer avec mes cent dollars, vous vous trompez, ma petite! » déclara la méchante femme. Alice ne se laissa pas démonter. « Je sais seulement une chose, dit-elle d'une voix calme. Je connais bien M. Ritter. C'est un homme insoupçonnable.

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Je suis désolée pour vous que cet argent ait été perdu, mais votre frère n'aurait jamais dû l'envoyer comme ça, dans une simple enveloppe. — Je ne vous demande pas votre avis ! » s'écria Mme Brown dont les yeux lançaient des éclairs. Elle s'interrompit soudain et son visage prit une expression rusée, tandis qu'elle ajoutait d'une voix doucereuse : a Au fait... il est possible après tout que M. Ritter ne soit pas le voleur. Et comme en dehors de lui vous êtes la seule à avoir manipulé le courrier dispersé par le vent... peut-être que vous avez trouvé mon enveloppe! » Alice, interloquée par cette accusation inattendue, mit un moment à se ressaisir. « Quelle absurdité! s'écria-t-elle enfin. Vous avez tort d'être si méfiante. Lorsque vous connaîtrez mieux vos voisins, vous saurez qu'ils sont tous honnêtes et n'ont pas l'habitude de se jeter mutuellement des accusations à la face. — C'est vrai, coupa M. Ritter indigné. Et, si vous ne changez pas d'attitude, les gens du quartier vous mèneront la vie dure. Oser soupçonner mademoiselle Alice!... Qui appartient à une famille si honorable! — Moi aussi, j'appartiens à une famille honorable! riposta Mme Brown. Mon frère est un artiste peintre de talent... Mais là n'est pas la question. Ce que je veux, c'est récupérer mes cent dollars. A présent, adieu. Nous n'avons plus rien à nous dire... » Quand Alice se retrouva dans la rue, elle conseilla à son compagnon de ne pas se tourmenter outre mesure. « De toute manière, ajouta-t-elle, je vais mettre mon père au courant des nouvelles menaces de Mme Brown. Il prendra l'affaire en main, j'en suis sûre. » Puis elle annonça au facteur qu'elle devait se rendre à Charlottesville et qu'elle en profiterait pour se renseigner sur Alfred Rugby, puisque c'était là qu'il habitait. Le visage de M. Ritter s'éclaira. « Ah! vous êtes une véritable amie! s'écria-t-il avec reconnaissance. Je ne sais comment vous remercier, vous et votre père. » 30

«Je ne vous demande 'pas votre avis.' » s'écria Mme Brown.

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Fidèle à sa parole, Alice téléphona à son père dès qu'elle fut rentrée. M. Roy promit de s'occuper des intérêts du brave facteur. « Mme Brown ne peut fournir aucune preuve contre Ritter, expliqua-t-il,... ni contre toi puisqu'elle a l'air de te soupçonner aussi. Mais ses bavardages inconsidérés risquent d'être nuisibles. Je tâcherai d'y mettre bon ordre. » Un peu rassurée, Alice alla trouver Sarah pour discuter avec elle de la garde-robe qu'elle devait emporter à Charlottesville. Elle lui parla de la « partie » que Suzanne se proposait de donner en son honneur. « Puisqu'il te faut une robe habillée, conseilla Sarah, choisis donc celle en moire verte, qui a de si jolis reflets. Et n'oublie pas les accessoires ! » Alice monta dans sa chambre et commença à préparer sa valise. Quand elle eut terminé, elle s'assit à son bureau pour écrire à son ami Ned Nickerson, étudiant à l'université d'Emerson. Elle le connaissait depuis de nombreuses années et le tenait au courant des événements de son existence. « Ce serait bien agréable si Ned pouvait venir à Charlottesville pendant mon séjour là-bas », songea-t-elle en prenant son stylo. Dans sa lettre, Alice parla, bien entendu, de l'histoire du vitrail perdu et de son espoir de retrouver sa trace. Puis elle annonça sa prochaine visite à Suzanne Carr et donna l'adresse de sa cousine. Après quoi, elle décida de se dégourdir les jambes et alla mettre sa missive à la boîte postale voisine. Elle en revenait lorsqu'elle aperçut Togo qui bondissait à sa rencontre. Le chien tenait un morceau de papier dans sa gueule. Alice se pencha et tenta de le lui arracher. Mais le petit fox-terrier ne voulait rien entendre et se mit à jouer avec sa trouvaille : il se laissait approcher par Alice, puis s'écartait brusquement, mordillait le papier et recommençait son manège. Le jeu dura cinq minutes. Puis Togo en eut assez et, abandonnant sa proie, sauta après un insecte. Alice se baissa et ramassa... la partie supérieure d'une enveloppe dont le timbre portait l'oblitération de la poste de Charlottesville, en Virginie. L'expédition de la lettre remontait à trois jours. 32

« Togo! s'écria Alice. Où as-tu trouvé ça? » Le petit chien se mit à aboyer très fort, mais ne fit pas mine de guider sa maîtresse jusqu'à l'endroit où il avait fait sa découverte. Soudain, Alice frémit. Une terrible pensée venait de surgir dans son esprit. Elle se demandait si Togo, en cherchant la fameuse enveloppe le jour précédent, n'avait pas mis la... dent dessus et ne l'avait pas réduite en morceaux, y compris les cent dollars qu'elle contenait. Très ennuyée, la jeune détective rentra chez elle et se hâta de faire part de ses craintes à Sarah. « Tu vois, lui dit-elle. Il est plus que jamais nécessaire que je tire cette histoire au clair. Il se peut très bien qu'en fin de compte la famille Roy doive cent dollars à Mme Brown! — Je pourrais le croire, répondit Sarah, si tu n'avais pas entendu cette fameuse conversation entre M. Brown et sa femme. Vu les circonstances, je pense plutôt que celle-ci a imaginé toute l'affaire. Renseigne-toi sur son frère quand tu seras à Charlottesville. — Oui. C'est bien mon intention. » Lorsque M. Roy rentra ce soir-là, il donna à sa fille trois billets d'avion qu'il avait achetés pour elle et ses amies. « Une fois à l'aéroport de Richmond, vous n'aurez qu'à prendre le car de Charlottesville. — Je vais télégraphier à Suzanne pour lui donner l'heure de l'atterrissage. Elle a promis de venir nous chercher à Richmond en voiture. Je téléphonerai ensuite à Bess et à Marion pour les prévenir que nous passerons les prendre demain matin.» Le jour suivant, Alice se leva de bonne heure. Son père déposa sa valise dans l'auto prête à partir. Puis l'on déjeuna. Le père et (la fille venaient d'achever leur repas lorsque le téléphone sonna. Alice prit la communication. On lui donna lecture d'un télégramme qui venait d'arriver pour elle à la poste. Il émanait de Charlottesville et était signé Suzanne Carr : « REMETTEZ VOYAGE. T'ÉCRIRAI QUAND POURRAI vous RECEVOIR. »

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CHAPITRE V LE CHAUFFEUR MASQUÉ

avoir raccroché, Alice resta songeuse un moment. Cela ne ressemblait guère à Suzanne d'envoyer des messages aussi secs. Elle n'avait même pas ajouté :« Baisers ! » Alice répéta le contenu du télégramme à son père et lui fit part de son étonnement. a Bah! répondit l'avoué avec un sourire. Les télégrammes sont généralement secs. Et puis, c'est peut-être le mari de Suzanne qui a envoyé celui-ci, et les hommes ne pensent pas toujours aux formules affectueuses. — Je regrette ne pas pouvoir aller à Charlottesville, soupira Alice. J'aurais bien aimé parler à M. Bradshow. — Qu'est-ce qui t'empêche de partir? Toi et tes amies, vous n'avez qu'à descendre à l'hôtel puisque Suzanne ne peut pas vous recevoir. APRÈS

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— C'est une bonne idée! Je vais téléphoner à Bess et à Marion pour savoir si elles sont d'accord. » Les deux cousines, ayant assez d'économies pour faire face à un séjour à l'hôtel, acceptèrent la proposition d'Alice et M. Roy conduisit les jeunes filles à l'aéroport, comme convenu précédemment. Elles montèrent dans l'avion, agitèrent la main une dernière fois en signe d'adieu, puis assujettirent leurs ceintures de sécurité. Le vol fut bref et sans histoire. A l'arrivée à Richmond, Alice et ses compagnes récupérèrent leurs valises et prirent un taxi qui les déposa au Grand Hôtel où elles devaient passer la nuit. Elles se proposaient de n'aller à Charlottesville que le lendemain matin, par le premier car. On leur donna une chambre spacieuse comportant un lit à deux places et un divan. Les voyageuses défirent leur léger bagage. Soudain, Marion avisa un poste de radio sur la table de chevet et tourna le bouton. « Écoutons les nouvelles! » proposa-t-elle. Tout en se recoiffant devant la glace, Alice prêta une oreille distraite aux communiqués lus par le speaker de la station locale. Après avoir parlé des événements mondiaux, il passa aux faits divers intéressant l'État de Virginie. Brusquement, Alice se figea, imitée par Bess et par Marion. « Mme Clifford Carr, de Charlottesville, a été victime d'un accident de voiture alors qu'elle se rendait à l'aéroport de Richmond. Son auto a été accrochée par une autre et s'est retournée dans le fossé. La blessée a été transportée à l'hôpital Johnston Willis. Le chauffard responsable de l'accident a pris la fuite. » « Oh! mon Dieu! s'écria Alice très alarmée. Il s'agit de cousine Suzanne! Allons vite à l'hôpital demander ce qu'elle a au juste. Pourvu que ses blessures ne soient pas graves! » Les trois amies remirent à la hâte leur manteau et s'engouffrèrent dans l'ascenseur. Elles traversèrent le hall au pas

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de course et débouchèrent dans la rue où elles eurent la chance de trouver tout de suite un taxi. • « Vite! lança Alice au chauffeur. A l'hôpital Johnston Willis ! — Est-ce que l'une de vous est malade? s'enquit l'homme, effaré par tant de précipitation. — Non, non, mais ma cousine a eu un accident. Conduiseznous là-bas le plus rapidement possible, s'il vous plaît. » Voyant qu'il n'y avait pas urgence, le chauffeur ne se pressa guère. Les nerfs de ses passagères furent mis à dure épreuve. Enfin, on arriva. Alice régla la course et se dirigea vers le guichet des renseignements de l'hôpital. « Je suis une parente de Mme Carr, expliqua-t-elle, et je désirerais beaucoup la voir. » Après quelques minutes d'attente, on lui fit savoir que la blessée pouvait recevoir et on.lui donna le numéro de sa chambre. « Je crois qu'il vaut mieux que nous t'attendions ici, Marion et moi, suggéra Bess avec discrétion. Nous ne monterons que si elle veut nous parler. » Alice se dépêcha de gagner la chambre de sa cousine. Suzanne, qui portait des contusions aux bras et au front, était étendue, pâle, les yeux clos. Alice la contempla en silence, très émue. Soudain, les paupières de la jeune femme se soulevèrent. Elle reconnut la visiteuse et s'anima aussitôt. « Alice! s'écria-t-elle en lui tendant les bras malgré ses blessures. — Bonjour, Suzanne, murmura Alice en déposant un baiser sur sa joue. — Je suis bien contente de te voir, assura sa cousine. Mais comment as-tu appris mon accident? — Par la radio, répondit Alice qui ajouta que Bess et Marion l'avaient accompagnée et se trouvaient en bas, dans le hall. — Fais-les monter, Alice. C'est gentil à elles d'être venues me voir ! » Alice alla chercher ses amies. Suzanne les accueillit

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presque gaiement et déclara qu'elle se sentait déjà beaucoup mieux. Les jeunes filles, soulagées de constater que la blessée n'avait rien de sérieux, jugèrent préférable de ne pas faire allusion à l'accident. Alice s'assit au chevet de la malade. « Tu dois être surprise, Suzanne, lui dit-elle, que nous soyons venues malgré ton télégramme. Vois-tu, nous étions trop impatientes de nous lancer sur la piste du fameux vitrail perdu. » Suzanne ouvrit de grands yeux. « Mon télégramme? répéta-t-elle. Je... je ne vous ai envoyé aucun télégramme! Que veux-tu dire? » Surprise à son tour, Alice s'expliqua. « C'est insensé! s'exclama alors la blessée. Quelqu'un aurait donc envoyé ce télégramme à ma place! Mais pour quelle raison? » Alice était aussi intriguée que sa cousine. Bess et Marion ne l'étaient pas moins. Les trois amies comprenaient qu'un mystérieux inconnu avait délibérément tenté d'empêcher Alite de se rendre à Charlottesville. Soudain, une pensée peu agréable vint à l'esprit de la jeune détective. Se pourrait-il que ce même inconnu, sachant que sa ruse avait échoué, ait provoqué l'accident de voiture de Suzanne afin de l'empêcher de rencontrer les voyageuses? Mais encore une fois pour quelle raison? « Peut-être, dit Alice, le coupable avait-il intérêt à me retenir quelque temps à Richmond. Mais il a pris des risques terribles : il aurait pu causer la mort de Suzanne. » Désireuse d'avoir des précisions sur l'accident, elle interrogea sa cousine. « Écoute, Suzanne, je ne voulais pas te parler de cet accrochage... mais il est peut-être relié à l'histoire du télégramme. Penses-tu que la personne qui l'a provoqué aurait pu le faire exprès ? — Oh! oui, s'écria Suzanne sans hésiter. La route était déserte à ce moment-là et l'homme avait largement la place de passer. Il venait vers moi et aurait dû me croiser sans difficulté.

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An contraire, il m'a serrée de si près que j'ai eu peur qu'il ne m'accroche. D'instinct, j'ai braqué au maximum... cl je me suis retrouvée dans le .fossé. Car, en réalité, et malgré ce qu'on a dit à la radio, les voitures ne se sont pas loin liées. Cet homme a manœuvré comme s'il voulait me terroriser et me faire perdre mon sang-froid. Il ne s'est pas arrêté pour me porter secours. J'ai dû attendre plusieurs minutes avant qu'une autre voiture n'arrive. C'est alors qu'on m'a transportée ici. - Pourrais-tu me donner le signalement de ton chauffard? demanda Alice. Tu as eu le temps de le voir, n'est-ce pas? » Suzanne ferma les yeux et frissonna. « Quel être horrible! » murmura-t-elle. Puis, ouvrant les yeux : « Son visage était figé, sans la moindre expression. On aurait dit qu'il portait un casque en caoutchouc. Ainsi, il ne risquait pas que je l'identifie. » Bess et Marion échangèrent des regards consternés. Suzanne parut soudain plus alarmée.

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« Je n'ai pas d'ennemi, Alice, déclara-t-elle. Pourquoi cet homme aurait-il provoqué l'accident? Il aurait pu me tuer. — Je crois connaître ses raisons, répondit Alice... La police a-t-elle été alertée? - Oui. — Dans ce cas, essaie d'oublier ce déplaisant épisode et repose-toi bien. Combien de temps le docteur pense-1-il te garder ici? — J'espère pouvoir partir dès demain. Ma voiture a été remorquée jusqu'à un garage où on est en train de la réparer. Elle sera prête en temps voulu... Je suis contente que tu sois venue, Alice. Mon mari est en déplacement. On a pu le joindre pour le prévenir et le rassurer tout « la fois. Il se débrouillera pour rentrer à la maison demain lui aussi. Vous voyez que les choses s'arrangent en fin de compte, mes petites. Passons toutes une bonne nuit et puis nous partirons ensemble pour Charlottesville. » Après avoir quitté Suzanne, les trois amies employèrent le reste de la journée à visiter la vieille cité et ses monuments historiques. Puis elles regagnèrent leur hôtel. La fatigue se faisait sentir et elles se couchèrent de bonne heure. Le lendemain matin, après le déjeuner, Alice appela l'hôpital et parla à Suzanne. Celle-ci se déclara en forme. Pour éviter de se fatiguer, cependant, elle pria sa jeune cousine de passer au Garage Central pour y prendre sa voiture. « Entendu, promit Alice. Je viendrai te chercher avec. » Le garagiste était un homme aimable. Suzanne lui avait téléphoné de l'hôpital. Alice se fit connaître et il' lui remit sans difficulté les clefs de la voiture. Il était convenu que Suzanne lui enverrait un chèque pour payer la réparation. Alice se glissa derrière le volant. Bess et Marion prirent place sur la banquette arrière. Suzanne attendait devant la porte de l'hôpital et monta à côté de sa cousine. Toutes joyeuses, les quatre voyageuses se mirent en route. Elles parcoururent ainsi environ huit kilomètres. 39

Soudain, à un tournant, Alice se rendu compte que la direction de la voiture ne répondait plus. C'est eu vain qu'elle tenta de redresser le volant. Il avait cessé de lui obéir. Désespérément, elle appuya de toutes ses forces sur la pédale du frein. Mais déjà la voiture, filant sur sa lancée, heurtait le talus et culbutait par-dessus...

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CHAPITRE VI UN ENNEMI DANS L'OMBRE Sous le choc, les occupantes de la voiture restèrent un moment comme assommées. Alice avait eu la présence d'esprit de s'arc-bouter contre le volant. Bess et Marion étaient tombées du siège arrière sur le plancher, mais n'étaient pas blessées. Suzanne avait eu moins de chance. Projetée contre le parebrise, elle gisait, inanimée, telle une poupée de son. Son aspect effraya Alice. Elle craignait que ce second accident, venant si tôt après le premier, n'eût un effet désastreux sur la jeune femme. De plus, peut-être était-elle gravement blessée cette fois-ci. « Suzanne! » s'écria-t-elle en se penchant sur sa cousine. Bess et Marion, qui s'étaient ressaisies, s'inquiétèrent à leur tour de l'évanouissement de leur compagne.

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« Vous n'avez rien, vous, au moins? leur demanda Alice. — Non. — Il faudrait trouver un médecin pour Suzanne. Il me semble avoir aperçu la plaque d'un docteur sur une villa que nous avons dépassée, à environ un kilomètre d'ici. Je vais y aller, décida Alice. — C'est moi qui irai, coupa Manon en ouvrant la portière et en sautant sur la route. Pendant ce temps, occupez-vous de Suzanne. » Bess, ayant découvert un ruisseau dans le pré voisin, y trempa son mouchoir et humecta les tempes de la blessée qui ne tarda pas à revenir à elle. « Où suis-je? demanda Suzanne d'une voix faible. — Nous avons eu un petit accident, répondit Alice. Marion est allée chercher un médecin. Reste bien tranquille. » Suzanne obéit avec un soupir. Peu de temps après, une voisine arriva à vive allure et Marion en descendit. Un homme de haute taille, porteur d'une trousse noire de praticien, la suivait. Il salua les jeunes filles et, sans perdre de temps, s'occupa de la blessée. Il procéda à un rapide examen et parut satisfait. « Cette jeune femme n'a rien de cassé, assura-t-il, et souffre seulement du choc. Je vais lui donner un sédatif, puis je vous emmènerai toutes chez moi. Nous verrons ensuite ce que nous pourrons faire pour votre voiture. » Les voyageuses acceptèrent la proposition avec reconnaissance. Le docteur Steyer — tel était le nom du médecin — les aida à porter leurs valises dans son auto. De chez lui, le médecin téléphona à un garagiste. La voiture de dépannage arriva peu après. Alice partit avec le conducteur qu'elle guida jusqu'au véhicule accidenté de Suzanne. Elle lui expliqua qu'elle soupçonnait une défaillance de la direction. L'homme contrôla. « Vous avez raison, mademoiselle, dit-il enfin. Ou bien la direction n'a pas été convenablement vérifiée après la réparation, ou bien un écrou a été desserré. En tout cas, cette fois-ci, les dégâts sont sérieux. Je vais remorquer l'épave 42

jusqu'au garage et ensuite votre cousine me dira ce qu'il faut en faire. » Lorsque Alice eut rejoint les autres et que Suzanne apprit en quel état était son auto, elle fondit en larmes. « C'est encore un coup de l'homme masqué! s'écria-t-elle. Il veut ma mort! Il s'agit d'un sabotage, j'en suis sûre! » Alice se rendit compte que sa cousine était au bord de la crise de nerfs et tenta de la calmer. En vain. « Ce visage! Cet horrible visage! » répétait sans cesse Suzanne en se tordant les mains. Le docteur Steyer finit par lui administrer un calmant et la malheureuse s'endormit, épuisée, sur le divan du salon. « Elle va sommeiller pendant une heure environ, expliqua le médecin, et ensuite elle se sentira beaucoup mieux... Ah! j'entends ma femme qui rentre. Elle vient de faire des courses. » II procéda aux présentations. Mme Steyer était une personne charmante, qui, mise au courant des faits, proposa tout de suite : « J'avais l'intention de me rendre à Charlottesville cet aprèsmidi en voiture. Si vous voulez, je pourrai vous y conduire. » Les jeunes filles acceptèrent avec reconnaissance. Mme Steyer insista pour les retenir à déjeuner et refusa d'être aidée pour la préparation du repas. « J'ai une excellente cuisinière de couleur, qui est dans la famille depuis quarante ans et qui se vexerait si vous vous mêliez de quoi que ce soit », expliqua-1-elle en riant. Alice téléphona alors au Garage Central de Richmond où avait été réparée la voiture de Suzanne. Ce fut le patron lui-même qui lui répondit. Quand elle lui révéla qu'un second accident s'était produit et qu'il était dû à un écrou desserré dans la direction, il s'écria au bout du fil : « Patiente/ un instant, voulez-vous? Je vérifie sur nos registres... » Deux minutes plus tard, il déclarait que, non seulement il avait retrouvé la fiche de contrôle du véhicule accidenté

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mais encore qu'une seconde vérification avait été faite et signalait que tout était en état. « Dans ces conditions, d'où peut venir cet écrou desserré? » insista Alice. D'un ton embarrassé, le garagiste avoua alors qu'un incident avait eu lieu dans le courant de la nuit. « Notre gardien a consigné dans son rapport qu'il avait entendu un bruit métallique dans un coin du garage. Lorsqu'il s'est approché pour voir de quoi il retournait, il a aperçu un homme qui s'enfuyait. Peut-être s'agit-il d'un individu qui sabotait la voiture de Mme Carr... mais je me demande pourquoi il aurait fait ça... » Alice raccrocha toute pensive. Le mystère ne faisait que s'épaissir. Si Suzanne n'avait pas d'ennemis, il était évident qu'un mystérieux inconnu visait les trois amies, vraisemblablement pour les empêcher de se rendre à Charlottesville. Quel que fût l'homme en question, il fallait qu'il se sentît bien désespéré pour en arriver à de si criminelles manœuvres. S'agissait-il d'Alfred Rugby? Non, sans doute. L'histoire des cent dollars n'était pas un motif suffisant. Alors, qui? Suzanne se réveilla à l'heure du déjeuner, rassérénée. Le repas détendit tout le monde. Sitôt après, Mme Steyer emmena les voyageuses dans sa voiture. Suzanne habitait en dehors de Charlottesville une grande propriété, Les Neuf Chênes, qui appartenait à la famille de son mari depuis très longtemps. Le domaine avait fière allure avec le mur qui l'entourait, les hautes grilles de l'entrée et la longue allée ombragée d'arbres qui menait à la maison entre d'odorants massifs de fleurs. La demeure était de style colonial avec un porche à colonnade. « Quelle merveilleuse maison! » s'écria Alice, charmée. Mme Steyer refusa d'entrer et prit congé des voyageuses. Suzanne et ses compagnes furent accueillies avec chaleur par Borah, la domestique noire des Carr qui s'empressa de les débarrasser de leurs valises... Au fond du vaste hall d'entrée, un escalier d'acajou sculpté conduisait aux étages. A droite

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se trouvaient la bibliothèque et le bureau de Cliff, à gauche une salle à manger ensoleillée. « Je vais vous montrer vos chambres », dit Suzanne en montant l'escalier. Elle ouvrit successivement les portes de trois pièces en enfilade. Alice trouva fort amusant le grand lit ancien, à baldaquin, qui lui échut. Les trois jeunes filles firent un brin de toilette, puis changèrent de vêtements. Après quoi elles descendirent pour admirer le ravissant jardin, plein de fleurs et de plantes rares. « Cliff est un jardinier paysagiste en renom, vous savez, expliqua Alice à ses compagnes. Il a entièrement redessiné ce parc juste avant son mariage avec Suzanne. On voit qu'il connaît son métier. » Bess prit une longue inspiration. « Comme ça sent bon! fit-elle remarquer... Il doit être

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bien agréable de vivre dans une propriété comme celle-ci. Si j'habitais un tel paradis, je crois que je n'en sortirais jamais.» Quelques instants plus tard, le mari de Suzanne arriva. C'était un grand jeune homme aux cheveux blonds, à la physionomie ouverte. Alice n'avait pas vu Cliff depuis le jour de ses noces. Bess et Marion ne le connaissaient pas encore. Suzanne fit les présentations et la conversation devint générale. Au bout d'un moment, Cliff se tourna vers Alice. « Vous ne pouviez pas venir plus à propos, lui dit-il. Il y a un mystère à résoudre dans notre voisinage immédiat. — Encore un autre? » ne put s'empêcher de grommeler Marion entre haut et bas. Cliff se mit à rire : « C'est vrai. Suzanne m'a déjà expliqué que vous étiez à la recherche d'un vitrail perdu et que vous tentiez de trouver l'auteur d'un télégramme envoyé à son nom. Bah! une énigme déplus ou de moins ne doit guère pouvoir vous troubler. » Il négligeait volontairement de faire allusion aux accidents de voiture, soucieux, sans doute, de ne pas évoquer de nouveau ces pénibles souvenirs devant sa femme. « Voyons votre mystère...? demanda Alice. — Eh bien, un certain M. Honsho, originaire de l'Inde, a acheté l'an dernier un des plus beaux domaines de la région et s'y est installé. — Cette propriété s'appelle Cumberland, expliqua Suzanne. M. Honsho a fait construire un grand mur tout autour et, depuis, personne n'a été autorisé à voir ce qui se passait derrière. Or, à plusieurs reprises, soit de jour, soit de nuit, on a entendu des cris étranges s'échapper de cet endroit mystérieux... »

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CHAPITRE VII LES MYSTÈRES S'ACCUMULENT ALICE,

Bess et Marion étaient suspendues aux lèvres de Suzanne. La jeune femme poursuivait : « Jusqu'à ce que M. Honsho l'achète, Cumberland avait toujours été ouvert aux visiteurs pendant la grande semaine de l'Horticulture que nous appelons aussi Semaine Fleurie. Mais il en défend désormais l'accès. Ce que nous aimerions, ma petite Alice, c'est que tu découvres d'où proviennent ces cris bizarres, que tu les fasses cesser si possible et que tu persuades M. Honsho d'ouvrir de nouveau son parc au public. — Tout un programme! marmonna Bess. — Oui. Déjà plusieurs personnalités de Charlottesville ont essayé d'êtres reçues par cet Indien original, expliqua Cliff. Mais toutes ont échoué.

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— Je ferai ce que je pourrai, assura Alice sans enthousiasme, mais ce cas ne paraît pas des plus faciles. » La jeune détective, cependant, n'oubliait pas qu'elle désirait avant tout rendre visite à M. Bradshow qui se trouvait être, d'ailleurs, un ami des Carr. Cliff offrit de prêter sa voiture aux trois amies pour aller à F en House. « Demain, je dois rester ici à travailler et je n'en aurai pas besoin, assura-t-il. A votre place, je passerais à Cumberland pour essayer de voir Honsho avant de pousser jusqu'à Fen House. Les deux propriétés sont situées à peu de distance l'une de l'autre, le long de la rivière, près du rapide d'Eddy Run. » Alice ayant demandé des précisions, Cliff expliqua qu'Eddy Run formait une sorte de crique parcourue par un courant violent, sur laquelle donnait l'arrière des deux domaines. « Vous n'aurez aucune difficulté à repérer celui de M. Honsho, ajouta-t-il. Prenez la route de Charlottesville. C'est le premier tournant à main droite. Le chemin vous conduira ensuite directement à Cumberland. » Le lendemain matin, les jeunes filles se mirent en route. En arrivant à Cumberland, Alice constata que le mur dont avait parlé Suzanne était si haut qu'on ne pouvait pas voir pardessus. Elle arrêta la voiture devant un portail en fer plein et, avisant la chaîne d'une cloche, sonna sans hésiter. Personne ne répondit. « On dirait que M. Honsho n'aime pas les visites, fit remarquer Bess. Allons-nous-en, Alice! Ce mystère peut attendre. » Mais Alice n'était pas de cet avis. « Contournons le mur, proposa-t-elle, et voyons s'il existe une autre entrée... » Suivie de Marion et de Bess, elle tourna le coin du mur et prit un chemin qui descendait vers la rivière. Soudain, les trois amies aperçurent devant elles un jeune homme à bicyclette. S'arrêtant devant une haute porte de bois, il sauta à terre et tira une clef de sa poche. Alice se mit à courir dans sa direction en agitant la main pour attirer son attention. Il leva les yeux, la vit et parut

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« Hé! Une minute, s'il vous plaît! » cria Alice

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surpris. Agé d'environ vingt-cinq ans, il était grand et mince, avec des yeux bleus et une chevelure d'un roux flamboyant. Il portait une chemise à carreaux, des pantalons de toile et un ceinturon de cowboy. Il avait, du reste, vraiment l'air d'être un cowboy. Cependant, on eût dit que l'apparition d'Alice l'avait effrayé. Il se dépêcha d'ouvrir la porte et poussa sa bicyclette à l'intérieur de la propriété. « Hé! Une minute, s'il vous plaît! cria Alice. Je voudrais vous parler! Juste un renseignement! » Or, à sa grande surprise, le garçon s'engouffra par l'entrebâillement de la porte et referma celle-ci à clef derrière lui. « Quel rustre! s'exclama Marion en accourant tout essoufflée, suivie de Bess. Je me demande qui c'est. — Je parierais qu'il travaille à Cumberland et qu'il a -reçu l'ordre de ne laisser entrer personne, avança Alice. C'est égal, nous claquer ainsi la porte au nez... » Elle fut interrompue par un cri perçant qui s'éleva du parc de la propriété. L'horrible cri fut suivi d'un silence. Bess, plus peureuse que ses compagnes, se serra contre elles. « Qu'est-ce que c'est? murmura Marion. On dirait un animal qu'on torture. Dire que nous ne pouvons même pas entrer pour lui porter secours ! — Je crois deviner ce que c'est, dit Alice. Il s'agit d'un paon. » Bess, sceptique, déclara qu'il fallait avertir la police. Alice la calma et proposa de continuer leur petite exploration. Mais le mur n'offrait pas d'autre ouverture : ni du côté d'Eddy Run, ni d'aucun autre. Ayant fait le tour complet de Cumberland, les jeunes filles revinrent à la voiture. Plus que jamais Alice se rendait compte que M. Honsho devait être inabordable. « Je le regrette d'autant plus, avoua-t-elle, que la Semaine Fleurie va s'ouvrir. Enfin, tant pis, allons voir M. Bradshow! » Juste avant d'arriver à F en House, les trois amies passèrent

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devant un autre domaine qui, jadis, avait dû être un endroit charmant. A l'heure actuelle il semblait fort négligé. A travers les arbres du parc à l'abandon, on apercevait la maison patinée par le temps. Sur le mur de clôture, en partie écroulé, Bess déchiffra le nom de la propriété : Ivy Hall! Peu après, Alice et ses compagnes arrivèrent en vue de F en Home qui évoquait assez, par son aspect, les fermes de River City. Aucun mur de clôture et peu d'arbres. Un chemin serpentait à travers des prés et des champs bien entretenus. Un poteau, surmonté d'une flèche et d'une inscription manuscrite, indiquait que l'atelier de M. Bradshow se trouvait tout au fond de la propriété. Alice continua donc à suivre le chemin. A gauche, s'étendait un immense jardin fleuri, et, à droite, un bois aux arbres denses. Presque en bordure d'Eddy Run, bâti sous les branches d'un chêne gigantesque, se dressait l'atelier de l'artiste. C'était un bâtiment de briques, tout en longueur, qui disparaissait sous le lierre. Comme Alice arrêtait la voiture, un homme sortit par la porte ouverte. Agé d'environ quarante ans, il était grand, maigre. Ses yeux vifs brillaient derrière des lunettes. Il portait les cheveux coupés en brosse. Alice, Bess et Marion se présentèrent. Alice déclara qu'elle et ses amies s'intéressaient beaucoup aux vitraux et que M. Atwill, verrier à River City, leur avait donné une vue d'ensemble de son art. M. Bradshow fit entrer ses visiteuses dans son atelier qui ressemblait beaucoup à celui de M. Atwill. « Puis-je vous être utile à quelque chose? » demanda-t-il avec un sourire. Alice lui expliqua alors brièvement l'histoire du vitrail perdu après qu'il eut déclaré n'avoir pas eu connaissance de l'article paru dans le Continental. « J'aimerais retrouver la trace du « chevalier au paon », ditelle en conclusion, et remettre l'argent de la récompense à un hôpital d'enfants. — C'est très louable de votre part, répondit l'artiste, mais

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je ne vois pas comment je pourrais vous aider. Je ferai toutefois de mon mieux, car vous êtes la cousine des Carr. Ma femme et moi apprécions beaucoup ce jeune ménage. — Eh bien, pour commencer, vous pourriez nous dire par exemple l'endroit où nous aurions le plus de chance de trouver des vitraux précieux dans cette région, suggéra Alice. - Je regrette, murmura M. Bradshow en hochant la tête, mais je suis mal placé pour vous renseigner. En revanche, je puis vous donner des informations supplémentaires sur l'art du vitrail. Ainsi, vous aurez plus de chance de reconnaître la fenêtre authentique si vous arrivez à mettre la main dessus. » II découvrit un chevalet sur lequel était placé un vitrail représentant une charmante scène champêtre. « Je destine cette œuvre à l'un de mes amis, expliqua-t-il. De nos jours, un vitrail ressemble beaucoup à une mosaïque translucide... — Dont les morceaux sont affreusement coupants », acheva

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tout bas Marion qui se rappelait l'entaille qu'elle s'était faite dans l'atelier de M. Atwill. M. Bradshow, cependant, exposait de quelle façon on assemblait les pièces au moyen du plomb. Tout en parlant, il circulait à travers la vaste' pièce, les jeunes filles à sa suite. II leur montrait ses outils, ses ébauches. Soudain, Alice aperçut une revue qui avait glissé derrière un banc. Elle reçut un choc en constatant qu'il s'agissait d'un numéro du Continental. Évidemment, cela ne signifiait pas que M. Bradshow fût abonné au magazine. Manœuvrant avec discrétion et prenant bien garde de n'être pas vue des autres, la jeune détective passa un pied sous le banc et tira le journal à elle. Puis elle le retourna. Il s'agissait bel et bien du numéro du Continental où se trouvait relatée l'histoire du vitrail perdu! Alice était stupéfaite. M. Bradshow avait certainement lu l'article! Alors, pourquoi avait-il prétendu l'ignorer? Une pensée la frappa. Et si l'artiste faisait lui-même des recherches pour son propre compte? Après tout, cela n'avait rien d'impossible!

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CHAPITRE VIII UNE MAIN DANS L'OMBRE était perplexe : se pouvait-il que M. Bradshow sût où se trouvait le vitrail du « chevalier au paon »? Soudain, Bess remarqua que son amie était distraite. Suivant la direction de son regard, elle aperçut à son tour le magazine et ses soupçons furent éveillés. M. Bradshow, cependant, se tournait vers Alice. Il ne fallait pas qu'il se rende compte de son émoi. Aussi Bess s'empressa-t-elle de créer une diversion. « N'est-ce pas, Alice, s'écria-t-elle, que les explications de M. Bradshow sont terriblement intéressantes? Je ne m'imaginais pas l'art du vitrail si compliqué! » Arrachée à sa contemplation, Alice eut un sourire reconnaissant pour son amie et répondit : « Oui, c'est passionnant. Mais, à mon avis, la phase la plus captivante doit être celle de la création du dessin. ALICE

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Alice passa un pied sous le banc et tira le journal à elle.

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— Et vous avez raison! déclara l'artiste avec véhémence. Dessiner un vitrail est fort délicat. Il faut que le motif puisse être réalisé avec du verre, ce qui limite les possibilités de création. » Les jeunes filles prirent congé peu après. Tandis que la voiture prenait le chemin du retour, Bess mentionna le numéro du Continental et demanda à Alice si elle supposait que M. Bradshow en savait plus long qu'il ne l'avouait. « Oui, répondit Alice, je le crois. » Mise au courant des faits, Marion soupira : « Au fond, nous ne pouvons blâmer ce monsieur s'il désire gagner lui-même la récompense... Mais toi, Alice, n'as-tu découvert aucun indice qui puisse t'aider dans tes recherches? — Non, malheureusement. Malgré tout, j'ai l'intuition que le fameux vitrail se trouve quelque part dans cette région. — Penses-tu que M. Bradshow puisse déjà être sur ses traces demanda Bess. — Hélas! je n'en sais pas plus que toi. — La compétition est ouverte entre vous deux! s'écria Marion avec pétulance. J'espère que c'est toi qui gagneras! » Aux Neuf Chênes, les trois amies trouvèrent Suzanne plongée dans l'examen de dépliants vantant différents modèles d'automobiles. « J'ai un mari adorable! s'écria la jeune- femme, toute joyeuse. Il veut m'acheter une nouvelle voiture. J'hésite sur la marque à choisir. Voyons, conseillez-moi... » Après avoir discuté un moment, Bess et Marion déclarèrent que la décapotable d'Alice leur semblait parfaite. Suzanne, toujours prompte à se décider, se rallia immédiatement à leur avis. « Allons tout de suite chez un concessionnaire, dit-elle en se levant, et voyons s'il peut m'en livrer une sans attendre... » Une heure plus tard, Suzanne rentrait chez elle au volant de sa nouvelle voiture. « Je crois que j'ai battu tous les records en achetant

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une auto dans des délais aussi brefs », expliqua-t-elle en riant à Cliff lorsque, un peu plus tard, il put contempler l'acquisition de sa femme. Il fut convenu qu'Alice et ses amies pourraient se servir indifféremment de la voiture de Suzanne ou de celle de Cliff. « A une condition, cependant, déclara le jeune homme avec bonne humeur : c'est que vous ne repartirez pas d'ici sans avoir au moins trouvé la solution d'un mystère!... A propos, la Semaine Fleurie va commencer et le comité organisateur continue à déplorer que M. Honsho refuse d'ouvrir au public les portes de son parc. « Je regrette d'avoir échoué lors de ma première tentative, soupira Alice, mais peut-être trouverai-je un autre moyen pour approcher cet homme inabordable ! » Le courrier apporta une lettre de Sarah. En la lisant, Alice fronça les sourcils. Mme Brown avait encore fait des siennes ! Elle avait laissé entendre à tout le voisinage qu'Alice était partie pour ne pas avoir à payer cent dollars qu'elle lui devait... Alice ne se dérida un peu qu'en apprenant que M. Roy avait réagi vigoureusement et menacé la méchante femme de la citer en justice pour diffamation si elle continuait. Effrayée, Mme Brown avait promis de se taire. « Je me demande si elle tiendra parole, murmura Bess lorsque Alice eut fait part à ses amies du contenu de la lettre. Tu feras bien de te méfier de cette langue de vipère! » Vers la fin de l'après-midi, lorsque les trois amies eurent rejoint Suzanne et Cliff dans le patio, Alice demanda à ses hôtes s'ils avaient entendu parler d'un certain Alfred Rugby. Ils ignoraient ce nom et Cliff le chercha inutilement dans l'annuaire. « II est artiste peintre, expliqua Alice. — Dans ce cas, dit Cliff, je peux m'adresser à l'école des Beaux-Arts de la région. » Mais c'est en vain qu'il téléphona : personne ne semblait connaître Alfred Rugby. « Curieux! fit remarquer Alice. D'après sa sœur, il aurait une certaine célébrité... » Et elle rapporta aux Carr les déclarations de Mme Brown au sujet de son frère. 58

« Bah! Ne pensons plus à cet individu! décréta Bess d'un ton léger. Jouissons plutôt de cette délicieuse soirée. » Mais Alice n'arrivait pas à chasser la pensée d'Alfred Rugby de son esprit. Elle se persuadait peu à peu que c'était lui l'auteur du télégramme, signé du nom de Suzanne, qu'on lui avait envoyé. Si elle devinait juste, quel motif avait fait agir Alfred? Elle n'en voyait qu'un : l'empêcher de se rendre à Charlottesville. Mais pourquoi? « Si ce garçon est vraiment un bon à rien comme l'a dit son beau-frère, songea Alice, peut-être est-il impliqué dans quelque affaire louche. Mais comment le découvrir? » Au même moment un gong retentit dans les profondeurs de la maison. C'est toujours ainsi que Borah annonçait que le dîner était servi. Suzanne, Cliff et leurs invitées se levèrent pour passer dans la salle à manger.

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Cette vaste pièce, de style colonial, était réellement charmante. Un lustre de cristal répandait une douce clarté sur le mobilier d'acajou et faisait briller l'argenterie disposée sur la table. Borah fit son apparition, porteuse d'une énorme soupière d'argent. Elle servit les convives et se retira. Quand elle eut disparu, Suzanne sourit. « Je pourrais très bien alléger un peu le travail de Borah en remplissant moi-même les assiettes, expliqua-t-elle, mais elle ne veut pas en entendre parler. Elle insiste pour perpétuer les vieilles traditions. — C'est une perle, renchérit Cliff. Elle appartient au passé et a pris la relève de sa mère qui servait jadis mes parents. Elle l'imite en tout. » Après le potage, Borah déposa successivement sur la table du porc rôti, un ragoût de patates douces, un pudding aux raisins et des biscuits encore chauds. « Au diable mon régime! » décréta Bess avec des mines de chatte gourmande. Enfin, Borah apporta ce qu'elle considérait comme son chefd'œuvre : un gâteau aux .fraises glacées. Mais à peine venait-elle de poser le plat sur la desserte qu'elle poussa un cri perçant. Dans son émoi, c'est tout juste si elle ne renversa pas une pile d'assiettes. « Hou! là! là! » s'écria-t-elle en joignant les mains. Les convives la dévisagèrent d'un air surpris. D'un doigt tremblant, la domestique désigna une fenêtre ouverte. « Un homme..., expliqua-t-elle en mots hachés. Un homme avec des yeux méchants... Il regardait dans la pièce... Il essayait de nous jeter un sort, c'est sûr ! » Tout le monde se précipita dans le jardin sur lequel ouvrait la fenêtre en question. Il faisait trop noir pour espérer distinguer quelque chose, mais on put entendre un bruit de pas : quelqu'un s'enfuyait dans l'ombre. « Trop tard, pour pouvoir rattraper l'indiscret! bougonna Cliff. Ce doit être un rôdeur... » Alice ne dit rien. Elle se demandait si elle ne pourrait

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pas relever quelque indice qui permettrait par la suite de découvrir l'identité de l'homme. Elle rentra vivement dans la maison, monta dans sa chambre, et y prit une torche électrique. Quand elle redescendit, les autres étaient de nouveau rassemblés dans la salle à manger. Suzanne tentait de réconforter Borah en lui assurant que, sans doute, l'inconnu n'avait eu aucune mauvaise intention. Alice ressortit. Dans le jardin, elle n'eut pas de mal à repérer des traces de pas sous la fenêtre. Elle suivit les empreintes qui la conduisirent jusqu'à une allée. Soudain, le faisceau lumineux de sa lampe éclaira un petit tube de métal. Elle le ramassa et lut : « Noir (oxyde de fer) ». « Un tube de peinture! murmura la jeune détective. Cet objet a certainement été perdu par un artiste! » Et, tout de suite, deux noms s'imposèrent à elle : Marc Bradshow et Alfred Rugby. Impatiente de mettre ses amis au courant de sa trouvaille, Alice se disposa à faire demi-tour. Elle n'eut pas le temps d'achever son geste. Brusquement, quelque chose la frappa avec violence entre les épaules. Sans un cri, Alice s'écroula, inanimée.

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CHAPITRE IX LE MYSTÉRIEUX ALFRED BESS,

Marion, Suzanne et Cliff discutaient avec animation de ce qu'il convenait de faire au sujet de l'homme qui s'était introduit dans la propriété et avait regardé par la fenêtre. Borah avait fini par décrire « son horrible visage » et Suzanne était persuadée qu'il s'agissait du conducteur masqué qui avait provoqué son premier accident sur la route. a Dans ce cas, décida Cliff, je vais téléphoner à la police pour signaler l'incident. » Ce fut seulement lorsque l'effervescence générale fut un peu calmée que l'on songea au dessert abandonné et que le petit groupe s'installa de nouveau autour de la table. « Tiens! fit remarquer Marion. Alice n'est pas là! Je l'ai pourtant vue entrer dans la maison tout à l'heure! Elle doit être dans sa chambre. » 62

Mais c'est en vain qu'elle appela son amie. Marion monta alors et constata qu'il n'y avait personne à l'étage. « Alice a disparu! annonça-1-elle en redescendant. Je parie qu'elle est dehors, à essayer de relever des empreintes! — Pourvu qu'il ne lui soit rien arrivé! » murmura Suzanne. Inquiet, Cliff prit une lampe électrique et sortit. Pour commencer, il découvrit les traces de pas du visiteur nocturne et les suivit, car celles d'Alice, moins marquées, apparaissaient à côté, de loin en loin. Bientôt sa lampe éclaira le corps inanimé de la jeune fille. « Alice! » s'écria Bess qui avait rejoint Cliff avec Suzanne et Marion. Et elle s'agenouilla auprès de son amie. Au soulagement de tous, Alice ouvrit les yeux au même instant. Sa première parole fut pour demander : « Le... le tube de couleur... où est-il? » Les autres échangèrent des regards effarés. Alice avait-elle le délire? Elle les détrompa lorsque, après s'être redressée, elle expliqua ce qui lui était arrivé. « J'ai reçu un coup dans le dos. Je suis tombée en avant. Ma tête a heurté un objet dur et je me suis évanouie... » Tout en parlant, elle regardait autour d'elle. Soudain, désignant une grosse pierre, elle ajouta : « Je suis sûre que voilà le projectile qui m'a frappée. Celui qui m'a jeté cette pierre ne manquait pas de force! — C'est terrible! s'écria Suzanne. Cet homme est certainement mon chauffeur masqué! Je l'ai reconnu à la description que Borah m'en a donnée. — A mon avis, il s'agit d'un peintre, déclara Alice, après avoir expliqué qu'elle avait trouvé un tube de peinture. Mais ce précieux indice a disparu. L'homme ne m'a attaquée que pour le reprendre. Il craignait donc que ce tube ne serve à l'identifier. » Cliff et Suzanne aidèrent Alice à regagner la maison. Suzanne insista pour qu'elle se couche tout de suite. Un peu plus tard, la police arriva, suivie du médecin des Carr que Suzanne avait alerté. Le docteur Tillett examina Alice et annonça qu'elle n'était

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pas sérieusement blessée. Il avertit la jeune fille que son dos resterait douloureux plusieurs jours, mais qu'il était inutile qu'elle gardât le lit. Alice fut dispensée de parler aux policiers. Cliff avait déclaré qu'elle était souffrante et l'inspecteur ne jugea pas à propos de l'interroger. Elle n'aurait d'ailleurs pas pu dire grand-chose puisqu'elle n'avait pas vu son agresseur. En fin de soirée, lorsque Bess et Marion montèrent la rejoindre, la jeune détective soupira : « Je regrette bien la disparition de ce tube de couleur. J'aurais aimé le montrer aux policiers. — Tu soupçonnes Bradshow ou Alfred Rugby de l'avoir perdu, n'est-ce pas? dit Marion. — Oui... c'est exact. » Le lendemain matin, Alice déclara qu'elle allait relever sur une feuille de papier les empreintes de pas laissées par le visiteur nocturne. « Ensuite, expliqua-t-elle, j'irai à Fen House et je comparerai ces empreintes à celles de Marc Bradshow. Ce ne sera sans doute pas facile. J'essaierai cependant. » Bess et Marion l'aidèrent à relever les marques. Les trois amies se gardèrent de rien dire de leur projet à Suzanne et à Cliff. Elles n'oubliaient pas que le jeune ménage était lié d'amitié avec l'artiste en vitrail. Au cours de l'après-midi, Suzanne proposa la visite de demeures historiques intéressantes : celles de Thomas Jefferson et de James Monroe, qui furent tous deux présidents des États-Unis. « S'il nous reste du temps, proposa Suzanne, je vous montrerai encore quelques vieilles maisons des environs. Vous en profiterez pour interroger les gens sur votre fameux vitrail. Qui sait, peut-être pourrez-vous découvrir quelque chose? » Les trois amies acceptèrent cette offre d'enthousiasme. Elles visitèrent donc successivement la maison de Jefferson, celle de son ami Monroe, puis trois autres magnifiques domaines. Dans chacun des trois, Alice demanda aux propriétaires s'ils avaient entendu parler d'un vitrail représentant un chevalier 64

avec un paon. Par trois fois, hélas!, la réponse fut négative. « Nous n'avons pas eu de chance, constata Suzanne, et je crois que nous ferions bien de renoncer pour aujourd'hui. — C'est vrai, soupira Bess en consultant sa montre. Il est déjà tard. — Rentrons donc! » décida Suzanne. Les quatre amies avaient fait environ trois kilomètres sur le chemin du retour lorsque la cousine d'Alice s'écria soudain. « Comme je suis sotte! J'aurais dû y penser avant! — Penser à quoi? demanda Alice. — A mes amis Dowd. Ils habitent tout près d'ici. Leur propriété est splendide et Mme Dowd n'ignore rien de ce qui se passe dans le voisinage. Si le vitrail que vous cherchez se trouve aux environs de Charlottesville, vous pouvez être sûres que cette dame le saura. — Dans ce cas, allons vite la voir! » demanda Alice dont l'espoir renaissait. Suzanne prit une route secondaire et s'arrêta bientôt

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devant une villa en briques, peinte en blanc. Par bonheur, Mme Dowd — une femme d'une cinquantaine d'années — était chez elle. Elle accueillit Suzanne avec un plaisir évident. « Quel bon vent vous amène, ma chérie?... Et quelle excellente idée de me procurer la joie de connaître ces charmantes jeunes filles! ajouta-t-elle lorsque Suzanne lui eut présenté les trois amies. Entrez, entrez, mes petites. Si vous saviez comme je suis heureuse de votre visite ! » Elle semblait être une intarissable bavarde et ne laissa pas à Alice la possibilité de placer une seule parole. Elle se mit à parler de River City et de trois ou quatre personnes qu'elle connaissait dans cette ville. A la fin, remarquant l'expression déçue de ses compagnes, Suzanne interrompit le déprimant monologue. « S'il vous plaît, madame Dowd, je crois que ma cousine aimerait vous poser quelques questions. Allez, ma chère, allez! s'écria Mme Dowd, encourageante. Que désirez-vous savoir? Alice parla du vitrail et, à sa grande joie, l'hôtesse répondit avec enthousiasme : « Vous avez bien fait de vous adresser à moi. Je crois pouvoir vous mener tout droit à la récompense. Dans mon propre grenier, il y a, empilés dans un coin, tous les éléments d'un vitrail que je ne me suis jamais soucié de reconstituer. Je sais qu'il est très ancien, mais j'ignore ce qu'il représente. Voulez-vous que nous montions? » Les visiteuses la suivirent avec empressement. Au grenier, elles trouvèrent en effet les morceaux d'un vitrail. Elles se mirent à genoux à même le plancher et s'efforcèrent d'effectuer l'assemblage. Très animée, Mme Dowd se joignit à elles... Hélas! au bout d'un moment, il fallut bien se rendre à l'évidence : ce vitrail-là ne représentait pas le chevalier au paon. Déçues, les jeunes filles se relevèrent et remercièrent la maîtresse de maison de sa complaisance. Mme Dowd ne voulut pas qu'elles remettent en place le puzzle inachevé. Elle se proposait de le compléter elle-même... Le chemin du retour passait devant F en House. Alice, qui 66

Ce vitrail-là ne représentait pas le chevalier au paon.

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avait glissé dans son sac le relevé des empreintes de pas, se décida soudain : « Suzanne, si cela ne t'ennuie pas, veux-tu que nous nous arrêtions ici un instant? J'ai quelque chose à demander à M. Bradshow. — Volontiers », répondit Suzanne, obligeante. Comme lors de la première visite des jeunes filles^ la porte de l'atelier était ouverte. En apercevant la voiture, Marc Bradshow sortit pour accueillir ses visiteuses. « Suzanne! s'écria-t-il avec ravissement. Comme je suis heureux de vous voir... vous et vos amies! » Les promeneuses mirent pied à terre et entrèrent dans le vaste studio. Un homme d'une trentaine d'années se tenait debout près du banc sous lequel Alice avait aperçu le fameux exemplaire du Continental. Il avait une silhouette trapue, des cheveux noirs et des yeux petits et très brillants. Marc Bradshow lui fit signe d'approcher. « Permettez-moi, dit-il aux quatre amies, de vous présenter mon nouvel assistant. Voici une semaine environ qu'il travaille avec moi... Il s'appelle Alfred Rugby. »

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CHAPITRE X UN SUSPECT QUI A MAUVAIS CARACTÈRE

le nom d'Alfred Rugby, Bess fut tellement surprise qu'elle tressaillit et laissa échapper une faible exclamation. Le jeune homme la regarda d'un air méfiant tout en s'approchant pour les présentations. « Excusez-moi, dit Bess en recouvrant son sang-froid. J'ai entendu parler de M. Rugby comme d'un artiste réputé. Je suis un peu impressionnée de le rencontrer aujourd'hui. » Marc Bradshow parut étonné mais ne fit aucun commentaire. Alfred Rugby serra la main des visiteuses. « Enchanté, murmura-t-il. Je me demande qui a pu vous parler de moi comme d'un grand artiste. La personne en question a dû confondre avec M. Bradshow. Lui est, en effet, célèbre. Personnellement, je ne suis que son élève. » Cependant, Alice se réjouissait tout bas d'avoir enfin découvert le frère de Mme Brown. EN ENTENDANT

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« Premier objectif, songeait-elle, comparer le relevé des empreintes aux semelles des souliers de ce garçon-là ! » Elle avait remarqué que Rugby avait échangé ses chaussures de ville contre une paire de pantoufles pour être plus a l'aise. Ah! Si seulement elle pouvait regarder de près les souliers de M. Bradshow et ceux de son élève-assistant! Mais comment faire? Elle ne pouvait tout de même pas entreprendre de fouiller l'atelier sous leurs yeux... Soudain, une idée lui vint. « Savez-vous, dit-elle à l'artiste, que je m'intéresse beaucoup à la fabrication des vitraux? Je me demande si vous accepteriez de me donner quelques leçons pendant mon séjour chez ma cousine ? » Marc Bradshow eut l'air surpris et ne répondit pas tout de suite. En revanche, Alfred Rugby déclara tout net : « M. Bradshow est un homme très occupé, vous savez. Il ne dispose pas de grands loisirs. » Alice craignit un instant que l'artiste, influencé par la déclaration de son assistant, ne repousse sa requête. Mais Suzanne vint à la rescousse. Souriante, elle se tourna vers le maître verrier. « Ne croyez pas qu'Alice soit une débutante, expliqua-t-elle. Elle a suivi des cours de dessin et de décoration. — Fort bien. Dans ce cas, je serai heureux de lui donner quelques notions pratiques sur notre art. Voyons... elle pourrait venir demain matin pour commencer... » Alice était enchantée. Non seulement elle s'instruirait sous la direction d'un grand artiste, mais elle arriverait peut-être à découvrir qui était en réalité le frère de Mme Brown. « Si c'est un vaurien, songeait-elle, je m'étonne que M. Bradshow en ait fait son assistant. A moins que... que les deux hommes ne soient complices! Mais non! Cela semble impossible... » Tout haut, elle répondit : « Je vous remercie mille fois... Entendu, je serai ici demain, à dix heures. » En parlant, Alice s'était rapprochée de l'artiste et, plaçant son pied près du sien, se livra mentalement à une rapide

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estimation. Bradshow avait le pied presque aussi étroit que celui d'Alice. On pouvait l'éliminer comme suspect. Elle répéta la manœuvre auprès d'Alfred Rugby et alors son cœur se mit à battre : les empreintes de ses semelles devaient sensiblement se rapprocher de celles laissées dans le jardin des Carr par le visiteur nocturne. Elle se promit de vérifier à la première occasion. Tandis que Marc Bradshow montrait à Suzanne et à ses amies un dessin de vitrail qu'il était en train de découper, Alfred Rugby saisit Bess par le bras et la prit à part. Il lui souffla alors à l'oreille : « Je vous préviens, mademoiselle. Il vaut mieux que votre camarade renonce à ses leçons. Mme Bradshow est très exclusive et ne supporte pas que son mari prenne des élèves. Cela pourrait soulever des difficultés et... » Il dut s'interrompre, car le maître verrier de céans se tournait soudain vers lui. « Alfred, montrez-nous donc comment on coupe le verre. L'opération intéressera certainement ces demoiselles... » Alfred obéit... Quelques instants plus tard, les quatre visiteuses prenaient congé des deux hommes et repartaient en voiture. « Dis-moi, Bess, s'enquit alors Alice, qu'est-ce que Rugby te racontait tout à l'heure? Je l'ai aperçu du coin de l'œil. Il te parlait avec animation. — Tu ne devinerais jamais! expliqua Bess en riant. Il me laissait entendre que Mme Bradshow serait fâchée si tu prenais des leçons avec son mari. — Ça, par exemple! s'exclama Alice, stupéfaite. — Quelle sottise! s'écria presque en même temps Suzanne. Je connais fort bien Patricia Bradshow. C'est la femme la plus exquise que l'on puisse rencontrer. Elle n'est pas exclusive du tout et ne trouvera certes rien à redire si tu deviens l'élève de son époux, Alice ! — Tiens, tiens! murmura celle-ci toute pensive. Il semble donc qu'Alfred ait menti. Dans ce cas, quel est son but? M'empêcher de venir à l'atelier, parbleu! — Mais pourquoi? » demanda Suzanne.

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Alice lui fit alors part de ses soupçons : c'était sans doute Rugby qui l'avait attaquée la veille. « Et je suis bien résolue à le démasquer! assura-t-elle en conclusion. — J'ai peur qu'il ne soit dangereux! avança Bess. Tu ferais peut-être mieux de te tenir tranquille. — C'est aussi mon avis, opina Suzanne. Renonce à tes leçons, Alice. Si Rugby est bien le personnage que tu crois, tu risques de t'attirer des ennuis en insistant. » Mais Alice ne voulut rien entendre. « M. Bradshow sera avec moi dans l'atelier. Je serai à l'abri de tout danger! » Le lendemain matin, donc, elle emprunta la voiture de sa cousine et se rendit à Fen House comme convenu. Elle trouva Alfred Rugby occupé à découper du verre. Il se contenta de la saluer d'un bref signe de tête et ne quitta pas son travail. En revanche, M. Bradshow accueillit cordialement l'arrivante.

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« Bonjour, Alice! J'ai pensé que le meilleur moyen de vous initier à l'art du vitrail était de commencer par créer des motifs. Vous allez vous essayer à en dessiner quelques-uns, selon votre fantaisie. Je vous dirai alors s'ils sont ou non exécutables en verre et s'ils peuvent se prêter à l'assemblage au plomb. » Il conduisit sa nouvelle élève à une table, lui donna une blouse, du papier et des crayons, puis retourna à son propre travail. Après quelques minutes de réflexion, la jeune fille commença à faire une esquisse de son chien Togo sur un fond fleuri. Peu satisfaite du résultat, elle s'appliqua ensuite à interpréter un sujet religieux... Sans en avoir l'air, Alfred Rugby ne cessait de la surveiller. Elle s'en rendait parfaitement compte. Il se levait sous le moindre prétexte pour venir jeter un coup d'œil par-dessus son épaule. On aurait dit qu'il voulait lui dire quelque chose, mais qu'il n'osait pas. Quand Alice eut terminé, Marc Bradshow examina son œuvre. Avec un sourire encourageant, il déclara qu'elle avait un talent certain, mais qu'aucun de ses dessins ne pouvait être utilisé pour la création d'un vitrail. « Voyez-vous, expliqua-t-il, les personnages et les animaux doivent être en général représentés de profil. C'est préférable si l'on désire que la lumière les mette bien en valeur. Question de technique. Allons, essayez encore quelques esquisses. » Alice prit une nouvelle feuille de papier. Elle entreprit cette fois de dessiner un paon en train de faire la roue. Elle se disait que, lorsque M. Bradshow et Rugby le verraient, ils trahiraient peut-être un intérêt anormal qui constituerait pour elle un indice. D'instinct, la jeune détective avait donné à l'oiseau les dimensions qu'elle supposait être celles du paon sur le vitrail perdu. Quand elle eut terminé, elle se disposa à montrer son dessin à Marc Bradshow. Au même instant, l'artiste quitta l'atelier en déclarant qu'il allait chercher une fleur dont il avait besoin pour certain motif décoratif.

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« Comment trouvez-vous ce paon? » demanda Alice.

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« Je n'en ai pas pour longtemps », annonça-t-il en sortant. Alice espéra que Rugby suivrait son maître et qu'elle aurait ainsi la possibilité de regarder de près ses chaussures, rangées sous un tabouret. Mais, s'il se leva, ce fut seulement pour venir près d'elle. « Comment trouvez-vous ce paon? demanda Alice qui était satisfaite cette fois de son travail. — Affreux, répondit Rugby, plein d'agressivité. Vous devriez avoir honte de faire perdre son temps à M. Bradshow. Vous n'avez aucun talent, c'est évident. » Alice, d'abord déconcertée par cette critique outrée, se ressaisit très vite et se dit que ce garçon essayait sans doute de la décourager pour qu'elle ne remette plus les pieds à Fen House. Ce fut donc d'une voix calme qu'elle répondit : « Je demanderai à M. Bradshow s'il est du même avis que vous. C'est son opinion qui importe. » Les yeux d'Alfred Rugby parurent soudain lancer des éclairs... Avant qu'Alice ait pu l'en empêcher, il arracha le dessin qu'elle tenait à la main, le roula en boule et le jeta avec force à l'autre bout de l'atelier. La feuille froissée retomba dans l'âtre d'une vaste cheminée, au milieu des cendres et de bûches à moitié calcinées.

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CHAPITRE XI VISITEURS INATTENDUS

osez-vous! s'écria Alice indignée. Vous n'avez pas le droit de détruire mon dessin. — Si je ne l'ai pas, je le prends, riposta Rugby avec insolence. Il faut bien que quelqu'un se charge de vous faire comprendre que votre présence ici est inopportune!» Tout en continuant à manifester sa colère, la jeune fille songeait qu'en somme Alfred s'était trahi : si la vue du paon ne l'avait pas bouleversé, jamais il n'aurait réagi avec autant de violence. « Peut-être même, se dit-elle, croit-il que j'en sais long sur cette histoire de vitrail perdu ! » Habilement alors, Alice fit mine de se calmer. « Au fond, déclara-t-elle, vous avez peut-être raison, monsieur COMMENT

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Rugby. Mais pour me perfectionner, il faudrait que j'aie des modèles sous les yeux. Voulez-vous me montrer quelques-uns de vos dessins personnels? — Je veux bien, répondit Rugby d'un ton dédaigneux, quoique cela ne vous servira pas à grand-chose. Pour réussir, il faut avoir le don... » D'un air suffisant, il étala sous les yeux d'Alice un grand nombre de croquis qu'elle jugea très médiocres. Il était évident que M. Bradshow n'avait engagé Rugby que pour découper le verre ou fondre le plomb. Lui-même devait se réserver la partie créatrice de son œuvre. Quand Alice eut passé en revue tous les dessins d'Alfred, elle se sentit déçue. Pas le moindre indice dans ce fatras ! Rien qui représentât des chevaliers, des chevaux, des boucliers et des paons comme elle l'avait vaguement espéré. Marc Bradshow revint sur ces entrefaites, quelques fleurs à la main. Il se mit à les dessiner, tandis qu'Alice commençait une nouvelle esquisse. Cette fois, elle représenta sa cousine Suzanne parmi les rosés de son jardin. Son effort reçut sa récompense avec ce commentaire du maître : « Très bien, Alice. Voilà qui est excellent. Vous avez compris ce qu'il fallait faire... Oui, je crois qu'à partir de ce dessin nous pourrons exécuter un joli vitrail. » Du coin de l'œil, Alice guettait Alfred Rugby. Rouge comme une pivoine, il jetait des regards furieux dans sa direction. « Je suis contente que cet essai vous plaise, déclara tout haut la jeune fille (et c'était comme un défi qu'elle lançait à son adversaire). — La femme que vous avez représentée est Suzanne Carr, n'est-ce pas? demanda Marc Bradshow. — Oui, dit Alice en rougissant de plaisir. Et si vraiment vous pouvez m'aider à exécuter un petit vitrail à partir de ce dessin, j'en ferai cadeau à ma cousine. — Entendu. Nous commencerons demain matin. A présent, il est midi passé. Je vais fermer l'atelier et vous rendre votre liberté. »

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Alfred Rugby ôta ses pantoufles et remit ses chaussures. Alice soupira en songeant qu'elle n'avait pas eu la possibilité d'examiner ses semelles ainsi qu'elle le désirait. Mais, une fois dehors, l'espoir lui revint. Marc Bradshow ferma son atelier à clef et Rugby prit congé de ses compagnons. Or, le gros garçon ne partit pas en suivant l'allée principale : il s'engagea dans un petit sentier de terre meuble où ses souliers laissèrent des empreintes merveilleuses. Alice s'en aperçut et dissimula un sourire de satisfaction. Ces empreintes seraient aussi éloquentes que les semelles. Cependant, comme elle ne voulait pas laisser deviner ses soupçons à Marc Bradshow, elle ne put examiner sur-le-champ les traces de pas. « Je reviendrai à la nuit, se dit-elle, et je comparerai alors ces marques avec celles dont j'ai le relevé dans ma poche. » Elle songea aussi qu'au cas où elle serait surprise il lui faudrait un prétexte pour expliquer sa présence sur les lieux. Sans être vue de Marc Bradshow, elle ouvrit donc son sac et prit son poudrier d'argent qu'elle laissa choir dans un massif de fleurs. L'artiste l'accompagna jusqu'à la voiture et lui souhaita bon retour. « A demain ! » dit Alice en souriant. A peine arrivée aux Neuf Chênes, elle se trouva assaillie par Suzanne', Bess et Marion qui étaient impatientes de connaître les détails de sa matinée. Elle leur raconta tout ce qui s'était passé à l'atelier... et au-dehors. « Ce soir, je repartirai là-bas chercher mon poudrier », annonçat-elle en conclusion avec un léger rire. Ses trois amies échangèrent alors des regards complices. « Tu n'iras pas seule, annonça enfin Bess d'un air malicieux. Tu bénéficieras d'une escorte inattendue, ma chère. — Que veux-tu dire, Bess? » Ce fut Marion qui expliqua que, peu après le départ d'Alice, Ned Nickerson avait téléphoné. Avec Bob Eddleton et Daniel Evans, qui étaient des amis de Bess et de Marion, il allait partir pour Charlottesville. Les trois jeunes gens étaient

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étudiants à l'université d'Emerson et faisaient partie de l'équipe de football. Leur déplacement était motivé par une conférence sportive. Alice parut ravie. « Mais c'est merveilleux! s'écria-t-elle. Et tu penses que nos camarades seront là dans la soirée? — Oui. Suzanne les a invités à dîner. Si tu dois retourner à Fen House pour voir ces empreintes, Alice, je suis sûre que Ned ne voudra pas que tu y ailles seule. — J'en suis certaine moi aussi », déclara Alice en riant. Lorsque la jeune détective s'habilla un peu avant l'heure du dîner, elle passa une robe couleur bleu de nuit et chaussa des sandales à semelles silencieuses. Elle estimait qu'ainsi vêtue elle aurait plus de chances de passer inaperçue au cours de sa petite expédition nocturne. A sept heures, les trois garçons arrivèrent en taxi. Suzanne, qui ne les avait encore jamais rencontrés, s'avança à leur rencontre.

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« Oh! oh! s'exclama-t-elle plaisamment. La fine fleur de l'université d'Emerson, à ce que je constate! — Voici Ned, pour commencer! » annonça Alice en faisant les présentations. Ned était un grand jeune homme brun, aux yeux sombres, bâti en athlète. Daniel Evans, l'ami de Bess, le suivait. Il avait lui aussi des cheveux bruns, mais ses yeux étaient verts. Bob Eddleton, camarade favori de Marion, était moins grand que les deux autres. Moins élancé aussi, il était blond avec les yeux bleus. Quand les présentations furent terminées, Ned attira Alice un peu à l'écart. « Est-ce que je t'ai manqué? demanda-t-il gentiment. — Bien sûr! » répondit Alice, qui ajouta avec malice : « Mais j'ai été très occupée avec Marc Bradshow. — Qui est-ce? — Je t'expliquerai plus tard... Voici Cliff, le mari de Suzanne, qui rentre de son travail... Viens vite. » On procéda à de nouvelles présentations, puis Borah annonça que le repas était servi. Au cours du dîner, il fut surtout question de sport. Cliff s'intéressait beaucoup aux prouesses des jeunes représentants de l'équipe de football d'Emerson et ne se lassait pas d'interroger les trois garçons. Ce fut seulement au dessert que Ned réclama des explications au sujet du mystère qu'Alice essayait d'éclaircir. « II n'y a pas qu'un mystère, coupa Marion. Il en existe plusieurs. )) Les jeunes filles firent alors le récit de toutes les péripéties qu'elles avaient vécues. Ned eut l'air soulagé en apprenant qui était au juste Marc Bradshow. En revanche, il manifesta une vive émotion en écoutant les détails de l'agression dont Alice avait été victime. « Si jamais je mets la main sur ce sale individu..., murmura-t-il d'un ton féroce. — Tu n'auras même pas le temps de le chercher, fit remarquer

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Daniel. N'oublie pas que nous devons rentrer demain, sitôt après la conférence. » Alice expliqua alors à Ned qu'il pouvait l'aider dans son enquête le soir même. « Parfait, acquiesça Ned quand il fut au courant de l'expédition projetée. Quand partons-nous? — Attendons la nuit. Je suppose que vers onze heures les habitants de Fen House seront endormis... » Les deux jeunes gens se mirent donc en route un peu avant l'heure prévue. Arrivés à destination, Ned gara la voiture dans l'ombre. Puis, prenant le bras de son amie, il remonta l'allée de la propriété des Bradshow. Alice et Ned passèrent devant la maison principale dont la façade était obscure. Un peu avant d'arriver à l'atelier, Alice s'arrêta. « Attends-moi ici, Ned. C'est préférable. » Ned se résigna à obéir. Son ombre se fondit avec celle d'un arbre. Alice continua son chemin. Elle se trouva bientôt devant l'atelier. Déjà la jeune détective s'apprêtait à retirer de son sac sa lampe de poche et les empreintes qu'elle avait relevées sur un papier lorsqu'un événement inattendu se produisit : un bruit furtif lui parvint. Il lui sembla que quelqu'un se déplaçait avec précaution à l'intérieur- du bâtiment. Et soudain, par la fenêtre de l'atelier, un faisceau lumineux jaillit sur elle.

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CHAPITRE XII ALICE EN DANGER n'eut que le temps de se rejeter en arrière, dans l'ombre. L'avait-on aperçue? Non... La personne qui se trouvait dans l'atelier ne faisait pas mine de sortir. La jeune fille fut tentée de revenir sur ses pas pour alerter Ned. Puis elle pensa qu'en son absence le mystérieux inconnu pouvait fort bien s'en aller et qu'alors elle ne saurait pas de qui il s'agissait. Avec prudence, elle se glissa donc vers la fenêtre. « Ce doit être un voleur », songeait-elle. Cependant, la lumière avait disparu. Tout était obscur. Un silence total régnait alentour. D'interminables secondes s'écoulèrent. « Il va bien falloir qu'un de nous deux bouge le premier », se dit Alice très ennuyée. Au même instant la lumière reparut. Alice tendit le cou au risque d'être découverte et regarda à travers la vitre. Une exclamation faillit alors lui échapper : « Alfred Rugby ! » ALICE

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Que pouvait-il faire là, à cette heure indue? Elle l'observa, tandis qu'il se déplaçait sans bruit. Elle était bien convaincue qu'il se trouvait dans l'atelier à l'insu de Marc Bradshow. Sinon, il aurait allumé les lampes de la pièce. Elle le vit soudain s'arrêter devant la cheminée et se baisser pour ramasser un papier froissé parmi les cendres. « Le croquis du paon que j'ai fait ce matin! » murmura Alice, stupéfaite. Rugby, cependant, à la lumière de la lampe de poche qu'il avait posée sur une table, défroissait la feuille et la lissait du plat de la main. Puis il se mit à étudier attentivement le dessin. La jeune détective se demanda pourquoi. Au bout d'un moment, Rugby plia le papier et le plaça dans un porte-document. Après quoi, le porte-document sous le bras, il se dirigea vers la sortie. Alice s'inquiéta. Une fois dehors, quelle direction Alfred Rugby allait-il prendre? « S'il est venu en voiture, songea-1-elle, il a dû se garer un peu plus loin sur la route, car Ned et moi nous n'avons remarqué aucune auto en stationnement. » Pour n'être pas vue, la jeune fille se recula au centre d'un bosquet. Elle aurait bien aimé pouvoir prévenir Ned. Mais cela lui était impossible. Elle fit mentalement des vœux pour que Rugby ne surprenne pas Ned qui ne se doutait de rien. Le frère de Mme Brown, cependant, était sorti de l'atelier et refermait avec soin la porte derrière lui. Alors, au grand étonnement d'Alice, au lieu de prendre l'allée principale ou même l'un des chemins secondaires conduisant à la route, il se dirigea sans hésiter vers le bois à droite de l'atelier. « Ça, par exemple! murmura-t-elle. Je me demande bien où il va! » Résolue à en avoir le cœur net, elle se faufila à sa suite. Il ne lui fut pas difficile de garder le contact. Rugby ne marchait pas très vite et la lueur de sa torche, qu'il tenait dirigée vers le sol, éclairait fort bien le sentier serpentant à travers 83

les arbres. La seule crainte d'Alice était de faire craquer une brindille sèche sous ses pieds. Aussi marchait-elle à une distance raisonnable de son « gibier ». Rugby, du reste, ne se retourna pas une seule fois. « Il n'a pas l'air de se douter de ma filature, songea la jeune détective. Espérons qu'il en sera de même jusqu'au bout. » Arrivé' à une bifurcation du chemin, Rugby tourna sur la gauche pour atteindre bientôt la rive d'Eddy Run. Il posa son porte-document à terre, le temps d'allumer une cigarette. Puis il se dirigea vers un canoë dont la masse obscure se confondait avec l'ombre de la berge. Il poussa l'embarcation à l'eau et monta dedans. Après quoi, ayant déposé une fois de plus son précieux portedocument à ses pieds, il empoigna une pagaie et partit en direction d'Ivy Hall et de Cumberland. « Sans doute habite-t-il de ce côté-là », se dit Alice qui ne l'avait pas quitté des yeux. Comme il lui était désormais impossible de continuer sa filature, elle revint sur ses pas. Se guidant maintenant avec sa propre torche, elle marchait, les yeux au sol, attentive au moindre détail du parcours. Elle n'oubliait pas qu'elle était revenue à Fen House dans la seule intention de comparer les empreintes de Rugby à celles de l'individu qui l'avait attaquée dans le jardin des Carr. Soudain, à l'endroit où le sentier bifurquait, elle remarqua une empreinte plus petite que les autres. « Parfait! » murmura-t-elle. Elle prit dans son sac l'empreinte en papier et, s'accroupissant, elle la posa sur la marque laissée par Alfred Rugby. « Magnifique! s'exclama-t-elle alors à mi-voix. Tout concorde! La longueur comme la largeur ! » Son premier enthousiasme passé, Alice réfléchit. Elle se rendait compte que, finalement, il était malaisé d'identifier un suspect uniquement d'après la pointure de ses souliers. Par malchance, les chaussures que portait Alfred Rugby

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ce soir-là avaient des semelles lisses. Au contraire, celles de l'homme qui avait lancé une pierre à Alice présentaient un petit cercle au milieu du talon. « C'est égal, murmura Alice. Je suis persuadée que mon agresseur et Alfred ne font qu'un! Il faut à tout prix que je glane le plus de renseignements possible sur Rugby afin de prouver sa culpabilité... ou son innocence! » La jeune détective prit la peine de relever l'empreinte laissée par le Irère de Mme Brown, puis elle rangea dans son sac ses précieux papiers et se releva. « Allons, se dit-elle encore. Il est temps que j'aille retrouver Ned. Le pauvre garçon doit commencer à trouver le temps long. » Elle se remit en marche. Soudain, le silence profond qui régnait dans le bois fut troublé par l'aboiement frénétique d'un chien. Alice frissonna. Aucun doute : l'animal l'avait flairée et était à sa recherche. A sa voix, elle devina qu'il s'agissait d'un

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très gros chien... et sa manifestation bruyante n'avait rien d'amical. Elle l'entendit qui se rapprochait. Que faire? Très inquiète, Alice se précipita en avant. Puis elle pensa qu'il était vain d'espérer distancer l'animal. Elle décida alors de chercher refuge sur un arbre. Promenant la lumière de sa torche autour d'elle, elle avisa un jeune chêne, de taille moyenne, qu'elle n'aurait sans doute pas grand mal à escalader. Elle commença à grimper. Juste à temps... Elle atteignait la première fourche lorsqu'un énorme doberman arriva en bondissant. Furieux, il se dressa contre le tronc de l'arbre en aboyant. « Allez coucher! Va-t'en! » commanda Alice. Et, dans l'espoir d'effrayer le chien, elle lui envoya la lumière de sa lampe dans les yeux. Mais son adversaire à quatre pattes ne se laissa pas intimider. Il se mit à monter la garde au pied du chêne, sans cesser de gronder sourdement. Cinq minutes s'écoulèrent ainsi. Alice commença à s'impatienter. Elle se demandait combien de temps il lui faudrait rester là, prisonnière sur sa branche, dans une position inconfortable. « Drôle d'heure pour jouer à chat perché! » songea-t-elle en essayant de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Soudain, le chien s'arrêta de gronder. Cela ne dura que quelques secondes, mais l'interruption fut suffisante pour permettre à Alice d'entendre un bruit de pas. Quelqu'un arrivait en courant... « Le propriétaire du chien, sans doute », pensa Alice. Pour le guider et être délivrée plus tôt, elle agita sa torche. Soudain, une silhouette humaine émergea de l'ombre. Alice l'identifia aussitôt. C'était... Ned Nickerson! La jeune fille s'empressa de crier un avertissement : « Attention, Ned! Le chien! » Jusqu'alors, uniquement préoccupé de surveiller sa proie, le dobermann n'avait pas entendu arriver le garçon. Il l'aperçut tout à coup et, d'une brusque détente, lui bondit dessus.

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Mais Ned était un sportif accompli et il évita le choc en faisant un saut de côté. Puis, d'une étreinte de fer, il empoigna le chien par son collier et le tint à distance. L'animal, à demi étranglé, se débattit de toutes ses forces pour se dégager. Mais Ned ne le lâchait pas. Le chien aboyait, gémissait et essayait de mordre. Les deux antagonistes tournaient en rond, Ned maintenant sa prise, la bête se démenant comme un diable. « Prends garde, Ned, je t'en prie! » ne cessait de répéter Alice, peu rassurée quant à l'issue du combat. Soudain, couvrant les grognements du chien, une voix d'homme s'éleva sous le couvert. « Prince! Arrête! » Puis la même voix, glaciale, interpella Ned : « Et vous, jeune vaurien, que faites-vous ici? »

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CHAPITRE XIII LA MAISON HANTÉE L'HOMME

qui parlait ainsi parut soudain. Il portait une lampe électrique. Alice, en le reconnaissant, faillit dégringoler de son perchoir : c'était Marc Bradshow. Mâchoires serrées, le regard dur, il se dressait devant Ned qui tenait toujours le chien par son collier. Alice n'ayant pu retenir une légère exclamation, l'artiste leva les yeux et l'aperçut. « Miss Roy! Qu'est-ce que tout cela signifie? » demanda-t-il en prenant le doberman par le collier que Ned lâcha aussitôt. L'animal se calma sur-le-champ et se frotta contre son maître. Alice s'empressa d'expliquer : a Voilà comment les choses se sont passées... Mais, avant tout, permettez-moi de vous présenter mon ami Ned Nickerson. Ned, voici M. Bradshow que tu connais déjà de réputation. »

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Marc Bradshow fit un bref signe de tête, mais ne tendit pas la main à Ned. Il attendait la suite. « Je suis confuse de me trouver la nuit dans votre propriété, reprit Alice, mais j'ai perdu mon poudrier en argent chez vous ce matin et je suis revenue le chercher. S'il avait plu, il aurait pu s'abîmer. Tout à coup, votre chien est arrivé sur moi en courant. J'ai fui droit devant moi, puis j'ai grimpé à cet arbre pour lui échapper. Ned m'attendait à quelque distance. Quand il a vu que je tardais à le rejoindre, il s'est inquiété et a suivi ma trace jusqu'ici. C'est tout, monsieur Bradshow... J'aimerais bien descendre maintenant. Voulez-vous tenir votre chien, s'il vous plaît? » L'artiste ordonna à l'animal de se tenir tranquille mais son visage conservait son expression sévère. Alice abandonna son refuge et s'excusa gentiment. « Je vous en prie, ne m'en veuillez pas de cette petite séance nocturne. Ned et moi, nous sommes désolés de vous avoir dérangé. A présent, nous allons partir. A demain matin, n'est-ce pas? » Marc Bradshow ne se détendit pas pour répondre : « Nous oublierons l'incident, Miss Roy. Mais je serai trop occupé ces jours prochains pour avoir le temps de continuer à vous donner des leçons. Plus tard, peut-être... » Alice ne se fit aucune illusion : c'était là un congé définitif. Furieuse contre elle-même de s'être laissé surprendre, elle suivit l'artiste et Ned le long du sentier. Même la découverte du poudrier dans un buisson, près de l'atelier, ne ramena pas un sourire sur les lèvres de l'artiste. Alice, qui avait espéré que cette preuve de sa bonne foi aurait fait revenir le maître verrier sur sa décision, se sentit fort déçue. « Ce type-là n'est pas très sociable! commenta Ned un peu plus tard, sur le chemin du retour. — Peut-être a-t-il appris que j'aimais résoudre des mystères... et il a jugé déplaisant que je vienne fouiner chez lui », soupira Alice. Aux Neuf Chênes, les deux jeunes gens .trouvèrent leurs amis s'amusant à des jeux divers. Tous riaient comme des fous. Devant la mine piteuse d'Alice, les rires redoublèrent. Taquin, Bob feignit de lire un article de journal : 89

« Alice Roy, la célèbre détective, jouant à chat perché avec un chien au milieu de la nuit. — Si j'avais su, je ne vous aurais rien dit! s'écria Alice, mifigue mi-raisin. — Bah! Mieux vaut rire de ta mésaventure que d'en pleurer, assura Bess consolante. Au fond, nous te plaignons, tu sais! » Alice recouvra bientôt son entrain. Les trois garçons ne partirent qu'à une heure du matin. Il fut décidé que tout le monde se retrouverait dans quelques jours à Emerson, pour le Bal du Printemps. Le lendemain, Alice guetta le passage du facteur, à la grille du jardin. « Bonjour! dit-elle en l'apercevant. Je suis Miss Alice Roy. Avez-vous une lettre pour moi? J'en attends une de River City. — Oui, la voici. Mais vous n'êtes pas la seule à recevoir du courrier de River City, ma petite demoiselle. Il y a quelqu’un d'autre dans le coin... » Subitement intéressée, Alice dressa l'oreille. « Je parie que vous voulez parler d'Alfred Rugby? lança-t-elle. — Tiens! Vous le connaissez? — Heu... oui. Les lettres qu'il reçoit doivent venir de sa sœur, Mme Brown. C'est une de nos voisines à River City. » Constatant que le facteur était bavard, la jeune détective s'employa à le faire parler. Elle apprit ainsi que son suspect n° 1 habitait une petite ferme, sur la route d'Uplands. « II y est seulement locataire, expliqua le facteur. Sa logeuse est une veuve, Mme Paget. » Là-dessus le brave homme s'en alla et Alice réfléchit : elle avait suivi la route d'Uplands la veille et elle se rappelait fort bien que l'endroit était loin d'Eddy Run. En fait, la ferme de Mme Paget se trouvait dans la direction opposée à celle que Rugby avait prise le soir précédent. a Où donc pouvait-il aller à une heure pareille? se demanda Alice, intriguée. Il faut que j'interroge Mme Paget! » Elle ouvrit alors la lettre que le facteur venait de lui remettre et qui venait de M. Roy. Celui-ci annonçait à sa fille que Mme Brown

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avait cessé de répandre des calomnies sur son compte, mais qu'elle n'avait pas renoncé à persécuter le pauvre M. Ritter dans l'espoir de lui soutirer cent dollars. M. Roy ajoutait que si Alice pouvait obtenir quelques renseignements à Charlottesville, soit sur Mme Brown, soit sur son frère, cela pourrait servir. Alice, plongée dans ses réflexions, revint à pas lents vers la maison. Elle distribua à ses amies le courrier que le facteur lui avait remis pour elles, puis elle leur communiqua les nouvelles données par son père et leur apprit enfin qu'elle avait découvert où habitait Alfred Rugby. « J'irai me rendre compte sur place à la première occasion », déclara-t-elle.

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II ne pouvait être question que la jeune détective reprît ses investigations ce jour-là. Suzanne avait organisé une petite réception en l'honneur des trois amies pour ce même soir et elle avait besoin de sa voiture pour faire des- courses dans la journée. Alice ne pouvait pas davantage emprunter la voiture de Cliff qui était déjà parti avec pour son travail. « Tant pis, dit Alice à Bess et à Marion. De toute façon, il nous faut aider Suzanne dans ses préparatifs. » Au repas de midi, Cliff annonça que, lui aussi, avait fait du bon travail de détective. .« Vous m'aviez demandé l'autre jour, Alice, d'essayer de me renseigner au sujet d'une famille Greystone qui aurait résidé dans la région. Je me suis mis en rapport avec un historien local et il m'a assuré qu'aucun Greystone venant d'Angleterre n'avait mis les pieds dans le pays vers l'époque qui vous intéresse, c'est-à-dire 1850. J'ai bien peur que vous ne trouviez pas votre vitrail au paon dans le secteur! — Je vous remercie, répondit Alice en souriant. Mais je n'abandonne pas encore tout espoir. » Les invités de Suzanne devant arriver vers huit heures, les jeunes filles s'habillèrent un peu avant. Alice, prête la première et vêtue de la jolie robe verte que Sarah lui avait conseillé d'emporter, se prépara à descendre au rez-de-chaussée. En passant devant la chambre de sa cousine, elle entendit celle-ci dire à son mari : « Patricia Bradshow a téléphoné tout à l'heure pour dire qu'elle et Marc ne viendraient pas ce soir. Elle ne m'a fourni aucune explication. Je me demande s'ils ne sont pas fâchés à cause de l'histoire d'Alice... » Cliff répondit quelques mots à voix basse et Alice, rouge de confusion, s'éloigna rapidement. Elle était très ennuyée à la pensée que, à cause d'elle, les Carr pouvaient être en froid avec leurs voisins. Puis elle réfléchit. Tout de même, si les Bradshow se tenaient à l'écart à cause d'elle, c'était bien étrange... La soirée de Suzanne fut des plus réussies. Alice eut un cavalier fort aimable, Paul S tan ton, et elle retrouva une 92

charmante actrice — momentanément sans emploi — qu'elle avait déjà rencontrée : Sheila Patterson. Sheila était une femme d'environ quarante ans qui s'était installée depuis peu à Ivy Hall, cette propriété délabrée qu'Alice avait remarquée à côté de celle des Bradshow. Dès qu'elle aperçut Alice, Sheila se dirigea vers elle. « Alice, ma chère petite, je viens d'apprendre que vous étiez très habile pour résoudre les mystères. J'en ai justement un à vous soumettre. » Les yeux d'Alice se mirent à briller. « De quoi s'agit-il? demanda-t-elle. — C'est à propos d’Ivy Hall, répondit Sheila avec un petit geste dramatique. Au début, l'endroit me plaisait beaucoup. Mais à présent il me fait peur. On y entend toute sorte de bruits. Ma fille Annette et moi avons perçu l'écho de pas pendant la nuit. Et puis, à plusieurs reprises, un paon est apparu sur la pelouse. — Un paon! s'écria en riant le cavalier d'Alice. Ce n'est pas une apparition bien effrayante. » Sheila ignora l'interruption et, se penchant vers Alice, murmura d'une voix tremblante : « Savez-vous ce que les paons signifient pour une actrice? »

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CHAPITRE XIV LES ESPRITS SE MANIFESTENT étranges, pas fantomatiques, paons! Il n'en fallait pas plus pour éveiller l'intérêt d'Alice. « Non, dit-elle en réponse à la question de Sheila. J'ignore ce que les paons représentent pour les gens de votre profession... — Ils nous portent malheur! expliqua l'actrice sur un ton dramatique. Un artiste n'oserait jamais entrer en scène s'il voyait un paon, fût-ce en image, à proximité... Oui, oui, vous devez me trouver ridicule, je le sais. Que voulez-vous, je suis superstitieuse! Et ce paon sur ma pelouse m'a anéantie. Je suis sûre qu'il m'empêchera de jamais retrouver un rôle à ma mesure! » Alice, très étonnée qu'une personne aussi intelligente que Sheila pût accorder tant de créance à une telle fable, BRUITS

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ne pouvait néanmoins s'empêcher de la plaindre. Elle la fit asseoir à côté d'elle. Paul Stanton, devinant que les deux femmes préféraient être seules, s'éloigna avec discrétion. « Je vous en prie, dit alors Alice à sa compagne, ne soyez pas aussi bouleversée. Contrairement à vous, bien des gens sont persuadés que les paons portent bonheur. — Ah!... je l'ignorais, murmura l'actrice qui, dans son émotion, était en train de lacérer son mouchoir de dentelle. Écoutez, Alice... je crois que je reprendrais espoir et confiance si vous acceptiez de venir passer quelques jours à Ivy Hall. Jugez-moi stupide si vous voulez, mais, tant que cette histoire ne sera pas tirée au clair, j'aurai l'impression d'être visée par la malchance. — Hum..., murmura Alice, tentée. J'accepterais volontiers si vous pouvez recevoir mes deux amies avec moi... et si Suzanne ne se montre pas vexée que je l'abandonne! — Oh! Suzanne comprendra. Et amenez vos amies avec vous, bien sûr! s'écria Sheila soudain radieuse. Venez dès demain, voulez-vous ! Annette et moi vivons seules et nos nerfs ne pourraient guère supporter plus longtemps cette épreuve. » Elle appela sa fille pour la mettre au courant de l'heureuse nouvelle. Annette parut ravie. C'était une gracieuse jeune fille de dix-huit ans. Alors que sa mère était très brune, elle avait des cheveux châtains et le teint clair. « C'est bien aimable à vous, Alice, s'écria-t-elle, d'accepter de nous aider. Vous ne manquez pas de courage! Merci mille fois. » Impulsive, Sheila pressa Alice sur son cœur en la remerciant à son tour. Puis l'actrice et sa fille s'éloignèrent. Paul Stanton revint alors auprès d'Alice et lui offrit un rafraîchissement. La soirée se termina agréablement. Après le départ des invités, Suzanne, Cliff, Alice, Bess et Marion bavardèrent encore un moment. Les jeunes filles félicitèrent la maîtresse de maison : la réception avait été parfaite. « Et tous vos amis sont charmants, déclara Marion. — Ils vous apprécient également, assura Suzanne. Au fait,

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Alice, j'ai vu Sheila Patterson te parler avec animation. Que te racontait-elle? » Alice exposa alors les craintes superstitieuses de l'actrice et demanda à sa cousine si elle leur permettait de se rendre à son invitation. « Bien sûr, ma chérie, répondit Suzanne. Allez à Ivy Hall toutes les trois. Mais n'oubliez pas que la Semaine Fleurie commence bientôt. Revenez à temps. J'ai des projets pour vous. — A propos de Semaine Fleurie, demanda Cliff, j'aimerais savoir, Alice, si vous avez renoncé à persuader M. Honsho de nous ouvrir son jardin? — Oh! non, s'écria Alice. C'est même en partie pour cela que j'ai accepté d'aller à Ivy Hall qui se trouve tout à côté de Cumberland. Sheila a vu un paon sur sa pelouse et je crois avoir entendu, moi, un de ces oiseaux crier dans le parc de M. Honsho. Il doit y avoir un rapport... » Le lendemain matin, Suzanne mit sa voiture à la disposition de ses jeunes invitées en déclarant qu'elles pourraient s'en servir à leur gré pendant leur séjour à Ivy Hall. Bess soupira : « J'aurais presque souhaité que vous nous déconseilliez d'aller là-bas, murmura-1-elle à Suzanne en confidence. Des fantômes et des paons ! Voilà un programme qui ne me dit rien! » Borah, la domestique noire, eut l'air sérieusement alarmé en apprenant qu'Alice, Bess et Marion se rendaient « dans cet endroit hanté par le diable ». Elle était aussi superstitieuse que Sheila. Les trois amies se mirent en route. Elles eurent tôt fait d'atteindre Ivy Hall. La maison en briques rouges, de style colonial, disparaissait en partie sous le lierre. Annette attendait ses invitées sur le perron. Un jeune homme était debout à côté d'elle. « Regardez! souffla Bess à ses compagnes. Ce garçon... c'est le cowboy que nous avons vu à Cumberland l'autre jour... celui qui a refusé de nous parler ! » Au même instant, apercevant la voiture, le « cowboy »

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Annette attendait ses invitées sur le perron.

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sauta au bas du perron, enfourcha sa bicyclette et disparut à toutes pédales. « Nous questionnerons Annette à son sujet », dit Alice en mettant pied à terre. Annette, vêtue d'un short et d'une blouse légère, se précipita vers les nouvelles venues, suivie de près par Sheila qui embrassa les jeunes filles avec son exubérance habituelle. « Comme vous êtes gentilles de venir! s'écria-t-elle en les entraînant dans la maison. Comment trouvez-vous mon logis? — Ravissant », déclara Alice, sincère. Les pièces qu'on leur fit visiter étaient grandes et ensoleillées. Mais le mobilier aurait eu besoin d'être restauré. Quant aux tentures et aux papiers muraux, ils étaient dans un piteux état. « J'ai acheté tout meublé, expliqua Sheila. Je ferai des réparations plus tard... Jusqu'ici, Annette et moi avons toujours l'hôtel. Ivy Hall nous plaît beaucoup et nous ne voudrions pas être obligées de le quitter. — Je suis sûre que vous pourrez rester », déclara Alice d'une voix ferme. Une bibliothèque aux lambris de chêne sombre faisait suite à la salle de séjour. Avec ses étagères vides de livres et son manque presque total de mobilier, elle avait un aspect sinistre. La cuisine, au contraire, était accueillante, car on l'avait modernisée. Ce que les jeunes filles admirèrent le plus, toutefois, fut la véranda fleurie où il devait faire bon paresser au soleil. Dans le jardin, à une certaine distance de la maison, Annette désigna des dépendances en ruine en expliquant : « C'est là que logeaient jadis les esclaves. C'est là aussi qu'ils préparaient la cuisine... — Le parc est en bien mauvais état, soupira Sheila. Je n'ai pas actuellement les moyens de payer un jardinier. J'ai mis tout mon avoir dans l'acquisition de la propriété et... » Elle soupira de nouveau et n'acheva pas sa phrase. « Maman et moi campons en quelque sorte, reprit Annette. Même si nous le pouvions, je doute que nous trouvions des domestiques pour nous servir. On prétend dans la région que 98

cette maison est hantée. Je... j'espère que vous n'êtes pas difficiles sur le chapitre de la nourriture? ajouta-t-elle timidement. C'est moi qui me charge de préparer les repas. — Nous vous aiderons », promirent les trois invitées en chœur. Les chambres d'amis — six en tout — se trouvaient au second étage. Sheila donna la plus vaste, meublée d'un grand lit et d'un divan, à Alice et à ses compagnes. « J'espère que vous serez bien. Vos fenêtres ouvrent sur le « quartier des esclaves ». Après le déjeuner, Alice, Bess et Marion défirent leurs valises. Elles passèrent le reste de la journée à se promener en compagnie d'Annette à travers la propriété et à visiter plus en détail la grande demeure. Alice remarqua au passage un étroit escalier qui, du second étage, montait au grenier. « II faudra que j'aille faire un tour là-haut », se promit-elle. A l'heure du dîner, les trois invitées avaient acquis une bonne connaissance des êtres. Elles pensaient même pouvoir circuler dans l'obscurité sans se perdre. « Cette épreuve vous sera épargnée, déclara Annette en riant, car il y a l'électricité partout, sauf au grenier. » Au moment du coucher, les quatre amies bavardèrent encore un peu. Alice et Marion parlèrent de River City, Bess décrivit avec enthousiasme Ned, Bob et Daniel. Alice en profita pour demander à Annette : « Vous aussi vous devez bien avoir un ami? Peut-être ce garçon que nous avons aperçu tout à l'heure sur le perron à côté de vous... — Oh! vous voulez parler de Dick Sinsy? — Est-ce un véritable cowboy? s'enquit Bess avec curiosité. — Oui. Il vient de l'Oklahoma. J'ai fait sa connaissance à un bal. Il s'est montré très aimable avec moi. Pendant une semaine, il n'a cessé de me tourner autour en me débitant mille compliments. Mais il ne me plaît pas beaucoup. Devant mon indifférence, il s'est un peu calmé. Que voulez-vous, il 99

m'assomme. Il ne sait que parler de sa « riche et puissante « famille ». Je vous demande un peu... — Où habite-1-il? demanda Marion. — Dans un hôtel de Charlottesville. » Cette réponse surprit Alice. Elle aurait plutôt cru que Dick résidait à Cwnberland, chez M. Honsho. « Et que fait-il à Charlottesville? — Ma foi, rien. Il se promène en touriste. » Alice, Bess et Marion se regardèrent. Cette histoire de Dick leur semblait sonner faux. Pourtant, elles n'en dirent rien à Annette et la quittèrent en lui souhaitant bonne nuit. Lorsque les trois inséparables se retrouvèrent seules, Bess avoua en frissonnant : « Brrr... Ivy Hall me fait un drôle d'effet. Je ne suis pas étonnée que la maison passe pour hantée. — Grande sotte! s'écria Marion. Couche-toi donc et dors. Ça t'empêchera de dire des bêtises! » Bess et Marion grimpèrent dans le lit, Alice ayant insisté pour occuper le divan. Lorsque les lumières furent éteintes, un profond silence descendit sur Ivy Hall. Les trois amies ne tardèrent pas à s'endormir. Vers minuit, Alice se réveilla en sursaut. Là-haut, au-dessus de sa tête, quelqu'un marchait. Elle écouta, sans bouger. Une planche craqua, puis une autre. Bess et Marion s'éveillèrent à leur tour. Aucun doute : il y avait quelqu'un au grenier. Bess, qui était assez peureuse de nature, ne put retenir un cri : « Le fantôme! »

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CHAPITRE XV ÉTRANGE DISPARITION

C’ÉTAIT donc vrai! La maison est hantée! » Et Bess, affolée et gémissante, plongea sous ses couvertures. Marion alluma la veilleuse et gronda sa cousine. « Tu perds la tête, Bess. N'oublie pas que nous sommes ici pour aider Alice dans son enquête. Allons, debout, froussarde! » Mais Bess ne bougea pas. Alice, elle, s'était déjà levée. A son exemple, Marion passa un peignoir et chaussa ses mules. « Ne me laissez pas seule! supplia Bess en s'apercevant que les deux autres s'apprêtaient à quitter la chambre. Je préfère encore vous suivre. Attendez-moi ! » Les trois amies se heurtèrent dans le couloir à Annette qui occupait une chambre voisine. La jeune fille avait l'air effrayé.

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« Vous avez entendu? Chuchota-t-elle. — Oui, répondit Alice. Nous montons voir ce qui se passe. Vous venez? — Maman m'a défendu de bouger en cas d'alerte... et je ne vous conseille pas de monter non plus. Il peut y avoir du danger. » Alice passa outre et se dirigea résolument vers l'étroit escalier conduisant au grenier. Sa main cherchait déjà un commutateur électrique quand elle se rappela qu'il n'y avait pas de lampe dans le galetas. « Prenez une bougie! murmura Annette. Tenez, en voici une là, sur cette petite table... » Alice, qui avait laissé sa torche dans la voiture, déplora tout bas ce regrettable oubli. Mais, comme elle n'avait pas de temps à perdre, force lui fut de se contenter de la bougie qu'Annette lui tendait après l'avoir allumée d'une main tremblante. « Très bien. Merci. » Et, sans hésiter, la jeune détective s'engagea dans l'escalier. Marion lui emboîta le pas. Bess fermait la marche. Le bruit qui avait réveillé les jeunes filles, cependant, ne se répétait pas. Bess émit, dans un murmure : « Le fantôme nous a entendues venir. Il se cache. » Alice et Marion ne pipèrent mot. Arrivées en haut des marches, elles regardèrent curieusement autour d'elles. L'escalier, encaissé dans un coffrage en bois, aboutissait directement au grenier. En conséquence, pas de palier, pas de porte! Les jeunes détectives eurent tout de suite une vue d'ensemble du long galetas qui s'étirait sous les combles. Plusieurs vieilles malles au couvercle bombé étaient rangées le long des murs. Des tentures en lambeaux pendaient lamentablement sur des fils d'étendage. D'antiques portraits achevaient de s'écailler dans leurs cadres dédorés. Ce décor banal n'avait certes rien de terrifiant. Alice déposa son bougeoir sur une table qui se trouvait au centre de la pièce et les trois amies se mirent à faire l'inspection détaillée des lieux afin de s'assurer que personne ne se cachait dans un coin.

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Alice entreprit même d'ouvrir toutes les malles l'une après l'autre, pour plus de sûreté. Au grand soulagement de Bess, cette recherche fut vaine. Tandis qu'Alice et Marion regardaient autour d'elles en se demandant si le grenier n'avait pas une deuxième issue, l'intérêt de Bess se concentra sur un immense tableau qui se trouvait tout au bout du galetas. Elle s'en approcha. C'était un portrait, peint à l'huile, représentant un fougueux cavalier. Celui-ci avait fière mine et la plume de son chapeau retombait avec grâce sur son épaule. Quant à ses yeux, ils étaient positivement fascinants. Comme attirée par ce regard, Bess s'approcha du tableau et détailla le beau cavalier avec admiration. Il semblait vivant et prêt à s'élancer hors de son cadre. Pendant ce temps, Alice et Marion continuaient à explorer les lieux. Elles finirent par atteindre le mur opposé à celui devant lequel Bess était en contemplation. Toute la longueur du galetas séparait alors Bess de ses compagnes. Elle les entendait vaguement chuchoter à l'autre extrémité de la pièce. Tout à coup, deux légers cris succédèrent à ces chuchotements. Bess se retourna. Alors, à sa profonde surprise, elle ne vit plus personne. Alice et Marion avaient disparu ! a Marion! Alice! Où êtes-vous?» appela Bess qui s'affolait déjà. Elle songeait avec angoisse que ses amies avaient dû redescendre sans elle. « Je ne veux pas rester ici toute seule », murmura-1-elle en se précipitant au centre du grenier. Juste au moment où elle allait saisir le bougeoir, elle suspendit son geste, frappée de terreur. A quelques pas devant elle se dressait une forme blanche et mouvante. Le fantôme ! Bess le contempla avec des yeux ronds, trop effrayée pour crier. Soudain, la forme blanche avança dans sa direction. Alors, avec un hurlement, Bess se rua dans l'escalier et descendit à toute allure, faisant claquer le talon de ses mules sur les marches. Quand Annette aperçut le visage convulsé de Bess, elle 103

LE FANTOME

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comprit tout de suite que la jeune fille avait vu quelque chose d'effrayant. « Qu'y a-t-il? s'écria-t-elle. — Un... un... un spec... spectre! » bégaya la pauvre Bess toute tremblante. Comme ses jambes ne pouvaient plus la soutenir, elle se laissa tomber sur un siège du couloir. « Ce... c'est vrai? bredouilla à son tour Annette qui n'était pas plus rassurée que Bess. La maison est donc bien hantée? » Bess, toujours affolée, demanda d'un ton dramatique : « Où sont Alice et Marion? — Que voulez-vous dire? répondit Annette, très étonnée. Elles sont bien montées avec vous, n'est-ce pas? » Ce fut au tour de Bess de montrer sa stupéfaction. « Vous... vous ne les avez donc pas vues redescendre? — Mais non! Et pourtant je suis restée là tout le temps! » Bess poussa un cri. « Elles ont disparu ! Le fantôme les a emportées ! » Sheila Patterson, qui occupait une chambre au premier étage et dont le sommeil n'avait pas été troublé par les premiers va-et-vient des jeunes filles, se réveilla au cri de Bess. Elle parut soudain, vêtue d'un élégant déshabillé. Annette lui expliqua ce qui se passait. L'actrice leva alors les bras au ciel, dans un geste un peu théâtral, et se lamenta tout haut. « Oh, mon Dieu! Que faire? Que faire? — Nous pourrions appeler la police », suggéra sa fille. Pendant ce temps, Bess s'était un peu ressaisie. Quoique toujours effrayée, elle comprenait que, si Marion et Alice se trouvaient en difficulté, il fallait leur porter secours immédiatement... et sans attendre la police! Son courage lui revint. Elle se leva de son siège et dit d'une voix ferme : « Venez, Annette! Montons! Il faut savoir ce que sont devenues nos amies. » Mais Sheila retint sa fille par le bras. « Non, n'y va pas! Je te le défends. 105

— Tout de même, maman, il faut bien tenter quelque chose ! protesta Annette. Alice et Marion n'ont pas hésité à risquer leur vie pour nous aider. Nous serons responsables s'il leur arrive du mal ! — Oh! je sais! Je sais! » reconnut Sheila, honteuse. Une pensée frappa soudain Bess. « Je me demande..., commença-t-elle. Marion aime bien me jouer des tours. Elle est capable de s'être affublée d'un drap pour me faire peur tout à l'heure... » Cette éventualité rassura un peu l'actrice. Elle finit par consentir à laisser Annette monter au grenier avec Bess. Et puis, n'ayant pas la conscience tranquille, elle décida de les accompagner. « Je monte avec vous! » déclara-t-elle vaillamment. Bess fut la première à déboucher dans le grenier. La bougie brûlait toujours sur la table. Soudain, un courant d'air l'éteignit. Debout à l'entrée de la pièce obscure, à demi paralysée par la peur, Bess entendit alors une porte qui grinçait, quelque part dans la vaste demeure, avant de se fermer violemment, avec un « bang » assourdissant.

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CHAPITRE XVI L'AVENTURE D'ALICE ET DE MARION d'heure plus tôt, alors qu'Alice et Marion poursuivaient leurs recherches dans le grenier, une trappe s'était subitement ouverte sous leurs pas. Les deux jeunes filles se retrouvèrent, filant le long d'une glissière de bois en pente raide, dans une obscurité totale. Au-dessus de leur tête, la trappe s'était refermée sans bruit. La surprise fut si grande que ni l'une ni l'autre ne songea à crier. Leur chute s'arrêta enfin. Elles heurtèrent une surface dure. « Ma tête! murmura Marion en gémissant. Alice, tu n'as rien, au moins? — Je crois que non. Un bleu à l'épaule tout au plus. » Les deux amies, qui étaient tombées l'une sur l'autre, se relevèrent. Elles se mirent à tâtonner. Du bout des doigts elles découvrirent un plafond bas et humide au-dessus d'elles. « Où sommes-nous, à ton avis? demanda Marion. UN

QUART

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— Dans la cave, je suppose... le trajet m'a paru long, répondit Alice en faisant effort pour plaisanter. — Comment sortir de là? » Alice tâta les parois lisses de la glissière. « Impossible de remonter par où nous sommes venues, déclara-t-elle. Il faut trouver une autre issue... Écoute, Bess n'est pas tombée avec nous. Elle doit nous chercher. Appelons-la... » Alice se mit à crier : « Nous sommes dans la cave ! Donnez la lumière et ouvreznous la porte ! » Aucune réponse ne lui parvint. « Je suis sûre, dit Marion, que si Bess n'est pas près d'ici elle n'est pas non plus restée au grenier. En constatant notre disparition, elle a dû filer à toutes jambes. — C'est certain. Vois-tu, Marion, ce que je n'arrive pas à comprendre, c'est pourquoi cette trappe s'est ouverte brusquement sous nos pieds. Nous étions passées à cet endroit au moins une demi-douzaine de fois déjà. — Il n'y a qu'une réponse à ta question, répondit Marion en baissant la voix. Le fantôme — ou prétendu tel — que nous traquions en a déclenché volontairement le mécanisme. — Ce qui signifie, continua Alice sur le même ton, qu'il peut très bien être tapi quelque part à nous guetter. Hâtons-nous de nous tirer de ce mauvais pas ! » De nouveau, ses doigts tâtonnèrent dans l'ombre. « Marion, annonça-1-elle au bout d'un moment, nous ne sommes pas dans la cave mais dans une sorte de tunnel. Je crois qu'il s'agit d'un ancien passage que les esclaves devaient utiliser pour aller directement de leur quartier à la maison des maîtres, sans traverser le parc. — Eh bien, essayons de voir où il aboutit. J'ai hâte de sortir d'ici », avoua Marion. Les deux amies se laissèrent tomber à quatre pattes et commencèrent à avancer avec prudence, tâtant le sol devant

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elles au cas où il y aurait eu des obstacles. Leur progression était forcément lente et leurs genoux furent bientôt écorchés. Enfin, au bout d'un grand moment, elles se trouvèrent devant une porte et se redressèrent pour l'examiner. Sous leurs doigts, elles sentirent un verrou tout rouillé, mais c'est en vain qu'elles s'efforcèrent de le tirer. « Flûte! murmura Marion, découragée. Nous n'y arriverons jamais. — Je le crains en effet, répondit Alice. Retournons en arrière, puis nous repartirons dans une autre direction si c'est possible. » Cette fois, elles cheminèrent debout, car elles connaissaient le chemin. Elles allaient côte à côte, se tenant par le bras. De sa main libre, chacune gardait le contact avec le mur qu'elle longeait. Ainsi, il n'y avait aucun risque de se perdre. Cependant, impatiente à son habitude, Marion se sépara bientôt de son amie et avança la première. « Attention! lui cria Alice. On ne sait jamais si... » Elle n'eut pas le temps de terminer sa phrase. Un « plouf » lui parvint, suivi d'un appel au secours. Marion venait de tomber dans un puits ou un trou d'eau quelconque. Alice se mit à quatre pattes et avança aussi vite qu'elle put. Elle eut tôt fait d'atteindre ce qui lui sembla être le bord d'une mare. « Marion! Où es-tu? Réponds-moi! — Ça va. Je n'ai rien. Mais quel plongeon! Continue à parler, Alice. Je vais nager en direction de ta voix. Brrr!... que cette eau est froide ! » Un instant plus tard, Marion toucha les mains d'Alice qui l'aida à se hisser au sec. « Tu as eu de la chance, Marion. Te voilà mouillée mais sauve. Nous avons dû dévier légèrement du chemin initial. Est-ce que cette nappe d'eau est étendue, à ton avis? » Marion répondit qu'elle le croyait, mais qu'elle pouvait se tromper dans son estimation. « Attends, murmura alors Alice. Nous allons tâcher de nous en rendre compte. » 109

Avec précaution, elle commença à se déplacer au bord de l'eau. Pendant ce temps, restée en arrière, Marion tordait de son mieux sa robe de chambre et son pyjama trempés. Elle avait perdu ses mules dans l'aventure. Au terme de son exploration, Alice déclara : « Je crois qu'il s'agit d'un grand puits, juste au milieu du passage. En longeant le mur, nous ne risquerons pas de tomber dedans. » Les deux amies, en effet, purent contourner l'obstacle sans difficulté. Elles continuèrent à progresser avec la plus grande prudence. Mais elles s'étaient bel et bien égarées dans l'obscurité et ne retrouvèrent pas la glissière d'où elles comptaient repartir dans une autre direction. Le souterrain semblait ne devoir jamais finir. « Ce n'est pas possible! soupira Marion découragée. Il doit aller jusqu'à Charlottesville. » Alice sentait elle aussi l'inquiétude la gagner, mais elle s'efforça de réagir. a Non, je t'assure, dit-elle. Ce tunnel est un ancien passage réservé aux esclaves. Ils devaient l'utiliser pour porter les mets de la cuisine extérieure jusqu'à la table de leurs maîtres. Mais alors, évidemment, le passage était éclairé. » Soudain, la main de la jeune fille rencontra une marche de bois. « Un escalier! » s'écria-t-elle, tout heureuse. Les deux amies se dépêchèrent de le gravir. En haut, une déception les attendait. L'issue était fermée par un panneau de bois, sans verrou ni loquet apparent.. Refusant de se laisser abattre, Alice se mit à tâtonner dans l'ombre. Sa persévérance fut récompensée : ses doigts pénétrèrent dans une fente. Elle tira le panneau latéralement... et celui-ci se déplaça. « C'est une porte à glissière, Marion. Le bois est gonflé par l'humidité, mais si tu m'aides nous arriverons bien à ouvrir en grand... » Les deux amies unirent leurs efforts. Le panneau grinça, gémit, mais finit par céder.

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Alice et Marion débouchèrent dans la cuisine.

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« Enfin! s'exclama Alice en passant par l'ouverture. — Il fait bien sombre, ici, constata Marion. On se croirait encore dans le souterrain. Où sommes-nous donc? » Où elles étaient? Les deux jeunes détectives le découvrirent sur-le-champ! Elles se trouvaient tout simplement à l'intérieur d'un placard d'où elles sortirent sans difficulté en poussant une porte. Il est vrai que celle-ci, depuis longtemps inutilisée, protesta à sa manière, en craquant horriblement. Alors, avec ravissement, Alice et Marion se rendirent compte qu'elles venaient de déboucher dans la cuisine d'Ivy Hall qu'éclairait un flot de lumière argentée : la lune, semblait-il, souhaitait la bienvenue aux pauvres prisonnières1 des ténèbres. Marion se sentait tellement soulagée et heureuse qu'elle claqua à toute volée la porte du placard derrière elle. Cela produisit un « bang » formidable. « Je parie que le bruit de la porte aura effrayé Bess et Annette! murmura Alice. Hâtons-nous d'aller les rejoindre! Elles doivent certainement nous chercher... » Les deux amies se précipitèrent dans le hall, puis montèrent l'escalier en appelant tout haut: «Bess! Annette!»... Les deux groupes se retrouvèrent sur le palier du second étage. « Marion! Alice! s'écria Bess. Où étiez-vous passées? Nous avions peur que le « fantôme» ne vous ait enlevées!... Oh! vous avez de la boue sur vos vêtements! Et toi, Marion, tu es toute mouillée. Que t'est-il arrivé? — J'ai fait un peu de nage, répondit Marion en riant. — Je vous en prie, mes enfants, murmura Sheila, rassurezmoi. Vous n'êtes pas blessées?» Alice et Marion racontèrent leur aventure. « J'ignorais l'existence de cette trappe et du souterrain! déclara l'artiste en frissonnant. Quelle maison, seigneur! » Quand Bess expliqua à son tour qu'elle avait aperçu le « fantôme », Alice fronça. les sourcils : cela prouvait que ledit fantôme était resté au grenier après la dégringolade des deux amies dans la glissière.

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« Et tu affirmes, Bess, qu'il n'est pas descendu à ta suite?... Dans ce cas, il doit être encore là-haut. Il nous faut le trouver! » Et comme Sheila Patterson avançait timidement que c'était impossible et que le fantôme s'évanouirait à leur vue, Alice ajouta : « Ce fantôme n'est qu'un sinistre plaisantin... et ce n'est pas lui qui aura le dernier mot. Venez, vous autres ! »

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CHAPITRE XVII DÉCOUVERTE AU GRENIER SANS HÉSITER,

Alice ouvrit la marche, le bougeoir à la main. Tout le monde déboucha dans le grenier. Bess s'attendait presque à y trouver le fantôme en train de les guetter, mais il avait disparu. « N'oubliez pas, dit Alice, que notre spectre est une personne bien réelle. Elle doit se cacher quelque part. — Cherchons-la! s'écria Marion d'un air féroce. — Gare à la trappe ! Que personne ne marche dessus ! » Et Alice en désignait l'emplacement, visible à la lueur de la bougie. La jeune détective s'agenouilla alors près de la trappe et essaya de la pousser : la trappe refusa de s'ouvrir. Sans doute existait-il un mécanisme qui la commandait. Décidée à le trouver, Alice se dirigea avec précaution vers le

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mur — lambrissé — qu'elle était occupée à examiner au moment de sa chute dans la glissière. Elle reprit ses investigations et, soudain, poussa un cri de victoire. « Ça y est! Je crois avoir trouvé! » Tout en parlant, elle achevait de faire glisser un panneau. Un placard secret se dissimulait derrière. Il était vide. « C'est sans doute ici, expliqua Alice, que le fantôme se tenait caché, tandis que nous explorions le grenier. En nous voyant nous rapprocher, il a eu peur et a provoqué notre chute. Aussitôt après il est sorti de son refuge sans bruit (ce panneau ne grince pas), il s'est déguisé avec un drap pris dans cette malle pleine de linge... et il t'a effrayée, Bess. Voyons, réfléchissons! Si la trappe s'est ouverte alors que le fantôme était ici, c'est donc d'ici qu'il l'a manœuvrée... Ah! Voilà un levier! » Alice pesa sur le petit levier qu'elle venait de découvrir. La trappe s'ouvrit. « Bravo, Alice ! s'écria Annette enthousiasmée. Jamais nous n'aurions pensé à ça, maman et moi ! — Je me demande, murmura Marion soucieuse, à quoi peut servir la glissière et qui l'a installée... — On a dû l'utiliser jadis pour descendre des provisions entreposées ici, je suppose! émit Alice. Peut-être pendant la guerre de Sécession. » La jeune fille referma la trappe et, puisque décidément le fantôme n'était plus dans le grenier, elle proposa à ses compagnes d'aller prendre un peu de repos. Mais Bess s'y refusa, prétendant qu'elle ne pourrait pas dormir tant qu'elle sentirait le fantôme rôder aux alentours. « Écoute, lui dit Alice en lui pressant la main. Peux-tu jurer que tu as surveillé l'escalier du grenier après avoir fui de là-haut? — Hum... pas tout le temps, bien sûr. — Alors, voilà ce que je crois. Le prétendu fantôme t'a suivie et, profitant de ton affolement et de celui d'Annette, il s'est faufilé dans une pièce vide au bas de l'escalier. Nous

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lui avons permis de s'en aller tranquillement par le grand escalier en remontant toutes ensemble au grenier. Maintenant, il est sans doute loin. — A moins qu'il ne soit caché dans quelque coin de la maison, coupa Sheila avec de grands gestes pathétiques. Il peut aussi bien nous assassiner dans nos lits. Ah! mes petites, ne restons pas une minute de plus ici. Faisons nos valises et partons. Alice et ses amies retourneront chez Suzanne. Annette et moi, nous irons à l'hôtel. » Mais Annette fit preuve d'une vaillance inattendue. « Ce serait nous avouer battues, déclara-t-elle. Si nous restons, peut-être finirons-nous par découvrir quelque chose. Et puis... après tout... nous sommes chez nous. — Veillons à tour de rôle ! » proposa Marion. Il fallut un certain temps pour persuader Sheila. Enfin, elle céda. Il fut convenu que les jeunes filles, deux par deux, monteraient la garde au bas des marches conduisant au grenier. Alice et Bess prirent le premier quart. Marion et Annette leur succédèrent. Rien ne se produisit et le jour se leva. Avec le soleil, Sheila retrouva son insouciance naturelle et ce fut en fredonnant qu'elle prépara le petit déjeuner. Réunies dans la véranda pour ce premier repas de la journée, les cinq amies examinèrent avec sang-froid les événements de la nuit précédente. « Tout bien réfléchi, déclara Sheila, il est préférable que nous partions d'ici. — Je suis certaine que notre fantôme n'espère que cela! affirma Alice... Il désire que nous vidions les lieux. A mon avis, il est à la recherche de quelque chose de précieux qu'il imagine caché dans la maison. Si c'est vrai, vous ferez son jeu en vous en allant. Il mettra la main sur le « trésor » ignoré... et vous en serez frustrées. Car ce trésor vous appartient du moment que vous avez acheté la propriété. — C'est vrai, concéda l'artiste, ébranlée. Mais en quoi pourrait bien consister ce mystérieux trésor? — J'ai mon idée là-dessus », répondit Alice.

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Sur quoi, elle expliqua à Sheila et à Annette toute l'histoire du vitrail disparu et de la récompense promise, ajoutant qu'elle-même et ses amies n'étaient venues à Charlottesville que dans l'espoir de découvrir le « chevalier au paon ». « Grand Dieu! s'écria Sheila d'un air horrifié. J'espère bien que ce vitrail n'est pas caché à Ivy Hall! — Pourquoi? répliqua Annette. Si nous le retrouvions, nous le vendrions un bon prix à Sir Richard et, avec l'argent, nous ferions restaurer la propriété. » Alice demanda à l'actrice si, à sa connaissance, une famille du nom de Greystone s'était jamais installée dans le pays. Sheila répondit que non et ajouta qu'elle doutait que le vitrail soit caché chez elle. La jeune détective n'était pas de cet avis. Son esprit travaillait intensément. Elle passait mentalement en revue les suspects ayant pu se déguiser en fantôme. A son avis, Alfred Rugby était le plus plausible. Tout haut, elle proposa : « Nous pourrions toujours touiller la maison à la recherche du vitrail. Que risquons-nous? — C'est vrai, acquiesça Annette. En avant! » Un instant plus tard, les quatre jeunes filles exploraient la demeure dans ses moindres recoins. Hélas! elles ne trouvèrent rien... même pas un emplacement d'où le vitrail aurait pu être enlevé. « Peut-être le fantôme a-t-il mis la main sur le « cheva-« lier au paon » cette nuit même, hasarda Marion. — Dans ce cas, il ne reviendra plus! » déclara Alice. Un peu rassurée par cette éventualité, Sheila consentit à ne pas déserter encore Ivy Hall. Après s'être reposées un moment, Alice et ses compagnes explorèrent pour finir le fameux « tunnel des esclaves ». Munie d'une torche électrique, Marion fut la première à atteindre le puits dans lequel elle était tombée. « II s'ouvre à ras du sol, constata-t-elle. C'est sans doute là que les esclaves remplissaient les pichets d'eau fraîche. » La glissière, elle, n'était autre qu'un ancien petit escalier transformé en « chute ». 117

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Alice était impatiente de savoir ce qui se trouvait derrière la porte que Marion et elle-même n'étaient pas parvenues à ouvrir. Elle entraîna ses compagnes tout au bout du souterrain. Se rappelant le verrou rouillé, la jeune détective s'était munie d'un marteau. Ce ne fut qu'après avoir reçu un grand nombre de coups que le verrou céda enfin. La porte s'ouvrit avec un grincement lugubre et les quatre amies se trouvèrent... sur le seuil d'une cuisine immense et fort délabrée. « Nous sommes dans le quartier des esclaves! s'écria Annette qui se reconnaissait. — Quel endroit étrange! s'exclama de son côté Bess en contemplant d'énormes bouilloires et des chaudrons de cuivre accrochés aux poutres. Et quelle gigantesque cheminée! » Tout un côté de la pièce s'était effondré, mais, parmi les moellons et les gravats, Alice aperçut une plaque de fer de vastes dimensions. Elle s'en approcha et examina de tout prés l'image qu'elle représentait. Bess, Marion et Annette s'approchèrent à leur tour. « Un paon! s'écria Bess, stupéfaite. A quoi servait cette plaque? — On la plaçait autrefois au fond de la cheminée, expliqua Annette, pour qu'elle renvoie la chaleur. Elle devait se trouver dans une des pièces d'Ivy Hall. — Ce qui prouve, trancha Alice, que les gens qui habitaient ici jadis aimaient particulièrement les paons comme motifs décoratifs. — Mais ça ne prouve pas toutefois que le vitrail perdu ait jamais été dans la propriété », objecta Bess. Alice ne répondit pas. a II nous reste encore une chose à faire, déclara-t-elle. C'est à chercher à l'extérieur de la maison si nous ne trouvons pas des empreintes de pas appartenant au fantôme. » Laissant ses amies continuer à discuter dans la cuisine, la jeune détective quitta les dépendances et revint vers le corps du logis. Elle se dirigea vers la porte de service, qui donnait sur

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le derrière du bâtiment, car elle songeait que le « fantôme » était sans doute parti par là. Penchée vers le sol, elle s'appliqua à étudier le terrain, pouce par pouce. Tout à coup, elle vit quelque chose qui lui arracha une exclamation de surprise. Elle se redressa alors et appela à pleins poumons : « Hep! Venez vite! J'ai du nouveau à vous montrer! »

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CHAPITRE XVIII POURSUITE NOCTURNE A L'APPEL d'Alice, tout le monde se précipita vers elle. Sheila, arrivée la première, ouvrit de grands yeux à la vue de son invitée, à quatre pattes devant un soupirail. « Attention! recommanda la jeune détective. Veillez à ne pas effacer les empreintes. » Du doigt, elle désignait des traces, fortement imprimées dans la terre meuble, entre la maison et un épais buisson. « Tiens! s'exclama Sheila. On dirait qu'une poule a passé par là. Ce sont des marques de pattes d'oiseau. — D'un oiseau beaucoup plus gros qu'une poule, affirma Alice. Cette empreinte est celle laissée par un paon, j'en suis certaine. Je me suis documentée sur cet animal depuis que j'ai lu l'histoire du vitrail et je ne pense pas me tromper. » Elle regretta presque aussitôt ses paroles, car Sheila avait brusquement pâli.

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« Un... un paon? bégaya-t-elle. J'ai cet animal en horreur. Il porte malheur, j'en suis sûre... — C'est un paon et ce n'en est pas un! » rectifia Alice, énigmatique. Et devant l'air incompréhensif de Sheila, de Bess, de Marion et d'Annette, elle s'expliqua. « Regardez, leur dit-elle, les marques en question. Elles partent d'ici et on peut les suivre aisément. D'une part, elles sont très distinctes, ce qui est étonnant entendu qu'un paon ne pèse pas lourd et que la terre est dure et sèche. D'autre part, si vous examinez avec attention les empreintes, vous vous apercevrez qu'elles sont irrégulières : tantôt rapprochées, tantôt éloignées de façon anormale. — Ce qui signifie? demanda Bess dans un souffle. — Que c'est un être humain et non un oiseau qui a laissé cette piste. » Ce fut au tour d'Annette de pâlir. « Vous... voulez dire... un homme avec des pattes de paon? murmura-t-elle avec incrédulité. — Non pas ! répondit Alice en souriant. Mais un homme qui a eu la diabolique idée de chausser des souliers à semelles truquées pour laisser des empreintes visibles, facilement identifiables... et fausses! On sait que votre mère est superstitieuse, Annette! Quoi de plus simple que de tenter de l'effrayer en jouant de sa crainte des paons? — Mais qui aurait pu faire une chose pareille? s'écria Bess, indignée. — Sans doute notre ami le fantôme! Il s'intéresse plus encore aux paons que nous ne l'imaginions, déclara Alice. C'est égal, j'aimerais trouver une preuve qui justifierait mon hypothèse. Essayons de suivre ces traces... » L'entreprise n'offrait aucune difficulté. Les empreintes menaient tout droit à Eddy Run. Là elles disparaissaient comme par miracle. « C'est à croire que ce misérable avait emporté aussi une paire d'ailes! bougonna Marion. Il s'est envolé, ma parole! »

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Ne pouvant plus suivre de piste, les cinq amies revinrent sur leurs pas. Soudain Alice, qui ne cessait de regarder autour d'elle, poussa une exclamation. Elle plongea la main dans une touffe d'herbes et en retira un objet bizarre. « Voici la clef de l'énigme! s'écria-t-elle, triomphante. Regardez! C'est un moulage en bronze des serres d'un paon. On y a adapté un système de courroies pour pouvoir l'attacher facilement à des chaussures. Notre homme-fantôme-oiseau a dû le perdre en fuyant. Il est sans doute parti en bateau. » Sheila et les jeunes filles regagnèrent la maison en discutant du nouvel aspect du problème. L'actrice était un peu plus rassurée maintenant qu'elle savait n'avoir pas affaire à un paon véritable. Elle ne parlait plus de quitter Ivy Hall. « Nous avons assez enquêté pour aujourd'hui, déclara-t-elle. Donnons-nous un peu de bon temps. » Aussi, après le repas, les cinq amies s'amusèrent-elles à jouer du piano et à chanter des airs à la mode. A l'approche du crépuscule, cependant, l'actrice se montra de nouveau inquiète. « Je ne dormirai pas tranquille, assura-t-elle, si toutes les portes et les fenêtres ne sont pas verrouillées ou barricadées. Voyez, par exemple, ce soupirail d'où partaient les empreintes! C'est par là que le fantôme a dû entrer et je ne m'en doutais seulement pas. Il faut clouer des planches dessus! » Alice veilla donc à ce que toutes les voies d'accès fussent fermées. Elle poussa même la précaution jusqu'à tirer une lourde malle sur la trappe du grenier... et à mettre hors d'usage le mécanisme qui commandait l'ouverture du piège. Il lui suffit pour cela de démonter le levier à l'aide d'un tournevis. « Et maintenant, dit-elle à Sheila en allant la rejoindre, si vous entendez encore des pas cette nuit, je conviendrai avec vous qu'il s'agit cette fois d'un véritable fantôme. » Ce fut donc dans une atmosphère considérablement allégée que tout le monde alla se coucher ce soir-là. Alice ne s'endormit pas tout de suite. Et quand le sommeil lui ferma enfin les yeux, elle pensait encore aux nombreux mystères qui la sollicitaient. 123

Vers minuit elle s'éveilla, lucide et l'oreille tendue. Était-ce un bruit qui avait troublé son repos? Mais non... Tout dormait alentour. Souriant dans l'obscurité, Alice se retourna de l'autre côté et perdit de nouveau conscience. Un peu plus tard cependant elle se réveilla pour la seconde fois. Non, décidément, elle ne se trompait pas. Elle entendait quelque chose... un cri discordant qui s'élevait sous sa fenêtre... un cri comparable à celui qui lui avait glacé le sang lorsqu'elle rôdait autour du parc de Cumberlend. Sautant de son divan, Alice courut à la fenêtre et regarda au dehors. Elle n'aperçut rien que la pelouse vide. Le cri, cependant, avait aussi réveillé Bess et Marion. « Qu'est-ce que c'est que" ça? » lança Bess, effrayée. Les deux cousines s'empressèrent de venir rejoindre Alice à la fenêtre. Elles non plus n'aperçurent rien. « Je vais descendre pour voir ce qui se passe », déclara Alice d'une voix ferme. 124

Ses amies décidèrent de l'accompagner. Toutes trois prirent des lampes de poche et gagnèrent le rez-de-chaussée. Alice traversa le vestibule et ouvrit la porte d'entrée, éclairant le jardin devant elle. Juste devant le faisceau lumineux de sa lampe, un paon magnifique apparut, en train de faire la roue... « Ça, par exemple! » s'exclama Marion. A cet instant précis, Sheila et Annette sortirent sous le porche. A la vue de l'oiseau, l'actrice jeta un cri d'effroi et s'évanouit. Bess et Annette n'eurent que le temps de la retenir dans leurs bras. « Emportons maman dans sa chambre, décida Annette. Mais ne vous tracassez pas pour elle, vous autres! Elle est sujette à de semblables faiblesses. Ce n'est pas grave. » Alice et Marion restèrent donc seules. Conservant tout son sang-froid, la jeune détective éclaira vivement le jardin au-delà de l'endroit où se tenait le paon. Pendant une fraction de seconde, elle crut apercevoir alors un homme accroupi dans les buissons. Mais la vision ne dura pas plus. Pendant ce temps, le paon, délivré de l'espèce d'hypnose où l'avait plongé la subite et éblouissante lumière de la lampe, replia l'éventail de sa queue largement déployée et, avec un cri strident, se mit à fuir à travers la pelouse. « Suivons-le, Marion, chuchota Alice à sa compagne. Ne le perdons pas de vue. » Le tenant sous le feu de sa torche, elle-même se mit à courir. Mais l'oiseau était encore plus rapide que les deux jeunes filles. Elles eurent beaucoup de mal à ne pas se laisser trop distancer. « II entre dans ce petit bois! Attention! Il va filer! » murmura Marion tout à coup. Les deux amies précipitèrent encore l'allure. Mais le vent s'était levé et, soufflant dans les pans de leurs robes de chambre, les gênait énormément. Soudain, l'oiseau prit le sentier conduisant à Eddy Run. Arrivé sur la rive, il longea celle-ci cri direction de Cumberland. « Ma parole, déclara Marion, haletante, il faut que nous soyons folles pour aller à la chasse au paon à cette heure de la nuit!» Alice en convint et ajouta en riant : 125

« Si je me trompe en supposant que cet oiseau nous mène tout droit chez M. Honsho, je te rapporterai sur mon dos pour t'épargner la fatigue du retour... Ce sera ma pénitence pour t'entraîner dans de pareilles aventures, mon chou ! » Marion se mit à rire elle aussi, sans ralentir l'allure. Au même instant le paon disparut derrière un buisson. Les deux amies se précipitèrent. Alice était sûre d'apercevoir de nouveau le fugitif. Mais, au lieu de l'oiseau, sa lampe éclaira une silhouette humaine enveloppée d'un drap blanc. « Le fantôme! » s'exclama-t-elle. Si l'homme déguisé avait espéré effrayer les deux amies et les pousser à fuir, il dut être déçu. Avec un bel ensemble, elles se ruèrent vers la forme blanche qui n'eut d'autre ressource que de prendre ses jambes à son cou et de disparaître dans l'obscurité. Alice et Marion s'obstinèrent à poursuivre le mystérieux inconnu. Mais tout à coup leur course se trouva brutalement arrêtée. Un jet d'eau puissant les frappa en plein visage. Sa violence était telle qu'Alice tomba sur sa compagne et roula à terre avec elle. En même temps, sa lampe lui échappa et s'éteignit.

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CHAPITRE XIX L'HOMME AU CANOË d'eau qui avait jeté Alice et Marion à terre était d'une telle force qu'il leur coupait la respiration. Cela aurait été intenable si, au bout de quelques secondes, le supplice des jeunes filles n'avait cessé. Trempées et meurtries, elles se relevèrent alors. La lune suffisait à les éclairer. Alice put retrouver sa lampe et la rallumer. Mais c'est en vain qu'elle en projeta le faisceau lumineux autour d'elle. Le paon comme le fantôme avaient disparu. « Je me demande si le spectre est parti en emportant l'oiseau sous son bras, murmura Marion en s'efforçant de plaisanter. Ça ferait un très joli sujet de décoration, tu ne crois pas? » Alice ne répondit pas, car elle venait de découvrir, juste devant elle, un mur de briques. LE JET

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« C'est Cumberland, déclara-t-elle. Il y a peut-être là une porte que nous n'avons pas vue le jour où nous avons fait le tour de la villa de M. Honsho. Le fantôme et le paon doivent s'être réfugiés à l'intérieur. — Mais cette eau? D'où venait-elle? — Du parc de Cumberland. Il m'a semblé distinguer l'extrémité d'un tuyau. Si j'en juge d'après la force du jet, il doit s'agir d'une lance d'incendie. » Le déluge inattendu avait laissé sur le sol des flaques bien visibles. En les suivant, Alice et Marion arrivèrent à une petite porte à moitié dissimulée sous un rideau de lierre et qui pouvait passer inaperçue même en plein jour. Alice était de plus en plus convaincue que Dick Sinsy et le fantôme ne faisaient qu'un. Dick pouvait entrer comme il voulait à Cumberland et il connaissait certainement l'emplacement du poste d'eau. C'était lui, sans doute, qui avait aspergé si copieusement celles qui le poursuivaient. Tout haut, elle exprima sa pensée. « Moi aussi je soupçonne Dick, déclara alors Marion. Je crois qu'il veut se venger d'Annette et que c'est pour ça qu'il a organisé toute cette mise en scène. Il veut lui faire payer ses rebuffades. Il a donc apporté un paon et il l'a lâché sur la pelouse de Sheila pour nous affoler. Tu m'as bien dit, Alice, que tu avais aperçu un homme dans les buissons?... » Marion ajouta que Dick n'avait pas imaginé qu'on le poursuivrait. En dernier ressort, il avait employé les grands moyens, c'est-à-dire la lance à incendie, pour pouvoir échapper aux jeunes filles. « Ton hypothèse est séduisante, Marion, murmura Alice d'un air pensif. Il est évident que Dick est le suspect idéal, non seulement parce qu'il a ses entrées libres à Cumberland mais aussi parce que, en raison même du voisinage, il doit admirablement connaître Ivy Hall. Cela l'aura aidé pour jouer le rôle du fantôme. Mais là où je ne suis pas d'accord avec toi c'est quand tu penses qu'il se donne tant de mal uniquement pour se venger d'Annette. Non, à mon avis, vois-tu, c'est bel et bien un trésor qu'il cherche dans la maison de Sheila... 128

Demain, je me renseignerai plus complètement sur notre cowboy... Je m'informerai à son hôtel. » Après avoir constaté que la petite porte du mur était fermée à clef, les deux amies reprirent le chemin d'Ivy Hall. Maintenant, la lune diffusait une telle clarté qu'il n'était même plus besoin de se servir des lampes de poche. Le sentier qui longeait la rivière brillait comme un ruban d'argent. Eddy Run offrait l'aspect d'un paysage magique. L'air était vif mais non froid. Quoique trempées, Alice et Marion trouvaient cette promenade nocturne presque agréable. Soudain, la jeune détective saisit sa compagne par le bras et la tira vivement en arrière, l'obligeant à se dissimuler derrière un buisson. « Qu'est-ce qu'il y a? chuchota Marion, surprise. — Un homme... là... en canoë! répondit Alice dans un souffle. Si nous nous sommes trompées au sujet de Dick, alors cet inconnu pourrait bien être le fantôme ! » A cet instant précis, le mystérieux navigateur fit fonctionner son briquet pour allumer une cigarette. La flamme éclaira son visage. « Alfred Rugby! » s'exclama tout bas Marion. Alice réfléchissait. Si Rugby avait tenu le rôle du fantôme, il lui aurait fallu faire vite pour parcourir en canoë, à contre-courant, le chemin séparant l'embarcadère de Cumberland des rapides d'Eddy Run. Marion, à qui elle fit part de son idée, murmura en retour : « Peut-être Alfred et Dick sont-ils de mèche! » Alfred Rugby, cependant, avait repris sa pagaie et s'éloignait à la force du poignet. « Je me demande où il va, dit encore Marion. Et d'où il vient... Tu trouves naturel, toi, qu'il se ballade en canoë à deux heures du matin ? — Peut-être vient-il de chez Marc Bradshow, émit Alice. S'il est ici cette nuit, ce n'est peut-être qu'une coïncidence. Il est possible qu'il n'ait rien à voir avec Cumberland et Dick Sinsy. - Ma foi, avoua Marion en bâillant, j'ai un tel sommeil

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que je suis bien incapable de raisonner. Allons nous recoucher!» En arrivant à Ivy Hall, les deux amies trouvèrent Sheila, Bess et Annette folles d'inquiétude à leur sujet. « Dieu merci, vous voilà revenues saines et sauves! s'écria Sheila soulagée. Je me préparais à alerter la police. Vite, raconteznous ce qui vous est arrivé. Mais... on dirait que vous avez pris un bain tout habillées, ajouta-t-elle en constatant l'état dans lequel se trouvaient Alice et Marion. Allez donc passer un pyjama sec? Pendant ce temps je vous préparerai des boissons chaudes. Ensuite, nous vous écouterons... » Dix minutes plus tard, tout le monde se trouva réuni dans la chambre de l'actrice. Alice et Marion firent le récit de leur aventure. Alice craignait beaucoup que Sheila, devant les nouvelles manifestations d'hostilité du fantôme, ne parlât une fois encore de quitter Ivy Hall. Aussi fut-elle soulagée et heureusement surprise lorsque l'actrice se contenta de dire en conclusion :

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« Si Dick Sinsy est le mystificateur que vous pensez, je suis bien contente, Annette, que tu ne lui aies pas permis de te faire la cour. De toute manière, ce n'est pas un parti pour toi. » Annette en convint volontiers. Elle aussi était contente que sa mère parût avoir oublié ses craintes et ne mentionnât même pas l'apparition du paon qui l'avait tant effrayée. Au matin, ce lut Annette qui se chargea d'obtenir des renseignements sur Dick Sinsy. Elle téléphona à son hôtel et apprit que, effectivement, le jeune homme habitait bien là. « Pourriez-vous me dire, demanda-t-elle encore à l'employé au bout du fil, si M. Sinsy a passé toute la nuit dernière dans sa chambre? » L'employé se mit à rire et répondit qu'il n'était pas chargé de surveiller ses clients. Tout ce qu'il savait, c'est que M. Sinsy était sorti ce matin-là de bonne heure... Annette raccrocha, un peu dépitée. « Je crois que je n'ai pas l'étoffe d'un bon détective, soupira-telle tristement. — Vous avez quand même vérifié la résidence d'un de nos suspects, déclara Alice avec un sourire. Et vous avez appris aussi que, si nous voulons le suivre à la trace, il faut nous lever de bonne heure. — Tu te proposes vraiment de le pister? s'enquit Bess. — Ma foi non! Je crois en fin de compte qu'Alfred Rugby est encore plus suspect que lui. Je vais aller jusqu'à la ferme où il loge et essayer de recueillir le plus d'informations possible. — Je vous en prie, ne soyez pas longtemps absente, demanda Sheila d'une voix pathétique. Votre présence ici est tellement réconfortante! » Après avoir promis, Alice partit en voiture avec Marion et Bess qui avaient insisté pour l'accompagner. Une fois sur la route d'Uplands, Alice roula avec lenteur pour avoir le temps de déchiffrer les noms inscrits sur les boîtes aux lettres des différentes propriétés. Arrivée à la boîte marquée « Paget », elle s'engagea dans le chemin qui menait à une petite ferme en mauvais état.

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Au moment où la voiture s'arrêtait devant la porte de la cuisine, une femme maigre, aux cheveux gris, sortit de la maison pour accueillir les jeunes filles. C'était Mme Paget. Alice lui demanda si Alfred Rugby était chez lui. « Oh! non, répondit la fermière. M. Rugby n'est pas là. Je ne l'ai pas vu depuis une semaine. — Il n'habite donc plus chez vous? — Oui et non. Il a cessé d'y manger et d'y dormir, mais il passe de temps en temps prendre son courrier. — Mais où loge-t-il alors? demanda Alice, très étonnée. — Eh bien, j'ai idée qu'il habite maintenant chez son employeur... un certain M. Bradshow... » La curiosité se peignit sur le visage de Mme Paget. « Mais pourquoi cherchez-vous mon ancien pensionnaire, mademoiselle? Si vous le connaissez, c'est étonnant qu'il ne vous ait pas donné sa nouvelle adresse! »

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CHAPITRE XX UN DRÔLE DE CADEAU EN FAIT,

expliqua Alice, je ne connais pas M. Rugby. Mais je viens de River City où nous avons sa sœur comme voisine. Alors, comme je passais par ici, j'ai eu l'idée de... heu... lui transmettre le bon souvenir de sa famille. — Ah! Et que pensez-vous de Mme Brown? demanda sans malice la fermière. — Elle n'est pas très sociable, avoua Alice. — Je pense bien ! Quand elle habitait ici, à Charlottesville, personne ne pouvait la voir. Cette femme-là aurait fait battre des montagnes. A la fin, elle était devenue si indésirable qu'elle a jugé bon de déménager pour s'installer ailleurs. — Que lui reprochait-on au juste? Demanda Bess qui voyait bien que Mme Paget ne demandait qu'à parler.

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— Ses commérages pour commencer. Une vraie langue de vipère! Ensuite, elle avait pris l'habitude d'accuser les gens d'actes qu'ils n'avaient pas commis. — Comment ça? s'enquit Alice. — Eh bien, il paraît que Mme Brown faisait semblant d'attendre une lettre contenant de l'argent. Puis elle disait au facteur qu'elle ne l'avait pas reçue et qu'il devait l'avoir distribuée par mégarde à des voisins. Elle allait s'informer de porte en porte. Elle a même eu le toupet d'accuser une femme qu'elle n'aimait pas de lui avoir volé l'argent. » Les jeunes filles se regardèrent. Elles comprenaient que Mme Brown avait continué son manège à River City dans l'espoir d'escroquer les uns ou les autres. « Comme j'habite un peu à l'écart, continua la fermière, je n'ai appris cette histoire que lorsque M. Rugby a pris pension chez moi. On m'a averti que je ferais bien de "me méfier. Mais lui, c'est un honnête garçon, j'en jurerais. — J'ai cru comprendre qu'il était riche et aidait beaucoup sa sœur, hasarda Alice. — Riche lui! s'écria Mme Paget en riant. Il n'a pour ainsi dire pas un sou vaillant! Ça ne l'empêche pas de se donner des grands airs, vous savez. Remarquez que je ne veux pas en dire du mal! La seule chose qu'on pourrait lui reprocher, c'est de se croire un artiste de talent. Or, il paraît que ce qu'il fait ne vaut pas cher! » La fermière était lancée. Elle affirma encore que M. Brown, lui, passait pour un brave homme et qu'on le plaignait d'avoir épousé une harpie. Alice revint au sujet qui l'intéressait. « Puisque M. Rugby n'est pas riche, dit-elle, vous ne pensez donc pas qu'il ait pu envoyer de l'argent à sa sœur? — Je suis certaine que non! » s'écria Mme Paget avec conviction. Soudain, elle plissa le nez et poussa un cri : « Mon dîner brûle! » Les trois amies prirent rapidement congé et la fermière disparut en courant dans la cuisine. Alice décida alors de téléphoner 134

à son père de chez Suzanne. Elle tenait à le mettre au courant des événements. Et puis, elle avait envie d'embrasser sa cousine. Du reste, la demeure des Carr était toute proche. Hélas! ni Suzanne ni Cliff n'étaient chez eux. En revanche, Borah fit fête aux jeunes filles. Elle était ravie de constater qu'il ne leur était rien arrivé « dans cette maison hantée de malheur », ainsi qu'elle appelait Ivy Hall. « J'espère que vous allez bientôt revenir ici, mes demoiselles, déclara-t-elle. Vous y serez davantage en sécurité. » Alice sourit. « Merci de votre gentillesse, Borah, mais je n'en ai pas encore terminé avec l'affaire qui me retient chez les Patterson... » Borah poussa un gros soupir et hocha la tête d'un air désapprobateur. Bess suivit la domestique à la cuisine tandis qu'Alice téléphonait à M. Roy. « Borah, lui dit-elle gentiment, la pire épreuve que nous endurions à Ivy Hall, c'est d'être privées des bons petits plats que vous mijotez si bien! » Sensible à la flatterie, Borah sourit. Soudain, un soupçon lui vint et elle se montra de nouveau inquiète. « Est-ce que vous avez au moins suffisamment à manger làbas? demanda-t-elle. — Oh! oui, protesta Bess. Mais je suis gourmande et j'ai l'eau à la bouche lorsque je pense à vos « doigts de fée », à vos gâteaux au chocolat... ou simplement à vos poulets rôtis ! — Ah! vous êtes gourmande! répliqua la domestique en riant. Eh bien, tenez ! Régalez-vous ! » Et elle donna à Bess une énorme part d'un biscuit à la noix de coco qu'elle avait fait le matin même. Bess avalait la dernière miette lorsque Suzanne arriva. Elle était entrée par la porte de service et, à la vue de Bess, son visage s'éclaira. « Comme je suis heureuse de vous voir! s'écria-t-elle. Mais où sont Alice et Marion? » La jeune fille le lui dit.

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« Je pensais justement à vous et aux Patterson, reprit Suzanne. Borah, ajouta-t-elle en se tournant vers sa fidèle servante, je désire que nos invitées emportent un panier de provisions à Ivy Hall. Voulezvous vous charger de le préparer, je vous prie? Je suppose qu'avec tous leurs ennuis, Sheila et Annette n'ont guère le temps de cuisiner! — Excellente idée! approuva joyeusement Borah. — Voyons, de quoi pouvons-nous disposer? » Borah déclara qu'elle avait deux jambons en réserve, deux miches de pain frais et une pleine marmite de bouillon de poulet... sans compter deux magnifiques et énormes gâteaux meringués. Suzanne mit de côté une modeste part de ces provisions pour Cliff et Borah, abandonnant généreusement le reste à Bess et à ses compagnes. « Dès que le panier sera prêt, dit Borah, je le déposerai dans la voiture.

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— Maintenant, vous allez me raconter ce qui s'est passé à Ivy Hall depuis que vous m'avez quittée! » Et Suzanne, passant son bras sous celui de Bess, entraîna la jeune fille au salon. Alice et Marion, qui s'y trouvaient déjà, sautèrent au cou de Suzanne. Alice mit sa cousine au courant des événements. Suzanne l'écouta jusqu'au bout sans l'interrompre. Après quoi elle soupira : « Cette histoire semble à peine croyable. J'espère que vous allez redoubler de prudence. Je crains que ce mystère ne devienne de plus en plus dangereux... — En attendant, nous .progressons, assura Alice en se levant. A présent, il nous faut retourner à notre enquête. — N'oubliez pas! rappela Suzanne au moment du départ. C'est demain l'ouverture de la Semaine Fleurie. Nous avons rendez-vous pour faire le tour des jardins des environs. Passez me prendre de bonne heure ! » Alice le lui promit et partit à vive allure... A Ivy Hall, les trois amies trouvèrent Sheila et Annette fort intriguées par

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un paquet, long et étroit, qu'un petit commissionnaire venait de leur remettre à l'instant. Il était adressé à Annette. Pleine de curiosité, la jeune fille défit le papier et souleva le couvercle d'une boîte. A l'intérieur se trouvait un objet enveloppé de papier de soie, accompagné d'un billet qu'Annette déchiffra aussitôt. « C'est Dick qui m'écrit, annonça-1-elle en se rembrunissant. Le voilà qui se remet à me faire des compliments. Je suppose que son cadeau est destiné à m'attendrir. — Peut-être bien, murmura Marion en gloussant de joie. Voyons ce que c'est. » Annette déballa le présent et s'exclama dans un souffle : « Oh! » A son tour Sheila poussa un cri : « Un éventail de plumes de paon! » articula-t-elle, la gorge sèche. Puis elle se couvrit les yeux des deux mains et gémit. « La guigne ! La guigne me poursuit ! » Bess fut la seule à prendre au sérieux les lamentations de l'actrice. Alice et Marion avaient autre chose à faire. Elles prièrent Annette d'ouvrir l'éventail et se mirent à l'examiner avec attention. « C'est un objet ravissant », déclara Alice. Annette était du même avis, mais ses sentiments à l'égard de Dick ne changeaient pas pour autant. Le garçon ne lui était guère sympathique. Et puis, n'était-ce pas lui, le fantôme? « Annette, dit soudain Alice. Vous allez demander à Dick de venir vous voir... — Quoi! s'exclama la jeune fille. Vous jugez donc qu'il n'est plus suspect? — Au contraire, répondit Alice. Mais je pense que si vous l'invitez, il nous sera plus facile de résoudre le mystère. » Sheila s'interposa. Elle ne voulait plus que sa fille ait le moindre rapport avec Dick Sinsy. Elle exigeait même qu'Annette lui renvoyât l'éventail. « Attends un peu, maman, veux-tu? Alice a certainement un plan en tête. Écoute-la avant de prendre aucune décision.

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— Très bien, soupira Sheila. Je cède une fois de plus. Alors, Alice, que proposez-vous? — Invitez Dick à dîner demain soir, répondit la jeune détective. Et espérez... Je crois que nous réussirons à lui arracher la vérité, vous verrez. »

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CHAPITRE XXI L'HISTOIRE DE MAMAN JOHNSON fit quelques difficultés avant de consentir à recevoir Dick Sinsy. Alice réussit tout de même à la convaincre et Marion proclama bien haut qu'on pouvait faire confiance à sa «célèbre amie détective » pour prendre au piège le « détestable cowboy ». Après quoi ce fut au milieu des rires que l'on sortit de la voiture les provisions envoyées par Suzanne. « Je suis vraiment confuse! s'écria Sheila avec émotion. Comme les gens sont gentils avec moi! Je ne m'attendais pas à recevoir tant de marques d'affection de mes voisins lorsque j'ai décidé de m'établir dans le pays. — C'est que vous êtes charmante et que tout le monde vous aime, assura Bess. Je sais que chacun souhaite pour vous un nouveau rôle à votre mesure afin d'aller vous applaudir. » Sheila, les yeux humides, déclara que désormais elle aurait SHEILA

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davantage foi en elle-même et en l'avenir. Pour commencer, elle allait accepter de participer à un gala qu'on venait de lui proposer et pour lequel elle n'avait pas encore donné de réponse, ne se sentant pas de courage. « Bravo, maman! » s'écria Annette, radieuse. Après le déjeuner au cours duquel on fit honneur aux provisions de Suzanne, les cinq amies décidèrent de se consacrer à la toilette du jardin. Bêches, râteaux, binettes et tondeuse à gazon entrèrent bientôt en action. En fin d'après-midi, la pelouse, les massifs de fleurs et les buissons eux-mêmes avaient un tout autre aspect. Sheila était ravie. « Mon parc est décidément bien beau, soupira-t-elle. Je voudrais être sûre de toujours pouvoir rester ici. — Patience! murmura Alice. Vous serez bientôt débarrassée de votre fantôme!... Au fait, Dick doit être de retour à son hôtel. Si vous alliez lui téléphoner, Annette? C'est le moment! » Lorsque Annette revint après son coup de téléphone, elle annonça que Dick avait accepté l'invitation à dîner pour le jour suivant. La nuit se passa sans incident. Le lendemain, il faisait un temps splendide. Alice, Bess et Marion passèrent prendre Suzanne avec qui elles visitèrent tous les jardins du voisinage. Partout, c'était une débauche de fleurs toutes plus merveilleuses les unes que les autres. Alice, cependant, ne perdait pas de vue son objectif n° 1. Partout où elle passait, elle demandait si l'on ne connaissait pas une certaine famille Greystone. A chaque réponse négative — et elles l'étaient toutes! — elle s'informait alors d'un vitrail représentant un chevalier au bouclier orné d'un paon. Personne, hélas!, ne semblait avoir aperçu l'œuvre d'art. La journée tirait à sa fin et Alice n'avait obtenu aucun résultat positif, quand Suzanne proposa à ses amies de leur faire visiter l'une des plus vieilles propriétés de Virginie. M. van Buskirk, l'actuel possesseur du domaine, l'avait achetée avec l'intention de n'y rien changer... même pas les domestiques qui étaient restés sur place.

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« II y a même une vieille Négresse impotente, Marna Johnson, qu'on a gardée par pitié et qui, dans son fauteuil d'infirme, passe son temps à raconter des histoires du Sud. Sa mémoire est extraordinaire, paraît-il. Qui sait, peut-être pourra-t-elle te fournir un renseignement utile, Alice! » Suzanne ne se trompait pas... Les van Buskirk étaient des gens charmants qui accueillirent les visiteuses de façon cordiale... Après avoir pris congé d'eux, Suzanne entraîna ses amies du côté de la cuisine. « Bonjour, Marna Johnson, dit-elle en entrant. Nous sommes venues vous saluer au passage. — C'est gentil à vous », répondit la vieille femme en souriant. Suzanne expliqua alors que sa cousine Alice était détective et cherchait à se renseigner sur une famille Greystone qui se serait jadis installée dans la région. « Nous avons pensé à vous, Marna Johnson. Il n'y a pas grand-chose que vous ignoriez de l'histoire de ce pays.

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— Greystone! répéta la vieille servante en cherchant dans ses souvenirs. Je n'ai jamais entendu parler d'une famille de ce nom. Mais mon arrière-grand-mère travaillait chez des gens qui s'appelaient Grayse. Peut-être bien que c'étaient les mêmes personnes... qui avaient raccourci leur nom en arrivant en Amérique. — En arrivant en Amérique? répéta Alice. Ils venaient donc d'ailleurs ? — Oui. D'Angleterre! Et ce qui me fait dire qu'ils avaient peut-être changé de nom c'est qu'un jour où Mrs. Grayse était malade elle criait dans son délire : « Pardon, Lord Greystone. Nous n'aurions jamais dû quitter notre pays. Pardon! » Cette révélation émut Alice. Elle calcula que l'arrière -grandmère de Marna Johnson avait très bien pu se trouver au service des Grayse quelques années après 1850. « Où habite actuellement la famille Grayse? demanda-1-elle d'une voix pressante. — Ils sont tous morts depuis longtemps », répondit Marna Johnson avec un soupir. Alice parla alors du vitrail. La vieille domestique n'en avait jamais eu aucune connaissance. « S'il existe, ajouta-t-elle, peut-être est-il toujours là-bas... dans l'ancienne maison des Grayse. — Et cette maison... où se trouve-1-elle? interrogea Alice dont le cœur battait à grands coups. — Pas très loin d'ici... voyons... comment s'appelle-t-elle? Ah!... je m'en souviens!... Ivy Hall! » Les jeunes filles eurent du mal à réprimer un cri de joie. Dès qu'elles eurent quitté Marna Johnson, les commentaires allèrent leur train. Les familles Grayse et Greystone ne faisaient-elles qu'une? Et, dans ce cas, le vitrail perdu était-il caché dans la demeure de Sheila? « Je suis sûre, Alice, que tu es prête à démolir Ivy Hall si c'est nécessaire, avança Marion en riant. — J'espère bien que Dick Sinsy m'épargnera cette peine! répondit Alice sur le même ton. En attendant, il se fait tard.

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« Greystone ! répéta la vieille servante cherchant dans ses souvenirs ».

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Nous n'avons que le temps de reconduire Suzanne aux Neuf Chênes et de rentrer pour dîner... » Les trois jeunes filles arrivèrent à Ivy Hall un peu avant Dick. Elles avaient mûri leur plan pour le prendre au piège. Chacune avait un rôle à jouer. Le jeune homme se présenta, fort bien vêtu, et parut enchanté de l'accueil qu'on lui fit. Annette procéda aux présentations et, cette fois, le « cowboy » ne fit pas mine de se sauver. La conversation roula sur des futilités jusqu'au dessert. Bess demanda alors brusquement à l'invité de Sheila s'il connaissait Alfred Rugby. Il répondit que non. Alice le crut. Puis Marion aborda le sujet de la Semaine Fleurie, déplorant que M. Honsho n'ouvrît pas ses portes au public. « Savez-vous pourquoi, Dick? demanda-t-elle. — Non. Il vit en reclus. En apprenant que je venais de l'Oklahoma, il m'a prié de venir le voir pour lui parler des cultures et de l'élevage dans cet État. — Nous pensions que vous travailliez pour lui, dit Alice. J'ai remarqué que vous possédiez une clef de la propriété. — Vous savez, répondit le jeune homme en rougissant, M. Honsho ne quitte jamais le domaine... et comme cela l'ennuyait de se déplacer pour m'ouvrir... — Je vois. Le parc doit être très beau, j'imagine? — Oui, il y a des fleurs splendides, de grands arbres... — M. Honsho possède des paons, je crois? — Heu..., répliqua Dick en fronçant les sourcils, je... je ne suis pas autorisé à révéler les... heu... secrets de mon ami. » Alice exultait en son for intérieur. Dick commençait à se trahir!... Après le repas, Annette proposa au jeune homme de visiter la maison. Cela faisait partie du plan dressé par les jeunes filles. A la suite d'Annette, tout le monde se dirigea vers la bibliothèque. Alors, à la grande surprise d'Alice et de ses amies, Annette montra une cachette au fond de laquelle se trouvait un antique coffre-fort vide. De même, dans la cuisine, elle dévoila une pièce secrète, dissimulée derrière la cheminée.

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« C'est maman et moi qui avons découvert ces endroits mystérieux aujourd'hui même, expliqua-1-elle en riant. Mais il nous reste encore à voir le grenier, Dick... » Le jeune homme tressaillit. Une fois dans le galetas, Marion déclara d'une voix sépulcrale : « Dick Sinsy, c'est ici le repaire du fantôme d'Ivy Hall. » Alice et les autres éclatèrent de rire, mais Dick se força visiblement pour les imiter. Soudain, Annette passa son bras sous celui du jeune homme et l'entraîna délibérément vers la trappe que l'on avait dégagée de la malle. Elle s'arrêta juste dessus, sans lâcher Dick qui avait légèrement pâli. Au même instant, Alice fit mine de découvrir le panneau mobile et s'exclama : « Regardez donc! Voici une nouvelle cachette! Ah... j'aperçois un petit levier au fond. Attendez, je vais le tirer! » Pour le coup, Dick ne chercha plus à dissimuler son trouble. L'air effrayé, il s'écria : « Arrêtez ! Ne touchez pas à ça !» Et, en même temps qu'il jetait son avertissement le jeune homme empoigna Annette et, l'entraînant à sa suite, s'écarta vivement de la trappe fatale...

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CHAPITRE XXII LES AVEUX DU FANTÔME secondes durant, le silence régna... Sheila et les jeunes filles attendaient les réactions de Dick qui venait de se trahir comme elles l'avaient escompté. Cependant, voyant qu'il se tenait coi, Alice parla la première. « Ainsi, dit-elle, c'était vous le fantôme d'Ivy Hall! — Non, non! » protesta Dick d'une voix peu convaincante. Puis il se tut et baissa les yeux d'un air gêné. Marion attaqua à son tour : « Vous travaillez pour M. Honsho et vous avez lâché un de ses paons sur la pelouse l'autre nuit, n'est-ce pas? — Non. Je vous dis que non ! répéta Dick avec entêtement. A quoi bon nier? reprit alors Alice d'une voix douce. Il y a trop de preuves contre vous : la connaissance du mécanisme qui commande l'ouverture de la trappe entre autres! Vous avez joué au fantôme en vous affublant d'un drap pris PLUSIEURS

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dans cette malle que voici, et vous avez imaginé de laisser derrière vous des empreintes de paon. Nous avons retrouvé votre semelle truquée. — Comment avez-vous pu découvrir tant de choses? s'écria Dick, effondré. Vous êtes un fameux détective... mais, mais je n'ai rien fait de vraiment mal, vous savez! — Racontez-nous donc toute l'histoire, proposa Alice. Descendons et installons-nous dans de confortables fauteuils. — Vous n'appellerez pas la police? — Nous en déciderons après vous avoir entendu », répondit Sheila. Tout le monde se rendit au salon. Dick était pâle et abattu. Il commença son récit d'une voix tremblante. « Je travaillais comme cowboy dans l'Oklahoma. Mes parents n'étaient pas riches et je gagnais si peu que je résolus de tenter ma chance ailleurs... Je suis donc venu à Charlottesville. Un jour, le portier de l'hôtel m'a demandé si je voudrais accepter un emploi chez un certain M. Honsho qui cherchait quelqu'un pour l'aider à entretenir sa propriété. J'ai loué un vélo et je suis allé à Cumberland... » Dick s'étendit ensuite sur ses activités, puis révéla qu'un matin, en nettoyant une dépendance du domaine, il avait découvert un vieil agenda qui avait appartenu à l'un des précédents propriétaires. On y mentionnait l'existence d'un vitrail de grande valeur qui se trouvait dans la maison voisine. « Le jour même où j'ai fait cette trouvaille, continua Dick, j'ai eu l'occasion de lire un article du Continental qui parlait de l'offre de Sir Richard Greystone, un Anglais qui promettait une forte récompense à qui lui permettrait de mettre la main sur un vitrail semblable à celui décrit dans l'agenda. J'ai donc décidé de fouiller Ivy Hall pour y dénicher l'objet... » Dick hésita à cet endroit de son récit. Il rougit intensément, mais reprit bientôt avec franchise : « Pour commencer, j'ai essayé de me lier avec Annette pour avoir mes entrées libres à Ivy Hall. Quand j'ai vu que cette manœuvre n'aboutissait pas, j'ai songé à effrayer Mme 149

Patterson en introduisant un des paons de M. Honsho dans son parc. Il en élève des quantités, vous savez!... J'avais entendu dire que les comédiens étaient très superstitieux et croyaient que ces oiseaux attiraient la guigne... ». Annette foudroya le garçon du regard. « Sans l'intervention d'Alice Roy, vous auriez réussi! déclara-telle. Nous étions sur le point de vider les lieux... et de vous laisser la place. - Continuez, Dick! intima Alice au jeune homme tout penaud. - Ensuite... heu... eh bien, je me suis glissé la nuit dans la maison. Je l'ai explorée de fond en comble et j'ai découvert ses secrets... entre autres le mécanisme de la trappe. — C'étaient vos pas que nous entendions, murmura Annette. — Oui. Et l'autre nuit vous avez bien failli me surprendre. Je n'ai eu que le temps de me glisser dans la cachette du grenier... et puis j'ai fait tomber Alice et Marion dans la

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glissière. Je savais qu'elles pourraient sortir par la cuisine. — Mais pourquoi m'avez-vous effrayée en vous déguisant en fantôme? demanda Bess. Pourquoi n'êtes-vous pas resté tout simplement dans votre cachette? — T'ai profité de l'occasion pour tenter de frapper un grand coup... J'espérais-bien vous faire peur au point que vous quitteriez Ivy Hall en entraînant avec vous vos compagnes. — Vous avez essayé de nous jouer le même tour lorsque nous nous sommes lancées à votre poursuite, Marion et moi, dit Alice. — C'est exact, admit Dick. Je me suis enveloppé dans le drap que j'avais emporté et déposé derrière un buisson. Mais ma ruse a échoué et vous m'avez traqué jusqu'à Cumberland. La seule chose que j'aie pu imaginer pour me débarrasser de vous a été... la lance d'incendie de la propriété... Je crois que je suis un bon à rien, conclut le jeune homme d'un ton piteux. Pourtant, je ne voudrais pas aller en prison », ajouta-t-il d'un air suppliant. Laissant cette question en suspens, Alice posa la question qui lui brûlait les lèvres : « En fin de compte, avez-vous trouvé trace du vitrail au paon ? — Non, répondit le jeune cowboy. Et vous pouvez me croire... » Sheila eut pitié du regard implorant du « fantôme ». « Ma foi, dit-elle, nous sommes tous sujets à commettre des erreurs... surtout lorsque nous sommes impatients de gagner beaucoup d'argent. — Écoutez, murmura Dick timidement. Pour me racheter un peu, j'ai quelque chose à vous proposer. Voulez-vous que je vous présente à M. Honsho? Il est très gentil quand on le connaît et je suis certain que, si vous le lui demandez, il consentira à ouvrir son jardin au public! » Alice songea que le jeune homme était plus faible que méchant. Elle et ses compagnes acceptèrent l'offre de Dick, mais sans pour autant lui assurer encore qu'elles ne préviendraient pas la police. « Nous pouvons aller tout de suite à Cumberland si vous voulez, reprit Dick. M. Honsho se couche toujours très tard. »

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«Je ne voudrais pas aller en prison. »

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Les cinq amies et le « fantôme » se tassèrent donc dans la voiture et, faisant le tour par la route, s'arrêtèrent bientôt devant la porte de Cumberland. Dick guida les visiteuses à travers le parc jusqu'au perron. Là il sonna. Un homme mince, de taille moyenne, à la peau sombre et aux cheveux noirs, vint ouvrir. « Monsieur, annonça Dick, je me suis permis de vous amener ces personnes qui sont vos voisines et désireraient vous parler... » Alice et ses compagnes devinèrent que l'Indien devait être surpris et, sans doute même, ennuyé. Mais il n'en laissa rien paraître et, plein de tact, invita aimablement les visiteuses à le suivre dans la maison. Dick fit les présentations. M. Honsho se déclara enchanté de faire la connaissance de ses voisines. « Je suppose, dit-il en souriant, que ces dames ont percé mon innocent secret? — Oui, admit le jeune homme, embarrassé. Elles savent en effet que vous vous consacrez à l'élevage des paons. — Est-ce à mes paons que je dois l'honneur de votre visite? demanda l'Indien avec courtoisie. — Non, répondit Alice en souriant. Mon cousin, M. Carr, qui est un organisateur de la Semaine Fleurie, m'a chargée de vous demander si vous ne consentiriez pas à ouvrir votre parc au public pendant cette période. — Je n'en avais pas l'intention, avoua M. Honsho. Comme vous le savez, je ne voulais pas qu'on apprenne que j'élevais des paons. Les Américains, m'a-t-on affirmé, s'imaginent volontiers que ces oiseaux portent malheur. Je ne voudrais pas que le public moleste les miens. — Nous ne sommes pas aussi superstitieux que cela, répliqua Alice en riant franchement. Ni si méchants ! — Dans ce cas, mademoiselle, c'est avec grand plaisir que je réponds oui à votre requête... » L'aimable Indien insista ensuite pour montrer ses paons à Sheila et aux jeunes filles. Quand elles prirent enfin congé de leur hôte, elles étaient enchantées de leur soirée.

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Dick raccompagna Sheila et ses amies jusque chez elles. « Et maintenant, demanda-t-il d'un air craintif, allez-vous me dénoncer à la police? — J'ai décidé de passer l'éponge, déclara Sheila. Mais que cela vous serve de leçon, mon ami ! » Dick se répandit en remerciements. Annette voulut lui rendre l'éventail de plumes de paon, mais il insista pour qu'elle le conserve. « En souvenir de mon repentir », précisa-t-il. Après quoi, il enfourcha sa bicyclette et disparut dans la nuit... Les jeunes filles montèrent se coucher. Avant de se glisser dans son lit, Marion donna une tape amicale sur l'épaule d'Alice. « Félicitations, ma petite. Tu as résolu l'un des mystères qui nous tracassaient. Tu auras désormais l'esprit plus libre pour te concentrer sur les autres. » Le lendemain matin, Alice téléphona à Suzanne pour lui annoncer la bonne nouvelle : « Ça y est! M. Honsho consent à ouvrir son parc au public pour la Semaine Fleurie. — Pas possible, Alice! Comment es-tu arrivée à ce magnifique résultat? » Alice le lui expliqua et fut chaudement remerciée par sa cousine. Puis elle raccrocha, toute contente. M. Honsho téléphona lui-même un peu plus tard. Il expliqua que Dick était rentré directement après avoir raccompagné les visiteuses et qu'il avait tenu à travailler toute la nuit dans le parc pour achever de le mettre en état. Le public, averti par ses soins, pourrait commencer à visiter le jour même. L'aimable Indien ajouta que le jeune homme s'était confessé à lui de sa mauvaise action et qu'il s'en repentait sincèrement. Il termina en priant ses voisines de venir admirer son parc au grand jour, dans l'après-midi... Sheila et les jeunes filles se rendirent à l'invitation. Elles n'étaient pas les seules visiteuses. Tout le monde s'extasiait sur la beauté des fleurs... et sur celle des paons. M. Honsho semblait ravi. Alice et ses amies ne regagnèrent Ivy Hall qu'à l'heure du dîner.

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« Demain, déclara Alice en montant le perron, je me lèverai de bonne heure pour me mettre en quête du vitrail. — Je t'aiderai! » promit Marion avec enthousiasme. Bess fit écho à sa cousine. Cependant, Sheila avait glissé sa clef dans la serrure et ouvrait la porte d'entrée. Aussitôt un cri désolé lui échappa : « Oh! Ma pauvre maison! » Les jeunes filles se précipitèrent à sa suite. Un spectacle lamentable s'offrit à leurs yeux. Les murs, les planchers, les plafonds de toutes les pièces avaient été sondés sans ménagement. Des débris de plâtre traînaient partout. Cela faisait un gâchis affreux. On eût dit qu'une armée de vandales était passée par là.

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CHAPITRE XXIII LE VITRAIL RETROUVÉ était dans un tel état que les jeunes filles s'inquiétèrent. Elles craignaient une crise de nerfs. « Je vais appeler le docteur », décida Annette. Quand elle eut prévenu le docteur Tillett, Alice alerta la police. Le médecin et deux policiers arrivèrent presque en même temps. Le docteur fit coucher Sheila, puis lui administra un sédatif. La jeune femme s'endormit paisiblement et, au dire du praticien, devait se trouver rétablie le lendemain matin. Pendant ce temps, Alice s'était chargée de répondre aux policiers. Elle leur avait fait visiter la maison. On découvrit ainsi que les indésirables visiteurs s'étaient introduits dans la salle à manger en fracturant une fenêtre. Par ailleurs, on ne trouva aucun indice susceptible d'orienter l'enquête. L'un des inspecteurs, du nom de Hanley, déclara : SHEILA

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« Le malfaiteur n'a pas laissé d'empreintes digitales. Il portait sans doute des gants. A en juger par l'ampleur des dégâts, il n'était pas seul. » Les policiers se disposaient à partir lorsque Bess, qui se trouvait dans sa chambre, les appela à grands cris. Les deux hommes, suivis d'Alice, se précipitèrent. « Ces horribles cambrioleurs ont fouillé nos bagages, annonça Bess indignée, et ils ont emporté ma plus jolie combinaison! » Alice et Marion, qui étaient accourues de leur côté, vérifièrent rapidement leurs propres affaires. Tout comme Bess, elles constatèrent que leurs valises avaient été visitées et que différentes pièces de lingerie avaient disparu. Hanley fronça les sourcils. « Ces vols sont bien étranges! murmura-t-il. Ils s'accordent mal avec le sondage des murs. A moins que... oui, ce doit être ça! L'un des bandits devait être une femme! » Le policier se retira avec son collègue pour faire son rapport à ses chefs. Sitôt après leur départ, Alice et Marion clouèrent des planches sur la fenêtre endommagée. Elles ne se couchèrent qu'une fois certaines que toutes les issues étaient fermées. Bess demanda d'une voix ensommeillée si Alice avait des soupçons quant à l'identité des cambrioleurs. « Ma foi, répondit Alice, du moment que Dick Sinsy est hors de cause, Alfred Rugby devient notre suspect n° 1. — Et tu crois qu'il aurait volé notre lingerie? questionna Bess, étonnée. — Je pense plutôt qu'il a fouillé nos bagages pour voir si nous ne possédions pas des lettres de Lord Greystone relatives au vitrail disparu. Il en aura profité pour faire main basse sur nos dessous... dont Mme Brown héritera sans doute! — C'est révoltant! » s'exclama Marion. Mais, comme toutes trois étaient trop lasses pour continuer à discuter, elles éteignirent leur lampe et s'endormirent. Le lendemain matin, Sheila avait recouvré son sang-froid. Elle déclara que les dégâts seraient couverts par l'assurance et qu'il n'y avait pas à s'inquiéter de ce côté-là. 157

« Maintenant, annonça Alice après le petit déjeuner, j'ai l'intention d'explorer de nouveau toute la maison. Peut-être découvrirai-je si, oui ou non, nos cambrioleurs ont emporté le précieux vitrail. » Bien entendu, Sheila, Annette, Bess et Marion se joignirent à elle. Hélas! deux heures plus tard, les recherches n'avaient encore rien donné. Découragée, Marion soupira : a J'ai les cheveux pleins de poussière. Je vais monter me faire un shampooing. Ça me rafraîchira... » Elle achevait de monter l'escalier lorsque son regard fut attiré par un débris de verre rouge sur le tapis. Elle le ramassa et redescendit en courant. « Regardez ce que j'ai trouvé, dit-elle aux autres. C'est sans doute le voleur qui l'a fait tomber, qu'en pensez-vous? » Alice examina le morceau de verre en pleine lumière. « On dirait bien qu'il s'agit de verre à vitrail, murmura-t-elle. Et il semble vieux. — Quel malheur! s'écria Sheila d'un air désolé. Ce misérable a emporté le chevalier au paon. Nous ne pouvons plus espérer conclure d'affaire avec Sir Richard ! Nous ne pouvons même pas porter plainte. Car comment prouver que le vitrail a été volé chez nous ? — Écoutez, Sheila, dit Alice avec bonté. Peut-être tout ,n'est-il pas perdu. Il nous reste un espoir. Si Alfred Rugby est votre visiteur d'hier, peut-être a-t-il perdu un morceau de verre coloré n'ayant aucun rapport avec le fameux vitrail. N'oublions pas qu'il travaille dans le verre! Je vais essayer de me renseigner sur son emploi du temps d'hier. — Comment allez-vous vous y prendre? demanda Annette. — En téléphonant à ma cousine Suzanne pour la prier d'appeler Marc Bradshow. Il saura bien lui dire si Alfred Rugby habite chez lui et s'il s'est absenté dans la journée d'hier. » Mise au courant, Suzanne s'indigna que la maison de Sheila ait été pillée. Elle accepta volontiers la mission dont Alice désirait la charger... Dix minutes plus tard, la jeune femme rappelait Ivy Hall pour transmettre à sa cousine la réponse de Marc Bradshow...

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« Ces vols sont bien étranges.' » murmura-t-il.

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Pour commencer, Alfred Rugby n'était pas pensionnaire chez son employeur. Il n'avait jamais couché à l'atelier. Ensuite, Marc et Patricia Bradshow ignoraient les activités de Rugby le jour précédent parce que tous deux étaient allés visiter les jardins du voisinage et n'étaient rentrés que tard. « Tu as fait du bon travail, Suzanne. Je te remercie. — Et moi, je suis contente de te rendre service, Alice. N'hésite pas à faire appel à moi si je peux encore t'être utile. » Alice raccrocha et se tourna vers ses compagnes qui avaient suivi le dialogue. « Vous voyez, dit-elle. Rugby a eu une merveilleuse occasion d'opérer hier en toute tranquillité. Je vais procéder à une petite enquête pour savoir où il habite. » La jeune détective eut vite dressé un plan d'action. Il fut décidé qu'avec Marion et Bess elle suivrait Alfred Rugby lorsqu'il quitterait l'atelier après son travail. « S'il part en voiture, expliqua-t-elle, il nous suffira de le « filer » avec la nôtre. Mais s'il s'en va en canoë, il faut pouvoir disposer nous-mêmes d'une embarcation. Nous la dissimulerons aux abords d'Eddy Run... et nous attendrons les événements. » Une fois de plus, Suzanne fut mise à contribution. Elle emprunta à des voisins un canoë que Cliff attacha sur le toit de sa voiture et apporta sur-le-champ à Ivy Hall. Les jeunes filles portèrent le léger esquif jusqu'à la rivière et pagayèrent jusqu'à proximité de F en House. Puis elles cachèrent le canoë dans les roseaux et revinrent à pied. « A quelle heure commencerons-nous notre filature? demanda Marion. — Vers cinq heures, répondit Alice. Alfred quitte en principe l'atelier au quart. » Sheila fit goûter copieusement les trois amies qui se mirent en route avant même le moment fixé. Alice gara la voiture dans un chemin creux proche de Fen House, puis, suivie de ses compagnes, coupa à travers bois pour s'approcher le plus possible de l'atelier. Arrivées là, toutes trois se dissimulèrent dans les buissons.

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Par la fenêtre, elles apercevaient Alfred Rugby qui était seul mais ne faisait pas mine de s'en aller. Une heure s'écoula ainsi, puis une autre, au grand étonnement des jeunes guetteuses. « Il commence à faire sombre, murmura Bess. Si nous partions? — Restons, au contraire. Je suis sûre qu'il va se passer quelque chose », déclara Alice en se rapprochant encore de l'atelier. Soudain, à la lumière d'une lampe posée à côté de lui, Alice, Bess et Marion virent Rugby décrocher le combiné du téléphone. Mieux encore ! Comme la fenêtre était ouverte, elles l'entendirent demander un numéro à New York. La communication établie, il parla. « Allô! Sir Richard Greystone? » Dans l'ombre, les jeunes filles tressaillirent. « Vous prenez l'avion et vous venez me retrouver. J'en suis heureux. Le vitrail au paon est dans un état de conservation parfaite.

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Attendez seulement de le voir... Entendu. A bientôt. » Alice et ses amies étaient consternées. Ainsi, c'était bien Alfred Rugby qui avait le fameux vitrail. Sans doute avait-il pris contact avec Sir Richard pour le lui vendre ! « C'est terrible! soupira Bess. Mais que faire? » Sitôt son coup de téléphone donné, Rugby éteignit la lumière, quitta l'atelier et se dirigea vers Eddy Run. « Suivons-le! » murmura Alice. Silencieuses comme des ombres, les trois jeunes détectives se glissèrent jusqu'au bord de l'eau. Elles virent Alfred monter dans son canoë et s'éloigner en pagayant. Mais déjà leur propre canoë était poussé à la rivière. Alice s'installa devant et Marion à l'arrière, pagaie en main. Bess prit place au milieu. La poursuite n'était pas facile. Rugby, familiarisé avec les eaux tumultueuses du rapide, zigzaguait avec aisance parmi les rochers. Alice et Marion comprirent vite qu'elles devaient renoncer à traquer leur gibier. Mais elles firent cette découverte trop tard. Leur canoë venait de heurter une roche. On entendit le bois craquer... et les trois amies se retrouvèrent au milieu du courant.

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CHAPITRE XXIV PRISES AU PIÈGE! « QUELLE déveine! s'écria Marion en recrachant l'eau qu'elle avait avalée. Nous voilà dans de beaux draps! » Elle aida Bess à gagner la berge, puis revint donner un coup de main à Alice qui s'efforçait de dégager le canoë. A elles deux, elles parvinrent à tirer l'épave au sec. « Inutilisable, soupira Alice. Pour le rembourser, il faut absolument gagner cette récompense ! » Fort dépitées, les trois amies retournèrent chercher leur voiture et rentrèrent à Ivy Hall. Le récit de leur aventure consterna Annette et Sheila. « Vous voyez bien, déclara l'actrice, que ces maudits paons nous ont porté malheur...

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— Sheila, coupa brusquement Alice, il est fort possible qu'Alfred Rugby n'ait pas trouvé le vitrail des Greystone. » Sheila, Annette, Bess et Marion dévisagèrent Alice d'un air stupéfait. « Que?... que voulez-vous dire? bégaya l'actrice. — Eh bien, je ne serais pas surprise si Rugby avait fabriqué lui-même un faux vitrail. Il connaît assez bien son métier pour imiter de l'ancien, je suppose. — Tu crois que le morceau de verre rouge que j'ai trouvé est un échantillon de son travail? demanda Marion. — Oui. Il est fort possible que Rugby ait fait ce faux avec l'espoir de l'utiliser s'il ne réussissait pas à mettre la main sur le vrai. Sa perquisition ici n'ayant rien donné, il s'est décidé à vendre sa copie. Il s'apprête à duper Sir Richard... — Oh! Alice! s'écria Sheila. Comme je voudrais que votre raisonnement soit juste! Car alors... peut-être que le véritable vitrail est encore à Ivy Hall? — C'est mon opinion. Nous nous mettrons à sa recherche demain matin. » Le lendemain donc, après un petit déjeuner rapide, les cinq amies, palpitant d'espoir, reprirent une fois de plus leurs investigations. Elles se fixèrent chacune un secteur bien distinct à explorer. Alice, pour sa part, se chargea de l'extérieur de la bâtisse. Elle ht le tour de la maison à plusieurs reprises, étudiant sous tous les angles les différents motifs architecturaux. Ne constatant rien d'anormal, elle examina de près les portions de murs dissimulées sous le lierre. Elle arriva bientôt à la hauteur de la bibliothèque. Là, les briques semblaient d'une autre couleur que celles du reste de la demeure. La jeune détective se demanda s'il était possible que la fenêtre au vitrail ait été murée à cet endroit. Elle appela ses compagnes qui accoururent. a Allons voir à l'intérieur », proposa-t-elle. Quand les cinq amies furent arrivées dans la bibliothèque, • Alice demanda à Sheila la permission de sonder le mur. 164

« Je vous en prie, dit l'actrice. Vous ne pourrez guère aggraver les dégâts. » Alice s'arma d'une paire de pincettes et commença à attaquer le plâtre sans violence. Des gravats tombèrent à ses pieds. On distingua bientôt ce qu'il y avait sous ce revêtement friable. « Un mur de briques », soupira Sheila, déçue. Mais Alice refusa de se laisser décourager. « En supposant qu'une fenêtre ait été sertie là autrefois, il est fort possible qu'on l'ait, murée des deux côtés, expliqua-t-elle. — Vous croyez? murmura l'actrice en reprenant espoir. — Il est en tout cas facile de s'en assurer. Pour cela, il suffit de desceller une ou deux briques et de voir ce qui se trouve derrière. — Oui, vous avez raison, approuva Sheila qui retrouvait quelque enthousiasme. Après tout, que risquons-nous? » Annette, elle aussi, recommençait à espérer.

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« Attendez! jeta-t-elle par-dessus son épaule en se précipitant dehors. Je vais chercher des outils! » Elle revint bientôt, porteuse d'un marteau et d'un ciseau à froid. Avec précaution, Alice introduisit le ciseau entre deux briques. Puis elle frappa dessus à petits coups. Peu à peu, le mortier se désagrégea et il fut possible de dégager une brique. Alice projeta la lumière d'une lampe électrique dans l'ouverture, car la pièce était obscure et l'on y voyait mal. Alors, chacune retint son souffle... On apercevait un morceau, rouge et bleu, d'un vitrail ancien... « Quel bonheur! s'écria Sheila la première! C'est bien la fenêtre perdue! » Le cœur d'Alice battait à se rompre. « A présent, dit-elle, il faut immédiatement arrêter Rugby avant qu'il ne soutire de l'argent à Sir Richard. — Mais comment? demanda Bess. Nous ne savons pas où

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il habite et il n'est certainement pas à l'atelier en ce moment. Il doit préparer sa rencontre avec Lord Greystone. — Tu as raison, répliqua Alice, mais il doit avoir un pied-àterre quelque part en amont de la rivière. C'est toujours de ce côté qu'il se dirige. Tâchons de repérer l'endroit! » II fut décidé que Sheila et Annette resteraient à Ivy Hall pour veiller sur le précieux vitrail. Si près de la victoire, on ne pouvait risquer qu'il lui arrivât quelque chose. « Et maintenant, en route! s'écria Alice. — Si nous devons remonter la rivière, lui rappela Marion, il nous faut un canoë. N'oublie pas que le nôtre est inutilisable. — C'est vrai, reconnut Alice, un peu honteuse d'avoir négligé cet important détail. Mais attends, j'ai une idée. Je vais demander à M. Honsho s'il possède une embarcation et s'il peut nous la prêter. » Elle téléphona à l'Indien qui, fort aimablement, déclara que son canoë était à la disposition des jeunes filles et qu'il allait, ordonner à Dick de le mettre à l'eau sur-le-champ. Alice remercia et entraîna ses amies vers la rivière. Dick les y attendait et les aida à embarquer. Elles remontèrent alors le courant en regardant à droite et à gauche. Mais nulle part elles n'aperçurent clé maison susceptible de servir de logis à Rugby : la plupart des propriétés entrevues étaient luxueuses et appartenaient à des gens qui, sans doute, ne se souciaient guère de louer fût-ce une chambre à un garçon comme Rugby. Enfin, Alice, remarqua une ferme en mauvais état qui, à première vue, semblait inhabitée. C'était bien un endroit à servir de repaire à un homme ayant de louches activités. « Explorons le coin », proposa-t-elle à Marion et à Bess. Les trois amies mirent donc pied à terre et s'approchèrent de la bâtisse. Rien ne bougeait à l'intérieur. Alice se risqua à frapper à la porte. Pas de réponse. « Parfait, dit Marion. Profitons-en. Jetons un coup d'œil à la maison d'abord, puis nous irons voir cette grange, là-bas. » Elles commencèrent à faire le tour de la maison que cernaient de hauts buissons. A plusieurs reprises, elles tentèrent

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de scruter les pièces du rez-de-chaussée à travers les rideaux crasseux qui voilaient les fenêtres. Et soudain elles s'arrêtèrent, le souffle coupé. Sur un des côtés de la maison, l'une des fenêtres n'était autre que... le vitrail au paon, dans toute sa splendeur! Il correspondait en tout point à la description parue dans le Continental. « Oh! » s'écria Bess sidérée. Au même instant les buissons s'écartèrent derrière les jeunes filles. Elles se retournèrent... pour se trouver nez à nez avec Alfred Rugby. A aucun prix le misérable ne devait se douter qu'elles le soupçonnaient presque à coup sûr d'être l'auteur d'un faux « vitrail au paon ». Alice, souriante, se dépêcha de parler la première. « Comme ce vitrail est joli! s'exclama-t-elle. C'est une œuvre exquise, remarquable même! » Le regard soupçonneux de l'homme s'adoucit. « Vous trouvez? » dit-il. A leur tour, Marion et Bess se mirent à louer bien haut le chefd'œuvre. « Puisqu'il vous plaît, venez l'admirer de l'intérieur, proposa Rugby avec entrain. Il est encore plus joli! » II les fit entrer dans la maison. Certes, l'effet lumineux donnait un relief particulier à l'image! Mais Alice était tout à fait certaine que celui qu'elle avait présentement sous les yeux n'était qu'une reconstitution du « chevalier au paon ». Et, soudain, l'inattendu se produisit. Un homme et une femme surgirent de la pièce voisine, des cordes et des bâillons à la main. Alice reconnut Mme Brown. « Sale petite espionne! siffla la femme entre ses dents. — Tais-toi! jeta Rugby en s'emparant d'une corde. Ficelons plutôt ces trois demoiselles ! » Revenues de leur surprise, Alice, Bess et Marion se débattirent de toutes leurs forces. Mais elles eurent évidemment le dessous. Rugby et ses complices les ligotèrent avec soin, puis leur enfoncèrent à chacune un bâillon dans la bouche. Ensuite

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le sinistre trio transporta les prisonnières dans la grange, à quelques mètres de la maison. Les bandits hissèrent l'une après l'autre les jeunes filles dans le grenier à foin. Alors, un sourire satisfait sur les lèvres, ils les laissèrent là et s'en furent.

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CHAPITRE XXV LE SECRET D'IVY HALL C'EST EN VAIN

qu'Alice et ses compagnes tentèrent de se libérer de leurs liens. N'y parvenant pas séparément, elles se rapprochèrent les unes des autres et travaillèrent à se délivrer mutuellement. Mais cela n'était pas facile. Au bout de dix minutes d'efforts, elles s'arrêtèrent pour se reposer un peu. A ce même instant, elles entendirent une voiture arriver, puis deux portières claquer. Une voix à l'accent anglais très prononcé appela : « II y a quelqu'un ici? » Impuissantes, les jeunes filles se représentèrent Rugby faisant son apparition sur le seuil. Elles perçurent sa réponse. « Soyez le bienvenu, Lord Greystone. Je suis très heureux de vous rencontrer. »

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Sir Richard nomma son compagnon, un certain M. Peters, puis les trois hommes entrèrent dans la maison. « II faut absolument que je tente quelque chose! » se dit Alice. Se redressant, elle regarda autour d'elle, en quête d'un objet susceptible de l'aider à se débarrasser de ses liens. Elle aperçut dans un coin une faux. Non sans peine, elle se traîna jusque-là et, au prix d'une entaille au poignet, parvint à libérer ses mains. Elle ôta alors son bâillon, puis trancha la corde qui lui attachait les chevilles. Après quoi, elle s'empressa de délivrer Bess et Marion. « Vite! leur dit-elle alors. Il faut empêcher Rugby de dépouiller Lord Greystone! » A la minute précise où les trois amies achevaient de descendre l'échelle du grenier à foin, Sir Richard sortait de la maison. Elles l'entendirent déclarer : « Monsieur Rugby, je ne peux pas vous dire à quel point je vous suis reconnaissant. Dire que j'ai enfin trouvé ce précieux vitrail qui se trouvait depuis des siècles dans ma famille ! Venez avec moi à mon hôtel et je vous signerai un gros chèque. Dans mon émotion, voyez-vous, j'ai oublié mes papiers là-bas. — Entendu, répondit Rugby. Je vous suis dans ma voiture. » Alice se précipita en avant, suivie de Bess et de Marion. Des brins de paille se mêlaient à ses cheveux blonds en désordre, mais elle se souciait peu de son apparence. Au bruit de leurs pas, les trois hommes se retournèrent. Rugby pâlit légèrement. Bess constata que l'un des Anglais ressemblait beaucoup au fringant cavalier représenté sur le portrait qu'elle avait admiré dans le grenier d'Ivy Hall. Ce fut à lui que, d'instinct, Alice s'adressa. a Sir Richard Greystone? demanda-t-elle. — Oui », répondit-il étonné. C'était un homme distingué, aux tempes blanchies prématurément. Rugby foudroya Alice du regard cependant que, d'un ton faussement enjoué, il tentait de l'écarter de son chemin. « Excusez-nous, mes petites. Nous sommes pressés! » Mais Alice ne s'en laissa pas imposer. « Sir Richard, reprit-elle, je suis Alice Roy, de River City. 171

Vous vous rappelez peut-être que mon père, James Roy, vous a téléphoné récemment pour vous avertir que je me proposais de retrouver votre vitrail perdu. Si je me permets de vous aborder ainsi c'est qu'il vaudrait sans doute mieux que vous contrôliez l'authenticité du vitrail de M. Rugby avant de signer le moindre chèque. » Mme Brown, qui avait rejoint son frère, bondit alors sur Alice comme une furie. « Espèce de chipie! De quoi vous mêlez-vous! » Sa brutale intervention eut l'air de beaucoup choquer Sir Richard et son compagnon. Alfred Rugby parut démonté un bref instant, mais se reprit très vite. Passant son bras sous celui de l'Anglais, il tenta de l'entraîner vers la voiture. « Ne faites pas attention à ces gamines. Elles sont furieuses de n'avoir pas mérité elles-mêmes la récompense, voilà tout. Allons, venez! » Sir Richard se dégagea et, se tournant vers Alice :

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« Je me souviens en effet fort bien d'avoir parlé à votre père, dit-il. Cependant... pouvez-vous préciser votre accusation? » Alice raconta alors rapidement l'essentiel de l'histoire et termina en décrivant la manière dont Rugby et sa sœur les avait faites prisonnières, Marion, Bess et elle-même, et comment elles avaient réussi à s'échapper juste à temps pour intervenir. En croyant à peine ses oreilles, l'Anglais se tourna vers Rugby... Mais déjà celui-ci et ses complices se précipitaient dans la maison et claquaient la porte derrière eux. Le réflexe immédiat des jeunes filles fut de se lancer aux trousses des bandits. Trop tard! Après avoir traversé la maison, ils avaient dû ressortir de l'autre côté et sauter dans leur voiture, car on entendit soudain ronfler le moteur d'une auto. « Poursuivons-les! s'écria Alice en revenant vers les Anglais. — D'accord! Je conduirai, déclara M. Peters. Montez vite! » La chasse commença. La voiture de Rugby se dirigeait vers le nord. A un carrefour, les poursuivants eurent la chance de rencontrer une voiture de police. Après un bref colloque, les policiers acceptèrent de prendre la relève et foncèrent à toute vitesse vers le gibier qui était sur le point de disparaître à l'horizon. « Si vous les rattrapez, leur avait dit Alice, prévenez-nous... J'habite Ivy Hall. » A la demande de la jeune détective, Sir Richard accepta volontiers, non seulement de déposer les trois amies à Ivy Hall, mais de faire la connaissance des Patterson. « C'est que, voyez-vous, j'ai une surprise pour vous », déclara Alice avec un malicieux sourire... » Et elle expliqua alors à l'Anglais qu'elle croyait bien avoir découvert le vitrail du chevalier au paon... l'authentique, celui-là! « Puissiez-vous dire vrai! soupira Sir Richard avec ferveur. Je viens d'éprouver une telle déception que ma joie en serait plus grande encore ! » Sheila fut enchantée d'accueillir Lord Greystone et son compagnon. Les nouvelles aventures d'Alice et de ses amies lui arrachèrent des cris de surprise. Cependant, tout le monde était impatient de voir le fameux vitrail. 173

On se rendit en procession à la bibliothèque où, fort ému, Sir Richard en personne se mit en devoir de retirer les briques qui dissimulaient encore l'œuvre d'art. Au bout d'une heure, et bien que le vitrail ne fût encore qu'en partie dégagé, il fut impossible de douter plus longtemps de ce qu'il représentait : c'était bien le chevalier au paon ! « Quel bonheur! s'écria Lord Greystone avec enthousiasme. Non seulement ce vitrail est authentique, mais il est admirablement conservé! Mademoiselle Roy, je ne sais comment vous exprimer ma reconnaissance... » Sheila insista pour que les deux Anglais partagent le repas qu'elle venait de préparer. Ils acceptèrent volontiers et, au dessert, Sir Richard raconta l'histoire du fameux vitrail perdu. « Lorsque mon bisaïeul, Lord Greystone, mourut en

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1849, il laissait deux fils. L'aîné hérita du domaine ancestral et de la presque totalité de la fortune. Dépité, Bruce, le cadet, émigra aux États-Unis. Avec lui, il emportait le précieux vitrail, image d'un lointain ancêtre partant pour la croisade, qui ornait l'une des fenêtres du hall, au château de Greystone. Ce vitrail était en place depuis 1300 et le frère de Bruce fut désolé de sa disparition. Durant toute ma jeunesse, j'ai entendu parler de cette histoire de vitrail perdu. Je me suis juré de retrouver le chef-d'œuvre s'il existait encore. Grâce à vous, j'ai atteint mon but », ajouta-t-il en se tournant vers Alice. Lord Greystone ajouta qu'il se proposait non seulement de verser la récompense promise, mais encore d'acheter le vitrail à Mme Patterson. Ainsi, Alice allait pouvoir donner une forte somme à l'hôpital des enfants de River City, et Sheila faire restaurer Ivy Hall. Après le repas, on retourna dans la bibliothèque pour continuer à dégager le vitrail. Chacun travailla à tour de rôle. Ce fut à Alice qu'échut l'honneur d'une intéressante

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découverte. Entre deux briques, elle trouva un message jauni par le temps mais encore lisible. Elle le tendit "à Lord Greystone qui lut tout haut : J'ai décidé de faire murer ce vitrail pour le protéger, car la guerre qui oppose les États du Nord à ceux du Sud bat son plein. Notre famille a pris le nom de Grayse depuis que, venant d'Angleterre, je me suis établi ici en 1849. Mon père était Sir Henry Greystone. Si aucun de mes descendants directs n'est vivant à l'époque où l'on retrouvera ce vitrail, je demande en grâce qu'on fasse des recherches pour pouvoir le rendre à celui qui portera alors le titre de Lord Greystone. Bruce Grayse. Les yeux de Sir Richard étaient humides lorsqu'il eut fini de lire le message d'outre-tombe.

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« S'il en était besoin, déclara-t-il, cette preuve suffirait à me convaincre de l'authenticité du chef-d'œuvre. Soudain, chacun dressa l'oreille. Une voiture remontait la grande allée. Annette se précipita à la fenêtre et s'écria : « Voilà la police! » Sheila et ses hôtes s'avancèrent sur le perron. Un officier de police leur désigna joyeusement Alfred Rugby, Mme Brown et leur acolyte, entassés au fond de la voiture. « Ces bandits ont fait des aveux complets! » déclara-t-il. Alice apprit alors que tous ses soupçons étaient fondés. Alfred et sa sœur avaient commencé par se livrer à de menues escroqueries en accusant des gens de leur avoir volé de l'argent contenu dans des lettres. Puis Alfred avait entendu parler des recherches de Lord Greystone pour retrouver le vitrail au paon. Immédiatement, il avait entrepris de réaliser un faux, d'après la description parue dans le Continental. Lorsque Alice avait dessiné un paon devant lui, il avait eu peur qu'elle n'ait- déjà découvert elle-même le vitrail : il supposait que le paon était une copie de l'original. Par la suite, il avait changé d'idée. Lorsque Mme Brown avait su qu'Alice se proposait de partir en Virginie pour y enquêter, elle avait sur-le-champ averti son frère. Craignant que la jeune fille ne finisse par aboutir à son faux vitrail au paon, Alfred avait envoyé un télégramme signé du nom de Suzanne puis, de plus en plus affolé en voyant qu'Alice s'obstinait à se rendre à Charlottesville, il avait provoqué les deux accidents d'automobile qui auraient pu coûter la vie à Suzanne et à ses amies. « Je n'avais pas l'intention de vous tuer, bredouilla Alfred en réponse à une question d'Alice. Je voulais simplement vous obliger à vous tenir à l'écart jusqu'à ce que j'en aie terminé avec cette affaire. Après avoir vendu le vitrail à Lord Greystone, j'aurais disparu... » D'autres détails vinrent à la lumière. Pour réaliser un vitrail aussi bien réussi, Alfred avait dérobé des dessins à Marc Bradshow ainsi que du verre de couleur... C'était lui, bien entendu, le chauffeur masqué qui avait tant effrayé 177

Suzanne... Lui aussi qui avait frappé Alice dans l'ombre, au cours d'une incursion dans le jardin des Carr... C'était lui encore qui, accompagné de sa sœur, avait profité de l'absence de Sheila et des jeunes filles pour mettre à sac leur demeure dans un ultime effort pour découvrir le vitrail authentique. Ainsi, le mystère du « chevalier au paon » était éclairci. Alice le regrettait presque... Elle regarda les policiers disparaître avec leurs prisonniers, puis rentra dans la maison pour téléphoner à Suzanne. Tout heureuse des bonnes nouvelles qu'on lui communiquait, la jeune femme déclara : « Bravo, Alice ! Tu es une fille formidable. Après ce beau succès, tu vas venir te reposer aux Neuf Chênes, j'espère? En attendant, je vais passer un coup de fil aux Bradshow pour les mettre au courant. » Un instant plus tard, Marc Bradshow en personne appela Alice. Il s'excusa de l'attitude méfiante et inamicale qu'il avait eue à son égard et la remercia d'avoir démasqué son assistant dont luimême n'aurait jamais soupçonné la malhonnêteté. 178

Lorsque Alice rejoignit les autres dans la bibliothèque, elle les trouva en extase devant le vitrail complètement dégagé. Lord Greystone annonça qu'il allait prendre toutes mesures utiles pour que le chef-d'œuvre soit transporté en Angleterre et reprenne sa place dans le château ancestral. Là-dessus, Sheila sortit pour répondre à un appel téléphonique. Quand elle revint, elle était radieuse. « Je ne dirai jamais plus que les paons portent malheur! s'écria-telle avec entrain. Mon agent vient de me faire savoir qu'on me propose un rôle magnifique dans une nouvelle pièce qui doit démarrer à Broadway à la rentrée! C'est la plus merveilleuse chance de ma carrière ! » Annette, tout heureuse, embrassa sa mère que chacun félicita à son tour. Ce fut Marion qui eut le mot de la fin. Jetant un regard espiègle à Alice, elle lui dit : « Et maintenant que ce mystère-ci est résolu, je parie que tu en espères déjà un autre! Un détective comme toi... ça ne connaît pas le chômage! »

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Imprimé en France par Brodard-Taupin, Imprimeur-Relieur. CoulommiersParis. 62492-1-4-2462. Dépôt légal : 3145, 2e trim. 1965.

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Alice Roy Alice Roy est l'héroïne des livres suivants : (ordre de sortie en Amérique) 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17.

Alice détective Alice au manoir hanté Alice au camp des biches Alice et les diamants Alice au ranch Alice et les faux monnayeurs Alice et le carnet vert Quand Alice rencontre Alice Alice et le chandelier Alice et le pigeon voyageur Alice et le médaillon d'or Alice au Canada Alice et le talisman d'ivoire Alice et la statue qui parle Alice et les contrebandiers Alice et les chats persans Alice et la malle mystérieuse

(The secret of old dock) 1930 1959 (The hidden staircase) 1930 (The bungalow mystery) 1930 (The mystery at Lilac inn) 1930 (The secret at shadow ranch) 1931 (The secret of red gate farm) 1931 (The due in the diary) 1932 (Nancy's mysterious letter) 1932 (The sign of the twisted candle) 1933 (The password to larkspur Lane )1933 (The due of the broken locket) 1934 (The message in the hollow oak) 1935 (The mystery of the ivory charm) 1936 (The whispering statue) 1937 (The haunted bridge) 1937 (The due of the tapping heels) 1939 (Mystery of the brass bound trunk) 1940

18. Alice et l'ombre chinoise

(The mystery at the moss-covered mansion) 1941

19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. 28. 29. 30. 31. 32. 33. 34. 35. 36. 37. 38. 39. 40. 41. 42. 43. 44. 45.

(The Quest of the Missing Map) 1942 (The due in the jewel box) 1943 (The secret in the Old Attic) 1944 (The due in the crumbling wall) 1945 (The mystery of the tolling bell) 1946 (The due in the old album) 1947 (The ghost of blackwood hall) 1948 (The due of the leaning chimney) 1949 (The secret of the wooden lady) 1950 (The due of the black keys) 1951 (The mystery at the ski jump) 1952 (The due of the velvet mask) 1953 (The ringmaster's secret) 1953 (The scarlet slipper mystery) 1954 (The witch-tree symbol) 1955 (The hidden window mystery) 1956 (The haunted show boat) 1957 (The secret of golden pavilion) 1959 (The due in the old stage-coach) 1960 (The mystery of the fire dragon) 1961 (The due of the dancing puppet) 1962 (The moonstone castle mystery) 1963 (The due of the whistling bagpipes) 1964 (The phantom of pine hall) 1965 (The mystery of the 99 steps) 1966 (The due in the crossword cipher) 1967 (The spider sapphire mystery) 1968

Alice dans l'île au trésor Alice et le pickpocket Alice et le clavecin Alice et la pantoufle d'hermine Alice et le fantôme Alice et le violon tzigane Alice et l'esprit frappeur Alice et le vase de chine Alice et le corsaire Alice et les trois clefs Alice et le vison Alice au bal masqué Alice écuyère Alice et les chaussons rouges Alice et le tiroir secret Alice et les plumes de paon Alice et le flibustier Alice aux îles Hawaïf Alice et la diligence Alice et le dragon de feu Alice et les marionettes Alice et la pierre d'onyx Alice en Ecosse Alice et le diadème Alice à Paris Alice chez les Incas Alice en safari

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46. 47. 48. 49. 50. 51. 52. 53. 54.

Alice et le mannequin Alice et la fusée spatiale Alice au concours hippique Alice et le robot Alice et la dame du lac Alice et l'œil électronique Alice à la réserve des oiseaux Alice et la rivière souterraine Alice et l'avion fantôme

(The mysterious mannequin) 1970 (Mystery of the moss-covered mansion) 1971 (The missing horse) 1971 (The crooked banister) 1971 (The secret of mirror bay) 1972 (Mystery of the glowing eye) 1974 (The double jinx mystery) 1973 (The secret of the forgotten city) 1975 (The sky phantom) 1976

55. Alice et le secret du parchemin

(The strange message in the parchment) 1977

56. Alice elles magiciens 57. Alice et le secret de la vieille dentelle 58. Alice et la soucoupe volante

(The triple hoax) 1979 (The secret in the old lace) 1980 (The flying saucer mystery) 1980

59. Alice et les Hardy Boys super-détectives

(Nancy Drew and Hardy Boys super sleuths)1980

60. 61. 62. 63. 64. 65. 66. 67. 68. 69. 70. 71. 72. 73. 74. 75. 76. 77. 78. 79. 80. 81. 82. 83. 84. 85. 86. 87.

(The twin dilemma) 1981 (The swami's ring) 1981 (The kachina doll mystery) 1981 (The greek symbol mystery) 1981 (The captive witness) 1981 (Mystery of the winged lion) 1982 (The sinister omen) 1982 (Race against time) 1982 (The broken anchor) 1983 (The mystery of misty canyon) 1988 (The joker's revange) 1988 (The case of the rising stars) 1989 (The girl who couldn't remember) 1989 (The ghost of craven cove) 1989 (The search for Cindy Austin) 1989 (The silent suspect) 1990 (The mistery of missing millionaires) 1991 (The search for the silver persian) 1993 (The case of the twin teddy bears) 1993 (Trouble at Lake Tahoe) 1994 (The mystery of the jade tiger) 1995 (The riddle in the rare book) 1995 (The case of the artful crime) 1996 (The secret at solaire) 1996 (The wedding day mistery) 1997 (The riddle of ruby gazelle) 1997 (The wild cat crime) 1998 (The ghost of the lantern lady) 1998

Alice chez le grand couturier Alice et la bague du gourou Alice et la poupée indienne Alice et le symbole grec Alice et le témoin prisonnier Alice à Venise Alice et le mauvais présage Alice et le cheval volé Alice et l'ancre brisée Alice au canyon des brumes Alice et le valet de pique Alice chez les stars Alice et la mémoire perdue Alice et le fantôme de la crique Alice et les cerveaux en péril Alice et l'architecte diabolique Alice millionnaire Alice et les félins Alice à la tanière des ours Alice et le mystère du lac Tahoe Alice et le tigre de jade Alice et les collectionneurs Alice et les quatre tableaux Alice en Arizona Alice et les quatre mariages Alice et la gazelle verte Alice et les bébés pumas Alice et la dame à la lanterne

3 Autres non classés La chambre secrète : les enquêtes de Nancy Drive 1985 Le fantôme de Venise : les enquêtes de Nancy Drive 1985 Sortilèges esquimaux : les enquêtes de Nancy Drive 1985 (tiré d'une série dérivée en France)*

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Noms originaux En version originale, • • • • • • • • • •

Alice Roy = Nancy Drew ; Bess Taylor = Bess Marvin ; Marion Webb = Georgia "George" Fayne ; Ned Nickerson = Ned Nickerson ; Daniel Evans = Dave Evans ; Bob Eddelton = Burt Eddelton ; James Roy = Carson Drew ; Sarah Berny = Hannah Gruen ; Cécile Roy = Eloise Drew. Commissaire Stevenson = Commissaire McGinnis

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Alice Roy Alice Roy est l'héroïne des livres suivants : (ordre alhabétique)

1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. 28. 29. 30. 31. 32. 33. 34. 35. 36. 37. 38. 39. 40. 41. 42.

Alice à la réserve des oiseaux Alice à la tanière des ours Alice à Paris Alice à Venise Alice au bal masqué Alice au camp des biches Alice au Canada Alice au canyon des brumes Alice au concours hippique Alice au manoir hanté Alice au ranch Alice aux îles Hawaï Alice chez le grand couturier Alice chez les Incas Alice chez les stars Alice dans l'île au trésor Alice détective Alice écuyère Alice elles magiciens Alice en Arizona Alice en Ecosse Alice en safari Alice et la bague du gourou Alice et la dame à la lanterne Alice et la dame du lac Alice et la diligence Alice et la fusée spatiale Alice et la gazelle verte Alice et la malle mystérieuse Alice et la mémoire perdue Alice et la pantoufle d'hermine Alice et la pierre d'onyx Alice et la poupée indienne Alice et la rivière souterraine Alice et la soucoupe volante Alice et la statue qui parle Alice et l'ancre brisée Alice et l'architecte diabolique Alice et l'avion fantôme Alice et le carnet vert Alice et le chandelier Alice et le cheval volé

(The double jinx mystery) 1973 (The case of the twin teddy bears) 1993 (The mystery of the 99 steps) 1966 (Mystery of the winged lion) 1982 (The due of the velvet mask) 1953 (The bungalow mystery) 1930 (The message in the hollow oak) 1935 (The mystery of misty canyon) 1988 (The missing horse) 1971 (The hidden staircase) 1930 (The secret at shadow ranch) 1931 (The secret of golden pavilion) 1959 (The twin dilemma) 1981 (The due in the crossword cipher) 1967 (The case of the rising stars) 1989 (The Quest of the Missing Map) 1942 (The secret of old dock) 1930 1959 (The ringmaster's secret) 1953 (The triple hoax) 1979 (The secret at solaire) 1996 (The due of the whistling bagpipes) 1964 (The spider sapphire mystery) 1968 (The swami's ring) 1981 (The ghost of the lantern lady) 1998 (The secret of mirror bay) 1972 (The due in the old stage-coach) 1960 (Mystery of the moss-covered mansion) 1971 (The riddle of ruby gazelle) 1997 (Mystery of the brass bound trunk) 1940 (The girl who couldn't remember) 1989 (The due in the crumbling wall) 1945 (The moonstone castle mystery) 1963 (The kachina doll mystery) 1981 (The secret of the forgotten city) 1975 (The flying saucer mystery) 1980 (The whispering statue) 1937 (The broken anchor) 1983 (The silent suspect) 1990 (The sky phantom) 1976 (The due in the diary) 1932 (The sign of the twisted candle) 1933 (Race against time) 1982

184

43. 44. 45. 46. 47. 48. 49. 50. 51. 52. 53. 54. 55. 56. 57.

Alice et le clavecin Alice et le corsaire Alice et le diadème Alice et le dragon de feu Alice et le fantôme Alice et le fantôme de la crique Alice et le flibustier Alice et le mannequin Alice et le mauvais présage Alice et le médaillon d'or Alice et le mystère du lac Tahoe Alice et le pickpocket Alice et le pigeon voyageur Alice et le robot Alice et le secret de la vieille dentelle

(The secret in the Old Attic) 1944 (The secret of the wooden lady) 1950 (The phantom of pine hall) 1965 (The mystery of the fire dragon) 1961 (The mystery of the tolling bell) 1946 (The ghost of craven cove) 1989 (The haunted show boat) 1957 (The mysterious mannequin) 1970 (The sinister omen) 1982 (The due of the broken locket) 1934 (Trouble at Lake Tahoe) 1994 (The due in the jewel box) 1943 (The password to larkspur Lane )1933 (The crooked banister) 1971 (The secret in the old lace) 1980

58. Alice et le secret du parchemin

(The strange message in the parchment) 1977

59. 60. 61. 62. 63. 64. 65. 66. 67. 68. 69. 70. 71. 72. 73. 74. 75. 76.

(The greek symbol mystery) 1981 (The mystery of the ivory charm) 1936 (The captive witness) 1981 (The mystery of the jade tiger) 1995 (The witch-tree symbol) 1955 (The joker's revange) 1988 (The due of the leaning chimney) 1949 (The due in the old album) 1947 (The mystery at the ski jump) 1952 (The wild cat crime) 1998 (The search for Cindy Austin) 1989 (The due of the tapping heels) 1939 (The scarlet slipper mystery) 1954 (The riddle in the rare book) 1995 (The haunted bridge) 1937 (The mystery at Lilac inn) 1930 (The secret of red gate farm) 1931 (The search for the silver persian) 1993

Alice et le symbole grec Alice et le talisman d'ivoire Alice et le témoin prisonnier Alice et le tigre de jade Alice et le tiroir secret Alice et le valet de pique Alice et le vase de chine Alice et le violon tzigane Alice et le vison Alice et les bébés pumas Alice et les cerveaux en péril Alice et les chats persans Alice et les chaussons rouges Alice et les collectionneurs Alice et les contrebandiers Alice et les diamants Alice et les faux monnayeurs Alice et les félins

77. Alice et les Hardy Boys super-détectives

(Nancy Drew and Hardy Boys super sleuths)1980

78. 79. 80. 81. 82. 83. 84.

(The due of the dancing puppet) 1962 (The hidden window mystery) 1956 (The wedding day mistery) 1997 (The case of the artful crime) 1996 (The due of the black keys) 1951 (The ghost of blackwood hall) 1948 (Mystery of the glowing eye) 1974

Alice et les marionettes Alice et les plumes de paon Alice et les quatre mariages Alice et les quatre tableaux Alice et les trois clefs Alice et l'esprit frappeur Alice et l'œil électronique

85. Alice et l'ombre chinoise

(The mystery at the moss-covered mansion) 1941

86. Alice millionnaire 87. Quand Alice rencontre Alice

(The mistery of missing millionaires) 1991 (Nancy's mysterious letter) 1932

3 Autres non classés La chambre secrète : les enquêtes de Nancy Drive 1985 Le fantôme de Venise : les enquêtes de Nancy Drive 1985 Sortilèges esquimaux : les enquêtes de Nancy Drive 1985 (tiré d'une série dérivée en France)*

185

Noms originaux En version originale, • • • • • • • • • •

Alice Roy = Nancy Drew ; Bess Taylor = Bess Marvin ; Marion Webb = Georgia "George" Fayne ; Ned Nickerson = Ned Nickerson ; Daniel Evans = Dave Evans ; Bob Eddelton = Burt Eddelton ; James Roy = Carson Drew ; Sarah Berny = Hannah Gruen ; Cécile Roy = Eloise Drew. Commissaire Stevenson = Commissaire McGinnis

186

Alice Roy IDEAL BIBLIOTHEQUE (ordre de sortie ) 1. 264. Alice et le dragon de feu 1964 2. 282. Alice et les plumes de paon 1965 3. 286. Alice au Canada 1965 4. 291. Alice au bal masqué 1965 5. 296. Alice en Ecosse 1966 6. 306. Alice et les chats persans 1966 7. 314. Alice écuyère 1966 8. 323. Alice et la statue qui parle 1967 9. 327. Alice au camp des biches 1967 10.340. Alice à Paris 1968 11.350. Quand Alice rencontre Alice 1969 12.355. Alice et le corsaire 1969 13.365. Alice et la pierre d'onyx 1970 14.357. Alice et le fantôme 1970 15.375. Alice au ranch 1971 16.Alice et le chandelier 1971 17.Alice aux Iles Hawaï 1972 18.Alice et les diamants 1972 19.Alice détective 1973 20.Alice et le médaillon d’or 1973 21.Alice et les contrebandiers 1973 22.Alice et les chaussons rouges 1975 23.Alice et les trois clefs 1975 24.Alice et le pickpocket 1976 25.Alice et le vison 1976 26.Alice et le flibustier 1977 27.Alice et le mannequin 1977 28.Alice et la pantoufle d’hermine 1978 29.Alice et le carnet vert 1978 30.Alice et le tiroir secret 1979 31.Alice dans l’ile au trésor 1979 32.Alice et le pigeon voyageur 1980 33.Alice et le talisman d'ivoire 1980 34.Alice au manoir hanté 1981 (liste à compléter) 187

Alice Roy IDEAL BIBLIOTHEQUE (ordre de sortie ) 1. Alice à Paris no 340 1968 2. Alice au bal masqué no 291 1965 3. Alice au camp des biches no 327 1967 4. Alice au Canada no 286 1965 5. Alice au manoir hanté 1981 6. Alice au ranch no 3751971 7. Alice aux Iles Hawaï 1972 8. Alice dans l’ile au trésor 1979 9. Alice détective 1973 10.Alice écuyère no 314 1966 11.Alice en Ecosse no 296 1966 12.Alice et la pantoufle d’hermine 1978 13.Alice et la pierre d'onyx no 365 1970 14.Alice et la statue qui parle no 323 1967 15.Alice et le carnet vert 1978 16.Alice et le chandelier 1971 17.Alice et le corsaire no 355 1969 18.Alice et le dragon de feu no 364 1964 19.Alice et le fantôme no 357 1970 20.Alice et le flibustier 1977 21.Alice et le mannequin 1977 22.Alice et le médaillon d’or 1973 23.Alice et le pickpocket 1976 24.Alice et le pigeon voyageur 1980 25.Alice et le talisman d'ivoire 1980 26.Alice et le tiroir secret 1979 27.Alice et le vison 1976 28.Alice et les chats persans no 306 1966 29.Alice et les chaussons rouges 1975 30.Alice et les contrebandiers 1973 31.Alice et les diamants 1972 32.Alice et les plumes de paon no 282 1965 33.Alice et les trois clefs 1975 34.Quand Alice rencontre Alice no 350 1969 (liste à compléter 188

189

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