Caroline Quine Alice Roy 15 IB Alice Et Les Contrebandiers 1937

August 2, 2017 | Author: joseramatis | Category: Leisure
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ALICE ET LES CONTREBANDIERS

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CAROLINE QUINE

ALICE et les

contrebandiers TEXTE FRANÇAIS D'ANNE JOB A ILLUSTRATIONS D'ALBERT CHAZELLE

HACHETTE

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TABLE I. II. III. IV. V. VI. VII. VIII. IX. X. XI. XII. XIII. XIV. XV. XVI. XVII. XVIII. XIX. XX. XXI. XXII. XXIII. XXIV. XXV.

Un compagnon indésirable Une chute malencontreuse Le bouquet de roses Première mission A la poursuite d'un fantôme Le coffret de bronze Une minaudière de grand prix le manoir incendié Le jardinier s'enfuit Où Alice est accusée Un télégramme suspect Sammy au secours d'Alice Portrait d'une jeune fille Le mystère s'éclaircit Des infirmiers improvisés Un présent importun Une regrettable maladresse Chute dans le torrent en crue Un visiteur inattendu L'enquête progresse Etrange boîte aux lettres Une fâcheuse méprise L'incendie La joie renaît Adieu au fantôme !

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CHAPITRE PREMIER UN COMPAGNON INDESIRABLE QUEL MAGNIFIQUE DRIVE, Alice ! Ta balle est allée au moins à trois cents mètres ! » s'écria Marion Webb. Jolie fille, sportive et simple, elle suivait d'un regard 'admiratif la balle blanche lancée par son amie. « Elle vole droit vers le trou, ajouta Bess Taylor, la cousine de Marion, avec une nuance d'envie dans la voix. Aucune des miennes ne pourrait aller si loin. » Vêtue d'une robe de coton rosé qui mettait en valeur son teint clair, Alice eut un sourire modeste. « Au golf, il ne suffit pas de frapper fort, dit-elle, il faut sur-

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tout bien viser. J'ai appris à ne jamais marquer mes points avant d'avoir vu la balle se loger dans le trou. — Aujourd'hui tu t'es surpassée, insista Marion après avoir jeté un coup d'œil à la carte de score d'Alice. Tu vas te qualifier pour la finale à condition de ne plus penser au mystère auquel ton père a fait allusion ». Les trois jeunes filles avaient été invitées par M. James Roy, père d'Alice, à passer quelques jours à l'hôtel du Chamois, près de Crest Hill. Avocat de grand renom, il était venu pour affaire dans cette station de montagne. Inutile de dire que les trois amies appréciaient beaucoup l'élégance et le confort de l'endroit ; l'animation de Crest Hill, où tout était organisé en fonction des loisirs, les changeait agréablement de l'existence calme qu'elles menaient à River City. M. Roy avait promis à sa fille de recourir à elle s'il se trouvait dans l'embarras. En effet, l'affaire qui l'absorbait prenait une tournure difficile. Alice ignorait encore de quoi il s'agissait. Libre de son temps, elle se distrayait en pratiquant un de ses sports favoris : le golf. Excellentes joueuses, Marion et Bess n'arrivaient cependant pas à la cheville d'Alice qui avait été invitée par le président du club à participer à une compétition. Toujours modeste, Alice avait hésité à se mesurer aux joueuses de première classe qui fréquentaient l'hôtel. Enfin, harcelée par ses amies, elle s'était résolue à « tenter sa chance ». Le résultat du match qu'elle disputait avec Bess et Marion déciderait de son classement. « Aucun doute n'est permis : tu arriveras en finale, Alice, déclara Marion. Nous en sommes au seizième trou ; encore deux et la partie sera terminée. — Oui, mais celui-ci est très difficile. » Non sans inquiétude, elle regardait la pelouse qui verdoyait au loin et repérait le trou, presque invisible, où elle devrait placer sa balle. « Si je ne vise pas à la perfection, dit-elle, elle va aller se perdre dans le bois. » Les jeunes filles descendaient rapidement le fairway, cette

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pelouse à l'herbe moins rase que celle du green, bordée par des arbres aux troncs serrés. Bess et Marion réussirent deux drives splendides. Alice plaça sa balle et, d'un coup puissant, elle l'envoya en l'air. « Bravo ! s'écria Bess. Alice, tu es un as ! — Tu as parlé trop vite, je le crains », murmura Alice. La mine attristée, elle vit la balle disparaître dans les feuillages. « Quelle malchance ! gémit Bess, navrée. — As-tu vu où elle est tombée, caddie ? » demanda Alice à un jeune garçon, au visage semé de taches de rousseur, qui portait son sac de golf. Il secoua la tête. « Non, je l'ai perdue de vue au moment où elle a pénétré dans le bois. J'ai peur qu'elle ne se soit enfoncée très loin. — Moi aussi, soupira Alice. — Allons la chercher, sinon tu auras une pénalité », déclara Marion. Les trois jeunes filles se dirigèrent vers les arbres. « Pourvu que nous la retrouvions ! dit Alice. Je ne peux pas me permettre de perdre un seul point. » Hélas ! Au bout de cinq minutes de recherches, l'herbe haute qui tapissait l'orée cachait toujours la balle. « Je suis persuadée qu'elle a atterri au cœur du bois, fit Alice en fronçant les sourcils. On dirait qu'il y a un ravin à quelques mètres d'ici. — En ce cas, elle est définitivement perdue, dit Marion à regret. Mais je voudrais bien savoir ce que font les caddies ? Pourquoi ne nous aident-ils pas à chercher cette balle ? » Les trois caddies n'avaient pas bougé de place. « Ils sont plus complaisants d'habitude », s'étonna Bess. Elle leur fit signe de venir ; seul celui d'Alice obtempéra, visiblement à contrecœur. « Aide-nous à retrouver la balle, dit Alice sur un ton de reproche. J'ai peur qu'elle ne soit du côté du ravin. — Inutile de la chercher, alors », répondit le caddie en restant à la lisière du bois. Cette réponse agaça Alice.

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« Ton travail consiste non seulement à porter le sac de clubs mais aussi à suivre le trajet de la balle et à retrouver celles qui se perdent, dit-elle. — Même si vous m'offriez un million de dollars, je n'entrerais pas dans ce bois. — Pourquoi ? demanda Alice, étonnée. Les serpents t'effrayeraient-ils ? — Les serpents et pire encore, répondit le gamin. — Que peut-il exister de pire qu'un serpent ? fit Bess. — Les fantômes ! reprit le jeune garçon à la vive surprise des amies. — Des fantômes ! » s'exclama Alice. Et elle éclata de rire. « II n'y a certainement pas de fantôme par ici, ajouta-t-elle. Que crains-tu ? Le caddie jeta un regard apeuré vers le ravin et, dans un souffle, murmura : « Le pont hanté. Voilà de quoi j'ai peur et mes camarades

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aussi... Pour rien au monde, ils ne s'approcheraient du pont hanté. » Alice le dévisagea d'un air incrédule. Avait-elle bien entendu ? Elle ne parvenait pas à en croire ses oreilles. Pourtant, le visage grave, inquiet, du jeune garçon ne permettait pas de mettre ses paroles en doute. « Un pont hanté ! répéta Marion. Voilà du nouveau ! J'ai déjà entendu parler de maisons hantées, de souterrains hantés, de... » Bess lui coupa la parole. « Nous gênons quatre joueurs, dit-elle en montrant un groupe qui attendait à quelques mètres en arrière. Dois-je leur faire signe de poursuivre ? — Non, continuons la partie, décida Alice. Tant pis ! Mieux vaut considérer la balle comme perdue que d'être en retard à déjeuner. — Ne regrettez rien, déclara le caddie, visiblement soulagé. Vous n'auriez jamais pu jouer avec l'écran des arbres devant vous. — C'est grand dommage ! déclara Marion d'un ton de regret. Ton score était très bon jusqu'ici et ce maudit coup va te coûter cher. Cela m'ennuie de te voir ajouter un point de pénalité. » Distraite, Alice songeait à la remarque du caddie. Qu'avait-il voulu dire avec son pont hanté ? Elle le questionnerait à la première occasion. L'esprit ainsi détourné du jeu, elle fit six tentatives avant de loger sa balle dans le trou suivant. Déçue, Marion ne lui ménagea pas les reproches. Toujours préoccupée par cette histoire de pont hanté, Alice joua assez mal sur le green dix-sept. Comme elles abordaient le dixhuitième et dernier trou, quelqu'un vint à leur rencontre. Elle le connaissaient de vue. C'était un homme, grand et mince, frisant la trentaine ; il était vêtu d'un complet de toile blanche et ses cheveux noirs, rejetés en arrière, dégageaient un visage dur et anguleux. « Tiens, tiens ! Ce cher Mortimer Bartescol, dit Alice sur un ton ironique. — La barbe ! fit Bess, agacée. De tous les clients de l'hôtel, il fallait que ce soit lui que nous croisions. C'est bien notre chance ! » Mortimer leur avait été présenté la veille au soir et il avait aussitôt invité Alice à jouer au golf avec lui. Bien qu'il eût la

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réputation d'être un excellent joueur, elle avait refusé en invoquant un quelconque prétexte. Très vantard, clamant qu'il descendait d'une famille très en vue, il l'exaspérait. Les jeunes filles s'assirent sur un banc. Mortimer s'inclina devant elles. « Me permettez-vous de me joindre à vous, mesdemoiselles ? » demanda-t-il. Si la question s'adressait aux trois amies, le sourire n'était destiné qu'à la seule Alice. Pourquoi être impolies avec cet homme dont l'unique tort était de leur déplaire ? Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, Alice répondit brièvement : « Avec plaisir. » Elle se releva et lança une balle droit devant elle, tandis que Bess et Marion progressaient par coups moins longs. Mortimer suivit Alice comme son ombre. « Vous jouez très bien, mademoiselle, dit-il, admiratif. Je ne connais pas de femme qui ait un drive aussi puissant. — Merci, répondit Alice pour couper court aux éloges. — N'aimeriez-vous pas participer à un mixte lors de la compétition qui se prépare ? Je m'estimerais très fier de vous avoir pour partenaire. — Je crains de ne plus être ici la semaine prochaine, répondit Alice avec une note de froideur dans la voix. — J'ai joué dans le monde entier, reprit le fanfaron. Le prince de Galles m'a même accordé l'honneur insigne de me choisir comme adversaire. — Vraiment ? Et vous l'avez battu ? dit Alice en réprimant avec peine un sourire. — J'ai eu cette incorrection, je le confesse, répliqua le vantard, en prenant un air modeste. De deux points seulement. » Entre-temps, Alice avait rejoint sa balle. Elle s'apprêtait à la frapper quand Mortimer se porta en avant et elle le heurta de son club. La balle dévia. « Oh ! Pardonnez-moi, marmonna-t-il. Votre mouvement d'épaule était défectueux. Permettez-moi de vous montrer comment il faut placer le corps. »

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Il prit le club des mains de la jeune fille et tint à lui expliquer l'erreur qu'elle avait commise. Alice se retint à grand-peine de protester et, sans tenir compte du conseil qui venait de lui être donné, elle réussit un très beau drive. « Bravo ! C'est comme cela qu'il faut s'y prendre ! » s'écria Mortimer. Alice se mordit les lèvres pour ne pas envoyer l'importun à tous les diables. Sa balle s'était arrêtée à deux mètres du trou. Très agacée par la présence de Mortimer, Alice la poussa au bord mais ne réussit pas à la loger. « Alice ! Comment as-tu pu faire ! » protesta Bess, étonnée que son amie eût raté un coup facile. Aussitôt Mortimer se mit à sauter près de la balle, la faisant ainsi rouler dans le trou. « Voilà, mademoiselle, le tour est joué ! — C'est tricher ! protesta Alice, mécontente. Je vais compter un point de plus. — Pourquoi ? Vous n'avez pas frappé la balle ! » Alice et ses amies le regardèrent froidement ; après avoir marmonné quelques phrases polies, elles prirent le chemin de l'hôtel, laissant Mortimer déconcerté. « Quel individu prétentieux ! s'écria Bess quand elles eurent assez d'avance sur lui. Je suis persuadée qu'il n'a jamais approché une altesse royale et qu'il n'a jamais joué avec le prince de Galles. — Et par sa faute tu as manqué ton coup, Alice, ajouta Marion. Je ne le lui pardonnerai pas de sitôt ! — Bah ! Ne t'inquiète pas, intervint Bess. Ton score est excellent. Tu seras sûrement sélectionnée pour la finale. Marion a cent deux points, quant à moi, mieux vaut n'en pas parler : cent vingt ! Tu nous bats largement avec tes quatre-vingt-treize points. — Pas davantage ? fit Alice, étonnée. — Non ! Mes félicitations. Marion et moi nous allons donner les résultats au capitaine des jeux. » Mortimer avait suivi de loin les jeunes filles. Elles s'empressèrent de disparaître dans le hall du club-house.

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« Je me demande où est passé mon caddie ? s'inquiéta Alice en regardant autour d'elle. J'aimerais l'interroger. — Au sujet du pont hanté ? dit Bess. Je suppose que tu projettes de nous entraîner dans quelque expédition aventureuse. Ne compte pas sur moi. J'ai mon content de manoirs, souterrains et autres édifices hantés. — Ne me prête pas de sombres desseins ! protesta Alice. J'ai simplement envie d'aller faire un tour là-bas. — Crois-tu qu'il y ait du vrai dans les propos tenus par ton caddie, demanda Marion. En tout cas, cela mérite d'être vérifié. Il avait l'air affolé à l'idée de pénétrer dans le bois, répondit Alice. Je ne crois pas qu'il jouait la comédie. Avant d'entreprendre quoi que ce soit, je vais essayer de le retrouver et de le faire parler sur ce fameux pont. »

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CHAPITRE II UNE CHUTE MALENCONTREUSE QUE les jeunes filles aient pu mettre leur projet à exécution, Mortimer Bartescol entra sous la véranda. « Quelle joie de vous rencontrer de nouveau ! s'écria-t-il d'un ton jovial. Je vous ai cherchées partout. Me feriez-vous le plaisir de prendre le thé avec moi sur la terrasse ? — Je regrette, répondit vivement Alice, il faut que j'aille retenir mon caddie pour demain. — Je vous accompagne... », proposa l'importun. Alice feignit de ne l'avoir pas entendu et sortit en courant presque, laissant à Bess et à Marion le soin d'inventer pour leur propre compte quelque excuse plausible. AVANT

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Elle alla au tee de départ où plusieurs jeunes garçons attendaient des clients. Celui qui avait porté ses clubs n'étaient pas parmi eux. Un caddie à la mine éveillée leva la tête. « Vous cherchez Sammy Sutter ? dit-il. Il vient tout juste de repartir avec deux joueurs. Vous le rattraperez facilement au deuxième trou. » Alice remercia et traversa le green. Deux hommes venaient de lancer leurs balles. En s'approchant d'eux, elle vit Sammy s'éloigner. Il ployait sous un gros sac de cuir passé en bandoulière. « Sammy, attends-moi une minute, cria-t-elle. » Le caddie s'immobilisa aussitôt, non sans couler un regard inquiet vers les deux clients dont l'air hautain semblait l'intimider. « J'ai oublié de te payer, dit Alice avec un gentil sourire en sortant quelques pièces de sa poche. Et puis, je voudrais que tu me parles un peu du pont hanté. — Ce n'est pas possible en ce moment, mademoiselle, répondit Sammy, embarrassé. Ces messieurs protesteraient. — Tu as raison. Retrouve-moi près de la maison des caddies dès que tu auras terminé. Disons vers quatre heures. Cela te va-t-il ? — Ce sera un peu tôt. A en juger d'après les premiers coups, mes clients vont prendre leur temps. — A cinq heures alors. Et ne me laisse pas tomber, Sammy ! — Non. Je vous promets de vous attendre », répondit le jeune garçon sans aucun enthousiasme. Il se hâta de rattraper ses clients. Alice retourna lentement vers la véranda où elle retrouva ses amies, toujours aux prises avec Mortimer. Elles avaient été contraintes d'écouter le verbeux personnage se vanter de ses innombrables prouesses et de ses relations avec des personnalités en vue. « Je vais remettre ma carte au capitaine des jeux, dit Alice aux deux cousines. Si l'une de vous veut bien la signer... — Je vous en prie, permettez-moi de le faire », intervint M. Bartescol. Alice voulut l'en empêcher ; d'un geste décidé il lui prit la carte des mains et apposa sa signature au bas. Frémissante de colère, la jeune fille se retint à grand-peine de

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protester. Quelle raison aurait-elle pu invoquer ? Son don d'observation, jamais en défaut, lui permit de noter un détail singulier. L'homme formait chaque lettre de son nom avec un soin minutieux, comme s'il avait voulu déguiser son écriture. Alice reprit la carte, remercia du bout des lèvres et s'éloigna en compagnie de ses amies. Le capitaine des jeux était occupé. Il étudiait les résultats des parties qui s'étaient disputées dans la journée. Quand Alice lui remit sa carte, il eut un large sourire. « Mes félicitations, mademoiselle, dit-il. — Croyez-vous qu'Alice sera sélectionnée pour la compétition ? demanda Bess. — Certainement, à moins que des joueurs ne présentent demain des résultats supérieurs aux siens. Jamais la lutte n'a été aussi chaude que cette année. Quelques-unes des meilleures joueuses de l'État se sont inscrites. — Si je me qualifie j'en serai très heureuse, répondit Alice. Je n'en demande pas davantage. Il y a une compétition réservée aux hommes, n'est-ce pas ? — Oui, et je me suis inscrit, déclara une voix derrière elle. D'un même mouvement, les trois jeunes filles se retournèrent : Mortimer Bartescol se dandinait d'un air avantageux. « Jusqu'ici mon score est le meilleur, annonça-t-il. — Bravo ! » murmura Alice avec la plus parfaite indifférence. Elle se hâta de partir, ses amies sur les talons. Ni Marion ni Bess ne se souciaient, cette fois, d'être laissées en compagnie du vantard. Elles ne se firent pas faute de taquiner Alice au sujet de ce nouvel admirateur. « II me déplaît profondément et vous le savez très bien, réponditelle, agacée. Je reconnais cependant qu'il m'intéresse à un certain point de vue. — Ah ! ah ! je vois. Ses beaux cheveux noirs laqués ? plaisanta Bess. — Cesse de glousser, grommela Alice. Il ressemble à ces mannequins aux sourires béats que l'on installe dans les vitrines. Non, ce qui m'intrigue c'est la manière dont il a signé ma carte ; on dirait qu'il cherche à déguiser son écriture ! — Quelle idée ! fit Marion.

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— N'oublie pas que rien n'échappe à l'œil exercé de notre grande détective nationale, coupa Bess. — Papa m'a habituée à observer, répondit Alice, gentiment. — C'est pourquoi tu as élucidé tant de mystères dont les éléments déconcertaient les plus fins limiers de la police », conclut Marion qui, comme sa cousine, admirait sincèrement Alice. Si, lorsqu'elle avait dix ans, quelqu'un avait prédit à la jeune fille qu'elle serait un jour détective, elle aurait éclaté de rire. Et pourtant, elle n'avait pas tardé à se passionner pour les enquêtes de son père qu'elle aimait beaucoup. Peu à peu, il lui avait confié des recherches à mener. Surpris par ses qualités d'intuition, de raisonnement, par sa volonté aussi, il en était venu à s'appuyer de plus en plus sur elle. La réputation d'Alice n'avait fait que croître et nombreux étaient ceux qui recouraient directement à elle. Bien que fille unique, Alice ignorait l'égoïsme. Sa générosité était proverbiale et elle ne comptait que des amis à River City. Depuis la mort de Mme Roy, survenue alors qu'elle était tout enfant, elle avait été élevée par Sarah Berny, que M. Roy considérait comme un membre de la famille. Ils menaient tous trois une existence simple et heureuse. « Parle-nous un peu de ce pont hanté, dit Marion quand elles eurent regagné leur chambre. — J'ai rendez-vous avec Sammy à cinq heures, répondit Alice. Espérons qu'il m'en racontera l'histoire. » Elle prit une douche, passa une fraîche robe de cotonnade et alla retrouver le caddie. Il l'attendait, sagement assis sur un banc, devant la maison des caddies. « Que sais-tu de ce fameux pont ? demanda-t-elle en s'efforçant de ne pas se montrer trop impatiente. Pourquoi as-tu dit qu'il était hanté ? — Parce qu'il l'est, affirma le caddie d'un air sombre. Mes copains vous le confirmeront, si vous ne me croyez pas. Un fantôme le traverse... — La nuit ? — En plein jour aussi. 11 agite les bras lentement d'avant en arrière. — L'as-tu vu toi-même, Sammy ?

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— C'est bien parce que je l'ai vu que je ne veux pas entrer dans ce bois. — Tu n'as pas eu la curiosité de t'approcher ? interrogea Alice avec un sourire. — Vous pouvez offrir n'importe quelle somme à l'un de nous, il refusera d'aller près du pont. Une fois, Peter Dalton a voulu tenter l'aventure ; à mi-chemin, il a entendu un bruit étrange, il a buté sur une pierre et s'est cassé la jambe. Depuis, nous n'entrons plus dans le bois. — Je ne crois pas aux fantômes, Sammy. — Vous croiriez à celui-là si vous l'entendiez gémir et gronder. Parfois même il hurle, comme s'il souffrait. Il y a de quoi faire blêmir les plus braves. Quand il faut que j'aille au trou numéro 16, en bordure de la forêt, je tremble de peur. — Le pont et le domaine environnant dépendent-ils de l'hôtel ?» demanda Alice. Le caddie n'eut pas le temps de répondre. Son chef l'appelait.

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« Il faut que je me sauve, dit le jeune garçon. Veuillez m'excuser. — Merci de ce que tu m'as raconté, répondit Alice. Et, à propos, veux-tu me servir de caddie le jour du tournoi, c'est-à-dire aprèsdemain. — Volontiers, répondit le jeune garçon avec un large sourire. A une condition toutefois : vous ne m'enverrez pas chercher des balles près du fantôme. » Alice retourna lentement à l'hôtel. Comme elle entrait dans le vestibule, une idée lui vint à l'esprit. Elle s'adressa au réceptionniste : « Puis-je consulter le registre des clients ? demanda-t-elle. — Si vous voulez », répondit distraitement l'homme en poussant vers elle un gros livre vert. Alice feuilleta plusieurs pages avant de tomber sur le nom qu'elle cherchait : Mortimer Bartescol. Elle étudia longuement l'écriture de ce singulier client. « Elle ne ressemble en rien à sa signature, conclut-elle. Il l'a bel et bien déguisée. Dans quel but ? » Absorbée par l'étude du registre, elle ne vit pas approcher son admirateur. Sans un mot, il la regarda puis, en silence, gagna une cabine téléphonique. L'esprit léger, ne soupçonnant pas qu'elle avait été surprise, Alice alla retrouver ses amies. Bess et Marion s'habillaient en vue du dîner, ce qui ne les empêcha pas de bombarder Alice de questions sur le pont hanté. Celle-ci leur raconta le peu qu'elle avait appris mais ne fit pas allusion au registre des entrées et à ce qu'elle y avait constaté. James Roy dîna avec les jeunes filles. Son air préoccupé frappa Alice. « L'affaire qui t'a mené ici approche-t-elle de son dénouement, papa ? demanda-t-elle. — Non, les choses ne vont pas aussi bien que je le souhaiterais, répondit-il ; toutefois, je caresse l'espoir qu'une crise se produise d'ici peu. J'aurai sans doute recours à toi, Alice. — Quelle joie ! Je suis à ta disposition. — Cela ne saurait tarder, rassure-toi. » Après le dîner, M. Roy annonça qu'il s'absentait pour quelques heures.

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« Ne t'inquiète pas à notre sujet, répondit Alice en riant. Nous ne manquerons pas de distractions. Il y a une soirée dansante. » L'orchestre de l'hôtel était excellent. Les jeunes filles firent la connaissance d'étudiants sympathiques, venus passer leurs vacances dans la région. Alice ne manqua pas de partenaires ; à peine venaitelle de quitter un danseur, trois autres se présentaient ! Mortimer ne cessa pas de la harceler de ses prévenances. Bien qu'elle lui reconnût une parfaite connaissance des pas, un sens du rythme, elle aurait aimé l'envoyer aux quatre cents diables. « Vous êtes, de loin, la plus gracieuse jeune fille de la soirée », dit-il, flatteur, comme la musique s'arrêtait. D'une main ferme, il la guida vers la véranda. Alice s'apprêtait à le repousser froidement mais elle se ravisa. N'était-ce pas l'occasion de commencer une enquête sur le personnage. Le faire parler ne devait pas être difficile tant il se complaisait à discourir sur ses propres mérites. Avec adresse, en introduisant dans la conversation l'étude de la graphologie, elle réussirait peut-être à lui faire avouer qu'il avait déguisé son écriture. Elle ne protesta donc pas et se laissa conduire sous la véranda où régnait une agréable fraîcheur. Aussitôt Mortimer se lança dans le récit de ses aventures en Angleterre. Non sans peine, Alice aborda le sujet de l'écriture. Dans la demi-obscurité, elle ne vit pas son compagnon poser sur elle un regard soupçonneux. Elle ne se doutait pas qu'il déchiffrait sa pensée. « La graphologie est une science passionnante, disait Alice. Il est possible, paraît-il, d'analyser le caractère d'une personne d'après son écriture. Est-ce vrai ? — Que pourrait-on raconter sur la mienne ? répondit M. Bartescol en riant. Ma personnalité varie au gré de ma fantaisie, et de mon écriture... — Comment cela ? On n'a qu'une écriture. — La mienne change selon mon humeur. Ainsi, cet après-midi, votre charme m'avait tellement bouleversé que je n'arrivais pas à former les lettres de mon nom. » Alice leva les yeux sur Mortimer. Son regard se heurta à un masque impénétrable.

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« Je vous serais reconnaissante de ne pas parler de mon charme, dit-elle d'un ton sec. Rien ne m'agace davantage. — Mais, mademoiselle, vous êtes une créature délicieuse, insista Mortimer en se rapprochant. Jamais, je n'ai rencontré une jeune fille aussi... » Alice recula. Elle n'avait pas remarqué qu'elle se trouvait au bord même de la véranda. Son pied porta dans le vide. Avec un cri, elle chercha à rétablir son équilibre : trop tard ! Avant que Mortimer eût pu lui tendre la main pour la rattraper, elle tomba dans un massif de fleurs. « Vous êtes-vous fait mal ? » demanda-t-il, inquiet, en dévalant les marches. Alice se releva, épousseta sa jupe du revers de la main. « Je me suis foulé le poignet », dit-elle en retenant les larmes qui lui montaient aux yeux. Plus forte que la douleur, une crainte la torturait : « Pourrai-je participer au tournoi de golf et aider papa comme il me l'a demandé », se demandait-elle avec angoisse.

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CHAPITRE III LE BOUQUET DE ROSES Au CRI poussé par Alice, plusieurs personnes accoururent et s'informèrent des circonstances de l'accident. Très gênée, la jeune fille ne savait comment l'expliquer : impossible de dire qu'elle était tombée en voulant échapper à Mortimer Bartescol. Faisant appel à toute sa volonté, elle réussit à ne pas accuser le malappris. Si elle ne participait pas à la compétition de golf, ce serait pourtant à lui qu'en incomberait la faute. « Je vous en prie, laissez-moi examiner votre poignet, insistait Mortimer Bartescol sans paraître se douter des sentiments que

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nourrissait Alice à son égard. Je ne pense pas que ce soit très grave. » Sans répondre, Alice lui tourna le dos et s'éloigna à vive allure en direction de sa chambre. Elle ne souffrait plus beaucoup mais ne remuait les doigts qu'avec peine. « Je ne pourrai pas jouer demain, se disait-elle tristement. Il faut parfois des semaines pour qu'une foulure guérisse. » Elle baignait son poignet dans de l'eau salée quand les deux cousines firent irruption dans la salle de bains. « Oh ! Alice, s'écria Bess, nous venons d'apprendre que tu as eu un accident. Comme tu es pâle ! — Va consulter un médecin, conseilla Marion. — A quoi bon ? Le mal est fait. — Comment cela est-il arrivé ? demanda Marion. — Cet odieux Mortimer s'est montré trop pressant et mon talon a porté dans le vide lorsque j'ai voulu lui échapper. — Je le déteste ! s'écria Bess, outrée. Il faut le fuir ! » Sur ces entrefaites, James Roy revint à l'hôtel. A la vue de la main enflée de sa fille, il s'inquiéta, et lorsqu'elle lui eut avoué combien elle souffrait, il se montra très ferme. « Inutile de discuter, Alice, dit-il d'un ton sans réplique. Je vais téléphoner au médecin de l'hôtel de monter. Tu souhaites participer à la compétition de golf, oui ou non ? — Oui, répondit Alice d'une pauvre voix. — Alors, il n'est pas question d'attendre. » Le docteur Aikerman était un homme peu loquace. Après avoir soigneusement examiné le poignet meurtri, il déclara : « II s'agit d'une foulure légère. Nous allons immobiliser l'articulation pendant trois ou quatre jours au moyen d'un bandage. — Je ne pourrai pas jouer au golf ? — Non. — Mais, docteur, protesta Alice, je n'ai pas très, très mal et la compétition commence après-demain ! — Notre amie a de bonnes chances de se classer parmi les premières », crut bon de préciser Bess. Le docteur hésita, puis cédant au regard implorant de sa patiente, il déclara :

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« Vous me paraissez être une jeune personne très décidée. Il se peut que je vous autorise à jouer, cela dépendra de l'état de ce poignet demain soir. » Le docteur Aikerman prit la serviette noire qu'il avait posée sur la table et ajouta : « Je vous conseille un massage général pour empêcher vos muscles de se contracter. C'est à mon avis la seule chose qui puisse vous soulager. » L'idée d'un massage sourit à la jeune fille, qui se sentait toute courbatue à la suite de sa chute. Après le départ du praticien, elle consulta la liste des services assurés par l'hôtel et finit par trouver le nom d'une masseuse. Elle lui téléphona et n'obtint aucune réponse. « Si tu veux, Bess et moi, nous pouvons te donner une bonne friction, proposa Marion. — L'avez-vous déjà fait ? demanda Alice, méfiante. — Non, reconnut son amie. Jamais. Toutefois ce n'est pas sorcier. Tu m'indiqueras les muscles contusionnés et je les masserai jusqu'à ce que tu te sentes soulagée. » Alice se laissa convaincre. Sagement, elle s'étendit sur son lit. « Où souffres-tu le plus ? demanda Marion en roulant ses manches. — Partout, grommela Alice. — Où as-tu pris ce flacon de Uniment ? demanda encore Alice d'un ton soupçonneux. L'odeur est horrible. — Ne grogne pas sans arrêt. Tu semblés oublier que nous t'offrons un massage gratuit, intervint Bess en riant. Vas-y, Marion, n'économise pas le liniment. Il sera plus efficace que tes mains ! » Marion voulut suivre ce bon conseil ; elle prit la bouteille et en versa quelques gouttes dans le creux de sa main. Par malchance, le flacon glissa de ses doigts et répandit son contenu sur les cheveux d'Alice. « Bravo ! Maintenant il va me falloir aussi un shampooing gratuit, soupira la patiente. Je vous propose de renoncer à ce massage. — Non, non, je te promets de faire plus attention, dit Marion, contrite.

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— Pouah ! Ce Uniment doit être très fort, fit Bess en suivant du regard un filet huileux qui allait de l'oreiller à terre. Il a creusé un trou dans le tapis ! — Et il me brûle le cuir chevelu ! s'écria Alice. Vite, de l'eau ! Enlevez cet horrible liquide avant que je sois chauve ! » Bess et Marion se précipitèrent dans la salle de bains ; quelques minutes d'affolement suivirent. Pourvu que les célèbres boucles d'or de leur amie ne soient pas irrémédiablement abîmées ! Peu à peu, les effets du liniment s'apaisèrent ; après avoir constaté qu'elle ne risquait plus rien, Alice permit à Marion de reprendre le massage. Bess assura la relève quand sa cousine donna des signes de fatigue. Sans une plainte, la malheureuse victime se laissa malaxer par les mains inexpertes de ses amies. Enfin, elle implora grâce. « Je n'en peux plus ! Permettez-moi, chers bourreaux, de me glisser sous mes couvertures et de m'endormir. — De toute façon, nous avons terminé, déclara Bess en aidant Alice à se retourner sur le dos. Demain matin, tu seras tout à fait d'aplomb. 28

— Je l'espère ! » marmonna la jeune fille. Elle ferma les paupières. Marion tendit la main vers le commutateur pour éteindre la lumière. A ce moment, la sonnerie du téléphone se fit entendre. « C'est sans doute papa qui veut savoir comment je me sens », murmura Alice d'une voix ensommeillée. Bess prit le combiné. « C'est pour toi, Alice, dit-elle presque aussitôt. Un appel inter urbain de River City. — Pourvu qu'il ne soit rien arrivé à Sarah ! » dit Alice en se redressant avec peine. Bess lui passa l'appareil. Une voix familière résonna à l'oreille d'Alice : « Allô ! Ici Ned. M'entends-tu ? — A la perfection. — On dirait que cela ne va pas fort. Tu as une voix dolente, reprit le jeune homme. Je ne t'ai pas réveillée au moins ? Il est tard. Que deviens-tu ? J'avais peur que tu ne t'ennuies dans tes solitudes montagnardes et j'ai pensé que tu aimerais bavarder avec un vieil ami. — Je suis ravie de t'entendre, répondit gentiment Alice, toutefois tu te trompes, la monotonie ne règne pas sur nos hauteurs. » Elle lui raconta les menus incidents survenus les jours derniers : pont hanté, assiduités importunes de Mortimer, chute du haut de la véranda... « J'aimerais balancer mon poing dans la mâchoire de ce déplaisant individu, s'écria Ned, furieux. — Ton bras n'est pas assez long, répondit Alice en riant. — Non, mais tu risques de me voir plus tôt que tu ne l'escomptais. En effet, nous envisageons, deux amis et moi, de passer le week-end à l'hôtel où tu es descendue. — Magnifique, Ned ! Auparavant, voudrais-tu me rendre un grand service ? — Avec plaisir. — Consulte le Bottin mondain et vois si le nom de Mortimer Bartescol y est inscrit. Il prétend appartenir à une excellente famille ; je serais curieuse de savoir s'il dit la vérité.

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— Hum ! Hum ! Tu semblés manifester un intérêt excessif à ce malotru. — Ne t'inquiète pas, Ned, répondit Alice. Je ne suis pas disposée à lui céder la moindre parcelle de mon cœur. Chercheras-tu son nom ? — Compte sur moi, promit Ned. Je parie d'ailleurs que je ne le trouverai pas ! » Quelques minutes plus tard, Alice reposa le combiné. Elle se sentait très fatiguée. Marion et Bess auraient aimé connaître le nom des compagnons choisis par Ned mais elles se turent en voyant les traits tirés de leur amie. Après avoir éteint la lumière, elles sortirent à pas de loup. Le lendemain matin, Alice se réveilla beaucoup plus alerte. Son dos ne lui faisait plus mal, seul son poignet restait douloureux. « Crois-tu que tu seras en état de participer à la compétition ? demanda Marion en aidant son amie à s'habiller. — Un de mes doigts est pratiquement inutilisable, répondit Alice. Il est raide et gonflé. Cela dit, j'ai bien l'intention de jouer au golf si le médecin m'y autorise. En tout cas, je suis capable d'aider papa. Quelle chance que je n'aie pas été plus sérieusement blessée ! — Si tu joues, tu ne disposeras plus de tous tes moyens », soupira Bess, peu soucieuse de la voir reprise par ses activités de détective. A la décharge de Bess, il convient de préciser que les aventures dans lesquelles son amie l'entraînait n'étaient pas de tout repos. Les jeunes filles achevaient de se préparer quand M. Roy téléphona. Il désirait avoir des nouvelles d'Alice. « Je te propose une promenade en voiture avec moi ce matin, ditil ensuite. — Quelle bonne idée ! » s'empressa de répondre Alice. Son intuition lui disait que cette promenade avait quelque rapport avec l'affaire « mystérieuse » dont s'occupait son père. « Nous te retrouverons dans la salle à manger d'ici cinq minutes », ajouta-t-elle. Au moment où les trois amies sortaient de leur chambre, un chasseur apporta une magnifique gerbe de fleurs pour Alice. Elle

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crut d'abord que c'était un cadeau de son père, mais la carte épinglée sur le papier provoqua une exclamation de dépit. « Mortimer Bartescol ! Quel toupet ! » s'écria-t-elle. De fureur, elle jeta les rosés sur son lit où Bess alla les ramasser. « Ce n'est pas une raison parce que cet homme te déplaît pour en vouloir à ces pauvres rosés, protesta-t-elle. Elles sont splendides ! — Je ne le nie pas, convint Alice. Mais il m'exaspère. Il a envoyé ce bouquet parce qu'il s'estime responsable de ma mésaventures, et il l'est ! — Mettons chacune une rosé », suggéra Marion. Elle choisit un bouton près d'éclore dans le vase où Bess les disposait avec goût. « Non, Mortimer Bartescol se rengorgerait, déclara Alice. Faitesle si le cœur vous en dit, quant à moi je préfère m'abstenir. » Les deux cousines épinglèrent une rosé à leur encolure tandis qu'Alice examinait la carte de son admirateur trop empressé. Au dos, il avait écrit quelques mots d'excuse. « Regardez son écriture, dit-elle soudain. — Qu'est-ce qui ne va pas ? demanda Bess en jetant un coup d'œil par-dessus l'épaule de son amie. — La signature est différente de celle qui est sur ma carte de score, et elle ne ressemble pas non plus à celle du registre de l'hôtel. — Comment le sais-tu ? demanda vivement Marion. — Parce que je me suis débrouillée pour la voir. Cet homme me paraît suspect. Pourquoi déguise-t-il son écriture ? » Se rappelant que son père les attendait dans la salle à manger, Alice glissa la carte dans son sac à main et sortit de la chambre. Après avoir fermé la porte à clef, elle descendit, suivie de Marion et de Bess. Aussitôt après le déjeuner, Alice et M. Roy partirent en voiture laissant les deux cousines jouer au tennis. Parvenu à une bonne distance de l'hôtel, l'avocat aborda le sujet qui occupait son esprit. La semaine précédente, dit-il, il avait étudié sous tous ses aspects légaux une affaire de vol et de contrebande qui déconcertait les meilleurs détectives de New York. « Depuis plusieurs mois, poursuivit-il, les autorités judiciaires

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s'efforcent de mettre un terme aux activités d'une bande de voleurs bien organisés. Elle compterait parmi ses membres une femme élégante, cliente assidue des grandes stations touristiques, en particulier de celle-ci. Malheureusement on ignore à peu près tout d'elle et nul n'a pu fournir son signalement. — Comment espères-tu la dépister, papa ? — Ce n'est certes pas une mission facile, mais j'ai un indice sérieux. — Lequel ? — Cette femme porterait — ou portait — toujours sur elle une minaudière en or rehaussée de diamants et autres pierres précieuses, un véritable travail d'orfèvre. La photo d'une petite fille est encadrée à l'intérieur du couvercle. — Son enfant ? — Je l'ignore. Comme je viens de te le dire, les renseignements que l'on possède sur cette femme sont très maigres. — Et elle fréquente les meilleurs hôtels de la région ? — Oui. Depuis plusieurs jours, une de mes collaboratrices, Dinah Ingle, s'efforce de la repérer. Or Dinah est tombée malade hier, le médecin lui a ordonné un repos complet de quinze jours. C'est ce qui m'oblige à recourir à toi. Accepterais-tu de la remplacer jusqu'à sa guérison ? — Tu connais ma réponse », fit Alice, radieuse. M. Roy inclina la tête en souriant. Il savait combien sa fille aimait à collaborer avec lui. « Quand dois-je me mettre à la tâche ? demanda-t-elle. — Ce matin même », répondit M. Roy. Il s'engagea sur une route de traverse qui conduisait à un somptueux hôtel, perché sur une haute falaise. « Dans un instant, tu recevras ta première affectation », dit-il, taquin.

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CHAPITRE IV PREMIÈRE MISSION gara sa voiture dans le parking de l'hôtel Lincoln et se dirigea vers l'entrée en compagnie de sa fille. Tout en marchant, il lui expliqua ce qu'il attendait d'elle. « Ta tâche sera simple, Alice ; elle consistera surtout à observer. Pendant que j'interrogerai le réceptionniste, tu feras un tour dans le hall, du côté des vitrines, tu iras ensuite dans le poudroir où les femmes se recoiffent et se repoudrent, tu vois ce que je veux dire : la pièce qui précède les toilettes et qui, dans les grands hôtels, est aménagée luxueusement. Il s'agit, je te le rapROY

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pelle, de repérer la complice de la bande de voleurs grâce à une minaudière d'un modèle assez rare. — Espérons que la chance me servira. — Rendez-vous dans une demi-heure près de la voiture », dit M. Roy. Sur ces mots, ils se séparèrent. Le hall était bondé de clients. La saison battait son plein et, dans cet hôtel à la mode, les chambres se retenaient plusieurs mois à l'avance. Alice s'assit près de l'ascenseur, là où elle pouvait observer sans attirer l'attention. De nombreuses élégantes allaient et venaient en riant et bavardant ; aucune d'elles ne parut suspecte à la jeune détective. Les poudriers ou minaudières qu'elles sortaient de leur sac étaient de ceux que l'on voit dans toutes les boutiques. Elle se rendit ensuite au poudroir ; décoré avec beaucoup de recherche, il comportait des coiffeuses en bois précieux et de confortables fauteuils. Là encore, Alice perdit son temps. Déçue, elle alla retrouver son père. Celui-ci l'attendait depuis cinq minutes. « Rien ? demanda-t-il. — Rien du tout ! — Allons ! Allons ! Quitte cette mine morose. Tu n'imaginais quand même pas que tu allais prendre le poisson dans tes filets au premier lancé. Le travail d'un enquêteur requiert une bonne dose de patience. » M. Roy mit le moteur en marche. Ils roulèrent en silence jusqu'à l'hôtel Hemlock, plus grand et plus luxueux encore que le Lincoln. « Je dois sans doute rejouer la même scène ? dit Alice en descendant de voiture. — Oui. Nous nous retrouverons ici dans une demi-heure. » Dans le hall, bourdonnant de monde, Alice perdit son père de vue. Elle se consacra à sa tâche avec une telle ardeur qu'elle fut surprise en jetant un regard à son bracelet-montre : dix minutes de retard déjà et elle n'avait pas encore inspecté le poudroir ! « J'y cours, se dit-elle. Papa devinera que j'ai été retenue. » La pièce où elle entra était à peu près déserte ; seule une très

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jolie jeune femme, âgée d'environ vingt-cinq ans, s'y trouvait. Alice fut frappée par la tristesse de son regard./ « Ce ne peut être la personne que je cherche, se dit-elle. Comme celle-ci à dû souffrir pour avoir une expression aussi désespérée ! » Alice feignit de se recoiffer devant un miroir. En fait, elle regardait non pas son image mais la femme qui, assise à côté d'elle, se brossait les cheveux. Tout à coup, le peigne faillit s'échapper des mains d'Alice : la jeune femme venait de sortir de son sac une admirable minaudière ornée de brillants. Il ne pouvait en exister plusieurs semblables. Le cœur de la jeune détective se mit à battre follement. Serait-ce la voleuse que recherchait son père ? La femme leva les yeux et rougit en voyant le regard d'Alice fixé sur elle. « Je vous prie de m'excuser, dit la jeune fille. Je ne voudrais pas être indiscrète, mais votre minaudière est si belle que je n'ai pu m'empêcher de l'admirer. — Oui, elle est jolie, convint la jeune femme, mais elle n'a aucune valeur. C'est un modèle très courant en France. Les pierres sont fausses. » Gentiment, elle la tendit à Alice en l'invitant à l'examiner à loisir. Les doigts tremblants, la jeune fille l'ouvrit. Allait-elle voir apparaître la photo d'une enfant ? Soulagée et déçue à la fois, elle constata que l'intérieur du couvercle ne comportait aucun ornement. D'ailleurs comment une personne aussi digne, aussi douce, aurait-elle pu appartenir à une bande d'escrocs ? Non, la minaudière n'avait aucune signification. Et pourtant, qui pouvait affirmer que cette charmante inconnue n'avait pas retiré la photo ? Alice rendit le poudrier à sa propriétaire et lui demanda si elle séjournait à l'hôtel. « Non, répondit la jeune femme. Je suis venue déjeuner avec un ami. Et vous ? » Alice fut contrainte de dire qu'elle passait quelques jours à l'hôtel du Chamois. « Comme c'est curieux, répliqua la jeune femme, surprise.

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J'habitais il y a quelques années encore près de cet hôtel. L'endroit est ravissant. Hélas ! Ma demeure a été détruite par un incendie. » Alice n'osa pas s'informer du nom de la propriété ni de celui de l'inconnue. Coupant court à l'entretien, celle-ci la salua et quitta le poudroir. Alice aurait voulu la suivre, mais ce fut en vain qu'elle fit appel à son imagination ; impossible d'inventer un prétexte pour engager de nouveau la conversation. A regret, elle alla retrouver son père. « Tu es en retard, Alice, dit-il sur un ton de reproche. Nous n'aurons pas le temps de poursuivre notre enquête. Il faut rentrer à l'hôtel immédiatement : j'ai un rendez-vous qui ne peut attendre. — Excuse-moi, je t'en prie, et ne prends pas cet air fâché. Je croyais avoir déniché l'oiseau rare. » Elle fournit à son père une description détaillée de la minaudière qui avait retenu son attention. Après l'avoir écoutée sans l'interrompre, il approuva ses conclusions : il paraissait peu vraisemblable que la jeune femme eût un lien quelconque avec l'affaire des vols de bijoux.

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« Toutefois, ajouta-t-il, nous n'avons pas le droit de nous fier aux apparences. Lui as-tu demandé son nom ? — Je n'en ai pas eu l'occasion. Je sais seulement qu'elle habitait près de notre hôtel et que sa demeure a brûlé de fond en comble. — Cette indication permettra de l'identifier. Maintenant en route, sinon je serai en retard. — Je crains de ne pas t'avoir été d'un grand secours aujourd'hui, papa. — Comment cela ! protesta l'avocat. Tu t'es très bien débrouillée. Je ne m'attendais certes pas à un résultat définitif en une seule matinée. » A l'hôtel du Chamois ils se séparèrent. Alice alla retrouver ses amies qui se reposaient dans leur chambre après avoir joué au tennis toute la matinée. « Te voilà enfin ! s'écria Marion. Nous commencions à te croire perdue. Fatiguée ? — Un peu. Le plus ennuyeux c'est que mon poignet recommence à me faire souffrir. — As-tu revu le docteur ? demanda Bess. — Non... J'ai peur de son verdict. — Si tu ne participais pas à la compétition ce serait désolant, reprit Bess avec conviction. Les résultats ne cessent d'arriver et, d'après ce que nous avons entendu, tu te situerais dans le groupe le plus fort. — Mortimer Bartescol fait l'objet de nombreuses discussions ; il se serait classé parmi les meilleurs joueurs. Mais un ancien champion l'a pratiquement accusé de tricher. — Je regrette d'autant plus de l'avoir laissé signer ma carte, répondit Alice. Sa parole sera sujette à caution. — Pendant ton absence, il a téléphoné deux fois, dit Bess avec un sourire narquois. Nous lui avons répondu que tu serais de retour vers deux heures. — Il ne va donc pas tarder à rappeler et je n'ai pas la moindre envie de répondre, soupira Alice. Allons nous promener, voulez-vous?

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— Et nous tomberons pile sur lui, répondit Marion. Où as-tu l'intention de nous emmener ? — Dans le bois, près du seizième trou, dit Alice tranquillement. Je ne serai contente que lorsque j'aurai posé le pied sur le pont hanté de Sammy. — En route, s'écria Marion, heureuse de se lancer dans une nouvelle aventure. — Ce n'est pas très prudent d'y aller seules », murmura Bess. Assez craintive de nature, elle n'appréciait guère la hardiesse de ses amies. « Oh ! cesse d'être aussi timorée, tu sais très bien que les fantômes n'existent pas, grommela Marion. Il s'agit d'une simple légende. — Les légendes ont toujours un fondement réel, répartit Bess, furieuse. C'est bon, je vous accompagne, mais je suis sûre que nous courons au devant de sérieux ennuis. » Alice et Marion se contentèrent de rire et bientôt Bess se laissa gagner par leur entrain ; c'était tout juste si elle ne marchait pas en tête quand elles approchèrent des grands arbres. « C'est par ici que ma balle a pénétré, dit Alice en désignant un fourré. Elle a rebondi à droite de ce chêne. » Elle s'enfonça dans le sous-bois, suivie par ses amies. « Le pont doit être quelque part près du ravin », dit Marion. Sa voix, mal assurée, tentait de dissimuler une certaine inquiétude. « Je distingue du blanc entre les arbres, répondit Alice en s'arrêtant. Ce doit être le pont. — Et son fantôme », marmonna Bess entre ses dents. N'écoutant que leur courage, Alice et Marion continuèrent leur chemin à travers un écran de branches et de ronces. Bess formait l'arrière-garde. « Rentrons à l'hôtel », implora-t-elle. Ses amies ne l'entendirent pas. Enfin, les trois jeunes filles arrivèrent à une petite distance d'un pont suspendu, presque dissimulé par des lianes. A demi en ruine, il avait été autrefois peint en blanc.

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Tout à coup, Alice s'immobilisa, le regard tendu. Bess poussa un cri d'effroi. « Le pont est hanté ! cria-t-elle, vois, ce fantôme qui le traverse ! — Non, il ne le traverse pas ; il agite les bras d'avant en arrière, exactement comme Sammy l'affirmait, dit Marion. Alice, allons-nousen, il n'est pas sage de rester ici. Bess n'a pas tort. — Quelle sottise, Marion ! protesta Alice. Je ne m'attendais pas à cela de toi. Nous sommes venues pour élucider un mystère, non pour nous enfuir à la première alerte. Cet objet blanc qui vous effraie toutes les deux n'a rien de terrifiant. — Qu'est-ce que c'est, selon toi ? demanda Bess sur un ton plus calme. — En tout cas, pas un fantôme. Sans doute un simple morceau de toile soulevé par le vent. — Possible, admit Bess, mais as-tu déjà entendu gémir un morceau de toile ? Écoute... — Je n'entends rien... » commença Alice. Les mots moururent sur ses lèvres. Du fond du ravin, à peu de distance semblait-il du pont hanté, s'élevait un cri qui ne ressemblait à aucun son humain. Sauvage, torturé, il montait en crescendo, puis aussi douloureux qu'un remords, il se prolongeait en une longue plainte qui allait se perdre dans les profondeurs de la forêt.

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CHAPITRE V LA POURSUITE D'UN FANTÔME se blottirent l'une contre l'autre, écoutant l'écho répéter à l'infini cette plainte sinistre. A travers le feuillage, elles voyaient le fantôme bouger les bras d'avant en arrière avec une sorte de lenteur solennelle. « Partons, supplia de nouveau Bess. Ce pont hanté ne me dit rien qui vaille. — Et moi, il m'intéresse encore, répartit Alice. Approchons-nous davantage et essayons de surprendre le fantôme. » Bess implora en vain. Ses amies refusèrent de l'écouter. Plutôt que de rester seule, elle les suivit en rechignant. LES JEUNES FILLES

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Alice allait en tête ; très prudente, elle évitait de poser le pied sur des branches sèches de crainte de trahir leur présence. Soudain, elle s'arrêta et, à la stupéfaction de ses amies, elle éclata de rire. « Ah ! Ah ! Ah ! Que nous sommes donc sottes ! Le fantôme de Sammy n'est autre qu'un épouvantail à moineaux. — Un épouvantail à moineaux ! répéta Bess, incrédule. — Regarde ! » répondit Alice. Elle s'écarta et tendit le bras vers le pont qui enjambait un ravin, juste au-dessous d'elles. Ses compagnes se rapprochèrent et virent claquer au vent un grand lambeau de toile. « La plaisanterie n'est pas mauvaise ! » s'écria Marion en riant de bon cœur. Rassurées, les trois amies s'avancèrent pour examiner l'épouvantai!. Il avait été planté à l'entrée de la charpente rustique dans quelque mystérieuse intention. A en juger d'après son état et la poussière qui le recouvrait, il devait être là depuis plusieurs mois. De la paille sortait du sac formant son ventre. Il était si branlant que la moindre brise ou une simple vibration du pont le faisait remuer. De loin, le mouvement de ses « bras » lui prêtait une apparence de vie. Bess poussa un soupir de soulagement. « Ouf ! Voilà un mystère élucidé ! — Pas entièrement. Comment expliquer la plainte que nous avons entendue ? dit Marion. Nous n'avons pas rêvé, j'en suis sûre. — Non », répondit Alice, l'air grave. Elle avança un pied sur le pont pour en vérifier la solidité. « Non, reprit-elle, et il ne venait pas de l'épouvantai!. — Et alors ? fit Bess, de nouveau inquiète. Ne serait-ce pas le pont qui craquait ? » Alice secoua la tête. « Cela ne ressemblait pas à un craquement. — Il se peut qu'un rôdeur erre par ici », intervint Marion en promenant le regard autour d'elle. Alice se rangea à cette opinion. Après avoir inspecté les alentours immédiats, elles n'étaient pas plus avancées : tout indiquait que le pont n'avait pas reçu de visite depuis longtemps. « Pourtant quelqu'un a dressé cet épouvantail, remarqua Alice. Pourquoi, je me le demande ?

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— N'y aurait-il pas près d'ici des arbres fruitiers ou des champs ensemencés à protéger, suggéra Bess. S'il a été placé là c'est sans doute dans le but d'empêcher les gens de franchir le pont. — A moins qu'il ne s'agisse d'une simple plaisanterie, dit Alice. Quoi qu'il en soit, nous n'avons trouvé aucune explication au gémissement. Voulez-vous que nous passions sur l'autre bord du ravin ? — Le pont ne me paraît guère solide, protesta Bess. Quand tu as fait un pas dessus tout à l'heure, il a fléchi dangereusement. — Il supportera mon poids », répliqua Alice. Bess et Marion la retinrent. Elles lui interdirent avec force de tenter l'expérience. « De toute manière, il n'y a rien à voir de l'autre côté, déclara Bess. Cherchons ta balle de golf, Alice. — Ce sera une occupation plus utile. J'aimerais la retrouver, c'est la meilleure que je possède, en outre elle me porte chance car Jimmy Harlow, le grand champion de golf, l'a autographiée. — Au travail, sans perdre un instant, déclara Marion. Elle ne doit pas être tombée loin d'ici. » Les jeunes filles fouillèrent les buissons pendant près d'un quart d'heure. Elles trouvèrent deux balles imbibées d'eau mais pas celle d'Alice. « Elle a peut-être roulé au fond du ravin », suggéra Bess. Alice portait une paire de chaussures à semelle de caoutchouc antidérapante ; elle descendit le talus. « C'est très glissant, ne me suivez pas, enjoignit-elle à ses amies. Je n'ai guère d'espoir de trouver ma balle ; elle doit être enfouie sous la vase. Le fond de ce ravin n'est autre que le lit d'un torrent asséché. » Bientôt, le jeune fille comprit qu'elle n'aboutirait, en s'entêtant, qu'à abîmer ses chaussures et ses chaussettes. Décidée à rejoindre les deux cousines qui la surveillaient d'en haut, elle longea le lit du ravin à la recherche d'un endroit moins abrupt pour remonter. Tout à coup, son regard tomba sur un objet métallique à demi enterré dans la boue. « As-tu trouvé ta balle ? demanda Marion en la voyant se baisser.

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— Non, un vieux plat d'étain, je crois. — Un plat d'étain ? » répéta Bess, surprise. Alice dégagea l'objet : ce n'était pas un plat mais un coffret de bronze ciselé. La découverte était d'importance ; très agitée, la jeune détective ne pouvait détacher le regard de sa trouvaille. « On dirait un coffret à bijoux ! s'écria-t-elle en le tendant à bout de bras pour le faire voir à Bess et à Marion. Il est lourd. — Comment est-il venu ici ? demanda Marion. Alice, tu es vraiment née sous une bonne étoile. Tu perds une balle de golf et tu trouves un trésor. — Ne laisse pas ton imagination galoper à sa guise, protesta Alice. Je reconnais cependant que ce coffret pourrait contenir de l'or à en juger d'après son poids. » Elle le mesura avec la main : environ 15 centimètres de long sur 10 de large et 8 de haut. Bess et Marion se laissèrent glisser vers la rive boueuse et rejoignirent leur amie. Elles étaient encore plus heureuses qu'elle de cette singulière découverte. « Ouvre-le, commanda Bess. Il se peut que tu aies mis la main sur des bijoux précieux, ou des pièces d'or. — Il est fermé à clef, dit Alice après un essai. — A moins que le couvercle ne soit collé par la vase. » Alice fit une seconde tentative aussi vaine que la première. « Laisse-moi faire, dit Marion, je suis plus forte que toi. » Elle ne réussit pas davantage à ouvrir le coffret. « Résignons-nous, fit Bess, l'air sombre. A moins que nous ne brisions le couvercle avec un caillou. — Caillou contre étain, il n'y a guère de chance, dit Alice en souriant. En outre, cela abîmerait le coffret. Lavé et astiqué, il doit être très beau. — C'est agaçant de ne pas savoir ce qu'il contient, grommela Marion. Qu'y a-t-il à l'intérieur, selon toi, Alice ? — Je ne suis pas devin. Ce qui m'intéresserait ce serait de savoir pourquoi on l'a caché ici, près du pont hanté, et qui l'a caché ? — Il se peut qu'au printemps, à l'époque de la crue, le torrent l'ait charrié jusqu'ici.

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— C'est une hypothèse plausible, reconnut Alice. Il m'en vient une autre à l'esprit : quelqu'un ne l'aurait-il pas volontairement enterré — celui-là même qui a installé l'épouvantai!, par exemple ? — Sur quoi bases-tu cette hypothèse ? voulut savoir Marion. — Sur rien de précis. Ce n'est qu'une intuition. — Tout cela est trop mystérieux pour moi, déclara Bess. Je confie à notre chère Alice le soin de fournir la bonne réponse. — J'essaierai, répondit la jeune fille en riant. En attendant, rapportons le coffret à l'hôtel et tâchons de ne pas faire de fâcheuses rencontres. » Elles remontèrent le ravin et, peu après, sortaient du bois. Hélas ! Comme elles approchaient de l'hôtel, elles furent aperçues par Mortimer Bartescol, assis sous un parasol, devant une boisson fraîche. Il se leva vivement. « Quel ennui ! Cet importun ne manquera pas de voir notre trouvaille et il nous bombardera de questions ! murmura Alice. Il est trop tard, impossible de l'éviter ! » Bess avait un chandail sur le bras. Elle le jeta négligemment sur le coffret que tenait Alice. « Bonjour ! cria Mortimer, vous revenez de promenade ? — Nous sommes allées chercher une de mes balles préférées, répondit Alice poliment. Elle s'était égarée dans le bois, la dernière fois que j'ai joué au golf. — Il fait trop chaud aujourd'hui pour s'agiter sur le terrain, déclara Mortimer en se mettant à leur pas. Puis-je porter votre chandail, mademoiselle Roy ? — Non, merci », s'empressa de répondre Alice, non sans rougir. Voyant le regard de Mortimer s'attarder sur le chandail, elle ajouta vivement. « Je ne vous ai pas encore remercié ; quelle gentille pensée vous avez eue de m'envoyer des fleurs. — Mes rosés vous ont plu ? dit Mortimer en bombant le torse. J'ai commandé les plus belles. Hélas ! Les fleuristes d'ici ne valent pas ceux de New York ou de l'Italie. Comment vous sentez-vous aujourd'hui, mademoiselle ?

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— Bien, à l'exception de mon poignet. J'ai un doigt avec lequel je ne peux pas serrer. — Vous jouerez néanmoins dans la compétition ? — Oui, si le docteur Aikerman m'y autorise, et à condition que je me classe en finale. — Vous ne connaissez donc pas la nouvelle, fit Mortimer avec un aimable sourire. Vos résultats sont parmi les meilleurs. Nul ne met en doute que vous ne vous qualifiez pour la finale. — Je l'espère. Toutefois je n'en serai sûre que lorsque tous les résultats seront parvenus au capitaine des jeux. Et vous-même ? — Entre nous, je compte remporter la coupe messieurs, annonça Mortimer sur le ton de la confidence. Ce matin, j'ai joué comme un as. Je me suis surpassé ! — Bravo ! se força à dire Bess. — Je suis en pleine forme, se vanta l'insupportable personnage. Aucun joueur de ma classe ne s'est encore manifesté. » « II dépasse les bornes du mauvais goût », pensèrent les trois amies. Tout en manifestant un intérêt poli, elles soupçonnaient Mortimer d'exagérer considérablement ses mérites. Alice avait peur qu'il ne vît le coffret d'étain, aussi tenta-t-elle d'écourter la conversation. Après avoir éludé, non sans peine, une invitation à prendre le thé, elles réussirent à gagner leur chambre sans autre incident. « Ouf ! Il n'a rien vu ! fit Bess en se laissant choir sur un lit. Et maintenant, Alice, satisfais ma dévorante curiosité ! » Obéissante, Alice tenta d'ouvrir le couvercle à l'aide d'une lime à ongles. Vaine tentative. Elle utilisa d'autres outils sans plus de succès. « II faudrait une pointe, déclara Marion après avoir examiné le coffret. Si seulement j'avais un pic à glace ou un clou... » Alice bondit sur ses pieds, les yeux brillants d'excitation. « Je sais ce que nous pouvons employer ! Comment n'y ai-je pas pensé plus tôt ? » Sans prendre le temps de fournir une explication, elle posa le coffret et sortit de la chambre en courant.

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CHAPITRE VI LE COFFRET DE BRONZE longea le couloir. Au passage, elle s'arrêta pour admirer un moment l'étalage du fleuriste. « Si j'envoyais un bouquet à Bess et à Marion », se dit-elle. D'un mouvement impulsif, elle entra dans la boutique, choisit deux boutonnières de violettes et pria le vendeur de les faire livrer à ses deux amies. « Dois-je joindre votre carte à l'envoi ? demanda l'employé en enveloppant les fleurs. — Non, mettez simplement : de la part d'un admirateur », répondit Alice. ALICE

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Elle sourit à la pensée de la mine intriguée des deux cousines. Le vendeur écrivit sous sa dictée. Alice prit une des cartes et l'examina avec surprise. « Est-ce bien ce que vous vouliez ? demanda l'homme poliment. — C'est parfait. Mais il me semble avoir déjà vu votre écriture. — Cela n'aurait rien de surprenant. Il m'arrive souvent de remplir les cartes d'envoi à la place de mes clients. Peut-être avezvous déjà reçu des fleurs provenant de chez moi. — Hier, on m'a envoyé une gerbe de rosés. Elle m'était offerte par un certain Bartescol. — M. Mortimer Bartescol ? Je me souviens parfaitement de lui. Seriez-vous mademoiselle Roy ? — Oui. — En ce cas, la carte jointe à votre bouquet était en effet écrite de ma main. — Je vois... », murmura la jeune fille, songeuse. Afin de ne pas laisser le vendeur supposer qu'elle attachait à cette révélation une importance particulière, elle ajouta. « Votre écriture m'avait paru familière, je comprends maintenant pourquoi. » Elle paya les bouquets et sortit de la boutique. « Bess et Marion doivent s'impatienter », songea-t-elle. En quelques minutes elle eut gagné la maison des caddies où se trouvaient son sac de golf et ses souliers à clous. En la voyant revenir triomphalement avec ceux-ci, grande fut la surprise des deux cousines. « Quelle idée saugrenue t'a traversé la tête ? fit Bess. Nous croyions que tu étais allée chercher un outil. — En existe-t-il de meilleur qu'une de ces pointes ? rétorqua Alice. En moins de deux secondes le couvercle va céder. » Elle cala solidement le coffret entre ses genoux, prit une chaussure de manière à insérer une rangée de pointes sous le rebord du couvercle et se servit de l'autre comme d'un marteau. « Bravo ! s'écria Bess. Tu es géniale ! » Alice eut un sourire modeste. Inutile de se réjouir à l'avance, conseilla-t-elle à ses amies. Il sera temps de le faire quand l'opération

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aura été couronnée de succès. Hélas ! Tout à coup, le coffret lui échappa et tomba à terre. « Seigneur ! s'exclama Bess. Il doit contenir du plomb pour avoir fait un tel bruit. — Pourvu que la personne qui habite au-dessous n'aille pas se plaindre à la direction, dit en riant Alice. Cette chaussure a beau être un excellent outil, le couvercle me paraît d'une nature très obstinée. — L'heure du dîner approche, annonça Bess. Nous devrions nous changer. — Pourquoi ne pas nous faire servir ici ? » proposa Alice. Elle n'était guère disposée à renoncer à ouvrir le coffret. « Nous avions envie, Bess et moi, d'étrenner nos nouvelles robes du soir, intervint Marion. Enfin, si tu préfères ne pas descendre... » La nuance de regret perceptible dans sa voix n'échappa pas à Alice. « Non, non, s'empressa-t-elle de dire, le coffret peut attendre. » Levant un regard chargé de malice vers les deux cousines, elle demanda : « Auriez-vous fait quelque conquête cet après-midi ? — Pourquoi pas ? » répondit Bess, vexée. Elles mettaient la dernière touche à leur toilette quand on frappa à la porte. C'était un chasseur chargé de deux boîtes carrées portant la marque d'un fleuriste. « C'est encore pour Alice, dit Bess sur un ton de léger dépit. Ce Mortimer Bartescol est un empoisonneur fini, mais on ne saurait le taxer d'avarice. — Oh ! fit Marion. C'est à nous qu'elles sont adressées, Bess. 11 doit y avoir erreur. » Alice riait sous cape tandis que, sans se douter de rien, les deux cousines défaisaient les emballages. « Quelle ravissante boutonnière ! s'exclama Bess en respirant le délicat parfum des violettes. Elle ira à merveille avec ma nouvelle robe. Qui est le généreux donateur ? » L'air déconcerté, Marion déchiffrait la carte épinglée à l'intérieur de sa boîte.

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« D'un admirateur ? Je n'y comprends rien, murmura-t-elle. — Moi non plus, fit Bess qui venait de lire les mêmes mots. Je ne connais personne ici, du moins personne qui puisse penser à m'offrir des fleurs. — Hum ! Hum ! murmura Alice. Vous me cachez quelque chose. » Bess et Marion protestèrent avec véhémence qu'elles n'avaient aucun admirateur à l'hôtel. Alice ne put tenir plus longtemps son sérieux. A la vue du sourire qui lui éclairait le visage, Bess comprit : « C'est toi qui as commandé ces fleurs, Alice. Allons, avoue ! — Oui, je plaide coupable ! — Tu es un ange, dit Marion en l'embrassant. Quelle gentille attention. Nous allons être très élégantes. — Ne me remerciez pas. J'ai eu ma récompense sans l'avoir

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cherchée, répondit Alice. Figurez-vous que j'ai appris un détail intéressant au sujet de Mortimer Bartescol. » Elle leur raconta son entretien avec le fleuriste. « Ce cher Mortimer ne souhaite donc pas que l'on reconnaisse son écriture, dit Bess. Crois-tu qu'il soit recherché par la police ? — Il semble disposer de grosses sommes d'argent et n'avoir pas de profession précise, reconnut Alice. De là à l'accuser des pires méfaits il y a un pas que nous ne sommes pas en droit de franchir. Il appartient plutôt à l'espèce des oisifs, vantards et sûrs d'eux, espèce heureusement en voie de disparition. — Pauvre homme, le voilà catalogué ! » dit Marion. Bess examinait d'un œil critique la toilette d'Alice. « Pourquoi ne mettrais-tu pas sur ta robe une rosé dudit Mortimer ? suggéra-t-elle. Elle la rehausserait. — Je n'ai aucune envie de flatter cet importun, ni de lui donner motif de croire que je tiens à lui. — Qui te dit qu'il sera dans la salle à manger ? répliqua Marion. Et puis une fleur est une fleur, Alice. Laisse-moi épingler celle-ci sur ta robe. » Alice protesta, pour la forme, puis se laissa faire. M. Roy n'était pas encore rentré, aussi les trois amies décidèrent-elles de dîner sans l'attendre. Le maître d'hôtel les installa à une table, près de la baie. « Oh ! Encore et toujours ce Bartescol ! » murmura Alice à l'oreille de Bess. Il était assis, seul, à une table non loin de la leur. « N'ayons pas l'air de le voir », recommanda Bess. Hélas ! Ce fut peine perdue. Mortimer Bartescol se leva et alla vers elles. Il remarqua aussitôt la rosé sur le corsage d'Alice et son visage s'éclaira. « Puis-je me joindre à vous ? » demanda-t-il. Sans même attendre la réponse, il s'assit sur une chaise à côté d'Alice. Si le déplaisant personnage apprécia le dîner, il n'en fut pas de même pour les trois amies. Force leur fut d'écouter d'interminables récits d'aventures vécues, disait-il, en Afrique. A divers détails, Alice comprit qu'il n'avait jamais séjourné sur ce continent.

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Enfin le repas se termina. Avec un vif soulagement, les jeunes filles quittèrent la salle à manger. « Bien entendu, vous restez danser, dit Mortimer Bartescol en s'adressant à Alice. Il y a bal ce soir. — Non, c'est impossible. J'ai rendez-vous avec le médecin ; il doit examiner mon poignet et décider si je peux participer à la compétition demain. — Vous êtes une personne très courageuse, mademoiselle. Je ne connais pas beaucoup de femmes qui oseraient jouer avec un pareil handicap physique. » Alice ne répondit pas. Elle s'éloigna en compagnie de ses amies. Tandis que le docteur Aikerman palpait avec soin l'articulation endommagée, les trois jeunes filles attendaient dans un silence inquiet. Il posa quelques questions à Alice : souffrait-elle ? dormait-elle bien ? ou la douleur la tenait-elle éveillée ? Alice affirma avec un peu trop de véhémence qu'elle ne sentait plus rien. « Je vois que vous êtes décidée à jouer envers et contre tout, conclut le médecin en souriant. — Oh ! je vous en prie, donnez-moi votre autorisation, supplia Alice. J'ai un doigt encore un peu raide mais je ferai attention, du moins dans toute la mesure du possible. » Le docteur Aikerman ne répondit pas. Il refit le bandage du poignet. L'air navré, Alice le regardait, presque sûre du verdict qu'il allait prononcer. Quelle ne fut sa joie de l'entendre dire sur un ton bourru : « Je vous permets de participer à la compétition, mais j'exige que vous gardiez ce bandage. » Alice fit la moue. Jamais elle ne réussirait à jouer comme d'habitude avec ce pansement. « Je vous obéirai, finit-elle par murmurer. Autre chose, ajouta le médecin. Si votre poignet vous fait souffrir, vous vous arrêterez aussitôt. Sinon, je ne réponds de rien. » Alice et ses amies avaient la mine sombre quand elles sortirent de la pièce.

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« Tu devrais renoncer, murmura Bess, navrée. Mieux vaut ne pas jouer du tout que de jouer mal. — Tu as sans doute raison, mais je préfère tenter le coup, répondit Alice. Il y a si longtemps que je souhaite me mesurer avec des championnes. -— Alors un conseil : couche-toi et dors. Tu auras besoin de toutes tes forces, décréta Marion. — Tu oublies que j'ai encore une tâche à remplir, répondit Alice en montrant de la tête le coffret sculpté. — Pas question de te laisser faire, déclara Marion avec fermeté. Passe-moi ton soulier à pointes et remue le moins possible ce malheureux poignet. » A contrecœur, Alice lui tendit une chaussure et la regarda se battre avec le couvercle. Plusieurs fois, Marion fut tentée de renoncer à cette entreprise difficile, mais dès que son amie faisait mine de vouloir la remplacer, elle se remettait à la besogne. « II cède ! » s'écria tout à coup Bess. Marion posa le coffret sur les genoux d'Alice. « A toi l'honneur de l'ouvrir, dit-elle gentiment. C'est toi qui l'a découvert. — Et nous ne verrons que des cailloux ! » fit en riant Alice. Pourtant sa main tremblait quand elle souleva le couvercle. Un grand silence se fit dans la pièce. Enfin, Alice réussit à murmurer. « J'en crois à peine mes yeux ! Jamais je n'aurais rêvé de contempler un pareil trésor ! »

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CHAPITRE VII UNE MINAUDIÈRE DE GRAND PRIX LE COFFRET était rempli de bijoux jusqu'aux bords. Un rapide examen suffit à convaincre Alice et ses amies qu'il ne s'agissait pas d'imitations. Colliers de pierres précieuses rouges, vertes et bleues, bagues, joyaux d'or et d'argent s'offraient à leurs regards émerveillés. « Cela représente une fortune, murmura Bess. Alice, tu seras très riche ! — Tu rêves ! Ces bijoux ne m'appartiennent pas, il faut retrouver leur propriétaire. — Y réussirons-nous ? dit Marion en prenant un bracelet d'argent. Quel orfèvre a façonné une œuvre d'art aussi parfaite ?

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— Et regarde cette bague de diamant ? » fit Bess en faisant jouer à la lumière un anneau plat, rehaussé d'une pierre dont les feux étincelaient. Alice contemplait un collier d'émeraudes. Elle le saisit avec précaution et, ce faisant, dégagea un objet qui lui arracha un cri : une minaudière de toute beauté ! Occupée à admirer les bijoux qu'elles tenaient en mains, Marion et Bess ne remarquèrent pas avec quelle impatience leur amie ouvrait la minaudière. « Regardez ce que j'ai trouvé ! » s'écria-t-elle. Elle leur présentait l'intérieur du couvercle, leur faisant voir le portrait qui y était fixé. « La photo d'une enfant, fit Bess, surprise. — On dirait une petite fille », dit Marion. L'importance qu'Alice semblait attacher à sa découverte étonna les deux cousines ; elles ignoraient que cette photo permettrait d'identifier la propriétaire de la minaudière. Alice faillit le leur révéler, mais elle se ravisa : son père ne l'avait pas autorisée à dévoiler le secret. « Tu es bien silencieuse ! lui reprocha Bess. — Je songeais... » commença Alice. Elle se tut et retourna plusieurs fois dans ses mains la minaudière. Il n'était désormais plus possible de repérer une femme possédant cet objet comme l'espéraient les détectives. En l'absence de toute preuve formelle, Alice ne mettait pas en doute que la minaudière eût appartenu à la voleuse. « Dès que papa sera de retour ici, je lui montrerai le coffret et son contenu, se dit-elle. Il se peut que cela bouleverse ses plans. » Bess et Marion mirent une question sur le tapis : qu'allait-on faire du trésor. Elles n'avaient pas la moindre envie de le garder dans leur chambre. La responsabilité était trop grande. « Je vais le confier à papa, déclara Alice. Il le déposera dans le coffre-fort de l'hôtel. » Onze heures venaient de sonner depuis peu lorsque les jeunes filles entendirent les pas de M. Roy résonner dans le couloir. Il se dirigeait vers sa chambre. Alice l'y rejoignit aussitôt, le coffret sous

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le bras. Quand elle eut refermé la porte, elle leva le couvercle de l'énorme écrin dont le contenu laissa M. Roy bouche bée. « Alice ! Qu'est-ce que c'est ? As-tu dévalisé une bijouterie ? » La jeune fille lui raconta comment elle était entrée en possession du coffret et acheva son récit en tendant d'un geste théâtral la minaudière à M. Roy. L'avocat l'examina avec soin. Malgré son calme apparent, il était troublé ; Alice ne s'y trompa pas. « Cette petite merveille correspond exactement à la description qui m'a été fournie par les détectives de New York. Et elle est authentique, sans aucun doute. — Le coffret aurait-il été dissimulé par un membre de la bande recherchée ? — Possible. En tout cas, cela change mes projets. — La femme mystérieuse le devient plus encore. — Si cette minaudière lui appartient, oui ! Nous ne possédons pas d'autre indice. — Que comptes-tu faire de ces bijoux, papa ? — Les garder jusqu'à ce que j'aie pris contact avec les inspecteurs de police new-yorkais. Je vais leur envoyer un télégramme comportant une description de chacune des pièces déposées dans le coffret. « Ouf ! Je te les laisse avec plaisir, répondit Alice en souriant. Je ne me souciais pas d'en garder la responsabilité. » La jeune fille annonça à son père qu'elle participerait à la compétition le lendemain et, après l'avoir embrassé, se hâta de regagner sa chambre. Elle se coucha et s'endormit presque aussitôt. Le lendemain matin, à neuf heures elle attendait au tee de départ Mlle Gray avec qui elle allait disputer la première partie. Bess et Marion avaient décidé d'assister au drive d'envoi et de s'en aller ensuite de crainte de gêner leur amie par leur présence. Sammy portait fièrement le sac d'Alice, il l'encouragea du regard pendant qu'elle tapait des balles pour s'entraîner. « Comment se comporte ton poignet ? demanda Marion, inquiète. — Très bien », répondit Alice.

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Elle était fermement résolue à ne pas trouver là une facile excuse au cas où elle perdrait. Mlle Gray ne tarda pas à arriver avec son caddie et lança sa balle à plus de deux cents mètres. Si Alice fut déçue, elle n'en laissa rien paraître. Avec le plus grand calme, elle envoya sa propre balle à quelques centimètres de celle de son adversaire. « Bon début ! apprécia Marion. Pourvu que sa foulure ne la gêne pas ensuite ! » Mlle Gray était une joueuse de grande classe ; elle obligea Alice à rester sur la défensive. La lutte fut ardente, les deux adversaires prenant tour à tour l'avantage. Enfin, la maîtrise d'Alice s'affirma. Toutefois la partie n'était pas encore gagnée, il restait trois trous à disputer. « Et le numéro seize ne me porte pas chance », dit-elle en clignant de l'œil à l'adresse de Sammy. Il rougit, honteux d'avoir refusé de chercher la balle perdue, celle qui portait bonheur à sa cliente préférée.

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Alice envoya une balle très loin sur le fairway. Tout en marchant en compagnie de son caddie, elle ne put résister à l'envie de lui raconter ce que ses amies et elle-même avaient vu à la place du fantôme : un simple épouvantai!. « Un épouvantail ? » répéta le jeune garçon. Il demeura bouche bée un moment puis il éclata de rire. « Pour une plaisanterie, c'est une bonne plaisanterie qu'on nous a faite là à mes camarades et à moi. Nous étions convaincus que c'était un fantôme à cause des plaintes qu'il émettait. A propos, comment les expliquez-vous ? Un épouvantail ne fait pas de bruit, ou à peine. » Alice lui répondit qu'il avait peut-être entendu le vent gémir. L'explication parut satisfaire Sammy. « Pardonnez-moi de ne pas avoir cherché votre balle l'autre jour, dit-il. Si j'étais sûr qu'il n'y a pas de fantôme j'irais cet après-midi. — Vas-y sans crainte », répondit Alice avec un sourire amusé. Sammy était visiblement partagé entre deux sentiments contraires : d'un côté le désir de retrouver la balle, de l'autre la peur d'un danger imprévu. « Je serais si heureuse de récupérer cette balle à cause de l'autographe, ajouta-t-elle. — Ce n'est pas tout le monde qui peut se vanter de posséder une balle avec la signature de Jimmy Harlow ! Comptez sur moi, mademoiselle, je la chercherai. — Y a-t-il longtemps que tu demeures ici ? demanda Alice. — Depuis ma naissance, répondit le jeune garçon. — Tu connais tout le monde à la ronde. Aurais-tu entendu parler d'une demeure détruite par un incendie, à une date assez récente? » Le caddie la regarda, déconcerté, puis la lumière se fit en lui. « Oh ! Vous voulez parler du manoir Judson. Il se dressait par là-bas. » D'un grand geste du bras, Sammy montrait les bois. « De l'autre côté du pont ? — Oui, pas très loin. Sur l'autre bord du ravin. Il a brûlé il y a deux ans, en pleine nuit. On n'a jamais su comment le feu avait pris.

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— Il était habité par la famille Judson. — Non, par Mlle Margaret seulement. — Une personne âgée ? — Non. Une des plus jolies filles de l'endroit. Elle aurait dans les vingt-quatre ans. — Elle est morte ? — Pas que je sache. Elle avait perdu ses parents et elle était fiancée à un professeur. Après l'incendie, Mlle Margaret s'est enfuie ; on ne l'a plus jamais revue. — N'est-il pas bizarre qu'elle ait disparu aussitôt après l'incendie ? remarqua Alice. — Un peu. Les gens d'ici ont jugé cela plutôt étrange. Si cette histoire vous intéresse, ma mère en sait plus long que moi ; elle pourrait vous donner plus de détails. — Où habite-t-elle ? » demanda Alice. Sammy lui donna l'adresse. « Je passerai voir ta mère un de ces jours », dit la jeune fille, toute heureuse du renseignement qu'elle venait d'obtenir. Grâce à Sammy, elle connaissait maintenant l'identité de la femme, ou plutôt de la jeune fille, dont le regard triste l'avait frappée à l'hôtel Hemlock. Les informations qu'elle espérait obtenir de la mère du caddie lui permettraient-elles d'établir un lien entre Margaret Judson et le coffret ?

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CHAPITRE VIII LE MANOIR INCENDIÉ attendaient la fin du match auprès du dernier trou. Elles se précipitèrent vers leur amie. « Bravo ! Tu as gagné. Je le savais bien, s'écria Bess. Demain tu remporteras la seconde manche, puis en route pour les finales et la gloire ! » Alice jugea opportun de calmer cet enthousiasme excessif. « Ce ne sera pas aussi facile que tu l'imagines. La seconde partie est toujours plus difficile que la première et je n'ai gagné que de peu sur Mlle Gray. — Combien de points as-tu faits ? demanda Marion en prenant la carte des mains de son amie. BESS ET MARION

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— Trop ! Un peu moins de cent. Si je veux gagner le tournoi, il ne faudrait pas que je dépasse les quatre-vingts. — C'est impossible ! s'écria Bess. Et ton poignet, comment va-til ? — Il ne me fait pas souffrir à proprement parler mais je l'ai senti tout le temps. Si mon doigt récupère sa souplesse d'ici demain, je m'estimerai heureuse. — Allons déjeuner, intervint Marion. Tu as besoin de te restaurer après cet effort. » Bras dessus bras dessous, elles s'acheminèrent vers l'hôtel. « J'approuve d'autant plus ta suggestion, déclara Alice, qu'à cette heure nous aurons quelque chance d'éviter Mortimer Bartescol. Il doit estimer de mauvais ton de prendre ses repas de trop bonne heure. » La salle à manger était pratiquement déserte. Après avoir fait honneur aux plats qui leur furent servis, les trois amies se promenèrent dans les jardins. Le regard d'Alice se portait sans cesse sur le tee 16. « Aurais-tu envie de jouer encore ? » demanda Marion, assez surprise. Alice secoua la tête. « Ah ! non. Dix-huit trous, c'est plus qu'il ne m'en faut pour aujourd'hui. — Je pensais... — Au pont hanté, acheva Bess en riant. La visite que nous lui avons faite l'autre jour ne t'aurait-elle pas suffi ? — Ce n'est pas le pont qui m'intéresse en ce moment, mais un vieux manoir. Selon Sammy, il aurait brûlé il y a deux ans. — Nous avons déjà eu notre compte de manoirs et de châteaux en ruine, protesta Marion. D'ailleurs, une longue excursion sous ce soleil ardent ne me sourit guère. — Paresseuse ! fit Alice sur un ton de reproche. Je me sens pleine d'entrain et meurs d'envie de pousser une pointe jusque-là. » Elle se déclara prête à partir seule. Marion et Bess ne l'entendirent pas ainsi et, bien que peu tentées par l'excursion, elles tinrent à accompagner leur amie. En traversant le fairway 16, elles croisèrent Mortimer Bartescol.

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« Salut ! cria-t-il d'un ton jovial. Où allez-vous ? — Nulle part, nous prenons un peu d'exercice », répondit Alice. L'encombrant personnage leur emboîta le pas. « J'ai à tuer le temps avant mon match. Si vous le permettez, je vous tiendrai compagnie. » Les trois amies échangèrent un regard consterné. Impossible de mettre leur projet à exécution si elles ne réussissaient pas à se débarrasser de cet odieux Mortimer. « Nous ne comptons pas rentrer de sitôt, dit Alice. Et nous ne voudrions pas vous faire manquer le départ. — Je vous lâcherai en cours de route. A propos, de quel côté vous dirigez-vous ? — Nous ne nous sommes pas fixé d'objectif précis, répondit Alice non sans froideur. Et si vous n'y voyez pas d'inconvénient, nous préférerions rester entre nous. — Autrement dit : « Messieurs s'abstenir », répartit Mortimer en gloussant. Voyons, ne vous fâchez pas, je plaisantais. De toute manière je n'aurais pu m'éloigner, car mon adversaire m'attend à une heure. Bonne promenade ! » Les lèvres étirées en un large sourire, il s'inclina très bas et fit demi-tour. « Soupçonne-t-il quelque chose ? demanda Bess une seconde plus tard. — On le dirait, répondit Alice, songeuse. J'ai l'impression qu'il nous surveille. Essayons de le semer. Pour commencer, attendons pour entrer dans le bois qu'il ne soit plus en vue. » Au bout d'un moment, las de les guetter de loin, Mortimer Bartescol reprit le chemin de l'hôtel. Après s'être assurées que personne d'autre ne les observait, les trois jeunes filles coupèrent à travers les taillis épais et s'approchèrent avec prudence du vieux pont de bois. « L'épouvantail se balance toujours, remarqua Bess d'une voix apeurée. J'espère que cette horrible plainte ne va pas s'élever. Si cela se produit, je vous plante là et prends mes jambes à mon cou. — Pauvre biche craintive ! railla Marion.

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— Moi je souhaite l'entendre, déclara Alice. Peut-être en trouverai-je ainsi l'explication logique, car il y en a une. — Je te souhaite bonne chance, répliqua Bess. Quelle idée de revenir dans cet endroit sinistre ! — Et le coffret au trésor, aurais-tu oublié que nous l'avons ramassé ici ? — Non, certes ! répondit Bess. Raison de plus pour ne pas y retourner. Nous commettons une grave imprudence, croyez-moi. » Marion et Alice saluèrent cette déclaration par des rires ; elles se moquèrent sans pitié des craintes de Bess. Aucun son étrange ne troubla la paix des bois quand elles arrivèrent près du pont suspendu. « C'est là qu'il faut franchir le ravin, déclara Alice après avoir regardé en aval et en amont du torrent. A condition de passer l'une après l'autre, la passerelle supportera notre poids. » Elle se hasarda la première. Marion la suivit. Vint ensuite le tour de Bess, dont le passage ne s'effectua pas sans incident : les manches de l'épouvantail la frôlèrent, lui arrachant un cri d'effroi. « Domine-toi, Bess, fit Alice, gentiment. 11 ne s'agit pas de clamer à tous les échos notre venue. — Toi aussi, tu aurais hurlé si ce lambeau de toile s'était enroulé autour de ton bras, répartit Bess. D'ailleurs, il n'y a personne ici. — Nous n'en savons rien, répondit Alice, en se frayant un chemin dans les broussailles qui bordaient le ravin. — Comment espères-tu trouver le manoir incendié puisque tu en ignores l'emplacement exact ? grommela Marion dont l'humeur se ressentait des égratignures dues aux ronces, partout abondantes. Sammy t'a-t-il précisé de quel côté du ravin il s'élevait ? — Non, il m'a indiqué la direction générale. Je suis certaine que nous sommes sur la bonne voie. » Alice désignait de la main un étroit sentier de terre battue qui commençait à quelques mètres devant elle. Les jeunes filles s'y engagèrent à la queue leu leu ; à leur vive surprise, elles constatèrent qu'un autre sentier partait du ravin à quelques mètres du premier.

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« Lequel faut-il prendre ? demanda Bess en regardant Alice. Celui qui longe le bord du ravin a été utilisé récemment. — Oui, pourtant Sammy ne montrait pas cette direction mais plutôt l'autre, répondit Alice. Continuons d'abord sur ce sentier, nous verrons bien où il aboutira. » Elle reprit la marche. Les épines déchiraient ses vêtements sans qu'elle y prît garde. Loin de partager son enthousiasme, Marion et Bess la suivaient en rechignant. « Ma robe est perdue, grommela Bess. Cette expédition en vautelle la peine ? j'aimerais le savoir. » Alice ne savait que répondre. De crainte de déplaire à M. Roy, elle n'osait mettre ses amies dans la confidence et leur dévoiler le véritable objectif de cette prétendue excursion. Enfin, toutes trois parvinrent à une sorte de clairière délimitée par une haie qui, depuis longtemps, n'avait pas été taillée. « Ouf ! Nous voilà sorties de la jungle ! » fit Bess en poussant un profond soupir. Elle s'adossa à un arbre pour se reposer et ajouta : « Crois-tu que l'ancien manoir se dressait là, Alice ? — Oui, il me semble distinguer devant nous un bâtiment, ou plutôt des ruines. Comme ce parc devait être beau autrefois ! » Les pelouses couvraient un hectare ; des saules, des chênes majestueux les ombrageaient ; des plantes grimpantes, retournées à l'état sauvage, dissimulaient les treillis et les charmilles qui les soutenaient jadis. Au centre même de la clairière s'élevait un tas de débris d'où émergeaient une colonne noircie par le feu et plusieurs poutres à demi consumées. C'est tout ce qui restait du manoir des Judson. « Est-ce cela que tu tenais tant à nous montrer ? demanda Bess, déçue. — Je n'imaginais pas que la catastrophe eût été aussi totale », reconnut Alice. Que s'attendait-elle à voir ? Elle ne le dit pas. Au fond de son cœur, elle avait nourri l'espoir que cette visite lui fournirait un indice, une photographie par exemple qui lui aurait permis d'identifier un membre de la famille et d'établir un lien avec la mystérieuse

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minaudière. Devant la déconvenue de leur amie, les deux cousines devinèrent qu'elle ne leur avait pas tout confié. « Une famille Judson habitait ici, nous as-tu dit : comment le savais-tu ? demanda Bess d'un ton inquisiteur. — Je l'ai appris par Sammy. Selon lui, une jeune fille vivait dans cette demeure maintenant réduite en cendres. Elle s'appelait Margaret. — Et tu espérais retrouver en elle la propriétaire de la minaudière, n'est-ce pas, mademoiselle la cachottière, dit Marion. — Peut-être, confessa Alice. Je regrette, mais je n'ai pas le droit de tout vous dévoiler, il faut que j'en demande d'abord la permission à papa. — Pourquoi ? fit Bess, surprise. Ah ! Je comprends, le manoir, le trésor, etc. sont des éléments de l'affaire dont il s'occupe. — Ne me posez plus de questions, je vous en prie, implora Alice, sinon je vais tout vous dire... et je ne mériterais plus la confiance de papa. Retournons à l'hôtel, il n'y a plus rien à voir ici. » Bess et Marion se gardèrent d'insister : une parole donnée n'estelle pas chose sacrée ? En silence, les trois amies firent demi-tour pour regagner le bord du ravin. Alice marchait devant, absorbée dans ses propres pensées. Margaret Judson, cette belle jeune fille au regard nostalgique, faisaitelle partie de la bande de voleurs internationaux ? « Non, c'est impossible ! réfléchissait Alice. Elle n'a pas le type d'une criminelle, j'en mettrais ma main au feu. Cette hypothèse est invraisemblable ! » Ses réflexions sur le sujet prirent fin brutalement : un cri atroce rompit le silence et fit sursauter les trois amies. Sans même s'être consultées du regard, elles s'arrêtèrent et se serrèrent l'une contre l'autre.

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CHAPITRE IX LE JARDINIER S'ENFUIT ‘OH ! ENCORE ! murmura Bess en broyant la main d'Alice. Le fantôme ! — Non, cela ne venait pas du pont, répliqua Marion d'une voix tremblante, car, elle aussi, avait peur. C'était comme un cri de souffrance. » Les jeunes filles attendirent un moment, l'oreille tendue. La plainte ne se renouvela pas. « C'est un spectateur qui aura été frappé par une balle de golf », suggéra Bess. Alice n'exprima pas son opinion. Elle ne croyait pas aux

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fantômes et avait la ferme conviction que ce cri n'avait pas été causé par la souffrance. Les jeunes filles reprirent leur chemin et parvinrent à l'endroit où le sentier se séparait en deux. Le regard d'Alice s'attarda sur celui qui longeait le ravin. « Le son venait de par là, déclara-t-elle. Allons... — Non, non et non, protesta Marion en empoignant son amie par le bras. Assez d'aventure pour aujourd'hui, mademoiselle Roy. — Marion est la sagesse même, ajouta vivement Bess. Ton audace te perdra, Alice. Quant à moi, j'ai hâte de sortir de cette horrible forêt avant qu'un malheur ne nous arrive. » Les protestations d'Alice ne servirent à rien. Fermement, ses amies la tirèrent jusqu'au pont qu'elles franchirent l'une après l'autre. Peu après, elles débouchaient sur le terrain de golf. Comme elles n'avaient pas la moindre envie de rencontrer d'autres joueurs, elles restèrent à la lisière du bois. Une partie se déroulait ; un bruit de voix signalait l'approche de joueurs. Tout à coup, une balle siffla à leurs oreilles et alla frapper un tronc à une douzaine de mètres d'elles. Après avoir rebondi, elle atterrit mollement au pied d'un autre arbre. « Le malheureux à qui appartient cette balle devra déployer une grande adresse, dit Alice en riant. Cachons-nous et regardons. » A peine venaient-elles de se dissimuler à l'abri de hauts taillis, Mortimer Bartescol pénétra dans le bois. Il maugréait entre ses dents, maudissant sa « mauvaise étoile ». Longuement, il fouilla parmi les feuilles mortes et, enfin, trouva sa balle. « Reste où tu es, caddie, l'entendirent-elles crier. Je l'ai ! » S'étant assuré que personne ne le surveillait, Bartescol fit sortir la balle à l'aide d'un club, la poussa dans un endroit dégagé et l'envoya sur le fairway. « Avez-vous vu ? fit Alice, écœurée. Quel ignoble tricheur ! — Nous devrions avertir le capitaine des jeux, déclara Bess, furieuse. Il sera exclu de la compétition. — C'est une affaire à régler entre lui et sa conscience, intervint Marion. Je doute fort, il est vrai, que celle-ci parle bien haut. » M. Roy attendait les jeunes filles dans la véranda. Après avoir bavardé quelques minutes avec elles, il entraîna Alice à l'écart et lui

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annonça son intention de prendre le train partant à minuit pour New York. « Je cours préparer mes valises, dit Alice. — Non, je ne vois pas la nécessité que tu abrèges ton séjour. Mon absence sera courte. Les inspecteurs de New York m'ont demandé de leur apporter le coffret et son contenu ; ils désirent l'examiner. — Ils pensent que les bijoux ont été volés ? demanda vivement Alice. — Oui, leur description concorde avec celle de plusieurs joyaux disparus. Essaie, en attendant, de retrouver cette jeune fille ou femme que tu as rencontrée à l'hôtel Hemlock. A la lumière des récents développements, la police souhaitera l'interroger. — Je tâcherai de savoir qui elle est et où elle habite, papa. Tout me porte à croire qu'elle s'appelle Margaret Judson. Simple hypothèse, il est vrai, rien de plus. — Ton intuition te trompe rarement, je te fais confiance. » En prononçant ces mots, M. Roy avait enveloppé sa fille d'un regard à la fois tendre et admiratif. « Sois très prudente, ajoute-t-il, la femme recherchée est dangereuse et fourbe. — Je ne l'oublierai pas », promit Alice. Elle aida son père à ranger quelques vêtements dans une petite valise et, l'heure venue, l'accompagna à la gare. Le lendemain matin, la demi-finale ayant été reportée à l'aprèsmidi, elle se rendit seule, en voiture, au village voisin où habitait la mère de Sammy. Quand Alice entra dans la cour, Mme Samuel Sutter était occupée à sa lessive. Informée par son fils de l'éventuelle visite de la jeune fille, elle l'accueillit avec cordialité. « Ne me regardez pas, je me suis habillée n'importe comment, dit-elle en s'essuyant les mains à son tablier. — C'est à moi de vous demander pardon ; je vous dérange, répondit Alice avec un gentil sourire. — Oh ! j'ai presque fini. Croyez-moi, je suis contente de faire un brin de causette. Les visites distraient un peu du train-train quotidien.

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— Vous avez beaucoup d'enfants, madame ? — Trois garçons, répondit fièrement Mme Sutter. Sammy, mon second, est le plus travailleur. Il lui arrive souvent de me rapporter de quoi nourrir toute la famille avec son seul gain de la journée. » Très loquace, la brave femme se lança dans l'énumération des vertus et mérites de ses divers fils, et il ne fut pas facile pour Alice d'orienter la conversation sur les Judson. « C'est vrai ! fit Mme Sutter en hochant la tête, Sammy m'a raconté que vous vous intéressiez à eux. Des gens hautains, peu causants ; ils ne fréquentaient pas leurs voisins. Margaret était une bien jolie fille. Elle a malheureusement perdu de son éclat après la mort de ses parents. Elle était fiancée à un professeur d'université. Je ne saurais vous dire ce qui s'est passé entre eux — les uns racontent une chose, les autres une autre —, mais après l'incendie elle a disparu. Je lavais le linge d'une dame qui connaissait le jeune homme. Il en a eu le cœur brisé, m'a-t-elle dit. Pauvre garçon ! — Pourquoi Margaret s'est-elle enfuie ? — Là-dessus, personne n'est d'accord. Selon certains, elle aurait été bouleversée par la mort de ses parents, et ensuite par l'incendie... Selon d'autres, elle voulait rompre ses fiançailles avant le drame et elle a profité de l'occasion. Elle n'avait pas le courage de le lui annoncer... Moi, je n'ai pas d'opinion. — Reste-t-il des membres de la famille ? — Non. Ils sont tous morts, à l'exception de Mlle Margaret et nul ne sait ce qu'elle est devenue. On ne se souvient même plus d'eux, sauf peut-être leur vieux jardinier. » Alice avait pensé, un moment, que cette visite ne lui apporterait aucun élément positif ; à ces mots, elle reprit espoir. Mme Sutter se rappelait-elle l'adresse de cet homme ? « Pendant quelque temps, il a continué à entretenir le domaine de son mieux ; il coupait les herbes folles, élaguait les arbres, mais je pense qu'il a renoncé à attendre le retour de Mlle Margaret. — Vous n'avez aucune idée de l'endroit où il habite ? — Non. Pour le savoir, il faudrait tomber sur lui par hasard. Il vient rarement en ville et je ne connais personne qui serait susceptible de vous renseigner.

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— Je souhaite beaucoup le voir, murmura Alice. — Il ne vous en apprendrait pas plus que moi sur les Judson, déclara Mme Sutter. Pourquoi cette famille vous intéresse-t-elle tant? — Oh! comme ça... parce que j'ai entendu parler de ce manoir et que je suis d'une nature curieuse. — Ce ne sont pas des parents à vous ? — Non, pas à ma connaissance, répondit Alice avec un sourire. En fait, j'ai trouvé un objet près du terrain de golf et je me demandais s'il n'appartiendrait pas à Margaret Judson. C'est pour cela que j'essaie de la retrouver. » L'explication parut satisfaire en partie Mme Sutter et Alice s'empressa de la quitter avant qu'elle ne pût formuler quelque autre question. En chemin, la jeune fille s'arrêta à un poste d'essence. Le pompiste lui apprit incidemment qu'on pouvait se rendre à l'ancien domaine des Judson en empruntant un chemin de terre partant au sud du ravin. « Je vais y faire un saut, décida Alice. Il se peut que je rencontre le jardinier. J'ai encore le temps d'ici la compétition. » Elle couvrit le trajet en un peu plus d'une demi-heure. Après avoir garé sa voiture sur l'accotement, elle s'engagea sur un sentier désert et bientôt arriva en vue des ruines. D'abord, elle se crut seule. Puis son cœur bondit ; à quelques mètres d'elle un homme, armé d'une faux, coupait l'herbe. « Ce doit être le vieux jardinier, se dit-elle, joyeuse. C'est mon jour de chance, aujourd'hui. » Elle s'élança. L'homme leva la tête. En l'apercevant, il laissa tomber sa faux et partit en courant dans la direction opposée. « Attendez-moi ! cria Alice. Attendez-moi, s'il vous plaît. » Comme s'il ne l'entendait pas, le jardinier enfourcha une bicyclette, cachée dans les buissons, pédala jusqu'à un petit sentier puis disparut entre les arbres.

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CHAPITRE X OÙ ALICE EST ACCUSÉE OH ! NE PARTEZ PAS ! cria Alice, je veux vous parler ! » Pressant l'allure, elle s'engagea sur le sentier. L'homme jeta un regard par-dessus son épaule et, au lieu de freiner, accéléra. A bout de souffle, Alice fut d'abandonner la poursuite. Navrée, elle vit l'homme s'éloigner. Bientôt, un repli du terrain le dissimula à ses yeux. « Pourquoi cet homme a-t-il fui sans vouloir me dire un mot ? se demanda-t-elle, perplexe. Après tout, ce n'était peut-être pas le jardinier mais un intrus qui n'avait pas plus que moi le droit de s'introduire dans le domaine. »

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Avec un haussement d'épaule fataliste, elle regagna sa voiture. A l'hôtel, Bess et Marion l'attendaient sous la véranda. Elles avaient des nouvelles à lui communiquer. « Mortimer Bartescol a gagné la partie hier, annonça Bess. Marion et moi, nous avons pris la liberté de demander à voir sa carte de score. — Et, bien entendu, il s'était gardé de confesser sa tricherie ? — Oui, répondit Bess, la voix vibrante d'indignation. — Avez-vous parlé au capitaine des jeux à ce propos ? — A quoi bon ? fit Marion, dégoûtée. Il nierait. — C'est vrai, reconnut Alice. Mieux vaut laisser tomber cette histoire. Je le regrette pour l'adversaire de ce piètre individu. — Il aurait perdu quand même, dit Marion. Bartescol avait une forte avance sur lui. Il n'avait pas besoin de tricher. Seulement voilà, monsieur voulait s'assurer une victoire écrasante. — Il m'est de plus en plus antipathique, déclara Alice. Allons un peu voir les résultats des autres parties. — Le fairway qui longe le bois reste la pierre de touche, dit Bess. Plusieurs joueurs ont perdu à cause de ce fameux trou 16. » Les trois amies se rendirent sur le terrain. Au trou 17, elles s'arrêtèrent pour regarder deux joueurs, puis elles se dirigèrent vers la forêt. « Tiens ! N'est-ce pas Sammy Sutter ? demanda Alice en montrant de la main un jeune garçon à demi caché par le rideau d'arbres. J'ai l'impression qu'il cherche ma balle. — C'est possible, approuva Bess, tu l'avais, en effet, envoyée de ce côté-là. Pourtant, je me souviens l'avoir entendu dire que, pour un empire, il ne s'approcherait pas du pont hanté. — Je me suis employée à le convaincre qu'il n'y avait pas de fantôme, déclara Alice en riant. — Hum ! Hum ! Ne te vante pas trop vite d'avoir réussi », plaisanta Marion. Le caddie avait visiblement peur de s'enfoncer dans le bois ; il avançait, reculait, semblait soutenir une lutte contre lui-même. Enfin, le courage l'emportant, il disparut derrière les arbres. Les jeunes filles pressèrent le pas. « Amusons-nous un peu », dit Alice.

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Incapable de résister à la tentation, elle fit entendre une plainte rauque, la tête tournée vers le pont hanté. Le résultat dépassa son attente. Poussant un hurlement, Sammy sortit du bois en courant. A la vue d'Alice et de ses amies, il s'arrêta court, et son visage s'empourpra. « Oh !... fit-il, tout honteux. J'avais cru... — Que le fantôme se fâchait de nouveau ? acheva Alice en souriant. Non, nous avons voulu te faire une farce, Sammy, pardonnenous. — Vous avez raison de vous moquer de moi, reconnut le jeune garçon en baissant la tête. — Non, ce n'était pas gentil. Redresse la tête, Sammy, chacun de nous a peur de quelque chose, dit Alice gentiment. A propos, j'ai besoin de toi cet après-midi. — Je serai à votre disposition quand vous le voudrez, mademoiselle. — Alors, disons à deux heures trente, au tee de départ. La partie sera dure. — Vous gagnerez, dit le jeune garçon avec une belle confiance. Je croiserai les pouces, cela porte bonheur paraît-il. » Les trois amies bavardèrent un moment avec Sammy. Puis, le laissant chercher la fameuse balle autographiée, elles allèrent déjeuner. En traversant le hall de l'hôtel, Alice vit une lettre dans son casier. Elle pria le réceptionniste de la lui remettre. Très déçue, elle constata que l'écriture n'était pas celle de son père. « C'est sans doute un message de ton admirateur », plaisanta Bess. Elle ne se trompait pas. Mortimer Bartescol tenait à souhaiter bonne chance à Alice pour le match qu'elle allait disputer dans le courant de l'après-midi. Il lui annonçait qu'il avait battu son adversaire à plate couture. « Si vous gagnez aujourd'hui, nous célébrerons nos deux victoires, écrivait-il en conclusion. Je me ferais un plaisir de vous escorter au bal organisé ce soir à l'hôtel Hemlock. » Alice avait rougi de colère en lisant cette lettre.

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« Quel infernal prétentieux ! explosa-t-elle. Il s'imagine me faire un grand honneur ! — A ta place, je le remettrais à sa place ! déclara Bess, outrée. — Non. Je vais accepter son invitation », dit Alice lentement. Ses deux amies la regardèrent, stupéfaites. « Rassurez-vous, ce n'est pas parce qu'il me plaît. Je le déteste, mais je souhaite vivement assister à cette soirée et je n'ai personne d'autre sous la main. — Je préférerais m'abstenir plutôt que d'y aller avec cet homme, déclara Marion. — C'est pour aider papa et non pour m'amuser que je subirai la compagnie de Bartescol. — En ce cas, c'est différent, reprit Bess. Et cela tombe bien parce que nous sommes invitées aussi, Marion et moi, par nos partenaires de tennis. — Vous avez accepté ? — Pas encore, répondit Bess, nous attendions de connaître tes

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projets. Si tu y vas avec Mortimer nous leur répondrons affirmativement. — Parfait, approuva Alice. Maintenant, vite à la salle à manger, l'heure avance. » Après le déjeuner, un chasseur remit à Alice un télégramme venant de son père. M. Roy priait sa fille d'aller le chercher à la gare le lendemain matin. Les bijoux enfermés dans le coffret avaient été soumis à un expert. Par ailleurs, l'avocat insistait sur l'urgence de retrouver la propriétaire de la minaudière. « Pourvu que je rencontre Margaret Judson ce soir », songea Alice en relisant le télégramme. Tandis qu'elle se dirigeait en compagnie de Bess et de Marion vers le tee de départ, Alice chassa résolument toute autre pensée que celle de jouer au mieux de sa forme. Son adversaire, Mlle Allison, une femme forte et musclée, s'inclina sèchement. « La partie ne se déroulera pas dans une atmosphère amicale, se dit Alice, Mlle Allison semble résolue à gagner coûte que coûte. » Au début elles se montrèrent d'égale valeur. Alice s'aperçut vite que son adversaire guettait la moindre faute, aussi prit-elle soin de ne pas donner prise à la moindre critique ou discussion sur un point technique. Hélas ! Son poignet ne tarda pas à la faire souffrir. Elle réussit à lancer des balles longues et droites, puis, progressivement, la lassitude se faisant sentir, elle eut des difficultés de plus en plus grandes. Mlle Allison gagna deux trous de suite. Une hautaine satisfaction se peignit sur son visage pour s'effacer presque aussitôt, Alice ayant pris l'avantage au trou suivant. Au tee 16, elles égalisèrent. Mlle Allison envoya sa balle loin devant elle. Le piège du bois était évité. Alice parviendrait-elle à en faire autant ? Au moment où elle balançait son club, elle eut une minute de distraction. Le mystère des bijoux la préoccupait car elle souhaitait ardemment venir en aide à son père. Hélas ! Elle aurait été plus avisée de se concentrer sur le jeu : sa balle dévia et, à la consternation de Sammy, pénétra dans le bois. « Dommage ! s'écria Mlle Allison, non sans hypocrisie. Je crains que la partie ne soit perdue pour vous.

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— Oui sait ? répondit Alice piquée au vif. Il reste encore deux trous à jouer. » Rassemblant son courage, Sammy plongea dans le bois et trouva la balle dans un creux, au pied d'un arbre. « Vous aurez du mal à la déloger », dit-il à Alice, l'air navré. Sans répondre, elle lui demanda un club spécialement conçu à cet effet et frappa la balle de toute sa force. Le coup arracha un cri d'admiration à son adversaire et la balle sortit du bois. Malgré cette réussite, Alice perdait un coup. « Hum ! nous approchons de la fin, murmura-t-elle, et... » Elle se tut à temps. N'avait-elle pas failli se plaindre de sa main qui la faisait cruellement souffrir ? Non, elle n'invoquerait pas ce handicap comme excuse à une défaite. D'ailleurs, elle lutterait jusqu'au bout. Le long du dernier green elle mit toute sa force dans chaque coup, se mordant les lèvres afin de ne pas gémir de douleur. Une petite foule s'était rassemblée pour regarder les joueuses. Sentant la victoire proche, Mlle Allison s'énerva et joua moins bien. Alice envoya sa balle dans le trou. Elles étaient de nouveau à égalité et la partie était terminée. Conformément aux règles en usage, elles devaient jouer un trou de plus. Les spectateurs les suivirent jusqu'au tee de départ. Mlle Allison perdit sa maîtrise, elle joua trop court et envoya la balle au loin, tandis qu'avec une étonnante précision Alice logeait la sienne dans le trou. Elle remportait la victoire. Or, au lieu de lui présenter ses félicitations et de faire, en bonne sportive, contre mauvaise fortune bon cœur, Mlle Allison tourna le dos à son adversaire victorieuse et s'éloigna. On la vit entrer dans le bureau du capitaine des jeux. « Bravo, Alice ! Tu as été magnifique ! s'écria Bess en serrant son amie dans ses bras. — Mlle Allison manque d'esprit sportif, déclara Marion. — Elle voulait gagner à tout prix », expliqua Alice. Sans se douter le moins du monde que cette irascible joueuse déposait une plainte, les trois amies quittèrent le terrain. Un homme se porta à leur rencontre. Rien qu'à l'expression de son visage, on devinait sa gêne.

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« Mademoiselle Roy, pourriez-vous venir un instant, demandat-il. Le capitaine des jeux désirerait vous parler. Il semble qu'une légère erreur ait été commise. — Une erreur ? répéta Alice, stupéfaite. — Votre adversaire prétend avoir remporté la victoire. — Comment cela ? Après avoir égalisé, j'ai gagné la partie au dix-neuvième trou, répondit Alice avec une indignation justifiée. Il y avait de nombreux témoins. Questionnez-les. — Mlle Allison conteste à cause du seizième trou, répondit l'homme gravement. — Pourquoi ? — Selon elle, vous auriez déplacé votre balle à la main. »

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CHAPITRE XI UN TÉLÉGRAMME SUSPECT fut complètement désarçonnée par une pareille accusation. « Comment osez-vous soutenir un tel mensonge ? demanda-t-elle à Mlle Allison. Vous savez bien que ce n'est pas vrai. — Non, répliqua la femme, le regard fuyant. Vous avez déplacé votre balle parce que vous ne pouviez pas la remettre sur le fairway. J'ai entendu votre caddie se désoler et dire que le coup était impossible à réussir. — Cependant je l'ai réussi et Sammy vous le confirmera ! ALICE

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— Je ne me fie pas à la parole d'un caddie. — Si vous étiez certaine que j'avais triché pourquoi ne l'avoir pas dit aussitôt ? demanda vivement Alice. Vous sembliez satisfaite d'avoir marqué moins de points que moi sur ce trou. » Bess et Marion avaient suivi leur amie. Incapables de demeurer silencieuses, elles volèrent à son secours. « Alice n'a jamais triché de sa vie ! s'écria Marion. Vous êtes simplement furieuse d'avoir perdu la partie ! Le capitaine des jeux était manifestement embarrassé et soucieux. « Examinons cette affaire avec calme, dit-il. Je vous en prie, mesdames... — Inutile de discuter, j'ai gagné, aboya Mlle Allison. Mlle Roy a triché, elle devrait avoir le courage de le reconnaître. — Voyons, voyons, que se passe-t-il ? » demanda une voix masculine derrière Alice. Les jeunes filles se retournèrent et virent Mortimer Bartescol s'encadrer dans le chambranle de la porte. Il répéta sa question. De mauvais gré, le capitaine des jeux lui exposa la contestation. Je me promenais dans le bois pendant le déroulement de la partie. « Mlle Allison a tort, répondit Mortimer d'un ton sentencieux. J'ai vu Mlle Roy chercher la balle avec son caddie et exécuter un coup étourdissant. J'en suis resté ébahi. Quelle maîtrise ! Mlle Roy sera un jour championne internationale. — Merci, monsieur », dit Alice. Pour la première fois depuis son arrivée à l'hôtel du Chamois, elle eut une pensée reconnaissante à l'égard de Mortimer. « Si tout le monde se range du côté de Mlle Roy, je n'ai plus qu'à me retirer », déclara Mlle Allison, furieuse. Elle sortit dignement, non sans jeter un regard vipérin à Mortimer. Au passage, elle ajouta : « Vous n'étiez pas dans le bois, j'en mettrais ma main au feu ! » Alice lança un coup d'œil à Mortimer dont le visage ne bougea pas ; on aurait dit un masque. Avait-il menti pour lui venir en aide ? Elle n'aurait pu l'affirmer. En tout cas, sa conscience à elle était en repos : cette partie, elle l'avait honnêtement gagnée.

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« Oubliez ce pénible incident, je vous en prie, mademoiselle, dit le capitaine des jeux. Mlle Allison a horreur de perdre et ce n'est pas la première fois que nous avons des difficultés avec elle. » Les jeunes filles sortirent, suivies par Mortimer Bartescol. Le visage radieux, il se pavanait plus que jamais. « M'avez-vous vraiment vue jouer ? demanda Alice quand ils furent assez éloignés du bureau. — Mais certainement, répondit-il, une lueur amusée dans les yeux. Ne m'avez-vous pas aperçu ? — Non. — Vous regardiez sans doute dans la mauvaise direction. A propos, avez-vous reçu ma lettre ? — Oui », reconnut Alice à contrecœur. Malgré une violente envie de refuser l'invitation, elle ne se sentait pas le droit de laisser échapper l'occasion de se rendre à cette soirée. Dissimulant avec peine la répulsion que lui inspirait le personnage, elle le remercia et lui fixa un rendez-vous après le dîner. Pauvre Alice, elle ne parvenait pas à se débarrasser de la pensée que Bartescol avait menti ! Agacée, elle décida de se livrer à une petite enquête. Elle ne fut nullement surprise en apprenant de la bouche d'un vendeur de glaces que Bartescol était resté au drugstore de l'hôtel, de quatre à cinq heures, c'est-à-dire pendant la fin de sa partie avec Mlle Allison. « Ce monsieur m'a défendu de le dire, fit le jeune garçon, mais je n'ai rien promis. Il a rédigé un télégramme et mangé une glace. » Alice se garda d'interrompre le bavardage du garçon. Elle espérait obtenir une information précieuse. Son attente ne fut pas déçue. « Il semblait avoir du mal à écrire ; il a même fait deux ou trois brouillons. Il en a laissé un sur sa table ; je l'ai pris. — Vous l'avez lu ? — Bien sûr. Tenez le voilà ! » Le vendeur tira de sa poche un papier froissé et le brandit sous le nez d'Alice.

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Elle déchiffra deux mots : Margaret Judson. « Cela vous amuserait-il de le lire ? » demanda le jeune garçon. Alice fut tentée d'accepter, mais elle secoua la tête. « Non, les affaires privées de M. Bartescol ne me concernent pas ; par ailleurs ce serait commettre une indiscrétion ! » Le serveur remit le papier dans sa poche et alla répondre à l'appel d'un client. Alice quitta le bar. Songeuse, elle partit à la recherche de ses amies. Avait-elle eu tort de ne pas lire le télégramme ? Quel lien existait-il entre Mortimer Bartescol et Margaret Judson ? A cette question ni Bess ni Marion ne purent répondre. Mais le fait que l'admirateur d'Alice connaissait la propriétaire du manoir incendié les intrigua. « Je n'ai qu'entrevu l'écriture, dit Alice, toutefois elle ne ressemble à aucun des deux échantillons précédents. — Tâche de lui faire signer ce soir le programme, suggéra Bess. — Il est très rusé — il n'y consentira pas. — Prends garde à toi, conseilla Marion. Si M. Bartescol fait partie de la bande d'aigrefins... — Rassure-toi, je serai prudente, répondit Alice. A ce sujet, j'ai une requête à vous présenter : nous quitterons l'hôtel à huit heures. Pourriez-vous prier vos cavaliers servants de nous suivre de près avec leur voiture. — Nous tâcherons de ne pas te perdre de vue, promit Bess. Si jamais tu te trouvais en difficulté, lance un S.O.S., nous volerons à ton secours. — Ce sera inutile, je crois, répondit Alice en riant de bon cœur, et d'une exécution plutôt difficile. » Peu après huit heures, les amis de Bess et de Marion arrivèrent à l'hôtel. Alice craignit un moment que Mortimer ne fût en retard, ce qui aurait bouleversé leurs plans. A son grand soulagement, il ne tarda pas à apparaître. Après avoir galamment admiré la toilette de la jeune fille, il l'aida à monter dans une puissante voiture de tourisme et s'installa au volant. Du coin de l'œil, Alice s'assura que ses deux amies et leurs danseurs s'apprêtaient à les suivre. Au début, Mortimer conduisit à une allure modérée, mais, la

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route devenant toute droite, il accéléra, laissant loin derrière l'autre voiture. « N'allez pas si vite, je vous en prie ! demanda Alice. — Nous ne dépassons pas le 100, protesta Mortimer en appuyant encore sur la pédale. C'est comme cela que j'aime rouler. — Pas moi. Si vous ne ralentissez pas, jamais plus je ne sortirai avec vous. — C'est bon, c'est bon ! » grommela Mortimer en levant légèrement le pied de l'accélérateur. Il conduisit désormais à une allure modérée. Hélas ! en jetant un coup d'œil en arrière, Alice constata avec consternation que la voiture dans laquelle ses amies avaient pris place n'était plus en vue. « Qu'avez-vous donc ce soir ? dit son compagnon. Vous semblez nerveuse. — Si je le suis, la faute en incombe à votre manière de conduire », répondit Alice, irritée. Ils roulèrent en silence pendant quelques minutes. La jeune fille se demandait si elle aborderait, oui ou non, le sujet qui la préoccupait : celui d'un faux témoignage possible. Enfin, elle se hasarda à dire : « Est-ce par esprit chevaleresque que vous avez pris ma défense aujourd'hui ? — Vous avez deviné juste, confessa-t-il en riant. Avez-vous vraiment triché ? — Non, non et non ! s'écria-t-elle, en colère. — Ne montez pas sur vos grands chevaux, dit-il. Cela m'est bien égal que vous trichiez ou non. » Alice dut faire appel à toute sa volonté pour se retenir de dévoiler sa pensée. Décidément, cet homme était odieux. Se rappelant pourquoi elle se rendait à la soirée en sa compagnie, elle résolut de forcer ses confidences. Elle bavarda de choses et d'autres ; puis elle lui demanda innocemment s'il ne connaîtrait pas, par hasard, une certaine Margaret Judson. « Margaret Judson ? répéta-t-il sur un ton indifférent. Oui, je l'ai rencontrée en Europe il y a de cela quelques années. Une jolie fille, plutôt ennuyeuse.

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— Où habite-t-elle maintenant ? — Je ne me sens pas en droit de vous répondre, mademoiselle la curieuse. Elle ne désire pas qu'on le sache, m'a-t-on dit. — Ne demeure-t-elle pas dans le voisinage ? dit Alice sans quitter son compagnon des yeux. — Possible. » Le sourire de Bartescol était impénétrable. Un autre silence tomba et se prolongea jusqu'à l'arrivée. Alice s'attarda dans le poudroir aussi longtemps qu'elle l'osa. Elle étudia les femmes qui allaient et venaient, mettant la dernière touche à leur toilette. Quel fut son soulagement en voyant entrer Bess et Marion ! « Ouf ! dit Bess en poussant un soupir. J'ai failli mourir d'inquiétude en pensant que tu nous appelais peut-être au secours. Vous avez roulé comme des fous ! — Oui, au début, répondit Alice. En tout cas, tâchez de ne pas nous perdre au retour. » Au moment où elles se séparaient, elle ajouta : « Si par hasard vous aperceviez une femme dont le comportement vous paraissait suspect, avertissez-moi aussitôt. » Mortimer Bartescol lui reprocha vivement de l'avoir fait attendre. Son irritation ne fit que croître au cours de la soirée. A sa vive déconvenue, loin de lui réserver toutes les danses, Alice en accorda plusieurs aux jeunes gens venus l'inviter en grand nombre. L'orchestre était excellent, mais l'obligation de danser parfois avec Bartescol exaspérait Alice. Elle réussit enfin à s'échapper du salon et à se rendre au poudroir. La jeune femme au regard triste allait-elle apparaître ? Alice commençait à ne plus y croire. « Une soirée entière de gâchée, songeait-elle tristement. Mlle Judson n'est pas venue et je n'ai pas trouvé le plus petit indice susceptible d'aider papa. » Déçue, ne pouvant s'attarder davantage devant les miroirs, elle rejoignit Mortimer Bartescol. Après avoir dansé deux fois avec elle, il s'absenta à son tour. Elle en profita pour aller se reposer dans un petit salon, momentanément désert. Comme elle s'apprêtait à en sortir, elle entendit un murmure de voix. Sur la terrasse, devant la fenêtre, deux femmes discutaient avec

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animation. Leurs paroles parvinrent distinctement à l'oreille d'Alice. « Je n'ai pas d'argent, je vous le répète ; il m'est impossible de vous payer la minaudière, disait une voix empreinte d'une infinie lassitude. Je vous en prie, tâchez de comprendre. — Qui m'assure que vous ne l'avez pas vendue ? » répondit une autre voix, rauque et dure. Les deux femmes se turent. Alice s'approcha de la fenêtre. Sans doute les deux inconnues avaient-elles entendu quelqu'un venir, car elles s'éloignèrent en direction du jardin. La terrasse était plongée dans l'obscurité. Alice ne put distinguer leurs visages mais elle remarqua que l'une d'elles portait une longue robe de soie imprimée dont la jupe retombait en plis amples et souples. « Il faut que je sache qui elles sont, se dit Alice, très agitée. Il se peut que l'une d'elles soit Margaret Judson ! »

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CHAPITRE XII SAMMY AU SECOURS D'ALICE ! le temps d'ouvrir la porte du petit salon, de traverser le hall et de gagner la terrasse, les deux femmes avaient disparu. Alice dévala les marches et s'engagea sur un des nombreux sentiers qui sillonnaient le parc. Plusieurs couples se promenaient au clair de lune, les uns s'attardaient près des fontaines, les autres marchaient de long en large en écoutant la musique de danse. Alice parcourut plusieurs allées à la recherche de la femme en robe imprimée. Tout à coup, elle crut l'apercevoir. Dans sa hâte de la rejoindre, la jeune fille buta sur un couple. Le mari perdit l'équilibre et tomba. HÉLAS

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« Oh ! Je suis désolée ! » balbutia Alice, très gênée. Elle prit une autre allée, toujours à la recherche de la robe imprimée. Enfin, lasse de cette vaine poursuite, elle regagna l'hôtel et se perdit dans la foule qui avait envahi le hall. Là, ses efforts furent récompensés : une femme en robe imprimée entrait dans l'ascenseur dont la porte se referma. Sans perdre une seconde, Alice monta l'escalier quatre à quatre et atteignit le premier étage au moment où l'ascenseur s'arrêtait. La femme en descendit : ce n'était pas Margaret Judson. Après une légère hésitation, la jeune fille décida de tenter sa chance et demanda sur un ton aussi naturel que possible : « Je vous demande pardon, madame, pourriez-vous me dire où est Mlle Judson ? » Surprise, la femme la dévisagea, puis répondit : « Dans sa chambre, sans doute. » Alice ne pouvait décemment poser d'autres questions ; elle s'effaça pour laisser passer l'inconnue. Satisfaite du renseignement qu'elle venait de glaner, l'infatigable détective regagna le hall et s'adressa au réceptionniste. « Pourriez-vous m'indiquer le numéro de la chambre de Mlle Judson ? demanda-t-elle. — Elle n'habite plus ici, répondit-il. — Vous en êtes sûr ? — Oui, elle est partie il y a dix minutes environ. — A-t-elle laissé une adresse ? — Aucune. » Quelle amère déception ! Alice s'en remettait à peine quand elle vit Mortimer Bartescol venir à sa rencontre en se dandinant d'un air avantageux. « Je vous retrouve enfin, mademoiselle ! dit-il mécontent. Vous n'êtes guère aimable avec moi ce soir. Ne dirait-on pas que vous essayez de me semer ? — Pardonnez-moi, répondit Alice. Je n'avais pas l'intention de vous planter là et de m'enfuir. Mais j'ai cru voir Mlle Judson à laquelle je désire parler. L'auriez-vous vue ? — Vous semblez avoir oublié ce que je vous ai dit en venant ici. 91

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— Non, pas le moins du monde. — Alors, n'insistez pas et venez valser avec moi. » Contre son gré, Alice fut ramenée dans la salle de bal. Elle n'essaya plus de s'éclipser. Néanmoins, avant la dernière danse, elle réussit à échanger quelques mots avec ses amies et leur recommanda de ne pas perdre de vue la voiture de Mortimer pendant le trajet de retour. Les craintes de la jeune détective n'étaient pas fondées ; ils regagnèrent l'hôtel du Chamois sans incident. Mortimer Bartescol était-il allé à cette soirée dans l'intention de rencontrer Margaret Judson ? se demandait Alice en se couchant. Elle repoussa cette idée comme étant trop invraisemblable. A six heures du matin, le réveil la tira d'un sommeil agité. « Qui a eu l'idée de remonter la sonnerie ? » grommela-t-elle en appuyant sur le bouton pour l'arrêter. Brusquement, elle se souvint qu'elle devait aller chercher son père à la gare. Sans bruit elle s'habilla et descendit prendre une tasse de café au bar. A sept heures, le père et la fille étaient assis en face l'un de l'autre dans le restaurant de la gare. « Es-tu content de ton voyage, papa ? demanda Alice après qu'ils eurent commandé un petit déjeuner. Raconte-moi ce que tu as appris au sujet du coffret et de son contenu. — Tu vas être surprise, ma chérie : de tous les bijoux un seul provient d'un vol. — Et c'est la minaudière ! — Oui. Les autres n'ont pas été identifiés. Il est possible qu'ils aient été volés depuis peu. Quoi qu'il en soit, ils ne figurent pas sur la liste établie par la police. » M. Roy fit à sa fille un récit détaillé de ses faits et gestes à New York, puis il lui demanda à quoi elle avait occupé ses loisirs. « Je croyais avoir trouvé Mlle Judson, dit-elle en terminant son compte rendu. Par malchance, elle a quitté l'hôtel juste comme je venais d'être informée de sa présence. — Il faut que nous mettions la main sur elle coûte que coûte, déclara M. Roy, la mine grave. Toutes les données que tu as réunies sembleraient indiquer qu'elle est complice des voleurs. »

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L'avocat manifesta le désir de se rendre sans délai à l'hôtel Hemlock. Alice y consentit volontiers. La démarche se révéla inutile : personne ne put leur dire où Mlle Judson s'était rendue. Ils recueillirent la même réponse auprès des garages et stations-service des alentours. Cette enquête faillit mettre Alice en retard pour la demi-finale. Sammy l'attendait depuis dix minutes au tee de départ quand elle arriva. La partie fut difficile. Elle joua avec une grande maîtrise et son poignet ne la gêna pas. Pour la plus grande joie de ses amies, elle remporta la victoire. Après avoir serré la main de son adversaire, une charmante jeune femme, elle se tourna vers Sammy et, en plaisantant, lui demanda s'il avait trouvé la balle autographiée. « Hélas ! non, dit-il avec une moue dépitée. Je finis par croire qu'on l'a ramassée. — Aurais-tu vu quelqu'un la chercher dans le bois, du côté du pont ? demanda Alice, aussitôt sur le qui-vive. — Ce matin, j'ai vu un vieil homme fouiller la vase avec la pointe d'un bâton. » Malgré l'insistance de la jeune fille, Sammy ne put lui fournir la description du vieillard. Déçue, elle retourna lentement à l'hôtel. A son insu, Sammy venait de lui fournir un indice... et matière à de longues réflexions. « Ce vieil homme est soit le jardinier, soit quelqu'un qui connaît l'existence du coffret », songeait-elle. Sans doute était-il trop tard pour rencontrer le mystérieux personnage, mais elle pouvait toujours essayer. Bess et Marion acceptèrent de l'accompagner jusqu'au pont. Elles traversaient toutes les trois le terrain de golf, quand Bess s'arrêta net. « Oh ! Voilà encore cet empoisonneur de Bartescol ! s'exclamat-elle sans hausser la voix. Que faire ? »

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CHAPITRE XIII PORTRAIT D'UNE JEUNE FILLE réfléchit rapidement. Avec un sourire chaleureux, elle demanda à l'arrivant : « Avez-vous rencontré mon père, monsieur ? — Non, pourquoi ? répondit Mortimer en tombant dans le piège qu'elle lui tendait. Désirait-il me parler ? — Oui et non. Il cherchait un bon partenaire de tennis. Luimême est un joueur de classe. » Mortimer n'avait pas manqué une occasion de se vanter de ses multiples talents devant Alice ; à l'en croire, il excellait dans tous les sports : natation, patinage, équitation, rugby. Toutefois, il déclarait préférer le golf et le tennis. ALICE

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« Tiens ! J'aperçois justement mon père, là-bas, dans la véranda!» A grands renforts de gestes, elle fit signe à l'avocat de les rejoindre. « Papa, je t'ai trouvé un partenaire, déclara-t-elle quand M. Roy fut à quelques mètres d'eux. M. Roy ne fut pas dupe : il comprit que sa fille souhaitait se débarrasser de l'encombrant personnage dont elle lui avait parlé à plusieurs reprises. D'ailleurs, si Bartescol ne lui inspirait aucune sympathie, M. Roy n'en était pas moins désireux de mettre à l'épreuve ses qualités de joueur de tennis. Les deux hommes partirent donc à la recherche d'un court tandis que, libérées, les trois amies se dirigeaient vers le pont hanté. Des nuages sombres couraient dans le ciel, un vent violent les accueillit dans le bois. « Crois-tu qu'il va pleuvoir ? demanda Bess, inquiète. — Pas d'ici une heure au moins, répondit Alice, Et puis, s'il pleut, nous ne risquons pas d'être mouillées sous ce feuillage épais. Cela dit, il n'est pas question de retourner en arrière. » Elles arrivèrent bientôt en vue du pont branlant. Les nuages cachaient le soleil, créant dans le sous-bois une atmosphère angoissante. Bess frissonna et se rapprocha de ses compagnes. Soudain, le même grondement qui les avait effrayées se fit entendre, plus sinistre encore. « Oh ! hurla Bess affolée en serrant le bras de Marion. Qu'est-ce que c'est ? » Alice lui fit signe de se taire et, pendant quelques minutes, elles observèrent le silence le plus absolu, attendant que le phénomène se reproduise. « Le bruit venait de loin, du fond du ravin, chuchota Alice. Allons voir. » Après avoir inspecté avec prudence les alentours du pont, les jeunes filles examinèrent le chemin qu'elles avaient pris lors de leur première visite. On y discernait clairement des empreintes de gros souliers. Quelqu'un l'aurait-il parcouru la veille ou le jour même ? « N'y allons pas, implora Bess qui avait lu dans les yeux de

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son amie ce qu'elle projetait. Il fait de plus en plus noir ; ce serait trop bête de nous laisser surprendre par l'orage. » Elle venait à peine d'achever ces mots qu'un hurlement atroce rompit la tranquillité des bois. Cette fois, Alice en repéra la direction. « Venez ! s'écria-t-elle, très excitée. Nous n'avons pas encore élucidé ce mystère ! » Elle courut droit devant elles sans se soucier des ronces qui lui arrachaient les cheveux et déchiraient ses vêtements. Marion et Bess la suivirent de leur mieux, encore que sans enthousiasme. Malgré sa hardiesse bien connue de tous, la sportive Marion n'éprouvait aucune envie d'aller au-devant d'un danger inconnu. Soudain, Alice s'arrêta. A quelque distance devant elle, au milieu d'une petite clairière, se profilait une cabane en bois, tenant à la fois du chalet montagnard et de la maison forestière. Un panache de fumée s'élevait paresseusement de la cheminée. « Comment peut-on vivre dans une pareille solitude ! fit Bess, surprise. C'est curieux, le cri semblait provenir de là, or tout semble si paisible ! — Oui », murmura Alice. Elle réfléchissait à ce qu'il convenait de faire quand la porte de la cabane s'ouvrit, livrant passage à un homme armé d'un fusil. Les jeunes filles s'enfoncèrent dans le bois, mortes de peur à l'idée que l'inconnu pourrait déceler leur présence. Le voyant lever un regard songeur vers le ciel, elles en conclurent qu'il ne les avait pas aperçues. « C'est lui qui fauchait l'herbe dans la propriété des Judson, chuchota Alice à l'oreille de ses amies. Ce devait être leur jardinier. » Une seconde, elle fut tentée de faire un pas en avant et de l'aborder ; mais se rappelant qu'il avait fui la veille, elle préféra patienter. « Regardons-le et voyons ce qu'il compte faire avec ce fusil », murmura-t-elle. Le vieil homme passa son arme en bandoulière et, sans tourner la tête vers les arbres derrière lesquels les jeunes filles se dissimulaient, il partit en direction de l'ancien manoir.

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« Il va chasser », suggéra Marion. Prudemment, elles Je suivirent. A un moment donné, Bess buta sur une souche moussue et tomba de tout son long sur le sentier. Au cri qu'elle poussa, l'homme au fusil s'immobilisa et regarda derrière lui. Alice et Marion s'aplatirent au sol. Le chasseur reprit sa marche en avant. Un écureuil, rapide comme l'éclair, sauta sur une branche. L'homme épaula et visa. Comme il appuyait sur la détente, une forte explosion fit sursauter les jeunes filles. L'homme poussa un cri de douleur, chancela et s'effondra. « Il est blessé ! » s'écria Alice. Elle se précipita. Le vieillard ne bougeait plus. Se penchant vers lui, Alice constata qu'il respirait encore. D'une blessure ouverte au front, descendait une fine coulée de sang. « Portons-le dans la cabane », dit Alice. L'homme était de constitution frêle ; pourtant les trois amies durent réunir leurs forces et leur adresse pour le ramener chez lui. De temps à autre, il gémissait, murmurant un nom qu'elles ne parvenaient pas à saisir. Avec d'infinies précautions, elles le déposèrent sur son lit et Bess partit chercher de l'eau. Un seau vide était posé près du poêle. Elle alla le remplir à un puits situé à gauche de la façade. Marion et Alice lavèrent la blessure, appliquèrent des compresses froides sur les tempes du vieil homme, lui firent respirer du vinaigre : il ne reprenait toujours pas conscience. « Marion, dit enfin Alice, il faut un médecin de toute urgence ! »

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CHAPITRE XIV LE MYSTÈRE S'ÉCLAIRCIT LE COURS en chercher un à l'hôtel, répondit Marion. C'est trop affreux de se sentir impuissant devant ce malheureux. __Tu n'as pas peur de traverser seule le pont ? » s'enquit Alice. Marion hésita, puis secoua la tête. Par ce temps d'orage la forêt, déjà si sombre, s'obscurcirait encore, mais comment mettre en balance la vie d'un homme et une frayeur sans cause ? « Veux-tu que je t'accompagne ? proposa Bess. __ Non, reste auprès d'Alice. Elle peut avoir besoin de ton aide. Quant à moi, je vais courir pour ramener du secours au plus vite. »

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Alice s'empara d'un vieil imperméable suspendu à un clou enfoncé dans le mur et le jeta sur les épaules de son amie. « Prends-le, conseilla-t-elle. Quand la pluie va se mettre de la partie, elle tombera à verse. » Marion approuva de la tête et, boutonnant le ciré, se précipita hors de la cabane. Un vent froid l'assaillit. L'orage se rapprochait. « Cela m'inquiète de la voir partir seule, murmura Alice en la suivant par la fenêtre d'un regard anxieux, pourtant j'ai confiance, elle reviendra avec un médecin. » Les deux amies retournèrent au chevet du vieil homme. Il s'agitait, se débattait, toujours inconscient : elles eurent beaucoup de mal à le maintenir sur le lit. Enfin, il souleva les paupières et murmura d'une voix faible : « Vous êtes bonne, si bonne ! » Les gouttes de pluie martelaient maintenant le toit. Alice se leva et alla vérifier la fermeture des fenêtres. Une espagnolette résistait. La jeune fille chercha un instrument dans la cuisine ; n'en trouvant pas, elle revint dans la chambre à coucher. Elle ouvrit le tiroir d'une grande armoire de chêne qui occupait une partie de la pièce et fut surprise par l'amoncellement de papiers qu'elle découvrit. Dans l'espoir de trouver une lettre permettant d'identifier le malheureux, elle parcourut les documents. Soudain, elle tomba sur une grande photographie, glissée entre deux cartons. La photographie, prise dans un studio, représentait une ravissante jeune fille, dont Alice crut reconnaître les traits ; tout à coup son cœur se mit à battre plus vite : au bas du portrait, elle venait de lire ces mots : « A mon fidèle ami Joe Haley : Margaret Judson. » Le regard d'Alice se porta aussitôt sur l'homme qui gisait, inconscient, sur le lit, près de la fenêtre. Etait-ce Joe Haley et Joe Haley était-il le jardinier des Judson ? « Margaret Judson... cette jeune fille au regard triste que j'ai rencontrée dans le poudroir de l'hôtel Hemlock... », songeait Alice. Elle examina longuement cette image d'une jeune fille qui, à l'époque où elle avait été photographiée, ne connaissait sans doute pas encore la souffrance. Elle semblait sereine, joyeuse même.

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« Oui, conclut Alice, cet homme s'appelle Joe Haley et lui seul sait où se cache Margaret. Il pourrait nous en apprendre beaucoup sur elle — si seulement il reprenait conscience. » Bess interrompit les réflexions de son amie. « Alice, te décideras-tu à fermer cette fenêtre, demanda-t-elle. Le vent souffle en plein.sur notre blessé. — Tu as raison, Bess, en une seconde ce sera fait. » Alice reposa la photographie et trouva un marteau dans la cuisine. Peu après l'espagnolette était redressée et mise en place. Un éclair fulgurant raya le ciel. Au même moment, un hurlement sauvage s'éleva. « Qu'est-ce que c'est ? s'écria Bess, blanche de frayeur. — Je vais voir, dit Alice en ouvrant la porte de la cabane. — Non, ne me laisse pas seule ici », supplia Bess. Le silence accueillit ses paroles. Alice courut sous la pluie, décidée à découvrir la cause de ce cri sinistre. Persuadée qu'il provenait de derrière la petite maison, elle contourna la façade. 98

Personne dans la clairière. Au-delà s'étendait la forêt. Un nouvel éclair lui permit de discerner un épais grillage tendu entre des arbres. « Tiens ! Que signifie cela ? » se demanda-t-elle. Courageusement, elle s'avança. Le grillage formait plusieurs cages. A sa vive stupeur, Alice vit qu'elles contenaient des animaux. Des lapins, des renards, un loup et, dans un enclos plus solidement bâti, un jeune cougouar enchaîné. Elle s'approcha prudemment, l'animal rejeta la tête en arrière et lança vers le ciel un rugissement qui aurait glacé le sang des plus braves. Effrayées par l'orage, les pauvres bêtes allaient et venaient dans l'espace restreint dont elles disposaient. Alice se demanda si elles appartenaient à Joe Haley. La pluie l'empêcha de poursuivre ses investigations, car les gouttes tombaient en un rideau épais et la jeune fille commençait à être trempée. Elle courut se réfugier dans la cabane. Debout sur le pas de la porte, Bess lui faisait des signes impératifs. « Vite ! dépêche-toi ! » appelait-elle sur un ton angoissé.

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CHAPITRE XV DES INFIRMIERS IMPROVISÉS pressa l'allure. Elle était mouillée jusqu'aux os et à bout de souffle quand elle parvint auprès de son amie. « Que se passe-t-il ? demanda-t-elle en saisissant le bras de Bess. Le blessé va-t-il plus mal? — Non, son état n'a pas changé. __ Alors qu'est-ce qui ne va pas ? Pourquoi m'appelais-tu ? __ J'avais peur, confessa Bess. J'ai entendu un cri affreux. Je craignais qu'il ne te soit arrivé malheur. » Alice éprouvait un tel soulagement qu'elle eut peine à ne pas éclater de rire. ALICE

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« Il n'y avait pas de quoi avoir peur, Bess, répondit-elle. Les cris bizarres qui nous effrayaient sont poussés par des bêtes enfermées dans des cages, derrière la maison. — Des bêtes sauvages ? reprit Bess d'une voix tremblante. — Oui, sans doute une fantaisie du jardinier. C'est un cougouar, tu sais une espèce de chat sauvage, qui vient de clamer sa frayeur. Il ne semble pas apprécier l'orage. » Bess continuait à fixer sur son amie un regard incrédule. Alice promit de lui montrer les enclos dès que la pluie s'apaiserait. « Ah ! non, je refuse de m'en approcher, protesta Bess. Quelle idée de garder des bêtes féroces ici ! » Alice rentra dans la cabane et s'assit au chevet du blessé dont l'état ne s'améliorait pas. Elle guettait par la fenêtre l'arrivée de Marion. Enfin, n'y tenant plus, elle se mit à arpenter la pièce sans but. « Je ne peux rien faire aussi longtemps que le médecin ne sera pas là, dit-elle à Bess. Si tu n'as pas peur de rester seule, j'aimerais explorer les alentours immédiats. Il ne pleut presque plus. » Bess n'ayant soulevé aucune objection, Alice sortit. Le terrain au milieu duquel se dressait le chalet était bien entretenu ; des massifs de fleurs agrémentaient la façade ; sur la droite, s'étendait un jardin potager contenant des légumes d'espèces peu courantes. Une serre improvisée avec des vitres provenant du manoir protégeait des spécimens très rares. « On dirait que M. Haley est un naturaliste, se dit-elle, surprise. Il semble s'intéresser à la fois à la botanique et à la zoologie. » Persuadée que le blessé n'était pas un jardinier ordinaire, Alice souhaita l'interroger au sujet des Judson. Lentement, elle regagna la cabane. A sa vue, Bess poussa un soupir de soulagement ; le vieillard était très agité, elle éprouvait de grandes difficultés à l'empêcher de se découvrir. Alice s'assit près du lit. Le malade murmura quelques mots. Elle se pencha pour mieux entendre. « Il a marmonné quelque chose à propos d'une certaine Mlle Margaret, murmura Bess à l'oreille de son amie. Je n'ai saisi que ce nom. »

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Pendant quelques minutes, le patient demeura immobile. Puis ses paupières se relevèrent et il balbutia : « Je vous en prie, mademoiselle Margaret — revenez. Je ne peux pas le trouver... j'ai essayé jour après jour... en vain... » Un moment plus tard, croyant sans doute entendre le cougouar, il dit d'une voix sévère : « Tais-toi, vilain chat ! » « Pauvre homme, dit Bess à voix basse, il a perdu la tête. Que cherche-t-il ? » Alice ne répondit pas et posa un linge humide sur le front du blessé. A son inquiétude, se mêlait la pensée que, s'il ne guérissait pas, le mystère qui recouvrait Margaret Judson resterait entier. Que faisait donc Marion ? Il ne fallait pas aussi longtemps pour se rendre à l'hôtel et en revenir. « Pourquoi ne pas y être allée moi-même ? » se demandait Alice, de plus en plus nerveuse. Bess bondit de sa chaise et s'écria : « J'ai entendu des voix venant du bois. » Alice se précipita à la porte, l'ouvrit brusquement et resta stupéfaite à la vue des six personnes qui arrivaient. Marion et un homme d'une cinquantaine d'années, en qui les jeunes filles reconnurent le docteur Aikerman, venaient en tête, suivis par M. Roy, Ned et deux jeunes gens inconnus. « Dieu soit loué ! s'exclama Alice. Nous avons plus d'aide qu'il ne nous en faut. » Elle conduisit le médecin au chevet du patient. Pendant qu'il l'examinait, la jeune fille s'entretint avec Ned. 11 lui présenta ses deux amis, Bill et Jack, étudiants, comme lui, à l'université d'Emerson. « Nous venions d'arriver à l'hôtel quand Marion est accourue pour demander du secours à ton père, expliqua Ned. Aussitôt, nous avons sauté dans ma voiture ; après avoir roulé aussi loin que possible, nous en sommes descendus et nous avons coupé à travers la forêt. » « Puis-je avoir de l'eau bouillie ? » demanda le médecin. Alice alla en prendre dans une marmite qui chauffait sur le fourneau de la cuisine.

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« Est-il grièvement blessé ? demanda-t-elle en regardant le docteur panser le malade. — Hum ! Hum ! je ne puis pas encore me prononcer, murmurat-il sans lever la tête. Il a un éclat dans le front. Prenez ces instruments et faites-les bouillir, s'il vous plaît. » Quand les autres comprirent que le médecin avait l'intention d'extraire le projectile, ils passèrent dans la cuisine. Alice, seule, resta pour assister le docteur Aikerman. « Avez-vous des nerfs solides ? demanda-t-il. — Je le crois », répondit-elle calmement. L'opération n'était certes pas un spectacle agréable à regarder ; quand elle fut terminée, le médecin déclara que le blessé se remettrait, sauf complications imprévues. « Avez-vous fait des études d'infirmière ? demanda-t-il à brûlepourpoint. — Non, je n'ai qu'un diplôme de secouriste. — Vous avez manqué votre vocation, reprit le médecin avec un sourire. Vous possédez un don pour soigner. » Alice rougit de l'éloge. Après avoir aidé le praticien à ranger ses instruments, elle sortit annoncer à son père et aux autres que l'opération était terminée. « Que nous conseillez-vous ? demanda M. Roy au docteur Aikerman. Faut-il transporter le blessé dans un hôpital ? Bien entendu, je prendrais les frais à ma charge. — Je préférerais que l'on ne déplace pas cet homme d'ici plusieurs jours », répondit le médecin. Il est dans un état de demicoma et y restera pendant au moins vingt-quatre heures. — Mais qui le soignera ? fit Bess, inquiète. Autant qu'on puisse le savoir, il ne semble avoir ni amis intimes, ni parents proches. — Je le veillerai, déclara Alice. — Cela t'obligerait à renoncer à la compétition de golf, remarqua M. Roy. Or, tu as de bonnes chances de gagner. Engageons plutôt une infirmière. — En réalité, c'est un homme qui ferait le mieux l'affaire, dit Alice en fronçant les sourcils. Il y a les animaux à nourrir. — J'ai une idée, intervint Ned. Bill, Jack et moi nous garderons

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le blessé. Nous nous occuperons de tout. Si son état s'aggravait, nous irons aussitôt chercher le docteur Aikerman. — J'approuve ce projet, dit vivement Bill. — Moi aussi, déclara Jack. — Voilà donc le problème résolu, dit Alice, visiblement soulagée, mais ce n'est pas très juste pour vous autres, les garçons Vous êtes venus ici dans l'intention de vous distraire et non pas... — L'hôtel est trop chic, il m'intimide, coupa Ned. En outre, ces quelques jours nous coûteraient très chers. Nous serons fort bien ici. » Finalement, il fut décidé que les trois jeunes gens s'installeraient dans la cabane. Au cas où le blessé n'irait pas mieux dans deux ou trois jours, une infirmière viendrait de la ville. Le médecin donna ensuite des instructions précises aux gardes malades improvisés. « Je repasserai de bonne heure demain matin, promit-il. Et n'hésitez pas à venir me chercher à la moindre alerte. — N'oubliez pas de nourrir les bêtes sauvages, ajouta Bess. — Je me demande ce que mange un cougouar en cage, dit Ned avec inquiétude. — Ne vous tourmentez pas pour si peu, je vous ferai porter de la viande crue, promit M. Roy, ainsi que des couvertures et quelques provisions. » Alice entraîna Ned à l'écart de manière que les autres ne puissent entendre. « Je voudrais que tu fasses quelque chose pour moi, murmura-telle. — Avec plaisir. — Ecoute et retiens les paroles qui échapperont au blessé. » Ned lui jeta un regard inquisiteur mais s'abstint de solliciter une explication. « Compte sur moi, se contenta-t-il de répondre. — Note par écrit chacune de ses paroles, ajouta Alice en se dirigeant vers la porte. Grâce à cela il se peut qu'un mystère soit élucidé, mystère qui, actuellement, déjoue la perspicacité de personnes plus habiles que moi. »

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CHAPITRE XVI UN PRÉSENT IMPORTUN Au FAIT, papa, qui a gagné la partie cet après-midi, M. Bartescol ou toi ? demanda Alice tandis qu'elle regagnait l'hôtel du Chamois dans la voiture de son père. — Lui, par deux sets à un, reconnut M. Roy avec un léger dépit. — Oh ! J'étais persuadée que tu le battrais à plate couture. Il doit être très bon joueur. — Bien meilleur que je ne m'y attendais. Nous avons eu quelques discussions à propos de balles proches de la ligne du fond, mais je ne veux pas chercher de mauvaises excuses à ma défaite. »

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Alice imaginait très bien Mortimer Bartescol réclamant le bénéfice d'un coup douteux. Elle n'ignorait pas, par ailleurs, que son père ne s'abaisserait jamais à discuter avec un adversaire. Un vrai sportif ne se le permet pas. « Il n'est pas mauvais d'être parfois battu, plaisanta l'avocat. Et puis, une compétition ne doit pas dégénérer en querelle. » A l'hôtel, après avoir pris congé du médecin, l'avocat décida de se rendre au village voisin. « Puis-je t'accompagner ? demanda aussitôt Alice. — Non, ma chérie, pas cette fois-ci. D'ailleurs, je te conseille de te reposer en prévision de demain. » Après le départ de son père, Alice retrouva ses deux amies à la réception. L'employé remit aux deux cousines des lettres de leurs parents, à Alice un mot et un paquet. Intriguée, elle examina l'adresse. « Je parie que c'est un présent de Mortimer Bartescol ! déclara Marion, taquine. Il s'emploie à gagner tes faveurs par tous les moyens. — Non, ce n'est pas son écriture, répliqua Alice, agacée... Il est vrai qu'il en change si souvent ! — Ouvre vite le paquet, conseilla Bess, toujours curieuse. Je brûle d'impatience de savoir ce qu'il contient. » Sans se presser, Alice défit l'emballage et sortit une balle de golf. « Quelle idée d'envoyer un pareil souvenir ! s'exclama la jeune fille. Cela dépasse l'imagination. » Impossible de se tromper sur le nom du donateur, car il l'avait écrit sur la balle elle-même. « La lettre te fournira l'explication », déclara Bess. Alice déchira l'enveloppe et lut ce qui suit : « Ne regrettez plus la balle que vous avez perdue. Jouez avec celle-ci demain, elle vous portera chance ! » « Quel prétentieux ! s'indigna Alice. Il s'imagine que son autographe vaut celui d'un champion de la classe de Jimmy Harlow ! — Que comptes-tu faire ? Suivre son conseil ? demanda Bess, malicieusement.

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— Non, non et non, explosa Alice. A quoi penses-tu ? Je vais la lui renvoyer. — Tu feras bien, approuva Marion. Dis-lui que tu n'as pas besoin d'un porte-bonheur pour remporter la victoire. — Non. Toute réflexion faite, je préfère conserver ce souvenir. Je l'ajouterai à ma collection des écritures de M. Bartescol. — Pourquoi en change-t-il aussi souvent ? demanda Bess, intriguée. N'est-ce pas louche ? — Tout ce qu'il y a de plus ! J'ai sur ce point ma petite hypothèse, répondit Alice, rêveuse. Je me trompe peut-être, mais je finis par croire que c'est un faussaire. — En ce cas, tu devrais le signaler à la police, déclara Marion. — Non. Impossible ! Une hypothèse n'est pas un fait prouvé. En outre, trop de précipitation nous empêcherait d'en apprendre davantage. » Son imagination féconde lui fit voir en Mortimer Bartescol un membre de la bande d'escrocs internationaux. Les relations qu'il entretenait avec la mystérieuse Margaret Judson, sa manière d'altérer sa signature tendaient à le confirmer dans cette idée. « Il est venu ici pour travailler avec cette femme ! se dit Alice. Je ne veux plus avoir aucun rapport avec lui. » Quelques minutes plus tard, assise dans sa chambre, elle éclata de rire en songeant à sa résolution. Après tout, elle ne possédait pas la moindre preuve contre Mortimer Bartescol. A supposer qu'il fût un faussaire, ce ne serait pas une raison pour l'éviter. Bien au contraire, si elle avait quelque prétention au titre de détective, elle devait étayer sa théorie en accumulant des faits. Et n'avait-elle pas une fâcheuse tendance à se contredire ? Un moment elle parait la jeune fille au triste regard de toutes les qualités, l'instant d'après, elle la rangeait parmi les complices de la bande de voleurs internationaux. Non, décidément, elle ne savait plus où elle en était dans cette affaire embrouillée. Renonçant à poursuivre cet examen de conscience, Alice prit une fois de plus la résolution de faire parler Mortimer, et pour cela de le pousser dans ses derniers retranchements. Sous l'effet d'une brusque impulsion, elle enfila un manteau et

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sortit de sa chambre. Sans prendre le temps de prévenir ses amies de son projet, elle se dirigea vers l'arrêt de l'autobus qui faisait la navette entre le village et l'hôtel. Elle fut la dernière à monter. Un scrupule l'assaillit : n'aurait-elle pas dû consulter son père ? Au village, elle descendit et entra dans un magasin. Après avoir acheté de la poudre, elle pénétra dans une cabine téléphonique. Au moment où elle prenait le combiné, une inquiétude l'assaillit. N'allait-elle pas commettre une bévue ? Enfin, elle se décida, forma le numéro de l'hôtel du Chamois et demanda à parler à M. Bartescol. « Pourvu qu'il ne soit pas sorti ! » se dit-elle. Une seconde plus tard, une voix bien connue lui parvenait à l'oreille. « Allô ! Qui est-ce ? demanda impatiemment M. Bartescol, car Alice demeurait silencieuse. - C'est moi... Margaret Judson, bégaya-t-elle en s'efforçant de parler du nez.

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— Je ne reconnais pas votre voix. — C'est à cause de mon rhume. M'entendez-vous mieux ? — Oui. Que voulez-vous ? Ce n'est guère prudent de m'appeler ici. — Je désirerais avoir un entretien avec vous... de toute urgence. Pourrions-nous nous rencontrer ce soir ? — J'ai un autre engagement, grommela Bartescol. Enfin, je m'arrangerai. Où voulez-vous que nous nous retrouvions ? — Au même endroit que la dernière fois. — Qu'avez-vous contre 2 B X Gardénia ? » Alice resta court et pendant une minute elle ne sut quoi répondre. Que pouvait vouloir dire 2 B X Gardénia ? Prise de panique, elle balbutia dans le micro : « Rien, sinon le temps. » Et elle raccrocha avant que M. Bartescol eût pu répondre. Tout en se dirigeant vers l'arrêt du car, Alice se sentait irritée. La conversation téléphonique n'avait pas pris la tournure souhaitée. S'était-elle trahie ? « Que peut bien signifier 2 B X Gardénia ? » se demandait-elle. Le dialogue avait au moins servi à une chose : à convaincre Alice que Margaret Judson et Mortimer Bartescol étaient associés dans quelque sombre machination. « II me faut en apprendre davantage, décida-t-elle ; la seule manière consiste à suivre Mortimer Bartescol ce soir. » De retour à l'hôtel, Alice exposa à ses amies le plan qu'elle venait d'établir. Elle emprunterait la voiture de Ned et prendrait en filature M. Bartescol lorsqu'il irait rejoindre Margaret Judson. L'automobile fut garée à proximité de l'hôtel en prévision d'un départ rapide. Les jeunes filles allèrent dîner comme d'habitude et, à leur vive satisfaction, elles constatèrent que Mortimer les avait devancées au restaurant. Elles en étaient au deuxième plat quand il se leva et sortit. « Privées de dessert ce soir», murmura Alice en quittant la salle avec ses amies. Elles traversèrent le vestibule au moment où Mortimer approchait

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de la grande porte. Il jeta un regard à son bracelet-montre et courut à sa voiture. « II tient à être exact, déclara Alice. Vite, Bess et Marion, il ne s'agit pas de lambiner ! » Elles se dépêchèrent de gagner leur propre voiture et Alice démarra en trombe. Non sans peine, elle réussit à rattraper la conduite intérieure de Bartescol. « On dirait qu'il se dirige vers le village, observa-t-elle à haute voix. Ne quittez pas des yeux ses feux arrière. » Sans se douter apparemment qu'il était suivi, Bartescol entra dans le bourg et gara sa voiture en face d'un cinéma. Alice s'arrêta à une centaine de mètres derrière et attendit. Elle vit l'homme regarder de nouveau sa montre puis traverser la rue et entrer dans le cinéma. « Crois-tu qu'il ait rendez-vous avec Margaret Judson à l'intérieur ? demanda Bess, déçue. Il va peut-être tout bonnement assister à la projection d'un film. — Restez ici, je vais m'en assurer », dit Alice. Elle acheta un billet. « Un homme grand et brun vient d'entrer, il y a un instant, ditelle à l'ouvreuse. Pourriez-vous me montrer où il est assis ? — Vous devez faire erreur, répondit poliment l'ouvreuse. Les deux dernières personnes que j'ai placées étaient des jeunes filles. » Sûre d'avoir vu Mortimer Bartescol pénétrer dans le cinéma, Alice regarda autour d'elle, mais à cause de l'obscurité, elle ne put distinguer les visages. Sans se laisser abattre par ce contre-temps, elle se rendit au bar. Il était désert. Perplexe, elle retourna dans le hall d'entrée et, après avoir patienté quelques minutes, décida de rejoindre ses amies. La chance ne lui souriait pas ce soir ! Au milieu de la rue, elle se figea, le regard vide. La voiture, Bess et Marion avaient disparu.

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CHAPITRE XVII UNE REGRETTABLE MALADRESSE UN INSTANT,

Alice fut en proie à la panique. Elle redoutait qu'en son absence un malheur fût arrivé à ses amies. La raison reprit le dessus ; elle comprit que Marion et Bess étaient parties de leur propre initiative. « Mortimer Bartescol sera sorti à mon insu, réfléchit-elle, et elles l'auront pris en filature. » Tout cela était bel et bon mais que faire, seule, dans le village ? Le prochain autobus partait dans une heure. D'ici là comment employer son temps ? En l'absence d'une occupation utile, Alice entra dans un bar, s'assit près d'une fenêtre et commanda une glace.

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Une demi-heure s'écoula. Toujours pas de voiture. Alice jetait des coups d'œil inquiets à sa montre. Bientôt l'autobus arriverait et elle devrait choisir entre repartir ou rester. « Et si Marion et Bess ne revenaient pas d'ici plusieurs heures ? se dit-elle. Mieux vaut rentrer à l'hôtel. » Elle régla sa consommation et quitta le bar. Elle marchait vers l'arrêt des autobus, quand elle entendit freiner derrière elle. « Alice ! » Elle pivota sur elle-même et vit Ned Nickerson au volant de son automobile. « Ned ! Comment se fait-il que tu sois ici ? » Le jeune homme descendit et lui ouvrit la portière de droite. « Bess et Marion m'ont envoyé te chercher, expliqua-t-il. Elles nous attendent à l'hôtel. — A l'hôtel ? Bravo ! En voilà des façons de me laisser tomber sans même me prévenir ! — L'idée ne les en a pas effleurées. Je vais t'expliquer ce qui s'est passé : Mortimer Bartescol est sorti du cinéma par une petite porte, elles l'ont aussitôt pris en filature. — Où est-il allé ? demanda vivement Alice. — Il est retourné à l'hôtel. Je me trouvais là par hasard quand Marion et Bess sont arrivées. Elles m'ont prié d'aller te chercher. Voilà toute l'histoire. — Un point pour Mortimer ! Il m'a bien roulée ! C'est plutôt vexant, tu ne crois pas ? » Elle voulut savoir si l'état du vieil homme avait empiré. « Non, il ne va ni mieux ni plus mal, mais il s'agite beaucoup et bredouille des paroles sans suite. Il a dit s'appeler Joe Haley. — As-tu transcrit ses paroles ? — Oui... elles m'ont paru étranges. J'ai pensé que tu aimerais en prendre connaissance. Des phrases reviennent souvent dans ses propos incohérents : « Mademoiselle Margaret, j'ai peur que le coffret n'ait été volé... ne pleurez pas, je vous en supplie, mademoiselle... Pourquoi n'épousez-vous pas Norbert? — Tu es sûr de ce nom : Norbert ? demanda vivement Alice. Ce ne serait pas plutôt Mortimer ?

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— C'est possible. Tu sais, il ne prononçait pas clairement du tout. — Ned, revenons à Mortimer Bartescol. As-tu vérifié s'il est inscrit dans le Bottin Mondain ? — Il n'y est pas. Cet homme n'est qu'un vantard. — Je m'étonne qu'il connaisse Margaret Judson. Quel lien peutil y avoir entre eux... Je ne cesse de me poser la question. » Pendant le trajet de retour, Alice raconta à Ned ce qu'elle s'estimait en droit de dévoiler sur l'affaire dont s'occupait M. Roy. Certains faits devaient rester secrets. Sans l'autorisation de son père, elle ne les divulguerait pas. « Quand tu reprendras ta veille auprès de M. Haley, écoute avec la plus grande attention tout ce qui concernera Margaret Judson, insista-t-elle. — Sois tranquille, je n'y manquerai pas. » Entre-temps, M. Roy était rentré de voyage. « Je me suis déplacé sur la foi d'un indice qui n'en est pas un... comme c'est trop souvent le cas », dit-il. Ce soir-là, il bavarda longuement avec sa fille. « Tu semblés fatigué et découragé, papa, remarqua Alice. — Cette affaire s'éternise. J'ai l'impression que nous faisons fausse route depuis le début. — Que veux-tu dire ? — Je ne crois pas que Margaret Judson soit impliquée dans cette histoire. Aucune preuve n'étaie notre théorie selon laquelle le coffret lui appartiendrait. J'ai bonne envie de borner mon action à l'aspect strictement juridique et de laisser aux policiers new-yorkais le soin de résoudre l'affaire. Le problème consiste à démasquer et arrêter les coupables. Après tout, cela ne me concerne pas ; je ne suis intervenu, sur leur demande, que pour leur rendre service. — Cela ne me déplaisait pas d'assurer ce travail de détective, dit Alice avec une nuance de regret dans la voix. — Rien ne s'oppose à ce que tu le poursuives. Moi, je n'en ai pas le temps. — Hélas ! A River City je n'aurai plus l'occasion de rassembler des indices, fit remarquer Alice. — Rassure-toi, nous ne partirons pas avant quelques jours. Il

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te reste du temps, à la fois pour terminer la tâche que tu as entreprise et pour gagner la finale de golf. — A propos de golf, je vais me coucher, déclara Alice en riant. Demain, j'affronte la grande épreuve et je veux être en pleine forme. — Comment va ton poignet ? demanda M. Roy avec sollicitude. As-tu revu le médecin ? — Oui, il m'a retiré le bandage. Si je ne fais pas attention, la douleur reviendra. — Quel dommage que tu sois obligée de jouer avec un pareil handicap, fit M. Roy, apitoyé. Malgré cela tu remporteras la victoire, j'en suis convaincu. — Merci, papa. Je te promets de faire de mon mieux. » Elle embrassa son père avec une profonde tendresse et sortit. Au passage, elle s'arrêta chez ses amies. Marion écrivait des lettres tandis que Bess, confortablement soutenue par des oreillers, lisait. « II est intéressant, ton livre ? demanda Alice. — Je n'y comprends goutte, se plaignit Bess. Un verbiage sans queue ni tête ! Tiens ! regarde. » Sans réfléchir, elle lança négligemment le livre, pensant que son amie l'attraperait au vol. Par malchance, Alice regardait dans une autre direction ; le lourd volume frappa son poignet foulé. « Aïe ! » cria-t-elle, pliée en deux sous l'effet de la douleur. Bess bondit hors du lit et courut vers son amie. « Pardonne-moi, je n'ai pas voulu te faire mal ! gémit-elle. Quelle maladroite je suis ! — Ne t'adresse pas de reproches ! dit Alice en s'efforçant de sourire pour la rassurer. Dans une minute la douleur sera apaisée. — Non, je ne me le pardonnerai jamais, reprit Bess, contrite. Quelle idée a bien pu me passer par la cervelle ! — Cela va déjà mieux, dit Alice. Je t'en prie, ne te rends pas malade... — Et ta finale de golf... — D'ici demain il n'y paraîtra plus. Recouche-toi, Bess, et n'y pense plus. » Quelque peu rassurée, Bess obéit.

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Hélas ! la pauvre Alice n'en menait pas large quand elle se retrouva seule dans sa chambre. Impossible de dormir. La douleur augmentait. A la fin, elle se mit à arpenter la pièce en soulevant son poignet. « Cela ne peut continuer ainsi, décida-t-elle. Si je ne dors pas, il me sera impossible de jouer demain. » La soirée n'était pas encore très avancée. Elle se rhabilla et partit à la recherche du médecin de l'hôtel. « Qu'avez-vous fait à votre poignet ? » demanda-t-il après l'avoir examiné. Alice lui expliqua ce qui venait d'arriver et fut consternée en voyant le médecin hocher la tête d'un air soucieux. « Vous n'envisagez pas de jouer demain au golf, mademoiselle Roy? — Si, docteur. Je vous en prie, ne me l'interdisez pas. — C'est à vous de juger si vous en êtes capable. Vous souffrez beaucoup, n'est-ce pas ? — Oui, confessa Alice à contrecœur. Ne pourriez-vous pas me soulager un peu ? — Je vais bander de nouveau votre poignet ; c'est, hélas ! tout ce que je peux faire. — Docteur, je ne parviens pas à dormir. — Le contraire me surprendrait. Vous allez prendre ces cachets. Il se peut qu'au réveil la douleur ait diminué, mais en tout cas vous dormirez. » Alice prit le tube qu'il lui tendait, le remercia et lui souhaita bonsoir. Une fois revenue dans sa chambre, elle s'empressa d'avaler les cachets. Peu après, elle sombrait dans un profond sommeil. Le soleil, entrant à flots par la fenêtre, la réveilla. Comme elle ouvrait les yeux, on frappa à la porte. « Pouvons-nous entrer ? demanda Bess. — Pas encore prête ? » fit Marion, étonnée. La mine pâle, les traits tirés de son amie la frappèrent. Elle ajouta vivement : « Alice, tu as passé une mauvaise nuit ! — J'ai assez bien dormi après ma visite au médecin. — Au médecin ! s'exclama Bess. Tu ne nous avais pas dit que

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tu souffrais à ce point. Comment ai-je pu commettre une pareille sottise ? — Oh ! je t'en prie, ne recommence pas à te lamenter, dit Alice. Ce matin, je n'ai presque plus mal et j'ai l'intention de jouer. — Ton poignet te gênera, s'obstina Bess. Ce n'est pas juste ! » Alice la pria de ne plus aborder ce sujet et elle commença de se vêtir. Marion et Bess lui nouèrent ses lacets de souliers et s'efforcèrent de lui épargner tout mouvement. « II te reste à peine le temps de prendre ton petit déjeuner et de te rendre au tee de départ, dit Marion après avoir consulté son bracelet-montre. Il est tard, dépêche-toi. » Les jeunes filles descendirent à la salle à manger. Sammy s'avança timidement vers leur table. « Veuillez m'excuser si je vous dérange, mademoiselle Roy, mais j'ai quelque chose à vous dire. — A propos de la compétition ? demanda Alice avec un sourire, tout en déchiffrant le menu. — Non, c'est au sujet de Mlle Judson. Ma mère est ici, dans le hall. Elle voudrait vous parler. » Alice se leva aussitôt, pleine d'espoir. « Continuez sans moi, dit-elle à ses amies. J'accompagne Sammy. »

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CHAPITRE XVIII CHUTE DANS LE TORRENT EN CRUE QU'AVEZ-VOUS APPRIS au sujet de Mlle Judson ? demanda Alice en conduisant Mme Samuel Sutter dans un petit bureau contigu au salon. Savez-vous où elle demeure ? — Non, mademoiselle, répondit la mère de Sammy, mais je veux vous parler d'elle. » Devant l'air décontenancé de la jeune fille, Mme Sutter s'empressa de donner la raison de sa visite. Elle avait entendu dire par la receveuse des postes que plusieurs lettres, toutes écrites de la même main et adressées à Margaret Judson, restaient en souffrance au bureau faute de savoir où les faire suivre.

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« J'espérais que vous aviez découvert où elle habitait, mademoiselle. — Non, répondit Alice, en s'efforçant de dissimuler sa déconvenue. Je n'ai rien appris de nouveau. » De toute évidence, Mme Sutter avait fait cette démarche non pour apporter des renseignements mais pour en obtenir. Très curieuse, elle brûlait de savoir pourquoi Mlle Roy s'intéressait à Margaret Judson. Elle posa maintes questions qu'Alice éluda de son mieux tout en laissant entendre qu'un tel gaspillage de temps l'agaçait fort. « Je ne sais pas grand-chose sur Margaret Judson, dit-elle sèchement. J'ignore même le nom du professeur avec qui elle était fiancée. — Je l'ai su mais je l'ai oublié », répondit Mme Sutter. Elle semblait désireuse de prolonger la conversation. La jeune fille y coupa court en disant que ses amies l'attendaient dans la salle à manger. Bess et Marion terminaient leur repas. L'heure s'avançait ; en hâte Alice but une tasse de thé et croqua une tartine grillée. « C'est insuffisant, protesta Bess ; tu as besoin de te restaurer. Mange encore quelque chose. — Impossible, j'ai perdu plus de vingt minutes avec Mme Sutter. Seigneur ! Quelle bavarde ! Une véritable commère à l'affût de cancans à colporter. » Les trois amies se hâtèrent de se rendre au club-house. Le capitaine des jeux discutait avec les finalistes. « La compétition a été reportée à cet après-midi, dit à Alice son adversaire, Mlle Howard. Elle ne commencera qu'à une heure. — Tiens, pourquoi ? s'étonna Bess. — Il se serait glissé quelques erreurs dans le calcul des points, répondit Mlle Howard. Rien de grave, cependant. — Je ne me plains pas de ce retard, déclara Alice, soulagée. Cela me permettra de me reposer un peu après cette mauvaise nuit. » Bess et Marion lui conseillèrent d'aller dormir ; Alice ne voulut rien entendre. Se reposer n'avait pas la même signification pour elle que pour d'autres. Elle emprunta la voiture de son père et

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se rendit au village, où elle interrogea la receveuse des postes. Celle-ci ne souleva aucune objection quand Alice la pria de lui montrer les lettres adressées à Margaret Judson. Après avoir longuement étudié l'écriture, Alice conclut qu'elles avaient toutes été envoyées par Mortimer Bartescol. Plusieurs caractères étaient identiques à ceux tracés sur la balle de golf dont il lui avait fait présent. Alice alla ensuite à Andover, ville universitaire proche de la station estivale. Elle entra chez un libraire et demanda à consulter l'annuaire des professeurs. Elle parcourut les colonnes à la recherche d'un nom ressemblant à Norbert. A sa grande joie, elle vit qu'un professeur de philosophie s'appelait Norbert Teusch. Ce ne pouvait être que le fiancé de Mlle Judson. Hélas ! Cette belle conviction s'évanouit lorsqu'elle découvrit deux autres Norbert : Norbert Hilburn et Norbert Wardell. « Je parie qu'il me faudra rendre visite aux trois, se dit-elle avec lassitude. Impossible de perdre une seconde si je ne veux pas être en retard pour mon match. » Norbert Teusch occupait le bureau 305 dans le bâtiment réservé aux disciplines littéraires. C'était un homme âgé, aux cheveux blancs, à l'allure distinguée. Alice eut beau déployer les trésors de son imagination, elle ne réussit pas à trouver un lien entre lui et une personne aussi jeune que Margaret Judson. Elle se retira sans avoir dévoilé la raison de sa visite. Le professeur Hilburn n'était pas dans son bureau. Alice perdit de précieuses minutes à chercher sa demeure dans le quartier résidentiel. Avant même de sonner à la porte de la petite maison de brique, elle devina qu'elle commettait une nouvelle erreur : une voiture de poupée renversée sur la pelouse disait en effet clairement que le professeur n'était pas célibataire. Mme Hilburn, une femme charmante, mère de trois enfants, était mariée depuis près de quinze ans, comme elle le déclara fièrement à Alice. « Pardonnez-moi de vous avoir dérangée, s'excusa la jeune fille. Le professeur que je cherche est célibataire, je connais seulement son prénom : Norbert. — Ne s'agirait-il pas du professeur Norbert Wardell ? dit

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Mme Hilburn. Agé d'une trentaine d'années, il dirige déjà le département de zoologie et de botanique à l'université. — C'est sûrement lui, merci beaucoup, madame. Sauriez-vous où il habite ? — Oui, dans une pension de famille, 8, rue Melbourn. » Dix minutes plus tard, Alice sonnait à la porte d'une grande maison de style colonial. Une femme souriante, d'âge mûr, la fit entrer. « Le professeur Wardell est sorti, dit-elle. J'ignore s'il rentrera déjeuner, il ne me prévient jamais d'avance. — Je suis passée à son bureau, il n'y était pas. — Cela ne m'étonne guère. Il avait l'intention de faire une grande promenade dans les bois. La faune et la flore de la région l'intéressent beaucoup. » Déçue de ne pouvoir s'entretenir avec Norbert Wardell, Alice décida de mettre son hôtesse dans la confidence. Elle lui apprit qu'elle recherchait un ami de Margaret Judson, « Ils étaient plus que des amis ! s'exclama la logeuse, ils

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étaient fiancés. Pour une raison ou une autre, le mariage n'a pas eu lieu. Le professeur a bien changé depuis. On ne dirait pas le même homme. Il parle à peine, reste des heures dans sa chambre. Cela me brise le cœur de le voir aussi triste, car c'est le meilleur des êtres. » Ces paroles renforcèrent Alice dans l'idée que, lorsqu'elle connaîtrait Norbert Wardell, elle serait mieux en mesure de s'expliquer le comportement bizarre de Margaret Judson. Elle n'osa pas s'attarder à Andover ; la compétition de golf lui tenait à cœur et elle n'entendait pas perdre par défaut. « Pourriez-vous transmettre un message au professeur Wardell ? demanda-t-elle à l'aimable logeuse. — Avec plaisir », répondit celle-ci. Alice écrivit le nom de son hôtel sur une carte de visite et la lui tendit. « Priez le professeur de venir me voir à cette adresse dès qu'il le pourra. Dites-lui, s'il vous plaît, que c'est très important. — Je lui répéterai vos paroles dès son retour, promit la logeuse. Le professeur ira sans doute vous trouver ce soir, ou au plus tard demain. » En hâte, Alice reprit le chemin de l'hôtel. « Cette matinée a été fructueuse », songeait-elle, le sourire aux lèvres. Un élément surtout retenait son attention : le professeur Wardell et le vieux Joe Haley partageaient le même goût pour la botanique et la zoologie. « Ils se connaissent sans doute », se dit-elle. Arrivée à l'hôtel, elle put à peine manger un sandwich avant de prendre place au tee de départ. Bess, Marion, Ned et M. Roy l'encouragèrent d'un sourire pendant qu'elle tapait des balles pour s'échauffer les muscles. « Rapporte-nous une coupe ! murmura Ned. Nous allons tenir nos pouces croisés pendant toute la partie. — Et ton poignet ? Te fait-il encore souffrir ? demanda Bess. — Très peu, répondit Alice négligemment. Ce qui m'inquiète le plus c'est mon adversaire. Elle est d'une classe supérieure à la mienne. Mes chances sont minimes. » I

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Mlle Blossom était en effet une joueuse réputée, dont les victoires ne se comptaient plus. La lutte fut ardente. Au milieu de la partie, le ciel se couvrit de nuages noirs. Inquiète, Mlle Blossom s'arrêta. « Un orage menace, dit-elle. J'ai une peur irraisonnée du tonnerre. » Bientôt, la pluie se mit à tomber. Mlle Blossom donna des signes de nervosité ; son jeu s'en ressentit ; Alice prit de l'avance. Puis, comme si la pluie ne suffisait pas, le vent souffla par rafales, éclairs et tonnerre entrèrent dans la danse. « Impossible de continuer, s'écria Mlle Blossom. — L'orage n'est pas encore au-dessus de nous, fit remarquer Alice, ne serait-ce pas dommage d'arrêter ? » Mlle Blossom hésita, scruta l'horizon et, se décidant, tendit son club au caddie. « Je rentre, annonça-t-elle. Si le comité décide de remettre la partie à demain, parfait ! Sinon, je perdrai par défaut. — Je n'accepterai pas de gagner dans ces conditions, protesta Alice. Nul ne saurait nous tenir rigueur d'interrompre le jeu sous une telle pluie. » Comme pour lui donner raison, le ciel se mit à déverser de véritables cataractes sur le terrain. Mlle Blossom et les deux caddies coururent se réfugier à l'hôtel. Alice se précipita dans la forêt où elle trouva abri sous les hautes frondaisons. Comme le froid commençait à se faire sentir, elle décida de gagner le refuge le plus proche : la cabane du jardinier. Le vent prenait de la force. Au-dessus de sa tête, les branches s'entrechoquaient, les feuilles tournoyaient, parfois du bois mort tombait à ses pieds. En approchant du pont hanté, Alice fut surprise d'entendre le gémissement qui avait effrayé Bess lors d'une précédente expédition. « Ce doit être la brise s'engouffrant dans le ravin, se dit-elle. En tout cas, peu importe ce que c'est, je ne retourne pas en arrière. » A l'entrée du pont, le vieil épouvantail, trempé, déchiré, dansait follement. Plus que jamais on aurait dit un fantôme et,

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lorsqu'elle dut passer tout contre, un des « bras » flottants s'enroula autour de sa taille. Elle se libéra et força l'allure. Le vent secouait la passerelle ; un craquement sinistre se produisit ; la charpente oscilla fortement. Pour se retenir Alice empoigna le garde-fou, mais il était pourri. Elle bascula et tomba dans les eaux tumultueuses du torrent en crue.

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CHAPITRE XIX UN VISITEUR INATTENDU par le courant, Alice réussit à s'agripper à une saillie rocheuse et à se hisser sur la rive gluante. Couverte de vase, les vêtements en lambeaux, elle s'assit, malgré la forte pluie, pour reprendre haleine. « Bess n'avait pas tort de me prédire des ennuis si je persistais à m'aventurer par ici, soupira-t-elle. Le pont hanté a eu le dernier mot. » Alice n'était guère présentable. Elle hésita. Quelle décision prendre : rebrousser chemin ou continuer jusque chez Joe Haley ? « Je ne peux pas rentrer à l'hôtel dans un état aussi pitoyable, se dit-elle. Mieux vaut me sécher d'abord. » EMPORTÉE

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Elle gravit la pente et suivit le sentier qui longeait le ravin. Peu après elle frappait à la porte de la cabane. Ned lui ouvrit. « Alice ! s'écria-t-il. Que t'est-il arrivé ? Je croyais que tu jouais au golf... — Oui, je jouais... coupa la jeune fille en riant. Comme il pleuvait, j'ai décidé d'aller emprunter un parapluie. As-tu entendu un fracas, il y a quelques minutes ? — Oui, nous avons pensé que le pont s'écroulait. — Vous aviez raison. L'ennui est que je passais dessus. Tu aurais dû me voir nager dans le torrent ! C'était un spectacle, tu sais ! » Abandonnant ce ton ironique, elle ajouta vivement : « Par quel heureux hasard es-tu ici, Ned ? J'avais cru comprendre que tu attendais le résultat de la compétition à l'hôtel. — C'était mon intention, mais Bill est venu me chercher. — M. Haley va-t-il plus mal ? — Son agitation les inquiétait. En ce moment, mes camarades s'occupent des bêtes. Si tu le permets, je cours les aider. — Vas-y, je te remplacerai auprès du malade. » Avant que Ned eût pu formuler une objection, elle était entrée sur la pointe des pieds dans la chambre ouvrant sur la cuisine. Le jardinier reposait paisiblement et, à en juger d'après son visage, son état demeurait stationnaire. Ned endossa un imperméable et sortit. Alice en profita pour se mettre en quête de vêtements chauds. Elle trouva, dans le placard, un pantalon de gros velours et une chemise bleue délavée qu'elle revêtit aussitôt. Ainsi habillée, elle avait l'air d'un garçon... fort avenant d'ailleurs. Comme elle suspendait ses vêtements mouillés devant le feu, elle entendit M. Haley se tourner et se retourner. Elle se précipita à son chevet. Le vieil homme avait les yeux grands ouverts. Lentement il promena le regard autour de la pièce puis l'arrêta sur Alice. « Qui êtes-vous ? demanda-t-il d'une voix rauque. Que faitesvous ici ? — Je m'appelle Alice Roy et je suis venue vous soigner. » Désemparé, le vieillard secoua la tête. « Alice, c'est un nom de fille, marmonna-t-il, et vous êtes un

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garçon. Ma maison est pleine de garçons. Que font-ils chez moi?» Alice tenta d'expliquer la situation à M. Haley, mais il ne l'écoutait plus. 11 se souleva sur un coude et lui fit signe de l'aider à se mettre debout. « Non, dit Alice fermement, pas avant que le docteur ne vous le permette. — Il le faut. Mes bêtes vont mourir de faim. Depuis combien de temps suis-je malade ? — Ne vous agitez pas, je vous en prie. Tout va bien. Vos bêtes ont de quoi manger, mes amis s'en occupent. Tâchez de dormir. » Articulées d'une voix apaisante, ces paroles rassurèrent le vieil homme et il resta immobile quelques minutes. A son regard troublé, Alice devina qu'il s'efforçait cependant de comprendre ce qui était arrivé. Impatiente de lui poser des questions, elle n'osait le faire par crainte de l'agiter. Aussi longtemps que le médecin ne l'aurait pas déclaré hors de danger, une rechute risquait de se produire. Aussi s'abstint-elle de prononcer le nom de Margaret Judson qui lui venait aux lèvres. Enfin, M. Haley s'endormit. Entre-temps, Ned et ses camarades étaient rentrés. Alice leur annonça que le blessé s'acheminait vers la convalescence. « Voilà de bonnes nouvelles, fit Ned, soulagé. A te dire la vérité, Jack, Bill et moi nous commencions à souffrir de claustrophobie. Nous aimerions nous dégourdir les jambes et admirer le paysage avant de reprendre le collier. — Pauvres malheureux ! Les vacances touchent à leur fin. Comment ai-je pu l'oublier ? Les remords m'accablent... — Chasse-les, chasse-les, je t'en prie, coupa Ned. C'est de grand cœur que nous avons soigné ce malheureux. » La tempête s'apaisait. Le vent ne soufflait plus en rafales ; sifflements et secousses interrompaient moins souvent la conversation. Les étudiants firent cercle autour d'Alice et exigèrent un compte rendu détaillé de la compétition de golf. Leur déception fut vive d'apprendre qu'elle avait été suspendue en raison du mauvais temps. « Peu importe, fit Ned, tu gagneras haut la main. »

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Bientôt la pluie cessa. Ned partit avec ses camarades jeter un coup d'œil au pont disloqué. Ils retrouvèrent la passerelle bloquée en aval par un gros tronc. Ils allèrent dans la cabane chercher des cordes, des outils et entreprirent de ramener la passerelle puis de la fixer aussi solidement que possible. Alice mit leur absence à profit pour brosser et repasser ses vêtements. Ensuite, fatiguée par sa longue journée, elle s'assit dans un fauteuil, au chevet de M. Haley, et sombra dans un profond sommeil. Un coup frappé à la porte la réveilla brusquement. « Qui cela peut-il bien être ? se demanda-t-elle en allant ouvrir. Ned et ses camarades ne prendraient pas la peine de s'annoncer. » La porte ouverte, elle se trouva devant un homme, grand, sympathique, âgé d'environ trente ans. A son expression, il était visible qu'il ne s'attendait pas à être accueilli par une jeune fille ; il la regarda bouche bée, puis, conscient de son incorrection, il baissa les yeux. « Je vous demande pardon, dit-il poliment. M. Haley est-il chez lui ?

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— Oui, mais il ne pourra pas vous recevoir, répondit Alice, II a été blessé accidentellement et... — Blessé ? Vous êtes infirmière ? coupa l'inconnu, inquiet. Je ne me doutais pas que M. Haley fût souffrant. Est-ce grave ? — Il n'est plus en danger. — Puis-je le voir quelques minutes ? Permettez-moi de me présenter : Norbert Wardell ; M. Haley est mon oncle. » La surprise paralysa Alice une seconde. Se ressaisissant, elle pria le jeune homme d'entrer. « M. Haley dort pour le moment ; dès qu'il se réveillera vous pourrez lui parler. — Cela ne risque-t-il pas de l'agiter ? s'inquiéta M. Wardell. Mon oncle est un homme merveilleux ; il m'inspire le plus grand respect. C'est lui qui m'a pratiquement élevé et c'est à lui que je dois mon amour de la nature et ma connaissance de sa faune. Sans son appui, je n'aurais pas réalisé ma vocation. » Alice lui posa quelques questions — sans contrevenir aux règles de la plus élémentaire politesse. Il lui dit — ce qu'elle savait déjà — qu'il enseignait à l'université d'Andover. « Je me suis rendu cet après-midi à l'hôtel du Chamois, à la requête d'une jeune fille qui désirait, m'a-t-on dit, m'entretenir d'une affaire importante. Elle ne devait pas l'être, puisque cette jeune fille n'a pas jugé bon de m'attendre. J'ai voulu profiter de ce que j'étais dans le voisinage pour rendre visite à mon oncle. Je ne m'attendais certes pas à ce que vous venez de m'apprendre. Pauvre oncle ! Pourriez-vous me fournir des détails sur son accident ? » Après avoir accédé à ce désir et sans dévoiler encore son identité, Alice dirigea la conversation vers les travaux du professeur Wardell. Elle espérait amener le nom de Margaret Judson dans la conversation, mais ne savait pas comment le faire d'une manière naturelle. « Quand M. Haley a été blessé, nous avons eu peur qu'il n'ait aucun proche parent, dit-elle sans quitter le jeune homme du regard. Force m'a été de fouiller dans ses papiers et j'ai trouvé la photo d'une ravissante jeune fille, dont, hélas ! je n'ai pu établir l'identité. » Elle alla chercher le portrait de Margaret Judson et le plaça

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entre les mains du professeur. Tandis que celui-ci le fixait sans mot dire, ses yeux trahirent une souffrance si profonde qu'Alice eut honte de la lui avoir infligée. « D'après quelques paroles échappées à M. Haley, j'ai cru comprendre qu'il connaissait très bien cette jeune fille, dit-elle négligemment. Elle aurait vécu près d'ici et se serait enfuie après l'incendie de sa demeure. — C'est exact, murmura le professeur sans lever la tête. — Connaissez-vous cette jeune fille ? — Pourrais-je jamais l'oublier ? fit le jeune homme d'une voix tremblante d'émotion. Margaret Judson et moi, nous étions fiancés. — Oh ! Je vous demande pardon... — Vous ne pouviez le savoir ! » coupa M. Wardell. Comment aurait-il pu soupçonner qu'Alice avait délibérément rouvert sa blessure? « Je participais à une expédition scientifique lointaine, reprit-il, quand un incendie a ravagé la demeure de Margaret. Elle a tout perdu. — Tout ? — Elle n'a pu sauver qu'un coffret de bijoux, répondit le professeur avec un triste sourire. Il contenait, entre autres choses, la bague que je lui avais offerte. — Quelle chance ! murmura Alice. — Ne croyez pas cela. Au cours de sa fuite, Margaret a perdu le coffret. Elle m'a laissé une lettre dans laquelle, après m'avoir affirmé son amour, elle m'annonçait la rupture de nos fiançailles. Je ne comprends pas encore ce qui l'a incitée à agir ainsi. Pourquoi refuser de m'épouser ? Parce que la bague était perdue ? J'aurais été heureux de lui en acheter une douzaine. — Elle a peut-être craint votre colère. — La bague avait une grande valeur, certes, mais il ne me serait pas venu à l'esprit de lui reprocher une perte dont elle n'était pas responsable. J'ai essayé de retrouver Margaret, mais elle a disparu aussitôt après l'incendie. Je donnerais tout au monde pour la revoir. » Alice fut tentée de lui révéler la présence, plus que probable, de Margaret Judson dans les parages. La sagesse lui commanda de ne

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pas éveiller de faux espoirs chez un homme qui avait déjà trop souffert. En elle se fortifiait la conviction que le coffret arraché à la vase appartenait à l'ex-fiancée de Norbert Wardell et elle croyait deviner la raison qui avait poussé Margaret à rompre ses engagements. Le professeur Wardell avait éveillé la sympathie d'Alice ; elle aurait voulu soulager sa peine. Hélas ! Son père seul avait le droit de révéler ce qu'il jugerait opportun. « Quand vous vous serez entretenu avec votre oncle, pourriezvous m'accompagner à l'hôtel du Chamois ? dit Alice. J'aimerais vous présenter à mon père. — J'en serais enchanté, répondit le professeur, d'autant plus que je désire le remercier de ce qu'il a fait pour mon oncle. En vous écoutant, j'ai compris quelle gratitude je vous devais à tous. Sans vous mon pauvre oncle serait mort. Mais... vous ne m'avez pas dit votre nom. » Alice s'amusa de la mine étonnée de son interlocuteur quand elle répondit : « Je suis la personne qui vous avait donné rendez-vous aujourd'hui. Je m'appelle Alice Roy. »

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CHAPITRE XX L'ENQUÊTE PROGRESSE ‘

Alice Roy ? s'exclama le professeur Wardell, stupéfait. Pourquoi m'avez-vous prié de venir ? Auriez-vous appris quelque chose au sujet de Margaret Judson ? — J'ai trouvé un objet qui, je crois, lui appartient. — Le coffret ? — Je ne peux pas vous répondre. C'est à mon père de le l'aire. » Le professeur n'insista pas. Après avoir conversé encore une di/aine de minutes avec Alice, il demanda la permission de passer VOUS ÊTES

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dans la chambre de son oncle. M. Haley dormait encore. Après être resté un court instant auprès de lui, le professeur regagna la cuisine. Sur ces entrefaites, les trois jeunes gens revinrent, épuisés par la remise en état du pont. Ils expliquèrent à leur amie que la réparation n'était pas terminée ; il restait à consolider la charpente. « Impossible de franchir le ravin, dit Ned. Je te ramènerai en voiture à l'hôtel. — Tu es gentil, merci. Ce ne sera pas nécessaire. Le professeur Wardell a promis de me reconduire avec la sienne. Il l'a garée en bordure de l'ancien domaine Judson. » Surpris, les trois étudiants dévisagèrent l'inconnu dont ils n'avaient pas remarqué la présence car il était demeuré dans un coin sombre de la pièce. Ned jeta un regard interrogateur à Alice, mais elle préféra ne pas fournir d'explications. En quittant la cabane, elle invita Ned à prendre grand soin du malade. « II semble que je ne sois pas bon à autre chose », grommela Ned, mécontent de voir Alice s'éloigner en compagnie du professeur. Son attitude maussade n'avait pas échappé à la jeune fille. Attristée, elle eut envie de rebrousser chemin. Elle rejeta bientôt cette pensée : dès le lendemain, elle mettrait Ned dans la confidence et il ne lui garderait pas rancune d'avoir accordé la faveur de la raccompagner à un autre que lui. Arrivée à l'hôtel du Chamois, elle pria le professeur Wardell de s'asseoir dans le grand hall pendant qu'elle irait chercher son père. « Papa ! s'écria-t-elle en entrant dans sa chambre, le coffre* appartient à Margaret Judson. J'ai fait la connaissance du professeur Wardell, ex-fiancé de Margaret ; il t'attend en bas. Si tu le juges digne de confiance, mettons-le dans le secret. » Dans son excitation, elle avait débité cela d'une traite. M. Roy avait écouté sa fille sans l'interrompre, mais non sans sourire d'un tel enthousiasme. « Amène-moi ton professeur ici, nous serons plus tranquilles pour parler », dit-il. Les deux hommes éprouvèrent une sympathie réciproque.

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Alice ne cacha pas sa satisfaction lorsque son père aborda le sujet de Margaret Judson. Après avoir écouté en silence, le professeur prit la parole : « Je respecte votre point de vue, monsieur, dit-il, et comprends que certains indices parlent contre Mlle Judson ; toutefois, je me refuse à croire qu'elle soit en quoi que ce soit impliquée dans une affaire louche. Elle est au-dessus de tout soupçon et appartient à une famille dont la droiture, l'honnêteté ne se sont jamais démenties depuis des générations. Qu'elle puisse avoir un rapport quelconque avec des voleurs est impensable. — C'est aussi mon opinion, déclara Alice. — Plusieurs indices tendent à démontrer le contraire, dit M. Roy, nous n'avons pas le droit de les négliger. Par exemple : la minaudière. Savez-vous si Mlle Judson en possédait une ? — Non, pas à ma connaissance. Comme toutes les femmes elle aimait les bijoux et autres colifichets de prix, mais sans excès. — Une autre question : avez-vous entendu Mlle Judson parler d'un certain Mortimer Bartescol ? — Oui. Il lui avait été présenté au cours d'un voyage en Europe. » Alice et son père échangèrent un regard discret. Ce renseignement n'établissait-il pas un lien entre la jeune fille et une bande internationale ? Lien très ténu, il est vrai, puisque tous les touristes se rendant en Europe ne sauraient être considérés comme autant de suspects. En outre, rien ne prouvait que Mortimer fût un escroc. Certes le soin qu'il mettait à dissimuler son écriture, en la changeant sans cesse, autorisait toutes les suppositions. « Mortimer Bartescol serait-il soupçonné de quelque méfait ? demanda le professeur avec une pointe d'anxiété dans la voix. — Oui et non, répondit M. Roy. Disons plutôt qu'il a un comportement bizarre. Quant à Mlle Judson, si nous réussissions à la retrouver, elle serait la mieux qualifiée pour élucider le mystère qui l'entoure. — Je ne peux pas vous être d'un grand secours, dit le professeur. Il se pourrait qu'elle habite chez un de ses cousins à Rock City. — Vous n'y êtes jamais allé ? s'étonna Alice.

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— Comprenez-moi, je ne veux pas m'imposer à Mlle Judson. Si nous avions un entretien ensemble elle m'expliquerait les choses, j'en ai la ferme conviction. Pourtant, je me refuse à l'importuner. » La pendule tournait. Le professeur Wardell se leva pour prendre congé. « J'aimerais rester en relations avec vous, dit M. Roy en l'accompagnant à la porte. — Avec plaisir, monsieur, n'hésitez pas à venir me voir ou à me téléphoner. Votre fille connaît mon adresse. Si je ne suis pas chez moi, vous pourrez toujours me joindre à mon bureau. Dans le cas où vous recevriez des nouvelles de Mlle Judson, je vous serais reconnaissant de me les communiquer. » Après le départ du professeur, Alice et son père discutèrent entre eux, sans aboutir à aucune conclusion concernant la culpabilité ou l'innocence de Mortimer Bartescol. Ses relations avec Margaret Judson ne prouvaient rien, puisque rien de précis n'accusait la jeune fille.

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« Je la crois totalement étrangère au vol des bijoux, déclara Alice. C'était aussi ton opinion au début. — C'est vrai, reconnut l'avocat. Cette affaire me déroute, je le confesse. Jamais auparavant je n'ai rencontré autant d'éléments contradictoires. » M. Roy et Alice finirent par renoncer à résoudre le problème et leur attention se porta sur un autre sujet. Pendant son bref séjour chez M. Haley, Alice avait établi une liste des choses nécessaires au confort du blessé. Elle pria son père de l'accompagner en ville pour qu'elle puisse les acheter. Il y consentit volontiers. Ils se rendirent chez l'épicier, chez le boucher et même chez le libraire, où Alice choisit plusieurs ouvrages destinés à agrémenter les heures que Ned et ses amis consacraient au vieil homme. « Leurs vacances auront été plutôt austères ! dit Alice avec regret. Cet après-midi, Ned semblait d'humeur assez morose. — Il avait quelques raisons de l'être, répondit M. Roy. Ses amis et lui méritent un peu de distraction. » Quand ils entrèrent dans la cabane, Ned était seul. Jack et Bill travaillaient, dit-il, à la réfection de la passerelle. Peu après, les deux jeunes gens revinrent, las et affamés, mais très satisfaits d'avoir terminé la réparation. Alice se mit à cuisiner un repas chaud, dont la qualité lui mérita les éloges des convives. « Que diriez-vous, les garçons, d'une soirée de détente ? demanda l'avocat une fois le couvert enlevé. Je veillerai le blessé avec plaisir. — Oh ! merci ! s'exclama Ned. Nous acceptons avec joie. Y a-til bal ce soir à l'hôtel, Alice ? — Oui, et justement Bess et Marion mouraient d'envie d'y aller. — Hourrah '. Nous leur amenons des danseurs, déclara Ned. Bill et Jack, faites-vous beaux. » Tandis que les trois garçons se changeaient dans la cuisine, Alice et son père s'assirent auprès de M. Haley dans la chambre voisine. « Comment vous sentez-vous ? questionna M. Roy en voyant le blessé ouvrir les yeux.

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— Très faible, murmura-t-il. — Cela n'a rien de surprenant, le rassura Alice, vous avez été très secoué et vous êtes resté longtemps inconscient. » Elle craignait de l'agiter en prolongeant la conversation, mais il avait envie de parler. Il demanda quel jour c'était et posa d'autres questions auxquelles elle répondit. Enfin, elle alla prendre sur une table la photographie de Mlle Judson et la lui tendit. « Voulez-vous la garder auprès de vous ? dit-elle. — Oui, je vous en prie, répondit le vieil homme d'une voix hésitante. Mlle Margaret... elle n'est pas là ? — Non, elle n'est pas venue encore. Elle ignore que vous avez été blessé. — Alors j'ai rêvé... J'avais cru la voir auprès de moi, tenant ma main. — Vous m'aurez confondue avec elle, dit Alice doucement. Dites-moi, est-ce que vous travailliez pour elle autrefois ? — Oui. Je prenais soin des arbres, du jardin, des fleurs. J'ai été plus de dix ans chez les Judson. Après la mort de ses parents, Mlle Margaret a voulu me garder ; elle n'en avait pourtant plus les moyens.» Une larme brilla dans les yeux de M. Haley au souvenir des heureuses années enfuies. Plusieurs minutes s'écoulèrent avant qu'il pût parler de nouveau. « Mlle Margaret est si bonne, si douce, dit-il. Jamais elle ne prononce une parole méchante. C'est pourquoi je souffre tant de la savoir malheureuse. — Elle est malheureuse ? » répéta Alice. Le vieil homme parut sortir d'une profonde méditation et répondit : « Oh ! oui. Après la disparition de ses parents, elle était très seule. Elle devait se marier, mais l'incendie a réduit à néant son manoir... et ses projets. — Pourquoi ses projets ? fit M. Roy en se penchant vers le jardinier. — Je l'ignore..., murmura M. Haley— je ne l'ai jamais su. Mlle Margaret avait été bouleversée par la catastrophe. Elle s'est enfuie.

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Vous ne l'avez jamais revue ? demanda Alice avec douceur. — Un jour, elle est revenue et elle m'a supplié de chercher quelque chose qu'elle avait perdu. J'ai fouillé partout... dans les décombres... dans les bois... En vain ! Je le lui ai fait savoir. Elle n'a pas reparu. » Epuisé, le vieil homme ferma les paupières et se tourna vers le mur. Alice et son père mouraient d'envie de lui poser d'autres questions ; devant la pâleur de son visage, ses traits tirés, ils n'osèrent pas. « Je voudrais voir Mlle Margaret », murmura le blessé après quelques minutes de silence. Puis il sombra dans un lourd sommeil. Les trois étudiants entrèrent dans la chambre sur la pointe des pieds. « Nous sommes prêts, Alice, chuchota Ned. Que penses-tu de mon nouveau costume, pas trop froissé ? — Non, tu es magnifique ; il te va très bien, approuva Alice. Attendez-moi une seconde, j'enfile un manteau. » Ils sortirent ensemble du chalet, Ned fut frappé par l'attitude d'Alice qui restait silencieuse. « Tu ne te sens pas bien ? s'enquit-il avec sollicitude. — Ne t'inquiète pas, je suis en pleine forme, mais préoccupée. — Par quoi ? — Par Margaret Judson, Ned, il faut que je la retrouve ! — C'est plus facile à dire qu'à faire. — J'ai l'impression qu'elle n'est pas loin d'ici. » Ned jeta un regard surpris à la jeune fille. La voix chargée d'une intensité surprenante, elle ajouta : « Cela va te paraître insensé, Ned, pourtant j'ai l'intuition que ce soi-même je vais la rencontrer. »

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CHAPITRE XXI ÉTRANGE BOÎTE AUX LETTRES J'ADMIRE cette belle assurance, dit Ned avec un sourire taquin. Toutefois, sur quoi repose-t-elle ? — Sur rien à proprement parler. C'est une simple intuition. — Espérons qu'elle sera confirmée par les faits. Depuis ton arrivée ici as-tu eu autre chose en tête ? — Oui. Le golf. Pardonne-moi, j'ennuie tout le monde avec mes problèmes, j'en suis honteuse. — Inutile de t'excuser. Tes aventures nous passionnent et nous ne demandons qu'à y participer, tu le sais. Dis-moi, est-ce si important de retrouver Margaret Judson ?

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— Très important ! Veux-tu m'y aider ? — Bien entendu. J'avais peur que tu n'aies pas besoin de moi. — Rassure-toi sur ce point. Mais il y a un hic, un seul : je n'ai pas le droit de tout te dire. — Ne t'en fais pas pour cela. Je le comprends. Borne-toi à me donner des ordres, je les exécuterai dans la mesure de mes capacités. — Réfléchis, Ned, avant de t'engager ainsi, dit Alice en riant. Te sens-tu disposé à renoncer à la soirée prévue pour te livrer à une enquête ? — Nous aurons tout le loisir de danser à River City. — C'est mon avis, déclara Alice. Le dénouement approche, j'en suis sûre. » Pendant ce temps, Marion et Bess se morfondaient à l'hôtel, se demandant ce qu'était devenue leur amie. Elles ne l'avaient pas revue depuis le début de la compétition et n'imaginaient pas où elle pouvait être. « Je suis désolée de vous avoir plongées dans l'inquiétude, s'excusa la jeune fille en les rejoignant. Je suis passée si vite d'une chose à l'autre qu'il ne m'est pas venu à l'idée de vous prévenir de mes intentions. » Dans leur joie de participer à la soirée avec deux danseurs sympathiques, Bess et Marion pardonnèrent à Alice le souci qu'elle leur avait causé. Elles s'empressèrent d'aller se changer. Ned, Bill et Jack s'installèrent au salon tandis qu'Alice réclamait son courrier à la réception. L'employé lui remit deux enveloppes, dont l'une portait l'entête de l'hôtel. Alice devina aussitôt qu'elle était de Mortimer Bartescol. Elle l'ouvrit et lut ce qui suit : « J'ai gagné la compétition de golf aujourd'hui et souhaite que la pluie ne vous ait pas fait perdre la finale. Des affaires importantes m'obligent à m'absenter. J'espère être de retour avant votre départ pour River City. » « Des affaires importantes ? répéta intérieurement la jeune fille en glissant la lettre dans une de ses poches. Concerneraient-elles Margaret Judson ?»

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Quand elle ouvrit la seconde lettre, quelle ne fut pas sa surprise en déchiffrant la signature : Margaret Judson. « Je viens d'apprendre que vous souhaiteriez me voir, écrivait la jeune fille. Ayez l'obligeance de m'en indiquer la raison par écrit et de déposer votre réponse avant neuf heures dans la main de la statue qui orne la fontaine. Margaret Judson. » Alice relut plusieurs fois le message, tant son contenu la déconcertait, puis elle s'adressa au réceptionniste. « Savez-vous qui a apporté cette lettre ? — Je n'étais pas de service, mademoiselle. » Était-ce Mortimer Bartescol ? Impossible d'en avoir la confirmation avant le lendemain, quand l'employé de jour reviendrait. Alice rejoignit Ned et lui montra le singulier message. « Seul, Mortimer Bartescol a pu prévenir Mlle Judson. — C'est vraisemblable. Quoi qu'il en soit, ton intuition ne t'a pas trompée. Avant la fin de la soirée, tu t'entretiendras avec cette jeune fille. — Je te l'avais bien dit, fit Alice en riant gaiement. Ned, allons nous promener dans le jardin. Je ne sais pas quelle statue Mlle Judson a voulu désigner. — Sans doute la grande, celle qui se trouve derrière l'hôtel. N'est-ce pas la seule aux pieds de laquelle il y a une fontaine ? » Alice acquiesça en silence. Sans paraître s'intéresser à ce qui se passait autour d'eux, les deux jeunes gens marchèrent lentement dans les allées. Comme par hasard, ils s'arrêtèrent près de la fontaine, feignant d'observer les ébats des poissons rouges. « Tu vas te mouiller les pieds en déposant ta réponse dans la main de la statue, fit Ned, amusé. As-tu l'intention de te conformer aux directives de cette mystérieuse demoiselle, Alice ? — Pas exactement. Je compte mettre une feuille blanche dans une enveloppe. J'écrirais bien quelques mots, mais je ne suis pas certaine que la lettre soit de Margaret Judson. — Tu penses qu'il s'agit d'une ruse ? — C'est possible. J'aimerais comparer la signature avec celle de la photographie offerte à M. Haley, malheureusement je n'ai pas le temps d'aller jusqu'à la cabane. » Ned jeta un regard à son bracelet-montre.

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« Non, en effet. Il est déjà près de neuf heures. — Il faut faire vite. Je vais chercher une feuille de papier et une enveloppe. Attends-moi ici, Ned. » Elle courut à l'hôtel et revint bientôt, tenant l'enveloppe. Ils s'assirent tous deux sur un banc proche et attendirent que le parc fût désert. Alors, Ned se pencha par-dessus la vasque pour atteindre la main de la statue et y glisser l'enveloppe. « Faisons semblant de rentrer à l'hôtel, chuchota Alice. Ensuite, nous retournerons sur nos pas sans être vus et nous surveillerons la fontaine. » Ils prirent le chemin de l'hôtel, traversèrent le vestibule d'entrée et ressortirent par une petite porte donnant par-derrière. Sans bruit, ils gagnèrent un banc isolé de la fontaine par de hauts buissons et attendirent. Neuf heures sonnèrent. Toujours rien. Des notes de musique parvenaient jusqu'à eux. La soirée battait son plein. « Je peux attendre seule, proposa Alice en voyant son compagnon lancer des regards nostalgiques vers les salons brillamment éclairés. Ne préfères-tu pas danser ? — Pas question. Je reste avec toi », dit-il. Neuf heures trente... Personne ne venait retirer la lettre. Peu avant dix heures, un couple s'approcha de la fontaine ; après avoir contemplé les poissons quelques minutes en bavardant, il repartit. « Il est inutile d'attendre davantage, déclara enfin Alice. Nous avons déjà perdu une heure. — Laisse-moi de sentinelle ici et va te distraire, suggéra Ned. — Non, non et non ! répondit Alice. D'ailleurs, cela ne servirait à rien. Veux-tu me rendre un autre service ? — Pourquoi le demander, tu connais la réponse d'avance. — C'est vrai. Voudrais-tu me conduire en voiture à l'hôtel Hemlock ? — Volontiers. La nuit est si belle qu'une promenade au clair de lune me sourit beaucoup plus qu'une valse ou tout autre danse. » La jeune fille était parvenue à la conclusion .qu'elle n'avait aucune chance de rencontrer Margaret Judson à l'hôtel du Chamois. L'auteur du message remis par le réceptionniste devait être Mortimer Bartescol, persuadé d'obtenir par ce moyen des renseignements sur les intentions d'Alice.

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« N'as-tu pas déjà cherché Margaret Judson dans le voisinage de l'hôtel Hemlock ? demanda Ned tandis qu'ils roulaient vers cette destination. — Oui, plusieurs fois, mais ce soir il m'est venu une nouvelle idée. N'aurait-elle pas loué une villa dans les alentours ? Je voudrais interroger des agents immobiliers. — A quoi songes-tu ? Les bureaux sont fermés à cette heure. — Je le sais. Tant pis, nous irons à leur domicile. Il faut que j'aie un entretien avec Mlle Judson ce soir même. — C'est bon. Nous remuerons ciel et terre, promit le jeune homme, jusqu'à l'aube, si tu l'exiges. » Forts de cette résolution, décidés à ne pas se laisser abattre par le premier échec, les deux jeunes gens se rendirent d'abord à l'hôtel Hemlock, où on leur confirma que Mlle Judson devait habiter dans les environs car elle venait parfois chercher son courrier. De là, ils allèrent à Mapleton, petite ville proche de l'hôtel. Ils entreprirent la tournée des divers agents immobiliers. Seule une volonté farouche les soutint et les aida à mener leur enquête jusqu'au bout. Enfin, le

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dernier agent immobilier leur fournit une réponse intéressante « Ce matin même, dit-il, j'ai loué une maison meublée à une jeune fille. Elle s'appelle, il me semble, Judson. Toutefois, je ne saurais l'affirmer sans avoir consulté mon dossier. » Il prit un classeur, le feuilleta, en tira un document et, après l'avoir étudié, déclara : « Ma mémoire ne me trompait pas. J'ai loué la maison sise au 506 de la rue Elmwood à une certaine Margaret Judson. » Alice remercia et s'empressa de remonter en voiture avec Ned. L'agent immobilier leur avait indiqué le chemin à suivre, aussi n'eurent-ils aucune difficulté à trouver la grande maison blanche portant le numéro 506. Hélas ! Elle était plongée dans l'obscurité. « Mlle Judson doit être couchée, suggéra Ned, en garant la voiture le long du trottoir d'en face. — Je pense plutôt qu'elle n'a pas encore emménagé. — Nous ne pouvons plus faire grand-chose ce soir. Si tu veux, je vais sonner, mais il y a de fortes chances pour que personne ne réponde. » Il posa la main sur la poignée de la portière. Alice arrêta son geste. 145

« Attends ! » ordonna-t-elle d'une voix tendue. Une voiture, phares allumés, descendait lentement la rue. La conductrice semblait chercher une maison. Arrivée devant le numéro 506 elle ralentit encore, tourna et franchit la grille du jardin, restée ouverte. « Ce doit être Mlle Judson, dit Alice, au comble de l'agitation. Laissons-la entrer dans la maison, ensuite nous sonnerons ! » Ils virent une silhouette sombre descendre de voiture et s'engouffrer dans la maison par une porte de côté. Presque aussitôt le rez-de-chaussée s'éclaira. Les volets furent baissés. « Allons-y ! » dit Alice, que l'impatience gagnait. Ils traversèrent la rue, gravirent les marches du perron et appuyèrent sur un bouton électrique. Des pas se firent entendre. « Elle vient, chuchota Alice. Surtout, pas un mot concernant la véritable raison de notre visite ; j'en inventerai une au besoin. » La porte s'ouvrit et la jeune fille qu'Alice avait croisée à l'hôtel Hemlock apparut sur le seuil. Croyant qu'il s'agissait de rôdeurs, elle s'apprêtait à leur refermer brutalement la porte au nez quand un souvenir effleura sa mémoire. « Nous nous sommes rencontrées, je crois, à l'hôtel Hemlock. Entrez, je vous prie, et veuillez excuser le désordre qui m'entoure. Que puis-je pour vous ? — Vous êtes bien Margaret Judson, n'est-ce pas ? commença Alice en s'asseyant sur le fauteuil que lui désignait la maîtresse de maison. — Oui, répondit Mlle Judson en souriant. — J'ai à vous communiquer des nouvelles qui vous attristeront, poursuivit Alice. Arrivée depuis peu à l'hôtel du Chamois j'ai fait la connaissance d'un homme âgé, employé autrefois par vos parents. Serait-ce Joe Haley ? demanda la jeune fille. Comment va-t-il’ Pas bien du tout. Blessé accidentellement, il y a quelques jours, par l'explosion de son fusil de chasse, il n'a repris conscience qu'hier. Votre nom revenait sans cesse sur ses lèvres et il vous réclame. — Pauvre vieil ami ! s'écria Margaret Judson. A quel hôpital est-il ? Je veux le voir. — Il est toujours dans sa cabane, au milieu des bois, expliqua Alice. Le médecin ne l'avait pas jugé transportable.

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— Je pars tout de suite. Où ai-je posé mon sac ? » Dans son émotion, elle ne réussissait pas à le trouver. Ned le lui tendit. « Non, je ne peux pas y aller, murmura-t-elle. C'est impossible ! — Pourquoi ? demanda gentiment Alice. Il a besoin de vous. — Vous ne pouvez pas comprendre... reprit Margaret Judson, j'ai peur de rencontrer quelqu'un à son chevet. — Norbert Wardell ? » demanda Alice. Bouleversée, Margaret Judson se jeta sur un divan ; le visage enfoui dans ses mains, elle se mit à sangloter. «Oui... Comment pourrais-je le regarder en face? C'est affreux d'être un objet de mépris. Non, non, je ne l'ai pas volé ! »

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CHAPITRE XXII UNE FÂCHEUSE MÉPRISE le moins du monde que Ned et Alice poursuivaient une enquête à plusieurs kilomètres d'elles, Marion et Bess passaient des heures très agréables en compagnie de leurs cavaliers. « Hélas ! La soirée touche à sa fin, dit Bess avec un soupir de regret. — Oui, fit Marion, et je commence à m'inquiéter. Où peuvent bien être Alice et Ned ? — En effet, ils se sont volatilisés, intervint Bill. Ned était pourtant si heureux de se dégourdir enfin les jambes au son d'un orchestre. SANS SE DOUTER

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— Ils seront allés prendre le frais dans le parc, suggéra Jack. Partons à leur recherche. » A ce moment, un jeune chasseur s'approcha de Marion. « On vous demande au téléphone, mademoiselle Webb, dit-il. — Qui peut bien m'appeler à une heure aussi tardive ? s'étonna la jeune fille. Ce ne peut être qu'Alice, ou encore maman. » C'était sa mère. Mme Webb s'ennuyait de sa fille et, pour le simple plaisir d'entendre sa voix, elle lui téléphonait de River City. Une chaude affection liait Marion et sa mère. Ce fut avec une profonde tendresse que la jeune fille lui raconta par le menu ses faits et gestes. « Nous nous amusons beaucoup, tu sais, dit-elle en conclusion. Pardonne-moi d'écrire si peu... je ne vois pas les heures passer. — Je te comprends, répondit Mme Webb en riant. A vrai dire, quand tu écris peu, cela me rassure, j'en déduis que tu voles d'une distraction à l'autre ; là où les choses se gâtent c'est lorsque les lettres se mettent à affluer, je devine alors que, ton moral étant au plus bas, tu viens chercher du réconfort auprès de ta vieille maman. — Qui m'en envoie aussitôt. Quelle merveilleuse maman j'ai, indulgente, compréhensive et toujours de bonne humeur ! Comment va papa ? — Il a, comme d'habitude, bon pied, bon œil et pratique avec entrain le tennis, ce qui le distrait des soucis propres à son métier. Au fait, un des chatons est tombé malade, je ne sais pas si... » A ce point, Marion perdit le fil de la conversation parce que, dans la cabine voisine, la voix excitée d'un homme criait dans le micro: « Cet individu était donc un faussaire. Il a pris la fuite ! Quel coup !... Comment aurais-je pu le deviner?... Non, non, il avait de très bonnes références... » « M'entends-tu ? demandait Mme Webb. Ton chaton préféré est... — Oui, oui, je suis contente », répondit Marion, l'esprit occupé par les paroles qui lui parvenaient à travers la cloison. « Les B.A.R. se ressemblent ? entendit-elle l'homme demander... Et vous dites que les M et les T aussi ?... Oui... je suis d'accord... Oui, oui... cela devrait suffire à le confondre. »

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Marion réfléchit à toute vitesse. Sans aucun doute, les lettres B.A.R. formaient la première syllabe du nom Bartescol tandis que le M représentait la première lettre de son prénom. L'homme était un faussaire, Alice l'avait deviné. L'occupant de la cabine téléphonique devait appartenir à la direction de l'hôtel. La voix exaspérée de Mme Webb parvint à l'oreille de sa fille. « Enfin, Marion, qu'est-ce qui te prend ? Tu es contente que ton chat soit malade ? — Oui... pardon, je veux dire non... balbutia Marion. Je t'écoute, maman chérie, mais il se passe quelque chose de grave non loin de moi. Je te rappellerai un peu plus tard, en attendant je t'embrasse... » Elle raccrocha et sortit précipitamment de la cabine. Son voisin était déjà parti. Impossible de le questionner ni même de savoir qui il était. « Il faut que je prévienne Alice tout de suite, se dit-elle. Où estelle ? » Une rapide inspection des salles du rez-de-chaussée et du jardin lui confirma que son amie n'était ni dans l'hôtel ni dans le voisinage immédiat. Sans se décourager, elle rentra au salon et entraîna Bess à l'écart. « Je viens de faire une découverte importante, lui dit-elle. Comme Alice le soupçonnait, Mortimer Bartescol est un faussaire. La direction de l'hôtel le recherche. — Rien d'étonnant à ce qu'il ait pris la fuite ! s'exclama Bess, indignée. A présent, il est à des kilomètres d'ici. — Je le crains. Mais ne joue-t-il pas en finale demain ? Viens avec moi jusqu'à la maison des caddies, nous regarderons si ses clubs y sont encore. Prétentieux comme il l'est, l'idée ne l'effleure peut-être pas que la police puisse être plus fine que lui. — Hum ! Hum ! J'en doute. Il est loin d'être bête. — Possible. Viens tout de même. Cela ne nous prendra pas plus de cinq minutes. » La lune brillait haut dans le ciel. Les jeunes filles traversèrent la pelouse et s'approchèrent de la petite maison. « Quelle malchance ! s'écria Marion en constatant que la porte était fermée à clef. Tant pis, nous n'y pouvons rien ! »

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Elles revenaient vers l'hôtel quand Bess vit quelque chose briller dans l'herbe. Elle se pencha et ramassa un trousseau de clefs. « Portons-le à la réception, dit-elle en le glissant dans sa poche. Nous ferons un heureux. » Elles s'engagèrent dans une allée menant à l'hôtel. Tout à coup, Marion arrêta sa cousine par le bras. « Bess, regarde la statue, celle de la fontaine ! — Mortimer Bartescol ! — Que fait-il là ? Il ne vole quand même pas les poissons rouges ! » Elles se dissimulèrent derrière des buissons et avancèrent sans bruit. A leur grande stupeur, elles le virent se hausser sur la pointe des pieds, se pencher au travers de la vasque et enlever un objet blanc de la main de la statue. « Qu'a-t-il pris ? murmura Bess. — Sans doute une lettre déposée par un complice, répondit Marion à mi-voix. Vite, Bess, emparons-nous de cet homme... c'est un faussaire, traqué par la police.

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— A nous deux, nous n'y réussirons pas. Ce serait pure folie ! — Aussi, je n'y songe pas. Demandons à Bill et à Jack de nous aider. Il n'y a pas une seconde à perdre. Dépêche-toi ! » Les deux cousines rejoignirent leurs danseurs au salon. Dans leur agitation, elles résumèrent l'histoire plutôt mal que bien. Toujours prêts à se lancer dans des aventures, Jack et Bill se déclarèrent impatients d'agir. « Ne serait-il pas plus sage de prévenir la direction ? » dit Bess. Les étudiants secouèrent la tête avec énergie. « Nous sommes parfaitement capables de nous débrouiller seuls avec cet individu, affirmèrent-ils. Donnons-lui la chasse ! » Ils s'avancèrent sans bruit vers la fontaine. Mortimer examinait la feuille de papier qu'il tenait à la main. Ils l'entendirent marmonner entre ses dents, puis froisser le papier et le jeter avec colère dans la vasque. « Profitons de l'occasion ! murmura Jack. Glissons-nous derrière lui et saisissons-le par les bras. » Les deux étudiants se faufilèrent à l'abri des buissons, mais la lune éclairait comme en plein jour. Mortimer Bartescol tourna la tête et les surprit. Alarmé, il poussa un cri et se mit à courir. « Ne le laissez pas échapper ! » ordonna Bill. Champion universitaire de course à pied, il s'élança, rattrapa Mortimer près de la maison des caddies et le plaqua au sol. Jack et les jeunes filles se placèrent de façon à interdire toute tentative de fuite. « Qu'est-ce que cela signifie ? vociféra Mortimer en les reconnaissant. Lâchez-moi. — Non. Nous ne vous remettrons qu'entre les mains des policiers, ignoble faussaire ! répliqua Bill. — Faussaire, moi ! protesta Bartescol. Je n'ai jamais fait un faux de ma vie ! Lâchez-moi, sinon vous vous en repentirez. » Sans s'inquiéter de ses dénégations, Bill et Jack voulurent l'emmener. A leur vive stupeur, ils découvrirent que leur adversaire ne manquait ni de force ni d'agilité. Voyant qu'ils s'épuisaient dans cette lutte, Bess eut une soudaine inspiration ; elle courut à la porte de la maison des caddies et

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essaya les clefs qu'elle avait ramassées peu auparavant. L'une d'elles tourna dans la serrure. Les étudiants jetèrent sans ménagement leur prisonnier à l'intérieur et refermèrent la porte à clef. Tandis que les jeunes filles allaient mettre la direction de l'hôtel au courant de cette arrestation mouvementée, Bill et Jack montèrent la garde. « Laissez-moi sortir ! criait Bartescol de toute la force de ses poumons. Vous n'avez pas le droit de me retenir ici. Ouvrez-moi. Que me reprochez-vous ? — Des quantités de choses ! répondit Jack à travers les barreaux de la fenêtre. Pour commencer, vous êtes un faussaire doublé d'un voleur. — Vous avez spolié de leurs biens des veuves et des orphelins, renchérit Bill au hasard. Vous vous êtes introduit par effraction dans plusieurs demeures. Estimez-vous heureux si vous vous en tirez avec une sentence d'emprisonnement à vie. — Je suis victime d'une erreur monstrueuse, gémit le malheureux. Qu'on aille me chercher un avocat. — Vous présenterez cette requête au commissaire de police, répondit Bill d'un ton sévère. Patientez, il ne saurait tarder. » Entre-temps, Bess et Marion avaient fait irruption dans le bureau du gérant de l'hôtel. « Venez vite ! cria Marion. Nous avons capturé votre faussaire ! — Que dites-vous ? fit le gérant, interloqué. Vous avez arrêté notre homme ! — Oui... il est dans la maison des caddies ! » L'agitation de Bess était telle qu'elle se mit à bégayer. « Sui... sui... suivez-nous. » Triomphantes, les deux cousines conduisirent le gérant à la prison improvisée. Le calme y régnait enfin, Mortimer Bartescol s'étant résigné, non sans avoir, au préalable, tenté de convaincre les étudiants de son innocence. Bess ouvrit la porte et le gérant passa avec précaution la tête à l'intérieur. « Sortez ! et plus vite que cela ! ordonna-t-il, ou j'appelle la police ! » Ebouriffé, les vêtements en désordre, mais n'ayant rien perdu de

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sa morgue, Mortimer Bartescol s'avança. Il foudroya du regard les deux cousines avant de s'adresser avec hauteur au gérant effondré. « Monsieur, j'exige des explications. Jamais, de toute ma vie, je n'ai été soumis à pareil traitement. Soyez assuré que je porterai cette affaire devant les tribunaux. » Le gérant semblait pétrifié. Les yeux écarquillés, la bouche à demi ouverte, il ne soufflait mot. Enfin, il réussit à murmurer : « C'est une terrible méprise, monsieur Bartescol, une terrible méprise... — Une méprise ! coupa Marion, indignée. Cet homme est un faussaire. Je vous l'ai entendu dire tout à l'heure dans la cabine téléphonique. Ou, du moins, il m'a semblé que c'était vous qui parliez. — Oui, oui, je me souviens de la conversation. Il ne s'agissait pas de M. Mortimer Bartescol. — Mais les lettres : B - A - R ? — C'était pour Barney. Un de nos nouveaux cuisiniers, un certain Jennings, a signé un chèque de cent dollars au nom de Barney Martin, le chef des caddies. M. Bartescol n'a rien à voir dans l'affaire. — Quelle effroyable erreur j'ai commise ! s'écria Marion, confuse au-delà de toute expression. La faute en incombe un peu à M. Bartescol : pourquoi modifie-t-il sans cesse son écriture ? — Ce n'est pas un crime, que je sache, répondit froidement Mortimer. — Donnez-en la raison, je vous en prie, implora Bess. Cela nous permettrait de comprendre bien des choses qui restent obscures. — Si, un jour, je juge opportun de justifier ma conduite devant quelqu'un, ce sera devant Mlle Roy et devant elle seule », répliqua Mortimer. Se redressant de toute sa taille, il s'éloigna, suivi par le directeur qui se confondait en excuses. « Pour une gaffe, c'en est une ! fit Marion, l'air désemparé. Cela m'apprendra à me laisser emporter par mes antipathies. — Ne t'accable pas de reproches, dit Bess, je porte ma part de responsabilité. N'oublions pas non plus que ce déplaisant personnage a des explications à fournir.

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— Il faut retrouver Alice, reprit Marion. Si, par malchance, Bartescol disparaissait, nous ne connaîtrions jamais le pourquoi de son étrange comportement. »

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CHAPITRE XXIII L'INCENDIE échappées à Margaret Judson, Alice estima que le moment était venu d'obtenir le récit de ses épreuves. « Une accusation aurait-elle été portée contre vous ? dit-elle doucement. Et vous êtes innocente ? — Oui, certes. L'idée de m'emparer du bien d'autrui ne m'a jamais effleuré l'esprit. » D'une nature réservée, Margaret Judson parut gênée d'avoir laissé échapper des confidences. La gentillesse d'Alice finit par avoir raison de sa timidité et elle se mit à parler : APRÈS LES TRISTES PAROLES

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« Tout a commencé il y a plusieurs mois. Je revenais de l'étranger à bord d'un paquebot français. Au cours de la traversée, j'ai fait la connaissance d'une femme charmante, Mme Brownell. Nous sommes devenues amies. Je l'ai même invitée à passer quelques jours chez moi. — Près de l'hôtel du Chamois, intervint Alice. — Oui, dans le manoir hérité de mes parents. Mme Brownell a accepté mon invitation. Un soir, ayant appris qu'elle appréciait les beaux bijoux, j'ai ouvert le coffre-fort et j'en ai sorti un coffret contenant des bijoux de famille. Elle les a longuement admirés. Au lieu de les ranger, comme j'aurais dû le faire, dans le coffre-fort, j'ai placé le coffret dans un tiroir de ma commode. « Le même soir, alors que je m'apprêtais à me coucher, Mme Brownell est venue dans ma chambre ; elle voulait me montrer une minaudière en or, très joliment ciselé et rehaussée de pierres précieuses. C'était une véritable pièce de collection. Nous avons bavardé encore un long moment, puis elle est repartie, l'oubliant sur ma coiffeuse. — Vous ne l'avez pas rappelée pour la lui rendre ? demanda Alice. — Je ne me suis pas aperçue tout de suite de cet oubli. Après, il était trop tard, elle devait s'être endormie. J'ai donc préféré attendre le lendemain. Vous devinez sans peine la suite de l'histoire. — L'incendie s'est déclaré au cours de la nuit ? — Oui. On aurait dit que le feu avait pris partout à la fois. Quand je me suis réveillée, la fumée avait envahi ma chambre et les flammes s'élevaient dans la cage de l'escalier. J'ai couru appeler Mme Brownell, puis les serviteurs. Il était trop tard pour sauver quoi que ce fût, nous nous sommes enfuis par la terrasse du premier, en nous aidant de la vigne vierge. — Vous avez laissé le coffret ? — Non, je l'ai enveloppé dans un vêtement après y avoir enfermé la minaudière de Mme Brownell ; je n'ai rien pu emporter d'autre parce que le parquet de ma chambre s'effondrait déjà. Folle de terreur j'ai couru vers la cabane de Joe Haley. Hélas ! dans mon affolement, je me suis perdue. Plus tard, je me suis rappelé avoir

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basculé par-dessus le parapet du pont suspendu ; la suite est demeurée obscure dans ma mémoire. J'ai dû errer à travers bois avant de perdre connaissance. Quand j'ai repris conscience, j'étais transie, je claquais des dents. — Quelle terrible épreuve ! murmura Alice. — Jamais je ne l'oublierai, jamais ! » Margaret Judson resta silencieuse un moment puis elle continua son récit : « ... Je me suis relevée, j'ai regardé autour de moi, le ballot de vêtements était encore là mais le coffret de bijoux avec la minaudière avait disparu. — Avez-vous remarqué des empreintes de pas ? » demanda vivement Alice. Margaret Judson secoua la tête. « J'étais trop bouleversée pour m'en occuper. Tant bien que mal, en chancelant, la tête lourde, j'ai gagné la cabane de M. Haley. Je l'ai mis au courant de la catastrophe et de la disparition des bijoux, le suppliant de m'aider à les retrouver. Il me l'a promis. — Ces bijoux avaient-ils une grande valeur ? intervint Ned. — Oui, il s'agissait pour la plupart de pièces de très grand prix. Je tenais surtout à l'une d'elles : ma bague de fiançailles. Quant à la minaudière de Mme Brownell, elle représentait une petite fortune. — Selon elle ? demanda Alice avec un sourire. — Oui. Elle valait plus de trois mille dollars, a-t-elle affirmé. Et elle m'a tenue pour responsable de la perte subie par elle. — Comment a-t-elle osé le faire ? demanda Ned. C'est sa faute, et non la vôtre, si elle a oublié sa minaudière sur votre coiffeuse. — Vous n'auriez peut-être pas dû lui révéler que vous l'aviez sauvée de l'incendie, ajouta Alice. — Je ne le lui ai pas dit, confessa Margaret Judson. Elle ne m'en a même pas donné l'occasion. Je ne sais comment elle a surpris ma conversation avec Joe Haley. Elle a aussitôt exigé que je lui rende son bien ou que je lui remette trois mille dollars. — Curieuse manière d'exprimer sa reconnaissance. Sans vous,

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elle aurait été brûlée vive, reprit Ned, indigné. A votre place, je lui aurais dit de chercher sa minaudière elle-même. — Elle s'était toujours montrée si charmante ! reprit Margaret Judson. J'ignorais sa véritable nature. Elle m'a menacée de porter plainte contre moi. J'aurais volontiers payé les trois mille dollars, hélas ! je ne les possédais plus. A part quelques hectares de terre, il ne me reste rien. — Aucun tribunal n'aurait fait droit à sa requête, dit Alice. Elle a voulu vous effrayer. — Elle n'aurait pas pu me faire arrêter, dites-vous ? Vous en êtes sûre, s'écria Margaret. — Oui, tout à fait sûre. — Mais elle aurait prétendu que j'avais caché délibérément le coffret et la minaudière. — Peu importe. N'oubliez pas qu'en l'absence de preuves, aucune accusation ne peut être retenue. Pourquoi n'avez-vous pas consulté un homme de loi, il vous l'aurait dit ! — Oui, oui... vous avez raison. J'étais dans un tel désarroi 159

que je n'ai pas réfléchi. En proie à un atroce désespoir, je me suis enfuie et j'ai pris un emploi à Chicago. Je n'en suis revenue que depuis peu. — En fuyant vous confirmiez votre culpabilité, intervint Ned. C'était ce que vous pouviez faire de pire. — J'ai agi impulsivement. Tous mes espoirs reposaient sur Joe Haley, il ne pouvait manquer de retrouver le coffret, me disais-je. Les mois se sont écoulés, ses recherches ont été vaines. — Peut-être pas », dit tranquillement Alice. La jeune fille ne parut pas l'entendre. D'une voix monocorde, elle poursuivit : « Depuis ce jour, Mme Brownell ne cesse de me harceler. Quand elle ne vient pas elle-même, elle envoie une amie. — Une amie ? demanda vivement Alice. — Oui. Une femme qui me suit partout où je vais. Elle me réclame de l'argent, me menace de me démasquer devant mes amis et la police. Je n'en peux plus, mademoiselle Roy — je préférerais être morte plutôt que de subir ce perpétuel tourment. — Vos épreuves vont se terminer, dit Alice avec une gentillesse venant du cœur. Votre coffret a été retrouvé. » Margaret Judson bondit du divan et, la voix tremblante, demanda: « C'est Joe Haley qui l'a retrouvé ? — Non, il est venu entre mes mains par hasard, expliqua Alice. Décrivez-le-moi, s'il vous plaît. — Il est en bronze ciselé, le dessin en est très beau. Attendez je vais l'esquisser de mon mieux. » Elle prit une feuille de papier, un crayon et, au bout d'un moment, tendit à Alice un croquis. « Oui, c'est bien celui que j'ai trouvé, dit Alice, convaincue. — Contenait-il la minaudière ? demanda Margaret Judson avec angoisse. — Oui, et la bague de diamant à laquelle vous avez fait allusion. Je crois que vos bijoux sont au complet. — Comment pourrais-je assez vous remercier ? Enfin, je peux aller chez mon vieil ami et... revoir Norbert.

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— Permettez-moi de vous conduire auprès de Joe Haley, proposa Alice. Il sera si heureux ! » Durant le trajet, Alice répondit aux questions que lui posait Margaret, impatiente de savoir où et comment le coffret avait été découvert. « L'ai-je laissé tomber dans le ravin en franchissant le pont la nuit de l'incendie ? fit-elle, songeuse. Pourtant, je n'en garde aucun souvenir. — Il est possible qu'il ait glissé du ballot de vêtements dans lequel vous l'aviez mis, suggéra Alice. Il était profondément enfoui dans la vase. » Laissant la voiture à l'orée du bois, les trois jeunes gens suivirent la piste aboutissant à la cabane. Bientôt, ils entendirent des voix masculines. Sans doute l'avocat s'entretenait-il avec M. Haley. Alice s'en réjouit ; n'était-ce pas une preuve que le malade reprenait des forces ? Alerté par le bruit de leurs pas, M. Roy apparut sur le seuil. Par la porte ouverte, Alice entrevit un visiteur. Elle jeta un rapide coup d'œil à Margaret Judson. Un peu en retrait, se tenait Norbert Wardell.

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CHAPITRE XXIV LA JOIE RENAÎT ne vit pas tout de suite son ex-fiancé. Sur le seuil, elle s'arrêta, clignant des yeux sous la lumière, puis son regard croisa celui de Norbert. Pendant un bref moment, ni l'un ni l'autre ne put prononcer un mot. Un silence embarrassé s'établit. Alice, ellemême, ne savait que dire ni que faire pour détendre l'atmosphère lourde d'émotion contenue. Enfin, Norbert Wardell fit un pas vers la jeune fille. « Margaret ! murmura-t-il. — Norbert ! » Avec un léger sanglot, elle se jeta dans ses bras ouverts. « Comme tu m'as manqué ! dit-elle. Pardonne-moi de m'être enfuie, cela n'a été qu'une terrible, une effroyable méprise. » MARGARET JUDSON

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M. Roy, Alice et Ned sentirent qu'ils n'avaient pas le droit d'assister à cette rencontre. Ils se retirèrent sans bruit, dans la chambre du malade. « Laissons-les s'expliquer, chuchota Alice à l'oreille de son père. Tout va s'arranger, j'en suis sûre. — Réunir deux fiancés est parfait, répondit M. Roy sur un ton grave, mais tu semblés oublier que Margaret Judson est sous le coup d'une accusation. Une mission m'a été confiée ; je n'ai pas le droit de permettre à mes sentiments personnels d'intervenir dans son accomplissement... » En riant, Alice posa la main sur la bouche de son père. « Plus un mot, monsieur l'avocat ; écoutez d'abord mon histoire. Margaret Judson est innocente. Elle m'a fourni tous les éclaircissements voulus. — Telle est du moins ton opinion... mais peut-être pas la mienne, répliqua M. Roy, une lueur amusée dans les yeux. A propos, Margaret Judson t'aurait-elle donné des éléments qui permettraient d'identifier les divers membres de la bande de voleurs ? — Oui et non. Tu en jugeras après m'avoir entendue. » Avec l'aide de Ned, qui intervenait par-ci par-là, rectifiant un détail, apportant une précision, Alice répéta ce que lui avait appris Margaret Judson. L'air impressionné de son père l'en récompensa. « Mme Brownell et sa mystérieuse amie me paraissent être des plus suspectes, dit-elle en terminant. Si elles étaient honnêtes, elles n'auraient pas tenté d'extorquer de l'argent à Margaret. » M. Roy approuva cette façon de voir. « Tu dois avoir raison parce que la minaudière a été volée chez un bijoutier. C'est ce que m'a révélé la police new-yorkaise. » Leur entretien tourna court : la porte s'ouvrit et Margaret Judson entra en compagnie de Norbert Wardell. Tous deux souriaient et ils n'eurent pas besoin d'annoncer leurs nouvelles fiançailles. « Vous avez été merveilleuse, dit la jeune fille en s'adressant à Alice. Demandez-moi ce que vous voulez... — Tout de suite, répondit Alice : parlez à mon père de

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Mme Brownell et de son amie. N'omettez aucun détail les concernant l'une et l'autre. — Avec plaisir. Je ne serai que trop heureuse de répondre à toutes les questions. » Comme elle achevait ces mots, M. Haley, qui jusqu'alors avait dormi paisiblement, commença de s'agiter. Bouleversée, Margaret s'approcha de lui et s'agenouilla à son chevet. « C'est vous, Margaret ? murmura-t-il. — Oui, c'est moi, mon fidèle ami. Guérissez vite. Faites-le pour moi, j'ai tant besoin de votre affection ! — Oui, oui, murmura le vieil homme en laissant errer son regard sur le joli visage penché vers lui. Je suis si heureux de vous revoir ! Hélas ! Malgré tous mes efforts, je n'ai pas encore retrouvé le coffret. — Peu importe, Joe, il l'a été par une autre personne. Ne vous tourmentez plus à ce sujet. Reposez-vous. » Avec un soupir de soulagement, le vieillard referma les paupières et se rendormit. Ned s'assit auprès de lui. M. Roy et Alice emmenèrent Margaret Judson dans la cuisine. Ils s'enquirent d'abord de Mme Brownell. Que savait-elle sur cette femme ? « Je n'ai aucune idée de ce qu'elle est devenue, répondit Margaret. Son amie a toujours refusé de me communiquer son adresse. Cette amie est venue me relancer, il y a quelques jours, à l'hôtel Hemlock où j'étais de passage. Elle est descendue, je crois, dans un hôtel de la station voisine. — Pourriez-vous prendre contact avec elle demain ? demanda M. Roy. — J'essaierai. » Elle avait prononcé ces mots avec une répugnance manifeste. Revoir cette femme ne lui souriait guère. M. Roy décida alors de la mettre dans la confidence. Il lui exposa un plan qu'il venait d'élaborer. Margaret Judson promit de l'aider dans toute la mesure de ses moyens. « Si vous réussissez à la joindre, annoncez-lui que vous avez retrouvé sa minaudière, dit M. Roy. Priez-la de venir la chercher ici, dans cette maison. — J'ai peur de rester en tête-à-tête avec elle, répondit Margaret.

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Je la crois capable de tout. Ici personne ne viendrait à mon secours. — Si vous le désirez, j'assisterai à l'entretien », proposa Alice. Mais une expression navrée se peignit sur son visage et elle ajouta : « Seigneur ! J'oubliais. Demain matin, je joue en finale. — Nous allons arranger cela, intervint Mr. Roy. Tu joueras l'après-midi. Le capitaine des jeux est un homme très accommodant. » Quelques minutes plus tard, Mlle Judson, son fiancé, Alice et M. Roy regagnèrent l'hôtel du Chamois par la route. « Décidément, te voilà condamné à être infirmier jusqu'à la fin des vacances, avait dit Alice à Ned en prenant congé de lui. — Ne t'en fais pas pour moi, avait répondu Ned. Les heures que nous venons de vivre comptent parmi les plus passionnantes de mes années d'étudiant. » A l'hôtel, Alice fut accueillie par un concert d'exclamations. Bess, Marion, Bill et Jack manifestaient ainsi leur soulagement de la revoir saine et sauve. Elle envoya Jack et Bill tenir compagnie à Ned et installa Margaret Judson dans une chambre proche de la sienne. « Si vous le permettez, j'aimerais vous poser une question, lui dit Alice après avoir échangé avec elle quelques menus propos. — Je vous en prie. De quoi s'agit-il ? — Je crains de vous paraître indiscrète, mais connaissez-vous bien Mortimer Bartescol, est-il un de vos amis ? — Non, répondit vivement Margaret. Je l'ai rencontré à bord du paquebot qui nous ramenait d'Europe et il ne m'inspire qu'une sympathie très relative. — L'avez-vous revu depuis ? — Non. Pourquoi ? — M. Bartescol a séjourné ici. Il prétendait être lié avec vous, ce dont je n'étais pas convaincue. — Mme Brownell le connaît, je crois. En tout cas, c'est elle qui me l'a présenté. — Pensez-vous que ce soit un honnête homme ? — Oui. Je n'ai pas entendu dire le contraire. »

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Les paupières de Margaret se fermaient. Comprenant qu'elle avait besoin de repos après tant d'émotions, Alice alla rejoindre Bess et Marion. Elles guettaient son arrivée avec impatience et n'attendirent pas qu'elle eût refermé la porte pour la bombarder de questions. Ensuite, elles lui racontèrent l'énorme bévue qu'elles avaient commise à rencontre de Mortimer Bartescol. « Ne te désole pas trop, Marion, dit Alice en riant de bon cœur. Tant pis pour cet insupportable personnage. Il voulait me jouer un tour, il en a été puni. — Je n'en persiste pas moins à le croire un escroc, insista Marion. Comment expliquer autrement ses multiples signatures ? — Je crois en connaître la raison. C'est un mauvais plaisant, rien d'autre. Demain, je tâcherai de le faire parler. » Le lendemain matin, Alice apprit avec joie que le capitaine des jeux avait reporté la finale à deux heures de l'après-midi. Cela lui donnait plus de temps qu'il n'en fallait pour accompagner Margaret Judson à l'hôtel Lincoln, où, supposait-elle, l'amie de Mme Brownell était descendue. « Elle se fait appeler Mme Marty, dit la jeune fille tandis qu'elle roulait aux côtés d'Alice dans la voiture de M. Roy. Ce ne doit pas être son vrai nom. » A la réception on leur apprit que Mme Marty occupait la chambre 115. Margaret Judson la fit prier de descendre dans le hall. Alice s'installa assez près pour entendre sans être vue. Quelques minutes plus tard, une femme sortait de l'ascenseur et allait droit à Margaret Judson. Alice reconnut en elle l'élégante touriste en robe imprimée qu'elle avait remarquée le soir du bal. L'entretien avec Margaret Judson fut bref. Mme Marty promit de se rendre immédiatement après le déjeuner à la cabane au milieu des bois et d'amener Mme Brownell avec elle. « Jusqu'ici, tout se déroule conformément au plan de papa, dit Alice en remontant en voiture. Pourvu que la finale de golf ne m'empêche pas d'assister au dénouement de cette affaire. — Si cela ne vous retarde pas trop, j'aimerais m'arrêter chez moi une minute, demanda Margaret. Je voudrais prendre quelques vêtements parce que je n'ai rien à me mettre. — Vous voulez ensorceler Norbert ? plaisanta Alice.

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— Oui, confessa la jeune fille en rougissant. Je suis si heureuse que je deviens coquette. — Vous avez raison ! approuva Alice. Vous verrez, tout se terminera comme nous l'espérons. » Le ton grave sur lequel ces mots avaient été prononcés inquiéta Margaret. « Vous semblez craindre un contretemps. On ne va pas m'arrêter? — Non, non, répondit vivement Alice, navrée d'avoir alarmé la jeune fille. — Je ne vois pas ce qui pourrait se mettre en travers de notre plan. » Alice garda le silence. Une inquiétude s'était glissée en elle ; si Mme Brownell concevait le moindre soupçon, elle ne viendrait pas au rendez-vous. La jeune détective ne formula pas sa pensée : Margaret n'avait-elle pas assez souffert ? Sitôt arrivées à l'hôtel, elles se rendirent à la salle à manger. Après un repas léger, Alice se hâta de rejoindre Mlle Howard au

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thé de départ. Sur la pelouse, elle croisa Mortimer Bartescol et comprit, rien qu'à voir son air fâché, qu'il venait de perdre la coupe hommes. « Comment cela s'est-il passé ? demanda-t-elle. — Mon adversaire a gagné, grommela Mortimer. C'est la faute de vos amies. Quelles jeunes sottes ! — En quoi sont-elles responsables de votre défaite ? — Bouleversé par l'incident de la nuit dernière, n'ayant pas dormi, j'ai joué comme une savate. — J'en suis navrée, répondit Alice. Une erreur est si vite commise. Ne leur gardez pas rancune, je vous en prie. » Elle voulut poursuivre son chemin. Vaine tentative, Mortimer Bartescol s'attacha à ses pas, visiblement désireux de lui parler. « Je leur ai dit hier soir que je vous expliquerais tout, à vous seule. — Oui ? fit Alice. — Dès le début de votre séjour ici, je me suis rendu compte que vous étiez Alice Roy. — Quoi de surprenant à cela. Je ne fais pas mystère de mon nom. — Vous me comprenez parfaitement. Vous êtes la célèbre détective Alice Roy. — Célèbre ? Hum ! hum ! Vous exagérez, je le crains. — Quoi qu'il en soit, j'ai décidé de m'amuser à vos dépens, poursuivit Bartescol, et j'ai réussi, n'est-ce pas ? — Pendant deux ou trois jours, j'en conviens, répondit froidement Alice. Très vite, à votre insu, j'ai soupçonné la vérité. — A cause de mon écriture ? — Oui, vous en changiez un peu trop souvent, la ruse était grossière, il m'a paru évident que vous cherchiez à me dérouter. — Je vous ai tout de même donné du fil à retordre. Voyez-vous, jeune collégien, je me suis découvert le talent d'imiter les écritures, alors c'est devenu un passe-temps. — Renoncez-y, je vous le conseille ; on ne sait jamais où cela peut mener. — Gardez pour d'autres vos grands airs, ricana Mortimer, ils ne m'impressionnent pas. Et maintenant, belle jeune fille, courez.

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Après votre match, venez célébrer votre victoire avec moi. Je vous offrirai un 2 B X Gardénia ! » Riant aux éclats de sa plaisanterie, il s'éloigna. « Non, je ne célébrerai ni victoire ni défaite avec lui, marmonna Alice, furieuse. Quel toupet ! J'espère bien ne jamais plus croiser sur ma route cet infernal prétentieux ! » La jeune fille était encore sous l'emprise de la colère quand la partie commença. De nombreux spectateurs assistaient à la dernière phase de cette finale. En leur for intérieur, tous donnaient Mlle Howard pour gagnante; en effet, elle avait l'avantage, lorsque l'orage avait éclaté. Or il ne restait plus que quatre trous à jouer. Et nul n'ignorait la foulure au poignet dont souffrait Alice. Fidèle au poste, Sammy portait le sac d'Alice. Soudain, sous l'effet d'une inspiration, elle lui demanda : « As-tu servi de caddie à M. Bartescol ? — Oui, mademoiselle, pourquoi ? » Sans attendre la réponse, il poursuivit : « II voulait toujours savoir où vous alliez. Je ne lui ai pas parlé de... de l'épouvantai!, acheva-t-il en s'esclaffant. — Que lui as-tu dit ? — Rien, sinon que vous vous intéressiez à Mlle Judson. » La conversation fut interrompue par l'arrivée d'un chasseur de l'hôtel. 11 tendit une enveloppe cachetée à la jeune fille. « Pour vous, mademoiselle », dit-il. Alice hésita d'abord à lire la lettre craignant qu'elle ne fût de Mortimer Bartescol. Enfin elle se décida et un large sourire éclaira son visage en lisant ces mots : « Bonne chance, ma chérie. Tout est prêt pour la venue de Mme Brownell. Tendresse. James Roy. »

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CHAPITRE XXV ADIEU AU FANTÔME ! était gentil ! Il avait deviné son inquiétude à l'approche d'un dénouement dont dépendait le bonheur de Margaret Judson. Ainsi songeait Alice, le sourire aux lèvres. Elle n'avait pas à se tourmenter, M. Roy n'omettrait pas le plus petit détail susceptible de permettre l'arrestation de la femme qui, selon toute apparence, faisait partie du réseau de voleurs internationaux. « En ce moment, se dit Alice, ses communications téléphoniques sont enregistrées, ses allées et venues surveillées. Si elle COMME SON PÈRE

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réclame la minaudière, les preuves seront complètes. Je peux me concentrer sur le jeu sans la moindre arrière-pensée. » En effet, James Roy avait envoyé un télégramme aux inspecteurs de New York les priant d'expédier par avion la minaudière volée. Il se trouvait en ce moment même à l'aéroport pour en prendre livraison. A la surprise de tous — et d'elle-même —, Alice gagna la coupe par un point. Avec beaucoup d'élégance, son adversaire tint à être la première à la féliciter, aux applaudissements des spectateurs enthousiasmés par la façon de jouer de l'une comme de l'autre. Marion et Bess étaient aux anges. « Je savais que tu gagnerais ! s'écria Bess. Tu as été formidable ! — Et tu étais la plus jeune des concurrentes ! Bravo ! » renchérit Marion. Alice reçut la coupe des mains du président. Puis elle entraîna ses amies à l'écart. « Pourriez-vous me rendre un service ? demanda-t-elle. — N'importe quoi. Nous consentirions à cirer les chaussures d'une aussi grande championne, plaisanta Marion. — Sois sérieuse, dit Alice, je voudrais que vous emportiez cette coupe dans ma chambre. J'ai un rendez-vous urgent. — A la cabane ? demanda Marion en prenant le trophée des mains de son amie. — Oui et il faut que je me dépêche. » Tout en courant à travers le bois, Alice se surprit à penser à la photographie de l'enfant placée à l'intérieur de la minaudière. Certes, Mme Brownell avait mérité le sort qui l'attendait, mais ne serait-il pas injuste de mêler sa fille à cette affaire ? Elle approcha sans bruit de la cabane. Le silence le plus complet régnait. Elle ouvrit la porte. James Roy sursauta, puis éclata de rire à la vue de sa fille. « J'ai cru que c'était Mme Brownell ! — Je suis donc à l'heure. Elle n'est pas encore venue ? — Non, mais elle ne saurait tarder... si elle vient. — Et les policiers ? Où sont-ils ? — Ils bloquent les routes autour de son hôtel. Si elle changeait

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d'idée ou tentait de fuir après que nous l'aurons confondue, elle trouverait les voies coupées. — Tu es convaincu de sa culpabilité maintenant ? — Oui. Ses conversations téléphoniques ont été enregistrées ; l'une d'elles entraînerait un verdict sévère de la part du plus indulgent des jurys. Toutefois, il convient que Margaret Judson l'identifie d'une façon irréfutable. — Et si Mme Brownell ne vient pas ? — Son désir de rentrer en possession de la minaudière sera plus fort que sa méfiance. » Sur le conseil de M. Roy, Margaret Judson s'assit dans l'embrasure de la fenêtre de la cuisine. Lui-même et Alice se cachèrent dans un grand placard d'où ils entendraient tout sans être vus. Un quart d'heure s'écoula. Alice et son père souffraient d'être ainsi claquemurés. L'air pur leur manquait. Soudain, Margaret chuchota : « Voilà Mme Brownell — l'autre femme est avec elle. — Gardez votre calme, commanda M. Roy, suivez mes instructions à la lettre. » La porte s'ouvrit et les deux femmes entrèrent. S'étant assurées que Margaret Judson était seule, elles allèrent droit au but. « Je suis pressée, dit Mme Brownell. Mon amie, ici présente, m'a prévenue que vous aviez retrouvé la minaudière. Remettez-la-moi immédiatement. — Une minute, s'il vous plaît, répondit Margaret, comment puis-je savoir si c'est bien la vôtre ? Je le crois, mais j'ai besoin d'une preuve. — Montrez-la », ordonna Mme Brownell. Margaret sortit la minaudière de son sac et la lui tendit. « C'est bien la mienne, dit Mme Brownell. — Vous en êtes sûre ? — Puisque je vous le dis, répliqua Mme Brownell avec impatience. Si vous y tenez, voilà ! » Soulevant le couvercle, elle posa l'index sur la photo qui avait attiré l'attention d'Alice. « C'est ma fille. Hélas ! On ne distingue plus guère ses traits »

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James Roy et Alice sortirent du placard et encadrèrent les deux femmes. « Merci beaucoup, madame, dit l'avocat. Vous venez de nous fournir la preuve qui nous manquait : cette minaudière a été volée. — Qu'est-ce que cela signifie ? cria Mme Brownell en reculant d'un pas. Cet objet m'appartient et, s'il a été volé, c'est par Margaret Judson, ici présente. — Calmez-vous, madame. Cette minaudière vous a été offerte par un voleur faisant partie d'une bande internationale dont les méfaits sont connus, poursuivit l'avocat. Sans doute, en récompense de vos loyaux services. A quoi bon continuer, je ne vous apprends rien. » Mme Brownell regarda M. Roy ; comprenant qu'il ne bluffait pas, elle se rua vers la porte. Plus prompt qu'elle, l'avocat la devança. Sur ces entrefaites, un policier apparut sur le seuil, interdisant toute fuite. « Vous feriez mieux de passer aux aveux, dit M. Roy en obligeant Mme Brownell à s'asseoir sur une chaise. La justice vous tiendra compte de vos révélations. — Oui, c'est vrai, la minaudière provient d'un vol, reconnut Mme Brownell après une longue hésitation. Pour mon malheur, j'ai fait la connaissance d'un homme très séduisant qui m'a invitée à travailler avec lui. Au début, j'ai cru qu'il s'agissait d'un emploi honnête : vendre des articles d'exportation à des clients dont la liste me fut remise. J'ai accepté cette minaudière en paiement de mes services. » Mme Brownell se tut un moment, puis elle reprit : « Par la suite, j'ai reçu d'autres présents. Lorsque j'ai soupçonné la vérité, il était trop tard, je me trouvais prise dans l'engrenage. Bien des fois, j'ai cependant tenté de me dégager. En vain. J'étais compromise et ils menaçaient de me dénoncer à la police. — Me direz-vous les noms des personnes avec lesquelles vous étiez en rapport ? » Mme Brownell tourna un regard accusateur vers sa compagne, dont les yeux lancèrent des éclairs. « Ah ! non, n'essayez pas de m'entraîner dans cette sale

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histoire ! protesta-t-elle. Si j'ai commis une faute, la seule, c'est de vous avoir accordé mon amitié. — Inutile de jouer la grande scène tragique, intervint M. Roy. Votre ligne téléphonique est reliée à la table d'écoute depuis hier soir, nous savons tout. — Je répondrai à vos questions, reprit Mme Brownell, mais à une condition. — Laquelle ? demanda l'avocat. — Que ma petite fille ne soit pas mêlée à cette sordide affaire. Elle est pensionnaire à Paris et elle a en moi une confiance aveugle. Laissez-la ignorer ce qu'il adviendra de sa mère. — Si cela dépend uniquement de moi, elle n'apprendra pas votre arrestation, promit M. Roy gravement. Comme je vous l'ai dit, le tribunal se montrera indulgent à votre égard si vous ne cachez rien. — Je vous le promets », répondit Mme Brownell. Un policier connaissant la sténographie proposa de transcrire ses aveux tandis que M. Roy l'interrogerait. Mme Brownell nomma les divers membres du réseau de voleurs et contrebandiers. Quand elle eut achevé, M. Roy lui demanda encore. « Est-ce vous qui avez mis le feu au manoir Judson ? — Non, non, je n'en suis pas responsable. Ce fut un accident. — Cependant, vous étiez venue dans l'intention de vous emparer des bijoux de la famille ? — Oui. » — Avez-vous réussi à en voler une partie ? — Je me suis emparée d'un très beau collier, d'une broche et d'une montre sertie de diamants. — Que sont-ils devenus ? — Je les ai mis en gage. — Avez-vous gardé les reçus ? demanda vivement Margaret Judson. — Oui. » Quelle joie pour Margaret Judson d'apprendre qu'elle rentrerait en possession d'une partie de ses biens. Quand les policiers eurent emmené les deux femmes, elle voulut remercier Alice et

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M. Roy de leur bonté ; les larmes l'en empêchèrent. Avec gentillesse, M. Roy minimisa son rôle. « En vous aidant, nous nous sommes aidés nous-mêmes, dit-il. La confession de Mme Brownell clôt l'affaire qui me retenait ici depuis trop longtemps. » Alice approuva de la tête, et, avec un sourire amusé, déclara : « Nous sommes surpris, je crois, que le cher Mortimer Bartescol n'ait pas trempé dans ce vol, comme nous l'en accusions injustement. A sa vive déconvenue, j'avais deviné depuis peu qu'il cherchait à s'amuser à mes dépens. — Il n'est, somme toute, qu'un pauvre vaniteux ! » conclut M. Roy. Quelques minutes plus tard, Norbert Wardell, Bess, Marion et les trois étudiants entraient dans la cabane. La joie fut générale. Tous félicitèrent Alice, à laquelle ils attribuèrent la gloire d'avoir résolu le problème. « Il reste encore un point à éclaircir, dit la jeune fille, coupant court au concert d'éloges. — Lequel ? fit son père, surpris. 176

— Oui a installé l'épouvantail sur le pont hanté ? » M. Haley avait écouté de sa chambre le récit des événements du jour. « C'est moi ! dit-il avec un sourire. Les caddies, curieux comme on l'est à leur âge, ne cessaient de venir par ici. Ils excitaient les animaux dans leur cage, piétinaient mes fleurs. J'ai pensé, par ce moyen, leur ôter l'envie de franchir le ravin. — Vous avez pleinement réussi. Ils sont persuadés que c'est un fantôme, dit Alice. — Rassurez-vous, intervint Ned. En réparant le pont, nous avons remis l'épouvantail en place. Il continuera à garder la propriété. — Oui, mais qu'est-ce qui causait ce bruit inquiétant, pas le cri du cougouar, l'autre ? voulut savoir Bess. — Je connais la réponse à cette question, dit Alice. Nous allons regagner l'hôtel à travers bois. Au passage, je te montrerai ce qui provoque ce grondement. » Margaret Judson voulut rester auprès de M. Haley. Elle ne le quitterait, dit-elle, que lorsqu'il serait tout à fait rétabli. Ainsi libérés, les trois étudiants profiteraient au moins de la fin de leur séjour dans la montagne. Ce fut à qui échafauderait des projets de distraction. Au moment où le joyeux groupe se disposait à partir, Margaret Judson entraîna à l'écart les trois jeunes filles et leur annonça son prochain mariage avec M. Wardell. « Nous envisageons de reconstruire ensuite le manoir, dit-elle. Joe Haley a promis de veiller sur les travaux et nous espérons cultiver des plantes rares dans la propriété. » M. Roy et Norbert Wardell prirent la route, tandis que les six jeunes gens s'engageaient dans la forêt. Près du pont, Alice attira l'attention de Bess sur deux grands arbres. « Voilà l'explication de la plainte qui, si souvent, résonne dans les parages. — Je ne comprends pas... » commença Bess, mais elle se tut aussitôt. Le vent ployait les arbres et deux grosses branches, en se frottant

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l'une contre l'autre, émettaient un bruit étrange, un gémissement douloureux. « Quand la brise est forte, un véritable grondement s'élève. Selon le temps, les arbres hurlent ou soupirent. » Bess regarda son amie avec admiration. Jamais, Alice ne laissait un point obscur ! Certes, elle méritait d'être considérée comme la meilleure détective de River City. En file indienne, les jeunes gens franchirent le pont, un peu tristes de voir se terminer une aussi passionnante aventure. Bientôt, leur gaieté reparut et un éclat de rire général salua les adieux d'Alice à l'épouvantail. « Au revoir, cher vieux fantôme, et mille fois merci pour le rôle que tu as joué dans ce mystère ! »

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Alice Roy Alice Roy est l'héroïne des livres suivants : (ordre de sortie en Amérique) 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17.

Alice détective Alice au manoir hanté Alice au camp des biches Alice et les diamants Alice au ranch Alice et les faux monnayeurs Alice et le carnet vert Quand Alice rencontre Alice Alice et le chandelier Alice et le pigeon voyageur Alice et le médaillon d'or Alice au Canada Alice et le talisman d'ivoire Alice et la statue qui parle Alice et les contrebandiers Alice et les chats persans Alice et la malle mystérieuse

(The secret of old dock) 1930 1959 (The hidden staircase) 1930 (The bungalow mystery) 1930 (The mystery at Lilac inn) 1930 (The secret at shadow ranch) 1931 (The secret of red gate farm) 1931 (The due in the diary) 1932 (Nancy's mysterious letter) 1932 (The sign of the twisted candle) 1933 (The password to larkspur Lane )1933 (The due of the broken locket) 1934 (The message in the hollow oak) 1935 (The mystery of the ivory charm) 1936 (The whispering statue) 1937 (The haunted bridge) 1937 (The due of the tapping heels) 1939 (Mystery of the brass bound trunk) 1940

18. Alice et l'ombre chinoise

(The mystery at the moss-covered mansion) 1941

19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. 28. 29. 30. 31. 32. 33. 34. 35. 36. 37. 38. 39. 40. 41. 42. 43. 44. 45.

(The Quest of the Missing Map) 1942 (The due in the jewel box) 1943 (The secret in the Old Attic) 1944 (The due in the crumbling wall) 1945 (The mystery of the tolling bell) 1946 (The due in the old album) 1947 (The ghost of blackwood hall) 1948 (The due of the leaning chimney) 1949 (The secret of the wooden lady) 1950 (The due of the black keys) 1951 (The mystery at the ski jump) 1952 (The due of the velvet mask) 1953 (The ringmaster's secret) 1953 (The scarlet slipper mystery) 1954 (The witch-tree symbol) 1955 (The hidden window mystery) 1956 (The haunted show boat) 1957 (The secret of golden pavilion) 1959 (The due in the old stage-coach) 1960 (The mystery of the fire dragon) 1961 (The due of the dancing puppet) 1962 (The moonstone castle mystery) 1963 (The due of the whistling bagpipes) 1964 (The phantom of pine hall) 1965 (The mystery of the 99 steps) 1966 (The due in the crossword cipher) 1967 (The spider sapphire mystery) 1968

Alice dans l'île au trésor Alice et le pickpocket Alice et le clavecin Alice et la pantoufle d'hermine Alice et le fantôme Alice et le violon tzigane Alice et l'esprit frappeur Alice et le vase de chine Alice et le corsaire Alice et les trois clefs Alice et le vison Alice au bal masqué Alice écuyère Alice et les chaussons rouges Alice et le tiroir secret Alice et les plumes de paon Alice et le flibustier Alice aux îles Hawaïf Alice et la diligence Alice et le dragon de feu Alice et les marionettes Alice et la pierre d'onyx Alice en Ecosse Alice et le diadème Alice à Paris Alice chez les Incas Alice en safari

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46. 47. 48. 49. 50. 51. 52. 53. 54.

Alice et le mannequin Alice et la fusée spatiale Alice au concours hippique Alice et le robot Alice et la dame du lac Alice et l'œil électronique Alice à la réserve des oiseaux Alice et la rivière souterraine Alice et l'avion fantôme

(The mysterious mannequin) 1970 (Mystery of the moss-covered mansion) 1971 (The missing horse) 1971 (The crooked banister) 1971 (The secret of mirror bay) 1972 (Mystery of the glowing eye) 1974 (The double jinx mystery) 1973 (The secret of the forgotten city) 1975 (The sky phantom) 1976

55. Alice et le secret du parchemin

(The strange message in the parchment) 1977

56. Alice elles magiciens 57. Alice et le secret de la vieille dentelle 58. Alice et la soucoupe volante

(The triple hoax) 1979 (The secret in the old lace) 1980 (The flying saucer mystery) 1980

59. Alice et les Hardy Boys super-détectives

(Nancy Drew and Hardy Boys super sleuths)1980

60. 61. 62. 63. 64. 65. 66. 67. 68. 69. 70. 71. 72. 73. 74. 75. 76. 77. 78. 79. 80. 81. 82. 83. 84. 85. 86. 87.

(The twin dilemma) 1981 (The swami's ring) 1981 (The kachina doll mystery) 1981 (The greek symbol mystery) 1981 (The captive witness) 1981 (Mystery of the winged lion) 1982 (The sinister omen) 1982 (Race against time) 1982 (The broken anchor) 1983 (The mystery of misty canyon) 1988 (The joker's revange) 1988 (The case of the rising stars) 1989 (The girl who couldn't remember) 1989 (The ghost of craven cove) 1989 (The search for Cindy Austin) 1989 (The silent suspect) 1990 (The mistery of missing millionaires) 1991 (The search for the silver persian) 1993 (The case of the twin teddy bears) 1993 (Trouble at Lake Tahoe) 1994 (The mystery of the jade tiger) 1995 (The riddle in the rare book) 1995 (The case of the artful crime) 1996 (The secret at solaire) 1996 (The wedding day mistery) 1997 (The riddle of ruby gazelle) 1997 (The wild cat crime) 1998 (The ghost of the lantern lady) 1998

Alice chez le grand couturier Alice et la bague du gourou Alice et la poupée indienne Alice et le symbole grec Alice et le témoin prisonnier Alice à Venise Alice et le mauvais présage Alice et le cheval volé Alice et l'ancre brisée Alice au canyon des brumes Alice et le valet de pique Alice chez les stars Alice et la mémoire perdue Alice et le fantôme de la crique Alice et les cerveaux en péril Alice et l'architecte diabolique Alice millionnaire Alice et les félins Alice à la tanière des ours Alice et le mystère du lac Tahoe Alice et le tigre de jade Alice et les collectionneurs Alice et les quatre tableaux Alice en Arizona Alice et les quatre mariages Alice et la gazelle verte Alice et les bébés pumas Alice et la dame à la lanterne

3 Autres non classés La chambre secrète : les enquêtes de Nancy Drive 1985 Le fantôme de Venise : les enquêtes de Nancy Drive 1985 Sortilèges esquimaux : les enquêtes de Nancy Drive 1985 (tiré d'une série dérivée en France)*

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Noms originaux En version originale, • • • • • • • • • •

Alice Roy = Nancy Drew ; Bess Taylor = Bess Marvin ; Marion Webb = Georgia "George" Fayne ; Ned Nickerson = Ned Nickerson ; Daniel Evans = Dave Evans ; Bob Eddelton = Burt Eddelton ; James Roy = Carson Drew ; Sarah Berny = Hannah Gruen ; Cécile Roy = Eloise Drew. Commissaire Stevenson = Commissaire McGinnis

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Alice Roy Alice Roy est l'héroïne des livres suivants : (ordre alhabétique)

1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. 28. 29. 30. 31. 32. 33. 34. 35. 36. 37. 38. 39. 40. 41. 42.

Alice à la réserve des oiseaux Alice à la tanière des ours Alice à Paris Alice à Venise Alice au bal masqué Alice au camp des biches Alice au Canada Alice au canyon des brumes Alice au concours hippique Alice au manoir hanté Alice au ranch Alice aux îles Hawaï Alice chez le grand couturier Alice chez les Incas Alice chez les stars Alice dans l'île au trésor Alice détective Alice écuyère Alice elles magiciens Alice en Arizona Alice en Ecosse Alice en safari Alice et la bague du gourou Alice et la dame à la lanterne Alice et la dame du lac Alice et la diligence Alice et la fusée spatiale Alice et la gazelle verte Alice et la malle mystérieuse Alice et la mémoire perdue Alice et la pantoufle d'hermine Alice et la pierre d'onyx Alice et la poupée indienne Alice et la rivière souterraine Alice et la soucoupe volante Alice et la statue qui parle Alice et l'ancre brisée Alice et l'architecte diabolique Alice et l'avion fantôme Alice et le carnet vert Alice et le chandelier Alice et le cheval volé

(The double jinx mystery) 1973 (The case of the twin teddy bears) 1993 (The mystery of the 99 steps) 1966 (Mystery of the winged lion) 1982 (The due of the velvet mask) 1953 (The bungalow mystery) 1930 (The message in the hollow oak) 1935 (The mystery of misty canyon) 1988 (The missing horse) 1971 (The hidden staircase) 1930 (The secret at shadow ranch) 1931 (The secret of golden pavilion) 1959 (The twin dilemma) 1981 (The due in the crossword cipher) 1967 (The case of the rising stars) 1989 (The Quest of the Missing Map) 1942 (The secret of old dock) 1930 1959 (The ringmaster's secret) 1953 (The triple hoax) 1979 (The secret at solaire) 1996 (The due of the whistling bagpipes) 1964 (The spider sapphire mystery) 1968 (The swami's ring) 1981 (The ghost of the lantern lady) 1998 (The secret of mirror bay) 1972 (The due in the old stage-coach) 1960 (Mystery of the moss-covered mansion) 1971 (The riddle of ruby gazelle) 1997 (Mystery of the brass bound trunk) 1940 (The girl who couldn't remember) 1989 (The due in the crumbling wall) 1945 (The moonstone castle mystery) 1963 (The kachina doll mystery) 1981 (The secret of the forgotten city) 1975 (The flying saucer mystery) 1980 (The whispering statue) 1937 (The broken anchor) 1983 (The silent suspect) 1990 (The sky phantom) 1976 (The due in the diary) 1932 (The sign of the twisted candle) 1933 (Race against time) 1982

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43. 44. 45. 46. 47. 48. 49. 50. 51. 52. 53. 54. 55. 56. 57.

Alice et le clavecin Alice et le corsaire Alice et le diadème Alice et le dragon de feu Alice et le fantôme Alice et le fantôme de la crique Alice et le flibustier Alice et le mannequin Alice et le mauvais présage Alice et le médaillon d'or Alice et le mystère du lac Tahoe Alice et le pickpocket Alice et le pigeon voyageur Alice et le robot Alice et le secret de la vieille dentelle

(The secret in the Old Attic) 1944 (The secret of the wooden lady) 1950 (The phantom of pine hall) 1965 (The mystery of the fire dragon) 1961 (The mystery of the tolling bell) 1946 (The ghost of craven cove) 1989 (The haunted show boat) 1957 (The mysterious mannequin) 1970 (The sinister omen) 1982 (The due of the broken locket) 1934 (Trouble at Lake Tahoe) 1994 (The due in the jewel box) 1943 (The password to larkspur Lane )1933 (The crooked banister) 1971 (The secret in the old lace) 1980

58. Alice et le secret du parchemin

(The strange message in the parchment) 1977

59. 60. 61. 62. 63. 64. 65. 66. 67. 68. 69. 70. 71. 72. 73. 74. 75. 76.

(The greek symbol mystery) 1981 (The mystery of the ivory charm) 1936 (The captive witness) 1981 (The mystery of the jade tiger) 1995 (The witch-tree symbol) 1955 (The joker's revange) 1988 (The due of the leaning chimney) 1949 (The due in the old album) 1947 (The mystery at the ski jump) 1952 (The wild cat crime) 1998 (The search for Cindy Austin) 1989 (The due of the tapping heels) 1939 (The scarlet slipper mystery) 1954 (The riddle in the rare book) 1995 (The haunted bridge) 1937 (The mystery at Lilac inn) 1930 (The secret of red gate farm) 1931 (The search for the silver persian) 1993

Alice et le symbole grec Alice et le talisman d'ivoire Alice et le témoin prisonnier Alice et le tigre de jade Alice et le tiroir secret Alice et le valet de pique Alice et le vase de chine Alice et le violon tzigane Alice et le vison Alice et les bébés pumas Alice et les cerveaux en péril Alice et les chats persans Alice et les chaussons rouges Alice et les collectionneurs Alice et les contrebandiers Alice et les diamants Alice et les faux monnayeurs Alice et les félins

77. Alice et les Hardy Boys super-détectives

(Nancy Drew and Hardy Boys super sleuths)1980

78. 79. 80. 81. 82. 83. 84.

(The due of the dancing puppet) 1962 (The hidden window mystery) 1956 (The wedding day mistery) 1997 (The case of the artful crime) 1996 (The due of the black keys) 1951 (The ghost of blackwood hall) 1948 (Mystery of the glowing eye) 1974

Alice et les marionettes Alice et les plumes de paon Alice et les quatre mariages Alice et les quatre tableaux Alice et les trois clefs Alice et l'esprit frappeur Alice et l'œil électronique

85. Alice et l'ombre chinoise

(The mystery at the moss-covered mansion) 1941

86. Alice millionnaire 87. Quand Alice rencontre Alice

(The mistery of missing millionaires) 1991 (Nancy's mysterious letter) 1932

3 Autres non classés La chambre secrète : les enquêtes de Nancy Drive 1985 Le fantôme de Venise : les enquêtes de Nancy Drive 1985 Sortilèges esquimaux : les enquêtes de Nancy Drive 1985 (tiré d'une série dérivée en France)*

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Noms originaux En version originale, • • • • • • • • • •

Alice Roy = Nancy Drew ; Bess Taylor = Bess Marvin ; Marion Webb = Georgia "George" Fayne ; Ned Nickerson = Ned Nickerson ; Daniel Evans = Dave Evans ; Bob Eddelton = Burt Eddelton ; James Roy = Carson Drew ; Sarah Berny = Hannah Gruen ; Cécile Roy = Eloise Drew. Commissaire Stevenson = Commissaire McGinnis

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Alice Roy IDEAL BIBLIOTHEQUE (ordre de sortie ) 1. 264. Alice et le dragon de feu 1964 2. 282. Alice et les plumes de paon 1965 3. 286. Alice au Canada 1965 4. 291. Alice au bal masqué 1965 5. 296. Alice en Ecosse 1966 6. 306. Alice et les chats persans 1966 7. 314. Alice écuyère 1966 8. 323. Alice et la statue qui parle 1967 9. 327. Alice au camp des biches 1967 10.340. Alice à Paris 1968 11.350. Quand Alice rencontre Alice 1969 12.355. Alice et le corsaire 1969 13.365. Alice et la pierre d'onyx 1970 14.357. Alice et le fantôme 1970 15.375. Alice au ranch 1971 16.Alice et le chandelier 1971 17.Alice aux Iles Hawaï 1972 18.Alice et les diamants 1972 19.Alice détective 1973 20.Alice et le médaillon d’or 1973 21.Alice et les contrebandiers 1973 22.Alice et les chaussons rouges 1975 23.Alice et les trois clefs 1975 24.Alice et le pickpocket 1976 25.Alice et le vison 1976 26.Alice et le flibustier 1977 27.Alice et le mannequin 1977 28.Alice et la pantoufle d’hermine 1978 29.Alice et le carnet vert 1978 30.Alice et le tiroir secret 1979 31.Alice dans l’ile au trésor 1979 32.Alice et le pigeon voyageur 1980 33.Alice et le talisman d'ivoire 1980 34.Alice au manoir hanté 1981 (liste à compléter) 185

Alice Roy IDEAL BIBLIOTHEQUE (ordre de sortie ) 1. Alice à Paris no 340 1968 2. Alice au bal masqué no 291 1965 3. Alice au camp des biches no 327 1967 4. Alice au Canada no 286 1965 5. Alice au manoir hanté 1981 6. Alice au ranch no 3751971 7. Alice aux Iles Hawaï 1972 8. Alice dans l’ile au trésor 1979 9. Alice détective 1973 10.Alice écuyère no 314 1966 11.Alice en Ecosse no 296 1966 12.Alice et la pantoufle d’hermine 1978 13.Alice et la pierre d'onyx no 365 1970 14.Alice et la statue qui parle no 323 1967 15.Alice et le carnet vert 1978 16.Alice et le chandelier 1971 17.Alice et le corsaire no 355 1969 18.Alice et le dragon de feu no 364 1964 19.Alice et le fantôme no 357 1970 20.Alice et le flibustier 1977 21.Alice et le mannequin 1977 22.Alice et le médaillon d’or 1973 23.Alice et le pickpocket 1976 24.Alice et le pigeon voyageur 1980 25.Alice et le talisman d'ivoire 1980 26.Alice et le tiroir secret 1979 27.Alice et le vison 1976 28.Alice et les chats persans no 306 1966 29.Alice et les chaussons rouges 1975 30.Alice et les contrebandiers 1973 31.Alice et les diamants 1972 32.Alice et les plumes de paon no 282 1965 33.Alice et les trois clefs 1975 34.Quand Alice rencontre Alice no 350 1969 (liste à compléter 186

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