Blyton Enid Série Aventure 4 Le mystère du golfe bleu 1948 The Sea of Adventure.doc
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ENID BLYTON
LE MYSTERE DU GOLFE BLEU ILLUSTRATIONS DE JEANNE HIVES
HACHETTE 228 3
Enid BLYTON LE MYSTÈRE DU GOLFE BLEU Qui pouvait prévoir qu'en partant pour la Bretagne, Jacques, Henri, Denise et Lucette s'en allaient vers une aventure extraordinaire? En compagnie de leur grand ami René Marchai, ils ne pensaient qu'à mener une vie joyeuse de vacances, pêcher, se baigner, naviguer à la voile et explorer les petites îles où ne vivent que des oiseaux de mer. Mais les événements se précipitent : tempête, disparition bizarre, allées et venues d'étrangers suspects, et découverte inattendue d'un merveilleux golfe bleu... où l'on trouvera la clef du mystère.
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TABLE 1. Quelle déception! 2. Une visite mystérieuse 3. Le long voyage 4. L'île aux oiseaux 5. En explorant l'île 6. Une nuit mouvementée 7. Une tempête vraiment terrible ! 8. Le lendemain 9. Quelqu'un d'autre vient sur l'île 10. M. Horace Sautelère est scandalisé 11. Le Golfe Secret 12. Une étrange découverte 13. Vers l'île des ennemis 14. La fuite 15. Une nuit de bavardage 16. Ohé! Là-bas! Montrez-vous! » 17. La route du retour
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CHAPITRE PREMIER QUELLE DÉCEPTION! SAVEZ-VOUS que nous sommes déjà le 25 avril? annonça Jacques d'un air sombre. C'est aujourd'hui la rentrée de Pâques. Tous les camarades vont se retrouver en classe et nous n'y serons pas. — C'est à cause de cette maudite rougeole, répondit sa sœur Lucette. Henri ne s'est pas contenté de l'attraper, il nous l'a passée à tous les trois!
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— Heureusement, la quarantaine est maintenant terminée, dit Denise. Mais n'est-il pas curieux que le docteur veuille que nous changions d'air? Moi, je trouve que le retour en classe serait un changement suffisant. J'adore le dernier trimestre... parce que c'est le dernier! — Oui, moi aussi », répliqua Henri tout en essayant sans succès d'aplatir une mèche de cheveux qui se dressait sur son front et lui avait valu le sobriquet de Riquet à la Houppe. Des quatre enfants qui avaient eu la rougeole, Henri avait été le plus malade. Sa sœur Denise avait eu les yeux très fatigués, en partie par sa faute. Elle avait, en effet, désobéi aux ordres du médecin qui interdisait la lecture. Il n'était donc pas question pour elle, pas plus que pour les autres, de retourner en classe. « J'espère que maman n'aura pas l'idée de nous envoyer quelque part au bord de la mer, en compagnie d'une gouvernante, remarqua Denise. Avec le nouveau travail qu'elle entreprend cet été, elle n'aura pas le temps de venir avec nous. — Une gouvernante! s'écria Henri avec horreur. Nous sommes trop grands! Et puis, une gouvernante ne resterait pas avec nous, elle aurait trop peur de Kiki. » « Pauvre Kiki, pauvre Kiki! » cria immédiatement le perroquet, l'ami inséparable de Jacques, en venant se percher sur l'épaule du garçon pour se faire caresser.
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L'oiseau continua à réciter tout son répertoire : « Pauvre Kiki! Ferme la porte!... As-tu bien déjeuné? » « Assez, Kiki! » lui cria son maître en lui donnant un petit coup sur le bec. Mme Lefèvre ouvrit la porte de la chambre. « Faites moins de bruit, mes enfants. — Tante Alice, demanda Jacques, est-ce vrai que vous cherchez une dame pour nous accompagner en vacances? — Que voulez-vous que je fasse d'autre, mes pauvres chéris? Je n'aurai pas le temps de m'occuper de vous moi-même. — Maman, tu n'y penses pas sérieusement, j'espère? questionna Henri, anxieux. Nous sommes assez raisonnables pour passer des vacances sans être surveillés. » Mme Lefèvre réfléchissait. Il ne s'agissait pas seulement de ses propres enfants Henri et Denise", mais aussi de Jacques Tirmont et de sa sœur Lucette, ses neveux, qui habitaient chez elle. « Ah ! dit Jacques avec regret, si seulement René était là! » René Marchal, leur compagnon d'aventures! En pensant à lui, les visages s'éclairaient. Le nom véritable de leur ami était René Plotin, mais, lorsqu'ils avaient fait sa connaissance au cours
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d'une équipée extraordinaire1, René s'était présenté sous le nom de Marchai, et, pour les enfants, il restait toujours René Marchai. « C'est vrai, dit Henri, René nous tirerait d'embarras. — Oui, et il vous entraînerait encore dans d'épouvantables aventures, dit Mme Lefèvre. — Mais, tante Alice, fit remarquer Jacques, c'est nous qui l'avons entraîné la dernière fois. D'ailleurs, nous n'avons plus entendu parler de lui depuis très longtemps. » En effet, René avait disparu. Les lettres des enfants étaient restées sans réponse. Chez lui, on ignorait où il était. Cependant personne n'avait l'idée de s'inquiéter. René partait souvent pour des expéditions secrètes et dangereuses. Alors on ne savait plus rien de lui pendant des semaines. Puis, un beau jour, on le voyait revenir, gai et souriant. Mme Lefèvre regardait les quatre enfants. Elle demanda soudain : « Aimeriez-vous aller au bord de la mer pour étudier les mœurs des oiseaux? Je sais que Jacques en a toujours eu envie. » Jacques répondit avec enthousiasme : « Tante Alice, quelle idée magnifique! 1. Voir Le Mystère de l'Ile aux Mouettes et Le Mystère du Nid d'Aigle, dans la Nouvelle Bibliothèque Rose.
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— Oh! oui, maman, criait en même temps Henri, ce serait formidable! » Lucette, qui se trouvait heureuse lorsqu'elle était avec son frère, se réjouissait pour lui. Jacques aimait tant les oiseaux! Henri aussi était amateur d'oiseaux et d'insectes. Seule Denise restait maussade. Elle n'avait guère de goût pour les animaux. Mais elle réfléchit qu'ils seraient tous les quatre ensemble au bord de la mer, dans un endroit sauvage où ils pourraient se baigner et jouir de la plus grande liberté. A cette idée, elle sourit à son tour et joignit ses exclamations à celles des autres.
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« Un peu de calme, dit Mme Lefèvre. Laissez-moi vous expliquer mes projets. J'ai entendu parler d'une expédition qui part dans deux jours s'installer sur une île déserte, au large de la Bretagne; juste quelques naturalistes et un garçon de votre âge, le fils de M. Martineau, l'ornithologue. » Les enfants savaient tous ce qu'était un ornithologue, un savant qui aime les oiseaux et étudie leurs habitudes. Le père d'Henri avait été un amateur d'oiseaux et d'insectes. Il était mort depuis longtemps et Henri regrettait de ne pas l'avoir connu, car il avait les mêmes goûts que lui. « M. Martineau! s'écria Henri. Mais c'était le meilleur ami de papa, n'est-ce pas? — Oui, répondit sa mère. Je l'ai rencontré la semaine dernière. Il m'a proposé de vous emmener en même temps que son fils. Mais vous n'étiez pas encore guéris les uns et les autres, et j'ai refusé. Maintenant, vous paraissez suffisamment bien pour faire ce grand voyage. Si vous êtes d'accord, je vais lui téléphoner et lui demander si sa proposition tient toujours. — Oui, oui! » crièrent les enfants. A la table du goûter, ils discutèrent longtemps de la future expédition : ils exploreraient des îles désertes, ils se baigneraient, feraient du bateau, et
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observeraient des oiseaux, des milliers d'oiseaux sauvages. Mme Lefèvre avait essayé de joindre M. Martineau mais il était absent. Elle avait demandé qu'il lui téléphonât dès son retour. Lorsque la sonnerie retentit, les enfants se précipitèrent autour de Mme Lefèvre qui avait décroché le récepteur. « Allô, dit-elle. Est-ce M. Martineau?... Ah! c'est Mme Martineau!... Ici, Mme Lefèvre. Bonjour, madame... Que dites-vous?... Oh!... J'espère que ce n'est pas trop grave?... Bien sûr, il ne peut plus partir. Je suis désolée et j'espère que vous serez bientôt rassurée. Ne manquez pas de me donner des nouvelles au plus vite. Au revoir! » Mme Lefèvre raccrocha l'appareil et se tourna vers les enfants : « M. Martineau vient d'avoir un accident de voiture. Il est à l'hôpital et, naturellement, il n'est plus question de départ. » Les enfants se regardèrent en silence. Plus d'île lointaine, plus de vie libre et sauvage parmi les oiseaux! Quelle déception!
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CHAPITRE II UNE VISITE MYSTÉRIEUSE étaient tous trop bouleversés pour faire d'autres projets. La fin de l'après-midi se traîna, interminable. Enervés, les enfants ne savaient à quoi s'occuper. Une violente dispute s'éleva soudain, sans raison, entre Henri et Denise. Ils poussaient de tels hurlements qu'ils n'entendirent pas la sonnerie du téléphone. LS
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Mme Lefèvre, excédée par le vacarme qui venait de la salle à manger, alla répondre. Elle paraissait ravie en revenant, mais lorsqu'elle aperçut Denise et Henri luttant furieusement sur le sol, son expression changea. « Riquet! Denise! N'avez-vous pas honte? Cessez immédiatement de vous battre. Vous n'avez plus l'âge de vous conduire ainsi. Je me demande si je dois vous dire qui a téléphoné... — C'était Mme Martineau, pour annoncer la guérison de son mari », suggéra Lucette. Mme Lefèvre secoua la tête. « Non, vous n'y êtes pas! C'était René. — René! crièrent les enfants stupéfaits, René Marchai a téléphoné? Quelle chance! Quand vient-il nous voir? — Il m'a paru très mystérieux, répondit Mme Lefèvre. D'abord, il ne voulait pas dire qui il était, mais j'ai vite reconnu sa voix. Ensuite j'ai dû lui affirmer que nous étions seuls dans la maison. Alors il a laissé entendre qu'il viendrait peut-être ce soir, tard. — Lui as-tu dit que nous avions eu la rougeole, que nous n'étions pas en classe? demanda Henri. — Mais non, il était si pressé que nous n'avons échangé que quelques mots. De toute façon, il sera là ce soir. » Les enfants, bouillant d'impatience, commencèrent à guetter tous les bruits.
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A neuf heures et demie, René n'avait toujours pas paru. « Je pense qu'il faut aller vous coucher, déclara Mme Lefèvre. Vous êtes encore bien fatigués. » Les enfants montèrent en grognant. Henri et Jacques partageaient la même chambre. Ils décidèrent d'attendre René. La pendule sonna dix heures et demie, puis onze heures. Toujours personne. « C'est étrange qu'il vienne si tard », dit Jacques. Henri guettait, assis sur le rebord de la fenêtre. Soudain il sursauta : sa mère venait d'ouvrir les rideaux au rez-de-chaussée. Un flot de lumière inonda le jardin pendant un court moment. Le garçon eut le temps de distinguer, caché parmi les buissons, la blancheur d'un visage qui très vite se perdit dans l'ombre. « Jacques, murmura-t-il, viens voir. Quelqu'un se cache dans le jardin. Ce n'est sûrement pas René; il serait déjà entré. C'est peut-être un ennemi qui le guette. — Diable! fit Jacques. — Écoute, continua Henri, je vais sortir sans bruit par la porte de derrière. En traversant la haie, je pourrai aller dans le jardin voisin sans être vu. De là, je guetterai René et je l'avertirai à temps. — Bonne idée. Je vais avec toi, dit Jacques.
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— Non, lui répondit son ami. Il vaut mieux que l'un de nous reste ici pour surveiller l'homme qui est ruche dans le buisson. Ne quitte pas la fenêtre. Si je trouve René, je l'amènerai jusqu'ici. » Henri se glissa sans bruit hors de la pièce. Il y avait encore de la lumière dans la chambre de sa mère. Il descendit l'escalier à pas de loup, entrouvrit silencieusement la porte et se faufila dehors en la refermant doucement derrière lui. Il n'avait pas pris de lampe électrique pour ne pas donner l'éveil. Il traversa la haie, par un trou qu'il connaissait bien, et se retrouva dans le jardin voisin. Il marchait sur l'herbe pour ne pas faire crisser le gravier. Soudain, il crut entendre un léger bruit. 11 s'arrêta pour écouter. Voyons! un autre individu ne cachait-il là? Henri hésitait : fallait-il revenir pour prévenir sa mère et alerter la police? Il éprouvait la sensation désagréable d'être guetté dans l'ombre. Il fit un pas en avant... Soudain quelqu'un se précipita sur lui, lui maintint fortement les bras derrière le dos et le jeta sur le sol, le nez dans la terre fraîchement remuée d'une plate-bande. Henri étouffait. Il lui était impossible d'appeler à l'aide. Son agresseur, remarquablement silencieux, le bâillonna avec une adresse diabolique, lui attacha
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les mains derrière le dos et le jeta sur son épaule sans s'occuper de ses contorsions. Une cabane de jardinier se trouvait dans un coin du jardin. Toujours en silence, Henri se trouva bientôt assis sur une caisse, à l'intérieur de la maisonnette. « Et maintenant, lui siffla une voix à l'oreille, maintenant, dis-moi combien vous êtes par ici? Réponds vite ou gare à toi. Grogne deux fois si tu n'es pas seul. » Henri ne savait quoi faire! Devait-il grogner? se taire? Son assaillant sortit alors une petite lampe de poche et éclaira le visage du garçon pendant quelques secondes. Il eut le temps d'apercevoir la mèche de cheveux dressée sur le front d'Henri. Il poussa alors une sourde exclamation : « Riquet ! Espèce d'idiot ! Que faisais-tu là, dans le noir? » Henri sursauta. Il reconnaissait la voix de René Marchai. Quel soulagement! « Pas de bruit, surtout, murmura René en l'aidant à enlever le bâillon. Je suis sans doute espionné. Parlemoi à l'oreille. » La bouche collée contre l'oreille de René, Henri murmura : « René, on vous surveille. Là, dans le buisson, à côté de la grille d'entrée, nous avons aperçu une
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Il éclaira le visage du garçon pendant quelques secondes. 18
ombre. Je suis venu vous prévenir. Nous pouvons entrer dans la maison par-derrière. J'ai laissé la porte ouverte. » Ils traversèrent le jardin et la haie dans le plus grand silence. Lorsqu'ils atteignirent la maison, il n'y avait plus de lumière nulle part. Mme Lefèvre était sans doute couchée. Ils montèrent l'escalier en prenant soin de ne pas faire craquer les marches. Dans l'ombre, Jacques les attendait, impatient. « Ce vieux René! dit-il, ému, en lui serrant la main vigoureusement. — Maintenant il faut que je me rince la bouche, fit Henri en riant. Je n'aime pas beaucoup manger de la terre... Ah! Zut... » En cherchant à tâtons sa brosse à dents, il avait fait tomber son verre. Dans le silence de la nuit, le fracas parut épouvantable. « Les filles ont dû entendre. Va vite leur dire de ne pas allumer », dit René à Jacques. Ce dernier se précipita et trouva les filles, ahuries, et à peine réveillées. Il les mit au courant de la situation. Elles se ruèrent dans la chambre des garçons et se jetèrent dans les bras de René. « René, où étiez-vous? Pourquoi êtes-vous resté si longtemps sans donner de nouvelles et sans nous répondre? — Je vais vous expliquer, leur répondit leur vieil
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ami. J'étais sur la piste d'une bande de malfaiteurs. Au moment où je pensais pouvoir les attraper, ils m'ont découvert, et maintenant c'est eux qui me pourchassent. J'en sais trop long sur eux. S'ils me prennent, ils se vengeront. Mes chefs ont donc décidé que je devais disparaître pendant quelque temps. » Lucette le contemplait tristement. « Vous allez nous quitter si vite, René? Où allezvous vous cacher? — Oh! Quelque part dans un coin désert. Mais soyez tranquilles, je ne disparais pas pour de bon. Lorsque les malfaiteurs se lasseront de me rechercher, ou lorsqu'ils se seront fait prendre, vous me verrez revenir. » Jacques écoutait. Soudain, une idée lui traversa l'esprit. « René, je viens de penser à quelque chose de formidable. Nous devions partir en vacances avec un certain M. Martineau pour terminer notre convalescence, car nous avons eu la rougeole tous les quatre. Mais ce M. Martineau est à l'hôpital; il ne peut donc plus nous emmener. Pourquoi ne partirions-nous pas tous ensemble? Vous pourriez vous faire passer pour un ornithologue, et nous irions dans une île inhabitée, pleine d'oiseaux. Il n'y aurait aucun risque que vous rencontriez du monde et que vous soyez reconnu. Qu'en pensez-vous? »
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II y eut un silence. Anxieux, les enfants attendaient la réponse de René. « Ma foi, répondit-il enfin, l'idée n'est pas mauvaise. Personne n'ira imaginer que je pars aussi ouvertement, accompagné de quatre enfants. Et puis, ajouta-t-il, avec un sourire malicieux, la perspective de passer des vacances avec vous, et avec Kiki, n'est pas pour me déplaire. »
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CHAPITRE III LE LONG VOYAGE tous ces beaux projets furent quelque peu bouleversés. Mme Lefèvre, en se réveillant, appela les filles. Denise se précipita. « Quelle malchance! lui dit sa mère. Je suis couverte de boutons. Je pense que j'ai la rougeole à mon tour. Qu'allons-nous faire? » Denise la regarda, atterrée. LE
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« Ma pauvre maman! » Elle lui raconta alors l'arrivée de René et leurs discussions. « Je suis sûre, continua-t-elle, qu'il voudra bien nous emmener, surtout maintenant que tu es malade. Je vais lui dire de venir te voir. » Elle tapota les oreillers, tira les draps, rangea la chambre, puis elle appela René et alla rejoindre les autres enfants. Quand René Marchai redescendit dans la salle à manger, il fut accueilli par des cris d'impatience. « Avant tout, montez du thé à Mme Lefèvre, dit-il, pendant que j'appelle le docteur. Puis allez prévenir Mlle Lemoine, l'amie de votre mère, et demandez-lui si elle peut venir s'installer ici pendant une semaine ou deux. — Et nous? demandèrent les quatre enfants. Qu'avez-vous décidé à notre sujet? — Eh bien, j'ai expliqué à Mme Lefèvre que je devais disparaître pendant quelque temps dans un coin perdu. Je ne lui ai guère donné de détails pour ne pas l'inquiéter. Et nous avons pensé que vous pourriez m'accompagner. — Quelle chance! » ne put s'empêcher de crier Jacques, bien qu'il fût désolé par la maladie de tante Alice. Après la visite du docteur, Mlle Lemoine arriva
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Tout étant ainsi réglé, René donna ses ordres aux enfants en vue du départ. « Préparez vos valises et commandez un taxi pour demain soir. Nous prendrons le train de nuit. Je vais filer d'ici dès ce soir et je vous retrouverai demain à la gare. Mais attention! Il n'y a plus de René Marchai. Je serai M. Vautier, le naturaliste. Je viendrai au-devant de vous et vous prononcerez mon nom bien haut, pour dérouter d'éventuels espions. Puis nous partirons. » Le lendemain, chacun portant une valise, les quatre enfants se trouvaient à la gare, exacts au rendez-vous. René leur avait indiqué avec précision l'endroit où ils devaient se rencontrer.
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Comme convenu, ils attendaient sous l'horloge, regardant de tous les côtés, mais ils n'apercevaient personne qui ressemblât même de très loin à leur ami. Soudain, ils virent arriver un homme traînant les pieds, les épaules tombantes sous un long manteau. II portait des jumelles en bandoulière et une drôle de casquette à carreaux. Son visage était à demi caché par une épaisse barbe noire et ses yeux par de grosses lunettes. « Bonjour, les enfants! dit-il à voix haute. Je vois avec plaisir que vous êtes ponctuels. En route! » Lucette rougit de plaisir. Elle avait reconnu la •bonne voix de. René et elle était sur le point de se
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jeter à son cou en lui criant « Bonjour, René! » mais Jacques la retint à temps. Il la poussa sur le côté et s'avança en tendant la main : « Bonjour, monsieur Vautier, dit-il, poliment. Nous sommes très heureux de partir avec vous. » Les trois autres l'imitèrent aussitôt. Le déguisement était si réussi que personne n'aurait pu se douter de la supercherie. « Suivez-moi, répondit M. Vautier. Le porteur va s'occuper de vos bagages. » Bientôt ils furent tous installés dans un compartiment de couchettes. « Vous avez le temps de bien dormir cette nuit, leur dit René, ses yeux leur souriant à travers les épaisses lunettes. M. Vautier .vous réveillera demain matin. » Le lendemain, ils prirent un succulent petit déjeuner au wagon-restaurant. Puis, ayant changé de train, et abandonné le rapide pour un train omnibus, ils eurent ainsi le loisir d'admirer la côte. La voie, à cet endroit, suivait le bord de la mer et les enfants ne quittaient plus les fenêtres. « Vraiment, maintenant, je me sens en vacances, s'exclama joyeusement Lucette. Je vois la mer, et je là sens ! » Arrivés à destination, ils allèrent s'installer dans un bon restaurant.
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René leur exposa alors son plan : « Mes chefs, leur dit-il, doivent mettre à ma disposition un canot à moteur qui nous transportera dans l'île. J'espère qu'il est arrivé. Je vais aller m'en assurer pendant que vous finissez votre repas. » René sortit et se dirigea vers le port. Le bateau venait d'accoster. L'homme qui l'avait amené connaissait bien René et savait sous quel déguisement il devait se présenter. « Bonjour, monsieur Vautier, dit-il à voix haute. Tout est fin prêt. Vous aurez beau temps pour votre expédition. — Avez-vous pensé aux provisions, Yvon? demanda « M. Vautier » en clignant de l'œil. — Vous aurez de quoi soutenir un siège, répondit le marin. Mon bateau est là, c'est moi qui vous piloterai hors du port. » René alla chercher les enfants et les bagages. Puis tout le monde monta à bord. La Belle Étoile c'est ainsi qu'il s'appelait) était un beau canot à moteur avec une petite cabine à l'avant. Le visage de Jacques s'épanouit en voyant la quantité de provisions qu'ils emportaient. Tout allait bien. Ils n'auraient pas à se priver. La nourriture avait une grande importance pour Jacques, surtout pendant les vacances. On a toujours tellement faim lorsqu'on s'amuse! Yvon les conduisit hors du port. Sa petite barque,
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attachée au canot, se balançait à l'arrière. Lorsqu'ils furent en pleine mer, il sauta dans son bateau : « Bonne chance à tous! leur cria-t-il. Le poste de radio a été vérifié. N'oubliez pas de nous envoyer un message régulièrement pour dire si tout va bien. Il y a une batterie de rechange et de quoi réparer le poste au cas où ce serait nécessaire. Au revoir la compagnie! Je reviendrai dans deux semaines pour chercher les enfants. » II s'éloigna en ramant et bientôt il ne fut plus qu'un point à l'horizon. Le canot à moteur avait pris de la vitesse. « Enfin, nous voilà partis, déclara René avec satisfaction. Ma barbe peut maintenant disparaître, et aussi mes lunettes, Dieu merci. Henri, tiens la barre, veux-tu, pendant que je me rends de nouveau présentable. Personne ne risque plus de me reconnaître ici. Mets le cap au nord-nord-ouest. » Henri, tout fier, dirigeait le bateau. Le moteur ronflait avec régularité. L'embarcation filait rapidement sur l'eau bleue. Il faisait beau, presque aussi chaud qu'en été. Le soleil de mai brillait dans un ciel parsemé de petits nuages blancs et ses reflets dansaient sur les vagues. « Gomme il fait bon! soupira Jacques en s'asseyant près d'Henri. Gomme on est bien! » Kiki vint se percher sur son épaule. Bientôt la mer devint moins bleue. Le soleil disparut
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Kiki vint se percher sur son épaule
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et le vent fraîchit. Il fallut enfiler des vêtements de laine. Soudain, au loin, se dressa une ombre grise : la terre ! « Regardez, dit René, voilà l'île où nous allons passer la nuit. Nous y serons dans peu de temps. » En effet, un quart d'heure ne s'était pas écoulé qu'ils abordaient le long d'une petite jetée de pierre. Un pêcheur étonné les regardait débarquer. En quelques mots, René lui expliqua pourquoi ils venaient dans l'île. « Ainsi donc, c'est des oiseaux que vous cherchez! Eh bien, vous en trouverez plus qu'il ne vous en faut, dans toutes ces îles là-bas. » Du menton, il montrait la pleine mer parsemée d'îles lointaines. « Et cette nuit, où c'est-il que vous allez coucher? Je ne peux point vous proposer ma maison; elle est bien trop petite pour vous tous. — Nous allons monter nos tentes, répondit René. Ce sera vite fait! Mais peut-être votre femme pourraitelle nous préparer à dîner? » Le marin accepta. Après un copieux repas, ils s'installèrent sous les deux tentes, dans les sacs de couchage. L'air vif de la mer les avait fatigués à tel point qu'ils tombèrent endormis sans même avoir eu le temps de se dire bonsoir.
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CHAPITRE IV L'ILE AUX OISEAUX après un bon café au lait accompagné de succulentes tartines, les tentes furent repliées. Avant de s'embarquer, les voyageurs prirent congé du vieux marin et de sa femme. Kiki leur cria un adieu à sa façon qui leur fit hausser les épaules, car ils n'aimaient guère cet étrange oiseau qui parlait comme un homme. Après plusieurs heures d'une agréable navigation LE
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sur une mer calme et transparente, ils virent apparaître quelques oiseaux; à l'horizon se profilèrent des monticules sombres. « Voilà l'une des îles », annonça Jacques. En effet, au fur et à mesure qu'ils approchaient, ils pouvaient distinguer une haute falaise surplombant la mer et s'avançant dans l'eau comme un promontoire; cette falaise était littéralement couverte d'oiseaux. Il y en avait de toutes les espèces et de toutes les tailles : des mouettes, des guillemets, des goélands et tant d'autres que les enfants ne connaissaient pas. Le canot contourna doucement la pointe rocheuse, évitant les récifs. De l'autre côté du cap, la terre descendait en pente douce jusqu'à l'eau, et René trouva une petite crique bien abritée où il fut facile dé faire pénétrer le canot qui s'échoua doucement sur le sable. Les passagers descendirent et amarrèrent solidement l'embarcation. « Allons-nous nous installer ici? demanda Denise, en inspectant les environs. — Oh ! non, répondit Jacques. Nous allons visiter les autres îles, n'est-ce pas, René? J'aimerais tant être juste au centre et pouvoir aller de l'une à l'autre. Mais nous pourrions coucher ici, cette nuit? » René accepta volontiers.
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Ce fut une journée merveilleuse pour les quatre enfants et aussi pour René. Environnés de milliers d'oiseaux, les enfants se dirigèrent vers la falaise qu'ils avaient observée en arrivant sur l'autre versant de l'île. Ils l'escaladèrent et s'assirent au sommet. « Attention! avertit René en tenant Lucette solidement par le bras. N'allez pas trop au bord, car c'est très à pic. » Les enfants se mirent à plat ventre et regardèrent, avec un peu d'effroi, la mer qui venait battre le pied de la falaise. « Qu'est-ce qu'on entend? fit soudain remarquer Henri. Ecoutez! On dirait le ronflement d'un avion! » Ils tendirent l'oreille et scrutèrent l'horizon. Bientôt, ils aperçurent un point qui avançait, rapidement dans le ciel. « Un avion! Ici! s'exclama René. Nous sommes pourtant en dehors de tout itinéraire régulier. Que peut-il faire dans cette région? » René paraissait si surpris que les enfants le regardèrent avec étonnement. Ce n'était pourtant pas tellement extraordinaire, un avion, même au-dessus de ces îles désertes. René prit les jumelles de Jacques, mais trop tard. L'avion avait déjà disparu. « Je me demande si c'était un avion ordinaire ou un hydravion, dit-il. C'est étrange.
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Les enfants se mirent à plat ventre et regardèrent, avec un peu d'effroi, la mer qui venait battre le pied de la falaise.
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— Pourquoi? demanda Denise. Il y a maintenant des avions partout. » René ne répondit rien. Il rendit les jumelles à Jacques. « Cherchons un bon endroit pour monter les tentes, reprit-il, et puis nous dînerons. » Ils s'installèrent confortablement auprès d'un ruisseau. Après un repas apprécié de tous, René se leva et proposa aux enfants : « Voulez-vous m'accompagner jusqu'au canot pour entendre les nouvelles à la radio? Il faudra aussi' que j'envoie quelques messages, en particulier à ta mère, Henri, qui doit être impatiente de savoir si nous sommes bien arrivés. » Ils avaient tous envie de se dégourdir les jambes. Ils acceptèrent et descendirent la pente en courant. Après être montés sur le canot, ils regardèrent avec intérêt René installer son antenne et tourner les boutons : c'était un poste émetteur-récepteur. « René, questionna Lucette, si vous envoyez des messages tous les soirs, je suppose que nous n'aurons pas besoin d'écrire à tante Alice? » Un éclat de rire général lui répondit. « Où posterais-tu ta lettre? demanda Jacques ironiquement. Je n'ai pas aperçu beaucoup de boîtes aux lettres dans les parages! » Lucette rougit.
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« C'est vrai! Que je suis bête! Heureusement que vous pouvez envoyer des messages, René. Cela peut être utile si nous avons besoin de secours. — Oui, bien sûr, répondit René. Sans ce poste, je ne vous aurais pas emmenés dans cet endroit désert. Je dois entrer en liaison tous les soirs avec la police qui se chargera de transmettre les nouvelles par téléphone à Mme Lefèvre. Cela lui permettra de suivre de loin notre voyage et nos aventures. » Très intéressés, les quatre enfants regardèrent leur grand ami actionner le manipulateur pour envoyer son message en Morse. Quand ce fut terminé, ils écoutèrent les informations du soir, puis un peu de musique. Bientôt Lucette se mit à bâiller, et Kiki l'imita sans aucune discrétion. « Allons! dit René Marchai. Il est temps d'aller nous coucher. Tout le monde tombe de sommeil. » Quelques minutes plus tard, bien enroulés dans leurs sacs de couchage, ils dormaient tous profondément. Le lendemain, le temps était très chaud. « J'ai l'impression qu'il va faire de l'orage, tôt ou tard, dit René, scrutant le ciel. Nous ferions bien de trouver au plus vite un emplacement définitif, pour y installer notre camp à l'abri et affronter la tempête qui se prépare. Sinon, nos tentes ne résisteront pas au vent! » Bientôt tout fut empaqueté et chargé sur le canot.
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Ils prirent la mer à la marée montante. La chaleur était exceptionnelle pour un mois de mai. Lucette laissait traîner sa main dans l'eau pour se rafraîchir. Soudain,- ses doigts effleurèrent quelque chose de mou. Effrayée, elle sursauta et regarda. A sa grande surprise, elle reconnut un morceau d'écorce d'orange, ballotté par les vagues. Elle appela René : « René, regardez! Une peau d'orange! Qui peut bien manger des oranges dans ces îles inhabitées? » René regarda avec attention. Il paraissait intrigué. Les pêcheurs, si par hasard il en venait sur ces îles, n'étaient pas gens à consommer habituellement des oranges. Alors? Que faisait là ce petit morceau d'écorce? Aucun paquebot ne passait dans ces parages déserts où la mer était souvent mauvaise, battue par de terribles tempêtes. « Je n'y comprends rien, prononça lentement René. Si cela continue, nous allons voir flotter des ananas ou des pamplemousses! » Pendant ce temps, Jacques avait pris ses jumelles et faisait un tour d'horizon. « René, voilà une île qui paraît convenir. Je vois des quantités d'oiseaux perchés sur tous les rochers. Elle semble très grande et certainement nous pourrons y trouver un bon abri et de l'eau potable. Les falaises
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qui l'entourent nous protégeront du vent d'est et du vent d'ouest. — Allons-y », répondit René. Il dirigea le canot droit sur l'île. Tout autour se trouvaient d'autres îles peu éloignées, sans doute habitées seulement par des oiseaux. La mer bruissait entre les rochers et de petites vagues ourlaient sa surface. Le canot contourna l'île. Henri montra du doigt une ouverture dans la falaise. « Voilà un abri provisoire pour le bateau, qu'en pensez-vous, René? L'eau doit y être assez profonde et j'aperçois un gros rocher auquel nous pourrons amarrer le canot. » René acquiesça ; quelques instants plus tard, La Belle Étoile pénétrait doucement dans l'étroit chenal. Une avancée de rochers permit aux enfants de débarquer. Ils y attachèrent solidement l'embarcation dont ils protégèrent les flancs par des bouées pour l'empêcher de s'abîmer en se cognant contre le roc.
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CHAPITRE V EN EXPLORANT L'ILE seul resta sur le canot. « Partez en éclaireurs tous les quatre, leur dit-il, et tâchez de trouver une plage pour La Belle Étoile. Ici, j'ai peur qu'elle ne s'écrase contre les rochers. » Les enfants s'éloignèrent, accompagnés de Kiki, qui voletait dé-ci, dé-là, criant et se lançant vainement à la poursuite de tous les oiseaux. RENÉ
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Une faille étroite partageait la falaise en deux et s'élevait en pente raide de la mer jusqu'au sommet. Les enfants s'y engagèrent; après une dure escalade, ils débouchèrent, tout essoufflés, sur une lande couverte d'ajoncs. De ce plateau, la vue était magnifique, et les récompensa de leur peine. Une eau d'un bleu profond entourait l'île. L'horizon paraissait sans limites. Au premier plan, un archipel d'îlots émergeait. Un animal surgit aux pieds de Jacques et détala à toute vitesse. « Un lapin! cria le garçon. Encore un autre! » A la grande joie des enfants, des dizaines de lapins surgirent de tous côtés. Ils ne paraissaient pas trop effarouchés. « Quels amours! s'écria Lucette. On dirait qu'ils sont apprivoisés ! - Je ne le pense pas, lui répondit Jacques; ce sont des lapins sauvages, mais ils n'ont pas peur de nous, parce qu'ils ne voient jamais d'humains sur l'île. » Partout, on pouvait apercevoir les ouvertures de terriers creusés par les lapins qui s'enfonçaient profondément sous la terre. Et les enfants, plus d'une fois, en marchant, sentirent le sol céder sous leurs pas. « Regardez, fit soudain Denise en étendant le bras, voilà une petite crique qui fera bien notre
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« Un lapin! cria le garçon. Encore un autre! » 41
affaire. Elle est assez grande pour abriter le bateau et nous pourrons nous y baigner. Gourons prévenir René! — J'y vais », dit Henri. Il s'élança dans la direction de La Belle Étoile tandis que Jacques s'asseyait pour observer les oiseaux, Kiki bien installé sur son épaule. Les filles allèrent à la recherche d'un coin abrité pour dresser les tentes. A l'autre extrémité de l'île, elles découvrirent un vallon au sol recouvert d'épaisse bruyère où poussaient quelques grêles arbustes. A côté, au creux d'un énorme rocher, une petite nappe d'eau brillait au soleil. « Voilà l'endroit rêvé ! cria Denise, transportée de joie. Les tentes seront bien à l'abri du vent. Il y a même de l'eau. Peut-être est-elle bonne à boire! » Elle en remplit le creux de sa main et la goûta. « Bravo! c'est de l'eau de source, elle n'est pas salée! » Quelques instants plus tard, le bateau abordait dans la petite anse. René fixa solidement l'ancre. « J'arrive! cria-t-il joyeusement en réponse aux signaux que lui faisaient Jacques et les filles. Avez-vous trouvé un bon emplacement? » Bientôt il les eut rejoints et exprima sa satisfaction.
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« C'est parfait! Il transporter ici tout ce bateau. » Ils s'activèrent avec entrain. Les deux tentes furent bientôt dressées, l'une pour René et les garçons, l'autre pour les filles. Dans un grand creux de rocher, ils rangèrent les provisions et les vêtements de rechange. « Nous voilà chez nous, dit Lucette, comme nous y serons bien! J'ai faim! déclara Henri. Quand allons-nous dîner? » René regarda sa montre, puis le soleil déjà bas sur l'horizon. « Comme le temps a passé vite! s'exclama-t-il. Le soleil est presque couché. , Mesdemoiselles, dépêchezvous de préparer le repas. - En attendant, dit Jacques, j'ai envie d'aller prendre un bain. Qui vient avec moi? Henri, tu m'accompagnes jusqu'au bateau? - Oui, je veux bien, répondit Henri. - Je viens aussi, dit René en secouant sa pipe. Un bain me fera du bien. Je nie sens sale. » Les deux filles étaient en train de déballer les provisions lorsque Denise s'immobilisa soudain et tendit l'oreille. « Entends-tu? murmura-t-elle. On dirait un avion, de nouveau. » Elles sortirent et scrutèrent le ciel pour essayer de trouver d'où venait le bruit.
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« Là, là, regarde! Vite! » cria Lucette avec excitation en montrant un point qui se déplaçait vers l'ouest. « Le vois-tu? Que fait-il donc? » Denise ne distinguait pas encore l'avion. Elle avait beau écarquiller les yeux, elle ne pouvait repérer l'endroit où il volait. « II a laissé tomber quelque chose, dit Lucette. ( )ù sont les jumelles des garçons? Vite, Denise, va les chercher! » Denise revint sans les avoir trouvées. Lucette, debout, observait le ciel avec attention. « Quelque chose est tombé de l'avion, dit-elle
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Quelque chose de blanc qui est descendu lentement. Je l'ai vu. Qu'est-ce que cela peut bien être? J'espère que l'avion n'est pas en difficulté? — René va nous le dire, répondit Denise. Ils ont certainement vu l'avion tous les trois. Peut-être même ont-ils emporté les jumelles. Je n'ai pu les trouver nulle part. » Bientôt le bruit de l'avion s'estompa et disparut. Les filles terminèrent les préparatifs du repas et mirent leur tente en ordre pour la nuit. Il faisait si chaud qu'elles laissèrent un côté de la tente grand ouvert pour avoir de l'air. « L'orage semble avoir passé, remarqua Denise. Pourtant il fait très chaud, et lourd. — Voilà les autres qui reviennent », annonça Lucette, en observant René, Jacques et Henri qui remontaient vers elles. « Ohé, les garçons! leur cria-t-elle. Avez-vous vu l'avion? — L'avion? Quel avion? demanda René, soudain très intéressé. Nous n'avons rien entendu. — Nous avons fait un tel vacarme en nous éclaboussant, dit Jacques, que nous n'aurions même pas entendu une vague de bombardiers! — René, continua Lucette, il s'est passé quelque chose d'extraordinaire. Pendant que j'observais l'avion il a laissé tomber quelque chose... quelque chose de blanc!»
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René réfléchissait en fronçant les sourcils. « II a largué un parachute, dit-il enfin. L'as-tu bien vu? — Je ne peux pas dire que j'ai nettement distingué un parachute, répondit Lucette, parce que c'était trop loin, mais... Pourquoi prenez-vous cet air soucieux, René? — Parce que j'ai l'impression qu'il se passe quelque chose de louche. Commencez à manger sans moi. Je vais redescendre jusqu'au bateau et envoyer un message. C'est peut-être un incident sans importance, mais il se pourrait aussi que ce soit très grave. »
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CHAPITRE VI UNE
NUIT MOUVEMENTÉE
descendit à pas rapides vers la crique où était amarré le canot; ses pieds pénétraient profondément dans la terre molle. Les enfants, un peu inquiets, le regardèrent s'éloigner. Une grande demi-heure s'écoula avant qu'il fût de retour. Ses jeunes compagnons avaient déjà terminé leur repas et s'apprêtaient à se glisser dans leurs sacs de couchage. RENÉ
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« Alors, demandèrent-ils, tout va bien, René? — Oui, j'ai eu un message de mes chefs qui m'ont donné des nouvelles de Mme Lefèvre. Il n'y a pas lieu de s'inquiéter. La rougeole suit son cours. C'est une bonne chose qu'elle soit débarrassée de vous. » Poussée par la curiosité, Denise risqua une question indiscrète : « Et l'avion, René, leur en avez-vous parlé? Ont-ils compris votre dernier message? — Oui, répondit un peu sèchement René. Ne t'occupe pas de cela pour l'instant... Ah! merci de m'avoir laissé ma part du dîner. Je vais manger rapidement et me coucher. Bonne nuit à tous! » * ** Au matin, toute menace d'orage avait disparu. Le ciel était limpide, le soleil brillait et l'air était frais. Pendant le petit déjeuner, René et les enfants discutèrent ensemble du programme de la journée. « René, que fait-on? Voulez-vous que nous allions explorer l'île tous ensemble? » A la surprise générale, René répondit : « Si cela ne vous ennuie pas, j'irai de mon côté, avec le canot, inspecter un peu toutes ces îles qui nous entourent.
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—- Quoi, sans nous? » Denise était fort étonnée. « Nous pourrions vous accompagner. — Non, répondit René. Pour cette fois, je désire y aller seul. » Puis voyant leur déception il ajouta d'un ton plus doux : « Une autre fois, nous irons tous ensemble, mais aujourd'hui, je préfère être seul. — Tant pis, dit Lucette. Nous en profiterons pour visiter l'île de fond en comble et donner des noms à différents endroits. Ainsi ce vallon pourrait s'appeler le « Val du Sommeil » ; la plage où nous nous sommes baignés, « la Baie d'Écume »; et là où nous avons accosté, ce serait « la Crique secrète ». Les noms furent adoptés avec enthousiasme. Puis René s'en alla et les enfants entendirent bientôt le teufteuf du moteur qui s'éloignait. « René est soucieux, fit remarquer Henri; je parie que c'est à cause des avions. Mais bien sûr, il ne nous dira rien. » La journée s'écoula rapidement. Après le goûter, les enfants s'assirent devant les tentes, dans le « Val du Sommeil » et guettèrent le retour de René. Le soleil disparaissait lentement. René ne revenait pas. Lucette était nerveuse. « Ne te fais pas de souci, lui dit Henri ; nous allons entendre son bateau d'une minute à l'autre. » Bientôt la nuit tomba. L'inquiétude gagna les quatre enfants.
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Silencieux, ils pénétrèrent sous leurs tentes, et se couchèrent, mais aucun d'eux ne parvint à s'endormir. Soudain, un bruit de moteur se fit entendre. Tout joyeux, ils sautèrent sur leurs pieds et bondirent audehors. Ils coururent en trébuchant à travers les terriers et atteignirent la plage au moment où René débarquait. Ils se jetèrent dans ses bras, soulagés. « Où étiez-vous, René? Nous vous croyions perdu ! — Je suis désolé de vous avoir inquiétés, répondit René, mais je ne voulais à aucun prix revenir pendant qu'il faisait encore jour, pour ne pas être repéré par un avion. C'est pourquoi j'ai attendu qu'il fasse nuit. Enfin me voilà! — Racontez vite! s'écria Denise. Pourquoi ne voulez-vous pas être vu? Et qui pourrait vous voir? Et quelle importance cela aurait-il? — Eh bien, répondit René lentement, tout me porte à croire que ces îles ne sont pas aussi désertes qu'elles le paraissent. Il s'y passe des choses mystérieuses. J'aurais voulu en avoir le cœur net, mais je n'ai trouvé aucun indice qui puisse me mettre sur la voie. J'ai inspecté les moindres recoins et je n'ai pas rencontré âme qui vive. Pourtant, j'avais sans cesse l'impression d'être observé. — Des gens peuvent se cacher facilement
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derrière les rochers ou sur les falaises et voir sans être vus eux-mêmes, fit observer Denise. — Tu as raison, répondit René, mais je n'imagine pas qui pourrait me guetter, ni pourquoi! » Ils retournèrent sous les tentes et ne tardèrent pas à s'endormir. Le lendemain, les enfants avaient oublié leurs terreurs de la nuit. La bonne humeur était générale et René n'était pas le dernier à rire et à s'amuser. Cependant il restait inquiet et, lorsque parut un avion qui survola l'île deux ou trois fois, il obligea les enfants à s'aplatir sur le sol. « J'espère bien que les tentes ne sont pas visibles, dit-il. — Vous ne voulez donc pas qu'on sache que nous sommes installés ici? demanda Jacques. — Non », répondit René. Après une belle journée, la chaleur augmenta vers le soir. De gros nuages noirs se pressaient dans le ciel et obscurcissaient le soleil couchant. « Nous allons avoir la tempête, j'en ai peur, dit René. Comment se comporteront nos tentes, je me le demande? — De toute façon, nous n'avons pas d'autre endroit où aller, répondit Jacques. Le Val du Sommeil est le coin le plus abrité de l'île. A ma connaissance, il ne s'y trouve ni grotte ni creux de rochers qui puisse nous servir de refuge. »
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La nuit vint plus vite, à cause des nuages. Les enfants se couchèrent. René regarda l'heure au cadran lumineux de sa montre. «Je vais jusqu'au canot pour envoyer quelques messages, dit-il. Dormez tranquillement. Je ne resterai pas longtemps. » Des bâillements lui répondirent et il était à peine sorti que tout le monde dormait. Arrivé au canot, René, dans la cabine, essaya de faire fonctionner son poste de radio. Mais il n'entendait que des crépitements provoqués par l'orage. « C'est assommant, se dit-il, agacé.
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Je n'arriverai ni à capter ni à transmettre aucun message. J'ai envie de gagner ce petit chenal où nous avons débarqué en arrivant. Gomment les enfants l'appellent-ils donc? Ah ! oui ! la Crique secrète. Elle est si bien abritée que j'y serai moins gêné par la tempête. » II mit le moteur en marche et atteignit rapidement la crique. Après avoir solidement amarré le bateau, il s'installa de nouveau devant sa radio et actionna le manipulateur. A un certain moment, il crut percevoir un bruit venant de la mer et qui se rapprochait peu à peu. Il coupa le contact et tendit l'oreille, mais le vent s'était levé et il ne put rien entendre d'autre. Il tourna de nouveau les boutons et concentra son attention. Il venait d'envoyer un message et devait recevoir une communication importante qu'on lui avait annoncée. La radio sifflait, grinçait, crépitait. René attendait patiemment. Soudain un bruit de pas le fit sursauter. Il leva la tête, s'attendant à voir paraître un des garçons. Saisi, il aperçut, s'encadrant dans l'ouverture de la cabine, la silhouette d'un homme à la figure maigre, au long nez crochu, qui l'observait. « Vous! hurla l'inconnu, dès qu'il distingua le visage de René. Vous, ici! Comment diable pouvez-vous savoir...? »
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René bondit... Mais au même moment, l'homme le frappa violemment avec un gros bâton qu'il tenait à la main. René s'écroula. En tombant, sa tête heurta le coin du poste de radio. Il resta étendu sans connaissance, les yeux clos. L'homme au nez crochu siffla. Il fut rejoint par un autre individu. « Regarde, dit le premier en montrant le corps de René, tu ne t'attendais pas à le rencontrer ici, celui-là, hein! Crois-tu qu'il a tout deviné? — Probablement, puisqu'il est ici », grogna l'autre homme, dont une barbe courte et épaisse cachait la bouche cruelle. « On va le ficeler comme un saucisson. Il pourra nous être utile. On le fera parler. » Ils ligotèrent solidement René et l'emportèrent, toujours sans connaissance, vers un petit bateau amarré tout près de La Belle Étoile. Au moment de partir, l'homme au nez crochu hésita: « Penses-tu qu'il soit accompagné? demanda-t-il. — Non. Déjà hier quand nous avons aperçu son canot, il n'y avait qu'un homme à bord et c'était lui, répondit l'individu à la barbe. Il est bien seul et il ne s'est pas douté que nous l'observions pendant qu'il rentrait, la nuit dernière. — Je suppose que tu as raison, et qu'il n'y a vraiment que lui ici », reprit le premier, qui paraissait
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cependant hésiter à quitter les lieux. « Est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux rendre son canot inutilisable? — Peut-être que oui, et sa radio aussi », suggéra l'homme à la barbe. Il s'empara d'un marteau et il eut vite fait de mettre en pièces le moteur du canot ainsi que le beau petit poste de radio. Puis ils détachèrent la barque dans le fond de laquelle gisait René, toujours évanoui. A la rame, ils gagnèrent le large où, dans le plus complet silence, les attendait leur propre bateau. Bientôt le ronflement du moteur s'éloigna dans la nuit. Mais personne ne l'entendit en dehors de Kiki qui veillait près des enfants et des oiseaux de l'île. Le lendemain, Jacques s'éveilla le premier, Kiki niché sur son épaule. Puis Henri, à son tour, se mit sur son séant et bâilla. « René est-il déjà levé? demanda-t-il. — Sans doute, répondit Jacques. Il a dû aller se baigner. Il aurait bien pu nous appeler! Ohé! les filles ! Levez-vous ! Nous allons à l'eau ! » Bientôt tous quatre dévalaient la pente vers la plage, certains de trouver René dans l'eau. Ils furent surpris de ne voir personne. « Où peut-il bien être? » s'exclama Lucette. Elle regardait tout autour d'elle et soudain poussa un cri d'alarme : « Le canot a disparu! »
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Les enfants, consternés et intrigués, contemplaient la place vide. « René a dû aller l'abriter dans la Crique secrète, suggéra Jacques. Sans doute le vent le gênait-il pour ses émissions. — C'est bien possible, répondit Henri. Allons voir là-bas. René a peut-être été retenu plus longtemps qu'il ne le pensait et il se sera endormi dans la cabine. — Mais oui, tu as raison, dit Denise. Il doit dormir à poings fermés ! Allons le réveiller, ce paresseux ! — Pourvu qu'il soit vraiment là-bas! » dit la pauvre Lucette tremblant de froid et d'anxiété. Le soleil s'était caché derrière de gros nuages.
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Les enfants, qui frissonnaient dans leurs maillots, coururent se rhabiller. Ils traversèrent la lande creusée de terriers et ils débouchèrent en haut de la falaise. Ils aperçurent en bas, dans la crique, le canot qui se balançait doucement sur l'eau. « Le bateau est là ! cria Denise. Mais on ne voit pas René. Il doit être dans la cabine. — Appelons-le », fit Lucette. Et, sans attendre, elle hurla de toutes ses forces : « René! René! Êtes-vous là? » Le silence seul lui répondit et, pour la première fois, un sentiment de malaise envahit les enfants. « René! Cria Jacques à son tour. René, répondeznous! » Toujours le même silence impressionnant! Pris soudain de panique, les quatre enfants dégringolèrent le long des rochers, atteignirent le canot et sautèrent à bord. Ils se penchèrent au-dessus de la cabine. Elle était vide! « Personne, prononça Denise d'une voix étranglée! Où peut-il bien être? — Pas loin, sans doute, répondit Jacques, puisqu'il a conduit le canot jusqu'ici. Il va probablement revenir. Peut-être a-t-il été explorer un autre coin de l'île? » Ils allaient partir lorsque Henri aperçut quelque
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chose qui lui fit pousser une sourde exclamation. « Regarde! » dit-il, en prenant le bras de Jacques. Il était soudain devenu très pâle et montrait du doigt le poste de radio. « Qui a pu le mettre dans cet état? Il est en miettes.» Lucette se mit à pleurer. Jacques monta sur le pont pour examiner l'appareil. A ce moment, Henri poussa un nouveau cri d'effroi. « Le moteur aussi a été démoli! Il est absolument hors d'usage. Grands dieux! Que s'est-il passé? — Et où est René? dit Denise d'une voix angoissée. — On l'a enlevé, répondit lentement Henri. On est venu le chercher pendant la nuit. Je suppose qu' « ils » ne se doutent pas de notre existence. « Ils » ont pensé qu'il était seul et « ils » l'ont emmené. Nous voilà maintenant abandonnés et prisonniers sur l'île! »
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CHAPITRE VII UNE TEMPÊTE VRAIMENT TERRIBLE! Une
AFFREUSE
angoisse s'abattit soudain sur
eux. Lucette s'était laissée tomber sur le sol. Denise était effondrée à côté d'elle. Debout, les garçons contemplaient les dégâts, l'air absent « C'est un mauvais rêve, prononça enfin Denise. Gela ne peut pas être vrai. Pas plus tard qu'hier, tout allait si bien, et maintenant... maintenant...
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— Maintenant, le canot a été démoli pour qu'on ne puisse pas s'en servir. La radio a été mise en pièces pour qu'on ne puisse pas s'en servir non plus... et René a disparu, dit Henri d'un air sombre. Ce n'est pas un cauchemar. Nous sommes bien éveillés! » Ils décidèrent tous les quatre d'aller s'asseoir dans la cabine, et là, serrés les uns contre les autres, ils se sentirent vaguement réconfortés. Jacques découvrit, sous une planche, une plaque de chocolat. Personne n'avait pris de petit déjeuner. Le choc de la terrible découverte qu'ils venaient de faire leur avait coupé l'appétit. Cependant ils grignotèrent volontiers quelques carrés de chocolat. « Nous devrions essayer de deviner ce qui s'est passé ici, dit Jacques, en faisant partager à Kiki sa ration de chocolat. — René était inquiet, déclara Henri. Il désirait être seul pour explorer les îles. Sans doute a-t-il été repéré par ses ennemis. — Probablement, continua Denise, et pendant tout le temps qu'il était à bord, les autres ne le perdaient pas de vue. Avec des jumelles, c'est facile. Le résultat est clair : on est venu l'enlever. — Ils ont dû prendre un bateau à moteur pour venir jusqu'ici, ajouta Jacques. Mais ensuite, pour s'approcher sans bruit, ils auront laissé le bateau au large et auront utilisé une barque à rames. Sans doute connaissaient-ils déjà cette crique, à moins
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qu'ils n'aient été attirés par la lumière. Car, certainement, René avait éclairé la cabine. - Je crois que tout a dû se passer ainsi, dit Henri avec tristesse. Ensuite ils ont attaqué René par surprise et l'ont probablement mis hors de combat. Puis ils l'ont emmené avec eux. Que va-t-il devenir maintenant ? » Après un long silence angoissé, Jacques reprit : « Qu'allons-nous faire? Il faut essayer quelque chose, mais quoi? - Pourquoi ne pas allumer un grand feu sur la falaise? proposa Denise. Les naufragés font toujours cela. - C'est une bonne idée, dit Jacques. Malheureusement, les ennemis risquent d'apercevoir le feu, eux aussi, et de venir nous capturer. » Ils réfléchirent profondément. C'était terrifiant, ces ennemis qui les guettaient, puissants et inconnus. « Je crois, dit enfin Henri, je crois que l'idée de Denise est bonne. Il faut allumer un feu. Tant pis si l'ennemi le voit et nous trouve. Il faut en prendre le risque. C'est le seul moyen de signaler notre présence à ceux qui vont nous rechercher. Si l'ennemi arrive ici, eh bien, nous nous cacherons. - Nous cacher! Tu plaisantes, dit Denise. Où pouvons-nous nous cacher? Il n'y a pas un coin, sur cette île, où l'on puisse dissimuler quoi que ce soit. - C'est vrai, fit remarquer Jacques. Il n'y a pas
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« C'est le seul moyen de signaler notre présence... »
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une grotte, pas un arbre ici. Et la falaise est tellement à pic qu'on ne peut l'explorer. — Et René? demanda tristement Lucette. Comment pourrions-nous le secourir? — Hélas! répondit Jacques, si nous n'arrivons pas à nous sortir de là, je ne sais pas comment nous pourrons aider ce pauvre René. » En furetant dans le canot, Denise s'aperçut que les vivres de réserve étaient toujours à leur place. « C'est surprenant qu' « ils » ne les aient pas emportés, fit remarquer Jacques. Nous ferions bien de les mettre à terre et de les cacher dans un terrier. » Ils prirent un repas léger, puis Jacques monta sur le pont. L'air était étouffant. Le vent lui-même était brûlant. Le soleil paraissait rouge à travers des nuages de brume. « L'orage n'est pas loin, dit Jacques. Dépêchonsnous avant qu'il éclate. » II fut décidé que Denise et Henri ramasseraient des brindilles pour faire un feu sur la falaise tandis que Jacques et Lucette s'occuperaient de mettre lés provisions en lieu sûr. Henri, tout en transportant de la bruyère sèche, disait à Denise : « Nous ne savons pas si les avions qui ont survolé l'île sont amis ou ennemis. Au cas où ce seraient des amis, ils risquent d'apercevoir notre signal et de nous envoyer de l'aide. Peut-être même aujourd'hui,
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pourquoi pas? Dépêchons-nous d'allumer notre feu. En le garnissant d'algues humides, il fumera davantage.» Pendant ce temps Jacques et Lucette empilaient des provisions dans des sacs et les portaient du canot au Val du Sommeil. Bientôt une colonne de fumée s'éleva au sommet de la falaise. « Bravo, cria Jacques, ils ont allumé leur feu! Bon travail! » La fumée montait droit vers le ciel. Elle était noire et épaisse et les enfants pensèrent qu'elle serait visible de très loin. La journée, coupée à midi d'un déjeuner rapide, se passa à entretenir le feu. Mais aucun bateau ne se montra à l'horizon, aucun avion n'apparut dans le ciel. Vers six heures, le vent se leva. La mer devint agitée ; des vagues s'élevèrent tout autour de l'île en une haute muraille d'écume blanche, qui s'écroulait dans un bruit de tonnerre. Les oiseaux avaient déserté les criques et volaient en criant. Kiki s'était installé près des tentes qui claquaient au vent et tiraient sur leurs piquets. Le soleil s'enfonça derrière un mur d'épais nuages noirs. Jacques et Henri observaient le ciel. « Voilà qui annonce une belle tempête, dit Jacques. J'espère que nos tentes résisteront cette nuit.
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— Oui... pourvu qu'elles tiennent », répondit Henri, inquiet. Ils se hâtèrent de dîner avant que l'obscurité ne fût complète. Puis, pendant que Denise et Lucette remettaient un peu d'ordre à l'intérieur des tentes, les deux garçons allèrent s'assurer de la solidité des piquets. « II n'y a plus qu'à attendre, dit Jacques. Nous verrons bien. As-tu une lampe électrique, Henri? Nous en aurons besoin si un piquet s'arrachait pendant la nuit.» Les deux garçons avaient des lampes de poche garnies de piles neuves. Ainsi parés, ils se glissèrent dans leurs sacs de couchage, tandis que les filles, retirées sous leur tente, cherchaient à s'endormir. Le vent soufflait en rafales et la pluie tombait maintenant à grosses gouttes. « Quel vent! fit remarquer Henri. C'est assourdissant. Je tombe de sommeil et, à cause de ce tintamarre, je ne peux pas arriver à dormir... Qu'est-ce que c'est? » Un fracas épouvantable venait de retentir tout près. « Le tonnerre, répondit Jacques en s'asseyant. Allons voir les filles, Henri ! Lucette doit être terrifiée.» Ils s'introduisirent sous l'autre tente, en rampant. Les filles ne dormaient pas et les accueillirent avec joie.
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Un autre coup de tonnerre claqua, plus assourdissant que le premier. Un éclair zébra le ciel et éclaira pendant un court instant la falaise et la mer déchaînée. Puis il y eut un autre coup de tonnerre, plus violent encore. « Ce vent est terrible, dit Lucette, pleurant d'effroi. Nos tentes vont s'envoler. J'ai peur... j'ai peur...! — Mais non ! dit Jacques en lui prenant la main pour la rassurer. Elles sont solidement... » II n'eut pas le temps de terminer sa phrase. Un claquement déchira l'air, il y eut comme un grand bruit d'ailes... flap... flap... Quelque chose heurta le visage de Jacques... La tente s'était envolée! Les quatre enfants restèrent un instant frappés de stupeur. Le vent et la pluie faisaient rage, et plus rien ne les abritait. Lucette se mit à hurler. Jacques alluma sa lampe électrique et cria : « Partie, la tente est partie! Venez vite sous la nôtre, dépêchez-vous! » Mais avant même que les filles aient pu sortir de leurs sacs de couchage, l'autre tente, à son tour, était enlevée par la tempête. « Quel gâchis! cria Henri, essayant de dominer le bruit du vent. Nous ne pouvons pas rester ainsi. Que faire? — Essayons d'atteindre le bateau! » hurla Jacques.
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II aida les filles à se lever. Chacun mit une couverture sur ses épaules pour essayer de s'abriter un peu du froid et de la pluie. « Tenons-nous les uns les autres pour ne pas nous perdre! cria Henri. Je vous conduis! » Ils se prirent par la main et, en file indienne, suivirent Henri qui, trébuchant à chaque pas, essayait de les guider dans la bonne direction. Soudain, Denise, qui marchait derrière lui, sentit la main d'Henri lui échapper brusquement. Il y eut un cri, puis... le silence. La pauvre Denise appela, d'une voix étranglée par la peur : « Henri, que se passe-t-il? » Pas de réponse.
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Jacques alluma sa lampe électrique et regarda tout autour de lui. Il n'y avait pas trace d'Henri. « Henri! cria-t-il à son tour. Où es-tu? » Mais seul le bruit du vent lui répondit. Alors ils se mirent tous les trois à crier de toutes leurs forces. Jacques crut entendre un faible appel qui paraissait sortir de terre, à ses pieds. Il dirigea la lumière de sa lampe dans cette direction et, à sa plus complète surprise, il aperçut la tête d'Henri, mais la tête seulement, qui émergeait du sol. Abasourdi, le garçon se laissa tomber sur les genoux. En un éclair, il comprit ce qui était arrivé. Cette partie de la lande était creusée de très nombreux terriers de lapins. Henri avait sans doute mis le pied sur l'un de ces terriers qui s'était effondré sous son poids. Sous l'orifice du terrier se trouvait un énorme trou dans lequel Henri était tombé. Il s'y tenait debout, et seule sa tête dépassait. Jacques se sentit soulagé en voyant son ami. « T'es-tu fait mal, Riquet? — Non, absolument pas, mais j'ai perdu ma lampe. Passe-moi la tienne, s'il te plaît. Je voudrais voir comment est ce trou. » Lorsqu'il tint la lampe dans sa main, Henri se baissa et sa tête disparut dans l'excavation. Quelques instants après, elle reparut. « Venez tous! appela-t-il. C'est une énorme cavité
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dans laquelle nous tiendrons tous les quatre. Ça ne sent guère bon, mais au moins, nous y serons à l'abri de la pluie et de la tempête. » Denise se laissa glisser auprès d'Henri et fut rejointe par Lucette et Jacques. Ils poussèrent un soupir de soulagement. Ils étaient de nouveau tous ensemble... et au sec. « C'est probablement une cavité naturelle », fit remarquer Henri, en inspectant avec sa lampe leur nouveau domaine. « Toutes ces racines entremêlées retiennent la terre et forment un plafond et des parois qui paraissent tenir solidement. C'est exactement ce qu'il nous faut pour l'instant. » Au-dessus de leurs têtes, la tempête faisait rage. Mais la pluie ne pénétrait pas et le bruit du tonnerre leur parvenait très assourdi. « Pourquoi ne passerions-nous pas la nuit ici proposa Jacques. Le sol est sec et doux, et il y a suffisamment d'air qui pénètre par le trou. » Ils furent tous d'accord. Ils étendirent leurs couvertures par terre et ne tardèrent pas à s'endormir d'un sommeil profond.
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CHAPITRE VIII LE LENDEMAIN par l'émotion et la fatigue, les enfants dormirent longtemps. Jacques et Henri s'éveillèrent les premiers. Bientôt, ils furent debout tous les quatre. Leur premier soin fut d'inspecter leur refuge, tout en se remémorant les événements de la nuit précédente. « Quelle histoire! » dit Denise en frissonnant rétrospectivement. ÉPUISÉS
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Pendant ce temps, Jacques avait écarté la branche de bruyère qui bouchait l'entrée de la cavité. Un rayon de soleil vint le frapper au visage et lui fit cligner les yeux. Ravi, il sortit sa tête. « Quel temps superbe! Venez voir! Le ciel est bleu. Il n'y a plus un nuage, la tempête est loin! » Ils sortirent, en s'aidant les uns les autres. Lorsqu'ils furent dehors, et que la bruyère eut recouvert de nouveau l'entrée de leur refuge, plus rien ne signalait l'existence de ce trou. La même idée leur vint soudain à l'esprit : ils avaient trouvé là une cachette merveilleuse. « Si les ennemis nous cherchent, dit Denise, voilà où nous pourrons nous réfugier. On ne peut absolument pas trouver notre trou, sauf si l'on marche dessus. Déjà maintenant, je ne peux plus en distinguer l'orifice. — C'est vrai, dit Jacques. Il faut le signaler d'une manière quelconque, sans quoi nous ne pourrons jamais le retrouver. » Ce disant, il marchait de long en large pour essayer de repérer leur refuge de la nuit et, comme Henri la veille, il tomba dedans. Il sortit en riant et indiqua l'emplacement au moyen d'un bâton fiché en terre. « Comme il fait beau! s'écria Denise.
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Nos couvertures vont pouvoir sécher dans ce bon soleil. Il n'y a plus un souffle de vent. - Il va faire très chaud, dit Jacques. Allons nous baigner. » L'eau calme et transparente ne ressemblait en rien à la mer déchaînée et grise de la veille. Après un bain délicieux, ils mangèrent de grand appétit. Kiki, mis en joie par le beau temps revenu, bavardait sans arrêt : « As-tu bien déjeuné? Ferme la porte! Pauvre Kiki, pauvre Kiki, pauvre... » « Oh! Assez! » cria Jacques impatienté. Ils allèrent ensuite inspecter leur feu. Naturellement la tempête l'avait éteint et en avait dispersé les cendres. Ils eurent beaucoup de difficultés à le rallumer, car tout le bois était trempé par la pluie de la veille. Cependant le soleil eut vite fait de sécher quelques branches. Quant aux tentes, les enfants n'en trouvèrent nulle trace. Ils ne purent récupérer que les tapis de sol, restés maintenus par quelques piquets. « La seule chose qui nous reste à faire, maintenant, est de passer la nuit prochaine dans notre trou, proposa Jacques. - Non, non ! implora Lucette. On y étouffe. Il fait si chaud que nous pourrons coucher à la belle étoile. » Henri inspecta le ciel. Il était complètement dégagé et d'un bleu profond.
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« Oh! Assez! » cria Jacques impatienté.
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« Évidemment, si le temps ne change pas jusqu'à ce soir, nous serons très bien dehors. Puisque nous avons encore nos tapis de sol, nous les étalerons par terre, sur un lit de bruyères, et nous serons parfaitement bien installés. » Ils étendirent toutes leurs affaires pour les faire sécher. Puis ils allèrent surveiller et attiser leur feu qui maintenant dégageait une grosse fumée. Tout autour d'eux, des dizaines d'oiseaux voletaient en piaillant. Pour être vraiment efficace, le feu devait brûler toute la journée sans interruption. Ce fut un gros travail que d'aller ramasser, parfois fort loin, assez de brindilles, de branchages et d'algues pour l'entretenir. Les enfants s'y employèrent activement, tant et si bien qu'ils laissèrent passer l'heure du déjeuner sans y prendre garde. « Bah! dit Jacques. Nous dînerons plus copieusement ce soir, et voilà tout. » Enfin, fatigués par leurs allées et venues incessantes, ils s'assirent en haut de la falaise pour prendre un peu de repos en contemplant la mer calme et brillante. « Qu'est-ce que c'est que ça? dit soudain Lucette, en montrant quelque chose qui flottait sur l'eau. — On dirait des morceaux de bois, dit Henri. La marée montante les pousse vers le rivage. Ils pourront servir pour notre feu. » II avait pris les jumelles pour mieux voir.
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Lorsqu'il les abaissa, son expression avait changé. « On dirait, murmura-t-il, on dirait des morceaux de La Belle Étoile. Et en voilà d'autres... et je suppose que nous en trouverions encore sur les rochers. » Emus, ils se taisaient. Jamais ils n'avaient imaginé que leur bateau pût être écrasé par les vagues dans son abri. Il leur fallut un certain temps pour comprendre toute l'étendue de la catastrophe. Jacques se reprit le premier. Il se leva. « Allons voir de plus près, dit-il. Mais il n'y a pas d'erreur possible : le bateau n'a pas pu résister à une pareille tempête. Quelle malchance! Même sans moteur, il pouvait encore nous servir. Nous aurions pu y monter une voile... ou essayer de ramer. Maintenant nous n'avons plus rien. » Dans un silence morne, les enfants descendirent jusqu'à la petite crique. Là, seul un morceau de cordage accroché à un rocher témoignait que La Belle Étoile avait été amarrée à cet endroit. « Regardez, dit Jacques. On voit des traces de peinture sur ces pierres. Le canot a dû rompre ses amarres et aller se fracasser contre les rochers. Plus d'espoir! » Ce furent quatre enfants désespérés qui quittèrent la côte pour remonter vers leur abri. Le soleil baissait à l'horizon.
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« J'entends un avion », annonça soudain Lucette dont l'oreille fine avait perçu le bruit avant les autres. En effet, un point noir, bas dans le ciel, avançait rapidement. Jacques saisit ses jumelles, et Henri sa longue-vue. Jacques poussa une exclamation. « II laisse tomber quelque chose. Regarde, Henri ! Est-ce un parachute? - On le dirait bien, répondit Henri. Il y a quelque chose qui pend en dessous. Est-ce un homme? Non, on ne le dirait pas. Qu'est-ce que cela peut donc être? Et pourquoi lâche-t-on quelque chose ici? Ah ! si seulement René était là ! Quel mystère ! Ce sont certainement les ennemis. S'ils ont vu notre fumée ils sont maintenant avertis de notre présence sur
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l'île. Ils vont sans doute venir en inspecter tous les coins pour voir ce qui s'y passe. Il faudra que, dès demain, nous nous installions à tour de rôle sur la falaise pour faire le guet. » Inquiets pour l'avenir, les enfants revinrent au Val du Sommeil. Il était presque l'heure du dîner et ils n'avaient pas déjeuné! « Est-ce que vraiment il faut continuer à entretenir le feu? demanda Lucette. C'est dangereux, si les avions qui nous survolent sont des ennemis. — Oui, je crois qu'il faut courir ce risque, répondit Jacques. Sans quoi nos amis ne pourront pas nous trouver. Sans nouvelles de René, ses chefs enverront sans doute des canots à notre recherche. Ils verront notre feu et comprendront le signal. » Ainsi qu'ils l'avaient projeté, les enfants dormirent cette nuit-là à la belle étoile. Le lendemain, le temps était toujours aussi beau. Il n'y avait pas un souffle d'air et la fumée du feu ranimé montait droit dans le ciel. A tour de rôle, chacun des quatre enfants s'installa pour faire le guet, en haut de la falaise aux oiseaux. De là, on embrassait tout l'horizon autour de l'île, et l'ennemi ne pouvait approcher sans être vu de très loin. Le guetteur aurait ainsi le temps de prévenir les autres et ils pourraient gagner leur cachette. « Tout cela est très bien, fit remarquer Lucette, après qu'ils eurent pris ces décisions, mais où
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allons-nous cacher nos provisions? Pourquoi ne pas les mettre dans le trou? — Non, il faudra sans cesse monter et descendre, chaque fois que nous voudrons manger, dit Jacques. Faisons un tas des boîtes de conserves et couvrons-les soigneusement de bruyère. » C'est ce qu'ils firent. Ainsi camouflée, leur réserve de vivres était invisible. Deux jours passèrent. Rien de nouveau ne se produisait. Une fois, ils entendirent le bruit d'un avion, mais ils ne le virent pas. Les enfants se baignaient, dormaient et mangeaient, pendant que l'un d'eux sans cesse montait la garde. Mais il n'y eut rien à signaler. L'après-midi du troisième jour, Jacques était assis sur la falaise en compagnie de Kiki. Il inspectait nonchalamment la mer devant lui et les vagues bordées d'écume qui venaient mourir sur la plage. Soudain son regard rencontra quelque chose au large qui le fit sursauter. Il saisit rapidement les jumelles et scruta l'horizon. Il distingua nettement un canot à moteur. « Voilà l'ennemi », pensa-t-il immédiatement. Il allait sauter sur ses pieds pour courir vers les autres lorsqu'il se souvint que les occupants du bateau, avec des jumelles, pourraient le voir. Aussi rampa-t-il aussi longtemps qu'il risquait d'être vu du large. Lorsqu'il fut à l'abri dans la faille,
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il se dressa et se mit à courir à routes jambes pour alerter les autres. « Ohé! cria-t-il en arrivant, hors d'haleine. Il y a un bateau en vue! » Henri, Lucette et Denise, qui faisaient la sieste, furent debout en un clin d'œil. Lucette ouvrait tout grand ses yeux verts. « Où est-il? Est-il loin? — Oui, assez loin. Il n'accostera guère avant dix minutes. Nous avons le temps d'envoyer toutes nos affaires dans le trou. Mais dépêchonsnous! — Et le feu? demanda Denise tout en attrapant une pile de vêtements. — Pas le temps de l'éteindre. D'ailleurs ils ont sans doute déjà aperçu la fumée, répondit Jacques. Vite, vite, Lucette. Dépêche-toi! » II ne fallut pas longtemps pour jeter dans l'abri toutes les affaires pêle-mêle. Jacques prit soin d'enlever le bâton qui marquait l'entrée de la cachette. « Inutile de laisser un repère, dit-il. - Est-ce qu'il ne reste plus rien? » Henri inspecta soigneusement du regard le sol environnant. Il releva des touffes de bruyère écrasées, mais d'elles-mêmes les plantes, élastiques, reprenaient leur position. Henri ramassa une cuiller oubliée. « Allons, assez traîné. Viens vite, Riquet ! » dit Jacques, impatient. Les filles étaient déjà descendues. Jacques se laissa
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glisser par l'étroite ouverture, bientôt suivi par Henri. Ils rabattirent sur l'entrée du trou des branches de bruyère. « Ouf! s'exclama Jacques. On ne peut rien voir du dehors. Nous sommes en sécurité. Pour nous trouver, il faudrait que quelqu'un marche juste sur l'orifice, comme Henri l'autre nuit. » Ils s'assirent, silencieux, retenant leur respiration, attentifs au moindre bruit. « Chut! murmura soudain Jacques. J'entends quelque chose! » Un bruit de pas résonnait jusque dans la sombre cachette où se trouvaient les enfants. Puis des voix se firent entendre.
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« II faut chercher partout. Que diable, il y a bien quelqu'un qui a allumé et entretenu ce feu ! — Il n'y a aucun coin où l'on puisse se dissimuler sur cette petite île, répondit une autre voix. On ne peut pas descendre le long de ces falaises abruptes. Et il est évident qu'il n'y a personne dans ce vallon, excepté des oiseaux et des lapins. » Ensuite parvint le bruit d'une allumette que l'on gratte. L'un des hommes était évidemment en train d'allumer une cigarette. Il jeta loin de lui l'allumette enflammée. Elle tomba, à travers le rideau de bruyère, jusque sur les genoux de Denise qui faillit hurler. « Ils sont tout près, pensaient les enfants, terriblement près de nous! » « Regarde donc, fit soudain l'une des voix. On dirait le papier d'argent d'une tablette de chocolat. Je parierais qu'ils ne sont pas cachés loin. » Les enfants, le cœur battant, étaient glacés d'effroi. Henri se rappelait avoir jeté, sans y faire attention, le papier de son chocolat. « Quelle stupidité de ne pas l'avoir ramassé! Que c'est bête, que c'est bête, que c'est bête! » se disait-il, furieux. Jacques chercha Kiki de la main. Il n'était plus sur son épaule. « Pourvu qu'il ne se mette pas à crier, juste au moment où les hommes sont si près », pensa-t-il. Kiki était sorti du trou et se tenait devant un terrier, fixant les hommes de ses yeux ronds.
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« Qu'est-ce que c'est que cet oiseau? demanda l'un des hommes. — Je ne sais pas au juste, grogna l'autre. On dirait un perroquet. Mais que ferait-il dans ces parages? » Kiki les regardait. « Pauvre Kiki, pauvre Kiki! » cria-t-il. « Tu vois, reprit l'homme. C'est bien un perroquet. Ces bêtes-là parlent comme des humains quelquefois. — Oui, mais il faut qu'on leur ait appris. Et qui a pu lui apprendre, à cet oiseau-là? — Suffit! reprit le premier. Ne perdons pas notre temps avec ce stupide animal. Descendons jusqu'à la mer. Nous suivrons la côte pour être bien sûrs qu'il n'y a personne. Quel dommage que le bateau ait été démoli par la tempête ! Nous aurions pu y prendre quelques provisions. » Les voix s'éloignèrent. Les enfants poussèrent un soupir de soulagement, lorsqu'ils ne les entendirent plus du tout. Kiki rentra dans la cachette en criant toujours : « Pauvre Kiki, pauvre Kiki! » « Tais-toi donc! murmura Jacques en lui serrant le bec. Tu as failli nous faire découvrir. Encore un mot et je te tords le cou. » Kiki prit son air offensé et se percha silencieusement sur l'épaule de son maître. Pendant un temps qui leur parut interminable,
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Tout va bien. Ils sont maintenant hors de vue. »
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les enfants restèrent assis en silence dans le trou. Aucun bruit de pas, aucun éclat de voix ne leur parvenait plus. « J'ai une crampe, gémit Denise. Est-ce qu'il va falloir rester encore longtemps ici? Je ne sais pas, répondit Jacques. Je vais jeter un coup d'œil dehors. » Juste au moment où il allait écarter la bruyère, un bruit se fit entendre qui les remplit de joie, le bruit d'un moteur qui s'éloignait. « Ouf! dit Jacques. Ils ont abandonné leurs recherches, Dieu merci! Laissons-les encore s'éloigner, puis nous sortirons. » Ils attendirent cinq minutes. Jacques, le premier, se hissa dehors ; immédiatement il se coucha sur le ventre pour ne pas être repéré et, à l'aide des jumelles, inspecta la côte. Bientôt il aperçut ce qu'il cherchait, le canot qui s'éloignait à toute vitesse et devenait de plus en plus petit. « Vous pouvez venir! cria-t-il aux autres. Tout va bien. Ils sont maintenant hors de vue. » Bientôt les quatre enfants se retrouvèrent assis dans le Val du Sommeil en train de déguster un vrai repas. Tant d'émotions leur avaient donné de l'appétit. Le moral remontait progressivement. « Nous l'avons échappé belle, dit Henri en finissant une boîte de confitures. Un peu plus et l'un des hommes marchait sur l'entrée de notre abri et tombait sur nous.
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— Crois-tu que ce soit dangereux de dormir dehors cette nuit? demanda Denise qui débarrassait les restes du repas. Je n'ai guère envie d'aller m'enfermer dans cet horrible trou. - Non, je pense qu'il n'y a aucun danger, répondit Jacques. Ces hommes, à mon avis, ne reviendront pas en pleine nuit. Quel dommage que nous n'ayons même pas pu les apercevoir! - Quelles horribles voix ils avaient! dit Lucette. - En y réfléchissant, c'est une chance que nos tentes aient été enlevées par la tempête, fit soudain remarquer Denise. Sinon, nous n'aurions pas su où nous cacher. - C'est vrai, dit Henri. Je me demande si ces hommes reviendront. Je suis d'avis, néanmoins, de continuer à monter la garde à tour de rôle et d'entretenir notre feu. C'est notre seul espoir de salut. »
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CHAPITRE IX QUELQU'UN D'AUTRE VIENT SUR L'ILE étaient maintenant tout hâlés par le soleil. « Comme maman serait contente de notre mine, si elle nous voyait! fit remarquer Henri. — Quand je pense qu'il n'y a qu'une semaine que nous l'avons quittée, dit Denise, pensivement. Il me semble que des mois ont passé ! Je me demande comment elle va. LES ENFANTS
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— Elle doit se faire du souci à notre sujet, répondit Henri, car elle est sans nouvelles depuis plusieurs jours. Pourtant elle est sûrement persuadée que nous sommes toujours avec René et en sécurité. Heureusement qu'elle ne se doute de rien! » Jacques se leva. « Assez parlé, maintenant. Allons nous occuper de notre feu. Je ne vois guère de fumée, ce matin. » Les enfants grimpèrent en haut de la falaise. Après avoir ranimé le feu, ils s'assirent en cercle et bavardèrent tranquillement tout en jetant de temps en temps des brindilles sèches qui crépitaient en s'embrasant. Une spirale de fumée s'éleva dans l'air pur et s'inclina vers le nord. Jacques prit les jumelles et inspecta l'horizon. Qui sait? Ennemis ou amis pouvaient apparaître d'un moment à l'autre. « Un bateau! » cria-t-il soudain, en immobilisant les jumelles sur un point noir, loin, sur la mer déserte. « Henri, dis-moi si je ne me trompe pas? » Henri prit sa longue-vue et les deux garçons scrutèrent longuement l'horizon, tandis que les filles, à côté d'eux, trépignaient d'impatience. A l'œil nu, elles ne pouvaient rien distinguer. « Est-ce toujours le même bateau? demanda Henri, — Non, je ne crois pas, répondit Jacques, il est
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plus petit; il arrive d'une autre direction. C'est peutêtre une feinte pour nous faire croire qu'il est un ami. — Gomment le savoir? demanda la pauvre Lucette, effrayée. Faut-il de nouveau se cacher? » Jacques lui passa les jumelles puis il se tourna vers Henri les yeux brillants. « J'ai une idée, dit-il. Il n'y a qu'un seul homme cette fois sur le bateau. Il faudra bien qu'il amarre son embarcation quelque part et qu'il la laisse pendant qu'il ira à notre recherche. Pourquoi ne pas s'en emparer à ce moment-là? — Ce serait formidable! s'exclama Henri, très excité. C'est un canot à moteur. Il ne paraît pas grand mais nous pourrions y tenir aisément tous les quatre. » Denise ne quittait pas des yeux le bateau qui approchait. « S'en emparer, c'est vite dit, fit-elle remarquer. L'homme nous verra arriver et c'est lui qui nous capturera. — Écoutez, j'ai un plan, dit Jacques après un moment de réflexion. Mais vous devrez tous m'aider, les filles également. — Alors, dis-nous vite ce que nous aurons à faire ! s'écria Denise, impatiente. — Voilà : d'abord deviner l'endroit où l'homme va accoster. Cela peut être dans la crique où était La Belle Étoile ou bien de l'autre côté de l'île, sur une
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plage de sable. Nous n'allons d'ailleurs pas tarder, à le savoir : il n'y a qu'à observer la direction qu'il prend dès maintenant. — Et après? demanda Lucette, entrant dans le jeu. — Après, Denise et moi, nous nous cacherons près du bateau pendant que l'homme pénétrera dans l'île à notre recherche. Alors, tranquillement, vous irez à sa rencontre, toi et Henri, et vous lui adresserez la parole. — Non, non, je ne pourrai pas! cria Lucette. J'aurai trop peur. — Tant pis! Tu resteras cachée quelque part. Toi, Henri, tu- t'avances vers lui et tu te débrouilles comme tu le peux pour le faire tomber dans notre trou. Une fois là-dedans, nous lui donnons un coup sur la tête; l'homme reste étourdi pendant quelque temps et ne peut pas sortir du trou. C'est alors qu'après avoir descendu près de lui assez de provisions pour qu'il ne meure pas de faim s'il reste là plusieurs jours, nous décampons aussi vite que possible. Nous montons sur son bateau et nous gagnons le large. » Cet exposé remarquable avait été écouté dans un silence religieux. Henri parla le premier : « Comment pourrai-je faire tomber l'homme dans le trou? En paroles, tout est facile, mais c'est un peu comme si je lui disais : « Voulez-vous me faire l'honneur de devenir mon prisonnier? »
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Je ne crois pas qu'il se laissera faire... » Jacques l'interrompit avec impatience : « Moi, je suis sûr d'y arriver. On le fait marcher dans les terriers puis, arrivé au-dessus de la cachette, je lui fais un croc-en-jambe. Je le pousse... il tombe... le tour est joué ! — Bon, alors tu t'en chargeras, dit Henri. Moi, je préfère m'emparer du canot. Je me cacherai tout à côté. » Le bateau était maintenant très près de la côte. « II n'y a qu'un homme à bord, dit Henri. Il porte des lunettes noires. — Vous vous rappelez bien, tous, votre rôle, n'est-ce pas? questionna Jacques. Lucette et moi, nous allons faire de grands signaux. Pendant ce temps Henri et toi, Denise, vous vous cachez soigneusement. Et lorsque vous nous rejoindrez, vous ne me contredirez pas, quelle que soit l'histoire que j'aurai inventée. » Pendant ce temps, l'inconnu se dirigeait sans hésiter vers l'endroit où avait été amarrée La Belle Étoile, comme s'il connaissait parfaitement l'existence de cette ouverture dans la falaise. Au moment où il s'en rapprochait, Jacques et Lucette se mirent debout et agitèrent les bras. L'homme leur répondit. « C'est parfait, dit Jacques avec satisfaction.
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Denise et Henri, allez vite vous cacher derrière les gros rochers, près de la crique. Dès qu'il aura amarré son canot il montera vers nous. Alors ne perdez pas une minute. Sautez dans le canot et tenez-vous prêts à prendre la mer au cas où nous ne réussirions pas à le faire prisonnier. Mais si nous y arrivons, quelle victoire! Nous aurons un otage sur l'île et un bateau pour nous échapper. — Le voilà qui accoste, dit Henri. Viens, Denise! Bonne chance, Jacques et Lucette! »
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CHAPIRE X M. HORACE SAUTELÈRE EST SCANDALISÉ L'INCONNU
conduisait son bateau avec adresse. Il le fit pénétrer aisément dans la crique étroite où La Belle Étoile avait été mise en pièces par la tempête. Il aperçut, qui pendait le long d'un rocher, le morceau de cordage qui avait servi à amarrer le canot disparu. Il le regarda longuement, très intrigué. A quelques pas de lui, accroupis derrière un gros
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rocher qui surplombait la crique, Denise et Henri étaient cachés. Ils n'osaient pas regarder ce que faisait l'homme de peur d'être aperçus s'ils levaient la tête. Là-haut, sur la falaise, Jacques et Lucette attendaient. Lucette tremblait. « Calme-toi, lui dit Jacques avec affection. Ne dis pas un mot et laisse-moi faire. Le voilà qui arrive! » En effet l'homme escaladait les marches grossières qui conduisaient au sommet de la falaise. Il était grand et efflanqué. Ses jambes nues étaient maigres. Il était vêtu d'un short et d'un gros pull-over à col roulé. Sa peau, rougie par le soleil, formait par endroits des cloques. Son front paraissait haut, dégagé par une calvitie naissante. Il avait une petite moustache courte et portait des lunettes noires épaisses qui cachaient complètement ses yeux. Dans l'ensemble, son aspect n'avait rien d'effrayant, pensait Jacques en le voyant arriver. « Bonjour, dit l'inconnu, lorsqu'il fut assez près. J'ai été très étonné de savoir qu'il y avait du monde sur l'île. — Qui vous l'a dit? demanda Jacques. — Personne. J'ai vu la fumée de votre feu. Que faites-vous donc ici? Y a-t-il un camp sur l'île? Un groupe qui séjourne ici? — Peut-être, répondit évasivement Jacques. Et vous, que venez-vous faire?
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— Je suis un ornithologue. J'ai toujours aimé les oiseaux et je suis venu ici autrefois pour les étudier, il y a bien longtemps, lorsque j'avais votre âge. J'ai voulu revoir l'île cette année, mais quel travail pour la retrouver! J'ai été intrigué en voyant s'élever la fumée. A quoi jouez-vous donc? Aux naufragés? C'est un jeu qui plaît aux enfants. » II était évident que l'homme jugeait les deux enfants bien plus jeunes qu'ils n'étaient en réalité. « Est-ce que vous vous y connaissez vraiment bien en oiseaux? demanda Jacques. — A vrai dire je connais mal les oiseaux de mer. C'est pourquoi je suis venu ici. Je voudrais étudier leurs mœurs sur place. — Nous avons avec nous un perroquet apprivoisé. Voulez-vous le voir? proposa Lucette. — Très volontiers. Merci beaucoup. » Et il fit à Lucette un large sourire. « Mais permettez-moi d'abord de me présenter : Sautelère, Horace Sautelère. — Saute-en-1'air? questionna ingénument Lucette en étouffant un éclat de rire. — Non, non, reprit son interlocuteur vexé. Sautelère, Horace Sautelère. Et vous, comment vous appelez-vous? — Je suis Lucette Tirmont, et voici mon frère Jacques. Suivez-nous. Je vais vous montrer le chemin.»
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Horace Sautelère reprit : « J'aimerais bien faire la connaissance de la personne qui vous garde. Et aussi... euh... votre bateau, où est-il? Vous êtes bien venus en bateau? — Il a été détruit par la tempête », répondit Jacques, d'un air dramatique. M. Sautelère fit entendre une exclamation de sympathie : « Mes pauvres! Gomment ferez-vous pour repartir?» Tout en devisant, ils approchaient de l'orifice de la cachette. Lucette sentait ses genoux se dérober sous elle. Jacques avait atteint l'endroit où la bruyère masquait l'entrée dû trou. De sa démarche hésitante de myope, l'homme le suivait, lorsque, à sa plus grande stupéfaction, il sentit qu'on lui faisait un croc-en-jambe. Il trébucha et bascula, juste à côté de l'orifice béant. Avant qu'il ait pu reprendre son équilibre, Jacques le poussa violemment et le fit tomber, d'un seul coup, au fond de l'excavation. Jacques empoigna un gros bâton qu'il avait préparé et se pencha au-dessus de l'ouverture. En bas, dans la pénombre, l'homme se relevait péniblement en geignant. Il leva la tête et aperçut le garçon. « Petit vaurien! cria-t-il. Qu'est-ce que cela signifie? »
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Dans sa chute, il avait perdu ses lunettes. Ses yeux, au lieu de lancer des éclairs, clignaient et larmoyaient. Il se tenait la tête comme s'il souffrait. « Je suis désolé, dit Jacques, mais il n'y avait pas le choix : ou bien nous nous emparions de vous, ou bien c'était vous qui nous faisiez prisonniers. Nous vous connaissons bien, vous et votre bande. __ Quelle bande? Que signifie cette histoire extravagante? » cria l'homme. Il essaya alors de se mettre debout. Sa tête dépassait de l'orifice. Jacques leva son bâton. « Asseyez-vous, dit-il brutalement. Vous êtes notre prisonnier. Vous avez emmené René. Tant pis
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pour vous si vous vous êtes fait prendre à votre tour. N'essayez pas de sortir, sinon vous recevrez un bon coup sur la tête. » Horace Sautelère battit prudemment en retraite. Lucette, toute pâle, ouvrait de grands yeux remplis d'effroi. « Jacques, lui as-tu fait mal? J'espère que tu ne vas pas le frapper? — Bien sûr que si, s'il ose bouger, répondit Jacques. Il faut à tout prix l'empêcher de retourner à son bateau, sans quoi nous sommes perdus. » L'homme se mit alors à crier : « Allez-vous enfin m'expliquer où vous voulez en venir, petits voyous? — Je suis vraiment désolé, répéta Jacques. Mais maintenant que notre bateau est démoli et que René a disparu, nous ne pouvons pas rester ici indéfiniment. Votre bateau nous sera très utile. — Mon bateau ! gémit le prisonnier. Vous n'oserez tout de même pas prendre mon bateau? — Il le faudra bien », répondit froidement Jacques. « Lucette, continua-t-il, si tu aperçois les autres, faisleur signe de venir. » Lucette se mit debout et vit Denise, dressée sur un rocher, qui guettait avec anxiété. Elle lui fit de grands gestes d'appel. « Tout va bien ! hurla-t-elle. Il est dans le trou ! »
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Denise répondit en agitant les bras et disparut pour avertir Henri. Bientôt tous les deux reparurent en bas de la côte. Ils eurent vite fait d'escalader la colline pour retrouver les autres et entendre le récit de leur exploit. « II est là! annonça Jacques. On l'a eu sans mal : un croc-en-jambe, un coup de coude et, toc! il est tombé comme une feuille! — Qui est là? demanda l'homme d'une voix plaintive. Expliquez-moi ce qui se passe. Je ne comprends rien. — Attendez! dit Jacques, se courbant cérémonieusement. Permets-moi, Henri, de te présenter M. Horace Saute-en-l’air. » Henri pouffa de rire. « C'est son vrai nom? Vraiment? — Misérable petit voyou! rugit M. Sautelère du fond de son trou. Enfant mal élevé! Mon nom est Sautelère et je vous prie de vous en souvenir. Sales gosses! Jamais je n'ai rencontré de pareils vauriens. » Dans sa fureur, il s'était mis debout et sa tête dépassait légèrement de l'orifice. « Rentrez immédiatement, cria Jacques hors de lui, sinon vous recevrez des coups! Le pauvre René n'a pas dû être épargné par vous, quand vous l'avez capturé. C'est votre tour maintenant. — Qu'allons-nous faire de lui? demanda Henri
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à mi-voix. Je suppose que c'est vraiment un ennemi, mais il ne paraît pas bien terrible. — Il joue la comédie, répondit Jacques sur le même ton. Il fait l'innocent, mais on sent bien que cela sonne faux. Heureusement qu'il n'a pas de revolver. — Oui, répondit Henri, j'avais peur de cela. Peut-être l'a-t-il laissé dans le bateau. Nous pourrons l'utiliser si c'est nécessaire. Jacques, continua-t-il à voix basse, son bateau est splendide. Un peu plus petit que La Belle Étoile, mais avec une cabine confortable et des provisions en quantité. — Y a-t-il des rames, au cas où nous voudrions aborder quelque part sans bruit? — Oui, je les ai remarquées. As-tu un plan, Jacques? Moi, je n'arrive pas à trouver ce qu'il faut faire. Fuir cette île, bien sûr, mais pour aller où? Toute la question est de savoir si nous allons chercher de l'aide sur une de ces îles où habitent peut-être des pêcheurs ou bien si nous revenons vers le continent, ou encore si nous nous lançons à la recherche de René. » Les filles avaient écouté la discussion, et chacune réfléchissait profondément. Lucette la première prit la parole. « Je suis d'avis de rechercher René. Si nous ne réussissons pas, il sera encore temps de retourner à terre. Mais René passe avant tout le reste.
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— Bravo, Lucette! dit Jacques. Je pense comme toi. » A ce moment, Horace Sautelère les interrompit bruyamment : « Arrêterez-vous bientôt ce bavardage? J'ai faim et soif. Si vous avez l'intention de me laisser mourir d'inanition, dites-le tout de suite. Au moins je serai fixé. — N'ayez crainte, nous ne vous laisserons pas périr. Lucette, donne-lui des biscottes et ouvre une boîte de viande. Et toi, Denise, va chercher un seau d'eau. » Après lui avoir passé ces provisions, les enfants à leur tour prirent quelque nourriture.
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Ils continuaient, à voix basse, à préparer leur fuite. « Êtes-vous d'avis de partir ce soir? demanda Henri. — Non, nous n'y verrons pas assez, même avec le clair de lune, répondit Jacques. Partons plutôt demain matin, à l'aube. Saute-en-lair dormira certainement, ce qui facilitera les choses. — Heureusement, car nous ne pourrons pas le surveiller pendant que nous rejoindrons tous le bateau, fit remarquer Lucette. — J'ai pensé à cela, dit Jacques. Aussi, nous allons agir de la manière suivante : je resterai ici pendant que vous irez tons les trois préparer le bateau, y transporter vêtements et nourriture, lever l'ancre; et lorsque tout sera bien prêt, Denise me fera un signal. Je viendrai vous rejoindre à toute vitesse et nous n'aurons qu'à partir. — Et le temps qu'Horace comprenne qu'il n'y a plus personne pour le garder, nous serons déjà loin, dit Denise. Pauvre Horace ! Au fond, il nie fait un peu pitié! »
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CHAPIRE XI LE GOLFE SECRET restèrent un moment silencieux. Soudain Denise eut une idée : « Ne pensez-vous pas que ce serait bien de tout préparer ce soir? dit-elle. Je veux dire que nous pourrions dès maintenant porter nos affaires sur le bateau : couvertures, lainages, provisions, etc. Ainsi, demain, au moment du départ, nous ne perdrions pas une minute. LES ENFANTS
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— Excellente idée, approuva Jacques. Nous pourrons embarquer aux premières lueurs du jour. — Que fait-on pour Saute-en-1'air? demanda encore Denise, II faut lui laisser quelque chose à manger, je pense. Ses amis ne vont pas être longs à venir le chercher, mais cependant il restera peut-être un ou deux jours seul. — Laissons-lui quelques boîtes de conserves, répondit Jacques, et un ouvre-boîtes. Henri, as-tu trouvé des couvertures dans son bateau? — Oui, dit Henri. Je les remonterai ici, après avoir porté nos affaires à bord. Je trouve que nous sommes vraiment charitables pour notre ennemi. » Mais ce n'était pas du tout l'avis d'Horace qui recommençait, au fond de sa prison de terre, à s'agiter et à vociférer. « Petits voyous, la plaisanterie a assez duré! Laissez-moi sortir. Que signifient toutes ces singeries, je voudrais bien le savoir? — Oh! assez de comédie, monsieur Sautelère. Vous savez aussi bien que moi que nous sommes ennemis. Vous feriez mieux de nous dire ce que vous avez fait de René, où vous le gardez, et s'il est sain et sauf. Vous auriez tout intérêt à ne rien cacher. — Je ne connais pas ce René dont vous me rebattez les oreilles, répondit l'homme, exaspéré. Je n'ai jamais rencontré d'enfants aussi odieux que vous.
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Si vous jouez aux Indiens, ou aux pirates, arrêtez maintenant. Le jeu a assez duré. » Puis il se mit la tête entre les mains et se tut, découragé. Les enfants firent de nombreuses allées et venues entre le Val du Sommeil et le bateau pour porter à bord ce qu'ils possédaient. Enfin le transbordement fut achevé. La nuit tombait. Henri, Lucette et Denise revinrent s'asseoir près de Jacques. « II va falloir monter la garde toute la nuit pour empêcher Horace de se sauver », murmura Henri. Jacques fit un signe d'approbation. « Nous le ferons à tour de rôle. Pendant ce temps, les filles pourront dormir. » Le soleil avait disparu dans la mer. Le ciel était semé d'étoiles. Tout était calme. Le prisonnier dormait sans doute. Soudain un bruit lointain se fit entendre, venant du large, d'abord faible, couvrant à peine le bruit de la mer et du vent, puis de plus en plus fort. Ce bruit, les enfants l'avaient reconnu : « Un canot à moteur, dit Jacques en se redressant. — Ils viennent déjà chercher Horace, fit Henri à voix basse. Ils n'ont pas perdu de temps, vraiment! Nos projets sont déjoués! » On ne pouvait rien distinguer sur l'eau noire, mais le bruit se rapprochait rapidement.
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Jacques attrapa Henri par le bras et lui murmura dans l'oreille : « II ne reste qu'une chose à faire : nous précipiter dans le bateau, tout de suite, sans perdre une seconde, et prendre le large. Il ne faut pas que les ennemis aperçoivent le bateau dans la crique, sans quoi ils s'en empareront, et notre dernière chance de salut disparaîtra... Filons tous, vite! » Silencieux, les quatre enfants se mirent debout. Kiki se percha d'un coup d'aile sur l'épaule de Jacques. Trébuchant sur les touffes de bruyère, tombant dans la terre molle des terriers, ils se hâtaient de descendre le long du vallon jusqu'aux rochers qui surplombaient la crique. Sans bruit, à tâtons, ils escaladèrent les blocs de granit, essayant de ne pas faire rouler de cailloux sous leurs pas. Enfin ils furent au bateau. Le cœur battant à tout rompre, le souffle court, ils y montèrent en grande hâte. « En route! » ordonna Henri. Jacques mit le moteur en marche. Henri détacha la corde d'amarre et ils partirent, par l'étroit chenal. Bientôt ils en furent sortis. Henri se dirigeait vers l'est. La nuit était noire maintenant. « Arrête le moteur, dit Henri. Nous allons laisser
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Ils se hâtaient de descendre jusqu'aux rochers.
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l'autre canot pénétrer dans la crique. Il paraît s'y diriger tout droit, et il vaut mieux que nous ne soyons pas sur son chemin. Il ne faut pas non plus qu'on entende notre moteur. » L'embarcation, silencieuse, se balançait doucement au gré des vagues. Le bruit de l'autre canot se rapprocha rapidement. Henri regrettait bien de ne pas s'être éloigné davantage. Mais le gros canot passa tout près d'eux sans les voir, s'engagea dans le passage pour gagner la petite crique. Les enfants, scrutant l'obscurité, avaient aperçu une forme vague qui glissait sur l'eau. Et ce fut tout. A son tour, le moteur de l'autre bateau se tut. Le silence revint dans la nuit. Quelques oiseaux de mer, dérangés, firent entendre des piaillements et Kiki s'agita aussitôt. « Et maintenant, demanda Denise tout bas, que faisons-nous? Si nous naviguons dans le noir, nous risquons d'aller nous écraser sur un rocher. — Il faut attendre qu'il fasse un peu jour pour partir, répondit Henri. Dès la première lueur de l'aube, nous nous mettrons en route. Espérons que les hommes ne nous entendront pas et ne nous poursuivront pas! - Nous aurons une bonne avance, fit remarquer Jacques. En attendant, je propose que nous dormions
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un peu. Je vais jeter l'ancre pour ne pas risquer de dériver pendant la nuit. » Pendant que les garçons s'affairaient, les filles étalèrent les couvertures et les lainages; puis ils s'étendirent tous sur le pont. La nuit était calme et chaude. Soudain, alors que Lucette commençait à s'endormir, un bruit la fit sursauter. Elle se dressa sur son séant, aussitôt imitée par ses compagnons. « Qu'est-ce qu'il y a? » demanda-t-elle. Bientôt elle comprit : c'était le moteur de l'autre bateau. « Ils ont dû trouver Horace, dit Jacques. Il leur a tout raconté et ils le ramènent avec eux. Il est évident qu'ils ne vont pas passer la nuit sur l'île. Chut! Les voilà! Attention! Cette fois ils ont allumé leur phare. — Jacques, Jacques, écoute-moi... » Henri lui prit le bras nerveusement et lui parla à l'oreille. « Si nous les suivions ? Nous saurions ainsi où se trouve leur repaire. Et nous pourrions délivrer René. Vite! Vite! Lève l'ancre! Ils n'entendront pas notre moteur, le leur fait un bruit assourdissant. » Le bateau ennemi gagnait la pleine mer. Bientôt celui des enfants s'engageait sans être vu dans son sillage. Longtemps les deux bateaux se suivirent. « Les filles, vous devriez vous reposer, dit enfin
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Jacques. Vous allez être épuisées. Henri et moi, nous prendrons la barre à tour de rôle. Installez-vous confortablement et dormez! » C'est ce qu'elles firent; elles ne furent pas longues à trouver le sommeil et à rêver de balançoires et de hamacs, à cause du roulis du bateau. Un bon moment plus tard, Jacques appela Henri. « Riquet, vois-tu cette lumière qui brille là-bas? Ce doit être un signal pour le bateau ennemi, car il se dirige droit dans sa direction. J'espère que notre voyage touche à sa fin. Voilà la lune qui se lève, et nous pourrions être vus. —- Heureusement, elle ne donne pas beaucoup de lumière, dit Henri. Leur signal est plus brillant. C'est peut-être un repère pour leurs avions également. » Grâce au clair de lune, les garçons pouvaient distinguer une île se profilant devant eux. A gauche, à quelque distance, on devinait une masse sombre, ' une autre île vraisemblablement. « Dis donc, Jacques, nous ne voulons pas nous jeter dans la gueule du loup, fit remarquer Henri, et c'est ce qui va nous arriver si nous suivons le bateau jusqu'à l'île. Dirigeons-nous plutôt vers cette autre île qu'on aperçoit vaguement là-bas. La lune éclaire assez pour que nous puissions trouver une plage abritée et nous y installer. — D'accord », dit Jacques.
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II tourna la roue du gouvernail et le bateau changea de direction. Maintenant les enfants ne suivaient plus l'autre canot. Il fut bientôt hors de vue et ne tarda pas, sans doute, à accoster. Leur propre bateau filait vers l'île voisine. Petit à petit, leurs yeux s'étaient accoutumés à l'étrange lumière de la lune et ils distinguaient nettement ce qui les entourait. « Quelle chance, il n'y a presque pas de rochers! dit Jacques, manœuvrant avec prudence. Rien que du sable fin et des galets. Nous allons nous échouer sur la plage. Sois prêt à sauter dès qu'on arrivera, pour tirer le bateau hors de l'eau. » Les filles se réveillèrent et émergèrent de leurs couvertures. Jacques dirigea le bateau qui ne tarda pas à s'immobiliser sur les galets. Henri sauta à terre. « On ne peut le tirer davantage », constata-t-il, en haletant. En s'y mettant tous les quatre, ils avaient essayé en vain de le sortir de l'eau. « Mettons l'ancre et laissons-le là. La marée est basse maintenant. Il ne lui arrivera rien, si la mer reste calme. » Après avoir jeté l'ancre à quelque distance et repoussé le bateau dans l'eau, les garçons s'étendirent sur les galets pour reprendre leur souffle.
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Ils étaient tous deux épuisés et commencèrent à somnoler dès que leur tête eut touché le sol. « Allons, les garçons, s'écria Denise, ne restez pas là! Prenez des couvertures et allez vous coucher dans un endroit abrité. — Jusqu'au matin nous ne risquons rien, dit Jacques en se relevant. Personne ne sait que nous sommes ici. » Avec les autres il avançait sur la plage. Il tombait de sommeil et titubait à chaque pas. Ils atteignirent une petite falaise au pied de laquelle on apercevait une sombre ouverture. « Une grotte! s'écria Lucette. Allume ta lampe, Henri. Nous pourrons tous y dormir », ajouta-t-elle
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après avoir examiné les lieux à la lumière de la lampe électrique. C'est ce qu'ils ne tardèrent pas à faire. Au matin, la marée étant haute, le bateau était à flot. Les enfants durent nager pour l'atteindre. Affamés, ils s'installèrent pour déjeuner. Alors qu'elle cherchait une boîte de confitures, Lucette fit une extraordinaire découverte. D'un cri, elle appela les autres : « Venez voir ! Un poste de radio ! Pensez-vous que ce soit aussi un poste émetteur? Dans ce cas, il faudrait tout de suite envoyer un message. - Je ne sais pas, dit Jacques en s'approchant de l'appareil. Il ne ressemble pas du tout à celui de René. Mais, de toute façon, même si nous pouvions envoyer un message, nous ne saurions pas comment nous y prendre. Allons d'abord manger! » « Et maintenant, reprit Jacques, après qu'ils eurent pris un réconfortant petit déjeuner, qu'allons-nous faire? Je propose de monter sur le point culminant pour voir l'île dans son ensemble ! - Oui, très bien », répondirent les autres. Ils grimpèrent jusqu'en haut d'une petite éminence. Arrivés là, ils découvrirent un spectacle tellement extraordinaire qu'ils restèrent cloués sur place par l'étonnement. Devant eux, étincelant au soleil, s'étendait un
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golfe d'un bleu profond, dont la surface était lisse comme un miroir. Il était limité par une chaîne rocheuse qui l'encerclait presque, ne le laissant communiquer avec la mer que par une ouverture assez étroite. « Quelle merveille! s'écria Jacques, stupéfait. Nous n'avons jamais rien vu d'aussi beau que ce golfe bleu! » Le golfe s'étendait sur plusieurs centaines de mètres, si bien abrité de tous côtés que pas un souffle de vent ne ridait l'eau de ce magnifique port naturel.
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CHAPITRE XII UNE ÉTRANGE DÉCOUVERTE LES ENFANTS étaient perdus dans la contemplation de ce magnifique paysage, lorsqu'ils entendirent le bruit d'un avion. Peu après, ils le virent apparaître et se diriger dans leur direction. Sans perdre une seconde, ils se jetèrent à plat ventre contre le sol pour ne pas risquer d'être vus. L'avion survola le lac, à faible altitude, et lâcha quelque chose qui tomba d'abord très vite, puis
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s'ouvrit comme un parapluie, ce qui ralentit sa chute. C'était un petit parachute blanc qui descendait lentement vers le golfe en se balançant et auquel était attaché un gros paquet enveloppé dans une matière brillante. « C'est une toile imperméable ou une feuille de caoutchouc », pensa Jacques. Le paquet toucha l'eau et disparut dans le fond tandis que le parachute étalé en corolle flottait quelques instants à la surface. Puis, petit à petit, il sembla se dissoudre et à son tour il disparut au fond de l'eau. « Regardez, dit Henri. Voilà de nouveau l'avion. Il va lâcher un autre parachute. » La même scène se renouvela sous les yeux des enfants. Une troisième fois l'avion vint lâcher son chargement inconnu qui, comme les précédents, disparut sans laisser de traces. Puis l'avion décrivit un large cercle au-dessus du golfe et s'éloigna. Bientôt il se perdit dans le ciel. Les enfants étaient très intrigués. Que pouvaient bien contenir ces étranges colis qui descendaient du ciel pour disparaître dans l'eau? « Pourquoi ne pas aller voir de près? proposa Jacques. Mettons-nous en maillot. Nous plongerons aussi profondément que nous le pourrons pour essayer de trouver l'endroit où ont pu tomber ces mystérieux paquets. »
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Ils se déshabillèrent et entrèrent dans l'eau, toute tiède de soleil. «Je plonge! » déclara Jacques. Mais il ne put atteindre le fond, car il n'avait pas assez de souffle. « Tout ce que j'ai pu apercevoir, dit-il en remontant, haletant, c'est un tas d'objets brillants qui reposent sur le fond. Rien d'autre. » Henri plongea à son tour, les yeux grands ouverts dans l'eau. Il put approcher la pile d'objets d'assez près pour les toucher. A travers l'enveloppe brillante, il sentit sous ses doigts quelque chose de dur. Mais le souffle lui manqua et il dut remonter très vite à la surface- où il respira l'air frais à grandes goulées. « J'ai touché quelque chose de dur, dit-il, mais je serais bien en peine de dire ce que c'est. » Lucette était fatiguée. « Je vais sur la rive me reposer et me chauffer au soleil, dit-elle. Je vois des rochers plats sur lesquels il doit faire bon s'étendre. » Lentement, elle se dirigea à la nage vers le bord. Alors qu'elle allait l'atteindre, elle remarqua quelque chose d'anormal au fond de l'eau. Le golfe, à cet endroit, n'était plus aussi profond, bien qu'il y eût encore trop d'eau pour que Lucette pût prendre pied. La fillette se pencha pour essayer de distinguer
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Henri plongea à son tour, les yeux grands ouverts dans l'eau.
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ce qui avait attiré son attention. Elle eut une telle stupéfaction qu'elle en eut la respiration coupée. Elle attendit un moment, prit une large aspiration d'air et plongea. Elle aperçut, reposant sur le sol, un des paquets parachutés qui, en tombant sur un rocher, s'était ouvert en deux. Son contenu s'était répandu. Mais qu'était-ce donc? Lucette ne pouvait pas identifier ces objets qui avaient une drôle de forme. Sortant de l'eau, elle cria pour appeler Jacques et Henri. Les garçons la rejoignirent en nageant aussi vite qu'ils le pouvaient. Ils plongèrent sans attendre et, lorsqu'ils remontèrent à la surface, la surprise était peinte sur leur visage. « Des fusils! Ce sont des fusils! Et il y en a des centaines ! — C'est extraordinaire, dit Lucette. Pourquoi donc déposent-ils des fusils au fond de l'eau? Ils ne veulent pas les jeter? — Certainement pas, dit Henri. S'ils voulaient s'en débarrasser, ils ne les envelopperaient pas aussi soigneusement dans un tissu imperméable. Ils les cachent plutôt. — Quelle drôle de place pour cacher des armes! remarqua Denise. A quoi peuvent-elles leur servir? — Ils en font certainement le trafic, dit Jacques. Ils les cachent ici pendant quelque temps jusqu'à ce
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qu'ils puissent les introduire en fraude dans le pays où ils veulent les vendre. — En tout cas, nous savons maintenant ce que contenaient ces colis parachutés par l'avion. Cet endroit regorge de fusils. Ils sont bien camouflés et personne n'aura l'idée de les chercher ici. » Soudain, Jacques poussa un cri. « Voilà un bateau! Attention! Il vient vers nous! — Que faire? demanda Lucette terrifiée. Il n'y a pas de cachette et nous n'avons pas le temps de nous sauver! » Les garçons jetaient autour d'eux des regards désespérés. Henri eut alors une brusque inspiration. Il souleva une épaisse couche d'algues et de varech. « Couvrons-nous de cela, dit-il. Vite. Étendez-vous sur les rochers et mettez-en sur vous. C'est le seul moyen de nous cacher. » Quelques minutes après, les quatre enfants recouverts d'algues étaient invisibles. Bientôt le canot accosta. On entendit la voix de deux ou trois hommes qui approchaient. Les enfants retenaient leur souffle. « Pourvu qu'ils ne marchent pas sur nous! » se répétait ardemment Lucette. Les hommes s'arrêtèrent non loin d'eux, et allumèrent une cigarette.
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« La dernière cargaison est arrivée, dit l'un d'eux d'une voix rude. — Oui, il est temps d'embarquer tout cela, dit une autre voix, une voix de commandement. Je suis inquiet. Le gaillard que nous avons capturé doit savoir trop de choses à notre sujet. On ne peut pas arriver à le faire parler. Mais il faut alerter le chef et lui conseiller de faire enlever les marchandises le plus vite possible. On nous a espionnés, et qui sait les risques que nous courons maintenant!... — Et l'autre homme? reprit la première voix. Est-ce qu'il refuse aussi de parler? Que va-t-on faire d'eux? — On ne peut pas les laisser dans les parages, dit l'homme à la voix de commandement. Ce soir, nous les embarquerons et nous les déposerons dans un coin désert où l'on n'entendra plus parler d'eux. Je ne veux pas perdre davantage mon temps avec ce Plotin de malheur. Voilà un an qu'il fourre son nez dans toutes nos affaires. Il faut qu'il disparaisse. » Les hommes allaient et venaient tout en discutant. Les enfants étendus, parfaitement immobiles, sentaient des crampes leur crisper les membres. Enfin, ils entendirent le bruit du canot qui s'éloignait. Ouf! Ils laissèrent encore passer quelques instants, puis Jacques se redressa prudemment. Il regarda autour de lui. Plus personne.
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Les trois autres se débarrassèrent à leur tour des algues qui les recouvraient et ils se regardèrent en silence. René était en danger, en grand danger! Lucette avait les larmes aux yeux. « Que faire, que faire, mon Dieu? » Ils ne savaient trop comment agir. Toutes les solutions qu'ils envisageaient étaient également périlleuses. Ils se sentaient menacés de partout. « Et pourtant, fit remarquer Jacques, nous avons un bateau. C'est une planche de salut. Ce soir, lorsqu'il fera nuit, je propose que nous allions sur l'autre
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île, là où sont les ennemis. Nous essaierons de repérer l'endroit où est amarré leur canot à moteur. C'est certainement là que René est retenu prisonnier. — Avec de la chance, nous arriverons peut-être à le faire échapper, dit Denise. Seulement, je me demande comment nous pourrons approcher de la rive sans être vus ou entendus. — C'est bien simple, répondit Jacques. Nous partirons quand il fera nuit, comme je l'ai déjà dit. Lorsque nous serons près de la côte, nous arrêterons le moteur et nous avancerons à la rame. Ainsi nous ne ferons aucun bruit. — C'est vrai, dit Denise. J'avais oublié qu'il y avait des rames dans notre bateau. Quelle chance! — Ne pourrions-nous pas retourner dans notre grotte, sur l'autre rive de l'île? proposa Lucette. Je m'y sentirai plus en sécurité qu'ici, et nous verrons si notre bateau n'a pas bougé. » Ils acquiescèrent et regagnèrent à travers les rochers la plage où ils retrouvèrent leurs vêtements. Ils se rhabillèrent puis prirent un léger repas, bien gagné. Ils mangeaient en silence. De temps en temps, l'un d'eux essayait de secouer sa tristesse et de plaisanter, mais bien vite le souvenir des armes au fond du golfe, du danger que courait René venait assombrir l'atmosphère, et le silence retombait.
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Seul, Kiki faisait du bruit en frottant son bec contre le fond d'une boîte de conserve. « Je suppose, dit enfin Denise, qu'il est préférable de partir quand il fera nuit noire. Mais cette fois, je dois avouer que j'ai vraiment peur. Je te comprends, répondit Jacques. Aussi, après avoir bien réfléchi à la question, je crois qu'il est plus prudent que nous partions seuls, Henri et moi, à la recherche de René. Nous allons au-devant d'une aventure très dangereuse. Ce serait de la folie que vous veniez avec nous, toi et Lucette! - Oh! non, s'écria Lucette, nous ne devons pas nous séparer! 'Supposez qu'il vous arrive malheur? Nous nous retrouverions, Denise et moi, seules sur cette île, et personne n'en saurait rien. Non, non, Jacques, j'irai avec toi. Rien ne m'en empêchera. — Peut-être as-tu raison, répondit Jacques. Nous ne nous séparerons pas. Mais j'y pense : cet autre prisonnier dont parlaient les hommes, ne serait-ce pas Horace? Dans ce cas, nous nous serions bien trompés ! - Je trouve qu'il avait l'air stupide, répondit Denise. Trop stupide pour jouer la comédie. Après tout, c'est peut-être vraiment un ornithologue. - Que va-t-il penser de nous? dit Jacques, horrifié. Non seulement nous lui avons volé son bateau, mais nous l'avons abandonné aux mains de l'ennemi.
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- On l'aura certainement pris pour un ami de René, ajouta Henri, et on l'aura peut-être malmené s'il a dit qu'il ne le connaissait pas. » Chacun eut une pensée attristée pour le pauvre Horace.
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CHAPITRE XIII VERS L'ILE DES ENNEMIS le soleil baissa à l'horizon, les enfants firent, en bateau, une sortie de reconnaissance pour s'assurer qu'aucun rocher dangereux n'affleurait, qu'ils n'apercevraient pas dans l'obscurité. Au loin se découpait la silhouette de l'île où se trouvaient les ennemis, où le pauvre René était captif et sans doute aussi le malheureux Horace ! LORSQUE
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Lorsque les enfants regagnèrent leur petite plage, ils entendirent le bruit d'un avion. « Encore! s'écria Jacques. Il ne vient plus faire de nouveaux parachutages, pourtant. Couchez-vous tous à plat ventre. Il ne faut pas qu'on nous voie. Collons-nous contre ces rochers. » Le bruit de l'avion devenait assourdissant. Jacques se souleva légèrement pour regarder. « C'est un hydravion, dit-il. Voyez-vous ses flotteurs? — Regardez! s'exclama Denise. Il descend! » En effet, l'avion, après avoir,fait le tour de l'île, descendait en décrivant de grands cercles. Il volait si bas qu'il parut effleurer le sommet de la colline qui surplombait le golfe. Puis, ayant coupé les gaz, l'avion continua sa descente en silence. « Je parie qu'il amerrit, dit Jacques au comble de l'excitation. Il va se poser sur le golfe. — Oh ! Jacques, nous irons là-bas ! s'écria Denise. Attendons seulement qu'il fasse plus sombre. » Dès que la nuit fut tombée, les enfants ne purent résister au désir d'aller voir ce qui se passait. Ils traversèrent l'île et escaladèrent les rochers qui dominaient le lac. Peut-être pourraient-ils apercevoir quelque chose d'intéressant en dépit de l'obscurité? Bientôt, ils furent tous les quatre en haut du rocher d'où, pour la première fois, ils avaient découvert
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la vue merveilleuse sur le beau golfe bleu. Maintenant, dans l'ombre, ils distinguaient la forme de l'hydravion géant posé sur l'eau. Soudain, des projecteurs s'allumèrent à bord, puis les enfants entendirent des grincements et un bruit de chaînes, comme si une lourde machine se mettait en marche. « Je suppose qu'ils remontent les paquets de fusils, murmura Jacques. On ne distingue rien, dans le noir, mais ce qu'on entend ressemble bien au bruit d'un treuil.» Lucette frissonnait. « C'est affreux d'avoir à lutter contre des gens aussi puissants, qui possèdent des avions et des fusils, pensait-elle, tandis que nous autres, nous n'avons pour nous défendre que nos idées et le pauvre petit canot d'Horace. » Pensifs, les enfants revinrent vers leur bateau. La marée l'avait éloigné du bord, mais ils le rattrapèrent sans difficulté grâce à la corde d'amarre qu'ils avaient attachée à un rocher accessible. Ils grimpèrent l'un après l'autre dans l'embarcation. « En route, dit fièrement Denise. Que la chance soit avec nous! Qu'elle fasse que nous sauvions René! Horace aussi, le pauvre! Que nous soyons vainqueurs des ennemis, et que nous revenions à la maison sains et saufs. » Le petit bateau avançait rapidement dans l'ombre.
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« En route, dit fièrement Denise. nous! »
Que la chance soit avec
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Henri tenait la barre. Au bout d'un certain temps, Jacques s'approcha et lui toucha le bras. « Regarde cette lumière. Elle vient de l'île où sont les ennemis. Ce n'est pas le signal lumineux que nous avions aperçu l'autre jour. Il était plus faible. Cependant c'est bien de la même île qu'elle provient. — Je mets le cap dessus, répondit Henri. Mais attention à Kiki. Il ne faudrait pas qu'il s'avise de crier ou de parler à tort et à travers. Le bruit porte loin sur l'eau et l'on nous entendrait de l'île. Il est d'ailleurs temps d'arrêter le moteur, sinon nous serons repérés. » Henri coupa les gaz, et l'embarcation, graduellement, perdit de la vitesse. Bientôt elle n'avança plus que poussée par les vagues et le courant. Henri sortit les rames. « Courage, maintenant. Il n'y a plus qu'à souquer ferme. Quelle heure est-il, Jacques? Peux-tu le voir? - Oui, répondit Jacques, ma montre a un cadran lumineux. Il est presque onze heures. Dans une heure, nous approcherons de l'île. A minuit, il est probable que les habitants seront tous endormis. - Nous vous relaierons lorsque vous serez fatigués», dit Denise. Là-bas, sur la rive, le feu clignotait toujours, sans donner beaucoup de lumière.
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« Ce doit être une lanterne », dit Jacques à voix basse, tout en tirant de toutes ses forces sur les rames. « Elle sert de repère aux bateaux qui entrent ou sortent du port. Ouf! Henri, je n'en peux plus. Soufflons un instant. » Henri s'arrêta. Les filles voulurent prendre les rames à leur tour, mais Jacques les en empêcha. « Vous ne ramez pas aussi bien que nous, dit-il. Nous avons tout le temps de nous reposer. Plus nous arriverons tard, mieux ce sera. » Ils se remirent bientôt en route. « Nous approchons, murmura Jacques. Surtout, pas de bruit! Parlez bas. - Qu'est-ce qu'on entend? » demanda soudain Denise. Les garçons s'arrêtèrent pour écouter. « On dirait la musique d'un orchestre, dit Henri. Bien sûr, c'est un poste de radio! - Quelle chance! Les ennemis ne nous entendront pas arriver. Regarde devant toi, Jacques. N'aperçois-tu pas une sorte de petite jetée? La lanterne l'éclairé à peine. Mais n'est-ce pas un bateau qui est amarré là, juste sous la lanterne? - Attends, répondit Henri. Je vais voir. » II prit ses jumelles et les porta à ses yeux. « Tu as raison. C'est bien un canot. Il est grand et ressemble à celui que conduisaient les ennemis lorsqu'ils sont venus sur notre île. Je suis sûr que c'est
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« Surtout, pas de bruit! Parlez bas. »
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sur ce bateau qu'ils ont emmené René. Et ils le gardent prisonnier dans la cabine. » La musique était de plus en plus forte au fur et à mesure qu'ils approchaient. « II y a certainement quelqu'un à bord qui fait marcher la radio, remarqua Jacques. Peut-être est-ce le gardien de René. Je me demande s'il se tient sur le pont? (Je veux dire le gardien!) On ne voit aucune lumière ! — Veux-tu mon avis? dit Henri. Le gardien est installé dans un fauteuil et se repose en écoutant de la musique. Tiens, regarde ce petit point rouge, Jacques! Je parie que c'est l'extrémité de la cigarette qu'il est en train de fumer. — C'est bien possible, fit Jacques. — Ne nous approchons pas davantage, murmura Henri. Il ne faut pas que le garde nous voie et donne l'alarme. Nous serions perdus. Je me demande s'il est seul sur le pont. Je ne vois qu'une seule cigarette ! — Qu'allez-vous faire? chuchota Lucette. Décidezvous vite, sans quoi je sens que je vais crier. Je n'en peux plus! » Henri lui prit doucement la main. « Calme-toi, Lucette. Nous allons agir. Je crois que c'est le bon moment. Si seulement la sentinelle pouvait s'endormir. Cependant, nous ne sommes pas certains que René soit à bord. Ne crois-tu pas, Riquet,
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que nous pourrions essayer d'aller voir ce qui se passe sur ce bateau? — Excellente idée, répondit Henri. Nous allons gagner la rive à la nage. Enlève ta chemise, Jacques. Nous nagerons en shorts. » Ils se dévêtirent puis, au grand effroi de Lucette, les deux garçons entrèrent silencieusement dans l'eau. Plus ils approchaient de la terre, plus était fort le son de la radio qui marchait sur le pont du bateau. « C'est une chance que cette radio fasse un tel vacarme, pensa Jacques. Le gardien ne risque pas de nous entendre approcher. » Ils évitèrent le faisceau lumineux de la lanterne et abordèrent la rive dans une zone d'ombre. A cet endroit, la falaise était assez escarpée et l'escalade fut malaisée. « Nous sommes tout près du bateau, chuchota Jacques à l'oreille d'Henri. Heureusement le phare est de l'autre côté. » Le bruit d'un bâillement sonore et prolongé les arrêta net. Après quelques instants, la radio se tut. Puis ce fut le silence total dans la nuit. « II va s'endormir, murmura Jacques. Attendons. » Pendant plusieurs minutes, les deux garçons restèrent immobiles et silencieux. L'homme, sur le pont, jeta une cigarette braisillante dans l'eau, mais il n'en alluma pas d'autre.
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Les enfants l'entendirent qui poussait des grognements de satisfaction comme quelqu'un qui s'installe confortablement pour dormir. Puis de nouveau il bâilla bruyamment. Frissonnant, serrés l'un contre l'autre pour se tenir chaud, les garçons attendaient dans l'ombre. Soudain un bruit réconfortant se fit entendre : celui de ronflements répétés. L'homme dormait, sans aucun doute. Jacques prit fébrilement le bras d'Henri. « II ronfle, tout va bien. Il est certainement seul. S'ils étaient deux, nous les aurions entendus parler. C'est le moment, Henri. En avant! Ne le réveillons pas! » Les deux garçons se glissèrent le long de la jetée jusqu'au bateau. Là, ils grimpèrent à bord, silencieusement. Leurs pieds nus ne firent aucun bruit sur le pont où dormait la sentinelle. C'est à cet instant qu'un son parvint à leurs oreilles. Il venait de dessous leurs pieds. Les garçons s'arrêtèrent pour écouter : quelqu'un parlait, en bas, dans la cabine. Qui était-ce? « Essayons d'entendre ce qu'on dit. Nous reconnaîtrons la voix de René, si c'est lui qui est enfermé », souffla Jacques à l'oreille d'Henri. Une lueur filtrait à la jointure du pont et de la trappe qui ouvrait sur la petite cabine. Les garçons collèrent l'oreille contre cette fente et concentrèrent
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leur attention pour parvenir à comprendre des bribes de la conversation. Ils ne pouvaient distinguer qu'un sourd murmure. Mais tout d'un coup, l'un des interlocuteurs s'éclaircit la voix en toussotant d'une manière très caractéristique. C'était un des tics de René. Une vague de joie souleva les enfants. Un de ceux qui parlaient là-dessous était bien René. Enfin ils l'avaient retrouvé. Il fallait le faire sortir de là et, ensuite, ce serait René, une grande personne, qui les sauverait tous de ce mauvais pas.
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CHAPITRE XIV LA FUITE et Jacques, à voix basse, décidèrent rapidement d'un plan d'attaque : « Si nous essayons de jeter la sentinelle à l'eau, elle donnera l'alarme immédiatement avant que nous ayons le temps d'ouvrir la trappe pour sauver René. — Puisque l'homme dort à poings fermés, profitons-en, dit Jacques. Nous allons faire savoir à René HENRI
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que nous sommes là; puis ouvrir la trappe pour qu'il puisse monter sur le pont; une fois dehors, il nous aidera à terrasser le garde. — Je suis d'accord, répondit Henri. Occupe-toi de la trappe pendant que je surveille l'homme. S'il fait mine de bouger, je l'envoie par-dessus bord. Fais vite ! » Jacques chercha à tâtons le loquet qui fermait la trappe. Ses mains tremblaient à tel point qu'il eut de la peine à le pousser. Enfin, il l'ouvrit sans bruit, saisit la poignée de fer et souleva la lourde planche de bois qui se rabattit sans grincer, sur le pont. Un carré de lumière brillait maintenant dans la nuit. Jacques se' pencha par l'ouverture. Au léger bruit de la trappe qui s'ouvrait, les hommes, dans la cabine, avaient levé la tête. L'un était bien René et l'autre... Horace. Jacques avait mis un doigt sur ses lèvres. René comprit immédiatement et retint l'exclamation qui allait lui échapper. « Sortez vite, murmura Jacques. Il faut, avant tout, empêcher la sentinelle d'intervenir. » Mais Horace gâcha tout. Dès qu'il reconnut Jacques, le voleur de son bateau, le vaurien qui l'avait enfermé dans un trou, là-bas, dans l'île, il hurla, furieux : « Vous voilà, petit voyou! Que venez-vous faire ici? »
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Jacques, hors de lui, lui fit signe de se taire, mais il était trop tard. Le garde s'était réveillé en sursaut aux vociférations d'Horace. Il s'assit en clignant des yeux. La lumière qui sortait de l'ouverture béante attira son attention. Il sauta sur ses pieds. René eut la présence d'esprit d'éteindre l'électricité. Le pont fut plongé dans l'obscurité complète. Pendant que René escaladait l'échelle qui menait hors de la cabine, le garde se mit à crier : « Qui va là? Arrêtez! » Henri sauta sur lui et essaya de le faire basculer pardessus la rambarde, mais l'homme était fort et commença à lutter. Le pauvre Henri, après une courte bagarre, eut vite le dessous et c'est lui qui tomba à l'eau avec bruit. René, guidé dans l'obscurité par le halètement de l'homme, s'approcha de lui silencieusement et lui assena un magistral coup de poing qui le fit rouler à terre. En une seconde, René le maîtrisa, aidé par Jacques. « Qui est tombé à l'eau? demanda René, encore essoufflé par la lutte. — C'est Henri, répondit Jacques. Ne vous inquiétez pas pour lui. Il va rejoindre l'autre bateau à la nage. — Aide-moi à descendre cet homme dans la
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cabine, dit René. Où est donc passé Sautelère? Cet animal a tout gâché! » Horace se tenait prudemment à l'écart. Il ne comprenait rien à ce qui se passait, et était effrayé par la bagarre, les sourds grognements et le bruit du corps qui était tombé à l'eau. René et Jacques portèrent le garde jusqu'à l'entrée de la cabine. Un cri se fit entendre : c'était l'homme qui dégringolait le long de l'échelle qui y descendait. Bing! La trappe, d'un seul coup, se referma sur lui. René poussa le verrou. « II va nous laisser tranquilles pour quelques instants, dit René. Ne perdons pas de temps. Il s'agit maintenant de mettre le canot en route. Il faut que nous ayons gagné le large avant que les ennemis se rendent compte que nous nous sommes échappés. — C'est exactement ce que nous avions projeté, dit Jacques triomphant. Comment fait-on démarrer ce moteur? On n'y voit rien, dans ce noir, et je n'ai même pas de .lampe électrique. » Le garde, dans sa prison, faisait un vacarme épouvantable en donnant des coups de pied dans la cloison et en criant de toutes ses forces. René, à tâtons, se dirigea vers le gouvernail. C'est alors que les choses se précipitèrent. Sur la rive, des lumières clignotèrent de tous les côtés. Puis on entendit des voix, des pas précipités-.
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Les ennemis, ameutés par le cri de la sentinelle, accouraient en force. « Ils seront ici avant que nous ayons pu détacher le bateau et le mettre en route, grogna René. N'as-tu pas dit que vous aviez un autre canot, Jacques? Vite, répondsmoi! Où est-il? Où est Henri? — Là-bas, répondit Jacques en balbutiant dans sa hâte. Là-bas, au bout de la jetée,... un bateau... les filles y sont... Henri aussi certainement. Allons-y à la nage. — Saute ! commanda René. Sautelère, vite, sautez aussi. — Je ne... ne... ne... sais... pas... nager! bégaya le pauvre Horace. 141
— Tant pis, sautez et je vous aiderai. » Mais la pensée de l'eau noire et froide, des ennemis qui rôdaient tout autour terrifia Horace qui se recroquevilla dans son coin et refusa de bouger. « Eh bien, tant pis pour vous, lui jeta René avec mépris. Je dois m'occuper des enfants. Je ne peux pas les laisser seuls. Débrouillez-vous comme vous le pourrez! » II sauta à l'eau, suivi de Jacques. Horace frissonna en entendant le bruit de leur chute et se fit le plus petit possible, dans l'attente des ennemis. Ceux-ci, en effet, ne tardèrent pas à arriver, dans un grand remue-ménage de lumières et de cris. Ils se précipitèrent sur,le canot, découvrirent Horace dans son coin et l'emmenèrent à terre pour le questionner, tandis que, dans sa prison, le garde donnait des coups de poing et des coups de pied, et criait d'une voix enrouée par la fureur. Pendant ce temps, Jacques et René nageaient aussi vite qu'ils le pouvaient. Henri avait déjà rejoint le bateau et avait rassuré les deux filles apeurées. Lorsqu'il entendit René et Jacques qui plongeaient du canot ennemi, il se pencha par-dessus bord pour essayer de les voir arriver. En les entendant approcher, il alluma quelques secondes sa lampe électrique pour leur indiquer le chemin. Les nageurs, grâce à cela, se dirigèrent tout droit
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vers l'embarcation. Bientôt ils grimpaient à bord et René eut à peine mit le pied sur le pont que les deux filles se précipitèrent, émues, dans ses bras. « Du calme, du calme, leur dit-il en leur caressant la joue affectueusement. Il faut filer. Quel vacarme, là-bas! Sûrement, ils ont sorti le garde de sa prison. Dépêchonsnous avant qu'ils sachent où nous sommes. — Ils s'en douteront rapidement en entendant le moteur, fit remarquer Jacques. Partons à la rame, cela sera préférable. — Non, répondit René, plus vite nous serons loin, mieux cela vaudra. Il faut prendre de l'avance, car ils vont nous poursuivre immédiatement. Couchez-vous tous à plat ventre et ne bougez plus. Ces misérables vont sans doute nous tirer dessus. » René mit le moteur en marche. Les enfants s'étaient étendus par terre comme ils en avaient reçu l'ordre. Aucun des quatre enfants n'avait plus peur. Cependant, Lucette se sentait énervée au point de ne pas tenir en place. Dès que le moteur se mit à ronfler, le silence se fit sur l'autre bateau. Manifestement, les ennemis, étonnés, réalisaient soudain qu'un canot était là, tout proche. Ils avaient sans doute imaginé que René et ses sauveteurs s'étaient jetés à l'eau pour se cacher et leur échapper en gagnant la rive un peu plus loin.
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Maintenant qu'ils entendaient le moteur, ils comprenaient que la partie était sérieuse. Il fallait à tout prix arrêter ce canot. Il ne « devait » pas leur échapper. Pan! Un coup de feu claqua dans la nuit et une balle ricocha sur l'eau dans la direction des fugitifs. Pan! Pan! Pan! René entendit une balle siffler à ses oreilles. « Ne bougez pas, surtout, ordonna-t-il aux enfants. Nous serons bientôt hors de portée. » Tandis que les ennemis continuaient de tirer René faisait donner le moteur à plein, en grommelant des menaces. Le canot bondissait sur les vagues, les balles
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claquaient sur l'eau. Soudain, Kiki poussa un hurlement. « Kiki est touché, cria Jacques en se dressant à demi. — A plat ventre! rugit René hors de lui. Ne t'occupe pas de Kiki. S'il était blessé, il ne pousserait pas de tels cris. Obéis et reste étendu. » Les coups de feu cessèrent. Mais bientôt le bruit d'un moteur, couvrant celui de leur propre machine, leur parvint à l'oreille. « Les voilà qui partent à notre poursuite, dit René. Ils ont mis leur canot en marche. Heureusement, la nuit est noire. Il faut filer jusqu'à ce que nous n'ayons plus d'essence. » A ce moment, venant du bateau des poursuivants, un puissant faisceau lumineux balaya la surface de la mer. « Quelle chance, le projecteur ne peut plus nous atteindre, nous sommes trop loin! Quel brave petit bateau! dit René. — René, proposa soudain Jacques, si nous avons assez d'essence, nous pourrions regagner l'île d'où nous venons. Nos adversaires penseront que nous sommes partis plus loin, en haute mer, pour leur échapper, et ils s'égareront sur une fausse piste. — De quelle île venez-vous? demanda René. Et qu'avez-vous fait depuis que j'ai eu la sottise de me laisser capturer?
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— Tournons à gauche pour aller vers l'île au golfe bleu, répondit Jacques. Nous vous raconterons nos aventures. Pourvu que les ennemis ne devinent pas la direction que nous prenons! » Le canot vira de bord. Là-bas, de plus en plus lointain, le projecteur continuait à éclairer l'eau sombre. Encore quelques minutes et René et ses jeunes amis seraient hors d'atteinte. Hélas! il était dit qu'ils n'étaient pas au bout de leurs peines. Le moteur, qui jusque-là ronflait avec régularité, se mit soudain à tousser, à cracher, et puis, avec un bruit curieux pareil à un long soupir, il s'arrêta. « C'est la panne d'essence, dit René, amer, cela devait arriver. Maintenant il .va falloir ramer et les ennemis ne mettront pas longtemps à nous rattraper ! »
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CHAPITRE XV UNE NUIT DE BAVARDAGE s'étaient relevés et étiraient avec joie leurs membres ankylosés. René réfléchissait. Que fallait-il faire? Il se sentait une lourde responsabilité. Ces quatre enfants lui avaient été confiés ; il devait à tout prix les sauver. Mais l'ennemi était bien armé, puissant et implacable, et l'aventure pouvait devenir dramatique. LES ENFANTS
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Fallait-il gagner, en ramant, l'île au golfe bleu? Fallait-il au contraire s'éloigner davantage? Après avoir tout pesé, il prit sa décision : « Essayons d'atteindre votre île, dit-il enfin. Je crois que c'est la meilleure solution. — Nous ne devons plus en être loin, maintenant, dit Jacques en essayant de percer l'obscurité. Il me semble que j'aperçois une ombre là-bas. — Oui, tu as raison. C'est une île, répondit René après avoir observé la forme noire vers laquelle ils avançaient. Nous y serons rapidement. Pourvu qu'il n'y ait pas de hauts-fonds! Nous ne pourrions pas les voir et le canot risquerait de les heurter. — Non, non, assura Jacques, nous connaissons bien le coin où nous allons aborder. Il n'y a aucun danger à craindre de ce côté-là. » A peine avait-il terminé sa phrase qu'un horrible craquement se fit entendre : le bateau trembla d'un bout à l'autre puis cessa d'avancer. « Ça y est! dit René d'un ton lugubre. Nous voilà échoués. Je crains bien que nous ne puissions plus bouger de là. Quelle malchance! » Jacques, sa lampe électrique à la main se pencha par-dessus bord pour voir ce qui s'était passé. Hélas! cela n'était que trop évident. « Nous sommes au beau milieu des rochers, dit-il, consterné. Ce n'est pas du tout sur cette rive que
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je pensais arriver. Je ne sais absolument pas où nous nous trouvons. » René, à son tour, se pencha pour regarder. « Voyons d'abord, dit-il, si le canot est endommagé.» II inspecta l'embarcation avec soin, de bout en bout, et poussa enfin un soupir de soulagement : « Ouf! Il n'y a pas grand mal. Le rocher sur lequel nous avons été poussés est sans doute très plat et n'a rien abîmé. Pour l'instant nous ne pouvons pas faire autre chose qu'attendre le jour. Quand il fera clair, nous tâcherons de nous remettre à flot. Il est plus prudent de ne rien tenter dans l'obscurité. Nous risquerions d'aller nous fracasser sur d'autres récifs. — Alors, déclara Lucette, puisque nous ne pouvons rien faire, nous n'avons qu'à nous installer confortablement avec nos couvertures sur le pont. Nous mangerons un peu tout en bavardant. » René et les garçons changèrent leurs vêtements mouillés contre des lainages secs. Puis ils s'allongèrent tous les cinq, serrés les uns contre les autres pour se tenir chaud. Tout en grignotant du chocolat et des gâteaux secs, ils commencèrent le récit de leurs aventures. « Racontez votre histoire en premier, dit Lucette à René. Gomme c'est bon de vous sentir de nouveau près de nous! J'ai eu si peur lorsque nous avons
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découvert votre disparition, le bateau abandonné, la radio et le moteur détruits ! - Les misérables! grommela René. Ils se sont vantés en effet d'avoir tout démoli, le bateau et le poste de radio. Ils ne soupçonnaient pas votre existence et, naturellement, je ne leur ai pas soufflé mot de votre présence sur l'île. Pourtant ils m'ont longuement questionné. — Pauvre René ! Ils ne vous ont pas fait de mal, j'espère? » demanda Lucette anxieusement. René ne répondit pas à la question et continua son histoire. « Le plus extraordinaire de toute cette affaire, c'est que je suis tombé entre les mains d'une bande qui n'est autre que celle que je fuyais lorsque je suis venu avec vous me cacher dans ces îles. Je me suis mis moi-même dans la gueule du loup. Mais, de ce fait, j'ai pu repérer le lieu de leurs exploits. - Les bandits, eux, ont certainement pensé que vous étiez à leur poursuite et que vous aviez découvert leur cachette, fit remarquer Jacques. — Il n'y a pas de doute, c'est ce qu'ils ont imaginé. Bien plus, ils étaient persuadés que l'un des leurs avait trahi et m'avait révélé leurs secrets. Gela explique qu'ils aient passé tant de temps à me questionner au lieu de se débarrasser de moi au plus vite. Ils espéraient que je parlerais! Mais je ne savais que peu de chose de leurs activités et je n'avais
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« II était furieux contre vous et vous traitait de chenapans. »
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rien à avouer. Ils n'ont pas été contents du tout. — Est-ce que, vraiment, vous ne savez rien d'eux? demanda Henri, étonné. — Ma foi, non, répondit René. Je suppose qu'ils se livrent à un trafic illégal, probablement un trafic d'armes, mais jusqu'à présent, je n'ai pas pu découvrir le secret de leur organisation. Comme j'ai déjà eu à m'occuper d'eux, ils ne m'aiment guère ! — C'est pourquoi vos chefs vous ont ordonné de disparaître pendant quelques semaines, n'est-ce pas? dit Jacques. Et il a fallu que vous tombiez sur leur bande! Quelle extraordinaire coïncidence! Que s'est-il passé ensuite, René? — Un beau jour, on m'a amené M. Horace Sautelère. On a pensé qu'il était un de mes amis et qu'il m'aidait dans mes recherches. Horace, en me voyant, était aussi ahuri que moi-même. Bien sûr, comme je ne l'avais jamais vu, je ne pouvais pas le reconnaître. Aussitôt que nous fûmes seuls, il me raconta son odyssée et ses démêlés avec d'affreux enfants. Je devinai qu'il s'agissait de vous quatre et j'imaginai ce qui avait pu se passer. Il était furieux contre vous et vous traitait de chenapans. — C'est vrai que nous l'avons bien mal traité, dit Jacques qui en avait quelques remords. Mais nous étions persuadés qu'il faisait partie de la bande des malfaiteurs. »
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René ne put s'empêcher de sourire : « Le moins qu'on puisse dire, c'est que vous lui avez joué un bien mauvais tour. Naturellement, lorsqu'il a raconté toute cette histoire, j'ai fait semblant de ne pas le croire, pour que les ennemis n'aillent pas vous chercher. Mais lorsque j'ai eu compris que vous aviez filé avec son bateau, je me suis demandé où vous étiez et ce que vous faisiez. » Ce fut alors au tour des enfants de raconter la suite de leurs aventures. Lorsqu'ils en arrivèrent à la découverte du golfe et de son contenu, René laissa échapper un cri de surprise. « Ainsi, c'est là- qu'ils camouflent leurs armes! Ils les descendent en parachute, et les cachent jusqu'au moment propice! » Les enfants terminèrent leur récit en disant comment ils avaient décidé d'aller à la recherche de René plutôt que de regagner le continent. René ne put contenir son émotion. « Vous êtes de braves gosses! » dit-il d'une voix enrouée. Il y eut un long silence. Soudain Lucette s'écria : « Regardez, le jour se lève! Oh! René! Que va-t-il se passer aujourd'hui? » Vers l'est montait une lueur blafarde. Les premiers rayons du soleil jaillirent à l'horizon et
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se reflétèrent dans l'eau qui prit une teinte dorée. Jacques poussa une exclamation en voyant le paysage qui les entourait. « Mais nous ne sommes pas sur l'île au golfe! Il n'y avait pas ces hautes falaises qui nous surplombent. Nous nous sommes trompés d'île! Je ne me souviens pas d'avoir jamais vu celle-ci! ajouta Henri. Où sommes-nous? J'ai l'impression que c'est une île que nous avons notée sur la carte, sous le nom d'île des Ailes. Regardez cette quantité d'oiseaux aquatiques. Jamais je n'en ai vu autant. - En effet, dit René, c'est stupéfiant. Il y en a des milliers et ils se cognent les uns contre les autres tant ils sont nombreux.»
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Les oiseaux voletaient dans tous les sens sans prêter aucune attention au bateau et à ses occupants. Cependant René avait soigneusement inspecté le bateau. « Je n'ai pas l'impression qu'il ait été endommagé par le choc, dit-il. A marée haute, il sera à flot et tout ira bien. Mais la question est de savoir ce que nous allons faire alors. — Ramer et gagner un endroit où nous serons en sécurité, répondit Lucette immédiatement. — C'est facile à dire, lui répondit Jacques. Tu ne te rends donc pas compte, Lucette, que nous sommes dans un endroit absolument désert? Il ne vient personne sur ces Iles et nous sommes trop loin de la terre pour l'atteindre à la rame. Qu'en pensez-vous, René? — Hélas ! Je crois que tu as raison. Que pouvonsnous faire? » René réfléchissait sans trouver de solution. « Attendons, dit-il enfin, que la marée soit haute. Nous prendrons une décision lorsque le bateau sera libéré. — En attendant, pourquoi ne pas prendre un bain? Ensuite nous dormirons un peu, car tout le monde a sommeil. » Les garçons et René mirent leur maillot de bain et plongèrent sous les yeux de Lucette et Denise qui préféraient rester sur le bateau.
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« Regarde, fit observer Lucette, parmi tous ces oiseaux qui sont posés sur l'eau, il est impossible de distinguer la tête des garçons ou de René. — Tiens, oui, tu as raison, répondit Denise. Si on les perd de vue, on ne peut plus les retrouver. » Une idée lui traversa l'esprit. « Mais..., dit-elle, mais... voilà comment nous pouvons nous cacher si les ennemis arrivent! — Quelle bonne idée ! Tu es extraordinaire, Denise! Il faut le dire aux autres dès qu'ils vont remonter. » René trouva l'idée excellente : « Cela peut être un bon moyen d'échapper aux bandits. Mais que feronsnous du bateau? — Nous pourrions le recouvrir de varech et d'algues. Vous vous souvenez, dit Henri en se tournant vers les trois autres enfants, c'est ainsi que nous avons pu échapper aux recherches sur l'île au golfe bleu. Camouflé de cette manière, le bateau ressemblera à un rocher. — Décidément, vous avez tous un esprit inventif qui m'émerveille, dit René. Reposez-vous maintenant. Pendant ce temps, je vais « habiller » le canot. Si les ennemis doivent venir, ils ne tarderont guère. Au moindre bruit, à la moindre alerte, je vous réveillerai immédiatement. Il faudra alors que vous soyez prêts à sauter à l'eau sans perdre une seconde. — Pourvu que les ennemis n'arrivent pas trop vite! dit Lucette en bâillant. Je tombe de sommeil.
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Je me demande si j'arriverai à me réveiller. » René les borda dans leurs couvertures avec affection. Quelques instants plus tard, ils dormaient profondément. Alors René ramassa des brassées d'algues et de varech et en recouvrit les flancs du canot qui, bientôt, ressembla à s'y méprendre à un rocher. Son travail terminé, il s'assit dans la cabine. Machinalement, il souleva le couvercle d'un coffre placé devant lui. Il laissa alors échapper une exclamation de surprise.
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CHAPITRE XVI « OHÉ! LA-BAS! MONTREZ-VOUS! » contemplait avec stupeur ce qu'il venait de découvrir : un poste de radio. S'il parvenait à appeler ses chefs, c'était peut-être le salut. Mais était-ce un poste émetteur? Sans aucun doute, Horace partant seul pour cette expédition avait dû prendre la précaution de se munir d'un poste émetteur pour pouvoir lancer un appel au cas où il serait malade ou s'il lui arrivait un accident. RENÉ
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Les mains tremblantes d'émotion, René manœuvra les boutons. Il poussa une exclamation qui réveilla Jacques. « Que se passe-t-il, dit le garçon en se levant d'un bond. Les ennemis sont-ils en vue? — Non, répondit René. Je viens de découvrir qu'il y a une radio à bord. Pourquoi diable ne pas me l'avoir dit? Avec un peu de chance, je vais peut-être pouvoir envoyer un message. — Idiot que je suis! dit Jacques. J'ai complètement oublié de vous prévenir. Est-ce un poste émetteur, René? — Oui, pas fameux, mais je vais faire de mon mieux et j'espère arriver à joindre mes chefs. Il y a toujours quelqu'un de garde à la police et on y attend de mes nouvelles. Voilà plusieurs jours, en effet, qu'ils n'ont plus entendu parler de moi. » René, avec une ardeur fébrile, essayait de faire marcher la radio. Il grognait et pestait lorsque, sur le point de réussir, tout échouait et qu'il lui fallait recommencer. Le poste faisait entendre des sifflements curieux et des grésillements de mauvais augure qui laissaient supposer qu'il n'était pas en parfait état de fonctionnement. Après de nombreux essais, René eut enfin l'impression qu'il pouvait risquer sa chance. Sans perdre une minute, utilisant son code habituel,
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il lança un appel répété plusieurs fois. Il demandait une aide immédiate. Il n'obtint aucune réponse. Il essaya d'indiquer où ils étaient à l'aide de quelques points de repère qui pourraient sans doute permettre de trouver l'île sur la carte. Il était si absorbé par l'envoi de ce message et si tendu pour essayer de percevoir la moindre réponse qu'il n'entendit pas tout d'abord le ronflement lointain d'un puissant moteur. Puis, comme le bruit se rapprochait, il tourna la tête et regarda distraitement vers le large. Il bondit alors et se mit à crier : « Réveillez-vous! Tous à l'eau, vite, vite! les ennemis arrivent, ne traînez pas, sautez! » Les enfants, réveillés en sursaut, sautèrent pardessus bord sans prendre le temps de réfléchir. Il était temps. Un puissant canot à moteur se dirigeait droit sur eux. Une longue-vue était braquée dans leur direction. Le soleil se reflétait dans les verres. Cette réverbération permettait d'en suivre tous les mouvements. Après avoir examiné les rochers, où était le canot, puis le rivage de l'île, la longue-vue se fixa de nouveau sur les rochers. Camouflé sous une épaisse couche de varech, le bateau était là, immobile. La longue-vue s'arrêta sur lui un moment. Puis elle inspecta de nouveau la surface de l'eau aux abords de la côte. Parmi tous les
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oiseaux, il était impossible de déceler la présence d'êtres humains. Les enfants restaient enfoncés, dans l'eau le plus profondément possible, cherchant à se perdre parmi les groupes d'oiseaux les plus denses. Ceux-ci les observaient avec curiosité, mais sans manifester aucune crainte. Ils voletaient de part et d'autre, sans s'éloigner beaucoup. René craignait que sa tête frisée se remarque et il nageait sous l'eau en reprenant son souffle à de brefs intervalles. Après un temps qui leur parut interminable, le canot enfin reprit le chemin de la haute mer, pour aller voir ce qui se passait de l'autre côté de l'île. C'est du moins ce qu'imagina René. Le bruit du moteur s'éloigna petit à petit puis s'éteignit tout à fait. Alors seulement, René autorisa les enfants à regagner le bateau. Ils grimpèrent à bord, trempés et affamés. Mais à coup sûr, ils n'avaient plus sommeil! « Denise, ton stratagème a réussi magnifiquement, dit Jacques. A mon avis, personne n'a pu soupçonner notre présence et cependant nous étions là, tous les cinq et le bateau, à portée d'une longue-vue. - Oui, approuva René, ton idée était excellente. Maintenant, nous pourrions manger quelque chose, je meurs de faim. »
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Ceux-ci les observaient avec curiosité.
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Tout en dégustant quelques appétissantes conserves, René racontait aux enfants comment il avait essayé en vain, pensait-il, d'envoyer par radio un appel au secours. Il fit remarquer tout à coup : « N'avez-vous pas senti le bateau se soulever? La marée monte et va peut-être nous libérer. » II avait raison. Bientôt le bateau fut à flot et René s'empara des avirons. Il souquait avec énergie, et l'embarcation s'éloignait lentement du rivage, lorsqu'une idée soudaine lui traversa l'esprit. « Je pense à quelque chose, les enfants. Horace n'est pas venu jusqu'aux îles, à une telle distance du continent, sans avoir à bord une provision d'essence qui lui permette de revenir. Avez-vous fouillé le bateau de fond en comble? — Non, pas complètement, répondit Jacques. Nous n'y avons pas pensé. — Bon. Eh bien, nous allons le faire maintenant. Henri, écarte cet amas de cordages. Les planches qui sont dessous peuvent se soulever. Et Horace aurait pu caser là sa réserve de carburant. » Henri et Jacques s'attelèrent à la besogne. Les cordages furent mis de côté, les planches soulevées et, là, dans un trou, bien rangés, s'alignaient plusieurs bidons d'essence. « Vous aviez raison! cria Jacques. Nous sommes
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sauvés. Brave -Horace! Il a pensé à tout. Dans peu de temps, nous aurons gagné la côte. » II tendit un bidon à René qui le vida dans le réservoir. Un second suivit le même chemin. Et bientôt le bruit tant attendu du ronronnement du moteur caressa agréablement les oreilles des passagers. Le petit canot filait vaillamment en sautant sur les vagues. René tenait le gouvernail. « Alerte! cria soudain Lucette. J'entends le bruit d'un avion, » D'un seul mouvement, ils levèrent la tête. Bientôt ils virent apparaître l'avion. Il volait à basse altitude. « On dirait qu'il cherche à nous repérer, dit René, d'un ton quelque, peu angoissé. — Alors, ce sont les ennemis », répondit Jacques. Ils observaient tous l'avion avec attention. Ils le virent soudain virer de bord comme s'il venait de les apercevoir. Il ralentit, descendit aussi bas que possible, dessina un cercle autour d'eux, et repartit. « Diable! s'exclama René. Ils nous ont vus. Ils vont envoyer immédiatement leur plus puissant canot à moteur, à moins qu'ils ne prennent un de leurs hydravions. De toute façon, nous ne pouvons plus leur échapper. — Pourquoi? s'exclama Jacques. Nous avons de l'essence, marchons à plein gaz et nous serons vite loin.» René fit donner le moteur au maximum, et l,e
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canot s'élança sur la mer. Lorsque l'essence parut être presque épuisée, René dit à Jacques : « Sors les autres bidons, Jacques. Je vais remplir le réservoir avant qu'il soit complètement à sec. » Hélas! Une terrible déception les attendait. Comme Jacques sortait deux bidons de la réserve, ils lui semblèrent bien légers. Il les ouvrit en tremblant. Les bidons étaient vides!... Désemparé, René contemplait le réservoir. « Quel désastre! Horace a été volé. Il a certainement commandé son essence à quelqu'un qui a empoché l'argent et n'a fait remplir que la moitié des bidons. Qu'allons-nous devenir? » Le canot avança encore pendant quelque temps puis le moteur fit entendre des ratés et s'arrêta définitivement. « Ça y est! dit Jacques, lugubre. Nous sommes en panne. — Quand je pense que nous sommes à la fois si près et si loin! ajouta René avec rage. Quelle incroyable malchance !» Un long silence suivit ces paroles. On n'entendait plus que le clapotis des vagues contre les flancs du bateau. Les malheureux navigateurs restaient là, inactifs, ne sachant à quoi s'occuper. Ils grignotèrent quelques provisions, le cœur serré. Les heures passaient, lourdes et lentes. A bout de
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nerfs, les enfants refusèrent de se coucher pour essayer, de dormir. Le soleil baissait doucement. Soudain, dans l'air du soir, un son familier atteignit leurs oreilles : le vrombissement d'un puissant moteur. Aussitôt sur leurs gardes, ils se précipitèrent vers la rambarde et inspectèrent l'horizon. Qu'allaient-ils voir paraître? Un canot? Un avion? Un hydravion? Ce fut un hydravion. « Regardez-le! cria Jacques qui, le premier, l'avait aperçu. Il est énorme. — C'est sans doute celui que nous avons vu sur le golfe, dit Denise. Il vient nous chercher. René, que pouvons-nous faire? — Mettez-vous tous à plat ventre, commanda René. Rappelez-vous bien que, si ce sont les ennemis, ils ignorent que j'ai des enfants avec moi. Ils supposent que nous sommes trois ou quatre hommes à bord et ils n'hésiteront pas à faire usage de leurs armes, une fois de plus. Aplatissez-vous tant que vous le pourrez et ne bougez plus. Surtout ne levez pas la tête. » L'hydravion s'approchait. Il dessina un cercle audessus d'eux, puis, les gaz coupés, il descendit silencieusement et se posa sur les flots. Les remous qu'il fit atteignirent le petit bateau qui se mit à danser.
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Personne ne bougeait. René attendait dans l'angoisse les premiers coups de feu. Soudain, une voix se fit entendre, une voix de géant. « Ohé! là-bas! Montrez-vous! » « Surtout, pas un geste, souffla René d'une voix pressante. Ne bougez pas. N'aie pas peur, Lucette. Ils se servent d'un mégaphone, c'est pourquoi leur voix résonne tellement. » La voix tonna de nouveau : « Nos canons sont braqués sur vous. Ne faites pas les malins. Montrez-vous, sinon nous tirons. »
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CHAPITRE XVII LA ROUTE DU RETOUR Nous sommes perdus, il n'y a plus rien à faire, prononça René, désespéré. Allons, il faut que je me fasse voir. Je ne veux pas qu'ils mitraillent le canot. » Ce disant, il se mit debout et leva les bras pour bien montrer aux assaillants qu'il se rendait. Ceux-ci mirent aussitôt à la mer un canot qui s'éloigna rapidement de l'hydravion en direction du
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bateau où René attendait. Debout, dans l'embarcation, se trouvaient trois hommes, revolver au poing. Les enfants, terrorisés, craignaient à chaque instant d'entendre claquer un coup de feu. Aucun d'eux n'avait osé lever la tête, mais ils imaginaient aisément la scène. Le petit canot approchait rapidement. Le silence était angoissant... Soudain, un cri jaillit : « René... René Plotin! C'est bien toi! Pourquoi diable ne t'es-tu pas fait reconnaître tout de suite? Nous avons cru que tu faisais partie de la bande des malfaiteurs. — Dieu soit loué! C'est Joseph! » cria René. Sa voix exprimait un tel soulagement que, d'un seul mouvement, les quatre enfants furent debout. « Sauvés, nous sommes sauvés! leur disait René, radieux. Voilà Joseph, mon collègue. Alors, vieux,, tu as donc reçu mon message? » Le petit bateau s'était rangé le long du canot. Joseph, tout en rengainant son revolver, répondit à René en riant : « Oui, oui, nous avons capté ton message, mais je devine que tu n'as pas entendu notre réponse. Nous te posions des tas de questions, mais toi, tu disais toujours la même chose. Alors nous avons pensé que ta situation était périlleuse. On a envoyé immédiatement cet hydravion à ta recherche aux abords de ce golfe bleu que tu nous indiquais. Soudain, nous avons
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aperçu le bateau. Nous avons amerri pour voir qui l'occupait. — Vous êtes arrivés au bon moment, expliqua René. Nous venions de tomber en panne d'essence et nous nous attendions à être rejoints par nos poursuivants d'une minute à l'autre. — Retournons tous à l'hydravion », dit Joseph. Il se tourna vers les enfants avec un large sourire et ses yeux bleus pétillèrent de malice. « Je suppose que ces jeunes gens ne verront pas d'inconvénient à recevoir le baptême de l'air? — Oh! Nous avons déjà volé, répondit Jacques. Mais jamais encore dans un hydravion. » II aida les filles, à sauter dans le canot de sauvetage qui reprit rapidement le chemin de l'hydravion. « Enfin, nous sommes à. l'abri, nous ne risquons plus rien, ne cessait de répéter la pauvre Lucette d'un ton joyeux. — Oui, grâce à votre ami René, répondit Joseph, en lui souriant. René est un personnage très important, peut-être ne vous en doutiez-vous pas? Il est si important qu'on a mobilisé toute la police et qu'on a envoyé cet hydravion pour le sauver. — J'ai toujours pensé que René était un grand personnage », fit Lucette, et elle serra affectueusement la main de son ami. Bientôt ils arrivèrent auprès de l'hydravion. On les aida à y monter les uns après les autres, puis l'appareil,
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sans heurt, glissa sur l'eau, décolla doucement, et s'éleva dans l'air en décrivant de grands cercles comme une énorme mouette. Abandonné, le bateau d'Horace se balançait au gré des vagues. La police, plus tard, viendrait le rechercher. « J'aimerais bien voir ce fameux golfe bleu, dit Joseph. Il n'est pas marqué sur notre carte. Pourriezvous le reconnaître de l'avion, les enfants? — Oui! assura Jacques, C'est un endroit extraordinaire, abrité par une barrière rocheuse, mais d'un bleu bien plus profond que la mer. Il se pourrait même qu'on puisse apercevoir les fusils au fond de l'eau. Elle est si transparente! » L'avion, vrombissant, avançait rapidement audessus de la mer qui, vue d'en haut, paraissait lisse et calme. Les enfants étaient enthousiasmés par le spectacle. Bientôt un groupe de petites îles apparut. Comme elles étaient nombreuses, et comme elles paraissaient petites ! Tout à coup, Jacques poussa une exclamation. « C'est ici juste au-dessous de nous! Il n'y a pas d'erreur possible. Je reconnais l'eau bleue et la barrière rocheuse. » L'avion descendit en tournant. Les enfants qui observaient l'eau avec attention furent bientôt capables de discerner le reflet du tissu caoutchouté qui enveloppait les colis de fusils.
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Les enfants observaient l'eau avec attention. 173
Henri les montra du doigt. « Regardez, René! On distingue quelque chose qui brille dans l'eau. C'est le caoutchouc qui entoure les fusils. Les contrebandiers ont déjà sorti plusieurs paquets de l'eau et les ont chargés à bord d'un hydravion. Nous les avons regardés faire, cachés derrière un gros rocher. » En entendant cela, René et Joseph échangèrent un regard. « Voilà des témoins tout trouvés, dit Joseph. Ces enfants me paraissent remarquablement débrouillards. Ce sont bien eux, n'est-ce pas, qui t'ont déjà entraîné une fois dans une extraordinaire aventure? — Oui, ce sont eux », répondit René. Et il ajouta avec fierté : « Des enfants sur lesquels on peut compter!» Ils s'éloignèrent de l'île et survolèrent ensuite celle où René avait été retenu prisonnier. « Voilà le petit port, dit Jacques. Tiens, il y a maintenant deux bateaux! Et le pauvre Horace, que va-til devenir? — On va rapidement capturer toute la bande, répondit René, et Horace sera libéré. Ces bandits font le trafic d'armes et gagnent beaucoup d'argent lorsque deux pays se font la guerre. Ils achètent des fusils et les revendent aux deux belligérants. La police internationale les traque mais ils sont très forts, et
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arrivent toujours à lui filer entre les doigts. On m'a chargé de les rechercher et de mettre fin à leur vilain commerce, — Comment allez-vous agir maintenant? demanda Jacques. Est-ce que vous allez envahir l'île, les faire prisonniers et saisir les armes? Et s'ils arrivent à vous échapper? — Ne vous faites pas de souci », répondit Joseph. Un large sourire plissait de mille petites rides son visage tanné par le soleil. « Nous avons lancé des appels dans toutes les directions. Dans quelques heures, une flotte d'hydravions va arriver. L'île sera cernée par des bateaux armés. Les bandits ne pourront plus nous échapper. » Sauf le petit port que Jacques avait reconnu, on ne pouvait rien distinguer de suspect sur l'île. Tout devait y être soigneusement camouflé. « Ils sont malins, fit René. Il y a longtemps que j'essaie de les attraper. Ils m'ont égaré sur bien des fausses pistes, et j'avais fini par abandonner tout espoir de découvrir leur repaire. Enfin les voilà pris, maintenant. — Quelle tête ils ont dû faire en vous reconnaissant, René! » dit Lucette. L'avion s'éloigna de l'île et de ses occupants et survola bientôt l'île aux oiseaux où les enfants s'étaient retrouvés tout seuls et sur laquelle ils avaient fait brûler le feu des naufragés.
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L'appareil descendit aussi bas que possible pour que les enfants puissent voir encore une fois cette terre où avait commencé leur aventure. Kiki parut soudain se réveiller et fit entendre une série de cris rauques. « II reconnaît les lapins! s'exclama Lucette. Il leur crie adieu! Adieu, adieu, petits lapins, moi aussi je vous salue. — Que de choses nous allons pouvoir raconter à maman! fit remarquer Henri. Je me demande comment elle va. » Joseph lui répondit en souriant. « Elle va très bien, mais elle était inquiète à votre sujet. Je suppose qu'elle sera tout à fait rassurée lorsqu'elle recevra notre message-radio. — Oh! Vous lui avez envoyé un message! s'exclama Denise. Elle sait déjà que nous sommes sains et saufs? Alors tout va bien. » Puis son front se rembrunit. « Quel drôle d'effet cela va nous faire de retourner en classe! » S'asseoir à un pupitre, étudier l'histoire et la géographie, la grammaire et le calcul, comme cela paraissait lointain et étrange! L'hydravion, dans un ronronnement régulier, continuait son vol vers le continent. Le soleil avait presque disparu et la mer prenait une teinte de plus en plus sombre.
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-Bientôt les premières étoiles brillèrent, scintillant dans le ciel comme des diamants. « Dans quelques instants, nous serons arrivés », dit René. Il était content, mais semblait très ému. « J'ai bien cru que nous étions perdus, lorsque cet hydravion s'est posé près de nous et qu'on nous a sommés de nous montrer. J'ai pensé à tous les dangers que nous avions courus ensemble et j'ai cru que notre dernière heure était arrivée. Dieu merci, je me suis trompé. Tout est bien qui finit bien. »
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