Blyton Enid Une nouvelle aventure des Robinson.doc

July 31, 2017 | Author: gerbotteau | Category: Boats, Birds, Sail, Cliff, Wound
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ENID BLYTON UUNE NOUVELLE AVENTURE DES ROBINSONS

Tom n'avait pas le choix : ou tomber aux mains des bandits, ou plonger dans la rivière souterraine dont les eaux noires grondaient devant lui. Les deux hommes revenaient déjà. Il n'hésita plus et piqua une tête dans le trou d'ombre... Partis en mer pour une banale excursion, Tom et ses amis ont découvert que la Falaise aux Oiseaux qu'ils explorent est truffée de souterrains et que le Roi des contrebandiers cache encore de sombres trafics. Ils sont réellement en danger et il leur faut beaucoup d'audace et d'astuce pour échapper aux malfaiteurs et mettre un terme à leurs mystérieuses activités.

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Edition originale en anglais

L'ÉDITION ORIGINALE DE CE ROMAN A PARU EN LANGUE ANGLAISE CHEZ GEORGE NEWNES LIMITED, LONDRES, 1947, SOUS LE TITRE :

THE ADVENTUROUS FOUR AGAIN © Darrell Waters Limited, 1947.

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ENID BLYTON

UNE NOUVELLE AVENTURE DES ROBINSONS TRADUIT DE L'ANGLAIS PAR CLAUDE VOILIER

ILLUSTRATIONS DE JEAN-LOUIS HENR1OT

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HACHETTE

TABLE 1) Vivent les vacances ! 2) Promenade en mer 3) La Falaise aux Oiseaux 4) Enigmes 5) Une étourderie de Tom 6) Retour à la Falaise 7) Tom désobéit 8) La caverne secrète 9) Tom perdu et retrouvé ! 10) Les pirates 11) Des lumières dans la nuit 12) Situation tragique 13) Les nouveaux Robinsons 14) Traqués ! 15) Une cascade d'événements 16) Captifs! 17) Modernes Petits Poucets 18) Expédition de nuit 19) Découvertes 20) Une surprise 21) Andy reçoit un choc ! 22) Evénements imprévus 23) Qui est dans la cabine ? 24) Andy a une idée 25) Départ à l'aube 26) Le chef mystérieux

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CHAPITRE PREMIER Vivent les vacances ! Trois enfants rayonnant de joie se laissaient cahoter le long d'un chemin de campagne, au rythme d'une guimbarde. L'Ecossais qui conduisait le véhicule ne disait rien, mais écoutait en souriant la conversation animée de ses jeunes passagers. « Quel bonheur de retrouver bientôt Andy ! s'écria Tom, un garçon aux cheveux roux, âgé d'environ douze ans et demi. Nous ne l'avons pas vu depuis notre passionnante aventure de l'été dernier ! — Et pour cause ! dit Jill. Il a fallu que nous attrapions la rougeole juste au moment des vacances de

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Noël, ce qui nous a empêchés de venir ici, dans notre jolie maison de campagne ! » Jill et Mary, les sœurs de Tom et d'un an ses cadettes, étaient jumelles. Elles se ressemblaient étonnamment avec leurs longues tresses dorées et leurs yeux bleus. Tom s'adressa au conducteur : « Jock ! Avez-vous entendu parler de nos aventures de l'été dernier ? » Jock fit oui de la tête. Il ouvrait rarement la bouche. Lors des précédentes grandes vacances, en pleine Seconde Guerre mondiale, Tom, Jill, Mary et leur ami Andy avaient vécu une palpitante odyssée. Partis en promenade, un jour, sur le bateau de pêche du père d'Andy, ils avaient été pris dans une tempête et entraînés sur une île déserte... Là, ils avaient découvert une base de sous-marins ennemis1. « Le pauvre Andy y a perdu le bateau de son père, rappela Jill. — Bah ! dit Mary. En fin de compte, cette perte a été largement compensée puisque le gouvernement a offert à notre ami un bateau neuf, bien plus beau que l'ancien... et baptisé Andy. » De fait, le jeune pêcheur avait été ravi. Le nouveau bateau de pêche était réellement magnifique. Le père d'Andy, lui aussi, était enchanté. Andy et lui ne vivaient que du poisson qu'ils vendaient. Et maintenant ils possédaient le plus beau bateau de la région ! La guimbarde continua de cahoter un moment encore puis les enfants aperçurent la mer. La côte était rocheuse et dangereuse mais l'immensité au-delà reflétait le bleu du ciel. Tom et ses sœurs poussèrent des cris de joie : « La mer ! Regardez... on distingue très bien les bateaux de pêche. — Je parie, dit Tom, que je suis capable de repérer la voile d'Andy ! Mais oui... la voyez-vous là-bas... celle qui est si rouge ? Estce que je me trompe, Jock ? »

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Voir Les Robinsons de l'île perdue, dans la même collection.

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Jock fit signe que non. Les trois enfants ne quittèrent plus des yeux la voile rouge. Le bateau d'Andy ! Andy lui-même était à bord et bientôt ils navigueraient avec lui. Que de joie en perspective ! Leur mère les attendait dans la maison qu'elle avait achetée au village. Depuis deux jours elle était là, pour tout préparer et les accueillir à la fin des classes. Les écoliers s'apprêtaient à bien profiter de leurs vacances de Pâques. Les feuilles des arbres commençaient à pousser, les haies à verdir et les plates-bandes à se parer de fleurs : primevères, violettes et chélidoines. « Plusieurs semaines au bord de la mer... avec Andy et son bateau ! murmura Tom d'un air extasié. Impossible d'imaginer des vacances plus chouettes. Bien sûr, nous ne pouvons pas espérer vivre des aventures aussi merveilleuses que l'an dernier, mais peu importe ! — Merci pour les aventures ! s'exclama Jill. Nous en avons vécu suffisamment l'été passé pour ne pas en souhaiter d'autres avant un bout de temps. Ah ! Voici maman ! » Effectivement la mère des enfants, debout au tournant suivant, agitait la main dans leur direction. Avant même l'arrêt de la guimbarde, Tom et les jumelles sautèrent sur l'herbe du talus et se jetèrent au cou de la jeune femme. « Maman ! Comme c'est bon de te retrouver ! — As-tu vu Andy ? - Si tu savais comme j'ai faim. Y a-t-il quelque chose à manger?» Cette dernière question était, bien entendu, posée par Tom qui avait toujours faim. Sa mère se mit à rire. « Bienvenue dans notre petit village de pêcheurs, mes enfants ! Oui, il y a de quoi manger, Tom. Hé oui, j'ai vu Andy. Il était désolé de ne pouvoir aller à votre rencontre, mais un gros banc de poissons a été signalé au large et il a dû partir avec son père pour l'aider à tirer ses filets. — Le bateau se comporte-t-il bien ? demanda Tom avec intérêt. L'été dernier, c'était une pure merveille. En

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classe, j'ai souvent pensé à Andy et je n'ai pu m'empêcher de l'envier. — Oh, Tom ! protesta sa mère, garde-toi d'envier Andy. Le métier de marin-pêcheur est rude, et sortir par tous les temps n'est pas une partie de plaisir. » La jeune femme et les enfants se mirent à descendre un étroit sentier aboutissant au village en contrebas. Jock les suivit, transportant les lourds bagages. « Quand Andy reviendra-t-il ? interrogea Jill. A-t-il changé, maman ? — Bien sûr, répondit sa mère. Il a grandi et forci, mais c'est normal. Il a presque quinze ans, tu sais. Et toi, tu vas sur tes treize ans, Tom ! Vous verrez Andy dans la soirée, quand il rentrera avec les autres marins. Il a promis de venir ici directement. — Nous descendrons jusqu'au rivage et nous guetterons le retour de son bateau, déclara Tom. C'est-à-dire... une fois que nous aurons mangé. Qu'y a-t-il de bon, maman ? — Du jambon, des œufs, trois sortes de gâteaux, deux sortes de confitures et un pâté au poisson. Es-tu content ? — Je pense bien ! s'écria Tom qui se sentait l'estomac dans les talons. Que c'est agréable d'être de nouveau ici et de penser à toutes ces sorties en mer qui nous attendent ! — Ma foi... j'espère que tu n'auras plus l'occasion d'aller à la chasse aux sous-marins ennemis, répliqua sa mère. Je crois que je deviendrais folle si vous deviez vous perdre de nouveau sur de lointaines îles désertes. » Les enfants coururent à la porte d'entrée du chalet. Une fois entrés, ils découvrirent un bon feu de bois qui brûlait dans la cheminée de la salle commune, et une table chargée de tant de choses appétissantes que Tom poussa un soupir de contentement. « Oh ! là ! là ! Est-il indispensable que je me lave les mains ? Ne pouvons-nous nous mettre à table tout de suite ? — Non ! répondit sa mère d'une voix ferme. Vous

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ressemblez à des ramoneurs. Allez vite vous débarbouiller!» Un instant plus tard, Tom, Jill et Mary dévoraient comme des ogres. « Eh bien ! dit leur mère en riant. Je crois qu'avec vos appétits j'aurai de quoi m'occuper pendant ces vacances ! Je vais passer mon temps à cuisiner... Non, non, mes enfants ! Inutile de m'aider à débarrasser et à faire la vaisselle. Mme Maclntyre, notre femme de ménage, va venir me donner un coup de main. Allez vous changer ! Mettez des chandails et des shorts et allez à la rencontre d'Andy. » Les enfants ne se le firent pas dire deux fois. Ils se mirent prestement en tenue de vacances. Le temps était beau et ensoleillé, presque comme en été. Tous trois coururent au rivage. Entre les rochers qui hérissaient ça et là la plage, s'étendait une bande de sable blond. Une petite jetée de pierre s'avançait dans la mer. Déjà les bateaux de pêche qui revenaient se dirigeaient vers elle. Tom et ses sœurs reconnurent de loin celui d'Andy. « C'est drôlement beau une flottille de bateaux rentrant de la pêche ! dit Tom qui, incapable de tenir en place, allait et venait sur la jetée. Que j'aimerais avoir un bateau bien à moi. Ohé, Andy ! Andy ! Tâche d'arriver premier, mon vieux. Montre-nous ce que ton bateau peut faire. » Comme si le jeune pêcheur avait entendu, sa voile se gonfla soudain plus fort que les autres et son embarcation prit la tête de la flottille. « Voilà Andy ! Et voici son père aussi ! s'écria Jill. Andy ! Nous sommes arrivés ! La pêche était bonne ? - Ohé ! Salut, vous autres ! » répondit Andy à pleine voix. Le joli bateau à la voile rouge accosta en douceur et Andy bondit sur la jetée. Lui et Tom se serrèrent la main, en souriant de plaisir. Les jumelles, pour leur part,

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sautèrent au cou du jeune pêcheur et l'embrassèrent en poussant des cris de joie. « Andy ! Comme tu as grandi ! Andy ! Tu es plus brun que jamais. Oh, Andy ! Nous voici tous réunis de nouveau ! N'est-ce pas merveilleux ? — Epatant ! » affirma Andy, aussi heureux que ses amis. Puis son père débarqua à son tour et amarra le bateau. Après quoi il sourit aux trois enfants et leur serra gravement la main. Il ne parlait jamais beaucoup. Les enfants savaient qu'il était plutôt sévère pour Andy et l'obligeait à travailler dur. Mais ils l'aimaient bien et avaient confiance en lui. « Viens m'aider à décharger le poisson, Andy ! » dit-il à son fils. Andy obéit sur-le-champ et commença de transporter les caisses. Les enfants lui donnèrent un coup de main. «A mon avis, confia Mary aux autres, le début des vacances est toujours agréable. C'est même ce qu'il y a de meilleur. - Oui, acquiesça Jill. Au milieu et surtout vers la fin le temps passe trop vite. Mais il semble que le début ne finira jamais. — Quand pourrons-nous sortir à la voile avec toi, Andy ? demanda Tom. Dans la soirée ? — Non... pas aujourd'hui, répondit Andy sachant que son père ne laisserait pas son bateau sortir une deuxième fois dans la journée. Demain, peut-être. J'ai idée que papa n'aura pas besoin d'aller pêcher demain. Aujourd'hui, nous avons attrapé tout ce que nous voulions. — Ce doit être bien agréable, dit Mary, de voir son nom écrit sur son propre bateau, n'est-ce pas? A-N-DY... ça fait très bien, tu sais ! — Ce bateau est autant à vous qu'à moi, déclara Andy. Je vous ai toujours dit que vous le partageriez avec moi quand vous seriez ici. On devrait même l'appeler \'Andy-Tom-Jill-Mary !

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— Le crépuscule commence à tomber, fit remarquer Tom avec un soupir et nous avons promis à maman d'être de retour avant la nuit. J'avoue aussi que je me sens fatigué. Nous avons fait un long voyage aujourd'hui. En ce moment, je ne désire qu'une chose : me coucher et dormir. — Comment ça? fit Jill. Sans souper? Vrai, tu dois être complètement éreinté, mon pauvre Tom ! » Andy se mit à rire. Il était heureux de retrouver les jumelles et Tom. Quatre semaines à passer ensemble ! Comme ils allaient bien s'amuser ! « A demain ! » dit Andy en prenant congé de ses trois amis. Ils se quittèrent en souriant. De retour à la maison, Tom et les jumelles ressentirent encore plus vivement leur fatigue de la journée. Ils dînèrent sans grand appétit, se déshabillèrent en hâte, firent leur toilette de façon presque automatique, puis se couchèrent, déjà à moitié endormis. Ils le furent complètement avant même que leur tête ait touché l'oreiller. « Demain... des tas de lendemains... » murmura Jill avant de fermer les yeux. Mary ne répondit rien. Elle dormait déjà et rêvait, précisément, de tous ces merveilleux lendemains !

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CHAPITRE II Promenade en mer Le jours suivants furent des plus agréables. Andy emmena ses amis en promenade sur son bateau qui, ne cessait-il de répéter, leur appartenait à tous les quatre. « Ça fait un quart chacun, déclara Jill. Moi, je choisis la voile rouge. Elle me plaît terriblement... Andy ! Pourrions-nous sortir avec le reste de la flottille, quand elle part pêcher ? - Oui, bien sûr ! » répondit Andy.

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Et il en fut ainsi la première fois où les bateaux du village prirent tous ensemble la mer. Andy apprit à ses amis à jeter les filets. Tom, Jill et Mary regardaient, fascinés, le spectacle des poissons argentés se débattant parmi les mailles du chalut. Le soleil brillait. Les enfants brunirent. Ils escaladaient les falaises des environs et prenaient du bon temps. Puis, Tom commença à en avoir assez de toujours excursionner dans les mêmes coins. Il souhaita en découvrir de nouveaux. « Pourquoi ne pas changer un peu d'horizon ? proposa-t-il. Ne pourrions-nous pas faire une longue balade avec la barque ? As-tu un endroit intéressant à nous suggérer, Andy? — Eh bien, répondit le jeune pêcheur, il se trouve que j'ai promis à votre mère de ne plus vous emmener au large. Elle craint que nous soyons pris dans une tempête, comme l'an dernier, et entraînés au diable. Nous devons donc nous contenter d'explorer la côte. — Tu dois bien connaître un endroit sortant de l'ordinaire ? dit Mary. — Un coin où personne ne met jamais les pieds, ajouta Jill. — Ma foi... il y aurait bien la Falaise aux Oiseaux ! » avança Andy. Les autres le regardèrent, pleins d'espoir. « La Falaise aux Oiseaux ! répéta Jill. Ça sonne bien. — Et l'endroit mérite bien son nom, expliqua Andy. Il y a là-bas des milliers d'oiseaux — je ne saurais dire au juste combien — de toute sorte. Des mouettes, des goélands, des cormorans et bien d'autres encore. Ils nichent dans tous les creux de rochers. En cette saison, on ne peut faire un pas sans écraser un nid. C'est une curiosité à voir ! — Eh bien, allons-y ! s'écria Tom. Je suis impatient de contempler le spectacle. J'emporterai mon appareil photo. Le trimestre prochain, il y a précisément un concours de photos à l'école. Si je pouvais prendre quelques clichés réussis, je serais bien content. — D'accord pour une visite à la Falaise aux Oiseaux !

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dit Jill à son tour. Cela sortira de l'ordinaire. Je me demande pourquoi tu ne nous en as pas parlé plus tôt, Andy ! — La dernière fois que vous étiez ici, répondit le jeune pêcheur, c'était en plein été. En cette saison-là, les oiseaux ne nichent pas dans les rochers de la côte. Ils volent au large et il n'y a pas grand-chose à voir sur la Falaise. Mais au printemps, c'est différent. Comme je vous l'ai expliqué tout à l'heure, ils s'y rassemblent par milliers. — C'est un excellent but d'excursion, déclara Torn. Est-ce très loin d'ici ? Pouvons-nous faire l'aller et retour dans la journée ? — Ce point est très important, souligna Jill. Maman ne nous laissera jamais passer une nuit dehors, j'en suis sûre. — Si nous partons de bonne heure le matin, calcula Andy, nous pouvons être de retour avant la nuit. C'est assez loin d'ici... et le coin est très isolé. Il nous faudra être très prudents à cause des récifs qui rendent la mer dangereuse dans ces parages. Mais il existe une passe que mon père connaît. Je lui demanderai de m'expliquer exactement où elle se trouve. Du reste, je suis déjà allé deux fois làbas avec lui. — Quand nous emmèneras-tu ? demanda Jill, déjà impatiente. Demain ? — Non. Je dois aller à la pêche avec mon père. Mais peut-être le jour suivant. Il faudra que vous vous passiez de moi demain. Profitezen pour vous documenter sur les oiseaux. Comme ça, vous serez capables d'identifier ceux de la Falaise quand vous les verrez ! » Les enfants suivirent le conseil de leur ami. Le lendemain ils étudièrent les pages de leur manuel d'ornithologie, photographiant des yeux chaque oiseau et tâchant d'en retenir le nom. Tom sortit son appareil et le chargea d'un rouleau de pellicule. Enfin, tous trois expliquèrent à leur mère ce qu'ils comptaient faire. « Cette promenade me semble intéressante, déclara-t-elle.

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J'espère seulement qu'Andy connaît parfaitement la côte. Je crois que la mer est assez dangereuse par là-bas. — Oh, maman ! répondit Tom. Andy peut mener son bateau n'importe où. Du reste, il a déjà été deux fois à la Falaise aux Oiseaux. N'est-ce pas merveilleux d'explorer un endroit où personne ne va jamais ? — La Falaise aux Oiseaux ! s'écria Mary. Des milliers d'oiseaux à voir, maman ! Et tu les verras toi-même si Tom réussit à les prendre en photo. — Avant de donner mon accord, mes enfants, décida la mère, je dois parler à Andy. » C'est ce qu'elle fit dans la soirée, en effet. Mais Andy lui promit de ne laisser aucun des enfants faire quoi que ce soit de périlleux ou de difficile. Le matin de l'excursion, ils sautèrent à bas de leur lit dès que le réveil sonna, à l'aube. Tom, soucieux de ne pas être en retard, se glissa dans la chambre de ses sœurs pour s'assurer qu'elles étaient bien debout et ne songeaient pas à se rendormir. « Le ciel commence à pâlir à l'est, leur fit-il remarquer. Dépêchez-vous. Nous devons être à la jetée dans quelques minutes. Je parie qu'Andy nous attend déjà ! » La mère des enfants arriva, en robe de chambre, et l'air ensommeillé. « Je n'ai pas voulu vous laisser partir sans vous embrasser, ditelle. Et maintenant, promettez-moi d'être prudents ! J'espère qu'Andy dispose de gilets de sauvetage à bord ? - Oh, maman ! protesta Jill. Tu sais bien que nous nageons tous comme des poissons ! — Oui, en eaux calmes ou à peine agitées, répondit sa mère. Mais si vous tombiez à la mer par temps d'orage, ce serait différent ! Vous avez bien embarqué les provisions que je vous ai données ?

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- Oui, bien sûr ! répliqua Tom à qui l'on pouvait faire confiance pour la nourriture. Nous avons tout monté à bord hier soir et tout bien rangé dans la cabine. Nous avons des vivres pour toute la journée.

— Il y a de quoi nourrir plusieurs familles pendant une semaine entière ! dit sa mère en riant. Allons ! Etes-vous prêts ? Emportez de chauds lainages avec vous ! Rappelez-vous que nous ne sommes pas en été. Tom, où est ton ciré ? » Ils partirent enfin. Le ciel s'était éclairci entre-temps. Ils coururent jusqu'à la jetée, heureux de sentir l'air froid sur leur visage. Andy était déjà là, bien entendu, il attendait patiemment. Il sourit en voyant ses amis agités et heureux. « Embarquez ! leur dit-il. Tout est paré. Je vais détacher l'amarre. » Les enfants ne firent qu'un bond de la jetée au joli bateau de pêche qu'ils aimaient tant. Il était parfaitement équipé, assez grand mais pas trop, très facile à manœuvrer. La cabine intérieure était merveilleusement aménagée. Tom et les jumelles, à présent rompus à la navigation, pouvaient aider Andy en n'importe quelle circonstance. L’Andy s'éloigna de la jetée. La brise gonfla sa voile rouge. Puis, soudain, le soleil parut au-dessus de la ligne d'horizon. Aussitôt, la mer parut flamboyer et chaque vague s'enflammer. Jill, saisie par la beauté du spectacle, ne se lassait pas de l'admirer. « On dirait que le monde renaît à la vie ! » s'exclama-t-elle. Très vite, les enfants durent cesser de contempler le soleil dont l'éclat leur blessait les yeux. Le bateau continua de glisser sur les vagues qui, maintenant, se teintaient d'or pâle et d'azur. Ça valait la peine de partir de bonne heure. On en était récompensé de façon magnifique. Jill se pencha un peu pour mieux voir le miroitement de l'eau.

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« Des tas de gens, murmura-t-elle, n'ont jamais assisté à un lever de soleil. Dans ma classe, beaucoup de filles n'ont jamais vu ça. Les pauvres, je les plains. Il devrait

y avoir une loi obligeant à assister à un lever de soleil, à se promener dans un bois au printemps, à admirer un champ plein de boutons-d'or, à... — Pare à virer ! Gare à la voile ! » hurla Andy à pleine voix. Jill n'eut que le temps de se baisser et oublia la suite de son discours. Andy, plus brun que jamais, était à la barre. Ses cheveux noirs dansaient dans le vent. Ses yeux bleus s'harmonisaient avec la couleur de la mer. « Dites-moi, commença Tom. Le moment n'est-il pas venu de... — De manger quelque chose », achevèrent les autres en chœur. Car aucun d'eux n'ignorait l'appétit féroce de Tom. Celui-ci prit un air peiné : « Ce n'est pas ce que j'allais dire, affirma-t-il. J'allais dire... n'estil pas temps de se rapprocher de la côte, maintenant ? Nous piquons droit vers le large. — C'est exprès ! déclara Andy en tenant la barre d'une main ferme tandis qu'un fort courant emportait le bateau. Il y a trop de dangereux récifs le long de la côte. Je ne veux pas prendre de risques. Nous devons continuer vers le large jusqu'à ce que j'aperçoive l'endroit que m'a signalé mon père. Alors, nous nous rabattrons un peu vers la terre. » Andy s'était muni d'une carte marine. Il la tendit à Tom et vérifia que celui-ci la tenait bien avant de la lâcher. C'est que le vent soufflait fort ! « Regarde ici ! lui dit-il. Ces petits points représentent les écueils. Tu peux te rendre compte que, non loin d'ici, la mer en est semée. Il s'agit de récifs très dangereux... juste au-dessous de la surface. Ils vous font un trou dans la coque en un rien de temps. Bien entendu, c'est un peu plus long de faire un détour au large, puis de 18

revenir vers la côte, mais c'est beaucoup plus sûr. Avant de mettre le cap vers la terre, il nous faut repérer trois grands pins au sommet d'une falaise. Ils sont du reste marqués sur cette carte. » Tom, Jill et Mary étudièrent la carte avec intérêt.

Comme la Falaise aux Oiseaux était loin de leur petit village ! Pas étonnant qu'Andy ait tenu à partir si tôt. « A quelle heure arriverons-nous là-bas ? demanda Mary. — Avec un peu de chance, répondit Andy, nous devrions y être vers onze heures. Peut-être même avant. Nous déjeunerons en arrivant car nous aurons certainement très faim. » Tom parut sérieusement alarmé. « Quoi ! s'écria-t-il. Devronsnous attendre jusque-là pour manger ? Je tombe déjà d'inanition. - Nigaud ! répliqua Andy en riant. Nous prendrons notre petit déjeuner avant. Vers sept heures ou sept heures et demie. Et même, nous pourrions, dès maintenant, grignoter quelques biscuits. Qu'en pensez-vous, les filles ? » Tous approuvèrent l'idée. « Des biscuits et du chocolat ! corrigea cependant Jill. Ça va si bien ensemble ! Je descends les chercher. » Elle disparut dans la petite cabine pour reparaître bientôt avec quatre rations de biscuits et de chocolat. Chacun se mit à grignoter avec entrain, Andy toujours à la barre. Ce jour-là, il ne permettrait à personne de piloter le bateau à sa place : l'endroit était trop dangereux. Le soleil était beaucoup plus haut dans le ciel. Et il chauffait davantage, encore que la brise de mer fût assez fraîche. Les enfants se félicitaient d'avoir emporté lainages et cirés. « Ah ! dit brusquement Andy. Voici venu le moment où nous allons piquer vers la terre. Voyez-vous ces trois pins sur la falaise, làbas ? » Andy changea de cap. La voile claqua fortement dans le vent. A présent, l'embarcation courait plus rapidement que jamais sur les flots. 19

Les enfants se laissaient griser par la vitesse et par les mouvements dû bateau.

CHAPITRE

III

La Falaise aux Oiseaux .Le petit déjeuner fut" le bienvenu. Il se composait d'œufs durs, de brioches beurrées et d'une boîte de pêches au sirop. Jill fit chauffer du lait dans la petite cabine et servit du chocolat crémeux, dont tous se régalèrent. 20

A présent, le bateau piquait droit sur la côte et les falaises rocheuses devenaient très visibles. Il était environ huit heures du matin. Le soleil déjà haut dans le ciel dispensait une chaleur agréable. « Eh bien, dit Tom qui regardait de tous ses yeux tandis que le bateau poursuivait sa course, on peut dire que voilà une côte désolée. Regarde un peu tous ces méchants récifs qui pointent hors de l'eau, Andy !

— Je sais ! Les plus traîtres sont indiqués sur la carte. Mais je les connais. Dans à peu près une demi-heure, nous parviendrons à une faille entre deux pans de falaise et nous nous engagerons dans un chenal. C'est une sorte de chemin aquatique entre deux rangées d'écueils. Tant que nous naviguerons au milieu, nous ne risquerons rien. » Vers neuf heures, les enfants aperçurent devant eux une portion de mer aux eaux très tumultueuses. Les vagues écumaient et lançaient l'embrun haut dans l'air. « Regardez ! dit Tom en désignant du doigt le phénomène. Il doit y avoir des récifs par ici ! — Exact, acquiesça Andy. Nous approchons de la faille dont je vous parlais tout à l'heure. Elle se trouve juste après ces turbulences. » Avec habileté, le jeune pêcheur pilota son bateau parmi les écueils dont la mer écumante trahissait la présence. Soudain, Tom et les jumelles poussèrent un cri. « Voici l'entrée de la passe ! Regarde, Andy ! L'eau est presque calme au-delà ! » Adroitement, Andy engagea l'embarcation dans l'ouverture. Le bateau la franchit sans encombre, sa voile rouge gonflée de vent. Il entra alors dans le chenal bordé d'écueils. « Quels horribles rochers à droite et à gauche ! s'exclama Jill. Mais, ici, on se sent en sûreté. Jusqu'où va ce chenal, Andy ? — Il aboutit au Roc des Contrebandiers, mais nous n'irons pas jusque-là. Nous bifurquerons en direction du rivage, avant d'y arriver, droit sur la Falaise aux Oiseaux. — Le Roc des Contrebandiers ! s'écria Tom en se penchant sur la carte. Quel nom évocateur !... Ah ! Ton père l'a indiqué ici, par un 21

petit point accompagné des initiales R.C., ce qui doit signifier "Roc des Contrebandiers". — Tout juste, dit Andy. Nous avons encore un bon bout de chemin à parcourir.

En attendant, c'est bien agréable de naviguer sur ces eaux tranquilles. Et voyez comme elles sont peu fréquentées. Depuis que nous avons laissé le village derrière nous, nous n'avons pas rencontré un seul bateau sur la mer ni aperçu un seul être humain à terre. — Pour une côte déserte, c'est en effet une côte déserte ! renchérit Tom. Sais-tu pourquoi on a baptisé ainsi le Roc des Contrebandiers, Andy ? Servait-il de refuge à des hors-la-loi au temps jadis ? — Je n'en sais rien, avoua Andy. Je n'ai jamais vu le Roc que de loin. C'est une petite île rocheuse aux pentes abruptes. Je crois que rien n'y pousse sauf, peut-être, des herbes aquatiques à la base. Il n'est pas impossible que cette île comporte de nombreuses cavernes autrefois utilisées par les contrebandiers. Mais personne ne m'en a jamais parlé. Aujourd'hui, aucun visiteur ne met plus le pied sur le Roc. — Dix heures et demie ! annonça Tom un moment plus tard. Sommes-nous encore loin de la Falaise aux Oiseaux, Andy? — Pourquoi ? Tu recommences à avoir faim ? s'enquit Andy avec un sourire. — Bravo, tu as deviné juste ! répondit Tom. Mais ce n'est pas la raison pour laquelle je te posais la question, mon vieux. Je pensais au temps dont nous disposions et me demandais combien d'heures nous pourrions passer là-bas. Parce que le voyage de retour va être long ! — Nous ne pourrons rester guère plus de deux heures environ à la Falaise, expliqua Andy. Mais cela suffira. Vous aurez le temps de grimper tout en haut, de faire un brin d'exploration, de déjeuner et de prendre des photos. Ensuite, nous repartirons sans lambiner. » 22

Jill cria soudain : « Regardez ! N'est-ce pas le Roc des Contrebandiers que l'on voit là-bas ? » Les autres regardèrent dans la direction qu'elle indiquait et aperçurent une petite île rocheuse qui s'élevait très haut au-dessus des vagues, à une certaine distance.

Presque aussitôt après, Andy fit virer son bateau à bâbord et mit le cap sur la côte. « Oui, affirma-t-il alors. C'est bien le Roc des Contrebandiers. Avez-vous remarqué que le chenal continue jusqu'à lui ? Mais je viens de changer de route pour piquer sur la Falaise. On peut déjà voir des oiseaux posés sur l'eau et d'autres qui volent autour des rochers ! » Au fur et à mesure que le bateau se rapprochait de la Falaise, les enfants pouvaient admirer des oiseaux de plus en plus nombreux. Il y en avait de tous les côtés. Les mouettes ne cessaient de crier. Jill compara leurs cris à des miaulements de chats. La gent emplumée s'élevait, descendait, rasait les flots, reprenait son essor pour planer haut, puis redescendait encore. « A présent, expliqua Andy, quand nous aurons contourné cette avancée rocheuse, nous arriverons à une espèce de baie aux eaux peu profondes. Les falaises qui se dressent juste derrière sont celles que je vous ai emmenés voir. Elles sont agrémentées de petites corniches étroites où les oiseaux de mer adorent faire leur nid. Ils les utilisent depuis des siècles. » L'Andy contourna le petit promontoire et entra dans la baie. Les enfants levèrent les yeux sur les falaises qui la dominaient. Ils restèrent un moment sans parler, tant était grand leur étonnement. C'est qu'ils voyaient des oiseaux par milliers ! Ils occupaient le moindre rebord rocheux et criaient de tous les côtés à la fois. Certains se lançaient du haut des falaises escarpées et s'envolaient plus haut encore ou, au contraire, se laissaient glisser sur les courants aériens, tous criant et s'appelant si fort que le vacarme 23

était intense. Soudain, Tom poussa une exclamation : « Regardez ! Qu'est-ce qui dégringole le long de la falaise? C'est comme une pluie de petites gouttes blanches ! - Des œufs ! répondit Andy. Ces oiseaux de mer ne font pas à proprement parler de nids. Ils se contentent de

pondre directement sur les étroites corniches rocheuses... et ensuite ils ne se soucient plus guère de leurs œufs. Quand ils s'envolent trop brusquement, leur couvée roule dans le vide et va s'écraser sur les rocs en dessous. — Andy ! Regarde ! s'écria à son tour Jill. Une rivière qui sort du bas de la falaise ! Ou plutôt un torrent ! Il semble jaillir d'une grotte ! Des profondeurs de la falaise même ! — C'est une rivière, en effet, déclara Andy en pilotant son bateau en souplesse. Et regardez là-haut... à mi-pente de la falaise... Voyez-vous cette cascade ? Elle sort d'un gros trou. Je suppose que, pour une raison ou une autre, un cours d'eau souterrain n'a pu s'écouler normalement. Alors, il s'est frayé un chemin à travers la roche même et se déverse à l'extérieur sous forme de cascade. — Cet endroit est plein de choses intéressantes, dit Jill. J'aimerais bien, pourtant, que les oiseaux fassent un peu moins de bruit. On ne s'entend plus parler ! — Où allons-nous laisser le bateau ? demanda Mary. Il n'y pas ici la moindre jetée, et pas davantage de sable où nous puissions le tirer. — Je vais le piloter jusqu'à cet endroit un peu profond, juste en contrebas de la falaise, expliqua Andy. Et je jetterai l'ancre. Il sera là parfaitement en sécurité ! Pour aller à terre, il nous suffira de sauter de rocher en rocher. — Déjeunons d'abord ! proposa Jill.

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— Alors... juste un morceau, conseilla Tom à la surprise générale. J'ai hâte d'explorer cette falaise. Nous aurons tout le temps de faire un bon repas sur le chemin du retour. - Tu as raison ! » approuva Andy. Là-dessus, les quatre amis se dépêchèrent de confectionner quelques sandwiches au beurre et au pâté. Ils s'en régalèrent, burent et puis, laissant l’Andy tranquillement à l'ancre, cherchèrent du regard les rochers les plus commodes pour aller à terre. Après avoir retiré leurs chaussures et les avoir suspendues

à leur cou par les lacets, ils suivirent alors le chemin de rochers qui les conduisit au pied de la falaise. Non loin de là, la rivière qui sortait d'une grotte s'élançait à la rencontre de la mer en mugissant et en écumant. Le choc de ces deux forces contraires avait quelque chose d'impressionnant. Les eaux en se confondant bouillonnaient à grand fracas : on eût dit un chaudron de sorcière. Le bruit était d'autant plus assourdissant qu'il se doublait des clameurs discordantes des oiseaux. « Je vais trouver le meilleur chemin pour grimper sur la falaise, annonça Andy qui avait le pied aussi sûr que celui d'une chèvre. Vous devrez me suivre pas à pas. La pente est abrupte mais sans danger pour des gens comme nous, entraînés à escalader les rochers. Veillez toutefois à ne pas mettre le pied sur quoi que ce soit de glissant. Tom ! Tu fermeras la marche, pour le cas où l'une des filles ferait un faux pas. » Les cris des oiseaux résonnant à leurs oreilles et d'incessants battements d'ailes autour d'eux, les quatre enfants commencèrent leur ascension. Il y avait quantité d'excellentes prises pour les mains et les pieds des jeunes alpinistes. Il n'empêche que, si leurs parents les avaient vus, ils auraient frissonné en suivant leur lente progression au flanc de la vertigineuse falaise. A présent, vus d'en bas, ils n'étaient plus que des points mouvants accrochés à la paroi verticale. Bien entendu, en touchant terre, ils s'étaient rechaussés et Tom avait passé son appareil photographique en 25

bandoulière. Ils arrivèrent enfin à l'endroit où les oiseaux nichaient, hors d'atteinte des vagues. Effrayés et furieux, les oiseaux s'envolèrent, abandonnant leurs œufs dont plusieurs roulèrent dans la mer audessous. « Mais la plupart ne tombent pas, fit remarquer Mary aux autres. Ils roulent sur eux-mêmes. Regardez quelle drôle de forme ils ont ! Extrêmement pointus à une extrémité !

— C'est cette forme même qui les empêche de dégringoler, expliqua Andy. Ils roulent bien, mais tout en restant à la même place.» Les jeunes excursionnistes atteignirent bientôt une étroite corniche qui semblait être une piste tracée au flanc de la falaise. Elle coupait celle-ci à peu près à mi-hauteur. Soudain, Jill laissa échapper un faible cri de détresse : « Andy ! Je viens de regarder en bas ! Et... oh... je me sens toute drôle, comme si j'allais tomber. J'ai le vertige ! — Ne fais pas la sotte ! répliqua Andy qui n'était pas sensible à l'attirance du vide. Tu as déjà grimpé aussi haut sans ennui. Suis-moi : je vais te mener à un endroit où tu auras plus de place et où tu pourras te reposer. » Tremblante, Jill suivit Andy de très près, n'osant plus regarder la mer au-dessous d'elle. Elle poussa un soupir de soulagement en constatant que le sentier rocheux s'élargissait pour, finalement, aboutir à une sorte d'aire de repos. A cet endroit, une grotte peu profonde s'ouvrait au flanc de la falaise. Les jeunes excursionnistes rampèrent à l'intérieur et, une fois là, s'étendirent sur le sol, un peu essoufflés et en nage. Au bout d'un moment, Tom se redressa et annonça aux autres : « Je sors prendre quelques photos ! » Juste à cet instant, alors qu'il s'apprêtait à se glisser hors de leur refuge, il 's'arrêta net. Un bruit des plus curieux, dans ce lieu désolé, 26

uniquement hanté par les oiseaux de mer, venait de frapper ses oreilles : quelqu'un, non loin de là, sifflait un air à la mode. C'était étrange !

CHAPITRE IV Enigmes On continuait à siffler fort et distinctement. Intrigués, les enfants écoutaient. Quelqu'un sur la Falaise aux Oiseaux ! Qui donc cela pouvait-il être ? La clameur sauvage des oiseaux s'intensifia soudain et le sifflement fut noyé par le bruit. Les jeunes excursionnistes échangèrent des regards surpris. 27

« Vous avez entendu ? dit Tom. Quelqu'un sifflait. - Allons voir de qui il s'agit ! » proposa Andy en se soulevant à demi. Jill le tira en arrière. « Non, dit-elle. N'y va pas ! L'homme pourrait être fâché de nous voir ici. Peut-être s'intéresse-t-il aux oiseaux. Ou bien c'est un photographe ou quelque chose comme ça. Et s'il pensait que nous avons effrayé toutes ces mouettes, il se mettrait en colère. » Andy protesta : « Cette falaise nous appartient autant qu'à lui. » Le sifflement reprit, très clair, et un raclement de semelles apprit aux enfants que quelqu'un approchait. « II est juste au-dessus de nous ! chuchota Jill. Oh !... Regardez!» Plus haut que la grotte où se reposaient Andy et ses amis se trouvait une étroite corniche. Et, là, venait de s'asseoir le siffleur, comme en témoignait une paire de jambes nues brusquement apparues et qui se balançaient dans le vide. Les enfants regardèrent ces jambes en silence. Elles n'étaient guère plaisantes à voir : énormes, terminées par des pieds non moins gros, et, de plus, affreusement sales. Détail peu attrayant : elles étaient couvertes de poils noirs et drus qui faisaient penser à la fourrure d'un animal. Les quatre amis se dirent que le propriétaire de ces jambes-là devait être aussi horrible qu'elles, mais aucun ne souffla mot. Le cœur de Jill battait seulement un peu plus vite. Elle ne pouvait détacher ses yeux des pieds qui se balançaient et qu'elle souhaitait tout bas voir partir. L'homme continuait à siffler sans arrêt. Tout à coup, une grande quantité d'œufs d'oiseaux vint s'écraser sur la corniche située juste devant la grotte des enfants. Cela fit une omelette assez laide. Andy, Tom, Jill et Mary faillirent crier leur indignation. Comment pouvait-on délibérément détruire les œufs des mouettes ? Pourtant, tous quatre restèrent silencieux. Il se dégageait quelque chose d'assez effrayant de cette vilaine paire de jambes. On sentait que celui qui était assis là-haut se croyait parfaitement seul et on devinait 28

qu'en découvrant la présence des enfants il ne pourrait que se mettre en colère contre eux. Et chacun de se poser la question : qui pouvait bien être cet homme ? Certainement pas un pêcheur !

Et comment était-il venu à la Falaise aux Oiseaux ? Les jeunes excursionnistes n'avaient vu aucun bateau dans la baie que surplombait la falaise. Ils espéraient que l'homme n'avait pas repéré le leur. Pour l'instant, d'où il était assis, l'inconnu ne pouvait apercevoir l'Andy. « Enfonçons-nous un peu plus à l'intérieur de la grotte, proposa Tom dans un souffle. Juste au cas où ce type descendrait jusqu'à notre corniche et aurait l'idée de jeter un coup d'oeil par ici. » Tous suivirent le conseil. Mais, même au fond de la grotte, ils pouvaient encore voir les jambes pendantes... et quelque chose d'autre. L'homme balançait une paire de jumelles au bout de leur courroie. On pouvait suivre leur va-et-vient à côté des pieds de l'homme. Le sifflement s'interrompit. Une voix bougonne dit tout haut : « Douze heures pile ! Midi ! » Les jumelles remontèrent. Peut-être l'inconnu était-il en train de s'en servir. Que regardait-il donc ? Quelque chose du côté de la mer ? Il poussa soudain une exclamation sourde. Sans doute venait-il d'apercevoir ce qu'il cherchait. Les enfants tendirent le cou, s'efforçant de voir si une embarcation quelconque n'était pas apparue sur l'immensité. Mais celle-ci leur sembla vide. Au bout d'un moment, l'homme se leva. Ses horribles jambes disparurent l'une après l'autre. Ouf ! Quel soulagement ! Les quatre amis ne pouvaient se figurer le propriétaire de telles jambes que sous la forme d'un géant. L'inconnu acheva de se redresser, non sans détacher quelques parcelles de pierraille de la corniche où il s'était posté. Il se mit en marche en recommençant à siffler. Le bruit décrut peu à peu, puis ce fut le silence. Andy rampa avec précaution hors de la grotte et tendit l'oreille. Il n'entendit rien. S'avançant un peu sur la large corniche il leva les yeux et, au bout d'un moment, alla retrouver ses camarades. 29

« Je n'ai rien vu ! annonça-t-il. Que pensez-vous de tout cela ? Comment cet homme est-il arrivé jusqu'ici ? — S'il n'a pas de bateau, répondit Tom, c'est qu'il est venu par voie de terre. » Andy secoua la tête. « Non, dit-il. Impossible d'escalader cette falaise hormis du côté de la mer. Des ornithologues sont parfois venus jusqu'ici pour étudier les oiseaux, mais toujours par bateau. Tenter d'escalader la falaise de l'autre côté serait vouloir se suicider ! — Dans ce cas, conclut Tom, logique, cet homme est sûrement venu en bateau lui aussi. — Mais ce bateau... où l'a-t-il caché ? riposta Andy. 11 me semble que nous n'aurions pu manquer de le voir ! 11 est impossible de cacher, fût-ce un youyou, dans une baie de dimensions aussi restreintes. — Et où est passé notre bonhomme ? demanda Jill. A-t-il continué à gravir la falaise ? - Je le suppose, dit Andy. Pourtant, je crois bien que le sentier se termine non loin d'ici. Peut-être cet inconnu vit-il dans une caverne à flanc de rocher ? J'ai envie d'aller voir. - Non, je t'en prie ! Je n'aime pas du tout cette paire de jambes ! déclara Jill. Je suis sûre qu'elle ne peut appartenir qu'à un individu énorme, horrible, velu... quelque chose comme un gorille ! - Que tu es sotte ! coupa Tom. Ce type est peut-être très gentil... Toutefois, je dois avouer que je ne suis pas pressé moi non plus de faire sa connaissance. Il a une grosse voix, très déplaisante. - Eh bien, je vais essayer de découvrir sa tanière... ou du moins l'endroit où il est allé. Après tout, même s'il me voit, quelle importance? N'importe qui a le droit de venir se promener par ici, déclara Andy.

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- Je te suis, décida Tom. Je me sens suffisamment u-posé. Les filles n'ont qu'à nous attendre ici. Nous ne serons pas longtemps absents. »

Jill et Mary, très fatiguées par leur longue escalade, ne demandaient pas mieux que de prendre encore un peu de repos. Allongées côte à côte, elles écoutèrent les deux garçons grimper sur la corniche supérieure, où l'inconnu s'était tenu précédemment. La voix de Tom leur parvint, assourdie : « Cette corniche, elle aussi, forme comme un petit sentier. Viens, Andy ! Notre homme est certainement passé par ici ! » Tous deux suivirent donc le sentier rocheux. Ils étaient contents d'avoir laissé les filles derrière eux car le passage s'étrécissait si fort par endroits qu'il devenait un vrai sentier de chèvres. Mais il n'y avait pas de chèvres dans le coin tant la végétation était rare : elle aurait à peine suffi à en nourrir une seule. Tom et Andy, arrivés à un tournant, entendirent soudain un puissant grondement. « La cascade ! annonça le jeune pêcheur. Elle doit jaillir tout près d'ici. Autant que je me souvienne, elle barre le chemin et empêche d'aller plus loin. » Ils ne tardèrent pas à l'atteindre et s'arrêtèrent, émerveillés. Les eaux torrentueuses jaillissaient du flanc de la montagne, décrivaient une légère courbe, puis tombaient droit le long de la pente rocheuse en brillant et en miroitant au soleil. « Je regrette que Jill et Mary ne puissent pas voir ça ! déclara Tom. Si nous allions les chercher ? — Pas le temps ! répondit brièvement Andy. Tom ! Ne trouvestu pas curieux que nous n'ayons pas encore aperçu l'homme que nous cherchons ? Il n'y a pas la moindre cachette où il aurait pu se glisser tout le long du chemin que nous venons de suivre. Pas même un trou de lapin ! Où diable est-il passé ? — De l'autre côté de la cascade, tiens ! 31

— Impossible ! assura Andy. Tu vois bien qu'elle barre complètement la route ! Et qui pourrait passer à travers pour aller de l'autre côté ? On serait fatalement emporté par le courant ! » Tous deux suivirent donc le sentier rocheux. —»

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A présent, les deux amis étaient tout près de la cascade. Elle dégringolait en faisant au moins autant de bruit que toutes les mouettes réunies. Sa voix les assourdissait et ils devaient crier pour s'entendre mutuellement. Tom fixa un regard pensif sur l'eau qui jaillissait impétueusement du trou au flanc de la falaise. Il l'imaginait roulant d'abord dans les ténèbres, au cœur de la haute falaise, le long d'étroits tunnels sinueux, puis jaillissant au grand jour, comme bondissant de joie dans le soleil, pour se précipiter dans la mer étincelante audessous. Il n'était pas moins intrigué qu'Andy. Il était assurément fort étrange que l'homme aux jambes velues ait disparu de cette façon. A moins qu'il ne fût tombé dans le vide ! Quelle horrible supposition ! « Andy ? demanda Tom tout fort. Crois-tu qu'il ait dégringolé en bas ? » Andy secoua la tête. « Non. Il doit avoir l'habitude de ces falaises, sans quoi il ne s'y risquerait pas. Il doit se trouver quelque part aux alentours. — Mais où ? insista Tom, que ce petit mystère commençait à exaspérer. Nous ne l'avons pas rattrapé et tu affirmes que personne ne pourrait traverser cette cascade sans être précipité dans l'abîme. Or, tu prétends qu'il n'est pas tombé ! Alors, où est-il ? — Je n'en sais rien », avoua Andy en se renfrognant. Il leva les yeux pour voir s'il y avait moyen de grimper au-dessus de la chute d'eau, mais la paroi rocheuse était particulièrement lisse et abrupte à cet endroit. Aucun être humain n'aurait pu passer par là. Andy regarda alors sous la cascade, là où elle sortait du roc en décrivant une courbe. « Non, dit-il encore. Il serait trop dangereux d'essayer de passer dessous. De toute manière, la corniche formant sentier ne continue pas au-delà de cette chute d'eau. Décidément, c'est un mystère ! »

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Les deux garçons, de plus en plus intrigués, firent demi-tour. Ils n'avaient parcouru que quelques mètres quand le bruit de la cascade diminua soudain fortement. Andy et Tom se retournèrent. « Elle coule avec moins d'abondance, constata Tom, stupéfait. Regarde, Andy, comme son débit a diminué ! - Je suppose qu'il varie de temps en temps, dit Andy. Parfois la cascade forme sans doute un torrent impétueux, d'autres fois elle ralentit son cours et diminue de volume selon qu'il pleut ou non. — Regarde, Andy ! dit encore Tom. A présent, elle ne coule presque plus. Je me demande pourquoi. — Viens donc ! fit Andy avec impatience. Les filles vont se demander ce que nous sommes devenus ! » Les deux amis se hâtèrent donc d'aller rejoindre Jill et Mary qui, selon les prévisions d'Andy, commençaient à trouver le temps long. « Aucune trace de l'homme ! annonça Tom d'emblée. Il s'est positivement évaporé ! Etrange, n'est-ce pas ? — Très étrange ! » acquiesça Jill. Les jumelles étaient surprises de la subite disparition de l'inconnu. Puis elles posèrent des questions sur la cascade qu'elles regrettaient de n'avoir pas vue. « Nous vous raconterons tout en détail, promit Andy, lorsque nous serons à bord de notre bateau. Pour l'instant, il s'agit de se dépêcher. Il commence à se faire tard et nous devrions être déjà partis. Et puis, j'ai une faim de loup. Rappelez-vous que nous n'avons pas encore déjeuné pour de bon ! » Les quatre amis se mirent en route. Ils venaient juste de quitter la grotte quand ils éprouvèrent un nouveau choc. Un son familier venait de frapper leurs oreilles. « Le voilà qui siffle à nouveau ! dit Andy. Cet homme doit forcément se trouver non loin de nous. Mais où diable se cache-t-il ? Je donnerais cher pour le savoir ! »

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CHAPITRE V Une étourderie de Tom Il y avait certes de quoi s'étonner. L'inconnu, qui avait si bizarrement disparu et que les enfants pouvaient à juste titre supposer loin de là, se trouvait de nouveau tout près d'eux. Andy s'arrêta et regarda en arrière : il ne vit personne. « Impossible de revenir sur nos pas et de recommencer nos recherches, dit-il. Le temps nous manquerait. Mais où donc pouvait se cacher cet homme, Tom, quand nous étions à sa recherche sur le chemin de la cascade ? - Je ne le sais pas plus que toi, mon vieux, répondit Tom. Et pourtant, je me fatigue les méninges. Enfin, tant

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pis ! Nous devons renoncer à le découvrir. Ma faim passe avant ma curiosité. J'ai hâte de déjeuner ! » Les enfants se remirent en route. Il était beaucoup plus facile de descendre que de monter. Mais Jill se méfiait. Pour ne pas risquer d'être à nouveau la proie du vertige, elle prit grand soin de ne jamais regarder la mer au-dessous d'elle. Les quatre amis se retrouvèrent enfin au bas de la falaise, non loin de la rivière souterraine dont les eaux tumultueuses jaillissaient en écumant. Ils se hâtèrent de regagner leur bateau, toujours sagement à l'ancre et que le flot balançait doucement. Sitôt à bord, Jill et Mary se précipitèrent dans la cabine pour composer un savoureux repas : jambon froid, œufs durs, petits pains et 'une grosse boîte de pêches au sirop. Ce ne serait pas de trop pour rassasier tout le monde. « Si l'un de nous a encore faim après avoir mangé ça, déclara Jill, il y a encore du chocolat. Maman nous en a donné plusieurs douzaines de barres. Nous avons aussi des fruits frais et des noix, — Allons-nous déjeuner avant de partir ou est-il préférable d'appareiller et de manger en route ? » demanda Tom qui aurait bien aimé se mettre à table sur-le-champ. Andy leva la tête et regarda la position du soleil dans le ciel. « Le soleil n'est plus au zénith depuis un bon bout de temps, fit-il remarquer. Il vaut mieux mettre à la voile tout de suite et nous restaurer une fois en mer. Le vent nous sera moins favorable au retour qu'à l'aller, encore qu'il ait un peu tourné. Je me charge de barrer. » Andy et Tom prirent les avirons et conduisirent le bateau hors de la baie, dans les eaux libres. Andy hissa alors la voile. L'Andy se mit à bondir sur les flots, mais pas aussi vite qu'à l'aller. Il faisait bon sur le pont, chauffé par le soleil. Les quatre enfants attaquèrent à belles dents le jambon, le pain, les œufs et les pêches. Quand ils eurent fini, seul Tom se sentit encore assez

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d'appétit pour réclamer du chocolat. Encore le grignota-t-il du bout des dents, plus par gourmandise que par faim réelle. « Notre voyage de retour s'annonce bien, déclara Andy. Ah ! Voici le chenal entre les récifs... Apercevez-vous le Roc des Contrebandiers, là-bas ? » Tom, Jill et Mary regardèrent l'étendue liquide, aux eaux calmes, qui révélait le chenal au bout duquel se dressait l'île rocheuse dénommée Roc des Contrebandiers. En écarquillant les yeux, ils distinguèrent celui-ci au loin, comme un pic désolé. Pas étonnant que personne n'y aille jamais ! Son aspect était des plus rébarbatifs. Pourtant, il pouvait être intéressant à visiter. « Irons-nous l'explorer, Andy ? demanda Tom. Ce serait amusant. Nous rechercherions les cavernes où se terraient peut-être autrefois les contrebandiers ! - Nous irons, bien sûr, si cela vous fait plaisir, répondit le jeune pêcheur. En attendant, profitons de la promenade de retour. Vous ne trouvez pas que le bateau ressemble à un oiseau ? » C'était exact. Andy paraissait maintenant voler sur les flots. Léger et docile à la main qui le guidait, il avait l'air d'une chose vivante et presque aérienne. Les enfants aimaient le claquement de sa voile et les craquements de sa membrure, le clapotis des vagues contre sa coque et le sillon blanc écumeux qu'il laissait derrière lui. « J'estime que tous les jeunes devraient avoir un bateau à eux, dit Tom. J'aimerais en avoir un à moi, et aussi un cheval, et un chien, et...» II s'interrompit brusquement et prit un air si consterné que ses sœurs s'inquiétèrent. « Qu'est-ce que tu as ? » demanda Jill. Tom poussa un gémissement : « Savez-vous ce que j'ai fait ? J'ai oublié mon appareil photo sur la Falaise. Je ne fais que des âneries de ce genre. Mon merveilleux appareil. Celui que papa m'a offert à Noël. Il lui a coûté très cher et j'ai promis solennellement

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d'en avoir le plus grand soin. Et maintenant je l'ai perdu... je l'ai abandonné là-bas ! — Idiot, s'exclama Mary. Tu n'as pas un brin de cervelle. C'est maman qui va être contente ! » Tom fronça les sourcils : « Nom d'un pétard, Andy ! Pouvons-nous faire demi-tour? — Quoi ? Retourner là-bas et escalader de nouveau la falaise ? répliqua Andy. Tu en as de bonnes, toi ! Nous n'avons pas le temps, tu le sais bien. Je ne vais certainement pas piloter ce bateau de nuit, alors que la mer est truffée d'écueils. — Je n'ai pas pris une seule photo et, en plus, j'ai oublié mon appareil, se lamenta Tom. Il était si beau. J'ai dû le laisser au fond de la grotte où nous avons fait une halte pour nous reposer. J'espère que l'homme aux jambes velues ne va pas le trouver et se l'approprier! » A cette seule pensée, tous frémirent. Un appareil aussi perfectionné que celui de Tom valait une petite fortune. Tom semblait tellement abattu qu'Andy eut pitié de lui. « Allons ! dit-il. Ne fais pas cette tête-là ! Nous retournerons làbas un jour de cette semaine. Papa me prêtera sans doute encore le bateau. : nous irons chercher ton appareil et nous pourrons même faire un saut jusqu'au Roc des Contrebandiers ! » A cette perspective, tous les visages s'éclairèrent. Déjà les enfants imaginaient l'excursion. Ils se lèveraient de très, très bonne heure... à moins que leur mère ne leur permît de passer la nuit à bord ! Dans ce cas-là, ils pourraient passer une journée entière sur le Roc des Contrebandiers ! Les yeux brillants de plaisir, ils se mirent à faire mille projets. « Ne soyez pas trop optimistes ! » dit Andy qui continuait à conduire d'une main sûre le bateau entre les récifs. « Je me demande, dit tout haut Jill en suivant le fil de sa pensée,

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ce que faisait cet homme là-haut, avec ses jumelles ! » Cette réflexion ramena le « siffleur » aux jambes velues sur le tapis. Chacun se mit à discuter du mystère que représentait sa soudaine disparition. Tom, qui retournait pour la centième fois la question dans sa tête, déclara une fois de plus : « Je n'ai aperçu nulle part de trou assez gros pour servir de refuge à un lapin. La logique aurait voulu que nous rencontrions notre homme quelque part sur le parcours... et il n'y était pas. Il s'était évaporé dans l'air. J'ai même cru un moment que nous avions rêvé ! — Eh bien, dit Mary en riant, s'il s'est évaporé il faut croire qu'il s'est matérialisé de nouveau puisque nous l'avons entendu siffler juste comme nous partions. Et il se trouvait certainement dans une cachette tout près de nous ! » Le mystère représenté par cette cachette fit un long moment les frais de la conversation. Soudain, Jill, la première, émit une hypothèse sensée : « Je sais ! dit-elle brusquement en se redressant. Je sais où notre inconnu a disparu. — Pas possible ! lança Tom, incrédule. — Si ! Je parie qu'il a attendu l'instant où la cascade réduisait son débit — comme vous avez remarqué vous-mêmes qu'elle le faisait — pour s'engouffrer dans l'orifice par où elle jaillit, jusqu'au cœur même de la falaise ! » Jill triomphait. Mais les autres refusèrent de prendre en considération son hypothèse qui semblait trop invraisemblable. « Allons ! dit finalement Tom. Crois-tu vraiment que l'homme ait pu pénétrer dans la falaise en passant par le trou de la cascade ? Pourquoi se serait-il caché là ? Sans compter qu'il aurait été trempé ! — Alors, répliqua Jill, peux-tu nous fournir une meilleure explication ? Plus j'y pense, plus je suis persuadée

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qu'il existe un passage conduisant de la cascade au cœur de la falaise ! » Jill était enchantée d'avoir trouvé ce qu'elle estimait être la clef de l'énigme. Elle continua de développer son idée, tant et si bien que les autres finirent par s'y intéresser. « Après tout, Jill a peut-être raison, déclara Andy sans cesser de surveiller les eaux bleues. Peut-être est-il, en effet, possible de passer par le trou d'où jaillit la cascade, à un moment où celle-ci n'a qu'un faible débit... Nous avons remarqué nous-mêmes que le phénomène peut se produire subitement, n'est-ce pas, Tom ? — Eh bien, coupa Mary, lorsque nous retournerons à la Falaise aux Oiseaux pour chercher l'appareil photo de Tom, nous tâcherons d'aller contrôler sur place. Je veux savoir où notre siffleur a disparu et, si possible, qui il est... bien que je ne tienne pas du tout à le rencontrer! - Nous veillerons à ne pas croiser sa route ! promit Andy. S'il te plaît, Tom, veux-tu tenir la barre un instant ? » Tom ne demandait pas mieux que de remplacer son ami un instant. Les filles déployèrent des couvertures et s'allongèrent sur le pont. C'était bon de sentir la chaude caresse du soleil sur la peau. Le bateau poursuivait allègrement sa route. Il avait réellement l'air de participer au plaisir des enfants. Les quatre amis goûtèrent à cinq heures, lorsque le soleil commença de décliner pour de bon à l'ouest. Le vent fit moutonner la mer et l'Andy, plein de fougue, se mit à fendre les flots tel un gamin jouant aux montagnes russes. Les enfants avaient tous le pied marin : aucun d'eux ne souffrit du mal de mer. Le soleil disparut brusquement derrière les nuages. Une fraîcheur pénétrante tomba sur la mer. Chacun s'empressa de se couvrir. Après tout, on n'était encore qu'en avril ! « Nous serons rentrés avant qu'il fasse nuit, déclara

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Tom après un coup d'œil au couchant. Nous avons passé une excellente journée, qu'en pensez-vous ? — Ce sera également intéressant de retourner là-bas, dit Jill, pour voir s'il y a vraiment une cachette derrière la cascade. Et je serai contente, aussi, d'explorer le Roc des Contrebandiers. Quand nous y conduiras-tu, Andy ? — Je crains que le temps ne change, répondit le jeune pêcheur en regardant le ciel. Je prévois de la pluie et des grains demain et peutêtre tout le reste de la semaine. Mieux vaut choisir une journée ensoleillée pour notre excursion, elle serait gâtée si le temps était mauvais. » L'Andy rentra au port, escorté de gros nuages noirs d'où tombèrent bientôt d'énormes gouttes de pluie. La mère de Tom et des jumelles fut soulagée en les voyant de retour. Mais elle parut très contrariée quand Tom lui avoua avoir oublié son appareil photo sur la falaise. « Il faudra que tu retournes le chercher, dit-elle. C'est un objet de trop grande valeur pour qu'on renonce à le récupérer. Quelle tête de linotte tu as, mon pauvre Tom ! Je me demande s'il faut continuer à t'offrir de jolies choses. — Je suis vraiment désolé, maman, dit Tom. Je te promets d'aller chercher mon appareil dès la première journée de beau temps. Mais, pour l'instant, il n'y faut pas compter. Andy affirme qu'il va pleuvoir tous ces jours-ci. Dès que le soleil sera de retour, en route pour la Falaise aux Oiseaux ! J'ai hâte de retrouver mon appareil, tu sais ! — Et moi, ajouta Jill tout bas, j'ai hâte d'inspecter la cascade et d'explorer le Roc des Contrebandiers ! Mary ! Faisons des vœux pour que maman nous autorise à passer une nuit sur l’Andy ! Nous aurons alors le temps de tout faire ! »

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CHAPITRE VI Retour à la Falaise Ainsi qu'Andy l'avait prévu, les jours suivants furent pluvieux et froids. Néanmoins, la pêche donnait bien. Tom, Jill et Mary, chaussés de bottes et chaudement vêtus sous leurs cirés, aidèrent de leur mieux leur ami. Andy travaillait dur. Les chaluts étaient relevés pleins à craquer. Le père d'Andy ne cachait pas sa satisfaction. « Peut-être me donnera-t-il deux ou trois jours de congé, dit le jeune pêcheur. Dès que le beau temps sera revenu, nous sortirons avec le bateau. Je m'en fais une joie à l'avance ! » Un soir, le père d'Andy vint dîner. La mère des enfants aimait beaucoup cet homme silencieux, au visage grave. 43

Elle prépara un excellent repas. Les quatre amis se régalèrent eux aussi, tout en bavardant comme des pies. « Ne vous cassent-ils pas les oreilles ? » demanda l'hôtesse à son invité. Un éclair malicieux passa dans les yeux bleus du pêcheur. « Bah ! dit-il. Leur bavardage n'est guère plus bruyant que les cris des mouettes. — Mais nous sommes plus utiles que les mouettes ! protesta Mary en riant. Nous vous avons beaucoup aidé cette semaine. C'est vous-même qui l'avez dit ! — C'est vrai, reconnut le pêcheur. Andy vous a appris quantité de choses et vous avez su les mettre en application. Vous êtes de braves petits. » Le père d'Andy n'avait pas coutume de faire des compliments, aussi les enfants en furent ravis. Jill exploita sur-le-champ la bonne humeur de leur vieil ami. « Permettrez-vous à Andy de sortir avec nous un jour ou deux quand il fera meilleur ? demanda-t-elle. Nous avons tellement envie de naviguer un peu pour le plaisir ! — Je lui donnerai deux jours de congé ! promit le marin. — Je te remercie, papa, dit Andy. — Chic ! s'écria Tom tout heureux. Nous irons donc explorer le Roc des Contrebandiers ! Hourra ! - Le Roc des Contrebandiers ? répéta sa mère. Qu'est-ce que c'est ? - Oh, un endroit que nous avons aperçu l'autre jour en allant à la Falaise aux Oiseaux, expliqua le jeune j'.arçon. Dis, maman, puisque Andy aura deux jours de vacances, nous permettras-tu de les passer sur le bateau ? J'aimerais retourner à la Falaise aux Oiseaux pour prendre des photos — si je retrouve mon appareil comme Kl'espère — et nous pousserions ensuite jusqu'au Roc des Contrebandiers qui n'est pas très loin de là. Ce serait épatant !

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— Pas de nuit dehors ! commença sa mère. Tu sais que je ne le veux plus. — Mais Andy sera avec nous. Il veillera sur nous, pas vrai, monsieur ? ajouta Tom en se tournant vers le père de son camarade. — Oh ! Mon fils est habitué à passer des nuits entières en mer ! affirma le pêcheur, encore sous l'effet de l'excellent repas qu'il venait de faire. Vous pouvez avoir confiance en mon fils, madame ! — Oui... je sais bien ! répondit la mère des enfants. C'est seulement que... après leur aventure de l'été dernier, je me sentirais inquiète s'ils repartaient en mer tous les quatre ! — Voyons, madame, répliqua le père d'Andy. Leur dramatique expédition est de ces choses qui n'arrivent qu'une fois dans la vie. Laissez-les donc partir. Avec Andy, ils seront en sûreté. Il pourra jeter l'ancre dans un coin tranquille et ils dormiront tous à bord sans histoire... et même très confortablement s'ils emportent assez de couvertures. » Tout paraissait s'arranger à merveille. Les enfants étaient ravis. Leur visage trahissait leur joie. Ils débordaient de reconnaissance pour le père d'Andy qui leur avait facilité les choses. Grâce à lui, les craintes de leur mère semblaient avoir complètement disparu. Le jour suivant, dans la soirée, Andy vint rendre visite . à ses amis. « Le temps est en train de changer, dit-il. Regardez le ciel ! Nous pourrons faire notre excursion demain. Cela vous va-t-il ? Rassemblez autant de provisions que vous pourrez. J'en emporterai de mon côté. Connaissant l'appétit de Tom, nous ferions bien de prévoir un stock capable de durer largement deux jours et une nuit ! » La mère des enfants avait toujours en réserve quantité de boîtes de conserve qu'elle mit à la disposition des jeunes excursionnistes. « Prenez tout ce qui vous plaira », leur dit-elle.

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Ils profitèrent largement de la permission et descendirent au port avec un respectable chargement allant des boîtes de sardines aux tranches d'ananas. Andy qui, de son côté, avait apporté quelques provisions, ouvrit de grands yeux à la vue du ravitaillement que Tom et ses sœurs empilaient déjà dans les placards de la cabine. « Nous n'aurons jamais besoin de tout cela ! protesta-t-il. Enfin... tant pis !... vous n'allez pas remporter ces boîtes maintenant. Avezvous pensé aux couvertures ? Il nous en faut plusieurs chacun pour avoir chaud. Jill et Mary pourront dormir dans la cabine. Quant à nous, Tom, le pont suffira. Je tendrai une toile autour de nous pour nous préserver du vent. » Peu après, des piles de couvertures s'entassaient à bord de l’Andy, sans compter quelques coussins douillets. Quand les enfants eurent terminé leur chargement, il faisait presque nuit. Ils avaient l'impression d'être à la veille d'embarquer pour un long voyage. Une nuit en mer ! Quelle merveilleuse expérience ! Ils appareillèrent le lendemain matin dès huit heures. La mère de Tom et des jumelles avait tenu à descendre jusqu'à la jetée pour leur dire adieu. « Amusez-vous bien, mes enfants ! Prenez de jolies photos et découvrez beaucoup de contrebandiers sur le Roc du même nom... Tom ! Andy ! Je vous confie les filles ! - Soyez tranquille ! répondit le jeune pêcheur. Je veillerai sur elles. » Installé à la barre, Andy lâcha la bride à son bateau qui se mit à filer sous le soleil. De petites vagues crêtées de blanc lui taquinaient les flancs et il bondissait, léger, comme pour les éviter. « On dirait qu'il est content ! fit remarquer Jill. Mais il ne peut pas l'être plus que nous. Au revoir, maman ! A demain soir ! » En peu de temps, le joli voilier fut hors de la baie et s'élança vers la pleine mer. Les quatre amis s'installèrent

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confortablement pour profiter au maximum de la promenade. Tous aimaient en effet passionnément la mer. Ils suivirent des yeux les mouettes qui planaient dans le vent. Certaines plongeaient pour attraper un poisson, d'autres se posaient sur les vagues et se laissaient mollement bercer par elles. Le vent forcit et l’Andy prit de la vitesse. Mary, que la perspective de l'excursion avait tenue éveillée une partie de la nuit, ferma les yeux et s'endormit. Des embruns l'aspergèrent mais elle ne se réveilla pas pour si peu. Les trois autres bavardèrent. Jill, une fois de plus, se déclara certaine de découvrir une cachette derrière l'écran de la cascade. « Ce qui me tracasse le plus pour l'instant, avoua Tom, c'est de savoir où j'ai laissé mon appareil photo. Pourvu que je le retrouve ! » A présent, le bateau glissait dans le chenal bordé d'écueils. Un peu plus tard, ils apercevraient le Roc des Contrebandiers au lointain. Mais ils ne s'y rendraient pas ce jour-là ! Ils iraient le lendemain ! L’Andy déboucha enfin dans la petite baie où ils avaient jeté l'ancre précédemment. Aussitôt parvint à l'oreille des enfants la terrifiante clameur des milliers d'oiseaux qu'effrayait leur incursion. « Cette fois-ci, dit Jill, je ne m'apitoierai pas sur les œufs qui dégringoleront du haut de la falaise. Stupides oiseaux ! Je me demande même s'ils savent reconnaître leurs œufs de ceux du voisin ! Et que peuvent-ils penser quand ils se retournent et constatent que leur panique a eu pour résultat de perdre leur couvée ? — Ils ne doivent songer qu'à en pondre une nouvelle, je suppose, répliqua Tom. Mary ! Réveille-toi ! Nous voici arrivés. — Nous allons mettre le bateau à l'ancre dans ce coin où l'eau est plus profonde », expliqua Andy en soulevant l'ancre et en la mouillant sans se soucier d'être éclaboussé.

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Il n'y avait personne en vue. L'endroit était aussi désert qu'il était possible de l'être... exception faite, bien entendu, des bruyants oiseaux de mer.

Mais rien ne prouvait que l'homme aux jambes velues ne se cachait pas quelque part. A moins qu'il ne fût parti... « Prenons des provisions avec nous, décida Andy, et montons à la grotte où nous nous sommes arrêtés l'autre jour. Nous y piqueniquerons. De là-haut, la vue sur la mer est sensationnelle. Si tu remets la main sur ton appareil, Tom, tu pourras prendre de chouettes photos ! » La proposition fut adoptée à l'unanimité. Les enfants garnirent de provisions deux sacs à dos, dont les garçons se chargèrent. Andy fit à Jill de strictes recommandations : « Surtout, lui dit-il, ne regarde jamais au-dessous de toi quand nous grimperons. Regarde toujours vers le haut. Alors ! Prêts, vous autres?» Oui, tous étaient prêts. Ils entreprirent leur escalade, gravissant la pente abrupte de la falaise dans le sillage d'Andy qui, leste comme un chat, paraissait connaître les

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meilleurs endroits pour placer les pieds et les mains. Jill ne se risqua pas une seule fois à regarder la mer au-dessous d'elle, et s'en trouva fort bien. Au bout d'un moment, les quatre amis commencèrent à haleter et à transpirer. Quel soulagement quand la petite troupe parvint à l'endroit où elle s'était reposée la fois précédente. Jill, très lasse, se laissa tomber sur le sol. Tom se précipita au fond de la grotte et poussa un cri de joie en retrouvant son précieux appareil photo exactement là où il l'avait laissé. « Regardez ! Le voilà ! Quelle chance ! Je présume que l'homme aux jambes poilues n'est plus dans les parages ; autrement, il l'aurait sans doute vu et emporté. Nom d'un pétard ! Je suis rudement content d'avoir remis la main dessus ! » Les jeunes excursionnistes prirent tout leur temps pour piqueniquer confortablement sur la large corniche. Ils admirèrent à loisir le magnifique spectacle à leurs pieds : l'immensité bleue et miroitante

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qui semblait palpiter doucement. Des mouettes péchaient au large, points mouvants, dont les cris aigus leur arrivaient, portés par le vent. « Tom ! dit Jill. Tu vas pouvoir prendre des photos des oiseaux en train de nicher. Ils ont oublié leur peur et reviennent déjà. » Mary, à plat ventre sur la roche tiède, déclara : « Je suis contente que nous n'ayons pas aujourd'hui pour horizon une paire de jambes velues !... Allons, bon ! Voilà que je recommence à avoir sommeil ! » Jill lui donna de petites bourrades. « Eh bien, dit-elle, tâche de ne pas t'endormir. Nous devons aller examiner cette cascade de plus près, rappelle-toi ! — Il est temps d'y aller, décida Andy en se levant. Soyez très prudents sur la corniche supérieure, car elle se rétrécit beaucoup par endroits. Jill, tu marcheras juste

derrière moi, pour le cas où tu aurais encore le vertige. » Les quatre amis se mirent en route, contournant la falaise rocheuse pour atteindre l'autre corniche. Ils avaient hâte d'arriver à la cascade. Enfin, ils l'atteignirent, pour constater que le torrent était loin de couler aussi abondamment que la fois précédente. Ce n'était qu'un simple filet d'eau comparé au déluge que les garçons avaient contemplé quelques jours plus tôt. « Bizarre ! murmura Andy. Avec toute la pluie qui est tombée ces jours-ci, je m'attendais à trouver une cataracte importante. Allons, venez ! Nous ne risquons pas d'être emportés par un si faible courant. On dirait à peine un ruisselet ! » Les enfants s'approchèrent de la cascade. Au-delà, la corniche qu'ils suivaient ne se continuait pas. Il n'y avait aucun moyen de passer de l'autre côté. L'eau sortait d'un gros trou dans le flanc de la

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falaise et coulait jusqu'en bas. Andy s'avança avec précaution jusqu'à cette ouverture, regarda à l'intérieur et poussa un cri de surprise : « N'importe qui peut passer par là actuellement ! Je parie que c'est bien là que l'homme aux jambes velues a disparu ! Il a attendu que le débit de la cascade diminue et il a sauté dans le trou. C'est la cachette que nous avons tant cherchée ! — Vous voyez que j'avais deviné juste ! s'écria Jill, triomphante. Mais pourquoi se cachait-il ? ajouta-t-elle d'un air intrigué. Il n'y avait dans les parages rien ni personne dont il pût avoir peur ! — Entrons-nous dans le trou ? demanda Tom de son côté. Oui, n'est-ce pas ? Il nous faut l'explorer ! — Certainement pas ! répondit Andy d'un ton catégorique. Imagine que l'eau revienne d'un seul coup, et avec la violence d'un torrent furieux ? Tu serais balayé et jeté au bas de la falaise où tu te briserais les os, espèce d'idiot ! Je te défends bien de tenter l'expérience ! » Tom se résigna à contrecœur. « Bon, bon, entendu ! murmura-t-il d'un air boudeur.

En tout cas, voici une énigme éclaircie. Nous savons comment l'homme a disparu. Mais si nous renonçons à explorer sa cachette, nous ne saurons jamais à quoi elle ressemble au-delà de cet orifice, ni à quoi il peut bien l'employer. Là-dedans, je suppose, nous aurions pu recueillir des indices permettant de savoir qui est notre inconnu. Andy ! Tu es un empêcheur de danser en rond ! — Pense de moi ce que tu voudras, répondit le jeune pêcheur en donnant une légère bourrade à son ami, mais j'ai des responsabilités. J'ai promis à votre mère de veiller sur vous trois. Va donc prendre des photos des oiseaux pendant que le soleil est au zénith ! »

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Tom ne répliqua pas. Mais il n'en pensait pas moins : dès que les trois autres ne feraient pas attention à lui, il reviendrait sur ses pas et fouinerait un peu derrière la cascade. Il explorerait même le trou à fond, si cela lui chantait. Il prouverait à Andy qu'on ne le faisait pas si aisément renoncer à ses projets !

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CHAPITRE VII Tom désobéit « J'aimerais bien redescendre la falaise et explorer la zone rocheuse en contrebas, dit Jill en s'éloignant de la cascade sur les talons d'Andy. Je serais curieuse de découvrir les abords de cette rivière souterraine qui se jette dans la mer en bouillonnant. — Moi aussi, déclara Mary. Sans compter que là-bas nous serons à l'abri du vent. Il commence à souffler un peu trop fort à mon gré par ici. Je n'ai pas chaud. — D'accord ! acquiesça Andy. Descendons ! Tu viens, Tom ? » Tom avait d'autres idées en tête. « Non, répondit-il. Je reste encore un peu. A présent 53

que j'ai retrouvé mon appareil, je vais essayer de prendre quelques bonnes photos des oiseaux. Je vous rejoindrai ensuite. Tous ensemble, nous faisons trop de bruit. Quand je serai seul, les oiseaux reviendront se poser plus volontiers. — Entendu ! lui cria Jill par-dessus son épaule. Mais ne t'attarde pas ! Et surtout, veille à ne pas oublier ton appareil cette fois-ci ! » Andy et les deux filles se mirent à descendre le flanc escarpé de la falaise. Tom s'assit et contempla les mouettes et autres oiseaux de mer qui planaient au gré des courants aériens. Ils montaient, descendaient, s'entrecroisaient. Le spectacle était vraiment magnifique. Les voix des autres lui parvenaient tandis qu'ils descendaient avec une sage lenteur. Puis elles furent couvertes par la clameur sauvage des oiseaux. Tom se secoua. « Je vais commencer, pensa-t-il, par prendre quelques photos avant de retourner explorer la cascade. » II s'approcha tout doucement du bord de la corniche et attendit que les oiseaux, effrayés par son mouvement, soient retournés s'asseoir sur leurs œufs. Il prit alors quelques clichés dont il pensa qu'ils devaient être très réussis. Après quoi, il alla déposer son appareil au fond de la petite grotte dans laquelle ils avaient pique-nique, puis suivit le chemin de la chute d'eau. Tom sentait son cœur battre plus vite que de coutume. Il savait bien qu'Andy se fâcherait s'il se doutait que son ami désobéissait à ses ordres. « Mais, après tout, j'ai treize ans, se dit le jeune garçon. Je suis en âge de prendre soin de moi. Je m'étonne qu'Andy n'ait pas eu le cran de pénétrer lui-même dans le trou de la cascade ! Nom d'un chien! Comme les autres vont être surpris en apprenant que j'ai exploré et que j'ai découvert la cachette de l'homme qui sifflait l'autre jour ! » Tom arriva à la cascade. Elle coulait à peine. Aucun danger à redouter pour l'instant, c'était sûr !

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Tom scruta avec curiosité l'ouverture par où l'eau se déversait. Le ruisseau coulait sur un lit rocheux où il s'était creusé un passage de plus en plus profond. Au-delà, autant que le jeune garçon pouvait voir, un rebord également rocheux surplombait l'eau. Quiconque se hisserait sur cette sorte de corniche se trouverait en sûreté. Tom fouilla sa poche. Oui, sa lampe électrique était bien là. Avant de partir, il avait eu soin de la glisser dans un sac en plastique afin qu'elle soit à l'abri des embruns. Elle lui servirait dès qu'il aurait pénétré dans la zone d'ombre. Le garçon s'introduisit dans l'ouverture. Elle était haute mais étroite. L'eau le mouilla au passage, mais il ne s'en soucia guère. Il pataugea dans le ruisseau puis se hissa sur l'étroite tablette rocheuse au-dessus. A présent, il n'avait plus rien à redouter de l'eau, à moins, bien entendu, que le torrent, pour une raison inconnue, ne s'enfle soudainement jusqu'à boucher complètement la sortie. A cette pensée, Tom ne put s'empêcher de frissonner. Il se trouverait dans un joli pétrin ! Mieux valait s'enfoncer encore un peu plus avant. Alors il serait plus en sûreté. Allumant sa torche, il regarda le tunnel obscur que l'eau avait creusé au fil des âges. L'étroite corniche rocheuse se prolongeait. « Je vais explorer encore un tout petit peu plus loin, se dit Tom, très intéressé.. Juste pour voir si je parviens à découvrir la cachette de l'homme aux jambes velues. Si je réussis, peut-être trouverai-je là un indice qui me permettra d'identifier l'individu... Il est vraiment bizarre qu'un homme vive dans cet endroit perdu ! Peut-être se terre-t-il ici pour échapper à la police ! » Tom commença d'avancer le long de la corniche. Le plafond était bas, ce qui rendait la progression difficile. Tom mit sa lampe entre les dents pour avoir les mains libres et pouvoir s'accrocher plus aisément au rocher. Au bout de quelques mètres, il s'aperçut que l'étroit rebord de pierre qu'il suivait s'enfonçait dans l'eau. Quel ennui !

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Etait-il donc impossible d'aller plus loin ? Tom empoigna sa lampe électrique et fouilla l'obscurité devant lui. Il constata que, à peu de distance de là, le tunnel étroit semblait s'élargir pour déboucher, peut-être, dans une caverne. Il fallait absolument aller voir. Au risque de se mouiller ! Cette fois, Tom eut beaucoup de mal à progresser le long de la corniche submergée et, en effet, il se mouilla passablement. Mais sa curiosité était plus forte que tout : il ne sentit même pas la morsure de l'eau glacée. Il persista, avança encore et, brusquement, le tunnel prit fin. Au-delà s'ouvrait une très grande caverne, au cœur même de la falaise ! C'était vraiment fantastique. Sur le sol de cette caverne, presque de niveau avec la corniche rocheuse, qui émergeait de nouveau, coulait l'eau. C'était un spectacle étrange que cette eau silencieuse coulant dans le noir, et venant on ne savait d'où... S'éclairant de sa torche, Tom regarda autour de lui. Cette cave constituait assurément une fameuse cachette ! Aucun doute : l'homme aux jambes velues avait dû se réfugier là. Mais, pour l'instant, on ne voyait nulle part trace d'un être humain. Tout n'était que silence au sein de l'énorme falaise. Nul souffle d'air ne troublait l'atmosphère environnante. On eût dit le décor de quelque rêve étrange. « Dommage que les autres ne soient pas là ! songea Tom. J'aimerais qu'ils puissent voir ça, eux aussi ! Je vais vite aller les mettre au courant. Mais, auparavant, voyons si, dans cette caverne, je ne peux pas découvrir un indice qui me mette sur la piste de notre "siffleur"... quelque chose comme un mégot de cigarette... ou une allumette... » Le jeune garçon, torche en main, se mit à inspecter la caverne autour de lui. Elle avait un plafond très haut et des murs luisants. Ce qu'on voyait du sol révélait qu'il était inégal. Le tout en roche dure. L'eau qui s'écoulait sans bruit provenait de ce qui semblait être l'entrée d'une caverne plus petite, au fond de la première. Tom, cependant, ne se sentait pas disposé à continuer son exploration dans les ténèbres.

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Soudain, il aperçut quelque chose de brillant par terre, près de l'eau, dans le faisceau lumineux de sa lampe. Intrigué, il se baissa pour ramasser l'objet. C'était un petit bouton de chemise d'homme, en nacre. Seulement, au lieu d'être blanc, il était rouge. Tom le regarda intensément. Tiens, tiens ! Voilà qui prouvait qu'un homme était passé par là avant lui ! Rien, cependant, n'autorisait à penser que la personne en question vivait là : ni trace de provisions, ou de mobilier, même rudimentaire. Celui qui était venu ou avait utilisé la caverne comme cachette s'était sans doute enfoncé plus avant au sein de la falaise. Peut-être celle-ci était-elle creusée de cavernes, comme un fromage de Gruyère est creusé de trous. Tom se rappela la rivière souterraine qui se précipitait si impétueusement dans la mer, au bas de cette même falaise. Voilà qui confirmait sa théorie. Ce torrent, lui aussi, avait dû se frayer un chemin à travers les roches... Une fois de plus, le jeune garçon souhaita avoir Andy à ses côtés. Il était partagé entre l'envie soudaine de reprendre son exploration et celle de retourner en arrière. Il avait plus ou moins peur d'être surpris par le « siffleur »... ou par quelqu'un d'autre. Car, après tout, le « siffleur » pouvait fort bien n'être pas seul dans sa retraite souterraine. Une dernière fois, Tom fit courir le pinceau lumineux de sa torche autour de lui. Alors, soudain, il remarqua que le flot traversant silencieusement la caverne avait monté. Il commençait à recouvrir la corniche rocheuse et atteignait presque l'endroit où Tom se tenait. « Ça, alors ! s'exclama Tom surpris et les yeux rivés sur l'eau. Pourquoi monte-t-elle comme ça ? Sapristi ! Elle va finir par noyer entièrement la caverne ! » II ne se trompait pas. L'eau continuait à monter. A présent, elle clapotait. Tom sentit l'angoisse l'étreindre.

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« Mon Dieu ! s'exclama-t-il intérieurement. Je comprends ce qui se passe ! Le torrent, qui prend naissance plus loin dans la falaise, a soudain augmenté de volume pour une raison quelconque et bientôt, la cascade bondira, dans un élan furieux, jusqu'au bas de la falaise. Si je ne file pas tout de suite, je serai balayé par le flot jusqu'à l'extérieur ! Et je me briserai les os sur les rochers ! » Cette pensée n'avait rien de réjouissant. Sans plus réfléchir, Tom se précipita vers l'étroit tunnel par lequel il était venu. Hélas ! le passage était déjà presque empli par l'eau. Le jeune imprudent ne pouvait même plus distinguer la corniche rocheuse qui lui avait permis d'atteindre la caverne. Quelques minutes encore et le boyau souterrain serait complètement obstrué. « Je n'ose pas m'y engager, songea Tom, affolé. Non, je n'ose pas. Je me noierais ou je serais entraîné par le courant jusqu'au bas de la falaise. » Maintenant, l'eau avait envahi la totalité du sol de la caverne. Elle arrivait aux genoux de Tom. Celui-ci sentit croître sa peur. Ne devait-il pas gagner la seconde caverne, celle dont la lumière de sa lampe lui avait révélé l'existence un moment plus tôt ? N'était-ce pas là la meilleure solution ? Le danger grandissait d'instant en instant. Dieu seul savait jusqu'à quelle hauteur le flot monterait dans la première caverne... et il n'y avait aucun endroit où grimper pour attendre tranquillement une éventuelle décrue. « Comme je regrette d'avoir voulu explorer cet endroit ! songea Tom, épouvanté. En mettant les choses au mieux, peut-être vais-je rester prisonnier des heures et des heures. Les autres vont se demander ce que je suis devenu. Quel imbécile je suis ! » Tout en s'adressant d'amers reproches, Tom se mit à patauger en direction du fond de la caverne. Là s'ouvrait un passage de belles dimensions donnant accès à la seconde caverne et d'où déferlait le torrent. Tom avança

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dans l'eau. Il en avait déjà jusqu'à la ceinture. Il continua bravement à patauger. Dès qu'il fut dans la seconde caverne, il s'aperçut qu'elle n'était guère profonde : à peine quelques mètres ! Là aussi le niveau de l'eau était déjà haut mais, au grand étonnement de Tom — et surtout à son immense soulagement, — il vit des marches, grossièrement taillées dans le roc, qui formaient une manière d'escalier dans la paroi du fond. Il constata que les marches conduisaient à une ouverture dans le plafond de la caverne. S'il grimpait là-haut, il serait hors d'atteinte du flot. Quelle chance ! Il grimpa les marches sans encombre. Parvenu à hauteur du plafond, il avisa des crampons de fer fixés au rocher dans le but de faciliter la sortie. Tom mit de nouveau sa lampe entre ses dents et se hissa hors du trou. Il se trouva alors dans un tunnel sombre et silencieux qui s'enfonçait dans les ténèbres devant lui. Tom s'immobilisa, perplexe. « Ma foi, se dit-il enfin en s'efforçant de montrer plus de bravoure qu'il n'en ressentait, il ne me reste plus qu'à aller de l'avant. Ce souterrain doit bien aboutir quelque part... »

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CHAPITRE VIII La caverne secrète Tom s'engagea dans le passage, qui sinuait pas mal et où régnait une odeur peu agréable. Tout en suivant le boyau en pente, le jeune garçon se demanda jusqu'où il allait descendre ainsi. Pourvu que sa lampe ne s'éteigne pas. Il se félicita d'avoir une pile neuve. Il ne se voyait guère errant tout seul dans le noir, au cœur de la falaise. Le tunnel continuait à descendre et à serpenter, très étroit la plupart du temps et parfois si bas de plafond que Tom devait baisser la tête pour ne pas se cogner. D'autres fois, le plafond était si haut qu'il se perdait dans l'obscurité.

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« Je goûterais beaucoup plus la situation si les autres étaient avec moi ! se dit le garçon en faisant un nouvel effort pour crâner. Oh ! Comme je voudrais que ce tunnel me mène quelque part ! J'en viens presque à souhaiter rencontrer l'homme au sifflet ! J'aurais au moins quelqu'un à qui parler ! » Mais il ne rencontra personne. Le souterrain descendait toujours. Soudain, une odeur familière lui frappa les narines. « Ça sent le tabac ! murmura-t-il. Oh, oh ! Non loin d'ici, quelqu'un fume une cigarette ou la pipe. Il faut que je fasse attention.» II poursuivit son avance à pas de loup, en masquant de la main la lueur de sa torche. Tout à coup, il l'éteignit : une lumière brillait à quelque distance devant lui. « Ce tunnel doit aboutir à une autre caverne, se dit-il. Et si celleci est éclairée, c'est qu'il s'y trouve quelqu'un. » II avança un peu plus, redoublant de précautions. Un murmure de voix lui parvint alors : des voix masculines. L'une, fort rude, appartenait à l'homme aux jambes, poilues, au « siffleur ». Tom, bien entendu, ignorait à quoi ressemblait l'individu dont il n'avait aperçu que les jambes se balançant dans le vide. Mais il aurait reconnu n'importe où ce timbre de voix bougonne, alors même qu'il ne l'avait entendue prononcer que quelques mots. Le cœur du garçon se mit à battre à grands coups. D'un côté, Tom se réjouissait de savoir des êtres humains tout près de lui, de l'autre il s'inquiétait de l'accueil qu'on pourrait lui faire. Ces gens étaient peut-être des contrebandiers ? Il s'approcha sur la pointe des pieds jusqu'à l'extrémité du tunnel et risqua un coup d'œil dans la caverne. Il aperçut deux hommes. Tom hésita, se demandant si sa subite intrusion irriterait ou non les deux inconnus. Une fois de plus, il craignit d'être mal accueilli. L'homme aux jambes velues n'était pas le géant que les enfants avaient imaginé, mais n'en restait pas moins un curieux personnage avec son

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corps massif, ses bras nus et velus, une énorme tête presque sans cou et une barbe du plus beau roux. Son compagnon, un homme à lunettes, ressemblait à un pêcheur. Les deux hommes conversaient, assis sur des caisses. Tom ne pouvait entendre ce qu'ils disaient. Son regard parcourut la caverne. Très étonné, il aperçut, entassées contre les parois, une multitude de boîtes et de caisses à claire-voie. Il se demanda ce qu'elles pouvaient bien contenir. La caverne, de toute évidence, servait d'entrepôt. Mais de quoi ? Et d'où venaient toutes ces caisses ? Un matelas était déployé dans un coin de la salle. Un des deux hommes devait sans doute dormir là ! Quel endroit curieux pour y vivre ! Tom était complètement dérouté. Mais une chose devenait claire dans son esprit : les deux individus seraient furieux contre lui s'ils découvraient sa présence. Il était évident qu'ils se livraient à des activités... des activités qu'ils souhaitaient garder secrètes. « Je ne peux pas me risquer à leur demander de l'aide, songea Tom, désespéré. C'est impossible. L'homme aux jambes velues ne me dit rien qui vaille. On dirait une brute. J'ai idée qu'il lui serait bien égal de me précipiter au bas de la falaise, exactement comme il y a précipité les œufs des oiseaux, l'autre jour ! » Tom s'efforça d'écouter la conversation, mais ne put arriver à saisir un seul mot. Peut-être parlaient-ils une langue étrangère ? En tout cas, l'homme vêtu comme un pêcheur et portant des lunettes ne ressemblait guère à un citoyen britannique. Tom se demanda s'il n'était pas en train de faire un mauvais rêve. Là-dessus, l'odeur du tabac vint de nouveau chatouiller ses narines et il comprit qu'il était bien éveillé. Rien ne sent jamais aussi fort dans les rêves. Soudain, l'un des hommes consulta sa montre, se leva et fit signe à l'autre de le suivre. Tous deux se dirigèrent alors vers une ouverture dans le sol. Tom ne pouvait la voir distinctement d'où il était. Les deux hommes parurent tomber droit dedans.

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En tout cas, ils disparurent d'un seul coup. Tom attendit un moment, puis s'approcha tout doucement du trou et regarda au fond. 11 n'y avait rien à voir. Les hommes étaient partis ! Le jeune garçon ne se sentait guère l'envie de les suivre. D'ailleurs, l'eût-il voulu, il ne voyait aucun moyen de descendre dans le trou : on n'apercevait ni marches, ni crampons d'aucune sorte ! Pour la seconde fois, Tom inspecta des yeux la caverne. Ses murs disparaissaient derrière des piles et des piles de caisses de toutes tailles. Que pouvaient-elles contenir ? Les hommes avaient laissé une lanterne allumée sur une caisse, juste au milieu de la salle souterraine. Cela signifiait-il qu'ils allaient bientôt revenir ? C'était fort possible. Tom comprit que, dans ce cas, mieux valait ne plus être là quand ils reparaîtraient. Mais où aller ? Il se mit à réfléchir. Soudain, dans le silence de la caverne, il discerna un son étouffé, quelque part sur sa gauche. « On dirait un bruit d'eau courante, se dit Tom. Qu'est-ce que cela peut bien être ? » Avisant un tas de caisses contre le mur, le jeune garçon s'en approcha et regarda derrière. Il aperçut alors dans ce mur un gros trou, presque rond, à peu près à la hauteur de sa taille. Le bruit venait de là ! Tom passa la tête par l'ouverture. Puis il ralluma sa lampe. Ce qu'il vit alors le stupéfia. Un fleuve souterrain coulait là, sous ses yeux, rapide et impétueux. « Je parie, se dit Tom, qu'il s'agit du cours d'eau qui sort au pied de la falaise. Nom d'un pétard ! Si je pouvais naviguer dessus, je serais vite sorti d'affaire ! » II resta là un bon moment, à contempler le fleuve qui fuyait sous la lumière de sa torche. Le débit en était rapide et puissant. Tom essaya de calculer à quelle distance approximative il pouvait être du pied de la l'alaise. En fait, le tunnel sinueux qu'il avait suivi n'avait cessé de descendre... Peut-être se trouvait-il en cet instant

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presque au niveau de la mer, auquel cas le fleuve l'emporterait rapidement jusqu'à la baie extérieure, à la bonne lumière du soleil ! Eteignant sa lampe, Tom regagna la caverne éclairée et regarda autour de lui. Il espérait découvrir une autre torche car il devinait que la sienne ne durerait plus longtemps. Et il n'osait pas entreprendre un nouveau voyage dans l'obscurité sans être sûr d'avoir une provision de lumière. Hélas ! Avant qu'il ait pu trouver ce qu'il cherchait, une chose effrayante se produisit. Cela commença par une sorte de grattement au fond du trou s'ouvrant dans le sol de la caverne, puis, sans crier gare, la grosse figure barbue de l'homme aux jambes velues surgit sous les yeux effarés de Tom. Le rouquin sauta hors du trou. Tom le regardait, pétrifié. Et l'homme le regarda de son côté, comme s'il ne pouvait en croire ses yeux. Un enfant ! Un enfant dans sa caverne ! Il rêvait, sans doute ? Tom avala sa salive, essaya de dire quelque chose mais ne put proférer le moindre son. Le barbu ouvrit des yeux de plus en plus ronds puis sa bouche s'ouvrit à son tour et un beuglement en sortit : « Que diable fais-tu ici ? » Tom était incapable de bouger. Ses pieds semblaient rivés au sol. L'homme fit un pas en avant, comme pour lui sauter dessus. Alors, le garçon, effrayé, recula, retrouvant tout à coup l'usage de ses jambes. Dans ce mouvement de recul, il heurta la caisse sur laquelle était posée la lanterne. Déséquilibrée, la lampe bascula et s'éteignit. Immédiatement, la caverne se trouva plongée dans l'obscurité. Le rouquin marmonna quelque chose dans sa barbe et se mit à tâtonner, à la recherche d'une autre lampe ou d'une quelconque bougie. Tom comprit qu'il avait là une chance unique de s'échapper. Il courut sans bruit jusqu'à la pile de caisses qui dissimulaient le trou dans le mur.

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En un clin d'œil, il atteignit le trou au-delà duquel coulait la rivière souterraine. Rallumant vivement sa torche, il chercha désespérément du regard un rebord rocheux sur lequel il aurait pu se cacher. Mais il ne vit rien... sinon le fleuve impétueux et rapide. Tom n'avait pas d'autre solution : il plongea. Une brutale sensation de froid lui coupa presque la respiration. Péniblement, il reprit son souffle, puis commença à nager de toutes ses forces, dans la crainte que le barbu ne se lance à sa poursuite. Le courant du fleuve souterrain l'entraîna rapidement. Tom se laissa alors emporter. Il n'avait aucun mal à demeurer à la surface mais un froid glacial le pénétrait. Tristement, il pensa à sa lampe électrique : elle se trouvait dans sa poche, mais plus protégée par le sac en plastique. Elle ne pourrait plus servir. Et si par malheur le cours d'eau le déposait quelque part à l'intérieur de la falaise, il se retrouverait dans le noir. « Et perdu à jamais ! se dit le pauvre Tom désespéré. Oh ! Pourquoi ai-je désobéi à Andy ? Je ne m'en sortirai pas, c'est sûr ! Et cette eau me glace jusqu'aux os ! » Le fleuve continuait à l'emporter, en grondant sous la voûte obscure, le long du tunnel qu'il s'était creusé dans la roche. Tom était dans l'impossibilité de voir s'il traversait d'autres cavernes ou si les rives du torrent étaient de rocher ou de sable. Il ne pouvait que suivre le courant, en veillant à conserver son équilibre et à empêcher le flot de le faire rouler sur lui-même, comme une bille de bois. A un moment donné, son pied heurta un éperon rocheux et s'y meurtrit cruellement. Personne n'entendit le cri de douleur du garçon. Il redoutait de se blesser à nouveau. Maintenant, la fatigue et le froid le pénétraient à tel point qu'il se demanda s'il pourrait encore tenir longtemps.

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Et puis, juste à l'instant où il sentait ses forces s'épuiser, il aperçut une brillante lumière devant lui. Cette énorme tache d'un éclat éblouissant lui arracha un cri de joie. « La lumière du soleil ! C'est la lumière du jour que j'aperçois ! Je dois approcher de l'ouverture par où ce fleuve débouche dans la mer ! Je suis sauvé ! » Oui, c'était bien la lumière du soleil qui parvenait jusqu'à lui. Tom, soudain soulagé, se sentit néanmoins si faible qu'il ne put réussir à conserver plus longtemps son équilibre à la surface de l'eau. Le courant le roula comme une simple bûche, encore et encore. Tom ouvrit la bouche, recracha l'eau qu'il avait avalée et se débattit de son mieux pour garder au moins la tête et les épaules hors de l'eau. Inexorable, le flot l'emporta jusqu'à l'endroit où le fleuve rejoignait la mer. Une grosse vague vint à sa rencontre et le souleva comme un fétu de paille. Par bonheur, elle le déposa sur un rocher, suffisamment haut pour que l'eau ne l'atteigne pas. Tom resta là sans pouvoir remuer. Etendu sur le dos, tremblant et frissonnant, il s'efforça de retrouver son souffle cependant que, juste au-dessous de lui, le fleuve et la mer luttaient ensemble dans un jaillissement d'embruns qui retombaient sur l'infortuné naufragé.

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« C'est la lumière du jour que j'aperçois... —»

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CHAPITRE IX Tom perdu... et retrouvé ! Tendant ce temps, que .devenaient Andy, Jill et Mary? Pour commencer, ils descendirent sans hâte la falaise, semant bien malgré eux l'effroi chez tous les oiseaux en train de couver. Les trois amis atteignirent enfin le rivage. Il y avait là, entre les rochers, des flaques profondes, pleines d'anémones de mer : les plus belles que les enfants aient jamais vues ! « Regardez ! s'écria Jill, émerveillée. Cette rouge-là a des tentacules aussi gros que des pétales de pivoine. J'ai idée qu'elle doit se nourrir de crabes. Les crevettes doivent être trop petites pour elle. »

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Les enfants passèrent un bon moment à explorer les flaques, dérangeant au passage des crabes énormes. Il faisait bon au pied de la falaise. Le vent était bien moins fort qu'au sommet et le soleil chauffait agréablement. Mary leva les yeux sur l'imposante masse rocheuse dominant la plage. « Je parie que Tom commence à avoir faim ! dit-elle en riant. Moi-même, je me sens l'estomac dans les talons... mais je suppose que nous devrons attendre le retour de Tom. — Je trouve qu'il met bien longtemps à prendre ses photos, déclara Andy. Il devrait déjà nous avoir rejoints. Mais peut-être guette-t-il le moment favorable pour obtenir les meilleurs clichés. Cela en vaut quelquefois la peine. — Allons nous asseoir près de la rivière souterraine, proposa Mary. Nous mangerons un morceau en attendant Tom. C'est un endroit idéal pour un pique-nique. Regardez comme les embruns volent haut là où le torrent se jette dans la mer et où celle-ci fouette les rochers ! — Oui, approuva Jill. Allons là-bas et déballons quelques provisions. J'ai faim moi aussi. Nous pourrons faire signe à Tom quand il descendra la falaise. » Les trois amis se rendirent donc à l'endroit où ils avaient ancré leur bateau. La cabine était pleine de toutes les provisions qu'ils y avaient entassées. Ils fourragèrent dedans, hésitant à faire un choix judicieux. «Des sardines, du pain et du beurre, une boîte de corned-beef, des œufs durs et des prunes au sirop, préconisa Jill. Et où est la bière au gingembre ? Maman nous en a fourni une ample provision cette fois-ci. Ah ! La voilà ! » Les jeunes pique-niqueurs transportèrent leurs vivres sur un haut rocher qui dominait l'endroit où le torrent souterrain et la mer se rencontraient. L'embrun rejaillissait parfois jusqu'à eux, mais ils ne s'en souciaient guère. Cela faisait partie des menus désagréments de l'excursion.

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Après avoir étalé leurs provisions, Andy, Jill et Mary regardèrent du côté de la falaise pour voir si Tom se décidait enfin à les rejoindre. Mais ils ne le virent pas. « Que peut-il donc bien faire ? murmura Jill avec impatience. Voilà des siècles que nous l'avons quitté. — Eh bien... attendons encore cinq minutes, puis nous commencerons sans lui, dit Mary. Et si nous dévorons tout, il en sera quitte pour aller puiser lui-même dans les réserves de la cabine. Ce sera sa punition. » Les cinq minutes s'écoulèrent et Tom ne revenait toujours pas. Andy semblait contrarié mais ne disait rien. Les jeunes convives ouvrirent la boîte de sardines, tartinèrent leur beurre sur leur pain et commencèrent à se régaler. A la fin du repas, il ne resta plus grandchose... et toujours pas de Tom. « Andy, demanda brusquement Jill, tu ne penses pas que Tom est en difficulté là-haut ? Ça ne lui ressemble guère de sauter volontairement un repas ! — J'avoue que je commence à être inquiet moi aussi, répondit le jeune pêcheur. Je vais de nouveau escalader la falaise et aller le chercher. Il s'est peut-être endormi. — Tom est vraiment un trouble-fête, déclara Mary, très contrariée. Mon pauvre Andy ! Toute cette escalade à recommencer ! — Oh, ne t'en fais pas ! dit Andy. Restez ici toutes les deux jusqu'à ce que je revienne. Il y fait chaud et vous êtes à l'abri du vent. J'irai aussi vite que je le pourrai. » Andy se mit en route. Bientôt, Jill et Mary purent le suivre des yeux, accroché comme une lointaine araignée au flanc de la falaise, et progressant avec aisance, d'une allure régulière, cependant que les oiseaux de mer décrivaient des ronds autour de lui en poussant leurs cris sauvages. « Je parie qu'il va passer un savon à Tom ! » dit Jill en s'étendant de tout son long sur le rocher chauffé par le soleil. Andy poursuivait son ascension. Il arriva enfin à

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l'endroit où les quatre amis s'étaient arrêtés pour manger. Tom n'y était pas, bien entendu, mais qu'est-ce qu'Andy apercevait, là au fond ? L'appareil photographique de Tom ! Ainsi, il n'était pas en train de photographier les oiseaux ! Alors, que faisait-il ? Et où se trouvaitil ? Andy commença de s'inquiéter pour de bon. Laissant l'appareil où il était, il contourna la falaise en suivant la corniche rocheuse conduisant à la cascade. Celle-ci ne ressemblait plus à un ruisselet mais à une rugissante cataracte. Andy s'en approcha. Une terrible pensée lui vint à l'esprit. Et si Tom avait commis la folie de pénétrer à l'intérieur de la falaise en passant par le trou de la cascade ? Oh, non, non ! Ce n'était pas possible. « En tout cas, je le lui ai formellement défendu ! » se dit Andy. Mais il ne pouvait s'empêcher de penser que rien n'arrêtait Tom quand il souhaitait ardemment quelque chose. Avait-il eu l'imprudence de se faufiler par l'ouverture ? Et l'eau, augmentant brutalement de volume, l'avait-elle empêché de ressortir ? Andy restait planté là, regardant la cascade et sachant bien qu'il ne pouvait rien pour Tom si celui-ci était réellement à l'intérieur de la montagne. Ou bien l'imprudent serait obligé d'attendre que la cascade redevienne filet d'eau, ou bien il devrait se débrouiller pour trouver une autre sortie ! Mais quelle autre issue y avait-il en dehors de celle de la cascade ? Aucune fort probablement. Andy s'assit un moment pour réfléchir. Puis, songeant qu'il ne devait pas laisser les filles seules plus longtemps, il s'apprêta à repartir. Au même instant, le bruit de la cascade diminua. Andy s'aperçut que son débit, une fois encore, s'était réduit jusqu'à n'être plus que celui d'un simple ruisseau. Par quel étrange phénomène ? Il lui importait peu de le savoir ! Et soudain, il eut l'impression que les yeux lui sortaient de la tête. Par le trou de la cascade venait de surgir une énorme

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jambe poilue, puis une seconde. Andy se rendit compte sur-lechamp que c'étaient là les mêmes jambes que lui et ses camarades avaient vues la fois précédente. Pour quelque obscure raison, leur seul aspect emplit le garçon de frayeur. En toute hâte, il tourna le coin de la falaise et se trouva hors de vue lorsque le barbu émergea en entier de son trou. Andy continua de descendre sans ralentir. Il dépassa, sans même y penser, l'endroit où Tom avait laissé son appareil photo. Il arrivait un peu en contrebas de ce même endroit, à un passage relativement difficile à franchir, quand il entendit une voix gronder au-dessus de lui. Puis quelque chose dégringola à deux doigts de lui, manquant de le heurter au passage. Une longue courroie brune était attachée à l'objet qui alla atterrir sur les rochers au pied de la falaise. Andy ne l'entendit pas s'y fracasser tant les cris des oiseaux étaient assourdissants. Il se cramponna au flanc de la montagne, le cœur battant à se rompre, et se demandant si l'homme allait lui donner la chasse... Mais peut-être ne l'avait-il même pas vu ? Cette supposition devait être la bonne car personne ne s'élança aux trousses d'Andy. A présent, on n'entendait plus rien, sinon le vent et le cri des oiseaux. Andy, plus mort que vif, reprit sa descente aussi vite qu'il le put. Il savait que Jill et Mary le voyaient et qu'elles devaient se demander pourquoi il ne ramenait pas Tom. Lui-même se posait anxieusement la question : qu'était-il arrivé à son ami ? Il rejoignit enfin les jumelles sur leur rocher. Elles étaient pâles et avaient l'air effrayé. « Je n'ai pas réussi à trouver Tom, expliqua Andy. J'ai idée que cet idiot est entré dans la falaise par l'ouverture de la cascade... et j'ignore ce qu'il est devenu. Tu avais raison, Jill, de penser que l'homme aux jambes poilues s'était caché là. Il est sorti du trou alors que j'étais tout près !

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— Andy, murmura Mary d'une voix tremblante de peur tout en désignant quelque chose du doigt, tout près d'elle, sur le rocher. Regarde ça ! C'est venu s'écraser à nos pieds dans un bruit affreux ! Le reconnais-tu ? Oh, Andy ! C'est l'appareil de Tom. » Là-dessus, Mary fondit en larmes. L'incident lui avait causé un choc. Et maintenant, voilà qu'Andy revenait sans Tom! « Andy, que devons-nous faire ? demanda Jill avec sang-froid. Je n'arrive pas à croire que Tom ait pu aller tout seul explorer l'intérieur de la falaise. — Tom a parfois, comme ça, des coups de folie, soupira Andy. Oh ! Pourquoi lui ai-je permis de rester là-haut? Je me demande s'il n'a pas été capturé par cet homme... Il, se passe certainement quelque chose de bizarre là-haut. Je ne veux pas risquer d'être mêlé à une sale affaire. Je rentre à la maison. Assez d'aventures comme ça ! Celles de l'année dernière m'ont suffi. - Mais, Andy... Andy... nous ne pouvons pas repartir sans Tom ! s'écria Mary dont les sanglots redoublèrent. Nous ne pouvons pas l'abandonner ainsi ! » Andy, très pâle, s'expliqua : « Le mieux que j'aie à faire est de vous ramener saines et sauves au village. Mon père se chargera alors de retrouver Tom et de tirer au clair ce qui se passe sur la falaise. » La vue de l'appareil photo en miettes lui donnait le frisson. L'homme aux jambes poilues devait avoir un tempérament violent pour avoir jeté ainsi le magnifique appareil au bas de la falaise. Andy se rappela que le même individu avait détruit sans pitié les œufs des oiseaux. Aussi n'avait-il nulle envie d'affronter le redoutable personnage alors qu'il avait les filles à protéger. C'est pourquoi il se leva. « Ramassons nos affaires et retournons au bateau, ordonna-t-il. Il faut partir immédiatement. — Non, répondit Mary. Je ne partirai pas. Je n'abandonnerai pas Tom !

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— Ne fais pas la sotte, répliqua Andy. Nous ne l'abandonnons pas. Nous allons alerter mon père avec lequel je reviendrai pour chercher Tom. Viens vite ! Ne discute pas ! C'est moi qui commande!» Jill rassembla en hâte les affaires du pique-nique, mais Mary s'entêtait à vouloir rester. Andy dut la mettre debout de force et il lui donna une bourrade. « Fais ce que je te dis. Ne comprends-tu pas que je suis aussi inquiet que toi ? C'est parce que Tom m'a désobéi que nous avons tous ces ennuis. Je me refuse à en avoir davantage ! Vous allez rentrer avec moi, toutes les deux ! » Mary, les joues inondées de larmes, se mit en devoir d'aider sa sœur à rassembler la vaisselle du pique-nique, éparse sur le rocher. Jill, presque en larmes elle aussi, jeta machinalement un dernier coup d'œil à la rivière souterraine qui jaillissait, impétueuse, au bas de la falaise. Soudain, elle se raidit, resta immobile, les yeux écarquillés et la bouche ouverte, comme pour crier. Mais sa stupéfaction était si grande qu'elle ne put émettre le moindre son. Elle se contenta de tendre le bras pour désigner quelque chose en contrebas. Les autres regardèrent dans la direction indiquée. Ballotté par le courant comme une grosse bûche, un étrange objet venait d'être craché par le torrent souterrain. Jill retrouva enfin sa voix. « Andy... articula-t-elle avec difficulté... Andy... C'est Tom... Oh! Pauvre, pauvre Tom !... Il est trop tard pour le sauver ! Il s'est noyé!» Très pâle sous son haie, Andy ne pouvait détacher les yeux du corps dont se jouaient les flots. Il vit une vague énorme s'en emparer et le déposer sur un rocher, près de l'endroit où la rivière souterraine et la mer se rencontraient. Le corps de Tom, après avoir fait deux ou trois tours sur lui-même, gisait à présent, parfaitement immobile. Tout à coup, Andy vit autre chose : les deux bras de

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Tom se soulevaient péniblement et le garçon se hissait un peu plus haut sur le rocher pour s'y mettre à l'abri. « II est vivant ! hurla Andy avec tant de force que les deux filles sursautèrent. Il est vivant ! Ohé, Tom ! Tom ! espèce de chameau ! D'où viens-tu ? Comment es-tu arrivé ici ? » Suivi des jumelles, le jeune pêcheur dégringola de son perchoir pour rejoindre Tom sur son rocher. Glissant et pataugeant, ils finirent par le rejoindre. Tom leva les yeux sur eux et eut un faible sourire. « Salut ! dit-il. Bien content de vous revoir ! J'ai le regret de vous annoncer que nous voici plongés au sein d'une aventure extraordinaire. Attendez un peu, que je vous raconte tout... Mais avant, quelqu'un peut-il me donner quelque chose à manger ? Je meurs de faim ! »

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CHAPITRE X Les pirates Andy, Jill et Mary étaient tellement heureux de retrouver Tom vivant — et affamé ! — que, sur le moment, ils restèrent sans voix, à le regarder avec des yeux brillants de joie. Jill fut la première à reprendre ses esprits. En fille pratique qu'elle était, elle se précipita pour aller chercher des provisions. « Rapporte une ou deux couvertures, lui cria Andy. Tom est trempé et risque de prendre froid. » Un instant plus tard, le rescapé, installé dans un coin abrité, dévorait des sandwiches. Ses vêtements mouillés séchaient dans le vent tandis que lui-même se réchauffait peu à peu sous les couvertures dont on l'avait entortillé. Andy avait prié les filles de ne poser aucune question

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à leur frère avant qu'il soit rassasié et ait cessé de frissonner. Jill et Mary avaient peine à contenir leur impatience. Il leur tardait tellement d'apprendre ce qui était arrivé à Tom ! Elles n'en revenaient pas encore d'avoir vu son corps surgir de la bouche écumante du torrent souterrain ! Quand Tom eut enfin achevé son repas, Jill lui dit : « Et maintenant, raconte-nous ton histoire ! » Tom glissa un coup d'œil du côté d'Andy et parut embarrassé. Il lui en coûtait d'avouer sa désobéissance, qui avait été si près de tourner au désastre. Andy intercepta son regard. D'un ton sévère mais non dénué de bienveillance, il demanda : « Tu as fait l'imbécile, n'est-ce pas ? Tu t'es glissé à l'intérieur de la falaise par l'ouverture de la cascade ? » Tom rougit et fit un signe d'assentiment. « Oui... c'est vrai ! soupira-t-il. Je suis navré, Andy... Je sais que c'est toi notre chef et j'aurais dû tenir compte de ton interdiction. Mais une force irraisonnée m'a poussé à tenter l'aventure. Si tu savais combien j'ai pu le regretter par la suite. — Je suis heureux que tu t'en sois tiré au moindre mal, déclara Andy. Mais, écoute-moi, Tom ! Encore une désobéissance et tu ne remets plus jamais les pieds sur mon bateau. Compris ? Je suis responsable de vous trois et si tu te montres indiscipliné, je n'ai que faire de toi. — Je sais, Andy. Je comprends, murmura Tom d'un ton plein d'humilité. Je ne recommencerai pas. Cette expérience m'a servi de leçon, je te le jure. Attendez un peu de savoir ce qui m'est arrivé... — Eh bien, parle ! dit Jill avec impatience. Ne le gronde plus, Andy ! Laisse-le raconter son histoire. » Tom raconta alors ce qu'il avait découvert et ce qu'il lui était arrivé. « Grand Dieu ! s'écria Andy lorsque Tom eut terminé son récit. Tout cela est vraiment stupéfiant ! Il se passe certainement des choses louches au cœur de cette falaise.

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De quoi peut-il bien s'agir ? Tu as eu de la veine de t'en tirer, Tom ! Mais tu as dû éprouver un rude choc en plongeant dans les eaux bouillonnantes de la rivière souterraine. — Ça, tu peux le dire, avoua Tom. Et j'ai eu de la chance de sortir, comme un bouchon, à quelques mètres de vous. Il s'en est fallu de peu que les vagues rie me projettent contre des récifs où je me serais brisé ! — Quel malheur que ces hommes sachent que tu as vu leur repaire ! soupira Andy. Je me demande bien ce qu'ils trafiquent au sein de cette falaise. Peut-être de la contrebande ? Mais pourquoi à l'intérieur de la montagne ? Il n'existe aucune route terrestre qui puisse servir à amener des marchandises en fraude. Je n'y comprends rien ! — Crois-tu que ces deux individus vont se lancer à nos trousses ? demanda Jill, inquiète. — Hum... ils n'ont vu que Tom... Peut-être supposent-ils qu'il est tombé de la falaise, répondit Andy. Ils ont cru qu'il était reparti par le tunnel et le trou de la cascade. A mon avis, ils se sont lancés à sa poursuite et n'ont trouvé que son appareil photo. Dans leur rage, ils l'ont jeté au bas de la falaise. Quel dommage ! Un appareil si fantastique ! Le voilà en mille morceaux ! » Tom se sentait beaucoup mieux. Il avait presque l'impression, à présent, de faire figure de héros ! Bien sûr, il avait désobéi à Andy, mais les choses n'avaient pas trop mal tourné et il avait fait de remarquables découvertes. Il recommençait déjà à crâner quand Andy refroidit son enthousiasme. « Nous allons rentrer chez nous aussi vite que possible, déclarat-il. Il est probable que Tom va s'être enrhumé. L'eau de cette rivière souterraine est glacée. Je regrette de devoir mettre un terme à notre sortie, mais je ne veux pas qu'il attrape une pneumonie. » Tom fit la grimace. « Oh, Andy ! Ne fais pas l'idiot ! Je me porte parfaitement bien. Ça se voit, non ? »

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Jill regarda le soleil qui, maintenant, était déjà assez bas sur l'horizon. « De toute façon, Andy, dit-elle, n'est-il pas trop tard pour prendre le chemin du retour ? » Andy, à son tour, considéra le soleil et pesa le pour et le contre. « Le vent souffle dans la bonne direction et nous pourrons passer les plus mauvais récifs tant qu'il fera encore jour. A mon avis, il faut partir. Je pense aussi que ces deux hommes peuvent se lancer à la recherche de notre bateau. Songez à ce qui se produirait s'ils nous surprenaient pendant la nuit ! — Flûte ! dit Tom, déconfit. Pourquoi a-t-il fallu que je fasse l'imbécile ? J'ai gâché notre balade. Et nous n'avons même pas mis les pieds sur le Roc des Contrebandiers ! » Une fois qu'Andy avait pris une décision, il passait à l'action sans perdre de temps. « Venez ! dit-il en se levant. Ces hommes vont certainement venir fouiner par ici avant longtemps. Filons sans plus attendre ! » Les quatre amis retournèrent donc vers l’Andy, avec des figures longues d'une aune. Ils grimpèrent à bord et hissèrent la voile rouge. Le soleil, bien que déclinant, brillait encore gaiement et la voile, en montant, projeta son reflet rutilant dans l'eau bleu pâle. Le vent soufflait fort à présent. Adroitement, Andy fit sortir son bateau de la baie, la voile gonflée à bloc. L'embarcation prit aussitôt de la vitesse et fila bon train. Aucun des enfants ne disait mot. Leur déception était trop grande. Ils acceptaient difficilement de laisser derrière eux un mystère non éclairci. Ils auraient tant aimé découvrir pourquoi les deux hommes se trouvaient dans la caverne, ce qu'ils y tramaient, et qui ils étaient ! Sans doute ne le sauraient-ils jamais car ni le père d'Andy ni la mère des enfants ne prendraient sans doute au sérieux leur récit extravagant.

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Le soleil semblait décliner de plus en plus vite. Il était sur le point de disparaître quand Tom poussa un cri et désigna quelque chose devant eux. « Qu'est-ce que c'est que ça ?... Regardez... là-bas, près de ces gros rochers ! » Andy, dont la vue était perçante, comprit tout de suite : un canot à moteur ! Il était là, immobile. Guettait-il leur passage ? Il n'y avait rien d'autre à faire qu'à continuer. L’Andy poursuivit donc son chemin, sa voile rouge déployée. Comme il approchait du canot immobile, les enfants entendirent qu'on lançait le moteur. Presque aussitôt le canot gagna le milieu du chenal vers lequel se dirigeait ['Andy. Le jeune pêcheur comprit qu'il lui était impossible de passer. Le chenal était bien trop étroit ! A vouloir se faufiler à droite ou à gauche du canot à moteur, il aurait accroché les écueils qui bordaient le couloir aquatique.

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Comme ils arrivaient à hauteur du canot, un homme grand, qui semblait étranger, se pencha par-dessus bord. « Qui êtes-vous ? criat-il. Que faites-vous dans les parages ? — Ça ne vous regarde pas ! cria Andy en retour. Ecartez-vous de notre chemin. — Jetez l'ancre et montez à notre bord ! ordonna l'inconnu avec aplomb. Sinon, nous vous arraisonnerons, vous et votre barque. — Qui êtes-vous vous-mêmes ? riposta Andy furieux. Dégagez le passage. Nous sommes des enfants en excursion. - Je t'en prie, Andy, murmura Jill, effrayée. Faisons demi-tour. Retournons à la Falaise aux Oiseaux ! » Andy parut vouloir refuser, puis changea soudain d'expression. Il jeta un coup d'œil anxieux au ciel qui s'obscurcissait très vite à l'approche de la nuit et se couvrait en même temps de gros nuages. Dans très peu de temps, l'obscurité serait à peu près complète. L'homme du canot, qu'un autre venait de rejoindre, recommença à héler les enfants et à leur ordonner de monter à leur bord. Il ne pouvait réellement voir si les compagnons d'Andy étaient ou non des enfants : les bateaux étaient un peu trop éloignés l'un de l'autre. Et, soudain, l'imprévisible se produisit... Une grosse vague se gonfla brusquement, souleva le canot à moteur et le fit pivoter sur lui-même. Sans doute, au moment où la vague retomba, alla-t-il heurter un récif à fleur d'eau, car on entendit un fort craquement tandis que le bateau frémissait de la coque jusqu'au roof. Les deux hommes furent presque projetés par-dessus bord. Ils disparurent sitôt après le choc, sans doute pour aller constater les dégâts. « Tentons notre chance ! dit Andy. Nous allons faire demi-tour, mais pas pour aller à la Falaise aux Oiseaux, où ils s'attendent sans doute à nous voir revenir. Non ! Je vais mettre le cap sur le Roc des Contrebandiers.

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Vous vous rappelez sans doute que le chenal se divise en deux branches et que l'une d'elles aboutit au Roc ? J'espère seulement y voir assez clair pour me diriger jusqu'au bout ! » Alors, pendant que les deux étrangers cherchaient à évaluer les dommages causés à leur embarcation, l’Andy vira de bord et s'éloigna poussé par la brise. Andy ne pensait pas que le canot à moteur oserait se lancer à leur poursuite dans l'obscurité. Aussi, dès que cela fut possible, il amena la voile et prit les avirons, imité par Tom. « Ouvrons l'œil pour repérer l'endroit où le chenal bifurque, recommanda-t-il. Nous devrons ramer un bon bout de temps, mais tans pis ! » Par bonheur, le courant les aida et ce ne fut pas aussi dur qu'Andy s'y était attendu. La bifurcation fut repérée sans peine et l'on s'engagea dans la voie conduisant au Roc des Contrebandiers. A la grande joie des enfants, la lune sortit soudain de derrière les nuages. « Elle va nous guider, s'écria ,Andy tout content. Regardez ! On aperçoit la silhouette du Roc des Contrebandiers tout là-bas ! » L’Andy continua à glisser le long du chenal, qui allait en s'élargissant, et à se rapprocher du grand rocher abrupt. Il était difficile de le distinguer avec netteté, noyé qu'il était dans l'ombre. Le bateau atteignit enfin une petite baie. Andy estima qu'on pouvait y jeter l'ancre... et espérer ensuite que tout se passe bien. A son avis, personne n'aurait l'idée de venir les chercher au Roc des Contrebandiers. Et, le jour suivant, peut-être pourraient-ils gagner la pleine mer. Ils jetèrent donc l'ancre. « Allons-nous descendre sur l'île ? demanda Jill. — Non, répondit Andy. Avec cette lune qui est en train de jouer à cache-cache avec les nuages, nous ne serions pas capables de nous orienter convenablement. Nous passerons la nuit à bord.

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— Pouvons-nous coucher sur le pont ? demanda encore Jill. - Non. Il est préférable que Mary et toi dormiez dans la cabine, déclara Andy. Prenez chacune une couverture. Cela suffira à vous tenir chaud. Tom et moi, nous nous partagerons le reste des couvertures car il fera plutôt frisquet sur le pont. Vous serez en parfaite sécurité dans la cabine. D'ailleurs, avec Tom, nous monterons la garde chacun à notre tour, juste au cas où quelqu'un viendrait. Mais il n'y aura pas d'alerte, j'en suis persuadé. » Perplexes, fatiguées et un brin effrayées encore, les jumelles descendirent dans la cabine. Elles passèrent des couvertures et des coussins aux deux garçons. Puis, elles s'installèrent pour la nuit. Andy annonça à Tom qu'il prendrait le premier quart et qu'il réveillerait son camarade trois heures plus tard. Tom, harassé à la suite des épreuves de la journée, s'endormit sur-le-champ. Andy s'assit près de lui, enroulé dans ses couvertures, mais vigilant toutefois. Dans quelle curieuse aventure lui et ses compagnons se trouvaient plongés !

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CHAPITRE XI Des lumières dans la nuit L^/a. nuit était belle,. en dépit de quelques nuages qui voilaient la lune par intermittence. Sur les eaux calmes de la petite baie, le bateau bougeait à peine. Andy n'entendait que le clapotis des vagues contre la coque. Il ne cessait de retourner dans sa tête les événements de la journée. Tom avait dit que dans la grande caverne, à l'intérieur de la montagne et presque au niveau de la mer, là où ressortait le torrent souterrain, il avait vu une grande quantité de cartons et de caisses entassés... Des marchandises quelconques, évidemment. D'où pouvaient-elles bien venir ? « Et comment ces hommes ont-ils pu amener là leur

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chargement ? se demandait le jeune garçon. Il est impossible qu'ils l'aient hissé le long de la falaise, puis fait pénétrer à l'intérieur par le trou de la cascade ! Et tout aussi impossible qu'ils l'aient ensuite hissé par l'escalier de pierre et fait passer par l'étroit passage débouchant dans la salle-entrepôt. Par ailleurs, est-ce qu'un canot à moteur pourrait remonter la rivière souterraine ? Non, le courant est beaucoup trop fort et, si j'en crois la description de Tom, le plafond est par endroits beaucoup trop bas. » Décidément, l'énigme de la falaise demeurait entière. Andy finit par renoncer à la déchiffrer. « Je n'ai qu'une certitude : il se passe de drôles de choses à la Falaise aux Oiseaux... des choses peu régulières. Et plus tôt nous partirons pour mettre nos parents au courant, mieux cela vaudra. Nous ne pouvons régler ce problème nous-mêmes. Et puis, je dois avant tout protéger Jill et Mary. » Au bout de trois heures de faction, Andy réveilla Tom. Ce ne fut pas chose facile car le garçon était exténué par ses aventures. Enfin, il se retrouva, assis bien droit et les yeux grands ouverts, montant la garde au clair de lune. « Dans trois heures, tu me réveilleras, Tom ! » dit Andy en s'enroulant dans ses couvertures et en se blottissant le plus près possible de son ami pour avoir plus chaud. La fraîcheur de la nuit était réelle. Tom avait terriblement sommeil. A plusieurs reprises, sa tête dodelina sur la poitrine et ses yeux se fermèrent. Il se secoua en se morigénant. S'endormir alors que la sécurité des autres dépendait de lui aurait été un véritable crime. Il ne pouvait se laisser aller. Sinon, Andy n'aurait jamais plus confiance en lui. « II vaut mieux que je me remue un peu ! » songea Tom. Il se dégagea tout doucement de ses couvertures, en prenant bien garde de ne pas réveiller Andy, et il se mit à arpenter le pont. Tout à coup, il lui sembla percevoir

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un léger mouvement sous ses pieds. Sans bruit, il ouvrit la porte de la cabine et chuchota : « Tout va bien là-dedans ? » Mary lui répliqua à voix basse : « Je n'arrive pas à dormir. Et pourtant, j'ai essayé, je t'assure. Impossible de garder les yeux fermés. Laisse-moi monter sur le pont avec toi et t'aider à faire le guet. Je suis sûre qu'Andy le permettrait. Je t'apporterai du chocolat. » La perspective du chocolat sourit agréablement à Tom. Il répondit dans un murmure : « D'accord ! Monte, mais ne réveille pas Jill. Prends une couverture. Tu me tiendras compagnie un petit moment. » Mary émergea dans le clair de lune, chargée de sa couverture. Elle regarda autour d'elle. « Oh ! Quel merveilleux spectacle ! » chuchota-t-elle. Le frère et la sœur s'assirent côte à côte, bien enveloppés dans leurs couvertures. Ils grignotèrent leur chocolat qui, au clair de lune, prenait une saveur toute spéciale. A présent, Tom était bien éveillé. Mary et lui se mirent à discuter tout bas des événements de la journée. A un moment donné, Tom se rappela le petit bouton de nacre rouge qu'il avait trouvé sur le sol d'une des cavernes. Il le montra à Mary. « Regarde ! J'avais oublié ce bouton. Je l'ai ramassé dans la caverne derrière la cascade. C'est même cette trouvaille qui m'a donné l'assurance que l'homme aux jambes poilues se cachait bien dans le coin. Un bouton de chemise tombe généralement d'une chemise, non ? — L'homme aux jambes poilues portait-il une chemise rouge quand tu l'a vu dans la cave-entrepôt ? demanda Mary en tournant et en retournant le bouton entre ses doigts. — Non, je ne crois pas, répondit Tom en essayant de se souvenir. Et l'autre homme non plus, autant que je m'en souvienne. Celui-ci était habillé comme un pêcheur. » Il remit le bouton dans sa poche. Les deux enfants

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demeurèrent silencieux un instant, appréciant le faible balancement du bateau et le clapotis des vagues contre sa coque. Puis Mary bâilla. « Je crois, dit-elle, que je commence à avoir sommeil. Il ne se passera sans doute rien cette nuit. Nous sommes en sécurité ici. » Elle regagna la cabine en emportant sa couverture. Tom, maintenant, n'avait plus peur de s'endormir. Il se sentait bien éveillé. Ses yeux se portèrent sur le Roc des Contrebandiers. Comme il semblait grand et escarpé ! Tom espéra que, le lendemain matin, Andy ne les presserait pas trop de partir et qu'ils auraient le temps de débarquer sur la petite île pour y jeter un coup d'œil. La lune disparut derrière un nuage. Aussitôt, l'énorme rocher se trouva noyé dans les ténèbres. Tom regarda machinalement vers son sommet... Alors, il se raidit brusquement et resta les yeux fixés sur un point bien précis. « Non, je ne rêve pas ! murmura-t-il. C'est bien une lumière que j'ai aperçue ! Oui... la revoilà... un éclair... un autre... encore un autre... Quelqu'un est en train de faire des signaux. Il y a donc des gens ici aussi ? » La lumière continuait à briller par intermittence. Tom réveilla Andy en le secouant sans douceur. Le jeune pêcheur se redressa, tout de suite en alerte, se demandant ce qui se passait. « Regarde, Andy ! Regarde ! dit Tom. Vois-tu cette lueur qui clignote tout en haut du Roc des Contrebandiers ? Tu la vois, dis ? Il s'agit sûrement d'un signal ! » Andy eut tôt fait de repérer la petite lumière. Il la regarda attentivement. Elle se montra quelque temps, puis disparut pour de bon. « Que penses-tu de ça ? demanda Tom. - Rien de bon, grommela Andy. Un mystère de plus. En tout cas, je suis plus que jamais décidé à filer demain matin, à la première heure. Il faut absolument aller

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raconter ce qui se passe ici aux autorités. Inutile de nous fourrer dans de nouveaux ennuis si nous pouvons l'éviter. » La lumière ne reparut pas. Andy consulta sa montre, puis s'enroula de nouveau dans ses couvertures. « II me reste encore une heure de sommeil, dit-il à Tom. Ouvre l'œil, mon vieux, mais n'hésite pas à me réveiller si tu flaires à nouveau du louche. » Rien d'autre, cependant, ne se produisit pendant le reste de la garde de Tom... et cela à son grand regret. A l'heure convenue, le jeune garçon réveilla Andy et s'enroula à son tour dans ses couvertures. Il s'endormit avant qu'Andy ait parcouru le pont d'un bout à l'autre. En bas, dans la cabine, Jill et Mary dormaient aussi. Tout était paisible. A l'aube, Andy réveilla tout le monde. « Jill ! Mary ! ordonna-t-il. Préparez rapidement le petit déjeuner ! Toi, Tom, descends les couvertures. Nous lèverons l'ancre le plus tôt possible. - Par quel chemin allons-nous repartir ? interrogea Tom en faisant passer les couvertures à ses sœurs dans la cabine. — Je n'ai encore rien décidé, déclara Andy. Si j'étais certain que le canot à moteur soit parti, je suivrais la route par laquelle nous sommes venus. J'ignore en effet comment gagner la pleine mer en partant d'ici et si, même, c'est possible. 1l me' faudrait monter sur le Roc des Contrebandiers pour avoir une vue d'ensemble des environs. D'ici, je ne peux rien voir. — Eh bien, demanda Tom, qu'est-ce qui t'empêche d'y grimper et de jeter un coup d'œil à la ronde ? De là-haut, tu pourrais voir le canot à moteur. Et tu pourrais également repérer le chemin que nous devons suivre pour rentrer. — Aurais-tu oublié les lumières que nous avons vues briller au sommet du Roc cette nuit? répliqua Andy. Il y a des gens sur l'île. Mieux vaut .ne pas risquer de tomber

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entre leurs mains. Il semble y avoir un réseau de bandits, qui couvre toute cette région désolée. — Mais il est de si bonne heure ! insista Tom. Tous ces bandits sont certainement couchés. Dépêchons-nous de déjeuner, Andy, puis nous aborderons le Roc des Contrebandiers et nous grimperons rapidement jusqu'à cet éperon rocheux... celui-là, le vois-tu ?... où nous aurons la possibilité de voir assez loin. Je parie que nous serons capables de repérer de là-haut n'importe quel canot à moteur qui guetterait notre passage. Qu'en dis-tu ? — Eh bien... il serait peut-être bon, en effet, que je jette un coup d'œil du haut de cet observatoire, admit Andy. Comme tu dis, le coin doit être désert à cette heure matinale. Evitons de parler et de faire le moindre bruit une fois que nous aurons débarqué. Vous devrez respecter scrupuleusement l'a consigne. Vu ? » Les quatre amis s'installèrent sur le pont pour se restaurer. Cette fois, il y avait au menu de la soupe en conserve bien chaude, du pain et du beurre et quantité de biscuits accompagnés de confiture d'oranges. Pour terminer, ils burent un excellent chocolat au lait, bien crémeux. « Cette soupe chaude est une sacrée trouvaille ! dit Andy à Jill qui rougit de plaisir sous le compliment. C'est qu'il fait rudement frisquet ce matin ! Il est vrai qu'il est très tôt. Tout juste si le soleil commence à poindre ! » Les enfants achevèrent leur petit déjeuner, les yeux fixés sur l'eau bleue de la baie, que le soleil levant teintait de rosé et d'or. « On dirait, fit remarquer Mary, que tout est neuf ou lavé de frais. Quelle splendeur ! » L'observation était juste. Les rochers eux-mêmes luisaient dans le soleil matinal. Andy évalua du regard les pentes de l'île toute proche. « Je pense, dit-il, que ce sommet que Tom a repéré fera un excellent observatoire. Une chose m'ennuie : c'est d'emmener les filles. Par ailleurs, je crois préférable de

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rester tous ensemble. Nous nous dépêcherons le plus possible. » Négligeant de ranger la vaisselle du petit déjeuner, les quatre amis sautèrent de rocher en rocher jusqu'au rivage de l'île. Là, pas de falaise abrupte comme sur la côte, mais des amas de rocs, couverts d'algues jusqu'au niveau des plus hautes marées. Au-dessus, les roches étaient parfaitement sèches. La petite troupe n'eut aucun mal à grimper jusqu'au sommet repéré par Tom. De là, ainsi qu'ils l'avaient escompté, la vue s'étendait très loin. La mer leur apparut, dans toute sa splendeur. Ce matin-là, elle était agitée et semée de moutons blancs. Aucune trace du canot à moteur ! Andy eut beau regarder de tout côté, il ne le vit pas. Et pourtant, sa vue était des plus perçantes. Souvent, il apercevait au loin des choses que ni Tom ni ses sœurs n'étaient capables de distinguer, même vaguement. « Rien à signaler ! annonça Andy d'un air satisfait. Et c'est une chance que nos adversaires aient disparu, car je ne sais comment j'aurais fait pour repartir par un chemin différent de celui que je connais. Je n'aurais jamais osé me lancer vers la pleine mer parmi tous les écueils qui jalonnent ces parages. — Eh bien, repartons sans plus attendre ! » conclut Jill qui commença à descendre en sautant d'un rocher à l'autre. Andy lui lança un avertissement, mais il était déjà "trop tard. Jill venait de glisser et de tomber. Elle essaya de se relever et n'en fut pas capable. Andy, très alarmé, se précipita pour lui porter secours. Que lui était-il arrivé ?

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CHAPITRE XII Situation tragique Jill, toute pâle, s'était assise sur un rocher. Elle se massait doucement la cheville en gémissant un peu. Des larmes lui coulaient sur les joues. « Qu'y a-t-il ? T'es-tu foulé la cheville ? demanda Andy en s'agenouillant auprès d'elle. Oh, Jill ! Comme tu as été imprudente de sauter ainsi ! — Je sais. Oh, là, là, que j'ai mal ! Que faire, mon Dieu ? » Mary, qui avait rejoint sa jumelle, se retenait de pleurer. Elle ôta avec douceur la chaussure de Jill. La cheville était déjà enflée. Andy la palpa d'un doigt léger. « Je ne crois pas que ce soit une véritable entorse, 92

dit-il. Tu t'es simplement tordu le pied. Ce sera vite guéri, je pense. Mais il ne faut pas que tu marches. » Tom avisa une grosse flaque d'eau limpide au creux d'un rocher. « Portons Jill jusque-là ! dit-il. Elle pourra baigner son pied dans cette eau de pluie. Ça lui fera sans doute du bien ! » En effet, Jill se sentit mieux après ce bain rafraîchissant. Elle reprit quelques couleurs et essuya ses larmes. Il n'empêche que sa cheville restait très enflée. Andy estima prudent d'attendre un instant avant de repartir. Ils demeurèrent donc auprès de la flaque, bavardant tout bas. Andy ne cessait de surveiller les alentours, au cas où quelqu'un aurait fait son apparition. Il parla aussi aux filles des lumières que Tom et lui avaient aperçues au cours de la nuit précédente. Au bout d'un moment, Jill déclara qu'elle allait essayer de marcher. Andy l'aida à se relever mais, dès qu'elle eut posé son pied par terre, elle laissa échapper un cri et retomba. « Je ne peux pas... du moins pas encore... — Eh bien, patientons ! » soupira Andy. Le jeune pêcheur était de plus en plus désireux de rentrer chez lui. Il jeta un coup d'œil à l'entassement de rochers qui les séparaient de la baie où était ancré leur bateau. D'où ils étaient, on ne pouvait apercevoir l’Andy, assez loin au-dessous d'eux. Pour tromper le temps, les autres amis regardèrent autour d'eux. Le Roc des Contrebandiers était vraiment un endroit désolé, loin de tout. Du haut du sommet dénudé, on apercevait certainement la mer à des lieues à la ronde. « J'aimerais bien pouvoir monter là-haut et jeter un coup d'œil aux environs ! déclara Tom qui en mourait d'envie. — Inutile d'y songer ! répliqua Andy d'un ton sec. Hier, déjà, tu nous as flanqués dans le pétrin et je ne tiens

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pas à- m'y enfoncer davantage ! Par ailleurs, tu sais très bien que c'est là-haut que nous avons vu briller des lumières suspectes cette nuit. Si quelqu'un se trouve sur cette île aujourd'hui, c'est sûrement au sommet ! — Ça va, mon vieux, ça va ! fit Tom. Je disais seulement que j'aimerais y aller. Je n'ai pas dit que j'y allais. » II s'écoula un bon moment avant que Jill soit en mesure de poser son pied par terre sans trop souffrir. Si la cheville était toujours enflée, du moins la douleur avait-elle diminué. « II est presque dix heures et demie, fit remarquer Andy d'un air soucieux. Si tu penses pouvoir avancer en boitillant, soutenue par Tom et par moi, Jill, mieux vaut nous mettre en route sans plus tarder. » Jill fit une tentative. « Oui, dit-elle. Si j'évite de faire porter le poids de mon corps sur mon pied blessé, je crois que j'y arriverai. Mais il faudra bien me soutenir, vous deux ! » La petite troupe amorça la descente. Elle cheminait lentement, choisissant les endroits les plus faciles pour ménager les forces de Jill. A deux reprises, les enfants durent faire halte pour s'asseoir et se reposer. Andy se montrait doux et patient, ce qui ne l'empêchait pas de bouillir intérieurement et d'être fort soucieux. Il avait hâte de se retrouver à son bord et de hisser la voile. Enfin, les quatre amis arrivèrent à la baie. Le bateau se balançait doucement devant eux, exactement là où ils l'avaient laissé. Pourtant, dès qu'ils l'aperçurent, les enfants sentirent que quelque chose manquait... Il y avait comme une fausse note. « Où est la voile ? murmura Tom. Nous l'avions laissée roulée sur le pont. Je ne la vois plus. » Andy ne répondit pas. De ses yeux perçants il avait déjà inspecté son bateau de la coque au bout du mât. Il sentit son cœur se glacer. Quelqu'un avait emporté la voile !

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Abandonnant Jill à Tom et à Mary, il parcourut en toute hâte l'espace qui le séparait encore de son bateau. Bondissant de rocher en rocher comme une chèvre, il atteignit rapidement l'Andy et sauta à bord. Il entreprit une fouille rapide tandis que les trois autres se rapprochaient avec lenteur. Quand ils furent montés à bord à leur tour, il leur annonça, très pâle : « Savez-vous ce qui est arrivé ? Quelqu'un est venu et nous a volé non seulement la voile mais aussi les avirons ! » Tom et les jumelles le regardèrent d'un air épouvanté. Volée, la voile ! Disparus, les avirons ! Comment, désormais, allaient-ils rentrer chez eux ? Jill, terriblement choquée, exprima tout haut l'opinion générale : « II nous est donc impossible de reprendre la mer ? — Je le crains », répondit Andy en aidant sa petite camarade à s'étendre confortablement sur le pont. Les enfants eurent beau fouiller du regard le décor qui les entourait, ils ne virent personne. Qui donc était monté à bord pour perpétrer ce mauvais coup ? « On a profité de notre absence pour agir, dit Andy. C'est donc qu'on désire nous retenir ici. Et on a choisi la manière la plus simple, en nous ôtant la possibilité de manœuvrer notre bateau. Sans voile ni rames, plus moyen de partir. Ah, si je tenais le gredin qui a fait ça ! » Jill se mit à pleurer. Sa cheville lui faisait mal. Elle désirait vivement retourner chez elle et se faire dorloter par sa mère. Emu par ses sanglots, Andy lui passa un bras fraternel autour des épaules. « Ma pauvre petite Jill ! Ne t'en fais pas trop, va ! Nous nous en sortirons... même si nous devons repartir à la nage ! » Jill n'eut même pas le courage de sourire. « C'est ma faute, dit-elle entre deux hoquets. Si je n'avais pas été assez sotte pour sauter sur les rochers et me tordre la cheville, nous serions rentrés à temps ! Je me sens coupable... et de plus mon pied me fait bien mal !

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— Va t'étendre dans la cabine ! conseilla Andy. Mary te fera des compresses d'eau froide. Nous allons étudier la situation, Tom et moi, et voir ce qu'il y a de mieux à faire. » Tant bien que mal, Jill gagna la cabine. Avec soulagement elle s'allongea sur sa couchette, le pied surélevé. Mary trempa un mouchoir dans l'eau de mer et en enveloppa avec précaution la cheville douloureuse. Pendant ce temps, les garçons discutaient gravement sur le pont. Désormais, leur situation était critique. « Sans le vouloir, expliqua Andy, nous avons mis le pied sur une fourmilière. Nous sommes tombés sur quelque chose que ces hommes ont intérêt à cacher. S'ils ont choisi un coin aussi isolé comme cadre à leurs activités, c'est évidemment qu'elles sont illégales. Il s'agit sans doute de contrebande. Le fait que nous ayons mis le nez dans leurs affaires a dû déranger ces messieurs ! — Ils doivent être furieux ! dit Tom. — Et comment ! Tu penses bien qu'ils se soucient peu de nous voir rentrer chez nous pour raconter à tout le monde ce que nous avons découvert. Je suppose qu'ils vont nous retenir jusqu'à ce qu'ils aient achevé leur trafic, quel qu'il soit... un trafic sans doute en rapport avec toutes ces caisses que tu as vues. - Je me demande ce qu'elles peuvent bien contenir, murmura Tom. — Des marchandises passées en fraude, tiens ! Nous voici dans de jolis draps ! Votre mère et mon père seront fous d'inquiétude en ne nous voyant pas revenir. — Heureusement qu'ils savent où nous sommes ! déclara Tom à qui cette pensée rendit courage. Ils viendront nous chercher. Ton père empruntera le bateau de ton oncle et ne tardera pas à se montrer. Car s'il ne nous voit pas à la Falaise aux Oiseaux, il nous cherchera ici, c'est sûr. — Oui, il viendra, dit Andy. Mais je parie que ces bandits y ont pensé et auront tout prévu pour empêcher qu'on nous retrouve.

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— Comment cela ? Que veux-tu dire ? - Eh bien, dès qu'ils apercevront le bateau de papa dans les parages, ils prendront des mesures pour nous tenir hors de sa vue. » Tom regarda son ami d'un air effaré. « Mais notre bateau... Ils ne pourront le faire disparaître comme ça ! » s'écria-t-il. Andy ne répondit rien. Son silence dura si longtemps que Tom finit par s'en inquiéter. Et puis, à sa grande consternation, il vit une larme perler au coin de la paupière du jeune pêcheur. Bouleversé, il serra la main d'Andy. « Andy ! Mon vieux ! Qu'y a-t-il ? Pourquoi as-tu l'air si triste ?» Andy avala sa salive avec difficulté et essuya du revers de la main cette larme révélatrice. « Tu ne comprends donc pas ? dit-il en s'efforçant de parler d'une voix normale. Ils couleront sans doute mon cher bateau... voilà tout ! C'est le seul moyen efficace pour dissimuler un navire à toutes les recherches. Je crois ces contrebandiers sans le moindre scrupule, et peu leur importera de couler mon voilier si cela les arrange. » Couler l’Andy ! Envoyer par le fond la merveilleuse embarcation, si légère et si rapide ! Tom regarda Andy d'un air horrifié. Les quatre amis aimaient énormément le bateau, mais Andy l'adorait presque. C'est qu'il avait déjà navigué longtemps à son bord et en connaissait les moindres caractéristiques. Tous les pêcheurs sont passionnément attachés à leur embarcation, bien entendu, mais celle-ci était la première qu'Andy ait jamais eue et, de plus, elle était d'une rare beauté. « Oh, Andy ! soupira Tom incapable de trouver autre chose à dire. Oh, Andy ! » Le silence s'installa entre eux. Puis ils entendirent Mary remonter pour tremper de nouveau la compresse de Jill dans l'eau de mer. « Pas un mot de tout cela à tes sœurs ! murmura

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vivement Andy à Tom. Il est inutile de les effrayer à l'avance ! — Entendu ! » répondit Tom dans un souffle. Et, comme Mary paraissait sur le pont, il se força à lui sourire en demandant : « Comment va Jill ? — Sa cheville la fait moins souffrir maintenant qu'elle est allongée, expliqua Mary. — J'ai faim ! annonça Tom, entonnant son refrain habituel. Est-ce qu'il n'est pas bientôt l'heure de déjeuner ? Grand Dieu, Andy ! J'y pense tout à coup. Nous avons emporté pas mal de vivres avec nous, et c'est heureux... mais il n'y en a que pour deux ou trois jours. J'espère que nous ne mourrons pas de faim ! — On nous aura secourus bien avant ! s'empressa d'affirmer Andy en voyant Mary pâlir. De toute façon, nous ne manquons de rien pour l'instant. Et il n'est pas loin de midi. Regardez le soleil ! » Les quatre amis firent un excellent repas. Andy et Tom, cependant, restaient sur le qui-vive. Mais ils ne virent personne. « Nous devons nous résigner à demeurer ici quelque temps, déclara finalement Andy. Et voici ce que je propose : nous allons débarquer à terre toute la nourriture et les couvertures. Nous dénicherons un abri sur le rocher — une grotte ou quelque chose comme ça — et nous nous y installerons le plus confortablement possible. — Nous allons une fois de plus jouer aux-Robinsons ! s'écria Mary avec entrain. Ce sera assez amusant, même si la situation n'est pas des plus brillantes. Venez ! Cherchons un bon endroit!»

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CHAPITRE XIII Les nouveaux Robinsons Il fut convenu que Jill resterait à bord. Sa cheville blessée était encore douloureuse bien qu'elle se sentît beaucoup mieux. Déçue de ne pas suivre les autres qui partaient à la recherche d'un abri confortable pour la nuit, elle demanda : « Au fait, pourquoi ne dormirions-nous pas sur le bateau, comme la nuit dernière ? » Aucun des deux garçons ne se souciait de parler aux I il les de leur crainte : celle de voir quelqu'un s'en prendre à l’Andy et l'envoyer par le fond. C'était cette crainte qui les poussait à débarquer tout ce qui se trouvait à bord : il fallait sauver le plus de choses possible !

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La réponse d'Andy fut des plus vagues : « Oh ! Nous dormirons bien mieux si nous trouvons un endroit abrité du vent ! Mais ne t'en fais pas, Jill ! Nous resterons toujours en vue du bateau. Tu nous verras aussi bien que nous te verrons. » Les trois amis se mirent en route. Ils gagnèrent le rivage en passant d'un rocher à l'autre, et sans cesser de surveiller le bateau du coin de l'œil. Les garçons pensaient que l'ennemi ne se montrerait pas si tôt, mais ils ne voulaient courir aucun risque alors que Jill était seule à bord. En ne perdant pas de vue la barque, ils ne risquaient pas d'être pris au dépourvu. « Inutile de grimper jusqu'où nous étions ce matin, déclara Andy. D'abord, parce que de là-haut le bateau est invisible, ensuite parce que je n'y ai remarqué aucun coin confortable et abrité. En avez-vous vu un, vous autres ? — Ma foi, non ! répondit Tom. L'endroit est battu des vents et rébarbatif en diable. Essayons plutôt de ce côté. Regardez ! N'est-ce pas de l'herbe bien verte que je vois là ? Mais non ! Ce sont de vulgaires paquets d'algues. Montons plus haut. Si une tempête venait à éclater, je suis sûr que la mer aurait vite fait de submerger l'endroit où nous sommes. - Evidemment ! opina Andy. Il faudra même grimper plus haut que les rochers que voilà. Ils sont tapissés de petites algues, ce qui indique que la marée les atteint eux aussi. Pour ce qui est de la tempête, j'espère bien que le temps restera beau. Car si la mer se déchaînait, c'en serait fait de mon pauvre bateau à l'ancre au milieu des récifs. Il se briserait contre eux, c'est certain ! » Tom n'aimait guère le tour que prenait la conversation. « Oh ! dit-il très vite. Il ne semble pas qu'une tempête se prépare. La journée est magnifique, bien que froide. Vois donc, Andy ! Grimpons jusqu'à cette large banquette rocheuse. Elle semble à l'abri du vent. Et n'est-ce pas une grotte dont on aperçoit l'entrée juste derrière ? »

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Ils montèrent donc jusqu'à la large avancée de pierre, en prenant soin de toujours bien rester en vue de l’Andy. « Mieux vaut ne pas trop nous éloigner du bateau, conseilla le jeune pêcheur. N'oubliez pas que nous aurons à transporter toutes nos affaires jusqu'à notre abri. S'il y a vraiment là une caverne, ce serait parfait ! » C'était bien une caverne... assez bizarre, d'ailleurs, avec son entrée excessivement basse de plafond. En fait, les enfants durent presque ramper pour s'y introduire. Mais, au-delà, la voûte s'élevait et la grotte s'élargissait en une vaste salle, de fort bel aspect. Elle était fraîche, bien aérée, avec un sol sablonneux, ce qui ne laissa pas d'étonner Andy. Après avoir inspecté la caverne à la lumière de sa torche électrique, le jeune pêcheur déclara : « L'endroit semble fait pour nous ! Nous pourrons agrandir l'ouverture en arrachant certaines touffes d'herbe et en creusant le sable. Ce sera amusant de nous cacher ici tout en surveillant la mer. - D'ici, le regard porte très loin, indiqua Mary en jetant un coup d'œil à l'extérieur. J'aperçois l’Andy. Jill est assise sur le pont... Oh ! On distingue aussi la Falaise aux Oiseaux, là-bas, au lointain. On devine même le chenal entre les deux alignements de récifs. — D'ici, on pourra aussi apercevoir ceux qui viendront à notre secours ! dit Tom. N'est-ce pas, Andy ? Le bateau de ton père, par exemple. Et nous pourrions lui faire des signaux. » Contre une des parois de la caverne courait une étagère, creusée par la nature dans le roc. Mary la tapota d'un doigt approbateur. « Voilà qui nous servira à ranger nos provisions, dit-elle. Nous étendrons couvertures et coussins sur le sable. Tout cela serait très amusant... si je ne savais pas maman inquiète à notre sujet. - Oui, cette grotte fera parfaitement l'affaire, déclara Andy en conclusion. Allons chercher nos affaires. Viens, Tom ! »

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Tous trois se faufilèrent à l'extérieur. Levant la tête, Andy avisa des racines pleines de terre qui pendillaient devant l'entrée de la grotte, l'obstruant ainsi en partie. Il tira dessus et en arracha plusieurs. L'ouverture se trouva de ce fait agrandie. « L'air n'en passera que mieux, déclara le jeune pêcheur. Lorsque nous serons quatre à dormir là-dedans, nous consommerons pas mal d'oxygène. Au moins, nous serons au chaud. Et pas de danger que le vent nous fasse prendre un rhume ! » Les trois amis retournèrent au bateau, tout heureux d'avoir trouvé un abri assez proche. Ils décrivirent la caverne à Jill. De son côté, cette dernière annonça, en montrant sa cheville : « Elle va beaucoup mieux, vraiment ! Je me sens presque guérie. Je pourrai vous aider à transporter les affaires. - Certainement pas ! protesta Andy. Il faut que tu te reposes au maximum. Nous sommes assez de trois pour effectuer le déménagement. Toi, tu resteras à bord jusqu'à ce que tout soit en place. » Mary et les garçons descendirent dans la cabine pour y prendre leurs provisions. Ils quittèrent le bord, chargés comme des mulets. En leur absence, Jill prépara le petit poêle à pétrole. Les Robinsons en auraient besoin pour préparer du thé, du chocolat, ou pour faire réchauffer les aliments. Jill prit aussi la bouilloire. Ce fut une rude besogne que de transporter toutes les affaires du bateau jusqu'à la caverne. Couvertures, coussins, canne à pêche, lampe de cabine, gobelets, assiettes, etc., tout fut ainsi enlevé. Les jumelles, ignorant les craintes secrètes des garçons quant à l'avenir du bateau, s'étonnaient d'un déménagement aussi complet. Cependant, à l'heure du goûter, la grotte était devenue un abri bien aménagé. Mary acheva de ranger les provisions sur l'étagère de pierre. « Ce sera notre garde-manger, expliqua-t-elle aux garçons.

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Ce coin fera office de buffet : j'y ai mis les assiettes, les gobelets et les ustensiles de cuisine. Là, au fond, c'est la cuisine : j'y ai placé le poêle, la bouilloire et la grande casserole. Le reste de la caverne sera utilisé comme chambre à coucher salle de séjour car c'est là que nous vivrons et dormirons. » Jill, qui avait réussi à gagner la caverne avec l'aide de sa sœur, semblait ravie. Elle commençait à trouver l'aventure amusante. Le seul ennui était, à son avis, qu'il faisait plutôt sombre dans leur refuge. Et Andy ne voulait pas que l'on se serve des lampes de poche, pour ménager les piles. « Nous pourrions allumer la lampe de la cabine, suggéra Jill. — Nous n'avons pas une grosse réserve de pétrole, répondit Andy. Nous ne l'allumerons que quand il fera vraiment sombre, c'està-dire la nuit. On y voit suffisamment à condition que personne ne s'installe en travers de l'entrée. Tom, pousse-toi donc ! Tu empêches la lumière d'entrer ! — Je ne faisais que jeter un coup d'œil dehors, expliqua Tom. Nous avons l’Andy juste devant nous. Si quelqu'un s'en approche, nous le verrons. — Je suppose que ton père viendra demain voir ce que nous sommes devenus ? dit Jill à Andy. Nous ne passerons qu'une nuit dans cette grotte. Je le regrette presque. C'est tellement amusant de dormir hors de chez soi et de transformer tous les repas en pique-niques ! — Crois-tu, demanda à son tour Mary, que ceux qui ont emporté la voile et les rames et qui font des signaux au sommet du Roc connaissent notre refuge ? — Je le pense, répliqua Andy. Il est probable qu'ils ont des guetteurs postés un peu partout afin de voir venir les bateaux et de surveiller le moindre mouvement extérieur. C'est ainsi qu'ils ont dû nous repérer ce matin de bonne heure, dans la baie. Quel choc pour eux ! Hier soir, ils ne nous ont pas vus arriver : il faisait trop sombre.

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— Ils ont certainement été ennuyés d'apercevoir notre bateau si près d'eux, déclara Tom. C'est que nous tombons bien mal... juste au moment où ils complotent je ne sais quoi ! En revanche, ils ont dû être soulagés en constatant que nous n'étions que des enfants. » Jill et Mary s'apprêtaient à faire le thé. Mais où trouver de l'eau pour la bouilloire ? « Facile ! s'écria Tom. J'ai vu quantité d'eau de pluie dans le creux des rochers, près d'ici. Passez-moi la bouilloire ! Je vais aller la remplir. » Deux minutes plus tard, la bouilloire chauffait sur le petit poêle. Jill se mit à couper des tranches de pain, disposa le beurre et ouvrit une boîte de confiture de prunes. « Je propose que nous ne mangions rien d'autre pour goûter, ditelle à Andy. Au cas où l'on ne viendrait pas nous chercher dès demain, il vaut mieux faire durer les provisions un peu plus ! Pour dîner, nous aurons des sardines et de la viande. — Tu as raison, approuva Andy. Nous devrons nous rationner un peu, par mesure de précaution. En attendant, ce thé sent bien bon. Et j'adore la confiture de prunes. Je me doute que le pauvre Tom aurait bien englouti une miche de pain à lui seul, mais il devra se contenter de quelques tranches. Te reste-t-il encore du lait condensé, Jill, ou l'avons-nous fini ? — Oh, j'en ai une provision, déclara Jill. J'ai également emporté beaucoup de thé et de chocolat en poudre. Passe-moi ton gobelet, Andy. Je vais te servir ! » Les quatre amis goûtèrent de bon cœur. Andy lui-même, en dépit des craintes qu'il entretenait au sujet de son cher bateau, apprécia ce moment de détente. Bientôt, cependant, il fit si chaud dans la caverne — le poêle avait fait monter la température — que les enfants sortirent pour s'asseoir sur la banquette rocheuse, au soleil. Une brise légère les éventait et une vue magnifique s'étalait à leurs pieds.

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« Des rochers... et la mer... et encore des rochers... et le ciel, et les nuages, et les oiseaux, faisant comme une broderie dans l'air ! chantonna Jill tout en mâchonnant sa tartine de confiture. J'aime bien regarder un beau paysage quand je pique-nique. Les aliments me paraissent alors plus savoureux. — C'est toujours comme ça quand on mange dehors, dit Mary. Je l'ai souvent remarqué ! — Regardez ! coupa brusquement Andy. Quelqu'un vient d'apparaître sur la plage, là... à gauche. Vous voyez... près des deux plus gros récifs... Il se dirige vers l’Andy. Rentrons vite dans la caverne et surveillons cet individu. Si, par chance, il ignore que nous sommes ici, inutile de lui signaler notre présence. » Le cœur battant très fort, les quatre amis se glissèrent dans leur abri. De là, à plat ventre, ils se mirent à surveiller la crique au-dessous. Ils voyaient distinctement l'inconnu. Avec ses grosses bottes, il ressemblait à un pêcheur. « II va droit au bateau, chuchota Tom. Que diable mijote-t-il ? »

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CHAPITRE XIV Traqués ! Détenant leur souffle, les jeunes Robinsons suivirent des yeux la progression de l'inconnu qui, passant d'un écueil à l'autre, se rapprochait de l’Andy. Il était grand et fort, très brun, avec une barbe noire. « Le connais-tu, Andy ? » souffla Tom. Le jeune pêcheur secoua la tête. « Non. Ce n'est pas quelqu'un de chez nous. Regardez ! Il monte à bord ! » Un appel lointain parvint aux enfants. « II nous ordonne de sortir de la cabine ! dit Mary. Il nous croit toujours là-bas. » L'homme, debout sur le pont, attendait. Ne recevant

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aucune réponse, il ouvrit la porte de la cabine et regarda à l'intérieur. Bien entendu, il ne vit personne. Par la même occasion, il s'aperçut que le voilier avait été entièrement vidé de son contenu. « II a découvert que nous avions filé avec armes et bagages », murmura Andy. L'homme disparut dans la cabine, puis en ressortit et, debout sur le pont, regarda autour de lui, comme s'il espérait voir les enfants surgir tout à coup. « Tiens, tiens, voilà un autre mystérieux personnage qui rejoint le premier ! chuchota Tom. Il a vraiment une drôle d'allure. » C'était exact. Le nouveau venu avait les jambes arquées, comme celles d'un jockey. Il portait des bottes de marin et un ciré noir qui claquait au vent. Gros et court, il ne cessait de crier tout en avançant.Sa voix parvint faiblement aux enfants. Amusé, Tom se mit à glousser de joie. « Ils se posent des questions sur notre disparition. Crois-tu qu'ils essaieront de nous retrouver, Andy ? Nous sommes bien cachés, dans cette grotte ! » Andy ne répondit pas. Les deux hommes continuaient à parler ensemble. Jambes-Arquées, à son tour, inspecta le bateau et jeta un coup d'œil dans la cabine. Andy, pâle de rage en voyant des étrangers en prendre à leur aise avec son cher bateau, -serait volontiers descendu les chasser. Mais il n'en fit rien, sachant que sa tentative serait vaine et que cette intervention ne servirait qu'à trahir la cachette de ses compagnons. Il se tint donc tranquille, si frémissant que Jill posa gentiment sa main sur son épaule pour l'apaiser. Les hommes se séparèrent et partirent chacun dans une direction différente. Il était évident qu'ils se proposaient de retrouver les enfants. Ils se mirent à fouiller la crique, en lançant des appels de temps à autre. « Je ne comprends pas ce qu'ils disent, murmura Tom. Je suppose qu'ils nous ordonnent de nous montrer. Comme

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si nous allions leur obéir. Je parie qu'ils n'arriveront pas à nous dénicher. » Barbe-Noire et Jambes-Arquées poursuivirent leurs recherches en commençant à grimper et à regarder derrière les rochers. Les enfants, en effet, auraient fort bien pu se dissimuler là. Comme les deux hommes se rapprochaient d'eux, ils comprirent ce qu'ils se criaient de l'un à l'autre. « Où sont ces maudits gosses ? hurlait Jambes-Arquées. Attends un peu que je les trouve ! Me faire perdre mon temps comme ça ! » Andy, Tom, Jill et Mary ne bougeaient ni ne parlaient. Ils n'aimaient guère l'aspect de Jambes-Arquées, qui se rapprochait de plus en plus. L'homme avait d'énormes sourcils, qui lui cachaient presque les yeux. Une vilaine balafre zébrait l'une de ses joues. BarbeNoire, lui, présentait mieux. Il parlait avec un fort accent étranger. Son air sévère s'accentuait au fur et à mesure que les recherches se poursuivaient. « Nous ferions bien de nous enfoncer le plus possible dans la caverne, souffla Andy à l'oreille de ses compagnons. Si ces deux bonshommes montent encore plus haut, ils sont bien capables de nous apercevoir ! » Les quatre amis reculèrent donc autant qu'ils purent. Ils se blottirent tout au fond de l'abri et n'aperçurent plus qu'un pan de mer lointaine par l'étroite ouverture de l'entrée. Immobiles et silencieux, ils entendirent le bruit des pas des hommes qui se rapprochaient. « II y a une grotte quelque part de ce côté ! cria soudain le balafré. Je me rappelle que mon chien y était entré une fois. Peut-être s'y sont-ils réfugiés. — Allons voir ! » répondit Barbe-Noire en se rapprochant encore. Brusquement, les enfants aperçurent ses pieds. Leurs cœurs s'arrêtèrent presque de battre tant ils avaient peur. Mais les pieds ne firent que passer devant la grotte et disparurent. Ouf ! Puis, ce fut au tour de Jambes-Arquées

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de se rapprocher. Mais, au lieu de simplement passer, ses pieds marquèrent une halte devant la caverne. « Je suis certain que la grotte était ici, grogna-t-il. Ah... je savais bien ! » II donna un coup de pied dans l'ouverture de la caverne et se pencha pour regarder à l'intérieur. Ce ne fut pas chose aisée, tant l'ouverture était basse. En outre, il ne vit rien du tout car il faisait noir comme dans un four dans l'abri. Jill eut du mal à réprimer un léger cri de frayeur. Tom lui serra très fort le bras pour l'inviter au silence : elle n'allait pas sottement révéler leur cachette à l'ennemi ! Jill pressa sa main contre sa bouche. Elle s'en voulait déjà d'avoir laissé filtrer ce faible son. Heureusement, l'homme ne paraissait pas avoir entendu. « Ils ne sont certainement pas là ! fit la voix de Barbe-Noire. Personne ne pourrait se faufiler dans ce terrier ! Regarde ! Il y a une caverne un peu plus haut ! Peut-être y sont-ils ! » Le balafré s'éloigna au grand soulagement des enfants. Mais pas question de bouger pour autant. Prêtant l'oreille aux bruits du dehors, ils entendirent les deux hommes crier et tempêter un moment encore. Puis ce fut le silence. Tom, impatient d'en savoir plus, proposa : « Je vais jeter un coup d'œil ? — Non, répondit Andy. Peut-être nous guettent-ils, tranquillement assis-à deux pas. Reste tranquille, Tom ! » Les quatre amis demeurèrent donc cois, se contentant de remuer doucement leurs membres quand ils les sentaient s'engourdir. Soudain, ils entendirent les deux hommes revenir. Barbe-Noire semblait nerveux et exaspéré. « Je te le répète, Balafré, il est important de retrouver ces gosses. Si quelqu'un vient voir ce qu'ils sont devenus, ils lui feront des signaux... et ils en savent trop long ! Il faut à tout prix mettre la main dessus. Ils ne peuvent pas être cachés bien loin ! — Tu vois bien toi-même qu'ils ne sont nulle part,

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répliqua l'autre d'une voix maussade. Ils ont emporté toutes leurs affaires et sont peut-être allés de l'autre côté. — J'espère que non ! grommela Barbe-Noire. Là-bas, ils auraient les pires ennuis. Non, non... à mon avis, ils ne sont pas loin ! Songe à tout ce qu'ils ont dû transporter ! » Les deux hommes se trouvaient de nouveau tout près du refuge des enfants. Ceux-ci entendirent soudain Barbe-Noire pousser une exclamation. « Regarde ! dit-il. Tu vois ça ? Des gouttes de pétrole ! Qui peut avoir fait couler du pétrole sinon ces gosses ? Ils ont emporté la lampe de la cabine et aussi un petit poêle à pétrole dont j'ai remarqué l'emplacement vide à bord. L'un de ces deux objets devait fuir un peu. — Flûte ! » laissa échapper Andy entre ses dents serrées. Il se rappelait avoir un peu trop secoué le poêle en s'efforçant de le faire passer par l'étroite entrée de la grotte. « Qu'est-ce que je disais ? s'écria le balafré d'un ton triomphant. Ils doivent bel et bien être dans cette petite

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caverne. C'est du pétrole, en effet ! Ah, les brigands ! Nous faire courir comme ça. Je vais craquer une allumette et vérifier ! — Cette fois, il va nous voir ! soupira Andy. Ecoutez, vous autres, pas un geste, pas un mot ! Je me charge de tout ! » Un instant plus tard, les pieds du balafré apparurent de nouveau devant l'entrée. L'homme s'agenouilla et baissa la tête pour mieux voir. Puis il enflamma une allumette... et poussa un cri de joie : « Ah, ah ! Ils sont tous là ! Toute la troupe blottie comme des souris au fond de leur trou ! Et muets comme des carpes ! Allons, les mômes, sortez de là ! » Les enfants ne dirent rien. L'allumette s'éteignit. L'homme en craqua une autre et Barbe-Noire, s'agenouillant à côte de lui, regarda à son tour. Lui aussi aperçut les enfants. Il ordonna, d'une voix impérieuse : « Allons ! Dehors ! Nous ne vous ferons aucun mal, mais nous voulons vous voir au grand jour. Sortez !

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- Non, répondit alors Andy. Nous ne sortirons pas. » Un lourd silence plana. Puis le balafré commença de perdre son sang-froid et se mit à hurler en s'étranglant presque : « Espèce de... de... de... — En voilà assez, Balafré ! » dit rudement Barbe-Noire. Il demanda posément : « Combien êtes-vous là-dedans ? — Quatre ! répliqua Andy. Et je vous préviens : le premier qui tentera de s'introduire ici recevra un bon coup de fourneau sur le crâne! - En voilà des façons de parler ! s'exclama Barbe-Noire. Je vous répète que nous ne vous voulons aucun mal. Nous désirons seulement vous conduire dans un endroit plus confortable. — Nous sommes parfaitement bien installés ici, je vous remercie », affirma Andy avec une exquise politesse.

Le balafré se remit à beugler : « Allez-vous sortir ou faut-il que j'aille vous chercher ? — Venez, si vous l'osez ! assura Andy sans se démonter. Et si vous osez montrer le bout de votre nez, ce sera tant pis pour vous ! Le poêle à pétrole vous attend ! — Laisse-les donc, Balafré ! dit Barbe-Noire en se redressant. Ces petits imbéciles ! Nous leur ferons payer ça quand ils sortiront. Car, bien entendu, nous pourrons les obliger à se montrer quand nous voudrons. — Comment ça ? aboya Balafré. — Assez facilement, tu verras ! » promit l'autre. Inquiets, les enfants se demandèrent ce qu'il entendait par là.

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« Eh bien, nous les ferons sortir dès que nous apercevrons quelque chose de suspect sur la mer, déclara Balafré en se remettant debout. Tu n'auras qu'à me dire ce qu'il faut faire. — Ils peuvent passer la nuit ici, décida Barbe-Noire en s'éloignant. Nous avons d'autres chats à fouetter pour l'instant. » Puis ce fut de nouveau le silence. Il faisait plus sombre dans la grotte maintenant, car le soleil avait disparu et le crépuscule tombait déjà. Les jeunes Robinsons restèrent cois un instant encore, mais ils eurent beau prêter l'oreille, ils n'entendirent plus rien. Finalement, Andy rampa à l'extérieur et scruta les alentours. « Je ne distingue pas la baie, déclara-t-il. Il fait trop noir. Mais je ne vois aucune trace de l'ennemi. Quelles brutes, ces hommes ! Comment espèrent-ils nous tirer de force de notre abri ? — Tu ne les aurais pas réellement frappés avec le poêle à pétrole, hein ? demanda Jill que cette seule idée horrifiait. — Non, bien sûr. Mais j'espérais que la menace les tiendrait à distance jusqu'à demain. A ce moment-là, je pense, mon père viendra en bateau avec l'oncle Ned.

Dès que nous les apercevrons, nous nous précipiterons dehors en criant de toutes nos forces. — C'est bien ce que ces deux hommes craignent, dit Tom en bâillant. Oh ! là ! là ! Que j'ai sommeil ! Il faut cependant monter la garde cette nuit, Andy, qu'en penses-tu ? Il ne s'agirait pas que ces individus nous attaquent par surprise. — Jill et moi, proposa Mary, nous veillerons chacune à notre tour. Nous nous sommes reposées la nuit dernière alors que vous n'avez pratiquement pas fermé l'œil. Nous pourrions aussi entasser quelques boîtes de conserve devant l'entrée. Comme ça, si quelqu'un essaie de pénétrer, il s'y cognera et le bruit donnera l'alarme.

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— Excellente idée, Mary, approuva Andy. Mettons-les en place tout de suite. J'avoue que je tombe de sommeil, comme Tom. Tu peux prendre le premier tour de garde. Je te succéderai. Puis ce sera le tour de Jill et enfin celui de Tom. Où sont les boîtes ? Je n'y vois rien, dans cette obscurité ! » Mary alluma la lampe. Aussitôt, la caverne fut inondée d'une douce lumière jaune. Le refuge parut tout de suite confortable et même douillet. Les enfants s'enroulèrent dans leurs couvertures et posèrent leur tête sur des coussins. Seule Mary resta assise, bien droite, très fière de monter sa première garde. Elle s'était chargée d'édifier elle-même une pyramide de boîtes à l'entrée de la grotte. Personne ne pouvait entrer sans qu'on l'entende. Andy éteignit la lampe. De nouveau, l'ombre envahit la caverne. Bientôt, le silence régna dans l'abri, seulement rompu par le souffle régulier des trois enfants endormis. Mary demeura sur le qui-vive, attentive au moindre bruit venu du dehors.

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CHAPITRE XV Une cascade d'événements Mary continua de monter la garde jusqu'à ce qu'il fût temps de réveiller Andy. Cette veille de deux heures l'avait beaucoup fatiguée. Chaque enfant n'avait, en fait, qu'un guet de cent vingt minutes à assumer. Mais les minutes semblent bien longues quand on doit rester immobile et sur ses gardes dans l'obscurité. Quand vint le moment de réveiller Jill, Andy n'avait rien de neuf à signaler. Jill prit donc la relève, luttant contre l'envie de se rendormir, mais réussissant à ne pas y succomber grâce à une astuce toute simple : elle passa son temps à réciter de mémoire toutes les poésies qu'elle connaissait !

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Arriva le tour de Tom. Il eut grand mal à ouvrir les yeux, comme d'habitude. Jill crut bien ne jamais parvenir à le réveiller. Il finit par se redresser en frottant ses paupières gonflées. Rien ne se passa pendant son tour de garde. Juste avant l'aube, il secoua Andy. Le jeune pêcheur s'étira et vit une pâle lueur grise filtrer par l'ouverture de l'abri. Il se coula à l'extérieur et regarda autour de lui. Mais il ne put encore rien voir. Quand le soleil se leva, les autres ouvrirent les yeux. Jill s'étira, l'esprit tout de suite lucide. Celui de Mary était encore embrumé : « Où sommes-nous ? demanda-t-elle, effarée. — Dans la grotte, nigaude, répondit Jill. Le jour se lève. Oh ! là! là ! comme je me sens raide ! Et je n'ai pas tellement chaud non plus ! Je propose d'allumer le poêle et de faire chauffer de l'eau pour un bon chocolat crémeux ! » Tom se faufila dehors pour respirer un peu d'air frais. En regardant machinalement la baie au-dessous de lui, il poussa un tel cri que les autres sursautèrent et que Mary en lâcha l'allumette qu'elle s'apprêtait à craquer. « Qu'y a-t-il ? s'exclamèrent-ils en chœur. — Notre bateau... il a disparu ! Il n'est plus là ! cria Tom. Regardez ! La crique est vide. Pas une seule embarcation en vue!» Les quatre amis fixèrent des yeux ronds sur la petite baie. Tom disait vrai. L’Andy n'était plus là ! Andy faisait peine à voir. Bouleversé, il ne pouvait seulement ouvrir la bouche. Tom devinait ce qu'il pouvait ressentir. « Oh, Andy, balbutia-t-il, tu ne crois pas vraiment que ces misérables ont coulé ton bateau ? Non, non ! Personne n'oserait détruire aussi méchamment une si belle barque ! » Le jeune pêcheur ne disait toujours rien. Laissant les autres, il retourna tout au fond de la caverne où il s'occupa d'allumer le poêle. Il refusait d'imaginer son bien-aimé voilier gisant au fond de l'eau.

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« Pauvre Andy ! chuchota Jill, les yeux pleins de larmes. N'estce pas épouvantable, Tom ? Pourquoi ces hommes ont-ils coulé le bateau ? — Sans doute pour que personne, en le voyant, ne puisse deviner que nous sommes ici ! répondit Tom qui voyait bien l'inutilité de cacher plus longtemps la vérité aux filles. Vous comprenez, nous sommes tombés sur une bande qui tient évidemment à opérer dans le plus grand secret. Nous sommes des témoins gênants. Ces hommes sont certains qu'on se lancera à notre recherche. Alors, ils ont coulé le bateau et ont sans doute l'intention de nous cacher là où personne ne pourra nous trouver. C'est le seul moyen de nous empêcher de raconter ce que nous avons vu... » Les jumelles parurent effrayées. Puis Jill reprit courage. « Ils ne nous tiennent pas encore, dit-elle. Et quand nous verrons approcher le bateau du père d'Andy, nous monterons un peu plus haut et lui ferons de grands signes. » La voix d'Andy l'interrompit. « L'eau de la bouilloire chante. Tu viens nous préparer du chocolat, Jill ? » Jill se coula dans la caverne. Son pied était presque guéri. Toutefois, elle se reprochait beaucoup cet accident car, si elle ne s'était pas tordu la cheville, ils auraient sans doute pu repartir sans encombre et, à l'heure actuelle, ils seraient en sûreté chez eux. Andy avait l'air profondément malheureux. Jill ne lui dit rien mais, d'un geste affectueux, lui pressa le bras. Une fois son petit déjeuner expédié, le jeune pêcheur déclara : « Papa ne tardera plus beaucoup, à présent. Il a dû se mettre en route ce matin de bonne heure pour la Falaise aux Oiseaux. En ne nous voyant pas là-bas, il viendra ici. Il faut le guetter ! Pour l'instant, je vais faire un saut jusqu'à la baie, juste pour voir si l'on peut distinguer mon bateau au fond de l'eau. Je ne serai pas long. Et je n'ai

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pas l'intention de me laisser capturer. Inutile donc de vous tracasser. Mais il faut absolument que j'aille jeter un coup d'œil. Tom ! Je te charge de surveiller la mer ! » Andy s'éloigna. Ses amis le virent courir et bondir comme une chèvre de rocher en rocher, jusqu'à la crique. Puis ils l'aperçurent, debout sur un écueil proche de l'endroit où il avait ancré son bateau, scrutant les profondeurs marines. « Pauvre vieil Andy ! soupira Jill. Il est complètement sens dessus dessous. C'est terrible de perdre un voilier comme celui-là. Dire que c'est ma faute... — Regardez ! s'écria Tom, avec effroi. Voici le balafré... suivi de deux autres hommes. Ils ont vu Andy... mais lui aussi les a vus. Oh, Andy ! Vite ! Vite ! » Andy, cent fois plus rapide et plus agile que les trois hommes, ne craignait pas d'être attrapé par eux. Ils eurent beau crier et courir derrière lui, ils n'étaient pas de taille à lutter avec le jeune pêcheur. Andy escalada les rocs en quelques bonds et se retrouva, haletant, dans la grotte. Ses poursuivants étaient encore loin. « Je ne sais pas s'ils viennent nous chercher, dit-il en reprenant son souffle, mais ils ne nous forceront pas à sortir. Je ne vois pas comment ils pourraient s'introduire ici avec 'leurs gros ventres. Et s'ils s'y risquaient, nous aurions le dessus. — Andy ! demanda Jill, anxieuse. As-tu vu le bateau?» Andy secoua la tête. « Non... Ils ne doivent pas l'avoir coulé sur place. Ils ont dû le faire plus au large. — Il est vrai que la baie n'est guère profonde, dit Tom. Ton père aurait pu distinguer la forme de l’Andy et le reconnaître. Tu as raison : ces bandits ont certainement profité de la nuit pour le mener en pleine mer. Dire qu'aucun de nous n'a rien entendu ! — La baie est tout de même assez loin d'ici, rappela Andy qui avait repris son souffle. Ah ! Attention ! Les voici ! »

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En tête s'avançait Barbe-Noire, suivi du balafré et d'un troisième personnage que Tom reconnut sur-le-champ. « Vous voyez celui-là... habillé comme un pêcheur et avec des lunettes sur le nez ? Eh bien, c'est l'un des hommes que j'ai vus dans la caverne-entrepôt de la Falaise aux Oiseaux. Comment est-il venu ici ? Est-ce le canot à moteur qui est allé le chercher ? — Ce n'est pas l'individu aux jambes velues, n'est-ce pas ?... l'homme qui s'était assis au-dessus de nous, à la Falaise ? demanda Jill, - Non. Il n'est pas ici, répondit Tom. Mais quelles sales têtes ils ont, tous ces bonshommes ! » Andy sentait le désespoir le gagner. Furieux de la disparition de son bateau, il se sentait d'attaque pour repousser les assaillants, s'il en -avait la possibilité. Les trois hommes atteignirent l'abri des enfants. Barbe-Noire se fit leur porte-parole. « Alors, les enfants ! Etes-vous plus raisonnables ce matin ? Je vous conseille de ne pas résister ! » Personne ne lui répondit. Sa voix s'éleva de nouveau, trahissant sa nervosité : « Sortez immédiatement ! Personne ne vous fera de mal. Si vous n'obéissez pas, vous le regretterez ! Ne nous obligez pas à recourir aux grands moyens. » Toujours aucune réponse. Un bref silence suivit, puis BarbeNoire lança un ordre bref : « A toi de jouer, Balafré ! » Le balafré déposa quelque chose à terre, juste devant l'entrée de la grotte. Cela ressemblait à un bidon de métal. Les quatre amis regardèrent l'objet en silence. Le balafré gratta une allumette et l'approcha de l'intérieur du bidon. Une flamme jaillit. Le balafré s'empressa de l'étouffer quelque peu et, au lieu de la flamme, ce fut une épaisse fumée qui s'éleva hors du récipient. Le vent, qui soufflait de la mer, rabattit cette fumée à

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l'intérieur de la caverne. Tom fut le premier à la respirer et se mit à tousser. « Les brutes ! s'écria Andy. Ils essaient de nous enfumer pour nous forcer à sortir... C'est ainsi que les chasseurs procèdent parfois pour débusquer les bêtes sauvages ! » La fumée continuait à envahir l'abri. A présent, les quatre enfants toussaient. Ils commençaient à s'étouffer. La fumée, qui ne cessait d'épaissir, avait une odeur effroyable et piquante. Le produit était inoffensif mais comment le deviner ? Les pauvres Robinsons prirent peur. « II faut partir d'ici, hoqueta Andy. Impossible de résister plus longtemps. Restez à mes côtés, les filles, et faites exactement ce que je dirai. Et n'ayez pas peur. Je ne pense pas qu'on nous fasse de mal ! » Avant de sortir, Andy rafla, sur l'étagère de pierre, le paquet de sel. Les autres ne remarquèrent pas son geste, qui n'aurait pas manqué de les étonner. Andy déchira le paquet et versa le sel dans sa poche. Il avait un plan en tête! Haletant et toussant, Andy se glissa hors de la grotte, suivi de près par Jill et Mary. Tom venait en dernier. Les hommes les dévisagèrent. « Allons... ce ne sont que des gosses... sauf ce jeune pêcheur, peut-être ! dit le balafré. Espèces de sales petits fureteurs... — Regarde ! Regarde, Andy ! hurla brusquement Tom. Voilà ton père qui arrive ! » Tous regardèrent en direction de la mer. Tom avait bien vu. Làbas, très loin encore, un gros bateau de pêche se dirigeait vers le Roc des Contrebandiers : celui que l'oncle et le père d'Andy utilisaient quand ils avaient besoin d'une embarcation plus robuste que le voilier du jeune garçon. « Hourra ! cria Tom. Nous sommes sauvés ! Vous allez bien être obligés de nous lâcher, maintenant ! C'est le père de mon ami qui vient à notre secours ! — Allons ! dit rudement Barbe-Noire. Emmenons-les.

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Plus de temps à perdre ! Mettez-leur un bandeau sur les yeux ! » Au grand effroi des enfants, chacun d'eux se trouva rapidement aveuglé par un grand foulard rouge. Où les emmenait-on ? Et pourquoi leur avait-on bandé les yeux ? Sans doute allait-on les conduire vers quelque cachette dont ils devaient ignorer le chemin... Sans douceur, les bandits poussèrent leurs prisonniers qui, incapables de se diriger, trébuchaient à chaque pas sur les rochers. « Je vous en supplie ! dit Mary, éplorée. Laissez-nous partir ! Permettez-nous d'attendre le père d'Andy. Nous rentrerons chez nous. Laissez-nous partir ! » Mais autant chercher à attendrir un morceau de granité ! Et quand le père d'Andy pénétra dans la baie, il ne vit absolument personne !

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CHAPITRE XVI Captifs ! Les bandits continuaient à pousser les enfants devant eux. Pour les empêcher de tomber, ils les aidaient un peu aux passages les plus difficiles. Les jeunes prisonniers se rendaient compte qu'on grimpait. Ils souhaitaient de tout leur cœur que le père d'Andy pût les repérer. Si seulement il avait une longue-vue ! Tout en marchant, Andy s'efforçait de reconnaître le chemin qu'ils suivaient. « Nous montons tout le temps, songea-t-il. D'abord en partant de la gauche par rapport à notre caverne... ensuite tout droit... puis un morceau de pente très raide où l'on a dû nous aider... et maintenant, nous tournons à gauche

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de nouveau, comme pour nous diriger vers l'intérieur. Je suppose que nous sommes à présent derrière de gros rochers et que personne ne peut nous voir de la mer ! » Le jeune pêcheur ne se contentait pas de prendre mentalement des points de repère. Il se livrait aussi à un autre genre d'activité que les bandits, espérait-il, ne remarqueraient pas. Tout au long de la route, il semait de petites pincées de sel. Du bout de l'ongle, il avait fait un petit trou dans sa poche et libérait un peu de sel de temps en temps. Si, par bonheur, il recouvrait la liberté, il lui suffirait, pour retrouver son chemin, de suivre la petite piste blanche. « A condition qu'il ne pleuve pas ! ajoutait-il tout bas. Car, s'il pleut, le sel fondra et je ne serai pas plus avancé qu'avant. Enfin, espérons que tout se passera pour le mieux. » Au bout d'une dizaine de minutes d'une marche pénible, les bandits ordonnèrent une halte. Presque aussitôt, les enfants entendirent un bruit qui les intrigua beaucoup. Puis, ils furent de nouveau poussés en avant et eurent l'impression que l'obscurité se faisait derrière leurs bandeaux. « Nous venons sans doute d'entrer dans une caverne, se dit Andy. Ou encore un souterrain. » Comme on continuait à les pousser, le jeune pêcheur écarta discrètement les mains de son corps. A droite et à gauche, elles rencontrèrent une paroi rocheuse. Oui, ils étaient bien dans un passage souterrain ! On fit halte de nouveau. « Nous allons vous laisser ici quelque temps ! fit la voix déplaisante du balafré. Tournez-vous ! » Tout en parlant, il dénouait les bandeaux qui aveuglaient les prisonniers. Ceux-ci clignèrent les yeux. Ils se trouvaient face à une grosse porte dans une salle au plafond haut. Andy devina de la lumière derrière lui et se retourna. Il resta stupéfait.

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Les Robinsons étaient dans une caverne aux larges proportions, qui s'ouvrait sur la mer. On voyait celle-ci miroiter à bonne distance, en dessous d'une falaise qui plongeait droit sur elle, dans un à-pic vertigineux. Bang ! La lourde porte se referma derrière les bandits. Les quatre amis entendirent des verrous qu'on mettait en place. Ils étaient prisonniers. Mais de quelle étrange prison ! Jill résuma la situation en quelques mots : « Nous voilà enfermés dans une grande caverne, défendue par une porte verrouillée et une falaise impraticable. Oh ! là ! là ! rien que de regarder dehors, j'en ai la tête qui tourne. Impossible de songer à nous échapper de ce côté-là ! — Andy, demanda Tom ébloui par la clarté du jour, ne peut-on apercevoir d'ici le bateau de ton père ?» Tous regardèrent par la « fenêtre », même Jill. Mais il n'y avait rien à voir, que la côte déchiquetée, parsemée de rochers dangereux, où les vagues venaient se briser au milieu de gerbes d'écume. « On affirme que pour faire le tour de l'île, expliqua Andy d'un ton morne, il faut s'en tenir à bonne distance. Je ne vois pas un marin venir se hasarder à rôder de ce côté-ci. On ne peut pas s'en approcher : c'est trop risqué. A mon avis, nous sommes du côté de l'île opposé à celui où nous avons abordé. Je doute que mon père puisse arriver jusqu'à nous. — Ces hommes le savent, certainement, dit Tom. Ils sont assurés que, d'ici, nous ne pourrons faire des signaux à personne ! Quelles sales brutes ! — J'espère qu'ils ne vont pas nous garder longtemps dans cette caverne, déclara Andy. Je ne me soucie pas de rester enfermé, sans vivres ni couvertures. » Ne pouvant rien faire d'autre, les jeunes Robinsons s'assirent par terre. Au bout d'un moment, Andy se leva et alla jusqu'à la porte. Il tenta de l'ouvrir mais, bien entendu, elle était fermée. « Je le savais, soupira-t-il, mais on pouvait toujours

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essayer ! Je me demande combien de temps on va nous retenir ici. Jusqu'à ce que mon père soit reparti, j'imagine ! Et je me demande également où ils ont coulé mon pauvre cher voilier ! La seule idée de le savoir au fond de la mer me hérisse... » Durant environ trois heures, rien ne se passa. Les enfants ne cessaient de contempler la mer, espérant, contre toute attente, apercevoir une embarcation à laquelle ils auraient pu faire signe. Ils en furent pour leur peine. Soudain, retentit le bruit des verrous de la porte, qu'on tirait. Tous furent debout en un clin d'œil. Qui était-ce ? C'était le balafré. Il entra, porteur d'un gros pichet d'eau et d'un plateau où se trouvaient du pain et de la viande. Rien d'autre. « Vous ne méritez même pas ça ! dit-il. Venir ainsi fourrer votre nez dans des affaires qui ne vous regardent pas ! — Combien de temps comptez-vous nous retenir prisonniers ? demanda Andy. Et qu'avez-vous fait de mon bateau ? L'avez-vous coulé ? — Quoi ! Penserais-tu à t'échapper à son bord, par hasard ? répliqua le balafré avec un vilain sourire. Tu peux t'ôter cette idée de la tête ! Ton voilier est au fond de l'eau ! » Andy se détourna, le cœur serré. « Allez-vous nous laisser sortir, maintenant ? interrogea Tom à son tour. Je suppose que vous nous avez bouclés ici par crainte du père d'Andy. Froussards ! — Tu veux une paire de claques ? demanda le balafré, menaçant, en faisant un pas en avant. — Reste donc tranquille, Tom, conseilla Andy. A quoi bon provoquer nos kidnappeurs ? — Vous avez ce que vous êtes venus chercher, sales gosses ! continua Balafré. Ça vous apprendra à fouiner n'importe où ! Peutêtre allez-vous rester là plusieurs semaines ! Ha ! ha !» Andy répondit d'une voix paisible :

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« Je crois, dit-il, que vous risquez de le regretter par la suite, quand votre secret sera connu de tous. Vous serez alors sévèrement puni. — Bah ! » dit le balafré en se dirigeant vers la porte. Il la claqua derrière lui et la verrouilla de nouveau. Les jeunes captifs mangèrent ce qu'on leur avait apporté. Le pain était bien dur et la viande n'était pas de la première fraîcheur. La nourriture, cependant, leur redonna de l'énergie. Jill et Mary semblaient tellement bouleversées qu'Andy tenta de les réconforter. « Cet homme nous a raconté n'importe quoi pour nous faire peur, dit-il. Je suis sûr qu'on nous relâchera dès que le bateau de mon père sera hors de vue. Ne vous tracassez pas ! » Ainsi que les infortunés prisonniers l'avaient pressenti, ils ne virent ni de loin ni de près le père d'Andy ce jour-là. Ils ne purent savoir que le brave pêcheur, en compagnie de l'oncle d'Andy, avait tiré des bordé.es aux environs de l'île, désespérant d'apercevoir les enfants ou leur bateau. De même, ils n'avaient pu voir les deux hommes jeter l'ancre dans la baie au pied de la Falaise aux Oiseaux et escalader celle-ci en vain. Et ils ne les virent pas davantage revenir écumer les parages du Roc des Contrebandiers, à la recherche de l'Andy. Vers cinq heures de F-après-midi, alors que les enfantsrecommençaient à avoir faim, on tira de nouveau les verrous et la porte s'ouvrit. Cette fois, ce fut Barbe-Noire qui entra. Il leur parla de sa voix profonde, à l'accent étranger. Décidément, cet homme n'était pas Britannique. « Nous allons vous rendre la liberté, annonça-t-il. Le bateau venu à votre recherche a abandonné la partie. Je vous préviens cependant que, s'il reparaît, nous vous ramènerons ici où vous resterez prisonniers jusqu'à ce qu'il s'éloigne de nouveau. — Il faudra bien que vous nous relâchiez définitivement un jour ou l'autre, dit Andy. Pourquoi tous ces

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mystères, tout ce remue-ménage ? Que faites-vous de si mystérieux? — Les enfants ne devraient jamais poser de questions dangereuses, répliqua l'homme, les yeux brillants de colère. Lorsque nous aurons terminé ce que nous avons à faire ici, vous pourrez partir, mais pas avant ! Maintenant, on va vous bander les yeux et vous ramener à votre point de départ. » Pour la seconde fois, les yeux des enfants furent aveuglés par les foulards rouges. Balafré et Barbe-Noire conduisirent alors leurs captifs hors de la caverne. Ils descendirent le couloir souterrain et débouchèrent à l'air libre. Ils continuèrent à descendre parmi les rochers. Enfin on ôta leurs bandeaux. Eblouis, les enfants clignèrent les yeux. « Nous sommes près de la baie ! constata Tom. Bon ! Il ne nous reste plus qu'à grimper jusqu'à notre grotte. Nous y ferons un bon repas. Je meurs de faim ! » Andy se retourna pour voir quel chemin prenaient leurs geôliers. Il les vit contourner un des pans de la falaise, puis disparaître. « Si je savais seulement où ils vont et ce qu'ils manigancent ! murmura-t-il tout bas. Qu'importé, je trouverai le chemin de leur repaire, et je découvrirai leur secret ! — Comment t'y prendras-tu ? demanda Tom. Nous avons eu tout le temps les yeux bandés. Impossible de retrouver le chemin ! — Je vais le rechercher, affirma Andy, mais pas avant de nous être restaurés. Cela laissera d'ailleurs à ces bandits le temps de débarrasser le plancher. » Les Robinsons regagnèrent leur abri. En se faufilant à l'intérieur, ils avaient presque l'impression de rentrer chez eux ! Jill et Mary ne se tenaient plus de joie de se retrouver « dans leurs meubles ». Elles firent rapidement l'inspection de leurs provisions.

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« Voyons ce dont nous disposons ! murmura Jill. Je crois que nous pouvons nous offrir un petit festin ! » Les jeunes Robinsons firent un repas délicieux dont ils ne laissèrent pas une miette. A un moment donné, comme Mary remettait la bouilloire en place, elle remarqua la disparition du paquet de sel. « Tiens ! dit-elle. Où donc est passé le sel ? — C'est moi qui l'ai pris, déclara Andy. Et je vais vous expliquer pourquoi. J'ai fait un trou dans ma poche et ce matin, alors que nous avancions, les yeux bandés, je me suis débrouillé pour lâcher de petites pincées de sel. Ainsi, je pense être maintenant en mesure de retrouver le chemin que nous avons suivi et de remonter jusqu'à la caverne où ces bandits nous ont enfermés. — Oh, Andy ! s'exclama Tom. Tu as eu là une idée géniale. Partons vite pour essayer de retrouver la piste. Venez, vous autres ! Nous allons savoir où se terrent ces affreux ! »

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CHAPITRE XVII Modernes Petits Poucets Tom, Jill et Mary trouvaient très amusant d'avoir une piste à suivre. Mary fut la première à se glisser hors de la grotte. « Quelle chance ! murmurait-elle. Bientôt, nous pénétrerons à l'intérieur du rocher et nous saurons ce que complotent ces bandits. Venez vite! Dépêchons-nous! Regardez ces gros nuages noirs qui arrivent ! » Andy leur jeta un coup d'œil anxieux. C'étaient des nuages de pluie. « Zut, zut, zut et rezut ! s'exclama-t-il. — Pourquoi es-tu si contrarié ? demanda Jill, étonnée, car il était rare que le jeune pêcheur s'exprimât violemment. 129

— Contrarié ? Bien sûr que je le suis. Et il y a de quoi ! As-tu pensé que la pluie allait dissoudre tout mon sel ? - Raison de plus pour nous hâter, dit Tom. Il ne pleut pas encore.» Ils trouvèrent une première trace de sel sur un rocher et poussèrent des cris de joie. « Nous sommes passés par ici ! C'est la bonne voie ! Continuons! — Ah ! voici une autre pincée. Il est facile de repérer ces petits grains blancs. » La piste les conduisit jusqu'à l'endroit où, sans cesser de monter, les prisonniers et leurs geôliers avaient tourné à gauche. A ce moment, la pluie se mit à tomber. En quelques secondes elle eut dilué le sel ! La piste était coupée. Andy avait l'air consterné. « Voilà bien ma chance ! bougonna-t-il. Pourquoi n'ai-je pas suivi les traces que j'avais laissées, juste après notre libération, avant de manger ? Et pourquoi n'ai-je pas pensé prendre quelque chose de moins soluble que le sel ? Il est vrai que je manquais de temps et que c'est la première chose qui me soit venue à l'esprit. Quel ennui ! — Andy, tu n'as pas de reproches à te faire, dit Jill avec gentillesse. C'était une drôlement bonne idée ! Je n'y aurais jamais pensé, moi ! — Ecoutez ! fit Tom. Est-ce que nous ne pourrions pas recommencer l'expérience ? Je parie que ton père va revenir ici demain, Andy ! Tu penses bien qu'il ne va pas renoncer aussi vite ! Alors, ces hommes nous conduiront de nouveau dans cette caverne de l'autre côté du Roc pour nous y enfermer. Rappelle-toi ce que le balafré a dit. Nous en profiterons pour jalonner de nouveau le parcours. — Oui. Il y a des chances pour que papa et mon oncle reviennent demain. Peut-être même emmèneront-ils des amis en renfort. Nous verrons arriver alors une véritable flottille. Les bandits voudront nous escamoter à nouveau. Alors, nous sèmerons... je ne sais trop quoi. — Quelque chose qui ne se remarque pas trop... suggéra Mary. Mais quoi ? » 130

Sur le moment, les Robinsons ne voyaient guère ce qui pourrait remplacer le sel. Puis, Tom eut une idée lumineuse. « J'ai trouvé ! s'écria-t-il. Vous rappelez-vous ces petits coquillages rosés, sur la plage, au bord de la baie ? Eh bien, pourquoi ne pas en remplir nos poches ? Nous les lâcherions tout le long du chemin. Leur piste serait facile à retrouver. — Et la pluie ne la ferait pas disparaître ! ajouta Jill. — Excellente idée, mon vieux ! lança Andy. Commençons dès maintenant à ramasser ces coquillages. Comme ça, nous les aurons prêts pour demain ! » Les quatre amis descendirent jusqu'au rivage où ils trouvèrent des douzaines de petits coquillages rosés qu'ils fourrèrent dans leurs poches. La nuit tombait. « Mieux vaut retourner maintenant à notre abri, décida Andy. Nous allumerons la lampe et passerons une soirée bien tranquille. Et puis, il commence à faire froid. Nous avons été pas mal mouillés par l'averse, même si elle n'a pas duré longtemps. Nous allons nous sécher, nous réchauffer. Pour dîner, nous boirons du thé brûlant, avec beaucoup de biscuits. » Les enfants grimpèrent à leur grotte et s'y glissèrent. Andy alluma la lampe et aussi le poêle sur lequel il plaça la bouilloire remplie d'eau de pluie. Dès que la bonne chaleur se répandit, la grotte devint accueillante et intime. « Je me sens bien, déclara Jill en serrant sa couverture autour d'elle. Je sais bien que nous vivons une aventure dramatique et je suis triste de savoir nos parents inquiets pour nous, mais je ne peux pas m'empêcher d'apprécier le moment présent, bien au chaud et bien au sec dans cette grotte douillette. » Les autres pensaient comme elle, encore qu'Andy semblât toujours grave et pensif. Jill devinait qu'il ne se consolait pas de la perte de son bateau. Lui, toujours

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souriant et prêt à plaisanter, ne se déridait plus du tout et n'ouvrait guère la bouche. Cette nuit-là, tous dormirent d'un sommeil réparateur. Ils n'avaient pas jugé utile d'instaurer des tours de garde. Ils dormirent donc profondément. Rien ne vint les troubler. Quand ils se réveillèrent, le soleil était déjà haut dans le ciel. Andy parut surpris. « II est tard ! constata-t-il. Je vais me débarbouiller dans une des flaques d'eau de pluie. L'averse d'hier les aura grossies. » Les Robinsons, qui se sentaient plus ou moins sales, suivirent son exemple. Jill sortit un peigne de sa poche et se coiffa avec soin. Mary en fit autant après avoir déclaré : « II était temps de nous arranger un peu. Nous commencions à avoir l'air de sauvages ! » Le petit déjeuner, composé de pain rassis, de beurre et de confiture, ne fut guère fameux. Mais les enfants n'osaient pas ouvrir leurs boîtes de conserve, par crainte de manquer de nourriture : les hommes ne s'étaient guère montrés généreux envers leurs prisonniers. Ceux-ci se rappelaient encore l'horrible plateau qu'on leur avait servi ! « Andy ! lança brusquement Tom. Les bandits reviennent ! » II venait de se glisser dehors et il était assis sur la banquette rocheuse, face à la mer. « Regardez ! ajouta-t-il. Un... deux, trois... quatre, cinq bateaux de pêche en vue ! Ma parole, Andy, ton père a mobilisé la moitié de la flottille du village ! — Vite ! Faisons-leur signe ! » s'écria Andy. Hélas ! les pêcheurs étaient encore trop loin pour les apercevoir et les bandits atteignaient déjà la grotte. C'était le même trio que la veille, balançant à bout de bras les grands foulards rouges qui avaient déjà servi à bander les yeux des enfants.

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« N'oubliez pas les coquillages ! souffla Andy à ses amis. — Sortez tous de là ! » ordonna Barbe-Noire. Tom, entre-temps, avait replongé dans la grotte pour rejoindre ses compagnons. « Obéissons sans faire d'histoires, murmura Andy aux autres. Nous ne voulons pas être enfumés comme hier ! » La petite troupe rampa donc à l'extérieur. Les bandits leur nouèrent les bandeaux sur les yeux. Puis, comme la veille, ils poussèrent leurs prisonniers devant eux. Tout en trébuchant et en avançant malaisément, les enfants se rendirent compte qu'ils montaient, tournaient à gauche, et perçurent finalement le curieux bruit — une sorte de grattement — qu'ils avaient entendu la veille. Après quoi la lumière leur parvint moins vive à travers leurs bandeaux et ils comprirent qu'ils étaient dans le couloir souterrain. Enfin, on arriva à la caverne-prison qui ouvrait sur la mer du haut d'un à-pic. Les bandeaux furent retirés et la lourde porte de bois verrouillée. Les enfants se retrouvèrent seuls. « J'ai semé... commença Jill. - Chut ! souffla Andy en désignant la porte. Nous ne savons pas si l'un des hommes ne se tient pas derrière cette porte, à l'affût de ce que nous pouvons dire. Plus un mot jusqu'à ce que je te fasse signe ! » Tous attendirent donc en silence, un long moment. Puis, Andy entraîna ses camarades le plus loin possible de la porte et chuchota : « Vous pouvez parler, maintenant, mais à voix basse tout de même, par prudence. — J'ai semé tous mes coquillages en chemin, murmura Jill. Il ne m'en reste plus un seul. Ma provision s'est trouvée épuisée juste à l'instant où nous arrivions ici. — Moi aussi, j'ai semé mes coquillages, déclara Mary. — Et moi de même ! ajouta Tom. - Moi, dit à son tour Andy, il me reste encore quatre coquillages. J'avais peur de les lâcher avant d'arriver ici.

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Les bandits leur nouèrent les bandeaux sur les yeux. —>

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Alors, la piste risquait d'être interrompue. C'aurait été trop rageant ! — Ma foi, il semble que nous nous soyons bien débrouillés à nous quatre, conclut Tom d'un ton satisfait, mais toujours à voix basse. A présent, nous devrions retrouver facilement le chemin que nous avons parcouru. — Je crois que nous pourrons nous mettre à l'œuvre dès ce soir, déclara Andy. Dans la journée, les hommes doivent se trouver un peu partout sur l'île. Mais, la nuit, j'imagine qu'ils dorment, à l'exception, peut-être, de celui qui fait des signaux. Encore n'est-il pas certain qu'il soit de faction tous les soirs. — Tu veux dire que nous allons revenir de nuit ? murmura Jill, assez peu rassurée. — Pas vous, les filles ! Seulement Tom et moi, expliqua Andy. Nous vous laisserons bien en sûreté dans la grotte et nous viendrons vous y rejoindre avant l'aube. Nous n'oublierons pas d'emporter deux lampes électriques. Comme ça, nous verrons clair une fois à l'intérieur de la montagne. — Je me demande, dit Tom, combien de temps la flottille des bateaux de pêche va tournicoter par ici, à notre recherche. Je regrette que nous n'ayons pas laissé quelque chose de bien visible derrière nous... quelque chose que ton père aurait reconnu comme étant à nous et qui aurait révélé notre présence dans les parages. — J'y ai pensé, soupira Andy. Mais c'aurait été inutile. Tu peux être certain que les bandits ont veillé à ce que nous ne laissions pas trace de notre passage. Quant à la grotte, il faut savoir qu'elle existe pour la découvrir. Mon père ne trouvera rien du tout. Il repartira bredouille aujourd'hui comme hier, avec les autres, convaincu que nous ne sommes jamais venus ici. Quel malheur que je ne puisse faire parvenir un message à votre mère pour la rassurer ! Elle doit être horriblement inquiète. — Ça, c'est sûr ! murmura Jill. Et de plus, elle ne nous permettra plus jamais de sortir avec toi en mer, Andy ! »

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Comme la veille, le balafré apporta à manger aux enfants à l'heure du déjeuner. Avec le pain, il y avait cette fois du jambon, nettement meilleur que la viande. Dans l'après-midi, on relâcha les prisonniers, plut tôt que le jour précédent. On les guida, après leur avoir bandé les yeux, jusqu'aux rochers en bordure de la baie. Avant de les y laisser, Barbe-Noire leur dit, de sa voix sévère : « Je crois que vos amis ne tarderont pas à abandonner toute recherche à votre sujet. Vous serez donc libres de circuler sur l'île à votre gré. Je vous préviens cependant que des rochers escarpés et impossibles à escalader vous empêcheront de passer de l'autre côté. Aussi, inutile d'essayer ! Vous pourriez tomber et vous blesser... et si cela se produit, n'attendez aucune aide de notre part ! — Quels hommes êtes-vous donc ? » ne put s'empêcher de lancer Andy. Le balafré parut vouloir se jeter sur lui, mais se contint. Après quoi, les bandits tournèrent les talons et s'éloignèrent. Dès qu'ils eurent disparu, Jill grimpa sur les rochers et revint bientôt, toute rosé de plaisir. « Notre piste de coquillages est là, bien visible ! annonça-t-elle. Tom et Andy pourront la suivre sans difficulté. Elle monte de ce côté... Même d'ici, on la repère facilement à l'œil nu. — Espérons que les bandits ne la remarqueront pas, soupira Andy. Vivement la nuit, Tom, que nous nous mettions en chasse ! »

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CHAPITRE XVIII Expédition de nuit Après mûre réflexion, les garçons décidèrent de ne pas se mettre en route avant minuit. A cette heure-là, pensaient-ils, les bandits seraient endormis. Pour se ménager eux-mêmes, ils résolurent de prendre quelques heures de sommeil, tôt dans la soirée. « Dormez paisiblement, leur dit Jill. Moi, je veillerai et je vous réveillerai à minuit. - Inutile, répondit Andy. Je me réveillerai de moi-même à minuit pile. Je fais partie de ces gens qui ont un réveil dans la tête. Nous pouvons tous nous coucher. » Les enfants s'enroulèrent donc dans leurs couvertures et s'endormirent aussitôt.

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A minuit, comme il l'avait dit, Andy se réveilla et secoua Tom. « Oooh ! fit Tom, réveillé en sursaut. — Chut. Les filles dorment ! lui rappela Andy. Il est temps de partir, mon vieux. Grouille-toi ! — Passe-moi la torche de Jill, demanda Tom tout bas. Tu sais que la mienne est hors d'usage. » Andy lui tendit la torche. Puis les deux amis se faufilèrent hors de l'abri. Ils se retrouvèrent debout au flanc du Roc, giflés par un vent aigre. Il faisait sombre et froid. « Et maintenant, repérons cette piste ! » dit Andy. Il alluma sa lampe de poche et prit soin de filtrer la lumière entre ses doigts. Ainsi ne risquait-on pas de le voir de loin. Les deux garçons eurent tôt fait de trouver la piste de coquillages : ceux-ci brillaient à la lueur de la torche. Après avoir marché un bon moment, les deux compagnons tournèrent à gauche. La montée se poursuivit encore un peu, puis la piste s'arrêta net. « Voici sans doute, annonça Andy, l'endroit où nous avons fait halte avant de pénétrer à l'intérieur du Roc. » Tout en parlant, il promenait la lueur de sa torche sur l'énorme muraille qui se dressait devant eux. Il ne semblait y avoir aucune ouverture nulle part. Le mur du Roc ne présentait aucune faille. Toutefois, à force de chercher, il finit par en découvrir une, très étroite mais qui avait l'air profonde. « Très curieux ! Regarde, Tom ! dit-il en éclairant la fissure. Cette fente paraît être la seule ouverture au flanc de ce rocher. Mais comment quelqu'un pourrait-il se faufiler par là ? C'est absolument impossible ! » Les deux amis cherchèrent une autre ouverture mais ne trouvèrent rien. Ils furent donc bien obligés de revenir à la seule fissure existant. Andy se rappela soudain quelque chose. « Te souviens-tu, demanda-t-il à Tom, du bruit curieux

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que nous avons entendu ? Une sorte de raclement ou de grattement. Si nous avions affaire à une roche pivotante ou quelque chose comme ça... tu sais... comme la pierre tournante de la caverne dans Ali Baba et les quarante voleurs ? — Mais comment faire bouger un bloc de rocher aussi lourd que celui-ci ? » soupira Tom. Andy, une fois de plus, examina la fissure. Il fit courir le pinceau lumineux de sa torche tout le long puis aux alentours. Alors, brusquement, il faillit crier de surprise. « Tom ! Vois donc !... Là, au ras du sol. Une barre de fer. Peutêtre doit-on l'utiliser comme un levier... Attends ! Je vais essayer ! » II dégagea la forte barre métallique à moitié cachée par de petits rochers et l'introduisit dans la faille. Tom et lui, unissant leurs forces, firent pression sur elle. Alors, ô joie ! le bloc tout entier glissa de côté en produisant un curieux raclement. Il était si habilement équilibré qu'il pivotait avec une extrême facilité. Par l'ouverture béante, les deux garçons aperçurent le couloir souterrain qui pénétrait à l'intérieur de la montagne. « Eh bien ! murmura enfin Andy. Qui aurait imaginé ça ? J'ai l'impression d'être Ali Baba en personne. Ne nous avisons surtout pas de refermer cette "porte" derrière nous, mon vieux Tom, car nous serions peut-être bien incapables de la rouvrir ensuite de l'intérieur. C'est pour le coup que nous serions réellement prisonniers. » Ils laissèrent donc le bloc de pierre comme il était et s'engagèrent dans le passage. Un long tunnel s'ouvrait devant eux. Ils le suivirent jusqu'à un endroit où le boyau se divisait en deux. L'une des branches montait, l'autre descendait. Laquelle prendre ? « Je pense qu'il vaut mieux monter, dit Andy. Peut-être ce couloir ascendant nous conduira-t-il à leur observatoire au sommet de l'île : nous pourrons l'examiner de près. » Les deux amis s'engagèrent donc dans le boyau, guidés par la lumière de leurs torches qu'ils s'empressaient

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d'éteindre chaque fois qu'ils croyaient entendre un bruit suspect. Mais l'intérieur de la montagne était obscur et silencieux. Quelle étrange sensation de se trouver là, au beau milieu de la nuit, à la recherche d'on ne savait trop juste quoi ! Au bout d'un moment, le boyau se divisa de nouveau en deux. L'un des embranchements était à l'horizontale, l'autre continuait à monter. Andy et Tom choisirent d'explorer le premier. Le couloir aboutissait à une solide porte de bois, munie d'une serrure et de verrous. « Je parie que c'est la porte de la caverne dans laquelle les bandits nous ont enfermés, murmura Andy. Si nous nous en assurions?» Avec mille précautions, ils ouvrirent la porte. Oui, c'était bien la caverne-prison. Après avoir refermé la porte, les deux garçons revinrent sur leurs pas et prirent le couloir ascendant. Tout à coup, ils entrevirent une lueur non loin d'eux. « Stop ! souffla Andy. Ne faisons pas de bruit et écoutons ! » Mais il n'y avait rien à entendre. Les deux amis se remirent en marche, lampes éteintes, en se rapprochant tout doucement de la source lumineuse. Ils arrivèrent ainsi à une caverne immense, qu'éclairait une grosse lanterne de bateau, suspendue au plafond rocheux par un crochet. Cette caverne était confortablement aménagée, avec deux ou trois matelas, une table, des chaises et des buffets où l'on rangeait sans doute les provisions. Un poêle répandait une bonne chaleur. Dessus, une bouilloire chantait. On avait préparé un repas sur une table... et même un très bon repas. Tom en eut l'eau à la bouche en apercevant des tranches de jambon rosé dans un plat, à côté d'une boîte de langue de bœuf ouverte mais non entamée. Un énorme gâteau aux prunes voisinait, un peu plus loin, avec des pêches au sirop. « Regarde-moi ça ! chuchota Tom, alléché. Il faut à tout prix que je mange une tranche de ce jambon !

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— Sois prudent ! Cette table est toute dressée, l'eau bout sur le poêle : cela signifie que quelqu'un va surgir d'un moment à l'autre. Il ne s'agirait pas de se faire pincer, mon vieux ! — Je suis sûr que nous avons le temps de bondir jusqu'à la table et de chiper un peu de jambon. — Vite, alors ! » Tous deux entrèrent dans la caverne, raflèrent quatre tranches de jambon et la moitié d'une miche de pain. Tom, déraisonnable, prit encore le temps de couper un énorme morceau de gâteau. Puis, fourrant ces provisions dans leurs poches, ils se précipitèrent vers la sortie. Hélas ! Au même instant, ils entendirent arriver quelqu'un... Et ce quelqu'un chantait une chanson de marin. C'était le balafré dont la voix rauque était aisément reconnaissable. « Vite ! Cachons-nous ! souffla Andy tout en regardant autour de lui. Dans ce coffre, là-bas ! » II s'agissait d'un coffre énorme. Les deux garçons soulevèrent le couvercle et se glissèrent à l'intérieur. Le couvercle retomba sur eux à la seconde même où le balafré entrait dans la salle éclairée. Tout en continuant à chantonner, il ôta la bouilloire du poêle, se fit du thé, puis se mit à table. Son œil tomba sur le jambon. « Regardez-moi ça ! s'écria-t-il, furieux. La moitié de mon jambon a disparu. Et où est mon pain ? C'est cette crapule de Stumpy qui est venu ici et qui m'a fauché mon repas. Il me le paiera ! » Le balafré continua un moment à grommeler. Puis il s'avisa que quelqu'un s'était taillé une magnifique part dans son gâteau aux prunes. Pour le coup, l'indignation le fit bondir sur ses pieds. « Mon gâteau aussi ! C'est un peu trop fort ! Je vais le rosser ! » Il bondit hors de la salle pour se précipiter dans le tunnel descendant. Andy et Tom eurent du mal à réprimer une crise de fou rire. Pauvre Stumpy ! Il aurait beau jurer

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n'avoir pas touché aux provisions de balafré, celui-ci ne le croirait pas ! Tant pis ! Que ces bandits se débrouillent entre eux ! « Filons puisque nous en avons la possibilité, murmura Andy en sortant du coffre. Il faut continuer à nous diriger vers le haut, sinon nous nous heurterons au balafré. Viens, Tom ! » Mais Tom s'était arrêté près de la table pour rafler deux autres tranches de jambon et se couper une autre portion de gâteau. Après quoi, il courut rejoindre son camarade. Les deux amis continuèrent à monter. Ils durent de nouveau utiliser leurs torches. Bientôt, ils arrivèrent à une série de marches fort raides. Tom, haletant, se laissa choir à terre. « Andy ! Il faut absolument que je me repose ! Cet escalier est si raide ! » Andy s'assit à côté de lui, essoufflé lui aussi, et éteignit sa torche. Il sourit dans l'ombre à la pensée que le balafré était en train d'accuser un certain Stumpy. Un instant plus tard, le jambon, le pain et le gâteau dérobés avaient disparu pour de bon, à la plus grande satisfaction des deux garçons. Une fois reposés et restaurés, ils reprirent leur ascension. Soudain, les marches débouchèrent sur une espèce de plate-forme. Le vent enveloppa d'un seul coup Andy et Tom qui frissonnèrent. « Nous sommes tout au sommet du Roc des Contrebandiers, dit Andy. Là où les hommes faisaient des signaux l'autre nuit ! — Regarde, Andy ! Voici la grosse lampe qui a dû servir à émettre les signaux en question, dit à son tour Tom en éclairant furtivement de sa torche une énorme lanterne, présentement éteinte. Je suis persuadé que ce truc-là doit se voir de très loin en mer... Ainsi peut-on apprendre aux navires qu'on attend la voie libre pour venir décharger à terre leur marchandise de contrebande.

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- Oui, acquiesça Andy. Cette lumière doit porter très loin... à des milles et des milles. » II s'interrompit soudain et agrippa le bras de Tom. « Ecoute ! Des bruits de pas... et quelqu'un siffle... C'est peutêtre le balafré qui vient émettre des signaux. Fourrons-nous sous l'espèce de socle qui supporte la lanterne ! » Tous deux se glissèrent sous le support de bois de la lanterne. Le balafré arriva presque aussitôt et se mit à tripoter la grosse lampe. Un instant plus tard, des éclairs puissants brillèrent dans la nuit, transmettant un mystérieux message. Le balafré continua d'émettre ses signaux pendant environ dix minutes. Puis il éteignit la lanterne et repartit comme il était venu. Tom et Andy n'osèrent pas le suivre. Ils se contentèrent de descendre quelques marches, découvrirent dans le roc une anfractuosité pas trop inconfortable, s'y blottirent et, au bout d'une ou deux minutes, s'endormirent profondément. Ils se réveillèrent à l'aube, frissonnants, ankylosés, et s'adressèrent d'amers reproches pour avoir dormi si longtemps. Andy grimpa jusqu'à la plate-forme et, de là, contempla le paysage. Quelle vue ! De son observatoire, le jeune pêcheur découvrit tout le pourtour de l'île. Comme son regard se portait d'un côté qu'il n'avait pas pu voir jusque-là, il réprima avec peine une exclamation de stupeur. « Tom ! appela-t-il tout bas. Tom ! Viens vite me rejoindre !... Regarde... là, en bas ! Que penses-tu de ça ? »

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CHAPITRE XIX Découvertes Les yeux fixés sur la mer qui scintillait, bien loin au-dessous d'eux, les deux garçons découvraient un port blotti au sein d'une baie presque ronde, elle-même protégée par de hauts rochers abrupts-et déchiquetés. Au premier coup d'œil il semblait ne pas exister d'accès à cette baie : le port était dans une sorte de lac intérieur. Il était plein de bateaux à moteur : certains de belles dimensions, d'autres plus petits. Tous se trouvaient à l'ancre ou à l'amarre, tous sauf un qui, précisément, était en train de gagner le port en se glissant par un passage si étroit que les deux garçons eurent du mal à le distinguer. « Regarde ! murmura Andy. Qui pourrait imaginer 145

qu'il y a une baie et un port de ce côté de l'île ? Il est impossible de les voir en abordant de l'autre côté. J'imagine que quiconque ne connaîtrait pas à fond tous les écueils du coin serait bien incapable de trouver son chemin jusque-là ! Eh bien ! Voilà un joli repaire de contrebandiers ! » Vus de si haut, les canots à moteur avaient l'air de jouets. Le vent violent qui soufflait au sommet déséquilibrait presque Tom et Andy. Cependant, ils ne pouvaient s'arracher au spectacle qu'ils venaient de découvrir. « Pas étonnant, constata Andy, que ces bandits aient su longtemps à l'avance que mon père se dirigeait par ici ! Ils pouvaient repérer son bateau à des milles de distance. Je me demande s'ils avaient aussi remarqué le nôtre, quand nous sommes allés à la Falaise aux Oiseaux ! — Peut-être pas la première fois, mais la seconde, ça c'est sûr ! C'est même pour cela qu'ils ont envoyé un canot afin de nous intercepter ! — Tout cela donne à penser que l'affaire en cours est d'une importance énorme, déclara Andy, pensif. Songe donc ! Tous ces bateaux à moteur ! A mon avis, voilà comment les choses doivent se passer. Les contrebandiers se rendent, à bord de ces canots, jusqu'à d'autres bateaux qui les attendent, ancrés au large. Ils les préviennent de leur arrivée en émettant des signaux depuis le sommet du rocher. Il n'y a plus alors qu'à transborder les marchandises des navires aux canots : ceux-ci se chargent de les emporter en lieu sûr. Le Roc est une merveilleuse cachette ! — Mais où cachent-ils ces marchandises, au juste ? demanda Tom. Et du reste, pourquoi les passent-ils en contrebande ? Pour ne pas payer de droits de douane, je suppose ? Mais comment les font-ils partir d'ici ? En bateau ? — Tout ça est un vrai mystère ! déclara Andy. Si seulement nous pouvions nous échapper et raconter ce qui se passe ici !

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— Rappelle-toi ce que je t'ai dit au sujet de toutes les boîtes et les caisses que j'ai vues entassées dans la caverne de la Falaise aux Oiseaux ! Comment, à ton avis, a-t-on pu les entreposer là ? » Andy était bien incapable de répondre. Lui et Tom restèrent un moment encore, à regarder ce port clandestin. Ils virent aussi des hommes décharger le canot à moteur qui venait de rejoindre les autres en se glissant par l'étroite passe. « Je parie que ce canot a pris la mer cette nuit pour aller retrouver le navire auquel le balafré adressait ses signaux, dit Andy. Il a embarqué la marchandise de contrebande et il s'est débrouillé pour revenir ici à l'aube. — Les hommes qui sont à son bord doivent rudement bien connaître les récifs de la côte, fit remarquer Tom. — Allons, mon vieux ! Il est grand temps d'aller retrouver les filles. Elles doivent être très inquiètes de ne pas nous voir revenir.» Les deux amis commencèrent à redescendre l'escalier aux marches raides. Il y faisait très sombre, mais ils n'osaient pas allumer leurs torches. Ils descendirent donc à l'aveuglette, tâtant les marches du bout du pied. Cela leur prit un certain temps. Puis ils s'engagèrent dans le passage. « Doucement ! recommanda Andy dans un murmure. Nous approchons de l'immense caverne où nous avons chipé le jambon et le gâteau. » En y arrivant, les deux garçons s'aperçurent qu'elle était toujours éclairée par la grosse lanterne marine suspendue au plafond. Tout doucement, Andy tendit le cou pour voir si le balafré se trouvait sur les lieux. Non seulement il le vit mais il l'entendit. L'homme aux jambes torses était étendu sur un des matelas et dormait profondément. De sa bouche ouverte s'échappait un ronflement sonore. « Il est seul ! fit remarquer Tom en inspectant la caverne

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d'un coup d'œil rapide. Et il n'a fini ni la langue ni les pêches. Prenons-les, Andy ! » Et, avant que son camarade ait pu l'en empêcher, l'imprudent s'approcha de la table et rafla les provisions. Hélas ! Glissant sur le sol humide, Tom laissa échapper le plat de verre contenant les pêches. « Maladroit ! siffla Andy. — Filons vite. » Tous deux se précipitèrent dans le tunnel. Mais le bruit avait réveillé le balafré qui se redressa. Ils l'entendirent hurler : « Comment ! Stumpy ! Espèce de canaille ! Tu es encore revenu me voler mes provisions ! La correction de cette nuit ne t'a pas suffi ? Attends un peu que je t'attrape !... — Courons ! dit Andy, effrayé. Encore heureux qu'il pense avoir affaire à ce pauvre Stumpy qu'il a maltraité cette nuit. Courons ! Il faut à tout prix trouver une cachette ! » Cette fois, Balafré était dans une colère bleue. Comment Stumpy avait-il eu le front de lui voler de nouveau de la nourriture ? Il allait lui faire voir... Il l'attraperait ! Il lui cognerait sa stupide tête contre le mur. II... Les garçons volaient littéralement dans le couloir. Ils dépassèrent l'embranchement où l'un des tunnels conduisait à la caverne-prison. Ils continuèrent à descendre, espérant atteindre très vite le second embranchement, dont l'une des branches conduisait à l'ouverture secrète. « Une fois là, dit Andy essoufflé, tout ira bien. Nous nous précipiterons dehors et courrons rejoindre les filles. » Ils atteignirent enfin l'embranchement et foncèrent vers la sortie. Hélas ! Avant même d'y arriver, ils s'aperçurent que le bloc tenant lieu de porte avait été remis en place. Ils ne pouvaient plus sortir ! Andy se désola à mi-voix. « Comment manœuvrer ce rocher de l'intérieur ? Essayons toujours, Tom ! »

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Mais tous deux eurent beau pousser et tirer, le rocher ne bougea pas d'un pouce. C'est en vain, aussi, qu'ils cherchèrent un levier quelconque alentour. « Nous voilà coincés ! dit Andy. - Et impossible de remonter le tunnel ! Le balafré nous attraperait à coup sûr ! - Remontons tout de même jusqu'à l'embranchement, conseilla Andy. Si nous ne rencontrons pas le balafré, nous essaierons le couloir descendant. Peut-être débouche-t-il sur une autre sortie ? En tout cas, c'est notre seule chance. Si nous restons ici, nous serons faits comme des rats ! » Les deux amis rebroussèrent chemin, écoutant s'ils n'entendaient personne venir. Arrivés sans encombre à l'embranchement, ils se hâtèrent de s'engager dans le tunnel descendant. Ils cheminèrent pendant un moment le long de ce boyau sombre et sinueux. « Tous ces souterrains, dit Tom, doivent former un véritable labyrinthe, exactement comme dans la Falaise aux Oiseaux. Oh ! Ecoute ! Qu'est-ce que c'est ? » Le bruit d'une querelle parvint à leurs oreilles. Les garçons s'avancèrent avec précaution. « C'est le balafré qui sonne les cloches à Stumpy ! murmura Andy. Pauvre Stumpy ! C'est nous qui l'avons fourré dans ce pétrin ! » Le couloir passait devant une nouvelle caverne, analogue à celle qui semblait être le domaine de Balafré. Elle était toutefois de dimensions plus modestes et moins bien aménagée. Le balafré et Stumpy s'y disputaient. La caverne était plutôt mal éclairée et les garçons purent, sans crainte d'être vus, s'arrêter un instant dans l'obscur passage pour écouter ce qui se passait et jeter un coup d'œil sur les deux compères. « Ça alors ! murmura Tom dans un souffle. Stumpy est l'homme aux jambes poilues ! C'est lui que nous avons entendu siffler sur la Falaise aux Oiseaux. Lui, aussi, que

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j'ai vu là-bas dans une caverne, en compagnie du bandit aux lunettes. » La querelle entre les deux bandits tournait à l'aigre. Ce n'était que cris, reproches, protestations, bourrades et dérobades. Tout cela était assez comique. Tom et Andy auraient bien aimé assister au spectacle jusqu'au bout mais, aucun des hommes ne regardant dans leur direction, il fallait profiter de l'occasion. Ils passèrent donc rapidement devant la caverne et poursuivirent leur chemin. A présent, le tunnel semblait plonger pour de bon dans les entrailles de la terre tant il était en pente. Tom en fit la remarque d'une voix un peu inquiète. Soudain, les parois du souterrain se mirent à luire faiblement. « Phénomène dû à la phosphorescence, expliqua Andy. Curieux, n'est-ce pas, Tom ? — Rebroussons chemin ! dit brusquement Tom. Ce souterrain ne me dit rien qui vaille. Et je n'aime pas davantage ce bruit étrange qui résonne au-dessus de nos têtes. » Andy, lui aussi, avait remarqué le bruit... Boum ! boum ! boum ! bouououm ! « Qu'est-ce que cela peut bien être ? murmura-t-il. Non, Tom, nous ne pouvons pas revenir en arrière après avoir fait tout ce trajet. Nous allons forcément arriver quelque part. C'est obligé ! Si seulement ce tunnel voulait bien remonter un peu ! Il continue à descendre si raide ! » Ils suivirent donc encore le souterrain, entre les murs phosphorescents. Ils ne manquaient certes pas de place ! Le couloir était assez large pour livrer passage à trois hommes de front. Et le plafond était très haut. Andy et Tom, de plus en plus fatigués, marchaient toujours, s'éclairant de leurs torches. Andy se posait des questions. Le Roc des Contrebandiers n'était qu'une petite île. Ils auraient dû l'avoir traversée depuis longtemps. Où donc conduisait ce souterrain ? Brusquement, il s'arrêta et saisit Tom par le bras.

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« Tom ! Je sais où nous sommes... annonça-t-il d'une voix troublée. Et je sais également d'où vient ce bruit... La mer ! C'est la mer que nous entendons... au-dessus de nos têtes ! — Au-dessus de nos têtes ! répéta Tom en levant les yeux comme s'il s'attendait à voir les vagues se briser au-dessus de lui. Que veux-tu dire ? — Ce couloir souterrain passe sous la mer... expliqua Andy. Mais oui ! Et je parie que je sais où il conduit... A la Falaise aux Oiseaux ! » Tom en resta bouche bée. Il était tellement stupéfait qu'il ne trouvait rien à dire. Il regardait son ami avec des yeux ronds tout en écoutant les « boum ! » étouffés au-dessus de lui. Oui... Andy avait raison. C'était certainement les vagues qui produisaient ce son. Tom espérait que le fond de la mer formait un plafond solide au souterrain. Ce n'était pas très agréable d'imaginer cette énorme masse au-dessus de sa tête. « Voilà pourquoi ce passage descendait en pente si raide, poursuivit Andy. Il s'enfonce profondément sous la mer. Elle doit être à une bonne distance au-dessus de nous, mais j'ignore à quelle distance nous sommes nous-mêmes de la Falaise aux Oiseaux. Nous finirons bien par y aboutir. A présent, nous savons comment les contrebandiers amènent leur marchandise au Roc... et comment ils l'entreposent dans la caverne que tu as vue. Ils utilisent ce passage sous-marin ! — Viens ! dit brusquement Tom. Hâtons-nous d'arriver au bout! Vite ! »

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CHAPITRE XX Une surprise Les deux garçons pressèrent le pas. Le souterrain était si large que deux wagonnets auraient pu y rouler côte à côte. Le bruit incessant de la mer continuait à résonner au-dessus de leurs têtes. « J'espère, dît Tom, qu'il ne va pas se produire une faille dans les roches constituant le fond de la mer. Ce serait terrible si cette énorme masse d'eau se déversait dans ce tunnel ! — Ne dis pas de sottises ! Ce couloir existe certainement depuis des années et des années, répliqua Andy. Il n'y a aucune raison pour que le plafond s'effondre aujourd'hui ! »

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Les deux garçons continuèrent à marcher un bon moment encore. Andy calculait mentalement la distance qui pouvait séparer la Falaise aux Oiseaux du Roc des Contrebandiers. A son avis, ils devaient approcher du but. « Ecoute ! dit soudain Tom en s'arrêtant. On dirait que le bruit de la mer est moins fort... — Tu as raison, acquiesça Andy. Cela ne peut signifier qu'une chose : nous ne sommes plus sous la mer mais quelque part sous la Falaise aux Oiseaux. — Andy... je parie que nous allons déboucher dans la caverne où sont entreposées toutes ces caisses dont je t'ai parlé. Quand j'étais là-bas, j'ai vu Stumpy et l'homme aux lunettes disparaître dans un trou au ras du sol... Ce devait être l'entrée du tunnel. Ah ! Voilà ma torche qui faiblit ! — Heureusement que j'ai la mienne ! » Ils avancèrent encore. Le souterrain s'élargissait de plus en plus. Soudain, la torche d'Andy éclaira une grande quantité de caisses, amoncelées dans une sorte d'immense salle souterraine. Andy s'approcha pour les examiner. « II s'agit peut-être d'alcool de contrebande, suggéra le jeune pêcheur. Il paraît que c'est assez courant. Regarde ! Chacune de ces caisses porte des lettres ou des chiffres. Et celles-là dans ce coin, làbas, sont de couleur verte. — L'une d'elles est à moitié déglinguée, fit remarquer Tom. Essayons de voir ce qu'elle contient ! » La lumière de la torche d'Andy vint danser sur la caisse à demi brisée. Les deux garçons se mirent à retirer de pleines poignées de paille. Tout à coup, Andy laissa échapper un long sifflement. Il ne pouvait détacher son regard de l'intérieur de la caisse. Derrière lui, Tom s'impatienta. « Qu'y a-t-il ? Vois-tu ce qu'il y a dedans ? — Oui... regarde toi-même... Tu vois ce canon luisant ? Cette caisse est pleine d'armes : fusils et revolvers ! Et ces boîtes-là doivent contenir des munitions.

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- Explique-moi ! murmura Tom, impressionné. Je ne comprends pas. — Et moi, pas encore complètement, répondit Andy. Je sais seulement que ces bandits introduisent chez nous des milliers d'armes avec leurs munitions et les expédient ensuite ailleurs... pour les vendre aux plus offrants, c'est-à-dire pas toujours les plus honnêtes. Il s'agit de trafiquants d'armes ! » Tom eut soudain peur. « Dis-moi, Andy ! demanda-t-il en songeant à ses sœurs restées seules. Ils ne vont pas s'en prendre à Jill et à Mary, par hasard ? - Je ne pense pas, répliqua le jeune pêcheur. Mais qu'allons-nous faire, nous ? Que pouvons-nous faire, surtout ? Notre devoir est de nous échapper par tous les moyens afin de révéler ce que nous venons de découvrir. Nous n'avons que deux solutions : ou retourner au Roc des Contrebandiers et chercher à en sortir pour rejoindre les filles, ou continuer à suivre le souterrain ici même, dans la Falaise aux Oiseaux. Cette solution me paraît la meilleure, Tom, car si nous arrivons à sortir au grand jour par l'ouverture de la cascade, nous pourrons guetter le retour de mon père et lui adresser des signaux. — Excellente idée ! approuva Tom. Les contrebandiers ne peuvent se douter que nous avons découvert le passage reliant le Roc à la Falaise. Ils doivent nous croire encore auprès des filles... à moins qu'ils ne soient allés contrôler sur place, ce qui serait étonnant. Nous pouvons donc tenter notre chance et faire des signes du haut de la Falaise aux Oiseaux ! — A condition que mon père revienne aujourd'hui ! soupira Andy d'un ton plutôt lugubre. N'oublie pas qu'il :i écume les alentours deux journées durant, sans trouver trace de notre passage. Il est possible qu'il soit allé chercher plus loin le long de la côte. - Nous n'avons guère le choix, dit Tom en se levant. Viens donc ! »

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Quittant ce formidable arsenal, les deux amis reprirent leur marche. Le souterrain ne tarda pas à se resserrer et redevint un simple boyau, assez étroit mais de plafond élevé. Soudain, il se mit à monter. « Je parie qu'il conduit à la caverne-entrepôt que j'ai déjà vue, murmura Tom. Ne fais pas de bruit, Andy, et voile la lumière de ta torche ! » A pas de loup, les deux garçons avancèrent encore. Tout à coup, le tunnel se termina : la paroi rocheuse se dressait face à eux ! « Un cul-de-sac ! s'exclama Andy en tâtant la surface de pierre avec ses deux mains. Flûte ! Impossible d'aller plus loin ! » Après sa longue marche et les émotions précédentes, Andy accusait soudain la fatigue. Il se laissa choir sur le sol, imité par Tom. Tous deux sentaient leurs jambes trembler de fatigue. « C'est la fin... Je n'ai pas la force de retourner, dit Andy avec tristesse, mais tout à coup son visage s'éclaira : Regarde là-haut ! Il y a une ouverture... juste au-dessus de nous ! Un gros trou dans le plafond! » Tom leva les yeux et aperçut une énorme ouverture ronde dans la partie supérieure du tunnel. «Bien sûr, Andy ! Ne t'avais-je pas dit avoir vu ces deux hommes disparaître comme par enchantement dans le sol de la caverne ? Eh bien, voilà par où ils ont passé ! » Cette découverte redonna courage aux deux amis. Andy regarda autour de lui, mais ne vit aucune trace de marches ou de crampons. « Qu'y a-t-il là ? chuchota Tom brusquement. J'aperçois quelque chose d'enroulé. » Andy projeta sa torche sur l'objet en question. C'était une corde, attachée à un crochet de fer rivé au roc. Cette corde était aussi sombre que le roc lui-même. C'est pourquoi aucun des garçons ne l'avait aperçue plus tôt. « Drôle d'ascenseur, dit Andy. Enfin, il va nous servir

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à monter. Je suppose qu'il n'y a personne dans la caverneentrepôt pour l'instant. Sinon, nous apercevrions de la lumière. Je passe le premier ! Eclaire-moi ! » Andy détacha la corde, l'empoigna et tira dessus. Elle était solide et bien fixée. Il ne restait plus qu'à grimper. Voilà qui n'était pas pour embarrasser le jeune pêcheur, agile comme un chat. Arrivé en haut, il se trouva plongé dans les ténèbres. Une fois hors du trou, il n'aurait su dire où il était. Sans s'attarder, il se pencha au-dessus de l'ouverture et devina la figure anxieuse de Tom levée vers lui. « Attache la torche au bout de la corde ! lui dit-il. Je vais la récupérer, puis tu monteras à ton tour... Vas-y !» Tom grimpa à la corde et sortit du trou. Les deux amis, debout côte à côte, regardèrent alors autour d'eux à la lumière de leur lampe. « C'est bien ce que je te disais ! dit Tom aussitôt. Voilà la caverne dont je t'ai parlé... la caverne-entrepôt... avec la rivière souterraine qui coule tout près. Une chance qu'il n'y ait personne en ce moment ! » Andy promena la lumière de sa torche sur les caisses entassées dans la vaste salle. « Celles-ci sont pleines de provisions, dit-il. Tu vois ? Dans ce carton à demi ouvert, on aperçoit des boîtes de conserve. Voici donc le garde-manger de ces messieurs les contrebandiers ! — Je vais te montrer où passe la rivière souterraine, dit Tom en entraînant son camarade derrière une pile de caisses. Voilà le trou au-delà duquel coule le fleuve souterrain. Tu le vois ? C'est par là que j'ai sauté dans l'eau noire ! — Eh bien, ce n'est certainement pas par là que nous repartirons, déclara Andy. C'est bien trop dangereux à mon goût ! Du reste, nous allons monter et non pas descendre. Nous suivrons ce tunnel tortueux que tu as découvert, Tom, puisqu'il conduit à l'ouverture de la

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cascade. Espérons que celle-ci ne sera qu'un mince filet d'eau et que nous pourrons enfin sortir de la montagne. — Et une fois dehors, nous ferons le guet sur la falaise, prêt à alerter ton père dès que nous le verrons. Courage, Andy ! Nous serons bientôt libres ! Filons vite d'ici ! »

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CHAPITRE XXI Andy reçoit un choc ! Baissant derrière eux la .caverne-garde-manger, Andy et Tom se retrouvèrent dans le tunnel ascendant. Tom était sûr de retrouver son chemin. Aidés par la lumière de leur torche, les deux garçons entamèrent la pénible montée... Celle-ci durait plus que Tom ne s'y était attendu. « C'est sans doute, expliqua Andy, parce que, ce coup-ci, tu montes au lieu de descendre. Comme cette pente est raide ! Je commence à m'essouffler ! » Au bout d'un moment, Tom s'arrêta, surpris. Il promena le faisceau lumineux de la lampe devant lui et murmura, l'air intrigué :

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« Je n'y comprends rien ! Regarde, Andy ! Le couloir se divise en deux... Et pourtant, j'étais certain de n'avoir aperçu aucun embranchement. Flûte ! En descendant, j'ai dû passer sans le voir ! » Andy examina la fourche formée par le boyau qui se ramifiait. « C'est certainement ce que tu as fait, Tom ! Tu as dû dépasser cet embranchement sans t'en apercevoir. Cette roche en saillie te le cachait. Viens, continuons ! — Mais, Andy, attends un peu... Je ne me rappelle pas bien quel tunnel j'ai suivi en descendant. J'ai pu aussi bien prendre l'autre, sans remarquer celui-ci. Et maintenant... lequel des deux devons-nous choisir ? — Ecoute ! proposa Andy. Ça n'a pas tellement d'importance au fond ! Prenons celui de droite et espérons pour le mieux ! S'il ne nous conduit pas à l'issue de la cascade, nous reviendrons sur nos pas et nous prendrons l'autre. — Tu as raison, répondit Tom, soulagé. Ce couloir est peut-être le bon... J'en ai comme un pressentiment ! » Mais le pressentiment de Tom ne donna rien. Le souterrain se mit à sinuer et à tourner cent fois plus que celui qu'il avait précédemment descendu. « Nous ferions peut-être mieux de retourner, suggéra le garçon. Je suis sûr à présent que ce couloir n'est pas le bon. - Je me demande où il mène, dit Andy que poussait maintenant la curiosité. Regarde donc comme il grimpe ! Qui sait s'il n'aboutit pas au sommet de la Falaise... De toute manière, il ne peut plus continuer longtemps comme ça. Nous devrions arriver bientôt quelque part. » Les deux amis poursuivirent donc leur route et en furent très vite récompensés en voyant briller devant eux ce qui était certainement la lumière du soleil. Ils ne se trompaient pas ! Le tunnel déboucha brusquement au grand jour par une faille dans la haute falaise. Et là, au-dessous d'eux, la mer... Tom et Andy respirèrent avec délices le bon air frais.

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Après celui, confiné, des souterrains, il leur semblait enivrant. Ils s'assirent sur la corniche rocheuse, non sans effrayer quelques oiseaux qui prirent leur vol en protestant à grands cris. « Dommage que nous n'ayons rien à nous mettre sous la dent », soupira Tom en fouillant machinalement ses poches. A sa grande joie, ses doigts se refermèrent sur une tranche de jambon et un morceau de gâteau. Les deux garçons se partagèrent ces maigres provisions en regrettant de ne pas en avoir davantage. « Cette corniche est située plus haut encore que celle sur laquelle nous nous étions arrêtés la première fois, fit remarquer Andy. Je me demande où nous nous trouvons exactement. Nous ne sommes pas juste au sommet. Je crois plutôt que, après avoir traversé la falaise, de part en part, nous sommes sortis de l'autre côté. En nous penchant pardessus ce rebord de pierre, essayons de voir si la baie où nous avions ancré le bateau est au-dessous de nous ou non ! A mon avis, c'est non ! - Je préférerais que tu regardes, toi ! dit Tom. Moi, j'aurais peur d'avoir le vertige. » Andy se mit à plat ventre et s'avança autant qu'il le put. Tom lui tenait fermement les chevilles. Andy regarda en bas. Très, très loin au-dessous de lui, la mer venait battre silencieusement le pied de la falaise. Les yeux du jeune pêcheur parcoururent la côte. Il ne s'était pas trompé. Ce n'était pas la petite baie où les enfants avaient mouillé l'ancre lors de leur première excursion. Ils devaient être de l'autre côté de la falaise. Les yeux du garçon scrutèrent la côte en dessous avec un regain d'attention... et, soudain, il aperçut quelque chose qui le stupéfia. Il se redressa. Son visage rayonnait de joie et ses yeux brillaient si fort que Tom en resta saisi. « Andy ! balbutia-t-il. Qu'y a-t-il ? — Tom ! Tom ! Sais-tu ce qu'il y a là en bas... dans

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un petit chenal et caché dans un repli de la falaise ? s'écria Andy dont la voix tremblait d'émotion. Tu ne devineras jamais, jamais ! — Alors, parle ! — Notre bateau ! hurla Andy en administrant une claque joyeuse sur le dos de Tom. NOTRE BATEAU, mon vieux ! L'Andy ! — Mais les contrebandiers l'ont coulé, rappela Tom qui se demandait si Andy ne perdait pas la tête. — Nous avons cru qu'ils l'avaient coulé ! rectifia Andy. Je sais reconnaître mon propre bateau... un bateau dont j'ai hissé la voile des centaines de fois ! Ces hommes nous ont menti, voilà tout ! Ils ne l'ont jamais coulé ! Ils l'ont amené ici pour le cacher dans une anfractuosité des rochers... Veux-tu le voir toi aussi ? — Bien sûr ! » Et Tom, gagné par l'enthousiasme, se mit à ramper sur le ventre. Quelques secondes plus tard, il regardait au-dessous de lui et distinguait, bien loin en contrebas,

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un bateau minuscule, à l'abri dans un petit chenal et dissimulé parmi les rocs. « Est-ce bien l'Andy ? demanda-t-il. Personnellement, je serais bien incapable de le dire. De loin, tous les bateaux de pêche se ressemblent. N'empêche que je vois un point rouge qui pourrait bien être la voile roulée sur le pont. Ils l'auraient donc rapportée à bord ! — Je suis sûr de ce que j'avance, s'écria Andy tout joyeux. Je reconnaîtrais mon voilier parmi des milliers d'autres. Quelle chance ! A présent, nous n'avons plus qu'à le rejoindre et à mettre le cap sur le village ! — Le rejoindre ! Oui, mais comment ? demanda Tom en se reculant et en reprenant une position moins périlleuse. Ça ne va pas être facile ! » Les deux garçons discutèrent de la situation. « Impossible de descendre directement d'ici, déclara Andy. Nous risquerions de faire une chute mortelle. A mon avis, la seule solution est de gagner la petite baie... celle où débouche la rivière souterraine. De là, en sautant sur les rochers nous contournerons la falaise jusqu'à ce que nous tombions sur mon bateau. Mais cela prendra du temps ! — Oh ! là ! là ! Et nous n'avons plus de provisions ! se lamenta Tom. Ton idée ne me paraît pas fameuse ! — Proposes-en une meilleure ! » répliqua Andy. Tom eut beau chercher, il ne trouva rien. « D'accord ! finit-il par admettre en soupirant. C'est la seule chose à faire, en effet. Mais, Andy, retournons jusqu'à la caverne où sont entreposés les vivres. Nous prendrons quelques boîtes de conserve pour avoir au moins de quoi manger. Nous ne tiendrions pas longtemps sans nourriture. — Entendu ! acquiesça Andy. Et puis, autre chose, Tom! Je crois préférable de rester cachés jusqu'au soir, pour éviter que l'un de ces contrebandiers ne nous voie sauter de rocher en rocher. Descendons tout de suite à la réserve de vivres et servons-nous. Puis nous tâcherons de

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sortir par l'ouverture de la cascade et nous attendrons le temps qu'il faudra avant de nous mettre en campagne. » II fut bien plus facile de redescendre jusqu'à la caverne aux provisions qu'il ne l'avait été de grimper au cœur de la Falaise. La vaste salle était déserte. Les deux garçons mirent la main sur quelques ouvre-boîtes et en empochèrent un chacun avant de prendre des conserves. Ils trouvèrent de vieux sacs dans lesquels ils fourrèrent ce qu'ils avaient choisi, balancèrent le tout sur leurs épaules, et s'empressèrent de quitter les lieux. Cette fois, en arrivant à la bifurcation, ils choisirent le second embranchement du tunnel. Andy ne fut pas peu étonné de découvrir les cavernes que traversait le torrent avant sa sortie de la falaise sous forme de cascade. « Notre veine continue ! fit remarquer Tom en jubilant. Regarde, mon vieux ! L'eau coule à peine aujourd'hui ! Par exemple, nous allons avoir du mal à suivre l'étroite banquette rocheuse jusqu'à la sortie, avec tout notre chargement ! » Ce ne fut pas commode, en effet. Néanmoins, les deux amis se débrouillèrent assez bien et .se faufilèrent par l'ouverture de la cascade. Quel bonheur de se retrouver dehors ! Après avoir longé la corniche qu'ils connaissaient bien et qui les ramena à la grotte où Tom avait oublié son appareil photo lors de leur première expédition, ils se glissèrent au fond pour y attendre l'heure propice à leur projet. « Et maintenant, mangeons ! dit Tom dont rien ne pouvait diminuer l'appétit. Ensuite, nous ferons une petite sieste et, enfin, en route pour aller retrouver ce cher vieil Andy ! »

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CHAPITRE XXII Evénements imprévus Les garçons, tout en mangeant de bon appétit, parlèrent de Jill et de Mary dont la pensée ne les quittait pas. « Heureusement elles ont des provisions, déclara Tom. Dommage tout de même qu'elles ne soient pas là, avec nous. — Tiens, on dirait que le vent souffle moins fort, fit remarquer Andy. Dis-donc, Tom, qu'allons-nous faire lorsque nous aurons récupéré le bateau ? Commencer par délivrer les filles ou rentrer droit chez nous pour raconter notre histoire ?

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— Je ne vois pas bien comment nous pourrions secourir les filles sans risquer de nous faire prendre, répondit

Tom la bouche pleine. N'oublie pas que nos ennemis surveillent la mer. Ils guettent le bateau de ton père et auraient vite fait de repérer le nôtre. Mieux vaut filer directement à la maison. Nous aurons le vent en poupe, ce qui nous permettra de gagner le village assez vite. — Oui. N'empêche que ça m'ennuie de laisser tes sœurs seules, soupira Andy. Je crains que les bandits ne se vengent sur elles quand ils s'apercevront que nous ne sommes plus là... si du moins ils s'en aperçoivent ! Mais on ne peut pas faire autrement ! » Les deux garçons discutèrent encore quelques minutes. Andy s'endormit d'un seul coup, ce qui mit provisoirement un terme à ses soucis. Tom acheva de vider une boîte de pêches, s'étendit à son tour et s'assoupit. Quand ils se réveillèrent, le soleil était déjà bas sur l'horizon. « Debout, Tom ! ordonna Andy. Il est temps de descendre la falaise et de nous mettre à la recherche du bateau. Une fois sur le rivage, nous nous dirigerons vers l'ouest. Tôt ou tard nous arriverons forcément à l'endroit où l’Andy est ancré. La marée est en train de descendre. Les rochers seront bien dégagés, cela rendra notre avance plus facile. » Tom bâilla. Il se sentait les membres raides. Et entreprendre la longue descente de la falaise ne lui disait rien. Hélas ! Il ne pouvait reculer. Andy commença ce qu'il appelait la « désescalade ». Tom le suivit. Quand les deux amis atteignirent enfin le pied de la falaise, Andy tourna immédiatement sur la gauche et se mit à avancer parmi les rochers découverts par la marée. Les pierres humides étaient rendues glissantes par les algues qui les tapissaient, mais Andy et Tom avaient le pied sûr et progressèrent assez vite. Après avoir contourné un pan de falaise, ils se trouvèrent devant un nouvel amoncellement de rochers. Quelque part, caché dans une anfractuosité de la côte, se 165

trouvait l’Andy. Mais où exactement ? D'où ils étaient, ils ne pouvaient rien voir qui leur fournît une indication. Au bout d'un moment, cependant, Andy remarqua quelque chose: « Regarde ! dit-il en désignant du doigt un étroit chenal reliant la mer à la côte. Regarde, Tom! C'est sûrement par là que les bandits ont emmené le bateau jusqu'à sa cachette. Il faut qu'ils connaissent drôlement bien le coin... et aussi qu'il y ait de sacrés marins parmi eux! » Les deux garçons progressaient lentement parmi les rochers, attentifs à la moindre faille dans la falaise qui aurait pu dissimuler l’Andy. Ils venaient de contourner une avancée rocheuse, très escarpée et aussi haute qu'une cathédrale, quand leur œil surprit un étroit courant d'eau, d'un bleu profond, qui s'enfonçait dans un repli de la falaise. « Nous y sommes ! s'écria Andy, tout joyeux. Voilà la cachette... Heureusement que nous avons pu repérer notre bateau d'en haut ! Nous ne l'aurions jamais retrouvé autrement. » Encore quelques pas et l’Andy fut devant eux ! Les deux amis s'immobilisèrent pour l'admirer. « Quelle chance que ces affreux ne l'aient pas coulé ! s'exclama Tom. — C'est vrai, quelle veine ! avoua Andy. Enfin, je l'ai retrouvé. Pourvu qu'il n'y, ait personne pour le garder ! » Mais l'endroit paraissait désert. On n'entendait rien d'autre que le bruit du vent et le cri des mouettes. La voile, soigneusement roulée, avait été déposée sur le pont. Andy remarqua, avec soulagement, que les avirons, eux aussi, se trouvaient à bord.

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En un clin d'œil, les deux garçons furent sur le pont. Andy examina son domaine. Tout était intact. Les bandits n'avaient rien abîmé. La nuit tombait rapidement. Andy consulta le ciel : « Ce ne serait pas une mauvaise idée de nous mettre en route tout de suite, déclara-t-il. Il fera nuit bien avant

que nous ne soyons arrivés chez nous, mais nous devons en courir le risque en espérant que nous ne heurterons aucun récif. Je connais assez bien le chemin, à présent. » Les deux amis décidèrent de faire sortir l’Andy de son abri en utilisant uniquement les rames : on hisserait la voile dès que l'on atteindrait la mer. Ils s'apprêtèrent à lever l'ancre. A cet instant précis, Andy entendit un bruit qui l'alarma. Posant sa main sur le bras de Tom, il chuchota à l'oreille de-son camarade : « Ecoute ! Tu n'entends rien ? » Tom, tout d'abord, n'entendit que le vent et la mer puis il perçut quelque chose d'autre. « Oh ! répondit-il. J'entends un son... un son régulier... teuf, teuf, teuf... Serait-ce un de leurs canots à moteur ? — Je le crains, soupira Andy. Espérons qu'il ne fera que passer au large. Et dire que nous nous préparions à partir ! Ah ! mon Dieu ! Le bruit se rapproche. Vite, Tom ! Cachons-nous au cas où ils viendraient par ici ! » Les deux amis quittèrent vivement leur bateau, en quête d'une cachette. Ce n'était pas cela qui manquait, parmi les rochers qui les entouraient. Les garçons grimpèrent rapidement jusqu'à un gros rocher repéré par Andy, non loin de leur bateau. Ils s'accroupirent derrière et attendirent. Soudain, Andy agrippa le bras de Tom. « Les voilà ! souffla-t-il. Regarde ! Ils viennent de déboucher dans la crique et s'approchent de l'Andy. Quel dommage qu'il fasse si sombre ! Je ne distingue pas qui est à bord ! »

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Le canot à moteur, poursuivant sa route, vint se ranger contre le flanc de l'Andy. Un homme sauta à bord du bateau de pêche et en interpella un autre. « C'est Balafré ! chuchota Tom. Je crois que l'autre est Stumpy. Que diable fabriquent-ils ? » Une lampe venait de s'allumer sur le canot à moteur, une autre sur l'Andy. Balafré et Stumpy s'activaient à Balafré et Stumpy s'activaient à quelque mystérieuse besogne. —>

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quelque mystérieuse besogne. Dans le crépuscule de plus en plus dense, il était malaisé de voir ce qu'ils faisaient. « On dirait qu'ils transbordent quelque chose, murmura Andy. Mais quoi ? c'est ce que j'aimerais savoir ! Tout ça est bien bizarre ! » Les bandits continuaient leur mystérieuse besogne. Soudain, Andy reconnut un des plus gros objets et réprima une exclamation. « Tom ! C'est notre poêle à pétrole. La lumière de cette lampe l'éclairé en plein. Ils le replacent à bord de l’Andy ! » Les deux garçons demeurèrent un long moment silencieux. La même pensée leur était venue à l'esprit. Le poêle se trouvait au fond de leur abri, sur le Roc des Contrebandiers. Si les gredins rapportaient leurs affaires, qu'était-il arrivé à Jill et à Mary ? Les hommes avaient dû grimper jusqu'à leur refuge, découvrir que les garçons avaient disparu et que seules les filles étaient restées. Que s'était-il passé alors ? Où se trouvaient actuellement les jumelles ? Andy et Tom étaient torturés par l'angoisse. Les deux bandits continuèrent à travailler dur un bon moment encore, puis s'arrêtèrent. Sans doute le transbordement était-il terminé. La lumière, à bord de l’Andy, s'éteignit. Balafré et Stumpy se retirèrent dans leur canot, s'y assirent et allumèrent des cigarettes. « Est-ce qu'ils vont rester là toute la nuit ? chuchota Tom, effrayé. Dans ce cas, nous ne pourrons pas partir ! — Impossible de bouger jusqu'à ce qu'ils s'en aillent. Leur canot bloque l’Andy. Quel malheur de n'avoir pu filer plus tôt ! — Ils se seraient aperçus de notre fuite et nous auraient poursuivis, répliqua Tom. Mieux vaut encore qu'ils ne nous aient pas repérés. Mais quand donc s'en iront-ils ? Si seulement nous étions rassurés sur le sort de Jill et de Mary ! » Quand les deux hommes eurent terminé leurs cigarettes,

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ils se levèrent. Ils n'avaient apparemment pas grand-chose à se dire et se contentaient d'échanger, par-ci, par-là, des remarques insignifiantes. Andy se demanda si Balafré était toujours fâché contre Stumpy qu'il soupçonnait de lui voler sa nourriture. Au bout d'un moment, le balafré se leva. « Allons voir le chef ! proposa-t-il. Peut-être a-t-on enfin mis la main sur ces maudits garçons ? Heureusement que nous tenons les filles ! Cela nous servira de monnaie d'échange. Excellents otages que nous avons là ! » Les deux hommes sautèrent sur un rebord rocheux et se mirent à grimper. Andy et Tom ne purent voir de quel côté ils se dirigeaient, car il faisait déjà presque nuit. « II doit y avoir par là-haut une autre entrée permettant de s'enfoncer à l'intérieur de la Falaise aux Oiseaux, murmura Andy à l'oreille de Tom. Je me demande qui est le chef dont parlent ces individus. Peut-être le type à lunettes que tu as vu une fois dans la caverne garde-manger en compagnie du balafré ! Bon sang ! j'ai bien envie de prendre leur canot à moteur et de retourner au village avec. Je sais conduire ces engins-là ! » Tom, que lé vent du soir commençait à faire frissonner, trouva la proposition fort séduisante. « Prendre leur bateau, Andy ? Tu oserais ? »

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CHAPITRE

XXIII

Qui est dans la cabine ? A présent, il faisait nuit noire. Des étoiles brillaient mais leur clarté était si faible que, dans cette crique encaissée, on n'y voyait goutte. Tout juste si, à bord du canot à moteur, la lampe permettait d'en distinguer le pont. Andy n'entendit plus les hommes. Ils étaient partis... mais pour combien de temps ? Si le jeune pêcheur voulait mettre son plan à exécution, il ne devait pas perdre une minute. Les deux garçons quittèrent donc leur cachette pour descendre jusqu'au canot à moteur parfaitement immobile sur les eaux calmes de la crique. Tom et Andy montèrent à bord et l'examinèrent.

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Ce fut au moment où ils cherchaient comment le faire démarrer que leur attention fut éveillée par un bruit à l'intérieur de la cabine... On eût dit une sorte de long gémissement. Figés sur place, les deux amis se sentirent pâlir. Ils s'étaient tellement crus seuls à bord ! Ils prêtèrent l'oreille. De nouveau, le bruit se fit entendre. « II y a quelqu'un ici... dans la cabine, souffla Andy à Tom. Nous ferions mieux de filer, et en vitesse. Il ne faut pas qu'on nous trouve ici. Viens vite ! Et en silence ! » Tous deux quittèrent le canot aussi doucement qu'ils le purent et regagnèrent leur cachette, terriblement intrigués. « Qui cela peut-il être ? murmura Tom. On aurait dit quelqu'un de malade ou de blessé. — Qui que ce soit, répondit Andy, il nous empêche de prendre le canot ! — Qu'allons-nous faire ? se désola Tom. Nous ne pouvons pas rester toute la nuit derrière ce rocher ! — Je suppose que les bandits vont revenir, à un moment ou à un autre, répondit Andy. Alors, ils repartiront avec leur canot et nous avec l'Andy. Attendons ! » Les deux garçons s'assirent côte à côte et se préparèrent à patienter aussi longtemps qu'il le faudrait. Soudain, Tom se redressa. « Tu entends ? » Le lointain gémissement montait jusqu'à eux. Puis d'autres bruits suivirent. Quelqu'un frappait contre la porte de la cabine du canot à moteur. Cela ressemblait à de violents coups de pied. Toute la porte en était ébranlée. Les garçons écoutèrent, plus émus que jamais. Alors, une voix familière résonna à leurs oreilles, voix étouffée, certes, mais parfaitement reconnaissable. « Laissez-moi sortir ! Laissez-moi sortir tout de suite ou je défonce tout à coups de pied ! » Les garçons eurent l'impression que leur cœur bondissait dans leur poitrine. « Jill ! C'est la voix de Jill ! s'écria enfin Andy qui en

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oublia de chuchoter tant son étonnement était profond. Mais qu'est-ce qu'elle fait là ? Vite ! Allons la rejoindre ! » Les deux amis dévalèrent une fois de plus la pente rocheuse, sans se soucier de tomber, tellement était grande leur impatience de rejoindre la petite fille. On la devinait folle de colère à l'intérieur de la cabine. A présent, elle cognait à la porte avec un objet dur... Crac ! boum ! boum ! Andy ne put s'empêcher de sourire. Il avait rarement vu Jill en colère, mais il savait comment elle était dans ces moments-là ! Il se demanda si Mary était avec elle. Si c'était le cas, on ne l'entendait pas ! Andy fut le premier à atterrir sur le pont du canot. Il se précipita vers la cabine. Maintenant, Jill faisait pleuvoir une série de coups interrompus contre la porte et criait si fort qu'elle n'entendit pas Andy qui l'appelait. « Jill ! Jill ! Cesse ce vacarme. Je vais t'ouvrir ! Si tu n'arrêtes pas de donner des coups, tu risques de me blesser quand j'entrerai ! — Andy ! Oh, Andy ! Ouvre vite la porte ! » Andy tourna la clef dans la serrure et tira le verrou. Jill sauta à son cou, puis à celui de Tom, en pleurant de joie. « Je vous croyais perdus à jamais ! expliqua-t-elle entre deux sanglots. Quand nous avons vu que vous ne reveniez pas, nous avons été follement inquiètes. Les bandits nous ont dit que nous ne vous reverrions plus jamais. Nous pensions que vous vous étiez noyés. Oh, Andy ! Oh, Tom ! Rentrons vite à la maison ! — Où est Mary ? demanda Tom. — Dans la cabine... sur cette couchette... là ! répondit Jill. Elle n'arrive pas à se réveiller ! » Andy prit la lanterne sur le pont et éclaira la couchette sur laquelle Mary était allongée. Remarquant que la fillette avait du mal à respirer, il s'inquiéta. « Elle paraît malade. Qu'est-ce qu'elle a ?

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- Je ne sais pas, dit Jill. C'est peut-être ce qu'ils nous ont donné à boire qui nous a fait dormir si vite. Je me suis débrouillée pour ne pas tout boire. Mais Mary a vidé son quart. Nous nous sommes endormies aussitôt et je ne sais pas ce qui s'est passé depuis. Je me sens affreusement barbouillée. — Tu as sans doute encore beaucoup de choses à nous apprendre, dit Andy, et nous en avons quantité d'autres à te raconter, mais ne perdons pas de temps. Ces bandits peuvent revenir à tout moment. — Tu as raison, approuva Tom. Profitons de la chance qui s'offre à nous de nous échapper. Mais, Andy, il faut leur apprendre... — Bien sûr ! Sache donc, ma petite Jill, que notre bateau n'a pas été coulé ! Il est juste à côté de celui où nous sommes, avec sa voile, ses avirons et tout le reste ! Les bandits ont dû le conduire ici pour l'y cacher. Il n'est pas du tout endommagé. Avec Tom, nous pensions l'utiliser pour retourner au village, alerter des secours, quand le balafré et Stumpy sont arrivés, avec ce canot à moteur, nous obligeant à nous cacher. — Oh ! s'exclama Jill tout heureuse. Si tu savais comme je suis contente, Andy ! » Andy rappela à ses amis que Balafré et Stumpy pouvaient revenir à tout moment. « Eh bien, partons donc ! dit tout de suite Jill. Mais comme il fait noir ! Je me demande comment tu vas pouvoir piloter et trouver ta route, Andy ! » • Un sourd grognement les fit tous sursauter. C'était Mary qui se réveillait enfin de son long sommeil et se sentait souffrante. « Tout va bien, Mary, s'écria Jill. Nous allons rentrer chez nous!» Mary, encore à moitié endormie et de plus en plus malade, ne répondit que par un gémissement. « Sortons-la au grand air, conseilla Andy. Elle se sentira mieux. Je la trouve bien pâle ! »

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Les deux garçons aidèrent la pauvre Mary, à quitter sa couchette. Se tenant à peine debout, elle passa sur le pont où l'air lui rafraîchit le visage. Elle cessa aussitôt de gémir. « Je me sens... un peu mieux... murmura-t-elle d'une voix faible. Tom... Andy... comment êtes-vous ici? Où sommes-nous ? — Nous t'expliquerons ça plus tard, répliqua Andy. Pas le temps maintenant. Je vais faire démarrer le canot et nous allons rentrer chez nous aussi vite que possible. Jill et Tom te raconteront nos aventures en chemin. » Andy essaya de lancer le moteur. Hélas ! sans succès. Le pauvre en aurait pleuré ! « Que se passe-t-il ? demanda Tom. Laisse-moi essayer ! » Mais ils eurent beau essayer les uns après les autres, le moteur refusait de tourner. Pour quelle raison ? Ils n'auraient su le dire. Cette immobilité était d'autant plus grave qu'il était impossible de partir à bord de l'Andy : le canot se trouvait entre lui et la sortie ! « Attention ! jeta soudain Tom. Voilà les bandits qui reviennent ! J'aperçois le bout incandescent de leurs cigarettes ! » Les quatre enfants levèrent les yeux. Hélas ! Tom ne s'était pas trompé. Deux personnes, dont on voyait les cigarettes rougeoyer, descendaient effectivement de la falaise en direction de la crique. Ce devait être Balafré et Stumpy. Quel malheur ! « Quittons vite le canot ! chuchota Andy en tendant à Jill et à Mary une main secourable. Referme la porte de la cabine à clef, Tom ! Nous aurons peut-être la chance que les hommes s'en aillent sans contrôler si leurs prisonnières sont toujours à bord. Et s'ils partent, nous filerons avec l'Andy. Vite ! » Tom s'empressa de refermer la porte de la cabine, et de rejoindre les autres derrière le gros rocher. Balafré et Stumpy arrivaient. Ils sautèrent dans leur

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canot. Les fugitifs retinrent leur souffle. Les bandits allaient-ils pouvoir démarrer ? Quitteraient-ils enfin les lieux ? La voix de Stumpy leur parvint : « Les filles vont bien, Balafré ? A l'heure qu'il est, elles devraient s'être réveillées. J'espère que le somnifère n'était pas trop fort. Curieux qu'on ne les entende pas remuer ! - Bah ! Laisse-les donc dormir ! riposta la voix érail-lée du Balafré. Qu'importé si j'ai un peu trop forcé la dose ! Tant qu'elles dormiront, elles ne nous ennuieront pas ! — Bon, bon, grommela Stumpy. En attendant portons-les sur leur bateau. » II s'approcha de la cabine pour en déverrouiller la porte. « Hé, Balafré ! cria-t-il. Apporte-moi la lampe ! » II y eut un moment de silence tandis que, lampe en main, il jetait un coup d'œil à l'intérieur de la cabine. Et puis, brusquement, les enfants l'entendirent pousser un véritable rugissement : « Nom d'un chien ! Il n'y a plus personne ! Les gamines ont disparu ! »

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CHAPITRE XXIV Andy a une idée En découvrant que leurs prisonnières s'étaient envolées, Balafré et Stumpy manifestèrent un étonnement sans bornes ! « Mais comment est-ce possible ? La porte était fermée et verrouillée de l'extérieur ! - Nous les avons déposées ici alors qu'elles dormaient profondément. Je les ai regardées juste avant de sortir, puis j'ai tout bouclé derrière moi ! — Que diable sont-elles devenues ? La cabine était pourtant bien fermée à clef mais les oiseaux ont quitté la cage. Je n'aime pas ça! — Et si quelqu'un était venu délivrer les gamines, puis

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avait refermé la porte ? » suggéra Balafré de sa voix rauque. Il y eut un silence, puis Stumpy répondit : « Possible... mais qui serait venu ici au milieu de la nuit... dans un endroit aussi isolé ?... 11 y a quelque chose de pas normal dans cette histoire. Allons en parler au chef. — Vas-y si tu veux, répliqua aussitôt Balafré. Moi, je ne m'en charge pas. Imagine sa réaction en apprenant que ses deux précieux otages ont disparu ! Mieux vaut retrouver ces filles nous-mêmes ! Elles ne peuvent pas être bien loin ! — Heu... Tu as raison, approuva Stumpy. Leur bateau est toujours là. Je ne les vois pas gagner la mer à la nage ni même escalader cette falaise, au risque de se rompre le cou. Non, elles ne doivent pas être très loin ! - Commençons par fouiller le bateau de pêche. Quelle bêtise de ne pas les y avoir portées directement ! — Si elles sont capables de passer à travers notre porte fermée à clef et verrouillée, dit Stumpy, elles sont tout aussi capables de passer à travers celle de leur cabine personnelle. Allons, viens ! Tu vois bien qu'elles ne sont pas ici. Et sans doute pas non plus dans l'autre bateau. — D'accord ! Ne perdons pas de temps ! Prenons nos lampes électriques et fouillons les rochers alentour ! » Dans leur cachette, les quatre amis se mirent à trembler. Balafré et Stumpy étaient des hommes rudes que la colère rendait plus redoutables encore. Andy réfléchit. Que pouvait-il imaginer pour empêcher les bandits de leur donner la chasse ? Soudain, il eut une idée ! Il franchit en silence les quelques mètres qui le séparaient du bord de l'eau et, se baissant, tâtonna à la recherche d'une grosse pierre ou d'un morceau de roche. Ayant trouvé ce qu'il voulait, il se redressa. Dans l'obscurité, il localisa de son mieux l'Andy puis, ajustant son tir, lança sa pierre aussi fort qu'il le put en direction du bateau. Le projectile tomba sur le pont avec fracas.

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Tom, Jill et Mary sursautèrent violemment. Ils n'avaient pas vu le geste d'Andy. Mais Balafré et Stumpy sursautèrent plus violemment encore ! « Bon sang ! Tu as entendu ? fit la voix du balafré. Qu'est-ce que ça peut être ? Ça venait du bateau de pêche !... Parbleu ! C'est là que nos gamines se sont réfugiées ! Suis-moi ! Nous allons les attraper en moins de deux ! » Ne songeant plus à fouiller les rochers, les deux bandits se précipitèrent vers l'Andy. Ils grimpèrent à bord... suivis par Andy, plus silencieux qu'un chat. Il avait conçu un plan des plus hardis. S'éclairant de leurs lampes, les bandits commencèrent par soulever la voile sur le pont. Rien dessous, bien entendu ! « Elles sont dans la cabine, dit Balafré. Je vais te les secouer quand je les tiendrai, ces petites pestes ! » II ouvrit la porte- et se rua dans la petite cabine. Stumpy, demeuré debout à l'entrée se pencha un peu pour mieux voir. Soudain, il éprouva la plus grosse surprise de sa vie ! Quelque chose le frappa violemment dans le dos et lui fit perdre l'équilibre. Poussant un cri, il dégringola dans la cabine, la tête la première. Il atterrit sur la tête de Balafré aussi étonné que lui, le renversa et le projeta contre la table à laquelle il se cogna le crâne. Dans sa chute, Balafré lâcha sa torche qui se brisa. Le balafré, croyant qu'un ennemi inconnu lui était tombé dessus, frappa Stumpy qui, épouvanté, tentait en vain de l'arrêter. Sous l'empire de la colère et de la peur, Balafré semblait avoir perdu l'esprit. Les deux hommes en vinrent donc à se battre, criant et beuglant de la pire façon. Le jeune pêcheur referma avec soin le panneau et le verrouilla. Au bruit, les deux hommes levèrent la tête et cessèrent de lutter. De leur cachette, Tom et ses sœurs avaient entendu le vacarme. Affolée, Jill demanda tout bas :

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« Que se passe-t-il ? J'aimerais bien le savoir... » Presque aussitôt, la voix triomphante d'Andy leur parvint à travers les ténèbres : « Tom ! Jill ! Mary ! Tout va bien de votre côté ? — Oh, oui, Andy ! répondit Tom. Mais que signifient ces cris et tout ce bruit ? » Le garçon était tout heureux d'entendre la voix de son ami, mais il était très surpris aussi : c'est qu'il ne l'avait pas entendu s'éloigner et ignorait tout de ses mouvements. « Venez me rejoindre ! cria Andy. Le balafré est descendu dans la cabine de notre bateau et j'ai envoyé Stumpy l'y rejoindre. Le balafré n'a pas apprécié de le recevoir sur la tête... et l'a accueilli à coups de poing. Après quoi, il se sont battus comme des chiffonniers. Pour finir, je les ai enfermés. Pas de danger qu'ils s'échappent ! » Tom et les jumelles se précipitèrent vers Andy en poussant des cris de joie. « Andy ! Tu les as faits prisonniers ! s'exclama Tom, ravi. Ça, c'est du bon, du très bon travail ! » Bientôt, les quatre amis se retrouvèrent à bord de l'Andy. Le jeune pêcheur, tout fier, raconta en détail aux autres comment il avait conçu son projet et comment il l'avait mis à exécution. A présent, leurs ennemis étaient à leur merci ! Cela semblait presque trop beau pour être vrai ! Balafré et Stumpy, ayant enfin compris qu'ils se rossaient mutuellement, s'unissaient maintenant pour forcer la porte de la cabine. « Vous n'y arriverez jamais ! leur cria Andy à travers le panneau. Elle est solide ; si vous pouviez voir la taille des verrous ! Mais si cela vous chante, continuez à faire du bruit. Ça vous aidera à passer le temps ! » Et il ajouta pour son camarade : « A mon avis, plus personne ne viendra cette nuit dans la crique. Nous pouvons donc laisser nos gaillards crier tant qu'ils voudront. Dès l'aube, nous pousserons le canot à moteur hors de la crique pour permettre à notre bateau de sortir. Et nous partirons avec l'Andy !

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— Tu veux dire que nous rentrerons au village avec Balafré et Stumpy à bord ? demanda Tom en ouvrant des yeux ronds. — Certainement ! Ils nous suivront, bon gré mal gré, déclara Andy avec un large sourire. Deux gentils prisonniers qui auront quantité de choses à expliquer à quantité de gens, une fois que nous serons de retour chez nous ! — Si tu savais combien j'ai hâte de me retrouver à la maison ! » soupira Jill. Les autres n'étaient pas moins impatients qu'elle. Sagement, Andy décréta un repos général jusqu'à l'aube. Mais Jill protesta : « Oh, Andy ! J'en ai assez de dormir ! Ne pouvons-nous parler un peu ? Je voudrais tout savoir de vos aventures, à Tom et à toi. Et j'aimerais aussi vous raconter en détail ce qui nous est arrivé. — Bon, entendu ! dit Andy. Bavardons ! Mais allons d'abord nous réfugier dans la cabine du canot ! Il commence à faire froid ici. » Les quatre amis se rendirent donc à bord du canot des bandits et prirent place sur les deux couchettes de la cabine, après avoir allumé la lampe. « Pour commencer, Jill, raconte-nous donc ce qui s'est passé juste après notre départ ! demanda Tom. — Eh bien, quand vous êtes partis tous deux pour suivre la piste des coquillages, ni Mary ni moi nous ne vous avons entendus. Nous n'avons fait qu'un somme jusqu'au matin. Alors, nous nous sommes rappelé ce que vous étiez convenus de faire, bien sûr, et nous avons attendu votre retour en espérant que vous n'en auriez pas pour longtemps. Nous avons pris notre petit déjeuner, puis nous sommes sorties de la grotte pour vous guetter. — Mais nous avions beau attendre, enchaîna Mary, vous ne reveniez toujours pas. Alors, nous avons perdu patience et décidé de suivre nous-mêmes la piste des coquillages afin de vous retrouver ! Nous avons marché longtemps et puis, brusquement, la piste s'est arrêtée net juste devant une paroi rocheuse. Avant que nous ayons pu comprendre pourquoi la roche s'est ouverte !

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— Mon Dieu ! dit Andy. Vous avez dû avoir peur ! - Drôlement, oui ! avoua Jill. Nous avons pris la fuite et l'homme à la balafre s'est lancé à notre poursuite. Nous sommes arrivées à la grotte avant lui, mais il nous a crié de sortir. — Et nous avons bien été forcées d'obéir, soupira Mary, car il menaçait de nous enfumer de nouveau. Il croyait que vous vous trouviez avec nous, et voulait que vous sortiez aussi. Comme rien ne venait, il a rampé dans la grotte... et l'a trouvée vide ! — Qu'a-t-il fait, alors ? questionna Andy, intéressé. — Il est tombé dans une colère horrible et a essayé de nous faire dire où vous étiez, expliqua Mary. Il s'est mis à fouiner partout, toujours sans vous trouver, bien sûr'! Alors d'autres bandits sont arrivés et ils ont tenu conseil, mais assez loin de nous. Nous n'avons pas pu entendre ce qu'ils disaient. — A la fin, continua Jill, ils ont envoyé le balafré dans la grotte, d'où il a sorti toutes nos affaires. Puis, on nous a bandé les yeux pour nous ramener à la caverne qui nous avait déjà servi de prison. On nous y a laissées sans rien à manger ni à boire. Le balafré a alors reparu... — Et nous pensons qu'il nous a donné à boire un somnifère quelconque, ajouta Mary, parce que, après avoir bu, nous avons été incapables de garder les yeux ouverts. — Les brutes ! lança Andy, furieux. Ils n'ont pas hésité à vous droguer ! Quelle chance que nous ayons pu leur échapper et vous délivrer ! — Une vraie chance ! renchérit Jill. Et maintenant, à vous de nous raconter par quel miracle vous vous êtes trouvés ici juste à temps pour nous porter secours ! Vas-y, Andy ! Nous t'écoutons ! » Andy et Tom relatèrent donc à leur tour leurs aventures. Quand ils eurent fini, l'aube commençait juste à poindre. Il était temps de passer de nouveau à l'action ! Avec un peu de chance, les quatre amis pourraient être de retour chez eux le jour même. Et alors, quelle serait la stupéfaction de leurs parents qui se tracassaient tant à leur sujet !

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CHAPITRE XXV Départ à l'aube /V présent, les enfants avaient autre chose à faire qu'à parler. Le jour commençait à filtrer dans l'étroite crique en retrait. Il y avait juste assez de lumière pour y voir. Une fois de plus, les garçons essayèrent de faire démarrer le canot à moteur. Toujours en vain ! « Détachons son amarre et poussons-le ! ordonna Andy. Il ne peut plus longtemps barrer le passage à notre bateau. La marée descend et l'entraînera peut-être ! »

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Ils dénouèrent donc la haussière qui reliait l'embarcation à un rocher. Puis, tous ensemble, les quatre amis poussèrent. Le canot s'éloigna des rochers et glissa vers le milieu de la passe. « Le voilà parti ! s'écria Jill. Il se dirige vers la mer de luimême. — Parfait ! déclara Andy. Et d'un ! Il s'agit maintenant de faire sortir L’Andy ! Servons-nous uniquement des avirons. Nous ne hisserons la voile qu'une fois dehors ! » Un vacarme se fit entendre, venant de la cabine. Apparemment, le balafré et Stumpy devinaient que quelque chose se préparait. Ils frappaient de toutes leurs forces contre la porte verrouillée. Mais la porte était solide et le verrou aussi. Ils en furent pour leur peine. « Faites autant de bruit qu'il vous plaira f leur lança gaiement Andy. Ça n'a aucune importance ! A propos, nous avons détaché votre canot à moteur. J'espère pour vous qu'il n'ira pas se briser sur les rochers. La mer sera assez grosse aujourd'hui, avec ce vent qui souffle! » Une volée d'horribles menaces sortit de la cabine, mais les enfants ne firent qu'en rire. Andy regarda sa montre et, devinant que tous avaient besoin de reprendre des forces, calcula qu'on prendrait dix minutes — mais dix minutes seulement — pour manger. Ce fut un repas très joyeux, auquel firent honneur Jill et Mary qui se sentaient maintenant complètement remises. Sitôt après, on partit. Les garçons, maniant les rames avec dextérité, firent sortir leur bateau de la petite crique. Dès qu'il se retrouva en mer, de grosses vagues l'assaillirent : Tom et Andy surent les éviter au mieux. Le bateau suivit alors l'étroit chenal. « Nous allons contourner cet endroit plein d'écueils, expliqua Andy, puis nous rejoindrons le grand chenal que nous connaissons et qui débouche en pleine mer. Après quoi, il ne nous restera plus qu'à mettre le cap droit sur notre village ! » Les enfants n'avaient plus qu'une crainte : être aperçus par les contrebandiers qui devaient surveiller la mer.

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« II ne fait pas encore vraiment jour, fit remarquer Andy. Et s'ils guettent le retour de mon père et des autres pêcheurs, ils savent bien que leur flottille ne peut s'aventurer

par ici qu'en plein jour,.. Nous avons donc une chance de passer inaperçus ! » L'Andy était durement secoué par les vagues. Le vent soufflait de plus en plus fort, faisant voltiger les cheveux des jeunes passagers. « Tom ! prends les rames et veille à bien éviter les écueils, dit Andy. Moi, je vais hisser la voile. Jill, tiens la barre un instant, veux-tu ? Parfait. Continue dans cette direction ! » Andy était sur le point de hisser la voile quand un cri de Mary le fit se retourner : « Oh ! Regardez ! le canot à moteur des bandits va se fracasser sur les rochers ! Là-bas ! Vous le voyez ? » Tous regardèrent. Mary avait bien vu. Sans personne pour le piloter, l'embarcation des bandits, poussée par les vagues, venait de heurter les brisants. On entendit un craquement épouvantable. Le visage des enfants devint grave, presque solennel. Il n'était guère agréable d'assister à la fin tragique d'un bateau ! « Ne regardons plus ! dit Tom. J'ai trop de peine à voir les vagues écrabouiller un joli bateau comme ça. Le pauvre ! Il a déjà un gros trou dans sa coque. Et quand la marée l'arrachera à ces récifs, il se remplira d'eau en un rien de temps et coulera ! — Ça fera un moyen de locomotion en moins pour les contrebandiers ! » fit remarquer Andy. Et là-dessus il hissa la voile. Le vent la gonfla aussitôt. Elle claqua joyeusement. Andy reprit la barre à Jill. « Tu peux rentrer les avirons, Tom, dit-il. Nous n'en avons plus besoin. Le vent se charge de nous faire avancer ! » C'était bon de sentir le voilier bondir à nouveau sur les flots.

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« Je crois que s'il pouvait chanter, il le ferait, dit Mary. Et je ne suis pas sûre que, quand la voile claque, il ne le fasse pas ! » Cette pensée poétique fut troublée par un bruit qui, lui,

était des plus prosaïques. Les enfants écoutèrent, essayant de comprendre ce que disait la voix éraillée du balafré que couvrait le bruit des vagues et du vent. A la fin, Tom comprit. « Nos amis, expliqua-tril avec un large sourire, se plaignent de manquer d'air, là en bas. Ils ont le mal de mer ! » Jill alla placer sa bouche à la hauteur de la serrure de la cabine et cria : « Vous nous avez rendues malades, ma sœur et moi, avec votre horrible somnifère. C'est maintenant à votre tour. Nous ne vous laisserons pas sortir ! — Je pense bien ! s'écria Andy avec conviction tout en pilotant adroitement dans le grand chenal. Ces deux zèbres auraient tôt fait de nous réduire à leur merci. Et alors, demi-tour pour le Roc des Contrebandiers ! Belle perspective ! Est-ce que ces messieurs nous prennent pour des imbéciles ? » Balafré et Stumpy comprirent sans doute qu'il n'y avait rien à espérer des enfants car ils finirent par se taire. Nos quatre amis ne se soucièrent plus d'eux. Le bateau filait à bonne vitesse. Tous savouraient le plaisir de chevaucher les vagues écumeuses. Andy était radieux. « Cher vieil Andy ! pensait Jill en le regardant. Il a retrouvé son bateau et le voilà de nouveau heureux. Bien sûr, le bateau est un peu à nous aussi, mais c'est vraiment Andy son patron ! » A présent, le voilier, en pleine mer, donnait son maximum de vitesse. Il semblait voler par-dessus les flots. « A cette allure, cria Andy dans le vent, nous arriverons vers onze heures ! » 187

II ne se trompait pas... Il était à peine plus de onze heures quand les enfants aperçurent le village. Leur voile rouge n'était encore qu'un point sur l'eau bleue. Les quatre amis scrutaient la côte. La mère de Tom et des jumelles serait-elle là ? Et le père d'Andy ? Non, bien sûr ! Car comment auraient-ils pu se

douter que les jeunes navigateurs reparaîtraient à ce moment précis ? Et pourtant... ils étaient bel et bien là ! Quelqu'un avait reconnu l'Andy de loin et la nouvelle avait fait le tour du village en un clin d'œil ! « L'Andy est de retour ! Le voilà qui arrive ! Espérons que les enfants sont tous sains et saufs ! » La première prévenue fut la mère de Tom, Jill et Mary. Elle se précipita sur la jetée. Le père d'Andy vint l'y rejoindre. Ses yeux bleus surveillaient l'approche du bateau. Une clameur monta soudain de la foule : « Ils sont tous sur le pont ! Tous les quatre ! Les voilà sains et saufs ! Dieu soit loué ! » Le père d'Andy se tourna vers la mère des enfants. « Voilà vos petits qui reviennent, madame, dit-il, rayonnant de joie. Je savais bien qu'ils étaient en sécurité avec mon Andy ! Regardez-les qui agitent la main dans notre direction ! » Des mains amicales se tendirent vers l'Andy pour l'aider à accoster la jetée. Tom, Jill et Mary en jaillirent comme des diables et coururent se jeter dans les bras de leur mère. Andy reçut l'accolade de son père, puis montra du doigt son bateau : « Nous ramenons deux prisonniers, papa. Ce sont de dangereux bandits, qui demandent à être surveillés de près. Nous les avons enfermés dans la cabine. » Tout le monde resta bouche bée. Puis le père du jeune garçon posa quelques questions auxquelles Andy répondit rapidement. Alors, 188

trois des pêcheurs qui avaient écouté se dirigèrent d'un air déterminé vers l'Andy. C'étaient des hommes aux larges épaules. Ils déverrouillèrent la cabine du petit voilier... Balafré et Stumpy en sortirent : ils étaient verts ! Des mains rudes s'emparèrent d'eux et les poussèrent sur la jetée. « Il faut appeler la police, papa, dit Andy. Ils se passe des choses plus que louches sur la Falaise aux Oiseaux et au Roc des Contrebandiers. Nous y avons découvert un

grand nombre de caisses pleines d'armes et de munitions. Un véritable arsenal secret ! » Les pêcheurs sifflèrent d'étonnement et se regardèrent. L'un deux partit immédiatement à la recherche de l'agent de police local. L'affaire semblait passionnante. « J'ai joliment faim ! » déclara soudain Tom. Jill et Mary se mirent à rire. C'était bien de Tom ! Parler nourriture au milieu de l'émotion générale ! « Venez ! dit sa mère. Je vais vous servir un bon repas ! Si vous saviez comme je suis heureuse de vous retrouver ! Vous ne pouvez vous imaginer à quel point je me suis tracassée ! Le père et l'oncle d'Andy, ainsi que plusieurs autres de leurs amis pêcheurs, sont partis à votre recherche... mais on n'a jamais trouvé aucune trace de vous ni de votre bateau ! J'ai hâte de savoir ce qui vous est arrivé ! » Andy et son père furent invités à se joindre au petit groupe. On laissa Balafré et Stumpy à la garde des pêcheurs, dans l'attente de l'agent de police. Pendant qu'Andy et ses amis festoyaient gaiement, les événements suivaient leur cours. L'agent de police local, ayant décidé que la curieuse affaire dénichée par les enfants dépassait sa compétence, avait téléphoné à ses supérieurs de la ville voisine. L'inspecteur qui, au bout du fil, écouta ses explications ne put cacher sa surprise. Oui, très certainement, il s'agissait d'une très, très grosse affaire. Après avoir pris des notes, il téléphona à son tour à ses supérieurs hiérarchiques. 189

Bientôt des messages furent envoyés dans toutes les directions, transmettant nouvelles et ordres. Balafré et Stumpy, emmenés en prison et espérant s'attirer l'indulgence de la police en trahissant leurs complices, révélèrent tous les secrets de celui qu'ils appelaient le Chef. Ignorants de ce qui se passait, les enfants, pendant ce temps, riaient et bavardaient. Ils passèrent une bonne

partie de l'après-midi à raconter leurs aventures en détail. Ils étaient maintenant si heureux qu'ils oubliaient leurs malheurs et leurs craintes passées. « Quand les choses finissent bien, déclara Tom en conclusion, rien d'autre ne paraît avoir d'importance. Tout de même, maman, je me demande ce qui va arriver à tous ces contrebandiers ! »

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CHAPITRE XXV Le chef mystérieux

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En fin d'après-midi, juste comme les enfants achevaient de raconter leur aventure, une grosse voiture aux chromes étincelants s'arrêta devant la maison. Il en sortit un petit homme tiré à quatre épingles, dont le regard pétillant d'intelligence se posa tour à tour sur les quatre héros du jour. « Vous ne me connaissez pas, commença-t-il, mais sachez que je suis chargé de débrouiller des affaires très importantes. Je désire vous poser quelques questions. Je m'appelle le colonel Knox. Le père d'Andy m'a rapporté le plus gros de votre histoire. Maintenant, je veux savoir ceci : l'un de vous a-t-il vu l'homme que Balafré et Stumpy appellent le Chef ? — Eh bien, répondit Tom d'une voix hésitante, j'ai aperçu un jour, dans la caverne aux provisions, un homme qui parlait avec Stumpy. Il était vêtu comme un pêcheur, mais portait des lunettes. J'ignore s'il s'agissait du Chef. — Non, ce n'était pas lui ! trancha le colonel. Stumpy nous a renseignés au sujet de cet individu qui n'est qu'un simple comparse. Nous espérons le pincer demain, avec les autres. — Que vous proposez-vous de faire ? demanda Tom, dévoré de curiosité. — Nous allons cerner les contrebandiers et leurs bateaux, expliqua le colonel Knox, explorer les souterrains et les cavernes, interroger tous les bandits et vérifier leurs dires. Enfin, nous allumerons la lampe-phare qui se trouve au sommet du Roc, afin de repérer les navires qui répondront à ses signaux. Nous pensons ainsi pouvoir arrêter toute la bande. — Pourquoi ces contrebandiers font-ils passer des armes en fraude ? demanda Jill. — Ils sont en relation avec certains Etats ou du moins certaines personnes voulant fomenter des troubles, expliqua le colonel. Les armes que vous avez découvertes proviennent d'un pays lointain. Ces bandits les entreposent dans leurs cavernes après les avoir fait venir en secret. Comme vous pouvez l'imaginer, ces armes se vendent très cher. Les contrebandiers — des ressortissants de notre pays pour la plupart, j'ai le regret de le dire ! — agissent comme intermédiaires. En d'autres 192

termes, ils achètent à bas prix d'une part et revendent très cher de l'autre, se constituant ainsi une véritable fortune. — Oh !» firent les enfants, sidérés. Andy réfléchit un instant. « L'homme sur qui vous êtes le plus désireux de mettre la main, c'est celui qu'on appelle le Chef ? — Oui. Les autres ne sont que des sous-fifres. Lui, c'est le Cerveau qui dirige tout. Voilà longtemps que nous soupçonnions cette affaire. Malheureusement, nous n'avons pas

réussi à savoir comment la marchandise était introduite dans notre pays, ni où elle était entreposée, ni, surtout, quel était le personnage qui tirait les ficelles de l'organisation. — Si vous n'arrivez pas à le pincer, dit Tom, sans doute recommencera-t-il ailleurs son fructueux commerce ? Oh ! Comme j'aimerais pouvoir vous aider ! Balafré et Stumpy ne savent-ils donc rien de lui ? — Non !... Seulement qu'il s'agit d'un homme de haute taille. Mais il portait toujours un masque quand il rendait visite à ses complices. — Ils pensent qu'il habite la grande ville voisine. Cela lui permet de se rendre à la Falaise aux Oiseaux sans perdre de temps, chaque fois que la chose est nécessaire. L'ennui, c'est que cette ville compte environ cinquante mille habitants. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin ! — Je comprends, murmura Andy. J'espère que vous le pincerez! Tout de même, c'est une chance que nous soyons tombés par hasard sur ce repaire de brigands ! — Un merveilleux hasard ! renchérit le colonel Knox. Quelle idée astucieuse ! Abriter leur flottille dans une rade secrète ! Utiliser une grosse lampe au sommet du Roc pour faire des signaux à leurs complices en mer ! Et entasser leurs marchandises dans des cavernes cachées au creux d'une falaise et d'une, île sur lesquelles personne ne vient jamais. 193

— Comment le Chef se débrouille-t-il, demanda Andy, pour faire sortir ses marchandises de la Falaise aux Oiseaux et du Roc des Contrebandiers ? Cela m'intrigue. — Sans en être encore bien certains, répondit le colonel, nous pensons qu'il existe un autre souterrain qui, partant de la Falaise, aboutit à un terrain plat où des avions peuvent facilement venir se poser. C'est certainement de cette manière que le Chef évacue ses armes. — Quelle organisation ! s'exclama Tom. Je m'étonne qu'ils ne nous aient pas mieux gardés !

- C'est qu'ils ne savaient pas à quels malins débrouillards ils avaient affaire ! répliqua le colonel Knox en riant. Mais si vous autres, les garçons, vous vous étiez échappés seuls pour rapporter votre histoire, ils n'auraient pas hésité à se servir des filles comme moyen de pression. — Quel dommage que nous n'ayons pas vu le Chef! soupira Tom. — Oui, c'est regrettable ! dit le colonel. Allons, je suis fier de vous avoir rencontrés tous les quatre. Vous êtes de braves enfants ! Je dois m'en aller à présent... mais venez déjeuner demain avec moi. Je vous offrirai un petit festin. Est-ce que cela vous tente ? — Oh, oui ! s'écrièrent les quatre amis en chœur. — J'enverrai ma voiture vous chercher ! » promit le colonel en se levant. Tous le raccompagnèrent à sa voiture et le quittèrent avec de grandes démonstrations d'amitié. Le lendemain, le chauffeur du colonel vint chercher les enfants. Tout fiers, ils montèrent dans la magnifique voiture et filèrent à bonne vitesse vers la ville voisine. Le chauffeur les arrêta devant un grand restaurant où ils furent accueillis par le colonel lui-même. Quel honneur-de s'asseoir à sa table! Et quand Tom eut parcouru des yeux le menu qu'on lui tendait, il se tourna, stupéfait, vers leur hôte. 194

« Pourrons-nous vraiment choisir parmi toutes ces bonnes choses ? demanda-t-il. Regardez ce dessert "Glaces panachées". Pourrons-nous commander de la vanille, de la fraise et du chocolat mélangés ? — Certainement, répondit le colonel en riant. Et un café liégeois par-dessus le marché ! Allons, installez-vous commodément. Et maintenant, que voulez-vous boire ? De la limonade, de la bière au gingembre ou de l'orangeade ? » Un instant plus tard, les enfants attaquaient le festin de leur vie. Tom, en particulier, paraissait grimpé au

septième, ciel. Il considérait ce repas comme le merveilleux couronnement de leur aventure. Le jeune garçon en était à la moitié de son dessert quand, levant les yeux, il vit un homme s'asseoir à une table voisine. Le nouveau venu était grand et fort, avec des yeux profondément enfoncés dans les orbites et une épaisse chevelure brune. Il salua de loin le colonel Knox. « Qui est-ce ? » demanda Tom à voix basse. Le colonel parut surpris. « Oh ! répondit-il. Une des personnalités de cette ville. Un personnage des plus riches, en fait, bien qu'il n'y paraisse guère si on le juge sur l'apparence. » • Tom regardait l'homme avec curiosité. Non, il ne semblait guère nager dans l'opulence, avec ses vêtements négligés. L'une des manches de sa veste s'effilochait au poignet. Sa chemise - - rouge ! — était ouverte sur sa poitrine et il manquait un bouton sur le devant. Brusquement, Tom devint presque aussi rouge que la chemise de leur voisin. Il se mit à fouiller frénétiquement dans une de ses poches, puis dans l'autre. « Que cherches-tu ? demanda Andy. Et pourquoi parais-tu si ému tout d'un coup ? »

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Tom tira quelque chose de sa poche. Il le passa, par-dessus la table, au colonel Knox qui écarquilla les yeux de surprise. Le brave colonel se demandait si Tom n'était pas devenu fou. « Monsieur, dit Tom dans un murmure. J'ai trouvé ce bouton de chemise, rouge nacré comme vous voyez, dans une caverne de la Falaise aux Oiseaux. Je l'ai retiré ce matin de ma culotte de pêche pour vous le montrer et je l'ai fourré dans celle-ci... Mais j'allais oublier de le faire ! Je n'aurais jamais cru que ce bouton aurait une telle importance. — Comment cela ? demanda le colonel, de plus en plus ahuri. — Eh bien, ce bouton appartient forcément à l'un des hommes qui sont venus dans la caverne. Et je n'en ai vu

aucun avec une chemise rouge. Mais regardez donc l'homme qui vous a salué tout à l'heure... Il porte une chemise rouge, garnie de boutons exactement semblables à celui-ci. Et, par-dessus le marché... un de ces boutons est manquant ! » Le regard du colonel Knox alla du bouton de Tom à l'homme à la chemise rouge. Puis il fourra vivement le petit bouton dans sa poche. « Plus un mot ! ordonna-t-il. Ne regardez même plus dans la direction de notre suspect. Compris ? » Le ton était tellement impérieux que les enfants en furent impressionnés. Obéissants, ils s'absorbèrent dans la dégustation de leurs glaces, évitant de jeter le moindre coup d'œil à l'autre table. De son côté, le colonel redevint l'hôte charmant qu'il était et ne prêta pas davantage attention à leur voisin. Quand, un peu plus tard, le colonel et ses jeunes invités se retrouvèrent dans la rue, le premier s'écria : « Qui sait si ce bouton, jeune Tom, ne va pas résoudre notre problème ! Cet homme, nous ne l'avons jamais suspecté ! Mais il peut très bien être le Chef que nous cherchons. Un point pour vous, mon jeune ami. Ma parole, il va falloir jouer serré. Et surtout, ne pas commettre d'erreur ! » 196

Mais il n'y eut aucune erreur ! Très vite, toute la flottille des bateaux des contrebandiers fut saisie, les équipages emprisonnés, et tous les autres bandits arrêtés dans les différentes cavernes. Les marchandises furent confisquées et l'on arraisonna les navires pourvoyeurs d'armes. Bref, l'organisation entière fut démantelée. Le mystère de la cascade fut éclairci : les bandits réduisaient ou amplifiaient à leur gré son débit, grâce à un ingénieux système qui détournait à volonté le courant dans la rivière souterraine. Quant à l'homme à la Chemise rouge, c'était bien lui le Chef, le cerveau de toute la bande ! Le bouton, minuscule indice trouvé par Tom, avait suffi à le faire

suspecter. Une brève filature avait fait le reste. Le colonel Knox triomphait sur toute la ligne. « Pour vous remercier de votre aide, dit-il à Tom, nous vous offrirons un nouvel appareil photo, aussi beau que l'ancien ! Car c'est grâce à vous que nous avons fait notre plus grosse prise ! Dire que jamais personne n'avait soupçonné ce triste individu ! Il restait dans l'ombre pour mener toute l'affaire. Pas un seul de ses hommes ne l'avait jamais vu à visage découvert. Il avait amassé une fortune colossale dans la contrebande. Mais il devra cesser toute activité pendant de très, très nombreuses années désormais. » Ce soir-là, Tom, Jill et Mary se rendirent sur la jetée pour y attendre Andy qui, avec son père, revenait de la pêche. « C'est fou ce qu'il a pu nous arriver de choses en l'espace d'une semaine ! dit Jill. Ah ! Voici l'Andy ! Vite ! Andy l Dépêche-toi ! Nous t'attendons ! » La mère des enfants les rejoignit pour voir, elle aussi, rentrer la flottille des pêcheurs. Quand Andy sauta sur la jetée, Tom se tourna vers sa mère. « Maman ! s'écria-t-il. Pourrons-nous sortir en bateau avec Andy la semaine prochaine, dès qu'il aura un jour de liberté ? Je connais un coin épatant que j'aimerais visiter... 197

— Certainement pas ! répondit sa mère. Rappelez-vous que j'ai passé des heures et des heures à me faire du souci, sans savoir où vous étiez ! Et tu parles de repartir ! Non, non ! Jamais plus je ne vous permettrai de vous en aller seuls avec Andy ! » Malgré tout, il n'est pas certain qu'elle s'en tienne à sa résolution. Après tout, les quatre amis sont faits pour l'aventure. Alors, il est normal qu'ils en vivent d'autres !

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Enid Blyton

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