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XVIIIe SIE`CLE
Le conte philosophique
VOLTAIRE Candide (9782081211414 – 2,50 €)
I. Étudier Candide en classe de Première Les programmes de Première consacrent un objet d’étude à l’argumentation et à ses différentes fonctions (« convaincre, persuader et délibérer »). Ils mettent l’accent sur les modalités de l’argumentation – « directe ou indirecte » –, qu’il s’agit d’analyser à travers les formes de « l’essai, de la fable ou du conte philosophique » (B.O. no 40 du 2 novembre 2006). Dès lors, Candide, conte philosophique, modèle du genre, paraît tout adapté à cette directive. Par ailleurs, l’analyse de l’œuvre s’insère aisément dans une progression annuelle puisqu’elle peut être liée à deux autres objets d’étude : « Le roman et ses personnages : visions de l’homme et du monde » (l’enfer terrestre vu par un candide) et « Un mouvement littéraire et culturel » (les Lumières).
II. Proposition de séquence ■ Perspectives de la séquence Les voyages merveilleux de Candide sont le cadre d’une réflexion sur une question philosophique : l’Optimisme. Explicité, le sujet pourrait être ainsi exposé : « Peut-on être Optimiste ? » La Candide
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séquence étudiera la façon dont les composantes du récit servent les deux voies de l’argumentation : le pour et le contre. Mais Voltaire n’interroge pas seulement l’Optimisme en tant que contenu philosophique, il remet aussi en question le conte de fées en tant que forme littéraire. Une double mystification, littéraire et intellectuelle, est donc dénoncée avec Candide. La séquence tentera de dégager progressivement les liens complexes qu’entretiennent le conte et la réflexion philosophique ; elle se déroulera en trois étapes. — Première étape : analyse de deux extraits ou` conte et philosophie ont le même effet – séparer de la réalité. — Deuxième étape : analyse de trois extraits qui relèvent de l’anticonte et de l’antiphilosophie (ou de l’anti-Optimisme). Le texte sert alors à désillusionner et à ramener à la réalité. — Troisième étape : analyse d’un extrait ou` le conte construit une vraie philosophie élaborée sur la réalité.
■ Tableau synoptique de la séquence Séances
Supports
Objectifs
1
Incipit et chapitre
2
L’ensemble des chapitres XVII-XVIII et un extrait du chapitre XVIII (le patriarche d’Eldorado)
I
Le volet argumentatif
Le volet narratif
Thèse : l’Optimisme « est »
Conte de fées et fausse philosophie
Thunder-ten-tronckh : utopie panglossienne
L’énonciation ironique
Eldorado : utopie des Lumières
Le discours : fiction (plaisante) et réflexion (savante)
Antithèse : l’Optimisme « n’est pas »
2
Anticonte et antiphilosophie (ou anti-Optimisme)
3
L’ensemble du chapitre V et, plus précisément, un extrait (la tempête et le tremblement de terre)
La réalité du mal naturel
La machinerie spatiotemporelle
4
Chapitre
La réalité du mal religieux
Des personnages déshumanisés
5
L’ensemble du chapitre III et, plus précisément, un extrait (la bataille)
La réalité du mal politique
L’artifice ambigu du point de vue candide
VI
(l’autodafé)
Le conte philosophique
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Séances
Supports
6
L’ensemble du chapitre XXX et, plus précisément, un extrait (l’explicit)
7
Un extrait du chapitre XIX (l’esclave)
Objectifs Le volet argumentatif
Le volet narratif
Synthèse : l’Optimisme « peut être »
Conte concret et philosophie appliquée
La Propontide : utopie voltairienne et réalité du mal d’exister
Une structure concertée
E´valuation de la séquence
III. Déroulement de la séquence Séance no 1 Objectifs → L’Optimisme, version plaisante (la représentation du microcosme de Thunder-ten-tronckh catéchisé par le pseudo-leibnizien Pangloss). → L’ironie et ses procédés. Supports → L’ensemble du chapitre I. → Un extrait : l’incipit (de « Il y avait en Vestphalie » à « et par conséquent de toute la terre », p. 43-46).
Questions préparatoires : voir microlecture no 1, p. 174-175. Pistes pour la lecture analytique :
■ Le meilleur des mondes Cet univers enchanteur est introduit par la formulette bien connue « Il y avait » (coupant du temps ordinaire), qui est suivie d’une localisation vague (« Vesphalie ») aboutissant à un nom de fief aux sonorités lourdement gothiques (allitérations en t). Le héros sympathique est d’emblée présenté paré de toutes les qualités. Le clan aristocratique, vu à travers une galerie de portraits, est caractérisé par des superlatifs élogieux (« le plus beau des »), des comparatifs valorisants (« un des plus »), des qualificatifs positifs (« bon et honnête gentilhomme »), des adverbes Candide
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intensifs (« très grande »), etc. Le champ lexical est celui de la haute noblesse fortunée (« parc », « meute », « piqueur »). L’atmosphère générale paraît bon enfant (« bonne foi », « riaient »).
■ Un monde en toc et le prêche d’un toqué Il s’agit cependant d’un paradis des illusions, sur le plan existentiel et intellectuel. Les chaˆtelains n’ont aucun pouvoir (leur puissance provient d’une porte et la considération qu’on leur montre n’est due qu’à leur embonpoint), aucune richesse (opposition train de vie luxueux rêvé/basse réalité), aucun rang social (le baron est un petit hobereau féru d’étiquette et muré dans des préjugés nobiliaires). Le règne des apparences trompeuses culmine avec la présentation de Pangloss, philosophe factice – flagorneur et dogmatique –, dévidant une philosophie déformée et faussée – altération et déformation de la pensée de Leibniz (voir la désignation de son enseignement, « la métaphysico-théologo-cosmolonigologie » ou` l’élément « nigo » résonne comme un aveu). Ses raisonnements sur la finalité (c’est-à-dire sur les causes finales) des choses sont aberrants : soit il opère une inversion de la finalité (le nez, les jambes), soit il attribue une finalité inexacte (les pierres, les cochons). Il pervertit donc le vieux principe de finalité, selon lequel rien ne se produit sans but : « tout étant fait pour une fin ».
■ Une magistrale leçon de raillerie L’ironie, procédant d’un décalage entre le dit et le pensé, s’insinue absolument partout : décalage énoncé par le conteur luimême (« qu’on appelait »), distance affichée entre ce qui est dit et le jugement réel (« puissant seigneur »/son chaˆteau offre le minimum pour une maison), inversion des termes dans le jugement régressif (le lien lunettes/nez : Pangloss part du terme final présupposé naturel pour remonter à tout prix à une cause préétablie), exagération de la caractérisation (les chiffres trop précis des quartiers de noblesse, les scrupules déplacés sur l’embonpoint de la baronne – « environ » –, le nom trop alambiqué du système de Pangloss), rapprochement de termes contradictoires, 4
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etc. En fait, en quelques lignes, Voltaire expose à la fois le problème délicat qu’il traite (la tension entre conte et philosophie) et le procédé majeur qu’il utilise (l’ironie).
Séance no 2 Objectifs → → Supports → →
L’Optimisme, version sérieuse (et ses limites). Le jeu fiction/réflexion. L’ensemble des chapitres XVII-XVIII. Un extrait : le patriarche d’Eldorado (de « Cacambo témoigna à son hôte » à « pour les conduire à la cour », p. 105-108).
Questions préparatoires : quels sont les éléments qui relèvent du merveilleux ? En quoi s’agit-il d’un monde à l’envers ? Quel est le registre dominant ? Comment Candide, le lecteur et Voltaire voient-ils ce royaume inca ? Pistes pour la lecture analytique :
■ Un autre monde merveilleux : « Ce qu’il y [a] de mieux sur la terre » C’est un univers « extra-ordinaire », relevant de l’extravagance du conte de fées (aˆge du vieillard, moutons attelés). La richesse est omniprésente : la « fange » est d’or, les matériaux ordinaires sont somptueux – porte d’argent, vases de diamants. L’abondance est générale et se traduit par l’accumulation : les « cinq ou six mille musiciens », les douze domestiques du patriarche. La perfection admirable est partout comme en témoignent les superlatifs et l’expression « travaillés avec tant de goût ». Ce qui était singé dans le « chaˆteau » de Thunder-ten-tronckh (en particulier le luxe) est ici porté à son plus haut degré. Le registre est laudatif.
■ Un monde à l’envers Par rapport au monde connu, sont inversées la psychologie (l’« ignorant » reconnaît qu’il l’est), les manières (abord poli), les Candide
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coutumes (accueil prévenant des étrangers), les valeurs (l’or ne vaut rien), les institutions politiques (importance du « consentement de la nation »), les relations à Dieu (directes, non médiatisées), etc. Les relations humaines sont idéales (accueil chaleureux, monarque accessible, commerce des idées menant d’emblée aux grandes questions des Lumières comme « les formes de gouvernements, les mœurs », etc.). Dans ce pays des Lumières vivant en autarcie et préservé, il n’y a pas de conflits, pas de clergé, pas de maux naturels (maladies, catastrophes).
■ Candide, le lecteur, Voltaire : trois regards décalés Candide, relégué au second plan, ne s’étonne absolument de rien et, « en extase », croit voir la matérialisation du discours de son « ami Pangloss » qu’il imite en bombardant le sage de questions impertinentes. Le lecteur, lui, perçoit un détachement net du narrateur par rapport aux faits rapportés : perfection exagérée, raffinement appelé « extrême simplicité », chiffres trop élevés, etc. Quant à Voltaire, il se donne le plaisir d’exposer ici, par le détour de la fiction et la voix du vieillard, l’essentiel de son message sur l’idéal social (la civilisation, caractérisée par l’urbanisme et l’urbanité), l’idéal politique (le despotisme éclairé), et l’idéal religieux (le théisme ; voir le dossier de l’édition) ; ce qui ne l’empêche pas de suggérer malicieusement qu’un paradis de cette sorte, complètement coupé de l’Histoire, serait un tombeau pour la libido (sciendi, dominandi, sentiendi).
Séance no 3 Objectifs → L’Optimisme discrédité par l’existence des catastrophes naturelles. → Le dérèglement spatio-temporel. Supports → L’ensemble du chapitre V. → Un extrait : la tempête et le tremblement de terre (de « Tandis qu’il raisonnait, l’air s’obscurcit », fin du chapitre IV, à « et de tout sexe sont écrasés sous les ruines », p. 57-59).
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Questions préparatoires : voir microlecture no 3, p. 176-177. Pistes pour la lecture analytique :
■ Le chaos spatio-temporel Le cadre spatial n’est pas orienté (« des quatre coins du monde »), et il est sans visibilité (« l’air s’obscurcit ») ; les lieux de vie sont démolis par en haut (« suspendu »), par en bas (brèche), par les côtés (tsunami dans le port) ; sur mer, sur terre, à petite ou grande échelle (vaisseau/ville), toute construction est réduite en morceaux, totalement ruinée sous l’effet de forces surhumaines déterminées à nuire (« s’élève en bouillonnant »). Le déroulement temporel est également caractérisé par l’incohérence ; les actions des passagers (malades ou affolés) sont inefficaces et non articulées (parataxe) ; leurs gestes saccadés (verbes en série) ne mènent qu’à une agitation anarchique (le sauve-qui-peut) et à une succession de malheurs ; ensuite, Voltaire laisse le lecteur se figurer lui-même, à l’échelle d’une capitale de 200 000 habitants, la panique provoquée par le tremblement de terre ; mais alors qu’il recourait au registre pathétique pour animer le naufrage (émotions extrêmes, images frappantes), il adopte un ton neutre pour décrire Lisbonne dévastée.
■ L’absence de bonté divine Les faits paraissent résulter d’une force invisible (nombreux participes sans compléments d’agent), indifférente à la souffrance humaine, voire non dénuée d’une certaine malice (le bienfaiteur qui réapparaît pour être mieux englouti, le gag du malfaisant qui tombe à l’eau). Les gros plans sur le dévouement angélique et l’abnégation modèle du « bon Jacques » contrastent avec l’égoïsme noir du pire des « coquins » mais c’est ce démon-là qui survit sans même avoir besoin de planche de salut (il « nagea heureusement »). Le Ciel ne se préoccupe pas de trier entre les bons et les méchants ; l’idée de divine providence est niée. Le mal aveugle existe et utilise les éléments naturels (le vent, la terre, l’eau, le feu) et le fonds vicieux de la nature humaine (voir le matelot) pour, sans raison apparente, réduire à néant l’humanité : « tout périt », « écrasés sous les ruines ». Candide
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■ L’Optimisme anéanti par le mal naturel En empiétant sur le chapitre IV, l’extrait choisi montre comment Voltaire met en opposition la théorie – « tandis qu’il raisonnait » – et la réalité catastrophique, le « tout est bien » abstrait et le « on est mal » (chapitre XIX) concret 1. L’Optimisme fait naufrage. Pangloss est discrédité : il interdit le sauvetage d’un saint au nom d’un finalisme insoutenable (la rade « formée exprès ») et raisonne en occultant ce qu’il a sous les yeux, c’està-dire la réalité alarmante (« a priori »). A` cause de Pangloss, Candide est dénaturé : il ne peut avoir prise sur la réalité ; il est détourné de l’expérience et du bien. L’Optimisme est ensuite réduit métaphoriquement à un débris flottant (la planche). Le chiffre élevé des victimes du tremblement de terre achève de rendre absurde le finalisme de Pangloss : si l’on se rangeait aux considérations du pseudo-philosophe, il faudrait aussi trouver « normal » que Dieu ait tué tant de gens « de tout aˆge et de tout sexe » (démonstration par l’absurde). Soutenir l’Optimisme, c’est appeler une horreur un chef-d’œuvre.
Séance no 4 Objectifs → L’Optimisme discrédité par l’existence de l’Infaˆme. → Les personnages : pantins ou pauvres diables ? Support → L’autodafé (ensemble du bref chapitre VI, p. 62-64).
Questions préparatoires : qui sont les représentants du mal religieux ? Sur quoi s’appuient-ils ? E´tudiez comment l’autodafé est transformé en spectacle de marionnettes. Comment l’Optimisme est-il condamné dans cet extrait ? Pistes pour la lecture analytique :
1. Voir aussi dans la même phrase cette fois : « Tandis qu’il le prouvait a priori, le vaisseau s’entr’ouvre. »
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Le conte philosophique
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■ L’imposture ecclésiastique Avec un détachement ironique, Voltaire dépeint une autorité religieuse composée de pseudo-enquêteurs : les docteurs de l’« université de Coïmbre » et les inquisiteurs. Le savoir des uns (premier paragraphe) s’appuie sur la superstition, sur des préjugés irrationnels qui relèvent quasiment de la sorcellerie (le « secret infaillible » trouvé) ; l’action des autres (deuxième paragraphe) se fonde sur le principe de l’intolérance qui consiste à dénigrer la liberté religieuse et conduit à torturer des innocents pour des peccadilles (le lard dans un poulet et l’« air d’approbation »). Ces puissances conjuguées du mal, qui bafouent la raison et les droits humains, furent les cibles privilégiées de Voltaire et des philosophes des Lumières.
■ Spectacle et exécution Les personnages sont forcés d’exécuter malgré eux un beau spectacle (voir le champ lexical de l’esthétique). Anonymes et désignés arbitrairement, les cinq condamnés, telles des marionnettes (comme le montrent les verbes à la voix passive, les sujets « on »), sont pris dans une cérémonie mécanique, bien réglée (voir les étapes : procession, musique, sermon, etc.), bien rythmée (rapidité des actions, cadence) et faite pour plaire. La machine à tuer inquisitoriale est parée d’attributs visuels séduisants. La représentation d’une exécution atroce s’inverse en exécution d’un spectacle grand public. Le narrateur feint d’adopter un regard objectif de clinicien et pousse à bout cette logique : les sacrifiés sont comme vidés de toute émotivité, décérébrés, et ne sont plus qu’une apparence vestimentaire ; déshumanisés, ils deviennent des accessoires sans importance, des figures carnavalesques (mitres en papier, diables drôles, flammes à l’envers). Ce faisant, Voltaire enlève tout contenu spirituel à cette cérémonie satirisée qui tournerait à la mascarade si les chaˆtiments n’étaient pas eux bien réels (brûlés, pendus, et Candide « tout sanglant »).
■ L’Optimisme en question L’idée que le monde est dans un ordre harmonieux et compréhensible est réfutée par l’apparition d’une seconde secousse Candide
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(« trembla de nouveau avec ») qui révèle l’inefficacité propitiatoire de l’autodafé (et l’inutilité des exécutions) ; en revanche, il est clair que l’ordre du clergé, lui, se maintient en faisant trembler la population, sous le prétexte de lutter contre l’hérésie. Ensuite, c’est par l’absence de logique que les tenants de l’ordre préétabli sont déconsidérés : relations irraisonnées entre les effets et les causes (voir l’enchaînement des paragraphes), liens absurdes entre les griefs et les peines, mascarade pour célébrer Dieu, etc. Enfin, Candide lui-même est cité en train de chercher à s’expliquer la cause (« sans que je sache pourquoi ») de l’écart entre la représentation du monde qu’il s’était construite et la réalité telle qu’il l’endure, comme un automate (voir la séquence « prêché, fessé, absous et béni »). La remise en question de la nécessité, que Pangloss lui a inculquée au chapitre I – « Les choses ne peuvent être autrement » –, par l’emploi de la formule interrogative « faut-il ? », marque une étape dans l’évolution de Candide vers une philosophie réaliste débarrassée de toute métaphysique.
Séance no 5 Objectifs → → Supports → →
L’Optimisme discrédité par la guerre. L’artifice ambigu du point de vue candide. L’ensemble du chapitre III. Un extrait : la bataille (de « Rien n’était si beau, si leste, si brillant » à « et n’oubliant jamais mademoiselle Cunégonde », p. 50-51).
Questions préparatoires : voir microlecture no 2, p. 175-176. Pistes pour la lecture analytique :
■ L’esthétisation de la guerre La vue simultanée et surplombante des « deux armées » bien rangées puis se livrant mécaniquement bataille (voir les phases vers le corps à corps : « canons », « mousqueterie », « baïonnette ») est celle d’un roi aimant la guerre, mais de loin. Les troupes (de mercenaires) paradent sur le « théaˆtre de la guerre » en combinant sons et 10
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lumières à la façon d’un spectacle d’opéra grandiose (voir la gradation liminaire des adjectifs mélioratifs et la répétition de l’adverbe intensif « si »). La mêlée meurtrière est occultée au profit de lapidaires communiqués chiffrés permettant de suivre à distance l’évolution de l’affrontement. La cause politique de cette tuerie échappe à tous, mais entraîne la mort d’« une trentaine de mille aˆmes », chiffre identique à celui dû au tremblement de terre de Lisbonne.
■ Un odieux carnage Le revers de la médaille, ce sont les actes monstrueux commis sur les civils sans défense des deux camps, comme en témoigne l’insistance sur les êtres symbolisant la faiblesse et l’innocence : la mère et l’enfant, la jeune fille, le vieillard. Les Bulgares et les Abares se comportent pareillement et systématiquement en barbares. Candide est confronté aux pires effets de la cruauté humaine, décrite le plus crûment possible. On peut relever les détails anatomiques des corps suppliciés. Voltaire veut choquer, forcer à voir et, pour cela, recourt à la puissante figure de l’hypotypose qui consiste à faire vivre en direct au lecteur (mais par fragments) un tableau dramatique. Ce qui est frappant, c’est que les êtres croisés sont tous à l’article de la mort (« in articulo mortis », chapitre XI) mais qu’ils souffrent, en silence ou en criant, de ne pas encore avoir succombé (comme la femme demandant qu’on l’achève) aux sévices qu’ils ont subis (nombreux participes passés). Cette impossibilité de mourir après avoir été traité inhumainement et parfois démembré, coupé en morceaux, caractérise plusieurs personnages du conte (la vieille, Cunégonde, Pangloss découpé au scalpel), qui désarticule ainsi une certaine vision de l’Homme.
■ La faillite du regard optimiste Le point de vue adopté pour raconter la bataille est celui d’un Optimiste qui valorise la guerre et l’« harmonie » préétablie qui se manifeste dans une armée en ordre de bataille. La collusion du pouvoir religieux et du pouvoir politique se manifeste quand les chefs font « chanter des Te Deum » pour remercier Dieu (de leur pseudo-victoire). Si pour les princes, la guerre est belle, pour l’E´glise, elle est bonne. Le texte est émaillé d’expressions Candide
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tirées de la philosophie optimiste qui prennent ici un tour idéologique (« coquins », « infectaient », « raison suffisante », minimalisation des pertes, périphrases précieuses, euphémisation du viol – « besoins naturels » –, etc.) ; le massacre semble justifié (le « droit ») au nom de Dieu. Cependant, cette façon de donner un faux air de civilisation (le bon allié au beau) au mal à l’état pur est laminée par l’ironie voltairienne. D’abord, les héros sont ramenés à des « tas » de viande (« boucherie héroïque ») ou à des violeurs ; leurs actions à des exactions. Ensuite, le bel ordonnancement paradisiaque des armées bénies ne cache qu’un temps l’intention de faire de la terre un « enfer ». Enfin, Candide, aussi endoctriné par l’Optimisme qu’il soit, est représenté « tremblant » ; la possibilité même d’un regard optimiste devient insoutenable (il regarde donc ailleurs, vers l’étoile Cunégonde).
Séance no 6 Objectifs → La Propontide : utopie voltairienne et réalité du mal d’exister. → Une structure concertée. Supports → L’ensemble du chapitre XXX. → Un long extrait : l’explicit (de « Il y avait dans le voisinage un derviche... » jusqu’à la fin du texte, p. 166-169).
Questions préparatoires : comment se manifeste le mal d’exister chez Candide et ses amis ? Comment Candide apprend-il à vivre le moins mal possible en Propontide ? Pourquoi peut-on dire que Candide réussit à incarner un certain idéal de la philosophie de Voltaire et des Lumières ? Pistes pour la lecture analytique :
■ Le mal de vivre Les êtres réunis pour le morceau final sont tous des mutilés de la vie, marqués par des expériences pénibles (désamour de Candide) et des cicatrices (Pangloss recousu). Les trois philosophes (l’optimiste Pangloss, le pessimiste Martin, l’empiriste 12
Le conte philosophique
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Candide), menacés par l’ennui, le besoin, le vice, le conflit, l’inquiétude, etc., paraissent piégés dans une situation sans issue (« Que faut-il donc faire ? »). A` la fin du conte, errants dans le « voisinage » de la métairie, ils sont toujours en quête du sens de l’existence et d’une raison de vivre alors que tout va mal en eux, autour d’eux et entre eux.
■ La Propontide ou l’expérience du moindre mal Le petit cheminement que fait Candide près de la métairie lui permet de bénéficier de deux leçons complémentaires dont il tire profit. — Leçon 1 : la consultation du derviche impoli lui apprend que la question du mal et le questionnement des hautes sphères célestes sont hors de portée des « souris » humaines ; que le commerce des idées métaphysiques est vain, qu’il faut s’interdire de raisonner et se résigner à ne pas être heureux en gardant le silence sur la Providence. — Leçon 2 : la rencontre fortuite du vieillard poli lui enseigne que, en consentant à un univers physique limité, on peut, par le travail de la terre et la réflexion (la culture), se faire « soi-même un sort » générant un bonheur relatif basé sur le commerce de produits maison, la production de biens contribuant à résoudre la question du mal. — Point commun entre les deux leçons : il faut devenir indifférent à ce qu’on ne peut expliquer et encore moins maîtriser (les voies de Dieu, la marche de l’Histoire). — Conclusion de Candide (au terme de son parcours philosophique) : il faut agir pour arriver à ne pas vivre trop mal ; comme tout individu a des dispositions insoupçonnées (les « talents ») pour le travail artisanal, il est donc possible, dans le cadre d’une micro-entreprise, de trouver sa juste place et d’en donner une à chacun, en tolérant les différences de quelque nature qu’elles soient.
■ Une construction par étapes A` l’intérieur du chapitre XXX intitulé didactiquement « Conclusion », les deux petites leçons de sagesse aboutissent à une sagesse pratique, à une synthèse. Si l’on considère l’ensemble du texte, on Candide
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dira que Candide parvient peu à peu, graˆce à des conversations, des enquêtes et des expérimentations répétées, à oser penser seul (sæpe aude) : il réussit finalement à se débarrasser de son culte des idoles et des idéologies (sur les plans intellectuel, parental, politique, religieux) pour mettre en œuvre le culte d’un certain humanisme. Entre la baronnie du chapitre I et la métairie du chapitre XXX (via plusieurs E´dens intermédiaires), la progression est nette – au début : un monde fermé, ou` règne une philosophie fausse, un trompe-l’œil, un paradis des illusions ou` le jardin ne sert qu’à des futilités ; à la fin : un monde ouvert (ou` s’applique une vraie philosophie), contrôlé, en prise sur la réalité, un jardin de la sagesse qui a son utilité. Certes, le mal rôde toujours (la maladie, Pangloss, les atrocités politiques) mais l’utopie paraît réalisable et viable, au moins pour les personnages. A` la fin de Candide ou l’Optimisme, l’opposition avec Pangloss est évidente : ce dernier n’a pas évolué, ses raisonnements empruntés à Leibniz (voir la fin de l’entretien avec le derviche) sur la causalité et son besoin de se référer à des théories (les « philosophes ») sont inchangés, il demeure un phraseur ; en revanche, Candide acquiert une parole productive et un ton incisif (il interrompt son ancien maître à penser), il devient un homme d’action, un propriétaire terrien (lui, le baˆtard déclassé du chapitre I), sinon la tête pensante (il est assez laconique), du moins le guide d’un groupe qu’il a su former et fédérer.
Séance no 7 Objectif → E´valuation de la séquence. Supports → L’ensemble de l’œuvre. → Un extrait : l’esclave (de « En approchant de la ville, ils rencontrèrent » à « et en pleurant, il entra dans Surinam », p. 112-114).
Questions : Quelles sont les caractéristiques de Candide déjà observées que l’on retrouve dans cet épisode ? Quelles sont les variantes ? Repères pour la correction :
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Le conte philosophique
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Caractéristiques déjà observées...
Caractéristiques de Candide ... à la ... et présentes ici séance...
L’Optimisme illusoire
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Il est représenté par les parents (« ton père et ta mère »), confiants en l’ordre établi, entretenant l’illusion providentialiste (« bénis nos fétiches »), pervertissant les liens familiaux (la vente) et enjolivant (naïvement ?) les faits (voir l’oxymore « l’honneur d’être esclave ») ; ils caricaturent l’idée du mal générant nécessairement (graˆce au ciel) un bien.
L’ironie
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Elle est perceptible par exemple dans la mise au second plan du corps souffrant de l’esclave, mimant l’idéologie, et dans l’emploi antiphrastique de l’adjectif « fameux » (versus méchant) et de la tournure « c’est l’usage » (versus c’est inacceptable).
Candeur des penseurs des Lumières
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L’esclave est un homme poli (comme le vieillard d’Eldorado), maîtrisant le commerce des idées et raisonnant juste (plaidoyer). Avec lui, Candide (sans intermédiaire) mène l’enquête et voit que la réalité diffère d’un « traité », de l’utopisme : les « fétiches » sont actifs et l’or fait la loi.
Discours fictif et réflexion savante
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Voltaire fait entendre de multiples voix (esclave, mère, religieux, Candide, Cacambo) et expose plusieurs avis. La brève rencontre anecdotique a une portée philosophique (voir le dialogue final entre Candide et Cacambo), et le détour par la fiction américaine sert à rebondir sur l’actualité européenne immédiate (« que vous mangez du sucre »).
Le mal naturel
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La nature évoquée (« chiens ») n’apporte aucune aide ; elle est vidée de toute transcendance et l’ordre des choses tendrait plutôt à accabler les êtres humains qu’à les ménager : les animaux de la mini-ménagerie sont « mille fois moins malheureux que nous ».
La machinerie spatio-temporelle
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L’allusion au trafic triangulaire élargit le cadre spatiotemporel. L’esclave (comme d’autres personnages esclaves du conte) a été forcé de se déplacer et de subir un enchaînement de désillusions. Trahi par les siens et démembré par son maître, il incarne l’être broyé par la « meule » du mal (mais il n’aura pas la chance, comme d’autres, d’être racheté par le providentiel Candide).
Le mal religieux
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Le clergé est dénoncé pour son inconséquence : si les Noirs sont convertis, ils deviennent des chrétiens, ils ne devraient donc pas être mis en esclavage. L’hypocrisie des « prêcheurs » est également soulignée : le discours égalitaire se référant à la Bible est en contradiction flagrante avec la réalité brute.
Des personnages déshumanisés
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L’esclave est réduit physiquement à un état d’objet sans valeur : jeté au sol, loqueteux, amputé. Mutilé physiquement, spirituellement, socialement, il s’est vu ôter toute une part de son humanité. Il est la victime de ceux qui l’ont acheté mais aussi de ceux (ses proches) qui l’ont vendu...
Candide
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Le mal politique
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Derrière le formalisme du règlement juridicoadministratif qui permet d’appliquer des peines invalidantes pour des peccadilles (« la meule nous attrape le doigt »), se trouve toute une institution basée sur des intérêts politiques (empire colonial) et économiques (le sucre). Les gouvernants sont indifférents à la privation de liberté des Noirs (abolition de l’esclavage en France en 1848) et à la mécanique des sanctions disproportionnées (répétition du « on » anonyme) cautionnée par le Code Noir.
Le point de vue candide
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Le narrateur et l’esclave semblent pareillement détachés des faits évoqués. L’esclave parle d’un ton neutre, impartial, calme, avec concision et sans s’apitoyer sur son sort (seule l’étonne l’incohérence logique des « prêcheurs »). La distance du narrateur est moins nette (voir l’ironie), mais l’inacceptable paraît aussi dans l’ensemble accepté. L’effet émotionnel est concentré sur Candide (ses pleurs).
Vivre le moins mal possible
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La leçon de l’entrevue portera ses fruits : ne pas exploiter la souffrance d’autrui, baser son économie pour obtenir des petits plaisirs (le sucre), non sur l’inhumanité mais sur la bienfaisance, aider les autres à se reconstruire et ne pas être tenté de jouer le rôle du « maître » appliquant une loi inique.
Une structure très concertée
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L’entrevue est un démenti à la philosophie panglossienne. Il s’agit d’une étape importante dans l’évolution de Candide car l’esclave concentre sur lui les effets de tous les maux et, comme le héros, a été la dupe d’un enseignement trompeur. Face à ce double, Candide éprouve un choc intellectuel qui débouche sur une reformulation désillusionnée de sa doctrine culte.
IV. Orientations bibliographiques Sur le
XVIIIe siècle
MAILHOS, Georges, LAUNAY, Michel, Introduction à la vie littéraire du XVIIIe siècle, Bordas, 1969. Sur Voltaire GOLDZINK, Jean, Voltaire, la légende de saint Arouet, Gallimard, 1989. POMEAU, René, Voltaire par lui-même, Seuil, 1955. www.societe-voltaire.org
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Le conte philosophique
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Sur Candide CALVINO, Italo, La Machine littérature, « Candide ou la vélocité », Seuil, 1994. MAGNAN, André, Voltaire, Candide ou l’Optimisme, PUF, 1987. STAROBINSKI, Jean, Le Remède dans le mal, « Le fusil à deux coups de Voltaire », Gallimard, 1989. Adaptations, réécritures Roman : SCIASCIA, Leonardo, Candido ou Un rêve fait en Sicile, Maurice Nadeau, 1978. BD : MEYRAN, Philippe, Candide, Bulles d’encre, 2005. Théaˆtre : GANZL, Serge, Candide, d’après Voltaire, in L’AvantScène Théaˆtre, no 617, novembre 1977. Comédie musicale : BERNSTEIN, Leonard, Candide, livret de H. Wheeler, E´ditions Deut. Film : CHARBONNAUX, Norbert, Candide, René Chaˆteau, 1960 [rééd. DVD, 2004]. Jean-Philippe MARTY.
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