Bonzon J P 8 Le Relais Des Cigales
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A la même librairie PAUL-JACQUES BONZON
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10 • YANI Cours moyen.
11 •AHMED ET MAGALI Cycle moyen.
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PAUL-JACQUES BONZON INSTITUTEUR HONORAIRE LAURÉAT DES PRIX 'JEUNESSE’ "ENFANCE DU MONDE" "JEUNESSE" "NEW YORK HERALD TRIBUNE" "GRAND PRIX DE LITTÉRATURE DU SALON DE L'ENFANCE"
Le relais des
CIGALES LIVRE DE LECTURES SUIVIES COURS MOYEN
ILLUSTRATIONS DE DANIEL DUPUY
1973 DELAGRAVE 15, rue Soufflet, 75005 Paris
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NOTE DE L'AUTEUR LE RELAIS DES CIGALES est un livre de lectures mi-vies à l'usage du COURS MOYEN. Son but essentiel, en un temps où l'image, prend de plus en plus le pas sur les textes, est le perfectionnement du mécanisme de la lecture, en principe solidement acquis au cours élémentaire mais, en réalité, souvent demeuré insuffisant. A ce perfectionnement, s'ajoute évidemment l’enrichissement apporté par le vocabulaire, les tournures nouvelles de phrases et le contenu même des textes. Mais, pour qu'une lecture, soit profitable, il faut avant tout que l'élève s'y attache, que sa sensibilité soit mise en éveil, qu’il se ce retrouve. » d'abord lui-même, avant de « trouver » les autres. Combien de textes, de grande valeur cependant, n'ont aucune résonance parce, qu'ils ne touchent pas le jeune lecteur ! Or, nous vivons à une époque où, de bonne heure, l'enfant partage les joies, les préoccupations, les soucis, les peines de l’adulte. La vie moderne, mouvante, trépidante, instable, où le bruit, les déplacements jouent un grand rôle, marque profondément Vendant. C'est pourquoi ce livre, au cours de ses soixante-douze chapitres, raconte l'histoire de Jean-Lou, ce petit Provençal arraché à son calme village,, ballotté de toutes parts, à In recherche de ce que, nous appelleront son « équilibre ». Ce récit n'est qu'en apparence, le fruit de l'imagination. Combien fie Jean-Lou sont aujourd'hui placés devant de graves difficultés psychologiques ou sentimentales, à un âge où, naguère, le seul souci de l'enfance, était celui de grandir dans la quiétude? Il est d'ailleurs un problème plus spécial, commun à tous les élèves du cours moyen, que notre jeune héros devra affronter : celui de la sortie de l’école primaire. Maîtres et parents savent combien est parfois difficile ce passage du milieu paternel qu'est une classe primaire dans le monde plus vaste, plus socialisé du collège ou du lycée. C'est pourquoi il nous a paru intéressant de préparer les élèves du cours moyen à cette mutation en plaçant notre Jean-Lou devant ces petites difficultés... qu'il saura d'ailleurs surmonter. Quant à l'appareil pédagogique, il se limite à l'explication de quelques mois et à quelques questions sur l'intelligence des textes, les explications et questions les plus profitables étant celles proposées par le maître, meilleur juge du niveau de .sa classe, et de ce qu'il peut attendre de ses élèves.
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TABLES DES CHAPITRES 1. L'école de Tourette 2. Le chagrin de Jean-Lou 3. La grande nouvelle 4. La grande nouvelle (suite) 5. Adieu, Tourette ! 6. Le beau rêve s'évanouit 7. Une nuit mouvementée 8. Une nuit mouvementée (suite) 9. L'école de Montfaucon 10. L'école de Montfaucon (suite) 11. L'école de Montfaucon (suite) 12. L'école de Montfaucon (fin) 13. Deux nouveaux camarades 14. Jour de fête au relais 15. Jour de fête au relais (fin) 16. Piboule 17. Piboule (suite) 18. Piboule (fin) 19. Une lettre de Pierrette 20. Un appel dans la nuit 21. Suzy 22. Une nuit formidable 23. Confidences 24. Une lettre mystérieuse 25. Une lettre mystérieuse (fin) 26. En route pour l'Espagne 27. La frontière 28. Place de Catalogne 29. Le rendez-vous manqué 30. Une nuit espagnole 31. La mer! 32. Gilbert 33. La jalousie de Jean-Lou 34. Une tragique baignade 35. Une tragique baignade (suite) 36. Mme Sauthier
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37. Tout est oublié 38. Une bonne nouvelle 39. Dernier beau jour 40. Un départ précipité 41. L'accident 42. Le récit du drame 43. Séparation 44. Visite à l'hôpital 45. Comment s'organiser? 46. La grande route de Paris 47. L'appartement de tante Emilie 48. Le projet de Jean-Lou 49. Tribulations dans le métro 50. Porte close 51. Une bonne soirée 52. Monsieur le Proviseur 53. La rentrée 54. La rentrée (suite) 55. Des débuts difficiles 56. Les rendez-vous du dimanche 57. Un jour de novembre 58. « Sous les oliviers » 59. Noël à Bobigny 60. Noël à Bobigny (suite) 61. Le sosie de Piboule 62. Le « panier à salade » 63. Un bienfait n'est jamais perdu 64. La composition de rédaction 65. La composition de rédaction (suite) 66. La fin du tunnel 67. La seconde lettre 68. Les adieux de Boulou 69. La famille réunie 70. La grande surprise 71. Le dernier trimestre 72. Les plus belles vacances
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1 - L'ÉCOLE DE TOURETTE M. Sahune arpentait la cour de l'école, attendant l'heure de la rentrée, lundis que les enfants, séparément ou par petits groupes, franchissaient la grille. Mais, ce matin-là, au lieu d'entreprendre toutes sortes de jeux, les plus grands, tout au moins, restaient à bavarder sous le préau. — Ils se racontent sûrement le spectacle de la télévision qu'ils ont vu hier soir, pensa M. Sahune. Et il se dit, avec regret : — Ne seraient-ils pas mieux dans leur lit, au lieu de veiller jusqu'à des heures impossibles devant le petit écran? Il faudra que je parle à leurs parents. Là-dessus, ayant consulté sa montre, il lança, selon son habitude, trois coups brefs de son sifflet argenté. Docilement, les grands garçons et les grandes filles se rangèrent à gauche, devant lui, tandis que les petits se plaçaient devant Mme Sahune. Un nouveau coup de sifflet et tout ce petit monde pénétra dans le couloir où s'alignaient deux rangées de portemanteaux. Jean-Lou, un garçon de onze ans, à l'air éveillé et aux cheveux bruns de petit Provençal, entra le dernier. Conscient de l'importance de sa fonction de chef de classe, il raccrocha bérets et gilets, mal suspendus aux patères par les négligents, et referma la porte du couloir. Puis il vint s'asseoir à son banc, à côté de Janine, une fillette de son âge, aussi brune que lui, mais qu'il dépassait, en taille, de tout une tête. La classe débuta par la récitation de la fable qu'on apprenait en ce moment : Le chêne et le roseau. Cependant, l'atmosphère de l'école n'était pas celle de tous les jours. Des chuchotements couraient d'un banc à l'autre. Les élèves paraissaient distraits, ou plutôt préoccupés. — Eh bien! fit M. Sahune de sa voix grave, qu'avez-vous donc, ce matin ? Les petits bruits cessèrent. La récitation terminée, on aborda la leçon de calcul. Le maître annonça une révision de la notion de « salaire ». — Tenez ! fit-il, pour que vous compreniez mieux, nous allons prendre l'exemple d'un ouvrier de la filature de Tourette. J'écris tout de suite l'énoncé du problème au tableau. Suivez-le bien. Il prit un morceau de craie et traça : —Un ouvrier de la filature reçoit un salaire horaire de 4,20 F. Il travaille
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sept heures et demie par jour. Le samedi, il n'est employé que quatre heures. Calculez son sal... Mais, subitement, il s'arrêta et pivota sur ses talons. Les chuchotements venaient de recommencer. Rouge de colère, il s'écria : — Enfin! que se passe-t-il?... Qui se permet de bavarder? Il fixa ses dix-sept élèves afin de découvrir le coupable. Soudain, son regard s'arrêta sur Janine qui pétrissait son mouchoir entre ses doigts. Il quitta l'estrade et descendit jusqu'à elle. — Qu'as-tu, Janine ?... Tes yeux sont rouges. Tu pleurais ?... Quelqu'un te taquinait pendant que j'avais le dos tourné? La fillette se contenta de secouer la tête sans répondre. — Toi, Jean-Lou, son voisin, tu pourrais peut-être me dire?... Est-ce toi qui l'agaçais? Jean-Lou se leva. — Non m'sieur. Si elle pleure, c'est à cause de la filature. — Tu veux dire du problème, qu'elle ne comprend pas? — Non m'sieur, de l'usine. Elle va fermer ses portes le mois prochain. C'est M. Paillet, le patron, qui l'a annoncé hier.... Le papa de Janine n'aura plus de travail, la mère de Freddy non plus, ni le père de Fanette... ni le mien. En disant cela, Jean-Lou avait eu bien du mal, lui aussi, à se retenir de pleurer. Il se rassit et croisa les bras, la tête baissée, comme honteux. Alors, d'un seul coup, la colère du maître tomba. Son visage devint grave, bouleversé. — Je... Je vous demande pardon, mes enfants, bredouilla-t-il, je n'avais pas compris... je ne savais pas...
LES MOTS
AVONS-NOUS COMPRIS?
Patères. Sortes de portemanteaux très simples. Notion. L'idée qu'on se fait d'une chose. Bredouilla. Parla en hésitant sur les mots, comme s'il bégayait.
Pourquoi les grands élèves étaient-ils plus préoccupés que les petits ? Pourquoi Janine s'est-elle mise à pleurer pendant que le maître copiait l'énoncé du problème? A votre avis, quelle question allait poser le maître à la fin du problème?
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2 LE CHAGRIN DE JEANLOU
A la récréation, M. Sahune se planta sur le perron d'entrée pour surveiller les deux classes pendant que sa femme profitait de ces quelques minutes de répit pour vaquer, chez elle, au premier, à quelques travaux culinaires. Il constata avec soulagement que la petite Janine ne pleurait plus et même, riait avec une camarade. De leur côté, Fanette et Freddy paraissaient avoir oublié leurs préoccupations. Mais soudain, il avisa Jean-Lou, assis tout seul, au bout d'un banc, sous le préau. Il traversa la cour pour aller jusqu'à lui. — Eh bien, Jean-Lou, tu ne t'amuses pas avec tes camarades? Est-ce toujours à cause de ce que tu m'as appris tout à l'heure?... Regarde Janine, Freddy et Fanette, ils n'y pensent plus eux... et ils ont bien raison. Ces graves soucis ne sont pas de votre âge. — Oh! M'sieur, moi, ce n'est pas la même chose. Le maître parut surpris. - Que veux-tu dire? Jean-Lou poussa un soupir. — Janine, Freddy et Fanette, eux, ne seront peut-être pas obligés de quitter Tourette. Leurs parents ont encore quelques champs de lavandes ou d'oliviers... tandis que les miens... - Pourtant, la ferme où tu habites et qui porte ce joli nom provençal de Lou Souléou n'appartient-elle pas à ta famille? - Si, M'sieur, mais il n'y a plus que la maison. Autrefois, quand il est
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entré à la filature, mon grand-père a vendu les champs qui étaient autour. Nous n'avons plus rien. Il faudra que nous partions. Il y avait tant de chagrin dans la voix de Jean-Lou que le maître s'assit à côté de lui pour lui montrer qu'il prenait part à sa peine. - Cela t'ennuie donc tant de quitter Tourette? - Oh! oui, M'sieur. - Cependant, de toute façon, quand tu seras en âge de travailler, il faudra bien que tu gagnes ta vie ailleurs. Le village est si pauvre. Chaque année, il perd plusieurs de ses habitants. Il n'y a, hélas!, aucun avenir pour Tourette. Alors, un peu plus tôt, un peu plus tard... Est-ce que cela ne te console pas? Jean-Lou secoua la tête, obstiné. — Je voudrais rester à Tourette... avec vous M. Sahune. Le maître lui prit la main et, sur le ton de la confidence : — Écoute, Jean-Lou, la fermeture de l'atelier de tissage va m'obliger à partir, moi aussi. Déjà, l'an dernier, l'administration songeait à la suppression d'une classe, faute d'effectifs suffisants. Cette année, ton départ, celui de ton frère et des trois élèves qui vont entrer au collège de Roubignas, rendront cette fermeture certaine. Ainsi, à la rentrée prochaine, il n'y aura plus qu'une classe à Tourette. Mme Sahune et moi serons obligés de demander notre changement. — Oh! M'sieur, vous... vous aussi, allez partir? — Et tu peux croire, mon petit Jean-Lou que Mme Sahune et moi en aurons beaucoup de peine. Il y a huit ans que nous sommes ici ; nous nous plaisions beaucoup à Tourette. Jean-Lou releva la tête. Son visage n'était plus aussi triste. Il venait de trouver quelqu'un qui le comprenait, et ce quelqu'un était son maître, qu'il aimait tant. Certes, le départ de M. Sahune ne le consolait pas, il aurait beaucoup de chagrin de quitter sa maison, mais puisqu'à la rentrée l'école ne serait plus « son école »...
LES MOTS AVONS-NOUS COMPRIS? Vaquer à. S'occuper à. Travaux culinaires. Travaux de cuisine, de préparation du repas. Lou Souléou. Le soleil, en provençal. Obstiné. Être obstiné c'est montrer de l'entêtement dans une idée, une pensée. Effectifs. Le nombre total des enfants dans les classes.
Que signifie cette phrase : Ces graves soucis ne sont pas de votre âge7. Pourquoi Jean-Lou restait-il seul sur le banc? Relevez les parties de phrases qui montrent que Jean-Lou tient autant à son maître qu'à son village.
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3 - LA GRANDE NOUVELLE Déjà trois semaines que la fermeture de l'atelier de tissage, la seule usine de Tourette, a été décidée. Les premiers jours, Jean-Lou a éprouvé un réel et immense chagrin à la pensée de quitter son village. Mais son père n'est pas resté longtemps « les deux pieds dans le même sabot ». Il s'est tout de suite mis en quête d'un autre travail et, un soir, il a rapporté de la vallée une merveilleuse nouvelle. Du coup, le chagrin de Jean-Lou s'est envolé. Toute la nuit il a rêvé de ce qu'a dit son père et, le lendemain matin, il s'est éveillé à l'aurore. — Déjà debout! s'est étonnée sa mère. Aurais-tu oublié, hier soir, d'apprendre tes leçons?
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— Non maman, je les sais toutes par cœur... seulement je... je... Mme Plantevin sourit. — Ah! oui, je vois, c'est à cause de la nouvelle! Tu es pressé de l'annoncer à tes camarades... Jean-Lou rougit, gêné d'avoir été si vite deviné, mais il se sentit soulagé. Alors, il fit chauffer lui-même son petit déjeuner, qu'il avala d'un trait. Après quoi, ayant vérifié le contenu de son cartable et donné une caresse à Piboule, son chien, il s'apprêta à sortir. — Et Bruno ? fit Mme Plantevin. Tu ne l'attends donc pas, aujourd'hui ? C'était la première fois qu'il allait à l'école sans emmener son frère. Il aimait pourtant beaucoup Bruno, de quatre ans plus jeune. Il jouait, auprès de lui, le rôle de grand frère protecteur. Eh ! bien non, pour une fois, il était trop pressé.
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Dehors, un soleil déjà chaud de fin avril, lançait ses immenses gerbes de feu sur les collines. L'air avait cette transparence de cristal qu'on ne trouve nulle part ailleurs qu'en Haute Provence. Jamais, depuis ces trois semaines, Jean-Lou ne s'était senti aussi léger... Il était même si léger qu'il se mit à trottiner, à trotter, à courir... puis à galoper le long du chemin, si bien qu'il fut à Tourette en un rien de temps. Le village sommeillait encore. Personne dans les rues. Il jeta un coup d'œil à l'horloge du clocher. Pourquoi s'être tant précipité? Il ne trouverait aucun camarade dans la cour de l'école. Sans doute, même, le portail était-il encore fermé. — Jean-Lou, se dit-il, tu n'as point de cervelle. Si tu veux apprendre la grande nouvelle à tous les camarades en même temps, il faut arriver dans la cour juste avant l'heure de la rentrée. Alors, pour ne pas rester dans le village, il s'éloigna dans la campagne
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et s'assît sur un talus qui sentait bon le romarin... Il se mit à rêver, tout éveillé. Il se voyait déjà là-bas, dans la vallée. C'était merveilleux. Comment, l'autre jour, avait-il osé pleurer devant M. Sahune, parce qu'il devait quitter Tourette? Ah! que ses camarades allaient l'envier quand ils sauraient!... Soudain, il tressaillit au contact d'une main sur son épaule. — Eh bien, Jean-Lou, s'étonnait la mère Gambillette, la gardeuse de chèvres, que fais-tu là, au lieu d'être à l'école? Il se frotta les yeux, comme s'il avait dormi, se dressa sur ses jambes et prit son élan. Au moment où il atteignait la première maison du village, retentirent les trois coups de sifflet de M. Sahune. En retard! Il était en retard ! C'en était fait. Il n'aurait pas le temps d'annoncer la grande nouvelle... peut-être même serait-il puni? Échevelé, en nage, il fit irruption dans la cour au moment où les deux classes se mettaient en rangs. Alors, il poussa un soupir de soulagement et, malgré lui, tant il était heureux, tout son visage se mit à rire, de la pointe du menton à la racine des cheveux. — Eh bien, Jean-Lou? fit M. Sahune. Presque en retard, toi, le modèle d'exactitude? Que t'arrive-t-il? Et Jean-Lou de laisser éclater sa joie. — Oh! M'sieur, si vous saviez!... C'est formidable!
LES MOTS
AVONS-NOUS COMPRIS?
Aux aurores. De bonne heure, au lever du soleil. Romarin. Plante très odorante qui pousse dans les terrains secs sous le climat méditerranéen. Echevelé. Qui a les cheveux en désordre. Foire irruption. Entrer précipitamment quelque part.
Que signifie l'expression ; rester (es deux pieds dons le même sabot? Quelle différence faites-vous entre trotter et trottiner? Trouvez deux autres verbes formés de cette façon. Que signifie l'expression : n'avoir point de cervelle?
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4 - LA GRANDE NOUVELLE (suite) Quelle est donc cette nouvelle si extraordinaire? M. Sahune ne tarde pas à l'apprendre. Maître consciencieux, qui n'aime pas gaspiller le temps consacré à la classe, il ne résiste pourtant pas au désir de savoir ce qui met en fête le cœur d'un de ses élèves préférés. Les écoliers rentrés, installés à leurs pupitres, il demande ; — Alors, mon ami Jean-Lou, à présent, tu peux nous dire ce qui te réjouit. Encore tout rouge d'émotion... et d'avoir couru, Jean-Lou se lève. — M'sieur! mon père a trouvé du travail. Nous allons bientôt quitter Tourette.
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- Et c'est ce qui te cause un tel plaisir?... à toi qui avais tant de chagrin, l'autre jour, à la pensée de t'en aller du pays? Un peu embarrassé, Jean-Lou rougit davantage encore. — C'est que, M'sieur, le travail que vient de trouver papa n'est pas un travail comme les autres. Il va tenir une station-service là-bas, dans la vallée, sur la nationale 7... et moi, je l'aiderai à distribuer l'essence. II dit que, sur cette route, passent chaque jour des milliers et des milliers de voitures. — Bien sûr, pour qui s'intéresse à tout ce qui touche à la mécanique, c'est une aubaine... Et où se situe cette station-service? Dans quelle ville? — Justement, M'sieur, elle n'est pas dans une ville, ni même dans un village. Elle est toute seule au bord de la route, en pleine campagne, à trois kilomètres de... de... Il cherche le nom dans sa tête. — De Montfaucon!... — Montfaucon, répète M. Sahune, n'est-ce pas du côté d'Orange? — C'est ça. Papa a parlé d'Orange. Il a même dit qu'il y conduirait maman faire ses achats en auto, quand il en aura une à lui. Ne perdant pas l'occasion d'une petite leçon de géographie, le maître fait accrocher la carte de la région au tableau. — Voyez où nous sommes, et voyez Orange, à l'ouest, tout près du Rhône, à une centaine de kilomètres d'ici. C'est le pays des cultures maraîchères et des arbres fruitiers. Les élèves regardent de tous leurs yeux. La pensée que leur camarade Jean-Lou va s'en aller si loin les effraie presque, comme s'il partait au bout de la terre, mais en même temps ils sont heureux pour lui.
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— Ainsi, reprend le maître en faisant replacer la carte, tu n'as plus aucun regret, Jean-Lou, de quitter Tourette? — Oh ! si, M'sieur, mais là-bas, mon chien Piboule ne sera pas malheureux puisque c'est aussi la campagne... et puis, papa a dit qu'il ne vendrait pas notre maison. Nous y reviendrons pendant les vacances, et je retrouverai mes camarades. — Alors, puisque tout s'arrange si bien, je suis très heureux pour toi, Jean-Lou... A présent vite au travail! Et la classe commence. Cependant, Jean-Lou est encore trop ému pour la suivre sérieusement. Il sent les regards de ses camarades, des garçons surtout, tournés vers lui. A la récréation, il est aussitôt entouré comme une bête curieuse. Les questions pleuvent. — Quelle marque d'essence vendras-tu? demande Freddy. — Ton père aura-t-il une tenue avec un écusson et une belle casquette? veut savoir Janine. » — Comment iras-tu à l'école? ...à vélo? dit le petit Barneroux qui n'a pas de bicyclette. Tu en as de la chance! — Peut-être qu'un jour, un voyageur te prendra dans son auto pour t'emmener sur la Côte d'Azur, fait Paulette Virolle; moi j'aimerais tant voir la Côte d'Azur. Jean-Lou rayonne. Des explications, il en donne tant qu'on en veut... des explications qu'il invente, bien entendu, car, en fait, il n'en sait guère plus que ses camarades. Ainsi, pour tous ces enfants qui, pour la plupart, n'ont jamais quitté leur pauvre village, perdu loin des grandes routes, l'aventure qui attend Jean-Lou est une aventure merveilleuse et ils ne peuvent s'empêcher d'envier leur camarade. Hélas! ils ne se doutent pas... et Jean-Lou non plus, que la réalité est souvent bien différente du rêve. LES MOTS Nationale 7, Les grandes routes de France sont numérotées. La route nationale n" 7 part de Paris, passe à Lyon, suit la vallée du Rhône pour atteindre Aix-en-Provence et Nice. Aubaine. Quelque chose d'heureux et d'inattendu qui vous arrive. Cultures maraîchères. Cultures des légumes sur de grands espaces par des jardiniers spécialisés.
AVONS-NOUS COMPRIS? Donnez toutes les raisons pour lesquelles Jean-Lou pense qu'il se plaira là-bas. Pourquoi les garçons, plus particulièrement, se tournent-ils vers Jean-Lou? Les questions des filles ressemblent-elles à celles des garçons? Que pensez-vous de la dernière phrase? Que laisse-t-elle supposer?
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5 - ADIEU TOURETTE ! Par un jour maussade de la période des « saints de glace », la famille Plantevin quittait Tourette. Pour éviter un déménagement onéreux, le père de Jean-Lou avait fait appel à un entrepreneur du chef-lieu de canton voisin, possesseur d'un camion. Le chargement s'effectua sans incident, dans la matinée. Il faut dire que le mobilier n'était ni très important, ni très fragile, à part une vieille commode vermoulue, héritage d'une grand-mère, et à laquelle Mme Plantevin tenait comme à la prunelle de ses yeux. Le déménagement terminé, tout le monde se retrouva au restaurant... c'està-dire dans la petite salle de l'unique café de Tourette où, dans les occasions exceptionnelles, on servait aussi des repas. Ainsi, pour la première fois, JeanLou et Bruno déjeunaient à « l'hôtel » comme ils disaient. Ils en étaient à la fois émerveillés et intimidés et Jean-Lou n'osait pas, comme chez lui, glisser ses restes à son brave Piboule qui le suppliait pourtant des yeux. Trois heures sonnaient quand le chauffeur donna le signal du départ. Au moment de quitter son pays, Mme Plantevin chercha, une dernière fois, à découvrir sa maison et essuya une larme. Faute de place sous la bâche qui protégeait le chargement de la pluie (il commençait en effet à pleuvoir comme pour adoucir les regrets des partants) tout le monde s'entassa dans la cabine : M. Plantevin à côté du chauffeur, Mme Plantevin près de son mari, tenant Bruno sur ses genoux, et Jean-Lou, coincé entre sa mère et la portière, son brave Piboule entre les genoux. Tous étaient si émus que, pendant les premiers kilomètres, personne ne souffla mot. Cependant, au bout d'un moment, Mme Plantevin soupira : — Je ne sais pas très bien exprimer ce que j'éprouve, mais j'ai presque peur... oui, peur. — Peur de quoi? demanda son mari. — Il me semble que nous ne serons jamais aussi heureux qu'à Tourette. — Bah! la pluie te donne des idées tristes. Tu as toujours détesté la pluie... Et puis, tout le monde le sait, les femmes n'aiment pas les changements. Il ajouta en riant :
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- Pourtant, nous ne serons pas là-bas depuis quinze jours que tu te demanderas comment tu as pu vivre si longtemps à Tourette. N'est-ce... pas, Jean-Lou, toi, au moins, tu ne regrettes rien. — Oh! non, papa! Ce " non » énergique rassura la mère. - En effet, fit-elle, le passé s'oublie parfois très vite. Les enfants ne regardent que devant eux et ils ont sans doute raison. Plus on s'éloignait de Tourette, plus Jean-Lou bouillait d'impatience. Tandis que Bruno s'endormait sur les genoux de sa mère, lui, laissait courir son imagination de petit Méridional. Il se représentait le « Relais des Cigales » (le nom de la station-service), avec des enseignes lumineuses géantes, d'immenses panneaux-réclame, des rangées de pompes à essence devant lesquelles des files de voitures faisaient la queue pour s'y abreuver. Le plein d'un réservoir était à peine terminé qu'une autre auto se présentait et qu'une troisième attendait impatiemment son tour. Et c'était lui, Jean-Lou, en tenue de pompiste, casquette sur l'oreille, qui servait tout le monde : — Combien de litres, monsieur?... Du « super » ou de « l'ordinaire »?... Un peu d'eau dans votre radiateur?... Vous n'avez pas besoin d'huile?... Une seconde! Je donne un coup de chiffon à votre parebrise! Et, souhaitant bon voyage au conducteur, il soulevait poliment sa casquette, pour se précipiter ensuite vers le client suivant. Dans sa hâte d'arriver, il jeta un coup d'œil vers le pied droit du conducteur et pensa : — Pourquoi n'appuie-t-il pas davantage sur le « champignon»? Nous serions déjà arrivés. Mais au même moment, ce pied qu'il désirait voir écraser l'accélérateur, se releva brusquement. — Vous avez entendu fit le chauffeur à M. Plantevin. Ça a fait un drôle de bruit sous le camion. Il faut que je m'arrête. LES MOTS
AVONS-NOUS COMPRIS?
Saints de glace. Trois saints du calendrier dont les fêtes se situent au début du mois de mai. A cette époque de l'année on assiste souvent à un court retour du froid et parfois à des gelées. Onéreux. Coûteux.
Quelle différence faites-vous entre un incident et un accident. Décomposez le mot vermoulu en un nom et un verbe. Trouvez ainsi le sens de ce mot. Quelle différence faites-vous entre un hôtel et un restaurant? Les enfants ne regardent que devant eux. Faut-il prendre cette phrase au sens propre ou au sens figuré? Trouvez un synonyme de détester.
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6 - LE BEAU RÊVE S'ÉVANOUIT Le chauffeur a bien fait d'arrêter rapidement sa voiture, après le » drôle de bruit ». Descendu de la cabine avec M. Plantevin et Jean-Lou, il constate avec stupeur qu'une des deux roues jumelées, à l’arrière-droit du camion s'est déboulonnée, ou plutôt que les boulons se sont brisés. Reprenant sa liberté, la dite roue a échoué dans le fossé. C'est la panne. Impossible de continuer le voyage sans courir le risque de voir l'autre roue céder à son tour sous le poids du chargement. — Sommes-nous loin d'un village? s'inquiète Jean-Lou. — Hélas! fait le chauffeur, le plus proche, qui s'appelle Courbignas, est à trois kilomètres d'ici, au moins... Je connais pourtant là un bon mécanicien capable de me dépanner. Et, regardant sur la route, en arrière : — Si au moins j'apercevais une voiture qui me prendrait à son bord et me conduirait là-bas... mais il ne faut guère y compter; cette petite route est peu fréquentée. — Alors, partons tout de suite à pied, décide M. Plantevin. Je vous accompagne. Toi, Jean-Lou, remonte à l'abri dans la cabine, avec ta mère et Bruno. Les deux hommes s'éloignent sous la pluie, leur imperméable non sur les épaules mais sur la tête, selon une habitude des gens du Midi qui redoutent avant tout avoir le chef mouillé. Dans la cabine, Bruno s'est réveillé et pleure. Il s'imagine que le camion ne pourra jamais repartir et qu'il couchera, cette nuit, sur la route. — Mon Dieu! murmure Mme Plantevin, pour commencer, la pluie; ensuite, une panne... Que va-t-il nous arriver encore?
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- Rien, maman, répond Jean-Louj malgré tout inquiet. Une heure s'écoule... et encore une autre. Les deux hommes ne reviennent toujours pas. Déjà six heures! Bruno se plaint de la faim. Jean-Lou, lui aussi, sent son estomac se creuser, mais il se garde de l'avouer pour ne pas peiner sa mère qui n'a rien à leur donner. Enfin une camionnette apparaît au bout de la route. Elle s'arrête près de la voiture de déménagement. Les deux hommes sautent à terre, avec un mécanicien en bleu de travail. M. Plantevin explique à sa femme et à Jean-Lou qu'il a fallu, dans l'atelier du garagiste, fabriquer spécialement boulons et écrous. — Rassurez-vous, dit-il, à présent, ce sera vite fait. Dans une heure nous serons chez nous. C'est malheureusement se montrer trop optimiste. En effet, fabriqués hâtivement, les boulons se révèlent trop courts; le mécanicien doit repartir vers son atelier pour les refaire. Bref ! la nuit tombe déjà quand le chauffeur se remet au volant. Par chance, la pluie
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a cessé. En revanche, le vent se met à souffler, un vent de plus en plus violent à mesure qu'on descend vers la plaine. C'est le mistral qui se lève, explique le chauffeur. Il ne fera pas chaud celle nuit. Le mistral! Jean-Lou en a entendu parler, à l'école, comme d'un fleuve de vent déchaîné qui se rue vers la mer, emportant tout sur son passage. Est-ce le mistral qui secoue si durement les arbres éclairés par les phares du camion? Tout à coup, on débouche sur la grande route, la fameuse nationale 7. Une sorte d'hallucination s'empare de Jean-Lou. Oh! toutes ces autos qui passent comme des bolides, perçant la nuit avec leurs yeux jaunes... et le vacarme de ces « poids lourds » dix fois plus gros que le camion de déménagement... et le hurlement du vent qui fait claquer, comme des coups de tonnerre, la bâche du chargement. - J'ai peur! murmure Bruno. Donne-moi la main, maman... et toi aussi Jean-Lou. Mais soudain, le camion ralentit, s'arrête. - Où sommes-nous? demande Jean-Lou affolé. - Eh bien! au Relais des Cigales... Nous sommes arrivés. - On ne voit rien, pas de lumières... — Tu sais bien que le Relais est fermé depuis quelque temps; mais j'ai les clefs, nous sommes chez nous. Les voyageurs mettent pied à terre, dans la nuit, et le terrible mistral les glace jusqu'aux os en les jetant les uns contre les autres. Dans l'ombre, on distingue vaguement une construction aux volets fermés et, derrière, la masse noire d'un bois de pins qui gémissent sous les rafales. L'endroit paraît sinistre. Épouvanté, Bruno se jette dans les bras de sa mère, Jean-Lou, lui, pleure sans bruit son beau rêve évanoui. LES MOTS Roues jumelées. Roues identiques accouplées comme des sœurs jumelles. Chef. La tête. Hallucination. Sorte de mauvais rêve tout éveillé,
AVONS-NOUS COMPRIS? D'après le texte, pouvez-vous expliquer le mot « optimiste ». Le contraire est « pessimiste ». Que signifie-t-il ï Faites une phrase ou vous emploierez le mot « vacarme ». Quelle phrase indique que Bruno est encore un bien petit garçon? Relevez les passages montrant que Jean- ou est courageux.
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7 - UNE NUIT MOUVEMENTÉE II était près de minuit quand, le mobilier provisoirement entreposé dans l'atelier attenant au relais, et le transporteur reparti vers la montagne, on songea à se coucher. Auparavant, tandis que les deux hommes s'occupaient du déchargement, Mme Plantevin avait demandé à Jean-Lou de monter simplement les matelas dans les chambres où, pour une nuit, on dormirait tout habillé. JeanLou avait également installé le réchaud à gaz dans la cuisine pour que sa mère puisse préparer un repas de fortune qui avait été pris, sur le pouce, pendant une pause dans le déchargement. Écrasé de fatigue, Jean-Lou se laissa tomber tout d'une pièce sur son matelas, dans la chambre qui serait désormais la sienne, une pièce mansardée, au premier étage, et donnant sur la grande route, à l'opposé de la chambre de ses parents qui ouvrait sa fenêtre, derrière, vers le bois de pins. Il souhaitait s'endormir très vite afin d'être en forme, au réveil, pour aider son père à installer les meubles dans la maison. Il n'y parvint pas. Son cœur demeurait serré. Il était trop habitué au grand calme de sa maison de Tourette. Oh ! le bruit affolant de toutes ces voitures lancées à une vitesse vertigineuse sur la grande route toute droite! Chaque fois que passait un de ces énormes camions semi-remorque, fonçant vers le Nord ou le Midi, les vitres de sa chambre vibraient à éclater. Instinctivement, il se recroquevillait, les genoux sous le menton, la tête dans les mains, comme si le bolide allait enfoncer la maison.
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Quant au malheureux Piboule, au lieu de se coucher sur le plancher près de son maître, comme à Tourette, il se tenait debout, la queue entre les pattes, surtout affolé, lui, par les gémissements de la charpente, ébranlée par le mistral. Enfin, Jean-Lou s'assoupit... mais pas pour longtemps. Les aboiements de son chien le tirèrent de son demi-sommeil. Que se passait-il? Piboule avait-il perçu d'autres bruits que ceux des voitures et du vent? Il se leva, jeta un coup d'oeil par la fenêtre et aperçut une auto, arrêtée devant les pompes à essence. Des silhouettes se détachaient de l'ombre. Il en compta six. — Des voyageurs en panne d'essence, pensa-t-il. Ils vont sonner à la porte et réveiller inutilement mes parents... et surtout Bruno qui dort dans leur chambre. Alors, il tourna le bouton de la lumière, ouvrit la fenêtre et cria : — Pas d'essence!... — Comment? riposta une voix, pas d'essence dans un relais?... C'est un peu fort! — Les pompes ne fonctionnent pas encore ! Les citernes ne seront pas remplies avant demain ou après-demain. Mais, au lieu de s'en aller, les automobilistes insistèrent. — Nous venons déjà de pousser la voiture sur deux kilomètres; il nous faut de l'essence. La présence de six hommes, en pleine nuit, dans une aussi petite voiture parut étrange à Jean-Lou. Il faillit appeler son père. — Non, se dit-il, je ne vais pas continuer d'avoir peur. Pour se prouver son courage, il fit signe à Piboule de ne pas le suivre et descendit seul expliquer aux inconnus, plutôt que de hurler par la fenêtre, que le relais n'était pas encore ouvert. Il vit alors les six ombres s'avancer vers lui et il se raidit pour ne pas fuir. Ces six hommes avaient une allure bizarre. Tous portaient les mêmes coiffures, des chapeaux de paille appelés autrefois canotiers, dont les larges bords dissimulaient le regard des curieux voyageurs. Tous aussi arboraient, à leur veston, quelque chose de rond et de plat qu'il ne reconnut pas. — Débrouille-toi comme tu peux, fit l'un des inconnus, impatient. Il nous faut de l'essence. Tu en trouveras sûrement quelques gouttes. Cette fois, une sorte de panique s'empara de Jean-Lou. A coup sûr il avait affaire à des gangsters déguisés qui revenaient d'exécuter un mauvais coup! Tous ses membres se mirent à trembler.
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LES MOTS
AVONS-NOUS COMPRIS?
Attenant. Bâti contre la maison. On dit aussi contigu. Camions semi-remorque. Camions articulés en deux parties. D'une part, à l'avant, le moteur et la cabine; à l'arrière, la remorque. Arboraient. Arborer au sens propre : dresser à la manière d'un arbre. Au sens figuré, comme ici : placer bien en vue, mettre en évidence. Panique. Très grande peur.
Qu'est-ce qu'un repas de fortune? Un repas pris sur le pouce? Construisez une phrase ou vous emploierez l'adverbe provisoirement. Quelle différence faites-vous entre dormir et s'assoupir? Est-ce surtout pour ne pas réveiller ses parents que Jean-Lou ne les appelle pas?
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UNE NUIT MOUVEMENTÉE (suite)
II veut appeler au secours. Pas un son ne sort de sa gorge. Mais, la frayeur est parfois bonne conseillère. Il se rappelle tout à coup, que, pendant le déménagement, il a lui-même déposé dans l'atelier, la bouteille d'essence dont maman se servait, à Tourette, pour enlever les taches des vêtements. - Attendez! Je... je... Il court vers l'atelier où les six ombres le suivent... peut-être pour se jeter sur lui et l'étrangler. Heureusement, il retrouve tout de suite la bouteille, à tâtons. Elle est presque pleine. - Voilà, fait-il la voix tremblante, c'est tout ce que j'ai. - Ça nous suffira pour atteindre le premier village. Soulagés, les six hommes reviennent vers leur voiture verser le contenu de la bouteille dans le réservoir. Puis le plus grand s'avance vers Jean-Lou qui se remet à trembler. - N'aie pas peur, mon petit gars. A service exceptionnel, récompense exceptionnelle! Au nom de la loi je te décore de l'ordre des pompistes. Ce disant, vacillant sur ses jambes, il enlève son canotier qu'il pose sur la tête de Jean-Lou, accroche à son pull-over ce qu'il portait lui-même à la boutonnière et glisse dans la main de l'enfant un bout de papier. Puis, au gardeà-vous, il salue militairement et court s'entasser avec ses compères dans la petite auto qui démarre en zigzagant. Complètement hébété, Jean-Lou regarde la voiture disparaître dans la nuit. Vient-il de faire un cauchemar? Les gens de ce pays sont-ils fous?... ou bien est-ce lui, Jean-Lou, qui perd la raison? Pendant quelques instants, il reste là, devant le relais, ne sachant même plus où il est. Puis, repris par la peur, il remonte quatre à quatre dans sa chambre, son chapeau de paille sur la tête. Il aperçoit son pull-over orné d'une énorme cocarde tricolore d'où pendent des rubans dorés et, dans sa main droite, non pas un bout de papier, mais un billet de banque de dix francs. Alors, sa frayeur tombant brusquement, mais renonçant à comprendre, il s'écroule sur son matelas et s'endort d'un seul coup, le chapeau sur les yeux, la cocarde à la poitrine et le billet au bout des doigts. ... C'est dans cette position que, vers dix heures du matin, inquiète de ne pas le voir se lever, Mme Plantevin découvre son fils. Épouvantée, elle referme la porte et court chercher son mari.
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— Vite!... viens voir Jean-Lou! Saisi par la voix affolée de sa femme, le père lâche le sommier qu'il transportait et accourt. Encore mal éveillé, Jean-Lou essaie de rassembler ses souvenirs qui lui reviennent peu à peu... en même temps que la peur. Mais tout à coup son père éclate de rire. - Comment? tu n'as pas compris?... Parbleu! c'étaient des conscrits, d'inoffensifs conscrits en goguette et assez éméchés qui revenaient de fêter, quelque part, leur passage au conseil de révision. Des conscrits ! Oh ! c'est vrai ! comment n'y avait-il pas pensé ? Il en avait pourtant vu, à Tourette. Alors son visage se détend, un sourire écarte le coin de ses lèvres. Il regarde le beau billet de dix francs, tout neuf. — Félicitations, mon petit Jean-Lou, fait son père en plaisantant, tu commences bien ton métier de pompiste. Dix francs une bouteille d'essence, c'est bien payé! A ce tarif-là, nous aurons vite fait fortune. Et Mme Plantevin de rire elle aussi, en embrassant son Jean-Lou qui a bien mérité cette récompense.
LES MOTS Vacillant, Ne tenant pas très bien sur ses jambes. On pourrait dire aussi : chancelant. Hébété. Devenu stupide, incapable de comprendre. Inoffensifs. Qui ne sont pas capables d'offenser, c'est-à-dire de faire du mal. En goguette. Être en goguette, c'est être gai pour avoir un peu trop bu au cours d'une fête. Être éméché. Être légèrement ivre.
AVONS-NOUS COMPRIS? Expliquez cette phrase : la frayeur est parfois bonne conseillère. Quels détails montrent que les conscrits ne sont pas seulement gais, mais éméchés. Quelle différence faites-vous entre un rêve et un cauchemar. Pourquoi Jean-Lou ne pense-t-il pas tout de suite à des conscrits? L'aviez-vous deviné, vous, avant la fin de la lecture? Quel premier détail vous a mis sur la voie?
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9 - L'ÉCOLE DE MONTFAUCON L'installation s'achevait. Les meubles occupaient leur place définitive dans les pièces de la maison. Des milliers de litres d'essence emplissaient les deux citernes enterrées dans le sol, sous les pompes. Tout compte fait, le Relais des Cigales n'était pas aussi sinistre qu'on l'avait cru en arrivant et le bois de pins, lugubre sous le mistral, se révélait charmant. Certes, négligé par les prédécesseurs, l'entretien des lieux laissait à désirer mais avec du courage et de la patience, la remise en état ne serait qu'une question de temps. Le plus urgent, d'après Mme Plantevin, était de refaire le massif de fleurs abandonné pour que les plantes aient le temps de pousser avant l'arrivée des chaleurs.
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Ainsi, la mauvaise impression du début était presque effacée... Pas pour tout le monde, cependant. Garçon à l'imagination trop vive, à la sensibilité à fleur de peau, Jean-Lou n'oubliait pas son arrivée en pleine nuit, sous les rafales de vent, et son aventure avec les conscrits. En outre, ce pays plat, monotone, lui faisait regretter ses montagnes. Ses camarades aussi allaient lui manquer. Au relais, il serait toujours seul, avec son frère, encore trop petit pour être autre chose qu'un petit garçon qu'on aime bien et qu'on gâte. Bien sûr, vingt fois, trente fois par jour, des automobilistes s'arrêtaient pour prendre de l'essence, mais ces inconnus ne restaient que quelques instants et on ne les reverrait jamais. Aussi avait-il hâte de retourner en classe. Un lundi, sa mère décida donc de le conduire à Montfaucon pour le faire inscrire à l'école. Ils partirent sans Bruno, encore fatigué par un gros rhume pris le jour du déménagement, et qui ferait sa rentrée plus tard... La circulation était si intense, si dangereuse sur cette route plate, toute droite, mais pas très large, où les camions se croisaient et se dépassaient en rasant le bord de la chaussée qu'il eût été de la dernière imprudence de faire le trajet à vélo. Malgré son goût pour la bicyclette, Jean-Lou l'avait compris... Mais Piboule ne comprit pas, lui, que son maître ne lui permît pas de l'accompagner, comme à Tourette. Quand elle vit Jean-Lou prendre son cartable et quitter la maison, la pauvre bête montra un air lamentable. Cependant Jean-Lou ne céda pas; il tenait trop à son chien, son seul ami à présent, pour l'exposer au danger. Montfaucon, un gros bourg cossu de trois à quatre mille habitants, ne ressemblait à Tourette que par ses toits de tuiles rosés. Ici, pas de bâtisses délabrées ou abandonnées comme là-haut, mais de confortables maisons bien entretenues. En arrivant devant l'école, Jean-Lou se sentit très impressionné par l'importance du bâtiment... ou plutôt des bâtiments car il y avait une école de garçons et une école de filles, d'au moins cinq ou six classes chacune. Ainsi, garçons et filles ne jouaient et ne travaillaient pas ensemble comme à Tourette. Il en éprouva une vive déception. Cette séparation ne lui paraissait pas normale. Elle-même intimidée, consciente de son allure campagnarde, Mme Plantevin frappa à la porte qu'on lui avait indiquée, celle du directeur. Celui-ci faisait une leçon, il n'entendit pas. La mère de Jean-Lou frappa une seconde fois... et une troisième, plus fort. Enfin, la porte s'ouvrit sur un visage irrité. — Je viens faire inscrire mon fils à l'école, dit vivement Mme Plantevin.
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Le directeur fronça les sourcils. — Nous sommes en plein travail. Vous ne pourriez pas revenir à une autre heure?... ce soir, par exemple, après la classe? - C'est que, monsieur le directeur, nous habitons loin du bourg, à trois kilomètres d'ici. Je suis venue exprès ce matin, pour vous voir. Le directeur se frotta le menton, réfléchit, et demanda : - Avez-vous tous les papiers?... livret de famille, certificats de vaccination. - Oui, monsieur le directeur, les voici. Mon fils a aussi ses cahiers. — Allons, faisons vite. Entrez...
LES MOTS
AVONS-NOUS COMPRIS? LES MOTS
Urgent. Qu'il est nécessaire de faire très vite, le plus tôt possible. Cossu. De belle apparence, riche. Délabrées, Des maisons délabrées sont des maisons mal entretenues qui tombent en ruines. Irrité. En colère, agacé.
Que signifie Prédécesseurs. Quel est le contraire? Si vous ne connaissez pas ce mot, cherchez son sens en relisant le texte. Expliquez cette expression : une sensibilité à fleur de peau. Remplacez l'expression : de ta dernière imprudence par une autre. Quel passage montre que, malgré sa vive imagination, Jean-Lou est un garçon très raisonnable.
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10 - L'ÉCOLE DE MONTFAUCON (suite) Mme Plantevin et son fils pénétrèrent dans la classe, s'avancèrent vers la chaire et le directeur sortit d'un tiroir un grand registre recouvert de papier bleu. Si les imposants bâtiments scolaires avaient impressionnés Jean-Lou, que dire de son effarement en découvrant, dans cette salle, au moins quarante élèves, presque tous plus grands que lui ? Gêné par ces quarante paires d'yeux braqués sur sa mère et lui, surtout sur lui, il se sentit soudain plus malheureux que s'il s'était trouvé tout nu au milieu d'une place grouillante de monde. Oui, c'était cela. Les quarante élèves le déshabillaient... ou plutôt déshabillaient son âme et il aurait voulu s'enfoncer à dix pieds sous terre. D'emblée, il devina ces enfants différents de ceux de Tourette pour qui l'arrivée d'un nouveau (l'événement s'était produit deux fois) ne provoquait que des sourires accueillants. Il eut le sentiment d'être un intrus et le lourd silence de curiosité méfiante qui s'établit, à son arrivée, n'était pas fait pour dissiper le malaise. Ouvrant le livret de famille que lui tendait la mère, le maître lut tout haut le nom de l'arrivant. — Plantevin Jean-Louis... — Oui, Jean-Louis, monsieur le directeur reprit la mère, mais nous l'appelons Jean-Lou. Ce prénom, Jean-Lou, était-il inconnu à Montfaucon? Le silence se rompit aussitôt. Des rires fusèrent, mal étouffés. Au fond de la classe on entendit des voix imiter celle du loup. — Hou!... hou!... hou!... Agacé, le directeur frappa du poing son bureau. — Silence!.,.
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Puis, se retournant vers le nouveau venu, lui demanda quel cours il fréquentait à l'école de son village. — Le cours moyen première année?... deuxième année? Jean-Lou rougit. A Tourette, M. Sahune ne parlait jamais de cours. Dans sa classe, on distinguait seulement la première division et la seconde. — Je ne sais pas, fit-il. De nouveaux rires coururent dans la salle. Jean-Lou comprit qu'on le prenait pour un cancre, lui qui n'avait toujours eu que de bonnes notes. Il en eut même la certitude quand il entendit murmurer au premier rang des pupitres : — Ce n'est pas Plantevin qu'il s'appelle mais plutôt Plantecoucourde. Plantecoucourde ! Son cœur se serra. Il connaissait trop bien le mot coucourde qui, en Provence, désigne la courge, le plus stupide des fruits de la terre, celui qui enfle démesurément sa tête vide et se prend pour un soleil. Alors, il tourna résolument le dos à la classe pour ignorer ce qui se chuchotait sur son compte. Espérant ne pas être entendu, il baissa le ton de sa voix pour répondre aux questions du directeur sur son niveau scolaire. Il parla même si bas que le maître, impatient de reprendre sa leçon, ne cacha pas son agacement. — Parle plus fort, voyons!... Au lieu d'élever la voix, il montra ses cahiers de Tourette, ses cahiers soignés, sans taches, presque calligraphiés, scrupuleusement corrigés par M. Sahune. Sans les voir, Jean-Lou comprit que les quarante paires d'yeux se détournaient de lui pour lire sur le visage du maître l'idée que celui-ci se faisait de l'arrivant. Libéré de ces regards, conscient de la bonne impression donnée par ses cahiers, Jean-Lou se crut sauvé.
LES MOTS Effarement. Grand étonnement accompagné de peur, qui vous donne l'air stupide. D'emblée. Du premier coup. Ici, au premier coup d'œil. Cancre. Élève paresseux, qui fait peu de progrès. Calligraphiés. Une écriture calligraphiée est une écriture très soignée, élégante et ornée.
Que signifie l'expression : déshabillaient son âme. Faites une phrase pour traduire la même idée. Qu'est-ce qu'un livret de famille? Avezvous vu celui de vos parents ? Que contient-il ? L'auteur parle de curiosité méfiante. Comment diriez-vous pour une curiosité contraire? Quel sentiment éprouve Jean-Lou en constatant qu'on le prend pour un cancre? Quel est le seul moment de cette scène où Jean-Lou essaie de réagir contre l'intimidation et la gêne?
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11 - L'ECOLE DE MONTFAUCON (suite) Non, Jean-Lou n'était pas sauvé. Il replaçait ses cahiers dans son cartable quand, tout à coup, un éclat de rire unanime, énorme, emporta la classe. Un chien venait de pénétrer dans la salle par la porte mal refermée par Mme Plantevin. Le directeur sauta sur sa chaise, furieux contre ses élèves. — Silence!... Silence!.,. Puis, apercevant l'animal : — Chassez-moi cette affreuse bête!
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D'un doigt impératif, il ordonna à un élève de faire sortir l'importun. - Mon chien!... C'est mon chien Piboule! s'écria Jean-Lou en pâlissant, je lui avais défendu de me suivre. - Alors, jette-le dehors. Mais le pauvre Piboule, si docile d'ordinaire, ne voulut rien entendre. Il n'avait pas fait tant de chemin pour être aussitôt renvoyé. Jean-Lou et sa mère eurent toutes les peines du monde à le tirer par le collier. Dans sa résistance obstinée, il faillit même renverser Mme Plantevin et, naturellement, cette petite scène bouffonne, ne fit qu'attiser l’hilarité des élèves... et le désordre. En dépit des appels au calme d'un directeur excédé, des exclamations émergèrent du tumulte : « Qu'il est laid! »... « Quelle idée de l'appeler Piboule, comme un arbre »!... « II doit boire du café au lait pour avoir de pareilles taches jaunes »!... « Et ses pattes? Tu as vu ses pattes? »... Autant d'injures qui frappèrent Jean-Lou aussi cruellement que si elles s'adressaient à lui. Certes, il le savait, Piboule n'était pas un chien de race. Les pattes de devant, un peu cagneuses, et les taches jaunes de son pelage, surtout celle qui entourait son œil droit, n'avaient rien d'esthétique, mais c'était son chien, son chien à lui. Il l'avait eu tout petit et l'aimait. Il l'appelait Piboule, du nom qu'on donne en Provence au peuplier à cause, justement, des taches jaunes, de la couleur des feuilles de cet arbre en automne. Piboule sorti, les rires calmés, le directeur se hâta d'expédier les dernières formalités d'admission du nouvel élève et précisa à la mère que, vu l'éloignement du « Relais des Cigales » et les dangers de la circulation sur la grande route, son fils prendrait le repas de midi à la cantine de l'école. Làdessus, il pria Mme Plantevin de se retirer. C'est alors que la pauvre femme commit la pire des maladresses. Ne s'avisa-t-elle pas, dans son innocence, de se pencher vers son fils pour l'embrasser sur les deux joues devant toute la classe? Quel ridicule!... Un garçon de onze ans embrassé devant quarante de ses semblables. Jean-Lou rougit jusqu'au bout des oreilles. On le prenait déjà pour un cancre, il passerait aussi pour une poule mouillée, un bébé qui n'est jamais sorti des jupes de sa mère. Quand la porte se referma sur Mme Plantevin, Jean-Lou se sentit si désemparé qu'une terrible envie de fuir le saisit. Mais, le directeur lui indiquait une place, à côté d'un grand garçon maigre d'au moins douze à treize ans. — Assieds-toi là et écoute la leçon. Je te donnerai livres et cahiers plus tard; nous sommes assez en retard ainsi... Quant à vous tous, les autres.
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vous aurez une punition pour apprendre à vous tenir convenablement quand je suis occupé avec quelqu'un. Jean-Lou s'assit à sa place et la classe se tut, mais il vit de nouveau tous les regards tournés vers lui... des regards où, à présent se lisait autre chose que de la curiosité. — Ils sont punis à cause de moi, se dit-il, cette fois ils vont me détester.
LES MOTS AVONS-NOUS COMPRIS? Unanime. Qui ne fait qu'un. Tous les rires se confondaient en un même grand rire. Importun. Un importun est celui qui s'occupe de ce qui ne le regarde pas, qui se trouve dans un lieu où on ne souhaite pas sa présence. Bouffonne. Une scène bouffonne est une scène drôle, amusante, comique, extravagante. Hilarité. Explosion soudaine de rire. Cagneuses. Les pattes étaient rapprochées à la hauteur du coude et écartées au niveau du sol. Poule mouillée. Expression qui désigne un être faible, sans défense, qui a peur de tout.
Expliquez : d'un doigt Impératif. Qu'est-ce que le mode impératif en conjugaison? D'où vient ce mot? D'après le texte, pouvez-vous trouver le sens du mot : esthétique. Expliquez : des exclamations émergèrent du tumulte. Quel nom retrouve-t-on dans : émerger? Dans le regard des élèves se lisait autre chose que de la curiosité. Quelle pouvait être cette «autre chose»?
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12 - L'ÉCOLE DE MONTFAUCON (fin) Jean-Lou suivit assez mal la leçon que le maître venait de reprendre. Il se sentait trop étranger dans cette école où il venait de rater si honteusement son entrée. Il s'était déjà rendu compte, pourtant, après un coup d'œil sur le cahier de son voisin, que le niveau de la classe n'était pas supérieur à celui de sa division, à Tourette. A présent, il appréhendait la récréation où, à coup sûr, ses nouveaux camarades ne manqueraient pas de le mettre à l’épreuve. C'est ce qui se produisit, en effet... mais pas de la façon qu'il avait prévue. Au lieu de l'entourer, de lui poser des questions plus ou moins perfides, les élèves de sa classe se tinrent à l'écart. Il crut tout d'abord qu'ils l'avaient oublié et en éprouva un certain soulagement. Mais bien vite, il découvrit ce que cachait cette apparente indifférence. Des mots parvinrent à ses oreilles. Tout le monde parlait de lui. A plusieurs reprises, il reconnut le surnom qu'on lui avait déjà donné : Plantecoucourde, accompagné de petits gloussements de rire. Il fît celui qui n'entendait pas, les rires se développèrent, les « Plantecoucourde » se multiplièrent à tel point qu'il ne lui était plus possible de feindre de les ignorer. Il eut l'impression d'être acculé à un mur sans autre possibilité, pour son salut, que de foncer devant lui. Oui, il devait se défendre. Alors, la colère bouillonna dans ses veines. Il jeta un regard vers le groupe de grands et dévisagea celui qui semblait monter la tête aux autres en chantonnant des « Plantecoucourde » sur tous les tons. — Si je les laisse faire, se dit Jean-Lou, je suis perdu. Le pas assuré, il s'avança vers lui et lança, d'une voix agressive : — Je m'appelle Plantevin, s'il te plaît... Tâche de te le rappeler. L'autre se mit à ricaner. Puis, tranquillement, se reprit à chanter : — Plantecoucouc.,.
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Il n'eut pas le temps d'achever. Le poing de Jean-Lou était parti avec une vitesse et une énergie prodigieuses. Atteint à la mâchoire, le ricaneur vacilla, trébucha et roula par terre. Médusés, les autres s'écartèrent. Le directeur accourut. - Eh bien! que se passe-t-il?... Comment, toi, le nouveau, dès la première récréation tu provoques la bataille?... On a de drôles de mœurs dans ton pays. — Il m'avait appelé Plantecoucourde ! — Ce n'est pas une raison pour jouer du poing. Tu partageras, avec les autres la punition que j'ai donnée tout à l'heure. Une punition! le premier jour, lui qui n'en recevait jamais à Tourette! Tant pis, il acceptait ce blâme injuste. Ce n'était pas payer trop cher le soulagement qu'il éprouvait. Le directeur parti, il regarda sans peur le groupe des railleurs. Les visages ne riaient plus. Tous avaient des airs penauds. Tranquillement, il se dirigea vers un banc du préau. A peine arrivé, quelqu'un vint s'asseoir à côté de lui. — Tu as bien fait, Jean-Lou, de ne pas te laisser intimider. A présent ils vont te laisser tranquille. Ils se sont conduits de la même façon, avec moi, quand je suis arrivé ici, il y a trois mois. Leurs parents sont de riches maraîchers. Ils se croient tout permis parce qu'ils ont de l'argent et commencent par mépriser ceux qui viennent d'ailleurs... mais tu verras, ils ne sont pas plus méchants que d'autres. De s'être entendu appeler par son prénom, Jean-Lou sentit fondre son agressivité. Il se tourna vers le garçon et sourit. — Je m'appelle Antoine Fabrégas, dit l'autre en lui tendant la main. Si tu veux, nous deviendrons copains. LES MOTS Il appréhendait. Il craignait, il redoutait. Perfides. Des questions perfides sont des questions sournoises qui cherchent habilement à faire dire ce qu'on voudrait cacher. Médusés. Restés muets et immobiles de stupeur (la légende dit que dans l'Antiquité, la Méduse possédait des /eux qui avaient le pouvoir de transformer en pierre ceux qui la regardaient). Mœurs. Se prononce « meur» et ne s'emploie qu'au pluriel. Façons de vivre dans un pays. L'ensemble des habitudes morales de quelqu'un ou d'un groupe.
Railleurs. Qui sont portés à la plaisanterie méchante ou cruelle. AVONS-NOUS COMPRIS? Qu'est-ce qu'une apparente indifférence? Écrivez une phrase dans laquelle vous emploierez le verbe : dévisager. Que pensez-vous des élèves de cette classe ? Sont-ils courageux ? D'après vous, Jean-Lou est-il batailleur de nature? Le directeur punit Jean-Lou, certes, mais pas très durement. Pourquoi?
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13 - DEUX NOUVEAUX CAMARADES Jean-Lou et Antoine Fabrégas (Tonin comme on l'appelait familièrement, étaient tout de suite devenus amis. On ne peut pourtant pas prétendre qu'ils se ressemblaient de caractère. Autant Jean-Lou était imaginatif et impulsif, autant le vigoureux Tonin, d'un an son aîné, doué d'un esprit pratique, ne se compliquait guère la vie par des réflexions trop approfondies. Était-ce ce qui les rapprochait, parce que, en somme, ils se complétaient?... Était-ce le fait qu'ils étaient tous deux étrangers au pays? Tonin était né près de Toulouse. Son père travaillait à la construction de l'autoroute qui, bientôt, drainerait une partie du trafic de cette Nationale 7, de plus en plus encombrée. Ses parents avaient loué, en garni, une petite villa, en dehors de Montfaucon, mais à l'opposé du « Relais des Cigales ». — Viens passer l'après-midi de jeudi chez moi, dit un jour Tonin à son camarade, ma sœur sera contente de te connaître. Je lui parle souvent de toi. Elle a bien ri quand je lui ai raconté ton aventure avec les conscrits. — Oh! tu lui en as parlé... Elle s'est moquée de moi?
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— Au contraire, elle trouve que tu ne manquais pas de cran pour affronter ces six inconnus, en pleine nuit, le soir de ton arrivée. Le jeudi suivant, Jean-Lou se rendit donc à Montfaucon. Il en était tout ému. Il se sentait si isolé au Relais! En traversant le gros bourg, il jeta un regard un peu triste vers l'école où, décidément, il n'arrivait pas à s'habituer. Pour sa venue, Mme Fabrégas et Pierrette avaient préparé un copieux goûter. Pierrette était la sœur de Tonin. D'un an plus jeune que son frère, elle se trouvait donc avoir l'âge de Jean-Lou. A cause de cette histoire de conscrits, Jean-Lou se montra intimidé devant elle. Mais Pierrette, toute simple, rieuse et sans méchanceté, le mit vite à Taise. Il la trouva très sympathique. Tandis qu'ils goûtaient, elle le questionna sur son village et aussitôt, débordant d'enthousiasme, il évoqua ses chers souvenirs. A leur tour, le frère et la sœur parlèrent des déplacements de leur père sur les divers chantiers de France où s'édifiaient des autoroutes. Ainsi ils avaient vécu dans le Nord, près de Lille, dans l'Est; à Auxerre dans le Morvan et près de Valence, dans la Drôme. — Vous avez de la chance, soupira Jean-Lou. A Tourette, je n'avais jamais envie de partir. A présent, je vois passer tant d'autos que je rêve souvent de voyages... C'est peut-être parce que je m'ennuie au Relais. Mais, à bavarder, le temps passe vite. Jean-Lou avait promis à sa mère de ne pas rentrer trop tard. Il devait prendre congé de Mme Fabrégas et de ses camarades. — Je t'accompagne un bout de chemin, proposa Tonin. Ils traversèrent le bourg et s'engagèrent sur la grande route où le chaud soleil de début juin faisait fondre le goudron. ^ — Tu as de la chance d'avoir une sœur presque de ton âge, dit Jean-Lou. Vous pouvez bavarder, échanger des tas de choses... Moi, je n'ai que mon petit frère Bruno. J'aurais aimé une sœur comme la tienne. — Oh! tu sais, fit Tonin en riant, j'aime bien ma sœur, c'est vrai, mais on se dispute souvent. Quand nous étions plus petits, il nous arrivait même de nous battre. — Peut-être, mais si ru ne l'avais pas, tu t'ennuierais, tout seul, A l'école de Tourette, mon voisin de pupitre était une fille. Elle s'appelait Janine. Nous nous entendions bien. Le soir, après la classe, nous revenions ensemble. On s'asseyait au bord de la route pour faire les devoirs. Je lui expliquais les problèmes et elle corrigeait mes fautes d'orthographe. Elle
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était très forte en orthographe. Je lui ai écrit, elle ne m'a pas encore répondu. Ce n'est pas sa faute. Elle doit s'occuper de ses trois petits frères. Ils s'arrêtèrent sur le bas côté de la route. Tonin devait rebrousser chemin. Les deux camarades se serrèrent la main. Tu sais, dit Jean-Lou, papa est en train de faire de grandes transformations, au Relais. Elles seront bientôt terminées. Alors, ce jour-là, nous ferons une petite fête. Tu viendras avec Pierrette. Je serai si heureux. C'est promis, n'est-ce pas,,., avec Pierrette. Il y aura une surprise. Là-dessus, ils se séparèrent et Jean-Lou allongea le pas, à cause de sa mère qui avait tant peur des accidents. Mais il se sentait joyeux et se mit à siffler à tue-tête.
LES MOTS Impulsif. Qui réagit vivement comme poussé par une force irrésistible. Qui se laisse entraîner par ses émotions. Drainerait. Drainer un sol c'est enlever l'eau qu'il contient par un système de canalisations. L'autoroute enlèverait une partie du trafic. En garni. Une maison en garni est toute meublée quand on arrive pour l'occuper. Cran. Courage, audace.
AVONS-NOUS COMPRIS? Que signifie : les caractères de Jean-Lou et de Tonin se complétaient. Cherchez, dans votre classe un élève qui ressemble à Jean-Lou et un autre à Tonin. Quel passage montre que Jean-Lou est très sensible à ce qu'on pense de lui? Pourquoi au retour, Jean-Lou est-il si joyeux?
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14 - JOUR DE FÊTE AU RELAIS De jour en jour, le Relais des Cigales changeait d'aspect et Jean-Lou, déridé par son amitié avec Tonin et Pierrette, aidait volontiers son père aux aménagements de la station-service. Il y prenait même du goût. Depuis un mois, en effet, toutes sortes d'embellissements avaient été entrepris. Tout d'abord, pour combler le vœu de Mme Plantevin, le massif de fleurs abandonné avait été bêché et planté. Des œillets d'Inde épanouissaient déjà leurs fleurs d'un jaune éclatant. Puis, papa Plantevin avait entrepris de reblanchir la façade, de repeindre l'enseigne sur laquelle figurait une belle cigale dessinée par Jean-Lou. Mais c'est surtout la présence du bois de pins qui avait suggéré à la mère la plus belle innovation. Oh ! ce bois de pins, si lugubre la nuit de l'arrivée ! Eh bien, il devenait au contraire un endroit charmant, un attrait pour les touristes avides d'ombre qui s'y arrêtaient, entre midi et deux heures, et y pique-niquaient en écoutant chanter les cigales. Il leur arrivait même, à ces automobilistes, de profiter de cette halte dans leur voyage pour faire vidanger ou graisser leur voiture, travail plus rémunérateur pour M. Plantevin, que la vente de l'essence sur laquelle il ne percevait qu'un faible pourcentage. Souvent aussi, les pique-niqueurs venaient demander de l'eau fraîche qu'on leur donnait volontiers, bien sûr. C'est ainsi qu'une idée avait germé dans l'esprit de la mère de Jean-Lou. — Si nous installions une tonnelle, à côté de la maison. La place ne manque pas. On la couvrirait avec des canisses. J'y servirais des rafraîchissements, du café; les touristes adorent un bon café chaud après un déjeuner sur l'herbe... Et pourquoi pas, non plus, servir des sandwiches ou même de petits repas? — Oh! oui, s'était écrié Jean-Lou. Au moins, nous verrons du monde. Les voyageurs ne s'arrêteront plus seulement quelques instants pour prendre de l'essence. C'était à l'inauguration de cette tonnelle qu'il avait pensé en invitant au Relais Tonin et Pierrette. Fiévreusement, il avait aidé son père à l'aménagement de ladite tonnelle. Le soir, il revenait de l'école en courant et se mettait à planter des pieux, clouer des planches, tendre les rideaux de canisses, les fixant solidement, en prévision des coups de mistral. Quand tout fut prêt, il ne pensa plus qu'a sa petite fête. Du bazar de Montfaucon, il rapporta (achetés sur ses économies) des guirlandes multicolores et des lampions qu'on n'allumerait pas, bien sûr, mais qui feraient leur effet dans le décor.
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Alors, un mercredi, il annonça triomphalement à son ami Tonin : Tout est prêt, au Relais. Je t'y attendrai, demain, avec ta sœur. Il était si heureux de recevoir ses camarades qu'il en rêva toute la nuit. Pour lui, l'événement avait quelque chose d'extraordinaire. Si Pierrette et Tonin passaient une bonne journée, ils reviendraient souvent, malgré la distance, et il ne serait plus aussi seul. Le lendemain, il aida sa mère à faire un gâteau de Savoie et ajouta encore quelques guirlandes sous la tonnelle ce qui lui donnait un petit air de guinguette. Aussitôt après le repas de midi, il monta dans sa chambre se changer, comme pour un dimanche, et sa mère se moqua un peu de lui parce que, malgré la chaleur, il se crut obligé de mettre une cravate. Puis, avec son fidèle Piboule qui se demandait bien pourquoi son maître s'était fait si beau, il se posta au bord de la grande route pour attendre ses invités.
LES MOTS Déridé, Dont on a enlevé les rides. Rendu plus souriant. Suggère, Avait donné l'idée. Innovation. Une nouveauté une invention. Rémunérateur. Qui rapporte de l'argent. Canisses. Dans le midi on appelle ainsi les roseaux. Fendus en deux ils servent à fabriquer des sortes de palissades qui protègent du soleil. Guinguette. Une guinguette est une sorte de cabaret, dans la banlieue d'une ville. On s'y rafraîchit et on y danse.
AVONS-NOUS COMPRIS? Quelle différence faites-vous entre : déménagement, emménagement et aménagement. Qu'est-ce qu'une inauguration? D'où vient le mot tonnelle. Pourquoi? Relevez les passages montrant que JeanLou se sent vraiment isolé au Relais. Pour qui Jean-Lou tient-il surtout à se faire beau?
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15 - JOUR DE FÊTE AU RELAIS (fin) Il n'attendit pas longtemps. Ses camarades avaient déjeuné de bonne heure et, malgré la chaleur, avaient marché d'un bon pas. Piboule manifesta non moins joyeusement que son maître, son empressement auprès des arrivants. Frétillant de la queue, il se dressa sur les pattes de derrière pour embrasser Pierrette et Tonin, à sa façon, d'un grand coup de langue râpeuse sur la joue. Pierrette se montra tout de suite ravie de la tonnelle. — Que c'est amusant! On se croirait au 14 juillet. Dommage que nous ne puissions pas rester jusqu'à la nuit; nous aurions allumé les lampions! Ils s'assirent sur les bancs peints à neuf, sous le treillis de canisses qui laissait filtrer juste assez de lumière. Et, naturellement, on ne tarda pas à goûter. Jean-Lou était au comble du bonheur. Pour amuser Pierrette, il imitait les gestes d'un garçon de restaurant. La serviette sur le bras, il demandait: Que dois-je servir à monsieur?... Mademoiselle reprendra-t-elle un peu de gâteau? Et, à son petit frère Bruno qui, bien entendu, était de la fête :
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- Que désirez-vous jeune homme?... Une sucette? L'établissement vous propose le plus grand choix. Framboise?... cassis?... anis? — Mon Dieu! qu'il est drôle, s'écriait Pierrette en riant. Je ne savais pas, Jean-Lou, que tu aimais tant la plaisanterie. L'autre jour, chez nous, tu t'es montré très réservé... Es-tu toujours ainsi? Non, Jean-Lou forçait son jeu. Il avait besoin d'entendre des rires autour de lui. Ses parents étaient si souvent soucieux, à cause de leur travail et de l'éloignement du bourg qui compliquait la vie. Et puis, il se disait : — Si mes camarades s'ennuient, chez moi, ils n'auront plus envie de revenir. C'est déjà beaucoup d'avoir fait trois kilomètres sous le soleil. Le goûter terminé, il tint à leur faire visiter sa chambre, balayée et époussetée par ses soins. Il montra à Pierrette, des cartes postales représentant Tourette, et une photo d'école où on le voyait, lui, Jean-Lou, avec tous ses camarades de là-bas et son maître. Puis, ils redescendirent explorer l'atelier où M. Plantevin manœuvra, pour eux, le plateau élévateur des voitures. — Et distribuer l'essence ? demanda Pierrette à Jean-Lou, tu ne trouves pas cela amusant? J'aimerais bien jouer au pompiste.
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- Les premiers jours, je disputais le travail à papa... mais à présent je trouve ça monotone. — Est-ce que je pourrais quand même essayer? — Bien sûr, voici justement une voiture qui ralentit... une voiture allemande. Pierrette s'amusa comme une petite folle à manier le « pistolet » Si bien qu'elle servit quatre litres de plus qu'on ne lui en demandait et faillit faire déborder le réservoir. Heureusement, ces touristes étrangers n'étaient pas grincheux. Ils laissèrent même à la gentille pompiste quarante centimes de pourboire. Et on revint sous la tonnelle jouer à toutes sortes de jeux. Cependant, à mesure que le temps passait, Pierrette et son frère montraient moins d'entrain. S'ennuyaient-ils déjà? Pour les distraire, Jean-Lou recommença de faire le pitre, Pierrette rit encore, mais il eut l'impression qu'elle se forçait. Brusquement, son visage redevint grave. Il demanda : — Vous avez déjà envie de partir? Le frère et la sœur échangèrent un regard gêné. — Oh! non, protesta Pierrette, nous sommes contents d'être venus chez toi... et nous aimerions revenir souvent... seulement... — Seulement? — Oui, fit Tonin, nous ne t'avons rien dit, tout à l'heure, en arrivant, pour ne pas gâcher l'après-midi, mais ce matin papa a reçu une lettre de son entreprise. Nous allons quitter Montfaucon. Dans dix jours, nous serons partis ailleurs. Jean-Lou devint tout pâle. Il regarda les lampions et les guirlandes désormais inutiles et qui lui parurent soudain ridicules. Puis il sortit son mouchoir et détourna la tête pour essuyer une larme. LES MOTS Frétillant, Remuant sa queue très vite. Grincheux. Susceptible, qui a mauvais caractère, qui se fâche pour un rien. Pitre. Sorte de comédien qui fait toutes sortes de tours et de gestes pour amuser le public.
AVONS-NOUS COMPRIS? Expliquez : Jean-Lou forçait son jeu. Pourquoi Jean-Lou tient-il à faire visiter sa chambre? Tonin et Pierrette ont-ils bien fait de ne pas annoncer tout de suite la mauvaise nouvelle?
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16 - PIBOULE Juillet était arrivé avec son grand soleil, l'air embrasé de ses après-midis étincelants, le bruissement éperdu des cigales dans le bois de pins et surtout... ah! oui, surtout, l'interminable cohorte d'autos sur la grande route. Depuis une semaine, à longueur de jours et de nuits, déferlait la vague
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ininterrompue des « vacanciers » se ruant vers le soleil. On aurait dit que l'Europe tout entière s'était donné rendez-vous pour passer là : Belges aux puissantes voitures américaines, Hollandais, traînant derrière eux des caravanes grosses comme des maisons. Allemands, torse nu dans leurs véhicules avec des bateaux blancs amarrés sur des remorques, motocyclistes danois ou suédois, équipés comme des cosmonautes, Suisses roux ou blonds, arborant à leur parebrise de petits drapeaux à croix blanche sur fond
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rouge... sans parler, bien entendu, des innombrables Français, Parisiens surtout, encombrés de valises, de paquets, de voitures d'enfants, plus ou moins bien arrimés sur le toit de leurs autos. Oui, toute l'Europe s'écoulait comme un fleuve, le long de cette fameuse nationale 7, dans le bruit infernal des moteurs vrombissants... Toute l’Europe partait en vacances et lui, Jean-Lou, restait devant ses pompes à essence, à travailler pour ceux qui s'en allaient se baigner dans les eaux de la grande mer toute bleue. Non, pour lui, il n'y avait pas de vacances. Bien sûr, à Tourette, il ne s'en allait pas non plus; mais ce n'était pas la même chose. Là-bas, il restait avec ses camarades, pour des parties sans fin, tout l'été, dans la montagne. Tandis qu'à présent!... Chaque fois qu'il souhaitait bon voyage à un client, après l'avoir ravitaillé en essence, il ressentait un petit pincement au cœur. Depuis le départ de Tonin, il ne voyait plus personne que ces clients pressés qui ne s'arrêtaient qu'un instant. Il n'avait plus qu'un seul ami, son fidèle Piboule. — Pourvu qu'il ne disparaisse pas, lui aussi, s'inquiétait-il, la grande route est si méchante. Cette crainte de le perdre devenait une hantise," les journaux du pays relataient, chaque jour, tant d'accidents. Dès les premiers temps, il avait dressé son chien à ne jamais traverser la chaussée. Mais, habitué à vagabonder où bon lui semblait, Piboule avait eu beaucoup de mal à considérer cette route comme une barrière qu'il ne devait jamais franchir. Jean-Lou s'était montré intraitable, attachant son chien à une corde à chaque tentative d'infraction à la règle. Finalement, Piboule avait compris et il suffisait à Jean-Lou de montrer la corde pour que Piboule renonçât à toute escapade. Pauvre Piboule! la tentation restait pourtant forte de savoir ce que cachait la garigue, de l'autre côté de la chaussée. N'y flairait-il pas, de loin, à travers les relents de fumées, l'odeur de petits lapins sauvages ? Il était fatal qu'un jour ou l'autre, sa curiosité finît par remporter. Cela arriva un soir, vers 10 heures, alors qu'on était encore à table (sans Bruno, déjà au lit). Jean-Lou et son père avaient eu beaucoup de travail, à l'heure où les chauffeurs décidés à rouler toute la nuit, font le plein de leur réservoir. Dehors, depuis longtemps déjà, la grande route ressemblait à une longue traînée de feu. Maman achevait de servir le dessert quand un crissement aigu de pneus fit dresser les têtes. Juste devant le relais, un automobiliste venait de freiner à mort.
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- Ce n'est rien! dit papa Plantevin, nous aurions entendu un choc. Mais, tout à coup, Jean-Lou pâlit. - Oh! j'ai oublié d'enfermer Piboule dans l'atelier. Si c'était à cause de lui!...
LES MOTS Cohorte. Au sens propre, troupe de plusieurs milliers de soldats. Ici, grand nombre d'autos qui se suivent de très près. Déferlait. Se répandait comme une vague que le vent pousse sur le rivage. Arrimés. Au sens propre arrimer signifie attacher solidement la cargaison d'un bateau. Hantise. Crainte, peur qui ne cesse d'occuper l'esprit. Intraitable. Bien résolu à ne pas céder aux suppliques de soi chien. Infraction. Violation, désobéissance à une loi, un règlement.
Gangue. (Peut aussi s'écrire garrigue). Mauvaise terre sèche où ne poussent que des arbustes comme les chênes-verts. Mot particulier au Midi de la France. AVONS-NOUS COMPRIS? Relevez tous les termes ou expressions où l'auteur compare la grande route à un fleuve. D'après la description des voyageurs, trouvez un adjectif qui qualifie chaque nationalité, son trait principal. Expliquez : // ressentait un petit pincement ou cœur.
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17 - PIBOULE (suite) Jean-Lou bondit vers la porte, s'avança au-delà du massif, jusqu'à la lisière même de la route. A la lumière des phares dont les pinceaux lumineux balayaient la chaussée à une vitesse prodigieuse, il regarda, de part et d'autre, aussi loin qu'il put. Rien. Mais, pendant une brève accalmie de la circulation, ,4 il crut percevoir des gémissements, sur sa gauche. Non, ce ne pouvait être le bruit du vent dans les arbres. Le mistral ne soufflait pas ce soir-là. II courut comme un fou dans cette direction, au risque de se faire happer par un bolide. A cinquante mètres du relais, le puissant éclairage d'un camion citerne détacha de l'ombre un corps étendu au pied d'un platane. Jean-Lou sentit son cœur s'arrêter. - Piboule !. Mais déjà la nuit s'était refermée sur le bas côté de la route. Haletant, il revint au Relais, prendre une lampe électrique. — Viens vite, papa! Abandonnant sa vaisselle, Mme Plantevin accourut elle aussi. Le pauvre Piboule gisait de tout son long sur l'herbe sèche, la tête contre une racine de l'arbre. Il ne bougeait pas, mais laissait échapper de longues plaintes. — Passe-moi la lampe, dit papa Plantevin. Piboule réagit à peine à la lumière. Pourtant ses yeux n'étaient pas complètement clos. - Il souffre, dit la mère, mais on ne voit aucune blessure. Il a dû être bousculé par l'auto de tout à l'heure. Et elle ajouta, pour rassurer son fils : La voiture ne l'a pas heurté très fort puisqu'elle a longuement freiné, Jean-Lou n'entendit pas. A genoux, sur l'herbe, il répétait : — Piboule! Mon pauvre Piboule, c'est ma faute, j'aurais dû t'attacher, comme tous les soirs, dans l'atelier. Il souleva son chien, ce qui arracha, à la pauvre bête une longue plainte. - Transportons-le avec précaution à la maison, dit Mme Plantevin. Ne nous attardons pas au bord de la chaussée; c'est trop dangereux. Jean-Lou et son père portèrent doucement le blessé et le déposèrent sur un sac, dans la cuisine. Alors, Piboule regarda son petit maître avec des yeux qui semblaient dire : - Je souffre, Jean-Lou, je souffre trop. Soulage-moi...
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Il essaya pourtant de se dresser. Il ne parvint qu'à se hausser sur ses panes de devant. Son arrière-train paraissait paralysé. - Il a été touché aux reins, en conclut papa Plantevin. - Que faire? interrogea vivement Jean-Lou. - Ce n'est pas forcément grave. De toute façon, si tard dans la soirée, nous ne pouvons pas grand-chose. Je doute que nous trouvions un vétérinaire à Montfaucon. Les animaux sont si peu nombreux dans la région. - Alors, papa? fit Jean-Lou, de plus en plus inquiet. — Attendons jusqu'à demain matin. Je suis sûr que, d'ici là, il ira mieux... Regarde, il a déjà l'œil moins terne. C'est le choc qui l'a assommé. Jean-Lou eut l'impression que son père essayait de le consoler et ne disait pas toute la vérité. Il décida de ne pas se séparer de son chien et le transporta dans sa chambre où il lui fit une couche douillette, près de son lit, avec une pile de vieux sacs. Là, au moins, il pourrait le veiller toute la nuit, lui donner à boire s'il avait soif. Puis, il s'agenouilla devant son chien et murmura : — Mon pauvre Piboule! tu ne pouvais pas bien sûr, comprendre que cette route était si dangereuse. C'est ma faute, pardonne-moi... A présent, Piboule, il faut guérir vite, très vite... Qu'est-ce que je deviendrais, sans toi ?...
LES MOTS Happer. Au sens propre, saisir vivement entre les mâchoires. Ici. on peut penser que Piboule a été attiré vers l'auto par le déplacement d'air. Bolide. Au sens propre, corps qui se déplace très vite, très haut, dans l'atmosphère. Dans le texte, véhicule très rapide. Arrière-train. Partie postérieure, c'est-à-dire arrière, du corps d'un animal.
Douillette. Moelleuse, douce, qui ne risque pas de blesser, de meurtrir. AVONS-NOUS COMPRIS? Qu'est-ce qu'une accalmie? D'où vient ce mot? La mère emploie le mot bousculé. D'après vous, est-ce celui qui convient? Pourquoi remploie-t-elle? Trouvez celui qui vous paraît le plus juste. Jean-Lou n'accuse pas son chien d'avoir désobéi. Au contraire il s'accuse lui-même. Qu'en pensezvous?
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18 - PIBOULE (fin) Jean-Lou, bien décidé à veiller son chien, tamisa la lumière trop crue de sa lampe avec un journal déployé sur l'abat-jour et s'assit sur son lit, près des sacs où reposait Piboule, dont il surveillait la respiration saccadée, irrégulière. Peu à peu, les gémissements de ranimai faiblirent. Était-ce bon signe ? Souffrait-il moins? Au bout d'un moment, Jean-Lou se releva pour lui donner à boire. Piboule lappa quelques gorgées, mais cela lui demandait tant d'effort qu'il renonça à étancher complètement sa soif. Ainsi, pendant de longues heures, Jean-Lou veilla son ami. Mais, peu à peu, le sommeil le gagnait. Ayant constaté que Piboule reposait et respirait plus calmement, il se dit : - Je vais dormir une heure, juste une toute petite heure, pour ne pas être trop fatigué demain. Mais, le chagrin, les émotions l'avaient épuisé. Quand il rouvrit les yeux> le petit jour entrait dans sa chambre. En colère contre lui-même, il se leva d'un bond. — Piboule! mon pauvre Piboule!... Son chien n'avait pas bougé. Il ne se plaignait plus. Cependant, il eut beaucoup de peine à dresser la tête pour regarder son maître. Ses yeux, plus troubles que la veille, inquiétèrent Jean-Lou qui courut réveiller ses parents. — Papa! viens vite! M. Plantevin se leva, en pyjama, examina le pauvre animal et ne sut trop que dire. - Il paraît très abattu; c'est normal, après le coup qu'il a reçu. - Il faut faire quelque chose, papa ! Si je le conduisais chez le docteur de Montfaucon, celui qui est venu l'autre jour voir Bruno, pour son gros
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rhume?... Un médecin doit aussi savoir soigner les animaux. Je vais emmener Piboule dans la remorque du vélo. Jean-Lou était trop angoissé; ni son père ni sa mère n'osèrent le retenir. Un quart d'heure plus tard, il partait à pied, sur la grande route, traînant derrière lui la remorque faite d'une caisse montée sur roues de bicyclette, tl.ms laquelle le pauvre Piboule s'était laissé installer sur des sacs. A six heures du matin, la circulation n'était pas encore très intense. Afin d'éviter à son chien les cahots de la route, Jean-Lou se forçait à marcher lentement, se retournant souvent vers la caisse. - On dirait qu'il dort, se dit-il au bout d'un moment, oui, il dort... comme mon petit frère Bruno quand il roule en auto. Tant mieux, il va reprendre des forces. A demi-rassuré, il allongea le pas et arriva à Montfaucon. Le médecin qui avait soigné Bruno habitait sur une place, près de l'école. D'un doigt tremblant, il appuya sur le bouton en se disant : — Pourvu qu'il soit là!... Pourvu qu'il accepte de regarder Piboule! Une jeune femme, en robe de chambre, lui ouvrit. Devant son visage anxieux, elle demanda : — Un accident?... C'est grave?... — Mon chien!... c'est pour mon chien! Il a été renversé par une auto... Il est là, dans la remorque. La femme jeta un coup d'œil vers la caisse et fit la moue. Mais, au même moment apparut le docteur, une petite valise à la main, qui sortait voir un malade. - Oh ! monsieur le docteur ! s'écria Jean-Lou, voudriez-vous voir mon chien?... il est blessé! Le médecin se dirigea vers la remorque, palpa Piboule, hocha la tête et se retourna vers Jean-Lou en lui posant affectueusement la main sur l'épaule : - Mon pauvre petit!... Tu n'as pas vu que ton chien est mort?... LES MOTS Tamisa. Tamiser c'est passer du grain ou du sable a travers un tamis ou crible. Ici. tamiser à le sens d'atténuer, diminuer. Crue. Lumière crue, lumière vive (sens figuré). Saccadée. Respiration par secousses, par àcoups, irrégulière. Etancher. Sens propre : arrêter l'écoulement d'un liquide. Ici, a le sens d'apaiser.
Cahots. Sauts, chocs provoqués par une route raboteuse. Ne pas confondre avec chaos qui signifie désordre. AVONS-NOUS COMPRIS? Pourquoi Jean-Lou a-t-if cru que son chien dormait dans la remorque. N'aurait-il pas du avoir des doutes? Pourquoi le docteur pose-t-il affectueusement la main sur l'épaule de Jean-Lou?
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19 - UNE LETTRE DE PIERRETTE Après la mort de Piboule, Jean-Lou se sentit le plus malheureux des 1 enfants de la terre. Il se prit à détester cette grande route qui lui avait ravi ' son fidèle compagnon. Il en arrivait à accuser toutes les voitures qui passaient. Chaque fois qu'il servait un client, il pensait : — Peut-être est-ce lui qui a écrasé mon chien! Et le « bon voyage » de politesse qu'il murmurait, au départ de la voiture, lui laissait un goût amer sur les lèvres. Maman Plantevin voyait bien que son Jean-Lou, si expansif d'ordinaire, devenait taciturne. Un jour, elle lui dit : — Je le comprends, Jean-Lou, la vie n'est pas très gaie pour toi, ici, surtout depuis que tu as perdu Piboule... Veux-tu que nous le remplacions ? J'en ai parlé à ton père. Il est de mon avis. Nous te procurerons un jeune chien, plus beau que Piboule; tu pourras le dresser à ta fantaisie, l'habituer à ne jamais traverser la route. — Non, maman, répondit catégoriquement Jean-Lou, je ne veux pas d'autre chien. Un jour ou l'autre, il finirait par se faire écraser, lui aussi, et j'aurais trop de chagrin. Désœuvré, il passait son temps sur le banc, devant la maison, à s'occuper 1 de son petit frère turbulent et qu'après l'accident de Piboule on surveillait , comme le lait sur le feu. De ce banc, il regardait l'éternel flot de voitures filant vers le Sud, croisé, à présent, par un autre flot, presque aussi important, qui remontait vers le Nord. On arrivait à la fin juillet. Pour certains, les vacances se terminaient déjà. Si Jean-Lou venait s'asseoir là, c'était aussi pour attendre la seule visite espérée, au Relais, en fin de matinée, celle du facteur, un brave homme aux cheveux blancs, au savoureux accent provençal, qui terminait ainsij chez les Plantevin, sa longue tournée campagnarde. Hélas ! il n'apportait guère que
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le journal, auquel papa Plantevin avait dû s'abonner, faute de pouvoir aller, chaque jour, le chercher à Montfaucon. Cependant, un matin, il commença en brandissant une enveloppe : — Une lettre pour toi, Monsieur Jean-Lou. Une lettre ! Depuis son arrivée au Relais, il n'avait reçu qu'une carte de Janine, son ancienne camarade de Tourette. Il la décacheta nerveusement. C'était une lettre de Pierrette. Elle lui racontait son arrivée et son installation près de Sète, dans une maison proche de la mer. Des voisins possédaient une barque, elle faisait de longues promenades sur l'eau avec son frère. Puis gentiment, elle lui rappelait la bonne journée qu'ils avaient passée, sous la tonnelle du Relais et lui demandait des nouvelles de Piboule. La lettre terminée, il la replia et la remit dans l'enveloppe. Quand le facteur la lui avait tendue, il avait sauté de joie. A présent, il se sentait tout triste. Sans le vouloir, Pierrette avait remué le couteau dans la plaie de son chagrin. Il remonta dans sa chambre et cacha, pour ne plus la voir, la lettre de sa camarade au fond d'un tiroir. Puis il murmura encore une fois. — Tonin a bien de la chance d'avoir une sœur. Il était loin de se douter, en disant cela que, cette sœur, un étrange hasard allait bientôt la lui faire découvrir, un hasard qui transformerait le mois d'août, en merveilleuses semaines de vacances.
AVONS-NOUS COMPRIS? LES MOTS Expansif. Qui fait volontiers part de ses pensées. Taciturne. Triste, sombre, qui garde ses pensées pour lui. Désœuvré. Au sens propre : qui manque d'œuvre, c'est-à-dire de travail. Au sens habituel : qui s'ennuie, qui ne sait pas quoi faire. Savoureux. Au sens propre : qui a beaucoup de saveur, c'est-à-dire bon goût. Dans le texte : agréable, plaisant.
Ravi. Dans le texte ce mot a le sens de pris. Employez-le dans une phrase où il aura un autre sens. Qu'est-ce qu'une réponse catégorique? Quelle différence faites-vous entre un brave homme et un homme brave. Que signifie l'expression : remuer le couteau (ou le fer) dans la p/aie? Que signifie l'expression : surveiller quelqu’un ou quelque chose comme le lait sur le feu? Trouvez-vous normal que la lettre de Pierrette attriste Jean-Lou.
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20 - UN APPEL DANS LA NUIT 11 heures ! dit papa Plantevin en consultant sa montre. Il est temps de monter se coucher. Veux-tu, Jean-Lou, aller éteindre le panneau? Jean-Lou sortit et tourna l'interrupteur de l'enseigne lumineuse indiquant que la station-service était ouverte. Ainsi, on pourrait dormir sans être dérangé, pour une nuit cependant courte puisque, dès 5 heures 30, papa Plantevin serait déjà debout, à la disposition d'éventuels touristes matinaux. Les yeux lourds de sommeil, Jean-Lou monta dans sa chambre. Comme chaque soir, avant de se déshabiller, il regarda la photo de son chien, une photo prise à Tourette, trois ans plus tôt, la seule qu'il possédait de Piboule. Il replaçait l'image précieuse dans le cadre qu'il avait lui-même fabriqué quand, à travers les grondements de la circulation, il crut percevoir un appel. Il ouvrit la fenêtre, et discerna une ombre entre les deux pompes à essence. — Excusez-moi de vous déranger, lança une voix angoissée, je viens d'avoir un accident!
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Jean-Lou eut envie de descendre mais, depuis l'attentat commis contre un pompiste de la région par des gangsters qui en voulaient à sa caisse, Maman Plante vin lui avait bien recommandé de ne jamais sortir seul, la nuit. - Attendez! cria-t-il, je vais prévenir mon père. Il frappa à la porte de ses parents. Papa Plantevin commençait seulement de se déshabiller. Il n'eut qu'à repasser sa veste. Alors, tous deux descendent et se trouvèrent devant un homme d'une quarantaine d'année au visage bouleversé. - Excusez-moi, dit-il encore, je pense que vous ne pouvez guère me dépanner, mais je suis complètement perdu. Dieu merci, nous sommes tous trois indemnes; cependant je ne voudrais pas laisser ma femme et ma fille toute la nuit sur la route. — Que vous est-il arrivé? — Je ne comprends pas; j'ai dû être ébloui par des phares.,, ou céder à un instant de fatigue. Je viens de Paris et je conduis depuis ce matin. Nous devions coucher à Avignon mais j'ai été retardé par deux crevaisons. Ma voiture a fait deux ou trois tonneaux avant de s'arrêter dans le fossé. Une chance qu'elle n'ait pas percuté un platane! — Est-ce loin d'ici? — A 300 ou 400 mètres! — Allons voir... Jean-Lou, prends une lampe électrique. Ils accompagnèrent l'inconnu. Soudain, apparut une masse sombre, les roues en l'air. A côté, assises au bord du fossé, une femme et une fillette se tenaient serrées Tune contre l'autre et Jean-Lou entendit des sanglots étouffés. — Tu as trouvé du secours ? dit vivement la femme en se levant. Où sommes-nous ? Papa Plantevin fit le tour de la voiture, promenant sur la carrosserie, les rayons de la lampe. — Apparemment, dit-il, elle n'a pas grand mal. Quant à la remettre sur ses roues, c'est une autre affaire. Aucun dépanneur ne se dérangera à une heure pareille... la police non plus, puisqu'elle ne gêne pas la circulation. — Alors? demanda une petite voix angoissée, nous allons rester là? — Rassure-toi, Suzy, dit la mère, ce monsieur, qui a eu l'amabilité de se déranger va nous indiquer un endroit où nous pourrons coucher. — Oui, dit l'automobiliste en se tournant vers papa Plantevin, à quelle distance sommes-nous du plus proche village? Y trouverons-nous un hôtel?
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— Montfaucon, un gros bourg, n'est qu'à trois kilomètres, mais, en cette saison ses deux petits hôtels sont pleins tous les soirs dès 7 heures. Inutile d'aller carillonner à leur porte. Il y eut un silence, entrecoupé des pleurs de la fillette qui touchèrent le cœur sensible de Jean-Lou. Papa Plantevin laissa échapper un soupir. — Je vous proposerais bien de venir chez moi, au Relais, mais je vous le dis tout de suite, ce n'est guère confortable... et nous n'aurions qu'un lit à vous donner. — Oh oui, papa, dit la fillette, accepte! Je ne veux pas coucher dehors.
LES MOTS Eventuels touristes. Des touristes dont l'arrêt devant le Relais n'est pas certain. Indemnes. Qui sont sortis sains et saufs d'un accident ou, plus exactement sans dommage. Percuté. Frappé violemment.
AVONS-NOUS COMPRIS? D'après ce texte, que pensez-vous du métier de « pompiste ». Est-il de tout repos? Relevez tous les inconvénients de cette profession. Ces automobilistes sont-ils des gens bien élevés? Si oui, prouvez-le. Que signifie le soupir de papa Plantevin?
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2l - SUZY La supplique spontanée de la fillette, eut raison de l'hésitation des parents. — Oh! monsieur, dit la mère, nous sommes confus... — Je ne peux tout de même pas vous laisser dehors toute la nuit, fit bonnement papa Plantevin. Je vous offre l'hospitalité de bon cœur. Accompagnez-nous... mais, par précaution, emportez vos bagages, tout au moins ce que vous avez de précieux. Il passe tant de monde sur cette route.
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Jean-Lou aida l'automobiliste et son père à extirper les valises de la voiture retournée. — Celle-ci est la mienne, dit la voix tremblante de Suzy. Jean-Lou se précipita pour la prendre et la porter. Alors, la petite troupe se dirigea vers le Relais des Cigales. Instinctivement, la fillette se rapprocha de Jean-Lou... peut-être parce qu'il portait sa valise. Encore bouleversée par l'accident, elle marchait comme une somnambule, laissant échapper de petits soupirs, et Jean-Lou n'osa pas lui parler. Enfin, on arriva au Relais. Une lumière brillait en bas. Inquiète, Mme Plantevin était redescendue dans la cuisine attendre son mari et son fils. — Ces Messieurs-Dames viennent d'avoir un accident, annonça papa Plantevin. Ils l'ont échappé belle. A cette heure-ci, ils ne trouveront pas à se loger à Montfaucon... Alors j'ai pensé que... — Bien sûr, coupa la mère de Jean-Lou, dans des cas semblables, il y a toujours moyen de s'arranger. Les trois « naufragés » pénétrèrent dans la cuisine. La lumière blafarde de la rampe de néon, au plafond, éclaira leurs visages encore marqués par la peur. Le monsieur et la dame parurent tout de suite sympathiques à Jean-Lou, mais c'est surtout la fillette qu'il détailla du regard. Ses cheveux, blonds comme des feuilles de maïs, coupés en frange sur le front, retombaient assez longs sur la nuque. Ses yeux plus clairs que ceux des petites provençales, l'étonnèrent aussi. Elle pouvait avoir onze ou douze ans, comme lui, comme la sœur de Tonin. Elle lui parut cependant très différente de Pierrette, plus fine de traits, plus svelte, pour tout dire plus jolie. Le fait, pour la petite inconnue, de se trouver à l'abri, dans une maison apaisa aussitôt son angoisse. Son regard rencontrant celui de Jean-Lou, elle sourit et murmura : — Je te remercie d'avoir porté ma valise.
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Rassurés, eux aussi, ses parents se confondaient de nouveau en excuses. — Ne vous tourmentez pas, dit maman Plantevin. Nous allons nous organiser. Malheureusement, je n'ai qu'un seul lit à vous offrir, dans une pièce non encore aménagée. Il est assez large pour deux personnes, mais pour trois?.. — Maman, intervint vivement Jean-Lou, je peux donner mon divan pour... pour Suzy (il hésita avant d'oser prononcer le nom de la fillette, mais comment l'appeler autrement?) Je coucherai sur la chaise longue. — Ah! non, protestèrent véhémentement les parents de Suzy, nous ne voulons surtout pas bouleverser votre maison. Jean-Lou insista, affirmant qu'il pouvait dormir n'importe où, même sur une dalle de ciment. Et, pour prévenir tout refus, il grimpa aussitôt déménager son divan pour le tirer dans la chambre des infortunés voyageurs. Quand il redescendit, ceux-ci achevaient de se remettre de leurs émotions avec une tasse de café que maman Plantevin venait de leur servir. — Oh ! merci, Jean-Lou, dit Suzy, de m'avoir donné ton lit. C'est trop gentil de ta part. Il ne fallait pas. Rouge de confusion, intimidé par cette petite fille pourtant si simple, Jean-Lou ne sut que répondre. Cependant, au moment où les voyageurs montaient dans leur chambre, brusquement, il saisit sa main, la serra dans la sienne et murmura : — Bonsoir, Suzy, dors bien!...
LES MOTS Supplique spontanée. Une supplique est une demande faite en suppliant. Celle de Suzy est spontanée, c'est-à-dire qu'elle l'a faite tout d'un coup, sans réfléchir, disant simplement ce qu'elle désirait. Extirper. Au sens propre : arracher des racines de la terre. Au sens figuré très courant : arracher, enlever quelque chose avec beaucoup de difficulté. Somnambule. Personne qui, tout en étant endormie, se lève, marche, agit comme si elle était éveillée.
Blafarde. Pâle, décolorée, blême. Svelte. D'allure déliée, dégagée, plutôt mince. Véhémentement. Très fort, avec énergie. AVONS-NOUS COMPRIS? Pourquoi l'auteur écrit-il : les trois naufragés. Cette comparaison vous paraît-elle juste? Pourquoi Jean-Lou hésite-t-il à prononcer le nom de Suzy? Que signifie ; se confondre en excuses? Employez le verbe confondre dans une phrase où il aura un sens tout différent.
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22 - UNE NUIT FORMIDABLE Jean-Lou s'était beaucoup avancé en se déclarant capable de dormir n'importe où... En tout cas, n'ayant jamais couché sur une chaise longue, il ne pouvait prévoir les pièges sournois de ce traître instrument. Il n'était pas allongé depuis plus d'une demi-heure, qu'à force de remuer à la recherche d'une position confortable, il avait déjà perdu dix fois sa couverture. Ceci, n'était qu'un début. Quand, un moment plus tard, il s'avisa de se recroqueviller comme il avait coutume de le faire dans son lit, le dossier de la sournoise chaise-longue ne se replia-t-il pas brutalement sur sa tête, l'emprisonnant dans une sorte de cage à la façon d'un rat dans une nasse ? Bah ! peu importait s'il dormait mal, s'il se levait, le lendemain, courbatu. Au moins, Suzy passerait une bonne nuit. L'un compenserait largement l'autre. Tout compte fait, il était même très heureux de ne pas s'endormir tout de suite, malgré l'heure tardive. Il pouvait, à loisir, penser à cette petite Suzy qui, tout d'abord, l'avait intimidé, ensuite intrigué et, qu'à présent il trouvait très gentille. Pour ainsi dire, ils ne s'étaient pas parlé, mais demain, il la retrouverait. Remise de ses émotions, elle bavarderait et lui, se montrerait moins emprunté, moins ridicule. Alors, il se prit à souhaiter que la voiture des voyageurs soit très abîmée, que sa réparation demande plusieurs jours. Ainsi, il aurait le temps de faire mieux connaissance avec Suzy. Cette perspective de garder chez lui la petite voyageuse lui était si agréable que, vers deux heures du matin, quand enfin ses yeux se fermèrent, il rêva d'une voiture complètement écrabouillée, impossible à remettre en état, ce qui contraignait les trois voyageurs à s'installer définitivement au Relais. Lorsqu'il s'éveilla, il n'était plus sur la perfide chaise longue, mais étendu sur le plancher, les reins endoloris, les pieds entortillés dans sa couverture. Le soleil pénétrait à flots dans sa chambre. Il jeta un coup d'œil affolé sur sa pendulette. Oh! déjà dix heures! Il s'habilla en hâte, se donna un coup de peigne et dégringola dans la cuisine. Maman Plantevin s'y trouvait seule devant son évier, avec Bruno dans ses jupes. — Et... et les voyageurs? demanda-t-il, subitement inquiet... déjà repartis ? — Non. De bonne heure, ce matin, ton père a pris son vélo pour aller
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chercher le garagiste de Montfaucon. Celui-ci est venu remorquer la voiture Le monsieur et la dame l'ont accompagné. - L'auto est-elle bien abîmée, au moins? Surprise par ce « au moins » Maman Plantevin ouvrit des yeux étonnés. - Que veux-tu dire? - Oh! rien, maman... je... je me suis trompé de mot. Je voulais dire qu'après de pareils tonneaux, l'auto avait sûrement beaucoup de mal. Puis, un peu gêné, il demanda : - Et Suzy? - Elle vient de se lever. Je vais lui porter son petit déjeuner sous la tonnelle. Si tu veux, vous allez faire la dînette ensemble. Jean-Lou sortit, mais devant la tonnelle, il s'arrêta, de nouveau intimidé. Assise sur un banc, Suzy regardait un papillon qui cherchait un passage à travers le rideau de canisses. — Oh! Jean-Lou, s'écria-t-elle en l'apercevant, je t'attendais pour te dire que j'ai été bien égoïste, hier soir, en te privant de ton lit. Tu as sûrement très mal dormi, - Au contraire, protesta Jean-Lou, avec conviction, c'est formidable comme on est bien sur une chaise longue... La preuve, je viens seulement de m'éveiller.
LES MOTS Sournois. Qui cache ses mauvaises intentions. Nasse. Sorte de piège en osier ou en fil de fer dans lequel on prend de petits animaux et utilisé plus particulièrement pour les poissons. Courbatu. Plein de courbatures, c'est-à-dire de douleurs dans les membres. Emprunté. Être emprunté c'est être gêné, embarrassé, ne pas savoir quelle attitude ou quelle contenance prendre. Perfide. Qui manque à sa parole, qui ne tient pas ses promesses.
Endoloris. Meurtris, pleins de douleurs, AVONS-NOUS COMPRIS? D'après le texte expliquez le sens de : Jean-Lou s'était beaucoup avancé. Comment expliquez-vous : l'un compenserait l'autre. Que signifie ce au moins qui surprend Mme Plantevin? Jean-Lou semble mentir quand il affirme avoir bien dormi. Qu'en pensez-vous?
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23 - CONFIDENCES Assis sous la tonnelle, toute réserve et timidité bannies, Suzy et Jean-Lou font connaissance. Suzy demande son nom à Jean-Lou. - Oh! Plantevin, s'écrie-t-elle amusée. Je ne l'avais jamais entendu. — C'est un nom provençal. - Le mien est Sauthier... avec un » h ». Il ne veut rien dire. Mais tout de suite reprise par son émerveillement pour le paysage ensoleillé, la fillette soupire: - Tu as de la chance d'habiter la campagne toute l'année. Nous, nous vivons a Paris, au quatrième étage d'un vieil immeuble, son ascenseur se détraque souvent. Je dois prendre l'autobus pour aller en classe. Il est toujours plein à craquer. On s'y fait écraser les pieds... tandis que toi, tu vas tranquillement à l'école en marchant sur l'herbe... Tu ne sais pas ce que c'est que de ne jamais marcher dans l'herbe. - Peut-être, approuve Jean-Lou, mais Montfaucon est loin et souvent le mistral souffle. Je fais le chemin tout seul, avec mon petit frère. Ici, je n'ai pas de camarades, je ne vois que les touristes qui s'arrêtent juste un instant pour prendre de l'essence. — Il y a longtemps que tu vis au Relais? - Depuis trois mois. Avant, nous habitions à Tourette, un petit village de la montagne, avec beaucoup de lavande et d'oliviers autour. Mon père travaillait dans une filature. L'usine a fermé ses portes... Et ton père, à toi que fait-il? - Papa est géomètre. Il prend des mesures, sur les chantiers, ou bien il travaille dans un bureau, sur une grande planche, avec toutes sortes de règles et de compas.
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Ils se taisent un instant. Puis, sur le ton de la confidence, Suzy murmure : — C'est drôle, hier soir, au moment de l'accident, j'ai eu très peur... A présent, je ne sais pas pourquoi, je ne suis pas pressée de repartir. Je suis presque contente que la voiture soit en panne. — Moi aussi, avoue Jean-Lou. Et il ajoute en rougissant : — Cette nuit, j'ai rêvé que l'auto était en bouillie, tu restais ici, et j'étais bien content... Je m'ennuie tellement, tout seul, surtout depuis que j'ai perdu mon chien, écrasé par une voiture. Il n'était pas beau, mais il me tenait compagnie. Tu ne sais pas comme cette grande route est triste et le Relais isolé. — Oh! Jean-Lou, murmure Suzy, je croyais les petits Parisiens, seuls malheureux... Mais, toi aussi, tu vas bientôt partir en vacances n'est-ce pas? — Je ne suis jamais allé en vacances. Je vais rester ici à aider papa. — Excuse-moi, encore, Jean-Lou, je ne savais pas. — Et toi, où allais-tu avec tes parents? — En Espagne!
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- En Espagne? reprend Jean-Lou, comme s'il s'agissait du bout du monde. - Oh tu sais, dit Suzy, pour ne pas lui faire envie, nous allons surtout làbas parce que les vacances y reviennent moins cher qu'ailleurs. Nous y étions déjà l'an dernier, dans une pension. Maman ne s'y plaisait pas, à cause de la cuisine espagnole. Alors, cette année, nous partons à l'aveuglette. Papa cherchera quelque chose sur place, une maison ou une petite villa au bord de la mer... Tu aimes la mer, toi, Jean-Lou? — Je ne sais pas... Je ne l'ai jamais vue. - Oh! c'est vrai, j'oubliais... mais peut-être que... Elle n'achève pas. Ses parents viennent d'apparaître à l'entrée de la tonnelle, de retour de Montfaucon. — Alors? demande Suzy, la voiture?... — Rien de très grave, dit M. Sauthier, les ailes à redresser et quelques petites soudures à faire. Le garagiste me l'a promise pour ce soir. Nous pourrons partir aussitôt. Au lieu de sauter de joie, Suzy cache mal sa déception. Quant à Jean-Lou, son beau rêve évanoui, il lève les yeux vers sa nouvelle camarade et se tait. Alors, posant la main sur la sienne, Suzy murmure tout bas : — Ne sois pas triste, Jean-Lou, je suis sûre que nous nous reverrons, tu entends, j'en suis sûre.
LES MOTS AVONS-NOUS COMPRIS? Réserve. Montrer de la réserve c'est se méfier, ne pas exprimer ce qu'on voudrait dire, se retenir de parler. Bannies. Mises au « ban » c'est-à-dire à l'écart, repoussées. Géomètre. Le géomètre, comme l'explique Suzy s'occupe de géométrie. Il prend la mesure de terrains, relève des niveaux en vue de la construction de routes ou d'immeubles. Il dresse ensuite des plans.
La vie de Jean-Lou au Relais et celle de Suzy à Paris sont très différentes. Pourquoi ni l'un ni l'autre ne sont-ils heureux? A plusieurs reprises, Suzy a des paroles malheureuses. Relevez-les. Qu'est-ce que partir à l'aveuglette?
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24 - UNE LETTRE MYSTÉRIEUSE Quatre jours s'étaient écoulés depuis le départ de Suzy, quatre jours longs comme des siècles. Jean-Lou revoyait le visage de la petite Parisienne à la portière, au moment des adieux. Aussi émus l'un que l'autre, ils avaient vu, mutuellement, briller des larmes dans leurs yeux. Oui, ils n'avaient été ensemble qu'une toute petite journée et lui, Jean-Lou, gardait l'impression de connaître Suzy depuis toujours. En si peu de temps, ils s'étaient dit tant de choses. Oh! pourquoi était-elle partie si vite? Pourquoi l'auto n'avait-elle pas été plus endommagée?... Mais pourquoi aussi, à 1''ultime moment, alors que la voiture démarrait, Suzy avait-elle répété, avec la même conviction que le matin : Crois-moi, Jean-Lou, je suis sûre que nous nous retrouverons bientôt. Que pensait-elle exactement? Voulait-elle simplement dire qu'au retour des vacances, elle repasserait par le Relais des Cigales? Il songeait encore à ce départ quand, ce matin-là, le facteur de Montfaucon déboucha de la grande route sur son cyclomoteur pétaradant. Il n'apportait pas simplement le journal, comme d'habitude. - Tonnerre de sort! s'écria-t-il en riant, une lettre de l'étranger!... Une lettre d'Espagne!... Persuadé que Suzy lui écrivait, Jean-Lou tendit la main. - Non, dit le facteur, pas pour toi... pour tes parents. Il remit l'enveloppe à Mme Plantevin qui la décacheta .et déplia une longue lettre. Jean-Lou vit le visage de sa mère sourire légèrement puis se tendre, presque inquiet. La lettre terminée, Mme Plantevin la remit dans l'enveloppe en disant : — Des nouvelles de M. et Mme Sauthier. Ils nous remercient encore chaleureusement pour notre accueil. Ce sont des gens charmants. Là-dessus, elle se dirigea vers l'atelier où son mari rangeait des bidons d'huile et lui montra la missive. Jean-Lou constata qu'elle restait avec lui beaucoup plus de temps que n'en demandait la lecture de la lettre. Il s'en étonna... comme il s'étonnait que Suzy, ne lui ait pas écrit. Sa mère de retour dans la cuisine, il s'enhardit à la questionner, certain qu'elle lui montrerait cette lettre qui ne pouvait contenir aucun secret. Maman Plantevin parut gênée. Elle se contenta de répondre évasivement, disant que, certainement, Suzy lui écrirait bientôt. Comprenant que sa mère
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ne voulait rien lui confier, il se tut. Mais pendant le repas de midi, il trouva à ses parents un air préoccupé. Tous deux évitèrent de parler de la lettre, comme s'ils n'avaient rien reçu. — Un nouvel accident est peut-être arrivé à la voiture, pensa Jean-Lou avec effroi. Suzy est blessée, et ils veulent me le cacher. Le repas terminé, il sortit sur le pas de la porte, comme chaque jour, attendre les clients, pendant que son père s'octroyait une petite sieste. Mais justement, ce jour-là, papa Plantevin ne monta pas se reposer dans la chambre. Par la fenêtre, Jean-Lou le vit discuter avec sa mère, dans la cuisine. Tous deux paraissaient en désaccord. Sur quoi? Cela leur arrivait si peu souvent. Était-ce à cause de la lettre ? Maman Plantevin, surtout, avait un air ennuyé que Jean-Lou ne s'expliquait pas. Enfin, au bout d'un long moment, papa Plantevin sortit et rejoignit son fils. — Excuse-nous mon petit Jean-Lou, nous t'avons donné l'impression de te cacher quelque chose... Nous ne voulions pas te peiner au cas où ce ne serait pas possible... Nous venons de nous mettre d'accord, ta mère et moi... Tiens, lis cette lettre...
LES MOTS Ultime- Au tout dernier moment. Missive. Lettre. A rapprocher de message. Évasivement. Répondre évasivement c'est répondre d'une manière vague, de façon à ne pas révéler la vérité. S'octroyait. S'accordait, se permettait.
AVONS-NOUS COMPRIS? Que signifie : un cyclomoteur pétaradant. Que veut dire : remercier chaleureusement. Jean-Lou pense qu'il s'agit d'une mauvaise nouvelle. Quel passage du texte le lui fait croire presque avec certitude. Avant de lire le texte suivant, essayez de deviner ce que peut contenir cette lettre. A la fin, un mot peut vous mettre sur la voie.
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25 - UNE LETTRE MYSTÉRIEUSE (fin) Les doigts tremblants, Jean-Lou prit l'enveloppe et en sortit la fameuse lettre qui était très longue. Porta de Mar 5 août, « Chers amis, « Je ne veux pas tarder davantage à vous remercier une nouvelle fois de votre hospitalité si cordiale, si désintéressée. Loin de garder un déplaisant souvenir de notre accident, nous avons l'impression d'une agréable halte chez des amis de toujours... et je connais quelqu'un, ici, qui aurait volontiers prolongé son séjour au Relais des Cigales. « Dans l'incertitude où nous étions encore, lors de notre arrêt chez vous, sur l'organisation de nos vacances, je n'ai pas osé vous parler d'un désir, formulé à ce moment-là par Suzy, mais que nous approuvions vivement, ma femme et moi. Aujourd'hui, je suis heureux de pouvoir m'en ouvrir en toute simplicité. « En effet, nous avons eu la chance de trouver, presque tout de suite, sur la Costa Brava, à une quarantaine de kilomètres de Barcelone, une agréable villa comprenant trois chambres. Une chambre est donc disponible... et Suzy a immédiatement déclaré que ce serait celle de Jean-Lou. Que cette décision de Suzy ne vous surprenne pas. Nos deux enfants ont beaucoup sympathisé. Par notre fille, nous avons appris que Jean-Lou s'ennuyait un peu, surtout depuis la perte de son chien, et qu'il n'aura pas l'occasion de partir en vacances. Qu'il vienne nous rejoindre, nous l'attendons. « Le laisser partir seul vous inquiète peut-être ? Rien de plus simple cependant. Vous devez, journellement, servir des clients qui se rendent en Espagne. Vous trouverez quelqu'un qui se chargera de prendre Jean-Lou pour le déposer, en passant, à Barcelone où je viendrai le chercher. « Donc, au reçu de cette lettre, faites tout de suite le nécessaire à la mairie de Montfaucon afin d'obtenir les papiers indispensables pour le passage de la frontière et préparez ses bagages (II ne lui faut pas grand-chose; ici on vit pieds nus et en short, sur le sable). « Le jour où vous aurez trouvé le touriste complaisant qui se chargera de Jean-Lou (ce qui ne saurait tarder) adressez-nous immédiatement un télégramme. Voici l'endroit où je donne rendez-vous à notre jeune voyageur : à deux pas de la Plaza Cataluna (le centre de Barcelone) dans la calle Veraga un petit café qui a pour enseigne : « la Cantina del Sol ». Dans votre télé-
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gramme indiquez l'heure approximative de son arrivée dans la capitale catalane. J'y arriverai avant pour lui éviter toute inquiétude. En tout cas, ditesvous bien, chers amis, que si vous hésitez à le laisser partir, je n'hésiterai pas, moi, à venir le chercher à Montfaucon. C'est donc entendu. Suzy compte fermement sur son camarade. Sa déception serait trop grande s'il ne venait pas. « En attendant votre télégramme, nous vous prions d'accepter, chers amis, notre meilleur souvenir et les marques de notre reconnaissance. » « Jacques Sauthier, Villa Bella Costa, Porta de Mar (Barcelona). » » P.S. Je savais que nous nous reverrions bientôt, Jean-Lou. Viens vite, vite, vite... » « Suzy. » La lettre achevée, Jean-Lou leva vers son père des yeux brillants de joie. - Oh! papa, c'est... c'est vrai, tu me laisses partir? Oh! merci! M. Plantevin sourit. — Remercie plutôt ta mère. Le plus grand effort pour accepter ce projet, c'est elle qui Pa fait. Vois-tu Jean-Lou, pour moi, tu es déjà un grand garçon, mais les mères s'imaginent toujours que leurs enfants ne pourront jamais quitter leurs jupes. Elle accepte parce qu'elle est malheureuse de te voir triste depuis que nous sommes ici... Va vite l'embrasser.
LES MOTS AVONS-NOUS COMPRIS Désintéressée. L'hospitalité des Plantevin n'était pas commerciale. Ils n'avaient pas accepté de loger les Sauthier par intérêt. Ils ne leur ont demandé aucun paiement. Costa Bravo. En français côte sauvage. Partie de la côte espagnole qui s'étend de la frontière française jusqu'aux environs de Barcelone. Approximative. Approchante. L'heure prévue, à peu près pour son arrivée.
A qui pense M. Sauthier quand il dit dans sa lettre : «je connais quelqu'un... D'où vient le mot cordial? Mme Plantevin laisse son fils partir seul parce qu'il est triste. Ne voyez-vous pas une autre raison qui la pousse à accepter ce projet? Je suis heureux de pouvoir m'en ouvrir. Comment comprenez-vous le verbe ouvrir.
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26 - EN ROUTE POUR L'ESPAGNE Espagne! Ce mot magique revenait sans cesse sur les lèvres de Jean-Lou. Il allait partir en Espagne, à l'étranger, lui qui, du vaste monde, ne connaissait que Tourette et Montfaucon! Tout était prêt. A la mairie, M. Plantevin avait obtenu les papiers nécessaires, dûment tamponnés et paraphés. Restait à trouver l'auto qui emmènerait Jean-Lou de l'autre côté de la frontière... une frontière que, dans son imagination, il voyait aussi imposante que la grande muraille de Chine sur son livre de géographie. Déjà, papa Plantevin avait servi une bonne dizaine de clients se dirigeants vers l'Espagne mais, soit que les voitures fussent trop chargées (c'était souvent le cas) soit que la mine du chauffeur n'offrît pas une garantie suffisante aux yeux de Mme Plantevin, Jean-Lou n'était pas encore parti. Enfin, un matin vers huit heures, Jean-Lou achevait sa toilette, dans sa chambre quand son père l'appela. — Descends vite, Jean-Lou! Une grosse voiture de marque étrangère stationnait sur le terre-plein^ devant les pompes à essence. Deux personnes seulement l'occupaient : une dame, plus très jeune, d'une certaine corpulence, aux doigts chargés de bagues et son mari, rondelet lui aussi, au crâne presque chauve et à la mine joviale. - Voici mon fils, dit papa Plantevin. Dans cinq minutes il sera prêt. En attendant, venez prendre une tasse de café sous la tonnelle. Les voyageurs acceptèrent sans façon. Le monsieur expliqua à Mme Plantevin, qu'il était fabricant d'articles de ménage, à Reims, et se rendait pour une quinzaine de jours, avec sa femme, aux îles Baléares, via Barcelone. Ces gens étaient riches, cela se voyait, mais certainement plus doués de sens commercial que de distinction, au demeurant, complaisants et bons vivants.
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- Nous devons embarquer, avec la voiture, à 8 heures, ce soir, dit la il.une, nos places sont retenues à bord de l'avion; nous déposerons votre fils bien avant, sur la place de Catalogne... Mettons vers 4 ou 5 heures. Noire voiture est rapide et mon mari conduit très vite... mais avec une maîtrise parfaite, rassurez-vous. Dix minutes plus tard, Jean-Lou embrassait ses parents et l'auto démarrait on trombe en direction du Sud, tandis que M. Plantevin enfourchait son vélo pour aller expédier le télégramme. Quel enchantement! Jamais Jean-Lou n'avait roulé aussi vite dans une voiture aussi confortable. Il en était ébloui. Seul, à l'arrière, il disposait de toute la place pour lui. Villes et villages défilaient à une vitesse étourdissante. Sans s'en apercevoir, il se laissait gagner par la griserie de cette grande route et il trouvait que les choses sont bien différentes selon la façon dont on les regarde. Du relais, le défilé vertigineux des voitures constituait un spectacle presque insoutenable, tandis que rouler soi-même, à 120 km à l'heure, sur cette même route!... Aucune comparaison possible. Devant lui, le monsieur et la dame se taisaient, comme s'ils n'avaient rien à se dire. A part la vitesse, rien ne semblait intéresser le chauffeur, appliqué à doubler toutes les autres voitures. La dame, elle, ne cessait de sucer des bonbons mais, chaque fois qu'elle sortait sa boîte, elle se retournait pour en offrir un à Jean-Lou. Avignon! Nîmes! Montpellier! Narbonne!... Jean-Lou avait tout juste le temps d'entrevoir ces villes aux noms connus. Perpignan dépassé, le conducteur se félicita de sa « moyenne » élevée et rassura Jean-Lou : — Mon petit gars, nous serons à Barcelone avant quatre heures. Il est midi. Sitôt la frontière franchie, nous nous arrêterons pour déjeuner. La frontière! On allait passer la frontière! Une simple formalité, avait dit la dame. Jean-Lou ne se doutait pas du mauvais tour que cette petite formalité allait leur jouer... LES MOTS
AVONS-NOUS COMPRIS?
Dûment. Selon la forme réglementaire. Paraphés. Signés par la personne responsable. Terre-plein Terre rapportée et nivelée formant une sorte de petit plateau. Via. En passant par. Au demeurant. Somme toute, en somme, en plus de ce qu'on vient de dire.
Mme Plantevin n'était tout de même pas très rassurée de laisser partir son fils. Quelle phrase le montre? Que signifie cette expression : d'une certaine corpulence? Traduisez-la autrement. Ces voyageurs ne ressemblent pas aux Sauthier. D'après vous, Jean-Lou les trouve-t-ils plus ou moins sympathiques? Pourquoi? Qu'est-ce qu'un spectacle insoutenable. Ce mot estil employé au sens propre?
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27 - LA FRONTIÈRE Le col du Perthus, c'est-à-dire la frontière, n'est plus qu'à trois ou quatre kilomètres quand tout à coup, après un tournant, les voyageurs découvrent, devant eux, une interminable file de voitures apparemment arrêtées. - Quoi? fait le chauffeur... un accident? un camion qui obstrue la route, plus loin? Il ralentit et vient se placer à la suite de la dernière voiture de la file qui avance lentement, par à-coups, de quelques mètres seulement à la fois. — Que se passe-t-il? demande la dame à une paysanne qui garde ses chèvres en bordure de la route. — Rien, y s'passe rien, répond la paysanne avec un sourire ironique. Au mois d'août c'est tous les jours comme ça, à cause des douaniers. Faut suivre la file. Vous en avez ben pour deux heures.
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Le chauffeur et sa femme haussent les épaules. Cette petite paysanne se moque d'eux assurément. Cependant, le pilote a perdu son air jovial. Impatient, il appuie sur son klaxon pour faire avancer la file, devant lui. Un policier de la route qui passe, en sens inverse, sur sa grosse moto noire, s'arrête pour l'inviter à moins de tapage. — Inutile de trépigner; attendez, comme tout le monde! En définitive, la petite paysanne ne s'est pas moquée d'eux. Elle s'est montrée optimiste car la montre du tableau de bord marque quatre heures quand, après mille faux départs, mille arrêts, dans la fumée bleue des gaz d'échappement, les képis des douaniers sont enfin en vue. Depuis un long moment déjà, Jean-Lou est à la torture. Quand arrivera-t-il a Barcelone?... M. Sauthier ne sera-t-il pas déjà reparti ? De leur côté, le pilote et sa femme bouillent de colère. — Nous allons manquer notre avion! répète la grosse dame. En cette saison toutes les places sont retenues d'avance. Si nous ne partons pas ce soir, c'est fini, plus de vacances aux Baléares. Enfin l'auto se présente devant le poste de contrôle. Jean-Lou a soudain très peur en voyant un policier au regard sévère le dévisager pour comparer ses traits avec ceux de sa carte d'identité. Oh! si on allait lui interdire
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d'aller plus loin, le faire descendre de voiture. Non, le policier lui rend sa carte et il pousse un soupir de soulagement, croyant que tout est fini. Hélas ! six kilomètres plus loin nouvelle angoisse à la vue d'uniformes, non plus bleumarine, ceux-là, mais verts. — Qu'est-ce que c'est? demande-t-il. —La douane espagnole! Heureusement, les policiers espagnols, eux, sont moins inquisiteurs. Après quelques minutes d'arrêt, la voiture reprend son élan. Jean-Lou roule à présent en Espagne. Trop inquiet, ne cessant de penser à M. Sauthier qui l'attend, il s'en aperçoit à peine. D'ailleurs, le paysage n'a pas tellement changé, un peu plus grillé, peut-être, à cause du soleil plus ardent. Crispé à son volant, le chauffeur fonce vers le Sud à une allure folle. Mais le grand port espagnol est encore loin. Sur la montre du tableau de bord, les aiguilles tournent. 5 heures et demie!... 6 heures!... Six heures et demie!... Le compteur de vitesse, lui, marque cent quarante. — Plus vite, Bernard, répète la grosse dame, nous allons manquer l'avion. Enfin! les faubourgs de Barcelone! Il est déjà 7 heures.
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- Si nous pénétrons au cœur de la ville à l'heure des gros embouteillages, dit le chauffeur, nous sommes fichus. Soudain, il avise un panneau indiquant une déviation pour l'aérodrome; il freine brusquement, s'arrête, et se tourne vers Jean-Lou : - Excuse-moi, mon garçon, je n'ai pas le temps de te conduire à domicile. A ton âge, tu te débrouilleras sans peine. Tiens, voici de l'argent espagnol. Prends un tramway, un autobus, un taxi, ce que tu trouveras... et bonnes vacances. Ce disant, il étend le bras et ouvre la portière arrière. Jean-Lou saute à terre, avec sa valise et la grosse voiture redémarre le laissant seul, sur le trottoir, dans un faubourg de la grande ville étrangère.
LES MOTS Obstrue. Bouche, barre, constitue un obstacle. Dévisager. Regarder quelqu'un avec insistance. Inquisiteurs. Les policiers espagnols se montrent moins curieux, moins méfiants, moins questionneurs. AVONS-NOUS COMPRIS? Que signifie : avancer par à-coups.
Optimiste : nous avons déjà vu ce mot. Que signifie-t-il exactement dans ce texte? D'après les réactions du chauffeur aux difficultés du voyage, comment jugez-vous cet homme? Quelles sont ses qualités... et aussi ses défauts? A-t-il vraiment conscience de mettre JeanLou dans l'embarras en le déposant sur le trottoir? Le chauffeur emploie un mot qui dénote une certaine vulgarité. Lequel? Regardez sur une carte, l'itinéraire de JeanLou.
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28 - PLACE DE CATALOGNE La scène s'est déroulée si vite que, sur le coup, Jean-Lou n'a pas compris tout le tragique de sa situation. Au bout de quelques instants, il se représente, avec une subite lucidité, ce que signifie se trouver seul sur une terre étrangère. Tout à l'heure, en franchissant la frontière, il a presque été déçu par la différence si peu sensible entre les deux pays. A présent, la réalité lui saute aux yeux., La France est loin, très loin. Il ne comprend rien aux paroles échangées par les passants. Il est incapable de lire les panneaux indicateurs, les enseignes des magasins, les affiches sur les murs. Bien pis! Il ignore complètement où il se trouve. Machinalement, il regarde le billet que le mari de la grosse dame aux doigts chargés de bagues lui a mis dans la main : 200 pesetas ! Qu'est-ce que des pesetas?... Peut-on aller loin avec ce billet?... jusqu'à la place de Catalogne ? Des autobus passent, s'arrêtent, chargent des voyageurs, repartent. Il s'approche et demande, à tout hasard : — Je veux aller, place de Catalogne. Est-ce que je dois prendre cet autobus ? Les gens le regardent, surpris. Ils n'ont rien compris. Cependant un garçon d'une vingtaine d'années, en salopette d'ouvrier, croit avoir reconnu certaines consonances. — Plaza de Cataluna? reprend-il. Jean-Lou approuve; il vient de se souvenir du nom espagnol de l'endroit. Alors, complaisant, le garçon lui fait signe de le suivre mais au lieu de le conduire vers un arrêt d'autobus, il l'entraîne vers un escalier qui semble descendre dans les profondeurs de la terre. Pris d'une soudaine inquiétude, JeanLou hésite. Où cet inconnu l'emmène-t-il ? Le garçon le saisit par la main et le tire vers un couloir assez sombre où règne une chaleur torride. Soudain, le jeune ouvrier lui prend son billet de deux cents pesetas, imprudemment gardé entre les doigts et se sauve. Un voleur! Un voleur qui l'a entraîné là pour lui chiper son argent! Non, le garçon n'est pas allé loin. Il a seulement couru vers un guichet d'où il revient en tendant à Jean-Lou un ticket et un tas de pièces de toutes sortes qui doivent représenter la monnaie de son billet. — Gran métro... Plaza de Cataluna! explique le garçon.
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II le pousse vers un quai, lui faisant signe d'attendre là, puis, tout souriant, lui serre la main et se sauve en courant. Remis de ses émotions, Jean-Lou comprend enfin qu'il se trouve dans un métro. Un métro ! comme à Paris. Barcelone est donc une si grande ville ? Mais déjà un train arrive, bondé de voyageurs. Sa valise dans les bras, Jean-Lou se fraie une place dans un wagon. Autour de lui, les gens rient plaisantant, bavardant. A peine parti, le train freine déjà. — La Plaza de Cataluna? demande-t-il, inquiet, en s'appliquant à la prononciation espagnole. Une dame, qui n'est pas dupe de son accent, lui fait « non » de la tête et montre trois de ses doigts pour indiquer qu'il devra descendre au troisième arrêt. Alors, tandis que le train roule sous terre dans une chaleur d'enfer, il regarde sa montre 7 h 35. Non, rien n'est perdu. M. Sauthier l'aura certainement attendu. Il sort de sa poche le papier sur lequel sont écrits les noms de la rue et du café où le père de Suzy l'attend. Plaza de Cataluna ! La dame qui l'a renseigné lui fait signe de descendre. Beaucoup de gens d'ailleurs s'arrêtent là. Il suit le mouvement de la foule vers la sortie. Et tout à coup, au sommet d'un large escalier, il se retrouve en plein air, inondé de sueur. Oh ! quelle impression ! Devant lui, s'ouvre une place immense, aussi vaste que son village de Tourette tout entier, une place pavée de larges dalles, bordée de gratte-ciel de quinze ou vingt étages et au milieu de laquelle, parmi des massifs de fleurs et de palmiers, ruissellent les eaux d'une fontaine colossale. Sa valise à bout de bras, complètement hébété, Jean-Lou se sent de nouveau perdu. LES MOTS Lucidité. La lucidité (ce mot est parent de : lumière) est la qualité de celui qui voit et comprend clairement quelque chose. Peseta. Unité de monnaie espagnole, comme le Franc est l'unité de monnaie en France. Salopette. Combinaison de travail. On pourrait dire aussi : bleu de travail mais en Espagne la couleur verte est plus souvent employée. Consonances. Ressemblance de certains
Dupe. Être dupe c'est être victime d'une tromperie. L'accent de Jean-Lou ne trompait pas la dame espagnole. AVONS-NOUS COMPRIS? Expliquez : la réalité lui saute aux yeux. D'après ce texte, que pensez-vous des Espagnols auxquels Jean-Lou s'est adressé? D'après vous Jean-Lou est-il aussi embarrassé (malgré son inquiétude) qu'on pouvait le prévoir?
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29 - LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ Enfin, il se ressaisit, sort de nouveau son papier pour vérifier le nom de la rue, arrête le premier passant. — La calle Veraga, s'il vous plaît? L'homme le regarde en riant et s'exclame : — Tiens! un petit Français! Toi aussi, tu passes tes vacances en Espagne? Impossible de te renseigner, je ne connais pas la ville mieux que toi... Excuse-moi, ma femme m'attends, là-bas, dans la voiture. Et le touriste s'éloigne. Trois autres passants, Espagnols ceux-là, ne connaissent pas davantage la rue Veraga. M. Sauthier s'est-il trompé? Cette rue n'existe peut-être pas... ou alors, dans un autre quartier. Plus loin, il aperçoit un uniforme surmonté d'un étrange bicorne. Un agent de police sans doute. Il court à lui. — La calle Veraga?
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Le policier paraît perplexe. Il sort un petit guide de sa poche et le consulte. Puis, accompagnant son explication de grands gestes : — Si, calle Veraga, no es legos de aqui. Cuarta calle à la derecha. JeanLou n'a rien compris, mais d'après les gestes, il devine que la rue existe, pas très loin de là. Il se penche sur le plan du policier qui, obligeamment, lui indique le chemin à suivre. Il n'aura qu'à contourner la place et prendre la quatrième rue à droite. Rassuré, il remercie et s'éloigne. Après tout, on se débrouille très bien dans un pays dont on ne connaît pas un traître mot de la langue. Sa valise à la main, il se met à courir et débouche enfin dans la calle Veraga, une toute petite rue, étroite et courte qui relie deux larges artères. Presque aussitôt, il découvre l'enseigne du café : « La cantina del sol », dont les lettres se détachent en rouge sur un store jaune. Cinq ou six voitures stationnent le long du trottoir, toutes espagnoles. Où M. Sauthier a-t-il garé la sienne? A tout hasard, il s'enhardit à pénétrer dans le café. Une dizaine de clients, accablés de chaleur, somnolent devant leurs verres. Manches de chemise retroussées jusqu'à l'épaule, accoudé à son comptoir, le patron fume un énorme cigare. Jean-Lou s'approche et, autant par mots que par gestes, essaie d'expliquer qu'il a rendez-vous avec, quelqu'un devant le café mais n'a trouvé personne. Par chance, l'homme parle français... et même fort bien. — Non muchachoy je n'ai rien vu... As-tu jeté un coup d'oeil sur les voitures, dans la rue?
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— Celle que je cherche n'y est pas. J'avais rendez-vous à quatre heures. Je n’ai pas pu arriver plus tôt. Le monsieur qui devait venir est peut-être déjà reparti. — Bah! Il serait entré, avant de s'en aller; il m'aurait prévenu. C'est lui qui est en retard. Assieds-toi. Tu es en nage... Veux-tu boire quelque chose en l'attendant Jean-Lou s'assied à une table. Le patron lui apporte un verre d'une étrange boisson très fraîche, qu'il paie aussitôt en étalant sur la table toute sa monnaie espagnole, sur laquelle l'homme prélève le montant de la consommation. Un long moment s'écoule. Chaque minute qui passe voit s'accroître l'anxiété de Jean-Lou, Dehors, le soir tombe. Il est trop tard. M. Sauthier ne viendra pas. Jean-Lou se demande avec inquiétude ce qu'il va devenir. — Je vais peut-être coucher dehors! Pour calmer son angoisse, il essaie de se dire que M. Sauthier n'était pas chez lui quand le télégramme est arrivé... ou que le télégramme lui est parvenu très tard... ou encore qu'une panne a empêché le père de Suzy d'être là à temps. Mais tout à coup, il pense avec effroi. — Et si le télégramme s'était perdu en route!...
LES MOTS AVONS-NOUS COMPRIS? Bicorne. Chapeau à deux cornes. Perplexe. Embarrassé, qui ne sait pas trop que penser, que répondre. Somnolent. Ont l'esprit engourdi, dorment presque. Muchacho. Garçon en espagnol. Mot familier.
D'après les explications qui suivent, essayez de traduire la phrase espagnole prononcée par l'agent. Un traître mot. Le mot traître n'a pas ici son sens habituel. Remplacez-le par un autre. Pourquoi Jean-Lou étale-t-il toute sa monnaie? Que signifie prélever? Si vous vous trouviez dans la situation de Jean-Lou, que feriez-vous. En avez-vous une idée?
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30 - UNE NUIT ESPAGNOLE Aucun doute! Le télégramme est resté en panne. Jean-Lou devra se débrouiller tout seul. Existe-t-il des trains, des autobus pour Porta de Mar ? Le train l'impressionne davantage que l'autobus. Aussi étrange que cela paraisse, il n'est jamais monté dans un train... Bah! il a bien pris le métro, tout à l'heure... De toute façon, il devra attendre jusqu'au lendemain. Mais, tout à l'heure, le café va fermer sa porte et le patron le mettra dehors. Bien sûr, la nuit ne sera pas froide, mais s'il rencontre des agents? Un petit étranger errant dans la nuit avec une valise, ce n'est pas très normal. Plus le temps passe, plus il réfléchit à tout cela. Déjà onze heures. A une heure pareille l'unique café de Tourette a depuis longtemps clos ses volets.
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Du coin de l'œil, il surveille le patron du café qui va et vient dans la salle, en espadrilles, avec une allure nonchalante. Il guette le moment où celui-ci va le prier de sortir. En effet, au bout d'un moment, l'Espagnol vient à lui, pose ses deux gros poings sur la table : — Alors, muchacho, toujours rien? Jean-Lou secoue la tête, bien près des larmes. — Où ce monsieur devait-il te conduire? — A Porta de Mar. L'homme réfléchit. — Je crois que c'est du côté de Badalona. Tu trouveras, demain, un autobus qui t'y conduira... En attendant, où vas-tu coucher? — Je... je pense aller dormir sur un banc de la place de Catalogne. Le patron fronce les sourcils. — C'est ça, pour que les agents te ramassent et t'emmènent au poste. Se tournant vers une porte, au fond du café, il appelle : — Carmen!... Carmen!... Une femme d'une cinquantaine d'années accourt. Il lui explique quelque chose, dans sa langue. La femme regarde Jean-Lou d'un air pitoyable et joignant les mains, débite à une vitesse prodigieuse des mots incompréhensibles. — Tu ne dormiras pas sur un banc, explique l'Espagnol. Ma femme va t'étendre un matelas dans une soupente, faute de place ailleurs; et tu dîneras tout à l'heure avec nous... tu dois avoir faim. — Oui, avoue Jean-Lou qui n'a rien mangé depuis le repas de midi (si on peut parler de repas!) pris dans la voiture, en attendant le passage de la douane. Soulagé, il sourit à ses hôtes et les remercie. Toujours assis à sa petite table, il patiente encore un moment. Enfin vers minuit, il s'installe dans la cuisine, avec l'Espagnol, sa femme et une jeune personne qui doit être leur fille. On lui sert des plats étranges, faits avec on ne sait quoi, atrocement épicés. La gorge en feu, Jean-Lou s'arme de courage pour finir son assiette et devient cramoisi. — Ce n'est rien, fait l'homme en riant. Tu t'habitueras vite à notre cuisine. Elle est moins fade que la cuisine française. Je la connais bien pour avoir vécu dix ans dans ton pays. Puis, on le conduit vers la soupente qui sert de débarras... et quel débarras! Il s'étend tout habillé sur son matelas; la chaleur suffocante
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l'oblige à ne garder que son slip. A 2 heures du matin, il ne dort pas encore, tenu en éveil par les bruits de la rue. On se couche donc si tard en Espagne ? 3 heures ! peu à peu les rumeurs de la ville s'apaisent, mais à présent, ce sont des souris qu'il entend trotter autour de lui. Bien sûr, un débarras est un domaine de choix pour des souris. Enfin, écrasé de fatigue, ne cherchant même plus comment il se débrouillera demain, il s'endort, pour sa première nuit espagnole, une nuit dont il se souviendra longtemps. ... Il dort encore profondément quand une voix le tire de son sommeil. Il ouvre les yeux, ébloui par l'ardente lumière qui pénètre par la lucarne. L'Espagnole se tient devant lui, l'air presque affolé. Avec de grands gestes elle lui fait signe de s'habiller, de descendre en hâte, comme si le feu était à la maison. Il passe prestement ses vêtements, empoigne sa valise, dégringole l'escalier et s'arrête, médusé, n'en croyant pas ses yeux, à l'entrée de la salle de café. — Oh!... M. Sauthier!... Suzy!...
LES MOTS Allure nonchalante. Allure molle, sans gestes rapides, traînante. Pitoyable. Qui inspire la pitié, qui montre de la pitié. Soupente. Réduit aménagé sous la pente du toit. Sorte de mansarde. Cramoisi. D'un rouge foncé, tirant sur le violet. Prestement. Rapidement.
AVONS-NOUS COMPRIS? Est-il vraiment surprenant que Jean-Lou ne soit jamais monté dans un train? Pourquoi l'auteur ajoute-t-il : et quel débarras? Que veut-il laisser entendre? Médusé. Nous avons déjà vu ce mot. Que signifie-t-il? Que pensez-vous de la façon dont vivent les Espagnols?
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3l - LA MER ! Oui, Suzy et son père sont là, assis à une table. Il se précipite vers eux, fou de joie. — Ah! Jean-Lou, s'écrie M. Sauthier, si tu savais le mauvais sang que je me suis fait ce matin... quand j'ai reçu le télégramme de ton père m'apprenant que tu étais à Barcelone depuis hier soir. Figure-toi qu'il existe deux villas BellaCosta à Porta de Mar. La nôtre, toute neuve, n'est pas encore connue des facteurs. Le télégramme a été porté à l'autre hier, au début de l'après-midi. Comme le nom ne correspondait pas avec celui du locataire, le télégramme est revenu à la poste. C'est là que je l'ai trouvé, ce matin, en allant chercher mon courrier. — Oui, Jean-Lou, murmure Suzy en lui prenant les mains, moi aussi j'ai été très inquiète. Quand j'ai su que tu étais à Barcelone depuis hier à quatre heures de l'après-midi, j'ai eu très peur que, ce matin, tu sois reparti. — C'est que, Suzy, hier à quatre heures j'étais encore loin de Barcelone. Si tu savais ce qui m'est arrivé. — Oh! raconte! Ils s'installent à une table du café et M. Sauthier commande trois petits déjeuners. Alors, avec une sorte de désinvolture, comme si, pas un seul instant il n'avait été embarrassé ou inquiet, Jean-Lou raconte son aventure : l'interminable attente devant le poste de douane, son « débarquement » précipité dans un faubourg inconnu, son voyage dans le métro, son arrivée au café. Cependant, il ne fait allusion ni à sa peur d'être volé par le jeune ouvrier,
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ni à son angoisse à la perspective de coucher dehors. Il n'y a là, de sa part, aucune forfanterie. La joie de retrouver Suzy lui fait, d'un seul coup, oublier tous ses avatars. — Tu vois, fait-il, je me suis très bien débrouillé. Si tu n'étais pas venue, ce matin, eh bien, je serais allé tout seul à Porta de Mar et tu aurais été bien surprise en me voyant arriver. Suzy le considère, pleine d'admiration. Et, tout à la joie de le retrouver : — Je te l'avais bien dit, Jean-Lou, que nous nous reverrions bientôt. Que c'est drôle de se retrouver ici, ensemble, dans cette grande ville... Es-tu content d'avoir vu la mer, toi qui ne la connaissais pas? — La mer? Non, il n'a rien vu. De Barcelone, il ne connaît qu'un métro étouffant, une place fleurie et un petit café où on dort dans une soupente, avec des souris. — Alors, dit M. Sauthier, nous allons d'abord nous arrêter devant une poste afin de rassurer tes parents par un télégramme, puis nous descendrons
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vers le port par les Ramblas, les grands boulevards de Barcelone, si tu préfères. Ayant chaleureusement remercié les tenanciers du café qui refusèrent tout paiement pour l'hébergement de Jean-Lou, ils montent dans la voiture, tous trois à l'avant. Brusquement, Jean-Lou découvre la mer, le port, les immenses navires amarrés à quai. Quel émerveillement! — La mer! répète-t-il! C'est la mer! — Nous ne la perdrons pas de vue jusqu'à Porta de Mar dit Suzy... mais là-bas, elle est plus sauvage, avec de grands rochers blancs qui plongent dans l'eau. Après avoir longé les interminables quais, la voiture remonte vers le nord et les deux enfants ne cessent de bavarder. — Tu verras comme nous sommes bien installés, explique Suzy. La villa est à cinquante mètres de l'eau. Tous près de chez nous logent d'autres Parisiens. Il y a un garçon de ton âge qui s'appelle Gilbert. J'ai fait sa connaissance
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il y a trois jours. Il est très drôle et nage comme un poisson. Nous ferons de bonnes parties tous les trois. - Ah! fait Jean-Lou. Mais bientôt la voiture ralentit et s'arrête devant une construction toute blanche. - Nous sommes arrivés, Jean-Lou. Tu vois, cette fenêtre est celle de ta chambre. Viens vite je vais te la montrer.
LES MOTS Hébergement. Action de loger quelqu'un. Désinvolture. Allure dégagée, attitude qui fait que l'on n'a pas l'air de prendre les choses au sérieux. Allusion. Faire allusion à quelque chose, c'est, d'une manière un peu détournée, parler de cette chose. Forfanterie. Vantardise, façon de se faire valoir en se vantant. Avatars. Ennuis de toutes sortes.
Tenanciers. Les personnes qui « tiennent » le café c'est-à-dire qui s'en occupent. AVONS-NOUS COMPRIS? Pourquoi le mot débarquement est-il entre guillemets? Que pensez-vous des Espagnols qui ont hébergé Jean-Lou? Jean-Lou ne se vante-t-il pas quand même un peu ? Relevez le passage le plus marquant. Que pensez-vous du an .' de Jean-Lou quand Suzy parle du petit Parisien?
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32 - GILBERT On venait de passer à table, dans la blanche salle à manger ouvrant sur la mer. — Alors, Jean-Lou, demanda Mme Sauthier, quelles sont tes premières impressions sur l'Espagne? Jean-Lou sourit, heureux, à présent, d'avoir vécu une véritable aventure qui le valorisait aux yeux de Suzy. — Les Espagnols sont très gentils... Pourtant, j'ai bien cru que le premier que je rencontrais était un bandit. - Un bandit? fit Suzy, tu ne nous en as pas parlé, tout à l'heure. Embellissant un peu son histoire, il raconta sa descente dans le souterrain du métro, derrière l'inconnu qui avait l'air de se sauver en emportant son argent. Tout le monde rit de bon cœur. — Et la cuisine catalane? demanda M. Sauthier. Jean-Lou fit la grimace et, avec complaisance, pour amuser Suzy, décrivit le dîner qui avait allumé un véritable incendie dans sa gorge. — Moi non plus, le rassura la mère de Suzy, je ne m'y habitue pas. Chez nous, tu retrouveras la cuisine française... de même que, le soir, tu ne te coucheras pas à des heures impossibles, comme c'est l'usage ici. — Bah! fit Suzy, moi je m'habituerais très bien à vivre comme les Espagnols... La seule chose qui m'ennuie, c'est la sieste. Dans ce pays, tout le monde fait la sieste. Entre 3 et 5 heures de l'après-midi, on ne rencontre
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pas un chat dans les rues. Je trouve que c'est du temps perdu... surtout pendant les vacances. Ainsi, au cours de ce premier repas, on parla beaucoup de l'Espagne dont Jean-Lou se sentait déjà imprégné comme s'il y vivait depuis toujours. Mais, pour lui, l'Espagne c'était surtout Suzy qu'il venait de retrouver. Ah! que le Relais des Cigales était loin! Le repas terminé (et avant la fameuse sieste obligatoire) Suzy entraîna Jean-Lou au bord de la mer. — Sais-tu nager? demanda-t-elle. Il se trouva bien embarrassé pour répondre. — Peut-être!... Je n'en suis pas sûr. Suzy partit d'un grand éclat de rire. — Comment? Tu ne sais pas si tu sais nager? — A Tourette, je me baignais dans la petite rivière, dans un « gour », un gouffre si tu préfères. Il y avait quatre ou cinq mètres d'eau. Je plongeais jusqu'au fond; mais il n'était pas large; en remontant, j'atteignais tout de suite le bord... Alors, je ne peux pas dire si je sais nager. Ils s'assirent un moment sur le sable puis, avant de rentrer pour la sieste de rigueur, longèrent la plage. — Tu vois cette belle villa avec une grande terrasse, dit Suzy. C'est là qu'habité Gilbert... ou Gil, comme on l'appelle. Ses parents sont riches. Je crois que son père est avocat à Paris. Attends, je vais l'appeler. Elle mit ses mains en porte-voix et, tournée vers la villa : - Ohé Gil!... Gil! Descends! Le garçon apparut sur la terrasse, fit un signe de la main et dégringola l'escalier de marbre. — Gil, dit-elle radieuse, je te présente Jean-Lou; il est arrivé ce matin après toutes sortes d'aventures. Je lui ai déjà parlé de toi. Il sait que tu nages comme un poisson. Les deux garçons se serrèrent la main. Cependant, Jean-Lou éprouva une certaine gêne devant ce petit Parisien, moins robuste que lui d'apparence, mais au regard vif et à l'air moqueur. — D'où viens-tu? demanda tout de suite Gil... de Paris, toi aussi? — Non, fit Jean-Lou, de Provence... Et, pour ne pas paraître trop provincial, il ajouta imprudemment : — Mais j'ai aussi de la famille à Paris, une tante. — Ah! dans quel quartier? — A... à Bobigny!
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Gil se mit à rire, Jean-Lou comprit qu'il venait de dire une sottise. Suzy lui expliqua que Bobigny n'est pas un quartier de Paris, mais une ville de banlieue. Curieux, Gil posa toutes sortes de questions puis, sa mère l'ayant appelé, il exécuta une pirouette sur le sable et remonta chez lui. - Comment le trouves-tu? dit Suzy. Il est très drôle, n'est-ce pas? JeanLou ne répondit pas. Il marchait la tête baissée, comme s'il s'appliquait à choisir les galets sur lesquels il posait le pied. - Qu'as-tu? s'inquiéta Suzy. On dirait que Gil ne te plaît pas. - Oh! si, dit vivement Jean-Lou... seulement... — Seulement quoi? — Rien, Suzy... rentrons, je crois que ta maman, elle aussi, nous appelle pour la sieste.
De rigueur. De règle, obligatoire. LES MOTS AVONS-NOUS COMPRIS? Valorisait. Donnait de la valeur. Complaisance. Jean-Lou donnait beaucoup de détails pour plaire à Suzy. Imprégné. Jean-Lou était comme pénétré par l'atmosphère espagnole.
Pourquoi Jean Lou ne regrette-t-il pas ses aventures à Barcelone ? Pourquoi est-il très intimidé par Gil? Quelle différence faites-vous entre Provençal et provincial ?
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33 - LA JALOUSIE DE JEAN-LOU Ah ! cette première sieste à la blanche villa de Porta de Mar ! Jean-Lou s'en souviendrait. En quittant Suzy qui montait se reposer dans sa chambre, il se jeta sur son lit et se laissa aller à son chagrin, presque à son désespoir. Pauvre Jean-Lou! si vite enthousiasmé, si vite découragé aussi. La veille, il avait connu toutes sortes d'ennuis, au cours de son voyage mouvementé; ce n'étaient alors que des difficultés matérielles qui n'affectaient pas son cœur. Tandis qu'à présent!... Brusquement, après s'être tant réjoui de revoir sa petite camarade, il avait l'impression d'arriver chez elle comme un intrus. Certes, Suzy n'avait pas caché sa joie en le retrouvant à Barcelone et ses parents l'avaient accueilli comme leur propre fils. Cependant, il se sentait très malheureux. Était-ce à cause de Gil? A trop vouloir raisonner, on finit par s'écarter de la vérité. Jean-Lou était en train de s'égarer. — Je n'aurais pas dû accepter l'invitation de M. et Mme Sauthier, se dit-il. Ils l'ont fait par reconnaissance pour mes parents... et pour satisfaire le caprice de Suzy... Suzy avait peur de s'ennuyer, au bord de la mer, toute seule. Mais elle a trouvé Gil. Elle n'a plus besoin de moi. Gil est parisien comme elle, ils se ressemblent... Et puis, Gil est riche, il possède un bateau pour l'emmener sur la mer. Jusqu'à présent, les notions d'argent et de fortune ne l'avaient guère préoccupé. A Tourette, il n'y avait ni riches ni pauvres. Il se rendit compte que ses parents étaient pauvres par rapport à ceux de Suzy... et misérables, comparés à ceux de Gil. - Un pauvre petit campagnard, se dit-il, voilà ce que je suis... et eux, des Parisiens.
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Il entendit encore le rire de Gil quand, pour essayer de se rapprocher de lui et de Suzy, il avait parlé de sa tante qui habitait à Bobigny. Oui Gil s'était moqué de lui... et si Suzy n'avait pas ri, elle, c'était simplement par pitié. Alors, une terrible envie de partir lui vint; de partir tout de suite, puisqu'il était un étranger. Mais comment ? C'était impossible. Le cœur lourd, il se mit à pleurer. ... Il pleurait encore, la tête au creux de son oreiller, quand, au bout d'un moment, quelqu'un frappa discrètement à sa porte. Il ne répondit pas. Alors une petite voix appela : — Tu dors encore, Jean-Lou?... C'est l'heure du bain! La voix était douce, pressante, il faillit s'y laisser prendre. Mais que dirait Suzy de ses yeux rougis ? Il ne bougea pas et fit semblant de dormir. Il entendit la porte s'entrouvrir et Suzy murmurer pour elle-même : — Il a passé une si mauvaise nuit, à Barcelone; il dort encore. Puis la porte se referma. Une seconde fois, il regretta de n'avoir pas
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répondu, mais Suzy allait se baigner. Certainement, Gil la rejoindrait. Quelle nouvelle humiliation pour lui, Jean-Lou s'il ne pouvait les suivre à la nage! Quelques instants plus tard, sa petite camarade descendait vers la plage en chantonnant. Jean-Lou se leva pour jeter un coup d'œil par la fenêtre, à travers les stores. Gil était déjà au bord de l'eau. — Et Jean-Lou? cria-t-il à Suzy... Il ne vient pas? — Il dort encore; je n'ai pas osé le réveiller. — Dommage! nous aurions fait une course, tous les trois. — Je crois qu'il ne sait pas nager. - Pas possible! fit Gil en riant... Alors tous les deux seulement, jusqu'à la roche percée. Je te rends vingt mètres. Ils se jetèrent à l'eau, s'éloignèrent du rivage et Jean-Lou se laissa de nouveau tomber sur son lit. Jaloux! oui, il était jaloux de ce petit Parisien qui savait si bien nager. Mais quel mérite avait Gil? Il passait toutes ses vacances au bord de la mer. Il avait eu le temps d'apprendre. Alors, une idée folle traversa Jean-Lou. Ce soir, cette nuit, quand tout le monde serait couché, il se relèverait, descendrait au bord de la mer et, à l'abri des regards, il apprendrait vraiment à nager.
LES MOTS Difficultés matérielles. Difficultés, ennuis qui proviennent des choses auxquelles on se heurte et n'ont pas de rapport avec les sentiments. Pressante. Une voix pressante : une voix qui insiste, qui supplie qui vous presse d'accepter. Humiliation. Sentiment pénible d'être abaissé aux yeux des autres.
AVONS-NOUS COMPRIS? Que signifie le mot intrus déjà vu? Quelles sont les deux raisons que se donne Jean-Lou pour se considérer comme un intrus? Quelque chose dans l'attitude de Suzy, justifie-t-il l'impression de Jean-Lou qu'elle ne s'intéresse plus à lui? Jugez-vous l'attitude de Gil méprisante à l'égard de Jean-Lou? A quel moment Jean-Lou décide-t-il de lutter pour ne pas s'enfermer dans son chagrin?
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34 - UNE TRAGIQUE BAIGNADE Ce soir-là, durant le dîner, Jean-Lou s'obligea à de gros efforts pour dissimuler sa peine. Par crainte de voir Suzy percer à jour ses sombres pensées, il se força même à plaisanter, si bien que sa petite camarade lui dit en riant : — Je constate que la sieste te réussit mieux qu'à moi. L'après-midi, j'arrive rarement à fermer les yeux. Quand je suis montée te voir, à 5 heures, tu dormais encore à poings fermés. Pour le premier jour, je n'ai pas osé te réveiller mais demain, gare à toi, je te secouerai comme un prunier... si tu savais comme l'eau était tiède. Jamais je ne l'ai trouvée aussi agréable. Et elle ajouta, toujours souriante : — C'est une honte! Manquer un jour de baignade quand les vacances sont si courtes!... Jean-Lou ne sut que répondre. Il crut soudain que Suzy devinait son projet. Heureusement, le repas s'achevait. On parla d'autre chose. Jean-Lou passa dans la cuisine pour aider sa camarade à essuyer la vaisselle et, tous deux, comme au début de l'après-midi, redescendirent au bord de l'eau. La nuit était venue. Sous le ciel étoile, la mer prenait des teintes mauves, inattendues, tandis que, plus à droite, les lumières du petit port de pêcheurs se reflétaient sur les flots en longs zigzags de feu.
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— C'est beau, n'est-ce pas, Jean-Lou? Je viens souvent m'asseoir là, le soir. Aujourd'hui, je suis contente que tu sois avec moi. — Moi aussi, Suzy! Mais aussitôt, il ne put s'empêcher d'ajouter : — Et Gil?... Vient-il aussi au bord de l'eau à la nuit tombée? - Quelquefois, pour nager. Il adore nager de nuit. L'autre soir, il a voulu m'entraîner. J'avais peur mais, finalement, j'ai trouvé cela très agréable. L'eau paraît plus chaude, la nuit. Jean-Lou sentit le fer se retourner dans sa plaie. Gil! Toujours Gil! Il ne se rendit pas compte que lui-même en avait parlé le premier. Après être restés assis un moment au ras de la mer, ils se levèrent pour suivre le rivage et, en passant au pied de la luxueuse villa aux marches de marbre, Jean-Lou prononça, une fois de plus, le nom de Gil. — Ciel! s'écria Suzy en riant, ce garçon paraît vraiment t'intéresser! J'étais sûre que tu t'entendrais avec lui. Jean-Lou ne répondit pas. Ils continuèrent de marcher en silence. Soudain, Suzy s'arrêta et prit la main de son camarade. - Qu'as-tu? A table, tout à l'heure, tu ne cessais de plaisanter. A présent, on dirait que quelque chose t'ennuie... Tu as peur de ne pas te plaire chez nous?,.. Je t'ai fait de la peine? — Oh! non, Suzy! Ils remontèrent vers la maison devant laquelle M. et Mme Sauthier prenaient le frais, sur des chaises longues. Puis, vers 10 heures et demie, Mme Sauthier, de santé assez fragile, proposa d'aller se coucher. Jean-Lou retrouva sa chambre, se déshabilla aussitôt et se mit au lit comme pour s'endormir vite. Mais son projet le hantait toujours. Au bout d'un moment, il se releva, écarta sans bruit les volets et regarda la mer. Le ciel était sans lune mais si étoile, d'une telle limpidité., qu'il conservait assez de lumière pour éclairer la plage, les rochers blancs et le petit port. Il était minuit. Plus personne au bord de l'eau. Plus aucun bruit, à part le « tap-tap » régulier d'un moteur de bateau de pêche regagnant Porta de Mar. Brusquement, Jean-Lou se décida. Sans en avoir l'air, après sa sieste, il avait observé qu'on pouvait facilement, en enjambant la balustrade de son balcon et en s'accrochant aux saillies du mur, descendre jusqu'au sol. S'étant assuré que tout le monde dormait dans la villa, en quelques secondes il fut en bas.
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Comme un fou, il courut vers la mer, y entra jusqu'à mi-jambes. L'eau lui parut si douce, si agréable, qu'il fut tout de suite en confiance. Enhardi, il s'avança plus loin. L'eau lui monta jusqu'à la ceinture... jusqu'à la poitrine. Oh! la curieuse sensation! Il se sentait soulevé, presque porté, beaucoup plus léger que dans les eaux du ruisseau à Tourette. Alors, il se coucha sur l'eau et constata avec une délicieuse surprise qu'il flottait.
LES MOTS
AVONS-NOUS COMPRIS?
Percer à jour. Deviner. Hantait. Il pensait sans cesse à son projet. Il ne pouvait s'arrêter d'y songer. Limpidité. Très grande transparence. Soi/fies. Parties d'un mur, d'un meuble, etc. qui dépassent la surface de ce mur ou de ce meuble, etc.
Relevez toutes les phrases de Suzy susceptibles de décider plus sûrement Jean-Lou à mettre son projet à exécution. Jean-Lou est injuste envers Suzy. Quelle phrase le montre le mieux. Pourquoi Jean-Lou se sent-il mieux porté par la mer que par les eaux du ruisseau de Tourette?
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35 - UNE TRAGIQUE BAIGNADE (suite) Il flottait!... instinctivement, ses bras et ses jambes se mirent en mouvement... Tout de suite, il se sentit capable de nager. Il n'avait pas pensé, lors de ses plongées dans le « gour » de Tourette, qu'inconsciemment, il avait appris à coordonner ses gestes. Oui, il nageait... et même avec si peu d'effort qu'il en était surpris. — Je nage! se répétait-il, je nage... je nage! Alors, à son lourd chagrin de la soirée, fit place un brusque désir de vengeance. Ah ! Gil et Suzy se moquaient de lui ?... eh bien! il leur montrerait de quoi un petit campagnard est capable. Hélas ! il ne leur montrerait rien puisque l'un et l'autre dormaient tranquillement, chacun dans leur lit. C'était plutôt lui qu'il cherchait à convaincre. Brassant l'eau de toute sa vigueur, il s'éloigna du rivage. Jamais il ne s'était senti aussi à Taise. — Je nage... Je nage, ne cessait-il de se répéter. Ah! s'ils pouvaient me voir! Mais Gil allait très loin en mer. Pourquoi pas lui, Jean-Lou? Inconsciemment, il accéléra ses mouvements. Habitué à courir dans les champs de Tourette, par monts et par vaux, il ne manquait pas de souffle. Cependant, au bout d'un moment, il éprouva une sorte de lourdeur dans les jambes. Ses bras remuaient l'eau avec moins de force. A deux reprises, il avala des gorgées acres qu'il rejeta avec dégoût. — Pour la première fois, se dit-il, j'ai voulu aller trop vite. Il freina son allure. Ses membres retrouvèrent leur souplesse; le rythme de sa respiration s'apaisa. Il releva la tête pour chercher la côte. Elle lui parut déjà très loin... pas assez, cependant, pour que sa furieuse volonté de vaincre fût assouvie. En lui, une sournoise petite voix insinuait : — Encore, Jean-Lou, nage encore!... Il repartit à l'assaut de la mer, accélérant de nouveau la cadence sans s'apercevoir que la fatigue, le manque d'entraînement, commençaient à désordonner ses mouvements. Il avançait beaucoup moins vite... mais la petite voix persistait : — Encore plus loin, Jean-Lou, toujours plus loin. Bientôt, ses oreilles se mirent à bourdonner. Il crut entendre sonner des cloches, de sourdes cloches qui tintaient dans sa tête. Vaguement inquiet, il ralentit. Presque aussitôt, son corps s'enfonça. Une grosse gorgée d'eau
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salée faillit l'étouffer. D'un coup de reins, il remonta à la surface mais il comprit qu'il était allé trop loin. Jamais il n'aurait la force de regagner la rive. La peur s'empara de lui. Paralysées par un trop long effort, ses jambes se refusèrent à tout mouvement, cependant que, dans sa tête, les cloches sonnaient à toute volée. — Je suis perdu! pensa-t-il. Essayant de se maintenir à flot, il appela au secours. Mais qui pouvait l'entendre, en pleine nuit? Pour gagner du temps, il voulut faire la planche, comme autrefois à la surface du « gour ». Il réussit, à grand peine, à se maintenir sur le dos, la bouche hors de l’eau. — Au secours!... Au secours!... Soudain, au moment où il allait se laisser couler, à bout de forces, il crut distinguer d'autres bruits que celui des cloches. Il se débattit pour regarder autour de lui et crut apercevoir une forme noire, au ras de l'eau. — Au secours! Au secours! C'était une barque. Elle s'approchait. Il sentit quelque chose frapper son épaule et comprit que c'était une corde qu'on lui lançait. Il s'y agrippa. Des bras vigoureux le hissèrent à bord, retendirent sur des filets de pêche. Dans sa tête, les cloches carillonnaient toujours. Cependant, il entendit qu'on lui parlait en espagnol. Il ne comprit pas. Sans doute lui demandait-on qui il était, où il habitait. Ses lèvres murmurèrent un nom: Bella Costa! Puis, comme si l'effort fourni pour prononcer ces quatre syllabes avait achevé de l'épuiser, un grand vide se fit dans sa tête. Il cessa d'entendre carillonner les cloches et s'évanouit. LES MOTS Coordonner. Coordonner ses mouvements c'est les exécuter de façon à ce qu'ils correspondent à l'exercice demandé. Par exemple, pour la nage, les bras et les jambes doivent s'allonger en même temps et se replier en même temps. Par monts et par vaux. Expression courante qui signifie : par monts et par vallées (des vaux sont de petites vallées). Rythme. Succession de mouvements (ou de sons) se reproduisant à intervalles réguliers. On pourrait dire aussi : la cadence. Assouvie. Assouvir un besoin, c'est satis-
faire ce besoin jusqu'au bout, jusqu'à ce qu'on ne l'éprouve plus. Insinuait. La petite voix, lui parlait doucement mais avec insistance. AVONS-NOUS COMPRIS? Jean-Lou savait nager alors qu'il ne s'en croyait pas capable. Quel défaut cela peut-il indiquer? Que prouve l'obstination de Jean-Lou à aller toujours plus loin malgré le danger? Pourriez-vous distinguer deux parties bien nettes dans ce texte? Quel est le sens de ces deux verbes : tinter et teinter.
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36 - MADAME SAUTHIER Quand il rouvrit les yeux, il ne sut pas où il était. Son regard erra longtemps dans le vague. Tout à coup, il reconnut sa chambre. Quelqu'un se tenait assis, immobile, à côté de son lit : la mère de Suzy. — La barque! murmura-t-il, je ne suis plus dans la barque? Ses souvenirs s'étaient arrêtés là. Après, il y avait eu le grand vide de l'inconscience. — Rassure-toi, mon petit Jean-Lou, dit doucement Mme Sauthier, tu es en sécurité dans ta chambre. Comment te sens-tu? Il n'eut pas le courage de répondre. Pourtant, il ne souffrait pas. — Essaie de te souvenir, demanda Mme Sauthier. Pourquoi es-tu sorti en pleine nuit ? Tu as été repêché à près d'un kilomètre de la côte. Pourtant, d'après ce qu'avait dit Suzy, tu ne savais pas nager. Dans la voix qui parlait, il n'y avait aucun reproche, seulement de l'étonnement, de l'inquiétude. — Madame Sauthier, murmura-t-il, je ne croyais pas... je ne voulais pas... c'est ma faute!... Et, brusquement, il éclata en sanglots. La mère de Suzy lui prit la main. Explique-moi, Jean-Lou. J'en suis sûre, il s'est passé quelque chose que nous n'avons pas compris, mon mari, Suzy et moi-même. Pourquoi avoir quitté ta chambre, cette nuit, pour aller vers la mer?
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II hésita. Comment parler de tout ce que sa tête avait ressassé depuis son arrivée à Porta de Mar ? Mais il pensa à sa mère, à qui il confiait ses peines. Mme Sauthier n'était-elle pas une mère, elle aussi ?... la sienne en ce moment. — Pardonnez-moi, dit-il encore, je vais essayer de vous expliquer... Après cela, je repartirai pour Montfaucon... oui, il faut que je parte. Il se tut ; la mère de Suzy ne le brusqua pas par de nouvelles questions. Alors, il avoua ce qu'il avait éprouvé en arrivant à Bella-Costa. Il en était certain, Suzy regrettait de l'avoir fait venir chez elle. Pour se distraire, elle avait Gil, un petit Parisien comme elle. Lui, Jean-Lou, n'était qu'un petit campagnard. Il n'aurait pas dû accepter l'invitation de gens beaucoup plus riches que ses parents. Honteux, il expliqua : — Hier, après la sieste, quand Suzy est venue me chercher pour le bain, je faisais seulement semblant de dormir. Je n'étais pas sûr de savoir nager. J'avais peur que Suzy et Gil se moquent de moi. Cette nuit, en cachette, j'ai voulu essayer; je suis allé jusqu'au bout de mes forces. Oh! si j'avais su!... Il ferma les yeux un long moment. Quand il les rouvrit, il aperçut des larmes dans ceux de Mme Sauthier. Il en fut bouleversé. - Mon petit Jean-Lou, murmura la maman de Suzy, tu as bien fait de me confier ton chagrin. Oh! pourquoi avoir laissé grandir les mauvaises idées qui germaient dans ton esprit ? Nous crois-tu si différents de tes parents parce que nous vivons dans une grande ville ? Ne te laisse pas prendre aux apparences. Nous ne sommes pas riches. Vois-tu, la vie est si dure à Paris que pendant onze mois sur douze on ne pense qu'aux vacances qui apporteront le soleil et le calme. Pour ce pauvre mois de vacances, les Parisiens se privent toute l'année... nous autres comme tout le monde. Les parents de Gil, plus aisés que nous, sans doute, font certainement, eux aussi, des sacrifices pour ces quelques semaines de détente. N'accuse pas non plus Gil de te mépriser. Les petits Parisiens sont gouailleurs mais pas méchants, et Gil a bon cœur... Quant à l'amitié que te porte Suzy, oh! Jean-Lou, n'en doute pas. Je voudrais que tu l'aies entendu me parler de toi, hier soir, quand je suis allée l'embrasser dans sa chambre. Elle serait bien malheureuse si elle savait ce qui t'est arrivé cette nuit. Dieu merci ! les pêcheurs qui t'ont ramené ne l'ont pas éveillée. Mme Sauthier parlait lentement avec cette voix douce et persuasive dont avait hérité Suzy. Jean-Lou sentit fondre son chagrin comme un bloc de glace dans une eau tiédie par les rayons du soleil. Il sourit, soulagé. Mme Sauthier s'approcha de lui et l'embrassa comme l'eût fait une mère.
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— Cher Jean-Lou, murmura-t-elle, à présent, oublie ta peine, oublie ta folle aventure. Endors-toi de nouveau, pour un vrai et long sommeil. Quand Suzy s'éveillera, tout à l'heure, je ne lui dirai rien. Plus tard, si tu veux, tu lui parleras. Pour l'instant, pense seulement que tu es ici chez toi, entouré de gens qui t'aiment. Là-dessus, elle l'embrassa encore une fois, se leva, éteignit la lumière et sortit sans bruit tandis que Jean-Lou, apaisé, tournait la tête sur son oreiller et s'endormait.
LES MOTS AVONS-NOUS COMPRIS! Ressasser. Répéter sans cesse la même chose. Gouailleurs. Qui aiment plaisanter, railler. Ce mot est presque synonyme de ‘moqueur’. Persuasive. Une voix persuasive est une voix qui persuade — c'est-à-dire qui est capable de convaincre, de faire accepter ce qu'elle dit.
Se montrer inconscient signifie ne pas réfléchir à ce que l’on fait. Dans le texte inconscience n'a pas le même sens. Lequel? Les parents de Gil sont plus « aisés ». Qu'entendez-vous par là?
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37 - TOUT EST OUBLIÉ A part quelques courbatures dans les membres, Jean-Lou ne se ressentait en rien de sa malheureuse aventure, lors de son réveil, fort tard, le lendemain. Mme Sauthier avait si bien sapé ses craintes qu'en quelques heures d'un sommeil paisible, tout s'était effacé... même la terrible angoisse de l'instant où il avait failli se noyer. Quand il parut dans la salle de séjour, tandis que tout le monde était levé depuis longtemps, il eut cependant un instant de gêne. Mais Mme Sauthier avait prévu ce réveil tardif. Elle glissa un furtif coup d'œil au petit Provençal qui se rassura aussitôt. — Eh bien? Jean-Lou, demanda Suzy en riant, comment va notre grand malade? Maman m'a dit que tu l'avais appelée, cette nuit, pour un léger malaise. C'est sûrement le changement de climat; tu n'es pas habitué à la mer. — Peut-être, approuva Jean-Lou, mais à présent, je me sens en pleine forme. — Alors, prends vite ton petit déjeuner pour que tu puisses te baigner avant midi. Tu sais que papa interdit l'eau moins de deux heures après les repas... Attends, je vais te préparer moi-même ton chocolat. Il se laissa servir et Suzy vint s'asseoir devant lui pour lui tenir compagnie. C'était étrange : après la sombre journée de la veille, il se sentait détendu, heureux et les petites choses insignifiantes que racontait Suzy lui parurent
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follement amusantes. En la voyant rire, il ne pensa pas un instant qu'elle pouvait se moquer de lui. Bien plus, quand il demanda si Gil n'était pas déjà sur la plage, la question n'était teintée d'aucune jalousie. Son petit déjeuner terminé, il descendit vers la mer avec sa camarade et ils découvrirent Gil étendu de tout son long au soleil, aussi bronzé que les pêcheurs du pays. Le petit Parisien serra vigoureusement la main de Jean-Lou en lui disant : — Allonge-toi sur le sable, comme moi ; sinon, tu resteras blanc comme un navet. La veille, Jean-Lou aurait considéré la remarque comme une offense. Il la prit comme une plaisanterie. Il s'étendit donc, avec Suzy, aux côtés de Gil et les babillages commencèrent. Jean-Lou ne se sentait pas tenu à l'écart. Cependant, il préférait écouter. — A partir de demain, déclara Gil, je me baignerai quatre fois par jour. Il faut que j'en profite; nous n'allons peut-être pas attendre le premier septembre pour partir. Papa a reçu une lettre de Paris, ce matin. Il doit préparer un gros dossier pour je ne sais quelle affaire qu'il plaidera à l'automne. Il a besoin, paraît-il, d'être sur place. — Il pourrait partir seul, remarqua Suzy. Ta maman, ta sœur, tes deux petits frères et toi rentreriez plus tard. — Bien sûr, mais il n'aurait pas le temps de revenir nous chercher. Voyager tous les cinq, par le train, n'est pas commode... et puis ça revient cher, surtout que, bientôt, à cause de mes deux petits frères qui grandissent, nous allons être obligés de chercher un appartement plus grand. Puis, se tournant vers Jean-Lou et Suzy : - Vous avez de la chance, vous, d'être sûrs de rester à Porta de Mar jusqu'à la fin du mois. — Oui, dit Suzy... malheureusement, nous ne reviendrons sans doute pas en Espagne, l'an prochain. — Pourquoi?... Tu ne te plais pas ici? — Oh ! si, mais le bord de la mer ne réussit pas à maman. L'an dernier, quand nous étions dans une pension, elle accusait la cuisine espagnole. Elle se rend compte à présent qu'elle supporte mal le climat. — Alors, où iras-tu? — Je ne sais pas... peut-être chez ma grand-mère, près de Niort. Suzy et Gil se turent. Jean-Lou avait écouté sans rien dire mais tout à coup, il pensa aux paroles de Mme Sauthier. Il comprit que, dans la vie, tout le monde a ses ennuis : les parents de Gil, ceux de Suzy, tout comme les
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siens à lui. Il se découvrit même presque privilégié de ne pas habiter ce grand Paris qui marque si durement ceux qui y vivent. Il eut honte de lui, honte de s'être pris pour un enfant plus malheureux que les autres parce que son père, simple pompiste, ne possédait pas d'auto. Alors, pour écarter le voile de tristesse qui, un instant, avait couvert le visage de ses camarades, il les prit par la main, les obligea à se lever en s'écriant joyeusement : - C'est l'heure!... Tout le monde à l'eau. Et, le premier, au grand ébahissement de Suzy, il se jeta dans la mer.
AVONS-NOUS COMPRIS? LES MOTS Furtif. Rapide, en même temps que discret. Dossier. Ensemble de notes et de renseignements sur un même sujet. (Un dossier est généralement rassemblé dans un carton appelé : « chemise ».) Plaidera, Défendra. Les avocats « plaident » en faveur des accusés. Ebahissement. Grand étonnement.
D'après le texte expliquez le mot offense. Trouvez d'autres mots de la même famille. Que veut dire : être privilégié? Quelle différence faites-vous entre un babillage et un bavardage. Que pensez-vous de Gil ? Vous est-il sympathique? Pourquoi?
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38 - UNE BONNE NOUVELLE Le soleil brillait à Porta de Mar... pas seulement dans le ciel, mais aussi dans les cœurs. Jean-Lou était heureux. Depuis dix jours qu'il était à Bella Costa, ses progrès en natation se révélaient éclatants. Gil lui avait appris la nage indienne, le crawl, la brasse-papillon. A présent, il battait à la course son jeune et bénévole professeur qui lui prédisait, sans rancune : — Mon vieux Jean-Lou, si tu continues, tu iras aux jeux olympiques. Mais Jean-Lou n'en profitait pas pour triompher de ce petit Parisien si stupidement jalousé. Sa revanche, il l'avait eue depuis longtemps, depuis la fameuse nuit où il s'était prouvé, à lui-même, sa propre valeur. Suzy était ravie de l'entrain de Jean-Lou, de sa bonne humeur. — Rappelle-toi comme tu étais triste au Relais des Cigales, lui dit-elle un soir sur la plage... et même le jour où tu es arrivé chez nous. Alors, il lui raconta ce que, avec la complicité de Mme Sauthier, il lui avait caché jusque-là : sa tragique baignade nocturne. Suzy fut très impressionnée. Comme sa mère, elle comprit ce qu'avait éprouvé son petit camarade et n'en eut que plus d'amitié pour lui. Oui, les jours coulaient, paisibles, heureux, à Bella Costa. Cependant Jean-Lou commençait à s'inquiéter de ne pas recevoir de nouvelles de chez lui. — Rien de surprenant, disait Mme Sauthier. Tes parents sont très occupés. Il passe tant de monde sur votre grande route, au mois d'août. L'essentiel est que toi, tu leur aies déjà écrit deux fois. — Bien sûr, faisait Jean-Lou, ils ont beaucoup de travail... J'aimerais tout de même recevoir une lettre. Cette lettre, il n'allait plus l'attendre longtemps. Un matin, en rapportant son courrier de la poste, M. Sauthier lui tendit une enveloppe. — Des nouvelles de Montfaucon, Jean-Lou!... Il reconnut tout de suite l'écriture de sa mère. Fiévreusement, il ouvrit la lettre qui était longue et lut avidement :
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Montfaucon, 20 août. « Mon cher Jean-Lou, « Nous avons bien reçu tes deux lettres et nous sommes heureux de te voir passer de si bonnes vacances. Remercie M. et Mme Sauthier de s'occuper de toi avec tant de dévouement. Surtout, ne leur donne pas trop de travail. Fais toimême ton lit, aide Mme Sauthier et Suzy pour les commissions et la vaisselle. " Ici, ton papa et moi, nous sommes très occupés. Sur la grande route, la circulation est infernale, mais nous ne nous en plaignons pas. Presque chaque jour, les touristes qui ont pique-nique dans le bois de pins viennent prendre le café sous la tonnelle. Ton papa fait de nombreux graissages et vidanges... sans parler des petites réparations. Par contre, ton petit frère est bien pénible depuis que tu es parti. Il ne sait à quoi s'occuper et se livre à toutes sortes de sottises. Figure-toi que, la semaine dernière, il s'est avisé de prendre le gonfleur électrique pour gonfler une chambre à air de motocyclette... jusqu'à ce que celleci éclate. L'explosion l'a violemment jeté à terre. J'espère que ça lui servira de leçon. « A présent, mon petit Jean-Lou, je vais t'apprendre une bonne nouvelle... C'est même pour te l'annoncer avec certitude que j'ai retardé ma lettre. Ton papa vient d'acheter une voiture. C'était presque indispensable; Montfaucon est si loin. Il l'a eue précisément par l'intermédiaire du garagiste de Montfaucon. Bien entendu, il s'agit d'une voiture d'occasion, mais elle a peu roulé; on la dirait neuve. Elle est bleu foncé, avec des sièges couleur brique.
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Je suis sûre qu'elle te plaira. Nous l'avons depuis hier seulement. Ton petit ,1 passe tout l'après-midi assis dedans, au volant, sans bouger. Depuis longtemps il ne s'était pas tenu aussi tranquille. « Là-dessus, mon petit Jean-Lou, je vais te quitter, en te souhaitant une bonne tin de vacances. Préviens-nous à temps du jour où M. et Mme Sauthier te déposeront au Relais, nous ferons une petite fête pour les remercier de leur si généreuse hospitalité. « Ton papa et Bruno se joignent à moi pour t'embrasser très fort. » « Maman. » Jean-Lou arborait un visage si rayonnant quand il termina sa lettre que Suzy s'écria : - Ciel! Que t'arrive-t-il? — Une auto, Suzy!... papa vient d'acheter une auto!...
LES MOTS Bénévole. Bien disposé, qui fait une chose pour rendre service, sans espérer un paiement. Avidement. Avec une grande hâte, un vif désir d'être rapidement satisfait. AVONS-NOUS COMPRIS?
Que signifie : par l'intermédiaire du garagiste? Pourquoi ne rencontre-t-on aucun mot difficile dans la lettre de Mme Plantevin? Pourquoi les recommandations à Jean-Lou viennent-elles en premier dans la lettre? Mme Plantevin ne se plaint pas ouvertement de l'absence de Jean-Lou II serait cependant utile au Relais. Pour quoi faire?
Pourquoi au bout de quelques jours seulement, Jean-Lou s'inquiétait-il de ne pas recevoir de nouvelles?
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39 - DERNIER BEAU JOUR Les jours heureux passent vite... beaucoup trop vite. Déjà le 28 août! Plus que trois journées avant le départ. En effet, M. Sauthier comptait se mettre en route le 31 au matin, pour être à Paris le Ier septembre au soir et reprendre son travail le lendemain qui était un lundi. Ce jour-là, pour faire plaisir aux enfants, le père de Suzy proposa une petite excursion en voiture sur la Costa Brava. — Oh! oui, approuva Suzy en battant des mains... et nous nous arrêterons dans une « posada » pour le goûter. Exempts de sieste, pour une fois, ils partirent au début de l'après-midi» sans Mme Sauthier qui préféra rester sur une chaise longue à tricoter. Suzy et Jean-Lou s'installèrent donc sur le siège avant de la voiture, à côté du pilote, regrettant seulement l'absence de Gil, parti depuis la veille. — Nous suivrons la mer jusqu'à Cadaquès, expliqua le chauffeur, et reviendrons par une route plus directe Pour Jean-Lou, ce fut un enchantement. Tout d'abord, l'auto traversa plusieurs stations balnéaires aux blanches villas, trop souvent dominées (au goût de Suzy) par des immeubles neufs de six ou sept étages qui lui rappelaient les grandes constructions urbaines. Puis, les villages s'espacèrent. La côte devint plus sauvage. D'énormes croupes rocheuses, dénudées, déchiquetées, plongeaient droit dans une mer d'un bleu parfois si sombre qu'on l'eût dit noire. Plus de végétation; plus rien que le roc, le ciel et l'eau. Par une route sinueuse, contorsionnée, l'auto se hissait jusqu'à un col pour redescendre... presque plonger vers la mer, au fond d'une crique, où nichait un typique village de pêcheurs. - C'est beau, murmurait JeanLou, mais ce paysage fait presque peur ! Enfin, ils atteignirent Cadaquès, un pittoresque village tassé autour d'une église au clocher bizarre. Tout près du port minuscule, M. Sauthier avisa une « posada » dont la terrasse donnait sur la mer. Il y entraîna les enfants. — Buenas tardes! dit le père de Suzy, qui connaissait quelques mots d'espagnol. — Buenas tardes! reprit l'aubergiste en souriant, voyant qu'il avait affaire à des Français. Que desea?... Suquet de pescado? — Que dit-il? fit Suzy. — Il nous propose de la bouillabaisse catalane. L'heure n'est pas très indiquée... mais si vous avez faim?
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- Oh! oui, papa, nous avons très faim... N'est-ce pas, Jean-Lou? — Je vous préviens, dit M. Sauthier, c'est assez relevé. — Tant pis, fit Jean-Lou. La bouillabaisse catalane leur parut excellente, pas trop épicée. Ils regrettèrent seulement (le repas de midi n'étant pas assez loin) de ne pouvoir y faire plus largement honneur. Puis, ils visitèrent le village, les boutiques des marchands de souvenirs. — Oh! dit Jean-Lou, je vais acheter quelque chose pour maman. Avec Suzy, il pénétra dans un de ces magasins tout en profondeur où s'entassent un nombre invraisemblable de bibelots. Pour quelques pesetas, il acheta un petit porte-monnaie rouge en cuir de Cordoue. Mais le temps passait. Il fallait rentrer. Les touristes remontèrent en voiture, ravis de leur expédition. Cependant, à présent, Jean-Lou et Suzy se taisaient. C'était leur dernière promenade ensemble. Ils allaient bientôt se quitter. Leur joie se teintait de nostalgie. Ils ne se doutaient pas que la séparation allait survenir encore plus tôt que prévu et dans d'inquiétantes circonstances. En effet, ils descendaient de voiture, près de la villa quand Mme Sauthier courut au devant d'eux, le visage bouleversé. — Qu'y a-t-il? demanda vivement son mari. — Je vous attendais avec impatience! Un télégramme est arrivé tout à l'heure, au nom de Jean-Lou. — Un télégramme? reprit le petit Provençal en pâlissant. Il prit le papier que lui tendait Mme Sauthier, le décacheta fébrilement et aussitôt, il pâlit. Incapable de dire un mot, il tendit le papier à M. Sauthier qui lut ces mots : « Maman accidentée. Rentre immédiatement. » « Papa. » Nostalgie. Mélancolie, regret des jours LES MOTS Posada. Nom espagnol d'une auberge. Urbaines. De villes. (On pourrait dire aussi : citadines). Contorsionnée. Qui se livre à toutes sortes de mouvements bizarres et désordonnés. (Normalement ce mot est employé pour des êtres vivants). Buenos tardes. Bonne après-midi, en espagnol.
passés. Fébrilement. Avec fièvre, c'est-à-dire très vite, en tremblant. ------ AVONS-NOUS COMPRIS? -----Qu'est-ce qu'une station balnéaire? D'où vient ce mot? D'après le texte, qu'est-ce qu'une crique? Qu’est-ce qu'un plat relevé? Pourquoi Mme Sauthier n'a-t-elle pas fait la promenade?
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40 - UN DÉPART PRÉCIPITÉ Maman accidentée!... Rentre immédiatement. Dix fois, Jean-Lou relut le télégramme, cherchant à comprendre ce qui avait pu arriver à sa mère. Avait-elle été renversée sur la route, par une auto, comme le pauvre Piboule? Pourtant, papa Plantevin venait d'acheter une voiture, sa mère n'allait plus à pied faire les courses au village. L'accident était-il grave? Sans doute, puisque son père lui demandait de revenir vite. Ce « rentre immédiatement » inquiétait très fort Jean-Lou. Trois jours plus tôt, il avait écrit à ses parents, annonçant son retour pour le 30 août vers midi. Pourquoi son père recommandait-il de rentrer plus tôt encore? Alors, il se demanda si le télégramme ne cachait pas une réalité plus terrible qu'un simple accident. Est-ce que sa mère serait... Oh! non, c'était trop affreux. Désemparé, il ne savait que supposer, que redouter. — Tu sais, Jean-Lou, dit Suzy, aussi affligée que son camarade; après un accident, on s'affole toujours, même s'il n'est pas grave... et puis ton papa n'a peut-être pas encore reçu la lettre où tu lui annonces notre retour. Il ne sait pas au juste quand nous te déposerons au Relais. Mais M. et Mme Sauthier, eux, restaient perplexes. Comme à Jean-Lou, ce « rentre immédiatement "paraissait plus inquiétant que la simple annonce d'un accident. D'ailleurs, pour un accident, M. Plantevin n'aurait pas expédié un télégramme, à moins, justement, que ce fût très grave. Il fallait donc que Jean-Lou rentre en France au plus tôt. Comment? De toute façon, il ne pouvait se mettre en route avant le lendemain matin. En prenant, à Barcelone, le premier train partant pour la frontière, il ne serait pas à Avignon avant le milieu de l'après-midi. Là, il devrait attendre un autobus en direction d'Orange, et n'arriverait pas à Montfaucon avant la soirée. Que de complications! Suzy s'imagina le long voyage solitaire de Jean-Lou, lui qui n'avait jamais pris le train. Elle le vit, assis sur un banc, à Avignon, le cœur lourd d'angoisse, attendant son autobus. Alors, tout à coup, elle se tourna vers ses parents : — Si nous partions tous, sans attendre samedi? — C'est exactement ce que je venais de décider, dit M. Sauthier. Et, s'adressant à sa femme : — Qu'en penses-tu?
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— Oui, nous ne pouvons pas laisser Jean-Lou partir seul dans de pareilles circonstances... et même, pour gagner du temps, je propose que nous nous mettions en route dès ce soir. En pleine nuifc nous roulerons plus facilement et trouverons moins d'encombrement à la frontière. Nous serons à Mont-faucon dans la matinée. Jean-Lou protesta. Il ne voulait pas gâcher la fin des vacances de ses hôtes. Il se débrouillerait seul. Ni Suzy ni ses parents ne voulurent rien entendre. Pour couper court à toute discussion, Mme Sauthier déclara : - Puisqu'il en est ainsi, passons tout de suite à table. Le dîner est prêt. Nous nous occuperons du reste après. Hélas! personne n'avait faim. Tout le monde se sentait l'estomac serré. Jamais repas ne fut plus silencieux, plus vite expédié. La vaisselle faite, rangée dans le placard, on rassembla hâtivement les affaires pour les empiler dans les valises. Puis, Suzy et Jean-Lou donnèrent un rapide coup de balai dans les pièces afin de laisser les lieux en état. A 11 heures, tout était terminé. Il ne restait plus, en traversant le village de Porta de Mar, qu'à déposer les clefs de la villa au bureau de l'agence à qui on l'avait louée. Tant son angoisse était grande, Jean-Lou ne songea même pas, en quittant le petit port espagnol, à jeter un regard vers la mer éclairée par la lune. — Dans quelques heures, se dit-il, nous serons au Relais des Cigales. Pourvu que... Non, il valait mieux ne penser à rien. Ce qui hantait son esprit était trop affreux.
LES MOTS Affligée. Affectée, attristée. Hôtes. Ce mot à un double sens. Il désigne : soit les personnes qui reçoivent des invités, soit tes invités eux-mêmes. AVONS-NOUS COMPRIS? Rentre immédiatement : comment pourrait-on exprimer la même idée sous une autre forme? A
votre avis. Jean-Lou a-t-il raison de s'inquiéter de cette demande de son père? Perplexes. Nous avons déjà vu ce mot. Que signifie-t-il? Quelle preuve donne Suzy de son affection pour Jean-Lou? Qu'est-ce qu'un repas vite expédié. Ce mot a-t-il là son sens habituel. Est-ce que sa mère serait... Pourvu que... Jean-Lou n'achève pas ces deux phrases. Que pense-t-il cependant?
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41 - L'ACCIDENT Depuis deux heures, l'auto roulait dans la nuit. Sur la banquette-arrière, Jean-Lou et Suzy se tenaient silencieux, l'un près de l'autre, la main dans la main. M. Sauthier et sa femme, eux non plus, ne parlaient pas. Simplement, de temps à autre, la mère de Suzy murmurait à son mari : — Moins vite... Attention au virage!... Ce retour en pleine nuit, dans le silence, avait quelque chose de sinistre. Il était plus de i heure du matin quand, pour la première fois depuis le départ, M. Sauthier arrêta sa voiture. On arrivait à la frontière. Deux véhicules, seulement, stationnaient devant le poste de contrôle. L'attente ne dura que quelques minutes. — Tu vois, dit Suzy à Jean-Lou, voici déjà la France. Nous serons vite arrivés... et rassurés. Mais, plus on approchait, plus Jean-Lou sentait sa poitrine se serrer. Oh! Pourquoi son père n'avait-il pas donné plus de précisions? Bien sûr, les télégrammes coûtent cher, surtout pour l'étranger. Tout de même, trois ou quatre mots de plus... Perpignan!... Narbonne!... Béziers!... Les villes défilaient presque aussi vite qu'à l'aller, mais, dans la nuit, signalées seulement par leurs lumières, elles se ressemblaient toutes.
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Enfin, le petit jour se leva. Le ciel, si clair à Porta de Mar était brouillé de gros nuages noirs. Un orage avait dû éclater, quelques heures plus tôt, sur cette région. De l'eau stagnait encore en larges flaques, sur les bas côtés de la chaussée. L'imagination inquiète de Jean-Lou lui suggéra qu'une tornade s'était également abattue sur Montfaucon et que sa mère avait été happée par une voiture dérapant sur le goudron mouillé. Montpellier!... Nîmes!... On approchait. Par malchance, juste à l'entrée d'Avignon, M. Sauthier s'aperçut qu'un pneu venait de crever. Jean-Lou l'aida à changer la roue et ce petit travail apporta une diversion dans son esprit. Mais quand, quelques instants plus tard, on s'arrêta devant un garage pour faire réparer la chambre à air percée, il demeura appuyé contre un mur, les yeux dans le vague, aux côtés de Suzy qui, aussi anxieuse que lui, ne trouvait plus un mot pour le réconforter. Trois-quarts d'heure plus tard, la voiture atteignait Montfaucon. Instinctivement, le pilote ralentit. Penché en avant, les doigts crispés sur le dossier du siège de M. Sauthier, Jean-Lou cherchait, de loin, à apercevoir
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sa maison. Enfin, la voiture obliqua vers le terre-plein du Relais. Une pancarte indiquait : « Station-service fermée ». Jean-Lou bondit de la voiture et courut chez lui. Sur le coup, il eut une hallucination. En poussant la porte de la cuisine, il crut voir la silhouette de sa mère, penchée sur le fourneau. Oui, c'était elle! Mais quand, la silhouette se retourna, il reconnut sa tante de Bobigny, qu'il n'avait vue que trois ou quatre fois, et qui ressemblait à sa mère, puisqu'elles étaient sœurs. Il se jeta à son cou. — Maman?... où est maman?... Où sont papa et Bruno? — Mon pauvre petit, soupira la tante Emilie, en le pressant dans ses bras. Nous ne t'attendions pas si tôt... Comment es-tu venu? — Avec M. et Mme Sauthier que voici. Ils ont écourté leurs vacances pour me ramener au plus vite... Et maman?... où est maman?... Est-ce grave ? — Hélas! oui, grave. — Où est-elle?... A l'hôpital? — Elle a été transportée hier après-midi à Lyon. — Un accident d'auto? — Non, le feu... Elle est grièvement brûlée... Bruno aussi mais, pour lui, nous n'avons pas d'inquiétude. Il est à l'hôpital d'Orange. — Brûlés, tous les deux?... Oh! tante Emilie, explique-moi vite. — Oui, répéta Mme Sauthier, la voix angoissée, expliquez-nous! Alors, les larmes dans les yeux, oubliant d'offrir des sièges aux arrivants, la sœur de Mme Plantevin raconta ce qui était arrivé.
AVONS-NOUS COMPRIS? LES MOTS Stagnait. Ne coulait pas, était immobile. Tornade. Cyclone très violent, très grand vent, accompagné le plus souvent de pluie. Diversion. Événement qui rompt la monotonie ou qui change pour un moment, le cours des idées.
Pourquoi les voyageurs se taisent-ils pendant que l'auto roule? Orage et Tornade n'ont pas tout à fait le même sens. Lequel est le plus fort, le plus grave? Pourquoi le pilote ralentit-il en approchant de Montfaucon? Que signifie : obliquer? Le Mot hallucination (que nous avons déjà vu) ne convient pas tout à fait dans ce texte. Pourquoi? Pourquoi la tante Emilie ne répond-elle pas tout de suite aux questions de Jean-Lou ?
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42 - LE RECIT DU DRAME — Oui, commence la tante Emilie, c'est arrivé avant-hier après-midi, vers quatre heures. Mon beau-frère, couché tard la veille et levé très tôt le matin, se reposait sur son lit. Après avoir servi un client, ma sœur faisait du ménage dans la maison. Tout à coup, elle a entendu crier Bruno. Pour s'amuser, le petit frère de Jean-Lou avait répandu un reste d'essence sur le ciment de l'atelier et y avait mis le feu. De l'essence ! Pensez donc ! Brûlé aux mains, Bruno était resté prisonnier derrière la nappe enflammée. Ma sœur s'est précipitée à travers le brasier pour le sauver. Elle a réussi à l'attraper dans ses bras et à le déposer hors de l'atelier... Mais ses vêtements, à elle, avaient pris feu. Quand mon beau-frère, alerté par ses appels au secours, est arrivé, elle se roulait à terre pour tenter d'éteindre les flammes. Heureusement, la voiture que vient d'acheter le père de Jean-Lou était là, tout près. Il a arraché la couverture qui sert de housse au siège et a vite enveloppé ma sœur dedans... Un client, qui s'arrêtait pour prendre du carburant, est parti chercher le médecin de Montfaucon. Ma sœur avait perdu connaissance. Le docteur l'a fait immédiatement transporter à l'hôpital d'Orange, avec Bruno. Mais les brûlures étaient trop graves, trop profondes, le médecinchef de l'hôpital a ordonné le transfert de la malade, hier matin, à Lyon, dans un service spécial où sont soignés les grands brûlés. Elle s'arrête, bouleversée par son propre récit, et reprend : — Bien entendu, je n'étais pas là. C'est le malheureux petit Bruno et son père qui ont reconstitué le drame. Moi, je suis arrivée hier soir seulement, de Bobigny. Mon beau-frère m'avait appelé, le matin, en téléphonant chez mes voisins; j'ai pris le premier train pour Orange. — Et à présent? demande Jean-Lou, le visage décomposé, comment va maman ? — Je ne peux rien te dire, hélas ! mon petit. Hier après-midi, ton papa était très inquiet. Ma sœur n'avait pas encore repris connaissance. C'est pour cela qu'il t'a envoyé une dépêche... Il est reparti ce matin, très tôt, pour Lyon. Il doit rentrer au début de l'après-midi. Il voulait être là pour t'apprendre la triste nouvelle et ne pensait pas que tu pourrais arriver si tôt... Tu vois, c'est moi qui te l'annonce. Ah! quel malheur!... La tante Emilie sort son mouchoir et s'essuie les yeux. — Et Bruno? demande Jean-Lou, comment va-t-il, à présent? — Ses brûlures aux mains sont superficielles. Il pourrait être soigné ici
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mais, dans de pareilles circonstances, il est mieux là-bas. Dieu merci, à lui, on peut cacher l'état de sa maman. Avide de savoir, les yeux agrandis par l'inquiétude, Jean-Lou n'a pas perdu un mot de sa tante. Soudain, l'émotion, la fatigue, lui donnent le vertige. Il doit s'appuyer à une chaise. - C'est ma faute, murmura-t-il. — Ta faute? - Si j'avais été là, j'aurais surveillé Bruno. Il n'aurait pas répandu de l'essence... et maman ne serait pas à l'hôpital. - Oh! mon petit Jean-Lou, intervient Mme Sauthier, veux-tu bien ne pas t'accuser. N'aggrave pas ton chagrin, tu n'y es pour rien. C'est la fatalité. Un lourd silence pèse dans la cuisine. Déroutée, la tante Emilie s'aperçoit enfin qu'elle a laissé les visiteurs debout. Elle s'excuse et offre des sièges. Mais, reprenant ses esprits, Jean-Lou s'inquiète de Suzy et de ses parents. - Vous comptiez peut-être arriver ce soir à Paris, dit-il. Je... je ne voudrais pas... à cause de moi. — Pas du tout, dit vivement M. Sauthier. Il importait d'être ici au plus vite, à présent, nous ne sommes pas pressés. Et, à la tante Emilie. — Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, nous aimerions, pour calmer notre propre inquiétude, attendre le retour de M. Plantevin. — Oh! oui papa, approuve Suzy, attendons! LES MOTS AVONS-NOUS COMPRIS? Housse. Enveloppe d'étoffe que l'on ajuste sur un meuble, un siège, pour le protéger de la poussière. Transfert. Au sens propre le transfert est un acte par lequel on transporte (ou on transmet) un bien à une autre personne. Ici, transport d'un lieu à un autre. Visage décomposé. Visage qui a perdu ses couleurs, très pâle. Fatalité. Événement qui ne peut pas ne pas arriver, que personne ne peut empêcher. Déroutée. Au sens propre : qui a perdu sa route ou qui change de route. Ici, qui a perdu le fil, la suite de ses idées.
Jean-Lou pose toujours les mêmes questions, à sa tante. Que cela indique-t-il? Jean-Lou s'accuse d'être responsable de l'accident. Vous souvenez-vous d'un détail dans un précédent chapitre, qui peut justifier ce sentiment de culpabilité? Pourquoi Mme Sauthier apaise-t-elle JeanLou? Comment traduisez-vous cette expression : il importait?
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43 - SÉPARATION - Oui, restez, attendez le retour de mon beau-frère, dit la tante Emilie. Il est d'ailleurs bientôt midi. Vous devez avoir très faim, après avoir roulé toute la nuit sans dormir. Les quatre voyageurs n'avaient en effet rien pris depuis le repas du soir, à Porta de Mar... et encore, pouvait-on parler de repas? Cependant ni les uns ni les autres ne se rendaient compte qu'ils mouraient de faim. — Allez vous détendre sous la tonnelle pendant que je prépare quelque chose, conseilla tante Emilie. Mais la pauvre femme ne savait plus où elle avait la tête. Elle connaissait d'ailleurs encore mal la maison, l'emplacement de la vaisselle et des provisions dans les placards. - Nous allons tous mettre la main à la pâte, décida Mme Sauthier et nous déjeunerons simplement dans la cuisine, en nous serrant un peu autour de la table. Les préparatifs de ce repas impromptu firent un peu oublier les tristes événements. Cependant, Jean-Lou allait et venait, d'un placard à l'autre, comme un automate, l'air absent. Enfin, chacun prit place à table, Suzy à côté de JeanLou. De temps à autre, des voitures s'arrêtaient devant les pompes à essence. Alors, tout le monde dressait la tête et le cœur de Jean-Lou se mettait à battre très fort. - Papa!... C'est papa! Non, il s'agissait seulement d'automobilistes qui, n'ayant pas vu la pancarte, voulaient se ravitailler en essence.
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Le repas terminé, la tante Emilie accompagna les voyageurs sous la tonnelle pour leur servir un café qui les réconforterait et Jean-Lou, insatiable, lui posa encore toutes sortes de questions sur l'accident. Deux longues heures passèrent, lourdes d'attente anxieuse. M. Plantevin n'arrivait pas. — Pourquoi papa tarde-t-il tant à rentrer? dit Jean-Lou. - C'est peut-être bon signe, fit Suzy. On lui aura permis de rester plus longtemps au chevet de ta maman. Enfin, une voiture bleu foncé stoppa sur le terre-plein. Jean-Lou bondit. — Papa!... Papa!... M. Plantevin à peine descendu de l'auto, il s'accrocha à lui. — Papa!... Dis vite... Comment va maman?
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Sur les traits de son père, ravagés par la fatigue, il cherchait à lire une réponse. — Ah! mon petit Jean-Lou, je peux te l'avouer à présent; quand je t'ai expédié le télégramme, hier après-midi, je m'attendais au pire... Aujourd'hui, je crois ta maman sauvée... oui, sauvée. Le pauvre homme pouvait à peine parler- II serra avec émotion les mains de M. et Mme Sauthier, embrassa Suzy, pressa encore Jean-Lou contre lui et se laissa tomber sur un banc de la tonnelle. Alors, il parla de sa femme. Les médecins de l'hôpital Saint-Luc, à Lyon, avaient assuré qu'ils la sauveraient. Sans doute, même, ne serait-elle pas défigurée car les plus graves brûlures affectaient surtout les jambes et le côté droit du buste. Malheureusement, la guérison demanderai des semaines... peut-être des mois.
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— Comment allez-vous vous organiser? s'inquiéta M. Sauthier. — Je ne sais pas encore. Pour le moment, je compte aller chaque jour à Lyon. Je vous remercie d'avoir si vite ramené Jean-Lou et suis navré de gâcher vos derniers jours de vacances... Je voudrais pouvoir vous offrir l'hospitalité, comme l'autre jour, mais la chambre où vous avez dormi est occupée par ma belle-sœur. - Oh ! protesta Mme Sauthier, de toute façon, il n'en est pas question. Nous tenions seulement à attendre votre retour, pour avoir des nouvelles de Mme Plantevin. Nous allons repartir un peu rassurés... Nous serions heureux que vous puissiez nous écrire. — Oui, dit Suzy en prenant la main de Jean-Lou, tu nous écriras, n'est-ce pas, dès demain, quand ton papa sera rentré de Lyon... et le plus souvent possible. Jean-Lou qui, jusqu'alors, ne s'était inquiété que de sa mère, réalisa tout à coup que Suzy allait partir, qu'il ne la reverrait plus. Il se raidit pour cacher sa peine mais quand, un moment plus tard, la voiture des Parisiens démarra, il n'eut pas le courage de rester jusqu'au bout, au bord de la grande route, pour répondre aux émouvants signes d'adieu que sa petite camarade lui adressait, par la portière.
LES MOTS ------ AVONS-NOUS COMPRIS?-----Impromptu. Qui n'a pas été prévu. Automate. Personne qui agit d'une façon mécanique, comme si elle ne pensait pas. On pourrait dire aussi : comme un robot. Insatiable. Qui n'est jamais satisfait. Qui demande toujours plus. Défigurée. Dont les traits du visage sont si changés, si enlaidis, qu'on ne dirait plus la même figure. Affectaient. Concernaient.
Que signifie ente phrase : ... et encore, pouvait-on parler de repas? Que signifie cette expression bien courante : mettre la main à la pâte. Quelle est la partie du corps appelée buste. En terme de sculpture qu'est-ce qu'un buste? Pourquoi Jean-Lou, n'attend-il pas les derniers signes de Suzy pour quitter la route?
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44 - VISITE A L'HOPITAL Une semaine s'était écoulée depuis le retour de Jean-Lou. L'avant-veille, Bruno avait regagné le Relais des Cigales, les mains encore entourées de pansements que tante Emilie devait refaire chaque matin. Pauvre petit Bruno! Cet accident lui servirait-il de leçon? Ses brûlures, sans gravité, l'avaient tout de même fait souffrir. Encore maintenant, à cause des pansements, il était incapable de manger seul et il ne pouvait s'occuper à grand-chose. Heureusement, dans quelques jours, il retrouverait l'usage de ses mains et redeviendrait un petit garçon comme les autres. Quant à maman Plantevin, on savait, à présent, qu'elle devait la vie à la diligence des médecins de l'hôpital d'Orange qui avaient immédiatement pratiqué des perfusions^ avant le transport de la blessée à Lyon. Cependant, son état demeurait grave, très grave. Presque chaque jour, de grand matin, papa Plantevin allait la voir. Ces voyages répétés représentaient de gros frais qu'il ne fallait pas aggraver par la fermeture prolongée du Relais. Aussi, depuis son retour, Jean-Lou remplissait-il de son mieux son rôle de pompiste. En effet, trop frappée par l'accident, la tante Emilie se refusait à toute manœuvre des pompes à essence. Elle s'occupait seulement du ménage, de la cuisine et de Bruno... ce qui était déjà beaucoup. Jean-Lou trouvait, dans le travail, un dérivatif à son chagrin. Chaque matin, vers dix heures (le moment un peu creux dans son service) il trouvait le temps de griffonner quelques mots à Suzy pour donner des nouvelles de sa mère. Puis, tout en servant ses clients, il attendait le passage du facteur à qui il remettrait son enveloppe... et qui apporterait peut-être une lettre de Paris.
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Pauvre Jean-Lou ! Pour lui, le coup avait été terrible. Malgré les paroles de Mme Sauthier, malgré celles de tante Emilie, malgré celles de son père, il se considérait encore un peu responsable de l'accident. — A Porta de Mar, se disait-il, quand j'ai reçu la lettre où maman parlait des imprudences de Bruno, j'aurais dû comprendre que je devais rentrer. Si personne, au Relais, ne lui reprochait rien, il s'inquiétait souvent de ce que pensait sa mère. — Maman ! se répétait-il, j'aimerais tant la voir pour me faire pardonner. Ah! si je pouvais aller à Lyon! Ce désir, papa Plantevin l'avait compris, bien sûr. Il craignait seulement que Jean-Lou fût trop impressionné par les bandages qui couvraient encore le visage de la blessée. Dès que ceux-ci furent enlevés, il proposa de fermer les pompes pour une demi-journée et d'emmener son fils. Ils quittèrent le Relais de bon matin ; deux heures plus tard, grâce à la nouvelle autoroute, ils arrivaient devant l'hôpital Saint-Luc, à Lyon. A cause de la gravité de son état, Mme Plantevin était installée, seule, dans une chambre. En apercevant sa mère immobile, le visage marqué de plaques rouges, couchée sur un haut lit de fer dont les draps et couvertures étaient tendues sur des arceaux pour éviter tout contact avec les plaies, Jean-Lou ne put cacher son émotion. Mais maman lui souriait et ce sourire le rassura. Évitant de toucher aux draps, il se pencha vers sa mère et l'embrassa sur le front, exempt de brûlures. — Maman! Maman!... Je suis si heureux que papa m'ait amené, aujourd'hui. Si tu savais comme j'étais inquiet, moi aussi... et comme j'ai eu peur... Tiens maman, je t'ai apporté quelques rieurs du massif. Elles sont un peu grillées par le soleil. Pourtant, je les arrose tous les jours, comme tu le ferais. — Cher Jean-Lou, je sais que, de loin, tu penses souvent à moi... Je sais aussi que tu te reproches cet affreux accident. — Oh! maman, tu me pardonnes? — Je n'ai rien à te pardonner, mon petit. Ce qui est arrivé devait sans doute arriver... C'est plutôt ma faute, à moi, d'avoir mal surveillé Bruno. Non, si le visage avait changé, maman était toujours la même, sa voix demeurait aussi calme, aussi apaisante. — J'aurais tant voulu que la fin de tes belles vacances ne soit pas gâchée, murmura la pauvre femme. As-tu été heureux, au moins, là-bas?... Veux-tu me parler de ce pays que tu disais si beau dans tes lettres?
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Alors, il raconta ses baignades avec Suzy et Gil, ses escalades sur les rochers, ses excursions, avec M. Sauthier. Et, brusquement, il sortit le petit porte-monnaie de cuir rouge, acheté à Cadaquès. — Je l'avais choisi pour toi, maman, comme souvenir. Il le lui tendit pour qu'elle le prenne mais sa mère demeura immobile. Il se sentit gêné. — Oh! pardon, maman, j'oubliais que tu ne peux pas bouger tes bras. Mme Plantevin sourit doucement. — Ne t'inquiète pas mon petit Jean-Lou. Je te remercie d'avoir pensé à moi, là-bas. Ce joli porte-monnaie me servira quand nous irons tous les quatre, en auto, faire nos commissions à Orange, bientôt... très bientôt, n'est-ce pas?
LES MOTS Diligence. Grande, précise et soigneuse rapidité. (Une diligence était une voiture à chevaux très rapide). Perfusions. Sortes de piqûres qui (permettent d'introduire rapidement dans les veines soit du sang soit un autre liquide destiné à combattre une maladie, une intoxication. Dérivatif. Action qui rompt la monotonie d'un travail ou change le cours des pensées.
Synonyme déjà vu : Épargné, dispensé.
une
diversion. Exempt.
------ AVONS-NOUS COMPRIS? -----Pourquoi le mot malgré est-il répété trois fois? Qu'est-ce qu'un arceau? D'où vient ce mot? Coupez ce texte en deux parties essentielles et donnez un titre à chacune d'elles.
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45 - COMMENT S'ORGANISER ? Lors de la visite de Jean-Lou, maman Plantevin avait laissé entendre qu'elle espérait un rapide retour au Relais des Cigales. La réalité était tout autre. La pauvre femme ne se faisait pas d'illusions. Elle avait voulu cacher à son fils ses inquiétudes pour l'avenir. En effet, les médecins de l'hôpital n'avaient pas cru devoir la berner. Sans doute, un jour, pourrait-elle reprendre une vie normale, mais ce jour, il faudrait l'attendre longtemps. Alors, un soir, après le dîner, tandis que Bruno était déjà au lit, papa Plantevin déclara en présence de tante Emilie : — Jean-Lou, il est temps que je te parle sérieusement, comme à un homme. Depuis l'accident, nous vivons comme si ta maman devait très vite revenir prendre sa place à la maison. Il faut que tu saches la vérité. — Oh! fit Jean-Lou, pris d'une nouvelle inquiétude, maman est de nouveau en danger?... Elle ne guérira pas? — Rassure-toi! Son état continue de s'améliorer mais lentement, très lentement... Et quand les plaies seront cicatrisées ce ne sera pas fini. Les nerfs de ses jambes ont été atteints. Elle devra suivre un traitement de rééducation pour être capable de marcher. Cela peut demander des mois. — Si longtemps! soupira Jean-Lou... Pourtant, l'autre jour, à l'hôpital, maman espérait... — Je sais, pour t'éviter du chagrin, elle a fait semblant de croire à une guérison rapide; elle n'ignore pas qu'elle est à Lyon pour une partie de l'hiver. Dans ces conditions, tu comprends bien que nous devons songer à organiser notre vie. Depuis quinze jours, tante Emilie remplace ta maman. Elle ne peut pas toujours rester ici. Son mari, ton oncle Jean, a besoin d'elle à Bobigny, Elle va être obligée de repartir. — Alors, dit spontanément Jean-Lou, nous nous débrouillerons tous les trois, toi, Bruno et moi. Papa Plantevin sourit tristement. — Bien sûr, pour quelques jours, la chose serait possible, mais si longtemps ? Qui s'occupera du ménage, de la cuisine, quand les classes reprendront? N'oublie pas qu'il était prévu que tu entres comme interne, au lycée d'Orange, puisque le directeur de l'école de Montfaucon t'a jugé capable
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de suivre les cours de sixième. Tu penses bien, mon petit Jean-Lou, que je ne veux pas sacrifier tes études. Jean-Lou demeura pensif. Son père avait raison. Sans maman, la vie au Relais n'était pas possible. - Alors, papa? — Remercie ta tante Emilie de nous aider si généreusement à traverser cette mauvaise passe. Elle se propose de vous emmener, Bruno et toi, à Bobigny. - Oui, approuva la tante, notre logement n'est pas grand; nous disposons tout de même de la chambre où couchaient tes deux cousines, Juliette et Renée. Tu sais qu'elles ont quitté la maison, Tune pour se marier, l'autre pour travailler, à Rouen, comme sténo-dactylo. Je vous garderai le temps qu'il faudra. Nous avons un lycée tout neuf, pas très loin de la maison ainsi qu'une école primaire pour Bruno. - Et toi, papa, s'inquiéta Jean-Lou, tu vas rester ici tout seul? - Il faut bien quelqu'un pour tenir le Relais. Ne te fais pas de mauvais sang pour moi; je saurais me débrouiller... même pour la cuisine. Je n'aurai pas le temps de m'ennuyer.
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Jean-Lou connaissait assez peu sa tante Emilie (la Parisienne, comme on l'appelait quelquefois familièrement). Cependant, en plus âgée, elle ressemblait à sa mère. Partir chez elle ne l'inquiétait pas trop. Cependant, il avait l'impression d'abandonner son père... et aussi sa mère puisqu'il serait beaucoup plus loin d'elle... Et puis, ce grand Paris, où il aurait été si fier d'aller, quelques mois plus tôt, l'effrayait presque à présent, depuis qu'il en avait entendu parler par Gil et Suzy. Mais tout à coup, précisément, il pensa qu'à Bobigny, il serait près de Suzy. Il la reverrait; ce serait une consolation à son exil. Alors, quand il monta se coucher, il chercha dans ses affaires de classe un vieil atlas couvert des gribouillages de Bruno; il y découvrit une carte de Paris et de sa banlieue, sur laquelle le petit point marquant Bobigny semblait collé au rond de la capitale. — Si près! murmura-t-il, nous serons si près!...
LES MOTS Illusions. Erreurs des sens ou de la pensée qui nous font prendre l'apparence pour la réalité. Berner. Tromper, cacher la vérité (A aussi parfois le sens de : tourner en ridicule). Rééducation. Seconde éducation pour apprendre une nouvelle fois à faire les gestes oubliés ou devenus impossibles. Interne. Pensionnaire, c'est-à-dire logé au lycée. Sténo -dactylo. (Abrégé de sténogrophedactylographe). La sténographie consiste à écrire très rapidement à l'aide de signes. La
dactylographie est l'art d'écrire avec une machine à écrire. Exil. Lieu éloigné de son pays, et où on se sent malheureux. ------ AVONS-NOUS COMPRIS? -----Qu'est-ce qu'un oncle, une tante, un beau-frère, une belle-sœur, des cousins germains. D'après le texte, quel est le sens du verbe sacrifier? Résumez les trois raisons pour lesquelles Jean-Lou ne voudrait pas partir.
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46 - LA GRANDE ROUTE DE PARIS Pour éviter les frais d'un voyage par le train, papa Plantevin cherchait une « occasion » qui permettrait à sa belle-sœur et aux deux enfants de rallier Paris. Il connaissait à présent, un certain nombre de routiers qui avaient pris l'habitude de se ravitailler chez lui en carburant. Un soir, en bavardant avec l'un de ces transporteurs, il apprit que celui-ci descendait à Marseille et repasserait le surlendemain avec un autre chargement. Il lui demanda s'il lui était possible au retour, de prendre à bord ses deux enfants et leur tante. — Volontiers, dit le chauffeur, ma cabine est spacieuse. Derrière les sièges, les enfants pourront même dormir sur la couchette. Et, quand il apprit que les voyageurs se rendaient à Bobigny, l'homme ajouta : — Ça tombe bien. Mon dépôt se trouve justement à Saint-Denis. Pour
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rentrer, je passe tout près de Bobigny. Je n'aurai qu'un petit crochet à faire pour déposer mes passagers à domicile. Il ne restait plus qu'à faire les bagages. Le surlendemain matin, tout était prêt, Bruno, trop petit pour se rendre compte de la situation, était ravi à l'idée de partir sur un gros camion et ne pensait qu'à cela mais Jean-Lou, lui, se sentait très triste, à cause de son père. — Dis, papa! que vas-tu devenir, tout seul? Si tante Emilie n'emmenait que Bruno?... Je ne voudrais pas t'abandonner. Le camion devait passer vers n heures, il n'arriva qu'à midi et demi, une voiture accidentée ayant entravé la circulation un long moment. Pour la dernière fois, tante Emilie avait eu le temps de préparer un rapide repas que le complaisant chauffeur accepta, sans façon, de partager, à condition de faire vite, pour ne pas aggraver le retard. Puis, les trois voyageurs prirent place dans la vaste cabine. Le cœur serré, Jean-Lou embrassa son père une dernière fois. Le pauvre homme souriait, mais d'un sourire qui ne trompait pas. Incapable de dissimuler sa peine, il invita le chauffeur à démarrer très vite, par crainte de ne pouvoir la contenir jusqu'au bout. — Pauvre papa! soupira Jean-Lou en se tournant vers sa tante; il va être bien malheureux! Sous le ciel clair, un assez fort mistral balayait les premières feuilles mortes des platanes sur la grande route, toujours aussi animée. Ni Jean-Lou
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ni sa tante n'avaient envie de parler. Seul, Bruno s'intéressait au voyage, aux véhicules qu'on croisait. Lorsque la grosse voiture contourna Lyon, JeanLou pensa très fort à sa mère, qu'il n'avait revue qu'une seule fois. Ah! s'il avait pu s'arrêter! Mais le chauffeur était pressé. Lyon dépassé, le ciel, si lumineux à Montfaucon, commença à s'assombrir. Des gouttes de pluie perlèrent sur le pare-brise. Plus loin, dans le Morvan, la nuit descendit sur la campagne. Le chauffeur alluma ses phares et le voyage se poursuivit dans l'inconnu. — Paris est donc si loin, soupirait Jean-Lou, encore plus loin que l'Espagne ? Heureux Bruno! qui, lui, dans son insouciance, s'était endormi sur la couchette, bercé par les cahots de la route. Enfin, vers 10 heures du soir, les lumières, de part et d'autre de la route, se multiplièrent, parfois si rapprochées que, de loin, elles formaient de véritables grappes. - Est-ce que nous arrivons à Paris ? demanda Jean-Lou au chauffeur. - Non, nous contournons la capitale pour éviter les encombrements. Au passage, il citait des noms : Choisy-le-Roi, Joinville, Montreuil... tous ignorés de Jean-Lou. La fin du voyage était interminable. Enfin, peu avant minuit, la grosse voiture ralentit. On arrivait à Bobigny, cette ville au nom étrange où, dans sa naïveté d'enfant, Jean-Lou croyait autrefois qu'on fabriquait des bobines. - N'allez pas plus loin, dit tout à coup la tante Emilie en désignant un
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carrefour; notre rue est trop étroite pour votre camion. Nous habitons d'ailleurs tout près. Le routier gara sa lourde machine le long d'un trottoir et, complaisant, ému par le récit de l'accident que lui avait fait la tante Emilie, aida ses passagers à porter leurs bagages jusqu'à domicile, mais sans accepter l'invitation d'entrer pour se rafraîchir et refusant toute gratification. - Vous voyez, dit la tante aux deux enfants en montrant une vieille bâtisse aux murs sombres, nous habitons là, au deuxième. Entrez, mes petits., mais ne laites pas de bruit, à cause des voisins.
LES MOTS Rallier. (Vient de allier). Se déplacer vers un endroit précis où on doit retrouver des personnes connues. Spacieuse. Vaste, qui offre beaucoup d'espace. Entravé. Être entravé c'est avoir une entrave, c'est-à-dire quelque chose qui rend difficile ou empêche tout mouvement. Gratification. Somme d'argent, pourboire qu'on donne pour un service rendu.
------ AVONS-NOUS COMPRIS?-----Qu'est-ce que accepter «sans façon»? Expliquez cette phrase : Incapable de dissimuler... jusqu'au bout. Suivez sur une carte le voyage de Montfaucon (Orange) à Paris Pourquoi le chauffeur du camion se montre-t-il particulièrement complaisant?
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47 - L'APPARTEMENT DE TANTE EMILIE Sur la pointe des pieds, ils suivirent un étroit couloir éclairé par une veilleuse et grimpèrent un vétusté escalier de bois pour atteindre le deuxième étage. Tante Emilie prit une clef dans son sac à main et ouvrit une porte. — Pas de bruit, répéta-t-elle, votre oncle Jean dort sans doute. Mais, en tournant le bouton de l'électricité, elle aperçut, sur la table de la cuisine, un bout de papier avec ces mots : « Je suis de service ce soir; je rentrerai tard. » — Oui, expliqua-t-elle, vous savez que votre oncle est receveur d'autobus. Il lui arrive souvent de rentrer en pleine nuit. Du dépôt d'Aubervilliers où s'arrêtent les voitures, il revient ici sur son cyclomoteur... Il ne tardera pas. Puis, montrant fièrement sa cuisine : — Vous voyez, mes enfants, la place ne manque pas. Habituellement, les cuisines parisiennes ne sont que des réduits où on se marche sur les pieds. Ici, on peut prendre les repas à quatre ou cinq... et nous avons aussi deux belles chambres. Nous sommes plutôt grandement logés. Jean-Lou se demanda si elle plaisantait ; cette cuisine lui paraissait moins grande que celle du Relais et trois fois plus petite que celle de Tourette où aurait pu se tenir un véritable banquet. Non, tante Emilie parlait sérieusement. — Voici votre chambre, ajouta-t-elle. Je vais vite faire vos deux lits... mais auparavant, vous allez prendre quelque chose. — Oh! oui, dit vivement Bruno, j'ai faim, très faim. Tandis qu'elle préparait un potage « tout fait » sur son réchaud à gaz, des pas grincèrent sur le palier. L'oncle Jean rentrait de son travail. Si la tante Emilie ressemblait à sa sœur au physique comme de caractère, l'oncle Jean différait assez de papa Plantevin. Plus épais de silhouette, plus jovial, il plaisantait volontiers, avec un accent faubourien qui contrastait avec celui de sa femme, laquelle avait gardé presque intact son parler provençal. Car l'oncle Jean était Parisien, et c'était à Paris que tante Emilie l'avait connu, autrefois, quand elle était venue, toute jeune, travailler dans la capitale. L'oncle Jean embrassa les enfants sur les deux joues, se montra ravi de les recevoir, prit Bruno sur ses genoux et déclara que tous deux se plairaient sûrement à Bobigny. Mais, malgré son long somme sur la couchette du camion, Bruno, qui
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était gros dormeur, sentait ses yeux se fermer. Le dîner terminé, Jean-Lou aida sa tante à faire les lits et les deux frères se déshabillèrent. A peine sous ses couvertures, Bruno s'endormit comme une masse. Jean-Lou, lui, était trop désemparé pour s'abandonner si vite au sommeil. Une grande partie du voyage s'était effectuée de nuit, dans un monde inconnu. Il se sentait très loin de chez lui, beaucoup plus loin qu'à Porta de Mar, pourtant séparé de son pays par une frontière... Et puis, cette chambre, si petite, plus qu'à moitié occupée par les deux lits, lui donnait une impression d'étouffement. Au bout d'un moment, pour dissiper cette sensation pénible, il se leva à tâtons, s'approcha de la fenêtre, écarta les rideaux pour apercevoir la ville. Pas une lumière ! Les vitres étaient-elles brouillées à ce point ? Sans bruit, il ouvrit la fenêtre, écarquilla les yeux. Toujours rien! Toutes les lumières de Paris n'avaient pourtant pu s'éteindre en même temps!... A force d'ouvrir les yeux,
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il découvrit enfin, juste devant la fenêtre, à moins de trois mètres, un mur si sombre, si haut, qu'il dut redresser la tête pour apercevoir, au-dessus de lui, un minuscule carré de ciel noir d'où tombaient des gouttes de pluie. — Oh! se dit-il avec effroi, la maison de tante Emilie ressemble à une prison. Il referma la fenêtre, se recoucha, mais le bienfaisant sommeil ne voulait toujours pas de lui. Toutes sortes de pensées tournèrent dans sa tête. Il vit sa mère, sur son lit d'hôpital, papa Plantevin, tout seul au Relais. Il pensa à Suzy. Suzy ! Ah ! si elle le savait si près ! Pour chasser sa peine, il eut envie de lui écrire, de lui annoncer qu'il était à Bobigny. Afin de ne pas éveiller son frère, il tourna l'abat-jour de la lampe et appuya sur le bouton de la lumière.
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Puis il chercha dans ses affaires, un crayon, du papier et, de son lit, les genoux repliés en guise de pupitre, il commença : « Chère Suzy, « Je vais t'apprendre une grande nouvelle... » Mais il s'arrêta là. - Non, pas de lettre! Paris est si près; demain, je demanderai à tante Emilie la permission d'aller la voir. Quelle surprise pour Suzy! Il en éprouva un tel soulagement qu'il lui sembla voir sa chambre s'agrandir, le grand mur noir reculer. — Oui, demain, répéta-t-il, demain! Et, d'un seul coup, le sommeil l'emporta.
LES MOTS AVONS-NOUS COMPRIS? Vétusté. Vieux et en mauvais état. Réduits. Un réduit est un local très étroit, de dimensions « réduites ». Au physique. D'allure, de traits, de taille, de corpulence. Accent faubourien. Accent des habitants des faubourgs de Paris, qui n'est en général pas celui des Parisiens authentiques. Écarquilla. Ouvrit les yeux très grands, pour chercher à mieux voir.
Comment expliquez-vous que ta tante Emilie se trouve bien logée? Qu'est-ce qu'un potage tout fait? Comment expliquez-vous que la sœur de Mme Plantevin soit venue toute jeune, de Tourette à Paris, pour travailler. Que pensez-vous de l'oncle Jean, de son métier?
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48 - LE PROJET DE JEAN-LOU A son réveil, Jean-Lou porta tout de suite son regard vers la fenêtre. Il sauta du lit et s'approcha des vitres. Le mur était toujours là, hideux, stupide barrière qui empêchait la lumière de pénétrer dans la chambre. En se penchant sur le vide, il constata que ce mur limitait une cour lilliputienne d'où montaient des relents de cuisine. Mais, la nuit ne lui avait pas fait oublier son projet d'aller voir Suzy; il écarta ses tristes pensées et s'habilla rapidement car sa montre indiquait déjà 9 heures et demie. Moins en retard de sommeil que lui, Bruno était déjà levé. Installé dans la cuisine, la serviette au cou, il prenait son petit déjeuner tandis que l'oncle Jean l'amusait en lui confectionnant de petits animaux avec de la mie de pain pétrie. — Bonjour Jean-Lou! dit l'oncle en riant. N'est-ce pas qu'on dort bien à Bobigny. Ta chambre est si calme. Et il ajouta : — Assieds-toi, je vais te faire chauffer ton petit déjeuner pendant que ta tante fait son marché. A ton âge, tu dois avoir un appétit du tonnerre! Jean-Lou se laissa verser un grand bol de café au lait. Puis, il pensa qu'il devait écrire à son père et à sa mère, comme promis, pour les rassurer sur le voyage. — A quelle heure le facteur passe-t-il pour ramasser les lettres? demanda-t-il. L'oncle sourit, incrédule. — Que dis-tu? Les facteurs de Bobigny ne ramassent pas les lettres. Ils ont assez à faire en les distribuant. Les lettres sont glissées dans les boîtes. — Alors, à quelle heure enlève-t-on les lettres des boîtes? L'oncle Jean rit de plus belle. — Ma foi, je n'en sais rien. Il y a au moins sept à huit levées par jour. Je ne me suis pas amusé à noter les heures.
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Confondu, Jean-Lou comprit qu'il avait beaucoup à apprendre sur la vie parisienne. Son café au lait achevé, il griffonna deux courtes lettres et l'oncle, qui n'était pas de service ce matin-là, proposa de descendre avec lui les poster, en emmenant aussi Bruno. Jean-Lou fut déçu par ce qu'il vit de Bobigny. Les maison lui parurent laides, tristes, avec leurs toits de zinc ou d'ardoise. Paris était-il aussi sombre ? Ah ! qu'il se sentait loin de chez lui. Heureusement, il retrouverait Suzy. Aller chez elle ne devait pas être très compliqué. Cependant, à midi, quand il parla de son projet, il fut étonné de voir la tante Emilie lever les bras au ciel. — Quoi ? Circuler tout seul dans Paris ? Tu n'y penses pas, Jean-Lou. Paris n'est pas Tourette ou Montfaucon. Tu vas te perdre. Heureusement, le jovial oncle Jean, lui, ne s'affolait pas pour si peu. — Si je n'étais pas de service cet après-midi, dit-il, je l'aurais accompagné, mais il faut bien qu'il s'habitue à sortir seul. A son âge, il y avait belle lurette que je traversais Paris en autobus ou en métro! — Toi, oui, dit tante Emilie, parce que tu as été élevé à Paris, mais JeanLou? — Bah ! tout à l'heure, il m'a raconté son arrivé à Barcelone. Il ne s'est pas perdu. Pourtant, en Espagne, on ne parle pas un mot de français. Et il ajouta; en plaisantant. Pour qui prends-tu donc ton neveu ?... pour une mauviette? Puis, se tournant vers Jean-Lou : — Voyons, où habite exactement ta petite camarade ? — Je connais son adresse par cœur : 38, rue Claude-Jorand, dans le douzième arrondissement. — Je ne connais pas cette rue Claude-Jorand, fit l'oncle, mais je sais où est le douzième arrondissement. Attends un instant. Il déplia un plan de Paris et promena ses gros doigts vers le bas de la feuille. — Voilà, fit-il tout à coup; ta rue débouche sur la place Daumesnil, une grande place avec une fontaine et des lions sculptés. — C'est ça, dit vivement Jean-Lou, une place avec des lions; Suzy m'en a parlé. — Alors, ouvre toutes grandes tes oreilles et écoute. Voici ton itinéraire : en bas, au bout de la rue, tu prends l'autobus n° 151 qui te déposera au terminus, place de la République, Là, tu descends dans le métro.
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— Le métro ! intervint tante Emilie, comme si cet enfant savait ce qu'est le métro. - Si, répondit fièrement Jean-Lou, à Barcelone, il y a aussi un métro. Je l'ai pris. — Donc, poursuit l'oncle Jean, tu prends le métro : direction : Charenton et du descends à la station Daumesnil. Tu vois, rien de compliqué. D'ailleurs, dans le métro, on ne se trompe jamais; il suffit de savoir lire... et tu as une langue, que diable! — Oh! merci! s'écria Jean-Lou, en sautant au cou de son oncle.
LES MOTS Hideux. Très laid. Cour lilliputienne. Aussi petite qu'à Lilliput, la ville des nains décrite dans un livre célèbre : Les voyages de Cultiver. Mauviette. Sens propre : alouette devenue grasse. Sens figuré : personne faible, sans énergie, délicate.
AVONS-NOUS COMPRIS? Complétez le portrait de l'oncle Jean en donnant trois ou quatre traits de son caractère. Si vous le pouvez, procurez-vous un plan du métro de Paris et suivez l'itinéraire indiqué par l'oncle Jean. Trouvez-vous que le tante Emilie ressemble à sa sœur? en quoi?
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49 - TRIBULATIONS DANS LE MÉTRO Tandis que l'autobus remporte vers Paris, Jean-Lou pense à l'appartement de tante Emilie, à la chambre obscure où il devra vivre pendant des semaines, des mois, avec son petit frère. Bien sûr, son oncle et sa tante se montrent très gentils; son oncle, en particulier est très gai, très exubérant. Ce ne sont tout de même pas ses parents. Il se reproche presque, à présent, d'avoir écrit de si courtes lettres, ce matin; celle adressée à maman surtout. Pauvre maman!... Mais, peu à peu, à mesure qu'il s'éloigne, il se sent gagner par la joie de revoir Suzy. Il lui semble qu'elle seule saura l'aider à supporter la séparation d'avec les siens. — Je retournerai souvent chez elle, se dit-il, peut-être tous les jeudis et tous les dimanches, puisque nous sommes si près. Si près! N'est-ce pas encore une illusion? Il roule depuis une bonne demiheure et l'autobus ne s'arrête toujours pas. Ou plutôt, si, il s'arrête, pour repartir aussitôt, avec de nouveaux voyageurs. Est-on déjà dans Paris? Mon Dieu! Que cette ville est immense! Enfin, le gros autobus vert débouche sur une place et le receveur annonce : — République! Tout le monde descend!... La place est grande, moins belle cependant que la place de Catalogne à Barcelone. Voyons! Où est l'entrée du métro? Il n'a qu'à suivre les passagers de l'autobus qui se précipitent (pourquoi les Parisiens courent-ils toujours?) vers un escalier. Inutile d'acheter un ticket. Avant de partir, l'oncle Jean lui en a glissé plusieurs dans la poche. Cependant, le petit Provençal s'aperçoit vite que le métro parisien ne ressemble en rien à celui de Barcelone. L'oncle Jean a omis de lui dire qu'à cette station, se coupent et se recoupent quatre ou cinq lignes de chemin de fer souterrain. Que de couloirs!... Que de pancartes! De quoi en avoir le vertige. Enfin, il aperçoit le nom cherché : Charenton, souligné d'une flèche...; mais la même flèche souligne aussi d'autres noms. Que faire? Pris dans le tourbillon des gens qui courent en tous sens, il commence à se sentir perdu. — Je suis stupide, se dit-il ici, tout le monde parle français! Alors il s'approche d'une dame qui porte au bras un filet garni de provisions et, dans le brouhaha, lui demande quel couloir prendre pour aller à Daumesnil.
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Tu n'as qu'à me suivre, dit la dame, je vais justement dans cette direction ! Jean-Lou la suit et, pour la remercier, lui propose de porter son lourd filet. Une vague inquiétude l'effleure, cependant, en la voyant s'engager dans un couloir où aucune pancarte n'indique Charenton. Après tout, l'oncle Jean s'est peut-être trompé. Un receveur d'autobus ne circule pas souvent dans le métro. D'un couloir, il passe dans un autre couloir, emboîtant le pas à la dame qui trottine devant lui. Enfin, ils débouchent sur un quai. Toujours un peu inquiet à cause de ce nom : Charenton, qu'il ne lit nulle part, il cherche à droite, à gauche. — Ne te tracasse pas, dit la dame. C'est la bonne direction. Je te ferai descendre à la station. Un train arrive. Il se précipite derrière elle dans un wagon. Le train repart. Des stations défilent. Il essaie de les compter. Il y en a trop. Que c'est loin! Tout à coup, au neuvième ou dixième arrêt, la dame reprend son filet et le pousse du coude. — Descends vite, c'est là! Il se glisse entre les voyageurs, se retrouve sur un quai, cherche le nom de la station, qu'il n'a pas eu le temps d'apercevoir. Stupeur! En lettres blanches sur fond bleu émaillé, se détache ce mot Miromesnil. Subitement, il comprend : à cause du brouhaha... ou de son accent méridional, la brave femme a confondu Miromesnil avec Daumesnil. Désemparé, n'osant plus s'adresser à personne, Jean-Lou ne trouve d'autre ressource que de consulter un plan du métro placardé au mur de la station... et s'aperçoit avec effroi qu'il se trouve à l'autre bout de Paris, exactement à l'opposé de la place Daumesnil. LES MOTS Tribulations. Ennuis, soucis, tourments, embarras. Exubérant- Qui exprime volontiers ses sentiments, qui parle beaucoup. Omis. Qui n'a pas été dit, ou fait (soit volontairement, soit involontairement). Brouhaha. Bruit de voix confus. Placardé. Affiché. {Le mot placard désigne à la fois un meuble et une affiche).
AVONS-NOUS COMPRIS? Que signifie : emboîter le pas à quelqu'un1. Le mot tourbillon est-il pris dans son sens propre? D'après ce texte, quelle impression vous donne le métro parisien? Relevez tous les mots ou expressions qui soulignent l'attitude pressée des Parisiens.
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50 - PORTE CLOSE Eh oui! Jean-Lou se trouve à l'autre bout de Paris. Mais sa mésaventure lui sert de leçon. Il s'aperçoit qu'en détaillant le plan, le métro révèle tous ses secrets. Il ne lui reste plus qu'à revenir sur ses pas jusqu'au labyrinthe de la place de la République pour reprendre la bonne direction. Malheureusement cette stupide erreur d'aiguillage lui a fait perdre du temps. Sa montre marque déjà 3 heures. Suivant scrupuleusement les indications accompagnées de flèches ou de doigts tendus, il déambule dans les couloirs. Ah! ces couloirs! Le sol de Paris est-il entièrement truffé de ces souterrains à l'atmosphère irrespirable ? A la fameuse station si embrouillée, il retrouve enfin sa pancarte. Cependant, par précaution, il se renseigne auprès d'un passant, s'appliquant à répéter très fort, deux ou trois fois, le mot : Daumesnil. — Pas la peine de hurler! Je ne suis pas sourd, fait l'homme vexé. Si tu ne sais pas lire, retourne à l'école! Et le voici de nouveau roulant sous terre. Déjà 3 heures et demie! Il
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pourra juste rester quelques instants chez Suzy puisque tante Emilie lui a bien recommandé d'être de retour avant huit heures. Oh! pourquoi ce Paris est-il si grand? Daumesnil!... Son cœur se met à battre. Éperdument, il court vers la sortie, grimpe quatre à quatre un escalier et surgit, en plein air, devant la fameuse fontaine aux lions. Une marchande de fleurs lui indique la rue ClaudeJorand, toute proche. Voici le N" 38. Il s'agit d'une maison de cinq étages qui a sans doute été belle, autrefois, mais que les années, la fumée des autos, ont noircie et dégradée. Au fond du couloir d'entrée, une pancarte : « L'ascenseur est en dérangement ». Jean-Lou se moque bien de cet engin. Il n'est d'ailleurs jamais monté dans un ascenseur. Résolument, il s'élance dans l'escalier. Une main l'arrête au passage. — Où cours-tu si vite? C'est la concierge. Jean-Lou ignore encore ce qu'est une concierge. Que lui veut cette femme à l'air plutôt revêche? — Chez qui vas-tu? — Chez M. et Mme Sauthier. — Tu sais où ils habitent? Jean-Lou se trouble. Au fait, il ne se souvient plus de l'étage. — Je... je lirai le nom sur les portes. La concierge hausse les épaules. - A Paris on ne met pas de nom sur les portes. D'où sors-tu donc? — Ah! fait Jean-Lou interloqué, je... je ne savais pas. Alors, la concierge retire la main qui barrait le passage dans l'escalier et, d'une voix de robot : - Quatrième étage, première porte à gauche!... Libéré, Jean-Lou reprend son ascension, arrive essoufflé au quatrième palier. Tremblant d'émotion, il sonne à la porte de gauche. Pas de réponse. Il sonne une seconde fois. Personne ne vient ouvrir. Suzy et sa mère ne sont pas chez elles. Il consulte sa montre. 4 heures 10! Il calcule combien de temps il peut attendre pour ne pas être en retard à Bobigny. Appuyé contre la porte, il essaie de prendre patience. Des gens montent ou descendent, maugréant contre l'ascenseur en panne et lui lançant, au passage, un regard curieux. 5 heures! Fatigué de rester debout, il s'est assis sur une marche. Où est sa belle joie de tout à l'heure? Il se croit revenu à Barcelone, dans le petit café où il attendait M. Sauthier. Toutes sortes d'idées lui passent par la tête. Puisque les vacances ne sont pas encore finies, Suzy est repartie
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quelque part avec ses parents. Oh! il avait tant compté sur cette rencontre avec sa « sœur » comme il se plaît à appeler sa petite camarade ! 5 heures et demie!... 6 heures! Le cœur lourd, il jette un dernier regard vers la porte et descend l'escalier, sans bruit, pour ne pas éveiller l'attention de l'étrange femme qui Ta interpellé tout à l'heure. Tristement, il se dirige vers la bouche du métro et, sans même un coup d'œil vers la fontaine aux lions, descend les marches de l'escalier. Mais tout à coup, il s'arrête. Son cœur fait un bond dans sa poitrine. Au bas des marches viennent d'apparaître une dame et une fillette, les bras chargés de paquets. — Suzy !... Suzy !....
LES MOTS Labyrinthe. Dans l'antiquité : édifice composé d'un grand nombre de pièces disposées de celle façon qu'il était impossible de retrouver la sortie. Scrupuleusement. Soigneusement, fidèlement. Truffé. Entièrement occupé par les souterrains, comme un pâté est rempli de truffes. Revêche, Peu aimable. Synonyme : rébarbatif. Maugréant. S'emportant, protestant, se plaignant d'une façon peu aimable.
AVONS-NOUS COMPRIS? Pourquoi Jean-Lou prononce-t-il très fort et plusieurs fois le mot : Daumesnil, devant le passant? Qu'est-ce qu'une maison dégradée (nous avons déjà vu ce mot). Pourquoi la concierge arrête-t-elle JeanLou? Quel est le rôle d'une concierge? Quelle différence faites-vous entre : appeler et interpeller ?
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51 - UNE BONNE SOIRÉE - Jean-Lou!... Toi!... ici!... à Paris?... Suzy n'en croit pas ses yeux. Figée sur une marche, elle se demande si elle ne se méprend pas. Jean-Lou se précipite vers elle et les deux enfants tombent dans les bras l'un de l'autre. — Oui, Suzy, je suis arrivé hier de Montfaucon, avec mon petit frère. Nous allons rester chez ma tante de Bobigny pendant que maman est à l'hôpital. Je voulais te faire une surprise. Tu n'étais pas chez toi. J'ai attendu longtemps devant ta porte. Je repartais. — Repartir déjà? fait vivement Mme Sauthier, à peine revenue, elle aussi, de son étonnement. — J'ai promis à ma tante d'être rentré avant huit heures. Je ne savais pas que Bobigny était si loin d'ici. — Non, mon petit Jean-Lou, nous ne te laissons pas t'en aller ainsi. Il y a sûrement moyen de s'arranger. Un voisin de ta tante possède-t-il le téléphone? - Oui, l'épicier, au rez-de-chaussée. Il est très gentil. - Alors, viens chez nous, je le prierai de prévenir ta tante et, ce soir, mon mari te reconduira en voiture. - Oh! oui, approuve Suzy, tu dîneras avec nous. Ce sera merveilleux! Tous trois remontent la rue Claude-Jorand, tandis que Mme Sauthier s'inquiète de la santé de maman Plantevin. 179
En pénétrant dans l'appartement devant lequel il a attendu si longtemps, Jean-Lou se sent impressionné. Les meubles lui paraissent très beaux; il ose à peine marcher sur la moquette qui recouvre le parquet. Pendant que Mme Sauthier s'empresse de téléphoner à Bobigny, Suzy lui fait visiter les lieux. — Tu sais Jean-Lou, ce n'est pas très grand chez nous, moins grand qu'à Porta de Mar. Voici la salle de séjour où nous prenons nos repas... La minuscule chambre de mes parents, avec tous les livres de papa sur des rayonnages. C'est là qu'il travaille, le soir, pour moins entendre les bruits de la rue. Ft puis voici ma chambre, avec le petit bureau où je fais mes devoirs en temps de classe. Jean-Lou constate, qu'elle a encadré une photo prise en Espagne où il se reconnaît à côté d'elle, sur la plage. — Et Gil, demande-t-il sans arrière-pensée, tu l'as revu depuis ton retour? — Non. Paris est grand. Il habite un quartier très éloigné, du côté de la Porte d'Auteuil. Je ne le reverrai peut-être jamais. — Jamais? répète Jean-Lou. Un voile de tristesse passe sur son front. Les petits Parisiens oublient-ils si vite ? Le sachant à Bobigny, Suzy se serait-elle dérangée si lui, Jean-Lou n'était pas d'abord venu la voir? Mais, cette pensée, la subtile Suzy l'a tout de suite devinée. — Tu comprends, fait-elle vivement, Gil n'était qu'un simple camarade de vacances. Toi, ce n'est pas la même chose... Tandis qu'ils terminent la visite de l'appartement, M. Sauthier rentre de son travail et manifeste son étonnement en voyant Jean-Lou, chez lui, à Paris. — Ah ! par exemple, voilà notre petit Espagnol devenu Parisien ! Quelle surprise ! Mme Sauthier se hâte de préparer le repas et on passe à table. Naturellement, il est beaucoup question de l'accident. Tout le monde se réjouit de savoir Mme Plantevin hors de danger. Puis, à l'approche de la rentrée scolaire, M. Sauthier demande à Jean-Lou quelle classe il va suivre et dans quel établissement de Bobigny. — Je vais entrer en sixième au lycée, dit le petit Provençal, cachant de son mieux l'inquiétude que lui cause ce changement d'école. Mon oncle doit m'y faire inscrire demain. - Au lycée, répète Suzy avec admiration. Moi, je n'y entrerai que Tannée prochaine. Je suis moins en avance que toi. Jean-Lou est heureux. Il a oublié sa gêne de tout à l'heure en pénétrant dans cet appartement qui lui a paru si luxueux. Cependant, vers 9 heures, quand M. Sauthier décide de le reconduire en voiture à Bobigny, il proteste de toutes ses forces, disant qu'il peut très bien rentrer seul. Il ne voudrait surtout pas que 180
M. Sauthier voie le pauvre appartement de sa tante, sa chambre si sombre, si triste. Le père de Susy insiste, en plaisantant. — Nous te savons capable de te débrouiller seul, mais le soir les autobus sont moins fréquents, tu risquerais de rentrer fort tard... et puis, je suis sûr que Suzy brûle de savoir où tu vis, comment tu es installé... n'est-ce pas Suzy?
LES MOTS AVONS-NOUS COMPRIS? Méprend. Se méprendre c'est se tromper sur quelqu'un, sur quelque chose. Arrière-pensée. Pensée qu'on n'ose avouer. Brûle. A très envie.
Quelle différence entre une « moquette » et un « tapis »? L'appartement des Sauthier est-il grand? Justifiez votre réponse par le plus de détails possible. Quand Jean-Lou retrouve Suzy et sa mère, il a très envie de ne pas rentrer tout de suite à Bobigny. Quel détail l'indique?
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52 - MONSIEUR LE PROVISEUR Le lendemain matin, en allant faire ses commissions, la tante Emilie avait emmené Bruno pour le faire inscrire à l'école du quartier. Pas du tout intimidé, Bruno était rentré très fier, disant que sa nouvelle école était au moins deux fois plus grande que celle de Montfaucon et que la cour cimentée serait sûrement pratique pour jouer aux billes. Jean-Lou, lui, devait se rendre au lycée avec son oncle dans le courant de I'aprè9-midi. Moins désinvolte que Bruno, il se faisait du souci pour cette visite à M. le Proviseur, un personnage beaucoup plus important que le modeste et simple M. Sahune, et certainement plus sévère que le directeur de Montfaucon. Autre chose le préoccupait aussi. La veille, M. Sauthier avait laissé entendre que le lycée de Bobigny, comme tous les lycées de la région parisienne, était probablement déjà complet et qu'il aurait beaucoup de peine à y être admis, si peu de jours avant la rentrée. C'est donc avec appréhension qu'il quitta la rue du Cheval-Rouge (la rue de la tante Emilie) pour cette visite. Le lycée contrastait étrangement avec la vieille ville de Bobigny. C'était un impressionnant bâtiment blanc, tout neuf, en service depuis la dernière rentrée seulement. De loin, il faisait penser à une immense usine... mais une usine nette, propre, bien différente de celles de Bobigny. - Suis-moi, dit l'oncle Jean, en pénétrant dans une cour où les arbres, minces comme des canisses, n'avaient pas eu le temps de pousser. Nous allons nous adresser au concierge. Le concierge! Jean-Lou commençait à mesurer l'importance de ces cerbères parisiens. Dans le bâtiment réservé à l'administration, celui-ci se tenait derrière un guichet.
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- Je désirerais être reçu par monsieur le Proviseur, dit l'oncle. — Pour quel motif? — L'inscription d'un nouvel élève. Le concierge parut scandalisé. - A quatre jours de la rentrée?... Vous n'y pensez pas. Le lycée est complet, archi-complet ! Mais l'oncle Jean n'était pas homme à se démonter facilement. — Je m'en doute, fit-il; je tiens tout de même à voir le proviseur. - Bien, bien, soupira le concierge. Suivez ce couloir et prenez rang dans la salle, au bout, à droite... mais je vous préviens, c'est complet. Sept ou huit personnes attendaient dans cette salle, des parents d'élèves, certainement. De temps à autre, un monsieur à demi-chauve et aux yeux cerclés de lunettes d'écaillé, faisait sortir un visiteur et en appelait un autre. Jean-Lou était de plus en plus inquiet. En effet, l'oncle Jean avait lié conversation avec ses voisins qui confirmaient les dire du concierge, à savoir que le lycée refusait les nouveaux élèves. Pauvre Jean-Lou! Devrait-il retourner à l'école primaire avec Bruno, lui qui avait annoncé fièrement à Suzy son entrée au lycée? Enfin, arriva son tour. Le proviseur, c'est-à-dire le monsieur aux lunettes d'écaillé, l'introduisit, avec son oncle, dans un immense bureau, luxueux, garni de fauteuils. Mais tout de suite, en apprenant qu'il s'agissait d'une inscription en sixième, le grand maître des lieux fronça les sourcils. - Je regrette, dit-il, nous ne pouvons plus accepter personne. Toutes nos classes sont déjà surchargées. Cependant, l'oncle Jean expliqua le cas de son neveu, le terrible accident survenu à sa belle-sœur. Puis il fit état des excellentes notes du petit Provençal. — Évidemment, fit le proviseur, en tapotant son bureau avec le bout d'un crayon, c'est regrettable, très regrettable... Puis, après une hésitation : — Vous avez apporté les papiers concernant cet enfant? — Les voici, dit vivement l'oncle Jean.
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Le proviseur parcourut les diverses feuilles, s'attarda sur les relevés de notes, leva un instant les yeux vers Jean-Lou, regarda de nouveau les papiers et déclara : - En effet, le cas est digne d'intérêt... et les résultats de cet enfant sont excellents. Il réfléchit encore, puis se leva et dit : — Veuillez passer dans le bureau de monsieur le Censeur. Je vais le prévenir. Il inscrira cet élève en sixième classique.
LES MOTS Désinvolte. Qui prend les choses à la légère, d'une façon libre, sans se tracasser. Cerbère. Dans l'antiquité grecque : chien à trois têtes qui gardait l'entrée de l'enfer. Sens actuel : gardien sévère et peu aimable. Censeur. Tandis que le proviseur est le directeur de l'ensemble d'un lycée, le censeur est plus particulièrement chargé de l'organisation des études.
AVONS-NOUS COMPRIS? Qu'est-ce que l'appréhension ? Le texte doit vous aider à expliquer ce mot. Expliquez cette phrase. Jean-Lou commençait à mesurer... parisiens. L'oncle Jean ne se démontait pas, qu'entendez-vous par là? Que signifie «faire état» de quelque chose? Quelles sont les deux raisons qui incitent le proviseur à accepter Jean-Lou?
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53 - LA RENTRÉE Jean-Lou était admis en sixième classique, autrement dit, il allait aborder l'étude du latin. Il n'avait aucune idée de cette langue bizarre que personne ne parle mais il se rappelait que M. Sahune la connaissait et la tenait en haute estime. Alors, il était heureux de suivre le même chemin que son ancien maître. Cependant, avant l'apprentissage du latin, il y avait la rentrée et Jean-Lou n'avait pas oublié son arrivée à l'école de Montfaucon, les rires des élèves, la malencontreuse irruption, en pleine classe, de son pauvre Piboule, et le tendre mais déplacé baiser de sa mère. Bien sûr, cette fois-ci, il n'arriverait pas en pleine leçon, mais à Bobigny, au lieu d'une centaine d'élèves, il en trouverait mille, deux mille... et pas de petits provinciaux; des Parisiens délurés que son accent ne tromperait pas. Ah ! son accent ! A plusieurs reprises, au cours de promenades avec son oncle, il avait rencontré des gens qui disaient en souriant : — On voit que votre neveu arrive du Midi, monsieur Noisiel; sa voix chante comme une cigale. Ces gens-là, amusés, ne se moquaient pas de lui... mais ses futurs camarades ? Alors, l'idée lui vint d'apprendre à parler « pointu » ainsi qu'on définit, en Provence, l'accent parisien. Chaque fois qu'il se trouvait seul, il essayait d'imiter la prononciation un peu grasseyante de son oncle. Hélas! au moment où il croyait y parvenir, sa voix se remettait à chanter les consonnes, plus sonore, plus éclatante que jamais. Enfin, le grand jour arriva. Pour cette rentrée au lycée, Jean-Lou avait jugé indispensable de revêtir son beau complet du dimanche. Il choisit également sa plus belle chemise, une chemise rayée de petits fils bleus qui paraissait presque blanche. Avec une telle chemise, une cravate s'imposait. Jusqu'à présent, il n'en avait presque jamais porté. Pour lui faire plaisir, la tante Emilie chercha celle de son mari qui lui conviendrait le mieux. Mais la plus courte était encore si longue pour lui qu'il eut beaucoup de peine à en faire disparaître les extrémités dans la ceinture de son pantalon. Naturellement, il avait recommandé à l'oncle Jean... et surtout à la tante Emilie, de ne pas l'accompagner, par crainte d'être ridicule. C'est donc seul, son cartable sous le bras, qu'il quitta la rue du ChevalRouge, serrant dans le creux de sa main un précieux petit papier délivré
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par M. le Censeur, où se lisaient ces signes mystérieux : « 6e A 3 », incompréhensibles, mais sûrement très importants. Tout à coup, au bout d'une rue, devant les grilles du lycée, il aperçut une véritable marée humaine. Il lui sembla que tout ce que Bobigny comptait d'enfants était rassemblé là... Il n'y avait d'ailleurs pas que des enfants. A son grand étonnement, les plus jeunes, ceux qui comme lui, entraient pour la première fois au lycée, étaient accompagnés de leur père ou, plus souvent, de leur mère... si bien qu'il éprouva une sorte de malaise à se voir seul, perdu dans la foule des « nouveaux ». — J'ai l'air d'un orphelin, se dit-il. Et il réalisa subitement, qu'en effet, il était presque orphelin puisque ses parents se trouvaient à des centaines de kilomètres de Bobigny. Il eut l’impression que toutes les mères le regardaient d'un air apitoyé en pensant : un orphelin, c'est sûrement un orphelin. Heureusement, au même moment, une voix, sortie d'un haut-parleur, annonça l'ouverture des grilles en précisant que les parents étaient invités à ne pas pénétrer dans ^enceinte du lycée. Soulagé, il se laissa emporter par le flot impétueux de deux mille garçons se ruant en criant vers le portail, et il se retrouva dans la cour, à demi étouffé, échevelé, sa cravate hors de son pantalon pendant jusqu'à ses genoux, mais ayant miraculeusement conservé, au creux de la main, son précieux bout de papier.
LES MOTS Irruption. Entrée soudaine, rapide, précipitée. Déplacé. Ici, ce verbe n'indique pas un changement de place. Il signifie : qui n'est pas à sa place, qui n'est pas convenable. Délurés. A l'esprit vif, dégourdis. Enceinte. Clôture entourant le lycée. Impétueux. Emporté, fougueux, irrésistible. (Au sens propre, s'emploie pour désigner un cours d'eau très rapide et violent.
AVONS-NOUS COMPRIS? Dans le mot grasseyantes on retrouve l'adjectif gras. Qu'est-ce qu'une prononciation grasseyante? Une marée humaine : que veut exprimer l'auteur par ces mots? Se ruer. Le sens de ce verbe est-il plus fort ou plus faible que : s'élancer ou se précipiter? Pourquoi Jean-Lou est-il soulagé à l'appel du haut-parleur? Quel passage comique relevez-vous dans ce texte?
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54 - LA RENTRÉE (suite) Les « nouveaux », à présent séparés de leurs parents, Jean-Lou oublie son impression d'être orphelin... mais autre chose le préoccupe. Tout à l'heure, en quittant la rue du Cheval-Rouge, il s'est juré de rester bouche cousue jusqu'à l'entrée en classe... à cause de son accent. Ses camarades apprendront bien assez tôt, au moment de l'appel, qu'il n'est pas Parisien comme eux. Alors, pour n'avoir pas à parler, il se tient à l'écart des petits groupes qui se sont spontanément formés. A vrai dire, sa tenue aussi l'ennuie un peu. Il a cru bien faire en endossant son complet du dimanche, en choisissant sa plus belle chemise et en arborant une cravate. Or, par ce temps frais et brumeux, cravates et chemises claires sont rares. Pour la plupart, ces garçons portent des chemises de couleur, des pull-over à col roulé, sous des vestes plus ou moins usagées... et beaucoup de pantalons sont loin d'avoir suivi la croissance de leurs propriétaires. En somme, à Montfaucon, Jean-Lou s'était fait une idée fausse des Parisiens qu'il croyait tous riches. Il se rend compte qu'au milieu de ces enfants d'ouvriers, c'est lui, le fils d'un simple pompiste, qui a l'air d'un petit bourgeois. Alors, à l'écart de la foule, discrètement, il dénoue la belle cravate de l'oncle Jean et la fourre dans sa poche. Soudain, aux quatre coins de l'immense lycée, retentit une sonnerie électrique. Après plusieurs annonces concernant les grandes classes, le haut parleur invite les élèves de sixième à se rassembler devant certain bâtiment, au fond de la cour. Une nouvelle ruée et une série de bousculades entraînent JeanLou avec le troupeau. Perché sur un perron, un surveillant s'égosille et gesticule pour désigner des emplacements : - 6° Bi... 6e 62... 6e B}... 6e 64... — Et moi? se demande Jean-Lou en regardant son papier. Mais l'énumération n'est pas terminée. - 6e Ai... 6e A2... 6e A3... C'est pour lui ! Ah ! voilà donc l'explication des signes cabalistiques. Ils désignaient les classes! Jean-Lou se dirige vers l'endroit indiqué... en s'arrangeant pour rester un peu en arrière des élèves qui, désormais, seront ses compagnons. Parmi eux, deux petits mulâtres aux cheveux crépus ne sont pas plus Parisiens que lui. Personne ne songe à se moquer d'eux. En est-il rassuré pour autant? Non, il pense toujours à son accent.
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Sitôt les élèves rangés, un professeur apparaît à la tête de la double file, un jeune professeur d'une trentaine d'années, pas davantage et qui porte une abondante chevelure noire. — Il paraît que c'est notre « prof » de latin, dit une voix, devant JeanLou. Sans perdre de temps, le jeune professeur fait signe à ses élèves d'entrer. Toujours bon dernier, Jean-Lou pénètre dans une classe. Il s'assied à une table, au hasard, à côté d'un grand garçon aux cheveux couleur de paille et aux yeux bleu pâle qui le dépasse de tout une tête. — Moi, je redouble ma sixième, déclare, sans plus de façon, celui-ci à Jean-Lou. J'étais déjà ici l'an dernier... mais pas avec ce « prof»; il n'était pas au lycée... Et toi, tu es nouveau? Jean-Lou se contente de répondre par un signe de tête. Pourtant, tout à l'heure, au moment de l'appel, il sera bien obligé de faire entendre sa voix. A peine arrivé à son estrade, le professeur s'arrête sur une marche et, souriant, souhaite la bienvenue à ses nouveaux élèves. Stupeur! Jean-Lou n'en croit pas ses oreilles!... Son professeur de latin parle avec l'accent méridional, un accent si prononcé, si chantant, qu'on le dirait débarqué le matin même d'Avignon ou de Carpentras. — Chic! fait le garçon aux cheveux couleur de paille, j'aime bien les gens du Midi. Ils sont plus gais que les Parisiens... et à toi, il te plaît? Alors, délivré de sa hantise, comprenant soudain qu'il s'est sottement monté la tête, Jean-Lou se penche vers son camarade et lui glisse en souriant : — Moi aussi, je viens du Midi!...
LES MOTS S'égosille. Crie très fort, à s'en abîmer le gosier, c'est-à-dire la gorge. Cabalistiques. Au sens propre : qui ont rapport à la cabale, à la magie. Ici, signes mystérieux. Mulâtres. Enfants dont l'un des parents est de race blanche et l'autre de race noire. Crépus. Frisés d'une façon très serrée, en très courtes bouclettes.
AVONS-NOUS COMPRIS? Traduisez autrement cette phrase : beaucoup de pantalons... propriétaire. Quel était le sens du mot bourgeois au Moyen Age? Quel est son sens actuel? Nous avons déjà vu le mot hantise. Employez-le dans une phrase. Quelle impression vous fait cette grande école ? Quand vous entrerez au lycée, à votre tour, aimeriez-vous un semblable établissement?
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55 - DES DÉBUTS DIFFICILES Les premiers jours, Jean-Lou se trouva tout dérouté, au lycée, malgré la gentillesse de ses camarades qui, loin d'ironiser sur son accent, enviaient plutôt son origine méridionale. Non, ce qui le désorientait, c'était le lycée lui-même, la façon dont on y donnait l'enseignement. A Montfaucon comme à Tourette, il n'avait jamais eu qu'un seul maître qu'il retrouvait chaque jour pendant six heures, un maître qui apprenait vite à connaître ses élèves, savait encourager les timides, stimuler les paresseux, rabattre le caquet des vantards et au besoin, comme cela arrivait à M. Sahune, consoler d'un gros chagrin. Au lycée de Bobigny, Jean-Lou et ses quarante et un camarades, avaient sept professeurs qui se relayaient d'heure en heure et enseignaient aussi d'autres classes. Certains étaient très sympathiques, comme les professeurs de latin et d'histoire, d'autre moins. De toute façon, au bout de trois semaines, ni les uns ni les autres n'avaient encore fait vraiment connaissance avec leurs disciples. JeanLou souffrait de cette atmosphère si différente de celle de l'école primaire où l'instituteur joue un rôle paternel. Bien sûr, il n'était pas seul à éprouver le sentiment d'être livré à lui-même; cela ne le consolait qu'à demi. Le travail, non plus, ne s'organisait pas de la même façon. A Tourette, M. Sahune indiquait, chaque soir, les leçons et exercices pour le lendemain. Ici, les devoirs, consignés sur un cahier spécial appelé cahier de textes, étaient donnés une semaine, voire quinze jours à l'avance. Il fallait donc répartir convenablement son travail afin d'éviter les soirées trop chargées qui obligeraient à des veilles prolongées. — Bien sûr, se disait Jean-Lou, nous ne sommes plus de petits garçons, nous devons savoir nous arranger. Tout de même, on ne s'occupe guère de nous. Par contre, certaines de ses appréhensions étaient tombées d'un seul coup. Le latin et l'anglais, jugés par avance rébarbatifs, se révélaient presque amusants... plus que le calcul (pardon, les mathématiques!) assez différentes de ce qu'il imaginait. Ainsi, depuis trois semaines, Jean-Lou essayait, avec beaucoup de bonne volonté, de s'adapter à cette nouvelle vie. Ce n'était pas toujours facile. Elle bouleversait trop ses habitudes de petit campagnard. Pendant les heures de cours, pris par le travail, il ne se jugeait guère différent de ses camarades
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mais le soir, après le dîner, quand il se retrouvait dans sa chambre à côté de Bruno déjà endormi, toutes sortes d'idées lui traversaient l'esprit. Ses premières pensées étaient toujours pour sa mère dont il ne recevait des nouvelles que par l'intermédiaire de papa Plantevin puisqu'elle ne pouvait encore se servir de ses doigts pour écrire. Papa Plantevin avait beau assurer qu'elle allait mieux et commençait à se lever, il demeurait inquiet. Il lui semblait que l'accident remontait à trois ou quatre mois, au moins, et que, plus jamais, la famille ne se retrouverait réunie comme à Tourette. Alors, il se laissait aller à pleurer doucement, sans bruit, mais au bout d'un moment il se raidissait, se reprochant ces larmes qui n'étaient plus de son âge. — Non, se disait-il, j'ai tort de me plaindre. Maman est plus malheureuse que moi... et papa aussi. De toute façon, si je n'étais pas venu à Bobigny, je serais en pension, à Orange; je ne rentrerais chez moi qu'une fois par semaine. Ici, mon oncle et ma tante me gâtent comme mes parents... et puis, j'ai Suzy. Je peux la voir chaque dimanche, nous passons ensemble tout l'après-midi. Et, emporté contre lui-même, il se jugeait durement. — Un vilain petit égoïste, voilà ce que je suis. Alors, pour retrouver le calme, il prenait une feuille de papier, un crayon et écrivait une longue lettre à sa mère, une lettre où il ne disait rien de tout ce qui l'attristait mais parlait de son travail, de ses camarades, de sa tante qui avait fait un gros gâteau pour l'anniversaire de Bruno et, bien sûr, de sa chère Suzy. LES MOTS Ironiser. Plaisanter d'un façon un peu moqueuse. Stimuler. Exciter, donner de l'énergie. Caquet. Au sens propre : cri de la poule qui va pondre. Au sens figuré : bavardage incessant et sans intérêt. Disciple. Celui qui étudie sous la direction d'un maître. Élève. Voire. Adverbe qui signifie : vraiment, même. N'a aucun rapport avec le verbe voir. Rébarbatifs. Rebutants, peu engageants, qui manquent d'attrait. Qui répugnent.
AVONS-NOUS COMPRIS? Nous avons déjà vu l'expression : être dérouté. Que signifie-t-elle? D'après le texte que signifie : devoirs consignés sur un cahier? Pourquoi cette rectification de l'auteur... pardon, les mathématiques? Jean-Lou se juge égoïste. L'est-il vraiment? Demandez à vos anciens camarades qui ont quitté l'école primaire pour le collège ou le lycée s'ils ont eu. au début, les mêmes réactions que Jean-Lou.
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56 - LES RENDEZ-VOUS DU DIMANCHE Ainsi, chaque dimanche, Jean-Lou allait voir Suzy. Il partait assez tôt le matin, pour arriver à la place Daumesnil vers dix heures. Quand le temps n'était ni trop froid, ni trop humide, Suzy prenait plaisir à venir l'attendre devant la bouche de métro et ils montaient la rue Claude-Jorand en devisant. Que de chose à se dire après une longue semaine ! Naturellement, Jean-Lou parlait surtout de son lycée, de ses professeurs, de ses camarades et plus particulièrement d'un petit Algérien nommé Mohamed Sabou qu'il estimait plus malheureux que lui et prenait sous sa protection. Puis, quand l'ascenseur n'était pas en panne, ils montaient directement au quatrième sous le regard curieux de la concierge, une brave femme, pourtant, d'après Suzy. Jean-Lou trouvait M. Sauthier, dans la salle de séjour, parcourant les journaux et revues qu'il n'avait pas eu le temps de lire pendant la semaine, et Mme Sauthier dans sa minuscule cuisine où elle n'avait qu'un pas à faire pour aller du fourneau à l'évier ou aux placards. Les parents de Suzy, eux aussi passés par le lycée, autrefois, ne s'étonnaient pas du désarroi de Jean-Lou. Comprenant mieux ses difficultés que l'oncle et la tante de Bobigny qui n'avaient pas eu la chance de poursuivre leurs études, ils le rassuraient, l'encourageaient, l'aidaient aussi parfois à trouver la solution d'un problème d'arithmétique resté en panne, ou à traduire une perfide phrase de latin.
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Ensuite, on passait à table et, au dessert M. Sauthier demandait : - Alors, mes enfants, que décidez-vous pour cet après-midi? En général, Suzy choisissait le but de la promenade. Jean-Lou ne manifestait aucune préférence. Tout était nouveau, pour lui. Par conséquent, tout l'intéressait. Le premier dimanche, Suzy l'avait emmené au Bois de Vincennes tout proche, visiter le parc zoologique. Ils s'y étaient rendus à pied... avec une bonne provision de pain et de cacahuètes pour jeter aux animaux. Le dimanche suivant, M. Sauthier les avait conduits à la Tour Eiffel. En vraie petite Parisienne, Suzy n'y était jamais montée... et en vrai petit provincial, Jean-Lou rêvait d'en faire l'ascension. Malheureusement, ce jour-là, comme beaucoup d'autres de ce mois d'octobre, un ciel gris et brumeux recouvrait la capitale. Lorsque l'ascenseur les avait déposés au sommet de l'imposante tour métallique, ils s'étaient trouvés dans les nuages et n'avaient rien vu de Paris. Mme Sauthier les accompagnait rarement dans ces promenades et JeanLou s'en étonnait un peu. Toujours scrupuleux, il demanda un jour à Suzy s'il ne dérangeait pas sa maman en venant ainsi, chaque dimanche, rue Claude-Jorand. — Au contraire, répondit Suzy, elle t'aime beaucoup et tu la distrais. Mais maman n'a pas une très bonne santé. Tu l'as vu, cet été, en Espagne. L'air de la Méditerranée ne lui réussissait pas... celui de Paris non plus, à cause du bruit et du ciel gris. Un docteur lui a conseillé d'aller vivre en province, dans le Midi de préférence, mais pas au bord de la mer. - Oui, soupira Jean-Lou, ce n'est que le mois d'octobre et on se croirait déjà en hiver. Dans sa lettre d'hier, papa me disait que k soleil était si chaud encore, à Montfaucon, qu'il avait travaillé toute la journée en bras de chemise... Le ciel est-il toujours aussi gris, à Paris, en automne? — Pas toujours, mais souvent, à cause des usines, des autos et des centaines de milliers de cheminées. — Et en plein hiver, il fait très froid? — Cela arrive... mais tu verras comme Paris est beau, en décembre, à l'approche de Noël, quand les grands magasins illuminent leurs vitrines. Tu n'en croiras pas tes yeux. Pendant les vacances de fin d'année, je t'emmènerai les voir et puis... et puis... Elle s'arrêta, embarrassée et rougit. - Et puis? répéta Jean-Lou. - J'ai eu la langue trop longue! Tant pis, je peux bien te le dire.
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Nous voulions te faire une surprise, maman et moi. Tu viendras réveillonner chez nous. Pour que tu ne sois pas obligé de se rentrer à Bobigny dans la nuit, tu coucheras sur le divan de la salle de séjour. — Oh! Suzy, tu as déjà pensé à Noël! Chez nous aussi, en Provence, c'est une grande fête.
LES MOTS En devisant. En bavardant tranquillement, familièrement. Perfide. Qui trahit, qui manque à sa parole. Une phrase perfide de latin est une phrase d'apparence facile et qui cache des difficultés. Scrupuleux. Être scrupuleux c'est avoir constamment peur de mal faire ou de ne pas bien faire ce qu'on doit exécuter.
AVONS-NOUS COMPRIS? D'après le texte expliquez le sens du mot « désarroi ». Qu'est-ce qu'un monument « imposant»? Que signifie l'expression : avoir la langue trop longue? Dans le chapitre précédent, nous avons vu que Jean-Lou s'accusait d'être égoïste. Quel court passage, dans le présent texte, prouve le contraire?
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57 - UN JOUR DE NOVEMBRE Finalement, Jean-Lou s'était bien adapté au rythme du lycée. Le résultat des premières compositions s'annonçait prometteur. S'il n'obtenait qu'une neuvième place en mathématiques, avec une note simplement moyenne, par contre il était quatrième en anglais et second en latin. Pour un débuts compte tenu du dépaysement, M. et Mme Sauthier considéraient ces résultats comme encourageants. Par ailleurs, Jean-Lou recevait de meilleures nouvelles de maman Plantevin qui, à présent, pouvait se servir de ses doigts et lui écrire. Depuis deux semaines, elle avait quitté le pavillon des grands brûlés et suivait un traitement compliqué de réadaptation pour ses jambes. « Les brûlures n'ont laissé aucune trace sur mon visage, disait-elle dans sa dernière lettre. Les cicatrices, sur mes bras et mes mains s'effacent peu à peu. Quant aux autres, Dieu merci, mes vêtements les dissimuleront. » Et elle ajoutait : « J'espérais rentrer chez nous pour Noël, il faut que je me fasse une raison. Pourtant, ton papa commence à s'ennuyer, tout seul. Depuis le ralentissement de la circulation sur la grande route, il est moins distrait par le travail. Par contre, je suis heureuse, mon petit Jean-Lou de te savoir bien habitué à Bobigny, et te félicite pour tes bonnes notes dans ta grande école. Ne souffrestu pas trop du froid ? J'ai appris, par le journal, la chute de quelques flocons de neige sur Paris. Je suis également très contente que Bruno continue d'être sage, et ne donne pas trop de souci à ta tante. L'accident lui a servi de leçon. » Ainsi, les longues lettres de sa mère, les agréables visites du dimanche à Suzy, aidaient beaucoup Jean-Lou. On approchait de la mi-novembre. Il avait l'impression d'apercevoir le jour au bout du long tunnel de la séparation. Dans trois ou quatre mois, tout au plus, il rentrerait chez lui sans quitter Suzy pour longtemps, puisqu'ils avaient formé le projet de se retrouver aux grandes vacances. Eh ! bien non, cette paix ne serait qu'une trêve éphémère. Brusquement, l'ordre des choses serait encore bouleversé. L'avant dernier dimanche de novembre, comme d'habitude, Jean-Lou avait quitté Bobigny assez tôt pour arriver place Daumesnil à 10 heures. La veille, un professeur avait rendu une composition et il se réjouissait d'annoncer à Suzy une magnifique première place en français. Sur le coup
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il fut un peu déçu de ne pas trouver sa camarade devant la bouche du métro. Mais, le temps était maussade, humide et, la semaine précédente, Suzy souffrait d'un léger rhume. Avait-elle le grippe? Il remonta la rue Claude-Jorand en courant, bondit dans l'ascenseur (il trouvait, à présent, ces appareils très amusants) et sonna à la porte du quatrième. Ce fut Suzy qui lui ouvrit. Elle ne paraissait pas grippée. Cependant, à son sourire contraint^ il devina qu'il s'était passé quelque chose d'anormal chez M. et Mme Sauthier, depuis l'autre dimanche. D'ailleurs, M. Sauthier ne se trouvait pas, comme d'habitude, dans la salle de séjour, occupé à lire ses journaux. — Ton papa serait-il malade? fit-il tout de suite. — Non, pas malade... en voyage... pour ses affaires... il ne rentrera pas avant demain ou après demain. L'explication un peu réticente de Suzy inquiéta Jean-Lou. Soudain, des larmes brillèrent dans les yeux de Suzy qui courut dans la cuisine chercher sa mère. — Viens, maman, explique à Jean-Lou... Mme Sauthier parut, elle aussi, embarrassée.
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— Écoute, Jean-Lou, mieux vaut te dire tout de suite... Le papa de Suzy est parti à Grenoble. Nous allons sans doute quitter Paris. Jean-Lou se sentit pâlir. Il regarda Suzy. — Tu... tu vas partir? — Oui, reprit Mme Sauthier, depuis un certain temps nous songions à quitter cette grande ville où la vie est si pénible. On offre à mon mari une très intéressante situation, à Grenoble. Il est parti jeudi voir sur place. Hier soir, il nous a téléphoné. L'affaire est pour ainsi dire conclue. Il ne lui reste plus qu'à trouver une maison, en dehors de la ville, ou plutôt une villa avec jardin pour que nous soyons presque à la campagne. Il pense la trouver rapidement. — Et quand partirez-vous? demanda Jean-Lou d'une voix éteinte. Bientôt? — Oui, bientôt. — Avant Noël? — Probablement. Jean-Lou ne demanda plus rien et baissa la tête. La petite clarté aperçue au bout du tunnel venait brusquement de s'éteindre.
LES MOTS Trêve. Au sens propre : arrêt de la guerre entre des combattants. Au sens plus large : arrêt limité, en durée, d'événements pénibles ou de soucis. Éphémère. Qui dure très peu de temps. (Un éphémère est un insecte dont la durée de la vie ne dépasse pas un jour ou deux.) Contraint. Un sourire forcé qui contracte les traits.
Réticente, Des paroles réticentes sont des paroles dites comme à regret mais qui laissent percer la vérité. AVONS-NOUS COMPRIS? Expliquez la comparaison de la séparation avec un tunnel. Pourquoi au lieu de répondre Suzy va-telle chercher sa mère? Pourquoi aussi n'était-elle pas allée chercher Jean-Lou?
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58 - " SOUS LES OLIVIERS Pour Suzy comme pour Jean-Lou, les derniers dimanches furent assombris par ridée que, précisément, c'étaient les derniers. En effet, la chose était certaine, les Sauthier se fixaient à Grenoble. Le père de Suzy, rentré satisfait de là-bas, avait trouvé, dans la proche banlieue, une confortable villa bien exposée, entourée d'un grand jardin d'où on jouissait d'une vue magnifique sur les montagnes enneigées. Il avait pris plusieurs clichés de l'habitation pour les montrer à sa femme qui était enchantée, Suzy, elle, demeurait partagée, à cause de Jean-Lou. Cependant, la perspective de posséder un jardin où elle sèmerait de l'herbe et des fleurs, celle de faire du ski dans les stations de sports d'hiver toutes proches, la grisaient un peu. Dans cette atmosphère de départ, de rangements, de projets, Jean-Lou se sentait de nouveau étranger. Il comprenait mal, chez la petite Parisienne, prisonnière d'un étroit appartement, l'attrait des grands espaces. La joie de Suzy le surprenait, le peinait. Il revivait un peu son arrivée en Espagne quand il s'imaginait, à cause de la présence de Gil, que Suzy n'avait plus besoin de lui. Ainsi, puisqu'elle ne pensait qu'à son départ, il souhaitait, amèrement, voir arriver la séparation au plus vite. Ce souhait (s'il était sincère, ce que Jean-Lou, honnêtement, n'aurait pu affirmer), ne tarda pas à se réaliser. Sur l'insistance de l'importante entreprise qui sollicitait ses services, M. Sauthier quitta Paris dès le 10 décembre, laissant à sa femme et à sa fille les soins du déménagement qui aurait lieu une semaine plus tard, le dix-sept. La grosse voiture chargée du mobilier devait quitter la rue Claude-Jorand dans le courant de l'après-midi. Suzy et sa mère, elles, prendraient un train du soir et voyageraient toute la nuit. - Si tu n'as pas peur de rentrer tard à Bobigny, avait dit Suzy à Jean-Lou, nous serions contentes que tu nous accompagnes jusqu'à la gare. Ce jour-là, donc, son dernier cours fini, Jean-Lou courut déposer son cartable rue du Cheval-Rouge pour prendre l'autobus. Il arriva place Daumesnil vers six heures. Mme Sauthier et Suzy l'attendaient dans l'appartement vide. Sur le coup, il regretta presque d'être venu. La vue de ces pièces nues, témoins de si beaux dimanches, lui fit mal... d'autant plus mal que Suzy, elle, préoccupée par le voyage, paraissait déjà détachée de sa maison. Heureusement, ils ne s'attardèrent pas. Il était temps de gagner la
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gare de Lyon. Les voyageuses et Jean-Lou devaient dîner, à proximité. Ils pénétrèrent dans un petit restaurant qui avait pour enseigne : « Sous les Oliviers » et offrait toutes sortes de spécialités provençales. Jean-Lou comprit qu'ils n'étaient pas venus là par hasard. — Oh ! Mme Sauthier, dit-il confus, vous avez choisi ce restaurant pour moi, pour me rappeler mon pays. Mme Sauthier sourit. — Non, Jean-Lou, je n'y suis pour rien. Cette heureuse idée vient de Suzy. Jean-Lou rougit et regarda sa camarade. Ainsi, malgré ses préoccupations, elle avait pensé à lui offrir ce dernier petit plaisir. Le restaurant était accueillant. Sur les murs, des peintures représentaient une forêt d'oliviers avec des femmes en costume d'Arlésiennes. Le patron, et plus encore la patronne, parlaient avec l'authentique accent de là-bas. Jean-Lou se crut soudain revenu chez lui. Son chagrin lui parut stupide. Bien sûr, pendant deux ou trois mois encore, il s'ennuierait à Bobigny, mais ensuite il serait bien content de savoir Suzy beaucoup plus proche de lui. Le Dauphiné touche à la Provence. Ils se retrouveraient facilement, peut-être à toutes les vacances. Et puis, Mme Sauthier l'avait dit, la villa était grande. Elle pourrait l'y recevoir, comme à Porta de Mar. Pourquoi n'avait-il vu que l'immédiate séparation, sans penser à la compensation qui suivrait ? Pourquoi accuser Suzy d'indifférence puisque, jusqu'au dernier moment, elle avait voulu lui faire plaisir.
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Alors, au sortir du restaurant, en accompagnant Suzy et sa mère à la gare, il mit son point d'honneur à ne pas gâcher leur voyage en montrant un air morose. Sur le quai, pendant les minutes qui précédèrent le départ, il bavarda joyeusement, faisant avec sa camarade toutes sortes de projets pour plus tard. Puis, quand le train s'ébranla, il serra une dernière fois sa main en lançant : — A bientôt, Suzy!... A bientôt!... AVONS-NOUS COMPRIS? LES MOTS Perspective. Au sens propre : aspect que présentent les objets, du lieu où on se trouve Au sens figuré, comme dans le texte : Espérance (ou crainte) d'une chose qui arrivera plus tard. Sollicitait. Qui demandait avec insistance. Authentique. Véritable, qui n'est pas simplement imité. Air morose. Air triste, chagrin, ennuyé.
Au début du texte, le mot « assombris » est-il employé au sens propre? Que signifie-t-il? Suzy était partagée. Qu'entendez-vous par la? Jean-Lou désirait-il réellement voir Suzy partir te plus vite possible? (Un adverbe du texte l'indique). Qu'est-ce qu'une «compensation»? Faites une phrase dans laquelle vous introduirez l'expression : « mettre son point d'honneur ».
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59 - NOËL A BOBIGNY Les jours qui suivirent le départ de Suzy, Jean-Lou fit un gros effort pour se montrer raisonnable, comme il disait. Hélas, le temps vient à bout de tout, des pires chagrins comme des plus ardentes résolutions. Peu à peu, son courage s'effritait. Au lieu de le réjouir, la première lettre de Suzy, reçue au tout début des vacances, lui laissa une étrange impression. Sans doute, Suzy parlait-elle des difficultés d'installation dans sa nouvelle maison, trouvée glaciale en arrivant, avec une conduite d'eau gelée, de sa petite déception en ce qui concernait le jardin, moins grand qu'elle l'espérait et en friche ; il retint surtout que sa camarade faisait état de la belle vue sur les montagnes blanches et du ciel clair, sans fumée, presque aussi limpide qu'à Porta de Mar. « Mon cher Jean-Lou, terminait Suzy, tu peux me croire, l'aménagement d'une nouvelle maison n'est pas une petite affaire. Maman et moi, nous n'aurons pas le temps de nous ennuyer pendant les vacances. » S'ennuyer! Voilà justement ce que Jean-Lou redoutait le plus. Sans son travail de classe, sans camarades, sans Suzy, ces vacances seraient vides. Il aurait voulu s'endormir d'un profond sommeil pour ne s'éveiller que le jour de la rentrée. Il pensait avec nostalgie aux Noëls de Tourette, au fameux « jour de l'arbre >> comme on disait là-bas. Le dimanche précédant Noël, les gens du village, jeunes et vieux, grimpaient en bande sur la montagne pour couper les sapins et les entasser sur une charrette qu'au retour on suivait en chantant et farandolant, Certes, chez la tante Emilie, il y aurait aussi un sapin de Noël, mais un sapin anonyme, acheté sur le marché de Bobigny par l'oncle Jean un arbuste coupé on ne sait où, en quelque sorte étranger. Ainsi, Jean-Lou souhaitait qu'il n'y eût pas de Noël cette année-là. Pourtant, la tante Emilie, heureuse d'être entourée d'enfants, comme au temps où les siens vivaient à la maison, avait prévu une gentille fête de famille. La veille du grand jour, après le repas du soir, on illumina le sapin, dressé dans un coin de la cuisine et tante Emilie retrouva dans sa mémoire de vieux Noëls provençaux, qu'elle chanta d'une voix émue et hésitante. Le lendemain matin, Jean-Lou et Bruno découvrirent non pas dans la cheminée (il n'y en avait pas) mais au pied de leur lit, près de leurs chaussures, toutes sortes de cadeaux... et parmi ces cadeaux, une lettre de maman,
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spécialement écrite pour ce jour, adressée secrètement à la tante Emilie, pour qu'elle la dépose dans le soulier de Jean-Lou. Plus que les beaux livres qui lui étaient destinés, la lettre émut beaucoup Jean-Lou. Pourtant, cette lettre ne contenait rien de triste, au contraire. Maman exprimait sa confiance en des jours meilleurs et se réjouissait, par avance, du Noël suivant où, après les rudes épreuves, tous quatre sauraient goûter, mieux que les années passées, le bonheur d'être réunis. Chère maman! et cher papa aussi qui, lors de sa dernière visite à Lyon avait ajouté un mot à la longue lettre. Tous deux avaient voulu, par des cadeaux presque somptueux, faire oublier à leurs enfants, que ce Noël n'était pas comme les autres. Pourtant, Jean-Lou le savait, l'accident avait creusé un grand trou dans les économies de ses parents. Les voyages répétés de papa Plantevin à Lyon revenaient cher. La lettre lue et relue, soigneusement repliée, tandis que l'insouciant Bruno s'amusait avec le jeu de constructions trouvé au pied de son lit, Jean-Lou feuilleta les trop beaux livres découverts près du sien. L'un d'eux était un récit d'aventure, illustré de lumineuses photos en couleurs, dont l'action se situait en Afrique du Nord. Brusquement, il pensa à son camarade de classe, Mohamed Sabou, dont les parents vivaient dans un misérable quartier de Bobigny, presque un bidonville. Boubou, comme on appelait familièrement le petit Algérien au lycée, n'avait peut-être rien reçu lui; pour les petits musulmans, Noël est un jour comme les autres. Pourtant Boubou savait ses camarades heureux, aujourd'hui; il en souffrait sans doute. — Cet après-midi, décida Jean-Lou, j'irai le voir et lui ferai cadeau de ce livre. Je suis sûr que maman ne m'en voudra pas...
LES MOTS S'effritait. S'en allait par petits morceaux, comme une pierre perd des particules, par le frottement par exemple. En friche. A l'abandon, ne laissant pousser que de mauvaises herbes. Farandolant. Faisant la farandole, c'est-àdire, courant en file, la main dans la main. Anonyme. Qui n'a pas de nom ou qui cache son nom. Dont on ne connaît pas l'origine.
Somptueux. Très beau, très luxueux. Bidonville. Mot qui désigne des quartiers où les maisons ne sont que des cabanes, des abris faits avec n'importe quels matériaux, dans les banlieues pauvres de grandes villes. AVONS-NOUS COMPRIS? Que signifie l'expression : faire état. Traduisez-la dans la phrase du texte. Pourquoi Jean-Lou dit-il : tes trop beaux /ivres. Que savez-vous de la religion musulmane?
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60 - NOËL A BOBIGNY (suite) Le beau livre bien enveloppé sous son bras, Jean-Lou quitta la rue du Cheval-Rouge dès le début de l'après-midi. Sous le ciel bas, triste et froid, il releva le col de son manteau. Personne dans les rues. Jamais, il n'avait vu Bobigny aussi désert. Après avoir réveillonné toute la nuit, les gens se terraient chez eux, au coin du feu. Jean-Lou n'était entré qu'une fois chez le petit Algérien, lorsque celui-ci, souffrant d'un abcès dentaire, avait manqué les cours plusieurs jours. Inquiet, il était allé prendre de ses nouvelles et lui proposer, le cas échéant, de lui prêter ses cahiers. Boubou était, en effet, son meilleur camarade, non seulement parce que le petit Algérien travaillait bien en classe (il avait été second à la composition de mathématiques et troisième en géographie) mais parce que leur sentiment d'être tous deux un peu différents des autres les rapprochait. Cette visite l'avait frappé. La maison de tante Emilie était presque un château à côté de celle de Boubou qui vivait avec ses parents et ses deux petites sœurs, au fond d'une cour, dans un ancien garage couvert de tôle ondulée, sommairement aménagé en habitation. Le père du petit lycéen, homme pourtant honnête et courageux, ne percevait qu'un maigre salaire. Employé à la voirie de Bobigny... autrement dit à l'enlèvement des ordures ménagères, son instruction rudimentaire, sa difficulté à parler un français correct, ne lui permettait guère, malgré son intelligence, d'améliorer sa situation. Aussi, avait-il juré de faire de son fils un « monsieur », comme il
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disait et, plein d'ambition justifiée, il n'avait pas hésité à le faire inscrire au lycée. Quand Jean-Lou arriva chez son camarade, à l'autre bout de la ville, dans le plus laid quartier de Bobigny, toute la famille se trouvait dans la cuisine, où faute de place, couchait aussi Boubou puisque l'ancien garage, partagé par une cloison, ne comptait que deux pièces. Boubou, qui s'ennuyait, commençait une partie de jeu de dames avec son père, tandis que la mère se chauffait devant le poêle, ses deux petites filles, âgées de trois et quatre ans, sur les genoux. L'arrivée de Jean-Lou fut une surprise. — Oh! s'écria Boubou en abandonnant sa partie, tu es venu me voir?... un jour de fête? — Je pensais que tu t'ennuyais... et puis, ce matin, j'ai reçu quelques
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livres de mes parents. En ouvrant celui-ci, j'ai tout de suite pensé à toi... Je te l'apporte. Des larmes brillèrent dans les yeux du petit Algérien. Plus que le cadeau du livre, le fait que son camarade avait traversé la ville, pour lui, alors que toute le monde restait chez soi, en famille, le bouleversa. Il lui prit les mains, les serra très fort, puis feuilleta le livre et ses parents se penchèrent, extasiés, sur les lumineuses photos qui évoquaient leur pays. Alors, Boubou se tourna vers sa mère, lui parla très vite, en arabe. Mme Sabou, acquiesça de la tête en souriant, se dirigea vers un placard, prépara du thé, et ouvrit un paquet de biscuits. Quelques instants plus tard, tout le monde était réuni autour de la table et on se mit à bavarder, Boubou traduisant à sa mère ce qu'elle ne comprenait pas.
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Il faisait bon dans la cuisine surchauffée par le vieux poêle qui laissait passer son tuyau à travers le toit de tôle. La chaleur, seul luxe que se permettaient ces exilés, leur rappelait leur Algérie. Jean-Lou, heureux, sentait tout le plaisir apporté par sa visite et n'était pas pressé de s'en aller. On regarda de nouveau les illustrations du livre et le père de Boubou se mit à parler de son pays, que Jean-Lou ne voyait pas très différent de sa Provence, un peu plus chaud seulement, et plus sec, mais pas plus coloré. Il ne s'aperçut pas que, depuis longtemps, Mme Sabou avait allumé la lampe, que dehors, il faisait nuit. Quand il regarda sa montre, celle-ci marquait plus de six heures. A regret, il se leva. L'Algérien et sa femme le remercièrent avec chaleur tandis que Boubou serrait très fort les mains de son camarade. Dans la nuit froide et humide, Jean-Lou reprit la direction de la rue du Cheval-Rouge, loin de se douter de ce qui allait lui arriver dans la traversée de la ville.
LES MOTS Se terraient. Se cachaient, comme des lapins dans un terrier. Le cas échéant. Au besoin, à l'occasion; si cela était nécessaire. Sommairement. Rapidement et grossièrement exécuté. Rudimentaire. Élémentaire, peu développée réduite aux rudiments c'est-à-dire aux premières notions apprises à. l'école. Justifiée. Qui est juste, raisonnable, normale.
Extasiés. Ravis, pleins d'admiration. Acquiesça. Approuva. AVONS-NOUS COMPRIS? Qu'est-ce qu'un salaire? D'où vient ce mot? Qu'entend le père de Boubou par Monsieur. Qu'est-ce qu'une pièce surchauffée? Que prouve le fait que Boubou accorde plus d'importance à la visite de Jean-Lou qu'au livre que celui-ci lui apporte? Pourquoi l'ambition du père de Boubou est-elle justifiée?
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61 - LE SOSIE DE PIBOULE Avec la tombée de la nuit, le froid devenait plus vif... si vif, que l'eau commençait de geler dans les rigoles. Les mains au fond des poches de son manteau, Jean-Lou allongea le pas. Pour rentrer plus vite chez tante Emilie, il s'engagea dans une petite rue qui semblait raccourcir le chemin. Soudain, il s'arrêta. Assis sur son train de derrière, ramassé sur lui-même, à cause du froid, un chien attendait devant une porte, un chien sans race, hirsute, qui rappela à Jean-Lou son cher Piboule dont il avait la taille, les mêmes taches jaunes disséminées sur le dos. S'il n'avait pas su son chien écrasé sur la route, Jean-Lou aurait juré que son fidèle Piboule avait traversé toute la France pour le rejoindre. Il ne résista pas au désir de le flatter. Apeuré, l'animal fit un écart. JeanLou pensa que, patiemment, il attendait devant la porte de ses maîtres que quelqu'un lui ouvre. Pris de pitié, il frappa à la porte de la maison. Un bonhomme aux sourcils broussailleux ouvrit. — Excusez-moi, Monsieur, ce chien attendait devant votre porte. Je suppose qu'il vous appartient. Il tremble de froid. Le bonhomme secoua la tête. — Non, je n'ai pas de chien. Celui-ci doit être perdu. Tout à l'heure, ma femme lui a jeté des restes, c'est pourquoi il ne cesse de quémander. Et la porte se referma. Jean-Lou regarda de nouveau l'animal qui se tenait à distance, l'oreille basse, la queue entre les pattes... et plus il le regardait, plus la ressemblance avec Piboule le frappait. Il s'en approcha, l'appela. Le chien battit de la queue, s'avança craintivement, l’échine basse, mais au moment où il étendait la main pour le toucher, l'animal s'esquiva, d'un bond de côté. — Il est peut-être maltraité, pensa Jean-Lou; on dirait qu'il a l'habitude de recevoir des coups. Et il se dit encore : — Bien sûr, tante Emilie ne peut pas le recueillir. Cependant, si je l'emmène à la maison, elle lui donnera à manger. Elle aura de bons restes aujourd'hui. Il tenta une nouvelle approche. Mis en confiance par sa voix rassurante, l'animal rampa jusqu'à ses pieds. Cependant, à l'ultime instant, il s'échappa encore. A ce moment-là, Jean-Lou aurait dû comprendre l'inutilité de son
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insistance. Ce fut plus fort que lui. Ce chien le fascinait. Dix fois, il recommença son manège, espérant, qu'à la longue, la pauvre bête s'apprivoiserait. Il ne s'aperçut pas que ces approches répétées l'entraînaient loin de son chemin. — Viens! viens, mon bon chien! appelait-il toujours. Finalement, il s'arrêta et, sans se méfier du froid, s'assit sur un trottoir, pensant que l'animal viendrait à lui. — Si j'avais quelque chose à lui donner, se dit-il, je suis sûr que la pauvre bête s'enhardirait. Dès que je l'aurais caressée, sa crainte tomberait... mais ce soir, le soir de Noël, je ne trouverai aucune boutique ouverte. Il soupira : — Tant pis, il faut que je rentre. Tante Emilie va s'inquiéter. A regret, il s'éloigna mais, en se retournant, il vit le chien le regarder d'un air si lamentable qu'il revint sur ses pas. Ne se rendant plus très bien compte de ce qu'il faisait, il se mit à suivre le sosie de Piboule de rue en rue, sans s'apercevoir non plus qu'il claquait des dents. Tout à coup, dans une petite rue mal éclairée, son pied glissa sur une plaque de glace. Il chancela, perdit l'équilibre, et tomba si lourdement, qu'étourdi, presque inconscient, il ne songea pas à se relever.
LES MOTS Sosie. Personne ayant une ressemblance frappante avec une autre. Hirsute, Hérissé, dont les poils se dressent en désordre. Échine. Arête du dos; colonne vertébrale. S'esquiva. S'esquiver : se sauver en s'efforçant de ne pas être vu.
AVONS-NOUS COMPRIS? Qu'entendez-vous par sourcils broussailleux? Trouvez un synonyme de quémander. Expliquez : à l'ultime instant. Qu'est-ce qu'un manège au sens propre? Quel sens a ce mot dans le texte. Quelles sont les deux raisons pour lesquelles Jean-Lou suit ce chien?
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62 - LE " PANIER A SALADE Jean-Lou ne s'évanouit pas, comme après sa baignade de Porta de Mar mais, étourdi par la chute, paralysé par le froid, il resta étendu sur le trottoir^Affolée, une passante courut chercher du secours au poste de police tout proche. Un agent aida Jean-Lou à se relever, mais l'enfant fut incapable d'expliquer ce qui lui était arrivé. Sa gorge, contractée par le froid n'émettait aucun son. Soutenu par l'agent, il gagna le poste de police où, sous l'effet de la chaleur, il retrouva l'usage de sa voix. Il dit son nom, donna l'adresse de son oncle, déclara qu'il venait de rendre visite à un camarade et qu'il avait glissé sur le trottoir. Puis, il demanda l'heure. Dans sa chute, sa montre s'était arrêtée. En apprenant qu'il était plus de neuf heures, il tressaillit. — Ne te tracasse pas, dit un agent, nous allons te reconduire chez toi. Pour le moment, réchauffe-toi, contre le radiateur.
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L'agent composa un numéro sur la cadran du téléphone. Quelques minutes plus tard, une voiture stoppa devant le bureau. En reconnaissant une fourgonnette noire de la police, une de ces voitures aux fenêtres grillagées qu'on appelle « paniers à salade », il prit peur et se vit arrivant rue du Cheval-Rouge entre deux uniformes, comme un malfaiteur. — Je ne ressens plus rien, dit-il vivement, je peux rentrer seul, à pied. — A pied?... Sais-tu où tu es?... à Aubervilliers. Aubervilliers ! Ses yeux s'agrandirent de stupeur. Il avait donc fait tant de chemin en suivant le chien jaune?... tant de chemin dans la direction opposée à Bobigny? Alors, bon gré mal gré, il monta dans la voiture cellulaire., mais à côté du chauffeur sur le siège avant. — Tant de chemin, se redisait-il en frottant la grosse bosse à son front, j'avais fait tant de chemin sans m'en apercevoir!... Un quart d'heure plus tard, il arrivait à Bobigny où l'agent-chauffeur, un brave homme qui avait un garçon de cet âge l'accompagna au deuxième étage. — Ciel! s'écria la tante Emilie, en voyant entrer son neveu, aux côtés d'un policier. Que lui est-il arrivé? — Rien de grave, dit l'agent; il a fait une chute dans la rue. Je crois surtout qu'il a pris froid.
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— C'est vrai, mon petit Jean-Lou, s'exclama tante Emilie, tu trembles de la tête aux pieds. Si tu savais comme j'étais inquiète! Je vais te faire une tisane bien chaude et tu te coucheras aussitôt. L'agent reparti, la tisane bue, il se laissa déshabiller et mettre au Ut. Cependant, même avec une bouillotte à ses pieds, il continuait de claquer des dents. — Ce n'est rien, tante Emilie, ne cessait-il de répéter; ce n'est rien. — Dis-moi, Jean-Lou! Que faisais-tu, si loin de Bobigny? L'agent a dit qu'on t'a retrouvé à Aubervilliers, à plus de cinq kilomètres d'ici. — Je m'étais perdu en suivant un chien... un chien avec des taches jaunes, tout à fait Piboule. Il ne paraissait pas très bien savoir ce qu'il disait. La tante n'insista pas. Enfin, au bout d'une demi-heure, la douce chaleur du lit eut raison de ses frissons. Tandis que, dans le lit voisin, profondément endormi, Bruno ne se rendait compte de rien, tante Emilie resta un long moment à son chevet. Puis, quand il fut endormi à son tour, elle se retira discrètement dans la cuisine pour attendre le retour de son mari, de service ce soir-là. Mais à peine le sommeil l'avait-il pris que les rêves les plus extravagants défilèrent dans la tête de Jean-Lou. Des chiens ! il voyait des chiens partout, des chiens jaunes, efflanqués, affamés, qui l'entouraient, lui réclamaient à manger. Il fouillait ses poches pour y puiser de la nourriture mais ses mains se raidissaient, il ne pouvait les retirer. Il était au supplice. Il s'éveilla, le lendemain matin, en nage. Il lui sembla que tout son corps se transformait en eau. Inquiète, tante Emilie l'obligea, contre son gré, à prendre sa température. La pauvre femme s'affola en voyant le thermomètre dépasser trente-neuf degrés. Malgré les protestations de Jean-Lou, elle décida de faire venir un médecin.
LES MOTS AVONS-NOUS COMPRIS? Voiture cellulaire. Voiture aménagée pour servir de cellule c'est-à-dire de prison et utilisée pour le transport des malfaiteurs arrêtés par la police. Extravagants. Bizarres, extraordinaires, qui tiennent un peu de la folie. Efflanqués. Dont les flancs, c'est-à-dire les côtés, sont creux, décharnés. Très maigres.
Qu'est-ce qu'un uniforme? Décomposez ce mot pour l'expliquer. Pour quelles raisons Jean-Lou ne veut-il pas se croire malade? Le rêve de Jean-Lou exprime un regret. Lequel?
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63-UN BIENFAIT N'EST JAMAIS PERDU Une grippe! C'était simplement une grippe, consécutive à un brusque refroidissement, mais si maligne que, durant trois jours, Jean-Lou demeura dans une sorte d’hébétude. Immobile sous ses couvertures, il ne pensait à rien, ne buvant que des tisanes et les remèdes ordonnés par le docteur. Puis, presque d'un seul coup, sous l'action des antibiotiques, la fièvre battit en retraite. Jean-Lou retrouva sa lucidité. Il fut navré des soucis stupidement occasionnés, par sa faute, à son oncle et à sa tante. Il pensa à ses parents, à sa mère. Si elle le savait malade, elle devait beaucoup s'inquiéter. — Tante Emilie, demanda-t-il, je ne sais plus très bien ce qui s'est passé pendant ces trois jours. J'espère que tu n'as pas écrit à maman ? — Non. De loin, elle se serait fait de cette grippe une montagne. J'attendais que ta fièvre tombe... Il vaudrait d'ailleurs mieux que tu lui écrives toi-même, dès que tu en seras capable. — Merci, tante Emilie, tu as bien fait. Je lui parlerai d'un petit rhume de rien du tout. Voyant la fièvre tomber, il s'était cru guéri. Il s'aperçut que cette maladie sans gravité avait tout de même miné ses forces. Dès qu'il essayait de se lever, il était pris de vertiges. Il devrait rester encore une semaine au lit, ainsi que l'avait dit le docteur. Une semaine sans autre horizon que le grand mur, devant la fenêtre de sa chambre! En verrait-il la fin? La petite lueur, aperçue un jour au bout du long tunnel était bien éteinte. Pourtant, il voulait être courageux, ne pas trop montrer sa peine à sa tante, si dévouée. Pour tuer le temps, il lisait ses livres reçus à Noël. A cause du faible éclairage, ses yeux se fatiguaient vite. 11 ne voulait pourtant pas allumer sa lampe et faire des dépenses d'électricité superflues. Un matin, il reçut une longue lettre de Suzy. Sa camarade lui écrivait au retour d'une sortie aux sports d'hiver, encore sous le coup de son émerveillement. D'une plume délirante, elle décrivait sa découverte de la neige, ses essais à skis, sous un soleil étincelant, si brûlant, qu'elle était redescendue de là-haut les joues en feu. « Si tu savais comme c'est beau, la vraie neige ! » terminait-elle. « L'an prochain, tu viendras passer ces vacances de Noël chez nous. Ce sera formidable
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Une pareille lettre, si bouillonnante de joie, tombait mal. Pourquoi Suzy parlait-elle de neige étincelante, de soleil, de grands espaces, à lui, cloîtré dans une chambre à demi obscure. C'était trop cruel. La lettre finie, il la replaça dans l'enveloppe et se pelotonna sous ses couvertures pour ne rien voir, ne penser à rien. A midi, il toucha à peine à ce que lui apporta tante Emilie.. Cette lettre trop joyeuse lui avait coupé l'appétit. Cependant, cette journée si mal commencée devait lui apporter une bien agréable surprise. Vers le milieu de l'après-midi, la tante Emilie ouvrait sa porte en annonçant : — Quelqu'un qui vient te voir, Jean-Lou!... Devine!
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C'était Boubou, le souriant Boubou, qui lui rendait sa visite de Noël. Voyant son camarade au lit, le petit Algérien regretta de n'être pas venu plut tôt... Mais il avait une raison. Il savait que Jean-Lou, à l'instar d'autres jeunes lycéens, avait entrepris une collection de timbres-poste. Pour le remercier du beau livre, Boubou lui apportait une moisson de vignettes, glanées dans toutes les baraques de son bidonville. — Oh! tu as trouvé tout ça! s'écria Jean-Lou émerveillé. Il y avait des timbres d'Algérie, du Maroc, d'Espagne, du Portugal, trouvés chez des ouvriers, originaires de ces pays et installés, comme lui, à Bobigny. Que de démarches représentait cette collecte! Ainsi, pendant qu'il était malade et se croyait un peu abandonné, Boubou pensait à lui... comme Suzy, à sa façon, lui avait fait cadeau de sa propre joie en lui écrivant. Pressant très fort les mains de son camarade et les gardant dans les siennes, il oublia d'un seul coup son chagrin.
LES MOTS Consécutive. Qui suit, qui est la conséquence. Maligne. Très forte, très mauvaise. (Le contraire serait : bénigne). Hébétude. État dans lequel les facultés intellectuelles sont anéanties. Antibiotiques. Médicaments qui ont pour but de détruire les microbes. A l'instar. Par imitation.
Vignette. Gravure de taille très petite. AVONS-NOUS COMPRIS? D'après le texte, expliquez le mot : lucidité (déjà vu). Relevez les passages qui montrent que, malgré son chagrin, Jean-Lou ne veut peiner personne. Ce texte illustre-t-il bien le proverbe : un bienfait n'est jamais perdu?
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64 - LA COMPOSITION DE RÉDACTION Jusqu'à la fin des vacances, Boubou revint régulièrement chaque aprèsmidi, rue du Cheval-Rouge. Ces visites furent pour Jean-Lou le meilleur des remèdes... si bien que le 4 janvier, jour de la rentrée, il put reprendre le chemin du lycée. Après cette méchante grippe qui l'avait déprimé, au moral comme au physique, il éprouva une joie toute neuve à retrouver ses camarades et ses professeurs. Et puis, le fait d'avoir franchi le cap de la nouvelle année lui donnait l'impression d'un grand pas en avant. A présent, il ne disait plus : l'an prochain quand maman sera guérie... l'an prochain quand je rentrerai chez nous... L'avenir s'était rapproché d'un seul coup. Pourquoi s'était-il désespéré pendant sa maladie? L'épreuve passée, il ne regrettait pas de l'avoir connue. Du moins, lui avait-elle fait apprécier la touchante et solide amitié de Boubou. En dépit du temps froid, de l'immuable grisaille du ciel, ce mois de janvier passa plus vite qu'il n'avait osé l'espérer, si bien que, dans cette fuite du temps, il trouva que Suzy et maman lui écrivaient plus souvent. Non, il ne reprochait plus à sa camarade de lui parler de neige blanche et de soleil. Il se réjouissait, au contraire, d'aller la voir là bas, un jour, en plein hiver. Toujours bavarde, Suzy lui donnait beaucoup de détails sur sa nouvelle vie, sur l'école primaire, toute proche de chez elle, qu'elle fréquentait depuis la rentrée. Elle était heureuse de voir sa mère satisfaite de sa « grande maison calme » comme elle disait. Il arrivait, à présent, à Mme Sauthier d'accompagner son mari et sa fille dans les sorties du dimanche vers les champs de neige et un jour, disait Suzy, sa mère avait même chaussé des skis. Mais les lettres les plus attendues étaient encore, bien sûr, celles de maman. Les nouvelles de Lyon demeuraient réconfortantes. La guérison suivait son cours lentement mais sûrement. L'infirmière qui s'occupait de la malade lui laissait entendre qu'elle pourrait bientôt rentrer chez elle. Ainsi, Jean-Lou voyait réapparaître la petite lumière au bout du tunnel, une petite lumière qui s'agrandissait chaque jour et l'encourageait au travail. A l'approche des compositions du second trimestre, il résolut de donner un grand coup de collier pour obtenir de meilleurs résultats qu'au début de l'année. Même sa place de premier ne l'avait pas complètement satisfait, à
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cause de la note, seulement moyenne. Il voulait une revanche, pas sur ses camarades, sur lui-même. Cette revanche, il allait la prendre, mais d'une façon assez insolite. La composition de français devait avoir lieu le 3 février de huit heures à dix heures. Dès son entrée en classe, le professeur monta à sa chaire pour dicter le texte des sujets. Car il y en avait deux, au choix. Le premier proposait ceci : « Vous avez été témoin ou victime d'un accident. Racontez la scène. » A l'opposé, le second disait : « Racontez une aventure amusante, voire comique, qui vous est arrivée ou à laquelle vous avez assisté. » Les élèves firent la moue, non pas à cause des sujets eux-mêmes, mais parce que, dès le départ, ils se trouvaient enfermés dans ce dilemme : du tragique ou du comique?... Comme ses camarades, Jean-Lou fut embarrassé. Bien sûr, il pensa tout de suite à sa mère. Il n'avait pas assisté à l'accident, mais il en avait tant de fois entendu le récit... et sa fertile imagination ferait le reste. Cependant, il ne voulait pas, en le décrivant, revenir sur un souvenir si pénible. Tout cela devait être oublié... et puis, par pudeur, il n'avait ,pas envie d'étaler au grand jour des impressions, des chagrins qui ne regardaient que lui et les siens. Encore moins narrerait-^ sa tragique baignade de Porta de Mar, dont il n'avait pas été très fier. Alors, il chercha dans sa tête un souvenir amusant. — Je pourrais raconter mon aventure dans le métro à Barcelone, quand je croyais voir l'Espagnol s'enfuir avec mon argent... mais le sujet est un peu mince; il n'y a pas là matière à un vrai devoir. Se creusant toujours la cervelle pour en faire jaillir une idée, il avait déjà perdu près d'un quart d'heure quand tout à coup, il eut une inspiration. — Si je racontais ma première nuit à Montfaucon, la scène avec les conscrits!... LES MOTS Immuable, Qui ne bouge pas, qui est toujours la même. Insolite. Bizarre, contraire à l'habitude, aux usages, à la tradition. Dilemme. Choix difficile entre deux choses contraires. Pudeur. Discrétion, modestie. Ici, gêne éprouvée par Jean-Lou à dévoiler ses sentiments profonds. Narrerait. Raconterait. (Une narration est une rédaction, un récit).
AVONS-NOUS BIEN COMPRIS ? La grippe avait déprimé Jean-Lou au moral comme au physique, qu'entendez-vous par ta» Suzy et sa mère lui écrivaient-elles réellement plus souvent. Pourquoi Jean-Lou avait-il cette impression? Expliquez : sa fertile imagination ferait le reste. Ce texte peut se décomposer en deux parties. Séparez-les et donnez un titre à chacune d'elles.
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65 - LA COMPOSITION DE RÉDACTION (suite) Avec le recul du temps, cette scène des conscrits lui parut si drôle qu'il n'hésita pas. Saisissant son cahier de brouillon, il entreprit de raconter sa première nuit au Relais des Cigales. Les détails amusants lui revenaient, si prompts, que sa plume pouvait à peine suivre sa pensée. En contant son aventure, il se croyait si bien revenu à Montfaucon que, tout à coup, pris à son propre jeu, distrait par ce qu'il écrivait, il éclata de rire en revoyant le conscrit lui épingler la cocarde. Ses camarades se retournèrent. Du haut de sa chaire, le professeur lui décocha un regard désapprobateur. — Eh bien, Plantevin, qu'avez-vous?... Vous feriez mieux de prendre votre composition au sérieux, au lieu de rire stupidement. Ne vous croyez pas tout permis parce que vous avez été classé premier au trimestre précédent... D'ailleurs, si j'ai bonne mémoire, votre note n'était pas extraordinaire. Jean-Lou rougit. Le fil de ses idées rompu, il s'arrêta d'écrire. Puis repris par son récit, il laissa sa plume repartir... sans s'apercevoir qu'il riait de nouveau ce qui lui valut un second et plus sévère avertissement. Enfin, son récit terminé, il s'aperçut qu'il avait couvert cinq pages entières de son cahier de brouillon mais ne disposait plus que d'une demi-heure pour relever son devoir. Déjà, des camarades avaient rendu le leur. Tirant la langue, comme si cela le faisait avancer plus vite, il recopia ses cinq pages au galop. Quand la sonnerie retentit, il ne lui restait plus qu'une petite phrase qu'il griffonna comme il put.
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- Vite, Plantevin, votre feuille! clama le professeur en venant la lui arracher des mains. Vous êtes le dernier. Et, jetant un coup d'œil sur le devoir : - Avec une écriture pareille, ne vous attendez à aucune indulgence de ma part. Quelques instants plus tard, c'était la ruée vers la cour de récréation où, le poignet encore endolori, Jean-Lou se retrouvait parmi ses camarades, surpris de l'avoir vu se faire réprimander par deux fois. — Qu'est-ce qui t'a pris? s'enquit Boubou inquiet. J'ai bien cru que tu allais attraper deux heures de colle. Mais, à présent, Jean-Lou n'avait plus le sourire. Il venait d'apprendre que tous ses camarades, sauf lui, avaient choisi l'autre sujet. — C'était cousu de fil blanc, disait un petit blond à l'air futé, il fallait traiter le premier. Un accident, ça fait toujours de l'effet. Plus c'est triste, plus les « profs » sont contents. - Évidemment-, approuvait un grand dégingandé aux cheveux ras, si le « prof » a dicté l'accident en premier, c'était pour nous faire comprendre qu'il préférait ce sujet-là. Ainsi, Jean-Lou avait mal choisi... et par-dessus le marché, il avait exaspéré son professeur. Son compte était bon! Pendant une semaine, il vécut dans les transes, attendant le verdict qui le renverrait aux derniers rangs de la classe. Ce jour-là, au moment où le professeur sortit de sa serviette la pile de copies, il souhaita presque qu'une nouvelle grippe l'eût retenu à la maison. Quand il vit le regard du maître se diriger vers lui, il s'apprêta à courber l'échiné sous la semonce. Eh bien non, le professeur ne le foudroyait pas
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des yeux. On aurait même dit qu'il souriait... mieux, qu'il se retenait de rire. Soudain, il déclara : — Toutes mes excuses, élève Plantevin. En lisant votre copie, j'ai compris les raisons de votre attitude de l'autre jour. Vous êtes le seul à avoir traité le second sujet... et le seul à m'avoir rendu un bon devoir. Je ne vous ai mis que dix-sept. Avec une meilleure présentation et écriture, vous méritiez dix-huit. Ahuri, Jean-Lou ne sut quelle contenance prendre. Le professeur poursuivit : — Vous avez su être très drôle, Plantevin. A côté de cette accumulation de catastrophes de toutes sortes, d'accidents d'autos, de noyades et d'incendies, votre devoir est un rayon de soleil et d'humour... Toutes mes félicitations. On voit que vous savez prendre la vie du bon côté. Et, d'ajouter encore : — Naturellement, je ne résiste pas au plaisir de lire votre devoir à haute voix, mais je vous en prie, messieurs, sachez mieux retenir vos rires que votre camarade, quand il le composait. Jean-Lou rougit, honteux et ravi à la fois. Lui, un garçon qui savait prendre la vie du bon côté?... Ah! si le professeur savait!... Mais, peut-être, après tout, avait-il changé?
LES MOTS Décocha. Verbe décocher. Envoyer rapidement, comme une flèche. Air futé. Air malin, malicieux, vif. Dégingandé. Comme disloqué, qui marche avec une allure bizarre. Exaspéré. Mis en colère par quelqu'un, quelque chose. Semonce. Avertissement, vif reproche. Réprimande.
Humour. Gaieté, plaisanterie, ironie sans méchanceté. AVONS-NOUS COMPRIS? Expliquez : clama. (Expliquez également, acclamer, réclamer, déclamer). Que signifie l'expression : cousu de fil blanc1. Où est la preuve que le professeur connaissait encore mal Jean-Lou ?
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66 - LA FIN DU TUNNEL Au lycée, la série des compositions trimestrielles se poursuivait. Bien entendu, Jean-Lou n'obtenait pas, dans toutes les disciplines, d'aussi brillants résultats qu'en français. Alors que Boubou, par exemple, décrochait une deuxième place en mathématiques et une troisième en sciences, il se classait respectivement, dans ces matières, septième et quatrième. Mais ses notes, et c'était l'essentiel, marquaient une progression sur le trimestre précédent. Malgré la persistance du temps brouillé, où les échappées de soleil étaient rares, il ne se plaignait plus. Boubou n'avait-il pas plus de raisons que lui de se lamenter sur le temps? De Grenoble, il recevait régulièrement de longues lettres de Suzy. Elle profitait des jours plus déments de cette fin février pour défricher le jardin, avec son père, afin de préparer les massifs de fleurs et surtout le gazon qui entourerait la maison d'un grand tapis vert. Cependant, ce n'est pas de Grenoble que lui arriva la plus belle nouvelle. Un mardi matin, en rentrant de ses cours, une lettre l'attendait, une lettre dont sa mère avait écrit l'adresse, mais tamponnée par la poste de Mont-faucon. Le cœur battant, il l'ouvrit et lut : Montfaucon, 28 février. « Oui, mon petit Jean-Lou, tu l'as compris, j'en suis sûre, avant même de décacheter l'enveloppe, je suis rentrée chez nous. Je n'espérais pas un si rapide retour. Ton papa est venu me chercher hier après-midi et j'ai enfin retrouvé notre maison. Quelle joie! A présent, il me semble ne l'avoir jamais quittée. Pourtant, qu'ils ont été longs ces six mois!... et longs pour vous aussi, mes enfants, sans parler de votre papa. Certes, je ne suis pas tout à fait guérie, je traîne encore la jambe gauche, la plus atteinte, mais je me déplace sans canne et j'espère, d'ici peu, reprendre une activité presque normale... Il le faut, d'ailleurs car ton pauvre papa, malgré sa bonne volonté et son courage ne pouvait tout faire. " Tu penses bien, mon petit Jean-Lou, que mon plus grand désir aurait été., dès cette première lettre, de t'inviter à rentrer avec Bruno. Ce ne serait pas raisonnable, ni pour moi, qui ai besoin de ménagements, ni pour toi qui ne dois pas interrompre tes études en plein trimestre. Vous resterez à Bobigny jusqu'à Pâques, et tu finiras l'année scolaire à Orange. Ne t'étonne pas, Jean-Lou, si désormais mes lettres sont moins fréquentes. Beaucoup de travail m'attend ici. Je n'en penserai pas moins souvent à
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vous, mes enfants. Soyez donc patients, Bruno et toi; la longue séparation va s'achever; vous serez là, bientôt, pour goûter aux premières cerises. « Papa se joint à moi pour vous embrasser très fort, mes chéris. » « Maman. » Ainsi, aux vacances de Pâques, ils rentrerait chez lui. Sa joie l'étouffait. Enfin, il allait sortir du tunnel. La belle lumière apparaissait au bout de la voûte sombre. Cependant, l’exaltation passée, quelques jours après, il se rendit compte que si un désespoir n'est jamais aussi profond qu'on l'imagine, une grande joie n'est jamais parfaite non plus. En partant, il ne regretterait ni sa chambre sombre ni le ciel gris de Bobigny, mais il perdrait Boubou, sans espoir de le retrouver un jour, comme Suzy... Et, après les vacances de Pâques, il entrerait au lycée d'Orange, comme interne. Au début, à Bobigny, il avait envié les internes, leur vie en commun, leurs plaisanteries au dortoir ou au réfectoire. Il s'était aperçu que ces petits avantages ne compensaient peut-être pas l'impression de claustration. En somme, Pâques ne serait qu'une escale entre Bobigny et Orange. Finalement, après avoir follement souhaité partir tout de suite, il se demanda, ainsi que le proposait généreusement tante Emilie, s'il n'irait pas simplement passer ses quinze jours de vacances à Montfaucon, pour revenir terminer, à Bobigny, son année scolaire. Ainsi, il reverrait Suzy, qui lui rendrait sûrement visite, au Relais, et il retarderait sa séparation d'avec Boubou. Maman aurait davantage de temps pour se remettre complètement. Partagé entre ces deux solutions qui présentaient des avantages et des inconvénients, il hésitait à prendre une décision, quand une nouvelle lettre de maman, arrivée quinze jours plus tard, une lettre annonçant une nouvelle aussi extraordinaire qu'inattendue, en tout cas merveilleuse, allait mettre fin à son embarras. LES MOTS AVONS-NOUS COMPRIS? Respectivement. En tenant compte de l'ordre précédent. C'est-à-dire que JeanLou était septième en mathématiques et quatrième en sciences. Cléments. Jours cléments : moins froids, plus doux, moins rudes. Exaltation. La joie débordante et l'excitation de Jean-Lou. Claustration. Vie dans un lieu d'où on ne peut sortir, comme dans un cloître.
Par quel mot dans le texte, pourrait-on remplacer : « disciplines » ? Maman a besoin de ménagements. Qu'entendez-vous par là? Le mot escale est-il employé au sens propre? Les dures épreuves ont rendu JeanLou plus raisonnable. Quel passage le prouve ?
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67 - LA SECONDE LETTRE Elle arriva le 13 mars, par un jour maussade, à désespérer de voir jamais arriver le printemps. Le matin, en se rendant au lycée, Jean-Lou avait même vu voltiger quelques flocons de neige qui fondaient aussitôt sur le pavé humide et gras. Mais, ce jour-là, pour lui, seule la matinée fut grise. A midi, quand il rentra rue du Cheval-Rouge, il crut voir le ciel se dégager d'un seul coup et un soleil radieux illuminer Bobigny, à la lecture de la lettre qui l'attendait. Montfaucon, 12 mars. « Mon cher Jean-Lou et mon cher petit Bruno, « Ma lettre va te surprendre, Jean-Lou par la nouvelle extraordinaire que je vais t'annoncer. Nous allons quitter Montfaucon... et ceci très prochainement sans doute. Voilà ce qui s'est passé.
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« II y a une dizaine de jours, nous avons eu la visite d'un important monsieur, un inspecteur de la société de raffinage à qui appartient le Relais des Cigales. Tout d'abord, nous avons presque eu peur. Mécontent de nous, allait-il nous signifier la résiliation de notre contrat qui expire en mai prochain? Au contraire, il n'a pas tari d'éloges sur Outre gestion, sur la façon dont nous avons entretenu le Relais, sur le résultat des ventes de carburant, en sérieuse augmentation, paraît-il d'après les chiffres réalisés par nos prédécesseurs... Bref, cet inspecteur venait nous faire une proposition. Il nous demandait si nous accepterions de quitter Montfaucon pour une autre station-service, près de Montélimar. Sur le moment, nous n'avons su que répondre. Pour nous, Montélimar n'est plus la Provence puisque l'olivier n'y pousse pas... et puis, un nouveau déménagement, alors que je suis à peine rétablie... Mais l'inspecteur a précisé que cette station-service, toute nouvelle, présentait de gros avantages. Elle était située sur ce qu'on appelle une « aire de repos », à proximité de la nouvelle autoroute du Midi, c'est-à-dire à un endroit où les automobilistes peuvent se ravitailler en nourriture aussi bien qu'en carburant. « L'inspecteur nous a laissé quelques jours de réflexion puis nous a donné rendez-vous, sur place, hier. Nous sommes rentrés de là-bas enthousiasmés. Cette aire se trouve en retrait de l'autoroute, à une cinquantaine de mètres, loin du bruit infernal de la circulation. Elle est aménagée dans un bois de pins semblable au nôtre, avec un vaste parking. Il y a aussi un motel et un magasin où se vendra de tout, en plus de la station-service, qui s'appellera, comme ici, le Relais des Cigales. « Que te dire, mon petit Jean-Lou, de notre nouvelle maison, sinon qu'elle est merveilleuse? Pense donc! une cuisine, une salle de séjour, trois chambres, sans parler de la salle de bains, mon rêve de toujours... et le tout absolument neuf, puisque nous avons trouvé les peintres occupés aux finitions. Quand j'ai vu ce logement, j'ai cru rêver... Et quel avantage pour toi, Jean-Lou! Nous ne serons qu'à cinq kilomètres de Montélimar, c'est-à-dire que nous ne te mettrons pas en pension. Tu pourras partir le matin de chez nous et rentrer le soir, pour prendre simplement au lycée le repas de midi. « Tout cela me paraît si beau que je crois rêver. Pourtant, c'est bien vrai; le contrat est signé. La seule chose qui me tracasse un peu est le déménagement précipité, mais la station-service, comme le motel et le magasin doivent être ouverts pour le début des vacances de Pâques, quand l'autoroute connaîtra l'affluence. Heureusement, la société se charge de
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notre déménagement; j'espère n'avoir pas trop de travail. Nous devons donc quitter Montfaucon le plus tôt possible, en principe la semaine prochaine. C'est notre nouvelle maison qui vous accueillera, Bruno et toi quand vous rentrerez de Bobigny. « Vous voyez, mes chéris, si la vie a parfois des moments pénibles, elle réserve aussi de belles surprises. A bientôt, donc, puisque les vacances seront là, dans moins de trois semaines. En attendant, votre papa et moi vous embrassons très fort en vous redisant notre impatience de vous retrouver. » « Maman. »
LES MOTS Maussade. Désagréable, triste, agaçant. Résiliation. Annulation, rupture, d'un contrat, d'un engagement, d'un accord. Expire. Au sens propre expirer, c'est rendre le dernier soupir, c'est-à-dire mourir. Au sens figuré : arriver à la fin, au terme. Gestion. La façon dont on gère une entreprise, c'est-à-dire dont on s'en occupe. Aire. Surface, endroit plat. Motel. Sorte d'hôtel pour automobilistes, en bordure d'une grande route.
AVONS-NOUS COMPRIS? Quelle différence faites-vous entre voler et voltiger ? Expliquez cette phrase : il n'a pas tari d'éloges. (Commencez par expliquer le verbe tarir au sens propre.) Qu'est-ce qu'un contrat ? D'après le texte, pouvez-vous expliquer ce mot? Quelles sont les deux choses que Mme Plantevin apprécie le plus dans sa nouvelle résidence? Remplacez l'expression en retrait par une autre synonyme.
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68 - LES ADIEUX DE BOUBOU Jean-Lou et Bruno partiraient donc dès le début des vacances de Pâques. Pour la première fois, Bruno manifestait une réelle impatience de revoir ses parents, comme si son heureux caractère lui avait suggéré ce désir au moment même où celui-ci allait se réaliser. Quant à Jean-Lou, il pensait, comme sa mère, cette installation si près de Montélimar, providentielle. Il ne connaîtrait pas le sort assez peu enviable des internes... et par surcroît, il se rapprocherait encore de Suzy. En examinant une carte, il avait constaté que la capitale dauphinoise et la petite cité, célèbre pour son nougat, ne se trouvent qu'à 150 kilomètres Tune de l'autre. Égoïstement, que souhaiter de plus?... Mais justement, en dépit de ce qu'il pensait de lui-même, Jean-Lou n'était pas égoïste. Il se préoccupait de Boubou. Depuis Noël, leur amitié s'était resserrée. Pourquoi toujours de cruelles séparations? Les trois semaines qui restaient, avant son départ, il les consacra généreusement à son camarade. Il décida même de faire des économies en se privant, chaque matin, du petit pain acheté au concierge du lycée. Avec cette somme, jointe à un peu d'argent de poche, il invita, un dimanche, le petit Algérien à une sortie dans Paris, au zoo de Vincennes, qui lui avait tant plu, lors de sa première promenade avec Suzy. Boubou n'était allé que deux ou trois fois dans Paris, pour l'achat de vêtements, avec sa mère. Il ne connaissait pas Vincennes. Pour lui, le métro et l'autobus étaient un luxe coûteux. Il accepta avec joie la proposition de JeanLou. Pour cette sortie, tante Emilie avait préparé un pique-nique, avec toutes sortes de gâteries. Les deux camarades passèrent une partie de la journée dans le parc encore dénudé où, cependant pointaient quelques bourgeons. Ils déambulèrent longtemps, d'un enclos à l'autre, s'esclaffant devant les mimiques grimacières des singes ou la grâce lourdaude des otaries dans leur bassin. Mais le temps n'était pas très chaud, malgré de brèves apparitions du soleil. Protégé seulement par l'imperméable qui lui tenait lieu de manteau, Boubou grelottait presque. Et puis, l’imminence de la séparation l'attristait. — Qu'est-ce que je vais devenir, sans toi ? dit-il, tandis qu'il revenaient prendre le métro. Il me semble qu'à la rentrée je n'aurai plus de goût au travail.
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Jean-Lou le consola, assurant qu'il se ferait d'autres camarades. Le petit Algérien secouait la tête, incrédule. ... Le départ arriva très vite. Toujours par souci d'économie, dès son arrivée au nouveau Relais des Cigales, papa Plantevin s'était enquis d'un transporteur qui accepterait de ramener ses enfants. Il en découvrit un qui gagnait Paris d'où il redescendrait vers Marseille le lundi suivant, c'est-à-dire le premier jour des vacances. Les deux enfants devraient se trouver ce jour-là, à 6 heures du matin, devant le numéro 18 de la rue du Faubourg-Saint-Antoine, d'où le camion partirait avec un chargement de meubles. Il fallut quitter Bobigny très tôt. Dès cinq heures, l'oncle accompagna les deux enfants par le premier autobus. II faisait nuit et froid. Jean-Lou et Bruno embrassèrent avec émotion la tante Emilie qui les avait si bien soignés et était devenue leur seconde maman. La pauvre femme, bien habituée à leur présence, avait les larmes aux yeux à la pensée de voir sa maison de nouveau vide. Jean-Lou aussi était un peu triste, malgré sa joie de revoir ses parents. Il pensait à son lycée, à Boubou surtout. La veille au soir, il était allé chez lui et ne l'avait pas trouvé. Descendus à la station de métro, place de la Nation, ils s'engageaient tous trois dans la rue du Faubourg-Saint-Antoine, domaine des marchands de meubles, quand Jean-Lou, dans la demi-obscurité, aperçut une silhouette blottie contre une devanture.
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Boubou! Comment s'était-il arrangé pour être là, dans la nuit, si tôt? Depuis combien de temps attendait-il? Dans son éternel imperméable, il tremblait de froid. — J'ai eu trop de chagrin, Jean-Lou, quand j'ai appris, hier soir, que tu étais venu chez moi pour me dire au revoir... j'étais parti à la recherche de nouveaux timbres. Tiens, je te les apporte. Il y en a de très beaux. Tu penseras à moi en les regardant... si tu ne m'oublies pas. Jean-Lou fut bouleversé. Mais le transporteur, son chargement terminé, était pressé de partir. Jean-Lou et Bruno embrassèrent leur oncle, le remerciant encore de tout ce qu'il avait fait pour eux, puis Jean-Lou serra son camarade dans ses bras. Et tout à coup, au moment de le quitter, il se souvint des mots de Suzy partant pour l'Espagne après l'accident de l'auto. Alors, il lui murmura : — Boubou, nous ne nous quittons pas pour toujours... Je suis sûr que nous nous retrouverons bientôt...
LES MOTS Suggéré. Lui avait inspiré, donné. Providentielle. Qui est apporté par la providence, c'est-à-dire une divinité bienfaisante. Mimique. Ensemble de gestes, non accompagnés de la parole. 'Imminence. L'arrivée très proche de la séparation.
AVONS-NOUS COMPRIS? Qu'est-ce que des gâteries? Expliquez : grâce lourdaude des otaries. Séparez ce texte en deux parties et donner un titre à chacune d'elles.
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69 - LA FAMILLE RÉUNIE Six mois plus tôt, le cœur trop lourd de chagrin, Jean-Lou n'avait gardé de son voyage que des souvenirs imprécis et fugitifs. D'ailleurs, les trois quarts du trajet avaient été effectués de nuit. Aujourd'hui, il se promet bien de ne rien perdre du paysage. A peine a-t-on quitté Paris que le petit jour se lève sur la campagne. La campagne! Les deux enfants l'ont presque oubliée. Ils la retrouvent avec plaisir et Jean-Lou se souvient de Suzy quand elle disait : « tu ne sais pas ce qu'est, pour un Parisien, le plaisir de marcher dans l'herbe. » II la comprend, à présent! Chargé de meubles plus encombrants que lourds, le gros camion roule vite. Son chauffeur, homme râblé et solide comme la plupart des routiers, n'engendre pas la mélancolie. Il chantonne tous les airs en vogue, ne s'arrêtant que pour bavarder avec ses jeunes passagers. — Tu verras le nouveau Relais des Cigales, tenu par ton père, explique-til, à Jean-Lou avec un sifflement d'admiration. Rien de comparable avec l'ancien. Quand je serai trop vieux pour conduire un camion, j'aimerais tenir une station-service comme celle-là... Au fil des kilomètres, le pilote cite des noms. Cette rivière, au bord de la route, c'est l'Yonne. Là-bas, ce clocher trapu est celui de la cathédrale de Sens... et ces premières côtes, les collines du Morvan. - Le Morvan! soupire l'homme, notre bête noire, à nous, routiers, quand vient l'hiver... à cause de la neige et du verglas. Ça et là, quelques saules et peupliers déplient timidement de petites feuilles d'un vert tendre, presque jaune. Non, même en descendant vers le sud, ce n'est pas encore le printemps. Pourtant, Jean-Lou garde le souvenir de vacances de Pâques, à Tourette, où on avait déjà l'impression de l'été. Et les kilomètres s'ajoutent aux kilomètres. Les deux enfants, qui ont déjeuné très tôt, ressentent déjà un creux à l'estomac. — Dis, Jean-Lou, fait Bruno en tirant son frère par la manche, j'ai faim! — Ne vous gênez pas, dit le chauffeur, puisque vous avez des provisions. Moi, je casserai la croûte plus loin, toujours au même endroit, près de Tournus. Plus il se rapprochent du Midi, plus Jean-Lou est heureux... et un peu inquiet aussi. Comment va-t-il trouver maman? Elle lui a maintes fois
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répété, dans ses lettres, que les cicatrices ne se voyaient presque pas. Que signifie au juste ce « presque » ? Après une escale d'une demi-heure dans une auberge de routiers, où le dévoué chauffeur à offert à ses voyageurs sandwiches et limonade, (complément à leur premier repas) le camion repart vers le sud. En traversant Lyon, vers deux heures de l'après-midi, Jean-Lou pense de nouveau à sa mère, mais bientôt, à mille petits détails, aux toits des maisons, plus plats, couverts de tuiles, aux platanes bordant les routes, aux pêchers fleuris, il sent son pays tout proche. Dès Valence, le ciel, si pâle à Paris, a retrouvé sa limpidité. Le long de la belle autoroute qui suit le Rhône, le camion glisse comme sur du velours. Des réclames annoncent la cité du nougat... et tout à coup, le pied du chauffeur appuie sur la pédale du frein. La grosse voiture ralentit, oblique à droite et s'arrête. Le cœur de Jean-Lou bat à lui rompre la poitrine.
Le nom s'inscrit, en grandes lettres sur un panneau, devant une construction toute neuve. Jean-Lou se précipite, tirant Bruno à bout de bras. — Maman!... Papa!...
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Papa Plantevin a un peu maigri et vieilli... mais maman? Est-ce possible? Elle paraît plus jeune et plus jolie que jamais. Le long repos forcé a détendu ses traits. A peine distingue-t-on une petite cicatrice sur la joue droite et une autre au menton. Une seule différence : elle porte des bas alors qu'autrefois, elle restait jambes nues presque toute l'année. Ce sont des embrassades sans fin, accompagnées de larmes de joie. — Mon Dieu! que tu es grand, Jean-Lou, aussi grand que moi... et toi, mon petit Bruno, tu as gardé tes bonnes joues... Par exemple, elles sont un peu pâlottes; vous avez tous deux pris le teint parisien. Le soleil d'ici vous redonnera des couleurs. Ah! que je suis heureuse de vous retrouver, mes chéris!... mais entrez donc, venez dans notre belle maison. Vous verrez comme nous y serons heureux, tous réunis...
LES MOTS Fugitifs. Qui fuient rapidement, qui ne restent pas dans la mémoire. Râblé. Fort, large d'épaules et de torse (ordinairement ce mot s'applique surtout aux quadrupèdes et en particulier au lapin ou au lièvre.) AVONS-NOUS COMPRIS? Expliquez l'expression : au kilomètres.
fil
des
Que signifie : Le Morvan est notre bête noire? Qu'est-ce qu'un clocher trapu. Donnez le contraire de ce mot. Sur une carte routière suivez de nouveau le voyage, en sens inverses, de Jean-Lou et de Bruno. Situez Sens, Tournus, Lyon, Valence, Montélimar. Quel est le seul passage de ce texte où Jean-Lou montre encore un peu d'inquiétude !
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70 - UNE GRANDE SURPRISE Depuis son arrivée, deux jours plus tôt, Jean-Lou se sentait totalement heureux, aussi heureux que maman et papa Plantevin superbe dans sa tenue flambant neuf de pompiste. La veille, il avait écrit deux lettres, la première à Boubou, où il redisait son chagrin de l'avoir quitté, mais sans trop s'étendre sur la description de sa belle maison ou sur le soleil retrouvé. La seconde, bien sûr, était pour Suzy. A elle, il décrivait avec complaisance^ le nouveau Relais des Cigales et il transmettait l'invitation de ses parents, à M. et Mme Sauthier de venir les voir, le dimanche suivant, jour de Pâques. La réponse ne se fit pas attendre. Le surlendemain, une lettre arrivait de Grenoble. Non seulement M. et Mme Sauthier acceptaient l'invitation, mais ils viendraient dès le samedi, sous la réserve expresse (le mot était souligné plusieurs fois) que, pour ménager Mme Plantevin, ils prendraient chambres et repas au motel. — Et peut-être, terminait Suzy, te réservons-nous une surprise. Jean-Lou explosa de joie. Deux jours avec Suzy! Il ne vécut plus que dans cette attente, très intrigué par la surprise promise. Suzy et ses parents arrivèrent donc le samedi matin, vers n heures, ayant trouvé très courtes les deux heures de voyage. Jean-Lou fut surpris de découvrir sa petite camarade si brunie de teint. — C'est à cause du soleil sur la neige, expliqua-t-elle ; j'ai pris goût au ski. Nous en faisons presque tous les dimanches, papa et moi... et même maman. Mme Sauthier, en effet, avait meilleure mine qu'à Paris, ses traits n'étaient plus contractés comme autrefois. Elle paraissait heureuse, aussi heureuse que maman Plantevin, que les visiteurs ne s'attendaient pas, eux non plus, à trouver si bien rétablie. Jean-Lou fit à Suzy avec une pointe de vanité, les honneurs de sa nouvelle demeure et de l'ensemble des installations de l'aire de repos. Cette fois, il ne souffrait plus d'un complexe d'infériorité vis-à-vis de sa camarade. Que de choses à se raconter depuis trois mois de séparation! Pourtant, ils croyaient s'être tout dit dans leurs lettres. — Et cette surprise ? demanda Jean-Lou, voyant que Suzy n'en parlait pas. — Chut!... plus tard!
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A midi, les parents de Suzy invitèrent Jean-Lou à déjeuner avec eux au motel, mais le soir, maman Plantevin tint absolument à ce qu'on inaugure sa belle salle de séjour. — Nous acceptons, dit Mme Sauthier, mais à la condition que je vous aide à cuisiner et qu'ensuite nous fassions tous ensemble la vaisselle. Quelle merveilleuse soirée! Leurs soucis oubliés, papa Plantevin et maman rayonnaient. Mme Sauthier, elle aussi, se montrait plus gaie qu'autrefois. Pensant toujours à la surprise dont Suzy faisait mystère, Jean-Lou se demandait ce que sa camarade lui cachait quand, vers la fin du repas, M. Sauthier déclara : — Je vous dois un aveu, monsieur Plantevin. Nous sommes venus ici avec une petite idée derrière la tête... Nous avons un service à vous demander. — Je ne vois pas en quoi je pourrais vous être utile, dit papa Plantevin, mais ce sera avec plaisir. — Eh ! bien, voici. Pardonnez notre péché de curiosité. Votre Jean-Lou nous a si souvent parlé de son village natal qu'un dimanche, il y a quinze jours de cela, nous avons été à Tourette. — A Tourette ! s'écria Jean-Lou en regardant Suzy, tu es allée à Tourette! — Oui, reprit M. Sauthier et ce village de Haute-Provence nous a conquis. Nous aimerions y passer nos vacances cet été. J'y installerais ma femme et ma fille pour deux mois. De Grenoble, qui n'est pas très loin, je viendrais les voir tous les week-end. — Excellente idée, approuva Mme Plantevin tout émue... mais en quoi pourrions-nous vous rendre service? — En nous louant votre maison inoccupée. Des gens du pays nous l'ont montrée. Cette ancienne ferme nous a ravis. Elle est magnifiquement exposée, si vaste... et j'imagine que Jean-Lou et Bruno ne seraient pas fâchés de nous y rejoindre. Qu'en pensez-vous? — Je pense, répondit papa Plantevin, que Tourette est en effet le plus beau pays du monde... mais vous venez de prononcer un mol malheureux. — Un mot malheureux?... — Jamais je n'accepterai de vous louer cette maison. Nous sommes trop contents de vous offrir son toit comme vous avez offert le vôtre à Jean-Lou. Elle n'est d'ailleurs pas en très bon état. Les quelques meubles que nous y avons laissés sont insuffisants. Ce serait plutôt à nous... — Non, monsieur Plantevin, coupa le père de Suzy, puisque vous nous offrez votre maison de Tourette, nous nous chargerons du reste. Et je n'ai pas
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besoin de vous dire que ce projet réjouit tout le monde. Regardez les visages de nos enfants! C'était donc cela la surprise! Jean-Lou, n'en aurait jamais espéré une plus belle. — Oh! merci, dit-il en prenant les mains de Suzy, j'en suis sûr, c'est encore toi qui as eu cette merveilleuse idée!...
LES MOTS Flambant neuf. Expression qui signifie : absolument neuve. Avec complaisance. Avec plaisir, satisfaction; avec beaucoup de détails. Expresse. Absolue, formelle, impérative. Complexe. Sentiment confus, compliqué, qui provoque une sorte de gêne. Week-end. Mot d'origine anglaise signifiant : fin de semaine. (Les deux jours de repos de la fin de la semaine). Mot ma/heureux. Mot qui n'aurait pas du être dit parce qu'il risque de peiner ou de révéler
une triste réalité. (Dans le texte, M. Plantevin plaisante plutôt en employant cette expression). AVONS-NOUS COMPRIS? Que signifie : s'étendre sur la description...? Pourquoi Jean-Lou parle-t-il peu de sa maison et du soleil à Boubou? Que signifie l'expression : faire les honneurs de sa maison? Que signifie le verbe inaugurer? Expliquez : avoir une idée derrière la tête (cette expression se traduit aussi par cette autre : avoir une arrière-pensée).
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71 - LE DERNIER TRIMESTRE La rentrée de Pâques arriva très vite. Mais, cette fois, rompu au métier de «potache», Jean-Lou ne s'en effrayait pas. Le lycée de Montélimar était d'ailleurs sympathique, accueillant. Presque aussi neuf que celui de Bobigny, il disposait, en plein cœur de la ville, d'espaces beaucoup plus vastes. De ses larges baies vitrées, on jouissait d'une vue étendue jusqu'aux monts du Vivarais, de l'autre côté du Rhône. L'adaptation de Jean-Lou se fit donc très vite, à part quelques petits rattrapages ou piétinements inévitables, dus au fait que les professeurs montiliens (c'est ainsi qu'on appelle les habitants de Montélimar) n'étaient pas arrivés au même point de leur programme que ceux de Bobigny. Par contre, un petit détail l'amusa beaucoup, le premier jour. Sans qu'il s'en aperçût, à Bobigny, l'accent de son oncle avait déteint sur le sien. Ses nouveaux camarades trouvèrent qu'il parlait un peu « pointu » et l'appelèrent le « Parisien » surnom qu'il devait garder jusqu'à la fin du trimestre mais qui ne le vexa pas, au contraire. Ainsi, chaque matin, avec Bruno (à qui on avait acheté un vélo à sa taille) il quittait le Relais des Cigales pour Montélimar, par une petite route sinueuse et charmante, peu fréquentée, bordée de cerisiers et de pêchers. Le soir, il rentrait vers cinq heures et se mettait aussitôt au travail, dans sa chambre toute neuve, tapissée de bleu. De Grenoble, lui parvenaient régulièrement les lettres de Suzy. Pour elle, à présent, plus question de sports d'hiver. A chaque week-end elle partait avec ses parents à Tourette. M. Sauthier, qui adorait le bricolage, travaillait ferme à la restauration et à l'aménagement de la maison, en vue des vacances. — Tu verras, écrivait Suzy, papa a des idées formidables et il manie la truelle aussi bien que le pinceau. Quand tu viendras, cet été, tu seras ébloui. Jean-Lou mourait d'envie d'assister à ces transformations, cependant, en cette saison, papa Plantevin ne pouvait guère s'éloigner de ses pompes, surtout pas le samedi ou le dimanche, ses jours de « pointe » comme il disait. Il faudrait attendre les grandes vacances pour revoir Tourette. Si Jean-Lou n'était jamais embarrassé dans ses lettres à Suzy, par contre il se sentait gêné vis-à-vis de son cher Boubou. Que dire pour ne pas le peiner ? Le soir, dans sa belle chambre bleue, toute pimpante, il pensait au bidonville de Bobigny, aux deux misérables pièces où s'entassait la famille
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du petit Algérien. Alors, son cœur se serrait. Ah! s'il avait pu quelque chose pour Boubou!... Et les semaines succédaient aux semaines, avec une incroyable rapidité. Le précoce été du Midi était là, avec son soleil flamboyant, ses cigales, ses cohortes de touristes le long de l'autoroute. Ah ! que Jean-Lou, à présent, les comprenait, ces Parisiens avides de lumière, de larges horizons et de calme! Sur l'aire de repos, chaque jour ou presque, le motel affichait sa pancarte : « complet », tandis qu'à côté, le magasin se voyait dévalisé de ses boîtes de nougat... et que papa Plantevin, du matin au soir, déversait des flots d'essence. Que serait-ce, aux premiers jours de juillet, quand le véritable exode des citadins commencerait? Oui, les vacances étaient toutes proches. Au lycée, les compositions, les examens terminés, on n'entendait plus que ce mot. On parlait de départs vers la montagne, vers la mer, vers de lointains pays. Jean-Lou, lui, n'avait pas tant d'ambition. Il irait simplement à Tourette, un village perdu, ignoré de tout le monde, que nulle carte touristique ne signalait, mais un village qui avait été le sien, où il avait été heureux dans la petite école dirigée par le bon M. Sahune, un village où il allait retrouver Suzy... et où il aurait tant voulu aussi retrouver... mais non, pouvait-il prononcer l'autre nom qui lui venait aux lèvres? Oh! bien sûr, s'il n'avait tenu qu'à lui... Oserait-il jamais parler de son désir à Suzy et à ses parents?...
LES MOTS Rompu. Habitué,
plié
à
la
vie
scolaire. Potache. Nom habituellement donné aux collégiens et lycéens. Restauration. Remise en état, réparation. (Un restaurant est un endroit où on « répare » ses forces. Pimpante. Élégante, riante, agréable. Exode. Départ, en masse, d'un peuple, chassé de son pays par la guerre ou une catastrophe. Ici, il s'agit d'un sens plus large puisque les touristes sont partis volontairement de chez eux.
AVONS-NOUS COMPRIS? Qu'entendez-vous par rattrapages et piétinements? Déteint est-il employé au sens propre ou au sens figuré dans ce texte? Que signifie l'expression : jour (ou heure) de pointe? Quel sentiment éprouve Jean-Lou, à présent, vis-à-vis de Boubou? Quel nom Jean-Lou n'ose-t-il pas prononcer? Pourquoi n'ose-t-il pas parler de son désir aux parents de Suzy?
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72 - LES PLUS BELLES VACANCES Aujourd'hui, plus la moindre petite ombre sur la joie de Jean-Lou... Boubou est là, au Relais des Cigales. Oui, le petit Algérien est arrivé avant-hier soir, de Bobigny, à bord d'un gros camion-citerne qui revenait de livrer son stock de vin à Paris. Est-ce à Jean-Lou ou à Suzy que Boubou doit sa venue dans le Midi ? A tous deux sans doute. Si, dans ses lettres, Jean-Lou n'avait, à maintes reprises, parlé de lui, Suzy aurait-elle demandé à ses parents de l'inviter à Tourette? Quand Suzy a raconté à sa mère comment le petit Algérien vivait, à Bobigny, dans une sorte de bidonville, Mme Sauthier s'est écriée : — Je me souviens, en effet, de ce jeune garçon au teint mat qui accompagnait Jean-Lou, lors d'une de ses visites chez nous. Je ne savais pas ses parents si malheureux. Tu fais bien de m'en parler Suzy. Puisque nous avons la chance de disposer d'une grande maison, écris tout de suite à Jean-Lou, dis-lui que nous attendons son camarade. Ainsi, Boubou va partir pour Tourette avec Jean-Lou et Bruno. Papa Plantevin et maman les conduiront en auto jusque là-haut où M. et Mme Sauthier les attendent. Exceptionnellement, papa Plantevin a abandonné ses pompes, confiant la garde de la station-service au patron du motel, son ami.
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Dès neuf heures, sitôt les bagages entassés dans le coffre de la voiture, c'est le départ. Assis à l'arrière, les trois enfants débordent de joie : Bruno parce qu'il roule en auto (ce dont il ne se lasse jamais) Jean-Lou, à la pensée de revoir son village et Suzy, Boubou à cause de ces paysages lumineux qui lui rappellent son Algérie natale. Très émue elle aussi, maman pense à sa maison qu'elle n'a pas revue depuis l'an dernier. Elle a hâte de découvrir les embellissements apportés par le père de Suzy. Quant à papa Plante vin, il sifflote tranquillement à son volant, savourant ce premier jour de vraie détente depuis Dieu sait combien de mois. Abandonnant la grande route rapide mais monotone, la voiture s'engage sur une autre, bordée de mûriers et de platanes, et bientôt apparaissent de molles ondulations couvertes de chênes verts ou de lavande. — C'est beau, murmure Boubou, on se croirait en Algérie. Au bout de deux heures, une pancarte annonce Tourette. Jean-Lou voudrait tourner la tête de tous côtés en même temps pour ne rien perdre de son village. — Moins vite, papa! moins vite! Sur la minuscule place du village, jouent des enfants. Oh! Freddy! c'est Freddy!... et voici le petit Milou... et cette grande fille, mais c'est Janine, qui a fait couper ses cheveux!... Le village traversé, la voiture s'engage sur un petit chemin raboteux, le chemin si souvent suivi par Jean-Lou pour aller à l'école. Tout à coup, maman s'écrie : — Notre maison!... Suzy et ses parents se précipitent, au bruit du moteur. Les voyageurs mettent pied à terre. Poignées de mains et embrassades se succèdent. Un peu gêné, Boubou se tient à l'écart, mais Suzy lui sourit gentiment. — Ma parole, dit en riant papa Plantevin à M. Sauthier, vous avez remis la maison à neuf. Je ne vous savais pas à la fois maçon, plâtrier, et menuisier. — Et encore, l'extérieur n'est rien, dit Mme Sauthier, fière de son mari. Entrez... Maman Plantevin s'émerveille. Les murs ont été repeints, les poutres vernies, l'évier remplacé. - Si tu savais comme nous sommes bien dans ta grande maison, dit Suzy à Jean-Lou. Ta chambre aussi a été rafraîchie... et toi, Boubou, tu auras la tienne, avec une fenêtre qui donne sur les oliviers.
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Et elle ajoute : — J'ai aussi une bonne nouvelle à vous apprendre. Tu te souviens JeanLou de ce que tu appelais le « gour », où tu plongeais. Eh ! bien, le maire de Tourette a fait venir un bulldozer pour l'agrandir. Le « gour » est devenu une vraie piscine où on peut nager. Nous allons passer des vacances formidables. , Mais déjà sonne midi, l'heure de passer à table. Mme Sauthier, que JeanLou reconnaît à peine tant elle est pleine d'entrain, a dressé une longue table dans l'immense pièce du rez-de-chaussée, l'ancienne salle commune de la ferme. Pour ce beau jour, elle a préparé un repas de fête. Suzy s'assied entre Jean-Lou et Boubou. Tout le monde bavarde gaiement. Ah! qu'il est loin, le sinistre hôpital de Lyon!... qu'il est loin l'étroit appartement de la rue Claude- Jorand !... qu'elle est loin la chambre sombre de la tante Emilie!... et qu'il est loin aussi le bidonville de Bobigny!... Les vacances! ce sont les vacances! Vivent les vacances!...
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